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Full text of "Historique du 3e régiment des Tirailleurs algériens"

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HARVARD  COLLEGE  LIBRARY 

in  honor  of 

ARCHIBALD  CARY  COOLIDGB 

1866  - 1928 

Profi»or  of  History 

Lifdong  Benefàctor  and 

Rrst  Diiector  of  This  Library 


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fi  t       ^-'•^i 


HISTORIQUE 


DU  3-  RÉGIMENT 


TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


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HISTORIQUE 

DU  3«  RÉGIMENT    * 


DE         • 


TIRAILLEURS/ ALGÉRIENS 


PAn 

L.  DARIER-CHATELAIN    ' 

LIEUTENANT    AU    C0RP8 

OUVRAGE  RÉDIGÉ  D'APRÈS  LES  ORDRES  DE  M.  LE  COLONEL  BOFTARD 


C 


,.  \  ^ 


it  Je  ne  prétends  pas  que  ▼<»  soldate  soient  les  meiUeors 
de  l'armée  française ,  mais  Je  n'en  connais  pas  qui  Taillent 
mieux.  Avec  nno  tronpo  comme  la  vôtre,  on  peat  tout  entre- 
prendre ,  on  |ietit  tntit  oser,  h 

(  PktoIm  da  coImmI  CMirobcit  »«  eomaaadMit  Bovrtelri, 
««  niM  da  baUlIloB  te  Tlnlltonn  te  OoMtMttae.) 


CONSTANTINE    ^ 

GEORGES     HEIM,    ÉDITEUR 

2,    RUE    D^AUMALE,   2 
1888 


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F 


Y  -6- 


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MONSIEUR   LE  COLONEL  HÀllHET 

COMMANDANT  LB  3*  REGIMENT  DB  TtnAILLBUIIS  ALOéntBNt 

HOMMAGE   RESPECTUEUX  DE    L'AUTEUR 


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AVERTISSEMENT 


M.  le  colonel  noiUinl,  niijoiinrinii  grncral  de  brigade,  m'a  confié 
la  rédaction  de  l'Historique  du  3°  régiment  de  Tirailleurs  algériens. 
Détaché  pour  cela  pendant  trois  mois  au  ministère  de  la  guerre,  j'ai 
pu,  grâce  à  la  bienveillance  de  M.  le  lieutenant -colonel  Guérin-Pré- 
court  et  de  M.  le  commandant  Belhomme,  chargés  des  archives  histo- 
riques, m'y  procurer  tous  les  renseignements  qui  me  faisaient  défaut; 
ces  documents,  joints  à  d'autres  mis  obligeamment  à  ma  disposition 
par  M.  le  colonel  Doilard,  m'ont  permis  de  rétablir  avec  certains  dé- 
tails et  dans  toute  leur  vérité,  les  événements  militaires  auxquels  le 
corps  a  pris  directement  part. 

Il  se  peut  cependant  que,  malgré  ces  consciencieuses  recherches , 
des  faits  d'armes  importants  n'aient  pas  été  signalés;  il  se  peut  égale- 
ment que  d'autres  soient  incomplètement  traduits.  Ce  sont  là  des 
lacunes  qu'il  sera  plus  tard  facile  de  combler,  si  tous  ceux  qu'elles 
peuvent  intéresser  veulent  bien  les  faire  remarquer  et  fournir  les  indi- 
cations qu'il  ne  m'a  pas  été  possible  de  me  procurer. 

J'ai  cru  devoir  diviser  ce  travail  en  trois  parties  :  la  première  est 
riiistorique  sommaire  de  tous  les  corps  d'inranlerie  indigène  qui  ont 
précédé  le  S^  Tirailleurs  dans  la  province  de  Constanline;  la  deuxième 
va  du  jour  de  la  formation  du  régiment  à  la  campagne  de  1870-1871 
inclusivement;  enfin  la  troisième,  qui  doit  être  continuée,  s'occupe 
de  toutes  les  expéditions  qui  ont  eu  lieu  pendant  ces  dix- sept  der- 
nières années.  Cette  division  semblait,  à  mes  yeux,  se  rapporter  à 
trois  périodes  bien  distinctes  pour  les  régiments  de  Tirailleurs  algé- 
riens :  leur  origine;  leur  création  et  le  perfectionnement  de  leur 


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VIII  AVERTISSEMENT 

organisation;  leur  complète  assimilation  »  au  point  de  vue  essentielle- 
ment militaire,  aux  autres  corps  d'infanterie  de  Tarmée.  Un  appendice 
donne  la  liste  des  chers  de  bataillon  et  des  colonels  qui  ont  com- 
mandé les  Tirailleurs  indigènes  de  la  province  de  Gonstantine  depuis 
qu'ils  forment  une  troupe  régulière ,  les  noms  des  officiers  tués  à 
Tennemi  et  le  total  des  pertes  éprouvées  par  le  régiment  et  les  ba- 
taillons qui  ont  servi  à  sa  formation. 

Puissé-je  avoir  retracé  comme  il  méritait  de  l'être  le  passé  de  ce 
beau  régiment;  puissé-je  avoir  rendu  à  ceux  qui, sont  tombés  à 
l'ombre  de  son  drapeau  tout  l'hommage  qui  leur  revient;  puissé-je 
surtout  y  par  le  récit  de  ce  passé,  avoir  contribué  à  fortifier  notre 
confiance  dans  l'avenir  I 

L.  D.-C. 


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HISTORIQUE 

DU  3«  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


PREMIERE  PARTIE 

(1830-1856) 

HISTORIQUE  DES  CORPS  D'INFANTERIE  INDIOiNE 

AYANT    PRÉCÉDÉ    LE    3«    RÉGIMENT    DE    TIRAILLEURS 

DANS  LA  PROVINCE  DE  CONSTANTINE 

ET  ÉTANT  ENSUITE  ENTRÉS  DANS  LA  COMPOSITION  DE  CE  DERNIER 


CHAPITRE  I 

(1830-1842) 

Origine  du  3«  régiment  de  Tirailleurs  algériens.  —  Bataillon  turc  de  Bône;  son  origine. 
—  Érénements  de  la  casbah  de  Bône.  —  Opérations  auxquelles  ce  lyataillon  prend 
part  depuis  sa  formation  jusqu'à  sa  fusion  avec  le  bataillon  turc  de  Gonstantine. 


Le  3*  régiment  de  Tirailleurs  algériens  a  été  formé  le  1»  janvier  1856,  en 
exécution  d'un  décret  impérial  du  10  octobre  1855. 

Entraient  dans  la  composition  de  ce  nouveau  corps: 

1»  Le  ^^  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes  de  Gonstantine  «  qui  lui-même 
avait  été  formé  le  11  août  1842 ,  conformément  à  une  ordonnance  royale  du 
7  décembre  \9M ,  avec  le  bataillon  turc  do  Gonstantine  et  le  demi-bataillon 
turc  de  Bône  ; 

2«  Un  contingent  ayant  fait  partie  du  régiment  de  Tirailleurs  algériens  qui 
avait  pris  part  à  la  campagne  de  Grimée.  Ge  contingent  avait  été  tiré,  le 
9  mars  1854 ,  du  bataillon  de  Tirailleurs  de  Gonstantine. 

3®  Le  2*  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes  de  Gonstantine ,  formé  le  1*'  mars 
1855 ,  en  exécution  d*un  décret  impérial  du  9  janvier  de  la  même  année. 

1 


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2  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1831  ] 

La  premiëro  troupo  d'infanlerio  indigèuo  au  service  de  la  France  dans  la 
province  de  Constantine  fut  le  bataillon  turc  de  fiône.  Ce  bataillon ,  qui  sub- 
sista jusqu'en  1842  à  titre  de  corps  irrégulier,  fui  formé,  ou  plutôt  conservé 
à  notre  solde,  lors  de  Toccupation  définitive  de  Bône,  en  1832.  Les  hommes 
qui  lui  servirent  d'abord  de  noyau  furent  même  mêlés  d'une  façon  si  directe 
aux  événements  qui  précédèrent  et  accompagnèrent  cette  occupation,  que, 
pour  l'intelligence  des  faits,  il  importe  de  remonter  un  peu  plus  haut. 

Au  mois  d'août  1830,  Bône  avait  été  occupé  une  première  fois,  sans  coup 
férir,  par  le  général  Damrémont.  Celui-ci  s'y  maintenait  victorieusement , 
malgré  plusieurs  attatjues  venues  du  dehors,  lorsque,  appelé  à  Oran  avec  les 
quelques  troupes  qui  l'avaient  accompagné,  il  dut  abandonner  cette  ville,  la 
laissant  réduite  à  ses  seules  ressources  pour  résister  aux  tribus  voisines,  qui 
ne  lui  pardonnaient  pas  de  s'être  donnée  aux  Français.  Ses  habitants  parvinrent 
cependant  à  se  défendre,  grêce  au  concours  d'une  centaine  de  Turcs  qui, 
ayant  quitté  le  service  d'Ahmed,  bey  do  Constantine,  se  trouvaient  alors  dans 
la  place. 

Près  d'une  année  se  passa  ainsi ,  sans  que  rien  indiquât  que  cet  état  d'hos- 
tilités dût  bientôt  cesser.  Fatiguée,  la  population  de  Bône  résolut  d'appeler  les 
Français  à  son  secours.  Le  général  Berlhezène  était  alors  commandant  de  nos 
forces  militaires  dans  lé  nord  de  l'Afrique;  il  vit  là  une  excellente  occasion 
de  prendre  pied  dans  la  proYince  de  Constantine,  et  fit  aussitôt  partir  le  com- 
mandant Huder  avec  cent  vingt-cinq  zouaves,  tous  musulmans.  Ce  détache- 
ment arriva  à  Bône  le  14  septembre;  il  y  fut  très  bien  reçu  par  les  habi- 
tants, et  s'établit  partie  dans  la  ville,  partie  dans  la  casbah. 

A  Bône  se  trouvait  alors  un  ancien  bey  de  Constantine  nommé  Ibrahim , 
personnage  fourbe,  qui  cherchait  à  refaire  sa  fortune  tout  en  ayant  l'air  de 
nous  servir.  Il  sut  capter  la  confiance  du  commandant  Huder,  et  obtint  môme 
de  ce  dernier  quelque  argent  pour  de  prétendus  services  rendus.  Ibrahim  s'en 
servit  pour  soudoyer  quelques  hommes ,  avec  lesquels  il  se  présenta  ù  la  cas- 
bah, au  moment  où  l'officier  qui  la  commandait  était  absent.  Séduite  par  ses 
largesses,  une  partie  de  la  garnison  se  déclara  pour  lui;  une  lutte  s'engagea 
alors  entre  ses  partisans  et  les  nôtres,  et,  resté  maître  de  la  citadelle,  il  en 
fit  fermer  les  portes.  Aussitôt  prévenu,  le  commandant  lludcr  réunit  à  la 
hflte  quelques  soldats  pour  la  reprendre;  mais,  repoussé  par  une  vive  fusil- 
lade ,  il  dut  rentrer  dans  la  ville. 

Le  lendemain ,  quelques  Arabes  de  la  campagne  vinrent  se  joindre  à  Ibra- 
him ,  d'autres  se  réunirent  au  dehors.  La  position  devenait  critique.  Il  y  avait 
dans  la  rade  de  Bône  deux  bâtiments  de  l'État;  M.  Huder  pensa  d'abord 
à  leur  demander  quelques  hommes  de  débarquement;  mais,  comptant  tou- 
jours sur  le  concours  de  la  population ,  il  attendit.  Deux  jours  se  passèrent 
ainsi. 

;  Cependant,  le  29  septembre,  la  révolte  devenant  de  plus  en  plus  mena- 
çante |  il  se  décida  à  partir.  Dès  qu'ils  apprirent  cette  détermination,  les 
Arabes  du  dehors  se  précipitèrent  sur  les  portes,  égorgèrent  le  capitaine  Bigot, 
qui  commandait  les  zouaves ,  et  poursuivirent  jusqu'aux  embarcations  fran- 
çaises les  quelques  hommes  qui  accom^naient   encore  le  commandant 


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[1832]  EN  ALGÉRIE  3 

Iludcr.  Ce  dernier,  qui  avait  déjà  reçu  deux  blessures ,  fut  tué  au  moment  où 
il  mettait  le  pied  sur  un  canot.  Quelques  instants  après  deux  bricks,  venant 
d'Alger ,  apportaient  deux  cent  cinquante  zouayes  sous  les  ordres  du  corn* 
mandant  Duvivier.  Celui-ci  voulait  tenter  un  coup  de  main  ;  mais  les  com- 
niniidanlfl  des  hdtiinonls  s'y  étant  opposés,  l'expédition  rentra  &  Alger,  où 
elle  arriva  le  11  octobre. 

Après  cette  catastrophe ,  Ibrahim  ne  tarda  pas  à  indisposer  les  habitants 
de  Bône  par  ses  exactions;  seule  la  crainte  de  tomber  entre  les  mains  du 
bey  de  Constantine  ,  qui  avait  envoyé  contre  eux  Ben-Alssa,  son  lieutenant, 
les  empêcha  de  séparer  leur  cause  de  la  sienne. 

Ibrahim  se  défendit  d*abord  avec  quoique  succès;  puis,  craignant  pour  sa  sé- 
curité personnelle,  il  se  retira  dans  la  casbah  avec  les  Turcs  qu'il  avait  enrô- 
lés, abandonnant  la  ville  à  son  propre  sort.  Réduite  à  la  dernière  extrémité, 
la  population  résolut  encore  une  fois  d'implorer  la  protection  de  la  France. 
Une  députation  fut  envoyée  au  duc  de  Rovigo,  alors  gouverneur  général,  qui 
dépécha  aussitôt  le  capitaine  Joseph  (Yusuf)  pour  s'assurer  du  Yéritable  état 
des  choses.  Sur  le  rapport  de  ce  dernier,  il  fut  décidé  qu'on  enverrait  d'abord 
des  vivres  aux  habitants,  et  que  le  capitaine  d'artillerie  d'Armandy  irait  orga* 
niser  la  défcnso  en  attendant  Tarrivéo  do  secours  plus  directs. 

Le  29  février,  le  capitaine  d'Armandy  arrivait  h  son  tour.  La  situation 
n'avait  pas  changé;  au  contraire,  les  habitants  étaient  de  plus  en  plus  démo- 
ralisés. Dans  la  nuit  du  5  au  6  mars,  Ben-Aïssa  pénétra  dans  la  ville,  dont 
les  portes  lui  furent  ouvertes  par  ses  partisans.  M.  d'Armandy  n'eut  que  le 
temps  de  gagner  la  felouque  la  Fortune,  qui  se  trouvait  en  rade;  on  le  pres- 
sait de  partir;  mais,  sentant  qu'il  y  avait  encore  quelque  chose  à  faire  avec  les 
Turcs  qui  se  trouvaient  dans  la  citadelle,  il  se  contenta  de  s'éloigner  du  feu 
des  Conslantinois.  Il  ne  voulait  rien  entreprendre  avant  l'arrivée  de  Tusuf, 
qui  était  parti  pour  Tunis  sur  la  goélette  la  Béarnaise  pour  aller  eflectuer  un 
achat  de  chevaux.  Quelques  jours  après  Ben-Aîssa  lui  offrit  une  entrevue  ; 
M.  d'Armandy  n'hésita  pas  à  se  rendre  &  cette  invitation ,  et  il  fut  convenu 
que  les  hostilités  seraient  suspendues  jusqu'à  ce  que  le  général  en  chef  eût  ré- 
pondu à  certaines  propositions  du  bey  de  Constantine. 

On  attendait  donc,  do  part  et  d'autre,  des  nouvelles  d'Alger,  lorsque,  le 
20,  la  IkUmmist*  revint  de  Tunis  ramenant  le  capitaine  Yusuf.  Sûr  d'avoir 
dans  ce  dernier  un  intelligent  et  courageux  collaborateur,  le  capitaine  d'Ar- 
mandy se  proposa  de  mettre  à  exécution  un  projet  mûri  depuis  longtemps  et 
qu'à  force  d'audace  il  espérait  voir  réussir.  Il  s'assura,  auprès  du  comman- 
dant de  la  Béarnaise,  du  concours  de  trente  marins  de  débarquement;  puis, 
dans  la  nuit  qui  suivit,  il  se  rendit,  seul  avec  le  capitaine  Yusuf,  au  milieu 
des  Turcs  d'Ibrahim  pour  essayer  de  les  gagner  à  noire  cause.  Ses  propositions 
furent  d'abord  favorablement  écoutées;  mais  quelques  fidèles  d'Ibrahim  ayant 
suscité  un  tumulte,  les  deux  capitaines  durent  fuir  pour  sauver  leur  vie.  Une 
lutte  s'engagea  alors,  et  se  termina  à  l'avantage  de  nos  partisans.  Ibrahim 
prit  la  fuite  avec  les  siens.  Prévenu ,  le  capitaine  d'Armandy  revint  aussitôt 
avec  les  marins  mis  à  sa  disposition,  et,  quand  le  jour  parut,  on  put  voir  les 
couleurs  françaises  se  balancer  au-dessus  de  la  citadelle  de  Bône. 


