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HARVARD COLLEGE LIBRARY
in honor of
ARCHIBALD CARY COOLIDGB
1866 - 1928
Profi»or of History
Lifdong Benefàctor and
Rrst Diiector of This Library
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fi t ^-'•^i
HISTORIQUE
DU 3- RÉGIMENT
TIRAILLEURS ALGÉRIENS
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HISTORIQUE
DU 3« RÉGIMENT *
DE •
TIRAILLEURS/ ALGÉRIENS
PAn
L. DARIER-CHATELAIN '
LIEUTENANT AU C0RP8
OUVRAGE RÉDIGÉ D'APRÈS LES ORDRES DE M. LE COLONEL BOFTARD
C
,. \ ^
it Je ne prétends pas que ▼<» soldate soient les meiUeors
de l'armée française , mais Je n'en connais pas qui Taillent
mieux. Avec nno tronpo comme la vôtre, on peat tout entre-
prendre , on |ietit tntit oser, h
( PktoIm da coImmI CMirobcit »« eomaaadMit Bovrtelri,
«« niM da baUlIloB te Tlnlltonn te OoMtMttae.)
CONSTANTINE ^
GEORGES HEIM, ÉDITEUR
2, RUE D^AUMALE, 2
1888
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F
Y -6-
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MONSIEUR LE COLONEL HÀllHET
COMMANDANT LB 3* REGIMENT DB TtnAILLBUIIS ALOéntBNt
HOMMAGE RESPECTUEUX DE L'AUTEUR
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AVERTISSEMENT
M. le colonel noiUinl, niijoiinrinii grncral de brigade, m'a confié
la rédaction de l'Historique du 3° régiment de Tirailleurs algériens.
Détaché pour cela pendant trois mois au ministère de la guerre, j'ai
pu, grâce à la bienveillance de M. le lieutenant -colonel Guérin-Pré-
court et de M. le commandant Belhomme, chargés des archives histo-
riques, m'y procurer tous les renseignements qui me faisaient défaut;
ces documents, joints à d'autres mis obligeamment à ma disposition
par M. le colonel Doilard, m'ont permis de rétablir avec certains dé-
tails et dans toute leur vérité, les événements militaires auxquels le
corps a pris directement part.
Il se peut cependant que, malgré ces consciencieuses recherches ,
des faits d'armes importants n'aient pas été signalés; il se peut égale-
ment que d'autres soient incomplètement traduits. Ce sont là des
lacunes qu'il sera plus tard facile de combler, si tous ceux qu'elles
peuvent intéresser veulent bien les faire remarquer et fournir les indi-
cations qu'il ne m'a pas été possible de me procurer.
J'ai cru devoir diviser ce travail en trois parties : la première est
riiistorique sommaire de tous les corps d'inranlerie indigène qui ont
précédé le S^ Tirailleurs dans la province de Constanline; la deuxième
va du jour de la formation du régiment à la campagne de 1870-1871
inclusivement; enfin la troisième, qui doit être continuée, s'occupe
de toutes les expéditions qui ont eu lieu pendant ces dix- sept der-
nières années. Cette division semblait, à mes yeux, se rapporter à
trois périodes bien distinctes pour les régiments de Tirailleurs algé-
riens : leur origine; leur création et le perfectionnement de leur
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VIII AVERTISSEMENT
organisation; leur complète assimilation » au point de vue essentielle-
ment militaire, aux autres corps d'infanterie de Tarmée. Un appendice
donne la liste des chers de bataillon et des colonels qui ont com-
mandé les Tirailleurs indigènes de la province de Gonstantine depuis
qu'ils forment une troupe régulière , les noms des officiers tués à
Tennemi et le total des pertes éprouvées par le régiment et les ba-
taillons qui ont servi à sa formation.
Puissé-je avoir retracé comme il méritait de l'être le passé de ce
beau régiment; puissé-je avoir rendu à ceux qui, sont tombés à
l'ombre de son drapeau tout l'hommage qui leur revient; puissé-je
surtout y par le récit de ce passé, avoir contribué à fortifier notre
confiance dans l'avenir I
L. D.-C.
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HISTORIQUE
DU 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
PREMIERE PARTIE
(1830-1856)
HISTORIQUE DES CORPS D'INFANTERIE INDIOiNE
AYANT PRÉCÉDÉ LE 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS
DANS LA PROVINCE DE CONSTANTINE
ET ÉTANT ENSUITE ENTRÉS DANS LA COMPOSITION DE CE DERNIER
CHAPITRE I
(1830-1842)
Origine du 3« régiment de Tirailleurs algériens. — Bataillon turc de Bône; son origine.
— Érénements de la casbah de Bône. — Opérations auxquelles ce lyataillon prend
part depuis sa formation jusqu'à sa fusion avec le bataillon turc de Gonstantine.
Le 3* régiment de Tirailleurs algériens a été formé le 1» janvier 1856, en
exécution d'un décret impérial du 10 octobre 1855.
Entraient dans la composition de ce nouveau corps:
1» Le ^^ bataillon de Tirailleurs indigènes de Gonstantine « qui lui-même
avait été formé le 11 août 1842 , conformément à une ordonnance royale du
7 décembre \9M , avec le bataillon turc do Gonstantine et le demi-bataillon
turc de Bône ;
2« Un contingent ayant fait partie du régiment de Tirailleurs algériens qui
avait pris part à la campagne de Grimée. Ge contingent avait été tiré, le
9 mars 1854 , du bataillon de Tirailleurs de Gonstantine.
3® Le 2* bataillon de Tirailleurs indigènes de Gonstantine , formé le 1*' mars
1855 , en exécution d*un décret impérial du 9 janvier de la même année.
1
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2 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1831 ]
La premiëro troupo d'infanlerio indigèuo au service de la France dans la
province de Constantine fut le bataillon turc de fiône. Ce bataillon , qui sub-
sista jusqu'en 1842 à titre de corps irrégulier, fui formé, ou plutôt conservé
à notre solde, lors de Toccupation définitive de Bône, en 1832. Les hommes
qui lui servirent d'abord de noyau furent même mêlés d'une façon si directe
aux événements qui précédèrent et accompagnèrent cette occupation, que,
pour l'intelligence des faits, il importe de remonter un peu plus haut.
Au mois d'août 1830, Bône avait été occupé une première fois, sans coup
férir, par le général Damrémont. Celui-ci s'y maintenait victorieusement ,
malgré plusieurs attatjues venues du dehors, lorsque, appelé à Oran avec les
quelques troupes qui l'avaient accompagné, il dut abandonner cette ville, la
laissant réduite à ses seules ressources pour résister aux tribus voisines, qui
ne lui pardonnaient pas de s'être donnée aux Français. Ses habitants parvinrent
cependant à se défendre, grêce au concours d'une centaine de Turcs qui,
ayant quitté le service d'Ahmed, bey do Constantine, se trouvaient alors dans
la place.
Près d'une année se passa ainsi , sans que rien indiquât que cet état d'hos-
tilités dût bientôt cesser. Fatiguée, la population de Bône résolut d'appeler les
Français à son secours. Le général Berlhezène était alors commandant de nos
forces militaires dans lé nord de l'Afrique; il vit là une excellente occasion
de prendre pied dans la proYince de Constantine, et fit aussitôt partir le com-
mandant Huder avec cent vingt-cinq zouaves, tous musulmans. Ce détache-
ment arriva à Bône le 14 septembre; il y fut très bien reçu par les habi-
tants, et s'établit partie dans la ville, partie dans la casbah.
A Bône se trouvait alors un ancien bey de Constantine nommé Ibrahim ,
personnage fourbe, qui cherchait à refaire sa fortune tout en ayant l'air de
nous servir. Il sut capter la confiance du commandant Huder, et obtint môme
de ce dernier quelque argent pour de prétendus services rendus. Ibrahim s'en
servit pour soudoyer quelques hommes , avec lesquels il se présenta ù la cas-
bah, au moment où l'officier qui la commandait était absent. Séduite par ses
largesses, une partie de la garnison se déclara pour lui; une lutte s'engagea
alors entre ses partisans et les nôtres, et, resté maître de la citadelle, il en
fit fermer les portes. Aussitôt prévenu, le commandant lludcr réunit à la
hflte quelques soldats pour la reprendre; mais, repoussé par une vive fusil-
lade , il dut rentrer dans la ville.
Le lendemain , quelques Arabes de la campagne vinrent se joindre à Ibra-
him , d'autres se réunirent au dehors. La position devenait critique. Il y avait
dans la rade de Bône deux bâtiments de l'État; M. Huder pensa d'abord
à leur demander quelques hommes de débarquement; mais, comptant tou-
jours sur le concours de la population , il attendit. Deux jours se passèrent
ainsi.
; Cependant, le 29 septembre, la révolte devenant de plus en plus mena-
çante | il se décida à partir. Dès qu'ils apprirent cette détermination, les
Arabes du dehors se précipitèrent sur les portes, égorgèrent le capitaine Bigot,
qui commandait les zouaves , et poursuivirent jusqu'aux embarcations fran-
çaises les quelques hommes qui accom^naient encore le commandant
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[1832] EN ALGÉRIE 3
Iludcr. Ce dernier, qui avait déjà reçu deux blessures , fut tué au moment où
il mettait le pied sur un canot. Quelques instants après deux bricks, venant
d'Alger , apportaient deux cent cinquante zouayes sous les ordres du corn*
mandant Duvivier. Celui-ci voulait tenter un coup de main ; mais les com-
niniidanlfl des hdtiinonls s'y étant opposés, l'expédition rentra & Alger, où
elle arriva le 11 octobre.
Après cette catastrophe , Ibrahim ne tarda pas à indisposer les habitants
de Bône par ses exactions; seule la crainte de tomber entre les mains du
bey de Constantine , qui avait envoyé contre eux Ben-Alssa, son lieutenant,
les empêcha de séparer leur cause de la sienne.
Ibrahim se défendit d*abord avec quoique succès; puis, craignant pour sa sé-
curité personnelle, il se retira dans la casbah avec les Turcs qu'il avait enrô-
lés, abandonnant la ville à son propre sort. Réduite à la dernière extrémité,
la population résolut encore une fois d'implorer la protection de la France.
Une députation fut envoyée au duc de Rovigo, alors gouverneur général, qui
dépécha aussitôt le capitaine Joseph (Yusuf) pour s'assurer du Yéritable état
des choses. Sur le rapport de ce dernier, il fut décidé qu'on enverrait d'abord
des vivres aux habitants, et que le capitaine d'artillerie d'Armandy irait orga*
niser la défcnso en attendant Tarrivéo do secours plus directs.
Le 29 février, le capitaine d'Armandy arrivait h son tour. La situation
n'avait pas changé; au contraire, les habitants étaient de plus en plus démo-
ralisés. Dans la nuit du 5 au 6 mars, Ben-Aïssa pénétra dans la ville, dont
les portes lui furent ouvertes par ses partisans. M. d'Armandy n'eut que le
temps de gagner la felouque la Fortune, qui se trouvait en rade; on le pres-
sait de partir; mais, sentant qu'il y avait encore quelque chose à faire avec les
Turcs qui se trouvaient dans la citadelle, il se contenta de s'éloigner du feu
des Conslantinois. Il ne voulait rien entreprendre avant l'arrivée de Tusuf,
qui était parti pour Tunis sur la goélette la Béarnaise pour aller eflectuer un
achat de chevaux. Quelques jours après Ben-Aîssa lui offrit une entrevue ;
M. d'Armandy n'hésita pas à se rendre & cette invitation , et il fut convenu
que les hostilités seraient suspendues jusqu'à ce que le général en chef eût ré-
pondu à certaines propositions du bey de Constantine.
On attendait donc, do part et d'autre, des nouvelles d'Alger, lorsque, le
20, la IkUmmist* revint de Tunis ramenant le capitaine Yusuf. Sûr d'avoir
dans ce dernier un intelligent et courageux collaborateur, le capitaine d'Ar-
mandy se proposa de mettre à exécution un projet mûri depuis longtemps et
qu'à force d'audace il espérait voir réussir. Il s'assura, auprès du comman-
dant de la Béarnaise, du concours de trente marins de débarquement; puis,
dans la nuit qui suivit, il se rendit, seul avec le capitaine Yusuf, au milieu
des Turcs d'Ibrahim pour essayer de les gagner à noire cause. Ses propositions
furent d'abord favorablement écoutées; mais quelques fidèles d'Ibrahim ayant
suscité un tumulte, les deux capitaines durent fuir pour sauver leur vie. Une
lutte s'engagea alors, et se termina à l'avantage de nos partisans. Ibrahim
prit la fuite avec les siens. Prévenu , le capitaine d'Armandy revint aussitôt
avec les marins mis à sa disposition, et, quand le jour parut, on put voir les
couleurs françaises se balancer au-dessus de la citadelle de Bône.
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4 LE 3* RÉOlIfBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1832]
Il était temps; impatient do ne pas recevoir des nouvelles d^Âlger, Bon-
Aîssa devait attaquer la casbah le lendemain. Désespérant désormais de s*en
emparer, et sans elle ne pouvant compter rester dans la place, il prit le parti
de se retirer. Seulement qu*allait-il laisser aux Français? Des ruines. B6ne fut
livré au pillage, et ses malheureux habitants durent suivre le farouche lieute-
nant d'Ahmed-bey. Ce ne fut pas tout; à peine ce dernier se fut-il éloigné,
que les Arabes des environs tombèrent sur ce que l'incendie et les Constan-
tinois avaient pu laisser.
Pour garder leur conquête , les capitaines d'Armandy et Yusuf ne dispo-
saient que des Turcs. Tout dépendait de la fidélité de ces hommes, qu'aucun
autre gage que la parole donnée ne liait à nous. Yusuf en reçut le comman-
dement et, sous la direction du capitaine d'Armandy, s'occupa aussitôt de
parer aux premières difficultés. Il s'agissait de faire cesser le sac de la ville
et de permettre aux habitants qui avaient pu échapper à Ben-Aïssa d'y ren-
trer. Le lendemain , une embuscade de vingt Turcs fut envoyée à l'une des
portes; dès qu'elle fut à son poste, quelques bombes furent envoyées sur les
pillards, qui prirent aussitôt la fuite et défilèrent sous son feu. Les Arabes
perdirent beaucoup de monde, et de ce jour on ne les revit plus. Lorsque, le
8 avril, arrivèrent les premiers renforts venant d'Alger, la tranquillité était
déjà rétablie.
liOS Turcs avaient non seulement tenu leurs engagements, nmis encore,
on plusieurs circonstances, fuit prouve d'un réel dévoucuient. Les licencier
eût été plus que de l'ingratitude, de l'injustice. Aussi le capitaine d'Armandy
s'opposa-t-il énergiquement à leur renvoi; bien plus, considérant la promesse
qu'il leur avait faite comme une chose sacrée, il alla jusqu'à payer de ses
deniers la solde due à ces hommes. Il fit ainsi , soit au moyen de ses
propres ressources , soit en s'engageant envers d'autres ofliciers , une avance
de quatre mille francs, qui lui fut enfin remboursée plus tard.
D*après le traité qui les liait à nous, ces Turcs devaient être payés chacun
un boudjou (un franc quatre-vingts) par jour. Avec cette somme, ils avaient
à pourvoir à tous leurs besoins.
Une certaine organisation fut donnée à cette troupe , qui rendit bientôt de
précieux services, c L'abondance et le bien-être dont nous jouissons, écrivait
à la date du 21 avril M. de Brivazac, commissaire général de police, sont dus
en partie aux Turcs. Vous savez , en cflet , que pour couper les communica-
tions et entraver le commerce, il suffit de quel(|ucs uiisérubles qui arrùtcnt
et dépouillent les habitants paisibles. Deux fois déjà nous nous sommes trou-
vés dans cette position; mais les Turcs commandés par le capitaine Yusuf
sont allés surprendre les voleurs, et dès le lendemain tout est rentré dans
l'ordre. >
Le 15 mai, le général Monck d'Uzer vint prendre le commandement des
troupes de Bône. Son premier soin fut de s'occuper de la situation du bataillon
turc. Il écrivit à ce sujet au maréchal Soult, alors ministre de la guerre; mais
ce dernier, ne comptant que médiocrement sur la fidélité des gens qui le com-
posaient, se contenta d'écrire de sa main, en marge de la lettre : cS'en servir,
les bien traiter, augmenter leur nombre et s'en méfier.» C'était une recomman-
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[1833] EN ALOÉRIE 5
dation prudente, mais que les nouveaux services rendus par le bataillon ture
allaient bientôt rendre inutile.
Le 27 juin , dans une sortie que le général d'Uzor effectua contre la tribu
des Beni-Âcou, ce bataillon, qui Tul tout le temps à Tavant-garde, eut cinq
hommes blessés. Le lendemain eut lieu un nouveau combat dans lequel il se
signala encore et mérita tous les éloges du général.
Le 27 juillet, Tinfanterie du bataillon faillit être prise par un incendie dés
hautes herbes. Yusuf la sauva en lui faisant passer la Seybouse sur les che-
vaux dont il disposait.
A la date du 24 août, Teffectif s^élevait à cent vingt fantassins et quatre-
vingts cavaliers.
Le 8 septembre, Ibrahim -bcy, qui depuis l'aifaire de la casbah de Bône
s'était retiré h Bizerto , étant parvenu à réunir quelques-unes des tribus qui
nous étaient hostiles, se présenta devant la place avec une troupe de douze
à quinze cents hommes. Pris entre deux colonnes qui sortirent par deux
portes différentes, il fut complètement battu. Dans cette affaire, les Turcs
eurent deux hommes blessés.
L'hiver de 1832 à 1833 se passa sans amener d'autres expéditions. La gar-
nison de Bône était, du reste, trop cruellement éprouvée parles maladies pour
tenir la campagne. Une épidémie ayant quelques symptômes de la fièvre
jaune se déclara en novembre, et en quelques mois enleva un quart des
troupes et de la population. Seul le bataillon turc ne fut pas atteint. On lui
donna à garder les postes extérieurs, c'est-à-dire les plus malsains; il s'en
acquitta avec dévouement , et, grflce à son activité, la tranquillité ne fut pas
un instant troublée.
IjO 20 avril, une sortie eut lieu contre les Ouled-Attia, qui avaient commis
plusieurs actes de brigandage sur nos alliés et sur dos Européens. La colonnOi
sous les ordres du général d'Uzer, se mit en route à minuit; le bataillon turc
était à l'avant-garde. Au point du jour, la tribu fut surprise, et, après un
engagement où Yusuf, qui venaitd'étre nommé commandant, fut blessé, tous les
troupeaux des dissidents restèrent entre nos mains. Les Arabes eurent trente
et un tués et durent nous abandonner quatre cent-cinquante boeufs ou vaches,
le môme nombre de moutons et quelques chevaux.
Lorsque les chaleurs arrivèrent, le bataillon fut réparti dans les blockhaus
des environs de la place. Les tribus voisines étaient rentrées dans le devoir,
et, grflce à l'administration ferme et prudente du général d'Uzer, le calme
régnait partout. Mais Tétat sanitaire restait toujours aussi mauvais , sinon
pire , et la garnison en souffrait cruellement , à l'exception cependant du ba-
taillon turc , qui restait dans d'excellentes conditions.
Cette situation difficile menaçant de se prolonger longtemps encore, pour
y remédier le général pensa à former, avec ce bataillon et des Arabes recrutés
parmi les habitimls. de la ville et les tribus amies du dehors , un corps de
fusiliers entièrement composé d'indigènes et destiné à l'occupation des postes
extérieurs. Le 2 septembre, il écrivit à ce sujet au ministre de la guerre, lui
demandant l'autorisation de créer une première compagnie de deux cents
hommes. C'était grever le budget d'une nouvelle dépense; sa demande fut
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0 I.B a* BÊOIMBNT Dl:: TIRAUXRUUS Al.Oj^.lURNS [1836]
d'abord ajournée, puis oubliée. Mais le général se chargea de la rappeler; au
mois de février 1834, il écrivait de nouveau en faisant ressortir les avantages
de sa proposition : c Jeprendsia liberté, monsieurle Maréchal, disait-il, d'insister
sur cette organisation qui pourrait prendre plus de développements à mesure
que nous étendrons plus loin nos possessions. Les Anglais, dans l'Inde, se
sont servis avec succès des naturels du pays pour accroître leur domination.
L'essai que j*en ai fait moi-même a produit les plus heureux résultats , et je
serai à même d'en obtenir de plus vastes lorsque vous m'aurez permis d'aug-
menter mes moyens. C'est avec des corps d'otages, à pied et à cheval, que
nous pourrons plus tard occuper cette belle province. » -
La lettre qui précède ne s'inspirait-elle pas d'une haute expérience et d'un
large esprit de colonisation? Sans doute; mais l'idée du général d'Uzer n'était
pas encore assez mûre, et il fallait attendre que le temps, les nécessités du
moment et une plus longue pratique de la guerre d'Algérie eussent démontré
l'utilité de cette création. Le bataillon turc resta donc à l'état embryonnaire,
sans organisation régulière, formant un groupe d'environ deux cents fantas-
sins ou cavaliers aux ordres de Yusuf , qui le considérait un peu comme une
chose sienne I et s'en servait souvent comme de janissaires spécialement atta-
chés à sa personne.
Au mois de septembre 1834, le maréchal Gérard se trouvant alors au mi-
nistère, le général fit une dernière tentative. Cette fois son projet fut admis
en principe; mais le ministre, s'inspirent de ce qui avait été fait dans la pro-
vince d'Alger, aurait voulu voir les indigènes incorporés dans les zouaves.
Le général d'Uzer ne fut pas de cet avis, et, après quelques lettres échangées,
les choses en restèrent là. La situation était d'ailleurs redevenue des plus
satisfaisantes; la garnison de Bône suffisait, et au delà, aux besoins du ser-
vice , et nulle création nouvelle ne s'imposait plus.
Cette question paraissait définitivement délaissée et le bataillon turc de
Bône destiné à disparaître un jour faute d'éléments , lorsque l'arrivée du ma-
réchal Qausel à la tête du gouvernement de nos possessions dans le nord de
l'Afrique fit tourner tous les regards du côté de Constantine, et reporter sur
la place de Bône une partie de l'intérêt dont jusque-là Alger et Oran avaient
joui sans partage. Par le même concours de circonstances, Yusuf devint
l'homme du jour ; il fut, en attendant la déposition eflectivo d'Alunod , nommé
bey in parlibus, et eut pour mission de réunir sous sou autorité toutes les
tribus hostiles à ce dernier, pour en former un corps d'auxiliaires qui, dans
l'esprit du maréchal , devait presque suffire à l'expédition projetée. Le ba-
taillon turc devait lui-même être porté au chiffre de mille hommes et rece-
voir une instruction militaire suffisante pour lui permettre de résister à l'in-
Cunterie régulière du bey.
Tous ces projets furent soumis au maréchal Maison , ministre de la guerre,
qui, toujours pour des raisons budgétaires, limita l'eflectif du bataillon turc
à cinq cents hommes; encore la somme d'un boudjou ne fut-elle maintenue
que pour ceux qui avaient été enrôlés par le capitaine d'Armand y ; les autres
ne reçurent plus que 0,G0 centimes par juur et les vivres de campagne.
L'expédition de Constantine eut lieu au mois de novembre. Le bataillon
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[I83t] EN ALGÉRIE 7
turc fut placé dans la brigade de Rigny, et concourut d*abord au service de
reconnaissance, puis à celui d*avant-garde. Le 15, la colonne, sous les ordres
du maréchal Clausel, campa sous Guclma; 1c 16, sur les bords de la Sey-
bouse; le 17, au pied du Ras-el-Akba, et le 19, à Ras-Oued-Zénati. Le 20, on
commença & apercevoir de nombreux groupes d'Arabes, qui Tuirent sans ac-
cepter le combat. Le temps était devenu des plus mauvais, les chemins
étaient défoncés. Le soir, on campa au tombeau romain , à Somma. La nuit
fut aflreuse, le froid très vif; plusieurs hommes moururent. Le 21, on tra-
versa rOued-Akmimin; le même jour on devait arriver devant Cionstantine.
Le maréchal pensait qu'on y entrerait sans coup férir; mais à peine les
troupes furent-elles sous le canon de la place, que celui-ci se fit entendre.
Il n'y avait plus de doute, la ville était décidée à la résistance; il allait
falloir l'attaquer de vive force. La brigade de Rigny fut envoyée au Goudiat-
Aty; les autres troupes s'établirent au Mansourah.
Le 22, le maréchal fît canonner la porte du pont sur le bord du ravin.
Aucune tentative ne fut faite du côté du Coudiat-Aty. Le 23 , l'artillerie con-
tinua à battre la ville. Ce jour-là, Ahmed-bey, qui tenait la campagne pen-
dant que Ben-Aîssa défendait la place, vint attaquer les troupes du général
de Rigny et tenta de les déloger du Coudiat ; mais celles-ci se défendirent vi-
goureusement, et l'ennemi dut se retirer.
La nuit suivante, une attaque fut tentée sur la porte du pont et échoua
complètement. Une autre, dirigée par le lieutenant- colonel Duvivier sur la
porte Bab-el-Oued, n'eut pas plus de succès.
Il fallut se résigner à la retraite. La brigade de Rigny évacua le Coudiat-
Aty, gagna le Mansourah , et, le 24, le mouvement commença. Heureusement
le temps se remit au beau ; c'est ce qui sauva l'armée. Le soir, on revint au
tombeau romain. Pendant toute la journée, les Arabes avaient harcelé l'ar-
rière-garde et les flancs de la colonne. Le 25, on coucha à l'Oued-Talaga;
le 26, au marabout de Sidi-Tamtam, sur l'Oued-Zénati; le 27, à Medjès-Amar,
et, le 28, h Guelma. Le l^** décembre , on était de retour ft Bdne. Le bataillon
turc, qui était parti avec cinq cents hommes, revenait avec à peine trois
cents; les fatigues, les maladies, le froid et quelques désertions avaient pro-
duit lous CCS vides. On se plut cependant à reconnaître la résignation avec
laquelle ces pauvres gens, mal habillés, mal équipés et mal organisés, avaient
subi toutes ces privations.
Pendant la période d'une année qui s'écoula entre la première et la deuxième
expédition de Constantine , la situation du bataillon turc ne fut point modi-
fia. Yusuf , qui avait vu ses espérances politiques complètement déçues par
l'insuccès d'une entreprise dont il avait été le principal inspirateur, s'était
alors désintéressé de cette troupe, qui ne pouvait plus servir h son ambition.
Il dut même bientôt quitter Bône, où sa présence ne pouvait rappeler que des
mécomptes. Il fut remplacé, à la tête des troupes indigènes , d'abord par le
capitaine de Berlier, des spahis, puis par le lieutenant Allégro, ce dernier
avec le titre d'agha de l'infanterie.
Au mois de mars 1837, le bataillon comprenait encore trois cent quatre-
vingts hommes, répartis entre les postes de Bône, la Galle et Dréan.
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8 LB 3* RÉQIMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1838]
La seconde expédition de Constantine eut lieu au mois d'octobre de cette
inême année. Un détachement de cent dix-neuf hommes du bataillon turc fut
désigné pour y prendre part, et se trouva compris dans les troupes de la bri-
gade Trézel.
Cette fois, les opérations, mûrement et longuement préparées, amenèrent
un résultat décisif: Constantine fut pris le 13 octobre 1837. Le 11, dans
Taprès-midi, après que les batteries de brèche eurent ouvert leur feu, le gé-
néral Damrémont, désireux d'arrêter Teflusion du sang, résolut d'adresser une
proclamation aux assiégés. Mais comment la faire parvenir? Un jeune soldat
du bataillon turc s'offrit généreusement pour la porter. A ce moment , le feu
de la place était très vif; la mission était périlleuse. Le parlementaire s'ap-
procha des remparts en faisant connaître par des signes le caractère dont il
était revêtu. On lui jeta une corde; il monta et ne reparut plus. On le crut
perdu. Le feu, do part et d'autre, continua do plus belle. Le leudcmain-, on le
vit revenir sain et sauf; on l'avait conduit à l'intendant du palais; celui-ci
l'avait gardé une partie de la nuit pour lui bien faire voir les préparatifs de
défense, puis l'avait renvoyé. Il n'avait pu ôtre présenté à Ben-AIssa; mais
il rapportait cependant la réponse verbale suivante :
c II y a à Constantine beaucoup de munitions de guerre et de bouche. Si
les Français en manquent, nous leur en enverrons. Nous ne savons ce que c'est
qu'une brèche ni une capitulation. Nous défendrons à outrance notre ville
et nos maisons. Les Français ne seront maîtres de Constantine qu'après avoir
égorgé le dernier de ses défenseurs. »
Le général Damrémont écouta cette réponse avec un profond intérêt, et
s'écria : c Ce sont des gens de cœur. » Puis il monta à cheval pour aller
visiter la nouvelle batterie de brèche , et s'arrêta en face de la ville. A ce
moment, un boulet parti de la place le renversa sans vie.
Le détachement du bataillon turc ne prit pas une part directe à l'attaque
de la ville; pendant l'assaut il resta à la garde du convoi. Le 20 , il se remit
en route pour Bône avec le général Trézel , qui ramenait un convoi de ma-
lades. Le 26, il rentrait dans cette ville.
A partir de ce moment, le corps auxiliaire dont nous venons de faire l'his-
torique sommaire prit la dénomination de demi -bataillon turc de Bône. Un
autre corps analogue allait être formé à Constantine, et la fusion de ces deux
troupes allait amener, le 11 août 1842, la formation définitive d'un corps
régulier, du bataillon de Tirailleurs inéUgines de Corutanline.
Pour en finir avec le rôle joué par le bataillon turc de Bône , il nous reste
à parler des dernières opérations auxquelles il prit part. Ces opérations furent
peu nombreuses, d*abord par suite de la dispersion du demi-bataillon qui fut
.fractionné entre Bône, la Celle et Guclma, ensuite à cause de la tranquillité
qui ne cessa de régner aux environs de ces postes.
Il devenait cependant nécessaire de parcourir le pays, pour y asseoir notre
autorité. Au mois d'avril 1838, une colonne, composée de quatre escadrons
de spahis et d'environ deux cents hommes du demi-bataillon turc, fut placée
sous les ordres du commandant de Hirbeck. Cette colonne parcourut tout le
territoire compris entre la Seybouse^et les frontières de Tunis, rendant la
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[1841] EN ALGÉRIE 9
justice, réparant les désordres intérieurs et faisant rentrer les contributions.
Le 26 , elle fut attaquée, près d*A!n-Ghiar, par des insurgés appartenant aux
Beni-Mézen, aux Ouled-Alî et aux OuIed-Amor-ben-Ali. Elle mit en fuite les
contingents rebelles et leur tua une vingtaine d*hommes. A la fin du mois,
elle rentrait à Bône.
Dans le courant du mois de mai eut lieu une seconde tournée, cette fois
vers Touest de Bône, dans le bassin du lac Fezzara.
Les années 1839 et 1840 furent une ère de paix pour les garnisons du nord-
est de la province de Constantine. Au mois de décembre 1840, il y eut cepen-
dant une expédition chez les Beni-Salah, dont le cheik, Ahmed-ben-Cha!b,
avait traîtreusement assassiné le capitaine Saget, chargé du service topogra-
phique de la région.
En 1841 , le remplacement du caïd de TEdough provoqua le soulèvement
do plusieurs tribus knbylcs. Au mois do juillet, une colonne, & laquelle
le demi-bataillon turc fournit un détachement d'une cinquantaine d'hommes,
fut dirigée contre les Beni-Mohamed. Mais on ne put joindre l'ennemi , et
cette colonne dut rentrer à Bône quelques jours après. Deux autres expédi-
tions eurent encore lieu contre cette tribu en septembre et en novembre;
puis tout rentra dans l'ordre, et le demi -bataillon turc put se consacrer à
l'œuvre de réorganisation prescrite par l'ordonnance royale du7 décembrel841.
Ce demi-bataillon, qui se trouvait alors réduit à deux cent cinquante hommes,
forma, le 11 août 1842, les 7* et 8« compagnies du bataillon de Tirailleurs
de Constantine créé par l'ordonnance ci-dessus. C'est sous cette dénomination
que nous le retrouverons désormais dans le cours des événements qui vont
avoir la province de Constantine pour théâtre.
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CHAPITRE H
(1837-1843)
Bataillon turc de Gonstantinc. — Sa formation. — Son organisation première. — Opérations
militaires auxquelles il prend part depuis sa formation jusqu'au 11 août 1843.
Dès les premiers jours de notre entrée dans Conslantioe, des Turcs, des
Koulouglis , des Kabyles et des habitants de la ville qui avaient été au service
du boy Ahmed, étant venus nous demander ù contracter un engagement,
soit pour les spahis, soit pour un corps d'infanterie, le général Vuléo décida
qu'il serait créé un bataillon indigène au moyen de ces divers éléments. Le
recrutement commença le 17 novembre; le 9, le nombre des enrôlés s'élevait
à quarante pour les spahis et à six cent cinquante pour l'infanterie. Les jours
suivants, ces chiffres allèrent encore s'augmentent.
Le 9 décembre, le général de Négrier vint prendre le commandement de la
garnison en remplacement du général Bernelle. Le 10, il fit paraître un ordre
réglementant la formation du bataillon indigène, et le 12 il présida lui-même
à cette formation. Ce bataillon prit le nom de butaillon turc de ConslaïUuw,
et fut placé sous les ordres du commandant Paie, du bataillon de Tirailleurs
d'Afrique. On lui adjoignit une compagnie de canonniers et un escadron de
spahis. Les cadres furent formés d'officiers pris dans les divers corps de la
garnison et de sous-officiers et de caporaux français et indigènes, nommés à
titre permanent. La solde journalière de la troupe fut ainsi fixée : sergents,
1 fr. 10; caporaux, 75 c; soldats, 60 c. Il pouvait être alloué un supplé-
ment de 40 c. par jour en remplacement de vivres. Cette solde devait suflBre
à tous les besoins, en dehors de Téquipement et de l'armement. Les hommes
pouvaient prendre leurs repas et même loger en ville; ils se rendaient indivi-
duellement aux appels et aux rassemblements. Aucune tenue ne fut encore
fixée, mais l'ensemble du costume musulman fut de rigueur.
A peine formé, le bataillon turc prit part à toutes les opérations que le gé-
néral de Négrier dirigea pour reconnaître et pucilier l'intérieur do la province.
Le 25 décembre, ce général organisa une colonne mobile composée des
compagnies d'élite des 26* et 61« de ligne, de celles des Tirailleurs d'Afrique,
de cent cinquante hommes du 3« bataillon d'Afrique et de deux cent cin-
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[1838] LK T nÉQlMRNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE il
qoante du bataillon turc. Cette colonne était destinée & faire dés sorties et
des reconnaissances instantanées. Lorsqu'elle devait se mettre en route, les
ordres étaient donnés la veille au soir après la fermeture des portes , de sorte
que rien ne transpirait au dehors. Le commandement en fut donné au lieute-
nant-colonel Pâté, qui venait d*6trc nommé à ce grade et remplacé à la tôto
du bataillon turc par le commandant Janel, du 26** de ligne.
La première opération de la colonne mobile eut Heu le 19 janyier 1838, et
fut dirigée contre la tribu des Moulas, où Ton croyait que se trouvait Ben-A!ssa.
On surprit celte tribu, on lui enleva quelque bétail, mais on ne trouva pas
Ben-Aîssa. Ce dernier, cflrayé, ne songea plus qn*à traiter avec nous. Il se
rendit à Bône, où il Bt sa soumission au général Gastellane, qui l'envoya à
Alger. Le 10 février, la colonne mobile se porta sur Milah , où elle fut très
bien reçue par les habitants.
Du 17 au 19 février, on eflectua une reconnaissance sur le Bou-Merzoug jus-
qu'aux sources de cette rivière. Le 26 , la colonne mobile exécuta une rattia
sur la tribu dcsOuled-abd-el-Nour.
Le 7 avril , une reconnaissance fut dirigée sur Stora. Au retour, les Kabyles,
descendus des montagnes, cherchèrent à inquiéter l'arrière- garde, composée
en grande pnrtio avec lo bataillon turc; ils la harcelèrent pendant près de
quatre heures, lui tuèrent trois hommes et lui en blessèrent dix-huit, mais
sans parvenir à Tentamer et en faisant eux-mêmes des pertes considérables.
Le 28 avril , une colonne, dont le bataillon turc tout entier fit partie, quitta
Constantine pour aller visiter le pays des Haracta. Le soir, elle bivouaqua au
confluent de l'Oued-Kaleb et du Bou-Merzoug. Le 29, elle se rendit à EI-Bordj, où
elle séjourna le 30. Le 1°' mai , elle s*arr6ta dans la plaine de Temlouka; le 2,
au delà de cette plaine, sur un des affluents de l'Oued-Cherf , où elle séjourna
le 3 et le 4. Le 5, on traversa de nouveau le Temlouka, et l'on alla bivouaquer
sur l'Oued-Méris, chez les Amer. Le 6, on arriva près de la mosquée de Sidi-
bel-Abassi, et, le 8, toute la colonne rentrait à Constantine sans avoir eu à
tirer un seul coup de fusil.
Du 15 au 30 mai eut lieu , dans le pays des llanencha, une poursuite contre
Ahmed-bey qui resta sans résultat.
Les Arabes n'avaient encore rien payé comme impôts depuis la prise de
Constantine. Le général do Négrier résolut de faire cesser cet état de choses et
chargea, vers la lin do juin, l'aglm llamlaoïii d'exécuter cotte opération fis-
cale. Il fut donné à ce dernier une escorte sous les ordres du commandant
Janet, et comprenant un escadron de spahis et le bataillon turc. La tournée
commença par la. contrée qui se trouve au sud de la roule de Milah à Djemi-
lah, puis la petite colonne alla s'établir chez les Ouled-Kaleb. Tout se passa
à peu près bien, et l'on rentra à Constantine vingt jours après en être parti.
A la fin de juillet, le général de Négrier fut remplacé par le général de
Galbois. Un mois après sa prise de commandement, le 8 septembre, ce der-
nier partit de Constantine avec deux bataillons d'infanterie , trois cents chas-
seurs du 3** régiment, deux pièces de montagne, le bataillon turc et les spahis
pour faire une nouvelle expédition chez les Haractà. Cette colonne, qui suivit
à peu près le même itinéraire que celle qui, au printemps, avait opéré dans
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12 LE 3* RÉOniENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1839]
la même région , ne trouva sur son parcours que des tribus soumises, et
rentra à Constantine le 23 , en même temps que le maréchal Valée , Tenu
d'Alger, y arrivait de son côté.
Le gouverneur général venait dans le double but d'organiser la province et de
fonder un établissement à Stora. Le 26 septembre, il fit reconnaître la route de
Smendou à El-Arrouch. Quelques jours après, le général de Galbois prit posses-
sion de cette localité et y établit le bataillon turc, dont le commandement venait
d'être donné au capitaine Mollièro, des zouaves. La position fut aussitôt organi-
sée défensivement. Le 9 octobre, enorgueillis par la prise d'un convoi qui allait
de Constantine à Stora escorté par des Arabes, les Kabyles vinrent attaquer
le camp occupé par le bataillon. Pendant plusieurs jours et plusieurs nuits ils
le harcelèrent sans relâche, mais sans parvenir à lasser l'énergie des défen-
seurs. Ils se retirèrent honteusement, sans avoir remporté le moindre succès.
Dans les premiers jours de décembre, le bataillon turc vint occuper le camp
de Smendou, d'où il fut bientôt dirigé sur Milah pour protéger les convois
allant à Sétif. Il se trouvait dans ce poste lorsque le 3^ bataillon d'infanterie légère
d'Afrique fut attaqué à Djemilah. Pendant cinq jours, du 18 au 22 décembre,
cette troupe se défendit héroïquement et souffrit toutes les angoisses de la soif.
Aussitôt prévenu, le général de Galbois envoya à son secours un bataillon du
26* de ligne et deux compagnies du bataillon turc. Les Kabyles s'enfuirent à
l'approche de ce détachement, qui arriva à Djemilah le 23. Quelques jours
après, les deux compagnies du bataillon turc rcntmicntù Miluli, et lu buluillun
tout entier reprenait la roule de Constantine.
L'hiver de 1838 à 1839 fut exclusivement employé à l'instruction ; aucune
expédition n'eut lieu jusqu'au printemps.
Le 5 mal , le bataillon turc entra dans la composition d'une colonne qui
devait, sous les ordres du général de Galbois, se porter sur Djidjelli par terre,
pendant que le commandant de Salles, venant d* Alger avec un bataillon de
la légion étrangère, s'y présenterait par mer. Cette colonne arriva jusqu'à
Djemilah, où elle s'arrêta, le général de Galbois ne se décidant pas à traverser
avec si peu de monde un pays que la nature du sol et les dispositions hostiles
des habitants rendaient très dangereux. On resta quelque temps dans cette
position, qui fut mise en état de défense « puis la colonne se porta sur Sétif,
où furent laissés le bataillon turc et quatre compagnies du 23* de ligne.
Cette garnison travailla activement au relèvement des ruines de cette an-
cienne station romaine. En même temps elle envoya des détachements à
Djemilah, au camp de Mohallad, et assura les communications avec Constantine.
Cependant, malgré les importants services qu'il rendait depuis sa forma-
tion, le bataillon turc n'avait encore reçu aucune récompense. Les officiers,
dont la plupart y étaient entrés avec promesse d'avancement, commençaient
à se sentir découragés devant une situation faite tout entière d'incertitude.
Les choses en étaient là lorsque, le 21 octobre, le duc d'Orléans arriva à
Sétif avec le maréchal Valée et la colonne qui allait opérer dans les Bibans.
Le prince, dont le voyage en Algérie avait surtout pour but de relever les
négligences de l'administration du la guerre, fut touché do la situation de ce
bataillon. Il promit do s'occuper séricuscnicut de son organisation définitive.
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[1840] EN ALGÉRIE 13
et, pour témoigner de sa eollicitude pour ce nouveau corps, il décida que les
l^ et 5* compagnies prendraient part à Texpédition qui allait avoir lieu.
La colonne quitta Sétif le 25 octobre, et alla bivouaquer à Aîn-Turc, à vingt
kilomètres à l'ouest. Le 26, on s'arrêta à Bordj-Medjana. Le 27, on s'établit
sur rOuod-Rouknton , et, le 28, on s'cngngca dans les Bibans. Ce môme jour,
le général de Gnibois se sépara du maréchal pour revenir sur Sétif avec quelques
troupes, dont Tirent partie les deux compagnies du bataillon turc. Il arriva dans
cette ville le 30 , et y resta quelques jours pour y organiser le service. Quatre
cents hommes du bataillon turc y furent laissés avec un peu d'artillerie,
quelques spahis pour la correspondance et deux compagnies du 62* de ligne.
Ces dispositions prises, le général rentra à Constantine, emmenant le restant
du bataillon, qui fut aussitôt envoyé au camp de Sidi-Tamtam.
Le détachement de Sétif passa dans ce poste tout l'hiver de 1839 à 1840.
Les travaux d'installation commencés dans cette place au printemps de 1838
furent activement repris, et Sétif acquit tout à coup une importance qu'on ne
lui avait d'abord pas supposée.
Les premiers mois de 1840 ne furent marqués par aucune expédition. La
province de Constantine fut assez tranquille et ne se ressentit point des vio-
lentes secousses qui, h cette époque, agitaient les provinces d'Alger et d'Oran.
Cependant une certaine eflervescence régnait chez les llaracta : Ahmed-bey
avait paru chez eux et avait activement travaillé leurs dispositions hostiles.
Le général de Galbois résolut de les punir, et partit de Constantine le 13 avril,
à la tête d'une partie du 61* et du 22* de ligne , du bataillon turc, de la cava-
lerie et d'un parc d'artillerie. Le 16 , il se porta sur Ain-Babouch , au pied du
Djebel-Sidi-Rouis. Les Haracta avaient fui. Le 18, la colonne se mit à leur
poursuite et alla coucher à Aîn-Be!da; le 19, on bivouaqua à Aln-Sedjara; le
20, on atteignit l'Oued-Meskiana, affluent de la Medjerda. La vallée était cou-
verte de troupeaux, dont la cavalerie s'empara en un instant. Les Haracta se
défendirent faiblement. Le 21 , on se mit en retraite, ramenant quatre- vingt
mille tôtes de bétail. On vint coucher à Aïn-Ouessa. Pendant toute la route,
la colonne fut harcelée par cinq & six cents cavaliers arabes , qui lui tuèrent
ou blessèrent quelques hommes. Le 24 , on rentrait à Constantine sans autre
incident.
A la suite de cette expédition furent cités comme s'étant particulièrement
distingués :
MM. Ruiland , lieutenant à la 4° compagnie.
Salah-ben-Hadj-Amar, sergent, blessé.
Taleb-ben-Craïeb , caporal .
Mohamcd-ben-Bclkassem , soldat.
Mohamed-el-Blidi , d*
Ce dernier était porté à l'ordre pour avoir tué deux Kabyles et en avoir
blessé un troisième.
Pendant ce temps, la garnison de Sétif, dans laquelle le bataillon comptait
quatre cents hommes, étendait notre influence sur les tribus voisines de ce
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14 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l840]
poste. IMusiûurs cxpédilious avaicnl ou lieu, nolaminent conlro les liabitauls
du Djebel-Babor, qui avaient attaqué les Amer, dos alliés.
Vers la fin d'avril , Ben-Amar, lieutenant d*Abd-el-Kader, s'étant montré
dans cette région, d'autres troupes furent envoyées à Sétif pour y organiser
une brigade, qui fut placée sous les ordres du colonel Lafontaine. Mais ces
troupes, au lieu de tenir la campagne, restèrent inactives, et Bon-Amar en
profita pour soulever tout le pays. Le 4 mai, un bataillon du 62<', qui se trou-
vait à Aïn-Turc, fut attaqué par environ quatre mille Kabyles. Le manque de
munitions allait rendre sa situation des plus critiques lorsque, le 8, la garnison
de Sétif se porta à son secours. Le poste fut supprimé, et Ton envoya le batail-
lon turc occuper la pointe de Sidi-Ëmbareck, près de Bordj-Medjana. Grâce
à Tefficace protection de ce nouveau poste, qui se trouvait au centre de la
plaine de la Medjana, notre kbalifa Ahmed -ben- Mohamed -eUMokraoi put
rentrer dans ses fonctions , et la tranquillité se mit à renaître pour quelque
temps dans la région. Tout paraissant apaisé, le poste de Sidi-Embareck fut
supprimé à la fin de juin, et sa garnison rentra à Sétif.
Furent cités à l'ordre de l'armée à la suite de ces diverses affaires :
MM. Mollière,
chef de bataillon,
Plombin,
lieutenant.
Bourbaki,
d"
Ducliaine,
souS'lioutcnuut.
Kinello,
sergent.
Uelbourg,
d«
Sieber,
do
Tahar-Ouaraqui,
do
llassein- bon -Mohamed , soldat.
L'effet produit par les opérations qui venaient d*avoir lieu dura à peine deux
mois. Au mois d'août, on apprit tout à coup qu'EI-lladj- Mustapha, frère
d'Abd-el-Kader, venait d'arriver à M'Sila et se dirigeait vers Sétif en soulevant
toutes les tribus sur son passage. En moins de huit jours l'insurrection devint
générale. Le colonel Levasseur, qui commandait à Sélif, fut presque bloqué
dans son cainp. Le 17 août, une reconnaissance de cavalerie tomba dans un
gros d'Arabes, perdit beaucoup do monde, et ne fut dégagée que par l'inter-
vention d'une colonne d'infanterie dont le bataillon turc lit partie.
Le 29, des renforts arrivèrent à Sétif. Il fut décidé qu'on prendrait vigou-
reusement l'offensive. Le l*** septembre, le colonel Levasseur sortit avec toutes
ses forces disponibles et se dirigea vers Medzerga , sur le territoire des Ouled-
Nabeth, où se trouvait le camp d*EI-lladj-Mustaplia. On no tarda pas à ren-
contrer la cavalerie ennemie, qui se mit à tirailler sur la tète et sur les flancs de
la colonne; quelques bataillons, dont celui des Turcs, furent aussitôt déployés,
et l'on continua à s'avancer vers Medzerga. Là on trouva rinfantcric kabyle,
qui, abordée vigoureusement par la nôtre et chargée par la cavalerie, fut en
un clin d'œil enfoncée et dispersée. Dans ce combat, le bataillon eut un officier
blessé, M. Martin, sousriieutenant, et plusieurs hommes tués ou blessés.
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[iS^l] E:N ALOÉniB 15
Cette brillante aflaire ayant ramené à nous toutes les tribus révoltées « le
11 septembre tout était rentré dans Tordre.
Le général dcCalbois était arrivé à Sétifle l**" septembre. Après cette courte
expédition, il adressa aux troupes un ordre dans lequel le bataillon turc compta
les citations suivantes :
MM. Martin , sous-lieutenant, blessé.
Soumet, sergent-fourrier.
Abdallab-Deradj , sergent.
Mohamed-Mufly, d®
Saad'ben- Ahmed , soldat.
Mohamed-Djena, ô^
Au mois d'octobre, le bataillon rentra à Gonstantine. Il était alors question
d'une marche sur Biskra, et il devait y prendre part avec le demi -bataillon
^turc de B6ne. Cette expédition n*ayant pas eu lieu, il resta à Gonstantine, où
il passa Thiver.
Le général de Galbois proGta de ce repos pour donner à cette troupe une
organisation plus complète et se rapprochant autant que possible do celle
des corps réguliers. Dans un ordre du 15 octobre, il prescrivit la formation
de neuf compagnies , dont une d*artillerie, avec ce que le bataillon comptait
alors. L'une de ces compagnies fut appelée compagnie de la Medjana, parcQ
qu'elle resta en permanence dans cette contrée, où elle effectua son recrute-
ment.
L'hiver se passa d'une façon fort tranquille. A la cessation des plm'es , le
bataillon fut réparti sur divers points aux environs de Gonstantine, pour
garder des prairies dont Tadminislralion s'était réservée les foins. Les soldats
ayant saisi du bétail qui, malgré les défenses, avait été conduit dans ces
prairies, quelques Arabes de la tribu des Zmoul, à laquelle il appartenait,
vinrent leur tirer des coups de fusil. Le général de Négrier, qui venait de
remplacer le général de Galbois, envoya arrêter les huit principaux habitants
du douar coupable et leur fit couper la tête.
Le commandant Mollière ayant été nommé licutenantrcolonel le 27 février,
au mois de mai , le capitaine d'état-major Thomas , aide de camp du général
de Négrier, fut désigné pour commander provisoirement le bataillon. Avec un
détachement de cent hommes, il prit part à une expédition dirigée sur
M'Sila, qui était resté le centre des opérations d'El-lladj-Mustapha.
La colonne, forte de dix- sept cents hommes, partit de Gonstantine le
29 mai; elle arriva le G juin à Sctif , et 1& se renforça de six cents hommes
d'infanterie et d'un escadron de chasseurs. Elle se remit en route le 8, arriva
le 9 à Bordj- Medjana, où fut laisse un détachement de deux cents hommes,
et le 11 atteignit M'Sila sans avoir eu à combattre, El-Iladj-Mustapha s'étant
retiré à la nouvelle de notre approche. Le 14, on se remit en route pour
Bordj - Medjana en prenant un autre chemin que celui suivi en allant; on
remonta là vallée de l'Oued -Ghcna , et, le 16 , on arriva à Bordj. Le 26, la
colonne rentra à Gonstantine.
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16 LE 3* RÉOIlfBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1842]
Au commencement de juillet , le bataillon se trouvait tout entier réuni dans
cette ville. H alla prendre position au centre de la tribu des Ouled-abd-el-
Nour, où il séjourna jusqu'au mois de septembre pour y assurer la levée des
contributions. Il fit entrer dans la caisse du trésor soixante -quinze mille
francs de contributions pécuniaires et la valeur d'environ deux mille sept
cents sacs d'orge et d'autant de sacs de blé. Après cette opération, il rentra
à Constantine, s'y réorganisa, et partit pour lo cainp d'EI-Arroucli pour prendre
part aux opérations contre les Beni-Toufout et les Oulcd-cl-lladj , qui avaient
attaqué un convoi entre Philippeville et ce camp. Dans la nuit du 12 au 13 sep*
tembre il rejoignit , sur le territoire des Béni -Toufout , le général de Né-
grier venant de Philippeville. La contrée (ut ravagée , le principal village des
Ouled-el-Hadj incendié, et la plus grande partie du bétail de cette tribu resta
entre nos mains. La nuit suivante, on se replia sur El-Arrouch.
Le 29, le bataillon turc, trois cents hommes du 22* de ligne et cent cin-
quante chevaux se portèrent, au moyen d'une pénible marche de nuit,
contre la tribu des Zardeza. Le détachement pénétra dans des gorges impra-
ticables , et I après un vif engagement qui coûta douze blessés au bataillon
turc, s'empara du bétail de cette tribu.
Le mois d'octobre fiit marqué par une expédition chez les Zmoul , qui n'a-
vaient pas voulu payer l'impôt. Le 10 , la colonne ayant été divisée en deux
groupes pour opérer contre les Ségnia , le bataillon constitua également deux
fractions qui servirent d'avant-garde à chacun de ces groupes. L'opération fut
couronnée d'un plein succès, et l'avant -garde eut les honneurs de la journée
en allant traquer l'ennemi dans des gorges considérées jusque-là comme inac-
cessibles. On fit sur ce dernier un butin considérable en bétail, et on lui tua
quelques hommes. De son côté, le bataillon turc eut encore douze hommes
blessés.
Le 12 octobre , le général de Négrier rentra à Constantine , laissant la garde
du pays au bataillon turc. Ce bataillon assura la levée des contributions qui
n'avaient pas encore été payées, puis, au mois de novembre, rentra à sou
tour à Constantine pour y prendre ses quartiers d'hiver.
Les derniers combats auxquels il avait assisté avaient démontré l'impor-
tance que cette troupe était capable d'acquérir avec une bonne instruction mi-
litaire. Les soldats indigènes, trop habitués à se battre pour leur propre
compte, avaient souvent causé des embarras aux troupes françaises, soit par
leur imprudente audace , soit par leur ténacité irréfléchie. 11 fallait les habi-
tuer à se rallier promptement pour se porter en avant ou en arrière , et les
rendre disciplinés à la voix de leurs chefs. Ce fut vers ce desideratum que
tendirent tous les efforts de ces derniers pendant le repos des mois d'hiver.
Les progrès furent si marqués, que, dans la campagne suivante, le bataillon
turc allait étonner tout le monde par la précision de ses manœuvres et l'en-
semble de ses mouvements.
Vers les premiers jours de mai 1842, une colonne commandée par le
général de Négrier, et dans la composition de laquelle entraient trois cent
cinquante hommes du bataillon, alla s'établir chez les Haracta et amena la
complète soumission de cette tribu. Le 27 mai, cette colonne se mit en route
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[1842] EN ALGÉRIE 17
pour Tébessa , où nos troupes n*avaîent point encore paru. Le soir, on bivoua-
qua à Aîou-el-Rebaa , sur TOued-Tourouch, où l'on fit séjour les 28 et 29.
Le 30, après avoir traversé TOued-Tourouch et franchi le Djebel-Amana , on
descendit dans le bassin de TOued-Meskiana, et Ton campa sur les bords de
cette rivière. Le 31, l'étape fut de quarante- huit kilomètres; la colonne arriva
h Tcljcssa & six heures du soir, et fut reçue par les habitants avec les dispo-
sitions les plus pacifiques.
Le 3 juin, elle quitta Tébessa pour rentrer à Constantine; mais, au lieu
de suivre la môme route, elle longea l'Oued-Chabro. Au moment de passer
cette rivière, l'arrière -garde, formée du bataillon turc et d'un détachement
du 3® chasseurs d'Afn(|uc, fut attaquée par environ trois cents fantassins et
cinq cents cavaliers arabes. L'infanterie contint l'ennemi pendant que la ca-
valerie exécuta une charge qui le dispersa en un instant. 11 laissa environ
quatre-vingts morts sur le terrain, dont une douzaine tués à la baïon-
nette.
Dans ce court combat, toutes les troupes avaient remarqué avec quel aplomb
et quelle rapidité le bataillon turc s'était porté en avant et s'était rallié. C'é-
tait le fruit de Tinstruction rigoureuse qu*il avait reçue pendant l'hiver.
Le 7, douze cents cavaliers dos llancncha vinrent encore attaquer cette
arrière-garde. La môme manœuvre que le 3 se renouvela, et l'ennemi fut
encore repoussé. Le 8, la colonne vint s'établir sur l'Oued-Méris et y attendit
un convoi venant de Constantine. IjO 15, elle se porta dans les montagnes
des Ouled-Djeberra, dont les habitants avaient pris part, le mois précédent,
à une attaque dirigée contre le camp d*El-Arrouch. Le bataillon turc s'em-
para des troupeaux de cette tribu , ainsi que de ceux des Guerfa et des Sdrasa,
et après ce châtiment la colonne rentra à Constantine.
Dans le courant de juillet, une compagnie du bataillon fut dirigée sur El-
Arrouch pour prendre part aux opérations du général Levasseur contre les
Zardeza. Ce fut la dernière expédition de cette campagne et la dernière éga-
lement à laquelle le bataillon turc devait prendre part comme corps irrégu-
lier. Ce bataillon allait recevoir une organisation définitive et prendre rang,
sous le nom de Tirailleurs indigènes de Conslantinc, dans les corps de l'armée
française. C'était assurément un grand honneur, mais il était pleinement jus-
tifié par les services rendus par cette trodpe qui, du jour de sa formation,
avait vaillamment combattu pour la France, se signalant partout, môme à
côté des troupes les plus braves.
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CHAPITRE 111
(1842-1844)
(1842) Bataillon de Tirailleurs de GoDstantiae. — Son organisation définitive. — (1843)
Opérations contre les Zardeza. — Expédition contre les llaucncha. — (1844) Expé-
ditions contre les Ouled-Mahbout et les Oiilcd-Soltan. — Combat de Méclieucz dans
les Aurès; de Chdbet-Eneflaà, chez les Ouled-Soltan. — Retour à Constantine.
A la fin de Tannée 1841 , Tarméc d'Arriquo no comprenait pas moins de
deux mille cinq cents fantassins indigènes servant comme zouaves ou comme
irréguliers. Ikmucoup de ces corps avaient été, comme le Imlaillon turc de
Constantine, créés sous Tempire des circonstances pur des arrêtés des auto-
rités locales. Cette force, déjà imposante, tendant incessamment à s'accroître,
le maréchal Soull, alors ministre de la guerre, résolut de lui donner une
organisation forte et régulière et d'en assurer la bonne administration. Il
exposa la situation dans un rapport très précis , et une ordonnance royale
du 7 décembre 1841 vint r^lementer la constitution de cette infanterie. Nous
donnons ci-dessous ce document officiel, qui a ensuite reçu de nombreuses
modifications dans ses détails, mais dont les dispositions principales ont tou-
jours été maintenues.
ORDONNANCE DU ROI
POUTANT OHGANISATION 1)K L^INFANTMIIIK INIHCÈNK EN ALGIÎHIIi
CHAPITRE I
OrganisaUon tt avanoement.
Art. i^. Il sera formé, en Algérie, dos bataillons d*infaulerie indigène qui
prendront la dénomination de balaillotui do Tirailleurs imliy&nes.
Chaque bataillon portera en outre le nom de la province ou subdivision mi-
lituiro dans laquelle il aura été organisé.
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[1842] LE 3° RÉGfMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE 19
La composition d*un bataillon sera conforme au tableau A annexé à la pré-
sente ordonnance.
Art. 2. Le nombre des bataillons indigènes sera, quanta présent, fixé à trois,
savoir :
Un |Kiur les provinces d'Alger et do Tillcri;
Un pour colle do Conslnnlinc, comprenant la subdivision do Bùno;
Un pour ccllo d*Oran , coniprcnant les couiuiandemcnts do Blostagancm et
de Mascara.
Art. 3. Les emplois de Télat-inajor et ceux du petit état-major seront exclu-
sivement dévolus aux militaires Trançais. 11 en sera de même des emplois de
capitaine, de sergent-major et de fourrier.
Xa moitié des emplois do lieutenant et de sous -lieutenant sera affectée aux
Français; Tautre moitié demeurera réservée aux indigènes.
Le commandement, même par intérim, d'une compagnie ne pourra Jamais
être exerce que par un officier français.
Dans les compagnies, les sergents, les caporaux, les tambours ou clairons
seront tous indigènes.
Ixs cbcfs de bataillon, adjudants -majors, capitaines et cbirurgiens aides-
majors seront montes.
Art. i. Nul oHicier ne sera admis dans les bataillons, après la première
formation , s'il ne posscde la connaissance praticiuo do la languo arabe.
Aht. 5. L'avancement aux grades de lieutenant et de capitaine, tant au choix
qu';\ rancicnnetc, aura lieu par bataillon pour les officiers français.
Les chefs do bataillon et les capitaines concourront pour Favancement sur
toute Tarmc de rinfanlerio avec les officiers de leur grade en activité.
Art. 6. Les permutations pourront s'effectuer entre les officiers français des
bataillons et les officiers du même grade appartenant au corps de rinranterie,
mais les demandes ne seront accueillies qu'autant que les officiers qui vou-
dront outrer dans les Tirailleurs indigènes posséderont la pratique do la languo
arabe.
Art. 7. Les deux tiers des emplois de sous -lieutenant pourront être donnés
aux sous-officiers des bataillons. Le dernier tiers sera réservé aux sous-officiers
des corps d'infanterie portes au tableau d'avancement, proposés, sur leur de-
mande, à rinspection générale et réunissant toutes les conditions d'aptitude
exigées, spécialement celle piescrite par l'article 4.
Art. 8. Les emplois d'adjudant-sous- officier seront donnés aux sergents-
majors dans chaque bataillon. Ceux do sergent- major appartiendront aux
sergents- fourriers.
Les emplois de sergent- fourrier pourront être donnés : un quart aux capo-
raux secrétaires ; trois quarts aux fourriers et aux caporaux d'infanterie portés
au tableau d'avancement à qui il restera encore trois ans, au moins, de ser-
vice à faire pour atteindre leur libération. Ces militaires devront en outre avoir
été proposés, sur leur demande, h l'inspection générale, après que leur aptitude
au service du bataillon aura clé reconnue.
Les caimraux secrétaires seront choisis dans les corps d'infanterie, soit parmi
les caporaux, soit parmi les soldats qui, «njrant accompli six mois do service,
seront portés au tableau d'avancement et rempliront en outre les conditions
indiquées au paragraphe précédent. Toutefois les soldats français compris dans
le petit état- major pourront concourir pour l'emploi de caporal secrétaire.
L'avancement des Français aux divers emplois du grade de sous-officier et de
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20 LE 3* RÊQIMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l842]
caporal s'offoctuora couforuiôiuout aux dispositions ou viguuui* daus les corps
français. Il en sera de même lorsqu'il y aura lieu de prononcer la cassation.
Les militaires qui auront encouru la cassation seront renvoyés comme soldats
dans les corps auxquels ils appartenaient précédemment.
Art. 9. Les emplois de lieutenant et sous-lieutenant indigènes seront conférés
uniquement au choix, et sans que les nominations soient assujetties aux règles
do Tayancement dans Tarmée française.
Ces officiers seront nommés par le roi; mais ils n'auront pas droit à Tappli-
cation des dispositions de la loi sur l'état des officiers.
Les sous-officiers et caporaux indigènes seront nommés et cassés, quand il y
aura cause suffisante, par le commandant du bataillon, en observant d'ailleurs
les formalités prescrites par les règlements pour les corps français.
Art. 10. Les Français pourront contracter des engagements volontaires pour
les bataillons de Tirailleurs indigènes; toutefois ils ne seront admis à servir
qu'en qualité d'ouvriers armuriers, de muletiers ou d'infirmiors.
Los sous-officiers, caporaux et soldats franç4iis |)Ourrunt se rengager. Lo ren-
gagement aura lieu d'après le mode suivi daus les corps do l'armée.
Les indigènes seront reçus sans engagement dans les Tirailleurs. Ils seront
renvoyés, soit d'après leur demande, soit pour cause d'inaptitude au service
ou d'inconduite.
L'admission on le renvoi des indigènes aura lieu sur la proposition du chef
de corps, et avec l'approbation du commandant militaire supérieur.
CUAPITUE II
Soldt tt acoMSolrts. — àdmlniitratlon.
Art, 11. Les officiers des bataillons de Tirailleurs indigènes recevront la
solde, les indemnités et allocations diverses déterminées par le tarif B ci-
annexé.
La solde do la trou|)0 et la primo pour rcutruticn de l'iiabillonicnt scrtuit dé-
comptés par jour, conformément au même tableau, qui détermine également les
premières mises, le complet de la masse individuelle et les prestations en
nature.
Art. 12. Chacun des bataillons de Tirailleurs indigènes sera administré par
un conseil d'administration composé de la manière suivante :
Le chef de bataillon , Président.
Le capitaine adjudant-major, \
Deux capitaines, | Membres
L'officier faisant fonctions de trésorier l
et d'officier d'habillement, )
L'officier faisant fonctions de trésorier et d'officier d'habillement remplira les
fonctions de rapporteur.
Les règles d'administration et de comptabilité seront les mômes que dans
les autres corps d'infanterie de l'armée.
La responsabilité du conseil sera la même que celle qui lui est imposée dans
les corps français.
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[1842] EN ALGÉRIE 21
La surveillance administrative appartiendra aux fonctionnaires de Tintendance
militaire, qui exerceront à Tégard du bataillon les attributions qui leur sont
dévolues près des corps français.
Art. 13. La masse générale d'entretien sera formée des allocations partielles
déterminées pour r.lmqne nnin(mgnic.
L excellent do l.i masse inilividuollo donnera liou i\ un décompte qui sera fait
dans la forme prescrite pour les corps français.
Art. 14. L'officier faisant fonctions de trésorier et d'ofûcier d^hablUement
devra, au moyen de ses frais de bureau, faire face aux dépenses d'écritures
générales du bataillon, et tenir, sous la surveillance du conseil, les registres
dont la nomenclature forme le tableau G ci-annexé.
Chaque ofGcier, sous -officier, caporal ou soldat sera porteur d'un livret sur
lequel seront inscrites les sommes qui lui auront été payées, ainsi que les
effets qui lui auront été délivrés.
Le payement de la solde aura lieu le 15 et le 30 de chaque mois, en présence
du capitaine commandant la compagnie.
CHAPITRE III
Armement et haMUemenU
Art. 15. Le tableau D, annexé à la présente ordonnance, détermine :
1<> L'armement des officiers et de la troupe;
^ L'uniforme des officiers, des sous-officiers et caporaux français; les insignes
des grades seront les mêmes que dans l'infanterie de ligne.
3" Quant \ riiabillemcnt des indigènes, les détails en seront réglés, ainsi que
ceux de l'équipement, par notre ministre de la guerre.
CHAPITRE IV
Dispositions transitoires.
Art. 16. Seront admis à concourir dans les nouveaux bataillons de tirailleurs,
les officiers, sous -officiers, caporaux et soldats de tous les corps d'infanterie
indigène créés jusqu'à ce jour en Algérie et actuellement existants, sous
quelque titre que ce puisse être, à l'exception des milices musulmanes dites
gardes urbaines, assujetties à un service sédentaire dans les places, et dont
notre ministre do la guerre autoriserait la conservation ou l'organisation.
Art. 17. Pour la première formation il pourra être admis, dans les cadres de
chaque bataillon de Tirailleurs indigènes, des officiers des corps d'infanterie
et des officiers d'autres armes. Le rang d'ancienneté de ces derniers sera fixé
conformément à l'article 56 de l'ordonnance du 16 mars 1838.
Art. 18. Les officiers des régiments d'infanterie qui passeront dans les ba-
taillons de Tirailleurs indigènes seront remplacés dans leurs corps , conformé-
ment à l'article 12, § 3, de notre ordonnance du 8 septembre dernier.
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22 I.l£ T UËGIMKNT DR TIHAII.I.lUinS AI.0^:u1I:NS (18421
CHAPITRE V
DifpotlUons généralet.
Art. 19. Les dépenses do toute nature dos bataillons de Tirailleurs indigènes
seront acquittées sur les crédits ouverts, pour services militaires irréguliers,
au budget du ministère de la guerre (II» section. — Algérie).
Art. 20. Toutes dis|)osilions anlérieurcs sur Torganisation de rinfunterie in-
digène en Algérie sont abrogées.
Art. 21. Notre ministre secrétaire d'État au département de la guerre est .
cliargé de l'exécution de la présente ordunnancc.
Signé : LOUIS-PHILIPPE.
Par lo roi :
Lu Président du Conseil, ministre scci'ctaire d'iitat
de la guerre.
Signé : Marécbal duc db Dalmatib.
Cette ordonnance était suivie de la description de Tunifornie adopté pour les
bataillons de Tirailleurs. L'Iiubilleuicnl se composait pour les oriiciei-s, sous-
ofliciers et caporaux français :
i^ D'une capote vert-dragon boutonnant droit sur la poitrine, avec marques
distinctives jonquilles ;
2^ D*un pantalon garance garni d'une bande verte ;
3<> D'une ceinture rouge, en soie pour les officiers, en laine pour les sous-
officiers et caporaux ;
4* D'un képi vert-dragon.
L'habillement des onTiciers, sous-onTicicrs et soldats indigènes devait se com-
poser d'un turban, d'une veste, d'un gilet, d'une culotte et d'une ceinture;
mais la fixation de la forme et de la couleur de ces elFcts était ajournée. Ce
n'est que le 12 avril 1843 que cette question de la tenue fut délinilivcmenl
réglée.
Les dt'^tails de confection étaient ainsi fixés pour les indigènes :
Ybste .... Officiers. . De forme arabe, drap vert- dragon, avec ornements
en or pour la grande tenue, et tresses de soie noire
pour la petite tenue.
Troupe . . De même forme et de même couleur, sans ornements.
Gilit .... Officiers, . De forme arabe en drap garance, avec tresses d'or-
nement en or pour la grande tenue, en soie verte
pour la petite tenue.
Troupe . . Drap garance, avec tresses et passe-poils en galons
de laine verte autour du cou et sur le devant, et
se fermant sur Tépaule et sur le côté gauche à i'aidt'.
de six boutons d'os;
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[1842]
Pantalor .
. Officiera.
Troupe .
Caban . . .
. Officiers,
Troupe ,
Cbinture. .
. Officiers.
Troupe ,
Calotte. .
, Officiers.
Troupe ,
Turban . .
. Officiers.
Chaussure.
Troupe .
. Officiers,
EN ALGÉRIE
23
Troupe
Mezourd.
De formo arabe , en drap garance ayec bandes yortes
et trèfles avec cordonnet de même couleur de chaque
cAlc, et aven tresses en or pour la grande tenue.
En drap garance, avec iiasse-poils verts et trèfles en
cordonnet do môme couleur de chaque côté.
En drap vert-draf^on, avec trois doubles nœuds d*at-
tachc en soie noire; insignes du grade en tresscsd'or.
En drap vert-dragon, se fermant à Taide de trois
pattes en drap du fond, sans passe-poils, à manches
pour les soldats.
En tissu de soie cramoisie avec efGlés de soie de la
môme couleur.
En (issu do laine cramoisie avec effilés de la mémo
rcMilcur.
En tissu de laine feutrée cramoisie; gland bleu.
En tissu de laine feutrée cramoisie; gland bleu pour
tout le bataillon.
En tissu do coton , rayé de bleu et de blanc.
Le même que pour les officiers.
En petite tenue les seubbcUh (souliers arabes) avec
les jambières de drap vert-dragon, à ornements
d*or ou de tresses de soie verte. En grande tenue
la botte molle.
Espèce d'espadrilles se fixant par des courroies 8*en-
roulant autour de la Jambe. Mais bientôt la troupe
prit le soulier d'ordonnance avec la jambière et les
guêtres blanches.
, T/C havresac fut remplacé par une espèce de grande
musottt^ en venu de couleur noire se portant h Taide
(Pune CJMirroie.
Le II août 1842, il fut procédé à Torganisation du bataillon de Tirailleurs
de Constantine, conformément & Tordonnance du 7 décembre 1841. Le géné-
ral de Négrier, qui déjà en 1837 avait présidé à la formation du bataillon turc,
se trouva, par suite d*une heureuse coïncidence, être encore l'organisateur du
nouveau bataillon. Ce dernier comprit huit compagnies. Les cinq premières
furent formées avec le bataillon turc de Constantine, la Gravée le détachement
de la Medjana, et enfin les 7° et 8' avec le demi-bataillon turc de Bône.
Le capitaine Thomas avait été nommé chef de bataillon à la date du 5 juin.
Il reçut à titre définitif le commandement de ce nouveau corps.
Les cadres furent composés des officiers dont les noms suivent :
Élat' major.
MM. Thomas, chef de bataillon.
Sarrauton , capîlainc-adjudant-major.
Quinemant, s.-lieut. faisant fonctions de trésorier et d'olT. d*habillemeot.
Caubone, Chirurgien-aide-major.
Santerre, d^
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24
LE 3* RËQIUBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1843]
Capitaines.
MM. Rose.
MM. Rolland.
Bessière.
Montfort.
Borot.
Lherbon de Lussarto.
Dargent.
Vîndrios.
Lieuienanls.
MM. Lapeyrusse.
Vassal.
MM. Petitgand.
Ruiland.
Desportes.
Fromental.
Van-IIoorich
Duchaine.
S(mS'U€ulenants.
MM. Blin.
MM. Huart.
Ledoux.
Crochart.
Braquis.
Soumet.
Quinemant, fS&isant fonctions de
trésor, et d'off. d'habillement.
Quenel.
Som-lietUenant indigène.
M. Hamou-ben-Mufii.
Le restant de Tannée 1842 fut tout entier consacré à l'organisation et à
l'instruction du bataillon. A cette époque, la province de Constant! no jouissait
d'ailleurs d*une certaine tranquillité, et le départ du général de Négrier, qui
venait d'être remplacé par lo général Uaraguey-d'llilliors, avait amené uuo
suspension momentanée dans la marche des opérations actives.
Dès le commencement de Tannée 1843, ces dernières furent reprises et
commencèrent par une expédition contre les Zardeza, tribu s'étendant entre
la route de Constantine à Bône et celle de Philippeville à Constantine. Dans
les premiers jours de février, quatre colonnes furent formées et, de Constan-
tine, Bi>ne, Guelma et Pliilippeville, marchèrent contre cette tribu. Lo ba-
taillon de Tirailleurs indigènes constitua, avec deux cents cavaliers, la colonne
partie de Constantme. Entourés de toutes parts , ayant éprouvé des pertes con-
sidérables, les Zardesa se mirent à la discrétion du vainqueur.
Le 14 février, ce fut le tour des Ouled-Djeberra. Ceux-ci s'étaient retirés
dans les gorges d'une montagne appelée le Keflamar, où ils avaient caché une
partie de leurs troupeaux. L& ils comptaient qu'on ne pourrait pas les at-
teindre. Mais, lo bataillon ayant reçu Tordre d'y pénétrer, ils se virent bientôt
poursuivis d'escarpement en escarpement, et iinaloment obligés de prendre
la fuite, nous abandonnant tout le bétail qu'ils avaient essayé de nous dé-
rober.
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[1843] EN ALGÉRIE 26
Le 4 mars, le bataillon se trouvait bivouaqué à Am-Abdallah , dans le pays
de TEdough, lorsqu'il fut dirigé sur le marabout de Sidi-AIcacha, situé sur le
bord de la mer, à la pointe du cap de Fer. Ce point était le centre choisi par
Zerdoude, cet agitateur dont nous avons déjà parlé à propos du bataillon turc
de HAno. Le général naroguoy-d'llilliors présidait lui-mômo h cette opération.
Lorsque les Tirailleurs arrivèrent, les Kabyles occupaient en nombre les
collines élevées qui bordent la côte. La S<» compagnie reçut Tordre de les atta-
quer. Désespérant de se défendre ils prirent la fuite, abandonnant leurs trou-
peaux. On les crut complètement dispersés; mais peu d*instants après ils re-
parurent en faisant des démonstrations pacifiques, et s*avancèrent jusqu*au-
devant du capitaine commandant la 5* compagnie, à qui ils remirent leurs
drapeaux. On les reçut comme des vaincus, sans tirer un coup de fusil. Au
môme moment plusieurs balles sifflaient autour du général, et celui-ci voyait
tomber un homme à ses côtés. Indigné, il ordonna aussitôt de traiter ces gens
en rebelles. Ils se défendirent vaillamment, mais ils durent néanmoins subir
toutes les conséquences de Texaspération produite par leur conduite, et la plu-
part périrent les armes à la main. Quelques jours après, Zerdoude lui-môme
fut tué par un détachement guidé par son secrétaire, qui avait trahi sa
retraite.
Cette expédition de TEdough , habilement préparée et vigoureusement me-
née, avait enfin rendu le calme à toute cette région, qui depuis deux ans ne
cessait d'être un foyer d'agitation. Nos troupes avaient fait dans cette riche
contrée un énorme butin en bétail de toute espèce. Le bataillon de Tirailleurs
fut chargé de conduire ces prises à Constanfine. Cette mission n'était pas sans
difficultés, car il fallait compter avec les entreprises des nombreuses tribus
hostiles qui, à celte époque, attaquaient fréquemment les convois entre Phi-
lippeville et Conslantine. Le mauvais temps la rendit plus difficile encore;
pendant huit jours la pluie ne cessa de tomber; il fallut marcher dans des
marais formés par la fonte des neiges , traverser des rivières grossies considé-
rablement et la plupart devenues torrents, repousser des attaques de nuit,
s'arrêter pour réunir les troupeaux égarés. Mais les Tirailleurs ne se découra-
gèrent pas; le neuvième jour de celte marche accablante, ils arrivèrent enfin
à Conslantine exténués, n'en pouvant plus, mais ramenant intact le bétail
qui leur avait été confié et sur lequel le général et bien d*aulres avaient cessé
de compter.
Après ces diverses opérations, furent cités à l'ordre de la division comme
s'étant particulièrement distingués :
MM. Rose, capitaine.
Sarrauton , capitaine-adjudant-major.
Petitgand , lieutenant.
Ledoux , sous-lieutenant.
Assen-ben-Mohamed , caporal à la i^ compagnie.
Mohamed-ben-Djédid , sergent.
Mohamed-ben-Amou, tirailleur, blessé.
El-Bédouiné-ben-Mohamed , d^
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26 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l843]
IjO total dos portos 6proiivécs s'élevait à trois hommos blessés.
A peioo rentré à Constantine, le bataillon dut repartir pour de nouvelles
expéditions. Quelques détachements représentant un effectif de cent trente
hommes furent d*abord disséminés pour la garde des prairies, service séden-
taire qui n'entraîna d'ailleurs aucun conflit avec les Arabes; enfin quatre cent
cinquante hommes, pris dans les cinq premières compagnies, furent désignés
pour entrer dans la composition do Tune des colonnes qui devaient marcher
sur Collo.
Le G avril , cette colonne se mit en route sous les ordres du général Raraguey-
d'Hilliers. Elle se porta d'abord dans le pays des Ouled-el-IIadj, en passant
par d'étroits défilés qu'il fallut enlever de vive force; suivant ensuite la rive
gauche de l'Oued-Guebli, elle atteignit Collo le 10, en mémo temps que le
colonel Barthélémy y arrivait de Philippeville et le colonel Buttafuoco d'EI-
Arrouch. Les habitants de celte ville, qui depuis longtemps se trouvaient en
relations avec nous, se portèrent au-devant du général en lui prodiguant leurs
assurances de soumission.
Le 14, le général Baraguey-d'IIilliers pénétra dans le territoire des Bcni-
Toufout, la tribu la plus importante en mémo temps que la plus hostile des
environs de Collo. On trouva ces Kabyles décidés à une énergique résistance
et, pendant quatre jours, nos troupes eurent à livrer do sanglants combats.
Ta) 18, dans une reconnaissance poussée à quelques kilomètres du camp de
rOucd-Kradéru, par le général accompagné d'un bataillon de ligne ut de celui
des Tirailleurs indigènes, on se trouva tout à coup en présence d'un uiillier
d'ennemis qui se mirent à tirailler sur le front et les flancs de la colonne. Ce-
pendant, tenus à distance, ils ne devinrent réellement menaçants qu'au mo-
ment de la retraite. Mais à ce moment, sur l'ordre du général, la 2* compagnie
fut laissée en embuscade. Elle attendit que les Kabyles fussent bien engagés
dans la vallée, puis, après avoir exécuté sur eux une décharge à bout portant,
elle s'élança à la baïonnette, les chargea vigoureusement et , aidée par le gé-
néral en personne, qui était accouru à son secours à la tète de quelques cava-
liers, les rejeta au loin en leur faisant subir des pertes ronsidérablcs.
Dans cette alTaire, le sergent Seul - bon - Mohamed , de la *1° compagnie, se
signala par son attitude héroïque. Se voyant entouré par un groupe d*enne-
mis, il se précipita sur l'un d'eux avec sa baïonnette, en atttâgnil un deuxième
on déchargeant son arme et se mit à la |M)ursiiite des autres qui avaient pris
la fuito. La croix do la Légion d'honneur vint, quchiuo temps upn^s, le ré-
compenser de ce bel acte do courage.
Le 19, la lutte recommença non moins acharnée. Ce jour-là, les Kabyles
se montrèrent plus audacieux qu'ils ne l'avaient encore été. Ils durent croire
à une victoire de leur part, lorsque, le lendemain, ils virent la colonne se replier
sur Collo, où la ramenait le besoin de se ravitailler. Aussi fallut-il renoncer
à obtenir leur soumission; ils assistèrent impassibles à la prise de leurs trou-
peaux, à la destruction de leurs récoltes, et le général dut quitter leur pays
sans avoir reçu la visite d'un seul de leurs chefs.
Le 15 mai , les Tirailleurs rentraient à Constantine. Dans le courant de cette
expédition , ils avaient eu six hommes blessés.
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[1844] EN ALGÉRIE 27
Furent cités à Tordre de la division comme 8*étant le plus distingués :
MM.
Rose,
capitaine.
Sarrauton ,
capitainc-adjudant-major.
Ilorot,
capitaine.
Fromcnlnl ,
lieutenant.
Pelisse ,
sergent-fourrier.
Saîd-ben-Mohamcd , sergent k la 2® compagnie.
Amar-bcn-Brahim, tirailleur, blessé.
Le 21 mai, le bataillon quittait de nouveau Constantine avec une colonne
dirigée par le général à Test de Gnelma. Pendant quarante-cinq jours il par-
courut cptlc contrée, assurant la rentrée des contributions et, le 5 juillet,
revint à Constantine. Le 13, il en repartait encore pour aller prendre position
à Souk -Ar ras, où il séjourna un mois pour appuyer Pautorité d'un nouveau
caïd nommé par nous chez les llancncha. Il visita ensuite le pays des Mahatela,
des Moclicla et des Oiiled-Daoun, et rentra & Constantine le 28 août. lies cinq«
premières compngnics restèrent dans celte ville; les 7^ et 8® reprirent la route
de Rôno, leur garnison habituelle. Quant h la 6°, la compagnie de la Med-
jana, elle n'avait pas quitté Sétif pendant le cours de ces opérations; mais,
du 21 septembre au 2 novembre, elle prit part à une expédition dirigée par
le général Sillègue sur le Djébel-Dira de concert avec le général Marey venu de
Médéah. Cette expédition se termina par une excursion à Bou-SaAda, où Pon
arriva le 24 octobre. On en repartit quelques jours après pour rentrer à Sétif
en passant par M'Sila.
Comme on vient de le voir, Pannée 18-13 avait été bien employée par le
hntiiillon iln Tirnillonrs indij'i'^nnfl. î/anniV. IHVl n'allnît pas être moins fo-
condn en expéditions; lo duc d'Aninale venait de remplacer le général Hara-
guey dMlilIiers et se préparait activement & reprendre la suite du programme
si brillamment poursuivi par ce dernier.
La campagne s'ouvrit par un coup de main sur les Ouled-Mahhout, qui
n'avaient pos voulu payer l'impôt. Le il février, le bataillon de Tirailleurs,
soixante-dix chasseurs et trente spahis quittèrent Constantine et se portèrent
À Ouargolt. LA, celte petite colonne se grossit du goum des Zmoul , et, le len-
demain , se porta rapidement, au moyen d'une marche de nuit, sur le terri-
toire des Ouled-Mahhout. Cette tribu fut surprise dans ses douars, et la co-
lonne revint coucher à Raz-el-Ain-Guercha, ramenant avec elle deux mille
cinq cents moutons ou chèvres et trente- huit bœufs.
Le bataillon séjourna quelques jours à Raz-el-Aîn-Guercha. Il reçut la sou-
mission de <|uol(|Ui»s fractions rebelles des Sognia, assura le payement des
amendes et îles contributions qui leur furent imposées, et, lo 19, se mit en
marche pour Hatna , où se formait une colonne qui , sous les ordres du duc
d'Aumale, devait se porter sur Biskra.
Cette ville était alors au pouvoir d'un nommé Mohamed-bel-IIadj-el-Sghir,
qui se donnait le titre de khalifa d'Abd-el-Kader. Ce prétendu lieutenant de
Pémir avait d'abord organisé un petit corps d'infanterie, puis s'était établi
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28 1.B 3* RÉGIMENT DR TIRAn.LBURS ALGÉRIENS [1844]
dans la casbah, et de là entretenait des relations suivies avec Ahmed -bey,
qui s'était réfugié chez les Ouled-Soltan.
Le bataillon arriva à Batna le 21 février. Le 22, il participa à une opéra-
tion ayant pour but la réquisition des chameaux nécessaires aux transports
des vivres. Un léger engagement eut lieu à cet effet avec les Ouled-Soltan,
qui subirent des pertes assez sensibles, sans que de notre côté il y eût per-
sonne d'atteint.
Le 25, le duc d*Aumalc quitta Ratna à la tête de deux mille cinq cents
hommes d'infanterie, six cents chevaux et trois pièces de montagne. Le soir,
la colonne bivouaqua à El-Quessoud ; le 26, elle arriva à M'Sab-el-M'Zaî, où
elle séjourna jusqu'au 29. Le 27, le bataillon de Tirailleurs, les spahis et
quelques chasseurs exécutèrent une razzia sur la tribu des Lagdar-Balfaoui.
Le 4, on arriva devant Diskra. La ville fut occupée sans coup férir : depuis
cinq jours, Mohamed-bel-lladj s'était retiré dans les Aurès.
Le 5 , le bataillon fut envoyé dans les oasis des Zabkobli et des Uatihara
pour y assurer la levée de l'impôt. Il y resta jusqu'au 12, puis revint à Bis-
kra. Le 14, il prit possession de la casbah de cette ville, où il s'établit.
Pendant que le duc d'Aumale procédait ainsi à la pacification des environs
de Biskra, le parti de Mohamed- bel -Uadj, ne désespérant pas de rétablir sa
fortune, s'était réuni àMéchounech, à trente kilomètres au nord-est, au pied
du Djebel -Amar-Kaddou. Une forte reconnaissance y fut envoyée; mais,
reçue à coup de fusils, elle dut se replier. Le 15 marâ, prenant avec lui deux
bataillons, trois cents hommes du bataillon indigène, la cavalerie et l'artil-
lerie, le prince s'y porta lui-même et attaqua les rebelles, qui se défendi-
rent vigoureusement. Malgré cette résistance , le village fut enlevé et incen-
dié. Dans cette affaire, les Tirailleurs furent admirables d'élan. Là fut tué
le capitaine Borot, commandant la 5* compagnie. Dès qu'ils le virent tom-
ber, les Arabes se précipitèrent pour s'emparer de son corps; mais, grâce
à la bravoure du capitaine Bessière, qui, à cheval, se jeta résolument au
milieu d'eux, suivi bientôt par quelques spahis , cette glorieuse dépouille put
leur être arrachée.
Après cette affabe, le duc d'Aumale reprit le chemin de Constantine, ne
laissant à Biskra que le bataillon de Tirailleurs et un escadron de spahis. Le
commandant Thomas avait pour mission de rester dans le pays jusqu'à com-
plète exécution des dispositions prises pour en assurer Padininistration. Il
devait en même temps recruter dans la région les hommes nécessaires pour
organiser un détachement qui, encadré dans quelques vieux soldats du ba-
taillon indigène , pût servir à la garde de la casbah.
La formation de ce détachement ne fut pas chose bien difficile ; la plupart
des anciens miliciens de Mohamed-bel-IIadj vinrent demander à s'enrôler, et
en quelques jours ces recrues atteignirent le chiffre de deux cent cinquante.
On leur adjoignit cinquante- cinq anciens soldats, et cette garnison fut
placée sous les ordres du lieutenant Petitgaa<l.
Ces dispositions prises et croyant désormais Biskra à l'abri de toute sur-
prise, le commandant Thomas quitta cette ville le 12 avril, pour se porter
sur El-Kantara avec tout ce qui restait du bataillon et les spahis. Le 13 , il
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[1844] EN ALGÉRIE 29
exécuta une heureuse razzia sur la tribu des Lagdar-Hallaonia et continua en-
suite sa route sur Batna, où il arriva le lendemain. Le 19, il était à Cons-
tantine. Après six jours de repos, il reprenait le chemin de Batna, où il
arrivait le 29. ^
Ce retour précipité avait pour but une diversion dans les Aurès pendant
que le duc d'Aumalo opérait chez les Ouled-Soltan. Le soir môme de son ar-
rivée à Batna, le commandant Thomas se remit en route, et marcha toute
la nuit pour aller appuyer les Sahari , nos alliés. Mais , arrivé sur le terri-
toire de cette tribu, il fut tout à coup prévenu que le camp de Batna devait
être attaqué. Levant alors brusquement son bivouac, il revint sur ses pas, et,
le 2 au matin , rentra dans ce poste sans avoir rencontré un seul ennemi. Le
duc d*Aumale, également prévenu, y accourait en même temps avec toute
sa cavalerie; mais, devant l'absence de tout danger, il en repartait quelques
instants après.
Toute crainte ayant alors disparu à Tégard de Batna, le 4 mai, le bataillon,
renforcé d*un escadron de chasseurs et d*un autre de spahis, quitta cette
ville pour conduire un convoi à la colonne du duc d'Aumale. Le 6, il rejoignit
cette colonne à Mérouana.
Dans cette dernière, se trouvait déjà une compagnie du bataillon : la 6°.
Les opérations avaient commencé le 17 avril. Passant par A!n-Ségan, chez
les Telaghma, et Ain-Sultan, chez les Ouled-Abd-el-Nour, le duc d*Aumale
était arrivé le 21 à Ngaous, à Tentrée des montagnes des Ouled-Soltan. Le
24, il pénétra dans ces montagnes, où l'ennemi ne tarda pas à Tattaquer.
Les Arabes , favorisés par un brouillard épais , se jetèrent simultanément sur
la tête, la queue et le flanc gauche de la colonne. En tête, marchait la 6* com-
pagnie, qui les reçut sur la pointe de ses baïonnettes, les chargea vigoureu-
sement cl sauva ainsi une pièce do canon dont ils avaient failli s'emparer.
Sur le flanc gauche, se Irouvoicnt des auxiliaires arabes qui lâchèrent pied,
se replièrent en désordre au milieu du convoi, qui, également composé d'Arabes,
perdit la tête à son tour et prit honteusement la fuite. Bien que celte panique
n*eût gagné que nos auxiliaires et que la colonne fût victorieuse sur tous les
autres points, celle-ci, privée de son convoi, n*en dut pas moins se retirer
sur Ngaous.
Le l^' mai , la marche fut reprise; les troupes pénétrèrent de nouveau
dans les montagnes et prirent une éclatante revanche de TafTaire du 24. Elles
culbutèrent tout ce qui se rencontra sur leur passage, et, le soir, vinrent
bivouaquer à Bira, au centre du pays.
Lorsqu'il eut rejoint cette colonne, le bataillon, au lieu de rentrer, y fut
maintenu. La 6* compagnie se joignit à la portion principale, et il présenta
alors un eiïectif de six cents hommes.
Le 7, il fut chargé d'incendier plusieurs douars et villages des Uuled-Sollan.
Ce même jour, toute la colonne se trouva réunie à Tabagarl.
IjC 8, le duc d'Aumale, à la tête de cinq bataillons, dont celui de Tirailleurs
indigènes, de la cavalerie et de l'artillerie, se porta sur Bira, qui avait déjà
été occupé le l***^ mai. La journée se passa sans incident. Le soir, l'a van t-
garde tomba tout à coup sur la tente de l'ex-bey Iladj- Ahmed. Ce dernier prit
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30 LE Z^ RÉOIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [iShk]
la fuilo on loulo hâto. Lo baluillon do Tiruilloura so mit à sa poursuite; umitt
il se Irouva bientôt en présence d'un ravin profond, aux flancs escarpés, qui
rarréla dans sa marche. Ce ravin, appelé Châbel-Enetlaâ, était une trou-
vaille : c'était là que les Ouled-Soltan avaient caché la plus grande partie de
leurs richesses et de leurs bestiaux. Ils essayèrent d'en défendre l'accès, et
l'on se battit jusqu'à la nuit; enfin ils furent culbutés sur tous les points,
et tous leurs troupeaux restèrent entre nos mains. Au moment où leur arrière-
garde était ainsi maltraitée , leur tète était aux prises avec notre cheik Ben-
Ganah, qui revenait du Sahara avec son goum. Tru<|uéâ <le toutes purts, ils
envoyèrent leurs chefs faire leur soumission. Pendant ce temps, lladj- Ahmed
fuyait à toute bride et parvenait à se réfugier dans les Aurès;
Dans cette dernière rencontre, le bataillon avait eu un homme tué et cinq
autres blessés.
Lo 9, la colonne contourna le ravin de Châbct-Ëneiluà. Lo 10, ce ravin,
qui contenait encore des richesses considérables, la plupart provenant des
pillages effectués par les Ouled-Soltan, fut fouillé par le bataillon de Tirail-
leurs et les gens de Bcn-Ganah. Le 12, le bataillon fut lancé sur des con-
treforts situés près de Mérouana pour y atteindre des groupes en fuite. Il les
joignit et leur enleva quelques troupeaux. La 14, la colonne arriva à Uatua.
Là on apprit une bien fâcheuse nouvelle.
On se rappelle qu'au moment de quitter Biskra le commandant Thomas
y avait organisé un détachement s'élevant à trois cents hunimes, qu'il avait
laissé sous les ordres du lieutenant Petitgand. Cet oflicier avait comme
adjoints: le sous- lieutenant Crochurd, le chirurgien aide-mujur Arcelin et
le sergent-major Pelisse. Parmi les hommes composant cette garnison se trou-
vaient, comme nous l'avons dit, la plupart des anciens soldats de Mohamed-
bel -lladj qu'on avait enrôlés sans trop s'inquiéter de leur provenance. Ils
paraissaient néanmoins servir avec lidélitê, et dt^jà M. Petitgund avait cru
pouvoir 80 reposer sur eux de la garde des portes <le la cushah.
Ce|»endant lo faux khulifa avait conservé des intelligences parmi ses an-
ciens serviteurs; il était même à peu près certain que beaucoup do ceux-ci
ne s'étaient engagés dans nos rangs que sur son ordre; il en protita pour
ourdir un complot qui reçut son exécution dans la nuit du 11 au 12 mai.
Vers une heure du matin, les partisans de Mohamed -bel -lladj ouvrirent les
portes à cent cinquante des leurs, et, conjointement avec eux, s'emparèrent de
la place, obligèrent à mettre bas les armes les postes (|ui tentèrent de résis-
ter, égorgèrent les trois officiers ainsi qu'une de leurs ordonnances, tirent pri-
sonniers trois autres Français qui les accompagnaient, et finalement restèrent
maîtres do la casbah, où Mohamed-bel-lludj revint aussitôt s'établir. Seul
lo sergent- major Pelisse avait pu échapper à ce massacre; il s'était retiré
à Tolga avec notre caïd, qui n'avait pas abandonné notre cause.
Le 15, lo duc d'Aumale, avec toute la colonne, se dirigea en toute hâte
sur Biskra. Le 17, il prit les devants avec la cavalerie, et se fit rejoindre
par lo bataillon de Tirailleurs, qui, en arrivant à El-Kuntura, était monté
sur des mulets sans prendre aucun repos. Il espérait trouver la casbah en-
core au pouvoir de l'ennemi et cerner ce dernier; mais, le mémo jour.
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[1844] EN ALOÊRIB 8i
Mohamcd-bel-lladj avait pria la fuite, emportant tous les approyisionnemeota
qu'il avait trouvés dans la place. Au lieu d'ennemis, on trouva dans Biskra
le sergent-major Pelisse, qui, des le départ du kbalifa, y était rentré avec le
cald et un détachement d'indigènes qu'il avait organisé à Tolga.
liO Imtnillon séjourna à Diskra jusqu'au 22, puis il rentra à Constantine,
h rcxceplion de son cher, qui fut maintenu à Uiskra avec le titre de com-
mandant supérieur.
L'ordre qui parut à la suite de cette longue expédition fit un éloge très
flatteur du rôle que le bataillon y avait rempli. Il citait comme s'y étant par-
ticulièrement distingués :
MM. Dargent, capitaine.
Monfort, d»
Qucncl , sous-lieutenant.
Braqui , d®
Pelisse , sergent-major.
Un décret , qui suivit de près ces citations, nomma chevaliers de la Légion
d'honneur les quatre officiers et le sous-oflicier qui en était l'objet.
Le bntnillon resta nn moi;* h (Constantine. Le 20 juin, il fut dirigé sur le
psiys des llaraclii pour y assurer la percrplion do Tiinpôt. Il alla s'établir à
Aîii-H(!Tfla, où il ajourna jusqu'au 2 1 juillet, envoyant dos détachements dans
les environs pour le fonctionnement du service fiscal dont il était chargé. Il
revint alors prendre ses garnisons à Constantine, à Bùne et à Sétif , et se pré-
para , par les soins qu'il donna à son instruction , à prendre une brillante part
dans les opérations qui allaient avoir lieu en 1845.
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CHAPITRE IV
(1845-1846)
Expédition dans les Aurës. — Prise du coi de Portas. — Camp de Médina; opérations
autour de ce camp. — Combat d*AIdoussa. — Prise de Djar-Alla et de Tabergua. —
Rentrée à Batna. — Opérations de la e» compagnie à Sétif. — Opérations du général
d'ArbouYiile dans la province d*Alger. — Expédition chez les Ouled-Soltan. — Tour-
mente de neige du 3 Janvier 1846. — Rentrée k Sétif.
Depuis les évéDements de Biskra, la province de ConslanliDe jouissait
d'une complète tranquillité; les tribus se livraient paisiblement aux travaux
de ragriculturo et payaient assez régulièrement l'impôt; seule, lu région de
l'Aurès était encore remuante et demeurait une menace permanente pour le
bas pays. Ce n'est pas que ses habitants nous fussent plus hostiles que ceux
de beaucoup d'autres tribus; mais parmi eux s'étaient retirés Ahmed- bey et
Mohamed- bel -Hadj , et ces deux vaincus cherchaient, chacun de son côté,
à tenter de nouveau la fortune.
Lorsque le général Bedeau vint prendre le commandement de cette pro-
vince, en remplacement du duc d'Aumale, une expédition dans cette région
était la seule opération militaire dont la nécessité se fît réellement sentir;
mais cette opération n'était pas sans diflicultés : il s'agissait de s'engager,
avec une dedhle colonne et un immense convoi , dans une contrée montagneuse,
peu connue, sans ressources et relativement très peuplée. Elle n'en fut pas
moins décidée. Vers la fin d'avril, les troupes qui devaient y prendre part se
concentrèrent à Batna. Les cinq premières compagnies du bataillon de Tirail-
leurs, renforcées de cent soixante hommes des compagnies de Bône et présen-
tant ainsi un effectif de cinq cent trente hommes , arrivèrent dans ce poste
le 29. Le commandant Thomas commandait lui-même ce détachement.
La colonne, forte d'environ cinq mille cinq cents hommes, quitta Batna le
l^cmai. Elle avait été divisée en deux brigades : la première était sous les ordres
du général Levasseur; la seconde , sous le commandement du colonel llerbil-
lon. Le bataillon de Tirailleurs fut placé dans celle du général Levasseur. Ces
deux brigades suivirent d'abord la même route, se dirigeant au sud-est, de
façon à pénétrer par le versant septentrional. Le 2, elles traversèrent les pre-
mières %ne8 de hauteurs et allèrent bivouaquer dans la plaine de Yabous.
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[1845] LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE 33
Le 3, elles arrivèrent au pied des hautes noontagnes , en face du col de For-
tas, qui paraissait être fortement occupé par l'ennemi. En avant du défilé,
ce dernier avait en effet construit une petite redoute en pierres sèches ; à droite,
il s'était établi sur une montagne assez élevée et couronnée do bois; à gauche,
il s'était embusqué dans des rochers plongeant directement dans Tintérieur
du col.
La brigade Lcvasscur, restée sous les ordres directs du général Bedeau ,
fut chargée d'attaquer la position; le colonel Ilerbillon devait contourner
celle-ci par la gauche , se placer sur la ligne de retraite des rebelles et faire
ensuite sa jonction avec la colonne principale. Pendant qu'on prenait ces
dispositions, la l*^ compagnie (capitaine Vindrios), qui se trouvait à l'avant-
garde , avait déjà engagé une assez vive fusillade avec les défenseurs de la
redoute. Sur l'ordre du général Bedeau, le commandant Thomas fit porter
sur sa gauche les 4« et 9^ compagnies, qui se déployèrent face au mamelon
boisé, d'où en un instant les Arabes furent débusqués. Au môme moment,
la 3^ compagnie vint prolonger la ligne de la l^,et la 2* se placer en soutien.
Se portant alors tout entier en avant, le bataillon marcha droit à la redoute,
qui fut aussitôt enlevée; puis , oppuyé par un bataillon du 31* de ligne et un
autre du 19" léger, il s'élança vers le col, escaladant des pentes abruptes,
franchissant un terrain boisé et tourmenté, et cela avec une telle rapidité,
que lorsque, après avoir poursuivi les Arabes de crôte en crôte, les Tirailleurs
débouchèrent de l'autre côté du passage, la colonne du colonel Ilerbillon n'y
avait pas encore paru. L'ennemi avait ainsi pu se retirer et prendre posi-
tion en arrière, à Téniet-el-KorchelT. Quoique la journée fût déjà avancée
lorsque les deux brigades eurent fait leur jonction, on se porta sur ce dernier
point, qui fut aussitôt occupé. Le bivouac y fut établi , et la colonne y passa
la nuit.
Le bataillon avait eu quatre hommes blessés. En rendant compte de ce
succès , le général Bedeau citait , comme ayant fait preuve d'un courage tout
particulier, le sergent Sald-ben-Mohamed et le caporal Ben-Kedmy, qui, tombés
dans un groupe d'ennemis, en avaient tué cinq et mis le reste en fuite.
Le combat du 3 amena aussitôt la soumission des Ouled-Abdi et des Beni-
Daoud. Le 4, la colonne se dirigea sur Médina, point central où le général
avait résolu de former un camp. Dès le 5, les travaux commencèrent, et pen-
dant deux jours les troupes furent employées à la construction d'une redoute,
où l'on déposa tous les approvisionnements , sous la garde du S® bataillon
d'Afrique.
Les opérations furent reprises le 7. Le but à atteindre était de soumettre
la tribu des Beni-Oûdjana. A cet effet, la colonne fut divisée en deux groupes :
le premier, dans lc(|ucl se trouvait le bataillon de Tirailleurs indigènes, de-
vait, sous les ordres du général Levasscur, marcher directement surTarit-
el-Baatcha, pendant que l'autre, avec le général Bedeau, opérerait plus
au sud et reviendrait par la vallée du Mélagou, où la jonction devait avoir
lieu.
Le premier jour, la colonne du général Levasseur franchit le col de Tizou-
garin et vint s^étahlir dans cette vallée. L'ennemi n'avait même pas essayé
3
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34 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1845]
de lûoir; il 8*était enfui précipitamment, laissant dos approvisionnements de
toute sorte que le général ordonna de détruire. Le 9, on séjourna sur le
Hélagou; la journée fut employée à des reconnaissances. Le 10, les deux co-
lonnes firent leur jonction , et toutes les troupes se trouvèrent de nouveau
sous les ordres du général Bedeau.
Les reconnaissances du 9 avaient signalé, au village de Bou- Hammam,
de nombreux rassemblements des Beni-Oudjana, auxquels s'étaieot joints un
groupe des Beni-Sliman et un autre des Amar-Kaddour. Dès son arrivée, le
général Bedeau décida qu'on irait déloger Tennemi. A une heure de l'après-
midi , une colonne de dix- huit cents hommes, dont le bataillon fit partie, se
mit en route et dispersa en un instant ce qu'elle trouva devant elle.
Le 11, toute la colonne reprit sa marche dans la direction suivie la veille et
poursuivit quelques Arabes qui occupaient les contreforts sud du Chellia. Le
soir, elle arriva à Messarah ; là , surprise par la neige qui tombait en abon-
dance et rendait les sentiers impraticables , elle fut obligée do séjourner lu 12.
Le 13, franchissant de nouveau le col de Tizougarin, qu'elle trouva couvert de
neige, elle rentra à Hédina pour s'y ravitailler. Le 15, pourvue de huit jours
de vivres, elle reprit la campagne, se dirigeant sur la vallée des Ouled-Abdi;
elle arriva le soir à Hesseret, sur la rive droite de l'Oued-el-Abiod et y séjourna
le 16. Le 17, le bivouac fut établi un peu plus loin , à Hadj-Jadj. Le 18, à midi,
quittant tout à fait la vallée de l'Oued-el-Abiod , elle vint camper sur le Djebel-
bou-Bezizen. La journée du 19 fut employée par le bataillon à une reconnais-
sance sur l'Oued-el-Abdi. On attendait pour se remettre en roule l'arrivée du
colonel Ilerbiilon , qui était allé chercher un convoi de vivres à Batna. Ce convoi
arriva dans la journée et, le 20, la petite armée reprit sa marche sur deux
colonnes : celle de gauche, sous les ordres du colonel Ilerbiilon, suivit les
crêtes en marchant parallèlement à TOued-el-Abdi; celle de droite, avec la-
quelle se trouvait le général Bedeau et qui comprenait le bataillon de Tirail-
leurs, un bataillon du 19® léger, un bataillon du 31^^ de ligne et un autre du
22**, descendit dans la vallée, traversa la rivière au pie<i du Itou-Hezizcn et
commença à gravir les pentes delà rive droite, se maintenant à la hauteur du
colonel Herbillon, qui se prolongeait sur les crêtes de la rive gauche. Pendant
la matinée , cette dernière colonne laissa sur son chemin de nombreux vil-
lages abandonnés par l'ennemi; celui-ci ne paraissait nulle part : partout le
vide et cette dévastation hâtive qui indique une émigration précipitée. Vers
midi cependant, quelques Arabes furent signalés dans la vallée, en avant d'Aï-
doussa , village assez important situé sur l'Oued-el-Abdi ; enfin d*importants
rassemblements apparurent sur la rive gauche de cette rivière, aux villages
d'AIdoussa, de Ténict-el-Abdi et de Fedjcl-Kadi.
L'ennemi semblait attendre l'allaque principale du côté de la colonne
de gauche; pour la soutenir, il avait construit sur les hauteurs dominant
Aldoussa plusieurs redoutes en pierres sèches, dont la défense avait été confiée
à ses meilleurs soldats. Mais le général Bedeau, cessant tout à coup de se pro-
longer sur la rive droite , lit télé de colonne à gauche et marcha sur la rivière,
pendant que le colonel Herbillon, descendant les pentes de la rive gauche, se
dirigeait sur le village d'AIdoussa. A ce moment, le bataillon de Tirailleurs
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[1845] EN ALGÉRIE 35
reçut Tordre de se porter en avant, de laisser Âidoussa sur sa gauche, de
passer la rivière en aval de ce village et de s'emparer de Téniet-el-Abdi. La
2* compagnie (capitaine Taverne) se déploya au pas de course; la 3* vint
bientôt appuyer sa ligne à droite, puis tout le bataillon se porta en avant,
franchit la rivière et arriva devant Téniet-el-Abdi. Les deux compagnies de
tête, gravissant alors les pentes de droite et de gauche, en délogèrent Tennemi,
pendant que le gros du bataillon pénétrait dans le village, qui venait d*étre
abandonné.
Sur tous les autres points le succès était également complet : Tennemi
fuyait précipitamment, cherchant à gagner la montagne, où la poursuite de-
venait fort difficile, sinon impossible. Mais il avait subi des pertes considé-
rables et laissait une quarantaine de prisonniers entre nos mains.
Dans ce combat, le bataillon avait eu cinq blessés dont un officier, M. le
sous-lieutenant Bonnomain. Dans son rapport, le général citait comme s'étant
particulièrement distingués :
MM. Sarrauton , capitaine-adjudant-major.
Bonnemain, sous-lieutenant, blessé.
Le soir, la colonne établit son bivouac sur les deux rives de TOued-el-Abdi.
Le 22, elle reprit sa marche et descendit la vallée jusqu'à Ménah; là, elle
attendit la complète soumission des Ouled-Abdi. Le 27, les deux brigades se
mirent en route pour Médina , où elles arrivèrent le 29.
Le 2 juin, on évacua définitivement Médina. Ce jour-là, la colonne se di-
rigea vers le territoire des Bou-Sliman. Le lendemain, elle franchit le Teniet-
el-Abiod et arriva le soir à Chamaoura sur TOucd-Haumel. Après avoir sé-
journé deux jours sur ce point, afin de recevoir quelques soumissions, le 6,
elle vint bivouaquer à Kessour, sur TOued-Chéraya. Le 7, elle continua sa
marche vers Test. A la grand*halle, au moment où les soldats faisaient le
café, arrivèrent au camp plusieurs courriers indigènes que les Arabes avaient
poursuivis à coups de fusil. La punition ne se fit pas attendre; sur l'ordre du
général Bedeau, le bataillon de Tirailleurs prit les armes, et, appuyé à droite
par deux compagnies du 61^^ il se porta sur le village de Djar-Alla, d*où
étaient partis les coups do feu.
Ce village, situé au fond d'un étroit ravin , était défendu à droite et à gaucho
par des rochers escarpés et, dans la gorge môme, par un terrain coupé de
jardins étages entourés de murs en pierres sèches. La 7* compagnie (lieute-
nant Duchaine) et la 5® (capitaine Lapeyrussc) franchirent en un instant les
escarpements de droite et de gauche, pendant que la 3* (capitaine Bessière)
pénétrait dans Djar- Alla par la gorge du ravin. Mais Tennemi ne nous avait
pas attendus. Ce ne fut que lorsque le bataillon se retira, après avoir incendié
le village, qu'il fit sa réapparition. Il revint alors en nombre, et ne cessa de
harceler la compagnie d*arrière-garde (capitaine Vindrios) que lorsque celles:!
fut hors du ravin. Celte compagnie eut deux hommes blessés.
Après avoir accompli sa mission , le commandant Thomas rejoignit la co-
lonne, qui reprit sa marche, et, le môme soir, vint s'établir au Kessir sur l'Oued-
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36 LB 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1845]
Tichtad. Le 8, elle arriva à El-Bahl, après uoe marche pénible au sein d'un
pays accidenté, privé d*eau et complètement aride. Le 9, elle atteignit El-Oudja
et| le 10, alla camper à Djelaîl. Dans cette journée, la marche avait été par«-
ticttlièrement fatigante : un siroco brûlant n'avait pas cessé de souffler, et sur
tout le parcours il avait fallu franchir des ravins , gravir des pentes abruptes,
et cela sans trouver une goutte d*eau.
Le 11 , au moment où la colonne établissait son bivouac, des gens de Beni-
Amzan, qui n'avaient payé qu'une partie de leurs contributions, vinrent lui
tirer quelques coups de fusil. Le 12, pendant toute la matinée, l'arrière-garde
fut inquiétée par des groupes de Maafas et de Hachach^. A midi, le gros
de la colonne se trouvant réuni sur TOued-Fréchou, le général Bedeau prit
quatre bataillons, dont celui de Tirailleurs indigènes, et, faisant laisser les
sacs au camp, se porta rapidement contre Taberga, centre très important où
les rebelles s'étaient retirés. Dissimulée par des accidents de terrain , l'attaque
se trouva combinée de telle sorte, qu'au moment où le bataillon de Tirailleurs
ouvrit le feu sur la droite et celui du 2* de ligne sur la gauche, les Arabes,
qui ne s'étaient aperçus de rien, se trouvèrent complètement dominés et en-
veloppés. Désespérant de se défendre, ils se rendirent à discrétion. Cette opé-
ration terminée, le général ramena ses quatre bataillons sur TOued-Fréchou ,
où le bivouac fut établi.
Le lendemain, on se remit en route pour pénétrer dans le pays des Amamra.
Le 14, on contourna les contreforts ouest du Djebel -Aiuauira et Fou arriva
dans la plaine de Ramisa, où Ton séjourna le 15 pour y recevoir un convoi
de vivres venant de Batna. Le 16 , le bivouac fut établi à Khenchela. La tribu
des Ouled-Ensirah, fraction sud des Amamra, n*ayant pas voulu payer l'impét
ni envoyer ses chefs fS&ire leur soumission, la colonne repartit le 17, gravit la
montagne et découvrit la population en fuite emmenant ses troupeaux. Les
bataillons d'avant-garde déposèrent leurs sacs et deux colonnes furent aussitôt
formées : l'une, composée du bataillon du 22®, de l'escadron de chasseurs,
d'une pièce de canon et de deux compagnies d'élite du 2<> de ligne, se dirigea
par les crêtes; l'autre, constituée par le bataillon de Tirailleurs, prit le fond
de la vallée. Précipitant sa marche , cette dernière atteignit bientôt les fuyards,
qui se dispersèrent aux premiers coups de feu, et s'empara de huit à dix mille
moutons et de quatre cent cinquante bœufs, qu'elle ramena au lieu de la halte.
Ce coup de main lui avait coûté un homme blessé.
La colonne revint ensuite sur TOucd-Fringal et enfin se dirigea sur Uatna ,
où elle arriva le 21. L'expédition avait duré cinquante-deux jours. Ses résul-
tats furent considérables : toutes les tribus de ces montagnes firent leur sou-
mission et payèrent dès lors leurs contributions sans difficultés. Toutefois on
n'avait pu s'emparer ni de Mohamed-bel-Uadj ni d'Ahmed-bey. Le premier,
avec une trentaine d'hommes au plus, s'était enfui à Nefta en Tunisie; Tautre,
abandonné de la plupart de ses derniers partisans, était allé se réfugier dans
les montagnes de Bougie.
Le bataillon de Tirailleurs resta à Batna jusqu'au 26. Le 30, il était de
retour à Constantine.
Pendant ce temps la 6* compagnie, détachée à Sétif, ne restait pas inactive.
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3.
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[1845] EN ALGÉRIE 37
Lo 6 juin, elle entrait dans la composition d'une colonne qui, sous les ordres
du colonel Régeau, devait opérer dans le Hodna. Cette colonne se rendit d'a-
bord chez les Ouled-Déradj ; mais, lo 10 juin, elle dut revenir sur ses pas pour
se porter vers les Relissas et les Hannaïch, devant les montagnes desquels le
général d*Arbouville se trouvait arrêté. Lorsqu'elle arriva, le général n*y était
plus; il s'était rendu à l'appel du général Marey, qui se trouvait dans leTitteri
aux prises avec Ben-Salem, lieutenant d'Abd-el-Kader. Elle reprit alors le
chemin du Hodna , parcourut ce pays pendant quelques jours et se dirigea
ensuite sur Bou-Saftda. Le 28 juin, elle eut , sur le territoire des Ouled-Djellah,
un léger engagement auquel la 6^ compagnie prit une brillante part. Le 21 juil-
let, elle était de retour à Sétif.
TiA paix semblait enfin ôtro assurée sur toute l'étendue de nos possessions
algériennes. TiO mnrécliol Rugonud était lui-mémo tellement persuadé que co
résultat venait d'être atteint par les brillantes expéditions qui avaient eu lieu
dans chaque province, qu'il était parti en congé, laissant l'intérim de son gou-
vernement au général de Lamoricière. Cependant une sourde agitation ne tarda
pas à se manifester à la voix de nombreux prédicateurs de guerre sainte, qui
tous se disaient chérifs et tous prenaient le nom de Bou-Maxa. Dans les pro-
vinces d'Alger et d'Oran ce soudlo de rébellion s'étendit avec une extrême ra-
pidité. Abd-el-Kader, réduit à l'impuissance depuis notre yictoire dlsly, yivait
alors parmi les quelques tribus marocaines qui l'avaient recueilli. Aussitôt
qu'il apprit ce nouvel état de choses , il traversa les frontières à la tête d'une
nombreuse troupe de cavaliers et de fantassins et ne tarda pas à paraître dans
la yallée de la Tafna , non moins menaçant qu'auparavant.
Le 22 septembre, il surprit le lieutenant-colonel de Montagnac à Sidi-Brahim,
et remporta sur lui un sanglant succès qui vint ranimer tout le fanatisme de
ses partisans. Dès ce moment l'insurrection devint générale.
L'agitation avait gagné jusqu'à la province de Constantine : toute la Medjana
menaçait de se soulever. On se hâta d'envoyer des troupes à Sétif. Le 24 sep-
tembre, les cinq premières compagnies de Tirailleurs indigènes, formant un
bataillon de marche de quatre cent trente hommes, furent dirigés sur ce poste,
où se trouvait déjà la 6^ compagnie. Le 2 octobre, le colonel de Chasseloup, à
la tête de ce bataillon et d*un autre du lO*' léger, se porta à Bordj-Bou-Arréridj,
où il resta jusqu'au 16 pour rassurer les populations. Le calme se rétablit
peu à peu, et l'on put bientôt considérer le danger comme définitivement
éloigné.
Il n'en était pas de même dans le Hamza : toute cette contrée avait pris les
armes à la voix d'un prétendu chérif nommé Mohamed-ben-Abdallah. Le gé-
néral Marey, commandant alors dans le Titteri, marcha ausntêt contre cet agi-
tateur ; mais, comme il ne pouvait disposer que de forces insuffisantes et que
les troupes de Sétif devenaient inoccupées , le général d'Arbouville reçut Tordre
de se joindre à lui. Celui-ci organisa aussitôt une petite colonne ayee laquelle
il se mit en route le 4 novembre. Parmi les troupes qui la composaient se
trouvaient, sous les ordres du capitaine Lapey russe, les 4* et S* compagnies
du bataillon et un détachement de trente-cinq hommes de la l'* compagnie.
La jonction des deux généraux eut lieu le 11. Le 12, ils livrèrent, près du
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3S LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1845]
Djebel-Baghar, chez les Ouled-Aziz, un sanglant combat au chérif qu'ils bat-
tirent complètement et dont ils enlevèrent les tentes et les bagages. A la suite
de cet engagement, le détachement du bataillon indigène eut & soutenir une
retraite des plus difficiles, durant laquelle il se trouva continuellement aux
prises avec l'ennemi. Pendant un instant Arabes et Tirailleurs se trouvèrent
même complètement confondus; il s'en suivit une lutte corps & corps où ces
Kabyles donnèrent une idée de la ténacité qu'ils opposeraient un jour à nos
troupes, quand celles-ci tenteraient de pénétrer dans leur pays.
Ils finirent cependant par céder après avoir éprouvé des pertes considé-
rables. De notre côté nous avions perdu un officier, M. Ledoux, lieutenant
commandant la 4« compagnie, qui fut tué à bout portant, et quinze hommes
blessés.
Le rapport du général d'Arbouvillo citait comme ayant fait preuve d'une
grande bravoure :
MM. Lapeyrusse, capitaine.
Hadj-Amou , sous-lieutenant.
Landini, sergent-major.
Presque aussitôt après cet important succès , le général Harey fut appelé
vers Boghar, et le général d'Arbouvillo resta seul dans l'est du Tilteri. Il pour-
suivit les opérations commencées et parcourut les tribus qui s'étaient révoltées
pour leur imposer des contributions de guerre. Le 22 novembre, alors que
notre victoire sur Mohamed- ben- Abdallah paraissait avoir fait rentrer dans
l'ordre la plus grande partie du pays, les Beni-Djaad, qui n'avaient cependant
point pris part à l'insurrection , vinrent tout & coup attaquer le camp. Après
les avoir complètement battus, le général d'Arbouvillo se porta sur leur ter-
ritoire et fil incendier tous leurs villages par le détachement do Tirailleurs in-
digènes. liCur soumission immédiate fut le résultat do ce juste chAtimont.
A ce moment Ben -Salem, lieutenant d'Abd-el-Kador, parut à son tour au
milieu de ces tribus avec un nombre assez considérable d'irréguliers, et s'unit
au chérif qui cherchait & recruter de nouveaux partisans. Dès qu'il apprit cette
nouvelle, le général Bedeau, qui opérait alors dans le haut Chélif, se trans-
porta lui -môme sur les lieux. Il se mit, conjointement avec le général d'Ar-
bouvillo, & la poursuite des deux chefs rebelles, qui n'échappèrent & cette ma-
nœuvre enveloppante qu*en se jetant dans les gorges les plus inaccessibles du
Djurjura.
Le 11 décembre, les deux colonnes se trouvèrent réunies et n'en formèrent
plus qu'une seule sous le commandement du général Be«lcau. Le 13, la bri-
gade d'Arbouvillo alla se ravitailler & Médéah et, le 15, revint prendre le cours
de ses opérations. On parcourut d'abord le pays des Beni-Zouzoug, où l'on ne
rencontra aucune résistance, puis on se porta sur le Kef-el-Lagdar.
Cependant Abd-el-Kader, traqué partout ailleurs, no tarda pas & paraître
lui-même dans le Titteri. Son intention était de faire une pointe dans la Mi-
tidja et de ravager cette riche contrée. Déjà il avait attaqué les Isser, nos alliés,
et avait fait sur eux un butin considérable. Ben- Salem s'était empressé de
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[1846] EN ALGÉRIE 39
descendre du Djurjura et s^était joint à lui dans les premiers jours de fémer
1846. Hais le maréchal Bageaud , qui avait parfaitement pénétré le plan de
Témir, ayait pris toutes ses précautions pour mettre ce dernier dans l'impos-
sibilité do Toxécutor. Le général Gentil, le maréchal lui-môme et enfin le
général Bedeau et le général d'Arbouville se portèrent en toute hâte sur le
haut Isser, et bientôt Abd-el-Kader n'eut, à son tour, d'autre ressource
que les gorges du Djurjura.
Le 8 féTrier, la colonne du général Bedeau fit sa jonction ayec celle du ma-
réchal. Les conservant toutes les deux sous sa main, le gouverneur général
se tourna alors contre les tribus qui avaient accueilli l'émir, entre autres les
Guechtoula, les Beni-Khalfoun , les Neziiona et quelques fractions des Flissa.
Quant à Abd-el-Kader, on ne put l'atteindre.
La tranquillité paraissant alors partout rétablie, le maréchal résolut de
rentrer à Alger, dont il ne se trouvait pas très éloigné. Le 23 février, il quitta
la colonne avec la brigade d'Arbouville et, le lendemain , fit son entrée dans
la capitale de son gouvernement.
Pendant les quelques jours où la colonne d'Arbouville avait marché sous
ses yeux, le maréchal Bugcaud avait été particulièrement frappé de la belle
tenue, do la discipline, de l'entrain et du dévouement du détachement de Ti-
railleurs do Constantino. Voulant donner à ce dernier une preuve de sa satis-
faction, il avait dccido qu'il prendrait la tôto des troupes lors de l'entrée do
celles-ci à Alger. Une somme de six cents francs fut en outre remise au capi-
taine Lapeyrusse pour être distribuée entre les hommes, et pendant quatre
jours la plus grande liberté fut laissée à ceux-ci qui, partout acclama par
leurs coreligionnaires de la première ville de l'Algérie, jouirent d'un triomphe
justement mérité par quatre mois de fatigues, de privations et de dangers.
Le 28 février, il fallut s'arracher à cette Capoue et s'embarquer pour Philippe-
ville. Le 4 mars , les compagnies qui avaient pris part à la glorieuse expédi-
tion du Titleri étaient de retour à Constantine.
Pendant que les événements que nous venons de raconter se déroulaient
dans la province d'Alger, celle de Constantine, sans ôtre agitée au môme
point, éprouvait cependant le contre-coup de cette vaste insurrection. Au mois
de novembre 1845, un certain Mohamed-cl-TrébouI, surnommé Bou-Darbelo,
s'était montré dans le ndezma et avait parcouru cette région en y prêchant
la guerre sainte. Les Oulcd-Soltan furent les premiers à prêter Toreille à ses
excitations; mais, maintenus parle colonel Herbillon, qui commandait la sub*
division de Batna , ils n'osaient encore donner un libre cours à leurs idées
de rébellion, lorsque l'exemple des Ouled-Soulam, leurs voisins, vint faire
tomber leurs dernières hésitations.
Le général Levasseur était alors chargé de l'expédition des affaires de la
province pendant l'absence du général Bedeau. Il organisa aussitôt une co-
lonne dont il prit le commandement, et se porta au sein du pays insurgé.
Le 1 1 décembre , les l*"*, 2« et 3° compagnies quittèrent Sétif sous les ordres
du capitaine Bessière et l'y rejoignirent le 13. Ce détachement, réuni à un
autre du 3® bataillon d'Afrique, forma un bataillon mixte qui fut placé sous
les ordres du commandant de Liniers, du bataillon d'infanterie légère.
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40 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1846]
Le 16, le temps, jusque-là très mauvais, se remit au beau et les opérations
purent commencer. On marcha contre les Ouled-Soulam. Le bataillon formé
par les Tirailleurs indigènes et le bataillon d'Afrique prit les créles et refoula
les Arabes dans le fond de la vallée, où ils furent atteints par la colonne prin-
cipale, qui leur tua une centaine d'hommes et les poursuivit pendant plusieurs
heures. Bou-Darbela fut arrêté dans sa fuite et envoyé comme prisonnier &
Biskra. Les Tirailleurs avaient eu un homme blessé.
Après cette affaire, le général se tourna contre les Ouled-Soltan, auxquels
il imposa une forte contribution de guerre. Pour en assurer la levée, il dissé-
mina sa colonne sur les points les plus importants et fit âur veiller les prin-
cipaux débouchés. Le bataillon de Tirailleurs se trouva ainsi réparti entre
trois villages situés dans le défilé de Foum-bou-Thaleb. Cette dispersion faillit
avoir de fâcheuses conséquences.
Dans le pays vivait alors un chef influent nommé Si-Saad qui, Tannée
précédente, avait brigué auprès du duc d'Aumale un emploi de caïd pour
lequel il s*était vu préférer son compétiteur Si-Mokran. Devenu par cela seul
notre ennemi , il s'était vite créé un parti parmi les rebelles et les mécontents,
et, tout en protestant de son dévouement à la cause française, il n'avait cessé
de travailler activement les esprits on vue d'une insurrection. Voyant dans la
disposition de nos troupes la possibilité do remporter un facile succès qui
aurait suffi à exaller toutes les populations de ces montagnes, il crut le mo-
ment favorable arrivé. Le 25, il se mit à la tète d*une bande de quatre à cinq
cents rebelles et vint tomber à l'improviste sur le village d'Oumassa, occupé
par la compagnie du capitaine Bessière.
On était loin de s'attendre à une pareille attaque ; aussi y eut-il un moment
de surprise; mais le sang-froid du capitaine Bessière et la bravoure des Tirail-
leurs conjurèrent tout. Sans se laisser effrayer par les forces quatre fois supé-
rieures de l'ennemi, le valeureux commandant de la 3® compagnie rallia sa
troupe, l'enleva vigoureusement et chargea à la baïonnette les bandes con-
fuses de Si-Saad, qui furent rejetées dans un ravin. Atteint de deux blessures
graves , il continua avec une énergie peu commune & diriger le combat, et
permit ainsi à des renforts d'arriver et d'achever la défaite des Arabes, qui
s'enfuirent dans toutes les directions , abandonnant leur chef , qui rentra
presque seul dans son douar. Ce brillant fait d'armes, dont tout l'honneur
revenait au capitaine Bessière, nous coûtait, outre ce brave oflicier, qui avait
reçu deux balles dans la cuisse droite, dix Tirailleurs blessés.
Débarrassée du seul rassemblement important qu'elle eût trouvé devant
elle, la colonne s'occupa de vider les silos. Ce travail dura plusieurs jours. Le
30, le détachement du bataillon indigène reçut l'ordre d'attaquer le douar de
Si-Saad. Ce coup de main, habilement dirigé par le commandant de Liniers,
fut couronné d'un plein succès et ne nous coûta qu'un caporal tué.
Cette opération fut la dernière de la colonne Levasscur; le llodna étant pa-
cifié, et par suite sa mission terminée, elle se mit en route pour Sétif. Le 3 jan-
vier 1846, elle se trouvait dans les défilés du Djebel -bou-Thaleb, lorsqu'elle
fut assaillie par un ouragan glacial accompagné d'une neige tellement abon-
dante, que toutes les routes en furent bientôt couvertes. Pendant deux jours
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[1846] EN ALGÉRIE 4f
il ne cessa d*en tomber; le froid était si intense, qu'elle gelait aussitôt.
Les soldats ne pouvaient plus trouver un seul morceau de bois pour faire
le café. Accablés de fatigue, de privations, ils marcbaient au basard avec des
peines infinies, s'égarant de tous côtés; beaucoup durent se réfugier dans les
tentes nrnbes, dans Icf; douars, où ils purent, et furent recueillis quelques
jours après; d'autres tombèrent pour no plus se relever. Lorsqu'elle arriva à
Sétif, le 4 au soir, la colonne était réduite presque à rien. Quand tous les
traînards furent rentrés, on s'aperçut qu'une centaine d'hommes étaient morts
de froid ou de besoin. Les Arabes de la tribu des Rir'a se firent remarquer par
leur généreuse hospitalité et en sauvèrent un grand nombre, qu'ils ramenèrent
à Sétif.
Pendant toute cette dure épreuve, les Tirailleurs se montrèrent admirables
de résignation et de dévouement. Grâce à cet excellent moral , le détachement
ne perdit qu'un homme, un jeune clairon , et ne compta que quinze malades,
alors que beaucoup d'autres corps furent diminués de pluS'de moitié.
Ces trois compagnies n'allaient pas jouir d'un repos de bien longue durée
pour se remettre de cette terrible expédition. Le 20 janvier, il leur fallut de
nouveau partir pour l'ouest avec une colonne commandée par le lieutenant-
colonel Dumonict, du 19° hVgor. Dans sa marche insurrectionnelle dans la pro-
vince d'Alger, Abd-el-Kader s'était avancé vers Bou-^aâda, et une vive agitation
n'avait pas tardé à se manifester dans la partie méridionale du llodna , notam-
ment chez les Oulcd-Mahdi , où l'ordre fut bientôt rétabli. Cette agitation avait
même gagné jusqu'aux environs de Sétif. La colonne Dumontet vint d'abord
s'établir au sud de Bord- Medjana, puis elle rentra à Bou-Saftda et revint
à Sétif à peu près en môme temps que le général d'Arbouville, de retour de
son expédition dans la province d'Alger, y arrivait de son côté. A ce moment,
le groupe formé par les 1>^, 2,^ et 3° compagnies se trouvait réduit à soixante-
dix hommes ; encore une expédition , et il n'en serait rien resté. On Tenvoya
à Constantine pour s'y réorganiser. Il y arriva le 17 mars. Là se trouvait déjà
le détachement qui venait d'Alger et qui n'avait pas été beaucoup moins
éprouvé, et enfin celui de Bône, qui représentait un effectif relativement con-
sidérable. Les compagnies furent ^alisées, les recrues nouvellement instruites
réparties parmi les anciens soldats, les cadres portés au complet réglementaire,
et, au bout de quelques jours, ce bataillon , qui semblait ne pouvoir de long-
temps concourir aux opérations d'une campagne , était prêt à prendre dans
celle qui allait s'ouvrir une part non moins glorieuse que dans celle qui venait
de se terminer.
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CHAPITRE V
(1846-1847)
(1846) Marche sur Batna. — Dépari pour Sétlf. — Opérations chez les Ouled-Nall. —
Expédition du colonel Eynard ches les Amoucha. —Combats des 7, 10 et 22 juin. —
Retour à Sétif. — Opérations du détachement de B6ne. — Derniers éyénements de
l'année 1846. — (1847) Expédition contre les Nemencba. — Marche sur Bougie. —
Combat du 16 mai. — Rentrée à Sétif. — Colonne expéditionnaire de Collo. — Le
commandant Bonrbaki remplace le commandant Thomas.
A peine quelques soins hâtifs eurent-ils été consacrés à sa réorganisation,
que le bataillon dut reprendre le cours de ses expéditions. Le 24 mars, c'est-à-
dire sept jours après avoir été rejoint par les trois premières compagnies, il se
mit en route pour Batnai & l'exception cependant de la 6® compagnie, qui venait
d'entrer dans la composition d'une colonne qui devait partir de Sétif, sous les
ordres du général d'ArbouvillIei pour se porter au milieu des Oulod-Naîl. La
marche sur Datna avait pour but une opération dans le Bciczma, où quelques
troubles avaient ou lieu; mais quand on arriva dans cotte ville, le 27 mars,
la tranquillité était partout rétablie et la présence de nouvelles troupes deve-
nait inutile. Le bataillon repartit alors pour Sétif, qui, au contraire, venait
d'être dégarni par le général d'Arbouville. Il atteignit ce poste le 2 avril.
Le 5 avril, de nouveaux ordres le désignèrent pour l'escorte d'un convoi
destiné à la colonne des Ouled-Nall. Il se mil eu roule le môu)o jour, et, le 17,
atteignit El-IIheuch , au sud de Uou-Saâda , sans avoir rencontré un ennemi
sur tout son parcours. Là , le commandant Thomas laissa ce premier convoi
à la garde de la 4® compagnie , qui eut pour mission de le remettre au géné-
ral d'Arbouville, qui ne se trouvait plus qu'à deux jours de marche, et rétro-
grada sur Sétif avec les six autres compagnies. Arrivé dans ce poste le 9 au
soir, il en repartait le 10 avec un deuxième convoi de quatre cents mulets
ayant la même destination. Après avoir traversé une troisième fois M'Sila , le
Ilodna et Bou-Saâda, le 19, il rejoignit la colonne d'Arbouville à Aln-Grab
chez les Ouled-Aîssa, fraction des Ouled-Nail. Pour la première fois les huit
compagnies du bataillon, représentant à ce moment un eflectif de six cent cin-
quante hommes, se trouvèrent réunies dans la main de leur chef; confondues
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[1846] LE S*" nÉOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE 43
dès lors avec les autres troupes de la colonne, elles prirent part à toutes les
opérations de celle-ci.
Le 21 avril, on marcha contre les Ouled-Alssa, sur lesquels on exécuta une
razzia qui nous rendit maîtres de la plus grande partie de leurs troupeaux.
Ce succ^s ayant amené la complète soumission des Ouled-Naîl, la colonne
parcourut ensuite le pays de l'est à Touest, revint à Bou-Saftda, s'arrêta
quelques jours dans la plaine du Hodna, et le 7 mai arriva à H*Sila. Le 8,
le général d'Arbouville la quitta pour aller prendre le commandement de la
subdivision de Milianah. Le colonel Eynard, de Tétat-major, désigné pour
lui succéder à Sétir, vint le remplacer, et les opérations qu'il avait préparées
ne furent pas un instant interrompues. Le 10, la colonne alla s'établir près
de la Casbah, petite ville située dans TOuennougha, région montagneuse
traversée par Abd-el-Kadcr quelques mois auparavant, et qui se ressentait
encore delà sourde agitation produite par le passage de Témir. Elle y.séjourna
jusqu'au 19, combinant ses mouvements avec ceux d'autres troupes opérant
dans le Hamza, sous les ordres du duc d'Aumale; puis, la tranquillité parais-
sant assurée, elle se mit en route pour Sétif, où elle fit sa rentrée le 21 mai,
après être passée par Bordj-bou-Arreridj , et y avoir laissé la 6* compagnie
du bataillon.
Cependant, si la paix commençait à renaître dans le sud-ouest de la province,
les populations du nord-ouest étaient encore vivement secouées par le souffle
insurrectionnel. Au moment de Tapparition d'Abd-el-Kader, plusieurs agita-
teurs avaient subitement surgi et s'étaient mis à parcourir les tribus belli-
queuses de la Kabylie, réveillant leur hostilité et les poussant à la révolte.
Dans le Sahel de Sétif, un de ces faux chérifs, nommé Mouley- Mohamed,
était même parvenu à réunir un contingent assez considérable; mais, battu,
le 12 avril, par le colonel Dumontet, qui lui avait tué environ deux cents
hommes, il avait dû se retirer dans le pays des Amoucha, où il n'avait pas
tardé à recommencer ses prédications.
Il importait de ne pas lui donner le temps de former de nouveaux rassem-
blements et d^entrafner dans la rébellion les montagnards du Babor et du
Guergour. Le colonel Eynard , qui venait de rentrer de l'Ouennougha , reçut
Tordre d'organiser une nouvelle colonne et de se porter immédiatement au-
dovant du chérif. Le 31 mai, cet officier supérieur quitta Sétif, à la tête d'un
demi -bataillon du 61° de ligne, d'un bataillon de la légion étrangère, d'une
compagnie d'infanterie légère d'Afrique, du bataillon de Tirailleurs indigènes
(à l'exception de la 6* compagnie), de trois bataillons du 19* léger, de
six pièces d'artillerie et de quatre cents chevaux , et alla s'établir au centre
des Ouled-Nabeth , au marabout de Sidi-Aîssa. Ayant fait rentrer cette tribu
dans l'ordre, il s'occupa do Mouley-Mohamed, et, le 7 juin, prenant avec lui
toute sa cavalerie et quatre bataillons sans sacs, il se dirigea sur le pays des
Ouled-Amar-ben -si-Ahmed, où les cavaliers arabes avaient signalé le camp
du chérif. Son intention était simplement de faire une reconnaissance offen-
sive. A midi, cette petite colonne se mit en route et parcourut d'abord une
région facile, qu elle trouva d'ailleurs complètement abandonnée; mais bientôt
le terrain devint raviné, montueux,et quelques groupes de Kabyles commen-
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44 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALQÉRIEN8 [1846]
cèrent à so montrer à Thorizon. Vors doux heures et demie , on atteignit à la
naissance d*un pays particulièrement tourmenté, présentant des mamelons
étages coupés entre eux par des ravins, des gorges profondes, la plupart inac-
cessibles aux choraux. C'était là que l'ennemi avait établi le gros de ses
forces; en avant, se trouvait la cavalerie du chérif, dont on distinguait par-
faitement la bannière; un peu en arrière, un millier do Kabyles couronnaient
les hauteurs. Malgré les difficultés qu'elle avait devant elle, notre cavalerie
n'hésita pas & charger; chasseurs et spahis se précipitèrent sur les cavaliers
du chérif, qui en un instant furent dispersés, laissant trente des leurs sur
le terrain. Le bataillon de Tirailleurs, qui se trouvait & l'avant-garde, avait
mission d'appuyer la cavalerie ; les 5<», 7® et 8® compagnies iiâtèrent le pas et
vinrent prendre position en avant de façon à protéger la retraite de nos esca-
drons; les autres compagnies s'établirent plus en arrière pour être sucoessi-
y^mtui é xoéme de couvrir la coloone pendant son mouveineot rétro^rrade.
Iles que (a cavalerie se fut retirée, (es Kabyles, au norrit^re (Vtavïeoa àix
cents, et ayant à leur tête le chérif avec les quelques cavaliers qui lui restaient,
se ruèrent sur cette arrière-garde. Mais celle - ci soutint vigoureusement le
choc et ne se retira que pas à pas, en combattant toujours, chargeant l'en-
nemi à la baïonnette, et, quand celui-ci devenait trop pressant, l'attirant dans
les embuscades formées parles autres compagnies; en un mot, lui faisant un
mal tel, que dans cette journée les rebelles perdirent au moins autant
d'hommes que dans un combat où touto la colonne se serait trouvée engagée.
A mesure qu'une compagnie arrivait & hauteur du point occupé par celle qui la
précédait immédiatement, elle cédait sa place à celle-ci , de sorte qu'après les
5®, 7* et 8*, ce furent les 2«, 3®, 1^ et 4® qui eurent successivement les hon-
neurs de la première ligne. Après une heure de cette lutte à peu près continuel-
lement corps à corps, lebataillon de Tirailleurs fut relevé par un bataillon delà
l^ion étrangère, qui acheva de disperser les Kabyles, f'eux-ci eurent environ
quatre-vingts hommes tués. Parmi leurs blessés , se trouvait le chérif Mo-
hamed, qui avait eu la mâchoire fracassée par une balle, accident qui porta
une forte atteinte & la réputation d'invulnérabilité qu'il s'était faite pour avoir
plus d'ascendant sur les siens. Le bataillon de Tirailleurs comptait un homme
tué et vingt- quatre blessés. Ce combat était sans contredit l'affaire la plus
sérieuse à laquelle il eût assisté depuis sa formation. Réduit à ses seules res-
sources, il avait su contenir tous les efforts de l'ennemi, et, sous sa pro-
tection, la colonne avait pu opérer sa retraite sans être autrement inquiétée.
Dans son rapport, le colonel Eynard citait comme ayant fait preuve d'une
grande bravoure et d'un grand sang-froid :
MM. Thomas , chef de bataillon .
Sarrauton , capitaine-adjudant-major.
Lapeyrusse , capitaine.
Desporles, lieutenant.
Coulon-Lagrandval , sous-lieutenant.
Mohamed-ben-Belkassem , sergent.
Prévost , sergent-fourrier.
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[1846] EN ALGÉRIE 48
Le 10 , la colonne leva le camp de Sidi-Aîssa et vint s'établir à Téniet-Essouf.
Le môme jour, à peine le bivouac fut-il installé, que le colonel Eynard , laissant
là le convoi sous la garde d^un bataillon , repartit avec les autres troupes, et
vers une heure arriva sur le champ de bataille du 7 juin. L'ennemi, plus
nombreux encore que lors do ce dernier combat , occupait cette fois une forte
position en avant du grand ravin des Oulcd-Amar-ben-si-Alimcd. Los liaulours
de droite, attaquées de front par le 19« léger et tournées par la cavalerie,
furent bientôt enlevées. Pendant ce temps le bataillon de Tirailleurs, qui avait
reçu pour mission de prendre à gauche, de tourner Tennemi si c'était pos-
sible et de se maintenir & hauteur des bataillons du 19^ léger, avait par-
couru environ une lieue sans rencontrer de résistance sérieuse; enfin il se
trouva en face d'une position élevée et vigoureusement défendue. Il l'aborda
résolument, délogea les Kabyles de tous les points où ils cherchaient à tenir
et s'arrêta sur la crête, poursuivant de ses feux l'ennemi qui était alors en
pleine déroute. La k^ compagnie, qui marchait sur le flanc & droite, tirailla
longtemps dans le fond du ravin , où se précipitaient en désordre les bandes
refoulées par les autres troupes, et infligea aux Kabyles des pertes considé-
rables.
La retraite s'opéra avec tout l'ordre possible. Les compagnies furent éche-
lonnées derrière des plis de terrain et, comme après le combat du 7 juin, for-
mèrent successivement l'extrême arrière-garde. Mais l'ennemi, beaucoup plus
maltraité, fut moins agressif. Il essaya bien de s'étendre sur notre gauche,
mais la bonne contenance des Tirailleurs l'arrêta aussitôt dans ce mouve-
ment. A six heures du soir, toutes les troupes étaient rentrées au camp.
Cette journée coûtait au bataillon un homme tué et douze blessés.
Étaient cités dans le rapport du commandant de la colonne :
MM. Montfort,
capitaine.
Fromental ,
lieutenant.
Coulon-Lagrandval ,
sous-lieutenant.
Hasscn-ben - tIadj-Kassen .
do
Mohamed-ben-Amar,
sergent.
Ali-ben-Ghelil,
tirailleur.
Hassein-ben-Hadj-Kassen , d^
Le lendemain , les Amoucha vinrent faire des propositions de paix. Le 12 au
soir, la colonne reprit sa marche, se dirigeant vers les montagnes du Guergour.
Au point du jour, elle arriva devant les villages de Tafreut et de Ksanoussa, qui
l'accueillirent par quelques coups de fusil. Le bataillon indigène reçut l'ordre
de les détruire. En quelques instants cette opération fut exécutée, et les Tirail-
leurs parvinrent même à s'cmparor des troupeaux do l'cnnenii; mais, lorsqu'il
fallut se mettre en retraite, environ deux cents Kabyles se rassemblèrent, et
pendant près d'une heure tiraillèrent avec acharnemetit sur l'arrière-garde,
qui eut cinq hommes blessés.
Le 15, eut lieu une nouvelle marche de nuit dans le but de brûler quelques
habitations et d'obtenir une soumission plus sûre de la part de quelques tribus
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46 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1846]
qui bésitaiont encore. Le bataillon do Tirailleurs, placé à ravant-garde, cou-
vrit cette opération en occupant successivement diverses positions et en tirail-
lant avec l'ennemi , qui se tint ce jour-là & une assez grande distance.
Le 18, un bataillon du 19* léger eut sur l'Oued- Hiroum un engagement
qui lui coûta vingt hommes bors de combat et un oflBcier tué. Le comman-
dant Thomas fîit aussitôt envoyé avec son bataillon pour l'appuyer et soutenir
sa retraite. Comme les jours précédents, les compagnies manœuvrèrent avec
le plus grand ordre; l'ennemi fîit contenu et refoulé à la baïonnette toutes les
fois qu'il devint trop audacieux.
Les 20 et 21 , en protégeant des faucheurs qui étaient allés faire du fou^-
rage pour les chevaux , le bataillon échangea quelques coups de fusil avec les
Kabyles de la fraction des Ouled-Neirrhoumm , mais n'eut personne d'atteint.
Le 22, la colonne, campée sur les pentes du Châbet-Ecorla , ravin limitant &
l'est le pays des Amoucha, leva son bivouac à une heure du matin et se porta
rapidement sur lo territoire des Ouled-Yahia. Au point du jour, elle arriva
devant un terrain excessivement difficile , coupé par un ravin profond , au
fond duquel coulait l'Oued -Berd, torrent alimenté par les eaux et les neiges
du Babor. Là s'étaient rassemblés plusieurs contingents kabyles, appartenant
pour la plupart à ce massif montagneux. Le bataillon de Tirailleurs se trouvait
à l'avant-garde; il reçut l'ordre de fouiller le ravin principal, de détruire les
habitations, de s'emparer des troupeaux, en un mot de faire le plus de mal
possible à l'ennemi. Les l^^ et 2* compagnies furent détachées sur la droite, au
fond de la gorge; les autres s'avancèrent le long des crêtes escarpées qui
plongent sur l'Oued-Berd. D'abord surpris par ce mouvement audacieux, l'en-
nemi prit la fuite , nous abandonnant ses villages ; mais bientôt il se ras-
sembla sur le flanc droit des 3®, 4® et 5* compagnies et, les débordant tout à
fait, se jeta sur l'arrière-garde du bataillon. Prenant alors des positions éche-
lonnées, ces compagnies se retirèrent en combattant et se replièrent sur le
gros du bataillon, qui à son tour rétrograda sur la colonne, qui elle-même était
aux prises avec les Kabyles. Une compagnie de la légion étrangère se trouvait
même dans une situation assex difficile, lorsqu'elle fut dégagée par les 1*^ et
2® compagnies qui, après avoir remonté le ravin qu'elles avaient mission de
fouiller, gravirent les pentes escarpées occupées par l'ennemi, chassèrent
celui-ci, protégèrent une pièce d'artillerie qui fut placée sur ce point, et per-
mirent ainsi à la colonne d'opérer son mouvement de retraite sans être trop
inquiétée.
Cet engagement avait été très vif; l'infanterie, qui seule avait donné, n'avait
pas moins de trente hommes hors de combat parmi lesquels le bataillon de Ti-
railleurs comptait un tué et dix blessés. Son résultat le plus direct avait été de
prouver à l'ennemi qu'il n*y avait pas de terrain qu'il occupât qui ne fût ac-
cessible à nos troupes , et cette considération amena bientôt ce dernier à cesser
une guerre où il subissait des pertes considérables, où il voyait ses campagnes
dévastées, ses villages brûlés et, à mesure que sa résistance se prolongeait,
la clémence du vainqueur devenir plus difficile et plus inespérée.
Seule la fraction des Ouled-Amar-ben-Ahmed persista dans une attitude
dissidente. Le 4 juillet, la colonne vint s'établir à Tabia, au centre de son
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[1846] EN ALGÉRIE 47
territoire. Les 5, 6 et 7, la cavalerie fit du fourrage sans être autrement in-
quiétée que par quelques coups de fusil tirés hors de portée. Le 8, la 8* com-
pagnie, qui protégeait les faucheurs, fut tout à coup attaquée par environ
deux cents Kabyles auxquels elle infligea des pertes sérieuses. Elle eut elle-
même deux hommes blessés.
Le même" jour, la colonne, ayant à peu près terminé sa mission, se mit en
marche vers Touest, passa devant le Chêbet-el-Akrera , immense ravin au fond
duquel coule un torrent qui se rend à la mer, qui n*est pas loin de là, puis se
dirigea vers le massif du Guergour, au milieu duquel elle vint établir son
bivouac. Pendant huit jours elle rayonna dans cette région , recevant les sou-
missions et rimp6t des diverses tribus qui Thabitent. Le 16, elle se remit en
route et, le 17, arriva devant Zamoura, centre d*une population considérable
répartie en une dizaine de villages adossés à une montagne décharnée tenant
au pays des Ueni-Abbès, tribu paisible et industrieuse. La chaleur était de-
venue étouffante et les marches excessivement pénibles; le résultat à obtenir
n'était plus en rapport avec les fatigues à endurer. Après être resté deux jours
devant Zamoura, on se remit en route pour Sétif , où Ton arriva le 21. Là
la colonne fut dissoute et le bataillon do Tirailleurs dirigé sur Constantine.
Le 26, il rentrait dans cette place et, le l*'*' août, les 7« et 8^ compagnies re-
prenaient leur garnison de Bêne.
Le bataillon avait sans désemparer tenu la campagne pendant dix mois.
Durant le cours de cette période, il avait pris part à onze combats, dans
lesquels il avait eu un officier tué, un autre blessé, six hommes tués et
soixante- dix -huit blessés, soit un total de quatre-vingt-six hommes hors de
combat. Partout il s'était trouvé au premier rang et avait hautement justifié
cet honneur; sa réputation longtemps jalousée s'imposait maintenant de telle
sorte, que ce corps, de si récente formation, allait être considéré comme in-
dispensable dnns toutes les expéditions qu'on devait encore diriger dans cette
région abrupte, défendue par une population d'une extrême bravoure : la
Kabylie.
L'est de la province, si tranquille jusqu'alors, s'était légèrement ressenti
du contre-coup des événements qui s*étaient passés dans l'ouest. Un prétendu
chérif s'y était également présenté, mais avait bientôt dû s'enfuir, chassé par
les indigènes eux-mêmes. Les esprits étaient cependant dans une profonde
surexcitation; le 1^' juin, un convoi de malades, qu'on évacuait de Tébessa
sur Guelma , s'étant aventuré dans un douar des Ouled-Sidi-Yahia-bou-Thaleb,
y fut complètement massacré. Dans ce convoi se trouvait un Tirailleur du
bataillon.
La vengeance ne se fît pas attendre; douze heures après, le général Ran-
don, à la tête d'une colonne dans laquelle sejtrouvaient trente Tirailleurs du
détachement de Bônc, atteignit la population coupable, et deux cents Arabes
payèrent de leur tête ce lâche guet-apens. Une contribution de guerre fut
imposée à la tribu, qui livra en outre cinq individus désignés comme les
principaux instigateurs du meurtre du l^*" juin, et qui étaient parvenus à se
soustraire à nos recherches.
Le séjour du bataillon à Constantine ne fut pas de longue durée. Le 20 août,
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48 LE a^" RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l847]
on formait une colonne destinée à châtier les Beni-QuetcU, qui venaient d'as-
sassiner leur ca!d , et il était désigné pour en faire partie avec un bataillon
mixte du 2* et du 31* de ligne et un escadron de chasseurs. D'autres troupes,
parties de Guelma et de Philippeville, devaient participer & cette opération,
dirigée par le général Bedeau en personne. Le premier jour, la colonne de
Constantine alla camper à Châbet-el-Kéroum. Le 21, on arriva au pied des
montagnes de la tribu révoltée. Les 22 et 23 furent employés à vider les silos.
Le 24, on exécuta une razzia sur les Béni -Ahmed, qui avaient recelé les
troupeaux des Beni-Quetclt. Les auteurs de la mort du caïd ayant ensuite été
arrêtés, une forte amende fut imposée à la tribu et les troupes regagnèrent
leurs garnisons respectives. Le bataillon était de retour le 27.
Le 21 octobre, les cinq premières compagnies partirent pour Batna et
allèrent se mettre à la disposition du général Uerbillon , commandant cette
subdivision. Le vrai Bou-Haza, celui qui devait si souvent être aux prises avec
nos postes du sud, venait do paraître dans le Zab, et un certain trouble se
manifestait parmi les oasis du cercle de Biskra. Cependant, le fanatique pré-
dicateur s*étant momentanément éloigné, le calme parut renaître et le général
Herbillon crut devoir renvoyer ces compagnies à Constantine. Elles y arrivèrent
le 27, et pendant les autres mois d'hiver ne quittèrent plus cette garnison , où
elles s'occupèrent activement de leur réorganisation et de leur instruction.
Le 20 mars 1847, tout le bataillon, & l'exception de la 6* compagnie, qui
occupait toujours le fort de Bordj-bou-Arréridj, fit partie d'une colonne en-
voyée de Constantine à Batna pour coopérer & une expédition qui devait avoir
lieu dans le pays des Nemencha. Depuis que nous occupions Tébessa el Biskra,
cette importante tribu protestait de sa soumission en envoyant tous les ans
des députés à Constantine; mais, dans le fait, elle restait indépendante et
n'en continuait pas moins & exercer des actes de brigandage sur les tribus
plus faibles qu'elle et la plupart réellement soumises. Le général Bedeau,
voulant en finir avec ces gens, ordonna au général Uerbillon de se porter au
cœur do leur territoire par l'ouest, en partant de liatna, pendant (|ue le co-
lonel Senilhes, venant de Bône, les cernerait pur le nord tout en surveillant
la frontière de Tunis, et que le colonel Sonnet, parti de Biskra, intercepterait
tous les défilés du sud.
La colonne de Batna, dont le bataillon de Tirailleurs fit partie, se mit en
route le 25 mars, se dirigeant sur Sidi-Abib, où elle arriva le 30. Cette impor-
tante déchera était complètement abandonnée. Les jours suivants, des recon-
naissances envoyées dans toutes les directions trouvèrent la campagne abso-
lument déserte : les Nemencha avaient gagné en toute hâte la frontière de la
Tunisie, et de là s'étaient retirés dans le Sahara. On se mit cependant à par-
courir le pays pour le fouiller dans toiites ses parties. Le S avril, les colonnes
de Béne et de Batna firent leur jonction à Tilizaïn. Un mois se passa encore &
des marches et des contremarches qui n'amenèrent pas d'autre résultat, et,
le 2 nmi, la colonne du général Uerbillon rentra à Batna, laissant celle du
colonel Senilhos au centre du pays pour attendre que l'ennemi , vaimui par
la sécheresse, abandonnât le désert pour venir abreuver ses troupeaux.
Le 4 mai, le bataillon quitta Batna pour se rendre à Sétif, où s'organisait
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[1847] EN ALGÉRIE 49
une autre colonne qui, sous les ordres du général Bedeau, devait se porter
sur Bougie en traversant toute la grande Kabylie. U présentait alors un effectif
de vingt-trois officiers et de cinq cent quarante-sept hommes. Avec un autre
bataillon du 38* de ligne, il forma la brigade d*avant-garde dont le colonel
Eynard reçut le commandement.
La colonne quitta Sétif le 14. Le 16, des renseignements firent croire que
la tribu des Reboulah ferait quelque résistance. A cinq heures du matin, on
se mit en route. Les Tirailleurs étaient à l*avant-garde. Après avoir gravi un
plateau d*où Ton découvrait toute la vallée de l'Oued-Rousselam, la colonne
descendit dans celte vallée, atteignit la rivière et la traversa. A ce moment,
des rassemblements commencèrent à se montrer dans la montagne.
Il était deux heures. Le général 6t masser la colonne, laissa la garde du
convoi à quatre bataillons, et avec les cinq autres se dirigea vers les groupes
hostiles. Le bataillon de Tirailleurs reçut l^ordre d*enlevcr les hauteurs pour
protéger Toccupation des villages. En un instant l'ennemi fut attaqué, délogé,
poursuivi de crèle en crête, pendant que les autres bataillons , pénétrant dans
les villages abandonnés, incendiaient ces derniers et ravageaient les jardins.
Cette journée coûta onze blessés au bataillon.
(lO 17, In marche fut reprise; In colonne se dirigea au nord. IjO 18, elle
traversait le pays des Ouled-Oucrtillan, lorsqu^un rassemblement de mille
à douze cents Kabyles fut aperçu dans la direction de la route à suivre, et qu'un
autre de quatre ou cinq cents apparut à son tour sur la gauche. Laissant au
gros de la colonne le soin de s'occuper de ce dernier, le général se porta en
avant avec les bataillons d*avant-garde et marcha droit au gros contingent.
Ii*ennemi, embusqué derrière les haies, nous résista vigoureusement. Le ba-
taillon fut chargé de le déloger. S*élançant aussitôt sur un chemin étroit que
défendait la masse des tirailleurs kabyles, il aborda la position par deux côtés
à la fois; voyant sa ligne de retraite menacée, Tennemi prit la fuite en tirail-
lant toujours, et fînit par disparaître tout à fait. Dans cette audacieuse opéra-
tion, nous perdîmes M. Bittard- Desportes, lieutenant à la S« compagnie, qui
fut tué glorieusement à la tète de sa troupe, et eûmes en outre cinq tirailleurs
blessés.
Les 19, 20 et 21 mai se passèrent sans incident. Le soir du 21, le camp
fut établi tout près do relui du gouverneur général. Le maréchal Bugeaud,
parti d*Alger, opérait de son côté avec une importante colonne et venait de
soumettre les Beni-Abbès. Le 22, les troupes des deux provinces effectuèrent
leur jonction et firent leur entrée dans Bougie. Le 24, le maréchal passa en
revue la division Bedeau; il investit ensuite plusieurs caïds, puis il s'embar-
qua pour Alger. Le 26 , les deux colonnes se mirent en marche pour se sé-
parer le lendemain : celle d* Alger reprit la route de sa province et celle du
générai Bedeau se dirigea sur Sétif.
Le 31 , en arrivant sur TOued-Rousselam , la colonne de Constanline aper-
çut de nombreux groupes de Kabyles qu'avait rassemblé contre nous un chef
nouvellement investi: Si-Sliman-ben-Adda. Après avoir fait masser son convoi
et l'avoir mis sous la garde de deux bataillons, le général, avec les autres
troupes, se porta au-devant de l'ennemi. Arrivé à six cents mètres, il forma
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60 LE 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1847]
une colonne d'attaque comprenant quatre bataillons, dont celui de Tirailleurs,
et fit tourner la position par le 43<» de ligne et la légion. Ce mouvement fut
exécuté avec une telle rapidité que les Kabyles, débordés de (ouïes parts,
furent à Tinstant rejetés dans le ravin du Rousselam, où les poursuivirent le
bataillon de Tirailleurs et le bataillon du 38*. Leurs pertes furent considé-
rables. Dans le bataillon il n*y eut qu'un ofticier blessé, M. Sarrauton, capi-
taine-adjudant-major. Après deux heures de repos, les troupes vinrent re-
prendre le convoi , et la marche continua vers l'est. Le 5 juin , toute la colonne
rentrait à Sétif.
Depuis longtemps une expédition semblable à celle qui venait d'avoir lieu ,
quoique devant être faite avec des forces moindres, était résolue à l'égard
de Collo. Les tribus qui avoisinaient cet établissement, très incertaines dans
leur soumission, étaient une continuelle menace pour sa sécurité, et il deve-
nait indispensable de parcourir le pays pour y relever le prestige de notre
puissance.
A peine rentré & Sétif, le général Bedeau se mit aussitôt aux préparatifs de
cette nouvelle opération ; une colonne comprenant la plus grande partie des
troupes disponibles de la province fut réunie à Milah et, le 16 juin, il alla
lui-même en prendre le commandement. Le bataillon de Tirailleurs était ar-
rivé au point de concentration le 11, après avoir quitté Sétif le 9 avec un
effectif de vingt-deux ofliciers et cinq cent trente-deux hommes.
Le 17, la division se mit en umrche sur une seule colonne, et arriva chez
les Achèches sans avoir rencontré la moindre résistance. Le 11) eut lieu, chez
les Ouled-Aidoun , un engagement assez vif, mais le bataillon n*y prit point
part, pas plus qu'il ne fut employé à repousser d'autres attaques que les
Arabes de la même tribu dirigèrent sur le camp dans la nuit du 20 au 21 et
dans celle du 21 au 22. Le 24, on arriva à Collo. On y resta jusqu'au 27;
puis, le pays paraissant être complètement pacifié, la colonne reprit la route
qu'elle venait de parcourir. Le 30, les 7® et 8® compagnies quittèrent le ba-
taillon pour se diriger d'abord sur Smendou et ensuite sur Bône. Le 1°^ juillet,
les cinq premières compagnies rentraient à Constantine après une absence de
cent trois jours.
A la suite de cette expédition, les troupes de la province de Constantine
jouirent pendant quelques mois d'une parfaite tranquillité. Le bataillon de
Tirailleurs en avait besoin pour réorganiser ses compagnies et renforcer son
effectif, sensiblement réduit par les fatigues qu'avaient entraniées les nom-
breuses opérations auxquelles il venait de prendre part.
Nommé lieutenant-colonel par décret du 9 octobre 1847, le commandant
Thomas ne tarda pas à quitter ce corps à la formation duquel il s'était con-
sacré. Il laissait au commandant Bourbaki , son successeur, une troupe ani-
mée du plus parfait esprit de discipline, ayant déjà de glorieuses traditions,
comptant de nobles actions dans son passé, donnant les plus belles espérances
pour l'avenir.
M. Bourbaki n'était pas un inconnu pour le bataillon; il y avait servi comme
lieutenant, alors que ce dernier portait encore le titre de bataillon turc. U
sortait maintenant du corps des zouaves, et possédait par conséquent une
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[\BM] BN ALGÉmn: 51
parfaite expérience de rAlgérie , et par suite du soldat indigène. Il apportait
dans le commandement qu'il allait exercer un tempérament bien particulier
de soldat d*une extrême bravoure, d*une indomptable énergie mêlée à un peu
de celte bonhomio dont le maréchal Bugeaud semblait avoir donné le ton aux
chefs de raruicc d*Afrif|uc. Brillant officier dans toute la force du terme, il allait
communiquer aux Tirailleurs celte coquetterie qui ne les a pas quittés depuis,
et qui fut bientôt si légendaire, que ce refrain est resté depuis dans la bouche
de tous nos troupiers d'Algérie :
Et ce chic exquis ,
Par les turcos acquis,
Ils le doivent à qui?
A Dourbaki,
A Charles Itourhnki.
Sous rintelligente et vigoureuse impulsion de ce nouveau chef, si bien fait
pour commander à de tels soldats, les Tirailleurs du bataillon de Constantine
allaient encore faire de nouveaux progrès, acquérir de nouvelles qualités,
ajouter de nouvelles pages à leur livre d'or, s'assimiler de plus en plus aux
autres corps de Tarmée française par leur instruction militaire, tout en restant
d*incomparables éclaireurs admirablement préparés au combat individuel et
à cette lutte de partisans qui allait ôlre le caractère particulier de la dernière
période de la conquête algérienne. Le nom de Bourbaki restera toujours pour
les turcos ce que celui de Lamoricière est resté pour les zouaves, celui autour
duquel se groupent toutes ces vieilles traditions qui s'allient intimement à
riiistoire d'un régiment, et qui deviennent pour lui ce lien magique qu'on
appelle vspnl dv voqïs.
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CHAPITRE VI
(1848)
Opérations dans le fielezma. ~ Expédition de l'Aurès; arrestation de l'ancien bey Hadj-
Ahmed. ^ Expédition de Sidi-Mérouan. ^ Combat des 8 août et % septembre. — Sou-
mission des deux frères Ben-Àiedine. ~ Retour du bataillon à GonstanUne.
La campagne de 1848 s'ouvrit par une expédition chez les Ouled-Soltan.
Bou-Aziz, ancien cheik du Belezma, personnage peu intelligent, mais
que l'influence do son nom pouvait rendre dangereux , avait été longtemps
interné à Batna, pour y être l'objet d'une surveillance particulière. Nul indice
n'étant venu éveiller le moindre soupçon à son égard , vers la fin de 1847 on
lui rendit sa liberté. Au lieu de nous savoir gré de cette générosité, il se mit
aussitôt à fomenter des troubles dans le pays, faisant appel à tous nos
ennemis, réveillant le fanatisme de ces tribus, qui n'étaient pour la plupart
soumises que de nom. On l'écoula volontiers, et bientôt Ahmcd-Sgliir,
kbodja (secrétaire) de Si-el-Bey, caïd des Ouled-ben-Aoun , quitta la smala de
son mattre, et vint se mettre à sa disposition avec environ soixante-dix tentes.
Il importait de réduire ce soulèvement avant qu'il eût pris de la consis-
tance. Le 7 avril , le commandant Bourbaki quitta Constantine avec les cinq
premières compagnies du bataillon pour se rendre à Batna ; là ce détachement
entra dans la composition d'une colonne où se trouvaient en outre six com-
pagnies d'élite du 2« de ligne, un escadron de chasseurs d'Afrique, un pe-
loton de spahis et deux pièces d'artillerie , le tout sous les ordres du colonel
Canrobert.
Le 11 avril au soir, cette colonne se mit en route, et fut, vers minuit,
assaillie par une neige tellement abondante et un froid tellement intense,
qu'on crut un moment que le désastre du 2 janvier 1846, dans les montagnes
du Bou-Thaleb^ allait se renouveler. L'obscurité la plus profonde couvrit
toute la campagne, et, les guides ayant perdu la route, il ne fut plus possible
d'avancer. Quand le jour parut, la neige cessa un peu, et l'on put franchir
la gorge effiroyable par laquelle la route de Sétif débouche dans le délilé do
Batna; enfin on arriva à Aln-Djeina, où l'on attendit le retour du colonel
Canrobert, qui, avec la cavalerie, s'était porté jusqu'au marabout de Sidi-
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[1848] LE 3"" RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE 53
Brahim, où s'étaient réunies les tentes qui avaient abandonné Si-el-Bey. Gés
dernières firent leur soumission. Quant à Ahmed-Sghir, il fut livré le jour
môme par un marabout de la décbera de Guergour, cbez lequel il s'était
réfugié. Le 11 au soir, la colonne rentrait pour laisser passer le mauvais
temps. Elle repartait le 13 pour se mettre à la poursuite des Haliana, qui
s'étaient retirés dans les montagnes. Cette fraction fut surprise le lendemain ,
et, après une vaine tentative de résistance, dut nous abandonner ses trou-
peaux , ses chevaux et ses botes de somme. Le 15, la colonne arriva à Aîn-
Cheddi. Elle parcourut ensuite la plus grande partie du pays des Ouled-
Soltan , arrêta plusieurs perturbateurs , et rentra à Batna le 25 avril.
Plusieurs tribus de TAurès, notamment celle des Beni-Ondjana, refusaient
depuis longtemps de payer l'impôt. Dès que le colonel Canrobert fut de retour
à Batna, le général Herbillon, qui venait depuis peu de prendre le comman-
dement de la province , le chargea de diriger une expédition dans ce pays.
Une colonne comprenant cinq compagnies de la légion, un bataillon du 43*,
les cinq premières compagnies du bataillon de Tirailleurs , un escadron de
chasseurs d'Afrique, un peloton de spahis et trois pièces de montagne, fut
aussitôt réunie, et, le 10 mai, se mit en route pour le territoire des Ouled-
Mncho, où elle arriva le londomnin. Le 12, elle opéra une raxzia chez les
Oulcd-Uachia, fraction des Béni - Oudjana. Le l^i, le camp fut porté sur
l'Oued -Mclagou. Les tentes des Beni-Oudjana se trouvaient rassemblées sur
les bords de cette rivière. Les chefs vinrent au camp en suppliants; leur
soumission fut acceptée. Cependant une colonne mobile, composée du ba-
taillon de Tirailleurs, des compagnies d'élite du 43* et de la compagnie de
voltigeurs de la légion , fut organisée pour parcourir le pays et en imposer
à CCS populations qui n'avaient cédé que devant la nécessité. Le 20 mai, cette
colonne se mit en route et campa à Aîn-Tout, aux sources de l'Oued-Tama-
grat. Le 22, elle s'établit sur les bord de l'Oued -el- Hammam, après avoir
franchi le col de Khenchela. Le 24, elle était de retour au camp, sans avoir
rencontré le moindre rassemblement ni la moindre manifestation hostile sur
tout son parcours. Une journée fut encore consacrée à la perception des im-
pôts, puis la colonne entière se remit en marche et, le 27, arriva à El-
Akbarath. Le 31, elle campa sur l'Oued-Taza, où elle reçut un convoi d'appro-
visionnements de toute nature. Elle descendit ensuite la belle et riche vallée
de l'Oued-el-Abiob, et, le 3 juin, arriva à Menna. Là on apprit tout à coup
le voisinage d'Hadj-Ahmed , l'ancien bey de Constantine.
Depuis longtemps ce chef détrôné s'était retiré dans les Aurès, où il vivait
plutôt en fugitif qu'en chef de partisans. Abandonné de tous les siens, déses-
pérant désormais de se créer un nouveau parti , tous ses soins étaient main-
tenant employés & nous dérober le lieu de sa retraite; pour cela, il s'était
réfugié au village de Kébaîoch , situé dans un des endroits les plus difliciles
de la montagne. Il n'avait exercé aucune action bien directe sur les agitateurs
qui avaient soulevé la province; mais son nom, en servant de mot d'ordre,
pouvait rendre un moment ou l'autre sa présence dans le pays une cause
de troubles, sinon d'insurrection. Déjà une correspondance saisie un mois
auparavant avait amené l'arrestation, à Constantine, de plusieurs person-
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54 LE 3^ RÉOIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1848]
nag08 influents qui clierclmicnl à ourdir uno conspiration en sa faveur. Il
devenait donc politique de s'emparer de sa personne, pour enlever tout
prétexte d'agitation.
Le 4 juin , le colonel Canrobert quitta le camp de Menna à la tête des cinq
compagnies de Tirailleurs, des compagnies d'élite du 43« et de la légion et
de deux pièces d'artillerie , pour se diriger sur Kébaîech. Pendant ce temps,
le commandant de Saint- Germain, avec la garnison de Biskra, interceptait
tous les défilés du sud. Découragé, en voyant découverte une retraite qu'il
avait cru sûre, fatigué de la vie de proscrit qu'il menait depuis la prise de
Constantine, et sur le point de se voir saisi, Hadj- Ahmed résolut de se
mettre sous la protection de la générosité française; il' écrivit au colonel
Canrobert et demanda un oflicier français entre les mains duquel il pût se
rendre.
La petite colonne de marche, partie de Menna dans la matinée du 4, était
à six lieues du camp lorsque le colonel reçut ce message. Quoique rassuré
par les propositions du bey , il ne voulut pas compromettre le résultat de ses
marches pénibles, et résolut de se porter lui-même sur Kebaîech avec une
force respectable. Il prit avec lui la cavalerie, trois compagnies du bataillon
de Tirailleurs, la compagnie de voltigeurs de la légion, et partit è minuit.
Mais , égaré par ses guides, ce petit détachement parcourut un chemin aHreux ;
il descendit une montagne à pic hérissée de quartiers de roche, où les che-
vaux ne pouvaient tenir, et au jour il était encore à quelques heures de Ke-
baîech. On fit halte sur l'Oued-Eriche pour prendre un peu de repos. Là on
apprit qu'IIadj- Ahmed s'était déjà rendu à M. de Saint -Germain. Dans la
soirée, on rallia les deux autres compagnies de Tirailleurs et les deux compa-
gnies d'élite du 43*, qui n'avaient quitté le bivouac qu'à sept heures du
matin. Le 6, la colonne alla camper à Méchounech; le 7, elle arrivait à
Biskra; enfin, le 14, elle rentrait à Batna, où elle fut aussitôt dissoute. En
se séparant du bataillon de Tirailleurs, le colonel Canrobert, s'odressont au
commandant Bourbaki , lui dit : <( Je ne prétomls pus (|uc vos soldats soient
les meilleurs de l'armée française, mais je n'en connais pas qui vaillent mieux.
Avec une troupe comme la vôtre, on peut tout entreprendre, on peut tout
oser. > Ce bataillon et la cavalerie rentrèrent à Constantine le 19, y rame-
nant Iladj-Ahmed, qui fut envoyé à Alger, où on le traita noblement, et où
il mourut au bout d'un certain temps , après avoir presque cflacé , par sa
conduite paisible et la dignité de ses manières, sa réputation de cruauté si
profondément gravée dans l'opinion publique.
Parmi les soumissions qu'avait reçues le général Bedeau l'année précé-
dente, dans son expédition sur Collo, se trouvait celle des deux Ben-Azedine,
Mohamed et Bou-Renou , chefs très influents du Zouagha. Ces derniers ayant
énergiquement protesté de leur dévouement pour la cause française, le gé-
néral avait cru devoir leur laisser leur titre de cheiks, et, en bon politique,
ménager un peu ces personnages, dont l'exemple pouvait entraîner toutes les
populations de cette région montagneuse dans la voie de la pacification. Mais
les deux frères n'étaient pas sincères ; après le départ de la colonne , ils con-
tinuèrent à accorder refuge aux voleurs et aux assassins , et autorisèrent leurs
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[1848] EN ALGÉniE 55
cayalicrs à courir et à piller sur le territoire dos Moulas et des Deni-Tlilen ,
tribus inoircnsivos qui nous payaient régulièrement Timpôt. Les deux caïds
investis par nous en 1847, Férath et Bou-Lakkas, étaient sans autorité;
Tanarchie la plus complète régnait dans le pays.
Justement préoccupé par cet état do choses , le général Herbillon se pro-
posait d*inleryenir avec des forces considérables, lorsque l'arrivée à Milali
d*un autre Ben-Azedine , Bou-el-Âkhas, neveu des précédents , que ses oncles
avaient dépouillé de Théritage de son père, lui fournit le moyen d*opposer une
autre influence à celles des deux chefs rebelles, en même temps que le pré-
texte de défendre un opprimé contre ses oppresseurs. En conséquence, et dans
le but de favoriser les prétentions du jeune Bou-el-Akhas, le général ordonna
qu'une colonne irait s'établir à Sidi-Mérouan, dans un camp qui avait déjà
été occupé l'annéo précédente.
Cette colonne fut placée sous les ordres du colonel Jamin , du 8* de ligne.
Elle était composée d'un bataillon du 8® de ligne, des cinq premières com-
pagnies du bataillon de Tirailleurs avec un eflectif de quinze officiers et cinq
cent quatre-vingt-dix-sept hommes, d'un escadron du 3* chasseurs d'Afrique,
d'un pnloton du 3« spahis et de deux pièces de montagne, en tout à peu près
d(Hi7.o. cents hommes. Elle quitta (]onstnnlino le 3 août, et s'arrêta lo soir
môme à Aîn-Tedjcmouth. Le lendemain elle se porta sur Aîn-Sidi-Mérouan ,
village important, situé au confluent du Rummel et de l'Oued-Eudja. A partir
de ce point, la rivière prend le nom d'Oued-cl-Kébir, et pénètre dans la Ka-
bylie par un étroit défilé formé par les dernières pentes du Zouahra et du
Djebel -Ségou.
A son arrivée, la colonne trouva le village en feu et les collines en arrière
occupées par les cavaliers des Ben-Azedine. Le colonel Jamin fit aussitôt cou-
ronner les hauteurs de droite par trois compagnies du bataillon de Tirailleurs
et deux pièces d'artillerie; en mémo (emps la cavalerie s'avança par la gauche
et chargea vigoureusement celle de l'ennemi, qui fut poursuivie jusqu'à l'Oued-
Eudja. Mais l'approche de la nuit ne permit pas de profiter de cet avantage;
les troupes durent se replier pour établir leur camp, et les Kabyles purent con-
tinuer leur retraite sans être inquiétés.
I^e 5, deux compagnies du bataillon et un escadron de cavalerie remon-
tèrent la rive droite do l'Oncd-Euilja , où so trouvaient, avec leurs troupeaux,
les habitants de Sidi-Mérouan. Ces derniers, qui étaient partis contre leur
gré , demandèrent protection au détachement et rentrèrent avec lui.
Le 7, un escadron, deux compagnies de Tirailleurs et une du 8* de ligne,
allèrent, sous les ordres du capitaine de Torcy, chef d'état-major, fourrager
à la zaouîa de Sidi-Aissa. Au retour, l'ennemi se montra du côté de la rivière
et engagea une fusillade assez vive ave<! l'infanterie; mais une charge vigou-
reuse des chasseurs et des spahis l'eut bientôt délogé. Les trois autres com-
pagnies de Tirailleurs accouraient déjà du camp, au bruit de la fusillade, pour
se mettre à la poursuite des Kabyles, lorsque ceux-ci se dérobèrent en ga-
gnant la rive opposée , où il nous était défendu de les suivre.
Le même jour, un escadron de chasseurs d'Afrique vint augmenter les
forces de la colonne.
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56 LE S"" RÉGIMENT DE TIBAILLEURS ALGÉRIENS [1848]
Le 8, un nouveau fourrage donna lieu à une aiïaire assez chaude. Trois
compagnies de Tirailleurs , qualre du 8* de ligne et six pelolons de chasseurs
s'étaient de nouveau rendus à la zaouîa, sous les ordres du commandant
de Noé. L'ennemi s'attendait à cette opération; ses fantassins, en nombre
considérable, avaient franchi TOued-Eudja et s'étaient embusqués derrière les
escarpements qui bordent la rive droite de cette rivière; sa cavalerie, dissi-
mulée pour le moment, n'attendait qu'une occasion pour nous inquiéter. Le
fourrage se fit cependant en bon ordre, sous la protection de deux compa-
gnies de Tirailleurs, qui engagèrent une assez vive fusillade avec l'ennemi;
mais, dès que le détachement eut commencé son mouvement rétrograde , les
fantassins kabyles se portèrent sur le flanc gauche de la colonne et dirigèrent
sur celle-ci un feu des mieux nourris. Les deux compagnies du 8* leur
furent aussitôt opposées, et la marche continua, malgré la fusillade qui par-
tait des deux rives de l'Oued -Eudja. Les Tirailleurs indigènes formaient l'ar-
rière-garde. Tout à coup, débouchant à l'improvistc, la cavalerie des Ben-
Azedine se précipite sur la section du lieutenant Godinot de Villaire , de la
i^ compagnie , qui se trouve à l'extrême gauche de la colonne. M. de Villaire
n'a qu'une dizaine d'hommes avec lui; il est d'ailleurs séparé du reste de la
route par un pli de terrain ; on ne peut deviner le danger qu'il court. Néan-
moins il soutient vaillamment ce choc; le combat s'engage à l'arme blanche,
et, quoique entourés, les Tirailleurs font bravement face à leurs adversaires,
qui ne peuvent les entamer. Le sergent -major Mouline, qui vient d'être saisi
par son turban , va être entraîné par un Arabe , lorsque , par un vigoureux
effort, ce sous -officier parvient à se dégager, et d'un coup de baïonnette
terrasse son adversaire. Plus loin, c'est le caporal Chalba-ben-Ali, qui se
distingue par un acte d'une rare énergie. Il vient d'être blessé, son sang
coule, et il se bat toujours, encourageant ses hommes à la résistance. Sou-
dain l'un de ceux-ci est atteint d'une balle à la jambe; les Kabyles vont l'em-
porter, ils le tiennent déjà; mais le caporal se précipite, met les Arabes en
îiiite, prend le blessé sur ses épaules et le rapporte au moment où le restant
de la 1*^ compagnie, arrivant au pas de course, dégage enfin la section de
de M. de Villaire, qui aurait fatalement fini par succomber dans cette lutte
par trop inégale.
Cependant le commandant de Noé avait fait arrêter la colonne. Les com-
pagnie du 8* arrivèrent au secours des Tirailleurs, et se précipitèrent sur
l'ennemi, qui prit aussitôt la fuite. On le poursuivit jusqu'à l'Oued -Eudja;
puis la marche fut reprise, et la retraite continua sans être de nouveau in-
quiétée. Pendant ce temps le commandant Bourbaki , resté au camp , effec-
tuait une sortie à la tête de cinquante cavaliers et d'une compagnie de Tirail-
leurs. Il se jeta d'abord sur un parti de cavaliers qui était venu attaquer nos
avant- postes, et culbuta ensuite un gros de fantassins kabyles qui avait pris
position dans le hameau de Sem-Ellil , à une portée de canon du camp.
Cette journée, si glorieuse pour le bataillon, lui coûtait un homme tué et
treize blessés.
Les pertes de l'ennemi avaient été considérables : Férath , un des neveux
des Ben-Azedine, avait été grièvement blessé. On l'avait reconnu, pendant
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[1848] EN ALGÉRIE 57 4k
ralTaire, au burnous rouge que le général Bedeau lui avait donné l'année
Du 9 au 13, il ne se passa aucun événement remarquable. Le 13 au soir,
le commandant Bourbaki, à la tête de trois compagnies du bataillon et d*un
escadron de chasseur» d'Afrique, se porta sur le village d'EI-Amma, avec
mission d*emp6cher Tennomi do venir s'y ravitailler. Quand il y arriva, celui-ci
avait déjà commencé à vider ses silos. Celte opération fut brusquement in-
terrompue, et le détachement s'empara de plusieurs mulets qu*il ramena au
camp le lendemain malin.
Le 14, un fourrage eut encore lieu à la zaouTa de Sidi-A!ssa-ben-Zeid, sous
les ordres du commandant Robuste. Ainsi qu'ils l'avaient fait le 8, les Kabyles
attendirent que la colonne fût en retraite pour l'attaquer. Ils se jetèrent en-
core sur l'arrière -garde, formée par une compagnie de tirailleurs; mais, vi-
goureusement repoussés , ils se bornèrent bientôt à une fusillade à distance
qui n'eut rien de bien meurtrier.
Ce jour-là, ils vinrent encore occuper le village de Sem-Ellil , mais cette
fois avec des forces plus considérables qu'à l'ordinaire. Deux pelotons de
chasseurs d'Afrique, soutenus par une compagnie de Tirailleurs, sortirent du
camp sous les ordres du commandant Bourbaki , exécutèrent une charge à
fond et poursuivirent l'ennemi jusqu'à la rivière. Toute la cavalerie qui reve-
nait du fourrage s'engagea pour les appuyer. L'infanterie s'avança à son tour;
mais les fantassins kabyles, ne voulant pas se laisser aborder, repassèrent
la rivière péle-méle sous un feu très vif qui leur fit éprouver des pertes con-
sidérables. De son côté, le bataillon de Tirailleurs comptait sept blessés , dont
un ofScier, M. de Montalembert , lieutenant, détaché à la 5" compagnie.
Le 17, une reconnaissance fut poussée sur la rive droite de l'Oued-el-Kébir
par une cotnpngnio. du hnlnillon et un escadron do chasseurs. Los Kabyles se
montrèrent en petit nombre et ne se rapprochèrent qu'au moment du pas-
sage de la rivière ; quelques coups de fusil seulement furent échangés, et nous
n'eûmes personne d'atteint.
Le 18, à neuf heures du soir, l'ennemi attaqua la face nord du camp oc-
cupée par les trois premières compagnies du bataillon; quelques forcenés
parvinrent même à se glisser jusqu'à la ligne des avant-postes. Ceux-ci furent
aussitôt renforcés et reliés entre eux par deux compagnies déployées en tirail-
leurs. Repoussés sur tous les points , les Kabyles tiraillèrent encore pendant
quelques instants; puis, voyant qu'on ne daignait même pas leur répondre,
ils se retirèrent tout à fait. Le bataillon avait eu deux hommes blessés.
Le 22, deux compagnies d'élite du 8" de ligne vinrent renforcer la colonne,
qui fut ainsi portée à treize compagnies d'infanterie.
Le 25, une importante razzia fut opérée à Zéroga, village situé sur la rive
droite do l'Oued-Ëudja, à trois lieues du camp.
Le 30 août au soir, c'était la fîn du Ramadan. Les Ben-Azedine en profi-
tèrent pour attaquer, vers neuf heures , les deux faces occupées par le batail-
lon indigène, qu'ils croyaient disirait par la célébration de cette fôte. Mais ils
trouvèrent le service de sûreté fait avec la môme vigilance, et les postes ré-
pondirent aussitôt à leur agression par une fusillade des mieux nourries. En
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58 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1848]
môme temps le commandant Uourbaki se portait avec deux compagnies sur
les faces attaquées, renforçait les grand*gardes et nettoyait complèlement le
terrain. Il y eut au bataillon trois blessés, dont M. Colignon, lieutenant,
remplissant les fonctions d'adjudant-major.
Le 31 , une reconnaissance de cavalerie se porta un peu au delà de Djel-
lamah , où elle détruisit une propriété particulière des Ben-Azedine.
Le 2 seplembre, à neuf heures du soir, une masse d'environ trois mille
Kabyles se porta sur le camp. L'attaque, dirigée d*abord sur une seule face,
ne tarda pas à se dessiner sur toutes à la fois. Tous les postes, et principale-
ment ceux des Tirailleurs, qui paraissaient être les plus menacés, furent aus-
sitôt renforcés. Le nombre des assaillants et la faiblesse de Id colonne néces-
sitant rentrée en ligne de tous les hommes disponibles, le combat devint
bientôt général, et, sur certains points, atteignit à un extrôme acharnement.
Les Kabyles s'excitaient par des chants, les femmes encourageaient les com-
battants par des hourras. Un grand feu, allumé à une certaine distance et
dans un lieu habilement choisi, répandait sur tout le camp une lumière rou-
geâtre, et permettait aux assaillants de voir sans être vus. La fusillade était
des plus vives. L*ennemi, ayant une connaissance parfaite du terrain , s*était
glissé dans les positions les plus favorables, d'où il fallut successivement le
débusquer. Après trois heures de cette lutte, les Kabyles, désespérés par
l'énergie de la défense, se retirèrent. Le lendemain , de larges mares de sang,
qu*on voyait tout autour de nos postes, indiquaient que les pertes des assail-
lants avaient dû être considérables. Celles du bataillon de Tirailleurs s'éle-
vaient à un homme tué et cinq blessés.
Le 3, Bou-el-Akhas-ben-Azedine se mit à la tête des Mouias, et, appuyé par
un peloton de spahis, voulut tenter une razzia sur les Beni-IIaroun , qui four-
nissaient des contingents à ses oncles. Mais celte tribu avait été prévenue et
venait d'être renforcée par soixante-dix cavaliers des Ucn-Azedinc; elle se
défendit vigoureusement, et, les Mouîas n'ayant pu enlever les troupeaux,
qui avaient été mis en lieu sur, tout se borna à rinccnclie de quelques vil-
lages.
Pour seconder cette opération et pour empêcher toutes les troupes des Ben-
Azedine de se porter chez les Beni-IIaroun , le colonel Jamin avait envoyé cent
cinquante chevaux et deux cents hommes fournis moitié par le bataillon de
tirailleurs, moitié par le 8* de ligne, prendre position au-dessus du gué du
Rummel. Ce détachement ne tarda pas à être attaqué sur sa gauche qui se
rapprochait de l'Oued-Eudja. La compagnie de Tirailleurs (capitaine Jolivel)
descendit dans la rivière, y surprit les Kabyles et en fusilla une vingtaine à
bout portant. A ce moment arrivèrent trois compagnies envoyées par le co-
lonel , et la retraite commença , sous la protection d'une charge de cavalerie,
qu'exécuta le commandant de Noé. Refoulé et dispersé, l'ennemi ne songea
plus à nous inquiéter, et les troupes rentrèrent au camp sans être suivies.
Dans cette aiïaire, les Tirailleurs avaient eu trois hommes blessés.
Dans la soirée du 3 , deux pièces d'artillerie vinrent renforcer les deux que
possédait déjà la colonne.
Le 6, la cavalerie étant allé faire du fourrage A Tayer-Mokhou, pour fa-
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[1848] EN ALGÉRIE 59
vorifier sa rentrée, le colonel Jamin fit encore occuper le gué du Rummel
par deux cents Tirailleurs. Quelques hommes de ce détachement passèrent la
rivière et prirent position de l'autre côté du gué. Des fantassins kabyles ac-
coururent vers le point menacé, la fusillade s'engagea, et le combat fut bientôt
très vif en cet endroit. Les cavaliers arabes essayèrent de charger; mais ils
furent victorieusement repoussés. Le fou continua alors de part et d*autrc,
diminuant peu à peu d'intensité, et dura jusqu'à la nuit. Le peloton de cava-
lerie de réserve était venu renforcer les Tirailleurs. Dès que le détachement
du fourrage fut rentré , la retraite commença et s'effectua en bon ordre sans
être beaucoup inquiétée. Dans cette journée, le bataillon comptait un homme
tué et trois blessés.
Le 7, le général Herbillon arriva au camp et prit la direction des opérations.
liC 8, il voulut pousser une reconnaissance dans la vallée supérieure do TOuod-
Kudjn, vers la maison du chcik Mohnmod-bcn-Azcdino. Il prit avec lui les six
compagnies d'élilo du S*^ de ligne, trois compagnies de Tirailleurs, un esca-
dron do chasseurs , le peloton de spahis et deux pièces d'artillerie. Le com-
mandant Bourbaki eut le commandement de ce détachement. On se dirigea
sur le village de Bou-Fouchi; puis, tournant à droite, on arriva au col domi-
nant le village de Djcilomah.
Ce village, centre de la résistance des Ben-Azedine, était situé sur la rive
droite d'un petit ruisseau aflluent de l'Oued-Eudja. La vallée était d'une lon-
gueur peu considérable et allait se rétrécissant jusqu'à devenir un étroit dé-
filé à l'embouchure du ruisseau. Les pentes qui formaient ce défilé étaient
raides, couvertes de taillis et difficilement accessibles à la cavalerie. La position
était fortement occupée. Le général y fit jeter quelques obus qui dispersèrent
les principaux groupes de Kabyles. Profitant de ce moment de stupéfaction
do rcnno.nii , lo coinmnndnnt Bourbaki fit aussitôt avancer deux compagnies
de Tirailleurs, qui s'élancèrent au pas de course et poursuivirent les Kabyles
jus(|u'au delà de la rivière. La cavalerie acheva cette poursuite, et l'ennemi
se dispersa dans toutes les directions, laissant une centaine de morts sur le
terrain. Grâce à la vigueur et à la rapidité qu'ils avaient apportées dans l'at-
taque, les Tirailleurs n'avaient eu qu'un homme tué et un autre blessé. Après
quelques instants de repos, les troupes rentrèrent au camp. La retraite s'ef-
fectua sans combat.
Le 9 septembre, on attaqua la smala de Bou-Renou-ben-Azedine. Le général
Herbillon , à la tôte d'une colonne comprenant le bataillon de Tirailleurs, un
bataillon du ^l^ arrivé la veille, deux compagnies d'élite du 8^, deux obu-
siers et cent cinquante chevaux , exécuta lui -môme cette opération pendant
que le colonel Jamin , avec cinq cents hommes , faisait une démonstration sur
rOued-Eudja. Après avoir traversé cette rivière près de son confluent avec le
Bummel , la colonne d'attaque fut divisée en deux groupes : les Tirailleurs
indigènes, qui formaient l'avant-garde, se lancèrent sur la gauche, le 8°, le
31^ et la cavalerie se portèrent directement sur la smala. Avec sa vigueur ac-
coutumée, le bataillon aborda les hauteurs qui dominaient cette dernière, et
en un instant eut occupé toutes les crêtes. Mais sur les autres points le suc-
cès était moins rapide ; la fusillade était devenue très vive, et la lutte menaçait
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60 LE 3® RÊOIBIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE [1848]
de prendre une certaine intensité, lorsque l'intervention de l'artillerie, suivie
d'un mouvement en avant de toute Tinfanterie , décida enfin Tennemi à la
retraite. La smala fut enlevée et incendiée , le jardin des Ben-Azedine détruit.
Dans cette affaire, le bataillon de Tirailleurs avait eu quatre hommes blessés.
Ce dernier combat amena la complète soumission des rebelles. Les Ben-
Azedine payèrent une forte amende et durent rendre les biens de leur neveu
Bou-el-Akhas-ben-Azedine.
L'expédition était terminée : elle avait duré plus d'un mois et donné lieu
à dix combats, dans lesquels le bataillon avait eu quatre hommes tués, deux
ofQciers et trente -neuf hommes blessés , soit quarante-cinq hommes hors
de combat. Il est à remarquer qu'il avait presque toujours été le premier et
le seul engagé. C'est que, dans cette lutte sur un terrain particulièrement
difficile, cette troupe avait une aptitude tout à fait spéciale pour atteindre
rapidement l'ennemi partout où ce dernier se trouvait. De plus, la fièvre
avait sévi sur la colonne avec une rigueur telle , que les bataillons d'infan-
terie de ligne se trouvaient considérablement affaiblis par le nombre toujours
croissant de leurs malades. Les Tirailleurs, sous l'habile et vigoureuse direc-
tion du commandant Bourbaki , avaient fait face à tout, et lorsque le général
Herbillon était arrivé avec d'importants renforts, les opérations étaient déjà
très avancées et le succès presque assuré.
Le 12 septembre, la colonne fut dissoute, et le bataillon se mit en route
pour Constantine, où il arriva le lendemain.
Pendant que la portion principale avait opéré en Kabylie , les détache-
ments de Bordj-bou-Arréridj et de Bône n'avaient pas quitté leurs garnisons,
aux environs desquelles la plus parfaite tranquillité régnait alors. Cette tran-
quillité devint bientôt générale, et l'année 1848 se termina sans autre expé-
dition.
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CHAPITRE Vil
(4849)
ExpédiUoD de Kabylie. — Combat du 21 mai. — Rentrée à Goostantine.
Siège de Zaatclia.
Malgré les fréqiicnlos incursions dont la Kabylio était dovonue lo théétro
de la part de nos troupes , cette région était moins soumise que jamais. Les
difOcultés du sol, le fanatisme de la population, le peu de pays que la len-
teur des opérations* dans une semblable contrée permettait de parcourir à
chaque nouvelle campagne, étaient autant de causes qui «'ajoutaient aux
efforts des nombreux perturbateurs qui ne cessaient d'entretenir ches ces
tribus belliqueuses un souffle d'indépendance et d'insurrection.
Chaque année, ces prétendus envoyés du prophète étaient nombreux; mais
des dissidences ne manquaient jamais de surgir entre eux , et leur influence
ne s'étendait guère au delà d'une tribu; elle était même souvent des plus
éphémères, car les événements se chargeaient vite de mettre à nu l'imposture
de ces missionnaires divins.
Au commencement de 1849, un nommé Ahmed-ben-Abdallah-ben-Dja-
mina parut au sein des tribus des environs de Collo, et tenta de les soulever.
Pour agir sur les populations crédules et fanatiques de cette région , il disait
avoir reçu de Dieu le pouvoir de faire tomber les murailles des villes, et de
changer la poudre en poussière. En peu de jours il eut autour de lui un
nombre considérable de croyants; à ce groupe de religionnaires vinrent
bientôt s'ajouter les mécontents de toute sorte, et l'insurrection prit une
certaine gravités
Le 28 avril , on apprit tout à coup à Constantine que Ben-Djamina s'était
avancé jusqu'à Souk-el-Scbt, et menaçait la route de Philippeville avec un
rassemblement qu'on disait être une véritable armée. La surprise fut telle,
qu'on crut un moment que Constantine lui-même allait être attaqué. Un
peloton de spahis fut aussitôt envoyé pour reconnaître l'ennemi. Le même soir,
le bataillon de Tirailleurs fut réuni et bivouaqua par compagnie, se tenant
prêta partir au premier signal. Le 29, on acquit la certitude que le danger
était plus apparent que réel : Bou-Djamina se contentait de menacer El-
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62 LE 3» RÉOmBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1840]
Arrouch, qui n'était défondu que pur une fuiblu gurnitfou, luuii» qui était ce*
pendant assex fort pour résister à un ennemi dépourvu d'artillerie. A six
heures du soir, le bataillon de Tirailleurs se mit précipitamment en marche
pour aller renforcer ce poste; mais le lendemain, en arrivant à Smendou,
le commandant Bourbaki apprenait que Tattaquo avait eu lieu la nuit môme,
que Bou-Djamina avait été repoussé et avait pris honteusement la fuite, don-
nant à ses plus fidèles la preuve de son impuissance.
Le 30 au matin , le général de Salles arrivait à son tour à Smendou , à la
tête d'un bataillon du S^ de ligne et d*une batterie de montagne. Laissant
là le bataillon du 8*, il continua, avec le bataillon de Tirailleurs et l'artillerie,
sa route jusqu'à El-Arrouch. Le 2 moi , le bataillon du 8* ayant rejoint, le
général alla, avec deux bataillons d'infanterie, deux pièces de montagne et
deux escadrons de cavalerie, s'établir à Roberville. Ben-Djamina avait dis-
paru. Après qu'on eut imposé une lourde contribution de guerre aux tribus
qui avaient prêté main-forte à cet agitateur, la colonne rentra à Constantino,
où elle arriva le 7 mai.
Cette opération avait relégué l'insurfecliôn dans les montagnes , mais ne
l'avait pas étouffée. La situation conservait encore une certaine gravité; toutes
les tribus du cercle de Philippeville avaient pactisé avec le chérif rebelle, et
l'influence de notre caid Saoudi, personnage dans le<iuel on avait la plus
grande confiance, venait d'être complètement méconnue par une partie de son
goum, qui avait fait défcctiou au moment du combat. On savait, à n'en pas
douter, que les deux frères Bcn-Azcdine, Mohamed et Buu-Henou, n'étaient
pas étrangers à ce désordre, ou que du moins ils ne mamiuoraicnt pas d'en
profiter pour attaquer et dépouiller les tribus soumises à notre autorité.
En prévision de ce qui pouvait se produire , le bataillon de Tirailleurs re-
partit le 8 de Constantine, et se porta à Smendou, où il resta jusqu'au 12.
En même temps le général Herbillon s'occupa d'organiser une colonne
destinée à marcher sur le premier point où le danger se révélerait. Cette
colonne comprit un bataillon d'élite formé de trois compagnies de la légion
étrangère, le bataillon de Tirailleurs (six compagnies), un bataillon du SS**
de ligne, deux escadrons de chasseuri d'Afrique, un escadron de spahis, une
batterie et demie d'artillerie et une compagnie du génie.
Le 18 mai, ces troupes quittèrent Constantine, et, le lendemain, après
une marche rendue très fatigante par le sirocu, qui couvrait la uiontugiic
d'un nuage de poussière, elles arrivèrent à Milali. Lo 2U mai, elles allmnt
prendre position sur la rive droite de l'Oued-el-Akahal. Le soir de ce même
jour, le général Herbillon , avec deux escadrons de cavalerie appuyés par
trois cents Tirailleurs, se porta sur llahadjas, où se trouvait la maison du
cheik Mohamed -ben-Azedine. Quelques cavaliers arabes postés sur les hau-
teurs se bornèrent à observer ce détachement sans l'inquiéter.
Le 21 , on se mit en marche sur trois colonnes pour pénétrer dans les mon-
tagnes. Le bataillon de Tirailleurs forma la colonne do gauche. A dix heures
on arriva à Béinen , très bonne position où le campement fut établi. A onze
heures on vint prévenir le général qu'il lui serait facile d'atteindre des trou-
peaux se dirigeant du côté des Beni-Mimoun.
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[1849] RN ALGÉRIR 63
Une petite colonne, comprenant sept compagnies, dont trois de Tirailleurs
(2<', 5* et 8«), fut formée à l'instant et, vers deux heures, quitta le camp
sous les ordres directs du général, et se dirigea à travers des sentiers impra-
ticables sur le territoire dos Beni-Mimoun. Bou-Uenou-bcn-Azedinc comptait
tellement que nous n'oserions jamais nous engager dans la montagne de celte
tribu, qu'il y avait rassemblé toutes ses richesses. Celte montagne était, en
eflet, une position défensive du premier ordre : complètement isolée par deux
torrents formant tout autour des ravins de quarante à cinquante mètres de
profondeur, auxquels ne donnaient accès que quelques étroits sentiers cachés
par les plantes et par les herbes, hérissée de rochers abrupts, coupée de
gorges inabordables, elle se présentait au premier abord comme un obstacle
devant le(iuel la valeur de nos soldats devait fatalement échouer.
Lorsque l'avant- garde de la colonne arriva devant le fosse naturel formé
par le raviu principal , elle se trouva en face du guum de Bcn-Azcdino, dont
une partie avait traversé la rivière. L'action s'engagea aussitôt; tous les
efforts de l'ennemi tendirent à nous défendre l'accès du seul passage réelle-
ment praticable pour nous. Mais le commandant Bourbaki , après une recon-
naissance minutieuse , venait de découvrir les petits sentiers serpentant dans
les rochers. Il demanda au général la permission de s'y engager avec ses
trois compagnies; elle lui Tut accordée. Le mouvement commença par la
2* compagnie (capitaine Taverne); les aulres suivirent immédiatement.
Reçues par une vive fusillade , elles continuèrent leur route sans y ré-
pondre, et débouchèrent bientôt sur la rive opposée. Dès lors, la position
était non seulement tournée , mais le goum de Ben-Âzedine n'avait plus de
retraite possible, pris qu'il était entre le gros de la colonne, les Tirailleurs
et des pentes rocheuses qu'il fallait renoncer A gravir. Les cavaliers firent le
sacrifice do leurs chevaux , et tout ce monde chercha à se sauver dans les
broussailles du fond du ravin , où le plus grand nombre succomba sous les
balles de nos soldats. La nuit approchait ; il fallut rallier la colonne pour la
ramener au camp. Elle avait fait un butin considérable en moutons, bœufs,
mulets, chevaux, dont quelques-uns très richement harnachés. Les Tirail-
leurs reçurent, pour ce beau coup de main, tous les éloges du général Her-
billon. Les pertes s'élevaient A un ofSciertué, M. Mohamed-ben-Rabah-el-
Aîdouna, sous-lieutenant , et à huit hommes blessés.
Le résultat de cette brillante afiaire fut la soumission de presque toutes les
tribus du Zouagba. Les journées suivanles, jusqu'au 25, furent employées
à l'organisation du pays. Le jeune Bou-el-Akhas , neveu des Ben-Azedine, fut
nomme chcik delà région, en remplacement de ses oncles, destitués tous les
deux. Le 25, oiî alla camper à Taïna dans les Ahrès; le 27, le bivouac fut
établi à Mdzej-Tobbal , et le 26 à Sidi-Mérouan.
Les Beni-Mimoun , considérant celle retraite comme un succès, et persuades
que la colonne s'éloignait définitivement, s'élaient empressés de donner asile
aux Ben -Azedine, revenus au milieu d'eux. Mais, à l'annonce de cette nou-
velle, le général retourna sur ses pas, et, le 30, porta son camp à Fedjel-el-
Akdel , au centre du Zouagha.
Le i^*' juin , un fourrage fut fait sur les bords de l'Oued-Faraz , affluent de
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64 LE 3* RÊGIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1849]
gauche de l'Oaed-el-Kébir. Placés de Tautre côlé du raviu, les Uoni-Mimouii
tiraillèrent pendant toute la durée de cette opération et blessèrent trois
hommes au bataillon de Tirailleurs.
Le 2, les rebelles, ayant reçu quelques renforts amenés par Bou-Renou-ben-
Azedine , voulurent tenter une attaque sur le camp. Vers six heures du soir,
on les vit en grand nombre gravir la montagne au sommet de laquelle ce
dernier était établi ; on les laissa approcher jusqu'à trois cents mètres ; à ce mo-
ment quatre compagnies de Tirailleurs, désignées par le général , s'élancèrent
sur eux au pas do course, cl en un instant lout ce rassciiililcnient fut dis-
persé. Les Kabyles disparurent, et pendant la nuit qui suivit il n*y eut pas un
seul coup de fusil tiré sur nos avant-postes.
Le 3 au matin, une forte partie des troupes descendit sur le bord de la
rivière pour attaquer la position des Beni-Mimoun. Trois groupes furent
formés; le bataillon de Tirailleurs, chargé de l'attaque proprement dite, de-
vait traverser le ravin et continuer à marcher en poussant Tennemi devant
lui jusqu'à ce qu'il eût fait sa jonction avec le bataillon d*élite qu'il avait sur
sa droite et celui du 38* sur sa gauche. Mais les Beni-Mimoun n'opposèrent
qu'une molle résistance, et commencèrent à prendre la fuite avant que les
colonnes des ailes eussent terminé leur mouvement. Les Tirailleurs, lancés
au pas de course, remontèrent le ravin qui sépare les Beni-Mimoun des Béni-
Akkas , essuyèrent d'abord une assez vive fusillade , puis se mirent à la
poursuite de l'ennemi avec une telle rapidité , que cette poursuite se trans-
forma bientôt en une véritable chasse à courre, où, malgré leur agilité, les
Kabyles éprouvèrent encore des pertes considérables. Les compagnies se ral-
lièrent sur l'arête d'un des derniers contreforts du Zouahra. A une faible
distance on apercevait la mer^ pour la première fois la route de Djidjelli était
ouverte. Le général, ne voulant pas perdre les avantages de sa position cen-
trale, revint sur ses pas, et, le soir , les troupes qui avaient pris part à cette
opération reprenaient leur place dans le camp.
Cette journée coûtait six hommes blessés au bataillon de Tirailleurs.
La leçon infligée aux Beni-Mimoun avait été suffisante; le lendemain ils
vinrent faire leur soumission , entraînant à leur suite toutes les tribus qui
n'avaient pas encore payé l'amende qui leur avait été infligée. Bou-Renou-ben-
Azedine s*était enfui chez les Ouled-Abebi; le cheik Mohamed s*était réfugié
chez les Beni-Akkas.
Le S, la colonne revint à Sidi-Mérouan ; le 6, elle campa à Bou-Nouara ,
le 7, sur les bords de l'Oued -Hekressel, et le 8, à Souk-el-Sebt. Ce jour-là
le général , voulant châtier les Ouled-Hadj et les Beni-Sbiche pour leur parti-
cipation à l'attaque d'EI-Arrouch, envoya le bataillon de Tirailleurs pour
s'emparer des troupeaux de ces tribus. Mais ceux-ci avaient été abandonnés
dans les fourrés, et il fallut fouiller tout le pays pour en réunir la principale
partie.
Le 9, deux bataillons du 43', sous les ordres du lieutenant -colonel de
Tourville, vinrent se joindre aux autres troupes de la colonne. Le 10, le gé-
néral Herbillon, à la tête du bataillon de Tirailleurs et du bataillon d*élite,
remonta la vallée de l'Oued -Schessa et rentra par les crêtes, ramenant au
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[1849] EN ALGÉRIE 65
camp un grand nombre de troupeaux. Le 13, le bivouac fut porté à Djenen*
el-Anab; le 14, à Roussa-el-Youdi sur les bords de TOued-el-Rehasse. On
resta là deux jours pour recevoir la soumission des Beni-Toufout. Ces derniers
n*ayantpayé qu'une partie do Tamende qui leur avait été imposée, le 17 la
colonne se porta à Tsomelout.
Ce mouvement n'était qu'une feinte; le lendemain , au moment où les Béni-
Toufout devaient le croire loin de leur territoire, le général Herbillon revint
brusquement sur ses pas, fit fouiller par le bataillon indigène la riche vallée
de Karoubah et s'installa au centre du pays, d'où, les jours suivants, il dirigea
des colonnes volantes qui dissipèrent les derniers symptômes de résistance.
Le 22, une partie des troupes passa la journée à Collo, pendant que le géné-
ral , avec le bataillon de Tirailleurs et celui du 38*, allait châtier les Beni-
Ishac. Cctlo tribu no résista mémo pas; seuls, quelques fanatiques vinrent
tirailler sur le détachement, au moment où celui-ci se mettait en retraite, et
blessèrent deux hommes du bataillon indigène. Le 25, on arrivait à El-Arroucb,
et, le lendemain, le bataillon de Tirailleurs et la cavalerie rentraient à Cons-
tantine, en faisant tout le trajet en une seule étape.
Ainsi se termina cette insurrection, qui avait d'abord paru si menaçante,
dont on s'était si fort inquiété au début, et qui no fut au fond qu'un effort
décousu commencé par un fanatique et poursuivi par deux intrigants. Grâce
aux promptes mesures prises par le commandement, la révolte fut circonscrite
dans un cercle assez étroit, où elle fut bientôt étoufiée.
Quant à ceux qui l'avaient provoquée , Ben-Djamina et les frères Ben-Azedine,
ils eurent tous les trois le sort qu'ils méritaient : Ben-Djamina fut tué dans
une petite affaire par nos Arabes auxiliaires; les frères Ben-Azedine durent
définitivement quitter le pays où ils avaient toutes leurs propriétés, toutes
leurs richesses, et laisser l'autorité qu'on leur avait imprudemment maintenue
à Bou-el-Aklias, leur neveu.
Un autre soulèvement, qui allait avoir le sud de la province pour théâtre
et qui se présenta d'abord sous un aspect bien moins inquiétant, devait ce-
pendant être autrement sérieux. Nous voulons parler de l'insurrection de
Zaotcha.
SIEGE DE ZAÂTGHÂ
Zaatcha est une oasis située au sud-ouest de Biskra , dans la partie méri-
dionale des Zibans, vaste région s'étendent à environ deux cent quarante
kilomètres au sud de Constantine, cent vingt de Bou-Saâda, quatre cents
d'Alger, et qui se trouve limitée au nord par une chaîne de montagnes qui ne
présente, de l'est à l'ouest, que deux défilés par lesquels les nomades, lors
des émigrations annuelles, pénètrent du Sahara dans le Tell, pour y échanger
contre leurs produits les denrées qu'on ne trouve pas en quantité suffisante
5
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6G LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1849]
dans le désert. Ces défilés sont : Ël-Kanlara , sur la roule de Itatiia à Uiskni|
et Ngaous à l'ouest, chez les Ouled-Soltan, dans le bassin de TOued-Barika.
11 existe bien un troisième passage du Sahara dans le Tell , plus à l'est : c'est
celui de Khencbela; mais il sert principalement aux tribus de l'est, limi-
trophes de la région de Tunis, et non aux nomades des Zibans. Tout ce pays
avait été, sinon soumis, du moins parcouru en 1844 par les colonnes du duc
d'Âumale; Uiskra, l'oasis la plus importante de la contrée, avait été occupée
dans les circonstances que l'on sait par le bataillon de Tirailleurs indigènes,
et était devenue le centre d'un cercle dont le commandement su)>érieur avait
été confié au commandant Thomas, puis au commandant de Saint- Germain,
qui Texerçait encore au début des événements qui vont se -dérouler. Ce cercle
relevait de la subdivision de Batna qui, pendant trois années, de 1845 à 1848,
avait été administrée par le général Herbillon. Ce dernier avait fait de nom-
breuses incursions dans le Sahara; aidé par notre cheik el-arab Bcn-Ganah,
il avait parcouru les oasis les plus considérables, avait reçu leur soumission,
et, depuis Biskra jusqu'à Tuggurt, la tranquillité la plus parfaite semblait
régner, lorsque tout à coup, au moment où les tribus de CoUo et celles du
Zouagha prenaient les armes contre nous, une certaine agitation commença
à se manifester. Elle était provoquée par un nommé Bou-Zian, ancien cheik
du Zab-Dahari sous Âbd-el-Kader, personnage riche et influent, qui , mécon-
tent de n'avoir par été employé par l'administration française , crut le moment
favorable pour mettre à exécution ses projets de vengeance. Il alUrma que le
Prophète lui était apparu, lui prédisant l'extermination des Français et le
triomphe des vrais croyants, et essaya ainsi de réveiller le fanatisme de ses
coreligionnaires. 11 y réussit pleinement.
Cependant l'insurrection n'en était encore qu'à un étal de sourde fermen-
tation , et pouvait être enrayée par des mesures énergiques. M. Seroka, officier
des bureaux arabes, fut envoyé à Zaatcha pour arrêter les perturbateurs.
En arrivant dans le village, il trouva Bou-Zian seul sur la place. Il ordonna
à l'ancien cheik de le suivre ; mais les habitants étaient accourus, s'étaient
ameutés, et au lieu d'emmener son prisonnier, M. Seroka n'eut que le temps
de songer à sa propre sécurité. H ne s'échappa que par miracle, en essuyant,
lui et les quelques spahis qui l'accompagnaient, plusieurs coups de feu qui
heureusement ne les atteignirent pas.
Biskra était alprs dégarni de troupes; on ne put envoyer contre Zaatcha
que vingt spahis et trente cavaliers du goum, sous les ordres du lieutenant
Dubosquet. Ce détachement trouva les portes fermées et ne put pénétrer. 11
revint sur Biskra. Il fallait maintenant attendre que le nord de la province
fût pacifié pour pouvoir agir avec des forces suffisantes. Hais ces deux tenta-
tives infructueuses avaient tout à coup donné une importance extraordinaire
à Bou-Zian. Si«Moktar, marabout des Ouled-Djelled , et Si-Abd-el-Afid , autre
personnage non moins influent, s'étaient joints à lui; tout l'Aurès était en
insurrection.
Le 17 septembre, Si-Abd-el-Âfid , à la tête de nombreux contingents, vint
établir son camp à Sériana, à vingt kilomètres de Batna. Il espérait ainsi sou-
lever tout le Zab.
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[I84fl] EN ALGÉRIE 67
En présence de celle agitation croissante, M. de Saint -Germain n'hésita
pas: il sortit de Biskra avec trois cents hommes de la iégion étrangère, cent
vingt-cinq chevaux du S*' spahis , deux cents autres du goum , mit en pleine
déroute les Arabes de Si-Âbd-el-Âfid , mais malheureusement fut tué au milieu
de son succès.
Malgré ce brillant combat les populations restèrent inquiètes, et Tannonce
de Tarrivée d*une colonne française produisit peu d'eflet. Les marabouts con-
tinuèrent à prêcher la guerre sainte, la question de Timpôt fut habilement
exploitée, les anciens agents d*Abd-el-Kader se mirent à parcourir le pays,
tout fut mis en œuvre pour organiser dans cette oasis , qui n*avait jamais pu
être occupée par les bey s , une résistance capable d'arrêter Tarmée française
elle-même.
IjC 22 septembre, la colonne destinée à opérer contre Zaatcha fut réunie au
Coudiat-Aty. Elle comprenait, comme infanterie, un bataillon du 8* de ligne,
deux bataillons du 43*, un bataillon de chasseurs à pied et le bataillon de
Tirailleurs indigènes.
Le 24 , elle se mit en route, sous les ordres du colonel Dumontet, du 43*, et
arriva à Batna le 27. Là elle fut rejointe par le général Herbillon et la cava-
lerie. Le 4 octobre, elle arrivait à Biskra et s'y renforçait d'un bataillon de
la légion étrangère. Le 7, à neuf heures du matin , elle se trouva enCn en face
de Zaatcha et de Lichana. Elle avait laissé à Test l'oasis de Bou-Chagroun,
qui n'est qu'à un quart d'heure de Zaatcha.
Toute la partie de l'oasis qu'on pouvait apercevoir était entourée d'Arabes,
qui regardaient tranquillement défiler nos troupes, sans paraître le moins du
monde effrayés de ce déploiement de forces. Quand toute la colonne se trouva
réunie, elle présenta un effectif de quatre mille cinq cents hommes. C'était
peu pour In développement qu^allnit avoir notre ligne d'attaque.
A cette époque, Zaatcha était un immense bouquet de palmiers, six ou
sept fois plus long qu'il n'était profond. Le village ressemblait à une vraie
place de guerre : des tours carrées s'élevaient de distance en distance, reliées
entre elles par des maisons percées de petites ouvertures triangulaires, desti-
nées à la dessication des dattes, et qui allaient être transformées en véritables
créneaux. Un chemin de ronde bordait un fossé d'une largeur moyenne de six
mètres, et d'une profondeur variant entre un et deux mètres. Ce fossé était
plein d'eau. On pénétrait dans l'enceinte par un pont en pierre. Les rues
étaient très étroites; les maisons avaient des entrées très basses et communi-
quaient entre elles au moyen de terrasses.
Vis-à-vis de l'oasis, à peu près à sept à huit cents mètres, se trouvent des
hauteurs qui sont la continuation d'une chaîne qui , depuis Biskra jusqu'à
Zaatcha, borde la route et pourrait en quelque sorte servir de guide. A envi-
ron cinq cents mètres de là, contre Toasis et vers le milieu de sa longueur,
existait alors une zaouîa composée d'un groupe de maisons dominé par un
minaret assez élevé.
lia colonne fut arrêtée sur les hauteurs dont nous venons de parler. Aus-
sitôt qu'elle y fut installée, le général ordonna au cheik Ben-Ganah de réunir
ses goums et de faire le tour de l'oasis par le sud, pendant que la cavalerie,
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68 lE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l849]
appuyéo par lo balaillon inJigènû, so porterait entre Zuatclia et ïolga, avec
mission d'empêcher les gens de celte dernière oasis de venir en aide à leurs
voisins. En même temps, l'artillerie se mit en batterie et commença à tirer
sur la zaouia, où devait être établi un dépôt de tranchée.
Le bataillon de Tirailleurs , désigné pour seconder le mouvement de notre
cavalerie, alla s'établir entre l'oasis de Parfar et celle de Tolga. Ces oasis
étaient pleines de défenseurs qui , en entendant la fusillade, cherchèrent à venir
en aide à leurs frères de Zaatcha; mais, vigoureusement maintenus, ils durent
se résigner à ne prendre aucune part à la lutte qui avait lieu sur un autre
point. A quatre heures du soir, le bataillon rentra au camp : il n'avait eu aucun
homme atteint. Pendant ce temps, le colonel Carbuccia avait donné l'assaut
à la zaouia avec les deux bataillons du 43«, et s'en était emparé sans ren-
contrer de résbtance bien sérieuse. Malheureusement nos soldats s'égarèrent
ensuite dans les jardins, subiront dos pertes considérables, et durent se re-
plier, laissant plusieurs des leurs entre les mains do l'eunenii.
Dans la nuit du 7 au 8 octobre, l'artillerie construisit, à environ soixante-dix
mètres en avant de la saoula, l'emplacement d'une batterie qui fut armée de trois
pièces. A dix heures du matin, cette batterie ouvrit son feu; mais on ne put
juger de l'effet de ses coups que par le nuage de poussière que soulevait chacun
de ses projectiles. Tout à coup on aperçut quelques lézardes. Ces dernières
paraissaient assez grandes; peut-être la brèche était-elle déjà praticable.
Guidé par cette espérance, le général lit appeler le commandant Bourbaki,
et le chargea d'aller avec son bataillon reconnaître le véritable état des
choses.
A onze heures, le bataillon fut réuni à la batterie; soudain celle-ci cessa son
tir, et le conmiandant Bourbaki, avec les 1>^, 2« et 3» compagnies, se porta
vers la droite, dépassa les tirailleurs du 43®, qu'on avait placés pour couvrir
l'abattage des palmiers, et reconnut que de ce côté la muraille était endom-
magée dans sa partie supérieure, mais ne présentait cependant pas un pas-
sage suffisant pour pcriiiettro do donner un assaut immédiat. Se jetant ensuite
sur la gauche, il arriva jusqu'au fossé, que quelques Tirailleurs tentèrent en
vain de traverser. Accueillies par un feu violent, les compagnies durent alors
chercher un refuge dans les jardins. Là ce qui s'était produit la veille pour
le 43® se renouvela : les hommes , ne pouvant plus être surveillés par les
chefs, se dispersèrent dans des dédales impraticables, et engagèrent une lutte
où ils furent superbes de bravoure, mais qui devait fatalement se terminer à
leur désavantage, l'ennemi demeurant invisible. Il fallut se retirer. Dès que
ce mouvement de retraite eut commencé, les Arabes sortirent de tous côtés
pour essayer de déborder le bataillon; mais celui-ci, faisant un vigoureux
retour offensif, se précipita sur ces bandes acharnées , les culbuta , les rejeta
dans le village, leur infligea des pertes considérables et leur arracha un ofû»
cier qui venait d'être blessé, M. Déjoux, sous -lieutenant, ainsi que le corps
d'un Tirailleur tué.
Les Tirailleurs avaient sur-le-champ pris leur revanche d'un échec momen-
tané; mais cette journée n'en avait pas moins été sanglante pour eux. Outre
M. Déjoux, le bataillon comptait encore un oflBcier blessé, H. le capitaine Ta-
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[1849] EN ALGÉRIE 69
▼erne. Ce dernier avait été admirable de courage et de sang -froid : atteint
d'une balle dans le ventre, il n'avait pas cessé de diriger sa compagnie, qui,
électrisée par un tel exemple, avait elle-même accompli des prodiges. Le
nombre des hommes hors de combat s'élevait à trente-sept, dont cinq tués et
trente-deux blessés. Quoique abrités, les Arabes n'avaient pas été sans être
également éprouvés; mais, comme chcs eux les morts et les blessés étaient
immédiatement remplacés par des hommes valides, les pertes qu'ils avaient
subies ne pouvaient les affaiblir.
Cette infructueuse tentative d'attaque de vive force avait du moins démon-
tré l'inutilité et le danger de tout nouvel effort de ce genre. Aussi fut «il dès
lors décidé qu'on ferait un siège en règle. De nouvelles batteries furent éta-
blies, et le génie entreprit des travaux de défilement devant permettre aux
assaillants de se rapprocher de la place. Avec ces travaux commença un ser-
vice de tranchée et de grand'garde très fatigant pour les troupes , qui n'eurent
plus qu'une nuit de repos sur deux.
Le 12, le colonel de Barrai, qui venait de parcourir les environs de Bou-
SaAda, arriva avec une colonne de mille cinq cents hommes, comprenant
un bataillon de xouavcs, un autre du 38^ de ligne, la 6^ compagnie du ba-
Ifiillon fin Tirailleurs et do In cnvaleric. Ce renfort, tout important qu*il fAt,
no changea cependant rien h la situation, si en n*est que les travaux furent
pousses avec plus d'activité. Le génie dirigeait deux attaques : l'une au nord ,
Tautre au sud. Celle de gauche (sud), commencée la première, fut praticable
dès le 14 octobre; le 19, celle de droite (nord) n'était plus qu'à vingt mètres
de la contrescarpe. L'accès de l'enceinte paraissait possible maintenant. Le
général Ilcrbillon réunit les chefs de service, prit leur avis, et décida que
l'assaut aurait lieu le lendemain.
Une fois cette résolution prise , le général adopta les dispositions suivantes :
le colonel Dumontet , avec le 43° de ligne, fut chargé de pénétrer par la brèche
de droite; le colonel Carbuccia, avec la légion, par celle de gauche; pendant
ce temps, le bataillon d'Afrique à droite et celui de Tirailleurs à gauche de-
vaient tourner Zaatcha et Tisoler des autres oasis.
Le 20 , à six heures du matin , l'artillerie augmenta l'intensité de son feu.
Au môme moment, le bataillon de Tirailleurs commença son mouvement; il
gagna par In gnncho, pénétra dans les jardins, et s'établit de façon à inter-
cepter toute communication entre Lichana et Zaatcha, rapprochant autant
que possible sa gauche de la droite du bataillon d'Afrique. Il se trouvait cou-
vert du côté de Tolga par la cavalerie du colonel de Mirbeck, qui avait pour
mission de surveiller les alentours de l'oasis et de se porter sur tel point où
sa présence serait nécessaire.
Dès que le général fut informé que le commandant Bourbaki avait pris ses
dispositions, il fit sonner la charge. Les deux colonnes se précipitèrent et
essayèrent de pénétrer dans la place. Une vive fusillade s'engagea. A ce bruit,
les gens de Lichana voulurent accourir au secours de Zaatcha; mais ils trou-
vèrent les Tirailleurs qui leur barraient la route. En vain tentèrent-ils de forcer
le cordon qui les maintenait; ils furent partout repoussés et obligés d'assister
à distance à la lutte sanglante dont les échos parvenaient jusqu'à eux. A une
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70 LE 3* RÉQIUBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1848]
beuro de l'aprèa-inidi, le commaadanl Bourbaki reçut Tordre do rentrer au
camp : l'attaque avait échoué ; l'assaut avait été repoussé.
Dans cette journée, où le 43* et la légion subirent des pertes considérables,
le bataillon ne compta qu'un officier blessé, M. Coulon-Lagrandval , lieu-
tenant commandant la 2* compagnie, un homme tué et six blessés.
Encouragés par ce succès, les défenseurs de Zaatcha devinrent de plus en
plus audacieux , et leur fanatisme et leur vénération pour Bou-Zian n'eurent
plus aucune borne. C'était bien là le protégé du Prophète, celui qui avait été
envoyé pour chasser les infidèles et rétablir Tancienne puissance de l'islam.
De tous côtés lui arrivaient de nouveaux soldats, et le nombre des défen-
seurs de Zaatcha allait s'augmentant dans la même proportion que les forces
de la colonne s^aflaiblissaient. Le général n'en décida pas moins que le siège
continuerait; mais il fallut renoncer à rien entreprendre avant l'arrivée de
renforts et de munitions. L'artillerie continua un tir lent, de façon à entre-
tenir l'inquiétude des assiégés et à élargir les brèches déjà faites; le génie
reprit ses travaux pour les pousser jusqu'au pied de l'enceinte.
Le bataillon de Tirailleurs avait également repris son service de garde et
de tranchée , service &tigant au possible , à cause de l'activité incessante des
assiégés. Le 25, il reçut l'ordre de sortir pour aller protéger la légion étran-
gère et le bataillon d'Afrique employés à la coupe des palmiers. Ces deux
corps s'étaient tout à coup trouvés engagés avec un ennemi nombreux, et,
depuis un moment , la fusillade était des plus vives. A l'arrivée du bataillon
indigène, les Arabes rentrèrent dans la place, et les travailleurs ne furent
plus inquiétés.
Cependant la situation devenait des plus graves; l'effervescence gagnait les
tribus voisines: tout le sud de la province était en armes. Le 30 octobre,
une reconnaissance envoyée entre Farfar et Tolga fut vivement attaquée, vers
quatre heures du soir, par une bande de huit à dix mille nomades venue du
désert. Cette reconnaissance dut se replier sur le camp. Averti de cette at-
taque, le généra] fit aussitôt sortir la cavalerie en la faisant appuyer par les
1^, 4*, 5* et 6* compagnies du bataillon de Tirailleurs. Après une courte rési-
stance, les nomades se retirèrent, laissant un grand nombre des leurs sur le
terrain. La nuit étant arrivée , toute poursuite devint impossible, et les troupes
rentrèrent dans leurs positions. Le bataillon de Tirailleurs avait eu un homme
blessé.
Le lendeniiain, les nomades renouvelèrent leur tentative, mais sans plus
de succès.
Le 3 novembre, le bataillon partit avec deux compagnies de chasseurs à
pied et cent vingt chevaux , pour aller chercher un convoi à Biskra. Le len-
demain , il était de retour au camp.
Le 8, le colonel Canrobert, qui avait été envoyé d'Aumale à Bou-Saàda
avec un bataillon de zouaves, un autre du 16® de ligne et de la cavalerie, vint
se joindre à la colonne et prendre part aux travaux d'attaque.
Le 12, toute la cavalerie, les 1^, 2*, 3*, 5® et 8® compagnies du bataillon et
un obusier de montagne sortirent, sous les ordres du colonel de Mîrbeck,
pour aller faire du fourrage à environ deux lieues de Zaatcha, sur la route
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[48491 EN ALGÉRIE 71
de Biskra. En arrivant au del& de Boa-Chagroun , cette colonne commença à
apercevoir, sur la droite et hors de portée , une troupe considérable de cava-
lerie et d'infanterie ennemies. Quêtaient les nomades , qui , depuis les échecs
qu'ils avaient subis, s'étaient retirés en dehors de la zone d'action de nos
troupes. Le colonel fit arrêter, croyant avoir à livrer un combat; mais, les
Arabes ne faisant que regarder, il se contenta do leur lancer quelques obus
qui les éloignèrent encore, puis il reprit sa marche et fit son fourrage sans
être inquiété. Au retour, les troupes furent ainsi disposées : en avant, la ca-
valerie par peloton , appuyant sa droite aux montagnes et ayant sa gauche
couverte par une compagnie déployée en tirailleurs; au centre, la pièce de
montagne, et comme arrière-garde, la 3* compagnie du bataillon.
A peine cette colonne fut -elle en marche, que toute la masâe de cavalerie
ennemie fondit sur elle, pondant que rinfantcrio, débouchant de Bou-Cha-
groun , cherchait à déborder son flanc gauche. La 1*^ section de la 3* com-
pagnie, faisant demi -tour, accueillit cette charge par une fusillade exécutée
avec un ordre parfait et qui Gt aussitôt tourner bride aux cavalière arabes.
Ceux-ci revinrent encore harceler l'arrière -garde; mais cette dernière fit
face à tout et, sans se laisser intimider par cette fantasia désordonnée de ses
adversaires, se retira lentement, combattant toujours et maintenant Tennemi
à distance. On arriva ainsi jusqu'à une petite rivière qui partage la plaine
en deux. Là les autres compagnies s'arrétèrant pour attendre que la 3* eût
passé. A ce moment, les nomades voulurent tenter un dernier eflbrt. Mais
les Tirailleurs , obéissant à un magnifique élan , passent subitement de la d^
fense à l'offensive, chargent les fantassins arabes, les enfoncent, les pour-
suivent avec acharnement, pendant que notre cavalerie, qui jusque-là n'a
pris aucune part à l'action , jette son fourrage, se dirige sur celle de l'ennemi,
l'atteint, la sabre, la disperse et revient achever la déroute des fantassins.
En un instant l'horizon, tout à l'heure assombri par ces masses confuses,
devient complètement vide; l'ennemi atterré fuit, — il fuit sans regarder
derrière lui , et si convaincu de son impuissance , qu'à partir de ce jour on
ne verra plus les nomades que très loin aux environs de Zaatcha.
Dès lors on n*eut plus à compter avec ces bandes , que l'espoir de l'exter-
mination des Français et l'appât d'un riche butin avaient seuls fait venir du
désert. Mais il ne suffisait pas de celte circonspection de leur part; il fallait
profiter de l'effet produit par leur défaite pour s'en débarrasser tout à fait.
Apprenant qu'elles s'étaient réunies à Ourlai , où elles croyaient se trouver à
l'abri de toute surprise, le général Herbillon partit le 16, à deux heures du
matin , avec deux colonnes, dans le but de les attaquer. Quand le jour parut,
on aperçut une ville de tentes , de douars sans nombre s'étendant de tous
côtés; puis des chevaux, des chameaux, des troupeaux couvrant la plaine
aussi loin que l'œil pouvait parvenir. Toute l'immense caravane était là, avec
ses biens, ses troupeaux , ses innombrables impedimenta : cavaliers, femmes,
enfants, vieillards étaient confondus et reposaient tous dans la quiétude la
plus profonde.
Cependant, au premier bruit, les hommes sortirent des tentes, montèrent
à cheval , et se portèrent en avant ; tout ce qui ne pouvait combattre s'enfuit
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72 LB 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1849]
précipitammoiU vora los oasis. Mais on no leur donna pas le temps do se ro-
connaitre; le colonel de Mirbeck fondit sur eux avec la cavalerie. Au môme
instant, Tinfanterie se jeta au milieu des tentes, dispersant les fantassins
arabes, renversant, bousculant, détruisant tout ce qui se trouvait sur son
passage, pendant que rartillerie accompagnait de ses obus les fuyards,
qui, saisis d'épouvante, jetaient tout ce qui pouvait les gêner dans leur
course.