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4  LE  3*  RÉOlIfBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1832] 

Il  était  temps;  impatient  do  ne  pas  recevoir  des  nouvelles  d^Âlger,  Bon- 
Aîssa  devait  attaquer  la  casbah  le  lendemain.  Désespérant  désormais  de  s*en 
emparer,  et  sans  elle  ne  pouvant  compter  rester  dans  la  place,  il  prit  le  parti 
de  se  retirer.  Seulement  qu*allait-il  laisser  aux  Français?  Des  ruines.  B6ne  fut 
livré  au  pillage,  et  ses  malheureux  habitants  durent  suivre  le  farouche  lieute- 
nant d'Ahmed-bey.  Ce  ne  fut  pas  tout;  à  peine  ce  dernier  se  fut-il  éloigné, 
que  les  Arabes  des  environs  tombèrent  sur  ce  que  l'incendie  et  les  Constan- 
tinois  avaient  pu  laisser. 

Pour  garder  leur  conquête ,  les  capitaines  d'Armandy  et  Yusuf  ne  dispo- 
saient que  des  Turcs.  Tout  dépendait  de  la  fidélité  de  ces  hommes,  qu'aucun 
autre  gage  que  la  parole  donnée  ne  liait  à  nous.  Yusuf  en  reçut  le  comman- 
dement et,  sous  la  direction  du  capitaine  d'Armandy,  s'occupa  aussitôt  de 
parer  aux  premières  difficultés.  Il  s'agissait  de  faire  cesser  le  sac  de  la  ville 
et  de  permettre  aux  habitants  qui  avaient  pu  échapper  à  Ben-Aïssa  d'y  ren- 
trer. Le  lendemain ,  une  embuscade  de  vingt  Turcs  fut  envoyée  à  l'une  des 
portes;  dès  qu'elle  fut  à  son  poste,  quelques  bombes  furent  envoyées  sur  les 
pillards,  qui  prirent  aussitôt  la  fuite  et  défilèrent  sous  son  feu.  Les  Arabes 
perdirent  beaucoup  de  monde,  et  de  ce  jour  on  ne  les  revit  plus.  Lorsque,  le 
8  avril,  arrivèrent  les  premiers  renforts  venant  d'Alger,  la  tranquillité  était 
déjà  rétablie. 

liOS  Turcs  avaient  non  seulement  tenu  leurs  engagements,  nmis  encore, 
on  plusieurs  circonstances,  fuit  prouve  d'un  réel  dévoucuient.  Les  licencier 
eût  été  plus  que  de  l'ingratitude,  de  l'injustice.  Aussi  le  capitaine  d'Armandy 
s'opposa-t-il  énergiquement  à  leur  renvoi;  bien  plus,  considérant  la  promesse 
qu'il  leur  avait  faite  comme  une  chose  sacrée,  il  alla  jusqu'à  payer  de  ses 
deniers  la  solde  due  à  ces  hommes.  Il  fit  ainsi ,  soit  au  moyen  de  ses 
propres  ressources ,  soit  en  s'engageant  envers  d'autres  ofliciers ,  une  avance 
de  quatre  mille  francs,  qui  lui  fut  enfin  remboursée  plus  tard. 

D*après  le  traité  qui  les  liait  à  nous,  ces  Turcs  devaient  être  payés  chacun 
un  boudjou  (un  franc  quatre-vingts)  par  jour.  Avec  cette  somme,  ils  avaient 
à  pourvoir  à  tous  leurs  besoins. 

Une  certaine  organisation  fut  donnée  à  cette  troupe ,  qui  rendit  bientôt  de 
précieux  services,  c  L'abondance  et  le  bien-être  dont  nous  jouissons,  écrivait 
à  la  date  du  21  avril  M.  de  Brivazac,  commissaire  général  de  police,  sont  dus 
en  partie  aux  Turcs.  Vous  savez ,  en  cflet ,  que  pour  couper  les  communica- 
tions et  entraver  le  commerce,  il  suffit  de  quel(|ucs  uiisérubles  qui  arrùtcnt 
et  dépouillent  les  habitants  paisibles.  Deux  fois  déjà  nous  nous  sommes  trou- 
vés dans  cette  position;  mais  les  Turcs  commandés  par  le  capitaine  Yusuf 
sont  allés  surprendre  les  voleurs,  et  dès  le  lendemain  tout  est  rentré  dans 
l'ordre.  > 

Le  15  mai,  le  général  Monck  d'Uzer  vint  prendre  le  commandement  des 
troupes  de  Bône.  Son  premier  soin  fut  de  s'occuper  de  la  situation  du  bataillon 
turc.  Il  écrivit  à  ce  sujet  au  maréchal  Soult,  alors  ministre  de  la  guerre;  mais 
ce  dernier,  ne  comptant  que  médiocrement  sur  la  fidélité  des  gens  qui  le  com- 
posaient, se  contenta  d'écrire  de  sa  main,  en  marge  de  la  lettre  :  cS'en  servir, 
les  bien  traiter,  augmenter  leur  nombre  et  s'en  méfier.»  C'était  une  recomman- 


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[1833]  EN  ALOÉRIE  5 

dation  prudente,  mais  que  les  nouveaux  services  rendus  par  le  bataillon  ture 
allaient  bientôt  rendre  inutile. 

Le  27  juin ,  dans  une  sortie  que  le  général  d'Uzor  effectua  contre  la  tribu 
des  Beni-Âcou,  ce  bataillon,  qui  Tul  tout  le  temps  à  Tavant-garde,  eut  cinq 
hommes  blessés.  Le  lendemain  eut  lieu  un  nouveau  combat  dans  lequel  il  se 
signala  encore  et  mérita  tous  les  éloges  du  général. 

Le  27  juillet,  Tinfanterie  du  bataillon  faillit  être  prise  par  un  incendie  dés 
hautes  herbes.  Yusuf  la  sauva  en  lui  faisant  passer  la  Seybouse  sur  les  che- 
vaux dont  il  disposait. 

A  la  date  du  24  août,  Teffectif  s^élevait  à  cent  vingt  fantassins  et  quatre- 
vingts  cavaliers. 

Le  8  septembre,  Ibrahim -bcy,  qui  depuis  l'aifaire  de  la  casbah  de  Bône 
s'était  retiré  h  Bizerto ,  étant  parvenu  à  réunir  quelques-unes  des  tribus  qui 
nous  étaient  hostiles,  se  présenta  devant  la  place  avec  une  troupe  de  douze 
à  quinze  cents  hommes.  Pris  entre  deux  colonnes  qui  sortirent  par  deux 
portes  différentes,  il  fut  complètement  battu.  Dans  cette  affaire,  les  Turcs 
eurent  deux  hommes  blessés. 

L'hiver  de  1832  à  1833  se  passa  sans  amener  d'autres  expéditions.  La  gar- 
nison de  Bône  était,  du  reste,  trop  cruellement  éprouvée  parles  maladies  pour 
tenir  la  campagne.  Une  épidémie  ayant  quelques  symptômes  de  la  fièvre 
jaune  se  déclara  en  novembre,  et  en  quelques  mois  enleva  un  quart  des 
troupes  et  de  la  population.  Seul  le  bataillon  turc  ne  fut  pas  atteint.  On  lui 
donna  à  garder  les  postes  extérieurs,  c'est-à-dire  les  plus  malsains;  il  s'en 
acquitta  avec  dévouement ,  et,  grflce  à  son  activité,  la  tranquillité  ne  fut  pas 
un  instant  troublée. 

IjO  20  avril,  une  sortie  eut  lieu  contre  les  Ouled-Attia,  qui  avaient  commis 
plusieurs  actes  de  brigandage  sur  nos  alliés  et  sur  dos  Européens.  La  colonnOi 
sous  les  ordres  du  général  d'Uzer,  se  mit  en  route  à  minuit;  le  bataillon  turc 
était  à  l'avant-garde.  Au  point  du  jour,  la  tribu  fut  surprise,  et,  après  un 
engagement  où  Yusuf,  qui  venaitd'étre  nommé  commandant,  fut  blessé,  tous  les 
troupeaux  des  dissidents  restèrent  entre  nos  mains.  Les  Arabes  eurent  trente 
et  un  tués  et  durent  nous  abandonner  quatre  cent-cinquante  boeufs  ou  vaches, 
le  môme  nombre  de  moutons  et  quelques  chevaux. 

Lorsque  les  chaleurs  arrivèrent,  le  bataillon  fut  réparti  dans  les  blockhaus 
des  environs  de  la  place.  Les  tribus  voisines  étaient  rentrées  dans  le  devoir, 
et,  grflce  à  l'administration  ferme  et  prudente  du  général  d'Uzer,  le  calme 
régnait  partout.  Mais  Tétat  sanitaire  restait  toujours  aussi  mauvais ,  sinon 
pire ,  et  la  garnison  en  souffrait  cruellement ,  à  l'exception  cependant  du  ba- 
taillon turc ,  qui  restait  dans  d'excellentes  conditions. 

Cette  situation  difficile  menaçant  de  se  prolonger  longtemps  encore,  pour 
y  remédier  le  général  pensa  à  former,  avec  ce  bataillon  et  des  Arabes  recrutés 
parmi  les  habitimls.  de  la  ville  et  les  tribus  amies  du  dehors ,  un  corps  de 
fusiliers  entièrement  composé  d'indigènes  et  destiné  à  l'occupation  des  postes 
extérieurs.  Le  2  septembre,  il  écrivit  à  ce  sujet  au  ministre  de  la  guerre,  lui 
demandant  l'autorisation  de  créer  une  première  compagnie  de  deux  cents 
hommes.  C'était  grever  le  budget  d'une  nouvelle  dépense;  sa  demande  fut 


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0  I.B  a*  BÊOIMBNT  Dl::  TIRAUXRUUS  Al.Oj^.lURNS  [1836] 

d'abord  ajournée,  puis  oubliée.  Mais  le  général  se  chargea  de  la  rappeler;  au 
mois  de  février  1834,  il  écrivait  de  nouveau  en  faisant  ressortir  les  avantages 
de  sa  proposition  :  c  Jeprendsia  liberté,  monsieurle Maréchal,  disait-il,  d'insister 
sur  cette  organisation  qui  pourrait  prendre  plus  de  développements  à  mesure 
que  nous  étendrons  plus  loin  nos  possessions.  Les  Anglais,  dans  l'Inde,  se 
sont  servis  avec  succès  des  naturels  du  pays  pour  accroître  leur  domination. 
L'essai  que  j*en  ai  fait  moi-même  a  produit  les  plus  heureux  résultats ,  et  je 
serai  à  même  d'en  obtenir  de  plus  vastes  lorsque  vous  m'aurez  permis  d'aug- 
menter mes  moyens.  C'est  avec  des  corps  d'otages,  à  pied  et  à  cheval,  que 
nous  pourrons  plus  tard  occuper  cette  belle  province.  »    - 

La  lettre  qui  précède  ne  s'inspirait-elle  pas  d'une  haute  expérience  et  d'un 
large  esprit  de  colonisation?  Sans  doute;  mais  l'idée  du  général  d'Uzer  n'était 
pas  encore  assez  mûre,  et  il  fallait  attendre  que  le  temps,  les  nécessités  du 
moment  et  une  plus  longue  pratique  de  la  guerre  d'Algérie  eussent  démontré 
l'utilité  de  cette  création.  Le  bataillon  turc  resta  donc  à  l'état  embryonnaire, 
sans  organisation  régulière,  formant  un  groupe  d'environ  deux  cents  fantas- 
sins ou  cavaliers  aux  ordres  de  Yusuf ,  qui  le  considérait  un  peu  comme  une 
chose  sienne  I  et  s'en  servait  souvent  comme  de  janissaires  spécialement  atta- 
chés à  sa  personne. 

Au  mois  de  septembre  1834,  le  maréchal  Gérard  se  trouvant  alors  au  mi- 
nistère, le  général  fit  une  dernière  tentative.  Cette  fois  son  projet  fut  admis 
en  principe;  mais  le  ministre,  s'inspirent  de  ce  qui  avait  été  fait  dans  la  pro- 
vince d'Alger,  aurait  voulu  voir  les  indigènes  incorporés  dans  les  zouaves. 
Le  général  d'Uzer  ne  fut  pas  de  cet  avis,  et,  après  quelques  lettres  échangées, 
les  choses  en  restèrent  là.  La  situation  était  d'ailleurs  redevenue  des  plus 
satisfaisantes;  la  garnison  de  Bône  suffisait,  et  au  delà,  aux  besoins  du  ser- 
vice ,  et  nulle  création  nouvelle  ne  s'imposait  plus. 

Cette  question  paraissait  définitivement  délaissée  et  le  bataillon  turc  de 
Bône  destiné  à  disparaître  un  jour  faute  d'éléments ,  lorsque  l'arrivée  du  ma- 
réchal Qausel  à  la  tête  du  gouvernement  de  nos  possessions  dans  le  nord  de 
l'Afrique  fit  tourner  tous  les  regards  du  côté  de  Constantine,  et  reporter  sur 
la  place  de  Bône  une  partie  de  l'intérêt  dont  jusque-là  Alger  et  Oran  avaient 
joui  sans  partage.  Par  le  même  concours  de  circonstances,  Yusuf  devint 
l'homme  du  jour  ;  il  fut,  en  attendant  la  déposition  eflectivo  d'Alunod ,  nommé 
bey  in  parlibus,  et  eut  pour  mission  de  réunir  sous  sou  autorité  toutes  les 
tribus  hostiles  à  ce  dernier,  pour  en  former  un  corps  d'auxiliaires  qui,  dans 
l'esprit  du  maréchal ,  devait  presque  suffire  à  l'expédition  projetée.  Le  ba- 
taillon turc  devait  lui-même  être  porté  au  chiffre  de  mille  hommes  et  rece- 
voir une  instruction  militaire  suffisante  pour  lui  permettre  de  résister  à  l'in- 
Cunterie  régulière  du  bey. 

Tous  ces  projets  furent  soumis  au  maréchal  Maison ,  ministre  de  la  guerre, 
qui,  toujours  pour  des  raisons  budgétaires,  limita  l'eflectif  du  bataillon  turc 
à  cinq  cents  hommes;  encore  la  somme  d'un  boudjou  ne  fut-elle  maintenue 
que  pour  ceux  qui  avaient  été  enrôlés  par  le  capitaine  d'Armand  y  ;  les  autres 
ne  reçurent  plus  que  0,G0  centimes  par  juur  et  les  vivres  de  campagne. 
L'expédition  de  Constantine  eut  lieu  au  mois  de  novembre.  Le  bataillon 


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[I83t]  EN  ALGÉRIE  7 

turc  fut  placé  dans  la  brigade  de  Rigny,  et  concourut  d*abord  au  service  de 
reconnaissance,  puis  à  celui  d*avant-garde.  Le  15,  la  colonne,  sous  les  ordres 
du  maréchal  Clausel,  campa  sous  Guclma;  1c  16,  sur  les  bords  de  la  Sey- 
bouse;  le  17,  au  pied  du  Ras-el-Akba,  et  le  19,  à  Ras-Oued-Zénati.  Le  20,  on 
commença  &  apercevoir  de  nombreux  groupes  d'Arabes,  qui  Tuirent  sans  ac- 
cepter le  combat.  Le  temps  était  devenu  des  plus  mauvais,  les  chemins 
étaient  défoncés.  Le  soir,  on  campa  au  tombeau  romain ,  à  Somma.  La  nuit 
fut  aflreuse,  le  froid  très  vif;  plusieurs  hommes  moururent.  Le  21,  on  tra- 
versa rOued-Akmimin;  le  même  jour  on  devait  arriver  devant  Cionstantine. 
Le  maréchal  pensait  qu'on  y  entrerait  sans  coup  férir;  mais  à  peine  les 
troupes  furent-elles  sous  le  canon  de  la  place,  que  celui-ci  se  fit  entendre. 
Il  n'y  avait  plus  de  doute,  la  ville  était  décidée  à  la  résistance;  il  allait 
falloir  l'attaquer  de  vive  force.  La  brigade  de  Rigny  fut  envoyée  au  Goudiat- 
Aty;  les  autres  troupes  s'établirent  au  Mansourah. 

Le  22,  le  maréchal  fît  canonner  la  porte  du  pont  sur  le  bord  du  ravin. 
Aucune  tentative  ne  fut  faite  du  côté  du  Coudiat-Aty.  Le  23 ,  l'artillerie  con- 
tinua à  battre  la  ville.  Ce  jour-là,  Ahmed-bey,  qui  tenait  la  campagne  pen- 
dant que  Ben-Aîssa  défendait  la  place,  vint  attaquer  les  troupes  du  général 
de  Rigny  et  tenta  de  les  déloger  du  Coudiat  ;  mais  celles-ci  se  défendirent  vi- 
goureusement, et  l'ennemi  dut  se  retirer. 

La  nuit  suivante,  une  attaque  fut  tentée  sur  la  porte  du  pont  et  échoua 
complètement.  Une  autre,  dirigée  par  le  lieutenant- colonel  Duvivier  sur  la 
porte  Bab-el-Oued,  n'eut  pas  plus  de  succès. 

Il  fallut  se  résigner  à  la  retraite.  La  brigade  de  Rigny  évacua  le  Coudiat- 
Aty,  gagna  le  Mansourah ,  et,  le  24,  le  mouvement  commença.  Heureusement 
le  temps  se  remit  au  beau  ;  c'est  ce  qui  sauva  l'armée.  Le  soir,  on  revint  au 
tombeau  romain.  Pendant  toute  la  journée,  les  Arabes  avaient  harcelé  l'ar- 
rière-garde  et  les  flancs  de  la  colonne.  Le  25,  on  coucha  à  l'Oued-Talaga; 
le  26,  au  marabout  de  Sidi-Tamtam,  sur  l'Oued-Zénati;  le  27,  à  Medjès-Amar, 
et,  le  28,  h  Guelma.  Le  l^**  décembre ,  on  était  de  retour  ft  Bdne.  Le  bataillon 
turc,  qui  était  parti  avec  cinq  cents  hommes,  revenait  avec  à  peine  trois 
cents;  les  fatigues,  les  maladies,  le  froid  et  quelques  désertions  avaient  pro- 
duit lous  CCS  vides.  On  se  plut  cependant  à  reconnaître  la  résignation  avec 
laquelle  ces  pauvres  gens,  mal  habillés,  mal  équipés  et  mal  organisés,  avaient 
subi  toutes  ces  privations. 

Pendant  la  période  d'une  année  qui  s'écoula  entre  la  première  et  la  deuxième 
expédition  de  Constantine ,  la  situation  du  bataillon  turc  ne  fut  point  modi- 
fia. Yusuf ,  qui  avait  vu  ses  espérances  politiques  complètement  déçues  par 
l'insuccès  d'une  entreprise  dont  il  avait  été  le  principal  inspirateur,  s'était 
alors  désintéressé  de  cette  troupe,  qui  ne  pouvait  plus  servir  h  son  ambition. 
Il  dut  même  bientôt  quitter  Bône,  où  sa  présence  ne  pouvait  rappeler  que  des 
mécomptes.  Il  fut  remplacé,  à  la  tête  des  troupes  indigènes ,  d'abord  par  le 
capitaine  de  Berlier,  des  spahis,  puis  par  le  lieutenant  Allégro,  ce  dernier 
avec  le  titre  d'agha  de  l'infanterie. 

Au  mois  de  mars  1837,  le  bataillon  comprenait  encore  trois  cent  quatre- 
vingts  hommes,  répartis  entre  les  postes  de  Bône,  la  Galle  et  Dréan. 


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8  LB  3*  RÉQIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1838] 

La  seconde  expédition  de  Constantine  eut  lieu  au  mois  d'octobre  de  cette 
inême  année.  Un  détachement  de  cent  dix-neuf  hommes  du  bataillon  turc  fut 
désigné  pour  y  prendre  part,  et  se  trouva  compris  dans  les  troupes  de  la  bri- 
gade Trézel. 

Cette  fois,  les  opérations,  mûrement  et  longuement  préparées,  amenèrent 
un  résultat  décisif:  Constantine  fut  pris  le  13  octobre  1837.  Le  11,  dans 
Taprès-midi,  après  que  les  batteries  de  brèche  eurent  ouvert  leur  feu,  le  gé- 
néral Damrémont,  désireux  d'arrêter  Teflusion  du  sang,  résolut  d'adresser  une 
proclamation  aux  assiégés.  Mais  comment  la  faire  parvenir?  Un  jeune  soldat 
du  bataillon  turc  s'offrit  généreusement  pour  la  porter.  A  ce  moment ,  le  feu 
de  la  place  était  très  vif;  la  mission  était  périlleuse.  Le  parlementaire  s'ap- 
procha des  remparts  en  faisant  connaître  par  des  signes  le  caractère  dont  il 
était  revêtu.  On  lui  jeta  une  corde;  il  monta  et  ne  reparut  plus.  On  le  crut 
perdu.  Le  feu,  do  part  et  d'autre,  continua  do  plus  belle.  Le  leudcmain-,  on  le 
vit  revenir  sain  et  sauf;  on  l'avait  conduit  à  l'intendant  du  palais;  celui-ci 
l'avait  gardé  une  partie  de  la  nuit  pour  lui  bien  faire  voir  les  préparatifs  de 
défense,  puis  l'avait  renvoyé.  Il  n'avait  pu  ôtre  présenté  à  Ben-AIssa;  mais 
il  rapportait  cependant  la  réponse  verbale  suivante  : 

c  II  y  a  à  Constantine  beaucoup  de  munitions  de  guerre  et  de  bouche.  Si 
les  Français  en  manquent,  nous  leur  en  enverrons.  Nous  ne  savons  ce  que  c'est 
qu'une  brèche  ni  une  capitulation.  Nous  défendrons  à  outrance  notre  ville 
et  nos  maisons.  Les  Français  ne  seront  maîtres  de  Constantine  qu'après  avoir 
égorgé  le  dernier  de  ses  défenseurs.  » 

Le  général  Damrémont  écouta  cette  réponse  avec  un  profond  intérêt,  et 
s'écria  :  c  Ce  sont  des  gens  de  cœur.  »  Puis  il  monta  à  cheval  pour  aller 
visiter  la  nouvelle  batterie  de  brèche ,  et  s'arrêta  en  face  de  la  ville.  A  ce 
moment,  un  boulet  parti  de  la  place  le  renversa  sans  vie. 

Le  détachement  du  bataillon  turc  ne  prit  pas  une  part  directe  à  l'attaque 
de  la  ville;  pendant  l'assaut  il  resta  à  la  garde  du  convoi.  Le  20 ,  il  se  remit 
en  route  pour  Bône  avec  le  général  Trézel ,  qui  ramenait  un  convoi  de  ma- 
lades. Le  26,  il  rentrait  dans  cette  ville. 

A  partir  de  ce  moment,  le  corps  auxiliaire  dont  nous  venons  de  faire  l'his- 
torique sommaire  prit  la  dénomination  de  demi -bataillon  turc  de  Bône.  Un 
autre  corps  analogue  allait  être  formé  à  Constantine,  et  la  fusion  de  ces  deux 
troupes  allait  amener,  le  11  août  1842,  la  formation  définitive  d'un  corps 
régulier,  du  bataillon  de  Tirailleurs  inéUgines  de  Corutanline. 

Pour  en  finir  avec  le  rôle  joué  par  le  bataillon  turc  de  Bône ,  il  nous  reste 
à  parler  des  dernières  opérations  auxquelles  il  prit  part.  Ces  opérations  furent 
peu  nombreuses,  d*abord  par  suite  de  la  dispersion  du  demi-bataillon  qui  fut 
.fractionné  entre  Bône,  la  Celle  et  Guclma,  ensuite  à  cause  de  la  tranquillité 
qui  ne  cessa  de  régner  aux  environs  de  ces  postes. 

Il  devenait  cependant  nécessaire  de  parcourir  le  pays,  pour  y  asseoir  notre 
autorité.  Au  mois  d'avril  1838,  une  colonne,  composée  de  quatre  escadrons 
de  spahis  et  d'environ  deux  cents  hommes  du  demi-bataillon  turc,  fut  placée 
sous  les  ordres  du  commandant  de  Hirbeck.  Cette  colonne  parcourut  tout  le 
territoire  compris  entre  la  Seybouse^et  les  frontières  de  Tunis,  rendant  la 


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[1841]  EN  ALGÉRIE  9 

justice,  réparant  les  désordres  intérieurs  et  faisant  rentrer  les  contributions. 
Le  26 ,  elle  fut  attaquée,  près  d*A!n-Ghiar,  par  des  insurgés  appartenant  aux 
Beni-Mézen,  aux  Ouled-Alî  et  aux  OuIed-Amor-ben-Ali.  Elle  mit  en  fuite  les 
contingents  rebelles  et  leur  tua  une  vingtaine  d*hommes.  A  la  fin  du  mois, 
elle  rentrait  à  Bône. 

Dans  le  courant  du  mois  de  mai  eut  lieu  une  seconde  tournée,  cette  fois 
vers  Touest  de  Bône,  dans  le  bassin  du  lac  Fezzara. 

Les  années  1839  et  1840  furent  une  ère  de  paix  pour  les  garnisons  du  nord- 
est  de  la  province  de  Constantine.  Au  mois  de  décembre  1840,  il  y  eut  cepen- 
dant  une  expédition  chez  les  Beni-Salah,  dont  le  cheik,  Ahmed-ben-Cha!b, 
avait  traîtreusement  assassiné  le  capitaine  Saget,  chargé  du  service  topogra- 
phique de  la  région. 

En  1841 ,  le  remplacement  du  caïd  de  TEdough  provoqua  le  soulèvement 
do  plusieurs  tribus  knbylcs.  Au  mois  do  juillet,  une  colonne,  &  laquelle 
le  demi-bataillon  turc  fournit  un  détachement  d'une  cinquantaine  d'hommes, 
fut  dirigée  contre  les  Beni-Mohamed.  Mais  on  ne  put  joindre  l'ennemi ,  et 
cette  colonne  dut  rentrer  à  Bône  quelques  jours  après.  Deux  autres  expédi- 
tions eurent  encore  lieu  contre  cette  tribu  en  septembre  et  en  novembre; 
puis  tout  rentra  dans  l'ordre,  et  le  demi -bataillon  turc  put  se  consacrer  à 
l'œuvre  de  réorganisation  prescrite  par  l'ordonnance  royale  du7  décembrel841. 
Ce  demi-bataillon,  qui  se  trouvait  alors  réduit  à  deux  cent  cinquante  hommes, 
forma,  le  11  août  1842,  les  7*  et  8«  compagnies  du  bataillon  de  Tirailleurs 
de  Constantine  créé  par  l'ordonnance  ci-dessus.  C'est  sous  cette  dénomination 
que  nous  le  retrouverons  désormais  dans  le  cours  des  événements  qui  vont 
avoir  la  province  de  Constantine  pour  théâtre. 


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CHAPITRE  H 

(1837-1843) 


Bataillon  turc  de  Gonstantinc.  —  Sa  formation.  —  Son  organisation  première.  —  Opérations 
militaires  auxquelles  il  prend  part  depuis  sa  formation  jusqu'au  11  août  1843. 


Dès  les  premiers  jours  de  notre  entrée  dans  Conslantioe,  des  Turcs,  des 
Koulouglis ,  des  Kabyles  et  des  habitants  de  la  ville  qui  avaient  été  au  service 
du  boy  Ahmed,  étant  venus  nous  demander  ù  contracter  un  engagement, 
soit  pour  les  spahis,  soit  pour  un  corps  d'infanterie,  le  général  Vuléo  décida 
qu'il  serait  créé  un  bataillon  indigène  au  moyen  de  ces  divers  éléments.  Le 
recrutement  commença  le  17  novembre;  le  9,  le  nombre  des  enrôlés  s'élevait 
à  quarante  pour  les  spahis  et  à  six  cent  cinquante  pour  l'infanterie.  Les  jours 
suivants,  ces  chiffres  allèrent  encore  s'augmentent. 

Le  9  décembre,  le  général  de  Négrier  vint  prendre  le  commandement  de  la 
garnison  en  remplacement  du  général  Bernelle.  Le  10,  il  fit  paraître  un  ordre 
réglementant  la  formation  du  bataillon  indigène,  et  le  12  il  présida  lui-même 
à  cette  formation.  Ce  bataillon  prit  le  nom  de  butaillon  turc  de  ConslaïUuw, 
et  fut  placé  sous  les  ordres  du  commandant  Paie,  du  bataillon  de  Tirailleurs 
d'Afrique.  On  lui  adjoignit  une  compagnie  de  canonniers  et  un  escadron  de 
spahis.  Les  cadres  furent  formés  d'officiers  pris  dans  les  divers  corps  de  la 
garnison  et  de  sous-officiers  et  de  caporaux  français  et  indigènes,  nommés  à 
titre  permanent.  La  solde  journalière  de  la  troupe  fut  ainsi  fixée  :  sergents, 
1  fr.  10;  caporaux,  75  c;  soldats,  60  c.  Il  pouvait  être  alloué  un  supplé- 
ment de  40  c.  par  jour  en  remplacement  de  vivres.  Cette  solde  devait  suflBre 
à  tous  les  besoins,  en  dehors  de  Téquipement  et  de  l'armement.  Les  hommes 
pouvaient  prendre  leurs  repas  et  même  loger  en  ville;  ils  se  rendaient  indivi- 
duellement aux  appels  et  aux  rassemblements.  Aucune  tenue  ne  fut  encore 
fixée,  mais  l'ensemble  du  costume  musulman  fut  de  rigueur. 

A  peine  formé,  le  bataillon  turc  prit  part  à  toutes  les  opérations  que  le  gé- 
néral de  Négrier  dirigea  pour  reconnaître  et  pucilier  l'intérieur  do  la  province. 

Le  25  décembre,  ce  général  organisa  une  colonne  mobile  composée  des 
compagnies  d'élite  des  26*  et  61«  de  ligne,  de  celles  des  Tirailleurs  d'Afrique, 
de  cent  cinquante  hommes  du  3«  bataillon  d'Afrique  et  de  deux  cent  cin- 


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[1838]       LK  T  nÉQlMRNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE  il 

qoante  du  bataillon  turc.  Cette  colonne  était  destinée  &  faire  dés  sorties  et 
des  reconnaissances  instantanées.  Lorsqu'elle  devait  se  mettre  en  route,  les 
ordres  étaient  donnés  la  veille  au  soir  après  la  fermeture  des  portes ,  de  sorte 
que  rien  ne  transpirait  au  dehors.  Le  commandement  en  fut  donné  au  lieute- 
nant-colonel Pâté,  qui  venait  d*6trc  nommé  à  ce  grade  et  remplacé  à  la  tôto 
du  bataillon  turc  par  le  commandant  Janel,  du  26**  de  ligne. 

La  première  opération  de  la  colonne  mobile  eut  Heu  le  19  janyier  1838,  et 
fut  dirigée  contre  la  tribu  des  Moulas,  où  Ton  croyait  que  se  trouvait  Ben-A!ssa. 
On  surprit  celte  tribu,  on  lui  enleva  quelque  bétail,  mais  on  ne  trouva  pas 
Ben-Aîssa.  Ce  dernier,  cflrayé,  ne  songea  plus  qn*à  traiter  avec  nous.  Il  se 
rendit  à  Bône,  où  il  Bt  sa  soumission  au  général  Gastellane,  qui  l'envoya  à 
Alger.  Le  10  février,  la  colonne  mobile  se  porta  sur  Milah ,  où  elle  fut  très 
bien  reçue  par  les  habitants. 

Du  17  au  19  février,  on  eflectua  une  reconnaissance  sur  le  Bou-Merzoug  jus- 
qu'aux sources  de  cette  rivière.  Le  26 ,  la  colonne  mobile  exécuta  une  rattia 
sur  la  tribu  dcsOuled-abd-el-Nour. 

Le  7  avril ,  une  reconnaissance  fut  dirigée  sur  Stora.  Au  retour,  les  Kabyles, 
descendus  des  montagnes,  cherchèrent  à  inquiéter  l'arrière- garde,  composée 
en  grande  pnrtio  avec  lo  bataillon  turc;  ils  la  harcelèrent  pendant  près  de 
quatre  heures,  lui  tuèrent  trois  hommes  et  lui  en  blessèrent  dix-huit,  mais 
sans  parvenir  à  Tentamer  et  en  faisant  eux-mêmes  des  pertes  considérables. 

Le  28  avril ,  une  colonne,  dont  le  bataillon  turc  tout  entier  fit  partie,  quitta 
Constantine  pour  aller  visiter  le  pays  des  Haracta.  Le  soir,  elle  bivouaqua  au 
confluent  de  l'Oued-Kaleb  et  du  Bou-Merzoug.  Le  29,  elle  se  rendit  à  EI-Bordj,  où 
elle  séjourna  le  30.  Le  1°'  mai ,  elle  s*arr6ta  dans  la  plaine  de  Temlouka;  le  2, 
au  delà  de  cette  plaine,  sur  un  des  affluents  de  l'Oued-Cherf ,  où  elle  séjourna 
le  3  et  le  4.  Le  5,  on  traversa  de  nouveau  le  Temlouka,  et  l'on  alla  bivouaquer 
sur  l'Oued-Méris,  chez  les  Amer.  Le  6,  on  arriva  près  de  la  mosquée  de  Sidi- 
bel-Abassi,  et,  le  8,  toute  la  colonne  rentrait  à  Constantine  sans  avoir  eu  à 
tirer  un  seul  coup  de  fusil. 

Du  15  au  30  mai  eut  lieu ,  dans  le  pays  des  llanencha,  une  poursuite  contre 
Ahmed-bey  qui  resta  sans  résultat. 