Après qu'on en eut fini avec les combattants, le bataillon de Tirailleurs et
les spahis se jetèrent à la poursuite des troupeaux. Il fut capturé environ
quinze mille moutons et deux mille chameaux. Les gardiens de ces derniers
se défendirent vaillamment en cherchant à les sauver. Le? Tirailleurs eurent
un homme tué et cinq blessés*
Enfin, ne trouvant plus personne à combattre, los deux colonnes se ral-
lièrent pour rentrer au camp. A peine descendu de cheval , le général recevait
la soumission des grands des deux fractions les plus importantes des no-
mades. Quelques jours après, ces derniers repartaient pour leur campe-
ment habituel , laissant entre nos mains des otages pris dans les grandes
familles et devant servir de garantie pour le payement des amendes.
Délivré de tout souci extérieur, le général put désormais concentrer tous
ses efforts contre la place. A partir du 17, les travaux du génie furent poussés
de telle sorte, qu'au bout de quelques jours on se vit enfin près du but si ar-
demment désiré. L'ennemi, sentant le moment suprême s'avancer, devenait
de plus en plus agressif. Le 24, à onze heures du malin, il saisit le moment
où l'on relevait les gardes de tranchée pour faire, sur les lignes de l'attaque
de droite, une audacieuse sortie très habilement préméditée. Les Arabes se
répandirent dans les enclos et tout à coup firent irruption sur les travailleurs;
quelques-uns pénétrèrent même jusque dans l'une de nos batteries, où ils
se firent brayement tuer. Lo danger devenant pressant, le général envoya
chercher au camp le bataillon de Tirailleurs et trois compagnies du 8* ba-
taillon do chasseurs. Lo commandant Bourbuki divisa sa troupo en dcuK
groupes et tourna la position des Arabes en s'engageant jusque sous les murs
de la ville; après avoir débusqué ceux-ci de tous les points qu'ils occupaient,
il les poursuivit de jardin en jardin, d'enclos en enclos , jusqu'à hauteur de la
porte de Zaatcha, où ils firent encore une vigoureuse résistance. Enfin , com-
plètement acculés à la place, ils durent se retirer, non sans avoir subi des
pertes considérables. De son côté, le bataillon avait un officier blessé, un
homme tué et huit autres blessés.
Tout étant prêt pour un effort décisif, l'assaut fut fixé au 26 novembre,
n devait avoir lieu par trois brèches. Le commandant Bourbaki avec le ba-
taillon indigène était chargé de l'investissement provisoire de l'oasis.
Au point du jour, l'artillerie redoubla son tir. Le bataillon de Tirailleurs
était venu de bonne heure se masser à la zaoula; à un signal donné, il se
porta vers la face ouest du village pour prendre position entre les extrémités
de droite et de gauche des deux attaques nord et sud. Ce mouvement, ainsi
que ceux opérés dans le camp, donnèrent l'éveil à l'ennemi; des groupes
nombreux sortirent de Zaatcha, se dirigeant vers Lichana et Tolga , soit pour
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[1849] EN ALGÉniE 73
fuir, soit pour y chercher des renforts. Mais ils no purent y parvenir: tombés
au milieu des Tirailleurs, ils furent tous tués ou pris.
A huit heures, trois notes de clairon font connaître que Tinvestissement
est terminé. Le général fait sonner la charge; tout le monde s'élance: h .
droite, c'est le colonel Canrobert; au centre , le colonel de Barrai ; à gauche ,
le lieutenant- colonel de Lourmel. Menée avec une vigueur extraordinaire,
cette attaque nous rend enfin maîtres de Zaatcha; seulement il faut faire le
siège de chaque maison , et ce n'est qu'après avoir vu tomber la dernière
que les Français peuvent se proclamer vainqueurs. Les Arabes se font tuer
jusqu'au dernier, y compris Bou-Zian, qui succombe héroïquement au mo-
ment où il voit que tout est perdu pour lui.
Pendant que cette lutte sanglante se livrait à Tintérieur de la place, le
commandant Ik)urlmki était aux prises avec les gens do Lichana , qui étaient
sortis do leur village pour venir en aide à ceux de Zaatcha. Arrêtés sur
tous les poinU, ils durent bientôt renoncer A Tcspoir de venir secourir Bou-
Zian; le bruit sourd des mines, le retentissement du canon, la colonne de
fumée qui s'élevait au-dessus de Zaatcha , leur indiquaient d'ailleurs que Tin-
surrection rendait son dernier soupir. Mais le fanatisme les animait d'une
telle ardeur, il leur paraissait tellement impossible que Bou-Zian fût vaincu,
qu'ils combattirent encore avec une sauvage énergie et ne se retirèrent que
lorsqu'ils eurent acquis la certitude que Zaatcha n'existait plus.
Quoique moins éprouvé que les corps qui avaient pris part à l'assaut , le
bataillon n'en avait pas moins subi des pertes très sensibles dans cette san-
glante journée; il comptait un officier et sept hommes tués et vingt hommes
blessés. L'officier tué était le capitaine Lapeyrusse, l'un des plus braves et
des plus anciens du bataillon. Sa mort éveilla d'unanimes regrets, non seu-
lement parmi ses camarades, mais encore parmi les soldats, qui avaient pour
ce chef l'amour l'obéissance et le respect que commandent la valeur et l'in-
telligence.
Les pertes totales pour toute la durée du siège s'élevaient à : un officier
tué, quatre blessés, quinze hommes tués et soixante -dix -sept blessés, soit
quatre-vingt-dix-sept hommes hors de combat, c'est-à-dire à peu près le hui-
tième de l'efTectif.
Zaatcha n'était plus qu'un monceau de ruines. Le 28, la colonne quitta le
camp, se dirigeant sur Biskra. Là le général llerbillon trouva des députations
de la plupart des tribus qui s'étaient compromises dans l'insurrection. Les
troupes se portèrent ensuite sur Ksour, où elles furent divisées en deux
groupes : le colonel de Barrai prit la route de Bou-Saàda , le colonel Canrobert
se dirigea vers le Ilodna. Ce dernier groupe, dont le bataillon de Tirailleurs
fit partie, parcourut tout le pays des Oulcd-Soltan et des Ouled-Abdi, réta-
blissant l'ordre dans ces tribus, arrêtant les perturbateurs, infligeant des
amendes aux fractions qui avaient plus particulièrement pris part aux der-
nières hostilités. La colonne Canpobert se rendit ensuite dans les Aurès; mais,
à ce moment, le bataillon s'en sépara pour rentrer à Constantine, où il arriva
le 24 décembre, à l'exception delà 6* compagnie, qui avait suivi le colonel de
Barrai , d'abord à Bou-Saàda , ensuite à Sétif.
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74 LE 3* RÊQIUBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALQÊUIE [l849l
A la suite de la longae expédition do Zaatcha , la plus importante dont la
province de Constantine eût été jusque-là le théâtre, un ordre de l'armée porta
à la connaissance des troupes les citations suivantes daiis le corps des Tirail-
fleurs indigènes :
HM. Bourbaki , chef de bataillon.
Montfort, capitaine.
Taverne, d<>
De Haussion , capitaine-adjudanl-major.
Gaudinot de Yillaire , lieutenant.
Coulon-Lagrandval , d*^
Pelisse, sous-lieutenant.
Déjoux , d^
Valentin , d^*
Moulinier, chirurgien-aide-major.
Rougeot, adjudant.
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CHAPITRE VIII
(1850-1851)
(1850) Le commandant Bourbaki est remplacé par le commandant Bataille. — Sortie
contre les Maftdhid. — Expédition des Nemencha. — (1881) Expédition de la petite
Kabylie. — Combat du 1i mai. — ArriTée à DjidJelU. — Reprise des opérations. —
Rentrée à Gonstantine. — Le commandant Jolivet remplace le commandant Bataille.
Le 16 janvier 1850, le commandant Bourbaki Tut nommé au grade de lieu-
tenant-colonel et remplacé, dans le commandement du bataillon, par le com-
mandant Bataille, officier d*une rare énergie, qui venait de se signaler d'une
façon toute particulière au siège de Zaatcha. Avec un tel chef, les Tirailleurs
de Gonstantine allaient continuer à porter brillamment le titre de troupe infa*
tigahlc, f|ii*ilfl vcnnicnt d^ncquérir avoc le commandant Bourbaki.
Le 23 février, les 3^, 4° et 5* compagnies, sous les ordres du capitaine Vassal,
furent envoyées à Batna pour aider au service de cette place, et permettre de
pousser activement les travaux qu*on y avait entrepris. Elles y restèrent jus-
qu'au 24 mars. Ce jour-Iè elles se mirent en route pour Sétif , où elles de-
vaient entrer dans la composition d'une colonne commandée par le général de
Barrai , et destinée à aller châtier les Maâdhid et les Ouled-Anech, qui avaient
attaqué, dans un défilé de leurs montagnes, trois compagnies du 38* de ligne
se rendant à Bou-SaAda. Cette colonne comprit, outre les trois compagnies de
Tirailleurs : un bataillon du 38° de ligne, le bataillon d'Afrique, un escadron
de chasseurs d* Afrique, un demi-escadron de spahis, deux pièces de montagne
et une section du génie. EIIq se mit en route le 7 avril, et, le 9, arriva au
pied de la montagne des Maftdhid, montagne qui termine la chaîne qui vient
mourir dans le llodna et domine M'Sila.
Uiiciqucs fractions de la tribu révoltée se présentèrent aussitôt pour de-
mander Paman; mais, avant de traiter avec elles, le général exigea que les
insurgés vinssent tous se mettre à sa disposition avec leurs femmes, leurs
enfants et leurs biens. Le lendemain, personne ne s'étant présenté, le camp
fut porté plus près de la montagne. Dans la journée, des rassemblements
commencèrent à se montrer çà et là, puis se réunirent en un seul groupe qui
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70 LE 3"* RÉaiUENT DE TIRAIU.EURS ALGËIUENS [të&O]
dûscoiidil jusqu'à huit coqU luèlrcs do nos avant -poslcs, cl se mil à y con-
struire une petite redoute en pierres sèches. Quelques obus suffirent pour faire
abandonner ce commencement de fortification. Cependant, lorsque la nuit
arriva , les Arabes se rapprochèrent de nouveau et tentèrent d*enlever quelques-
uns de nos avant-postes. Ceux-ci résistèrent vigoureusement, et cette surprise
se termina par la fuite précipitée de l'ennemi. Le bataillon eut deux hommes
tués et quelques blessés.
Le 1 1 , les débouchés de la plaine ayant été occupés par le goum de Mokroni,
les Maâdhid se virent entourés do toutes parts, sans fuite possible cl à la com-
plète merci du vainqueur. Le général leur accorda doux jours pour leur per-
mettre de réunir leurs troupeaux ; puis il leur signifia que leur nom n'existait
plus et que leur tribu allait être dispersée sur tout le territoire, ce qui fut fait.
Le 14 avril, la colonne se dirigea sur les Ouled-Anech , qui payèrent sans
difficulté Tamende qui leur fut imposée. Le 16, elle reprenait la route de
Sétif, pendant que les trois compagnies de Tirailleurs, après avoir re^.u les
éloges du général pour leur attitude pendant toute cette expédition, se diri-
geaient sur Batna, où elles arrivèrent le 19.
Peu de jours après être rentrées dans ce poste, ces mémos compagnies
allèrent, sous les ordres du capitaine Jolivet, s'établir à Khenchela. Là se
trouvaient déjà réunis les premiers élément d'une colonne destinée à parcourir
le territoire des Nemencha et toute la partie méridionale de TAurès. En atten-
dant le commencement des opérations, ces troupes travaillaient à l'établisse-
ment d'une redoute qui devait servir de point de ravitaillement.
Le 6 mai , le général de Saint-Arnaud, commandant la province, qui venait
d'arriver avec les troupes de Constantine, dans lesquelles se trouvaient les
l'*, 2<>, 7® et 8* compagnies du bataillon indigène avec le commandant Ba-
taille, oVganisa la colonne en deux brigades d'infanterie. La première, dont
le colonel Eynard reçut le commandement, comprit deux bataillons du 20" de
ligne, un bataillon du 43« et les 3«, 4"^ et 5* compagnies de Tirailleurs; la
deuxième, qui fut placée sous les ordres du colonel Jamin , fut composée avec
un bataillon du 8® de ligne , deux bataillons de la légion étrangère et les quatre
autres compagnies du bataillon indigène.
Le 9, la colonne entière se mit en marche vers le sud-est , se dirigeant sur
le pays de Nemencha. Le 10, elle arriva à Ras-el-Gueber, où elle trouva les
premières cultures de la tribu; seulement, comme pour toutes les expéditions
qui avaient déjà eu lieu dans cotte contrée, la population avait fui. On vint
cependant dire au général qu'un rassemblement considérable avait été vu du
cOté de Sidi-Abid. Une colonne légère, composée do la cavalerie et de quelques
compagnies d'infanterie, dont deux de Tirailleurs, fut aussitôt envoyée sur ce
point; mais lorsqu'elle y arriva, les contingents s'étaient déjà en grande partie
dispersés, et c'est à peine si nos troupes purent capturer quelques chevaux
et une quarantaine d'Arabes, qui furent ramenés au camp.
Le 11, le biyouac fut porté à Aîn-Tilidjen ; le 15, à Aln-Saboun. Le 17, la
colonne arriva à Tebessa, où elle séjourna jusi|u'au 19. Le 20, elle alla s'éta-
blir à Okkous. Dans la soirée, ayant appris que les Nemencha soumis avaient
parmi leur bétail des troupeaux appartenant aux rebelles, le général donna
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[1850] EN ALGÉRIE 77
Tordre à toute la cavalerie, à un bataillon du 43* et à celui de Tirailleurs de
partir dans la nuit. Au point du jour, cette colonne légère arrivait à Feutrée
d*une immense plaine où se trouvaient les principaux douars de la tribu. Elle
hflta sa marche, se précipita sur ces douars, qui furent envahis en un instant,
dispersa les Arabes, s'empara de tous les troupeaux qui se trouvaient réunis
sur ce point, et se remit ensuite en route pour le camp ramenant avec elle
quatre cents chameaux et quinze mille moutons.
Le 22, la colonne se porta sur TOued-Mesquina; le 23, à Ain-M'Toussa,
et, le 24, rentra à Khenchela pour s'y ravitailler. Le 27, laissant dans ce
poste deux cents hommes d^infanterie et la cavalerie, moins un escadron , pour
protéger Tinstallation de ce camp provisoire , elle se mit en route pour l'Aurès.
Le soir, elle bivouaqua à Aîn-Tamagra. Le 28, elle entra dans le Djebel-
(îlicr.lmr par Aîn-Tarbnr «l Aîn-Ujcmol, et s'arrêta à Aln-Frodjou. Le 29, elle
poussa jusqu'à Taoïirlcnt. A partir du 30, elle s'engagea dans un pays nu,
désolé, habité par une population misérable; elle traversa de vastes plateaux
déchirés, complètement arides, sans eau, sans verdure, sans ombrage et
présentant çà et là quelques villages dénotant la plus désolante pauvreté.
liC 30, clic bivouaqua à DjcIIel, un de ces villogcs, placé, comme tous les
autres d'ailleurs, dans une position difficile au sommet d'un rocher. Le 31 ,
on s'arrêta à Kheîran sur l'Oued-el-Arab; le 1*' juin, à l'oasis d'Oueldja, où
l'on séjourna le 2. Pendant ce séjour, des maraudeurs ayant assassiné un
soldat du 20° de ligne qui s'était écarté du camp, et le général s'étant vu re-
fuser la livraison des coupables par la population de l'oasis, le village fut
cerné, incendié, et une trentaine d'Arabes passés par les armes.
Ce châtiment infligé, la colonne se mit en route. Les gens d'Oueldja la
suivirent quelque temps avec des manifestations hostiles, mais, tenus à dis-
tiiiiro par \m Tirailleurs des 3"^, 4° et 5*' compagnies et une compagnie du 20^,
ils durent renoncer à l'espoir d'inquiéter sa marche. Le 3 au soir, elle arriva
h Rl-UaaI. Le lendemain, quittant la roule déjà connue, elle se jeta vers le
nord et remonta jusqu'à sa sortie le long et difficile défilé de l'Oued-Cherfa
qu'elle ne franchit qu'à la nuit. Le 5, elle campa sur l'Oued-Messara, au point
même où la colonne du général Bedeau avait été arrêtée par les neiges en
1845. Le 6, elle arriva à Médina, où l'attendait un ravitaillement.
Le 8, les troupes quittèrent Médina et s'engagèrent dans la vallée de l'Oued-
el-Abiod. Le but était de reconnaître une nouvelle route pour pénétrer dans le
Sahara.
Le soir, elles bivouaquèrent à Senef, le 9, à Tizanimin, à l'entrée du
Kauget-el-Abiod. Cet étroit passage est formé par l'étranglement de deux mon-
tagnes, et représente une gorge profonde au fond de laquelle la rivière, de-
venue torrent à la moindre pluie, se précipite avec violence et roule sur un
lit de rochers. Les chefs arabes cherchèrent à dissuader le général de pour-
suivre son projet de franchir ce point; mais ce dernier voulait frapper l'ima-
gination de ces populations, en leur donnant le spectacle d'une lutte victo-
rieuse contre la nature. Le 10 au matin , cinq cents travailleurs furent envoyés
dans la gorge, et, pendant dix heures, s'efforcèrent de rendre praticables les
passages les plus dangereux. Le lendemain , à la pointe du jour, toute la
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78 l'B 3« RÉOIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l8Sl]
colonne s'engagea dans le fameux déOlé. Le convoi marchait dans le lit de la
rivière avec une partie de la troupe, l'autre partie cliemiuait avec peine dans
la rainure d'un ancien conduit romain taillé dans le roc. Une inscription gra-
vée dans la paroi même du rocher apprit aux antiquaires que, sous le règne
d'Ântonin le Pieux, la vi* légion d'Auguste avait ouvert une route en ces
mômes lieux. Le soir, on bivouaqua à Banian , première oasis de palmiers sur
rOued-el-Âbiod. Le 12, la colonne arriva à Biskra, où elle séjourna le 13. Le
14, elle alla bivouaquer à Loutaîa, et, le 16, à El-Kantara. Le 17, les bri-
gades furent dissoutes. Ce môme jour, le bataillon de Tirailleurs se mit en
marche pour Constantine, où il arriva le 21 juin.
Aucune expédition ne devait plus avoir lieu jusqu'au printemps de 1851 .
C'était presque une année de repos qu'allait voir s'écouler le bataillon, c*est-
à-dire plus qu'il n'en avait jamais connu depuis sa formation. Mais cette inac-
tivité n'allait pas être perdue pour lui, et, dans la prochaine campagne, il
allait encore donner les preuves de ces brillantes qualités milituires où lu bra-
voure s'allie à instruction et à la discipline.
EXPÉDITION DE LA PETITE KABYLIE
Depuis longtemps le gouvernement, d*accord avec le commandant supé-
rieur de nos forces en Algérie, avait décidé qu'une importante expédition
serait dirigée sur la petite Kabylie, pour rendre effective la soumission de ces
tribus belliqueuses, qui avaient toujours été une menace pour les place de
Collo et de Djidjelli. Le 16 mars 1851 , des instructions précises furent en-
voyées au général Pélissier, gouverneur général par intérim, et le général de
Saint-Arnaud, commandant la province de Constantine, eut pour mission de
préparer cette importante opération, qui allait avoir pour théâtre le triangle
montagneux compris entre Hilah , Djidjelli et Philippeville.
Une grande agitation se manifesta dans cette contrée dès qu'on y apprit
cette résolution; persuadés que l'armée française ne pourrait pas plus péné-
trer dans leur pays que ne l'avaient pu les armées turques à répoc|ue des beys,
les Kabyles juraient de nous résister jusqu'à la dernière extrémité. Un faux
chérif , comme il en avait déjà tant surgi parmi ces populations toujours dis-
posées à écouter la voix d'un agitateur, venait de paraître chez les Zaouas, et
ses prédications trouvant les esprits admirablement préparés à la révolte, il
avait bientôt vu se grossir la bande d'uventuriers qu'il traînait ù sa suite et
ses contingents former presque une armée. Ce nouveau soi-disant envoyé du
prophète se nommait Bou-Baghla; il eut jusqu'à l'audace de se présenter de-
vant Bougie; mais, cette tentative ne lui ayant pas réussi, il dut s'éloigner et
rentrer dans les montagnes, où il conlinua à exciter les tribus.
Pendant ce temps , le général de Saint-Arnaud organisait sa colonne à Milah.
Le 10 avril , le bataillon indigène, qui devait en faire partie, quittait Constan-
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[1851] EN ALGÉRIE 79
Une pour se rendre à ce point de concentration ; il apportait un appoint de
trente officiers et de sept cent quinze hommes. Quand toutes les troupes se
trouvèrent réunies, elles présentèrent un total de douze bataillons, quatre
escadrons et huit pièces de montagne, soit un effectif d'environ huit mille
hommes. Deux brigades furent formées : Tune fut placée sous les ordres du
général de Luzzy do Pélissnc, la seconde sous le commandement du général
Itosquet. Le bataillon de Tirailleurs se trouva faire partie de la première.
Le 8 mai, la division expéditionnaire quitta Milah et s'engagea dans la
vallée de TOucd-el-Kébir. Le 10, elle arriva sur la rive droite de l'Oued-Mechta,
en face du col de Feldj-Benazem , situé sur la rive gauche. Ce passage , rela-
tivement difficile, avait été occupé par les Ouled-Asker, qui s'y étaient re-
tranchés au moyen de fortifîcations en pierres sèches. Mais la journée était
déjà trop avancée pour tenter une attaque; le général installa le bivouac dans
le col de Feidj-Deînem , et se contenta de reconnaître la position afin de mieux
préparer l'opération du lendemain.
Le 1 1 , il était quatre heures du matin quand les troupes commencèrent à
déboucher du camp. Le bataillon de Tirailleurs ouvrait la marche. Il descendit
de Feldj-Beînem jusqu'au fond de l'étroit ravin dans lequel l'Oued-Mechta '
coule à quatre cents mètres au-dessous du niveau du col , puis se mit à gravir
sur la rive gauche des pentes escarpées, dominées par des villages fortifiés.
Là, il dut s'arrêter pour attendre que la colonne eût franchi la rivière. Cette
opération , retardée par de nombreuses difficultés, prit un temps considérable,
et l'heure était déjà fort avancée lorsque le mouvement offensif put avoir lieu.
Trois colonnes furent formées : à gauche, le général de Luzzy avec la plus
grande partie de sa brigade; à droite, le général Bosquet; au centre, le géné-
ral en chef avec une importante réserve.
Bientôt le bataillon indigène, qui avait conservé la tête de la colonne de
Luzzy, se trouva aux prises avec les premiers postes ennemis. De part et
d'autre une vive fusillade s'engagea. L'ennemi se défendait vigoureusement :
abrité derrière ses retranchements, il dirigeait sur les compagnies de pre-
mière ligne un feu des plus meurtriers. Nos Tirailleurs ripostaient de leur
mieux, mais sans parvenir à déloger les Kabyles, qui montraient ce jour-là
une ténacité peu commune. A ce moment, une charge audacieuse exécutée
par le goum et la cavalerie vint cependant leur faire lâcher pied. Profitant
aussitôt de l'efTct produit por ce choc impétueux, le bataillon mit sac à terre
et se précipita à son tour sur les hauteurs qu'il était chargé d'enlever. Il y eut
encore un instant de lutte opiniâtre entre les Tirailleurs et les Kabyles; mais
ces derniers, enfoncés de toutes parts, se décidèrent enfin à se retirer. Toute
la colonne de Luzzy s'était portée en avant, et nous étions maîtres de toutes
les crêtes qui dominent le côté gauche du col. A droite, le succès était le
même : l'ennemi était en fuite, tiraillant encore de loin, sans grand effet du
reste, sur les compagnies lancées à sa poursuite. Enfin il n'y eut plus un
burnous à l'horizon; la colonne de Luzzy s'arrêta; puis, comme les autres
colonnes étaient encore assez loin, elle assura l'installation du camp, qui fut
établi près d'EI-Arroussa. La nuit était venue; le combat avait duré toute la
journée.
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80 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1851]
Lob portos subios par lo bataillon do Tirailleurs s'élevaient à un oHicier tué,
M. Brafaim-ben-Mustapha, sous-lieutenant, deux hommes tués, un oflicier et
dix*neuf hommes blessés, soit vingt-deux hommes hors de combat.
Le 12, le bataillon appuya une opération du colonel Marulaz, du 20* de
ligne, et incendia plusieurs villages, qui ne furent pas très sérieusement dé-
fendus. 11 n*eut que trois hommes blessés ce jour-là.
Le 13, la marche fut reprise dans la direction de Djidjelli. Le bataillon se
trouva d'abord à l'arrière- garde, commandée par le lieutenant-colonel Espi-
nasse. La colonne avait à parcourir un pays des plus difficiles. Le convoi
suivait un sentier étroit, bordé de taillis; au fur et à mesure qu'on avançait,
les bataillons se succédaient sur les hauteurs pour le proléger. L'eniieuii , en
nombre considérable, se montrait de tous côtés. Pendant toute la durée de
cette marche, des engagements parfois très vifs eurent lieu en tête, en queue,
en flanc, par moments sur tous les points à la fois.
Le bataillon de Tirailleurs fut encore des plus éprouvés , après deux com-
pagnies du 10* de ligne qui, surprises par quatre cents Kabyles, furent
presque anéanties ; il avait pour sa part vingt-six hommes blessa.
Le 14, la marche se poursuivit dans les mêmes conditions. On tirailla
encore pendant toute la journée. La colonne continua à descendre vers Tem-
bouchure de l'Oued-el-Kébir. Les Kabyles montrèrent ce jour-là une opiniâ-
treté peut-être plus grande encore que celle des jours précédents. C'était dans
ces mêmes parages qu'en 1804 ils avaient complètement détruit Taruiée du
bey Osman. Mais cette fois ils durent céder à la vigueur et à la bravoure de
nos troupes; malgré leur ténacité, malgré les difficultés du terrain, notre
marche ne fut pas arrêtée, et le soir le camp put être établi dans une position
très forte sur les derniers contreforts des montagnes des Ouled-Âouat. Le
bataillon avait eu huit hommes blessés.
On était enfin sorti du massif montagneux. En avant, la vallée s'élargis-
sait; puis venait la plaine avec ses riches villages, ses magnifiques récoltes,
sa population relativement peu hostile. Après un jour de repos , pendant lequel
Tennemi n'inquiéta que faiblement nos avant-postes, on pénétra dans le
riche territoire des Beni-M*Âmar, et, le IG au soir, on vint bivouaquer sous
les murs de Djidjelli. Le général Pélissier se trouvait dans celte ville depuis
le 14; il se rendit au-devant des troupes , au moment où celles-ci arrivaient
au camp.
Cependant cette longue et pénible marche n'avait pas donné des résultats
en rapport avec les efforts qu'elle avait coûtés; ces luttes de chaque juur
avaient encombré l'ambulance, et le général de Saint-Arnaud avait dû hâter
son arrivée à Djidjelli pour se débarrasser de ses blessés et se ravitailler.
Le 19 , la colonne reprit le cours de ses opérations; après avoir passé l'Oued-
Koutra, elle vint camper au village de Dar-el-Guidjali, au milieu de la tribu
des Béni-Amram. Le même jour, on apprit que des bandes considérables
de Kabyles de la tribu des Beni-Kiicttab-Seheragas , de Tuntre côté de l'Oued-
Uoukinal , s'étaient réunies sur une montagne voisine. Le générai fil aussitôt
prendre les armes à toutes les troupes , ne laissant au camp que les hommes
de cuisine et un bataillon du 8« de ligne, et se porta contre les positions
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[1851] EN ALGÉRIE 81
ennemies. Deux colonnes furent formées : celle du général de Lnzzy , chargée
de l'attaque de gauche , aborda aussitôt les Kabyles, qui se défendirent vigou-
reusement, mais n'osèrent tenir devant un mouvement tournant ayant pour
but de leur couper la retraite. La poursuite dura plusieurs heures. L'ennemi
éprouva des pertes considérables, les nôtres furent insignitiantes.
Après ce succès, qui eut un grand retentissement dans le pays, les troupes
rentrèrent au bivouac. Le 20 , on fit séjour à Guidjali. Vers midi, on vint
annoncer au général que les Kabyles descendaient des montagnes voisines
pour tenter une attaque contre le camp. On ne les attendit pas : au signal
d'un coup de canon, la cavalerie s'élança sur eux pour tourner leur droite ^
pendant que Tinfanterie les abordait de front. Ils occupaient à ce moment
une croie boisée, longue de deux kilomètres; à leur gauche se trouvait un
ravin profond; à droite, le terrain allait s'abaissent pour former un col
d'assez facile accès. C'est par ce col que la cavalerie devait exécuter son mou-
vement tournant.
Le bataillon de Tirailleurs, formant Textréme droite de la ligne française ,
avait pour mission do gagner rapidement le bord du ravin , de façon à se
placer sur le flanc gauche de l'ennemi. Ce mouvement, rendu très difficile
par les obstacles que présentait le terrain , n'en fut pas moins exécuté avec
une étonnante rapidité; si bien que, lorsque la cavalerie eut assailli le flanc
droit des Kabyles, et que ceux-ci cherchèrent précipitamment à gagner le
ravin, ils furent reçus à bout portant par nos compagnies, qui leur barraient
la route. Ils ne laissèrent pas moins de trois à quatre cents des leurs sur le
lieu du combat, pendant que la colonne avait en tout trois hommes tués et
six blessés, dont trois de ces derniers appartenant au bataillon indigène.
Dès ce moment, toutes les fractions des Beni-Àmram, des Beni-Âhmed,
des Uoni-Taarar, dos Bcni-Kliettab-Schoragas, envoyèrent leurs chefs pour
faire leur soumission.
Le 21, les troupes séjournèrent encore au camp de Dar-el-Guidjali; les
malades et les blessés furent évacués sur Djidjelli. Le 22, la colonne se
remit en route , sans rencontrer cette fois d'autres difficultés que celles qu'op-
posait le terrain. Le 24 , elle arrivait à Tibaîren. Le surlendemain, le général
Bosquet la quittait avec deux bataillons et deux pièces d'artillerie pour aller
se joindre au général Camou, qui, avec des troupes delà province d'Alger,
opérait entre Sélif et Bougie.
Le 26, on quitta Tibaîren pour se rendre sur l'Oued - M' Taa, chez les
H'Silia. Le bivouac fut établi ce jour-là au milieu des Beni-Foughal. Quel-
ques rassemblemeois s'étant formés dans les environs, ils furent aussitôt
attaqués et dispersés. Ce léger combat coûta un homme tué au bataillon
indigène. IjO 27, eut lieu un nouvel engagement avec les gens de la même
tribu; mais les Kabyles ne tinrent que faiblement et s'enfuirent bientôt sans
nous avoir infligé la moindre perte.
Le 28 , le bivouac fut porté à Aïn-Djouharra. Le 2 juin, la colonne revint
sur Djidjelli pour se ravitailler. Le 5, elle se remit en route pour aller opérer
à l'ouest contre les Beni-Skeflel. Le 8, on arrivait à El-Aouna. Jusque-là
aucun incident ne s'était produit. Le 9, on quitta El-Aouna à cinq heures du
6
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82 LE 3^ nÊQIMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1861]
inalia. Vers midii dos bandes assez iiombrousos furent aperçues sur les croies
environnantes. Une petite colonne, dont iirent partie six compagnies de
Tirailleurs, fut aussitôt formée; mais avant que ces troupes eussent gravi les
pentes abruptes de la montagne, les Kabyles étaient en fuite. Le 10, la
marche continua; pendant toute sa durée il fallut tirailler contre l'ennemi,
qui se montra particulièrement agressif. Le bivouac fut établi chez les Beni-
Haad. Près de là se trouvaient réunis les contingents des Ouled-Nabeth , des
Ouled-Âli et des Beni-Marmi. Les troupes prirent les armes, et les positions
ennemies furent successivement enlevées. Dans celte journée, le bataillon de
Tirailleurs eut un homme tué et deux blessés.
Le 11 se passa sans incident. Le 12, on arriva sur remplacement de Tan-
cienne ville de Ziama. Pendant la route, des contingents des Ouled-Nabeth
et des Beni-Ségoual ayant paru vouloir disputer à la colonne le passage du
col qui sépare les bassins de l'Oued -Mansouriah et de TOued-Ziami, le ba-
taillon indigène, qui se trouvait à l'avant-garde, les en avait promplement
Le 16 1 la colonne rentrait une troisième fois à Djidjelli. Le 18, elle se
remettait en marche, se dirigeant cette fois vers Test, pour revenir sur
rOued-el-Kébir. Le lendemain eut lieu un léger combat contre les Ouled-
Ali. Dans la nuit du 20 au 21 , les Kabyles, descendus des montagnes, (en-
tèrent sur le camp une attaque qui fut repoussée. Le 21 , on alla bivouaquer
à Tahar, position importante qui domine le pays des Ouled-Asker. L'avant-
garde et l'arrière-garde eurent seules à combattre pendant la marche ; mais
après l'installation du camp, quelques bataillons, dont celui de Tirailleurs,
furent lancés contre les Kabyles, qu'ils poursuivirent très loin, leur infligeant
des pertes considérables. Le bataillon eut deux hommes blessés. Le lende-
main, l'ennemi étant revenu occuper les mêmes positions, le combat recom-
mença; mais les Kabyles tinrent mollement, et n'attendirent pas qu'on
donnât l'assaut à leurs positions. Les Tirailleurs eurent encore un homme
Le 24, on arriva sur le territoire des Beni-Habibi. Cette tribu paraissait
disposée à nous opposer une vigoureuse résistance. Quatre bataillons , dont
celui de Tirailleurs, furent lancés contre ses villages et s en rendirent bientôt
maîtres. A leur retour au camp, ils furent suivis de près par les Kabyles,
qui payèrent cher cette audace : trois bataillons sans sacs vinrent appuyer
ceux qui venaient de combattre, et toute cette masse d'infanterie, aux ordres
du général de Luzzy , fondit sur eux et les poursuivit la baïonnette dans les
reins. L'ennemi laissa encore deux cents cadavres sur le terrain. Dans cette
affaire, le bataillon de Tirailleurs, brillamment enlevé par le commandant
Bataille, avait déployé une bravoure qui lui valut les plus vifs éloges de la
part du général de Luzxy.
Le 26 , la colonne descendit le pays de Taberna à Kounar. Jamais peut-
être le terrain n'avait opposé de diflicullés plus grandes. Cependant la marche
s'opérait sans être inquiétée, et tout semblait annoncer qu'elle se termine-
rait ainsi, lorsque tout à coup l'arrière- garde, commandée par le colonel
Uaruloz, fut assaillie par environ trois mille Kabyles. Cette attaque fut re-
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[1851 ] EN ALGÉRIE $3
poussée par les zouaves et le 20* de ligne ; le bataillon de Tirailleurs, qui se
trouvait à l'avant- garde, ne prit aucune part au combat.
La colonne se porta ensuite sur la rive droite de TOued-el-Kébir, se diri-
geant sur Collo. Le 1''' juillet, elle arrivait à Bou-Âdjoul, chez les Beni-ben*
Soîd, dont les contingents avaient pris les armes. Plusieurs colonnes furent
dirigées sur eux, et, npres un loger combat, qui coûta quatre blessés au ba-
taillon de Tirailleurs, ils furent complètement dispersés.
Le 2, on pénétra chez les Béni -Meslem, tribu importante qui disposait
d'au moins quinze cents fusils. On y rencontra une sérieuse résistance. Ce
jour-là, le bataillon indigène eut& supporter presque tout Teflbrt de la lutte;
il déploya partout sa bravoure accoutumée , et s'empara successivement des
principaux villages ennemis, qui furent incendiés. Ce brillant engagement,
qui coûtait au bataillon quatre officiers blessés , un homme tué et quinze
blessé<), amena la complète soumission des Béni- Meslem. Dans la nuit qui
suivit, le camp fut attaqué par de nombreux contingents des Ouled-Âidoun,
Ouled-Attia, Ouled-Aouat, qui durent se retirer précipitamment, après
avoir subi des pertes sérieuses.
Le 4, on arriva au village de Taziki, chez les Djebala. Ce village paraissait
être fortement occupé: les crêtes environnantes étaient couvertes de Kabyles.
Deux colonnes légères ayant été formées, les Tirailleurs, qui se trouvaient à
l'avant-garde, furent chargés d'attaquer le village. La défense y fut opiniâtre;
l'ennemi résista jusqu'au dernier moment. La position finit enfin par rester
en notre pouvoir, mais au prix de pertes relativement considérables. Deux offi-
ciers étaient blessés: M. Kaddour-ben-Brahim, lieutenant, et M. Âbd-el-
Kader-ben-Blidi , sous-lieutenant; quatorze hommes étaient en outre plus ou
moins grièvement atteints. Les Kabyles furent ensuite poursuivis dans toutes
les directions, et ne songèrent plus & se défendre, sur ce point-là du moins.
La soumission des Djebala et des Beni-Fergan fut le fruit immédiat de
ce brillant succès.
Le 6, la colonne se porta chez lesMéchat, où se trouvaient encore de nom-
breux rassemblements qu'il fallut disperser à coups de fusil. Un léger enga-
gement eut lieu le même jour sur le Bou-Sieba; le bataillon y eut quatre
hommes blesses. Le soir, on bivouaqua chez les Ouled-Aïdoun» Les jours sui-
vanU, la marche continua lente, méthodique, de position, en position avec
des pointes dans tous les sens. A quoi il importait surtout d'arriver, c'était
de bien persuader à ces populations, dont les espoirs d'indépendance repo-
saient surtout sur la nature de leur pays , que partout où un Kabyle pouvait
atteindre, nos soldées savaient y arriver. Ce résultat, obtenu presque partout,
était dû en grande partie au bataillon indigène; grftce à son extrême mobi-
lité, à l'intrépidité éprouvée des Tirailleurs, à l'habitude qu'ils avaient de
gravir les pentes les plus abruptes , à leur intelligence dans le combat indivi-
duel, l'ennemi s'était toujours vu débusqué, quelque part qu'il se fût établi
et retranché. Cette tactique, aidée par les combats heureux qui avaient mar-
qué chaque étape, avait porté ses fruits: chaque jour, des tribus jusque-là
ouvertement hostiles venaient faire leur soumission et payer l'impêt. Sans
doute cette soumission était beaucoup plus dictée par la crainte que par le
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84 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l85l]
désir d*un rapprochomeat avec la France, mais il n*ca restait pas moins que
l'influence des che& était désormais considérablement diminuée, pendant
que la nôtre commençait à se faire jour et à inspirer une certaine confiance.
Le 12 , la colonne quitta son birouac d'EI-Milia pour se rendre à Gollo.
Cette marche donna lieu à un léger combat livré à une fraction insoumise
des Ouled-Aîdoun. Dans cette affaire, le bataillon, chargé d'appuyer une
charge des spahis, eut un homme tué et cinq autres blessés. Le 13, on bivoua-
qua sur l'Oued-Driouak, affluent de l'Oued-Guebli ; le 14, à El-Hammam, et le
15 sous Collo.
Cette ville avait été, quelques jours auparavant, menacée par les Âchach
et les Beni-Ishac. Il fut décidé qu'on se porterait contre ces deux tribus.
Le 16, on pénétra dans les montagnes des Achach; ceux-ci furent com-
plètement dispersés; la résistance ne fut pas sérieuse. Le 17, le colonel Ha-
rulaz, avec un bataillon du 20*, un bataillon de zouaves, un autre de la
légion étrangère et celui de Tirailleurs, marcha contre les Beni-lshac. Les qua-
torze villages de ces derniers furent d'abord enlevés sans coup férir; mais
bientôt l'on se trouva en présence d'un rassemblement d'environ sept cents
fusils. L'artillerie n'ayant pu parvenir à le dissiper, le signal de l'attaque fut
donné, et l'infanterie se précipita au pas de course sur la position, d'où les
Arabes furent immédiatement chassés. On les poursuivit pendant longtemps,
et nulle part ils n'osèi*ont se reformer. Leurs pertes étaient considérables; le
bataillon avait un homme blessé.
Les opérations étaient terminées. Il était temps: le soleil et le sirocco com-
mençaient à peser lourdement sur ces troupes , épuisées par trois mois de
marches et de combats; les fièvres sévissaient rigoureusement, et les effectifs
allaient s'affaiblissent chaque jour. On avait parcouru environ sept cents ki-
lomètres, pendant lesquels on avait eu vingt-six rencontres avec l'ennemi.
Le bataillon de Tirailleurs, parti avec un effectif de trente officiers et de sept
cent quinze hommes , se trouvait réduit à dix-neuf officiers et cinq cent cin-
quante-sept hommes.
Le feu avait atteint huit officiers, dont un mortellement, et cent onze
hommes, dans lesquels on comptait six tués. Le reste avait été enlevé par les
fatigues et les maladies.
Le 18, le bataillon se mit en route pour Constantine, où il arriva le len-
demain.
Cependant l'heure du repos n'avait pas encore sonné ; un commencement
de soulèvement venait de se produire dans l'est de la province , et déjà les
Tirailleurs étaient désignés pour faire partie d'une colonne qui , sous les ordres
du général de Mac-Mahon, devait parcourir le pays des Haracta, où cette
agitation s'était subitement manifestée. Cette colonne se mit en route dans
les premiers jours de juillet et se porta d'abord à Tébessa, sans rencontrer
de résistance sérieuse sur son parcours; elle se rendit ensuite à Souk-Arras,
et enfin rentra à Constantine, après une absence de dix-huit jours. Les Ha-
racta, effrayés, s'étaient empressés de faire leur soumission ; le calme le plus
parfait régnait maintenant dans toute Tétondue de cette région.
A partir de ce moment, le bataillon reprit ses garnisons habituelles, et
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[1851] EN ALOÊRIB 85
Tannée 1851 s*acheya sans qu*aucon événement important ne l'appelât à
conconrir & de nouvelles opérations.
Le 8 août, le commandant Bataille fut nommé lieutenant-colonel en ré-
compense des services exceptionnels qu'il avait rendus avec son bataillon
pondant la longue et pénible expédition do Kabylie. Le même décret élevait
le capitaine Jolivet au grade de chef de bataillon et le désignait pour exercer
le commandement des Tirailleurs indigènes de Constantine. Nul officier ne
pouvait être mieux préparé à ces importantes fonctions que M. Jolivet, qui
servait déjà dans le bataillon depuis quatre ans comme capitaine, et connais-
sait non seulement cette troupe, mais possédait à merveille tous les détails
concernant la province.
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CHAPITRE IX
(1852-1853)
(1851) Modifications apportées dans l'organisation des bataillons do Tirailleurs indigènes.
— Expédition de la Kabylie orientale. — Combat du 31 mai. — Rentrée à Constantine.
— Opérations contre les Haracta et les Nemencha. — Expédition de Laghouat. —
NouTean tarif de solde pour les bataillons d'infanterie indigène. — (1853) Fixation
déflnitiTe de la tenue des Tirailleurs indigènes. — Expédition des Babors et de la
Kabylie orientale. — Combat du 12 mai. — Le bataillon est envoyé à Djidjelli. —
Dernières opérations de Tannée 1853.
Depuis Tordonnance constitutive du 7 décembre 1841 , rorganisation des
bataillons de Tirailleurs indigènes n'avait subi aucune modification. L'impor-
tance qu'avait peu à peu acquise ce nouveau corps réclamait cependant l'amé-
lioration de certains rouages administratifs devenus incomplets, et l'intro-
duction d'éléments français en quantité suflisanlo pour assurer les divers
services auxiliaires. Devenu ministre de la guerre, le maréchal de Saint-
Arnaud , à qui rien de ce qui touchait cette troupe ne {louvuil ôtru étranger,
s'en inquiéta aussitôt, et le décret présidentiel qui suit vint combler les
quelques lacunes que l'expérience avait fait ressortir.
DÉCHET
PORTAirr OBGANISATIO» OBS COMPAGNIES DBS BATAILLONS
Dl TIRAILLEUIIS INUICÈNBS
Parti, 1« 13 février 1852.
Los trois bataiiloQS de Tirailleurs indigènes seront formés chacun de huit
compagnies, conformément aux dispositions de Tordonnance constitutive du
7 décembre 1841.
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[18521 I.R 3^ RéGIMBfrr DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE 87
Leur organisation sera complétée comme il suit :
Par bataillon :
Un capitaine major;
Un lieutenant ou sous-lieutenant faisant fonctions d'offlcier d^habillement et
d'armement;
Un sergent secrétaire du trésorier ;
Un sergent français garde-magasin;
Deux sergents et deux caporaux français par compagnie;
Les bataillons de Tirailleurs indigènes pourront, en outre, recevoir des sol-
dats français jusqu'à concurrence de trente par bataillon.
Un quart de reffectif de ces trois bataillons (soldats et clairons) pourra être
de première classe aux conditions déterminées pour Tadmission dans les com-
pagnies d*élite dans les corps d'infanterie.
Il sera statué par des règlements ultérieurs sur toutes les questions de solde
et d'admission qui se rattachent aux dispositions du présent décret.
Fait au palais des Tuileries, le 13 février 1852.
Signé : LOUIS-NAPOLÉON.
EXPÉDITION DE LA KABYLIE ORIENTALE
Bien qu'ayant parcouru et soumis , nominalement du moins , une grande
partie de la Kabylic, la colonne commandée par le général de Saint- Arnaud
n'avait pas eu la possibilité de peser assez longtemps sur le pays pour que
cette soumission pût être considérée comme effective. 11 devenait donc indis-
pensable, pour ne pas perdre les fruits de l'importante expédition de Tannée
précédente, de diriger de nouvelles troupes vers cette région, et de leur faire
parcourir tout le territoire des tribus qui n^avaient pas encore senti le poids
de nos armes. Parmi ces dernières, il fallait principalement compter les
Ouled-Atlia, les llcni-SaAl, les Oulcd-Chaoua, en un mot toutes celles oc-
cupant la vallée de l'Ouecl-Zohr. Ces tribus, sans cesse remuantes , donnaient
asile & tous les malfaiteurs et se trouvaient toujours disposées à suivre la for-
tune du premier imposteur venu.
La direction doucette nouvelle campagne fut confiée au général de Mac-
Mahon , commandant la division de Constantine. Pendant que la colonne
principale allait parcourir tout le pays compris entre TOued-el-Kébir et la
route de Constantine à Pliilippevilie, le général Camou devait survdiler le
Djurjura avec les troupes de la province d*Alger, et le général Maissiat sln-
staller avec un corps d'observation entre Sétif et Bougie, de façon à maintenir
toute la région du Babor.
Les troupes qui devaient iaire parUe de la colonne du général de Mao-
Mahon furent concentrées à Milab au commencement du mois de mai. Les
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88 LE 3* RËOIlfKNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1852]
l^*! 2^1 3^1 4^, 5<* ol 7^ compagiiiûs du balaillon , roprésontanl un oITcctir do
trente et un officiers et de sept cent cinquante-huit hommes, quittèrent Cons-
tantine le 9 mai , sous les ordres du commandant JoHvet , et y arrivèrent le
lendemain. Deux brigades furent formées : la première, aux ordres du général
Bosquet; la seconde, sous le commandement du général d'Âutemarre. Les
Tirailleurs firent parti de cette dernière.
La colonne I une fois organisée, comprit dix bataillons d'infanterie, deux
escadrons de cavalerie , deux sections de montagne , soixante hommes du
génie : en tout six mille cinq cents hommes.
Elle quitta Hilah le 12 mai. La 2* brigade tourna la ville, qu'elle laissa sur
sa gauche, et suivit jusque près du Rummel la rive droite de l'Oued-Milah.
Le soir, le bivouac fut établi sur les hauteurs de Bou-Nouara. Le 13, on s'ar-
rêta à Bou-Âhmed, sur l*Oued-el-Affia, après avoir traversé un pays des
plus difficiles I mais sans y avoir rencontré le moindre rassemblement. Le 14,
on alla coucher au point dit Outha-Âzouzaïm, sur l'Oued - Achoum , chez
les Ouled-Aidoun. Le 15, on fit séjour. Ce jour-là, quelques Kabyles com-
mencèrent à se montrer au sommet des crêtes et eurent , avec un détache-
ment chargé d'exécuter une razzia, un l^er engagement de courte durée.
Le 16, à dix heures du matin , le général de Hac-Malion sortit du camp à la
tête d'une colonne légère, composée de quatre bataillons, dont celui de Tirail-
leurs indigènes, et de quatre-vingts chevaux. Cette colonne fut divisée en
deux groupes: deux bataillons, sous les ordres du général d'Autemarre,
avaient mission de prendre à gauche, de suivre le chemin conduisant au
Rummel; les deux autres, avec le général de Mac-Mahon, devaient se jeter
dans la montagne et fouiller les étroits ravins qui sillonnent cette partie du
pays. Le batailbn de Tirailleurs fut un de ces derniers.
Bientôt séparés l'un de l'autre par des accidents de terrain, ces deux groupes
durent agir chacun pour leur propre compte. Sur tout leur parcours ils trou-
vèrent les villages évacués et se contentèrent de les incendier. Vers trois
heures, ils opérèrent leur jonction sans avoir vu un seul ennemi. Ils se re-
mirent en marche pour le camp: celui de gauche en suivant à peu près le
même chemin , celui de droite en tournant un massif de pitons très élevés.
Si l'ennemi ne s'était pas montré, c'est que Bou-Scba , le nouvel agitateur,
le nouveau faux chérif qui s'était mb à la tête de l'insurrection , croyait
que les premiers coups allaient être portés contre le massif do Collo. L'ut-
taque dirigée contre les Oulod-Aîdoun l'avait évidemment surpris; mais il
n*allait pas tarder à se montrer et à essayer d'arrêter notre marche.
Dans la nuit du 16 au 17, le camp Ait attaqué par des bandes considé-
rables descendues des montagnes. Les eflbrts de l'ennemi se portèrent sur-
tout sur la face occupée par les Tirailleurs indigènes: la fusillade fut très vive
pendant quelques instants ; mais les Kabyles ne tardèrent pas à se retirer,
déconcertés par la résistance opiniâtre qu'ils avaient rencontrée. Leurs pertes
furent considérables ; celles du bataillon s'élevaient à cinq hommes tués et
trois blessés.
IjO 18, la colonne quitta Outha-Azouzalm pour aller s'établir à EUMilia.
C'était dans les environs de cette localité que Bou-Seba semblait avoir réuni
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[1852] EN ALGÉRIE 89
ses contingents. Le 20, le général fut en effet prévenu qu'un important ras-
semblement de Kabyles s'était formé dans un village situé à l'extrémité de
Tun des contreforts qui séparent TOued-Alcb de TOued-^sl-Kébir.
Le même jour, une reconnaissance dont le bataillon de Tirailleurs fit partie
fut dirigée sur la position, qu'on trouva fortement occupée par Tennemi et re-
marquablement fortifiée par la nature. Un seul chemin , descendant en écharpo
jusqu'à la rivière, y donnait accès; sur les autres points s'étendait un ravin
profond , aux flancs escarpés , hérissés de rochers nus et encombrés de brous-
sailles épaisses entremêlées de figuiers de Barbarie. La partie du terrain la
plus rapprochée des maisons , en pente très rapide , était plantée do gros oli-
viers et permettait à l'ennemi de s'y défendre avec un écrasant avantage.
Tous ces obstacles rendant fort dangereuse une attaque de front, le général
de Mac-Mahon se décida à faire tourner le village par la droite, et chargea le
général d'Autemarre do l'exécution de ce mouvement.
Le 21 , à trois heures du matin , la 2^^ brigade s'engagea dans les étroits
sentiers conduisant au Rummel, traversa cette rivière, appuya fortement à
gauche de façon & déborder la droite de l'ennemi , puis commença à gravir
les pentes du contrefort. Bientôt le combat se trouva engagé; prenant alors
vigoureusement Toffcnsivo, cette brigade s'élança sur la première ligne do
crêtes, en délogea les Kabyles et dirigea ses feux sur le village, où ces der-
niers s'étaient retirés et paraissaient vouloir se maintenir. Mais la charge
sonna encore une fois, le village fut enlevé à son tour, et Tennemi mis en
fuite sur tous les points où il essaya de résister. A ce moment les deux co-
lonnes appuyèrent l'une vers l'autre et, se dirigeant à travers bois, se mirent
à la poursuite des fuyards, auxquels elles infligèrent des pertes considérables.
La brigade d'Autemarre eut même encore un léger engagement au village
d'EI-Arba.l)'Sir.ha.
Pendant cette poursuite, le bataillon de Tirailleurs s'était porté à une très
grande distance dans la campagne, afin de faire du dégât. Tout à coup l'une
de ses compagnies se trouva aux prises avec des bandes considérables de Ka-
byles. Le commandant Jolivet commença par la faire appuyer par une section ,
puis par deux compagnies; puis, la lutte se poursuivant sans que l'ennemi se
décidât à lâcher pied , le bataillon tout entier se trouva bientôt engagé. Il y
eut alors un violent combat corps à corps que la retraite précipitée de l'en-
nemi vint seul faire cesser. Ce dernier laissait une quarantaine de morts sur
le terrain. Le bataillon comptait neuf hommes blessés.
A midi , on se mit en retraite. En nous voyant rétrograder, l'ennemi revint
sur ses pas et engagea une vive fusillade avec les compagnies d'arrière-garde,
qui eurent quelques hommes blessés.
A la suite do ce combat, tontes les tribus voisines vinrent faire leur sou-
mission, à l'exception cependant des Beni-Khettab, contre lesquels une opéra-
tion fut dirigée le 23. Le bataillon, désigné pour la garde du camp, n'y prit
aucune part.
Le 27, le camp fut porté d'El-Milia à Tsem-Fédouz, sur le Bou-Sébia, près
du territoire des Méchat, tribu particulièrement hostile. On attendit pendant
trois jours : pas un chef de la région ne se présenta au camp. Deux fractions
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90 LE 3* RÉQllIENT DIS TlRAlttEURS ALGÉRIENS [1852]
dos Oulûd-Aûuat, établios sur la rivo droilo do rOiiO(l-cl-K6bir, qui avuiout
déjà payé une partie de l'impôt qui leur avait été infligé, refusèrent même do
payer le restant, sous prétexte qu'elles étaient dans Timpossibilité de le faire
en présence des contingents du chérif Bou-Seba.
Le 31, à la pointe du jour, le général de Hac-Mahon se mit en route pour
le territoire de ces fractions avec les cinq bataillons de la brigade d'Aute-
marre, un bataillon du 16^ léger, cent chevaux et une section de montagne.
Hais, à l'approche de cette colonne, les chefs des Ouled-Aouat accoururent
au-devant du général , amenant des otages pour répondre de l'amende qui
leur était infligée. La marche sur ce point fut alors arrêtée, et le général se
tourna vers les Héchat, dont les nombreux rassemblements s'apercevaient
vers le nord. Ils étaient établis sur un contrefort s'étendant de l'est à l'ouest,
depuis les villages de Chassera et d'Iladéria jusqu'à rOued-el-Kébir.
Le licutenant-colonol do Saint-Pol fut chargé d'allaqucr de front avec doux
bataillons, pondant que le général d'Aulomarrc, avec les trois autres, |Mirnii
lesquels celui de Tirailleurs indigènes, devait appuyer à droite pour venir
prendre la route conduisant directement de Tsem-Fédouz à Chassera. Lorsque
cette dernière colonne arriva dans ce village, le lieutenant -colonel de Saint-
Pol venait, après un sanglant combat, d'enlever la crête qu'il avait devant
lui. Toute la brigade s'arrêta alors pour incendier les maisons; puis, cette
opération terminée, la retraite commença.
Il était trois heures. Les trois bataillons du général d'Autemarre furent
échelonnés par compagnie sur les crêtes, le long de la route que l'on devait
suivre pour rentrer au camp. Les troupes s'écoulèi'cnt ensuite dans le plus
grand ordre, chaque fraction devenant successivement arrière-garde pour se
retrouver un peu après au gros ou à la tête de la colonne.
La compagnie de Tirailleurs commandée par le lieutenant Dermier avait
été envoyée au-dessous d'une crête d'où l'ennemi aurait pu prendre la colonne
en flanc. Elle arriva à son poste à peu près en même temps qu'une cinquan-
taine de Kabyles s'y portaient par un autre point. Has<|ué8 imr des bois, Ti-
railleurs et Arabes ne pouvaient cependant pas s'apercevoir. Tout à coup la
rencontre eut lieu, et une mêlée furieuse s'ensuivit; les deux groupes ne for-
mèrent plus qu'un tourbillon confus, dans lequel il eût été difficile de distinguer
les nôtres au milieu du nombre toujours croissant des Kabyles. La situation
allait devenir critique, lorsque le commandant Jolivet arriva à la tête d'une
compagnie de soutien, chargea l'ennemi à la baïonnette, le mit en fuite et
dégagea complètement le terrain. Dans ce court, mais violent combat, les
Kabyles laissèrent environ trente morts , qu'ils ne purent enlever. Quant aux
Tirailleurs, ils eurent leur valeureux chef, le commandant Jolivet, blessé
d'un coup de feu au bras, et dix -neuf hommes plus ou moins grièvement
atteints.
Dans son rapport, le général de Mac-Mahon citait comme ayant fait preuve
d'une bravoure au-dessus de tout éloge :
MM. Dermier, lieutenant.
Ahihed-ben-Larbi , d»
Ramdam-ben-Mohamed, sergent, blessé pour la quatrième fois.
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[18521 EN ALOÉRIE 91
Le l®'* juin , la colonne se porta à Tarsetz, au cœur du pays des Méchat et
dans une belle plaine, qui s*étend jusqu'au territoire des Ouled-Arbi. Les jour-
nées du 2 et du 3 furent employées à la destruction des récoltes. La tribu des
Méchat, malgré les pertes qu'elle avait subies le 31 mai, était loin d'être
soumise; de nombreux rassemblements se montraient chaque jour à peu de
distance du camp. Dans la nuit du 2 au 3, on crut même un instant à une
attaque : de grands feux s'allumèrent sur les montagnes, le bruit du tam-tam
se répandit de village en village, des groupes de Kabyles se rapprochèrent des
avant-postes; mais tout se borna à ces démonstrations bruyantes, auxquelles
nos troupes commençaient à être habituées. On n'en prit pas moins toutes
les précautions possibles pour la nuit suivante, qui se passa dans la plus par-
faite tranquillité.
Le 4, les deux brigades pénétrèrent dans le pays des Beni-Toufout, dont
elles traversèrent une partie, et vinrent s'établir à Dou-Belléout, sur l'Oued-
Marsel. Le 6, elles se portèrent à Aïn-Gacher; le 7, à Outhiat-el-Hamim, où
elles passèrent la journée du 8. Le 9, le bivouac fut établi à Harta-Sedma; le
10, on atteignit Sadra, où l'on séjourna le 11; le 12, on se rendit à Bou-
Madger; le 14, on alla à Tarca-Emta-Karia, et le 15 on arriva à Collo. Là
le général d'Aulomarro quitta la colonne avec doux bataillons, pour se porter
en toute liAtc au secours d*Aïn-Beida , menacé par les Ilaracta.
Le 17, la colonne se remit en marche et, vers dix heures du matin, ar-
riva en face du mont GouflS, position très élevée sur laquelle les Kabyles
s'étaient réunis en nombre considérable. Le général de Mac-Mahon ayant
décidé qu'on les attaquerait à l'instant, deux colonnes furent immédiatement
formées et se dirig^rcnt, l'une par la droite, Tautre par la gauche, vers les hau-
teurs occupées par l'ennemi. Celui-ci s'était établi sur une succession de pitons
aux flancs escarpés d'un accès des plus difficiles , et qui se trouvaient divisés
en deux groupes par un étroit ravin hérissé de rochers. Quelques redoutes en
pierres sèches avaient été construites à la hflte sur les principaux d'entre eux.
Après un quart d'heure de marche, la colonne de droite, dont le général de
Mac-Mahon avait conservé le commandement et dont le bataillon de Tirailleurs
faisait partie , arriva au pied des premières pentes défendues par les Kabyles.
L& le bataillon de Tirailleurs fut détaché et envoyé dans le ravin, avec
mission de le remonter jusqu'ô son origine, et do le fouiller dans tous les sens
pendant que les autres troupes allaient donner l'assaut. Délogé partout, tourné
par la colonne Bosquet, qui l'avait assailli sur sa gauche, poursuivi de piton
en piton, l'ennemi ne manqua pas de se jeter dans cette gorge profonde,
espérant y trouver le salut. Une chasse à l'homme s'organisa alors au milieu
de ces rochers abrupts, et, malgré leur agilité, les Kabyles n'échappèrent
qu'en petit nombre aux balles ou aux baïonnettes des Tirailleurs. Un riche
butin fut pour ces derniers la récompense de cette difficile opération.
Le 18, on se prépara à pénétrer dans la vallée de l'Oued -Zohr. A cinq
heures du matin , le général , ayant avec lui le bataillon de Tirailleurs et les
sapeurs du génie, quitta le camp pour aller reconnaître une route donnant
accès dans cette difficile région. Pendant quatre à cinq kilomètres , on suivit
une crête anguleuse, surmontée de plusieurs pitons aux pentes très rapides.
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92 LE a* RÉOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1852]
Arrivée sur une bonne position , la colonne s'arrôU, cl le giuie se mil à Ira-
Yfliller aux passages les plus difficiles de l'étroit sentier qu'on avait parcouru.
Bientôt de nombreux rassemblements de Kabyles se montrèrent sur les croies
Yoidnes; puis, nous voyant immobiles, ils se rapprochèrent peu à peu, et fina-
lement engagèrent une asseï vive fusillade avec nos postes les plus avancés.
Cependant, maintenus à distance par la bonne contenance de ces derniers,
ils ne devinrent réellement agressirs qu'au moment de la retraite; plusieurs
retours oflensifs furent alors nécessaires pour les éloigner, et lorsque, vers
midi, le bataillon rentra au camp, il comptait un homme tué et six blessés.
Le 19, les troupes se mirent en marche pour Bou-Taouîa. Quelques combats
partiels eurent encore lieu pendant la route, mais nos pertes furent insigni-
fiantes. Le 20, après mille difficultés, après mille retards causés par les obstacles
du terrain, on atteignit enfin les bords de rOued-Zohr. Le 22, le bivouac fut
porté à Emta-el-Ârba; le 23, à Marboua, et, le 25, à Sra. Le 26, on arriva
à Cheflara. Ce jour-là , au moment où la grand'garde du bataillon travaillait
à se retrancher, elle fut brusquement attaquée par quelques groupes de Ka-
byles, qui furent aussitôt repoussés après avoir éprouvé des pertes sérieuses.
De notre côté, nous avions un homme tué et deux blessés.
Le 28, on revint à El-Milia. Pendant cette journée, les Arabes tirèrent
encore quelques coups de fusil de loin sur les flancs de la colonne, mais sans
atteindre personne. Le 29, on campa à Batsi; le 30, sur rOued-Kottou, et le
1^ juillet, à Salah-bey , à deux lieues de Constantine. Le lendemain on était
de retour dans cette ville, où la colonne fut dissoute. L'expédition avait duré
cinquante-deux jours, pendant lesquels le bataillon avait pris part à huit en-
gagements, qui lui avaient coûté un officier et quarante- huit hommes hors
de combat.
Pendant que la plus grande partie de nos troupes se trouvaient en Kabylie,
les tribus de l'est (Haracta, Nemencha et Beni-Salah) avaient fait comme
l'année précédente : s'étaient révoltées. Cette fois l'insurrection avait même été
assex grave, et plusieurs postes de la région Bône-Guelma -Tébessa s'étaient
subitement vus menacés. Mais le colonel de Tourville, qui commandait à
Bône, s'était rapidement porté contre les Haracta et les avait battus les 13 et
14 juin; d'un autre côté, le général d'Autemarre, que nous avons vu quitter
la colonne de Kabylie à Collo pour voler au secours d'Ain-Rcïda, avait envahi
le territoire des Nemencha et poussé les contingents de ces derniers jus(|ue
sur la frontière de Tunis. Celte situation, quoique devenue meilleure, n'en
avait pas moins hâté le retour à Constantine du général de Mac-Mahon.
A peine rentré, ce dernier organisa une nouvelle colonne comprenant cinq
bataillons, dont celui de Tirailleurs indigènes, deux sections d'artillerie et un
escadron et demi de cavalerie, avec laquelle il se porta d'abord à Tmatat;
puis, ayant obtenu l'autorisation de pénétrer sur le territoire tunisien pour y
poursuivre les dissidents, il leva son camp le 12 juillet à quatre heures du
soir, et se dirigea sur le marabout des OuIed-Sidi-Yaya-ben-Thaleb, où il
arriva à trois heures du matin avec la cavalerie. Malgré la fatigue de ses che-
vaux , celle-ci se mit immédiatement à la poursuite des Arabes, qu'elle parvint
à atteindre, et sur lesquels elle fit un butin considérable, après leur avoir tué
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[1852] EN ALGÉRIE 93
enfiron deux cents hommes. Quand Tinfanterie arriva, à neuf heures un
quart, après une marche de plus de diz-*sept heures, tout était fini, et les
Nemencha demandaient l'aman.
Après un jour de repos, la colonne se remit en route pour se rendre ches
les Beni-Salah en suivant la frontière. En raison de la chaleur et de la fatigue
des troupes, les étapes furent très courtes et les séjours multipliés. G*est ainsi
qu'on mit jusqu'au 18 pour arriver à Sidi-Toussef.
Les Beni-Salah s'étaient également réfugiés en Tunisie, ches les Ouchetata.
Ils y furent poursuivis et razzés les 23 et 24 juillet.
Le 28, on arrivait à Souk-Arras. Tout étant rentré dans l'ordre, la colonne
fut dissoute, et les troupes dirigées sur leurs garnisons respectives. Le batail-
lon de Tirailleurs rentra à Constantine.
A cette môme époque , une certaine agitation avait gagné les tribus saha-
riennes. Mohamed-ben-Abdallah, cet ancien khalifa que nous avons vu en 1845
dans les événements du Hamza, était revenu de la Mecque, où il était allé en
pèlerinage , et s'était retiré à Ouargla , où il n'avait pas tardé à prêcher la ré-
volte et à se créer un parti assez important. Au mois de janvier 1852, il avait
essayé do se rapprocher de nos postes et de faire une pointe dans le sud de la
province d'Alger; mais, contenu par le général de Ladmirault, qui comman-
dait à Médéah , il avait dû se rabattre vers l'est, où il n'avait pas été plus heu-
reux. Le commandant Gollineau , chef du cercle de Biskra , s'était mis à sa
poursuite, l'avait atteint le 21 mai près de Mlili, et rejeté de nouveau vers le
désert. Au commencement de juillet, il se trouvait sur l'Oued-Ittel, chez les
Ouled-Sassi, qu'il avait entraînés dans son mouvement insurrectionnel.
Devant ce commencement de troubles, qui pouvait, s'il n'était immédiate-
ment étouffé, nous entraîner dans une expédition comme celle de Zaatcha,
le g(';néral do Mac-Malion, qui se trouvait alors en Kabylie, s'empressa de faire
renforcer, avec les quelques troupes qui restaient disponibles, nos postes les
plus menacés. La 6° compagnie du bataillon de Tirailleurs , qui n'avait pas
quitté Sétif , fournit aussitôt un détachement de soixante-quatorze hommes, et
ce détachement alla, sous les ordres de M. le lieutenant Costa, se mettre à la
disposition du capitaine Pcin, commandant supérieur du cercle de Bou-SaAda.
Dès qu'il eut reçu ce renfort, le capitaine Pein se mit en marche, et, com-
binant ses opérations avec celles du colonel Desvaux, commandant la subdi-
vision do Ratna, se dirigea sur l'Oued -lltel pour atteindre Mohamed-ben-
Abdallah. Mais ce dernier n'attendit pas l'arrivée des colonnes françaises; il se
retira en toute hAte vers le sud, et laissa les Ouled-Sassi réduits à leurs seuls
moyens pour nous résister. Le capitaine Pein , se tournant alors contre cette
tribu, se porta sur son territoire et rencontra ses contingents le 15 juillet sur
l'Oued-Ghramra. Les Arabes résistèrent énergiquement; le succès fut long-
temps disputé. H finit enfin par nous rester, grAce A une charge A fond de la
cavalerie et A l'attitude héroïque du détachement de Tirailleurs, qui, entouré
de toutes parts par des cavaliers ennemis , offrit A ces derniers une muraille
vivante contre laquelle s'émoussèrent tous leurs efforts; mais il fut chèrement
acheté : le seul détachement de M. Costa comptait cinq hommes tués et six
blessés, soit onze hommes hors de combat ou le sixième de son effectif.
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94 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1852]
Co brillant combat siifTit à faîro rentrer tout lo sud do la province dans la
plus complète tranquillité. Hohamed-ben -Abdallah, qui était retourné à
Ouargla, ne donna plus signe de vie tant que dura l'été; mais, au commen-
cement d'octobre , il remonta de nouveau vers le nord et vint menacer la ville
de Laghouat. Le général Yusuf, qui opérait alors dans les environs de Djelfa,
s'y porta-aussitôt, fit prendre aux habitants quelques mesures de défense et,
croyant le danger conjuré, reprit le chemin de Djelfa. Mais le chérif n'avait
pas abandonné son projet; vers le milieu de novembre, il reparut à la tête de
forces encore plus considérables, mit le siège devant la place, y pénétra au
moyen d'une trahison et s'y retrancha solidement, décidé à s'y défendre jus-
qu'à la dernière extrémité.
Aussitôt qu'il apprit cette nouvelle , le général Randon , gouverneur géné-
ral, dirigea sur Laghouat toutes les colonnes qui opéraient alors dans le nord
du Sahara. C'est ainsi qu*à peu de jours d'intervalle on vit arriver devant la
place les généraux Bouscaren et Yusuf et lo commandant Pcin. Ce dernier
venait de Bou-Saflda et amenait avec lui quelques troupes, parmi lesquelles
le détachement de la 6* compagnie de Tirailleurs. Mohamed -ben -Abdallah se
défendit vigoureusement , et il fallut renoncer à l'espoir de s'emparer de la
ville au moyen d'un simple coup de main. Le 2 décembre, le général Pélissier
arriva à son tour à la tête d'une nouvelle colonne et prit le commandement
de toutes les troupes.
Dans la nuit du 3 au 4, une batterie fut établie dans la kouba de Sidi-el-
Hadj-Aïssa.
Au point du jour, le bombardement commença. A onze heures, la brèche
étant devenue praticable, le général Pélissier fit donner le signal de l'assaut.
Quatre colonnes se précipitèrent en avant : à l'ouest , celle des généraux Pé-
lissier et Bouscaren; à l'est, les troupes du général Yusuf et du commandant
Pein. I^a défense fut opiniâtre; mais rien ne put résister à l'élan de nos sol-
dats. Entre tous, les Tirailleurs de Constantine se signalèrent parleur audace
et leur bravoure; sous un fou meurtrier, ils es4uiladèrcnl les rochers (|ui for-
maient la principale fortification de la ville, et pénétrcreut des premiers dans
la place. A ce moment leur chef, le lieutenant Costa , tomba mortellement
frappé. Déjà les Arabes s'étaient emparé de son corps et se disposaient à l'em-
porter, lorsque le nommé Mohamed -bcn-Tayeb arrive, se jette sur eux à la
baïonnette et parvient à leur arracher celte glorieuse dépouille. Quelques ins-
tants après les quatre colonnes opéraient leur jonction : la ville était à nous.
Mohamed -ben- Abdallah, qui était parvenu à s'échapper, fuyait à toute bride
vers le désert.
Nos pertes avaient été sensibles; parmi les tués se trouvaient le général
Bouscaren, les capitoines Morand et Bess'ière, et enfin le liinitcnunt Costa,
qui dans toute cette expédition s'était généreusement prodigué à la tôle de
sa petite troupe, faisant partout preuve des plus brillantes qualités militaires.
Outre la mort de ce jeune officier, le corps comptait neuf hommes blessés.
L.a prise de Laghouat eut un grand retentissement chez les Arabes et con-
tribua puissamment à asseoir notre influence parmi les tribus nomades du
Sahara. Elle est restée, autant par ses résultats que par la bravoure qu'y
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[1852] EN ALOÊRIB 95
déployèrent nos troupes, un des éYénemcnts des plus importants de l'histoire
de notre conquête. Le bataillon de Tirailleurs de Constantine n*y avait, il est
vrai, pris qu'une faible part, si Ton n*en visage son rôle que d'après le
mince appoint qu'il avait fourni aux colonnes d*attaque; mais, par l'admi-
rable conduite du détachement de la 6* compagnie , par la proportion des
pertes subies, ce fait peut être considéré comme l'un des plus glorieux
qu'il soit en droit de citer parmi ceux qui composent ses brillantes annales.
Aussi est-ce avec justice que le nom de cette victoire 6gure aujourd'hui sur
le drapeau du régiment, à c6té de ceux do Sébastopol, de Solférino, de San-
liOrenzoet d*Ëxtrémc- Orient.
A son retour de Logliouat, la colonne du commandant Pein eut deux
engagements assez vifs : l'un avec les Ouled-Tebbat , fraction révoltée des
Ouled-Naïl , l'autre contre les Oulcd-Sidi-Zian. Ce dernier eut lieu le 10 jan-
vier 18K3. liO 20 mars, le détachement do la 6® compagnie arrivait à Dou-
SaAda , et quelques jours après se mettait en route pour Sétif.
Le 30 novembre 1852, un nouveau tarif était venu fixer à 1 fr. par jour
la solde de présence des Tirailleurs de première classe, et à 95 c. celle des
Tirailleurs de deuxième classe. Il ne faut pas oublier que les Tirailleurs indigènes
continuaient à pourvoir eux-mêmes h leur nourriture, ce qui explique l'élé-
vation do celle solde.
Depuis loiiglenips tous les chefs qui s'intéressaient à l'avenir des troupes
indigènes réclamaient avec insistance la fixation d'une tenue régulière de-
vant relever un peu le prestige de ces dernières; mais cette question, consi-
dérée comme de second ordre, n'avait pas encore reçu de solution, lorsque
1 maréchal de Saint-Arnaud, qui avait déjà complété l'organisation des
bataillons de Tirailleurs indigènes, s'en occupa enfin, et répondit de la façon
la plus complèle à tous les vœux qui avaient été formulés à ce sujet.
Le 14 février 18511, une décision ministérielle donna la description du
nouvel uniforme, adopté à titre définitif. Désormais le burnous crasseux, les
turbans de formes diverses, les souliers de confection arabe allaient faire
place au pantalon et à la veste bleu de ciel , à la chéchia et à la chaussure
française, avec des jambières en cuir de mouton fauve. Pour tout ce qui
concerne les autres détails , cette tenue allait être telle qu'elle est restée au-
jourd'hui, telle qu'elle s'est montrée depuis sur tous les champs de bataille
où a llollé le drapeau de la France.
liCS orficiers reçurent la tunique bleu de ciel pour la pelite et la grande
tenue , le caban également bleu de ciel , le pantalon garance avec bande de
drap bleu , le képi à turban bleu , et le ceinturon des chasseurs à pied , en
un mot la tenue qu'ils avaient encore avant l'adoption du dolman.
L'uniforme des officiers indigènes était le même qu'il est encore aujour-
d'hui, avec cette simple diirùronco que, pour la grande tenue, les tresses
et broderies de la veste et du gilet étaient en or, et que le pantalon bleu de
ciel , quoique de forme arabe, avait une bande de drap jonquille de cinq cen-
timètres de largeur. Les bataillons se distinguaient entre eux par la couleur
du drap formant la fausse poche de la veste dite tombeau, qui était :
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96 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1852]
Garance, pour le bataillon d'Alger n« 1.
Blanc, pour le bataillon d*Oran n« 2.
Jonquille, pour le bataillon de Constantine. ... n** 3.
Lorsque, plus tard, chacun de cesbataillons devint un régiment, ces mômes
couleurs furent conservées comme signes distinctiCs.
EXPEDITION DES BABORS
ET DE LA KABYLIE ORIENTALE (1853)
L'année 1853 eut, comme ses précédentes, son expédition de Kabylie.
Cette fois il fut formé un corps expéditionnaire, dont le général Randon,
gouverneur général , prit lui-môme le commandement. Ce corps comprit deux
divisions, qui furent placées sous les ordres des généraux do Mac-Mahonet
Bosquet. La concentration eut lieu à Sélif au commencement de mai. Les l**®,
2®, 3*, 4*, 5* et 7* compagnies du bataillon de Tirailleurs, désignées pour en
faire partie, formèrent, avec deux bataillons du 11* léger, la deuxième bri-
gade de la division de Mac-Mahon, brigade dont le colonel Thomas reçut le
commandement.
L'expédition devait avoir pour tliéûtro la région du Uabor et toute cetle
partie de la Kabylie orientale, comprise entre le littoral de DJidjelli et le
cours de l'Oued-el-Kébir.
Elle allait comprendre deux périodes bien distinctes : dans la première , il
allait falloir combattre, sans cependant se trouver en présence d'une résis-
tance comparable à celle des campagnes précédentes; dans la seconde, cette
résistance n'existant plus, les troupes allaient être employées aux travaux des
routes. Le 13, le corps expéditionnaire se trouva complètement organisé; il
présentait un effectif de onze mille sept cent quarante hommes.
Le 18, le départ eut lieu dans deux directions, chaque division devant, au
début, agir sur un théâtre d'opérations particulier. La division de Mac-
Mahon se dirigea sur Sidi-Tallout. Elle devait ensuite contourner le Ta-Babor
par 1-est, manœuvrer sur la rive droite de l'Oued-Âgrioun , et enfin gagner la
vallée inférieure de cette rivière, pour y effectuer, après douze à quinze
jours de marche, sa jonction avec la division Bosquet, avec laquelle se trou-
vait le général en chef.
Le 20, on arrivait à Sidi-Tallout, et le général établissait son camp sur
la crête qui réunit le Ta-Babor au Djebel-Adrar.
Le 21 , quelques bataillons furent envoyés à peu de distance du camp pour
y détruire des villages kabyles. Au retour , ils furent vivement inquiétés par
Tennemi.
Le 22, à huit heures du matin, le bataillon de Tirailleurs se mil en route,
avec mission de protéger un détachement du génie envoyé pour ouvrir une
route pour les opérations du lendemain.
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[1853] EN ALGÉRIE 07
La route à laquelle il s'agissait de travailler devait passer au pied d*an
piton assez élevé', sur lequel un poste avait été détaché la veille , et qui était
pour le moment occupé par des Kabyles, puis s'engager dans un col formant
gorge et déboucher dans une espèce d'entonnoir dominé à droite par un
contrefort du piton dont nous venons déparier et, à gauche et en avant,
par une ligne de mamelons d'une hauteur moyenne do deux cents mètres.
Le commandant Jolivet avait Tordre formel de ne pas dépasser ce point.
A peine arrive à quelques kilomètres du camp, l'avant- garde commença
à essuyer le feu de l'ennemi ; mais deux compagnies furent aussitôt envoyées
sur la hauteur de droite, afin de débusquer ce dernier.
En un instant elles y furent établies, et, s'élendant ensuite sur toute la
crôto, elles couvrirent tout le terrain de ce côté, le seul qui du reste fut
menacé pour le moment. Quant aux Kabyles, après quelques décharges aux-
quelles les Tirailleurs n'avaient môme pas répondu, ils avaient craint d'être
tournés et s'étaient dispersés pour aller se reformer plus loin.
On les retrouva, en effet, au nombre d'au moins quatre à cinq cents,
dès qu'on déboucha de Tautre côté du col. Ils avaient couronné toutes
les hauteurs commandant l'entonnoir dont il est question plus haut. A ce
moment, le bataillon s'arrôta; une section fut alors déployée et portée en
avant pour couvrir l'entrée du défilé , et deux compagnies s'élancèrent sur les
hauteurs de gauche, dont elles s'emparèrent au prix de deux hommes
Se trouvant ainsi protégés en avant et sur leurs flancs , les travailleurs
du génie purent vaquer à leur besogne en toute sécurité. L'ennemi se main-
tenait à distance , se contentant de harceler de ses feux les compagnies qui
avaient pris position.
liorsquo le moment de la retraite arriva , les ordres les plus précis furent
donnés pour l'évacuation successive des hauteurs occupées. Le mouvement
s'exécuta dans le plus grand ordre, d'abord par les compagnies du centre,
puis par celles de gauche. Au fur et à mesure que nous quittions une posi-
tion , les Kabyles venaient immédiatement la reprendre.
Quand il arriva & la sortie do la gorge, le bataillon s'arrôta, afin de per-
mettre à une compagnie, qui s'était avancée un peu trop loin sur la gauche ,
de se replier.
Les deux compagnies qui avaient été détachées sur la droite, et qui jusque*
là avaient protégé le mouvement rétrograde, se retirèrent à leur tour en con-
tinuant à suivre les crôtes, et vinrent prendre position plus en arrière. Les
Kabyles, qui avaient aussitôt gravi l'extrémité qu'elles venaient d'aban-
donner, les serrèrent de près dans leur retraite, et tentèrent bientôt de
déborder la compagnie du capitaine Grémelin, qui se trouvait à l'extrôme
droite. Mais cet officier, entraînant sa troupe dans un vigoureux retour
offensif, se jeta sur ces bandes acharnées pour les refouler dans le ravin.
Pendant un instant, cet étroit plateau fut le théâtre d'un sanglant combat
corps à corps. Confiants dans leur nombre, les Kabyles résistaient énergique*
ment. Déjà le capitaine Grémelin avait été grièvement blessé; M. Pape,
son sous -lieutenant, venait de tomber mortellement frappé; il ne restait
7
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98 LE 3* RÉOIMENT DE TIB AILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE [1853[
plus, commo officior, quo M. Abd-ol-Kador-bcn-Ulidi. Mais co dornior,
poursuivant ayec beaucoup d'intelligence le mouvement commencé, continua
à charger l'ennemi, qui, définitivement vaincu, ne tarda pas à prendre la
fuite, ayant subi des pertes considérables en morts et en blessés, et laissant
un certain nombre de prisonniers entre nos mains.
Le terrain était dégagé; rendus prudents, les Kabyles se tinrent désormais
à distance, et la compagnie Grémelin put effectuer sa retraite en bon ordre
sans être trop inquiétée. Cependant, lorsqu'elle abandonna les crêtes pour
rejoindre le bataillon , elle eut encore un peu à souffrir du feu plongeant de
Pennemi. Enfin , on atteignit le camp, et la vue des grand'gardes suffit alors
pour décider les Arabes à se disperser pour ne plus reparaître.
Cette difficile et périlleuse opération avait duré plus de cinq heures, et,
pendant ce temps, les différentes compagnies du bataillon n'avaient pas cessé
de combattre : aussi les pertes étaient-elles sérieuses. Étaient tués : Âl. Pape,
sous-lieutenant, et trois Tirailleurs; étaient blessés : MM. Grémelin, capi*
tame; Lapoinle, capitaine; Dermier, lieutenant; Uel-Kassem, lieutenant in-
digène; quatre sous-officiers et vingt-sept Tirailleurs.
Les conséquences de ce combat, le seul important qui eut lieu dans le
courant de l'expédition, furent immenses : dès le lendemain, les tribus du
Babor, jugeant la résistance impossible, vinrent faire leur soumission, et le
pays devint immédiatement si tranquille, qu'un officier put le traverser avec
une escorte de quelques hommes.
Le 29, les deux divisions se mirent en route pour se rapprocher de la mer
et faire leur jonction près do rcniboucliure do l'Oued -Agrioun. La division
Bosquet se trouva au rendes-vous le l®** juin; celle du général de Mac-Mahon,
arrêtée par l'impraticabilité des chemins, ne put y arriver que le 4.
Le 6 juin, le corps expéditionnaire quitta les bords de l'Oued-Agrioun pour
aller camper à Ziama. Là, il fut arrêté près de quatre jours par le mauvais
temps. Le 10, il se remit en route vers l'est. Le 17, les deux divisions pé-
nétrèrent, Puno par Post et Pautro par l'uuost, sur le territoire dos lleni-ldor
et des Beni-Affer, tribus qui n'avaient encore fait aucune demande de sou-
mission. Se voyant entourées de toutes parts, elles n'attendirent pas d'être
attaquées et envoyèrent aussitôt leurs chefs pour demander l'aman.
Le 18, le bataillon de Tirailleurs, à l'exception de deux compagnies, fut
dirigé sur Bougie pour y tenir garnison jusqu'à nouvel ordre. Le comman-
dant Jolivet fut en même temps nommé commandant intérimaire de la place.
A partir du 20 , les autres troupes furent échelonnées sur les chemins et
employées à ouvrir des routes stratégiques reliant Djidjelli à Milah et à Sétif.
Au mois de juillet, les chaleurs étant devenues par trop fortes pour continuer
ces travaux, les bataillons rentrèrent dans leurs garnisons respectives. Celui
de Tirailleurs revint à Constantine.
Au mois d'octobre, le général de Mac-Mahon se transporta de nouveau ches
les Beni-Ider avec une colonne forte do sept bataillons, dont celui de Tirailleurs
indigènes. Les travaux des routes furent repris et continués avec la plus
grande activité. En même temps, des pointes exécutées chaque jour dans l'in-
térieur du pays assurèrent la tranquillité des tribus.
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EXPÉDITION DE CRIMÉE
CHAPITRE X
Fonnation d*un régiment de Tirailleurs algériens. — Embarquement à Alger. — Débar*
quement à Gallipoli. — Camp de Boulahir. — Départ pour Varna. — Reconnaissance
dans la Dobrntscha. — Le choléra. — Retour à Varna. — Débarquement en Grimée.
— Bataille de TAlma. — Marche sur Sébastopol.
Dès les premiers jours de l'année 1854, une guerre avec la Russie étant
devenue imminente par suite de Tintervention de la France dans l'étemelle
question d*Orient, on s'occupa à la hé te d'organiser un corps expédition-
naire. Cependant, à cette époque, le gouvernement impérial, non encore fixé
sur l'importance de l'effort qu'il se proposait de faire en faveur de la Turquie,
ne constitua d*abord que deux divisions, dont les généraux Canrobert et
Bosquet reçurent le commandement, plus une brigade de cavalerie. Le ma-
réchal de Saint-Arnaud , désigné pour être placé à la tète de cette expédition,
fut chargé do l'organisation des troupes qui devaient y prendre part. Le ma-*
réchal, qui pendant ses nombreuses campagnes en Algérie avait hautement
apprécié les qualités des Tirailleurs indigènes , pensa aussitôt à ces derniers
pour les emmener ^n Orient. Seulement, une difîculté se présentait t les sol-
dats des bataillons de Tirailleurs ne s'étaient engagés que pour servir dans
leur pays; allaient-ils se décider à nous suivre dans des contrées aussi loin-
taines? Le maréchal n'en douta pas, et l'événement lui donna raison.
Le colonel de Wimpffen , qui connaissait parfaitement les troupes indigènes
pour avoir servi pendant longtemps dans le bataillon de Tirailleurs d'Alger,
eut mission de former un corps de volontaires avec des hommes.pris dans les
bataillons des trois provinces de l'Algérie. Au commencement de février, il se
rendit d'abord à Alger, puis à Constantine, et s'occupa activement de réunir
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LE 3^ RÊOIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1854]
les éléments nécessaires à la constitution d*un régiment à deux bataillons.
A Constantine, officiers et soldats demandèrent presque tous à partir. Dans
les derniers on choisit cinq cent cinquante hommes ; parmi les premiers
furent désignés :
MM. Quinemant, capitaine.
Godinot de Villaire , dfi
Dermier, à^
Panier des Touches , d^
Schweimberg, lieutenant.
D'Uxer, d»
Chevreuil , d^
Pelsex, d«
MM. Mariani, lieutenant.
Kaddour-ben-Brahim, dfi
Ahmed-bcl-Larbi, d^
Mohamed-bel-Gasm , d^
Abd-el-Kadejr-ben-Blidi, d^
Véran , sous-lieutenant.
Humery, d®
Ce détachement fut aussitôt dirigé sur Goléa, où devait avoir lieu Torgani-
sation définitive. Le 9 mars, parut un décret impérial réglant cette organi-
sation : le régiment qui allait être créé devait porter le titre de Régiment de
TiraiHewrs algérieni.
Le 21 mars, les contingents des trois provinces étant arrivés, le général
Camou les passa en revue et procéda à la constitution définitive do ce nouveau
corps , dont le colonel do WimpOcn reçut le commandement. Le lieutenant*
colonel était M. Lévy, qui avait servi autrefois au bataillon d'Alger, et les
chefs de bataillon, MM. de Maiission et Martineau-Dcschenez, le premier
venant du bataillon d* Alger, le second de celui d'Oran.
Le décret du 9 mars 1854 fixait la composition de chaque bataillon à neuf
compagnies, dont une de dépôt. Chaque compagnie devait comprendre cinq
officiers et cent cinquante hommes de troupe. Le contingent d'Alger entra
tout entier dans le premier bataillon, et celui d'Oran dans le deuxième; quant
à celui de Constantine, il fut réparti dans les deux balaillons.
Le 1^ avril, le régiment, réunissant un efiectif de soixante- quatorze offi-
ciers et de deux mille vingt-cinq hommes, se mit en route pour Alger, où
devait s'effectuer l'embarquement.
Le 6 avril , eut lieu un premier départ sur les transports le Labrador et
rWoa. One foule considérable se trouvait sur le quai. La population indigène
tout entière était accourue. Au fond, l'idée religieuse ne se dégagcait-cllo pas
pour elle de cette guerre, qui avait pour but la protection du trône du sultan?
Il faut le croire, car ce fut avec un profond enthousiasme qu'elle salua de
ses vœux les bateaux qui emportaient, loin de leur patrie, ces soldats parmi
lesquels chacun comptait des parents et des amis.
Le 10 avril, le Berthollet prit à son bord ce que les deux autres navires
n'avaient pu embarquer.
La traversée s'effectua sans incident.
Le 14, le Labradw débarquait à Gallipoli trente et un officiers et sept cent
soixante et un hommes. Ce détachement fut le jour môme conduit au camp
de la Grande-iUvière.
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[1854] EN CRIMÉE lOi
Le 16, le général Bouat, commandant provisoirement la deuxième diviaioni
en passa la revue et fut émerveillé de Tentrain qui y régnait.
Le 17, VVlloa et le Berthollet débarquèrent encore quarante -trois officiers
et mille deux cent vingt-trois hommes. Dès lors, tout le régiment se trouva
réuni au camp do la Grandc-Ilivièrc.
Aussitôt qu'elles furent installées, les troupes s'occupèrent de compléter
leur instruction. Le mois d*avril s*achova au sein de cette occupation, qui fut
continuée pendant la première partie du mois suivant.
Dans l'organisation de Tarmée d'Orient, le régiment de Tirailleurs avait été
compris dans la première brigade (général d'Autemarre) de la deuxième di-
vision (général Bosquet).
Les deux généraux sous lesquels il allait servir étaient de longue date
connus des indigènes, notamment de ceux de Constantine.
Le 7 mai, le maréchal de Saint-Arnaud toucha à Gallipoli avant de se
rendre à Constantinople, et passa toutes les troupes en revue.
Le 13, le régiment alla camper au village turc de Boulahir, à quatorze kilo-
mètres au nord de Gallipoli. Là, il fut employé à des travaux de fortification
ayant pour but de fermer complètement la presqu'île.
Le 2R , le maréchal était de rclour, h Gallipoli. IjC mémo jour, il passa une
nouvelle revue pour se rendre un compte exact de la situation de Tarmée, de
ses ressources et de ses besoins. En arrivant devant les Tirailleurs, il en re-
connut plusieurs qu'il avait vus pendant sa brillante expédition de Kabylie,
en 1851. Il félicita ensuite le colonel de WimpOen sur leur attitude martiale,
sur leur belle tenue, puis remit à ce dernier le drapeau destiné au nouveau
régiment. Se tournant alors vers la troupe, il lui adressa l'allocution suivante,
qui fut aussitôt traduite en arabe par le général Bosquet :
« Tirailleurs,
« L'empereur m*a chargé de vous remettre ce drapeau.
« Cest avec un bien grand plaisir que je m'acquitte de ma mission, car je
sais que vous êtes de braves soldats. Vous me l'avez prouvé plus d'une fois en
Afrique. On vous a choisis pour venir en Orient, parce qu'on vous sait dignes
de combattre dans les rangs français. Continuez , Tirailleurs , à vous montrer
tels que je vous ni connus I Marchez sur les traces de votre bravo colonel!
Obéissez toujours à vos chefs : robôissance et la discipline sont les guides
du soldat français.
c Tirailleurs I n'oubliez pas que lorsqu'on a Tbonneur de combattre sous les
couleurs de la France, on ne les rend jamais : on meurt 1 »
Cependant, à la suite d'une conférence qui avait eu lieu, le 19 mai, entre les
commandants des armées alliées, il avait été décidé que le gros des troupes
serait concentré à Varna.
Le 7 juin, la division Bosquet quitta Boulahir; le 14, elle arriva àAndri-
nople; elle s'établit aux portes de la ville, dans l'île du Sérail, y séjourna
jusqu'au 25 et continua sa route sur Varna. Le 7 juillet, elle se trouva réunie
en entier à Yéni-Keul, village formant, avec ceux de Franka et de Zefierli,
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102 LB 3* BÂOIMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l854]
la couronne d'un vostd plateau qui 8*étend à huit kilomètres au nord do
Varna.
Cette concentration avait eu pour but la protection de la place de Silistrie ,
assiégée par les Russes depuis la fin d'avril. Mais ces derniers, après quelques
tentatives sans résultat , levèrent le siège dans la nuit du 22 au 23 juin. Les
poursuivre dans un pays ravagé, difficile, peu connu, et de plus infecté de
maladies pestilentielles, était une entreprise non seulement dangereuse, mais
qui ne promettait aucun avantage; car ce mouvement, en nous entraînant
loin de notre base d'opérations, permettait à l'armée ennemie do se rappro-
cher de la sienne. Pour frapper la Russie , il fallait donc chercher un autre
terrain; les chefs des deux armées et les commandants des deux flottes
crurent le trouver dans la Crimée et surtout dans la ville de Sébastopol.
Mais un débarquement dans cette presqu'île demandait d'immenses prépa-
ratifs: il fallait réunir les moyens de transporter une armée de soixante mille
hommes avoc son matériel et sos approvisionnomonts , faire reconnaître la
côte sur laquelle on se proposait d'aborder, prendre des renseignements sur
le pays dans lequel on allait s'engager, en un mot assurer dans toutes ses
parties une opération qui pouvait être considérée comme une seconde expé-
dition. Tout cela allait demander du temps et permettre à la Russie de parer
au danger qui la menaçiût. Il importait donc , pour détourner son attention
de la Criméie , de lui laisser croire à une action sérieuse dans la Dobrutscha.
A cet effet , le maréchal ordonna , pour le 22 juillet, une grande reconnais-
sance par les spahis d'Orient, appuyés par les trois divisions.
La division Bosquet se mit en marche à quatre heures du matin. Elle de-
vait se rendre en deux jours à Bajardjik , s'y installer, et détacher en avant
des postes sur les routes de Silistrie, de Rassowa et de Mangalia. Mais, au
lieu de deux jours, elle dut en mettre trois; elle n'arriva que le 24, après
une marche des plus difficiles sur un terrain nu , sec, couvert d'herbes sau-
vages et présentant tous les caractères de la steppe.
Avant le départ, le choléra avait fût son apparition à Varna. On avait cru
le fuir en quittant cette ville, et il nous suivait, au contraire, acquérant
chaque jour une nouvelle intensité. Déjà quelques régiments se trouvaient
crudlement éprouvés; les effectifs fondaient avec une bcroyable rapidité.
Seuls, les Tirailleurs algériens semblaient résister au redoutable fléau. Ce
dernier les visita cependant à leur tour, mais sans prendre des proportions
bien alarmantes : le nombre des victimes ne dépassa pas quatorze.
On se figure généralement que le fatalisme de l'Arabe l'entraine plus faci-
lement au découragement. C'est une erreur. Ce btalisme lui fait traverser les
situations les plus graves , lui fait supporter les maux plus terribles avec une
indifférence tenant beaucoup plus de la résignation que de l'abattement. Ce
qui est arrivé devait arriver, et voilà tout.
Quoi qu'il en soit, dans cette circonstance, le régiment algérien fut admi-
rable; non seulement les hommes ne cessèrent de donner les preuves de la
plus grande énergie, mais encore ils s'offrirent généreusement pour servir
d'infirmiers auxiliaires , et leur infatigable dévouement fut partout hautement
apprécié.
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[1854] EN CntMÉB 103
Le 25, on arriva à Mangalia, d*où Ton repartit le lendemain pour se porter
sur Babadagh , où des postes ennemis avaient été signalés. On mit quatre
jours pour atteindre cette localité. L& il fallut s'arrêter : le choléra prenait
un développement oITrayant. Dans celle seule journée il n*avalt pas fait moins
de cinq cents victimes. Dès lors il ne s'agissait plus de trouver Tennemi, mais
de mettre les troupes à Tabri du climat pestilentiel de cette région. Le retour
à Varna fut décidé. La retraite s'efTeclua lentement, péniblement, et, le 9 août,
la 2* division reprenait ses cantonnements à Yéni-Keu!.
On arrivait juste pour assister à une nouvelle catastrophe. Dans la nuit du
10 août, un violent incendie éclata tout à coup dans le bas quartier de Varna
et faillit amener le plus épouvantable des désastres. Après avoir détruit les
magasins contenant les approvisionnements des armées alliées, les flammes
vinrent lécher les murs des constructions où Ton avait renfermé les muni-
tions pour toute la campagne. Toutes les troupes étaient là, travaillant avec
une ardeur que décuplait Timminence du danger. Une étincelle pour enflam-
mer ce volcan , et Ton aurait compté des milliers d*hommes complètement
broyés. Le vent tourna, tout fut sauvé. Dès les premiers instants, le régi-
ment de Tirailleurs était accouru d*Yéni-Keuî et avait prêté son concours aux
travailleurs venus do toutes parts pour circonscrire le terrible élément. Là
encore les soldats indigènes trouvèrent Toccasion de faire preuve de leur
dévouement et de leur énergie.
Après une reconnaissance maritime faite par une commission composée des
hommes les plus compétents , la descente en Grimée fut définitivement réso-
lue. Le 25 août, un ordre du maréchal apprit aux troupes leur prochain
embarquement.
Cette nouvelle fut reçue avec une joie profonde , avec un enthousiasme que
n'avaient pu détruire les nombreux malheurs qu'on venait d'éprouver.
Le 29, l'armée quitta ses bivouacs et se rendit à Baltchickt, où se trouvaient
réunies les flottes alliées. Le i^' septembre , le régiment s'embarqua sur le
trois-ponts le Friedland. Le 5, on appareilla; le 12, on signala les côtes de
la Crimée. Le 13, les deux flottes se présentèrent devant Eupatoria, qui se
rendit à la première sommation. Le point choisi pour le débarquement était
la plage d'Old-Fort. Le 14, à sept heures du matin, cette opération com-
mença; le soir, elle était terminée pour les trois premières divisions; elle
se continua jusqu'au 18 pour les approvisionnements et le matériel.
L'armée qui venait de débarquer sur le sol de la Crimée comprenait envi-
ron trente mille Français représentant quatre divisions, vingt-deux mille
Anglais et une division turque forte de six mille hommes : en tout cinquante-
huit mille hommes , dont à peu près trois mille non-combattants. Les forces
russes chargées de la défense de la presqu'île s'élevaient à cinquante et un
mille hommes de troupes de terre, répartis sous deux commandements dis-
tincts : le général Khomoutof, avec douze mille hommes, surveillait la partie
orientale et particulièrement Kertch; le prince Menschikoff, avec le reste, cou-
vrait Sébastopol.
Le 19, les alliés se mirent en marche dans l'ordre suivant: à droite et
côtoyant la mer, l'armée française; à gauche, les Anglais; à l'arrière-gardei
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104 LE 3* RÉOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (1854]
la division turque. La division Bosquet, formant rextréme droite de la ligne
française, longeait le rivage et se trouvait directement appuyée par la flotte.
Chacune des deux brigades marchait en colonne, par division, à distance de
peloton.
A midi, on atteignit la rive droite duBoulganak. Quelques cosaques, qui
se trouvaient sur la rive opposée, se retirèrent, et le passage de la rivière s'ef-
fectua sans être troublé. De l'autre côté, on aperçut l'armée russe, sur les
hauteurs qui s'élèvent sur la rive goiiche do l'Aima. L'étape n'avait été que
do seise kilomètres et s'était oITectuée sans difficulté sur un sol sec et nu; les
troupes n'étaient point fatiguées, on aurait pu attaquer de suite , mais la
nécessité de concerter les opérations fit remettre la bataille au lendemain.
Le bivouac fut établi sur la rive gauche du Boulganak. La nuit, froide
et sombre, se passa sans alerte. Les deux armées, calmes, recueillies, cher-
chaient à deviner leur force respective au nombre do leurs feux, et atten-
daient chacune avec impatience l'heure d'en venir aux mains.
La position occupée par l'armée ennemie avait une valeur défensive de
premier ordre: bordée d'un fossé naturel formé par la rivière, elle s'élevait
graduellement, présentant plusieurs étages, qui avaient été mis en état de
défense et armés d'une façon redoutable. A droite, elle s'appuyait à une
haute montagne; au centre, existait une trouée par où passait la route d*Eu-
patoria à Sébastopol; à gauche, elle se terminait par une falaise escarpée
qui descendait jusqu'à la mer. Le point qui paraissait le plus faible aux
Russes, celui sur lequel ils avaient accumulé le plus de moyens de résistance,
était leur centre ; ils croyaient leur gauche absolument inattaquable. C'était
cependant celte aile que le maréchal de Saint-Arnaud se proposait de tourner
et de déborder.
Le plan arrêté le dimanche au soir par les commandants français ot an-
glais était, en eflet, de diriger une division le long de la mer, de lui faire
gravir les pentes abruptes qui dominaient l'embouchuro de l'Aima, et d'at-
tendre qu'elle se fût établie sur le flanc gauche de Tarmée russe pour pro-
noncer l'attaque générale sur le front même de la position. Cette mission dif-
ficile, dont devait dépendre le succès de la journée, fut confiée à la divi-
sion Bosquet.
Le 20 septembre, à cinq heures et demie du matin, cette division se mit
en marche sur deux colonnes, ayant en arrière et comme réserve la division
turque. A sept heures, elle reçut l'ordre de s'arrêter: les Anglais n'étaient
pas prêts.
On forma les faisceaux, et les troupes profitèrent de ce retard pour faire le
café. Quatre heures se passèrent dans cette attente. Enfin on se remit en mou-
vement : il était onze heures et demie.
Pendant ce temps, le général Bosquet avait fait reconnaître les abords du
village d'Almalamak et les passages de l'Aima. Un peu en amont du village,
on trouva un gué; il en existait un autre à la barre. La brigade d'Aute-
marre s'engagea dans le premier. Le 3<^ zouaves traversa d'abord et commença
à gravir les pentes de la rive gauche; il fut bientôt suivi par le régiment de
Tirailleurs algériens, puis par une batterie d'artillerie, et enfin par le 50* de
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[1854] EN CRIMÉE 105
ligne. Nos soldats grimpèrent en s'accrochent des mains aux aspérités da sol,
en suivant les étroits sentiers qui serpentaient le long des contreforts, en
s'aidant les uns les autres , et débouchèrent soudain sur le plateau d'ÂkIèse
que les Russes n'avaient que faiblement occupé.
One vive fusillade s'engagea aussitôt entre le 3® zouaves et le bataillon de
Minsk. Ce dernier était appuyé par le tir d*une batterie de licornes. Nous
n'avions pas encore d'artillerie ; nous nous trouvions dans une notable infé-
riorité tactique. Enfin, après des efforts inouïs, surhumains, la batterie fran-
çaise arriva à son tour et ouvrit immédiatement le feu. Il était temps : les
Russes venaient de recevoir trois batteries à cheval, de la cavalerie, quelques
bataillons d'infanterie, et menaçaient notre flanc droit d'un mouvement tour-
nant. A ce moment commença à paraître la tète de la brigade Bouat, qui avait
traversé la rivière à la barre; Tartillerie qui l'accompagnait suivit de près,
et la lutte se continua dès lors avec tous les avantages de notre cAté.
Le régiment de Tirailleurs algériens avait été placé comme soutien de l'ar-
tillerie; le deuxième bataillon s'était déployé en bataille derrière les deux
batteries de la division ; le 1*' était resté en colonne serrée à la droite. La
canonnade était furieuse de part et d'autre ; mais les Russes tiraient avec
quarante pièces, et le régiment souffrait cruellement de leur feu. Troublés par
le sifflement de ces projectiles auxquels ils n'étaient pas encore habitués,
quelques Tirailleurs, baissant la tète, les saluaient au passage. Le général
Rosquct s'en aperçut: c Eli quoil s'écria-t-il en les apostrophant en arabe,
la balle frappe-t-elle moins que le boulet? — Be$$ah (c'est vrai), répondi-
rent-ils en se redressant fièrement, et de ce moment les obus ennemis se
succédèrent sans avoir les honneurs de la moindre révérence.
Cependant ce duel d'artillerie devenait de plus en plus meurtrier pour
l'infanterie qui se trouvait exposée à ses coups; les deux bataillons de Tirail-
leurs durent s'abriter derrière un pli de terrain. Là, ils attendaient, l'arme au
pied , le moment tant désiré de rendre aux Russes le mal qu'ils en recevaient.
La situation de la division Bosquet était celle-ci : vaincre à tout prix ou
succomber glorieusement dans un irrémédiable désastre. Les forces qu'elle
ayait devant elle grossissaient toujours. Le prince Menschikoff était accouru
sur le terrain , avait fait avancer une partie de sa réserve, et c'était à son
tour de déborder notre flanc droit. Deux régiments de cavalerie avaient en
effet été lancés sur ce point , et notre artillerie se trouvait particulièrement
en danger. Le général Bosquet ordonna aussitôt au colonel de Wimpffen de
prendre ses dispositions contre les assaillants. Les Tirailleurs algériens se
formèrent en carré, par bataillon, et, impatients d'en venir à une action corps
à corps, s'apprêtèrent à recevoir l'ennemi. Mais quelques obus de la marine
heureusement dirigés jetèrent le désordre dans les escadrons. Au môme
moment, la brigade Rouat dessina un mouvement en avant. La cavalerie
russe craignit d'être enveloppée et se retira. Dès lors, la gauche de l'ennemi
n'essaya plus de sortir de la défensive, et, seule, la canonnade continua. Pour
attaquer de nouveau , le général Bosquet attendait que les autres divisions
françaises fussent complètement en ligne.
Il était deux heures. Les 1^ et 3* divisions s'étaient déployées, avaient
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100 LB 3* BâOIMBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [i854]
franchi rAlma, ot maintonant attaquaient lo contro russe, pendant que, sur
la gauche , les Anglais abordaient vigoureusement lés nombreux retranche-
ments qu'ils avaient devant eux. La division Bosquet, dont la division turque
était venue prolonger la droite, commença alors un mouvement oblique à
droite pour se porter sur le derrière du flanc gauche de l'ennemi. Elle s'avança
ainsi avec un entrain irrésistible et s'étendit sur le plateau , où quelques in-
stants auparavant elle avait eu tant de mal à prendre pied. Les bataillons
russes, complètement décimés, se retiraient en bon ordre sans trop de préci-
pitation vers la route de Sébastopol.
La victoire était décidée sur ce point. Il n'en était pas de même sur la
gauche, où les Anglais, arrêtés par une artillerie formidable, avaient échoué
une première fois. Mais bientôt, surmontant tous les obstacles, ils apparurent
à leur tour sur la hauteur.
Il était quatre heures. L'armée russe, en pleine retraite, se dirigeait vers
laKatcha; mais nos troupes, qui n'avaient pris que le café, étaient exté-
nuées; les lancer dans une poursuite qui promettait d'être des plus difliciles
eût été leur demander un effort au-dessus des forces humaines. Les divisions
prirent donc leurs bivouacs , chacune s'établissant sur le point qu'elle occu-
pait sur le champ de bataille.
Dans la lutte sanglante qui venait d'avoir lieu , le régiment de Tirailleurs
avait non seulement justifié ce qu'on attendait de lui , mais encore fait preuve
des qualités les plus brillantes qui caractérisent une vieille troupe , en res-
tant calme et impassible au point le plus battu par l'artillerie ennemie. Ses
pertes s'étaient élevées à trente-cinq tués ou blessés. Parmi les tués se trouvait
on officier, M. Lapeyre. Le détachement de Constantine comptait dans ce
chiffre trois tués et quatre blessés. La plupart des blessures étaient d'une
extrême gravité, et presque toutes le résultat du canon russe.
Les journées du 21 et 22 furent consacrées au renouvellement des muni-
tions, à l'ensevelissement des morts et à l'évacuation des blessés.
Le 23, l'armée reprit sa marche sur Sébastopol. A dix heures, on arriva
sur la Katcha ; nulle trace de l'ennemi que des armes brisées , des casques
abandonnés, des sacs éventrés, en un mot, que ces épaves que laisse toujours
une retraite précipitée.
Le 24, on se porta sur le Belbeck , petite rivière coulant de l'est à l'ouest ,
un peu au nord de Sébastopol. Eu s'en approchant, on commença à décou-
vrir des ouvrages russes; pour les éviter, ou dut fortement appuyer sur la
gauche.
Le 25, il fallut encore attendre les Anglais, qui n'étaient jamais prêts à
partir ; le mouvement ne put ainsi commencer qu'à midi. On suivit , dans la
direction sud -est, un chemin de traverse qui rejoignait, à la ferme de
Mackenzie, la route de Baktchiaarai à Balaklava. L'artillerie et le convoi
marchaient sur cette étroite chaussée, l'infanterie se frayait péniblement un
passage à travers bois. Hetardée par un léger engagement que les Anglais
eurent avec un détachement ennemi se rendant de Sébastopol à Baktchisarai,
la marche dut se continuer pendant la nuit. Vers onze heures, la division
Bosquet, qui formait l'avant- garde de la colonne française, déboucha dans
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[1854] EN GRIMÉE 107
la clairière de Mackenzie. Les Anglais s*étant arrêtés là, il fallut faire
comme eux; au milieu de robscurité la plus profonde, nos soldats s'entas-
sèrent pêle-mêle et durent s'endormir sans faire la soupe, Peau manquant
absolument, môme pour boire. Aussi ce triste bivouac reçut- il le nom de
Camp de la soif.
Le 26, on pénétra dans la riche vallée de la Tchernala. Les Anglais, en
avance ce jour-là , s'emparèrent de Balaklava. Le soir, on campa sur les monts
Fédioukhine, collines boisées qui s'élèvent immédiatement sur la rive gauche
de la Tchernala , au-dessus du pont de Traktir.
Aidé par les fatigues des jours précédents, le choléra avait reparu et fait de
nouvelles victimes. Le 26, l'armée apprenait, par un ordre du jour, que le
roaréciial de Saint-Arnaud était lui-même gravement atteint, et que le com-
mandement en chef passait aux mains du général Canrobert.
Le 27, les doux premières divisions, sous les ordres du général Bosquet,
firent une reconnaissance dans la direction de Sébastopol. Le lendemain, l'ar-
mée française se rapprocha de Balaklava pour se ravitailler au moyen de la
flotte. Mais ce port, assez petit d'ailleurs, avait été complètement accaparé
par les Anglais. 11 fallut en chercher un autre, qu'on trouva heureusement
dans la l)aie de Kamiesch , où nos bâtiments s'installèrent aussitôt. Cette dé-
couverte amena naturellement la désignation de l'attaque dont chaque armée
serait chargée : les Anglais eurent celle de droite , les Français celle de gauche.
Ces dispositions ayant été définitivement arrêtées, l'armée française fut di-
visée en deux corps, l'un de siège, l'autre d'observation. Le premier (3* et
4® division] fut placé sous les ordres du général Forey ; le second (l*^ et 2* di-
vision) se trouva sous le commandement du général Bosquet. Dès le 30 octobre,
ce dernier corps fut établi face à la vallée de Balaklava, sa droite en arrière
du col qui conduit à cette ville, et sa gauche en arrière du télégraphe de la
r6ute de Sébastopol à Balaklava. Le régiment de Tirailleurs algériens, qui
n'avait pas cessé de faire partie de la brigade d'Autemarre, se trouva natu-
rellement compris dans les troupes qui le composaient.
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CHAPITRE XI
Sébastopol. — Ouverture du siège. — Travaux préliminaires.
Bataille d'Iakermann.
Lorsque les alliés se présentèrent devant Sébastopol, les Russes avaient
déjà mis à profit le temps qui leur avait été laissé. Depuis le 14 septembre,
ils n'avaient pas cessé de traTailler nuit et jour sous l'habile et énergique di-
rection du lieutenant-colonel Todieben. Les fortifications que les armées fran-
çaises et anglaises avaient devant elles présentaient deux fronts d'une certaine
étendue : le front de la ville et celui de Karabelnaïa. Les bastions principaux
de ces ouvrages prirent des noms particuliers, qu'ils conservèrent pendant
tout le siège. Sur le front de la ville se trouvaient, en partant de l'ouest, le
bastion de la Quarantaine, le bastion Central et le bastion du Mât; du côté de
Karabelnaïa, c'étaient le Grand-Redan , la tour Malakoff et le Petit-Redan. Les
Français devaient concentrer leurs attaques sur le bastion du Mât, les Anglais
sur le Grand-Redan.
Les premiers jours d'octobre furent employés à des reconnaissances. Le 5,
dans l'après-midi, les Russes firent une sortie vers la gauche de la ligne des
attaques françaises. Le corps d'observation prit les armes, mais n'eut cepen-
dant pas à marcher.
Le 6, on commença les lignes de contre vallation. Le 7, dans la matinée,
une Tive canonnade se fit entendre dans la vallée de Balaklava. C'était l'artil-
lerie anglaise, qui tirait sur une reconnaissance composée de cavalerie et d'ar-
tillerie russes. Les troupes du corps d'observation prirent encore les armes;
mais, pas plus que le 5, n'eurent à se porter en avant.
Dans la nuit du 9 au 10, le corps du siège ouvrit la première tranchée. Les
jours suivants lurent consacrés à la construction do plusieurs batteries, et,
le 17, les assiégeants purent ouvrir le feu. Dès le début de la canonnade , le
général Bosquet fit doubler ses grand'gardes et prendre les armes aux troupes
restées au camp. On pensait pouvoir pénétrer le jour mémo dans Sélmslopol.
Au lieu de cela, les batteries françaises, après quatre heures de combat,
durent se taire devant la supériorité écrasante du feu de la défense. Seules,
les batteries anglaises conservèrent un certain avantage. Le lendemain, les
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[1854] LE 3"^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN CRIMÉE 109
Russes tentèrent une sortie; mais une simple démonstration du corps d'obser-
vation suffit à les faire rentrer dans la place.
Il fallait réparer Téchec que notre artillerie Tenait de subir. Les travaux
furent repris avec une nouvelle activité , et, le 19, la canonnade recommença
des deux côtés, sans cependant que les batteries françaises parvinssent encore
à prendre la supériorité. Cette résistance démontra que Ton n'aurait raison de
Sébastopol qu'on passant par toutes les phases d'un siège régulier.
Dans la nuit du 21 au 22 octobre, on commença le tracé de la seconde pa-
rallèle à quatre cents mètres de l'enceinte.
De leur côté, les Russes ne s'endormaient pas; non contents de nous oppo-
ser une résistance victorieuse dans Sébastopol, ils songèrent bientôt à inquiéter
les travaux des assiégeants. Le 25, à huit heures et demie du matin, au mo-
ment où le brouillard commença à se dissiper, les grand'gardes aperçurent
tout à coup un petit corps ennemi se dirigeant vers la vallée de Balaklava.
Déjà le canon se faisait entendre du côté des Anglais. Ces derniers étaient aux
prises avec des masses considérables d'infanterie et de cavalerie russes; à la
droite de leur ligne, trois redoutes, gardées par les Turcs, venaient de tomber
au pouvoir de l'assaillant. Le corps d'observation couronna aussitôt les crêtes
en avant do son front et attendit. La lutte continuait et gagnait jusqu'aux en-
virons do Ualaklava; elle dura jusqu'à midi et demie. A ce moment, les deux
armées ayant pris position, elles se contentèrent de s'observer réciproque-
ment; l'artillerie seule continua son feu. Voyant enfin que toute nouvelle ten-
tative de leur part ne pouvait qu'échouer, les Russes prirent le parti de se
retirer.
Dans la nuit du 27 au 28, les troupes furent soudain réveillées par une
fusillade et une canonnade des plus vives engagées entre la place et les batte-
ries de Balaklava. On prit aussitôt les armes; mais, au bout d'un instant, on
s'aperçut que ce n*était qu'une alerte. Revenues de leur erreur, les divisions
avaient repris leurs emplacements lorsque, vers quatre heures du matin, ce
fut le tour des lignes françaises d'ouvrir le feu. Cette fois on percevait distinc-
tement, dans toute la vallée, le bruit confus de chevaux lancés au galop. Le
jour parut heureusement, et l'aflaire s'éclaircit : les chevaux étaient sans cava-
liers; ils appartenaient à des dragons et à des lanciers russes, et avaient dû
se détacher au moment de la première panique.
Le 29 et le 30 se passèrent sans incident. Le 31 , à onze heures et demie
du soir, le feu s'ouvrit sur toute la ligne russe sans qu'on sût trop pourquoi.
Les alliés ne répondant point , au bout d'un instant le calme se trouva rétabli.
Le 1^' novembre, les Français ouvraient la troisième parallèle à cent qua-
rante mètres du'bastion du Met. Le feu reprit contre la place, et, le 4, dans
un conseil de guerre tenu par les généraux en chef et les commandants de
l'artillerie et du génie, l'assaut fut décidé pour le 7.
Cependant la ville, en continuelle communication avec l'armée du prince
MenschikoflT, recevait tous les secours dont elle pouvait avoir besoin; chaque jour
de nouveaux ouvrages de défense étaient opposés aux progrès des assaillants;
chaque nuit les batteries qu'avait endommagées notre tir étaient réparées et
mises en état de recommencer le combat. Les grands -ducs Michel et Nicolas
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110 LE 3* BÉOIIIBNT DE TIRAILLEUH8 ALGÉRIENS [1854]
voaaiont d'arriver, ot leur présonco était un stimulant qui décuplait locouraga
et le dévouement des assiégés.
Le 5 novembre, le jour se leva voilé par un brouillard intense qui couvrait
toute la vallée de laTchemaîa. Pendant la nuit, on avait entendu des rumeurs
confuses venant de Sébastopol , des sons de cloches, des aboiements de chiens,
des bruits de chariots, des cris, des chants; mais on n'y avait pas fait at-
tention.
Tout à coup, vers six heures du matin, la fusillade éclata vers la droite de
l'armée anglaise, et presque aussitôt le canon lui-même éleva sa forte voix. A
ce moment le brouillard s'éclaircit un peu, et l'on put distinguer trois colonnes
ennemies se dirigeant vers les positions de nos alliés : une première en bce
de la droite du corps d'observation de ces derniers, une deuxième dans la
plaine de la Tchemaia, et enfin une troisième occupant le mamelon et la plaine
en face du télégraphe.
Surpris par des forces considérables , les Anglais se défondirent d'abord avec
une rare bravoure; mais, le nombre des Russes allant toujours croissant, ils
allaient btalement finir par succomber, lorsque le général Bosquet, qui dès
la première alerte avait fait prendre les armes au corps d'observation et ap-
puyer son infanterie vers le télégraphe, leur envoya comme renfort un ba-
taillon de zouaves, quatre compagnies du 3^^ bataillon de chasseurs à pied et
le 2^ bataillon de Tirailleurs algériens. Le général d'Automarre devait suivre
de près avec un second bataillon de zouaves et deux bataillons du S0<* de ligne.
Le l^' bataillon de Tirailleurs avait été détaché à la redoute Canrobert pour
observer la plaine, où le général Liprandi commençait une démonstration du
côté de Balaklava.
Il n'était pas encore dix heures. Déjà le général Bourbaki , à la tète du 6* de
ligne et du 7* léger, s'était lancé en avant et avait poussé jusqu'à la batterie
des sacs à terre, vis-à-vis les ruines d'Inkermann. A l'arrivée des zouaves et
des Tirailleurs, la charge fut renouvelée et menée cette fois avec un élan irrésis-
tible jusqu'à la crête dominant le ravin de la route, c Montrez- vous, enfants
du feul » avait dit en arabe et d'une voix forte le général Bosquet au bataillon
Martineau-Deschenez. On cri aigu, plein d'enthousiasme, avait répondu à ces
magiques paroles, et, conduit par le colonel de Wimpfien, le bataillon s'était
précipité à la baïonnette dans cette furieuse mêlée. Ceux qui virent ce mouve-
ment héroïque poussèrent des cris d'admiration, a Ce sont des panthères qui
bondissent dans les buissons, » dit le général Bosquet, on les suivant d'un
regard plein de confiance. Et devant les prodiges de vaillance qu'ils accom-
plissaient, les Anglais eux-mêmes leur criaient de loin : c Bravo, Algerianersl
bravo I bravo I » Quant à eux, profitant des moindres accidents du sol, ils
allaient, se rasant dans les broussailles, disparaissant, reparaissant, bondis-
sant comme des bêtes fauves, surprenant les Russes moins alertes, les pour-
suivant avec une inconcevable fîiria, et poussant cette exclamation sauvage
que les Kabyles avaient tant de fois entendue. Rien ne put leur résister; la
batterie des sacs à terre fut reprise, dépassée, et il n'y avait pas un quart
d'heure qu'on avait donné le signal de Tattaque, que déjà ils atteignaient le
sommet du contrefort au-dessus du ravin des carrières.
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[1854] EN CRIMÉE fli
En ordonnant ce mouyement oflbnsif , le général Bosquet arait pensé que
les Anglais, qoi araient eu le temps de reprendre haleine, Tappuieraient à
gauche. Il i^^en fut point ainsi, et l'infanterie française se trouva bientôt dé-
bordée, presque enveloppée par les Russes. Ces derniers, à qui des réserves
venaient d^arriver, tentèrent un effort désespéré pour nous rejeter sur les An-
glais. Nos bataillons, pour n*ôlrepas coupés du gros de Tannée, durent alors
se replier. Ils opéraient ce mouvement lentement, en continuant de faire face à
l'ennemi et en combattant toujours, lorsqu*arriva le général d'Autemarre
avec trois bataillons de sa brigade. A ce moment, le cri de : En aoant! fut de
nouveau répété sur toute la ligne, et Tirailleurs, zouaves, chasseurs et lignards
se précipitèrent avec une vigueur admirable sur les masses compactes des ré-
giments d'Okhotsk, d'Yakoutsk et de Selenghinsk. De part et d'autre la lutte
fut opinifttre, acharnée, les Russes sentant que c'était leur dernière chance,
les Français qu'ils tentaient un eflbrt décisif. Toujours conduits par le colonel
de Wimpffen , les Tirailleurs furent de nouveau superbes de bravoure; arrivés
devant une redoute qui, dans la journée, avait été prise et reprise quatre fois
par les Russes et par les Anglais, et dans laquelle un gros d'ennemis s'était
solidement retranché, ils n'hésitèrent pas à donner l'assaut. Ils parvinrent d'a-
bord jusqu'au sommet du parapet, où le sous -lieutenant Mcynard pion ta le
drapeau du régiment; mais, accueillis par un tir à mitraille, fusillés à bout
portant, il leur fallut se replier dans le fossé. Lie colonel avait eu son cheval
tué et se trouvait à pied ; il rallia les compagnies, s'élança à leur tête et les en-
traîna une deuxième fois contre l'ouvrage si longtemps disputé. Cette attaque
devait être la dernière dont il allait être l'objet ; malgré leur courage, les
Russes en furent chassés, et il resta définitivement en notre pouvoir.
La victoire était désormais assurée; sur tous les points l'ennemi se retirait
en désordre, sous la protection du régiment de Vladimir, sa dernière réserve.
Les Tirailleurs algériens, les chasseurs à pied et le 6* de ligne continuaient,
sous les ordres du général Bourbaki, à les poursuivre, la baïonnette dans les
reins; en arrière, le général d'Autemarre venait en soutien avec quatre ba-
taillons; un peu plus loin, la brigade de Monet se tenait en réserve. Il était
alors environ onze heures; les Russes ne combattaient plus que pour défendre
le peu de terrain qui leur restait, et permettre à leur nombreuse artillerie de
s'ccoulcr; mais l'encombrement était partout, et la confusion augmentait à
chaque pas. Serré de près par les zouaves et les Tirailleurs, le régiment do
Selenghinsk se trouva tout à coup acculé au bord de l'escarpement d'un éperon
du mont Sapoune, situation terrible à laquelle il ne songea même pas à échap-
per par une capitulation, qui restait sa seule chance de salut. L'élan des vain-
queurs suivit son cours; un dernier choc, encore plus furieux que les autres,
eut lieu sur cet étroit espace limité par un abîme, et les vaincus, précipités
de ces hauteurs abruptes, roulèrent pêle-mêle au fond de la vallée, qui s'en-
combra de leurs morts. Les Russes ne connurent toute l'étendue de cet épou-
vantable désastre que dix-sept mois plus tard, lorsque la paix leur permit de
recueillir les restes glorieux qui gisaient au pied de la fatale muraille rocheuse.
Vers trois heures, le canon cessa de se faire entendre : tout était terminé.
Un instant après, les derniers pelotons russes disparurent dans les ravins
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112 LE 3* RÉOIIIBNT DE TIRAILLEURS AL0ÉRIEN8BN CRIIfÉB (1854|
du cAlé do Sébastopol , et lo morno silence qui succède habilucUemcnt à ces
yioleates collisions humaines s'étendit sur tout ce plateau de Chersonèse, dont
la possession venait de nous être si vigoureusement disputée. Apinq heures,
les troupes du corps d'observation gagnaient leurs bivouacs respectifs.
Dans la lutte sanglante qui venait d'avoir lieu, les Tirailleurs s'étaient cou-
verts de gloire et avaient mérité tous les éloges du général Bosquet. Hais
cette gloire avait été chèrement achetée : pour le seul bataillon qui avait été
engagé, il y avait six officiers et cent quarante-quatre hommes hors de combat.
Parmi les ofliciors, deux étaient tués : HH. Alimod-bcULaibi, lieutenant au
détachement de Constantine, et Hohamed-Zerfaoui, de celui d'Oran; quatre
étaient blessés : MM. Schweimberg, capitaine; Loyer et Véran, sous-lieute-
nants français, et Saïd-ben-Ali, sous-lieutenant indigène. Dans ces derniers,
le détachement de Constantine comptait encore MM. Schweimberg et Véran;
pour les hommes, ses pertes s'élevaient à trois tués et vingt-sept blessés. Si
Ton veut bien se rappeler que ce détachement avait été réparti entre les deux
bataillons du régiment, et que l'effectif qu'il possédait dans celui qui venait
de combattre ne dépassait pas deux cents hommes, on trouvera que la pro-
portion, en oflBciers surtout, était considérable.
Les pertes totales des Français et des Anglais s'élevaient à quatre mille trois
cent vingt hommes. Quoique sensibles, elles restaient cependant bien au-des-
sous de celles de l'ennemi : ce dernier avait eu le chiffre inorme de onse mille
sept cent cinquante-neuf hommes hors de combat.
Nous avons dit que le 1^ bataillon de Tirailleurs avait été détaché à la re-
doute Canrobert. Sur ce point, tout s'était borné à un service d'observation,
la colonne du général Liprandi n'ayant pas attaqué.
Dans l'ordre de l'armée qui porta à la connaissance des troupes et du pays
le résultat de cette belle victoire, le régiment de Tirailleurs algériens fut cité
pour sa brillante conduite et la part importante qu'il avait prise à l'action.
Les jours suivants, les soins pieux qui incombent généralement au posses-
seur du champ de bataille furent religieusement rendus aux morts et aux
blessés amis et ennemis.
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CHAPITRE XII
Hcpriso dn siftpc. — NoiivpIIp» rUspositions. — Tempôto da 14 novembre. — Création
d'un corps d*éclaircurs volontaires. •— Reconnaissances exécutées par les Tirailleurs.-*
Hiver de 1854-4855; suspension des travaux & cause du froid. — Ouragan du 19 fé-
vrier 1855. — Combats d'embuscades. — Le colonel Rose remplace le colonel de
Wimpffen nommé général. — Sortie du 22 au 23 mars. — Continuation des travaux.
Bien que les armées alliées eussent été victorieuses le 5 novembre, il ne
fallait plus compter donner Tassant le 7 ; non seulement les troupes avaient
besoin de repos, mais il ressortait maintenant que la préparation était insuf-
fisante, et les événements qui venaient d*avoir lieu démontraient que plus
que jamais il ne fallait rien laisser au hasard. Dans un conseil de guerre, tenu
le 6 chez lord Raglan, il fut décidé, à Tunanimité, que cet assaut serait
ajourné ju8qu*à l'arrivée des renforts qu'on attendait. On résolut de se re-
trancher plus solidement dans les positions défensives que Ton avait choisies,
de développer et de fortifier les parties faibles de la ligne de contrevallation,
et d'élever de nouvelles batteries.
Les renforts dont il était question ne tardèrent pas à arriver au régiment
de Tirailleurs; des hommes pris dans les bataillons des trois provinces furent
embarqués à Alger dans le courant du mois, et bientôt disparurent les vides
causés par le feu de l'ennemi , les fatigues et les maladies.
Le 14 novembre, avant le jour, un épouvantable cyclone s'abattit sur la
Crimée. Rien ne peut décrire la violence extrême de cet ouragan , contre la
puissance duquel aucune construction ne résista. Les baraquements furent
renversés, les tentes arrachées et emportées dans l'espace, les ambulances
menacées d'une eiftiëre destruction, les malades et les blessés exposés aux
battements de la pluie qui tombait à torrents. Sans le dévouement de leurs
camarades, ces derniers eussent péri. Tant sur terre que sur mer les dégâts
furent immenses. Les assiégés eurent également fort à souffrir , et les jour*
nées qui suivirent durent être de part et d'autre employées à réparer le mal
fait par la tempête.
Le reste du mois de novembre se passa ainsi à la continuation des travaux,
sans que rien vînt interrompre les travailleurs anglais et français. Cependant
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1U LB 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1884]
l'hiver approchait; la tompératuro n'était point basse encore, mais la pluie
amenait une fraîcheur humide des plus malsaines et des plus désagréables.
Décembre arriva sans apporter un changement notable dans l'état général
des choses ; il s'écoula sans que le corps d*observation eût à livrer un seul
combat. Ce n'est pas que la vigilance de la défense eût cessé, au contraire;
mais tout se passait avec le corps de siège. Depuis Inkermann , les Russes
paraissaient avoir renoncé aux grandes sorties.
Pour combattre les menaces perpétuelles de l'ennemi contre nos tranchées,
le général on chef résolut do créer un corps d'édaireurs volontaires. 11 fut
demandé des hommes de bonne volonté dans tous les corps, et cette organi-
sation eut lieu le 17 décembre. Trois compagnies furent formées , et chaque
compagnie fut divisée en trente brigades de cinq hommes. Ces brigades de-
vaient être détachées entre nos travaux et.Sébastopol, pour observer tous
les mouvements des Russes.
Aucune troupe n'était mieux propre que les Tirailleurs algériens à ce ser-
vice, qui demandait à la fois de Taudace, de la prudence et de TagiUté.
Aussi, parmi les nombreuses demandes qui furent faites, une certaine pré-
férence fut-elle accordée aux militaires du régiment; environ cinquanted'entre
eux et M. le lieutenant Chazote furent détachés dans ce corps provisoire, dont
les opérations commencèrent aussitôt. Plusieurs actes d'une incroyable témé-
rité signalèrent bientôt les éclaireurs volontaires, et, plusieurs fuis dans le
courant du siège, le général Forey leur rendit un glorieux téinoignugo. Dans
une rencontre qui eut lieu le lU décembre, le lieutenant Chaxute ayant été
blessé, ce fut le lieutenant Munier qui le remplaça.
Vers la même époque , le général Bosquet, qui connaissait à merveille les
Tirailleurs algériens , pour avoir été pendant quelques années le chef du ba-
taillon d'Oran , les employa spécialement à un service tenant un peu de celui
des éclaireurs volontaires, mais devant s'effectuer dans un rayon beaucoup
plus étendu. Des batteries servies par les Turcs couvraient les positions do-
minant la vallée, en arrière des grand'gardes du corps d'observation; depuis
quelque temps des éclaireurs russes venaient chaque nuit y jeter le trouble,
et tenter de surprendre les grand'gardes établies en avant : do là des alertes,
la plupart sans motif, à peu près toutes sans résultat, car, dès que des
renforts arrivaient aux avant-postes, les Russes se retiraient. Massés en
arrière des grand'gardes, les bataillons attendaient alors le jour, ayant le
plus souvent à supporter un froid glacial, ou la pluie, ou la neige, et ren-
traient accablés de lassitude. Il n'y avait qu'une façon de faire cesser cet
état de choses : c'était d'employer contre l'ennemi les mêmes moyens dont il
se servait pour nous harceler. Mais pour cela il fallait des hommes hardis,
entreprenants, méprisant le danger, capables d'exécuter des marches ra-
pides, de supporter les plus dures fatigues, en un mot d'être toujours prêts
à partir, quelle que fût l'heure du jour ou de la nuit, sur un bruit, un
indice, un rfen.
Habitués comme ils l'étaient à cette activité permanente , à ces opérations
individuelles où leur instinct les servait admirablement, les Tirailleurs étaient
tout désignés pour ce genre de mission. Us acceptèrent avec enthousiasme le
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Ii85.*(] EN CRIMÉE |18
périlleux honneur qui leur était olfert, et ne tardèrent pas à justifier la con-
fiance qu'on avait bien voulu mettre dans leur valeur. Un détachement de
vingt hommes , sous les ordres du lieutenant Messaoud-ben-Mohamed , exécuta
une première sortie, qui fut poussée jusqu'au camp de la Soif (ferme Mac-
kenzie). L'ennemi ne fut rencontré nulle part, et ces hommes rentrèrent
sans avoir tiré un coup do fusil. Quelques jours après, un autredétachement,
conduit par le lieutenant Omar-ben-Âhmed-Tounci, parvint assez près des
avant-postes russes pour donner Téveil à toute une partie du camp ennemi.
Toute la nuit celui-ci fut en alerte , croyant à une tentative beaucoup plus
sérieuse de la part des assiégeants. Enfin une troisième sortie fut faite par
le colonel de Wimpiïen en personne , accompagné du lieutenant de Lam-
mcrz et de huit sapeurs. Profitant d'une nuit dos plus sombres , cette petite
troupe s'avança jusqu'au bord du lac de la Tchernaîa, et fit feu sur un poste
de cosaques. Ce dernier , croyant à une puissante agression , se retira sur le
camp en poussant des cris d'alarme. L'émoi fut bientôt général ; le canon se
mit & tonner, la fusillade éclata sur tous les points, et pendant une demi-
heure une grêle de projectiles vint sillonner le vide.
En apprenant ce résultat, le général Bosquet ordonna pour le lendemain,
à la nuit tombante , une reconnaissance de trois compagnies sur le même
point. On y trouva encore le poste de cosaques, mais sérieusement renforcé.
Cette fois il essaya de résister; mais après un court engagement, pendant
lequel la lueur des coups de feu indiquait seule la position des combattants,
il battit en retraite, laissant itrois prisonniers blessés entre nos mains. L'en-
nemi, effrayé, resta sous les armes pendant toute la'nuit; le but poursuivi était
atteint. De ce moment les édaireurs russes cessèrent tout à fait d'inquiéter
nos avant- postes.
lio!M d(V.oinhro, toutes les troupes do l'armée françaiso furent passées on
revue par le général on chef, qui leur distribua les récompenses méritées par
les hauts faits qui venaient de marquer la première partie de la campagne.
Dans les promotions qui eurent lieu à cette occasion, les deux chefs de ba-
taillon du régiment, MM. de Maussion et Martineau-Deschenez,' furent
nommés lieutenants -colonels. Ils furent remplacés au corps par MM. Gibonet
Castex , qui tous les deux étaient passés par le bataillon d'Alger. '
Cependant l'année 1854 venait de s'écouler sans avoir vu les drapeaux
alliés flotter sur Sébastopol; la place semblait, au contraire, devenir de plus
en plus inexpugnable, et il eût été bien difficile encore de fixer le jour où nos
colonnes victorieuses devaient pénétrer dans son enceinte. Ce siège, qu'on
avait d'abord, du côté des assaillants , considéré comme une opération préli-
minaire, devant servir de point de départ à un programme beaucoup plus
élcndu, était inRcnsibIcmcnt devenu l'événement capital de l'expédition ;
commencé avec ciuquanle mille hommes, il se poursuivait maintenant avec
cent mil^e, et ce nombre allait encore s'augmenter de nouveaux renforts. En
môme temps qu'ils devaient peu à peu, et les unes après les autres, voir
s'user derrière eux les forces colossales de la Russie , pendant onze mois ces
remparts allaient être une barrière assez puissante pour arrêter le flot impé*
tueux de deux des plus belles aripées de l'Europe.
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lie LE 3^ RÊOIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1855]
Le mauvais tomps était arrivé; aux pluies torrentielles avaient maintenant
succédé la neige, la gelée, les bourrasques glaciales, les coups de vent, qui
sur ce plateau découvert étaient souvent d'une violence redoutable. Pendant
la première quinzaine de janvier, les travaux durent être interrompus. Les
Tirailleurs algériens, peu habitués & cette température rigoureuse, furent de
ceux qui en eurent le plus à souffrir; dès les premiers jours , les cas de con-
gélation devinrent fréquents, et atteignirent parfois à une extrême gravité :
plusieurs furent suivis de mort , la plupart de mutilations douloureuses. De-
vant cette terrible épreuve, les Tirailleurs surent rester calmes, résignés,
dévoués à leurs chefs et prêts à prodiguer leur vie au premier signal.
Vers le 20 janvier , deux compagnies furent détachées pour travailler à la
route de Kamiesch. Ces deux compagnies rentrèrent au corps le 2 février.
Le 9 février, parut un ordre général , divisant l'armée en deux corps de
quatre divisions chacune, plus une réserve comprenant une division d'infan-
terie, une brigade de la garde, une division de cavalerie, et les batteries
à cheval de l'artillerie. Le commandement du 1*^ corps fut confié au gé-
néral Pélissier, celui du second au général Bosquet; l'ancienne deuxième
division conserva son numéro, et fut comprise dans le deuxième corps :
seulement, le général Bosquet cessa d'en avoir le commandement. Celui-ci
passa aux mains du général Camou^ En attendant l'arrivée de ce dernier,
qui se trouvait encore en Algérie, le général d'Âutemarre l'exerça provisoire-
ment.
Sans cesser d'être chargé du service d'observation , le corps du général
Bosquet allait avoir un nouveau rôle à remplir : c*était à lui qu'incombait'
l'attaque contre la tour Malakoff , qui venait d'être décidée par les chefs du
génie des deux armées. De ce jour, les Tirailleurs allaient prendre part à tous
les travaux et s'initier à la vie des tranchées; mais, plus propres aux expé-
ditions aventureuses, on devait les retrouver chaque fois qu'un coup de main
allait être tenté sur un point quelconque des positions ennemies.
Prévenu de la présence de sept à huit mille Russes ù Tchorgouuo, sur la
rive droite de la Tchernaîa , le général Canrobert avait résolu de les surprendre
et de les enlever, au moyen d'une attaque de nuit. Une colonne, comprenant
la division Bouat, la brigade d'Âutemarre, deux autres bataillons français,
deux bataillons turcs, la cavalerie du général d'Âllon ville et quatre batteries
d*artillerie, fut subitement organisée le 19 février au soir, et placée sous la
direction du général Bosquet. Le mouvement commença à minuit , favorisé
par la plus profonde obscurité; soudain un épouvantable chasse- neige,
venu du nord, s'abattit sur les têtes de colonne et les arrêta court. Rejetés les
uns sur les autres par la force de la tourmente, les hommes rompirent les
rangs et se dispersèrent, essayant de fuir l'ouragan. L'ordre de rentrer fut
aussitôt donné, mais, n'ayant pu être transmis à toutes les fractions, pendant
une partie de la nuit des groupes égarés errèrent çà et là, à l'aventure,
cherchant le camp, qui lui-même avait pour ainsi dire disparu enseveli sous
la .neige. Le régiment s'était trouvé tout entier enveloppé par ce violent tour-
billon; grâce à la merveilleuse sagacité des Tirailleurs, il s'en tira facilement;
et n'auraient été quelques congélations, qui résultèrent du froid excessif au-
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[1885] EN CRIMÉE 117
quel atteignit la température dans cette nuit, cette malheureuse expédition
n*eût entraîné aucun accident grave pour lui.
Un ordre du 22 février organisa d'une façon définitive le service de tran-
chée à l'attaque de la tour Maiakoff. D'après cet ordre, un bataillon de la
deuxième division, do cinq cents hommes au minimum, devait chaque jour
être do garde de tranchée, sous les ordres d*un colonel de tranchée. Cette
répartition n'appelait le régiment à fournir cette garde qu'environ tous les
douze jours.
Dans la nuit du 23 au 24 février, eut lieu une attaque vigoureuse contre
les travaux de contre -approche des Russes à la tour MalakoflT, travaux ap-
pelés depuis owrages blancs. Cette attaque échoua. Les Tirailleurs n'y prirent
point part.
Le 25, le général Camou, qui venait d'arriver, prit le commandement de
la division.
Le 3 mars, le l*' bataillon du régiment, étant de garde à la tranchée,
y eut un officier grièvement blessé, M. le lieutenant Kaddour-Toubar, du ba-
taillon d'Oran.
Pendant ce temps, les éclaireurs volontaires fournis par le corps conti-
nuaient vaillamment leur périlleux service. liO S mars, à la suite d'un auda-
cieux coup de main , le capitaine Municr et le sergent Mohamed-bel-IIadj ,
appartenant tous les deux bu détachement de Constanline, furent cités à
l'ordre de l'armée.
A partir du 12 mars, en raison de l'ouverture d'une nouvelle branche de
parallèle, la division dut fournir, en sus du bataillon de garde de tranchée,
deux bataillons supplémentaires pris dans le 3* zouaves et les Tirailleurs algé-
riens. Ces bataillons devaient se porter & la redoute Victoria à la nuit tom-
bante f de façon à se défiler des vues de l'ennemi , et , pendant les vingt^quatre
heures, assurer le service de surveillance sur ce point.
En présence des rapides progrès que faisait notre attaque contre Maiakoff,
l'ennemi résolut de nous harceler toutes les nuits par des embuscades, de
manière & fatiguer les gardes de tranchée et & interrompre les trà railleurs.
Bientôt, grâce & cette tactique, chaque nuit fut marquée par un ou plusieurs
petits combats. Dans celle du 14 au 15, nos troupes attaquèrent les embus-
cades les plus avancées, et, après une lutte des plus acharnées, parvinrent
à s'en emparer. Le colonel Frossard , du génie, mit aussitôt ses travailleurs
à l'œuvre sur le terrain conquis; mais, des renforts étant arrivés aux Russes,
les Français allaient être ramenés en arrière, lorsque le commandant Gibon
parut à la tête des-trois compagnies du 2* bataillon. Chargeant aussitôt l'en-
nemi à la baïonnette, ce bataillon le poursuivit jusque dans ses retranche-
ments en lui infligeant des pertes considérables.
Dans l'ordre général du 19 mars, le régiment de Tirailleurs algériens était
cité « pour Taudace avec laquelle trois compagnies s'étaient jetées sur une
masse d'infanterie russe, l'avait mise en déroute et refoulée dans la place».
La nuit suivante, cinq autres embuscades furent enlevées. Ce fut, cette
fois, le commandant Castex, avec deux compagnies du 1^ bataillon, qui prit
part à cet audacieux coup de main.
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118 LE 3* RÉGIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1855]
Dans ces divers engagements, les Tirailleurs do Constanlinc avaient eu six
hommes blessés.
Le 17 mars, le colonel de Wimpffen Ait promu au grade de général, et
remplaça, à la tête de la première brigade de la deuxième division , le général
d'Âutemarre, nommé divisionnaire. Les Tirailleurs algériens continuèrent ainsi
à rester sous ses ordres. Le colonel Rose lui succéda à la tête du régiment.
Ce nouveau chef avait appartenu autrefois au bataillon de Constantino comme
capitaine, et à celui d*Âlger comme chef de bataillon. Il arrivait donc avec
une parfaite expérience du commandement qu'il allait exercer.
En focede l'attaque de Malakoff, et à cinq cent cinquante mètres à l'est de
la tour qui avait donné son nom à cette partie des défenses de la ville, se
trouvait une hauteur assez élevée, de la possession de laquelle dépendait le
succès de cette attaque; c*était le Mamelon -Vert. Dn coup de main se pré-
parait déjà contre cette position qui, pour le moment, n'était occupée que
par un faible poste ennemi, lorsque, dans la nuit du 10 au 11 mars, les
Russes nous y devancèrent subitement et y construisirent un important ou-
vrage, qui fut armé de dix pièces de 24, et prit le nom de lunette Kamtchatka.
Une fois solidement établis sur ce point, ces derniers résolurent de profiter
des moyens oflensifs que leur donnait leur nouveau retranchement pour
tenter, à la bveur de la nuit, une surprise contre les attaques françaises de
Victoria. Toute la journée du 22 fut employée, du c6té de l'ennemi, aux pré-
paratib de cette entreprise. Le soir venu, la sortie eut lieu , mais elle échoua
complètement, grSce à la ténacité des gardes de tranchée, comprenant, cette
nuit-là, un bataillon du 82«, un demi-bataillon du 4* chasseurs à pied, le
deuxième bataillon du 3* xouaves et on bataillon du 86*. Le combat dura plu-
sieurs heures, et sur quelques points, particulièrement au chemin de gauche,
atteignit à un extrême acharnement.
Dès la première alerte, toute la division Camou avait pris les armes et
s'était portée en soutien des gardes attaquées ; elle y resta jusqu'au lende-
main. Au point du jour, le deuxième bataillon de Tirailleurs, sous les ordres
du commandant Gibon , emporta de vive force plusieurs embuscades russes;
mais bientôt il se trouva aux prises avec des forces par trop supérieures, et il
lui fdlut rétrograder. Cependant il accomplit son mouvement de retraite avec
tant d'ordre et de sang-froid, que l'emaemi n'osa pas le poursuivre. Les pertes
avaient été de trois officiers blessés, dont aucun n'appartenait au bataillon de
Constantine, et d'un certain nombre d'hommes hors de combat, parmi les-
quels le sergent-major Gély et trois Tirailleurs blessés faisant partie de ce dé-
tachement
. Le 29 mars, un ordre dn général en chef prononçait le passage au régi-
ment de Tirailleurs algériens de quinxe caporaux pris dans les autres régi-
ment du 2* corps. Ces mutations avaient pour but de reconstituer les cadres
français , que les maladies avaient plus particulièrement décimés.
Le 9 avril, cinq cent vingt pièces alliées furent soudain démasquées et ou-
vrirent le feu contre la place; neuf cent dix canons russes répondirent, et,
pendant plus de ringt-quatre heures, le plateau de Chersonèse fut transformé
en un véritable volcan. Ce même jour, le commandant Castex eut le poignet
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[18S8] EN CRIMÉE 119
droit enlevé par un boulet au moment où il se rendait à la tranchée à la tête
de son bataillon.
Le lendemain, le feu continua, mais avec moins d'intensité; le 11, il cessa
tout à fait. Ce jour-l&, le régiment eut encore un officier blessé, M. Gély, sous*
lieutenant.
Depuis Touverture des tranchées de Tattaquo MalakolT, il ne se passait pas
un jour que le corps n'eût un certain nombre d'hommes atteints par le feu de
Tennemi , pas une nuit où il n'y eût un engagement plus ou moins important
sur un point quelconque de cette attaque. C'était une continuelle guerre d'em-
buscades, où l'on voyait alternativement l'assiégeant et l'assiégé se causer des
surprises, se tendre des embûches, se traquer dans des opérations de détail.
Mais cetle lutte sourde allait bientôt prendre fin ; les événements allaient gran-
dir, et les Tirailleurs algériens rentrer dans un rôle plus fait pour mettre en
relief leur admirable bravoure et leur incomparable élan.
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CHAPITRE XIII
Le général Pélissier prend le commandement de l'armée. — Attaque du Mamelon-Vert.
— Assaut du 18 Juin. — Bataille de Traktir.
Le 16 mai, lo général Canrobert donnait sa démission, et demandait à être
replacé dans le commandement de son ancienne division , la l** du 2* corps. Le
général Pélissier, désigné d'avance pour le remplacer en cas d'événement im-
prévu , fut aussitôt confirmé dans les importantes fonctions de commandant do
l'armée, qui passèrent effectivement dans ses mains deux jours après, le 18 mai.
Le premier acte du général en chef fut une nouvelle répartition des troupes,
qui divisa celles-ci en trois corps. Dn ordre du 20 mai organisait ainsi les
forces devant Sébastopol : premier corps (cinq divisions, dont une do cavale-
rie), général de Salles; dcuxièuio corps (six divisions, dont une do cavalerie),
général Bosquet; corps de réserve (trois divisions d'infanterie et une brigade
do cavalerie) , général llegnaud de Saint- Jean-d'Angély. La division Camou
resta 2* du 2* corps et continua & être employée & l'attaque Halakoff.
Le 26 mai, le lieutenant-colonel Lévy fut nommé colonel , et remplacé au
corps par le lieutenant-colonel Roques.
Le général Pélissier était arrivé au commandement avec une opinion toute
faite sur la situation , et un plan tout tracé quant à la marche à donner aux fu-
tures opérations. Pour lui le succès dépendait de la prise de Halakoff; il pensait
avec raison que, le jour où nous serions maîtres de ce point de Tenceinte,
l'ennemi, voyant ses autres défenses complètement dominées, ne se soucierait
pas d'affronter les effets meurtriers de notre artillerie, et préférerait évacuer la
place ou capituler. Hais, pour s'emparer de Halakoff, il fallait d'abord s'éta-
blir dans les ouvrages avancés qui couvraient ce front, et qui consistaient en
deux redoutes construites les 22 et 27 février, sur le plateau qui s'étendait
entre la rive sud do la rode et lu ruvin du (lurciiugo, et dans les furtilicutions
du Hamelon-Vcrt, autrement dit lunette Kamtchatka. Les llusses, qui sen-
taient l'importance de ces positions, les avaient fortifiées et armées d'une
façon' formidable; chaque jour les retranchements dont il s'agit se dévelop-
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[18851 LE 3"* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN CRIMÉE 121
paient, se complétaient; bien plus, des travaux de contre-approche araient
été entrepris en ayant de cette ligne, et les assiégés se préparaient à renou-
veler de ce côté la lutte souterraine qu'ils avaient engagée, non sans succès,
devant nos cheminements du bastion du Mât. Une attaque de vive force était
donc grosso de difficultés; mais, les avantages qui devaient en résulter pro-
mettant de compenser largement les sacrifices qu^elle entraînerait, elle n'en
fut pas moins préparée avec la plus grande activité et irrévocablement fixée
au 7 juin.
Le 6, à trois heures de Taprës-midi, les batteries anglaises et françaises
ouvrirent le feu contre les ouvrages extérieurs de Karabéinaîa. Le soir, le Ma-
melon-Yert et le bastion MalakoflT étaient réduits au silence ; seuls , les ouvrages
blancs (redoutes des 22 et 27 février) résistaient encore. La canonnade r^
commença le lendemain dès l'aube et se poursuivit toute la journée; quand
elle cessa, les fortifications russes n'étaient plus qu'un monceau de ruines.
Vers midi , la 2» division du 2* corps avait reçu avis qu'elle était désignée pour
donner l'assaut au Mamelon -Vert; à quatre heures et demie, elle quitta ses
bivouacs et vint s'établir dans les tranchées, en face de la position à attaquer.
En tète se trouvait la l^ brigade (de Wimpffen); puis venaient la 2* (Vergé),
suivie par le 1*' bataillon des grenadiers do la garde, et enfin, comme r^
serve, la division Brunet (5« du 2* corps). La brigade de Wimpfien, établie
dans les deuxième et troisième parallèles, se trouvait ainsi disposée : à droite,
le régiment de Tirailleurs algériens; au centre, le 50* de ligne; à gauche,
le 3« régiment de zouaves.
A six heures trois quarts du soir, un bouquet de fusées jaillit tout à coup
de la redoute Victoria. C'était le signal de l'attaque; la brigade de Wimpfien
s'élança aussitôt sur la lunette Kamtchatka, pendant que, plus à droite, la di-
vision Mayron se précipitait sur les redoutes Voihynie et Selenghinsk.
L*attaquc du Mamclon-Vcrt avait à parcourir au moins quatre cent cin-
quante mètres; malgré quelques coups h mitraille qui vinrent balayer le ter-
rain , cette distance fut franchie au pas de course, et en un instant les batail-
lons de tête eurent dépassé la contre-approche russe, après en avoir chassé
les défenseurs. Les canons ennemis ayant en grande partie été réduits à l'im-
puissance, on n'eut guère à compter qu'avec trois ou quatre décharges; heureu-
sement, car, h peine nos troupes eurent-elles remonté la pente qui couronnait
l'ouvrage, qu'elles furent assaillies par un violent feu de mousqueterie. Les
premiers rangs furent complètement décimés; mais l'élan était tel, qu'il n'en
fut pas un seul instant arrêté.
Le colonel Rose, & la tête de son premier bataillon, s'était dirigé sur la
droite de la position; arrivé l'un des premiers au sommet de celle-ci, il avait
obliqué encore plus h droite, et, sans s'inquiéter de la fusillade meurtrière
qui partait des flancs de la lunette, s'était jeté sur les tranchées et les batteries
annexes, pendant qu'au centre et h gauche le 50« et le 3* zouaves escaladaient
résolument les parapets éboulés. Très en avance dans son mouvement, le
colonel rallia son deuxième bataillon, et, laissant quelques compagnies dans
les retranchements qu'il venait d'envahir, se porta rapidement à la gorge de
l'ouvrage. Toutes les défenses russes se trouvèrent tournées; il ne resta plus
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122 LE 3* RÉQIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [18551
à ronnemi qu'un étroit passage dont il s'empressa do profiter pour se retirer
précipitamment rers l'enceinte fortifiée de Sébastopol.
La lutte avait été rive; les Russes, commandés par le vice-amiral Nakhimof
en personne, s'étaient défendus avec une incroyable énergie, afin de donner à
leurs réserves le temps d'accourir. Le 50* et le 3<* zouaves n'étaient parvenus à
s'établir dans la lunette qu'après un combat acharné, combat qui s'était
d'ailleurs continué dans l'ouvrage même, et qu'avait seule fait cesser l'arrivée
subite des Tirailleurs. liO colonel de lirancion , du 50*, était tombé glorieuse-
ment en plantant lui-môme le drapeau de son régiment sur le parapet.
Maintenant le succès était complet : nous étions maîtres de la position; le
but poursuivi était atteint, il fallait en rester là. Mais, entraînés par une
ardeur irréfléchie, le plus grand nombre des assaillants s'étaient jetés à la
poursuite de l'ennemi, qui fuyait vers Malakoff; quelques-uns étaient même
parvenus, sur les pas des Russes, jusque dans les fossés du bastion, et ten-
taient vainement d'escalader les embrasures d'une batterie. Ils payèrent cher
cette fetale imprudence; obligés de rétrograder pendant plus de cinq cents
mètres sous le feu convergent des canons ennemis , assaillis par la fusillade
et la mitraille des remparts, suivis et serrés de près par six bataillons qui ve-
naient de sortir de la place , dispersés , confondus , décimés , ils firent d'inutiles
efforts pour se rallier, et furent ramenés jusqu'au Mamelon-Vert.
L'explosion d'une fougasse venait juste de jeter la confusion parmi les
troupes qui gardaient l'ouvrage conquis, lorsque ce flot de fuyards fit brus-
quement irruption. On entendait déjà les clameurs des Russes; ceux-ci étaient
là, tout enivrés de leur succès, et ayant à leur tête le général Khroulef , qui les
dirigeait résolument vers la position qui venait de leur être arrachée. En vain
essaya-t-on de leur résister; il fallut céder, se replier en désordre sur les pre-
mières parallèles françaises, où se tenait la brigade Vergé. Là, le mouvement
en arrière s'arrêta; les bataillons de la brigade de Wimpflbn furent reformés et
reprirent leur place en avant; puis, à la voix du général Camou la charge
sonna de nouveau; toute la division s'élança, et avec un élan irrésistible se
jeta sur les masses ennemies, dans lesquelles les projectiles de notre artillerie
étaient déjà venus faire de profondes trouées. Tout plia, tout céda devant ce
choc Impétueux; en moins de temps qu'ils n'en avaient mis pour reprendre
la lunette Kamtchatka, les Russes s'en virent rechassés, et cette fois sans
espoir de jamais la reconquérir.
Dans ces deux attaques successives, les Tirailleurs avaient été, de l'avis de
tout le monde, admirables de bravoure et d'énergie. Si leur impétuosité ha-
bituelle les avait d'abord emportés beaucoup trop loin du but, s'ils s'étaient
précipités contre les murs de Malakoff avec cet aveuglement qui n'était que
l'exagération de leur plus belle qualité , l'insouciance du danger, on les avait
vite vus se rallier, et, brûlant du désir de venger leur insuccès, revenir avec
une ardeur nouvelle sur l'ouvrage à la prise duquel ils avaient puissamment
contribué.
Il était sept heures et demie; la nuit approchait; on prit en toute hâte les
dispositions nécessaires pour parer à un retour possible des Russes. Le général
Vergé reçut, en qualité de plus ancien , le commandement des troupes restées
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[1855] EN CRIMÉE 123
dans la position, et les disposa de la façon suivante : dans TouTrage même, la
2* brigade tout entière, et sur la droite, en faisant face à HalakoflT, la brigade
de WimpfTen, ayant comme abri la parallèle russe allant du Mamelon -^Vert au
ravin du Carénage. La droite de cette dernière brigade se reliait avec la gauche
do colle du général Bisson, do la division Dulac, laquelle occupait les re-
flonlos Volliynio et Sclcnghinsk.
La nuit se passa sans que Tcnnemi ftt la moindre tentative pour reprendre
ses positions perdues. Du côté des Français on ne perdit pas une minute; le
génie se mit immédiatement à l'œuvre, et, quand le jour parut, la contre-
approche du Mamelon -Vert et la double tranchée & droite et à gauche de la
lunette Kamtchatka étaient devenues la troisième et la quatrième parallèle de
Tattaque Victoria : toutes les fortifications qui avaient été si opiniâtrement dé-
fendues la veille étaient maintenant complètement retournées.
Le 8, les troupes restèrent dans leurs positions; les travaux furent continués
avec une infatigable activité, malgré le feu de place qui couvrit le terrain de
projectiles et nous infligea des pertes considérables. Le 9, après quarante
heures de ce service , qui pouvait être considéré comme un combat non inter-
rompu, la 2» division fut relevée par la division Brunet, et rentra à son camp
vers midi.
Depuis le commencement de la campagne, aucune division française n*avail
produit un eflbrt aussi considérable, subi des pertes aussi sensibles, montré
plus de courage et d'entrain ; sur les cinq mille quatre cent quarante-trois
hommes hors de combat qu'avait eus le 2* corps dans la journée du 7 juin,
deux mille sept cent quatre-vingt-cinq lui appartenaient et se décomptaient
comme il suit : officiers tués, cinquante -quatre; blessés, quatre-vingt-qua-
torze; hommes de troupes tués, sept cent soixante-huit; blessés, mille huit
cent soixante-neuf. Le régiment des Tirailleurs algériens, qui s'était si géné-
reusement prodigué, était aussi l'un des plus éprouvés; il comptait treize
ofliciers tués, dix-neuf blessés et quatre cent quatre-vingt-dix-huit hommes
tués ou blessés, soit un total de cinq cent trente, ou le tiers de son effectif.
Les officiers tués étaient :
MM. Schweimberg,
capitaine.
Eberiin,
d*
Pattier,
do
Pacatod,
lieutenant.
Hanusse,
do
Constère,
do
Poiscz,
do
Lnulard ,
do
Bourgeois,
sous-lieutenant.
Serpentini ,
do
Gérard,
do
Loyer,
do
Hessaoud-ben-Mohamed ,
lieutenant indigène.
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124 LE 3* RÉOIIIBNT DB TIRAILLEURS ALGERIENS [1855)
Étaient bletsés :
MM. Gibon,
chef de bataillon.
Pietri,
capitaine.
DeRoquefeuil,
capitaine, mort de ses biessures.
Conot,
capitaine.
PeliBae
d»
Déjoui,
d»
Yéran,
lieutenant.
Humery,
.!•
Mohamed-bel-Hadj-Mobained ,
d»
Mohamed-ben-Amar-Cbibli ,
d»
Jauge,
sous-lieutenant.
Masse,
d»
RaBn,
d*
Lange de Perrière,
d»
Thierry,
d»
Mohamed-ben-Aouda ,
d»
Mastapha-beo-Ferkatadji , sous-Iieulenant , mort de ses blessures.
Mohamed-ben-Abd-el-Kader, sous-lieutenant.
Cela portait en réalité le chiffre des officiers morts à dix-sept. De plus,
M. Legrandy sous -lieutenant, avait été fait prisonnier dans les fossés de
Malakoff avec un certain nombre d'hommes, à peu près tous grièvement
blessés.
Dans les chiffres qui précèdent, le détachement de Constantine avait pour
sa part dix-huit hommes tués et cinquante-neuf blessés. Parmi les ofdciers
tué^, il comptait MM. Schweimberg etllanusse, et parmi les blessés, MM. Pe-
lisse, Déjoux, Véran, Ilumory et Mustapha-ben-Fcrkatadji.
Le régiment de Tirailleurs algériens fut cité dans l'ordre général du 15 juin
c pour la part active qu'il avait prise à Tenlèvement de vive force des redoutes
russes en avant de Sébastopol >•
Le même ordre signalait comme s*étant particulièrement distingués :
MM. Gibon, chef de bataillon.
Pietri y capitaine.
Mustapha-ben-Ferkatadji, sous-lieutenant (détachement de Constantine.)
Âhmed-ben-Mesmoudi, sergent d«
Ali-ben-Djelali , clairon .
Par arrêté du général on chef, en date du 16 juin, furent promus dans la
Légion d'honneur :
Au grade d'officier : M. Pelisse, capitaine.
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58] EN CRIMÉE
Au grade de chevalier : MM. Monassot ,
capitaine.
— Conot,
d*
— DeRoquefeuil,
do
— De Lammerz ,
lieutenant.
— Humery,
do
128
• — Mustapha-ben-Ferkatadjii 80ua*Iieutenant.
— Blanpied, sergent-major.
Le 9, de midi à cinq heures, il y eut, à la demande de Tennemi, une sus-
pension d'armes pour l'enlèvement des morts et des blessés. Le soir, le canon
reprit son œuvre dévastatrice et la vigilance redoubla dans les deux camps.
Vers minuit, une vive fusillade éclata tout à coup dans la direction de Malakoff
sans qu'on en dcvinftt la raison. On crut à un retour des Russes, et la brigade
de Wimpflbn reçut du général Bosquet Tordre d'aller s'établir dans le ravin
de Karabeinaîa , pour servir de réserve aux troupes de la division Brunet.
Mais à peine fut -elle installée dans sa nouvelle position que le silence se fit
de toutes parts ; la nuit s'écoula ensuite sans incident. Â huit heures du matin,
la division Brunel se retira, et toute la 2* prit le service aux attaques; la bri-
gade do WinipITon reprit ses positions du 8 dans les parallèles russes et les ou-
vrages du Mamclon-Vert , portant maintenant le nom de redoute Brandon. Pen-
dant toute la journée, les troupes travaillèrent à la construction de batteries;
la nuit, elles ouvrirent, en avant du mamelon, une nouvelle parallèle destinée
à envelopper la position et à la relier au ravin du Carénage. Le lendemain ,
dans la matinée, la division Camou céda de nouveau la place à la division
Brunet, avec laquelle elle devait alterner toutes les vingt-quatre heures.
Le succès du 7 juin avait fait naître l'espoir que la place ne résisterait pas
à un assaut général. Le 15 juin , dans un conseil tenu par le général Pélissier,
lord Raglan, Omer- Pacha et le général de la Marmora, cet assaut fut décidé
pour le 18. Mais la 2* division du 2» corps n'allait pas y prendre part; elle
devait, avec les divisions Canrobert, Dulac et Herbillon, aller prendre posi-
tion sur la rive gauche de la Tchernaîa, pour surveiller et arrêter au besoin
l'armée de secours. Le général Bosquet, qui lui-même avait dû céder la place
au général Regnaud de Saint-Jean-d'Angély, avait le commandement de ces
quatre divisions.
Le 16, & quatre heures du soir, le régiment de Tirailleurs algériens quitta
les hauts plateaux et, & sept heures , arriva à son nouveau bivouac du camp
de Traktir. Il s'y établit sur la crête des collines qui bordent la rive gauche
de la Tchernaîa, et détacha l'un de ses bataillons aux avant-postes.
Tout étant prêt pour une action décisive, le bombardement commença le
17, & quatre heures du matin , et se continua pendant toute la journée et une
partie de la nuit. Le 18, à trois heures du matin, un bouquet de fusées à
étoiles parti de la redoute Victoria donna le signal de l'assaut. Malgré des
prodiges de valeur, l'attaque échoua; repoussées sur tous les points, les
troupes durent rentrer dans leurs parallèles.
Cet insuccès, bien que nous ayant coûté des pertes considérables, ne mo-
difia pas sensiblement la situation; il eut plutôt pour conséquence une réaction
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i26 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1855]
salutaire, en ramenant les esprits vers une moins aveugle confiance en ces
attaques trop peu préparées. Désormais rien ne devait plus être laissé au ha-
sard , et les cheminements allaient être poussés assez près de Tenceinte pour
que, dans le prochain assaut, on n'eût pas des espaces de trois cents et même
quatre cents mètres à parcourir pour arriver sur les retranchements ennemis.
De leur côté, les défenseurs de Sébastopol ne se dissimulaient pas plus qu'a-
vant que l'heure de la lutte finale n'allait pas tarder à sonner, et que tout ce
que pouvaient leurs eflTorts, c'était de prolonger la résistance peut-être pen-
dant quelques semaines encore.
Depuis le commencement de mars, le général GortchakoiT avait remplacé
le prince Henchikoff à la tète de Tarmée de secours. Le nouveau commandant
en chef ne comptait plus guère sur Tefficacité d'une diversion en faveur des
assiégés, mais, pressé par Pétat désespéré de ces derniers et surtout par les
instances du général Vrersky, que le czar venait d'envoyer en Crimée avec
mission de pousser à Toffensive, il se décida néanmoins à une tentative sur
nos positions de la rive gauche de la Tchernaïa.
Ces positions, formées par les monts Fédioukhine, étaient occupées par la
division Faucheux à droite, la division Camou à gauche, et la division Her-
billon en arrière. Le général Herbillon exerçait le commandement en qualité
do plus ancien. Le régiment de Tirailleurs algériens se trouvait établi à
l'extrême gauche, en arrière de l'aqueduc qui court parallèlemout à la
Tclioriiuîa , et détachait ou pormuuoncc quati*o couipugnics do grund'gardo
en avant de cet aqueduc.
Le 15 août , à dix heures du soir, six divisions russes, rassemblées au camp
de Hackentie, se mirent en mouvement et descendirent des hauteurs pour
venir se mettre en bataille dans la plaine de la Tchernaïa. La force de cette
armée, d'après les documents trouvés sur le général Read, tué et laissé le
lendemain sur le champ de bataille, était de soixante- quinze bataillons d'in-
fanterie, cent quatre-vingt-six bouches à feu et dix mille hommes de cava-
lerie, soit un total d'environ soixante-dix mille hommes. Des détachements
du génie suivaient, portant des ponts préparés à l'avance, pour aider au pas-
sage de la rivière et du canal.
A quatre heures et demie du matin , des postes piémontais , établis sur les
hauteurs de Tchorgoune, sur la rive droite de la Tchernaïa, furent vivement
attaqués, et durent venir prendre position sur la rive opposée. Comme pour le
matin d'inkeniiann , un impénétrable brouillard couvrait la vallée: impos-
sible d'y voir à cent mètres. Le jour painit sans le dissiper. L'artillerie russe
avait commencé son tir ; la nôtre attendait, pour lui répondre, qu'il fût pos-
sible d'y voir et de pointer. Les compagnies de piquet s'étaient portées en
avant pour appuyer les grand'gardes.
Vers cinq heures, le soleil, déjà assez haut, dissipa enfin l'épais rideau
qui cachait l'armée russe , et celle-ci apparut déployée sur les hauteurs de la
rive gauche, sa droite en avant et face aux monts Fcdipukhine, sa gauche
menaçant le mont Hasfort, où se trouvaient les Piémontais. Devant la division
Camou , s'avançait la septième division d'infanterie, sa première brigade dé-
ployée , une partie de son artillerie dans les intervalles.
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[1855] EN CRIMÉE i%l
Sans attendre l'ordre du prince Gortchakoff, le général Read, qui comman-
dait & droite, fit passer la Tchernaîa & son infanterie, qu'il lança aussitôt sur
les monts Fédioukhine. À l'extrême droite, venait la division OuschakolT,
plus À gauche, et faisant face à la division Faucheux , s'avançait la division
Martineau.
Pondant quo colle dornièro division, arrivant par le pont de Traktir, so
jetait sur la brigado do Failly, la 7«, après avoir franchi la rivière à gué,
cherchait & parcourir, au moyen d'un mouvement oblique, la distance encore
assez considérable qui , en face des éperons nord , sépare la Tchernaîa du ca-
nal. A ce moment, nos grand'gardes avaient lentement opéré leur retraite
pour venir se joindre au reste du régiment. L'un des deux bataillons de Tirailr
leurs algériens s'était déployé en avant du troisième mamelon , presque au
nord ; l'autre, en colonne de compognics, lui servait de soutien; à droite, se
trouvait le d^ zouaves; en arrière, le &^ et le 82« de ligne appartenant à la
brigade Vergé.
A peine les Russes eurent-ils débouché sous les feux convergents des
zouaves et des Tirailleurs algériens , que lo désordre se jeta dans leurs rangs ;
pris d'écharpc cl do flanc, leurs bataillons flottèrent d'abord incertains, puis
peu à peu se replièrent, et finalement rétrogradèrent précipitamment vers
la rivioro, qu'ils repassèrent h la hfllo, pour aller so reformer sous la protec-
tion do quelques escadrons de cuirassiers et de cosaques. Composée en grande
partie déjeunes soldats, cette division combattait pour la première fois, et
cela contre des troupes aguerries par une année de campagne. Aussi, de ce
moment, resta-t-elle à l'écart du combat, et la première attaque de droite se
borna-t-elle à cette simple échauflburée.
Il n'en était pas de même au centre. Surprise par des forces considérables,
la brigade de Failly avait été obligée d'abandonner lo pont de Traktir et de se
replier sur le restant de la division Faucheux. La situation de cette division
était tout à coup devenue des plus critiques; abordée par des masses com-
pactes , qui s'avançaient par la route de Mackenzie & Balaklava , elle s'était
vue menacée d'être coupée en deux tronçons, et n'avait échappé & ce danger
qu'en s'engageant à fond dans une charge & la baïonnette, qui avait rejeté
Tennemi de l'autre côté du pont. Malheureusement, notre artillerie étant trop
faible pour achever l'œuvre de l'infanterie, l'ennemi parvint & se rallier; la
division Martineau, épuisée par l'eflort qu'elle venait de fournir, fut rem-
placée par une division de réserve, et la lutte recommença avec une nouvelle
énergie. Mais le général de Wimpiïen était accouru avec trois bataillons des
50* et 82« de ligne, le général Cler avec toute sa brigade; la charge sonna
encore une fois ,'et l'ennemi fut encore une fois repoussé.
Pcndont ce temps, le combat avait également repris sur notre gauche;
une colonne d'environ dix mille Russes s'était prolongée sur ce point, avait
franchi la rivière et le canal , et s'était avancée vers la position occupée par
le 3® zouaves. Sans s'occuper de son infériorité numérique, le colonel de Po-
Ihès, commandant ce régiment, n'avait pas hésité & entamer la fusillade;
mais il allait bientôt céder, accablé par le nombre, lorsque le colonel de Cas-
tagny arriva à son secours avec le 82* de ligne. Cependant l'ennemi résistait
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128 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALOÉRIENS EN CRIMÉE [l855l
encore, quand arriva à son tour le général Vorgè à la lôlo du régiment de
TiraUleura algériens. A ce moment, le cri de : c En avant 1 » fut répété sur
toute la ligne, la charge sonna, nos troupes s'élancèrent à la baïonnette , et,
comme au pont de Traktir, rejetèrent péle-méle les masses ennemies de
l'autre côté de la Tchemaia.
Il était huit heures; la victoire nous appartenait sur tous les points; les
Russes, renversés, culbutés, fuyaient partout, poursuivis par les obus fran-
çais, qui faisaient des trouées profondes dans leurs colonnes entassées et
confondues au fond de l'étroite vallée où elles essayaient de se rallier.
Si dans cette dernière phase de l'action le régiment de Tirailleurs n'était
arrivé que fort tard pour appuyer le 3* souaves , c'est qu'il avait d'abord fallu
assurer la défense de notre gauche; mais bientôt fixé sur la direction de
l'attaque russe, le générai Vergé n*avait pas hésité à dégarnir ce point de la
ligne, dont il avait laissé le commandement au lieutenant -colonel Roques,
pour venir achever la déroute de l'infanterie ennemie.
La lutte pouvait maintenant être considérée comme terminée. Sous la pro-
tection de leur artillerie, les Russes se ralliaient, mais plutôt pour opérer
leur retraite en bon ordre que pour tenter un nouvel effort, que l'arrivée des
réserves françaises aurait pu rendre beaucoup plus désastreux que le premier.
A midi, le riment de Tirailleurs avait regagné son bivouac. Il n'avait, dans
cette journée, subi que des pertes insignifiantes.
Dans un ordre général du 14 août, la division Camou était citée € comme
ayant été à hauteur de sa vieille réputation ».
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CHAPITRE XIV
Assaut du 8 septembre. — Prise de Malakoff. » Le régiment de Tirailleurs algériens
quitte la Grimée. — Expédition de Kinboum. — Rentrée à Alger. — lioeneiement
du régiment.
Au 1^' septembre , les cheminements devant Malakoff et le Petit-Redan
n'étaient plus qu*& quarante mètres de robjectif. 11 devenait impassible
do les pousser plus loin. Le 3, dans une conférence qui eut lieu chez le
général Pélissicr, Tassant fut décidé pour le 8 à midi. Le 2" corps devait
d*abord attaquer la tour Malakoff, puis, en cas de succès, abordef le Petit*
Redan, pendant que le l^^ corps se jetterait sur le bastion Central, et les An-
glais sur le Grand-Rcdan.
Le 5, commença le dernier bombardement, le bombardement infernal,
selon l'expression du prince Gortchakoff. Huit cent trois pièces du côté des
alliés, treize cent quatre-vingts du côté des Russes tonnèrent pendant trois
jours. Le 8 au matin, les fortifications de la place étaient bouleversées, ses
batteries en partie démontées.
Au point du jour, les troupes étaient venues occuper leurs emplace-
ment. G^élnit la division do Mac-Mahon (ancienne division Canrobert) qui
devait attaquer Malakoff; la brigade de Wimpffen et les zouaves de la garde
étaient désignés pour lui servir de soutien. Le 6, cette brigade avait quitté
les monts Fedioukhine pour se rapprocher du siège; le 7, elle avait pris le
service de tranchée afin de ménager les troupes qui devaient marcher en pre-
mière ligne.
A midi précis , rartillcrio se tait ; tout & coup un immense cri de : En avant !
retentit sur toute la ligne, le son strident des clairons se mêle au bruit ca-
dencé des tambours, et la division de Mac-Mahon, le l'^* zouaves en tête,
s'élance vers Malakoff. Le fossé, & demi comblé par les débris de l'escarpe, est
rapidement franchi, les parapets sont escaladés; les Français pénètrent enfin
dans la redoutable enceinte.
Q
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130 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l855]
Les Russes ont été surpris; pour les mettre à l'abri du bombardement,
leurs réserves avaient été confinées dans les blindages ; elles en sortent aussitôt,
mais confusément, par petits groupes, et engagent avec Tassaillant un combat
décousu qui est tout à l'avantage de ce dernier. Le 7* de ligne est venu ren-
forcer le l*** zouaves, et rennemi, partout refoulé par nos baïonnettes, va se
reformer derrière la première traverse de Touvrage.
Dès le début de l'action , le général de Wimpffen avait fait porter ses troupes
vers la redoute Brancion et les avait établies dans la sixième parallèle. A
peine y fut-il arrivé, que le général de Mac-Mahon lui lit demander des se-
cours; au même moment le général de Martimprey, chef d'état -major gé-
néral, lui prescrivait lui-même d'appuyer à droite pour servir de réserve
aux troupes qui attaquaient le Petit- Redan. Mais les ordres du général de
Mac-Mahon étaient pressants; la possession de Malakoff était la chose capi-
tale du moment; le général n'hésita pas : il fit d'abord avancer le 3® zouaves
jusqu'à la septième parallèle; puis, avec le 50® et les Tirailleurs algériens,
il se porta en soutien des 7*, 20 et 27* de ligne aux prises avec les Russes
à là gorge de Malakoff.
La première surprise passée, l'ennemi n'avait pas tardé à se reconnaître,
à se rïdlier et à s'opposer énergiquement aux progrès de la colonne d'assaut.
S|abritant successivement derrière les nombreuses traverses de l'ouvrage,
les défenseurs de Malakoff n'avaient alors cédé le terrain que pied à pied , se
reformant derrière chaque parapet, combattant avec un courage peut-être
un peu lourd, mais froid t méthodique, opiniâtre, et parfaitement fait pour
démonter l'ardeur do l'attaque. Complètement décimés, le l^' zouaves et le
7®.de ligne s'étaient subitement vus arrêtés dans leur succès; mais l'apparition
de la brigade Vinoy, qui , après avoir longé le fossé oriental du bastion et
gravi Tenceinte au delà des traverses, était soudain venue menacer le flanc
gauche des Russes , avait enfin décidé ces derniers à se replier.
C'est à ce moment qu'arriva la brigade de Wimpffen. Il était une heure et
demie environ. Le l*** zouaves, qui avait énormément souffert, fut renvoyé
dans la tranchée ; le 3* zouaves et le 50 de ligne le remplacèrent dans l'ou-
yrage même; les Tirailleurs algériens s'établirent à la gorge, la partie la plus
directement menacée.
Les Russes n'avaient pas abandonné la partie ; après s'être reformés, après
avoir reçu de nouvelles réserves, ils revinrent à la charge, et dans un effort
désespéré tentèrent encore une fois do nous enlever Malukuff. Ce fut d'abord
le général Lisenko qui accourut avec les régiments d'OrcI , de Rriunsk et
d'Ieletz, puis le général Khroulef avec les quatre bataillons de Ladoga. La
plus grande partie de ces forces se jeta sur le régiment de Tirailleurs algé-
riens; mais celui-ci avait eu le temps de prendre ses dispositions; il fit réso-
lyment face au péril, et, solidement appuyé par les zouaves de la garde , se
montra digne de sa vieille réputation.
Le moment était critique ; il fallait à tout prix empêcher Tennemi de re-
prendre pied dans Malakoff. Le général Frossard venait d'arriver avec quelques
sapeurs du génie et cherchait à obstruer, sinon à fermer, l'étroit passage de-
vant lequel étaient rangés nos héroïques Algériens. Mais ces premiers tra-
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[1855] EN CHIMÊB 131
▼ailleurs tombent les uns après les autres, et les Russes s*aTancent, se rap-
prochent, et regagnent insensiblement le terrain qu'ils ont perdu; ils sont
1&, la baïonnette basse, calmes, résolus, menaçants. Entrdnés par l'exemple
du lieutenant- colonel Roques, qui porte lui-même un gabion, les Tirailleurs
se mettent & l'œuvre; parmi les corps amoncelés, ils jettent pèle- mêle des
gabions, des fascines, des débris de toute sorte, et une barrière informe
s'oppose bientôt aux efforts des assaillants. Pendant ce temps , la lutte con-
tinue, ardente, opinifttre, acharnée. Une mêlée terrible s'engage sur ce parapet
improvisé; les baïonnettes, tordues, brisées, ne peuvent plus servir : c'est à
coups de crosse, & coups de pierres, qu'on attaque et qu'on se défend. Russes et
turcos sont confondus ; aux hourras des premiers se mêle le cri rauque des
seconds ; on s'invective , on s'insulte , on se provoque, on se défie, on se saisiti
on s'étreint; et ce tourbillon humain roule, tourne, piétine sur des cadavres,
sur des blessés, dans une boue sanglante; et le canon tonne au loin, des
obus viennent soudain fouiller ces décombres, et deci, delà, c^est l'explo-
sion d'une fougasse, d'une mine, qui couvre tout à coup cetle scène d*un nuage
sombre et laisse dans la terre un trou large et béant : instant sublime , où
des deux côtés chaque combattant devient un héros.
Comment citer les noms de tous ceux qui, dans cette lutle infernale, furent
admirables do sang-froid et d'intrépidité? Qui a vu tous les actes glorieux dont
cette étroite arène fut le théâtre? Que d'héroïques actions ont dû rester igno-
rées! Que d'autres sans doute ont dû servir de sujet & ces récits mouvementés
que l'Arabe aime tant à faire le soir, sous la tente, sans qu'aucune plume
n'ait été 1& pour les recueillir!... Victime de son dévouement, le lieutenant-
colonel Roques tombe l'un des premiers, la tête fracassée par un éclat d'obus.
Un peu après, c'est le tour du capitaine Bonnemain. Ce dernier est atteint
par une bombe, qui va en sifflant labourer le sol. Elle n'a pas éclaté; le
blessé la suit des yeux avec une mortelle angoisse. Il ne peut fuir. Mais
le sergent Moliamctl-el-lladj-Kadour a deviné le péril do son capitaine; il se
précipite sur le projectile, le saisit, l'enlève contre sa poitrine et court vers
une traverse blindée derrière laquelle il pense le jeter. Il n'a pas fait deux
pas, que la bombe éclate, lui emporte les deux bras, lui laboure la poitrine,
et, semant ses éclats de tous côtés, va achever le capitaine Bonnemain. Plus
loin, c'est le lieutenant de Boyne qui se signale par une rare énergie. En-
touré d'ennemis, il refuse de se rendre; il attend ses adversaires de pied
ferme, tire sur eux les six coups du revolver dont il est armé, et parvient
ainsi à se dégager, sans avoir, par le plus miraculeux des hasards, reçu une
seule blessure.
Du côté des Russes, le courage est non moins ardent, le dévouement non
moins admirable ; presque tous les généraux succombent glorieusement. Dès
le début de ce combat , le général Khroulef est grièvement blessé. Il passe le
commandement au général Lisenko, qui tombe pour ne plus se relever. Le
général Touferof succède & ce dernier : il a le même sort. Arrive le général
Martineau : il a le bras droit emporté par un boulet. Vient enfin le général
Chepelef , qui fait cesser cette boucherie inutile et ordonne la retraite.
Il était cinq heures du soir; le drapeau français flottait orgueilleusement
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iZ% LE 3* RÊOIlfENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1855]
au-dessus do MalakoflT; mais sur les autres poinls les attaques des alliés
avaient complètement échoué : les divisions Dulac et La Motterouge au Petit-
Redan , Godrington au Grand -Redan, Levaillant au bastion Central , d'Àute-
marre à la redoute Schwartz, n'avaient pu prendre pied dans les ouvrages
ennemis, et avaient été ramenées avec de grandes pertes dans les parallèles
d'où elles étaient parties. Mais, quelque fftcheux que fussent ces insuccès, la
possession de Malakoff ne nous en assurait pas moins une complète victoire.
De ce côté, la lutte avait cessé; les troupes russes s'étaient retirées en
arrière de la seconde enceinte, au-dessous du mamelon en allant vers le
nord, et, seul, le canon jetait encore de temps à autre sa note sourde au sein
de ce chaos. Dans l'intérieur de Malakoff, le génie et l'artillerie travaillaient
activement pour remettre l'ouvrage en état de défense; les bataillons d'infan-
terie avaient conservé leurs emplacements respectifs et se tenaient prêts à
repousser toute nouvelle attaque de l'ennemi. Mais ce dernier , sentant la
partie définitivement perdue pour lui, était loin de songer à recommencer le
combat ; il évacuait successivement les différents ouvrages de l'enceinte et
se retirait dans les quartiers bas de la ville; bientôt il allait môme aban-
donner celle-d, et ne laisser derrière lui qu'un épouvantable amas de ruines.
La nuit vint. Le canon se tut ; les rumeurs confuses qui s'élevaient encore
des rues de Sébastopol s'éloignèrent peu à peu : un mystérieux silence
s'étendit sur l'invisible cité. Tout à coup l'horizon s'illumina , des incendies
apparurent de toutes parts, des explosions formidables bouleversèrent suc-
cessivement les forts, les batteries, les bastions, les redoutes, les magasins
un immense souffle de dévastation sembla envelopper la ville et ses faubourgs,
et, à la lueur rougeôtre que répandit cet immense brasier, on put voir les
derniers postes ennemis gagner la rive nord de la rade.
Le lendemain , à huit heures du matin, le régiment de Tirailleurs algériens
quitta Malakoff et revint s*élablir au camp de Traktir. Ce môme jour, les
Russes demandèrent un armistice pour enlever leurs morts et leurs blessés;
le môme devoir fut rempli par celles do nos troupes restées sur le tliéûtro de
la lutte.
Nos pertes avaient été considérables : dix mille cinquante-quatre hommes
hors de combat. Les Tirailleurs algériens , déjà bien décimés par l'assaut du
7 juin, avaient encore eu deux cent soixante et onze tués ou blessés, dont
seize oflSciers.
Parmi ces derniers étaient tués :
MM. Roques, lieutenant-colonel.
Rolland , capitaine adjudant-major.
Bonnemain, capitaine.
Meynard , lieutenant.
Étaient blessés :
MM. Quinemant, capitaine.
Dermier, d*
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[1895] EN GRTIIÉB !83
MM. ^
Baudier, lieutenant,
de Laromerz , d^
( mort de ses blessures) .
EN GRTIIÉB
Lavigne,
capitaine.
Baudier,
lieutenant.
de Laromerz,
do
Abd-el-Kader-ben-Blidi,
d* (mo
Mohamed-llamou-ben-ÀH,
do
Mustapha-ben-Bof ram ,
do
Mohamed-Chibli,
do
Mohamed-bel-Hadj ,
sous- lieutenant.
Messaoud-ben-Ahmed ,
do
Dans ces noms, le détachement de Conslantine comptait ceux de HH. Qui-
nemant, Oermier, Abd-el-Kader-ben-Blidi et Messaoud-ben-Ahmed. Ses
pertes en hommes de troupe étaient de seize tués et vingt-sept blessés.
Ainsi se termina ce siège, sans précédent sous le rapport des moyens mis
en œuvre par la défense et par Tattaque. Il avait duré onze mois. Dans cette
lutte gigantesque, de nouveaux soldats, à peine d*hier au service de la France,
qui jusque-là n'avaient eu & combattre qu'un ennemi qui leur était familier,
qui n'avaient jamais été employés en dehors de leur propre pays, s'étaient
placés au premier rang parmi les plus braves, les plus disciplinés, les plus
endurcis aux fatigues et aux privations , les plus énergiques et les plus dé-
voués. Le plus bel éloge qu'on puisse faire d'eux après le récit de cette glo-
rieuse campagne, c'est de reproduire l'ordre que le général Camou, comman-
dant provisoirement le 2* corps depuis la blessure du général Bosquet, leur
adressait le 1*' octobre 1855.
« Tirailleurs algériens ,
« L'empereur, content des services que vous avez rendus, et heureux de la
part que vous avez eue dans cette guerre entreprise pour le maintien de la
puissance du Sultan, vous rend à l'Algérie et à vos familles.
c Pendant cette lutte mémorable, vous avez été de vaillants soldats, et votre
brillante conduite vous a acquis, dans l'armée française, une réputation dont
nos alliés et notre ennemi lui-môme vous ont reconnus dignes en vous égalant
à nos meilleures troupes.
« Fatigues des travaux do siège, privations et souffrances de l'hiver, péril
des combats, vous avez tout surmonté.
« Le 20 corps vous fait ses adieux , ainsi que son chef, qu'une blessure reçue
en vous conduisant à la victoire prive du bonheur de vous exprimer lui-même
ses sympathies. Chargé par lui d'ôtre son interprète auprès de vous, je ne
puis mieux faire que de rappeler les noms immortels de l'Aima, d'Inkermann,
du mamelon Brancion, de la Tchemaïa, de Malakoff et de Sébastopol, autant
de titres de gloires pour le régiment de Tirailleurs algériens, et que chacun
de vous peut citer avec orgueil, fier d'avoir assisté aux plus grands événe-
ments militaires de l'histoire des peuples.
• Au oamp de la Tchemaïa, le l** octobre i8S5.
« Le général de division commandant la 2« division et provisoirement
le2« corps d*armée,
< Signé : CAMOU. >
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134 LB 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1855]
Ainsi que l'annonçait cet ordre, le régiment de Tirailleurs algériens allait
(piitter la Crimée; mais, avant de cesser de faire partie de Fermée d'Orient,
il lui était réservé de prendre part au dernier succès que les alliés devaient
remporter sur les Russes, à la dernière opération qui devait précéder la
paix.
Le 2 octobre, une brigade française, commandée par le général de Wim-
pffen, et comprenant le 14* bataillon de chasseurs à pied , le 95* de ligne et
le régiment de Tirailleurs algériens, reçut l'ordre de se rendre à Kamiescb;
elle devait, avec la brigade anglaise du général Spencer, former une division
qui , sous les ordres du général Bazaine, était destinée à une expédition sur
Kinboum, forteresse assez importante fermant le limon du Dniepr, sorte de
golfe intérieur qui reçoit les eaux de deux fleuves considérables : le Dniepr
et le Boug.
Le 7 octobre, la brigade française s'embarqua à Kamiescb, et la brigade
anglaise à Balaklava. Lerégiment de Tirailleurs algériens ne devait plus mettre
le pied sur la terre de Grimée.
Le 8, la flotte arriva dans les parages d'Odessa; elle resta pendant cinq
jours en position devant cette ville, et le 14 fit voile vers Kinboum. Le 15,
le débarquement commença, mais l'état de la mer ne permit de le terminer
que le lendemain.
Le 16, une reconnaissance poussée en avant des lignes anglaises, à quatre
ou cinq lieues dans les terres, rentra sans avoir rencontré l'ounenii.
Le bombardement par la flotte devait avoir lieu le 17; dans la nuit, une
tranchée d'investissement fut ouverte à environ neuf cents mètres do la place,
et vers une heure du matin ce travail se trouva assez avancé pour permettre
d'y installer une partie du bataillon de chasseurs.
Le lendemain, dans la matinée, le général de Wimpffen reçut l'ordre
de faire avancer ses troupes dans la plaine, de façon à être prêt à maintenir
la garnison dans le cas où elle tenterait une sortie désespérée. À neuf heures
et demie, les batteries flottantes ouvrirent le feu; bientôt les frégates et
les canonnières vinrent y joindre le leur ; enfin , vers midi , les gros vais-
seaux saluèrent à leur tour la forteresse de leurs puissantes bordées. Pendant
ce temps, du côté de la terre, d'habiles tireurs se glissaient jusqu'à quatre
cents mètres de la place, et, abrités par de gros tas de bois, exécutaient un
feu des plus précis qui prenait d'écharpc les canonniors des Imltcries ennemies.
Vers une heure et demie, la |)osition n'était plus lenuhlo pour les assiégés;
leur artillerie, complètement démontée, était hors d'état de soutenir la lutte.
L'attaque fut suspendue; des parlementaires furent envoyés au général russe,
qui hésita longtemps, et finit enfin par accepter les clauses de la capitulation
qui le faisaient prisonnier de guerre avec toute la garnison, soit quarante
officiers et mille quatre cent vingt hommes. De ce fait, cent soixante-quatorze
bouches à feu tombèrent en notre pouvoir. Cette brillante opération n'avait
pas coûté un seul homme au régiment.
Le lendemain , les Uusses faisaient sauter le fort d'Otchakow , situé en face
de Kinboum, de l'autre côté de la passe du liman.
Lss jours suivants, pendant que les canonnières anglaises et françaises ex*
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[1855] EN CRIMÉE i35
ploraient le Dniepr et le Boug, une partie des troupes alla camper à environ
quinze kilomètres dans les terres, au village de Pakrovka. Des reconnais-
sances furent envoyées dans les diiïérentes directions, et le régiment de
Tirailleurs poussa jusqu^à Otchérétina, & une journée plus avant dans Tinté-
rieur. L*enncmi ne se montra nulle part. Cependant, au moment où Ton
quittait Pakrovka pour revenir à Kinbourn , une forte troupe de cavalerie
russe apparut soudain à une faible distance du village qu'on venait d*évacuer.
Trois compagnies de Tirailleurs algériens furent aussitôt déployées pour faire
face & une agression qui paraissait imminente; mais Tennemi ne tarda pas
à s'éloigner, et la marche continua sans être marquée par aucun autre in«
cident.
lifl 20, le régiment fut cmhnrqué & bord du Fleftrm, qui le ramena à Ka-
inicscli , où il fut immédialcment transbordé sur Vllaxiite, Le 30 octobre , ce
dernier bâtiment mettait à la voile , et le 27 novembre, après une traversée
des plus heureuses, il entrait dans le port d'Alger. Il y avait dix-neuf mois
que les Tirailleurs algériens avaient quitté cette ville. Une magnifique récep-
tion y avait été préparée en leur honneur. Le général Randon, gouverneur
général, suivi d'un nombreux état-major, d'un brillant cortège de chefs
indigènes, de musiques françaises et arabes, vint lui-même au-devant d'eux
et les accompagna jusqu'à leur campement , en dehors de la porte d'Isly. Sur
tout leur parcours, des fleurs, des bouquets, des acclamations, des vivats
enthousiastes leur furent prodigués par la foule, qui leur prouva ainsi l'ad-
miration qu'avait fait naître le récit de leurs glorieux succès. Le soir , une
immense difla leur fut ofTerte par leurs coreligionnaires, et la population
européenne leur témoigna ses sympathies en donnant à leur intention une
grando soirée théâtrale, dans laquelle furent représentés divers épisodes
ayant trait à la campagne d'Orient.
Quelques jours après , le gouverneur général les passait en revue , et les
contingents d'Oran et de Gonstantine étaient dirigés sur leur province res-
pective. De nouvelles ovations attendaient ces braves à leur arrivée à Gonstan-
tine, de nouvelles fêtes avaient été préparées; mais ici leurs réjouissances
revêtirent un caractère plus intime; leurs parents, leurs amis, tous ceux qui
leur étaient chers, et dont ils avaient été si longtemps séparés étaient là pour
les recevoir, les féliciter et leur exprimer la joie qu*éveillait leur retour.
Un décret du 10 octobre , complété par une décision ministérielle du 7 no-
vembre, prononçait le licenciement du régiment de Tirailleurs algériens pour
le 31 décembre 1855. Les militaires qui en faisaient partie devaient être
versés dans les trois régiments indigènes créés par le même décret, et cela
de façon que chacun d'eux pût revenir dans sa province d'origine, à moins
cependant qu'il eût manifesté une intention contraire. G'est ainsi que le déta-
chement de Gonstantine allait entrer dans la composition du 3** régiment, et
apporter dans ce nouveau corps les nobles traditions de discipline, de courage
et de dévouement qu'il avait puisées sur le sol de la Grimée.
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CHAPITRE XY
(1854-1866)
Opératioiis en Algérie pendant les années 1854*1855. — (1854) Expédition dans la grande
Kabylie. — Prise du col de Sldl-AIssa. — Ciombats des 17, iO et 30 juin. — Disse-
Intlon de la colonne. — Le commandant Guichard remplace le commandant Jolivet.—
Opérations contre les Nemencha. — Occupation de Tuggart. — (1855) Création d'un
deuxième bataillon de Tirailleurs indigènes dans la province de Gonstantlne. — Li-
cenciement des bataillons de Tirailleurs indigènes et création de régiments de
Tirailleurs algériens.
. Pendant qu'une notable partie du bataillon de Tirailleurs de Constantine
se couvrait de gloire en Crimée, la portion de ce corps demeurée en Algérie
avait été loin de rester inactive. Grâce aux eflbrts du commandant Jolivet,
aidé en cela par les capitaines Vindrios, Le Bustier, Fossiat- Deschâtres et
Pelisse, cette portion avait été rapidement réorganisée. Son effectif, considé-
rablement réduit par le premier contingent envoyé on Orient et {mr les im-
portants renforts dont il avait bientôt fallu le faire suivre, s'était presque
aussitôt trouvé reconstitué, et, dès le mois de mai , quatre compagnies ayant
chacune un effectif de près de deux cents hommes étaient prêtes à reprendre
la campagne.
La province était assez tranquille; cependant un bruit, qui pouvait en-
traîner à de graves conséquences en s'accréditant, s'était tout à coup répandu
parmi les indigènes : on se répétait dans les douars que la guerre d'Orient allait
nous faire abandonner l'Algérie, et cet espoir, d'abord timidement caressé par
quelques tribus indépendantes, avait pris peu à peu une consistance qui me-
naçait de le faire partager par celles qui paraissaient nous être le plus dé-
vouées. D*un autre côté, la Kabylie subissait encore la sourde influence de
Bou-Baghia , ce chef opiniâtre que nous avons vu se présenter devant Bougie
en 18SI, et déjà, au mois d*avrii, une colonne avait dû être envoyée sur le
Sébaou pour surveiller cette contrée, où son parti, quoique vaincu, était
eucore assez puissant pour demeurer une constante inquiétude pour les en-
virons de la petite place de Deihys. Il importait donc, quelque diminuée
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[1854] EN ALOÉRIB |37
qa*eût été Tarmée d'occupation, de se montrer en force att sein de ces popu-
lations rebelles , pour bien les persuader que nous n'étions pas prêts à faire
volontairement le sacrifice de notre conquête. Un corps expéditionnaire fut
organisé dans ce but avec toutes les troupes disponibles des provinces
d'Alger et de Conslantine, et il fut décidé que les opérations auraient pour
théAtro la région comprise onlro Tizi-Ouzou, Ksar-Kebouch, Dolbys et
Bougie.
Les troupes de la province de Constantine formèrent une division qui fut
placée sous les ordres du général de Mac-Mahon. D'après les ordres du gou-
verneur général, cette division devait marcher sur Tifrit, puis se porter de
ce point vers Chaoufa , pour y opérer sa jonction avec les troupes venues de
la province d'Alger.
Le 18 mai , le bataillon de Tirailleurs quitta Constantine pour se rendre à
Sétify où devait s'organiser la colonne. Au moment de son départ, il avait
un eflectif de dix-sept officiers et de six cent quarante-cinq hommes.
Le mouvement commença le 26. On se dirigea d'abord sur Bougie, où l'on
arriva le 30. Le 31, on quitta ce poste, pour remonter la rive gauche de
rOued-Sahel. Le 3 juin, on arrivait & Tizi-Takerin. Le 4, la colonne se remit
en route à cinq heures du matin; elle arriva au bivouac de Souk-el-IIad,
vers onze heures. Les tentes furent dressées sur les bords de l'Oued -el-Ilad ,
petit ruisseau alimenté par les nombreux ravins descendant du sommet
d'une montagne située à douze ou quatorze cents mètres de là.
La crête de cette montagne semblait, vue du camp, former un arc de
cercle dont la convexité aurait été tournée vers le nord; sur plusieurs points
elle présentait des rochers abrupts; sur ses flancs, quelques bouquets d'ar«
bres et de la broussaille paraissaient rendre ses pentes, sinon impraticables,
du moins fort difficiles à gravir. Un sentier étroit, parlant des bords de
rOued-el-Had et menant directement au col de Sidi-Aîssa, était la seule
communication y donnant accès.
A peine les troupes eurent-elles commencé à installer leur bivouac , que
toutes les hauteurs environnantes se couvrirent de Kabyles. On les voyait de
loin construisant en toute hftte des retranchements en pierres sèches; ils
se préparaient visiblement & nous disputer énergiquement le passage du
défilé.
II était midi ; les troupes furent aussitôt rassemblées et organisées dans
l'ordre suivant : & l'extrême droite, le 1^ bataillon de chasseurs à pied; puis,
à la gauche de ce bataillon, trois bataillons du \6^ léger, deux bataillons de
zouaves, un bataillon du 71* de ligne, et enfin, à l'extrême gauche, le ba-
taillon de Tirailleurs indigènes. Elles se mirent en marche dans cet ordre, se
dirigeant vers la montagne dont nous avons parlé plus haut. Les deux batail-
lons des ailes devaient presser leur marche, chercher à déborder les extré-
mités de la ligne ennemie, puis tourner cette dernière de façon à obliger les
Kabyles à abandonner leurs positions.
Vers deux heures, le mouvement tournant étant assez prononcé , le général
de Mac-Mahon fit donner le signal de l'attaque; toutes les troupes s'élan-
cèrent à l'assaut; en même temps le bataillon de Tirailleurs et celui des
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138 LB 3« RÉGIMENT D£ TIRAILLEURS ALGÉRIENS [lb64]
chasseura se rabaltaiont sur les flancs de rcnnemi. Voyant sa relraile près
de lui être coupée, ce dernier s'empressa d'abandonner les hauteurs qu'il
ayail si soigneusement fortifiées. Le bataillon de Tirailleurs avait eu deux
hommes blessés.
Après une poursuite de quelques instants, les deux brigades rentrèrent au
bivouac, et la journée se passa sans qu'aucun Kabyle se montrât aux envi-
rons de nos avant-postes.
Le lendemain , la marche fut reprise dans la direction de Tifrit. Le 12, les
troupes des deux provinces opérèrent leur jonction ; les deux divisions ne
formèrent plus alors qu'une seule colonne sous les ordres du général Randon,
gouverneur général. Le bataillon de Tirailleurs se trouva compris dans la
deuxième brigade (colonel Piot) de la deuxième division. Le 13, ce bataillon
fut passé en revue par le général Randon, qui se montra fort satisfait de son
attitude et de sa tenue.
Le 16, le bivouac fut établi sur la crôte des montagnes dos Boni-Yahia. On
devait faire séjour le lendemain.
Le 17, vers dix heures du matin, on commença à apercevoir de nom-
breuses bandes de Kabyles se réunissant sur la ligne de crêtes bornant
l'horison au sud. La division de Constantine prit immédiatement les armes
et fut divisée en trois groupes; le bataillon indigène forma, avec un demi
bataillon de souaves, le groupe de gauche, dont M. le lieutenant-colonel
Paêr eut le commandement.
Cette dernière colonne avait pour mission d*enlever le col de Tîzi-Oulem.
Elle s'engagea dans un étroit chemin en corniche , tracé sur le flanc du Faît-
Oudja, et se trouva bientôt devant la position, qu'elle aborda des deux côtés
à la fois. La résistance fut opiniâtre ; mais l'ennemi , voyant sa droite près
d'ôtre tournée par le bataillon de Tirailleurs, se retira précipitamment, aban-
donnant une partie de ses morts et de ses blessés. Après avoir franchi le col ,
le lieutenant -colonel Paêr reçut l'ordre de brûler tous les villages qui se
trouvaient sur la gauche. Ce fut encore le bataillon indigène qui se chargea
de cette opération.
A six heures et demie , toutes les troupes étaient rentrées au camp.
Le bataillon de Tirailleurs avait eu onze blessés, dont M. Cayrol, lieute-
nant, atteint d'un coup de feu à la poitrine. Le soir, le commandant Jolivct
reçut pour sa troupe les plus flatteurs éloges de la part du gouverneur
général.
Un brouillard intense étant survenu, la colonne séjourna encore trois
jours sur le territoire des Beni-Yahia. Le 20, six bataillons de la division
d'Alger et trois de celle de Constantine, parmi lesquels celui des Tirailleurs
indigènes, quittèrent le camp à six heures du matin , sous les ordres du gé-
néral Randon, pour se porter sur le territoire des Beni-Henguillet. L'opé-
ration projetée avait pour but de dévaster le pays et de détruire plusieurs
villages, notamment celui de Taourir-Inteditz, l'orgueil de la tribu. Ce
village se trouvait placé sur un contrefort boisé à croupe arrondie se déta-
chant de la grande chaîne des Sebt. Les Kabyles en avalent crénelé les mai-
sons, barricadé les rues, et couvert les approches au moyen d'abatis.
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[1854] EN ALOÊRIR 139
Ce furent les bataillons de la division d'Alger qui eurent pour mission de
Tenlever. Après une lutte acharnée, ils finirent par s*y établir de vive force.
Immédiatement on procéda à la démolition des maisons et & la dévastation
des jardins et des vergers environnants. Le bataillon de Tirailleurs do Con-
stantine fut chargé de protéger les travailleurs contre les Kabyles, qui reve-
naient en nombre pour s*opposer à la destruction de leurs habitations et de
leurs récoltes. L*ennemi ne tarda pas à se montrer agressif et à diriger
sur nos troupes une fusillade des plus nourries ; mais le bataillon de Tirail-
leurs , passant aussitôt à une vigoureuse offensive, l'aborda & la baïonnette ,
le culbuta, le rejeta dans un ravin où, pendant un instant, eut lieu un san-
glant combat corps à corps qui se termina par la fuite précipitée des Ka-
byles, qui , à partir do ce moment, n'inquiétèrent plus la colonne. Ils avaient
laissé cinquante des leurs sur le terrain. Presque toutes les blessures étaient
le fait do la baïonnette. Les Tirailleurs comptaient un homme tué et vingt-
six blessés , pertes assez sensibles et qui témoignent suffisamment de l'ardeur
de la lutte.
L'opération avait complètement réussi ; les troupes furent rassemblées et
ramenées au camp. Le lendemain, les Beni-Menguillet vinrent faire leur
soumission.
Le 25, le camp fut levé et porté à Djouma-Nétonich-Guida, sur les contre-
forts des Beni-Itouragh. Le 26, eut lieu une nouvelle sortie contre les con-
tingents de cette tribu, qui furent dispersés après un assez vif combat, où le
bataillon eut deux hommes blessés. Le 28 , la colonne reprit sa marche et se
dirigea vers la plaine du Sébaou. Le 30 , les deux divisions quittèrent leurs
bivouacs & quatre heures du matin, pour se porter au centre de la tribu des
Beni-Idjer. Après trois heures de marche, on arriva près de Tléta, sur la
rive droite du Ghcba-Rouzian. Sur les bords de cotte rivière s'élevaient plu-
sieurs villages, dont les principaux étaient : Bouzian, au fond d'un vallon très
riche; Sahel, Ekia-Toussen , au sommet de la crête d'un contrefort projeté
par la chaîne principale des Beni-Idjer , et, à l'extrémité sud de ce contrefort,
sur un pic dominant la rive droite de l'Oued -Sahel, Taourir, où se voyait la
maison du fameux Bou-Baghla.
En s'approchent de Bouzian, l'avant-garde de la division de Constantine
fut assaillie de coups de fusil ; de nombreux Kabyles s'étaient embusqués
derrière les arbres qui bordaient la rivière, et de 1& dirigeaient un feu bien
ajusté sur le bataillon de zouaves qui se trouvait en tête de la colonne. Ce
bataillon reçut aussitôt l'ordre de s'avancer au pas de course; en même
temps un bataillon du 71° do ligne se portait en avant pour appuyer ce
mouvement, pendant que celui des Tirailleurs indigènes se déployait plus à
droite, et commençait à gravir les pentes abruptes qui s'étendaient au pied
d'Ekia-Toussen.
Ce dernier point semblait être le centre de la résistance; c'était là que les
Kabyles se trouvaient en plus grand nombre, ce fut là aussi qu'ils se défen-
dirent avec le plus d'opiniâtreté. Cependant rien ne put résister à l'admirable
élan des Tirailleurs ; sous le feu meurtrier des Kabyles, le bataillon gravit la
montagne au pas de course, puis aborda résolument le village, d'où l'ennemi
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140 LE 3* HÉOIIIBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1854]
fut bientAi chassé. De leur cAté, les zouaves s'étaient emparés du village de
Bousian. Les Arabes étaient en fuite sur tous les points. Vers onie heures,
trois bataillons de la division d'Alger se portèrent en avant, avec mission de
couvrir la retraite. Celle-ci s'opéra lentement, en bon ordre, et à midi toutes
les troupes se trouvaient sous la tente.
Le bataillon de Tirailleurs indigènes, qui avait fourni l'effort principal de la
journée, avait également subi les pertes les plus considérables; ces der-
nières s'élevaient à deux hommes tués et trente-deux blessés, chiffre énorme
pour un combat qui avait duré si peu d'instants.
Le 2 juillet, ce fut le tour du village de Taourir. Les bandes chassées dans
la journée du 30 juin étaient venues s'y réunir et tentaient de s'y fortifier. Une
partie des troupes sortit du camp, et le village, abordé par le 7* bataillon do
chasseurs à pied et le 3« bataillon du 16^ léger, qu'appuyait le bataillon de
Tirailleurs indigènes, fut enlevé avec un entrain remarquable.
Dans cette journée, le bataillon de Tirailleurs n'eut que deux^blessés.
Ce dernier combat amena la complète soumission des Beni-Idjer. Le but de
l'expédition était atteint. Le 6 juillet, le gouverneur général prononça la dis-
solution de la colonne. Les troupes devaient rentrer dans leurs garnisons
respectives. Avant de les quitter, le général Randon leur laissa l'ordre
suivant :
c Soldats des divisions d'Alger et de Constantine,
« Vous avez dignement accompli votre longue et laborieuse campagne. Vous
avez eu de grandes fatigues à endurer, de rudes combats à livrer. Vous avez
surmonté tous ces obstacles par votre persévérance et votre courage.
« Vos glorieuses journées des 4, 9, 20, 26, il et 30 juin, !<'*' et i juillet, sont
inscrites aux plus belles pages de notre guerre d'Afrique. Le sang précieux que
vous venez de verser fécondera le sol de notre conquête, que vous venez encore
d'agrandir.
« Soldats, vous avez bien mérité de la France et de l'empereur. Notre au-
guste souverain reconnaîtra vos brillants services. Voire général en chef les
signalera, comme ils le méritent, à Son Excellence le ministi-e de la guerre, qui
sera votre chaleureux intermédiaire auprès de Sa Majesté. »
Un autre ordre, en date du 13 août, signalait les noms de ceux nui s'étaient
plus particulièrement distingués dans le cours do cette expédition. Etaient cités
au bataillon de Tirailleurs indigènes :
MM. Villers, capitaine.
Cayrol , lieutenant.
Mallot, d«
Renaud, sergent -major.
Labessi , sergent.
Le 17 juillet, le bataillon était de retour à Constantine.
Le 29 juin, le commandant Jollvet avait été nommé lieutenant-colonel. Ce
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[1854] EN ALGÉRIE 141
fat le commandant Guichard qui fut désigné pour le remplacer à la tôte des
Tirailleurs de Constantine.
Pendant que la portion principale du corps se trouvait en Kabylie, la 8" com-
pagnie, qui fournissait plusieurs détachements dans les postes de Test de la
province, prenait part à un hardi coup de main dirigé contre les Nemencha.
Cette importante tribu était depuis longtemps en relations avec le faux
chérif Mohamed-ben-Àbdallah, et lui fournissait secrètement des armes,
des munitions et des chevaux. Ces agissements méritaient une sévère punition.
Apprenant que quelques-uns de ses douars se trouvaient campés près du
défilé de TOuba, le commandant supérieur de Tébessa résolut de les y sur-
prendre. Prenant avec lui un escadron de chasseurs, cinquante spahis,
soixante- quinze Tirailleurs et cinquante goumiers, il quitta Tébessa dans la
nuit du 22 au 23 mai , et au point du jour tomba sur les Arabes, qui étaient
loin de s'attendre à cette agression. Il leur enleva trois cents tentes et leur
tua soixante -trois hommes. Par la vigueur qu*il avait déployée dans cette
marche difficile et par le concours quMl avait prêté à la cavalerie dans Ten-
lèvement des douars , le détachement de Tirailleurs s*était attiré tous les éloges
du chef de l'expédition.
Un des faits les plus importants de l'année 1854 fut Toccupation de Tuggurt.
Depuis longtemps celte oasis, dont dépendait alors le Souf et toute la vallée
de rOued-R'rir, obéissait à la famille des Ben-Djellab, dont quelques membres
avaient même, à diverses époques, pris le titre pompeux de sultan. En 1834|
le général Voirol étant gouverneur général, le cheik de Tuggurt, qui jusque-là
n'avait reconnu que nominalement la suprématie des beys de Constantine , se
mit en relations avec l'autorité française , et donna bientôt à son attachement
& notre cause le caractère d'une certaine fidélité. Lors de l'occupation de
Biskra en 1844, son fils Abd-er-Rhaman-ben-Djellab, devenu cheik à son
tour, vint même, sans y être sollicité, rcconnailre la suzeraineté de la France
et s'engager & payer un tribut annuel de vingt mille francs, à la simple con-
dition de pouvoir fréquenter nos marchés.
De ce jour, nos rapports avec Tuggurt devinrent de plus en plus suivis, et
le cheik ne demandait qu'è s'abandonner tout & fait à notre influence, lorsque,
vers la fin de 1851 , il fut brusquement assassiné. 11 ne laissait que des en-
fants en bas Age, mais il avait eu la précaution, avant sa mort, de demander
l'investiture pour son fils aine. Agé de huit ans. Cette faveur lui avait été ac-
cordée; seulement le cheik el-arab Si-Ahmed-el-Hadj-ben-Ganah devait
exercer le pouvoir jusqu'à la majorité de l'enfant. Le cheik el-arab, au lieu
de se rendre immédiatement à son poste et de faire reconnaître son autorité,
attendit, perdit 'du temps, négocia , indisposa les habitants de l'oasis, et fina-
lement trouva la ville fermée lorsqu'il s'y présenta.
Il existait alors un autre membre de la famille des Ben-Djellab : c'était un
nommé Selman-ben-Djellab. Il était cousin du dernier cheik et prétendait
être le seul héritier légitime du pouvoir; plusieurs fois déjà il avait fait des
tentatives pour s'en emparer; mais, toutes ayant échoué, il s'était enfin réfugié
à Ouargla auprès du chérif Mohamed -ben- Abdallah. Aussitôt qu'il apprit ce
qui s'était passé entre les habitants de Tuggurt et le cheik el-arab, il vint à
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142 LE 3* RÉOmCNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (t8S4]
Tomacin, réunit autour de lui uoo partio dos tribus do la régiou, marcha
coutre Tuggurt et s'en empara.
A partir de ce moment, Selman-ben-DjelIab et Mohamed-ben-AbdalIah firent
cause commune et se mirent à razzer toutes les tribus qui nous étaient res-
tées fidèles. Préoccupé par les graves événements dont le nord de la province
était alors le théâtre, le général commandant la division avait dû momenta-
nément se désintéresser de cette grave question; mais vers la fin de 1854
la Kabylie paraissant pacifiée, il allait enfin pouvoir reporter une partie de
son attention vers le sud.
Le mois de novembre arrivait; avec lui la récolte des dattes allait commen-
cer et les exactions du cheik et du chérif reprendre leur cours. Pour mettre
les oasis à l'abri de leurs coups de main , il fut décidé qu'un goum de huit
cents chevaux et de treize cents fantassins, soutenu par deux escadrons
de spahis et une compagnie de Tirailleurs indigènes, irait, sous les ordres du
commandant Marmier, des spahis, prendre position à Mégarin, au nord de
Tuggurt. De ce point on pouvait surveiller les mouvements de Selman-ben-
Djellab, et ôtre à môme de se porter rapidement au secours des oasis du Souf,
au cas où celles-ci se trouveraient menacées. Pendant ce temps une réserve,
comprenant un bataillon du 68* de ligne , trois escadrons de chasseurs et deux
obusiers, devait se réunir à Mérayer, sous le commandement du colonel Des-
vaux, et se tenir prôte à venir appuyer la colonne du commandant Marmier.
Ce fut la compagnie du capitaine Vindrios qui fut désignée pour faire partio
de la colonne de Hégarin. Le mouvement commença le 16 novembre. A cette
époque Mohamed-ben-Abdallah, prévenu de nos intentions, était à El-Oucd ,
cherchant à recruter des défenseurs pour Tuggurt. Quant à Selman , il s'as-
surait de la fidélité des populations de rOued-R'rir en pesant sur elles pour
les obliger à déposer leurs dattes dans la place.
Le 18 novembre, la colonne du commandant Marmier arrivait à Rayou;
le 22, elle campait à Mérayer; le 24 , elle couchait près d*Ourlana, et, le 25,
à Sidi-Rached. A partir de ce dernier point, elle trouva les oasis abandonnées :
les habitants s'étaient réfugiés à Tuggurt. Cependant à Mégarin , où l'on arriva
le 26, les Arabes n'avaient pas fui; mais ils nous reçurent avec des manifes-
tations tellement hostiles, qu'on crut un moment qu'il allait falloir les réduire
par la force. Voyant enfin qu'on allait agir envers eux avec la dernière rigueur,
ils demandèrent l'aman.
Le commandant Marmier voulut ensuite se porter sur Tuihet-el-Gucblia,
pour fermer la retraite aux contingents que Mohamed-ben-Abdallah amenait
à Tuggurt; mais il fut devancé sur ce point par le chérif, et il dut en toute
hâte rentrer à Hégarin pour n'être pas à son tour coupé de sa base d'opé-
rations.
Le camp français avait été établi contre l'oasis de Mégarin. On savait très
bien que la sourde hostilité des habitants de cette oasis rendait celte position
dangereuse; mais le besoin de rester à côté de l'eau nous imposait celte fâ-
cheuse situation , dont le cheik et le chérif allaient profiter pour nous allaqucr.
Le 2U novembre, on aperçut tout à coup, à environ une lieue du camp,
la cavalerie de Mohamed -ben- Abdallah « Une partie du goum monta aussitôt
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[1854] EN ALGÉRIE 148
à cheval et, soutenue par un détachement de spahis, marcha au-devant des
cavaliers arabes, qui s*enfuirent en cherchant à attirer les nôtres dans la
plaine. On crut à une simple escarmouche; mais au même instant de grands
cris B*6lnv6ront de Toasts do Mégarin , et une masse do deux mille fantassins
en déboucha brusquement pour se jeter sur le camp. C'était Tinfanterie du
cheik et du chérif , qui, grâce à la connivence des habitants de l'oasis, avait
pu se cacher dans celle-ci pour en sortir au moment où notre attention allait
se trouver concentrée sur Taction de la cavalerie.
Cette tactique, très habilement combinée, aurait infailliblement réussi sans
la présence de troupes régulières. Mais la compagnie du capitaine Vindrios, qui
avait pris les armes dès la première alerte, se jeta résolument sur cette iniante-
rie, qu'elle arrêta d'abord , et qu'elle enfonça ensuite avec une ardeur que décu-
plait rimmincnco du péril. Pendant co temps, les spahis, entraînant le goum,
chorgcaicnt h fond cette masse confuse, faisant çà et là des trouées profondes,
taillant, sabrant avec un acharnement qui ne cessa que lorsqu'il n*y eut plus
un seul ennemi à combattre. Se voyant repoussés , Selman et Mohamed-ben-
Abdallah avaient pris la fuite sans s'inquiéter de leurs malheureux fantas-
sins. €es dçrniers laissèrent environ cinq cents hommes sur le terrain ; il n'y
eut de sauvé que ce qui put gagner les oasis voisines et s'y cacher. De notre
côté, nous avions onze morts et quarante-six blessés, dont deux hommes
tués et huit blessés pour la compagnie de Tirailleurs.
Le lendemain , le commandant Marmier fit faire une reconnaissance le long
de l'oasis de Tuggurt; il n'en partit pas un coup de fusil. Le même jour, des
habitants commencèrent à venir au camp; la plus intime confraternité s'établit
aussitôt entre eux, les spahis, les Tirailleurs et les Arabes du goum. Le l*** dé-
cembre, Selman réunit ses contingents et voulut les haranguer; mais, au lieu
de le suivre, ils se dispersèrent. Le cheik aurait alors voulu s'enfermer dans
Tuggurt pour nous résister avec le peu qui lui restait de fidèles; mais le ché-
rif, qui se rappelait le siège de Laghouat , où il avait failli être pris, s'y opposa.
Le colonel Desvaux venant d'arriver à Méraycr, les deux chefs craignirent
d'être cernés et prirent la fuite, abandonnant la ville, dans laquelle le com-
mandant Marmier entra le lendemain sans coup férir. Le 5 décembre, le colo-
nel Desvaux arrivait à son tour et prenait officiellement possession de la place.
Selman et le chérif s'étaient retirés dans le Souf. Les oasis de cette région
avaient toujours relevé de Tuggurt; le colonel Desvaux s'y porta, reçut par-
tout des soumissions, obligea les chefs rebelles à s'enfuir dans le Djerid tuni-
sien, et, le 22 décembre, revint à Tuggurt. Le 26, Si-AIi-ben-Ferath , le chef
de la famille des Okkas, fut nommé caïd de Tuggurt, de l'Oued -R'rir et du
Souf. Selman, qui s'était réfugié en Tunisie, fut arrêté sur l'ordre du bey et
interné à Tunis. Quant à Mohamed-ben-Abdallab , il parvint encore une fois
à s'échapper.
Après.avoir séjourné encore quelque temps dans la région et en avoir assuré
l'administration, le colonel Desvaux rentra à Batna, ramenant avec lui les
troupes des deux colonnes, à l'exception d'un détachement de cinquante Ti-
railleurs , qui fut laissé à Tuggurt sous les ordres de M. Mohamed-ben-Kassem,
sous-liçutenant indig(*pe.
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144 LE 3* RÊOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1855]
Un ordre du gouvornour général porta bionlAl à la connaissanco do Tarmée
d'Algérie les noms des braves qui s'étaient le plus distingués dans cette pé-
rilleuse opération. Étaient cités dans la compagnie de Tirailleurs :
M. Vindrios, capitaine, pour avoir, par l'élan et la direction donnés à sa
compagnie, contribué au succès de la journée du 29 novembre.
M. Jouanneau, sous-lieutenant.
M. Fargue, sergent-major.
M. Mohamed-ben-Amraoui, tirailleur, pour avoir pris deux drapeaux après
avoir tué les porteurs.
M. Taîeb-ben-Ali, sergent, blessé.
En récompense de l'acte de bravoure qu'il avait accompli, le tirailleur
Mohamed-ben-Amraoui fit partie d'une députatlon envoyée à Paris pour pré-
senter à l'empereur les drapeaux pris dans le combat do Mégarin.
Si l'année 1854 avait été remplie par des expéditions dans toutes les parties
de la province, l'année 1855 devait, en revanche, s'écouler dans le calme le plus
parfait. Au nord comme au sud, à l'est comme à l'ouest, la tranquillité ne
cessa pas un instant de régner. Aussi les Tirailleurs indigènes ne prirent-ils
part à aucun événement qui mérite d'ôtre noté. Seules quelques modifications
survenues dans leur organisation sont à relater ici.
Le 9 janvier, parut un décret impérial portant création , dans chacune des
provinces de l'Algérie, d'un deuxième bataillon de Tirailleurs indigènes, et
réduisant le nombre des compagnies dans les bataillons d'infianterie légère
d'Afrique.
Aux termes de ce décret, les nouveaux bataillons devaient recevoir la môme
organisation que les premiers. Toutefois le nombre des compagnies à former
immédiatement n'était que de quatre ; les autres , jusqu'à concurrence de huit,
ne devaient l'être qu'au fur et à mesure que le ministre Tordoimerait.
Les deux compagnies de dépôt du régiment qui était en Crimée éluicnt sup-
primées.
Les cadres des compagnies à organiser devaient être pris dans les cadres
de ces deux compagnies et dans ceux des neuf compagnies retirées aux ba-
taillons d'infanterie légère d'Afrique.
Le commandant Arnaudeau, qui sortait du bataillon indigène d'Oran, fut
chargé de cette nouvelle organisation. Elle eut lieu le 1*^ mars 1855.
Entrèrent dans la composition de ce nouveau bataillon :
1« La 9* compagnie du 2* bataillon du régiment de Tirailleurs algériens (ré-
giment de Crimée);
2f^ Les cadres des 8*, 9* et 10* compagnies du 3* bataillon d'infanterie lé-
gère d'Afrique;
3* On contingent d'hommes ayant appartenu au l^*^ bataillon de Tirailleurs
indigènes.
Les événements ne permirent pas à ce nouveau corps de se graver la plus
courte page avant d'être confondu dans le 3* régiment de tirailleurs algériens.
Nous l'avons dit plus haut, la province traversa en 1855 une ère de paix
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[1855] EN ALOÉRIB 145
absolue, et lorsque, le 31 décembre, les deux bataillons de Tirailleurs indi-
gènes furent dissous pour servir à la formation du 3<> Tirailleurs actuel, le 2« de
ces bataillons n'avait encore pris part à aucune expédition.
Là s'arrêtent les annales de celte troupe qui eut nom Tirailleurs indigènes de
Comtantinc. Créée en vue d*un rôle purement auxiliaire, et dans le but d'en
faire une milice provinciale destinée bien plus à assurer les opérations fiscales
qu'& prendre part aux grandes expéditions et aux luttes sanglantes des pre-
miers jours de l'occupation , elle était insensiblement devenue un corps d'élite
propre h toutes les missions, un bataillon éprouvé dont les services ne se
comptaient plus. Instruction, bravoure, discipline, dévouement : telles étaient
les nobles traditions que des chefs intelligents y avaient peu à peu développées,
et qu'ils laissaient comme héritage h ceux qui, avec les mêmes éléments,
allaient organiser le 3<» régiment de Tirailleurs algériens. Aussi notre devoir
est-il de rendre un reconnaissant hommage à cette phalange do jeunes officiers
qui consacrèrent leurs efforts, leur talent, leur expérience & perfectionner le
soldat indigène, & en faire ce merveilleux instrument qu'il est resté depuis,
à lui donner cette attitude pleine de dignité, cette coquetterie particulière,
cette allure fière et dégagée que tout le monde admire chez lui. Honneur
& ceux qui lui ont inspiré cette attentive déférence qu'il a pour ses chefs, ce
profond attachement qu'il témoigne pour son dropeau, cet ardent amour de
la gloire et des dangers qu'il faut traverser pour atteindre à cette palme éphé-
mère, qu'il a si souvent arrosée de son sangl
10
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DEUXIEME PARTIE
(1856-1871)
DKPUIS I,A l'OllMATlON DU IIÉOIMRNT
jusqu'à sa ilI«:NTIlÉE DE CAITIVITÉ, APRÈS LA CAMPAGNE
CONTRe L'ALLEMAGNE
CHAPITRE I
(1856)
Décret impérial itortint cr&Ulon do trois régiments do TIrailloars algériens. — Organi-
sation du S" rAglmcnt. — Tableau du personnel (orflclers). — llépartltlon des gar-
nisons — Afodiflcatlons dans rarnienient. — Affaire du 11 mal contre les Amoucha.
— Expédition des Ha])ors. — Combats du 31 mai et du 1 Juin. — Dissolution de la
colonne. — Razzia snr les Nemencha. — Réception du drapeau. — Eipédition de Test.
— Colonnes du sud.
Le rôle brillant joué en Crimée par les Tirailleurs algériens leur avait non
seulement assuré une place définitive et des plus enviables dans les rangs de
l'armée française, mais il avait en même temps démontré l'importance que cette
troupe était susceptible d'acquérir en développant sa force, les services qu'elle
serait peut-être un jour appelée à rendre dans les lointaines expéditions, et
enfin l'appoint qu'elle apporterait dans la défense même du pays. Il ne fallait
plus considérer les turcos seulement comme des auxiliaires spécialement des-
tinés à nous prêter leur concours dons l'œuvre de conquête que nous avions
entreprise dans le nord de l'Afrique, comme des hommes uniquement préparés
à cette guerre d'embuscades, à cette lutte de surprises, à ces combats indivi-
duels dont depuis quelques années la Kabylie était le théâtre, mais encore
comme des soldats dont l'incomparable élan pouvait, sur un champ de bataille
plus vaste, devenir un puissant élément de succès. Désormais ils faisaient
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i4d LE 3<» RÊOIIIBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1856]
ialégralement partie des forces effectives de la France; leur dévouement n'était
plus à éprouver, et le gouvernement pouvait sans crainte leur donner une
organisation définitive, conforme en tout à celle des autres corps d'infanterie,
et répondant à l'extension que la pacification progressive de la partie monta-
gneuse de TAlgérie donnait de jour en jour au recrutement. On a déjà vu qu'un
2* bataillon avait été organisé dans chaque province; cette création était main-
tenant devenue insuffisante, et, en tout cas, restait défectueuse, en ce sens
qu'elle formait deux corps distincts, pouvant ne pas avoir le même esprit, ne
pas jouir de la même prédilection parmi les indigènes, ne pas ôtro également
choisis par ces derniers; il importait de réunir les forces de chacune des trois
provinces en un seul groupe, de les placer sous le même commandement, de
leur donner une seule administration, en un mot de remplacer les anciens
bataillons par des régiments. Ces considérations ne manquèrent pas de frapper
le général Randon , qu'une longue expérience avait mis à même d'apprécier
les qualités militaires des troupes indigènes, et, sur sa proposition, le maré-
chal Vaillant, alors ministre de la guerre, fit signer un décret prescrivant la
formation de trois régiments de Tirailleurs algériens avec les huit bataillons
existant déjà, y compris le régiment qui se trouvait en Orient. Ce n'était, en
réalité, qu'un troisième bataillon à créer dans chaque province, et nous allons
voir que dans celle de Constantine les enrôlements furent assez nombreux
pour porter immédiatement l'effectif du 3« régiment à un chiffre atteignant
presque au complet réglementaire fixé par le décret constitutif.
DÉCRET IMPÉRIAL
POSTANT CUAaTION DK TttOIS StfGiMgNTS l)K TlUAlLUUHS ALG^UIBNS
Saiol-Cloud , lo 11 octobre 1865.
Napoléon, etc...
Vu la loi du 9 mars 1831 , rordonnance du 7 décembre 18U , l'arrôté du 31 oc-
tobre 1848, et les décrets des 13 féyrier 1852, 9 mars 1854 et 9 Janvier 1855,
GonsidéranI qu'il im^rte de constituer déflnitivemeot, sur des bases solides et homo-
gènes, rinfîanterie indigène de TAlgérie,
Sur le rapport de notre ministre secrétaire d'État an département de la guerre,
Ayons décrété et décrétons ce qui suit :
AsT. i*'. 11 est créé trois régiments de Tirailleurs algériens. Chacun de ces
régiments aura trois bataillons de six compagnies, et sera composé conformé-
ment au tableau annexé au présent décret.
AsT. 9. Gos régiments prendront les u<^ 1 , S et 3. l^o prcniior sera formé dans
la proviuco d'Algor, lo second dans lu province d'Orun , ot lo troisiènio dans lu
province de Constantine.
Art. 3. Toutes les dispositions qui régissent les bataillons de Tirailleurs indi-
gènes sont applicables aux régiments de Tirailleurs algériens. Seulement Tavan-
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[1886] EN ALGÉRIE 149
cément aux grades de sous- lieutenant, do lieutenant et de capitaine, au lieu
de s^effectuer sur rensemble des bataillons, s'opérera par régiment.
ÂRTi 4. Par dérogation à Tart. 34 de Tordonnance du 16 mars 1838, les em-
plois qui viendront à vaquer, par suite de la réorganisation de Tinfanterie in-
digène do TAlgérie, seront donnés à Tavancemont des militaires des corps où
la vacance se sera produite.
Art. 5. Les six bataillons de Tirailleurs indigènes et le régiment de Tirailleurs
algériens actuellement existants seront licenciés, et leurs éléments fondus dans
les trois nouveaux régiments do Tirailleurs algériens.
Fait au palais de Saint-Cloud, le 10 octobre 1855.
Signé : NAPOLÉON.
Parremperaor,
Le maréchal de France ministre secrétaire d*Ètat
au département de la guerre,
Signé : Vaillant.