Les  Arabes  n'avaient  encore  rien  payé  comme  impôts  depuis  la  prise  de 
Constantine.  Le  général  do  Négrier  résolut  de  faire  cesser  cet  état  de  choses  et 
chargea,  vers  la  lin  do  juin,  l'aglm  llamlaoïii  d'exécuter  cotte  opération  fis- 
cale. Il  fut  donné  à  ce  dernier  une  escorte  sous  les  ordres  du  commandant 
Janet,  et  comprenant  un  escadron  de  spahis  et  le  bataillon  turc.  La  tournée 
commença  par  la.  contrée  qui  se  trouve  au  sud  de  la  roule  de  Milah  à  Djemi- 
lah,  puis  la  petite  colonne  alla  s'établir  chez  les  Ouled-Kaleb.  Tout  se  passa 
à  peu  près  bien,  et  l'on  rentra  à  Constantine  vingt  jours  après  en  être  parti. 

A  la  fin  de  juillet,  le  général  de  Négrier  fut  remplacé  par  le  général  de 
Galbois.  Un  mois  après  sa  prise  de  commandement,  le  8  septembre,  ce  der- 
nier partit  de  Constantine  avec  deux  bataillons  d'infanterie ,  trois  cents  chas- 
seurs du  3**  régiment,  deux  pièces  de  montagne,  le  bataillon  turc  et  les  spahis 
pour  faire  une  nouvelle  expédition  chez  les  Haractà.  Cette  colonne,  qui  suivit 
à  peu  près  le  même  itinéraire  que  celle  qui,  au  printemps,  avait  opéré  dans 


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12  LE  3*  RÉOniENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1839] 

la  même  région ,  ne  trouva  sur  son  parcours  que  des  tribus  soumises,  et 
rentra  à  Constantine  le  23 ,  en  même  temps  que  le  maréchal  Valée ,  Tenu 
d'Alger,  y  arrivait  de  son  côté. 

Le  gouverneur  général  venait  dans  le  double  but  d'organiser  la  province  et  de 
fonder  un  établissement  à  Stora.  Le  26  septembre,  il  fit  reconnaître  la  route  de 
Smendou  à  El-Arrouch.  Quelques  jours  après,  le  général  de  Galbois  prit  posses- 
sion de  cette  localité  et  y  établit  le  bataillon  turc,  dont  le  commandement  venait 
d'être  donné  au  capitaine  Mollièro,  des  zouaves.  La  position  fut  aussitôt  organi- 
sée défensivement.  Le  9  octobre,  enorgueillis  par  la  prise  d'un  convoi  qui  allait 
de  Constantine  à  Stora  escorté  par  des  Arabes,  les  Kabyles  vinrent  attaquer 
le  camp  occupé  par  le  bataillon.  Pendant  plusieurs  jours  et  plusieurs  nuits  ils 
le  harcelèrent  sans  relâche,  mais  sans  parvenir  à  lasser  l'énergie  des  défen- 
seurs. Ils  se  retirèrent  honteusement,  sans  avoir  remporté  le  moindre  succès. 

Dans  les  premiers  jours  de  décembre,  le  bataillon  turc  vint  occuper  le  camp 
de  Smendou,  d'où  il  fut  bientôt  dirigé  sur  Milah  pour  protéger  les  convois 
allant  à  Sétif.  Il  se  trouvait  dans  ce  poste  lorsque  le  3^  bataillon  d'infanterie  légère 
d'Afrique  fut  attaqué  à  Djemilah.  Pendant  cinq  jours,  du  18  au  22  décembre, 
cette  troupe  se  défendit  héroïquement  et  souffrit  toutes  les  angoisses  de  la  soif. 
Aussitôt  prévenu,  le  général  de  Galbois  envoya  à  son  secours  un  bataillon  du 
26*  de  ligne  et  deux  compagnies  du  bataillon  turc.  Les  Kabyles  s'enfuirent  à 
l'approche  de  ce  détachement,  qui  arriva  à  Djemilah  le  23.  Quelques  jours 
après,  les  deux  compagnies  du  bataillon  turc  rcntmicntù  Miluli,  et  lu  buluillun 
tout  entier  reprenait  la  roule  de  Constantine. 

L'hiver  de  1838  à  1839  fut  exclusivement  employé  à  l'instruction  ;  aucune 
expédition  n'eut  lieu  jusqu'au  printemps. 

Le  5  mal ,  le  bataillon  turc  entra  dans  la  composition  d'une  colonne  qui 
devait,  sous  les  ordres  du  général  de  Galbois,  se  porter  sur  Djidjelli  par  terre, 
pendant  que  le  commandant  de  Salles,  venant  d* Alger  avec  un  bataillon  de 
la  légion  étrangère,  s'y  présenterait  par  mer.  Cette  colonne  arriva  jusqu'à 
Djemilah,  où  elle  s'arrêta,  le  général  de  Galbois  ne  se  décidant  pas  à  traverser 
avec  si  peu  de  monde  un  pays  que  la  nature  du  sol  et  les  dispositions  hostiles 
des  habitants  rendaient  très  dangereux.  On  resta  quelque  temps  dans  cette 
position,  qui  fut  mise  en  état  de  défense  «  puis  la  colonne  se  porta  sur  Sétif, 
où  furent  laissés  le  bataillon  turc  et  quatre  compagnies  du  23*  de  ligne. 

Cette  garnison  travailla  activement  au  relèvement  des  ruines  de  cette  an- 
cienne station  romaine.  En  même  temps  elle  envoya  des  détachements  à 
Djemilah,  au  camp  de  Mohallad,  et  assura  les  communications  avec  Constantine. 

Cependant,  malgré  les  importants  services  qu'il  rendait  depuis  sa  forma- 
tion, le  bataillon  turc  n'avait  encore  reçu  aucune  récompense.  Les  officiers, 
dont  la  plupart  y  étaient  entrés  avec  promesse  d'avancement,  commençaient 
à  se  sentir  découragés  devant  une  situation  faite  tout  entière  d'incertitude. 

Les  choses  en  étaient  là  lorsque,  le  21  octobre,  le  duc  d'Orléans  arriva  à 
Sétif  avec  le  maréchal  Valée  et  la  colonne  qui  allait  opérer  dans  les  Bibans. 
Le  prince,  dont  le  voyage  en  Algérie  avait  surtout  pour  but  de  relever  les 
négligences  de  l'administration  du  la  guerre,  fut  touché  do  la  situation  de  ce 
bataillon.  Il  promit  do  s'occuper  séricuscnicut  de  son  organisation  définitive. 


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[1840]  EN  ALGÉRIE  13 

et,  pour  témoigner  de  sa  eollicitude  pour  ce  nouveau  corps,  il  décida  que  les 
l^  et  5*  compagnies  prendraient  part  à  Texpédition  qui  allait  avoir  lieu. 

La  colonne  quitta  Sétif  le  25  octobre,  et  alla  bivouaquer  à  Aîn-Turc,  à  vingt 
kilomètres  à  l'ouest.  Le  26,  on  s'arrêta  à  Bordj-Medjana.  Le  27,  on  s'établit 
sur  rOuod-Rouknton ,  et,  le  28,  on  s'cngngca  dans  les  Bibans.  Ce  môme  jour, 
le  général  de  Gnibois  se  sépara  du  maréchal  pour  revenir  sur  Sétif  avec  quelques 
troupes,  dont  Tirent  partie  les  deux  compagnies  du  bataillon  turc.  Il  arriva  dans 
cette  ville  le  30 ,  et  y  resta  quelques  jours  pour  y  organiser  le  service.  Quatre 
cents  hommes  du  bataillon  turc  y  furent  laissés  avec  un  peu  d'artillerie, 
quelques  spahis  pour  la  correspondance  et  deux  compagnies  du  62*  de  ligne. 
Ces  dispositions  prises,  le  général  rentra  à  Constantine,  emmenant  le  restant 
du  bataillon,  qui  fut  aussitôt  envoyé  au  camp  de  Sidi-Tamtam. 

Le  détachement  de  Sétif  passa  dans  ce  poste  tout  l'hiver  de  1839  à  1840. 
Les  travaux  d'installation  commencés  dans  cette  place  au  printemps  de  1838 
furent  activement  repris,  et  Sétif  acquit  tout  à  coup  une  importance  qu'on  ne 
lui  avait  d'abord  pas  supposée. 

Les  premiers  mois  de  1840  ne  furent  marqués  par  aucune  expédition.  La 
province  de  Constantine  fut  assez  tranquille  et  ne  se  ressentit  point  des  vio- 
lentes secousses  qui,  h  cette  époque,  agitaient  les  provinces  d'Alger  et  d'Oran. 
Cependant  une  certaine  eflervescence  régnait  chez  les  llaracta  :  Ahmed-bey 
avait  paru  chez  eux  et  avait  activement  travaillé  leurs  dispositions  hostiles. 
Le  général  de  Galbois  résolut  de  les  punir,  et  partit  de  Constantine  le  13  avril, 
à  la  tête  d'une  partie  du  61*  et  du  22*  de  ligne ,  du  bataillon  turc,  de  la  cava- 
lerie et  d'un  parc  d'artillerie.  Le  16 ,  il  se  porta  sur  Ain-Babouch ,  au  pied  du 
Djebel-Sidi-Rouis.  Les  Haracta  avaient  fui.  Le  18,  la  colonne  se  mit  à  leur 
poursuite  et  alla  coucher  à  Aîn-Be!da;  le  19,  on  bivouaqua  à  Aln-Sedjara;  le 
20,  on  atteignit  l'Oued-Meskiana,  affluent  de  la  Medjerda.  La  vallée  était  cou- 
verte de  troupeaux,  dont  la  cavalerie  s'empara  en  un  instant.  Les  Haracta  se 
défendirent  faiblement.  Le  21 ,  on  se  mit  en  retraite,  ramenant  quatre- vingt 
mille  tôtes  de  bétail.  On  vint  coucher  à  Aïn-Ouessa.  Pendant  toute  la  route, 
la  colonne  fut  harcelée  par  cinq  &  six  cents  cavaliers  arabes ,  qui  lui  tuèrent 
ou  blessèrent  quelques  hommes.  Le  24 ,  on  rentrait  à  Constantine  sans  autre 
incident. 

A  la  suite  de  cette  expédition  furent  cités  comme  s'étant  particulièrement 
distingués  : 

MM.  Ruiland ,  lieutenant  à  la  4°  compagnie. 
Salah-ben-Hadj-Amar,  sergent,  blessé. 

Taleb-ben-Craïeb ,  caporal . 

Mohamcd-ben-Bclkassem ,  soldat. 

Mohamed-el-Blidi ,  d* 

Ce  dernier  était  porté  à  l'ordre  pour  avoir  tué  deux  Kabyles  et  en  avoir 
blessé  un  troisième. 

Pendant  ce  temps,  la  garnison  de  Sétif,  dans  laquelle  le  bataillon  comptait 
quatre  cents  hommes,  étendait  notre  influence  sur  les  tribus  voisines  de  ce 


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14  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l840] 

poste.  IMusiûurs  cxpédilious  avaicnl  ou  lieu,  nolaminent  conlro  les  liabitauls 
du  Djebel-Babor,  qui  avaient  attaqué  les  Amer,  dos  alliés. 

Vers  la  fin  d'avril ,  Ben-Amar,  lieutenant  d*Abd-el-Kader,  s'étant  montré 
dans  cette  région,  d'autres  troupes  furent  envoyées  à  Sétif  pour  y  organiser 
une  brigade,  qui  fut  placée  sous  les  ordres  du  colonel  Lafontaine.  Mais  ces 
troupes,  au  lieu  de  tenir  la  campagne,  restèrent  inactives,  et  Bon-Amar  en 
profita  pour  soulever  tout  le  pays.  Le  4  mai,  un  bataillon  du  62<',  qui  se  trou- 
vait à  Aïn-Turc,  fut  attaqué  par  environ  quatre  mille  Kabyles.  Le  manque  de 
munitions  allait  rendre  sa  situation  des  plus  critiques  lorsque,  le  8,  la  garnison 
de  Sétif  se  porta  à  son  secours.  Le  poste  fut  supprimé,  et  Ton  envoya  le  batail- 
lon turc  occuper  la  pointe  de  Sidi-Ëmbareck,  près  de  Bordj-Medjana.  Grâce 
à  Tefficace  protection  de  ce  nouveau  poste,  qui  se  trouvait  au  centre  de  la 
plaine  de  la  Medjana,  notre  kbalifa  Ahmed -ben- Mohamed -eUMokraoi  put 
rentrer  dans  ses  fonctions ,  et  la  tranquillité  se  mit  à  renaître  pour  quelque 
temps  dans  la  région.  Tout  paraissant  apaisé,  le  poste  de  Sidi-Embareck  fut 
supprimé  à  la  fin  de  juin,  et  sa  garnison  rentra  à  Sétif. 

Furent  cités  à  l'ordre  de  l'armée  à  la  suite  de  ces  diverses  affaires  : 


MM.  Mollière, 

chef  de  bataillon, 

Plombin, 

lieutenant. 

Bourbaki, 

d" 

Ducliaine, 

souS'lioutcnuut. 

Kinello, 

sergent. 

Uelbourg, 

d« 

Sieber, 

do 

Tahar-Ouaraqui, 

do 

llassein- bon -Mohamed ,  soldat. 

L'effet  produit  par  les  opérations  qui  venaient  d*avoir  lieu  dura  à  peine  deux 
mois.  Au  mois  d'août,  on  apprit  tout  à  coup  qu'EI-lladj- Mustapha,  frère 
d'Abd-el-Kader,  venait  d'arriver  à  M'Sila  et  se  dirigeait  vers  Sétif  en  soulevant 
toutes  les  tribus  sur  son  passage.  En  moins  de  huit  jours  l'insurrection  devint 
générale.  Le  colonel  Levasseur,  qui  commandait  à  Sélif,  fut  presque  bloqué 
dans  son  cainp.  Le  17  août,  une  reconnaissance  de  cavalerie  tomba  dans  un 
gros  d'Arabes,  perdit  beaucoup  do  monde,  et  ne  fut  dégagée  que  par  l'inter- 
vention d'une  colonne  d'infanterie  dont  le  bataillon  turc  lit  partie. 

Le  29,  des  renforts  arrivèrent  à  Sétif.  Il  fut  décidé  qu'on  prendrait  vigou- 
reusement l'offensive.  Le  l***  septembre,  le  colonel  Levasseur  sortit  avec  toutes 
ses  forces  disponibles  et  se  dirigea  vers  Medzerga ,  sur  le  territoire  des  Ouled- 
Nabeth,  où  se  trouvait  le  camp  d*EI-lladj-Mustaplia.  On  no  tarda  pas  à  ren- 
contrer la  cavalerie  ennemie,  qui  se  mit  à  tirailler  sur  la  tète  et  sur  les  flancs  de 
la  colonne;  quelques  bataillons,  dont  celui  des  Turcs,  furent  aussitôt  déployés, 
et  l'on  continua  à  s'avancer  vers  Medzerga.  Là  on  trouva  rinfantcric  kabyle, 
qui,  abordée  vigoureusement  par  la  nôtre  et  chargée  par  la  cavalerie,  fut  en 
un  clin  d'œil  enfoncée  et  dispersée.  Dans  ce  combat,  le  bataillon  eut  un  officier 
blessé,  M.  Martin,  sousriieutenant,  et  plusieurs  hommes  tués  ou  blessés. 


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[iS^l]  E:N  ALOÉniB  15 

Cette  brillante  aflaire  ayant  ramené  à  nous  toutes  les  tribus  révoltées  «  le 
11  septembre  tout  était  rentré  dans  Tordre. 

Le  général  dcCalbois  était  arrivé  à  Sétifle  l**"  septembre.  Après  cette  courte 
expédition,  il  adressa  aux  troupes  un  ordre  dans  lequel  le  bataillon  turc  compta 
les  citations  suivantes  : 

MM.  Martin ,  sous-lieutenant,  blessé. 

Soumet,  sergent-fourrier. 

Abdallab-Deradj ,  sergent. 

Mohamed-Mufly,  d® 

Saad'ben- Ahmed ,  soldat. 

Mohamed-Djena,  ô^ 

Au  mois  d'octobre,  le  bataillon  rentra  à  Gonstantine.  Il  était  alors  question 
d'une  marche  sur  Biskra,  et  il  devait  y  prendre  part  avec  le  demi -bataillon 
^turc  de  B6ne.  Cette  expédition  n*ayant  pas  eu  lieu,  il  resta  à  Gonstantine,  où 
il  passa  Thiver. 

Le  général  de  Galbois  proGta  de  ce  repos  pour  donner  à  cette  troupe  une 
organisation  plus  complète  et  se  rapprochant  autant  que  possible  do  celle 
des  corps  réguliers.  Dans  un  ordre  du  15  octobre,  il  prescrivit  la  formation 
de  neuf  compagnies ,  dont  une  d*artillerie,  avec  ce  que  le  bataillon  comptait 
alors.  L'une  de  ces  compagnies  fut  appelée  compagnie  de  la  Medjana,  parcQ 
qu'elle  resta  en  permanence  dans  cette  contrée,  où  elle  effectua  son  recrute- 
ment. 