Ainsi qu'on vient do le voir, il n*élait rien changé à la composition des
cadres des anciens bataillons indigènes, pas plus dVilIeurs qu'au mode de re-
crutement en usage dans ceux-ci depuis leur formation. Un tableau annexé
au décret ci-dessus fixait de la manière suivante le complet réglementaire d'un
régiment de Tirailleurs algériens :
"«--■ I SI: : : : : : l^-
f Français 279 ) „ -„n
'^^""P*- ( Indigènes 2,78oJ ^'^^^
Restait à arrêter la dissolution du régiment de Tirailleurs algériens et des
six bataillons de Tirailleurs indigènes, ainsi qu'à déterminer la composition
du personnel (officiers) de chacun des trois nouveaux régiments. Ces ques-
tions furent définitivement réglées par une décision impériale du 7 novembre,
approuvant les dispositions contenues dans le rapport ci-dessous :
RAPPORT A L'EMPEREUR
« Paris , le 7 noTembre 1856.
c Sire,
« En conformité du décret impérial du 10 octobre 1855, portant création de
trois régiments de Tirailleurs algériens et dissolution des six bataillons de
Tirailleurs indigènes et du régiment de Tirailleurs algériens actuellement exis-
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150 LE 3* RÉOIURNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [|856]
ianU f j*ai riiouneiir do proposer à Vo(ro Majonté radoptioii îles iiiesiiroti siii-
vantes :
« La dissolution du régiment de Tirailleurs algériens et des six bataillons de
Tirailleurs indigènes aura lieu le 31 décembre suivant.
« Les ofQciers qui font partie de ces corps, et qui se trouvent en non-activité
par le seul fait du licenciement, seront replacés, le même jour, dans les trois
régiments de Tirailleurs algériens.
« La composition des cadres d*officiers de ces régiments sera conforme au
tableau ci-Joint.
« Le mode de répartition suivi dans ce tableau a pour but, en ce qui concerne
les ofQciers français, d^égaltser l'ancienneté dans les trois régiments, et, en ce
qui regarde les ofûciers indigènes , de les maintenir dans les provinces dont ils
sont originaires.
« L*époque de la rentrée en Algérie du régiment de Tirailleurs étant encore
incertaine, et ce corps pouvant, d*ici à cette époque, acquérir de nouveaux
droits à dos récompenses, je |K)nso qu'il y a eu lieu do décider (|Uo toutos les
yacances devront en être comblées avant son départ de Crimée, sauf à donner
aux militaires promus par M. le marécbal Pélissier la destination affectée aux
ofQciers qu'ils auront remplacés.
« Si Votre Majesté accueille ces propositions, je la prie de vouloir bien
reyétir de son approbation le présent rapport, ainsi que le tableau qui l'accom-
pagne.
« Le maréchal de France ministre secrétaire d'État
au département de la guerre,
« Signé : Vaillant.
«t Approuvé,
« Signé : NAPOLÉON. »
A ce rapport était Joint le tableau des ofQciers désignés pour constituer les
cadres de chacun des trois régiments de Tirailleurs. On trouvera ci-après les
noms de ceux qui étaient affectés au 3*.
En exécution du décret et de la décision précités , les l**" et 2* bataillons de
Tirailleurs indigènes furent licenciés le 31 décembre 1855, Tun à Constantine,
Tautre à Sétif. Le l**" Janvier 1856, eut lieu, à Constantine , la formation effec-
tive du 3* régiment de Tirailleurs algériens. I^e procès- verbal de cette opé-
ration fut dressé par M. Rossignol, adjoint de première classe à l'intendance
militaire, délégué par l'intendant militaire de la division. Le môme Jour, le
général Maissiat, commandant la province, présida lui-même à Torganisation
du nouveau corps, en faisant reconnaître, devant la troupe réunie sous les
armes, les officiers désignés pour en faire partie. Une reconnaissance analogue
fut ensuite effectuée à Tégard des sous -officiers et caporaux; enfin le général
inspecteur procéda à l'installation du conseil d'administration central , et le
régiment dont nous faisons ici l'historique eut nom et rang dans les autres
corps de l'armée. Il comprenait trois bataillons à six compagnies et se com-
posait des divers éléments provenant :
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[1886]
EN ALQÉRIB
181
{o Du {er bataillon do Tirailleurs indigènes de Constantine;
2» Du 2« bataillon de Tirailleurs indigènes de Constantine;
3* Du détachement do Tirailleurs indigènes de Constantine revenant do
Crimée et ayant fait partie du régiment de Tirailleurs algériens.
La situation jointe au procès-verbal faisait ressortir reflectif suivant :
Officiers.
Troupe .
86
2,414
Voici quel était le classement des officiers :
ÉTAT-MAiOR
MM. Liébert, colonel.
Castox , lieutenant-colonel .
Vinciguerra, major.
Âlliou , capitaine trésorier.
Germain , capitaine d'habillement,
nmsflour, sous-liontonant adjoint au trésorier.
Manouvricr, sous-lieutenant porte-drapeau.
Poulet , médecin-major.
Hervé , médecin aide-major.
!«' BATAILLON
MM. Guicliard , chef do bataillon.
Groût do Saint-Pacr, capitaine adjudant-major.
l*"* compagnie,
MM. Estelle, capitaine.
Galland, lieutenant français.
Hadj-Hassem, lient, indigène.
Hiriart, sous-lieutenant français.
Mohamcd-Ali-Djcgerli, s.-I. ind.
2** compngnk,
MM. ncaumellc, capitaine.
Fabre de Montvaillant, lient, fr.
Moireau, sous-lieut. français.
Mohamed-ben-Kassem, s.-l. ind.
3« compagnie.
MM. Conot, capitaine.
Cabiro, lieutenant français.
Mohamed-Bournass, lient, ind.
Louvet, sous-lieut. français.
Amar-ben-Kalafaf, s.-lieut. ind.
4* compagnie.
MM. Mallat, capitaine.
Billon , lieutenant français.
Caddour-ben-Brahim, lient, ind.
Pélissier, sous-lieut. français.
6« compagnie.
MM. Letellier, capitaine.
Verdier, lieutenant français.
Mohamed-ben-Toudji, lient, ind.
Fargue, sous-lieut. français.
Messaoud-ben-Ahmed, s.-I. ind.
6« compagnie,
MM. Munier, capitaine.
Maussion, lieutenant français.
Roussel , sous-lieut. français.
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152
LE 3* RÊOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1856]
2« BATAILLON
MM. Arnaudeau,
AIxon,
i^ compagme.
MM. Viéyille, capitaine.
de Paillot, lieutenant français.
Lavondes, sous-Iieut. français.
Achmet-Khodja, sous-lieut. ind.
2* compagme.
MM. Yédie, capitaine.
Sorin, lieutenant français.
Guérin de Touryille, s.-lieut. fr.
Larbi-ben-Lagdar, s.-lieut. ind.
3« compagnie.
MM. Saar, capitaine.
Ramakers, lieutenant français.
Mohamed-bel-Gasm, lieut. ind.
Dufour, sous-Iieut. français.
Ali-ben-Osman , sous-Iieut. ind.
chef de bataillon,
capitaine adjudant-major.
4" compagnie.
MM. Berrué, capitaine.
Brisson, lieutenant français,
de Foy, sous-lieut. français.
5* compagnie.
MM. Desmaison, capitaine.
Lacroix, lieutenant français.
Sa!d-ben-Mohamed I lient, ind.
Sénac, sous-lieut. français.
Ali-ben-Toumi , sous-lieut. ind.
6* compagnie.
MM. Clemmer, capitaine.
Ceccaldi, lieutenant français.
3* BATAILLON
MM. GottretS
Chevreuil ,
1'* compagnie.
MM. Dorsène, capitaine.
Quinemant, lieutenant français.
Achmed , lieutenant indigène.
Lescure, sous-lieut. français.
Achmed-ben-Omar, s.-l. ind.
2* compagnie.
MM. Cayrol , capitaine.
Aubrespy, lieutenant français.
Cléry, sous-lieut. français.
Abderrhaman-ben-Ekarfi , sous-
lieutenant indigène.
chef de bataillon,
capitaine adjudant-major.
3* compagnie.
MM. Soumet, capitaine.
Burin , lieutenant français.
Ahssen-ben-Kréliil, lient, ind.
Bosvicl , sous-lieut. français.
Ahmed-Assen-ben-Kinaoua, sous-
lieutenant indigène.
4« compagnie.
MM. Lucas, capitaine.
Marion-Dumersan, lieut. franc.
Coussières, sous-lieut. français.
1 Nommé à la date du 19 JanTier.
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[1886] EN ALGÉRIE 158
5<^ compagnie,
, de Lacvivier, capitaine.
Angaminare, lieutenant français.
Renaud, sous-lieut. français.
Moktnr-bcn-Youssef, sous-lieu-
tenant indigène.
6* compagnie.
MM. Beaudier, capitaine.
de Boyne, lieutenant français.
Dix-neuf vacances, se répartissant comme il suit, n*étaient pas encore
remplies :
Lieutenants indigènes 10 \
Sous-lieutenants français ^(iq
— indigènes 6 i
Médecin aide-major 1 y
•
L'absence de candidats aptes aux fonctions d'officiers n'ayait pas permis de
porter In cndro indig(>no nu complot rAgIcmontniro. Il le fut plus tard, au fur
et h mesure que Tinstruction des sous-officiers vint permettre do donner de
l'avancement à ces derniers.
Le colonel Liébert, qui venait d'être placé h la tête de cet important com-
mandement, était un oflicier de haute valeur, ayant fait toute sa carrière mi-
litaire en Algérie et connaissant à fond la langue, les mœurs et le caractère
des indigènes. Dans sa main ferme et habile, les Tirailleurs allaient non seu-
lement conserver cet excellent esprit auquel ils devaient d'avoir vu grandir si
rapidement leur réputation naissante, mais encore acquérir de nouvelles qua-
lités, et justifier cette réputation, en élevant leur dévouement à la hauteur
du rôle de plus on plus honorable qu'allait bientôt leur créer les événements. Il
était secondé dans sa tâche d'organisateur par le lieutenant- colonel Castex,
que nous avons vu , comme chef de bataillon , blessé glorieusement dans la
tranchée devant Sébastopol, et qui apportait, dans les fonctions qu'il allait
remplir, une longue expérience puisée dans un séjour de plusieurs années
au bataillon indigène d'Alger.
Les balaillons obéissaient & dos chefs possédant tous au plus haut degré
cotte autorité large et éclairée que donne la bienveillanco unie au talent. Sous
leur intelligente et énergique direction, l'instruction allait ôtre activement
poussée. Le l^^* était sous les ordres de M. Guichard, qui, en 1854, avait rem-
placé le commandant Jolivet à la tête du bataillon de Tirailleurs de Constan-
tine; le 2<*, de M. Arnaudcau, qui, en mars 1855, avait été chargé d'organiser
le 2° bataillon de Tirailleurs de la province ; et enfin le 3* allait recevoir
M. Cottret, qui devait plus tard commander au Mexique le bataillon de marche
formé avec un contingent des trois régiments de Tirailleurs algériens. Quant
aux capitaines, aux lieutenants et aux sous-lieutenants du cadre français, ils
provenaient tous des précédents corps indigènes licenciés, et se trouvaient par
conséquent familiarisés de longue date avec les éléments spéciaux qu'ils allaient
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tttA LB 3« RËGIMRNT DE TIRAILLEURS AI.OËRIENS [1866]
avoir à fuçoonor ol à diriger. Il cûl certuiDomcnt été dinicilo do consliluer un
corps d'officiers présentant plus d'homogénéité, réunissant plus de savoir, en
un mot étant mieux préparé que celui-là à la tâche laborieuse qui lui incom-
bait. Aussi ne ferons -nous que nous en rapporter à l'opinion des divers ins-
pecteurs généraux , en disant que le 3* Tirailleurs fut bientôt Tun des régiments
les plus brillants de l'armée d'Afrique.
Au moment de l'organisation , les garnisons se trouvèrent ainsi réparties :
Étal-major du régiment à Constantine.
Les six compagnies du \^^ bataillon à — -
l",3«,4«et5»
—
du 2*
—
à Sétif.
2«
—
du2«
—
à Bordj-bou-Arréridj,
6»
—
du2«
—
à Bou-Saftda.
Ir.
—
du3«
-«
À Riskra.
2» et 3»
—
du3«
—
à La Galle.
4»
—
du3«
—
à Tebessa.
S» et 6»
_
du 3*
— i
à Batna.
Un détachement pris sur tout le régiment à Tuggurt.
La plupart de ces garnisons étaient permanentes. Aussi , malgré le chiiTre
assez élevé de l'eflectif, restait -il bien peu d'hommes disponibles pour le cas
où le régiment aurait été appelé à prendre part à une expédition importante.
Pour remédier à cette insuffisance, des officiers indigènes furent envoyés dans
les places de Bône, Guelma, Djidjelli et Bougie, pour y recruter. Leurs opé-
rations furent des plus satisfaisantes; et, du mois de janvier au mois de
juillet, il n'y eut pas moins de neuf cent neuf hommes d'enrôlés.
A cette époque, ainsi que cela se pratique encore pour certains postes de
spahis, les fractions qui se trouvaient à résidence fixe s'établissaient en smala.
Ce système apportait une amélioration sensible dans la subsistance des com-
pagnies et aidait considérablement au recrutement, à cause des relations que
cette vie collective et absolument conforme aux habitudes du pays amenait
généralement avec les Arabes des tribus. 11 resta en usage jusqu'à ce que, sur
l'initiative du colonel Le Poittevin de Lacroix , on eût donné aux Tirailleurs
l'ordinairo dos autres troupes.
L'armement se composait alors du fusil uHNièlo 1847. En 18!>!>, le général
Randon avait fait essayer l'emploi des carabines à tige dans une compagnie
du 1«' bataillon de Tirailleurs de Constantine ; mais celle tentative n'avait pas
donné tous les résultats qu'on en attendait : les indigènes n'avaient pas su
tirer parti des qualités balistiques do celle nouvelle arme, qui dans leurs mains
perdait ainsi sa principale supériorité. On ne se découragea cependant pas;
au commencement de 1856 , quatre cent cinquante fusils à tige furent de
nouveau distribués, et l'on en arma la 1^^ compagnie do chaque bataillon.
Celte fois, grâce à la persévérance des instructeurs, le but désiré fut atteint,
et le régiment compta dès lors un groupe de tireurs d'élite auquel on donna
le nom de carabiniers. Les services que ces derniers rendirent par la suite
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[18S6] EN AT.GÊmR 185
dédommagèrent largement de leurs efforts les officiers qui 8*étaient consacrés
à cette laborieuse éducation.
La campagne de ISHO s'ouvrit par une brusque insurrection en Kabylie et
par un combat qui , bien que malheureux, n'en reste pas moins , pour le 3® Ti^
railleurs, un des Faits les plus honorables qui soient dans son glorieux passé.
Les Kcrrata, fraction des Beni-Mcraî , grande tribu dont le territoire s'étend
à l'ouest du Djebel -Babor, avaient assassiné le cheik institué par notre auto-
rité. Voulant punir ce lâche attentat, le colonel Desmaretz, qui commandait
alors la subdivision de Sétif, envoya aussitôt contre eux le chef du bureau
arabe avec un goum de cent chevaux. Hais lorsque cet officier se présenta
devant les villages incriminés et voulut exiger qu'on lui livrftt les coupables,
il fut assailli h coups do fusil et n'eut que le temps de se retirer.
(l'était un acte do rébellion; il fallait un exemple éclatant. Dès qu'il en fut
informé, lo colonel Desmaretz renvoya le goum, mais en le faisant appuyer
par trois cent vingt-deux hommes des 3", i^ et 8* compagnies du 2* bataillon
de Tirailleurs algériens, sous les ordres du commandant Arnaudeau.
Ce détachement quitta Sétif le 10 mai au soir, et, après une marche forcée
d'au moins soixante kilomètres, exécutée dans la nuit, arriva le lendemain
dovont les villages révoltés. En un instant ceux-ci furent pris et brûlés, ainsi
que la mosquée de Sidi-Atia, la plus vénérée du pays.
Mais, pendant ce temps, la nouvelle de la marche des Tirailleurs s'était ra-
pidement répandue dans les environs, et de nombreux contingents du Babor
et du Ferdjiouah (Beni-Meral, Menchar, Ouled-Salah, Ouled-AIssa, etc.) s'é-
taient immédiatement réunis pour marcher au secours delà fraction attaquée.
Lorsque , leur opération terminée , nos compagnies voulurent songer à la re-
traite, le nombre des rebelles qu'elles avaient eu à combattre se trouvait
considérablement groi^si, et de tous les points do l'horizon d'autres Kabyles
accouraient pour couronner les crêtes au pied desquelles la petite colonne
devait défiler.
Le mouvement en arrière commença et s'elTectua d'abord dans le plus grand
ordre, dans la direction de l'Oued-Berd. L'ennemi n'était pas encore trop
agressif, et bien que sa force, qui allait s'augmentant toujours, dût inspirer
une certaine inquiétude & ceux qui connaissaient sa ruse et son acharnement,
on marchait avec confiance et sans hâte vers le point où Ton espérait trouver
le salut. Que craignait-on, en effet? L'Oued-Berd traversé, on allait se trouver
sur le territoire des Amoucha, des alliés fidèles qui ne manqueraient pas de
nous offrir leurs concours et sous la protection desquels on pourrait enfin
prendre un peu.de repos, et même au besoin attendre des secours de Sétif. La
distance qui en sépare est bientôt franchie; on arrive, on passe le ruisseau
tant désiré : on est chez des amis. Mais de toutes parts la fusillade éclate, de
tous côtés de nouveaux assaillants surgissent : les Amoucha sont aussi contre
nous. Méconnaissant la voix de leurs chefs, ils se joignent aux autres rebelles,
et la montagne, la vallée, aussi loin que l'œil peut s'étendre, ne sont qu'une
vaste forêt de burnous, qu'un fourmillement d'êtres sauvages poussant des
cris féroces et se ruant sur nos pauvres soldats, au moment où ceux-ci
croyaient atteindre enfin au terme de leurs efforts.
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186 LE 3* nËOIIIENT DE TIRAIM.BUR8 ALGÉRIENS [1856]
Les Tirailleurs firent cependant bravement face au danger; un gros d'enne-
mis s*6tant avancé pour leur couper la retraite dans le lit môme de TOued-*
Berd, ils fondirent sur lui à la baïonnette, pénétrèrent fort avant dans sa
masse profonde, mais ne purent parvenir à Tenfoncer. Il fallut même renoncer
à l'espoir de se faire jour sur ce point; le nombre des Kabyles grossissait tou-
jours, notre petite troupe pouvait ê(re cernée. Réunissant alors ses trois
compagnies, le commandant Arnaudeau se jeta avec elles sur la gaucbe, et,
s'élançant à leur tète, les entraîna vers un col dont renlèvcment était pour
nos soldats une question de vie ou de mort. Toutes les crêtes qui le dominaient
étaient couvertes par les Amoucha. Oubliant leurs fatigues, les Tirailleurs se
précipitèrent avec l'ardeur du désespoir sur ces traîtres, dont lé défection était
la chose la plus inattendue; et une lutte sanglante, terrible, sans merci de
part et d'autre, commença immédiatement pour se continuer pendant au moins
dix kilomètres sans trêve ni répit, et dans l'incroyable proportion d'un contre
dix.
Tout ce que peut le courage, tout ce dont est capable l'héroïsme, fut tenté
dans ce critique et sublime moment : le col fut enlevé, les Kabyles se virent
rejetés sur les flancs de la montagne, le terrain se trouva momentanément
d^agé; mais, ces ennemis culbutés, d'autres non moins menaçants les rem-
placèrent aussitôt, et la retraite devint un incessant effort, pour lequel il
eût fallu des Titans au lieu d'hommes épuisés par vingt heures de marche ou
de combat. Qu'on se figure, en effet, une troupe partie la veille de Sétif, ayant
fait quinze lieues dans la nuit et, sans avoir pris le moindre repos, se battant
depuis le matin, refaisant la même étape au milieu de populations soulevées,
voyant à chaque pas les difficultés grandir, et subissant la cruelle nécessité
de combattre, de combattre toujours pour n'être pas cernée, pour n'être pas
massacrée par un ennemi implacable, dont l'audace et l'acharnement redou-
blaient à mesure qu'il sentait sa proie lui échapper.
Cette meurtrière action dura tant qu'on fut sur le territoire des Amoucha.
Enfin on atteignit Sétif; on fit l'appel : quatre-vingt-dix hommes manquaient.
Plus tard , lorsqu'il fut possible d'obtenir des renseignements sur le sort de
ces malheureux , il fut établi que quarante-deux avaient été tués dans le com-
bat ; les autres avaient reçu des blessures plus ou moins graves et étaient restés
entre les mains des Arabes , qui les avaient achevés pour la plupart.
En présence de cette situation, le général Maissiat, commandant la division,
dirigea aussitôt les troupes disponibles de la province sur Sétif. Le 17 mai,
la 1^ compagnie du 3« bataillon, les V; S"", 4« du 1«>^ bataillon et la 1^ du
2* bataillon quittèrent Constantine sous les ordres du colonel Liébert. Le 21,
ces compagnies arrivèrent à Sétif. La colonne devait se former au camp de
Medjes-el-Foul , à environ vingt-cinq kilomètres au nord , sur le territoire des
Ouled-Ameur; les 2«, 3«, 4® et 5« compagnies du 2<^ bataillon s'y étaient déjà
rendues dans la journée du 20; les autres les y rejoignirent le 22. La portion
du régiment qui se trouva alors réunie i>our prendre |>art à l'expédition con-
stitua un effectif de trente-quatre officiers et de mille soixante-trois hommes.
On en forma deux bataillons, qui restèrent sous les ordres des commandants
Guichard et Arnaudeau.
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[1856] EN ALGÉRIE 157
Le 29, le général MaièBÎat yint prendre le commandennent supérieur des
troupes. Il organisa celles-ci en deux brigades, qui furent placées, la première
sous les ordres du colonel de Margadel , la seconde sous le commandement
du colonel Dosmarctz. Le régiment do Tirailleurs ro trouvait dans la première.
Le but de Pexpédition qui allait 8*ou?rir était d'abord de punir sévèrement
la tribu des Amoucha pour sa participation au combat du 11, puis de sou-
mettre de nouveau par la voie des armes toutes les populations kabyles qui s'é-
taient insurgées dans le territoire compris entre TOued-Berd et la mer, depuis
l'embouchure de TOued-Agrioun jusqu'à Ziama.
Le 30, la colonne se porta à A!n- Portas, chez les Ouled- Djebar. Le 31, à
onze heures du matin, la première brigade, un bataillon de zouaves, toute
la cavalerie et deux obusicrs do montagne furent dirigés sur le pays des Ouled-
Khalfala, oit do nombreux rassomblomcnts avaient été aperçus sur le versant
est du Djebel-Moiitanon , au pied du Dabor. Le goum ouvrait la marche; venait
ensuite le régiment, avec le 2« bataillon en tète. Après avoir brûlé les villages
des Ouled-Djebar, des Arguebet des Khalfala, Tavant-garde traversa l'Oued-
Berd et se trouva au pied du Djebel-Montanon.
Le feu s'ouvrit aussitôt entre le goum et les Kabyles. Ces derniers occupaient
une très forte position sur les deux rives de TOued-Berd : sur la rive droite,
ils défendaient le village de Sidi-Rezek-Allah ; sur la rive gauche, ils garnis-
saient les crêtes d'un contrefort du Djebel -Mentanon dominant les villages et
les jardins des Aïaoun-Sultann. Le 2^ bataillon s'était avancé au pas de course
à la suite du goum et avait pris position sur la rive gauche de la rivière; le
i*** s'était déployé à la gauche du 2*, et, après avoir détruit deux yillages,
avait par ses feux déterminé la retraite d'un important groupe d'ennemis.
Pendant ce temps, le 7® de ligne s'était emparé de la position d'Aiaoun-Sul-
tann.
A ce moment, le général ayant décidé l'occupation de toutes les positions,
le colonel Liébert reçut l'ordre de s'établir au village de Rezck-Allah. Se met-
tant à la tête de deux compagnies du i*' bataillon , le colonel traversa la rivière
sous le feu de l'ennemi et aborda vigoureusement les Kabyles, qui en on ins-
tant furent culbutés et successivement chassés des gourbis et des jardins qui
leur servaient d'abris. C'était sur ce point que se trouvait leur ambulance;
après l'avoir vaillamment défendue, ils cherchèrent à sauver leurs blessés,
mais ils ne purent parvenir à en emporter qu'une partie, l'autre resta entre
nos mains. L'occupation de Rezek-Allah avait décidé du succès : l'ennemi
fuyait de toutes parts. La poursuite commença et se continua jusque près du
village de Taguerboust, au pied du Djebel-Babor.
Nous restions maîtres de tout le Djebel -Mentanon. Cette opération, qui
avait commencé par une reconnaissance, s'était terminée par un combat dé-
cisif. Les Kabyles avaient subi des pertes considérables, mais ils nous avaient
chèrement fait payer le succès : le régiment comptait à lui seul un officier
blessé, M. Louvet, sous-lieutenant, deux hommes tués et trente-six blessés.
On bivouaqua sur les positions conquises. Le lendemain, les troupes qui
étaient restées à Aln-Fortas rejoignirent le nouveau bivouac.
Le 2 juin , la 2'' brigade et la cavalerie étant allées faire une reconnaissance,
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168 LE 8* RftOIMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1806]
quelques contingents profitèrent de l'éloignement de cette partie des troupes
pour attaquer les grand*gardes du 71* de ligne. Celles-ci se dérendirent éner-
giquement, et l'ennemi, repoussé sur tous les points, se retira dans le village
de Taguerboust, position réputée imprenable d'où il pouvait menacer notre
camp. Le général résolut de l'en déloger aussitôt et de détruire la zaoula, les
jardins et les nombreux villages des Ouled-Salah groupés autour de ce point.
Ce Tut le 3* Tirailleurs qui eut pour mission d'exécuter cette difficile opéra-
tion. Les deux bataillons descendirent dans .le lit de l'Oucd-Berd, en suivirent
le cours, et vinrent déboucher au-dessous de Taguerboust et du marabout des
Ouled-Aîssa. Le mouvement s'exécuta avec tant d'ordre, de rapidité et de pré-
cbion, que les Kabyles, surpris, essayèrent à peine de résister. On ne leur
donna du reste pas le temps de se reconnaître; aussitôt arrivés, les bataillons
s'élancèrent sur Taguerboust, l'enlevèrent avec un élan irrésistible, et en
moins d'une heure occupèrent tous les points dominant les habitations des
Ouled-Salah. L'ennemi fuyait en désordre vers la partie supérieure du Ikbor.
La nuit approchait; il n'était pas possible d'aller plus loin. Après qu'on eut
mis le feu à tous les gourbis, les diverses fractions du régiment furent ras-
semblées, et, vers six heures, on abandonna la position sans sonnerie. Quand
l'ennemi s'aperçut de notre mouvement de retraite, les points les plus difficiles
étaient déjà évacués. Sous la protection de la compagnie des carabiniers du
2« bataillon, le régiment continua sa route sans être trop inquiété. A huit
heures, tout le monde était rentré au camp.
Les pertes de la journée s'élevaient à un homme tué et douze blessés.
A partir de ce moment, la résistance des Kabyles fut complètement vaincue;
les opérations n'allaient plus comprendre que quelques reconnaissances et des
travaux ayant pour but d'ouvrir des voies de communication.
Le 9, on quitta le camp d'Aîaoun-Sultann ; la colonne contourna le Djebel-
Mentanon par le sud, traversa l'Oued -Berd un peu au-dessus du marabout
de Sidi-AUa , et vint s'établir sur la rive droite dans l'angle formé par l'Oued-
Berd et l'Oued-Menalla. Le 10, on se porta à Ain-Sidi-Tallout. Vers midi,
quelques groupes de Kabyles s'étant montrés sur les hauteurs, on envoya
quatre compagnies du régiment pour les disperser; mais l'ennemi se contenta
de tirer quelques coups de fusil qui n'atteignirent personne, puis il prit la
fuite pour ne plus reparaître de la journée.
Le 16, une partie de la brigade Desmarets, renforcée par le 1*' bataillon
du régiment, se porta chez les Ouled-Salah et les Deni-Drassen. De nombreux
villages et jardins furent brûlés ou détruits, et la colonne rentra sans être in-
quiétée.
Le 20, le camp fut levé; la colonne alla s'établir à Tanierdja-Zoudj , chez
les Ouled-Salah entre le Babor et le Tababor. Le 21, un brouillard épais
empêcha toute sortie. Le 22, eut lieu une opération contre les Ouled-Ayades,
fraction des Ouled-Salah qui conservait une attitude hostile^ Grâce à un mou-
vement audacieux eiécuté par le régiment appuyé par trois compagnies de
chasseurs à pied, les Kabyles, surpris et déconcertés, se dispersèrent sans
résister. Quelques coups de fusil furent cependant échangés , mais sans qu'il
y eût un seul homme d'atteint chez nous.
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[1856] EN ALGÉRIE 159
Gctlo opération fut la dernière do Toxpédition. La chaleur était devenue
excessive; les troupes commençaient à avoir besoin de repos. Jusqu'au 2 juil-
let, elles furent encore employées aux travaux des routes; puis, le 3, la co-
lonne fut dissoute , et les divers détachements renvoyés dans leurs garnisons
respectives. Le 11 juillet, le colonel Liébert rentrait à Gonstantine avec les
compagnies qui en étaient parties, à Texception de la 1^ du 2® bataillon restée
à Sétif , où elle était arrivée Je 7, avec les !^, 3*, 4* et 5« de ce même ba-
taillon.
Au moment de se séparer des difTéreots corps qui avaient combattu sous ses
ordres, le général Maissiat leur avait adressé un ordre des plus flatteurs, dont
nous détachons le passage suivant :
« Je saisis cette occasion pour exprimer aux officiers et soldats combien j^ai
été satisfait do la conduite qu'ils ont tenue pendant le cours de cette expédition.
Malgré les difficultés du terrain, partout où Tennemi B*est montré, il a été
abordé avec un entrain et une vigueur qui, dès les premiers jours, lui ont
laissé peu d'espoir sur les résultats de sa révolte; ses pertes sont considérables :
quatre cents morts ou blessés, cinquante villages détruits ont vengé les tra-
hisons des iO et li mai. »
Et nous ajouterons : non seulement ceitc trahison était vengée, mais elle
l'était en grande partie par ceux mêmes qui en avaient été victimes. Dans les
journées du 31 mai et du 2 juin , les Tirailleurs avaient prouvé' aux Kabyles
que le souvenir de leurs frères lâchement assassinés dans les montagnes des
Amoucha n'était pas près de s'éteindre chez eux.
Le 1^> juillet, la G<^ compagnie du 1°** bataillon, sous les ordres du capitaine
Munier, partit subitement de Batna pour coopérer à une razzia sur les Ne-
mcncha, non loin d'Aîn-Reîda. Cependant, malgré la rapidité de sa marche,
elle arriva trop tard pour prendre une part eflective & Topération; celle-ci,
menée uniquement par la cavalerie, fut un peu trop hâtée et ne donna pas
tous les résultats qu'on était en droit d'attendre. Le 23, cette compagnie
rentrait & Batna.
Le 27 juillet, eut lieu à Gonstantine une imposante cérémonie : la remise
du drapeau destiné au régiment. Le général Maissiat , après une revue passée
à cet elTot, retraça en quelques mots les glorieux événements auxquels les Ti-
railleurs avaient déjà pris part, et confia au colonel Liébert ce noble emblème
de la patrie. C'est ce même étendard qui allait recevoir la croix de la Légion
d'honneur pour la prise de deux drapeaux ennemis au combat de San-Lorenzo,
et le même encore, qui, en 1870, devait être brûlé sur l'ordre du colonel
Barrué, pour être soustrait aux Prussiens lors de la capitulation de Sedan.
Le 27 septembre, \e2^ bataillon, détaché à Sétif, quitta cette ville pour
aller à Akbou faire partie d'une colonne d*observation sous les ordres du colo-
nel Desmareiz. Au bout d'un mois de séjour, les troupes qui composaient
cette colonne rentrèrent dans leurs garnisons sans avoir eu un seul engage-
ment.
Le 9 octobre, un détachement de cinquante Tirailleurs, commandé par le
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160 LE 3® RÊGIIIBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE [ 18561
80U8-lieutenant Bosvicl, quitta La Calle pour aller rejoiadre à Bou-IIadjaâr
une colonne qui, sous les ordres du général Périgot, devait opérer dans la
vallée de la Hedjerda. Le 16, eut lieu, sur les bords do cette rivière, un léger
combat auquel ce détachement trouva l'occasion de prendre une brillante
part. Le 26, H. Bosviel et ses cinquante hommes rentraient à La Galle.
Au commencement de décembre deux colonnes furent organisées, l'une
à Biskra sous les ordres du général Desvaux, l'autre à Bou-Saâda sous le
commandement du lieutenant-colonel Pein, pour Taire une pointe dans le
Sahara. La l)^ compagnie du 3® bataillon (capitaine Dorsône) fit partie de la
première de ces colonnes, et la 6® compagnie du 2<* bataillon (capitaine Clem-
mer) de la deuxième. Le mouvement commença des deux côtés le 15 décembre.
Le général Desvaux visita successivement Tuggurt, Temacin, Ouargla et Né-
grine, et rentra à Biskra le 9 février 1857, après cinquante-cinq jours de
marche, sans avoir nulle part rencontré la moindre résistance. Quant au lieu-
tenant-colonel Pein, il se dirigea d'abord sur Ouargla, et revint par Temacin,
Tuggurt et Négrine. Le 18 février, il rentrait à Bou-Saâda, après avoir par-
couru environ douze cent trente- trois kilomètres. Dans le cours de ces deux
opérations, les Tirailleurs s'étaient fait remarquer par leur résistance à la
fatigue, leur résignation devant les privations endurées et leur inaltérable
entrain; ils avaient été surtout d'un grand secours pour nos relations avec les
Arabes des oasb.
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EXPÉDITION DE Lk GRANDE-KÂBYLIE
CHAPITRE II
(1857-1858)
(i857) Expédition de la Grande-Rabylie. — Opérations de la colonne principale. —
Prise d*Âguemoun (30 Juin). — Dissolution du corps expéditionnaire. — Opérations
de la division Maisslat. — Prise du col de Cihellata (S? juin). — Ciombat du 29 Juin.
— Actes de courage de deux sous -officiers. — Rentrée des troupes. — Expédition de
Test. — (1858) Opérations dans le sud. — Le colonel de Lacroix est appelé an com-
mandement du régiment. — C!olonne de l'est. — Formation de deux compagnies des-
tinées au Sénégal. — Expédition contre les Ouled-AIdoun. — Colonne de TAurès.
L'année 18S7 fut tout entière consacrée à l'expédition de la Grande-Kn-
bylio, à laquelle prirent port toutes les troupes disponibles de l'Algérie. Celte
expédition , qui devait être le couronnement de celles des années précédentes ,
était depuis longtemps demandée par le maréchal Randon , gouverneur gé-
néral, pour en fmir avec l'œuvre de pacification entreprise au sein de ces
populations belliqueuses de la partie montagneuse des provinces de Constan-
tine et d'Alger. Beaucoup de tribus de cette région n'avaient pas encore ac-
cepté notre autorité, et, parmi celles qui obéissaient à des cheiks et à des
calds nommés par nous, bien peu étaient sincères et consentaient à voir
dans notre conquête l'immutabilité du fait accompli. On se rappelle les
troubles survenus dans les Babors en 1856; d'autres, non moins sérieux,
avaient éclaté à celte môme époque dans la province d'Alger, et nécessité
rintcrvention du général de Ligny, commandant la subdivision de Dellys.
L'ogitateur le plus fanatique, en môme temps que le plus dangereux , était
cette fois un nommé El-Uadj-Amar. Ancien lieutenant de Bou-Baghla, il avait,
après la mort de ce dernier, continué à prôclier la révolte dans tout le bassin
du Sébaott , et son influence allait grandissant toujours. C'est sur son insti-
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152 LE 3<* RÊOIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l857]
galion que les Kabyles avaient, au mois do seplmnbre 18!iG , dirigé une
attaque sur le poste de Dra-el-Mizan. Grâce aux mesures qui avaient été
immédiatement prises, cette tentative avait été victorieusement repoussée;
mais l'agitation était restée latente, et les troupes de la division d'Alger , sous
les ordres des généraux Renault et Yusuf, avaient dû, jusqu'au mois de no-
vembre, rester en observation dans la contrée.
Les opérations projetées allaient embrasser toute la Grande-Kabylie ; pen-
dant qu'un corps expéditionnaire de trois divisions devait, sous les ordres du
gouverneur général, pénétrer dans cette contrée par l'ouest, une autre divi-
sion , commandée par le général Maissiat, avait pour mission de se concentrer
sur les frontières sud -est, en face du col de Cbellata, l'un des passages de
la grande crête rocheuse du Djurjura , et trois colonnes d'observation de
s'établir, l'une à l'entrée de la vallée de Boghni, l'autre cher les Benî-
Mansour, dans la vallée de l'Oued -Sahel, et enfin la dernière à Tazmaict,
chez les Beni-Abbès. C'éUit là, en résumé, un vaste investissement qui allait
enfermer le pays dans un cercle de baïonnettes.
La concentration de la colonne principale eut lieu en avant du fort de Tizi-
Ouzou, dans la plaine du Sébaou. Vingt-cinq mille hommes obéissant aux
généraux Renault, de Hac-Hahon et Yusuf, furent rassemblés là. Un seul
bataillon du régiment fut appelé à en faire partie; il fut placé dans la bri-
gade Périgot, qui elle-même fut comprise dans la 2* division, commandée
par le général de Mac-Mahon.
A cet effet, l'état- major et les l^*, 5* et 6<» compagnies du S^" bataillon ,
quittèrent Bône le 10 avril pour se rendre à Constantine , où ils arrivèrent
le 14. Là ces compagnies, jointes aux 5<» et 6^ du 1*>^ bataillon, formèrent
un bataillon de marche qui fut placé sous les ordres du commandant
Cottret. Le 17 avril, ce bataillon se mit en route pour Sétif, où se for-
mait la brigade Périgot, laquelle quitta bientôt cette ville pour se rendre
au camp de Tizi-Ouzou, où elle arriva dans les premiers jours de mai, après
quinze jours d'une uiarchn rendue souvent fort difficile pur lu mauvais étut
des chemins.
Le 17 mai, le maréchal Randon vint prendre le commandement en chef.
11 décida que les opérations commenceraient par l'envahissement du terri-
toire des Beni-Iraten, la tribu la plus importante parmi celles qui restaient
insoumises. Ce mouvement devait avoir lieu le 19 ; mais, le mauvais temps
étant survenu, il fallut l'ajourner.
Le 24, au point du jour, les trois divisions levèrent leur camp et se mirent
lentement en marphe vers l'est, celle du général Renault à droite, celle du
général Yusuf au centre, enfin celle du général de Mac-Hahon à gauche.
Dans cette dernière, ce fut la brigade Bourbaki qui fut chargée d'enlever les
positions ennemies. Cette brigade avait devant elle un premier plan de ter-
rains à pentes douces plantés de figuiers et occupés çà et là par quelques
hameaux fortifiés; puis, à trois cents mètres au-dessus de la vallée, le village
de Tacherahir, centre de la résistance sur ce point, et enfin, à une altitude
d'à peu près huit cents mètres, le plateau de Souk-el-Arba , but des opéra-
tions de la journée. La brigade Périgot devait , en cas de besoin , appuyer son
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[1857] EN ALOËRfE f63
mouvement , tout en B*étendant sur la droite, pour se relier avec les troupes
du général Tusuf.
Tachcrahir fut rapidement enlevé; Délias, autre bourgade, subit bientôt
le même sort, ainsi qu'Imaîseren et Bou-Afra, et la division de Mac-Mahon
ne fut plus qu'à une faible distance du plateau de Souk-el-Ârba. A ce mo-
ment elle reçut l'ordre de s'arrêter pour attendre les deux autres, légèrement
en retard sur son mouvement. Dans la deuxième phase de la lutte, le bataillon
du 3® Tirailleurs s'était déployé pour repousser une attaque tentée par des
Kabyles que la division Tusuf avait rejetés sur la gauche. Deux compagnies,
les l^et 6* du 3® bataillon, furent même, pendant un instant, asses se-'
rieusement engagées; on put croire que toute la 2* brigade serait obligée
d'intervenir; mais, débordes par le 3* zouaves, pressés par un bataillon
du 93*^, les Kabyles ne résistèrent pas, et cherchèrent le salut dans une fuite
précipitée, que favorisèrent un peu les profonds ravins descendant vers le
Sébaou. Après cet effort, [la lutte cessa de ce côté, et nos troupes n'eurent
plus qu'à se fortifier dans les positions conquises, en attendant l'arrivée des
autres divisions.
A midi, tout était terminé; nous étions victorieux sur tous les points; les
Kabyles fuyaient dans toutes les directions. La poursuite devenant inutile,
puisque le pays se trouvait, pour ainsi dire, cerné, les troupes s'établirent au
bivouac, et se reposèrent des fatigues que ces huit heures de combat leur
avaient coûtées. Le soir , la 3» compagnie du 1^ bataillon fut envoyée en
grand'garde; elle resta en position pendant vingt- quatre heures, et durant
tout ce temps eut à repousser des attaques continuelles de la part de Ten-
nemi. Elle eut deux hommes tués, ce qui porta les pertes totales du ha-
tnillon , pour la journée du 24, à deux tués et quatorze blessés.
Dans cette circonsUmce, le sergent llassein-ben-Ali s'était signalé par un
acte de courage qui lui valut plus tard la croix de la Légion d'honneur.
Un homme de son poste venait d'être tué et était resté entre les mains des
Kabyles, qui se disposaient à le mutiler. Le sergent se précipite, disperse ses
adversaires , et parvient à leur arracher le corps de son camarade, qu'il raiH
porte au poste en essuyant plusieurs coups de feu.
Le lendemain , les Beni-Iraten vinrent faire leur soumission ; les jours sui-
vants ce fut le tour des Beni-Fraoucen , des Beni-Bouchaïb, des Beni-Setka,
des Beni-Mahmoud , etc.
Le 28, la division de Mac^Mahon s'établit à Aboudid. A partir de ce jour,
les troupes allaient être employées à des travaux plus pacifiques : il s'agissait
de relier Souk-el-Arba, où un fort allait être construit, à Tizi-Ousou, au
moyen d'une route dont les soldats seuls devaient être les ouvriers. Pendant
un mois, la pioche et la pelle remplacèrent le fusil; une voie de communica-
tion se dessina bientôt sur les flancs de ces montagnes abruptes, et, le 14 juin,
jour anniversaire de Marengo et de Friediand , le maréchal posa lui-même la
première pierre du fort Souk-el-Arba, qu'on nomma d'abord fort Napoléon, et
qui porte aujourd'hui le nom de fort National.
Restait cependant à soumettre les Beni-Menguillet, voisins immédiats des
Beni-Iraten. Depuis un mois cette tribu se préparait à la résistance, et pla«-
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164 LE 3« RÊQIIIBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1857]
sieurs fois déjà nos grand'gardes avaient été attaquées. Le 24 juin , la division de
Mac-Hahon commença la première son mouvement eu quittant Aboudid ,
pour se porter contre le village d'Icheriden , position dominante où les Hen-
guillet avaient concentré leurs défenses. De fortes barricades, des fossés pro-
fonds, des abatis, tels étaient les obstacles que les assaillants allaient trouver
accumulés sous leurs pas.
Ce fut encore à la brigade Bourbaki que revint Thonneur de commencer
Tattaque. I^e 2^ zouaves et le 54* de ligne s'élancèrent; mais lorsque, après
avoir gravi les premiers contreforts donnant accès à Icheriden, ils débou-
chèrent à environ deux cents mètres de cette position, ils furent assaillis
par un feu tellement violent, qu'ils durent s'arrêter. Le mouvement en avant
ne put être repris qu'à l'arrivée d'un bataillon de la légion étrangère , qui
tourna la position par la gauche. A ce moment, la charge sonna de nouveau
sur toute la ligne , et le village fut enlevé.
Chassés d'Icheriden , les Kabyles s'étaient rejetés sur tous les versants de
la montagne, prenant pour lignes de retraite les contreforts menant à la
vallée des Beni-Yenni , et surtout un chemin sinueux allant au village d'A-
guemoun-Isen, dernière position occupée par eux. La légion étrangère et le
2* zouaves essayèrent de les y poursuivre, mais ils durent bientôt se replier,
décimés par un feu meurtrier. La brigade Périgot venait d'arriver; elle fut
déployée en toute hâte et chargée de protéger d'abord la retraite de la brigade
Bourbaki, puis d'occuper les positions qu'on venait de conquérir. Le combat
dura plusieurs heures, diminuant peu à peu d'intensité, et enfin cessa tout
'à fait. La nuit vint, les troupes s'établirent au bivouac et ne furent plus in-
quiétées. La journée d'Icheriden avait été l'une des plus sanglantes qu'on eût
vues en Algéne. Cependant le bataillon de Tirailleurs, qui n'était entré en
ligne que fort tard, n'avait été aucunement éprouvé.
Le 25, la brigade Périgot fut chargée d'opérer une diversion sur les Ueni-
Yenni , attaqués en même temps par les divisions llenuult et Yusuf.
Le 30, à deux heures de l'aprôs-midi, cette brigade prit encore les armes ,
pour marcher sur Aguemoun-Isen , dernier point qui nous restait à enlever
pour être maîtres de toute cette crête du Djurjura, qui s'étend parallèlement
au cours supérieur du Sébaou. Trots colonnes furent formées : à gauche, le
colonel de Chabron, avec deux bataillons de zouaves; au centre, le comman-
dant Niepce, avec le 11* bataillon de chasseurs; à droite, le colonel Paulze
d'Ivoie , avec le bataillon de Tirailleurs algériens et un autre du 93* de
ligne.
Ce fut le bataillon de Tirailleurs qui eut pour mission d'enlever le village.
Formant l'extrême droite do notre ligne, il descendit par un cheuiiu
rocailleux au fond d'un étroit ravin, qui lui permit de prononcer une partie
de son mouvement tournant à l'abri des retranchements ennemis. La 6*
compagnie (capitaine Munier) du l^^" bataillon tenait la tête. Dès que co
mouvement fut achevé, le colonel Paulze d'Ivoie lit donner le signal de
l'assaut; les Tirailleurs se précipitèrent avec leur vigueur accoutumée, et
d'un seul élan gravirent la pente abrupte qui les séparait d'Aguemoun, pro-
tégés par l'inclinaison même du terrain , qui les plaçait dans un angle mort
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[18S7] EN ALGÉRIE 165
OÙ les balles kabyles ne pouvaient les atteindre. Enleyée par le capitaine
Manier, qui le premier escalada les barricades ennemies, la 6* compagnie
pénétra aussitôt dans la position; le restant du bataillon suivit de près, et
bientôt les Kabyles, débordés sur tout leur front par nos trois colonnes, dont
les ailes s*étaicnt rabattues, menacés sur leurs derrières par un mouvement
de nos contingents alliés, commencèrent à s'enfuir, nous abandonnant presque
sans combattre toutes ces fortifications élevées à grand*peine, et derrière
lesquelles ils se croyaient complètement à Tabri. En moins d'une heure toute
la montagne d'Agucmoun fut en notre pouvoir. Cet important succès, qui
terminait si brillamment la campagne, fit presque oublier, par le peu de
monde qu'il avait coûté, les pertes cruelles d'Icheriden. La brigade Périgot
n'avait, en effet, pas eu plus de douze blessés, dont deux officiers; encore ces
perles portaient- elles à pou près uniquement sur le bataillon de Tirailleurs,
qui comptait huit blessés, dont le capitaine Munier, atteint à bout portant
à la tête de sa compagnie.
Ce combat fut le dernier elTort sérieux tenté par les Kabyles; poursuivis de
toutes parts , enveloppés par les colonnes d'observation qui les maintenaient
sur leur territoire, poussés du côté du col de Chellata par la division Maissiat,
qui nvnit combiné f«es opérations avec celles doMa colonne principale, ils
n'avaient plus qu'A subir les conditions des vainqueurs. Les ncni-Menguillet,
les Ataf , les Akbilcs, les Bou-Youssef , les Zaoua, les Beni-Acache , les Tahia,
IcsZouaoua vinrent successivement faire leur soumission, et le parti delà
résistance ne compta plus que quatre tribus peu importantes , mais que les
difficultés du terrain semblaient devoir protéger contre nos incursions : les
Reni-Ithouragh , les Illilten, les Illoula-ou-Malou et les Beni-Idjer.
Après la prise d'Aguemoun-Isen, la division de Mac-Mahon était Tenue
camper à Djemma-el-Korn, en plein pays menguillet; un demi-bataillon
resté à Icheriden et les contingents alliés des Beni-Iraten et des Fraoucen
devaient protéger les convois entre Souk-el-Arba et le nouveau camp. Le
5 juillet, cette division se remit de nouveau en route, et se porta au sebt des
Beni-Yahia. Le lendemain, elle traversa tout le territoire des Ithouragh,
incendiant les villages sur son passage , et vint s'établir sur le pic de Tames-
guida , l'un des plus élevés de la Kabylie. Le 10, elle quitta Tamesguida, et,
prenant la vallée d'un des affluents supérieurs du Sébaou, elle alla bivoua-
quer au pied de la montagne principale des Illoula-ou-Malou, menaçant cette
tribu par Test.
Le 11, eut lieu l'invasion du pays ennemi. La 2fi division s'empara , sans
rencontrer de résistance sérieuse, de tous les villages des bas contreforts des
Illoula-ou-Malou, les incendia successivement et, le soir, opéra sa jonction
avec la division Maissiat, partie du col do Chellata. Ce jour-là, le bataillon
de Tirailleurs eut un homme blessé mortellement.
Le lendemain, les derniers défenseurs de l'indépendance kabyle vinrent
faire leur soumission. Le Djurjura n'existait plus à l'état de pays indépendant;
toutes les tribus avaient accepté sans réserve la domination de la France;
toutes avaient livré des otages; toutes allaient recevoir des chefs investis par
nous.
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196 LE 3<» RÉOmENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1857]
Le 14, le maréchal prononça la diâsoluiion du corps expédilionnairo. liO i«H,
la division de Mac-Bfahon se porta encore sup le terriloire des Beni-Idjer, qu'elle
parcourut pendant trois jours sans avoir un seul combat à livrer. Le 18, elle
fut dissoute à son tour, et la brigade Périgot vint se joindre à la division
Maissiat, campée au col d'Akfadou. Le 27, le bataillon de marche du 3* Ti-
railleurs quitta cette brigade et rentra sous les ordres du colonel Liébert, qui
le ramena le l*** août à Gonstantine, ainsi que le bataillon du commandant
Amaudeau, qui avait fait partie de la division Maissiat, et dont nous allons
maintenant résumer les opérations.
La 4« division (général Maissiat), qui , ainsi qu'il a été dit au commencement
de ce chapitre, devait se concentrer au col de Chellata, au sud -est du DJur-
jura, fut d'abord rassemblée et organisée au sebt des Beni-Sliman.
Le 1®^ mai, les l'^et 3* compagnies du l^^^ bataillon du régiment quittèrent
Gonstantine avec le colonel Liébert pour se rendre à Sétif, où, avec les 1*^,
2*, 4* et 5« compagnies du 2<* bataillon , elles formèrent un bataillon de marche
sous les ordres du commandant Amaudeau. Le 28, ce bataillon se mit en
route pour aller se joindre aux autres troupes de la division Maissiat. Il fut
compris dans la 2* brigade (colonel Desmareti) de celte division.
Près d'un mois se passa à l'ouverture de routes, à des travaux prépara-
toires devant faciliter l'accès de la vallée de TOued-Sahel. Le 24 juin, la di-
vision tout entière pénétra dans cette vallée et vint s'établir près du bordj
d'Akbou, dans une position centrale lui permettant de menacer également
les Beni'Mellikeuch et les llloula-ou-Malou , et de se porter rapidement au col
de Ghellata, l'une des deux seules gorges accessibles traversant le massif du
Djurjura, et faisant communiquer entre elles les vallées de l'Oued-Sahel et
du Sébaou.
Le 27, au point du jour, la division se mit en marche et gravit à l'impro-
viste l'étroit sentier conduisant à ce col. Vers sept heures, le bataillon de Ti-
railleurs, qui formait l'avant-garde, atteignit aux premières pentes de la po-
sition; mais le siroco avait été si brûlant, que les autres troupes n'avaient pu
suivre; il fallut s'arrêter et attendre que l'arrière -garde eût serré. Lorsque le
mouvement put être repris, il était une heure et demie de l'après-midi.
Les crêtes qui dominaient le passage de Ghellata étaient larges et pour la
plupart accessibles à la cavalerie; mais l'entrée même du col était commandée
par un rocher à flancs escarpés d'une hauteur considérable, connu dans le
pays sous le nom do Tisibcii. Les Kabyles Pavaient couronné d'ouvrages en
pierres sèches qui en formaient une sorte de forteresse, dans laquelle ils
avaient concentré la plus grande partie de leurs forces. Les autres pitons
avaient également été fortifiés , et de loin paraissaient garnis de nombreux
•défenseurs.
Les troupes furent disposées en trois colonnes : à droile, le colonel de Mar-
gadel avec sa brigade; au centre, le colonel Liébert avec le bataillon de Tirail-
leurs; à gauche, le colonel Desmaretz avec un bataillon du 70 de ligne et
un autre du 1^ étranger. Le colonel Liébert avait déjà fait déployer une de
MB compagnies, la l^o du 1^ bataillon; la 5« du 2« bataillon , qui pendant
toute la matinée avait marché sur le flanc droit de la colonne, conserva sa
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[1857] RN ALOArTE 167
position oxccnlriquo et servit à relier les deux attaques de la droite et du centre.
Dès que le mouyement des ailes fut asses prononcé , le général donna le
signal de Tassaut. En un instant, la crête même du col fut occupée par la
i^ compagnie, appuyée par tout le bataillon. Hais rennemi 8*était replié sur
sa deuxième ligne de défense, et s*était surtout concentré sur le Tisibert, d'où
il nous répondait par un feu yiolent. Celui-ci devint même si meurtrieri que
les Tirailleurs, qui venaient de se masser, durent s*en abriter en se dispersant.
La 1^ compagnie du 1^ bataillon et la 2* du 2« bataillon furent envoyées sur
la gauche , et la 5« du 2*, tout en conservant sa position sur la droite , se porta
un peu en avant.
Cependant, les mouvements des autres colonnes menaçant leur ligne de
retraite, les Kabyles commencèrent à évacuer successivement leurs retran-
chemonls, qui furent immédiatement occupés par les Tirailleurs; bientôt il ne
leur resta plus que le Tisibert ot doux redoutes demi-circulaires situées en
arrière et en face du centre même du col. Après quelques salves d'artillerie,
le Tisibert fut vigoureusement abordé par le colonel Desmaretz, qui s'y éta-
blit solidement. Au même moment, le colonel Liébert donna l'ordre au sous-
lieutenant Dufour de se porter, avec une demi -section de carabiniers du
2» bataillon, sur les deux redoutes en partie évacuées et de s'en emparer.
Ce mouvement, exécuté avec un irrésistible entrain, nous rendit maîtres des
dernières défenses de l'ennemi.
Les Kabyles avaient été chassés du col , mais n'en continuaient pas moins
encore la lutte avec une sauvage énergie. La section du sous-lieutenant Barbier
était venue appuyer celle de M. Dufour dans les deux redoutes, et, malgré ce
renfort, ces deux officiers s'étaient vus un moment débordés par l'ennemi ,
qui avait tenté un vigoureux retour offensif. Le capitaine ViévillOi commandant
les carabiniers du 2^ bataillon , reçut alors l'ordre de se porter avec toute sa
compagnie sur la position occupée par M. Dufour, et le capitaine Quinemant,
avec ce qui {'estait de la 3® du l^, d'aller au secours de M. Barbier. Assaillis
par un feu supérieur, les Kabyles furent dès lors maintenus à distance, et
jusqu'à six heures du soir ils se contentèrent de tirailler sans nous faire
beaucoup de mal.
La nuit approchant, et le général ayant choisi le plateau du col pour y éta-
blir son bivouac, le bataillon do Tirailleurs, qui se trouvait beaucoup trop
en avant, reçut Tordre do se replier. Les \^ et 2* compagnies évacuèrent les
hauteurs de gauche sans être inquiétées. La 2* alla immédiatement s'installer
sur le plateau; la l^^ vint occuper quelques redoutes qui, par leur situation,
pouvaient servir utilement à la retraite de la 3* du l^^ bataillon et aux cara-
biniers du 2^. Le mouvement s'effectua par échelons et avec un ordre parfait;
les Kabyles cherchèrent d'abord à nous harceler; mais, vigoureusement reçus,
ils se retirèrent à leur tour et nous laissèrent gagner le camp sans tirer un
nouveau coup de fusil.
La journée du 27 avait coûté au bataillon de Tirailleurs deux hommes tués
et seixe blessés. Parmi les blessés se trouvaient trois officiers : MM. Angam-
mare, lieutenant; Barbier et Dufour, sous-lieutenants.
Les Kabyles avaient été refoulés, mais ne s^étaient pas dispersés; ils occu-
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108 LE 3* RÊQIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1857]
paient encore, à environ une heure du camp, deux villages assez importants
dans lesquels ils commençaient à se fortifier : Mezeggen et Aît-Azîz.
Le 29, la brigade Margadel, renforcée du bataillon de Tirailleurs, se porta
contre Mezeggen. Le village fut enlevé presque sans coup férir; mais le temps
qu*on mit à démolir les maisons et à rassembler la colonne permit aux Kabyles
de s*embusquer dans les ravins qui débouchaient sur notre ligne do retraite,
et notre succès faillit en être compromis. Lorsque la brigade se mit en route
pour rétrograder sur Ckellata, elle fut soudain assaillie do toutes parts; l'en-
nemi, admirablement favorisé par le terrain, s'était établi sur les côtés de
Taréte étroite que suivait la route, et, dissimulé par de grands arbres et des
moissons sur pied , dirigeait sur nos troupes un feu d'autant plus meurtrier,
que Tencombrement n*avait pas tardé à arrêter la marche de ces dernières ,
et qu'elles se trouvaient entassées sur un espace tellement restreint , que tout
déploiement devenait impossible.
Le bataillon de Tirailleurs, qui pendant l'attaque de Mezeggen avait été tenu
en réserve, s*était trouvé naturellement désigné pour former Tarrière-garde. Le
commandant Amaudeau prit immédiatement ses dispositions pour protéger la
retraite du gros de la colonne, et forma ses compagnies en deux échelons : un
premier, composé des l^* et 3* du 1^ bataillon et S* du 2*, fut établi en fer à
cheval de façon à garnir toute la largeur de la crête; un autre, constitué par
les l*^ et 2* du 2* bataillon , se plaça un peu en arrière comme soutien. Bien-
tôt toute cette ligne se trouva aux prises avec l'ennemi ; ce dernier, déliouchanl
par la droite et par la gauche, essaya de prendre le bataillon entre deux feux
et de le couper des autres troupes. La situation pouvait devenir critique. Le
colonel de Margadel, quoique blessé, était là, donnant lui-même ses ordres;
il prescrivit aussitêt à la réserve de se porter en arrière d*un petit mamelon
placé sur la route, et aux autres compagnies de se replier sur cette position
en tiraillant. Ce mouvement, exécuté avec un rare sang -froid, déconcerta
complètement les Kabyles, qui n'eurent pas le temps de s'y opposer; la réserve
devint à son tour extrême arrière -garde, et bientôt l'on atteignit à une autre
position solidement occupée par le 70, qui releva le bataillon de Tirailleurs
cruellement éprouvé. On n'était plus alors qu'à une faible distance du camp;
l'ennemi s'arrêta, et ce combat meurtrier, qui avait duré plus d'une heure,
cessa tout à fait. Les pertes du bataillon avaient été sérieuses : quatre officiers
étaient blessés; c'étaient MM. Desmaison et Quinemant, capitaines; de Foy et
Barbier, sous-lieutenants. M. Barbier, on se le rappelle, avait déjà été atteint
légèrement dans la journée du 27. Il y avait, en outre, deux hommes tués
et trente-huit blessés.
Des actes d'une incomparable bravoure avaient signalé cette vigoureuse
action. Il serait trop long de les citer tous; mais en voici deux qui peuvent
compter parmi les plus beaux que puisse dicter le dévouement :
Le sergent Amar-ben-Saad, vieux soldat qui n'ignore pas le danger qu'il
court, voit une bombe, lancée par un de nos mortiers, tomber au milieu de
sa compagnie ^t prête à semer la mort dans nos rangs. Il se précipite sur le
projectile, le saisit et va l'emporter loin de là, lorsqu'il lui éclate dans les
mains et lui emporte le bras droit.
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[1857] EN ALGÉRIE 169
Le sergent-fourrier Salvignol aperçoit un soldat du 71» de ligne, grièvement
blessé, sur le point d'être enlevé par trois Kabyles, qui déjà le tiennent par ses
vêtements. Il s'élance à la baïonnette, atteint deux de ses adversaires, reçoit
lui-même un coup de yatagan qui lui traverse la main droite, mais parvient
à sauver le soldat.
Le 30, ce fut le tour do la brigade Dcsmarets de marcher contro Âlt-Aziz,
position non moins forte que Mezeggen et située à six kilomètres du camp,
sur un piton isolé. La coloniie comprenait quatre bataillons : un du 70* de
ligne, le 3* d'inranterie légère d^Afrique, un autre du l**" étranger, et enfin
celui de Tirailleurs algériens. Le colonel Liébert, qui avait succédé au colonel
de Margadel dans le commandement de la l'^ brigade, devait appuyer le
mouvement avec deux bataillons du 71*.
Après quelques obus lancés par l'artillerie , le général donna le signal de
l'attaque. Elle devait avoir lieu de la façon suivante : à droite, les Tirailleurs;
au centre, Ie70*; à gauche, le bataillon d'Afrique; en arrière, comme sou-
tien, le l**" étranger. Sur la droite, le terrain relativement facile se prêta
assez bien à un mouvement tournant, qui s'effectua sans grandes pertes;
mais, vers la gauche, le bataillon d'Afrique se vit arrêté au milieu de sa
marche par des escarpements si abrupts, qu'il fut obligé de rétrograder sous
le feu du village et d'attaquer de front avec le 70* de ligne. En un instant les
barricades ennemies furent enlevées, et les deux colonnes pénétrèrent à peu
près en même temps dans la position , que les Kabyles évacuèrent précipitam-
ment pour ne pas se trouver cernés. Ces derniers essayèrent bien encore d'in-
quiéter les troupes à leur retour; mais un vigoureux retour offensif, dirigé
par le colonel Jolivet, les obligea à se retirer définitivement. Dans cette jour-
née, le bataillon de Tirailleurs avait eu six hommes blessés.
Maîtresse de toutes les positions permettant de prendre à revers les tribus
des Illoula-ou-Malou et des Illilten , la division Maissiat borna là ses efforts et
attendit, pour reprendre ses opérations, l'arrivée et la coopération des divi-
sions de la colonne principale. Elle resta campée sur les hauteurs de Chellata,
demeurant pour les Kabyles une menace permanente , et se tenant prête à
fondre sur le premier point où se manifesteraient de nouvelles hostilité.
Le 11 juillet, toutes les divisions se portèrent en avant. La 4* quitta enfin
son camp et s'avança à travers le pays des Illoula-ou-Malou, ne trouvant de-
vant elle que des villages soumis ou abandonnés. Arrivée au piton de Tablana,
elle opéra sa jonction avec celle du général de Mac-Mahon, et, le soir, les
deux bivouacs furent établis à côté l'un de l'autre.
Le lendemain, le général Maissiat ramena ses troupes au col de Chellata.
Le IS, il abandonna définitivement cette position et se porta au col d'Akfadou,
on combinant sn marche avec les opérations du général de Mac-Mahon chez
les Reni-Idjer. Le 18, la 2* division ayant été dissoute, le général Périgot vint
l'y rejoindre avec sa brigade, uniquement, comme on sait, composée de
troupes de la province de Constantine. Le colonel Liébert se trouva ainsi avoir
dans sa main les deux bataillons de son régiment.
Le 21, toutes les opérations étant terminées, la 4* division et la brigade
Périgot se mirent en route pour Sétif , en suivant le même itinéraire que celui
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170 l'B 3« RÊQIUBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1858]
déjà parcouru par la colonuo do Cliollata, c*osl-à-dîro eu passant par Ouod-
Rumila, Oued-Amziou , El-bir-el-Kombila elle sebt des Beni-Sliman. On ar-
riva le 27. Le mémo jour eut lieu la dissolution de la colonne. Les compagnies
du 2* bataillon restèrent à Sélif , celles du l*** et du 3* rentrèrent à Conslan-
tine avec le colonel Liébert, et y arrivèrent le l*** août.
Dans l'expédition qui venait de prendre fin , le régiment s'était trouvé à
sept combats importants, dans lesquels il avait eu quatre-vingt-treize hommes
hors de combat, dont huit officiers blessés, sept hommes tués et soixante-
dix-huit blessés.
Une complète tranquillité succéda à cette grande lutte , un repos absolu à
ce puissant effort. A l'automne eut cependant lieu une expédition sur la fron-
tière tunisienne, mais beaucoup plus en vue des troubles qui auraient pu s'y
produire que pour en réprimer d'existant. Sans être belliqueuses, les tribus
de cette région étaient en effet toujours remuantes, et il devenait nécessaire
de recourir périodiquement à des démonstrations do ce genre pour appuyer
l'autorité de nos caïds et assurer la perception de l'impôt. La plupart des
troupes de la province se trouvaient d'ailleurs disponibles , et c'était une façon
comme une autre de les tenir en baleine, tout en inspirant une crainte salu-
taire aux populations d'un pays continuellement travaillé par un esprit dis-
sident.
Ce fut le général Périgot, commandant la subdivision de Bàne, qui eut la
direction de cette opération. En conséquence, une brigade, dans laquelle en-
trèrent les l'*, 4*, 5« et 6® compagnies du 3* bataillon, et des détachements
fournis par les 2* et 3® compagnies, détachées, Tun ù Souk-Arras, l'autre à
La Calle, fut organisée à Bône dans les premiers jours d'octobre, et se mit
en route le S du même mois. Elle se dirigea, par la vallée de la Seybouse,
sur le territoire des Beni-Salah, qu'elle parcourut sans avoir à tirer un seul
coup de fusil , pénétra ensuite dans le pays des Hanencha sans y rencontrer
plus de difficultés, et enfin revint à Bône en longeant la frontière de Tunis jus-
qu'à La Calle et en passant par Modj(^-el-lladjar et Sidi-Abil-cl-Aziz. Nulle part
elle n'avait eu à combattre; partout les tribus avaient protesté de leur soumis-
sion et payé r^lièrement les amendes qui leur avaient été imposées. Le 12 no-
vembre, jour de sa rentrée à Bône, la brigade fut licenciée, et les troupes qui
en avaient fait partie reprirent leurs anciennes garnisons.
Cette tranquillité allait être maintenant la situation normale de la province,
et l'avenir n'allait plus fournir aux Tirailleurs, en Algérie du moins, que de
rares occasions de s'illustrer dans de nouveaux combats. A l'action miUtaire
allait succéder l'œuvre politique, le guerrier devait faire place à l'administra-
teur. Désormais convaincus de leur impuissance et rassurés sur la possession
de leurs propriétés, les Kabyles, à part quelques fort peu nombreuses exceptions,
allaient eux-mêmes accepter notre domination sans révolte, et par leur attitude
franche et conciliatrice faire presque oublier les luttes sanglantes dont leurs
campagnes dévastées éveillaient partout le désolant souvenir. L'ère de la con-
quête était terminée , l'ère civilisatrice allait commencer. Devenu différent, le
rôle des Tirailleurs indigènes n'en allait pas avoir une moindre importance ,
et, si jusque-là il avait démontré l'utilité de cette troupe au point de vue
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[1858] EN ALGÉRIE i7i
militaire, il allait dès lors affirmer chaque jour la nécessité de cette dernière
au point de vue politique.
C'est par les relations qu*il aura avec les deux éléments civilisateurs , avec
le soldat français, — l'officier surtout, — et le colon que le soldat indi>
gène nous sera d'un précieux secours. Vivant d'une vie double, moitié euro-
péenne, moitié orientale, il sera vite familiarisé avec nos mœurs et nos insti^
tutions, et, tout en se laissant gagner par ce que les unes ont de pernicieux,
il arrivera peu à peu & comprendre les bienfaits des autres, et il gardera pour
elles une profonde sympathie qu'il emportera jusque dans son douar et qu'il
communiquera aux autres membres do sa tribu. Le régiment restera pour lui
une autre famille qu'il n'oubliera jamais, dans laquelle il cherchera souvent
à revenir, et dont il conservera le respect quelque part qu'il se trouve et dans
quelque circonstance que ce soit. Qu'il revoie cet uniforme qu'il a lui-même
si dignement et si fièrement porté, sa joie et son enthousiasme se réveilleront
aussitôt, et il s'empressera auprès de celui qui lui rappellera les jours glorieux
passés à l'ombre du drapeau.
En garnison, il aura été non moins utile & notre cause, bien que d'une
façon moins directe et plus inconsciente parfois. Dans les postes occupés par le
régiment, la sécurité la plus complète no tardera pas h régner, le Tirailleur
servant, pour ainsi dire, de prolecteur au colon , dont il commence à parler la
langue, et quHI est fier de guider et de rassurer. Avec lui, pas de trahison à
craindre : l'uniforme dont il est revêtu est la plus sûre garantie. Grâce à ces
rapports incidemment établis par lui entre l'Arabe et le Français, vainqueurs
et vaincus ne tarderont pas & se connaître mieux et à s'apprécier mutuelle-
ment; la haine des derniers s'cflfacera graduellement; le Roumi perdra in-
sensiblement aux yeux des farouches sectaires du Coran ce caractère d'infi-
dèle, d'ennemi inplacable de l'islamisme qu'on lui a accordé jusque-lè, et
bientôt une estime réciproque rapprochera les bords do l'abime si profondé-
ment creusé par le sentiment religieux. C'est là une des influences dont on
s'est le moins occupé en parlant de la colonisation algérienne, et sur laquelle
nous voudrions nous étendre davantage si l'esprit de ce livre nous le permet-
tait. Mais ce dernier, ne devant pas sortir de son cadre essentiellement mili-
taire, nous nous hfttons de revenir au récit des faits ne se rapportant qu'à ce
côté du passé du 3® régiment do Tirailleurs.
La première expédition à laquelle donnèrent lieu les événements de l'année
1858 fut dirigée sur l'oasis d'El-Oued , dont les habitants avaient assassiné un
cheik nommé par nous et dont le concours dévoué nous était d'un utile
secours dans cette région. Les troupes destinées & y prendre part furent placées
sous les ordres du général Desvaux, commandant la subdivision de Batna;
parmi elles se trouva comprise la 2® compagnie du l**" bataillon (capitaine
Beaumelle), alors en garnison à Biskra.
La colonne quitta celte dernière ville le 27 février, et arriva le S mars à El-
Oued. Le général frappa la population de l'oasis d'une amende de vingt mille
francs, se fit livrer de nombreux otages comme garantie; puis, ce châtiment
infligé , il se dirigea sur Tuggurt, où il ne s'arrêta que quelques jours, et reprit
le chemin de Biskra, où il fut de retour le 29 mars. L'opération avait duré un
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172 LB 3* RÉOIMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1858]
moii et n'arait pas entraîné le moindre combat; des fatigues seules étaient
résultées les quelques difficultés qu'on avait rencontrées, difficultés que l'en-
train et la discipline des troupes araient du reste brillamment surmontées.
Le général Desvaux citait d'une manière toute particulière la compagnie de
Tirailleurs comme n'ayant pas cessé de se signaler par son bon esprit et son
inaltérable énergie.
Le 13 mars, le colonel Liébert fut promu général de brigade. Quelques
jours après, il quittait ce régiment qu'il avait formé et organisé, emportant
avec lui les regrets de tous, ofliciers et Tirailleurs, et laissant à son succes-
seur une troupe bien pénétrée de ses devoirs et admirablement préparée au
rôle glorieux qu'elle allait bientôt être appelée à jouer sur les champs do
bataille d'Itolie.
On décret du 17 mars nomnuiit à sa place M. Le Poittevin de Lacroix, qui
depuis deux années était lieutenant-colonel du 2* régiment de Tirailleurs.
Non moins familiarisé que M. Liébert avec tout ce qui touchait aux habitudes
arabes et au tempérament spécial de la troupe qu'il devait commander, il
allait poursuivre activement la tâche commencée par ce dernier, et donner au
régiment son caractère définitif, caractère qu'il a conservé depuis, et qui lui
fut imprimé d'une façon si énergique en môme temps qu'éclairée, que tous
les anciens Tirailleurs parlent encore du colonel de Lacroix comme si c'était
d'hier seulement qu'il eût quitté le corps. De tels souvenirs , laissés par un
chef, prouvent que non seulement celui-ci fut craint do tous, mais encore, et
surtout, qu'il en fut particulièrement aimé.
Le 4 juillet, un incendie considérable éclata dans la forêt de TEdough, à
l'ouest de Bône. Les l***, 4*, 5« et 6* compagnies du 3« bataillon, dirigées en
toute hâte sur les lieux, prirent part, pendant trente-six heures consécutives,
aux travaux qui furent exécutés pour arrêter le redoutable élément. IjC
général Périgot leur en témoigna sa satisfaction dans un ordre du jour con-
tenant pour elles les éloges les plus flatteurs.
Au commencement d'octobre une colonne, devant exécuter une opération
analogue à celle qui avait eu lieu Tannée précédente sur la frontière de Tu-
nisie, fut organisée à Bône par le général Périgot, qui en eut le commande-
ment. Les 1>^, 4^, 5* et 6* compagnies du 3<> bataillon furent appelées à en
faire partie, sous les ordres du commandant Cottret. Le 5, elle se mit en route,
se dirigeant d'abord à l'est , en passant par le marabout de Sidi-Abid , et se
porta sur le territoire des Ouled-Ali, où des tribus tunisiennes avaient commis
des empiétements; elle redescendit ensuite vers le sud, en parcourant succes-
sivement le pays des Uuled- Nasser, des Chiebena, des Ouled-Dhia, des
Ouled-Moumen , des Ouled-Khriar , et revint à Bône le 27 octobre par Souk-
Arras, Du vivier. Barrai et Hondovi, sens avoir eu à disperser un seul rassem-
blement. Les 2* et 3* compagnies, détachées à Souk -Arras et à La Galle,
avaient fourni chacune des détachements qui, au passage des troupes, s'étaient
joints au bataillon.
Pendant ce temps, une section de la 4* compagnie du l^** bataillon prenait
part, à Tebessa, à une sortie exécutée pour mettre fin aux incursions des
Fraichoch , tribu limitrophe appartenant à la régence de Tunis. Cette opéra-
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[1858] EN ALGÉRIE |73
tion eut lieu dans la nuit du 23 au 24 octobre, mais fut presque entièrement
menée par la caralerie , de sorte que l'action des Tirailleurs se borna à une
rapide marche de nuit, qu'ils exécutèrent arec leur vigueur accoutumée*
Dans les premiers jours de norembre, le régiment reçut l'ordre de former
deux compagnies de cent cinquante hommes chacune, destinées à aller au
Sénégal. Ces compagnies, qu'on recruta sans peine parmi les hommes de
bonne volonté, prirent les numéros 3 et 6 dans le 1*' bataillon. Leur départ
n'était pas encore fixé; nous verrons bientôt qu*il n'eut môme pas lieu, et que
les complications de la politique européenne renvoya à deux années plus tard
l'envoi des Tirailleurs algériens dans cette lointaine colonie.
Depuis que nos troupes n'avaient parcouru le bassin de l'Oued-el-Kebir,
un certain esprit d'indépendance s'était peu à peu emparé des tribus de cette
région. Aucune hostilité bien marquée ne s'était encore déclarée, mais on com-
mençait à sentir, dans les rapports de ces populations avec notre autorité, une
mauvaise volonté évidente, sur la signification de laquelle il n'y avait pas à se
tromper. Après la levée de la récolte de 1858, cette situation s'accusa encore
davantage, et prit tout à coup un caractère bien déterminé dès qu'il fut question
défaire rentrer les impôts; des difficultés sans nombre furent alors créées à nos
caïds, et l'un de ceux-ci, celui des Ouled-Aîdoun, dut môme renoncera se
faire payer les perceptions dont il était chargé. A celte désobéissance étant
ensuite venus fc joindre de nombreux incendies de forôts, et bien d'autres actes
dénotant la malveillance , il fut décidé qu'une importante colonne irait mettre
fin à ces désordres et châtier, comme ils le méritaienti ces coupables agisse-
ments.
Les troupes devaient se réunir à Elma-el-Abiod, ches les Moulas. Le 21 no-
vembre, le général Gastu, commandant la province, quitta Gonstantine avec
les 1"^, 3", 4«, 5® et 6® compagnies du l*' bataillon (commandant Van Hoo-
rick) pour aller en prendre la direction. Les opérations commencèrent le 23.
Le 24, la colonne était à El-Hilia, où , le môme jour, elle était rejointe par
la 1*'° compagnie du 2* bataillon, partie le 16 de Bougie. De ce point elle
pesa lourdement sur la population révoltée, infligea de fortes amendes aux
fractions qui avaient méconnu les pouvoirs de notre caïd, et enfin acheva
d'asseoir notre influence sur tout ce pays , où nos armes n'avaient pas paru
depuis 1853. Le 4 décembre, elle rentrait à Gonstantine, après avoir laissé à
El-Milia un bataillon de zouaves et une section de la 5* compagnie du 1«' ba-
taillon , pour y travailler à la construction d'un bordj.
11 y avait à peine dix jours que nos compagnies étaient de retour de la Ka-
bylie, qu'elles devaient repartir pour Biskra, où s'organisait une expédition
destinée à réprimer un commencement de troubles qui venait d'éclater dans
les Auros. Les 1"^, 4° et 5* se mirent d'abord en route sous les ordres du
coininandanl Van Iloorick; puis les 'i^ et G^ ayant reçu lo contro-ordre de leur
départ pour le Sénégal , elles suivirent bientôt avec le colonel Le Poittevin de
Lacroix.
L'agitation qui régnait alors dans cette vaste contrée, et qui menaçait de
gagner tout le pays des Ouled-Abdi , des Beni-Daoud et des Bou-Sliman, avait
été suscitée par un certain Si-Saddock, mokkadem de la zaouïa de Timermadn,
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174 LB 3* RÉOIlfBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (l858]
porsonnage influent dont les excitations à la guerre sainte avaient été partout
fayorablement accueillies. Mais dès les premiers symptômes de dispositions
insurrectionnelles de ces tribus, le général Desvaux, qui commandait à Batna,
avait envoyé un goum, trois escadrons de chasseurs d'Afrique et deux com-
pagnies du 99* occuper Sidi-Obka, et la présence de ce poste avait sufB pour
empêcher insurrection de se déclarer ouvertement. Des rassemblements assez
sérieux ne s*en étaient pas moins formés dans toute la vallée de TOued-el-
Abiod occidental , et c'était pour les disperser qu'une colonne mobile s'orga-
nisait.
Celle-ci fut concentrée à Chelma, à sept kilomètres au nord-est de Biskra;
le général Desvaux en eut le commandement. Le colonel de Lacroix eut sous
ses ordres toute la fraction du régiment appelée à en faire partie, fraction qui
se composa en réalité de tout le l*' bataillon, la 2* compagnie, détachée à
Biskra , s*étant jointe aux cinq autres à leur arrivée.
Les opérations commencèrent le 10 janvier 1859. Ce jour-là, la colonne, se
dirigeant à l*est, alla bivouaquer à Garta. Le lendemain, elle se porta à Si-
Oghab, sur un coteau raviné, au bord de TOued-Chanin. Le 12, elle quitta
Si-Oghab pour s'engager dans des ravins encoissés au milieu d'un terrain
sablonneux et entièrement nu , puis remonta les pentes abruptes d'un plateau
dominant l'Oued-Mnaisef, et alla camper sur les bords do TOued-Zita. Le 13,
elle arriva devant Tonnegaline, où quelques bandes s'étaient rassemblées. La
position , abordée par tous les côtés à la fois , fut rapidement en noire pouvoir
sans nous coûter plus de deux ou trois hommes légèrement blessés. Le 14, on
se porta sur K'ssar, où Si-Saddock s'était retiré. Celte localité pouvait passer
pour une petite ville et môme pour une forteresse; située à l'entrée d'une gorge
formée par l'Oued-Djida, bâtie en pierres, défendue au nord-est par le pic de
Zerzerai au nord-ouest par celui d'Afson, muni d'une citadelle, elle semblait
devoir nous opposer une sérieuse résistance; mais, grâce aux habiles dispo-
sitions prises, elle fut enlevée sans coup férir, et le marabout fomenteur de
guerre sainte resta notre prisonnier avec une partie de ses partisans. Comme
la veille, nos pertes avaient été insigniiiantes. Après ce coup de main, la
colonne établit son camp à K*ssar, où elle resta jusqu'à la fin du mois.
Le 30, les troupes reprirent leur marche, et, se dirigeant cette fois vers le
sud , allèrent camper à Si-Masmoudi. Le lendemain elles continuèrent d'abord
dans la même direction , puis tournèrent à l'ouest, et vinrent à Memehidibid
sur l'oued Mnaisef. Le l*'' février, on arriva à Sidi-Obka, où l'on fit séjour.
Le 3 1 on remonta vers le nord pour venir camper à El-Uabbel. Le 4, on se
porta àEdissa, en face de Banian et au pied du Djebel -Houssoun. Le 5, on
atteignit Rufi, où quelques contingents avaient été signalés, et, après s'être
emparé de ce village, dont la résistance fut encore moindre que celle de K'ssar,
on alla s'étabUr à A!n-Tiboudd , où l'on s'arrêta pendant trois jours. Le 8, on
revint à Edissa ; le 9, on campa à Drolieu , et le 10 on fut de retour à
Chelma.
L'expédition avait eu tout le succès espéré, et cela presque sans efiusion de
sang. Comme toujours, les Tirailleurs s'y étaient fait remarquer par leur bril-
lante attitude, ainsi que le témoigne l'ordre du jour suivant :
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[1858] RN ALOÊRIR 475
c Le colonel 8*empro88e de porter à la connaissance du régiment les témoi-
gnages de satisfaction que lui a manifestés le général Desvaux, tant pour la con-
duite, la discipline et la tenue des Tirailleurs depuis le commencement de
Texpédition que pour la vigueur et Tentrain qu'ils ont montrés dans les Journées
des 13 et 14 février.
c Au camp devant K'ssar, le 15 janvier 1859.
c Le colonel y
c Signé : Lk Poittbviii de Licroix. »
A la dissolution do la colonne, qui eut lieu le 10 février, les i'*, 4* et 5* com-
pagnies rentrèrent à Constantine; les 2<', 3^ et 6* restèrent à Biskra.
Dans le courant des deux années qui venaient de s*écouler, quelques chan-
gements étaient survenus dans le cadre des ofBciers supérieurs du corps.
Ainsi, le l®** avril 1857, le commandant Guîchard était passé au 3* bataillon
d*iiifanterie légère d'Afrique, et avait été remplacé par M. Van Hoorick, qui
avait autrefois servi comme lieutenant dans In bataillon de Tirailleurs indigènes
de Constantine. Le 30 décembre suivant, c'avait été le tour de M. Arnaudeau
d'être appelé à prendre le commandement du 4* bataillon de chasseurs à
pied, et de céder celui qu'il avait au régiment à M. Mercier de Sainte- Croix,
récemment nommé chef de bataillon. Enfin, par décret du 24 décembre 1858,
le lieutenant-colonel Castex avait été promu colonel du 72« de ligne, et le lieu-
tenant-colonel Colin , du 27<, désigné pour le remplacer au 3® Tirailleurs.
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CAMPAGNE D'ITALIE
CHAPITRE III
(1859)
Création d'un régiment provisoire de Tirailleurs algériens. — Formation, à Constantine ,
d*ua butiillon do marclio pour le régiment provisoire ; sa coiiipositiou. — Euibun|uo-
ment à IMiilippevillo. — Dél)an|Uumoal à (iéacs. — Goustiiutiou du léKimcut. — l*rc-
mières mardies et opérations du 2« corps.— Combat de Turbigo (3 juin). — bataille
de Magenta (4 Juin).
Au commencement de Tannée 1859, l'horizon politique de TEurope s^était
tout à coup rembruni. L'attitude hautaine de l'Autriche envers la Sardaigne
et le Piémont avait vivement surexcité les esprits, et la diplomatie s'était
bientôt vue impuissante à conjurer une guerre qui chaque jour devenait de
plus en plus imminente. En face de cette situation , le gouvernement français
s'était ouvertement déclaré pour le Piémont, et, en attendant le dernier mot
des négociations entamées,il se préparait activement à la lutte, qui paraissait
inévitable. De tous les points de la France des troupes élaient dirigées vers la
Trontière des Alpes, où s'opérait la concentration de plusieurs divisions, et
l'Algérie se disposait elle-même à fournir son solide contingent.
Le 26 mars, un décret impérial vint ordonner la création d'un régiment
provisoire de Tirailleurs algériens. Aux termes de ce décret, ce régiment de-
vait être formé avec trois bataillons de onze cents hommes, tirés respective-
ment de chacune des trois provinces et portant le numéro de leur régiment
d'origine; c'est-à-dire que le 1^ régiment devait fournir le l^' bataillon, le
2* régiment le 2* bataillon , et le 3« régiment le 3« bataillon.
En exécution de ces prescriptions, le 12 avril un procès-verbal d'organi-
sation, dressé à Constantine, désignait les compagnies suivantes pour entrer
dans la composition du bataillon fourni par le *à^ r^iment :
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[1859] LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ITAUB
177
l'* compagnie du !•' bataillon , stationnée à Constentine.
2»
—
du 2*
3«
—
du l*f
4«
—
du 3*
1"
—
du 3»
6»
—
du !•'
— à Biskra.
— à Gonstantine.
— à Bàne.
— à Biskra.
Chacune de ces compagnies prenait, dans le balaillon provisoire, le nu-
méro que lui assignait Tordre ci-dessus.
Le même procès-verbal désignait les officiers dont les noms suivent pour-
les cadres dudit bataillon :
ÉTAT-MAJOR
MM. Van Hoorick,
Groût de Saint-Paêr,
Poulet,
l'* compagnie,
MM. Estelle, capitaine.
Sorin, lieutenant fiançais.
Larbi-ben^Lagdar, lîeut. indig.
De Foy, sous-lieutenant français.
Yaya-ben-Simo, s. -lient, ind.
2* compagnie.
MM. Doulcetdo Pontécoulant, capil.
Fabro do Montvaillant, lient, fr.
Ahmed- ben-Amor, lient, ind.
Bouguès, sous-lieut. français.
Kacem-Labougie , s.-lieut. ind.
3<^ compagnie,
MM. Quinemant, capitaine.
Louvet, lieutenant français.
Mohamed-ben-Kacem, lient, ind.
Barbier, souslieut. français.
Iladj-Tahar, sous-lieut. ind.
chef de bataillon,
capitaine adjudant- major,
médecin-major.
4* compagnie.
MM. Galland, capitaine.
Marion-Dumersan, lieut. franc.
Messaoud-ben-Ahmed, lieut. ind.
Bobillard, sous-lieut. français.
Soliman-ben-Ali, sous-lieut. ind.
6« compagnie.
MM. Dardcnne , capitaine.
De Boy ne, lieutenant français.
Mphamed-Pounep, Jieut. ind.
Dufour, sous-lieut. français.
Ali-ben-Rebah, sous-rliei|t.,ind.
6* compagnie.
MM. Munier, capitaine.
Maussion ,' lieutenant français.
Assen-ben-Krelill, lieut. ind.
Castex , sous-lieut. français.
Sald-ben-Amor, sous-lieut. ind.
\éQ contingent demandé fut uniquement choisi parmi les volontaires; mais
le nombre do ceux-ci fut tel, qu*on peut dire que le régiment tout entier de-
manda à partir. Il ne se présenta donc qu*une diflicuUé, celle de ne pas faire
trop de jaloux.
Le 11 avril, les 1^^, 3*, 4* et 6^ compagnies quittèrent Gonstantine pour se
rendre h Philippcvillc, où elles furent ralliées par la 5* venapt de BônOi et la
2* de Bougie.
13
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176 LB 8* UÊQIIIUNT DIS TlllAlLLKUllS AI.OÉlilKNB [iStf^]
Le 22| arriva dans le port la frégate à vapeur la Dt^ade. L'embarquement
commença aussitôt, et, le 23 au soir, le. bâtiment levait l'ancre, emportant
encore une fois loin de leur pays ces c enfants du feu > que le bonheur d'aller
faire parler la poudre et parcourir des pays inconnus dont on disait tant de
merveilles rendait débordants d'entrain , d'enthousiasme et de gaieté. Étrange
coïncidence! c'était ce même bateau qui, onze années plus tard, en 1870,
devait encore prendre le régiment à son bord pour l'emmener au secours de
la patrie menacée. La même joie, la môme confiance, le môme empressement
allaient alors accompagner ce nouveau départ; mais combien allait être diffé-
rent le retour I
Le 25 dans l'après-midi , le vaisseau arrivait dans le port de Toulon. Quand
il était parti de Philippeville , la guerre était à peu près certaine; lorsqu'il
arriva sur les côtes de Franco, elle était déclarée. Il lui fallut virer de boid et
mettre le cap sur Gônes, où, le lendemain 26, à deux heures de Taprès-midi,
il put enfin débarquer ses impatients passagers.
Gênes était le point de réunion de toutes les troupes venues par mer. Le
bataillon alla camper à environ une lieue de la ville, entre Saint-Pierre
d'Arena et Rivarolo, dans le lit de la Polcevera, rivière détournée pour l'assai-
nissement de la plaine et les travaux du chemin de fer d'Alexandrie. Il sta-
tionna là pendant sept jours, qui furent employés à l'organisation du régiment,
dont le commandement fîit donné, par ancienneté, au colonel Laure, du
2<» Tirailleurs. La môme disposition fit désigner H. Montfort, du i'^' régiment,
pour les fonctions de lieutenant-colonel. Les bataillons étaient sous les ordres
des commandants Gibon (1*'), Calignon (2*), et Van Hoorick (3«).
Les Tirailleurs algériens furent d*abord placés dans la brigade du général
de Polhès; mais ils la quittèrent quelques jours après pour entrer dans celle
du général Lefèvre, qui , à la suite de l'organisation définitive de l'armée, se
trouva être la i^ de la i^ division (général de la Motterouge) du 2* corps.
Composé exclusivement de régiments appartenant à l'armée d'Afrique ou
venant d'y faire un long séjour, ce dernier était sous les ordres du général
de Mac-Mahon, qui venait de quitter le commandement supérieur de l'Al-
gérie.
La campagne s'ouvrait, pour le régiment, sous les auspices les plus favo-
rables : un corps composé de troupes aguerries , placé sous les ordres de gé-
néraux dont la valeur et les talents étaient connus de tous , était naturelle-
ment en mesure do faire de grandes choses , de prendre une large part dans
la lutte héroïque qui allait bientôt s'engager.
Le 2 mai, pour éviter Tencombrement des troupes à Gônes, le régiment
fut dirigé sur Novi par la roule de la Bochetta. Les premières étapes donnèrent
aux troupes un avant-goût de la façon dont elles allaient voyager. Parties à
quatre heures de l'après-midi, ce ne fut qu'é dix heures du soir qu'elles arri-
vèrent à Pontedecimo, ayant fait à peine deux lieues. Le régiment bivouaqua,
par bataillon en masse, dans le lit d'un ruisseau desséché.
Le 3, à dix heures du matin, une fois la distribution des vivres faite, il leva
le camp et se dirigea sur Fiaconi; il traversa ce village, franchit le col de la
Bochetta et alla camper un peu plus loin que Voltaggio , à proximité de Gavi.
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[1859] EN ITALIE |79
Là un repos de trois jours vint permettre au soldat de mettre un peu d'ordre
dans sa tenue et do parfaire son outillage de campagne.
Le 7, à cinq heures du matin, les Tirailleurs allèrent s'établir à cinq kilo-
mètres de Novif en passant par les villages de Carosio et la petite ville de
Gavi. Le lendemain, le camp fut porté à deux kilomètres plus loin pour se
rapprocher de Novi, où arrivaient, par la voie ferrée, tous les approvisionne-
ments du corps d'armée.
Ce fut entre Gavi et Novi que se compléta Torganisation du 2* corps, que
venait de rejoindre son commandant, le général de Mac-Mahon. La 1** divi-
sion avait son quartier général à Novi, la 2* à Carioso; l'arrière-garde obser-
vait le cours du Lcmmo et la vallée de Carleidora.
Le 12 mai, l'empereur Napoléon III, qui devait prendre le commandement
en chef de l'armée, débarquait à Gênes. Il se porta aussitôt à Alexandrie et
ordonna la concentration des corps français. Jusqu'à ce moment ceux-ci
avaient constitué deux groupes bien distincts résultant de leur point d'ar-
rivée : Tun par Gènes, l'autre par Turin.
En exécution de ces nouveaux ordres, le régiment de Tirailleurs reprit sa
marche le 15 mai. Il traversa Novi, Pozzolo, Formigaro, San-Giuliano-il-
Vccchio et alla prendre ses cantonnements à San-Giuliano-il-Nuovo, non loin
du village de Marcngo, où fut établi le quartier général du corps d^arméo.
Le 16, il continua sa route vers le nord et se porta à Alluvionne-di-Gambio,
en passant par Sale, ville située sur la route d'Alexandrie à Tortone, à douze
kilomètres de cette dernière place. Le 3« bataillon fut logé dans la ferme de
Frambaglia , (Très du ruisseau de la Ruggia et de la route de Sale à Guassora,
à deux mille cinq cents mètres de cette dernière localité. Il séjourna dans cette
position jusqu'au 18, et rejoignit ensuite les deux autres bataillons restés à
Alluvionne avec l'état-major du régiment.
A cette date, la position respective des deux armées était celle-ci :
L'armée autrichienne était établie en arrière de la Sesia, ayant ses corps
de première ligne à Palestro, Robbio, Gastelnuovetto, Yercelli, Mortara, Ce-
retto, Olevanno, Trumello, Garlasco et Alagna, et sa réserve à Vespolate,
Gravellona et Vigevano.
L'armée alliée, formant deux groupes distincts, avait pour centres Casale
et Alexandrie. Les Piémontais occupaient les deux rives du Pô; les Français
étaient concentrés sur le Tanaro : le 1*>' corps à Pontecurone et Voghera, le
2<* à Sale, le 3^ en deuxième ligne à Tortone, le 4* en avant de San-Salvatore
autour de Valenza, et enfin la garde et le grand quartier général à Alexandrie.
Les 16, 17 et 18 mai, l'armée autrichienne se renforça d*un nouveau corps,
qui occupa Plaisance et poussa une brigade jusqu'à Stradella.
IjC 20 mai, le feld-zeugmcstre Gyulai, commandant l'armée ennemie, or-
donna une reconnaissance offensive sur Voghera , où se trouvait la division
Forey (l**® du l*** corps). Cette opération fut confiée au feld-zeugmestre Sta-
dion , et amena, à Montebello, un sanglant combat, qui , malgré l'énorme su-
périorité numérique de l'ennemi , se termina par une complète victoire pour
nous.
Cette affaire, vigoureusement menée de notre côté, avait laissé dans l'esprit
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180 LE 3* RÊOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1859]
du généralissime autrichien l'idée bien arrêtée que les Français cherchaient
à se concentrer sur sa gauche pour descendre le Pô vers Plaisance et Crémone.
Pour l'entretenir dans son erreur, le 21, l'état-major général ordonna la con-
centration de l'armée sur la ligne Montebello-Valenza, c'est-à-dire parallè-
lement au cours du Pô : le 1^ corps à Montebello, le 2* à Voghera, le 3* à
Pontecurone et le 4* à Valensa, La garde devait demeurer en réserve à
Alexandrie.
Le régiment de Tirailleurs algériens était resté à Alluvionne, poussant jour-
nellement des reconnaissances sur le Tanaro, sur la rive gauche duquel on
apercevait les éclaireurs ennemis. Le 21, il passa la Sçrivia sur un pont de
bois à Castelnuovo , et alla cantonner à Casei. Le lendemain , il franchit le
Qurone, traversa Voghera, Oriolo, la Staffora, et alla relever à Pizzale et
dans les fermes environnantes les troupes du 1*' corps qui devaient appuyer
sur Montebello.
Cette concentration avait complètement donné le change au feld-zeugmestre
Gyulai, qui s'était empressé d'opérer un changement de front pour pouvoir
répondre à Tattaque de la droite française. Mais celle-ci ne se proposait pas
de prendre l'oflensive; ce n'était pas sur ce point que se préparait Teflort de
l'armée alliée, et ce mouvement avait simplement pour but d'en masquer un
autre beaucoup plus audacieux et beaucoup plus décisif, qui devait com-
mencer quelques jours après.
Quoi qu'il en fût, le voisinage do l'ennemi cominandait une extrême vigi-
lance; chaque jour des reconnaissances de deux cent cinquante à trois cents
hommes chacune étaient dirigées par tous les chemins vers les bords du Pô.
Le 23, le bruit se répandit tout à coup que l'armée autrichienne devait atta-
quer le lendemain ; tout confirmait cette opinion : les nombreux mouvements
de troupes observés de l'autre côté du fleuve, les rapports des espions, la
crainte qui régnait parmi les populations.
La nuit du 23 au 24 fut consacrée tout entière par le régiment aux dispo-
sitions de défense; le village de Pizzale fut fortifié, les maisons crénelées, les
abords couverts par des retranchements, des fossés, des barricades, des
abatis; les grand'gardes furent renforcées et reçurent les instructions les plus
précises pour se replier en cas d'alerte. Vers trois heures du matin , il y eut
même, on ne sait trop pourquoi, une prise d'armes générale; les troupes se
portèrent en avant de leurs cantonnements ; mais, les éclaireurs ne signalant
dans aucune direction la marche des colonnes eunemies, elles reprirent bientôt
leurs emplacements.
iL'attaque n'ayant pas eu lieu le 24, on l'attendit pour le 25, et l'on con-
tinua les préparatifs; mais l'ennemi ne se montra nulle part : non moins in-
certain sur nos intentions que nous Tétions sur les siennes, il attendait de son
côté. Le 27, vers dix heures du soir, une sentinelle maladroite donna une
fausse alerte, et deux ou trois heures après seulement on s'aperçut de l'erreur,
et tout rentra dans l'ordre.
Dès qu'il fut bien établi , par les reconnaissances et par les événements de
ces quelques jours d'attente, que l'ennemi était décidé à rester sur la défen-
sive, l'état-major français se disposa à mettre à exécution le plan qui avait
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[1859] EN ITALIE 181
été conçu, et qui consistait à se porter, au moyen d*uDe rapide marche de
flanc, sur la droite do Tarmée autrichienne, à surprendre le passage du Tessin
et à marcher ensuite sur Milan. Comme moyens d'exécution on disposait de
plusieurs routes, et, ce qui était d'un grand secours, du chemin de fer qui ,
par Alexandrie , Yalenza , Casale et Verceil , longeait la rive droite de la
Sesia.
Le mouvement commença le 26 mai par l'infanterie du 3* corps; le 28, il
se continua par toute l'armée. Ce jour-là le régiment alla reprendre ses can*
tonnements à Alluvionne-di-Gambio. Le 29, il franchit le Tanaro sur deux
ponts de bateaux établis par le génie près de Bassignano , grand village qu'il
traversa ensuite pour aller camper à environ une lieue en aval de Yalenza.
Les grand'gardes établies sur les bords du P6 voyaient distinctement les
postes autrichiens sur la rive opposée; mais ces derniers se contentaient d'ob-
server et ne semblaient pas s'inquiéter beaucoup de ce qui se passait dans le
camp français. L'avedglement du feld-zeugmestre Gyulai était tel, qu*il ne
voulait voir qu'une diversion dans ce mouvement, qu'il ne chercha du reste
pas un instant à contrarier. Dans la nuit, en face de nos avant-postes, vinrent
s'échouer les débris d'un pont de bateaux. Ce dernier avait été détruit par le
canon autrichien en même temps que deux arches du pont en pierres do la
route de Mortara.
Le 30, on alla s'établir à Casale. Le temps, qui depuis quelques jours
s'était mis à la pluie, était maintenant des plus désagréables; les chemins
étaient détrempés, les marches devenaient très lentes et très fatigantes pour
le soldat. Le 31 , le régiment passa le Pô sur le pont du chemin de fer et sur
un pont de bateaux pour prendre la route de Verceil, où il arriva après avoir
traversé Villanuova et le grand bourg de Stroppiana. Là on apprit le succès
qui avait été remporté par l'armée sarde à Palestre. On ne s'arrêta pas à Ver-
ceil; après avoir franchi le Cervo sur un pont en pierre, et la Sesia, dont le
lit était à sec en plusieurs endroits, sur une succession de ponts de chevalets,
on alla camper à sept kilomètres plus loin , dans un terrain marécageux et
coupé de canaux et de fossés. Il était dix heures du soir quand les tentes
furent dressées.
Le 1*' juin , le 2* corps reçut l'ordre de se porter à Novare. Le régiment
leva son camp à six heures du matin, passa par Borgo, Vercelli et Game-
riano, traversa la Cogna et alla s'établir à cinq cents mètres de Novare avee
toute la 1*^ division; la 2® division avait été placée entre la route de Novare
et celle de Milan. Par suite de cette disposition , le corps du général de Mac-
Mahon se trouvait prêt à marcher sur le Tessin. L'aspect du pays commençait
à changer; on se trouvait maintenant sur un terrain très bas, sillonné de
rigoles pour faciliter Téconlement dos eaux, ou bien, par endroits, aban-
donné à l'inondation et transformé en vastes et fertiles rizières. Le temps
s'était remis au beau; tout semblait favoriser l'armée française, qui venait
d'achever sa fameuse marche de flanc, opération heureuse et téméraire à la
fois , qui allait pour une grande part peser sur les événements ultérieurs de U
campagne.
Le lendemain on devait faire séjour à Novare; mais, dans la matinée, la
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182 LE 3* RÊOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l8K9]
l'* division fîit prévenue de se tenir prôte à partir. A dix heures elle se porta
entre les deux lignes de chemin de fer de Milan et de Gônes , lignes qui
araient été mises hors de service par les Aulrichiens.
Le 3 juin, à sept heures du matin, le 2« corps recevait l'ordre de se porter
sur Turbigo et d'y franchir le Tessin sur un pont qui y avait été jeté dans la
nuit, sous la protection de la division Camou de la garde. A huit heures et
demie les tentes furent abattues, et l'on se dirigea vers l'endroit où devait
s'opérer le passage par Romentino et Galiate. Le fleuve fut traversé vers
1 h. 30 m., et, après avoir débouché de Turbigo, la marche se continua
sur Robecchetto. A ce moment le général de la Motterouge fut averti que
l'ennemi se dirigeait sur ce dernier village pour l'occuper, et en môme temps
reçut Tordre de le prévenir sur ce point, ou de l'en déloger s'il y était déjà.
Le général n'avait encore avec lui qu'un régiment, celui de Tirailleurs algé-
riens, qui ce jour-là était avant* garde du corps d'armée; le 45<*, qui venait
ensuite, commençait seulement à effectuer à son tour le passage du Tessin.
Le colonel Laure forma immédiatement sa troupe en trois colonnes d'attaque
par bataillon, à double intervalle de déploiement : le l*' bataillon devait
marcher sur le centre du village, le 3* sur la gauche , et enfin le 2® appuyer
le mouvement des deux autres, tout en se maintenant un peu en arrière de
l'échelon de combat. Les deux premières de ces colonnes étaient couvertes
chacune par une compagnie déployée en avant de son front. On était alors à
environ cinq cents mètres de la position. En avant et sur la droite, le terrain
était semé de quelques bouquets d'arbres' et accidenté par quelques ravines
peu profondes ne pouvant constituer un obstacle pour l'assaillant; sur la
gauche, au contraire, il était complètement uniforme, mais présentait de
longues allées de mûriers reliés entre eux par de gros fils de fer soutenant
des guirlandes de vigne, dont chacune était une barrière qu'il fallait détruire
pour la franchir; à ces difficultés s'ajoutaient celles résultant d'une marche
dans des champs récemment labourés et coupés çà et là par de larges rigoles
d'irrigation.
Ces dispositions n'avaient demandé qu'un instant; dès qu'elles furent prises,
le général de la Hotte- Rouge parcourut le front des troupes, adressa à ces
dernières quelques paroles énergiques, puis, levant son sabre, donna le signal
de l'assaut. Le régiment entier fondit sur Robecchetto; fossés, vignes, fils de
fer furent franchis ou brisés, et chaque bataillon, se dirigeant sur le point
qui lui était assigné, se disposa à aborder Tenceinte du village, en avant
de laquelle on apercevait depuis un moment une longue ligne d'infanterie
ennemie.
Bientôt la fusillade domina les cris des Tirailleurs : les Autrichiens se dé-
fendaient vigoureusement. Ils avaient là, sous les ordres du général Corbon ,
trois bataillons d'infanterie de douze cents hommes chacun, et, en réserve, un
autre bataillon, une batterie de huit pièces et deux escadrons de cavalerie.
Mais, déposant leurs sacs, les i""^ et 3** bataillons se précipitèrent à la baïon-
nette, enfoncèrent un bataillon ennemi qui voulut s'opposer à leur marche,
et pénétrèrent dans Robecchetto par deux points à la fois, le 1"*' en chassant
devant lui les débris de l'avant-garde autrichienne , le 3* en contournant le
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[1889] EN ITALIE 183
yillage par Touest, de façon à déborder l'ennemi sur sa gauche et à menacer
directement sa ligne de retraite. A ce moment le général Lefèrre arriva avec
le restant de sa brigade; le 4S* se porta en avant pour appuyer le mouvement
des Tirailleurs algériens, et le général Auger, dirigeant lui-même le feu de
son artillerie f accabla do projectiles les Autrichiens en pleine fuite dans la
direction do Malvagglio.
Les Tirailleurs étaient entrés dans Robeccheito et en avaient chassé les dé«
fenseurs; Malvagglio venait d*6tre enlevé à son tour, et notre marche en
avant allait se continuer, malgré la tentative faite par la cavalerie autrichienne
pour Tarrôter, lorsque le général de la Motterouge aperçut soudain, en colonne
sur la droite, le bataillon de réserve de Tennemi. Le régiment de Tirailleurs
fut aussitôt rallié en arrière de Malvagglio, et le 4S*, déployé de manière à ré*
pondre à celte attaque qui se portait entre Malvagglio et Robecchetto, et qui,
appuyée par une nombreuse artillerie, prenait d*écharpe notre première ligne
et lui infligeait des pertes assez sensibles. En même temps, le général Auger
changeait le tir de ses batteries et accablait celles de l'ennemi. Pris alors
entre le feu des Tirailleurs et celui du 45<*, le bataillon autrichien fut bientôt
mis en pleine déroute, et, sans le terrain extrêmement couvert et coupé qui
protégeait sa retraite, il eût infailliblement élé fait prisonnier.
Il était cinq heures, le combat était terminé; de toutes parts Tennemi était
en fuite, nous abandonnant une pièce de canon, ses sacs, dont certains ba-
taillons s'étaient débarrassés pour attaquer, d'autres pour fuir plus vite, un
fanion de bataillon et un cheval tout équipé portant un harnachement très
riche et appartenant probablement à un officier général.
Grâce à la vigueur avec laquelle cette attaque avait été conduite, nos pertes
étaient extrêmement faibles à côté de celles de l'ennemi et relativement au
résultat obtenu; elles s'élevaient à un officier tué et trois blessés, appartenant
tous les quatre au 1'^ régiment, et enfin à une trentaine de Tirailleurs tués
ou blessés, dont deux ou trois seulement comptant au 3^ bataillon.
La surprise des Autrichiens avait été telle en se trouvant en face des turcos,
dont le cri sauvage leur était encore inconnu, qu'au moment de l'entrée de
ceux-ci dans Robecchetto on avait vu des compagnies entières prendre la fuite
en abandonnant leurs armes et leurs sacs. On ne s'étonnera pas de cette pa^
nique, lorsqu'on saura que depuis que nos ennemis avaient appris la présence
de nos braves Algériens à Farmée d'Italie , ils avaient volontiers ajouté foi à
de grossières histoires d'anthropophagie que certains journaux italiens avaient
à dessein fait circuler sur le compte de ces derniers. Ils eurent, par la suite,
le temps de revenir sur cette opinion, qui ne leur était pas du reste particu-
lière, et que d'honnêtes bourgeois de France partageaient avec la plus entière
conviction, sur le récit plus que fantaisiste de quelque vieux umaoe on quelque
vieux zéphir.
Dans son rapport, le général de la Motterouge adressait les plus cha-
leureux éloges au colonel Laure et à son brave régiment, et, dans le télé-
gramme envoyé le soir même à Paris, l'empereur disait : c Les Tirailleurs du
colonel Laure ont fait merveille. »
Après avoir parcouru le théâtre du combat, la 1*^* division rentra dans Ro-
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184 LB 3* RÉOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1889]
becchetlo et t'y établit, sa gauche au cimetière, sa droite au ravin. I/aflairo
qui tenait d'afoir lieu avait mis les Tirailleurs en gaieté; ils avaient enfin ren-
contré cet ennemi qu'on leur avait promis et qu'ils ne voyaient jamais; la
poudre avait parlé; les jours étaient revenus de ces combats héroïques dont
les sar?ivant8 de l'expédition de Crimée se plaisaient à entretenir leurs cama-
rades; et Ten train renaissait parmi ces hommes pour lesquels le danger était
une fôte; la mort sur le champ de bataille, un bienfait du ciel, et le bruit du
canon, de la fusillade , l'odeur de la poudre, le plus suprême des enivrements.
Le 3 juin au soir, les armées adverses occupaient les positions suivantes :
L'armée autrichienne avait son extrême droite à Gallarate et son extrême
gauche vers Bereguardo, sa réserve se trouvant partagée' entre Stradella et
Plaisance.
L'armée franco-sarde avait sa droite à Lumelogno, son centre à Novare, sa
gauche à Turbigo et Robecchetto, et sa réserve, formée par une partie de
l'armée sardSi à Galliate.
D'après les ordres donnés par l'état-major français pour le lendemain,
l'armée alliée devait se placer à cheval sur le Tessin , de façon à pouvoir ré-
pondre à une attaque venant par Tune ou par l'autre rive. En vue de l'exé-
cution de ce mouvement, le corps du général de Mac-Mahon, renforcé de la
division Camou (voltigeurs de la garde), avait mission de se porter de Tur-
bigo sur Buffalora. Cette marche allait amener la bataille de Magenta.
Le 4, à dix heures du matin , le régiment se mit en roule formant encore
cette fois la tète de colonne du 2* corps. Il traversa d'abord Robecchetto, puis
Malvagglio, et s'avança vers Induno, en trouvant à chaque pas de nombreuses
traces de la retraite précipitée de la veille. A la sortie d'Induno, la pointe
d'avant -garde, fournie par la cavalerie, fut attaquée par quelques éclaireurs
ennemis laissés en avant de Casate, occupé en force par les Autrichiens. Ces
avant- postes ne tardèrent pas à se replier, et la marche continua jusqu'à
CuggionOi où eut lieu une courte halte pendant laquelle le régiment prit ses
dispositions de combat.
Il s'agissait d'enlever Casate; le l*' bataillon, ayant à sa tête le général
Lefèvre, se porta aussitôt en avant pendant que les deux autres se jetaient
à droite et à gauche pour laisser passer l'artillerie. Vigoureusement abordé,
le village n'opposa qu'une faible résistance; l'ennemi se retira en désordre
vers Buflalora, occupant, avant d'entrer dans cette localité, une position dé-
fensive dans le fond de la vallée, et dirigeant sur notre colonne d'attaque le
tir à mitraille d'une batterie d'artillerie. Mais, entraînés par leur ardeur, les
Tirailleurs ne lui donnèrent pas le temps de se reconnaître; malgré l'ordre
donné d'arrêter les troupes et d'attendre que toute la division eût pris posi-
tion, ils se précipitèrent à sa poursuite, et, après Ta voir chassé de la plaine,
abordèrent résolument les premières défenses de Buflalora. Quatre compagnies
du 3* bataillon se portèrent à droite, et, après un combat de courte durée,
mais excessivement vif, occupèrent le village de Bernate. Sur la gauche, les
l*' et 2* bataillons avaient déjà franchi les barricades élevées à l'entrée de
Buflalora et enlevé les premières maisons de la ville, lorsque le général de
Mac-Mahon, qui ne voulait pas s'engager davantage avant d'avoir toutes ses
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[1899] EN ITALIE 188
Torces en ligne, fit donner au général Lcfèvre Tordre do se replier. Le régi-
ment se retira lentement, en emportant ses morts et ses blessés, et vint
reprendre sa place dans la 1*^ division , laquelle avait ordre de s'établir en
avant do Cuggiono, sa droite à la cascina Valizio, sa gauche vers la cascina
Mallastala.
Cependant l'évacuation de Bernate présenta quelques difficultés. L*ennemi
était revenu en force et menaçait, malgré Ténergique résistance du capitaine
de Pontécoulant, de déborder nos quatre compagnies, lorsqu'un vigoureux
retour oflTensif exécuté par le capitaine Dardenne, qui y fut blessé et y eut son
cheval tué sous lui , dégagea un peu la gauche de la petite colonne, qui put
dès lors se replier en bon ordre sur la réserve du bataillon.
Il était deux heures; la division Camou, qui avait pris à travers champs
pour hâter sa marche, venait d'arriver, et s'était établie un peu en arrière et
à gauche de la division de la Motlcrouge. Pour attaquer, il fallait attendre
que la division Espinasse, en marche sur Marcello, fût arrivée à hauteur de
la 1^ division. Celle-ci s'était formée par bataillons en colonne serrée à demi-
intervalle de déploiement, cinq bataillons à la droite de la route, cinq ba-
taillons à la gauche, rangés d'une façon symétrique, chacun d'eux ayant
devant lui une compagnie en tirailleurs ; deux bataillons avaient été main-
tenus en réserve en arrière du centre de la division. Pendant ce temps , la
division Mellinet (grenadiers et zouaves de la garde) avait franchi le Tessin
à Ponte-Nuovo-di -Magenta, dont le pont avait été incomplètement détruit
par les Autrichiens, et s'était avancée vers Bufialora, où le 2** grenadiers était
maintenant tenu en échec.
Vers trois heures, la division Espinasse ayant été signalée, le général de
Mac-Mahon fît commencer à la 1>^ division un léger changement de direction
à gauche. Ce mouvement eut pour eflct de faire évacuer BulTalora, où la garde
s'établit aussitôt. A trois heures et demie, la division Espinasse étant arrivée
à hauteur de la division de la Motterouge et ayant appuyé sa gauche au village
de Marcallo, le général de Mac-Mahon réduisit la distance existant entre ces
deux divisions et donna le signal de la marche sur Magenta.
La 1^^ division devait se porter d'abord sur Bufialora, dont on ignorait l'oc-
cupation par le 2« grenadiers , puis sur Magenta , en prenant pour point de
direction le clocher de l'église de ce village. Le r^iment de Tirailleurs occu-
pait maintenant la gauche de la brigade Lefèvre, de même que cette brigade
occupait la gauche de la division de la Motterouge.
Il était quatre heures et demie quand le 2^ corps reprit son mouvement en
avant et que la deuxième phase de la bataille commença à se dessiner. Après
que la division de la Motterouge eut dépassé Bufialora, le général de Mac'
Mahon vint se mettre à sa tête et la dirigea sur la route de Bufialora à Ma-
genta, en lui faisant exécuter une légère conversion à gauche, de façon à In
relier avec la division Mellinet , qui s'était avancée par la route de Ponte-
Nuovo-di-Buiïalora. Bientôt le 45^, qui formait la tète de colonne, se trouva
en présence d'une ferme appelée Cascina-Nova, où les Autrichiens s'étaient
solidement retranchés. Les bâtiments furent enveloppés de toutes parts ot
l'ennemi obligé de mettre bas les armes. On fit là six à sept cents prisonniers.
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186 LE .V RÉGIMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [18591
ÂussitAt ce premier succès obtenu, la colonne reprit sa marche en arant, se
dirigeant rers l'embarcadère du chemin de fer, d*où partait un violent feu de
mousqueterie.
Ce fut réellement alors que la bataille commença ; l'ennemi, en force partout,
couvrait tout le terrain en avant de Magenta et ne cédait la place que pied
à pied , profitant des bouquets d*arbres et dos haies pour se replier. Ce rideau,
qui le dérobait ainsi à notre vue, ne permettait pas d'apprécier exactement le
nombre dos troupes qu'il avait en ligne et condamnait l'attaque à une marche
prudente et calculée. Sur la gauche, une vive canonnade venait de s'engager :-
c'était la division Espinasse qui était aux prises avec le 1*' corps autrichien.
Nos colonnes, admirables d'énergie, de calme et de résolution, avançaient
malgré tout, lentement, c'est vrai, mais se rapprochant insensiblement de
Magenta, dont le clocher se détachait nettement de la ligne d'arbres qui bor-
dait l'horizon.
A mesure qu'on approchait, le combat devenait plus vif, plus ardent, plus
opiniâtre; toutes les haies, tous les fossés étaient garnis de tirailleurs; toutes
les maisons étalent crénelées, barricadées et fortement occupées; sur tout le
front de Magenta , une nombreuse artillerie labourait le terrain en avant, et
couvrait de sa mitraille les abords de la route de Buflalora.
Cependant les deux batteries de la division venaient d'arriver, et, s'étant
établies à droite et à gauche de la route, avaient, par un tir bien réglé,
commencé à ébranler la ténacité de la défense. Profitant de ce moment de
répit, le général de la Motterouge fit sonner la charge et s'élança, à la tète
de toute son infanterie, sur l'église, le cimetière et l'embarcadère du chemin
de fer. Chargé d'enlever cette dernière partie de la position, le régiment de
Tirailleurs algériens se jeta avec une nouvelle ardeur dans cette lutte acharnée
dans laquelle il lui avait été donné de porter les premiers coups, et se préci-
pitant sur la chaussée que balayaient encore l'artillerie et la mousqueterie
ennemies, pénétra enfin dans l'intérieur de la gare, dont les défenseurs furent
immédiatement chassés ou faits prisonniers. Le 3* bataillon avait largement
concouru à ce succès en enfonçant le premier les palissades qui bordaient la
voie ferrée et en franchissant résolument le terrain découvert qui le séparait
des bâtiments crénelés de l'embarcadère. C'est à la rapidité inouïe avec la-
quelle fut exécuté ce mouvement qu'il dut de ne pas éprouver de pertes trop
sensibles et de voir l'ennemi évacuer précipitamment la position. Dans cette
attaque, le capitaine de Pontécoulant s'était encore fait remarquer par son
admirable intrépidité et avait été violemment contusionné.
Après avoir traversé la voie ferrée , la brigade Lefèvre se trouva à cheval
sur la route de Milan , faisant face à l'église de Magenta, qu'attaquait la 2<* bri-
gade sous la conduite du général de Polhès. Ma! tresse de ce dernier point, la
division de la Motterouge pénétra daùs le village par plusieurs côtés à la fois.
C'est à ce moment que commença la dernière et peut-être la plus meurtrière
phase de cette sanglante journée. Il fallut faire le siège de chaque rue, de
chaque maison, et ce ne fut que vers huit heures du soir, après deux heures
d'héroïques efforts, que Magenta resta définitivement en notre pouvoir.
Dès les premiers pas du 3® bataillon de Tirailleurs dans ce dédale de rues
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[1859] EN ITALIE 187
étroites et barricadées, le commandant Van Hoorick, qui déjà un moment
auparavant avait eu son cheval tué sous lui, tombait la cuisse traversée par
une balle ; au même instant le capitaine Estelle était également blessé. Mais ,
poursuivant leur mouvement dans cette mêlée furieuse, acharnée, implacablCj
les compagnies, qui n'avaient pas tardé à agir pour leur propre compte,
avaient biontét eu fait d'enlever les maisons qui tentaient de leur résister, et
de faire dans chacune d'elles un nombre considérable de prisonniers. Dans
Tune de ces dernières, un détachement de deux cent vingt -neuf Autrichiens,
cerné par la compagnie du capitaine Munier, tenait encore, ne connaissant pas
le résultat de la lutte. Il attendit ainsi jusqu'au lendemain. Au point du jour,
l'officier supérieur qui le commandait remit son épée.
Sur tous les points la victoire, longtemps disputée , nous appartenait main^
tenant : à gauche, la division Espinasse avait de son côté pénétré dans Ma-
genta, et s'y était solidement établie; à droite, où la brigade Picard, puis la
brigade Jeannin et enfin la division Vinoy étaient venues successivement ren-
forcer et prolonger la ligne formée par la division Mellinet, le succès s'était
également déclaré pour nous : après une lutte opiniâtre, pendant laquelle
Ponti-Vecchio-di-Magenla avait été pris et repris plusieurs fois, l'ennemi avait
fini par se retirer sous la protection d'une charge désespérée de sa cava-
lerie.
Les pertes subies de part et d'autre témoignaient de la vigueur déployée
dans Tattaque et dans la défense : les Français comptaient quatre mille cinq
cent trente hommes hors de combat, les Autrichiens cinq mille deux cent
soixante-seize, indépendamment des prisonniers, dont le total s'élevait à quatre
mille cinq cent. Le bataillon fourni par le 3* régiment de Tirailleurs algériens
avait pour sa part soixante- quatorze hommes atteints par le feu de l'ennemi,
dont quatre oITicicrs blcssrs, neuf hommes do troupe tués et soixante-deux
blessés. Ces chilTres disent mieux que tout ce que nous pourrions ajouter com-
bien était glorieuse la page dont ce bataillon venait d'enrichir l'historique du
corps dont il faisait partie.
Le régiment passa la nuit dans les rues de Magenta. Le lendemain, il alla
camper dans la plaine, en arrière de la chaussée du chemin de fer, sur un
terrain jonché de cadavres ennemis, dont l'emplacement jalonnait encore la
direction des lignes de tirailleurs qui avaient cherché à couvrir les approches
du village. La journée fut employée partie à se reposer un peu des fatigues de
la veille , partie à ramasser les armes , les sacs et les effets abandonnés par
Tennemi et par les blessés.
Le 6, l'armée française se remit en mouvement; toutes les troupes du
2^ corps quittèrent Magenta pour se porter à San-Pietro-l'Olmo, sur la route
de Milan. Parti vers onze heures et demie du matin, le régiment arrivait dans
celte localité à quatre heures et demie du soir et y établissait son bivouac.
Mais, une demi- heure après, un corps autrichien ayant été signalé à Garba-
nate, village situé à vingt kilomètres au nord-ouest de San-Pictro, il reprit
aussitôt les armes avec toute la 2*^ division et deux escadrons du 7* chasseurs,
pour se porter à la rencontre de l'ennemi. Après cinq heures de marche, il
rentrait sans avoir rien découvert, les Autrichiens n'ayant fait que passer à
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188 LE 3^ RÉOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ITALIE [1859]
Garbaiiat6| qui était déjà, lorsque la cavalerie française 8*y présentai occupé
par l'araDt-garde de la brigade piémontaise du général Fanti.
L*ordre de mouTement pour la journée du lendemain portait que le 2* corps
eptrerait dans Milan à la tête de Tarmée, en récompense du rôle glorieux qu'il
avait joué dans la journée du 4 juin. Déjà, depuis deux jours, son chef, le
général de Mac-Mahon, était élevé à la dignité de maréchal de France et créé
duc de Magenta.
Le 7, à six heures du matin, la division de la Motterouge quittait San-
Pietro-TOImo et se dirigeait sur Milan. A huit heures, elle arrivait devant la
porte Vercilina et s'arrêtait pour attendre les autres troupes du corps d*arméo.
Le défilé commença à onze heures. Ce fut un véritable triomphe : la popula-
tion tout entière était accourue au-devant de nos soldats. De la porte Vercilina
à la porte de Pavie, près do laquelle le bivouac fut établi, ce ne fut qu'une
pluie de fleurs et de bouquets; avec la même facilité que dix ans plus tard il
allait s'éteindre , l'enthousiasme des Italiens , cet enthousiasme ardent , chauffé
au soleil des plaines du Pô , s'allumait au point de devenir du délire et de se
traduire par des cris, des vivats, des trépignements, des bénédictions, des
embrassements chaleureux sous lesquels les vainqueurs de Magenta se trou-
vaient littéralement étouffés.
Mais l'armée ne devait pas s'amollir dans les délices de cette séduisante
Capoue ; les Autrichiens avaient été chassés de Milan , mais ils étaient bien
loin encore d'être entièrement vaincus : ils étaient encore maîtres de la ligne
de TAdda. Il fallait les en chasser avant qu'ils s'y fussent solidement établis,
et consacrer par une nouvelle et éclatante victoire l'œuvre libératrice si géné-
reusement entreprise par la vieille Gaule en faveur de l'antique patrie de Do-
mitius et de Jules César.
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CHAPITRE IV
Départ de Milan. — Continuation des opérations. — Berne du général de la Motte-Rouge
à San-Zeno ; distribution de croix et de médailles accordées au régiment à la suite de
la bataille de Magenta. — Bataille dé Solférino. — Passage du Mlndo à Monzambano.
— Conclusion d'un armistice. — Paix de Villafranca. — Récompenses accordées i la
suite de la bataille de 8olferino. — Les Tirailleurs quittent Tltalie et sont dirigés sur
lo camp do 8aint-Maur. — Entrée du régiment dans Paris. — Embarquement à Toulon.
•— llcntréo à Constautliio.
Le 8 juin , à quatre lieures du matin , le 2<> corps quitta Milan et se dirigea,
par la route de Lodi , sur le village de Melegnano (Marignan), dans le but d'in-
tcrccplcr la marche du viii<* corps autrichien (Benedeck), qui , après avoir cou-
vert la retraite de l'armée, se retirait sur Lodi par Binasco et Landriano, sous
la protection d'une forte arrière-garde comprenant toute la brigade Roden de
la division Berger. Melegnano devait être enlevé par le l*''^ corps; aussitôt
après le passage de celui-ci, le 2^ avait pour mission d'appuyer vers la droite
et d'exécuter un grand mouvement tournant pour venir s'établir entre ce vil-
lage et Lodi , de façon à rejeter l'ennemi dans la direction de Pavie.
Après être sorti de Milan , le régiment de Tirailleurs algériens , au lieu de
suivre la route, prit à travers champs, et, vers neuf heures du matin, s'arrêta
pour Taire la grand'haltedans une vaste prairie près du village de San-Donato.
Là il dut attendre l'écoulement des troupes du 1^ corps et celui de la 2* divi-
sion, qui ne commença qu'à deux heures de l'après-midi; enfin, à quatre
heures, il s'ébranla à son tour et se prépara à exécuter, pour ce qui le con-
cernait, le mouvement qui devait porter les troupes du 2* corps sur la ligne
de retraite des Autrichiens. Il traversa d'abord le village do San-Giuliano, où
l'on croyait trouver l'ennemi, puis il quitta encore une fois la grande route
pour aller passer le Lambro à gué, et se diriger ensuite, par Garpanullo et la
Cascina Barona, sur le village de Médiglia, où devait s'opérer la jonction des
deax divisions. Il était environ six heures lorsqu'il atteignit cette dernière
localité. A peine l'eut-il dépassée, que le canon se fit entendre du cêté de Me-
legnano : c'était le maréchal Baraguey-d'Hilliers qui, sans attendre que le
maréchal de Mac-Mahon eût achevé son mouvement, abordait de front la re-
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190 LE 3* RÉOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1859]
doutable position de l'eoDemi. Les divisions de la Hollerouge et Decaen (an-
cienne Espinasse) hâtèrent le pas pour se rapprocher du lieu du combat; mais
déjà, quand elles eurent dépassé Dresano, les Autrichiens étaient en fuite,
gagnant Mulazzano. Le régiment fut alors arrêté à Colognio, où il attendit,
l'arme au pied , la fin de la lutte engagée. Depuis quatre heures la pluie tom-
bait à torrents; la marche avait été extrêmement fatigante; les hommes
étaient exténués. A onze heures et demie du soir, on put enfin s'établir au
bivouac. Do grands feux furent allumés de tous côtés; mais le sol était telle-
ment humide, qu'il ne fut pas possible do se couclier ni de dormir.
Les journées des 9 et 10 vinrent heureusement permettre de réparer cette
fatigue excessive. Pendant ces deux jours le'2« corps, établi partie à Médiglia,
partie à Sordio, demeura dans un repos absolu. On attendait, pour se porter
en avant, d'être exactement fixé sur la direction suivie par l'armée autrichienne
dans sa retraite, et particulièrement sur l'abandon de la ligne de l'Adda,
qu'on savait décidé par le feld-zeugmestre Gyulai. Le 10, on apprit que l'en-
nemi avait évacué Lodi et semblait vouloir se concentrer derrière le Mincio.
Le 11 , le 2* corps reçut l'ordre de se porter à Paullo, entre le Lambro et
l'Adda. Le mouvement commença à six heures du matin. Le régiment traversa
successivement Mulazzano, Cascina-Alberi, passa la petite rivière de la Muzza
et prit ses cantonnements avec le gros du corps d'armée. Le lendemain , il se
dirigea par Marzano, Comazzo, Carnegliano, où il repassa la Muzza, et Tru-
cazzano sur Âlbignano, où le bivouac fut établi. liO 13, à dix heures et demie
du matin, il franchit une troisième fois la Muzza sur un pont de pilotis con-
struit parle génie, et arriva un peu au-dessous de Casano, où s'eflectua le
passage de l'Adda sur le pont du chemin de fer, dont la première arche seule
avait été détruite; il prit ensuite la grande route de Brescia, qu'il quitta aux
portes de Treviglio, et, passant par Calvenzano, gagna Garavagglio. Le bi-
vouac fut établi devant une magnifique église surmontée d'un dôme élevé, du
haut duquel l'œil pouvait s'étendre sur les merveilleuses plaines des vallées de
l'Adda et du Serio. Le 14 , on franchit celte dernière rivière un peu au delà de
Mozzanica, et l'on alla camper à Autignate après être passé par Sola et Isso. La
marche du 15 nous conduisit au village d'Urago-d'Oglio. On s'attendait à trouver
rompu le pont sur l'Oglio, mais la tentative des Autrichiens pour le faire sauter
était restée sans résultat. On put, en revanche, constater de nombreux travaux
indiquant que l'ennemi avait eu un instant la pensée de défendre la ligne de
ce cours d'eau. Le soir, le bivouac de la brigade Lcfèvre fut établi en avant
d'Urago-d'Oglio, de façon à surveiller la route de Chiari. Le 16, on traversa
Chiari pour arriver à Castrezzalo, où tout le 2^ corps se trouva réuni. Le len-
demain, le régiment rejoignit la route de Brescia à Trevigliato; il la suivit
jusqu'à Roncadelli et vint camper entre ce village et celui d'Onzato. Le 18, il
descendit jusqu'à Castel-Nuovo pour y passer la Mella; il remonta ensuite
vers Aspes, y traversa la Garga et s'arrêta à San-Zeno, à quatre kilomètres
au sud-eat de Brescia, la seconde capitale de la Lombardie. Depuis Mêle-
gnano, l'ennemi n'avait été aperçu sur aucun point. Les nouvelles qui ou
arrivaient chaque jour étaient qu'il se retirait précipitamment sur la ligne du
Mincio, où devait avoir lieu sa concentration. Le 17, l'empereur d'Autriche
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[1859] EN ITALIE 19t
ôtait venu lui-même se mettre à la tète de ses troupes , avec le feld-ceugmestre
baron de Hess pour chef d'état-major géoéral, et les généraux comte Wimpffen
et comte Schlik comme lieutenants.
Les récompenses (décorations et médailles) décernées à la suite de la ba-
taille de Magenta étaient arrivées dans la journée du 18. Afin de faire de leur
distribution Tobjet d*une cérémonie imposante qui en relevât Tobjet aux yeux
de toute l'armée, une grande revue fut ordonnée pour le 19, à onze heures
et demie du matin. Le général de la Motterouge passa devant le front des
troupes de la 1>^ division, exprima à ces dernières combien il était heureux
de se trouver à leur tête, et posa sur la poitrine de quelques braves la dis-
tinction que leur avait valu leur belle conduite devant Tennemi. Sur dix croix
accordées au régiment de Tirailleurs algériens, le 3* bataillon en recevait six.
Était fait oflBcier de la Légion d'honneur :
M. Van Hoorick, chef de bataillon.
Etaient fait chevaliers :
MM. Dardenne , capitaine.
Louvet, lieutenant.
Dufour, sous-lieutenant.
Malte! , sergent-major.
Poulleau , sergent-fourrier.
Étaient décorés de la médaille militaire :
MM. Drot, sergent-fourrier.
MulalInli-bcn-Michcri , sergent.
Molianicd-bcn-Abdallali , caporal.
et trois Tirailleurs.
Le 20, le 2^ corps séjourna à San-Zeno. Le 21 , le régiment se dirigea, par
Borgo-Satello, vers le Campo-di-Monte-Chiaro, qu'il traversa disposé de façon
à pouvoir promptement former le carré dans le cas où la cavalerie autrichienne
serait venue l'inquiéter. Vers deux heures, il rejoignit la route de Monte-
Chiaro, et passa la Chicse sans difficulté sur un pont en bois incomplètement
détruit par l'ennemi et rapidement réparé. 11 alla ensuite s'établir sur la droite
de la route de Castiglione, dans une plaine couverte de champs de mais. Le
22 , il se porta à deux kilomètres au sud de Castiglione en passant par Novagli.
Ce jour-là, on apprit plusieurs mutations survenues dans le personnel des
oUicicrs par suite de promotions. En ce qui concernait le 3" bataillon, le capi-
taine de Saint- Pacr était nomme chef de bataillon au 15* de ligne (1*'' corps)
et remplacé par le capitaine Ilulot, du l^^ bataillon; le sous-lieutenant Dufour
était promu lieutenant et maintenu, et le sergent-major Athènes nommé
sous-lieutenant et placé au 1*' bataillon. Déjà, par décret du 17 mai, le lieu-
tenant-colonel Montfort avait été nommé colonel du 2* régiment de Tirailleurs
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19Î LB 3* RÉGIMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1859]
algériens et remplacé par M. Uermeot, Yeoant dos chefs de bataillon du 36* de
Le 23, on fit séjour. Dans la journée , de nombreuses reconnaissances de
cayalerie parcoururent la plaine dans la direction du Mincio, et s'accordèrent
à établir que l'ennemi occupait en force Solferinoi Cavriana, Guidizsolo et
Hedole, alors qu'on le croyait déjà retiré dans le quadrilatère Peschiera, Vé-
rone, Mantoue et Legnago. L'état-major français ne voulut cependant voir là
qu'un mouvement d'avant-postes , et les ordres pour la marche du lendemain
furent donnés comme si la rencontre des deux armées eût été la chose la plus
improbable. D faut s'empresser de reconnaître que l'empereur François-Joseph
n'était guère mieux inspiré en ne prescrivant le mouvement de ses troupes
que pour neuf heures du matin , et qu'il allait par ce retard permettre à nos
corps d'armée de prendre une avance considérable, et de détruire peu à peu
le désavantage dans lequel allait les placer l'initiative des corps autrichiens.
Le 24 , à trois heures du matin, l'armée entière se mit en mouveiuont sur
quatre colonnes, le l*** corps formant l'extrême gauche de la ligne, et le 3* l'ex-
trôme droite. Le 2* avait l'ordre de se porter à Cavriana. Il s'engagea sur la
route de Mantoue, et, vers cinq heures du matin, se heurta à la Casa-Morino.
La 2* division, qui formait tête de colonne, commença immédiatement l'at-
taque et s'empara de cette position, qui ne fut d'ailleurs que faiblement dé-
fendue. Ce premier succès ayant rendu le maréchal de Mac-Mahon maître do
toute la plaine, celui-ci put dès lors prendre les mesures que commandait la
gravité de la situation. La 2* division fut établie en avant de la position qu'elle
venait d'enlever et perpendiculairement à la route de Mantoue; la 1<^ appuya
sa gauche à cette route, et, inclinant sa droite vers Hedole, se forma par
bataillons en masse, la 1^ brigade en tête, et la 2* en réserve, en arrière d'un
pli de terrain où elle se trouva à l'abri du feu de Tartillerie ennemie.
Depuis déjà longtemps le maréchal Bara'guey-d'Ililliers (1^ corps) était
aux prises avec le v* corps autrichien, occupant les hauteurs de Solfcrino, et
l'armée surdc avec le vm«, du cAlé de Sau-Murliiio. C'était une bataille générale
qui s'engageait; pour la soutenir, l'ennemi précipitait la marche de ses ré-
serves; pour prendre l'oflensive, les Français attendaient l'arrivée de la garde,
qui, )Murtie de Monte-Chiaro, n'était encore qu'à CastigUone et se dirigeait en
toute hflte vers le point où l'on entendait le canon.
Cependant le 2« corps ne pouvait quitter sa position dans la plaine de Mo-
dèle, à cause du vide qui aurait existé entre sa droite et la gauche du 4*. 11
en était donc, pour le moment, réduit à la simple action de son artillerie, qui,
sous la direction du général Auger, couvrait de projectiles la route de Mantoue
par laquelle s'avançait le m» corps ennemi. Pendant cette canonnade, qui dura
environ deux heures et qui ne cessa que lorsque les batteries autrichiennes
eurent été complètement éteintes, le 45^, déployé à la hauteur de Hedole, ra-
massa environ six cents prisonniers provenant d'un régiment hongrois débordé
par une charge de notre cavalerie.
Vers onse heures, la division de cavalerie de la garde, sous les ordres du
général Morris, arriva à toute bride et se plaça immédiatement dans le vide
existant entre le 2* et le 4* corps; au même instant le maréchal de Hac-Mahon
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[1859] EN ITALIE 193
fut averti de la part du général Nie! que celui-ci était prôt à se porter en
avant pour protéger son mouvement sur Gavriana. Désormais sans inquiétude
sur sa droite, le maréchal ordonna au général de la Motterouge de s'avancer
d*abord dans la direction des hauteurs de Solferino pour appuyer l'attaque de
la division dos voltigeurs de la garde, puis de tourner à droite, de marcher
sur San-Cassiano et de s'en emparer. En conséquence, la brigade Lefbvre fit
aussitôt un changement de direction à gauche, et s'engagea en partie dans le
chemin creux qui conduit de Médole à Solferino, suivie par la 2* brigade, qui
se conforma exactement au même mouvement. Dès que la division entière eut
dépassé la gauche de la division Decaen,elle fit face à droite et se déploya
par bataillons en masse, les premiers échelons à environ quatre cents mètres
de San -Martine. A sa gauche, et sensiblement à la même hauteur, venait la
division des grenadiers de la garde (Mellinet); à sa droite, la 2* division, qui,
prenant sa gauche pour pivot, exécutait à son tour le mouvement qui devait
placer le 2* corps parallèlement à la ligne Solferino-Cavriana.
San-Cassiano avait été solidement occupé par les Autrichiens , dont les ré-
serves s'abritaient dans des ondulations formées par les mamelons au pied
desquels ce village se trouve bflti. Ces mamelons, qui portent le nom de mont
Fontana, se composent de trois pitons principaux, dont les arêtes, sensible-
inont parallèles, ont une direction nord-sud et constituent, par la disposition
de leur petit côté , une courbe assez prononcée, dont la convexité est tournée
vers la plaine de Guidizzolo. L'ennemi avait admirablement tiré parti de cette
ligne de défense en y élevant des ouvrages de campagne et en la garnissant
d'une nombreuse artillerie.
Il était à peu près deux heures lorsque le maréchal de Mac-Mahon donna
le signal de l'assaut; aussitôt le régiment de Tirailleurs, ayant à sa tète le
général Lefèvre, s'élança sur San-Cassiano. L'attaque devait être exécutée par
les 2* et 3® bataillons; le l^'' venait en soutien. A la tête du 3* bataillon se
trouvait le capitaine Munier, qui , en qualité de plus ancien , en avait pris le
commandement depuis le départ de M. de Saint-Paêr, qui lui-même avait
remplacé le commandant Van Hoorick, blessé à Magenta. En avant du front
du régiment, et donnant l'exemple du plus noble courage, marchaient le co-
lonel Laure et le lieutenant-colonel Herment.
Excités par une inaction de plusieurs heures, jaloux des lauriers que, sur
la gaucho, les troupes do la garde et du l^^*" corps cueillaient à l'attaque de
Solferino, les Tirailleurs se jetèrent sur lo village avec une ardeur furieuse
à laquelle les Autrichiens tentèrent en vain de résister. En un instant San-
Cassiano fut en notre pouvoir, et, poursuivant son succès, le régiment se
porta en avant de cette localité en suivant une direction à peu près parallèle
à la route passant au pied du mont Fontana. Pendant ce temps le 45* s'était
dirigé sur la ferme dite Malpetti , située à droite et à environ cinq cents mètres
de San-Cassiano, s'en était emparé et, avec le concours d'une compagnie de
Tirailleurs, y avait fait une centaine de prisonniers.
Grftce à la vigueur avec laquelle il avait été mené, ce premier assaut n'avait
pas été trop meurtrier. Au 3* bataillon , les capitaines Munier et Quinemant
avaient cependant eu leurs chevaux tués , et plusieurs hommes étaient déjà
13
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194 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1859]
horfl de comtNit; mais ce n'était là que le prélude de la lutte véritable, que
le premier épisode do cette rude journée. L'ennemi s'était replié sur les hau-
teurs du mont Fontana, et ç'allait être à tout le corps d*armée du feld-maré-
chal-lieutenant Clam-Gallas que la 1^* brigade allait bientôt se heurter.
Nous avons dit que cette position avait été solidement occupée; elle venait
d'être encore renforcée, et se trouvait maintenant défendue par dix régiments.
C'était sur la conservation de ce point que l'empereur d'Autriche comptait
pour rétablir le combat, fortement compromis pour lui par la prise de Sulfe-
rino, et menacer le centre do l'armée française, pendant qu'une vigoureuse
attaque dirigée sur la droite de celte dernière rejetterait en désordro les 3"* et
4* corps dans la direction de Castel-Goffredo. Depuis dix heures du matin,
François-Joseph s'était de sa personne transporté à Cavriaûa et excitait par sa
présence le courage de ses soldats et l'émulation de ses officiers.
Mais on ne laissa pas aux Autrichiens le temps de combiner les mouve-
ments de leur centre avec ceux de leur gauche. A peine San-Cassiano fut- il
en notre pouvoir, que la colonne du général Lefèvre s'élança sur le premier
contrefort du mont Fontana. Cette vigoureuse initiative était due en partie au
capitaine Munier. Cet officier, avec un sang-froid et une habileté rares, avait
rapidement rallié son bataillon, et, sans perdre le bénéfice du premier élan,
s'était précipité à sa tête sur la redoutable position qu'il avait devant lui , suivi
de près parles deux autres bataillons, qui s'étaient immédiatement conformés
à ce mouvement, auquel présidait le colonel Laure, qui fut mortellement
atteint au moment où, se portant en avant du son héroïque régiment, il
indiquait lui-même la direction que devait suivre l'attaque.
En voyant tomber leur chef, qu'ils adoraient parce qu'ils le reconnaissaient
comme le plus brave, les Tirailleurs poussèrent un long cri de fureur, et ce
ne fut plus le choc d'une troupe, mais le tourbillon impétueux d'un ouragan
qui s'abattit sur les Autrichiens. En vain ces derniers essayèrent- ils de pro-
fiter de l'avantage que leur donnaient le nombre et la disposition du ter-
rain, ils furent renversés, culbutés, refoulés et délogés du premier mamelon,
sur lequel le ianion du 3* bataillon fut immédiatoaicnl piaulé. A ce moment
le 45^ s'élançait de son côté sur le second mamelon , mais se voyait repoussé
par des forces considérables.
Il était près de trois heures; Napoléon III venait d'arriver sur ce point du
champ de bataille, et, jugeant toute la gravité que prenait la situation, il avait
fait avancer, en soutien des Tirailleurs, deux bataillons du l*** régiment de
grenadiers de la garde, sous les ordres du colonel de Brelteville. Déjà une
batterie de ce corps était accourue en toute hflte, s'était établie un peu en
arrière du premier mamelon , et , dirigée d'abord par le général de Sévelinges,
puis par le général Lebœuf en personne, foudroyait les masses autrichiennes
à mesure que celles-ci débouchaient pour assaillir le régiment de Tirailleurs,
qui s'était logé dans la première redoute et s*y maintenait victorieuse-
ment.
Cependant il s'agissait d'enlever le deuxième mamelon, celui contre le-
quel le 4S<> avait échoué et sur lequel se trouvaient concentrés les moyens de
résistance do l'ennemi. Une fois ce dernier point en noire pouvoir , le suivant
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[1859] EN ITALIE 195
tombait de lui-même, et c'en était fait de toute la ligne de Cavriana : le centre
des Autrichiens était enfoncé, leur armée coupée en deux tronçons.
Dès qu'il se vit appuyé, le généra] Lefèvre rallia les débris de sa brigade,
et, plaçant encore les Tirailleurs en première ligne, se précipita, à la tête de
ses deux braves régiments, contre la redoutable position, sur laquelle allait,
en quelques instants et sous les yeux des deux empereurs, se dénouer la der-
nière chance de la grande partie engagée. Cet effort fut peut-être encore plus
héroïque que le premier; on allait s'établir dans l'ouvrage; déjà l'ennemi,
surpris par cette audace qu'animait une indomptable furie, se relirait en dé-
sordre sur ses réserves, lorsque, s'apercevant de notre petit noiiibre, il revint
à la charge, nous déborda de toutes parts, et, combattant avec une opiniâtreté
sans égale , reprit peu à peu le terrain qu'il avait perdu.
A ce moment arriva le 72», commandé par le colonel Gastex, l'ancien
lieutenant-colonel du 3^ Tirailleurs. Il n'y eut qu'une seule voix pour répéter
le cri de : a En avant I 9 la charge reprit sur toute la ligne ; le colonel Gastex fit
déployer son drapeau, autour duquel se groupèrent indifféremment les combat-
tants des trois régiments; et un nouvel assaut, ardent, impétueux, irrésis-
tible, délogea une deuxième fois les Autrichiens. Mais une deuxième fois
ceux-ci reçurent des réserves, une deuxième fois nos valeureux soldats furent
ramenés en arrière, une deuxième fois la force eut raison de l'héroïsme.
Il fallait en finir; la 2» brigade, jusque-là maintenue en réserve, sur l'ordre
formel du maréchal de Mac-Mahon, afin de se relier à la division Decaen,
venait enfin d'être relevée par une brigade de la garde (Niol) , et de se porter
en soutien de la première , qui , ralliée par son intrépide chef, ne s'aperce-
vait pas des vides considérables qui existaient dans ses rangs, et ne deman-
dait (|irt\ recommencer la lutte. Le général do la Molterougo accourut, forma
une nouvelle colonne d'attaque comprenant : les Tirailleurs algériens, lo45<>,
le l'I^ et le 70<^, et la lança sur la position si longtemps disputée, pendant
que, se plaçant à la tête de deux bataillons du 65®, il se précipitait lui-même
sur le troisième et dernier mamelon.
Pendant un instant , ce point du combat ne fut qu'un chaos indescriptible,
duquel s'élevaient les longs déchirements de la fusillade, les retentissements
formidables de l'artillerie, le son strident des clairons, les cris, les hourras,
les imprécations des combattants ; puis ce bruit épouvantable s'éloigna peu à
peu , devint moins intense, moins sourd, et enfin ne tarda pas à se perdre en
échos courus* dans la direction de Cavriana. Un instant après, on voyait le
drapeau tricolore flotter victorieusement sur toutes les hauteurs du mont
Fontana ; la bataille de Solferino était définitivement perdue par les Autri-
chiens.
Itien n'avait pu résistera la vigueur indicible de nos bataillons; le général
Lefèvre d'un côté, le général de la Mottcrouge de l'autre, avaient pénétré
dans les tranchées ennemies , en avaient délogé les défenseurs et poursui-
vaient maintenant les fuyards, qui se retiraient sur Cavriana.
Dans ce dernier assaut, les Tirailleurs avaient été admirables; jamais peut-
être leur bravoure ne s'était révélée plus grande, plus soutenue, plus opi-
niâtre, plus irrésistible. Après leur colonel, ils avaient vu tomber leur lieu-
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196
LE 3* nÉGIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1859]
tenant-colonel, qui, non moins brave et non moins aimé que le premier, fut
non moins regretté et non moins glorieusement vengé. Sous l'énergique im-
pulsion du capitaine Munier, le 3« bataillon avait encore fait des prodiges.
C^était à lui que revenaient les honneurs de la journée; mais c'était aussi dans
ses rangs que la mort avait foit la plus ample moisson d'officiers et de sol-
daU.
Pendant que le 2* corps, avec une vigueur et une ténacité remarquables,
s'établissait ainsi sur la position de San-Cassiano et du montFontana, la lutte
engagée sur les hauteurs de Solferino avait suivi son cours. Là aussi le
succès avait pleinement couronné nos efforts, et la brigade Manèque (volti-
geurs de la garde) , renforcée du bataillon de chasseurs à pied du comman-
dant Clinchant , après avoir enlevé le mont Sarco , s'était avancée vers
Cavriana pour donner la main à la division do la Molterouge; ello arrivait
à hauteur de cette dernière juste au moment où celle-ci se rendait définiti-
vement maîtresse des derniers mamelons. Il était trois heures et demie; Ca-
vriana restait le dernier point à enlever pour que la séparation des deux ailes
de l'armée autrichienne fût un fait accompli. A ce même moment, le régi-
ment de Tirailleurs venait d'être rallié, et formait alors comme le prolonge-
ment des troupes de la garde. Ces trois corps infatigables, voltigeurs, chas-
seurs et Tirailleurs, si dignes de marcher l'un à côté de l'autre, se portèrent
résolument en avant et pénétrèrent en même temps dans Tintérieur do Ca-
vriana. La dernière résistance de l'ennemi se trouva immédiatement brisée.
Ne pouvant plus espérer forcer notre droite, les Autrichiens se mirent en
retraite sur le Mincio, et cherchèrent à gagner le pont de Valeggio, sous la pro-
tection de leur vu* corps (Zobel ), qui, arrivé trop tard pour prendre part à la
lutte , s'était établi à l'est de Giudizzolo. La poursuite fut brusquement inter-
rompue par un orage épouvantable qui se décbaîna sur les deux armées ; elle
reprit ensuite; mais à la faveur de ce contre- temps l'ennemi avait échappé à
nos colonnes victorieuses, et s'était assuré le passage du Mincio.
Le régiment do Tirailleurs bivouaqua sur le terrain qu*il avait conquis en
arrière de Cavriana. Ses pertes avaient été sensibles, notamment pour le
3« bataillon, qui à lui seul comptait un nombre de tués et de blessés aussi
élevé que celui des deux autres bataillons réunis. Voici du reste ci-dessous,
en regard des pertes totales du régiment, celles de ce bataillon en parti-
culier :
Officiers
Troupe
HKGIMBNT
tués
7
blessés ....
21
tués. .....
blessés ....
70
288
^ disiMiruB. . . .
31
Totaux. . . .
417
3" BITIILLON
3
12
31
13i)
18
203
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[1859] EN ITALIE
Les officiers tués étaient :
MM. de Boyne,
lieutenant.
Larbi-ben-Lagdar,
lieutenant indigène.
do Foy ,
sous -lieutenant.
Étaient blessés :
MM. de Pontécottlant,
capitaine.
de Montvaillant,
lieutenant.
Sono,
d»
Louvet,
do
Bouguès,
do
Mohamed- ben-Kacem ,
lieutenant indigène.
Messaoued - ben - Ahmed ,
do
Mohamed -Bounep,
do
Barbier,
sous-lieutenant.
Yaya- ben-Simo , sont
1- lieutenant indigène.
Kaccm-Labougic,
do
Saïd-bcn-Amor,
do
197
M. Barbier avait eu la cuisse fracassée pendant la première retraite. Deux
fois il avait vu les Autrichiens lui passer sur le corps; ceux-ci Tavaient dé-
pouillé de quelques objets de valeur qu'il portait sur lui, lui avaient enlevé
son pistolet et l'avaient laissé là, où quelques instants après ses hommes
l'avaient retrouvé.
La page que les Tirailleurs venaient de se graver à Solforino est restée et
restera Tune des plus belles parmi tant d*autres déjà bien glorieuses dont se
compose leur histoire. Dans cette rude journée, où la bravoure fit autant,
sinon plus, que la science militaire, ils provoquèrent l'admiration de toute
Parmée en se montrant non seulement Tincomparable troupe de choc qu'ils
avaient toujours été, mais encore d'opiniâtres défenseurs du terrain conquis,
d'infatigables combattants toujours prêts à recommencer la lutte, en un mot
en faisant preuve des plus précieuses qualités qui distinguent une troupe
d*élite , aussi bien dans la défense que dans l'attaque.
Le capitaine Munier, qui s'était révélé comme un officier do grand sang^
froid et de haute capacité militaire, reçut du maréchal de Mac-Mahon les
éloges les plus flatteurs pour sa belle conduite et celle de son bataillon, et
quelques jours après trouva la récompense de sa bravoure dans l'épaulette
de chef de bataillon.
La journée du 25 se passa à inhumer les morts. Le 2o corps et la garde res-
tèrent à Cavriana, où avait été établi le quartier général de l'armée; les autres
fractions se rapprochèrent du Mincio. L'ennemi avait passé cette rivière et
s'était retiré dans le fameux quadrilatère.
Ce même jour, un décret Impérial nommait le lieutenant-colonel Butet^ du
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198 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l859l
l^** rAginionl Alrongor, au coiiiiimniloinciil du ré({iinciil do TiraillcurB ulgé-
riens, en remplacement du colonel Laure, tué à l'ennemi. Le lieutenant-
colonel Gibon, du 70«, était en même temps désigné pour succéder à M. Her-
ment, et M. Quinemant, capitaine au 3<> bataillon, pour être adjudant-major
au l^i* bataillon.
Le 26 , le 2^ corps quitta Gavriana pour se rapprocher à son tour du Mincie.
Le régiment leva son bivouac à quatre heures et demie du matin et s'engagea
sur la route de Solferino à Monzambano. Au moment du départ, l'air fut
tout à coup ébranlé par une explosion Tormidable , et une fumée noire s'éleva
au-dessus de Goîto. G'était l'ennemi qui, en se retirant, avait fait sauter le
pont sur lequel on franchissait le Mincie. La marche se continua jusqu'à
Gampagnano ; Ih les troupes prirent à gauche et se dirigèrent sur Gastellaro ,
où l'on devait séjourner jusqu'au 30 juin.
Les Autrichiens , ne considérant plus le quadrilatère et la barrière du Mincie
comme une protection suffisante, s'étaient retirés derrière l'Adige, et garnis-
saient la rive gauche de ce cours d'eau depuis Vérone jusqu'à Legnago. Le
!•' juillet, l'armée alliée reprit son mouvement en avant. Le ifi corps passa
sans difficulté le Mincio à Monzambano, sur un pont de bateaux établi par le
génie, et, après dix heures de marche, vint s'établir sur les hauteurs de
Santa-Lucia. Le lendemain, le régiment de Tirailleurs se remettait en route
à quatre heures du matin, traversait Villafranca, et allait prendre position à
un kilomètre plus loin, sur la ligne du chemin de fer de Vérone, où il ne de-
vait rester que quelques heures. Dans la nuit, il reçut en eirct de nouveaux
ordres et se reporta en arrière pour venir occuper les positions de Monte-Mag-
giore, près de Santa -Lucia et à peu de distance du point où il avait campé la
veille. On s'attendait chaque jour à une bataille devant Vérone; le 7 juillet,
toutes les dispositions étaient prises ; l'armée française tout entière était rangée
sur la ligne deGastelnuovo-Valeggio, prête à faire face à une attaque, qui,
d'après les derniers mouvements de l'ennemi , semblait devoir se porter sur
sa gauche. Mais il n'en fut rien; Solferino devait être la dernière lutte de
cette campagne. Le 8 juillet, un armistice fut conclu entre les trois puissances
belligérantes, et, le 11 , les préliminaires de la paix ayant été signés à Villa-
franca, les troupes apprirent tout à coup que leur rôle était terminé.
Ce fut le B juillet que le régiment reçut les décorations et connut les nomi-
nations que lui valait la bataille du 24 juin. Au 3<' bataillon, le lieutenant do
Montvaillant était nommé capitaine et fait chevalier de la Légion d'honneur ;
les sous-lieutenants Robillard et Bouguès étaient nommés lieutenants; le sous-
lieutenant Barbier, amputé, recevait la croix, ainsi que le sergent Isarn; les
sergents- majors Matleî et Oriot étaient promus sous -lieu tenants. Quelque
temps après, le capitaine de Pontécoulant fut nommé officier de la Légion
d'honneur, l'adjudant de Busserolle fait chevalier, et l'adjudant de Sambœuf
promu sous- lieutenant. Enfin plusieurs sous- officiers et soldats , entre autres
les sergents- majors d'IIélie et Mazué, reçurent la médaille militaire.
Le 15 juillet, l'armée française commença son mouvement en arrière. Le
régiment quitta Santa-Lucia et se dirigea d'abord sur Brescia, puis sur Ron-
cadello, où il arriva le 18. Il séjourna dans cette ville jusqu'au 25 et se rendit
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[1859] EN ITALIE 190
cnfluito à Milan, ft qui il dit bientôt adieu, ainsi qu*& toiito Htalie, pour
prendre la route du mont Genis et revenir en France. Le 5 août, il arrivait &
Paris par les voies ferrées et allait s'installer au camp de Saint-Maur.
Ce voyage des Tirailleurs avait pour but de leur faire prendre leur rang
dans rentrée triomphale dans la capitale des troupes de l'armée d'Italie. Cette
grande fête militaire était fixée au 14 août. En attendant ce jour, la curiosité
qu'ils excitaient attirait la foule des Parisiens dans leur camp; tout le monde
voulait voir ces soldats sur lesquels couraient les histoires les plus invraisem-
blables, les légendes les plus fantastiques. On ne se figurait les iureos que
comme des êtres extraordinaires; certaines gens s'attendaient à se trouver en
présence de guerriers sauvages aux allures bizarres , au tempérament sangui-
naire, et portant sur leur visage l'empreinte d'une effrayante férocité ; d'autres
se demandaient s'il était très prudent de les aborder sans s'être, au préalable,
assuré qu'ils avaient bien déjeuné. Aussi Tétonnement fut-il général lors-
qu'on vit des hommes qui, & part leur teint un peu plus bronzé, ressera--
blaient à tous les autres, mangeaient et buvaient de la même façon et se
montniientavec tous doux, calmes, placides et bons enfants. Et l'on avait alors
peine à croire que ce fût là cette troupe terrible dont on disait tant de choses
merveilleuses, dont la fureur dans le combat ne connaissait point d'obstacle,
dont l'étonnante bravoure avait déconcerté les colonnes russes à la gorge de
Malakoiï et fait reculer les masses autrichiennes sur les hauteurs du mont
Fontana.
Ce fut une solennité bien imposante , bien patriotique, bien faite pour faire
vibrer toutes les cordes de l'enthousiasme national , que celle du défilé dans
Paris, et devant une population venue de tous les coins de la France, des
braves régiments dont les drapeaux allaient désormais porter les deux nou-
veaux noms de Magenta et de Soircrino. Do tous ces corps, Tun des plus fêtés,
des plus acclamés, fut celui des Tirailleurs algériens; de toutes parts des cris^
des vivats, des bouquets, de fraternelles poignées de main dirent à ces fiers
Algériens, qui avaient si vaillamment combattu pour une nouvelle patrie dont
jusque-là ils n'avaient connu que le nom, combien notre pays leur en était
reconnaissant et quelles légitimes espérances il fondait sur eux pour l'avenir.
liC 13 août, un décret impérial était venu prononcer la dissolution du régi-
ment provisoire de Tirailleurs algériens. Les officiers qui en faisaient partie
étaient mis provisoirement en non -activité par suite de licenciement, et re-
placés dans les trois régiments de Tirailleurs. Ce même décret portait que ces
derniers seraient réorganisés sur le pied de sept compagnies par bataillon, au
lieu de six précédemment existant.
En exécution des prescriptions ci -dessus, chaque bataillon devait immé-
diatement regagner le siège de son régiment. Le 18 , les trois bataillons quit-
tèrent Paris en chemin de fer, et le lendemain arrivèrent à Toulon, où, le
même jour, le 3« fut embarqué pour Philippeville. Le 3 septembre, ce dernier
rentrait à Constantine, où il recevait le plus sympathique accueil de la part
de la population européenne et indigène, et reprenait sa place au sein du
3« régiment , dont il venait d'enrichir les annales d'une page à jamais mémo-
rable qu'il avait généreusement payée avec son sang. Nulle troupe n'avait en
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260
200 LE 3* RÉGIUBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ITALIE [1859]
effet moins marchandé le sien , et les chiffres ci -dessous ont trop d'éloquence
pour que nous insistions sur la part de gloire qui revient à notre beau et brave
régiment dans la courte et brillante campagne d'Italie.
Les deux seules journées de Magenta et de Solferino coûtaient au 3* Ti-
railleurs:
Tués.
Officiers 3
Troupe 40
Blessés.
Officiers 16
Troupe . • 201
Il avait eu le quart de son effectif mobilisé hors de combat, proportion
considérable si Ton tient compte du peu de durée de la guerre.
Pour en finir avec les événements se rapportant à cette campagne, il nous
reste à parler de la création d'un 2^ régiment provisoire de Tirailleurs algé-
riens, qui, d'après un décret du 13 juin, devait, comme le premier, se com-
poser de trois bataillons pris chacun dans l'un des trois régiments. Seulement ,
au lieu do prélever ce bataillon sur ronsuiublo du corps, (U)minû celui précé-
domuieat constitué, c'était Tua des bataillons existant, avec ses cadres dans
l'état où ils se trouvaient, son effectif, sa composition propre, qui devait être
désigné. De ce qui allait rester en Algérie dans chaque province, on devait
ensuite former deux bataillons à sept compagnies.
On s'occupa immédiatement de Torganisation de ce nouveau corps, dont le
commandement était confié au lieutenant-colonel Wolff; mais la concluttion
de la paix n'ayant pas tardé à avoir lieu, un décret du 20 juillet vint en pro-
noncer la dissolution avant que ses divers éléments eussent été réunis. On se
contenta, après la bataille de Solferino, pour le 3«* régiment du moins, de
former un détachement comprenant quatre-vingt-quatre hommes de bonne
volonté, sous les ordres du lieutenant Moktar-ben-Youssef, et de l'envoyer
comme renfort au 3* bataillon du l*** régiment provisoire en Italie. Ce détache-
ment s'embarqua à Philippeville le 6 juillet, et fiit aussitôt dirigé sur sa nou-
velle destination. Il rentra ensuite à Gonstantine avec les autres Tirailleurs
de la province.
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CHAPITRE V
(1859-1863)
(1859) Opérations en Algérie. — Golonne des Oaled-Asker. — Réorganisation du régi-
ment après le licenciement du 3« bataillon du régiment provisoire. — Golonne de
Test. — Attaque des smalas do la compagnie de Souk-Arras par un parti do Tunisiens.
— ( 1860) Golonne du Hodna. — Expédition de la Kabylie orientale. — (1861) Gompo-
sition des cadres du régiment apr^s la formation des 7« compagnies. — Envoi d'une
compagnie au Sénégal. — Nouvelles dispositions concernant le rccrutomo.nt. —Départ
de deux compagnies pour la Cocliinchino. — (1862) Formation d*un liataillon do
mnrclio destiné k rcxpédition du Mcxiiiue. — Opérations oontro les Khroumirs, sur
les frontières do la Tunisie. — Emplacements des bataillons à la date du 31 dé-
cembre 1863.
La campagne d'Italie devait être, pour le régiment, le dernier épisode de
cette grande épopée qui, depuis vingt ans, c'est-à-dire depuis la formation
du bataillon de Tirailleurs de Gonslantine, 8*était déroulée sans interruption ,
embrassant dan& son ensemble la période la plus difficile de la conquête de
PAIgérie et ces deux grandes luttes en Europe, qui semblaient avoir ressuscité
Tépoque héroïque des grands faits militaires du commencement de ce siècle.
Durant ces vingt années, ce corps n'avait pas cessé de vivre au sein de la
guerre, qui était devenue son seul élément; tour à tour au fond des montagnes
de la Kabylie, au milieu des sables du désert, sur le plateau désolé du Cher-
sonèse et dans les riches plaines du Piémont , partout on l'avait vu au pre-
mier rang, ardent, infatigable, prêt à tous les efforts, capable de tous les
dévouements, affirmant chaque jour sa valeur désormais proverbiale et ses
solides qualités , se signalant à chaque instant par sa fidélité , son abnéga-
tion , sa vigueur, sa rigoureuse discipline et son mépris du danger. Se battre
aujourd'hui, recommencer demain, ne pas laisser se tirer un coup de fusil
sans être là, telle aurait pu être sa devise et telle elle demeurait encore; car
s'il allait enfîn connaître un repos qu'il n'avait jamais demandé , les événe-
ments seuls allaient le lui imposer. Oui , c'était bien malgré lui qu'il allait
maintenant être condamné à la vie sédentaire des garnisons , à la monotonie
du tableau de service journalier, à la tâche ingrate de la garde d'une quan-
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202 LE 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [i859]
tité innombrable de petits postes distribués sur tout le territoire de la pro-
vince , & cette inactivité plus lourde que les plus dures fatigues, parce qu'elle
était sans compensations, parce qu'elle ne s'accordait plus avec les habitudes
de ces hommes, qui depuis si longtemps ne vivaient qu'au milieu des dan-
gers. Il devait bien encore prendre part & des colonnes périodiques dirigées
dans les régions où, pour y être maintenue, notre autorité avait, à certaines
époques de l'année, besoin d'être appuyée par des démonstrations armées;
mais ces dernières, à part celles de la Kabylie orientale en 1860, et du Ilodna
en 1864, n'allaient jamais lui demander qu'une partie insignifiante de ses
forces et ne devaient plus être marquées que par des actions sans impor-
tance, de légers combats, où nous allions presque toujours avoir l'avan-
tage du nombre et, par suite, la certitude du succès. N'ayant plus, en effet,
pour s'exalter et se soutenir, ni le fanatisme religieux des premiers jours
de la conquête, ni Thorreur qu'inspirait alors le Roimi, la résistance des
indigènes ne devait plus se traduire, du moins jusqu'à la grande insurrec-
tion de 1871 , que par des efforts décousus, facilement vaincus et timidement
renouvelés.
Cependant , si la portion principale du 3® Tirailleurs ne devait plus qu'à
de longs intervalles se retremper dans les émotions enivrantes de la lutte,
quelques fractions , quelques compagnies , comme pour no pas laisser s'éteindre
cet ardent amour de l'imprévu , qui attirait dans les rang de cette troupe les
teuipéranieiits les plus aventureux, allaient encore guerroyer dans do kiin-
taines contrées, au Sénégal, en Cochinchine,au Mexique, et montrer presque en
même temps à trois des cinq parties du monde cet uniforme bleu, désormais
inséparable de toute expédition entreprise sous les auspices du drapeau fran-
çais. De belles pages devaient encore venir s'ajouter à celles de la glorieuse
époque que nous venons de raconter et couronner d'une façon inattaquable
la réputation toujours grandissante de cet admirable régiment.
Nous avons laissé les bataillons restés en Algérie au moment où celui des-
tiné à concourir à la formation du régiment provisoire s'embarquait pour l'Ita-
lie. De ce jour, et jusqu'à la rentrée de ce dernier, tous les regards furent
tournés vers le tliéûtre de ses exploits, tout le monde aurait voulu le suivre
et partager ses lauriers. La paix arriva; il fallut renoncer à cet espoir.
Pendant ce temps, les opérations militaires s'étaient bornées dans la province
à l'envoi d'une colonne d'observation en Kabylie.
Il s'agissait de calmer une certaine agitation qui régnait au sein des Ou-
led-Asker, dans le Zouagha. Le 28 juin, le général Lefèvre quitta Constan-
tine à la tête de quelques troupes, dont deux compagnies et demie du régi-
ment (1^* et S* dul^i* bataillon et une section de la 6*), sous les ordres du lieu-
tenant-colonel Colin, et se dirigea sur FelJj-Bemem, où il arriva en trois
jours, en passant par Hilah et Djelamah. Il établit son camp un peu à l'ouest
du feldj, au pied du Djebel -Arhès, dans un endroit largement pourvu d'eau,
de bois et de fourrage, et attendit là jusqu'au!) juillet. Tout étant alors rentré
dans l'ordre, et les populations dissidentes ayant donné des garanties de leur
soumission, il se remit en route pour Constantine, où il fut de retour le 9.
Le 21 septembre, eut lieu la réorganisation du régiment conformément aux
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[i859] EN ALGÉRIE 203
noavellcs dispositions contenues dans le décret du 13 août. Les homnies pro-
venant du régiment provisoire furent réincorporés, un nouveau tiercement
détermina les cadres des trois bataillons , et une 7« compagnie fut créée dans
chacun de ces derniers. Celles appartenant nu bataillon licencié reprirent leur
place et leur numéro dans les bataillons dont elles avaient précédemment fait
partie.
Le 2 octobre, une colonne, sous les ordres du général Périgot, quitta BAne
pour parcourir, ainsi qu*on le faisait chaque année, la frontière de Test de la
province, pour faire rentrer les impôts et empêcher les tentatives d'empiéte-
ment que quelques fractions des tribus tunisiennes étaient toujours prêtes à
commettre dès que notre vigilance se trouvait un instant en défaut. Le 3* ba-
taillon du régiment , à Texception de la 7* compagnie encore en voie d'or-
ganisation h Constantino, et d*une partie des 2^ et 3® détachées à Souk-Arras
et la Galle, prit part à cette expédition , sous la direction de son chef, le com-
mandant Cottret. La colonne se dirigea d*abord sur la Galle en marchant pa-
rallèlement à la côte et en passant par Dafar-Mohallad, sur la Mafrag, Aîn-
Oum, Ghelik et Teniot-Ellil ; elle redescendit ensuite vers le sud en serrant de
très près la frontière et en visitant successivement El-Aîoun , Roumol-Soug ,
Mexna , A?n-Kebir, points relativement importants occupés, les deux premiers
par un poslc de Tirailleurs fourni par la compagnie de la Galle, le dernier
par un détachement de spahis; Medjez-Delabi , Bou-Hadjar, Elma-el-Amar,
où Ton trouva d'importantes ruines romaines; Sidi-Ali-el-Amissi, possédant
d'autres ruines non moins importantes, qu'on supposa être celles de l'an-
cienne ville de Zamma; Sidi-Youssef, et Oued-Zerga ; puis elle tourna à l'ouest,
atteignit Souk-Arras le 28 octobre, et rentra à Bêne le 31 , n'ayant pas eu
un seul engagement pendant tout le cours de ses opérations.
Il y avait, en revanche , h peine quelques jours que les troupes du général
rérigot élaicnt rentrées dans leurs garnisons, que deux postes de la 2® com-
pagnie du 3® bataillon (capitaine Deaumelle), détachée à Souk-Arras, étaient
brusquement attaqués.
Nous avons dit plus haut que certains détachements avaient la faculté de
vivre en smala ; il en était ainsi pour la compagnie de Souk-Arras. Gette der-
nière était donc répartie sur tout le territoire qu'elle avait mission de garder,
et les hommes employaient le temps que leur laissait le service à la culture
des terres dont la jouissance leur avait été concédée. Jusque-là la tranquillité
du pays leur avait permis de vaquer en toute sécurité à leurs occupations ,
et aucun incident n'était encore venu faire ressortir les inconvénients de cette
dispersion. Les tribus de la Régence se permettaient bien quelques incur-
sions; mais elles' se contentaient généralement de tomber sur les fractions
les plus faibles, de les dépouiller, de s'installer à la rigueur sur leur sol, pour
fuir ensuite au premier signal annonçant l'apparition d'un uniforme français.
Le 4 décembre , les Tirailleurs des 3° et V smalas se disposaient à com-
mencer leurs lal)ours sur des terrains voisins do la frontière, lorsqu'ils furent
tout à coup assaillis par les Drahouza , fraction de l'importante tribu tuni-
sienne des Ouagha. Quoique surpris par cette subite agression, les Tirailleurs
firent bravement face à leurs ennemis et les repoussèrent vigoureusement,
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204 LE 3® RÉOIlfBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [I8GO]
leur tuant un bonimo, lour on blossant deux et leur fuiBant un prisonnier.
Us eurent eux-mêmes un homme tué.
Mises désormais en garde contre des entreprises de ce genre, ces deux
smalas redoublèrent de vigilance, sans cependant abandonner leurs tra-
vaux. Bien leur en prit; le 7 décembre, les hommes de la 3« smala furent
encore soudainement attaqués par des bandes beaucoup plus considérables
que la première fois. Hais, grftce au concours du cheik des Haddada, qui
accourut immédiatement à son secours, cette smala eut encore raison des
Tunisiens, qui s'enfuirent cette fois pour ne plus revenir, après avoir tué un
Tirailleur et avoir eux-mêmes subi des pertes assez sérieuses.
Dans ces deux affaires, les Tirailleurs avaient fait preuve de la plus grande
vigueur, et tous avaient fait leur devoir. Il on fut cependant qui, par leur
sang- froid, leur courage et leur dévouement , méritèrent d'être plus particu-
lièrement signalés. Parmi ces derniers se trouvaient Abdallah-bcn-Sineîda,
fonctionnaire caporal, chef de la 4* smala; Lafsi-ben-Nasseur; Ahuicd-
ben-el-Aresqui, de la même smala; Mohamed- bel -Achi et Mohamed -ben-
Abdallah, de la 3* smala.
Dans le commencement de l'année 1860, un nommé Mohamed-ben-Bou-
Keutach parut dans le Hodna, et, se faisant passer pour chérif, chercha à
exploiter la crédulité des populations de cette contrée. Le colonel Pein com-
mandait alors à Batna ; il voulut exiger qu'on lui livrftt ce fomcntcur de
troubles; mais les tribus au sein desquelles se trouvait Mohamed -ben-Bou-
Keutach , au lieu d'obéir & cette injonction, se préparèrent à défendre ce per-
sonnage les armes à la main. Le 19 mars , on fut mùiiio prévenu à Biskra
qu'un soulèvement considérable s'organisait en faveur du faux chérif.
Dès qu'il eut connaissance de ces nouvelles, le colonel Pein se mil à la tête
de la garnison de Batna, dont faisait partie la 6* compagnie du l*** bataillon
(capitaine de Montvaillant), atteignit les rebelles dans les montagnes du Bou-
Thabeb , foyer de l'insurrection , et les attaqua le 25 , conjointement avec le
général Desmaretx venu de Sétif. Pris entre les clotix culoiiiics, les parliaitns
de Bou-Keutach furent en grande partie tués , disperses ou pris. Parmi ceux
qui tombèrent entre nos mains, se trouvait le faux chérif lui-même. Cette
importante capture mit fin à l'insurrection , et les troupes se remirent en
route pour leurs garnisons respectives. Celles de Batna rentrèrent dans ce poste
le 3 mai , après avoir parcouru une partie du Belezma.
En même temps que cette agitation se produisait dans le Hodna , la Kabylie
elle-même, et particulièrement le pays traversé par rOued-el-Kebir, subis-
sait également les influences d*un soufiÈle insurrectionnel, qui menaçait d'agiter
fortement quelques tribus, notamment les Ouled-Askcr, les Bcni-Khetlab et
les Beni-Ider. Hais avant que la révolte se fût ouvertement déclarée par des
hostilités, le général Desvaux, commandant la province, avait déjà pris toutes
ses dispositions pour l'étouffer. Vers la fin du mois de mai , deux colonnes
importantes furent subitement organisées : la première, comprenant trois
brigades , prit le nom de colonne expédilionnaivc de la Ktibylic oêimlale, et
resta sous les ordres directs du général Desvaux; la deuxième, exclusive-
ment composée de cavalerie, était commandée par le colonel de Vignolles.
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[1860] RN ATMniR 205
Le rôle de cette dernière devait consister simplement dans le maintien de
Tordre sur tout le territoire de la province, pendant que les autres troupes
allaient être employées en Kabylie. En conséquence , elle avait pour mission
de parcourir les régions d*Am-Bclda,de Datna, de Sétif, de pousser même, le
cas échéant , jusqu'à Tebessa, en un mot de se porter sur tout point où la
tranquillité viendrait & être troublée. Le 4 juin , elle arrivait à Aîn-Beida, et
y était rejointe par une section de la ¥ compagnie du 1^ bataillon du 3^ Ti-
railleurs, qui raccompagna jusqu'à Batna. Là, l'escorte fut reprise par la
6« compagnie du l^'*' bataillon, qui, le 12 juin , se mit en route pour Sétif,
où elle arriva le 17. Après un court séjour dans ce poste, cette compagnie
reprit le chemin de Batna, où elle fut de retour le l**" juillet, sans qu'aucun
incident particulier eût signalé cette opération.
liCS troupes désignées pour faire partie de la colonne de la Kabylie orien-
tale devaient se concentrer à Milali, où l'organisation des brigades se prépa-
rait. Le régiment de Tirailleurs fut appelé à fournir deux bataillons réunis
sous les ordres du commandant Gottret : le l^**, commandé par M. le capi-
taine Estelle , avait été formé à Constantine avec les l*^*, 3* et 7® compagnies
du l^*" bataillon et la 7* du 2<> bataillon ; le 2<^, sous les ordres du capitaine
Viévillc, venait de Rône et comprenait les l»"», 4®, G« et 7« compagnies du
3° bataillon. Le 20 mai, les deux bataillons se trouvèrent à Milah et entrèrent
dans la 3<3 brigade, dont le colonel du régiment, M. le Poittevîn de Lacroix,
reçut le commandement.
Les opérations commencèrent le 28 mai. Ce même jour, les trois brigades
se mirent en marche sur la même route et atteignirent Am-Nekla, sur la rive
gauche de TOued-Eudja. Le 29, la colonne arriva à Fedj-Beînem, et, le 30, à
FeIdj-el-Arbn, point central d'où elle pouvait ensuite rayonner sur les terri-
toires des tribus agitées. Elle s'établit sur ce point et attendit les événements.
Lc<; premiers jours de juin se passèrent sans incident, sans aucun acte
d'hostilité de la part des Kabyles; les Ouled-Arrhès et les Ouled-Asker vin-
rent même faire leur soumission, et l'ordre paraissait se rétablir peu à peu,
lorsque, cédant à de funestes conseils, quelques tribus, à la tête desquelles
se placèrent les Beni-Khettab, refusèrent tout à coup de livrer leurs otages
et de payer leurs amendes. Sur l'instigation de quelques chefs , une assem-
blée solennelle de Kabyles se tint le 12 juin à Sidi-Maarouf , et la guerre
sainte fut proclamée.
Dès que cette détermination eut été prise par ces farouches montagnards,
des rassemblements se formèrent sur tous les points, et pendant les nuits qui
suivirent nos grands'gardes furent assaillies de coups de fusil. Le 13 juin,
un détachement envoyé au fourrage fut vivement inquiété. Devant de pareilles
démonstrations, l'indulgence n'était plus permise; il fallait agir, comprimer
énergiquement ce commencement d'insurrection , et châtier sévèrement les
tribus fanatiques qui s'étaient rendues à l'assemblée de Sidi-Maarouf.
Le 14 juin, la colonne quitta ses bivouacs de FeIdj-el-Arba , et, se dirigeant
vers le nord , vint coucher à El- Arroussa. Le lendemain , elle reprit sa marche
dans la direction du territoire des Béni -Khettab. Vers neuf heures du matin,
elle arriva devant le col de Feldj-Inouidret, dans le Djebel -Thouil, et trouva
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206 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [i860]
devant elle d'assez nombreux contingents qui voulurent tenter de lui barrer
le passage. Mais vigoureusement abordée par le régiment de Tirailleurs , qui
formait l'avant-garde, et tournée par une partie des autres troupes, la posi-
tion fut immédiatement enlevée. Poursuivant sa route, la colonne vint alors
s'établir au sommet du Tafertas, à une altitude d'au moins 1,200 mètres, et
dans une situation lui permettant de commander à tout le pays révolté. De
ce point on allait chaque jour faire une sortie, et réduire les unes après les
autres les fractions dissidentes des Bcni-Kbcllab et des Ucni-Miuioum.
Dans la journée du 15, le régiment avait eu deux hommes tués.
Les 16 et 17, eurent lieu des sorties contre les Ouled-Ameur, fraction des
Beni-Khettab située au nord du Tafertas. Malgré quelques 'coups de fusil
échangés pendant le cours de ces deux opérations, le régiment n*eut personne
d'atteint.
Le 20, ce fut le tour des Arb-bou-Thouil; le 23, des Beni-Mimoum. Ce
jour-là, les Kabyles se défendirent énergiquement, et les Tirailleurs curent
deux hommes blessés. Le lendemain, on se porta encore sur le territoire de
cette tribu , mais sans y rencontrer la résistance de la veille.
Le 26, eut lieu une nouvelle pointe chez les Ouled-Ameur. On tirailla des
deux côtés, et le régiment rentra avec un blessé, le sergent- major Petit.
Le 28, une dernière opération fut dirigée contre les Beni-Mimoum, qui
étaient revenus en forces et se montraient particulièrement décidés à la lutte.
Un combat assez sérieux s'engagea avec leurs contingents et se termina par la
fuite précipitée de ces derniers, que les Tirailleurs, qui avaient fourni rcllbrt
principal de la journée, poursuivirent pendant plusieurs heures, incendiant
et détruisant les quelques villages restant encore debout. Le régiment eut ce
jour- là un officier, M. Marion-Dumersan, et quatre hommes blessés.
Ce combat ayant amené la soumission complète des Beni-Khettab et des
Beni-Mimoum, le 2 juillet, la colonne quitta la position de Tafertas et se dirigea
vers le pays des Ouled-Ali, se rapprochant ainsi de la rive gauche de TOued-
el-Kebir. Le soir, le bivouac fut établi à El-Uoutou ; le lendemain, à Kl-Krcucg-
mta-Ouled-Ali, où l'on fit séjour le 4. Le 5, on vint camper à Maarka, sur
le territoire des Béni- Aïcha. Le 6, on exécuta contre cette tribu une sortie qui
n'amena aucun engagement sérieux. Le 7, on arriva à El-Arsa, chez les
Taîlmen, le 8 à Mourerioun, dans les montagnes des Beni-Habibi, et le 9 à
Bordj-Tahar, au milieu des Beni-Ider. Le lendemain, dans une sortie qui
fut dirigée contre cette tribu, le régiment eut un officier blessé, M. Mohamed-
bel-Gasm , lieutenant. Un autre petit engagement eut encore lieu avec les
mêmes contingents dans la journée du 13, puis la principale résistance se
trouva vaincue. Les opérations entre l'Oued-el-Kebir et la route de Djidjelli
touchaient à leur fin. Le 16, une colonne légère, dans laquelle se trouvaient
les Tirailleurs, fut organisée à Bordj-Tahar, et, le même jour, alla prendre
position à El-Uaindidj, chez les Beni-Ftach. Cernés dans la vallée de TOucd-
Irdjana, n'ayant plus de ressources, voyant leurs habitations détruites, leurs
campagnes dévastées, leurs troupeaux enlevés, les rebelles se décidèrent enfin
à rentrer dans le devoir et demandèrent l'aman.
Pour en finir avec l'insurrection de l'Oued -el-Kebir, il ne restait plus qu'à
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[i860] EN ALGÉRIE 207
régler ralTaire d*Âin-ol-Ser. Sur ce point, situé au confluent do TOued-
Irdjana et de l'Oued-el-Kebir, existait, avant les derniers troubles, un éta-
blissement français dont la destruction avait été résolue par rassemblée de
Sidi-Maarouf, et mise à exécution pendant que nos troupes étaient encore &
Feldj-el-Ârba. Il s'agissait de punir les Taïlmen , auteurs de cette dévasta-
tion. Le 23, la colonne quitta Bordj-Tahar et revint à Mourerioun; le 24,
elle coucha & El-Arsa, et le 25 arriva à Aîn-el-Ser. L'intention du général
Desvaux était de séjourner quelque temps sur ce point, afin de poser plus
lourdement sur la population coupable et de réduire également les Ouled-
Âouat, qui avaient fortement trempé dans les derniers événements; mais Tat-
taque d'un de nos convois par les Béni- Toufout vint brusquement l'appeler
vers Test. II se contenta donc d'infliger une forte amende aux Taïlmen; puis,
le 26, il se remit en route avec toute la colonne, passa trois fois l'Oued-el-
Kebir, et vint le même soir camper à El-Milia, où il fit séjour le 27. Le 28, la
marche continua vers l'est jusqu'à Outha-Azouzaïm , chez les Ouled-Aidoun.
Le 29, la colonno pénétra dans le pays des Béni -Toufout et s'installa à El-
Betha, au pied du Djebel -Sinetz. Elle y resta deux jours , pendant lesquels on
fit plusieurs sorties, dont la principale fut poussée dans la direction de la maison
du caid, sur les bords de TOued-Guebli. Le l®** août, la marche fut reprise,
cl les troupes, se dirigeant vers le nord , atteignirent llarta-Discdma, position
importante au sommet de la ligne de crêtes séparant les trois bassins de l'Oued-
Guebli, de TOued-Zohr et de l'Oued -el-Kebir. De ce point, de nombreuses
colonnes légères rayonnèrent sur le territoire des Beni-Toufout et déterminè-
rent la complète soumission de cette tribu.
Le 4 août, une autre colonne légère, dans laquelle entra un fort détache-
ment de Tirailleurs, fut dirigée contre les Beni-Ishac, et alla ce même jour
bivouaquer à El-Maliougcn, près du mont Gouffi, & Touest do Collo. Lo len-
demain, cette colonne se rapprocha de la côte, passa à Bou-Mahadjar, à
trois kilomètres au sud de Collo, et, reprenant la direction do Ilarta-Disedma
par la vallée de TOued- Guebli, vint couchera Souk-el-Khamis. Le 6, elle
était de retour à son point de départ sans avoir eu à livrer de combat sérieux.
Le 7 , la colonne fut divisée en deux groupes. Le premier resta sous les
ordres du général Desvaux et se mit en route pour revenir à EI-Milia, en sui-
vant exactement le même itinéraire que celui qu'on avait parcouru quelques
jours auparavant. Le deuxième demeura à Harta- Disedma ; il devait séjourner
encore deux jours sur ce point, puis se porter à El-Araba, chez les Ouled-
Aouat. Le i^ bataillon de Tirailleurs (capitaine Estelle) marchait avec le
premier de ces groupes; le 3* bataillon (capitaine Viéville), avec le second.
La colonne principale arriva, le 7 au soir, à EI-Betha. Le 8, elle bivouaqua
à Oulha-Azouzaîm; le 9, elle quitta ce point pour venir coucher & EI-
Milia. Dans la matinée de ce jour, le bataillon du capitaine Estelle la quitta à
Kl-Neima pour exécuter sur les Arb-Teskif, fraction des Ouled-Aïdoun, un
vigoureux coup de main secrètement et habilement préparé par le service des
renseignements.
C'était une affaire déjà ancienne que celle qu'il s'agissait de régler avec les
gens de celle tribu; elle remontait à Tannée précédente, à l'époque de la con-
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208 LE 3^ RÈOIlfENT DE TIRAIIXEUR8 ALGÉRIENS [I86O]
siruction du bordj d*EI-Milia. liOrs des travaux d'inslallalion de ce poste,
travaux qui étaient protégés par uo bataillon de zouaves et une section de la
5* compagnie du 1*' bataillon, les Arb-Teskif étaient venus, une nuit, essayer
de surprendre notre petit détachement; n*y ayant pas réussi, ils s'étaient
ensuite retirés au sein de leurs montagnes, dans des grottes profondes, inac-
cessibles, vrai repaire de brigands, dont la position était inconnue, dont l'exis-
tence était même incertaine, mais où, dans tous les cas, ils avaient jusque -
I& échappé à toutes nos recherches.
Le bataillon de Tirailleurs, qui avait en réserve un bataillon du 1<^' étranger
en vue des complications qui pouvaient se produire, attendit la nuit pour exécu-
ter sa difficile opération. A onze heures du soir, il quitta les bords de TOued-
Achaien, et un peu avant le jour arriva devant la position de Tennemi,
c'est-à-dire tout près des fameuses grottes que des guides sûrs avaient tout
de même fini par découvrir. Cette marche de nuit au milieu des rochers, des
précipices, des difficultés de toute sorte, avait été un véritable tour de force,
et venait de se terminer de la façon la plus heureuse, sans un seul accident,
et sans que les insurgés s*en fussent aperçu. L'attaque commença immédia-
tement. Quoique cernés, les Arb-Teskif se défendirent vigoureusement et
surent habilement tirer parti de tous les obstacles que le terrain opposait à
nos soldats. Mais le capitaine Estelle, se mettant résolument & la tête de sa
troupe, pénétra avec celle-ci dans Tintérieur des grottes, où se livra alors un
combat acharné , une impitoyable chasse à riiomme qui dura plusieurs heures ,
et ne prit fin qu'avec la mort ou la capture de tous les rebelles qui avaient
cherché un refuge dans cette mystérieuse et terrible retraite.
Dans cette lutte sanglante , soutenue avec l'ardeur du désespoir par des
gens qui, se voyant acculés dans un labyrinthe sans issue, savaient parfaite-
ment qu'on serait sans pitié pour eux, les Tirailleurs se montrèrent ce qu'ils
avaient toujours été, d'admirables partisans, employant avec leurs adversaires
ruse pour ruse, audace pour audace, agilité pour agilité. Aussi les pertes
subies étaient-elles relativement faibles eu présence du résultat obtenu; le
bataillon ne comptait, en effet, qu'un homme tué, deux officiers et huit hommes
blessés. Les officiers blessés étaient : M. le capitaine Estelle, qui n'avait pas
cessé, dans la direction de cette opération , d'allier le courage et le sang-froid
les plus inébranlables à un coup d'oeil sûr et expérimenté, et M. Manouvrier,
sous- lieutenant.
Ce combat fut le plus sérieux et en même temps le dernier de l'expédition.
Le bataillon de Tirailleurs rejoignit le soir même la colonne principale à El-
Milia. Le 16 août, celle-ci ayant également été ralliée par la colonne légère
dirigée contre les Ouled-Aouat, la dissolution de la division expéditionnaire
de la Kabylie orientale fut prononcée.
La colonne avec laquelle se trouvait le 3* bataillon avait quitté Harta-
Disedma le 9 août, était arrivée ce même jour à Tarset, où elle avait bivouaqué,
et le lendemain était venue s'établir à El- Araba, sur la rive gauche de l'Oued-
el-Kebir. Après avoir, pendant cinq jours, attendu sur ce point des soumis-
sions qui s'effectuèrent sans incident, le 16 elle rejoignit les autres troupes &
El-Milia. Quelques jours après ces dernières opérations, le colonel de Lacroix
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[1860] EN ALGÉRIE £09
rentrait à GonstantiDe avec les deux bataillons de son régiment, dont l'un,
le 3*, fut immédiatement dirigé sur Bône, sa garnison.
Dans les différents engagements qu'avait entraînés celte longue et difficile
expédition , le 3* régiment de Tirailleurs avait eu vingt-dnq hommes hors de
combat, soit quatre tués et vingt et un blessés, dont quatre officiers.
Le 24 août, un ordre du général commandant en chef les forces de terre
et de mer vint porter à la connaissance de l'armée d'Algérie les brillantes opé-
rations effectuées par la colonne du général Desvaux et signaler les noms de
ceux qui s'étaient le plus particulièrement distingués. Le régiment eut une
large part dans ces citations , que voici du reste pour ce qui le concernait
directement :
M. de Lacroix, colonel, commandant une brigade, pour avoir assuré le
succès de deux engagements dans les ravins des Béni*' Mimoun par l'énergie de
ses attaques et ses habiles dispositions;
M. Estelle, capitaine, pour s'être brillamment conduit et avoir été blessé en
enlevant, à la tête de son bataillon, les grottes où s'étaient réfugiés les Arb-
Teskîf;
M. Manon -Dumersan, lieutenant, pour avoir fait preuve delà plus grande
bravoure dans un combat contre les Beni-Mimoun, et avoir reçu une blessure
ayant nécessité la désarticulation de la cuisse;
M. Reymond, sergent- fourrier, pour avoir montré beaucoup d'entrain et
avoir été blessé dans le combat livré aux Arb-Teskif;
M. BeIkassem-ben-Deradj, sergent, pour s'être fait remarquer par son
intrépidité dans plusieurs rencontres.
Pendant que ces événements se déroulaient en Kabylie, le calme le plus
profond régnait dans toutes les autres parties de la province. Nulle autre part
le régiment n'avait h prendre les armes.
Dans le courant du mois de septembre , le voysge de Temporeur Napoléon III
en Algérie fut le prétexte de l'envoi de deux compagnies à Alger, pour y
représenter le 3* Tirailleurs à la revue et^ aux manœuvres qui allaient avoir
lieu à Toccasion de l'arrivée du chef de l'État. Ces deux compagnies, formées
avec les hommes les plus méritants , quittèrent Constantine le 2 septembre
pour aller s'embarquer à Philippeville. Le 19, elles assistèrent, à Alger, au
débarquement de l'empereur; puis, le lendemain, elles furent dirigées sur la
Maison -Carrée, où elles prirent part aux exercices et prises d'armes ordon-
nées en l'honneur du souverain. Le 25, elles étaient de retour dans leur gar-
nison.
Le 4 novembre^ la 6* compagnie du 1*' bataillon , détachée à Batna , quitta
ce poste pour rentrer à Constantine, où elle fut dissoute pour donner son rang
et son numéro à une compagnie de marche en voie d'organisation pour être
envoyé au Sénégal.
. Depuis les premiers jours du mois d'août, le colonel de Lacroix avait reçu
avis que, pendant l'hiver, aurait lieu l'expédition qui avait dû être ajournée
en 1858 , et que chaque régiment de Tirailleurs algériens serait appelé à fournir
une compagnie composée autant que possible d'hommes de couleur et com--
prenant cent combattants, pour y prendre part. Cette dernière fut organisée
14
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^10
LB 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1860]
le. 9 Dovoii^bre, et, comme on vient de le voir, prit le numôro 6 (long le
l*' bataillon. Ses éléments , officiers et troupe , avaient été exclusivement
choisis parmi les volontaires. Le capitaine de Pontécoulant en reçut le com-
jhandement. Le 10 novembre , elle se mit en route pour Philippeville, et le
18 s*embarqua pour Oran , point de réunion des contingents des trois pro-
vinces.
- Le restant de l'année 1860 s'écoula sans amener d'autres mouvements que
des changements de garnison. Il est cependant à signaler deux sorties exécu-
tées contre les Freiclieich, les 28 novembre et 21 décembre, par la section
de la 4* compagnie du l*** bataillon , détachée à Tebessa. Cette tribu tunisienne
avait encore franchi la frontière et s'était avancée jusqu'au bordj d'Aîn-Te-
noucla; mais, dès qu'elle apprit la marche des Tirailleurs, elle prit la fuite, et
ceux-ci n'eurent seulement pas dans les deux fois l'occasion de tirer un seul
coup de fusil.
Au 31 décembre, la 7® compagnie de chaque bataillon étant alors définiti-
vement constituée, le cadre des officiers du régiment se trouva ainsi com-
posé:
ÉTiT-MAJOa
MM. Le Poittevin de Lacroix,
De Colomb,
Vinciguerra ,
Alliou,
Clemmer,
Cohat,
Manouvrier,
Poulet,
Navarre,
Accarias,
colonel.
lieutcnant-colonoP .
major.
capitaine trésorier.
capitaine d'habillement.
sous-lieutenant adjoint au trésorier.
sous-lieutenant porte-drapeau.
médecin-major de l'* classe.
médecin-major de 2** dusse.
médecin aide-major do i'* classe.
l*''* BATAILLON
MM. Van Iloorick, chef de bataillon.
AIzon , capitaine adjudant-major.
l'« compagnie.
MM. Estelle, capitaine.
Emy, lieutenant français.
Mohamed-bel-Gasm , lient, ind.
De Saint-Julien, sous-lieut. fr.
Yaya-ben-Simo, sous-lieut. ind.
2^ compofpiie,
MM. Cayrol, capitaine.
Michaud, lieutenant français.
Saîd-ben-Mohamed, lient, ind.
Dufict, sous-lieutenant français.
Amar-bcn-Abdallah , s.-l. ind.
< M. de Colomb, qui, le IS mai 1860, avait succédé au lieutenant -colonel Colin,
nommé colonel , fat, à «on tour remplacé par M. Gandil, le 81 janvier 1861.
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[1860]
EN ALGÉRIE
tit
3* compagnie,
MM. Dardonne, capitaine.
Billon , lieutenant français.
Mohamed-Boanêp, lient, ind.
Gastex, sous-licutenant français.
Bechir-ben-Mohamed , s.-l. ind.
4* cùmpagnie,
MM. Daniel de Vaugaion, capitaine.
Corréard , lieutenant français.
Kaddonr- ben- Brahim , lieute-
nant indigène.
Orioty sous-lieutenant français.
5* eampagnie.
MM. Gailliot, capitaine.
Le Grontec , lieutenant français.
Hassen-ben-Krelill, lieut. ind.
Bisson , sous-lieutenant français.
Said-ben-Âmor , sous-lieut. ind.
6* compagnie,
MM. Le Doulcetde Pontécoulant, cap.
Maussion , lieutenant français.
Mohamed-ben-Toudji, lieut. ind.
Cléry, sous^lieutenant français»
Ali-ben-Rebah , sous-lieut. ind.
7« compagnie.
MM. Angamarro, capitaine.
Robillard , lieutenant français.
Lagdar-bcn-ZmouIi , lieutenant indigène.
Montignault, sous-lieutenant français.
2» BATAILLON
MM. Mercier de Sainte-Groix,
Quinemant,
V^ compagnie.
MM. Desmaison, capitaine.
Louvet, lieutenant français.
Messaoud-ben-Ahmed, lieut. ind.
De la Bonninière de Beaumont,
sous-lieutenant français.
Asscn-ben-Ali , sous-lieut. ind.
2« comiHignie.
MM. Saar, capitaine.
Fargue, lieutenant français.
Ahmed-ben-Omar, lieut. ind.
Lahejre, sous-lieut. français.
Kacem-Labougie, s.-lieut. ind.
3* compagnie,
MM. Le Noble, capitaine.
Dttfour, lieutenant français.
Gailliot, sous-lieut. français.
Ilaoussin-bcn-Ali, s.-Iicut. ind.
chef de bataillon,
capitaine adjudant-major.
4* compagnie,
MM. Marty, capitaine.
RamakerSy lieutenant français.
Jallot, sous-lieutenant français»
Lagdar-ben-Haoussin , s.-l. ind.
i^ compagnie.
MM. Gabiro, capitaine.
Vignier, lieutenant français.
Abderrahman-ben-EkarB, lieu-
tenant indigène.
Mélixi sous-lieutenant français.
6* compagnie.
MM. Hiriard, lieutenant français.
Achmed , lieutenant indigène.
Mattel, sous-lieutenant français.
Amar-ben-Medeli , s.-lieut. ind»
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112 LE 3^ RÉOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [t860]
?• compagnie.
MM. Lucas, capitaÎDe.
Berthomier, lieutenant français.
Bosquette, sous-lieutenant français.
Amou-bon-Mousseli, sous-lieutenant indigène.
3« BATAILLON
MM. Cotret, chef de bataillon.
Chevreuil , capitaine adjudant-major.
4* compagnie,
MM. Bobet, capitaine.
Marion-Dumersan, lient, fr.
Achmet-Khodja, lieutenant ind.
Roussel , sous-lieut. français.
Il» compagnie.
MM. Viéville, capitaine.
Lacroix , lieutenant français.
Mohamed-Bournas, lient, ind.
Boswiel, sous-lieutenant fr.
SoIiman»ben-Ali, sous-lieut. ind
2* compagnie.
MM. Beaumelle, capitaine.
La vendes, lieutenant français.
Moktar-ben-Youssef, lieut. ind.
Sauvage , sous-lieut. français.
Amar-ben-Brahim , s.-lieut. ind
3* con^gnie.
MM. Letellier, capitaine.
Burin, lieutenant français.
Mohamed-ben-Kacem, lieut. ind.
Strolh, sous-lieutenant français.
5* compagnie.
MM. Leblanc, capitaine.
Amar-ben-Kalafat, lieut. franc.
lladj-Tahar, lieutenant ind.
Dcscoinbes, sous -lieutenant fr.
6« compagnie.
MM. Galland, capitaine.
Ceccaldi, lieutenant français.
Duchesne, sous-lieut. français.
Mohamed-ben-Kassem-Labessy ,
sous-lieutenant indigène.
7* compagnie.
MM. de Lacvivior, capitaine.
Aubrespy , lieutenant français.
Soumagne, sous-lieutenant français.
L'année 1864 s'ouvrit sous les auspices les plus paisibles; elle devait, en
Algérie du moins, s'écouler dans la plus profonde tranquillité. Pendant ces
doute mois, le gros du régiment allait jouir d'un repos absolu ; seuls les déta-
chements envoyés au Sénégal et en Cochinchine devaient continuer, au sein
d'un pays meurtrier, & glaner un peu de gloire en traversant les plus rudes
épreuves et en supportant les fatigues les plus accablantes.
Le 8 juin, parut la décision impériale suivante, dont les dispositions furent
immédiatement mises en vigueur :
i« L'effectif de chacun des trois régiments de Tirailleurs algériens est fixé
à deux mille hommes.
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[f8Al] EN ALGÉRIE 213
8® Les engagements et les rengagements pour les Tirailleurs seront contractés
devant les fonctionnaires de Tintendance et pour une durée de quatre ans.
3® Les Tirailleurs recerront, dans toutes les positions , les virres de campagne
et la ration de chauffage ou Tindemnité de 0,2635 représentatire des rations.
A^ La solde des soldats est fixée par jour à 0,60 c. pour la première classe |.
et h 0,50 c. pour la dcuxiômo classe.
5<» Les cadres français, sous -officiers, caporaux, soldats , tambours et clal<*
rons recevront les mêmes allocations que dans les zouaves.
6<> Les sous -officiers et caporaux indigènes conserveront la solde qui leur
est allouée par le tarif.
70 Les soldes de congé et d*h6pital seront les mêmes que celles affectées aux
zouaves.
8® Le Tirailleur qui voudra rester sans interruption sous les drapeaux, devra
contracter un rengagement dans les trois derniers mois de son service. Il aura
droit à une prime de 50 fr., et à une haute paye de 5 c. Cette prime et cette
haute paye ne seront allouées qu*à Texpiration de son engagement actuel. La
même prime de 50 fr. et une augmentation de 5 c. dans la hante paye lui seront
accordées après chaque rengagement et jusqu'au troisième inclusivement.
9^ Ijï haute paye des sons-orficiers sera do i 0,15 et 20 c.
iù^ Après chaque nouvel engagement sans interruption de service, les Ti-
railleurs auront droit h un congé de trois mois.
Jusque-là , ainsi que la chose était déterminée par les paragraphes 3 et 4
de Tarticle 10 de Tordonnance royale du 7 décembre 1841 , les indigènes
avaient été reçus sans engagement et maintenus sans rengagement, dans les
bataillons de Tirailleurs d*abord, ensuite dans les régiments. Ils avaient, en
revanche, joui de la faculté de pouvoir être renvoyés, soit d'après leur de*,
mande, soit pour cause dlnapiitudc ou d'inconduitc, sur une simple propo-'
sition du chef do corps revêtue de Tapprobation du commandant militaire
supérieur.
Ce système présentait de graves inconvénients; outre qu'il n'assurait en
rien la situation de l'enrôlé , il provoquait dans le corps d'incessantes muta-
tions, qui donnaient à l'effectif de celui-ci une instabilité le mettant à la merci
du moindre événement. Ce n'est pas que les désertions fussent plus nom-
breuses qu'elles l'ont été depuis; mais, suivant la situation politique du mo-
ment, particulièrement en temps de paix, les demandes de renvoi pouvaient
tout à coup atteindre à un chiffre considérable. Il avait cependant certains avan-
tages, entre autres celui de permettre un choix minutieux parmi les sujets en
ligne pour l'admission et, par suite, celui d'autoriser le renvoi immédiat de.
ceux dont la conduite, l'aptitude ou l'état de santé laissaient par trop à désirer.
Si désormais l'indigène qui se proposait d'entrer à notre service allait rece-
voir dos garanties, par contre il allait également être tenu d'en fournir. Cette
spécification, qui n'avait pas été prévue par la décision précitée, le fut par
une circnlaire du 4 mars 1862 complétant celle-ci et dont voici la teneur :
L'indigène qui demandera à s'engager devra produire :
i^ Un certificat délivré par le commandant du cercle ou de l'annete, et
constatant sa moralité;
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21^ LE 3* nÉOIllKNT DR TIRAlLLEUnS AL0ÊniEN8 [t862]
f* Un certiflcal du iiiédociii éliililissaiil son apliludo p1iytti(|uo.
Sur le TU de ces pièces, le sous-intendant mililaire ou l'ofQcier qui en fait
fonctions recevra l'engagement , conformément à la décision impériale du
8 Juin 1861; une expédition de cet acte sera remise à l'engagé, qui la présentera
à son arrivée au corps, pour servir à son immatriculation.
Les généraux commandant les divisions et les subdivisions n'auront donc
point à intervenir dans l'eiamen individuel des engagés; mais c'est aux géné-
raux divisionnaires qu'il appartiendra d'ouvrir ou de fermer les engagements
pour les régiments de Tirailleurs algériens, suivant que l'eiïectif de ces corps
sera inférieur ou supérieur au chiffre normal de deux mille hommes.
Enfin, pour en finir avec cette question du recrutement, nous signalerons
encore une décision ministérielle du 10 février 1863, autorisant les rempla-
cementi dans les régiments de Tirailleurs.
Le 7 juin 1861 , rentrait à Gonstantine la compagnie qui s*élait embarquée
l'année précédente pour le Sénégal, et dont les opérations feront Tobjet du
chapitre suivant. Déjà Ton parlait d'un autre détachement qui devait être,
sous peu, mis à la disposition du ministre de la marine pour être envoyé en
Gochinchine. Le 4 août, une décision ministérielle vint, en effet , ordonner la
formation d*un bataillon de marche. Ce dernier, qui allait être considéré comme
formant corps et concourir isolément pour Tavancement, devait comprendre
deux compagnies de chacun des trois régiments de Tirailleurs algériens. Pro-
visoirement, les olBciers qui allaient être appelés à en faire partie ne devaient
pas être remplacés au corps.
L'effectif de chaque compagnie était fixé à cent quarante hommes, cadre
non compris. Comme pour les précédentes expéditions hors de l'Algérie, ces
hommes ne devaient être pris que parmi ceux de bonne volonté.
Dans les premiers jours de septembre, les deux compagnies du 3* régiment
furent organisées par les soins du colonel de Lacroix : la l^^, à Constantine,
avec les éléments tirés du !«' bataillon ; la ifi^ à Bougie, avec ceux fournis par
le 2*. Les demandes furent tellement nombreuses, que le ministre do la guerre
prescrivit un choix très minutieux parmi les candidats; la préférence fut na-
turellement donnée aux hommes les plus solides et les plus énergiques, l'ex-
pédition qui allait s'ouvrir devant avoir lieu dans une contrée où le climat
allait être dix fois plus meurtrier que les armes de l'ennemi.
Le 14 septembre, la compagnie formée k Constantine se mit en roule pour
Philippeville, où elle s'embarqua le 28 pour Alger. A son passage, elle devait
prendre celle de Bougie.
Pendant que cette faible partie du corps allait concourir, sur les bords du
Hé-Kong, au commencement de la conquête de cette immense colonie qui
s'étend aujourd'hui de la pointe Camau au cap Pakiung, l'envoi de deux
autres compagnies au Mexique et une petite opération sur la frontière de Tu-
nisie devaient être les seuls dits à enregistrer pour la portion du régiment
restée en Algérie.
C'est par une dépêche télégraphique du 4 juillet 1862 que le colonel de
Lacroix fut informé de l'organisation d'un nouveau bataillon de marche des-
tiné au corps expéditionnaire du Mexique. Comme celui de la Gochinchine,
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[1862] EN ALGÉRIE 215
co balnillon (lovait comprcndro deux compngnicfl do clmquo régiment de Ti-
railleurs, plus un état-major fourni par te 3<> régiment.
En exécution de ces prescriptions, les l^^^ et 3*^ compagnies du l^^ bataillon
furent immédiatement portées à cent quarante combattants, et leurs cadres
complétés sur le pied de guerre. Le 18 juillet, elles s'embarquaient sur le
rhénix à destination d'Alger, où elles arrivaient le lendemain.
Dans les premiers jours de novembre s'organisa à la Galle une petite co-
lonne, dont le général de Mézange de Saint- André reçut le commandement,
et dont firent partie les 4» (capitaine Bobet) et 5^ compagnies du 3^ bataillon ,
sous les ordres du commandant Sériziat.
On se proposait de prêter aux troupes du bey de Tunis, engagées contre les
Khroumirs, confédération indépendante qui refusait de payer l'impôt, un
appui moral suffisant pour déterminer la soumission de ces derniers. Les
troupes réunies à cet elTet n'eurent pas à combattre; elles restèrent en obser-
vation à la Galle, et leur seule présence amena bientôt le désarmement des
dissidents, qui entrèrent en pourparlers avec le frère du bey, qui commandait
la colonne tunisienne. Le 22 décembre, tous les différends étant réglés à la
satisfaction de notre allié, la colonne de la Galle fut dissoute.
En 1803, il n*y ont pas une seule opération de guerre en Algérie; tous les
mouvements de troupes se bornèrent à des changements de garnison , dont le
détail n'offrirait aucun intérêt. Qu'il nous suffise de donner ci -dessous le
tableau de l'emplacement des diverses fractions du régiment au 31 décembre
de cette même année ^
f l^ compagnie au Mexique.
.2» — à Biskra.
1-»ATAILI,0N )''" - ûu Mexique.
(État-major à ConsUntine) <*' T * ConsUntme.
1 5^ — à Constantinc.
6a — à Gonstantine.
7o _ à Tebessa.
l^^ compagnie à Sétif.
2«^ — à Bou-Saftda.
2« BATAILLON VJ" ~ ^ ^T^ . ...
(État-mojor au Mexique) ^. ^' ^ * Bordj-Bou-Arreridj.
^ ^ ' M 5o _ à Bougie.
f 6o — à Sétif.
\ 7o — à Gonstantine et Aïn-Bcûla.
> Qaoiquo comptant toujours au régiment, les deux compagnies alors en Gochinchine
ne diminuaient pas le nombre de celles restées en Algérie. Les officiers et les autres
gradés qui en faisaient partie étaient considérés comme détachés, et contionaient à
figurer dans les cadres réglementaires du corps. Il en était de même du détachement
de cinquante Tirailleurs maintenu en permanence à Tuggurt, lequel se composait
d'hommes prélevés sur tout le régiment et non pas d'une section appartenant à une
seule compagnie.
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216 LE 3* RÉOfMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE [1862]
^ 1'* compagnie à la CaHe.
3^ BATAILLON
(Étot- major & Bône)
2»
- —
à Bône.
3»
&Bône.
4»
—
à Bône.
5»
— -
à Bône.
6»
à la Galle.
7.
-.
à Conatantine
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EXPÉDITION DU SÉNÉGAL
CHAPITRE VI
(1860-1861)
Composition de la compagnie enToyée an Sénégal. — Départ de PhilippeTille. — Arri-
Tée à Alger et h Oran. — Débarquement & Saint -Louis. ~ Marclie sur le Gayor. —
Causes et but de l'expédition. — Soumission de Makodou. — Arrivée à Corée. —
Expédition de la Cazamance. — Défaite des Mandingues. — Retour à Corée. — Expé-
dition dans le Salonm et le Sine. ^ Attaque et prise des Tillages de Cahon et de
Kolah. — La colonne se dirige sur Marouk et Diakhao. — Le roi de Sine demande
la paix. — Retour à Corée. — Deuxième expédition du Gayor. — Marche sur Cuéonl.
— Retour à Saint-IiOuis. — Excursion à Podor. — Préparatifs de départ. — Ordre
du jour du gouTcmeur du Sénégal. — Embarquement pour l'Algérie. — Débarque-
ment & Alger. — Retour à Gonstantine.
On a TU f dans le chapitre précédent, que le régiment avait été appelé à
foarnir une compagnie destinée à prendre part à la campagne d'hiver qui
devait avoir lieu au Sénégal. Cette compagnie s*était embarquée le 18 no-
vembre 1860 à Philippevillc sur le courrier d*Algcr. Kilo comprenait un elTcctif
de cent quatre hommes et les oflSciers dont les noms suivent :
HH. Le Doulcet de Pontécoulant, capitaine.
Haussion , lieutenant français.
Mohamed-Toudji , lieutenant indigène.
Cléry, sous-lieutenant français.
Ali-ben-Rebah , sous-lieutenant indigène.
Arrivée à Alger le 20, elle se rembarquait pour Oran le 24, et, le 27, se
réunissait aux deux compagnies tirées des deux autres régiments de Tirailleurs
et devant coopérer à la même expédition.
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218 LK 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1860]
Le 6 décembre, le détachement tout entier prenait passage à bord du trans-
port mixte l'Yonne, qui levait Tancre le môme jour. La mer était mauvaise ;
le lendemain, il fallut relâcher à San-Felipe, et, le 8, à Almaviva, où Ton
resta jusqu'au 12 pour attendre que les vents d'est fussent un peu calmés.
Le 14 , on toucha à Gibraltar pour faire du charbon , puis on continua jusqu'à
Santa-Cruz de TénérinTc, où l'on arriva le 20. Le 26, VYonne éluit en vue de
Saint-Louis, et, le 27, y débarquait ses passagers.
Le gouverneur du Sénégal , le colonel Faidherbe , n'attendait que l'arrivée
des Tirailleurs pour commencer les opérations. Aussi ces derniers jouirent-ils
à peine de quatre jours de repos, et, le l^' janvier 1861 , durent-ils se mettre
en route pour aller prendre rang dans la colonne expéditionnaire qui devait
opérer dans le Cayor, et dont les éléments se trouvaient déjà réunis à Gan-
diole, poste français situé près de la mer, au sud de Saint-Louis.
Le Cayor est un vaste territoire s'étendant le long de la côte, depuis l'em-
bouchure du Sénégal jusqu'au cap Vert. En 1859, la nécessité d'établir une
ligne électrique entre Saint-Louis et Gorée et d'avoir des relais, des caravan-
sérails pour faciliter les voyages par terre entre ces deux villes, avaient dé-
terminé le gouverneur du Sénégal à proposer au damel (roi) de cette contrée
un traité nous accordant certaines concessions. Le traité fut signé; mais, peu
de temps après, le damel, qui se nommait Riraïma, élant venu à mourir,
Makodou, son fils et successeur, déclara formellement qu'il ne roxéculcrait
jamais.
Une lutte avec le Cayor passait alors pour une entreprise grosso do diflicul-
tés et ne pouvant être tentée qu'avec des forces considérables. Les ressources
de la colonie ne permettant de mettre en ligne que quelques compagnies d'in-
fanterie de marine considérablement affaiblies par les maladies, et un déta-
chement de Tirailleurs sénégalais, récemment organisé et n'inspirant encore
qu'une faible confiance, il fallut l'ajourner. Un an se passa ainsi, le ministre
de la marine attendant que d'autres questions beaucoup plus graves fussent
réglées en Europe avant de rien entreprendre dans cette contrée. Prenant cette
attente pour de la crainte, Makodou se livra à toutes sortes d'exactions sur
nos traitants dès que ceux-ci voulurent s'engager dans son pays; il disposait
pour cela d'une bande de tiédos (pillards armés) qui opérait indifféremment
sur les étrangers et sur les indigènes. Trouvant en effet ses revenus au-des-
sous de ses besoins, le damel les complétait au moyen des biens de ses sujets,
et quand cette ressource devenait elle-môme insuffisante , c'était la personne
môme de ses administrés qui lui servait pour pratiquer à son bénéfice un
honteux trafic, que tous nos efforts tendaient à faire disparaître. La consé-
quence de ce sauvage procédé avait d'abord été une dépopulation effrayante,
puis le dépérissement de l'agriculture du Cayor, qui était la principale source
du commerce que cette région faisait avec Gorée et Saint-Louis.
C'était cette situation, dont les suites pouvaient se traduire en incidents
fâcheux pour les quelques nationaux que nous avions sur la côte, qui avait
déterminé l'envoi de trois compagnies de Tirailleurs. Maintenant que le gou-
verneur avait dans la main les forces nécessaires pour pénétrer dans le cœur
du pays, il s'agissait d'atteindre le damel, d'en obtenir des garanties pour
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[18G1] AU 8ÉNÉ0AL 219
Texéculion du traité qui avait été conclu avec son père, et d'assurer la pro-
tection et la liberté des habitants.
Les Tirailleurs algériens arrivèrent à Gandiole le 2 janvier. Là s'acheva
leur organisation et leurs préparatifs pour l'expédition qui allait avoir lieu.
Les trois compagnies formèrent un bataillon séparé sous les ordres du capi-
taine Béchado, du l*' régiment, que son ancienneté désigna de droit pour co
commandement.
Le 3 janvier, le colonel Faidherbe étant venu prendre la direction des opé-
rations, le camp de Gandiole fut levé et porté à Potou. La route que la co-
lonne suivit ce jour-là, et qu'elle allait suivre les jours suivants, était une
ligne éloignée d'une à deux lieues de la côte, et longeant une région lacustre
s'étendant parallèlement & cette dernière, depuis Saint- Louis jusque près du
cnp Vert. Le terrain était bas, aride ou marécageux; çà et là, au milieu de
l)ouquct8 do palmiers formant oasis, s'élevaient quelques cases, quelques
cahutes autour desquelles paissaient de maigres troupeaux. Peu d'eau potable
et pas d'autres ressources, comme nourriture, que les provisions emportées
par le convoi. Le ravitaillement devait se faire par mer à Benou-M'boro,
point sur lequel on se dirigeait, et où la colonne do Saint-Louis devait attendre
d'autres troupes venant de Gorée.
Le 4 , la colonne se remit en route dans la même direction et atteignit
M'baar; le lendemain, elle alla coucher à Tiakmat; le 6, à Guelkony, et le 7,
à Benou-M'boro. Ces étapes avaient été extrêmement pénibles, surtout pour
des hommes non encore familiarisés avec l'hygiène à observer sous le climat
changeant que possède le Sénégal pendant cette époque de l'année. Rien, en
ëflet, de plus variable que la température des mois d'hiver dans la partie
marécageuse de ce pays : pendant le jour c'est la chaleur accablante des tro-
piques, et pendant la nuit une fraîcheur humide qui, par moments, ramène
le thermomètre bien près do zéro. Do là des refroidissements, dos indisposi-
tions, et malheureusement trop souvent de dangereuses diarrhées.
Dès qu'il avait appris la marche do nos troupes, le damel Hakodou avait
abandonné Mekhey, sa capitale, et s'était réfugié à Ndand , à trente kilomètres
dans l'intérieur. Là il fit un appel à tous ses guerriers, leur disant que c'était
pour aller conquérir le Baol, pays voisin du Cayor; mais ceux-ci, se doutant
au contraire qu'il s'agissait de combattre les ioubabs (blancs), se montrèrent
si peu empressés, que le farouche monarque crut devoir prévenir l'orage
suspendu sur sa tète en écrivant au gouverneur, c Demande-moi ce que tu
désires, lui disait-il; mais n'emploie pas la force pour le prendre... »
Le 7, la colonne de Gorée, sous les ordres du commandant du génie Pinet-
Laprade, arriva à son tour à Benou-M'boro. Les troupes réunies sous les
ordres du colonel Faidherbe comprirent alors quatorze cents hommes d'infan-
terie de marine ou de Tirailleurs algériens, deux cents Tirailleurs sénégalais,
un peloton de cent spahis, deux pièces d'artillerie, cinquante hommes du
train, et enfin quatre à cinq cents volontaires venus de Saint -Louis ou de
Corée, soit en tout environ deux mille deux cents hommes.
Le 8 au matin, on commença la construction du poste de Benou-M'boro;
deux blockhaus, venus démontés de Saint-Louis, furent installés sur un point
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220 LE 3* BÉQIIIENT DE TIRA1LLBUB8 ALQÊBIENS [l86t|
coDvenablement choisi ; à côté, on construisit deux baraques pour y déposer
des approTisionnements, et le tout fut entouré d*une forte palissade. Le 11 ,
tout étant terminé, le pavillon français y fut déployé devant toutes les troupes
et salué par les canons de la colonne et ceux des navires.
Ayant désormais assuré sa base d'opérations, et par suite son ravitaille-
ment, le gouverneur résolut de se porter à la rencontre du damel. Le 12 jan-
vier, la colonne se remit en route et alla bivouaquer au village de Diaty. Le
lendemain , elle entrait sans coup férir à Mekhey, capitale du Cayor et rési-
dence ordinaire de Makodou. On avait quitté la zone des marigots, petits ruis-
seaux sillonnant la côte , et Ton ne trouvait plus d'eau que dans des puits ;
s'aventurer ainsi dans l'intérieur eût été s'exposer à des fatigues meurtrières et
peut-être à de cruelles déceptions. Le gouverneur ne voulut pas risquer dans
une opération de ce genre le facile succès qu'il venait d'obtenir; jugeant, avec
raison, que la possession des deux plus beaux villages du damel amènerait
inévitablement ce dernier à des propositions de paix, il résolut d'attendre les
envoyés de Makodou. Ceux-ci ne furent, en effet, pas longtemps avant de se
présenter avec une lettre de leur chef, dans laquelle ce dernier conjurait in-
stamment le colonel Faidberbe de ne pas pénétrer plus avant dans le pays,
qu'il passerait par toutes les conditions qu'on lui imposerait. Ces derniers
furent la cession de trois lieues de terrain sur la côte et, moyennant paye-
ment, l'abandon à la France des riches salines de Gandiole. Ce traité conclu,
une longue marche de nuit ramena la colonne à Benou-M'boro, oii elle arriva
le 15, dans la matinée.
De ce fait, l'expédition du Cayor se trouvait terminée; il ne restait plus qu'à
construire, sur le terrain concédé, quelques postes pour assurer les commu-
nications entre Saint-Louis et Corée. Les journées des 15 et 16 janvier furent
consacrées à l'achèvement de celui de Benou-M'boro. Le 17, la colonne se
remit en marche et se dirigea sur M'bidjen, où elle arriva le 19, après avoir
campé le 17 à Taîba, et le 18 à Guellet. Le» travaux à exécuter sur ce nou-
veau point commencèrent aussitôt : ils consistèrent cncoro dans l'installa-
tion d'un blockhaus venudémonté et dans la construction de deux baraques.
Le 22 au soir, tout était achevé. Le 20 à midi, le gouverneur était parti
avec la colonne de Saint-Louis pour aller créer le poste de Lompoul , laissant
à M'bidjen les Tirailleurs algériens avec la colonne de Corée. Le 23, cette
dernière, voyant sa mission terminée, se mit en route à son tour, et vint
camper à Ugolam. Le 24, elle s'arrêta à Rufisque; le 25, elle atteignit Hann,
et le 26, Dakar. Le 27, les troupes du commandant Pinet-Laprade prenaient
terre à Corée et s'installaient dans la citadelle de cette place.
Les moments étaient trop précieux et le concours du détachement de Tirail-
leurs trop indispensable dans la continuation de l'œuvre commencée, pour
qu'on accordât à celui-d un repos de longue durée. Le Cayor, en apparence
du moins, venait d'être soumis, mais il restait à rétablir notre autorité dans
le Souna (llaute-Caxamance), et à châtier vigoureusement les Mandingues,
peuplades musulmanes qui, depuis des années, malgré plusieurs traités pas-
sés avec leurs chefs, pillaient nos embarcations, massacraient nos équi-
pages, attaquaient nos postes, dépouillaient nos traitants, exerçaient en un
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[1861] AU SÉNÉGAL 221
mot toutes les yiolenoes que pouvaient leur dicter leurs sauvages instincts.
Le 5 février au matin, une colonne destinée à opérer dans cette contrée
et comprenant les Tirailleurs algériens, un détachement d'infanterie de ma-
rine, un peu d'artillerie et quelques volontaires nègres récemment enrôlés,
quitta Corée et prit la mer sur les avisos VAfric(^i^9 ^ Grand-Basson, le DiaU
math, le Griffon, le cullcr t Écureuil, la goélcllo la Fourmi et la citerne la
Trombe. Le commandant Pinet-Laprade avait la direction de l'expédition.
Le 6, dans l'après-midi, la flottille entra dans la rivière de Gazamance et
passa devant le poste français de Garabane ; le 7, elle dépassa le poste portugais
deZikenschor, et enfin, après une navigation excessivement pénible, qui avait
dû être interrompue chaque nuit, elle arriva à Sédiou, poste français construit
sur la rive droite et situé au cœur du pays des Handingues.
Le 10, le débarquement s'effectua sur la rive gauche, aune demi -lieue
de Sandiniéri, grand et riche village appartenant aux rebelles, et sur lequel
on marcha immédiatement. Pour la première fois depuis leur débarquement
à Saint-Louis, les Tirailleurs allaient faire parler la poudre, pour la première
fois ils allaient trouver devant eux une population guerrière, assez bien
armée et combattant avec une certaine habileté.
Comme tous les musulmans , les Mandingues sont braves ; quoique de
sang noir, ils sont plus intelligents que les nègres, desquels ils se font craindre
et respecter. Leurs guerriers, composés des hommes les plus robustes, pas-
saient alors pour les plus redoutables du Sénégal; armés de lances, de poi-
gnards, de longs et lourds fusils dans lesquels ils glissaient un nombre de
grosses chevrotines en rapport avec « le degré de colère qu'ils éprouvaient »,
quelquefois douze ou quinze , ils se battaient avec un acharnement sauvage,
qui se traduisait généralement par l'extermination de leurs ennemis. Les
chefs étaient montés sur des chevaux de petite taille, mais remplis d'ardeur;
les simples combattants marchaient à pied.
Il était sept heures du matin lorsqu'on arriva devant Sandiniéri. Ce vil-
lage, composé de huttes, était défendu par d'épaisses haies de roseaux reliées
par de solides barricades. Malgré ces obstacles , vigoureusement abordé par
les Tirailleurs, il fut enlevé à la première attaque, au prix de quatre blessés
seulement, et immédiatement incendié. Les Handingues, surpris, s'étaient
enfuis dans les bois, laissant entre nos mains vingt morts, cinquante prison-
niers et un troupeau de plus de six cents bœufs. Hais bientôt ils se rallièrent
et se ruèrent sur le camp comme des forcenés. Ce fut notre tour d'être sur-
pris ; le désordre se mit parmi les nègres chargés de la garde du troupeau ,
et, quoique repoussé sur tous les points, l'ennemi put reprendre et emmener
une partie du bétail qui venait de lui être enlevé.
A en moment tout paraissait terminé; il était onze heures; la chaleur
était dovonuo étouffante, la fatigue était oxlréine; chacun songeait au repos,
lorsque tout à coup on entendit des cris désespérés. C'était un groupe d'une
vingtaine de soldats qui, cédant au besoin de se désaltérer, étaient allés im-
prudemment au fleuve, sans armes, et y avaient été brusquement surpris
par les contingents de la rive droite qui arrivaient au secours des gens de
Sandiniéri. Trois de ces hommes avaient été tués et deux atrocement mutilés
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222 LE 3* nÉQlUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [t86|]
à coups de hache et de sabre. Quant aux autres, ils fuyaient vers le camp,
qui heureusement n'était pas éloigné.
Cet incident amena une nouvelle attaque, encore plus vive que la pre-
mière, mais qui se termina d'une façon plus désastreuse pour les Mandingues.
Bien que ne connaissant pas le pays, les trois compagnies de Tirailleurs
n'hésitèrent pas à se jeter dans les bois faisant face à la partie du camp
qu'elles occupaient, pendant que l'infanterie de marine, se portant également
droit devant elle , cherchait à rejeter les assaillants sur le fleuve. Ce mou-
vement, exécuté avec toute la rapidité que commandait Timminence du
danger, amena le plus inespéré des résultais; par un heureux hasard , la Ca-
zamance formait en cet endroit un coude très prononcé, de telle sorte que les
Mandingues se trouvèrent soudain acculés à ce cours d'eau , qu'ils essayèrent
bien de traverser à la nage, mais poursuivis par nos balles, qui accompa-
gnèrent les survivants jusque sur la rive opposée. Indépendamment du nombre
considérable des leurs qui périt dans celte circonstance, ils laissaient une
trentaine de cadavres sur le point où avait eu lieu le combat.
Les pertes totales de la colonne, pendant cette journée, s'élevaient à quinze
à vingt hommes tués ou blessés.
A l'approche de la nuit, les troupes revinrent camper au point de débar-
quement. Dès que l'obscurité fut venue, et jusqu'à ce que le jour reparut,
des coups de feu furent tirés des bois voisins , mais demeurèrent sans ré-
sultat. Nos sentinelles no répondirent mémo pas.
Le 11 , une centaine d*hommes ayant été laissés à la garde du camp, le
restant de la colonne se porta sur le village de Dioudoubou, situé au sud de
Sandiniéri. On y arriva vers neuf heures du matin. Les Uandingues n'avaient
pas fui; ils attendirent même l'attaque, qui fut exécutée par les Tirailleurs
algériens, et la reçurent par une décharge à bout portant, qui nous tua deux
hommes et nous en blessa trois; mais pas plus que la veille ils ne purent,
malgré leur nombre, résister à la bravoure et à l'ardeur impétueuse des as-
saillants et empêcher ces derniers de détruire leurs hubitalions.
Après avoir brûlé le village, la petite colonne se mit en marche pour ren-
trer au camp avant que la chaleur fût devenue trop accablante. Déjà elle
avait fait une partie do la route sans difliculté , sans avoir rencontré un seul
ennemi , lorsque , au moment d'atteindre la plaine de Sandiniéri , une section
do Tirailleurs qui marchait sur le flanc droit fut brusquement attaquée par
une bonde d'au moins six cents hommes. Cette secliou , se Irouvant séparée
des autres troupes par un vaste marais qu'on ne pouvait traverser, dut
s'arrêter pour faire face au danger; pendant près d'une demi -heure, elle se
défendit avec ses seules ressources , et les Mandingues ne purent l'entamer.
Enfin on arriva à son secours, l'ennemi fut dispersé, et la marche se con-
tinua sur le camp, où Ton arriva vers midi.
Pendant toute la durée de l'opération qui venait d'avoir lieu, les postes
laissés près de la rivière avaient eu à supporter un feu continuel, peu meur-
trier, il est vrai, mais qui dénotait la hardiesse de nos adversaires. Dans l'après-
midi, celle fusillade recommença, et les Mandingues tentèrent môme de
surprendre la compagnie du 2<> Tirailleurs , qui s'était écartée à quelques
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[1861] AU SÉNÉGAL 223
centaines de mètres du camp pour rendre les derniers devoirs à un de ses
hommes décédé. Hais leurs diverses attaques de la reille avaient appris à les
combattre; les Tirailleurs des deux autres compagnies se jetèrent immédiate-
ment dans les bois, et , se portant rapidement sur leurs derrières, leur enle-
vèrent tout moyen de fuir. Cernés de tous côtés, les sauvages se défendirent
en désespérés; mais bientôt, se voyant à la merci des vainqueurs, les survi-
vants jetèrent leurs armes et se précipitèrent aux pieds de nos soldats. Ce
même jour, les Tirailleurs , qui étaient excités au plus haut point par la mu-
tilation de Tun des leurs qui, la veille, avait été décapité par les sauvages»
s*étanl emparé du marabout de CarabantaSa , le principal village des Man-^
dingues, ils lui firent subir le même sort et rapportèrent sa tète au camp, où
elle fut exposée à la vue des prisonniers.