L'hiver  se  passa  d'une  façon  fort  tranquille.  A  la  cessation  des  plm'es ,  le 
bataillon  fut  réparti  sur  divers  points  aux  environs  de  Gonstantine,  pour 
garder  des  prairies  dont  Tadminislralion  s'était  réservée  les  foins.  Les  soldats 
ayant  saisi  du  bétail  qui,  malgré  les  défenses,  avait  été  conduit  dans  ces 
prairies,  quelques  Arabes  de  la  tribu  des  Zmoul,  à  laquelle  il  appartenait, 
vinrent  leur  tirer  des  coups  de  fusil.  Le  général  de  Négrier,  qui  venait  de 
remplacer  le  général  de  Galbois,  envoya  arrêter  les  huit  principaux  habitants 
du  douar  coupable  et  leur  fit  couper  la  tête. 

Le  commandant  Mollière  ayant  été  nommé  licutenantrcolonel  le  27  février, 
au  mois  de  mai ,  le  capitaine  d'état-major  Thomas ,  aide  de  camp  du  général 
de  Négrier,  fut  désigné  pour  commander  provisoirement  le  bataillon.  Avec  un 
détachement  de  cent  hommes,  il  prit  part  à  une  expédition  dirigée  sur 
M'Sila,  qui  était  resté  le  centre  des  opérations  d'El-lladj-Mustapha. 

La  colonne,  forte  de  dix- sept  cents  hommes,  partit  de  Gonstantine  le 
29  mai;  elle  arriva  le  G  juin  à  Sctif ,  et  1&  se  renforça  de  six  cents  hommes 
d'infanterie  et  d'un  escadron  de  chasseurs.  Elle  se  remit  en  route  le  8,  arriva 
le  9  à  Bordj- Medjana,  où  fut  laisse  un  détachement  de  deux  cents  hommes, 
et  le  11  atteignit  M'Sila  sans  avoir  eu  à  combattre,  El-Iladj-Mustapha  s'étant 
retiré  à  la  nouvelle  de  notre  approche.  Le  14,  on  se  remit  en  route  pour 
Bordj  -  Medjana  en  prenant  un  autre  chemin  que  celui  suivi  en  allant;  on 
remonta  là  vallée  de  l'Oued -Ghcna ,  et,  le  16 ,  on  arriva  à  Bordj.  Le  26,  la 
colonne  rentra  à  Gonstantine. 


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16  LE  3*  RÉOIlfBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1842] 

Au  commencement  de  juillet ,  le  bataillon  se  trouvait  tout  entier  réuni  dans 
cette  ville.  H  alla  prendre  position  au  centre  de  la  tribu  des  Ouled-abd-el- 
Nour,  où  il  séjourna  jusqu'au  mois  de  septembre  pour  y  assurer  la  levée  des 
contributions.  Il  fit  entrer  dans  la  caisse  du  trésor  soixante -quinze  mille 
francs  de  contributions  pécuniaires  et  la  valeur  d'environ  deux  mille  sept 
cents  sacs  d'orge  et  d'autant  de  sacs  de  blé.  Après  cette  opération,  il  rentra 
à  Constantine,  s'y  réorganisa,  et  partit  pour  lo  cainp  d'EI-Arroucli  pour  prendre 
part  aux  opérations  contre  les  Beni-Toufout  et  les  Oulcd-cl-lladj ,  qui  avaient 
attaqué  un  convoi  entre  Philippeville  et  ce  camp.  Dans  la  nuit  du  12  au  13  sep* 
tembre  il  rejoignit ,  sur  le  territoire  des  Béni  -Toufout ,  le  général  de  Né- 
grier venant  de  Philippeville.  La  contrée  (ut  ravagée ,  le  principal  village  des 
Ouled-el-Hadj  incendié,  et  la  plus  grande  partie  du  bétail  de  cette  tribu  resta 
entre  nos  mains.  La  nuit  suivante,  on  se  replia  sur  El-Arrouch. 

Le  29,  le  bataillon  turc,  trois  cents  hommes  du  22*  de  ligne  et  cent  cin- 
quante chevaux  se  portèrent,  au  moyen  d'une  pénible  marche  de  nuit, 
contre  la  tribu  des  Zardeza.  Le  détachement  pénétra  dans  des  gorges  impra- 
ticables ,  et  I  après  un  vif  engagement  qui  coûta  douze  blessés  au  bataillon 
turc,  s'empara  du  bétail  de  cette  tribu. 

Le  mois  d'octobre  fiit  marqué  par  une  expédition  chez  les  Zmoul ,  qui  n'a- 
vaient pas  voulu  payer  l'impôt.  Le  10 ,  la  colonne  ayant  été  divisée  en  deux 
groupes  pour  opérer  contre  les  Ségnia ,  le  bataillon  constitua  également  deux 
fractions  qui  servirent  d'avant-garde  à  chacun  de  ces  groupes.  L'opération  fut 
couronnée  d'un  plein  succès,  et  l'avant -garde  eut  les  honneurs  de  la  journée 
en  allant  traquer  l'ennemi  dans  des  gorges  considérées  jusque-là  comme  inac- 
cessibles. On  fit  sur  ce  dernier  un  butin  considérable  en  bétail,  et  on  lui  tua 
quelques  hommes.  De  son  côté,  le  bataillon  turc  eut  encore  douze  hommes 
blessés. 

Le  12  octobre ,  le  général  de  Négrier  rentra  à  Constantine ,  laissant  la  garde 
du  pays  au  bataillon  turc.  Ce  bataillon  assura  la  levée  des  contributions  qui 
n'avaient  pas  encore  été  payées,  puis,  au  mois  de  novembre,  rentra  à  sou 
tour  à  Constantine  pour  y  prendre  ses  quartiers  d'hiver. 

Les  derniers  combats  auxquels  il  avait  assisté  avaient  démontré  l'impor- 
tance que  cette  troupe  était  capable  d'acquérir  avec  une  bonne  instruction  mi- 
litaire. Les  soldats  indigènes,  trop  habitués  à  se  battre  pour  leur  propre 
compte,  avaient  souvent  causé  des  embarras  aux  troupes  françaises,  soit  par 
leur  imprudente  audace ,  soit  par  leur  ténacité  irréfléchie.  11  fallait  les  habi- 
tuer à  se  rallier  promptement  pour  se  porter  en  avant  ou  en  arrière ,  et  les 
rendre  disciplinés  à  la  voix  de  leurs  chefs.  Ce  fut  vers  ce  desideratum  que 
tendirent  tous  les  efforts  de  ces  derniers  pendant  le  repos  des  mois  d'hiver. 
Les  progrès  furent  si  marqués,  que,  dans  la  campagne  suivante,  le  bataillon 
turc  allait  étonner  tout  le  monde  par  la  précision  de  ses  manœuvres  et  l'en- 
semble de  ses  mouvements. 

Vers  les  premiers  jours  de  mai  1842,  une  colonne  commandée  par  le 
général  de  Négrier,  et  dans  la  composition  de  laquelle  entraient  trois  cent 
cinquante  hommes  du  bataillon,  alla  s'établir  chez  les  Haracta  et  amena  la 
complète  soumission  de  cette  tribu.  Le  27  mai,  cette  colonne  se  mit  en  route 


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[1842]  EN  ALGÉRIE  17 

pour  Tébessa ,  où  nos  troupes  n*avaîent  point  encore  paru.  Le  soir,  on  bivoua- 
qua à  Aîou-el-Rebaa ,  sur  TOued-Tourouch,  où  l'on  fit  séjour  les  28  et  29. 
Le  30,  après  avoir  traversé  TOued-Tourouch  et  franchi  le  Djebel-Amana ,  on 
descendit  dans  le  bassin  de  TOued-Meskiana,  et  Ton  campa  sur  les  bords  de 
cette  rivière.  Le  31,  l'étape  fut  de  quarante- huit  kilomètres;  la  colonne  arriva 
h  Tcljcssa  &  six  heures  du  soir,  et  fut  reçue  par  les  habitants  avec  les  dispo- 
sitions les  plus  pacifiques. 

Le  3  juin,  elle  quitta  Tébessa  pour  rentrer  à  Constantine;  mais,  au  lieu 
de  suivre  la  môme  route,  elle  longea  l'Oued-Chabro.  Au  moment  de  passer 
cette  rivière,  l'arrière -garde,  formée  du  bataillon  turc  et  d'un  détachement 
du  3®  chasseurs  d'Afn(|uc,  fut  attaquée  par  environ  trois  cents  fantassins  et 
cinq  cents  cavaliers  arabes.  L'infanterie  contint  l'ennemi  pendant  que  la  ca- 
valerie exécuta  une  charge  qui  le  dispersa  en  un  instant.  11  laissa  environ 
quatre-vingts  morts  sur  le  terrain,  dont  une  douzaine  tués  à  la  baïon- 
nette. 

Dans  ce  court  combat,  toutes  les  troupes  avaient  remarqué  avec  quel  aplomb 
et  quelle  rapidité  le  bataillon  turc  s'était  porté  en  avant  et  s'était  rallié.  C'é- 
tait  le  fruit  de  Tinstruction  rigoureuse  qu*il  avait  reçue  pendant  l'hiver. 

Le  7,  douze  cents  cavaliers  dos  llancncha  vinrent  encore  attaquer  cette 
arrière-garde.  La  môme  manœuvre  que  le  3  se  renouvela,  et  l'ennemi  fut 
encore  repoussé.  Le  8,  la  colonne  vint  s'établir  sur  l'Oued-Méris  et  y  attendit 
un  convoi  venant  de  Constantine.  IjO  15,  elle  se  porta  dans  les  montagnes 
des  Ouled-Djeberra,  dont  les  habitants  avaient  pris  part,  le  mois  précédent, 
à  une  attaque  dirigée  contre  le  camp  d*El-Arrouch.  Le  bataillon  turc  s'em- 
para des  troupeaux  de  cette  tribu ,  ainsi  que  de  ceux  des  Guerfa  et  des  Sdrasa, 
et  après  ce  châtiment  la  colonne  rentra  à  Constantine. 

Dans  le  courant  de  juillet,  une  compagnie  du  bataillon  fut  dirigée  sur  El- 
Arrouch  pour  prendre  part  aux  opérations  du  général  Levasseur  contre  les 
Zardeza.  Ce  fut  la  dernière  expédition  de  cette  campagne  et  la  dernière  éga- 
lement à  laquelle  le  bataillon  turc  devait  prendre  part  comme  corps  irrégu- 
lier. Ce  bataillon  allait  recevoir  une  organisation  définitive  et  prendre  rang, 
sous  le  nom  de  Tirailleurs  indigènes  de  Conslantinc,  dans  les  corps  de  l'armée 
française.  C'était  assurément  un  grand  honneur,  mais  il  était  pleinement  jus- 
tifié par  les  services  rendus  par  cette  trodpe  qui,  du  jour  de  sa  formation, 
avait  vaillamment  combattu  pour  la  France,  se  signalant  partout,  môme  à 
côté  des  troupes  les  plus  braves. 


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CHAPITRE  111 

(1842-1844) 


(1842)  Bataillon  de  Tirailleurs  de  GoDstantiae.  —  Son  organisation  définitive.  —  (1843) 
Opérations  contre  les  Zardeza.  —  Expédition  contre  les  llaucncha.  —  (1844)  Expé- 
ditions contre  les  Ouled-Mahbout  et  les  Oiilcd-Soltan.  —  Combat  de  Méclieucz  dans 
les  Aurès;  de  Chdbet-Eneflaà,  chez  les  Ouled-Soltan.  —  Retour  à  Constantine. 


A  la  fin  de  Tannée  1841 ,  Tarméc  d'Arriquo  no  comprenait  pas  moins  de 
deux  mille  cinq  cents  fantassins  indigènes  servant  comme  zouaves  ou  comme 
irréguliers.  Ikmucoup  de  ces  corps  avaient  été,  comme  le  Imlaillon  turc  de 
Constantine,  créés  sous  Tempire  des  circonstances  pur  des  arrêtés  des  auto- 
rités locales.  Cette  force,  déjà  imposante,  tendant  incessamment  à  s'accroître, 
le  maréchal  Soull,  alors  ministre  de  la  guerre,  résolut  de  lui  donner  une 
organisation  forte  et  régulière  et  d'en  assurer  la  bonne  administration.  Il 
exposa  la  situation  dans  un  rapport  très  précis ,  et  une  ordonnance  royale 
du  7  décembre  1841  vint  r^lementer  la  constitution  de  cette  infanterie.  Nous 
donnons  ci-dessous  ce  document  officiel,  qui  a  ensuite  reçu  de  nombreuses 
modifications  dans  ses  détails,  mais  dont  les  dispositions  principales  ont  tou- 
jours été  maintenues. 


ORDONNANCE  DU  ROI 

POUTANT  OHGANISATION  1)K  L^INFANTMIIIK  INIHCÈNK  EN  ALGIÎHIIi 

CHAPITRE  I 
OrganisaUon  tt  avanoement. 

Art.  i^.  Il  sera  formé,  en  Algérie,  dos  bataillons  d*infaulerie  indigène  qui 
prendront  la  dénomination  de  balaillotui  do  Tirailleurs  imliy&nes. 

Chaque  bataillon  portera  en  outre  le  nom  de  la  province  ou  subdivision  mi- 
lituiro  dans  laquelle  il  aura  été  organisé. 


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[1842]        LE  3°  RÉGfMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE  19 

La  composition  d*un  bataillon  sera  conforme  au  tableau  A  annexé  à  la  pré- 
sente ordonnance. 

Art.  2.  Le  nombre  des  bataillons  indigènes  sera,  quanta  présent,  fixé  à  trois, 
savoir  : 

Un  |Kiur  les  provinces  d'Alger  et  do  Tillcri; 

Un  pour  colle  do  Conslnnlinc,  comprenant  la  subdivision  do  Bùno; 

Un  pour  ccllo  d*Oran ,  coniprcnant  les  couiuiandemcnts  do  Blostagancm  et 
de  Mascara. 

Art.  3.  Les  emplois  de  Télat-inajor  et  ceux  du  petit  état-major  seront  exclu- 
sivement dévolus  aux  militaires  Trançais.  11  en  sera  de  même  des  emplois  de 
capitaine,  de  sergent-major  et  de  fourrier. 

Xa  moitié  des  emplois  do  lieutenant  et  de  sous -lieutenant  sera  affectée  aux 
Français;  Tautre  moitié  demeurera  réservée  aux  indigènes. 

Le  commandement,  même  par  intérim,  d'une  compagnie  ne  pourra  Jamais 
être  exerce  que  par  un  officier  français. 

Dans  les  compagnies,  les  sergents,  les  caporaux,  les  tambours  ou  clairons 
seront  tous  indigènes. 

Ixs  cbcfs  de  bataillon,  adjudants -majors,  capitaines  et  cbirurgiens  aides- 
majors  seront  montes. 

Art.  i.  Nul  oHicier  ne  sera  admis  dans  les  bataillons,  après  la  première 
formation ,  s'il  ne  posscde  la  connaissance  praticiuo  do  la  languo  arabe. 

Aht.  5.  L'avancement  aux  grades  de  lieutenant  et  de  capitaine,  tant  au  choix 
qu';\  rancicnnetc,  aura  lieu  par  bataillon  pour  les  officiers  français. 

Les  chefs  do  bataillon  et  les  capitaines  concourront  pour  Favancement  sur 
toute  Tarmc  de  rinfanlerio  avec  les  officiers  de  leur  grade  en  activité. 

Art.  6.  Les  permutations  pourront  s'effectuer  entre  les  officiers  français  des 
bataillons  et  les  officiers  du  même  grade  appartenant  au  corps  de  rinranterie, 
mais  les  demandes  ne  seront  accueillies  qu'autant  que  les  officiers  qui  vou- 
dront outrer  dans  les  Tirailleurs  indigènes  posséderont  la  pratique  do  la  languo 
arabe. 

Art.  7.  Les  deux  tiers  des  emplois  de  sous -lieutenant  pourront  être  donnés 
aux  sous-officiers  des  bataillons.  Le  dernier  tiers  sera  réservé  aux  sous-officiers 
des  corps  d'infanterie  portes  au  tableau  d'avancement,  proposés,  sur  leur  de- 
mande, à  rinspection  générale  et  réunissant  toutes  les  conditions  d'aptitude 
exigées,  spécialement  celle  piescrite  par  l'article  4. 

Art.  8.  Les  emplois  d'adjudant-sous- officier  seront  donnés  aux  sergents- 
majors  dans  chaque  bataillon.  Ceux  do  sergent- major  appartiendront  aux 
sergents- fourriers. 

Les  emplois  de  sergent- fourrier  pourront  être  donnés  :  un  quart  aux  capo- 
raux secrétaires  ;  trois  quarts  aux  fourriers  et  aux  caporaux  d'infanterie  portés 
au  tableau  d'avancement  à  qui  il  restera  encore  trois  ans,  au  moins,  de  ser- 
vice à  faire  pour  atteindre  leur  libération.  Ces  militaires  devront  en  outre  avoir 
été  proposés,  sur  leur  demande,  h  l'inspection  générale,  après  que  leur  aptitude 
au  service  du  bataillon  aura  clé  reconnue. 

Les  caimraux  secrétaires  seront  choisis  dans  les  corps  d'infanterie,  soit  parmi 
les  caporaux,  soit  parmi  les  soldats  qui,  «njrant  accompli  six  mois  do  service, 
seront  portés  au  tableau  d'avancement  et  rempliront  en  outre  les  conditions 
indiquées  au  paragraphe  précédent.  Toutefois  les  soldats  français  compris  dans 
le  petit  état- major  pourront  concourir  pour  l'emploi  de  caporal  secrétaire. 

L'avancement  des  Français  aux  divers  emplois  du  grade  de  sous-officier  et  de 


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20  LE  3*  RÊQIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l842] 

caporal  s'offoctuora  couforuiôiuout  aux  dispositions  ou  viguuui*  daus  les  corps 
français.  Il  en  sera  de  même  lorsqu'il  y  aura  lieu  de  prononcer  la  cassation. 
Les  militaires  qui  auront  encouru  la  cassation  seront  renvoyés  comme  soldats 
dans  les  corps  auxquels  ils  appartenaient  précédemment. 

Art.  9.  Les  emplois  de  lieutenant  et  sous-lieutenant  indigènes  seront  conférés 
uniquement  au  choix,  et  sans  que  les  nominations  soient  assujetties  aux  règles 
do  Tayancement  dans  Tarmée  française. 

Ces  officiers  seront  nommés  par  le  roi;  mais  ils  n'auront  pas  droit  à  Tappli- 
cation  des  dispositions  de  la  loi  sur  l'état  des  officiers. 

Les  sous-officiers  et  caporaux  indigènes  seront  nommés  et  cassés,  quand  il  y 
aura  cause  suffisante,  par  le  commandant  du  bataillon,  en  observant  d'ailleurs 
les  formalités  prescrites  par  les  règlements  pour  les  corps  français. 

Art.  10.  Les  Français  pourront  contracter  des  engagements  volontaires  pour 
les  bataillons  de  Tirailleurs  indigènes;  toutefois  ils  ne  seront  admis  à  servir 
qu'en  qualité  d'ouvriers  armuriers,  de  muletiers  ou  d'infirmiors. 

Los  sous-officiers,  caporaux  et  soldats  franç4iis  |)Ourrunt  se  rengager.  Lo  ren- 
gagement aura  lieu  d'après  le  mode  suivi  daus  les  corps  do  l'armée. 

Les  indigènes  seront  reçus  sans  engagement  dans  les  Tirailleurs.  Ils  seront 
renvoyés,  soit  d'après  leur  demande,  soit  pour  cause  d'inaptitude  au  service 
ou  d'inconduite. 

L'admission  on  le  renvoi  des  indigènes  aura  lieu  sur  la  proposition  du  chef 
de  corps,  et  avec  l'approbation  du  commandant  militaire  supérieur. 


CUAPITUE  II 
Soldt  tt  acoMSolrts.  —  àdmlniitratlon. 

Art,  11.  Les  officiers  des  bataillons  de  Tirailleurs  indigènes  recevront  la 
solde,  les  indemnités  et  allocations  diverses  déterminées  par  le  tarif  B  ci- 
annexé. 

La  solde  do  la  trou|)0  et  la  primo  pour  rcutruticn  de  l'iiabillonicnt  scrtuit  dé- 
comptés par  jour,  conformément  au  même  tableau,  qui  détermine  également  les 
premières  mises,  le  complet  de  la  masse  individuelle  et  les  prestations  en 
nature. 

Art.  12.  Chacun  des  bataillons  de  Tirailleurs  indigènes  sera  administré  par 
un  conseil  d'administration  composé  de  la  manière  suivante  : 

Le  chef  de  bataillon ,  Président. 

Le  capitaine  adjudant-major,  \ 

Deux  capitaines,  |  Membres 

L'officier  faisant  fonctions  de  trésorier  l 

et  d'officier  d'habillement,  ) 

L'officier  faisant  fonctions  de  trésorier  et  d'officier  d'habillement  remplira  les 
fonctions  de  rapporteur. 

Les  règles  d'administration  et  de  comptabilité  seront  les  mômes  que  dans 
les  autres  corps  d'infanterie  de  l'armée. 

La  responsabilité  du  conseil  sera  la  même  que  celle  qui  lui  est  imposée  dans 
les  corps  français. 


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[1842]  EN  ALGÉRIE  21 

La  surveillance  administrative  appartiendra  aux  fonctionnaires  de  Tintendance 
militaire,  qui  exerceront  à  Tégard  du  bataillon  les  attributions  qui  leur  sont 
dévolues  près  des  corps  français. 

Art.  13.  La  masse  générale  d'entretien  sera  formée  des  allocations  partielles 
déterminées  pour  r.lmqne  nnin(mgnic. 

L  excellent  do  l.i  masse  inilividuollo  donnera  liou  i\  un  décompte  qui  sera  fait 
dans  la  forme  prescrite  pour  les  corps  français. 

Art.  14.  L'officier  faisant  fonctions  de  trésorier  et  d'ofûcier  d^hablUement 
devra,  au  moyen  de  ses  frais  de  bureau,  faire  face  aux  dépenses  d'écritures 
générales  du  bataillon,  et  tenir,  sous  la  surveillance  du  conseil,  les  registres 
dont  la  nomenclature  forme  le  tableau  G  ci-annexé. 

Chaque  ofGcier,  sous -officier,  caporal  ou  soldat  sera  porteur  d'un  livret  sur 
lequel  seront  inscrites  les  sommes  qui  lui  auront  été  payées,  ainsi  que  les 
effets  qui  lui  auront  été  délivrés. 

Le  payement  de  la  solde  aura  lieu  le  15  et  le  30  de  chaque  mois,  en  présence 
du  capitaine  commandant  la  compagnie. 


CHAPITRE  III 
Armement  et  haMUemenU 

Art.  15.  Le  tableau  D,  annexé  à  la  présente  ordonnance,  détermine  : 

1<>  L'armement  des  officiers  et  de  la  troupe; 

^  L'uniforme  des  officiers,  des  sous-officiers  et  caporaux  français;  les  insignes 
des  grades  seront  les  mêmes  que  dans  l'infanterie  de  ligne. 

3"  Quant  \  riiabillemcnt  des  indigènes,  les  détails  en  seront  réglés,  ainsi  que 
ceux  de  l'équipement,  par  notre  ministre  de  la  guerre. 


CHAPITRE  IV 
Dispositions  transitoires. 

Art.  16.  Seront  admis  à  concourir  dans  les  nouveaux  bataillons  de  tirailleurs, 
les  officiers,  sous -officiers,  caporaux  et  soldats  de  tous  les  corps  d'infanterie 
indigène  créés  jusqu'à  ce  jour  en  Algérie  et  actuellement  existants,  sous 
quelque  titre  que  ce  puisse  être,  à  l'exception  des  milices  musulmanes  dites 
gardes  urbaines,  assujetties  à  un  service  sédentaire  dans  les  places,  et  dont 
notre  ministre  do  la  guerre  autoriserait  la  conservation  ou  l'organisation. 

Art.  17.  Pour  la  première  formation  il  pourra  être  admis,  dans  les  cadres  de 
chaque  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes,  des  officiers  des  corps  d'infanterie 
et  des  officiers  d'autres  armes.  Le  rang  d'ancienneté  de  ces  derniers  sera  fixé 
conformément  à  l'article  56  de  l'ordonnance  du  16  mars  1838. 

Art.  18.  Les  officiers  des  régiments  d'infanterie  qui  passeront  dans  les  ba- 
taillons de  Tirailleurs  indigènes  seront  remplacés  dans  leurs  corps ,  conformé- 
ment à  l'article  12,  §  3,  de  notre  ordonnance  du  8  septembre  dernier. 


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22  I.l£  T  UËGIMKNT  DR  TIHAII.I.lUinS  AI.0^:u1I:NS  (18421 

CHAPITRE  V 
DifpotlUons  généralet. 

Art.  19.  Les  dépenses  do  toute  nature  dos  bataillons  de  Tirailleurs  indigènes 
seront  acquittées  sur  les  crédits  ouverts,  pour  services  militaires  irréguliers, 
au  budget  du  ministère  de  la  guerre  (II»  section.  —  Algérie). 

Art.  20.  Toutes  dis|)osilions  anlérieurcs  sur  Torganisation  de  rinfunterie  in- 
digène en  Algérie  sont  abrogées. 

Art.  21.  Notre  ministre  secrétaire  d'État  au  département  de  la  guerre  est . 
cliargé  de  l'exécution  de  la  présente  ordunnancc. 

Signé  :  LOUIS-PHILIPPE. 

Par  lo  roi  : 

Lu  Président  du  Conseil,  ministre  scci'ctaire  d'iitat 
de  la  guerre. 

Signé  :  Marécbal  duc  db  Dalmatib. 


Cette  ordonnance  était  suivie  de  la  description  de  Tunifornie  adopté  pour  les 
bataillons  de  Tirailleurs.  L'Iiubilleuicnl  se  composait  pour  les  oriiciei-s,  sous- 
ofliciers  et  caporaux  français  : 

i^  D'une  capote  vert-dragon  boutonnant  droit  sur  la  poitrine,  avec  marques 
distinctives  jonquilles  ; 

2^  D*un  pantalon  garance  garni  d'une  bande  verte  ; 

3<>  D'une  ceinture  rouge,  en  soie  pour  les  officiers,  en  laine  pour  les  sous- 
officiers  et  caporaux  ; 

4*  D'un  képi  vert-dragon. 

L'habillement  des  onTiciers,  sous-onTicicrs  et  soldats  indigènes  devait  se  com- 
poser d'un  turban,  d'une  veste,  d'un  gilet,  d'une  culotte  et  d'une  ceinture; 
mais  la  fixation  de  la  forme  et  de  la  couleur  de  ces  elFcts  était  ajournée.  Ce 
n'est  que  le  12  avril  1843  que  cette  question  de  la  tenue  fut  délinilivcmenl 
réglée. 

Les  dt'^tails  de  confection  étaient  ainsi  fixés  pour  les  indigènes  : 

Ybste  ....  Officiers.  .  De  forme  arabe,  drap  vert- dragon,  avec  ornements 

en  or  pour  la  grande  tenue,  et  tresses  de  soie  noire 
pour  la  petite  tenue. 

Troupe  .  .  De  même  forme  et  de  même  couleur,  sans  ornements. 
Gilit  ....  Officiers,  .  De  forme  arabe  en  drap  garance,  avec  tresses  d'or- 
nement en  or  pour  la  grande  tenue,  en  soie  verte 
pour  la  petite  tenue. 

Troupe  .  .  Drap  garance,  avec  tresses  et  passe-poils  en  galons 
de  laine  verte  autour  du  cou  et  sur  le  devant,  et 
se  fermant  sur  Tépaule  et  sur  le  côté  gauche  à  i'aidt'. 
de  six  boutons  d'os; 


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[1842] 

Pantalor  . 

.  Officiera. 

Troupe  . 

Caban  .  .  . 

.  Officiers, 

Troupe  , 

Cbinture.  . 

.  Officiers. 

Troupe  , 

Calotte.  . 

,  Officiers. 

Troupe  , 

Turban  .  . 

.  Officiers. 

Chaussure. 

Troupe  . 
.  Officiers, 

EN  ALGÉRIE 


23 


Troupe 


Mezourd. 


De  formo  arabe ,  en  drap  garance  ayec  bandes  yortes 

et  trèfles  avec  cordonnet  de  même  couleur  de  chaque 

cAlc,  et  aven  tresses  en  or  pour  la  grande  tenue. 
En  drap  garance,  avec  iiasse-poils  verts  et  trèfles  en 

cordonnet  do  môme  couleur  de  chaque  côté. 
En  drap  vert-draf^on,  avec  trois  doubles  nœuds  d*at- 

tachc  en  soie  noire;  insignes  du  grade  en  tresscsd'or. 
En  drap  vert-dragon,  se  fermant  à  Taide  de  trois 

pattes  en  drap  du  fond,  sans  passe-poils,  à  manches 

pour  les  soldats. 
En  tissu  de  soie  cramoisie  avec  efGlés  de  soie  de  la 

môme  couleur. 
En  (issu  do  laine  cramoisie  avec  effilés  de  la  mémo 

rcMilcur. 
En  tissu  de  laine  feutrée  cramoisie;  gland  bleu. 
En  tissu  de  laine  feutrée  cramoisie;  gland  bleu  pour 

tout  le  bataillon. 
En  tissu  do  coton ,  rayé  de  bleu  et  de  blanc. 
Le  même  que  pour  les  officiers. 
En  petite  tenue  les  seubbcUh  (souliers  arabes)  avec 

les  jambières  de  drap  vert-dragon,  à  ornements 

d*or  ou  de  tresses  de  soie  verte.  En  grande  tenue 

la  botte  molle. 
Espèce  d'espadrilles  se  fixant  par  des  courroies  8*en- 

roulant  autour  de  la  Jambe.  Mais  bientôt  la  troupe 

prit  le  soulier  d'ordonnance  avec  la  jambière  et  les 

guêtres  blanches. 
,  T/C  havresac  fut  remplacé  par  une  espèce  de  grande 

musottt^  en  venu  de  couleur  noire  se  portant  h  Taide 

(Pune  CJMirroie. 


Le  II  août  1842,  il  fut  procédé  à  Torganisation  du  bataillon  de  Tirailleurs 
de  Constantine,  conformément  &  Tordonnance  du  7  décembre  1841.  Le  géné- 
ral de  Négrier,  qui  déjà  en  1837  avait  présidé  à  la  formation  du  bataillon  turc, 
se  trouva,  par  suite  d*une  heureuse  coïncidence,  être  encore  l'organisateur  du 
nouveau  bataillon.  Ce  dernier  comprit  huit  compagnies.  Les  cinq  premières 
furent  formées  avec  le  bataillon  turc  de  Constantine,  la  Gravée  le  détachement 
de  la  Medjana,  et  enfin  les  7°  et  8'  avec  le  demi-bataillon  turc  de  Bône. 

Le  capitaine  Thomas  avait  été  nommé  chef  de  bataillon  à  la  date  du  5  juin. 
Il  reçut  à  titre  définitif  le  commandement  de  ce  nouveau  corps. 

Les  cadres  furent  composés  des  officiers  dont  les  noms  suivent  : 

Élat' major. 

MM.  Thomas,       chef  de  bataillon. 

Sarrauton ,    capîlainc-adjudant-major. 

Quinemant,  s.-lieut.  faisant  fonctions  de  trésorier  et  d'olT.  d*habillemeot. 

Caubone,      Chirurgien-aide-major. 

Santerre,  d^ 


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24 


LE  3*  RËQIUBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1843] 


Capitaines. 


MM.  Rose. 

MM.  Rolland. 

Bessière. 

Montfort. 

Borot. 

Lherbon  de  Lussarto. 

Dargent. 
Vîndrios. 

Lieuienanls. 

MM.  Lapeyrusse. 
Vassal. 

MM.  Petitgand. 
Ruiland. 

Desportes. 
Fromental. 

Van-IIoorich 
Duchaine. 

S(mS'U€ulenants. 

MM.  Blin. 

MM.  Huart. 

Ledoux. 
Crochart. 

Braquis. 
Soumet. 

Quinemant,  fS&isant  fonctions  de 
trésor,  et  d'off.  d'habillement. 

Quenel. 

Som-lietUenant  indigène. 

M.  Hamou-ben-Mufii. 

Le  restant  de  Tannée  1842  fut  tout  entier  consacré  à  l'organisation  et  à 
l'instruction  du  bataillon.  A  cette  époque,  la  province  de  Constant! no  jouissait 
d'ailleurs  d*une  certaine  tranquillité,  et  le  départ  du  général  de  Négrier,  qui 
venait  d'être  remplacé  par  lo  général  Uaraguey-d'llilliors,  avait  amené  uuo 
suspension  momentanée  dans  la  marche  des  opérations  actives. 

Dès  le  commencement  de  Tannée  1843,  ces  dernières  furent  reprises  et 
commencèrent  par  une  expédition  contre  les  Zardeza,  tribu  s'étendant  entre 
la  route  de  Constantine  à  Bône  et  celle  de  Philippeville  à  Constantine.  Dans 
les  premiers  jours  de  février,  quatre  colonnes  furent  formées  et,  de  Constan- 
tine, Bi>ne,  Guelma  et  Pliilippeville,  marchèrent  contre  cette  tribu.  Lo  ba- 
taillon de  Tirailleurs  indigènes  constitua,  avec  deux  cents  cavaliers,  la  colonne 
partie  de  Constantme.  Entourés  de  toutes  parts ,  ayant  éprouvé  des  pertes  con- 
sidérables, les  Zardesa  se  mirent  à  la  discrétion  du  vainqueur. 