Les perles subies avaient , dans cette journée, porté uniquement sur les
Tirailleurs algériens et s*élevaient à trois hommes tués et quatre blessés.
Le brillant succès qu'on venait de remporter eut raison des dernières velléités
de résistance des gens du Souna. Dès le lendemain, les Mandingues, atter-
rés, vinrent en foule demander grâce et se livrer comme esclaves sans condi-
tions. Cependantle village de Bombadiou ayant été condamné à être détruit pour
la participation de ses habitants aux événements des jours précédents, la sen-
tence reçut son exécution. Le 13, eut encore lieu, pour les mêmes raisons,
l'incendie de Hancono; puis les opérations se trouvèrent terminées. La colonne
rentra le lendemain à Sédiou , où le commandant Laprade reçut la soumis-
sion des chefs de la rive droite.
Le rembarquement devait avoir lieu le 15; mais, le mauvais temps étant
survenu, il dut être retardé et ne s'effectua que le 17. Le 16, dans une revue
passée à sa petite colonne , le commandant supérieur de Corée félicita haute^
ment les Tirailleurs algériens sur leur courage à supporter les privations, sur
leur excellente discipline, et surtout sur la glorieuse part qu'ils venaient de
prendre dans la diflicile expédition de la Cazamance.
Rentrée à Corée le 21 février, la colonne en reparlait de nouveau le 26 ,
à bord de la flottille, qui l'emmena cette fois dans le Saloum et dans le Sine.
Le but à atteindre dans cette contrée élait le même que dans le Gayor et
dans le Souna : c'est-à-dire terrifier les chefs de ces deux royaumes, leur
imposer le respect des traités, et assurer la tranquillité et la sécurité de nos
commerçants.
Le 28 février au matin, la flotille franchissait la barre du Saloum , et, le
lendemain soir l**" mars, arrivait à Kaolakh, petit poste retranché établi sur
la rive droite de cette rivière. Elle avait laissé sur sa gauche le Sine, affluent
du Saloum , et sur sa droite l'important village de M'ham. Le débarquement
s'efTcctua à une heure du matin. Aussitôt qu'il fut terminé, les troupes se
mirent en route sur deux petites colonnes : la première, composée des trois
compagnies de Tirailleurs algériens, se dirigeait sur le village de Gabon; la
deuxième, comprenant l'infanterie de marine et l'artillerie faisant le service
do l'infanterie, marchait sur celui de Kolah.
A (^hon se trouvait la famille du roi. Le village fut enveloppé, puis en-^
levé par les Tirailleurs , et tous les habitants faits prisonniers et ramenés à
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224 LE 3* RÊQIUBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [iSM]
Kaolakh. La même chose so passa à Kolah , et le commandant de la colonne
n*eut plus qu'à choisir, dans la population des deux villages , des otages of-
frant des garanties suffisantes pour décider le roi de Saloum, alors absent de
sa capitale, pour faire la guerre à un de ses voisins de l'est, à se soumettre
à nos conditions. On désigna ces otages principalement parmi la propre fa-
mille dudit roi, et le gros des prisonniers fut relâché.
A huit heures du matin, la colonne remontait à bord de la flottille. L'expé-
dition du Saloum pouvait être considérée comme terminée; restait encore
celle du Sine. Cette dernière menaçant de se traduire par des marches très (ati-
gantes , le commandant Pinet-Laprade profita du succès qu'il venait de rem-
porter pour exiger des gens du Saloum les moyens de transport dont il avait
besoin. On réquisitionna une trentaine de chevaux, qui servirent à monter
tous les officiers. Quant aux soldats, ils eurent leur charge allégée le plus
possible et réduite à la demi-couverture, aux cartouches et à quatre jours de
vivres.
Le départ eut lieu le 3 à minuit. On traversa les villages de Lindian, de Goroid,
de Dia et de Lommès, qu'on trouva abandonnés, et l'on vint camper à Dio-
koul, à l'ouest de Kaolakh. il était neuf heures du matin ; l'on avait fait environ
dix-huit kilomètres sans rencontrer .la moindre résistance ; seuls quelques
cavaliers armés d'arcs .et de flèches s'étaient montrés au loin, mais sans pa-
raître désireux d'engager le combat. Le 4, le camp fut porté à Marouk, où
l'on arriva à sept heures du matin. Là on apprit que le roi do Sine se trouvait
avec ses guerriers à environ deux lieues au nord, dans Tune de ses capitales
appelée Diakhao.
Le S , la colonne se mit en route à quatre heures du matin pour se porter
sur ce point. On espérait y rencontrer les cavaliers du Sine, si redoutables,
disait-on, avec leurs fusils longs de deux mètres qu'ils bourraient de balles
jusqu'au bout; mais lorsqu'on y arriva, vers sept heures du matin, le roi et
son armée s'étaient retirés à quatre kilomètres plus loin. Le monarque noir,
ne sachant trop à quel parti s'arrêter, iinit cependant par envoyer des am-
bassadeurs au commandant Pinet-Laprade, et cette journée, dans laquelle
on aurait cru que le sang allait couler, se termina par un traité de paix au-
quel le fils du roi, laissé comme otage par son père, devait servir de garantie.
Toutes les satisfactions exigées ayant été obtenues, la colonne reprit le
même jour le chemin de Marouk et vint passer la nuit sur le même emplace-
ment que la veille. Le lendemain 6 , elle était de retour à Diokoul à neuf
heures du matin, et en repartait dans l'après-midi pour se rendre à Gan-
diayes, village situé au confluent du Sine et du Saloum, où la flottille était
allée l'attendre. Le rembarquement eut lieu le 7, et la rentrée à Corée le 9.
Outre les otages, on ramenait un fort troupeau de bœufs destiné à désinté-
resser les traitants pillés.
L'expédition du Saloum, entreprise et terminée en pleine période de vent
du désert, avait été particulièrement pénible et fatigante; aussi beaucoup
d'officiers et de soldats en revenaient-ils malades, et le restant se trouvait-il
exténué. Aux uns comme aux autres il aurait fallu un repos d'une ou deux
semaines, mais les circonstances vinrent encore s'y opposer.
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[1861] AU SÉNÉGAL 225
Pendant que la plupart des troupes disponibles étaient occupées dans nos
possessions du sud sous les ordres du commandant supérieur de Gorée, le
damel du Cayor, voyant le danger écarté, s'était empressé d'oublier le traité
qu'il avait conclu avec le gouverneur général. Dès la rentrée de ce dernier à
Saint^Louis, il avait rassemblé ses guerriers et poussé )*andace jusqu'à venir
attaquer le poste de Benou-M'boro. Cotte tentative s'était naturellement tra-
duite en un honteux échec; mais la garnison française n'ayant pu, à cause
de sa Taiblesse, se mettre à la poursuite des bandes de Makodou, celles-ci
s'étaient rejetées vers le nord et avaient ravagé toute la campagne aux envi-
rons de Gandiole, en s'emparant, sans plus de scrupules que par le passé, des
biens et des habitants tout à la fois. En même temps qu'il rétablissait ainsi la
traite de ses propres sujets , le damel recommençait à faire piller par ses Uédoi
les caravanes imprudentes qui s'engageaient dans ses États.
Cette conduite demandait un châtiment exemplaire et immédiat. Se mettant
à la tête de Finfanterie de marine en garnison à Saint- Louis, des Tirailleurs
sénégalais et des spahis, le colonel Faidherbe reprit la campagne le 10 mars,
et se dirigea immédiatement sur le pays insurgé,' laissant des ordres pour se
faire rejoindre le plus vite possible par les Tirailleurs algériens. Ceux-ci quit-
tèrent Gorée le 14, arrivèrent à Saint-Louis le lendemain 15, et, sans être
débarqués, repartirent le même jour pour Noult, village situé à deux lieues
de la côte et à cinq au sud du chef-lieu de la colonie. Ce mouvement avftit
deux buts : assurer les communications de la colonne du gouverneur et purger
les environs des villages de Gandiole, Gueben et Noult d*une bande de tiédos
qui, deux jours auparavant, y était venue piller nos alliés. Quand on arriva,
les tiédos avaient disparu; il ne restait donc plus qu'à attendre la rentrée du
colonel, laquelle eut lieu le 17. La colonne du gouverneur avait brûlé vingtr
rinc| villages du Cnyor et battu deux fois les gens du damel. Pensant quf
cette deuxième leçon serait suffisante, et la température devenant de plus en
plus accablante, le colonel Faidherbe ne voulut pas en demander davantage
à ses troupes et les ramena toutes à Saint-Louis, où elles arrivèrent le 19.
La saison s'avançant et l'heure de la cessation des opérations n'étant pas
loin de sonner, les Tirailleurs algériens commencèrent à faire leurs préparatifs
de départ. Ils pensaient s*embarquer à la fin du mois. Avant qu'ils eussent
quitté Saint- Louis, le colonel Faidherbe voulut prendre dans leurs rangs les
éléments nécessaires pour constituer sur des bases solides le bataillon de Ti-
railleurs sénégalais en voie d'organisation. A cet effet, il fit demander les
noms des hommes désirant être incorporés dans ce nouveau corps. Il s'en pré-
senta un peu plus d'un cent, dont une trentaine appartenant à la compagnie
du 3® régiment. De ce moment, ces hommes cessèrent de faire partie du dé-
tachement et comptèrent parmi les troupes indigènes de la colonie.
Dans un but absolument politique, ce qui restait disponible des trois com-
pagnies, c'est-à-dire environ deux cents hommes, s'embarqua le 23 mars sur
le vapeur VÉloile pour remonter le haut Sénégal jusqu'à Podor. Il s'agissait
de montrer aux Maures de la rive droite du fleuve de leurs coreligionnaires à
notre service et de les engager, au moyen d'une habile propagande , à se rap-
procher de la France et à s*enrôler à leur tour. Nos hommes furent parfaite-
15
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220 I.K 3° nÉOlMENT DE TIRAIIJ.KURS ALOÊIUENS [l86l]
ment accueillis, obtinrent partout un grand succès do curiosili, ot rontrèrent
le 26, ayant produit et peut-être môme dépassé TeHet qu'on avait espéré de
cette excursion. Us avaient successivement visité les postes de Richard-Toll,
de Dagana et de Podor.
A leur retour à Saint-Louis, ils apprirent que le damel s'était de nouveau
l^pproché de nos postes et narguait de plus belle notre autorité. A peine nos
troupes avaient-elles eu quitté son pays, que l'incorrigible souverain avait fait
battre le tam-tam de guerre et demandé alliance aux Trareas pour venir,
disait-il, attaquer et détruire Gandiole. En attendant, il s'était établi à Ndia-
kher, à. vingt lieues dans l'intérieur, et là se permettait toutes les fanfaron-
nades qui peuvent germer dans l'orgueilleuse tôte d'un noir.
Ces menaces, quoique faites à distance, n'en pouvaient pas moins avoir
une influence déplorable sur nos alliés si on les tolérait plus longtemps dans
la bouche de Makodou. Une troisième invasion du Cayor s'imposait. Le
29 mars, les Tirailleurs algériens, qui avaient déjà versé leurs cartouches
pour rentrer en Algérie, reçurent l'ordre de les reprendre et de s'embarquer
de nouveau sur VÉloile pour prendre terre à Gandiole. De là ils furent, le
même jour, dirigés sur Nouït pour couvrir celte région en attendant l'arrivée
des autres troupes et l'organisation de la colonne. Celle-ci , qui , outre les Ti-
railleurs, comprit deux cents hommes d'infanterie de marine, quatre cents
Tirailleurs sénégalais, cent spahis, quatre obusiers de montagne et environ
un millier do volontaires, se trouva prête le 4 avril , et, dans l'après-midi do
ce jour, se porta au village de Ker, qui, la veille, avait été l'objet d'une agression
de la part des tiédos. Le 5, elle se remit en marche à trois heures du matin,
et, vers neuf heures, arriva au village de Karahubéguen , où l'avant-gardo et
les spahis eurent un léger engagement avec l'ennemi, qui eut cinq hommes
tués et laissa une dizaine de prisonniers entre nos mains.
Le lendemain , les troupes levèrent le camp do Karahubéguen et se por-
tèrent à Guéoul, centre important où l'on espérait trouver de l'eau, dont on
commençait à être privé depuis le départ do Gandiole, et dont le manque
absolu pendant la dernière étape avait rendu celle-ci encore plus fatigante que
toutes celles qui l'avaient précédée. La déception fut grande : on y découvrit
un seul puits, presque vide, de sorte qu'après une longue attente chaque
homme ne reçut qu'un quart de ce précieux liquide pour combattre la soif
dévorante dont il souffrait. Le soir et le lendemain malin , eut lieu une autre
distribution d'une quantité égale, ce qui permit de faire un peu de soupe et
un peu de café, mais non de satisfaire aux autres besoins. On vit des Tirail-
leurs payer jusqu*à six francs de petites peaux de bouc que des volontaires
allaient, en risquant leur tète, remplir dans un village en avant de Guéoul.
Malgré cette situation , qui menaçait de devenir alarmante à cause de l'éloi-
gnement où l'on se trouvait de la côte, le gouverneur ne voulait pas aban-
donner ce point pour ne pas perdre le fruit des fotigues qu'on venait d'endu-
rer. L'occupation de cette position excellente lui donnait l'espoir d'amener le
damel à engager une affaire décisive, et d'avoir ainsi l'occasion d'exterminer
les bandes de ce dernier. Il avait, dans ce but, envoyé, sans les faire appuyer,
les volontaires brûler tous les villages des environs et les avait même poussés
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[1861] AU SÉNÉGAL 227
jusque dans la province de M'baouar, mais en vain; car Makodou , abandonné
par la plupart de ceux que FappAt du pillage avait réunis autour de lui , venait
de se retirer à Taggar, dans Test. D'une façon comme d'une antre, la retraite
s'imposait maintenant; la retarder eût été dangereux. Elle commença le
8 avril , à cinq heures du soir. Au moment où la colonne allait se mettre en
route, des groupes de tiédos vinrent tirer quelques coups de fusil sur les
grand'gardes, mais sans aucun résultat.
Il était deux heures du matin quand on arriva à Karahubéguen. On sé-
journa vingt-quatre heures sur ce point, comptant toujours que l'ennemi, que
le gouverneur avait fait prévenir de notre retraite par un prisonnier, se pré-
senterait; mais rien ne parut. Le 10, on alla coucher à Ker, et le lendemain
on atteignit enfin Gandiolc, où l'on trouva la flottille qui, le même jour, ra-
mena tout le monde à Saint-Louis.
Pendant toute cette dernière expédition , qui avait surpassé en privations et
en fatigues toutes celles que les troupes de la colonie avaient faites jusque-là ,
les Tirailleurs n'avaient pas cessé de se montrer une troupe admirablement
disciplinée; même aux heures les plus dures, les plus difficiles, aucune
plainte, aucun murmure ne s'était élevé dans leurs rangs.
Le 14 avril, le gouverneur, qui se rendait & Podor, voulut se faire accom-
pagner d*un détachement de cinquante Tirailleurs algériens, dans le but de les
montrer encore une fois aux Maures et d'achever de persuader ees musul-
mans , qui croyaient déroger à leur qualité en entrant aux Tirailleurs séné-r
galais. Ce voyage eut le même succès que le premier : les Tirailleurs furent
partout bien accueillis par leurs coreligionnaires. Le 18, ils rentraient à
Saint-Louis, enchantés eux-mêmes de leur excursion. Celte fois, leur retour
fut marqué par une bonne nouvelle, celle do leur rapatriement. Une autre, qui
les louchait de moins près, quoique plus importante, venait également de se
répandre et ne larda pas & se confirmer : c'était que le dainel avait été chassé
de ses Étals par ses propres sujets, et s'était vu obligé de chercher un refuge
chez, son frère le roi de Sine.
Le colonel Faidherbe, qui toutes les fois qu'il avait eu les Tirailleurs sous
les yeux ne leur avait pas ménagé ses éloges ni son admiration , ne voulut pas
les laisser partir sans leur adresser un témoignage de sa satisfaction. L'ordre
du jour suivant dit assez combien il appréciait cette troupe et les officiers qui
la commandaient :
c Au moment où les trois compagnies des l^r, 2e et 3<^ régiments de Ti-
railleurs algériens, commandées par MM. les capitaines Déchade, Girard et de
Pontécoulant, quittent le Sénégal, le gouverneur leur témoigne toute sa satis-
faction et ses sincères romcrcicnionts pour les brillants services qu'elles ont
rendus à la colonne pendant près de quatre mois d'expéditions continuelles.
« Maintenant la belle réputation de bravoure qu'elle a depuis longtemps
acquise, non seulement en Algérie, mais encore sur les champs de bataille de
TEurope , cette excellente troupe a fait éprouver aux Mandingues de la Caza-
mance les effets de sa vigueur, de son élan irrésistible au feu , et de rexpérieoce
de la guerre qui la distingue essentiellement, chefs et soldats.
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228 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS AU SÉNÉGAL [I86I]
« Peodanl les courU momenU qu'Us ont passés à Saint-Louis et à Goréo, los
Tirailleurs algériens ont t^li admirer leur élégante tenue, et leur conduite n'a
dpnné lieu à ai|cun reproche, do façon que notre Jeune et déjà si bonne troupe
de Tirailleurs sénégalais a trouvé dans ses anciens l'exemple de toutes les qua-
lités militaires.
c Le gouverneur attend aussi de très bons résultats du imssagc d'un certain
nombre d'Algériens au bataillon sénégalais, et il remercie les chefs do corps
d'avoir facilité cette opération avec le bon esprit qui les anime en toute cir-
constance.
« Saint-Louis, le 23 avril 1861.
« Le gouverneur du Sénégal et dépendances ,
c Paiohbabi. »
Le 26 avril , à huit heures du matin , le détachement prit place à bord de
VÉtoiU, qui, après lui avoir fait franchir la passe du fleuve, le transborda sur
le transport l'Yonne, le même qui l'avait amené d'Algérie. A quatre heures
du soir le bateau levait Tancre, et quelques instants après la ville de Saint-
Louis et la côte du Sénégal avaient disparu.
La traversée dura un mois. Le 27 mai au matin, VYonne arrivait dans le
port de Mers-el-Kebir, et le débarquement s'effectuait le même jour. La com-
pagnie du 3* régiment s'embarqua do nouveau, le DU, sur le Ccrbàtx, pour être
encore débarquée à Alger le lendemain 31 , et roiiiburquéo sur lu Timycr dans
la journée du 3 juin. Enfin, le 5 du même mois, elle prenait définitivement
terre à Philippeville, et, le 7, se mettait en route pour Constantine, où elle
arriva le 9.
A l'occasion de sa rentrée, le colonel de Lacroix fit paraître l'ordre suivant :
« Après une absence de six mois, la compagnie expéditionnaire du Sénégal,
sous les ordres de M. le capitaine de Pontécoulant, vient de rentrer parmi nous.
Pendant tout ce temps, nos braves volontaires n'ont pas cessé d'expéditionner
et de soutenir la renommée du régiment par leur courage, leur élan, leur tenue
et leur expérience de la guerre; en outre, leur excellente conduite a été re-
marquée de tous.
« Dans les contrées lointaines de la Sénégambie, on conservera la mémoire
des Tirailleurs algériens, et les Mandingues de la Cazamance se souviendront
de leur irrésistible valeur, comme déjà s'en souviennent Arabes, Kabyles,
Russes et Autrichiens.
« Honneur donc à la 6* du 1<^', qui a ajouté une belle page au récit des faits
d'armes du S* Tirailleurs, et remerciements à ses chefs, qui ont donné le bofi
exemple en toutes circonstances!
« Constantine, le 9 juin 1861.
« Le colonel commandant le régiment,
t l)K Lackoix. »
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EXPEDITION DE COCHINCHINE
(I861-t864)
CHAPITRE VII
Formation d'an bataillon de marche destiné & la Gochinchlne. — CSomposition da déta-
chement fourni par le 3« régiment de Tiraillears. — Départ d* Alger. — Arrivée à
Alexandrie. — Rembarquement à Saez. — Arrirée à Saigon. — Gauses de Texpé-
dition. — Ciommencement des opérations. — Prise de Yinh-long. — Attacine et enlè-
rement de Ml-Goi. — Retour à Saigon. — Cessation des opérations. — Traité de Saigon.
— R^sfstinco rlf^gnfsée de la cour de Une. — Dissémination dn bataillon. — Colonnes
volanlcs. — \a V compngnlo occupo lo |K>sto do Cho-Ga6. — Elle j est relOTéo par
la 5« compagnie.
Les deux compagnies désignées au 3® régiment de Tirailleurs algériens pour
entrer dans la composition du bataillon de marche destiné à la Cochinchine
étaient, nous Tavons dit plus haut, formées exclusivement avec des volon-
taires , et comprenaient chacun un eflectif de cent quarante combattants ,
cadre non compris. Voici quels étaient les officiers qui leur étaient aflectis :
!HM. Dardenne, capitaine.
Aubrespy, lieutenant français.
Abderrahman-ben-Ekarfi , lieutenant indigène.
Cléry, sous-lieutenant français.
Kassem-Labougie, sous-lieutenant indigène.
!MM. Galland , capitaine.
Ceccaldi, lieutenant français.
Mohamed-ben-Toudji , lieutenant indigène.
Roussel, sous-lieutenant français.
Mohamed-ben-Assem Labessi, sous-lieutenant indigène.
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230 LE 3^ nÉGIMENT DE TUIAILLEURS ALGÉRIENS [iSGî]
IndépoadammoDt dos ollicicrs do ces doux coinpognios, lo corps eut encore
à fournir ceux dont les noms suivent, qui firent partie de l'éiat-major du
bataillon de marche et occupèrent les emplois indiqués ci-après :
MM. Clemmer, capitaine-major.
Quinemant , capitaine-adjudant-major.
Cohat , lieutenant , officier payeur.
Accarias , médecin aide-major.
La compagnie de Constantine et les officiers do Tétat-mâjor s'embarquèrent
à Philippevillo sur le courrier d'Alger, qui , le lendemain , prit la compagnie
de Bougie au passage, et arriva le 30 à sa destination.
Lo séjour à Alger dura quinze jours. Ce temps fut employé à l'organisation
du bataillon. Ce dernier fut placé sous les ordres du commandant Pietri, du
2* Tirailleurs. Les deux compagnies du !•' régiment prirent les numéros 1 et 4 ;
les deux du 2«, 3 et 6; et enfin les deux du 3® formèrent, celle du capitaine
Galland la 2*, et celle du capitaine Dardenne la 5*.
Le départ eut lieu le 15 octobre, sur le transport de l'État le Canada,
Le 23, le bataillon débarqua à Alexandrie, où il séjourna jusqu'au S no-
vembre au soir. Ce jour-là, il se rembarquait sur deux petits vapeurs et se
mettait en route pour le Caire, en suivant le canal qui longe le bras occidental
du Nil. Arrivé le 30, il repartait aussitôt par la voie ferrée et gagnait Suez,
où, lo 12 novembre, lo transport-écurie le Jura le prenait ù son bord, pour lo
conduire cette fois jusqu'à Saigon. Le 20 novembre, on arriva à Aden , où l'on
resta jusqu'au 24; le 13 décembre, à Pointe-de-Galles, qu'on quitta le 15, pour
atteindre ensuite Singapour le 8 janvier 1862. Après une escale de huit jours,
nécessaire pour réparer de sérieuses avaries, résultat d*un violent cyclone qui
avait eu lieu le 29 décembre, le Jttra se remettait en route le 15 janvier, et,
le 27 du même mois, jetait l'ancre devant le cap Saint- Jacques, où il restait
jusqu'au 30. Enfin , le l*** février, il arrivait dans le port de Saigon , où il dé-
barquait ses passagers.
Le bataillon fut d'abord cantonné dans le haut de la ville, en face de Tan-
cien camp des Lettrés; puis ses diverses compagnies furent ensuite disséminées
dans les pagodes ou les villages environnants, en attendant le commencement
des opérations.
Avant d'aborder l'historique des faits auxquels , pendant plus de deux an-
nées, les deux compagnies du 3® Tirailleurs devaient se trouver mêlées dans
cette lointaine contrée, nous allons dire quelques mots sur les événements
qui amenèrent cette expédition, qui , vingt ans plus tard, devait avoir comme
conséquence celle du Tonkin.
L'Indo-Chine, déjà en relations avec le Portugal, l'Angleterre, la Hollande
et l'Espagne depuis les grands voyages de découvertes des xv® et xvi* siècles,
n'eut pour la pi^emière fois des rapports avec la France que vers la fin du
siècle dernier. En 1786, Gia-Long, héritier du trône d'Annam, en ayant été
dépouillé par ses rivaux, vint se réfugier auprès d'un vicaire apostolique fran-
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[1862] EN CUCHINCIIINE 231
çais, Pigncau do Béliaine, évoque d*Adran, qui l*cngagea à avoir recouts au
cabinet de Versailles pour rentrer en possession de ses États. Un traité fut
aussitôt négocié entre lui et Louis XVI, et signé le 28 novembre 1787. Gia-
long recevait la promesse de secours qui devaient lui être fournis par le gou-
verneur de nos établissements indiens, mais il devait, en échange, céder à la
France le port de Touranc et le groupe de Poulo-Condoro; Soit lenteur, soit
mauvais vouloir, soit impossibilité de la part du gouverneur de Pondichéry,
ce traité no reçut d*abord aucune exécution , do sorte que, les événements de
1789 étant survenus, il n*en fut bientôt plus question; ou du moins de tous
les secours promis le prince dépossédé ne vit-il arriver que quelques oflBciers,
parmi lesquels le colonel Ollivier, homme d'un grand savoir, Dayot, Ghai-
gneau, etc.
Mais révoque d*Adran ne se découragea pas; il équipa deux navires à Pon-
dichéry, rejoignit Gia-Long, et, aidé par les ofliciers dont nous venons do
parler, rendit non seulement son royaume à ce dernier, mais lui conquit en-
core le Tonkin , alors gouverné par la dynastie des L6.
Un tel service ne pouvait s*oublier. Aussi Pigneau de Béhaine devint-il lo
second personnage de Tempire, et nos compatriotes restèrent -ils au service
do Gia-IjOiig, qui, on 1804, refusa leur expulsion à l'Angleterre. Malheureuse-
ment les ludcs que nous soutenions en Europe et l'aiïaiblissement de notro
marine ne permirent pas alors à notro pays do tirer parti de ces avantages,
et seuls les missionnaires en profitèrent pour étendre leur influence dans le
pays. Gependant ces heureuses dispositions ne devaient pas durer longtemps;
à la mort de Gia-Long tout changea : les missionnaires furent partout en butte
aux persécutions des mandarins, et, en vertu de cette ingratitude naturelle
qui fait généralement place aux élans de la reconnaissance d'un peuple, la
Franco fut bientôt, de toutes les nations de l'Occident, celle envers laquelle
les empereurs d*Annam montrèrent le plus d'hostilité. Avec Tu-Duc, le troi-
sième des successeurs de Gia-Long, cette situation prit tout à coup un carac-
tère aigu : des proclamations insultantes pour les Français furent adressées
au peuple, et le supplice de plusieurs de nos missionnaires fut jeté comme un
défi à la face de notre gouvernement.
On ne pouvait tolérer plus longtemps de tels actes. Deux fois, en 1847 et
en 1850, nos marins ravagèrent les côtes de l'Indo-Ghino, battirent les man-
darins annamites, abaissèrent l'orgueil de Tu-Duc; mais, dès qu'ils se furent
éloignés, ce prince fourbe et vindicatif recommença ses exactions et ses vexa-
tions. Les choses en restèrent 1& jusqu'en 1858. A cette époque, le cabinet
des Tuileries, d'accord avec l'Espagne, qui avait également à venger la morï
de plusieurs de ses nationaux, se décida & ngir vigoureusement et organisa
une petite expédition, qui fut placée sous les ordres de l'amiral Rigault de
Genouilly et du colonel Palanka - Gultierez. La prise de Tourane (31 août 185^
et celle de Saigon (lS-17 février 1859] furent le résultat de cette action com-
binée, que la campagne d'Italie vint brusquement arrêter. Tourane fut évacué,
mais on conserva Saigon , où fut laissée une garnison de huit cents hommes,
sous le commandement de M. d'Ariès, capitaine de vaisseau. Ge détache-
ment , trop Taible pour faire des sorties , se trouva bientôt bloqué par des forces
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Î32 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1862]
dii fois Bupérioures, et enrermé dans les vosles lignes do conlrevallalion do
Ki-Hoai que les Annamites construisirent avec une étonnante rapidité, sous
la direction du maréchal Nguyen-Tri-Phuong. Le traité de Pékin étant heu-
reusement survenu sur ces entrefaites, un corps de débarquement de trois à
quatre mille hommes put être dirigé sur la Cochinchine, et les lignes de Ki-
Hoa furent enlevées les 24 et 25 février 1861. L'eipédition se continua par
des succès, et au commencement de 1862, au moment où le bataillon de
marche de Tirailleurs algériens arrivait pour renforcer les troupes débarquées
par l'amiral Cbarner, nous étions déjà maîtres de Hytho, Hion-Uoa et Uaria. 11
ne nous restait plus, pour compléter l'occupation du pays, qu'à nous emparer
de Vinh-Long et du territoire de la Basse-Cochinchine , où, favorisés par les
nombreux cours d'eau ou canaux qui sillonnent cette contrée, les Annamites
s'étaient solidement retranchés sous les ordres du grand mandarin Phan-
Than-Gian, récemment nommé vice -roi.
C'est sur ce point que furent dirigées les premières opérations auxquelles
les 2* et 8« compagnies prirent part. Ces opérations commencèrent par la prise
de Vinh-Long et se terminèrent par l'enlèvement des lignes de Mi-Cui.
La colonne qui devait marcher sur Vinh-Long fut organisée à Saigon dans
les premieirs jours de mars. Elle comprit : quatre compagnies de Tirailleurs
algériens (lesl'*, 2*, 3* et 6*), avec le commandant Piétri, une compagnie
d'infanterie de marine, deux de Tagals espagnols (troupe venue do Manille) ,
et une autre de Chinois, dits Cantonnais. IiO lieutenant- colonel IIcImuI, do
l'infanterie de marine , en eut le commandement. La flottille fut placée sous
les ordres de M. Desvaux, capitaine de vaisseau. Ces deux chefs obéissaient
à l'amiral Bonard, qui avait la direction supérieure de l'eipédition.
Ces troupes lurent embarquées à Saigon, du 11 au 12 mars, sur diverses
canonnières qui les transportèrent è Mytho, où elles se trouvèrent réunies
lé 14 au soir. Elles en repartirent le 20, à huit heures du matin, escortées
par la grande canonnière la Fusée, qui avait descendu la rivière de Saigon
jusqu'à son embouchure, pour prendre la mer et remonter ensuite le Cua-Daî,
l'une des branches du Mé-Kong. Arrivées au point de débarquement le lende-
main à trois heures du soir, elles furent immédiatement mises à terre et diri-
gées sur Vinh-Long.
La route conduisant à cette ville traversait un pays couvert d'une végétation
exceptionnelle et coupé par plusieurs affluents du Mé-Kong, dont les ponts
étaient défendus par des ouvrages en terre, qui ne pouvaient la plupart être
abordés que de front. Opérer sur ce point était donc difficile, et, si l'on songe
à là faiblesse de la colonne, même dangereux; mais le choix n'était pas pos-
sible, et il fallut bien en passer par là : ce qui , en somme , ne fut pas aussi
terrible qu*on l'avait pensé, les Annamites ne devant pas se défendre avec
beaucoup d'opiniâtreté dans ces positions avancées, où ils allaient être conti-
nuellement assaillis par la crainte de se voir couper de Vinh-Long.
Le 21, on arriva devant Varroyo (petite rivière) du Tantiel, défendu par
une fortification tenant lieu de tète de pont et dominée par un mirador, sorte
de tour en maçonnerie ou en charpente qu*on trouve dans toutes les villes,
tous les villages , tous les retranchements annamites ou chinois , et en haut
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[1862] EN GOCHTNCHINE 233
de laquelle se tient la vigie chargée de signaler rapproche de Tennemi. Dès
que la tête de notre colonne fut aperçue, les Annamites abandonnèrent leur
fortin , se retirèrent dans les retranchements de la rive opposée et détruisirent
le pont. Il était trop tard pour forcer le passage ; cette opération fut renvoyée
au lendemain.
Le 22, & sept heures du malin, le lieutenant- colonel Rcboul, & la tète
d\me compagnie de Tirailleurs (l^^) , des Tâgals , du génie et de deux obusiers,
vint prendre position en face du pont détruit, et se mit à canonner les ouvragée
ennemis. Pendant ce temps, Tinfanterie de marine essayait de franchir la
rivière à un kilomètre sur la droite, et, au bout d'une heure, parvenait sur
Fautre rive. Se voyant tournés, les Annamites abandonnèrent toutes leurs
fortifications. On y trouva trois pièces en fonte d'assez fort calibre. Dans la
même journée, on passa le Cal-Cong sans rencontrer de résistance, malgré
deux ouvrages élevés dans le but de retarder notre marche, et Ton arriva
devant les forts de Binh-Tong, construits dans une petite ile et couvrant com-
plètement les approches de Vinh- Long.
C'eût été téméraire que d'attaquer ces ouvrages de front : des petits piquets,
des palissades , des défenses accessoires très habilement disposées , auraient
arrêté l'assaillant sous le feu de la position dès que celui-ci aurait eu pris
terre, après avoir traversé le bras de rivière qui servait de fossé. Aussi fallut-il
aviser aux moyens d'une surprise, possible peut-être sur les autres faces,
qui n'étaient pas beaucoup moins fortifiées, mais où la vigilance des défen-
seurs était loin d'être aussi attentive. A la faveur d'une démonstration faite
sur le front principal par le lieutenant-colonel Reboul , le commandant Piétri,
à la tête d'une section de la 2« compagnie (capitaine Galland), remonta, en
dissimulant le plus possible son mouvement à l'ennemi, la berge pondant
quelques centaines de mètres; puis, se jetant & la nage avec sa petite troupe,
aborda au pied du bastion de droite , dont il tenta aussitôt l'escalade, et dans
lequel il pénétra avant que les Annamites eussent eu le temps de s'y opposer.
Ce hardi coup de main , exécuté avec un merveilleux sang-froid et une audace
qui eût été taxée d'insensée si le succès ne l'eût pas excusée , fit immédiate-
ment tomber les forts de Binh -long. Effrayés par cette attaque, et craignant
pour leur ligne de retraite , les Annamites s'enfuirent précipitamment , laissant
entre nos mains onze pièces de canon de tous calibres, six cents kilogrammes
de poudre et un fort approvisionnement de boulets. Ce résultat était d'autant
plus surprenant qu'il avait été obtenu sans effusion de sang.
La prise de Binh-Tong nous avait rendus maîtres de toute la ligne avancée
qui couvrait Vinh-Long. Nous étions maintenant aux portes de la citadelle
de cette ville, où le vice- roi s'était enfermé avec la plus grande partie de ses
soldats. Cette citadelle, construite sur les plans du colonel Ollivier (mission de
1788), était un quadrilatère do quatre cents mètres decêté, couvert par des
fossés de huit & dix mètres de largeur, et dont les faces étaient flanquées par
des demi-lunes demi -circulaires, sur le côté desquelles s'engageaient les
quatre portes donnant accès dans la place.
On prit position en attendant le lendemain. Les Tirailleurs algériens ,
impatients de combattre, se réjouissaient en pensant qu'on allait enfin en
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234 lÀ 3^ RÉGIMENT DE TIRAIIXEURS ALGÉRIENS [1862]
venir uno bonno fois aux mains. Ijû jour so leva; avec lui nppnrul une
épaisse colonne de fumée montant vers le ciel : c^étaient les bâtiments do la
citadelle qui brûlaient. Phan-Tban-Gian n'avait pas voulu risquer les cbaoces
d'un assaut; à la faveur de la nuit il avait évacué la place, et s'était dérobé
en embarquant son monde sur des jonques et en s'engageant sur un arroyo
qui lui avait permis de gagner le sud. Son arrière-garde, cbargée de mettre
le feu, venait de partir à son tour , et la ville ne renfermait plus un être vivant.
L'ennemi laissait entre nos mains un immense approvisionnement de riz et
de poudre, une quinzaine de canons, un nombre considérable de pierriers,
de lances , et quelques mauvais fusils.
Les quatre compagnies do Tirailleurs restèrent à Vinli-IiOng jusqu'au
26 mars. Ce jour- là, elles s'embarquèrent pour Caï-Laï, poste déjà occupé
par une compagnie d'infanterie de marine et situé au nord-ouest de Mytho,
et à peu de distance de Mi-Cui , position retrahchée où s'étaient réfugiées les
bandes de l'empereur Tu-Duc, et dont l'attaque était résolue pour les jours
suivants.
Trois colonnes furent organisées pour marcher sur ce point : la première,
sous le commandement du colonel espagnol Palanka-Guttierez, et composée
de Tagals de Manille, et de la 5* compagnie de Tirailleurs (capitaine Dar-
denne), devait partir de Mytho; la deuxième, sous les ordres de M. Vcrgne,
lieutenant de vaisseau, et comprenant cent quinze marins, avait pour mission
d'aller d*abord s'établir A Tan-Ly , au nord de Mytho, et de so diriger ensuite
sur les forts de Tonk-Niou, à l'est de Hi-Cui ; enfin la troisième, ayant à sa
tête le commandant Piétri, et comptant les l***^ et 2^ compagnies de Tirailleurs
algériens et un détachement d'infanterie de marine, devait venir de Caî-Lal
et prendre à revers une partie des ouvrages ennemis. M. Desvaux, capitaine
de vaisseau, commandant supérieur de Mytho, avait la direction des opéra-
tions.
Le 29 mars était le jour fixé pour le rendez -vous général et l'attaque simul-
tanée.
Les lignes de Mi-Cui avaient été élevées au milieu d'une grande plaine en
partie inondée et couverte de rizières. A Test, le terrain, assez praticable, n'é-
tait coupé que par quelques villages non fortifiés; à l'ouest, au contraire, il
était sillonné par plusieurs arroyos communiquant entre eux, et dont le prin-
cipal, appelé Taluoc, ne pouvait être franchi que sur un pont, dit de Mi- An,
le^|uel était protégé par un fort relié aux autres fortifications. Ces dernières
comprenaient trois groupes bien distincts : les forts de Tonk-Niou à l'est, ceux
de Mi-Cui-Taî à l'ouest, et la citadelle de Mi-Cui formant réduit au centre.
Le 27, le commandant Piétri exécuta, à la tête de la l*^ compagnie de son
bataillon, une reconnaissance qui démontra la possibilité do surprendre le
pont de Mi -An.
Ainsi que le prescrivaient les instructions reçues par chaque chef de colonne,
le mouvement concentrique eut lieu le 29. Les deux colonnes de Test enle-
vèrent sans coup férir le premier groupe de retranchements, c'est-à-dire les
forts de Tonk-Niou, et trouvèrent la citadelle de Mi-Cui évacuée. Quant à celle
du commandant Piétri, eUe n'eut qu'un combat d'avant-garde, que soutînt
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[18C2] EN COCIIINCIIINE 235
seule la seclion du sous-lieutenanl Roussel (2^ compagnie, capitaine Galland).
Grâce à l'élan donné par cet oflîcier, le pont de Mi-Ân fut rapidement enlevé,
et le restant de la colonne pénétra sans rencontrer d'autre résistance dans la
position do Mi-Cui-Taî, que Tennemi s'empressa d'abandonner. Ce rapide
succès n'avait coûté qu'un homme blessé & la 2» compagnie.
On employa les jours suivants à purger les environs de Caï-Lal des soldats
annamites qui s'y étaient réfugiés. Le 30, une section de la 2« compagnie
(capitaine Galland) alla saccager et brûler les villages de la rive gauche du
Taluoc. Le 31 , la même opération fut exécutée sur la rive droite par la l**" com-
pagnie.
Le 2 avril , la fraction du bataillon détachée à Gai- Lai prenait passage sur
plusieurs canonnières et rentrait à Mytho, où se trouvait déjà la 5« compa-
gnie (capitaine Dardenne). Le 4 , les Tirailleurs algériens qui avaient pris part
aux opérations contre Vinh-Long et Mi-Gui s'embarquaient pour Saigon, où ils
arrivèrent le 7.
La saison des pluies était arrivée, et avec elles l'époque des inondations. Les
communications par terre n'allaient plus être possibles qu*au moyen de digues
ou de chaussées bien souvent couvertes par les eaux , et que l'ennemi avait la
faculté de détruire h la moindre alerte donnée par les nombreux postes qu'il
avait installés pour nous surveiller. Dans ces conditions, la poursuite des opé-
rations devenait impossible, ou du moins passait entièrement aux mains de
la flottille, qui seule pouvait encore, au moyen des nombreux canaux reliant
entre eux les divers bras de Mé-Kong, parcourir cette vaste plaine devenue
un immence lac. Nos compagnies furent donc établies dans des cantonnements
aux environs de Saigon pour passer une partie de Tété dans le plus complet
repos. Les effets extrêmement meurtriers du climat de la Gochinchine com-
mençaient du reste & se faire sentir, et les fièvres, la dysenterie, dos maladies
do toute sorte, décimaient chaque jour le détachement, qui perdait plus de
monde ainsi qu'il ne l'aurait fait dans des combats continuels. Les Tirailleurs,
toujours fatalistes, toujours soumis d'avance au sort qui pouvait les attendre,
acceptaient cette situation difficile avec autant de résignation qu'ils avaient
autrefois subi le choléra en Grimée.
Gependant la cour de Hué, effrayée par la prise de Vinh-Long, avait repris
des négociations entamées depuis longtemps en vue de la conclusion de la paix.
Sentant que ses tergiversations habituelles ne pouvaient la conduire qu'à de
nouveaux désastres , elle consentit enfin à accepter les conditions qui lui étaient
imposées et , le 5 juin 1862 , fut signé à Saigon un traité qui cédait à la France
les trois provinces occidentales de la Gochinchine (Saigon, Bien-IIoa, Mytho)
et le groupe de Poulo-Gondore. Tu -Duc s'engageait en outre à payer à la
France et à l'Espagne une indemnité de guerre de vingt millions de francs,
et à ouvrir au commerce les ports de Tourane, Balat et Quangan. Il rentrait,
il est vrai, en possession de Vinh-Long; mais il ne devait y entretenir, ainsi
que dans les provinces occidentales qui restaient en son pouvoir, qu'un nombre
limité de soldats.
Il n'aurait pas fallu connaître le caractère retors des Annamites, pour ne
pas comprendre que ce traité, dicté par la nécessité, n'avait rien de sincère
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236 LB 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1862]
chez 008 ennemis. Ce n'était qu*an moyen do gagner du temps, do permettre
à leur habile diplomatie d'obtenir la rétrocession du territoire qui nous était
abandonné. En attendant le résultat de ces patientes machinations, les man-
darins allaient continuer à exciter secrètement les dispositions hostiles de la
population, et une guerre sourde, occulte, faite de ruses et de surprises,
devait bientôt succéder aux hostilités ouvertes que la paix venait do faire
cesser.
En prévision des événements qui n'allaient pas manquer de so produire
après la récolte du riz, les 2^ et 5« compagnies de Tirailleurs algériens furent,
à partir du 12 août, dirigées successivement par section sur Mytho, où elles
se trouvèrent réunies le 27. Là elles reçurent, dans le courant de septembre,
l'avis des récompenses suivantes accordées à la suite des expéditions de Vinh-
Long et de Mi-Cui.
Par décret du 15 juillet 1862, de S. M. la reine d'Espagne, étaient nommés :
Chevaliers de Tordre ( HM. Dardenne, capitaine.
d*Isabftlle la Catholique. { Aubrespy, lieutenant.
Chevaliers de Tordre
de Harie-Louise.
Lebouc, sergent.
Didier, sergent-fourrier.
Mohamed-ben-Brahim , tirailleur.
Par décret impérial du 22 du môme mois, la inédaillo inililairu était ac-
cordée au sergent Courrège et au caporal Nacer-bcn-Mossaoud.
Le 1*' octobre, la 2« compagnie reçut l'ordre de fournir un détachement de
cinquante hommes afin de disperser des bandes qui inquiétaient le canton
de Than-Quan, compris entre l'arroyo de la Poste et le Rac-Bac-Ly. Ce
détachement, sous les ordres du sous-lieutenant Guèze, du l^^ régiment, alla
coucher le soir môme à la pagode du marché de Luong-phu , où il fut rejoint
par le huyen (sous-préfet annamite) , amenant avec lui trente soldats et les
coolies nécessaires pour le transport des bagages. Le lendemain , il so dirigea
sur Binh -Kach , village indiqué comme le centre d'un rassemblement de trois
cents rebelles. Mais ces derniers, dès qu'ils aperçurent les Tirailleurs, s'en-
fuirent précipitamnîent, rendant ainsi la liberté à soixante prisonniers qu'ils
détenaient. Le huyen fit incendier les cases des chefs, et obtint la soumission
de dix communes. Le môme jour, la petite colonne se porta & Chao-Than, où
elle fit séjour pendant la journée du 3 , et le 4 arriva à Phu-Kiet. Le sous-
lieutenant Guèze ayant été désigné pour garder ce point avec vingt-cinq Tirail-
leurs algériens et dix soldats annamites, le restant du détachement rentra à
Mytho, où il arriva à temps pour accompagner à sa dernière demeure le capi-
taine Dardenne, qui avait succombé la veille, terrassé par une maladie contre
laquelle toute son énergie avait été impuissante & lutter. Par suite de ce décès ,
le commandement do la 5* compagnie fut, à partir de ce jour, exercé par
M. le lieutenant Aubrespy.
Le 13, les vingt-cinq Tirailleurs de la 2*^ compagnie détachés à Phu-Kiet
rentrèrent à Mytho.
Le 18, le sous-lieutenant Oriot, qui avait remplacé M. Cléry, nommé lieu-
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]1862] EN COCHTNGHINB 237
tenant, alla occuper, avec vingt-cinq hommes de la 5« compagnie, le poste de
Kien-Ân-Phu, près de Tarroyo de la Poste, au nord de Hytho.
Le 13 novembre, le lieutenant Aubrespy, le sous-lieutenant Kassem-La*
bougie et cinquante hommes do la S» compagnie , furent dirigés sur le village
de Cho-Gaô (marché au riz), à trois heures à Test de Hytho, dans le but de
protéger ce centre important contre les tentatives des rebelles de 66-Kong,
autre localité située non loin de la mer.
A peine installé, dans la nuit du 18 au 19 novembre, ce détachement eut,
en effet , & repousser une attaque tentée par une bande de cinq à six cents
pirates. Un certain nombre de ces derniers étant parvenus, à la faveur de
Tobscurité, à se glisser jusqu^au milieu du village, le poste fut tout à coup
mis en émoi par l'incendie de quelques cases et par des fusées lancées sur la
pagode où la troupe s'était logée. Tout le monde fut bient6t sous les armes,
et des patrouilles parcoururent les massifs de bambou d'où les incendiaires
furent immédiatement chassés. Une sortie effectuée par le lieutenant Aubrespy
à la tôte d'un groupe de quinze hommes , et quelques obus habilement dirigés
par une canonnière mouillée dans le Hac-Kahon, achevèrent do disperser les
insurgés, qui s'enfuirent à travers les rizières, où il fut impossible de les pour-
suivre. La nuit suivante, ils essayèrent encore d'une pareille tentative; mais,
des embuscades ayant été disposées aux abords du village, ils furent accueillis
par une fusillade qui leur enleva définitivement le goût de ces nocturnes expé-
ditions. Dans la journée qui s'était écoulée entre ces deux attaques, le sous-
lieutenant Guèze était arrivé à Cho-Gaô, avec quinze Tirailleurs de la 2« com-
pagnie, dix fusiliers marins, quatre artilleurs et un obusier de douze. Ainsi
renforcé, le lieutenant Aubrespy s'occupa de mettre la pagode en état de dé-
fense, et d'organiser le poste de telle façon, qu'il fût désormais à l'abri de
toute surprise.
Lo 2U novembre, le lieutenant Ccccaldi, avec vingt- cinq hommes do la
2<* compagnie, quitta Myllio pour suivre la rive gauche de Mé- Kong jusqu'au
confluent du Uac-^Gam, et remonter ensuite cette rivière et visiter certains
villages soupçonnés de s'organiser en bandes, sous l'influence d'anciens chefs
annamites. H rentra le lendemain , ayant trouvé partout un accueil empressé
et des protestations de soumission. Le 23 , il alla avec le même détachement
rolcvcr, au poste de Kien-An-Phu, lo sous-lieutenant Oriot, qui, le 27, rejoi-
gnit à Cho-Gaô le reste do sa compagnie, et permit ainsi au sous-lieutenant
Guèze de rentrer & Mytho avec les Tirailleurs de la 2<».
Depuis leurs tentatives des 18 et 19 novembre, non seulement les insurgés
de Gô-Kong ne comptaient plus surprendre le poste de Cho-Gaô, mais ils
cherchaient à se fortifier, en vue des opérations que pouvait entreprendre la
garnison de ce dernier. Ils avaient en toute hftte élevé, sur la route de Cho-
Gaô à Gô-Kong, une ligne de retranchements que le lieutenant Aubrespy eut
l'ordre d'aller reconnaître dans la journée du 29 novembre.
Cet officier partit à la pointe du jour, avec un détachement de quarante
hommes, dont dix fusiliers marins, et, après un trajet de 5 à 6 kilomètres,
arriva en face des ouvrages ennemis, construits en avant du village de Binh-
Phu-Nhiet. Reçu à coups de canon, il se contenta de reconnaître la position
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238 LB 3^ RÉOIMENT DB TIHAILLBURS ALGÉRIENS EN COCIIINCIIINB [l862]
desforU, et 86 mit lentement en retraite vers Cbo-Goô. Mais, à peine se
furent-ils aperçu de son mouvement rétrograde, que, devenant plus auda-
cieux, les Annamites sortirent de leurs fortifications et le suivirent à distance
avec trois ou quatre pierriers, dont les effets furent plus bruyants que meur-
triers. Quelques feux bien ajustés, exécutés parles fusiliers marins avec leurs
carabines, eurent des résultats tout à fait contraires, et les plus hardis ne
tardèrent pas à se disperser pour ne plus reparaître à portée de nos coups. La
reconnaissance rentra ainsi sans être autrement inquiétée.
Malgré ces succès, l'agitation était à son comble dans toute la région. Des
lamlnnhs (généraux) parcouraient les villages pour organiser la résistance et
pousser à l'insurrection. Ces mandarins, agents directs do la cour de Hué,
que celle-ci désavouait toutes les fois qu'elle était obligée de donner des expli-
cations sur leurs agissements, préparaient activement une révolte générale
qui devait éclatera la lin du mois. En attendant, ils réunissaient les notables,
présidaient à des conciliabules où les moyens d'action étaient discutés et
combinés avec ceux des autres parties de la province, en un mot mettaient
tout en œuvre pour qu'au premier signal tout le pays fût sur pied.
Prévenu par le huyen de Kien-An-Phu de la présence d'un de ces chefs au
village de Long-Dinh , le lieutenant Ceccaldi partit dans la nuit du 4 décembre
avec un groupe de dix hommes, et fut assez heureux pour surprendre celui-ci
au milieu d'une de ces réunions dont nous venons de parler, et de s'en em-
parer, ainsi que de seize autres insurgés, parmi lesquels se trouvaient quelques
autres mandarins militaires d'un grade inférieur.
Le soulèvement projeté eut lieu le 18 décembre. Mais l'autorité française,
prévenue par ses agents indigènes, avait pris toutes les mesures nécessaires
pour conjurer le danger. Tout se borna donc à l'organisation de nouvelles
bandes qui vinrent grossir celles qui parcouraient déjà la contrée, et ravager,
de concert avec ces dernières , les villages qui étaient restés soumis à notre
domination.
La plus active vigilance n'en était pas moins recommandée à nos postes ,
qui allaient désormais avoir à compter avec de nombreuses surprises, la plu-
part tentées pendant la nuit.
Le 21 décembre, le capitaine Galland, avec le lieutenant Toudji, le sous-
lieutenant Guèze et cinquante hommes de troupe delà 2» compagnie, alla
relever à Cho-Gaô le lieutenant Aubrespy, qui rentra à Mytho avec le déta-
chement de la 5<^ compagnie. Le 22, le lieutenant Ceccaldi quitta le poste de
Kien-An-Phu, devenu un peu trop exposé, et rentra également à Mytho.
Voici donc, d'après ce qui précède, quels étaient, à la fin de l'année 18G2,
les emplacements occupés par le détachement du 3** régiment de Tirailleurs en
Cochinchine (2* et S« compagnies).
2« compagnie : cinquante hommes à Cho-Gaô (capitaine Galland);
Une section à Mytho (lieutenant Ceccaldi).
5«» compagnie : tout entière à Mytho (lieutenant Aubrespy).
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CHAPITRE Vin
(1863-1864)
(1863) Dispositions prises pour arrêter rinsurrection. —Opérations dans les enyirons de
Alytho. — Sortie efTectuéc par le capitaine Galland contre les bandes daTien-hô.— Prise
de Ni-Biag. — Poursaite des rebelles. — Rentrée à Mytbo. — Deuxième sortie du capi-
taine Galland.— Combat du 22 février. — Retour à Mytho. — Nouyelle répartition des
dét'iclicnients — Récompenses. — Mouvements dans les postes occupés par les deux
cniu|iagnlrs. — Pertes résultant do maladies. — (IR64) Rentrée à Saigon. — Prépa-
ratifs de départ. — Traversée. — Débarquement à Philipperilie. — Rentrée à Gons-
tantine.
Ainsi quo nous Tavons dit plus haut , l'insurrection était générale; mais
c'était surtout dans les provinces de Mitho et de Bien - lloa que s'étaient con-
centrées les bandes de Quann-dhin (grand chef des rebelles). Partout où ces
bandes se trouvaient, les communications étaient coupées, les villages pillés
et rançonnés en hommes et en argent , nos postes investis , cernés et qudque-
fois assaillis et massacrés. Il en avait été ainsi, le 17 décembre, pour celui
de Uach-Tra, commandé par le capitaine Thouroude, de l'infanterie do ma-
rine. La situation devenait critique; les troupes que nous possédions dans la
colonie , malgré leur activité , malgré leur énergie , avaient de la peine à suf-
fire au service accablant qui leur incombait, et chaque jour les rebelles se
rapprochaient, devenant de plus en plus menaçants.
Il fallut faire appel h la division navale des mers de Chine, qui heureusement
disposait encore du 3<^ bataillon d'infanterie légère d'Afrique et de quelques
compagnies de débarquement. Les Espagnols ayant de leur côté fait Tenir de
Manille un nouveau détachement de huit cents Tagals, l'amiral Donard se
trouva bientôt à la tête de moyens suffisants pour prendre une vigoureuse
offensive, disperser les insurgés et imposer aux populations qui nous étaient
restées fidèles et que la crainte seule retenait dans le devoir.
Toutes ces forces furent divisées en trois groupes : 1<> l'infanterie de marine
et les Espagnols, sous les ordres du général Chaumont; 2^ trois compagnies
de Tirailleurs algériens, le bataillon d'infanterie légère d'Afrique, trois com-
pagnies de tirailleurs annamites etdeuxpiècesd'artiilerie,avec le commandant
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Î40 LE 3* RÉOIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l863]
Piélri; 3^ les trois autres compagnies do Tirailleurs algériens, dont les 2*
et 5*, les fusiliers marias et quelques sections de débarquement, sous le corn-
^ mandement du capitaine de vaisseau d'Ariès , gouverneur de la province de
Mytbo. La flottille devait prêter son concours à chacun de ces groupes, et
servir surtout au transport des troupes pour tous les mouvements rapides
que colles -ci allaient avoir à exécuter.
Ces dispositions étant données, nous n'allons maintenant ne nous occuper
que du troisième groupe, dans la composition duquel en Iraient les deux com-
pagnies du régiment.
Le 3 janvier 1863, le lieutenant Ceccaldi, le sous- lieutenant Labessi et
vingt hommes de la 2« compagnie , quittèrent Hylho avec une petite co-
lonne, qui, sous les ordres du lieutenant de vaisseau Dol, devait par-
courir le canton de Than-Quan, depuis le village de Phu-Kiet jusqu'à la rive
droite du Rac-Baby. Le 5, on rencontra, vers fiing-Kach, un millier d'Anna-
mites armés de lances et de mauvais fusils, et traînant après eux quelques
pierriers. Encouragée par notre petit nombre, cette bande tenta d'envelopper
la troupe de M. Dol; mais cette dernière, exécutant aussitôt une vigoureuse
attaque préparée par quelques feux dirigés au milieu de la masse ennemie,
eut vite fait de disperser les rebelles, qui ne reparurent plus de la journée.
Dans celte polite aifairo, les Tirailleurs déployèrent toute leur vigueur accou-
tuméo, et méritèrent tous les éloges du chef du lu colonne. Four leur propre
compte, ils enlevèrent ù l'ennemi des ariiies eu nombre œiisidéruble, sept
drapeaux et l'énorme tam-tam qui avait servi quelques instants auparavant
à donner le signal de l'attaque.
Cet incident fut le seul de toute cette opération. Le 7, la colonne rentra
à Mytho sans avoir revu un seul ennemi.
Le restant du mois de janvier fut employé aux préparatifs des nombreuses
expéditions qui allaient bientôt s'ouvrir et auxquelles toutes les troupes de
la colonie allaient bientôt prendre part. Le 26, le poste de Cho-Gaô fut oc-
cupé par un détachement de la colonne Piétri , et la 2® compagnie rentra
à Mytho, où tous les Tirailleurs du 3<» régiment se trouvèrent alors réunis.
Le 29 , le lieutenant Aubrespy, avec deux officiers et cinquaute-lrois hommes
de sa compagnie, alla réoccuper le poste de Kien- An-Phu, afin d'y protéger le
huyen , fonctionnaire indigène dont le dévouement pouvait nous être d'un
grand secours, et qui se trouvait exposé aux coups des rebelles qui infestaient
les environs.
Le 2 février, le sous-lieutenant Uuèze, toujours détaché & lu 2'* compagnie
pour y faire le service, se mit en route avec une section de quarante Tirail-
leurs (trente de la 2fi compagnie et dix de la 5^), pour se porter sur le vil-
lage de Bmh-Dang, à l'est de Mytho, où les insurgés avaient été signalés. 11
n'y rencontra qu'un détachement de Tirailleurs venus de Cho-Gaô et un autre
de matelots, qui avait remonté le Rac-Kaon. Ces trois groupes couchèrent
dans le village, et le lendemain se dirigèrent sur Cho-Gaô, que celui du sous-
lieutenant Guèze ne fit que traverser, pour rentrer le même jour à Mytho.
Pendant que ces opérations s'eflcctuatent au nord et à l'est de cette ville,
les compagnies de l'ouest étaient envahies par les bandes du Ticn-hô (chef
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[1863] EN COCIIINCHINE 241
des rebelles de cette région] , et ce dernier prenait position à peu de distance
delà, au village de Ni-Bing, sur la roule de Mytho à Hi-Cui. Il Importait de
Ten chasser au plus tôt, avant qu'il eût eu le temps do s*y fortifîor et d*in-
tcrccptcr les conuiiunicatîons avec Ton k-Niou, petit poste occupé par nous, à
environ trois kilomètres plus loin.
Le 5 février, une petite colonne, dans laquelle se trouvaient les lieutenants
Ceccaldi et Mohamed-ben-Toudji, cinquante Tirailleurs de la 2« compagnie
et vingt fusiliers marins commandés par renseigne Barrué, fut placée sous
les ordres du capitaine Galland, et, le même jour, quitta Mytho pour se rendre
à Long-Uoî, où elle fut rejointe par le sous-lieutenant Oriot avec vingt hommes
tirés du poste de Kien-Ân-Phu. Le convoi ayant été laissé à la garde de ce der-
nier détachement, elle repartit dans la nuit , et avant le lever du soleil attei-
gnit Long-Dinli, où l'on croyait surprendre le Tien-llô ; mais ce dernier, qu'on
y avait signalé la veille, avait déjà quitté ce village, et ce ne fut que vers le
milieu de la journée que des renseignements firent connaître qu'il s'était
retiré dans les fortifications de Ni-Bing.
Dès quil put être fixé sur la position réelle de l'ennemi, le capitaine Gal-
land fit reprendre les armes et se porta sur ce point, où il arriva à quatro
heures et demie. Il y trouva en effet les rebelles formés en bataille, mais cou-
verts par des palissades en bambous , par des retranchements armés d'une
dizaine de pierriers et par un marais , heureusement peu profond , s'étendant
sur une longueur de près d'un kilomètre et protégeant tout le front de la ligne
fortifiée. Sur toute cette ligne, des drapeaux de toutes les couleurs flottaient
oi^ueîlleusement , pendant qu'au centre deux grands parasols déployés indi-
quaient à tous la présence du Tien-hô et le point d'où devaient partir les si-
gnaux pendant le combat.
Malgré la situation désavantageuse où le plaçait cette disposition du ter-
rain et rénonne inrériorilé do sa petite troupe, dont l'elfcctif ne s'élevait pas
à plus do soixante-dix hommes, lors(|ue les Annamites étaient au moins sept
à huit cents, lu capitaine Galland n'hésita pas à attaquer. Ayant disposé ses
Tirailleurs et ses fusiliers marins sur cinq rangs successifs, avec des inter-
valles de deux pas entre les hommes de chaque rang, il s'élança à leur tête,
et se jeta résolument dans le marais, qui fut rapidement franclil. Arrivé à
deux cents mètres, il fit mettre la baïonnette au cauon et sonner la charge.
Au même moment, l'ennemi, qui jusque-là n'avait pas tiré un coup de fusil,
ouvrit le feu de ses pierriers, dont les projectiles allèrent se perdre dans l'eau.
Mais nos soldats, que cette décharge n'avait pu arrêter, avaient parcouru en
quelques bonds le court espace qui les séparait des retranchements et péné-
traient déjà dans ces derniers, où une panique indescriptible se produisit
aussitôt. Les Annamites, frappés de stupeur devant cette audace dépassant
tout ce dont ils croyaient capables de simples mortels, fuyaient terrifiés,
bravement guidés dans ce mouvement précipité par leurs chefs, dont la seule
préoccupation était, pour le moment, de mettre une distance respectable
entre nos balles et leur auguste personne. Un pierrier restait entre nos mains ;
sa prise était due au caporal Ali-ben-Kebah, de la 2® compagnie, qui avait
tué l'un des porteurs et s'était jeté sur les autres, qui avaient aussitôt,
16
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242 LE a^" RÉQIUKNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1863]
pour fuir avec plus do rapidilô , obandouné la pièco conliéo à lours soins.
Lo capitaino Galland donna quelques instants de repos à ses hommes ;
puis, après avoir fait mettre les retranchements qu'on venait d'enlever hors
d'état de servir de nouveau , il se dirigea sur Tonk-Niou , afin de s'y ravi-
tailler. Il resta dans ce poste toute la journée du lendemain, observant de 1&
les rebelles qui étaient revenus occuper un autre point de Ni-Bing. De l'arbre
qui servait de mirador, on les voyait distinctement élevant à la hâte de nou-
velles fortifications, qu'ils semblaient, cette fois, vouloir tourner vers l'ouest,
comme pour narguer Tonk-Niou, dont ils se trouvaient séparés par un marais
infranchissable.
Le 8, la petite colonne se trouva affaiblie de dix fusiliers marins envoyés
à bord de la canonnière stationnée dans le Rac-Gam. D'un autre côté, la gar-
nison de Tonk-Niou, sur le concours de laquelle on avait compté pour l'at-
taque de la nouvelle position de Ni-Bing, dut aller chercher, & trois quarts
d'heure du poste, un convoi de soiiante jours de vivres auquel la marée basse
n'avait pas permis d'aller plus loin. Réduit à n'emmener qu'une soixantaine
d'hommes, le capitaine Galland ne voulut cependant pas renvoyer cette opé-
ration au lendemain, pensant avec raison que pendant ces vingt -quatre
heures les difficultés augmenteraient dans des proportions plus considérables
que le renfort qu'il pourrait obtenir. Il se mit donc en route avec les cinquante
Tirailleurs et les neuf fusiliers marins qui lui restaient, et arriva jusqu'aux
retranchements enlevés l'avant-veille sans rencontrer un seul ennemi. Avant
de s'engager plus avant , il fit exécuter plusieurs reconnaissances. L'une de
ces dernières s'étant tout À coup trouvée en face do la position occupée par
les Annamites, il Fappuya immédiatement avec le reste de sa troupe et, dans
les mômes conditions d'infériorité que la première fois , aborda ses adver-
saires, dont les dispositions étaient sensiblement les mêmes que pour la
journée du 6.
De mémo que dans le combat précédent, les gens du Tien-hé laissèrent
approcher les nôtres sans tirer un seul coup de fusil , puis ouvriront le fou de
leurs pierriers, qui fut peut-ôtre un peu plus nourri, mais aussi peu meur-
trier. Le résultat qui suivit fut exactement le même : une fuite générale se
déclara sur tous les points; chefs et soldats se dispersèrent avec non moins
de précipitation , et bientôt il n'y eut plus personne derrière ces fortifications,
auxquelles les rebelles avaient travaillé avec tant d'ardeur. 11 était environ
six heures du soir; on poursuivit les fuyards jusqu'à la nuit, puis le capi-
taine rassembla ses hommes et les ramena coucher à Ni-Bing. On gros pier-
rier, des munitions, quelques lances, un étendard , deux affûts de pierriers,
le tambourin du Tien-hô, tels furent les trophées qu'on ramassa sur le terrain
du combat. Les pertes de l'ennemi s'élevaient à une centaine d'hommes tués
ou noyés et à dix- neuf prisonniers, parmi lesquels un qmn (capitaine) et
trois dois (sergents).
La journée du lendemain fut employée à raser tous les ouvrages de Ni-
Bing. Le soir, le détachement se remit en route après avoir incendié le village,
et vint coucher à Long-Hol| où il retrouva son convoi. Le 10, le capitaine
Galland , laissant encore là ce dernier sous la protection de quarante hommes
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[1863] EN COCIIINCHINE 243
commandés par le lieutenant Ceccaldi et le sous- lieutenant Oriot, repartit
avec les trente Tirailleurs restant, descendit le Rac-Gam jusqu*à sa jonction
avec le Mé-Kong, et remonta ensuite ce dernier pour aller coucher sur l'A va-
lanche, mouillée à Fentrée du Rac-Barraî. Le 11 , il suivit encore cet arroyo
jusqu'à Caî-Laï. Là les hommes furent répartis par deux et par trois dans des
jonriucs , qui allèrent se poster sur Tarroyo Commercial , où elles restèrent
pendant toute la journée du 12, observant le pays, où des mouvements im-
portants avaient été signalés; mais aucun incident ne se produisit. Le 13, le
capitaine Galland rallia ses hommes à Cal-La!, et les fit embarquer sur la
canonnière n® 27, qui les ramena le soir môme à Mytho, en même temps
qu'y arrivaient par terre ceux laissés à Long- Ho! avec le lieutenant Ceccaldi.
Le sous-lieutenant Oriot était également rentré à Kien-An-Phu avec le déta-
chement de la S® compagnie.
Cette sortie, très habilement et très vigoureusement dirigée, avait momen-
tanément dégagé le pays à l'ouest de Mytho, et chassé les rebelles de toute
cette région comprise entre le Mé-Kong et Tarroyo Commercial d'un côté, le
Rac-Barra! et l'arroyo de la Poste de l'autre. A l'est, les opérations étaient
poussées avec non moins d'activité. A cette même date, le commandant Pietri
était avec toute sa colonne devant les forts do Vinh-Loi, en avant do Gô-Kong,
et se trouvait aux prises avec le Quann-Dhin, le chef môme de l'insur-
rection.
Il s'agissait, sur ce point, de s'emparer successivement des nombreux re-
tranchements élevés depuis Vinh-Loi jusqu'à Dong-Son, et d'acculer l'ennemi
sur Gô-Kong , où l'on espérait le prendre entre les colonnes Pietri et Chaumont
d'un côté, et d'autres troupes envoyées de Mytho et les canonnières de la flot-
tille de l'autre. Pendant ce temps , des détachements d'inégale importance
devaient parcourir le canton de Than-Quan, entre Cho-Gaô et Tarroyo do la
Poste, et purger cette contrée des nombreuses bandes qui l'infestaient et qui
s'étaient retranchées à Long-Tri , village situé à environ une journée de marche
au nord-est de Mytho<
Dans ce dernier but, le lieutenant Aubrespy quitta le poste de Kien-An-Phu
le 14 février avec trente-quatre Tirailleurs de la 5* compagnie, et se rendit au
village de Phu-Kiet, où il rallia trente marins du Cosmao, vingt soldats an-
namites et les coolies nécessaires au transport de quelques jours de vivres.
IjC soir môme, il alla avec ce détachement coucher à la pagode de Mi-Trflng.
Le lendemain, au point du jour, il se présenta devant les lignes de Long-Tri,
qu'il trouva évacuées. Là il fut rejoint par une autre troupe partie de Cho-Gaô
avec le même objectif. Les deux groupes se reposèrent quelques jours; puis,
le 19, ils allèrent coucher à Binh-Dang, afin de marcher à la première heure sur
Binh-Phu-Nhiet, qu'on croyait encore occupé et qu'on trouva également aban-
donné. Le 21 , ils allèrent s'établir à Yinh-Lol, qui depuis deux jours était au
pouvoir du commandant Pietri. Ils devaient y rester jusqu*au 23, et rejoindre
ensuite une autre colonne partie de Mytho , et dont nous allons nous occuper.
Cette dernière avait été formée le 21 février avec cinquante Tirailleurs de
la 2* compagnie sous les ordres du capitaine Galland , et vingt-cinq fusiliers
marins commandés par l'enseigne Barrué. Le même jour, elle quitta Mytho
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2i4 LE 3* RÉGIMRNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1863]
et arriva à l'cnirée du Rac-Rinh-Quen , où so trouvait mouilléo V Avalanche. I«à,
elle se renforça de trente marins do cette canonnière , et le commandant Vergne
en prit la direclion tout en laissant au capitaine Galland le soin de conduire
les opérations de terre, qui devaient avoir pour but l'investissement de 66-
kong au sud , pendant que la colonne Pietri venant du nord rejetterait les
rebelles sur ce point.
Le 22, on remonta le llac-Rinh-Qucn jusqu'au village de Rinh-Quon, où
s'effectua le débarquement. La petite colonne se mit ensuite en marche dans
l'ordre suivant : à l'avant-garde, vingt-cinq Tirailleurs sous les ordres du sous-
lieutenant Guèze; puis successivement la 2* section de Tirailleurs avec le sous-
lieutenant Labessi, les vingt-cinq fusiliers marins de l'enseigne Rarruô et les
matelots de V Avalanche. Après une demi-heure de marche, pendant laquelle
on côtoya Binh-Quen, qui était complètement désert, on se trouva en face
d'un village retranché, dont le front était armé de cinq ou six pierriers.
Cet obstacle fut abordé et franchi au pas de course par les sous-lieutenants
Guèze et Labessi, et la colonne continua sa route en se prolongeant jusqu'à
la hauteur du Rac-Gia, arroyo sur lequel s'appuyaient de nombreux ouvrages,
qui furent successivement abandonnés par leurs défenseurs. Les Tirailleurs,
se lançant alors à la recherche de l'ennemi , qui semblait se dérober sur tous
les points, allèrent donner contre une ligne d'arbres, de maisons et de re-
tranchements limitant une plaine mamelonnée s'étcndant jusqu'au Roc-Gia.
Cette ligne était sérieusement occupée. On commença d'abord pur tirailler à
distance, puis les Tirailleurs s'étant par trop approchés, les Annamites sor-
tirent de toutes parts, envahirent la plaine et formèrent un demi-cercle
n'ayant pas moins de deux mille mètres de développement, avec des intervalles
remplis par une trentaine de pierriers. Un combat assez vif ne tarda pas à
s'engager avec ces bandes considérables, et malgré la disproportion existant
entre nos forces et celles de l'ennemi , ce dernier fut victorieusement maintenu
par la petite troupe du capitaine Galland, qui n'avait pas tardé & se grossir
des matelots de VAvalancJie et des fusiliers de M. Rarrué.
Il ne fallait pas chercher à enfoncer la masse toujours croissante de nos
adversaires, mais bien plutôt à nous tirer prudemment d'une situation que le
moindre incident pouvait compliquer. Pour faciliter une retraite qu'il était 8age
de ne pas se laisser dicter par les circonstances, le commandant Vergne avait
fait avancer, sous les ordres de l'enseigne Mortcmart, trente marins de la Dra-
gmme, dont la moitié fut disposée en tirailleurs. Sous leur protection , le mou-
vement rétrograde s'effectua lentement et en bon ordre dans la direction du
Rac-Gia. Cependant le cercle se resserrait de plus en plus; devenus confiants,
les Annamites se rapprochaient tellement , que les coups de leurs mauvais
fusils commençaient à porter dans nos rangs. Ils exécutaient déjà, au bruit du
tam-tam et au balancement des drapeaux , des passes extravagantes mimant
assez expressivement la décapitation des vaincus. Mais là s'arrêta leur fan-
tasia : trois charges, fournies successivement par renseigne Mortemart et les
sous-lieutenants Guèze et Labessi, culbutèrent soudain ces guerriers bizarres,
dont les exercices pyrrhiques se transformèrent aussitôt en un autre où les
Jambes seules furent en jeu. On les rejota assez loin; mais, dès qu'on eut
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[1863] EN COCHINGHINB 245
repris le mouvement en arrière, leur ligne se reforma. Ce combat, qui durait
depuis quatre heures, menaçant ainsi de se prolopger sans résultat déGnitif,
le commandant Vergne fit rentrer les troupes dans les retranchements enlevés
dans la matinée. L'ennemi les suivit pendant quelque temps, mais sans se
hasarder à aucune tentative sérieuse. Il avait du reste éprouvé des pertes asses
importantes, alors que de notre côté il n*y avait que quelques contusions sans
gravité.
Le 23 au matin , dans une reconnaissance poussée en avant du cantonne-
ment, le sous-lieutenant Labessi, avec vingtrcinq Tirailleurs et les marins de
la Dragonne, enleva une pagode retranchée située vers le milieu de la ligne
attaquée la veille, et s*empara d^un pierrier en tuant de sa main les deux por-
teurs. N'ayant ensuite ni les moyens do démolir cette construction ni ceux
de Toccuper solidement, il Tabandonna. Les robolics revinrent en toute hâte
pour s'y réinstaller; mais, le lendemain, une autre reconnaissance conduite
par le lieutenant de vaisseau Daisy, et dans laquelle se trouvaient vingt-cinq
Tirailleurs avec M. Guèzc, les en chassa de nouveau en leur prenant encore
deux picrriors.
Dans cette même journée du 23 février, le détachement du lieutenant Au-
brcspy et celui parti de Gho-Gaé arrivèrent à Vinh-Loî et se joignirent à la co-
lonne du commandant Vergne, qui se trouva ainsi renforcée d'environ cent
vingt hommes.
Le 25, le capitaine Galland, chargé de faire une démonstration dans la di-
rection de Gô-Kong, partit dès le matin avec la section du sous-lieutenant
Labessi, le détachement du lieutenant Âubrespy et les marins de M. Barrué
et de V Avalanche, en tout cent quarante hommes. Après avoir dépassé les re-
tranchements enlevés le 22, il se dirigea diagonalement à travers la plaine
et arriva au village de Uinh-Long, dont les habitants fuyaient déjà dans toutes
les directions. Partout d'ailleurs on ne voyait que de longues files d'Anna-
mites cherchant à gagner la campagne et à s'éloigner de G6-Kong. Supposant
que tous ces mouvements devaient avoir pour cause quelque événement ex-
traordinaire, le capitaine Galland rentra immédiatement au campement de
Rac-Gia, et en repartit à quatre heures du soir avec une autre colonne se
composant à peu près des mômes troupes que celles du matin, mais compre-
nant en outre dix sapeurs du génie et dix artilleurs avec une pièce de quatre
rayée. Le détachement de M. Aubrespy, qui devait s'embarquer le môme soir
pour Vinh-LoI, avait été remplacé par la section de M. Guèze, de sorte que le^
cinquante Tirailleurs de la 2^ compagnie se trouvaient maintenant réunis.
Le capitaine Galland revint s'établir à Dinh-Long. En y arrivant, il apprit
la prise de Gô-Kong. Les bandes qu'il avait vues le matin n'étaient autres que
celles du Quann-Dhin , qui, pressées par les deux autres colonnes, se dispersaient
précipitamment, abandonnant sans retour les fortifications qu'elles avaient si
patiemment élevées. Gô-Kong était maintenant au pouvoir de l'amiral Bo-
nard. Le rôle des troupes du commandant Vergne se trouvait terminé. Le 26|
le capitaine Galland rentrait dans les lignes de Rac-Gia et, le soir du même
jour, s'embarquait avec les hommes de sa compagnie pour revenir à Mytho.
Le lieutenant Aubrespy, qui, dans la journée du 25, était reparti pour
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2h% lE 3<* nÉGIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1863]
Vinh-Loi avec los trente-quatre Tirailleurs do la 5^ compagnie, resta dans ce
poste jusqu'au 28, donnant chaque jour la chasse aux débris des bandes échap-
pées de Gô-Kong; puis il se dirigea sur Cho-Gaô, qu'il quitta le l''' mars
pour aller détruire les fortifications de Long -Tri. Cette opération terminée, il
reprit le chemin de Kien-An-Phu , où il arriva le 5 au soir.
A la suite de ces opérations, les Tirailleurs des 2^ et 5* compagnies furent
cités avec les plus grands éloges par l'amiral Bonard pour les affaires de
Ni-Bing (6 et 8 février) et de Rac-Gia (22, 23 et 24 février). Quelque temps
après , les promotions suivantes faites dans l'ordre de la Légion d'honneur
vinrent récompenser ceux qui s'étaient le plus distingués. ^
Étaient nommés chevaliers :
MM. Ccccaldi, lieutenant.
Accarias, médocin-aide-iiiajor.
Mohamed-ben-Assen-Labessi , sous-lieutenant.
Ali-ben-Rebah , sergent.
Le souS'lieutenant Guèze, du !•' régiment, qui pendant toute cette dernière
période avait fait le service à la 2* compagnie, était nommé lieutenant.
En détruisant ou en dispersant les forces considérables que le parti de la
résistance était parvenu à réunir entre les mains du Quann-dhin , l'expédition
qui venait de se terminer avait non seulement déjoué toutes les machinations
ourdies par l'astucieuse cour de Hué, mais encore persuadé aux populations
des provinces soumises à notre domination que tout nouvel effort de ce genre
serait une folie. C'était son dernier soupir que l'insurrection nationale (si
toutefois elle peut mériter ce nom) avait rendu à Gô-Kong. Maintenant les
dissidents n'allaient plus se composer que de simples pillards, la plupart
venant des provinces non occupas, et formant des bandes indépendantes
encouragées, il est vrai, par les mandarins à la dévotion de Tu -Duc, mais
opérant sans accord, sans autre but que leur intérêt particulier, sans autre
stimulant que l'appât du butin. Pour en avoir raison, un simple service de
gendarmerie allait ôtre suffisant. Aussi, pendant l'année qui devait encore
s'écouler avant leur rapatriement , les Tirailleurs n'allaient-ils plus avoir qu'à
fournir de petites garnisons aux nombreux petits postes existant déjà ou en
voie de création pour le maintien de la tranquillité. C'est dans cette mission ,
peu en rapport avec leur tempérament, que nous allons les suivre jusqu'à
leur retour en Algérie.
Le 15 mars, le détachement de la 5* compagnie occupant Kien-An-Phu
rentra à Mytho. Le 20, le lieutenant Ceccaldi, avec cinquante hommes de
la 2«, lut envoyé à Cho-Gaô, où il resta jusqu'au 29 avril, sans qu'aucun in-
cident vint y signaler son séjour. Il y fut remplacé, le 29 du même mois, par
le lieutenant Aubrespy avec trente- cinq hommes de la 5®, pendant que le
Bous-lieutenant Oriot, avec le restant de cette dernière, retournait à Kien-
An-Phu.
Du 6 au 10 mai , le lieutenant Guèze, avec vingt-cinq hommes de la 2* corn-
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[1863] EN C0CHINCH1NB 247
pagnie, fut détaché sur le Rac-Baby, et rentra sans avoir de fait importaot
à enregistrer.
Le S juin, le lieutenant Aubrespy revint à Mytho et, le lendemain, fut
remplacé & Cho-Gaô par le lieutenant Ccccaldi avec la 2» section de la 2^ com-
pagnie. Le 7, le capitaine Galland, avec la l'^' section de cette dernière, alla
relever à Kicn-An-Phu le détachomont du sous-lioutonant Oriot, qui rentra
le soir môme à Mytho.
Le 6 août, les deux sections de la 5<> compagnie allèrent relever celles de la
2^^, de sorte que les postes de Cho-6aô et de Kien-An-Phu se trouvèrent de
nouveau commandés, le premier par le lieutenant Aubrespy, le second par
le sous- lieutenant Oriot. Le 8, celui de Cho-Gaô envoya un détachement de
quinze hommes au village de Chao-N*ghan, situé à trois kilomètres & Test.
Le 21 , la section de M. Oriot occupant Kion-An-Phu étant venue se joindre à
celle de M. Aubrespy, toute la 5® compagnie se trouva alors réunie à Cho-Gaô,
à l'exception des quinze hommes dont il est question ci-dessus et de dix autres
qui, le 22, furent envoyés au village de Binh-Dang. Ces dispositions restèrent
les mômes jusqu'au 9 octobre, jour où cette compagnie rentra à Mytho pour
y rejoindre la 2<^, qui depuis te commencement d*août n*avait pas bougé.
Le 6 novembre, le lieutenant Ceccaldi alla réoccuper Kien-An-Phu avec
trente-cinq hommes de la 2<) compagnie. Il resta dix-sept hommes de cette
dernière qui , le 29, partirent avec la 5® compagnie tout entière (cinquante-six
hommes) pour retourner à Gho-Gaô. Le capitaine Galland demeura à Mytho
pour y remplir les fonctions de commandant de la citadelle et de chef de tout
le détachement de Tirailleurs de la province, qui se composait, outre les deux
compagnies du 3® régiment, d'une autre du 2*.
Ce détachement, comme du reste toutes les autres troupes de la colonie,
avait été cruellement éprouvé par les maladies. De cet eflcctif de cent qua-*
rante hommes qu'elles avaient au départ d'Algérie, les compagnies étaient,
comme on vient de le voir, descendues à celui de cinquante; encore fallait-il
comprendre dans ce chiffre beaucoup d'hommes fatigués, et par suite inca-
pables de supporter les épreuves d'une opération de longue durée. Il n'y avait
plus, en réalité, & entreprendre des expéditions du genre de celles qui avaient
eu lieu pendant Thiver 1862-1863; mais il fallait cependant encore, indépen-
damment des Fréquents changements do garnison, faire quelques excursions
dans les environs des postes, afin de rassurer les populations paisibles tou-
jours en butte aux attaques des nombreux pirates qu'avait fait naître l'état
d'anarchie où se trouvait encore le pays. Des arrestations importantes de man-
darins ou de chefs^e bandes étaient souvent le résultat de ces marches, qui
avaient généralement lieu sur des renseignements fournis par les autorités
indigènes locales. Ces petites colonnes volantes, en débarrassant les campagnes
des agitateurs qui cherchaient encore à y semer les excitations de la cour de
Hué, contribuèrent pour une large part à la pacification progressive de la pro-
vince de Mytho et au rétablissement de Tordre et de la prospérité.
Au commencement de l'année 1864, la situation étant aussi satisfaisante
que possible , la tAche des Tirailleurs algériens Fut considérée comme achevée.
On les fit relever dans les postes qu'ils occupaient, et on les dirigea sur Saigon
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2^8 LE 3* RÉOIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN COCHINCIIINE [1863]
pour y procéder aux préparalib de leur rapatriement. Les 2* et 5* compagnies,
rentrées & Mytho les 19 et 21 janvier, et embarquées à cette dernière date,
s*y trouvèrent réunies le 23. Les autres suivirent de près, et, le 26, le ba-
taillon se retrouva, pour la première fois depuis le commencement de la
campagne, tout entier sous les ordres directs de son chef. Malheureusement
on y constatait de tels vides, que les compagnies n'étaient plus guère que des
sections. Elles allaient cependant être réduites à une expression plus simple
encore par le passage de cent deux volontaires, dont trente-quatre apparte-
naient au 3* régiment, à l'escadron de spahis de Cochinchine. Les hommes
désignés pour cette aflectation allaient encore rester deux années dans la co-
lonie, pendant que les autres n'attendaient plus qu'un transport pour les
ramener en Algérie.
Cette attente dura trois mois; enfin, le 1* mai, le Japon prit un peu plus
de deux cents hommes à son bord, et, indépendamment des volontaires ci-
dessus, tout ce qui restait de Tirailleurs en Cochinchine s'éloigna de cette
terre inhospitalière pour revenir sous le ciel plus clément de l'Algérie.
Le 5 mai, le Japwi arriva à Singapour, d'où il repartit le 7 pour atteindre
Ceyian le 15, et y faire escale jusqu'au 17. De Ceylan, il gagna Aden le 29,
y resta jusqu'au 31 , et aborda le 8 juin à Suez. Là mourut, d'une maladie
contractée au sein du climat pestilentiel qu'on venait d'abandonner, H. le
lieutenant Cohat, remplissant les fonctions d'oflScier payeur.
Le 11 juin, le bataillon quitta Suez en chemin de for et arriva le lendemain
à Alexandrie, où il dut attendre jusqu'au 4 juillet pour s'embarquer sur VEl-
dorado, qui le débarqua le 12 à Toulon. Le 19, il passa à bord du Labrador,
qui le transporta à Alger, où il arriva le 21. Enfin le détachement du S^" ré-
giment prit encore passage sur le courrier de la côte et revit Philippeville le
4 août. Immédiatement dirigé sur Constantine, il y arriva le 8, et y fut reçu
avec tous les honneurs dus à une troupe qui avait une fois de plus fait appré-
cier les rares qualités qui distinguaient le corps auquel elle appartenait.
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EXPÉDITION DU MEXIQUE
(1862-1867)
CHAPITRE IX
Guerre du Mexique. — Formation d*un bataillon de Tirailleurs destiné à prendre part
à l'expédition. — Départ d*Alger. — Traversée. — Débarquement à Vera-Cruz. — Le
bataillon est employé à Tescorte de convois. — Ck>mbat du 28 janvier 1863. — Cîoncen-
tration à Orizaba. — Marche sur Paebla. — Investissement de la place. — Difficultés
des premières attaques. — Tentative de ravitaillement de la part de Tennemi. —
Combat de San-Lorenzo. — Reddition de Paebla. — Marche sur Mexico. — Entrée des
troupes françaises dans la capitale du Mexique.
Lorsque, par dépêche du 4 juillet 1862, le ministre de la guerre avait
prescrit la formation d'un bataillon de Tirailleurs algériens pour renvoyer au
Mexique, il y avait déjà près de six mois que Timmixtion du gouvernement
français dans les affaires intérieures do ce pays y avait amené la présence do
noire drapeau. D'abord sous les ordres du contre-amiral Jurion do la Gravièro
et ne comprenant que trois mille hommes, le corps expéditionnaire en avait
eu bientôt six mille avec le général de Lorencez, et c'était pour le porter à
trente mille avec le général Forey, qu*on envoyait ces nouveaux renforts.
Jusque-là Texpédition ne s*était pas présentée sous des auspices bien en-
courageants; abandonnée par TEspagne et l'Angleterre, ses alliées de la pre-
mière heure, la France 8*était soudain vue seule à poursuivre celte entreprise,
et, de Faction politique qu'elle se proposait, elle avait bientôt dû en venir à
une intervention essentiellement militaire. On s'était bien vite aperçu que
Fenthousiasme des Mexicains, cet enthousiasme sur lequel on comptait pour
seconder notre influence et accomplir certaines réformes , avait été considéra-
blement exagéré , et que le parti national , au lieu de nous être favorable, était
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250 LE 3* RÉaillENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1862]
au contraire ouvertement hoslile à des changements qu*il se figurait comme
devant porter atteinte à sa liberté. Une marche de la Soledad sur Orizaba, puis
d*Orizaba sur Puebla, 8*é(ait terminée, le 5 mai 1862, par un sanglant échec
devant cette dernière ville, et par une retraite qui n'avait, il est vrai, pas été
inquiétée, mais qui avait ensuite permis à Tennemi de venir jusque sous les
murs d'Orizaba, et de menacer nos communications avec Vera-Cruz.
C'était cet insuccès et la situation critique qui en était résultée , qui avaient
décidé l'envoi de nouvelles troupes et le remplacement du général de Lorcncez
par le général Porey.
Présentant un effectif de trente- quatre oflSciers et de sept cents hommes
de troupe, le bataillon de Tirailleurs algériens dont la formation avait été
prescrite par le ministre fut organisée à Alger dans le courant du mois d'août.
C'est là que vinrent se réunir les contingents des trois provinces. Le détache-
ment fourni par le 3* régiment, détachement que nous avons vu s*embarquer
à Philippeville le 18 juillet 1862, y était arrivé le lendemain 19.
Voici quelle était sa composition en officiers :
1MM. Cottret, chef de bataillon.
Alzon, capitaine-adjudant-major.
Bock, médccin-aide-major.
/MM. Estelle, capitaine.
lr« coMPAGmi 1 ^™y» lieutenant français.
(Irt du 1er bataillon) \ Mohamed-bel-Gasm , lieutenant indigène.
f De Saint-Julien , sous-lieutenant français.
\ Yahia-ben-Simo, sous-lieutenant indigène.
/MM. DeVauguion, capitaine.
2« COMPAGNIB \ ^® Grontec, lieutenant français.
(3* du l»' bataillon) ] Assen-ben-Krélill , lieutenant indigène.
I Cailliot, sous-lieutenant français.
\ Béchir-ben-Hohamed , sous-lieutenant indigène.
A la suite du tiercement d'organisation , la compagnie du capitaine Estelle
devint la l^* du bataillon de marche, et celle du capitaine de Vauguion la 5«.
Le contingent du l*'' régiment forma les 3« et 6* compagnies , celui du 2<» les
2« et 4«.
L'embarquement eut lieu le 9 septembre sur le Ponlenoy, qui leva l'ancre le
lendemain pour faire route vers Vera-Cruz. Le 12, à huit heures du soir,
on passa le détroit de Gibraltar; le 16, on arriva dans la rade de Finchal (fie
Madère), où l'on fit relAche jusqu'au 18. Le 6 octobre au point du jour, on
aperçut la Martinique et Sainte-Lucie; vers midi, on mouilla en rade de Fort-
de-France. Le 9, les 1>^, 2«, 3* et 6« compagnies furent débarquées et logées
au fort Saint- Louis. Ces compagnies revinrent à bord le 12 au matin, et, le
13, le FonUnoy reprit la mer de concert avec VUlm et YAriège, emportant
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[1862] AU MEXIQUE 251
également des troupes. Le 20, on entra dans le golfe du Mexique, où, le 27,
on fut assailli par une violente tempête qui dura toute la journée et entraîna
un retard assez considérable; enfin, le 29, on arriva à'Vera-Gruz. Le débar-
quement s'effectua le 30 dans la matinée, et le bataillon de Tirailleurs alla
camper à Test de la ville.
Dès le lendemain eut lieu la mise en route de cinq compagnies ( la 3^ restait
àVera-Cruzpour y terminer le débarquement du magasin); elles se dirigèrent
sur laTéjéria, localité peu importante située sur la route de la Soledad. Le 4,
la i^^ compagnie (capitaine Estelle) fut désignée pour escorter jusqu'à celte
dernière ville un convoi de vivres à destination d'Orizaba. Le soir, elle bi-
vouaqua à la Pulga, et le lendemain arriva à la Soledad, où elle attendit
le bataillon qui, parti un jour après, ne s'y trouva que le 6, après avoir été
rallié à Santa-Anna par la 3<> compagnie restée & Vera-Cruz. La Soledad était
un grand village abandonné de ses habitants, et ne présentant d'autres res-
sources que celles qu'y avait réunies l'administration;
Le 7, les 1'* et 2® compagnies partirent encore pour escorter un nouveau
convoi. Elles s'arrêtèrent le même jour & Palo-Verde, village que la 2« avait
mission d'occuper. Le lendemain, la i^^ continua seule la route, passa à
Camarone et arriva le soir à Paso -del- Macho, où elle releva une compagnie
du l^' zouaves. Ces deux postes, Palo-Verde et Paso-deUMacho, situés sur
la route d'Orizaba, avaient surtout pour but la protection des petits détache-
ments et des convois se rendant de la Vera-Cruz à cette dernière ville, et
vice versa. Aussi , pendant près de trois mois, le service du bataillon allait-il
se borner à des escortes continuelles, la plupart sans incident, quelques- unes
marquées par de petits combats avec les guérilleros. Le 16., la 4* compagnie
quitta la Soledad, et alla avec sa 1*^ section renforcer le poste de Palo-Verde,
et avec sa 2*^ coluî do Paso -dcl- Macho.
Dans le commencement d'octobre eut lieu une petite opération. Des gué-
rilleros ayant enlevé , à peu de distance de la Soledad , quelques mulets chargés
à l'un des nombreux convois qui passaient sur ce point, le commandant
Cottret se rendit seul sur les lieux, afîn de s'assurer par lui-même de l'im-
portance des faits. Reçu par des coups de fusil, il dut se retirer; mais le 6,
à onze heures du matin, prenant avec lui la 3® compagnie, une section de
la 5^ et quelques cavaliers, il se dirigea sur le rancho * del Surdo, sur la rive
droite du Rio-Jamapa, qu'il savait être le repaire d'une audacieuse guérilla.
Il y surprit, en efTet, un assez grand nombre de ces voleurs; quatre furent
tués, le restant se sauva à la nage, nous abandonnant des chevaux, des
mulets et un butin considérable, fruit de plusieurs mois de rapines.
Le 18 décembre, les l''^', 2" et 4<) compagnies, c'est-à-dire la garnison de
Paso -del -Macho et celle de Palo-Verde, qui l'avait rejointe la veille, quittè-
rent Paso-del-Macho , où elles furent remplacées par une section de la 6* com-
pagnie, et arrivèrent le même soir à Chiquihuite, où elles prirent position.
Le 23, l'état- major et les 'S^ , 5<) et &^ compagnies, abandonnèrent également
la Soledad, escorlant un convoi de trente- sept voitures chargées de poudre.
' Village.
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252 LE 3* nÊGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1863]
Arrivé è Poso-del -Macho, lo commandant Cotlrol y laissa les S« cl G* com-
pagnies et continua avec la 3« et le convoi jusqu'à Chiquihuite , où il arriva le
25. Là il fit occuper, par les quatre compagnies réunies sous sa main, le
long et difficile défilé qui sépare l'immense plaine connue sous le nom de
Tierras ealientes (terres chaudes) du vaste plateau des Tierra$ templadas (terres
tempérées). Placé à moitié distance entre la Soledad et Cordova, le bataillon
allait encore, pendant plus de deux mois, assurer les communications entre
ces deux villes, et fournir tous les détachements nécessaires pour l'escorlodes
incessants convois allant et venant sur la route d*Orizaba. Ce service donna
lieu à un fait d'armes particulièrement honorable pour le 3* Tirailleurs.
Lo 28 jonvier 1863, le lieutenant Mohamed- Bouncp, qui avait remplacé
à la 5« compagnie H. Assen-ben-Krélill rentré en Algérie, ayant été avec
sa section et un détachement de vingt- huit chasseurs d'Afrique chargé d'es-
corter un convoi parti du la Soledad, se vit soudainement attaqué à G kilo-
mètres environ en avant do Palu-Verde. Son avant-garde, coiupusée du
peloton de chasseurs d'Afrique , d'abord brusquement arrêtée par le feu do
trois à quatre cents fantassins embusqués dans les broussailles épaisses qui
bordaient la route en cet endroit, fut presque immédiatement chargée par
une troupe de cent cinquante cavaliers ennemis. Malgré leur petit nombre,
les chasseurs n'hésitèrent pas à aborder hardiment ces nouveaux venus , qui
furent aussitôt dispersés. Mais ceux-ci se reformèrent, revinrent avec l'infan-
terioetclierclièrent à entourer le convoi pour y juter lu désordre et y pénétrer.
Disposant sa troupe avec beaucoup d*à - propos et la dirigeant avec beaucoup
de sang-froid, le lieutenant Bounep parvint ù déjouer toutes les tentatives dus
Mexicains, et força enfin ceux-ci à s'élpigner, après leur avoir infligé des
pertes considérables. L'ennemi se porta-alors à deux kilomètres en avant, sur
des hauteurs dominant la route, et, lorsque la colonne arriva à portée de son
feu, il recommença ses attaques. Les munitions commençaient à manquer;
les attelages du convoi, qui venaient d'être surmenés, avaient besoin de
repos; la situation devenait difficile. Nu voulant pos Tuggravur duvunlugu, le
lieutenant Bounep résolut de s'arrêter sur une bonne position, ut d'unvoyur
chercher à la Soledad les renforts et les munitions dont il avait besoin. Pre-
nant cette détermination pour l'aveu d'une défaite, l'ennemi essaya encore
d*une audacieuse agression ; mais , reçu cette fois par une vive fusillade exé-
cutée à bout portant, il prit la fuite et disparut pour ne plus revenir. Les
secours demandés, consistant dans cinquante cavaliers auxiliaires, arrivèrent
le soir même. La marche fut aussitôt reprise, et se continua jusqu'à Palo-
Verde sans être de nouveau inquiétée.
Cet engagement nous avait coûté deux hommes tués et trois autres blessés.
La portion principale du bataillon resta à Chiquihuite jusqu'au 19 février.
A cette date, les cinq premières compagnies se mirent en route pour Orizaba,
pendant que la 6* restait détachée au poste de Paso -del- Macho. Le premier
jour on atteignit Cordova, après avoir traversé Potrero et Aïo-Seco, deux
hameaux perdus au milieu des bois.
On se trouvait maintenant au milieu des terres tempérées , dans un pays
d'un aspect superbe, calme et réjouissant tout à la fois. Toute cette xone est,
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[1863] AU MEXIQUE 253
en eflct, ravoriséc par la nature et dotée des fruits les plus renommés des
tropiques. Aussi loin que Toeil peut s'étendre, on n*aperçoit que des pitons
couverts de forêts magnifiques que séparent d'étroites rallées sillonnées de
ruisseaux limpides descendant des rochers et disparaissant parfois sous des
voûtes épaisses formées de lianes enlacées. Une humidité continuelle et des
pluies très fréquentes, même dans la saison dite sèche, sont les seuls incon-
vénients qu*on puisse reprocher à cette région privilégiée.
Le 20, on s'engagea d'abord dans le Fortin, vallée très encaissée, arrosée
par une rivière abondante; puis on traversa Cantlapa, joli hameau au milieu
des cannes & sucre et des bananiers, au pied de la côte de Cocolate. La montée
de cette dernière, très raide et longue d*au moins deux kilomètres, conduisit
le bataillon sur le grand plateau où se trouve Orizaba, ville assez vaste et
bien bfltie, mais sale et mal pavée. On y séjourna jusqu'au 23. Là on apprit,
avec une bien légitime satisfaction , que les Tirailleurs algériens allaient être
appelés à participer aux opérations qui se préparaient contre la ville de Puebla.
D'après la nouvelle organisation des troupes, le bataillon faisait partie de la
2« brigade (général de Castagny) de la l*"* division (général Baiaine).
Depuis sa prise de commandement, le général Forey s'était activement oc-
cupé d'établir soigneusement les communications entre Orizaba et Vera-Cruz,
afin d'assurer le ravitaillement des troupes qui allaient s'avancer dans l'inté-
rieur; il avait ensuite fait altorder, par trois roules différentes, le haut pla-
teau d'Anahuac. A la date du 16 février, le général Bazaine avait son quartier
général dans la petite ville de Nopalucan, et la 2« division (générai Douay)
se trouvait réunie & Acatzingo et à Los-Reyes.
Le 23 février, le général en chef quittait Orizaba pour aller prendre lui-
même la direction des opérations; il emmenait comme escorte le bataillon
de Tirailleurs algériens. La petite colonne traversa d'abord le village d'Ingénio,
puis le hameau ruiné de Tecamalucan, et, après une étape de trente kilo-
mètres, arriva à Acultzingo, petit village indien situé entre les deux sources
du Rio-Blanco. Non loin de là se trouvaient les Gumbres, sorle de soubas-
sement naturel formant deux étages au-dessous du plateau d*Anahuac et
portant l'altitude de ce dernier à environ mille mètres au-dessus de la plaine
d'Acultzingo. Ce double seuil est constitué par deux épaisses murailles, presque
verticales, séparées par une étroite vallée courant du nord au sud et que suit
la roule de Tcluiacan.
Le 24, on gravit la première montée par une route faisant de nombreux
lacets et passant près des ruines du fort Presidio, site magnifique d'où l'œil
pouvait embrasser un merveilleux panorama. Après neuf kilomètres de cette
marche fatigante, mais égayée par la beauté du paysage, on arriva à Puente-
Colorado , hameau presque désert , bâti au pied de la deuxième muraille et
dans la petite vallée dont nous avons parlé. I^ lendemain, on franchit les
deuxièmes Cumbres, et, oprès un trajet de dix kilomètres, on déboucha tout
à coup dans une vaste région tout à fait difierente de celles déjà parcourues :
c'était le plateau d'Anahuoc, qui s'étend jusqu*au delà de Mexico. Comme
nature du sol , on se serait cru dans le pays des hauts plateaux d'Algérie; mais
le climat et les produits en étaient diiïcrents. Çà et là on apercevait quelques
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S54 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1863]
champs de maïs, perdus au milieu d'immenses espaces couverts de magiicy
(sorte d'aloës). La saison des pluies passée, rien n'est moins riant que l'aspect
général de cette contrée; il ne reste plus alors que de rares flaques d'eau ou
quelques puits à moitié tarb ; toute verdure a disparu , et l'on ne découvre
tout autour de soi que les tiges brûlées des mais ou les feuilles glauques du
magney. Cette plante est une richesse pour le pays ; elle sert à tous les usages :
on tire de son suc une liqueur assez agréable appelée pulque, qui sur la plu-
part des tables mexicaines remplace le vin ; on fuit des cordes et des tissus
avec ses fibres, du feu avec ses tiges et dos tuiles avec ses feuilles. Le magney
constitue en outre de très bonnes clôtures, et pousse sans qu'on s'en occupe.
On passa la nuit du 25 au 26 à la Canada, village à peu jprès abandonné,
situé près d'un filet d'eau. Le 26, le bataillon quitta la route directe d'Orizaba
à Puebla pour se diriger au nord, sur San-Andrès ou Cholchicomula , afin
de rejoindre la division Bazaine à Nopalucan. Pendant cette journée, une cha-
leur suffoquante et des flots d'une poussière nuageuse, dont l'atmosphère se
trouvait imprégnée, rendirent la marche extrêmement pénible. Le lendemain,
on campa à l'hadenda ou métairie de San- Francisco -Alquivez. Toute la
plaine, couverte de maïs, à peine bordée à l'ouest par quelques collines aux
flancs déchirés, était parsemée de ces haciendas. C'étaient de vastes fermes
fortifiées, parfois très coquettes, entourées de huttes d*lndiens, et rappelant
d'une manière frappante les cliAleauz de notre époque féodale, avec leurs
serfs, leurs immenses terres, leurs troupeaux, leurs tours crénelcus, leurs
hommes d'armes et leurs larges fossés.
Le 1^ mars, on arriva à Nopalucan , où se trouvait déjà la 3^* compagnie
partie un jour plus tôt d'Orizaba. La i^ division était tout entière cantonnée
dans les haciendas des environs; les Tirailleurs furent logés dans celle de
San ta -Rose, qu'ils quittèrent deux jours après, pour aller relever les zouaves
à San -Antonio-Tamaris.
Le 9, le général de Castagny , commandant la 2* brigade de la l''*^ division ,
ayant établi son quartier général & la Floresta , appela à lui le bataillon de
Tirailleurs, qui faisait, comme on le sait, partie de sa brigade.
L'arrivée du général Forey avait été le signal du commencement des opéra-
tions, lesquelles devaient aboutira un seul but : l'investissement de Puebla,
où le général Ortega s'était enfermé avec une armée d'environ quinze mille
hommes. Le 13 mars, le général de Castagny quittait la Floresta avec le
bataillon de Tirailleurs, celui du 20"* chasseurs, une compagnie du génie et
une batterie de campagne, et, après avoir rallié deux bataillons du zouaves
et d'autres détachements de l'artillerie et du génie, allait établir son bivouac
à Acajete, à quinze kilomètres au sud-ouest. Le 16, toutes les troupes con-
centrées sur ce point se mirent en mouvement de grand matin ; le bataillon
de Tirailleurs se porta sur la crête du Cerro-Amalucan, mamelon assez élevé
dominant Puebla et ses environs, et d'où l'on pouvait voir la ville, avec
ses clocliers, ses coupoles, ses forts, ses innombrables défenses jusqu'aux
moindres détails.
Le 17, toutes les troupes de la brigade Nègre (l^^ de la l'« division), le
parc, l'ambulance, le convoi, les services auxiliaires de la division Bazaine,
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[1863] AU MEXIQUE 255
se mirent en roule pour tourner Puobla par le sud et venir s'établir à Tha-
cienda de San-Bartholo. La brigade de Castagny garda sa position du Gerro-
Amalucan. Le 23, le général, qui s*était installé à la ferme d'Alamos, laissa
le commandement d'Amalucan au colonel du 95^^ de ligne, et se porta & Mayo-
rosco avec le bataillon de Tirailleurs algériens , une section de montagne et
les Tuséens.
L*attaque ayant été décidée du côté de Touest, la tranchée fut ouverte, dans
la nuit du 23 au 24 mars, devant le fort San -Xavier ou Pénitencier. Ce fort
fut enlevé le 29 par les troupes de la brigade L'Hériller. Mais ce succès n'a-
vança pas beaucoup les opérations; les Mexicains se fortiGèrent dans les
maisons voisines, et, grAce au tracé régulier des rues, formèrent, avec les
artères perpendiculaires , des cadres de maisons dont chacun devint une véri-
table forteresse : derrière les murs s'élevaient d'épais retranchements en
terre, puis, au delà de ceux-ci, des grilles de fer, des fossés, de nouvelles
tranchées, des créneaux, des blindages, en un mot tout ce que la défense la
plus désespérée peut imaginer. Si à cela on ajoute la faiblesse de notre artil-
lerie, l'insuffisance de notre approvisionnement en munitions,le8 exigences du
blocus de la place, on comprendra toutes les difficultés que présenta ce siège,
et l'on s'expliquera facilement les quelques échecs qui vinrent tromper nos
eflbrts, notamment dans les journées des 4 , 6 et 25 avril.
Depuis le 23 , le bataillon de Tirailleurs prenait part au service de tranchée.
Le 26, il quitta la position de Mayorosco pour aller, à Puente-de-Los-Animas,
relever un bataillon d'infanterie de marine. Il y resta jusqu'au 14 avril, et
revint s'établir en avant de Mayorosco. De ce côté, une nouvelle tranchée
avait été ouverte et se poursuivait avec la plus grande activité. Le général
Bazaine avait fait exécuter devant le fort de Carmen un solide ouvrage de
campagne, appuyé par une batterie qui enfilait une des principales rues de
Pucbla.
Le 19 avril , aux attaques de gauche, le colonel Mangin , du 3^^ zouaves, Gt
enlever les cadres n<>* 29 et 31. Le soir, le bataillon do Tirailleurs algériens
se porta en toute hâte au Pénitencier pour servir de renfort, s'il en était
besoin. A dix heures, le général Douay le renvoya dans ses bivouacs. Le len-
demain , il prit de service le tranchée pour trois jours.
Cependant un assaut dirigé le 25 avril contre le couvent de Santa-Inès
ayant échoué , il fallut suspendre ce système d'attaque de vive force et attendre
que l'arrivée de l'artillerie et des munitions qu'on attendait de Vera-Cruz nous
permît d'agir avec des moyens répondant à ceux de la défense. Ce temps
d'arrêt fut employé à compléter les travaux d'investissement et à enfermer
la garnison de Pnebla dans un cercle qu'elle ne pût tenter de franchir.
Ces dispositions ne pouvaient être prises avec plus d'opportunité. A peine
étaient-elles achevées, qu'on apprenait en eflet que le général Comonfort, qui
avait reçu du président Juarez le commandement de Tarmée de secours, se
préparait à tenter un elTort sérieux pour faire parvenir des vivres aux assiégés.
Le 5 mai, l'ennemi fut signalé dans la direction de San-Pablo-del -Monte.
Un escadron de chasseurs d'Afrique envoyé sur ce point y rencontra un
millier do cavaliers mexicains appu\és par de l'infanterie et de l'artillerie. Il
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256 LE 3"* RÉOIlfENT DB TIRAILLEURB ALGÉRIENS [l863]
s'en suivit un assez vir combat dans lci|uoi intorvinrciil (|Ucl(|uos compagnies
du 99* , et qui se termina des deux ciblés par une retraite sur les positions
précédemment occupées. Le 6 , Comonfort reprit l'oiïensivo et obtint d'abord
quelque succès en chassant plusieurs postes d'auxiliaires mexicains du pas-
sage de l'Atoyac et des hauteurs de la Cruz ; mais l'arrivée des colonnes fran-
çaises vint bientôt l'obliger à rétrograder à son tour, et à renoncer à joindre
son canon & celui de la place pour faire pénétrer son convoi.
Ces insuccès ne découragèrent pas le général mexicain ; ne pouvant réussir
à tromper la vigilance des postes français , il résolut de s'établir solidement
sur les hauteurs de San-Lorenzo, situées à environ dix kilomètres au nord-ouest
de Puebla , et de devenir ainsi une menace continuelle pour notre ligne d'in-
vestissement. Toute la journée du 7 fut par l'ennemi employée à des tra-
vaux do fortification et è l'organisation défensive du village et de ses abords.
San -Lorcnzo était une localité de peu d'importance par elle- uiôme, mais
se pr&tant admirablement, par sa situation au sommet d'un mamelon bordant
la rive droite de l'Atoyac, à une longue résistance contre un ennemi de beau-
coup supérieur. A l'ouest, le terrain était relativement facile et présentait des
pentes douces et ondulées couvertes de magney, de cactus, de bouquets
d'arbres , de cases indiennes , et se prolongeant au loin pour aller se fondre
avec la plaine d'Ocotlan; à l'est, au contraire, il se terminait tout à coup par
des flancs abrupts tombant sur l'Atoyac et rétrécissant cette rivière , qui n'était
guéable qu'un peu en amont, près du moulin de Pensacola; au sud, un plan
légèrement incliné et complètement découvert formait, pour ainsi dire, un
immense glacis aboutissant , à environ deux kilomètres du village , à une petite
barranca (ravin) , aux bords assez escarpés.
Dès qu'il fut renseigné sur la nouvelle position occupée par l'armée juariste ,
le général Forey résolut de l'en déloger. En conséquence, une colonne, com-
posée du l^''^ bataillon du 3*» zouaves, du 2<* bataillon du Ul» de ligue et de
celui de Tirailleurs algériens, partit avec le général Bazaine du camp devant
Puebla le 7 mai, à cinq heures du soir, pour se rendre à l'iiacimida do Santa-
" Cruz en avant du pont do Mexico. Là elle fut ralliée par un bataillon du
81* deux escadrons du 3* chasseurs d'Afrique et un du 12» chasseurs, la bat-
terie d'artillerie de la garde impériale, une ambulance complète et environ
deux cent cinquante cavaliers mexicains.
Il était minuit lorsque ces divers éléments se trouvèrent réunis. On prit le
café. A une heure du matin , la colonne se mit en marche ; elle suivit d'abord
la route de Mexico jusqu'au village de Cuautlancingo , puis elle prit à droite,
et se dirigea à travers champs pour éviter les postes ennemis. Le silence le
plus absolu était recommandé. On s'avança ainsi, en prenant toutes sortes de
précautions, jusqu'à une assez faible distance de San-Lorenzo. Tout à coup
la pointe d'avant- garde fut arrêtée par le Qui vive? d'une sentinelle ennemie.
L'obscurité était profonde; le général Uazaioe lit répondre par un cavalier
mexicain , et l'on passa sans autre incident que ces deux cris qui se perdirent
dans la nuit. Un approchait. Bientôt on rencontra la barranca; il fallut s'ur-
réter, faire des rampes pour l'artillerie; de là une légère perte de temps. Cet
obstacle franchi, il était un peu plus de quatre heures, et le jour commençait
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[1863] AU MEXIQUE 257
& dessiner une large bande rougefltre à Thorizon. Uu peu plus loin, un nou-
veau poste fut mis en éveil. 11 n*y avait plus moyen de dissimuler l'opérationt
Le général Bazaine ordonna qu'on enlevât le poste; en même temps il pressa
la marche des troupes et prit rapidement ses dispositions pour attaquer San-
Lorenzo, dont les hauteurs, voilées par une l^re brume matinale , apparais-
saient maintenant à une portée de canon.
La position avait été solidement Tortifiéc : une ligne continue d*épaulement8
en Taisait une sorte de grande redoute ouverte à la gorge , dont l'église du
village, crénelée et mise en état de défense, représentait le réduit. Huit pièces
d'artillerie armaient la face sud et la gorge, constituée par la face ouest. Toutes
les troupes du général Echegaray, c'est-à-dire sept à huit mille hommes,
étaient là avec le convoi de ravitaillement. Comonfort, avec l'autre partie de
ses forces, était resté sur la rive gauche de l'Atoyac.
Ce fut Tartillerie ennemie qui la première ouvrit le feu. On était alors à un
peu plus de 1,000 mètres. Notre infanterie fut aussitôt déployée par bataillon
en colonne à distances entières, le bataillon du 3® zouaves à droite, celui du
51* de ligne à gauche, les Tirailleurs algériens au centre. Le bataillon du
81* de ligne avait été laissé à la garde des bagages et devait, comme réserve,
appuyer l'attaque si le besoin s'en faisait sentir; celui du 3* zouaves fut dé-
doublé et forma ainsi deux colonnes, au milieu desquelles vint se placer la
batterie de Vaudrey , de la garde. Ces divers mouvements furent exécutés par
nos troupes sans tirer un coup de fusil, et avec autant de rapidité que de pré-
cision. Quand ils furent terminés, la ligne se trouva formée en échelons, par
bataillons à cent pas, l'aile droite en avant, celle de gauche prolongée par la
cavalerie, dont les escadrons avaient pour mission de rejeter sur l'Atoyac les
fractions ennemies qui chercheraient à s'échapper de San-Lorenzo.
Il était un peu plus de cinq heures quand fut donné le signal de l'assaut.
La colonne entière, ayant à sa tête le général baron Nègre, se précipita sur
les ouvrages ennemis : huit cents mètres l'en séparaient encore, huit cents
mètres sur un terrain n'oflrant pas le moindre abri et battu de tous côtés par
les feux de la défense. Bouillants d'impatience, heureux de pouvoir enfin res-
pirer la fumée enivrante de la poudre , de se jeter dans le tourbillon eflréné
d'une lutte où leur arme favorite, la baïonnette, allait avoir la plus brillante
part, les Tirailleurs algériens s'étaient élancés avec une irrésistible ardeur.
D'un bond héroïque ils se trouvèrent sur San-Lorenzo. Le capitaine Estelle
était en tôte avec sa compagnie; sous le feu le plus violent, il escalada les
épaulements, franchit la première enceinte, déborda une partie des pièces
ennemies et pénétra dans le village, où tout le bataillon se trouva alors engagé
dans de petits combats partiels, dans lesquels l'ennemi opposa une vigoureuse
résistance. Mais, chassés de leurs fortifications, menacés sur leur droite par
le bataillon du 51* et le mouvement tournant de la cavalerie, culbutés sur
leur gauche par les zouaves , dont quelques compagnies se trouvaient main-
tenant confondues avec celles de Tirailleurs algériens , les Mexicains commen-
cèrent à se retirer afin de gagner avant l'assaillant la seule ligne de retraite
qu'ils possédassent sur l'Atoyac. Déjà le convoi de ravitaillement avait repassé
cette rivière, et rétrogradait précipitamment sur la route de TIaxala. Dans ce
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258 LE 3"* RÊQIIfBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [iSdS]
court mais brillant épisode, deux Tirailleurs du 3<^ régiment, les nommés
llamod-ben-Myoub et Klienil-bon-Ali, 8*élaieiit oinpai^és do deux drapeaux
înexicains en les arrachant des mains de leurs porteurs.
Il ne restait plus que l'église , où s'était retranché un bataillon de zapadorès.
Ici la défense fut opini&tre; accueillies par une fusillade des plus meurtrières,
les premières compagnies qui abordèrent la position durent s'arrêter un instant
pour se reformer; mais bientôt, une compagnie de touaves étant parvenue à
se frayer un passage, Tennemi craignit d'être cerné et se relira.
Cependant Gomonfort était accouru avec quelques renforts; d'autres descen-
daient en toute héte de San-Francisco. Mais il arrivait trop tard pour rétablir
le combat; il dut céder au courant des fuyards et se rabattre également sur
l'Atoyac, poursuivi par la cavalerie française, qui avait chargé ràolument les
groupes chassés de San-Lorenzo, pendant que notre infanterie gagnait, sans
perdre de temps, le gué de Pensacola. Là eut lieu une confusion indescriptible :
les débris de Tarmée mexicaine, qui n'avaient pu atteindre la rive opposée,
se virent tout à coup coupés de leur ligne de retraite et obligés de mettra bas
les armes; en même temps Tirailleurs, souaves et soldats de la ligne pas-
saient la rivière, se jetaient sur le convoi de ravitaillement, et capturaient
les voitures toutes attelées. Le désordre chez Tennemi était à son comble :
plus de commandement, plus de direction, plus d'effort pour s^opposer & la
marche des vainqueurs ; tout le inonde fuyait pêle-mêle et avec une telle
rapidité, que la poursuite dut bientôt cesser devant Timpossibilité d'atteindre
les vaincus.
Il était alors six heures et demie. Le général Marquez, en position sur le
Cerro de la Cruz , en était descendu avec deux bataillons et deux escadrons;
il reçut la mission de pousser jusqu'à Santa-Inès-Zacatelco; les autres troupes
furent ralliées. En une heure et demie, nous avions livré et gagné une véri-
table bataille , détruit une armée; Gomonfort, qui, trois jours auparavant,
caressait orgueilleusement le projet de forcer notre ligne d'investissement,
d'approvisionner Puebla, de nous tenir ensuite en échec avec des forces que
son succès aurait considérablement grossies , Gomonfort fuyait avec des bandes
désorganisées, démoralisées, incapables de reprendre la campagne, désor-
mais impuissantes à secourir Ortéga, dont la capitulation ne devenait plus
qu'une affaire de temps. L'ennemi avait eu environ huit cents hommes tués
ou blessés; il laissait entre nos mains douze cents prisonniers, tous ses canons,
toutes ses munitions, quatre drapeaux, onzo fanions, cinq cents mulets et
tout le convoi destiné au ravitaillement do la place assiégée.
Est-il besoin de dire que, dans ce combat, comme dans tous ceux où ils
avaient été appelés à marcher au premier rang, les Tirailleurs algériens s'é-
taient montrés admirables d'audace et d'intrépidité ? Est-ce la peine d'ajouter
qu'ils étaient en droit de revendiquer une large part dans ce magniGque succès ?
Non; les Tirailleurs furent à San-Lorenzo ce qu'ils avaient été à Zaatcha,
à Laghouat, à l'Aima, à Inkermann, à Malakoff, à Magenta, à Solférino : ils
ne le cédèrent en rien aux plus braves, aux plus aventureux, et si nous insis-
tons sur le rôle qu'ils jouèrent dans cette lutte de quelques heures, la plus
imporiaiitc et la plus décisive de Toxpédition, c'est uniquement pour relever
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[1863] AU MEXIQUE 259
un Tait qu*il est de notre devoir de rétablir dans toute sa vérité. Nous voulons
parler du nombre de drapeaux que le bataillon enleva à Tennemi. L*annuaire
de la Légion d'honneur, dans le motif de la décoration du drapeau du 3* Tirail-
leurs , et la plupart des récits ou historiques parlant du combat de San-Lorenso
n*en signalent qu*un seul. C'est une erreur : il y en eut deux. Pour 8*en con-
vaincre, il suffit de consulter deux documents dont Tautorité ne saurait être
discutée : le rapport du général baron Nègre, qui commandait toute l'infan-
terie dans ce combat, et Tordre de Tarmée n9 145, daté de devant I^uebla le
17 mai 1863. Voici ce que dit & ce sujet le général baron Nègre en s'adres-
sent au général Bazaine : « Quant aux Tirailleurs algériens , bataillon héroïque,
< entrain admirable, chef de bataillon remarquable. J'appelle toute votre
c attention sur le brave commandant Cottret. M. Alzon, capitaine adjudant-
< major, déjà proposé pour chef do bataillon, s'est conduit comme un véri'
< table solilat. Oette expression doit lui donner les plus grands titres... Deux
« Tircdlkurs fnont apporté des drapeaux. Le commandant Cottret vous donnera
< à cet égard tous les renseignements * , le temps me manquant pour com-
< pléter un travail que mon cœur voudrait pouvoir écrire. » Dans l'ordre de
Tarmée n^' 145, dont on trouvera plus loin un extrait, les deux Tirailleurs
Hamed-ben-Myoub et Khenil-ben-Ali sont cités chacun pour la prise d'un
drapeau. Devant ces deux témoignages, le doute ne peut plus exister.
La remarque absolument incidente que nous venons de faire n'ayant d'autre
but que de compléter un renseignement qui, bien qu'important, ne peut ni
grandir ni diminuer la gloire acquise par le 3* régiment de Tirailleurs algé-
riens, on aurait tort de la prendre pour autre chose que pour ce qu'elle est :
c'est-à-dire pour une revendication légitime, à laquelle un corps ne saurait
renoncer sans être indifférent à son propre passé, sans renier les vieilles tra-
ditions sur lesquelles reposent sa fierté dans le présent, sa confiance dans
l'avenir.
Les Tirailleurs Ahmed -ben-Myoub et Khenil-ben-Ali, nous l'avons dit
plus haut , appartenaient tous les deux au 3^ régiment. Aussi les deux actes
de bravoure dont ils étaient les auteurs ayant valu, le 11 novembre 1863, la
croix de la Légion d'honneur au fanion du bataillon provisoire des Tirailleurs
algériens, cette décoration revint- elle de droit au corps qui comptait sur ses
contrôles ces deux noms que nous relevons orgueilleusement, et qui resteront
éternellement associés à celui de San-Lorenio, inscrit sur l'étendard en haut
duquel se balance ce noble emblème de courage et de dévouement & la patrie.
Dans la journée du 8 mai , les pertes totales du bataillon de Tirailleurs s'éle-
vaient & deux officiers blessés : M. le commandant Cottret, du 3* régiment,
et M. le sous- lieutenant Lopez, du 2*; à cinq hommes tués et treize autres
blessés.
Les troupes qui avaient combattu à San-Lorenzo passèrent sur les positions
conquises la nuit du 8 au 9. Le 9, à neuf heures du matin, le général Ba-
zaine reprit, avec le bataillon de Tirailleurs algériens , la route de Molino-del-
* Le rapport du commandant Cottret n*a pu être retrouvé dans les archives du mi-
nistère de la gaerre.
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260 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS AL0ÉRIEN8 [1863]
Mûdio, Bon quarlier gi^iiéral. Quolquos jours après, Tordre do l'arméo n^ 145
porta à la coDDaissaoce du corps expéditionnaire les noms de ceui qui s'étaient
le plus distingués. Voici les citations qu'eut à enregistrer le détachement
fourni par le 3* régiment de Tirailleurs.
HM. Cottret, chef de bataillon.
Alzon, capitaine adjudant-major.
Estelle, capitaine (d'une rare bravoure, a entraîné tout le bataillon par
l'exemple de sa compagnie).
Mohamed-Bounep, lieutenant indigène.
Bock, médecin aide -major.
Hamed-ben-Myoub, tirailleur (a pris un drapeau).
Khenil-ben-Ali, tirailleur (a pris un drapeau).
Salem -ben-Guibi, caporal (a pris un fanion).
Ducreux, sergent- major.
Pendant les journées qui suivirent cette victoire , les travaux devant Puebla ,
qui avaient un instant été interrompus, furent activement repris et poussés
avec la plus grande vigueur. Le 12 mai, on ouvrit devant le fort de Totime-
huacan une première parallèle & environ sept cents mètres du saillant sud. Le
13, à huit heures du matin, l'ennemi tenta une vigoureuse sortie sur la droite
de cette parallèle, et vint jusqu'à cent cinquante mètres des tranchées. Il se
heurta contre les gardes de ces dernières, qui l'accueillirent par un feu violent,
auquel se joignit bientôt c^lui des batteries de la Teja et de Molino-de-Gua-
dalupe. Dès le commencement de l'action , le bataillon de Tirailleurs algériens
fut envoyé en réserve à San -Francisco. Une balle malheureuse vint y frapper
mortellement le sous -lieutenant Cailliot, de la S<* compagnie, jeunQ homme
plein d'avenir, qui fut ainsi enlevé à l'affection de ses camarades et à celle de
son frère I qu'il laissait dans le régiment et qui, deux années après, devait
aller I comme adjudant-major, servir dans le uiéiuo bataillon cl préparer
cette réputation militaire qui en a fait depuis un de nos plus jeunes ofliciers
généraux.
Le 16, à cinq heures du matin, les batteries des deux attaques ouvrirent
le feu contre la place, et pendant deux heures accablèrent de leurs projectiles
les forts de Totimehuacan , de Carmen et de Zaragoza. L'artillerie ennemie
répondit avec énergie; il fallut même interrompre notre tir pour réparer cer-
taines de nos batteries fortement maltraitées. A midi, la canonnade recom-
mença avec une nouvelle vigueur. Cette fois, les Mexicains ne ripostèrent que
faiblement, et, le soir à quatre heures, la lutte ayant encore recommencé,
ils demeurèrent silencieux.
La journée du 17 se passa sans incident. Dans la nuit qui suivit, on ren-
força encore les batteries. Vers une heure du matin, on commença à remar-
quer un grand mouvement dans la ville et dans les forts; quelques instants
après, on entendit successivement plusieurs fortes explosions, et enfin, à
quatre heures, le général Forey reçut du général Ortega une lettre livrant la
place entre nos mains. L'armée qui l'avait défendue était dissoute, l'arme-
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[1863] AU MEXIQUE t6t
ment mis hors de service et les munitions détruites. Le drapeau français y
fut hissé le 19 f à côté du drapeau mexicain. Le siège avait duré soixante-
deux jours.
Un ordre du général en chef, en date du 18 mai, vint changer l'aflectation
du hataillon do Tirailleurs algériens et lo faire passer do la 1>^ dans la 2* di-
vision. Cette dernière, commandée par le général Douay, reçut bientôt Tordre
de prendre ses dispositions pour se porter sur Mexico; en conséquence, di-
verses compagnies qui avaient été dirigées sur Orizaba pour y escorter des
prisonniers furent successivement rappelées & Puebla.
La colonne Douay se mit en route le 2 juin. Ce jour-là, elle alla coucher à
San-Pietro. Le lendemain, elle s'arrêta à San-Martino. Le 4, en quittant cette
localité , le général envoya deux compagnies du bataillon relever deux compa-
gnies du 2* zouaves au moulin de San-Miguel ; une autre alla s'établir au pont
de Tezmalucan. Ces dispositions étaient prises pour protéger la marche, qui
pouvait être inquiétée par cinq mille hommes que Juarez avait laissés en
avant de Mexico pour couvrir sa retraite. Le restant du bataillon alla coucher
à Tezmalucan. Le soir, un orage épouvantable inonda le camp, détrempa le
sol, ravina les routes, ravagea la campagne et causa des dégâts considérables,
notamment dans le convoi de la colonne, où une partie des vivres fut ava-
riée. Le 5, on arriva sur le Rio-Frio. Le 6, vers neuf heures du matin,
Tavant-garde déboucha dans la vallée de Mexico; à droite, on apercevait le
grand lac de Texuco; à gauche, ceux de Chalco et de Xochimilco. On passa
successivement à la Venta-de-Cordova, à la Venta-Nueva, et enfin on bivoua-
qua à Buenavista, où Ton s'arrêta pendant pendant deux jours.
Le 9, la 2« division reprit sa marche avec le général en chef, qui était ar-
rivé le 8. On côtoya le lac de Châles, on traversa Agostlan, San -Isidore, et,
vers midi, on arriva au Penon. Le lendemain, on se dirigea sur Mexico, où
depuis le 7 le général Bazaine se trouvait déjà avec le 2* zouaves. À dix
heures du matin, le général en chef y fit son entrée solennelle à la tête des
troupes. Nos soldats furent reçus avec enthousiasme; une population immense
se pressa sur leur passage et les couvrit de fleurs. A ce moment, tout le monde
dut croire au succès de l'expédition. Ce n'en était cependant que le premier
épisode, et les événements qui devaient suivre n'allaient pas longtemps ré-
pondre aux heureuses conjectures que faisait naître ce fugitif élan d'un peuple
qui allait au-devant du nouveau, dans l'éternel espoir de rencontrer le
mieux.
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CHAPITRE X
Le commandani-Gottrei est remplacé par le commandant Manier. — DUsômioation da
bataillon. — Opération sur Ilusguapan. — Le bataillon rentre à Mexico pour prendre
part à la campagne dliiver. — Marche sur Queretaro. — Poursuite du général Uraga.
— Séjour à Zamora et à G«adalajara. — Décoration du fanion du bataiUon. — Occu*
patlon du port d'Àci^ulco. — Combat de Pueblo-Nuovo. — Occupation de Mazatlan. —
Émuatlon d'Àcapolco. — Combat de San-Pedro.
Par décret du 16 mai, le commandant Cottret avait été promu lieutenant-
colonel. Il fut remplacé à la tète du bataillon de marche de Tirailleurs algé-
riens, et dans le cadre des officiers supérieurs du 3« régiment, par le
commandant Munier, du régiment étranger, bien connu des Tirailleurs de
Constantine, qu*il avait si vaillamment et si habilement dirigés à la bataille
de Solferino. Dn autre décret, en date du 4 mars, avait nommé le capitaine
Alion chef de bataillon au 99« de ligne; enfin un troisième, du 6 août, vint
donner le môme grade au capitaine Estelle, qui passa au 79« de ligne, et pro-
mouvoir capitaine M. le Grontec, lieutenant à la 5« compagnie, et qui exerça
dès lors le commandement de la 1^.
Le bataillon de Tirailleurs algériens resta en entier à Mexico jusqu'au
26 juin. Ce jour-là, deux compagnies allèrent à San-Martino relever deux
compagnies du 81* qui occupaient ce poste. Le 6 juillet, deux autres compa-
gnies se portèrent à Texoco, où elles demeurèrent jusqu'au 10. Le 11 , ce qui
restait du bataillon à Mexico quitta cette ville pour aller relever le 7« de ligne
à la Canada et à Puente- Colorado. Toutes les compagnies se trouvèrent alors
disséminées sur la route de Puebla. On avait repris ce service d'escorte de
convois par lequel on avait commencé la campagne. Par suite de cette dispe^-
sion et de ce service tout particulier, les Tirailleurs cessèrent de faire partie
de la 2« division, et passèrent dans la brigade de réserve (ordre du 11 juillet).
Ces dispositions restèrent les mômes pendant tout le mois de juillet. Le
1er août, le commandant Munier installa les 1^ et 2* compagnies à San-
Andrès. Le lendemain, il partit pour Tehuacan, dont il venait d*ôtre nommé
commandant supérieur. Les 5* et 6« compagnies et l'état-major du bataillon
vinrent Ty rejoindre le 8, aprèi ôlro parlis le 3 de Puebla. Le 10, prenant
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[1863] LE 2"" nÉOlMRNT DB TinAlLLGUnS ALOÉniBNS AU MEXIQUE 263
avec lui la 5® compagnie (capitaine de Vauguion ) et une compagnie de zouaves,
il se rendit dans les villes voisines pour y installer, de concert avec le préfet
politique, la force publique et les ayuntamierUs. Il rentra à Tébuacan le 14,
et la 5<> compagnie le 15.
Le l^*" octobre, le maréchal Forey, rappelé en France, remit au général
Bazaine ses pouvoirs militaires et diplomatiques. Ce changement, en amenant
une autre manière de voir à la direction supérieure des affaires, allait donner
une nouvelle marche aux opérations militaires, et étendre celles-ci sur la plus
grande partie du pays.
Les premiers soins du nouveau général en chef furent de protéger les com-^
munications avec Vera-Cruz; mais, au lieu des innombrables petits postes
qui jusque-là avaient été échelonnés entre cette ville et Mexico, il ne maintint
que les principaux , qui furent alors installés dans de bons réduits susceptibles
d'une défense prolongée. H on résulta que le chiffre des troupes disponibles
pour les opérations actives se trouva considérablement augmenté. Ces nouvelles
dispositions allaient ainsi permettre au bataillon de Tirailleurs algériens de
prendre part à la campagne d'hiver qui allait avoir lieu dans le nord.
En attendant que les préparatifs de cette importante expédition fussent ter-
minés, le commandant Munier ne resta pas inactif. Le 12 octobre, il quitta
Tehuacan avec les 2", 3* et 4<> compagnies et alla coucher à Zapolitlan, où se
trouvait déjà la 5* compagnie. Le lendemain , il se remit en marche avec toute
cette partie de son bataillon et se dirigea sur Acatlan , où il arriva le 15, après
ôtre passé par San-Geremio. Il lit séjour le 16. Le 17, il repartit avec les 3",
4<> et 5<> compagnies, laissant la 2« à Acatlan pour la garde de ce point, et
atteignit Iluajuapan le lendemain à cinq heures du matin. Il espérait y sur-*
prendre sept à huit cents Mexicains; mais ceux-ci, malgré les précautions
prises pour tenir secrète cette marche rapide dont la dernière étape avait été
faite de nuit, avaient appris Tarrivée des Tirailleurs et abandonné la ville,
dont les habitants s'empressèrent d'arborer le drapeau blanc de la paix.
Le 19, la petite colonAe revint coucher à Octlamenigo. Le 20, elle était de
retour à Acatlan.
Comme on vient de le voir, l'ennemi était insaisissable; prévenu de nos
moindres marches, il mettait aussitôt la distance entre lui et nos colonnes. De
là dos fatigues sans résultat, des opérations qu'on commençait dans Tespé-
rance d'un brillant succès, et qui se terminaient le plus souvent par une
inconcevable déception. Mais le commandant Munier n'était pas homme à se
laisser décourager; pensant que l'occupation de certains points de leurs lignes
de communication amènerait probablement les Mexicains à se heurter à Tune
de nos compagnies, le 22, il dirigea la 5« sur San-Inès-Auentenpan, et se
porta avec les 3« et 4« aux villages de Piantha et de Chinotla. Le lendemain,
il s'arrêta à Chincingo. On détachement de quarante hommes, sous les ordres
du lieutenant Bouguès du 2° régiment, fut envoyé jusqu'au gué de l'Atoyac
en face des ranchos de San-Vicente et de San-Juan. En vain encore il attendit:
l'ennemi ne parut point. Le 24, la petite colonne atteignit Acoyuco, petit vil-
lage qui venait d'être incendié par une compagnie du 1«' zouaves; le 25, elle
arriva à San-Inès, où elle fut ralliée par la 5« compagnie, qui, 'de son côté.
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264 LE 3* RÊQIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1863]
n*avait pas aperçu un seul dissident. Le 26, tout le détachement quitta San-
Inès, la 3« compagnie pour aller relever la Tfi à Acatlan, les 4« et 5« pour
revenir à Puebla. Le même jour, les l^* et 6«, sous les ordres du capitaine
Testard, partaient de Tehuacan pour se porter à San -Francisco, petite ville
bituée un peu plus au sud.
A la fin du mois d'octobre, le commandant Manier reçut l'ordre de con-
centrer son bataillon à Mexico. C'était do celte ville que devait partir la co-
lonne Douay, dont les Tirailleurs algériens étaient appelés à Taire partie. liO
jor novembre, Télat-major, les 2», 4« et li"* compagnies quittèrent Puebla, et
les 1^ et 6« San-Francisco pour exécuter ce mouvement. Ces deux dernières
devaient prendre la 3* à leur passage à Acatlan. Les compagnies parties de
Puebla arrivèrent A Mexico le S, et en repartirent le 9 avec le général Douay,
qui emmenait en outre trois compagnies du 81<> de ligne, un escadron de
chasseurs d'Afrique, une section d'artillerie de siège, un détachement du
génie et un asses fort convoi.
Le but du général en chef, dans la campagne qu'il allait entreprendre, était
d*occuper les principales villes de l'intérieur et de disperser les bandes asses
considérables qu'avaient réunies les généraux Doblado et Uraga , le premier
entre Queretaro et Tepeji-del-Rio, le second en avant de Morelia. Les troupes
de la l'* divison devaient marcher sur Morelia, celles de la 2* sur Queretaro.
Le 10 novembre, la colonne Douay alla coucher à San-Miguel. IjO lende-
main le commandant Munier s'arrêta à Tepeji avec ses trois coaipaguies, afin
d'y attendre les trois autres, qui n'y arrivèrent que le 16. Le 18, le bataillon
tout entier reprit sa marche et s'arrêta à San-Francisco. Le 19, il arriva à la
Soledad, et, le 21, à San-Juan-del-Rio, où il fit séjour le 22. Le 23, il rejoi-
gnit à l'hacienda de Sauz une colonne placée sous les ordres du colonel
Aymard. Cette dernière coucha le 24 à Colorado, et, le 25, entra à Queretaro,
que le général Douay avait fait occuper le 17, aux acclamations d'une popu-
lation paraissant tout heureuse de voir les Français.
Le l*' décembre, toute la 2« division quitta Queretaro pour se mettre, de
concert avec la 1^, à la poursuite du général Doblado. Le 2, elle arriva à
Celago, où elle fit séjour le 3 et le 4; le 5, elle s'arrêta à Chamacuera ; le 6,
à San-Miguel-Allende; le 7, à Las-Cascinas; le 8, à la Sauced; et enfin, le 9,
à Guanajuato, ville importante dominée de tous côtés par de hautes montagnes
contenant des mines d'argent d'une inépuisable richesse.
Jusque-là, non seulement on n'avait pas rencontré l'ennemi, mais on était
encore dans la plus grande incertitude sur la direction qu'il avait pu prendre.
Tout ce qu'on savait, c'était qu'une troupe assez considérable se dirigeait
vers San-Piedro-Piedra-Gorda. Dans le but de lui couper la retraite, le gé-
néral Basaine ordonna au général Douay de se porter immédiatement avec
une colonne légère à Léon, pendant que lui-même s'avancerait directement
vers Piedra-Gorda.
Ce mouvement commença le 13 décembre. Le général Douay partit de
Guanajuato avec le bataillon de Tirailleurs algériens, trois compagnies du
2* zouaves, l'ambulance et la plus grande partie du convoi, et se dirigea par
Silao sur la petite ville de Léon. Le 17, de nouveaux avis ayant fait connaître
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[1864] AU MEXIQUE 265
que Tennemi, avec son artillerie et ses parcs, se jetait précipitamment dans
le nord , le plan adopté fut modifié , et seule la division de Castagny continua
la poursuite commencée. Le général Douay reçut alors la mission d'exécuter
sur Piedra-Gorda Topération entreprise par le général en chef, et de chercher
le général Uragn, qu'on savait à la tôtc de douze mille hommes et trente-six
bouches à feu. En conséquence, il quitta Léon, où fut laissée la k^ compagnie
du bataillon, et, après une marche forcée de vingt-huit lieues exécutée en
trente-six heures, arriva à Piedra-Gorda le 19. Le 22, la petite colonne attei-
gnit Zamora, où elle avait été précédée par le colonel Margueritle avec une
avant-garde légère qui éclairait le pays à une journée en avant. Cet officier
avait surpris les Mexicains, leur avait tué une dizaine d'hommes et pris cin-
quante prisonniers. Ce combat, en coupant aux troupes d'Uraga la route de
Zamora à Guadalajara, les avait rejetées vers Goalcoman.
Après quatre jours de repos accordés à sa colonne, le général Douay quitta
Zamora pour se porter à Los-Reyes. On marcha pendant six heures dans
d'affreux chemins au milieu des montagnes, et Ton s'arrêta à Tarepuato. Là
le général fut informé qu'Uraga en personne se trouvait à Los-Reyes , s'occu-
pent activement de faire cheminer son convoi et son artillerie. Le lendemain
28, la marche fut reprise et conduite avec la plus grande célérité; mais lors-
qu'à quatre heures du soir on arriva à Los-Reyes, l'ennemi n'y était déjà
plus : il avait fui, se dirigeant sur Telpacatepcd.
Le 30 , à cinq heures et demie du matin , le commandant Munier quitta
Los-Reyes avec son bataillon pour se rendre à San-Francisco, à six kilomètres
de là, où devait le rejoindre le général Douay, qui, avec un faible détache-
ment, s'était porté à Périban sur des indications lui signalant l'abandon d'un
matériel considérable par Uraga. Le général ne trouva rien; mais, arrivé à
San-Francisco, il apprit que l'ennemi avait une batterie d'artillerie rayée en-
gagée sur la route d'Uruapan, et que d'autres pièces, après être venues jus-
qu'à Sirosto, avaient subitement rebroussé chemin pour suivre la mémo
direction. Dès le lendemain, il se mit en marche vers le point indiqué, em-
menant avec lui toutes les troupes de sa colonne. En route il fut informé que
quatre cents cavaliers mexicains se trouvaient au village de San-Juan-de-Las-
Golchas. On pressa la marche; l'infanterie eut ordre d'aborder le village de
front, la cavalerie do le tourner par la gauche; mais encore une fois, malgré
leur nombre, les Mexicains ne nous avaient pas attendus.
La colonne traversa San-Juan sans s'arrêter, et poussa jusqu^à six kilo-
mètres au delà , trouvant sur la route des traces toutes récentes de la fuite
précipitée de l'ennemi. Le bivouac fut installé dans un endroit appelé Ojo-di-
Agna. Le lendemain, premier jour de l'année 1864, le départ eut lieu avant
quatre heures du matin. Trois compagnies de Tirailleurs étaient à l'avant-
garde. La nuit était noire; on y voyait à peine devant soi; pas un cri, pas
une voix, pas un bruit ne s'entendait au loin. Les Mexicains s'étaient-ils
encore dérobés? c'était à croire. Enfin , après deux heures de marche, le jour
parut; tout à coup sur la route, dans les fossés, un peu partout, on aperçut
des pièces, des affûts, des voitures, des harnais, des caissons, tout cela gi-
sant épars, en partie détruit, et dans un désordre témoignant du plus épou-
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266 LE 3« RÊOIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1864]
Tantable désarroi. Il y avait là un outillage de fonderie de canons, une ma-
chine à frapper de la monnaie, des munitions en quantité considérable, et
en6n neuf bouches à feu. Ce matériel paraissait avoir été abandonné dans un
moment de panique profonde, probablement la veille, à la suite de Talarmo
donnée par les cavaliers chassa de San -Juan. A neuf heures, on arriva à
Uruapan. La ville avait été évacuée par les juaristes, qui, en s'en allant,
avaient détruit tout ce qui aurait pu nous être de quelque utilité.
Le général laissa deux heures de repos à la cavalerie et au bataillon do Ti-
railleurs algériens, puis il les lança sur les traces de Tennenii. Cette recon-
naissance poussa jusqu'à environ douze kilomètres , trouvant à chaque pas
des objets laissés sur la route, et rentra à quatre heures diî soir, ramenant
neuf chariots attelés de neuf paires de bœub. De l'ennemi elle savait seule-
ment qu*Uraga, avec deux mille cinq cents hommes, dernier débris de ses
douze mille, et la partie la moins pesante de ses parcs, s'était jeté dans des
chemins perdus pour gagner Zopotlan , dans le Jalisco.
Sinon atteint dans son côté matériel, le but poursuivi par le général Douay
l'était du moins quant au résultat moral qu'il s'agissait d'obtenir. L'armée
d'Uraga n'avait pas été détruite, mais elle fuyait dans toutes les directions,
en proie à la plus profonde panique, égarée, dispersée, démoralisée, hors
d'état de résister à nos colonnes, d'inquiéter nos postes, de longtemps impos-
sible à rallier et à réorganiser. C'était le cas de dire que le commandant de
la 2* division avait gagné des batailles avec les jambes de ses soldats; car
tout s'était passé en marches, la plupart exécutées de nuit, plusieurs très
longues et très fatigantes, toutes ayant demandé de la part de nos fantassins
autant d'énergie que de dévouement. Une fois de plus s'était affirmée la rare
aptitude des Tirailleurs algériens pour ces courses rapides, ces étapes de
trente-cinq*, quarante et môme cinquante kilomètres sans faire de repos,
sans cesser d'ôtre sur les talons de la cavalerie pour être prêts à la soutenir ;
et tout cela dans un pays difficile, monlueux, n'ayant que de mauvais che-
mins muletiers ravinés par les pluies, ne possédant d'autres ressources que
quelques villages qui servaient quelquefois d'abri , mais qu'on trouvait le plus
souvent pillés ou incendiés. Le bataillon reçut les éloges les plus flatteurs de
la part du général , mais il faut reconnaître qu'il les avait bien mérités.
La colonne séjourna deux jours à Uruapan et revint à Zamora par la route
de San- Pedro- Paracho. Elle arriva le 7 janvier. Là le général Douay trouva
des instructions lyi prescrivant de se porter sur la Barca pour concourir, s'il
en était besoin, au mouvement que le général en chef opérait alors sur Gua-
dalajara. A cet effet, il laissa à Zamora le commandant Brincourt, du 18* ba-
taillon de chasseurs, avec une garnison composée des 2*, 3* et 5* compagnies
de Tirailleurs; puis, avec le restant de sa colonne, où se trouvaient encore les
Ira et 6* compagnies avec le commandant Munier, il se dirigea d'abord sur le
Rio-Grande, et enfin sur Duenavista. Le 11 , il quitta ce village avec la cava-
lerie et les deux compagnies de Tirailleurs pour se porter à l'hacienda de Qui-
ringuicharo, située à trente kilomètres de là. On y arriva à trois heures de
l'après-midi. Les ordres étaient déjà donnés pour la journée du lendemain,
lorsque, dans la soirée, le général reçut la nouvelle que la petite ville de la
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[1864] AU MEXIQUE 267
Piedad était attaquée par les libéraux. Les habitants ayant résolu de se dé-
fendre, il voulut les sauver des horreurs d*un assaut, et dédda que le soir
même on marcherait à leur secours.
Le départ eut lieu à dix heures. Outre la cavalerie et les deux compagnies
de Tirailleurs, la colonne comprenait le 1^ bataillon de chasseurs à pied et
deux pièces de campagne. L*infanterie était sans sacs. On marcha toute la
nuit. Au point du jour, lorsqu'on arriva devant la Piedad, Tennemi s*était
enfui. La veille il avait jeté quelques obus dans la ville, avait menacé les ha-
bitants d'un assaut dans les vingt-quatre heures s'ils né se rendaient pas;
mais, apprenant Tarrivée des Français, il était parti dans la nuit.
Cette opération fut la dernière à laquelle les Tirailleurs devaient prendre
part sous les ordres du général Douay ; le 13, ils cessèrent de faire partie de
la 2* division, et, le 15, le commandant Munior quitta la Piedad avec les
Ire et Go compagnies pour retourner à Zamora, où il arriva le lendemain.
Tout le bataillon se trouva dès lors réuni dans cette ville, à l'exception de la
4* compagnie, qui avait été laissée & Léon et qui en fut rappelée pour être
envoyée à la Piedad.
Cette situation demeura la même jusqu'au 15 mars; seule la 6* compagnie
fit mouvement pour aller relever la 4* à la Piedad. Pendant les deux mois qui
s'écoulèrent jusqu'à cette date, les compagnies restées à Zamora travaillèrent
aux fortifications de cette ville, et détachèrent de nombreuses escortes pour
la protection des convois.
A cette même époque , une modification importante fut apportée dans l'oi^
ganisation du bataillon ; dans chaque compagnie, une section fut montée avec
des chevaux achetés par les soins du corps. Plus tard , ce premier essai ayant
donné d'excellents résultats, ces dispositions reçurent plus d'extension; le
bataillon eut alors un escadron do cent quatre-vingts chevaux, dont le capi-
taine le plus ancien reçut le commandement, et dans lequel on détacha le
sous-lieutenant de Nyvenheim , du l^*' régiment de lanciers. Cette cavalerie se
trouva ainsi successivement sous les ordres du capitaine Bézard , du l^^* Ti-
railleurs; du capitaine de Vauguion, du 3«; et enfin du capitaine Testard,
du 1«'. Les hommes qui la composaient étaient naturellement pris dans toutes
les compagnies indistinctement, et choisis de préférence parmi ceux sachant
déjà parfaitement monter à cheval.
Le 15 mars, le commandant Munier se mit en route pour Tepatitlan avec
une colonne se composant des Tirailleurs algériens et d'une batterie de mon-
tagne. La 6" compagnie, détachée à la Piedad, devait rallier le bataillon au
passage. On arriva le 22. L'état-major et les 3^, 4« et 6* compagnies restèrent
à Tepatitlan; les 1*^ et 2* furent détachées à Lagos, la 5« au pont de Tolo-
lotian. A la fin du mois, cette dernière rentra à Tepatitian, et la 6^ fut en-
voyée à Arroyo-del-Medio.
Le séjour des Tirailleurs dans ces différents postes ne devait pas être de
longue durée; le général en chef avait décidé l'occupation du port d'Acapulco,
sur le Pacifique , et c'était le bataillon qui était désigné pour en constituer la
garnison; on le croyait avec raison plus apte qu'aucune autre troupe, à ré-
sister à l'insalubrité du climat, aux fièvres pernicieuses qui dans cette région
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{68 LE 2^ RÉQIIIBNT DE TIRAILLEUnS AhOÉniENS [1664]
sévissent pendant une grande partie do l'année. En attendant son départ, il
devait se concentrer à Guadalajara.
Le 5 avril, les l'* et 2« compagnies, qui se trouvaient les plus éloignées,
quittèrent Lagos. Le 8, le commandant Munier se mit en route à son tour avec
les 3«, 4« et 5« compagnies, auxquelles se rallia la 6«, A leur passage à Arroyo-
del-Medio. Ce dernier détachement arriva à Guadalajara le 10, celui de Lagos
le 13. Quelques jours après, on reçut un renfort de soixante- quinze hommes
venant d'Algérie et les officiers comptables, qui étaient restés à Mexico.
Hais les préparatifs de la petite expédition n'étaient point achevés; il fallut
attendre près d'un mois. Pour que ce temps ne fût point perdu , quelques
compagnies furent détachées dans les environs de Guadalajara, infestés de
guérilleros. Le 5 avril, les 3<», S« et 6«>, représentant un eircctif de deux cent
quarante et un fantassins et cent Irente-sept cavaliers, allèrent, sous les ordres
du capitaine de Vauguion, occuper le village de Santa- Anuuila et riiacicnda
de la Conception. Le même jour, la 4« compagnie se portait à la Ycuta-de-
Astillero.
Le 23, le capitaine de Vauguion partait de la Conception avec soixante Ti-
railleurs montés, et surprenait, à Cuyutlan, une bande de cent guérilleros aux
ordres de Guerrero, chef redouté dans tout le pays. Ce dernier essaya de se
défendre, mais les Tirailleurs se précipitèrent sur sa troupe, la dispersèrent
en un clin d'œil et lui tuèrent vingt-cinq hommes.
Le 26, eut lieu une autre opération dirigée par le capitaine Testard. A la
tète de douze Tirailleurs à pied et vingt montés, celui-ci parlit à une heure
du matin et fut assez heureux pour surprendre de nouveau les guérilleros à
Cruz-Vieja. 11 leur tua douze hommes et leur enleva quatorze chevaux.
Ces deux vigoureuses leçons n'avaient cependant point suffi aux bandes de
Guerrero, qui étaient revenues occuper Cuyutlan , et avaient commis plusieurs
exactions sur les habitants qui nous avaient accueillis. Maintenant les bandits
se tenaient sur leurs gardes et surveillaient nos moindres mouvements, prêts
à fuir au moindre signal. Mais rien de suspect ne paraissait du côté de la Con-
ception; seuls, le 27, de bonne heure, quelques bouviers mexicains en arri-
vèrent avec des chariots chargés de paille qu'ils arrêtèrent sur la place. Ils
n'avaient rien vu ; selon eux , les Français devaient se reposer de leurs expé-
ditions des jours précédents. Tout à coup la paille de ces mêmes chariots
s'agita : des têtes, puis des bras , puis des hommes , puis des armes en émer-
gèrent subitement, et une cinquantaine de Tirailleurs, sous les ordres du
capitaine de Vauguion , se précipitèrent dans le village à la chasse des guéril-
leros imprudents, qui n'avaient pas dans cette circonstance imité la circons-
pection du vieux rat de la fable; surpris, traqués, poursuivis sans répit, ces
derniers eurent cinq tués et un grand nombre de blessés. Ils laissèrent entre
nos mains cinq prisonniers, dont deux chefs, des chevaux, des armes, des
munitions, et se dispersèrent dans la campagne, se promettant bien cette fois
de choisir une autre région pour théâtre de leurs exploits. La ruse du capi-
taine de Vauguion avait été couronnée du plus brillant succès. Ce hardi coup
de main, préparé d*une façon si extraordinaire, presque invraisemblable, fit
le plus grand honneur aux Tirailleurs, qui, en saisissant parfaitement la
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[1864] AU MEXIQUR 269
pensée de leur chef, sarent apporter dans son exécution Taudace et la pru-
dence qui seules font réussir de semblables opérations.
A la suite de ces trois affaires, le capitaine de Vauguion et le sergent Lesbros
furent cités à Tordre de Tarmée.
Le 30 ayril , toutes les compagnies détachées furent rappelées à Guadala-
jara. Le 4 moi, le bataillon tout entier prit les armes pour être passé on revue
par le général Douay, et voir ensuite attacher à la hampe de son fanion de
manœuvre la croix de la Légion d'honneur, qui, par décret du 11 novembre
1863, lui avait été accordée, pour, à sa dissolution, appartenir définitivement
au 3« régiment de Tirailleurs algériens, en commémoration de la prise de
deux drapeaux à Tennemi au combat de San-Lorenzo.
Le 5 mai , eut lieu le départ pour Acapulco. Le bataillon devait se rendre à
San-Dlas , petit port situé au sud de la côte orientale du golfe de Californie,
puis prendre passage sur des transports de TÉtat pour être ensuite, après
une traversée de quatre à cinq jours, débarqué à destination. 11 quitta Gua-
dalajara avec un effectif de quatre cent soixante -dix -sept hommes et cent
soixante-dix -huit chevaux. Par suite d'un accident de cheval arrivé la rdlle
au commandant Munier, le capitaine Bézard , en qualité de plus ancien , en
avait le commandement. Le 6 , on fit étape à Amatitlan ; le 7, à Tequila; le 8,
& Magdalcna; le 9, à Vonla; le 10, à Plan-de-las-Barancas; le 11, à Ixtlan,
où Ton séjourna les 12 et 13 ; le 14 , à Ahuacatlan ; le 15, à Tetillan ; le 16,
à Ojotillo; le 17, à Estancia; le 18, à Tepic, d'où Ton repartit le 23 pour
Navarret , qu'on quitta pour arriver à Zapotillo le 24 , et & San-Blas le 25.
L'embarquement eut lieu le 28 sur les transports le Bhin et la Palla$, qm
arrivèrent à Acapulco le 3 juin. Le môme jour s'effectua la mise à terre des
hommes et des chevaux.
Dien que n'étant que du cinquième ou du sixième ordre au point de vue du
rendement des douanes, le port d' Acapulco n'en avait pas moins pour nous
une importance considérable, et depuis longtemps l'amiral Bouêt, comman-
dant l'escadre du Pacifique, en avait demandé l'occupation, autant pour
fournir un refuge aux bfttiments de la croisière que pour avoir un lien de
relâche pour les navires marchands qui nous vendaient des approvisionne-
ments.
Déjà réduite par nos navires, la ville n'opposa aucune résistance au débar-
quement des Tirailleurs; les forces dissidentes l'avaient du reste abandonnée,
et, sous les ordres du vieil Alvarez, s'étaient retirées à douze kilomètres
de là, au village de Pueblo-Nuovo. Ces forces comprenaient environ huit
cents hommes possédant une certaine instruction militaire et disposant de
quelques canons'; composées d'Indiens Pintes, elles inspiraient dans le pays
une terreur qui se répandait jusque sur les hauts plateaux.
A peine le bataillon fut-il arrivé et installé, que le capitaine Bézard résolut
de se débarrasser de ces dangereux voisins. Dans la nuit du 5 au 6 juin, il
partit avec trois cent vingt hommes , c'est-à-dire tout ce qu'il avait de dispo-
nible, et se dirigea vers Pueblo-Nuovo. Il y trouva Alvarez solidement retranché
au sommet d'un cerro, où l'on ne parvenait que par d'étroits sentiers serpen-
tant au milieu d'escarpements que le chef mexicain devait croire impraticables
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270 LB 3* RÉOIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1864]
pour nou8| car nul poste avancé n'avait été chargé de surveiller la route (1*A-
capulco. Bien que le jour commençât seulement à paraître, l'attaque eut lieu
aussitôt; les Tirailleurs escaladèrent ces pentes abruptes avec le même entrain,
la même ardeur, la môme agilité avec laquelle ils avaient tant de Tois gravi les
montagnes de Kabylie, et surprirent la troupe ennemie, qui n'eut que le
temps de se jeter sur ses armes pour résister à cette subite agression. Les
soldats d'Alvarez se défendirent d'abord avec une certaine énergie, mais as-
saillis,-enfoncés, dispersés, poursuivis, ils virent en un instant s'évanouir
leur féroce réputation : ils s'enfuirent atterrés, nous abandonnant quatre
canons, cent vingt fusils, des sabres, des munitions, un pavillon, des che-
vaux et des mulets. La lutte avait été courte mais vive : .Alvarez avait eu
cinquante tués, nous comptions quatre hommes blessés.
Le bataillon était de retour à Acapulco à cinq heures du soir.
Les journées des 7 et 8 se passèrent sans incident. Dans la matinée du 9,
le capitaine de Vauguion partit avec l'escadron de cavalerie pour exécuter une
reconnaissance sur la route de Mexico. Il y avait deux heures et demie qu'il
marchait sur cette dernière, sans voir quoi que ce soit de suspect, sans ren-
contrer un seul dissident, quand tout à coup il donna dans une barricade fort
habilement dissimulée , et derrière laquelle s'était embusqué un fort détache-
ment de Pintos. Une première décharge renversa mortellement le sous-lieu-
tenant de Nyvenheim et atteignit plusieurs Tirailleurs; bientôt le capitaine de
Vauguion fut lui-môme assez grièvement blessé; mais, conservant tout son
sang- froid, toute son énergie, au milieu de celte situation que la moindre
hésitation pouvait rendre critique, il Gt mettre pied à terre et ordonna l'at-
taque de la barricade, qui fut enlevée avec un remarquable élan. Dès que
l'ennemi en eut été délogé, les Tirailleurs remontèrent à cheval et poursui-
virent les fuyards pendant quatre kilomètres, leur tuant un grand nombre
d'hommes et dispersant le reste, qui ne tenta plus de résister. Outre les deux
officiers qui avaient été blessés, cette affaire nous coûtait un homme tué et
trois blessés.
Dans un ordre de l'armée en date du 2 juillet, le général en chef félicitait
le bataillon de Tirailleurs algériens € pour la manière brillante dont il avait
inauguré notre apparition sur les côtes du Pacifique » ; puis il citait comme
s'étant particulièrement distingués dans les combats des 6 et 9 juin * :
H. de Vauguion, capitaine (blessé] ;
H. le Grontec, capitaine adjudant-major; dans l'affaire du G juin, au pre-
mier coup de feu , s'était porté eu avant avec les quelques hommes qui l'en-
touraient.
Sylvestre, sergent- fourrier.
Kockempot, sergent-major.
Djelloud-ben-Kaudel, sergent.
Le môme ordre accordait la croix d'officier de la Légion d'honneur au capi-
1 U n'est question ci-dessus que des citations et des récompenses concernant le S* régi-
ment de TlraUleurs.
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[1861] AU MEXIQUE 271
taine de Vauguion , et la médaille militaire au sergent -fourrier Sylvestre et au
sergent Djelloud-ben-Kaudel.
Le combat du 9 juin fut le dernier qu'on eut à livrer contre les bandes
d*Alvares; ces dernières essayèrent bien encore de se montrer de loin pendant
le jour , de venir à distance tirer des coups de fusils sur nos postes pendant la
nuit; elles tentèrent même, sans résultat, du reste, de surprendre quelques-
uns de ceux-ci, mais jamais plus elles n'acceptèrent la lutte et se retirèrent
toujours devant les colonnes ou les reconnaissances qui furent dirigées dans
le pays. Tant que dura leur séjour à Acapulco, les Tirailleurs n'en furent pas
moins continuellement sur pied ; presque cliaque jour des détachements
exécutaient des sorties, parcouraient les environs, poussaient des pointes
dans l'intérieur de la contrée aCn dMmposer aux populations du Guerrero,
qui nourrissaient une hostilité sourde qui n'attendait qu'une occasion pour se
manifester. L'insalubrité du climat rendait ce service extrêmement fatigant;
les lièvres bilieuses et intermittentes, la dysenterie, bien d'autres maladies
encore, s'abattaient sur tous, officiers et soldats, et, sans être excessivement
meurtrières, rendaient en permanence plus de la moitié de l'eflectif indis-
ponible pour les opérations à l'extérieur. A peine aurait -on pu réunir cent
cinquante fusils pour une expédition de quelque durée. Chez tous cependant
le dévouement était resté le même, et pas un murmure, pas une plainte, pas
un mot de découragement ne sortait de la bouche de ces hommes, dont l'inal-
térable discipline entretenait la constante abnégation.
L'été de 1864 s'écoula tout entier dans ces conditions. Au mois d'octobre,
les l'« et 2® compagnies furent désignées pour aller occuper Mazatlan, port
marchand d'une certaine importance, situé sur la côte de l'État de Sinaloa,
dans le golfe de Californie. Embarquées le 21 sur le d'Assas et la Victoire, ces
compagnies prirent terre à San-Blas quelques jours après; de là elles se
rendirent & Tepic, pour y rallier le commandant Munier et quelques ren-
forts que ce dernier amenait de Mexico; puis elles se rembarquèrent le
10 novembre, et arrivèrent à Mazatlan le 12.
Cette place possédait quelques fortifications : entourée d'un fossé profond
et plein d'eau , défendue du côté de la terre par des redoutes se flanquant
mutuellement et fermant complètement la petite presqu'île à l'extrémité de
laquelle elle était bâtie, du côté de la mer par un fortin armé de grosse
artillerie, dans l'intérieur par une caserne fortifiée pouvant servir de réduit,
elle avait, au commencement de l'année, victorieusement résisté à un bom-
bardement tenté par la corvette la Cordelière, qui s'était retirée avec sa coque
et sa voilure sérieusement endommagées.
Le capitaine de. vaisseau le Normand de Kergrist, qui cette fois avait pour
mission d'emporter la ville de vive force , disposait pour cette opération de
quatre petits bâtiments, de deux cent vingt Tirailleurs algériens et de cent
cinquante marins de débarquement; il devait, en outre, être appuyé du côté
de la terre par les troupes alliées du général de Lozada. Les forces ennemies
s'élevaient à environ sept cents hommes, dont cinq cents dans la place et
deux cents à l'extérieur.
Le 13 novembre, après une canonnade de quelques instants, le débarque-
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272 LE 3* RÊOIIIENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1804]
ment s'effectua sans difficulté. Le commandant Munier prit alors le comman-
dement des troupes et pénétra dans la ville, qu*il trouva évacuée. L'ennemi
fuyait dans la direction de Guliacan, poursuivi parle général do Lozada, qui,
en entendant le canon, s'était rapproché de la place et était arrivé assez à
temps pour tomber sur une arrière- garde avec sa cavalerie. On trouva dans
Mazatlan vingt-cinq pièces de canon , dont dix seulement avaient été enclouées,
des armes, des munitions, des approvisionnements de toute sorte, des res-
sources considérables en vivres et en matériel. Mais la population, composée
en grande partie de commerçants que cette guerre ruinait, no nous était pas
plus favorable qu'à Acapulco.
Le commandant Munier fut nommé commandant supérieur de Mazatlan et
chargé d'en organiser la défense et d'y installer les services civils, mission
difficile dont il s'acquitta avec son habileté et son intelligence habituelles.
C'était bien peu cependant que deux compagnies, décimées par les maladies,
pour garder un poste d'une importance aussi considérable, dans un pays aussi
ouvertement hostile que celui de Sinaloa; aussi ne tardèrent-elles à se
trouver étroitement bloquées dans la place par un corps de quatorze cents
hommes qui s'avança jusqu'à une portée de canon des remparts.
Les choses en étaient là lorsque, le 17 décembre, les quatre autres com-
pagnies du bataillon, qui étaient restées à Acapulco, arrivèrent à leur tour à
Mazatlan. C'était, déduction faite des malades et des non- valeurs, un appoint
de deux cent trente hommes, dont cent soixante montés, que recevait la gar-
nison. Le même jour, le commandant Hunier exécuta une sortie, culbuta les
avant-postes ennemis, poursuivit les juaristes jusqu'au village de Las-Hi-
gueras avec les deux compagnies montées, leur sabra une cinquantaine
d'hommes et rompit enfin le cercle qui l'enveloppait. De notre côté, nous n'a-
vions eu qu'un officier blessé, M. Feitu, sous-lieutenant à la 1^* compagnie.
Malheureusement un regrettable incident, qu'il était impossible de prévoir,
n'allait pas tarder à détruire l'effet produit par ce vigoureux engagement.
Nous voulons parler du combat de San - Pedro ^
Nommé au commandement militaire de la ville de Culiacan, le général
mexicain Certes n'attendait, pour rejoindre son poste, que d'avoir une
escorte que jusque-là la faiblesse de la garqison de Mazatlan n'avait pas
permis de lui donner. Dès que les compagnies d'Acapulco furent arrivées, le
commandant Munier s'occupa d'organiser à cette intention une petite co-
lonne qui comprit la 2« compagnie de Tirailleurs algériens (soixante- quatre
hommes) et quatre cents auxiliaires alliés récemment organisés et armés. Le
18 décembre, ces troupes prirent passage sur l'aviso le Lucifer, qui, le 20,
les débarqua à Altata, petit port au nord de Mazatlan, d'où elles devaient
> Bien quels compagnie de Tirailleurs qui se trouva engagée dans le combat de San-
Pedro appartint, dans le principe, tout entière au 2« régiment, et que cet épisode pa-
raisse relover de riilstorique do ce corps, nous avons cru devoir lui donner place ici;
car, depuis la formation dos compagnies montées, les éléuieuts dus trots régiments
avaient, pour ainsi diro, été fusionnés. G*C8t ainsi que dans la compagnie dont il est ques-
tion ci-dessus se trouvaient deux officiers du 3« Tirailleurs : Mil. de Saint -Julien, lieu-
tenant, et Delkassom-ben-Mohamed, sous-lieutenant.
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[1864] AU MEXIQUE 273
ensuite se rendre à Guliacan, en six ou huit étapes, dans un pays où nos
armes ne s*étaient pas encore montrées. Le capitaine de frégate Grazielle avait
été désigné pour diriger cette marche , à laquelle devaient également prendre
part quarante fusiliers marins et deux petits obusiers de Tescadre mis à terre
à cet effet.
Le départ d* AI ta ta eut lieu le 21 ; il devait coïncider avec un mouvement
du général Vcga, qui soutenait la cause de Fempire dans le nord do l'Etat de
Sinaloa : tout semblait donc prévu pour la réussite de Topération.
Le premier jour, cependant, on commença à apercevoir quelques groupes
d'ennemis; bientôt même on fut attaqué; mais la 2* compagnie (capitaine
Véran) eut vite fait de disperser les dissidents. Le lendemain, la marche
reprit de bonne heure , et se poursuivit dans les mêmes conditions jusque près
du village de San-Pedro; tout à coup une vive fusillade éclata : le village
était solidement occupé par cinq cents hommes aux ordres du général Rosalès.
Aux premiers coups de feu, le capitaine Grazielle s'était porté en avant
avec le gros de sa colonne, et, de concert avec le capitaine Véran et le général
Certes, avait pris les dispositions que nécessitait la situation : soutenus par
les Tirailleurs algériens, les auxiliaires mexicains devaient aborder le village
et tenter de s'en emparer, pendant que les fusiliers marins, tout en servant
do réserve, veilleraient h la protection du convoi. L'attaque commença; mais,
dès que les auxiliaires se trouvèrent en présence des troupes de Rosalès, ils
passèrent de leur côté. Le chiffre de nos adversaires se trouva ainsi porté à
mille, nous restions à peine cent.
Malgré cette proportion énorme, la lutte continua; pendant deux heures
les Tirailleurs et les marins firent des prodiges de valeur , se prodiguèrent
dans d'héroïques eflbrts, tentèrent tout ce que le plus inébranlable courage
est capable de dicter; mais que pouvaient -ils contre le nombre dix fois
supérieur de leurs ennemis? Si seulement ils avaient eu, comme la légion
étrangère à Camarone , un abri quelconque pour se réfugier I mais rien , rien
qu'un cercle de baïonnettes qui allait toujours se rétrécissant.
Dès le premier moment, le capitaine Véran était tombé pour ne plus se
relever. Le lieutenant de Saint -Julien avait pris le commandement de la
compagnie et avait à son tour été grièvement blessé; peu de temps après, le
sous -lieutenant Belkassem-ben- Mohamed avait le môme sort. Il ne restait
plus qu'un seul oflicier, M. Marquiset, sous -lieutenant.
Cependant les Tirailleurs tenaient toujours; couvrant de leur corps les
nombreux blessés qui gisaient étendus, ils se battaient comme des forcenés,
se reformant aussitôt que les balles ennemies avaient fait des vides trop
profonds. Mais les ^nunitions s'épuisaient; bientôt on en fut aux dernières
cartouches, et la situation, de grave qu'elle était, devint désespérée. Que
faire dans ces conditions? Tenter une trouée à la baïonnette? Certes, marins
et Turcos ne demandaient pas mieux; mais que seraient-ils ensuite devenus?
Trente kilomètres les séparaient delà côte; on les aurait écrasés en détail jus-
qu'au dernier, sans pitié, sans égard pour la bravoure qu'ils venaient de
déployer. Le capitaine Grazielle préféra sauver les débris de sa petite troupe :
il se rendit.
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iU LE 3* RÊGIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1864]
A coux qui pourraiont éire tontes d'ajouter qu'il ost, dans notre hintoiro
odilitairOi des exemples où une troupe d'élite a préféré succomber glorieuse-
ment plutôt que de subir les conditions de l'ennemi, ce dernier fût-il vingt,
trente fois supérieur, nous répondrons par l'énumération des pertes subies
par les Tirailleurs. Nous avons vu que, sur quatre officiers, il y en avait un
de tué et deux de blessés; sur soixante-quatre hommes, onxe étaient tués,
vingt- deux blessés, soit en tout trente-six hommes hors de combat, c'est-
à-dire plus de la moitié de l'eflectif. Un tel chiffre se passe de commentaires.
Parmi les braves dont la fortune venait ainsi de trahir les généreux efforts,
un certain nombre appartenaient au 3« Tirailleurs; malheureusement les
noms de beaucoup de ces derniers ne nous sont pas connus. Voici ceux qu'il
nous a été donné de retrouver :
M. de Saint- Julien , lieutenant (blessé).
H. Belkassem-ben -Mohamed , sous -lieutenant indigène (blessé).
El-Abid-Ould-Cada-Ould- Ahmed, tirailleur (a reçu six blessures).
Mohamed-ou-Heknech , tirailleur (a reçu deux blessures).
Tout fait supposer que le chiffre des hommes du 3« régiment qui , dans cette
circonstance, furent tués, blessés ou faits prisonniers, ne devait pas s'élever
à moins de quinte à vingt.
Ce combat fut le dernier événement militaire de Tannée 1864. Celait un
fâcheux présage pour celle qui allait s'ouvrir. L'horizon commençait du reste
à se rembrunir; la situation , d'abord satisfaisante au moment de l'arrivée de
Maximilien, se modifiait chaque jour en faveur des libéraux, et déjà les oscil-
lations qui devaient amener l'effondrement de Tédifice éphémère élevé par la
France devenaient parfaitement visibles pour les esprits clairvoyants que
n'aveuglait pas l'ambition personnelle, ou que n'égaraient point les engage-
ments du passé.
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CHAPITRE XI
Le bataillon est relevé à Masatlan par les troupes de la V* diTlsfon et rerient à Quada-
lajara. — Le eommandant Munier, nommé lleatenant-eolonel, est remplacé par le
commandant de Leuchey. — Rentrée à Meiico. — Occupation de Zitacuaro. — Opé-
rations autour de Zitacuaro et de Tusantla. — Séjour à Tolnca. — Ck)mbat de Mayo-
rasco. — Retour à Mexico. — Le bataillon est envoyé dans les Terres cbaudes. —
Dernières opérations.— Le commandant Glenmier remplace le commandant de Leucbey,
nommé lieutenant-colonel. — Rapatriement des Tirailleurs algériens. —Ordre d'adieux
du maréchal Bazaine. — Rentrée à Cîonstantine.
L'affaire de San-Pedro, en encourageant le parti libéral , déjà très puissant
dans lea deux États de Sinaloa, pouvant entraîner des complications très
graves dans cette région , le maréchal Bazaine avait aussitôt décidé l'envoi du
général do Castagny avec deux mille huit cents hommes à Mazatlan. Ces
troupes arrivèrent le 13 janvier 1865. Le lendemain, le commandant Municr
partit avec tout son bataillon et une compagnie du 51* de ligne pour escorter
un convoi destiné à une colonne qui opérait dans le district de San -Sébas-
tien, sous les ordres du lieutenant- colonel Cottret. A son retour, il devait
combiner ses mouvements avec ceux de deux autres colonnes commandées,
Tune par le colonel Garnier, l'autre par le commandant de Lignières, et batr-
tant toutes les deux les environs de Mazatlan.
Le premier jour, on s'arrêta à Piarte-de -Laval; le 15 janvier, on arriva
à la Noria; le 16, on atteignit Las-Iguanas; et enfin, le 17, on se dirigea
vers Chapote, à la rencontre du lieutenant- colonel Cottret, qu'on trouva à
Palmillas. La remise du convoi terminée, le colonne du commandant Hunier
revint coucher à Las-Iguanas, d*où elle partit le lendemain pour refaire les
mêmes étapes, et rentrer le 20 janvier à Mazatlan sans avoir pu rencontrer
un seul guérillero.
Cependant le bataillon de Tirailleurs algériens venait de recevoir l'ordre
de rentrer à Guadalajara par les mêmes moyens qu'il en était venu, c'est-
à-dire en s'embarquant jusqu'à San-Blas, et en faisant ensuite par étapes le
restant du trajet. Le 21 janvier , il prit passage à bord de la Pallas et du ilAin ,
et, le 24, fut débarqué à San-Blas. Il se mit en route le 26 janvier, et arriva
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276 LE 3<» RÉGIMENT DE TIRAILLEUBS ALGÉRIENS [1865]
à Guadalajara le 10 février, après avoir suivi seosibleuieol le même itiaéraire
que celui déjà parcouru Tanoée précédente lors de son envoi à Acapulco. Da
jour de sa rentrée à Guadalajara , il Tut compris dans les troupes de la l'* bri-
gade (général L*Hérillier) de la 1^* division.
Par décret du 26 décembre 1864 , le commandant Munier avait été nommé
lieutenant- colonel. Il fut remplacé par le commandant Guyot de Leuchey,
du régiment étranger.
Pendant les neuf mois qu'allait durer le séjour du bataillon à Guadalajara,
les Tirailleurs ne devaient pas rester inaclifs; des compagnies allaient ôtre
constamment détachées dans les localités des environs, à Tepatitlan, Sanla-
Anna, Los-Reyes, Cocula, Mazamilla, Sayula, etc., afin d*y traquer sans
relâche les nombreuses guérillas qui infestaient celte contrée; d'autres frac-
tions allaient servir d*escorte aux convois; enfin la garnison proprement dite
allait travailler aux fortifications de la place et à l'amélioration de l'instal-
lation. Un certain nombre de petits combats furent livrés aux guérilleros,
mais sans qu'aucun entraînât de perles bien sérieuses pour nous; tout se
bornait à une guerre de surprises, à des opérations de nuit, à des marches
rapides, à des excursions de courte durée et fréquemment renouvelées faites
par l'escadron de cavalerie. Une sécurité jusque-là inconnue, le fonctionne-
ment régulier des services établis , la reprise de nombreux travaux inter-
rompus, furent pour le pays le résultat de celle habile taclique et de l'inces-
sante activité déployée par nos déluchemenls.
Dans les premiers jours de septembre , la compagnie montée du capitaine
de Vauguion fut remise à pied. Le cadre de celle du capitaine Testard fut
dirigé sur les Terres chaudes de Vera-Cruz, pour y organiser une compagnie
franche; cette dernière devait se recruter en route parmi trois cents hommes
récemment arrivés d'Afrique et se dirigeant sur Guadalajara. Dès qu'elle fut
formée, elle alla s'établir à Cordova, afin d'assurer les communications entre
cette ville et Paso-dcl- Macho.
Le 4 novembre, l'étal- major et les cinq compagnies restées à Guadalajara
se mirent en route pour Mexico, où ils arrivèrent le 27, après une absence
de deux années. Le même jour, arrivèrent également AIM. de Saint- Julien,
lieutenant; Marquiset et Bclkassem-ben- Mohamed, sous -lieutenants, et une
trenlaine d'hommes appartenant à la 2« compagnie, et faits prisonniers au
combat de San -Pedro. On les avait emmenés en captivité à Oposura, au fond
de la Sonera, où pendant près de dix mois ils étaient restés sans nouvelles de
leurs familles et des événements. Plusieurs fois, sans pouvoir y réussir, ils
avaient tenté de s'échapper; enfin ils avaient été délivrés par le chef indien
Tanori, et, au prix de faligues et de privations inouïes, étaient ensuite par-
venus à gagner les premiers postes français. Au commencement de décembre,
la 6« compagnie, détachée à Cordova, rallia à sou tour, et tout le bataillon
se trouva pour un moment réuni dans la main de son chef.
Son séjour à Mexico fut pour lui une période do repos , ou plutôt d'un
simple service de garnison ; pendant trois mois , à l'exception de la ti«* compa-
gnie qui, après être rentrée de Cordova, fut, au bout d'à peine un mois,
renvoyée dans cette même région, il ne prit part à aucune opération de
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[1866] AU MEXIQUE 279
ils s'étaient simplement retirés à Jungapéo , à quinze kilomètres de Zilacuaro.
Dès qu'il en fut informé, le commandant de Leuchey organisa deux colonnes,
qui se mirent en route le 11 au matin. La première, composée de la 1<« com-
pagnie et de deux pelotons de la compagnie montée, devait, sous les ordres
du commandant , se diriger directement sur Jungapéo , en passant par Ocurio ;
la deuxième , commandée par le capitaine de Vauguion , et comprenant la
5* compagnie et un peloton de la compagnie montée, arait pour mission de
gagner Comenbiaro , afin de couper à l'ennemi la retraite sur Tusantla. Cette
manœuvre eut un plem succès : croyant fuir les troupes françaises , les Mexi-
cains vinrent défiler à portée de fusil de la compagnie du capitaine de Vau-
guion, perdirent ainsi quelques hommes tués ou blessés , et furent poursuivis
jusqu'à la Mesa-de-Caparo. Le lendeiqain, les deux colonnes, n'en formant
plus qu'une seule, rentrèrent à Zitacuaro, en passant par Comenbiaro et en
poussant une recon|iaissance jusqu'à Jésus -dcl- Rio.
A la fin du mois, la pacification du pays, en apparence du moins, était
fort avancée; plusieurs bandes tenaient encore la campagne; mais, conti-
nuellement harcelées par les sorties de la garnison, elles erraient plutôt en
fugitives qu'elles n'étaient inquiétantes pour nous. La mise en état de défense
do Zitacuaro était maintenant achevée; quelques ouvrages en terre, appuyés
ou flanqués par des murs crénelés, un casernement pouvant servir de réduit,
tel était l'ensemble des fortifications dans lesquelles allait être laissé le ba-
taillon mexicain qui devait succéder aux Tirailleurs algériens. Ces dispositions
prises, et croyant ce poste désormais à l'abri d'une surprise, le commandant
de Leuchey mit la dernière main à l'organisation du bataillon auxiliaire, et
se mit en route le l^^ juin avec les Tirailleurs, pour gagner d'abord Toluca et
ensuite Mexico. Déjà , le 29 mai , la 4® compagnie avait commencé le mouve-
ment en se portant à San- José- Molacatepel.
Le jour de son départ de Zitacuaro , le bataillon coucha à Chorcados. -Le
lendemain , la marche fut reprise et l'on atteignit Cocomesco ; la 4* compagnie
se conforma à ce mouvement, en envoyant Tune de ses sections dans cette
dernière localité et en poussant l'autre jusqu'à la Gavia. Le 3 juin , le com-
mandant de Leuchey, avec les 1<^, 2* et 3* compagnies, fit une pointe vers
Los-Ahocados, où se trouvaient quelques guérilleros , qui s'enfuirent précipi-
tamment. Il avait laissé la 5^ compagnie à l'Assomption do Molacatepel
pour protéger un convoi d'argent; quant à la 4«, elle avait une section qui
gardait les bagages à Cocomesco, et une autre qui venait d'arriver à Toluca.
Le 4, la 5« compagnie rejoignit le gros du bataillon à Los-Ahocados, et les
quatre compagnies réunies sur ce point rentrèrent à Cocomesco. Là le com-
mandant apprit que Régulés , trompant la vigilance du général Mondes, s'était
présenté devant Zitacuaro , en avait chassé la garnison mexicaine et rasé les
quelques travaux qu'on y avait exécutés. Il revint en toute hâte sur ses pas ,
avec les l'*, 2«, 3* et 5« compagnies , et rentra sans coup férir dans Zitacuaro,
où vinrent le rejoindre les deux sections de la 4* compagnie. On travailla jour
et nuit à remettre les fortifications en état; les fuyards du bataillon mexicain
rentrèrent peu à peu, et, au bout de quelques jours, le poste se trouva de
nouveau en état de résister à une agression. Tout en s'occupant de cette réin-
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280 l'E 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [t866]
siallation , le commandant de Leuchey , à la tète d'une colonne légère composée
d'une section de la 2« compagnie, d*un peloton monté et de vingt-cinq auxiliaires
mexicains , exécutait , le 9 juin , une sortie sur le village de San- José- Holaca-
tepel, y surprenait un détachement ennemi, lui tuait deux hommes, lui en
blessait un grand nombre et le dbpersait complètement. A la suite de ce coup
de main, qui semblait de nouveau avoir rendu la sécurité au pays, il reprit
le chemin de Toluca , laissant le bataillon mexicain seul dans Zitacuaro.
liO 13, le bataillon do Tirailleurs campait do nouvoau à Cocomosco. Le 14,
il se porta à l'Ascension de Molacatepcl , où il fit séjour les 15, IG et 17; le 18,
il arriva à la Gavia. Le 19, Tétat- major, deux compagnies et deux pelotons
de la compagnie montée poussèrent jusqu'à Toluca; les autres compagnies
restèrent à la Gavia. On pensait enfin prendre cfuclques jours d'un repos dont
le besoin commençait à se faire sérieusement sentir, quand tout à coup on
apprit que Zitacuaro était encore attaqué par les forces du général Ugaldc.
Pour la deuxième fois, nos compagnies durent revenir sur leurs pas. Le 21 ,
le groupe de la Gavia, qui se trouvait le moins éloigné, rétrograda sur TAs-
cension de Molacatepel, et, le 23, arriva à Zitacuaro, où il fut rejoint deux
jours après par celui qui se trouvait à Toluca.
Dès le lendemain 24, le commandant de Leuchey se mit à la recherche de
l'ennemi, qui, selon son habitude, s'était empressé de fuir à rapproche des
Tirailleurs. II l'atteignit, échangea avec lui quelques coups de fusil, le mit en
pleine déroute, et, comme représailles, livra aux flammes les villages de San-
Francisco -Filopetec, de San-Andres et l'hacienda del Bosque. Le 25, deux
compagnies se portèrent à San- Felipe pour protéger l'arrivée d'un détachement
mexicain destiné à renforcer la garnison. Ce détachement arriva le soir même
et fut fondu avec le bataillon auxiliaire, qui, dans la dernière attaque qui avait
été dirigée contre la place , s'était assex bien conduit.
•Le 26, les Tirailleurs algériens reprirent, pour la troisième et dernière fois,
le chemin de Toluca. Les cinq compagnies s'arrêtèrent le soir à l'Ascension
de Molacatepel, et, le 27, arrivèrent à la Gavia. Le 28, deux d'entre elles
restèrent dans cette localité, pendant que les trois autres et l'état- major
allaient s'établir à Toluca.
Le 12 juillet, vint l'ordre de rentrer à Mexico. Les deux compagnies restées
à la Gavia rejoignirent à Toluca le 13, et, le 15, eut lieu le départ de tout le
bataillon. Le soir, on arriva à Ixlahura, et, le 16, à Tamayaoya. Le 17, on
fit la grand'halte à l'hacienda de Mayorasco. A ce moment, le commandant
de Leuchey fut prévenu qu'une troupe d'infanterie et de cavalerie ennemies ,
ignorant la présence des Français, arrivait pour s'établir à la même hacienda.
Il fit immédiatement monter à cheval deux pelotons de cavalerie, donna l'ordre
à une section de la 2* compagnie d'appuyer leur mouvement, et se jeta à la
recherche des Mexicains, qu'il ne tarda pas à atteindre, et dont il détruisit
l'infanterie près d'un rancho situé à quelques kilomètres de Mayorasco. Il
continua ensuite, pendant quinze kilomètres, la poursuite de leur cavalerie
avec les deux pelotons montés, la sabra, la dispersa, et rentra à l'hacienda
après avoir tué vingt-deux hommes & l'ennemi, pris doute chevaux, des fu-
sils, des armes, des munitions.
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[1866] AU MEXIQUE 281
Le 18, le bataillon reprit sa marche et alla coucher au moulin du rio Undo;
le 19, il arrivait à Mexico.
Pendant que les cinq premières compagnies donnaient ainsi , dans le Mi-
choacan, une si haute idée de ce que peut une troupe dont le dé?ouement
n*e8t jamais au-dessous des difBcultés même les plus imprévues , la 6* com-
pagnie, que nous avons rue repartir pour les Terres chaudes de Vera-Cruz,
faisait dans ce pays un service des plus pénibles, consistant dans une pour-
suite continuelle des guérilleros qui troublaient la sécurité de nos commu-
nications entre Cordova et Paso-del- Macho. Du 18 mars au 1*** mai, elle
avait, conjointement avec le bataillon nègre égyptien et quelques Mexicains
alliés, fait une longue et fatigante expédition dans le sud de TÉtat de Vera-
Cruz, dans le but de rejeter au loin les bandes dissidentes du colonel Garcia.
Cette opération s'était terminée avec succès, et la compagnie était ensuite
rentrée à Paso-del-Macho, d'où elle n*avait pas tardé à revenir à Cordova. Le
20 juillet, c'est-à-dire le lendemain de sa rentrée à Toluca, la compagnie
montée (3«) quittait Mexico pour aller la rejoindre; les autres devaient à leur
tour prendre cette direction, mais auparavant on leur accordait un repos
qu'elles avaient bien mérité.
La situation générale, que nous avons vu si peu satisfaisante à la fin de
Tannée 1864, avait empiré au point de devenir alarmante dès les premiers
mois de 1865. Chaque jour les progrès des libéraux resserraient plus étroite-
ment le cercle d'investissement qui se formait autour du territoire occupé par
nos postes. Impuissant à se maintenir au moyen de ses propres ressources,
l'empire de Maximilien ne subsistait plus que par la France, qui, lasse à son
tour des sacrifices en hommes et en argent que lui coûtait cette guerre qui
devenait de plus en plus impopulaire, songeait maintenant à rappeler ses
troupes et & nimndonncr le pnys à son propre sort. Déjb les États-Unis, aux-
quels la fin de la guerre de sécession venait do rendre une entière liberté de
mouvements, commençaient à peser de tout leur poids dans la balance poli-
tique en faveur de Juarez , qu'ils reconnaissaient comme le seul légitime chef
du gouvernement mexicain ; des complications pouvaient surgir d'un moment
à l'autre; d'autres plus graves existaient à l'élat latent par suite de la mésin-
telligence qui était survenue entre le maréchal Bazaine et l'empereur Maxi-
milien; il fallait donc prévoir, à courte échéance, l'intervention d*un dénoue-
ment que les moins pessimistes ne se dissimulaient plus.
Le 13 août, Tétat- major du bataillon et les quatre compagnies qui se
trouvaient à Mexico quittèrent cette ville pour se rendre à Cordova. C'était
pour toujours que les Tirailleurs algériens abandonnaient la région des hauts
plateaux : leur séjour dans les Terres chaudes devait se prolonger jusqu^à
leur embaquement pour l'Algérie. On arriva à destination le 27. Dès le 29,
les compagnies furent ainsi réparties : la i<^, une section à Paso-del-Macho et
l'autre à Camarone; la S*', à Cordova; la 4<>, à la Soledad; la 5*, à Cordova;
la 6® à la Soledad. Vingt hommes de l'escadron étaient détachés à Orizaba.
L'état-major se trouvait à Cordova.
Pendant toute la durée du mois de septembre, il n'y eut d'autre change-
ment que celui de la 4* compagnie, qui rentra à Cordova le 11. Vers la fin
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282 LB 3* RÉrsiMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l896]
d'octobre, rélat-major, les l)^ et 2* compagnies et une section de la 5* furent
concentrées à Vera-Cruz; l'autre section de la 5* fut détachée à la Tejeria.
Dans le courant de ces deux mois, la fièvre jaune fit de cruels ravages dans
la plupart des postes désignés ci- dessus. Le nombre des victimes s'éleva à
cent trente sur six cents hommes environ que comptait encore le bataillon.
Parmi ces dernières se trouvaient quatre officiers.
Le restant de Tannée 1866 s'écoula sans amener d'événement important ;
quelques surprises de guérillas, des courses et des fatigues continuelles dans
le but d'assurer le passage des convois, tel fut le bilan de cette période , pen-
dant laquelle les Tirailleurs continuèrent à occuper Vera-Cruz, Paso-del-Hacho
et la Tejeria. Le 1*' décembre, le capitaine Senac, du 2« régiment, tomba
avec huit Tirailleurs dans une embuscade près de Paso-del-Hacho. Il perdit
deux hommes tués et trois blessés, mais parvint cependant à se dégager de
ce mauvais pas. Quelques jours après il prit sa revanche en allant attaquer
Puoblo-Viego, occupé par les libéraux, et en faisant subir à ceux-ci des
pertes considérables.
On décret du 21 décembre vint nommer le commandant Guyot de Leuchey
au grade de lieutenant -colonel. Ce n'était là qu'une juste récompense des
brillants services rendus par cet officier depuis qu'il se trouvait à la tête du
bataillon de Tirailleurs algériens. Ce fut le commandant Clemmer, du régi-
ment étranger, qui fut désigné pour le remplacer. H. Clemmer avait été pen-
dant longtemps capitaine au i^ régiment, et était parti pour le Mcxi(|uo avec
le détachement fourni par ce dernier.
Le 6 janvier 1867, le bataillon, sous les ordres du capitaine Cailliot, aJju-
dant-major, fut envoyé à Hedellin , tombé au pouvoir des juaristes par suite
de la défection d'un escadron mexicain. Arrivés à Jamapa, les Tirailleurs se
joignirent à la contre-guérilla du colonel de Galliffet. Ce dernier ayant pris le
commandement de l'expédition, on se porta immédiatement sur la ville, qui
fut précipitamment évacuée par les dissidents. Hais, se jetant à leur pour-
suite avec lu cavalerie et la compagnie montée du cupiluino Urault, le colonel
les atteignit à quatre kilomètres de là, et, malgré la supériorité de leur
nombre, les mit en pleine déroute. Cet engagement devait être le dernier
auquel allaient assister les Tirailleurs algériens sur la terre du Mexique.
L'ordre du rapatriement du corps expéditionnaire était arrivé ; toutes les
troupes rétrogradaient vera Vera-Cruz, où leur embarquement devait s'effec-
tuer successivement au fur et à mesure de l'arrivée des transports envoyés do
France à cet effet. En vue de ce départ, les compagnies de Tirailleurs déta-
chés à Paso-del-Hacho et à Tejeria, furent relevées par des garnisons mexicaines
et rallièrent les autres à Vera-Cruz. Avant de se séparer du bataillon, qu'il
avait toujours apprécié d'une façon toute particulière, le commandant en chef
lui adressa un ordre d'adieux qui se résumait ainsi :
c Officiers et soldats,
« Plus qu'aucune autre troupe, le bataillon de Tirailleurs algériens a pris sa
large part des travaux et des luttes de rexpédition du Mexique; partout où il
y a eu de rudes combats à livrer, partout où il a fallu poursuivre d*insaisis-
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[1867] AU MEXIQUE 283
sables ennemis par des marches continuelles, partout où il a fallu affronter le
climat meurtrier des tropiques , les Tirailleurs ont soutenu glorieusement l'hon-
neur du nom franjais. Toujours ils ont déployé la plus grande bravoure en face
de Tennemi, la plus héroïque abnégation devant la mort sans écho des am-
bulances.
« Retournez dans votre patrie, braves Tirailleurs, fiers du devoir accompli.
Vos frères d*armes de Tarmée d'Afrique vous attendent pour vous féliciter de
vos exploits sur la terre lointaine du Mexique.
c Meiico, le 4 janvier 1867.
« Le maréchal commandant en chef,
« Signé : Bazainb. »
Le départ des Tirailleurs devait s^eflectuer en trois détachements, chacun
comprenant les hommes du même régiment.
Le 20 février, le commandant Clommer vint prendre le commandement du
bataillon. Le 22, eut lieu le départ du détachement d'Oran; le 26, de celui
d*Alger; celui de Constantine 8*embarqua le 28 sur VEvare, qui prit la mer le
lendemain l^^ mars, et arriva à Philippeville le 9 avril. Le 17 avril, les Ti-
railleurs du > régiment qui avaient pris part à l'expédition du Mexique ren-
traient à Constantine aux acclamations do la population.
Le bataillon provisoire de Tirailleurs algériens, parti d'Alger le 9 sep-
tembre 1862, avait été licencié d'une façon officielle à la dald du 8 avril 1867.
L'absence de ce bataillon avait duré cinquante-cinq mois, pendant lesquels il
n'avait cessé de prendre part aux opérations actives, aux marches, aux com-
bats, aux travaux dont le Mexique avait été le théâtre, concourant aux ser-
vices les plus divers, aux missions les plus périlleuses, occupant les postes
les plus malsains, et donnant partout les preuves d'une solide discipline et
d'un infatigable dévouement alliés à une bravoure qui avait toujours provoqué
la crainte et l'admiration de l'ennemi. Ainsi que le disait le maréchal com-
mandant en chef, aucune troupe ne s'était plus prodiguée que les Tirailleurs
algériens; tour à tour fantassins ou cavaliers, dans ces deux rôles ils avaient
également su déployer leurs incomparables qualités : cette audace mêlée de
ruse, de patience parfois, cette science ou plutôt ce profond instinct de la
guerre, qui on avait fait do si remarquables éclaircurs devant Sébastopol, de
si redoutables soldats de montagne en Kabylie.
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CHAPITRE Xll
Opérations en Algérie pendant les années 1864 et 1865. — Colonne du Tuggurt — Co-
lonne de Test. — Insurrection de 1864. — Mesures prises pour arrêter ses progrès
dans la province de Constantine. ^ Opérations des colonnes Briand, Gandil et Seroka.
— Le colonel de Lacroix prend le commandement des troupes réunies à Bou-Saàda. —
Combat de Teniet-er-Rihh. — Attaque du camp de Dermel. — Mouyements combinés
des colonnes Yusuf et de Lacroix. — Fin des opérations actives. ^ Ravitaillement •
de Laghouat. — Colonne mobile de Bou-Saàda. — Le colonel de Lacroix est nommé
général, et le lieutenant-colonel Gandil colonel. ^ Colonne d'observation de Bou-Saàda.
— Mardie de la colonne Seroka sur Ouargla. — Colonne de Takilouut. ^ Combats des
24 novembre 1864, 20 mars et 4 avril 1805.
Afin de suivre les détachements du 3* Tirailleurs dans les lointaines et glo-
rieuses expéditions du Sénégal, de la Cochincbine et du Mexique, nous avons
laissé rhistorique de la portion du régiment restée en Algérie à la fin de Tan-
née 1863.
A cette époque, la province de Constantine jouissait d*une parfaite tranquil-
lité. Les premiers mois de l'année 1864 s'écoulèrent sans modifier cet état de
choses, sans que rien vint môme faire supposer qu'il ne dût pas se continuer
indéfiniment. L'ordre régnait partout, nos relations avec les chefs indigènes
semblaient des meilleures, les tribus se livraient régulièrement à leurs tra-
vaux habituels; tout, en un mot, respirait le calme et la paix. On en était à
croire à la soumission complète et désormais certaine de l'Algérie, quand tout
à coup un fait grave, survenu dans la province d'Oran, vint profondément
agiter les esprits. Nous voulons parler de l'assassinat du lieutenant-colonel
Beauprôtre.
Cet oflBcier supérieur était commandant du cercle de Tiaret lorsque, au mois
de mars, lesOuled-Sidi-Cheiks commençant à donner quelques inquiétudes
et à laisser deviner quelques indices de rébellion , il se porta contre eux avec
son goum et quelques spahis. Arrivé au milieu des dissidents, il fut trahi par
son escorte, surpris dans son camp et Iflchement tué par ses ennemis.
L'eflet produit par ce coupable attentat fut immédiat : tout le sud de la
province d'Oran se mit en insurrection. Cependant, malgré l'émotion qui ré-
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[1867] LE 3° RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE 285
gnait dans les autres, malgré la facilité extraordinaire arec laquelle les tribus
sahariennes obéissent à un mot d'ordre parti d'un point quelconque des im-
menses espaces qu'elles parcourent journellement, la révolte ne semblait pas
devoir sortir de son foyer, ou tout au plus du sud de la province d'Alger. L'op-
portunité de mesures préventives ne s'en faisait pas moins sentir dans toute
l'étendue do nos possessions, et, pour ce qui concernait la province de Cons-
tantine, le général Desvaux, qui commandait alors la division, connaissait trop
bien les populations de TOued-R'rir et de l'Oued -Souf pour ne pas juger de
l'utilité de les faire spécialement surveiller. Aussi , dès les premiers jours d'a-
vril, le colonel Seroka, commandant la subdivision de Batna, eut- il mission
d'organiser une colonne et de se porter avec elle à Tuggurt.
Dans la composition de cette dernière devait entrer un bataillon de marche
do Tirailleurs algériens, sous les ordres du commandant Mercier de Sainte-
Croix. En conséquence, la 4® compagnie du 1«' bataillon (lieutenant Corréard),
la 7» du 2« (lieutenant Boswiel ) et la 7« du 3« quittèrent Constantine le 12 avril,
et arrivèrent le 15 à Batna.
Le 18, la colonne se mit en route se dirigeant sur Biskra, où elle prit la 2* com-
pagnie du l^''' bataillon (capitaine Berthomier). Arrivée à Tuggurt le 30 du
môme mois, elle y séjourna quelque temps, parcourant les oasis des environs;
puis elle reprit le chemin de Batna et rentra dans ce poste dans les premiers
jours do juillet , sans avoir remarqué nulle part ni dispositions hostiles ni
symptômes de soulèvement. La 2« compagnie du 1*' bataillon avait été laissée
à Biskra au passage; les trois autres rentrèrent à Constantine le 18 juillet.
En môme temps que le colonel Seroka assurait ainsi , pour le moment du
moins, la tranquillité autour de nos postes du sud, le général d'Exéa, com-
mandant la subdivision de Bône, faisait le long de la frontière tunisienne, et
particulièrement dans les environs de Tebcssa, l'excursion qu'on avait l'ha-
bitude d'y foire chaque année, autant pour y maintenir l'ordre que pour re-
fouler sur leur territoire certaines tribus de la Régence dont les empiétements
tendaient constamment à se renouveler. Cette colonne s'organisa à Souk-Arras.
Deux compagnies de Tirailleurs, les l*"* (capitaine Vivenot) et 3« (capitaine
Lacroix) du 3« bataillon, furent désignées pour en faire partie.
A cet eflet, elles quittèrent Bône le 27 mai, sous les ordres du comman-
dant Seriziat , et arrivèrent à Souk-Arras le 31. Là se réunirent successivement
un bataillon du 4« de ligne, deux du GS^', un du 83<<, deux escadrons de chas-
seurs d'Afrique, un de chasseurs de France, un autre de spahis et une section
d'artillerie, soit environ trois mille hommes.
Ces troupes quittèrent Souk-Arras le 17 juin, et arrivèrent à Tebessa le 25;
elles rayonnèrent quelques jours autour de cette ville pour rassurer les tribus,
et les défendre au besoin contre les incursions et les vexations des Fraichech
et des Oulcd-bcnithanem , puis elles revinrent sur Souk-Arras et se dirigèrent
sur la Celle en suivant la frontière. Il s*agissait de châtier une fraction des
Ouled-Ali, qui avaient accueilli à coups de fusil un officier du bureau arabe
et son escorte de spahis.
Lorsqu'on arriva sur le territoire des dissidents, ceux-ci avaient déjà passé
la frontière pour se réfugier en Tunisie. Les y poursuivre, comme on l'avait
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286 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (t864
déjà bit d*autre8 fois, eût été s'engager dans des complications que la gravité
des faits n'exigeait nullement; le général se contenta de faire ravager la con-
trée, et d'ordonner la destruction des habitations et des récoltes de toute la
population émigrée. Sur ces entrefaites, un soldat ayant été assassiné à quelques
kilomètres du camp par une autre fraction de la même tribu, le goum et les
deux compagnies de Tirailleurs furent chargés d'exécuter la même opération
sur une plus grande étendue de pays. Les Ouled-Ali essayèrent de s'y oppo-
ser, et il s'en suivit sur l'Oued-Rehan un léger combat dans lequel les Tirail-
leurs eurent un homme blessé.
Le 9 août, la colonne arrivait à la Galle sans avoir eu d'autres difficultés
à surmonter. Le lendemain, elle était dissoute , et les deux- compagnies du
régiment se mettaient en route pour BAne, où elles étaient de retour le
14 août.
Cependant les troubles qui s'étaient manifestés dans la province d'Oran
n'avaient pas lardé à prendre une exlension inquiétante et à gagner les autres
province où ils avaient, en peu de jours, fait de rapides progrès. Il n'y avait
pas de doute, c'était bien une insurrection générale qui se déclarait : un
souffle de haine et d'indépendance tout à la fois s'était soudain levé au sein
de tribus paisibles jusque-là, y avait ranimé toutes les vieilles hostilités et
toutes les vieilles espérances, et la révolte agitait maintenant toute la région
des Hauts-Plateaux, menaçant de pénétrer en Kabylie et de donner la main à
un important soulèvement en Tunisie. De toutes parts avaient surgi de faux
chérib; de tous côtés s'étaient répandus des prédicateurs de guerre sainte,
dont le fanatisme s'aidait de toutes sortes de jongleries pour exciter l'enthou-
siasme en proclamant Textermination des Français et le triomphe définitif
de l'islam; partout les intrigants et les mécontents, plus nombreux qu'on ne
les supposait, travaillaient activement ces dispositions belliqueuses de la po-
pulation, en flattant au besoin l'ignorance de celle-ci.
Devant cette situation, qui, dans la province de Constantine, semblait de
jour en jour devenir particulièrement grave, le général Périgot, qui venait de
remplacer le général Desvaux, s'occupa immédiatement d'assurer la sécurité
de nos postes en organisant de nombreuses colonnes, dont quelques-unes,
dites d^obiervatUm, devaient se contenter de surveiller le pays, pendant que
les autres parcourraient le territoire des tribus qui s'étaient ouvertement ré-
voltées. Ces opérations, qui devaient durer près d'une année, allaient em-
brasser tout le sud de la province, toute la région de l'ouest et une grande
partie de la Kabylie. Nous n'allons ici ne nous occuper que de celles concer-
nant le 3« Tirailleurs.
Dans le courant de la première période de la campagne, le régiment fut
appelé à fournir des contingents à quatre des principales colonnes qui furent
formées. Ces dernières étaient : 1» une colonne, dite d'Ouargla, commandée
par le colonel Seroka et devant se réunir à El-Badj , à moitié chemin de Biskra
à Tuggurt; 2<> une colonne de cavalerie, envoyée à Duu-Saàdu sous les ordres
du lieutenant-colonel Briand, du 3^ chasseurs de France; 3<> la colonne du
Hodna, organisée à Sétif par le lieutenant-colonel Gandil, du 3* Tirailleurs,
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[1864] EN ALGÉRIE 287
et placée plus lard, ainsi que les deux précAdentes, sous le commandement
supérieur du colonel le Poilterin de Lacroix; 4« la colonne d'observation de
Takitount.
Vmci quelles furent les compagnies qui entrèrent dans la composition de
chacune de ces colonnes, ainsi que le lieu et la date de leur départ pour se
rendre à chaquo point de concentration :
l^* Colonne Seroha, dite colonne d*Ouargla.
(Deux compagnies, sous les ordres du capitaine-adjudant- major Cailliot).
2<* compagnie du 1«' bataillon, partie de Biskra le 17 août.
6* — dul«r — de Constantine le 29 août.
2* Colonne Briand {réunie enmUe à la colonne Qandil).
(Une compagnie, commandée par le capitaine Gabrielli).
2^ compagnie du 2« bataillon, partie de Bou-Saâda le 7 septembre.
3^ Colonne Gandil, dite colonne du Hodna.
(Huit compagnies organisées en deux bataillons : !•', commandant de Sainte-
Croix; 2^, capitaine Vivenot).
4« compagnie du 1*^ bataillon, partie de Constantine le 29 août.
6«
—
dul«'
—
de Constantine le 29 août.
4e
—
du 2e
—
de Bordj-bou-Arréridj le 7 septembre.
7«
—
du2o
—
de Constantine le 29 août.
Iro
—
du 3*
—
de B6ne le 22 août.
2«
—
du 3*
—
de Bône le 22 août.
3«
—
du3o
—
de B6ne le 22 août.
!•
—
du3«
—
deSétifle29août.
4* Colonne d'ohw^vaiion de Takitowît.
(Quatre compagnies formant un bataillon, sous les ordres du capitaine Dos-
maison).
l^* compagnie du 2« bataillon , partie de Constantine le 29 août.
3« — du2o — de Bougie le 29 août.
5» — du 2» — do Bougie le 1" juillet.
6» — du2« — de Bougie le !•' juillet.
Soit un total de quinze compagnies, représentant un eOectif de mille cinq
cents hommes environ.
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288 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1864]
L'insurrection sembluil avoir pour contro la région du llodna, et s'étendait
sur tout le pays compris dans le triangle H'Sila, Aumale et Bou-SaAda, avec
des ramifications vers Bordj-bou-Arréridj et en Kabylie. Déjà les troupes de la
province d* Alger, sous la direction supérieure du général Yusuf , parcouraient
les cercles d'Aumale, de Boghar et de Djeira; en se hfltant vers H*Sila et Bou-
SaAda, on pouvait espérer enfermer les dissidents entre les forces convergentes
des deux divisions. Malheureusement quelques hésitations qui se produisirent
au début des opérations ne permirent pas de donner à ce plan Tensemble
qu'il eût fallu dans son exécution.
La colonne Gandil commença la première son mouvement; le 5 septembre,
elle quitta Sétif, et, le lendemain, arriva à Bordj-bou-Arréridj, d'où elle re-
partit le 7, se dirigeant sur M'Sila, qu'elle atteignit le 9. On s'attendait à y
trouver la colonne Briand ou tout au moins des renseignements faisant con-
naître son départ de Bou-SaAda. Au lieu de cela, circulait parmi les Arabes
une nouvelle qui aurait pu paraître alarmante s*il n'avait fallu faire la part
de l'exagération; d'après eux, cette colonne avait été surprise par les dissi-
dents, et, complètement battue, s'était vue obligée de rentrer à Bou-SaAda,
où maintenant elle se trouvait bloquée. Justement inquiet, le colonel Gandil
fit aussitôt prendre de sérieuses informations, et bientôt les faits se trouvèrent
rétablis dans toute leur vérité. Voici ce qui s'était passé. Sorti de Bou-SaAda
le 7 septembre, avec trois escadrons de cavalerie, deux compagnies d'infan-
terie dont une do Tirailleurs algériens (i^ du 2«>) et deux pièces «le canon, le
colonel Briand était arrivé le lendemain 8 sur rOued-Chellal. Là il avait appris
que les Ouled-HAdhi l'attendaient en armes au puits de Dayet-el-lleubarra;
trompé par des renseignements exagérés qui lui représentaient tout le llodna
soulevé , la ville de M*Sila et tout le pays en insurrection jusqu'à Bordj ; per-
suadé par des rapports malveillants qu'il n'y avait pas à compter sur la
fidélité du bach-agha à notre cause; ignorant enfin le mouvement vers H'Sila
qu'exécutait à ce moment la colonne Gandil, il s'était cru trop faible pour
percer la masse de ses ennemis, et, après une escarmouche do deux heures,
livrée sans succès ni pertes, il s'était replié sur Baniou et Bou-SaAda.
Il n'en fallut pas davantage, aux yeux de ces populations crédules et fana-
tiques, pour leur laisser croire que les rebelles venaient de remporter une
grande victoire; le bruit s'en répandit avec une rapidité extraordinaire, et la
plupart des tribus qu'une certaine hésitation maintenait encore dans le devoir
se jetèrent aussitôt dans le mouvement insurrectionnel. Au bout de quelques
jours, tout le llodna fut en feu; la situation, do grave qu'elle était, pouvait
devenir critique : il n'y avait pas une minute à perdre pour conjurer le danger.
Ce qui importait d'abord , c'était la jonction des colonnes Briand et Gandil.
Des ordres furent donnés dans ce sens, et le colonel Briand, se remettant en
route, arriva le 14 septembre à M'Sila sans avoir eu, malgré les nombreux
contingents qui parcouraient le pays, de combat sérieux à livrer. Ce mouve-
ment eut pour résultat immédiat de rejeter le gros des insurgés du côté du
Sebkha-Zahres , et de dégager ainsi la plus grande partie du llodna.
Pendant ce temps, le colonel Seroka avait été arrêté dans son mouvement
de Biskra vers le sud et rappelé dans le Tell. 11 revint à marches forcées,
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[1864] EN ALGÉRIE £89
Qvec touto sa colonno, comprenant deux compognies de Tirailleurs « quatre
compagnies d*éKte du 66^ et cinq escadrons de cavalerie, et, le 16 septembre,
arriva à son tour à M*Sila, où il prit le commandement de toutes les troupes
qui s'y trouvaient alors réunies, troupes dans lesquelles entraient onze com-
pagnies du régiment. Le 18, il en repartit avec les trois colonnes pour so
rendre à Bou-SaAda, qu'il atteignit le 20, sans avoir eu à tirer un seul coup
de fusil.
La région dans laquelle il s'agissait maintenant d'aller combattre l'insur-
rection était peu connue; on la savait seulement difficile, peu habitée, et
protégée au sud par le vaste massif du Medjedel , dont on ignorait absolument
la topographie. Les Arabes alliés prétendaient que dans cette partie elle
était inexpugnable pour une colonne aussi faible en infanterie, d'autant plus
que les insurgés avaient appelé les gens de Boghar, de Djelfa et d'Aumale, et
(|u'ils devaient être on nombre pour garder les principaux défilés. Rendu pru-
dent par ces renseignements, dont la plupart étaient erronés ou volontaire-
ment exagérés, le colonel Seroka demanda des renforts au général do division,
et ne voulut rien entreprendre avant l'arrivée du colonel le Poittevin de La-
croix, désigné pour prendre la direction supérieure des opérations.
Cette circonspection, dont on ne saurait cependant contester la sagesse,
avait un grand défaut, celui de manquer d'opportunité. Chaque jour de retard
ajoutait plus à la force et à la confiance de l'ennemi , que nous ne pouvions
gagner par l'appoint des renforts attendus : il fallait agir vite, frapper l'ima-
gination des populations, prendre une vigoureuse oflensive, et détruire ainsi
la légende d'impuissance qui s'était rapidement établie à notre égard après
l'événement survenu à la colonne Briand. Un fait vint bientôt démontrer ce
qu'une telle prudence avait d'exagéré.
I^ 22 septembre, le commandant de Sainte-Croix, ayant sous ses ordres
le goum et un bntoillon de Tirailleurs algériens, fut envoyé à environ dix ki-
lomètres du camp pour exécuter une razzia sur une fraction des Ouled-Sidi-
Brahim. A la suite d'une marche rapide, faite de nuit dans le lit de l'Oued-
Maîter, il faillit surprendre un fort parti d'insurgés au col de Tessa. Ceux-ci
s'enfuirent précipitamment en nous abandonnant une partie de leurs trou-
peaux. Il aurait été facile de les poursuivre, de les atteindre, de leur tuer du
moudre; mais les instructions du colonel Seroka étaient formelles, et le com-*
mandant de Sainte-Croix dut, bien contre son gré, arrêter son mouvement et
reprendre le chemin de Bou-SaAda.
Le même jour arriva le colonel de Lacroix. N'envisageant pas la situation
au même point de vue que son prédécesseur, il se prononça aussitôt pour une
marche en avant. ^Calculant, en effet, que les renforts demandés au général
n'arriveraient pas avant dix ou douze jours; convaincu que le temps perdu et
cette inactivité apparente ne feraient qu'exalter l'audace do l'ennemi et lui
donner de nouveaux adhérents, il résolut de commencer immédiatement les
opérations avec les seules forces qu'il avait sous la main. En conséquence, le
26 , il écrivit au général Yusuf afin de lui proposer un mouvement simultané
pour surprendre et envelopper les tribus révoltées. Le général se porterait
rapidement aux débouchés d'Ain -Khala, sur l'Oued -Medjedel, et do Raîam-
19
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890 LE 3^ RÉOIIIBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1864]
Chergui, au sud de rextrémité ouest du Sebkha-Zahrez, pendant que lui, le
colonel de Lacroix, arriverait par Bordj-Hedjebel, fermant ainsi la porte de
la souricière où il pensait que se réfugieraient les rebelles avec leurs femmes,
leurs tentes, leurs richesses et leurs troupeaux.
Jugeant que la réponse ne se ferait pas longtemps attendre, le 29, le colo-
nel se mit lentement en marche par le chemin de Dermel , faisant répandre
le bruit qu'il rejoignait le général Yusuf du côté de Djcifa, et que les opérations
oBensives ne commenceraient qu'après cette concentration et probablement
du côlé d'Aîn-Hicb. Un mouvement vers Selim, déjà prononcé par le général
Yusuf, devait tromper l'ennemi et le laisser sans inquiétude pour ses der-
rières, en lui faisant croire que le bruit répandu était vrai.^
Le 30, la colonne campa à Dermel , village situé sur l'oued de ce nom , à
dix-huit kilomètres au sud-ouest de Bou-Saûda. De ce point, la colonne pou-
vait en deux jours se porter à Bordj-Medjebel , et par suite concourir aux opé-
rations du général Yusuf dès qu'on aurait la réponse do celui-ci.
En apprenant notre mouvement, les insurgés s'étaient rapprochés jusqu'à
Teniet-er-Rihh, dans le but de protéger leurs troupeaux répandus dans la
plaine de Temça ; bientôt môme leurs avant-postes se trouvèrent en présence
de nos goums, qui avaient été laissés à la sortie do la gorge de l'Oued-Dermel.
Vers quatre heures et demie du soir, le colonel reçut avis que notre bach-
agha, s'étant trop avancé, se trouvait à six kilomètres du camp dans une po-
sition fort diflBcile, ne pouvant ni reculer sans danger, ni attaquer avec quel-
que chance de succès. Il se faisait tard; on ne pouvait songer à engager une
action sérieuse à une telle heure et dans un lieu si peu choisi pour cela. Le
lieutenant -colonel de la Jaille, du ^^ chasseurs d'Afrique, reçut l'ordre de
monter à cheval avec les cinq escadrons de la colonne Seroka , et de se porter
au secours du goum en ayant soin d'éviter tout engagement. Cent cinquante
Tirailleurs, montés à dos de mulets, devaient appuyer ce mouvement et cou-
vrir la retraite de la cavalerie.
A cinq heures et demie, cette colonne arrivait en face de l'ennemi, qui avait
occupé avec son infanterie le col de Teniet-er-lUhli, et déployé sa cavalerie
dans la plaine afin de couvrir le chemin de Temça. Au lieu de se conformer
aux sages prescriptions qu'il avait reçues, le colonel de la Jaille crut devoir
repousser les rebelles avant de commencer sa retraite. Disposant sa cavalerie
en deux groupes, il fit aussitôt charger l'ennemi de face et de flanc. En un
instant la plaine fut balayée; mais les cavaliers arabes allèrent se réfugier près
de leur infanterie, et deux escadrons qui essayèrent de les y poursuivre furent
ramenés à leur tour après avoir été cruellement décimés.
Le jour baissait, le commandant de la colonne appela à lui les cent cin-
quante Tirailleurs algériens, qu'il avait jetés sur la droite, les déploya perpen-
diculairement à la route et fit sonner la retraite. Celle-ci s'opéra en bon ordre ;
soit que les Arabes eussent trop souffert dans ce combat de cavalerie, soit
que l'apparition soudaine d'une troupe d'infanterie leur fit craindre quelque
embuscade, contre leur habitude, ils no nous poursuivirent pas. Les Tirail-
leurs n'eurent donc qu'à prot^er, par quelques feux exécutés avec un grand
sang- froid, le mouvement rétrograde de nos escadrons, sans en arriver à un
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[1864] EN ALGÉRIE 291
engagement soutenu ; l'un d'eux, le sergent M'Hamed-ben-M'Hamoud, allait
cependant trouver l'occaBion de ae signaler par un acte de braroure inspiré
par le plus noble dévouement.
En se portant sur la ligne, ce sous-officier aperçoit un blessé laissé sur le
champ de bataille, à cent mètres do l'ennemi. N'écoutant que son courage,
il se porto résolument en avant avec quelques hommes qu'onlraino son
exemple, essuie plusieurs coups de feu et revient, rapportant deux chasseurs
grièvement blessés, qu'il arrache ainsi à une atroce agonie.
A huit heures du soir, le détachement du colonel de la Jaille rentrait au camp.
Le combat de Teniet-er-Rihh était un insuccès et une faute : un insuccès,
car malgré les pertes que nous avions subies^, l'ennemi n'avait pu être
délogé de ses positions ; une faute, car il allait encore augmenter la confiance
des rebelles et grossir les difficultés déjà assez nombreuses qu'avaient créées
nos précédentes hésitations. Les Arabes en exploitèrent habilement la nou-
velle, en la semant avec autant d'éclat que d'exagération. L'effet en fut immé-
diat; de toutes parts des tribus, jusque-là incertaines, envoyèrent de nouveaux
contingents; l'enthousiasme des insurgés fut à son comble, leur audace ne
connut plus aucune borne. Chose inouïe dans les fastes de la guerre d'Afrique,
on allait les voir attaquer en plein jour, et dans des positions formidables, un
cnmp défendu par doux mille hommes et cinq pièces de canon.
Le camp de Dermel avait été assis sur la rive droite de l'oued de ce nom ,
qui, en cet endroit, est très encaissé, et s'étendait sur un espèce de plateau
coupé do distance en distance d'étroits ravins formant de vastes fossés. La
première face, occupée par l'infanterie de la colonne Gandil, et comprenant
deux bataillons de Tirailleurs et un autre du 63*, se trouvait placée perpen-
diculairement à la rivière, face à la direction par où l'on attendait l'ennemi;
la deuxième, directement sur la rivière, était constituée par l'infanterie Seroka ;
la troisième , parallèle à la précédente, regardait les crêtes et se composait de
la cavalerie Briand ; la quatrième, formée de la cavalerie de la Jaille, bordait
un ravin profond , aux flancs abrupts et hérissé de taillis. En prévision d'une
surprise, les grand'gardes avaient été doublées et s'étaient couvertes par des
remblais et des abatis ; le convoi avait reçu l'ordre de se masser dans un ravin,
sous la surveillance d'un peloton de cavalerie, avec défense rigoureuse, pour
les muletiers et chameliers indigènes, de se lever et de quitter leur emplace-
ment; enfin la plus grande vigilance était recommandée à nos postes les plus
avancés.
Mais c'était bien au grand jour que l'ennemi se proposait de se montrer.
Le 2 octobre, dès le matin, les crêtes éloignées se couvrirent d'Arabes, qui
se mirent à nous observer. Vers onze heures et demie, des masses consi-
dérables commencèrent à s'avancer par le chemin de Teniet-er-Rihh. On
apercevait au loin, dans la plaine, de longues lignes de cavalerie avec leurs
étendards déployés, puis de grandes bandes de fantassins marchant avec un
certain ordre et couvrant les flancs de l'étroite vallée de l'Oued- Dermel. L'ar-
* Dans ce combat, la cavalerie avait eu dix tués, dont deux officiers, et dix blessés.
Six cadavres étaient restés entre les mains de Tennemi.
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292 LE 3* RÉQIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1864
tillorie prit position : doux pièces fiiront placées on avant dos deux bataillons
de Tirailleurs, deux autres à l'angle formé par les première et deuxième bces,
la cinquième en avant de la cavalerie de la Jaille.
A midi, l'attaque commença; plus de deux mille fantassins et mille cava-
liers se ruèrent sur le camp , une partie cherchant à pénétrer par le lit de la
rivière, l'autre se portant de front contre la ligne des grands'gardes des Tirail-
leurs algériens. Quelques obus, dirigés le long de l'Oued -Dermel, arrêtèrent
court ceux qui avaient pris ce chemin , et les rejetèrent vers la gauche de la
première face; mais là ils rencontrèrent des postes doublés, retranchés dans
de fortes positions , et une compagnie entière , celle du capitaine Gabrielli
(2^ du 2<»] , déployée en avant de la section d'artillerie. Sur ce point, une vive
fusillade se trouva aussitôt engagée. La deuxième face avait aussi à répondre
à un feu assez violent , mais les troisième et quatrième n'étaient pas inquié-
tées.
Cette lutte, tout à notre avantage, continua ainsi pendant une heure environ ;
enfin, les Arabes ne se décidant pas à se retirer, le colonel do Lacroix fil
porter les deux bataillons de Tirailleurs en avant. Ceux-ci, qui depuis long-
temps frémissaient d'impatience, se précipitèrent en poussant un long cri de
joie, suivi bientôt d'un autre plus sauvage, plus terrible, qui suffit à rendre
hésitantes les masses confuses de l'ennemi , en y semant un effroi qui devint
de la panique, dès que la baïonnette menaçante de nos soldats eut commencé
à fouiller dans ce tourbillon humain. De ce moment , la fuite des rebelles
commença sur tous les points; elle s'effectua avec une telle rapidité, qu'ils
eurent bientôt complètement disparu, et que la cavalerie elle-même dut
renoncer à une poursuite qui l'aurait entraînée beaucoup trop loin du camp.
C'était un coup mortel que celui que venait de recevoir l'insurrection; les
échecs des 8 et 30 septembre étaient non seulement vengés, mais notre pres-
tige, notre force , notre autorité se relevaient plus grands que jamais aux yeux
des populations effrayées. Les pertes de Tennemî avaient atteint le chiffre
énorme de trois cents tués ou blessés; quarante cadavres avaient été aban-
donnés sur le terrain. De leur côté, les Tirailleurs comptaient quatre hommes
tués et douze blessés.
La réponse du général Yusuf était arrivée; il adoptait tout le plan proposé
par le colonel de Lacroix; le 5, sa colonne camperait à Ain-Kliala. Le colonel
n'avait pas de temps à perdre pour se trouver au rendez- vous; le 4, il leva le
camp de Dermel et se dirigea sur Temça, par la route qui franchit le défilé
de Teniet-Zebbech. A trois kilomètres environ avant d'arriver à ce point, les
spahis d'avant -garde signalèrent dans la plaine de nombreux troupeoux qui
paissaient. Cette découverte , qui aurait paru toute naturelle dans un autre
moment, sembla au colonel cacher une ruse dont il était prudent de se méfier.
Ces troupeaux ne pouvaient- ils pas, en effet, avoir été ramassés là pour
servir d'appât, pour nous attirer dans une embuscade que les difficultés du
pays auraient rendue désastreuse pour nous? 11 était tout au moins sage de
prendre quelques précautions. La tête de la colonne fut arrêtée pour foire
serrer les autres échelons, puis la marche fut reprise , couverte par de nom-
breux éclaireurs. Mais rien ne se montra; ce retard allait, au contraire, nous
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[1864] EN ALQÉRIB 293
là
^ faire perdre une partie des fruits du combat de Dermel, en donnant aux
insurgés le temps de faire filer, dans la direction d'Aumale, par les bords du
,. Zahrcz, tout ce qu'ils avaient pu réunir do leurs richesses, entre autres leur
^ gros bétail et leurs chevaux. Le pAté de montagnes du Medjedeli dans lequel
j. on pensait que la révolte chercherait son dernier refuge , était complètement
abandonné.
La colonne de Lacroix n'avait plus aucun intérêt à presser sa marche;
arrivée à Temça, elle se reposa la journée du 4. Le 5, elle se remit en route
et s'arrôta à Bordj-Medjedel. Le lendemain, avec deux escadrons de chas-
seurs et soixante Tirailleurs, le colonel fit la reconnaissance de ce massif ,
qu'on avait présenté comme inexpugnable. Il le traversa dans toute sa lon-
gueur, et constata que si du côté du lac l'attaque eût, en eflet, été difficile et
(iangcrouso h cause do la raideur dos pentes, de l'élévation dos crêtes et dos
profondes coupures du terrain, du c6té d'ÂIn-Khala le sol allait s'abaissant
graduellement, s'ouvrait par des plaines et présentait partout à l'assaillant
des chemins d*un facile accès.
Ruinées par les nombreuses razzias exécutées sur elles par le général Tusuf,
découragées, sans moyen de transport pour fuir, les tribus demandèrent et
obtinrent l'aman. Cette soumission, qui mettait fin à la résistance armée des
rebelles des cercles d'Aumale et de Bou-SaAda et qui rejetait la lutte dans le
sud, était en grande partie l'œuvre de la colonne du Hodna, colonne dans
laquelle les Tirailleurs avaient, comme toujours, pris une large part des
fatigues et des dangers qui s'étaient présentés.
Les opérations actives des troupes sous les ordres du colonel de Lacroix
étaient terminées. Mise à la disposition du général Yusuf , la colonne de Bon-
SaAda allait maintenant travailler au ravitaillement de la place de Laghouat,
en escortant les immenses convois qu'on organisait à cet efiet. Après les émo-
tions do la lutte, la satisfaction enivrante du succès, les efibrts noblement
récompensés, l'ère des jours d'ennuis et de fatigues sans gloire allait com-
mencer; plus rien de ce qui console le soldat des privations et de la misère
ne devait plus trancher la monotonie de cette vie errante au sein d'un pays
désolé; plus un seul combat, plus une seule journée de poudre n'allait mar-
quer ces longues étapes sur ces vastes plateaux couverts d'alfa, avec ces
interminables files de chameaux et de mulets, ces campements énormes dont
on aurait dit une ville fugitive se dressant le soir sur un point quelconque de
l'espace et que ne retrouvait plus le lever du soleil , ces nuits passées sous le
ciel du désert, nuits pleines de la rumeur confuse qui s'élevait de cette cité
bizarre, de cette Dabel étrange, de cette arche de Noé, où hommes et ani-
maux jetaient chacun une note différente, où l'Orient et l'Occident se trou-
vaient confondus : jours mornes que rien ne fixe sur l'orbe mobile du souvenir,
jours d'abnégation pour lesquels il faut l'insouciance et le fatalisme du soldat
indigène ou l'inaltérable gaieté et l'entrain du troupier français'.
Le 15 octobre, le colonel de Lacroix quitta Bordj-Medjedel et revint camper
à Temça; le lendemain, il rentrait à Bou-SaAda. Le 18, le colonel Seroka,
avec le groupe sous ses ordres, se séparait de lui et reprenait , par Ain-Rich,
la route du sud et d'Ouargla.
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294 LE 3"^ RÉOIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [\Btk]
Renforcée de douze cents zouaves , la colonne se remit en route le 20 octobre,
avec un convoi de deux mille chameaux et se dirigea sur Djelfa, par Sélim et
Houlla. Le 26, elle arrivait à Laghouat. Après un jour de repos, elle reprit
sa marche pour revenir sur Djelb et sur Sélim , où, elle campa de nouveau le
sixième jour. Là elle devait attendre un nouveau convoi qu'on préparait à
Bou-SaAda. Ce dernier, qui comprenait dix-huit cents chameaux, arriva le 4.
Le 5, on partit de nouveau pour Laghouat, qu'on utluignit le 10. Le 12, la
colonne reprenait do nouveau le chemin do Ujcira, où lo 18, venait la trouver
un ordre la rappelant à Bou-Sa4da. Le 21 , elle installa son camp au pied du
Kerdada, entre la ville et Toasis. A partir de ce moment, et pendant trois
mois, elle allait devenir une sorte de colonne mobile, ayant Bou-Sa4da
comme centre d*action et pour mission de parcourir tout le cercle, afin de
faire rentrer les amendes et les impôts et de rétablir l'autorité de nos caïds
fortement ébranlée par l'insurrection.
Le 7 décembre, le colonel de Lacroix commença une première tournée que
le mauvais temps vint brusquement interrompre à la fin du mois. D'ailleurs,
nommé général, il cédait quelques jours après le commandement de la
colonne et celui du 3<^ Tirailleurs au lieutenant- colonel Gandil, promu
colonel.
Une deuxième tournée recommença le 22 janvier 1865; mais, le 4 février,
les troupes furent encore rappelées à Bou-Saâda par une tourmente de neige
et l'impraticabilité des chemins. Elles en repartirent le 7 février, pour en finir
avec ces opérations, qui, en effet, se terminèrent le 7.
A partir de ce jour, la colonne Gandil resta sous les murs de Bou-SaSda.
Le 27 mars, sept compagnies de Tirailleurs la quittèrent pour se rendre
d'abord à Conslanline et ensuite à Milah, où s'organisait une brigade destinée
à opérer en Kabylie; deux compagnies seulement, les 2^ et 4® du 2* bataillon,
lui restèrent encore et ne cessèrent, jusqu'au dernier moment, de compter à
son oneclif. Déjà, à la fin do novembre, elle avoil été aHuiblio d'un escadron
de chasseurs et d'un bataillon de zouaves dirigés sur Sétif. Héduite à un mil-
lier d'hommes, elle prit le nom de colonne d'observation de Dou-Saâda, et
conserva ce rôle purement spectatif jusqu'au mois de juillet, époque de sa
dissolution.
Nous avons laissé la colonne Seroka, dans laquelle se trouvaient les 2^ et
6* compagnies du 1*' bataillon, en route pour Ouargla. Partie de Bou-Saàda
le 18 octobre 1864, elle redescendit dans le Sahara, en faisant des séjours
successifs à Mengoub, El-Ouara, Oulm-el-Adom, Dzioua, El-lladjira, et
enfin, le 28 février 1865, arriva à Ouargla, qui venait d'ôlre détaché de la
province d'Oran et placé, militairement et administrativement, dans le res-
sort decelle de Constantine. Il s'agissait d'y installer Ali-bey , caid de Tuggurt,
d'y assurer son autorité, d'établir l'impôt sur de nouvelles bases, et de régler
l'administration de l'oasis. Celte mission denionda quinze jours, après lesquels
la colonne se dirigea sur Tuggurt, puis sur Biskra, où elle arriva le 12 avril.
Diminuée d'une partie de sa cavalerie, elle demeura ensuite dans les mêmes
conditions que celle de Bou-Saàda, en observation jusqu'au mois de juillet.
Pendant que les colonnes Gandil , Briand et Seroka, s'unissaient pour com-
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[1864] EN ALGÉRIE 205
battre l'insurrection danâ les environs de Bou-Saâda, une autre, d'une
moindre importance, s'établissait à Takitount, pour surreiller, avec Taide
des goums, les tribus kabyles environnant les Babors. Ainsi qu'on I*a vu plus
haut, cette dernière se composait de quatre compagnies de Tirailleurs algé-
riens, formant un Imlnillon .«tous les ordrof^ du cnpilaino Posmaison.
Arrive à son poste le 11 octobre 1804, ce détachement eût d*abord &
repousser quelques timides tentatives d'attaque de la part des insurgés; puis
il ne tarda pas à jouir d'une certaine tranquillité dont il profita pour prendre
de bonnes dispositions défensives en vue d'une nouvelle agression , sinon
imminente, du moins prévue. Plus d'un mois se passa ainsi dans cette pru-
dente attitude, dont la faiblesse de notre petite troupe ne permettait guère de
se départir.
Cependant l'agitation allait toujours croissant au sein de ces populations
remuantes et fanatiques, dont les idées d'indépendance n'avaient pu être
étouffées par de longues années d'une administration toute bienveillante à leur
égard ; de nombreux contingents parcouraient le pays ; toutes les tribus ,
échappante l'autorité de leurs caïds, semblaient n'attendre qu'un signal pour
renouveler la résistance opiniAtre des grands jours de la Kabylie. Cette situa-
tion inspirant des craintes sérieuses au général Périgot pour la sécurité du
poste de Takitount, il décida que d'importants renforts y seraient envoyés.
L'ennemi eut- il connaissance de celte détermination? S'était-il enhardi
en nous voyant inactifs ? Céda-t-il à un mobile étranger à ces deux considé-
rations 7 Toujours est-il que le 24 novembre, veille du jour où de nouvelles
troupes devaient arriver pour porter la force de la colonne à dix compagnies i
il tenta brusquement un eiïort décisif contre nos positions.
Dès le matin , toutes les crêtes dans la direction du Babor se couvrirent
de Kabyles; bientôt ceux-ci se rapprochèrent et s'avancèrent résolument sur
la maison du cheik, située à environ quatre kilomètres du bordj et à peine à
neuf cents mètres de l'une de nos grands'gardes fortifiées.
A la première alerte , le capitaine Desmaison avait fait prendre les armes
à ses quatre compagnies; aussitôt qu'il eut pénétré l'intention de l'ennemi,
il en envoya deux (1^ et 6* du 2» bataillon) occuper le point menacé; l'une
d'elles se déploya rapidement en tirailleurs , l'autre resta massée derrière un
pli de terrain. La fusillade avait immédiatement commencé, très vive do
part et d'autre, mais particulièrement meurtrière pour les Kabyles, dont la
masse compacte offrait h nos balles un but dans lequel aucune d'elles ne se
perdait. Malgré leurs pertes , les assaillants continuaient cependant à gravir
la hauteiir sur laquelle se trouvait la maison du cheik, montrant une ténacité,
une audace qu'on aurait dit inspirées par la certitude du succès. Mais à peine
furent- ils arrivés h deux cents mètres du but, que la compagnie restée en
réserve se démasqua tout à coup , exécuta une décharge à bout portant et
se rua sur eux avec une irrésistible impétuosité; stupéfaits, effrayés de la
fureur de cette attaque, les Kabyles commencèrent à fuir, et finalement se
dispersèrent dans toutes les directions, poursuivis par les Tirailleurs, que
l'ardeur du combat aurait emportés jusque dans leurs montagnes, si la main
ferme et prudente des officiers n'eût été là pour les arrêter. Ce dernier mou-
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2IM LB 3* RÉGIMENT DU TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE [l8S5
Yomenl avait été si brusque, si vigoureusement menô, que nous n'avions eu
que deux hommes blessés. L'ennemi comptait une vingtaine de morts et un
nombre considérable de blessés.
Le lendemain de ce combat, à cinq heures du soir, le lieutenant -colonel
Ameler, du 20* de ligne, arrivait avec six compagnies de son régiment et
prenait le commandement de la colonne.
A partir de ce moment, les Kabyles témoignèrent d'une circonspection qui
dénotait combien leur échec les avait démoralisés; dès lors ils ne se montrè-
rent plus qu'à de grandes distances, évitant avec soin de se laisser aborder
par nos compagnies. Le 29 mars , eut cependant lieu un léger engagement, un
échange de coups de fusil qui n'entraîna aucune perte pour nous. Le 4 avril ,
quelques bandes tentèrent une nouvelle démonstration vers la maison du
cheik; mais, à l'arrivée des troupes envoyées à leur rencontre, elles se reti-
rèrent, emportant quelques tués et quelques blessés que leur avait coûtés notre
feu. Le fourrier Verrière, de la 5^ compagnie du 2<' bataillon , fut blessé assez
grièvement dans ce combat, qui allait être le dernier auquel , sur ce point,
devaient prendre part les quatre compagnies du 3* Tirailleurs. Appelées à
concourir à la formation de la colonne que le général Périgot devait diriger
dans la Kabylie orientale, elles quittèrent en effet Takitount le 11 avril, et
arrivèrent à Constantine le 18 du même mois.
Pour en finir avec les opérations secondaires auxquelles donna lieu la grande
insurrection de 1864 , il nous reste à dire deux mots d'une colonne qui, durant
le mois de janvier 1865 , parcourut la frontière tunisienne dans le double but
de favoriser l'entrée sur notre territoire des populations de la Régence qui ,
fuyant les exactions des troupes du bey , venaient chercher un refuge auprès
de nous, et de veiller à ce que ces mêmes troupes ne commissent point d'em-
piétements. Composée de quatre compagnies du 83*, d*une de Tirailleurs
algériens (7* du l*'^ bataillon, capitaine Rapp), d'un escadron de chasseurs
d'Afrique et de deux pelotons de spahis, cette colonne fut placée sous les
ordres du lieutenant- colonel Flogny , du 3* régiment de spahis, et commença
ses opérations le 9 janvier. Elle protégea le passage, en deçà de la frontière,
d'environ quinze à seize cents tentes de tribus pauvres , misérables , auxquelles
l'aman fut accordé sur la demande do la France, et qu*on rapatria le 15 fé-
vrier.
Le 18 janvier, la compagnie du capitaine Rapp était rentrée à Tebcssa, sa
garnison, et, seul, un détachement de cinquanlo-cinq hommes, sous les
ordres du sous-lieutenant Darolles, entra dans la composition d'une petite
colonne qui, sous le commandement du général de Lacroix, surveilla l'opé-
ration du rapatriement.
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CHAPITRE XIII
(1865-1870)
(IRAn) Progrès do IMnsiirrcction en Rabylie. — Golonno expédlUonnairo dos Baboni. —
Passage dn col de Boudcrnis. — La colonne se rond à Dougic. — Rentrée à Gonsian-
tfne. — Paciflcaiion générale de la province. — Golonno du sud (1865-1606). — Co-
lonne de Bou-Saâda. — (1866) Le régiment est appelé à fournir un bataillon pour
tenir garnison à Paris. — Formation du 4« bataillon. — Réorganisation des écoles régi-
mentaires. — Colonne d'observation de Bon-Saftda (1866-1867). — Épidémie cholérique
de 1867. — Récompenses pour dévouements.
La violente secousse qui avait soulevé et mis en feu toute cette région des
Hauts-PlateauK, intermédiaire entre le Tell et le Sahara, avait eu un contre-
coup immédiat en Kabylie. Cependant, si elles étaient plus tenaces une fois
qu'elles avaient les armes à la main , les populations de ces montagnes, deve-
nues moins hostiles depuis la grande épopée de leurs luttes héroïques, étaient,
par contre, moins impressionnables, moins ardentes, moins prêtes à céder
nu premier soufTIc de révolte que colles de nos cercles du sud. Aussi, au lieu
d*y être générale, comme dans les environs d'Aumale et de Bou-Saftda, Tin-
surrection s*y trouva- t-elle, dans ses débuts, limitée à quelques tribus ou
fractions de tribus , dont Taction agressive se borna à Tatlaque du bordj de
Zcraîa, à Touesl de Milah. Mais bientôt Tagitation fit d'inquiétants progrès;
elle s'étendit dans la plus grande partie du bassin de TOued-el-Kebir, se
répandit dans celui do TOued-Eudja, et gagna rapidement vers l'ouest, comme
pour se relier, du côté de Dordj-bou-Arrérldj, avec le mouvement qui par-
tait du Hodna. A ce moment, on put craindre de graves complications; aucun
succès de nos armes n'était encore venu étouffer les espérances des rebelles,
et presque toutes nos troupes disponibles étaient en marche vers Bou-SaAda.
C'est alors que,' pour conjurer le danger, on organisa de nombreux camps
d'observation qu'on établit sur des points habilement choisis. La faiblesse de
ces postes ne leur permettait guère d'étendre leur action à plus de quelques
kilomètres de ces points, mais ils n'en demeuraient pas moins une menace
permanente pour les insurgés. Indépendamment de cela, le général Périgot
se mit lui-môme à la tête d'une colonne mobile, et, dans le courant de sep-
tembre, parcourut les bords de l'Oued -Eudja, pénétra dans le Ferdjiouah ,
et dispersa quelques rassemblements dans les environs de Marianoum. Déjà
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298
LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[18Ô5]
les tribas insoumises commençaient à rentrer dans le devoir, la tranquillité
à renaître dans le pays, lorsque, brusquement appelé & Bordj-bou-Arréridj
par les événements du llodna , le général dut interrompre en plein succès son
œuvre de pacification.
A peine nos troupes se furent-elles éloignées, que les intrigues recommen-
cèrent, que les marabouts influents reprirent leur campagne en faveur de la
guerre sainte, et que les tribus hostiles reformèrent leurs contingents. Celte
fois, c'était do la région du Rabor quo partait rincomlio. VéU quelques jours
la rébellion eut promené ses torches dans tout le pays compris entre Bougie,
Sétif , Djidjelli et Milah. La saison n'était pas favorable à une expédition ; il
eût du reste été difficile d'en réunir les moyens : on se contenta de renforcer
les postes de Milah et de Takitount , et l'on attendit.
Cette situation resta la même jusqu'au mois d'avril. Le printemps arrivait ;
c'est l'époque où le Kabyle redoute le plus la guerre, car il a sa récolte, c'est-
à-dire toute sa fortune qui est en jeu; le moment était donc venu d'en finir
avec les troubles qui désolaient cette partie de la province , et de châtier les
fractions remuantes qui les avaient provoqués. Deux colonnes furent organi-
sées : l'une, sous le commandement du colonel Augeraud, et comprenant en
grande partie des troupes de la province d'Alger, devait envahir le territoire
insurgé par le sud-ouest; l'autre, sous les ordres du général Périgot, se dis-
posait à y entrer par l'ouest avec le Babor pour objectif.
Celte dernière, la seule dont nous ayons à nous occuper, fut réunio : partie
à Milah avec le général commandant la division, et partie à Djidjelli avec le
général le Poittevin de Lacroix. C'est sur Milah que furent dirigées les frac-
tions du 3* Tirailleurs désignées pour on faire partie. Le 19 avril , arrivèrent
sept compagnies (4* et 5» du 1»' bataillon , 7» du 2» , l'*" , 2% 3<) et 1^ du 3<»)
venant de Bou-SaAda, sous les ordres du commandant de Sainte-Croix;
le 22, elles se grossirent des quatre qui se trouvaient à Takitount; enfin,
le 23, la 7« du l<^' bataillon, partie de îebessa, vint compléter à douze com-
pagnies le contingent fourni par le régiment. Le lieutenant-colonel Bcrlhe,
qui, par décret du 26 décembre 1864, avait remplacé M. Gandil, promu
colonel , avait le commandement de toute cette portion du corps , qui fut orga-
nisée en deux bataillons de marche ^
> !•' bataillon,
Commandant de Saiate-Ooix.
Capitaine Gheyreail , adjadanl-
major.
2« bataillon,
Commandant Seriziat.
Lieutenant Gléry, adjudant-
mujor.
4* comp. du i^r bataillon (caplt. Lannes de Monlebello).
(capltaioe Égrot).
(capitaine Rapp).
(capitaine Desmaison),
(capitaine Billon).
(capitaine Louvet).
(capitaine Maussion).
(capitaine Âubrespy).
(capitaine Vivcnot).
(lieutenant Dosvicl).
(capitaine Kcssou).
(capitaine Legrand).
Effectif
Officiers.
Troupe.
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969
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[1865] EN ALGÉRIE 290
Le 24 , arriva le général Périgot, qui prit ausâilôt ie commandement de la
colonne. Outre les deux bataillons de Tirailleurs, celle-ci comprenait actuel-
lement un bataillon du 3*^ zouaves, deux du 83* , quatre pièces de canon, une
ambulance complète, et seulement de cavalerie ce qui était indispensable
pour le service do correspondance et Tescorte du général. À peu près la tota-
lité do ce qui avait été réuni do ccKo arme formait une colouno indépondanio
qui, sous les ordres du commandant de Bonnemain, du 3" spahis, devait,
pendant la marche de la colonne principale, opérer dans la vallée de TOued-
Eudja et dans le Ferdjiouah , pour maintenir cette partie du pays et assurer
les ravitaillements.
Le 25 , à six heures du matin , toutes les troupes concentrées à Milah se
mirent en marche, se dirigeant sur le territoire des Ahrès; le 27, elles éta-
blissaient leur camp à Djemma-'Ahrez, sur un plateau à treize cent cin*
quante mètres au-dessus du niveau de la mer. De ce point culminant, Foeil
embrassait toute la petite Kabylie jusqu*au Babor; de là on dominait tout
le territoire des Béni- Ahrès, des Zouahra, des Asfiras, tribus qui vinrent
immédiatement faire leur soumission.
Le 29, la colonne reprit son mouvement vers Touest; elle traversa, sans
combattre, le pays des Asfiras, des Ouled-Yahia, des Ouled-Ameur, des Ouled-
Sliman, des Bcni-Adjiz, des Ouled-Tahar, des Beni-Foughalès, et, le 16 mai,
arriva sur la limite des Rechia, entre le pic de Tamesguida et le massif du
Babor. La veille, elle avait été ralliée par quatre bataillons venant de Djidjelli,
sous les ordres du général le Poittevin de Lacroix. Désormais au complet, elle
reçut une organisation définitive et comprit deux brigades ainsi composées :
V* brigade (général de Lacroix) : deux bataillons du 67* de ligne et deux
bataillons du 3* Tirailleurs ;
2<^ brigade (colonel Nayral, du 83^) : un bataillon du 3* zouaves, un bataillon
du i^ de ligne, un autre du 20* de ligne et deux du 83*.
La tribu des Uechia était Tune des premières qui, en Kabylie, s'étaient
jetées dans le mouvement insurrectionnel; elle méritait donc un châtiment
exemplaire, une sévère répression. Le 17, on pénétra sur son territoire; cou-
verte en avant par le goum de Sétif , et sur son flanc gauche par les deux
bataillons de Tirailleurs algériens , dont les compagnies avaient été échelon-
nées sur une succession de mamelons, la colonne s'avança sans difficulté
jusqu'à la position de Dar-el-Razzi. Là on crut un moment que Tennemi
tiendrait; mais il se contenta d'échanger quelques, coups de fusil avec nos
cavaliers arabes et se retira à la première démonstration de notre infanterie.
L'une de nos compagnies , la 5* (capitaine Louvet) du 2* bataillon, parvint
cependant à joindre quelques groupes et à leur enlever un troupeau de deux
cents bœufs et d'un millier de moutons, qu'elle ramena au camp.
Le lendemain , le 2* bataillon de marche (commandant Seriziat) fil partie
d'un détachement do la 1*^ brigade qui , sous les ordres du général de Lacroix ,
exécuta une sortie dans le but de surprendre quelques fractions en fuite vers
l'est, de razzer leurs troupeaux et d'incendier leurs gourbis.
Le départ eut lieu à cinq heures et demie; à sept heures, on arriva sur un
plateau, au pied d'un immense rocher très remarquable par sa forme, qui lui
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300 LE 3<^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1805]
avait fiiit donner le nom de Scrdi-d-lighoul (selle do l'ogre). Du grand
nombre de Kabyles s'étaient réfugiés dans les profondes excavations de sa
partie sud -est. En un instant, ils se trouvèrent complètement cernés. Pensant
alors qu'ils se rendraient à discrétion, le général attendit une partie de la
mâtiné. A onze heures, aucun chef n'avait encore paru. Il fallait en finir;
une compagnie du 67« , trois cent cinquante zouaves et trois compagnies de
Tirailleurs furent envoyés pour les déloger. L'opération était difficile; elle
demanda du temps. Enfin, après une pénible et périlleuse ascension sur les
flancs abrupts du rocher, on arriva au sommet; la compagnie de zouaves
ouvrit aussitôt le feu sur l'ennemi, qui prit la fuite en laissant sur le terrain
une quinzaine de morts ou de blessés. Mais les trois compagnies de Tirailleurs
avaient occupé toutes les issues; les Kabyles vinrent y donner tête baissée et
tombèrent ainsi presque tous entre nos mains. Pendant ce temps, les cavaliers
du goum avaient ramassé un énorme butin, pris des troupeaux et incendié un
grand nombre de villages et de gourbis isolés. A cinq heures du soir, la petite
colonne rentrait au camp ramenant environ deux cents prisonniers, des armes,
des prises de toute sorte et, ce qui ajoutait encore à ce magnifique succès,
sans compter un seul blessé.
Le 19, les troupes de la 2« brigade firent une nouvelle sortie, et semèrent
la terreur dans tous les villages de la tribu qui n'avaient point encore été
visités. Le châtiment des Rechia était complet : leurs habitations détruites ,
leurs troupeaux enlevés, leurs moissons perdues, leurs contingents dispersés,
ils étaient maintenant à la merci du vainqueur, qui leur accorda l'aman
contre des f^aranties nous assurant désormais de leur lidélitô.
Les Rechia soumis, il ne restait plus qu'à marcher sur les rassemblements
qui s'étaient réfugiés dans le Djebel -Babor. Le 23, la colonne quitta le camp
de Dar-el-Razzi. Une pluie aboodante, tombée dans la matinée, avait rendu
les chemins fort mauvais; de là, une marche lente et difficile tant que dura
la descente des pentes conduisant à l'Oued -Djebas. Arrivées sur les bords de
cette rivière, les deux brigades se séparèrent; la l*"*, après l'avoir traversée,
prit une route longeant sa rive gauche et conduisant à El-Nator, sur un
étroit plateau entre l'Oued -Behar et l'Oued -Djebas; la 2<» se dirigea plus à
droite, et, couverte par la première, suivit un élroit sentier aboutissant au
même point. Pendant toute la durée do la marche , les troupes de la colonne
de Lacroix furent surveillées par de nombreux rassemblements établis sur les
contreforts du Babor et semblant attendre le moment favorable pour attaquer.
Mais, grâce aux précautions prises, on arriva sans avoir fourni à l'ennemi
l'occasion qu'il cherchait. Toule la nuit, d'immenses feux allumés sur les
créles principales de Babor et du Ta-Babor appelèrent aux armes les derniers
partisans de la lutte contre la France , et annoncèrent aux autres points de
la Kabylie que l'insurrection^se trouvait enfermée dans son dernier réduit.
Le lendemain 24, la colonne continua son mouvement vers la redoutable
position, qui maintenant occupait tout l'horizon vers le sud-ouest. La 2« bri-
gade était en tète; la i^ prot^eait le convoi. Tout à coup le canon se mit à
tonner. Allait-on enfin avoir à livrer un de ces sanglants assauts dont cette
même contrée avait été si souvent le théâtre? L'ennemi se défendrait -il? On
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[i86S] EN ALGÉRIE 301
l'espérait. Pendant un instant les coeurs battirent à Tunisson arec les échos
sourds que renvoyait la montagne; mais bientôt tout se tut : Tennemi fuyait.
La position sur laquelle nous venions d*aborder sans coup férir était consti-
tuée par le versant est du Ta-Babor et portait le nom de Takreneg-el-Had ;
très forte sur tous les points, elle aurait permis aux rebelles de nous disputer
avantageusement le terrain s'ils avaient résisté; mais ceux-ci fuyaient de toutes
parts, et tout so termina par l'envoi de quelques fusées dans les ravins pour
en déloger quelques groupes qui s*y étaient embusqués, et par un échange de
coups de fusil entre une de nos grand'gardes, placée au pied du Babor, et
une embuscade kabyle établie sur un rocher. La nuit fut tranquille.
Le 25 s'annonçait comme un jour de grande lutte; tous les ordres avaient
été donnés pour l'attaque du coi do Boudemis, entre les deux Babors. Ce
passage, réputé l'un des plus difficiles de la Kabylie, semblait devoir être le
point où les insurgés tenteraient leur dernier effort; défendu par les bandes
(|ui avaient attaqué Takitount, bandes qui pouvaient, au moindre succès, so
grossir de toutes les tribus des environs, il présentait un obstacle contre le-
quel on pensait qu'il se produirait un choc meurtrier pour lequel il n'était
pas de trop de toutes les troupes des deux brigages réunies.
A six heures du matin, celles-ci se mirent en mouvement pour prendre la
place qui leur avait été assignée; pendant ce temps, l'artillerie commençait
à battre l'étroit défilé dans lequel on devait s'engager. Cent zouaves et un
bataillon mixte, sans sacs (trois compagnies du 67® et trois compagnies de
Tirailleurs), sous les ordres du commandant de Sainte-Croix, prirent la tête
de la colonne et se lancèrent au pas de course sur la position , en se tenant le
plus près possible du Ta-Babor. Chacun rivalisant d'ardeur, ce mouvement
s'exécuta avec une si étonnante rapidité, qu'après avoir dirigé sur nous une
courte fusillade, les Kabyles n'eurent pas le temps de recharger leurs armes
et (lurent s'onftiir précipitamment pour échapper aux baïonnettes des assail-
lants. Nos compagnies les poursuivirent pendant quelque temps, puis se
rallièrent sur de bonnes positions en attendant l'arrivée du restant de la co-
lonne. Dans cette attaque, nous n'avions eu qu*un officier blessé, le lieutenant
Messaoud-ben'Ahmed , de la i^ compagnie du 2* bataillon.
Au moment où s'exécutait sur la droite cette attaque de front dont la vigueur
avait assuré le succès, le lieutenant-colonel Berthe recevait Tordre d'enlever,
avec le 2<^ bataillon de marche (commandant Seriziat) et une section d'artille-
rie, un immense mamelon situé au milieu du col , à environ trois mille mètres
au sud-ouest du camp de Takreneg-el-Had , mais séparé de ce dernier par de
profonds ravins se dirigeant de l'ouest à Test pour aboutir à l'Oued-Djebas. Il
forma le bataillon en colonne, la 6* compagnie (capitaine Maussion) du 2* ba-
taillon à i'avant-garde, la section d'artillerie après la 2* compagnie, et se mit
on marche dans cet oniro jusqu'& la tète dos ravins. Lh commencèrent les
difficultés d'une ascension pénible, d'une marche arrêtée à cha(|ue pas par les
obstacles du sol ; enfin la compagnie d'avant-garde atteignit les premières
crêtes et en prit possession juste au moment où le capitaine do Polignac y ar-
rivait de son côté & la tête des goums. Craignant d'être cernés, les Kabyles
déchargèrent leurs armes et allèrent en toute hâte chercher un refuge dans les
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802 LE S* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1865]
bois épais qui couvraient le flanc nord du Babor. Ce résultat obtenu , le colo-
nel Berthe resta en position jusqu'à ce que rarrièro-garde de la 2^ brigade fût
arrivée dans le col.
Cependant une partie des Kabyles chassés des positions de droite avaient
gagné le sommet du Ta-Babor, d'où ils faisaient rouler d'énormes rochers sur
les pentes où ils nous croyaient engagés. Bien que ces groupes ne nous fissent
pas grand mal pour le moment , leur présence sur nos derrières pouvant de-
venir dangereuse au moment du départ de la colonne, le général résolut de
les déloger du faite inexpugnable où ils s'étaient établis. Ce fut à la 1"» com-
pagnie du 2fi bataillon (capitaine Desmaisons) qu'incomba cette difllicilo mis-
sion, dont le succès exigeait une rare intrépidité. Il s'agissait, en effet, de
gravir une hauteur d'au moins quatre cents mètres de rochers & pic, et cela
sous les yeux d'un ennemi dangereux qu'on devait supposer embusqué pour
nous recevoir.
Guidés par leurs ofliciers, les Tirailleurs exécutèrent cette ascension péril-
leuso avec une merveilleuse agilité; le fusil en bandoulière, ils grimpèrent en
s'aidant des mains et des genoux, en s'accrochant aux broussailles, aux aspé-
rités du sol, en se cramponnant à tout ce qui offrait la moindre saillie, et,
après des efforts inouïs, atteignirent enfin le sommet de la montagne. Les
Kabyles, ne soupçonnant pas la possibilité d'un pareil tour de force, n'avaient
nullement cherché à s'y opposer; dès qu'ils virent paraître nos soldats, sur-
pris, stupéfiés, ils ne songèrent môme pas à se défendre, et ils s'échappèrent
par des passages qu'ils étaient les seuls à connaître et dans lesquels il eût été
dangereux de s'engager. Un instant après, un immense feu allumé sur le pic
le plus élevé du Ta-Babor signalait et notre présence et notre succès à la co-
lonne Augeraud, campée près de Sidi-Tallout.
Vers une heure, la colonne reprit sa marche, en suivant la route straté-
gique ouverte par la colonne expéditionnaire de 1856. La 1^ compagnie du
2^ bataillon se conformait au mouvement en s'avançant par la crôte du ïa-
Babor. Les cavaliers du goum avaient pris à gauche et livraient aux flammes
tous les villages et tous les gourbis qu'ils rencontraient.
Le camp fut établi sur une position très forte, à Ighil-Abahri. Jamais peut-
être un plus magnifique panorama ne s'était déroulé aux yeux de nos troupes
dans cette région cependant si pittoresque, si riche en sites merveilleux. Au
sud et à l'ouest , jusqu'à un horizon se perdant dans le gris du ciel , on aper-
cevait des lignes de montagnes qui s'abaissaient progressivement à mesure
qu'elles s'éloignaient du Djebel-Babor; au sein de ces croupes, de ces pics, de
ces rochers, de ces vallées, on distinguait vaguement le bordj de Takitount,
puis, un peu plus loin, le camp de la colonne Augeraud, et enfin, en remon-
tant vers le nord-ouest, on découvrait au loin la mer, le cap Carbon, la mon-
tagne de Gouraya, et, au pied de cette dernière, une tache blanchStre : la
ville de Bougie.
Le lendemain 26 , les quelques tribus qui n'avaient point encore fait leur
soumission venaient demander l'aman. L^ opérations de guerre étaient ter-
minées.
La colonne quitta Ighil-Abahri le 2 juin pour se rendre à Bougie, où l'em-
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[1865] EN ALGÉRIE 803
pcreur devait passer la revue de toutes les troupes qui avaient pris part à
cette expédition. Elle arriva le 4, passa la revue le 7, et se mit en route pour
Constantine le 10. A son retour, elle devait passer sur le territoire des tribus
situées au nord du Babor; en conséquence, elle suivit la côte jusqu'à Ziama,
puis redescendit vers le sud, séjourna du 13 au 15 à El-Mekassel; du 16 au
20, à Dra-ol-Karouba; du 21 au 30, à Tazerout; et enfin arriva à Constantine
le 7 juillet. Sns opérations avaient duré soixante-quatorze jours.
Le calme venait enfin do renaître dans toute Tétendue de la province : au
nord comme au midi, à Test comme & Vouest, Tinsurrection était vaincue,
notre autorité rafTermie. Ce résultat, qui avait demandé près d'une année
d'cfTorls, et qui presque partout avait été obtenu sans grande eiïusion do
sang, était dû surtout à d'habiles combinaisons de mouvements, à l'occupa-
tion de points judicieusement choisis, à une grande sagesse politique, et fai-
sait le plus grand honneur au général Périgot et au colonel le Poittevin de
Lacroix, nommé général. Il est juste de reconnaître aussi que les troupes de
la division de Constantine n'avaient peut-être jamais fait preuve de plus d'ab-
négation, de plus de dévouement, de plus d'émulation, de plus de persévé-
rance que dans cette tûche ingrate qui les avait successivement appelées dans
les plaines arides du désert et sur les cimes presque inaccessibles de la Kabylie.
De toutes CCS troupes, le 3'^ régiment de Tirailleurs avait été certainement le
corps qui s'iHait le plus prodigué, qui avait supporté le plus de fatigues et le
plus contribué au succi^s. Aussi la campagne de 18G4-1865 peut-elle compter,
sinon parmi les plus glorieuses, du moins parmi les plus honorables aux-
quelles il lui ait été donné de prendre part.
Jusqu'à la grande insurrection qui , en 1871 , allait être la conséquence
de nos revers, cette tranquillité ne devait plus être troublée que par quelques
agitations sans importance, ayant seulement le sud pour théâtre et n'attei-
gnant que les populations nomades du Sahara. Comprenant, en effet, ce qu'a-
vait d'insensé toute tentative même générale de leur part pour nous arra-
cher notre conquête , les Arabes allaient maintenant se prêter d'assez bonne
grâce, ou du moins autant que devaient le permettre leurs mœurs et leur reli-
gion, à l'œuvre civilisatrice entreprise par notre pays. C'était donc une pé-
riode de repos qui s'ouvrait pour le 3^ Tirailleurs, période peu intéressante et
sur laquelle nous passerons rapidement.
Au mois de juillet IBRH, l'ordre paraissant partout rétabli dans nos cercles
de l'extrême sud , on avait dissous les colonnes Gandil et Seroka alin de leur
épargner les épreuves des grandes chaleurs. Il n'en avait pas été de même
dans les provinces d'Alger et d'Oran, encore agitées, encore parcourues par des
bandes de dissidents aux ordres de chefs influents tels que Bou-Diça et Si-
Lalla. Dans ces dernières, on avait, pendant toute la durée de l'été, laissé en
observation une partie des troupes qui avaient pris part & la campagne d'hiver.
Les opérations avaient ensuite repris de bonne heure, et Si-Lalla, battu par
une colonne venue de Géryville et poursuivi par une autre sortie de Laghouat,
avait été rejeté dans la direction d'Ouargla. Dans le but de lui fermer la route
de cette oasis, il fut décidé qu'une colonne partirait de Biskra, irait s'établir
dans les environs d'Ouargla, et compléterait ainsi le cercle d'investissement
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304 LB 3* RÉGIMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1865]
qui se formait autour de l'agitateur. Cette colonne, placée sous les ordres du
colonel Arnaudeau\ du GG* do ligne, Tut organisée le 7 novembre, et comprit
les deux compagnies du régiment en garnison à Biskra (7* du !«■* bataillon,
capitaine de Larochelambert; 5* du 2*, lieutenant Montignault), huit compa-
gnies du 66« de ligne, une du 3* zouaves et trois escadrons de cavalerie.
Afin de faire coïncider cette marche avec les mouvements d'autres troupes
aux ordres des colonels de Colomb et de Sonis, le départ n*eut lieu que le
13 décembre. La colonne se dirigea d'abord sur Toasis de Sidi-Khaled, par la
vallée de l'Oued-Djedid , puis elle marcha directement au sud et atteignit El-
lladjira le 31. Ce point, situé à mi-chemin entre Ouargla et Tuggurt, offrait
une excellente position pour observer les routes du Mzab. Le colonel y laissa
le matériel de l'ambulance, une partie du convoi, les malingres et quatre com-
pagnies du 66*, et, le 6 janvier 1866, avec le restant de sa troupe, repartit
pour Ouargla, où il arriva le 8. Si-Lalla n'y avait point paru; il semblait
même, au contraire, avoir renoncé au projet d'y venir. On resta néanmoins
en observation jusqu'au 22 janvier, puis on revint à El-IIadjira, d'où la
colonne entière surveilla encore le pays jusqu'au 27 mars. A cette date, des
renseignements ayant bit supposer que les insurgés se dirigeaient enfin sur
Ouargla, le colonel Arnaudeau reprit en toute hSle le chemin de cette oasis,
et lança aussitôt sur leurs traces son goum et une partie de sa cavalerie; mais
les dissidents avaient depuis longtemps pris la fuite vers l'ouest, oti les tra-
quaient maintenant les colonnes de Colomb et de Sonis. Ne pouvant concou-
rir à ces dernières opérations et no voulant pas attendre l'époque des grandes
chaleurs pour ramener ses troupes, le colonel rentra à El-Iiadjira le 3 avril,
et, le 6, se mit en route pour Biskra, où il arriva le 23.
. En même temps que se réunissait à Biskra la colonne dont nous venons
de résumer la lointaine expédition , le colonel Gandil en organisait une autre
à Bou-Saâda. Le but de cette dernière était de rassurer les populations du
sud de la province menacées par les incursions de Si-Lalla et de ses adhé-
rents, de peser sur quelques fractions des Ouled-Nall, et enfin de continuer,
entre les colonnes de Laghouat et de Biskra, le cordon qui rejetait l'ennemi
hors des Hauts- Plateaux. Formée le 4 novembre 186S, elle se composa de
quatre compagnies du 83<^ de ligne, deux de Tirailleurs algériens (2<^ et 6^ du
3* bataillon, capitames Egrot et Gabrielli), deux escadrons de cavalerie et une
section d'artillerie.
Pour tenir ses troupes en haleine et afin de visiter on détail ce massif mon-
lagneuz, qui l'année précédente avait servi de refuge à l'insurrection après
en avoir été le plus ardent foyer, le colonel ordonna, pour le 25 novembre,
une première sortie dans la direction du Sebkha-Zahrez. La colonne se porta,
por Temça, à Bordj-Medjedel, et, franchissant les crêtes dont nous venons de
parler, vint s'établir à Sidi-el-Embareck, d'où des reconnaissances furent
ensuite dirigées dans toutes les parties de la région dont il s'agissait de déter-
miner la topographie. Le l**" décembre, les troupes étaient de retour à Bou-
Saêda.
Le 25, elles en repartaient pour une nouvelle excursion qui ne devait pas
durer moins de quatre mois. Elles se dirigèrent, par A!n-Ghrab et Aîn-Melah, sur
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[1865] EN ALOÉRIB 305
Âïn-Ricb , où elles arrivèrent le 28; continuant alors à descendre vers le sud-
ouest, elles franchirent le massif du Bou-Khaïl au défil6 d*Am-Kala, et, le
2 janvier, établirent leur camp à Abd-el-Medjed , position excellente au point
do vuo militaire et politique, sur le versant méridional do ces montagnes et
non loin de la vallée de TOued-Djedid. De ce point, elles pouvaient surveiller
tous les agissements des Ouled-Nall. Elles y restèrent jusqu'au 20, et se por-
tèrent ensuite à dix-huit kilomètres à Touest, près de TOued-Kef-el-Amar, où
elles demeurèrent pendant deux mois en observation.
Le 23 mars, elles se mirent en route pour Laghouat. Arrivées dans cette
place le 27, elles la quittaient le l*** avril pour se rendre dans le Mzab. Le but
de ce mouvement était de maintenir les Larbaa pendant l'absence de la co-
lonne de Sonis à la poursuite de la colonne de Si-Lalla, et de protéger le pays
contre les irruptions des Chambaa. Le 3 avril , la colonne campait à Tilremt,
daya * remarquable & cause d'une vaste citerne construite dans sa partie la
plus basse *. Elle se reporta ensuite vers le nord , en prenant un autre chemin *
situé plus à l'ouest, et passant par les dayas de Matrel-Dolman et M'Daguin pour
aboutir à Ksar-el-lra , sur TOued-Djodid. Partie le 16 avril , elle était de retour
à Laghouat le 5 mai, après un arrêt de quinze jours à M'Daguin. Ses opéra-
tions étaient terminées. Le 9 au matin , elle se mit en route pour Bou-Saâda ,
où elle arriva le 16, pour y être dissoute le 19. Les deux compagnies de Ti-
railleurs qui en avaient fait partie restèrent en garnison dans ce poste.
Un ordre, remontant aux premiers jours de l'année 1863, avait décidé que
les Tirailleurs algériens seraient représentés à Paris par un bataillon pris
chaque année, & tour de rôlo, dans chacun des trois régiments. Le l**" régi-
ment avait naturellement été appelé à commencer le tour, puis le 2* lui avait
succédé, et enfm au moment où nous sommes arrivés, c'est-à-dire au com-
mencement de 1866, le 3"* allait lui-mémo bénéficier de cette faveur. Cette
dernière aurait, en réalité, dû lui échoir en 1869; mais les graves événements
survenus en 1864 avaient fait suspendre pendant une année l'exécution de
cette décision.
C'est au l**" bataillon (commandant Mercier de Sainte-Croix) que revint
l'honneur de fournir ce détachement. Conformément aux ordres du mmistre,
il fut à cet efTet réduit à ses six premières compagmes (la 7* demeurait en
Algérie) et porté à l'effectif total de six cent trente hommes. Ainsi constitué,
il quitta Conslantine le 6 mars, s'embarqua & Philippeville le 22 avril, dé-
barqua à Toulon le 25, et, le 29, arriva à Paris.
Le service des Tirailleurs algériens dans la capitale était le même que celui
de la garde impériale; compris dans la 2* brigade de la 2* division de cette
troupe d'élite, ils étaient, pour tout ce qui touchait aux attributions particu-
lières dévolues par les règlements en vigueur, assimilés aux autres régiments
d'infanterie do ce môme corps.
Un décret impérial en date du 15 novembre 1865, rendu en vue de Taliège-
Grande prairie humide,
s Cet immense réservoir ne mesure pas moins de trente -trois mètres de longueur
sur six de large et quatre de profondeur.
20
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306
LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1866]
ment des charges du Trésor, était venu réduire les cadres de tous les corps
de l'armée; par contre il devait, aux termes de ce même décret, être créé
dans chacun des trois régiments de Tirailleurs algériens un quatrième batail*
Ion, ayant la même organisation que ceux déjà existants. On se proposait
ainsi d'augmenter Teffectif des troupes indigènes dans des proportions telles,
que rimpôt en hommes que la loi de recrutement faisait peser sur le pays s'en
trouvât sensiblement diminué. C'était, de fait, avec la liberté d'enrôlement
qu'on allait donner aux conseils d'administration des régiments de Tirailleurs,
un surcroît de près de six mille excellents soldats qu'on allait avoir en peu
de temps.
En ce qui concerne le 3* régiment, cette mesure ne reçut son exécution que
le 22 août 1866. A cette date, le ministre désigna les officiers devant consti-
tuer l'état-major du bataillon et les cadres des sept nouvelles compagnies. Le
l*r octobre, cette organisation était terminée. Voici quelle fut, à la suite du
tiercement qui eut lieu à cet eiïet, et à la date du i^'^ janvier, la composition
du 3« Tirailleurs après cette formation :
ÉTAT-MAJOR
colonel.
Ueutenant-colonel.
major.
capitaine trésorier.
capitaine d'habillement.
sous-lieutenant adjoint au trésorier.
HM. GandU,
Berthe,
AUiou,
Dufour,
Ramakers,
Maxué,
Carré de BusseroUe, sous-lieutenant porte-drapeau
Ropert, médecin-major de i^^ classée.
Reboud , médecin-major de 2* classe.
Janvier, médecin-aide-major de 1^ classe
1<^' BATAILLON
UM. Mercier de Sainte-Croix, chef de bataillon.
Chevreuil , capitaine-adjudant-major.
MM.
!'• compagnie.
Desmaison, capitaine.
Oriot, lieutenant français.
Messaoud-ben-Ahmed, lient, ind.
DaroUes, sous-lieut. français.
Rebah-ben-AIech, s.-lieut. ind.
2* compagnie.
MM. Ducoroy, capitaine.
Mattel, lieutenant français.
Ahmed-ben-Kodja, lieut ind.
Blumendalh, s.^ieut. français.
Mohamed-Omar, sous-lieut. ind.
3* compagnie.
MM. Petitjean, capitaine.
Soumagne, lieutenant français.
Mohamed-ben-Toudji, lieut. ind.
Ruihmann, sous-lieut. français.
4* compagnie.
MM. Jeannerod, capitaine.
Lalannc des Camps, lieut. fr.
Abdcrrahman-ben-Ekarli, lieu-
tenant indigène.
Teilhard de Latérisse, s.-lieut. fr.
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[18661
EN ALGÉRIE
807
5* compagnie,
MM. Marty, capitaine.
Duchesne, lieutenant français.
Thiersatilt, aous-lieut. français.
Amar-bon-Mcdeli, s.-licut. ind.
6* compagnie.
MM. de Carrière, capitaine.
Pont, lieutenant français.
Ali-ben-Osman , licut. indigène.
Valal , sous-Iioulenant français.
Saad-ben-Sorir, sous-lieut. ind.
7* compagnie,
MM. Michaud, capitaine.
Besson , lieutenant français.
Adj-Tahar, lieutenant indigène.
Lafon , sous-lieutenant français.
2* BITIILLON
MM. Glemmer, chef de bataillon.
CalUiot , capitaine-adjudant-major.
!«"• compagnie.
MM. Châtaignier, capitaine.
Fargue, lieutenant français.
Hasscn-ben-Krelill , lieut. ind.
Garnier, sous-lieut. français.
Lagdar-bcl-IIaoussin , s.-l. ind.
2* compagnie»
MM. Delahogue, capitaine.
Boscary, lieutenant français.
Gillet, sous-lieutenant français.
Ali-ben-Ahmed , sous-lieut. ind.
3^ compagnie,
MM. Vivenot, capitaine.
Roussel , lieutenant français.
Ali-ben-Rebah , lieut. mdigène.
Fouju, sous-lieutenant français.
MohRfno(M)on-Ta]cb, s.-l. ind.
4* compagnie.
MM. Louvet, capitaine.
Woroniez de Pawenza, lieut. fr.
Clausset, sous-lieut. français.
Hassem-ben-Ali , s.-lieut. ind.
8* compagnie.
MM. Rapp, capitaine.
Lelorrain , lieutenant français.
Lagdar-Zemouli , lieut. indigène.
Camion , sous-lieut. français.
Amar-ben-Brahim , s.-lieut. ind.
G* compagnie.
MM. Pillot, capitaine.
Hardouin , lieutenant français.
Davoine, sous-lieut. français.
Ali-ben-Toussef, s.-lieut. ind.
MM. Brault,
Taddeî,
Vigel,
7* compagnie.
capitaine.
lieutenant français,
sous-lieutenant français.
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308
UB 3* RËQUIBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1866]
3* BATAILLON
MM. Sériâat, chef de bataUlon.
Le GronteCi capitaine-adjudant-major.
1^ compagnie.
MM. de Lacvivier, capitaine.
Strolli , lieutenant français.
Beaumont, sous-lieut. français.
Kassem-Labougie, s.-lieut. ind.
2* compagnie,
MM. Legrand, capitaine.
Donin de Rozière, lieut. français.
Mondielli, sous-liout. français.
Haoussin-ben-Ali, s.-lieut. ind.
3* compagnie.
MM. Giraud, capitaine.
Cléry, lieutenant français.
Amar-ben-Abdallah, lieut. ind.
Bernad , sous-liout. français.
Béchir-ben-Mohamed I s.-l. ind.
4* compagnie.
MM. Émy, capitaine.
Feitu, lieutenant français.
Mohamed-bel-Gasm, lieut. ind.
Yahia-ben-Simo, sous-lieut. ind.
5* compacte.
MM. Roux-Beaufort, capitaine.
Boswiel, lieutenant français.
Moktar-l>cn-You8suf, lieut. ind.
Uègne, sous-lieutenant français.
6* compagnie.
MM. Chasseloup de Laubat , capitaine.
Rinn , lieutenant français.
Pétiaux , sous-lieut. français.
Tabar-ben-Amoudai s.-l. ind.
1* compagnie.
MM. Ceccaldi, capitaine.
Sergent, lieutenant français.
Said-ben-Mohamed, lieutenant indigène.
4* BATAILLON
MM. Aubry, cbef de bataillon.
Égrot, capitaine-adjudant-major.
i^ con^pagnie.
MM. Matthieu, capitaine.
Bosquette, lieutenant français.
Achmed-ben-Omar, lieut. ind.
Larrivet, sous-lieut. français.
2^ compagnie.
MM. Lannes de Montebello, capitfiine.
Sauvage, lieutenant français.
Amou-ben-Mousseli, lieut. ind.
Esparron , sous-lieut. français.
Hassein-ben-Ali, sous-lieut. ind.
3^ compagnie.
MM. Mas-Mézeran, capitaine.
Montignault, lieutenant français.
Mohamed-Bounep, lieut. ind.
Sibille, sous-lieut. français.
Salah-ben-Ossemen, s.-lieut. ind.
4* compagnie.
MM. Besson, capitaine.
De la Bonninière de Beaumont,
lieutenant français.
Bulliod, sous-lieut. français.
Kaddour-ben-Anuo*, s.-lieut. ind.
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[1866] EN ALGÉRIE 300
6* eompoomie.
MM. Maisonneuye-Lacoste, capitaine.
Benielli , lieutenant français.
Achmed, lieutenant indigène.
6* compagnie.
MM. de Larochelambert, capitaine.
Méliz I lieutenant français.
Mohamed- ben-Ifassein -Labessi ,
FieatenanC îningèae.
Itny, RoiiA-linutonnnl frnnçaifi. |
7» compagnie.
MM. Corréard, capitaine.
Lapcyro, lieutenant français.
Clerc, sous-lieutenant français.
MoImmcd-ben-Charad, sous-lieutenant indigène.
Les ressources du recrutement furent largement suffisantes pour porter à
son complet et à Py maintenir le nouvel eflectif du régiment. Il est bon cepen-
dant d'ajouter que de grands avantages pécuniaires furent à peu près en même
temps assurés aux soldats indigènes. En vertu d'un arrêté ministériel du
9 juin 1866, les dispositions suivantes étaient mises en vigueur dans les trois
r^iments :
c Les rengagements de sept ans souscrits par les militaires indigènes don-
neront droit à une prime de sept cents francs (700 fr.), dont trois cent cin-
quante francs (350 fr.) payables au moment du rengagement, et trois cent cin-
quante (350 fr.) à la libération définitive du service.
« Les rengagements contractés pour moins de sept ans donneront droit,
jusqu'à quatorze ans de service, à une somme de cent francs (100 fr.) pour
chaque année de rengagement, dont cinquante francs (50 fr.) payables au mo-
ment du rengagement, et cinquante francs (50 fr.) à la libération définitive. »
Ces instructions faisaient suite à un décret du 21 avril 1866, dont Tartide
premier était ainsi conçu :
c Les troupes indigènes de TAlgérie font partie de Tannée française,
c Elles comptent dans TelTectif général. »
La conséquence la plus directe de cette importante décision c'était que,
d'après le môme décret, € dans le dernier trimestre de sa quatrième année
de service, Tindigène pouvait être admis, par le conseil d'administration du
corps, à contracter un rengagement soit pour un corps indigène, soit pour un
corps français. »
Quoi qu'il en soit, les indigènes vinrent en foule pour s'engager, et, le
l^r janvier 1868, le 3^ Tirailleurs avait un eflectif de trois mille neuf cent
cinquante et un hommes.
Toutes ces mesures avaient été prises sur l'initiative du maréchal Randon ,
alors ministre de la guerre. Personne plus que lui n'appréciait les Tirailleurs
algériens, personne ne les connaissait mieux, personne n'était plus à même
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310 LE 8* RÊQnOBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1866]
de présider à leur organisation définitive. Aussi sa sollicitude éclairée avait-
elle porté sur tout ce qui pouvait améliorer la situation morale et matérielle
de ce corps. Nous avons vu qu'en même temps qu'il augmentait Teflectif des
régiments, le ministre allait au-devant des difficultés du recrutement; qu*au
point de vue national il avait définitivement réglé la situation du soldat indi-
gèoe; mais il est encore une autre question qui avait attiré particulièrement
son attention , et dont nous n'avons point encore parlé : la réorganisation des
écoles régimontairos.
Pour bien traduire la pensée qui on cela guidait le maréchal , nous ne pou-
vons mieux taire que de reproduire les instructions qu'il envoyait à ce sujet au
maréchal de Mac-Mahdn, gouverneur général de rÂlgérie ':
• Parii,lol9JanTier iSCO.
« Monsieur le maréchal, ma sollicitude est depuis longtemps appeléeusur les
questions qui intéressent l*ayetiir des Tirailleurs algériens, et colle do la com-
position des cadres m'a paru surtout d'une importance capitale.
c Cest elle , évidemment , qui doit le plus puissamment contribuer à l'assi-
milation des corps indigènes à nos troupes nationales; il est donc urgent de se
préoccuper des moyens de donner aux officiers et aux sous-officiers indigènes
de ces corps une instruction suffisante pour les mettre à la hauteur do leurs
fonctions, et roniôdier aux difficultés iiicossautos qu'occasionne, dans tous les
détails du service, l'ignorance absolue dans laquelle se trouvent la plupart
d'entre eux.
« Il faut d'abord qu'ils apprennent à parler et à écrire le français, tout au
moins à le Ure, afin qu'ils puissent prendre, par eux-mêmes, connaissance do
leurs devoirs, de leurs obligations, se rendre compto des consignQS, des ordres
écrits relatifs aux mille détails du service journalier, faire les appels, etc.
c Dans ce but, j'ai décidé que des cours spéciaux seraient institués dans les
régiments do Tirailleurs, les uns |K)ur los officiers, les autres |K>ur les liouimos
de troupe.
c Qu'en outre, des écoles régimentaires. seraient créées dans ces corps afin
d'y préparer, pour l'avenir, des éléments propres à alimenter les cadres indi-
gènes. Ces écoles se recruteraient d'enfants arabes ou d'orphelins appartenant
à un titre quelconque aux militaires du régiment , et qui , au moyen de l'ins-
truction qui leur serait donnée, offriraient, plus tard, les ressources et les
garanties désirables pour occuper utilement les divers emplois dans les
cadres... »
Venaient ensuite des ordres de détail pour le fonctionnement de ces diffé-
rentes écoles. En ce qui concerne le dernier paragraphe de la lettre ci-dessus,
le nombre des enfonts à instruire dans le régiment était fixé à soixante. Cette
instruction devait être donnée sous la direction d'ofiiciers et de sous-ofliciers
spécialement désignés pour ce service , et sous la haute surveillance du dicf
de corps.
En exécution de ces différentes prescriptions, des cours de -français et
d*arabe furent organisés au régiment, et, grAca à l'impukion donnée par le
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[1866] EN ALGÉRIE 31!
colonel Gandil, les résultats furent bientAt dos plus Fatisfatsants. Du 21 août
au 31 décembre 1866, vingt-quatre enfants furent admis; Tannée suivante ,
il y en eut encore vingt-sept; enfin le chiffre de soixante fut complété dès les
premiers jours de 1868. Le lieutenant Montignault » chargé de la direction et de
la survcillanco do ces cnfnnls, apporta dans cetto mission' beaucoup de cœur
et d*inlclligcnco, et ne marchanda pas ses efforts pour préparer ses jeunes
élèves à Tavenir auquel ils se destinaient. Beaucoup de ceux-d n'auront pas
oublié cet excellent officier, à qui ils doivent en partie la situation qu'ils peuvent
occuper aujourd'hui.
L*année 18GG ne fut guère signalée que par les modifications d'un ordre
purement constitutif ou administratif que nous venons d'enregistrer. Les nom-
breuses opérations des années précédentes avaient porté leurs fruits, et le
calme le plus complet régnait maintenant dans toute l'Algérie. Il ne fallait
cependant pas trop se fier à cette paix apparente qu'un rien pouvait troubler,
et le mieux était de prévoir les événements futurs. Aussi , quelque tranquille
que fût le sud de la province de Constantine, il n'en fut pas moins décidé
qu'une colonne d'observation, sous les ordres du colonel Gandil, irait passer
l'hiver à Bou-Saâda , afin d'éloigner par sa présence toute possibilité d'insur-
rection (le cctln rrgion si trnvailIt'H^ par les agitateurs.
Celle colonne fui formée le l^'*' octobre, et se composa de cinq compagnies
du 36° de ligne, deux du 3« Tirailleurs (S® du 2« bataillon, capitaine Rapp;
2° du 3® bataillon , capitaine Legrand), deux escadrons du 6* chasseurs, un
peloton du 3* spahis et une section d'artillerie. Elle fut dissoute le 10 mars
1867, sans avoir pris part à aucune opération méritant d'être mentionnée.
Dans le courant de l'année 1867 eut lieu, ainsi que nous l'avons vu, la
rentrée des deux compagnies qui se trouvaient au Mexique, et le retour du
bataillon qui avait été détaché à Paris. Ce dernier quitta la capitale le 1"' juin,
s'embarqua à Toulon le 4, débarqua à Pbilippeville le 6, et arriva à Constan-
tine le 10.
A peine sortie des épreuves d'une guerre de plus de trente années , l'Algérie
allait voir s'abattre sur elle des calamités qui devaient entraîner des maux
dépassant tous ceux qu'elle avait connus jusque-là : pendant deux années, en
1867 et en 1868, le choléra, le typhus et la famine allaient jeter partout le
deuil et la consternation.
Le premier de ces fléaux fit son apparition dans le mois d'avril 1867, et
s'étendit rapidement dans les trois provinces, exerçant particulièrement ses
ravages sur les Européens. Une des régions qui furent les plus éprouvées fut
celle de Biskra ; toutes les troupes françaises qui composaient la garnison de
cette ville durent être rappelées dans le nord, et seule la 5« compagnie du
3° bataillon continua, avec un rare dévouement, à assurer le service de ce
poste important. Elle y perdit son capitaine, M. Roux-Beaufort, et son lieu-
tenant, M. Boswiel, deux officiers de grande valeur qui surent jusqu'au bout
donner l'exemple de la plus noble abnégation.
Ce ne furent pas là les seuls actes de courage, les seuls sacrifices qu'eut à
enregistrer le régiment pendant cette terrible épidémie; partout les Tirailleurs
se montrèrent ce qu'ils avaient été en 1854 dans la Dobrutscha et à Varna,
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318 LE 3® RÉOIMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE [1869
et firent preuve de ce généreux sentiment qui porte aussi bien l'homme yéri-
tablement braye au-devant de la mort obscure des hApitaux que de celle re-
tentissante des champs de bataille. La liste des récompenses qui forent données
au corps pour les services qu'il avait rendus dans ces douloureuses circon-
stances en dira plus que nous ne pourrions le faire sur la conduite de nos
valeureux soldats.
Par décret du 14 décembre 1867, il fut décerné :
Deux médailles d'or (MM. Rinn, lieutenant.
de l'* classe. ( Guyon-Desdiguières, sous-lieutenant.
Une médaille d'or (» o i l i. al j i- *
. ^0 1 {H. Salah-ben-Ahmed, sous-lieutenant.
Due médaille dWenlf» ^, .
de 1" classe. (M. Claisse, sergent.
Une médaille de bronze. { M. Rouget, sergent-fourrier.
Par décret du 21 décembre reçurent :
La croix do chevalier
dû la Légion d'honneur.
MM. Règne, sous-lieutcnanl.
Ali-bcn-Osman , lieutenant.
Verrière, adjudant.
1MM. Mohamed*ben-M*Ahmoud , caporal.
Ali-bon-Brahim , Tirailleur.
Messaoud-ben-Ahmed, Tirailleur.
Au choléra succéda le typhus. De nombreuses victimes marquèrent encore,
pendant l'année 1868, le passage de ce redoutable visiteur. Parmi ces der-
nières, nous signalerons : M. Janvier, médecin -major do l'» classe, mort à
Bougie en combattant l'épidémie, et MM. Boscary et Moktar-ben-Youssef , lieu-
tenants, décédés, le premier à Djidjelli, le second à Conslantino.
Par décret du 4 août 1868, les récompenses suivantes étaient accordées à
ceux qui s'étaient le plus fait remarquer en donnant des soins à leurs cama-
rades :
Deux médailles d'argent [MM. Magand, sergent.
de 1^* classe. ( Mohamed-bcn-AbdalIah , caporal.
Dne médaille de bronze. | M. Resqui-ben-Mohamed , Tirailleur.
En 1869, ce fut encore au tour du 3<» Tirailleurs de fournir le bataillon qui
devait passer un an à Paris. Le 1^ juin , les six premières compagnies du
2« bataillon (commandant Clemmer) quittèrent Constantine avec un effectif
de six cent vingt hommes; le 10, elles s'embarquèrent à Philippeville, et,
le 16, arrivèrent à destination. Ce bataillon rentra l'année suivante, quelques
jours seulement avant la déclaration de guerre.
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GUERRE CONTRE L'ALLEMAGNE
(1870-1871)
CHAPITRE XIV
ARMÉE DU RHIN
Déclaration de guerre. — Départ des 1*', %• et 3« bataillons pour l'armée du Rhin. —
Arrivée à Strasbourg. — Cioncentration autour de Wœrth. — Journée du 5 août. —
Bataille^ de Frœschwlller (6 août). ~ Retour sur Sayeme. — Pertes subies par
le régiment.
Nous voici arrivés à Tune des pages les plus douloureuses de notre histoire,
à la première de cet historique en haut de laquelle vienne se placer le mot
défaite; page inachevée, qui sera reprise un jour, et qui, nous l'espérons,
se terminera alors par le mot revanche. Elle a pour titre une simple date :
Mil huit cent soixante -dix,
Jusqu*ici , que nous ayons suivi lea Tirailleurs de la province de Constan-
tine dans leurs longues et pénibles expéditions en Algérie, dans les péripéties
émouvantes d'un siège mémorable en Grimée , dans leurs courtes mais immor-
telles étapes en Italie, dans les fatigues sans nombre d'une campagne au
Sénégal , dans leur séjour prolongé sous le climat meurtrier de la Cochinchine,
dans leurs récents et glorieux exploits dans le nouveau monde; que nous les
ayons vus en face d^Arabes, de Kabyles, de Russes, d'Autrichiens, de Man-
dingucs, d*Annamitc8 ou de Mexicains, partout la victoire a accompagné leur
drapeau et fait naître chez eux une confiance illimitée dans les destinées de la
France, leur nouvelle patrie. Pour ces intrépides soldats, il n'était pas possible
que notre beau pays fût jamais vaincu. Quelle nation pouvait, en effet, être
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314 LE 3* RÉOIMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [i870]
asses forte pour battre celle qui les avait soumis, eux; qui avait eu raison de
leur héroïque résistance et fait flotter ses trois couleurs depuis le sommet le
plus élevé de la Kabylie jusqu'à la dernière oasis du désert? Aucune. Et
dans leur assurance sans forfanterie ils se croyaient aussi invincibles que le
peuple dont la fortune était devenue la leur. Après tant de gloire moissonnée
dans tant de pays différents, après tant de combats dont chacun était un
succès, les jours de revers allaient cependant arriver; de même que toute cette
vaillante armée qui, comme eux, portait sur ses étendards les noms encore
retentissants de Sébastopol, de Magenta et do Solférino, ils devaient, eux
aussi, connaître les tristes épreuves de la défaite et l'humiliation de la cap-
tivité; et, plus surpris que démoralisés, ils allaient se demander s*il n'y avait
pas là une erreur du destin, un malentendu entre le ciel et nous, ou bien
quelque expiation passagère qu'il fallait subir sans se plaindre en attendant
qu'une nouvelle faveur d'en haut nous rendit notre force et notre grandeur.
Pur fatalisme, qui, sans les laisser indifférents à nos malheurs, les leur fai-
sait envisager comme une chose écrite du doigt même de Dieu.
Le 13 juillet 1870, c'est-à-dire quarante-huit heures avant que la décla-
ration de guerre fût officiellement annoncée, le colonel Gandil reçut Tordre
de se tenir prêt à partir pour la France avec trois bataillons de son régiment.
Ces derniers devaient être organisés sur le pied de guerre, comprendre six
compagnies chacun et, réunis , présenter un effectif total de deux mille deux
cents combattants. Les l^'', 2^ et 3^ ayant été désignés, on s'occupa aussitôt
de compléter à l'effectif réglementaire leurs six premières compagnies , et de
mettre en état l'armement, l'équipement et l'habillement des hommes appelés
à en faire partie. Au bout de trois jours, le 3* Tirailleurs était sous les armes,
n'attendant qu'un signal pour se rendre à Philippeville , où la portion prin-
cipale devait s'embarquer, pendant que le l^** bataillon et la l^* compagnie
du 2*, alors à Bône, attendraient dans cette ville le transport désigné pour
les emmener.
Voici quelle était la composition du régiment qui venait d'être ainsi mobi-
lisé :
MM.
ÉTAT-lfAIOR
Gandil,
colonel.
Barrué,
lieutenant-colonel.
Mondielli,
sous-lieutenant porte-drapeau.
Soulice,
sous-lieutcnant oflîcier payeur.
Reboud ,
médecin-major de 1"^ classe.
Ferron,
médecin aide-major de 1*^ classe,
!•' BATAILLON
MM. Clemmer, chef de bataillon.
Chevreuil , capitaine adjudant-major.
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[1870]
EN FRANGE
315
l»"» compagnie,
MM. Besson , capitaÎDe.
Beniclli, lieutenant français.
Clerc, sous-lieutenant français.
HonlarM>on-Tmol), sous-l. inil.
2« compagnie,
MM. Ducoroy, capitaine.
Fay, lieutenant français.
Blumendalh , sous-lieut. fr.
Lagdar-ben-el-Achi, s.-l. ind.
3« compagnie,
MM. Petiljean , capitaine.
Soumagnc, lieutenant français.
Mohamed-ben-Toudji, lient, ind.
Spoltz, sous-lieut. français.
Larbi-bcn-cMIaoussin, s.-I. ind.
4« compagnie.
MM. Matthieu, capitaine.
Lalanno des Camps, lient, fr.
Abderrahman-ben-Ekarfi , lieu-
tenant indigène.
Walroir, sous-liout. français.
Garmi-ben-Tahar, s.-lieut. ind.
5* compagnie.
MM. Mas-Mézeran, capitaine.
Sauvage, lieutenant français.
MM.
fr*
Krélill-ben-Moliamcd , s.-I. ind.
2^ BATAILLON
MM. Aubry, chef de bataillon.
Brault, capitaine adjudant-major.
!»•• compagnie.
MM. Henry, capitaine.
Uulhmann, lieutenant français.
Tahar-ben-Amouda, lient, ind.
Garnier, sous-lieutenant fr.
Mustapha-ben-Amar, s.-l. ind.
2« compagnie.
MM. De Bourgoing, capitaine.
Kolb, lieutenant français.
Lagdar-bel-Haoussin , lient, ind.
Bruzeaux, sous-lieutenant fr.
Saïd-ben-Taya, sous-lieut. ind.
3« compagnie.
MM. WoroniezdePawenza, capitaine.
Bosquette, lieutenant français.
Dufour , sous-lieutenant fr.
Mohamed-ben-Taîeb, s.-l. ind.
4» compagnie.
MM. Roux , capitaine.
Roy, lieutenant français.
Ilassein-ben-Ali , lient, ind.
Clausset, sous-lieut. français.
Kacem-ben-Mohamed , s.-l. ind.
5® compagnie.
MM. Rapp, capitaine.
Darolles, lieutenant français.
Soulice, sous-lieut. français.
Amar-ben-Brahim , s.-l. ind.
6« compagnie.
MM. Deschamps, capitaine.
Hardouin, lieutenant français.
Davoine, sous-lieutenant fr.
Larbi-ben-Oucif, sous-lieut. ind.
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310
LE 8* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1870]
3« BATAILLON
MH. Thiénot,
LeGrontec,
l'* compagnie.
MM. Hontignault , capitaine.
Gillet, lieutenaDt français.
Macarex, sous-lieutenant fir.
Zénati-ben-Serir, s.-i. ind.
2^ compagnie.
MM. Deiahogue, capitaine.
Donin de Rosière, lieut. fr.
Ali-ben-Ahmed, lient, ind.
Anglade, sous-lieutenant fr.
Mustapha-ben -el-hadj -Otman,
sous-lieutenant indigène.
3* compagnie,
MM. Giraud , capitaine.
Pétiaux , lieutenant français.
Bcrnad , sous-licutenant fr.
Abmed-ben -el - Haou.^sin , sous-
lieutenant indigène.
^'"- f ^:
chef de bataillon,
capitaine adjudant-major.
4^ compagnie,
MM. Emy , capitaine.
Guillaume , lieutenant français.
Renoux , sous-lieutenant fr.
Salab-beu-Abmed , s.-I. ind.
5« compagnie,
MH. De Larocbelambert , capitaine.
Lafon, lieutenant français.
Règne, sous-lieutenant fr.
Salah-ben-Tahar, s.-l. ind.
6* compagnie.
MM. Gillot, capitaine.
Doaumont, lieut. français.
Pasqualini, sous-lieut. fr.
AIssa-ben-el-Hadj - Assein , sous-
lieutenant indigène.
89
2200
Dans la matinée du 17, on reçut, du train des équipages militaires, des
mulets bâtés et bamachés destinés au transport des bagages. Ces animaux
n'allaient heureusement pas être utilisés; car leur livraison, faite à la bâte,
au dernier moment, se ressentit par trop de cette précipitation : les bâts et
les harnachements n'étaient pas ajustés, la plupart no pouvaient mémo pas
servir, et le corps n'avait pas un seul ouvrier pour les mettre en état. Ce
n'était là du reste qu'un premier exemple des nombreuses négligences <|u'on
allait avoir à relever dans le cours de cetle guerre, en vue de laquelle rien
n'avait été préparé.
Le même jour, vers midi, le détachement qui devait s'embarquer à Phi-
lippevUle quitta Constantine aux acclamations de la population et prit le
chemin de fer pour se rendre dans ce port. Il y arriva le soir même et s'in-
stalla dans l'intérieur de la ville, le long du rempart ouest.
Retardé par l'état de la mer , le premier embarquement n'eut lieu que le
20 juillet, à deux heures de l'après-midi. Ce jour-là, l'élat-major, lcs2<^,
3«, 4«, 5« et 6<» compagnies du 2« bataillon et la i^ du 3« prirent passage sur
la Dryade, à destination de Toulon. Le lendemain, s'effectua sans accidejit
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[!870l EN FRANCE 317
la mise à bord des chevaux et des mulets; puis, à trois heures du soir, la
Dryade leya i*ancre, et quelques instants après disparut à l'horixon. Que de
ceux qu'elle emportait ne devaient plus revenir I
Le !«■' bataillon et la l^^ compagnie du 2« à B6ne, ainsi que les cinq der-
nières compagnies du 3« bataillon restées à Philippeville, durent attendre
jusqu'au 28 juillet. Enfin ces fractions s'embarquèrent à leur tour pour re-
joindre le restant du corps qui, lorsqu'elles arrivèrent en France, avait déjà
été dirigé sur le Rhin. La Dryade était en eflet arrivée à Toulon le 23; elle
avait immédiatement mis à terre le personnel et le matériel qu'elle amenait
d'Algérie, et, le lendemain à neuf heures du soir, le colonel Gandil et ce qu'il
avait de son régiment avaient pris le chemin de fer pour se rendre à Stras-
bourg, où se concentrait le l^** corps d'armée.
Le voyage dura doux jours ; on traversa successivement Lyon , Dijo i ,
Besançon et Bcifort. L'enthousiasme des populations était à son comble; à
partir de Lyon surtout, il se manifesta parfois d'une façon irraisonnable et
nuisible à la discipline : de trop copieuses et trop fréquentes distributions de
liquides furent faites à nos soldats, alors que ceux-ci, la plupart du temps,
n'avaient seulement pas mangé, et non seulement il en résulta quelques petits
désordres, mais encore un certain nombre d'hommes en furent assez sérieu-
sement malodcs pendant plusieurs jours. Il eût été beaucoup plus rationnel ,
avec l'argent qui fut gaspillé ainsi, de préparer, dans certaines gares dési-
gnées d'avance, du café qui aurait été rapidement distribué, ou bien un léger
repas froid que les hommes auraient emporté pour le consommer en route.
Mais qui alors aurait eu une idée aussi simple et aussi pratique à la fois?
A son arrivée à Strasbourg, le 26 à sept heures du soir, le colonel Gandil
apprit que le 3« Tirailleurs était compris dans la 2« brigade (général Lacre-
telle) de la 4^ division (général de Lartigue) du l*** corps d'armée (maré-
chal <lc Mac-Mahon).
Jusqu'au 4 août, le régiment resta campé sur le glacis de l'ouvrage n^ 42.
On profita de ce repos pour reverser au train des équipages militaires les mulets
et les bâts qu'on en avait reçus à Constantine ; ils furent remplacés par des
voitures de transport achetées dans le commerce, les magasins n'en ayant pas
assez pour fournir à tous les besoins. On constitua, en même temps, un petit
dépôt destiné à garder les approvisionnements d'effets apportés d'Algérie, et
qui se composa d'un sous-officier (sergent Blanc) et de six Tirailleurs. Le 3,
arrivèrent les cinq dernières compagnies du 3« bataillon avec le commandant
Thiénot.
La division de Lartigue avait reçu Tordre de se porter à Haguenau. Le
4 août, les 2« et 3^ bataillons prirent le chemin de fer à midi, et en descen-
dirent à quatre heures pour aller camper à trois kilomètres à l'ouest de la
ville sur la rive droite de la Moder. A sept heures du soir , ils y furent rejoints
par le h' bataillon et la l'* compagnie du 2* qui, partis de Toulon le 2 août,
avaient été transportés à RcichshoOen, d'où on les avait ensuite fait rétro-
grader sur Haguenau , qu'ils allaient quitter le soir même pour refaire exacte-
ment le chemin qu'ils venaient de parcourir. A partir de ce moment, le
régiment se trouva au complet. Le 87* de ligne, désigné pour faire brigade
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318 " LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS AL0ÉRIEN8 [1870]
avec lui, était resté à Strasbourg pour Tonner, avec quelques bataillons de la
mobile et quelques dépôts, la garnison de celte place en cas de siège*
Dans la soirée du 4 , on apprit Técbec de Wissembourg.
Depuis le jour de la déclaration de guerre, les événements avaient marché
avec une effrayante rapidité. A peine deux semaines s'élaient-elles écoulées,
que déjà le canon tonnait, que déjà notre territoire était envahi et que Ten-
nemi chassait devant lui les débris de l'une de nos plus belles divisions.
Funestes présages qui changèrent tout à coup l'enthousiasme de la première
heure en un morne abattement, en une irrésolution générale qui devait bientôt
paralyser Faction commune en permettant aux petites jalousies et aux grandes
ambitions de se faire jour.
Le moment n'était cependant pas aux hésitations, et il eût fallu remédier
immédiatement à ce qu'avait de défectueux la répartition de nos forces en ne
formant de celles-ci qu'une seule masse, avec laquelle on serait peut-être
arrivé à arrêter les progrès dos Allemands. Au lieu de cela, l'onipercur se
contenta de diviser son armée en deux groupes, dont les maréchaux de Mac-
Mahon et Bazaine reçurent le commandement, sans donner, ni à Tun ni à
l'autre de ces deux chefs, des instructions précises quant au plan qu'il s'agis-
sait d'adopter. De cette faute allait résulter la sanglante défaite de Fresch-
willer.
Le premier soin du maréchal de Mac-Mahon, sous les ordres duquel se
trouvaient les 1*'', 5« et 7* corps, fut de concentrer toutes ses troupes dans
une bonne position défensive en avant de llaguenau, sur la rive droite de
la Sauerbach, de façon à couvrir les routes de Bitche et de Saveme, et de se
ménager au besoin une retraite sur Nancy. Mais, de tous ces corps, un seul,
le l*', se trouvait sous sa main : le 5^ (général de Failly) était à Bitche, et
le 7«, resté à Belfort, n'avait encore qu'une seule division (!■'•) en état de
marcher.
En vertu de ces nouvelles dispositions, la division de Lartigue quitta llague-
nau le 4, à neuf heures du soir, et se dirigea au nord, à travera la vasto forêt
qui s'étend depuis cette ville jusqu'au delà de la Sauerbach. Le 3« Tirailleurs
formait l'avant- garde : venait d'abord, prête à se déployer, la l** compagnie
du 3« bataillon (capitaine Montignault), puis le 3« bataillon (commandant
Thiénot), une batterie d'artillerie, le 2<» bataillon (commandant Aubry), et
enfin le 1«>' ( commandant Clemmer). En avant, pas le moindre détachement
de cavalerie.
A environ trois kilomètres de Haguenau, on rencontra le 50« de ligne, qui
revenait de Wissembourg, et qui confirma la nouvelle de la défaite essuyée
par la division Abel Douay. La marche continua toute la nuit, mal réglée,
sans qu'aucune des prescriptions faites par les règlements pour empêcher les
différentes fractions de s'4;arer fussent observées. Vers onze heures, on se
heurta tout à coup à une nouvelle troupe : c'était une brigade de cavalerie qui
s'était arrêtée en plein champ et y avait dressé son bivouac, laissant ses
bagages sur la route, qu'ils encombraient complètcuieut. Enfin , à cinq heures
du matin, la division arriva sur la Sauerbach, qu'elle passa sur le pont do
Gûnstett , pour aller occuper ce village , autour duquel furent envoyées quelques
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[1870] EN FRANGE 810
reconnaissances qui rentrèrent sans avoir rencontré un seul ennemi. Après
quelques heures accordées aux troupes pour se reposer et faire le café, elle
reçut Tordre de revenir sur la rive opposée, pour former Textréme droite de
la ligne de bataille du l^' corps d'armée sur les hauteurs de Frescbwîller.
La position qu'elle allait occuper, et sur laquelle elle devait combattre une
partie do la journée du lendemain, était un étroit plateau, en partie boisé,
ayant une direction nord -sud et une hauteur moyenne de soixante mètres
au-dessus de la vallée. Au pied de son versant est, et parallèlement à la
route de Wœrth à Haguenau, coulait la Sauerbach, qu'on passait sur de nom-
breux ponts, dont ceux de Wœrth seuls avaient été détruits; à l'ouest, un
petit affluent de cette rivière, TEberbach, avait un lit asses encaissé pour
servir au besoin de seconde ligne de défense , et permettre d'utiliser les hau-
teurs en arrière pour prolonger la résistance sur ce point. Le front que cette
division avait à garnir était malheureusement beaucoup trop grand pour son
eflectif ; réduite à dix bataillons , il lui fallait s'étendre sur une ligne d'environ
deux mille cinq cents mètres, et cela à une aile , c'est-à-dire dans une situa-
tion l'exposaiit aux mouvements tournants de l'ennemi.
Voici comment elle fut disposée :
A la gauche , s'appuyant au village d'EIsashausen et défendant la lisière et
les débouchés de Nicdor-Wald, le 3^ zouaves (colonel Boclier) ; au centre, le
l*^*" bataillon do chasseurs (commandant Bureau); à l'extrême droite, le
3o Tirailleurs, et enfîn, en seconde ligne, le 56^ (colonel Mena). En réserve
se trouvait la brigade de cuirassiers du général Michel. Sur la gauche, la
ligne de bataille était prolongée par les 3« et 1^ divisions (généraux Raoult
et Ducrot); sur la droite, elle s'appuyait au village de Morsbronn.
Vers midi, au moment où le bivouac allait être installé, on signala tout
à coup l'approche de l'ennemi. La 4« division prit immédiatement les armes.
Le régiment se porta en avant et vint s'établir à l'extrémité du plateau, sur
un terrain découvert, face au mamelon et au village de Morsbronn, et suivant
une direction faisant un angle très obtus avec celle du restant de la division.
Les i^^ et 3^ bataillons furent seuls déployés; le 2" resta en colonne, par
pelotons à demi -distance, en arrière de la droite du 1^. Un cordon de ti-
railleurs, formé par la l*^ compagnie du 3* bataillon (capitaine Montignault),
fut envoyé le long de la Sauerbach , où s'engagea alors une fusillade insigni-
fiante avec quelques reconnaissances prussiennes qui se replièrent lentement
vers le village do Giinslctt. A quatre heures et demie, rien ne pouvant plus
laisser croire ù un combat, nos trois bataillons installèrent leur camp sur la
pente est du plateau, en face de Gûnstett, dont les hauteurs commençaient
à se couronner de vedettes ennemies. Pour la nuit, une compagnie du régi-
ment fut placée en grand'garde dans la direction de Morsbronn; une autre,
du i^ bataillon de chasseurs , fut envoyée de l'autre cété de la route de Wœrth,
près de la Sauerbach. Dans la soirée, le temps, douteux pendant la dernière
partie de la journée, se mit définitivement à la pluie, et jusque vers quatre
heures du matin l'eau tomba à torrents sur cette longue ligne de bivouacs,
dont les feux se trouvèrent ainsi rapidement éteints.
Le jour parut sans qu'aucun indice vînt faire supposer qu'une action géné-
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820 LE 3^ RÉQIMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
raie s'engagerait à quelques heures de là; des coups de feu ayaient bien été
échangés, pendant la nuit , entre nos avant-postes et ceux de Tennemi , mais
ces derniers n'avaient encore fait tâter nos grands'gardcs que par de simples
détachements^
A cinq heures du matin, le colonel Gandil donna l'ordre d'aller, en armes,
chercher à la Sauerbach l'eau nécessaire pour faire le café. La corvée fut
réunie sous les ordres d'un officier par compagnie , et du capilaine Montignault
pour tout le régiment. Elle se rendit à la rivière sans être inquiéléo; mais, au
inomont où les hommes voulurent aller prendre du l'eau, ils furent assaillis
par une vive fusillade partant d'un moulin bSli sur lu rive gaucho de la
Sauerbach , qui avait été crénelé la veille par les sapeurs du jénie de la divi-
sion , qu'on avait ensuite négligé de faire occuper, et dans lequel une grand'-
garde prussienne s'était solidement établie. Les Tirailleurs, surpris, un peu
en désordre, ripostèrent de leur mieux; mais ils durent cependant se replier
sans avoir pris de l'eau, le feu de l'ennemi devenant très meurtrier. Un offi-
cier, le sous-lieutenant Krélill-ben-Mohamed, était blessé; un homme était
tué, et un autre blessé. A partir de ce moment, la fusillade continua entre
les avant- postes allemands et ceux de la 4* division.
A sept heures, quelques coups de canon se firent entendre dans la direction
de Wœrth; mais, vers huit heures, le feu cessa.
Le rapport du 6 prescrivait un jour de repos pour les troupes; ce repos
devait être mis à profit pour compléter les vivres et évacuer sur Strasbourg
les demi -couvertures de campement des corps qui avaient emporté les leurs,
malgré les ordres donnés. Personne ne s'attendait donc à une bataille, pas
plus le commandant en chef que le plus ignorant des soldats.
A huit heures et demie, la canonnade recommença et se rapprocha bientôt,
mêlée à une fusillade assez vive qui partait des deux rives de la Sauerbach.
Le régiment reçut l'ordre de prendre les armes tout en laissant ses cuisiniers
au camp. On ignorait encore la portée du combat qui s'engageait : l'état-major
général était persuadé que nous n'avions devant nous qu'une reconnaissance
offensive qui ne serait pas sérieusement appuyée.
Cependant la lutte prenait vers la gauche une intensité qui dénotait plus
qu'une simple démonstration de la part de Tennemi; une partie des 1*^ et 3<>
divisions avait dû s'engager pour faire face au danger qui venait de ce côté.
Le combat n'allait pas tarder à s'étendre aussi sur la droite; mais, sur ce
point, nous allions avoir l'initiative de l'attaque.
Dans le premier moment , les l^' et 3« bataillons du 3<» Tirailleurs étaient
restés sur l'emplacement du camp , attendant des ordres pour agir. Pendant
ce temps , le colonel Gandil , avec le 2» bataillon qu'appuyaient deux escadrons
de lanciers, se portait sur le plateau découvert qui avait été occupé la veille
par le régiment. De là, il envoya les lieutenants Hardouin et Kolb, chacun
avec une escouade, pour fouiller les jardins et le village de Morsbronn, en
même temps qu'il faisait explorer un petit bois à droite et en arrière par
les deux escadrons de cavalerie. Ayant acquis la certitude que le village
n'était pas occupé , il donna l'ordre au commandant Aubry d'aller y prendre
position avec deux compagnies (4^ et5«). Le restant du 2< bataillon fut
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[1870] EN FRANCE 321
ensuite établi dans un chemin creux conduisant de ReichshofTen à Gflnstett,
Il était alors environ dix heures. Un instant auparavant, le général de
Lartigue avait dirigé sur le moulin de la rive gauche une attaque qui, exé-
cutée par le !«'' bataillon de chasseurs soutenu par une compagnie do zouaves
et une partie de Tartillerie de la division , avait déterminé la retraite de
Tennemi. Mais, à peine notre artillerie avait-elle eu ouvert son feu, qu'on
avait vu quatre batteries prussiennes, accompagnées de leurs soutiens, venir
prendre position sur les hauteurs au nord -ouest do Gûnstett et diriger sur
nos douze pièces de quatre un tir des plus précis, dont la supériorité allait
vite avoir raison des eflbrts impuissants de nos artilleurs. A ces quatre bat-
teries vinrent presque aussitôt s'en ajouter d*autres, et, à partir de neuf
heures et demie, cent huit pièces allemandes ne cessèrent de tonner sur toute
la ligne des hauteurs de la rive gaucho, et de faire pleuvoir sur nos troupes
une grôlc d*obu8 dont Thumidité du sol atténuait heureusement les elTets.
L'artillerie ennemie ne tarda pas à être appuyée par des masses profondes
d'infanterie; bientôt, le ii* corps bavarois et les v* et xi« corps prussiens se
trouvèrent en grande partie engagés. En face de la division de Lartigue,
mais n'ayant encore en ligne qu'une seule division, la 21*, se trouvait le
xi*' corps prussien. L'une de ses brigades (la 41* ) s'était déployée le long de
la Sauerbach, et le l**" bataillon de chasseurs, après une vaine tentative pour
franchir cette rivière, s'était vu obligé de rétrograder et de venir prendre
position en arrière de la route de Wœrth à Haguenau. Notre première ligne de
défense se trouvant ainsi dégarnie, Tennemi en proGta pour faire avancer,
Tune par le village de Sjftichbach , l'autre par le pont de Gûnstett, deux co-
lonnes de deux à trois mille hommes chacune, qui franchirent la Sauerbach
et s'élancèrent résolument à l'attaque des positions occupées par la 4« divi-
sion.
A la première démonstration de ce mouvement oITensif , le général de Lar-
tigue avait fait prolonger, par deux bataillons du 56<*, la ligne formée par le
l^^ bataillon de chasseurs; puis, l'ennemi continuant à gagner du terrain,
les \^^ et 3<* bataillons du régiment, sous les ordres du lieutenant-colonel
Barrué, s'étaient déployés à leur tour, compagnie par compagnie, et portés,
partie en soutien de l'artillerie, partie au-devant des colonnes prussiennes
qui s'avançaient menaçantes à l'attaque du Nieder-Wald et du plateau de
Morsbronn.
Sur ce point, la lutte atteignit bientôt à une extrême intensité. Malgré le
feu écrasant de l'artillerie ennemie, notre infanterie reprit un incontestable
avantage et se maintint dans toutes ses positions; malheureusement elle
s'épuisait en efforts successifs , en attaques décousues , en mouvements isolés
dont chaque commandant de compagnie avait, pour ainsi dire, l'initiative et la
direction. Aussi , s'ils n'avançaient pas, les Prussiens se maintenaient-ils sur
le terrain conquis, et leurs masses toujours croissantes continuaient-elles à
déboucher par le pont de Gûnstett, que, faute de poudre, le génie n'avait pu
faire sauter.
Dès qu'ils s'étaient trouvés dans cette furieuse mêlée, les Tirailleurs avaient
accompli des prodiges; partout où s'était portée leur redoutable furie, les
ai
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322 LE 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l870l
Allemands avaient dû reculer; mais les obus pleuvaicnl dans leurs rangs, la
mort fauchait soldats et officiers avec une effrayante rapidité. Déjà les capi-
taines Gillot et Deschamps , les lieutenants Uardouin , Benielli et Mohamed-
ben-Toudji et le sous- lieutenant Pasqualini étaient tombés pour ne plus se
relever.
Il était onze heures et demie. Le colonel Gandil , que nous avons laissé sur
Textrème droite avec une partie du 2» bataillon , voit le manque d'unité de
notre action et les progrès des assaillants. Une allaque vigoureuse est indis-
pensable si Ton veut empêcher ceux-ci de prendre pied sur la rive droite de
la Sauerbach. Il n*a avec lui que trois compagnies (l''» , 2<> et 3<)) ; il les forme
en bataille, s'élance à leur tète, et d'un bond irrésistibles&ruesur la colonne
ennemie, qui immédiatement rétrograde en désordre vers le pont de Gûnstett.
Tout plie, tout cède devant cette charge à fond; les Tirailleurs franchissent
le pont à la suite des Prussiens, poursuivent ceux-ci la baïonnette dans les
reins, les refoulent jusqu'aux premières maisons de Uunstctt; mais là, épuisés
par TeSort héroïque, surhumain, qu'ils viennent de fournir, assaillis par le
feu qui part du village, ils doivent s'arrêter , puis céder à leur tour et repasser
le pont pour venir se reformer en arrière et mettre un peu d'ordre dans leurs
rangs, qui viennent d'être complètement décimés. Parmi les morts on compte
le capitaine de Bourgoing, frappé glorieusement à la tête de la 2^ compagnie,
et le sous -lieutenant Mustapha-ben-Âmar.
Ce mouvement avait été appuyé directement par quelques compagnies du
56» et, plus à gauche, par les deux autres bataillons du régiment, sous les
ordres du lieutenant -colonel Barrué. Il eut pour résultat de suspendre
momentanément l'attaque du Xi<» corps prussien, et de maintenir, pendant
une heure au moins, celui-ci sur la rive gauche de la Sauerbach. Si à ce
moment le feu de notre artillerie n'eût pas été presque entièrement éteint ; s'il
y eût eu là des troupes fraîches, une division du corps de Failly par exemple,
pour seconder la tentative de la division do Larliguo, pour soutenir le
3« Tirailleurs, qui était déjà entré comme un coin vivant dans l'épaisse ligne
des bataillons ennemis, nul doute que, sur ce point du moins, l'avantage ne
se fût déclaré pour nous, et que les Prussiens n'eussent été mis dans l'impos-
sibilité d'exécuter le fameux mouvement tournant qui devait placer notre
droite dans une situation désespérée et la contraindre à une retraite précipitée.
Hais, au lieu des renforts qui auraient été nécessaires pour profiter de ce fugitif
retour de fortune, il ne restait que des troupes exténuées, cruellement éprou-
vées par la lutte sanglante qu'elles venaient de soutenir et , chose terrible ,
bien prèé de voir leurs munitions s'épuiser.
A Morsbronn, après avoir occupé le village en plaçant une compagnie (la
4«, capitaine Roux), aux diverses issues et en conservant l'autre (la 5«,
capitaine Rapp), en réserve dans le cimetière, dont les murs offraient un
excellent abri contre la mousqueterie , le commandant Aubry était monté dans
le clocher de l'église pour surveiller les manœuvres de l'ennomi. Il assista
de là à la phase que nous venons do raconter, et put constater chez les Alle-
mands l'immobilité qui lui succéda; mais bientôt il vit de fortes colonnes
d'infanterie prononcer, à la faveur des bois, un grand mouvement envelop-
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I?*
£■&
[1870] EN FRANGE 323
¥ ' pant se prolongeant jofique sur les derrières de Morsbronn et menaçant tout
^^ le flanc droit de la 4« division. Il en informa aussitôt le général Lacretelle,
■^ qui Tint lui-même yérifier le fait et juger de sa gravité. Les Prussiens avaient
'^^ déjà franchi la rivière à Dûrrenbach, dont les ponts, pour les mêmes raisons
que celui de Gfinstctt, n'avaient pas été détruits, et dans un instant Mors- •
^^' bronn allait être attaqué. Défendre ce village avec deux compagnies, il n'y
fallait pas songer; le général ordonna qu'on TévacuAt. Le mouvement s*ef-
'^ fectua sous un feu très vif d'artillerie, et le commandant Aubry, avec sa
petite troupe, se porta dans la partie de la plaine située entre la Biberbach et
m la route de Lembach à Ilaguenau , et chercha à se relier aux autres bataillons
2« qui se trouvaient de nouvenu vigoureusement engagés avec les forces enne-
1 mies descendant de Gûnstett et s'avançant vers le pont de la Sauerbach.
il Mais notre ligne commençait à faiblir; il allait se trouver séparé d'elle par le
■i gros des Allemands; il battit alors en retraite, et vint s'établir dans le chemin
^ creux qui mène de Morsbronn à Gûnstett. Prévoyant que sa résistance sur ce
j point ne pourrait être de longue durée, il envoyait en même temps chercher
f des ordres auprès du général de Lartigue. Ceux-ci ne se firent pas attendre :
il devait rallier autour de lui tout ce qu'il trouverait sous sa main , et choisir,
en orrièro, une lionne position défensive pour proti^gor par des feux le mou-
vement rétrograde des autres troupes de la division. A peine établies, nos
compagnies eurent à soutenir une fusillade très vive avec les têtes de colonne
de l'infanterie ennemie, qui commençait à déboucher par trois côtés à la fois :
par les pentes faisant face à Gûnstett, par le village de Morsbronn, et, tout
à fait sur nos derrières , par la vallée de l'Eberbach. Le commandant Aubry
tint jusqu^au dernier moment, et permit ainsi au S6« et aux deux autres
bataillons du régiment de se retirer en assez bon ordre dans la direction de
RcichRhonbn. A ce moment , la retraite était générale et le combat sur ce point
définitivement rompu.
Nous avons laissé les W et 3^ bataillons, ainsi qu'une partie du 2*, au mo-
ment où un vigoureux retour ofTensif, exécuté par le colonel Gandil, avait
rejeté l'ennemi sur la rive gauche de la Sauerbach. De ce côté, la lutte resta
près d'une heure en suspens , ou du moins se borna à une fusillade sans im-
portance échangée entre les premières lignes de tirailleurs. Mais il était facile
de prévoir qu'il n'en serait pas longtemps ainsi; depuis un moment, on aper-
cevait des masses considérables d'infanterie prussienne débouchant de la forêt
de Surbourg, et se dirigeant sur trois colonnes vers Spachbach, Gûnstett et
Dûrrenbach. C'était le gros du xi« corps (Bose) et la division wurtembergeoise
(d'Obernitz), qui ^e portaient en ligne pour appuyer l'attaque de la 21« divi-
sion. Le prince royal venait d'arriver et de prendre la direction du comhat;
toutes les forces do la iii<' année se trouvaient maintenant réunies sous la main
de leur chef : une écrasante offensive allait avoir lieu sur tous les points à la
fois.
Bientôt les Allemands eurent repassé la Sauerbach. Le l*' bataillon de
chasseurs, le S6« de ligne et les 1®** et 3« bataillons de Tirailleurs essayèrent
encore une fois de s'opposer au flot toujours croissant qui montait de Gûnstett;
quelques charges partielles furent successivement exécutées sur les premiers
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324 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l870]
éckeloRB, qui se montrèrent un moment késilanls; mois, ciForU vains, la
poussée était trop puissante , et nos soldats trouvaient toujours des rangs re-
formés derrière ceux qu'ils avaient enfoncés.
Il était une heure et demie. Notre ligne dut commencer à se replier. Elle le
fit en bon ordre, mais eut fort à souffrir des batteries de Gûnstett, dont le feu
avait redoublé d'intensité. Les compagnies changeaient fréquemment de place,
afin de se soustraire autant que possible à leur action ; seulement, ces mou-
vements nuisant à leur cohésion , elles perdaient ainsi chaque fois du terrain.
Cependant, si l'ennemi nous faisait du mal avec son artillerie, nous lui en
fabions non moins avec notre mousqueterie : sa 21^ division surtout était très
éprouvée. Hais, nous l'avons dit, les munitions commençaient à s'épuiser;
beaucoup de compagnies n'en avaient presque plus, les autres les ménageaient.
Nos troupes avaient rétrogradé jusqu'au sommet des pentes qu'elles occu-
paient, et, se cramponnant à cette dernière position, balançaient encore le
succès, qui, pour celui qui ne voyait pas les profondes réserves de l'ennemi,
demeurait encore incertain. Â ce moment courut le bruit que la division Guyot
de Lespart, partie de Bitche le matin, arrivait à notre secours : l'espoir fit
battre tous les cœurs, une nouvelle ardeur ramena au combat les fractions
hésitantes qui étaient déjà en retraite vers rEbcibach, et la lutte reprit avec
une nouvelle vigueur.
Depuis longtemps le général Lucretclle, prévenu par le commandant Au-
bry, avait à son tour fuit avertir le général do Larliguu du inuuvcnient
tournant des Prussiens; déjà ceux-ci étaient dans Morsbronn, évacué par nos
deux compagnies, et allaient atteindre Forstheim, qui leur avait servi de point
de direction. La situation était critique. Tentant un dernier effort, les colo-
nels Gandîl et Barrué réunirent le plus qu'ils purent des trois bataillons, pour
arrêter, ne fût-ce qu*un moment, cette marée envahissante qui montait,
montait toujours. Autour d'eux vinrent se grouper des hommes de tous les
régiments de la division. Ils les établirent sur une ligne s'étendant du bois
d'Eberbach au Nieder-Wald, où, de son côté, le 3«) zouaves soutenait une
lutte héroïque contre un ennemi dix fois supérieur. Là curent encore lieu
quelques tentatives désespérées; on se battit comme on put, à ranne blanche
principalement, puis il fallut définitivement abandonner la partie : la division
4e Lartigue était irrémédiablement vaincue. H était alors deux heures et demie.
Le commandant Thiénot venait d'être tué, le coiniuandant Clemmer était
mortellement blessé.
Il eût été insensé de prolonger d'une minute de plus cette résistance opiniâtre,
dont le résultat ne pouvait plus être douteux. Déjà le 2<' bataillon, qui, d'a-
près les ordres du colonel d'Andigné, chef d'état- major de la division, avait
occupé le bouquet de bois situé au sud d'Eberbach , était menacé d'être pris
par les forces ennemies qui sortaient de Forstheim. Il fallait se retirer à tout
prix. Le mouvement commença, protégé d'abord par les feux du 2» bataillon,
puis par la charge de la brigade Michel (8<> et 9° régiments de cuirassiers et
deux escadrons du 6« lanciers), et enfin par deux compagnies du 3** zouaves,
qui jusque-lA n'avaient été que légèrement engagées.
Cependant notre artillerie parvenait difficilement à se dégager; une batterie
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[f870] EN FRANGE 325
do mitrailleuses se trouvait compromise : il fallait la sauver. Le général La-
cretelle, qui surveillait le mouvement de nos derniers échelons, s'adressa
alors au capitaine Delahogue, du 3** bataillon, lui prescrivant de faire son
possible pour maintenir les Prussiens , dont tous les eiïorts se concentraient
maintenant sur nos pièces, quils voyaient distinctement. Le capitaine fît appel
au dévouement do chacun , et tous roux qui purent entendre sa voix vinrent
se grouper autour de lui. Il parvint aussi à rallier deux cents hommes, prove-
nant pour la plupart des débris du 3^ bataillon. Sous leur protection, nos mi-
trailleuses purent se retirer, ainsi que quelques traînards qui erraient sans com-
mandement. Sur la droite, on voyait de petits groupes de cavaliers qui revenaient
sanglants, et qui cherchaient à rejoindre la division; sur la gauche, le 3* zouaves
ap^onisait. Seul avec sa petite troupe, le capitaine Delahogue tient encore sur
le plateau. Enfîn il va se mettre en retraite h son tour, quand tout à coup
le sous-licutenant Mondiclli arrive avec le drapeau, c Mon capitaine, lui dii-il,
sauvez le drapeau, t^ Celui-ci est placé au milieu du groupe; le capitaine De-
lahogue fait jurer à tous de se faire tuer plutôt que de le laisser prendre, et
la marche en arrière s'eiïectue en combattant. Heureusement la fatigue ou
plutôt la surprise de nous avoir vaincus est telle chez nos ennemis, qu'ils ne
nous poursuivent que mollement. Le capitaine Delahogue parvient à se déga-
ger; il franchit VEberbach et gagne ReichshofTen, en formant, pour ainsi dire,
l'arrière -garde de la division. Là il trouve les autres bataillons, et tout le
monde pousse des cris de joie en voyant que le drapeau, qu*on croyait perdu,
vient d'être sauvé.
Le gros du régiment, qui avait commencé son mouvement rétrograde au
moment de la charge des cuirassiers , eut pendant un instant fort à faire pour
échapper à l'étreinte qui le menaçait du côté de Forstheim. Le 2« bataillon
flurtniil était serré de très près. Mois, sous l'impulsion do quelques officiers,
quelques groupes d'hommes de toutes les compagnies s'élancèrent sur les Al-
lemands, qui, sur plusieurs points, durent céder devant ces retours impé-
tueux. On arriva ainsi jusque sur la rive droite de l'Eberbach. Cherchant alors
ft rallier les débris de ses régiments, le général de Lartigue voulut essayer de
se maintenir un instant sur cette position. Pour s'opposer au danger qui ve*
nait de la droite, le colonel Barrué parvint à réunir cinq h six cents Tirailleurs,
qu'il déploya sur la crôte qui s'étend à l'ouest d'Eberbach, protégeant ainsi
l'artillerie divisionnaire, qui, par suite des pertes subies par ses attelages, ne
se retirait qu'avec difliculté. Mais que faire sans cartouches? Ne pouvant ré-
pondre à la fusillade meurtrière qu'ils recevaient, les Tirailleurs durent en-
core une fois se replier; harassés, brisés, mais nullement abattus par cette
lutte que depuis huit heures ils soutenaient sans interruption, ils reprirent
lentement leur marche vers ReichshoflTen. Quant à l'ennemi, il était tout
entier à Tivresse de la victoire, et ne nous poursuivait plus que des sons
triomphants des musiques de ses régiments. Ce ne fut qu'à celte attitude ines-
pérée de sa part que les dernières fractions de la division de Lartigue durent
de ne pas être enlevées. Vers trois heures et demie, il n'y avait plus un soldat
français valide sur le plateau de Morsbronn , et les Prussiens se précipitaient
dans le Nieder-Wald pour marcher à l'attaque de Frœschwiller.
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326 LE 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
A la gauche et au centre, pour se trouver un peu plus longtemps retardé,
le dénouement n'en devait pas être moins décisif. Haitre de Frœsckwiller,
Tennemi allait bientôt obliger à la retraite les i'^ et 3« divisions, ainsi que la
division Conseil- Dumesnil du 7« corps. Hâtons-nous d'ajouter qu'ainsi que
pour la 4^, le nombre seul allait avoir raison de ces dernières et que, malgré
leur écrasante supériorité , les Allemands eussent eu encore longtemps à nous
disputer le succès, si l'échec de notre droite ne leur eût livré le Nieder-Wald.
Ce qui est indéniable, c'est que la division Ducrot resta jusqu'au bout sur ses
positions et déjoua toutes les attaques des i^' et il® corps bavarois. Que faut-il
de plus pour démontrer que nos orgueilleux adversaires eurent peut-être la
victoire, mais que la gloire de cette bataille restera éternellement aux vaincus?
Avant d'arriver à Reichshoiïen , le colonel Gandil arrêta le régiment pour
le remettre en ordre et lui faire distribuer des cartouches. Ce fut à ce moment
que le capitaine Delahogue rejoignit avec le drapeau. Les hommes n'avaient
plus de sacs, plus de tentes, plus de vivres, plus d'ustensiles de campement :
tout avait été laissé sur le champ de bataille, les compagnies ayant mis sac
à terre au moment de se porter en avant. On allait non seulement marcher,
mais encore bivouaquer dans ces conditions. Les officiers n'étaient pas plus
heureux : leurs bagages étaient également au pouvoir de l'ennemi. Mis en route
au moment où la fortune s'était nettement décidée contre nous, le convoi avait
pris la direction de llaguenau, au lieu décolle de ReichshoHcn, qui lui avait été
indiquée, et, de plus, avait commis l'imprudence de faire une halte près des
forges de GundershoflTen. Là il avait été brusquement assailli par la cavalerie
wurtembergeoise, qui avait impitoyablement sabré les quelques ordonnances
et les quelques hommes qui avaient tenté de résister en faisant le coup de feu.
La cantinière du régiment parvint seule à s'échapper eu se cachant dans les
bois. Elle assista de là à cette sanglante scène de carnage et de pillage, dont
son mari fut l'une des premières victimes.
On traversa successivement, et sans s'arrêter, Reichshoflbn et Niederbronn.
Après ce village, on prit la route de Saverne, route qui longe le pied des
Vosges et passe dans plusieurs localités sans grandes ressources. On marcha
toute la nuit. Toutes les armes , tous les corps , toutes les fractions étaient
mélangées et s'en allaient pêle-mêle, sans direction, suivant au hasard ce flot
humain dans lequel régnait maintenant le plus complet désarroi. La cavale-
rie, qui aurait dû couvrir la retraite, cherchait au contraire à prendre les
devants, renversant, bousculant les nommes sur son passage, les poussant
au milieu des voitures de l'artillerie, qui, elles aussi, pressaient leur mouve-
ment pour arriver plus tôt. Comme presque toujours , les pauvres fantasûns
étaient encore les plus malheureux : mourant de faim , tombant de sommeil ,
ils se traînaient péniblement ou demeuraient là où la fatigue les clouait ,
n'ayant même plus le sentiment du danger qu'ils pouvaient courir.
Dans ces douloureuses circonstances, le régiment montra encore ce que
peut une troupe réellement disciplinée. Malgré le désordre général , malgré
l'accablement qui s'emparait de tous, il parvint à conserver une certaine
cohésion. Il faut reconnaître aussi que les officiers, tous connus de leurs sol-
dats et les connaissant non moins, surent garder un calme, un sang-froid
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[f870] EN FRANGE 827
au-dessus de tout éloge, qu'ils communiquèrent continuellement à ces der-
niers. Pas un instant ils ne cessèrent de veiller avec la plus attentive sollicitude
sur les glorieux débris qu'ils ramenaient. C'est ainsi qu'au lieu de suivre le
mouvement confus de certains autres corps, le 3« Tirailleurs s'arrêta pendant
deux hcurns A Iiigwillcr, ce qui permit aux hommes do prendre un pou do
repos , et à une quantité de traînards de rallier leur compagnie.
On se remit en marche vers deux heures du matin , et l'on arriva à Saveme
à cinq heures. Un lieu de rassemblement avait été désigné à chaque corps.
Le régiment s'installa sur la rive gauche de la Zorn , et bientôt une foule de
dons, dus à la générosité des habitants, vinrent faire pour un instant ou-
blier à nos malheureux soldats les misères, les souiïrances et les privations
qu'ils venaient d'endurer. Mais, hélas! la triste réalité de la défaite n'en res-
tait pas moins vivante, et, à ceux qui auraient été tentés de la distraire de
leur pensée , un ordre subit devait se charger dé la rappeler : se trouvant un
des moins désorganisés , le régiment devait à neuf heures repartir pour
Phaisbourg.
Pendant le court moment de répit qui lui avait été laissé, le colonel Gandil
avait eu le temps de faire faire l'appel et de procéder à la reconstitution hfttive
des compagnies. Alors seulement on avait pu so rendre un compto exact des
vides faits par la lutte de la veille. Les pertes s'élevaient à huit cent soixante-
douze hommes hors do combat, dont trente-trois officiers. Sur ce total , beau-
coup avaient été tués, le plus grand nombre blessés, très peu'faits prisonniers.
Les officiers surtout avaient été cruellement éprouvés par le feu de l'ennemi.
( mort de ses blessures).
Etaient tués :
MM. Thiénot,
chef do bataillon.
Clemmer,
d«
Deschamps,
capitaine.
DeBourgoing,
do
Gillot,
do
Hardouin,
lieutenant.
Benielli ,
do
Mohamed-ben-Toudji ,
do
Pasqualini ,
sous-lieutenant.
Mustapha-ben-Amar,
do
Walroff,
do
Krélill-ben-Mohamed ,
do (
Étaient blessés :
MM. Barrué,
lieutenant-colonel.
De Larochelambert,
capitaine.
Giraud,
do
Émy,
do
Montignault,
do
(mort de ses blessures).
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328 LB 3* BÉGIMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (1870)
Uesson,
Roy,
capitaine,
lieutenant.
Pétiaux,
d«
Guillaume 1
d*
Règne,
Saad-ben-Serir, .
d«
d*
Garnier,
80U8-lieutenant.
Bruzeaux,
d*
Tourret,
d*
Rénaux ,
do
Déporter,
Aîssa-ben-el-Hadj-Assein
do
do
(nouveau promu).
Amar-ben-Medeli,
do
Larbi-ben-el-Haoussin ,
do
Lagdar-ben-el-Âchi ,
do
Salah-ben-Mohamed ,
do
(nouveau promu).
Quand , à dix-sept années de distance , on jette un regard sur cette lutte san-
glante qui devait avoir une si désastreuse influence sur les événements ultérieurs
do la campagne, on est étonné de voir que trente-six mille hommes parvinrent
à se maintenir une bonne partie do la journéo contre cent quinze mille. Déjà ,
à Wissembourg, une de nos divisions avait tenu tête à tout un corps d'armée
t>russien. D'où venait donc à nos soldats cette force morale qui quadruplait ainsi
leur valeur? De ce que le découragement et l'indiscipline n'avaient point encore
pénétré dans leurs rangs, nous répondra-t-on. Oui, ce fut là une des causes
de l'admirable attitude de Tarmée du Rhin ; mais une autre qu'on oublie trop
souvent avec une intention malveillante, c'est que cette armée se composait
presque uniquement de régiments venant d'Algérie, et se trouvant non seule-
ment plus aguerris que ceux de l'intérieur, mais ayant tous un glorieux passé
à soutenir. Ne prenons que les Tirailleurs algériens. Où vit- on jamais une
troupe plus héroïque que les turcos do Wisscuibourg et do Fniischwillort
Quelle est celle qui versa plus généreusement son sang ^ ? Et qu'avaient à
défendre ces hommes, qui se sacrifiaient ainsi pour chasser l'envahisseur de
notre territoire? Un foyer? non; le leur était loin, et, bien plus, pouvait d'un
moment à l'autre être menacé par un autre ennemi, sans qu'ils fussent lu pour
le protéger. Une famille? beaucoup n'en avaient point; quant aux autres, peut-
être demain allait-on leur demander de marcher contre leurs frères, contre
leurs parents, contre leurs amis*. Des richesses? c'était une chose qu'ils ne
connaissaient pas. Ce qu'ils avaient à défendre était bien plus précieux, bien
* Partis d'Algérie avec ua effectif total de six mille six cents hommes, les trois régi-
ments de Tirailleurs algériens n*ep comptaient plus que deux mille quatre cents le soir
de Prœscliwiller. Sur les quatre mille deux cents qui manquaient , environ mille deux
cents étaient tués , et trois mille blessés ou prisonuiers.
* Tout le monde sait qu'en revenant de captivité le régiment fut tout entier em-
ployé à combattre l'insurrection qui avait envahi toute la province de Gonstantine.
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[1870] EN FRANGE 329
plus grand , bien plus noble à nos yeux : ils avaient à défendre leur drapeau
d^abord, leur honneur ensuite; ils avaient ft justifier cette réputation qu'ils
s'étaient acquise dans cent autres combats , à maintenir ces brillantes tradi-
tions que leur avaient léguées les Bosquet, les Wimpflen et les Bourbaki, à
rester fidèles à ces belles paroles que leur avait tressées le maréchal de
Saint-Arnaud en leur remettant le premier drapeau qui ait été confié h leur
bravoure : c Tirailleurs, n'oubliez pas que lorsqu'on a l'honneur de combattre
sous les couleurs de la France, on ne les rend jamais : on meurt 1 >
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CHAPITRE XV
ARMÉE DE GHALONS
Retraite sur GhÀlons. ~ Promotions et récompenses à la snite de la bataille de Frœsch-
wliier. — Organisation de Tarmôe de Gliilons. — Marche sur Metz. — Journées
des 30 et 31 août — Bataille de Sedan. — Belle attitude des Tirailleurs. — Capitu-
lation. — Le drapeau du régiment est brûlé. — Départ pour l'Allemagne. — Captivité.
~ Siège de Strasbourg. — Défense de Pbalsbourg.
Ainsi que nous l'avons vu , les troupes qui avaient combattu à Frœsciiwiller
avaient en grande partie pu se retirer librement sur Saveme. L'ennemi n'avait
commencé sa poursuite que fort tard , et sa cavalerie, trompée par la présence
do quelques traînards sur la route de Bitche, qu'avait suivie une brigade do
la division Guyot de Lespart du 5» corps, avait cru que toute l'armée vaincue
avait pris cette direction et ne s'était portée en force que de ce côté, sans ce-
pendant parvenir à reprendre le contact. Supposant néanmoins que, malgré
leur fatigue, les Allemands ne tarderaient pas à poursuivre leur marche vic-
torieuse au travers des Vosges, le maréchal de Mac-Hahon avait, dès son
arrivée à Saveme, ordonné la continuation du mouvement de retraite jusqu'à
Pbalsbourg; mais bientôt, devant l'absence d'un danger immédiat, et sur-
tout en présence de Tétat déplorable dans lequel se trouvaient la plupart des
régiments, il renvoya ce départ à trois heures du soir.
Le 3* Tirailleurs, rapidement réoi^nisé et remis dans la main de ses
cheb, ne fut pas compris dans ce contre-ordre; il partit à neuf heures, ainsi
que cela lui avait été prescrit, et arriva vers midi. Il fut installé en dehors de
la ville, et, pour se remettre des épreuves de la veille, passa la nuit au bi-
vouac, sans abri, sans rien pour se garantir du froid et de l'humidité du sol ,
alors que certains corps qui avaient encore leurs tentes et leurs objets de cam-
pement étaient cantonnés. Cette insouciance du commandement à l'égard do
braves gens qui avaient si noblement fait leur devoir so continua jusqu'au 10,
au moment d'arriver à Lunéville. Voyant déliler nos malheureux soldats cou-
verts de boue et n'en pouvant plus, le maréchal de Mac-Mahon s'enquit de
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[1870] EN FRANGB 331
leur situatioD , et , touché des misères qu'ils avaient endurées sans se plaindre,
donna des ordres très sévères pour quMIs fussent désormais traités avec un
peu plus d*équité. A partir de ce jour, et jusqu'à ce qu'il fut possible de lui
donner des moyens de bivouaquer, le régiment fut établi au cantonnement*
Le 8, la marche reprit à quatre heures du matin et s'effectua dans la di-
rection de Sarrebourg, où le soir se trouvèrent en grande partie réunis les
!«' et b^ corps. Le 9 , le régiment traversa Lorquin et s'arrêta à Harboué ;
le 10, il atteignit Lunéville, où il ne resta que quelques instants, et alla cou-
cher à Chafontaine. Le 11 , dans le but d'éviter plus sûrement une rencontre
avec l'ennemi, que l'état de désorganisation de nos troupes eût pu rendre dé-
sastreuse, on obliqua vers le sud-ouest pour arriver à Bayon. Le 12, on s'ar-
rêtait à Harroué, sur le Hodon ; le 13, à Trament; et, le 15, à Neufchftteau. Le
lendemain, le 3» Tirailleurs quittait cette ville en chemin de fer, et, le 17,
arrivait au camp de Chftlons. Là devaient se réunir les 1^, 5«, 7* et 12» corps,
pour y constituer une armée dont le maréchal de Mac-Mahon, qui depuis
Frœschwiller était remplacé à la tête du l^** corps par le général Ducrot, allait
avoir le commandement.
La division de Lartigue campa sur la rive gauche do la Vcsie et séjourna
en cet endroit jusqu'au 20 août inclusivement. Ce temps fut activement em-
ployé au remplacement des effets perdus et à la reconstitution des cadres des
compagnies. Des renforts, mis en route par les dépôts des régiments, arri-
vaient chaque jour et permettaient de combler une partie des vides faits par
le feu de l'ennemi; les Tirailleurs en attendaient également d'Algérie.
Le 21, l'armée se dirigea sur Reims, où elle arriva le même jour. Ce fut là
qu'on apprit les récompenses accordées à la suite des journées de Wissem-
bourg et de Frœschwiller (décret du 20 août).
Au régiment, le colonel Gandil était nommé général de brigade et remplacé
par le colonel Barrué, qui lui-même avait pour successeur le commandant
Aubry, le seul survivant des trois chefs de bataillon. Enfin étaient promus :
MM. Matthieu, capitaine (affecté au 1«' bataillon).
Rapp , do ( affecté au 2« bataillon ) .
Petitjean , d« (affecté au 3^ bataillon ) .
MM. Soumagne, lieutenant.
Sauvage, d*
Lalanne des Camps, d«
Kolb, d*
Donin de Ronère, &*
Gillet, d«
/MM. Dufour, sous-lieutenant.
\^ Chefs de bataillon
2<> Capitaines
Garnîer,
do
Valat,
d»
3* Lieutenants
Winter,
d»
Anglade ,
d»
Soulice,
d»
\ Bernad,
d»
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HH. MonUgnault,
capitaine.
Wissant,
d"
Roy,
lieutenant.
Clerc,
d-
Ali-ben-Âhmed,
d»
Valat.
sous-lieutenant.
33S LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [i870]
(MM. Martin, adjudant.
Martin, sergent-major.
Anc 1-4 s ) Walter, d*
4«Sou8-lieutenanU^ CreuUer, d-
Monot, d<»
Pavot, d«
Les nominations suivantes étaient faites dans Tordre de la Légion d'honneur :
1o A /l /i' ffi • i^^' Reboud , médecin-major de 1™ classe.
1 AU grade d omcicr '^ Brault, capitaine-adjudant-major.
2® Au grade de chevalier
Le général Lacrotollo était promu divisionnaire, et remplacé par le général
Carroy de nellemare dans le commandement do la 2» hrigado de lu 4» division.
Deux plans se présentaient an maréchal do Mac- Malien : se replier snr
Paris pour attendre Tennemi sous la protection du camp retranché formé par
les forts extérieurs de la capitale, ou se porter au secours de Bazaine bloqué
dans Metz. Des considérations politiques déterminèrent le ministre de la guerre
à lui imposer le second. Il s'agissait donc de marcher rapidement sur la Meuse,
d'atteindre Verdun et de se masser autour de celte ville, do façon à être prêt
à livrer bataille pour percer la ligne d'investissement de Tennemi.
Le 22, l'armée entière fit séjour à Reims. Ce jour-là, le régiment reçut un
détachement de trois cents hommes, venu d'Algérie sous la conduite du lieute-
nant Camion. Ce renfort porta son effectif à mille cinq cents hommes, déduction
faite des pertes éprouvées à Frœschwillcr. Le mouvement sur la Meuse com-
mença le 23. Le régiment se mit en marche à six heures du matin , traversa
Commentreuil , Taissy, Saint -Léonard, et alla camper sur la rive gaucho de
la Suippes, près de Réthcniville, où se trouvaient Napoléon 111 et le quartier
'général de l'armée. Le 24, les exigences du ravitaillemcnl ayant obligé d'ap-
puyer vers Rethel, on bivouaqua sur la rive gauche de la Retourne, à J uni-
ville. Pendant ce temps , trompé par une fausse dépêche qu'on avait à dessein
fait tomber entre ses mains, le prince royal de Prusse croyait Tarmée de
Chalons en retraite sur Paris, et restait immobile à Vitry-le-Français.
Le 25, le 1^ corps campa à Givry, sur le bord est du canal des Ardennes.
Ce même jour, un télégramme de Paris, — celui-là authentique, — reçu par
la voie de Londres, apprenait à Tétat- major allemand la vraie direction prise
par les troupes du maréchal de Mac-Mahon.
Dans la journée du 26, l'armée française pivota sur sa droite (7<^ corps), et
le lor corps alla s'établir à Voucq, sur un plateau olfrant une belle position
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[!870] EN FRANCE $33
défensive. Lo lendemain continua le mouvement de conversion , dont le but
était d'appuyer le 7« corps, qui s^attendait à une attaque venant de Grand-
Pré. Au point du jour, les 3*^ et 4* divisions du l^^ corps allèrent même prendre
position & rintcrscction de la route de Voucq au Chêne- Populeux; mais, vers
huit heures, elles reçurent Tordre de rentrer dans leurs anciennes positions.
Tous ces mouvements, toutes ces hésitations avaient entraîné du retard, et
les Allemands arrivaient à marches forcées. Le 27, la cavalerie des deux ar-
mées s'était heurtée à Busancy; les Français n'étaient plus guère en avance
que d'une journée.
Le 28, la division de Lartigue vint camper près de la petite ville du Chéne-
Populeux. Le 29, à huit heures du matin , deux paysans informèrent le géné-
ral que deux escadrons ennemis avaient été vus à Voucq. Les moments deve-
naient précieux. On n'était plus qu'à une (aible distance de la Meuse; il fallait
atteindre celle-ci, là franchir et couper les ponts. La marche de cette journée
est ordonnée dans ce but ; mais soudain on apprend que Stenay est occupé
par les Prussiens. On se dirige au nord , et le i®' corps atteint Raucourt.
Le 30, le 2® régiment de marche fut désigné pour remplacer, à la 2* brigade
de la 4^ division, le 87* de ligne laissé à Strasbourg. Ce même jour, la divi*
sion de Lartigue quitta son bivouac vers dix heures du matin, descendit vers la
Meuse par llarancourt , Angecourt et Uemilly , passa cette rivière sur un pont de
bateaux, traversa ensuite Tétaigne etCarignan, et alla camper au nord-est de
cette petite ville, à une faible distance de la frontière belge. Depuis trois heures
de Taprès-midi, on entendait une vive canonnade dans la direction du sud*
ouest : c'était le 5<» corps (général de Failly), qui , surpris à Beaumont, essayait
de résister aux forces allemandes, et, ne pouvant y parvenir, se retirait dans le
plus grand désordre sur Mouzon , poursuivi par le feu de Tartillerie ennemie.
Le 31 , dès cinq heures du matin, les divisions de Lartigue et Pelle prirent
position sur les hauteurs au nord do Carignan. Deux heures après, elles se
mirent en marche dans la direction de Sedan en passant par Escombres et
Fourru-aux-Bois. De ce dernier village, on percevait une canonnade assez vive
dans la direction de Uemilly. Un corps bavarois tirait de la rive gauche de la
Meuse sur notre convoi, qui suivait la route de Montmédy à Sedan par Douzy.
Vers deux heures de l'après-midi, le régiment, arrivé près de Francheval,
reçut l'ordre d'aller s'établir, comme soutien de la brigade de cavalerie Mi-
chel , sur les hauteurs couronnées de bois qui dominent le village de Douzy
au nord. Le colonel Bar rué fit déployer deux compagnies en tirailleurs, en
avant des 2» et 3<' bataillons en ligne sur la crête , et garda en réserve le l**" ba-
taillon formé en colonne. On apercevait alors des masses considérables d'in-
fanterie et d*artillerie (|ui descendaient des hauteurs de Mouzon , et se diri-
geaient sur Douzy. Bientôt la tête de cette colonne atteignit Francheval et les
hauteurs situées à l'ouest, qui furent immédiatement occupées. On distinguait
parfaitement des Prussiens. Il eût été facile aux deux compagnies déployées
en tirailleurs de les inquiéter sérieusement avec leurs feux , et même de rejeter
ces avant- postes sur leurs soutiens; mais le général Michel, que les oflBciers
de ces compagnies avaient fait prévenir, s'obstina à ne voir que de l'infanterie
de marine dans ces troupes qui débouchaient tranquillement à environ mille
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834 LB 3* RÉGIMBNT DB TIRAILLEimS ALGÉRIBNB [1870]
mètres do notre ligne. Rien n'était cependant plus simple que de faire TériGor
le fait par la cavalerie; mais non seulement celle-ci ne lit aucune reconnais-
sance, mais encore elle se retira dans la direction de Villers-Cernay, sur cette
idée que les grand*gardes du 1®' corps se trouvaient maintenant couvertes
par la division de Yassoigne du 12*. C'est ainsi que l'avant-garde du xii« corps
prussien put se porter librement à la droite des Bavarois, et faciliter pour le
lendemain le mouvement enveloppant de ce corps et de la garde par Daigny,
Givonne et Illy.
 six heures du soir, le régiment quitta sa position, traversa Villers-Cernay
et Givonne, et vint camper au-dessus du village de Daigny, sur les hauteurs
qui sont à l'ouest du ruisseau de Givonne. Pendant tout l'après-midi, la fu-
sillade et la canonnade s'étaient fait entendre du côté de Baseilles, où le 12« corps
avait repoussé toutes les attaques du P*^ bavarois.
La nuit se passa tranquillement. Le jour se leva froid et brumeux et fut
aussitôt salué par le canon ennemi : c'étaient les Bavarois , qui reprenaient
contre Baxeilles l'attaque vainement tentée la veille par leur v^^ corps.
 ce moment, le dispositif de l'armée française alTectait la forme d'un
triangle dont les côtés se trouvaient nettement déterminés par la Meuse à
l'ouest, le ruisseau de Givonne à l'est, et celui de Floing au nord. Bazeillesi
Floing et Illy en représentaient les sommets. Le U' corps était établi en avant
du bois de la Garenne, faisant face à l'est et ayant en avant de lui les villages
de Givonne, d'IIaybes et de Daigny. La division de Larligue formait la droite.
Le terrain sur lequel cette dernière devait combattre avait, par rapport à la
position occupée par l'ennemi, sensiblement la même disposition topogra-
phique que celui de Frœschwîller : en avant se trouvait un ruisseau , en arrière
un plateau, sur la gauche un bois. Mais, au lieu de former l'extrémité de la
ligne , cette division était cette fois couverte sur son flanc droit par le 12<> corps.
Dès les premiers coups de canon, le régiment avait pi*is les armes; bientôt
il reçut l'ordre d'aller se placer derrière le 2^ régiment de marche, qui venait
de se déployer en face de Tintervalle existant entre les villages d'IIaybes et de
Daigny. Ce mouvement était en cours d'exécution, lorsque le l^'*' bataillon
(commandant Mathieu), fut arrêté par le général Ducrot, qui lui prescrivit
de se porter sur les hauteurs à l'est de Givonne, sur la rive gauche du ruis-
seau de ce nom, dans le but de s'opposer k la marche des Allemands, qui
commençaient à déboucher au sud de Villers-Cernay. 11 était alors six heures
du matin; ce bataillon se dirigea sur la position qui lui était indiquée; mais
à peine y arrivait-il, qu'il était accueilli par une forte canonnade partant des
batteries françaises. Il se replia et attendit, pour se reporter en avant, que,
sur l'ordre d'un officier de l'état-major, ces batteries eussent cessé le feu.
Pendant ce temps, il était rejoint par deux bataillons du 3* zouaves, sous les
ordres du lieutenant-colonel Méric.
Mais, à la faveur de ce retard , l'ennemi avait pu s'avancer par le bois Che-
valier, et garnir de nombreux défenseurs la lisière de ce dernier, do sorte que,
lorsifue le commandant Mathieu voulut gagner du terrain, il fut soudain
arrêté par un violent feu de mousqueterie. Deux compagnies lurent alors
déployées parallèlement au chemin de Givonne à Villers-Cernay, et la lutte
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[1870] EN FRANGE 3S5
B*engagca aussitôt entre les Tirailleurs et les Allemands. Ceux-ci continuaient
à déboucher entre la Moncclle et Rubécourt, et, comme à Frœschwillery
appuyaient leur mouvement par le feu d'une formidable artillerie. Ayant
beaucoup de terrain à couvrir, le commandant Mathieu dut déployer trois
autres compagnies, n'en conservant ainsi qu'une seule en réserve. A ce
moment, rcnncmi voulut tenter l'assaut de notre position; son infanterie
sortit du bois , mais les Tirailleurs prévinrent son attaque par une charge à la
baïonnette et la rejetèrent en désordre sur ses réserves.
Sous la protection de ce vigoureux mouvement offensif, les zouaves avaient
pu se déployer à leur tour; ils relevèrent notre ligne, fort éprouvée par cet
effort, et le l^' bataillon, rallié et reformé, se reporta, sur l'ordre du général
de Lartiguo, de l'autre côté du ravin de Givonne, pour servir de soutien à
une batterie d'artillerie. Il se trouva alors établi à la gauche de la cavalerie
du général Marguerittc, que deux compagnies, sous les ordres du capitaine
adjudant- major Chevreuil, eurent mission d'appuyer.
II était un peu plus de huit heures ; le général Ducrot venait de prendre le
commandement et d'ordonner la retraite sur Mézières; la batterie d'artillerie
cessa son tir et se mit en devoir de se replier. N'ayant point d'ordres, le
commandant Mathieu suivit son mouvement avec les quatre compagnies qui
restaient encore dans sa main , et eut ainsi l'occasion de sauver une pièce qui
allait tomber entre les mains de l'ennemi. Cette dernière venait de perdre ses
chevaux ; force allait être aux artilleurs de l'abandonner, lorsque les Tirail-
leurs arrivent, s'y attèlent eux-mêmes, la traînent pendant au moins deux
cents mètres sous le feu des Allemands, et la remettent enfin à un attelage
de renfort.
A partir de ce moment , le commandant Mathieu ne reçut plus aucun ordre
ni aucune direction. En vain demanda-t-il des indications aux généraux et
officiers d*élat- major qu'il rencontra, personne ne put lui en fournir. Bat-
tait-on en retraite? Ueprcnait-onroffensive? Chacun l'ignorait. La confusion
était partout. Çà et là c'était de l'infanterie, de rartillerie ou de la cavalerie
qui s*en allait au hasard , et qu'une puissance inexplicable portait vers Sedan.
Le commandant fit comme à peu près tout le monde ; il chercha son régiment,
ne le trouva pas, et finalement se mit à la suite d'un gros d'artillerie et de
cavalerie qui rentrait dans la place. II était cinq heures du soir; depuis deux
heures le drapeau blanc avait été arboré sur l'ordre de Tempereur; la lutte
continuait encore dans la direction de Balan; sur les autres points elle avait
cessé.
Lorsque les 2® et 3^ bataillons avaient été envoyés en soutien du 2« régi-
ment de marche, sur la droite le combat était encore circonscrit au front
la Moncelle-Bazeilles qu'attaquaient les Bavarois et une division du xii* corps.
Malgré sa supériorité , l'ennemi n'avait encore aucunement progressé. Nos
deux bataillons se formèrent en deux colonnes à distance de peloton , face à
la lisière ouest du bois Chevalier. Mais cette disposition fut bientôt modifiée
par le général Carrey de Bellemare, qui ordonna un changement de direction
à gauche, de façon à placer notre ligne parallèlement au ravin de Givonne.
Vers sept heures, l'ennemi commençant à apparaître sur les hauteurs de
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336 LB 3* RÉGIMENT DB TIRAILLBUR8 ALGÉRIENS [1870]
la Moncelloi le colonel Barrué fit porier la 2* compagnie du 3® bataillon (capi-
taine Delahogue) dans un petit bois situé sur la pente du ravin de Givonne,
un peu au-dessus du village de Daigny. Cette compagnie se déploya en tirail-
leurs; mais à peine se fut-elle engagée dans le bois, qu'elle se trouva en
présence d'un fort détachement de la garde royale prussienne, qui s'était
avancé sous le couvert des ravins débouchant sur le ruisseau de Givonne,
dans le but de surprendre notre ligne, ce qui serait efTcctivement arrivé un
instant auparavant. En ce moment, il y avait surprise de? deux côtés, mais
surtout chez les Allemands qui, loin de leurs réserves et vigoureusement
abordés par la compagnie du capitaine Delahogue, qui venait d*étre renforcée
de la 3* du 3<> bataillon (lieutenant Bernad), se re tirèrent jprécipitamment,
laissant une trentaine de morts sur le terrain. Dès lors l'infanterie ennemie
ne fit plus aucune tentative sur ce point, et le bois fut complètement évacué.
L'intention de nos adversaires était évidemment de nous maintenir avec leur
puissante artillerie jusqu'à ce que le mouvement enveloppant de leurs ailes
fût achevé.
 la suite de ce léger engagement, les 2« et 3« bataillons avaient pris posi-
tion en arrière du bois, au-dessous d'une batterie de douze qui essayait de
répondre au feu des Allemands. Dans le début, le régiment n'eut pas trop à
souffrir de ce gigantesque duel d'artillerie; mais, vers huit heures, nos bat-
teries de première ligne ayant reçu l'ordre de battre en retraite, celles de
l'ennemi purent se rapprocher en toute sécurité, et leur tir devint excessive-
ment meurtrier; toutefois elles ne parvinrent pas à déloger nos compagnies,
qui restèrent impassibles sous cette pluie d'obus.
A huit heures et demie , le général de Wimpffen ayant réclamé le comman-
dement en chef, le mouvement de retraite sur Mézières fut brusquement
arrêté. Les troupes des 1«' et 12® corps reçurent même bientôt l'ordre de
reprendre l'offensive et de chasser les Allemands des positions qu'on venait
volontairement de leur abandonner; mais tout au plus put -on se maintenir
sur celles qu'on avait conservées; le 12« corps surtout, malgré sa bonne con-
tenance et ses tentatives répétées, dut renoncer k regagner le terrain perdu.
Il fallait cependant arrêter les progrès de l'ennenii; le commandant Uapp fut
envoyé avec son bataillon (le 3<>) pour appuyer le 58<> de ligne, qui avait
rétrogradé vers le Fond -de -Givonne, où il résistait énergiquement aux efforts
des Bavarois. Le commandant ne disposait que de quatre compagnies * ; il en
déploya trois sur la crête et gorda l'autre eu réserve. Pur suite de cette nou-
velle disposition, les 2^ et *i^ bataillons du régiiuout foruiuiont iiiuiulonunt,
celui-ci la gauche du 12* corps, celui-là la droite du i^'. Il était environ dix
heures ; sur toute la ligne de Givonne -Daigny, nos troupes étaient aux prises
avec l'ennemi, dont la marche enveloppante s'accusait de plus en plus du
côté d'illy.
Malgré cela, la lutte héroïque soutenue depuis le matin par les troupes du
général Lebrun se continuait avec une rare ténacité de la part de celles-ci
VLes 2« et z; on se le rappelle, avaient été détadiées dans le petit bois au-dessus
de Daigny.
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[f870] BN FRANGE 337
qui malheureusement étaient absolument exténuées. Sur ce point, les Alle-
mands avançaient toujours; vers midi , ils franchissaient le Fond-de-Givonne,
et notre ligne n^était plus qu*à une faible distance du bois de la Garenne. Le
l^'' corps avait dû céder comme le 12», et se trouvait maintenant en grando
partie concentré sur le plateau d*II]y, que le général Ducrot défendait avec la
plus grande opiniâtreté; seules quelques fractions do la division de Lartigue,
dont les 2« et 3^^ bataillons du 3^ Tirailleurs, oprès avoir maintenu l'ennemi
sur la rive gaucho de la Givonne, faisaient encore face aux forces allemandes
qui s^avançaient par Daigny. Le général de Lartigue venait d'être blessé; le
général Fraboulet de Kerléadec avait pris le commandement.
La situation était devenue désespérée; on ne combattait plus que pour
l'honneur; la résistance n'étant même plus possible, le général de Kerl^dec
ordonna la retraite sur Sedan. Le mouvement s'exécuta sous la direction du
général de Bcllcmare; le ii^ bataillon do Tirailleurs se retira en bon ordre sur
une ligne d'infanterie et d'artillerie établie à environ quinze cents mètres do la
première position , et qui semblait avoir été disposée pour protéger cette opé-
ration, quoique le hasard seul en eût décidé ainsi. Arrivé là, le général de
brigade lui fit continuer son mouvement sur Sedan, où il pénétra vers deux
heures , au milieu de l'indescriptible confusion qui commençait à y régner.
Resté le dernier sur la position où il avait été déployé au commencement
de la journée, le 2° bataillon (commandant Petitjean) n'avait cédé le terrain
que pas à pas et en combattant toujours, ou plutôt en se reformant continuel-
lement sous les coups de l'artillerie allemande; car, ainsi que nous l'avons
dit, l'infanterie ennemie se tenait autant que possible hors de la portée de
nos fusils. II se replia ainsi , peu à peu et par échelons , vers l'extrémité
sud du bois de la Garenne , où il essaya encore de prendre position ; mais ,
accablé por un feu violent, abandonné à son propre sort, il finit par suivre le
mouvement générol et se dirigea oussi sur Sedan, dont il s'était d'ailleurs
considérnblnmcnt rapproché. Il était environ trois heures et demie: les portos
de la ville avaient été ouvertes toutes grondes, et tout le monde maintenant
s'engoufl'rait, s'entassait dans ce réduit fait pour contenir dix mille hommes,
et qui allait en renfermer quatre -vingt mille.
Cependant, au milieu des péripéties successives de cette lutte impossible,
dont des ordres et des contre-ordres avaient par deux ou trois fois changé le
but et la direction, on avait complètement oublié les deux compagnies dé-
ployées le matin dans le petit bois du ravin de Givonne. Ne sachant rien de ce
qui se passait en arrière, le capitaine Delahogue était resté en position avec sa
petite troupe , qu'il avait disposée de son mieux pour la dissimuler aux vues
de l'ennemi, qui continuait à fouiller le bois avec son artillerie. Une heure,
deux heures, trois heures se passèrent oinsi; pendant ce temps, le mouve-
ment de retraite avait été commencé, interrompu et repris; le feu de nos
batteries s'était peu à peu éloigné, et notre infanterie s'était retirée en arrière
de la crête dominant le ravin. Enfin le capitaine Delahogue aperçut une
ambulance près du villogc de Daigny; il crut que les Français s'étaient portés
en avant, et se dirigea droit vers le groupe qu'il avait devant lui, et au milieu
duquel il distinguait parfaitement l'uniforme d'un de nos médecins. Sa joie
22
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838 US 3® RÉGIIIBNT DB tiRAILLBURS ALGteiBNS [1870]
fut grande en reconnaissant le docteur Reboud, du régiment; mais elle ne
devait pas ôtre de longue durée. Ce dernier lui apprit on effet qu'il avait été
fiiit prisonnier un instant auparavant, et qu'il se trouvait dans une ambu-
lance prussienne. Il n'y avait pas un instant à perdre; le capitaine rallia ses
deux compagnies, parvint à les dérober aux Allemands, dont les bataillons
s'avançaient de tous côtés, gagna le point où il avait laissé le régiment, n*y
trouva personne, et se mit à son tour en retraite sur Sedan, sans arriver à
retrouver son bataillon, qui suivait une autre direction ^
Par ce qui précède, on voit qu'à ce moment le régiment se trouvait dispersé
sur tous les points du champ de bataille : le l*' bataillon avait quatre com-
pagnies avec le commandant Mathieu, qui s'était perdu au milieu des débris
des 1*' et 7« corps , et deux avec le capitaine Chevreuil , que personnne n'avait
revu; le 2*, avec lequel étaient restés le colonel Barrué et le lieutenant-colonel
Aubry, n'avait plus aucune liaison avec le 3«, qui lui-môme comptait deux
compagnies sur le sort desquelles le commandant Rapp n'était nullement
fixé. Comment toutes ces fractions parvinrent- elles à se retrouver? Par l'eHct
du hasard d'abord , et ensuite grôce à cette invincible attraction qui faisait
converger tout le monde vers ce centre fatal : Sedan.
Vers quatre heures, les 2« et 3® bataillons se trouvèrent en effet réunis
près du café de la Comédie , sur la place Turenne , que le colonel Barrué avait
indiquée comme point de ralliement. Bien que le drapeau blanc eût été arboré,
l'artillerie ennemie tirait toujours. Tout à coup se répandit le bruit que
Bazaine arrivait de Metz; en môme temps quelques groupes de soldats de
tous les corps passèrent en répétant cette nouvelle. Ils allaient à Balan, où,
disaient-ils, le général de Wimpffen faisait une trouée. A ce moment, entra
dans Sedan le capitaine Delahogue avec les deux compagnies du 3* bataillon
qu'on avait oubliées. Au milieu de la cohue , il rencontre le lieutenant Sou-
lice: € Où est le drapeau? » lui dit-il. M. Soulice lui répond qu'en prévision
des événements, le drapeau a été caché au fond d'une citerne, sur l'ordre du
colonel Barrué, mais que, s'il croit qu'il puisse servir à grouper quelques
combattants , il court le chercher. Un instant après il arrive avec ce glorieux
symbole de la patrie, dont l'eau a confondu les couleurs, dont seule la croix
d'honneur a conservé tout son éclat, et ces deux officiers se mettent à la tôte
de tout ce qu'ils peuvent réunir, cherchant à entraîner le plus de monde
possible du côté où l'on se bat. Mais la poussée devient telle dans les rues de
Sedan , qu'ils éprouvent les plus grandes difficultés pour sortir. En vain récla-
ment-ils le passage pour le drapeau décoré du 3« Tirailleurs, on n'y prend
pas garde; on ne salue môme plus cet emblème sacré. Enfin ils sont dehors;
tout ce qui a pu les suivre (environ deux cents hommes) se réunit autour
d'eux; ils se précipitent vers Balan. Hais tout est fini; on tiraille encore
quelques instants , puis le général de Wimpffen passe au galop de son cheval ,
se dirigeant vers Sedan; derrière lui vient un flot do fuyards : la dernière
tentative pour briser le cercle de fer qui étreint nos troupes a échoué, ces
dernières sont irrévocablement à la merci du vainqueur* A six heures, le
* D'après le récit da capitaine Deiabogue , aujourd'hui chef de bat&Uion en retraite.
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[1870} BN FRANGE 839
général de Wimpflen se rendait auprès de Tétat -major allemand pour diacater
les conditions de la capitulation. G*en était fait de l'armée de Cbfllons, c'en
était fait de la dernière armée qui aurait pu sauver la France I
Si quelque chose eût pu consoler les braves officiers du régiment de ce
désastre qui trompait leurs généreux efforts, c'eût été l'attitude calme et
respectueuse que gardèrent les Tirailleurs au milieu des scènes de désordre et
d'indiscipline dont ils furent à chaque instant les témoins. De même qu'au
combat ils avaient fait preuve de cette indomptable bravoure qui est leur
seconde nature, de même, dans l'infortune, ils restaient cette troupe soumise
et dévouée qu'ils avaient toujours été, troupe que la défaite peut abattre,
mais que le malheur ne saurait désorganiser. Oui, disons-le sans craindre
d*étre démenti, le sentiment militaire qui fait la force d'une armée, la subor-
dination qui maintient chacun dans le devoir , étaient restés intacts ches ces
hommes, qui ne discutaient nos revers que pour les attribuer à la fatalité. Que
leur importaient les fautes commises ? En ce qui les concernait n'avaient-ils
pas toujours vu leurs chefs au premier rang? Si l'on était battu, c'est que
Dieu le voulait : Mektouh Rahhi^,
Ceux qui ont vu le soldat indigène dans des circonstances difficiles ne
seront nullement étonnés de ce que nous venons d'affirmer. Aucun n'a peut-
Atro pour l'officier plus do dévouement et plus de considération. C'est facile à
expliquer : il accorde h celui-ci une telle supériorité, il le sent tellement au-
dessus do lui , il se rend si bien compte que lui-même n'est que le bras qui
frappe, et que le chef est la tête qui dirige, qu'il conserve toujours une entière
obéissance à ce dernier, et que cette obéissance est d'autant plus aveugle,
d'autant plus absolue, que le danger ou les difficultés sont plus grands.
A Sedan , le régiment avait été ce qu'on l'avait vu à Frœschwiller : admi-
rable. Malgré l'épouvantable feu d'artillerie auquel il avait été exposé, pas
une faiblesse, pas un mouvement d'hésitation, pas un désordre ne s'était
produit dans ses rangs. Nulle part l'ennemi n'avait pu le déloger; partout il
ne s*était retiré que sur les ordres qui lui avaient été donnés. La tentative sur
Balan donne une idée de ce qu'on aurait encore pu obtenir de lui.
Sans être aussi considérables que le 6 août, ses pertes étaient cependant
sensibles, et provenaient à peu près toutes des obus ennemis, ce qui donnait
aux blessures une extrême gravité.
Parmi les officiers étaient tués :
MM. Henry, capitaine.
Bosquette, d9
Soumagne, d*
Étaient blessés :
MM. Règne, lieutenant.
Walter, sous-lieutenant.
< C'était écrit chez Dieu.
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340 LE 3* RÉGIMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
Il y avait on tout de cent tronto à cent cinquante bomiues hors do combat.
Le capitaine adjudant -major Cheyreuil, le lieutenant Carré de Busaerolle
et le sous-lieutenant Mustapha -ben-el-Hadj-Otman avaient disparu, ainsi
que les deux compagnies envoyées en soutien de la cavalerie. On sut plus
tard que cette fraction du régiment avait, le matin d*assez bonne heure,
suivi le mouvement d'une partie du 3^ zouaves et du 56^ de ligne vers la
frontière belge, et, par la route de Bouillon encore libre, gagné Hézièrcs, où
elle s*était ralliée aux troupes du général Vinoy.
Le 2 septembre, le 3<> Tirailleurs alla camper sur la face nord des remparls
de Sedan. Vers deux heures du soir, on connut les termes de la capitulation :
l'armée entière était prisonnière de guerre. Il serait cependant c fuit excep-
c tion pour les généraux et officiers, ainsi que pour les employés spéciaux
c ayant rang d*officier, qui engageraient leur parole d'honneur , par écrit, de
(c ne pas porter les armes contre l'Allemagne, et de n'agir en aucune autre
c manière contre ses intéréls jusqu'à la fin de la guerre actuelle' d. Est- il
besoin de dire qu'il ne fut aucun officier au régiment pour accepter de telles
conditions? C*eût été renier l'esprit du corps auquel ils appartenaient, et
perdre à jamais l'estime de leurs camarades et la confiance de leurs soldats;
tous suivirent la seule voie de l'honneur en accompagnant ceux-ci en Alle-
magne et en partageant leur destinée jusqu'au bout.
Dès qu'on eut appris le sort réservé aux vaincus, le colonel Darrué ordonna
la deslruciiou du drapeau. Ce dernier fut d*abord déchiré et distribué à Ions
les officiers qui se trouvaient là, pour que chacun d'eux en possédât un lam-
beau; puis, la croix de la Légion d'honneur qui se balançait en haut de sa
hampe ayant été confiée au commandant Mathieu, ce qui restait encore fut
livré aux fiammes par les soins des capitaines Monlignault et Lalanne des
Camps, pour que l'ennemi n*eût pas le moindre débris de ce témoin de nos
victoires passées.
Il en fut de même des fanioos de compagnie, ainsi que des armes, que
l'autorité allemande avait ordonné de déposer sur-le-champ entre ses mains.
Tous les fusils, sans exception, furent brisés ou jetés dans la Meuse. On
répartit ce qui restait de la caisse du corps entre tous les officiers. Aucun
trophée, aucune valeur, aucune dépouille provenant du 3<» Tirailleurs ne
devait servir à l'orgueil du vainqueur.
La convention conclue entre le général de Mollkeet le général de Winiplfen
décidait que l'armée française serait dirigée sous escorte do Sedan à la pres-
qu'île d'Iges; de là elle devait ensuite être acheminée par délacheaientH
sur l'Allemagne, pour y être internée, par petits groupes, dans les forteresses
de l'intérieur.
En exécution de ces dispositions, le 3 septembre, vers deux heures du soir,
le régiment sortit de la place par la porte Tory et se rendit, sans armes,
au lieu indiqué. Les officiers, quoique n'exerçant plus aucun commandement,
avaient provisoirement pu conserver leur sabre; plus tard on le leur demanda,
mais la plupart préférèrent le briser plutôt que de le remettre.
* Article S du protocole.
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[1870] EN FRANCE 341
Pnrr|iir'0?i itnnfi un ^Iroil ofipnro niiloiir ilii villnf^n irigofl, non tronpofi nllniont,
pon<lniit MX jourfi, coiinnîlrn toiilofi les liorrourfl do ]a faim, touloa loa aoiif-'
rrnncon fin froid oi de Thninidil^, tonlnfi Ion nnfvoiBflOS d*uno situation qui
menaçait de devenir intolérable pour elles, et, chose plus terrible encore,
toute rhnmiliation de la déFaite. N'ayant en eflct rien prévu, rien préparé,
rien disposé, — peut-être & dessein , — pour la subsistance et I Installation de
ces soixante-dix mille hommes agglomérés sur un point qui n'olTrait aucune
ressource, Tautorité allemande allait les laisser sans vivres , sans pain, sans
abri, sans paille, sans bois, au milieu de la boue, confondus avec les che-
vaux; et, non contente de cette négligence, de ce procédé barbare réprouvé
par les lois de Thumanité, elle devait encore faire subir à nos malheureux
soldais tous les mauvais traitements que peut dicter la brutalité alliée à une
féroce jalousie, de n'était pas assez pour nos implacables ennemis d*avotr
vaincu les glorieux débris de cette armée qu'ils avaient Bi longtemps redoutée,
il leur fallait encore la satisfaction de les insulter.
Raconter ce qui se passa pendant ces quelques jours, qui firent donner le
nom de camp de la misrre au triste emplacement qui vit de pareilles éprouves,
serait faire le tableau le plus navrant qu'il ait jamais été donné à aucune
plume d'essayer. Nous préférons passer sous silence les cruautés inqualifiables
de nos adversaires, sûrs que ceux qui en ont été les victimes ne pourront les
oublier, et qu'ils en légueront le souvenir à ceux qui se préparent à les venger.
Le 7 septembre, les sous-officiers et les soldats furent séparés de leurs
officiers* et prirent le chemin de l'Allemagne. Triste séparation 1 tristes
adieux I triste départ I Quand allait- on se revoir ? Les Tirailleurs s'emparaient
des mains de leurs chefs et les embrassaient fiévreusement. Beaucoup de
vieux braves pleuraient; d'autres s'en allaient la tôto basse, hagards, anéantis,
sans volonté. Qu'on songe en effet au sort de ces pauvres gens : loin do leur
pays, loin de leur patrie, loin de tout ce qui aurait pu être une consolation
pour eux, au moment où ils allaient avoir besoin de défenseurs, de guides,
de soutiens , on leur enlevait ceux en qui ils se reposaient entièrement de leur
destinée, leurs pères, comme ils les appellent souvent. Les officiers étaient
non moins émus; il y en avait là qui, depuis dix ans et même plus, vivaient
avec les mêmes hommes , partageant avec eux les mêmes fatigues , les mêmes
privations, les mêmes dangers; et maintenant, à l'heure où ils auraient pu
leur rendre en sollicitude ce qu'ils en avaient reçu en dévouement, il fallait
les quitter, les abandonner à de farouches gardiens qui ne pouvaient savoir
quelles fières Ames se cachaient sous ces visages bronzés.
Le même jour, les officiers supérieurs, ainsi que les lieutenants et sous-
lieutenants quittèrent Iges pour Pont -à-Mousson : les premiers librement,
après avoir donné leur porole de se présenter le 10 septembre au commandant
prussien de ce dernier poste; les seconds à pied , par détachements de quatre
cents. Le lendemain , ce fut le tour des capitaines, pour lesquels on n'eut pas
plus d'égard que pour les autres officiers subalternes.
1 Une fat fait exception que pour les officiers indigènes, dont les Allemands pensaient
n*avoir rien à, craindre et que, pour cette raison, ils confondirent à peu près avec les
soas-ofiiders du corps.
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842 LE 3<^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [iS70l
Disséminés par petites Tractions dans les diverses villes do l*Alleinagno, les
sous -officiers et soldats du régiment eurent plus ou moins à souflrir des
rigueurs de ceux qui étaient chargés de les garder, et des intempéries d*un
hiver des plus meurtriers. Beaucoup succombèrent. Dans certaines places, les
maladies épidémiques vinrent s'ajouter à l'inclémence du climat et augmenter
considérablement le nombre des victimes. Quant aux officiers , pour être un
peu mieux traités , ils n'échappèrent pas non plus à ces souffrances morales
et matérielles; l'un d'eux, H. Teilhard doLaiérisso, lieutenant démission-
naire, rappelé au service au mois d'août, et qui s'était fait remarquer par son
xèle et son énergie, mourut du typhus à Magdebourg. Pendant ce temps, tous
assistaient de loin à une autre agonie, plus terrible, plus douloureuse, plus
pénible encore pour eux : celle de la France.
Indépendamment des officiers et des Tirailleurs qui étaient parvenus à
s'échapper de Sedan, tout ce qui, au début de la guerre, avait été dirigé sur
le Rhin par le régiment, n'avait pas été fait prisonnier dans cette fatale
journée du 1^ septembre. Quelques groupes, peu importants, il est vrai, mais
dont il y aurait ingratitude à ne point parler, n'avaient pu, par suite de cir-
constances diverses, suivre le mouvement de l'armée sur Chfllons, et, sous
les ordres d'officiers appartenant également au corps, devaient se trouver
môles à deux événements remarquables : à la défense deStrasbouii; et à celle
de Phalsbourg.
Le matin du 6 août, on s'attendait si peu à une bataille, que plusieurs
corvées avaient été envoyées à Reischshoflen , les unes pour y emporter les
couvertures de campement qu'on expédiait à Strasbourg, les autres pour y
chercher des vivres. Dans ces dernières, s'en trouvait une du 3« Tirailleurs,
qui, partie de bonne heure, arriva au moment où le canon commençait à
tonner. Pendant longtemps elle attendit son tour de distribution ; mais, aux
premières nouvelles, l'administration ayant fait filer le convoi, elle ne toucha
rien. Les fuyards commençaient à arriver; leurs rapports étaient des plus
alarmants : il ne fallait même pas compter sur le salut de l'armée. Due sorte
de panique se répandit alors dans ces détachements, et la plupart, sans
attendre le résultat final de la lutte , se mirent d'abord en retraite sur Ha-
guenau, puis enfin sur Strasbourg. C'est ainsi qu'environ cent hommes,
appartenant à toutes les compagnies du régiment, se trouvèrent enfermés
dans cette place lorsque l'ennemi s'y présenta, le 8 août. La veille y étaient
également arrivés le capitaine do Larochclambert et les sous -lieutenants
Tourret et Amar-ben-Medeli, tous les trois blessés à Frœschwiller. A ce
groupe se joignirent le petit dépôt et les quelques malingres qui n'avaient pu
partir pour Haguenau, et l'on en forma une compagnie, dont le capitaine de
Larochelambert eut le commandement lorsqu'il fut rétabli. Cette dernière
prit part à toutes les opérations et à tous les travaux de la défense.
On sait l'héroïque résistance qu'opposa la vaillante cité alsacienne aux
troupes du général Werder. Sous les ordros du général Uhrich , la garnison
de Strasbourg, bravement secondée par les habitants, déjoua pendant près
de deux mois les tentatives de soixante-cinq mille Allemands, pourvus de
deux cent quarante pièces de canon. Enfin, le 27 septembre, il fallut capi-
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[f870] EN FRANCS 433
tuler , et la petite fraction du corps qui avait échappé à nos premiers malhears
dut à son tour partir en captivité.
Les mêmes causes qui avaient retenu les officiers ci-dessus dans Strasbourg
assiégé firent que le capitaine Giraud, le lieutenant Beaumont et le sous-
lieutenant Larbi-ben-el-Haoussin furent appelés, avec quelques Tirailleurs
provenant en grande partie des blessés du 6 août, à concourir à la défense de
Pbalsbourg, Tune des plus belles, pour ne pas dire la plus glorieuse qu*ait
vue la guerre néfaste de 1870.
La place était commandée par le chef de bataillon Taillant, officier éner-
gique, qui sut inspirer, non seulement à ses troupes, mais encore à la popula-
tion , le sentiment du devoir poussé jusqu'au sacrifice. Phaisbourg ne capitula
pas; dix parlementaires allemands se présentèrent et furent successivement
éconduits. Lorsque tous les moyens de résistance furent épuisés; lorsqu'il ne
resta plus un seul morceau de pain noir; lorsque les hommes chancelants
n'eurent plus la force de supporter les privations ; .lorsque la famine eut com-
mencé sa terrible moisson parmi tant de braves que les obus prussiens
n'avaient pu intimider, le commandant Taillant fit répandre les poudres dans
la neige , enclouer les canons , détruire tout ce qui aurait pu être de quelque
utilité à Tennemi ou lui servir de trophée, puis il prévint ce dernier qu'étant
hors d'état de continuer la lutte il lui livrait la ville, c Vous nous trouverez,
disait -il, désarmés, mais non vaincus. » Cette fière attitude inspira aux Alle-
mands une des seules générosités qu'ils aient eues dans toute la campagne :
la garnison eut le droit d'emporter ses bagages.
Dans cette lutte de chaque jour et de chaque nuit, les Tirailleurs avaient
retrouvé tous les instincts du partisan , du Kabyle à l'aflïit derrière un buisson
ou derrière un rocher. Quelques-uns étaient devenus de remarquables tireurs.
c Dans l'après-midi du 18 août, raconte le général Ambert\ toute la gar-
nison put voir deux sentinelles prussiennes qui se promenaient gravement
à douze cents mètres environ du bastion n^ 2. On se mit à les canarder,
mais les sentinelles ne changeaient pas de place et saluaient en Atant leurs
casquettes lorsque les balles faisaient jaillir la terre autour d'elles. L'adjudant
du 63* prend un fusil et fait feu ; cette fois les Prussiens détalent sans saluer,
et nos soldats applaudissent joyeusement.
c Uuclqueà heures après, un turco ajuste avec soin une troisième sentinelle.
Il tire, et le Prussien s'aflaisse. Un de ses camarades accourt pour le relever;
mais le turco, qui a rechargé son fusil, le renverse. Tout fier de ce double suc-
cès, l'Algérien fait tournoyer son fusil au-dessus de sa tête en dansant et en
chantant d'une étrange façon : c Le Prousse morto, tous les Prousses mortel »
Il ne nous a pas été possible de retrouver le nom de ce brave Tirailleur.
Parmi les hommes hors de combat que compta notre faible détachement
pendant toute la durée du blocus, se trouvait un officier, M. Larbi-ben-el-
Haoussin, sous-lieutenant.
Phaisbourg succomba le 12 décembre. Sa résistance avait duré quatre mois.
< Récits militairei.
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CHAPITRE XVI
ARMÉE DE LA LOIRE
Formation à Salnt-Gloud d*un régiment de marche de Tirailleurs algériens. — Départ de
Paris. — Arrivée & Bourges. -- Premières opérations autour d'Orléans avec le général
de Polbès. — Retraite en Sologne. — Commandement du général de la Motterouge. —
RéoGCupation d*Oi*léans. — Combat do Toury. — Défaite d'Arteuay. — DcuxiiMuo éva-
cuation d*Orléans. — Le générai do la Alotlci-ouge est remplacé par lo général d*Au-
rcllo de Paladlncs. — Arrivée d'un bataillon de Tirailleurs venant d'Algérie. — Nou-
velle constitution du régiment de marche. — Organisation de la première armée do
la Loire. — Marche sur Orléans. — Bataille de Coulmicrs. — Séjour à Chilieurs-aux-
Bois. ^ Défaite de Loigny. ^ Retraite sur Orléans. — Troisième évacuation de la ville.
— L'armée se replie sur Bourges; sa nouvelle organisation. — Départ de Gonstan-
tine de quatre nouvelles compagnies, sous les ordres du capitaine adjudant-major
Égrot. ^ Opérations auxquelles elles prennent part avec les troupes du 18« corps. —
Combat de Maizières. — Elles rejoignent le régiment à Coudray. — Dernières opéra-
tions de la première armée de la Loire.
Le désastre de Sedan, en faisant prisonniers les trois bataillons qui au
début de la campagne avaient été fournis par le 3« régiment de Tirailleurs
algériens, semblait devoir exclure désormais celui-ci de la lutte. C'était, en
somme, avec le renfort qui avait rejoint à Reims, un chiffre de deux mille
cinq cents hommes qui avait été prélevé sur son effectif; et, si Ton songe à la
quantité de postes dont la garde lui était confiée dans la province de Constan-
tine; si l'on tient compte de la situation particulière qui était faite à notre
colonie par suite de nos revers , les quelques compagnies qui restaient encore
en Algérie ne pouvaient guère en être retirées. Mais l'heure n'était pas plus
aux hésitations qu'aux prévisions pcssimisles : la patrie éluit en danger; elle
avait besoin do soldats; il fallait la défendre d'abord, on verrait ensuite. Avec
un héroïsme dont ses ennemis la croyaient incapable , la France avait saisi
d'une main vigoureuse le tronçon d'épée que lui avait laissé l'Empire en s'af-
faissant, et avec cette arme brisée elle se disposait à arrêter l'envahisseur.
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[1870] EN FRANCS &45
Pour cela, il lui fallait le concours de tous les dévouements, la mobilisation
de toutes ses ressources : on allait faire appel à tout ce qui restait des vieux
régiments; on allait épuiser tous les dépôts; on allait demander à TAlgérie
elle-même tout ce qui n'était pas absolument indispensable au maintien de sa
sécurité, et ces derniers débris do notre vieille armée allaient servir de noyau
à des armées nouvelles qui allaient surgir do toutes parts, et faire croire un
instant au retour de la fortune militaire de notre pays.
Déjà, après la bataille de Frœschwiller, les dépôts des trois régiments de
Tirailleurs s'étaient hâtés de diriger sur les bataillons de guerre le nombre de
soldats nécessaires pour combler en partie les vides énormes faits par le feu de
Tennemi. Quelques-uns de ces détachements avaient pu rallier leur corps avant
le 1^' septembre, les autres avaient été dirigés sur Paris; ces derniers furent
bientôt rejoints par les nombreuses fractions qui avaient pu s'échapper de
Sedan, lesquelles gagnèrent la capitale soit isolément, soit à la suite du gé-
néral Vinoy. Nous avons vu que deux compagnies du 1«' bataillon du 3« ré-
giment avaient été dans ce cas; avec elles se trouvaient trois officiers :
MM. Chevreuil, capitainc-adjudant-major; Carré de Dusserollc, lieutenant, et
Muslapha-ben-el-IIadj-Osman , sous-lieutenant. Tous ces débris furent réunis
à Saint-Cloud par les soins du colonel Morandy \ du l^"" régiment, et du ca-
pitaine Chevreuil , qui fut presque aussitôt nommé au grade supérieur, ainsi
que les deux ofliciers qui l'avaient accompagné. Bientôt ces précieuses épaves
rcspréscnlèrcnl un efTeclif assez considérable, et, le 9 septembre, une décision
ministérielle, qui fut plus tard complétée par un décret du 2 octobre, vint
ordonner la formation d'un régiment de marche de Tirailleurs algériens avec
ces éléments et ceux que pourraient fournir la portion de chaque régiment
restée en Algérie. En principe, le régiment de marche devait comprendre trois
bataillons correspondant aux trois régiments actifs*; mais, comme il aurait
fallu près d*un mois pour attendre les renforts complémentaires, et que la
marche des Allemands sur Paris rendait pressante la concentration de quelques
troupes sur la Loire afîn de protéger Orléans, le colonel Morandy divisa les
compagnies qu'il avait pu reformer en deux bataillons, et le régiment se
trouva provisoirement constitué de la manière suivante :
M. Morandy, colonel.
1«' BATAILLON
l'e compagnie (!«' T.)
M. de Raymond-Cahusac, lieutenant.
2« compagnie (!«' T.)
M. Renard, sous-lieutenant.
1 Ne s*étnit pas échnppô do Sedan. Son état do santé ayant, quelques jours aupa-
ravant, nécessité son entrée \ Tambulance, il avait aussitôt été évacué sur Paris ainsi
que plusieurs autres officiers se trouvant dans son cas.
* Le 2« régiment, qui fut, comme on le sait, presque anéanti à Frœschwiller, ne put
jamais envoyer plus de deux compagnies au régiment de marche. Par contre, les !•' et
8* en fournirent chacun huit.
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845 LB 8* RÉQIMBNT DB TIRAILLBUR8 ALGÉRIENS
3^ compagnie {l^^ T.)
M. Morinière, BOus-lieutenant.
4* compagnie (!•' T.)
M. Gaujard, lieutenant au 2« régiment.
(1870]
5« compagnie [l^ T.)
M. Brandi , sous-lieutenant.
6* compagnie (l*' T.)
M. Cellier, lieutenant.
2« BATAILLON
M. Chevreuil , chef de bataillon.
1» compagnie (2« T.)
M. Comte, lieutenant.
2* compagnie (2« T.)
M. Bastouil , sous-lieutenant.
3« compagnie (3* T.)
M. Carré de BusseroUe, capitaine.
4* compagnie (i^ T.)
M. Esparron^ lieutenant.
5* compagnie (3« T.)
M.Mustapha-l)en-el-Hadj-Otman,lieut.
6* compagnie (3' T.)
M. Wacquez*, lieutenant.
L'effectif 8*élevait à environ mille trois cents hommes.
Ainsi organisé et encadré, le régiment de Tirailleurs algériens quitta Saint-
Cloud le 15 septembre pour entrer dans Paris, où il fut caserne au quartier
de Rcuilly ; il passa là les journées des 16 et 17, et, le 18 à quatre heures du
matin , cW-à-dire au moment où les lU* et iv* armées allemandes arrivaient
devant la capitale, il se rendit à la gare Montparnasse, où, à neuf heures, il
prit le chemin de fer pour Bourges, où se réunissaient les premiers éléments
d*un 15* corps d*armée. Le lendemain il était à Tours, et, le 21 , il arrivait à
destination.
De Bourges, où commandait le général de Polhès, les Tirailleurs furent
immédiatement dirigés sur Orléans par la voie ferrée. 11 s'agissait de couvrir
cette ville contre des forces ennemies dont on ignorait l'importance, mais
qu'on savait détachées par les armées assiégeant Paris. Arrivé le 22 au soir,
le 24, le régiment se porta à Vitry-aux-Loges, en passant par Pont-aux-Moines
et Fay-aux-Loges. Sa mission était d'appuyer, avec quelques autres troupes
d'infanterie, les faibles détachements de cavalerie qui avaient été réunis en
avant de la forél d'Orléans, dans le but d'interdire celle-ci aux nombreuses
reconnaissances allemandes qui depuis quelques jours faisaient des pointes
audacieuses dans toutes les directions.
Le 26, ce ne fut plus une simple reconnaissance, mais toute une division,
évaluée à environ huit mille hommes, qui se montra entre Orléans et Pithi-
^ M. Esparron était parti d'Algérie avec les seconds renforts envoyés au 3« régiment
do Tirailleurs.
* OIflder du %• Tirailleurs détaché provisoirement pour commander une compagnie
du8«.
Nota. — L*indtcation (!•' T.), (2« T.). (3* T.). qui suit le numéro de chaque compagnie,
sert à distinguer le régiment auquel appartenait celle-ci.
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[1870] EN FRANCIS 347
viers. Devant ce déploiement de forces , auxquelles elles étaient incapables de
résister, nos troupes rentrèrent à Orléans. Là le général de Polhès assembla
un conseil de guerre, et, Tavis de la majorité ayant été que la ville ne pou*
vait être défendue, il fut décidé qu'op Tévacuerait pour lui éviter les horreurs
d*un assaut. Le 27, à quatre heures du matin, on se mit donc en retraite vers
le sud, et Ton ne s'arrêta qu'à la Ferté-Saint- Aubin. Le 28, le mouvement
continua sur la Motte-Beuvron. Le même jour, le général de Polhès fut des-
titué par une dépêche de Tours , et les troupes reçurent Tordre de revenir sur
leurs pas et de réoccuper la ville et la forêt d'Orléans , où Tennemi n'avait
même pas paru. Le lendemain , le régiment prenait le chemin de fer, et le soir
couchait à la caserne de l'Étape.
Au général de Polhès avait succédé le général de la Motterouge. C'était une
vieille connaissance pour les Tirailleurs; c'est sous ses ordres qu'ils avaient
combattu à llobcchctto, à Magenta et à Solférino; aussi fut-il assuré d'avance
de toute leur confiance et de tout leur dévouement.
La tâche qui lui était laissée par son prédécesseur ou plutôt imposée par
le gouvernement de Tours était lourde, nous dirons même plus, écrasante.
Il lui fallait, en effet, organiser de toutes pièces le 15« corps, et cela avec
des troupes disparates, sans cohésion, déjà découragées sans avoir combattu;
puis, avec cette armée improvisée, prendre l'offensive, chasser l'ennemi des
environs d'Orléans, dégager la route de Paris et marcher ensuite au secours
de la capitale assiégée. Il y consacra tous ses efforts; mais, n'ayant à mettre
en ligne que des soldats insuffisamment encadrés ou inexpérimentés , il devait
fatalement échouer.
Les Tirailleurs algériens restèrent à Orléans les l^^*, 2 et 3 octobre. Par un
décret de ce dernier jour, le colonel Morandy ayant été nommé général de
brigade, ce fut dès lors, et jusqu'à la nomination d'un lieutenant-colonel, le
commandant Chevreuil qui exerça le commandement du régiment de marche.
Le 4, celui-ci se mit en route pour Chevilly, à seize kilomètres au nord. Il
devait appuyer une opération de cavalerie dirigée par le général Reyau contre
le village de Toury, occupé en force par le P' corps bavarois (général Von der
Thann).
Arrivées à Chevilly de bonne heure, les troupes s'y reposèrent le restant
de la journée; à minuit, elles prirent le café, et, à deux heures du matin,
elles se mirent en marche sur trois colonnes. Les Tirailleurs étaient à celle
de droite, qui se composait en outre de deux régiments de cuirassiers et d*une
demi-batterie d'artillerie. Le général Ressayre en avait le commandement.
Cette colonne atteignit d'abord Artenay en suivant la grande route de Paris;
puis, tournant à droite, elle se porta directement sur Toury par Lion-en-
Beauce, Oison et Tivernon. Les deux autres devaient se diriger vers le même
objectif, celle de gauche (général Michel) en passant par Janville, celle du
centre (général de Longuerue) en longeant la chaussée du chemin de fer. A
Tivernon se trouvait un poste de douze hommes de la garde royale bava-
roise. 11 n'eut pas le temps de se replier, et fut enlevé par la compagnie
d'avant-garde.
Il était sept heures quand on arriva devant Toury. Les Allemands, qui les
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848 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
les jours précédents y avaient réuni un important convoi de bestiaux destiné
au ravitaillement de leur armée de Paris, s'empressaient de faire filer celui-ci
sur la route de Chartres. Le général Ressayre prit position à Test du chemin
de fer; deux compagnies du régiment furent déployées en tirailleurs, et les
autres s'établirent en arrière de l'artillerie, qui ouvrit immédiatement le feu
sur la cavalerie ennemie en bataille en avant de Toury. A la gauche de la voie
ft^rrée, le général de Longuorue avait pris les mâmes dispositions. La cavalerie
allemande, se voyant ainsi menacée par notre infanterie et notre artillerie,
battit alors en retraite sur Jan ville en démascjuant une ballerie, qui se mit à
répondre vigoureusement à notre tir. Pendant ce temps, le régiment s'était
porté en avant et avait délogé environ deux mille Bavarofs du village de
Tellay.
Cependant l'ennemi ne cherchait qu'à gagner du temps , afin de permettre
à son convoi de s'éloigner; son intention était visiblement de ne pas s'enga-
ger; mais le général Reyau le fit attaquer en tête par son artillerie, et en queue
par les Tirailleurs algériens, qu'il lança contre le village de Toury. Les Alle-
mands cherchèrent alors à nous arrêter par le feu d'une deuxième batterie,
et parvinrent môme à éteindre celui de nos pièces; mais, exécuté avec un
remarquable entrain, le mouvement sur Toury fut couronné d'un plein suc-
cès, et nous rendit maîtres d'une vingtaine de voilures de vivres et d'une
centaine do tôtes de bétail. C'était peu , il est vrai ; mais, outre que nos pertes
étaient peu sensibles, ce polit combat, mené avec brancoup de vigueur cl
terminé par la retraite de nos adversaires, avait donné à nos troupes une con-
fiance qu'elles ne connaissaient plus et qui augurait bien de l'avenir. A onze
heures du malin, tout était terminé, et le régiment rôlrogradait sur Artenay
afin d'y passer la nuit; seule la compagnie du lieutenant Gaujard restait avec
une brigade de cavalerie et une demi-batterie d'artillerie pour surveiller la
route de Chartres. Le 6 au soir, la division Reyau reprit son mouvement en
avant et se porta à Aschères, où elle fut ralliée par les troupes laissées la
veille à Toury. Le lendemain , elle atteignit Pithiviers, qui était occupé depuis
vingt-quatre heures par nos francs-tireurs ; le 8, elle fit sc'ijour.
C'était trop se hftter de mettre en ligne le 15° corps, encore en pleine voie
d'organisation, et donner ainsi à l'ennemi une excellente occasion de prendre
sa revanche du combat du 5. Disposant en eflet de tout le i^^" corps bavarois,
de la 22* division d'infanterie et des 2^ et 4« divisions de cavalerie, le général
Von der Thann n'avait pas tardé à reprendre l'ofTensive et à marcher en même
temps sur Artenay et sur Pithiviers. Dès le 9, ses avant-postes étaient en vue
de cette dernière ville. Le soir même, l'ordre fut donné de se replier sur Or-
léans. On marcha jusqu'à une heure assez avancée de la nuit, et le régiment
de Tirailleurs algériens, avec lequel se trouvait le général Reyau, s'arrêta à
Neuville-aux-Bois, ainsi que le 6^ régiment de cuirassiers.
Le 10, la marche continua sur Chovilly. On arriva à dix heures. Une demi-
heure après, au moment où ilfaisail dresser les tentes, le comuiandunl Che-
vreuil reçut l'ordre de repartir : Artenay était attaqué. Lorsque le régiment
arriva sur le champ de bataille, vers onze heures et demie, le générai de Lon-
guerue, qui avait été laissé dans le village, venait d'en être chassé par des
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[1870] EN FRANCE 349
forces considérables et de prendre position derrière la chaussée du chemin de
fer, où il résistait énergiquement aux nouyelles attaques de Tennemi. Un Vio-
lent combat d'artillerie se trouvait engagé.
Après avoir mis sac à terre, les deux bataillons de Tirailleurs se déployèrent
à gauche de la route de Paris, à peu près à huit cents mètres d*Arlenay. Le
commandant Chevreuil disposa deux compagnies (celles de M. Comte, du 2« ré-
giment, cl (le M. Ësparron, du 3**) en tirailleurs fuco au village. Celles do MM. de
Busscrolle et Muslapha-bcn-el-lIadj-Otman furent désignées pour protéger
une batterie d*artillerie placée vers la gauche et en môme temps couvrir notre
flanc de ce côté. Le lieutenant Wacquez, du 2« Tirailleurs, commandant une
compagnie du 3», fut envoyé avec cette dernière en embuscade dans un petit
bois, au delà du chemin de fer, et le sous-lieutenant Brandi, du 1*' régiment,
sur le chemin do fer môme, où il dissimula ses hommes dans les broussailles
couvrant les abords de la chaussée. Les autres compagnies restèrent en ré-
serve dans un fossé bordant la route. A environ huit cents mètres de chaque
côté de celle-ci, en avant de la Croix-Briquet et hors de la portée du feu de
l'ennemi, se trouvait massée la cavalerie*( sept régiments).
Fidolcs aux principes Quxf|ucls ils s'étaient invariablement conformés do-
puis le commencement de celte campagne, les Allemands commencèrent aus-
sitôt l'attaque avec loule leur artillerie , dirigeant leur tir de façon à écraser
notre gauche et à empocher notre cavalerie de manœuvrer. Après une heure
de combat, les pièces de la batterie française se trouvèrent en partie démon-
tées; rennomi en profita pour concentrer alors tout le feu des siennes sur nos
compagnies ; puis , sous la protection de cette pluie d'obus, il chercha à porter
ses bataillons en avant, en leur donnant pour principal objectif la droite du
régiment de Tirailleurs algériens , dont la retraite lui aurait assuré le succès
en lui permettant de couper notre petite troupe en deux; mais, reçue à bonne
portée par le feu des Tirailleurs, pris en flanc par celui d'un bataillon de
chasseurs formant la gauche de la brigade de Longuerue, son infanterie dut
regagner ses abris en laissant le terrain couvert de ses morts. Cet engage-
ment, vigoureusement soutenu par nos compagnies de première ligne, dura
près d'une demi-heure; puis la fusillade, très vive des deux côtés, cessa tout
à coup chez les Allemands, dont l'artillerie seule continua le combat. Cet
arrêt de leur part avait simplement pour but l'attente d'autres troupes pour
tenler un nouvel eflbrt.
Vers une heure et demie, la lutte reprit avec une nouvelle intensité;
appuyée par de fortes réserves, l'infanterie ennemie ne se contenta plus d'une
attaque sur notre droile, mais elle combina son oflensive avec une manœuvre
enveloppante menaçant de déborder notre gauche et de nous couper la retraite
sur Orléans. Celle fois , les compagnies engagées furent sérieusement éprou-
vées; mais, pas plus que dans leur première tentative, les Allemands ne
parvinrent à faire reculer les Tirailleurs; seule la compagnie du lieutenant
Wacquez, établie dans le petit bois, faiblit un instant devant le nombre par
trop considérable des assaillants; mais, presque aussitôt renforcée par une
section du 1^^ régiment, commandée par M. Morinière, et soutenue par un
bataillon de mobiles de la Nièvre, elle reprit courageusement l'oOensivei
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350 LB 3* RÉQIMBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
chassa los Bavarois do la position dont ils s'étaient emparés, et dégagea ainsi
le bataillon de chasseurs, menacé d'être pris à revers.
Il était trois heures; malgré son énorme supériorité numérique, l'ennemi
n'avait pas gagné un pouce de terrain, et pour la deuxième fois il avait été
obligé de se replier. Malheureusement nos munitions s'épuisaient, les com-
pagnies de première ligne avaient brûlé leurs dernières cartouches ; il fallut
les faire relever. Quoique ordonné en plein combat, ce mouvement s'effectua
cependant en très bon ordre, gréce é un court moment de répit que nous lais-
sèrent les Allemands; MM. Comte et Esparron furent remplacés par MM. de
Raymond-Cahusac, dul®' régiment, etBastouil, du 2*, et MM. de Busserolle
et Mustapha par MM. Gaujard et Cellier, tous les deux du ly régiment.
Cependant l'ennemi continuait à recevoir des réserves , et son mouvement
tournant sur notre gauche se poursuivait en dépit de nos succès partiels.
Bientôt la cavalerie et l'artillerie durent se mettre en retraite; les Tirailleurs
tenaient encore, mais leur résistance ne pouvait plus être de longue durée :
dans quelques instants, ils allaient être débordés. 11 était alors environ quatre
heures; le commandant Chevreuil se décida à son tour à se retirer, mais
lentement, sans cesser de combattre et en faisant protéger son mouvement
par les compagnies Gaujard et Cellier, qui n'avaient pas été engagées. On
rétrograda ainsi, par échelons, jusqu'au point dit la Croix- Briquet, où s'ef-
fectua le ralliement. A ce moment, l'ennnemi avançant toujours, l'ordre fut
donné de battre définitivement en retraite sur Orléans.
Toutes les troupes avaient depuis un instant commencé le môme mouve-
ment; la cartouchière vide, nos soldats s'en allaient la tête basse, se sentant
accablés, mais non vaincus. Les Allemands nous poursuivaient avec acharne-
ment. Le régiment quitta la Croix -Briquet, et, partie par la roule, partie A
travers champs, se dirigea sur Chevilly. Tout à coup, au moment où les der-
nières compagnies vont se mettre en route, deux escadrons de dragons prus-
siens se jettent sur la gauche en poussant de grands cris, et se mettent &
sabrer les retardataires; il s'en suit une sanglante mêlée où les Tirailleurs
sont écrasés en détail , et dans laquelle ils vont fatalement succomber , lorsque,
conservant une attitude digne d'une vieille troupe, le bataillon de mobiles de
la Nièvre dirige son tir sur la cavalerie ennemie, qui finit par s'éloigner, pen-
dant que les Tirailleurs, qui ont tout simplement été héroïques, se reforment
rapidement et reprennent leur marche interrompue.
Enfin on atteignit la forêt d'Orléans , où les Allemands n'osèrent s'en*
gager; quoique victorieux, ils craignaient encore de se heurter à ces soldats,
dont la ténacité les avait surpris , et desquels ils s'attendaient à de vigoureux
retours offensifs. Le succès était d'ailleurs assez complet pour eux : une seule
journée leur avait rendu tout le terrain perdu , et une partie de notre artillerie
restait entre leurs mains. A neuf heures du soir, le régiment arriva à Orléans.
Les Tirailleurs, qui avaient marché ou combattu toute la journée sans prendre
le moindre repos, étaient exténués; ils avaient en outre énormément souffert
du feu de l'ennemi , et les compagnies , n'ayant pour la plupart plus do
sous-officiers, se trouvaient dans un état de désorganisation qui ajoutait
encore au désarroi de cette retraite précipitée. La fraction du 3* régiment,
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[1870] EN FRANGE 351
qui avait m>utenu la lutte aux heures les plus difficiles , était surtout particu-
lièremont décimée ; elle comptait :
2 officiers disparus : MM. Wacquez, lieutenant, et Marot,
sous-lieutenant ;
10 sous-officiers tués;
IS caporaux ou Tirailleurs tués;
73 sous -officiers, caporaux ou Tirailleurs blessés;
118 hommes disparus.
Total. . 218 hommes hors de combat.
Nos ennemis avaient été non moins éprouvés : dans son rapport, le général
Von dcr Tliann signalait un régiment de la garde bavaroise comme ayant été
complètement anéanti. Aussi peut- on considérer la défense d*Artenay comme
un des faits les plus honorables qui aient illustré la première armée de la
Loire et le 15^ corps en particulier; à peine organisé, ne comptant que des
éléments hétérogènes , qu'une main ferme et un même commandement n*a-
vaîent point encore suffisamment fondus entre eux, ce corps avait cependant
su résister pendant toute une journée aux troupes aguerries et de beaucoup
supérieures en nombre du général bavarois. Les Tirailleurs surtout se mon-
trèrent encore de braves et intrépides soldats , ne doutant nullement du succès
et se sacrifiant noblement pour l'obtenir; les derniers ils battirent en retraite;
jusque-là l'ennemi n'avait pu les déloger. Qui sait même ce qui serait arrivé
si, après la tentative infructueuse des Allemands, on avait lancé contre leur
infanterie les deux bataillons de notre héroïque régiment? Nos soldats l'espé-
raient, le demandaient même hautement; mais le mot d'ordre était la défen-
sive , et personne n'osa s'en écarter.
La défaite du l^^ corps découvrait complètement Orléans; tenir dans cette
ville, il n'y fallait pas songer. Le général de la Motterouge prit le parti, pour
sauver l'armée et le matériel , de passer la Loire et de se retirer en Sologne.
Commencé dans la nuit, le mouvement s'efiectua le 11 au matin , sous la
protection d'un corps de quatre mille hommes, qui soutint jusqu'au dernier
moment un combat des plus glorieux. On se dirigea sur la Ferté-Saint-
Aubin , où Ton arriva en assez bon ordre vers trois heures du soir. Le même
jour, le général de la Motterouge était destitué et remplacé par le général
d'Aurelle de Paladines.
Le 12, la marche continua jusqu'à la Motte- Beuvron. Le lendemain 13,
les Tirailleurs furent dirigés sur Nevers en chemin de fer, et, le 15, ils arri-
vèrent à Gien , ôii ils rallièrent un bataillon de marche venu d'Algérie.
Ce bataillon, qui comptait six compagnies, avait été organisé par les soins
du général Durrieu, gouverneur général de l'Algérie. Son effectif était de
douze cents hommes, soit quatre cents hommes (deux compagnies) de chaque
régiment. Il était placé sous les ordres de H. le capitaine Boussenard, qui
peu de temps après devait être nommé chef de bataillon.
Les deux compagnies envoyées par le 3* régiment, étaient la ?• du i*>' ba-
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352 US 8* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
taillon (capitaine Leiorrain), et la 7* du 2» (capitaine Fargue). Portées à
Teffectif de deux cents hommes, elles avaient quitté Constantine le 29 sep-
tembre en chemin de Ter, et étaient arrivées à Philippeville le môme jour;
embarquées le lendemain 30 à bord de V Amérique, débarquées à Marseille
le 2 octobre, elles prenaient le soir même le chemin de fer pour Nevers, où
elles arrivaient le 3. N'étant pas armées, elles ne pouvaient rejoindre le régi-
ment de marche, alors aux prises avec l'ennemi; elles attendirent jusqu'au
15 , puis se portèrent à Gien , où nous venons de voir qu'elles se réunirent aux
débris que le commandant Chevreuil ramenait d'Artenay.
Ce secours ne pouvait arriver plus à propos; car, avec ce qui restait de
Tirailleurs algériens après les terribles journées des 5, 10 et 11 octobre,
à peine aurait-on pu reconstituer un bataillon. Il fallut procéder à une com-
plète réorganisation du corps, à une nouvelle répartition des cadres, à un
autre classement des compagnies. On conserva deux bataillons; mais, afin de
donner à ceux-ci plus d'homogénéité , le l^^ se composa uniquement d'élé-
ments appartenant au ^^' régiment, et le 2<^ groupa tout ce qui provenait des
provinces de Constantine et d'Oran. Chacun d'eux resta à six compagnies.
M. Capdepont, chef de bataillon au 16« de ligne, nommé lieutenant-colonel
par décret du 4 octobre, était désigné pour prendre le commandement du
régiment. En attendant son arrivée, ce commandement allait continuer à être
exercé par le commandant Chevreuil , qui demeurait à la tête du 2^ bataillon.
Les Tirailleurs étaient compris dans la 2^ brigade (général Bertrand) , de la
1<^ division (général Martin des Pallières), du 1K«> corps (d'abord général
d'Aurelle de Paladines, puis général Martin des Pallières).
Le 16, on fit séjour à Gien. Le 17, la 2« brigade fut dirigée sur Argent,
qui venait d'être choisi comme point de concentration de la division Martin
des Pallières. Le régiment, qui n*avait touché ses armes, pour les détache-
ments venus d'Algérie, que le matin, ne put partir qu'ù midi, et n'arriva
qu'à cinq heures du soir. Là s'acheva son organisation; elle fut laborieuse,
et il ne fallut pas moins que l'activité, l'intelligence et le dévouement de tous
les ofliciors pour la mener à bonne fin. On manquait de tout, de havre-sacs,
de tentes, de couvertures, d'effets d'habillement, de campement et d'équi-
pement. On dut improviser des moyens de transport, faire confectionner dos
cantines, des sacs d'ambulance, créer de toutes pièces un matériel que l'in-
dustrie civile n'avait pas les moyens de livrer, et cela tout en poursuivant
sans relâche l'instruction des compagnies.
A ce moment , la première armée de la Loire se bornait encore au 15<^ corps;
on ne pouvait compter reprendre la campagne que lorsque le 16<^, dont le
général Pourcet venait de recevoir le commandement, serait venu se joindre
à ce premier noyau. En attendant, le général d'Aurelle s'était solidement
établi à Salbris et à Argent, derrière la Sauldre, dans une bonne position
défensive lui permettant à la fois de couvrir Bourges et Yierzon.
Le 24 octobre, la marche sur Orléans fut décidée dans un conseil de guerre
tenu à Salbris. Lo mouvement devait s'eirectucr par Blois , excepté pour la
Ire division du 1S<* corps, qui avait pour mission de passer la Loire au-dessus
d'Orléans, à Gien, de se rabattre sur la ville en cheminant entre le fleuve
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[1870] EN ALGÉRIB 353
et ]a forêt, et de tomber à Timproviste sur les derrières de Tennemi, au
moment où celui-ci serait aux prises avec les troupes chargées de FeATort prin-
cipal.
Le 28, la 2« brigade^ de cette division quittait Argent, pour se diriger çur
Sully, où elle arrivait à quatre heures du soir. Le régiment campa sur la rive
droite de la Loire, et détacha quatre compagnies du l^^ bataillon au village
do Donnée, h ({uatrc kilomètres environ^ Dans la journée du loudcnmtn, les
grand'gardcs reçurent Tordre de se replier, et la brigade repassa la Loire.
Les Tirailleurs formèrent l'arrière -garde et n'arrivèrent que fort tard dans
la nuit à Sully, où ils s'installèrent au bivouac. Ce même jour, le lieutenant-
colonel Capdepont avait pris possession de son commandement.
Ce mouvement rétrograde avait pour cause de nouvelles instructions venues
de Tours, et suspendant la marche sur Orléans, jusqu'à ce que la complète
organisation des troupes permit de l'entreprendre avec des chances certaines
de succès. En conséquence, la division des Pallières était provisoirement
maintenue à Argent. Cependant, pour éviter l'encombrement et faciliter le
ravitaillement, cette disposition fut presque aussitôt modifiée, et la première
brigade seule resta A Argent, pendant que la 2« allait s'établir à sept kilo-
mètres en arrière, près d'Aubigny. Ce changement eut lieu le 2 novembre.
Sur ces rnlrcfailcs, on opprit la capitulation de Metz. Cet événement inat-
tendu, (|ui allait rendre disponible une armée allemande de plus de deux coût
mille hommes, changea toutes les combinaisons de l'état- major français:
l'attente n*était plus possible; il fallait à tout prix réoccuper Orléans avant
que nos ennemis fussent à même de prendre l'oflensive. La marche sur cette
ville , qui avait été interrompue le 30 octobre , fut donc reprise le 7 novembre,
sans qu'aucune modification importante vînt changer les dispositions primi-
tivement arrêtées. Rn exécution do ces nouveaux ordres, le régiment de
Tirtiillciirf^ (juitla Auhigny h six heures et demie du malin, et alla coucher à
Ccrdon. Le lendemain 8 , il traversa de nouveau la Loire à Sully, et s arrêta
À Uray. Pendant ce temps, les 2^ et 3* divisions du 15<^ corps et le 16* corps
tout entier avaient remonté la rive gauche de la Loire, et s'étaient déployés
en avant de la forêt de Marchenoir.
Le U, la 2° brigade de la division des Pallières quitta Bray à six heures du
matin. Un bataillon de Tirailleurs était à Pavant-garde. Bien que l*attaque
d'Orléans ne fût lixéc que pour le lendemain, on n'avançait qu'avec circons-
pection , car on s'attendait à chaque instant à donner dans les avant-postes
ennemis. Vers neuf heures et demie , on commença à entendre une violente
canonnade dans la direction de Pouest : c'était la bataille de Coulmiers qui
s'engageait. On se dirigea aussitôt, par Chftteauneuf, sur Orléans, où semblait
se livrer le combat; mais, en arrivant près du village de Pont- aux- Mornes,
» Celle brigade clail ainsi composée :
Coininamlant : M. Berlrand, général do brigade.
Tiraîllniirs algériens : M Capdepont, lieutenant-colonel.
29« régiment de marche : M. Cuurlois, lieuleuant-colonel.
18° régiment de mobiles (Oiarenle) : M. d'Angelas, lieutenantpoolonel.
4* balaillon de marche de chasseurs à pied : M. de Sico, chef de bataillon.
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854 Lfi 3* RÉQIMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
on apprit quorennoini avait évacué la villo, ot qu'il était inaiutonaot ou ploino
retraite sur Paris. Ordre fut alors donné de se jeter à travers champs pour
tomber sur les derrières des Allemands. Les troupes étaient exténuées; mais
Tespoir d'en venir aux mains, l'annonce du succès remporté par le général
d'Âurelle, l'importance qu'on accordait à ce mouvement qui n*avait qu'un
tort, celui de s'effectuer malheureusement un peu trop tard, tout contribuait
à faire oublier les fatigues de la journée et à diminuer le nombre des traînards.
Enfin, à la nuit, l'avant-garde arriva à Chevilly ; mais le canon ne se faisait
déjà plus entendre : tout était terminé. Ne pouvant espérer joindre les fuyards,
cette avant -garde, qui ne se composait guère que des Tirailleurs, revint sur
ses pas pour passer avec la 2* brigade la nuit à Boigny , pendant que la 1^ s'é-
tablissait à Fleury-aux-Choux.
Si la 1>* division du 15* corps n'avait point pris part à la bataille de Coul-
miers, c'est qu'on ne s'attendait à une attaque sérieuse des forces allemandes
que pour le lendemain; autrement, tout ce qu'il lui était possible de faire dans
cette journée elle l'avait fait. Par le froid, le mauvais temps, et malgré l'in-
certitude où elle se trouvait de ce qui se passait en avant, elle avait marché
quatorze heures sans s'arrêter et fait quarante- cinq kilomètres pour venir
joindre son canon à celui du corps principal. Dans cette circonstance les Ti-
railleurs s'étaient, comme toujours, montrés infatigables.
La nuit du 9 au 10 fut une des plus dures que nos soldats eussent encore
vues; la pluie ne cessa de tomber à torrents, et, sans autre abri que la teiilo,
il leur fallut coucher dans une boue glacée formée de neige fondue. Le lende-
main, la l^* brigade seule se remit à la poursuite de l'ennemi; la 2« alla la
remplacer à Fleury-aux-Choux en passant par Semoy. Le 11 , le régiment se
porta à Gidy; le 12, il revint vers louest et s'installa à Saint-Lyé.
 la suite de ce premier eflbrt, les troupes avaient besoin d'un certain repos
pour se réorganiser. La confiance commençait à renaître, mais il était néces-
saire de la fortifier en resserrant les liens de la discipline, en améliorant autant
que les moyens le permettaient la situation umtéricllo du soldat, on permet-
tant aux mobiles de s'aguerrir peu à peu au contact des vieux régiments qui
se trouvaient là, en un mot en donnant à l'armée un même esprit et une en-
tière cohésion. Il n'y avait d'ailleurs pas à se dissimuler que toute tentative
pour sortir d'une défensive prudente pouvait entraîner de funestes déceptions.
L'armée du général Von der Thann, renforcée et reconstituée, nous attendait
dans de bonnes positions à Ângerville, à une journée de Toury ; celle du prince
Frédéric-Charles arrivait à marches forcées : dans quelques jours cent cin-
quante mille Allemands allaient être aux portes d'Orléans. Ne voulant pas
compromettre son succès par trop de précipitation , et encore moins découvrir
cette ville, à laquelle la présence du gouvernement à Tours donnait une im-
portance qui n'échappait pas à nos ennemis, le général d'Aurelle s'était décidé
dès le lendemain de Coulmiers à se retrancher dans de bonnes positions, et
à faire occuper solidement les principaux débouchés de la forêt. Saint-Lyé
était un de ces débouchés; le r^iment y fit aussitôt des travaux de défense,
et se mit en mesure de résister le plus longtemps possible aux attaques qui
pourraient être dirigées sur ce point.
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[18701 BN FRANCE 85(1
Le 18, le général Martin des Pallières prit le commandement du 15* corps
en remplacement du général d*Aurelle de Paladines, nommé, depuis le 14,
général en chef de toutes les forces réunies autour d'Orléans. Par suite de ce
changement, le général Bertrand était appelé au commandement de la 1<'« di-
vision, et le colonel Ghoppin-'Merey placé à la tête de la 2« brigade; mais ni
l'un ni Tautre niellaient exercer longtemps ces fonctions, le premier ne devant
pas tarder à quitter le 15* corps, et le second à être relevé par le général Mi-
not. Ce même jour, le l*** bataillon du régiment reçut Tordre de se porter à
Gourcy-aux-Loges et de s'y joindre aux corps francs vendéens du colonel Ga-
thelineau. Ces deux troupes étaient destinées à se jeter d'abord dans la forêt
de Montargis, puis dans celle de Fontainebleau, de façon à couvrir le flanc
droit de l'armée dans le cas d'une marche sur Paris. En même temps le lieu-
tenant-colonel Capdepont était envoyé comme commandant supérieur à Nou-
ville-aux-Bois, de sorte qu'il ne resta plus à Saint-Lyé que le 2^^ bataillon avec
le commandant Chevreuil.
Cependant le ministre de la guerre préparait activement, presque à l'insu
du général en chef et malgré l'opinion de celui-ci , un grand mouvement of-
fensif dont Paris devait être le principal objectif. Le plan élaboré par M. de
Freycinet consistait à s'emparer d'abord de Pithiviers , pour de là se porter
ensuite à Fontiiincblcau. La première partie do ce programme devait être exé-
cutée par le 20" corps (général Crouzat) récemment venu de TEst, et pour le
moment réuni à Gien, et par la \^ division du 15» corps, qui reçut l'ordre de
se concentrer à Ghilleurs- aux -Bois et d'y attendre de nouvelles instructions.
A cet eiïet, le 2* bataillon de Tirailleurs quitta sa position de Saint-Lyé le 21,
et arriva le même jour au point désigné. Le 22, il rejoignit le 1^ bataillon à
Courcy-aux-Loges , mais le lendemain il fut rappelé à Ghilleurs-aux-Bois.
Les opérations projetées commencèrent le 24; de nouvelles dispositions
avaient encore été adoptées, et ce n'était plus le général Martin des Pallières,
mais le colonel Billot avec le 18* corps qui devait appuyer la marche du géné-
ral Crouzat. La l''* division du 15* corps devait simplement demeurer en ob-
servation à Ghilleurs-aux-Bois, et rester spectatrice de ce qui allait se dérouler
à ses côtés.
La journée du 25 se passa sans incident. Le 26, arrivèrent deux compagnies de
deux cents hommes appartenant au l*' régiment de Tirailleurs. Elles étaient,
en vertu d'un décret du 14 novembre, destinées à servir à la formation d'un
3^ bataillon. Le complément de cette nouvelle unité devait être constitué par
quatre compagnies du 3* régiment parties de Constantine sous les ordres du
capitaine Égrot et provisoirement détachées au 18" corps. Nous verrons plus
loin la part qu'elles prirent aux glorieux combats qu*eut à livrer ce dernier.
Les 27 et 28, le canon tonna violemment pendant une grande partie de la
journée du côté de Montargis. Le 29, on apprit que les 18* et 20« corps avaient
été repoussés dans leur tentative sur Beaune-la-Rolande, et qu'ils se repliaient
sur Bellegarde, à Pest de la forêt d'Orléans. Dans la journée, les Tirailleurs
qui restaient à Ghilleurs s'étaient portés à Gourcy-aux-Loges pour renforcer
le l*' bataillon; mais, rien de grave n'étant à redouter de ce côté, ils ren-
trèrent dans la nuit.
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356 LB 3^ RÉGIMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l870]
Coi insuccès I qui no justifiait quo trop los prévisions du général on chor,
semblait devoir de nouveau imposer à Tannée de la Loire ccltu défensive
expectante qu*elle avait observée après Goulmiers, lorsque, le 30 au soir, ar-
riva de Paris une dépêche du 18, annonçant pour le 29 une sortie générale de
la garnison. On ne pouvait, quoi qu'il dût arriver, ne pas seconder cette ten-
tative par un effort énergique dans la direction de la capitale, de manière à
pouvoir, en cas de succès, donner la main aux troupes du général Ducrot.
Aussi, d'un commuu accord, le gouvernement et le général d'AurclIc déci-
dèrent-ils que toutes les troupes se porteraient en avant en prenant Pilliiviei'S
comme premier objectif. D'après Je plan adopté, le 17<* corps devait rester
devant Orléans, pendant que les 15* et 16® exécuteraient un changement de
front vers la droite, la 1"* division du 15* servant de pivot, et que les 18*
et 20* marcheraient sur Beaune-la-l\olande et Beaumont.
Ces différents mouvements commencèrent le l*'^ décembre au matin. Les
troupes du général Martin des Pallières n'ayant pas à bouger, le régiment
resta à Chilleurs-aux-Bois. Dès midi, le canon se fit entendre à l'ouest : c'était
le 16* corps (général Chanzy)qui rencontrait l'ennemi à Palay et lui enlevait
successivement cette position et celles de Monneville, Villepion et FaveroUcs,
sur lesquelles il passa la nuit. Le lendemain , la marche reprit et le combat
recommença , prenant bientôt un développement nécessitant l'entrée en ligne
de tout le 16* corps, de la plus grande partie du 17* et des 2* et 3* divisions
du 15*. liO soir, le général Clianzy était obligé d'évacuer Loiguy, enlevé dans
la journée, et la victoire restait inconlestableuieut aux Alleuiunds. Le 16" corps
était exténué; le 17* avait perdu son chef. La lutte devenant impossible dans
ces conditions, il fut décidé que l'armée battrait en retraite pour reprendre
ses positions en avant d'Orléans. Cette retraite devait s'effectuer sous la pro-
tection de la division Hartineau-Deschenez du 1 5* corps et par toutes les troupes
simultanément. La 1^ division, qui n'avait point combattu, était désignée
pour garder l'enceinte d'Orléans.
Le 3, au point du jour, le général Martin des Pallières dirigea la 2* brigade,
sous les ordres du général Minot, sur Neuville-aux-Bois, avec mission d'y
tenir just|u'à la nuit, puis de se rcpliur sur le reste de la division ù Suiiil-Lyé,
formant ainsi l'arrière-garde de cette dernière, qui, d'après les instructions
du général en chef, devait abandonner complètement la position de Cbilleurs-
aux-Bois. Arrivé à neuf heures du matin, le général Minot fit prendre position
à ses troupes soit dans le village, soit dans les abords. Réduit à huit compa-
gnies, par suite de l'absence du l*** bataillon resté à Courcy-aux-Loges, le
régiment fut placé sur la droite et détacha sur son flanc la compagnie du lieu-
tenant Vigel (du 3* Tirailleurs) , qui fut déployée en tirailleurs ; les autres
restèrent massées. La journée se passa sans incident, si ce n'est qu'une forte
canonnade indiqua que Ghilleurs était attaqué. Le froid était très vif, et dans
l'après-midi un brouillard épais couvrit la campagne, empêchant d'y voir à
cent pas. Tout à coup, vers cinq heures du soir, la fusillade éclata de tous les
côtés à la fois, mêlée aux cris et aux hourras des Prussiens, qui, ù la faveur
de cette brume intense, avaient pu se rapprocher sans être vus. Surprises,
nos troupes se replièrent immédiatement, et il ne resta en position que la
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[1870] EN FRANGE. 357
compagnie du Hoatenant Vigol , que personne n'avait fait prévenir du mouve-
ment rétrograde qui s'effectuait. Celle-ci essaya un instant de résister; mais
hîcntAt accablée par le nombre et ne se voyant pas secourue, elle ne chercha
plus qu*à se dégager, et n'y parvint malheureusement qu'au prix de grands
sacrKîrca et en passant sur le ventre de ses ennemis.
Le général Minot avait ordonné la retraite sur Loury ; elle s'effectua en assez
l)on ordre; mais en arrivant devant ce village, l'avant-garde fut accueillie par
des coups de fusil. Il était huit heures du soir; l'obscurité de la nuit ne pei^
mettait pas de distinguer la force de Tennemi , et l'on craignit de tomber au
milieu d'un gros rassemblement; quelques feux do salve furent néanmoins
diri;;cs sur le point d'où venait la fusillade, et rien ne semblait annoncer une
sîliinlion bien grave, lorsque soudain la panique se jeta parmi nos troupes et
y provor|im un sauve -r|ui- peut général. Chaque groupe, chaque fraction se
dispersa ou hasard, les uns allant donnor tête baissée dans les avant- postes
ennemis, les autres cherchant à gagner les parties les plus profondes de la
forêt pour atteindre Orléans, dont ils se voyaient complètement coupés. De
CCS derniers fut lo régiment de Tirailleurs, que son chef, le lieutenant-colonel
Capdepont, était parvenu à maintenir dans sa main. On marcha toute la nuit.
Le froid, trfes vif pendant la journée, avait, par suite du brouillard, atteint une
intensité qu'il n'avait pas encore eue jusque-là : le thermomètre était descendu
à dix degrés au-dessous de zéro. Non habitués, non préparés à une pareille
intempérie, les Tirailleurs endurèrent les plus épouvantables souffrances qu'ils
eussent encore connues; beaucoup, exténués, découragés, ne voyant aucune
issue h cotte situation, se couchaient sur la neige et s'y endormaient... pour
toujours. Au matin, le lieutenant^ colonel Capdepont, qui pendant tout ce
temps n'avait pns quitté l'arrière -garde afin do voilier au bon ordre, prit les
devants pour se rendre un compte exact do en qui se passait autour de lui. Il
apprit que In cavalerie était porlie avec le général Minot, que l'artillerie avait
brisé ses affûts et coupé les traits de ses chevaux; bref, qu'il restait seul avec
les débris de ses huit compagnies et quelques traînards, qui, deci, delà,
étaient venus se joindre à ce faible noyau. La canonnade avait recommencé à
l'ouest et se rapprochait sensiblement d'Orléans; peut-être le détachement
allait-il trouver l'ennemi aux débouchés de la forêt. Dans ces conjectures, le
lieutcnant-rolonel fit appeler les commandants de compagnie et leur demanda
leur avis : tous répondirent qu'il fallait s'ouvrir un passage à n'importe quel
prix. On se remit en route, chacun appelant à lui toute son énergie pour ce
dernier effort, et l'on fut assez heureux pour atteindre Orléans dans la journée.
Lorsque le régiment arriva dans cette ville, il n'y avait que désordre et
confusion parmi les troupes qui s'y trouvaient déjà réunies; soldats et sous-
offîrîers , — et m/^me bon nombre d'officiers, — avaient rompu les rangs et
s'étaient répandus dans les caborets, dans les hAtels, dans les cofés, dans les
maisons particulières, cherchant, les premiers surtout, à oublier leurs souf-
franc>cs dans des libations qui leur enlevaient jusqu'au sentiment du danger
présent. Les Tirailleurs avaient eux-mêmes traversé une situation trop diffi-
cile, supporté des épreuves trop démoralisatrices pour ne pas céder à ce fâ-
cheux entraînement; bientôt les officiers, qui malheureusement ne payèrent
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858 LK ty^ RÉQIIIBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
pQH iouB d'oxomplo dons collo circonstQnce qui eût exigé toute leur énergie,
furent impuissants à maintenir la discipline, et il ne resta que quelques hommes
dévoués autour des chefs que retenait le devoir. Il en était du reste ainsi pour
tous les corps, et il devint matériellement impossible au général en chef de
rassembler les hommes nécessaires pour garnir l'enceinte de la ville, aux
portes de laquelle l'ennemi allait arriver dans un instant. Il fallut même aban-
donner tout à fait la résolution de défendre cette dernière, et songer à sauver
cette pauvre armée en lui faisant passer la Loire dans la nuit. Dès quatre
heures du soir, des ordres furent donnés dans ce sens, et le mouvement s'ef-
fectua avec plus de régularité qu'on ne l'aurait pensé. Resté le dernier avec sa
l*^ division, le général Martin des Pallières présida à l'enclouage des canons,
à la destruction du matériel qu'on ne pouvait emmener, puis , à onze heures
et demie, il se mit en retraite à son tour et se dirigea sur la Ferté-Saint-Aubin,
où il arriva le lendemain dans la matinée sans avoir été inquiété.
Le moment de découragement de la veille passé, les Tirailleurs étaient re-
venus d'eux-mêmes à cette respectueuse obéissance dont, pour la première
fois, on les avait vus s'écarter, et le régiment avait immédiatement repris sa
vaillante attitude et sa cohésion. Il était toujours réduit à huit compagnies ;
abandonné en quelque sorte à son propre sort dans sa position de Courcy-aux-
Loges, le 1^ bataillon battait isolément en retraite du côté de Sully, après
n'avoir échappé à l'ennemi que par un hasard providentiel. Le 5 au soir, la
fraction restée avec le lieutenant-colonel Capdepont arriva à la Motte-Beuvron ;
le 6, elle s'arrêta à Salbris, et le 7, à Aubigny. Un peu avant d'arriver à ce
dernier gîte, on avait rencontré le 20* corps venant de Gien. Le 8, le régi-
ment coucha à Henrichemont , et le 9 , il atteignit Bourges , où il fut cantonné
dans la chapelle Saint-Ursins, en avant de la ville.
Par suite de la direction prise par les différents corps d'aitnée dans cette
malheureuse retraite qui réduisait à néant le résultat de deux longs mois de
fatigues et d'efforts, l'armée do la Loire se trouvait maintenant partagée en
deux groupes que le fleuve séparait : les IG* et 11^ corps étaient restés sur la
rive droite avec le général Chanzy ; les 15", 18* et 20* se réunissaient en So-
logne sous les ordres directs du général en chef. Cette situation désavanta-
geuse, qui n'était que le fait de circonstances momentanées, allait être modi-
fiée par les soins du général d'Aurelle, lorsqu'elle se trouva définitivement
consacrée par la destitution de celui-ci. Par un décret du 10 décembre, le
gouvernement de la Défense nationale décidait, en cfiet, la suppression du
commandement en chef et la création de deux armées :
lo La l^ armée de la Loire (15<*, 18" et 21" corps), sous les ordres du gé-
néral Bourbaki ;
2* La 2" armée de la Loire (16", 17", et plus tard 20" corps) , sous le com-
mandement du général Chanzy.
La 1*^ armée de la Loire, dont faisaient partie les Tirailleurs algériens,
devait se reformer en avant de Bourges, et là attendre les ordres du gou-
vernement.
Pendant ce temps, l'ennemi avait passé la Loire et se portait, par les deux
rives du fleuve, contre les troupes du général Chanzy. n devenait nécessaire
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[i870] EN FRANCE 8S9
de faire une dirersion pour dégager ce dernier. Le 12, le 15* corps, à la tAte
duquel le général Martin des Pallières, démissionnaire, avait été remplacé
par le général Martineau-Deschenez, reçut Tordre de faire une pointe dans la
direction de Vierzon. Le soir, le régiment de Tirailleurs, qui avait maintenant
ses trois bataillons réunis (à Texception cependant des quatre compagnies du
cnpilnino Kgrot), cantonna à Mohun; In 111, il campa à Vignoux-sur-Baran-
gcon, où il demeura les 14 et IK; et, le 16, il se porta à Coudray. Ce fut là
que, le 18, il fut rejoint par le détachement du 3' régiment qui avait été
provisoirement maintenu au 18* corps, et dont nous allons résumer les opé-
rations.
Parti do Constantine le 5 novembre, embarqué à Philippeville le 6, débar-
qué à Marseille le 8, retenu dans cette ville pendant cinq jours, ce détachement
était arrivé le 15 à Gien. Là il lui avait été prescrit d*attendre de nouveaux
ordres, tout en procédant au complètement de son organisation. Il était alors,
ainsi qu'on a pu le voir plus haut, question d*un grand mouvement en avant
qui, après des ordres et des contre-ordres, se borna à une tentative infruc-
tueuse des 18* et 20* corps pour chasser Tennemi de Pithiviers. La troupe
qu'amenait le capitaine Égrot était un appoint de cinq à six cents hommes;
elle pouvait rendre de grands services dans cette opération ; il fut décidé qu'elle
y prciulroit part. Mise ainsi à la disposition du général Crouzat, elle fut aflec-
tée au 18* corps.
Le mouvement commença le 24. Le 25, nos quatre compagnies quittèrent
Gien en chemin de fer et furent transportées à Bois-Morand ; continuant alors
leur route à pied , elles traversèrent successivement Choux-Langresse, Ghangy
etVanesse, et s'arrêtèrent à Passe; . Le 26, elles arrivèrent à Montargis, après
être passées par Vimory et Villemandeur ; le 27, elles allèrent coucher à Ville-
moutiers. Le 28, elles quittaient ce village lorsque le canon commença à se
faire entendre sur la gauche, dans la direction de la forêt d'Orléans : c'était
le 20* corps qui, prenant l'oflensive, attaquait les positions de Saint-Loup,
Nancray et Batilly. A neuf heures, elles arrivaient à Ladon. La bataille était
maintenant engagée sur une ligne de sept à huit kilomètres, et, sur certains
points , atteignait à une violence dénotant une défense opiniâtre de la part de
l'ennemi. Sur la gauche, le général Crouzat concentrait tous ses efforts sur
Beaune-la-Bolande , pendant que le 18* corps, qui s'avançait pour l'appuyer,
rencontrait sur la droite, à Maizières et à Juranville, une résistance qui, dans
le dernier de ces villages, ne devait cesser qu'à l'approche de la nuit.
A peine arrivés à Ladon , les Tirailleurs recevaient l'ordre de se porter en
avant; ils se dirigèrent sur Maizières, qui venait d'être occupé par nos troupes,
et, dépassant ce village, vinrent s'établir sur la route de Beaune-la-Rolande,
près de son intersection avec celle venant de Bellegarde-du-Loiret. Ils demeu-
rèrent là près d'une heure, l'arme au pied, attendant avec impatience le mo-
ment d'en venir aux mains. Enfin leur arriva le signal d'entrer en ligne à leur
tour, et de concourir à l'enlèvement des abords de Juranville, que canonnait
vigoureusement notre artillerie; mais un contre-ordre vint bientôt les arrêter
de nouveau et leur prescrire de prendre position sur la rive droite du ruis-
seau qui passe près de ce village et va se jeter dans le Fusain.
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360 LB 3"* RÉGIMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
Vers trois heures, l'enneun conlinuunl à se iiiuiiilcnir el le colonel Rillot
ayant hflte d'en Hoir pour se porter sur Beaune-la-Rolaode , où la lutte restait
indécise par suite des secours qui arrivaient à chaque instant aux Prussiens,
le capitaine Ëgrot reçut pour la deuxième fois l'injonction de marcher au com-
bat; il s'avança vers la gauche de la position; mais au mémo moment l'en-
nemi ayant commencé à plier, de nouvelles instructions vinrent encore
suspendre son mouvement. 11 déploya ses compagnies dans un petit boii
situé à l'ouest de Juranvillo-le-Pavé, el attendit. Pendant ce temps, les Alle-
mands évacuaient Juranville et se reliraient dans la direction de Ueaumonl.
Environ une heure après, le bataillon recevait Tordre d'occuper le village
conquis, et de s'y retrancher de façon à résister aux retours olTensifs de l'en-
nemi. A la nuit, une compagnie fut détachée à Juranville-le-Pavé.
Le 29 novembre, le 18° corps se mil en retraite sur ses positions des jours
précédents. Juranville fut évacué sans que les Prussiens songeassent à nous
inquiéter, et les Tirailleurs algériens, formant l'arrière -garde, se rclirèrcnt
sur Ladon. Ils allaient atteindre ce village lorsque, vers dix heures et demie,
on leur fit faire demi -tour pour revenir occuper Maizières , qu'on avait aban-
donné. C'était un poste avancé, une forte grand'garde surveillant les princi-
pales voies de communication, que le commandant du 18^ corps désirait
conserver pour donner le temps à ses jeunes troupes de se reformer en toute
sécurité. Lo capitaine Égrot installa trois compagnies dans le village, et se
couvrit on détachant la 4® en avant, face à Hoaune-la-Uolande, sa gauche
appuyée à la route, et sa droite au ruisseau qui coule à l'est; quelques tra-
vaux furent en outre exécutés pour augmenter les moyens de résistance et
permettre à nos soldats de s'abriter un peu contre les coups de l'artillerie. La
journée se passa ainsi à ces préparatifs sans que l'ennemi , qui semblait avoir
été non moins éprouvé que nous par la lutte de la veille, se montrât en vue
de nos avant- postes. Le soir, l'arrivée d'un détachement de trois cent cin-
quante hommes du l"' bataillon d'infanterie légère d'Afrique porta à environ
huit cents combattants la troupe chargée de défendre la position.
Le lendemain 30, les Prussiens furent signalés du côté de Juranville. Vers
neuf heures, ils arrivaient devant Mutzicres, et dirigeaient aussitôt sur le vil-
lage le feu de leurs batteries. En un instant, toutes les maisons furent en
flammes. Cette canonnade dura près d'une heure; puis, jugeant la résislance
suflisammont ébranlée, l'ennemi lit avancer son infanterie. Celle-ci chercha
aussitôt à tourner Maizières, mais un violent feu de uious(|ueterie , exécute
fort à propos, vint soudain Taréier dans son mouvement. Cependant ce ne fut
pour elle qu'un moment d'hésitation; de fortes réserves ne tardèrent pas à
l'appuyer, et bientôt notre petite troupe se trouva menacée d'être complète-
ment enveloppée. La situation allait devenir des plus critiques, lorsque arri-
vèrent un bataillon du 42^ régiment de marche venant de Bellegarde, et une
batterie d'artillerie envoyée de Ladon. Profitant fort habilement de Theureux
effet produit par l'intervention de ce secours, le capitaine Égrot fit sonner la
charge, et s'élançant à la tôte des Tirailleurs, se jeta sur l'ennemi, qui, sur-
pris par cette bru8(|ue offensive et croyant avoir affaire à des forces plus con-
sidérables, rétrograda précipitamment sur Juranville. Ne lui laissant pas le
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f!R70l KN PHANCR 361
Icmpn (In nn rnronnntLrOf iiih snlilnl» In pniirRiiivironl In hnlonnotln dmiA lofi
reins cl In ^.llnss^rc^t do ce villof^o, dont doux joinn auparavant Tcnlftyoïnont
avait roAté Innt d'offorU. Mois là dut 9c borner leur succès : épuises par la
lutin o|iiniAtrn rpriU vninirnl th\ ponlnnir, niir In point do voir In^ munitions
leur mnnqucr, nVtiint pas d*uilleurs sunîAanimont soutenus, Il leur Tnllut
s*arrAtor; ils so mirent alors en retraite sur Maizièros lentement, en bon
ordre et sans cesser de faire face à l'ennemi , qui ne songea nullement à les
inquiéter. Quelques instants après, le capitaine Égrot recevait du général
Feillet-Pilatrie Tordre d*cvacuer le village qu'il avait si énergiquement dé-
fendu, et de se replier sur Ladon. Le soir, à onze heures, le bataillon venait
camper devant le village de Bellegarde, où se trouvait la plus grande partie
du 18® corps.
Por suite des circonstances qui l'accompagnèrent, le brillant combat do Mai-
zic>rcs n'ont aucun retentissement : il arrivait lo lendemain d'une défaite ot à
la veille d'une autre. Bien que ce fût pour nous un incontestable succès, ceux
qui en furent les héros n'en retirèrent rien; le souvenir lui-même devait en
être emportn pnr le tourbillon des événements mollieurcux. Ceux-ci allaient
se succéder avec une telle rapidité, les jours de deuil allaient si complètement
assombrir la dernière période de celte lulte suprême, dont l'issue ne pouvait
déjà plus laisser d'illusion, que, même encore aujourd'hui, le résultat de
cette glorieuse journée est à peine connu. Nous sommes heureux de le rap-
peler; car, venant à l'appui de bien d'autres exemples fournis par la même
campagne, il prouve de la façon la plus rassurante pour nous que, toutes les
fois que les Allemands n'eurent pas à nous opposer des forces deux et même '
trois fois supérieures, ils ne purent tenir devant l'impétuosité de nos soldats.
Les pertes subies par les Tirailleurs étaient sensibles et indiquaient assez
combien ces derniers avaient été opiniâtres dans la défense ot vigoureux dans
ratta(|iio. Kilos s'élevaient, m eifet, à cent cinquante- trois hommes hors do
combat, dont trois ofliciers et treize sous-officiors.
Le régiment perdit là un chef d'une grande bravoure et d'un grand dé-
vouement : le capitaine Cléry, blessé mortellement d'un éclat d'obus. Au 3® Ti-
railleurs depuis sa formation, ce vaillant soldat s'était toujours fait remarquer
par sa vigueur et son entrain; il mourut en véritable héros. Les deux autres
officiers atteints étaient le capitaine Roussel et le sous-lieutenant Mazué.
Le 2 décembre, ce qui restait (environ trois cent cinquante hommes) des
quatre compagnies du capitaine Egrot quitta Bellegarde pour le château des
Marais, près de Montliard. Dans la nuit qui suivit, une compagnie fut envoyée
en reconnaissance au petit village de Bois-Commun; elle trouva celui-ci oc-
cupé par le 1"' bataillon d'infanterie légère d'Afrique, et rentra au château
des Marais juste au moment où venait d'être donné Tordre de battre en re-
traite sur la Loire. Le mouvement commença à quatre heures du matin, et
s'eiïcctua par la forêt d'Orléans et par les villages de Nesploy, Combreux et
Faye- aux -Loges, où l'on arriva dans la soirée. Là on apprit qu'une avant-
garde allemande avait occupé Jargeau. Il fallut changer de direction et re-
monter la Loire pour chercher un autre passage. Le bataillon gagna ainsi ,
par Chflteauneuf et Gemigny, Sully, dont le pont fut détruit le 4, à deux heures
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363 tB 3* RftOIllENT DB TIRAILLBURS ALGÉRIENS [I870]
de l'après-midi, cl, lo 5, arriva on faco do Gicn, sur la riyc gaucho do la
Loire. Il prit là vingt-quatre heures d'un repos dont il avait grand besoin après
les fatigues qu'il venait de supporter, et, le 7, continua son mouvement rétro-
grade sur Bourges, après avoir, au moment de quitter son bivouac, essuyé
quelques coups de canon tirés par une reconnaissance ennemie envoyée le
long de la rive droite. Le soir, il couchait à Âutry ; le 8, à Barlieu; le 9, à
Henetou; le 10, à Henrichemont; et, le 11, il arrivait à Bourges, où le général
Bourbaki réunissait et réorganisait les débris épars des 1S«, 18* et 20* corps.
On a vu que, le 18, le capitaine Égrot avait fini par rallier lo régiment à
Coudray. Le lendemain , les Tirailleurs algériens abandonnaient les environs
de Vierzon, et revenaient prendre leurs anciennes positions en avant de
Bourges.
Les opérations de la l** armée de la Loire touchaient à leur fin; n'ayant pu
réussir dans sa tentative pour débloquer Paris, le gouvernement de la Défense
nationale se disposait à lui donner une auti*e mission qui allait la transporter
sur un autre théâtre, où elle allait prendre un autre nom. De nouvelles fa-
tigues, de nouvelles souffrances, de nouveaux combats devaient encore mettre
à l'épreuve l'énergie de ses chefs et le dévouement de ses soldats; et, parmi
ces derniers, on allait encore voir au premier rang pendant l'attaque, au der-
nier pendant la retraite, ces Gers enfants do l'Algérie qu'on se dispensait
d'appeler braves quand on leur avait donné le nom de Turcos.
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CHAPITRE XVII
ARMÉE DE L*E8T
Reprise des opérations dans le bassin de la Saône. — La première armée de la Loire
dovicnl annAp do l'Pst. — îiO ir»o corps est provisoiromont maintonn en Sologne. —
Réorganisation du rngiment de Tirailleurs algériens. — liO 16» corps rejoint l'arméo
do PKst. — Marche snr Rclfort. — Combat do Sainte -Mario (13 janvier). — Ratiillo
dlléricoiirt (15, 16 et 17 janvier). — Retraite sur Besançon. — Mutations survenncs
dans divers commandements. — Gontlnnatlon du mouvement de retraite. — Surprise
de Sombacourt. — Nouvelle de la conclusion d*ua armistice. — L*armée de l'Est n^est
pas comprise dans cette conrentlon; elle passe en Suisse. — Souffrances éproarées par
nos soldats pendant cette dernière partie de la campagne. — Situation du S» Tirailleurs
à la fin de la guerre. — Sa rentrée de captivité. — Observations sur le r61e da régi-
ment pendant la guerre contre rAllemagne.
A la suite de révacuation d'Orléans et de la division en deux groupes des
cinq corps qui avaient constitué Tarmée de la Loire, il n*était plus guère pos-
sible, étant donné l'état de désorganisation de nos troupes, de reprendre l'or-
fensivc sur aucun point. Le général Chanzy effectuait, il est vrai, une fort
belle retraite sur le Mans et Laval; mais chaque jour ses forces allaient s*af-
faiblissant, et l'ennemi ne cessait de gagner du terrain. Quant au général
Bourbaki, condamné d'abord à l'inaction par la situation déplorable et la
complète désagrégation des régiments improvisés qu'on avait réunis sous son
commandement, il n'était ensuite parvenu que difficilement à remettre un
peu d*ordre dans ces bandes démoralisées, et, sept à huit jours après sa con-
centration à Bourges, à peine pouvait-il compter soixante à soixante-dix
mille soldats capables de prendre part à une opération de longue durée, sur
les cent mille que comptaient ses effectifs. Le gouvernement de Tours, main-
tenant à Bordeaux , n'en croyait pas moins toujours à la possibilité do faire
de grandes choses avec ces faibles éléments , et n'abandonnait pas son idée
d'une marche sur Paris. Le 19 décembre au matin, ce mouvement était si
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864 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALOÊRTENS [1870]
près d*avoir liou, quo le 1«' baUillon do Tirailleurs olgéricns rcccvail Tordro
de 86 rendre à Bourges, pour s'unir de nouveau aux corps francs vendéens
du colonel Cathelineau. Mais l'adminislralion de la guerre changea brusque-
ment ses résolutions, et, après mc^intes discussions, s'urréta à une diversion
dans l'Est. Les opérations étaient alors à peu près interrompues dans cette
région, ou du moins, confiées à Garibaldi et au général Cremor, elles man-
quaient absolument de suite et d*unité et ne pouvaient sérieusement in-
quiéter Tennomi, qui trouvait dans les riches campagncâ de la Bourgogne une
excellente source de ravitaillement. Il s'agissait donc de transporter sur ce
point les 18* et 20^ corps, auxquels se joindrait le 24* organisé à Lyon, de
marcher ensuite rapidement sur Bol fort pour faire lever le siège de cette place,
et enQn, si la chose était possible, de pénétrer en Alsace et de menacer les
derrières des armées allemandes. Dans cette combinaison, le 15* corps était
destiné d*abord à masquer le mouvement des 18* et 20*, tout en couvrant
Bourges et Nevers, puis, suivant les circonstances, à rallier définitivement
l'armée de TEst pour lui apporter l'appoint de ses quarante mille hommes re-
lativement aguerris.
Communiqué le 19 décembre au général Bourbaki, le 20, ce projet recevait
un commencement d'exécution. Le 29, le 18* corps était réuni à Chagny, le
20* à Chfllons-sur-Saône, et le 24* à Besançon. Pendant ce temps , le 15* élar-
gissait ses (uintonnements eu Sologne et travaillait uctivemeiit à hu réorgani-
sation. liO 2!i, le l^i* ImtailluH de Tirsilleurs, qui avait été envoyé ù Bourges, et
les 2* et 3*, logés à la Grange-Mitton, se mirent en route pour Vierzon. Le 24,
ils campaient à Mehun, et, le 25, ils s'établissaient à Saint-llilaire, petit vil-
lage à quatre kilomètres de Vierzon. Ils restèrent là jusqu'au 30, puis ils
furent répartis entre cette localité, les fermes des Grandes et des Petites-Loges,
le village de Gy-le-Grand et celui de Saint-Georges.
Depuis la retraite d'Orléans et l'arrivée du détachement du 3* Tirailleurs,
le régiment de marche avait subi un remaniement coniplet qui en avait refait
une troupe solide et disciplinée. Chaque jour sa situation s'améliorait; pour-
vues de cadres excellents, refondues, reconstituées avec toute l'homogénéité
possible, les compagnies étaient maintenant dans de bonnes conditions mo-
rales et matérielles, et, grâce à leur réunion sous le même commandement,
à leur contact de chaque jour, elles avaient peu à peu retrouvé cet esprit de
corps qui seul donne la cohésion et met tous les dévouements au service de
la môme volonté. Plusieurs mutations étaient survenues ou allaient survenir
dans le cadre des officiers supérieurs. Le capitaine Égrot ayant été nommé
chef de bataillon , le commandant Lanes l'avait remplacé à la tète du 3* ba-
taillon. Le 31 , ce fut le lieutenant-colonel Capdepont qui, entré à l'ambulance
pour une dangereuse chute de cheval , céda son commandement au lieutenant-
colonel Lemoing, venant du l'^* zouaves de marche; enfin, le commandant
Chevreuil devant bientôt être promu lieutenant- colonel, le capitaine Fargue
allait diriger le 2* bataillon jusqu'à la lin de la guerre. Voici du resle (|uclle
était, à la date du l*** janvier 1871, la composition exacte du régiment :
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[1870]
EN FRANCE
365
ÉTAT-MAJOR
MM. Lemoing, lieutenant-colonel.
Comte, capitaîne-inajor.
Weber, lieutenant faisant fonctions d'officier payeur.
l"" BATAILLON
MM. Boussenard , chef de bataillon. .
De Raymond-Cahusac, capitaine adjudant-major.
Dufour, médecin aide-major de l'" classe.
1'® compagnie (!"' T.)
MM. Gillct, capitaine.
Lobrani , lieutenant français.
Lekal-bcn-Rebah , lieut. indig.
Ilor.liard , sous-li(Mil. français.
Braham-ben-Grad-Turqui, sous-
lieutenant indigène.
2^ compagnie {l^' T.)
MM. De Lansac, capitaine.
De Sénelé, lieutenant français.
Mohamed-ben-Ali-el-Maboub,
lieutenant indigène.
* Nnvicl, sous -lieutenant franc.
AInncd-on-Omar, s.-lieut. ind,
3® compagnie ( 1®' T.)
MM. Girard , capitaine.
Andanson , lieutenant français.
Mohamed-ben-Sassi , lieut. ind.
Michel, sous- lieut. français.
Abd-el-Kader-benAissa, sous-
lieutenant indigène.
4« compagnie {i^ T.)
MM. Gaujard, capitaine.
Esselin , lieutenant français.
* * Mohamed -ben- Ali -Chaoui,
lieutenant indigène.
Monlfort, sous-licut. français.
M ohamed - ben - Mohamed , sous-
lieutenant indigène.
6» compagnie (!•' T.)
MM. Morinière, lieutenant français.
EI-Hadj-ben-Adda, lieut. indig.
DeVendomois, s.-lieut. français.
Amar-ben-Ahmed , s.-lieut. ind.
G® compagnie (i^ T,)
MM. Cellier, capitaine.
Munier, lieutenant français.
Ali-ben-el-Haoussin , lieut. ind.
Leroux , sous-lieut. français.
Mohamed-ben-Mohamed-Blidi ,
sous-lieutenant indigène.
2* BATAILLON
MM. Chevreuil, chef de bataillon.
Lclorrain , capitaine adjudant-major.
Perron , médecin aide-major de l'* classe.
* L'nstérisqno qui préc(^de certains noms sert .\ désigner les officiers qui appartenaient
an se Tirailleurs avant leur affectation au régiment de marche ou qui en firent partie
à la dissolution de celui-ci. Pinsieurs étaient sous -officiers avant la guerre et avaient
obtenu leur grade pendant la campagne.
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866
LB 3« RÉOfMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1870]
i^ compagnie (2^ T.)
HM. Bailleul , lieutenant français.
Mohamed-ben-Saddok, lient, ind.
Déroulède, aous-lieut. français.
Mûhamed-ben-Mohamed, soua-
lieutenant indigène.
2* compagnie (2* et 3* T.)
MH. "^ Mu8tapha-ben-el-Hadj-0tman|
lieutenant français.
Miloud-ben-Kaddoni, lient, ind.
Castel, sous-lieut. français.
Mohamed -ben-Âhmed, sous-
lieutenant indigène.
3« compagnie (2* T.)
MH. Comte, capitaine.
Bastouil , lieutenant français.
Jouglon-ben-Kaous, lient, ind.
Cliomme, sous-lieut. français.
A^ compagnie (3^ T.)
MM. * Carré de Busserolle, capitaine*
* Esparron , lieutenant français.
* Âmar-ben-Brahim , lient, ind.
* Foucault, sous-lieut. français.
"^ Uebah-bon- Amelaoni, sous-
lieutenant indigène.
b"^ compagnie {i*^ T.)
MM. Lesbros, capitaine.
* Amar-ben-Kalafa , lient, franc.
* Amar-ben-Taieb, lient, indig.
* Fravreau, sous-lieut. français.
* Douguorak -ben- Mohamed -A-
gaoua, sous-lieut. indigène.
6« compagnie (3* T.)
MM. * Fargue, capitaine.
* Aubry, lieutenant français.
* Kaddour-ben-Amar, lient, ind.
* Sturler, sous-lieut. français.
Cliaban-bcn-Kara, s.-liout. ind.
3« BATAILLON
HM.
MM.
MH. Lanes, chef de bataillon.
* Vigel, capitaine adjudant-major.
Saurey, médecin sous-aide-major.
!'• compagnie (^•' T.)
Constant, capitaine.
Weber, lieutenant français.
Mohamed - ben - Abd - el - Kader ,
lieutenant indigène.
Taleb-ben-lladj , sous-lieutenant
indiffène.
2« compagnie (!•' T.)
Brandi, capitaine.
Baudard , lieutenant français.
Omar- ben -Mohamed - Chaouch ,
lieutenant indigène.
Richomme, sous-lieut. français.
Bakri-ben-Mohamed , s.-l. ind.
3« con^pagnie (3* T.)
HH. * Roussel, capitaine.
* d'Eu , lieutenant français.
* Hazué, sous-lieut. français.
* Djellali-ben-Aouda, s.-l. ind.
4« compagnie (3« T.)
MM. * Taulières, capitaine.
* Lariche , lieutenant français.
* Yahia-ben-Simo, lient, indig.
Monleau, sous-lieut. français.
Salah-ben-Hohamed, s.-l. ind.
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[1670] EN FRANCE 867
5* compagnie (3* T.)
MM. * Sibillo, capitaine.
* Meslé, lieutenant français.
* Kacem-ben-Âhmed , lieu t. înd.
* Empérauger, sous-lieut. franc.
Rcbah - bon - Kaddour , bous -
lieutenant indigène.
MM. Lemoine, capitaine.
* Taverne, lieutenant français.
* Mohamed-ben-Saîd, lieu t. ind.
* Jacquard , sous-lieut. français.
* Âhmed-ben-DjellouI, s.-l. ind.
Quelques changements eurent également lieu dans les commandements su*
périeurs. Nous avons vu que le général Martineau-Deschenes avait succédé
au général Martin des Pallieras à la tête du l^^ corps. Par une décision ulté-
rieure, la 1**^ division fut placée sous les ordres du général Durrieu, et la
1^ brigade de cette division sous ceux du général Minot, qui fut remplacé
à la 2^ par le général Questel. Le régiment de Tirailleurs continua de faire
partie de cette dernière.
Pendant ce temps, le général de Werder, commandant les forces allemandes
dans l'Est, avait évacué Dijon et s*claît porté À Vesoul. De lÀ, il allait se re--
plier sur la Lisaine et attendre l'armée française dans de bonnes positions en
avant do Belfort. De son côté, le général Bourbaki avait activé la concentration
de ses troupes; mais le peu de mobilité de celles-ci, les difficultés de ravitail-
lement, le mauvais état des chemins, la rigueur de la saison rendaient ses
mouvements beaucoup plus lents que ceux de son adversaire, et lui enlevaient
en partie les avantages de sa supériorité numérique. Il devint môme bientôt
si évident que telle qu^elle était (environ cent mille hommes contre soixante
mille) cette armée ne suffirait pas, que le 15* corps reçut Tordre de se porter
à son tour sur les bords du Doubs.
Le 3 janvier 1871 , le régiment de Tirailleurs se concentra à Vierzon, où
il fut embarqué en chemin de fer à destination de Dijon. Arrivé dans cette
ville le 4 , il y fit séjour le 5. Le 6 , il se mit en route pour rallier le gros de
l'armée et s'arrêta à Mirabeau; le 7, il coucha à Gray; le 8, à Bucy-Ies-6y;
le 9, à Rioz; et, le 10, à Montbozon. Le 9, avait eu lieu le combat de Viller-
sexel; les deux armées se trouvaient en présence : l'heure de la lutte était
arrivée.
Le 11 , le régiment, qui se trouvait encore à plus d'une journée de marche
des têtes de colonne françaises, se dirigea sur Melcey, où il arriva vers midi,
par un froid excessif, qui avait couvert les routes d*un épais verglas et fait de
cette étape une source de fatigues inouïes. Dans la soirée, le 1°' bataillon fut
envoyé à Fallon,'et les 2° et 3* à Bourenoy. Pour le lendemain, l'ordre de
marche de chaque corps d'armée était ainsi déterminé : 15", objectif Montbé-
liard ; 20«, 2/i« et 18% Ih^ricourt.