Le  14  février,  ce  fut  le  tour  des  Ouled-Djeberra.  Ceux-ci  s'étaient  retirés 
dans  les  gorges  d'une  montagne  appelée  le  Keflamar,  où  ils  avaient  caché  une 
partie  de  leurs  troupeaux.  L&  ils  comptaient  qu'on  ne  pourrait  pas  les  at- 
teindre. Mais,  lo  bataillon  ayant  reçu  Tordre  d'y  pénétrer,  ils  se  virent  bientôt 
poursuivis  d'escarpement  en  escarpement,  et  iinaloment  obligés  de  prendre 
la  fuite,  nous  abandonnant  tout  le  bétail  qu'ils  avaient  essayé  de  nous  dé- 
rober. 


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[1843]  EN  ALGÉRIE  26 

Le  4  mars,  le  bataillon  se  trouvait  bivouaqué  à  Am-Abdallah ,  dans  le  pays 
de  TEdough,  lorsqu'il  fut  dirigé  sur  le  marabout  de  Sidi-AIcacha,  situé  sur  le 
bord  de  la  mer,  à  la  pointe  du  cap  de  Fer.  Ce  point  était  le  centre  choisi  par 
Zerdoude,  cet  agitateur  dont  nous  avons  déjà  parlé  à  propos  du  bataillon  turc 
de  HAno.  Le  général  naroguoy-d'llilliors  présidait  lui-mômo  h  cette  opération. 

Lorsque  les  Tirailleurs  arrivèrent,  les  Kabyles  occupaient  en  nombre  les 
collines  élevées  qui  bordent  la  côte.  La  S<»  compagnie  reçut  Tordre  de  les  atta- 
quer. Désespérant  de  se  défendre  ils  prirent  la  fuite,  abandonnant  leurs  trou- 
peaux. On  les  crut  complètement  dispersés;  mais  peu  d*instants  après  ils  re- 
parurent en  faisant  des  démonstrations  pacifiques,  et  s*avancèrent  jusqu*au- 
devant  du  capitaine  commandant  la  5*  compagnie,  à  qui  ils  remirent  leurs 
drapeaux.  On  les  reçut  comme  des  vaincus,  sans  tirer  un  coup  de  fusil.  Au 
môme  moment  plusieurs  balles  sifflaient  autour  du  général,  et  celui-ci  voyait 
tomber  un  homme  à  ses  côtés.  Indigné,  il  ordonna  aussitôt  de  traiter  ces  gens 
en  rebelles.  Ils  se  défendirent  vaillamment,  mais  ils  durent  néanmoins  subir 
toutes  les  conséquences  de  Texaspération  produite  par  leur  conduite,  et  la  plu- 
part périrent  les  armes  à  la  main.  Quelques  jours  après,  Zerdoude  lui-môme 
fut  tué  par  un  détachement  guidé  par  son  secrétaire,  qui  avait  trahi  sa 
retraite. 

Cette  expédition  de  TEdough ,  habilement  préparée  et  vigoureusement  me- 
née, avait  enfin  rendu  le  calme  à  toute  cette  région,  qui  depuis  deux  ans  ne 
cessait  d'être  un  foyer  d'agitation.  Nos  troupes  avaient  fait  dans  cette  riche 
contrée  un  énorme  butin  en  bétail  de  toute  espèce.  Le  bataillon  de  Tirailleurs 
fut  chargé  de  conduire  ces  prises  à  Constanfine.  Cette  mission  n'était  pas  sans 
difficultés,  car  il  fallait  compter  avec  les  entreprises  des  nombreuses  tribus 
hostiles  qui,  à  celte  époque,  attaquaient  fréquemment  les  convois  entre  Phi- 
lippeville  et  Conslantine.  Le  mauvais  temps  la  rendit  plus  difficile  encore; 
pendant  huit  jours  la  pluie  ne  cessa  de  tomber;  il  fallut  marcher  dans  des 
marais  formés  par  la  fonte  des  neiges ,  traverser  des  rivières  grossies  considé- 
rablement et  la  plupart  devenues  torrents,  repousser  des  attaques  de  nuit, 
s'arrêter  pour  réunir  les  troupeaux  égarés.  Mais  les  Tirailleurs  ne  se  découra- 
gèrent pas;  le  neuvième  jour  de  celte  marche  accablante,  ils  arrivèrent  enfin 
à  Conslantine  exténués,  n'en  pouvant  plus,  mais  ramenant  intact  le  bétail 
qui  leur  avait  été  confié  et  sur  lequel  le  général  et  bien  d*aulres  avaient  cessé 
de  compter. 

Après  ces  diverses  opérations,  furent  cités  à  l'ordre  de  la  division  comme 
s'étant  particulièrement  distingués  : 

MM.  Rose,  capitaine. 

Sarrauton ,  capitaine-adjudant-major. 
Petitgand ,  lieutenant. 

Ledoux ,  sous-lieutenant. 

Assen-ben-Mohamed ,  caporal  à  la  i^  compagnie. 
Mohamed-ben-Djédid ,  sergent. 

Mohamed-ben-Amou,  tirailleur,  blessé. 

El-Bédouiné-ben-Mohamed ,  d^ 


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26  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l843] 

IjO  total  dos  portos  6proiivécs  s'élevait  à  trois  hommos  blessés. 

A  peioo  rentré  à  Constantine,  le  bataillon  dut  repartir  pour  de  nouvelles 
expéditions.  Quelques  détachements  représentant  un  effectif  de  cent  trente 
hommes  furent  d*abord  disséminés  pour  la  garde  des  prairies,  service  séden- 
taire qui  n'entraîna  d'ailleurs  aucun  conflit  avec  les  Arabes;  enfin  quatre  cent 
cinquante  hommes,  pris  dans  les  cinq  premières  compagnies,  furent  désignés 
pour  entrer  dans  la  composition  do  Tune  des  colonnes  qui  devaient  marcher 
sur  Collo. 

Le  G  avril ,  cette  colonne  se  mit  en  route  sous  les  ordres  du  général  Raraguey- 
d'Hilliers.  Elle  se  porta  d'abord  dans  le  pays  des  Ouled-el-IIadj,  en  passant 
par  d'étroits  défilés  qu'il  fallut  enlever  de  vive  force;  suivant  ensuite  la  rive 
gauche  de  l'Oued-Guebli,  elle  atteignit  Collo  le  10,  en  mémo  temps  que  le 
colonel  Barthélémy  y  arrivait  de  Philippeville  et  le  colonel  Buttafuoco  d'EI- 
Arrouch.  Les  habitants  de  celte  ville,  qui  depuis  longtemps  se  trouvaient  en 
relations  avec  nous,  se  portèrent  au-devant  du  général  en  lui  prodiguant  leurs 
assurances  de  soumission. 

Le  14,  le  général  Baraguey-d'IIilliers  pénétra  dans  le  territoire  des  Bcni- 
Toufout,  la  tribu  la  plus  importante  en  mémo  temps  que  la  plus  hostile  des 
environs  de  Collo.  On  trouva  ces  Kabyles  décidés  à  une  énergique  résistance 
et,  pendant  quatre  jours,  nos  troupes  eurent  à  livrer  do  sanglants  combats. 
Ta)  18,  dans  une  reconnaissance  poussée  à  quelques  kilomètres  du  camp  de 
rOucd-Kradéru,  par  le  général  accompagné  d'un  bataillon  de  ligne  ut  de  celui 
des  Tirailleurs  indigènes,  on  se  trouva  tout  à  coup  en  présence  d'un  uiillier 
d'ennemis  qui  se  mirent  à  tirailler  sur  le  front  et  les  flancs  de  la  colonne.  Ce- 
pendant, tenus  à  distance,  ils  ne  devinrent  réellement  menaçants  qu'au  mo- 
ment de  la  retraite.  Mais  à  ce  moment,  sur  l'ordre  du  général,  la  2*  compagnie 
fut  laissée  en  embuscade.  Elle  attendit  que  les  Kabyles  fussent  bien  engagés 
dans  la  vallée,  puis,  après  avoir  exécuté  sur  eux  une  décharge  à  bout  portant, 
elle  s'élança  à  la  baïonnette,  les  chargea  vigoureusement  et ,  aidée  par  le  gé- 
néral en  personne,  qui  était  accouru  à  son  secours  à  la  tète  de  quelques  cava- 
liers, les  rejeta  au  loin  en  leur  faisant  subir  des  pertes  ronsidérablcs. 

Dans  cette  alTaire,  le  sergent  Seul  -  bon  -  Mohamed ,  de  la  *1°  compagnie,  se 
signala  par  son  attitude  héroïque.  Se  voyant  entouré  par  un  groupe  d*enne- 
mis,  il  se  précipita  sur  l'un  d'eux  avec  sa  baïonnette,  en  atttâgnil  un  deuxième 
on  déchargeant  son  arme  et  se  mit  à  la  |M)ursiiite  des  autres  qui  avaient  pris 
la  fuito.  La  croix  do  la  Légion  d'honneur  vint,  quchiuo  temps  upn^s,  le  ré- 
compenser de  ce  bel  acte  do  courage. 

Le  19,  la  lutte  recommença  non  moins  acharnée.  Ce  jour-là,  les  Kabyles 
se  montrèrent  plus  audacieux  qu'ils  ne  l'avaient  encore  été.  Ils  durent  croire 
à  une  victoire  de  leur  part,  lorsque,  le  lendemain,  ils  virent  la  colonne  se  replier 
sur  Collo,  où  la  ramenait  le  besoin  de  se  ravitailler.  Aussi  fallut-il  renoncer 
à  obtenir  leur  soumission;  ils  assistèrent  impassibles  à  la  prise  de  leurs  trou- 
peaux, à  la  destruction  de  leurs  récoltes,  et  le  général  dut  quitter  leur  pays 
sans  avoir  reçu  la  visite  d'un  seul  de  leurs  chefs. 

Le  15  mai ,  les  Tirailleurs  rentraient  à  Constantine.  Dans  le  courant  de  cette 
expédition ,  ils  avaient  eu  six  hommes  blessés. 


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[1844]  EN  ALGÉRIE  27 

Furent  cités  à  Tordre  de  la  division  comme  8*étant  le  plus  distingués  : 
MM. 


Rose, 

capitaine. 

Sarrauton , 

capitainc-adjudant-major. 

Ilorot, 

capitaine. 

Fromcnlnl , 

lieutenant. 

Pelisse , 

sergent-fourrier. 

Saîd-ben-Mohamcd ,  sergent  k  la  2®  compagnie. 
Amar-bcn-Brahim,  tirailleur,  blessé. 

Le  21  mai,  le  bataillon  quittait  de  nouveau  Constantine  avec  une  colonne 
dirigée  par  le  général  à  Test  de  Gnelma.  Pendant  quarante-cinq  jours  il  par- 
courut cptlc  contrée,  assurant  la  rentrée  des  contributions  et,  le  5  juillet, 
revint  à  Constantine.  Le  13,  il  en  repartait  encore  pour  aller  prendre  position 
à  Souk -Ar ras,  où  il  séjourna  un  mois  pour  appuyer  Pautorité d'un  nouveau 
caïd  nommé  par  nous  chez  les  llancncha.  Il  visita  ensuite  le  pays  des  Mahatela, 
des  Moclicla  et  des  Oiiled-Daoun,  et  rentra  &  Constantine  le  28  août.  lies  cinq« 
premières  compngnics  restèrent  dans  celte  ville;  les  7^  et  8®  reprirent  la  route 
de  Rôno,  leur  garnison  habituelle.  Quant  h  la  6°,  la  compagnie  de  la  Med- 
jana,  elle  n'avait  pas  quitté  Sétif  pendant  le  cours  de  ces  opérations;  mais, 
du  21  septembre  au  2  novembre,  elle  prit  part  à  une  expédition  dirigée  par 
le  général  Sillègue  sur  le  Djébel-Dira  de  concert  avec  le  général  Marey  venu  de 
Médéah.  Cette  expédition  se  termina  par  une  excursion  à  Bou-SaAda,  où  Pon 
arriva  le  24  octobre.  On  en  repartit  quelques  jours  après  pour  rentrer  à  Sétif 
en  passant  par  M'Sila. 

Comme  on  vient  de  le  voir,  Pannée  18-13  avait  été  bien  employée  par  le 
hntiiillon  iln  Tirnillonrs  indij'i'^nnfl.  î/anniV.  IHVl  n'allnît  pas  être  moins  fo- 
condn  en  expéditions;  lo  duc  d'Aninale  venait  de  remplacer  le  général  Hara- 
guey  dMlilIiers  et  se  préparait  activement  &  reprendre  la  suite  du  programme 
si  brillamment  poursuivi  par  ce  dernier. 

La  campagne  s'ouvrit  par  un  coup  de  main  sur  les  Ouled-Mahhout,  qui 
n'avaient  pos  voulu  payer  l'impôt.  Le  il  février,  le  bataillon  de  Tirailleurs, 
soixante-dix  chasseurs  et  trente  spahis  quittèrent  Constantine  et  se  portèrent 
À  Ouargolt.  LA,  celte  petite  colonne  se  grossit  du  goum  des  Zmoul ,  et,  le  len- 
demain ,  se  porta  rapidement,  au  moyen  d'une  marche  de  nuit,  sur  le  terri- 
toire des  Ouled-Mahhout.  Cette  tribu  fut  surprise  dans  ses  douars,  et  la  co- 
lonne revint  coucher  à  Raz-el-Ain-Guercha,  ramenant  avec  elle  deux  mille 
cinq  cents  moutons  ou  chèvres  et  trente- huit  bœufs. 

Le  bataillon  séjourna  quelques  jours  à  Raz-el-Aîn-Guercha.  Il  reçut  la  sou- 
mission de  <|uol(|Ui»s  fractions  rebelles  des  Sognia,  assura  le  payement  des 
amendes  et  îles  contributions  qui  leur  furent  imposées,  et,  lo  19,  se  mit  en 
marche  pour  Hatna ,  où  se  formait  une  colonne  qui ,  sous  les  ordres  du  duc 
d'Aumale,  devait  se  porter  sur  Biskra. 

Cette  ville  était  alors  au  pouvoir  d'un  nommé  Mohamed-bel-IIadj-el-Sghir, 
qui  se  donnait  le  titre  de  khalifa  d'Abd-el-Kader.  Ce  prétendu  lieutenant  de 
Pémir  avait  d'abord  organisé  un  petit  corps  d'infanterie,  puis  s'était  établi 


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28  1.B  3*  RÉGIMENT  DR  TIRAn.LBURS  ALGÉRIENS  [1844] 

dans  la  casbah,  et  de  là  entretenait  des  relations  suivies  avec  Ahmed -bey, 
qui  s'était  réfugié  chez  les  Ouled-Soltan. 

Le  bataillon  arriva  à  Batna  le  21  février.  Le  22,  il  participa  à  une  opéra- 
tion ayant  pour  but  la  réquisition  des  chameaux  nécessaires  aux  transports 
des  vivres.  Un  léger  engagement  eut  lieu  à  cet  effet  avec  les  Ouled-Soltan, 
qui  subirent  des  pertes  assez  sensibles,  sans  que  de  notre  côté  il  y  eût  per- 
sonne d'atteint. 

Le  25,  le  duc  d*Aumalc  quitta  Ratna  à  la  tête  de  deux  mille  cinq  cents 
hommes  d'infanterie,  six  cents  chevaux  et  trois  pièces  de  montagne.  Le  soir, 
la  colonne  bivouaqua  à  El-Quessoud  ;  le  26,  elle  arriva  à  M'Sab-el-M'Zaî,  où 
elle  séjourna  jusqu'au  29.  Le  27,  le  bataillon  de  Tirailleurs,  les  spahis  et 
quelques  chasseurs  exécutèrent  une  razzia  sur  la  tribu  des  Lagdar-Balfaoui. 

Le  4,  on  arriva  devant  Diskra.  La  ville  fut  occupée  sans  coup  férir  :  depuis 
cinq  jours,  Mohamed-bel-lladj  s'était  retiré  dans  les  Aurès. 

Le  5 ,  le  bataillon  fut  envoyé  dans  les  oasis  des  Zabkobli  et  des  Uatihara 
pour  y  assurer  la  levée  de  l'impôt.  Il  y  resta  jusqu'au  12,  puis  revint  à  Bis- 
kra.  Le  14,  il  prit  possession  de  la  casbah  de  cette  ville,  où  il  s'établit. 