Les Tirailleurs algériens quittèrent leurs cantonnements au point du jour,
et après deux heures de marche dans une neige épaisse atteignirent Ornans.
Le pays était sillonné d'interminables colonnes suivant toutes la direction du
nord-est, et se coupant, s*entre-croisant parfois. De là des désordres, des re-
tards, et pour nos pauvres soldats des heures d'attente dans la neige glacée.
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368 LB 3* RËOIMBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
Voro cinq liourcs du soir, l'onooini ayant été signalé à Moiilcnois, la brigailo
Queslel reçut l'ordre de s'avancer jusqu'à Urétiguy. Le régiment passa la nuit
sous les armes , s'attendant à chaque instant à marcher pour appuyer le 4« ba-
taillon de chasseurs de marche, qui, dirigé sur Montenois, en avait délogé les
grand'gardes allemandes, qui s'étaient repliées sur Sainte- Marie. Mais ce ne
fut qu'à quatre heures du matin qu'il leva son bivouac pour gagner Montenois,
où il attendit le jour. A l'arrivée de celui-ci, la brigade devait attaquer Sainte-
Marie, afin de permettre au 1S« corps d'effectuer un léger changement de
direction à droite devant le placer parallèlement au cours de la Lisaine.
A sept heures du matin, le régiment prit ses dispositions de combat; le
4» bataillon de chasseurs de marche ayant été déployé en face de Sainte-Marie
pour aborder le village de front, le bataillon du commandant Boussenard (l*'')
fut désigné pour lui servir de soutien ; le 3« (commandant Lanes) eut pour
mission de surveiller la route d'Arcey; le 2* (capitaine Fargue) resta en
arrière comme réserve.
Après avoir fait fouiller les bois par son arlillorio, le général Questcl lit
porter sa ligne en avant; la fusillade s'engagea aussitôt entre les chasseurs
à pied et les tirailleurs ennemis établis dans les abords du village; mais
ceux-ci ne tinrent pas et se.retirèrent sur leurs soutiens. Pendant ce temps,
le bataillon du commandant Boussenard s'était scindé en deux demi-bataillons,
et, malgré la neige épaisse qui couvrait le sol , s'était avancé au pas de course
pour tourner Sainte-Marie par les deux ailes. A trois cents mètres, on lit le
commandement de : A /a baionnellc! Les Allemands l'entendirent parfaiteuieut,
et, au dire des habitants, évacuèrent immédiatement la position; ils se reti-
rèrent en bon ordre sur Allondans et Présentevillers, poursuivis par les feux
d'une batterie de 12 que, dès le début de l'action, le général Durrieu avait
fait établir sur notre droite. Les Tirailleurs pénétrèrent dans le village au
moment où les dernières fractions ennemies l'abandonnaient, et firent quelques
prisonniers. D'après ces derniers, nos soldats ayaienteu à combattre environ
un millier d'hommes du 47* d'infanterie prussienne. Étant donné que, de
notre côté, deux bataillons seulement prirent elVectivement part au combat,
les forces étaient à peu près égales; mais craignant d'être pris à revers par le
bataillon du commandant Lanes, qui, après avoir battu le bois du Chénois,
se disposait à contourner Sainte-Marie par l'ouest, les Prussiens n'avaient pas
jugé prudent de résister trop longtemps : de là leur retraite précipitée. Ce
combat, très heureux au fond, puisqu'il s'était terminé par le résultat qu'on
en attendait, coûtait au régiment neuf hommes tués ou blessés. Ou passa la
journée du 13 et la nuit qui suivit dans le village conquis.
Le 14, la brigade Questel quitta Sainte-Marie et se dirigea sur Présente-
villers, que l'ennemi évacua à son approche. On laissa dans le village le 2* ba-
taillon de Tirailleurs, une compagnie de chasseurs et uoe du 29* de marche,
puis les autres troupes prirent position au nord , dans les bois de la Côte et
de Samans. Vers quatre heures de l'après-midi, les 1*' et 3« bataillons du
régiment reçurent l'ordre d'appuyer une atta(|ue du l^'*' zouaves do marche
sur Allondans. Ce village fut occupé sans coup férir, et, leur mission termi-
née, les Tirailleurs rentrèrent à Présentevillers. Mais, une heure après, l'en-
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[i870l EN FRANCE 360
ncnii revint en force, cIiQSsa & son tour les zonavos d*Allondan8, et réoccupa
le village, qu*il évacua de nouveau, mais volontairement, pendant la nuit.
Dans la journée le vent du nord s*était levé, amenant un froid de 18 de-
grés au-dessous de zéro. Cet abaissement de température, qui avec des
troupes aguerries eût été une heureuse circonstance, puisqu'il supprimait,
pour ainsi dire, Pobstacle formé par la Lisaine en couvrant celle-ci d'une
épaisse couche de glace, ne vint malheureusement que rendre plus vives les
souiïrances résultant des fatigues et des privations, et ajouter encore aux dif-
ficultés déjà assez grandes des mouvements en cours d'exécution . La nuit qui
suivit fut terrible, surtout pour les grand'gardes , à qui la proximité de l'en-
nemi ne permettait pas de faire du feu. Parmi les hommes qui s'endormirent,
beaucoup ne se réveillèrent pas. Les plus endurcis n'échappaient à l'engour-
disscment qu'en se privant de repos; aussi, le lendemain, ceux qui restaient
debout étaient-ils exténués. Partout on n'entendait que le bruit d'une toux
s^.che qui brûlait les poitrines, pendant que les membres étaient glacés.
Le 15 au matin. Français et Allemands n'avaient plus qu'à mettre le feu
à la lumière de leurs canons pour en venir à une action générale : des deux
côtés les préparatifs semblaient terminés.* Forte d'environ soixante mille
hommes, l'armée ennemie avait pris position sur la rive gauche de la Li-
snino, sa gauchn A Monlbéliard , sa droite à Chcnebier, son centre avec sa
réserve à llcricourt. Tout avait été mis en œuvre pour arrêter l'assaillant,
surtout à lléricourt, qui était considéré par les deux généraux en chef comme
le point capital de la défense. Très aflaiblis par les combats des jours pré-
cédents, manquant de vivres, ayant déjà rempli les ambulances de leurs
malades et couvert les roules de leurs traînards, les quatre corps français
s'apprôtnicnt cependant à la lutte avec un entrain et une vigueur donnant
les miilKuros espérances quant au résultat final. Le 15* formait toujours la
droite, avec Monlbéliard comme principal oitjectif. 11 se trouvait ainsi disposé :
à droite, en ovant du mont Bart et s'appuyant au canal du Uhône au Rhin,
la 3<' division (général Peitavin); à gauthe, depuis Présentevillers jusqu'à
Allondans, la 1^° division, ayant sa 1^ brigade à la gauche et sa 2* à la
droite; en arrière et comme réserve, la 2^ division (général Rebillard). Les
généraux Durrieu et Questel, tous les deux malades, avaient été remplacés,
le premier par le général Daslugue et le second par le lieutenant-colonel Le-
moing, qui lui-inAinc avait laissé le commandement du régiment de Tirailleurs
ou cuininandnnl Uoussonard , le plus ancien des chefs de bataillon.
Le terrain sur lequel la 2° brigade allait, pour son compte, prendre part
à la partie décisive qui était sur le point de s'engager, était un grand plateau
aux deux tiers boisé et se terminant à l'est par des pentes assez douces abou-
tissant à la vallée de la Lisaine, ayant en cet endroit une largeur moyenne
de six cents mètres. La rivière, peu considérable et d'ailleurs complètement
gelée , était longée , sur la rive gauche , par la voie ferrée de Monlbéliard à
Belfort , organisée défcnsivement par les Allemands. A Toueslde Monlbéliard,
ce plateau présentait une partie dénudée et légèrement dominante au milieu
de laquelle se trouvait la ferme de Monl-Chevis, et dont le village de Sainte-
Suzanne couvrait les pentes sud. Plus au nord, et faisant face au village de
24
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370 LE 3« RÉQIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1870]
Béthoncoart, solidement occupé par rennemi, s'étendaient les bois Bourgeois
et de Hontévillars , par lesquels s'avançait la brigade Minot.
Dès neuf heures , éclata sur la droite une violente canonnade à laquelle les
positions de Mont-Chevis et du bois Bourgeois servirent de but. Bientôt les
postes allemands qui occupaient ces points commencèrent à les évacuer, et
l'infanterie des deux brigades reçut l'ordre de se porter en avant. Désigné
pour donner l'assaut à la ferme du Mont-Chcvis , le régiment de Tirailleurs
algériens se forma en échelons par bataillon; puis, à la voix du commandant
Boussenard, il s'élança sur les hauteurs de Sainte-Suzanne, qui furent immé-
diatement couronnées. L'ennemi s'était retiré dans Montbéliard , sous la pro-
tection de sa puissante artillerie. Pendant ce temps, la 3* division s'était
emparée des villages de Bart et de Dun , et s'était avancée vers Courcelles
pour appuyer ce mouvement offensif. Disposant alors toutes ses batteries sur
le plateau, le général Martineau-Deschenez dirigea tous ses efforts sur Mont-
béliard dont le chAteau, armé de grosses pièces de siège amenées de devant
Belfort, ripostait vigoureusement. Ce duel d'artillerie continua pendant trois
heures sans que d'aucun côté il y eût avantage bien marqué. Entin , passant
résolument à l'attaque de toute 'la gauche ennemie, la 3<» division dépassa
Courcelles et menaça Montbéliard par le sud. De son côté, le 2« bataillon du
régiment, qui formait l'extrême droite de la l'* division , descendit rapidement
vers la Lisaine, pénétra dans la ville par l'ouest, et parvint à s'y maintenir
malgré la fusillade et la mitraille qui partaient du cliûtcau. Poussant mémo
jusque sous les murs de cette furtcresso, il obligea lus bataillons allemands
qui, plus à droite, allaient être débordés par la division Peitavin, à rétro-
grader jusqu'à Sochaux, à deux kilomètres à l'est de Montbéliard. Les !*■' et
3* bataillons étaient restés sur les hauteurs de Sainte- Suzanne, en soutien
derrière l'artillerie , qui continuait à battre le cbêteau.
La nuit seule sépara les combattants, qui restèrent sur leurs positions res-
pectives jusqu'au lendemain. A part le succès remporté sur la droite, la lutte
avait été partout indécise, malgré la vigueur et la bravoure déployées par nos
troupes. Mais l'occupation de Montbéliard était un bon pas de fait vers Tat-
taque du chêteau et de toute la ligne de la Lisaine, qui se trouvait ainsi
ébranlée sur l'un de ses plus solides points d'appui. Cette première journée
coûtait aux Tirailleurs trente-cinq hommes hors de combat, dont deux offi-
ciers. Ces pertes portaient presque uniquement sur les compagnies du 3* ré-
giment, qui formaient la majeure parlie du i^ bataillon.
Le Iti, la bataille recommença avec un nouvel acharnement; cependant
elle ne se généralisa que fort tard, et jusque vers midi, sur la droite du
moins, l'artillerie seule en lit tous les frais. La cause en était à un brouillard
intense qui couvrait toute la vallée et empêchait les deux infanteries de se
voir. Pendant la nuit, la division Peitavin avait jeté quatre pièces dans Mont-
béliard; elles essayèrent débattre le chêteau à huit cents mètres; mais, prises
en flanc par une batterie extérieure, il n'en resta bientôt que deux, qui conti-
nuèrent à tirer, blotties derrière un abri, .pendant que le 2® bataillon de Ti-
railleurs, appuyé par les troupes de la 3* division, renouvelait une tentative
infructueuse contre le vieux donjon. Quelques compagnies parvinrent bien à
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[1871] EN FRANGE 871
86 loger dans les maisons voisines, mais ce fut là tout le succès qu'on devait
obtenir de ce côté.
Sur le plateau du Hont-Chevis, Tartillerie de la 2* division était venue se
joindre à celle de la 1^^ division et de la réserve, et trente-six pièces canon-
naient vigoureusement les hauteurs de Montbélîard et le village de Béthon-
court, que les brigades Minot et Qucslol avaient mission d'enlever. Vers une
heure do l'après-midi, les l^'^' et 3* bataillons de Tirailleurs reçurent Tordre
de marcher à Tattaque de la position ; ils devaient être appuyés à gauche par
le 1*^ zouaves de marche, à droite par les mobiles de la Charente. Ces trois
régiments s'avancèrent à travers le bois Bourgeois jusqu'à environ huit cents
mètres de la Lisaine; mais lorsqu'ils voulurent déboucher du couvert sous
lequel ils avaient cheminé, ils se trouvèrent dans une grande plaine couverte
de neige, où ils furent assaillis de face par une fusillade meurtrière partant
du chemin do fer, et de flanc par les feux croisés des batteries de Montbéliard
et de Béthoncourt. Cependant l'élan était tel , qu'il n'en aurait pas été inter-
rompu si , par suite d'une fâcheuse coïncidence , l'artillerie française, dont les
munitions commençaient à s'épuiser, n'eût tout à coup ralenti son tir et per-
mis à celui de l'ennemi de redoubler d'intensité; accablés par les obus qui
soulevaient des trombes de neige sur leurs pas, décimés par les feux de salve
que rinfanlcric prussienne dirigeait en toute sécurité sur leurs rangs pressés,
enfin ne se sentant plus suffisamment soutenus dans l'efTort suprême qu'ils
allaient tenter, nos soldats rétrogradèrent sur le bois Bourgeois. Quelques
instants après la charge sonna de nouveau; zouaves et Tirailleurs se précipi-
tèrent encore avec le même entrain; mais pas plus que la première fois ils
ne purent franchir l'espace qui les séparait de l'ennemi. A cinq heures du
soir, cette oiïensive fut définitivement abandonnée, et nos bataillons se re-
plièrent sur leurs positions du matin, pendant que l'artillerie continuait jus-
qu'à la nuit à répondre à celle des Allemands. Dans cette deuxième journée,
les Tirailleurs avaient perdu vingt-quatre hommes tués ou blessés, dont un
officier appartenant au 1*' régiments
Sur les autres points, la fortune ne nous avait pas été beaucoup plus favo^
rable. A gauche, les divisions Cremer et Penhoat s'étaient bien emparés de
Chenebier; mais, obtenu trop tard et non poursuivi, ce succès n'avait pas
donné tous les résultats qu'on était en droit d'en attendre.
Dans la nuit, le 2« bataillon de Tirailleurs évacua Montbéliard et rallia le
restant du régiment établi dans le bois Bourgeois. A cinq heures du matin,
une violente canonnade éclata tout à coup sur la gauche : c'était l'ennemi qui
attaquait Chenebier; à la faveur de l'obscurité, il parvint même à s'emparer
de ce village; mais au point du jour les divisions Cremer et Penhoat l'en dé-
logèrent de nouveau. Cet événement amena naturellement la reprise de la
lutte au centre et à la droite , d'autant plus que les ordres du quartier général
prescrîx aient une offensive générale pour cette troisième journée. Du côté de
Montbéliard, le 15* corps conserva toutes ses positions, mais il lui fut impos-
sible de gagner du terrain. Un nouvel effort dirigé contre Béthoncourt échoua
I M. Omar-ben-Mobamed-Chaouch.
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372 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1671 ]
oacoro clovant Icb feux convorgouU dcë ballerio« oniimiiics. Un ttulro plus im-
portant, tenté vers deux heures de l'après-midi contre le ckAlcau de Mont-
béliard, n'amena pas un meilleur résultat. A partir de ce moment, l'action
commença à languir sur ce point et ne fut plus entretenue que par les coups
de plus en plus rares des deux artilleries. Le soir, nos batteries n'avaient
presque plus de munitions. Ce qui élait non moins grave, c'est que les vivres
manquaient pour tous. Ajoutons que le bruit commençait à se répandre qu'une
nouvelle armée allemande, détachée de devant Paris, s'avançait à marches
forcées, sous les ordres du général de Manteuffel, pour prêter son appui à
celle du général Werder.
En présence des conjectures que faisait naître cetle situation, qui, après
s'être montrée relativement brillante, pouvait tout à coup devenir désespérée,
le général Bourbaki se décida à battre en retraite sur Besançon, afin de se
rapprocher de ses convois et de sa base d'opérations. Le mouvement devait
d'abord s'effectuer parla gauche, qui avait le plus de chemin à parcourir. Eu
conséquence, et dans le but d'arrêter toute tentative de l'ennemi, dès le 17 au
soir les troupes du 15* corps commencèrent à se fortifier dans leurs positions
en se couvrant au moyen d'abatis. Le lendemain , la canonnade reprit encore
des deux côtés; mais aucune nouvelle attaque n*eul lieu ni sur Montbéliard ni
sur Béthoncourt. L'ennemi observa lui-même une réserve prudente en restant
dans ses lignes, et tout se borna à l'échange de quelques obus. liO froid avait
cessé; mais un épouvantable temps de pluie et de dégel lui avait succédé, et,
pour en être moins meurtrier, n'en créait pas moins de nouvelles dilHcultés
en ajoutant encore au mauvais état des chemins.
Le 19, à trois heures du matin , le 15* corps se mit en route à son tour.
La Ir* division quitta la dernière les hauteurs de Sainte-Suzanne, et l'arrière
garde fut fournie par la 2* brigade, qui elle-même laissa comme troupe eilrêmt!
le bataillon de chasseurs à pied. Celui-ci eut fort à souffrir de rarûllerie cane-
mie, qui, après s'être établie sur les positions qu'on venait d'abandonner, le
poursuivit longtemps de son feu. On traversa les villages de Longres et de
Longueville, et, dans la soirée, on atteignit l'Isle-sur-Doubs, où le régiment
de Tirailleurs prit aussitôt la grand'garde. La nuits*écoula sans incident ; mais
dans la matinée du 20, l'ennemi, dont la poursuite avait d'abord paiu hési-
tante, attaqua tout à coup nos avant-postes. L'ordre fut donné de continuer la
retraite sur Ponipierre, et la i'^ division protégea encore ce mouvement, au-
quel les Allemonds ne cherchèrent d'ailleurs pas à s'opposer. Le lendemain , un
coucha à Beauno-les-Dumcs. Le 22, le régiment fut dirigé en chemin de fer sur
Besançon , où il arriva le même jour. Le 23, il lut envoyé à Torpes, point où le
chemin de fer de Lyon coupe une grande boucle du Doubs. Ce même jour, de
nombreuses mutations eurent encore lieu dans les divers commandements :
le lieutenant- colonel Lemoing et le commandant Boussenard étant entrés à
l'ambulance, le commandant Lanes prit la direction de la 2* brigade, et le
commandant Ferrandi fut placé à la tête du régiment, où il ne restait plus
un seul chef de bataillon. Les vides étaient nombreux aussi parmi les autas
officiers; quant aux hommes, à peine en restait- il la moitié. Les fatigues
des jours précédents, et surtout le froid excessif des trois journées et des trois
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[1871] EN FRANCE 073
nuits passées devant lléricourt, étaient la cause do cette elTrayante réduction.
L'occupation de Torpes avait pour but la protection du chemin de fer de
Lyon et la défense du passage du Doubs. En même temps qu'elle avait été
ordonnée, d'autres troupes des U» et 3» divisions du 15" corps avaient été
dirigées sur Buzy et sur Quingey. Déjà des reconnaissances ennemies étaient
signalées vers ce dernier point. Le régiment prit position sur les hauteurs qui
avoisinent le Doubs et passa une partie de la journée sans être inquiété, bien
qu'on entendît le canon et la fusillade sur plusieurs points. Dans l'après-midi,
la gare de Byans, défendue par un détachement du l*^ zouaves de marche,
fut attaquée par la xiiP division prussienne, qui s'en empara et cribla de
projectiles un train d'évacuation de malades et de blessés. L'ennemi essaya
ensuit» d'une tentative sur le pont de Torpes, mais elle fut repoussée par les
Tirnillo.urs , qni curent trois liomnics birssés. Pondant ce temps, nos troupes
devaient abandonner Quingey et Al bans et se retirer sur Épeugney, sur la
rive droite do la liouc. A la nuit, le régiment se trouvait presque cerné de
toutes parts. Décidé à se faire jour, le commandant Ferrandi évacua Torpes
à deux heures du malin, gagna la route de D61e, qu'il trouva encore libre, et
se replia sur Besançon , où il rallia le restant de la 2^ brigade. Il en repartit
peu d'instants nprhs, et, redescendant vers le sud, vint cantonner à Pugey,
excellente position sur la rive gauche du Doubs. Le lendemain 25, le régiment
se porta à Epeugney, où se trouvait réunie la plus grande partie du 15* corps.
A celte date, la situation s'était singulièrement aggravée : ce n*était plus aux
seules forces du général Werder qu'on avait affaire, mais encore à toute l'ar-
mée de ManteulTel , qui arrivait par le sud et par les deux rives du Doubs pour
couper à nos troupes la retraite sur Lyon. Une seule route restait encore à ces
dernières, celle de Pontarlier, d'où elles parviendraient peut-être è gagner les
bords du llliAnc, en sacrifinnt une partie do leurs bagages et do leur matériel,
et en s'engngcant dans les chemins et les sentiers longeant le Jura. L'hésita-
tion n'était pas possible; le général Bourbaki s'arrêta à cette résolution, mais
un échange de télégrammes avec Bordeaux amena encore la perte d'un temps
précieux. Chaque jour le cercle se resserrait autour de Besançon. Le 27, le
général Clinchant prit le commandement de l'armée et fit poursuivre le mou-
vement commencé. Les Tirailleurs algériens quittèrent Epeugney, passèrent
la Loire h Cléron et s'arrêtèrent à Amancey. Le lendemain, la marche reprit
à six heures du matin , et, & sept heures du soir, ils arrivèrent à Sombacourt,
après de nombreux arrêts provenant de l'encombrement des routes. Le 29, il
y eut séjour. La nouvelle d'un armistice commençait à se répandre, et nos sol-
dats se reposaient en toute sécurité, lorsque vers cinq heures du soir le village
fut soudain attaqué par les Allemands. La l^^ division du 15* corps, qui se
trouvait presque tout entière cantonnée là, essaya à peine do se défendre, et
les généraux Dastuguc et Minot, deux mille sept cents hommes, dix canons
et sept mitrailleuses tombèrent entre les mains de l'ennemi. Réduit à environ
quatre cents hommes , le régiment se retira sur Hutteaux , près de Pontarlier.
Le 30, il continua son mouvement par Pontarlier, Oye et Pallet, et installa
son bivouac près de ce dernier village. Le soir, on apprit que l'armistice dont
il était question la veille ne concernait pas l'armée de l'Est; alors que la France
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874 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [iSTl]
entière meKait bas les armes, nos ennemis se réservaient le droit d'écraser
complètement cette armée et de détruire ainsi les derniers éléments de résis-
tance qui restassent à notre malheureux pays.
Cion formément aux ordres donnés par Tétat-major général, le 3 1 , le 1 5* corps
se remit en route et se dirigea sur Vaux pour atteindre les Granges-Sainte-
Marie et l'Abergement; mais à peine son avant-garde fut-elle à une heure de
Pallet, qu'elle fut attaquée et obligée de se replier. Si quelques instants aupa-
ravant il existait encore un faible espoir, il venait brusquement do s'évanouir :
l'armée se trouvait irrémédiablement acculée à la frontière de la Suisse, et le
seul moyen qui lui restait pour échapper à une reddition pure et simple était
de se réfugier sur le territoire de cette puissance amie. Le (5* corps rebroussa
chemin et se retira dans la direction de Pontarlier. Il n'existait, pour ainsi
dire, plus de commandement; chacun s'en allait au hasard, se portant de pré-
férence où il voyait la possibilité de trouver un abri ou un morceau do pain.
L'habitude seule retenait encore quelques fractions réunies. H n'y avait plus
de tenue régulière : xouaves et mobiles, francs- tireurs et soldats de la ligne,
artilleurs et Tirailleurs , dragons et lanciers se confondaient pour ne former
qu'une même foule déguenillée. Le froid était revenu , et par 16 degrés au-
dessous de zéro on voyait des gens marcher pieds nus. Les distributions , très
irrégulières depuis le départ de Besançon , s'étaient faites chaque jour plus
rares, et maintenant n'avaient lieu que pour quelques corps privilégiés se
trouvant à proximité des convois. C'était le désordre tel (|u'on ne l'avait en-
core vu; c'étaient des souffrances qui ne laissaient plus qu'aux hommes extra-
ordinairement trempés la force morale nécessaire pour résister au décourage-
ment et combattre ces implacables difficultés.
Pendant ce temps, le général Clinchant entrait en pourparlers avec le
général llerzog , commandant les forces fédérales suisses. Déjà les doux chefs
avaient eu à s'entendre sur l'évacuation des convois sanitaires; le 31, les né-
gociations se continuèrent pour régler les conditions do rinternement do toute
l'armée; eniin, le l^^** février au matin, était signée aux Verrières une con-
vention d'après laquelle nos troupes pouvaient immédiatement commencer à
franchir la frontière, après y avoir laissé leurs armes et leurs munitions, qui
devaient d'ailleurs être restituées à la France après la conclusion de la paix.
La retraite s'effectua sous la protection du 18* corps et de la division de
réserve du général Pallu de la Barrière, qui soutinrent à la Cluse un dernier
et glorieux combat, qui arrêta net la poursuite des Allemands. Les débris du
régiment de Tirailleurs, qui la veille avaient gagné péniblement le village des
Fourgs, se mirent en route aussitôt que les ordres eurent été communiqués,
et dans la soirée arrivèrent à Sainte-Croix. A partir de ce moment, ils allaient
être sous l'administration de l'autorité militaire suisse, qui allait les con-
fondre avec les autres corps de l'armée.
Les jours qui suivirent furent consacrés aux détails matériels de cet interne-
ment. On fixa six villes comme résidences aux ofliciers; ceux qui voulurent
donner leur parole de ne point chercher à s'échapper restèrent libres de vivre
à leur gré. Les soldats furent distribués dans cent soixante -quinze dépôts, et
durent se soumettre au code militaire du pays ; ils devaient être traités comme
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[1871] EN FRANGE 375
les milices suisses en garnison, c'est-à-dire être nourris, logés et payés à rai-
son de 25 c. par homme et par jour.
Les Tirailleurs trouvèrent chez les populations helvétiques l'accueil le plus
généreux. Au contraire des Allemands, qui, dans certaines villes où nos Alg^
riens étaient prisonniers, ne voulaient voir en eux que des partisans, des infi-
dèles , et disons mémo le mot , des barbares n'ayant pas droit au titre do belli-
gérants, et par suite aux égards dus à des vahicus qui ont déposé les armes, les
Suisses leur témoignèrent la même sympathie qu'aux autres soldats français,
et les entourèrent toujours des mômes prévenances et des mômes soins. Aussi
lorsque deux mois après, la paix étant signée, eut lieu leur rapatriement,
bien des larmes de reconnaissance, coulant le long de ces figures bronzées,
prouvèrent à nos hôtes que le souvenir de leurs bienfaits serait emporté jus-
qu'au fond du désert ou de la Kabylie, jusqu'au sein de ces tribus belliqueuses,
qui pourraient revendiquer les mômes vertus que les fiers montagnards des
Alpes et du Jura : l'amour de l'indépendance et le respect de l'hospitalité.
Ainsi devait se dissoudre de lui-môme, par le fait d'une succession d'évé-
nements malheureux, le régiment de marche des Tirailleurs algériens. A leur
rentrée en Algérie, les divers éléments qui avaient servi à sa constitution
allaient rejoindre leur régiment d'origine, pour y être fondus avec les déta-
chements revenant d'Allemagne et les quelques compagnies demeurées dans
la colonie. Si nous examinons la part qu'il prit dans les vains efforts qui furent
faits le lendemain d'un désastre irréparable pour ramener la victoire sous nos
drapeaux, nous voyons qu'elle fut des plus honorables et qu'elle répondit
toujours à ce qu'on attendait d'une troupe dont la réputation était aussi avan-
tageusement établie. Les noms de Toury, d'Artenay, d'Orléans, de Maisières
et d*IIéricourt sont et resteront pour lui des titres de gloire que personne ne
cherchera & lui contester. Celte gloire est d'autant plus grande , que les Ti-
railleurs indigènes eurent non seulement à lutter contre un ennemi aguerri et
supérieur en nombre, mais encore contre un climat pour lequel ils n'étaient
pas nés , et qui pour eux fut souvent plus meurtrier que le feu des Allemands.
Nul ne peut se figurer les souflrances qu'ils endurèrent sans se plaindre, les
misères qu'ils supportèrent avec résignation , le courage qu'ils montrèrent à
chaque heure de cette période douloureuse où chaque jour amenait une nou-
velle épreuve et une nouvelle déception. Quel qu'ait été le résultat de cette
dernière et opinifllre résistance , le 3* régiment de Tirailleurs , qui fut si digne-
ment représenté au régiment de marche, peut être fier d'y avoir contribué;
car si dans la journée de Frœschviller les turcos de Constantine furent admi-
rables de bravoure, dans cette suprême et infructueuse tentative de nos
armes , ils se montrèrent parfois sublimes de dévouement.
Au moment où s'ouvraient les préliminaires de paix, ce beau régiment,
que nous avons vu envoyer deux millo deux cents hommes sur les bords du
Rhin , qui devait ensuite fournir encore de nombreux contingents aux armées
de la Loire et de l'Est, n'existait, pour ainsi dire, plus que de nom; dispersé
sur tous les points de la France, de la Suisse, de l'Allemagne et de l'Algérie,
il semblait avoir complètement disparu. Les l*', 2« et 3* bataillons et quatre
compagnies du 4* avaient été dirigés sur le théâtre de la guerre; il ne restait
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376 LE 3^ nÉQIMBNT OB TIRAILLEURS AL0ÉUIEN8 [1871 ]
donc on Algérie que Irois couipugiiica du 4^ Imluilloii : encore n'esl-ce là qu'une
désignation administrative; car, de fait, ces dernières avaient versé tous leurs
hommes valides dans les compagnies de guerre et ne constituaient plus qu'un dé-
pôt, réparti dans les divers postes de la province, et s'occupant surtout du recru-
tement, de l'instruction , et ne concourant que pour une faible part au service
actif des garnisons. Celles-ci étaient en grande partie tenues par des mobiles,
auxquels s'ajoutaient quelques anciens soldats, malingres n'ayant pu faire la
campagne, blessés convalescents, étrangers ayant demandé à ne pas marcher
contre la Prusse : tout cela commandé par des officiers s'étant eux-mêmes en-
gagés à ne plus servir dans les armées opposées aux Allemands. Telle était la
situation de ce qui restait du 3^ Tirailleurs dans la province de Constantino
lorsque éclata la grande insurrection de t871 , et que les hommes et les offi-
ciers prisonniers de guerre rentrèrent de captivité.
Ce n'est que vers le 20 mars que coinmenc4U*enl à être dirigés sur Marseille
et Toulon, puis sur KAne et Pliilippevillo, les détachemcntH du réginuuil re-
venant de Suisse ou d'Allemagne. Ils arrivaient juste pour prendre part à une
nouvelle campagne, pour supporter de nouvelles fatigues, pour livrer de nou-
veaux combats.
Avant de suivre le régiment dans sa réorganisation , avant d'entreprendre
le récit des opérations qui, pendant une année, allaient absorber toutes ses
forces reconstituées, nous croyons devoir revenir sur les événements de 1870
pour bien voir quel fut le rôle des Tirailleurs algériens pendant cette cam-
pagne.
Jusqu'au moment où on les opposa aux Allemands, les Tirailleurs n'avaient
à proprement parler pas fait la grande guerre. Admirables soldats dans toute
l'acception du terme, disciplinés, dévoués, aventureux, rompus aux fatigues
des longues marches, aimant le danger, se battant avec une furia irrésistible,
ils représentaient plutôt l'idéal d*excellcnts partisans, ou mieux encore d'une
vigoureuse infanterie do montagne, que celui d'une troupe possédant les qua-
lités montcuvrit^res indispensables sur un champ do huluilleuu peu vaste. Les
journées de Wissembourg et de Frœschwiller prouvèrent que, pour n'avoir
peut-être pas été autant développées qu'elles auraient pu l'être, ces qualités
n'en existaient pas moins chez eux à un remarquable degré. Dans ces deux
grandes affaires on put voir que les turcos, qu'on croyait généralement peu
propres à la défensive, savaient parfaitement tirer parti du terrain et main-
tenir l'ennemi en ne lui cédant que pied à pied, ou bien eu le déconcertant
au moyen de vigoureux retours offensifs. Plus tard, in l'armée de la Loire, les
combats d'Artenay et de Maizières donnèrent encore une haute idée do leur
intelligence flans une action un peu compliquée; à Maizières surtout, ils éton-
nèrent les Allemands eux-mêmes par leur entente de la défense de ce village,
et par Tà-propos avec lequel ils passèrent subitement à une offensive que rien
ne pouvait faire prévoir dans les conditions d'infériorité numérique où ils se
trouvaient. A l'armée de l'Est, quoique alors leurs cadres n'eussent plus la
même expérience ni la même autorité, on n'apprécia pas moins la vigueur
avec laquelle, après être pénétrés de force dans Montl>éliurd , ils s'y maintinrtuit
pendant deux jours.
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l!87!] KN FIIANGB 377
Par ce qui précède, il ne faut cependant pas conclure qu'ils ne perdirent
pas une gramlc partie de leur valeur inlrinsèquc dans ce rôle purenâcnt dé-
fensif, absolument contraire a leur tempérament; s'ils se montrèrent presque
toujours dignes fie la réputation (Pune Iroupc d*élile dans la défense, dans
Taltaque ils furent partout héroïque.^). Malheureusement on eut le tort, selon
nous, de les engager beaucoup trop tôt, de les croire mieux à leur place en
première ligne qu'en réserve, de ne pas les garder pour le moment décisif;
trop ardents, trop impétueux, ils n'eurent pas toujours la mesure nécessaire
pour tâter l'ennemi au début de l'action, et ils furent généralement entraînés
à donner immédiatement foute la somme de leurs moyens. C'est ainsi qu'à
Frœschwillcr les 2^ et 3° régiments se firent écraser en détail, s'épuisèrent
dès le commencement de la lutte en tentatives certainement très glorieuses,
mois sans résultat, alors qu'ils eussent constitué, chacun pour la division à
laquelle il appartenait, une réserve peul-ôtre capable de rompre, pour un bon
moment du moins, la ligne déj& assez flottante de l'ennemi à l'heure où celui^
ci se décida & marcher en masse à l'attaque de nos positions. Deux exemples,
pris dans cette même journée, suffiront pour appuyer notre opinion : le mou-
vement du colonel Gandil sur Gûnstett, et l'entrée en ligne du 1°' régiment.
Au sujet du niotiveinent sur fiunslolt nous ne dirons qu'une chose, c'est
(|u'il eut lieu promoturément et fut tenté par trop peu de monde; mais, par
ce que firent trois compagnies , on peut juger de ce qu'il en eût été si , exécuté
seulement lorsque notre droite fut sérieusement menacée, tout le régiment
y eût pris part. Ouant à l'exemple du l^''^ Tirailleurs, il est encore bien plus
concluant. Lorsque ce corps fut engagé, les Prussiens débouchaient déjà d'EI-
sasshausen, ou, pour mieux dire, la bataille était depuis longtemps perdue.
Bien qu'aflaibli par le combat de Wissembourg, ce brave régiment n'en refoula
pas moins les Allemands dans le Niederwald , leur reprenant six de nos pièces
dont ceux-ci s'étaient emparés. Ce qu'il en résulta, il est facile de le deviner :
décimés, accablés par le nombre, les Tirailleurs furent ensuite obligés de se
replier; mais, pendant un moment, l'attaque de l'ennemi se trouva suspen-
due, et ce répit contribua pour une bonne part à la possibilité de la retraite
de la division Raoult. Le choc fut si violent, que ce seul retour oflensif, exé-
cuté dans des conditions telles qu'il était d'avance condamné à échouer,
inquiéta plus les Allemands que toutes les belles charges do nos cuirassiers.
A Morsbronn , le *)^ Tirailleurs lancé à la place de la brigade Michel eût fait
des merveilles.
S'il est quelque chose qui ressorte plus particulièrement de ces pages, hé-
las I trop longues, puisqu'elles ne retracent que des revers, c'est l'excellent
esprit de discipline et la parfaite résignation que surent conserver les Tirail-
leurs aux heures les plus difficiles de cette dure épreuve; ils montrèrent ainsi
pour la France un attachement qui rivalisa avec celui de ses propres enfants.
C'est surtout lorsque la fièvre de la lutte eut cessé, lorsqu'ils se trouvèrent
prisonniers de l'Allemagne, que leur noble attitude se révéla dans toute sa
dignité; en butte aux mauvais traitements de leurs gardiens, devenus l'objet
d'une curiosité importune et quelquefois insultante, ils restèrent calmes, ré-
servés, et n'eurent jamais la moindre faiblesse devant nos ennemisr Nous ne
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378 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1871 ]
saurions mieux rendre ce qu'eurent de triste pour eux ces sombres jours
d*exil, auxquels se môlait l'amertume de la défaite, qu*en laissant le soin de
les faire revivre à une plume plus autorisée que la nôtre, à celle du général
Ambert.
t Parmi les prisonniers, dit ce dernier, dans ses RéciU mililairea, se trou-
vaient les Africains, soldats du corps des Tirailleurs algériens, connus sous le
nom de Turcos. La ville d*Ulm renfermait un grand nombre de ces bommes, qui
excitaient une vive curiosité. Les Allemands se montraient scandalisés do ce
que les Français eussent inlroduU ces infidèles dans les armées chrétiennes,
« Leurs scrupules n'étaient pas étrangers à la peur, car sur le champ de ba-
taille les Turcos répandaient une véritable terreur. Ils se battaient avec un élan
quelque peu sauvage. A Wissembourg notamment, ils enlevèrent buit pièces
de canon*; mais, succombant sous le nombre et décimés par la mitraille, ces
intrépides soldats se flrent tuer et ne rendirent pas les canons à Tennemi.
« En captivité ils ont plus souffert que les autres prisonniers ; ils sortaient
peu, si ce n*est pour assister quelquefois à la messe, car ils goûtaient un
extrême plaisir à prendre part aux cérémonies religieuses des catholiques. Ils
avaient cependant au milieu d*eux un marabout fait prisonnier avec eux , mais
qui ne s'occupait pas de ses coreligionnaires. Ces malheureux Turcos se dédom-
mageaient de rindifférence de leur marabout en se pressant aux ofQces. Si les
aumôniers eussent connu la langue arabe, le nombre des conversions eût été
assurément considérable. Au moment de la mort, plusieurs d'entre eux deman-
dèrent À être baptisés *.
« Le froid les faisait cruellement souffrir, et c'était pitié de voir ces enfants
du désert trembler, immobiles, silencieux, résignés, dans l'obscurité des case-
mates. Jamais une plainte ni un blasphème ne s'échappaient de leurs lèvres.
Tristes, mais toujours dignes , ils demeuraient de longues heures à faire glisser
dans leurs doigts les grains du chapelet des musulmans. Cette mélancolie qui
distingue les Orientaux avait pris chez eux un caractèi*e de douloureux abatte-
ment. Les aumôniers les admettaient aux distributions de secours comme les
Français, et ces Africains reconnaissants témoignaient un grand respect pour
ces prêtres, leurs bienfaiteurs.
« Ceux qui mouraient étaient inhumés avec les honneurs militaires; les au-
môniers catholiques ne pouvaient apporter à ces funérailles le secours des céré-
monies liturgiques.
t Un ministre protestant allemand crut devoir assister aux obsèques des
Turcos. La population fut indignée de cet acte, honorable d'ailleurs; mais le
pasteur, homme d^esprit, tint ce discours : « On me repix)che ma participation
à ces funérailles; on a tort. Les Arabes ont une foi et croient en Dieu : pourquoi
leur refuser cet honneur, tandis que j'ai des paroissiens chrétiens qui ne croient
ni à Dieu ni à diable, et je suis bien obligé de les enterrer. »
1 Le général eonfond probablement Frœschwiller avec Wissembourg, car dans le
combat du 4 août il n'j eut pas de canons enlevés à l'ennemi par les Tirailleurs.
* Il y a de l'exagération dans cette affirmation. Les Tirailleurs indigènes n'ont au-
cune répugnance à assister à nos cérémonies religieuses , mais ils n'en restent pas moins
profondément attachés au culte musulman, qu'il j ait un marabout ou non pour leur
en faciliter la praUque. S'il y eut des baptisés, ils durent être en très petit nombre, et
seulement parmi les hommes moralement aifaiblis par la maladie.
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[1871] EN FRANCS 379
Les Tirailleurs n'ont oublié m rhumiliation qui atteignit la France, ni les
souATrances qu'ils durent à la brutalité de ses ennemis; que vienne Theure de
venger nos désastres, et on les verra marcher à la frontière avec le même
enthousiasme et verser leur sang avec la même générosité. Le jour de leurs
vœux sera tonjour5< celui où ils entendront do nouveau ce cri qui résume tout
leur passé : En aoant !
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TROISIEME PARTIE
(1871-1887)
LE 3<» RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
DEPUIS LA GUERRE CONTRE L'ALLEMAGNE
CHAPITRE I
Le 3* régiment de Tirailleurs algériens après la guerre de 1870. — Situation de l'Algérie
au commencement de 1871. — Incident d*AIn-Gueitar. — Colonne Pouget. — Attaque
d'Ri - M {lia. — Réprossion do la révoltn dans 1c cercle de Tébcssa. — Réorganisation
du r(^giiMcut au moment do sa rentrée de captivité. — Ëvénements de la Mcdjana. —
Colonne de secours de Bordj-bou-Arrérlilj. — Le général Saussier vient en prendre
le commnndement. — Opérations dans la Medjana et au nord de Sétif. — Progrès de
l'insurrection. — Colonne Adeler. — Révolte des tribus des environs de Batna. — Réu-
nion des colonnes Adeler et Marié. — Attaque du Djebel-Mestaoua. — Nos troupes sont
repoussées. — La colonne Marié se rend à Sétif. — Dernières opérations de la colonne
Adeler.
Après la guerre de 1870 et la répression de la Commune en 1871, la plu-
part des régiments de Tarmée française allaient jouir d'un complet repos. Il
ne devait pas on être ainsi pour le 3*^ Tirailleurs; bien que les année» qui se
sont écoulées depuis le traité de Francfort aient été, on apparence, des années
de paix, c^est encore pour le voir marcher et combattre que nous allons le
suivre pendant cette longue période d'incessants efforts pour relever le prestige
de notre drapeau. C*est, en effet, pour assister avec lui à la répression des in-
surrections algériennes de 1871, 1876 et 1879, à la fatale et encore toute
récente catastrophe de la mission Flatters, à Texpédition de Tunisie, et enGn
à ces événements qui datent d*hier seulement, à la conquête du Tonkin, que
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882 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1871 ]
nous ouvrons cette troisième partie de son histoire, partie qui est déjà assez
remplie pour que, pour lui, le souvenir de nos revers se soit peu à peu effacé
devant une longue liste de succès et de faits glorieux. On verra par ce qui va
suivre que les Tirailleurs algériens en général , et ceux du 3* régiment en par-
ticulier, n*ont pas dégénéré; que, tout en marchant résolument dans la voie
du progrès où l'on s*est engagé dès le lendemain de notre défaite, ils n'ont
rien perdu des solides et précieuses qualités qu'ils possédaient autrefois; qu'au
point de vue moral, ils ont toujours le même amour pour leur drapeau et le
même dévouement pour notre pays; enCn, que, constamment entretenu par
un noyau d'anciens soldats ayant hérité des vertus et des traditions de notre
vieille armée, l'esprit de corps est resté chez eux une religion ayant encore
toute sa puissance, un lien consenrant toute sa force , un stimulant toujours
capable de provoquer la plus noble émulation.
Au moment où prenait fin la guerre avec l'Allemagne, à l'heure où, croyant
enfin être parvenus au terme de leurs épreuves, nos soldats voyaient cesser la
lutte qui pendant six mois leur avait tenu les armes à la main , des difficultés
naissantes venaient les avertir que l'instant du repos n'était pas encore arrivé :
en France se déclarait Tinsurrection de la Commune de Paris, en Algérie écla-
tait un formidable soulèvement qui, pendant près d'une année, allait mettre
à feu et à sang toute la province de Constantine et la plus grande partie de
celle d'Alger.
Parmi les causes multiples qui motivèrent celte dernière révolte, il en fut
de naturelles qui ont toujours existé, qui existeront peut-être longtemps en-
core, l'esprit de nationalité et d'indépendance, la haine du musulman pour le
chrétien, l'incompatibilité de mœurs et d'aptitudes du peuple conquérant et
du peuple vaincu; mais il en fut aussi d'accidentelles, nées de la situation
difficile que nous traversions ou créées par des mesures intempestives prises
en vue de l'administration de la colonie. C'est sur celles-ci que nous insiste-
rons, d'abord parce qu'elles ont un caractère bien particulier, ensuite parce
qu'il nous semble que cette insurrection, provoquée par des circonstances
uniques dans Thistoire de l'Algérie, alors que notre prestige militaire était à
ce point déchu, qu'une troupe qui jusque-là nous avait toujours été dévouée
se mettait ouvertement en rébellion contre ses chefs et contre notre autorité,
se rattache directement au sujet que nous traitons, et démontre, plus que nous
ne saurions le faire, que, si les Tirailleurs demeurèrent absolument incorrup-
tibles au milieu des influences dissolvantes qui étaient devenues comme leur
atmosphère ambiante , ils le durent à cet admirable esprit de fidélité et de
cohésion qu'ils avaient acquis à l'ombre de notre drapeau, à la vigueur et à
l'expérience de leurs officiers, et enfin et surtout, à cet inébranlable respect
pour la discipline que nous avons le devoir de faire ressortir, pour qu'il reste
éternellement la devise de notre beau et brave régiment. D'ailleurs le 3« Ti-
railleurs prit une telle part à la répression de la révolte, que relater ses opé-
rations c'est raconter l'insurrection elle-même.
Dès la première nouvelle de l'invasion du territoire français par les Alle-
mands, les populations indigènes furent profondément impressionnées : notre
pays n'était plus invincible; le colosse qui les avait abattues venait d'être ter-
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[1871] EN ALGÉRIE 883
rassé à son tour ; il leur élaii donc possible de se dégager de la puissante
étreinte qui les avait si longtemps enserrées. Au lendemain de la capitulation
de Paris, cette idée, d^abord hésitante, se répandit avec une effrayante rapi-
dité; les sectes religieuses ou Khouans en firent habilement leur profit, Taris-
tocratie arabe la cultiva adroitement en vue de ses intérêts, et bientôt la
révolte, partout latente, n'attendit pour se déclarer qu'un prétexte et qu'une
occasion. Le prétexte lui Tut fourni par divers actes politiques dictés par l'es-
prit du jour, entre autres le remplacement du gouvernement militaire par le
gouvernement civil et la naturalisation des Israélites indigènes; l'occasion
allait surgir d'un événement tout à fait imprévu, du refus des spahis de la
smala d'Aîn-Gucttar de partir pour la France.
Le moment était mal choisi pour changer le mode d'administration de TAI-
gérie : c'était, pour ceux qui avaient Texpérience de ce pays, abdiquer volon-
tairement la seule autorité qui inspirftt encore une certaine crainte au sein des
tribus. Considérant, en effet, Tavènement du régime civil comme la cessation
du règne de la force , les Arabes en furent vite à l'envisager comme le signe
précurseur de Tabandon de notre conquête, et les commentaires auxquels il
donna lieu tendirent tous vers cette conclusion : qu'il n'y avait plus d'armée.
Cette croyance s'accréditait avec d'autant plus de facilité, que pour le moment
la garde de nos postes même les plus importants était confiée à de jeunes
mobiles, & des troupes inexpérimentées ne rappelant en rien les vieux soldats
du temps passe. Sur ces entrefaites, étant survenu le décret Crémieux élevant
les Juifs, de tout temps détestés des musulmans, à la qualité de citoyens fran-
çais, la situation prit tout à coup un caractère aigu; de ce jour on put con-
stater de visibles symptômes de rébellion; bientôt l'évidence devint telle, que
tous les efforts du commandement, surtout dans la province de Constantine,
durent tendre vers une temporisation prudente devant, non plus combattre
un danger inévitablt*, mais le relarder jusc|u*à ce qu'on fût à même d'y faire
face. Malheureusement une étincelle allait brusquement mettre le feu aux
poudres , et placer notre colonie désarmée dans les circonstances les plus cri-
tiques où elle se soit jamais trouvée.
Vers le milieu du mois de janvier 1871, le 5<^ escadron du 3« spahis, sta-
tionné à la smala d'Aîn -Guetter, à quelques kilomètres de Souk-Arras, avait
été désigné pour aller en France prendre part à la guerre contre l'Allemagne.
Le 22 janvier, veille du jour fixé pour le départ, le capitaine commandant
voulut réunir sa troupe. Les spahis se rendirent à l'appel , mais pour déclarer,
à l'exception d'une trentaine d'anciens soldats, qu'ils refusaient formellement
de quitter l'Algérie; puis ils se sauvèrent à la hâte dans toutes les directions,
et vinrent s'étabKr avec leurs tentes et leurs familles en dehors du territoire
de la smala, à un endroit nommé Enchir-Moussa.
Cette mar(|ue d'insubordination , de la part de gens passant pour les plus
dévoués à notre cause, produisit une vive émotion parmi les tribus de la
contrée. Il n'en fallait pas davantage pour entraîner les Hanencha, déjà for-
tement travaillés par la puissante famille des Resguy, à qui on avait récem-
ment retiré le pouvoir, et qui ne pouvait prendre son parti de cette destitu-
tion; en quelques jours, à l'exception de trois douars entiers et de quelques
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38< LE 3® RÊOmRNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1871 ]
lonloa riparliûH dans los divArsos franlions, toulo la tribu Tut on arinoa , oi,
le 25 janvier, les contingents révoltés se présentèrent devant Souk-Arras, où
le capitaine Delahogue, du régiment, exerçait les fonctions de commandant
supérieur.
Souk-Arras avait pour les insurgés une importance capitale : centre de
marchés considérables ayant lieu les mercredis et les jeudis, rendez- vous de
toutes les tribus de la frontière faisant le commerce avec la Tunisie, cette
ville leur eût vite assuré le commandement de la région de l'est. Mais le capi-
taine Delahogue, avec une activité et une intelligence qui devaient plus tard
être hautement reconnus, avait en toute hAte organisé la résistance avec les
faibles moyens dont il disposait % et les rebelles, malgré leur nombre, durent
se contenter de bloquer la place.
Pendant ce temps, une colonne de secours s'organisait A Bône sous les
ordres du général Pouget, commandant la subdivision. Elle comprit, entre
autres troupes d'infanterie, doux compagnies de marche du 3** Tirailleurs,
sous les ordres du capitaine Darras. Le 28, elle campait A Duvivier. Le 30,
elle arriva A Aln-Semour, où elle rencontra les contingents ennemis, qui,
grossis de nouvelles bandes venant des Onillen, des Séfia, des Ouled-Khiar
et des Ouled-Dhia, s'étaient portés au-devant d'elle pour lui barrer le che-
min. Après un court engagement où les Tirailleurs, € vigoureusement en-
traînés par leurs officiers, montrèrent beaucoup de valeur et d'entrain *, » ces
contingents furent facilement dispersés, et le lendemain Souk-Arras se trouva
complètement débloqué. La colonne séjourna un jour dans ce poste; puis,
s'étant renforcée de quelques autres troupes parties de Philippeville sous les
ordres du lieutenant-colonel Oudan, du 3<> chasseurs d'Afrique, elle se porta
A AînGuettar. Effrayées, les fractions qui avaient recueilli les spahis insurgés
vinrent faire leur soumission, et ces derniers, ainsi que les indigènes qui
s'étaient le plus compromis, gagnèrent précipitamment la Tunisie. L'ordre se
trouva alors momentanément rétabli; mais cet événement avait si profondé-
ment agité les esprits, qu'il fallait compter sur un contre-coup sinon immé-
diat, du moins prochain, de cette tentative prématurée.
Le soulèvement attendu ne tarda pas : le 14 février, les Ouled-Aidoun
prenaient brusquement les armes et tentaient de surprendre le petit poste
d'EI-Milia. Mais, prévenu, le capitaine Sergent, du 3^ Tirailleurs, comman-
dant l'annexe, avait pu prendre ses dispositions pour repousser les insurgés.
Voici , du reste , dans (|uelles circonstances bizarres naquit ce nouvel acte de
rébellion.
Les Ouled-Aîdoun, qui s'étaient compromis aux yeux de leurs voisins en
restant étrangers aux révoltes de 1860 et de 1864, brûlaient du désir de se
réhabiliter en frappant un grand coup. Le 13 février, les Keburs (les grands)
de chaque fraction se réunirent A la noce d'un nommé Alim(«d-ben-Siaoud,
des Ouled-IIannech , et lA il fut décidé qu'un certain nombre d*Ouled-iiannech,
> La garnison de Souk-Arras se composait de cent treate tiommes du 43* mobiles, de
la milice et de quelques spahis.
* Rapport du général Pouget.
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[1871] EN ALGÉRIE 385
d*Ouled-Arbi , d*0u1ed-Bouzid , après avoir caché leurs fusils dans un bois près
du marché, à douze cents mètres environ du bordj, pilleraient le lendemain
les marchands européens, pendant que les autres insurgés attendraient, em-
busqués, l'occasion favorable pour se jeter sur le camp et sur le bordj lui-
même.
Le lendemain 14, le caïd Bou-Zian fut envoyé par le chef d'annexé avec
deux spahis sur le marché pour y exercer une surveillance spéciale. En même
temps la petite garnison, composée d*un détachement du 43* mobiles, prit
les armes et se tint prête à marcher. Tout se passa , pour les indigènes, comme
il avait été convenu la veille ; ils se portèrent en masse du marché sur le camp ;
mais, reçus autrement qu'ils ne s*y attendaient, ils virent leur attaque re-
poussée. Trop faible néanmoins pour les contenir dans la campagne, le capi-
taine Sergent, oprèfl deux vigoureuses escarmouches dans lesquelles il fut
Icgôroinont blassé, et qui permirent aux Européens do se réfugier dans le
bordj, se vit obligé do se renfermer lui -môme dans ce fortin. Il no tarda pas
h y être ctroilcmcnt bloque, et les rebelles, restés maîtres du village, en incen-
dièrent les maisons et coupèrent la conduite qui amenait Teau aux assiégés.
Cependant le général Augeraud, commandant la province, était parvenu,
en réunissant la majeure partie des troupes qui avaient servi t Texpédition do
Souk-Arras & un bataillon du 2^ zouaves, venu en toute hAte d^Oran, et à un
autre du l^^*" Tirailleurs, envoyé d'Alger, à organiser à Elma-el-Abiod une
colonne d'environ trois mille quatre cents hommes, dont le commandement
fut encore donné au général Pouget. Dans cette colonne se trouvaient deux
compagnies du 3<^ Tirailleurs, sous les ordres du capitaine Maisonneuve-La-
coste. La marche de ces troupes ne fut pas sérieusement inquiétée; après deux
légers engagements en avant d'Elma-el-Abiod et à Kef-Zerzour, El-Milia fut
atteint et débloqué dans la journée du 27 février, et le général Pouget n'eut
plus qu'& procéder au désarmement des tribus, lesquelles, devant l'insuccès
de leur tentative, s'étaient empressées de faire leur soumission. Ce désarme-
ment, qui s'circctua très sérieusement et qui enleva tout moyen de révolte
aux populations de celte partie de la Kabylie, devait plus tard nous être d'un
grand secours en empêchant le mouvement insurrectionnel de se propager
dans les cercles de Collo et de Philippeville. Le blocus d'El-Milia avait duré
treize jours. Pendant ce temps, les insurgés avaient tenté trois attaques de
vive force qui avaient èU) brillamment repoussées par lo capitaine Sergent.
Mais, voyant nos troupes occupées dans le nord de la province, les tribus
de l'est n'étaient pas restées longtemps dans cette attitude soumise qu'avait
provoquée chez elles la marche rapide du général Pouget sur Souk-Arras.
Quelques arrestations faites chez les Ouled-Khalifa, & la suite de l'assossinat
du doinesli(|uc d'un sieur Cambon, entrepreneur des fourroges de TËlat, fut
le signal de cette nouvelle agitation dans celte région; les Ouled-Khalifa se
soulevèrent, volèrent deux cents bœufs au sieur Cambon, et, le 7 mars, no
craignirent pas d'attaquer le commandant supérieur de Tebessa, dans une
reconnaissance que celui-ci Taisait à Orfaux, à quelques kilomètres du poste.
Profitant aussitôt de cette situation , deux intrigants, les nommés Naceur-ben-
Chora, agitateur de toutes les époques, et Mahi-eUDin, prétendu fils d'Abd-
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386 LE 3* RÉOmCNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1871 ]
el-Kader, se donnèrent comme chérifs et cherchèrent à entraîner les Nemencha
dans Tinsurrection. Mais ceux-ci restèrent dans une expectative prudente;
peut-être auraient-ils tout de même fini par céder à ces sollicilations, si Tan-
nonce de l'arrivée d'une colonne ne fût venue tout à coup refroidir leur en-
thousiasme.
On avait, en effet, rappelé en toute hdte le général Pouget de la Ka-
bylie, et, le 24 mars, il entrait dans le cercle de Tebessa à la tête de deux
mille deux cents hommes de toutes armes, dont deux compagnies du 3« Ti-
railleurs, sous les ordres du capitaine Besson (Laurent), officier servant au
titre auxiliaire. Le 25, les contingents réunis par les deux chérifs étaient
battus à Aîn-Hadnadja et refoulés dans les gorges d'Youks, petit village à
trente-trois kilomètres de Tebessa. Bientôt chassés de là, les insurgés prirent
la fuite vers le sud , entraînant avec eux toute la population , même celle des
tribus qui ne s'étaient pas déclarées contre nous , à tel point que le général
Pouget se trouva soudain au milieu d'un désert. Les jours suivants, les frac<
tiens les moins compromises rentrèrent peu à peu pour demander l'aman ;
mais en même temps que l'ordre se rétablissait sur ce point, d'autres troubles
éclataient à l'ouest de la province, de sorte qu'ainsi que le géant Antée l'in-
surrection reprenait de nouvelles forces chaque fois qu'on la croyait terrassée.
Heureusement les troupes rentrant de captivité commençaient à arriver; leur
réorganisation s'opérait avec une fiévreuse activité, et, si le danger grandis-
sait, du moins les moyens de le combattre allaient-ils de jour en jour aug-
menter dans la même proportion.
Nous avons vu que la portion du régiment prisonnière en Allemagne ou en
Suisse n'était rentrée en Algérie que dans le courant du mois de mars. Jusque-
là, trois compagnies seulement avaient pu concourir à la formation des co-
lonnes dirigées contre les insurgés; mais, en vertu d'un décret du 30 janvier
prescrivant la formation d'un 2<^ régiment de marche de Tirailleurs algé-
riens , qui devait aller s'organiser à Perpignan , ces compagnies avaient été
dédoublées, ai l'on avait ainsi obtenu des compagnies de marche dont on
avait complété les cadres au moyen d'officiers servant au litre auxiliaire. Cet
état de choses subsista jusqu'au 19 mars; & celte date, les circonstances d'un
côté, l'arrivée des Tirailleurs prisonniers de l'autre nécessitant une complète
réorganisation du corps, on y procéda conformément aux instructions éma-
nant d'une décision ministérielle du 13 mars. Nous donnons ci -dessous la
nouvelle composition du 3* régiment, telle qu'elle résulta du tiercement qui
eut lieu à cet eflet, mais en faisant remarquer que les bataillons ne furent
guère constitués ainsi qu'après la répression de l'insurrection; pour le mo-
ment, on allait se borner à former des compagnies avec les premiers arrivés,
sans s'occuper du classement figurant sur le papier.
iTAT-MAJOR
MM. Uarrué, colonel.
Âubry, lieutenant-colonel.
Béhic, lieutenant-colonel à la suite.
Brisset, major.
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[1871]
EN ALGÉRIE
387
!•' BATAILLON
MM. Crouzet, chef de bataillon.
Lcgronlec, copilainc adjudant-mojor.
l'o compagnie,
MM. Darras, capitaine.
Guillaume, lieutenant français.
Abderrahman-ben-Ekorfi , lieu-
tenant indigène.
Henaux, sous-lieut. français.
Sa'id-ben-Yaya , sous-lieut. ind.
2" compagnie,
MM. Woronicz de Pawenza, capitaine.
Esparron , lieutenant français.
Yahia-bcn-Simo , lient, indigène.
IJi'îCu, sous-licntcnant français.
Kaddour-bcn-Alnncd , sous-lieu-
tenant indigène.
S'' compagnie,
MM. Ducoroy, capitaine.
Lafon, lieutenant français.
Amou-ben-Mousseli, lient, ind.
De Bazignan, s.-lieut. français.
Mohamed-ben-Ahmed-Khodja ,
sous-lieutenant indigène.
4° compagnie,
MM. Sergent, capitaine.
Winter, lieutenant français.
Mohamed-ben-Taïeb, lieut. ind.
Favreau, sous-lieut. français.
Djellali-ben-Aouda, s.-Iieut. ind.
5*^ compagnie.
MM. Wissant, capitaine.
Clerc, lieutenant français.
Ali-ben- Ahmed , lieut. indigène.
Ocutzer, suus-Iieut. français.
Lagdar-bcn-el-Achi , sous-lieu-
tenant indigène.
6*^ compagnie,
MM. Gillet, capitaine.
Bernad , lieutenant français.
Zenati-ben-Serir, lieut. indigène.
Carli , sous-lieutenant français.
Amri-ben-Lagdar-ben-Mebrouth,
sous-lieutenant indigène.
7« compagnie,
MM. Pont, capitaine.
Macqueron, lieutenant français.
Mohamed-ben-AH-Chaoui , lieutenant indigène.
Paoli , sous-lieutenant français.
2<: BATAILLON
MM. Mathieu, chef de bataillon.
Brault, capitaine adjudant-major.
MM
!••• compagnie,
Uiraud , capitaine.
Fay, lieutenant français.
Adj-Tahar, lieutenant indigène.
Spellz, sous-Iieulenant français.
Boularès-ben-Taieb, s.-lieut. ind.
2« compagnie.
MM. Roussel, capitaine.
Uarnier, lieutenant français.
Béchir-ben-Mohanicd, lieut. ind
Quilici, sous-lieut. français.
Belkassem-Zid-ben-Mohamed-
Zid, sous-lieutenant indigène.
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388
LB 3* RftOIllBNT DB TIRAI1XBUR8 ALQËHIBNS
[«871)
3* compagnie.
MM. Delahogae, capitaine.
Roy, lieutenant français.
Kacem-Labougie, lient, indig.
Boutareli sous-lieut. français.
Amar-ben-Barki, s.-heut. ind.
i^ compagnie.
MM. Donin de Rozière, capitaine.
Anglade, lieutenant français.
Kaddour-ben-Amar, lieut. indig.
Hacquart, soua-lieut. français.
Ahmed-ben-Djelloul , sous-lieu-
tenant indigène.
S« compagnie.
MM. Besson, capitaine.
Blumendhal, lieut. français.
Haoussin-ben-Ali, lieut. indig.
Pavot, sous-lieutenant français.
Ahmed-ben-Haoussin, sous-lieu-
tenant indigène.
6* compagnie.
MM. Kolb, capitaine.
Hamel , lieutenant français.
Kacem-ben-Ahmed , lieut. ind.
Mazué| souft-lieutenant français.
Mohamed-bcn-Chérir, sous-lieu-
tenant indigène.
MM.
Ricballey,
Rouget I
Lequiu,
7* compagnie.
capitaine,
lieutenant français,
sous-lieutenant français.
Mohamed-ben-Amor, sous-lieutenant indigène.
3« BATAILLON
MM. Petitjean, chef de bataillon.
Chenu , capitaine adjudant-major.
1" compagnie.
MM. Mas-Mézeran , capitaine.
Rhulmann , lieutenant français.
Ali-ben-Osman , lieut. indigène.
Macares, sous-lieut. français.
Salah-ben-Tahar, s.-lieut. ind.
2^ compagnie.
MM. Duchesne, capitaine.
Valat, lieutenant français.
Tahar-ben-Amouda| lieut. ind.
Dargent, sous-lieut. français.
Taîeb-bcn-Ali , sous-lieut. Ind.
3* compagnie,
MM. Émy, capitaine.
Camion , lieutenant français.
llassen-ben-Aii, lieut. indig.
Monot, sous-lieutenant français.
Larbi-bel-Oussif, sous-lieut. ind.
4* compagnie.
MM. Lalanne des Camps, capitaine.
Soulice , lieutenant français.
Amar-ben-Medeli, lieut. indig.
Penaud , sous-lieut. français.
Salah-ben-Mohamed , sous-lieu-
tenant indigène.
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lt«7lj
EN ALOÊRIB
389
MH.
5* wmpagnie.
Fargue, capitaine.
MondielH, lieu tcnont français.
Saad-ben-Serir, lieut. indigène.
Marol, 80U8-lieutenant français.
Garmi-ben-Sahar, s.-lieut. ind.
MM
MM.
MM
6* compagnie,
MM. Oriot, capitaine.
Bricux, lieutenant français.
Amor-ben-Taîeb, lieut. indig.
Martin, sous-lieut. français.
Amar-ben-Salah , s.-Iieut. ind.
?• compagnie.
MM. Legris, capitaine.
Déporter, lieutenant français.
Gamin , sous-lieutenant français.
Robah-bon-Aniolaoui, sous-lieutenant indigène.
4o BATAILLON
MM. Rapp, chef de bataillon.
Leiorrain , capitaine adjudant-major.
!•* compagnie.
De Larochelambert, capitaine.
Bcaumont, lieutenant français.
Aûer dit Omar -ben -Abdallah,
lieutenant indigène.
Bruzeaux, sous-lieut. français.
Salah-ben- Ahmed, s.-lieut. ind.
2« compagnie,
Rinn , capitaine.
Dufour, lieutenant français.
Amar-ben-Brahim , lieut. indig.
Mynard , sous-lieut. français.
Ali-ben-Djilali, sous-lieut. ind.
3* compagnie,
Maisonneuvc-Lacoste, capitaine.
Darolles, lieutenant français.
Lagdar-bel-IIooussin , lieut. ind.
Martin, sous-lieutenant français.
Larbi - bel - Ilaoussin , sous-lieu-
tenant indigène.
4* compagnie,
MM. Sauvage, capitaine.
Mustapha-ben-^el-Hadj-Otman ,
lieutenant français.
Mohamed-ben-Charad, lieut. ind.
Lacoux, sous-lieut. français.
Bougherah- ben-Mohamed-Aga-
ouah, sous-lieut. indigène.
5' compagnie.
MM. Montignault, capitaine.
Règne, lieutenant français.
Hassen-ben-Ali , lieut. indigène.
Foucault, sous-lieut. français.
Mohamed-ben-Taleb , sous-Iieu-
tcnant indigène.
6* compagnie.
MM. Carré de Busserolle, capitaine.
Roux, lieutenant français.
Empérauger , soua-lieut. français.
Said-ben-Ali , sous-lieut. indig.
7« compagnie.
MM. Guyon-Desdiguières, capitaine.
Taverne , lieutenant français.
Aîssa-bel-Hadj-Hassen , sous-lieutenant indigène.
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390
LK a"" HÉGIMKNT DK TIIUILLKUUS AKGÉKIKNS
I1S7I1
OFFICIBBS ▲ LA SUITB DU CORPS
MM.
Capitaines.
LietUenants,
SouS'UciUemnts
Larrivet.
MM. D^Eu.
MM. liavettc.
Sibille.
Larichc.
Haull.
Tciilièrcs.
Mcsiô.
Abadiû.
Vigel.
Aiiiar-bcn-Kalara.
Lejosnc.
Potiaux.
Dcsruellcs.
Bessoa (Laurent).
Waller.
Balossier.
Laplace.
Les événemenU d*Aïn-Gueltar, d*EI-Milia ot de Tebessa n*étaieDt que le
prélude d*autres plus graves. A peine cette première efTervescence commençait-
elle à être calmée, qu'on apprenait, en efTet, que toute la Medjana s'était
soulevée à la voix du bach-agha Si-el-Hadj-Mohamed-ben-el-Hadj-Ahmed-el-
Mokrani, l'un des membres do la nombreuse et puissante famille des Ouled-
Mokran, descendant du Prophète, et l'une des plus influentes do l'Algérie.
Avec un tel instigateur, l'insurreclion no pouvait manquer do faire de rapides
progrès, d'autant plus que, dans celte partie de la province, les indigènes
étaient prêts, que les chefs s'y étaient donnés le mot d'ordre, et que tous
n'attendaient qu'un signal ; aussi , au premier appel , le bach-agha eut-il au-
tour de lui une armée do sept à huit millo hommes avec laquelle il se pré-
senta, le 16 mars, devant Dordj-bou-Arréridj, où se trouvaient seulement
deux compagnies do mobiles sous les ordres du commandant du («heyron , «lu
8* hussards. L'émoi fut grand à Constantine; car Oordj-bou-Arréridj aux
mains des rebelles, c'en était fait de Sétif, et rien n'arrêtait plus la marcho
victorieuse de Mokrani, qui aurait alors trouvé, dans la capitale de la province,
une population indigènu parfaitement disposée à lo sccondor, par suilo do
l'exaspération qu'avait provoquée chez elle la naturalisation des Juifs. Mais
encore une fois le danger put être conjuré, grAce A l'héroïque résistance de la
petite garnison de Bordj.
Dès les premiers symptômes de cette redoutable lovéo do boucliers, la co-
lonne d'EI-Milia, A la télé de laquelle se trouvait maintenant le lieutenant-
colonel de Dancourt, du 3^ spahis, avait quitté ce poste pour se rendre A
Sétif. Elle arriva dans cette ville le 16. Le lendemain, elle en repartait, sous
les ordres du colonel Bonvalet, commandant la subdivision , pour se porter au
secours de Bordj, et venait coucher A Aïn-Messaoud. Lo 18, sa marche reprit
vers l'ouest; mais, arrivée A Saint-Uames, A vingt-cinq kilomètres de Sétif,
elle fut arrêtée : do graves nouvelles venaient de parvenir au colonel Bonva-
let, et celui-ci , malgré tout sou désir do secourir les assiégés , dut se résoudre
A une extrême prudence jusqu'A l'arrivée de quelques renforts demandés en
toute hâte au général Augeraud. On ne savait point, en eflet, les forces dont
disposait au juste l'ennemi; le bach-agha avait, disait -on, quinze A vingt
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[1871] EN ALGÉRIE 391
mille hommes; les derrières n*étaient pas très sûrs, Sétîf pouvait être atta-
qué, à la tête des goums se trouvaient des caids dont la fidélité était subor-
donnée au moindre événement; bref, rien n^élait tant à craindre qu*un combat
douteux, et Tinaclion devenait préférable à des opérations engagées avec d'aussi
faibles moyens que ceux d*une colonne d*& peine deux mille hommes, com-
posée avec les éléments les plus disparates. Le 19, on revint à Ain-Messaoud.
Le 24, arrivèrent enfin les renforts attendus, et Ton se porta à Aîn-Tagrout.
Le lendemain , dans le but de tourner rOued-Chair, qu^on croyait sérieusement
défendu , la colonne obliqua vers le sud -ouest et vint camper à Ain -Tassera ,
chez le caïd Abd-es-Sellem, qui devait plus tard faire défection. Le 26, elle
arriva devant Bordj , où elle entra sans coup férir. Pendant douze jours, Ten-
nemi avait étroitement bloqué ce poste; mais toutes ses tentatives pour s*en
emparer de vive force avaient échoué. La ville, qui avait dû être évacuée dès
le premier jour par les habitants, qui s*étaient réfugiés dans le bordj, était en-
tièrement détruite et présentait le plus navrant spectacle : partout ce n'était
que débris et cadavres, que ruines et traces sanglantes, que désolation et in-
fection.
Le 2 avril, arriva le général Saussier, qui prit immédiatemement le com-
mandement do la colonne. Dans la composition do celle-ci se trouvaient main-
tenant quatre compagnies du régiment ; c'était :
La 7*î du !•''' batoillon (capilaine Sibille);
La 2° du 2« — (lieutenant Déporter);
La G° du 3" — (lieutenant Lariche);
La S*' du 4<^ — (capitaine Maisonneuve-Lacoste).
Outre les officiers ci-dessus, le détachement comprenait encore les lieu-
tenants Laplaco, Amar-bcn-Talcb, Amar-ben-Medeli et llaoussin-ben-Ali ,
et les sous-lieutenants Lejosne, Dargent, Abadie et Ahmed-ben-Chérif. Le
commandement de ce bataillon était provisoirement exercé par le capitaine
Maisonneuve-Lacoste, en attendant Tar rivée du commandant Mathieu.
Le 7 avril , eut lieu une reconnaissance sur le territoire des Ouled-Khellouf,
au sud de Bordj -bou-Arréridj. Le 8, le réveil se fit de tente en tente, sans
sonnerie. On devait marcher sur le bordj de la Mcdjana, résidence somptueuse
de la famille des Mokrani et quartier général de insurrection. Le mouvement
commença à quatre heures du malin, mais il fut brusquement interrompu
par un épais brouillard et ne put reprendre que vers six heures. Pendant ce
temps, les crêtes avoisinant le village et le bordj de la Medjana s'étaient cou-
vertes des gens du bach-agha. A dix heures, l'attaque éommença; vivement
préparé par rartillcrie, dont les obus allèrent jeter le trouble dans les rangs
pressés des fantassins et des cavaliers ennemis, elle fut ensuite menée avec
un admirable entrain par Tinfanteric, qui en un instant s'empara do la posi-
tion, au prix de quelques blessés seulement. Le général s'installa dans le
bordj où le matin encore Mokrani présidait au milieu des siens; les troupes
s'établirent en partie dans le village, qu'elles mirent en état de défense, et la
nuit se passa sans amener le moindre incident.
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302 LB 3* nËOIMSNT DE TinMIJ.CimS Ainl^miRNS (18711
Le londeinain, los Arabes se inonlrèroni clans les environs cl firent quelques
démonstrations sur les hauteurs, mais en ayant soin de se tenir hors de la
portée de nos chasscpots. Le 11 , ils revinrent plus nombreux; mais, devant
une sortie effectuée par nos troupes, et dans laquelle le 78^ de marche fut seul
engagé, ils se retirèrent précipitamment. Le 12, une nouvelle sortie amena
un combat plus sérieux, où la cavalerie fut assez sensiblement éprouvée.
A la suite de ces divers engagements, qui lui avaient coûté un monde con-
sidérable, Mokrani s'était retiré vers la petite ville de Zamourah, afin de se
rapprocher des insurgés kabyles et d'en recevoir des renforts. No comptant
pas assez sur la solidité do ses jeunes troupes pour le poursuivre dans cette
région diflicile, le générai Saussier préféra rester près de sa base de ravitaille-
ment; toutefois, pour rendre Tennemi incertain sur ses projets, il décida que
la colonne abandonnerait la Medjana pour se porter sur le Djebel -Morissan,
excellente position couvrant Bordj-bou-Arréridj et permettant do surveiller les
débouchés de la Kabylie. Le 15, la colonne évacua le bordj et le village de la
Medjana; en s*éloignant, elle fit sauter celui-ci et incendia celui-là. La marche
fut vivement inquiétée; le bataillon du 3^ Tirailleurs, qui avait été laissé à
Tarrière-garde, eut à repousser de nombreuses attaques venant de la gauche,
et plusieurs fois il dut exécuter de vigoureux retours oflcnsifs pour permettre
aux autres troupes de continuer leur mpuvemcnt. La position du Morissan dut
elle-mômo être enlevée de vive force; mais, à partir de ce moment, les re-
belles cessèrent la lutte et se dispersèrent dans la montagne. Nos soldats
dressèrent leurs tentes sur l'un des contreforts du Morissan , dans un site
admirable d'où l'on découvrait parfaitement Zamourah avec ses magnifiques
jardins, sa vallée arrosée par l'Oued -Embareck, ses montagnes couvertes
d'insurgés.
Le 16, un convoi de malades, dirigé sur Bordj -bou-Arré^idj, se trouva
tout à coup menacé par un fort parti d'Arabes que la cavalerie eut aussitôt
mission de disperser. Le combat fut vif, et quelques bataillons , dont celui du
régiment, durent prendre les armes pour protéger la rentrée de nos escadrons.
Le 18, le général Saussier fit lever le camp comme pour marcher sur Za-
mourah; mais, apprenant soudain la défection d*Abd-es-Sellem, caïd d'Aîn-
Tassera et cousin de Mokrani, il fil un brusque retour et ramena toute la
colonne à Dordj. Aïn-Tagrout, qui était gardé par les gens du caïd insurgé,
se trouvant ainsi entre les mains des rebelles, il s'agissait de chasser ceux-ci
de ce poste et de rétablir les communications avec Sétif. Le 20, les troupes se
remirent en route pour se rapprocher de cette ville et vinrent coucher à Ras-
el-Oued, après avoir eu un léger engagement avec les gens du bach-agha. Le
23, la marche fut reprise de bonne heure, et l'on atteignit, sans combattre,
A!n-Messaoud , où l'on ne s'arrêta que le temps de prendre le café; la colonne,
précédée par la cavalerie, se dirigea ensuite sur le Djebel-Megris , au nord de
Sétif, où des renseignements signalaient la présence d'un important rassem -
blement d*insurgés appartenant aux Ouled-Nabeth. On y surprit en eflet un
assez grand nombre de tentes; mais ce ne fut pas sans de sérieuses difficultés
qu*on put parvenir jusqu'aux rebelles, qui s'étaient réfugiés derrière un ter-
rain peu favorable à la cavalerie. On n'en fit pas moins sur eux une razzia
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[I87i] EN ALGÉRIE 393
considérable, et les troupes rentrèrent au camp chargées de butin. La cava-
lerie avait été à peu près seule à prendre part à ce beau coup de main; Tin-
fanterie, exténuée par une marche des plus fatigantes, n'était arrivée au pied
du Mégris qu'à cinq heures du soir; elle s'y était arrêtée et avait installé son
bivouac face & Mahouan et à la smala d*Aîn-Abessa. Le 25, on se porta à
GhAbct-Chcurra, afîn de protéger le ravitaillement du poste de Takitount.
Le 28, on rentrait à Aîn-Messaoud.
Cette pointe en Kabylie avait provisoirement purgé le territoire au nord de
Sélif des bandes qui le parcouraient quelques jours auparavant; mais, plus
à l'ouest, dans les montagnes du Guergour et la vallée de l'Oued-bou-Sellam,
l'insurrection restait encore toute- puissante et se renforçait chaque jour de
nouveaux contingents. Il importait de faire dans cette région une incursion
rapide, do foçon 6 y semer également la crainte qui commençait à régner sur
les autres points. Le 29 à minuit, le réveil eut lieu sans bruit, et vers une
heure du matin la colonne, débarrassée de ses malades et de ses impedimenta,
se mit en route dans la direction du Djebel-el-Faleck. Après une marche des
plus difficiles elle arriva, vers les neuf heures du matin, en face du village
d'EI-AIoun, au pied de cette montagne; et, malgré qu'elle eût été signalée
par do nombreux fcnx allumés sur les hauteurs, parvint à y surprendre un
important rassemblement qui n'opposa qu*une molle résistance, et qui prit la
fuite, laissant ses morts entre nos mains. On pénétra donc sans coup férir dans
le village d*EI-A!oun, où l'on trouva des silos remplis de grains, de sucre et
de café provenant du pillage d*un convoi de vivres qui avait été surpris, le
14 avril, près d'Aîn-Tagrout. Après cette opération, la colonne rentra à Aln-
Messaoud.
Les communications rétablies entre le Bordj et Sétif , les contingents du
bach-agha dispersés, tout danger définitivement conjuré dans la Medjana, la
colonne Saussier pouvait enfin prendre quelque repos, d'autant plus qu'on
savait que Mokrani venait de se porter vers l'ouest, afin d'activer par sa pré-
sence le mouvement insurrectionnel dans la Grand«- Kabylie. On resta donc
à Aîn-Messaoud jusqu'au 4 mai. Le 30 avril, arrivèrent le colonel Barrué, le
commandant Mathieu, le capitaine-adjudant-major Lelorrain et le lieutenant
Mesié. Le colonel Barrué prit le commandement d'une importante fraction de
rinfnnterie do la colonne, fraction dans laquelle fut toujours compris lo ba-
taillon de son régiment.
Le 4 au soir, on alla camper à Aîn-Tagrout. Le 5, la colonne s'installa à El-
Anasseur dans le but d'observer le pays pendant que de nombreux convois
procédaient au ravitaillement de Bordj. Ge ravitaillement terminé, on revint à
Aîn-Messaoud , où l'on fut de retour le 8.
Cependant le bruit commençait à se répandre que Mokrani était tué; bientôt
il se confirma complètement, et l'on apprit, en effet, que le bach-agha avait
été atteint mortellement dans un combat qu'il avait soutenu le 5 mai contre
la colonne du général Gérez, opérant dans la vallée de l'Oued -Soufflât, chez
les Beni-Djab. Cette mort, qui eût dû porter un coup terrible à l'insurrection,
n'eut pas tout l'eflet qu'on en attendait, d'abord parce qu'elle fut soigneuse-
ment cachée par les fidèles de Mokrani, enfin parce qu'un autre chef, peut-
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394 LC 3® RÉOIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l87l]
ûlro moins influent, mais ayant plus do prestige religieux, avait déjà proclamé
la révolte dans tout le bassin de TOued-Sahei, et que de partout les rebelles
accouraient sous son étendard. Ce chef était Si-Auzben-Amziam , fils du cheik
EUIladded, vieux marabout n'ayant plus la force nécessaire pour marcher
lui-même à la tête des insurgés, mais possédant assez de fanatisme pour
prêcher la guerre sainte et pousser ses enfants dans la lutte sanglante qu'il
essayait de provoquer.
Ce moment fut peut-ôlro, au contraire, le plus critique de toute la période
insurrectionnelle. Jusque-là la révolte avait, pour ainsi dire, été localisée,
mais maintenant elle éclatait de toutes paris : les districts de.Oou-Sadda, de
Bordj , de Bougie , de Sétif , de Djidjelli , de Batna , étaient en ïeu ; vers le sud ,
le faux chérif Bou-Choucha s'était emparé d'Ouargla et marchait victorieux
contre Tuggurt en semant la terreur parmi les populations de l'ouest R'rir;
la province d'Alger se levait non moins menaçante; partout l'agilation faisait
place à la violence, et les démonstrations hostiles à Tincendie et à l'assas-
sinat.
Pour conjurer un danger aussi pressant, le général Augeraud ne disposait,
en dehors des troupes permanentes de la division de Constantine, que de
trois régiments de ligne, d'un autre de mobiles, d'un bataillon de chasseurs
à pied, enfin des milices, ressources bien au-dessous des nécessités du mo-
ment et dont Téparpillement augmentait encore la faiblesse. Mais sur tous
les points le dévouement suppléera à rinsuilisance des moyens d'action : les
colonnes mobiles seront partout; les petites garnisons se défendront non
seulement dans les postes qu'elles occupent, mais feront encore des sorties
pour harceler l'ennemi; les dépôts des régimenls algériens mettront leur
dernier homme en ligne; Constantine sera complètement dégarni; et l'on
parviendra ainsi à maintenir les rebelles jusqu'à l'arrivée do nouveaux ren-
forts, et jusqu'à ce que le général de Lacroix, nommé au commandement des
troupes, vienne faire trembler les indigènes par l'énergie de ses mesures, et
parcoure ensuite la province en maître, pour dicter ses conditions aux
vaincus.
Le 3 avril, une petite colonne de mille cent hommes de toutes armes, dont
deux compagnies du 3^ Tirailleurs commandées par le capitaine Darras,
quittait Batna, sous les ordres du lieutenant-colonel Adeler, commandant la
subdivision , pour se rendre à Biskra. 11 s'agissait de faire rentrer dans l'ordre
les tribus de ce cercle, dont quelques-unes, notamment les Saliari, s'étaient
livrées à des actes de pillage sur des établissements européens. Un convoi
d'effets d'habillement, envoyé à Batna, avait même été attaqué par les
rebelles et complètement dévalisé.
Arrivé à Biskra le 12 avril, le lieutenant-colonel Adeler s'occupa aussitôt
de ramener dans le devoir les tribus révoltées; puis, aidé par Ben-Canah,
caïd de cette ville, et d'Ali -bny, caïd de Tuggurt, il prit hâtivement les
dispositions les plus urgentes pour empocher l'insurrection de faire de nou-
veaux progrès. Mais il disposait de trop peu de monde, et la nouvelle des
événements de la Medjana , arrangée d'une façon particulière par ceux qui
étaient chargés de la répandre, eut bientôt une influence décisive sur Tesprit
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[1871] EN ALOÉniE 305
exailé de ces populations. Quoi qu'il en Boit, le colonel poursuivait encore
d*inrruclueuscs négociations avec les tribus, lorsqu'il apprit tout à coup que
les faits les plus graves se passaient dans les environs de Batna. Il reprit
précipitamment avec ses troupes le chemin de ce poste; mais, le 26, lors-
qu'il arriva, il était trop tard , le mal était consommé : trcnto-dcux Européens
assassines, les magnifiques fermes des environs pillées et incendiées, tels
étaient les nouveaux attentats dont s'étaient rendus coupables les indigènes.
Ce douloureux incident, qu'il était difficile de prévoir, produisit une vive
émotion & Conslantine. Dès qu'il en fut informé, le général commandant la
province dirigea sur Batna la colonne mobile de Tebessa, qui était passée
sous le commandement du lieutenant- colonel Marié, et qui devait à ce mo-
ment rejoindre la rolonne Saussicr, plus quatre cents zouavrsdu 3" régiment
sous les ordres du commandant Hervé, de sorte que le lieutenant- colonel
Adeler se trouva bientôt à même défaire face aux premières difficultés.
Les opérations commencèrent aussitôt. Quatre compagnies du régiment
allaient y prendre part : trois dans la colonne Adeler, une dans la colonne
Marié.
Le détachement qui faisait partie de la colonne Adeler était sous les ordres
du capitaine Darras it comprenait les compagnies suivantes :
jre (]u jer bataillon (capitaine Darras) ;
l*"» du 3® — ( capitaine Mas-Mézeran) ;
2« du 3® — (lieutenant Macqueron).
Les autres officiers qui y figuraient étaient : MM. Duchéne, Blumendhal,
Mohamed - ben - Tiharad et Réchir - bon - Mohamed , lieutenants; Gauvin,
llavctto, Ahmed-lien -Khodja et Amnr-hen- Harki, sous- lieutenants.
C'éloit la 1^ compagnie du V bataillon (capitaine Ducoroy) qui se trouvait
dans la colonne Marié.
Le 30 avril , la colonne Adeler eut, & El-Madher, une légère escarmouche
de cavalerie. Elle s'établit ensuite dans les environs de ce village, et c'est là
qu'elle fut rejointe par la colonne Marié et les renforts du commandant Hervé.
Ces troupes restèrent quelques jours réunies et opérèrent quelques razzias;
puis , le 3 mai , les deux colonnes se séparèrent pour pénétrer dans le Bélezma
et se rejoindre de nouveau au pied du Djebel-Mestaoua, en passant, celle du
lieutenant- colonel Marié par le Djebel - Ta freut et Kzar-Cheddi, celle du
lieutenant -c/)loncl Adeler par Djerma, Aîn-Tiskimal et le col de Tinjouar.
Ce môme jour , la colonne Marié eut un petit engagement dans lequel le capi-
taine Rinn, du régiment, commandant le goum , fut légèrement blessé. Le 7,
cette colonne eut encore une rencontre; mais les difficultés du terrain ne per-
mirent pas aux Tirailleurs eux-mômes, conduits par le capitaine Ducoroy,
de couronner h temps les croies situées sur les derrières de l'ennemi, et
celui-ci, malgré le<9 bonnes dispositions prises, parvint à s*écbopper. Do son
côté, la colonne Adeler se heurtait, à Ain-Teheut-Chi, à quelques groupes
d'insurgés, qu'elle dispersa facilement avec son artillerie.
Le 17 mai, les deux colonnes opérèrent leur jonction à Sidi-Abd-er-Rhaman.
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396 LE 3* RiOtllBNT DB TinAlLLBURS ALOftRIBNS [1871]
Là H fallut attondro l'arrivéo do vivres oi do munilions. On proGla do ce
retard pour diriger plusieurs reconnaissances sur le Djebel -Meslaoua, où la
plus grande partie des rebelles s'étaient retirés avec leurs familles et leurs
troupeaux, et tout fut préparé pour Pattaque de cette redoutable position.
Le Djebel -Mestaoua, situé à environ vingt- cinq kilomètres au nord -ouest
de Batna, est un pflté isolé, limité au nord par la plaine de Zana, au sud par
celle du Bélezma, à l'ouest par le Teniet-Oum-el-Aroug, à Test par la vallée
de Goumi. Bordé sur tout son développement par une ligne de rochers
abrupts, il présente, à son centre, une table de pierre aux parois verticales
et complètement inaccessibles, en dehors de quelques crevasses dans les-
quelles s'engagent des sentiers de chèvres qu'un homme seul a de la peine
à gravir. Sur plusieurs points, la muraille rocheuse servant de ceinture sur-
plombe même les pentes de la montagne , et forme ainsi une espèce de bour-
relet qui remplace avantageusement les meilleurs remparts.
C'était dans ce véritable nid do vautours, qui domine toute la contrée, que
s'étaient réfugiés les Halymia, les TIets, les Ouled-Fatma-Tadjenout, les
assassins, les voleurs, les pillards qui avaient ravagé les environs de Batna,
en un mot tout ce que la région avait de pire en fait d'insurgés. Les bandits
avaient transporté là le iruit de leurs rapines, et, connaissant le sort qui leur
était réservé, ils se disposaient à se défendre jusqu'à la dernière extrémité.
Ils n'avaient pas eu de peine à rendre impraticables les rares sentiers condui-
sant à la partie supérieure du plateau ; et , cela ne leur paraissant pas suCTisant
pour arrêter l'élan de nos soldats, ils avaient couronné ce camp naturelle-
ment fortifié d'un mur en pierres sèches, derrière lequel ils pouvaient faire
feu à Tabri de nos coups.
Deux moyens se présentaient pour réduire l'ennemi : un assaut immédiat,
opération fort chanceuse dont il n'y avait pas à se dissimuler les difRcultés,
ou bien un rigoureux blocus qui promettait d'être d'autant plus infaillible,
que les rebelles n'avaient point d'enu sur le plateau et qu'ils étaient obligés
do descendre jusciu'à mi-côte pour s*en procurer. Mais pour s'arrêter à ce
dernier parti il fallait de la patience, c'est-à-dire une chose souvent incom-
patible avec le tempérament français; les avis pour une action de vive force
l'emportèrent , et l'assaut fut décidé.
L'attaque fut fixée pour le 21. A quatre heures du matin, les troupes
abattirent leurs tentes, et, laissant leurs sacs au convoi sous la gardo de
trois compagnies, se massèrent en colonne serrée et s'avancèrent vers le
plateau. La colonne Adeler devait aborder la position de front, la colonne
Marié la tourner par le nord.
A deux mille mètres, on tira quelques obus sur les premières crêtes garnies
d'insurgés, embusqués derrière les rochers. Mais ceux-ci ne s'en montrèrent
nullement intimida; et, lorsque la colonne Marié déboucha à leur portée, ils
l'accueillirent par une fusillade meurtrière qui arrêta sa marche jusqu'à ce
que les trois compagnies de Tirailleurs qui marchaient avec la colonne Adeler
eussent atteint le plateau , et déterminé la fuite de ces opiniâtres défenseurs
en les prenant à revers. On vit alors ces derniers gagner précipitamment
l'unique entrée conduisant à la table, en traînant après eux leurs morts et
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[i87l] EN ALOÉRIB 397
leurs blessés. Ce mouvement tournant avait été parfaitement dirigé par le
capitaine Darras, qui, poursuivant sa marche, arriva presque au pied du
rempart naturel entourant le réduit de la position. En même temps, la
colonne Marié s'établissait à son tour sur le plateau , et se massait hors de la
portée des projectiles de Tennemi, la compagnie du capitaine Ducoroy en
réserve; euRn elle parvenait, non sans portes sensibles, à s'établir sur un
rocher dénudé permettant de voir certaines parties du sommet de la table.
L'artillerie ayant alors pris position à environ six cent cinquante mètres de
rentrée de celle-ci, son feu commença, et les troupes attendirent, Tarme au
pied , les effets du bombardement.
De neuf heures et demie à dix heures et demie, les compagnies se relevè-
rent successivement et flrent le café avec l'eau emportée dans les petits
bidons.
Vers onze heures, rartillerie se mit à tirer de plein fouet; bientét plusieurs
éboulements ayant fait supposer que le chemin était sufGsamment praticable,
les canons se turent, et la charge sonna : une compagnie de zouaves, une
autre du bataillon d'Afrique et deux du régiment se précipitèrent avec cette
bravoure dont elles avaient si souvent donné d'égales preuves; mais tous
leurs efforts vinrent se briser contre les difficultés insurmontables qu'oppo-
sait la position. Les Tirailleurs arrivèrent au pied môme do la table; les
zouaves et le bataillon d'Afrique, 6 cinquante ou soixante mètres du mur en
pierres sèches. Là il fallut s'arrêter : le fou des insurgés avait ocquis tout à
coup une furieuse intensité; les femmes étaient venues se joindre aux com-
battants et faisaient rouler d'énormes pierres préparées à l'avance sur le bord
du rocher, ou en lançaient de plus petites sur la tête même des assaillants;
nos pertes augmentaient avec une effrayante rapidité; force fut de chercher,
au pied même de l'innaccessible rempart, un abri momentané contre les
coups meurtriers de la défense. L'imprudent qui se montrait à découvert
était immédiatement tué ou blessé. A ce moment tombèrent glorieusement
deux braves officiers du régiment : le lieutenant Bluniendhal et le sous-lieu-
tenant Bavette, frappés mortellement pendant qu'ils embusquaient leurs
hommes et dirigeaient leurs feux. Trois fois enlevées par leurs chefs, qui
donnèrent l'exemple du plus admirable courage, nos troupes essayèrent de
gravir les pentes abruptes du terrain , et trois fois elles furent repoussées. En
vain Tartillorie appuya- t-elle de son tir ces héroïques mouvements; en vain
les soutiens secondèrent- ils par des feux de salve les tentatives répétées de
l'attaque; en vain le commandant Hervé et le capitaine Darras, après ovoir
reçu des renforts, entraînèrent -ils une dernière fois leurs colonnes à Fossaut :
tout fut inutile, 'et nos soldats durent renoncer à prendre pied sur la table.
Il était deux heures; l'artillerie avait presque épuisé ses munitions ; les mulets
des deux colonnes étaient déj& insuffisants pour les besoins de l'ambulance;
l'absence d*eau ne permettait pas de camper à proximité; la retraite fut
décidée. On ramassa les morts et les blessés; les compagnies portées en avant
se retirèrent successivement, en utilisant les plis du terrain pour se défiler;
rartillerie envoya ses derniers obus , et le combat se trouva soudain rompu ,
au grand étonnement des insurgés, qui n'essayèrent même pas de nous pour-
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398 LE 3<^ RÉOIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [I87|]
suivre. Ils avaient d*ailleurs, à cause de leur entassement dans un espace
restreint, énormément souflert du feu de notre artillerie, et surtout de celui
de la colonne Marié, qui, restée en réserve sur la position dominante où elle
s'était établie au début de l'action , n'avait cessé de balayer avec ses chasse-
pots la longue terrasse où l'on voyait confondus, au milieu d'un enchevêtre-
ment de tentes , hommes , femmes , moutons et chevaux. S'il faut en croire
les renseignements qui furent donnés plus tard, les rebelles eurent dans cette
journée un millier de personnes atteintes par nos projectiles. Mais quelle
importance pouvait avoir ce résultat, en présence des portes que nous avions
subies nous-mêmes, et devant la force morale que cet échec donnait à
l'insurrection? Aucune. La colonne Adeler revenait, en eflfet, avec trois ofli-
ciers.tués, quatre blessés, neuf hommes tués et soixante-cinq blessés; la
colonne Marié comptait trois officiers blessés, quatre hommes tués et qua-
rante-cinq blessés, ce qui faisait un total de cent trente» trois hommes hors
de combat, c'est-à-dire ce que perdait autrefois une division au moment des
grandes luttes de*la Kabylie. Les quatre compagnies du 3** Tirailleurs étaient
dans ce chiffre pour deux officiers et dix- neuf hommes tués ou blessés.
Après avoir opéré simultanément leur mouvement rétrograde et être ren-
trées au camp d'Abd-er-Rhaman pour y reprendre leur convoi, les deux
colonnes se séparèrent; celle du lieutenant -colonel Adeler revint à Batna,
celle du lieutenant-colonel Marié se dirigea sur Sélif, où elle était instuuiinent
demandée par le colonel Uoii valet, qui se trouvait alors dans une situation
fort diflicile, par suite de réluignemenl de la colonne Saussier. Devant la
retrouver, lorsque nous aurons à parler des événements dont cette subdivi-
sion fut le théâtre, nous n'allons ne nous occuper que de la première, dont
les opérations vont du reste pouvoir maintenant se résumer en quelques mots.
Rentré à Batna le 29 mai, le lieutenant-colonel Adeler y reçut bientôt un
renfort de trois compagnies du régiment, qui portèrent l'effectif de sa colonne
à dix-huit cents hommes , et lui permirent , le 14 juin , de se mettre en route
pour Biskra,afin de ravitailler cette place et d'en renforcer la garnison.
Enfin, de retour à Batna sans avoir eu de combat à livrer, cette colonne fut
dissoute le 30 juin. Les compagnies du 3"* Tirailleurs qui en avaient fait
partie restèrent à Batna ou remplacèrent, dans la garde de la route de cette
ville à Constantine, les milices de la province qui occupaient les postes
d'Aïn-Ksar et d'Ain -Yagout. On forma avec celles demeurées à Batna un
bataillon mobile qui fut placé sous les ordres du commandant Petitjean, et
qui fut ainsi composé :
MM. Petitjean, chef de bataillon.
Vigel , capitaine adjudant- major.
Perron , médecin - major de 2" classe.
l'» compagnie du l*' bataillon,
MM.MacqueroQ, lieutenant français.
Béchir-ben-Mohamed, lient, ind.
Mohamed-ben- Ahmed-Khodja ,
sous -lieutenant indigène.
3^ compagnie du 2^ bataillon.
MM. Mas - Mézeran , capitaine.
D'Eu, lieutenant français.
Mohamed-ben-Saîd , s.-lieut. ind.
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[1871] EN ALQÊRIB 399
4< compagnie du 1*^ hataiUon.
MM. Clerc, lieutenant français.
Said-ben-Yayai lieutenant ind.
4* compagnie du 2* bataUion.
MM. Anglade, lieutenant français.
Boutareli sous -lient, français.
Salah-ben-Zoughi , 8.-lieut. ind.
3^ compagnie du 3^ bataillon.
MM. Bemad , lieutenant français.
Navlet I sous- lieutenant français.
Larbi-bel-Oussif, sous-lieutenant indigène.
Ce bataillon fut surtout chargé de l'escorte des convois entre Constantine
cl niskra. Il allait plus lard entrer tout entier dans la composition de la
mloiino f|iii dcfiiit ri^iluire le Moslaoua, colonne qui fut placéo sous les ordres
du colonel Flogny.
Contrairement à ce qu*on devait s'attendre, le contre -coup de Téchee du
21 mai se fit plutôt sentir dans le cercle de Bou-Saâda que dans celui de
Balna. Dans ce dernier, rerTerrescenco de la première heure se calma peu
à peu , et les relations avec les indigènes se rétablirent insensiblement par le
seul fait d*une sage administration. Seul le repaire du Mestaoua continua
à abriter ceux qui n'osaient espérer Faman. 11 y eut cependant un incident
regrettable qui fut sur le point d'amener de graves complications, celui de
Texécution sommaire, à Aîn-Yagout, par les miliciens de Constantine, de
trente -cinq Arabes des Zmoul qu'on croyait de connivence avec les rebelles,
ce qui était inexact, pour le plus grand nombre du moins. La conséquence
de cette fâcheuse méprise fut une vive surexcitation qui faillit provoquer le
soulèvement de toutes les tribus de la région.
LcH fvmnfls événements se passaient maintenant plus au sud et plus au
nord. Au Fiid, h Tuggurt, sedimouait un drame sanglant, sur lequel nous
aurons longuement à revenir; au nord, le succèii répondait partout à nos
efforts; l'insurrection était non Feulement contenue, mais encore réduitt3aux
abois, et la colonne Saussier pénétrait victorieuse au sein même de la Ka-
bylie. C'est à cette colonne que nous allons nous reporter, afin de reprendre
où nous Tavons laissé le récit des opérations auxquelles prenaient part les
quatre compagnies du commandant Mathieu.
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CHAPITRE II
La colouno Saussicr pônètro on Kabylie. — Sorlios olTecluôcs contre les Anioadia. —
ÉféoemenU dont pendant ce temps les environs de Sétif sont le théâtre. — liévolte
des Rir*a. — Combat de Guellai. — Reprise des opérations en Kabylie. — Combat
du 19 Juillet — Soumission du cheik El-Hadded. — La colonne Bonvalet autour de
SéUf. — TentatiYe inftmctueuse de la colonne Saussier contre la montagne des Ala&dhid.
— Cette colonne se rend à Batna. — Colonne Flogny. — Reddition des insurgés du
Mestaoua. — Opérations dans le Uodna, sous la direction supérieure du général de
Lacroix. — Les dernières tribus insoumises demandent Taman. — Dissolution de la
colonne Saussier. — Ordres d'adieux. — La colonne Flogny est envoyée dans les Au-
rès; ses dernières opérations.
Nous avons quitté la coloooe de la Hedjana le 8 mai, à Aîo-Mcssaoud, au
moment où elle venait d'assurer le ravitaillement de Bordj-bou-Arréridj.
L'insurrection, on se le rappelle, avait alors, à Tinstigation de Si-Aziz et du
cheik El-IIadded, gagné la plus grande partie cfe la Kubylîo, et la situation
apparaissait partout, sinon connue ricllcuicnt cuuipruiuisc, du moins couimc
très grave pour nous. Si-Azix s'était, en effet, avancé sur le territoire de
Takitount, en entraînant dans la défection toutes les tribus de cette annexe,
et tout le pays était maintenant en armes, depuis les Babors jusqu'à l'Oued-
Sabel. Les environs de Sétif eux-mêmes se trouvaient menacés.
Pour faire face à ces nouvelles difficultés, le général Saussier disposait do
bien peu de monde (environ quatre mille lionmics); mais les épreuves que
ses troupes venaient de traverser avaient doublé leur valeur; aussi n'hésita-
t-il pas 6 se jeter en plein pays kabyle, et dès le 10 mai , la marche en avant
fut-elle résolue. Le premier jour, la colonne alla coucher à Ain-Rouah, sur
la route de Sétif à Bougie, au pied du Djebel- Anini. Cette marche donna lieu
à un vif combat, mais le bataillon du régiment n'y fut pas sérieusement en-
gagé. Le 1 1 , revenant tout à coup sur ses pas, le général ramena ses troupes
à Ain-Kala, et, le 12, il se dirigea sur Takitount. Ce brusque mouvement
avait pour but de surprendre les Amoucba , tribu belliqueuse dont les précé-
dentes insurrections avaient fait ressortir l'hostilité. Mais on trouva celle-ci en
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[1871] LE 3* RÉOIMENT DE Tin AILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE 401
armes, et à peine la colonne se fut -elle engagée sur son territoire, que de
nombreux rassemblements se montrèrent sur la gauche. L'artillerie prit posi-
tion; mais, au moment où rinfanterie allait se diriger vers les crêtes occupées
par les Kabyles, un violent orage éclata soudain et fut immédiatement suivi
d*un brouillard tellement épais, qu*il devint impossible d*y distinguer à
quelques pas. Force fut donc de suspendre Taltaquc, et l'ennemi eut ainsi
toute facilité pour se dérober. La journée étant d*ailleurs déjà avancée, la
colonne s'éfabiit au bivouac. Le lendemain, le temps se remit au beau, et,
vers trois heures de Taprès-midi, on arriva à Takitount.
Pendant ce temps, des négociations avaient été entamées entre le bureau
arabe et les Amoucha , et Ton pensait que ces derniers feraient leur soumis-
sion; du moins ils avaient promis d'envoyer des otages, et l'on attendait
ceux-ci, lorsque, le 14, dans l'après-midi, on commença à apercevoir d'im-
portants rassemblements descendant des contreforts du Babor et garnissant
les crêtes des environs du camp. Bientôt la fusillade s'engagea entre eux et
nos grand*gardes, et il devint évident que les insurgés se disposaient & nous
attaquer. Mais le général prévint leur offensive en envoyant contre eux un
bataillon du 2» Tirailleurs et le IS^ de marche. Les Kabyles furent vigoureu-
sement repoussés; malheureusement, entraînées par leur ardeur, nos troupes
dépassèrent le but qui leur avoit été assigné, et leur retour allait être sérieu-
sement compromis, quand le colonel Barrué reçut l'ordre de le protéger avec
les Tirailleurs du 3^ régiment et le 28® bataillon de chasseurs. Complètement
dégagés par Tintervention de ce renfort, qui, malgré l'obscurité qui commen-
çait & couvrir les combattants, manœuvra avec le plus grand calme et la
plus admirable précision, le bataillon du 2^ Tirailleurs et le 78* de marche
purent se replier sur le camp, où ils arrivèrent à huit heures du soir, rame-
nant un grand nombre de tués et de blessés. Il était dix heures lorsque le
bataillon du régiment put à son tour reprendre son bivouac.
Le lendemain, les rebelles recommencèrent de bonne heure leurs démons-
trations devant nos avant-postes; mais une sortie qui fut faite dans l'après-
midi les rejeta encore au loin. Toutefois la retraite de nos troupes ne
s*eflectua pas sans difficultés. La nuit venue, les Kabyles surprenaient une
grand*garde du 78<^ de marche, et lui tuaient ses officiers et plusieurs hommes
de troupe.
Sur ces enlrcfoilcs, d'inquiétantes nouvelles étant arrivées do Sétif, où le
colonel Bonvalet voyait, sans pouvoir y porter remède, toutes les fermes des
environs pillées et saccagées, le général Saussier dut se décider à interrompre
ses opérations contre les Amoucha, pour se rapprocher de cette ville, d'où lui
venaient tous ses convois. En conséquence, le 16 mai, la colonne quitta
Takitount, et vînt installer son camp sur le versant nord du Djebel - Mégris ,
à l'endroit appelé le col des Cigognes. Désignée pour former l'extrême arrière-
garde, la 3<^ compagnie du 4« bataillon (capitaine Maison neuve-Lacoste) fut
violemment attaquée au passage de l'Oued -Delfa, chez les Ouled-Saîd, frac-
tion des Amoucha; mais l'ennemi, rejeté à distance par un feu très nourri,
dut renoncer à la couper du gros de la colonne, comme il se le proposait.
Cependant celte retraite , jointe à l'arrivée de Si - Azis au milieu des
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402 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALOÊHIENS [i87l]
Aiuoucha, avait ranimé Tespoir des insurgés dans ccUo partie do la Kabylîe,
et fait perdre à la colonn; presque tout le bénéfice de ses succès des jours
précédents. Résolu à ne pas laisser aux rebelles le temps de se réorganiser,
le général Saussier, quelque difficile que Tût la situation du colonel Bonvalet,
quitta le col des Cigognes après quatre jours de repos accordé à ses troupes,
et, remontant vers le nord, se porta vers les Babors. Le 20, jour du départ,
le camp fut établi à Teniet-el-llachcd. Le 22, on se dirigea sur le village
d'Aioun-Sullann, entre Takitount et les Babors. L'ennemi, qui occupait en
forces le Djebel -Mentanon, résista vigoureusement au passage do l'Oucd-
Berd, et chercha à empocher Tinstallation du camp; mais l'arrière -garde,
sous les ordres du colonel Barrué, et comprenant un bataillon de zouaves et
celui du 3® Tirailleurs, prit position et protégea cette opération.
Le 25, le général fit une sortie avec six bataillons, sans sacs, et la cava-
lerie. Cette colonne s'avança contre les hauteurs de Teniet-Selt, que le
bataillon du 3* Tirailleurs eut mission d'enlever. Sous les ordres du com-
mandant Mathieu, ce bataillon s'élança au pas de course sur la position
occupée par les Kabyles, et délogea partout ceux-ci, qui furent rejetés en
désordre sur la rive gauche de l'Oued -Berd, après avoir éprouvé des pertes
considérables. De son côté, le bataillon avait sept hommes grièvement
blessés.
Les jours suivants, on attendit vainement le résultat de ces diiïérentos
sorties; fanatisés par la présence de Si-Aziz, les Kabyles paraissaient décidés
à poursuivre la lutte jusqu'au bout; nul chef ne se présentait pour demander
l'aman. Pendant ce temps, la situation s*était singulièrement aggravée dans
les environs de Sélif, et, le 28, le général Saussier se vit obligé de revenir
hâtivement sur ses pas pour se porter au secours du colonel Bonvalet. Mais
revenons nous-mêmes en arrière pour voir ce qui s'était passé sur ce point.
Après avoir été remplacé par le général Saussier à la tôte de la colonne qui
avait secouru Bordj, le colonel Bonvalet était revenu prendre le commande-
ment de la subdivision de Sétif. Il avait à veiller sur la sécurité de cette ville,
qui ne tarda pas à être menacée, d'un côté par les contingents d'Abd-Es-
Sellem, de l'autre par Ahmed-bey, ancien coïd qui avait fait défcclion et
s'était mis à la tète des tribus du Uou-Thalcb et du llodna, et à protéger les
convois dirigés, soit sur la colonne Saussier, soit sur Bordj -bou-Arréridj.
Pour cela , il ne disposait au début que de deux cents hussards à pied et
d'environ une centaine de miliciens. C'était peu; aussi les bandes de pillards
qui battaient la campagne furent- elles bientôt aux portes de la ville, après
avoir dévasté les fermes et les villages des environs. Mais des troupes arri-
vaient chaque jour de France, et au fur et à mesure de leur débarquement
on les organisait, et on les envoyait sur le point où le besoin s'en faisait le
plus impérieusement sentir; la garnison de Sétif fut donc successivement ren-
forcée, compagnie par compagnie, et le colonel Bonvalet put enfin exécuter
quelques sorties pour se donner do l'air et maintenir dans le devoir les quel-
ques fractions qui restaient encore hésitantes. Parmi ces renforts se trouvaient
trois compagnies du régiment : la 6^ du l*'' bataillon , la 4^ du 3« bataillon ,
et la 1^ du 4® bataillon, qui étaient arrivées dans le commencement de mai,
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[1871] EN ALGÉRIE 403
SOUS le commandement du capitaine de Larochelambert. Le colonel Bonvalet
les ayant désignées pour occuper les postes extérieurs, la l'* du 4° bataillon
avait été envoyée à El-Anasscr, la 6« du l^*" bataillon à Aln-Messaoud, et
enfin la 4* du 3* bataillon h Aîn-Arnat. De ce moment, Sélif fut complète-
ment à Tabri d'un coup de main, et la colonne Saussier, qui était venue
camper au col des Cigognes, put reprendre le cours de ses opérations en
Kabylie; mais à peine celle-ci se fut-elle éloignée, que la révolte des Rir*a ,
à laquelle servit de prétexte la funeste méprise d'un officier de chasseurs
d'Afrique, vint tout à coup ressusciter le danger.
Sur la plainte de plusieurs colons, le colonel Bonvalet avait envoyé sur le
territoire des Rir'a-Guebala , au sud de Sétif , une reconnaissance de cavalerie,
sous le commandement d'un officier. Celui-ci trouva de nombreux Arabes
répandus dans des champs (Porgo, moissonnant ou faisant semblant do mois-
sonner, et, croyant avoir afiaire à des maraudeurs, il les chargea. Hais en
un instant il fut assailli par plusieurs centaines d'Arabes, et une quinzaine de
ses hommes furent mis hors de combat. Il parvint néanmoins à se dégager;
mais le feu était aux poudres, et vingt -quatre heures après toute la tribu'
était en armes et se disposait à marcher sur Sétif.
Cette aflaire avait eu lieu le 22 mai; le 23, Ain-Messaoud fut attaqué.
Dans la matinée, quelques groupes de cavaliers se montrèrent d'abord sur les
hauteurs environnantes , puis leur nombre augmenta peu à peu , et la fusillade
ne tarda pas à s'engager entre eux et les défenseurs du bordj. Ceux-ci com-
prenaient environ cinquante Tirailleurs (une section) de la 6* compagnie du
1^ bataillon, sous les ordres du lieutenant DuFour. Mais, immédiatement
averti, le capitaine de Larochelambert, qui commandait le détachement,
chargea le capitaine Teulières de se porter au-devant de l'ennemi avec Pautro
section de la compagnie. H y eut alors un engngruient assez vif, dans lequel
M. Favrcau, sous -lieutenant, et quelques Tirailleurs furent légèrement
blessés; mais cette énergique attitude imposa aux assaillants, qui, malgré
leur nombre, suspendirent leur attaque. Quelques instants après le colonel
Bonvalet arrivait avec tout ce que la garnison de Sétif avait de disponible ,
et les rebelles se retiraient définitivement sur les hauteurs éloignées, où il
devenait impossible de les atteindre sans cavalerie.
Le lendemain, le colonel prit cent soixante -dix zouaves, trois cent cin-
quante Tirailleurs , quarante hommes du 78<^ de marche, trois cents mobiles,
cinquante hussards à pied , un escadron de chasseurs d'Afrique, et constitua
une colonne avec laquelle il alla coucher à Khalfounn, à six kilomètres à
l'ouest de Sétif. Dans la nuit, sur l'avis d'un retour probable de l'ennemi,
quelques détachements furent renvoyés à El-Anasser et A!n-Arnat, où il
n'avait été laissé que quelques Tirailleurs et quelques hussards à pied.
La journée du 2S se passa sans incident. Le 26 , le colonel ayant été pré-
venu de la présence d^un fort rassemblement au sud de Mesloug, la colonne
quitta Khalfounn et se porta de ce cAlé pour reconnaître la force et les inton*
tiens des insurgés. Mais ces derniers se retirèrent vers le Djebel -Toussef, et
parurent peu disposés à accepter la lutte. Il devint même bientôt évident
qu'ils désiraient parlementer; deux cavaliers se détachèrent, en effet, pour
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404 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [i87i]
venir au galop vers le colonel ; mais ils lui présentèrent plutôt des doléances
que des propositions de soumission, de sorte que rien ne fut décidé. Le soir,
la colonne rentrait à Khalfounn , d'où elle repartait deux jours après pour
retourner à Mesloug; mais pendant ce temps Ahmed -bey avait poussé les
Rir'a à la résistance, et le colonel Bonvalet, au lieu de trouver la tribu dans
les dispositions paisibles auxquelles il s'attendait, apprit, au contraire, que
les rebelles s'étaient réunis en grand nombre à Guellal.
C'est alors que le général Saussier, informé do ces événements, quitta la
région des Babors et ramena ses troupes aux débouchés de la Kabylie. Le 28
au soir, il établissait son camp à El-Ouricia. Là il n'était plus qu'à douie kilo-
mètres de Sétif , et pouvait avec la même facilité se porter soit dans la plaine ,
soit dans la montagne. Le 29 dans la journée, le colonel Bonvalet lui écrivit
pour lui faire part des dispositions des Rir'a, en même temps qu'il se pi^pa-
rait lui-même en vue d'une action commune contre Guellal. A minuit, le gé-
néral arrivait en effet avec une faible escorte, précédant d'une heure ou deux
une colonne de douze cents hommes, composée de deux escadrons de chas-
seurs d'Afrique et d'un millier de fantassins (zouaves et Tirailleurs), dont la
moitié montés sur des mulets. Ces troupes, réunies à celles du colonel Bon-
valet, se remirent en route à quatre heures du matin ; mais l'ennemi , prévenu,
avait déjà commencé à déménager ses tentes lorsqu'elles arrivèrent à Guellal,
après avoir perdu un temps précieux au passage de l'oued de ce nom. Grâce
à son avance, la cavaleriu parvint cependant à atteindre les fuyards et fit sur
eux un butin considérable. Lorsque l'infanterie arriva, tout était terminé.
Après cette brillante opération, les deux colonnes revinrent à Mesloug, d'où
le lendemain celle du général Saussier repartit pour El-Ouricia et celle du
colonel Bonvalet pour Sétif, où elle n'allait pas tarder à être renforcée par
celle du colonel Marié, venant du cercle de Batna.
Revenons à la colonne Saussier.
Cette dernière resta à El-Ouricia jusqu'au 8 juin. Ce môme jour, elle reprit
ses opérations contre Si-Aziz et se porta à Ain-Gaouah, où nos escadrons,
soutenus par deux sections d*éclaireurs , dont une sous les ordres du lieutenant
Déporter, du régiment, dispersèrent un nombreux parti de cavalerie ennemie.
Dans la nuit du 13, les insurgés dirigèrent sur le camp la plus furieuse attaque
qu'ils eussent encore tentée , mais ils furent partout repoussés. Le 1 4 , on aban-
donna la position d'AIn-Gaouah, et le camp fut établi à Coudial-Bèida, tout
près d'El-Ouricia.
Mais d'autres colonnes arrivaient par l'est et par la province d'Alger, et le
général Saussier allait enfin pouvoir pénétrer dans le cœur de la Kabylie,
d'autant plus que le lieutenant -colonel Marié, ayant fait sa jonction avec le
colonel Bonvalet, Sétif et Bordj-bou-Arréridj n'avaient plus rien à craindre
des insurgés de la Medjana et du Hodoa. Le 16 juin , le mouvement en avant
commença, et le camp fut établi à Chàbet-Baîoun, dans un large défilé, au
pied d'un pic assez élevé, le Dra-Khalaoun. Le 17, il y eut séjour. Dans la nuit
qui suivit, les Kabyles se rassemblèrent en nombre considérable autour du
camp, et, dès que les feux furent éteints, l'attaque commença sur toutes les
faces à la fois, à un signal parti du Khalaoun. L'ennemi montrait un achar-
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[1871] EN ALGÉRIE 405
nement peu commun; il fallut immédiatement doubler et même tripler les
grand'gardes ; mais tout se borna cependant à une vive fusillade peu meurtrière
pour nous, et de laquelle le bataillon du régiment n^eut pas trop à souffrir.
Cette tentative se renouvela la nuit suivante et fut suivie du même résultat,
c'cst-à-diro de la retraite des Kabyles. Le 19, la colonne quitta ce bivouac,
contre lequel ces attaques se seraient constamment renouvelées, et se porta
à Dra-el-Cald, dans une excellente position offrant de Teau en abondance et
pouvant défier tous les efforts de Tennemi.
Les blés étaient mûrs et les moissons avaient partout commencé : le moment
était venu de peser sur les rebelles en détruisant leurs récoltes. Cette œuvre,
qui pourrait paraître barbare, mais qui au fond valait encore mieux que du
sang versé, commença le 20 juin et se poursuivit les jours suivants. Des sor-
ties eurent lieu à cet effet contre les Beni-Meral, les Ouled-Âsis, les Ouled-
Salab , etc., et se traduisirent généralement par d*asses vifs combats d'arrière-
garde au moment de la retraite. Le bataillon du 3« Tirailleurs prit une active
part à ces opérations , et plusieurs fois il mérita les éloges du général par sa
vigueur et son entrain , notamment à la suite d*un brillant engagement qui
eut lieu le 26 & Djermounab.
Cette tactique no fut pas longtemps sans produire ses résultats habituels :
à la On du mois de juin arrivèrent de toutes parts les demandes de soumis-
sion , et bientôt la plus grande partie du Sahel-Guebli et du pays des Amoucha
eut abandonné la bannière de Tinsurrection. Partout maintenant notre succès
s^aflBrmait d*une façon définitive; de tous les côtés nos colonnes s'avançaient
victorieuses pour cerner ce qui restait des insurgés kabyles : à Touest, c'était
le général Lallemand, qui, le 2 juillet, s'empara de Si-Aziz; au sud, la co-
lonne Bonvalct, qui interceptait les débouchés des montagnes; à l'est, le géné-
ral Saussior et le colonel Flogny ; au nord, le colonel Ponsart, qui devait plus
tard être remplacé par le colonel Thibaudin. Le 9 juillet, jour où la colonne
Saussier reprit sa marche vers l'ouest, il ne restait plus à réduire que Bou-
Mesrag, frère de Mokrani, et le cheik El-Hadded, ce vieux fanatique dont la
fortune venait déjà d*être trahie par la capture de son fils Si-Aziz.
En quittant le camp de Dra-el-Cald, où elle était restée vingt jours, la
colonne Saussier se rendit & Mézoudj-el-Ahmra, près de Talaifassen, dans le
Sahel-Guebli. Après un repos de vingt-quatre heures, elle se remit en route
le 11 juillet pour se porter & Dra-el-Arba. Le 12 devait être une journée de
repos; les ordres avaient été donnés dans ce sens, lorsque, vers midi, une
reconnaissance envoyée dans les environs signala de nombreux contingents
kabyles se dirigeant sur le camp. Pour prévenir l'attaque que l'ennemi se pro-
posait évidemment de tenter contre nos grand'gardes, il fut aussitôt formé une
colonne de sortie composée de la cavalerie et de quelques bataillons d'infan-
terie, dont celui du 3® Tirailleurs. En avant fut placée la section d'éclaireurs
du lieutenant Déporter. Mais à peine cette avant-garde eut-elle débouché du
camp, qu'elle fut assaillie par les Kabyles embusqués dans les ravins. Le lieu-
tenant Déporter n'hésita pas; il entraîna sa petite troupe, se précipita sur
l'ennemi, mais dès les premiers pas il tomba grièvement blessé. En arrière
venait le bataillon du régiment; il se porta immédiatement en avant, et,
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405 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [I87l1
appuyé par à peu près toute l'inranteriede la colonne, se rua sur les rebelles,
qui, débordés par la cavalerie, se virent rejetés dans des ravins sans issue,
où les projectiles de notre artillerie leur firent subir des pertes énormes. Bientôt
ils furent en fuite sur tous les points, et, restées maîtresses de la position, nos
troupes purent juger de Timportance du succès qu'elles venaient de remporter :
un nombre considérable de morts que l'ennemi n'avait pas eu le temps d'en-
lever, des armes, des munitions, des dépouilles de toute sorte , tels étaient
les trophées qui attestaient notre victoire. Plusieurs prisonniers restaient éga-
lement entre nos mains; ils furent passés par les armes, et cet exemple, en
inspirant une terreur salutaire, contribua pour une large part aux promptes
soumissions qui suivirent ce brillant combat. Indépendamment de H. Déporter,
cette journée coûtait au régiment un homme tué et plusieurs blessés. C'était
Bou-Hesrag en personne qui avait dirigé cette attaque , dont l'insuccès attei-
gnit fortement son prestige déjà sérieusement ébranlé.
Le lendemain, pour ne pas perdre le bénéfice de cet heureux résultat, la
colonne se mit à la poursuite des dernières bandes qui n'eussent point encore
déposé les armes. Celles-ci s'enfuirent ou se dispersèrent, et la journée se
passa sans combat. Le soir, on bivouaquait à MerJj-Oumena, près de la
terre sainte de Seddouk, résidence du cheik El-IIadded. Se sentant pris et
jugeant la lutte impossible, le vieux marabout ne vit plus son salut que
dans la générosité des Français; un ou deux jours après il quitta son ermi-
tage, et vint se rendre au général Saussier, qui Tenvoya sous bonne escorte
à Bougie.
Le cheik Kl-lladded et son (ils Si-Aziz entre nos mains, on pouvait consi-
dérer l'insurrection kabyle comme vaincue. De ce jour la résistance fut en
eifet moins vive, et bientôt elle devait cesser tout à fait. Le 20, la colonne
s'engagea dans la vallée de l'Oued -bou-Scllam, et vint camper au confluent
do cette rivièi*e et de l'OueJ-Sahel, en face du pic d'Akbuu. Itou-Mcsrag, qui
s'était retiré dans la montagne des Ucni-Ourtilcn, se trouva ainsi cuuiplète-
ment débordé. Une sortie eut lieu contre ses contingents, et se termina pur
un assez vif engagement où la cavalerie ennemie fut culbutée. Le 23 , remon-
tant la vallée de l'Oued-bou-Sellam , la colonne vint s'établir à Djenan-Sidi-
Brabim; le 25, elle atteignit l'Oued-Hahadjar. Le 26, eut lieu une sortie sans
sacs dans laquelle on s'empara de plusieurs villages, où l'on trouva de nom-
breux objets provenant du pillage de Bordj-bou-Arréridj. Le 30| nos troupes
arrivaient à la Medjana, chassant devant elles Bou-Mesrag, qui allait chercher
un refuge dans le Hodna.
Pendant que le bataillon du commandant Mathieu prenait part aux opéra-
tions que nous venons de raconter, les Tirailleurs du régiment qui se trou-
vaient dans les colonnes Bon valet et Marié, maintenant réunies, ne restaient
pas inactifs. Les environs de Sétif étaient loin d'être pacifiés, et chaque jour
des sorties devaient être effectuées, tantôt au nord, tantôt au sud, pour con-
tenir les nombreuses bandes armées qui venaient soit de la Kabylie, soit du
Hodna. C'était surtout du côté de cette dernière région qu'existait le danger.
Après le combat de Guellal, Bel-Aroussi, caid des Rir'a, avait bien fait sa
soumission, mais sa tribu ne l'avait pas suivi dans cette voie; partout, au
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[1871] EN ALGÉRIE 407
contraire, cette dernière 8*était livrée à de nouveaux méfaits, et, le 18 juin,
elle n*avait pas craint d'attaquer la diligence de Gonstantine entre cette ville
et Sétif. Cet acte méritait un châtiment. Le 20 juin , le colonel Bonvalet se
porta soudain avec toutes ses troupes disponibles, entre autres les quatre com-
pagnies de Tirailleurs qu'il avait sous ses ordres, à Kser-eUThir, au milieu
du territoire de la tribu, et, le 21 , il chassa devant lui les contingents d'un
certain Mohamed -ben-Abda. Ahmed-bcy, se voyant alors serré de très près,
vint en personne, le 22, faire des propositions de soumission. Le colonel fit son
possible pour détacher ce chef influent du parti de la révolte; mais Ahmed-bey
ne voulait que gagner du temps : il promit ce qu'on voulut, prêta même ser-
ment de fidélité sur la tombe de son père; seulement, dès que nos troupes se
furent éloignées, il oublia et ses promesses et son serment. Le 3 juillet, pen-
dant que le colonel Bonvalet se trouvait à Mahouan , au nord de Sétif, il se
mettait en effet à la tête des Ouled-Sahoun pour marcher sur Kser-el-Thir.
Mais la colonne revint en toute hAte sur ses pas, atteignit les insurgés, leur
infligea des pertes sensibles et les poursuivit jusqu'au bordj Messaoud , qui
fut incendié.
Malgré ces succès, le pays n'en était pas moins dans une profonde agitation
lorsqiio lk)H-Mcsrnp^ y arriva. lia présnnce de ce chef influent au milieu do
tribus do tout temps infcoilocs h sn famille, n'clnit pas faite pour calmer les
&<prits; ceux-ci s'cxaltrrcnt encore, cl bicnlAt la révolte, qu'on croyait terras-
sée, sinon vaincue, releva la tête avec une telle audace, que les rebelles n'hé-
sitèrent pas à prendre l'oflcnsive pour se porter contre la colonne Saussier,
qui attendait à la Medjana, dans un repos qui lui était bien dû,'rarrivée de
la colonne Thibaudin, désignée pour la remplacer dans la garde de cette partie
de la province. Le 6 août, nos grand'gardes signalèrent tout à coup l'arrivée
d'un goum ennemi , manifestant visiblement par ses manœuyres l'intention
de nous attaquer. On ne Vattendit pas : une colonne , formée de la cavalerie
et de quelques bataillons d'infanterie, dont celui du régiment, sortit à un
signal donné, se précipita sur ces masses confuses de cavaliers et de fantas-
sins, les chargea, les dispersa, et de ce jour la tranquillité du camp ne fut
plus troublée.
Voyant encore une fois ses espérances déçues, Bou-Mesrag se retira dans la
montagne des MaAdhid. De 1& il devenait une menace permanente pour le
llodna et tout le territoire de Bordj à M'Sila. Sûr d'échapper à nos poursuites
en se réfugiant dans les gorges inaccessibles de cette contrée sauvago, il pou-
vait à tout moment faire des incursions dans la plaine et razzer les tribus
soumises ou en voie de soumission , et remettre tout en cause parmi ces po-
pulations déjà assez compromises pour n'avoir rien à perdre en jouant leur
va-tout.
Mais le général Saussier ne perdait pas de vue l'opinifltre agitateur. Appre-
nant que le général Gérez se trouvait à M'Sila, il résolut de tenter une opéra-
tion décisive en prenant les insurgés entre deux colonnes, il écrivit à ce sujet
au général Gérez, et, le 13, il quitta la Medjana et se dirigea sur le territoire
des Ouled-Khellouf. Le même jour le bivouac fut établi à Sidi-Ali-Beikreir,
au pied de l'important massif qui servait de refuge à l'ennemi. Malheureuse-
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4Q8 LE 3* RÉGIMENT DE TIBAILLEURS ALGÉRIENS [i87l]
ment le général Céroz avait été rappelé dans la province d'Alger, el la lettre
du général Saussier ne Tavait pas trouvé à M'Sila; réduite ainsi à sa seule
action , la tentative de la colonne de la Hedjana devenait inutile. Les rebelles
le comprirent si bien eux-mômes, que, dès la nuit suivante, ils attaquèrent
le camp. Mais celui-ci avait été trop bien disposé pour être surpris; les Arabes
trouvèrent nos grand'gardes solidement établies et se virent partout repoussés.
Cette attaque se renouvela dans la nuit du 14 au 15, et se termina par le
même résultat. Dans les journées qui suivirent, on essaya bien de quelques
sorties contre les dissidents; mais ces derniers, ne pouvant être poursuivis,
se dérobèrent toujours à nos manœuvres, et tout se borna à quelques razzias
plus ou moins importantes, dont une fit tomber entre nos mains les bijoux de
l'ancien bacb-agha, qui furent vendus à un prix très élevé.
Sur ces entreraites, le général Saussier avait reçu de nouvelles instructions
lui prescrivant de marcher sur Batna, autant pour parcourir le territoire des
Ouled-Soltan que pour concourir aux opérations qui allaient être dirigées sur
le Djebel -Mestaoua. Pour cela, il était nécessaire de ravitailler la colonne.
Le 21 , on se mit en route pour se rapprocher de Sétif, et l'on vint bivouaquer
à Sidi- Moussa, en face de la belle vallée des Ayad. De nombreuses bandes
parcourant encore cette région , une sortie fut organisée pour le 22. Elle amena
un petit combat sans importance; mais un autre plus sérieux eut lieu le len-
demain, et celui-ci, auquel le bataillon du régiment prit une active part, dé-
termina la fuite précipitée des rassemblements ennemis.
Le 25, le camp fut établi à Ras-el-Oued. Le 27, la colonne arrivait à
Mesloug. Elle en repartait le 3 septembre pour se porter vers Batna, et, le
soir, couchait à Aïn-Melloul; le 4, elle bivouaquait à Sidi- bel -Azzem. Le 5,
eut lieu une sortie contre les Rir'a-Guebala, sortie qui se termina par la dis-
persion des contingents d 'Ahmed -bey et par une belle razzia de troupeaux.
Le 6, on arriva à Ras-el-Aîoun, et, le 7, on atteignit Ngaous, petite ville
arabe qui avait bravement soutenu un siège de deux mois contre les insurgés.
La soumission des Ouled-SoUan fut le résultat de cette rapide marche au tra-
vers de cette importante chaîne de montagnes, qui limite au nord la plaine
du Hodna.
Ce résultat obtenu, le Mestaoua restait l'unique objectif de la colonne Saus-
sier; d'autres troupes, sous les ordres du colonel Flogny, marchaient égale-
ment contre cette position , de sorte que cette fois le succès ne pouvait être
douteux; seule la crainte do voir les insurgés se ruudro sans combattre tem-
pérait la joie de ceux qui comptaient sur une chaude alTaire pour venger leurs
amis tombés le 21 mai.
Retardé par l'attente du payement do l'amende des Ouled-Soltan, le départ
de Ngaous n'eut lieu que le 12 septembre. Ce jour-là, le bivouac fut établi à
Aîn-el-Foul. Le 14, on arriva à Aïn-Cheddi. Le 15, la marche reprit à la
pointe du jour; mais, au premier repos, on apprit avec un profond désap-
pointement que la veille la colonne Flogny avait doublé l'étape, était arrivée
devant le Mestaoua et avait obtenu la soumission des rebelles. En présence
de cet événement, la colonne Saussier n'avait plus qu*à continuer sa marche
sur Batna : c'est ce qu'elle lit; le soir, elle campa près de la colonne Flo-
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[1871] EN ALGÉRIE 400
gny; le lendemain, elle fit séjour; le 17, elle se remit en route, et enfin,
le 18, elle arriva à destination.
Disons quelques mots de la colonne Flogny.
Celte dernière , composée en grande partie de troupes venues de la
Kabylie orientale, s*était concentrée à Mlila, et était arrivée le 11 à Batna.
Là elle s'était grossie du bataillon de Tirailleurs du commandant Pe-
titjean , bataillon dont nous avons vu la composition dans le chapitre pré-
cédent.
Le colonel n'avait pas encore quitté M1ila, qu'intimidés, les insurgés du
Mestaoua lui faisaient des oRres de soumission. CesoRres lui étaient adressées
par des gens des Zmoul , parents par alliance des Tlet II n*en continua pas
moins sa route, emmenant avec lui une puissante artillerie, et, comme nous
venons do le voir, arriva le 14 en Tace de la position. De plus en plus effrayés,
les rebelles s'empressèrent de renouveler leurs propositions pacifiques, et des
négociations s'étant engagées entre eux et le capitaine Villot, du bureau arabe,
leur capitulation pure et simple, moyennant une forte contribution de guerre,
fut acceptée. Cette décision, qui accordait la vie sauve aux individus coupables
des actes les plus barbares qui eussent été commis, fut d'autant plus mal
accueillie par tout le monde, que non seulement on se rappelait les brigan-
dages dont les environs de Datna avaient été le théâtre et les pertes cruelles
qu'on avait essuyées dans la journée du 21 mai , mais qu'on avait encore sous
les yeux le plus triste spectacle qu'il soit possible d'imaginer : les tombes de
nos malheureux soldats avaient été profanées, et les restes do ceux-ci étaient
éparpillés dans la plaine, et ne représentaient plus que quelques ossements à
moitié rongés par les chiens.
Après cette reddition il ne restait plus, pour avoir raison des derniers par-
tisans de la révolte, qu'à réduire Bou-Mesrag, que nous avons laissé dans la
montagne des Maâdhid. Le général le Poittevin de Lacroix, qui par décision
du 22 juin avait été nommé au commandement de la division de Constantine,
venait alors de terminer sa longue et fructueuse expédition de Kabylie ; les
environs de Bougie et de Djidjelli étaient dégagés, la Medjana pacifiée; le mo-
ment était venu de faire converger toutes les colonnes vers ce dernier foyer de
la résistance et d'en finir avec le chef audacieux qui nous avait si souvent
échappé. Des ordres furent donnés dans ce sens, et, dans les premiers jours
d'octobre, à peu près toutes les troupes disponibles de la province se dirigèrent
vers la partie montagneuse du Hodna. La colonne Saussier devait se porter à
M*Sila, afin d'intercepter les défilés du sud; la colonne Flogny s'avancer par
le Bélezma et le Bou-Thaled ; celle du colonel Bonvalet, parle pays des Rir'a-
Dahara; le colonel Thibaudin, par le territoire des Ouled-Khellouf; enfin le
général de Lacroix, par Saint- Arnaud, Aîn-Melloul et Ain-Rummel. A part
la marche des colonnes Thibaudin et de Lacroix, qui fut marquée par quelques
coups de fusil, ces divers mouvements s'effectuèrent sans difficultés, et, le
1 1 octobre , le général de Lacroix atteignit le sommet de l'Afghan. Ahmed-bey,
se voyant sans secours possible, vint se rendre quelques jours après; la smala
des Ouled-Mokran était entre nos mains; Bou-Mesrag fuyait en fugitif vers le
désert : l'insurrection était vaincue sur ce point. Le 12 octobre, toutes les
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410 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1871]
tribus compromisos avaient fait leur soumissioD , et la paciiication du llodaa
était un fait accompli.
Dans cette dernière opération , la colonne Saussier avait eu un rôle pure-
ment spectattf. Arrivée à M*Siia le 10 octobre, après être partie de Batna le
23 septembre, elle se borna à surveiller les passages conduisant dans le sud ,
sans cependant pouvoir les fermer à Bou-Mesrag et à Ben-bou-Daoud, qui,
ayant vingt- quatre heures d'avance, parvinrent à fuir et à échapper à notre
goum, qui les poursuivit pendant trois jours. Le 26 octobre, commença la dis-
locaiion de la colonne par le départ des bataillons de la province d'Alger, et
le 30, eut lieu la dissolution générale. Le bataillon du r^iment qui en avait
fait partie fut dirigé sur Sétif, où il resta en garnison. Avant de quitter les
troupes avec lesquelles il avait fait face au plus grand danger qui eilt menacé
notre conquête pendant toute la durée de TinsuiTCCtion , le général leur adressa
l'ordre qui suit :
« Au moment où vous allez dans vos garnisons pour y prendre un repos de-
venu indispensable, je ne puis me séparer de vous sans rendre le plus éclatant
témoignage à votre persévérance et à votre abnégation. Pendant huit mois vous
avez lutté contre rinsuri'cction ; rien ne vous a lassés, ni les marches pénibles,
ni les combats incessants, ni les plus dures privations; seuls, |)eudant long-
temps, vous avez tenu tôle aux rebelles de la Medjana et do la Kabylio orien-
tale, et vous les avez battus en quarante- sept combats, sans souci des récom-
penses et no songeant qu*à remplir noblement volro difricilo mission; vous
n'avez cessé de donner des preuves d*un dévouement sans bornes à la cause de
la colonie.
« Officiers, sous-ofiiciers et soldats, travaillez encore à acquérir ces mâles
et fortes vertus qui font les nations grandes et libres, et nous nous retrouverons
un jour sur un cliamp de bulaille où nous |)ourrons enfin nous relever de nos
désastres et finir le deuil de la patrie. »
De son côté , le général de Lacroix tint à exprimer à tous ceux qui avaient
appartenu à cette vaillante colonne sa satisfaction pour les services rendus
par cette dernière à l'Algérie.
« Au moment, disait-il, où vous allez pouvoir vous reposer d'une campagne
de huit mois, accomplie au milieu de fatigues incessantes et des circonstances
les plus difficiles, je tiens à vous remercier, en mon nom et au nom du pays,
pour le dévouement et Tabnégation dont vous nous avez donné des preuves
éclatantes. Vous vous êtes montrés les dignes compagnons d'armes du brave et
brillant général qui vous a conduits à travers toute la Kabylle jusqu'à Batna,
écrasant à chaque pas Tinsurrection formidable qui avait cru abattre cette fois
la domination française.
« Aussi je compte que vous ferez de ce repos largement gagné, non une
période d'oisiveté, mais le véritable repos de l'homme de guerre, c'est-à dire
que ^ous vous mettrez en état de reprendre au premier appel, si le service
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[1871] EN ALQÊRYE 4il
du pays l'oxige , la série des succès dont la colonne Saussier aura laissé le sou*
venir dans la colonie. »
La colonne Flogny, que nous arons laissée devant le Hestaoua, avait atteint
le Bou-Thaleb le 10 octobre, en passant, le 4, à Ngaous, et, le 6, à Barika.
Après avoir fait sa jonction avec les colonnes Bon valet et de Lacroix, elle re-
partit le 12 pour Batoa. Le IG, une brillante razzia fut exécutée par le batail-
lon du commandant Pelitjean. Le 17, on arrivait à destination.
Pendant que nos colonnes opéraient dans la subdivision de Sétif , nos postes
du sud -est de la province se trouvaient complètement dégarnis. Profitant de
cette situation, vers la fin du mois d'août un aventurier qui se donnait pour
le chérif Mobamed-ben-Abdallab , de la Mecque, vint s'installer au milieu des
Ouled-Khalifa, qui ne mirent aucunement en doute son caractère sacré. Aidé
des gens de cette tribu , il entraîna Toasis de Négrine dans Tinsurrection , et
de loin menaça Ferkane; puis il sUnstalIa à la zaouîa de Sidi-Abid, essayant
d'exalter le fanatisme des populations et de provoquer la défection des tribus
qui nous étaient restées attachées. Mais l'enthousiasme de la première heure
était éteint, et, malgré un léger succès remporté par ses partisans sur le goum
do Tcbossa, lo pays resta sourd A sa voix. Abandonnant alors la ré^fion du
Djebcl-Chercliar, le faux clicrif descendit dans la vallée de TOued-bou-Dokhane.
AnsflitAt los Allouana, nos allies, allèrent se placer auprès de Ferkane, dans
le but de lui couper la retraite de la Tunisie. Cette tentative, extrêmement
hardie de leur part, ne put cependant réussir; le 19 octobre, les Ouled-Kha-
lifa forcèrent le passage, et le chérif se réinstalla de nouveau à Négrine, d'où
il continua à lancer des excitations à la révolte.
Telle était la situation dans cette partie de la province lorsque, le 21 oc-
tobre, le colonel Flogny quitta Batna pour se rendre à Kbenchela, où il arriva
le 25. Se portant ensuite vers le sud-est, il atteignît Sidi-Abid le 1^ novembre,
exécuta sur ce vitloge une importante razzia, détruisît de fond en comble la
zaouîa qui avait servi de lieu de réunion aux agitateurs, rassura les fractions
menacées de la vengeance du faux chérif, et enfin rétablit complètement
Tordre que celui-ci avait violemment troublé. Le 4 novembre, il reprit avec ses
troupes sa marche dans la direction du nord-est, en passant par Aîn-Borab et
Aîn-Gueber, atteignit l'Oued-Tilidjcn , et redescendit vers Négrine, où il arriva
le 15. L'oasis était abandonnée; les habitants et le chérif avaient fui et s'étaient
réfugiés près de Tamcrza, d'où ils ne tardèrent pas à gagner la Tunisie. Le
colonel fit incendier les maisons et couper les palmiers, puis il reprit, le 30 no-
vembre, le chemin de Kbenchela. La colonne campa successivement sur l'Oued-
Ouarin, & Foum-el-Mechera, Ras-el-Euch, Ghéria, Aîn-Kremmlil , Aln-Boud-
jenan, Aln-Tazougarth , et arriva le 11 décembre. Le 13, elle s'engagea dans
les Aurcs et se dirigea sur Batna par Foum-el-Gueis, Merdjal-el-Dermel,
rOued-Tagguerest, Bou-Zouïa, El-Arneni et Ferrost. Rendue le 22 décembre,
elle fut aussitôt dissoute, et les cinq compagnies du régiment qui en avaient
fait partie restèrent en garnison à Batna.
A la fin de Tannée 1871, Tinsurrection pouvait ôtre partout considérée
comme vaincue ; seule la poursuite des chefs qui s'étaient retirés dans le
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412 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS AL0ÉRIBN8 EN ALGÉRIE [iéli]
désert allait encore demander à nos troupes quelques nouveaux efforts accom-
pagnés de plus de fatigues que de dangers. Mais, avant de suivre le général
de Lacroix dans les opérations qu*il devait diriger en personne dans rextréme
sud de la province, nous allons revenir dans la Kabylie orientale et reprendre,
au point où nous l'avons laissé, le récit des événements auxquels, dans cette
région , se trouvèrent mêlées des fractions du 3* Tirailleurs.
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CHAPITRE III
L'insarreetion dans la Kabylie orientale. — Défense de DjidlJelli. — La révolte gagne
le cercle de Gonstantlne. — Attaque de Milah par les insurgés. — Colonne Yata. —
Colonne Aubry. — Le général de Lacroix est nommé au commandement de la pro-
vince; il prend la direction des opérations en Kabylie. — Pacification des cercles du
Coiio et de Dji^Jelli. — La colonne se dirige sur le Bou-Thabeb, pnis sur Bou-Saida,
Biskra et Tiiggnrt.
Soit que son éloignement du foyer de l'insurrection ne lui eût pas permis
de répondre au mot d'ordre parti de la Medjana; soit que l'infructueuse ten-
tative des Oulcd-Aîdoun sur El-Milia eût momentanément étouffé les tendances
de révolte au sein de sa belliqueuse population ; soit enfin , — et cette raison
nous parait la plus probable , — que le désarmement effectué par le général
Pouget eût enlevé à cette dernière toute possibilité de seconder à son début le
mouvement des tribus de l'Oued -Sahel, la Kabylie orientale était restée
assez longtemps étrangère au grand soulèvement suscité par Hokrani. Ce ne
fut, en effet, que vers la fin du mois de mai qu*une agitation sérieuse com-
mença & se manifester dans la région située à l'est des Babors; encore n'y
fut- elle provoquée que par l'arrivée de contingents envoyés par Si-Aziz,
sous les ordres de deux chefs Khouans. On se rappelle qu'à cette date le
général Saussier s'était vu obligé d'interrompre ses succès contre les Amoucha,
pour se porter au secours de Sétif; notre entreprenant ennemi en avait
aussitôt profité pour faire prendre les armes aux Beni-Foughal; puis, les
ayant organisés en deux colonnes, commandées par les nommés Korichi-ben-
Si-Safldoun, des Talha, et Bou-Aaraour, frère du caïd du Ta-Babor, il les
avait loncés contre Djidjcili. Cette place était alors à peu près dégarnie; elle
paraissait ôtre une proie facile ; les insurgés ne doutèrent pas qu'elle ne suc-
combât sous leurs coups répétés , et marchèrent contre elle avec toute l'ardeur
que peut donner une haine sauvage s'alliant à l'espoir d'un riche butin.
Dès qu'il eut connaissance de ce nouveau danger, le général commandant
la province s'empressa d'envoyer dans cette ville le lieutenant -colonel Béhic
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kïk
LE 3* RÉQIIIBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
lt87tl
(& la suilo au 3* Tirailleurs) et quolques Iroupes pour en assurer la défeose.
Parmi ces dernières, se trouvaient deux compognies du régiment, les 5* et 6*
du 2* bataillon , qui étaient ainsi composées :
5* compagnie.
MM. Camion , lieutenant français.
Creutzer, sous-lieut. français.
Aissa-bel-Hadj-llassein, sous-
lieutenant indigène.
6* compagnie,
MM.Kolb, capitaine.
Garnier, lieutenant français.
Ilassein- bon -Ahmed, lient, ind.
Macarez, sous- lient, français.
Ces compagnies s'embarquèrent à Philippeviile le l*' juin. Outre ce déta-
chement, la garnison comprit alors une compagnie du i^' zouaves, quatre
du 3«, une cinquantaine d'artilleurs et quelques cavaliers, soit environ un
millier do combattants, auzquols s'ajoutait la milice do lu ville, c'est-à-dire
à la ligueur environ deux cents fusils. C'était peu, eu égard au développe-
ment qu'allait avoir la ligne à défendre.
La petite ville de Djidjelli, bfttie au bord de la mer, est dominée de toutes
parts, et à une assez grande distance, par une série de hauteurs d'une alti-
tude moyenne de cinquante mètres. Cette ligne de mamelons s'abaisse à
l'ouest pour donner passage à la route de Sétif , à l'est pour former des pentes
douces qui vont finir près de la rade, où se jette une petite rivière, générale-
ment à sec pendant l'été, l'Oucd-el-Kantara. C'est de ce C(Ué que débouche
la route de Constantine. Entre les deux routes, sur une étendue de deux mille
mètres, la crôte était alors défendue par les forts Orin, Galboiset Valée. Du
côté de la mer, deux autres ouvrages, le fort Duquesne à Test, et le fort
Saint-Ferdinand à l'ouest, complétaient ces défenses extérieures et les ap-
puyaient du tir de quelques pièces de gros calibre. Un mur en pierres sèches ,
d'un mince relief, permettait la circulation entre ces divers points. Les
Tirailleurs et la compagnie du 1** zouaves furent chargés do lu garde du côté
est do la place, les quatre compagnies du 3** zouuves do colle du secteur
ouest.
Les lieutenants de Si-Aziz n'avaient pas eu de peine à entraîner les tribus
voisines dans la défection : les El-Aouana, les Beni-Khettab avaient succes-
sivement arboré l'étendard de la rébellion et grossi les contingents des Beni-
Foughal. Le 31 mai , ces hordes furieuses s'étaient jetées sur les établisse-
ments du cap Cavallo, et les avaient entièrement pillés et saccagés. Enhardies
par ce facile succès, elles se rapprochèrent bientôt de la ville, et, le 7 juin,
tirent une première tentative sur le centre de la ligne. Mais, reçues par une
vive fusillade dès qu'elles se montreront en terrain découvert, elles se reti-
rèrent précipitamment hors de la portée de notre feu , semblant ainsi renoncer
à une attaque de vive force pour se renfermer dans un simple blocus.
Ce n'était cependant qu'une feinte. Le 9, au point du jour, les avant-
postes signalèrent encore l'ennemi du côté de la porte de Constantine. Les
insurgés s'avançaient sur deux lignes à travers bois, en suivant les crêtes,
depuis l'Oued -oUKan tara jusqu'au col de Mezghitan.
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[1871] EN ALGÉRIE «15
Vers cinq heures, le feu s^engagca enlre les tirailleurs kabyles, embusqués
dans le lit de la rivière, et le poste du parc à fourrage, et ne tarda pas à
s'étendre sur toute la lisière du bois. Prévenue, la garnison était déjà sous
les armes, et la surprise sur laquelle comptaient probablement les rebelles
échoua complètement; sur tous les points les Tirailleurs, à qui incombait
la défense de cette partie de la ligne, répondirent vigoureusement à cette
brusque attaque et maintinrent les assaillants par la précision de leur tir.
Trois fois les insurgés essayèrent de quitter leurs abris pour se porter contre
la porte de Constanline et le fort Valée, trois fois ils furent repoussés. Leur
deuxième ligne étant alors venue appuyer la première, deux vapeurs em-
bossés dans la crique Duqucsne, le Forfait et l'AmUde, joignirent au feu des
forts celui de leur puissante artillerie, et toutes ces bandes, effrayée^, se
retirèrent en laissant le terrain couvert de leurs morts. Bientôt leur retraite
devint définitive, et seules quelques vedettes restèrent sur les crêtes pour
surveiller le mouvement. La lutte avait duré quatre heures; les rebelles
avaient environ cent vingt hommes hors de combat; les Tirailleurs comp-
taient deux blessés, dont un officier, M. le sous- lieutenant Macarez, atteint
grièvement à la tête et à la poitrine.
Dans Taprès-midi, quelques reconnaissances envoyées à Textérieur con-
slnlèrcnt Tarrivée tlo nouveaux contingents venant du Ta-Babor. Itenforcés
ainsi de plusieurs centaines de fusils, les insurgés oublièrent vile leurs pertes
du matin, et reparurent peu & peu sur les crêtes, mais par petits groupes et
à une assez grande distance pour n'avoir rien à craindre des coups de notre
artillerie. Il n'en restait pas moins évident qu'ils se préparaient à une troi*
sième attaque.
Celle-ci eut lieu le 11. A sept heures du matin, les bandes arrivées
l'avant -veille, et qui étaient campées au col de Mezghitan, descendirent dans
la plaine en deux colonnes se dirigeant, la première sur les forts Galbois et
Orin, la deuxième sur la partie du rempart reliant le fort Saint -Ferdinand
à la mer. A l'exception de quelques fanatiques qui, rampant de rocher en
rocher, parvinrent assez près de l'enceinte pour inquiéter les défenseurs des
créneaux, celte dernière, qui s'avançait sous le canon du fort Saint-Ferdi-
nand, hésita d'abord, puis finit par se disperser; mais l'autre, profitant
habilement des broussailles, des accidents du terrain, des débris de maisons
incendiée!^, rcnssil h s'inslallor dans les taillis autour des ouvrages Orin et
Galbois, et de là dirigea tous ses efîorls sur la porte do Bougie, tout en
essayant de couper la conduite d'eau. Il était urgent d'empêcher ce travail ;
l'artillerie concentra son tir sur le point menacé, sema l'eiïroi parmi les
Kabyles, et deux- pelotons du 3* zouaves n'euAnt qu'à achever, par une vi-
goureuse sortie, de chasser les derniers groupes ennemis des bouquets de
bois où ils s'étaient embusqués. Du côté des Tirailleurs, l'action s'était bornée
à une assez vive fusillade, dont les assaillants avaient été les seuls à souffrir.
Rendus prudents par ce nouvel insuccès, les rebelles se retirèrent encore
en dehors de la zone battue par le canon do la place, mais sans renoncer
complètement à menacer celle-ci. Le 14, ils essayèrent en eflet d'une der-
nière tentative, qui ne réussit pas plus que les précédentes; puis, découragés,
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Ai6 LB 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1871]
ils s'en tinrent & un blocus à distance qui permit enfin à la garnison do
prendre quelque repos, ce dont elle avait grand besoin. Enfin l'influence
des événements extérieurs commença à se faire sentir dans les rangs des
Kabyles, et de nombreuses désortions signalèrent bientôt l'annonce de chaque
nouveau succès de la colonne Saussier.
Au courant de cette situation , le lieutenant-colonel Béhic résolut d'en pro-
fiter. Le 26 juillet, & quatre heures du malin, il sorlit par la porte de
Constantine avec quatre cents zouaves ou Tirailleurs, et se disposa à brûler
les villages des Beni-Ilassein, des Haraclen et des Boni- Ahmed. A cet eflet,
la compagnie du !«' zouaves fut dirigée le long de la mer pour y culbuter les
nombreuses embuscades qu'on y savait établies , et les Tirailleurs reçurent
l'ordre de déloger les postes et les vedettes qui occupaient le bois d'El-
Kantara.
Conduits par le capitaine Kolb , ces derniers s'élancèrent aussitôt sur la
position qui leur était indiquée. A mi-côte, ils essuyèrent un feu violent; ne
se donnant pas la peine d*y répondre, ils précipitèrent leur course, couron-
nèrent sans coup férir les hauteurs dominant la route de Constantine, y
laissèrent quelques postes, et rejoignirent la colonne, qui, désormais couverte
sur ce point, se porta tout entière en avant. Les gourbis des fractions rebelles
furent incendiés, leurs défenseurs tués, les jardins ravagés et les fuyards
poursuivis jusqu'à TOued-Mencha. On pensait pouvoir atteindre les nom-
breux troupeaux qui avoient été rassemblés dans cette vallée, mais les
Kabyles leur avaient fait passer la rivière, et l'on était déjà assez loin de la
place pour avoir à craindre une retraite difficile.
Notre petite troupe fut, en eflet, vivement harcelée au retour; attirés par
la fusillade, les cris d'appel et les signaux, les contingents des Ouled-Mars,
des Ouled-Berofon, des Beni-Amran, des Beni-Siar, des Beni-Khettab, des
Ouled-Ali, etc., étaient accourus de toutes parts au secours des gens de Si-
Saftdoun , et bientôt les zouaves et les Tirailleurs eurent à répondre à une
vive fusillade que la faible portée des armes de Tenncmi rendait heureuse-
ment peu meurtrière. Les rebelles cherchaient surtout à gagner l'Oued-
el-Kantara, dans le but de tourner les Tirailleurs, qui, après avoir razzé et
brûlé les cases et les villages, se trouvaient séparés du restant de la colonne.
Mois ceux-ci se retirèrent lentement, en bon ordre, sans cesser de faire face
à leurs adversaires, qu'ils maintinrent ainsi à une assez grande distance, et
qui, assaillis de dos et de flanc par les postes des hauteurs, et du côté de la
place par une pièce de quatre, établie au parc à fourrage, ne tardèrent pas à
se débander, laissant la route libre à nos compagnies. Les zouaves eurent
plus particulièrement à soufl*rir des individus embusqués dans les brous-
sailles, et perdirent plusieurs hommes, dont un officier tué. L'ennemi ne
laissa pas moins de quarante morts sur le terrain.
Dans le rapport où il rendait compte de cette brillante opération , le lieu-
tenant - colonel Béhic citait comme s'étant particulièrement distingués :
MM. Kolb, capitaine; Camion, lieutenant; Aissa-bel-lladj-ilassein, sous-
lieutenant; Maudet, sergent- major; Salah-ben-Ferkodadji et Zair, sergents;
Mohamed - ben - Messaoud et Kacem - bel - llad j - Ahmed , caporaux ; Amar-
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[1871] EN ALGÉRIE 417
ben-ATssa, Bombeken-ben- Mohamed et Amar-ben-Rabah, Tirailleurs.
Le 2 août, une nouvelle sortie fut effectuée sur le marché d'El-Arba, et se
termina par un brillant succès. Le 3, les troupes se dirigèrent encore sur ce
point, dans le but de protéger les Béni- Caïd ^ qui venaient d*obtenir Taman,
et que les insurgés avaient chassés do leurs villages. Il y eut échange do
coups do fusils, mois Tennemi tint faiblement, et fut rapidement dispersé.
Le lendemain , une tentative de razzia, appuyée par le feu d'une frégale em-
bosséo dans la rade, amena un engagement un peu plus sérieux, suivi
d'ailleurs du même résultat.
A partir de ce jour, la garnison ne fut plus inquiétée, et les détachements
qu'elle envoya à Textérieur parcoururent librement le pays. Les indigènes
venaient d'apprendre qu'une importante colonne s'organisait à Milah, sous
les ordres du général de Lacroix; ils connaissaient de longue date le nouveau
commandant de la province; ils savaient avec quelle vigueur il allait diriger
les opérations, avec quelle sévérité il allait punir les tribus coupables, et, ne
croyant plus au succès de leur téméraire entreprise, ils ne cherchaient plus
qu'à échapper ou chAtimcnt qui les menaçait. Les bandes de Si-Saâdoun
s'étaient donc en grande partie dispersées pour rentrer dans leurs villages,
laissant réduites & Iciir propre sort les populations qu'elles avaient entraînées
dans la rébellion. Criles-ci se soumirent peu à peu au lioutenant- colonel
Béhic. Lorsque, le 23 août, la colonne du général de division arriva dans les
parages de Djidjcili et y fut rejointe par les deux compagnies de Tirailleurs
qui avaient concouru à la défense de cette place, la pacification du pays était
à peu près assurée. Le général en témoigna toute sa satisfaction au lieutenant-
colonel Déhic, dans une lettre fort élogîeuse, où il le remerciait chaleureuse-
ment des services qu'il avait rendus. Il est vrai qu'en immobilisant dans ce
coin do la Kabylie les trois & quatre mille hommes qu'avait autour de lui le
second de Si-Aziz, la garnison de Djidjelli avait non seulement sauvé du
pillage et de l'incendie les établissements de la côte et ceux de la vallée de
rOued-el-Kébir , mais encore , ainsi que nous allons le voir, empêché l'insur-
rection de réunir des forces suffisantes pour marcher sur Constantine.
En gagnant le district de Djidjelli , la révolte avait trouvé deux nouveaux
chefs : les khouans Mouley-Chekfa, des Beni-Ider, et Mohamed-ben-Fiala,
des Beni-IIabibi. Par suite des intrigues de ces deux personnages, l'agitation
s'était rapidement étendue dans la partie ouest du cercle de Collo, dans le
Fcrdjiouah, et même chez les Ouled-Kebbcb, du cercle de Constantine. On
craignit pour Milah , et l'on y envoya aussitôt une compagnie du 1^ provisoire
renforcer la garnisoji, qui ne se composait que d'une section du 3* Tirailleurs,
appartenant à la i^ compagnie du 4<' bataillon , section qui se trouvait sous
les ordres du lieutenant Mustnpha-bcn-EI-IIadj-Otman. En môme temps,
le 8^ provisoire, commandé par le colonel Louis, prenait, pour so rendre à
Sétif, la route du Ferdjiouah par Aln-Smara et Feidj-Mezaïa.
Mais, pour promptes qu'eussent été ces mesures, les Beni-Messad, les
Ouled-Amer-Zapeza, les Beni-Medjalet, les Ouled-Sliman, etc., n'en avaient
pas moins déjà pris les armes, et, lorsqu'il arriva sur l'Oued -Redjaz, le
colonel Louis y apprit soudain que quatre à cinq cents insurgés s'avançaient
27
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418 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (l87l]
par lo col do Fcdjoulôs, vura la position de Feldj-cl-Kiiémis. Le biil dcco
mouvement, il n'y avait pas à en douter, était, chez les rebelles, d'envahir
les vallées de TOued-Eudja et de TOued-el-Kébir, pour menacer ensuite
ou Milah ou la voie ferrée de Constantine à Philippeville. Changeant alors
brusquement de direction , le colonel remonta vers le nord , atteignit rennemi,
le battit une première fois, le 4 juillet, non loin de FeIdj-el-Arba, lo ren-
contra encore le surlendemain sur l'Oued -el-Maila, au pied du Feldj-el-
Khémis, lui livra un sanglant combat qui dura près de cinq heures, puis, le
croyant dispersé, reprit la route de Sétif.
Bien que fortement maltraités, les insurgés n'avaient cependant fait que
céder devant la nécessité du moment; la colonne était à ^leine partie, qu'ils
se réunissaient de nouveau, se grossissaient de nombreux contingents des
tributs du Zouagha, et se ruaient, au nombre d'environ quatre mille, dans
la vallée de l'Oued -Eudja, chassant devant eux les populations eflrayécs. Le
11 juillet, ils arrivaient devant Milah, dont ils croyaient s*emparer sans coup
férir, mais dont la petite garnison leur résista victorieusement.
La ville était heureusement assez bien fortifiée; l'enceinte, constituée par
de vieux remparts romains, était bien en ruines sur plusieurs points; mais,
la population ayant activement secondé nos soldats, les plus importantes de
ces brèches avaient été réparées. Lo 12, excités par celte résistance à laquelle
ils ne s'attendaient pas, les rebelles tentèrent un violent assaut qu'ils virent
encore échouer. Ilepoussés, décimés, ayant subi des pertes considérables, ils
se retirèrent à distance, et, renonçant alors à ce genre d'attaque, ne cher-
chèrent plus qu'à user l'énergie des défenseurs en les harassant au moyen de
continuelles alertes de nuit. Ces derniers , qui avaient déjà subi quelques
pertes, et que leur petit nombre condamnait à rester en permanence sur les
remparts, se trouvèrent, en effet, bientôt exténués par cette veille ininter-
rompue, et nul doute qu'ils n*eussent fini par succomber, accablés par la
fatigue, si on ne fût venu à leur secours.
Mais le danger était trop pressant pour qu'on ne prit pas immédiatement
des mesures pour le conjurer. Une colonne fut hâtivement organisée à Con-
stantine et confiée au lieutenant- colonel Vata, du 1*^'' hussards, do passago
avec son régiment pour aller à Sélif. Cette colonne comprenait : une com-
pogniedu 3^ zouaves, une autre du 3<^ Tirailleurs (capitaine Sauvage), cent
chasseurs d'Afrique à pied et environ quatre cents hommes du 1*^^ régiment
de hussards. L'infanterie était sous les ordres du commandant llapp, du
3» Tirailleurs.
Ces troupes quittèrent Constantine le 12 juillet, à deux heures du soir,
pour aller coucher à Ain-Kerma. Le lendemain , la marche reprit de bonne
heure et se poursuivit jusqu'à l'Oued-Kotton, où l'on fit le café. Le pays
paraissait tranquille, et Ton savait que ce n'était qu*à partir de ce point qu'on
pouvait soudain faire la rencontre de l'ennemi. Mais celui-ci ne se montra
nulle part, et, vers onze heures, on atteignit les hauteurs au sud de Milah,
sans autres renseignements sur son compte que ceux recueillis pendant la
route auprès des indigènes, qui, selon leur habitude, n'avaient pas manqué
de les exagérer. D'oprès eux, le nombre des insurgés qui bloquaient la place
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[1871] KN ALGÉRIE 419
ne s'élevait pas à moins de huit mille. Si la chose était vraie, il y avait fort à
craindre que Si-Saftdoun ne fût venu se joindre à Mouley-Chekfa avec les
contingents qui assiégeaient Djidjelli, et alors la petite colonne se trouvait
bien faible pour faire face à des forces aussi considérables d*autant plus que,
presque entièrement composée d'hommes voyant l'Afrique pour la première
ibis, elle se trouvait très éprouvée par celte difficile étape que la chaleur
accablante de juillet avait rendue plus difficile encore.
Rendu perplexe par cette situation, dont il mesurait toute la gravité, le
lieutenant- colonel Vata arrêta ses troupes, hésitant entre le parti d'une
attaque immédiate et celui d'attendre des renforts. Mais, dans ce dernier cas,
qu'allait devenir la garnison? Etait-elle capable de résister? N'était-ce pas
déjà trop tard? Et, décidé & agir suivant les besoins plus ou moins pressants
de celle-ci, il envoya quelques reconnaissances pour se rendre compto du
véritable état de choses. Ces dernières rentrèrent bientôt avec quelques cap-
tures, et Ton eut enfin, par des gens du pays, des indications précises sur
les insurgés : la vérité était qu'à l'annonce de l'arrivée de la colonne, Mouley-
Chekfa s'était retire vers le nord avec le gros de ses bandes, et qu'il ne restait
plus que quelques centaines d*ennemis dans les environs.
A une heure de l'après-midi, le convoi ayant serré et les hommes pris
quelque repos, la colonne se remit en mouvement pour descendre vers Milah ;
le commandant Rapp, avec l'infanterie, se dirigea vers les portes de la ville,
la cavalerie se porta vers l'ouest pour envelopper celle-ci et couper la retraite
aux rebelles attardés dans les jardins. Ces mouvements s'effectuèrent sans
que la garnison donnât signe de vie; enGn, après que nos escadrons eurent
parcouru la campagne pour la débarrasser des derniers groupes qui y erraient
encore; que le capitaine Sauvage eut fouillé les bois et les jardins avec sa
compagnie, et foit fusiller tous les individus pris les armes à la main, on
trouva celte dernière saine et sauve, mais épuisée par une veille de trois jours
et do trois nuits. Dans la journée du 12, la section du lieutenant Mustapha
avait eu un homme tué, le sergent Flacon. Cette section comptait en outre
quelques blessés.
Après avoir dégagé Milah, le lieutenant- colonel Vata installa son camp au
sud de la ville, et garda cette position pendant deux jours; il alla ensuite
s'établir non loin de l'Ouel-el-Kébir, sur la rive droite de l'Oued-Milah, en
face des pentes du Zouahra. Les 17, 18 et 19 juillet, des reconnaissances
envoyées dans les environs signalèrent de nombreux rassemblements, qui
chaque jour se rapprochaient du camp. Chaque nuit celui-ci était attaqué.
Il avait été heureusement bien établi, mais le trop grand nombre de
chevaux présentait un grand inconvénient et obligeait à une surveillance des
plus actives.
La situation politique devenait mauvaise : les rebelles savaient très bien
que Constantine était entièrement dégarni, et, comptant voir sa population
indigène se soulever , ils redoublaient d'efforts pour que l'insurrection se rap-
prochât de cette ville et gagnât les tribus voisines de la route de Philippeville ;
les gens du Zouagha, les Beni-Ider, les Askers, les Beni-Mimoum, les Beni-
Khettab, les Ouled-Ali, etc., étaient en pleine rébellion; les Mouias, ne se
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420 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1871 ]
sentant pas protégés, penchaient cliaque jour vers la défection ; la population
de Milah elle-même n'était pas très sûre; bref, il y avait à craindre les plus
graves complications, lorsque l'arrivée du général de Lacroix, nommé au
commandement de la division, vint tout à coup donner une autre physio-
nomie à la lutte, et ruiner les dernières espérances des insurgés.
Le 19 juillet, alors que les Arabes croyaient nos ressources épuisées, une
nouvelle colonne fut organisée à Constantine et placée sous les ordres du
lieutenant-colonel Aubry, du régiment. Elle comprenait : une compagnie du
3<) zouaves, trois compagnies de Tirailleurs (la 3<> du !<'<' bataillon, lu 7» du
2«, et la 1^ du 3«) et une section d'artillerie de montagne. Le lendemain,
elle rejoignit celle du lieutenant- colonel Yata, et son arrivée permit de ren-
voyer deux escadrons de hussards. Le 23, elle se grossit de trois compagnies
du 3® zouaves, et, le 24, d'une autre compagnie de Tirailleui*s : la S« du i^
bataillon. Ces renforts arrivaient à temps : enhardis par noire inaction forcée,
les Kabyles s'étaient considérablement rapprochés du camp, et, dans la nuit
du 24 au 25, ils tentèrent sur celui-ci une furieuse attaque qui fut partout
repoussée, mais qui eût pu être autrement dangereuse quelques jours aupa-
ravant.
A la suite de cet insuccès, Mouley-Chekfa se relira à Zeraîa, afin de rallier
de nouveaux contingents du Zouagha inférieur. Pendant ce temps, une
douzième bande de révoltés du cercle de Collo incendiait les forêts de la partie
ouest du district, et menaçait Bou-Nouara, où ne se trouvait qu'une com-
pagnie de zouaves. Plus au nord, dans le cei*cle d'ËI-Milia, le pays s^était
également soulevé à la voix de Mohamed-ben-Fiala. Ce dernier, ayant échoué
dans une attaque contre le bordj, s'avançait maintenant sur le territoire des
Beni-Tlilen, pour, gagner le col d*Klma-el-Ahiod et donner la main à
Mouley-Chekfa, qui, prévenu, se portait de son celé au confluent de l'Oued-
Mclati et do l'Oued -cl -Kébir. 11 fallait ù tout prix empêcher cette jonction;
si elle s'opérait, Aïn-Kcrniu, Hizot, le llununu, toute la ligne ferréo, et
même les faubourgs de Constantine pouvaient être menacés. Jamais peut-dire
le danger ne s'était montré aussi près et aussi immédiat.
Le 27 juillet, le lieutenant-colonel Aubry se mit à la tête de huit compa-
gnies, dont quatre de zouaves et quatre de Tirailleurs » de deux pelotons
de hussards et d'une section de montagne, et, laissant la garde du camp
au commandant Dubuche, du 3* zouaves, marcha à la rencontre des re-
belles.
Partie de Milah, à quatre heures du matin, cette colonne suivit l'Oued-
Milah jusqu'à son confluent avec POued-el-Kébir, et passa cette dernière
rivière au point dit Kef- Andjibar. A dix heures du matin , elle arrivait à Aîn-
Seba,8ur la rive droite de l'Oued -Cherchan. Toutes les crêtes de la rive
gauche, dans la direction de Bou-Nouara, étaient couvertes de rassemble-
ments. On fit le café ; puis l'infanterie fut divisée en deux groupes, et s'élança
à Pattaquo des positions occupées par l'ennemi , pendant que la cavalerie
essayait de les tourner. Ces positions furent successivement enlevées, après
un combat qui ne dura pas moins de quatre heures, et, le soir, le camp fut
établi à Bou-Nouara, sur la rive droite de l'Oued -Dieb. Grâce à la vigueur
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[1871] EN ALGÉRIE * 421
déployée par Ic8 Tirailleurs , cetle journée décisive ne coûtait que quelques
blessés au régiment.
Cette démonstration eut tout le succès qu'on en attendait : les insurgés se
virent rejetés vers le Zouagha; les abords de Philippeville et le territoire de
Jcmmnpes furent sauvés de la dévastation dont ils étaient menacés; les
Mouîas n*abandonn&rcnt pas notre cause, et Constantino fut définitivement
à Tabri d*un coup de main.
Après un jour de repos & Bou-Nouara, le 29, la colonne se rendit à Sbuk-
cl-Ami, au pied du Messid-bcn-AIssa, dans une excellente position lui per-
mettant d'observer tous les mouvements de Tcnnemi, tout en couvrant
Milah, qui, la nuit précédente, avait été vainement attaqué. Le soir, au
moment où les troupes établissaient leur bivouac, elles furent assez vivement
inquiétées par des Kabyles embusqués dans les rochers. Mais la 3* compagnie
du l^^ bataillon ayant, avec un merveilleux entrain, escaladé les pentes
abruptes de la montagne, les rebelles se virent bientôt chassés de ce refuge,
où ils n'essayèrent pas de revenir. Cependant le lendemain , pendant que le
goum et deux compagnies d'infanterie elTectuaient une reconnaissance, sous
les ordres du capitaine Villot, du bureau arabe, la face sud du camp fut
vigniircnsotnent nllni|iiéo. Deux compagnies de Tirailleurs (la 7® du 3« ba-
taillon et la 4<» du 4) prirent aussitôt les armes, sortirent du camp et, bril«
lammcnt entraînées par leurs officiers, culbutèrent partout Tennemi, qui fut
poursuivi juqn'à TOued-cl-Kébir. Les pertes de ce dernier furent considérables;
celles des Tirailleurs s'élevaient à trois hommes blessés.
Le 31 juillet, par suite de l'arrivée à Milah du 8« provisoire, les compa-
gnies de zouaves et de Tirailleurs laissées dans ce poste rejoignirent la colonne
Aubry. Le régiment se trouva alors représenté dans celle-ci par cinq compa-
gnies, savoir : la 3® du l*"" bataillon, la 7« du 2% la 7* du 3% et enfin les 4«
et 5*^ du 4<) bataillon. Ce détachement formait un bataillon de marche sous
les ordres du commandant Rapp.
Malgré ces succès, la situation restait encore fort difficile. Résolu d'en finir
rapidement, le général de Lacroix décida qu'il prendrait lui-même la direction
des opérations dans cette partie de la province, et, le 2 août, il se rendit à
Milah, où il appela immédiatement la colonne Flogny (ancienne colonne
Louis), qui opérait alors sur la droite du général Saussier. Celle-ci l'ayant
rejoint le 4, il se dirigea le môme jour sur Sidi-Mérouan, ne laissant à Milah
qu'une faible garnison , avec le capitaine Fargue , du régiment , comme
commandant supérieur.
A Sidi-Mérouan- se trouvait déjà le lieutenant-colonel Aubry; le général
réunit les deux colonnes, en forma une seule brigade expéditionnaire, et se
prépara h parcourir tonte la Kabylie orientale, pour, faire disparaître les
derniers symptômes de résistance.
Avec la colonne Flogny était arrivée une nouvelle compagnie du 3* Tirail-
leurs (la l^^ du 2» bataillon : capitaine Giraud) et une autre du 1*^ Tirailleurs.
Ces deux compagnies formaient, pour le moment, un détachement à part,
sous les ordres du commandant Crouzet.
Le 6, ce détachement et la colonne du lieutenant- colonel Aubry eurent
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4aa LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (l87l]
pour mission do razzor les silos aulour du camp. Lo commandant Croiizol
devait exécuter celte opération à l'ouest, le lieutenant-colonel Aubry à Test.
A six heures du soir, tout était terminé. Le lendemain, trots compagnies de
zouaves, deux de Tirailleurs et trois pelotons de hussards Grent une nouvelle
sortie , sous les ordres du commandant Rapp , et brûlèrent les plus importants
des villages des Ouled-Yahia. Le soir, cette petite troupe campa à Moul-
Abbès, où elle fut rejointe, le 8, par le lieutenant- colonel Aubry, avec le
restant de sa colonne.
Le 9, la brigade entière se porta en avant. L'objectif était Feldj-Beînem.
Formant la droite, le lieutenant- colonel Aubry se mit en route ù cinq heures
du matin , se dirigeant, par Dar-el-Hamera , sur Beyloul , où il devait rejoindre
le général de division, qui marchait au centre. A gauche, venaient la colonne
Flogny et le détachement Crouzet.
A peine nos troupes eurent- elles quitté leurs bivouacs, que les Kabyles
se montrèrent sur la droite et essayèrent d'inquiéter la colonne Aubry. Mais
celle-ci les maintint à distance jusqu'à ce qu'elle eût effectué sa jonction avec
celle du général. A ce moment, le colonel envoya une compagnie de zouaves
et une autre de Tirailleurs attaquer les rebelles , qui se retirèrent précipitam-
ment. Pendant ce temps, la compagnie Giraud prenait part, sur la gauche,
à une poursuite acharnée qui eut pour eflct de précipiter la retraite do l'en-
nemi vers le versant nord du Djebcl-Djema. Cette compagnie fil éprouver des
pertes considérables aux Kabyles, et eut elle-même un homme blessé.
Le lendemain , il y eut repos. Les Tirailleurs algériens , constituant main-
tenant un groupe de sept compagnies, dont une du l*^'' régiment et six du 3«,
furent organisés en deux bataillons, sous les ordres immédiats des comman-
dants Crouzet et Rapp, et le commandement supérieur du lieutenant-colonel
Aubry.
Le 11, quatre compagnies du régiment ( i^ et 7« du 2^ bataillon, 7* du 3«,
et 4<* du i9) et deux du 7« provisoire quittèrent le camp à quatre heures du
matin pour aller, sous les ordres du lieutenant -colonel Aubry, brûler les
villages et détruire les récoltes des Ouled-Rechia. Guidée par le capitaine
Sergent, du bureau arabe, cette petite colonne se dirigea vers le rocher de
Settara, au pied duquel elle eut, dans la vallée de l'Oued -Ouedia, un assez
vif engagement qui lui coûta neuf hommes blessés, dont sept appartenant
aux Tirailleurs. A midi, ces troupes rentraient au camp.
Le 12, le colonel Flogny pénétra dans le Zouagha supérieur. liCS compagnies
du régiment qui n'avaient pas marché la veille, c'est-à-dire la 3^ du l^*'' ba-
taillon et la 8* du 4<>, se joignirent à sa colonne pour cette démonstration.
Ces diverses opérations n'ayant pu déterminer les Rechia à faire leur
soumission , le 14 , toutes les troupes se portèrent sur le territoire de cette
tribu. La colonne, formant deux groupes, se dirigea, en passant au pied du
rocher de Settara, sur l'Oued -Ouedia, dont la vallée, assez encaissée, était
encore parcourue par de nombreux contingents qui s'y croyaient en sûreté.
L'attaque se prononça depuis le gué de Bouchekem jusqu'au pied oriental du
Kof-Sidi-Maarouf ; tous les gourbis ot villages do la rive droite furent brûlés
ou détruits. Passant ensuite la rivière, deux compagnies de Tirailleurs, celle
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[1871] EN ALGÉRIE 423
du l*:** régiment et la 9^ du !<'■' bataillon (lieutenant Ilamel], joignirent les
groupes en fuite sur la rive gauche, les poursuivirent jusqu'au sommet du
Bou-Thouil et leur firent subir des pertes sérieuses. A dix heures, l'action,
qui avait été assez vive au début, était terminée, et la colonne se mettait en
retraite, inquiétée seulement par quelques fanatiques qui tiraillèrent sur Tar-
rièrc-garde jusqu*au col de Settara. Les bataillons du régiment rentraient
avec deux hommes blessés.
Le lendemain 15, le camp fut porté à FeIdj-el-Arba ; le 17, à EI-Arroussai
et, le 20, & Mharcka. Partout maintenant la résistance était tombée. Ce
môme jour, Mohamed-ben-Fîala , se voyant abandonné de tous les siens, vint
faire sa soumission au général. Le 22, on arriva à El-Milia; le 24, on se
dirigea sur le territoire des Mechat. Au moment de la grand'halte, le lieu*
tcnant-coloncl Aubry reçut l'ordre d'aller , avec le goum et les Tirailleurs ,
brûler les villages de celte tribu, qui s'était toujours signalée par son hostilité
à notre égard. Cette opération réussit pleinement; seulement il était dix
heures du soir lorsque les Tirailleurs rejoignirent les autres troupes à
lleilmann-dt->Tarset, où le bivouac avait été installé.
Le 26, la colonne arriva & Souk-el-Khamis. Là elle s'affaiblit, le 28, de
tontos Ion troupes sous les ordres du colonel Flognj, qui furent dirigées sur
Batna. Le 31, on campa & Bou-Adjoul; le l^r septembre, à Sidi-Ouerta; le
2, à Kef-Koiba; le 3, à Chekfa; le 7, à Dar-el-Guidjali, sur les deux rives
de rOued-Mencha. Le 8, on s'arrêta sur l'Oued-Kisser, à un kilomètre de son
embouchure et & vingt-trois seulement de Djidjelli. Les deux compagnies qui
avaient concouru à la défense de cette place (5« et 6« du 2» bataillon) vinrent,
ce môme jour, se joindre au détachement du lieutenant- colonel Aubry, qui
comprit alors huit compagnies du 3« Tirailleurs.
Le 11 septembre, eut lieu une brillante razzia. Les troupes se trouvant
campées à Dar-el-Oucd , on forma une colonne légère dont firent partie trois
cents Tirailleurs, et dont le commandement fut donné au colonel Ritter. Cette
colonne se dirigea sur le territoire des Benî-Marmi, atteignit la population en
fuite, et rentra à deux heures et demie avec quelques otages et de nombreux
troupeaux.
Le 13, la colonne atteignit Ziama. Elle avait parcouru, dans sa partie la
plus difficile, toute la Kabylic orientale, et laissait derrière elle un pays en-
tièrement soumis. Pour achever cette œuvre de pacification, que les mesures
énergiques prises par le général avaient sensiblement précipitée, il lui restait
maintenant à contourner les Babors pour descendre vers Sélif , et de là se di-
riger au travers deJa région montagneuse du Hodna, sur le massif des Mafldhid
et celui du Bou-Thaleb , où nous avons vu que s'étaient réfugiés les principaux
chefs de rinsurrcclion.
Ce mouvement commença le 16. Ce jour-là, le bivouac fut établi à El-
Mekhogel; le 17, ù Afsa; le 21 , à Khenag-el-IIadj, au pied des Babors; le
25, à Gueslaoual; le 26, à Aîn-Kebira; le 29, sur l'Oued-Dehib, et enfin, le
30, à Saint- Arnaud, où sept compagnies du régiment, sous les ordres du
commandant Ferrandi, attendaient la colonne au passage; c'étaient les 2* et
5* du l«f bataillon , les l'« et 2« du 3* et les 1'% 2« et 6* du 4*.
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424 LE Z^ RÉQIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [I87l]
Il ne restait plus, avons -nous dit, qu'à réduire quelques tribus du Hodna
pour que l'ordre fût partout rétabli. C'est en vue de ce résultat flnal que le
général de Lacroix, en même temps qu'il se portait lui-même au centre du
pays dissident, ordonna la marche concentrique des colonnes Bonvalet, Thi-
baudin , Flogny et Saussier, marche dont nous avons déjà eu à parler, et dont
il ne nous reste à voir que ce qui intéresse la colonne de Kabylie.
Le départ de Saint-Arnaud eut lieu le 3 octobre. Le soir, on campa à Guid-
jel; lo Icndeinain, à Molloul; le 5, à Ras-el-Am; le 6, à Aîn-Rummcl, au
pied du Bou-ïhalcb. Le 7 au malin , rinfanterie laissa ses sacs sur les mulets
et pénétra dans la montagne par deux côtés à la fois : à droite, le lieutenant-
colonel Aubry avec les Tirailleurs (moins deux compagnies') et une pièce d'ar-
tillerie; à gauche, le général avec les autres bataillons. Partie avant le jour,
la colonne de droite vint déboucher au fond du ravin où coule l'Oued-Arras , et
là se heurta à une assez vive résistance tentée par les insurgés, qui occupaient
les hauteurs de la rive gauche. Envoyée pour déloger l'ennemi , la compagnie
du lieutenant Clerc gravit ces hauteurs au pas de course , en chassa les re-
belles, qu'elle poursuivit longtemps de son feu , pendant que l'artillerie et deux
autres compagnies , passant sur la rive droite, prenaient position et achevaient
la déroute de ces derniers, qui s'enfuirent définitivement en nous abandonnant
leurs troupeaux. A gauche, les dissidents tentèrent bien aussi à diverses
reprises d'arrêter la colonne du général , qui suivait la route directe du Bou-
Thaleb; mais la 5<^ compagnie du 4« bataillon (capitaine Wissanl) força le
passage et dispersa rapidement les fuyards. A neuf heures, la montagne était
franchie, et la colonne s'établissait sur l'Oued-Arras. Nos pertes s'élevaient à
trois Tirailleurs blessés.
Le 11 octobre, eut encore lieu une importante razzia qui conduisit nos
troupes à la mcrdja du Djebel- Afghan , au sud de la maison forestière. liC 13,
lo camp fut porlé à Tafsert. Le 15, on atteignit Ain-Adoula, où, le lendemain,
Ahmed-bey vint se rendre au général. Lu 25, on bivouaqua à Sidi-Alxlallaii;
le 27, à Scimou, et, le 2U, à M'Sila, où se trouvait la colonne Saussier, déjà
en voie de dissolution. '
On resta à M'Sila jusqu'au 3 novembre. N'y laissant alors que le capitaine
Fargue avec une faible garnison, le général se dirigea sur Bou-Saftda. Le 5,
une colonne légère, composée de toute la cavalerie, des goums du comman-
dant Rose et du capitaine Beaumont, et de deux cents Tirailleurs montés à
dos de mulet, alla, sous les ordres du lieutenant-colonel Aubry, razzer les
Madhi, qui n'avaient point encore fait leur demande de soumission. Cette tribu
fut complètement cernée, et tous ses troupeaux tomberont en notre pouvoir*
Le 17, la marche reprit; mais, au lieu de suivre la route du chott, le gé-
néral appuya à Touest pour passer par Chellal, Ain-Chemara, Ain-Kerman,
OgIet-el-Beida, Temsa et Ain-Seba. Le 18, on arriva à Bou-Sa&da, où l'on
resia jusqu'au 22. Ce jour-là, on alla campera Aîn-Roumana, qu'on quitta
le 22 pour se porter à Defta. De Defla , on se rendit à Mouchemal , et de là sur
rOued-Melah, d'où une colonne légère, comprenant cinquante cavaliers et
cent Tirailleurs choisis parmi les meilleurs marcheurs, alla, sous les ordres
du commandant Rose, razzer les Ouled-Rahma. Le 28, pendant que le gros
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[1871] EN ALGÉRIE 425
des troupes se dirigeait sur TOued-Mouilia, une autre colonne légère, encore
sous les ordres du commandant Rose, et dans laquelle se trouvaient deux com-
pagnies de Tirailleurs (5* et 6® du 2,^ bataillon), deux autres du 8" provisoire
et un escadron de cavalerie , en était détachée pour opérer isolément pendant
quelques jours.
Le 1°'' décembre, la colonne do Lacroix arrivait sur TOued-Tomda. Le soir
du même jour, le lieutenant-colonel Masson, chef d'ctat-major, se mettait
à la tête de la cavalerie, de trois cents Tirailleurs montés à dos de mulet,
et pnrlait à la recherche des Ouled-Zakhri. Après avoir marché toute la nuit,
ce détachement rentra au camp sans avoir rien vu.
Le 3 , on quitta TOued-Tcmda pour aller coucher à El-Bar. Le 4 , on arriva
à El-Amri; le 6, à Zaatcha; le 7, à Ain-Oumanah, et, le 8, à Biskra. Là
quelques jours de repos furent nécessaires pour tout préparer pour une expédi-
tion dans Textrôme sud de la province. EnRn, le 14, on se mit en route pour
Tuggurt, où Ton arriva le 27, après être passé par Zebaret-en-Noua, Talr-
Tafsou, Chegga, Sétil, Coudiat-el-D'hor, Merayer, Sidi-Khetil, Tinedia, Our-
lana, Tamcrza, Sidi-Rachcd et R'hamra.
A Tuggurt s'étaient déroulés de graves événements : la garnison, fournie
tout entière par le n^gimcnt, y avait été massacrée. La ville, après avoir
trempé dans ce complot, avait ouvertement résisté à notre caïd, Ali -boy, et
ce n*élait que depuis un mois et demi environ qu'elle était rentrée dans l'obéis-
sance, à la suite de l'intervention d*Abmed-bou-LakraS'ben-Ganah, nommé
cald à la place d*Ali-bey destitué.
Dès son arrivée, le général de Lacroix fit procéder à une rigoureuse enquête
qui devait bientôt amener Tarrestation des principaux coupables, et faire con-
naître enfin tous les détails de ce drame sanglant, Tun des plus franchement
barbares que nous ofire Thistoire des insurrections algériennes, et certaine-
ment le plus émouvant qui soit dans le passé du 3» Tirailleurs.
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CHAPITRE IV
Massacre de la garnison de Tugguri(i3, 14 et 15 mai 1871).
Au début do l'insurrection, la garnison do Tuggurt était sous les ordres du
lieutenant indigène Amou-ben-Mousseli, vieil officier sur Téncrgie et le dé-
vouement duquel on pouvait entièrement compter. Elle se composait de deux
sergents, de deux caporaux et de soixante-trois Tirailleurs, prélevés sur toutes
les compagnies du régiment. Il ne s*y trouvait qu'un seul Français, le sergent
Basile.
A cette époque le sud de la province de Ck)nslanline, sans rester complè-
tement étranger à ce qui se passait dans le nord, n*était cependant point en-
core en état de rébellion : l'agitation, au lieu de s'y manifester ouvertement
contre nous, s'y traduisait plutôt en une proronde anarchie dont la consé-
quence était le réveil des vieilles haines de tribu à tribu, et de la rivalité de
certaines grandes familles, les unes encore puissantes, les autres déchues et
cherchant à refaire leur fortune. De partout on y voyait accourir des intrigants
prêts à profiter de ces divisions pour se rendre tout-puissants : tels étaient
Naceur-ben-Chora, ancien agha des LarbAa do Laghouat, et Mahi-el-Din, fils
de Tex-émir Abd-el-Kader. C'était en quelque sorte chez les indigènes une
vaste guerre civile qui se préparait, en vue du partage de notre succession,
considérée comme ouverte par tous les partis.
Les choses en étaient là , lorsque, vers la fin du mois de mars, on apprit tout
à coup la prise d'Ouargla par un prétendu chérif du nom de Bou-Choucha (le
chevelu). Ce nouvel aventurier, originaire de la province d'Oran, s'appelait
en réalité Mohamed-ben-Toumi-ben-Brahim ; depuis longtemps célèbre parmi
les populations de l'extrême sud par ses nombreuses tentatives de rébellion,
ses jongleries religieuses et quelques hardis coups de main , tels que le sac
d'EI-Goléah et celui de Metlili , dévoré d'ambition , ennemi implacable do Si-
Ali-bey-ben-Ferath , notre caïd de l'Oued-R'rir, du Souf et d'Ouargla, il s'était
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[1871] LE 3"* RÉGIMENT DE TlRAILLEUnS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE 427
mis & la tôle cIo quatrc-vingls mchara*, montés par une fraction des Chambâa
insoumis, avait marché contre Ngoussa , oasis de la banlieue d*0uarg1a, s'en
était rendu maître en intimidant les habitants appartenant aux Hekhadma,
tribu encore attachée & Ali-bey, puis, no doutant plus du succès de son entre-
prise, s'était porté contre la ville même d'Ouai^la, dont il s'était emparé
après un sanglant combat.
Au courant des desseins et des menées de Bou-Choucha, Ali-bey eût par-
faitement pu s'opposer à leur exécution s'il les eût d'abord pris au sérieux ;
mais , ne voulant pas croire & l'influence du chérif, il s'était contenté d'envoyer
à Ouargla le cheik llamou- Moussa, pensant que la présence de ce représen-
tant de son outorité suffiroît à lui ramener les habitants. Mais Hamou-Moussa
fut surpris par Bou-Choucha, jeté en prison et mis dans l'impossibilité d'ac-
complir sa mission.
Ne pouvant plus douter du danger qui le menaçait, Ali-bey voulut alors
recourir à des mesures énergiques et punir les Mekhadma, qu'il accusait de
no s'être pas suffisamment défendus. Mais cette résolution tardive ne fit
qu'aggraver la situation : impitoyablement razzés, les Mekhadma épousèrent
définitivement la cause du chérif, et celui-ci, sûr désormais du concours dé-
voué do gens dont le mobile était la vengeance, n'hésita pas à se mettre en
campagne contre Ali-bey lui-même et à marcher sur l'Oued-R'rir. Il s'avança
jusqu'à Mégarin, y surprit la tribu des Saïd-Ould-Ahmor, la défit complè-
tement, fit subir le même sort à Ali-bey, qui était sorti de Tuggurt pour la pro-
téger, puis, chargé de butin , reprit le chemin d'Ouargla.
A la suite de ce succès, le prestige du chérif n'eut plus aucune borne :
toutes les tribus nomades de l'Oued -R'rir et d'Ouargla sollicitèrent secrète-
ment son appui. Quant & Ali-bey, sentant le pouvoir lui échapper, ne se
croyant pins en sûreté dnns Tuggurt, dont les habitants lui étaient ouverte-
ment hostiles, il abandonna celte ville pour aller placer ses biens et sa famille
sous la protection des populations du Souf , en les enfermant dans la petite
place de Guemar. Là il reçut l'ordre de se rendre à Biskra, auprès du lieu-
tenant-colonel Adeler, qui venait d'y arriver avec une colonne, et le pays,
restant dès lors livré à lui-même, se trouva, pour ainsi dire, à la merci de
Bou-Choucha.
Le chérif n'était pos homme à laisser passer une aussi belle occasion de
satisfaire sa double haine contre la France et contre Ali-bey; il quitta de
nouveau Ouargla, se dirigea vers le Souf en se faisant précéder par des procla-
mations pacifiques, se présenta devant Guemar, tomba inopinément sur cette
ville, qui l'attendait sans défiance, la pilla, la saccagea, y mit tout à feu
et à sang, mais sans parvenir cependant à s'emparer de la famille d'Ali- bey,
que Si-Mohamed-Scrir, frère du marabout de Temacin, avait prise sous sa
protection dans la zaouîa. Ayant échoué dans une attaque contre celle-ci, Bou-
Choucha se contenta alors d'exiger une forte contribution de guerre des autres
villes du Souf, et se retira à Moulat-el-Caid , où ses bandes se grossirent rapi-
dement de gens de toute provenance que l'appftt du pillage attirait de tous
1 Chameaux de course.
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428 LE a"" RÉQIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (1871 ]
côtés; Ali-bey, qui & l'anoonce du danger quo couraient les siens avait en
toute hâte quitté Biskra pour se porter à leur secours, n'osa pas Ty attaquer
et rentra à Biskra avec ses femines et ses enfants, laissant de nouveau le
champ libre aux insurgés.
Devenu ainsi le seul chef réel du pays, Bou-Choucha se dirigea sur Temacin
dans le but de se venger sur le marabout Si-Mohamed-cl-Aid de l'écliec qu'il
avait subi devant la zaouia de Guemar. Mais, pour détourner l'orage, Si-
Mohame<l-el-Aîd lit répandre la fausse nouvelle quo le magtaen^ d'Ali -boy
était sorti de Tuggurt pour allor surprendre Ouarglu , cl Uou-Cboucha , cliaii-
géant brusquement d'objectif, marcha directement sur Tuggurt, persuadé
qu'en menaçant cette ville le maghzen ne manquerait pas d'y rentrer.
Les habitants de Tuggurt étaient alors complètement divisés; les uns, —
et c'était le petit nombre, — étaient restés fidèles à Ali-bey; d'autres pen-
chaient, au contraire, vers les Ben-Ganah; enfin la masse et la faction reli-
gieuse étaient pour le chérif. Dès qu'on apprit l'approche de celui-ci, des
réunions publiques eurent lieu chez les Medjarias*, et l'on y discuta longue-
ment la conduite à tenir. Mais, devant les faux renseignements semés à des-
sein pour faire croire au succès de l'insurrection dans le nord de la province,
nos rares partisans se confondirent bientôt avec nos ennemis, c Les Français
ont disparu, se répétait-on; ils ont été anéantis par les Allemands; Mokrani
est entré dans Bordj-bou-Arréridj et parcourt le Tell en vainqueur; Bou-Saftda
et Tcl)CS8a sont bloqués; les routes de rOucd-R'ir sont coupées; nous ne pou-
vons nous défendre seuls contre le chérif, qui est tout-puissant. » Sur ces en-
trefaites, étant arrivée une lettre du Souf racontant, en l'exagérant, ce qui
s'était passé à Guemar, l'effroi acheva ce que n'avaient pu faire les insinua-
tions du parti hostile, et de ce jour il fut certain qu'au dernier moment la villo
ferait défection.
Se voyant ainsi réduit aux seules ressources de ses Tirailleurs, le lieutenant
Amou-ben-Mousseli ne songea plus qu'à se préparer à une énergique résis-
tance ; malheureusement il allait le faire en s'inspirant des conseils de
quelques personnages influents sur lesquels il croyait pouvoir compter, et qui
n'avalent cherché à capter sa confiance que pour mieux le tromper. Ces traîtres
étaient le taleb Ahmed-ben-Ali-Trablessi, Bou-Chemal , cheik de Nezia , et son
frère Goubbi-ben-Mohamed.
Mais disons quelques mots des conditions dans lesquelles la lutte allait
s'engager.
Assise au pied d'un mamelon la dominant de très près à l'ouest et tou-
chant, au nord, à l'est et au sud, à une immense plaine sablonneuse décou-
pée au sud-est par un massif de palmiers, la petite ville de Tuggurt était alors
défendue par une enceinte continue ayant environ douze cents mètres de dé-
veloppement et une hauteur moyenne de quatre mètres cinquante. Tous les
> Cavaliers au service de l'autorité iudigène.
* Les Bledjarias sont d'anciens juifs convertis à l'islamisme. Ils se signalent par leur
fanaUsme, et dans celte circonstance ils se montrèrent nos plus implacables ennemis.
Leur nombre leur donnait à Tuggurt une certaine autorité.
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[1871] EN ALGÉRIE 429
trente mètres , cette muraille circulaire présentait des tours en saillie destinées
au flanquement. Au sud, se trouvait la casbah , construction modifiée par le
génie militaire et afTectant la forme d'un fortin carré avec courtines et bas-
tions. Enceinte et casbah étaient entourées (cette dernière seulement du côté
do la campagne) d*un fossé large et profond pouvant être facilement rempli
nu moyen de trois puits artésiens. On traversait ce fossé sur quatre étroites
chaussées en terre permettant d'arriver & quatre portes , dont une donnant
directement accès dans la casbah.
La ville proprement dite représentait trois zones concentriques, séparées
par trois rues principales, sur lesquelles venaient déboucher des ruelles percées
dans le sens des rayons. Au centre, était située la mosquée, que surmontait
une tour élevée. Près de la casbah , les maisons avaient été démolies sur un
assez grand espace, afin de ménager une esplanade qui permit de se défendre
contre la population elle-môme; seul, à Test, un pftté assez considérable, con-
stituant la demeure du khalifa d*Ali-bey, avait été respecté et permettait,
au moyen de ses terrasses, d'avoir vue dans l'intérieur de la caserne. En
dehors de Tenceinle, non loin de la ville, au nord-est et au sud, s'étendaient
deux grands groupes de maisons formant ensemble le village de Nezla; plus
au nord était Tabesbest; et enfin, à environ deux kilomètres à l'est, une autre
petite localité, El-Guenatar.
Du moment qu'il n*y avait plus à compter sur la résistance des habitants,
la défense se trouvait nécessairement localisée dans la casbah. Là s'étaient
retirés les Douaouda *, parents d'Ali-bey, occupant pour la plupart d'impor-
tantes fonctions auprès de ce dernier; au nombre de six, ils comptaient parmi
eux Si-Mustapha, khalifa de Tuggurt, et Si-Naaman, khalifa d'Ouargla ; tous
nous étaient sincèrement dévoués , et ils eussent pu nous rendre de grands
services, si, par suite d*une déplorable méprise habilement provoquée par
Ahn)cd-I>en-Ali-Trab1cs8i, le lieutenant Mousseli n'eût nourri une incompré-
hensible défiance à leur égard. On représentait & cet officier toute la famille
d'Ali-bey faisant cause commune avec Bou-Choucha, et ne dissimulant ses
intentions que pour mieux favoriser les projets du chérif. Une fois persuadé
de cette prétendue trahison, M. Mousseli se priva non seulement du concours
de ces auxiliaires naturels , mais encore les fit surveiller par ses Tirailleurs ,
ainsi qu'une trentaine de cavaliers soldés du maghzen du caïd.
Une autre duperie non moins grave , dont allait encore ôtre victime le trop
crédule lieutenant, ne devait pas avoir de moins funestes conséquences. Nous
avons dit que la casbah était dominée à Test par la maison du khalifa. Le
12 mai , le chérif n'étant plus qu'à une journée de marche, M. Mousseli voulut
faire démolir cefto construction; mais le cheik Bou-Ghemal vint le trouver et
lui promit de s*y enfermer avec quatre cents hommes de Nezla, et de s'y dé-
fendre jusqu'à la dernière extrémité. Il y passa eflcctivement la nuit avec son
monde; mais ce n'était là qu'une feinte destinée à dissimuler ses sourdes
menées : le lendemain, au moment où les écloireurs de Dou-Ghoucha arri-
* Du nom de leur tribu. Les Douaouda descendent d'une branche célèbre dont Mahomet
et sa famille faisaient partie.
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430 LIS y^ RÉGIMENT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS (l87l]
voiont on vuo do la placo, il l'abandonnait prëcipilainniout cl so rotirail dans
la casbah avec ses deux fils, pendant que son frère Goubbi allait au-devant du
chôrif. H. Housseli tenta alors de faire incendier cette maison par un Euro-
péen, le nommé Jonge, qui s'était réfugié auprès de lui avec sa femme; mais
tous les efforts de ce dernier n'aboutirent qu'à la destruction d'une partie du
mur faisant face à la caserne.
Il était environ six heures du matin lorsque, le 13, les premières bandes
du chérif firent leur apparition du côté d'EI-Guenalar. En route, Bou-Choucha
avait reçu une lettre de quelques notables do la ville, qui, pour gagner ses
faveurs, le prévenaient des dispositions favorables de la population. S'autori-
sant de cela pour dire qu'il était appelé par celle-ci , il le prit loissitôt en maître
absolu et écrivit à H. Housseli, ainsi qu'aux cheiks et aux Douaouda, pour
les inviter à faire leur soumission, a Rends-toi, livre-moi la casbah, disait-il
au lieutenant Mousseli, et je te ferai une situation plus avantageuse que celle
que te font les Français. » Une vivo fusillade, qui accueillit ses cavaliers dès
qu'ils débouchèrent à quinze cents mètres de la caserne, fut la seule réponse
que reçut cette orgueilleuse sommation. Comprenant alors que ni menaces
ni promesses ne réussiraient à ébranler la fidélité des Tirailleurs et do leur
chef, le chérif résolut de recourir à la ruse; et, renonçant pour le moment à
toute tentative contre la caserne, il se retira vers Bab-Alssa, où les habitants
de Tuggurt, de Nezla et de Tabesbest, qui étaient sortis en armes pour se
rendre au-devant de lui, lui portèrent la dilfa. Là il était protégé des vues et
des feux de la place par la ligne de dunes qui entoure Tuggurt à l'ouest.
A la casbah , la journée se passa en préparatifs de défense et en allées et
venues de gens de la ville familiers de M. Mousseli. Ahmed-bcn-Ali-Trablessi
y vint aussi, sous le prétexte d'emmener son frère et ses femmes, mais en
réalité pour se rendre compte de Tesprit de la garnison et sonder les disposi-
tions du lieutenant Mousseli. Il s'efforça de démontrer à ce dernier qu*il
n'était pas assex fort pour résister aux quatre mille homuics de Uuu-Chouclia,
l'engagea avec uno nouvelle insistance à ne pas se servir des lluuaoudu, et
euliu essaya de lui insinuer que le chérif u'uvuit aucune animosité contre lui
et ses soldats, et qu'il exigeait seulement la remise des khalîfas de Tuggurt
et d'Ouargla. M. Housseli refusa énergiquement d'écouter ces propositions
et jura de se défendre jusqu'à la mort; toutefois, exagérant de plus en plus
sa défiance à l'égard des parents d'Ali-bey, il donna Tordre de les désarmer
et de les incarcérer. La même mesure ayant été prise envers les cavaliers du
maghzen , les Tirailleurs resteront dès lors les seuls défenseurs de la caserne.
Pendant ce temps, Bou-Choucha s*était rapproché de la ville, dont il avait fait
enlever les portes par les habitants, et avait établi son camp à Ua-Alloucli,
du côté opposé à la casbah.
La nuit s*écoula sans incident.
Le lendemain 14, le chérif, conduit par la population, entra dans Tuggurt
par la porte El-K'roura, et donna immédiatement l'ordre d*attaquer la ca-
serne. 11 rassembla ses bandes à la mosquée; puis, exactement renseigné sur
le fort et le faible de la position , il lit percer les mura des maisons et parvint
ainsi, sans danger, jusqu'à celle du khalifa, dont il fit occuper les terrasses
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[1871] EN ALGÉRIE 431
par 868 ineilleur8 tireurs. Bientôt do ce point et ûes minarets environnants
un feu plongeant éclata sur les défenseurs de la casbah. Les Tirailleurs ripos-
tèrent vigoureusement; mais, pris d'écharpe et de revers par les coups par-
tant de la demeure du khalifa, ils durent complètement abandonner la face
est, dont les insurgés essayèrent vainement d'incendier la poterne. Ceux-ci
nvnicnt ramassé toute In laine qu'ils avaient pu trouver, et, Taynnt mélangée
à de la terre mouillée, cri avnicnt rempli dos sacs à Tabri desquels ils chemi-
naient pour s'avancer vers le pied du mur. Déjà do nombreux créneaux, ren-
dus indéfendables par le tir d*enlilade , étaient embouchés par des fanatiques
qui s*y faisaient bravement tuer. Le nombre des assaillants grossissait tou-
jours; les habitants de la ville et ceux de Nezla étaient venus so joindre aux
gens du chérif , et nos soldats se battaient maintenant un contre cent. Ceux
qui se montraient les plus acharnés de nos ennemis étaient les anciens admi-
nistrés d*Ali-bey, particulièrement les Medjarias, les Mekhadma, les Rouara
et les Chambfla d*Ouargla. C'est que les uns et les autres avaient tout intérêt
& voir périr la garnison pour qu'il ne restât aucun témoin de leur trahison.
Malgré Ténorme disproportion dans laquelle il se soutenait, le combat dura
jusqu'au soir. Vers six heures, la situation était celle-ci : l'ennemi était maître
de tous les abords de la casbah , et se disposait à commencer la démolition du
mur pour faire broche cl donner l'assaut; les assiégés avaient une quinzaine
d'hommes tues ou blessés, et, so trouvant complètement dominés, en étaient
réduits h ne défendre ([u'unc faible partie do l'enceinto. Le sergent français
Basile, qui eût pu seconder inlelligemment le commandant du détachement,
avait été mortellement frappé; presque tous les vieux Tirailleurs étaient hors
de combat; il ne restait plus que de jeunes soldats voyant le feu pour la pre-
mière fois.
Redoutant de voir la lutte continuer dans ces conditions, persuadé, d'ail-
leurs, que ce que voulait Bou-Choucha c'était surtout de l'argent et du butin,
M. Mousscli se décida à parlementer; il fit venir Bou-Chemal et lui prescrivit
de se rendre auprès du chérif pour lui demander la somme qu'il exigeait pour
se retirer. A ce moment, Bou-Chemal appela son frère Goubbi-ben-Mohamed,
(|ui se trouvait dans les rangs des insurgés, et le feu cessa. L'officier remit à
Bou-Chemal une lettre pour le chérif et le fit sortir accompagné du caïd de
Temacin, qui la veille lui avait apporté la sommation de Bou-Choucha; mais
une décharge, partie de la maison du khaliPa , obligea les deux parlementaires
à rentrer dans la caserne. Bou-Chemal ayant alors interpellé les insurgés sur
celte trahison , son frère lui répondit qu'il n'avait rien à craindre, et il se ren-
dit, mais seul cette fois, auprès du chérif.
Le silence s'était maintenant fait dans chaque camp, et des deux côtés on
80 contentait de s'observer. Assez inquiet sur le résultat de la négociation
dont il nvnit chargé Bou-Chemal, M. Âlousseli attendait avec anxiété le retour
du cheik. Enfm celui-ci arriva dans la soirée, accompagné d'un autre trans-
fuge qui avait toujours protesté de son attachement à la France, le nommé
Ahmed -ben-Sliman; il apportait la réponse du chérif. Ce dernier exigeait la
livraison des parents d'Ali -bey et la remise des armes de la garnison, c La
résistance est impossible, ajoutait-il; rends- toi, tu auras l'aman. » Indigné
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433 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l87f]
qu'on osât lui Taire une pareille proposition, H. Mousseli se refusa d'abord à
rôpondre au chérif; mais, sur les instances de Bou-Cliemal, il revint sur cette
décision et prit le parti d'offrir à Bou-Choucha d'évacuer purement et simple-
ment la casbah, à la condition que celui-ci le laisserait s'en aller librement.
c II m'est impossible, lui disait -il, de faire ce que tu me demandes. 11 faut,
au contraire, que tu t'éloignes et que tu te rendes à Temacin. Alors j'évacuerai
la caserne avec ma troupe, et je me retirerai sur Biskra. »
Bou-Chemal lut encore chargé de porter cette deuxième lettre. Il sortit de
nouveau avec Ahmed-bcn-Sliman; mais, à peine eut-il quitté la caserne, que
le feu reprit du côté des assiégeants pour continuer, avec des intermittences,
pendant le restant de la nuit. H. Mousseli eut alors un vague soupçon de tra-
hison, sans cesser cependant de compter sur le retour de Bou-Chemal, qui
s'était fait fort de réussir dans sa mission. Nais le jour parut sans qu'on eût
reçu la moindre nouvelle du dehors; seule une lettre jetée par-dessus le mur
de la caserne par quelque affidé de Bou-Choucha, par Bou-Chemal peut-être,
semblait laisser entendre au malheureux officier que sa dernière proposition
était acceptée. M. Mousseli s'abandonna d'autant plus volontiers à cette illu-
sion , que pour le moment les insurgés paraissaient avoir complètement re-
noncé à l'attaque de la casbah. Prenant alors résolument son parti, il réunit
tous ceux de ses hommes qui étaient en état de marcher, leur fit distribuer
quatre-vingt-dix cartouches, quatre jours de vivres, et leur annonça que le
chérif leur permettait de se retirer vers le nord. liO caporal Ahmcd-ben-Dreis,
moins confiant dans la générosité du chérif, flaira un piège et essaya de com-
battre cette résolution; mais le lieutenant Mousseli n'en persista pas moins
dans son projet, soit qu'il fût réellement convaincu que Bou-Choucha ne s'op-
poserait pas à ce mouvement, soit qu'il comptât, une fois en rase campagne,
échapper plus facilement à l'étreinte de ses ennemis.
Il était sept heures du matin. Mousseli, à la tête de son détachement ne
comprenant plus que cinquante et un hommes, sortit de la caserne par la
porte principale. L'Européen Jonge et sa femme suivaient. Après avoir lait
une décharge pour s'ouvrir la voie, les Tirailleurs franchirent le fossé d'en-
ceinte, contournèrent les dunes et se dirigèrent ù la course vers le nord. Ils
parcoururent ainsi, sans être inquiétés, environ quatre à cinq kilomètres sur
la route de Biskra. Mais un goum avait été posté à l'avance pour leur couper
la retraite, et derrière eux arrivait, menaçante, toute la population de Tug-
gurt. Mille clameurs sauvages avaient signalé leur départ, et c'était à qui se
précipiterait sur leurs traces pour que pas un n'échappêt vivant.
Il n'y avait plus de doute, c'était une lutte suprême qu'il allait falloir sou-
tenir. Le lieutenant Mousseli fit former lé carré, adressa quelques paroles à
ses hommes pour les exhorter à faire leur devoir; puis, calme, attendit pour
lui et les siens la mort inévitable qui s'avançait.
Bientôt les insurgés se trouvèrent à portée de fusil; le feu, un feu terrible,
meurtrier, commença et fit d'abord hésiter les assaillants; mais ceux-ci étaient
plusieurs milliers, leur nombre croissait toujours; ils se ruèrent eu masse
vers le carré et le cernèrent tout à fait. Un combat corps à corps , implacable,
désespéré, se livra alors entre ces quelques hommes et cette armée de force-
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[f87l] EN ALOÊniB 433
nés; un tourbillon sanglant s'agita pendant un instant au milieu de ce fouillis
de burnous, puis on n'entendit plus rien que les cris de victoire des vain-
queurs : le détachement du lieutenant Mousseli n*était plus.
A Texception de deux Tirailleurs, du sieur Jonge et de sa femme, tout fut
massacré. L*un des survivants, sauvé par un nègre des Chambâa, déclara
plus tard avoir vu pendant le combat Ahmed -ben-Sliman s'acharner sur le
cadavre du lieutenant Mousseli. Les autres victimes, au nombre de quarante-
neuf, furent également plus ou moins mutilées.
Les deux Tirailleurs épargnés furent conduits au secrétaire du chérif , Djel-
loul-ben-Mouley-Ismaîl, qui arrivait à cheval sur le lieu du massacre, et
celui-ci les remit à Ahmed-ben-AK-Trablessi, qui s'était montré un de nos
adversaires les plus furieux.
Satisfaits de l'acte barbare qu'ils venaient de commettre, et croyant 8*étre
ainsi assuré l'impunité de leurs crimes, les insurgés revinrent alors attaquer
la caserne, où il n'était resté que les Douaouda, les cavaliers du maghzen et
une quinzaine de Tirailleurs blessés. La lutte recommença. Les parents d'Ali-
bey, ne se faisant aucune illusion sur le sort qui leur était réservé, se défen-
. dirent en désespérés; mais l'un d'eux, Ali-Mustapha-ben-Brahim , ayant été
tué, les autres, découragés, offrirent de se rendre, et Bou-Choucha leur en-
voya l'aman par son secrétaire Djelloul. Quelques cavaliers, se défiant de la
clémence du chérif, essayèrent de s'enfuir; mais presque tous furent tués.
Quant aux Tirailleurs, incapables pour la plupart de rien tenter pour recou-
vrer leur liberté, à peine daigna- t-on s'occuper d'eux , si ce n*est pour les
dépouiller de leurs armes et de leurs effets.
Après avoir obtenu cette soumission, Bou-Choucha remit les Douaouda à
la garde de Bou-Chemal , qui avait enfin reparu, mais dans les rangs enne-
mis, et ordonna le pillage de la casbah. Tout ce que celle-ci renfermait fut
détruit ou saccagé, ou vendu & vil prix aux habitants de Tuggurt. Bou-Chcmal,
son frère Goubhi et Ali-bcn-Sliman s'adjugèrent naturellement la grosso part
du butin. Bou-Choucha , heureux de pouvoir satisfaire ses désirs de vengeance,
se contenta des personnes et laissa ceux qui l'avaient le mieux servi se par-
tager leurs dépouilles. Il crut mémo devoir récompenser encore ces derniers
en donnant à chacun d'eux un titre honorifique ou un commandement impor-
tant; c'est ainçi que Goubbi-ben-Mohamed fut placé à la tète du gouvernement
de Tuggurt et institué khalifa de l'Oued-R'ir, avec la jouissance des propriétés
appartenant à l'administration française, et qu'Ahmed -ben-Ali-Trablessi fut
nommé chef du village de Tabesbest. Bou-Chemal, qui devait partager le
pouvoir avec son frère Goubbi , fut en outre autorisé à disposer de tous les
biens de la famille d'AIi-bey. C'était le plus favorisé, mais c'était aussi celui
dont la trahison lui avait fourni le concours le plus utile et le plus apprécié.
Le 21 mai, lo chérif quittait Tuggurt pour se rendre à Ouargla. Il emme-
nait prisonniers les deux khalifas Si-Mustapha et Si-Naaman, les époux Jonge
et sept Tirailleurs. A son arrivée à Blidet-el- Amar, il trouva une députation
de notables des Medjarias ayant à sa tète Goubbi , Bou-Chemal et Ahmed-ben-
Ali-Trablessi , qui venait lui demander la mort des Douaouda, lui offrant une
somme de douze mille cinq cents francs pour cette exécution. Bou-Choucha
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434 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l87l]
accepta lo marché, et Djciloul, sou sccrilairc, fui chargé de faire jiénr les deux
khalifas, malgré Taman qui leur avait été solennellemcot accordé. H les en-
traiaa loia du camp, sous la prétexte de leur ménager une entrevue avec le
chérlf, et là les assassina lAchement après les avoir fait dépouiller par ses gens.
De retour à Ouargla, Bou-Chouçha s*y installa en véritable sultan. Il avait,
contre Ta vis de son entourage, laissé vivants les Tirailleurs qu*il avait emme-
nés, et s*en servait habilement pour augmenter son prestige aux yeux des
populations; personne, en effet, n'aurait osé douter de la puissance d'un
homme qui traitait en esclaves des soldats français. Au bout do quelques
jours, il parut cependant se départir un peu du dédain qu'il affectait à l'égard
de ces malheureux, et ceux-ci, à l'exception du nommé Habrouck-ben-Hoha-
med, originaire du Soudan, qu'il conserva comme cuisinier, furent, pour
ainsi dire, rendus à la liberté. Ils vécurent alors comme ils purent, les uns
chet des parents qu'ils avaient dans la ville, les autres de la charité publique.
Trois d'entre eui, Ben -Temer-ben- Mohamed, llebah-ben-Idir et Abd-el-
Kader-ben-Belkassem , prévenus que cette apparente générosité n'était qu'une
basse perfidie cachant un obscur guet-apens, quittèrent brusquement Ouargla
et allèrent à Ngoussa, où ils furent recueillis par le marabout de la zaouîa,
qui leur procura les moyens de se rendre à Laghouat, d'où ils furent ensuite
dirigés sur Biskra. Les trois autres, Abd-el-Kader-ben-Ali, Embarek-ben-
Saad et Mohamed-ben-Mohamed , finirent également par trouver un refuge et
par échapper à leurs ennemis. Quant à Mabrouck-ben- Mohamed, ce ne fut
que dans le courant de janvier 1872, lorsque le chérif se vit poursuivi par la
colonne légère lancée par le général de Lacroix, qu'il parvint à se soustraire
à la servitude à laquelle il avait été condamné.
Hais revenons à Tuggurt et aux autres Tirailleurs que nous y avons laissés.
Rentrés dans cette ville après avoir obtenu de Bou-Choucha la mort des
deux khalifas dont ils craignaient pour plus tard les écrasantes révélations,
Goubbi et Bou-Chemal s'apprêtèrent à faire subir le môme sort aux autres
Douaouda restés ou leur pouvoir. L'un d'eux, Si-Ahmed •bcn-Uuetlal, ayant
répssi à se réfugier dans la mosquée, eut la vie sauve moyennant une rançon
de cinq mille trois cents francs , payée à Goubbi par le marabout deTemacin.
Les autres, au nombre de trois, disparurent deux jours après sans qu'on sût
d'abord ce qu'ils étaient devenus. Pour détourner les soupçons, Goubbi et Bou-
Chemal prétendirent les avoir livrés à des cavaliers du chérif; mais l'opinion
publique ne s'y laissa pas prendre, et bientôt courut la rumeur qu'ils avaient
été assassinés secrètement par des gens de Tabesbest et de Nezla.
I^ Tirailleurs Abdallah-ben-Gana , Bou-Lara-ben-Mekkri, El- Aîd-ben-Ali ,
Rouag-bel-Hassem, Tahar-bcn-Taïeb, MakIouf-ben-Abdallah, Abd*el-Kader-
ben-Ali-Achiani, Sadok-ben-Achathi , Ilamou-ben-Embarek et Mohamed-ben-
Ali-Biskri, qui étaient restés entre les mains de la population, furent asset
heureux pour se dérober à la fureur de celle-ci; tous parvinrent à s'évatler et
à gagner Biskra, où ils furent les premiers ù donner quelques détails sur le
sort de leurs compagnons.
Cependant Ali-bey avait, le 12 juin, reçu du général commandant la pro-
vince l'ordre impératif de reprendre par la force son ancien commandement.
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[1871] EN ALGÉRIE 485
Il rassembla un goom d*en?iron six mille hommes et se présenta devant
Tuggurt; mais les habitants, informés des terribles représailles qu*il se pro-
posait d*exercer sur eux, se défendirent avec Ténergie du désespoir. Ayant
échoué dans deux vigoureux assauts tentés à quelques jours dlntervalle , il
dut se résigner à faire le siège de la ville. Il tenait celle-ci étroitement blo-
quée, lorsque, le 4 juillet, le chérif, qui était accouru d'Ouargla, parut tout
h coup à la této do forces considérables. Après un sanglant combat qui en-
traîna des pertes énormes pour les deux partis, Ali-bey, vaincu, fut obligé de
se replier sur Biskra.
Demeuré encore une fois le maître de la situation, Bou-Choucha adjoignit
& Goubbi Naceur-ben-Chora , dont il avait fait sa plus fidèle créature et qu*il
avait amené d^Ouargla. Tuggurt se trouva alors sous les ordres de ces deux
personnages, entre lesquels des dissentiments ne tardèrent pas à s'élever. Sur
les instances de Goubbi, Naceur-ben-Ghora fut rappelé à Ouargla, et les choses
en revinrent à Tétat où elles étaient auparavant, avec la seule différence que,
nos colonnes victorieuses ayant enfin étouffé Tinsurrection dans le nord, les
populations du sud commencèrent à craindre sérieusement les conséquences
de leur conduite, et cherchèrent à prévenir le danger en revenant d'elles-
méme au-devant de Tautorité de la France. Le général le Poittevin de Lacroix
profila Imhilcincnt de ces dispositions pour faire agir Ahmed-bou-Lakras-bon-
Ganali, dont rinducnce avait grandi à mesure que celle d*Ali-boy allait s*af-
faihlissant, et cette intervention donna le^ plus heureux résultats. Lo 12 oc-
tobre, Bou-Lakras se mit en route pour le sud; quelques jours après Tuggurt
lui ouvrait ses portes, en le saluant avec non moins d'enthousiasme que le
chérif Tavait été quelques mois auparavant. Lorsque, le 27 décembre, le gé-
néral de Lacroix arriva à son tour à Tuggurt, la pacification du pays était un
fait accompli, et il n'y avait plus qu'à faire subir aux coupables le chAtiment
qu'ils avaient mérité. Aucun n*y échappa, pas même Bou-Glioucha, qui fut
capturé deux années après par Tagha Ben-Driss, et qui paya de sa vie les
crimes sans nombre qu'il avait commis.
La mort des cinquante braves qui tombèrent avec le lieutenant Mousseli
dans la plaine de Tuggurt est Tun de ces faits héroïques, — si fréquents dans
nos guerres d'Afrique , — où nos soldats , en petit nombre pour résister à un
ennemi par trop supérieur, préférèrent succomber jusqu'au dernier plut6t que
de faillir un seul instant au devoir de sauver l'honneur sans tache de leur
drapeau. Nous n'hésitons pas à dire que cette page malheureuse est digne de
celles de Sidi-Brahim et de Beni-Mered , et que la conduite du modeste officier
indigène qui sut inspirer à ses hommes un dévouement aussi absolu n'est
pas moins admirable que celle du lieutenant-colonel de Montagnac et du ser-
gent Blandan, et même plus admirable peut-être, si l'on considère que cet
oUicier combattait pour un pays adoptif, et, qu'avant de marcher au-devant
de la fin glorieuse qui l'attendait, il avait eu à repousser les offres séduisantes
d'un personnage qui semblait alors tout -puissant. Que le lieutenant Mousseli
n'eût pas mieux fait de demeurer jusqu'au bout dans la casbah de Tuggurt,
au lieu de s'aventurer dans une entreprise qu il devait savoir complètement
irréalisable; qu'il se soit trop fié à un entourage qu'il avait de nombreuses
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436 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE [f87i
raisoDB de croiro suspect; qu'il irait pas su utiliser la bonne volonté do gens
que les circonstances lui désignaient naturellement comme ses seuls alliés, ce
sont là des considérations sur lesquelles nous n*ayons pas à nous arrêter; la
seule chose qui doive rester pour nous, c'est que, le 15 mai 1871, le régiment
eut cinquante de ses enfants qui donnèrent leur sang pour la France, qui
payèrent de leur vie le serment de fidélité qu'ils lui avaient fait. Ainsi envi-
sagé , le sacrifice de la garnison de Tuggurt est un des plus nobles exemples
que puisse nous oflrir notre histoire militaire *.
* Un peUt moDument a été élevé dans le cimetière de Taggurt pour rappeler les noms
des vicUmes de cette sanglante catastrophe.
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CHAPITRE V
(1871-1873)
La colonne de Lacroix se rend à Ouargla. — Organisation d'one colonne légère; ses
opérations. -> Arrestation de Dou-Mesrag. — Retour à Tuggnrt. — Blarche vers le Sonf.
— Formation d'une nouvelle colonne légère.— Rentrée de la colonne principale à Biskra.
— Excursion dans les Aiirrs. — Les troupes sont renvoyées dans leurs garnisons. —
Colonne mobile de Dougic. — Nouvelle organisation du régiment. — Colonne d^El-
Goiéah; sa marctie à travers le désert. — El-Goléah en 1873. — Soumission des
nomades d'Ouargla. — Rentrée de la colonne. — Ordre du général de Lacroix. —
Récompenses.
Nous avons laissé la colonne de Lacroix à Tuggurt , où elle était arrivée le
27 décembre. Elle y resta deux jours, c'est-à-dire juste le temps nécessaire
i|u général pour réorganiser en toute h&te Tadministration de Toasis , prescrire
quelques travaux de défense et installer une nouvelle garnison dans la place,
puis elle se mit en marche pour Ouargla. Le 30 décembre, elle campait à Blidet-
el-Amar; le 31, à Bir-Moulla, et, le !•' janvier 1872, à El-Hadjira, petite
ville assez importante autrefois par sa position et le nombre de ses maisons,
mais presque en ruines depuis que les caravanes prennent de préférence la
route du Mzab. Le 4 janvier, on atteignit Ngoussa. L& on trouva quelques
ébauches de fortifications que le chérif avait dû faire élever quelques mois au-
paravant, probablement en prévision d'une marche d*AIi-bey sur Ouargla. Ces
ouvrages informes étaient depuis longtemps évacués par les rebelles , qu'avait
suivis la plus grande partie de la population. Les nouvelles venues d'Ôuargla
annonçaient également Tabandon de cette ville par les insurgés. Cette fuite
de Tennemi ramenant dès lors Faction de la colonne à une poursuite qui ne
pouvait ôlre entreprise que par une troupe excessivement mobile , le général
se décida à renvoyer une partie de son infanterie, afin de ne pas augmenter
inutilement les difficultés de ravitaillement. Un détachement quitta donc
Ngoussa ce même jour sous les ordres du commandant Colomb, du 8* pro-
visoire, et la 1^ compagnie du 2<' bataillon (lieutenant Rouget), désignée pour
en faire partie, rentra à Tuggurt, d'où elle fut ensuite dirigée sur Biskra. Il
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438 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1872]
no resta plus alors avoc lo général quo huit compagnies du régiment formant
deux bataillons de marche ayant à leur tête les commandants Rapp et Fer-
randi; ces compagnies étaient les 4*» S* et 6* du !•' bataillon; les l'*, 5* et
6* du 2% et les 4» et S* du 1*^ bataillon.
Ainsi réduite, la colonne se remit en marche le 5 au malin, et le môme
jour arriva à Ouargla. La ville était déjà occupée par les goums du comman-
dant Rose, qui y étaient entrés après une légère résistance facilement vaincue.
Dou-Choucha avait depuis longtemps quitté Ouargla pour se réfugier à
Ilassi-el-Guettari à environ quatre-vingt-dix kilomètres au sud, où, pendant
une quarantaine de jours, il s'était soigné secrètement d'une blessure grave
reçue au mois de novembre dans un combat livré aux Saîd-Otba à Kouîf-
Djelba, entre Guerrara et El- Alla. Décidé à ne lui laisser aucun répit, le gé-
néral de Lacroix s'occupa aussitôt de l'organisation d'une colonne légère pour
la lancer à sa poursuite. Cette colonne fut confiée au lieutenant-colonel Gaume,
du 3<> chasseurs d'Afrique, et comprit trois escadrons de cavalerie (un de spahis,
un de chasseurs d'Afrique, un de hussards), tous les mulets du train en état
de marcher et un détachement de deux cent soixante-six Tirailleurs sous les
ordres du commandant Ferrandi, avec le capitaine Chenu comme adjudant-
major. Ce détachement fut entièrement monté sur des mulets et divisé en trois
groupes de deux pelotons chacun.
Voici quels furent les ofTiciors alToctés à chacun do ces groupes :
Pretnier: MM. Lalanne des Camps, capitaine; Mathieu et Salah-ben-Moha-
med, sous-lieutenants.
BeuxOme: MM. Ducoroy, capitaine; LcjosneetLagdar-ben-el-Achi, sous-
lieutenants.
TroisièrM : HH. Teulières, capitaine; Mohamed -ben-Ta!eb, lieutenant:
Speltz, sous-lieutenant.
A une journée en avant devait marcher le goum du commandant Rose,
s'élevant à environ quatre cent cinquante cavaliers. A ce goum avaient été
détachés deux officiers du régiment : les sous-lieu tenants lk>utarol et do llazi-
gnan.
La colonne légère quitta Ouargla le 8 mars, se dirigeant vers le sud par la
route de Hassi-Tamesguida. Le 9, elle bivouaqua à Hassi-ben-Roubo; le 11,
à llassi-Kaddour, où elle fut rejointe par le goum, qui, le 9, avait livré, au sud
de Tamesguida , un furieux combat aux rebelles commandés par le chérif en
personne. Ce dernier avait été obligé de prendre la fuite, laissant entre nos
mains cent vingt tentes, deux drapeaux, huit cent cinquante chameaux et un
butin considérable. Dans cet engagement, M. de Bazignan avait été assex griè-
vement blessé.
Le 13, après avoir laissé à llassi-Kaddour un petit dépôt sous lo comman-
dement d'un officier de cavalerie avec le lieutenant Lariche, du régiment, la
colonne reprit sa marche et s'arrêta à une faible dislance de Tamesguida. Le
lendemain, un détachement de vingt Tirailleurs fut envoyé sur ce point pour
nettoyer les puits et remplir les tonnelets vides, et rejoignit ensuite les autres
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[1872] EN ALGÉRIE 480
troupes, qui avaient continué leur poursuite dans la direction du sud-ouest. On
supposait que le chérif avait dû prendre cette route pour se retirer sur El-
Goléah ; mais, vers midi , les éclaireurs du goum signalèrent des indices sem-
blant, au contraire, indiquer qu*il était en fuite vers le sud-est. Tournant
alors brusquement & gaucbc, toute la colonne se jeta sur cette nouvelle piste.
liO goum fl*élançn d*abord ; puis le commandant d'Orléans partit au trot avoc
Tcscadron de. chasseurs et celui de spahis pour Tappuyer, pendant que le
restant des troupes, accélérant Tallure, se mettait sur la trace des chameaux
do Tonncmi. On marcha ainsi, sans halte ni repos, jusqu'à cinq heures du
soir; mais, à ce moment, force fut au gros de s'arrêter pour mettre un peu
d'ordre dans les groupes et ramasser les paquetages de la cavalerie , que celle-
ci avait été obligée de jeter. On repartit à six heures, pour ne s'arrêter au
bivouac qu'à huit, après avoir parcouru environ cinquante kilomètres. Le
goum et la cavalerie , eux , n'interrompirent leur course qu'à dix heures du
soir, lorsqu'il leur devint impossible de demander un effort de plus à leurs
chevaux.
Le 15, In frnclion principale marcha encore pendant deux heures; puis, sur
la nouvelle que la cavalerie ne pouvait continuer, on s'arrêta, et l'on envoya
à cette dernière des vivre<« et de l'eau. Malgré ce secours, le commandant d'Or-
léans dut renoncer à aller plus loin , et , à onze heures du soir, il rentrait avec
les doux escadrons. Seul le commandant Rose continua la poursuite jusqu'à
Aln-cl-Taîba, sans parvenir d'ailleurs à joindre Bou-Choucha, qui fuyait à
toute bride, abandonné, trahi et volé par les siens, ayant failli être assassiné
par un de ses familiers, et voyant son trésor, ses bijoux, ses harnachements
de luxe entre les mains de Naceur-ben-Chora, qui, de sou cAté, galopait en
fugitif sur la route de Tunisie.
Il ne fallait plus maintenant espérer atteindre les insurgés, qui avaient une
avance trop considérable; le retour fut décidé. Le 17, on campait do nouveau
près de Tamesguida. Le 18, il y eut repos. Le 19, le détachement du capi-
taine Lalanne des Camps, la moitié de celui du capitaine Teulières et l'es-
cadron de hussards furent détachés du gros de la colonne sous les ordres du
commandant Ferrandi, et, après une pointe vers l'est, arrivèrent le lende-
main à Hassi-Mguerba, pendant que les autres troupes s'arrêtaient à Hassi-
Kaddour. Le 21 , toute la colonne bivouaqua réunie. Le 22 , trois détachements
furent encore formés et marchèrent isolément les 23 et 24, pour se joindre dé-
finitivement le 25, à l'endroit appelé la table d'Ouargla. Le même jour, la
colonne légère effectuait sa rentrée au camp de cette ville; elle ramenait mille
chameaux chargés de tentes, de couvertures, d'objets de toute sorte consti-
tuant à peu près toute la fortune du chérif. On voit donc que, sans avoir
amené la capture de Bou-Choucha, cette excursion avait cependant donné de
remarquables résultats : obligés de fuir et de s'enfoncer de plus en plus dans
le désert, ayant subi des pertes irréparables en hommes, en bagages et en
moyens de transport, les insurgés se trouvaient non seulement chassés du
territoire soumis à notre administration , mais encore réduits pour longtemps
à la plus complète impuissance.
Pendant ce temps, le général de Lacroix avait fait remettre en état de défense
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440 LB 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [f872]
la casbah d'Ouargla ol y avaii installé, avec lo lilro d'aglia, lo lioulonanl Jo
spahis Hohamed-ben-Driss. Cet officier, dont les intérêts étaient les mêmes que
les nôtres et qui avait tout à perdre dans une révolte, avait la charge d'admi-
nistrer tout le sud de la province de Constantine, sous la surveillance directe
du commandant de Tannexe de Tuggurt. C'est lui qui allait, le 29 mars 1874,
arrêter enfin Bou-Choucha à El-Milenk, sur les confins du territoire des
Touareg-Hoggar, à environ dix journées de marche au sud-ouest d'Insalah.
Le 20 janvier, le hasard devait faire tomber entre nos mains deux autres
chefs dont on avait depuis longtemps perdu la trace, et à la prise desquels
on était loin de songer.
Deux cavaliers du bureau arabe se trouvaient, ce jour-là, en tournée dans
les environs d'Ouargla , lorsqu'ils furent prévenus par le cheik d*un village
que deux hommes paraissant exténués venaient d'arriver, et, qu'après avoir
demandé à se réconforter, ils avaient refusé de se faire connaître. Devinant
qu'il s'agissait de fugitifs, les cavaliers se firent conduire aux deux étrangers,
qui venaient en effet de faire une longue marche, et dont le costume annon-
çait un hatit rang. Ne pouvant fuir, ceux-ci se rendirent sans résistance , et
l'on sut alors que l'un était Bou-Hesrag, frère de Mokrani, et l'autre son
cousin Sa!d-ben-bou-Daoud. Séparés du chérif après le combat du 9, ils avaient
erré à l'aventure dans un pays qui leur était complètement inconnu; puis,
mourant do faim et do soif, ils avaient fini par venir so réfugier dans le pre-
mier village qu'ils avaient rencontré.
Le 1**' février, le général reprit avec ses troupes le chemin de Tuggurt. Il
laissait provisoirement à Ouargla deux compagnies de Tirailleurs , l'une sous
les ordres du capitaine Kolb, l'autre du lieutenant Taverne. Le retour s'ef-
fectua sans incident, et, le 12, on arrivait à Tuggurt.
Après quatre jours de repos, la colonne se dirigea vers le Souf. Le 17 fé-
vrier, elle bivouaquait à H^rin ; le 18, à El-Ouibed ; le 19, à Moulat-Fedjen ;
le 20, à Mouïat-el-Ca!d ; le 21 , à Mouîat-Fatma; enfin, le 22, entre les deux
villes de Tarzout et do Gucmar, où l'on resta cinq joure, pendant que le gé-
néral de GalliflTet, avec la cavalerie, visitait Bihina, Zgoum, Sidi-Aîoun et
Debila. Le 27, on alla coucher à Touinin, et, lo 28, on arriva à ElOued.
Le 6 mars , une colonne de six cents hommes et de deux cent cinquante
chevaux fut placée sous les ordres du général de Galiflet; elle devait remonter
le pays le long do la frontière tunisienne, de façon à couper la retraite aux
bandes qui auraient été tentées de s'échapper do co cêté. L'infaiiterio do cctie
colonne, uniquement composée de Tirailleurs, était répartie do la manière
suivante :
1« On détachement de cent soixante-dix hommes pris dans toutes les com-
pagnies. — Officiera : MH. Wissant, capitaine; Esparron et Saad-ben-Serir,
lieutenants; Creutzer et Boularès-ben-Taîeb , sous-lieutenants;
2<» Dne compagnie constituée (4* du 3** bataillon), forte de quatre-vingt-dix
hommes. — Officiera : MM. Lalanne des Camps, capitaine; Penaud et Salah-
ben-Mohamed, sous-lieutenants;
i^ Une section (quarante hommes) do la 2<» compagnio du 1^' bataillon,
commandée par le lieutenant Yahia-ben-Simo.
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[1872] EN ALGÉRIE 441
La colonne se dirigea d'abord au nord , du cAté do Kouinin et de Guemar,
puis se porta à Sidi-Aîoun, où fut laissé le gros du convoi sous la garde de
la A^ compagnie du 3* bataillon ; elle continua ensuite sa marche vers Test en
passant par Dir-Saccia, et s*arréta, le 9, à Bir-bou-Nab. Le lendemain, pen*
dant que la cavalerie, partie dans la nuit, exécutait une pointe du côté de
Nofta , le capitaine Wissant , avec cent vingt Tirailleurs , faisait une diversion
vers Touest et poussait jusqu'à Bir-Mesloug. Le 11 , toute Finfanterie se porta
à Bir-Rabou, où elle fut rejointe par la cavalerie. Le 13, la colonne en-
tière allait camper sur les bords de Toued Ferkane, è deux kilomètres de
Négrine.
N'ayant sur tout ce parcours encontre aucune résistance, le général de Gal-
liflet rétrograda alors vers le sud jusqu'à Bir-Rabou, d*où il se dirigea ensuite
vers le nonl-ouest pour s'arrêter h Rosmeah , point choisi par lui pour réunir
les troupeaux razxés pendant Toxpédition , et attendre la compagnie laissée à
Sidi-Aîoun, laquelle arriva le 19. Le 23, la colonne campait & Bir-Guerdane;
le 24 , & El-Baadj , où elle trouva un ravitaillement venant de Biskra sous l'e»-
corte d'une compagnie du régiment, la 6® du 3* bataillon (lieutenant Brieux).
Le 25, on atteignit El-Feidh; le 26, Zéribet-el-Oued; le 28, Liana, et, le 30,
Khangha-Sidi-Nadji, sur l'oued El-Arab, au pied des derniers contreforts du
Djebel -Cherchar. Là le général de Galliflet quitta la colonne, en laissant le
commandement au capitaine Brault.
On resta à Khangha jusqu'au 25 avril , jour de l'arrivée de la colonne prin-
cipale avec le général de Lacroix. Pendant ce temps, deux petites sorties
eurent lieu sous les ordres du capitaine Brautt : la première le 9 avril, avec
la 6» compagnie du 3« bataillon, jusqu'à El-Oudja; la deuxième le 15, avec
quarante Tirailleurs et le lieutenant Saad-ben-Serir, vers Koumil-Cheurfa,
dans les Aurës.
La colonne de Lacroix , que nous avons laissée à El-Ouod , quitta cette ville
le 11 mars pour revenir à Tuggurt, où elle arriva le 21. Le 28, rentrèrent
les deux compagnies qui étaient restées à Ouargla, et, le 30, eut lieu le dé-
part pour Biskra. Il restait à Tuggurt la l*"* compagnie du 1*^ bataillon (lieu-
tenant Guillaume).
Arrivée à Biskra le 10 avril, la colonne, renforcée d*un bataillon du 3^ zouaves,
en reparlait le 18 pour parcourir les Aurès et faire rentrer les contributions
non encore payées. Elle campa successivement à Sidi-Okba, Ras-el- Aloun,
Sidl-Salah, Oudi-Sidir, Zéribet-el-Oued, Liaux, et rejoignit, le 25 avril, la
colonne légère à Khangha. Ce même jour, trois compagnies du régiment (4<*,
5» et 6^ du 3^ bataillon) en furent détachées pour être dirigées sur Bougie.
Le 30, on se porla à Cliebla, où pendant une dizaine do jours les troupes
furent occupées à ouvrir des routes. Le 9 mai, le général passa la revue de
la colonne et lui adressa ses adieux. II y avait neuf mois qu'il était à sa tête,
parcourant avec elle toute la province, depuis le bord de la mer jusqu'aux
dernières limites de ta partie explorée du Sahara, écrasant sur son passage
les derniers débris de l'insurrection, faisant renaître partout la paix, la con-
fiance, la sécurité et le travail. Quelques jours après, les six compagnies du
régiment (4«, 5* et G» du i^' bataillon et 1^*, 5* et 6« du 2*) qui avaient pris
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442 LE 3"^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1872]
part & ces dornièros opérations rentraient d'abord à Batna, puis à Constan-
Une.
L'ordre était maintenant partout rétabli ; mais il était nécessaire de peser
encore pendant quelque temps sur les points du pays où la résistance avait
été la plus opiniâtre, afin d*assurer jusqu'au bout le payement des lourdes
amendes qui avaient été imposées. C'est dans ce but qu*une colonne mobile
fut organisée à-Bougie dans les premiers jours du mois de mai.
D'abord placée sous les ordres du lieutenant-colonel Oudan, du 3* spahis,
et se composant du 21* bataillon de chasseurs , d'un autre du 6^^ de ligne et
d'un escadron de hussards, cette colonne parcourut pendant près de deux
mois la vallée de l'Oued -Sahel, revint à Bougie, où elle laissa le bataillon de
chasseurs, et prit trois compagnies de Tirailleurs^ et une section d'artillerie
de montagne, puis repartit le 24 juillet sous le commandement du lieutenant-
colonel Béhic, appelé à remplacer le lieutenant -colonel Oudan, gravement
malade. Elle visita alors successivement les Mzaîa, les Ait- Amer, les Beni-
Hansour, les Beni-Oughiis, les Aouzellaghen , les Illoula, les Harrach, etc.,
et redescendit la vallée de l'Oued-Sahel pour rentrer défmitivement à Bougie,
où elle fut dissoute le 16 septembre.
Cette opération devait être, dans le Tell , la dernière se rattachant par ses
causes à Tinsurrection de 1871. La résistance des indigènes était maintenant
vaincue, bien vaincue, et ce n'était plus qu'à une sage administration qu'il
appartenait désormais de faire disparaître les dernières traces de ce vaste in-
cendie. C'était pour les troupes de la province un repos de plusieurs années qui
se préparait ; toutes en avaient besoin , mais particulièrement le 3* Tirailleurs,
dont la réorganisation provisoire avait besoin d*étre complétée.et mise en har-
monie avec les nouvelles dispositions arrêtées pour les régiments d'infanterie
indigène.
Par un décret du 3 février 1872, la composition de ceux-ci avait été ainsi
modifiée :
1* Les bataillons ne devaient plus comprendre que six compagnies au lieu
de sept;
2^ Il était créé deux compagnies de dépôt.
En exécution de ces prescriptions, la 7* compagnie de chacun des deux
derniers bataillons fut licenciée, et la 7* de chacun des deux premiers consti-
tua une compagnie de dépôt. A U suite de cette modification , du tiercement
qui eut lieu après l'inspection générale et do l'opération de la revision des
grades, le corps présenta la situation ci-après :
ÉTiT-UiJOR
HM. Barrué, colonel.
Aubry , lieutenant-colonel .
Béhic, lioutcnant-coluucl (à la suite).
1 Ces compagnies étalent les 4*, 5« et 6> du S* bataillon ; elles étaient sont les ordres
du commandant Petiyean.
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[18721
MM
MM
RN ALn^.mR
MM. Ilrissel, major.
Lapcyrc, capitaino trésorier.
Tafldcl, capitaine (I*habillcment.
Martin , aoos-Iieutcnant poKe-drapeau.
Hehoufl , médecin-major do l'* classe.
Milon , médecin-major de 2« classe.
Nicaud , médecin aide-major de l^^ classe.
443
MM. Croutet,
Braait,
l*^*^ compagnie.
i«' BATAILLON
chef de bataillon,
capitaine adjudant-major.
MM.
MM.
Roux, capitaine.
Teulières , lieutenant français.
Hassein-ben-AIi , lieut. indig.
Siquart, sous-lieut. français.
Ahmed-ben-Laoussi , sous-Jieu-
tenant indigène.
2* compagnie.
Donin de Roxière, capitaine.
Anglade , lieutenant français.
Kaddour-ben-Ali, lieut. ind.
Lariche, sous-lieut. français.
Salah-ben-Zouaghi , s.-lieut. ind.
3" compagtiie,
, Maisonneuve-Lacoste, capitaine.
Darolles, lieutenant français.
Lagdar-ben-Haoussin, lieut. ind.
Viaud , sous-lieutenant français.
Larbi-bel-Haoussin, s.-Iieut. ind.
4* compagnie.
MM. Oriot, capitaine.
Brieux , lieutenant français.
Rault, sous-lieutenant français.
Mohamed-ben-Saîd, s.-lieut. ind.
5* compagnie.
MM. Montignault, capitaine.
Règne, lieutenant français.
Salah-ben-Ahmod , lieut. ind.
Thierry, sous-lieut. français.
Hohamed-ben-Taieb, sous-lieu-
tenant indigène.
6« compagnie.
MM. Richalley, capitaine.
Déporter, lieutenant français.
Saîd-ben-Tahia , lieut« indigène.
Lequin , sous-lieutenant français.
Mohamed-ben-Amar, sous-lieu-
tenant indigène.
2« BATAILLON
MM. Matthieu,
Leiorrain ,
chef de bataillon,
capitaine adjudant-major.
l'« compagnie.
Giraud, capitaine.
Druzcaux, lieutenant français.
Iladj-Tahar, lieutenant ind.
Munior, sous-lieutcnant français.
Amar-ben-Taleb , s.-lieut. ind.
2* compagnie.
MM. Lalanne des Camps, capitaine.
Soulice, lieutenant français.
Aroar-ben-Medeli, lieut. ind.
Penaud , soua-lieut. français.
Alssa-ben-Hadj-Hassein, sous-
lieutenant indigène.
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444
MMi
LE 3* nËQIHENT DB TIIU1LLEUR8 ALGÉRIENS
[1872]
MM
3* compagnie.
Donnier, capitaine.
Camion, lieutenant français.
Haoussin-ben-Ali , lient, indig.
Naviet, sous-lieutenant français.
Larbi-bel-Oussif, s.-lieut. ind.
4* eon^pagnie.
Carré de Busserolle, capitaine.
Roux, lieutenant français.
Empérauger, sous-lieut. franc.
Saïd-ben-Ali, sous-lieu t. ind.
8* compagnie.
MM
Duchesne, capitaine.
Valat, lieutenant français.
Tahar^ben-Amouda, lieut. ind.
Dargent, sous-lieut. français.
Taîeb-ben-Ali , sous-lieut. ind.
6* compagnie.
MM. Guyon-Desdiguière, capitaine.
Lafon, lieutenant français.
De Baxignan , sous-lieut. franc.
Mohamed - ben - Ahmed-Khodja ,
sous-lieutenant indigène.
3« BàTàILLON
MM. Petitjean,
Chenu,
i'^ compagnie.
MM. De Larochelambert, capitaine.
Macarez, lieutenant français.
Mathieu, sous-lieut. français.
Rebab-ben-Amelaoul, sous-lieu-
tenant indigène.
2* compagnie.
MM. Sauvage, capitaine.
Mustaplia-ben-el-Iladj-Otman ,
lieutenant français.
Mohamed-ben-Charad, lieut. ind.
Lacoux, sous-lieut. français.
Bouguerrah-ben-Mohamed, sous-
lieutenant indigène.
3® compagnie.
MM. Wissant, capilaine.
Clerc, lieutenant français.
Ali-ben-Ahmed , lieut. ind.
Creutzer, sous-lieut. français.
Lagdar-ben-el-Achi, s.-lieut. ind.
chef de bataillon,
capilaine adjudant-major.
4« compagnie.
MM. Maux, capilaine.
Bernad , lieutenant français.
Zenati-ben-Serir, lieut. ind.
Carli , sous-lieutenant français.
Amri-ben-Lagdar, s.-lieut. ind.
S* compagnie.
MM. Rinn , capitaine.
Dufour, lieutenant français.
Amar-beu-Urahim , lieut. ind.
Gauvin , sous-lieut. français.
Ali-ben-Chanoun , s.-lieut. ind.
6^ compagnie.
MM. Larrivet, capitaine.
D'Eu , lieutenant français.
Aliben-Osman, lieut. indig.
Andanson , sous-lieut. français.
Salah-ben-Tahar, s.-lieut. ind.
¥ BATAILLON
MM. Rapp , rhcf de bataillon.
Vigel , capilaine adjudant-major.
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[1872]
1"* compagnie.
MM. Delahogue, capitaine.
Roy, lieutenant français.
Kacem-Labougic , licul. indig.
Boutarel, sous-liout. français.
Amar-ben-Barki , sous-lieut. ind.
2* compagnie.
MM. Kolb, capitaine.
Hamel, lieutenant français.
Kacem-ben- Ahmed , Heu t. ind.
Mazué , sous-lieutenant français.
Ahmod-bcn-Chérif , s.-licut. ind.
3*» compagnie.
MM. Fargue, capitaine.
Desruelles, lieutenant français.
Yahia-ben-Simo, lieut. indig.
Paoli , sous-lieutenant français.
Taîob-bcn-Latnchi, s.-lieut. ind.
EN ALGÉRIE 445
4* compagnie.
MM. Pont, capitaine.
Mondielli , lieutenant français.
Saad-ben-Serir, lient, indigène.
Marot, sous-lleutenant français.
Garmi-ben-Tahar, s.-lieut. ind.
5® compagnie.
MM. Sergent, capitaine.
Winter, lieutenant français.
Mohamed-ben-Taîeb , lieut. ind.
Lejosne, sous-lieut. français.
Djellali-ben-Aouda , s.-lieut. ind.
6* compagnie.
MM. Poupelier, capitaine.
Esparron , lieutenant français.
Abadie, sous-liéut. français.
Kaddour-ben-Ahmed , sous-lieu-
tenant indigène.
DEPOT
l'« compagnie,
MM. Guillaume, capitaine.
Ilennequin, lieutenant français.
Abderrahman-bcn-Ekarfi, lieu-
tenant indigène.
Roche , sous-lieutenant français.
Mohamed-ben-Ali , s.-lieut. ind.
2* compagnie.
MM. Garnier, lieutenant français.
Béchir-ben-Mohamed , lieut. ind.
Quilici , sous-Iieut. français.
Bel kasscm - Zid - ben - Mohamed -
Zid , sous-lieutenant indigène.
OFFICIERS A LA SUITE
MM. Daret Deryille de Champsoin,
Alman-ben-Salah ,
Taîeb-ben-el-IIadj-Mahdi ,
Amar-ben-BeIkassem ,
sous-lieutenant français,
sous-lieutenant indigène.
d*
d*
Débarrassé de toute préoccupation dans le nord de la province, le général
de Lacroix put enfîn reporter son attention vers le sud, où une certaine agi-
tation continuait à se manifester parmi les tribus nomades des environs
d'Ouargla.
Deux partis essayaient encore, dans cette région, de combattre Tinfluence
de la France : celui de Bou-Choucha, réduit maintenant à quelques coupeurs
de routes, et celui des Ouled-Sidi-Cheikh, qui , sans nous être aussi ouverte-
ment hostile , n'en cherchait pas moins activement à supplanter notre autorité.
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446 LE 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l873]
Divisés pour le moment, ils pouvaient s*unir, nous opposer de nouvelles
difficultés, détruire en quelques jours le fruit de longs efforts, et prolonger
indéfiniment cette insécurité qui , depuis 1869, détournait toutes les caravanes
du centre de l'Afrique de la route d'EI-Goléah, pour les rejeter sur celles de
Ghadamès et de Tripoli. Il importait donc de poursuivre les rebelles jusque
dans leurs derniers repaires, et une reconnaissance sur El-Goléali fut
décidée.
C'est au général de Galliffet que fut coniiée la direction de'cctte opération. Il
fut mis à sa disposition une colonne de sept cents hommes, qui s'organisa à
Biskra au commencement de décembre, et se composa de trois compagnies
de Tirailleurs, d'une compagnie du 3* bataillon d'infanterie légère d'Afrique,
d'un escadron du 3« spahis, d'une section d'artillerie de montagne et d'un
détachement du génie. Les trois compagnies du régiment étaient : la i^
(capitaine Delahogue), la 2« (capitaine Kolb), et la 3* (capitaine Valat) du
4* bataillon. Le capitaine Delahogue avait le commandement en qualité de
plus ancien.
Dès qu'ils apprirent les préparatifs de cette expédition, les Ouled-Sidî-
Cheikh tentèrent habilement d'en exploiter la nouvelle à leur profit. Us
représentèrent au commandant supérieur de Laghouat que la marche sur
El-Goléah était pleine de dangers, et oiTrirent do pacifier eux-mêmes le pays;
d'un autre côté, s'adressant aux Sahariens, ils essayèrent de les efiraycr en
affirmant que la colonne fusillerait tous ceux qui tomberaient en son pouvoir
et qu'elle couperait tous les palmiers. Mois cette politique astucieuse, qui
cachait mal chez cette tribu le désir de nous voir échouer dans une entreprise
qui menaçait de détruire complètement son prestige, ne réussit guère qu'à
foire prendre à son égard des précautions devant assurer sa neutralité. Ces
précautions consistèrent dans la conclusion d*une trêve avec les principaux
de ses chefs.
Le départ de Biskra eut lieu le 20 décembre. Le 29 , on arrivait à Tuggurt.
Là un chameau fut donné comme monture à chaque fantassin. Les hommes
furent d'abord exercés à monter sans sac, puis avec le sac au dos, le fusil
en travers de l'arçon, prêts à sauter à terre au premier signal. Un assez long
apprentissage, marqué par de nombreuses chutes, fut nécessaire pendant la
route pour obtenir ce résultat; mais les efibrts tentés dans ce sens réussirent
pleinement, et lorsqu'on arriva à Ouargla, cette cavalerie d'un nouveau genre
manœuvrait d'une façon remarquable.
On quitta Tuggurt le 2 janvier 1873, pour atteindre Ouargla le 8. A partir
de cette ville, on allait parcourir un pays complètement inconnu.
Deux routes se présentaient pour franchir la distance qui séparait encore du
but de l'expédition : l'une directe, passant par liassi-el-lladjar; Tautre quit-
tant celle-ci à ce dernier point, et se dirigeant ensuite à l'ouest jusqu'à
llassi-Bergaouï , pour redescendre alors vers le sud et pasàer à Zirahra. La
première était beaucoup plus courte (trois cent vingt- cinq kilomètres au lieu
de trois cent soixante-cinq) , mais elle était moins connue et n'avait qu'un
seul puits sur son parcours ; la dernière lui fut préférée.
La colonne se mil en route le 11 janvier, avec quarante jours de vivres.
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[1873] EN ALGÉRIE 447
Pendant toute la durée du trajet, à Taller et au retour, elle allait marcher en
carré, le convoi et Tartillerie au milieu, les quatre faces formées par les
quatre compagnies d'infanterie et couvertes par la cavalerie. La même dispo-
sition devait être conservée pour le bivouac, avec la seule différence que la
cavalerie fournissait la quatrième face, et que la compagnie d'arrière- garde
se plaçait en réserve de rartilleric. Chaque compagnie avait ses chameaux
derrière elle et devait se garder elle-même.
Le deuxième jour , on arriva à Uassi-el-IIadjar (quatre-vingt-cinq kilo-
mètres), halte possédant un puits creusé dans le roc, à douze mètres de
profondeur, et donnant une eau sulfureuse et de mauvaise qualité. On y
remplit cependant les peaux de bouc qui avaient coulé, et cette opération
demanda jusqu'au lendemain à deux heures de Taprès-midi; aussi l'étape du
13 ne fut-elle que do douze kilomètres.
On allait maintenant vers l'ouest. Le 14, la marche continua dans cette
direction, et, après un parcours de quarante kilomètres, on campa sur un
terrain rocailleux formant la première assise d'un vaste plateau s'étendant au
sud. Le 16, on s'engagea dans le lit de l'Oued -Bergaouî, signalé par une
légère végétation, et l'on s'arrêta au milieu d'une gorge escarpée, dans un
endroit sauvage et désolé. Cette marche forcée, par une chaleur accablante
pendant le jour, avait tellement fatigué les moutons sur pied, qu*une fois
abattus, leur viande, complètement échauffée, était immangeable. Il fallut
remédier à cet inconvénient en mettant dès lors ces animaux sur des cha-
meaux.
Le 17, on rencontra plusieurs gorges étroites que les chameaux ne parvin-
rent à franchir que très lentement, et un per un. Cependant on commença à
trouver une végétation un peu plus abondante. A midi, après un trajet de
seize kilomètios, on arriva aux puits dits Ilassi-IIadadra, Ilassi-Dorgaoni et
Ilassi-Cherfcl , fournissant en assez grande quantité de l'eau sulfureuse qu'il
faut rendre potable par Tévaporation. Là passe la route suivie par les cara- '
vanes qui se rendent directement d'EI-Goléah à Laghouat par le Mzab. On s'y
arrêta toute la journée du 18, afin de remplir les peaux de bouc et de per-
mettre aux animaux de se refaire un peu dans les abondants pâturages des
environs; puis le 19, on se dirigea vers le sud, à travers un terrain difficile
et rocailleux. Le 20, le pays changea légèrement d'aspect; on commença à
apercevoir quelques dunes de sable, et l'on s'arrêta au puits de Zirahra, au
milieu d'une plaine assez vaste, bordée de rochers d'un côté et de hautes
dunes de l'autre. Dans les deux jours qui suivirent, ce paysage se continua
avec une eiïrayante monotonie. Le 23 , on traversa une grande plaine cou-
verte de petites dunes de sable, et Ton arriva à un plateau assez élevé, qu'il
fallut descendre par des gradins immenses, pour retomber dans une nouvelle
plaine limitée par des rochers que le sable envahit chaque jour. Enfin, le 24,
on atteignit El-Goléah, qu'on trouva h peu près abandonné.
L'oasis de ce nom s'étend du nord au sud sur un espace de plusieurs kilo-
mètres carrés. Elle est composée d'une série de jardins entourés de murs en
terre de un mètre cinquante centimètres à deux mètres d*élévation. Presque
chaque jardin possède un puits dont la profondeur varie de quatre à six
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448 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1873]
inèlrofl. L'eau cal aboiidanlo et do boiiiio (|iialitô. I^ca liabilanta cultiveiil le
palmier, l'orge, les oignons, quelques fèves, le liguier, le pécher, le gre-
nadier et la vigne.
La ville se divise en deux parties bien distinctes : la ville haute et la ville
basse.
La ville haute est bâtie en amphithéâtre sur un mamelon formé d'assises
successives de marne et de rocher. Au sommet de ce mamelon , sur une table
rocheuse dominant Goléah et la vallée, se trouve la casbah, construction
massive et irrégulière, présentant plusieurs bastions, flanquant les murailles
et possédant , dans le bastion le plus élevé, un puits qui suffirait à donner de
l*eau à la garnison en cas de siège. Ces fortifications sont complétées par une
enceinte continue que la nature du terrain rend inabordable au nord et au
sud, et qui a été renforcée d*un second mur à Touèst; seule la face orientale
constitue un point faible pouvant être assez facilement attaqué.
La ville basse, non comprise dans l'enceinte, s'étend au pied iiiômo du
mamelon , dans l'oasis.
En 1873, la population totale d*EI- Goléah s'élevait à environ cinq cents
tentes; l'oasis comptait seixe mille palmiers, dont treize mille en plein
rapport.
De la casbah on découvre le pays à une grande distance : au nord, se
trouve le plateau traversé par la route du Mzab; sur les autres points, ce
sont des dunes de sable se succédant comme les vagues d'un océan. Près du
piton où s'étage la ville actuelle, se dresse un deuxième mamelon sur lequel
on aperçoit les ruines d'une autre cité, qui s'appelait, dit-on, Tambouzin.
On jour, surprise par les habitants d'EI- Goléah pendant qu'elle faisait paître
ses troupeaux, la population de Tambouzin aurait été entièrement massacrée.
One mosquée, respectée sans doute par les vain^iueurs, est restée debout au
milieu de l'emplacement do la ville détruite et est devenue un pèlerinage très
fréquenté.
Avant do quitter Tuggurt, le général de Galliflet avait adressé une procla-
mation aux tribus insoumises, promettant l'aman à toutes celles qui acquit-
teraient l'impôt de guerre. Cette proclamation eut tout l'eflet qu'on pouvait en
attendre. Le 12, à Hassi-el-Hadjar , se présentait une députation des Chambâa-
Houhadid , d'Ouargla, demandant à eflectuer le versement exigé. Les nomades
espéraient ainsi arrêter la colonne qu'ils voyaient avec une certaine appréhen-
sion pénétrer dans leur pays; mais, trompés dans leur attente et sous Tin-
fluence des bruits répandus par les Ouled-Sidi-Cheikh, ils ne voulurent pas
croire à nos intentions pacifiques et se retirèrent à quelques journées de
marche d'EI-Goléah. Obéissant à un eflroi non moins réel, mais plus dissi-
mulé , la djemfta * d'Insalah écrivit au général que les habitants do cette
oasis, désireux de vivre désormais en paix avec les Français, refuseraient à
l'avenir de recevoir des révoltés. Ils engageaient les Bourouba à rappeler
quelques-unes de leurs tentes établies chez eux, ajoutant qu'ils étaient
décidés à les chasser à coups de fusil , s'ils ne se retiraient pas de bon gré.
* Assemblée des notables.
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[1873] EN ALGÉRIB 449
De leur côté, les Mekhadma , qui s'étaient jetés dans le parti de Bou-Choucha,
annonçaient qu'ils quittaient leurs campements pour rentrer à Ouargla. Dans
ces conditions, il eût été facile à la colonne de visiter les puits situés au sud
d'EUGoléah, sur la route du Toual; mais les Ouled-Sidi^ Cheikh y avaient
leurs tentes : tout mouvement do nos troupes pouvait les autoriser & croire,
ou h faire semblant de croire, qu*on ne respectait pas la trêve consentie avec
eux; le général dut s*abstenir.
On resta à El-Goléah jusqu'au l"" février. Prolonger ce séjour eût été
s'exposer à un retour difficile à cause de la chaleur; il avait d'ailleurs été
suffisant pour faire les petits travaux nécessaires pour assurer la défense de
la ville. La plate- forme dominant celle-ci avait été déblayée, puis entourée
d*un mur crénelé, et un logement y avait été construit pour le cheik par les
soins du génie. Une inscription , gravée sur une pierre placée sur la face de
la première maison , devait rappeler la date de l'entrée de la colonne.
Le retour à Ouargla s'efiectua par la route directe, en sept jours, c'est-
à-dire en parcourant une moyenne de quarante-six kilomètres par jour, résultat
dont il n'existe aucun exemple dans toutes les précédentes expéditions à tra-
vers le Sahara. Le 4 février, la colonne fut assaillie par un violent ouragan
de sable qui se termina par une forte pluie. Cette bourrasque apaisée, le
temps, (|ui jusque -là s'était montré remarquablement beau, continua d'étro
favorable à l'opération.
Le 13 février, on quittait Ouargla, et le 19 on arrivait à Tuggûrt. L'in-
fanterie avait, cette fois, fait le trajet à pied avec les sacs sur les chameaux.
De Tuggurt, la colonne rentra à Biskra, où elle fut dissoute.
Voici comment le génoral do Lacroix appréciait dans un ordre du jour les
services rendus par les troupes qui avaient pris part à cette expédition.
« ... Les rebelles comptaient sur leur éloignement de tout poste français,
lis ne pouvaient croire qu*une colonne relativement nombreuse franchirait
jamais les obstacles que lui opposaient la distance et la nature du sol : aussi
ont- ils été surpris et consternés de la rapidité 4e notre marche, et se sont-ils
empressés de faire leur soumission.
« Aujourd'hui, de la mer à El-Goléah il ne reste plus un seul insurgé,
et rcITct produit sur les populations a été tel, que des points les plus éloignés,
inéino d'Insalali , nous sont venues des protestations d*amitié et do désir do vivro
en paix avec le gouvernement français.
« Notre influence s'étend donc aujourd'hui jusqu'à cette latitude extrême,
c'est-à-dire à plus de la moitié du chemin de la mer à Tombouctou.
« Cette brillante' opération, indépendamment de ses résultats politiques,
Tournit encore à la science de nouveaux documents. Elle fait le plus grand hon-
neur au général de GalliiTet, aux officiers et troupes sous ses ordres.
« Si celles-ci ont été bien préparées, bien organisées et bien conduites, elles
ont à leur tour fait preuve de dévouement et d'abnégation. Elles sont restées
à la hauteur d'une situation difficile, supportant sans se plaindre toutes les pri-
vations qu'elles ont eues à subir dans ces parages éloignés , traversant les plaines
arides du désert, dans une contrée que les gens du sud eux-mêmes appellent
le pays de la soif... *
29
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450 LB 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN ALGÉRIE [l873]
Parmi les citations qui suivaient cas éloges si flatteurs , liguraicnt les capi-
taines Ddabogue, Valat et Kolb, qui n'avaient cessé de se faire remarquer
par leur vigueur et leur entrain. Le général de Galliffet signalait encore, dans
son rapport, le commandant Crouzet, commandant supérieur du cercle de
Biskra, pour les renseignements précieux qu'il avait fournis sur le pays qu'on
venait de visiter et le concours éclairé qu'il avait apporté dans Torganisation
de la colonne.
Quelque temps après, le capitaine Delahogue était fait officier de la Légion
d'honneur, et le capitaine Kolb nommé chevalier.
Ces récompenses n'étaient pas les seules que le corps eût obtenues pendant
ces deux années d'eflbrts et de combats : vingt-cinq croix de la Légion d'hon-
neur et cinquante et une médailles militaires lui avaient été précédemment
accordées. Voici quelles étaient les promotions dans la Légion d'honneur :
Cûmmandeur : H. Barrué, colonel (20 novembre 1872) ;
OffUitn : HM. Mathieu, chef de bataillon; de Larochelambert, capitaine
(8 août 1871); Darras, capitaine (14 janvier 1872);
Chevaliers : HM. Donin de Rozière, Lalanne des Camps, Roux, capitaines;
Guillaume, Darolles, lieutenants; Tourret, sous- lieutenant; Lefebvrc, ser-
gent-fourrier (8 août 1871); Sergent, capitaine (17 octobre 1871); Maison-
neuvo-I^costo, capitaine; Zénati-ben-Scrir, Amar-I)en-Medcli, lieutenants;
Favreau, sous -lieutenant (16 novembre 1871); Chenu, capitaine; Déporter,
HohameJ-ben-Ahmed-Kliodja, lieutenants; Aïssa-ben-lladj-Asscn, sous-
lieutenant (14 janvier 1872); Pétiaux, capitaine; Béchir-ben- Mohamed,
lieutenant; de Bazignan, sous-lieutenant (22 mars 1872); enfin Vigel et
lUnn, capitaines (20 novembre 1872).
La liste de ces distinctions se passe do commentaires; elle est la preuve la
plus éclatante des services rendus au pays par le 3« Tirailleurs pendant le
cours des événements que nous venons de raconter; elle restera le plus élo-
quent témoignage de ce qu'il y eut de courage et do dévouement dépensé
dans cette lutte obscure, qui, pour n'avoir pas été très meurtrière, n'en
fournira pas moins à l'histoire des pages dignes de figurer parmi les plus
belles des annales de l'Algérie.
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CHAPITRE VI
(1873-18RI)
Années 1873 et i 874. — (1875) Modifications apportées dans Torganisation dn régiment.
— (1876) Insurrection d'El-Amri. — Colonne du général Carteret-Trécourt. —Combat
du 11 avril. — Attaque du camp par les insurgés (14 avril). — Colonne Barrné. —
Reddition de l'oasis.— (1877) Colonne de sunreillanoe du général Logerot. — (1879) Le
colonel Barrué, parti en retraite, est remplacé par le colonel Barbier. — Expédition
des Aurès. — Combat de R'bàa. — Passage de la gorge de Touba. — Licenciement des
colonnes expéditionnaires et formation d'une colonne légère. — Le colonel Gerder
remplace le colonel Darbier, décédé. —(1880) Réception do nouveau drapeau. —
Mission Flatters.
Ln flccousAo que venait do subir TAIgérlo avait été trop violontc, les indi-
g^nc.9 s*ctaictil trop épuisés dans cet immcnso cITort, leurs ospérancos avaient
clé trop complètement déçues, pour que le calme lo plus absolu no succédât
pas & cette longue période d'agitation. Ce calme qui devait durer plusieurs
années, le régiment allait le mettre à proGt en se consacrant tout entier aux
réformes imposées par la réorganisation de notre armée. Aussi n'avons-nous
à nous arrêter, pour cette époque, qu*à quelques décisions portant modiGca-
tion dans l'administration ou Torganisation du corps.
Le 21 mars 1874, parut un décret étendant au cadre indigène des trois
régiments de Tirailleurs algériens certaines dispositions bienveillantes adoptées
en faveur de l'élément indigène des régiments de spahis par un décret du
6 janvier de la même année.
D'après ce décret, les emplois du petit état- major, de fourrier et de ser-
gent-major de compagnie, pouvaient dorénavant être donnés aux militaires
indigènes remplissant les conditions d'ancienneté de service et de grade
exigées pour les militaires français , et présentant d'ailleurs toutes les garanties
nécessaires par leur conduite, leur aptitude et leur instruction. Tout officier
indigène satisfaisant aux conditions déterminées par les règlements, et justi-
fiant d'une instruction générale et de connaissances spéciales suffisantes,
pouvait, en vertu des mêmes dispositions, être nommé capitaine trésorier ou
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482
LE 3® RÉGIMENT DE TIIUILLEURS ALGÉRIENS
(1874)
d'habillement, mais claos son régimenl seulemenl. Toutefois, à' grade égal,
le commandement devait toujours appartenir à l'ofticier français, quelle que
fût Tancienneté de rofficier indigène. C*était, en un mot, l'abrogation complète
de l'article 3 do l'ordonnance royale du 7 décembre 1841.
Une autre modification, beaucoup plus importante, fut celle prescrite par
la loi du 13 mars 1875 , sur les cadres et les eiïectifs de l'armée. En exécution
de cette loi, les 5<^ et 6« compagnies de chaque bataillon et une compagnie de
dépôt furent licenciées , et le régiment se trouva ainsi constitué à quatre
bataillons do quatre compagnies, plus une compagnie de dépôt, c'est-à-dire
tel qu'il l'est aujourd'hui. Un premier tiercement eut lieu à cet effet le
15 avril, puis un autre définitif le 20 novembre. Voici quel fut le résultat de
ce dernier :
KTAT-UAJOn
HH . Barrué , colonel .
Noëllat , lieutenant-colonel.
Pérard , major.
Richard , capitaine trésorier.
Mondielli , capitaine d'habillement.
Abadie , sous-lieutenant adjoint au trésorier.
Trémoulet, sous- lieutenant porte-drapeau.
Reboud , médecin- major de 1*^ classe.
Milon , médecin - major de 2» classe.
Thiébault, aide -major de l'^^' classe.
1«' BATAILLON
MM. Petitjcan, chef de bataillon.
Lelorrain, capitaine adjudanl-mojor.
1'» compagnie.
MM. Fargue, capitaine.
Barrué , lieutenant français.
Ahmed-ben-Laoussi, lient. inJ.
de Champsoin, s.-lieut. français.
Amor-ben-Taîcb, s.-lieut. ind.
2* compagnie.
MM. Heiwig, capitaine.
Noyer, lieutenant français.
Mohamed-ben-Tuîeb, lient, iod.
Penaud, sous-lieutenant français.
Tahar-bcn-Dzitouch, s.-lieut. ind.
3« compagnie,
MM. Maux, capitaine.
Tourrct, lieutenant français.
Lagdar-ben-elAchi, lient, ind.
Carli, sous -lieutenant français.
Amri-ben-Lagdar, s.-lieut. ind.
i^ compagnie.
MM. Claverie, capitaine.
Jullîcn, lieutenant français.
Boiiguerrah-hcn-Mohamed, lieu-
tenant indigène.
Montaigu, sous-lieut. français.
Belkassem-ben-Ali, s.-lieut. ind.
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[1874]
EN ALGÉRIE
4S3
2« BATAILLON
MM. Dubuche, chef de bataillon.
Jolly , capitaine adjudant- major.
1 ^^ compagnie,
MM. Iloiiycr, capitaine.
Martin , lieutenant français.
Thiéry, soua-lieulcnant français.
Larbi-beMIaoussin, s.-lieut. ind.
2® compagnie.
MM. Roques, capitaine.
Bujac, lieutenant français.
Kacem-ben-Ahraed , lient, ind.
Mazué, s.-lieutenant français.
Mohamed- bon -Amar, sous -lieu-
tenant indignne.
!}« compagnie.
MM. Pont, capitaine.
Mathieu, lieutenant français.
Chiarasini, sous-Uout. français.
Athman-ben-Salah, s.-lieut. ind.
4* compagnie.
MM. Denis, capitaine.
Creutzer, lieutenant français.
Tahar-ben-Amouda, lient, ind.
Navlet, sous-lieutenant français.
Ali-ben-Messaoud , s.-lieut. ind.
3« BATAILLON
MM. Flatters, chef de bataillon.
Vigcl, capitaine adjudant-major.
If^ compagnie,
MM. Donin de Rozière, capitaine.
Marot, lieutenant français.
Kaddour-ben-Amar, lient, ind.
Orlanducci, sous-lieut. français.
Salali-bcn-Ferkadadji , sous-lieu-
tenant indigène.
2* compagnie.
MM. Dailly, capitaine.
Fiéreck, liculenant français.
Aîssa-ben-Hadj-Assein, lient, ind.
Vivrel, sous-lieutenant français.
Sliman-bon-Ahmed, s.-lieut. ind.
3* compagnie.
HM. de Lestapis, capitaine.
Langlet, lientenant français.
Garmi-ben-Tahar, lient, ind.
Siquart, sous-lieutenant français.
Déradj-ben-Mohamcd, 8ou»-lieu-
tenant indigène.
4* compagnie.
MM. Macarez, lieutenant français.
Mohamed-ben-Talob , lient, ind.
Pagot, sous -lieu tenant français.
Rebah-ben-Amelaoui , sous-lieu-
tenant indigène.
4<» BATAILLON
MM. Gnasco , chef de bataillon.
Lalanne des Camps, capitaine adjudant- major.
l*"® compagnie.
MM. Carré de BusseroUe, capitaine.
Feijas, lieutenant français.
àSaïd-ou-Ali, lieutenant indigène.
Gauvin, sous-lieutenant français.
Ben-Amor-Bouka, s.-lieut. ind.
2<^ compagnie.
MM. Duhay, capitaine.
Virgitti, lieutenant français.
Paoli, sous -lieutenant français.
Taîeb-ben-Lamchi, s.-lieut. ind.
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454 LE 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1876]
ti<> compagnie.
HM. Greffier, capitaine.
Gindonnet, lieutenant français.
Hamou-ben-Sliman, lient, ind.
Lejosne, sous-lieut. français.
Salah-ben-Zouagbi, s.-lieut. ind.
4*» compagnie.
MM. Rivail , lieutenant français.
Saad-ben-Serir, lieut. indigène.
Roche, sous-lieut. français.
Kaddour-ben-Ahmed, sons-lieu-
tenant indigène.
DÉPÔT
MM. Berger, capitaine.
Caudron, lieutenant français.
Salah-ben-Tahar , lieutenant indigène.
Bader, sous- lieutenant français.
Belkassem - zid - ben - Mohamed - zid , sous - lieutenant indigène.
OFFICIBRS A LA SUITS
MM. Durand de Chiloup, capitaine.
Lapeyro, sous- lieutenant français:
Taîob-ben-Ali , sous -lieutenant indigène.
Amar-bon- Belkassem, sous -lieutenant indigène.
Ahmed-ben - Taleb , sous-lieutenant indigène.
Bourougah , sous- lieutenant indigène.
Au commencement de 1876, une certaine agitation se manifesta soudain
dans les Zibans, chez les Bou-Azid, tribu célèbre par son fanatisme religieux.
Ces troubles, qui s'étaient produits subitement, au moment où le général
Carteret-Trécourt, commandant la division, rentrait d'un voyage dans le sud,
avaient pour instigateur un certain Mohamed- Yaya-ben- Abdallah, ancien
khodja du caid Bou-Lakhras-bcn-Ganah et cheik révoqué des Oulcd-Dris.
Le désir, chez ce dernier, de se venger des Ben-Ganah, qui , disait-on, avaient
fait assassiner son frère; une haine implacable vouée particulièrement à Bou-
Lakhras pour des motifs qui n'ont jamais été bien connus : telles étaient les
causes de cette nouvelle insurrection. Mohamed- ben -Abdallah inventa un
marabout, qu'il trouva dans un jeune derviche , nommé Ahmed-lien- Aîcch,
sorte d'halluciné qui vivait de la charité publique, lit prêcher la guerre
sainte, exalta Tesprit des mécontents, et finalement provoqua le soulèvement
de toute la tribu et la défection des cheiks des Djebabra, des Ouled-Daoud,
de Foughala et de Zaou!et-Mlili. Vers la fin de mars, les insurgés se rassem-
blèrent à Ei-Amri, oasis située à quarante- huit kilomètres au sud -ouest de
Biskra, et là firent tous leurs efibrts pour entraîner dans la révolte tous les
nomades des autres oasis des Zibans.
Informé de ce qui se passait, le capitaine Lefroid, chef du bureau arabe
de Biskra, voulut essayer de ramener Mohamed-ben- Abdallah dans le devoir
et le fit appeler & Biskra; mais celui-ci refusa. Le capitaine ne se rebuta pas;
il le convoqua encore à la zaouia de Tolga , où , de son côté , il se rendit le
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(18701
KN Ai.nftniK
A58
^0 innrsi, o.flrortA grulomonl do trois cnTnlicrfi; mnis lo r.oiirngoiix oflîcior n*y
trouva qu^uno réponse arrogante et no dut qu*à son attitude énergique et à son
Rang- froid do ne pas rester entre les mains des insurgés. Tous les moyenu do
conciliation se trouvent olors épuisés, le général Carteret, prévenu, résolut
de recourir immédiatement à d^énergiques moyens de répression ; il se rendit
& Biskra et y organisa aussitôt une colonne composée de deux bataillons
dlnfanterie, d*un escadron de spahis et d'une section d*artillerie do mon-
tagne. De cette colonne firent partie les !'« et i^ compagnies du 2* bataillon
du régiment, qui, en garnison à Batna, quittèrent cette place le 3 avril pour
arriver le 6 à Biskra, où elles se réunirent à deux compagnies du 11« ba*
taillon de chasseurs , avec lesquelles elles constituèrent un bataillon mixte
qui fut placé sous les ordres du commandant Dubuche.
Voici quels étaient les orRciers de ce détachement :
MM. Dubuche, chef de bataillon.
Jolly, capitaine adjudant-major.
.Thiébault, médecin aide -major.
l"^ compagnie,
MM. Rouycr, capitaine.
Bouguerrah-ben-Mohamed , lieu-
tenant indigène.
Cherf-bou-Terfa, lient, indigène.
Thiéry, sous-lieut. français.
Larbi-bcMIaoussin, s.-lieut. ind.
4* compagnie.
MM. Denis, capitaine.
Tahar-ben-Amonda, lient, ind.
Navlet, sous-lieut. français.
Ali-ben-Hessaoud , s.-lieut. ind.
La colonne, sous les ordres directs du général, se mit on route le 8 avril,
se dirigeant sur Kl-Amri par. la route do Zaatcha. Lo soir, elle campa sur
rOucd-Oumache; le U, près de Bou-Chagroun, et le 10, en arrière d'un
ruisseau qui coule entre les oasis d'EI-Bordj et de Foughala, en un point d'où
Ton apercevait distinctement El-Amri.
Le lendemain, à cinq heures et demie du matin, nos troupes reprirent
leur mouvement, et, débouchant dans la plaine, s'avancèrent versEi-Amri
sur trois échelons : & droite, le goum; au centre, les spahis; à gauche,
l'infanterie en colonne serrée par pelotons. Le bataillon mixte, réduit à trois
compagnies par suite de l'absence d'une compagnie de chasseurs laissée à la
garde du convoi, venait en soutien derrière rartillerie. L'ennemi, fort d'en-
viron deux mille fantassins et cent cavaliers , s'était déployé à trois kilomètres
on avant d*EI-Amrî, sur un terrain composé de petites dunes de sable et se
prêtant admirablement à un combat d'infanterie.
Vers six heures, le goum engagea l'action et fut bientôt appuyé par la
cavalerie; mais celle-ci, accueillie par un feu meurtrier, dut battre en re-
traite. Craignant alors pour son flanc droit, le commandant Dubuche fit
déboîter la 4» compagnie (capitaine Denis), et, après qu'elle se fut déployée
en tirailleurs, l'entraîna en avant. Cette compagnie ouvrit le feu à une faible
distance, arrêta Tennemi, et permit ainsi au 3* bataillon d'Afrique et à une
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486 LE 3"^ nÊGIHBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [t876l
compagnie do chasseurs do se porter sur lu gauche el do prendre une vigou-
reuse oflensivo. Restée en réserve derrière rarlillerie, la l^^ compagnie
(capitaine Rouyer) s*était déployée à droite, et, en même temps qu'elle s'op-
posait à un mouvement tournant des insurgés, protégeait par des feux le
ralliement du goum et des spahis. Culbuté sur tous les points, Fennemi
commença alors à battre en retraite, mais en bon ordre, en ne cédant ses
positions que pied à pied, et en manœuvrant avec un ensemble dénotant chez
lui une réelle instruction. A huit heures, nos troupes occupaient une ligne à
peu près parallèle au côté nord de l'oasis, à environ deux kilomètres <lcs pre-
miers palmiers. A ce moment le général prescrivit de s'arrêter, de cesser le
feu et d'attendre de nouveaux ordres. Les rebelles 8*-étaient maintenant
retirés dans l'oasis.
Dans ce court mais vif combat , ces derniers avaient subi des pertes consi-
dérables : cinquante des leurs, dontMohamed-Yaya-ben-Abdallah, le principal
instigateur de la révolte , étaient restés sur le terrain ; ils avaient en outre
une quantité de blessés, parmi lesquels le marabout Ahmed -ben-Aiech, qui
n'en continua pas moins à prêcher la guerre sainte à outrance. La colonne
comptait quatre tués et dix -neuf blessés, dont deux officiers. Ces pertes por-
taient presque uniquement sur le goum et les spahis.
Attaquer l'oasis avec le peu de monde dont il disposait était, pour le
général, une tentative trop hasardeuse pour qu'il s'y décidât; il ramena ses
troupes à environ trois kilomètres au nord-est, les installa au bivouac et leur
fit construire des retranchements rapides pour les mettre à l'abri de toute
surprise.
Le 12, eut lieu une reconnaissance générale qui fut poussée jusqu'à environ
quatre cents mètres de la face nord de Toasis , sans qu*il fût tiré un coup de
fusil de part et d'autre.
Celte attitude n'était cependant pas chez les insurgés le résultat d'une
résolution pacifique : plus que jamais ils étaient résolus à se défendre. I^eur
nombre grossissait toujours; malgré l'échec qu'ils avaient subi, malgré les
protestations de dévouement des chefs des autres oasis , l'eflervescencc gagnait
les populations environnantes, et le goum lui-même semblait n'attendre
qu'une occasion pour faire défection. La situation de la colonne devenait
difficile; trop faible pour rien tenter contre les rebelles, elle ne pouvait ce-
pendant battre en retraite sans s'exposer à voir tous les Zibans se soulever.
Le général Carteret prit la résolution la plus sage et la plus politique à la fois :
celle de choisir une bonne position à proximité de l'oasis, de s'y fortifier et
d'attendre, pour reprendre l'oflensive, d'avoir reçu les renforts qu'il avait
prescrit qu'on lui envoyât en toute hâte de Constantine. En conséquence , le
camp fut établi sur les deux rives d'une petite rivière à sec, l'Aîn-Ghous, et
couvert par un retranchement continu affectant la forme d'une vaste ellipse
dont le grand axe était représenté par le lit de la rivière. Le bataillon mixte
occupa la partie de la rive droite, le bataillon d'Afrique et Tartillerie l'arc de
la rive gauche.
Le 14, à une heure de l'après-midi, la section d'artillerie prit position à
quinze cents mètres d'EI-Amri et envoya une vingtaine d'obus dans l'oasis.
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[1876] EN ALGÉRIE 457
en môinc Icmps que deux sections d^infanterie, dont uno composée de chas-
seurs à pied et de Tirailleurs, s^avançaient jusqu'à huit cents mètres des
vedettes ennemies et exécutaient quelques feux de saWe. A quatre heures,
tout le monde rentra au camp, & Texception de la section mixte (sous-lieu-
tenant Gabct, du 11^ bataillon de chasseurs) qui, n'ayant pas reçu d*ordres
précis , resta en position h trois ou quatre cents métros en avant.
Vers cinq heures, uno épouvantable tempête de sable éclata tout à coup,
enleva les tentes, renversa les faisceaux et fit en un instant succéder la nuit
au jour. Profitant de cette obscurité, les insurgés sortirent de Toasis, chemi-
nèrent derrière les dunes et se dirigèrent silencieusement sur le camp.
La section du sous-lieutenant Gabct fut la première & s'apercevoir de ce
mouvement; elle le signala d*abord par quelques coups de fusil que la direc-
tion du vent ne permit d'entendre que d'une façon confuse; puis, subitement
entourée, elle se retira lentement en exécutant dos feux nourris qui finiront
par donner l'éveil. Au cri de : Aux armes! toutes les troupes se précipitèrent
aux tranchées , et les rebelles furent accueillis par une fusillade meurtrière
qui arrêta court leur élan. Cette fusillade continua jusqu'à huit heures du soir
sans interruption; l'intensité do l'ouragan ayant alors sensiblement diminué,
Tenncmi commença h se retirer. A onzo heures, tout était terminé. IjO lon-
«lo.main , des reconnaissances envoyées dans les environs trouvèrent de oom-
hrcux cadavres qui n'avaient pas été enlevés, indice presque toujours certain,
chez les Arabes, d*une complète démoralisation. Les insurge avaient dû
évidemment être sérieusement éprouvés ; car, les jours suivants, de nouveaux
orages étant survenus, ils ne songèrent nullement à en profiter. Cet engage-
ment avait coûté deux hommes tués au bataillon d'Afrique et trois blessés
aux Tirailleurs. Tout le monde s'était admirablement battu; mais c'était sur-
tout à l'attitude énergique de la section du sous -lieutenant Gabet qu'on
devait de n'avoir pas clé surpris et d'avoir pu faire face à un danger aussi
imminent.
Pendant ce temps, deux colonnes de secours avaient été organisées, l'une à
Conslantine sous les ordres du colonel Barrué, l'autre à Bou-Saftda avec le
général de Vaîsse-Roquebrunne. Celle de Conslantine s'était mise en route le
14 avril. Deux compagnies du régiment en faisaient partie; c'étaient les 3« et
/in (lu jer balaillou, ainsi composées :
.S« compagnie.
AlAI. Noyer, lieutenant français.
Lagdar-ben-EI-Achi , lient, ind.
Carli, sous-lieutenant français.
Lamri - ben - Lagdar - ben - Ma-
brouck, sous- lieutenant ind.
4' compagnie.
MM. Claverie, capitaine.
JuUien , lieutenant français.
Belkassem-zid-ben-Mohamed-iid ,
lieutenant indigène.
Montaigu, sous-lieut. français.
BeIkassem-ben-Ali, s.-lieut. ind.
La colonne Barrué arriva à Batna le 17 avril, et, le 22, rejoignit celle du
général Carteret devant El-Amri. Les deux compagnies de chasseurs de-
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458 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1877]
vioroot alors indépendantes, et les quatre de Tirailleurs ne formèrent qu*un
seul bataillon. Le colonel Barrué reçut le commandement de toute l'infanterie.
Le 23, commença le blocus de l'oasis, blocus qui fut achevé le surlende-
main, après Tarrivée des troupes de la province d'Alger. Le 27, eut lieu un
premier bombardement du village d'El-Amri, dont on apercevait confusément
le mur d*enceiate à travers les palmiers. L*ennemi riposta mollement; on le
vit abandonner successivement ses tranchées extérieures et la zaouïa, bfttie
sur la lisière de l'oasis, pour se réfugier dans les jardins et derrière les petites
dunes de sable. A trois heures du soir, toutes les troupes rentraient dans
leurs bivouacs sans être inquiétées.
Le lendemain , les mêmes dispositions furent prises , et le canon continua
son œuvre de destruction et d'intimidation. Vers une heure de Taprès-midi,
dans le but de faire croire à une attaque de vive force et d'atlirer ainsi les
insurgés sous les coups de notre artillerie, le colonel Barrué ordonna aux 3*
et 4* compagnies (lieutenant Noyer et capitaine Claverie) du \^ bataillon,
déployées en avant des pièces, de faire un bond de cent mètres dans la direc-
tion de la face est de l'oasis. Les assiégés se précipitèrent en effet vers le
point menacé, et pendant un instant la lutte fut assez vive; mais, sillonné
en tous sens par nos projectiles, le terrain devint bientôt intenable pour
l'ennemi , qui so retira encore une fois derrière ses abris. Dans ce court
instant, le capitaine Claverie avait été légèrement blessé, au moment où,
monté sur un puits, il dirigeait les feux do sa compagnie. A cinq heures, les
troupes se replièrent de nouveau sur leurs bivouacs respectifs, poursuivies
quelque temps par les rebelles, qui essayèrent de profiter de ce mouvement
rétrograde, mais qui, vigoureusement maintenus, se débandèrent ropide-
ment. Très éprouvés par ces deux jours de bombardement, ils étaient d'ail-
leurs décidés à ne pas pousser plus loin la résistance. Dans la nuit, ils
demandèrent l'aman, et le lendemain les principaux chefs de la révolte, dont
le marabout Ahmed -ben-Aïech, se rendirent à discrétion. Auparavant une
sorte de guerre civile avait éclaté entre les partisans de la paix et ceux de la
guerre; des coups de feux avaient été échangés; il y avait eu de nombreux
blessés, et, vaincus, les derniers s'étaient vus obligés de céder. Leur reddition
mettait fin à Tinsurrection.
Nos troupes restèrent encore devant El-Amri jusqu'au 8 mai, puis se mirent
en route pour rentrer dans leurs garnisons. Le 12, è Bou-Chagroun, les
colonnes Carteret et Barrué furent reconstituées telles qu'elles étaient à
l'origine, et la première continua sa marche sur Biskra, où elle arriva le 19,
l'autre sur Constantine, qu'elle atteignit le 28.
Pendant cette expédition, une autre compagnie du régiment, la 3* du 3«
bataillon (lieutenant Langlet), avait également été dirigée sur El-Amri;mai8,
employé^ à l'escorte de convois , elle n'avait pris aucune part aux combats
livrés aux insurgés.
Vigoureusement et sévèrement réprimé , ce commencement d'insurrection
n'avait pas eu de suites, et la province avait aussitôt repris sa physionomie
accoutumée. L'hiver arrivé, il fut cependant décidé qu'une colonne de sur-
veillance, aux ordres du général Logerot, serait envoyée dans le sud, où
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[1879] EN ALGÉRIE 459
nous n*avions pas paru en force depuis 1873. Cette colonne, dont fit partie
la 3® compagnie du 2« bataillon , visita successivement la partie méridionale
des Aurès, le Souf et rOued-R*ir, en passant par Sidi-Okba, Aîn-Maga,
Sifli-Salnh, Zérihctd-Oucd , Rl-Foidh, Rl-Haadja, Mouîat-Tadjcr, Dir-Nazia,
Bir-el-Arab, Sidi-Aîoun, Gucmar, Tarzout, El-Oued, Taïbet-el-Gueblia,
Teniet-Redemsia, Temacin et Tuggurt, et, le 20 mars 1877, rentra à Biskra,
d*où elle était partie le 15 février.
Le restant de Tannée 1877 et Tannée 1878 s'écoulèrent dans la paix la
plus profonde et sans amener le moindre incident.
Le 7 janvier 1879, le colonel Barrué, qui était à la tête du régiment depuis
neuf ans, qui Tavait réorganisé, qui avait su par sa bienveillance s'attirer
Taflection et le dévouement de tons, était admis à la pension de retraite. Par
une décision ministérielle du 15 du même mois, le colonel Barbier, du 81^ de
ligne, fut appelé h le remplacer.
Devant le sort qu'avait eu la tentative des Bou-Azid, on pouvait croire que
de longtemps aucune tribu ne songerait à la renouveler. Il ne devait cepen-
dant point en être ainsi, tant il est facile, au moyen de quelques grossières
jongleries, d'éveiller chez les indigènes Tidée d'une intervention divine an-
nonçant enfin Thcure de la délivrance.
Le 31 mai 1879, le général Forgemol de Bostquénard, commandant la
division de Constantine, était informé, par une dépêche de Batna, que des
troubles venaient subitement de se produire dans le commandement des
Ouled-Daoud. Deux cavaliers du caïd, envoyés au village d'El- Hammam
pour faire cesser une réunion séditieuse tenue à la mosquée, avaient été reçus
à coups de fusil. L'un d*cux avait été tué, et l'autre grièvement blessé. Un
officier du bureau arabe, M. le lieutenant Chéroutre, s'était aussitôt trans-
porté sur les lieux ; mais l'agitation, au lieu de se calmer, n'avait fait que s'ac-
croître, et dans la nuit un vieux serviteur de la Franco, Si-el-Bachtardji,
cnîd des Beni-bou-Sliman, était lâchement assassiné dans son bordj, ft
Tkout.
Ces désordres, que rien ne faisait prévoir, avaient pour fauteur un certain
Mohamed -Amzian-ben-Abderrahman, iman ^ de la mosquée d'El-Hammam.
Cet individu, qui était ventriloque, s'était servi habilement de ce talent
spécial pour faire croire qu'il était en perpétuelle communication avec l'esprit
du Prophète; il prenait habituellement une marmite qu'il plaçait au milieu
de Tassistance, puis il en faisait sortir les prédictions les plus invraisem-
blables. Ses crédules auditeurs, dont l'ignorance égalait le fanatisme, ne
manquaient jannais de crier au miracle et de proclamer la toute- puissance de
ce prétendu illuminé. Bientôt la réputation de Mohamed -ben-Abderrahman
s'étendit dans les tribus environnantes; on accourut de tous les points des
Aurès pour écouler sa parole sacrée, et lorsque, prévenu, le caïd El-Achmi-
ben-bou-Diaf, des Ouled-Daoud, voulut mettre un terme à ses excitations à
la révolte, les esprits étaient déjà assez exaltés pour n'être ramenés que par
la force au respect de notre autorité.
1 Celui qui préside habituellement aux prières ordinaires chez les musulmans.
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460
LB 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[18701
Dès quo 8*é(aicnt produits lûs Toits graves quo nous venons de raconter, lo
général Logerot, commandant la subdivision de Balna, avait en voyé M. Corbé,
lieutenant du bureau arabe, au cald Mohamed -bou-Diaf, des Deni-Oudjana,
pour que celui-ci rassemblât ses goums sur la frontière des Ouled-Daoud. Le
même ordre avait été donné à son fils El-Achmi, caid de cette dernière tribu.
En môme temps le capitaine Bissuel , également du bureau arabe, quittait
Biskra avec une vingtaine de spahis et s'avançait jusqu'à Banian. Mais, dans
la nuit du \^' juin , les rebelles se jetèrent sur le camp des caïds établi à
El-Anasser; trois cents goumiers firent aussitôt déroctioii; Bou-l)iaf et ses
plus fidèles serviteurs furent tués, et seule l'obscurité permit à M. C!orbé
d'échapper à la poursuite des assaillants et de se réfugier à Cbremora. Le len-
demain, toute la tribu des Ouled-Daoud était en insurrection.
Cet incident aggravait singulièrement la situation; il n'y avait pas un
instant à perdre si l'on voulait empêcher l'eflervescence de gagner les tribus
de l'est (Sahari, Nemencha, llaracla, etc.). liO 2 juin, une petite colonne
comprenant la 4« compagnie du 3* bataillon (capitaine Lochert) et un esca-
dron de spahis quittait Batna pour se rendre à Khenchela, où se trouvait déjà
la l'* compagnie du même bataillon. D*un autre côté, le commandant le
Noble, du 3« spahis, se portait à R*bfta avec deux compagnies du 17* ba-
taillon de chasseurs et tout ce qui restait de spahis à Batna; enfin le 4^ ba-
taillon du régiment partait en toute hâte de Constantine pour aller se mettre
à la disposition du général Logerot.
Voici quelle était la composition de ce bataillon :
MM. Vidal de Lauzun , chef de bataillon.
Lalanne des Camps, capitaine adjudant- major.
l** compagnie.
MM. Chirouzo, lieutenant français.
Sald-ou-Ali, lieutenant indigène.
Tatin , sous-lieutenant français.
Salah-ben-Zouaghi, s.-lieut. ind.
2* compagnie.
MM. Godinet, capitaine.
Gauvin , lieutenant français.
Mohamed-ben-Amar-Toumcy,
lieutenant indigène.
Zahner, sous-lieut. français.
Bourougah, sous-lieut. ind.
3* compagnie.
MM. Greffier, capitaine.
Méteix, lieutenant français.
Cherf-bou-Terfa, lient, indigène.
François, sous-lieut. français.
M'zita-ben-Aîssa, s.-lieut. ind.
4* compagnie.
MM. Mercier, capitaine.
Rivail, lieutenant français.
Saad-ben-Serir, lient, indigène.
Embarck-ou-Alia, sous-lieute-
nant indigène.
Arrivé le S juin à Batna, le commandant do Lauzun recevait aussitôt l'ordre
de laisser une compagnie (la 4*^) dans ce poste, d'en envoyer une (lu 1*^») à
Lambesse, et de rejoindre avec les deux autres (2° et 3*>) le commandant le
Noble à R'bâa. Il partit avec ces dernières le 7, à trois heures et demie du
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[1879] EN ALOÉRIB 461'
soir, et atteignit R*bAa vers minuit. La colonne le Noble, qui, le 3, s'était
grossie d*un escadron do ciiasseurs d'Afrique et d'une compagnie de chasseurs
& pied , comprit alors deux escadrons de cavalerie et cinq compagnies d'infan-
terie.
R'bfla n'était qu'un simple bordj construit quelques années auparavant par
le caïd Bou-DIaf ; mais les événements des jours précédents avaient tout à coup
donné & ce point une importance considérable. Situé à l'entrée du territoire
des Oulcd-Daoud et près de l'endroit où les caids avaient été attaqués, il fer-
mait les débouchés de cette partie des Aurès, et son occupation était en même
temps une sauvegarde pour Batna et une menace pour les insurgés. Le camp
avait été établi près d*un petit cours d'eau à sec pendant Tété, l'oued Taga,
affluent de l'Oued -Chemora, et se trouvait dominé, au nord et au sud, par
deux rangs de collines parallèles laissant entre elles une vallée d'environ
un kilomètre de largeur, suivie par la route non empierrée de Batna à Khen-
chcla.
Le 8 juin au soir, les rebelles, que le succès d'El-Anasser avait complète-
ment grisés, s'avancèrent au nombre d environ dix-huit cents dans le but de
surprendre nos troupes. Ils se rapprochèrent en silence et arrivèrent ainsi,
sans être aperçus, jusqu'à une assez faible distance de la grand'garde des
Tirailleurs établie sur l'un des mamelons avancés se détachant des collines
sud. Cette grand'garde leur opposa une vigoureuse résistance; mais, bientôt
entièrement débordée, elle dut, en combattant toujours, se replier sur la face
du camp occupée par les deux compagnies du régiment, qui furent elles-
mêmes aussitôt assaillies par la masse confuse des insurgés. Il était près de
trois heures du matin, l'obscurité rendait la situation des plus critiques; un
moment d'hésitation , et les rebelles pouvaient pénétrer dans le camp , y jeter
le désordre , amener un de ces combats dangereux où amis et ennemis ne
peuvent plus se reconnaître, où les troupes les plus disciplinées échappent à
toute direction. Mais le commandant de Lauzun , jugeant la gravité du péril,
y fît immédiatement face avec un sang-froid et une énergie qu'il sut commu-
niquer & tous. Sur son ordre, le demi-bataillon exécuta d'abord un feu rapide
qui dura environ cinq minutes; puis, l'ennemi ne se retirant pas, il prescrivit
à la 3« compagnie de l'aborder à la baïonnette. Profitant de ce qu'un nuage
de fumée dérobait son mouvement, cette dernière s'élança avec une fureur
irrésistible, et, poussant de grands cris, se jeta brusquement sur les bandes
acharnées qui débouchaient dans la vallée, leur reprit le mamelon dont elles
venaient de s'emparer, les délogea de tous les points où elles essayèrent de
résister, et les mit en pleine déroute après leur avoir infligé des pertes énormes.
Le jour commeiîçait à poindre quand se termina ce sanglant combat; la cava-
lerie, qui n'attendait qu'une occasion de se rendre utile, se mit alors à la
poursuite dos fuyards, qu elle accompagna, le sabre dans les reins, jus(|u'aux
premiers escarpements des Aurès. L*ennemi avait eu cent trois morts et envi-
ron deux cents blessés; les Tirailleurs comptaient cinq tués et cinq blessés.
Parmi les tués, il s'en trouvait un qui avait été horriblement mutilé; le mal-
heureux était tombé vivant entre les mains des rebelles , qui lui avaient
arraché les ongles des pieds et des mains, crevé les yeux, coupé la langue.
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'462 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1879]
ol, pour l'acliovor, britié les juiubca et fracassé la lAlo à coiiim do lia-
cholto.
Dans ce combat, qui faisait le plus graod honneur au coup d'œil militaire
du commandant de Lauzun , officiers et Tirailleurs avaient tous été admirables
d*audace et d'intrépidité ; mais il en était cependant qui s'étaient fait plus par-
ticulièrement remarquer : c'était d'abord le capitaine Greffier, par- la vigueur
avec laquelle il avait enlevé sa compagnie; puis le Tirailleur Mabrouck-ben-
Mohamed, qui avait dégagé un officier indigène sur le point de rester entre
les mains de l'ennemi; Mustapha-ben-Larbi , qui avait continué de combattre
malgré une blessure sérieuse; Larbi-ben-Ali-bcn-Chabron , qui avait délivré
deux de ses camarades en tuant deux insurgés sur le point de les égorger;
enfin Lepeuchant, qui n'avait cessé de se signaler par son courage et son dé-
vouement.
Le succès de R'bfla devait avoir des conséquences absolument décisives :
c'était le coup de grflco de l'insurreclion. De ce moment, Mohamed-ben-Âbder-
rahman, sentant qu'il avait engagé une partie dangereuse, ne chercha plus qu'à
échapper au cercle de baïonnettes qui se formait autour de lui; abandonné
chaque jour par ceux qui avaient cru un instant à sa mission divine, il allait
bientôt se trouver seul avec les plus compromis de ses partisans, et prendre
avec eux la roule du désert, celte dernière ressource de la plupart des agita-
teurs qui l'avaient précédé.
il importait cependant d'achever la pacification du pays en laissant s'cflcc-
tuer les opérations préparées par le général Forgemol. En conséquence, les
colonnes qui s'étaient concentrées aux principaux débouchés des Aurès reçurent
l'ordre de commencer leurs mouvements le 12. Ces colonnes, réunies à Batna,
Biskra et Khenchela, étaient commandées par le général Logerot et les colo-
nels Cajard, du 3® zouaves, et Gaume, du 3^ chasseurs d'Afrique. Avec la
colonne Logerot se trouvait le général Forgemol. Le régiment avait un batail-
lon (le 3^) à la colonne de Khenchela; le 4*, qui après le combat du 9 avait
été réuni en entier à R'bAa, allait entrer dans la composition de la colonne
Logerot.
Au jour fixé, cette colonne quitta Batna. Le lendemain, elle rejoignait les
troupes du commandant le Noble à R'bAa. Là elle reçut son organisation dé-
finitive et fut divisée en deux demi -brigades, dont les colonels Darbier, du
3<^ Tirailleurs, et Hervé, du 1*' zouaves, eurent le commandement. Le 15,
elle se mettait en route pour Médina, laissant à U'bûa la 2"* compagnie (capi-
taine Godinet) du 4* bataillon de Tirailleurs.
On va de R'bAa à Uédina par un chemin de montagne qui, après avoir tra-
versé un plateau dénudé, arrive dans la plaine de Yabous pour s'engager
ensuite dans une immense coupure à l'entrée de laquelle se trouve le village
de Touba. Les insurgés, qui se proposaient de défendre ce passage, l'avaient
fortement occupé. Dès qu'il en fut averti , le général Logerot donna l'ordre
au 15* bataillon de chasseurs et A une section d'artillerie de tourner la posi-
tion , pendant que le 4* bataillon de Tirailleurs l'aborderait de front.
La nature du terrain rendait la mission de ce dernier des plus périlleuses ;
c'était, en somme, des hauteurs abruptes A gravir sous le feu d'un ennemi
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[1879]
EN ALGÉRIE
463
(le koaucoup supérieur, et qui avait déjà prouvé son ocharnoment. Mais cet
ennemi se rappelait de U*bAa, et à la vue des Tirailleurs il allait Buccessi-
vement abandonner ses positions.
La l*^ compognic (lieutenant Chirouzc], sac au dos, ses officiers en této,
escalada avec un entrain merveilleux les falaises presque à pic formant le côté
sud de la gorge; en même temps la 3® compagnie (capitaine Greffier), con-
duite par le commandant de Lauzun , mettant sac à terre, marchait à l'attaque
du village de Touba et y pénétrait sans coup férir par deux côtés à la fois. A
peine les hauteurs qui dominent ce village eurent- elles été occupées, qu*une
assez vive fusillade éclata sur nos groupes un peu pressés; mais les Tirailleurs
ripostèrent vigoureusement, et Tennemî, déconcerté, se retira. Le général
Logerot ayant alors donné Tordre de prendre position sur un plateau s'étendant
au sud-ouest de Touba, le commandant de Lauzun continua son mouvement;
malgré la fusillade qui avait repris, malgré les difficultés sans nombre qu'op-
posait le terrain, les 1''® et 3* compagnies gravirent la montagne au pas de
course, et déterminèrent la retraite définitive des insurgés. Ces derniers avaient
eu douze tués. Grâce à la vigueur avec laquelle avait été conduite l'attaque,
nous n*a viens eu personne d*at teint.
La prise du défilé de Touba devait achever, chez les rebelles, la démorali-
sation produite par le combat do R'bAa. Le 16, la marche no fut, en cflct,
nullement inquiétée, et la colonne campa le soir à Médina. Le 17, il y eut
repos. Le 18, le 4^^ bataillon quitta le camp à cinq heures du matin, descendit
la vallée de TOued - el - Abiod , incendia tous les villages qu'il rencontra, et,
vers quatre heures du soir, rentra sans avoir eu à échanger mi seul coup de
fusil.
Dès le lendemain , les tribus insurgées commencèrent à faire leur soumis-
sion. La colonne Logerot exécuta cependant encore quelques opérations dans
les environs de Médina, puis elle se disloqua le 2 juillet, après avoir été rejointe
par le 3' bataillon du régiment, qui avait fait partie de la colonne Gaume, et
dont nous allons rapidement résumer les opérations.
Au début de Tinsurreclion , ce bataillon avait trois compagnies en garnison
à Batna , et Tautro (la l'^') & Khenchela. Nous avons vu que la A9 compagnie
avait aussitôt été dirigée sur ce dernier point; les autres y arrivèrent à leur
tour quelques jours après, et leur réunion présenta alors la situation suivante :
MM. Donin de Rozière, capitaine de la l^^ compagnie commandant le bataillon.
Vigel , capitaine adjudant-major.
Villemin , médecin aide-major de l''» classe.
V* compagnie.
MM. Boulay, lieutenant français.
Orlanducci, sous-lieut. français.
Salah-ben-Ferkatadji , sous-lieu-
tenant indigène.
2* con^pagnie.
MM. Bailly, capitaine.
Fiéreck, lieutenant français.
AIssa-ben-IIadj-Assein, lieut. ind.
H*ahmed-ben-Mohamed, sous-
lieutenant indigène.
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464 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1879]
3* cùmpagnie.
MM. Polère, capitaine.
Langlet , lieutenant français.
Lapeyre, sous-lieut. français.
Derradji -ben- Messaoud , sous-
lieutenant indigène.
4* compagnie.
MM. Lochert, capitaine.
Palinade , lieutenant français.
Taîeb-ben-Mohamed , lieut. ind.
D*Âniade, sous-lieut. français.
Âli-ben-Mohamed , s.-lieut. ind.
La colonne Gaume, comprenant trois escadrons de cavalerie, une section
d*artillerie de montagne et un seul bataillon d*infauterie, quitta Khenchelu le
13 juin pour aller camper à Ain-ïamaga. Le 14, elle se porta à Taguerzoun,
où elle séjourna jusqu'au 17. Elle parcourut ensuite du sud au nord la vallée
du Mélagou, longea le revers sud du Clielia, et vint s'établir au sommet du
col de Tizougurin, où elle resta jusqu'au 30, jour de sa dissolution. Sur aucun
point de son parcours elle n'avait eu d'engagement sérieux. Devenu disponible,
le 3* bataillon se rendit alors à Médina, à Texception cependant de la 1^ com-
pagnie, qui retourna À Khenchela.
Malgré les excellentes dispositions prises par le général Forgemol et la rapi-
dité avec laquelle nos troupes avaient manœuvré dans ce pays, où il n'existait
encore aucune voie de communication , on n'avait pu s'emparer de Mohamed-
ben-Abderrahman , qui fuyait vers le sud avec l'intention de gagner la Tunisie.
Disons tout de suite qu'après deux sanglants engagements avec les goums du
Djebel-Cherchar et les spahis de Zcribet-el-Oued, il parvint à atteindre le
Sahara et de là le territoire tunisien , où il fut arrêté par les agents du bey,
qui le remirent entre les mains des autorités françaises. Un an après il passait
devant le conseil de guerre de Constantine, était condamné à mort et exécuté.
N'ayant plus leur raison d'être, les colonnes expéditionnaires de l'Aurès
furent licenciées; les troupes de la division d'Alger reprirent la route de leur
province, et il ne fut maintenu qu'une colonne légère sous les ordres du gé-
néral Logerot. Cette dernière, dans la composition de laquelle entrèrent le
17* Imtaillon de chasseurs, deux bataillons de Tirailleurs à trois compagnies *,
un escadron de spahis et une section d'artillerie, quitta Médina le G juillet,
passa par El -Hammam, Ain -Ara, Chenaoura, Taghit, Chir, Sanef, Tarit -
el-Bachfla, Bordj-Azouz, Nouader, Menah, Taggoust, Domina, Aîn-Toha, et
revint sur TOued-Taga, au bordj du caïd Del-Abbès, où elle fut dissoute à son
tour. Les deux bataillons du régiment qui en avaient fait partie rentrèrent,
le 3^ à Batna, où il arriva le 25 juillet, et le 4<' à Constantine, où il fut rendu
le 31.
A l'automne, deux colonnes de surveillance, aux opérations desquelles par-
ticipèrent les 3« (capitaine Greffier) et 4® (capitaine Mercier) compagnies du
4^ bataillon, parcoururent encore le pays, mais sans rencontrer nulle part le
moindre symptôme de résistance.
Très éprouvé par les fatigues de l'expédition de juin , à laquelle il avait pris
une part active à la tête de la première denii-hrigade de la colonne Logerot,
1 Le 3« bataillon était diminué de sa l'« compagnie , envoyée à Khenchela, la 4« de
sa 2«, laissée à U'bda.
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[1880 1 KN Al.(n'.lllK 405
le colonel Hnrhier élait resté flotilTrnnt (Icpum sa rentrée à Constantino; mais
rien ne faisait cependant prévoir une aggravation dans son état, lorsque, le
20 juillet, le régiment apprit avec douleur sa mort, survenue subitement. Il
fut remplacé par le colonel Verrier ; mais ce dernier, qui ne parut jamais
au corps, permuta hicntôt avec le colonel Gerder, qui, depuis le 11 sep-
tembre 1875, coinmondait le 48® de ligne.
Le 7 juillet 1880, une députation composée de MM. Gerder, colonel; Ri-
chard, capitaine; Tatin, sous-lieutenant porte-drapeau; Mohamed -ben-Em-
barck, sergent; Amor-ben-Mohamed , caporal; SuItan-ben-Mohamed , Sliman-
ben -Mohamed et Ahmed -ben-Youssef, tirailleurs, quitta Gonstantine pour
aller à Paris recevoir le nouveau drapeau destiné au régiment. Cette députa-
tion rentra le 24 juillet.
Avec Tordre et la tranquillité était revenu le repos, la vie de garnison, en
un mpt cette existence monotone que le soldat est toujours heureux d^échan-
ger contre les tribulations d'une campagne. Deux années allaient s*écouler
ainsi ; deux années qui n'offriraient aucun fait important à signaler, si un in-
cident douloureux, que rien ne faisait prévoir, ne fût venu tout à coup sceller
d'un nouveau sacriBce la réputation de fidélité et de dévouement que le corps
avait toujours si hautement justifié. Nous voulons parler du massacre de la
mission Flattera.
Au mois d'octobre 1880, alors que le lieutenant-colonel Flattera se disposait,
pour la deuxième fois, à essayer de traverser le désert et de se rendre à Tom-
bouctou , pour voir ce qu'avait de réalisable une idée de chemin de fer trans-
saharien vulgarisée par un ingénieur, M. Duponchel, vingt-quatre hommes
du 3° Tirailleurs, choisis parmi ceux de bonne volonté, furent envoyés à La-
ghouat pour être mis & la disposition du courageux explorateur, qui avait lui-
même appartenu au régiment comme chef de bataillon. Ces hommes étaient
destines, avec un nombre égal d'autres tirés du 1"' Tirailleurs, à constituer
une escorte devant permettre à la mission d'opérer en toute sécurité, et de
vaincre au besoin la résistance qu'elle pourrait rencontrer. Une première ten-
tative, faite par le colonel au mois de février de la même année, avait échoué,
en partie pour n'avoir pas été entourée de cette précaution.
Le départ de Laghouat eut lieu le 18 novembre 1880. Le personnel de la
nouvelle mission se composait de onze Français, dont le colonel Flattera, le
capitaine Masson, du corps d'état-major, le lieutenant Dianous de la Perro-
tinc, le médecin aide-major Guiard, les ingénieurs Béringer, Uoche et Santin,
les maréchaux -des- logis Dennery et Pobéguin, de quarante -cinq Tirailleurs
indigènes, et d'environ autant de guides ou de chameliers recrutés parmi les
Ouled-Naîl, les LarbAa de Laghouat et les ChambAa d'Ouargla. Cette nom-
breuse caravane emmenait deux cent quatre-vingts chameaux, et emportait
pour quatre mois de vivres. Les Tirailleurs avaient gardé leurs eflets de toile,
qu'ils portaient dissimulés sous des burnous; ils étaient armés du mousqueton
d'artillerie, du sabre -baïonnette et du revolver d'ordonnance. Tous étaient
montés sur des mehara.
Nous ne nous attarderons pas à raconter ce voyage à travers une région
inexplorée, à suivre les péripéties de cette entreprise semée de mille difficul-
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466 LE 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [iSSl]
tés, do mille dangers, et nous arriverons aussitôt au Irislo dénouement : la
mort du lieutenant-colonel Flatlers et de la plupart de ses compagnons. Nous
allons, pour ce dernier fait, nous en rapporter aux récits des rares survivants.
Après être passés par Ouargla, llassi-Inifel sur l'Oued -Mia, llassi-Insokki
sur l*oued du même nom, Uassi-Messegued , Amguid et Inzelman-Tikhsin, nos
intrépides voyageurs avaient dépassé la sebkha d'Amadghôr et se trouvaient
à environ douze cents kilomètres d*Ouargla, lorsque, la 16 février 1881, ils
furent brusquement assaillis par les Touareg-Hoggar.
On venait, paraît-il, de terminer l'étape; il s'agissait du choix d'un cam-
pement. Le colonel voulait 8*établir près d'un puits qui lui avait été signalé;
mais les Touareg, qui étaient venus à sa rencontre, lui firent observer qu'il
y serait continuellement dérangé par les caravanes et les froupeaux, et il se
rendit à ces raisons. Il désigna alors l'endroit qui lui parut le plus favorable,
et, sans descendre de cheval, partit avec les guides et MM. Masson, Guiard,
Béringer, Uoche et Dennery pour aller reconnaître le puits. Il était une heure
de l'après-midi. Quelques instants après, on apportait au lieutenant de llianous
l'ordre d'envoyer foire boire les chameaux. Ce dernier divisa ces animaux en
plusieurs groupes , et donna à chaque groupe une escorte de Tirailleurs. Le
convoi se mit en route; le terrain était accidenté, raviné, pierreux; on avan-
çait lentement ; tout à coup , après une heure de marche environ , on entendit
plusieurs détonations. Comme il arrivait souvent au colonel ou aux autres
membres de la mission de chasser pendant l'étape, les Tirailleurs de Tescorte
n'y firent pas attention. Mais bientôt un nuage de poussière s'éleva dans la
vallée, et une troupe de Touareg apparut accourant sur des mehara. En tête
galopaient deux cavaliers montés sur les juments du colonel. Les Tiraillours
se préparèrent aussitôt à repousser cette attaque; mais, par suite d'une fatale
imprudence, quelques-uns d'entre eux seulement avaient emporté leur fusil,
et ceux-là n'avaient que quelques cartouches. Ces munitions furent vite épui-
sées. Dès qu'ils n'eurent plus à redouter la fusillade, les Touareg poussèrent
de grands cris, et, se couvrant de leurs petits boucliers blancs, chargèrent à
fond avec leurs lances longues de deux mètres. Ne pouvant résister, les Tirail-
leurs se replièrent d'abord derrière un mamelon , puis ils cherchèrent à s'é-
chapper; plusieurs furent tués. Tous les chameaux s'étaient dispersés, pre-
nant d'eux-mêmes leur course vers le point où leur merveilleux instinct leur
signalait de l'eau.
Cependant l'alarme avait été donnée au camp , et le lieutenant de Dianous
était parti avec une vingtaine de Tirailleurs. Ce détachement arriva, en se
dissimulant, jusqu'en vue du puits, mais ne put découvrir nulle trace du co-
lonel ni de ceux qui l'avaient accompagné; il aperçut seulement une centaine
de Touareg qui se partageaient le butin, il rentra alors au camp, et le lieu-
tenant de Dianous fit disposer les caisses et les bagages en prévision d'une at-
taque; mais Tennemi ne se montra pas. A une heure du matin , on prit tout ce
qu'on pouvait emporter Àdos d'homme en fait d'argent, de vivres et de muni-
tions ; puis , à la faveur de l'obscurité , la retraite commença , dirigée par le lieu-
tenant de Dianous et le maréchal-des-logis Pobéguin. Sur quatre-vingt-douze
hommes qui composaient la caravane, il n'en restait plus que soixante-trois.
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[1881] EN ALGÉRIE 467
Gc quo devinrent ces malheureux, on ne le dovino quo trop; harcelés par les
Touareg, minés par la faim , la fatigue et surtout par la soif, victimes quel-
ques-uns d'un empoisonnement provoqué par des dattes achetées à leurs enne-
mis, ils perdirent successivement leurs deux chefs, virent chaque jour dimi-
nuer leur nombre, et, vers la fin de mars, no se retrouvèrent plus que quinze
en arrivant ù Ounrgia. La dernière période do ce retour avait été particulière-
ment horrible : les survivants en avaient été réduits ft se manger entre eux.
Des vingt-quatre Tirailleurs fournis par le régiment, deux étaient rentrés
prématurément comme malades et n'avaient pas accompagné la mission , six
avaient selon toute probabilité succombé le jour du massacre do celle-ci, un
avait été tué pendant la retraite, six étaient morts de faim, cinq s'étaient
sauvés, rendus fous par le poison qu'ils avaient absorbé et n'avaient pas re-
paru; enfin quatre, faits prisonniers par les Touaregs, devaient rentrer au
corps après s'être évadés et avoir péniblement gogné Laghouat. Ces derniers
étaient les nommés Khalifa-ben-Dorradji, Ahmed -ben-Messaoud, Messaoud-
ben-Saïd et Ali-ben-EI-Messal. Les trois premiers reçurent la médaille mi-
litaire.
Nous ne saurions mieux terminer le récit de cette catastrophe qu'en repro-
duisant l'ordre par lequel le colonel Gerder portait celle-ci à la connaissance
du 3*^ Tirnillnurs.
« J'ai la douleur d'annoncer au régiment, disait- il, la fin malheureuse et
tragique de ceux do nos camarades qui avaient bien voulu suivre la mission
Flat(ers.
« Victimes d*une odieuse perfidie, ils sont morts, comme toujours, en braves,
défendant ceux quils accompagnaient. Tous, comme à Tuggurt, sont restés
fidèles et loyaux soldats de la France; pas un n*a voulu pactiser avec Tennemi.
« Leurs noms resteront gravés dans nos cœurs, et nous garderons le ferme
espoir de les venger un jour. »
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EXPÉDITION DE TUNISIE. — CONGO
(1881-1886)
CHAPITRE Vil
(1881-1882) Causes de l'ezpôdilion de Tunisie. — Première péiiode des opérations,
d'avrii à juillol 1881. — lAi 1"^ iKitaillon du rôgiiucnl y (irciid i^irl dans l.i \'^ lirigadc
do la division l)elel)OCi|ue. — Ucnlréo do ce l)atailloii à Sétif. — ïjù coIuiiuI Ja(*ob suc-
cède au colonel Gerdcr, nouiujé gt^néral. — 0(*xn|iaUon du sud du la TunUio. — CUi-
ioune de Négrine. — Colonne de Tebcssa; sa mardie sur Kérouan, puis sur Carsa. —
Opérations autour de cotte dernière ville. — Colonne Jacob; sa rentrée en Algérie par
Tebessa. — Colonne volante de Sétif. — Les 1^« et 4« compagnies du Z^ bataillon sont
dirigées sur le Kef pour prendre part aux opérations des colonnes de la Roque et
d*Aubigny. — Rentrée de ces compagnies à Sétir. — Le 3« bataillon est envoyé à El-
Oued. — Opérations dont les environs de ce poste ont été précédemment le théâtre. —
Colonne le Noble. — Incursions en Tunisie. — La colonne vient s'installer à Kbea-
cbela. — Mort du colonel Jacob. — Le colonel Dottard est nommé au commandement
du régiment. — Emplacements des bataillons après rex|>édiliun do Tunisie. — Chan-
gements elTectués au mois d*octobre 1882. — (188;s-1880) Mission de Urazza au
Congo.
Dans le cours de cet historique, on a pu bien des fois constater l'hostilité
des tribus tunisiennes de la fruntièro. Indociles ou insoumises, ces tribus
avaient toujours été une inquiétude pour nos douars, <|u'ellus attaquaient
souvent à Timproviste pour les piller ou les rançonner. Lorsque nos troupes
arrivaient, leurs contingents étaient déjà loin, et il en résultait alors, avec le
gouvernement du bey, des pourparlers dont la longueur entraînait presque
toujours rimpunité des coupables, et qui n'assuraient que de faibles indem-
nités aux victimes de ces attentats. On a vu également que les malfaiteurs,
les insurgés, les individus condamnés par nos tribunaux, trouvaient infailli-
blement un refuge parmi ces populations indépendantes, <|ui, non contenlci
d'abriter ces fauteurs de désordre, leur fournissaient quelquefois les moyens
de recommencer leurs exploits.
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[1881] LE 3® RÉGIMRNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS EN TUNISIE 469
Au commencement de 1881 , cette situation déjà assez tendue s*aggrava
encore, et le gouvernement français dut provoquer ]a réunion d'une confé-
rence pour régler les nombreux différends survenus. Celte conférence eut lieu
à Elma>cl-Amar; M. le commandant Yivensang, du i^ Tirailleurs, détaché
aux affaires indigènes, y présenta nos réclamations; mais il trouva un mau-
vais vouloir si évident chez le délégué du l)ey, que, sur Tordre du général
Forgcmol, ces négociations furent immédiatement rompues.
Les choses en étaient là , lorsqu'on apprit tout à coup la violation de notre
territoire par les Ouled-Cedra ( Khroumirs) , tribu occupant le pflté montagneux
situé entre la Medjerdah et la mer. Une compagnie et demie du 59* de ligne
et un bataillon du 3^ zouaves furent aussitôt envoyés à la Galle, à Roumel-
Soug et au Tarf; mais la présence de ces troupes n*arréta pas les Tunisiens,
et deux combats assez sérieux curent lieu, les 30 et 31 mars, en avant d*EI-
Aïoun.
C«^tlc audacieuse agression ne pouvait rester impunie. Le général Forgemol
dirigea en toute hftte sur la frontière la plus grande partie des forces dispo-
nibles de la province et prit les ordres du gouvernement; ce dernier décida
qu'en raison de l'impossibilité où se trouvait le bey de faire respecter son au-
torité, on occuperait comme garantie quelques points favorables du nord de
la Tunisie. En conséquence, des renforts furent aussitôt envoyés au comman-
dant de la division de Constantine, pour lui permettre d'organiser un corps
expéditionnaire de vingt-cinq mille hommes , et d'obtenir par la force les sa-
tisfactions qui nous avaient été refusées dans la conférence d'Elma-el-Amar.
Le 3 avril , le colonel Gerder recevait l'ordre de se tenir prêt à partir avec
un bataillon de son régiment. Le l"** bataillon, alors en garnison à Constan-
tine, Tut h cet effet complété à cinq cents hommes, et le lendemain il s'embar-
quait on clieniin do fer pour ôtre transporté & Mondovi, d'où, après avoir rallié
une section d'artillerie, il devait ensuite se rendre par étapes au point de con-
centration qui lui serait ultérieurement iixé. Le détachement était ainsi com-
posé :
ÉTAT-MAJOR
MM. Gerder, colonel.
Abadie , lieutenant faisant fonctions d'officier payeur.
Tatin , sous-lieutenant porte-drapeau.
Weber, médecin-major de l""» classe.
Ic' BATAILLON
M. Maux, capitaine adjudant-major, commandant le bataillon.
1'® compagnie.
MM. Conticr, capitaine.
Hathelot, lieutenant français.
Tandonnet, sous-lieut. français.
Delkassem - bcn - Ahmed , sous -
lieutenant indigène.
2® compagtiie.
MM. Vatin, capitaine.
Mohamed-ben-Taieb, lient, ind.
Moufflet, sous-lieut. français.
Mohamed-ben-Said, s.-lieut. ind.
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A70 LE 3* RÉOIMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [I88I]
4* compagnie.
MU. Claveric, capitaine.
Beikassem - Zid - ben - Mohamed-
Zid , lieutenant indigène.
Prévost, sous-lieut. français.
Mansour-ben-Brahim , sous-licu-
tenant indigène.
3* compagnie.
MM. Saron, capitaine.
Lagdar-ben-el-Achi , lieut. ind.
Toulan , sous-lieut. français.
Mohamed-ben-Ahmed, sous-lieu-
tenant indigène.
Désigné pour faire partie de la brigade Ritter, le bataillon quitta Mondovi
le 5 avril et se dirigea sur EUAîoun, où il arriva le 7. Le se trouvaient déjà
deux bataillons du 3* zouaves. On y resta jusqu'au 20 avril. A celte date, la
brigade se porta à Oum-Theboul , où s'acheva son organisation ; elle comprit
alors deux régiments de marcho à trois bataillons, dix pièces d*artillerie et
uno compagnie du génie. Le l^*'' régiment de marche se composait de zouaves
et le 2^ de Tirailleurs (deux bataillons du i^^ régiment et un du 3<>). Ce dernier
était commandé par le colonel Gerder.
Le corps expéditionnaire, sous les ordres du général Forgemol, avait été
divisé en deux colonnes destinées à opérer séparément. La première de ces
colonnes (général Delebecque), forte de trois brigades, devait d'abord envahir
le territoire des Ouled-Cedra, infliger un sévère châtiment à cette tribu, puis
s'avancer vers l'est en battant tout le pays jusqu'à la mer; la deuxième (gé-
néral Logerot), concentrée à Souk-Arras, avait pour mission de marcher vers
le nord-est, de façon à faire sa jonction avec la première dans la dernière pé-
riode des opérations. La brigade Ritter faisait partie de la colonne Delebecque.
Retardé par le mauvais temps, le mouvement général ne commença que le
26 avril. Le 23, la brigade Ritter s'était portée à Domcnt-Rcbah, aiin do se
rapprocher de son objectif, qui était le col de Baba-Rrick. Au jour prescrit,
cette brigade s'avança par la crête du Djebel -Adeda, enleva la position de
Baba-Brik sans coup férir et y établit son bivouac. liO lendemain, par une
pluie battante, elle revenait au camp de Dement-Rebah. Evacué sur la Galle,
à la suite d'une insolation , le général Ritter était depuis la veille provisoire-
ment remplacé par le colonel Gerder, qui l'était lui-môme, dans le comman-
dement du 2* régiment de marche, par le lieutenant- colonel Roussel, du
1«^ Tirailleurs.
En raison de la présence, près de Roumel-Soug, d'une colonne tunisienne
forte d'environ deux mille hommes, les jours suivants on resta à Dément-
Rebah. On ne quitta ce point que le 3 mai, pour aller le même jour camper
à Djebabra. Le 4, la brigade entière se porta à Sidi-Youssef, et, le 5, à EU
Hanah, où elle fut rejointe par le général Cailliot ', envoyé de France pour
en prendre le commandement.
Le mauvais temps, qui n'avait pas cessé depuis le commencement des opé-
rations, continuait d'être une source de retards et de diiricultés : des pluies
torrentielles, un brouillard intense qui empêchait souvent de se diriger au
* A été capitahie au régiment.
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(1884] EN TUNISIE 471
sein (lo co pay» inconnu, toiles étaient les conditions dans losqnollcs on allait
80 trouver pendant plusieurs jours.
Le 8 mai, le bataillon du régiment prit part à une reconnaissance dirigée
par le général Dclebecque sur le marabout de Sidi-Abdallah^bou-Djemel.
Lo 10, rinfanterie de la brigade Cailliot fut répartie en trois régiments do
marche au lieu de deux. Le bataillon du 3^^ Tirailleurs forma, avec jan autre
du 2« zouaves , le 2« régiment , à la tête duquel resta le colonel Gerder. Le 11 ,
on alla prendre position sur Tétroit plateau de Dar-el-Abibi, d'où, lo 13, le
général Cailliot partit avec les l**'et 2« régiments de marche pour aller recon-
naître lo défilé d*EI-Mcri()j , réputé comme des plus difficiles. Le lendemain ,
la brigade se porta à Ben-Melir en passant par ce défilé. Cette marche fut
particulièrement pénible : les Khroumirs avaient cherché à Tentraver en jetant
d*énormcs troncs d*arbres dans les passages les plus étroits. II était sept heures
du soir lorsque les tentes purent être dressées.
La colonne Delcbecquo était désormais en communication avec la colonne
Logerot, et c'était la brigade Cailliot qui assurait cette jonction. Le 16, cette
brigade occupa Aln-Metir, où elle resta daux jours; puis ello s'avança jusqu'à
El-Guemaîr, sur la rive gauche de TOucfl-Zen. Lo 19 au soir, les Khroumirs
nllnqnrrcnt une grand'gnrde du l*'*' Tirailleurs; il s'en suivit un asses vif en-
gagement, mais le bataillon du régiment n'y prit point part. Le 20, dans
Taprès-roidi , les 3* et 4« compagnies ayant été désignées pour escorter le gé-
néral Vincendon , elles eurent une légère escarmouche avec des maraudeurs
qui avaient pillé des marchands; elles leur tuèrent ou blessèrent trois hommes,
et leur reprirent cinq des mulets dont ils s'étaient emparés.
Ln 24, on campait près des sources de TOued-Zen; le 25, à Sidi-Kou1der|
et, le 26, dans le col de Berzègue. Lo 27, les 3* et 4* compagnies prirent la
grnnd'gardo; les l^** et 2*, sous les ordres du capitaine commandant lo ba-
taillon, allèrent chercher un convoi de vivres h Tabarka. Pendant ce temps,
les autres bataillons de la brigade avaient un engagement sans importance à
Sidi-Moussa.
Ces dernières opérations ayant déterminé la complète soumission dos Khrou-
mirs, à partir de ce moment le général Delebecque cessa d*opérer de concert
avec le g(*néral Logerot; il se contenta alors d'assurer cette soumission au
moyen do poliloj colonnM mobiles qui parcoururent le pays datis tous les
sens. Deux brigades seulement furent employées à cette mission, celles des
généraux Ualland* et Vincendon. La brigade Cailliot avait été désignée pour
faire une reconnaissance vers Test, sur le territoire des Mogods, et explorer la
région encore inconnue comprise entre le cours inférieur de TOued-Zcn et le
méridien du cap Négro. A cet eflct elle alla, le 4 juin , camper à Dar-cl-Ma-
halla; le 6, ello fit une pointe sur Budmah, où elle passa la nuit, puis elle
rentra à Dar-el-Mahalla. Le 9, elle revenait à Bert^ue, et, le 11 , allait s'é-
tablir à El-Aghaf , à cinq kilomètres de Tabarka.
Le calme le plus parfait régnait maintenant dans tout le nord de la Régence.
Pendant que le général Forgemol s'avançait par la vallée de la Medjerda et les
< A été lieutenaot et capitaine aa régiment
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472 LE 3"* HÉOIIIENT nE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (1881 ]
montagnes dos Kiiroumirs, le général Uréart avait débarqué à Uizerlo avec un
corps de sept mille hommes, 8*était présenté le 12 mai au Uardo, et avait sou-
mis à la signature du bey le traité proposé par le gouvernement français.
D'après ce traité, la Tunisie étail placée sous le protectorat do la France, qui
s'engageait à la garantir contre toute altaque du dehors et à rétablir l'ordre
au dedaps.
Cette convention ayant bientôt rendu inutile une partie des forces réunies
sous lo commandement du général Forgemol, la dislocation du corps expédi-
tionnaire fut décidée. Elle commença le 10 juin pour la colonne Logerot, le 15
pour la colonne Delebecc|ue. Ce môme jour, la brigade Cailliot vint camper
à Ain-Draham, où, le 16, le bataillon du îfi zouaves la quitta pour rentrer
à Oran. Les autres troupes qui la composaient travaillèrent encore pendant
quelques jours à la roule de Fernana; puis le général leur fit ses adieux, et
celles de la province de Constantine se mirent en route pour rentrer dans
leurs garnisons. Le 29 juin , le bataillon du 3* Tirailleurs arrivait à Souk-
Arras, et huit jours après y prenait le chemin de fer pour se rendre à Scttf,
où avait été transféré l'état-major du régiment. Il arriva dans cette ville le
9 juillet, à sept heures du matin.
Le 28 juin, le colonel Gerder avait été promu général de brigade. Il fut
remplacé par le colonel Jacob, nommé par décret du 10 juillet, et quitta le
corps Huivi par les ref(rots et ralVection <lo tous ceux (|ui rayaient cumnu.
Pour donner satisfaction à l'opinion publi(|uo, et notamment à une partie
de la presse, qui avait fait une campagne des plus violentes contre l'expé-
dition qui venait d'avoir lieu, le corps d'occupation de la Tunisie avait été
(en dehors des troupes d'Algérie renvoyées dans leurs provinces) diminué
d'une dizaine de mille hommes rappelés en France. La conséquence de cette
mesure prématurée fut presque aussitôt une révolte qui éclata à Sfax , et qui
se propagea rapidement dans l'est et le sud de la Régence. Il fallut, en pré-
sence de cette situation imprévue, mobiliser plus de troupes qu'on n'en avait
précédemment retiré, et constituer de nouvelles et puissantes colonnes. Deux
de ces dernières furent organisées dans la province de Constantine : l'une à
Tebessa, par le général Forgemol, commandant en chef; l'autre à Négrine,
par le colonel Jacob. La première devait marcher sur Kérouan, en même
temps que deux autres aux ordres des généraux Etienne et Logerot, puis se
diriger sur Gafsa, pour s'y rencontrer avec la deuxième, venue par la route
du sud. C'est de cette dernière que nous allons d'abord nous occuper.
Dès les premiers symptômes d'insurrection en Tunisie, des troupes avaient
été envoyées sur toute la partie méridionale de la frontière pour empocher l'a-
gitation de gagner les tribus nomades de l'Algérie. Un camp fut installé près
de Négrine, oasis située sur l'un des passages les plus fréquentés, et le 2° ba-
taillon du régiment y fut immédiatement rassemblé, sous les ordres du capi-
taine Jolly, adjudant-major. Les 2<> et 3<^ compagnies (lieutenant Chiarasini
et capitaine Godon) s'y rendirent d'abord, le 12 juillet, avec deux pelotons
de spahis; puis la 4* (capitaine Tourret) les rejoignit le 22 avec un convoi;
enfin la 1*^ (capitaine Gauthier) rallia à son tour le 18 septembre. Lo 9 oc-
tobre, ce détachement se grossissait d'un bataillon mixte du 9« et du 11** de
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[1881] EN TUNISIE 473
ligne, d*unc section d*artil1crie et d*un escadron du 4^ hussards, amenés par
le colonel Jacob, qui s'occupa immédiatement de Torganisation déRnitive de
la colonne. En raison de la nature du pays qu'elle allait avoir à traverser,
celle-ci fut pourvue d*un nombre de chameaux suffisant pour qu'il y eût un
do ces animaux pour doux hommes; Tinfantcrie se trouva ainsi divisée en
deux fractions : Tune montée et l'autre & pied, sans sac. En attendant le jour
du départ, les compagnies exécutèrent plusieurs exercices pour se familiariser
avec ce nouveau genre de locomotion , auquel les Tirailleurs furent prompte-
ment habitués. Le 24 octobre, arriva le chef du 2^^ bataillon, le commandant
Nation.
La colonne se mit en route le 19 novembre, et campa le même jour à Cou-
diat-el-Maiza. Le lendemain, le bivouac était dressé à Tentrée du Zarf-Ouaar;
le 20, & Midés; le 21, à Djouana-cl-Rechid; et, le 22, à Ras-el-A!oun, où
l'on fit séjour jusqu'au 29, pour attendre un convoi destiné à la colonne For-
gemol. Le 23, le commandant Matton alla au-devant de ce convoi avec deux
compagnies de ce bataillon et la cavalerie; il rejoignit le colonel le 30, à Gafsa.
La portion principale de la colonne, qui avait atteint la veille le grand plateau
de Setah , était elle-môme arrivée dans cette ville quelques heures auparavant.
Gnfsa était occupé, depuis le 20, par le général Forgemol.
C'était le 16 octobre que le général en chef avait quitté Tebessa à la tôte
d'une division expéditionnaire. Parmi les troupes qui composaient cette der-
nière, se trouvait le 4^ bataillon du régiment (commandant de Lauzun), qui,
avec un autre du l^*" Tirailleurs, formait un régiment de marche dont le lieu-
tenant-colonèl Édon, du 3* Tirailleurs, avait le commandement. Ce régiment
faisait partie de la 2^ brigade (général de Gislain). Le 17, cette brigade campait
h Rns-el-Aîoun; le 1R, ^ Aulra, où il fallut attendre des approvisionnemonU;
le 20, h llnnout-cl-lliidjom; le 21, sur rOned-Ghoncm, où la 1*^ compagnie
du 4» bataillon (capitaine Mathieu) eut à repousser, étant de grand*garde, une
légère attaque des insurgés; le 22, à Enchir-Rouhia ; le 23, à Enchir-Sbiba.
Pendant cette dernière marche, l'ennemi s'était montré en force sur plu-
sieurs points; il avait été rapidement délogé par notre artillerie, et les Tirail-
leurs, qui s'étaient précipités avec leur vigueur accoutumée, n'avaient eu à
occuper que des positions évacuées. Le 25, en se portant d'Enchir-Sbiba sur
l'Oued-el-Ilatteb, la cavalerie, qui formait l'avant-garde, rencontra encore
les rebelles et eut avec eux un assez vif engagement qui lui coûta quelques
blessés. La colonne prit immédiatement ses dispositions de combat; mais,
après une heure d'une canonnade et d'une fusillade sans grands résultats,
l'ennemi se déroba à notre attaque, et l'étape s*acheva sans amener d'autre
incident. Le 26, on arriva au confluent de l'Oued-el-Foul et de l'Oued-el-
llattch. Le lendemain , nu moment de là levée du camp, les insurgés, qui
avaient tiraillé sur nos avant-postes pendant une partie do la nuit, essayèrent
d'inr|ni(Hor notre flanc droit; quelques feux de salve et quelques obus eurent
rapidement raison de cette tentative, et c'est ù peine si la marche en fut in-
terrompue. Deux jours après , le 29 octobre , la division Forgemol faisait son
entrée solennelle dans la ville sainte de Kérouan. Elle y avait été devancée
par les colonnes Etienne et Logerot, qui y étaient arrivées , la première le 26,
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474 LE 3» nÉOIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [iSSi]
la dcuxièmo lo 28. Les habitants, dont on redoutait lo Tanatismc, n'avaient
môme pas essayé de se défendre.
La colonne de Tebessa séjourna à Kérouan jusqu'au 9 novembre, puis elle
se dirigea sur Gafsa. Le 10, elle campait à Bir-Zlas; le 11 , sur l'Oued-Mar-
guellil; le 12, à EI-Hadjeb-el-Aïoun ; le 13, sur l'Oued-Gilma; le 15, à Bir-
el-Adam ; le 16 , sur l'Oued-Ferka ; le 17, près des r'dirs * dépendant du bassin
de rOued-Hallouf; le 18, à côté d'un autre r'dir du nom de Madjen-Souenia ;
le 19, à Merilba; le 20, devant Gafsa. Pas plus que Kérouan, cette ville ne
songea à résister; sa petite casbah fut occupée sans coup férir, et toute Toasis
s'empressa de faire sa soumission. Un seul village des environs, celui d'Aîcha,
situé à cinquante-quatre kilomètres au sud -est et habile par une population
kabyle, manifesta quelques dispositions hostiles lorsque, le 28 novembre, le
général de Gislain s'y présenta ù la tôte d'une colonne dont fit partie le régi*
nient du lieutenant-colonel Édon; vigoureusement almnlé par nus Iroupes, il
fut ropidement enlevé, et ses habitants prirent la fuite en emmenant le peu do
bestiaux qu'ils purent nous dérober.
Dès l'arrivée du colonel Jacob, le général Forgemol se disposa à lui laisser
le soin d'achever la pacification du pays. Le 3 décembre, la colonne de Né-
grine fut dissoute. Le bataillon mixte des 9* et 11* de ligne et l'escadron du
3* spahis reçurent l'ordre de rentrer en Algérie. Une autre colonne dite de
Gafsa fut alors formée, sous le commandement do cet officier supérieur, pour
occuper la ville, la casbah, et surveiller la région des oasis. Le régiment de
marche sous les ordres du lieutenant-colonel Édon ayant été licencié, celte
colonne comprit ainsi un bataillon du 37® de ligne, un autre du 3" zouaves,
deux escadrons de cavalerie, une section d'artillerie de montagne et les 2^^ et
A^ bataillons du 3* Tirailleurs, provenant, l'un de la colonne de Négrine,
l'autre de celle de Tebessa.
Ces troupes restèrent è Gafsa jusqu'au milieu de février, époque ù laquelle
ollos furent relovées por la colonne du général IMiilcbert. Pendant ce long
séjour, elles travaillèrent aclivenient h lu défense do cette ville. Trois roiloules
furent construites; une de ces dernières, élevée entièrement par les Tirailleurs
sous la direction du lieutenant d'Ornant, reçut le nom de fort Saussier; une
autre, moins importante et défendant le front nord du camp, était l'œuvre du
sous-lieutenant Bourillet.
Du 15 au 21 janvier 1882, le lieutenant-colonel Édon, è la tôte du 2® ba-
taillon du régiment, de deux compagnies du 3* zouaves et de l'escadron du
4" hussards, fit une pointe à soixante -quinze kilomètres au sud -est, dans le
but de montrer nos forces dans celte contrée , et d'aller au-devant de quelques
fractions des llammama qui étaient en instance de soumission. Cette petite
colonne reconnut le fameux défilé d'Oum-Ali, barré à son entrée par une
longue et épaisse muraille romaine parfaitement conservée, atteignit la région
des chotts, recueillit de nombreux douars qui avaient précédemment émigré
et que la misère ramenait vers lo territoire de leur tribu, et rentra au camp
de Gafsa sans avoir eu à tirer un seul coup de fusil.
* Flaques d*eau souvent à sec.
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[1881] EN TUNISIE 475
Lo retour on Algério do la colonno Jacob devait s'eflectuor par la routo do
Tobcssa, oxcoplé pour Io4^ bataillon du régiment, qui, désigné pour aller
occuper les postes de Négrine et de Khenchela, devait s*y rendre par la route
de Négrine.
Lo départ eut lieu le 16 février. Le môme jour, on s^arréla à Bir-Mekidess ,
où se trouve un puits romain de trente mètres de prorondeur; le 17, & Bir-
Sidi-Aîch ; lo 18, & El-Ogneuf; lo 19, à Feriana; le 20, & Bir-Oum-Ali, point
important par ses ruines romaines; le 21 , à Elma-el-Abiod ; enfin, le 22, on
arriva à Tebessa , où la colonne fut dissoute. Le 2* bataillon du 3® Tirailleurs
continua olors sa marche sur Constantine et rentra dans cette ville lo 4 mars.
L'étal- major et la portion principale du régiment y furent en même temps
réinstallés. Quant au 4« bataillon, que nous avons laissé en route pour
Négrino, il avait atteint ce poste le 22 février, après être passé par le col
de Setah, Ras-el-A!oun, OgIat-ed-Douar, Mîdès et Condiat-el-Maîsa. Le
21 mai , Tétat-major du bataillon et les 2^ et 4» compagnies (capitaine Godinet
et lieutenant d*Omant) se mirent en route pour Khenchela, où ils arrivèrent
le 30.
Pendant que les 2^ et 4*" bataillons du corps concouraient ainsi & Toccupa-
tion et A la par.ificalion do la parlio méridionalo do la Tunisie, un détachement
du 'M bataillon, comprenant In 4<^ compagnie (capitaine Ijochort) et lel^*" pe-
loton de la i^^ compagnie (lieutenant Boulay) entrait dans la composition
d'une colonne volante formée à Sétif le 11 septembre 1881, pour parcourir lo
territoire civil de cette subdivision et y raflermir l'autorité de nos adminis-
trateurs. Ce détachement, réuni à deux compagnies du 47* de ligne, constitua
un bataillon mixte aux ordres du commandant Lapadu-llargues , de ce dernier
régiment. Après avoir visité Atn-Adelbeg, Aïn-Togrout, Sidi-Embarck , Bordj-
bou-Arréridj , Aïn Karaba, Ain-Chouarirk, Seddouk, Djenan-el-Beylick, Aïn-
Ourlât, Dra-oUArba, Bordj-bou-Sliman , Aîn-Margoum, Ain-Kouah et Aîn-
Abessa, la colonno rentra à Sétif le 28 septembre, sans avoir eu à réprimer
le moindre acte d'hostilité.
A peine revenues de cette excursion, les 1*^ et 4« compagnies, sous les
ordres du capitaine Vigel , adjudant- major, quittaient de nouveau Sétif le
8 octobre, pour se rendre en chemin de fer au Kef, où elles devaient faire
pnrtio d'une colonne commandée par le colonel do la lloque. Elles arrivèrent
dans crtlo ville le 13.
Dès le lendemain l^i , le colonel de la lloque allait camper au Pont-llomain,
à dix-sept kilomètres au nord-est du Kef. Le but de cette sortie était de châtier
les habitants du village de Nebeur, qui avaient accueilli sur leur territoire le
chef de l'insurrection , Ali-ben-Amar, ancien cald des Ouled-Yayar, et s'étaient
joints à lui pour attaquer, le 28 septembre, un détachement du 80* de ligne
et du 29<' bataillon de chasseurs. Mais, le 15, au moment où la colonne se
disposait h enlever le village de vive force, les notables vinrent demander
l'omon; le colonel se contenta alors de leur infliger une forte amende et de se
faire remettre des otages; puis il reprit le chemin du Kef, où il rentra le len-
demain. Ce retour donna lieu à un léger combat d*arrière-garde dans lequel
les Tirailleurs ne furent pas engagés.
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476 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (1881 ]
Les insurgés s'étaient monienlanémonl dispersés; mais, enhardis par celte
retraite, ils revinrent presque aussitôt au nombre d'environ dix-liuit cents
cavaliers et deux mille fantassins, sous les ordres d'Ali-ben-Amar, occuper le
défilé de KanguetelKedim , à sept ou huit kilomètres du Pont-Romain. Le 19,
la colonne dut se remetlre en campagne; le lendemain , elle se trouvait devant
l'ennemi. Chargées de l'attaque principale, les deux compagnies du régiment
graviront avec un entrain admirable les parties abruptes de la position, s'em-
parèrent on un instant des hauteurs formant le flanc septentrional du déiilc,
et parvinrent do l'autre ciUé de celui-ci sans avoir pu joindre l'ennemi, qui
s'était précipitamment retiré. La marche continua ensuite jusqu'à i'Oued-
Tassa.
Le 21 , à six heures du matin , la colonne leva son camp et alla s'établir
près d'un caravansérail portant le nom de Fondouk-el-Messaoudi , construction
sans importance assise au pied d'une haute montagne, le Djebel -Kézouan,
que le capitaine Vigel reçut l'ordre d'occuper avec son détachement. Cette opé-
ration donna Heu à un assez long échange de coups de fusil avec les rebelles;
mais la portée supérieure do nos armes permit d'avoir facilement raison de
cette tentative de résistance.
Le 24, une partie des troupes alla au-devant d'une autre colonne venant de
Testoun sous le commandement du général d'Aubigny. Quelques jours après,
ce fut au tour du général d'Aubigny do venir visiter le camp de Fondouk-
ul-Messuoudi. liO 2 novembre, ce camp fut levé, et la colonne de la lto(|uo
revint sur l'Oued-Tassa, dont elle reconnut la vallée; le 4, elle coucha encore
au Fondouk; puis, le 5, elle quitta définitivement ce point pour se porter à
Enchir-Mouskra, d'où, les jours suivants, elle oflectua plusieurs reconnais-
sances dans la direction du Djebel-Maïza. Le 15, elle alla s'établir à Enchir-
Férik, à 16 kilomètres seulement du camp de la colonne d'Aubigny. Par
suite de cette proximité il fut convenu, entre le général et le colonel, que
la l*"* compagnie de Tirailleurs (capitaine Chirouzc) serait momentanément
détachée à cette dernière pour le service d'éclaireurs.
L'objectif commun était le village de Magraoua, sur lequel se dirigeait une
troisième colonne partie de Kérouan sous les ordres du général Philcbcrt.
Cette opération combinée commença le 20 novembre. Ce jour-là, le colonel
de la Roque alla camper à Ellez, ancienne ville romaine, et le général d'Au-
bigny atteignit Magraoua, qui se rendit sans résistance, mais dont les douars
voisins accueillirent nos troupes à coups de fusil. Le lendemain, les deux co-
lonnes razzèrent ces douars et liront sur eux un butin considérable; on s'em-
para d'une énorme quantité d'orge et d'au moins dix mille tètes de bétail. Ce
résultat, dû en grande partie aux Tirailleurs, et particulièrement à la com-
pagnie du capitaine Chirouze, valut au détachement de vives félicitations de
la part du général d'Aubigny.
Le 22, la colonne de la Roque effectua une reconnaissance dans un massif
montagneux dit llamada des Ouled-Yayar; puis elle revint au camp d'Kllez,
oîi, le 28, arriva également la 1^^ compagnie, qui cessait de faire partie de la
colonne d'Aubigny. Le 29, on remonta la vallée qui s'étend au nord du Djebel-
Zouarin, et l'on s'arrêta à Aîn-Zamfour, sur la rive gauche de l'oued de ce
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[1881] EN TUNISIE AU
nom. Le lendemain, on bivouaqua sur l'Oued-Nameur, et, le l^^' décembre, on
atteignit El-Ksour, où les deux compagnies du régiment furent rejointes par
le chef du 3® bataillon , le commandant Payerne. Après quelques journées
employées à dos reconnaissances dans les environs de ce dernier point, le
colonel ramena ses troupes au Kef. De retour dans cette ville le li décembre,
le dctacbcmcnt du d^ Tirailleurs en repartait le 13 pour revenir en Algérie;
le IG, il était & Souk-Arras; le 21 , & Guelma, et, le 24, il rentrait à Sélif
par le chemin de fer. Ce n'était pas pour y jouir d*un repos de longue durée;
car, le 22 février 1882, le 3^ bataillon tout entier se mettait en route pour
El-Oucd.
Ce poste, comme celui de Négrine, avait été créé pour surveiller la fron-
tière et plus particulièrement les Hammama, tribu nomade du Nefzaoua, qui
depuis quelque temps faisait do fréquentes incursions sur notre territoire;
d'abord occupé par le 3^^ bataillon d*infanlcrio légère d'Afrique, il Tavait
bientôt été par le l^^ bataillon du régiment, qui, à peine rentré de Texpédi-
tion de Tunisie, était reparti subitement pour le sud. On incendie, qui avait
dévoré les armes et les effets du bataillon d'Afrique , telle était la cause de ce
brusque changement. Le i*^*" bataillon était parti de Sétif le 29 juillet 1881 ,
avait été transporté jusqu'à El-Guerrah en chemin de fer, et avait ensuite, par
une chaleur accablante, fait le restant du trajet & pied ; il avait atteint la capi-
tale du Souf le 29 août, après être passé par Batna, Biskra et Tuggurt.
A El-Oued se trouvait également un escadron du 3* spahis.
Le 20 septembre, la 4® compagnie (capitaine Glaverie) fut détachée à Dé-
bile, dans le but d'appuyer au besoin la cavalerie, qui s'était (Ibrtée sur la
frontière au secours des Trouds, menacés, disait-on, par les dissidents; mais
ce n'était là qu'une fausse alerte, et cette compagnie n'eut pas à marcher.
D'aulrcs renseignements non moins erronés firent encore, le 25, partir le ca-
pitaine Maux, commandant le bataillon, pour se porter avec la 3* compagnie
(capitaine Sarron), trois sections de la 1^ (lieutenant Orlanducci) et tout ce
qui restait de spahis disponibles, à Tarfaoui , afin de couper la route aux con-
tingents des Uammama signalés comme étant venus près d'Amich; il devait
y être rejoint par la 4* compagnie et l'escadron de spahis venant de Débita. Ce
mouvement, combiné avec celui des goums du capitaine Déporter, du bureau
arabe , s'exécuta avec toute la célérité possible ; mais c'est en vain qu'on cher-
cha les Hammama : ils n'avaient pas quitté la Tunisie. Le soir, toutes les
troupes rentrèrent à El -Oued, y compris la 4« compagnie et les spahis. Le
poste de Débita resta inoccupé jusqu'au 8 octobre, jour où le lieutenant Or-
landucci y fut envoyé avec un peloton de la 1^* compagnie.
Le 11 octobre, arrivèrent quatre compagnies du 3« bataillon d'Afrique sous
les ordres du capitaine Oudri. Ces compagnies venaient pour renforcer le poste
et permettre ainsi la constitution d'une colonne mobile, dite d'EI-Oued, sous
le comniandcmcnt du lieutenant- colonel le Noble, du 3<> spahis. Le l"' no-
vembre, Tune d'elles fut envoyée à Debila, et le lieutenant Orlanducci rentra
à El-Oucd.
Lors(|u'clle fut organisée, la colonne le Noble comprit un bataillon mixte
de Tirailleurs et de chasseurs du bataillon d'Afrique (quatre cents Tirailleurs
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478 LE Z^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [I88II
et deux cent cinquante hommefl du bataillon d*Ârri(|ue), bous les ordres du
commandant Oouchu *, du 3» Tirailleurs, un escadron de spahis, le goum du
capitaine Déporter et huit cents Trouds à pied. Sa première opération fut une
marche jusqu'à Tozert, au delà de Nefta, en Tunisie. Elle quitta El -Oued le
19 norembre, campa le soir même à Débita; le lendemain, à Bir-Ise^sia;
le 21, à Libirsef; le 22, à Bir-bou-Khial, et, le 23, passa la frontière en
chassant devant ello quelques groupes de Ilammania, qui furent rapidement
dispersés par le goum. Le 24, ello arrivait à Nefla; enfui, le 27, à Tozert,
quVIle abandonnait le 2 décembre pour revenir à Dobilu en refaisant les
mômes étapes. De retour dans ce poste le 8 décembre, elle y resta jusqu'au
3 février 1882, eflTecluant des reconnaissances dans le Souf; puis elle rentra
à El-Oued , à Tezception de la 3® compagnie du bataillon de Tirailleurs, qui
fut maintenue à Debila.
Le 24 mars, arriva le 3® bataillon du régiment, que nous avons vu partir
de Sétif le 22 février. Désigné pour garder El-Oued et Debila, il prit immé-
diatement possession de ces deux postes, et la colonne mobile comprit alors
tout le l^^ bataillon, les quatre compagnies d'infanterie légère d'Afrique, une
section d'artillerie, enfin l'escadron de spahis et les goums. Ainsi constituée,
elle se mit en route le 1*^ avril pour pénétrer dans le Djerid et le Nefzaoua.
Elle refit les mômes étapes que dons sa première excursion , entra en Tunisie
par Bir-bou-Khial, passa par Nefta et Tozert, continua vers le nord-est,
campa, le 10, àSedada, et, le 13, s'arrôla à Iluminain , où elle séjourna jus-
qu'au 2U mai. A cette date, le calme paraissant complètement rétabli, elle se
dirigea sur Khenchela ; elle arriva dans ce poste le 29, après avoir bivouaqué
successivement à Bou-Rerif, Tamerza, Négrine, M'Dilah, Bou-Dokkhane,
Guentis et Aïn-el-IIadjar.
On était enfin arrivé au terme de ces expéditions difliciles dans lesquelles
le soldat trouvait plus do fatigue que de gloire : la Tunisie était partout paci-
liéCi et partout maintenant allait se faire sentir chez elle l'influence civilisa-
trice et régénératrice de la Franco. Si celle campagne avait été dure pour
certains corps, le 3<' Tirailleurs pouvait certainement revendiquer la première
place parmi ceux-là ; pendant une année il avait vécu sous la tente ( trois ba-
taillons y vivaient d'ailleurs encore), au milieu des sables, loin de tout centre
de ravitaillement, dans des régions dépourvues de toute ressource, ne possé-
dant la plupart du temps qu'une eau désagréable et malsaine à la fois; pen-
dant une année il n'avait cessé de marcher, de parcourir dans tous les sens
cette contrée brûlante et dénudée des chotts El-Djerid et R'arsa , de poursuivre
ces bandes insaisissables venues des profondeurs du désert pour surprendre
nos tribus, de donner à chaque instant les preuves d'une constance atteignant
quelquefois à la hauteur du plus admirable dévouement. Aussi avait-il besoin
de repos; car si les Tirailleurs indigènes n'avaient jamais eu trop à souflrir
de ces privations, il n'en était pas de luôme des ofiiciers et des Tirailleurs
français, qui tous avaient été sérieusement éprouvés; beaucoup avaient dû
rentrer momentanément en France pour rétablir leur santé fortement ébran-
t Le commandant Doucha n'arriva à El-Oued que le 17 novembre.
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[1883] EN TUNISIE 479
léo; d*aatro8 n'auraient pu supporter plus longtemps cette vie errante et mo-
notone épuisant également l'énergie physique et l'énergie morale.
Parmi ceux qui s'étaient le plus sérieusement ressenti des atteintes de ce
climat débilitant, se trouvait le colonel Jacob. Après les opérations qu'il avait
si intelligemment dirigées, il était parti on congé, emportant avec lui le
germe d'une maladie qui no pardonne pas; et, lo 12 juillet 1882, il succom-
bait à Paris, à la consternation de tous ceux qui avaient été & mémo d'ap-
précier ses brillantes qualités. Ce fut le colonel Boitard, depuis une année &
la tôte du 19« de ligne, qui, par décision du 3 août 1882, fut désigné pour
lui succéder.
Lorsque ce nouveau chef arriva pour prendre le commandement du r^p-
ment, ce dernier était ainsi réparti :
Etat-major et dép6t à Constantine.
l^'*' bataillon à Khenchela.
2° — à Constantine.
3« — A Ei-Oued cl à Debila.
4<^ — & Khenchela et à Négrino.
Au mois dVtobre s'cflTcctuèront plusieurs changements : le 1*'' bataillon
rentra & Constantine, et le 2o alla tout entier & Négrine; le 3® évacua El-Oued
et occupa les postes de Djidjelli, Collo, El-Milia et Milah; enfin le 4® eut sa
portion principale & Bougie et envoya des détachements & Akbou, Bordj-bou-
Arréridj et M'Sila. Telles étaient les conditions dans lequelles allait s'écouler
pour le corps le restant de Pannée 1882.
Mais le régiment pouvait-il rester longtemps sans avoir sur un point quel-
conque du globe quel(|ucs-uns de ses enrants associant son drapeau à quelque
entreprise devant servir ft la gloire du nom français? Non; car dès le com-
mencement de l'année 1883 on pensa aux Tirailleurs pour fournir une escorte
à la mission qui, soiis la direction de M. Savorgnan do Brazza, devait explo-
rer dans ses parties encore inconnues notre nouvelle colonie du Congo. Le
détachement qu'eut à fournir le S*' régiment se composa de sept hommes
noirs (un sergent et six Tirailleurs) de bonne volonté, originaires du centre
de l'Afrique, et réunissant toutes les conditions désirables an point do vue do
la conduite et de la santé. Un sous-officier français, l'adjudant Pierron, fut
en outre, sur sa demande, désigné pour commander et administrer l'escortei
qui s'éleva en tout & vingt-cinq Tirailleurs pris dans les trois provinces. Ceux
de la province de^onstantine s'embarquèrent & Philippeville le 15 mai, pour
aller attendre à Oran leur départ définitif.
Pendant plus do trois années (du commencement de 1883 & In fin de 1886)
CCS hommes allaient seconder, matériellement du moins , les elTorts opiniâtres
de l'infatigable explorateur qui les avait emmenés. Destinés à former les
cadres d'une troupe de deux cent cinquante à trois cents nègres recrutés au
Sénégal , ils furent d'un précieux secours dans la conduite des convois et dans
toutes les circonstances où l'on eut à faire appel à des gens de bonne volonté.
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480 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l885]
Maiâ celui <|ui «'atiiru plus |iui'liciili6ruiiioiil lua élogCH du clicf do lu nii&Hiou,
c'est Tadjudunl Picrron : éuergii|ue, iulclligciil, vigoureux, ce ëous-oHicicr
ne cessa de se signaler par un concours aussi actif que dévoué. Entre autres
opérations importantes auxquelles il prit une large part, nous croyons devoir
parler d'une marche de Loango à Brazzaville, en ligne droite, sans suivre le
Congo, marche dans laquelle il commanda le convoi. Partie de Loango le
5 juin 1885, la mission se dirigea sur le coude du Niari, à Niari-Loudina,
remonta ce fleuve par sa gauche à une certaine distance des rives, atteignit
Manianga , et gagna ensuite Brazzaville en coupant les afllucnts do droite du
Congo. Ce voyage se termina le 28 juillet. La chaleur, la fièvre, le mauvais
vouloir des noirs, avaient été autant de causes de retard, autant de difficultés
à surmonter, autant d*occasions pour Tadjudant Pierron de' montrer un cou-
rage et une philosophie à toute épreuve.
Les derniers militaires du régiment ayant fait partie de la mission de l'ouest
africain sont rentrés le 27 janvier 1887.
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EXPEDITION DU TONKIN
(i883-18S6)
CHAPITRE VIII
La France au Tookin. — Mort da commandant Rlrière. — Enyoi de renforts. » Le
19« corps d*armée est appelé à fournir un régiment de marche; un bataillon du S* Ti-
railleurs est désigné pour en faire partie. — Composition de ce bataillon. — Départ.
— Traversée. — Le Tonkin au moment de Tarrlvée des renforts. — Marche sur Son-
tay. — Assaut de Phu-Sa {\k décembre). — Prise de SonUiy (16 décembre). — Bé-
prcsf Ion do la piraterie. — 0|>érntion8 secondaires cxi^ciilées dans les premiers mois do
i^aniidcISRi. — Départ do l'amiral Courl>et; ses adieux au bataillon.
Lorsque les Tirailleurs du ^^ régiment qui avaient pris part à la conquôto
de la Cochinchine étaient rentrés en Algérie, les uns en 1864, les autres
après avoir servi encore pendant quatre ans dans un corps provisoire de
spahis, aucun ne devait certainement se douter qu*à dix-neuf années de 1&,
beaucoup d*entre eux^ reverraient sur un autre point cette terre lointaine de
TAnnam, où tant de leurs camarades étaient restés pour toujours. Qui s*en
serait d*ailleurs douté pour eux? Qui savait alors au juste ce que c*était que
le Tonkin? Combien de personnes le savaient-elles exactement, il y a seulement
quelques années? Et même aujourd'hui, combien d'autres n'ignorent- elles
pas encore depuis quelle époque nous sommes établis dans cette contrée?
1 Dans le premier bataillon du régiment qui fut envoyé au Tonkin, on comptait nn
certain nombre d'hommes qui avaient pris part à Texpédition de Cochinchine et avaient
demandé à repartir pour l'Extrême-Orient. Une chose qui paraîtra Invraisemblable et qui
cependant est rigoureusement exacte, c*est que parmi ces hommes beaucoup possédaient
encore assez l*usage de la langue annamite pour pouvoir, en eertalnes droonstances ,
servir d'interprètes.
31
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482 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (1883
C'osl en 1873 quo nolro drapcaa parul pour la prcmièro fois dans cctlo
partie de Tlndo-Chine, à la suilo d'un diflercod survenu entre un do nos na-
tionaux, M. Jean Dupuis, élabli à Shang-Jla!, et les autorités annamites de
Hanoi. Il n*élait alors, ce drapeau , tenu que par quelques braves ; mais ceux-ci
avaient pour chef un homme de la race des Pizarre et des Fernand Cortex, et
bientôt, sur le refus du vice-roi do nous accorder les satisfactions demandées,
on l'avait vu flotter sur toutes les citadelles du delta du Song-Coî (fleuve Uougc).
Ce chef, qui s'appelait Francis Garnier *, s'était lui méuie, avoc cent soixante-
quinze hommes, emparé en deux heures, le 20 novembre, de la capitale de
ce royaume de douze millions d'habitants, capitale défendue par sept mille
hommes enfermés dans une citadelle à la Vauban; puis il avait dirigé ses lieu-
tenants sur les autres villes du pays, et chacun d'eux lui avait conquis une
province. Seulement, eiïrayée, la cour de Hué avait immédiatement suscité
de nouveaux ennemis à cette poignée de héros; elle avait fait appel aux Pa-
villons-Noirs *, anciens rebelles chinois chassés du Yunuan et du Kouang-Si ,
et, le 31 décembre, un mois après la prise de Hanoï, Francis Garnier trouvait
la mort dans une sortie elTecluéc contre ces pirates, qui donnaient beaucoup
plus l'idée de bandits que de soldats.
L*œuvro de ce raillant oflicier disparut presque entièrement avec lui : une
convention rendit le Tonkin à l'Annam, et seul un résident français fut con-
servé à llanoî avec une faible escorte.
Cet état do choses subsista jusqu'au commencement de 1882. A ce moment
l'empereur Tu-Duc, changeant brusquement de politique, oublia ses engage-
ments envers la France et se rapprocha de la Chine, dont il rechercha l'appui,
en même temps qu'il encourageait secrètement les exactions des Pavillons-
Noirs au Tonkin. Bientôt la situation de nos quelques nationaux établis à
Hanoi et à Haî-Phoog, et particulièrement de notre résident, devint intenable.
Les réclamations du gouverneur de la Cochiuchine restant sans cOct, un petit
corps de débarquement fut alors organisé à Saigon, et envoyé à Hanoi sur trois
canonnières sous les ordres du capitaine de vaisseau Henri Hivièro, qui, s'é-
tant vu refuser l'entrée de la citadelle de cette ville par le Ion-doc*, y pénétra
de vive force le 25 avril, après un bombardement de quelques instants. Mais
cette leçon n'y fit encore rien ; la cour de Hué continua ses négociations avec
le Tseng 'li'Yamen^, s'efTorçant par tous les moyens de combattre nos droits
acquis. Devant cette attitude franchement hostile, le commandant Rivière
poursuivit ses opérations, et un an après le Delta était de nouveau en notre
pouvoir.
Cependant les Pavillons-Noirs, qui avaient reçu d'importants renforts, de-
venaient chaque jour plus menaçants; ils s'étaient rapprochés de Hanoi, et
1 Francis Garnier était lieutenant de vaisseau ; il avait pendant longtemps été adminis-
trateur des affaires indigènes en Ck>chinchine.
> Ainsi appelés de la couleur do leurs nombreux étendards. Les Annamites les dési-
gnaient plus particulièrement sous le nom do hékis.
' Le ton-doc est le représentant direct do Tempereur dans chaque province. Celui do
Hanoi était en mémo temps le gouverneur de tout le Tonkin et portait le Uu-e do vice-itn.
* L% ministère des affaires étrangères en Gliine.
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[1883] AU TONKIN 483
tous les soirs les bftliments de la concession française étaient bombardés. Leur
chef, Luu-Vinh-Phuoc, avait poussé Finsolence jusqu'à Taire paraître une pro*
clamation où il invitait nos soldats à se rendre pour éviter une complète exter-
mination; dans une autre, il envoyait au commandant Rivière le défi le plus
dédaigneux. Celui-ci accepta; le 19 ma! 1883, il sortit de Hanoï avec deux
coMipognios d'inranterio de marino, trois pièces de canon, les marins du VU-
lars et do la Viclmicusc, et marcha sur Phu-IIoai ', où son ennemi lui avait
donné rendez -vous; mais il y rencontra des forces dix fois supérieures, et,
comme Garnier, paya de sa vie le mépris avec lequel il était allé au-devant
de tels adversaires. Ayant subi des pertes considérables (trente tués et cin-
quante-cinq blessés), la petite colonne qu'il avait si imprudemment engagée
rentra alors & Hanoï, où elle ne tarda pas & être étroitement bloquée.
La nouvelle de cette catastrophe produisit en France une profonde émotion.
C'est qu'il n'y avait pas à s'en dissimuler la gravité : outre que la mort de
Rivière réclamait une prompte et éclatante vengeance, il fallait secourir ces
trois à quatre cents braves, qui restaient à la merci d'un ennemi implacable
et d'une population qui pouvait être amenée à s'intéresser à leur perle par le
besoin de se faire pardonner de les avoir accueillist *. Aussi le gouvernement
s'en émut-il non moins que l'opinion publique, et des renforts partiront -ils
immédiatement de Saigon avec le général Bouët, de l'infanterie de marine,
pendant qu'une escadre, à la tôte do laquelle avait été placé le contre-amiral
Courbet, s'organisait hâtivement à Toulon sous le titre de division navale du
Tonkin.
. Mais, comme ils allaient le faire bien des fois dans la suite, en raison de la
distance, les événements marchèrent plus vite que les moyens envoyés pour
les enrayer; la Chine no dissimula plus son intention de s'opposer par les
nrnii's à notre établissement sur le fleuve Rougo, et lorsque le général Douct
arriva, les forces dont il disposait (environ deux mille cinq cents hommes)
étaient déjà insuffisantes pour faire face aux nouvelles exigences résultant de
cette brusque intervention. Il essaya néanmoins de reprendre l'ofTensive; il
parvint même, avec le concours de la flottille, à dégager les environs do
Ilenoî, dans le même temps que l'amiral Courbet s'emparait des forts de
Thuan-An , à l'embouchure de la rivière de Hué; mais ces succès, s'ils inti-
midèrent assez la cour d'Annam pour la décider à un traité dont l'absence du
vieux Tu-Uuc, qui venait de mourir, écarta les principales difficultés, ces suc-
cès, disons-nous, n'arrêtèrent pas la Chine, qui, sans déclaration de guerre,
continua de faire envahir le pays par ses soldats. Il fallut songer à un second
envoi de renforts; en les prit cette fois dans la métropole, partie dans la ma-
rine, partie dans l'armée de terre. A cet effet, le ministre de la guerre pres-
1 Cet endroit, situé à six kilomètres à Touest de Hanoi» est plus connu sous le nom
de pont de Papier, nom qui lui vient de la proximité d*un village où tous les habitants
se livrent à Tindustrie du papier. G*est près de là que Garnier et Baloy furent tués
en 1873.
> La population de Hanoi , il faut le reconnaître , resta & peu près neutre dans cette
lutte; mais il y a lieu de supposer que si elle n*avait pas été persuadée que la France
enverrait de nouvelles troupes, il n*en aurait pas été tout à fait ainsi.
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48A
LE 3<^ RÉGIMIâNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1883]
crivit la formation (1*ud régiment do marcho do dix-kuit cont3 hommes, avec
trois bataillons tirés respectivement de la légion étrangère et des 1*' et 3« ré-
giments de Tirailleurs algériens. Ce régiment devait être commandé par le
lieutenant-colonel Belin , du 1«' Tirailleurs.
En vertu de ces ordres, qui lui parvinrent le 13 septembre, le colonel Boi-
tard s'occupa immédiatement au 3« Tirailleurs de porter à six cents hommes
le l^^ bataillon alors à Constantine, et le premier à reprendre pour le tour de
mobilisation. Le 25, ce bataillon était dûrigé sur Bône en chemin de fer. 11
était ainsi composé :
MM. Jouneau , chef do bataillon.
Godon , capitaine adjudant-major.
Chiarasini, lieutenant ofiicicr payeur.
Garcet, sous-licutciiaut officier d'habillement.
Grangury, médecin-major de 2« classe.
1«* compagnie.
MM. Godinet, capitaine.
Rathelot, heutenant français.
Sulah-ben-Ferkatadji, lieut. ind.
Thierry, soiis-lieut. français.
Beikassem-ben- Ahmed, sous-
lieutenant indigène.
2* compagnie,
MM. Noirot , capitaine.
Roblot, lieutenant français.
Moharoed-ben-Taleb, lieut. ind.
PierroUi sous-liout. fninçois.
Mohamed-ben-Saîd, sous-lieu-
tenant indigène.
3<» compagnie.
MM. Caries, capitaine.
Orlanducci, lieutenant français.
Lagdar-ben-el-Achi , lieut. ind.
Pennel , sous-lieut. français.
Mohamed - bcn - Ahmed , sous-
lieutenant indigène.
4® compagnie.
MM. Massip, capitaine.
Beynet, lieutenant français.
Bclkassem - Zid - bon - Mohamed -
Zid, lieutenant indigène.
Darier-Chûtelain , s .-lieut. franc.
Mohamed -ben-Messaoud, sous-
lieutenant indigène.
Le détachement arriva à Bône le jour même de son départ de Constantine.
Son embarquement eut lieu le 28, sur le transport de TËtat le Bicn-Uon.
Toute la population s'était portée sur le quai pour saluer les partants. Le
Bien-Hoa leva l'ancre à une heure de l'après-midi; le 3 octobre, il arrivait à
Port-Saïd; le 22, à Colombo; le 31, à Singapour, et, le 8 novembre, dans
la baie d'Allong. Cette traversée, qui avait été eflectuée en compagnie d'un
demi-bataillon du !«' Tirailleurs, s'était terminée sans incident.
Le 1«' novembre, l'état-major et les l'« et 2« compagnies furent transbordés
sur la Saône, qui le^ débarqua ù Ilaï-Phong. Le 12, ce fut le tour do la 3^ com-
pagnie, qui prit passage sur le Parceval; enfin, le 13, de la 4<>, qu'emmena
également ce dernier bateau. Le 24, le bataillon était tout entier concentré à
Hanoï et prenait le d? 2 dans lo régiment de marche.
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[1883] AU TONKIN 485
Depuis le 25 octobre, par suite de dissentiments survenus entre le général
Bount et M. Ilarmand, commissaire général civil, le commandement des
forces de terre et de mer du Tonkin était exercé par le contre-amiral Courbet,
qui devait bientôt disposer également des pouvoirs politiques. La situation
était alors celle-ci : nous étions maîtres de tout le bas Delta, nous appuyant
pour cela sur les places de Quang-Yen, Ilaî-Dzuong et Hanoi au nord, Nam«
Dinh et Ninh-Binb au sud; l'ennemi occupait solidement Sontay et Bac-Ninh.
ASontay, se trouvait Luu-Vinh-Phuoc avec dix à douze mille Pavillons-Noirs;
à Bac-Ninh, le général Hoang-Ké-Lang , avec quinze à vingt mille Chinois.
La première opération qui s'imposait était une marche sur Sontay; c'était
là que s'étaient retirés les meurtriers du commandant Rivière; 1& que les têtes
et les dépouilles des malheureuses victimes du 10 mai avaient été promenées
en triomphe; I& que Luu-Vinh-Phuoc, notre plus redoutable adversaire, avait
son quartier général; I& enfin qu*on était sûr de frapper le plus grand coup,
puisqu'on savait devoir y rencontrer la plus sérieuse résistance. Une autre
considération désignait encore cette place comme le premier but sur lequel
devaient être dirigés nos eiïorts : deux fois (le 15 août et le i^* septembre)
nos troupes étaient sorties de Hanoi pour s'avancer sur la route qui relie les
deux villes, et deux fois, oprès des pertes sensibles, elles avaient dû rétro-
grader; il fallait détruire chez les Pavillons-Noirs la confiance que ces deux
retraites leur avaient donnée, et dissiper en môme temps la terreur qu'ils ins-
piraient depuis longtemps aux populations ^
Le corps expéditionnaire s*élevait maintenant à près de neuf mille hommes.
Dans les premiers jours de décembre, deux colonnes furent organisées & Hanoi :
Tune, comprenant le régiment de marche da 19* corps, un bataillon d'infan-
terie de marine, une compagnie de Tirailleurs annamites, un certain nombre
d'auxiliaires tonkinois et trois batteries, en tout trois mille trois cents hommes,
fut placée sous les ordres du lieutenant-colonel Belin ; l'autre, formée avec trois
bataillons dlnfanterio de marine , un bataillon de fusiliers marins , trois compa-
gnies de Tirailleurs annamites et quatre batteries, soit environ deux mille six
cents hommes , fut confiée au colonel Bichot , de l'infanterie de marine. La pre-
mière devait suivre la route directe de Hano! à Sontay ; la seconde, remonter la
rive droite du fleuve Rouge et rendre & la flottille l'appui qu'elle en recevrait.
Ces dif^positions arrêtées, l'ordre de départ fut donné le 10 décembre à dix
heures du soir. IjO lendemain, & six heures du malin, la colonno Belin, dite
colonne de gauche, quitta la citadelle de Hanoi; elle se dirigea au nord-ouest,
passa sur le pont de Papier, où le commandant Rivière avait été tué, fit la
I Les Annamites doutaient tellement de la réussite de Tattaque que nous nous pro-
posions de diriger contre Sontay, qu'en prévision d*un échec toute la population de Hanoi
avait fui. On eut toutes les peines du monde, même avec le concours de l'autorité indi-
gène , à réunir les coolies nécessaires pour le service de Vambulance et le transport des
bagages des officiers; encore fallut-il faire étroitement surveiller ces eoolies pour qnlls
ne s'échappassent pas. Huit Jours après notre succès , Hanoi n'avait plus assex de maisons
pour abriter les nombreuses familles qui venaient se placer sous notre protection , et les
indigènes demandaient enx-mômos «\ faire partie de nos colonnes. De ce moment seule-
ment, ils manifestèrent une certaine confiance & notre égard.
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486 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1883]
grand'hallo à Yong, tliéAlro du combat du 15 août, et s'arrôla à Phong, vil-
lage qui portait encore de nombreuses traces de la lutte du i^' septembre.
La journée du 12 fut presque tout entière employée au passage du Day,
branche du fleuve Rouge qui se sépare de celui-ci à Pallan et se rend directe-
ment à la mer. Une tentative pour construire un pont de bateaux ayant échoué
à cause du courant, il fallut traverser hommes, chevaux et matériel sur des
sampans, des jonques, des radeaux, opération difficile qui entraîna un long
retard. Aussi l'étape, qui n'avait pu être Taito pendant le jour, lo fut-elle
pendant la nuit; la marche reprit à sept heures du soir et continua juhi|u*ù
deux* heures du matin , sur une haute digue se séparant de la roule directe
pour se rapprocher sensiblement du fleuve. On repartit à sept heures. Bientôt
on commença à apercevoir la fumée des canonnières qui remontaient le Song-
Coï à hauteur de la colonne Bichot. A onze heures, on était en communication
avec celte dernière, et le bivouac était établi dans la plaine à environ deux
kilomètres du fleuve et à sept à Test de Sontay. La nuit se passa sans incident.
Le 14 , devait avoir lieu l'attaque des approches de Sontay. En conséquence,
la colonne de gauche reçut l'ordre de se diriger sur le village de Thion-Loc,
pendant que la colonne Bichot, avec laquelle se trouvait l'amiral , continuerait
de s'avancer par la rive du fleuve. Le mouvement commença à six heures du
matin. Le bataillon du 3« Tirailleurs était à l'avant-garde. Dès les premiers
pas, on rencontra des obstacles de toute sorte que l'ennemi avait accumulés
|)our retarder notre niarcho. Sun but fut on partie otlcint, car on mit près do
trois heures pour faire quatre kilouièlros. Uuelquos groupes s'ùtant montrés
sur la gauche, la compagnie de tête (4«} les dispersa par des feux de salve.
A neuf heures et demie toute la colonne Belin fut arrêtée sur le bord du
fleuve, au nord du village de Thien-Loc. On se trouvait à environ deux mille
cinq cents mètres de Sontay; mais la ville, masquée par le village de Linh-
Chien et de nombreuses haies de bambous, ne pouvait être aperçue. Les ren-
seignements qu'on possédait sur cette place étaient très incomplets; on savait
qu'elle avait été préparéo de longue main à la résistance; que Luu-Vinh-Phuoc^
chex qui on avait déjà pu constater des connaissances militaires et une science
de la guerre révélant de sérieuses éludes, en avait fait un camp retranché
qu'il croyait volontiers imprenable; mais le seul plan qu'on en possédât, d'o-
rigine annamite, ne donnait aucune idée des fortifications qu'on allait y ren-
contrer. Celles-ci étaient tellement nombreuses, tellement compliquées, qu'il
eût, en effet « été difficile à nos espions d'en relever l'ensemble.
Sontay est bâti dans une plaine à environ douze cents mètres du fleuve
Rouge , sur la rive droite. La ville proprement dite comptait alors dix à douze
mille habitants, non compris les Pavillons-Noirs; elle avait été entourée d*une
enceinte en terre n'ayant pas moins de six à sept kilomètres de circuit. Cette
enceinte, d'un tracé irrégulier, avait une hauteur moyenne de quatre mètres;
elle était précédée d'un fossé large de cinq à six mètres rempli d'eau. Le talus
extérieur du parapet et la benne qui le séparait du fossé étaient couverts d'une
haie vive de bambous très épaisse, très haute, et ne pouvant être franchie
qu'avec le secoura de la hache. On pénétrait dans la place par quatre portes
en maçonnerie, protégées en avant par des ouvrages en terre, des palanques.
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[1883] AU TONKTN 487
des obatis et des petits piquets. Une fois dans rintérieur, on trouvait quatre
rues principales, conduisant des quatre portes de Tenccinte à la citadelle, qua-
drilatère de trois cents à trois cent cinquante mètres de côté, avec remparts
à la Vauban, fossé, embrasures, canons, etc.
Ce système de défense était complété par plusieurs ouvrages extérieurs, dont
les plus importants étaient ceux do Phu-Sa , élevés en prévision d'une attaque
par le fleuve et dans le but d^empécher l'approche de nos canonnières. Sur ce
point, situé entre le fleuve et la face nord do l'enceinte, l'ennemi avait avan-
tageusement tiré parti d'une digue haute de six mètres et large de douze, sur
laquelle s'étendait un village, ou plutôt une succession do cases en bambous
et en torchis transformées en cantonnements. A peu près au milieu du village,
cette digue se bifurquait et formait un immense Y, dont l'ouverture était tour-
née du côté do l'nltnque. liO front do la défense représentait ainsi une tenaille
& angle tn*s aigu. La digue principale (digue de droite) avait été, sur une lon-
gueur de plus d'un kilomètre, couverte, du côté du fleuve, dont elle suivait
parallèlement la berge & une distance de trois cents mètres, par un parapet
crénelé qu'appuyaient de nombreux abris casemates, dans lesquels avaient
été placées de vieilles pièces en bronze ou en fonte se chargeant par la bouche.
A environ deux cents mètres de la bifurcation s'élevait sur chaque digue un
petit fortin; celui de droite, également casemate, était armé de six pièces de
canon. Entre les deux fortins le terrain était inondé, et, de plus, défendu par
une tranchée -abri. Une autre tranchée reliait le fleuve & la digue principale
et assurait le flanquement de celle-ci. Judicieusement disposés, et pour la
plupart habilement construits, ces retranchements étaient en outre précédés
par des défenses accessoires constituant, en certains endroits, un obstacle des
plus sérieux.
Dès qiio la flollillo déliouclm en vue do Pliu-Sa, rarlillorio dos Pavillons-
Noirs ouvrit son feu; mais ses bouloU n'atteignaient qu'aux doux tiers do la
distance et se perdaient dans le fleuve après de nombreux ricochets. Nos ca-
nonnières ripostèrent vigoureusement, et bientôt les pièces de la défense furent
réduites au silence. Pendant ce temps, deux bataillons dinfanterie de marine
s'étaient déployés à hauteur du villoge de Linh-Chien, avaient refoulé les
avant-postes ennemis et engagé une vive fusillade avec des bandes qui, sorties
de la place , cherchaient h s'étendre et & nous envelopper.
A deux heures, le bataillon du 3^ Tirailleurs, qui était resté en réserve au
nord de Thien-Loc, reçut l'ordre de s'avancer vers la digue de droite pour être
prêt à donner l'assaut aux ouvrages de Phu-Sa; il fut arrêté derrière cette
digue à cinq cents mètres de la position , qui lui était cachée par une forte haie
de bambous. A ce moment, l'amiral ayant fait demander une compagnie pour
former le soutien de rartillerie, la 4^^ (capitaine Massip) fut désignée et alla
s'établir sur la gauche, près du village de Linh-Chien. Deux batteries de 4 de
montagne venaient de s'installer sur ce point et tiraient sur le fortin de droite,
qu'elles prenaient ainsi à revers. Les canonnières s'étaient rapprochées et con-
couraient activement à ce bombardement, auquel l'ennemi ne répondait plus.
C'était maintenant par une puissante diversion sur notre gauche quo ce dernier
essayait de nous inquiéter; de ce côté il avait fait avancer de nombreuses ré-
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488 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [l883]
8orvo8, mais lo bataillon do la légion élrangèro (commandant Donnicr) étant
venu renforcer les deux bataillons d'infanterie de marine, celles-ci durent se
replier devant la précision de nos feux.
Vers quatre heures, le lieutenant-colonel Belin, qui avait plus particulière-
ment la direction de l'attaque de droite, croyant celle-ci suffisamment pré-
parée, demanda Tautorisation de lancer les Tirailleurs; en même temps il
prescrivit au commandant Jouneau de s'avancer rers Phu-Sa avec ses trois
compagnies, et de faire exécuter quelques feux pour balayer le terrain. Le
bataillon quitta son abri, fit environ cent mètres, et s'arrêta en un point où
la digue, entamée par le fleuve, était interrompue par une assez large échan-
crure. De là on commençait à apercevoir les retranchements ennemis; mais
tout cela n'apparaissait que comme un enchevêtrement confus ^e palissades
et de parapets, sans qu'il fût possible de distinguer le faible ou le fort do la
position. Obligées de marcher par le flanc par suite de l'exiguité du terrain ,
nos compagnies venaient dans l'ordre suivant : on tôto, la \^ (capitaine Go-
dinet), puis la 2* (capitaine Noirot), enfin la 3« (capitaine Caries).
Après un feu rapide de quelques minutes, le signal est donné; brillamment
enlevée par le capitaine Godinet et ses autres officiers, la 1»> compagnie se
précipite sur la digue, suivie par les autres, qui, ne pouvant se déployer à sa
hauteur, doivent se contenter de l'appuyer. Mais cet élan ne peut se conserver :
le sol est encombré d'obstacles qu'il faut enjamber ou détruire, et cela sous
un feu des plus meurtriers. Aussi en un instant les pertes sont- elles considé-
rables. On arrive cependant jusqu'à l'entrée du fortin; le capitaine Godinet la
franchit le premier, après avoir arraché do ses mains les bambous dont elle
est hérissée, et pénètre aussitôt dans l'ouvrage, que les Pavillons-Noirs éva-
cuent précipitamment en nous abandonnant leurs canons. Là un temps d'arrêt
est nécessaire pour se reconnaître dans lo dédale inextricable de tranchées et
de parapets où l'on se trouve engagé. Enfin, malgré le feu de la défense, qui
est devenu de plus en plus vif, l'attaque est reprise et menée avec une indi-
cible vigueur. Les Tirailleurs sont admirables : brûlant do rendre la uiort
qu'ils reçoivent, ils avancent toujours; après qu'une barricado est enlevée,
on rencontre une coupure, et celle-ci est forcée à son tour; après la coupure
vient une autre barricado, et ils l'escaladent encore. L'ennemi, qui ne peut
crœre à tant d'audace, n'abandonne une traverse que pour se retirer derrière
une autre, d'où il est aussitôt délogé. On fait ainsi plus de trois cents mètres
par assauts successifs, au prix d'un nombre toujours croissant de morts et de
blessés, et en cheminant dans un étroit espace où cinq ou six hommes au plus
peuvent marcher de front. L*infanterie de marine s'est à son tour rendue maî-
tresse de la digue de gauche, et son action se combine maintenant avec celle
de la légion étrangère, qui tiraille avec les défenseurs de la face est de
l'enceinte de la ville. Il ne reste plus que deux bataillons en réserve : celui
des fusiliers marins (commandant Laguerre) et celui dul®** Tirailleurs (com-
mandant Letellier).
Cependant la colonne de Phu-Sa, après avoir dépassé le point de jonction
des deux digues, était arrivée en face d'une barricade surélevée, construite
au-dessus d'une casemate abritant une pièce de canon , et s'appuyant à droite
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[1883] AU TONKIN 489
et à gauche à d'autres tranchées vigoureusement défendues. Luu-Vinh-Phuoc
avait réuni là ses meilleurs soldats; Tun d*euz y balançait le grand drapeau
noir signalant la présence du commandement suprême, et, dès qu*il tombait,
un autre venait le remplacer. D'après quelques témoins dignes de foi , on au-
rait même ft ce moment aperçu sur la droite un homme au costume européen
qui aurait donné un signal , puis se serait retiré. Quoi qu'il en soit, la fusillade
avait redoublé, et les Pavillons-Noirs y joignaient maintenant le tir de fusées,
dans le but d'incendier les cases qui bordaient la digue et de rendre la position
intenable aux assaillants. Le feu prit en eflet, et les Tirailleurs, qui n'étaient
plus qu'à dix mètres de la barricade, se virent tout à coup entourés par les
flammes. Au même instant, le capitaine Godinet, qui n'avait pas cessé de se
conduire en héros et qui s'élançait encore pour emporter ce nouveau retran-
chement, tombait mortellement frappé. Le commandant Jouneau venait d'être
grièvement blessé ; le capitaine Noirot avait la jambe traversée et devait quitter
le combat; les lieutenants Salah-ben-Ferkadadji et Lagdar-ben-el-Achi étaient
depuis un moment à l'ambulance; le lieutenant Rathelot, bien que demeurant
à la tête de la 1^ compagnie, était violemment contusionné; son sous-lieute^
nant, M. Thierry, également atteint de deux balles, restait là aussi, mais
seulement par un remarquable elTort de sa volonté. Doux ou trois Tirailleurs
qui avaient voulu essayer d'escalader la barricade avaient été saisis vivants
par les Chinois ', et le lendemain on allait les retrouver décapités.
La nuit approchait; la lutte ne pouvait continuer dans ces conditions. Le
capitaine Godon , qui venait de prendre le commandement du bataillon , donna
l'ordre de se replier derrière une traverse située à la bifurcation des deux
digues. Bien qu'à ce moment les compagnies fussent complètement confon-
dues, le mouvement s'exécuta sans à-coup, sans précipitation, sans que Ten-
nemi osflt l'inquiéter ; mais le feu de ce dernier était tellement vif, qu*il fallut
renoncer à enlever les morts qu'on laissait dans l'espace d'environ cinquante
mètres qu*on venait d'abandonner; seul le corps du capitaine Godinet fut
emporté loin de là pour le mettre à l'abri de l'incendie, qui gagnait avec une
eiïrayante rapidité.
Il s'agissait de conserver Phu-Sa et de s'opposer aux retours oflensifs que
les Pavillons-Noirs ne manqueraient pas de tenter. Le colonel Belin, qui était
accouru avec le capitaine Dupommier, du génie , prescrivit la construction
d'une petite tranchée pour tirailleur couché, en avant de la traverse derrièra
laquelle on s'était retiré; on allait ainsi pouvoir installer, à soixante mètres de
la barricade ennemie, deux rangs de tireurs réunissant quarante à cinquante
fusils, c'est-à-dire assez pour répondre aux feux directs de la défense. La
3<* compagnie, la^moins éprouvée, quoique ayant une trentaine d'hommes bon
de combat, s'établit sur ce point; les deux autres se portèrent en seconde
ligne et se défilèrent le mieux qu'elles purent, soit en utilisant les autres tra-
verses , soit en se construisant à la hflte de petits abris. Le bataillon Dulieu, de
l'infanterie de marine, prit les mêmes dispositions sur la digue de gauche, et
< Ces malheureux furent harponnés au moyen de longues lances à bec-de-eorbin. Les
Pavillons-Noirs les tirèrent «\ eux pour avoir leurs tètes , qui durent leur être grassement
payées.
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490 LE 3^ RÉOIIIRNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1883]
la partie do Touvrago en notre pouvoir se trouva alors à pou prôs retournée.
L^ennemi avait cependant encore un immense avantage : celui de la connais-
sance des lieui ; de plus, il nous dominait.
La nuit arriva; Pincendie allumé par les Pavillons-Noirs, manquant d'ali-
ments par suite de la démolition des cases qui auraient pu le propager, ne
jeta plus que quelques lueurs, et l'obscurité se fit sur les combattants; le si-
lence l'accompagna bientôt, et l'on put croire un instant que la lutte était
terminée. Mais la luno, jusque-là légèrement voilée, se dégagea peu à peu de
la brume, et presque aussitôt le feu recommença. Il était buit lieures; le co-
lonel Belin , n'ayant plus de troupes fraîches sous la main , envoya chercher
la 4« compagnie, qui pendant cette sanglante action n'avait pas quitté sa po-
sition de soutien de l'artillerie. Elle fit le même chemin qu'avaient fait les
trois autres pour donner l'assaut, et vint, en attendant de nouveaux ordres,
se grouper dans le fortin situé à l'entrée des ouvrages de droite. Dans ce
mouvement, elle eut quelques hommes blessés, dont le lieutenant Belkassem-
Zid-ben-Hohamed-Zid. Un peu après, toutes les troupes, qui n'avaient pas eu
le temps de manger depuis le matin, touchaient du pain et des liquides
envoyés par l'amiral Courbet, qui, non sans inquiétude, se faisait renseigner
à chaque instant sur ce qui se passait à Phu-Sa.
Vers neuf heures, des sons de trompe et certaines rumeurs entendues dans
les retranchements ennemis ayant fait croire à une attaque, le copitaine Massip
reçut l'ordre do fuiro avoncer un peloton de sa compagnie pour appuyer uu
besoin celle du capitaine Caries, dont les hommes étaient très fatigués. Le
peloton du lieutenant Beynet quitta aus.sitôt le fortin ; mais, tout danger ayant
disparu, il fut arrêté à mi-chemin entre les 2« et A^ compagnies. Quelques
instants après, le sous-lieutenant Darier-Chfttelain fut prévenu d'avoir & rem-
placer, avec Tautre peloton de la A^ compagnie, la 3« dans la tranchée avan-
cée. Ce relèvement s'cRectua au pas de course, les hommes marchant à la file
pour mieux se dérober à la vue des tireurs de la barricade. Il y eut néanmoins
quelques blessés. Le combat se poursuivit ensuite dans les mêmes conditions
qu'auparavant, c'est-à-dire par un échange continuel de coups de fusil.
Il en fut ainsi jusqu'à environ une heure du malin. Â ce moment, la digue
apparut tout à coup couverte de Chinois; à la faveur de la fumée qui s'élevait
encore des débris incendiés, ceux-ci avaient cheminé, ou plutôt rampé le long
des talus,* puis s'étaient brusquement dressés à quelques mètres de notre
tranchée en poussant do grands cris. Il y eut alors un moment de surprise,
disons plus, de panique, pendant lequel les Tirailleurs faillirent se replier.
Voici ce qui l'avait produit. On avait placé , immédiatement en arrière de la
fraction de première ligne, une cinquantaine d'auiiliaires tonkinois, gens
armés depuis quinze jours et n'ayant à leur tête que quelques gradés français.
Dès qu'ils entendirent le cri : c Les Chinois I » la frayeur les prit, et ils se
mirent à décharger leurs armes dans toutes les directions, heureusement en
1-air pour la plupart. Quoi qu'il en soit, les défenseurs de la tranchée se iigu-
rèrent aussitôt être pris entre deux feux, et, malgré les eflbrts de leurs ofli-
ciers, ils allaient abandonner celle-ci, lorsque, à la sonnerie de : c En avant I »
et à l'arrivée du restant de la i9 compagnie , amené par le capitaine Massip , ils
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[1883] AU TONKTN 491
so portèrent résolument au-devant dos Pavillons-Noirs, qui en un instant
furent rejeiés dans leurs positions. Tout cela avait demandé dix minutes au
plus. Cette action terminée, la 4* compagnie tout entière reprit remplacement
occupé précédemment par son 2* peloton , et acheva par des feux de section
de dégager la digue et ses abords. Pour éviter de nouveaux accidents, on re-
tira leurs cartouclies aux auxiliaires tonkinois.
Pendant que Tennemi essayait ainsi de nous déloger de Phu-Sa par une
attaque de front, une autre partie de ses forces tentait sur notre gauche un
mouvement tournant qui ne fut pas plus heureux ; les feux de salve do Tin-
fantcrie de marine et de la légion étrangère, le canon lui-même, qui envoya
quelques coups ft mitraille, eurent rapidement raison de cet eflbrt, qui ne fut
pas d*ailleurs sérieusement soutenu.
Un calme relatif succéda à cet indicent, et seuls les défenseurs de la barri-
cade et ceux de la Iranclice continuèrent une fusillade intermittente qui allait
encore par moments atteindre à une extrême intensité, chaque tireur ennemi
ayant une caisse de cartouches à côté de lui. On ne ripostait que par de petits
feux do salve, afin de ménager les munitions, qui commençaient à manquer.
Malgré cette précaution , vers trois heures du matin , la 4* compagnie se trouva
A court de cartouches et dut en faire demander aux trois autres, qui, ne pou-
vant non plus se démunir, no lui en envoyèrent que quelques centaines, qui
furent rapidement épuisées. 11 fallut alors recourir à un autre expédient;
quelques hommes, dont le Tirailleur Barca-ben-Abd-el-Kader, qui pendant
luulc celte nuit n'avait cessé de se signaler par son mépris du danger et son
intrépidité, allèrent ramasser toutes celles qu*ils purent trouver dans les sacs
et les musettes des tués et des blessés. Cet appoint permit de tenir jusqu*à
quatre heures et demie, moment où le 2« peloton (sous-lieutenant Pierron)
do la 2® compagnie vint occuper la tranchée pour la garder jusqu'au jour.
Aussitôt qu'il fut possible d*y voir, le feu de Tennemi cessa tout à fait.
Bientôt on acquit la certitude que les défenseurs de Phu-Sa s'étaient retirés.
Une patrouille de quelques hommes, dont le Tirailleur Barca, envoyée
derrière la barricade, trouva en effet l'ouvrage évacué et revint avec des
drapeaux, des armes, des dépouilles de toute nature que les fuyards n*avaient
pas eu le temps d'emporter. Mais, hélas I un triste spectacle attendait les
vainqueurs : entre la barricade et la tranchée défendue par les nôtres, dix
cadavres gisaient sans tête; deux autres avaient également été trouvés de
l'autre côté de la barricade: tous appartenaient aux Tirailleurs. C'était pendant
la nuit que les Pavillons -Noirs avaient accompli ces horribles mutilations. Ils
s'étaient pour cela servi d'une ruse qui leur avait pleinement réussi : le cou-
peur de têtes venait avec une lumière, qu'il plaçait du côté opposé à celui où
il se proposait d*eflcctuer sa lugubre opération; puis, en rampant, il se diri-
geait vers le cadavre choisi d'avance par lui, pendant que les défenseurs de la
tranchée, mis en éveil par cette clarté, criblaient de projectiles l'espace vide
où elle apparaissait. Plusieurs de ces décapitations avaient probablement dû
avoir lieu aussi au moment du retour oflensif '.
< Il faut savoir combien, chez les diinois et les Pavillons-Noirs, une tète était payée
à celui qui la rapportait , pour comprendre TacliarDement que ces gens-là mettaient dans
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492 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1883]
La 3» compagnie occupa immédiatement les retranchements abandonnés ;
les autres eurent la triste mission d'ensevelir les morts. Les perles du batail-
lon étaient sensibles; elles s'élevaient à cent vingt-six hommes hors de com-
bat, c'est-à-dire à près du quart de son eRectif. Dans ce nombre, il y avait
vingt-six tués et cent blessés. A elle seule, la 1^* compagnie comptait onze tués
et trente-sept blessés. Beaucoup de blessures étaient très graves et devaient
encore entraîner de nombreux décès. Les oflRciers avaient, pour leur part, élé
cruellement éprouvés : sur vingt-deux , un était tué et sept étaient blessés :
Était tué :
H. Godinet,
capitaine.'
Étaient blessés :
MM. Jouneau,
Noirot,
Rathelot,
Lagdar-ben-el-Achi ,
Salah-ben-Ferkadadji ,
chef de bataillon
capitaine.
lieutenant.
do
d»
BeIkassem-Zid-ben-Mohamed-Zid , d^
Thierry, sous-licutcnanl.
A huit heures, l'amiral Courbet passa avec son état-major pour aller recon-
naitre les abords de Sontay. Auparavant il visita hâtivement Phu-Sa. Le
champ du combat de la veille offrait & ce moment le tableau le plus terrible
et le plus saisissant qu'il soit possible d'imaginer. Qu'on se figure, en effet,
un long boyau large de quelques mètres, avec une suite non interrompue de
tranchées, de coupures, de parapets formant un cheminement inextricable,
des palissades arrachées, des canons renversés, des boulets épars, de la poudre
répandue au hasard, des cases démolies ou incendiées, des débris de toute
sorte, des armes, des effets, des loques traînant çà et là au milieu de mares
de sang, et, à chaque pas, des cadavres amoncelés, les uns méconnaissables,
d'autres & moitié carbonisés, plusieurs affreusement entaillés par le coupe-cou
des Chinois. Tout ce que la guerre a d'horrible et d'héroïque s'étalait là , sous
un soleil radieux , qui soulevait déjà une odeur pestilentielle de cet amas de
décombres humains. Aussi l'amiral fut- il vivement ému ; il serra chaleureu-
sement la main de tous les officiers qu'il rencontra , passa rapidement pour
qu*on ne s'aperçût pas que lui, le chef que tout le monde admirait, avait les
yeux humides, laissa tomber quelques courts éloges qui furent recueillis avec
une légitime fierté, et ne s'arrêta que devant la tranchée où, pendant toute
la nuit, les nôtres avaient résisté aux tentatives désespérées de l'ennemi pour
cette sauvage proranaiion de nos morts. Pour un simple soldat , il était donné environ
&0 fr.; pour un chef, cela pouvait, suivant l'importance de celui-ci, aller jusqu'à plu-
sieurs milliers de francs. Dans ce dernier cas, il fallait justifier du grade, et le muti-
lateur joignait généralement à la tète i|n bras de sa victime.
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[1883] AU T0NK1N 403
reprendre la position. Un monceau d'étuis de cartouches et les morts qui gi-
saient tout autour disaient assez ce qui B*était passé sur ce point, c Voilà une
tranchée qu'on devrait couvrir de fleurs, dit-il à ceux qui l'accompagnaient.
— Oui, amiral, répondit le lieutenant Boynct', de fleurs d'immortelles, n
Oui, c'était bien là l'emblème dont il eût fallu entourer cette demi-tombe
et celle plus profonde qu'on creusait à côté pour réunir les restes glorieux de
ceux qui avaient succombé; car, si l'ennemi avait cédé, ce n'avait été que
devant une bravoure dont il n'avait jamais conçu la possibilité, c Ce qui nous
a terrifiés, disait plus tard , en parlant de la journée du 14 décembre, un chef
chinois fait prisonnier au moment de l'occupation de Tuyen-Quan, ce n'est
pas autant vos canons, que nous connaissions déjà, que ces grands soldats
noirs qui s'avançaient toujours malgré le feu qui décimait leurs rangs. » Et
ce mémo chef ajoutait que Luu-Vinh-Phuoc accordait une telle importance à
Phu-Sa, que, dans la nuit du 14 au 15, il avait oOert deux cent mille francs
à son meilleur lieutenant pour nous en déloger.
On s'étonnera peut-être que l'attaque n'eût pas été mieux préparée par l'ar-
tillerie. C'est que, dans l'ignorance où ils se trouvaient du genre de retran-
chements qu'ils avaient devant eux , nos canonniers avaient cru remplir leur
tâche en se bornant à mettre les pièces de la défense dans l'impossibilité de
riposter; ils avaient bien ensuite cherché à battre les points où la fusillade
de l'ennemi semblait le plus nourrie, mais le terrain ferme sur lequel ils
tiraient ne formant qu'un but excessivement étroit, plus de la moitié des pro-
jectiles étaient tombés à côté , dans des rizières , où ils n'avaient pas éclaté.
Rien que dans Phu-Sa, on compta le lendemain au moins une vingtaine
d'obus de 14 cm. et de 90 mm. restés intacts. Le 16, on allait en trouver à
peu près autant dans une pagode, où ils avaient été transportés par les Pa-
villons-Noirs, qui 80 proposaient probablement d'en tirer parti.
Le bataillon passa toute la journée du 15 dans les ouvrages qu'il avait si
vaillamment conquis. Le soir, il fut relevé par le bataillon Reygasse, de l'in-
fanterie de marine , et vint se placer en seconde ligne dans un yillage situé
plus à l'ouest, entre la digue et le fleuve. L'ennemi avait abandonné toutes
ses défenses extérieures pour se renfermer dans l'enceinte de la ville, d'où il
ne chercha nullement à inquiéter ce mouvement, qui s'eflectua cependant à
une faible distance de ses nouvelles positions. La nuit elle-même, s'écoula sans
qu'il fût tiré un seul coup de fusil.
Le 16 au matin, notre ligne, ayant la digue pour appui, était disposée pa-
rallèlement au fleuve et dans l'ordre suivant : à l'extrême gauche, le bataillon
Reygasse, occupant Phu-Sa, puis le bataillon Chevallier (infanterie de ma-
rine), le bataillon Laguerre (fusiliers marins), le bataillon Letellier ( l*** Ti-
railleurs), et, formant l'extrême droite, le bataillon Donnier, de la légion
étrangère. En arrière, venaient les bataillons Roux et Dulicu, de l'infanterie
de marine; enfin, en réserve du bataillon Donnier et du bataillon Letellier,
le bataillon du 3^ Tirailleurs sous les ordres du capitaine Godon.
1 Passé plus tard capitaine à la légion étraogëre et tué au combat de Lam, le S oc-
tobre 1884.
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494 LE 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1883]
Dèa le point du jour, le bataillon du 1<"^ Tirailleurs se porta en avant, sur
la droite du village de Phu-Ni, situé entre la digue et l'enceinte. Sa miasîon
était de reconnaître la porte où aboutissait la route de Ilong-iloa, porle sur
laquelle Tamiral se proposait de diriger la principale attaque. La fusillade ne
tarda pas à s'engager; l'ennemi tirait des remparts mômes de l'enceinte et
d'une pagode fortifiée s*élevant à cent cinquante ou deux cents mètres à
l'ouest; son feu était très vif. Le commandant Letellier dut s'arrêter, dé-
ployer ses compagnies, et, devant la supériorité de la défense, demander
quelques renforts. Le bataillon du 3«» Tirailleurs prit aussitôt les armes et alla
se placer près de la pagode de Phu-Ni, en arrière du hameau de Ha-Tray. Il
était neuf heures. Un instant après, le bataillon de la légion étrangère se porta
en ligne à son tour, dépassa celui du l^*'' Tirailleurs, et s'établit à cheval sur
la route de Hong-lloa, face à l'angle nord-ouest de l'enceinte. L'amiral, qui
venait d'arriver, s'était décidé à une action générale, et toutes les troupes
étaient maintenant sous les armes, formant deux groupes menaçant les deux
extrémités du front nord de la ville. A gauche, on allait se borner à une dé-
monstration; adroite, l'action devait être poussée à fond. La flottille avait
remonté le fleuve et s'apprêtait à s'opposer & tout mouvement tournant.
Jusqu'à deux heures, la parole fut principalement au canon ; toutes les dis-
positions ayant alors été arrêtées, la légion étrangère reprit l'attaque entamée
par le i*^ Tirailleurs, et chercha par des bonds successifs & se rapprocher le
pkis possible de la porte ouest, sur laquelle le bataillon do fusiliers marins,
déployé À gauche, devait également concentrer ses efforts. L'artillerie secondait
ce mouvement en criblant de projectiles le saillant vers lequel on s'avançait.
Après avoir délogé les défenseurs de la pagode, le bataillon Donnier dirigea
sur la crête de l'enceinte une série de feux de salve qui provoquèrent l'admira-
tion de tout le monde par leur ensemble et leur précision. A cinif heures, ce
bataillon ne se trouvant plus qu*à cent mètres du fossé, l'amiral donna le
signal de l'assaut; la charge sunna, la légion, les fusiliers marins et quelques
compagnies d'infanterie de marine bO précipitèrent à droite et & gauche de lu
porte, franchirent le fossé, se frayèrent un chemin au milieu des bambous,
et, malgré la fusillade, escaladèrent le parapet et pénétrèrent dans la ville. En
même temps, les Pavillons-Noirs, qui avaient déjà, vers trois heures, essayé de
menacer notre droite et qui avaient été contenus par les obus du Pluvier et le
peloton du sous-lieutenant Pennel, du'S^» Tirailleurs, cherchant encore, bien
plus pour s'assurer de leur ligne de retraite que pour faire une diversion, à
nous inquiéter de ce cêté, le capitaine Godun portait tout son bataillon en
avant et le déployait face au sud, au deU du hameau de Ua-Tray. Hab, la
nuit approchant, et ce mouvement ayant suffi pour disperser les bandes qui
s'étaient montrées sur ce point, un instant après le bataillon fut de nouveau
rassemblé et ramené derrière la digue, à l'exception de la 3* compagnie, qui ,
jusqu'à onze heures, escorta des coolies transportant des munitions aux trou|)es
établies dans Sontay.
Là le combat avait également cessé. Après avoir forcé l'enceinte, la légion
étrangère, les fusiliers marins et l'infanterie de marine s'étaient avancés dans
la ville en chassant devant eux quelques groupes qui déchargeaient leurs armes
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[1883] AU tONKIN 495
avant do fuir, et étaient ainsi parvenus jusqa'à cent cinquante mètres de la
citadelle, qui leur avait envoyé quelques coups de canon; ils s^étaient alors
arrêtés, plutôt devant Tobscurité que devant le feu de la place, puis avaient
en toute hâte construit quelques barricades pour protéger le terrain conquis.
Sur la digue, le bataillon du 3<^ Tirailleurs ne prenait pas moins do précau-
tions pour s\)pposcr à un rolour oITcnsif, que la proximité do la routo de
llong-lloa et la possibilité de séparer le gros do nos troupes de la flottillo sem-
blait indiquer à un ennemi aussi entreprenant. Mais Tcxemple de la nuit du 14
oyant enlevé h ce dernier tout espoir de nous chasser des positions dont nous
nous étions emparés, il ne songea même pas à risquer cette dernière tentative,
et profila do Tobscurité pour se dérober. Vers trois heures du matin , un ca-
poral de l'une des compagnies d'infanterie de marine entrées dans la ville ,
s'étant avancé seul à une faible distance de la citadelle, fut frappé du silence
qui y régnait. Il voulut voir de plus près et rampa jusqu'à l'une des portes,
qu'il trouva entrebaillée et abandonnée par ses défenseurs. Il revint aussitôt
rendre compte du fait à ses officiers, qui de leur côté firent prévenir l'amiral.
Au point du jour, on put se rendre compte que l'événement était rigoureuse-
ment exact, et que les Pavillons-Noirs avaient bien réellement fui. On occupa
alors la citadollo, dans laquelle on trouva un immense approvisionnement do
riz, des armes, des munitions en quantité considérable et un trésor de cent
quarante mille francs. Avec les canons enlevés à Phu-Sa, le total des pièces
qui restaient entre nos mains s'élevait à cent sept. Une autre prise non moins
importante était celle d'une partie des papiers de Luu-Vinh-Phuoc.
Il était difficile d'établir, même d'une façon approximative, les pertes que
l'ennemi avait éprouvées dans les deux journées du 14 et du 16. Comme les
Arabes, les Chinois emportent leurs morts pendant le combat, pour les mettre
à l'abri do toute mutilation. Il n'était donc resté que ceux qui étaient toniliés
trop près de nous pour être enlevés; mais le nombre de ces derniers était
assez grand pour faire supposer que les défenseurs de Sontay n'avaient pas dû
avoir moins de douze à quinze cents hommes hors de combat. Le chiffre des
nôtres atteints par le feu de la place était de quatre cent deux; il y avait eu
quatre-vingt-trois tués, dont quotre officiers, et trois cent dix -neuf blessés,
dont vingt-deux officiers. De tous les corps de la colonne, le bataillon du 3" Ti-
railleurs était celui qui avait le plus souflcrt. Ayant encore perdu deux hommes
le 16, il comptait cent vingt-huit hommes tués ou blessés, dont huit officiers.
Bien qu'on n'eût pas suivi les Pavillons-Noirs dans leur retraite, on pouvait
présumer d'avance qu'ils s'étaient retirés sur llong-IIoa; bientôt des traces
vinrent changer cette supposition en certitude, et l'occasion d'une fructueuse
poursuite parut s'oflrir à ceux de nos bataillons qui la veille n'avaient pas
combattu. Malheureusement l'amiral Courbet venait d'être appelé à Ilanoî par
le départ de M. Ilarmand , et le colonel Bichot, à qui il laissait le soin de con-
tinuer les opérations, se borna, dans la journée du 17, à une simple recon-
naissance à quatre ou cinq kilomètres au sud-ouest de Sontay. Le 18, il y eut
repos; de sorte que les fuyards, qui avaient dû faire un long détour dans les
montagnes pour gagner les bords de la rivière Noire, eurent tout le temps de
s'assurer le passage de celle-ci, lorsqu'il eût été facile de les y devancer.
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406 LE 3« RÉOIUENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1683]
l/inlODlion do roinirol était de uiarchcr imuiéJiutouiont sur lIong-lliNi. Dous
ce but, une grande reconnaissance fut ordonnée pour le 19; presque toutes
les troupes y prirent part. On quitta Sontay à six heures du matin, et l'on
alla coucher non loin de la rivière Noire, qu'aucun pont ne permettait de
franchir. Le bataillon du 3« Tirailleurs passa la nuit dans le village de Phu-
Aou , qui allait être, pour ce Tait, brûlé quelques jours après par les Pavillons-
Noirs. Le lendemain , on rentra à Sontay sans avoir, dans toute cette région
qu'on parcourait pour la première fois, constaté le moindre symptôme d'hos-
tilité ches la population indigène, qui avait, au contraire, harcelé les Chinois
pendant leur retraite.
Le 24 , eut lieu une autre sortie , mais cette fois entre Sontay et Hanoi , dans
la région du Day, où d'importantes bandes de pirates troublaient depuis long-
temps la sécurité du pays. Le bataillon du régiment prit encore part à cette
opération, qui fut dirigée par le lieutenant-colonel Belin. Il fouilla le village
de Daî-Dong, incendia celui de Tach-Tach , mais sans y rencontrer les pirates
qu'on se proposait d'y cerner. Le soir mémo, la colonne rentrait & Sontay.
Cependant une canonnière qui avait essayé de remonter le fleuve Rouge
s'étant vue arrêtée par le manque d'eau , il avait fallu renoncer pour le mo-
ment à s'emparer de Ilong-lloa. La présence de cinq mille hommes à Sontay
devenant dès lors inutile, il ne fut maintenu dans celle place que trois batail-
lons d'infanterie et trois batteries d'artillerie. Do ces trois bataillons était celui
du 3* Tirailleurs; les autres oppartonaient à l'inlontorio do marine. C'était lo
lieutenant-colonel Dertbaut-Levillain , de ce dernier corps , qui devait exercer
les fonctions de commandant supérieur.
Depuis le 18, le bataillon s'était cantonné dans le village où il avait passé
la nuit du 15 au 16. Désigné pour occuper en permanence ce point, d*où il
devait détacher des postes sur la digue et sur le bord du fleuve, il s'occupa
aussitôt de son installation dans les maisons abandonnées par les Annamites;
des fortiBcstions furent en outre construites pour lui permettre au be:K>in de
résister avec ses propres moyens à une attaque venont du côté do Ilong-lloa.
Tous les jours il allait avoir une compagnie de grand'gardo. Mais ce service
sédentaire n'allait pas l'empêcher de prendre part à de nombreuses expédi-
tions; il s'agissait en eflbt de rétablir l'ordre dans la province, de poursuivre
d'audacieuses bandes de pirates qui incendiaient les villages et pillaient les
habitants, de faire de fréquentes apparitions sur la rivière Noire, où les Pa-
villons-Noirs restaient menaçants, et cette diflicilc tâche allait exiger une in-
cessante activité de la part de la petite garnison de Sontay. Aussi , comme il
serait trop long et peu intéressant de le suivre pas à pas dans chacune de ces
opérations de détail , nous contenterons-nous de donner une idée do ce qu'était
cette petite guerre qui a coûté tant de fatigues et d'eflbrts, et qui dure proba-
blement encore à l'heure qu'il est.
Par suite de l'état de profonde anarchie dans lequel se trouvait depuis de
longues années le Tonkin, de nombreuses bandes do pillards, obéissant en
général à des chefs entreprenants, parcouraient en tous sens le pays et le met-
taient en coupe réglée. Ces bandes n'avaient pas d'organisation régulière et
n'opéraient jamais de concert. Chacune avait sa région, qu'elle rançonnait ré-
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[1883] AU TONKIN 407
guliëroment dès que la récolte du riz avait amené TalBance chez les habitants.
Mal armées, elles n'étaient dangereuses que pour les populations paisibles
qu'elles exploitaient; mais parmi ces dernières elles inspiraient une véritable
terreur. Leur principal moyen d'intimidation était l'incendie; quelquefois
c'était aux personnes elles-mêmes qu'elles s'en prenaient, et dans ce cas le
maire du village et les notables qui l'assistaient répondaient généralement
pour leurs administrés.
Les pirates étaient informés de tout; ils avaient des intelligences dans
chaque localité et même jusqu'auprès de nos commandants d'armes , par les
interprètes et les lettrés que ceux-ci étaient obligés d'employer; ils étaient à
l'avance prévenus de nos moindres mouvements. Lorsqu'un village avait été
par trop pressuré , les habitants venaient généralement se plaindre à l'autorité
indigène , ou au résident , ou au commandant du poste le plus rapproché. Une
colonne était immédiatement organisée; elle se mettait en marche dans le plus
grand silence, de nuit le plus souvent, arrivait dans le repaire signalé, le
cernait, y pénétrait, et neuf fois sur dix n'y trouvait rien; ou bien les indi-
vidus qu'elle ramassait se donnaient pour de tranquilles paysans vacant à
leurs travaux. Les armes avaient été cachées soit dans la haie, soit dans la
mare voisine, soit dans les gros bambous formant la toiture des eagntUt^, et
le plus fin se laissait prendre (dans les commencements du moins) aux airs
larmoyants et soumis de ceux qui tout à l'heure mettaient cinquante familles
en fuite. Il arrivait maintes fois que le chef était averti de la marche d'une
colonne avant même que les troupes qui devaient en faire partie eussent con-
naissance de l'opération; dans ce cas, c'était par l'entourage du commandant
d'armes qu'il avait ce renseignement. Quand il n'avait pu se le procurer, il
apprenait notre approche perdes signaux faits de village à village, et consis-
tant dans un certain nombre do coups frappés sur un gong en bois. Pendant
la nuit, on se servait également de feux. Rarement les pirates essayaient do
résister, à moins iiue les forces envoyées contre eux ne fussent réellement trop
faibles. Quelques bandes devaient cependant à la présence de Chinois dans
leurs rangs une audace qui surprenait parfois; mais ni les unes ni les autres
n'allaient au-devant d'une rencontre, et si elles se défendaient, c'est qu'elles
avaient été surprises en flagrant délit de pillage ou d'incendie. Tels étaient
les adversaires qu'en dehors des Pavillons- Noirs et des réguliers chinois
allaient avoir à disperser nos soldats.
Parmi les opérations de ce genre qui eurent lieu pendant le séjour du ba-
taillon à Sontay, nous signalerons une excursion de la 3* compagnie (capi-
taine Carlos), eflectuée du 2 au 5 janvier 1884, avec une colonne aux ordres
du lieutenant- colonel de Maussion, de l'infanterie de marine, dans la région
montagneuse située au sud de la route de llong-Hoa; une sortie du capitaine
Godon avec les l'^^' et 4^' compagnies (capitaines Kathelot et Massip), le 11 ,
pour désarmer le village de Day-Than , à l'ouest de Sontay ; une petite expé-
dition sur les bords du Day, faite du 14 au 16, par la 4« compagnie avec un
1 Nom donné anx maisons annamites, et plus pariicolièrement aux cases en bambous,
en torchis et en chaume, dont se composent les villages.
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498 LE 3* RËQIIIBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS AU TONKIN [1883]
important détachemont d'infaiiterie de marine sous la direction du lieutenant-
colonel Berthaut-Levillain; une pointe sur la rivière Noire, à laquelle prit
part la l'* compagnie avec le bataillon de la légion étrangère commandé par
le lieutenant-colonel Donnier; une marche de nuit exécutée le 26 par la
2« compagnie, chaque homme ayant sur le sac quarante paquets de cartouches,
pour aller porter des munitions à une colonne opérant près du Day, sous les
ordres du commandant Reygasse, de l'infanterie de marine; enfin, du 11 au
14 février, une reconnaissance poussée sur les bords de la rivière Nuire par
le commandant Coronnat, de l'infanterie de marine, avec des troupes de di-
verses armes, dont la 4^ compagnie.
Hais ces expéditions , qui ne fournissaient presque jamais l'occasion d'en
venir sérieusement aux mains, ne satisfaisaient pas les Tirailleurs, qui avaient
hâte de faire payer aux Chinois les atrocités dont quelques-uns de leurs mal-
heureux camarades avaient été victimes à Phu-Sa; la marche sur Bac-Ninh
était donc impatiemment attendue, lorsqu*on apprit que l'amiral Courbet,
qui préparait activement cette opération, était remplacé dans le comman-
dement en chef par le général Hillot, et que cette dernière n'aurait lieu qu'à
l'arrivée des nouveaux renforts qu'on attendait de France.
Ce ne fut pas sans un profond regret que le corps expéditionnaire vit partir
le chef qui l'avait si brillamment conduit à l'attaque de Sontay ; car ce chef
n'inspirait pas seulement cette confiance aveugle que fait naître lo génie, mais
encore et surtout cette respectueuse nllection qui s'attache à l'Iiummo do cœur.
Ce ne fut pas non plus sans une vive émotion que le futur vainqueur de Fou-
Tchéou se sépara de ceux avec lesquels, disait-il , il avait marché pour la pre-
mière fois au feu; il les avait, pour les officiers du moins, tous vus successi-
vement à sa table, il les connaissait tous; non moins connu d'eux, il savait
très bien qu'il ne trouverait jamais de bornes à leur dévouement. Aussi
quelle admiration n'a-t-il pas laissée parmi eux I Le 31 janvier, il vint faire ses
adieux à la garnison de Sontay; tous les officiers se réunirent sur le bord du
fleuve, près de Phu-Sa, et il leur serra la main à tous, a Mon plus grand
honneur, leur dit-il, sera d'avoir commandé à des soldats tels que vous. » Il
exprima ensuite sa reconnaissance à ceux du butuillon de Tirailleurs, et Itss
assura qu'il ne les oublierait pas. Nous avons lieu de croire que ceux qui l'ont
vu là pour la dernière fois n'oublieront jamais, pour leur part, celui qui por-
tait si haut l'amour de son pays, et si loin l'interprétation du mot devoir.
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CHAPITRE IX
Envoi do nouveaux renforts. — Lo 3» bataillon du régiment est appelé à en faire partie;
sa composition, son départ, son arrivée. — Les Tirailleurs algériens sont réunis en
un seul régiment. — Commandement du général Millot. — Marche sur Bac-Ninh. —
Attaque et enlèvement des hauteurs de Trong-Son (12 mars 1884). — Poursuite des
Chinois. — Rentrée des troupes h Hanoi. — Prise do Ilong-IIoa. — Occupation de
Tuyen-Quan. — Premier traité de Tien-Tsin. — Nouvelle convention conclue avec
la cour de Hué (6 juhi 1884). — Incident de Bac • Lé. — Colonne envoyée an secours
du colonel Dogenne. — Combat du 27 juin. — Le général Millot rentre en France
et laisse le commandement au général Brière de llsle.
L*opiniâtreté avec laquelle Sontay avait été défendTa faisait supposer que Bae-
Ninh n'opposerait pas moins de difficultés ; cette place passait môme pour avoir
été encore plus rormidablemcni fortifiée ; do plus, on la disait occupée par vingt
h vingt-cinq niilio liomincs de Tarmée de Kouang-Si, et bien qu'on n'allAt pas
jusqu'à comparer les soldats réguliers de la Chine à des troupes européennes,
on avait cependant lieu de les croire sinon plus braves, du moins mieux organi-
sés, mieux exercés, mieux armés et mieux commandés que les Pavillons-Noirs.
Malgré l'autorité morale que lui donnait un grand succès, l'amiral Courbet
n'avait donc pu songer à marcher contre ce nouveau centre de résistance avec
les seules forces dont il disposait; car ces dernières étaient non seulement
afiaiblies des pertes subies devant Sontay, mais encore de l'importante gar-
nison qu'il avait fallu laisser dans ce poste pour le mettre à l'abri d'un retour
possible de Luu-Vinh-Phuoc. Dans ces conditions, l'envoi de nouveaux renforts
devenait indispensable. Cette éventualité, le gouvernement l'avait prévue;
aussi cette fois les secours nécessaires furent -ils embarqués sans retard. Ces
secours consistaient dans six bataillons d'infanterie, deux batteries de 80 de
montagne, deux batteries do position et un détachement de cinquante chas-
seurs d'Afrique; ils devaient porter le corps expéditionnaire à environ seiie
mille hommes avec les services auxiliaires, et permettre la formation de deux
brigades actives, à la tète desquelles allaient être placés les généraux Brière
de risle et de Négrier. Le général Millot, qui avait fait l'expédition de Coehin-
chine de 1862 à 1864, d'abord comme capitaine, ensuite comme capitaine
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BOO
LB 3® RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1S841
adjudant-major aux Tirailleurs algériens, était désigné pour exercer le com-
mandement en chef en remplacement de Tamiral Courbet, qui, nommé vice-
amiral à la suite de la prise de Sontay, conservait celui de la division navale.
Les six bataillons de renfort, à l'effectif de huit cents hommes chacun,
furent pris moitié en France, moitié en Algérie; les trois de France furent
tirés des 23<^, 111® et 143^ de ligne; les trois d'Algérie, de la légion étrangèi-e,
du 3* bataillon d'infanterie légère d'Afrique et du 3« Tirailleurs. Ces trois
derniers devaient former le 2* régiment de marche du 19® corps d'armée. Le
3* Tirailleurs eut en outre à fournir un détachement de deux cents hommes
pour porter l'effectif de son ^^' bataillon au même chiffre que celui fixé pour
les bataillons nouvellement embarqués; il allait ainsi avoir maintenant seize
cents hommes au Tonkin.
Les ordres prescrivant ce nouveau départ étaient arrivés au colonel Boitard
le 8 décembre. Le 19, le 3<* bataillon du régiiuoat quittait Constuntine pour
se rendre par étapes à Pbilippeville , où il devait s'embarquer avec les ren-
forts destinés au l*'' bataillon. Il était ainsi composé :
HM. DeMibidle,
Mercier,
Peyre ,
Pieri,
Audiguier,
chef de bataillon,
capitaine adjudant-major,
sous-lieutenant officier payeur,
sous-lieutenant officier d'habillement,
médecin aide-major de 1^ classe.
l'* compagnie.
MH» Camper, capitaine.
Valet, lieutenant français.
Kaddour-ben-Ahmed , lient, ind.
De Féraudy, sous-lieut. français.
Mcssaoud-ben-el-Aïd, sous-lieu-
tenant indigène.
2* compagnie.
MH. Chirouze, capitaine.
Hartineau, lieutenant français.
Embarck-ou-Alia , lient, ind.
Lambert, sous-lieut. français.
Messaoud-ben-Debeza, sous-lieu-
tenant indigène.
3^ cotnpagnk,
MM. Polère, capitaine.
Planté, lieutenant français.
Mohamed -ben -M' Ahmed, lieu-
tenant indigène.
Guignabaudet, s.-licut. français.
Sassi-ben-Sussi , sous-lieut. ind.
4® cofnpagnie,
MM. Lochert, capitaine.
Palmade, lieutenant français.
Tahar-ben-Dzitouch, lient, ind.
Dégot, sous-lieutenant français.
Mohamed-ben-Embarck, sous-
lieutenant indigène.
Le détachement arriva à Pbilippeville le 23. L*embarquement eut lieu le
31 décembre sur le Comorin, paquebot de la compagnie nationale de Marseille.
Le Comorin arriva à Port-Saïd le 4 janvier 1884 , à Colombo le 24 , et, le 7 fé-
vrier, dans la baie d'AIlong. Cette traversée s'était effectuée dans les meilleures
conditions. Le 8 février, Pétat-major du bataillon et la 2** compagnie furent
transportés à Ilai-Phong sur la canonnière le Lynx; le 9, la Saône effectua la
même opération pour les trois autres compagnies.
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[1884] AU TONKIN 501
De Ilai-Phong, le bataillon de Mibielle fut dirigé sur Hai-Dsuong sur des
jonques remorquées par des vapeurs. Parti le 11 février, U arriva le 12, Mais
c*était là une erreur ; destiné à faire partie de la i'« brigade , qui se concentrait
à Hanoi, il lui fallut repartir le 17 pour cette dernière ville, où il se trouva
réuni le 24.
L'arrivée des nouvcnti^c renforts avait entraîné une nouvelle organisation
des régiments de marche; afin de donner à ceux-ci plus d'homogénéité, on les
avait, autant que possible, cojnposés d'éléments de même provenance. C'est
ainsi que le 1®^ ne comprit que des Tirailleurs algériens; le 1«' bataillon du
1«' Tirailleurs en constitua le l^ bataillon ; le l^' bataillon du 3», le 2« batail-
lon et le S*' bataillon du 3°, le 3<) bataillon. Le lieutenant- colonel Belin en
conservait le commandement. Le ^ bataillon était toujours sous les ordres du
capitaine Godon , le commandant Jouneau , nommé lieutenant-colonel et rentré
en France à la suite de la blessure qu'il avait reçue à Sontay, n'ayant pas
encore été remplacé.
Le \^^ régiment de marche fut placé dans la \^^ brigade (général Briëre de
risle). Cette brigade, nous l'avons dit, devait se concentrer à Hanoi. A cet
eflet, le bataillon Godon fut rappelé de Sontay; il quitta cette place le 25 fé-
vrier, et arriva h Hanoi le 27. L& il trouva les deux cents hommes de renfort
destinés h compléter son cITcctif. Avec ces renforts était arrivé un officier,
M. Simon, lieutenant, nommé en remplacement do M. Rathelot, passé capi-
taine au 136<^ do ligne, mais provisoirement maintenu au corps pour occuper
la place laissée vacante par le capitaine Godinet, tué à l'ennemi.
Cette concentration avait pour but la marche sur Bac-Ninh, que le général
en chef voulait entreprendre avant l'arrivée des grandes chaleurs. Cette opé-
ration commença le 7 mars par le passage du fleuve Rougo par une partie des
troupes réunies h Hanoi. Le lendemain, le régiment de Tirailleurs algériens
quitta à son tour la citadelle h cinq heures du matin; à dix heures, il était on
entier sur la rive gauche.
Le plan du général Millot consistait à tourner les défenses que les Chinois
avaient accumulées sur la route de Hanoï, et à attaquer Bac-Ninh par le sud.
La 1<'« brigade, ayant Hanoi comme base de ravitaillement, devait s'avancer
parallèlement au canal des Rapides, à quelques kilomètres de sa rive droite,
en cITectucr le passage dans les environs du marché de Chi , puis, faisant front
vers le nord, manœuvrer do concert avec la brigade de Négrier, qui, partie
de Hai-Dzuong, occupait depuis quelques jours les sept Pagodes, nœud des
routes fluviales formées par le canal des Rapides, le Song-Cau et leTal-Binh.
Cette dernière avait pour mission de remonter la rive droite du Song-Cau,
d'enlever plus particulièrement les ouvrages avancés situés à l'est de la place,
et de couper, si c'était possible, la retraite à l'ennemi. Elle devait être appuyée
par la flottille, qui avait reçu l'ordre de détruire avec son canon les nombreux
barrages que les Chinois avaient construits pour entraver la navigation du
Song-Cau.
La brigade Brière de l'Isle, comprenant les Tirailleurs algériens, deux ré-
giments de marche d'infanterie de marine, le bataillon de fusiliers marins
du commandant Laguerre, quelques compagnies de Tirailleurs annamites et
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602 LB a* RÉOIMBNT DB TIIUILLBUR8 ALOftRIBNS [1884]
une nombreuse artillerie, quitta les bords du fleuve Rouge le 8, vers midi.
Le général en chef raccompagnait. Dès ce jour on put se faire une idée de ce
que serait cette marche : on fit environ six kilomètres, et l'arrière-garde
n'arriva qu'à onze heures du soir. Cette lenteur provenait du dispositif adopté;
toute la brigade était, en effet, engagée sur une seule roule, dont le mauvais
état obligeait souvent les hommes à marcher à la file, un par un; de là un
allongement considérable. Nulle prescription concernant les distances et les
haltes horaires ne pouvait être observée : un mauvais pas qu'on réparait en
avant, une pièce qui versût dans la rizière suffisaient pour arrêter toute la
colonne pendant une heure et même plus; ne sachant la durée de cet arrêt,
les bataillons, sac au dos, piétinaient alors sur place, jusqu'à ce que la frac-
tion qui les précédait se fbt mis en mouvement. On devait ainsi mettre une
moyenne de quatorze heures pour parcourir des étapes de huit à dix kilo-
mètres. Debout avant le jour, les troupes allaient presque toujours arriver au
cantonnement à la nuit close, mangeant peu et mal, faute de temps pour
préparer les aliments.
Le 8, on bivouaqua dans la plaine; le 9, le 1*^ régiment de marche can-
tonna dans le village de Nga-Tu-Dau. Le 10, on commença à entendre le
canon :- c'était la canonnière la Carabine, qui, du canal des Rapides, tirait sur
quelques bandes en fuite vers le nord. Ce jour-là, on cantonna au village de
Binh-Lê, près du canal, qu'on traversa le lendemain matin sur la Trombe et
V Éclair. Pendant ce temps, le général do Négrier s'était emparé du fort do Dô-
Son, élevé entre le canal des Rapides et le Song-Cau, à peu près à la hauteur
du marché de Chi.
Il s'agissait maintenant de s'avancer vers Bac-Ninh par le sud, en effectuant
un léger changement de direction à gauche avec la l'* brigade pour pivot;
la 2« devait forcer sa marche, de façon à déborder la gauche de l'ennemi et à
se placer entre la ville et le fleuve pour intercepter la route de Lang-Son. Le
terrain sur lequel on devait opérer était toujours le pays de rizières en partie
inondé, et présentant çà et là de nombreux villages entourés de haies vives
de bambous. En avant de la l^* brigade s'élevait une série de hauteurs d'une
altitude moyenne de cent cinquante mètres, que les Chinois avaient couron-
nées d'ouvrages en terre dont on ne pouvait de loin juger la forme et l'impor-
tance, mais qu'on avait lieu de supposer fortement occupés, à la profusion
de drapeaux de toute couleur qu'on y voyait déployés. Ces hauteurs étaient le
Trong-Son, ligne de mamelons dénudés s'étendant au sud-est de Bac-Ninh
et parallèlement au cours du Song-Cau.
Le 12, devait avoir lieu l'attaque de cette position. Cette mission incombait
à la l^* brigade. Celle-ci quitta son cantonnement de Toi-Xam à six heures
du matin et longea le canal des Rapides jusqu'au marché de Chi, où elle fit
la grand'halte. Elle devait attendre, pour prononcer son attaque, que le mou-
vement tournant du général de Négrier fût suffisamment prononcé. Vers une
heure, l'action paraissant vivement engagée sur la droite, le 2« bataillon (l*'
du 3« Tirailleurs, capitaine Godon) du l^'*' régiment de marche reçut Tordre
d'enlever les principaux retranchements du Trong-Son; il devait être appuyé
à gauche par le bataillon Coronnat, de l'infanterie do marine, en arrière par
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[1884] AU TONKIN 503
celui de fusiliers marins. Arrivé à dix- huit cents mètres, il prit la formation
de combat, n*ayant dès le début que deux échelons, la chaîne et le soutien.
Les 2* et 4« compagnies, formant la 1^^ ligne, s'avancèrent les escouades dé-
ployées; les l^ et 3« restèrent en colonne de compagnie. *Ces mouvements
s'exécutèrent dans là rizière avec de Teau jusqu'au genou.
Pendant ce temps, rartillcrio s'était rapprochée et avait ouvert son feu.
Sous sa protection, l'infanterie continua d'avancer, mais lentement, à cause
de l'inondation du terrain. Enfin on arriva à environ cinq cents mètres. A ce
moment Tennemi, qui avait déjà commencé à dégarnir les crêtes, se décida
à les évacuer tout à fait; le capitaine Cuvellier, chef du service topographique,
qui était monté dans la nacelle du ballon la Vigie pour observer ses mouve-
ments, le vit se retirer précipitamment en emportant ses drapeaux. Quelques
groupes restaient cependant encore; mais bientôt, après avoir déchargé leurs
armes, ils prirent la fuite & leur tour. Vers trois heures, lorsque la charge
sonna, les forts du Trong-5on étaient complètement abandonnés; c'est à peine
si les Tirailleurs avaient essuyé cent cinquante coups de fusil, à peine si,
pour leur compte, ils avaient brûlé deux mille cartouches; mais cette marche
'de près de deux kilomètres dans une vase qui, en certains endroits, leur
venait jusqu'au ventre, les avait extrêmement fatigués. Ce fut néanmoins
avec le même entrain qu'à Sontay que, sac au dos, ruisselants d'eau et de
boue , ils s'élancèrent sur les pentes du premier mamelon , que les 2* et 4« com-
pagnies occupèrent sans coup férir. Immédiatement ralliées, ces dernières
exécutèrent quelques feux de salve sur les fuyards; puis, se précipitant de
nouveau, occupèrent sans plus de difficultés tous les forts qu'elles trouvèrent
en avant. Enfin , ayant dispersé les derniers Chinois et n'apercevant plus de
retranchements devant lui, le bataillon s'arrêta sur les positions conquises
pour y passer In nuit. Sur la gauche, non moins vigoureusement menée par
rinfantcrio do marine, l'attaque avait donné les mêmes résultats; do sorte
qu'à six heures la 1"^ brigade était maîtresse de tout le Trong-Son sans avoir
eu un seul homme hors de combat. Le bataillon Godon était le seul bataillon
de Tirailleurs qui eût été engagé; celui du commandant do Mibielle était resté
en réserve jusqu'à cinq heures du soir, moment où il était venu s'établir dans
le village d'An-Mao, à l'est du Trong-Son. Pendant la nuit,' il ne fut pas
échangé un seul coup de fusil.
Le lendemain 13, la marche sur Bac-Ninh reprit dès six heures du matin.
L'avant-garde était fournie par le bataillon de Mibielle. Le bataillon Godon
devait former l'arrière-garde après avoir détruit les ouvrages enlevés la vdlle.
On s'attendait à une action sérieuse pour cette journée; on pensait que les
Chinois n'avaient si facilement évacué leurs forts extérieurs que pour mieux
se défendre dans la place , où ils disposaient d'une magnifique citadelle à la
Vauban, qu'ils avaient, disait- on, armée de nombreuses pièces Krupp. Aussi
quel ne fut pas l'étonnemcnt , disons mieux , le désappointement de tous lors-
qu'on apprit, dès les premiers pas de la colonne, que cette citadelle était elle-
même occupée depuis la veille par les troupes du général de Négrier I Bientêt
la vue du drapeau tricolore surmontant la tour du mirador vint dissiper le
doute des phis incrédules , et il fallut en prendre son parU : après cinq jours
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(t04 LE 3« nÉOIMBNT DR TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1884]
de morchos accablantes, après cinq jours de fatigues supportées stoïquement
•dans l'espoir de recueillir un peu de gloire, la l^^ brigade en était pour ce
grand coup d'épée dans l'eau : le Trong-Son. Pendant qu'elle s'était attardée
à cette opération, le commandant de la 2* avait poursuivi son mouvement ep
avant, ne laissant aucun répit aux Chinois, les délogeant successivement de
tous les points où ils avaient essayé de tenir, s'était emparé des hauteurs de
Dap-Cau et de Ti-Cau dominant la ville, avait dirigé sur celle-ci le feu de
toute son artillerie; puis, voyant que l'ennemi ne ripostait pas, avait envoyé
quelques reconnaissances qui avaient trouvé les portes ouvertes et la place à
peu près abandonnée. Il s'était alors placé sur la ligne de retraite des Chinois;
mais ceux-ci, n'étant pas inquiétés au sud et à l'ouest, avaient pu librement
faire un grand circuit pour remonter ensuite vers le nord, passer le Song-Cau
à Gam et gagner les routes de Thai-Nguyen et de Lang-Son. On avait trouvé
dans Bac-Ninh une batterie Krupp, une mitrailleuse, une centaine de canons
en bronze ou en fonte, et plusieurs objets do luxe dont l'abandon dénotait
une fuite précipitée.
Le 14 , il y eut repos pour permettre aux troupes de renouveler leurs appro-
visionnements en vivres et en munitions. Le 15, il fut formé deux colonnes
mobiles, dont les généraux Brière de l'isle et de Négrier eurent le comman-
dement. Le 3« bataillon du 3« Tirailleurs fit partie de la première de ces co-
lonnes, qui se dirigea sur Thaî-Nguyen. Le Song-Cau fut traversé à Gam sur
des jonques et des sampans; on se lança sur la trace des Chinois; mais ceux-ci
avaient une avance trop considérable, et c'est à peine si les jours suivants on
allait trouver quelques groupes de traînards, que l'avant-garde allait facile-
ment disperser. Le 16 , on occupa sans coup férir la petite citadelle de Yen-
Thé; le 19, ce fut le tour de Thai-Nguyen, qu'on trouva également évacué.
Le 21, la colonne reprit le chemin de Bac-Ninh , où elle rentra le 23 mars. Plus
heureuse, la colonne de Négrier eut sur la route de Lang-Son deux petits en-
gagements dans lesquels elle s'empara d'une seconde batterie Krupp.
Le bataillon Godon n'avait pas pris part à ces dernières opérations; en rai-
son des fatigues qu'il avait eu à supporter dans la journée du 12, il était
rentré à Hano! en deux élapes effectuées les 15 et 16 mars. Le 26, le bataillon
de Hibielle était également de retour dans cette place, où se réunissaient tous
les éléments de la colonne devant opérer contre Hong-Hoa.
Telle fut, pour les Tirailleurs du moins, l'expédition de Bac-Ninh, qui
semblait devoir dépasser en diflicultés celle de Sontay. Elle n'avait coûté que
huit tués et trente-neuf blessés; encore ces pertes insignifiantes portaient-elles
uniquement sur la brigade de Négrier. Contrairement à ce qu'on s'attendait,
les réguliers chinois s'étaient montrés de beaucoup inférieurs aux Pavillons-
Noirs. Les fortifications qu'on avait rencontrées ne rappelaient d'ailleurs en
rien celles de Sontay; mal conçues , mal exécutées, n'offrant aucun abri contre
les coups de notre artillerie, il avait suffi de quelques obus pour les rendre
intenables à leurs défenseurs. L'emploi des défenses accessoires, dont Luu-
Vinh-Phuoc avait si habilement tiré parti partout où il s'était retranché, sem-
blait avoir été complètement inconnu au général Hoang-Ké-Lang. Aussi le chef
des Pavillons-Noirs s'était-il refusé à prêter son concours pour la défense d'une
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[1884] AU TONKIN 505
place aussi mal organisée; après Tayoïr visitée, il était rentré à Hong-Hoa en
donnant aux Chinois le conseil de ne pas nous attendre. Le succès avait donc
été d'autant plus facile, qu'en présence d'obstacles de moitié moins impor-
tants qu'à Sontay, on avait disposé de moyens deux fois plus puissants. C'é-
tait, en effet, avec environ dix mille hommes que le général Millot avait exé-
cuté cette opération ; do plus , la division do ses troupes en deux colonnes assez
fortes pour pouvoir à la rigueur combattre isolément lui avait permis de faire
ce qui n'avait pas été possible à Sontay, de manœuvrer. Ajoutons que, bien
qu'en partie inondé , le terrain ne s'était pas précisément opposé aux grands
déploiements, et par suite aux combinaisons tactiques. Si celles-ci ne don-
nèrent pas tous les résultats qu'on en attendait, il faut en voir la cause dans
la facilité même du succès, facilité qui avait déjoué toutes les prévisions et
presque fait croire à un piège de la part de l'ennemi. Il est certain que si,
dans la journée du 12, la l*"* brigade ne se fût pas attardée à attaquer dans
toutes les règles la position du Trong-Son, une bonne partie de l'armée chi-
noise eût été faite prisonnière. Mais comment, après le sanglant assaut de
Phu-Sa et Tîncontestable valeur rencontrée chez les irréguliers de Luu-Vinh-
Phuoc, supposer que les Célestes du commencement de 1884 donneraient
encore une vague idée de ceux de 18607 Ils allaient malheureusement prouver
par la suite que les progrès qu'on ovait signalés dans leur organisation mili-
taire n'étaient pas une fiction ; et bon nombre de ceux qui , les jugeant d'après
leur conduite h Bac-Ninhetàllong-IIoa, allaient affecter le plus grand mépris
à leur égard, devaient dans d'autres circonstances revenir singulièrement sur
cette opinion, qui ne tendait rien moins qu'à démontrer que les pertes que
nous avions subies dans les combats antérieurs ne pouvaient être, en grande
partie, imputables qu'à l'imprévoyance et à l'aveugle témérité des chefs qui
avaient alors dirigé les opérations.
Dans l'ordre général adressé aux troupes à l'occasion de la prise de Bao-
Ninh , le capitaine Godon était cité pour Tintelligence avec laquelle il avait
dirigé son bataillon à l'attaque du Trong-Son.
Bac-Ninh en notre pouvoir, il ne nous restait plus, pour être effectivement
maîtres de tout le Delta et de tous les débouchés le fermant aux Chinois, qu'à
chasser les Pavillons-Noirs de Hong-Hoa. Dès sa rentrée à Hanoi, le général
Millot s'occupa activement des préparatifs de cette nouvelle expédition. Rn
attendant, pour mettre Sontay à l'abri d'un coup de main possible à cause de
l'extrême réduction de la garnison, il y envoya au plus vite quelques troupes.
Le 26 mars, le bataillon Godon quitta llanot pour s'y rendre par étapes; il y
arriva le 28, et fut cantonné dans les abords de la citadelle.
La perte de Sontay, l'abandon entre nos mains de la plus grande partie de
son trésor, de son matériel et de ses approvisionnements, les vides énormes
faits dans sa troupe par notre feu et les désertions, le découragement qui avait
dû s'emparer de ses meilleurs soldats, n'avaient nullement abattu Luu-Vinh-
Phuoc; avec une ténacité, une persévérance dénotant chez lui une force mo-
rale et une autorité peu communes, il se disposait encore à nous résister. Pour
cela, il avait entrepris à Hong-Hoa une série de travaux de défense, dont le
développement ne mesurait pas moins de douze à quinze kilomètres. Ces ou-
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806 LE 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1884]
vragesi dont quelques-uns étaient do véritables forts détachés, étaient con-
sidérablement avancés au moment de la chute de Bac-Ninh. Il y eut alors,
parait-il, des pourparlers pour obtenir à prix d'argent la soumission du vieux
chef taïping; mais ce dernier, prétendit-on, répondit qu'il nous combattrait
jusqu'à la dernière extrémité; que, s'il ne pouvait tenir à Hong-IIoa, il se
retirerait pour aller se fortifier plus loin, et ainsi de suite tant qu'il lui reste-
rait une poignée de partisans.
Dans ces conditions, il n'y avait plus qu'à agir. Le 5 avril, les troupes de
la 1*^ brigade qui devaient prendre part à cette opération furent dirigées sur
Sontay ; celles de la 2« brigade devaient suivre à une journée d'intervalle. Les
Tirailleurs algériens étaient encore appelés à marcher, à l'exception cependant
des !''« et 2» compagnies du bataillon Godon , désignées pour demeurer à Son-
tay. L'état-major et les deux autres compagnies de ce bataillon avaient l'ordre
de rallier le restant du 1^^ régiment de marche à son passage dans cette place.
Arrivée à Sontay le 7 avril, la brigade Brière de Flsle en repartit le 8 pour
les bords de la rivière Noire, où elle arriva le 10 à neuf heures du matin,
après avoir passé la journée du 9 à Dong-Cau , village situé à quelques kilo-
mètres en arrière. Elle prit position sur les hauteurs de la rive droite, face à
Hong-Hoa, dont on apercevait seulement le mirador. L'artillerie se mit immé-
diatement en batterie, et dispersa quelques groupes qui s'étaient montrés sur
la rivo opposée. En mémo temps, une batterie de 80 de campagne commençait
lû bomlmrdomont des ouvrages los plus rapprochés. La journée allait se passer
ainsi en attendant la brigade de Négrier, qui, ayant pris la digue longeant la
rive droite du fleuve Rouge et ayant à protéger la flottille, à laquelle le manque
d'eau créait de nombreuses difficultés, ne devait arriver que le lendemain.
Vers dix heures du matin , le capitaine Godon reçut l'ordre d'aller s'établir
avec les deux compagnies de son bataillon dans le village de Trong-Ha , sur le
bord même de la rivière Noire, vis-à-vis celui de Quan-Tricn, sur la rive
gauche, occupé par les Pavillons-Noirs. La 4^ compagnie (capitaine Massip)
se déploya le long de la berge de la rivière, et eut aussitôt à répondre à un
feu asses vif, mais heureusement peu meurtrier ; elle riposta d'abord par
quelques feux de salve, puis, étant parvenue à se constituer rapidement des
abris au moyen de gros madriers trouvés en quantité sur les lieux, elle se
borna à un tir ajusté exécuté par ses meilleurs tireurs. La 3^ compagnie ( ca-
pitaine Caries) resta massée sur la gauche du village, n'ayant près de la
rivière qu'un petit poste, qui eut également l'occasion do brûler quclifues
cartouches et de disperser quelques groupes ennemis. A ce moment, les Pa-
villons-Noirs essayèrent de mettre en batterie une mauvaise pièce de canon ,
mais ils durent bientôt y renoncer devant la précision de notre feu.
Dans l'après-midi, l'ennemi commença à se replier sur Hong-lloa; il ne
resta plus le long de la rivière Noire que quelques hommes formant un rideau
continu, afin de surveiller nos moindres mouvements. A la nuit, nos troupes
s'installèrent au bivouac; les deux compagnies du bataillon Godon dans le
village de Trong-Ha, le bataillon de Mibielle à cinq cents mètres au sud de
la route de Sontay à ilong-iloa, avec des petits postes près de la rivière. La
nuit s'écoula sans incident.
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[1884] AU TONKIN K07
Le londemain , dès la pointe du jour, les postes ennemis tirèrent encore quel-
ques coups de feu, puis se retirèrent pour ne plus revenir. Pendant cette courte
fusillade, la i^ compagnie (capitaine Camper) du 3* bataillon eut un homme
blessé. Ce devait être le seul de toute la colonne pour toute cette expédition.
A huit heures, arriva la brigade de Négrier, qui releva dans le village de
Trong-lla les deux compagnies du bataillon Godon , et s'établit sur les hau-
teurs situées au nord de la route de Sontay. Avec cette brigade se trouvait le
général en chef, qui donna immédiatement ses derniers ordres pour Texécu-
tion du plan d'opérations auquel il s'était arrêté. D'après ce plan, la 1^* bri-
gade devait remonter la rive droite de la rivière Noire jusqu'à Bat^Bac, passer
sur la rive gauche au moyen de jonques, de radeaux et de sampans, et prendre
une route do montsgne permettant de tourner les défenses de l'ennemi par le
sud-ouest. Pendant ce temps la 2® brigade, demeurée sur les positions qu'elle
venait d'occuper, devait entretenir un violent fou d*artillerie sur la ville et ses
abords, pour détourner complètement l'attention de l'ennemi. Une batterie
de 95, amenée sur des chalands et hissée à grand*peine sur un mamelon d'où
Ton apercevait confusément Hong-IIoa, devait tirer sur la ville et sur un pont
de radeaux la faisant communiquer avec la rive gauche du fleuve Rouge.
Aussitôt que le mouvement de la brigade Brière de l'isie serait assez pro-
noncé , le général de Négrier devait à son tour faire franchir la rivière Noire
à ses troupes , et marcher sur la place par la route directe.
Ces diverses opérations commencèrent le jour même, à onse heures du ma-
tin. Toute la 1^ brigade, & l'exception des deux compagnies du bataillon
Godon , qui furent laissées au village de Trong pour y assurer la construction
d'un pont, se mit en route pour Bat -Bac, où elle arriva & la nuit. Le lende-
main 12, le passage était terminé, et la marche était reprise à dix heures du
malin, avoc le bataillon do Mihiello en têlo du gros. Cette marche continua
jusqu'à sept heures du soir, dans des chemins impraticables où la colonne
était à chaque instant arrôtcc par la nécessité d'ouvrir des passages ou de faire
des rampes pour l'artillerie. Enfin le 13, à onze heures du matin, on arriva
à Ilong-Hoa, où venait de pénétrer un bataillon de la brigade de Négrier. La
ville n'était plus qu'un amas de cendres. Dès le 11 , les Pavillons-Noirs avaient
commencé à l'évacuer, et, la nuit arrivée, y avaient mis le feu. Renonçant à
se défendre contre des forces aussi considérables que celles qui s'avançaient
contre lui, craignant d'ailleurs que sa ligne de retraite ne vint tout à coup à
lui être coupée, Luu-Vinh-Phuoc avait pris le parti de se retirer; mais, grâce
aux moyens de passage qu'il s'était réservé sur le fleuve Rouge, il avait pu,
cette fois, erfectuer sa retraite sans précipitation, ne nous laissant qu*une tren-
taine de mauvais canons et des ruines encore fumantes où nos troupes durent
renoncer à trouver le moindre abri*. Ses pertes en hommes n'avaient pas dû
être considérables; car, en raison de la distance, les effets matériels de notre
artillerie avaient été, pour ainsi dire, insignifiants. Nous avions de notre côté
un blessé et cinq noyés.
1 Gcrl n*c.<^i dit que pour la ciLidelIe. La ville proprement dite possédait encore
quelques pagodes et quelques constructions intactes.
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608 LE 3« RÉQIIIBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS (18841
Los foriiGcalions de Ilong-IIoa offraioni certaiDomoDi un exomplo dos plus
curieux de ce que peut la patience alliée à Tinstinct de la conservation : presque
tous les ouvrages étaient casemates et reliés entre eux par des galeries souter-
raines ressemblant à de vastes cheminements de taupe. Il y avait des kilo-
mètres de ces boyaux étroits s*enfonçant parfois à de grandes profondeurs sous
le sol. Ces ouvrages avaient été, il est vrai, tellement construits en vue de la
protection de leurs défenseurs, qu'ils n'en conservaient plus qu'une médiocre
valeur; mais il faut reconnaître que leur emplacement et leur tracé pouvait
suppléer, dans une certaine mesure, à ce que leur exécution avait de défec-
tueux. La citadelle, de même forme et de même grandeur que celle de Sontay,
n'en différait que par son fossé, qui était un peu plus profond, mais beaucoup
plus étroit.
Les jours suivants, des colonnes légères firent des pointes vers Dong-Van,
au sud-ouest de la place, et sur Phu-Lam-Tao, sur la rive droite du fleuve
Rouge; mais les Tirailleurs algériens ne prirent point part à ces opérations,
qui se bornèrent d'ailleurs au paircours d'un pays abandonné.
Le 17 avril, les 1«' (commandant Hesling) et 3* (commandant de Mibielle)
bataillons du 1^ régiment de marche se mirent en route pour Sontay sous
les ordres du lieutenant-colonel Letellier. Ils franchirent la rivière Noire sur
le pont de bambous qui avait été construit par les pontonniers avec l'aide des
habitants, sous la protection des doux compagnies du bataillon Godon au vil-
lage de Trong. Ces deux compagnies furent à ce moment relevées par les
l'* (capitaine Camper) et 4* (capitaine Lochert) du bataillon de Mibielle, et
prirent leur place dans la colonne pour rentrer à Sontay, oii l'on arriva à
trois heures du soir. Le même jour, le sous-lieutenant Messaoud-ben-el-Aîd ,
de la compagnie Camper, se noyait dans la rivière Noire en voulant porter
secours à un Tirailleur entraîné par le courant. On ne devait malheureuse-
ment pas retrouver le corps de ce brave oflicier, victime de son dévouement.
Les 2* (capitaine Chirouze) et 3® (capitaine Polèro) compagnies du bataillon
de Mibielle, ayant été laissées à Suutay pour y tenir garnison à lu pluco dos
if et 2* du bataillon Godon, le 18, les deux premiers bataillons du i^' régi-
ment de marche continuèrent leur route sur Hanoi, où ils furent de retour
le 19.
Depuis quelques jours, le courrier de France avait apporté la liste des ré-
compenses accordées à l'occasion de la prise de Sontay. Au l^' régiment de
marche, le lieutenant-colonel Belin était nommé colonel. Des dépêches avaient
fait connaître antérieurement la promotion des trois chefs de bataillon , MM. Le-
tellier, Jouneau et Donnier, au grade de lieutenant-colonel. Par une décision
ministérielle du 19 février, M. Letellier était désigné pour succéder au colonel
Belin.
Dans le l^ bataillon du 3* Tirailleurs, bataillon si éprouvé dans la journée
du 14 décembre, le lieutenant Roblot était nommé capitaine à la légion étran-
gère; l'adjudunl Couvreux et le sergent-major Dnpuis éluicnl promus sous-
lieutenants, le premier au i43<>de ligne, le second au 1®*^ Tirailleurs; la croix
de la Légion d'honneur était accordée au capitaine Caries et au lieutenant
Lagdar-ben-el-Achi, et la médaille militaire aux adjudants Clément, Robin
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[1884] AU TONKIN 509
et Gœrhing, au caporal Daclouz et au Tirailleur Mohamed-ben-Ali. Ce bataillon ,
on se le rappelle, avait perdu près du quart de son effectif.
Le commandant Jouneau fut remplacé par le commandant Béranger, venant
des capitaines du 23« de ligne (décret du 19 février), et le lieutenant Roblot
par M. Patin, précédemment sous-lieutenant au !«>' Tirailleurs.
La prise do llong-lloa semblait devoir clore la série des opérations do guerre
jusqu'au retour do la bonne saison; la période des grandes chaleurs et des
grandes pluies allait bientôt arriver, et pendant toute sa durée, de Favis des
gens connaissant le pays, il ne fallait songer à entreprendre aucune expédi-
tion. Cette période, qui dure de mai à septembre, avec son maximum en
juillet et en août, est en même temps l'époque des grandes crues : le fleuve
Rouge, le Thaî-Binh et leurs affluents, la rivière Claire, la rivière Noire, le
Loch-Nan et le Song-Thuong, deviennent alors navigables dans une grande
partie de leur cours pour les canonnières d'un faible tirant d'eau. Le général
en chef se proposait d'en profiter pour utiliser la nombreuse flottille qui avait
été mise à sa disposition , en lui faisant exécuter des reconnaissances jusqu'aux
points extrêmes où elle aurait accès, et en s'en servant au besoin pour le
transport des troupes et des approvisionnements sur les postes qu'il serait
utile de créer pour servir plus tard de base ou d'appui pour marcher sur Lang-
Son et sur Lao-Kaî.
La première do ces reconnaissances fut exécutée sur la rivière Claire par la
canonniôro le Yaiaijnn. Elle démontra que, contrairement à co qu'on s'atten-
dait, les Pavillons -Noirs avaient évacué toute celte région. Pour empêcher
leur retour, le général Millot décida l'occupation immédiate de Tuyen-Quan.
Cette opération, à laquelle il se proposait d'assister, devait être dirigée par le
lieutenant-colonel Duchesne, de la légion étrangère. Un bataillon de ce dernier
corps et trois compagnies de Tirailleurs algériens furent désignés pour y
prendre part.
Le 26 mai, les l^^ (capitaine Rathelot) et 2^ (lieutenant Patin) compagnies
du l^^ bataillon du 3« Tirailleurs (commandant Béranger) quittèrent Hanoi
sur les canonnières la Trombe et V Éclair, qui, le 29, les débarquèrent à Phu-
Doan, au confluent du Song-Chaî et de la rivière Claire. Là elles furent re-
jointes par la 4* compagnie (capitaine Lochert) du bataillon de Mibielle, venue
de Sontay sur des jonques remorquées. La légion étrangère, partie de Hong-
lloa, y était arrivée aussi, mais par terre, en suivant la rive droite de la ri-
vière Claire.
Après deux jours consacrés à son organisation, la colonne se remit en route
le 31 , ne formant qu'un seul groupe auquel l'exiguïté du chemin donnait un
allongement considérable. Elle était appuyée par quatre canonnières, qui re-
montaient la rivière Claire à sa hauteur. Le terrain, très couvert, ne per-
mettait de s'avancer qu'avec d'extrêmes précautions. La chaleur était acca-
blante; aussi la première étape ne fut -elle que de douze kilomètres. Le pays
étant complètement abandonné, on bivouaqua dans les jungles.
Le lendemain 1*' juin , le départ eut lieu à quatre heures et demie. A quatre
heures du soir, on fit la grand'halte à Duoc; enfin , à la nuit, on arriva devant
Tuyen-Quan, où l'on pénétra sans coup Térir. La place avait été évacuée par
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510 - LB 3* RÉQIIIBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS 11884]
lott Pavillons-NoirSi qui n*y avaient laissé quo quelques malades, dont Tétat
indiquait assez ce qu'était devenue l'armée de Luu-Vinh-Phuoc depuis sa fuite
de Hong-Hoa. Quelques jours après on en eut une idée encore plus exacte :
une bande d'environ deux cents hommes, mourant de faim, vint demander
à faire sa soumission et à servir comme troupe auxiliaire. Son chef paraissant
de bonne foi, le général Millot ne vit là qu'une occasion de faire un essai qui
n'avait pas encore été tenté : enrôler des Chinois sous notre drapeau; il décida
qu'on formerait une compagnie de ces déserteurs, et, les ayant fait venir à
Hanoi, où ils furent armés et équipés, il les envoya, sous le commandement
d'un officier et de quelques sous-officiers français, occuper le poste de Cho-Do,
à une dizaine de kilomètres au sud-ouest de cette ville. Quelque temps après ,
ils tuaient l'un des sous-officiers préposés à leur surveillance,- et, dans la
nuit, se retiraient avec leurs ai^mes et leurs munitions dans les montagnes de
la rive droite du Day, pour y exercer l'honorable profession de pirates. Ils ont
prouvé par la suite que l'instruction qu'on leur avait donnée n'avait pas été
perdue pour eux, et qu'ils savaient parfaitement se servir, — contre nous, —
de l'arme perfectionnée qu'on avait mise entre leurs mains.
On laissa à Tuyen-Quan deux compagnies de la légion étrangère et une
section d'artillerie de marine. La défense de la place paraissant ainsi suffisam-
ment assurée, le 3 juin, les autres troupes reprirent sur des jonques ou des
canonnières la route de leurs garnisons. Le môme jour, les deux compagnies
du bataillon Uéranger étuieat de retour à Hanoi, et celle du bataillon de Mi-
bielle à Sontay.
Cependant la Chine, effrayée de la rapidité de nos succès, s'était décidée à
entrer dans la voie des négociations; d'abord ces dernières s'étaient bornées
à des pourparlers officieux entre le grand mandarin Li-Hung-Chang, vice-roi
du Pô-Tché-Li, et le capitaine de frégate Foumier; puis, Li-Hung-Chang ayant
reçu des pouvoirs plus étendus, les deux plénipotentiaires avaient déterminé
les bases d'un traité qui fut signé le 11 mai à Tien-Tsin. D'après ce traité, la
France s'engageait à respecter et à protéger contre toute agression d'une na-
tion quelconque, et en toutes circonstances, les provinces méridionales de la
Chine limitrophes du Tonkin. De son côté, la Chine devait retirer toutes les
garnisons qu'elle avait au Tonkin ; elle renonçait en outre à toute suzeraineté
sur l'empire d'Annam. Il lui était, en raison de cette concession et de son atli*
tude conciliante, fait remise de l'indemnité de guerre dont le principe avait
été primitivement admis. Des clauses addilionuelles, relatives à lu protoction
de notre commerce, complétaient cette convention , à laquelle il no manquait
plus que la ratification du gouvernement français; formalité qui ne pouvait
subir un long retard , par suite du départ immédiat du capitaine Fournier
pour Paris.
Dans le môme temps que ces arrangements intervenaient entre les deux
pays, le cabinet de Paris, désireux d'avoir un diplomate auprès du Tsong-Li-
Vamen, confiait cette mission à M. Patenôtre, qui était par la môme occasion
chargé de s'arrêter à Hué, pour apporter quelques modifications au traité du
25 août 1883 signé par H. ilarmand. Les régents s'étant opposés à toute né-
gociation, il fallut leur adresser un ultimatum; enfin, le 6 juin, ils se déci-
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[1884] AU TONKIN 511
dèrent à accepter nos nourelles conditions. Le Binh-Tliuan, province annexée
à la Cochinchine, était rendu à l'Annam, ainsi que leTban-Hoa et ses dépen-
dances, Nhgé-An et Ha-Tinh , qui avaient toujours fait partie du Tonkin. Ces
rétrocessions avaient pour but de diminuer les charges de Toccupation directe,
en donnant plus d'extension au protectorat proprement dit. En retour, la
France se r^ervait le droit de se faire représenter, auprès du roi et de ses
ministres, par un résident qui demeurerait en permanence à Hué avec une
escorte pouvant s'établir dans la citadelle même de cette ville.
La paix paraissait donc déQnitivement assurée; si quelques esprits entre-
voyaient encore quelques difficultés, ce n^était certes pas du côté de la Cbine,
dont Tarmée semblait s'être évanouie depuis la prise de Bac-Ninh : tout au
plus pensait-on qu'il serait nécesssaire de livrer quelques combats sur le haut
fleuve Uoiigo pour en chasser les Pavillons-Noirs. BtentAt on songea même
au rapatriement d'une partie du corps expéditionnaire; le besoin de renforts
s'étant fait sentir à Madagascar, on y envoya le bataillon de fusiliers marins
du commandant Lagucrre; le bataillon de Tirailleurs annamites, qui avait
jusque-là servi à éclairer les colonnes, rentra à Saigon; les bataillons de8 23<*,
111® et 143*^ de ligne reçurent l'ordre de se tenir prêts à s'embarquer pour la
France; on gardait les Tirailleurs algériens pour l'expédition de Lao-Kal,
qu'on envisageait comme la seule où l'on dût rencontrer des obstacles sé-
rieux. Telle était la situation , lorsqu'un incident inattendu vint remettre tout
en cause et montrer la bonne foi du gouvernement de Pékin.
Se basant sur les stipulations du traité Foumier, le gouvernement français
avait prescrit au général Millot de prendre ses mesures pour faire occuper les
places de la frontière aux dates où la remise devait lui en être faite par les gé-
néraux chinois. En vertu de ces instructions, une colonne comprenant un ba-
taillon d'infanterie de marine, une compagnie du 2* bataillon d'Afrique, une
autre de Tirailleurs tonkinois, troupe nouvellement organisée, et un détache-
ment do quelques chasseurs d'Afrique, fut, dans les premiers jours de juin,
placée sous le commandement du lieutenant-colonel Dugenne, pour aller prendre
possession de Lang-Son de That-Khé et de Cao-Bang. Cette colonne devait
suivre la route directe, dite route mandarine, par Phu-Lang-Thuong, Kep,
Cau-Son, Bac-Lé, Than-Moî et Cut. Elle avait déjà parcouru la moitié de ce
trajet, n'ayant eu, dans ses premières étapes, qu'à surmonter les difficultés
résultant du mauvais état de la route, du passage de nombreux cours d*eau
grossis par les pluies, et surtout de la chaleur accablante de la saison, quand,
le 23 juin, elle se heurta, au-delà du village de Bac-Lé, à quatre à cinq mille ré-
guliers du Kouang-Si , qui prétendirent n'avoir reçu aucune communication au
sujet de l'évacuation de Lang-Son. Fort des droits de la France et des ordres du
général en chef, le lieutenant-colonel Dugenne voulut forcer le passage; mais
il dut y renoncer : après un combat meurtrier qui dura une partie de Taprès-
midi du 23 et de la matinée du 24, il lui fallut rétrograder pour n'être pas
cerné, et s'établir sur une bonne position défensive en attendant des renforts.
Avant que cet événement fût connu à Hanoi, on avait, dans le but d'assurer
pour un certain temps l'approvisionnement des trois postes extrêmes qu'on
allait créer, organisé un convoi supplémentaire qui devait rejoindre la colonne
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512 LE 3"* RÉOIMBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1884]
DugODQe, oa, à défaut, se rendre iftolémont à Lang-Soo. Ce convoi, réunis-
sant trois cents coolies, devait ôtre transporté par eau jusqu'à Phu-Lang-
Thuong, puis de là continuer son chemin par étapes avec une escorte d'un
peloton de la 4* compagnie du \^' bataillon du 3* Tirailleurs , sous les ordres
du capitaine Massip. Il quitta Hanoï le 22 juin, arriva à Phu-Lang -Thuong
le lendemain, et en repartit le 24 dans la matinée. Ce ne fut que le 25 au
matin, après avoir dépassé Kep, que le capitaine Massip apprit, par des coolies
et des Tirailleurs tonkinois qui avaient abandonné la colonne Dugenne, ce qui
était arrivé à celle-ci. Il n'en continua pas moins sa route jusqu'à Cau-Son,
et là fîit exactement informé. Pensant avec raison que la situation de la co-
lonne pouvait rendre pressante l'arrivée du convoi, il se disposait à se remettre
en marche le lendemain , lorsque le soir il fut rejoint par le lieutenant Bepet,
qui arrivait avec le restant de la 4« compagnie, précédant les l^ (capitaine
Rathelot) et 2* (lieutenant Patin) du même bataillon, qui s'étaient arrêtées
à Kep avec le commandant Béraoger. Ce détachement était parti de Hanoi le
24 sur la canonnière V Éclair, qui l'avait débarqué le lendemain à Phu-Lang-
Thuong, d'où, sur l'ordre du général de Négrier, il s'était immédiatement
mis en marche pour Bac-Lé. La 3* compagnie (capitaine Caries), détachée
à Cho-Do, avait en même temps été rappelée de ce poste et devait chercher
à rejoindre le bataillon.
Le 26 au matin, le capitaine Massip, dont les instructions ne se trouvaient
pas modifiées, allait se remettre en roule avec toute sa compagnie et le con-
voi, quand l'arrivée du commandant Déranger avec les deux autres compa-
gnies vint suspendre ce mouvement jusqu'à ce qu'on eût reçu de nouveaux
ordres du général de Négrier, que le général en chef avait envoyé en toute hâte
pour prendre le commandement de la colonne de secours. Le général arriva
dans la soirée; il décida qu'une partie des troupes réunies à Cau-Son se por-
terait le lendemain au-devant de la colonne Dugenne, et que le convoi, dont
l'escorte devait être renforcée d'une compagnie du 143* de ligne, suivrait, tout
en restant sous le commandement du capitaine Massip. Dans la journée , les
trois compagnies du bataillon Déranger s'étaient grossies de deux du 143* et
d'une autre du 1*' Tirailleurs. Un premier convoi do blessés était également
arrivé de Bac-Lé, et Ton avait enfin eu quelques détails sur ce qui s'était
passé. Voici, parmi plusieurs versions qui devaient courir par la suite sur ce
grave événement, celle recueillie à ce moment auprès de ceux qui se trou-
vaient encore sous le coup de l'émotion , c'est-à-dire de la vérité.
Après avoir quitté Bac-Lé, la colonne devait franchir le Song-Thuong, qui,
sur ce point, forme une courbe que la route coupe en deux endroits distants
d'une dizaine de kilomètres. En arrivant près de la rivière, deux hommes
de Tavant-garde furent blessés. On mit le fait sur le compte des pirates,
très nombreux dans celte région, et la marche continua comme si rien ne fût
survenu.
Le Song-Thuong traversé, on se trouva dans un pays excessivement couvert
et formant, un peu en avant, un étroit défilé dominé à gauche par des ruchers,
à droite par des collines boisées. A l'entrée de ce défilé, les hommes de l'ex-
trême pointe virent venir à eux un parlementaire chinois, qui nuuûfesta le
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[1884] AU TONKIN 013
désir d*étre conduit au commandant de la colonne. Il était porteur d'une
lettre disant que dans le camp chinois on savait très bien qu*un traité avait
été signé à Tien-Tsin , mais qu'on y avait encore reçu aucun ordre pour l'éva-
cuation de Lang-Son. L'ayant remise au lieutenant-colonel Dugenne, il de-
manda à ce dernier si un mandarin pouvait en toute sécurité venir s'en-
tendre avec lui, et, sur la réponse aflirmative qui lui fut faite, il se relira.
Un instant après, le mandarin annoncé arriva, et eut avec le lieutenant-
colonel une assez longue conférence à la fin de laquelle il réclama dix jours
pour en référer à Pékin. Le lieutenant-colonel s*y refusa et manifesta le désir
de parler au commandant des troupes chinoises. Le mandarin partit pour
aller informer celui-ci et revint bientôt avec un personnage qui se donna
comme tel. Mais Téminent généralissime refusa de franchir la ligne des avant-
postes, prétextant qu'il était suffisamment éloigné de son camp. L'interven-
tion du commandant Crétin, chef d'état -major, n'étant parvenu à ébranler
cette résolution, les négociations en restèrent là, et le lieutenant- colonel
Dugenne déclara qu'il s'arrêtait à cause de la chaleur, mais qu'à quatre heures
du soir il reprendrait son mouvement.
A quatre heures, la marche reprit en eflfet; mais pendant cet arrêt les Chinois
avaient pris toutes leurs dispositions pour barrer le défilé : aux premiers pas
qu'elle voulut faire, notre petite troupe fut assaillie par une fusillade meur-
trière exécutée par des tireurs invisibles, dissimulés dans les hautes herbes
et dans les rochers. Bientôt il fut évident que le courage lui-même ne pourrait
rien contre cette situation , et le colonel rassembla son monde sur un petit
mamelon à droite de la route, décidé à attendre dans une défensive prudente
que les nouvelles dispositions des Chinois lui permissent de prendre une dé-
termination. La nuit se passa ainsi, dans cet étroit espace où les balles plcu-
vaient do toutes parts. Le Icndomain, le feu redoubla d'intensité; en mémo
temps, l'ennemi commença à dessiner un mouvement tournant. 11 n'y avait
pas un instant à perdre pour le devancer au passage de la rivière. Le colonel
Dugenne en prit son parti; après avoir consulté les officiers les plus élevés
en grade , il se décida à la retraite. Vers neuf heures du matin , il fit charger
ses blessés et se retira lentement, en bon ordre, sur une bonne position do-
minant le village de Bac-Lé. C'était là qu'il attendait maintenant les secours
que lui avait annoncés le général en chef. Ses pertes s'élevaient à soixante-
dix-neuf hommes hors de combat, soit deux officiers et vingt-huit hommes
tués , et quatre officiers et quarante-sept hommes blessés.
Le 27, les ordres du général de Négrier reçurent leur exécution; les trois
compagnies du bataillon Béranger, deux autres du 143* et le convoi quittèrent
Cau-Son à cinq heures et demie du matin pour se diriger sur Bac- Lé. Le gé-
néral s'y rendait lui-même; mais, ayant pris les devants avec une escorte de
quelques chasseurs d'Afrique, le commandement efTectif do la colonne resta
au commandant Déranger. La route était des plus mauvaises; depuis le pas-
sage de la colonne Dugenne des crues étaient arrivées et avaient emporté les
ponts, de sorte que tous les arroyos durent être traversés à gué, quelques-
uns avec de l'eau jusqu'aux aisselles. Cette opération , difficile pour tout le
monde, le fut surtout pour le convoi, qui en éprouva un tel retard, qu'il se
33
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St4 Lie y^ UÉQIMISNT ïiïù TIKAIIXI^UUS Al.GÉlUCNS [t884|
trouva bioDlAl séparé des autres troupes par une distance considérable. Ne
croyant pas devoir l'attendre, le commandant Déranger continua sa marche
avec trois compagnies, et arriva à Bac-Lé un peu avant la nuit, après une
halte de six heures imposée par la chaleur.
Demeuré avec deux compagnies (une du 143® et la 4* du 1*'' bataillon du
3* Tirailleurs), cinquante Tirailleurs tonkinois déserteurs de la colonne Du-
genne et trois cents coolies qui n'auraient pas mieux demandé que de jeter
leur charge pour s'échapper, le capitaine Massip s*é(ait arrêté à onze heures.
Au moment où il allait se remettre en route, arriva, allant de Bac-Lé à Cau-
Soo , un chasseur d'Afrique qui prévint qu'il venait d'essuyer plusieurs coups
de fusil, et qu'on serait probablement attaqué à quelques kilomètres plus
loin. Toutes les précautions furent prises pour la protection du convoi : l'a-
vant-garde fut renforcée, deux sections furent déployées sur les flancs avec
ordre de tirer sur les coolies qui chercheraient à fuir; l'arrière-garde, fournie
par la compagnie du 143®, fut prévenue d'avoir à serrer, pour être prêle au
besoin à prendre position pour contenir l'ennemi; enfîn des brancarts furent
hâtivement fabriqués avec des bambous et des toiles de tentes, pour suppléer
à un oubli que les conditions dans lesquelles on était parti de Hanoï rendaient
tout naturel.
Le chasseur d'Afrique avait dit vrai ; à peine la colonne eut-elle traversé un
petit arroyo qu'il avait signalé, qu'elle fut assaillie par des coups de feu par-
tant d'un buis bordant la route à deux cents pas environ. Après quelques
feux de salve exécutés pour débusquer les tireurs ennemis qu'on ne voyait
pas, on pressa la marche pour franchir ce mauvais pas, où l'arrière -garde
eut un tué et un blessé. Plusieurs coolies ayant également été atteints, il en
résulta parmi les autres un véritable désarroi. EnBn on arriva dans une petite
plaine marécageuse, où, le feu ayant cessé, l'ordre put ôlre rétabli. Mais un
peu plus loin on s'engagea encore dans un étroit défilé, et la fusillade reprit
avec une nouvelle intensité. Cette fois l'ennemi occupait les deux côtés du pas-
sage, et ses coups étaient beaucoup plus meurtriers. La chaleur avait heureu-
sement un peu diminué, et une section de Tirailleurs, commandée par l'ad-
judant Iloussin de Saint-Laurent, étant parvenue, malgré les hautes herbes, à
gravir un mamelon sur la gauche de la route, ses feux eurent bientôt délogé
les quelques centaines de pirates ou de Chinois qui cherchaient à nous in-
quiéter. Cependant l'arrière-garde avait encore eu fort à soulTrir, et il avait
fallu qu'une autre section do Tirailleurs (sous-lieutenant Uarier- Châtelain)
vint, pour achever de la dégager, faire serrer ses nombreux traînards et en-
lever ses tués et ses blessés.
Il était six heures; on était encore à cinq kilomètres de Bac- Lé; la route
paraissait devenir de plus en plus ditllcile; soldats et coolies n'en pouvaient
plus; il ne fallait pas compter arriver avant la nuit; on pouvait, par l'obscu-
rité, être attaqué dans des conditions encore plus défectueuses que les deux,
premières fois; le capitaine Massip prit le parti de s'arrêter, de masser son
détachement sur une bonne position et de faire prévenir le général de Négrier
de ce qui était arrivé. Ces dispositions prises, il allait en eflct envoyer un
courrier à Bac-Lé, lorsque arrivèrent une compagnie d'infanterie de marine et
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[1884] AU TONKIN S15
un peloton de Tirailleurs tonkinois que le général lui-même, inquiet sur le
sort du convoi , avait fait partir aussitôt qu*il avait vu que ce dernier n'arri-
vait pas avec la colonne Béranger. Dans la nuit, trois hommes du 143<^ mou-
rurent d^insolalion ; deux autres avaient été tués, quatre étaient blessés. A
ces perles s'ajoutaient deux Tirailleurs tonkinois et environ dix coolies blessés.
Le 28, la capitaine Massip reçut du général de Négrier l'ordre de faire la
remise du convoi à la compagnie du 143®, qui le reconduirait à Gau-Son, et
d'occuper avec sa compagnie et la l*** (capitaine Rathelot) du même bataillon,
partie le malin même de Bac-Lé, les positions d'où les Chinois ou les pirates
Tavaient attaqué la veille, afin d'empêcher celte attaque de se renouveler
le lendemain au moment du retour de la colonne. A la sortie du défilé, la
4^^ compagnie eut encore à essuyer plusieurs coups de fusil qui lui coûtèrent
deux blesses; puis rcnncnii finit par se rclirer, cl la journée s'écoula sans que
nos poslcs fussent inquiélés; heureusement, car la chaleur était devenue tel-
lement suflbcante, par suite de l'approche d'un orage qui éclata dans la nuit,
que la moitié des hommes eussent été incapables de défendre le peu de vie qui
leur restait.
Après avoir vu de près la situation, telle qu'elle résultait de l'incident sur^
venu à la colonne Dugenne, de l'attitude agressive des Chinois et des difficul-
tés qu'opposaient le pays et la saison, le général de Négrier, qui avait eu un
instant la pensée de venger sur l'heure l'insulte qui venait d'être faite à nos
armes et à notre diplomatie, se décida pour le moment à abandonner l'idée
d'une marche sur Lang-Son; il obéissait du reste en cela aux instructions du
général en chef, qui, persuadé qu'il n'y avait qu'un malentendu, ne voulait
rien brusquer avant d'avoir reçu des ordres du gouvernement. En consé-
quence, il fut décidé que les troupes rentreraient dans leurs garnisons. Le
20 juin , la colonne Dugenne et toutes les compognics qui s'étaient portées à
son secours revinrent & Cau-Son sans avoir, grêco aux précautions prises,
& essuyer un seul coup de fusil. Le 3 juillet, ce dernier point fut abandonné
à son lour. Le 4 , on coucha à Dong-Nham , près de Phu-Lang-Thuong; enfin,
le 5 , on alteignil ce poste , où tous les moyens de transport dont disposait la
flottille avaient été réunis. Le même jour, le bataillon Béranger, maintenant
au complet, la 3* compagnie ayant rallié les autres à leur passage à Kep, où
elle était depuis le 28, fut embarqué sur des jonques remorquées par des
canonnières, et rentra à Hanoi le 6 à midi. Très éprouvé par les fatigues qu'il
venait de supporter, il ramenait un nombre considérable de malades (dysen-
tériques et fiévreux), dont seize allaient décéder en moins de quinse jours,
et dont beaucoup allaient être obligés de quitter le Tonkin devant l'impossibilité
d'y rétablir leur santé.
Quoique loin du théâtre de ces événements, étant à Sontay, le 3* bataillon
du régiment avait aussi été appelé à marcher en partie pour se porter vers le
point où l'on supposait qu'allait de nouveau se faire entendre le canon. Le
26 juin, le commandant de Mibielle s'était embarqué pour Hanoï avec les
Iro et 40 compagnies. Le lendemain , ce détachement s'était mis en route pour
Uac-Ninh, où il était arrivé le 29. Il séjourna dans cette place jusqu'au 7 juil-
let, puis il se rendit à Phu-Lang-Thuong, où il devait tenir garnison jusqu'à
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516 LE 3"* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS AU TONKIN (1884]
lû reprise des opérattoos. Los deux autres compagnies du uiôino buloilloo
allaient, de leur côté, rester à Sontay jusqu^à la môme é|K)que. Elles dc-
yaient, sous la direction du capitaine Polère, exécuter plusieurs sorties contre
les pirates, mais aucune de ces sorties n'allait amener de combat sérieux.
Deux mois après l'incident de Bac-Lé, le général Millot était rappelé en
France. Son dernier acte avait été une intervention à Hué pour le remplace-
ment du roi Kien-Phuoc, mort prématurément, probablement empoisonné
par les régents. La présence du colonel Guerrier, chef d*état- major, avec un
bataillon d'infanterie et une batterie d'artillerie, et l'envoi d'un ultimatum au
premier régent Nguyen-Van-Tuong, firent cesser les difficultés qui s'étaient
d'abord élevées entre notre résident et le conseil de régence, et, le 17 août,
l'autorité du nouveau souverain Ung-Lich , enfant à peine figé de quatorze ans
et frère dti monarque défunt, fut officiellement proclamée par le représentant
du gouvernement de la Républii|ue.
Au départ du général Millot, le 8 septembre, le commandement en chef
passa par intérim entre les mains du général Brière de l'isle, le plus ancien
des deux généraux de brigade. Quelque temps après, cette décision provisoire
devint définitive, et l'ancien commandant de la 1''* brigade fut muni de tous
les pouvoirs militaires et politiques qui avaient été dévolus au successeur de
l'amiral Courbet.
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CHAPITRE X
( 1K$'|). Suilc8 de l'incident de Bac-Lé. — Situation des deux bataillons du 3* Tirailleurs
na moment de la reprise des opérations. — Sortie de la garnison de Phu-LAng-Thuong.
— Les Cliinois se disposent h envahir le Delta : ils s*établissent i Kcp et dans la
vallée du Loch-Nan. — Dispositions prises pour les repousser. — Opérations du 3* ba-
taillon dn régiment. — Combat de Chu (10 octobre). — Retour du bataillon à Phu-
L'inR-Tliuoni;; il est rappelé \ Gliu. — (18A5) Combat de NuI-Dop(3 et H Janvier).—
Préparatifs de rcxpédltion do Lang-Son : constitution de la colonne. — Prise dn camp
retranché do Dong-Son {h, 5 et 6 février). — Combat de ISac-Viay (It février ). — Oc-
cupation de Lang-Son et de Ri-Lua (18 février).
Il n'y avait pas à en douter, la violation du traité de Tien-Tsin était la guerre
avec la Chine; pour être acceptable, la paix exigeait maintenant do noufellea
garanties, et l'on ne se dissimulait pas que la cour de Pékin, aux ordres de
laquelle avait dd certainement obéir le commandant militaire de Lang-Son, se
refuserait à nous accorder les satisfactions que notre dignité nous forçait d'exiger.
On sentait évidemment que le parti de la résistance atait repris la direction
des aflaires , et que c'était pour rouvrir les hostilités qu'il avait provoqué l'in-
cident que l'on ne désignait plus que sous le nom de guet-apens de Bac-Lé.
Quoi qu'il en f(it, aussi bien à Paris qu*au Tonkin, on était dans l'attente
de graves événements; on saxait que, malgré ses protestations, la Chine fai-
sait envahir la province de Lang-Son par des forces considérables; que Luu-
Yinh-Phuoc se préparait & reprendre la campagne avec les secours qui lui ar-
rivaient chaque jour du Yunnan ; que la cour de Hué travaillait sourdement à
susciter de nouveaux troubles partout où son influence pouvait parvenir; bref,
que tout f c que nous avions d*cnncmis se disposait à recommencer la lutte pour
nous chasser du territoire de notre conquête. Pendant ce temps, la diplomatie
poursuivait son œuvre avec autant de lenteur que d*insuccèa; bientôt, devant
le mauvais vouloir du gouvernement chinois , elle dut même renoncer à éta-
blir les bases d'un accommodement, et, le 23 août, l'orage qu'elle avait tenu
en suspens éclata tout à coup. L'amiral Courbet, qui avait habilement profité
de la longueur des négociations pour pénétrer hardiment dans la rivière Min,
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St8 IM 3^ nÉOlMKNT OK TIHAlU.RUnS AI.OÈUIENS [188^1
détruisit co jour-là touto la flotte chinoise mouillée dans le port de Fou-Tcheou.
Le lendemain, il bombarda l'arsenal de cette ville; les 25, 26, 27 et 28, il
bouleversa les fortifications des passes Mingan et Kimpa! ; enfin , le 29 , il sortit
victorieux, ayant infligé aux Chinois des pertes s'élevant à environ deux mille
hommes et à vingt-cinq à trente millions de francs. Il allait maintenant se
diriger sur Formose pour s*emparer de Kelung et de Tamsui.
AuTonkin, les opérations commencèrent beaucoup plus tard; non cepen-
dant que nous ne fussions prêts à marcher, mais parce que la chaleur s'op-
posait encore aux grands mouvements de troupes. Le corps eipédilionnaire
était d'ailleurs considérahloineiit afluibli par les maladies , et il fallait attendre
que le retour de la bonne saison vînt relever un peu les efleclifs. Il entrait si
peu dans la pensée du général en chef que l'ennemi pût jamais nous prévenir
dans la reprise de la campagne, qu'il ne voulait rien entreprendre avant de
s'être assuré, par tous les moyens possibles, la certitude du succès.
Le 1^' bataillon du régiment (commandant Déranger) n*avait pas quiUc
Uano! depuis son retour de Bac-Lé. Il avait été, nous l'avons vu, très éprouvé
par cette opération exécutée au cœur de l'été; mais son état sanitaire s'amé-
liorait peu à peu, et son moral, en tout cas, restait excellent. De nombreuses
mutations étaient survenues parmi les officiers. Par un décret du 28 avril , le
sous-lieutenant Thierry, de la 1*^ compagnie, avait été nommé lieutenant au
23« do ligne et remplacé par M. Behr, venant des adjudants du !•>' Tirailleurs.
A la date du 26 mai, les sous -lieutenants indigènes Mohamed- bon -Saîd, de
la 2<* compagnie, et Mohamed-ben-Belkassem, de la 1*^, avaient également
été promus au grade supérieur dans le corps, et les sergents Abdallah -ben-
Belkassem et Ahmed-ou-Kassi leur avaient succédé comme sous- lieutenants.
Le 12 juillet, le lieutenant Beynet, de la 4® compagnie, était passé capitaine
à la l^on étrangère; enfin, le 30 septembre, le lieutenant Orlanducci, de
la 3*, était décédé à l'hôpital de Hanoi. Ces deux dernières vacances furent
remplies I la première par M. Martin, venant des sous- lieutenants de la
légion étrangère, la seconde par M. Vidal, venant avec son grade du 23* de
ligne.
Le 25 septembre, arrivèrent à Hanoï quatre cents hommes de renfort en-
voyés d'Algérie, et provenant en grande partie du l^^ Tirailleurs. Deux cents
étaient destinés au bataillon Déranger et deux cents au bataillon de Mibielle.
Avec eux se trouvaient quatre ofliciers du régiment : le capitaine de la Geueste,
désigné pour remplacer, à la tête de la 2* compagnie du 1^^ bataillon, le ca-
pitaine Noirot, rentré à Constantine; le capitaine adjudant- major Bastide; le
lieutenant Salah-ben-Ferkadadji, blessé à Sontay, parti en convalescence et
rentrant à sa compagnie; et, pour remplir la première vacance qui se produi-
rait, le sous-lieutenant Mansourben-Brahim.
Le 3* bataillon (commandant de Mibielle) avait toujours deux compagnies
(lr« et 4*) à Phu-Lang-Thuong et 'deux autres à Sontay. Son corps d'olGcicrs
avait également subi quelques changements. Le 25 mai , le lieutenant liante,
de la 3* compagnie, avait été nommé capitaine au lil* de ligne, et c'était
M. Berge, venant des sous-lieutenants du 143* de ligne, qui l'avait remplacé.
Le 12 juillet, le lieutenant Valet, de la Ir* compagnie, avait été l'objet de la
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[188M AU TONKIN S19
môme promotion ot avait été maintenu aa corps en remplacement du capitaine
Lochert, de la 4® compagnie , passé dans Tinfanterie de marine.
Le 18 septembre, la garnison de Phu-Lang-Thuong se signala par un joli
coup de main qui devait être le prélude des nombreux combats dont cette ré-
gion allait bientôt être le théâtre.
Depuis quelque temps ^ les environs de ce poste étaient dévastés par les
bandes d*un certain chef indigène désigné sous le nom de CanKinh , espèce de
roi de montagne autour duquel s'étaient groupés les rebelles des provinces de
Bac-Ninh, de Thaî-Nguyen et de Lang-Son, des déserteurs, des aventuriers
et des bandits chinois. Ce personnage faisait la guerre pour son propre compte
on venant piller les villages de la plaine et en se faisant le pourvoyeur de
Tarméo chinoise de Lang-Son. Il avait ainsi mis en coupe réglée tout le pays
compris entre le Loch-Nan et le Song-Thuong. Ses exactions étaient favorisées
par ses propres victimes, qui, terrifiées par la crainte, préféraient les subir
plutôt que de réclamer notre protection et nous avertir de l'approche de ses
partisans.
Enfin Toccasion que les Annamites ne voulaient pas faire naître se pré-
senta d'elle-même, le 18 septembre, par suite de la recrudescence d'audace
(les pirntos, qui ne craignirent pas de venir incendier le village de Dong-Nhan,
à quelques kilomètres seulement de Phu-Lang-Thuong. C'était le matin; les
deux compognies de Tirailleurs étaient prêtes à partir pour une marche mili-
taire; le commandant de Mibielle leur en adjoignit une autre du 2* bataillon
d'Afrique (capitaine Dominé) et les envoya aussitôt, sous les ordres du capi-
taine Mercier, au secours du village attaqué. Favorisé par une brume épaisse,
le détachement put s'approcher sans être aperçu. A douze cents mètres de
Dong-Nhan, la compagnie du 2* bataillon d'Afrique fut détachée vers l'ouest
pour tourner le village, et un peloton do la 4^ compagnie de Tirailleurs se
porta vers l'est, afin de déborder celui-ci à grande distance et de battre la
route de Lang-Son. Cette manœuvre réussit pleinement : lorsque les postes
d'observation de l'ennemi donnèrent l'alarme, le village était déjà presque
cerné; la bande qui le pillait prit immédiatement la fuite; mais, malgré la
diligence qu'elle mit à se soustraire à nos feux, elle n'en laissa pas moins
quarante-deux morts sur le terrain, c'est-à-dire environ le dixième de son
encclif.
A la suite ih ce combat et en prévision de nouvelles tentatives du Caî-Kinh,
le général en chef ordonna la concentration du bataillon à Phu-Lang'Thuong.
A cet elTet, les 2^ et 3« compagnies quittèrent respectivement Sontay les 23
et 29 septembre et rejoignirent l'état- major et les l^ et 4* le 27 septembre
et le 4 octobre.
Cependant la présence des réguliers chinois commençait à être signalée
dans la vallée du Loch-Nan, au débouché des routes du Déo-Van et du Déo-
Quan * ; une avant -garde s'était même avancée jusqu'à Chu , où, d'après nos
émissaires, elle travaillait activement à la construction de nombreux retran-
< Noms de deux cols permettant de franchir la chaîne de montagnes qoi s'étend au
sud de Lang-Son.
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520 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEUnS ALGÉRIENS [ 18841
cliemonU. Celle invasion, qui coïncidait avec les ravages du Cai-Kinh ci la
maturité des ris, imposait Tobligation de commencer immédiatement les opé-
rations, si l'on ne voulait pas voir passer à l'ennemi toute la récolte de la
riche plaine siluée au nord de Phu-Lang-Thuong. La saison étant encore très
chaude, il fut décidé qu'on se bornerait d'abord à une petite expédition avec
quelques troupes de la garnison de Bac-Ninh, sous les ordres du lieutenant-
colonel Donnier. Ces troupes devaient remonter le Locli-Nun jusqu'à Chu , rc-
Touler les bandes de Chinois, de pillards et de rebelles dans les montagnes,
puis marcher sur le village do Bao-Loc, situé & mi -distance enlro Chu cl
Phu-Lang-Thuong, et servant d'entrepôt au Cal-Kinh. Le commandant de
Mibielle devait concourir & celle dernière partie de l'opération avec un déta-
chement de son bataillon.
Mais à peine ces dispositions sont-elles arrêtées, que les événements se
précipitent avec une effrayante rapidité et viennent exiger la mise en mouve-
ment do presque toutes nos troupes disponibles. Dans les derniers jours de
septembre, la canonnière stationnée sur le haut Loch -Non apprend que ce
n'est pas une simple avant-garde, mais bien une notable partie do l'armée
chinoise qui est établie à Chu. Le l*** octobre, le commandant de Mibielle
acquiert la certitude que deux mille hommes de cette armée sont arrivés à
Kep deux jours auparavant et s'y Tortifient. Le 2, les canonnières la Hache,
la Massue et le Mousqueton, en reconnaissance sur le Loch-Nan, sont attaquées
\mT dos forces considérables, et, oprès avoir perdu une purlio do leurs é(|ui-
pages, 80 voient obligées do se retirer, laissant la victoire aux Chinois , dont
l'audace se trouve ainsi subitement exaltée.
La petite colonne du lieutenant-colonel Donnier, embarquée sur des jonques
à Dap-Cau, venait d'arriver & rentrée du Loch-Nan lorsqu'elle apprit ce der-
nier incident. Considérant la situation comme prorondémcnt modifiée, son
chef ne voulut pas l'engager plus avant, et tout se trouva suspendu jusqu'à la
réception des nouvelles instructions demandées au quartier général.
Dès qu'il fut informé de ce qui se passait sur le Loch-Nan , le général en
chef dirigea sur Phu-Lang-Thuong le bataillon du 23<^ et celui du 111« de ligne
en garnison & Ilano!. En môme temps le général de Négrier partait pour aller
prendre la direction des opérations. Son plan fut rapidement arrêté; il con-
sistait à marcher simultanément sur Kep et sur Chu pour en chasser les Chi-
nois, et accessoirement à battre la plaine de Phu-Lang-Thuong pour la dé-
barrasser des pirates qui la dévastaient. Trois colonnes devaient concourir
à son exécution : celle du lieutenant-colonel Donnier, forte de quatre compa-
gnies et demie d'infanterie (deux de la légion étrangère et deux et demie
du 143*), de deux pièces de 80 de montagne et d'une section de Tirailleurs
tonkinois; une autre formée avec le bataillon du 23«, celui du 111*, une com-
pagnie et demie du 143<», huit ou dix pièces d'artillerie de montagne, et com-
mandée par le lieu tenant -colonel Defoy, du 143<^; enfin, sous les ordres du
commandant de Mibielle, une dernière comprenant le 3* bataillon du régi-
ment, un peloton de Tirailleurs tonkinois et une batterie d'artillerie. La co-
lonne Donnier devait remonter le Loch-Nan sur des embarcations protégées
par des canonnières, enlever Chu, et, en cas de succès facile, poursuivre les
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[188*] AU TONKIN 821
Chinois dans la montagne et se rabattre sar Kep pour y faire sa jonction avec
les deux autres, qui s'y seraient probablement déjà réunies. Si la résistance
dans la vallée du Loch-Nan était plus sérieuse qu*on avait lieu de le supposer,
elle devait appeler & elle la colonne de Mibiclle, qui avait pour mission do se
porter entre Phu-Lang-Thuong et Chu , et de marcher sur ce dernier point ou
sur Kep, suivant los événements qui se produiraient au cours de ses opéra-
tions. Quant à la colonne Defoy, son objectif était Kep.
Le 6 octobre, la colonne Donnier se disposa & remonter le Loch-Nan; mais,
arrivé à Lam, à six kilomètres de Chu, le manque d*eau Tobligea & effectuer
son débarquement. Celui-ci eut lieu sur un terrain mamelonné, couvert de
hautes herbes et légèrement resserré par un coude de la rivière; il commença
par les Tirailleurs tonkinois et se continua par la légion étrangère. Mais à
peine les Tonkinois eurent-ils occupé le premier mamelon, qu'ils furent as-
saillis par des masses considérables de réguliers chinois et ramenés en dés-
ordre sur la légion étrangère, dont la seule compagnie en état de se déployer
se porla aussitôt en avant. Le combat se trouva ainsi subitement engagé,
et de la fnçon la plus désavantageuse pour nous. Enfin, grâce à l'attitude
énergique de la compagnie de la légion étrangère, vigoureusement enlevée
par son chef le capifaine Beynet*, qui rencontra là une des morts les plus
glorieuses de la campagne, le débarquement put se terminer, et les Chinois
furent complètement repoussés. Toutefois ils avaient montré une ténacité à
laquelle on était loin de s'attendre de leur part : on les avait vus, chose sans
précédent, charger & la baïonnette et combattre à moins de dix pas.
Le môme jour, la colonne de Mibielle avait quitté Phu-Lang-Thuong à six
heures du malin, pour s'engager dans un pays encore à peu près inconnu,
où elle alluit avoir à se diriger sans carte, avec les seuls renseignements sou-
vent bien incomplets puisés Rupr^s dos indigènes. Elle n'avait pu se procurer
des coolies, et les orficiors avaient été obligés do so charger eux-mêmes do lour
mince hagngc, qui se trouvait ainsi réduit à sa plus simple expression. La
roule était mauvaise, la chaleur accablante; pas de brancards pour porter les
malades, pas la possibilité seulement de les alléger de leur sac; aussi cette
première étape allait-elle être marquée par des difficultés inouïes. A midi, il
fallut s'arrêter au village de Quan-Lam, envoyer chercher les hommes tombés
d'insolation , et attendre que la chaleur eût un peu diminué. On se remit en
roule à cinq heures du soir, et vers deux heures du matin on arriva au village
de llaû-Phu, but de la marche de la veille. On avait fait vingt-deux kilo-
mètres.
Au jour, les Tonkinois de Tavant-garde et les habitants signalèrent un groupe
de quatre cents Chinois se dirigeant de Bao-Loc sur Chu. Malgré la fatigue, le
commandant de Mibielle parlit aussitôt avec les i^ et 2* compagnies de Ti-
railleurs, olteignit le parti ennemi, et, après un échange do quelques coups
de fusil, le rejeta moitié sur Chu, moitié sur Bao-Loc. Ayant reçu l'ordre de
ne pas pousser trop vigoureusement les bandes qui se présenteraient sur son
I M. ncynct, on se 1c rappelle, avait fait, comme lieutenant, la première partie de
1.1 campagne au 4°' bataillon du 3« Tirailleurs.
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522 LK 3* RÉOIMKNT DE TIRAILLEURS ALOÊUIICNS [l88'i ]
liane gaucho, ofin quo loa fuyards n'ollassonl pus trop tût donner l'ulurnio &
Bao-Loc et à Kep, il borna là sa poursuite et rentra à llaû-IMiu. Un instant
après il était rejoint par un émissaire du lieutenant-colonel Donnier, lui ap-
portant la nouvelle du combat de Lam et la demande du concours de sa co-
lonne pour l'attaque de la position de Chu. Quelques coolies venaient d'arriver
de Phu-Lang-ThuoDg avec des brancards d'ambulance; on put enfin faire
porter les hommes les plus malades, et, à trois heures et demie du soir, la
marche reprit pour se poursuivre encore pendant toute la nuit. Le chemin
était devenu un étroit sentier où les mulets de l'artillerie, très faibles et très
chargés, s'abattaient à chaque pas. Le lendemain, ces difficultés se compli-
quèrent d'une autre qui faillit faire perdre un temps précieux : il avait été
impossible au commandant de trouver un guide, et personne parmi les habi-
tants ne pouvait ou ne voulait lui donner des indications sur le village de Lani.
Enfin un Tirailleur annamite, servant d'interprète, lui amena un indigène
catholique disant connaître l'endroit où se trouvaient les bateaux du colonel.
Cet homme disait vrai; à quatre heures de l'après-midi, on commença ù
apercevoir des soldats français. A cinq heures , l'avant-garde atteignit le Loch-
Nan au point où étaient mouillées les canonnières. Les soldats aperçus étaient
ceux d'un petit détachement de la légion étrangère chargé de la garde des
vivres de la colonne Donnier, dont le camp se voyait à cinq kilomètres envi-
ron. Dans cette môme journée, le général de Négrier s'était porté sur Kep
avec la colonne Defoy, y avait attaqué les Chinois et les en avait chassés,
après un violent combat qui leur avait coûté six cents tués et un nombre con-
sidérable de blessés. L& avait été frappé mortellement le capitaine Planté,
récemment encore lieutenant au 3* bataillon du régiment; son successeur, le
lieutenant Berge, officier d'ordonnance du général de Négrier, y avait été
blessé légèrement aux côtés de ce dernier, qui avait lui-même été assez griève-
ment atteint pour ne pouvoir espérer de remonter à cheval avant plus d'un
mois. Mais revenons à la colonne du Loch-Nan.
Après avoir chassé les Chinois de Lam, le colonel Donnier s*était avancé
dans la direction de Chu, en s'éclairant soigneusement pour ne pas s'exposer
à un échec qui, dans l'état où en étaient les choses, aurait gravement com-
promis la situation. Jugeant bientôt que l'ennemi était trop en force pour être
abordé avec seulement quelques compagnies, il s'était alors arrêté sur une
bonne position afin d'attendre d*abord la colonne de Mibielle et enfin le géné-
ral de Négrier, qui lui avait promis de se porter & son secours avec une partie
de la colonne Defoy, aussitôt que les Chinois auraient été délogés de Kep. Mais,
sur ces entrefaites, le général ayant été blessé, il avait reçu du général en
chef Tordre de le remplacer à la tête des troupes, et de poursuivre les opéra-
tions qu*il avait si brillamment commencées. Dès le lendemain du combat de
Kep, le bataillon du 111*, une batterie d'artillerie et le détachement du 143*
qui se trouvait à la colonne Defoy, avaient été dirigés sur Phu-Lang-Thuong
pour s'y embarquer; de sorte qu'il allait, dans quelques jours, disposer de
quatorze compagnies d'infanterie et d'à peu près le mémo nombre de pièces
de canon.
Le 8 au soir, la colonne de Mibielle avait bivouaqué près du mouillage des
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[188/|] AU TONKIN 523
canonnières, et, le 9, elle était à son tour venue s'établir devant la position
de Chu. Cette dernière était constituée par une succession de mamelons d'iné-
gale hauteur, bordant la rive droite du Loch-Nan à un coude que fait cette
rivière pour se rapprocher de la chaîne de montagnes qui sépare sa vallée do
celle du Song-Thuong. Presque tous ces mamelons avaient été couronnés do
Torts reliés ot précédés por dos tranchées-abris. Cos fortifications, qui se com-
posaient d'ouvrages circulaires ou ovales d'un mince relief sans défenses acces-
soires, étaient pour la plupart assez défectueuses; mais l'attitude des Chinois
à Lam faisait supposer qu^elles seraient énergiquement défendues. Nos troupes
s'étaient déployées sur des hauteurs assez élevées situées an sud de ces lignes,
dont elles étaient en quelques endroits séparées par des rizières profondes
battues par le feu des tranchées. A Touest, le terrain était plat, mais maréca-
geux, couvert de hautes herbes, et par suite peu propre à une manœuvre
tendant à inquiéter la droite de l'ennemi.
Le colonel attendant, pour attaquer, d'avoir été rejoint par les renforts
partis de Phu-Lang-Thuong, le 10 rien n'avait été prévu pour un combat;
on se disposait seulement & compléter la reconnaissance des ouvrages ennemis.
A cet effet, plusieurs détachements prirent les armes à cinq heures et demie
du malin et furent dirigés : un premier, comprenant les 1*^ et 2« compagnies
du bnlnillon de Tirailleurs sous les ordres du commandant do Mibiolle, vers
la droite de la ligne chinoise; un deuxième, composé d'uno compagnie do la
légion, sur le centre; enfin un troisième, formé d'une compagnie et demie
du 143", sur la gauche.
Avec ses deux compagnies , le commandant de Hibielle s'avança à environ
deux kilomètres du camp; il constata Texistence de nombreuses tranchées-
abris sur les mamelons précédant lei forts, et rentra au bivouac sans avoir
eu à échanger un seul coup de fusil.
A la droite et au centre, il n'en avait pas été ainsi; sur ces deux points, la
compagnie de la légion et le détachement du 143« s'étaient subitement trouvés
engagés à courte portée contre les défenseurs d'un premier mamelon servant
de position avancée. Ce mamelon avait été rapidement enlevé par le détache-
ment du 143® ; mais celui-ci ayant ensuite voulu donner l'assaut & une seconde
hauteur couronnée d*un petit bouquet de pins et flanquée par de nombreuses
Ironchées, il avait soudain été assailli par une fusillade meurtrière, qui en
quelques minutes lui avait mis près de quatre-vingts hommes hors do combat.
Le capitaine Cuvellier, chef d'état-major, qui accompagnait cette reconnais-
sance, était tué; deux autres officiers étaient blessés. Un mouvement de recul
succéda alors & ce violent et infructueux effort, et le premier mamelon dont
le détachement du 143* s'était emparé resta un moment abandonné.
Il était sept heures et demie; la 3* compagnie (capitaine Polère) du batail-
lon de Mibielle, qui dès le début de l'action s'était portée vers la droite, reçut
Tordre de s^engager à son tour pour recueillir les débris de la reconnaissance
du 143<^ ; elle se déploya aussitôt; mais , arrivée sur la ligne qu'elle avait mis-
sion d'appuyer, elle n'y trouva qu'un caporal avec son escouade : le reste,
fort éprouvé, s'était débandé et était rentré au bivouac. Gêné dans son mou-
vement en avant par des tirailleurs chinois qui le prenaient de flanc, trop
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524 LE 3^^ RÉGIMENT OB TIRAILLEURS ALGÉRIENS (1884]
faible d*aillourB pour ropronJro ralUquo c|iril uo voyait niiiloiiioiil préparùo
par Tartillerie, le capitaine Polère s^arréta sur le premier mamelon conquis,
et 8*y établit solidement pour résister aux retours oflTensirs que semblait devoir
encourager chez nos adversaires cette retraite précipitée; il y fut bientôt re-
joint par la 4* compagnie (capitaine Valet), qui, avec son premier peloton,
forma un crochet défensif sur la droite, pendant que ses deux autres sections
restaient en soutien. Au centre, les deux compagnies de la légion étrangère
prenaient les mêmes dispositions, et s'apprêtaient à se maintenir sur la posi-
tion dont l'une d'elles avait pris possession au commencement du combat.
L'insuccès essuyé par le détachement du 143«, — insuccès bien naturel,
puisque ce détachement s'était élancé à l'assaut sans se sentir appuyé et sans
avoir suflisamment reconnu les abords de la position , — avait laissé dans
l'esprit du lieutenant- colonel Donnier l'idée d*une énorme supériorité numé-
rique chez l'ennemi; plus que jamais porté à la prudence par cette supposi-
tion, que rendait naturelle l*opinifltrcté avcic laquelle les Chinois s'étaient
défendus, il n'avait pas cru devoir pousser plus loin cette tentative, et il s'é-
tait bientôt décidé pour une défense passive, en attendant l'arrivée des troupes
de la colonne Defoy. En conséquence, les compagnies de première ligne re-
çurent l'ordre de se borner & repousser les attaques des Chinois , et rarlillerie
commença un fou lent, autant pour contenir ceux-ci que pour rendre inte-
nables leurs retranchements.
Cette attitude ne tarda pas à enhardir l'ennemi; dans l'après-midi, il
sortit de ses tranchées et commença à dessiner des attaques enveloppantes
contre nos deux ailes. Pour s'opposer à celle dirigée sur notre gauche, la
2* compagnie de Tirailleurs (capitaine Chirouze) se porta à son tour en avant
et vint occuper un village ruiné à cinq cents mètres environ au sud-ouest du
mamelon du 143*. Des quatre compagnies du bataillon, trois se trouvèrent
alors sur la ligne de combat; la 1^ (lieutenant Martineau*) était demeurée
en réserve; ses deux pelotons allaient dans la soirée être employés successive-
ment à escorter à Traî-Dam, sur le Loch-Nan, des convois de blessés, et à
ramener des vivres au camp.
La journée s'écoula ainsi sans qu'un nouvel effort fût tenté sur aucun point,
mais sans que la fusillade discontinuât entre nos tirailleurs et ceux des Chi-
nois. Vers quatre heures, ceux de ces derniers qui s'étaient avancés contre les
extrémités de notre ligne rentrèrent dans leurs retrancheiùonts. Un peu aprèci,
n'ayant plus rien devont elle, la compagnie Chirouze alla relever sur le ma-
melon de droite la compagnie Polère engagée depuis le matin. A partir de ce
momeot le feu commença & faiblir, pour cesser tout à fait à l'approche de la
nuit. Il était temps : encore une heure de cette lutte, et nos troupes se seraient
trouvées sans munitions. Des embarcations venaient heureusement d'en dé-
barquer à Lam; on envoya en toute hâte un convoi pour les chercher, et le
danger dont on était menacé put être rapidement conjuré.
Le lendemain, on observa la même immobilité. Pendant la nuit, des tran-
1 1^ cipllaiiio Camper, comuiandint cotte compagnie , éUiil resté, Iris malade, à Pliii-
Lang-Thaong.
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[1884] AU TONKIN tS25
chéfl avaient élé creusées sur les mamelons les plus avancés, et nos soldats
étaient maintenant abrités du feu des Chinois, qui n*allail d'ailleurs pas être
bien violent dans cette journée. Les compagnies du bataillon de Tirailleurs
avaient conservé leurs mômes emplacements. A cinq heures du soir, la 1*^ alla
relever la 4® en première ligne, et la réserve se trouva alors composée des
deux qui avaient combattu le jour précédent.
Dans la nuit du 11 au 12, tous les forts de Chu parurent en flammes. Au
jour, on ne vit d'autres troupes chinoises qu'une arrière-garde campée au
sommet d'une hauteur vers le nord ; l'ennemi s^était replié sur les débouchés
des montagnes pour y organiser de nouvelles défenses, nous abandonnant
ainsi toute la plaine et tout le cours moyen du Loch-Nan.
Il ne restait plus qu'à occuper les positions abandonnées : c'est ce qu*on fit
dans la journée qui suivit; toutefois le 3* bataillon du régiment resta bivoua-
qué sur les mamelons où l'on s'était battu , pour couvrir la droite de la colonno
et assurer les communications avec Tral-Dam. Le 10, re bataillon avait ou vingt-
quatre hommes hors de combat, dont trois tués et vingt et un blessés. C'était
la première lutte sérieuse à laquelle il assistait depuis qu'il était au Tonkin ;
mais, comme le l'** à Sontay, il lui avait sufli d*une circonstance pour mettre
en évidence ses solides qualités. Aussi , de ce jour, n*allait-il cesser d*ètre em-
ployé aux missions les plus difficiles, aux expéditions les plus périlleuses, et
cela sous tous les généraux qui devaient se succéder à la tète du corps du
Tonkin. Ajoutons que, grâce à son bon esprit et à son entrain, grâce à la
vigueur de ses officiers, grâce surtout à l'intelligence, au sang-frmd, à l'ex-
périence et à Tactivité de son chef le commandant de Mibielle, il allait tou-
jours justifier hautement cet honneur.
Les Chinois chassés de Kep et de Chu, ces deux points solidement occupés
et fortifiés par nous, lo Delta était définitivement à Tabri d'une invasion, et
le général en chef pouvait enfin reporter tous ses soins aux préparatifs de
l'expédition de Lang-Son , couronnement obligé des opérations qui nous avaient
rendus maîtres des points commandant les routes des vallées du Song-Thuong
et du Loch-Nan. Nous ne pouvions du reste prétendre avoir vengé le guet-
apens du 23 juin qu'après nous être emparés de cette place, et avoir fait re-
passer la frontière à l'armée chinoise du Kouang-Si. En attendant, les troupes
de la colonno Donnier allaient jouir d'un repos qu'elles avaient bien mérité
par les fatigues et les privations de toute sorte qu'elles venaient de supporter.
Quelques reconnaissances dans les environs de Chu, quelques travaux pour
améliorer les fortifications dans lesquelles elles étaient établies : tel devait être
pour elles l'emploi des deux mois qui allaient s'écouler avant leur participation
à de nouveaux combats.
Mais si nos succès avaient momentanément arrêté la marche des Chinois,
la diminution des garnisons de nos postes de l'intérieur avait permis aux pi-
rates de reprendre le cours de leurs exploits, et sur certains points de semer
une véritable terreur parmi les populations soumises à notre administration.
Une des régions les plus malheureuses à cet égard était toujours celle de Phu-
Lang-Thuong, où les bandes du Caî-Kinh et d'autres, qui s*étaient formées
entre le Song-Cau et le Song-Thuong, continuaient à pilier et à brûler. Pour
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526 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1884]
y rétablir la Bécurité, le commandanl de Mibielle y fut rappelé, le 10 no-
vembre, avec deux compagnies de son bataillon, les *i^ et 3<>. Il y était attendu
par les deux cents bommes qui étaient arrivés à Hanoï à la fin de septembre
et qui, n'ayant pu rejoindre le bataillon pour prendre part avec lui aux opé-
rations sur le Loch-Nan, étaient restés au petit dépôt que celui-ci avait con-
stitué avec ses malingres et ses éclopés. Le 25 novembre, la 1*^ compagnie
y arrivait à son tour; puis, le 3 décembre, la 4<^, qui vint y compléter la ré-
union du bataillon.
Le 27 novembre, la 2«» compagnie, sous les ordres du lieutenant Martineau,
partit à dix heures du matin pour se porter, avec un peloton de Tirailleurs
tonkinois, sur le village de Cao-Thuy, à environ douze kilomètres au sud-est
de Phu-Lang-Thuong, et concourir à une opération dirigée contre les pirates
de la rive gauche du Song-Cau par le chef d'escadron Palle, de l'artillerie,
commandant supérieur de Bac-Ninh. Cette compognie passa le Song-Thuong à
Xuan-Dam, atteignit Cao-Thuy à trois heures du soir, et cantonna dans ce
village, qu'elle trouva abandonné. Le lendemain, elle attaqua près de Dong-
Maî une bande évaluée à deux mille individus, lui infligea des pertes considé-
rables et la refoula dans la presqu'île formée par le Song-Cau et le Song-
Thuong. Le 29, elle se disposait à rentrer à Phu-Lang-Thuong, lorsque le
retour de cette même bande l'obligea à revenir sur ^es pas. Les pirates Turent
cette fois poussés jusqu'à l'extrémité de la presqu'île, et n'échappèrent à une
entière destruction qu'en s'enfuyant par les deux rivières. Ils laissaient encore
trente-cinq morts sur le terrain, indépendamment de nombreux noyés, entre
autres vingt ou trente retardataires qui s'étaient réfugiés sur une jonque, qui
fut coulée par le sergent- major Clément à un passage du Song-Thuong. Le
même jour s'effectua le retour à Phu-Lang-Thuong.
Le 17 décembre, les 2* et 3<» compagnies s'embarquèrent sur des jonques
remorquées par la Rafale pour retourner sur le Loch-Nan. La veille, une re-
connaissance dirigée sur le marché de Ha- Ho, à six kilomètres au nord -est
de Chu, avait été brusquement attaquée par les Chinois, et ne s'était dégagée
qu*en essuyant des pertes asses sérieuses. Le 18, il fut envoyé sur ce point
une importante colonne dont les deux compagnies de Tirailleurs firent partie;
mais on n'y trouva plus l'ennemi. Une autre tentative pour surprendre celui-ci
ayant encore eu lieu le 21 sans plus do succès, le 23, les deux compagnies
du 3* bataillon se rembarquèrent pour Phu-Lang-Thuong, où elles arrivèrent
le lendemain à dix heures du matin. Mais, en vertu d'un nouvel ordre du
général en chef, le soir même, à trois heures, elles durent repartir pour Chu.
Le 25, le commandant de Mibielle s*embarqua à son tour pour aller les y re-
joindre avec la l'* compagnie; enfin, le 27, le départ de la 4« compagnie ne
laissa plus à Phu-Lang-Thuong qu'une centaine de malades ou de malingres
incapables de suivre le bataillon.
Le rappel des Tirailleurs algériens & la colonne du Loch-Nan ne pouvait
être que le prélude de nouvelles opérations. Mais sur quel point allaient porter
celles-ci? Élait-ce enfin la marche sur Lang-Son? Personne n'en savait rien;
on attendait pour être fixé l'arrivée du général de Négrier, qui, remis de sa
blessure, revenait prendre le commandement des troupes.
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[1885] AU TONKIN 527
A celte idée qu'allait se rouvrir Tère des combats, nos soldats, à qui une
inaction de deux mois passée dans les plus mauvaises conditions matérielles
commençait à peser lourdement par sa monotonie, avaient retrouvé tout leur
entrain et toute leur gaieté. Pour eux, marcher avec le général de Négrier,
c'était d'ailleurs courir à de nouveaux succès, et ils avaient hâte de venger la
flurpriso du 16 décembre, dont les Chinois n'avaient pas manqué de faire une
victoire où nous avions été complètement écrasés. Le 2 janvier 1885, cette
joie Tut encore accrue par une dépêche du ministre de la marine, faisant con*
naître les récompenses accordées pour les aflaires de Kep et de Chu. Au 3* ba-
taillon du régiment, les sous-lieutenants Guignabaudet, de la 3* compagnie, et
Mohamed -ben-Embarck, de la 4®, étaient promus lieutenants au corps; l'ad-
judant Codron et le sergentrmajor Derdos étaient faits sous-lieutenants; M. Au-
diguier, médecin aide- major de 1^ classe, était nommé médecin -major de
2« classe (décret du 30 décembre 1884); enfin les capitaines Camper et Valet
et les lieutenants Berge et Tahar-ben-Dzitouch recevaient la croix de chevalier
do la Légion d'honneur (décret du 29 décembre). Déjà, à la date du 7 no-
vembre, le sous-lieutenant de Féraudy, de la 1*^ compagnie, était passé lieu-
tenant à la légion étrangère.
Le 3 janvier, une colonne composée d'un bataillon d'infanterie de marine ,
du bataillon du lll*' do ligne, de celui du 143% de deux compagnies de la
h^gion étrangère, du 3' bataillon du 'i^ Tirailleurs et de deux batteries d'ar-
tillerie, quitta Chu & six heures du malin sous les ordres du général do Né-
grier ; elle passa sur la rive gauche du Loch-Nan , prit la formation préparatoire
de combat, et s'engagea dans la vallée de cette rivière pour la remonter pen-
dant quinze kilomètres environ. Le but de l'opération était de surprendre cinq
à six mille Chinois cantonnés et retranchés dans les villages de Phon-Cot,
Mai-To, Phi-Dien et Xi-Xa, situés au pied d'une hauteur assez importante, le
Nuî-Bop, et près de l'endroit où la route de Tho-Dzuong à An-Chau traverse
le Loch-Nan.
Pendant deux pauses et demie, aucun obstacle ne vint retarder la marche ;
mais après il fallut franchir une succession d*étroit8 défilés où l'artillerie eut &
surmonter de nombreuses difficultés. Vers onze heures, on aperçut sur la rive
droite de la rivière des détachements ennemis suivant une direction parallèle
& celle de la colonne et dans le même sens. Craignant qu'ils ne voulussent le
prévenir au gué do Loch -Non, le général prit les devants avec le bataillon
d'infanterie de marine, celui du 143* et l'artillerie, s'assura de ce passage, et
ne tarda pas à engager le combat avec des groupes de Chinois occupant les
hauteurs de la rive opposée. En un instant l'ennemi fut chassé de ses positions
et rejeté vers le nord, dans la direction du Nui-Bop, au pied duquel il avait
construit d'importants retranchements pour fermer une des routes conduisant
à Dong-Son , le réduit de tout son système de défense de la région et son centre
d*approvisionnement au sud de Lang-Son. A cinq heures, toutes les troupes
avaient traversé le Loch-Nan , et le bataillon de Mibielle , qui formait la queue
du gros , s'établissait au bivouac autour de l'artillerie et du quartier général.
Les hauteurs dont on venait de s'emparer se prolongeaient vers le nord en
formant une espèce de cuvette au fond de laquelle se trouvait le village de
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628 tK 3' RÉGIMENT DK TIUAILLËUHS ALGÉRIENS [1885]
lMiOD-4'iol. Non loin do colui-ci éluil uao [msIUo riviàro, uQIuoul du liOch-NaU|
le Khô-Sbui-Nliien, doat la vallée était suivie par la route de Chu à Biea-
Dong et à DoDg-Son. Cétait sur la rive droite de cette rivière, au delà de
laquelle s'élevait le Nui-Bop, que les Chinois avaient accumulé leurs princi-
pales fortifications. Ces dernières avaient naturellement été conçues en prévi-
sion d'une attaque venant par la route de Chu, c'est-à-dire par Touest; de
sorte qu'elles se présentaient maintenant comme une longue ligne à inter-
valles, les tranchées qui les reliaient se trouvant sur le prolongement de nos
feux. Cette ligne se composait d'une dizaine de forts carrés, dont deux armés
de canons Krupp. L'intention du général était tout indiquée par la marche
qu'il avait suivie : tourner ces nombreux ouvrages, les déborder par l'est et
déboucher ainsi sur les derrières de l'ennemi.
Dans la nuit, le lieutenant-colonel Ilerbinger reçut l'ordre d'aller occuper
Phon-Cot avec le bataillon du 1 1 1<» de ligne. Il y pénétra sans coup férir, mais
ses avant-postes curent aussitôt à faire le coup do feu pour répondre à ceux
des Chinois. Entre quatre et cinq heures du matiu la fusillade devint très vive,
et tout le bataillon se trouva bientôt engagé.
Dès que le jour parut, le général se porta en avant avec les l'®, 2* et 3* com-
pagnies du bataillon de Tirailleurs algériens et l'artillerie, ne laissant au bi-
vouac de deuxième ligne que la légion et la 4« compagnie de Tirailleurs (capi-
taine Valet) pour protéger l'ambulance et le convoi. Le bataillon du I43<^, qui
occupait les hauleura de droite, fut alors relevé, et en profita pour aller cher-
cher ses sacs, qu'il avait déposés la veille après le passage du Loch-Nan.
A sept heures, la position de nos troupes était la suivante : à l'extrême
droite, le bataillon du 111*, ayant sa première ligne à trois cents mètres du
Ké-Shui-Nhien; à gauche, le bataillon d'infanterie de marine, déployé sur les
crêtes et s'avançant sous la protection du feu de l'une des deux batteries;
en arrière du 111* et en marche pour le rejoindre, les trois compagnies de
Tirailleurs et l'autre batterie d'artillerie ; enfin, en réserve, le 143«, la 4* com-
pagnie de Tirailleurs et la légion étrangère.
Arrivées à hauteur du 111*, les trois compagnies de Tirailleurs prirent la
formation de combat : la deuxième (capitaine Chirouze) se déploya sur la
droite même du 111*, de façon à menacer la gauche de l'ennemi; les 1<^ et 3*
restèrent en soutien près de l'artillerie, qui tirait maintenant à une faible
distance sur les forts chinois bordont la rivière.
Jusqu'à dix heures, cette situation resta la même, si ce n'est que l'infanterie
de marine continua de s'avancer et se porta à son tour à hauteur du 111*. Ce
résultat obtenu, pour en finir, le général prescrivit une attaque enveloppante
contre la gauche chinoise. A cet effet, les 1^ et 3* compagnies de Tirailleurs
(capitaine Omper et Polère) reçurent l'ordre de se déployer à la droite de la
ligne de combat, et le 143* et la 4* compagnie de Tirailleurs de quitter leur
position de réserve, celle-ci pour servir de soutien à la compagnie Chirouze,
celui-là pour appuyer les compagnies Polère et Camper.
Mais à peine les Chinois se furent-ils rendu compte du but de ces mouve-
ments, qu'ils commencèrent à évacuer leurs forts. Brusquant alors l'attaque, le
capitaine Chirouze fit ouvrir le feu rapide et se rapprocha de la rivière pour être
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[18851 AU T0NK1N 529
prât à la traverser; puis, ayant fait mettre la baïonnette au canon, il enleva
sa compagnie avec un ensemble et un entrain qui arrachèrent des applaudis-^
semants au bataillon du 143*. La rivière est rapidement franchie; les Chinois
qui la défendent sont chassés vers les forts, et, sans interrompre leur élan,
les Tirailleurs les y poursuivent la baïonnette dans les reins. Le capitaine
Chirouze a divisé sa troupe en deux groupes; avec le plus important il marche
sur le fort extrême de la ligne chinoise, Tautre se porte plus à gauche sur un
autre ouvrage, dont les feux de flanc peuvent devenir très dangereux. D'un
seul bond les retranchements ennemis sont atteints et escaladés, leurs derniers
défenseurs fuient en désordre de tous côtés, et la 2* compagnie reste mai-
tresse des deux forts sur lesquels elle s*est dirigée. Elle y trouva six canons
Krupp, des drapeauv, des armes en quantité considérable, des munitions,
des vivres, des tentes, des effets de toute nature et^un certain nombre de
chevaux. C'était I& le plus joli succès de la journée; non seulement il avait
déterminé la retraite précipitée de la gauche des Chinois, mais il avait encore
favorisé l'attaque de leur droite par l'infanterie de marine, qui, repoussée dans
un premier assaut, en avait tenté un deuxième et venait également de péné-
trer dans plusieurs ouvrages et de s'emparer d'une autre batterie Krupp.
AiiRsitAt que In 2* compagnie do Tirailleurs avait prononcé son attaque, le
commandant de Mibiclle avait ordonné à la h!^ de Tappuyer en passant à son
tour le Ké-Shui-Nliien. Plus à droite, les 1^^ et 3® compagnies avaient aussi
traversé cette rivière, puis s'étalent avancées dans la plaine en prenant pied
sur la route d' An-Chau , et s'étaient arrêtées sur Tun des contreforts du Nuî-
Bop, après s'être emparées d*une dernière enceinte fortifiée, construite au bas
même de la montagne.
Notre victoire était complète. Les Chinois avaient eu six cents tués et un
nombre considérable de blessés; tout le matériel et tous les approvisionne-
ments qu'ils avaient réunis sur ce point étaient en notre pouvoir; les impor-
tants travaux qu'ils y avaient patiemment exécutés n'avaient servi qu'à les
tenir plus longtemps sous notre canon et à favoriser l'habile manœuvre du
général de Négrier. Les pertes de la colonne étaient relativement minimes :
elles ne s'élevaient qu'& dix-neuf tués et soixante-six blessés, dont trois offi-
ciers; encore ne portaient-elles guère que sur le bataillon du 111* et sur l'in-
fanterie de marine. Celui de Tirailleurs avait très peu souflert : neuf blessés
seulement, tous de la 2* compognie. C'était surtout à son magnifique élan
que cette dernière devait de n'avoir pas été plus éprouvée; car le feu de Ten-
nemi n'avait cessé que lorsqu'elle avait été à dix mètres des forts. Elle avait
eu, pour arriver là, à parcourir près de trois cents mètres en terrain décou-
vert, et cela sac au dos, après avoir franchi une rivière. Qu'on ne s'étonne
donc pas qu'une telle charge eût provoqué l'enthousiasme de toutes les autres
troupes. Aussi le capitaine Chirouze, qui l'avait conduite, allait-il être l'objet
d'une citation des plus flatteuses à l'ordre de l'armée, ainsi que le caporal
Fournier, qui était entré un des premiers dans le fort principal.
Le soir, les quatre compagnies du bataillon de Mibielle bivouaquèrent dans
les ouvrages enlevés par la 2<'. Le 5, la 4* partit à six heures du matin dans
la direction d'An-Chau et s'arrêta en halte gardée à deux kilomètres environ
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530 LE 3® BÉQIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1885]
du Nul-Bop. Elle demeura là en observation toulo la journée sans voir un seul
ennemi , et rentra au camp à sept heures du soir. Pendant ce temps , les autres
avaient travaillé & la destruction des retranchements chinois. A onze heures
du soir, le bataillon reçut Tordre d'aller s'établir en embuscade au village de
Hong, à mi-distance du Nui-Bop et de Chu, pour y protéger le passage d'un
convoi de vivres et de munitions venant de ce dernier poste par Kcp-Tua et
Liem-Son. Il arriva sur ce point à deux heures du matin, et y resta jusqu'au
lendemain à dix heures. Il prit alors sa place dans la colonne que le général
de Négrier ramenait du Nuî-Bop, et arriva à Chu à cinq heures du soir.
Il eût fallu, après ce brillant succès, pouvoir marcher immédiatement sur
Lang-Son ; mais les préparatifs qu'exigeait une telle opération ne devaient pas
être terminés avant un mois. C'était plus qu'il ne fallait aux Chinois pour ré-
parer leurs pertes, construire de nouveaux ouvrages, et reprendre confiance en
cette immense succession de retranchements qui faisait des environs de Doog-
Son et de Dac-Lé une région étrange, où le moindre mamelon était surmonte
d'un fort.
Ce retard , qui sur un autre point eût pu avoir des conséquences bien au-
trement graves, sans l'héroïque résistance d'une mauvaise place défendue
par une faible garnison , avait eu un peu pour cause l'attente de renforts sans
lesquels le général en chef n'avait cru pouvoir entreprendre l'expédition pro-
jetée. Ces renforts étaient débarqués depuis la fin de décembre, maïs n'avaient
pas encore été dirigés sur le théAtro des opérations; ils so composaient ilo
deux bataillons à mille hommes, l'un tiré de la légion étrangère, l'autre du
l*r Tirailleurs. L'arrivée de ce dernier bataillon avait porté à quatre ceux du
régiment de marche de Tirailleurs algériens. Mais ce régiment, dont le com-
mandement était toujours exercé par le lieutenant-colonel Letellier, était dis-
séminé de tous les côtés, et sur trois mille cinq cents hommes qu'il aurait pu
mettre en ligne, seize cents seulement, c'est-à-dire le bataillon de Mibielle
et le bataillon Comoy nouvellement débarqué, allaient entrer dans la compo-
sition de la colonne en voie d'organisation.
Rentré à Chu le 6 janvier au soir, le bataillon de Mibielle en était reparti
le lendemain pour aller occuper le village de Binh-Noi, à trois kilomètres au
nord , sur la route conduisant au col de Déo-Quan. Sa mission était de protéger
les travailleurs que le génie devait envoyer sur cette route pour l'améliorer.
Du 8 au 10 janvier, les 1*^ et 3^ compagnies furent détachées pour conduire
un convoi de vivres et de munitions à Nuî-Bop*. Au retour, elles escortèrent
jusqu'à Chu le matériel de guerre enlevé aux Chinois. Le restant du mois, le
bataillon ne quitta pas Binh-Noî, si ce n'est pour se porter deux ou trois fois
au col de Déo-Quan pour y protéger les travailleurs du génie.
Enfin la marche sur Lang-Son, depuis si longtemps attendue, fut annoncée
pour les premiers jours de février. Le général en chef, qui avait été nommé
divisionnaire à la date du 3 janvier, devait prendre lui-môme la direction des
troupes; celles-ci, comprenant environ sept mille combattants, avaient été
< Nul-Bop n*ctaQt pas le nom d'une localité, mais celui d'une montagne, on devrait
plutôt dire « le Nul-Dop », Nous nous conformons à l'appellation qui a pi'évalu.
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[18851 AU TONKIN 531
organisées en deux brigades sous les ordres du colonel Giovanninelli et du gé-
néral de Négrier. Les Tirailleurs algériens, nous Tavons dit, n*y comptaient
que deux bataillons formant un régiment de marche, dont le Heulenant-colonel
Letcllinr était venu prendre le commandement. Ce régiment faisait partie de
la l'* brigade (colonel Giovanninelli).
Avant les récentes opérations efTcctuées dans la vallée du Loch-Nan et les
renseignements qu'elles avaient permis de recueillir sur cette région, jusque-
là à peu près inconnue, la roule qu^avait suivie la colonne Dugenne pour
tenter de se rendre à Lang-Son passait pour être la seule relativement prati-
cable pour une colonne ayant & traîner après elle de Tartillerie et un énorme
convoi. Les Chinois ne doutaient pas, surtout depuis qu'ils nous savaient so-
lidement établis & Kcp, que ce ne fût de ce côté que se portât notre principal
elTort; aussi y avaient-ils entassé défenses sur défenses, retranchements sur
retranchements. Il n*y avait pas, Il est vrai, à s'exagérer la valeur de ces ou-
vrages, mais il valait encore mieux les éviter. Celte idée avait naturellement
conduit Tétat-major général à chercher un autre chemin; et, sur les indica-
tions des indigènes, il Tavait trouvé plus & Test, au nord de Chu, par les cols
de Déo-Quan et de Doo-Van, convergeant vers Dong-Son , et une étroite vallée
à peu près parallèle à celle du Song-Thuong. Ce n^était autrefois qu'un simple
sentier de montagne, mais il y avait lieu de supposer que le va-et-vient des
troupes chinoises Tavait depuis sensiblement amélioré. Il y avait bien aussi à
compter avec les moyens de résistance que Tennemi avait réunis à Dong-Son ;
mais, cet obstacle franchi, il n*en existait plus de sérieux jusqu^à Lang-Son.
Il fut donc décidé qu'on prendrait cette direction.
Le départ de Chu eut lieu le 3 février au matin. Au point du jour, le ba-
taillon de Mibielle s'était porté de Binh-Noî à une pagode brûlée sur la route
de Nui-Dop, afm d'y attendre la colonne, qui y passa à huit heures. Le soir,
les t''^, i^ et 3^ compagnies dressaient leur bivouac à dix-huit coûts mètres
au delà du col de Déo-Van, sur les hauteurs s'élevant sur la gauche de la
vallée; la 4°, dans Pintérieur même du col.
Le 4 , la marche reprit à onze heures du matin. A midi , on commença à
apercevoir de nombreux forts chinois : c'étaient ceuxdeHao-IIa, faisant partie
de l'ensemble des fortifications de Dong-Son. Ces fortilications étaient dispo-
sées autour d'un point central où venaient confluer un grand nombre de
gorges ou de vallées. On eût dit une vaste étoile aux rayons hérissés de re-
tranchements. Le diamètre perpendiculaire à la route suivie avait environ
douze kilomètres, et se trouvait nettement accusé par une ligne de montagnes
très élevées. Au fond d'une gorge était Dong-Son. On allait s'emparer de cette
formidable position en suivant jusqu'au centre un certain nombre de rayons,
formés pour la plupart de hauteurs asset considérables séparées entre elles
par de profonds ravins.
A deux heures, les l'^^^et 2' compagnies du bataillon du 3* Tirailleurs re-
çurent l'ordre de se porter sur les hauteurs de gauche de la vallée. A peine
y furent-elled arrivées, qu'un cavalier vint les prévenir qu'une compagnie de
la légion étrangère se trouvait sérieusement engagée, et qu'il était urgent de
l'appuyer. Sur l'ordre du copitaine Chirouze, la l>^compagnie(capilaine Camper)
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532 LE a** nÉÛlJIENT DIfi TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1885 1
86 porta aussitôt en avant et so déploya à la droite do la coiii|ittgiiio de la
légion. La ligne ainsi formée 8*élança alors à l'attaque de trois positions for-
tifiées, qu'elle enleva successiveinent. 11 ne restait plus qu'à s'emparer d'un
dernier retranchement pour achever de cliasser les Chinois de cette crête, qui
constituait un des rayons dont nous avons parlé ci-dessus.
Il était cinq heures et demie; le capitaine Chirouze fil renforcer la l^^ com-
pagnie par un peloton de la 2*, et l'attaque fut reprise avec une nouvelle vi-
gueur. En même temps l'autre peloton de la 2* compagnie, resté dans le
premier ouvrage enlevé, s'apprêtait à repousser une contre-attaque que l'en-
nemi dessinait sur notre flanc gauche. Les Chinois furent encore partout dé-
logés, mais non sans une vive résistance et des pertes assez sensibles pour la
compagnie Camper et celle de la légion. A l'approche de la nuit, ils tentèrent
un vigoureux retour oflensif. Celui-ci , repoussé après un violent combat, fui
renouvelé plusieurs fois avec un acharnement qui entraîna à divers moments
une lutte corps à corps. Enfin , vers onze heures et demie du soir, ils renon-
cèrent définitivement à nous reprendre la position , et quelques instants après
la fusillade cessa tout à fait. Dans cette sanglante journée, la compagnie de
la légion avait eu ses trois officiers et le tiers de son eflectif hors de combat.
Quoique moins éprouvés, les Tirailleurs n'en comptaient pas moins neuf tués
et vingt-deux blessés.
Pendant qu'une partie de son bataillon se signalait ainsi par une vigueur
et une ténacité inébranlables, le commandant de Mibielle, demeuré en ré-
serve avec ses deux autres compagnies, se disposait à seconder l'attaque qu'un
bataillon d'infanterie de marine devait diriger sur l'un des forts situés à droite
de la vallée; mais cette attaque ayant été remise au lendemain, à cinq heures
il dressa son bivouac sur la position où il s'était arrêté.
Le 5, le combat recommença; toutefois il fut moins bien soutenu du côté
de l'ennemi. A midi, les 3^^ et 4° compagnies (capitaine Polère et Valet) du
3* bataillon du régiment, appuyant le bataillon d'infanterie de marine, se
portèrent à l'attaque de la position devant laquelle elles avaient pusse la nuit.
Mais les Chinois n'attendirent pas cet assaut : dès qu'ils virent nos soldats
gravir les pentes de la montagne, ils se retirèrent précipitamment en aban-
donnant également leurs ouvrages de seconde ligne, qui furent immédiatement
occupés. À cinq heures, nos deux compagnies faisaient leur jonction avec les
troupes de la 2* brigade, et s'établissaient sur la route même de Lang-Son ,
dans un retranchement récemment évacué par l'ennemi. Elles avaient eu un
seul blessé. Les 1^ et 2*, restées sur les hauteurs de gauche, avaient obéi ce
jouHà aux ordres directs du lieutenant- colonel Letellier, et s'étaient portées
à trois kilomètres en avant de leur position de la veille.
Le 6, on pénétra enfin dans la gotge de Dong-Son , après un dernier et très
chaud engagement, auquel ne put prendre part le bataillon de Hibielle, dé-
signé pour former l'arrière-garde et protéger le passage des convois. Ce succès
faisait tomber entre nos mains d'immenses approvisionnements, nous four-
nissait une nouvelle et ézccllente base de ravitaillement, et enfin nous ouvrait
le chemin de Lang-Son. La formidable ligne de forts élevée entre Than-Moï
et Bac- Lé se trouvait complètement tournée, et la route mandarine était
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[I88r»] AU TONKIN 533
ollc-Tndmo rcnduo libre par la retraite précipitée de ses défenseurs. On sup-
posait bien que la résistance de Tarmée chinoise n'était pas entièrement vain-
cue, qu'il faudrait probablement livrer de nouveaux combats en avant de
Lang-Son ; mais personne ne doutait plus du succès, et l'entrain que donnait
cette confiance faisait facilement oublier les fatigues et les épreuves des jours
précédents.
Les journées des 7, 8 et 9 s'écoulèrent dans un va-et-vient continuel de
convois allant chercher des vivrps à Chu ; tous les moyens de transport de la
colonne y furent employés. Le 7 au matin , le bataillon de Mibielle quitta sa
position d'arricrc-gardo pour se porter & six kilomètres au nord de Dong-Son.
Mais, à sept heures, de nouveaux ordres vinrent lui donner une autre desti-
nation : les l**^ et 4" compagnies furent désignées pour aller escorter un convoi
à Giap-Thuong, à une journée de marche en arrière, la 2* pour aller occuper
un des premiers fortins des lignes mômes de Dong-Son; de sorte que la
3^ seule continua sa route pour le bivouac primitivement assigné. Elle y arriva
à cinq heures du soir, et y fut successivement rejointe les jours suivants par
les trois autres, à mesure qu'elles eurent accompli leurs différentes missions.
La marche en avant fut reprise le 10, sans amener ce jour-là la rencontre
d'im seul Ciliinois. Lo 1 1, In 2" brip[ade (général do Négrier), qn> tenait la télo
de In colonne, eut è enlever de vive force plusieurs positions, qu'elle aborda
nvcc sa vigueur accoutumée. Le soir, la l*"^, qui devait être en première ligne
le lendemoin , installait son bivouac à Pho-Van-Vy, à dix & douze kilomètres
seulement de Lang-Son, dont on n'était plus séparé que par une ligne de
hauteurs à la faveur de laquelle on pensait que l'ennemi tenterait un dernier
cITort.
Le 12 fut, en elTct, une journée de grande lutte, et l'une des plus glo-
rieuses de la campagne pour les Tirailleurs algériens. Ce fut cette fois au
bataillon Comoy, du l®'' régiment, que revint l'honneur d'attaquer le défilé
qui devait nous ouvrir le passage. Ce bataillon supporta à lui seul presque
toutes les pertes de la brigade*, mais rien ne put résister à ses assauts ré-*
pétés. Celui du commandant de Mibielle, sans être aussi sérieusement en-
gagé , prit cependant encore une brillante part à ce combat. Dès neuf heures
du matin , il reçut l'ordre de couronner les hauteurs dominant à l'ouest la
roule de Lnng-Son. Les 3<> et A^ compagnies furent poussées jusqu'aux der-
nières de ces hauteurs pour surveiller un col par lequel les Chinois menaçaient
de déboucher sur notre flanc gauche; les l*^^' et 2* restèrent en réserve. Vers
midi, tout danger ayant définitivement disparu sur ce point, ces dernières
redescendirent dans la vallée et gravirent les mamelons de droite, dans le
but de protéger de ce côté l'extrémité de la ligne du bataillon du 1^ Tirail-
leurs; elles y restèrent jusqu'à trois heures sous une fusillade assez meutrière;
puis, à l'exception d'une section de la l**" compagnie , qui fut laissée en flanc-
garde, elles regagnèrent la route pour suivre le mouvement de la brigade
qui, victorieuse, s'était élancée sur les traces de l'ennemi. Les 3* et 4* com-
< Il eut à peu pros cent cinquante hommes hors de oomhat , sur environ deux cents que
roûUi cette joiirnc^c.
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634 LE 3^ RÉQIMBNT DE TinAILLEURS ALGÉRIENS [1883]
pagnies avoionl à leur tour évacué loa hautourâ do gaucho, cl depuis un mo-
ment s'étaient également jointes à la colonne, dont maintenant elles formaient
l'avant-garde. Cette poursuite dura jusqu'à sept heures du soir et ne s'arrêta
qu*à trois kilomètres de Lang-Son. L'ennemi fuyait avec une telle précipita-
tion, qu'il y avait beaucoup à compter sur l'évacuation immédiate de la
place; mais l'arrivée de la nuit ne permit pas d'aller plus loin. Le bataillon
du régiment bivouaqua eh première ligne, pour être prêt à prendre la tête
des troupes le lendemain. Dans ce dernier engagement il avait eu quinze
hommes blessés, dont un officier : le sous-lieutenant Ameur-ben-Mohamed *.
Le 13, le départ du bivouac eut lieu seulement à dix heures du matin. Uno
heure après, la compagnie Po1ère(3<^) pénétrait la première dans la citadelle
de Lang-Son, une bicoque carrée dominée de tous côtés et à courte distance
par une ceinture de mamelons. Depuis la veille elle était évacuée par les Chi-
nois, qui, dans leur panique, y avaient laissé une partie de leurs approvision-
nements et de leur matériel. La l^^ compagnie (capitaine Camper), sans
s'arrêter, poussa sur le Song-Ki-Kung', le traversa à gué et se porta sur le
marché de Ki-Lua, petit village situé à quinze cents mètres au nord, et protégé
par dos redoutes en terre où quelques retardataires do l'armée chinoise s'é-
taient réfugiés. Mais ceux-ci s'enfuirent sans essayer de se défendre, et les
Tirailleurs occupèrent sans coup Térir ces nombreux retranchements. A quatre
heures, les 2<^, 3^ et 4^ compagnies rallièrent la 1>«, avec laquelle se trouvait
le commandant de Mibielle, et le bataillon tout entier s'inslalla au cantonne-
ment au nord du marché de Ki-Lua, sur la route de Chine, que ses avant-
postes eurent particulièrement mission de surveiller.
Ainsi se termina cette expédition, dont rien ne saurait donner une idée
quant aux fatigues qu'avaient eu à supporter nos soldats et aux diflicultés de
toute nature qu'ils avaient eu à surmonter. Debout avant le jour, le plus sou-
vent après avoir passé la nuit en grand'garde, ces derniers avaient continuel-
lement marché et combattu avec six jours de vivres et cent vingt cartouches
sur le sac, et cela dans un pays montagneux, hérissé d'obstacles et n'oiTrant
que quelques étroits sentiers que la nécessité d'avoir en permanence la for-
mation préparatoire de combat n'avait même pas permis d'utiliser. Plus d'une
fois, les troupes de première ligne avaient vu arriver le soir n'ayant encore,
pour toute nourriture, pris que le café de la grand'halte, heureuses d'ailleurs
quand, dans cette circonstance, il leur avait été possible d'allumer du feu
pour en faire un autre au bivouac. Ces souffrances, les ofliciers les avaient
partagées dans des conditions les leur rendant peut-être encore plus dures,
du moins en ce qui concerne l'alimentation. Le soldat avait, en somme, tou-
jours eu son sac; mais eux n'avaient pas toujours eu leurs bagages, et leur
subsistance de la journée s'était alors bornée aux maigres provisions qu'ils
avaient eu la précaution de prendre sur eux le matin.
Malgré ces privations, l'entrain était loin d'avoir disparu, et la plus noble
émulation régnait dans les deux brigades. L'une , la 2<*, se disposait à continuer
* Mort des suites de ses blessures le 15 ft&vrier.
> Nom de la rivière qui passe à Lang- Soo.
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[I8R5] AU TONKIN 53»
la poursuilc des Chinois et à menacer la frontière du Kouang-Si ; Tautro était
désignée pour se porter à marches forcées au secours de Tuyen-Quan , assiégé
par Tarmée du Yunnan. Mais avant de suivre le régiment de Tirailleurs algé-
rien» dans In lutte glorieuse qui devait enfin dégnger Théroïque garnison qui
résistait à brèches ouvertes à un ennemi quarante fois supérieur, revenons
de quelques mois en arrière, et voyons ce qui 8*était passé sur les autres points
du Tonkin , depuis quatre mois que tous les regards et tous les moyens d'ac-
tion étaient concentrés vers le nord et vers cette place qui était l'origine de
la guerre, et dont la prise semblait devoir la terminer : Lang-Son ^
1 Nous avons oublié , dans le cours de ce chapitre, de parler d'une citation à Tordre da
corps expéditionnaire, dont avait été l'objet le capitaine Mercier, adjudant -major au
:v Itatalllon, h la siiito du combat de Clin (10 octobre 1884), pour avoir, avec deux
roinpagnios (les .1" et 4"), contenu les ciïorts do rcnncmi, qui essayait de tourner la
ilntito de notre ligne. La véritable raison do cet oubli est qne le capitaine Mercier,
chargé fie la rédaction rin journal de marcbc de son bataillon, avait complètement né-
gligé de parler do lut en cette occasion.
Nous profitons de cette circonstance pour relever également trois autres citaUons qni
eurent lien dans le môme Kitiillon après la marche sur Lang-Son. Ce furent :
10 Le capitaine Cliirouze, pour s'être porté, dans la journée du 4 février (combat de
Tbaï'lloa) au secours d'une compagnie de la légion étrangère sérieusement engagée,
et avoir ensuite combattu toute une nuit contre dos forces très nombreuses qni avaient
dû , à plusieurs reprises , être repoussées à la baïonnette ;
2» Le capitaine Camper, à l'occasion de la même journée et ponr les mêmes motifs
que le capitaine Chirouze ;
30 L'adjudant Paulet, pour avoir brillamment enlevé sa section, et avoir été blessé en
bousculant un parti ennemi très supérieur en nombre.
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CHAPITRE XI
(1884) La situation sur le liaut llcuvc Rouge au moment de l'expédition de Lang-Sou.
— Tuyen-Quan est attaqué. — Combat de Duoc (19 novembre). — Retour des Chi-
nois. — (1885) La V brigade marche au secours de Tuyen-Quan. -> Combat de
Hoa-Moc (2 et 8 mars). — Retraite de Lang-Son. — La V^ brigade est dirigée sur
Chu. — Préliminaires de paix , cessation des hostilités. — Second traité de Tien-Tsin.
— Opérations contre les pirates — Répartition des garnisons pour Tété de 1885. —
Le général Brière de l'Isle est remplacé par le général de Courcy. — Le choléra. —
Prise de Than-Mal. — Occupation de Phu-An-Binh. — Opérations autour de ce poste.
— Détachements du 1«' bataillon; leurs opérations. — (1886) Marche surThan-Quan.
— Rapatriement du !•' bataillon. — Le commandant de Mibiullo se dirige sur la
haute rivière Claire; il est arrêté par Tordre du rapatriement de son bataillon. —
Ordre du général Jamont à l'occasion du départ des Tirailleurs algériens. — Rentrée
successive des deux bataillons du régiment en Algérie; Ils envoient chacun un déta-
chement à Paris à l'occasion de la revue du 14 juillet.
Ainsi que nous Tovons dit plus liaut, en même temps que l'armée du
Kouang-Si se disposait à envahir le Tonkin par le nord, Luu-Vinh-Phuoc,
qui s'était retiré à Lao-Kai, se préparait à redescendre la vallée du fleuve
Rouge avec ce qui lui restait de ses bandes et les troupes régulières qui lui
étaient envoyées du Yunnan '. Mais Téloignement où, de ce côté, nos postes
extrêmes se trouvaient de la frontière, les difficultés qu'opposait le pays à une
armée qui n'en pouvait tirer sa subsistance, firent que les hostilités ne s*y
ouvrirent qu'un mois environ après qu'elles curent éclaté sur le Loch-Nan.
Nous avons vu que le danger grandissant qui menaçait le nord du Delta
n'avait pas tardé à demander sur ce point la présence de la plus grande partie
I Ce rut en réalité le vice -roi du Yunnan qui eut le commandement supérieur de toutes
les forces chinoises qui envahirent le Tonkin par l'ouest; mais la direction clfective des
opérations semble avoir appartenu plus particulièrement au chef des Pavillons -Noirs,
dont la réputation avait rapidement grandi en Chine , et qui avait une connaissance par-
faite du pays.
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[1885] LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS AU TONKIN 537
des Torccs dont pouvait disposer le général en chef. Il était résulté de celte
exigence que les garnisons de l'ouest, particulièrement celles de Sontay et de
Hong-Hoa, avaient été considérablement aflTaiblies, et qu'il avait fallu at>an-
donner l'idée d'une marche sur Lao-Kaî, qui avait d'abord été annoncée pour
le retour de la bonne saison. On avait môme dû renoncer à constituer une
colonne mobile qui, en secondant l'action do nos canonnières, eût probable-
ment déconcerté les Chinois dans leurs premières opérations dans cette région.
Libre de ses mouvements, l'ennemi pouvait donc se porter sur Hong-Hoa ou
sur Tuyen-Quan : il choisit Tuyen-Quan. Cette place, qui n'était défendue
que par trois compagnies (deux de la légion étrangère et une de Tirailleurs
tonkinois) et une section d'artillerie, lui parut, en effet, plus facile à réduire,
par la possibilité qu'on avait de Tisoler complètement en occupant le défilé de
Duoc, par lequel serait obligée de passer toute colonne se portant au secours
des assiégés.
Ce plan, très habilement conçu, reçut son commencement d'exécution vers
la fin d'octobre. Un soir, après l'extinction des feux, Tuyen-Quan fut brus-
quement assailli de coups de fusil, sans qu'aucun indice eût pu faire prévoir
celte nocturne agrcssiun. Au jour, Tennemi avait disparu. Le lendemain ce
fut la mémo chose, et h partir do ce moment les Chinois revinrent toutes les
nuits faire le coup do feu; en môme temps ils construisaient à Duoc des l)ar-
ragcs pour arrêter nos canonnières, et des fortifications pour s'opposer au
passage de troupes venant du Delta.
Dans les premiers jours de novembre, le péril s'affirma de plus en plus;
deux canonnières, la Trombe et le Revolvei^ furent vivement attaquéees en
descendant la rivière Claire, et eurent leurs équipages sérieusement éprouvés.
Cet incident ne laissa pas d'inquiéter le général Brière de l'Isle, et une petite
expédition fut résolue pour chasser les Chinois de Duoc, relever la garnison
de Tuyen-Quan, qui était très éprouvée par les maladies, enfin approvisionner
le poste en vivres et en munitions. Cette opération, qui fut confiée au colonel
Duchesne, avec deux compagnies de la légion et deux d'infanterie de marine,
donna lieu, le 19 novembre, à un violent combat à Duoc; mais les Chinois se
virent rejetés sur la route de Tuyen-Quan à Phu-An-Binh, et le danger se
trouva momentanément écarté. Le commandement de Tuyen-Quan * fut alors
donné au chef de bataillon Dominé, et il fut décidé par 1 état- major général
qu'on ne s'occuperait plus de cette placj jusqu'après l'expédition de Lang-
Son.
Cependant, par suite de l'échouage de deux canonnières à Phu-Doan, au
confluent de la rivière Claire et du Song-Chaî, il était résulté de cette courte
expédition la nécessité de créer sur ce point un poste pour les proléger. C'était
là, on peut le dire , une circonstance plus heureuse que néfaste; car sans elle
on eût probablement négligé d'occuper cette position importante, commandant
les deux routes de Tuyen-Quan et de Phu-An-Binh, et les Chinois n'eussent
t La garnison de la place restait la même comme force , mais les deux compagnies de
légion étrangère qui s'y trouvaient précédemment étaient remplacées par deux compa-
gnies halclies du même corps.
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538 LB 3® RÉQIMBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1885]
po6 monqué de s'y établir. Quoi qu'il en soil, ce fut lo 4* compagnie (capi-«
laine Massip) du l^^* bataillon du régiment qui fut désignée pour constituer
cette nouvelle garnison. Cette compagnie avait quitté Hanoï, où se trouvait
encore le bataillon, le 31 octobre, pour se rendre à Sontay, où elle resta pen-
dant un mois; elle en partit le 3 décembre avec une compagnie d'infanterie
de marine et un convoi de vivres à destination de Tuyen-Quan , arriva à Phu-
Doan le 7, se remit en route le 16 pour accompagner ce convoi jusqu'à Duoc,
et rentra le 20 à Pbu-Doan, où pendant deux mois elle allait travailler à se
fortifier avec une activité décuplée par la menace permanente d'une atlaquc
de vive force par quinze à vingt mille Chinois. A la fin de janvier 1885, elle
devait y être renforcée par un peloton de la légion étrangère, sous les ordres
du lieutenant Lamole.
Tuyen-Quan ne resta pas longtemps sans être de nouveau inquiété par les
Chinois; dès la fin de d^mbre ceux-ci reparurent, et vers le milieu de jan-
vier on les vit ouvrir des parallèles, construire des places d'armes et entre-
prendre des travaux d'approche pour un siège aussi judicieusement étudié
qu*il allait être vigoureusement poursuivi. Bientôt l'explosion d'une mine, qui
lit une brèche de dix à douze mètres aux remparts de la place, démontra tout
ce qu'on avait à craindre d'un pareil ennemi. La situation s'aggravait : déjà
les courriers ne pouvaient plus passer à Duoc; on savait que Luu-Vinh-Phuoc
y faisait élever des retranchements formidables; des avis parvenus au service
des renseignements signalaient des forces considérables en marche du Lao-Kuî
sur Than-Quan et Phu-An-Binh; l'expédition de Lang-Son n'avait pas encore
commencé; il était difficile de prévoir sa durée, encore plus son résultat; la
délivrance n'était possible qu'après cette opération ; bref, tout semblait s'unir
pour ne laisser à la malheureuse garnison assiégée que la ressource de se faire
tuer bravement après s'être défendue jusqu'à la dernière extrémité. Mais le
sang-froid du commandant Dominé devait tellement reculer les limites de cette
résistance, qu'un mois et demi après Tuyen-Quan allait encore être debout,
malgré de nouvelles mines, malgré de nombreux assauts.
Lang-Son fut enfin occupé le 13 février. Dès le 16, la 1*'« brigade (colonel
Giovanninelli), dans laquelle se trouvait le 3® bataillon du régiment (comman-
dant de Mibielle), se mettait en route pour revenir dans le Delta et se porter
à marches forcées sur la haute rivière Claire. Le 17, elle était à Phu-Thuong-
Khan; le 18, à Bac-Lé; le 19, à Lang-Ma; le 20, à PhuLang-Thuong; le 21 ,
à Pbu-Tu-Son, et, le 22, à llanol. Depuis deux jours, une colonne composée
de toutes les troupes disponibles de la garnison de cette ville, dont la 3» com-
pagnie (capitaine Caries) du 1^ bataillon du régiment, avec le commandant
Bérangèr, était déjà partie pour Phu-Doan, sous les ordres du colonel de
Maussion , de l'infanterie de marine, afin de préparer au besoin les opérations
et rassurer la garnison de Tuyen-Quan, en lui faisant parvenir la nouvelle de
l'arrivée de secours. Cette colonne , après s'être grossie à Sontay d'une corn*
pagnie de la légion étrangère et d'une de Tirailleurs tonkinois, à Bac -Hat
d'une autre de Tirailleurs algériens et d'encore un peloton.de Tonkinois, attei-
gnit Phu-Doan le 23. Là, sur les renseignements recueillis, son chef jugea
prudent de ne rien entreprendre, et de se contenter d'observer lo pays eu
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[1885] AU TONKIN 539
attendant la brigade. Celle-ci, a^ec laquelle marchait le général en cher,
arriva le 27. Le chiffre des troopf's réunies à Phu-Doan s'éleva alors à envi-
ron trois mille six cents combattants, en y comprenant quatre cents Tirail-
leurs tonkinois.
Le soir, le colonel Giovanninelli Ht tirer des salves de coups de canon et des
fusées tricolores dans le but de prévenir Tuyen-Quan. C'était malheureuse-
ment avertir aussi les Chinois retranchés à Duoc, et jamais assaillant n*a été
plus sûrement, plus froidement attendu que la colonne allait Tétre dans cette
circonstance par ceux qu'elle se proposait de surprendre et de culbuter.
Les lettres du rommandant Dominé d'un côté, les rapports des indigènes de
l'autre, avaient depuis longtemps signalé l'importance des fortifications de
Duoc. Admirablement favorisé par la position, l'ennemi avait d'abord barré
la ronto pnr de nombreux ouvrages, puis il en avait construit d'autres pour
empêcher reux-rJ d*/^tre tournés, et In tout, s'appuyant à la rivière, constituait
maintenant une ligne redoutable qui ne pouvait être abordée que de front.
Il ne se présentait que deux moyens pour l'éviter. Le premier, qui consistait
à remonter les rives du Song-Cha! jusqu'à Phu-An-Binh, et à prendre ensuite
la route qui conduisait de ce point à Tuyen-Uuan, eût peut-être été pratique
dans un autre moment; mais le temps qu'il demandait ne permettait pas de
s'y arrêter. Quant à l'autre, il ne lui manqua, pour être adopté, que dMtre
suffisamment étudié. C'était de suivre une route intermédiaire que des recon-
naissances effectuées par la garnison de Phu-Doan venaient de découvrir. Cette
route, qui partait de Phu-Doan pour aller déboucher dans la plaine de Tuyen-
Quan, rencontrait bien la droite des lignes de Duoc, mais sur ce point il ne
s'élevait encore que quelques forts inachevés, et le terrain permettait, ce qui
était impossible du côté de la rivière, de manœuvrer. Le colonel Giovanninelli
craignit de se priver du concours de la flottille, d'être difficilement suivi par
son convoi et son artillerie, et il préféra s'engager sur la route déjà plusieurs
fois parcourue, se fiant à l'incomparable valeur de ses troupes pour triom-
pher des obstacles que l'ennemi avait accumulés. Cette détermination allait
amener le combat le plus sanglant de toute la campagne.
La brigade quitta Phu-Doan le 28 février à midi. Il ne resta dans ce poste
qu'une compagnie du l"'' Tirailleurs. Celle du 3* qui l'occupait précédemment
était rentrée dans la colonne, de sorte que le régiment était représenté dans
cette dernière par un bataillon et demi. Les canonnières, au nombre de cinq,
tentèrent de leur côté de remonter la rivière ; mais dès leur départ l'une d'elles
s'étant échouée et ayant obstrué la passe , elles ne devaient arriver que lorsque
tout serait terminé.
Vingt kilomètres séparent Phu-Doan de Duoc; mais la route, coupée par de
nombreux arroyos sur lesquels il n'existait aucun pont, était alors des plus
difficiles, et près de trois jours allaient être nécessaires pour parcourir cette
distance, qu'on croyait pouvoir franchir en un seul. Dès le second jour on
commença à trouver des abatis, des petits piquets que les Chinois avaient
hâtivement disposés dans les mauvais passages afin de nous retarder. Ces
travaux remontaient à quarante-huif heures au plus.
Le 2 mars, la colonne quitta son bivouac, situé à environ cinq kilomètres
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5^0 LE 3^ RÉQIIIENT DE TinAILLEURS ALQÊniENS [1885]
de Duoc*, à neuf heures du matin. Un peloloa de Tirailleurs tonkinois for-
mait la pointe d'avant-garde; venait ensuite le bataillon de Mibielle , avec la
4* compagnie (capitaine Valet) en avant et les trois autres réunies. On s'a-
vança lentement, les abatis et les petits piquets arrêtant les Tonkinois à
chaque pas. Enfin, vers onze heures, les principaux forts chinois furent en
vue. On s'arrêta à une faible distance, sans qu'un coup de fusil eût encore
été échangé. Il s'agissait maintenant d'effectuer autant qu'on le pouvait la
reconnaissance de la position.
Celle-ci se présentait au premier abord comme toutes celles qu'on avait
rencontrées jusque-là , c'est-à-dire comme une succession de mamelons cou-
ronnés de forts; mais ces forts, qui s'étendaient sur une triple ligne et se
prolongeaient sur la gauche aussi loin que l'œil pouvait parvenir, étaient
reliés par des tranchées formant chemin couvert et se prêtaient pour la plu-
part un mutuel appui; construits sur des hauteurs boisées, ils étaient sur
toutes leurs faces précédés d'un cnchevêlreinent do défenses accessoires ayant
dix à quinze mètres de profondeur; plusieurs possédaient en outre une double
enceinte de palissades; tous étaient casemates avec de gros madriers et des
rondins recouverts de terre; les plus importants, faits pour abriter environ
cent cinquante défenseurs, comportaient un réduit également casemate; en-
fin, pour ajouter encore à ces innombrables difficultés, les uns et les autres
étaient presque invisibles de la vallée, si bien que dès ses premiers pas la
colonne allait donner tiUe baissée dans l'inconnu. Tous ces retranchements
étaient surmontés d*une profusion de drapeaux, dont la couleur indiquait la
présence dans les rangs ennemis des sauvages soldats de Luu-Vinh-Phuoc.
A deux cents mètres des premières tranchées, les Tirailleurs tonkinois de
la pointe se déployèrent dans les hautes herbes , ayant en réserve la 4* com-
pagnie du bataillon de Mibielle; en même temps, la V^ (capitaine Camper)
du même bataillon se portait en flanc-garde à deux cents mètres sur la
. gauche. C*est à l'abri de ce mince rideau que le colonel Giovanninelli étudia
lui-même l'ensomble des ouvrages ennemis et les moyens do les attaquer.
Deux plans se présentaient : conci'ntrer tous les efforts de la colonne sur un
grand fort situé à environ mille cinq cents mètres de la rivière et constituant,
par sa situation dominante, la véritable clef de la position; marcher droit
devant soi en ne s'occupant que des retranchements qui défendaient spécia-
lement la route de Tuyen-Quan. C'est à ce dernier parti qu'on s'arrêta.
C'était, pour nous servir d'une expression employée sur le moment, prendi'c ie
Ungreau par les cornes.
Jusque-là un silence absolu n'avait cessé de régner dans les positions
chinoises de la vallée; on aurait pu les croire abandonnées : des groupes
assez nombreux s'en étaient approchés à moins de cent cinquante mètres, et
pas un coup de fusil n'en était parti.
Il était un peu plus de midi ; les Tirailleurs tonkinois reçurent l'ordre de
> Le combat des 2 et 3 mars 1S85 , bien qu*ayant ou pour tbéâU^ à peu près le uièuic
terrain que celui du 19 novembre i8S4 , a pris le nom de Hoa-lloc pour des raisons qui
ne peuvent être exposées ici.
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[1885] AU T0NK1N 541
8*avancer jusqu^à co qu'ils eussent coDstaté la présence de Tennemi. Pendant
ce temps, la 2" compagnie (capitaine Chirouze) du bataillon de Mibielle
devait essayer de se frayer un chemin à travers les roseaux qui bordaient la
rivière pour voir sf le terrain était accessible de ce côté. Tout à coup, au
moment où les Tonkinois vont arriver sur les premiers ouvrages qui barrent
la roule, la Tusillade éclate de toutes parts. Sans s'en douter, cette petite
troupe s'est engagée dans une impasse redoutable où viennent converger les
feux de quatre ou cinq forts ou tranchées; aussi a-t-elle immédiatement la
moitié de son efleclif hors do combat; le reste fuit aflblé devant les Pavillons-
Noirs, qui, voyant qu*ils n'ont affaire qu'à des Annamites, sont sortis de
leurs retranchements avec d'énormes coupe-cous * pour décapiter à Tinstant
les morts et les blessés. L*intervention de la compagnie Valet, du régiment,
vient heureusement faire cesser cette horrible boucherie; mais il faut relever
les malheureux qui vivent encore, et pour les dégager cette compagnie se
porte résolument en avant, appuyée sur sa droite par la 2«, qui, dè^ qu'elle a
entendu la fusillade, a abandonné sa reconnaissance pour se porter au secours
des troupes engagées. Un premier retranchement, à la droite de la route,
est abordé à la baïonnette : nos deux compagnies s*y installent sous un feu
des plus meurtriers, et, malgré les eflbrts de l'ennemi, elles vont s'y main-
tenir pendant toute la journée.
Aussitôt qu*il avait vu les Tonkinois secourus par les Timilleurs algériens,
et ceux-ci prendre pied sur la position môme de l'ennemi, le colonel Giovan-
ninelli avait prescrit à la 3" compagnie (capitaine Polère) du bataillon de
Mibielle de reprendre la reconnaissance commencée par la 2«. Cette com-
pagnie pénétra à son tour dans les jungles, en s'ouvrent un chemin avec ses
outils. Au bout d'un moment elle disparut dans le fourré, et l'on n'en eut
plus de nouvelles. C'est que, ne pouvant rien voir, elle avait à percer toute
Tépaisscur du massif pour arriver à accomplir sa mission. Pendant ce temps,
le lieutenant-colonel Letellier faisait porter en arrière du bataillon de Mibielle
le bataillon Comoy, du U' Tirailleurs, et prenait la direction de tout ce côté
de la ligne de combat. A gauche , s'avançait Tinfanterie de marine, qui atten-
dait, pour s'engager à son tour, que Tartillerie lui eût suflisamment préparé
Tattaque des premiers forts de la vallée. Mais c'était en vain que nos pièces
tiraient sur ces ouvrages casemates; complètement à l'abri de leurs coups,
renncini continuait de riposter par la fusillade, et se massait tranquillement
sur le point où il sentait qu'allait se porter notre principal eiïort.
Cette situation devait rester sensiblement la môme jusqu'à quatre heures
du soir. Vers deux heures et demie, l'air fut tout à coup ébranlé par un bruit
sourd, et une'^énorme colonne de fumée s^éleva au-dessus de la ligne de
combat : c'était le retranchement dans lequel s'étaient établies les 2* et 4*
compaguics du bataillon de Mibielle qui sautait. A la violence de l'explosion,
on crut un moment que tous les nôtres étaient ensevelis; mais les Chinois
avaient heureusement très mal disposé leur mine, et seule une section de
1 Espèce de sabre à deux mains & lame très large, dont on se sert pour les exéeations
capitales en Oiinc et en Annam.
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642 LE 3® RÉQIIIENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1885]
la 2« compagoie en avait sérioiuemont BOuiTort. Parmi los blosséd so trouvait
le capitaine Chirouze, qui avait été projeté sur des abatis; plusieurs hommes
étaient atrocement brûlés.
Cependant la 3* compagnie, qui avait été rejointe par le commandant de
Mibielle, était en6n parvenue à l'extrémité du couvert sous lequel elle s'était
engagée. Elle se trouvait maintenant à quatre-vingts mètres de nombreux
ouvrages touchant à la rivière et formant une tenaille à angle très ouvert. Il
lui était impossible d'aller plus loin. Un instant après arrivèrent le lieu-
tenant-colonel Letellier et le commandant Comoy avec une aulre compagnie
du U' Tirailleurs; mais cet appoint ne permettant pas encore de risquer une
attaque, il fut décidé qu'on attendrait, pour tenter celle-ci, que sur la gauche
la situation se fût nettement dessinée. Depuis un moment, les trois autres
compagnies du l^** Tirailleurs s'étaient mêlées aux l^*, 2^ et 4« du 3*, et les
unes et les autres se maintenaient de leur côté sur les positions où ces der-
nières s'étaient dès le cjébut respectivement établies.
A quatre heures et demie, le bataillon Mayas, de Tinfanterie de marine,
reçut l'ordre de donner l'assaut aux ouvrages se trouvant immédiatement sur
la route de Tuyen-Quan. Le bataillon Lambinet, du même corps, devait
appuyer cette attaque et la favoriser en essayant d'inquiéter la droite
ennemie. La charge sonne; les compagnies, que les difficultés du terrain
forcent de s'avancer les unes après les autres, s'éluncent avec une remar-
quable vigueur; les premières tranchées sont enlevées; mais dès qu'il s'agit
d'aller plus loin, la violence de la fusillade vient arrêter court les assaillants.
Cette furieuse tentative est renouvelée à six heures du soir; dans un héroïque
effort, l'infanterie de marine parvient à gagner encore un peu de terrain;
mais certains forts, quoique débordés, se défendent toujours; nos pertes
augmentent avec une eflrayante rapidité; la nuit arrive; il faut renoncer à
percer l'étroit cul-de-sac dans lequel une trop présomptueuse confiance nous
a attirés.
Près de la rivière avait eu lieu un autre assaut, aussi infructueux. Vers
cinq heures, entendant les clairons de l'infanterie de marine près d'arriver à
sa hauteur, le commandant de Mibielle avait jugé le moment favorable pour
tenter une diversion. Sur son ordre, deux sections de la 3* compagnie
(capitaine Polère), vigoureusement enlevées par le lieutenant Mohamed-
ben-H'Ahmed et le sous -lieutenant Pieri, avaient brusquement débouché
du fourré pour s'élancer sur la tenaille; mais elles n'avaient pas pu faire
vingt pas : gênées par les hautes herbes, assaillies par le feu écrasant de lu
défense, en un instant elles avaient eu vingt-quatre hommes hors de combat
et s'étaient vues obligées de rentrer précipitamment sous le couvert. Toute la
compagnie s'était alors mise hâtivement à construire quelqueé épaulements
pour résister à un retour offensif que semblait faire craindre cet insuccès.
A six heures, elle fut relevée par celle du 1^' Tirailleurs qui lui avait servi
de soutien , et vint s'établir en réserve à cent cinquante mètres en arrière.
C'est sur ce point qu'elle allait passer la nuit.
A l'extrême réserve s'était également déroulé un incident qui ovait failli
prendre des proportions inattendues. Sur ce point, les quelques troupes non
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[1885] AU TONKIN 543
engagées aViaicnt rl^ploy^s en arn>ro et 9iir le flanc gaucho « de façon à
proti^gor rnmbninnro (|ni avait M \\\%\n\\f^ pr^a «le la rivi^ro. IiOa doux rom-
pngniofi (^l" ol ^^) du 1'*' bataillon du n^gimont avaient étâ plus sp^ialeinent
chnrgAr» di! couvrir Ioa dorn^rcs do la hrigado, qui comhallait ayant à don
un arroyo au lit tr^8 profond et aux berges bordées de hautes haies de bam-
bous. Soudain , au moment le plus furieux de Tassant de rinfantorie de ma-
rine, des coups de feu assez nourris avaient éclaté de Tautre côté de Tarroyo.
Uuciqucs balles étaient venues frapper près de Tambulance et y avaient
causé un émoi facile à deviner. La 4<^ compagnie (capitaine Massip).B*étant
alors portée vers Tarroyo et ayant exécuté quelques feux de salve dans la
direction des tireurs chinois, ceux-ci avaient pris la fuite, mais non sans
avoir fait naître de sérieuses inquiétudes pour la nuit au sujet de nos blessés.
Pour parer h ce danger dans la mesure du possible, la compagnie Massip fut
disposée eu une ligne continue formant, pour ainsi dire, la quatrième face
d*un vaste carré ilont le côté correspondant élait déterminé par la ligne de
combat, et les deux autres par la rivière et les compagnies établies en flanc-
garde parallèlement à celle-ci.
A sept heures du soir, la situation était telle , qu'il fallait la considérer
comme fortement compromise si rennenii continuait de se défendre avec la
même opiniâtreté le lendemain. La colonne comptait environ quatre cents
tués ou blessés , et n'était maîtresse que de quelques ouvrages avancés ne lui
assurant aucun avantage pour la reprise du combat. Il ressortait même avec
une cruelle évidence que , si Ton persistait à vouloir forcer la ligne chinoise
sur le point où on l'avait attaquée, on ne ferait pas un pas de plus.
La nuit seule vint faire cesser la lutte entre notre première ligne et les
défenseurs des forts chinois de la vallée. A ce moment l'aspect qu'oflrait le
théAtre du carnage était navrant et sublime tout à la fois : parlent des blessés
qui n'avaient encore pu ôtre enlevés, des morts gisant au milieu de petits
piquets et de palissades arrachées, çà et là des corps sans tète, horribles,
diflbrmes, eiïrayants, des débris de toute sorte projetés par la mine, des
vêtements brûlés, des armes brisées, des décombres sanglants; plus loin,
les survivants, la baïonnette au canon, entassés dans d'étroites tranchées, et
s'apprôtant, calmes, terribles, silencieux, à repousser sans tirer les assail*
lants qui s'avanceraient à la faveur de Tobscurité; enGn, dans la brume du
soir, qu'épaississait encore la fumée des derniers coups de feu, les forts
ennemis se dressant comme une espèce d'amphithéâtre dont nous occupions
le premier gradin.
Vers deux heures du matin, les Chinois ouvrirent soudain le feu, sans
qu*on en sût trop la cause; mais dans nos lignes personne ne répondit. On
attendait, l'arme basse, dans un frémissement mêlé d'impatience, que l'en-
nemi sortît de ses retranchements pour se ruer sur nos positions. Cependant
le silence se fit bientôt et ne fut plus troublé que par une rumeur confuse et
un va-et-vient continuel dans les forts les plus rapprochés. Derrière les
mamelons de gauche apparaissait une vive lueur : c'était un village qui
brûlait.
Le 3 mars , le jour se leva froid et brumeux ; un épais brouillard , qui de-
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544 LB 3® RÉOIIIRNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [18851
voit metlro assez longtemps à se dissiper , couvrait la partie inrérieure de la
ligne ennemie. Très perplexe, l'état -major s'était décidé à abandonner
l'attaque de droite pour tenter celle du grand fort. Si cette dernière échouait,
on se retirerait sur quelque bonne position défensive en attendant l'arrivée de
renforts qu'une dépêche pressante demandait au commandant supérieur du
Delta. D'après ce nouveau plan, on ne devait laisser sur la droite que les
forces absolument indispensables pour contenir l'ennemi; les autres devaient
se reformer en arrière en attendant le moment de se précipiter à un dernier
assaut. Si l'on en excepte les Tirailleurs tonkinois, sur lesquels il ne fallait
pas compter, il ne restait plus, comme troupes fraîches, qu'une compagnie
de la légion étrangère et les deux compagnies du bataillon Béranger. Pendant
la nuit, la compagnie de la légion s'était déjà portée en première ligne; la
3* (capitaine Caries) du bataillon Béranger était venue se placer en réserve
de rartillorie. C'esl là qu'elle fut rejointe, à six heures du matin, par la 4<>,
que nous avons vue protégeant Tainbulance et les derrières do la colonne.
Dès qu'on avait pu y voir, la fusillade avait repris, mais avec moins d'in-
tensité que la veille , et seulement, du côté de l'ennemi , sur la deuxième ligne
des forts. La première ligne paraissait abandonnée. Vers sept heures, la
compagnie du l»** Tirailleurs qui avait relevé la 3* du bataillon de Hibielle,
appuyée par cette dernière, pénétra en eflet, sans trop de difficultés, dans les
ouvrages contre lesquels avait échoué l'infanterie de marine. Ce succès nous
rendait maîtres de tous les retranchements situés entre la rivière et la route;
mais celle-ci était encore défendue, sur la gauche, par d'autres forts la
dominant de très près.
Jusqu'à huit heures et demie, l'action resta, pour ainsi dire, en suspens.
L'artillerie (trois batteries de montagne) s'était rapprochée, avait rouvert
son feu, et plusieurs de ses pièces tiraient maintenant sur les approches du
grand fort. En attendant les résultats de cette canonnade, le colonel de Maus-
sion était parti avec le sous -lieutenant Darier- Châtelain et dix Tirailleurs
algériens do la compagnie Massip pour enfcctuer une reconnaissance des
abords de la position sur laquelle on se proposait de tenter un eflbrt décisif.
Bientôt il se rendit compte qu'une partie des ouvrages situés sur la gauche de
la vallée étaient abandonnés. Prenant alors une compagnie d'infanterie de
marine qui avait été placée en flanc-garde, il fait sonner la charge et entre
sans coup férir dans un premier fort; il y laisse une section et, sans perdre
de temps, marche sur un deuiième ouvrage, dans lequel il pénètre encore au
prix de quelques blessés seulement. Il a fait demander une compagnie de
renfort; le commandant Béranger s'y porte avec la 3« de son bataillon, et un
troisième retranchement est occupé.
Doit-on l'attribuer au hasard? Faut-il en voir la cause dans une noble
émulation, si naturelle parmi des troupes dont la bravoure s'était aussi
hautement aflirmée? Serait-il à supposer que la sonnerie du colonel de Maus-
sion eût été prise pour un signal partant du quartier général? Quoi qu'il en
soit, au même instant où la charge avait retenti sur la gauche, elle s'était
fait entendre sur la droite, sonnée en même temps par une compagnie du
l^i* Tirailleurs et celle de la légion. Ces deux troupes, remarquablement en-
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[1886] AU T0NK1N 546
levées par leurs ofliciers, s'étaient jetées avec fureur sur un des forts barrant
encore la route, et, après TaToir en partie cerné, tentaient en ?ain d*y pé-
nétrer. Réfugiés sous leurs casemates et dans le réduit, les Chinois se défen-
daient avec l'énergie du désespoir.
Il faut en finir; prévenu, le colonel Giovanninclli arrivo avec la i9 com-
pagnie du bataillon Déranger; un peloton do cette dernière est disposé sur le
flanc du mamelon pour répondre aux feux d'un autre ouvrage situé à deux
cents mètres plus loin; l'aulre se blotlit contre le lalus du fort investi, à
quelques mètres seulement dos créneaux. L'attaque a été suspendue; le co-
lonel fait apporter de la dynomite; une brèche est faite à la palissade qui
surmonte le parapet; mais cela ne suffit pas : les Chinois résistent toujours.
Ces derniers ont maintenant entonné une espèce de chant religieux et
s'excitent en s'accompagnant sur des gongs. Dans nos rangs, pas un cri, pas
une impatience, pas une hésitation. Le colonel Giovanninelli , le lieutenant-
colonel Lcteliior sont là à quelques pas, donnant eux-mêmes l'exemple du
plus admirable sang-froid. On n'attend que ce seul mot : En avanti Mais le
colonel Giovanninelli, voyant que les Chinois sont décidés à vendre chère-
ment leur vie, ne veut pas exposer inutilement celle de tant de braves
noldnls; il fnit amener uno pièce do canon, on la hisso h grand'poine &
quelques iiiètrrs do la brèche, elle est chargée à mitraille, et, par cinq à six
fois, ses coups vont porter l'épouvanto et la mort au sein dos défenseurs du
fort, dont les feux et les chants cessent enGn tout à fait. Il est neuf heures et
demie; le retranchement est escaladé par la compagnie du 1*^ Tirailleurs et
le 2^^ peloton de la compagnie Massip, et c'est ainsi que prend fin cet épisode
des plus émouvants.
Il ne restait plus, pour achever de dégager la route de Tuyen-Quan, qu'à
s'emparer d'un dernier fortin, celui -I& même sur lequel une partie do
la compagnie Massip avait dirigé son tir. Chargée de l'enlever, cette der-
nière s'élance; mais l'ennemi ne l'attend pas; il fuit sur tous les points,
et le combat, si compromis la veille au soir, se dénoue subitement par
une victoire qui nous rend maîtres de cette immense ligne de retranche-
ments.
Dans la hAte où il était d'arriver à Tuyen-Quan, le colonel Giovanninelli
ne s'attarda môme pas à faire occuper les forts do gauche; il laissa cetlo
mission au commandant Frauger, do la légion étrangère, qui restait avec
quelques compagnies pour garder l'ambulonce, et partit immédiatement avec
les' autres troupes. On arriva à Tuyen-Quan à trois heures et demie de
l'après-midi. La^ploce était libre; les douze à quinze mille Chinois qui
l'assiégeaient avaient commencé leur retraite la veille, et le matin il ne res-
tait plus que quelques retardataires demeurés dans les tranchées. Une sortie
de la garnison les avait facilement dispersés.
Les journées des 2 et 3 mars, qui devaient être inscrites sous la dénomi-
nation de combat de IIoa-Moc, nom d'un village situé à quelques kilomètres
en arrière du terrain sur lequel on s'était battu, avaient été les plus san-
glantes de l'expédition; elles coûtaient à la colonne à peu près le septième de
son effectif, soit soixonte- seize tués, dont six officiera, et quatre cent huit
35
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546 LE 3* RÉGIMENT DE "TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1885]
blessés, dont vingt et un ofliciera ^ Le 3* bataillon du 3* Tirailleurs avait
eu pour sa part quinze tués, dont un officier, et quatre-vingt-un blessés,
dont sept officiers; les deux compagnies du 1«' bataillon comptaient six
blessés, ce qui portait les pertes du régiment à cent deux hommes hors de
<M)mbat. L'officier tué était le lieutenant Embarck-ou-Alia. Étaient blessés :
MM. Chirouze et Valet, capitaines; Guignabaudet et Mohamed-ben-M' Ahmed,
lieutenants; Peyre, Pieri et Mohamed- bon -Embarck, sous- lieutenants.
M. Peyre, très grièvement atteint, devait succomber quelques jours après.
La gloire de ce succès, si chèrement acheté, était à partager entre Tinfan-
terie de marine et les Tirailleurs algériens : Marsouins * et Turcos avaient été
admirables, les uns et les autres s'étaient surpassés. En faisant suivre ces
lignes de Tordre de l'armée qui vint proclamer ce mémorable fait d'armes,
nous achèverons de donner une idée de ce quUl y eut là de bravoure dé-
pensée, d'obstacles surmontés et de difficultés vaincues.
c Officiers , sous-officiers et soldats de la l*^ brigade,
« Vous venez d'ajouter une glorieuse page à Tbistoire du corps expédition-
naire. Après vos victoires de la route de Chu à Lang-Son , sans vous accorder
un repos déjà si bien mérité, j*ai dû vous demander de nouveaux efforts, vous
conduire à de nouveaux dangers. L'entrain que vous avez montré dans vos belles
marches de Lang-Son à llanoï et sur les bords de la rivière Claire a prouvé que
vous sentiez Timportance de vos nouvelles oi)éraliuns.
« liO 2 mars, vous avez roucoulré Turuiôo chinoise desceuduo du Yuuuan,
retranchée dans une série d'ouvrages formidables, sur un terrain d'une diffi-
culté inouïe. L'ennemi, renforcé de tous les bandits de Luu-Yinh-Pbuoc, avait
annoncé bien haut qu'il vous barrerait la route de Tuyen-Quan, assiégé avec
riige par lui.
« Sans tenir compte du nombre de vos adversaires , vous avez enlevé de vive
force les ouvrages de Uoa-Moc après une lutte de près de vingt-quatre heures.
Le résultat a répondu à vos efforts, et, le 3 mars, vous serriez la main des
braves do l'héroïque garnison que vous veniez d'égaler...
« llonneur à vous tous, officiers, sous-officiers et soldats de la 1*^ brigade 1
Je suis fier de le proclamer bien haut, vous avez montré une fois de plus
qu'avec des hommes tels que vous le drapeau de la France floltei-a partout où
le gouvernement de la République vous demandera de le porter.
c Au quartier général, à Tuyen-Quan, le 5 mars 1885.
« Le général commandant le corps expéditionnaire,
« Signé : Briârb db l'Islb. »
A la suite du combat de Hoa-Moc, le colonel Giovanninelli fut nommé
général de brigade.
Le 4 mars, les deux compagnies du bataillon Béranger se mirent en route
* Ces chiffres, puisés dons l'ouvrage de MM. Bouioais et Paulus, ia France en Indo-
Chine, doivent être une rectification de ceux qui furent donnés par ia dépéclie olflcielie,
laquelle n'accusait que quatre cent soixante- trois liommes liors de combat. Nous les
reproduisons sous toutes réserves.
s Surnom donné aux militaires de l'infanterie de marine.
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[1885] AU TONKIN 847
pour revenir à Phu-Doan, où elles arrivèrent le lendemain. Le 24 février, la
l^A compagnie (capilaiae Rathelot) du même bataillon avait à son tour quitté
Hanoi pour aller tenir garnison à Hong-Iloa.
Le bataillon do Mibielle demeura tout entier à Tuyon-Quan, sous les
ordres immédiats du général Giovanninelli. Sur ce point, les opérations ne
furent pas poursuivies : les Chinois s'étaient retirés dans de nouvelles posi-
tions fortifiées, à une faible distance au nord -est de la place, et les y attaquer
eût été risquer un autre combat de Hoa-Mocqui n'aurait eu pour résultat
que de les repousser à quelques kilomètres plus loin.
Pendant ce temps, de nouveaux renforts étaient arrivés au corps expédi-
tionnaire; à la fin de février, il était débarqué à Hai-Phong deux bataillons
de xouaves, des !«' et 2* régiments, deux escadrons dos2<» et 3* spahis, enfin
un certain nombre d'hommes et d^officiers envoyés par les corps ayant déjà
des fractions au Tonkin pour combler les vides faits parle fou et les maladies.
C'est ainsi que, vers le milieu de mars, les deux bataillons du 3* Tirailleurs
furent rejoints, le 1"'' par deux cent trente- deux hommes avec le lieutenant
d'Ornant et le sous-Hculonant Salah-ben-Ali-Kodja, le 3* par cent quatre-
vingt-six hommes et le lieutenant Dubernet'. Trois autres officiers, détachés
de régiments de France pour remplir les vacances qui existaient déjà ou
celles qui se produiraient ultéridu rement, accompagnaient ces deux détache-
ments; ces officiers étaient : MM. Bazinet, lieutenant; Saltzman et Allemand,
sous- lieutenants. Avec ces renforts était également arrivé le colonel Mour-
lan, du l"*" Tirailleurs, qui prit, à la date du 20 mars, le commandement
du régiment de marche de Tirailleurs algériens.
La situation, fort indécise aux abords de Tuyen-Quan, n'était brillante
nulle part : Ilong-lloa était menacé par des forces considérables qui descen-
daient le fleuve llouge, et Phu-Doan par d'autres qui s'avançaient par la
vallée du Song-Chaî. Entre ces deux postes, dans la presqu'île formée par le
fleuve llouge et la rivière Claire, le pays était ravagé par des bandes de pirates
qui venaient de se rendre redoutables en résistant, à Thanh-Mal, au bataillon
du 1*'' zouaves, qui était sorti de llong-Hoa pour les disperser.
Mais quelque grandes que fussent les préoccupations résultant de ces com-
plications, elles allaient soudain faire place à d'autres bien plus graves qui
devaient surgir d*un événement aussi désastreux qu'inattendu : l'abandon
précipité de Lang-Son. De ce côté, les opérations étaient suspendues depuis
la fin de février, lorsque, le 23 mars, la 2* brigade se porta à Tattaque de la
position de Bang-Bo, au delà de la frontière, sur la route conduisant à la
grande ville chinoise de Lang-Tchéou. Cette journée fut encore marquée par
un succès; mais le lendemain nos troupes se heurtèrent à des retranchements
si formidables et à des masses si considérables d'ennemis, qu'il leur fallut
se replier sur Lang-Son et Ki-Lua, en évacuant le poste de Dong-Dang.
Les journées des 25, 26 et 27 se passèrent en préparatifs de défense.
Le 28, les Chinois débouchèrent dans la plaine, et s'avancèrent pour donner
< Ces deux délaclieiucnts s*étaient embarqués à Pliillppevillc , sur le Béam, le
22 Janvier 1S85.
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546 LB 3« RÉQIIIBNT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1885]
l'assaut à Ki-Lua, dont les ouvrages avaient été moiliGés et reliés par une
tranchée continue. On les laissa s'approcher jusqu'à deux cents mètres, puis
toute notre ligne ouvrit un fou meurtrier qui les rejeta dans la vallée. D*autres
attaques eurent le môme sort. Enfin un mouvement tournant, dirigé contre
leur gauche, avait déjà déterminé leur retraite, quand le général de Négrier
fut grièvement blessé * et obligé de remettre le commandement de la brigade
au lieutenant-colonel Ilerbinger. Ce dernier ne crut pas pouvoir tenir dans
Lang-Son, et prit sur-le-champ ses dispositions pour une retraite sur deux
colonnes par les roules de Kcp et do Chu. Le mouvement commença dans la
nuit et se poursuivit le lendemain sans être le moins du monde inquiété.
C'est ainsi qu*en moins de quarante -huit heures toute cetfe région , qui avait
demandé tant d'efforts pour la conquérir, se trouva complètement évacuée.
Aux premières nouvelles du danger que courait Lang-Son, le général en
chef avait prescrit à la l*'» brigade de se diriger sur Hanoï à marches forcées,
après avoir laissé des garnisons suffisantes à Tuyen-Quan, à Iloa-Mocctà
Phu-Doan. Le départ de Tuyen-Quan eut lieu le 28 mars. Le bataillon de
Mibielle tout entier et les deux compagnies du bataillon Béranger détachées à
Phu-Doan faisaient partie de la colonne. Celle-ci arriva à Chu le 4 avril.
Là se trouvait déjà la 1^^ compagnie (capitaine Rathelot) du bataillon Bé-
ranger, qui avait quitté llong-lloa le 24 mars. Le 5 avril, toute la brigade
était campée à Binh-Noî, sur la route du col de Deo-Quan. Sur aucun point
l'ennemi n'avait encore paru.
Le 6, les trois compagnies du 1^' bataillon du régiment reçurent l'ordre de
revenir sur Bac-Ninh. Le9, elles s'installaient près de cette ville, à Ti-Cau,
sur la rive droite du Song-Cau. Le bataillon de Mibielle, qui, après avoir pris
part à une reconnaissance dirigée sur le col de Deo-Quan, s'était embarqué
le 7 à Lam, y était arrivé depuis la veille. La 2» compagnie (capitaine de la
Gencste) du 1<^' bataillon occupait la citadelle de Bac-Ninh.
Ce brusque mouvement en arrière et la cessation des opérations eu èours
d'exécution avaient pour cause l'annonce d'un armistice conclu le 14 avril à
Paris, entre M. Billot, directeur des affaires poUtiques au ministère des
affaires étrangères, et M. Campbell, représentant le gouvernement chinois.
Ainsi , malgré la retraite de Lang-Son , nos ennemis demandaient eux-mêmes
la paix. Ce résultat était dû aux nouvelles victoires de l'amiral Courbet. Le
29 mars, le vaillant marin s'était emparé des iles Pescadores, et il se dispo-
sait maintenant à affamer le nord de la Chine, en empochant le débarque-
ment du riz sur la côte du Pé-Tché-Li. Effrayée des conséquences que pou-
vait avoir cette mesure, la cour de Pékin s'était empressée de renouer des
relations diplomatiques en vue d'un arrangement sur les bases du traité
Pourpier.
Les négociations pour la paix eurent lieu à Tien-Tsin, entre M. Patenôtre
au nom de la France, et Li*Ilung-Chang au nom de la Chine. Ia) traité dé-
finitif fut signé le U juin. Celte nouvelle convention relevait le Tunkin et
> Le lieutenant Berge , du 3« Tirailleurs , officier d'ordonnaace du général , déjà légère-
ment blessé à Kep aux côtés de ce dernier , le fut encore dans cette circonstance.
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[1885] AU TONKTN 840
rAnnam do Tantiquo suzerainoté chinoise , réglait los rapports do bon voisin
nago entre la France et l'empire du Milieu, fixait la délimitation des fron-
tières, ouvrait de nouveaux débouchés à notre commerce, enfin ménageait
la préférence du concours des ingénieurs français pour les grands travaux
publics que le gouvernement de Pékin pourrait avoir à faire exécuter. L'éva-
cuation du Tonkin par les forces impériales, qui avait commencé dès la
conclusion des préliminaires, devait se poursuivre sans interruption, et, afin
d'en hâter Texécution, la Chine devait envoyer des commissaires auprès des
chefs de ses différentes armées.
Cette fois, les Chinois exécutèrent fidèlement leurs engagements : à la fin
de mai , la province de Lang-Son et le haut fleuve Rouge furent rendus à nos
troupes; et si celles-ci n'occupèrent d'abord que Lang-Son, c'est que leur
état sanitaire exigeait impérieusement le plus complet repos pendant les mois
d'été. Il allait bien rester encore quelques déserteurs et quelques Pavillons-
Noirs; mais l'occupation progressive du pays ne devait bientôt plus laisser à
la plupart d'entre eux que la ressource de se faire exploitants de forêts ou
commerçants. Mais reprenons les événements militaires à la suite do la
retraite de Lang-Son.
Ln V^ brigade, nous l'avons vu, s'était concentrée dans les environs do
Bac-Ninh, & Ti-Cau et & Dap-Cau; la 2^, dont le commandement était pro-
visoirement exercé par le colonel Borgnis- Desbordes, était toujours en grande
partie à Chu. On croyait les hostilités terminées; mais les armées chinoises,
non encore prévenues de la conclusion d'un armistice, continuaient leurs
opérations : depuis quelquesjoursHong-Hoa était investi; Tuyen-Quan était
de nouveau menacé, et, sur le Song-Chai, les Célestes n'étaient plus qu'à
une journée de Phu-Doan. Le 14 avril, les 1'» et S^' compagnies du bataillon
Déranger durent quitter précipitamment Ti-Cau, pour se porter au secours de
Kep attaqué. Mais lorsqu'elles atteignirent Phu-Lang-Thuong, après avoir
marché une partie de la nuit, le malentendu avait eu le temps de s'éclaircir,
et les Chinois s'étaient retirés; elles n'eurent donc pas à dépasser ce poste, où
elles allaient rester en garnison jusqu'à la fin du mois. Le bataillon de Mi-
bielle, qui y arriva aussi le 15, dans la journée, en repartit le 16 pour
revenir à Ti-Cau.
A Paris, l'émoi avait été grand en apprenant l'évacuation de Lang-Son.
Le gouvernement avait aussitôt décidé que de nouveaux renforts seraient
envoyés au Tonkin pour porter le corps expéditionnaire à trente mille hommes,
avec le général de Courcy comme commandant en chef. En mémo temps, une
division de réserva devait s'organiser au camp du Pas-des-Lanciers.
En attendant Tarrivée de son successeur, le général Brière de l'isle s'occupa
de la répartition des garnisons pour la saison d'été. Les Tirailleurs algériens
devaient occuper tous les postes extrêmes de la haute rivière Claire, du haut
fleuve Rouge et de la haute rivière Noire, l'état- major du régiment de
marche étant à Sontay. En conséquence , les l*"* et 3« compagnies du l*' ba-
taillon quittèrent Phu-Lang-Thuong le l*' mai, pour se rendre à Tuyen-
Quan , dont le commandant Béranger était nommé commandant supérieur.
A leur passage à Ti-Cau, le 2 mai, elles purent, avec la plus grande partie
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B50 LB 3* RÉOmENT DB TlRAlLLBUnS ALGÉRIENS [1885]
des iroupos de la l'* brigade, rendre les derniers devoirs au lieutenant
Martin , de la 4* compagnie , décédé la veille d'une fièvre résullant des Tatigues
de la campagne. Ce détachement arriva à Tuyen-Quan le 8 mai et y releva
la légion étrangère. Les 2« et 4* compagnies du même bataillon , désignées
pour aller occuper Thanh-Quan, Turent d'abord dirigées par étapes sur Bac-
Hat, au confluent du fleuve Rouge et de la rivière Claire, dans le but de
concourir à une opération contre les pirates, eRbctuée par le colonel de Maus-
sien, dans la région du Song-Calo. Elles se mirent en route le 14 mai, sous
les ordres du capitaine Idassip, et atteignirent Bac- liât le 10, après une
marche rendue des plus difficiles par la chaleur. Deux hommes étaient morts
d'insolation. Le 17, quelques pirates avaient essayé de défendre le village de
Nam-Chunc, mais leur résistance avait été vaincue sans pertes de notre c6té.
De Bac-Hat ces deux compagnies furent envoyées, le 21 , à Sontay, où elles
devaient attendre des ordres ultérieurs pour aller occuper le poste qui leur
était assigné.
Le 3* bataillon resta en entier à Ti-Cau jusqu'au 21 avril. Ce jour-là, le
commandant de Idibielle eflectua une sortie avec les 2* et 3* compagnies afin
de disperser quelques bandes de pirates qui ravageaient les environs de la
mission catholique espagnole de Kéroï. La petite colonne rentra le 24, sans
avoir rien vu.
Du 6 au 21 mai, eut lieu, sous la direction supérieure du colonel Mourlan,
une opération plus importante au nord-ouest, sur le Song-Calo, et au nord,
dans la région comprise entre le Song-Cau et le Song-Thuong. Le 6, le
commandant de Mibielle partit avec les 1*^ et 2* compagnies, et passa le
Song-Calo à Dong-Tieu. Le lendemain, il arriva à Phu-da-Phuc *, sur la
route de Thal-Nguyen (rive droite du Song-Cau). Il resta là jusqu'au 9,
puis il se porta au village de La -Thu, traversa le Song-Cau à Ha-Chau, où
il fut rejoint par la 4* compagnie, qui était partie le 7 on escorte de convoi;
incendia, le 11 , les villages pirates de Ngoc-Than et Ngoc-Tuc, continua sa
marche en visitant successivement Tin- Dao , Yen-Lai, Yun -Son, Dao-Quan
et Bo-Ha, et revint sur Bac-Ninh par Luc-Tieu, Phu-Moc et la route de
Phu-Lang-Thuong. Pendant ce temps, la 3* compagnie était restée à
Ti-Cau.
Le soir même de sa rentrée de cette expédition , le bataillon se mit en
route pour Hanoï, où il arriva le surlendemain 23 mai. Désigné pour aller
occuper Ilong-IIoa, il repartit le 2G, et atteignit cette place le 30. Toutes ces
marches, exécutées pendant la période des plus fortes chaleurs, avaient été
extrêmement fotigantes; cependant l'entraînement des Tirailleurs était tel,
qu'ils les avaient supportées sans en être trop éprouvés.
Ce fut vers la fin de mai qu'on connut les promotions faites dans la
Légion d'honneur et la médaille militaire, à la suite des combats livrés dans
la campagne d'hiver. Les deux bataillons du régiment recevaient quatre croix
et vingt et une médailles. Le commandant Béranger était nommé officier de
1 Tous les noms do villages précédés de la pi-éfixo Phu servent à désigner des centres
administratifs équivalant à une sous -préfecture.
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[1885]' AU TONKIN 581
la Légion d'honneur; le capitaine Ghirouze et les lieutenants Guignabaudet
et Kaddour-ben-Ahmed étaient faits chevaliers.
Le général de Courcy et les renforts qui l'accompagnaient (environ neuf
mille hommes) débarquèrent dans les premiers jours de juin. Un peu aupa-
ravant étaient arrivées les troupes qui étaient à Formose, de sorte que le
corps expéditionnaire compta soudain douze mille hommes en plus. Il reçut
une nouvelle organisation, et comprit alors deux divisions correspondant à
deux grands territoires de commandement, sous les ordres des généraux
Brière de Tlsle et de Négrier ^ Le régiment de marche de Tirailleurs algé-
riens fut placé dans la l*** brigade (général Jamais), de la l'* division
(général Brière de l*lsle). Ce régiment avait encore reçu un nouveau déta-
chement venant d'Algérie. Les deux bataillons du 3* Tirailleurs avaient ainsi
été grossis chacun do cent quatre-vingt-sept hommes. Ces renforts étaient
partis do Constantino le 13 avril , et de Philippeville le 16 , sous los ordres du
lieutenant Hicha et du sous-lietitenant Bouland ; ils avaient pris passage sur
lo Làbradoi',
L'été allait s'écouler pour tout le monde dans une tranquillité relative. Il
est vrai qu*à part les pirates , qui ne créaient pas un danger suffisant pour
exposer la santé do nos troupes , il ne restait plus d'ennemis. Un incident des
plus graves devait cependant se dérouler à Hué dans la nuit du 4 au 5 juillet.
Le général de Courcy, s'étant transporté dans cette ville pour y faire recon-
naître son autorité, faillit, cette nuit-là, être la victime d'un odieux attentat
sourdement prémédité par le roi et ses principaut conseillers; brusquement
attaqué dans les bâtiments de la légation française, pendant que toutes les
pièces de la citadelle tiraient sur les cantonnements occupés par nos troupes,
il ne dut qu'à son sang -froid et à l'énergique attitude d'un bataillon du
3^^ zouaves, de deux compagnies du 11* bataillon de chasseurs et de deux
autres d'infanterie de marine, d'échapper à ce lâche guet-apens. La situation
fut un moment très critique, mais au jour les nôtres prirent vigoureusement
l'ofTensive et s'emparèrent de la citadelle. Voyant la partie perdue, le roi
Ung-Lichetle régent Thuyet, chef du parti militaire, prirent la fuite pour
se réfugier dans les montagnes. Le premier régent, Nguyen-van-Thuong,.
restait entre nos mains. Ung-Lich fut détrôné et remplacé par un fils adoptif
do Tu-Duc, qui fut couronné le 19 septembre, sous le nom de Dong-Khanh.
De cet événement, qui créait deux pouvoirs, l'un officiel, mais encore sans
prestige, et l'autre représenté par un roi et un ministre fugitifs, mais ayant
l'appui secret des mandarins et des lettrés, allait résulter une situation fort,
difficile dont le contre -coup devait se faire sentir jusqu'au Tonkin, où les
chefs de pirates allaient désormais parler au nom du roi Ung-Lich et donner
un semblant de légitimité à leurs exactions.
Avec les chaleurs étaient revenues les fièvres, la dysenterie, l'anémie, en
un mot tout le cortège des maladies résultant de longues fatigues et d'un cli-
mat débilitant. Mais ce n'était là que le prélude d'une autre calamité bien
plus grave, le choléra, qui s'abattit soudain sur le corps expéditionnaire au
1 Le général de Négrier avait été nommé divisionnaire à la date du 99 mars.
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66ft LE 3* RÉQIMBNT DE TIRAILLEURS ALOftRIENS [1885]
moment où la cessation des opérations semblait promettre, au contraire , un
état sanitaire plus satisfaisant. Rapporté en germe par les troupes qui ve-
naient de Formose, le terrible fléau avait bientôt trouvé à Haî-Pbong, alors
encombré de troupes, un byer propre d son développement; il s*y déclara
dans le courant du mois d'août, et ne tarda pas à s'étendre dans les autres
garnisons du Tonkin, prenant d*abord un caractère aigu, pour passer ensuite
à un état endémique et peu meurtrier tant que des causes diverses ne venaient
pas activer ses eÎTets. L'attitude des Tirailleurs algériens devant l'épidémie
fut ce qu'elle avait toujours été en do pareilles circonstances, c'est-à-dire
marquée par une profonde insouciance et un réel dévouement. Aussi leurs
pertes furent-elles insignifiantes, comparées à celles de certains corps.
Nous avons vu que les deux bataillons du régiment avaient été répartis
entre les trois garnisons de Tuyen-Quan, Sontay et Hong-IIoa. Le 3<>, qui
occupait Ilong-IIoa, ne resta pas longtemps sans être disséminé dans une
foule de petits postes relevant du commandement de cette place. C'est ainsi
que la canonnière le Carreau s'étant échouée au confluent du fleuve Rouge
et de la rivière Noire, un peloton fut envoyé, vers la fin de juin, au village de
Cau-Do, sur la rive droite de la rivière Noire, pour protéger cotte embarcation
et le poste optique communiquant avec Sontay. A la même époque, une com-
pagnie alla occupar Bat- Bac. Deux mois après, ce dernier poste ne fut plus
gardé que par un peloton ; l'autre de la compagnie qui s'y trouvait fut détaché
à Uao-trang, dornier point sur la rivière Noiro accessible à nos canonnières.
A partir du 24 août, le poste de Cau-Do fut fourni par une compagnie établie
à Vong-La, sur la rive gauche de la rivière Noire. Enfin, le !«■' septembre,
un peloton alla renforcer la garnison de Dong-Van , au sud-ouest de Hong-Hoa.
Tous ces détachements étaient relevés périodiquement par la fraction demeurée
avec l'état-major du bataillon.
Malgré l'aRaiblissement qui résultait pour elle de cette dispersion , la gar-
nison de IIong-Hoa ne restait pas inactive; sous les ordres du commandant
do Mibielle, elle faisait une chasse incossanlc aux piralca qui désolaient la
région. Presque chaque jour une sortie était dirigée contre ces derniers, qui
avaient choisi comme principal théâtre de leurs exploits le terrain compris
entre la boucle que forme le fleuve Rouge en amont de la place et un affluent
qu'il reçoit à droite, le Song-Mua. Mais comme il ne serait d'aucun intérêt de
suivre dans le détail ces opérations, qui entraînaient beaucoup plus de fatigues
que de combats, nous on arriverons immédiatement à une expédition d'une
certaine importance, à laquelle prirent part presque toutes les troupes dispo-
nibles de la l^* division. Nous voulons parler de la prise de Thanh-Maî.
On se rappelle qu'au mois de mars un bataillon du l^^ zouaves avait es-
suyé devant ce village, situé au nord-est de Hong-Hoa, à peu près au centre
de la presqu'île formée par le fleuve Rouge et la rivière Claire, un sanglant
échec que les événements do Lang-Son n'avaient pas permis de venger sur
le moment. Était ensuite venue la paix, puis la chaleur, et ce châtiment avait
encore été ajourné. Pendant ce temps, les bandes qui occupaient ce point
avaient activement travaillé à se fortifier, et s'étaient grossies d'un millier de
Pavillons-Noirs et de déserteurs chinois, auxquels, après l'incident de Hué,
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[1885] AU TONRIN 553
étaient venus se joindre de nombreux rebelles annamites soulevés par lés
agents de Thuyet, de sorte que vers la fin de Tété elles formaient un ramassis
d*environ six mille individus assez bien armés et solidement établis dans
une bonne position.
Au commencement d'octobre, trois colonnes furent formées : TunOi sous
les ordres du général Jamais, devait remonter la rivière Claire jusqu^à Yen-
Dau et cerner ensuite la presqu'île par le nord ; une deuxième , partie de Hong-
Hoa avec le colonel Mourîan , avait pour mission de passer le fleuve Rouge en
face de Phu-Lam-Tao, de s*emparer des défenses que Tennemi avait accumu-
lées sur ce point, et de compléter le blocus eRcctué par la précédente; enfin
une troisième, sous le commandement du général Munier, devait marcher
directement sur Than-Maî en partant de Minh-Nong, sur le fleuve Rouge.
Deux compognics du l»** bataillon du régiment, les i'^ et 2^ (capitaines Ra-
tliclot et de la Gencste), entrèrent dans la composition de la colonne Jamais,
et, avec une autre compagnie du l*'' Tirailleurs, formèrent un groupe sous
les ordres du commandant Béranger; deux du 3* bataillon, les l^* et 4* (ca-
pitaine Camper et lieutenant d*Omant], avec le commandant de Mibielle,
firent partie de la colonne Mourîan, qui se concentra à Nam-Cuong, sur le
fleuve Rouge, à quinze kilomètres en amont de Ilong-IIoa.
Ces opérations commencèrent le 21 octobre sous la direction du général
Jamont, qui avait remplacé le général Brière de Tlsle à la tête de la l^* divi*
sion. Auparavant, le colonel Mourîan s^élait assuré le passage du fleuve Rouge
on faisant occuper par la compagnie Camper, du 3* bataillon, une ile située
en face de Nam-Cuong. Le 14, cette compagnie y avait eu un homme blessé.
Ce devait être, pour les Tirailleurs du régiment, le seul atteint pendant toute
cette expédition. Le 24 octobre, Thanh-Maî fut, en effet, occupé sans coup
férir, et sans qu*on eût môme à utiliser le nombreux matériel d'artillerie
traîné à grand'peine à la suite de chaque colonne. Si les pertes provenant du
feu de l'ennemi avaient été insignifiantes, le choléra, par contre, avait fait
de nombreuses victimes, surtout dans la colonne Jamais. Il y avait eu, en
outre, un certain nombre de noyés, dont cinq pour les deux compagnies du
3» bataillon.
Quelques jours après, les trois colonnes Jamais, Mourîan et Munier furent
dissoutes; il ne resta à Thanh-Ma! que les troupes nécessaires à la garde de
ce nouveau poste, dont la 2« compagnie du 1*' bataillon. La l'* du même
bataillon fut désignée pour aller occuper Lien-Son , sur le Song-Day, affluent
de gauche de la rivière Claire. La 3* (capitaine Caries) était encore à Tuyen-
Quan ; la 4* (capitaine Massip) fournissait la garnison de Sontay et les postes
environnants. Le 30 octobre, cette dernière quitta cette place pour se rendre
à Vie-Tri, au confluent du fleuve Rouge et de la rivière Claire, où se trouvait
rétat-mojor du bataillon.
La répartition des détachements du 3« bataillon avait également subi d'im-
portantes modifications. Dès le commencement des opérations contre Thanh-
Maî , le village de Vong-La avait été évacué, et le peloton qui était à Dong-Van
était rentré à IIong-Hoa. La 2" compagnie avait alors eu à fournir la garnison
de Hong- Hoa et le poste de Cau-Do en face du Carreau; la 3*, occupant Bat-
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Q54 LE 3® RÉOIMBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS (1885]
Bao, avait continué d'avoir un peloton à Hao-Trang, mais co pelolon avait eu
à envoyer trente hommes dans un poste intermédiaire, à Phum-Lam, do
même que celui resté à Bat-Bac en détacha bientôt trente aulres à Dong-Song,
en sorte que cette compagnie se trouva échelonnée sur la rivière Noire de
Bae-Hat à Hao-Trang. Cette situation resta la même jusqu'au milieu de no-
vembre, moment où s'effectua le relèvement de la 3* compagnie par la 2«,
et vice versa.
Après la prise de Thanh-Maî, le commandant de Mibielle ayant été désigné
pour prendre le commandement de la colonne chargée d'aller occuper Phu-
An-Binh , sur le Song-Chai , les deux compagnies qu'il avait avec lui {l^ et 4*)
formèrent l'élément principal de cette colonne. Cette dernière, qui s'était
organisée à Vie-Tri, quitta ce poste le 2 novembre. Le 5, elle arrivait à Phu-
Doan. Le 7, elle se remit en marche pour pénétrer dans un pays où nos troupes
n'avaient pas encore paru. Enfin, le 13, elle atteignit Phu-An-Binh, après
avoir réparé la roule sur une partie do son parcours.
Le 17, le commandant de Mibielle , faisant laisser à chaque compagnie une
section pour garder le cantonnement, partit avec le restant et un peloton de
Tirailleurs tonkinois pour aller reconnaître la route de Than-Quan. Son in-
tention n'était d'abord que de pousser jusqu'à une dizaine do kilomètres de
Phu-An-Binh ; mais des renseignements recueillis en chemin l'ayant assuré
que Than-Quan n'était occupé que par une centaine de pirates mal armés, il
continua sa marche, et, à une heure de l'après-midi, arriva dans l'ancien
quartier général de Luu-Vinh-Phuoc, où il ne trouva même pas les pirates,
qui s'étaient enfuis précipitamment. A deux heures, il se remit en route pour
Phu-An-Binh, où il rentra à sept heures du soir. La reconnaissance avait
parcouru, pour aller et revenir, une distance de trente-quatre kilomètres.
Than-Quan eût pu dès ce moment être occupé sans danger; mais l'état-
major général ajourna cette mesure, pour laquelle, deux mois plus tard,
quatre colonnes devaient être mises en mouvement.
Chaquo jour d'autres reconnaissances allaient être dirigées dans les environs
de Phu-An-Binh et dans le haut Song-Chai, vers Pho-Ngoc et Luc-An-Chau.
Toute cette contrée était encore infestée de Chinois et de Pavillons-Noirs pro-
venant des anciennes bandes de Luu-Vinh-Phuoc; mais, dispersés, manquant
de direction, complètement démoralisés, ces partisans n'étaient pas très dan-
gereux; d'ailleurs, bientôt traqués de tous cêtés, ils allaient se voir obligés
de s'enfoncer de plus en plus dans les montagnes et de gagner la haute rivière
Claire, en amont de Tuyen-Quan, où l'on allait les retrouver jouant aux pai-
sibles commerçants et se donnant pour d'honnêtes particuliers dévoués à la
France et à la république. Quelques petites rencontres eurent lieu avec ces
groupes et d'autres bandes de pirates, mais aucune n'entraîna de pertes pour
les Tirailleurs.
Sur tous les points du Tonkin les opérations avaient maintenant repris, et
se poursuivaient en prenant dans leur ensemble la forme d'une immense
battue aux pirates. A cet offct, d'innombrables postes, comportant un peloton,
une compagnie au plus, avaient été créés dans les régions les plus dévastées
par les pillards, et ces petites garnisons combinaient leurs mouvements pour
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[1886} AU TONKIN 555
surprendre les bandes qui 8*avenluraieni dans leur rayon. Aussi aucune frao^
lion ne restait-elle inaclive, et les compagnies du l*' bataillon n'avaient-elles
rien à envier à celles du 3*. Mais, comme nous Tavons déjà dit, il serait fas-
tidieux de suivre une à une ces incessantes expéditions, qui se bornaient le
plus souvent à des marches pendant lesquelles nos soldats n'avaient même
pas & brûler une seule cartouche. Le 29 septembre, un peloton de la i^ com-
pagnie (capitaine Massip) eut cependant à livrer un combat asses sérieux
pour s'emparer du village deSon-Thang, sur la rive gauche du fleuve Rouge,
à sept ou huit kilomètres de Bac-Hat. Le capitaine Massip et un Tirailleur y
furent légèrement blessés; les pirates curent une cinquantaine de tués. Dans
le courant de décembre, deux colonnes, sous les ordres des commandants
Béranger et Godon et la direction supérieure du colonel Mourlan , parcoururent
les bords du Song-Calo et le pays montagneux qui s'étend entre cette rivière
et Thaî-Nguycn. Les l'*" et 2^ compagnies firent partie de la colonne Godon;
la 3*, de la colonne Béranger. Le 7, la 2* compagnie (capitaine de la Geneste)
surprit une bande de cent cinquante à deux cents Chinois au village de Traî-
Ngoc-Quan , dans les montagnes , et lui tua seize hommes.
Le 23 novembre, la 3* compagnie (capitaine Caries) avait été relevée à
Tuycn-Quan par une section de la 4* sous les ordres du lieutenant Man-
sour-ben-Hrahim. En mémo temps une autre section delà mémo compa*
|înio., commandée par lo lieutenant Bazinet, avait été envoyée à Phu-Doan.
IjO 28 décembre, le peloton restant de la 4* compagnie quitta Vie-Tri avec
le capitaine Massip pour aller occuper Dong-Vé, à six kilomètres à l'est
de Bac-Hat. Il y resta jusqu'au 16 janvier 1886 , puis il alla créer un nouveau
poste à Lang-Sao, sur la rivière Claire. A la suite de l'expédition du Song-
Calo , la 1'* compagnie retourna à Lien-Son , la 2<» à Thanh-Mai, et la 3* s'ins-
talla à Vie-Tri.
Par suite de l'arrivée au Tonkin d'un 3® bataillon du 1*' Tirailleurs ,
les deux du 3* cessèrent, à la date du 5 janvier, de Taire partie du régi-
ment de marche de Tirailleurs algériens, qui ne comprit dès lors que des
éléments du 1*^ Tirailleurs. Ces deux bataillons allaient maintenant, et
jusqu'à la (in de leur séjour dans la colonie, être considérés comme formant
corps.
Le 19 janvier, le général de Courcy rentra en France, et fut provisoirement
remplacé dans le commandement du corps eipéditionnairo par le général
Warnet, son ancien chef d'état-major, qui était lui-même en route pour
rentrer et qui fut rappelé de Saigon. A peine à la direction des affaires, ce
dernier donna une vigoureuse impulsion aux opérations en cours d'exécution,
et s'occupa immédiatement d'une expédition sur le haut fleuve Rouge, expé-
dition si souvent projetée et si souvent abandonnée.
A la fin de janvier, quatre colonnes, formant un total d'environ trois mille cinq
cents hommes, furent organisées pour marcher sur Than-Quan : 1* la colonne
Jamais, par la rive droite du fleuve Rouge; 2^ la colonne de Maussion, par
la rive gauche; 3® la colonne Béranger, en suivant le milieu dé la presqu'île
formée par le fleuve d'un côté, la rivière Claire et le Song-Chai de l'autre;
¥ la colonne de Mibielle, en s'y portant de Phu-An-Binh. Le général Jamont
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556 LE 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALOftRIENS [1885]
doYait présider à cette opération. La 2« compagnie du l^* bataillon et une
section de la 3« firent partie de la colonne Béranger; la 3« du 3« bataillon et
une section de la 2«\ de la colonne Jamais; enfin les l^* et 4* du même ba-
taillon, de la colonne de Mibielle.
Le mouvement des colonnes n^ 1 , 2 et 3 commença le l*'' fé?rier. Ces co-
lonnes devaient se réunir le 4 devant Than-Quan; mais elles éprouvèrent
toutes du retard, et, lorsqu'elles arrivèrent, celle position était déjà occupée
par la colonne de Mibielle. Celte dernière avait quitté Phu-An-Binh le 4 à six
heures du matin , avait enlevé sans coup Térir quelques ouvrages avancés à
Hao-Gia, et était entrée de la mémo façon dans Than-Quan. Depuis la recon-
naissance effectuée en novembre par la garnison de Phu-An-Binh, de nou-
veaux retranchements avaient été construits sur ce point par environ six cents
Chinois et autant d'Annamites, qui s*y étaient établis; mais tous ces ouvrages
avaient été évacués par leurs défenseurs, et la colonne n'avait trouvé que
quelques retardataires, qu'elle avait passés par les armes. La colonne Béranger
n'arriva que le 11 ; engagée dans un mauvais sentier de montagne, aux prises
avec de nombreuses difficultés, elle n'avait pu faire plus de huit à dix kilo-
mètres par jour. Le 8, la colonne de Mibielle était rentrée à Phu-An-Binh.
Le 13, la colonne Béranger reprit de son c6té le chemin de Thanh-Maf, où
elle arriva le 17. Il ne resta à Than-Quan que la 3« compagnie du 3* bataillon
(capitaine Polère) et la section de la 2«.
A peu près dans le môme temps qu'avait lieu celte expédition, les détache-
ments fournis par la 4« compagnie du U' bataillon effectuaient d'audacieuses
reconnaissances. Ce fut d'abord , du 3 au 0 janvier, une pointe à soixante-
quinxe kilomètres en amont de Tuyen-Quan, sur le Song-Gham , affluent de
gauche de la rivière Claire, exécutée par la section du lieutenant Mansour-
ben-Brahim avec une petite colonne aux ordres du capitaine Radiguet, de
l'infanterie de marine; puis une marche de Phu-Doan sur Than-Quan, du 3
au 9 février, par la section du lieutenant Bazinet; enfin une excursion sur le
haut Song-Day, par celle dernière section d'un côté et soixante hommes du
poste de Lang-Sao de l'autre. Cette opération , qui eut lieu du 19 au 24 février,
et qui amena la dispersion de nombreux groupes de Chinois établis entre le
Song-Day et la rivière Claire et la destruction de leurs cantonnements, devait
être la dernière à laquelle allait prendre part le 1*' bataillon du régiment au
Tonkin.
Le gouvernement venait, en effet, de décider que le corps expéditionnaire
serait disloqué, qu*il ne serait maintenu dans l'Annam et le Tonkin qu'une
division à trois brigades, et qu'en conséquence les bataillons débarqués les
premiers dans la colonie seraient rapatriés. Celle dernière mesure était géné-
rale pour les Tirailleurs algériens. En vertu de ces dispositions, le bataillon
Béranger reçut l'ordre de se réunir à Hong-Hoa pour y faire ses préparatifs de
départ. Celle concentration s'opéra du 6 au 10 mars. Le 23, le bataillon se
mit en route pour Sontay, où il arriva le 24. Le 2G , il s'embarqua sur quatre
1 La 2« compagnie avait à ce moment deux sections (2* et 4*) à Houg-Hoa, une (S*)
à Phum-Lam» sur la rivière Noire, enfla l'autre (i'«) en expédition.
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[1880] AU TONKIN 567
canonnières, qui le transporlèrent à Ilaî-Phong, où, le 27, il prit place à bord
du Comorin. Son effectir se trouvait réduit à seize officiers et six cent quatre-
vingt-sept hommes. Des vingt-cinq officiers qui en faisaient partie au moment
do son départ d'Algério, six seulement y comptaient encore ^ Sur les dix-neuf
absents deux avaient étô tués, trois étaient morts dans les hApilaux, sept
avaient été rapatriés précédemment comme convalescents, blessés ou retrai-
tés; enfin sept étaient passés dans d'autres corps, soit par promotion, soit
par mutation *.
Le Comorin leva Tahcre le 28 mars à cinq heures du soir.
Nous avons laissé le 3« bataillon ayant deux compagnies à Phu-An-Binh
avec le commandant de Mibielle, une autre à Than-Quan, et la dernière four-
nissant un poste sur la rivière Noire et la garnison de IIong-Hoa.
Dès sa rentrée à Phu-An-Binh, le commandant de Mibielle avait reçu Tordre
d'étudier les moyens de faire remonter une colonne jusqu'à Ila-Yang, dernier
point important avant la frontière chinoise sur la rivière Claire. Dans ce but ,
il partit le 17 février avec la 4* compagnie (lieutenant Guignabaudet) et une
autre de Tirailleurs tonkinois pour aller occuper Luc-An-Chau, sur le haut^
Song-Chaï, à deux juurnées de marche en amont de Phu-An-Binh. Il y arriva
le 19. Do ce point, où il resta jusqu'au 4 mars, il explora tout le pays dans
un rayon do près de quarante kilomètres, et dispersa plusieurs bandes de
Pavillons -Noirs en leur infligeant d^ pertes sérieuses. Il se porta ensuite en
deux jours à Vinh-Tuy , sur la rivière Claire, à quatre-vingts kilomètres seu-
lement de Ha-Yang. Hais il n'avait pas été possible de réunir un nombre suf-
fisant de* petites embarcations pour assurer le ravitaillement de la colonne
qui devait se diriger sur ce dernier point, et de nouvelles instructions pres-
crivirent au commandant d'installer un poste à Vinh-Tuy, et d'attendre là le
prochain rapatriement do son bataillon. Pendant ce temps, la l^ compagnie
n'avait pas bougé do Phu-An-Binh. Les 2^ et 4® sections de la 2« (lieutenant
Dubernet), qui étaient demeurées à llong-IIoa , avaient quitté cette place une
première fois du 27 février au 3 mars, pour marcher contre une bande de
pirates établie au village de Cu-Baîng, au sud de Dong-Van; une seconde fois
le 5 mars, pour aller occuper le poste de Ngol-Lao, entre Cam-Khé et Than-
Quan; elles y étaient restées jusqu'au 15, puis en étaient parties pour se re-
porter vers Cu-Baïng et s'installer à Giap-Lal, à une journée de IIong-Hoa.
L& elles furent rejointes, le 18, par la 1^ section de la même compagnie,
qui, après avoir fait partie de l'une des colonnes de Than-Quan et avoir été
maintenue dans ce dernier poste, avait été envoyée à Van-Ban-Chau , qu'elle
avait quitté le 5 mars pour servir d'escorte au général Jamais, qui rentrait
dans le Delta par Than-Quan, Phu-An-Binh, Phu-Doan et la rivière Claire.
La 3° section, qui était détachée à Phum-Lam, sur la rivière Noire, et qui
* CcB six offlciers étaient: BfM. Massip et Hathclot, capitaines; Grangury, médecin
major do 2^ classe; Salah-ben-FerkatadJl et Mohamed- bon -Sald, lieutenants; enfin
Darier-Ch&telain , sous -lieutenant.
* C'étaient : AIM. Jouneaa, passé lieutenant-colonel ; Godon, nommé chef de bataillon;
Boblot, promu capitaine ; Garcet, Thierry et Pennel, devenus lieutenants ; et GhiarasinI,
lieutenant, passé avec son grade au 13* de ligne (voir le tableau de la page 484).
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658 LB 3« RÉOmENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS 11886]
était revenue le 14 mars à Ilong-lloa , ayant à son tour ralliô le 30, toute la
compagnie se trouva dès lors à Giap-Lal, d'où elle effectua de nombreuses
reconnaissances vers la rivière Noire et dans la vallée du Song-Mua. Quant à
la 3« compagnie (capitaine Polère), elle fut relevée à Than-Quan le 17 mars,
et rentra à Ilong-IIoa le 23.
Enfin , le tour de rapatriement du bataillon étant également arrivé, les deux
compagnies qui étaient sur la haule rivière Claire reçurent l'ordre de revenir à
Uong-lioa. Celle de Vinh-Tuy, avec laquelle se trouvait toujours le commandant
de Mibiello, se mit en route le 30 mars, colle de Phu-Att-liinhle3l. Le 4 avril,
elles se réunirent à Phu-Doan, où celle de Phu-An-Binh était arrivée le !•■'.
Le 9, elles étaient à Hong-Hoa. Quelques opérations eurent encore lieu les
jours suivants dans les environs de cette place, puis, le 24 avril, le bataillon
tout entier se dirigea sur Sonlay, où il arriva le lendemain. Le 29, les 3^ et
4« compagnies 8*y embarquaient sur deux canonnières pour être transportées
à llal-Pliong. Le 1*^^ mai, ce fut le tour do l'état-major et des doux autres
compagnies. Le 2, le bataillon était à bord du Chéiibon, qui devait le ramener
en Algérie. Le 5, le Chéiibon francbissait la passe de Hai-Phong et s'éloignait
À son tour des rivages de TAnnam.
Si nous faisons, pour les ofliciers qui appartenaient au 3* bataillon au com-
mencement de la campagne, la môme récapitulation que nous avons faite
pour ceux du l^"*, nous trouvons que six en faisant encore partie s'étaient
rembarques avec lui\ que trois avaient été tués, qu'un s'était noyé, que
neuf avaient été rapatriés isolément, enfin que six étaient passés dans d'autres
corps ou dans d'autres bataillons du corps *. •
11 serait superOu, après le récit que nous venons de faire des principaux
événements de la conquête du Tonkin , d'insister sur la gloire que le régiment
s'était acquise dans cette lointaine expédition. Celte gloire était d'autant plus
enviable, qu'elle ne s'attachait qu'à des succès; que partout où ils avaient
combattu, les Tirailleurs algériens avaient eu la satisfaction, quel que fût le
nombro de leurs adversaires, de voir ceux-ci fuir devant eux. Ôuns ces com-
bats où l'ennemi était presque toujours retranché, où les attaques de vive
force devenaient le seul moyen de le déloger, ils n'avaient cessé de se faire
remarquer par leur irrésistible élan , par une bravoure qui , à maintes reprises,
avait provoqué l'admiration des autres troupes. Une fois maîtres de la posi-
tion, ils avaient toujours su s'y maintenir. Endurcis à la fatigue, aux priva-
tions, à la chaleur, ils avaient dans plusieurs circonstances fourni la plus
grande somme d'efforts qu'il fût possible de demander à des soldats sous un
climat aussi meurtrier. Aussi, en raison de ces épreuves, avaient-ils payé un
large tribut à la maladie; mais, par contre, leur état moral était jusqu'au
bout resté excellent.
> MM. de Mibielle, chef de bataillon; Polère, capitaine; Audiguier, médecin major
de 2* classe; Gaignabaudei, Mohamed -ben-àrAhmed et Messaoud-ben-Debeza, lieu-
tenants.
> Ces derniers étaient BIM. Mercier, promu chef do bataillon; du Kéiaudy, Dégot,
Pieri, Sassi-ben-Sassi, nommés lieutenants; et Lochert, capitaine, passé dans Tinfan-
terie da marine (voir le tabieaa de la page 500).
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[1886] AU TONKIN 659
Pour montrer quel cas faisaient d'eux les ehefs qui les avaient eus sous
leurs ordres, il nous suffira de donner Tordre par lequel le général Jamonti
commandant la 1*^ di?ision , annonçait leur départ.
c Les bataillons des i<^'et 3* Tirailleurs algériens, disait-il, Tont quitter le
Tonkin, où les premiers d*en(re eux ont débarqué il y a plus do deux années.
c Ils ont pris part à tous les événements militaires importants qui ont eu
lieu pendant celte longue période.
c Ils ont largement coopéré à la conquête et à la pacification du pajs. Sons
la direction de leurs brillants officiers, ils ont partout fait preuve de résistance
à la fatigue, d'emlnmnce aux effets d*un climat tropical, d*énergie et de bra-
voure dans les combats.
c Le général commandant la 1^ division se sépare avec regret de compagnons
qui ont fait et qui feront toujours bonneur à leur drapeau.
« Il leur souhaite un beureux retour vers leur patrie, où ils vont prendre un
repos bien mérité. »
Voici maintenant quelles avaient été les pertes par le feu éprouvées par les
deux bataillons du régiment réunis :
Officiers.. 4|
Tués ou morts des suites de leurs blessures.^ > 91
Troupe. . 87 J
\326
Officiers.. 15]
Blessés \ \23i'
Troupe. . 220]
Si à ces chilTres nous ajoutons ceux de six officiers * et d'environ deux
cents hommes morts d'accidents ou de maladie, on verra que le 3* Tirail-
leurs avait chèrement acheté le droit d'inscrire sur son drapeau le nom
d'Extrême-Orient à la suite de ceux de Lagbouat, Sébastopol, Soiférino et
San-Lorcnxo. La campagne du Tonkin est, après celle de 1870, celle qui lui
a le plus coûté en sacrifices de toutes sortes; aussi restera- t-elle toujours
une des plus belles et des plus glorieuses pages de ses annales.
IjO Vomorin, ramonant le l**" bataillon, était arrivé le 30 avril en rade
d*Algcr. Mais, bien que n*ayant pas eu un cas de choléra pendant toula la
traversée, en vertu d'une mesure générale, les troupes qu'il avait à bord
devaient faire une quarantaine de six jours avant d'être dirigées sur leur
corps. Celte quarantaine devait être subie à Sidi-Ferruch pour les détache-
ments à destination de l'Algérie. Ce fut là que le bataillon débarqua le 3 mai.
Le 12, il se rendit, en une seule étape, à Alger, où il fut reçu avec enthou-
sissme par les autorités et la population. Le même jour, il prit passage sur
le MoVie pour être transporté à Bêne, sa garnison, il y arriva le 15, après
t MM. Orlanducci, Martin, Patin, Garros, lien tenants; Messaood-bea*el*AId et
Gallichet, sous •lieutenants.
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860
LB 3* RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
avoir été Tobjetà Deihys, où commandait lo général Corder, l'ancien colonel
du régiment, à Bougie, à Djidjelli et à Philippeville, des plus flatteuses et
des plus touchantes marques de sympathie de la part des petites garnisons
de ces postes. A Bône, une véritable fête locale avait été organisée en l'hon-
neur de ce débarquement. Toute la population y prit part. Le colonel Boitard,
qui élait venu au-devant du bataillon à Philippeville, assistait lui-même à
cette brillante ovation.
Un mois après, le 14 juin, lo 3* bataillon débarquait à son tour à Sidi-
Ferruch. Le 21 , il arrivait à Alger, pour y passer la journéo du 22 au milieu
de fêtes et de réceptions. Le 23, il se rembarqua sur la Corse et, le 25, reprit
terre à Philippeville. Immédiatement dirigé sur Conslantinef ar le chemin de
fer, il arriva dans cette ville le même jour, à trois heures du soir. Il y fut
salué et fêlé par toute la population, européenne et indigène, qui avait tenu
à honneur de s'unir pour cette patriotique manifestation.
Mais un autre triomphe attendait encore les Tirailleurs, et celui-là allait
avoir à leurs yeux un prix tout particulier. Le ministre de la guerre ayant
décidé que les troupes rentrant du Tonkin seraient représentées par des déta-
chements à la revue du 14 juillet à Paris, il fut formé au régiment deux
compagnies de marche avec les hommes les plus méritants des deux ba-
taillons qui venaient d'être rapatriés. Ces compagnies étaient ainsi corn-
2^compiignie (3^ baUnUon),
MM. Polère, capitaine.
Guignabaudet, lient, français.
Tahar-ben-Dzitouch, lient, ind.
Savoye, sous-lieut. français.
Ali-ben-Larbi, s.-lieut. indigène.
1^ compagnie (i^' balaillon).
MM. Massip, capitaine.
Vidal, lieutenant français.
Salah-ben-Ferkatadji, lient, ind.
Darier- Châtelain , sous- lieute-
nant français.
Ahmed-on-Kassi, s.-lieut. indig.
Le 1^' Tirailleurs ayant également été appelé à fournir deux compagnies,
le commandant Béranger fut désigné pour commander le bataillon que for-
maient ainsi les deux corps réunis. Ce balaillon devait être accompagné par
le drapeau du 3« régiment, porté par le sous -lieutenant Behr.
Le détachement du 3* Tirailleurs s'embarqua à Philippeville le 4 juillet,
débarqua à Marseille lo S, fut à Paris lo 13, en repartit le 18, se rembarqua
lo 21 , et rentra en Algérie le 23.
A Marseille et à Paris, les Tirailleurs avaient été l'objet d'une ovation en-
thousiaste. A Paris, la foule n'avait cessé d'assiéger la caserne du Chêteau-
d'Eau , où ils étaient logés. Pendant la revue et sur tout lo parcours de la
caserne à l'hippodrome de Longchamps, ils avaient été chaleureusement
acclamés. Le drapeau du régiment, fièrement tenu par M. Bchr, n'avait
cessé d'être salué par do frénétiques vivats. C'est qu'on n'avait jamais mieux
compris le respect sacré qu'on devait à cet emblème , qu'en voyant celui dont
l'entouraient des hommes pour qui il n'était que lo symbole du devoir et de
la discipline.
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CHAPITRE XII
Années 18R6 et i887. — Emplacements successifs des bataillons. — Le colonel Doitard,
nommé général , est remplacé par le colonel Marmet. — Composition da régiment lo
1»' juin 1888.
A la rcnlréo des l^'' et 3« bataillons en Algérie, les garnisons furent ainsi ,
réparties : 1«' bataillon à Bône, 2* à Sélif, 3« à Constantine, 4« à Bougie
avec des détachements à Bordj-bou-Arreridj , Milah, El-Miliai Collo, Djidjelli
et Akbou. Après les manœuvres d'automne, qui eurent lieu en septembre et
octobre , et auxquelles prirent part les 1^, 2® et 3* bataillons, le !•■' bataillon
alla à Sétif, le 2^* à Bônc, le 3® à Bougie et dans les autres postes fournis
précédctnincnt par lo 4<^, enfin le ¥ h Constantine.
Kn 1887, CCS manœuvres eurent lieu dans les mêmes conditions pour les
!<"', ^^ et 4° bataillons. Las changements auxquels elles donnèrent lieu furent
les suivants : le l^^^ bataillon releva le 3* à Bougie, Akbou, Djidjelli, Collo,
EUMiliaet Milah; le 2^ vint à Constantine; le 3^ occupa Sétif et Bordj-bou-
Arreridj ; le 4* , Bône et la Calle.
Indépendamment des garnisons ci-dessus, le corps a eu, depuis 1883, à
fournir des détachements dans le sud, à Négrine, El-Oued, Tuggurt et
Barika. Le poste de Négrine a récemment été supprimé.
Le 21 octobre de cetlc même année 1887, le colonel Boitard fut nommé
général de brigade. Il était resté à la tète du régiment pendant cinq années,
et dons des circonstances particulièrement difficiles : par suite des expédi-
tions de Tunisie et du Tonkin , son commandement avait été, pour ainsi dire,
une conlinnello réorganisation. Il partit avec la satisfaction d'avoir réussi
dans celle lourde tâche, et en laissant les meilleures traditions et les meil-
leurs souvenirs que puisse laisser un chef. Il fut remplacé par lo colonel
Marmet, auparavant lieutenant-colonel au 3<* zouaves.
Au moment où nous arrêtons cet historique, le !«• juin 1888, le 3« Tirail-
leurs est ainsi composé :
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562
LB 3« RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1888]
ÉTAT-MAJOR
MM. Harmet,
colonel.
Descoubès
lieutenant-colonel.
Laine,
major.
Rech,
capitaine trésorier.
Durand ,
capitaine d'habillement.
Douzenot,
lieutenant adjoint au trésorier.
Hérendol,
sous- lieutenant porte-drapeau.
Charrier,
médecin major de 1^ classe.
Manfredi,
médecin major de 2* classe. -
Piol,
médecin aide -major de l** classe
1«^ BATAILLON
MM. Delmas do Grammont, chef de bataillon.
Bastide , capitaine adjudant-major.
l^* eompagnie.
MM.Rathelot, capitaine.
Simon , lieutenant français.
Ahmed - ou -Kassi, lieu t. ind.
Marchais, sous-lieut. français.
Assouna-ben-Uamou , sous-lieu-
tenant indigène.
Tfi compagnie.
MM. Daly, capitaine.
Roussel Lamourottx de Pompi-
gnac, lieutenant français.
Regnaud , sous-lieut. français.
Amar - ben - Belkassem , sous-
lieutenant indigène.
3* ean^agnU,
MM. Valette, capitaine.
Vidal , lieutenant français.
Mohamed-ben-Saîd , lient, indig.
Baudouin, sous-lieut. français.
Resqui - bon - Mohamed , sous -
^ lieutenant indigène.
4* con^^nie.
MM. Massip, capitaine.
Darior-Chfltolain, lient, français.
Mansour-bon-Brahiui, licut. ind.
Pougin, sous-lieut. français.
Ali-ben-Larbi, sous-lieut. ind.
2* BATAILLON
MM. FouIIioy, chef de bataillon.
Couillet, capitaine adjudant- major.
1>^ compagnie.
MM. Dutartre, capitaine.
Héliot, lieutenant français.
Mohamed-ben-Alimed , liuut. ind.
Lafontan, sous-lieut. français.
Ali-ben-Ou-Arab, s.-lieut. ind.
2^ compagnie.
MM. Mailly , capitaine.
Chapuzot, lieutenant français.
Moliauicd-bcn-Mcssaoud , lieute-
nant indigène.
Poussel, sous-lieut. français.
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[1888]
EN ALGÉRIE
663
3* compagnie.
MM. Debrou , capitaine.
Dccque , lieutenant français.
Belkassem - Zid - ben - Hobamed -
Zid, lieutenant indigène.
De (lislain de Boulin , sous-Iicu-
tenant français.
Mobamed - ben - Abderrahman ,
sous- lieutenant indigène.
4^ compagnie.
MH. Servant, capitaine.
Le Goubin de Villodon, lieute-
nant français.
Tchaou-bcl-Iladj, lient, ind.
Capdcpont, sous- lient, français.
Ali-bcn-Abmed, sous-lieut. ind.
S^) BiTiILLON
MM. Chéroutro, cbef de bataillon.
Bertrand , capitaine adjudant -major.
!*■<» compagnie.
MM. Chéray, capitaine.
TJCcl^.ro, lieutenant français.
A bdallali - bon - Mclkasscni , lieu-
tenant indigène.
Tucusscl, s.-lieulcnant français.
BeIkreir-ben-Alimed , sous-lieu-
tenant indigène.
2° compagnie.
MM. Chirouze, capitaine.
Klein, lieutenant français.
Messaoud-ben-Debeza, lient, ind.
Savoye, sous- lient, français.
Eu tbman- ben -Abdallah, sous-
lieutenant indigène.
3« compagnie.
MM. Resséjac, capitaine.
Hébert, lieutenant français.
Moliamed-bcn-M'Alimcd , lieute-
nant indigène.
Clément, s.-lieutenant français.
Abdallah-bcn-bou-Djema, sous-
lieutenant indigène.
4« compagnie,
MM. Petitjean, capitaine.
Cbrétien , lieutenant français.
Tabar-ben-Dzitoucb, lient, ind.
Hamelin, sous-lieut. français.
Embarck-ben-Alech, sous-Iicute-
nant indigène.
4» BiTiILLON
MM. Ecbemann, chef de bataillon.
Monfeuga , capitaine adjudant-major.
l^ compagnie.
MM. Bevertégat, capitaine.
Chi(|ucl, lieutenant français.
Alimcd-ben-Toîcb , lient, indig.
Hunt, sous- lieutenant français.
Ahmed - ben - Mohamed , sous-
lieutenant indigène.
2« compagnie.
MM. Sordes, capitaine.
Cliavy, lieutenant français.
Abd-cl-Kader-ben-Salem , lieu-
tenant indigène.
Vigarosy, sous-lieut. français.
Mohamed- ben- Amar, sous-lieu-
tenant indigène.
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564
LE '6^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS
[1888]
3<^ compagnie.
MH. Fauqueux, capitaine.
Hétet , lieutenant français.
Mohamed-ben-Kassi, lient, ind.
Wasmer, sous-lieut. français.
Boukélif - ben - Boudina , sous-
lieutenant indigène.
4^ ampagnie.
MM. Lombard, capitaine.
Alla , lieutenant français.
Taleb-ben -Mohamed, lient, ind.
Balland, sous-lieut. français.
Larbi-ben-Ali, sous-lîeut. ind.
DÉPÔT
MM. Quentin, capitaine.
Le Maistre, lieutenant français.
Sassi-ben-Sassi , lieutenant indigène.
Bergot , sous-lieutenant français.
Mohamed - ben -Ilassen, sous-licutcnant indigène.
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CONCLUSION
Il y a cinquante ans, des hommes d'un hant mérite, qui ayaient déjà une
profonde connaissance de FAIgérie et de Pindigène, songèrent à faire con-
courir ce dernier & Tœuvro mdme do notro conquête en l'enrôlant dans un
corps irrégulior , dans une espèce de milice dont le commandement fut donné
à des ofliciers français. L'essai n'était pas nouveau; depuis 1830, l'armée
d'Afrique possédait des bataillons de zouaves dans lesquels entrait une no-
table proportion d'Arabes, de Kabyles et de Koulouglis; mais ces éléments
un peu disparates avaient été jusque-là encadrés dans des soldats français, et
l'on semblait s'avancer timidement dans cette tentative, qui paraissait alors
excessivement hardie. Elle réussit cependant au delà de toute espérance,
grAce aux elTorts de jeunes orHcicrs pleins d'entrain et de vigueur, qui se
jetèrent dans ce nouveau corps dans l'espoir d'un avancement plus rapide.
En 1841 , chaque province avait son bataillon indigène, et celte troupe avait
déjà rendu assez de services pour qu'on songeât à en réglementer i'orgjani-
sation. Une ordonnance royale vint combler cette lacune, et ces auxiliaires
prirent le nom de Tirailleun indigènes. Le bataillon qui devait plus tard
servir de noyau au 3° régiment de Tirailleurs algériens fut ainsi formé de
deux bataillons turcs, dont l'un remontait à la prise de Bône, et l'autre à
celle de Constantine. Il avait son siège dans cette province et devait y eflec-
tuer son recrutement.
Bientôt les expéditions de Zaatcha, de Kabylie, de Laghouat et de TuggurI,
vinrent faire ressortir les solides qualités du bataillon indigène de Constan-
tine. C'est que les chefs de ce bataillon s'étaient successivement appelés
Mollière, Thomas, Bourbaki, Bataille et Jolivet, autant de noms de futurs et
vaillants généraux.
Mais jusque-là les Tw'cos S comme on les appelait déjà, ne s'étaient
rendus célèbres qu'en Algérie : l'expédition de Crimée vint consacrer leur
Ml y a fort à croire que rorigine de ce nom vient de ce que les premiers éléments
des bataillons indigènes des provinces d'Oran et de Gônstantine se composèrent en grande
partie d'anciennes milices turques.
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566 LE 3^ RÉGIMENT DE TIRAILLEURS ALGÉRIENS [1888]
réputation. Après cette campagne, ib furent considérée comme une troupe
d'élite. Ce titre, quMls s'étaient acquis à TAlma et dans les sanglants assauts
du 7 juin et du 8 septembre 1855, ils ne l'ont jamais démérité depuis.
Cette brusque popularité décida immédiatement leur augmentation. On
avait, quelques années auparavant, donné à chaque province un régiment de
zouaves; on voulut qu'elle eût également un régiment de Tirailleun algériens,
et cette création eut lieu le l^ janvier 1856.
Los nouveaux corps no furent pas longtemps sans ajouter <lo nouvelles
pages à celles déjà si glorieuses que s'étaient gravées les bataillons qui les
avaient précédés. L'année même de sa formation, le 3* régiment eut à livrer
de sanglants combats aux Amoucha révoltés. L'année suivante, il prit part à
l'expédition de la Grande -Kabylie, la plus vaste et la plus difGcile opération
qui eût encore été entreprise en Algérie. En 1859, chaque régiment eut à
fournir un bataillon à l'armée d*Italie. Les Tirailleurs revinrent de cette
nouvelle campagne ayant ajouté sur leur drapeau les noms de Turbigo,
Magenta et Solférino. Partout ils avaient rivalisé de bravoure avec les troupes
les plus braves; et, enthousiasmé. Napoléon III avait dit d'eux : « Ils ont été
admirables. » Admirables , ils le furent plus encore dans les difficiles expé-
ditions du Sénégal, de la Cochinchine et du Mexique, en affrontant avec la
même indifférence que celle du champ de bataille la mort obscure que leur
apportait un climat meurtrier et pestilentiel. A ce moment ils paraissaient
être arrivés au plus haut degré du prestige où il leur fût possible de parvenir :
ils n'avaient que des souvenirs de victoires; on s'inquiétait d*eux à l'égal des
troupes nationales; chaque année un bataillon était détaché à Paris et y
jouissait de toutes les faveurs accordées à la garde impériale; on les jalou-
sait, on les enviait : et cependant il allait appartenir à nos revers de les
grandir encore.
Vint, en effet, la guerre de 1870. Pour notre armée ce ne fut que la dé-
faite, pour les Tirailleurs ce fut le sacrifice; comme pour nos vaillants cui-
rassiers, leur tombeau fut à Frœschwillcr. Ils n'en revinrent qu'avec des
débris, et ces débris allèrent achever de s*englouUr à Sedan. Il y eut bien
encore des Turcos à l'armée de la Loire et à l'armée de l'Est; mais les vieux
soldats de Crimée, d'Italie, du Mexique n'étaient plus là, et, comme à tant
d*autres corps, il leur manqua cette cohésion qui fait la force, cette confiance
qui donne le succès : ils y furent simplement braves, alors qu'à l'armée du
Rhin ils avaient été magnifiques.
Le 3* régiment rentra en Algérie pour trouver toute la province de Con-
stantine en insurrection. C'était une nouvelle campagne qui s'ouvrait pour
lui. Il y fut tout entier employé, et eut maintes fois l'occasion d'y affirmer
hautement son dévouement et sa fidélité. A Tuggurt, celle-ci se traduisit par
un des actes les plus sublimes qui soient dans l'histoire de nos guerres
d'Afrique. I^es insurrections de 1876 et de 1879, le massacre do la malheu-
reuse mission Platters et la campagne do Tunisie devaient encore servir à
mettre en relief ses belles qualités; enfin l'expédition du Tonkin allait prouver
que les Tirailleurs de nos jours sont les dignes frères de ceux de Zaatcha , de
MalakofT, de Solférino et de FroBschwiller.
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[1888] EN ALOÉRIB K67
Un corps qui possède un tel passé n*a-t-il pas le droit d'être légitimement
fier? Oui, mais il a également le devoir de se préparer à justifier sa vieille
réputation dans Ta venir. Ce devoir, nous le remplirons en nous pénétrant
des nobles exemples qui nous ont été laissés en foule par ceux qui nous ont
précédés dans ce beau et héroïque régiment; nous le remplirons en n'ou-
bliant jamais que nous devons puiser toute notre force dans le respect de la
discipline, et tout notre courage dans Tamour de la Patrie!
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NOTE I. — Page 197.
En parlant do la bataille do Solférino , nous avons dit que le sous-lioutonant Barbier
avait eu la cuisse fracassée au moment du premier assaut de la position du mont Fon-
tana. Pour compléter cet épisode, nous devons ajouter que cet officier, atteint aux côtés
du capitaine Munier, qui commandait le bataillon du régiment , se vit perdu lorsque les
nôtres, débordés do toutes parts, durent battre en retraite : « Je vous donne ma parole
que je reviendrai , » lui dit le capitaine Bfunior. Et , rassuré, M. Barbier attendit.
Les Autrichiens, on se le rappelle, étaient redevenus maîtres do la position. Bf. Bar-
bier les vit revenir, lui passer sur le corps, le dépouiller, puis le laisser là siuis secours.
11 n'(*spéra plus riun. Mais bientôt il entendit do nouveau le claii-on des Tirailleurs :
c'ét;iit la chargo qui sonnait, c'était lo capitaine Muuicr «lui ramenait sou vaillant ba-
taillon à Tassant. Pour la deuxième fois les Autrichiens furent rejetés sur leurs réserves.
Le capitaine Bf unier avait tenu sa promesse ; M. Barbier était sauvé. Son premier soin
fut de faire porter le blessé à Tambulance , où il fut amputé.
Depuis, M. Barbier a été successivement sous-préfet et secrétaire- général. Il a main-
tenant quitté l'administration. Le capitaine Blunier, son sauveur, comme il s'est toujours
plu à l'appeler, a rapidement franchi tous les échelons de la hiérarchie militaire et com-
mande actuellement la se» division d'infanterie, àBayonne.
NOTE IL — Page 325.
Voici quelques renseignements complémentaires au sujet du danger couru par le dra-
peau du réghnent, le 6 août 1870, à Frœschwiller.
Ainsi que le prescrivait le règlement, Bf. MoudiclU, sous-lientcnant porte -drapeau,
8*était placé, au début du combat, à la 3» compagnie du 2« bataillon; mais ce iKitaillon
s'étant bientôt porté sur la droite, vers Mor;>broun, sur ronlre du colonel Gandll, le
drapeau i*csta avec le 1»' bataillon.
Ou sait comuiout lu l'égimont fut engagé : lus compagnies se iiortrntnt eu ligue les
unes après les autres , au fur et à mesure de l'arrivée des renforts ennouiis. 1^ sous-
lieutenant Mondielli se trouva ainsi marcher avec la 6» (capitaine Wissaut) du 1«' ba-
taillon. Bientôt cette compagnie fut sérieusement aux prises avec les Prussiens; en peu
d'instants elle éprouva des pertes considérables. Néanmoins elle conserva ses positions
Jusqu'au moment où, notre droite étant complètement débordée, il fallut songer à la
retraite. A ce moment la chaîne ennemie n'était plus qu'à une centaine de mètres. Le
sous-lieutenant Bloudiclli fit sonner au drapeau ; mais il dut se résoudre à se défendre
avec le peu de monde qui l'entourait. Dispersé comme il l'était, le régiment ne formait
plus qu'une succession de groupes n'ayant aucun lien entre eux : chacun se battait pour
son compte à l'endroit où il se trouvait, l^a compagnie Wissaut se replia sur la lisièro
d'un bois. Le danger devenait pressant: les Prussiens avaient aperçu notre étendard, et
tous leurs efforts tendaient à s*en emparer. « Jurons do mouiir tous ici plutôt que de
laisser prendre le drapeau, s'écria le sous -lieutenant Bfondiclli. — Personne qui pren-
dra le drapeau , mon lieutenant , » répondirent les Tirailleurs. Et celui-ci fut immédia-
tement dégagé par une charge à la baïonnette.
Cependant le nombre des Prussiens augmentait toujours; leurs bataillons s'avançaient
maintenant en masse compacte, avec cette assurance que donne la certitude du succès.
Notre ligne se voyait partout obligée de céder le terrain à l^assaillant; les cinquante ou
soixante hommes groupés autour du drapeau étaient menacés d'être enveloppés. Survint
heureusement le capitaine Delahogue avec des débris du 3* bataillon. Cest alors que le
sous-lieutenant Bfondlelli courut à lui et le conjura de sauver l'emblème sacré confié
à sa valeur. On a vu le reste. I^o capitaine Delahogue, avec un remarquable sang-froid,
parvint à maintenir l'ennemi et so retira lentement sur Reischoireu , où il retrouva le
gros du régiment. Les officiers et sous-officiers présents formaient eux-mêmes la garde
du drapeau. Étaient là : MM. Delahogue S capitaine; Anglade^ Mustapha-bçn-el-Hadj-
Otman> et Salah-ben-Ahmed, sous -lieutenants; Siquart^ et Rouget*, sergents -majors.
1 Aujourd'hui chef de bat«illoa en retraite, commissaire du gouvemement près le conseil de guerre
de Coostanlioe.
t Chef de bauilloo eo activité,
s Capitaine au titre français au l«r Tirailleurs.
4 Capitaine, employé au service du recrutement.
s Capiuine du 18* de ligne.
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APPENDICE
Tableau n« 1.
ÉTAT NOUINATIP DBS CIIBP9 DB BATAILLOtf QOI OlfT COMMANDÉ LB8 TIRAILLEURS INDIOftifIS DB CONSTAUTIIIB
DEPUIS LBUR CRÉATION JUSQU*A LA FORMATION DU 3« RÉOIMBNT DB TIRAILLEURS ALGÉRIENS
DURÉE DU COMMANDEMENT
DERNIER ORADE
*"™™
NOMS
OMBRTATIONS
du
au
DANS l'armée
Mollière.
octobre 1838
27 février 1841
général de brig.
Thomas.
6 Juin 1842
28 août 1846
général de brig.
DourbakI.
28 août i84«
16 Janvier 1858
général de div.
Cadre de réserve.
nntaille.
16 Janvier 1860
8 août 1851
général de dIv.
Décédé.
JoUvct.
8 aoiU 1851
29 Juin 1854
général de dIv.
En retraite.
Guichard.
29 Join 1854
31 dée. 1885
général de brig.
En retraite.
Arnaadcaui.
17 Janvier 1855
31 ddc. 1855
général de div.
Sénateur.
Tableau n» 2.
f.TAT NOMINATIF DR8 COIX)NRLn QUI ONT COMMANDÉ LK 3* RÉOIMENT DB TIRAILLEURS ALOÉRIRRS
ItRt'UlS SA FORMATION
DURÉE DU COMMANDEMENT
DERNIER 'GRADE
NOMS
OBSERVATIONS
du
au
DANS l'armée
I.iébort.
1"Janvierl8568
13 mars 1858
général do dlv.
En retraite.
Le Poitlevin de
Lacroix.
17 mars 1858
20 déc. 1861
général de div.
En retraite.
Gandil.
26 déc. 1864
20 août 1870
général de div.
Décédé.
narrué.
21 déo. 1870S
7 Janvier 1879
colonel.
Barbier.
I5Janvierl879
20 juillet 1879
colonel.
Verrier*.
26 Juillet 1879
11 sept. 1879
général de brig.
En activité.
Gerder.
Il sept. 1879
28 Juin 1881
général de brig.
En retraite.
Jaoob.
10 Juillet 1881
12 juillet 1882
colonel.
13oitard.
3 août 1882
21 octobre 1887
général de br'g.
gade d'inliuilerie à Saint-Malo.
Marmot.
21 octobre 1887
1 Commanda le 2« bataillon do Tirailleurs indigènes de Constantlne.
s La nomination du colonel Liébert est du 7 novembre 1856, mais il n'exerça effiBeUTeineni son com-
mandement que do jour de la formation du régiment.
s Nommé par décret du 20 août 1870, et renvoyé au rang d'aneienneté ci -dessus par Is oommissiQn
do revision des grades.
4 N*a Jamais exercé son commandement au corps.
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570
APPENDICE
Tableau n* 8.
iTAT NOMlllATir DS8 OmCIERf TUil A L'eNNIMI 00 MORTS DM flOITES DB LBUM BLBSSUEBt
M0M8
ORADSS
Borot.
eapilaioa.
Tué au combat da Iféebottoacb, la 15 mars t844 (ai-
péditioodaDiakra).
PtUlgaod.
UaotaoanL
To6 daoa la caabab da Diakra, daos la ooit do 11 ao
12 mai 1841.
Croehard.
aooallaataoaot.
û* '
Areelio.
chirorgian aida-mijor.
d*
L«doiu.
liautaoanl.
Tué daos 00 combat livré aoi OoladAxls (Kabylia),
la 12 oovambra 1845.
DiiUrd-DMporlM.
liauunant.
Tué daofl un combat livré aux Oulad-Ouartillao (Ka-
bylia), Iel7mail847.
el-AIJooiia.
Toé daos 00 combat livré aux Daoi-Mimouo (Kaby-
lia), la 21 mai 1849.
LaiMyrotte.
eapilaioa*
Tué davaot Zaatcba , la 25 oovambra 1849.
soos-Uautananl.
Tué daos uo combat livré aux Oulad-Aaker ( Kabylia),
le It mai 1851.
Costa.
Uaotaoant.
Paps.
aoualieotaoaot.
Tué daoa uo combat livré aux Kabylaa, la 22 mai 1853
(aipédiUoo daa Babors).
AbmsdbelUrbi.
Tué à la batailla d'Iokarmaoo, to 5 oovambra 1864.
Schwelmbarg.
capiuloa.
rué à ratlaqua du MamalooVort, la 7 Juin 1855.
Haouaas.
Uaotaoant.
d*
De Boyne.
liaouoanl.
Tué à la batailla da BolCérioo, la 24 Jnio 1859.
Larbi-bao-Lagdar.
liaotaoant.
d*
DaPoy.
aoos-liaolaoant.
d*
CalUioi.
Toé davaot Puabla (Maxiqua), la 18 mai 1853.
Tbiénot.
chafdabataiUoo.
Tué à FrœaebwiUar, la 5 aodt 1870.
Clommar.
obaf da baUillon.
DIaaaé morullaroaot à FrœacbwilUr. Décédé la 7 août.
Daacbampt.
oapitaioa.
Tué à Prœadiwillar.
Ds Bonrgoing.
capitaine.
d*
QUIoi.
capitaioa.
d*
Ilardottio.
liautaoont.
d*
BMiiaUi.
liaotaoaot.
d*
lieotaoaol.
d*
Pasqaalloi.
d*
MuaUpba-bao-Aniar.
sooa-liaotaoaot.
d*
WalroA
d*
soos-liautaoaot.
Haory.
capitaioa.
Tué à Sedan , la l** aaptembra 1870.
DoSQBSttS-
oapitaioa.
d*
Soumacoa.
oapitaioa.
d*
Cléry.
capiuloa.
la Loire), le 30 novembre 1870. Décédé le 9 décembre.
liaotaoaot.
Tuée l'attaque du MesUoua (Algérie), le 21 mai 1871.
Havalta.
d*
Amoa-bao-lloassaU.
liaotaoaot.
Tué à Tuggurt, le 15 mai 1871.
Godinet.
Tué à la priée du fort de Phu-Sa (Tookin). la 14 dé-
cembre 1883.
Auiaor-bsn-lfohained.
Dloaaé mortellement au combat da Dac-Viey (Tookin),
la 12 février 188D. Déoédé le 15 Mvrior.
Embarck-oa-Alia.
liaotaoaot.
Tué au combat de Hoa-Moc( Tookin), la 2 mars 1885.
Payra.
aooa-Uaotaoaot.
Bleeaé mortellemeot ao combat da Uoa-Moc (Tookio),
le 2 mars 1885. Décédé le 8 mars.
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APPENDICE
571
Tableau ii« 4.
PSnTES iPROUVitBS PAR LE 3« TID AILLEURS ET LES CORPS INDIOfcttES QUI ONT SERTI A SA PORMATIOIf
OFFICIERS
— : Il
Tués OQ morts des salies
de leurs blessures.
Blessés.
Tués.
BlosBéa.
41
il6
«51
2442
ir
i7
3093 1
1
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TABLE
AvEIITISBKMBirr TU
PREMIÈRE PARTIE
(i830-i856)
niSTOniQUB DES CORPS D*IffFA5TBniR INDIGiltlS ATAIIT TnicÈDÈ LB 3^ RfOIMBlfT DB nRAULBURS
DANS LA rnOYlMCB DB CONSTANTINB
BT ÉTANT EIVSUITB ENTRÉS DANS LA COMPOSinON DB CB DERNIER
CHAPITRE I
(i830-1842)
Origine du 8» régiment de Tirailleurs algériens. — Bataillon turc de Bôoe; son origine.
— Événements de la casbah de Bône. — Opérations auxquelles ce bataillon prend
part depuis sa formation jusipiW sa fusion avec lo bataillon turc do Conslantino. 1
GIIAPITIIE II
(1837-1842)
Bataillon turc de Gonstantinc. — Sa formation. — Son organisation première. — Opérations
militaires auxquelles il prend part depuis sa formation jusqu'au 11 août 184S. . 10
CHAPITRE III
(1842-1844)
(1842) Bataillon de Tirailleurs de Constantine. — Son organisation déflnitiye. — (1843)
Opérations contre les Zardeza. — Expédition contre les Hanencha. -— (1844) Expé-
ditions contre les Ouled - Mahhout et les Ouled-Soltan. — Combat de Méchenex dans
les Aurès; de Chùbct-Eneflad, chez les Oulcd-Soltan. — Retour à Constantine. . 18
CHAPITRE IV
(1845-1846)
Expédition dans les Aurfts. — Prise du col de Portas. — Camp de Médina; opérations
autour de ce camp. — Combat d'AIdoussa. — Prise de Djar-Alla et de Tabergua. —
Rentrée h Batna. — Opérations do la 6« compagnie à Sétif. — Opérations da général
d*Arbou ville dans la province d'Alger. — Expédition chez les Ouled -Soltan. — Tour-
mente de neige du 3 janvier 1846. — Rentrée à Sétif 82
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674 TABLE
GUÂIMTUE y
(1846-1847)
(1846) Marche sur Batna. — Départ pour Sétif. — Opérations chez les Ouled-Nall. —
Expédition du colonei Eynard chez les Âmoucha. — Combats des 7, 10 et 22 Juin. —
Retour à Sétif. — Opérations du détachement de Bône. — Derniers événements de
l'année 1846. — (1847) Expédition contre les Nemencha. — Marche sur Bougie. —
Combat du 16 mai. — Rentrée à Sétif. — Colonne expéditionnaire de Collo. — Le
commandant Bonrbaki remplace le commandant Thomas 42
CHAPITRE VI
(1848)
Opérations dans le Belezma. — Expédition de TAurès; arrestation de l'ancien bey Hadj-
Ahmed. ^ Expédition de Sidi-Blérouan. — Combat des 8 août et 2 septembre. — Sour
mission des denx frères Ben-Azedine. — Retour du bataillon à Constanlino. . . 52
CUAPITRE VU
(1849)
Expédition de Kabylie. — Combat du 21 mai. — Rentrée à Constantine. — Siège de
Zaatcha 61
CHAPITRE YIII
(1850-1851)
(1850) Le commandant Bourbaki est remplacé par le commandant Bataille. •— Sortie
contre les Maàdhid. — Expédition des Nemencha. — (1851) Expédition de la petite
Kabylie. — Combat du il mai. — Arrivée à Djiiyelli. — Reprise des opérations. —
Rentrée à Constantine. — Le commandant Jolivet remplace le commandant Ba-
taiUe 75
CHAPITRE IX
(1852-1853)
(1882) Modifications apportées dans Torganisution des bataillons do Tirailleurs indigènes.
— Expédition de la Kabylie orientale. — Combat du 31 mai. — Rentrée à Coustautbio.
— Opérations contre les Haracta et les Nemencha. — Expédition de Laghouat. —
Nouveau tarif de solde pour les bataillons d'infanteiie indigène. — (1853) Fixation
définitive de la tenue des Tirailleurs indigènes. — Expédition des Babors et de la
Kabylie orientale. — Combat du 22 mai. — Le batailion est envoyé à Dji4jelli. —
Dernières opérations de Tannée 1853 86
CHAPITRE X
Expédition de Crimée,
Formation d'un régiment de Tirailleurs algériens. — Embarquement à Alger. — Débar-
quement à Gallipoli. — Camp de Boulahir. — Départ pour Varna. — Reconnaissance
dans la Dobrutscha. — Le choléra. — Retour à Varna. — Débarquement en Crimée.
^ Bataille de l'Aima. — Marche sur Sébastopol Od
CHAPITRE XI
Sébastopol. — Ouverture du siège. — Travaux prélhninaires. — Bataille d'iuker-
mann 108
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TABLE 575
CHAPITRE XII
Reprise du siAge. — Nouyelles dtspositions. — Tempête da 14 noyembre. — Création
d*nn corps d'éclaireurs yolontaires. — Reconnaissances exécutées par lesTirailleors.—
Hiver de 185i-1855; suspension des travaux à cause du froid. — Ouragan du 19 fé-
vrier I8n5. — Oi)nil)at8 d'ombuscados. — Le colonel Rose remplace le colonel do
WirapITcn , nouiiné général. — Sortlo du 22 au 23 mars. ^ Continuation des tra-
vaux 113
CHAPITRE XIII
Le général Pélissicr prend le commandement de l'armée. — Attaque du Mamelon-Vert.
— Assaut du 18 Juin. — Bataille de Traktir 120
CHAPITRE XIV
Assaut du 8 septembre. — Prise de BfalakolT. ^ Le régiment de Tirailleurs algériens
quitte la Crimée. -— Expédition de Rinboum. — Rentrée à Alger. -~ Licenciement
du régiment. . 129
CHAPITRE XV
(1854-1855)
Opérations en Algérie iicndant les années 1854-1856. ^ ( 1854 ) Expédition dans la Qrandc-
Kabylie. — Prise du col de Sldi-AIssa. — Combats des 17, 20 et 30 juin. — Disso-
lution do la colonne. — I^ commandant Guicliard remplace le commandant Jolivet.—
Opérations contre les Nemencha. — Occupation de Tuggnrt. — (1855) Création d'un
deuxième bataillon de Tirailleurs indigènes dans la province de Gonstantine. — Li-
cenciement des bataillons de Tirailleurs indigènes et création de régiments de
Tirailleurs algériens 136
DEUXIÈME PARTIE
(1856-1871)
DEPUIS LA FORMATION DU R«QI1IEI1T JU8QU*A SA RB1IT1É8 DB CAPnVITÉ
APRÈS LA CAMPAGRI CONTRE l'ALLBXAOEB
CHAPITRE I
(1856)
Décret impérial portant création de trois régiments de Tirailleurs algériens. — Organi-
sation du 30 régiment — Tableau du personnel (officiers). — Répartition des gar-
nisons. — Modifications dans l'armement. — Affaire du 11 mai contre les Amoucha.
— Expédition des Babors. — Combats du Si mai et du 2 juin. — Dissolution de la
colonne. — Razzia sur les Nemencha. — Réception du drapeau. — Ezpédition de Test.
— Colonnes du sud 147
CHAPITRE II
(1857-1858)
Expédition de la Grande-Kabylie.
(1857) Expédition de la Grande -Kabylie. — Opérations de la colonne principale. —
Prise d'Aguemoun (30 Juin). — Dissolution du corps ezpédltionnaire. — Opérations
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576 TABLE
do U divUlon Mats8iat. — Prtso du col do Clioilata {il Juin). — GomUi du 20 Juiu.
— Aoioi do courago do doux Houfl-offlciont. — Uoulréo don iroupui, — KxixkUUou do
Tost — (1858) OpératioDS dans le sud. — Le colonel de Lacroix est appelé au com-
mandement dn régiment. ^ Colonne de Test. — Formation de deux compagnies des-
tinées au Sénégal.— Expédition contre les Ouled-AIdoun. — Colonne de l'Aurès. 161
CHAPITRE fil
(18S9)
Campagne d'Ilaiie.
Création d'un régiment pro?isoire de Tirailleurs algériens. — Formation, à Constantine,
d'un bataillon de marche pour le régiment proTlsoiro ; sa composition. — Embarque-
ment à PhilippeTllle. — Débarquement à Gènes. — Constitution dn régiment. — Pre-
mières marciies et opérations du 2* corps.— Combat de Turbigo (3 juin). — Bataille
de MagenU (4 juin) 176
CHAPITRE IV
Départ de Milan. — Continuation des opérations. — Revue du général de la Motterouge
à San-Zeno; distribution de croix et de médailles accordées au régiment à la suite de
la bataille de Magenta. — Bataille de Solférino. — Passage du Mindo à Monzambano.
— Conclusion d'un armistice. — Paix de Villafranca. — Récompenses accordées à la
suite de la bataille de Solférino. — Les Tirailleurs quittent lltalie et sont dirigés sur
le camp de Saint-Maur. — Entrée du régiment dans Paris. — Embarquement à Toulon.
— Rentrée à Constantine 189
CHAPITRE Y
(1859-1863)
(1859) Opérations en Algérie. — Colonne des Ouled-Asker. — Réorganisation du régi-
ment après le licenciement du 3* bataillon du régiment provisoire. — Colonne de
Test — Attaque des smalas de la compagnie de Souk-Arras par un parti de Tunisiens.
— (1860) Colonne du Hodna. — Expédition de la Kabylie orientale. — (1861) Compo-
sition des cadres du régiment après la formation des 7* compagnies. — Envoi d*une
compagnie an Sénégal. — Nouvelles dispositions concernant le recrutement. — Départ
do doux compagnies pour la Cochinchino. — (1802) Formation d'un bataillon de
marche destiné à l'expédition du Blexique. — Opérations contre les Khroumirs, sur
les firontières de la Tunisie. — Emplacements des bataillons à la date du 3t dé-
cembre 1868 201
CHAPITRE Yl
(1860-1861)
Expédition du Sénégal,
Composition de la compagnie envoyée au Sénégal. — Départ de PhilippevUle. — Arri-
vée à Alger et à Oran. — Débarquement à Saint -Louis. — Marche sur le Cayor. —
Causes et but de l'expédition. — Soumission do Makodou. — Arrivée à Corée. —
Expédition de la Caïamance. — Défaite des Mandingues. — Retour à Corée. — Expé-
dition dans le Saloum et le Sine. — Attaque et prise des villages de Cahon et de
Kolah. — La colonne se dirige sur Marouk et Diakbao. — Le roi de Sine demande
la paix. — Retour à Corée. — Deuxième expédition du Cayor. — Marche sur Guéoul.
— Retour à Saint-Louis. — Excursion à Podor. — Préparatifs de départ. — Ordre
du jour du gouverneur du Sénégal. — Embarquement pour l'Algérie. — Débarque-
ment à Alger. — Retour à Constantine 217
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TABLE B77
CHAPITRE VU
(1861-1864)
Expédilion de Cochinehine.
Formation d'un bataillon de marche destiné à la Cochinehine. ^ Compositloa du déta-
chement fourni par le 3« régiment de Tirailleurs. — Départ d* Alger. — Arrivée à
Alexandrie. — Rembarquement à Suez. — Arrivée à Saigon. — Causes de Texpé-
dition. — Commencement des opérations. — Prise de Vinh-long. — Attaque eit enlè-
yement de Mi-Cui. — Retour à Saigon. — Cessation des opérations. — Traité de Saigon.
— Résistance déguisée de la cour de Hué. — Dissémination du bataillon. — Colonnes
volantes. — La i* compagnie occupe le poste de Cho-Oaô. — Elle y est relevée par
la 6* compagnie Si9
CHAPITRE YIll
(1863-1864)
(1863) Dispositions prises pour arrêter Tinsurrection. — Opérations dans les environs de
Mytho. — Sortie elTectuée par le capitaine Galland contre les bandes duHen-hô. — Prise
de Ni-Bing. — Poursuite des rebelles. — Rentrée à Mytho. —Deuxième sortie du capi-
taine Galland.— Combat du 22 février. — Retour à Mytho. — Nouvelle répartition des
détachements. — Récompenses. — Blouvements dans les postes occupés par les deux
compagnies. — Pertes résultant de maladies. — (1864) Rentrée à Saigon. — Prépa-
ratifs de départ — Traversée. — Débarquement à PhiUppeville. — Rentrée à Oons-
tantinc S39
CHAPITRE IX
(1862-1867)
Expédition du Mexique,
Guerre du BIcxiquo. — Formation d'un bataillon de Tirailleurs destiné à prendre part
à rcxpéditlon. — Départ d'Alger. — Traversée. — Débarquement à Vera-Crui. — Le
bataillon est employé à l'escorte de convois. — Combat du 28 Janvier 1863. — Concen-
tration à Orizaba. — Marche sur Puebla. — Investissement de la place. — Difficultés
des premières aUaques. — Tentative de ravitaillement de la part de l'ennemi. —
Combat de San-Lorenzo. — Reddition de Puebla. — Marche sur Mexico. — Entrée des
troupes françaises dans la capitale du Mexique 249
CHAPITRE X
Le commandant Gottret est remplacé par le commandant Alunier. — Dissémination du
bataillon. — Opération sur Hua^juapan. — Le bataillon rentre à Mexico pour prendre
part à la campagne d'hiver. — Marche sur Queretaro. — Poursuite du général Uraga.
— Séjour & Znmora et à Guadalajara. — Décoration du fanion du bataillon. — Occu-
pation du port d'Acapuloo. — Combat do Pucblo-Nuovo. — Occupation de Masatlan. —
Évacuation d'Acapuloo. — Combat de San-Pedro 262
CHAPITRE XI
Le bataillon est relové à MazaUan par les troupes de la l'« division et revient à Guada-
lajara. — Le commandant Alunicr, nommé lieutenant -colonel, est remplacé par le
commandant de Leuchey. — Rentrée h Mexico. — Occupation de Zltacuaro. — Opé-
rations autour de Zltacuaro et de Tusantla. — Séjour à Toluca. — Combat de Mayo-
rasco. — Retour à Mexico. — Le bataillon est envoyé dans les Terres chaudes. —
37
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578 TABLE
Deniières opérations.— Le commandant Glemmer remplace le commandant de Leuchey,
nommé lieutenant-colonel. — Uapatriement des Tirailleurs algériens. ~ Ordre d'adieux
du maréchal Bazaine. — Rentrée à Gonstantine S75
CHAPITRE XII
Opérations en Algérie pendant les années 1864 et iSes. — Colonne du TuggurL — Co-
lonne de Test. — Insurrection de 1864. — Mesures prises pour arrêter ses progrès
dans la province de Gonstantine. — Opérations des colonnes Diiand , Gandil et Seroka.
— Le colonel de Lacroix prend le commandement des troupes réunies à Dou-Sa&da. —
Combat de Teniet-or-Ribh. — Attaque du camp de Dcrmel. — liouyemcnts combinés
des colonnes Yusuf et de Lacroix. — Fin des opérations actives. — Ravitaillement
de Lagbouat. — Colonne mobile de Dou-Saàda. — Le colonel de Lacroix est nommé
général, et le lieutenant-colonel Gandil coloneL — Colonne d'observation de Dou-Saàda.
— Mardie de la colonne Seroka sur Ouargla. — Colonne de Takitount. — Combats des
S4 novembre 1864 , 29 mars et 4 avril 1865 284
CHAPITRE XIII
(1865-1870)
(1865) Progrès de rinsurrecUon en Kabylie. — Colonne expéditionnaire des Babors. —
Passage du col de Boudernis. — La colonne se rend à Bougie. — Rentrée à Gonstan-
tine. — Pacification générale de la province. — Colonne du sud (1865-1866). — Co-
lonne de Bou-Saàda. — (1866) Le régiment est appelé à fournir un bataillon pour
tenir garnison à Paris. — Formation du 4^ bataillon. — Réorganisation des écoles régl-
mentairos. — Goiouuo d'obsorvatioa do lIou-SaAda (1866-1807). — i^^pidéuiio cliolériquo
de 1867. — Récompenses pour dévouements ii»7
CHAPITRE XIY
(1870-1871)
Guerre contre V Allemagne,
ARMftR ou nniN
Déclaration de guerre. — Départ des 1*', 2« et 3* bataillons pour l'armée du Rhin. —
Arrivée à Strasbourg. — Concentration autour de Wœrth. — Journée du 5 août. —
Bataille de Frœschwiller (6 août). — Retour sur Saveme. — Pertes subies par
le régiment 313
CHAPITRE XV
ARHiB DE CUALONS
Retraite sur Chàlons. ^ Promotions et récompenses à la suite do la bataille de Frœscb-
willer. — Organisation de l'armée de Ghllons. — Marche sur Metz. — Journées
des 30 et 31 août. — Bataille de Sedan. — Belle attitude des Tirailleurs. — Capitu-
lation. — Le drapeau du régiment est brûlé. — Départ pour TAIIemagne. — Captivité.
— Siège de Strasbourg. — Défense de Phalsbourg 330
CHAPITRE XVI
ARMftl Dl LA LOIRI
Formation à Saint-Cloud d*un régiment de marche de Tirailleurs algériens. — Départ de
Paris. — Arrivée à Bourges. — Premières opérations autour d'Orléans avec le général
de Polhcs. — Retraite en Sologne. — Commandement du général de la Motterouge. —
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TABLE 670
Réoccupation d'Orléans. — Combat de Toory. — Défaite d'Artenay. — Deuxième éva-
cuation d'Orléans. — Le général de la Motterouge est remplacé par le général d*An-
relie de Paladines. — Arrivée d'un bataillon de Tirailleurs Tenant d'Algérie. — Nou-
velle constitution du régiment de marche. — Organisation de la première armée de
la fiOiro. — Marcho sur Orléans. — aiLiille do Coulmiors. — S^onr & Ghilleurs-aux-
Dois. — Défaite de Loigny. — Retraite sur Orléans. — Troisième évacuation de la ville.
— L'armée se replie sur Dourgos ; sa nouvelle organisation. — Départ de Gonstan-
tine de quatre nouvelles compagnies, sous les ordres du capitaine adjudant- mi^or
Égrot. — Opérations auxquelles elles prennent part avec les troupes du 18* corps. —
Cîombat de Maizières. — Elles rejoignent le régiment & Goudray. — Dernières opéra-
tions de la première armée de la Loire 844
CHAPITRE XYII
AKHte DR L*RST
Reprise dos opérations dans le bassin do la Saène. — La première armée de la Loire
devient armée de l'Est. — Le 15» corps est provisoirement maintenu en Sologne. —
Réorganisation du régiment de Tirailleurs algériens. — Le iB« corps rejoint l'armée
de l'Est. — Marche sur Relfort. — Combat de Sainte -Marie (13 Janvier). — Bataille
d'Héricourt (15, 16 et 17 Janvier). — Retraite sur Besançon. — Mutations survenues
dans divers commandements. — Continuation du mouvement de retraite. — Surprise
de Sombacourt. — Nouvelle de la conclusion d'un armistice. — L'armée de l'Est n'est
pas comprise dans cette convention; elle passe en Suisse. — Souffrances éprouvées par
nos soldats pendant cette dernière partie de la campagne. — Situation du 3* Tirailleurs
à la fin de la guerre. — Sa rentrée de captivité. — Observations sur le rèle du régi-
ment pendant la guerre contre l'Allemagne 868
TROISIÈME PARTIE
(1871-1887)
i.R 8<« RAamRnT dr tirailliurs AtoAniRNS niruis la ourrrr cortrb i/allihaorr
CHAPITRE l
Le 3« régiment de Tirailleurs algériens après la guerre de 1870. — Situation de l'Algérie
au commencement de 1871. — Incident d'Ain -Guettar. — Colonne Pougel. — Attaque
d'El-Mllla. — Répression de la révolte dans le cercle de Tébessa. — Réorganisation
du régiment au moment de sa rentrée de captivité. — Événements de la Medjana. —
Colonne de secours de Bordj-bou-Arréric^. — Le général Saussier vient en prendre
le commandement. — Opérations dans la Alec^ana et au nord de Sétif. — Progrès de
l'insurrection. — Colonne Adeler. — Révolte des tribos des environs de Batna. — Réu-
nion des colonnes Adeler et Marié. — Attaque du DJebel-Mestaoua. — Nos troupes sont
répoussées. — La'colonne Marié se rend à SétIf. — Dernières opérations de la colonne
Adeler 381
CHAPITRE II
La colonne Saussier pénètre en Rabylie. — Sorties effectuées contre les Amoncba. ^
Événements dont pendant ce temps les environs de Sétif sont le théâtre. — Révolte
des Rir'a. — Combat de Guellal. — Reprise des opérations en Kabylie. — Combat
du it Juillet. — Soumission du cheik El-Hadded. — La colonne Bonvalet autour de
SétIf. — Tentative infructueuse de la colonne Saussier contre la montagne des Maàdhid.
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nSO TABLE
— Coite oolonno se rond à Dalna. — Golonuo Flogny. — UoddIUoQ dos insurgés du
^ Mestaoua. — Opôrailons dans lo Ilodna, sous la direction supérieure du général do
Lacroix. — Les dernières tribus insoumises demandent l'aman. — Dissolution de la
colonne Saussier. — Ordres d'adieux. — La colonne Plogny est enroyée dans les Au-
ras; ses dernières opérations 400
CHAPITRE Itl
L'insurrection dans la Kabylie orientale. — Défense de Dji^jelli. — La révolte gagne
le cercle de Constantine. — Attaque de Milah par les insurgés. ^ Colonne Vata. —
Colonne Aubry. — Le général de Lacroix est nommé au commandement de la pro-
vince; il prend la direction des opérations en Kabylie. — Pacification des cercles du
Collo et de DjicQelli. — La colonne se dirige sur lo Bou-Thabeb, pnis sur Bou-Saàda,
Biskra et Tuggurt '. 413
CHAPITRE lY
Massacre de la garnison de Tuggurt (13, 14 et 15 mail87l) 420
CHAPITRE V
(1871-1873)
La colonne de Lacroix se rend à Ouargla. — Organisation d'une colonne légère; ses
opérations. — Arrestation de Dou-Mesrag. — Retour à Tuggurt. — Marche vers le Souf.
— Formation d'une nouvelle colonne légère.— Rentrée de la colonne principale à Biskra.
— Excursion dans les Aurès. — Les troupes sont renvoyées dans leurs garnisons. —
Colonne mobile de Bougie. — Nouvelle organisation du régiment. — Colonne d'El-
Goléah; sa marche à travers le désert. — El-Goléah on 1873. — Soumission des
nomades d'Ouargla. — Rentrée de la colonne. — Ordre du général de Lacroix. —
Récompenses 437
CHAPITRE Yl
(1873-1881)
Années 1878 et 1874. — (1875) Modifications apportées dans Porganisation du régiment.
— (1876) Insurrection d'El-Amri. — Colonne du général Carteret-Trécourt. —Combat
du 11 avril. — Attaque du camp par les insurgés (14 avril). — Colonne Bamié. —
Reddition de l'oasis.— (1877) Colonne de surveillance du général Logerot. — (1879) Le
colonel Barrué, parti en retraite, est remplacé par le coionel Barbier. — Expédition
des Aurès. — Combat de R'bàa. — Passage de la gorge de Touba. — Licenciement des
colonnes expéditionnaires et formation d'une colonne légère. — Lo colonel Gerder
remplace le colonel Barbier, décédé. — (1880) Réception du nouveau drapeau. —
Mission Flatters 451
CHAPITRE Yll
(1881-1880)
Expédition de Tunisie, — Congo.
(1881-188S) Causes de l'expédition de Tunisie. — Première période des opérations,
d'avril à juillet 1881. — Le l«r bataillon du réghnont y prend part dans la V^ brigade
de la division Deiebecque. — Rentrée de ce bataillon à Sétif. — Le colonel Jacob suc-
cède au colonel Gerder, nommé général. — Occupation du snd de la Tunisie. — Co-
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TABLE 58t
ionne de Négrine.— Colonne de Tebessa; sa marche sur Kérouan, puis sur Gafsa. —
Opérations autour de cette dernière rille. — Ciolonne Jacob; sa rentrée en Algérie par
Tebessa. — Colonne volante de Sétif. ^ Les !'• et 4« compagnies du 3« bataillon sont
dirigées sur le Kef pour prendre part aux opérations des colonnes de la Roque et
d'Aubigny. ^ Rentrée de ces compagnies à Sétif. — Le 3« bataillon est envoyé à El-
Oned. — Opérations dont les environs do ce pQSto ont été précédemment le théâtre. —
Colonne le Noble. — Incursions en Tunisie. — La colonne vient sinstallor à Rlien-
chela. -— Mort du colonel Jacob. — Le colonel Boitard est nommé an commandement
du régiment. — Emplacements des bataillons après l'expédition de Tunisie. — Chan-
gements effectués au mois d'octobre i88S. — (1883-1886) Mission de Drazza au
Congo 468
CHAPITRE VU!
(1883-1886)
Expédilion du Tonkin,
La France au Tonkin. — Mort du commandant Rivière. — Envoi de renforts. — Le
19» corps d'armée est appelé & fournir un régiment de marche; un bataillon du 3«T1-
raillears est désigné pour en faire partie. — Composftion de ce bataillon. — Départ.
— Traversée. — Le Tonkin au moment de l'arrivée des renforts. — Marche sur Son-
tay. — Assaut de Phu-Sa (14 décembre). — Prise de Sontay (16 décembre). — Ré-
pression de la piraterie. — Opérations secondaires exécutées dans les premiers mois de
Tannée 1884. — Départ de l'amiral Courbet; ses adieux au bataillon 481
CHAPITRE IX
Envoi de nouveaux renforts. — Le 30 bataillon du régiment est appelé i en faire partie;
sa composition, son départ, son arrivée. — Les Tirailleurs algériens sont réunis en
un seul régiment. — Commandement du général Millot. — Marche sur Bac-Ninh. —
Attaque et enlèvement des hauteurs de Trong-8on (12 mars 1884). — Poursuite des
Chinois. — Rentrée des troupes h Hanoi. — Prise de Hong-Hoa. — Occupation de
Tuyen-Quan. — Premier traité de Tien-Tsin. — Nouvelle convention conclue avec
la cour de Hué (6 juin 1884). — Incident de Bac- Lé. — Colonne envoyée au secours
du colonel Dugenne. — Combat du 27 Juin. — Le général Millot rentre en France
et laisse le commandement au général firière de llsle 499
CHAPITRE X
(1884). Suite de l'incident de Bac-Lé. — Situation des deux bataillons du S« Tirailleurs
au moment do la reprise des opérations. — Sortie de la garnison de Phu-Lang-Thuong.
— TiOS Chinois so disposent \ envahir le Delta : ils s'établissent à Kcp et dans la
vallée du Locli-Nan. — Dispositions prises pour les repousser. — Opérations du 8« ba-
taillon du régiment. — Combat de Chu (19 octobre). — Retour du batailion i Phu-
Lang-Thuong; il est rappelé à Chu. — (1885) C>)mbat de Nul-Bop (3 et 4 janvier).—
Préparatifs de l'expédition de Lang-Son : constitution de la colonne. — Prise du camp
retranché de Dong-Son (3, 5 et 6 février). — - Combat de Bac-Viay (12 février). — Oc-
cupation de Lang-Son et de Ki-Lua (13 février) 517
CHAPITRE XI
(1884). La situation sur le haut fleuve Rouge au moment de l'expédition de Lang-Son.
— Tuyen-Quan est attaqué. — Cîombat de Duoc (19 novembre). — Retour des Chi-
nois. — (1885). La l'« brigade marche au secours de Tuyen-Quan. — Combat de
Hoa-Moc (2 et 3 mars). — Retraite de Lang-Son. — La l'« brigade est dirigée sur
Chu. — Préliminaires de paix, cessation des hostilités. — Second traité de Tien-Tsin.
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582 TABLE
— Opérations ooniro l68 pirates. — Reparution des garnisons pour Fôté de 18S5. —
Le général Dilèru de i'islu est i*cmplacé par le général do Gourcy. — Le dioléra. —
Prise de Îlian-Mal. — Occupation de Pbu-Àn-Binh. — Opérations autour de ce poste.
— Détachements du l«r bataillon; leurs opérations. —(1886). Marche sur Than-Quan.
— Rapatriement du !•' bataillon. — Le commandant de Mibielle se dirige sur la
haute riylère Glaire; il est arrêté par l'ordre du rapatriement de son bataillon. —
Ordre du général Jamont à roccaslon du départ des Tirailleurs algériens. — Rentrée
suocessire des deux bataillons du régiment on Algérie; Ils envoient chacun un déta-
chement k Paris à l'occasion de la revue du 14 juillet 6S6
CHAPITRE XII
Années 1886 et 1887. — Emplacements successifs des bataillons. — Le colonel Boitard,
nommé général , est remplacé par le colonel Marmet. ^ Gompodtion dn régiment le
1«» juin 1888 661
CONCLUBIOH 564
ApraHDici 669
18714. — Tours, Inpr. Maine,
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TOUnS. — IMPRIMERIE MAME
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1
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