Pendant  que  le  duc  d'Aumale  procédait  ainsi  à  la  pacification  des  environs 
de  Biskra,  le  parti  de  Mohamed- bel -Uadj,  ne  désespérant  pas  de  rétablir  sa 
fortune,  s'était  réuni  àMéchounech,  à  trente  kilomètres  au  nord-est,  au  pied 
du  Djebel -Amar-Kaddou.  Une  forte  reconnaissance  y  fut  envoyée;  mais, 
reçue  à  coup  de  fusils,  elle  dut  se  replier.  Le  15  marâ,  prenant  avec  lui  deux 
bataillons,  trois  cents  hommes  du  bataillon  indigène,  la  cavalerie  et  l'artil- 
lerie, le  prince  s'y  porta  lui-même  et  attaqua  les  rebelles,  qui  se  défendi- 
rent vigoureusement.  Malgré  cette  résistance ,  le  village  fut  enlevé  et  incen- 
dié. Dans  cette  affaire,  les  Tirailleurs  furent  admirables  d'élan.  Là  fut  tué 
le  capitaine  Borot,  commandant  la  5*  compagnie.  Dès  qu'ils  le  virent  tom- 
ber, les  Arabes  se  précipitèrent  pour  s'emparer  de  son  corps;  mais,  grâce 
à  la  bravoure  du  capitaine  Bessière,  qui,  à  cheval,  se  jeta  résolument  au 
milieu  d'eux,  suivi  bientôt  par  quelques  spahis ,  cette  glorieuse  dépouille  put 
leur  être  arrachée. 

Après  cette  affabe,  le  duc  d'Aumale  reprit  le  chemin  de  Constantine,  ne 
laissant  à  Biskra  que  le  bataillon  de  Tirailleurs  et  un  escadron  de  spahis.  Le 
commandant  Thomas  avait  pour  mission  de  rester  dans  le  pays  jusqu'à  com- 
plète exécution  des  dispositions  prises  pour  en  assurer  Padininistration.  Il 
devait  en  même  temps  recruter  dans  la  région  les  hommes  nécessaires  pour 
organiser  un  détachement  qui,  encadré  dans  quelques  vieux  soldats  du  ba- 
taillon indigène ,  pût  servir  à  la  garde  de  la  casbah. 

La  formation  de  ce  détachement  ne  fut  pas  chose  bien  difficile  ;  la  plupart 
des  anciens  miliciens  de  Mohamed-bel-IIadj  vinrent  demander  à  s'enrôler,  et 
en  quelques  jours  ces  recrues  atteignirent  le  chiffre  de  deux  cent  cinquante. 

On  leur  adjoignit  cinquante- cinq  anciens  soldats,  et  cette  garnison  fut 
placée  sous  les  ordres  du  lieutenant  Petitgaa<l. 

Ces  dispositions  prises  et  croyant  désormais  Biskra  à  l'abri  de  toute  sur- 
prise, le  commandant  Thomas  quitta  cette  ville  le  12  avril,  pour  se  porter 
sur  El-Kantara  avec  tout  ce  qui  restait  du  bataillon  et  les  spahis.  Le  13 ,  il 


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[1844]  EN  ALGÉRIE  29 

exécuta  une  heureuse  razzia  sur  la  tribu  des  Lagdar-Hallaonia  et  continua  en- 
suite sa  route  sur  Batna,  où  il  arriva  le  lendemain.  Le  19,  il  était  à  Cons- 
tantine.  Après  six  jours  de  repos,  il  reprenait  le  chemin  de  Batna,  où  il 
arrivait  le  29.  ^ 

Ce  retour  précipité  avait  pour  but  une  diversion  dans  les  Aurès  pendant 
que  le  duc  d'Aumalo  opérait  chez  les  Ouled-Soltan.  Le  soir  môme  de  son  ar- 
rivée à  Batna,  le  commandant  Thomas  se  remit  en  route,  et  marcha  toute 
la  nuit  pour  aller  appuyer  les  Sahari ,  nos  alliés.  Mais ,  arrivé  sur  le  terri- 
toire de  cette  tribu,  il  fut  tout  à  coup  prévenu  que  le  camp  de  Batna  devait 
être  attaqué.  Levant  alors  brusquement  son  bivouac,  il  revint  sur  ses  pas,  et, 
le  2  au  matin ,  rentra  dans  ce  poste  sans  avoir  rencontré  un  seul  ennemi.  Le 
duc  d*Aumale,  également  prévenu,  y  accourait  en  même  temps  avec  toute 
sa  cavalerie;  mais,  devant  l'absence  de  tout  danger,  il  en  repartait  quelques 
instants  après. 

Toute  crainte  ayant  alors  disparu  à  Tégard  de  Batna,  le  4  mai,  le  bataillon, 
renforcé  d*un  escadron  de  chasseurs  et  d*un  autre  de  spahis,  quitta  cette 
ville  pour  conduire  un  convoi  à  la  colonne  du  duc  d'Aumale.  Le  6,  il  rejoignit 
cette  colonne  à  Mérouana. 

Dans  cette  dernière,  se  trouvait  déjà  une  compagnie  du  bataillon  :  la  6°. 
Les  opérations  avaient  commencé  le  17  avril.  Passant  par  A!n-Ségan,  chez 
les  Telaghma,  et  Ain-Sultan,  chez  les  Ouled-Abd-el-Nour,  le  duc  d*Aumale 
était  arrivé  le  21  à  Ngaous,  à  Tentrée  des  montagnes  des  Ouled-Soltan.  Le 
24,  il  pénétra  dans  ces  montagnes,  où  l'ennemi  ne  tarda  pas  à  Tattaquer. 
Les  Arabes ,  favorisés  par  un  brouillard  épais ,  se  jetèrent  simultanément  sur 
la  tête,  la  queue  et  le  flanc  gauche  de  la  colonne.  En  tête,  marchait  la  6*  com- 
pagnie, qui  les  reçut  sur  la  pointe  de  ses  baïonnettes,  les  chargea  vigoureu- 
sement cl  sauva  ainsi  une  pièce  do  canon  dont  ils  avaient  failli  s'emparer. 
Sur  le  flanc  gauche,  se  Irouvoicnt  des  auxiliaires  arabes  qui  lâchèrent  pied, 
se  replièrent  en  désordre  au  milieu  du  convoi,  qui,  également  composé  d'Arabes, 
perdit  la  tête  à  son  tour  et  prit  honteusement  la  fuite.  Bien  que  celte  panique 
n*eût  gagné  que  nos  auxiliaires  et  que  la  colonne  fût  victorieuse  sur  tous  les 
autres  points,  celle-ci,  privée  de  son  convoi,  n*en  dut  pas  moins  se  retirer 
sur  Ngaous. 

Le  l^'  mai  ,  la  marche  fut  reprise;  les  troupes  pénétrèrent  de  nouveau 
dans  les  montagnes  et  prirent  une  éclatante  revanche  de  TafTaire  du  24.  Elles 
culbutèrent  tout  ce  qui  se  rencontra  sur  leur  passage,  et,  le  soir,  vinrent 
bivouaquer  à  Bira,  au  centre  du  pays. 

Lorsqu'il  eut  rejoint  cette  colonne,  le  bataillon,  au  lieu  de  rentrer,  y  fut 
maintenu.  La  6*  compagnie  se  joignit  à  la  portion  principale,  et  il  présenta 
alors  un  eiïectif  de  six  cents  hommes. 

Le  7,  il  fut  chargé  d'incendier  plusieurs  douars  et  villages  des  Uuled-Sollan. 
Ce  même  jour,  toute  la  colonne  se  trouva  réunie  à  Tabagarl. 

IjC  8,  le  duc  d'Aumale,  à  la  tête  de  cinq  bataillons,  dont  celui  de  Tirailleurs 
indigènes,  de  la  cavalerie  et  de  l'artillerie,  se  porta  sur  Bira,  qui  avait  déjà 
été  occupé  le  l***^  mai.  La  journée  se  passa  sans  incident.  Le  soir,  l'a  van  t- 
garde  tomba  tout  à  coup  sur  la  tente  de  l'ex-bey  Iladj- Ahmed.  Ce  dernier  prit 


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30  LE  Z^  RÉOIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [iShk] 

la  fuilo  on  loulo  hâto.  Lo  baluillon  do  Tiruilloura  so  mit  à  sa  poursuite;  umitt 
il  se  Irouva  bientôt  en  présence  d'un  ravin  profond,  aux  flancs  escarpés,  qui 
rarréla  dans  sa  marche.  Ce  ravin,  appelé  Châbel-Enetlaâ,  était  une  trou- 
vaille :  c'était  là  que  les  Ouled-Soltan  avaient  caché  la  plus  grande  partie  de 
leurs  richesses  et  de  leurs  bestiaux.  Ils  essayèrent  d'en  défendre  l'accès,  et 
l'on  se  battit  jusqu'à  la  nuit;  enfin  ils  furent  culbutés  sur  tous  les  points, 
et  tous  leurs  troupeaux  restèrent  entre  nos  mains.  Au  moment  où  leur  arrière- 
garde  était  ainsi  maltraitée ,  leur  tète  était  aux  prises  avec  notre  cheik  Ben- 
Ganah,  qui  revenait  du  Sahara  avec  son  goum.  Tru<|uéâ  <le  toutes  purts,  ils 
envoyèrent  leurs  chefs  faire  leur  soumission.  Pendant  ce  temps,  lladj- Ahmed 
fuyait  à  toute  bride  et  parvenait  à  se  réfugier  dans  les  Aurès; 

Dans  cette  dernière  rencontre,  le  bataillon  avait  eu  un  homme  tué  et  cinq 
autres  blessés. 

Lo  9,  la  colonne  contourna  le  ravin  de  Châbct-Ëneiluà.  Lo  10,  ce  ravin, 
qui  contenait  encore  des  richesses  considérables,  la  plupart  provenant  des 
pillages  effectués  par  les  Ouled-Soltan,  fut  fouillé  par  le  bataillon  de  Tirail- 
leurs et  les  gens  de  Bcn-Ganah.  Le  12,  le  bataillon  fut  lancé  sur  des  con- 
treforts situés  près  de  Mérouana  pour  y  atteindre  des  groupes  en  fuite.  Il  les 
joignit  et  leur  enleva  quelques  troupeaux.  La  14,  la  colonne  arriva  à  Uatua. 
Là  on  apprit  une  bien  fâcheuse  nouvelle. 

On  se  rappelle  qu'au  moment  de  quitter  Biskra  le  commandant  Thomas 
y  avait  organisé  un  détachement  s'élevant  à  trois  cents  hunimes,  qu'il  avait 
laissé  sous  les  ordres  du  lieutenant  Petitgand.  Cet  oflicier  avait  comme 
adjoints:  le  sous- lieutenant  Crochurd,  le  chirurgien  aide-mujur  Arcelin  et 
le  sergent-major  Pelisse.  Parmi  les  hommes  composant  cette  garnison  se  trou- 
vaient, comme  nous  l'avons  dit,  la  plupart  des  anciens  soldats  de  Mohamed- 
bel -lladj  qu'on  avait  enrôlés  sans  trop  s'inquiéter  de  leur  provenance.  Ils 
paraissaient  néanmoins  servir  avec  lidélitê,  et  dt^jà  M.  Petitgund  avait  cru 
pouvoir  80  reposer  sur  eux  de  la  garde  des  portes  <le  la  cushah. 

Ce|»endant  lo  faux  khulifa  avait  conservé  des  intelligences  parmi  ses  an- 
ciens serviteurs;  il  était  même  à  peu  près  certain  que  beaucoup  do  ceux-ci 
ne  s'étaient  engagés  dans  nos  rangs  que  sur  son  ordre;  il  en  protita  pour 
ourdir  un  complot  qui  reçut  son  exécution  dans  la  nuit  du  11  au  12  mai. 
Vers  une  heure  du  matin,  les  partisans  de  Mohamed -bel -lladj  ouvrirent  les 
portes  à  cent  cinquante  des  leurs,  et,  conjointement  avec  eux,  s'emparèrent  de 
la  place,  obligèrent  à  mettre  bas  les  armes  les  postes  (|ui  tentèrent  de  résis- 
ter, égorgèrent  les  trois  officiers  ainsi  qu'une  de  leurs  ordonnances,  tirent  pri- 
sonniers trois  autres  Français  qui  les  accompagnaient,  et  finalement  restèrent 
maîtres  do  la  casbah,  où  Mohamed-bel-lludj  revint  aussitôt  s'établir.  Seul 
lo  sergent- major  Pelisse  avait  pu  échapper  à  ce  massacre;  il  s'était  retiré 
à  Tolga  avec  notre  caïd,  qui  n'avait  pas  abandonné  notre  cause. 

Le  15,  lo  duc  d'Aumale,  avec  toute  la  colonne,  se  dirigea  en  toute  hâte 
sur  Biskra.  Le  17,  il  prit  les  devants  avec  la  cavalerie,  et  se  fit  rejoindre 
par  lo  bataillon  de  Tirailleurs,  qui,  en  arrivant  à  El-Kuntura,  était  monté 
sur  des  mulets  sans  prendre  aucun  repos.  Il  espérait  trouver  la  casbah  en- 
core au  pouvoir  de  l'ennemi  et  cerner  ce  dernier;  mais,  le   mémo  jour. 


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[1844]  EN  ALOÊRIB  8i 

Mohamcd-bel-lladj  avait  pria  la  fuite,  emportant  tous  les  approyisionnemeota 
qu'il  avait  trouvés  dans  la  place.  Au  lieu  d'ennemis,  on  trouva  dans  Biskra 
le  sergent-major  Pelisse,  qui,  des  le  départ  du  kbalifa,  y  était  rentré  avec  le 
cald  et  un  détachement  d'indigènes  qu'il  avait  organisé  à  Tolga. 

liO  Imtnillon  séjourna  à  Diskra  jusqu'au  22,  puis  il  rentra  à  Constantine, 
h  rcxceplion  de  son  cher,  qui  fut  maintenu  à  Uiskra  avec  le  titre  de  com- 
mandant supérieur. 

L'ordre  qui  parut  à  la  suite  de  cette  longue  expédition  fit  un  éloge  très 
flatteur  du  rôle  que  le  bataillon  y  avait  rempli.  Il  citait  comme  s'y  étant  par- 
ticulièrement distingués  : 

MM.  Dargent,  capitaine. 

Monfort,  d» 

Qucncl ,  sous-lieutenant. 
Braqui ,  d® 

Pelisse ,  sergent-major. 

Un  décret ,  qui  suivit  de  près  ces  citations,  nomma  chevaliers  de  la  Légion 
d'honneur  les  quatre  officiers  et  le  sous-oflicier  qui  en  était  l'objet. 

Le  bntnillon  resta  nn  moi;*  h  (Constantine.  Le  20  juin,  il  fut  dirigé  sur  le 
psiys  des  llaraclii  pour  y  assurer  la  percrplion  do  Tiinpôt.  Il  alla  s'établir  à 
Aîii-H(!Tfla,  où  il  ajourna  jusqu'au  2 1  juillet,  envoyant  dos  détachements  dans 
les  environs  pour  le  fonctionnement  du  service  fiscal  dont  il  était  chargé.  Il 
revint  alors  prendre  ses  garnisons  à  Constantine,  à  Bùne  et  à  Sétif ,  et  se  pré- 
para ,  par  les  soins  qu'il  donna  à  son  instruction ,  à  prendre  une  brillante  part 
dans  les  opérations  qui  allaient  avoir  lieu  en  1845. 


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CHAPITRE  IV 

(1845-1846) 


Expédition  dans  les  Aurës.  —  Prise  du  coi  de  Portas.  —  Camp  de  Médina;  opérations 
autour  de  ce  camp.  —  Combat  d*AIdoussa.  —  Prise  de  Djar-Alla  et  de  Tabergua.  — 
Rentrée  à  Batna.  —  Opérations  de  la  e»  compagnie  à  Sétif.  —  Opérations  du  général 
d'ArbouYiile  dans  la  province  d*Alger.  —  Expédition  chez  les  Ouled-Soltan.  —  Tour- 
mente de  neige  du  3  Janvier  1846.  —  Rentrée  k  Sétif. 


Depuis  les  évéDements  de  Biskra,  la  province  de  ConslanliDe  jouissait 
d'une  complète  tranquillité;  les  tribus  se  livraient  paisiblement  aux  travaux 
de  ragriculturo  et  payaient  assez  régulièrement  l'impôt;  seule,  lu  région  de 
l'Aurès  était  encore  remuante  et  demeurait  une  menace  permanente  pour  le 
bas  pays.  Ce  n'est  pas  que  ses  habitants  nous  fussent  plus  hostiles  que  ceux 
de  beaucoup  d'autres  tribus;  mais  parmi  eux  s'étaient  retirés  Ahmed- bey  et 
Mohamed- bel -Hadj ,  et  ces  deux  vaincus  cherchaient,  chacun  de  son  côté, 
à  tenter  de  nouveau  la  fortune. 

Lorsque  le  général  Bedeau  vint  prendre  le  commandement  de  cette  pro- 
vince, en  remplacement  du  duc  d'Aumale,  une  expédition  dans  cette  région 
était  la  seule  opération  militaire  dont  la  nécessité  se  fît  réellement  sentir; 
mais  cette  opération  n'était  pas  sans  diflicultés  :  il  s'agissait  de  s'engager, 
avec  une  dedhle  colonne  et  un  immense  convoi ,  dans  une  contrée  montagneuse, 
peu  connue,  sans  ressources  et  relativement  très  peuplée.  Elle  n'en  fut  pas 
moins  décidée.  Vers  la  fin  d'avril,  les  troupes  qui  devaient  y  prendre  part  se 
concentrèrent  à  Batna.  Les  cinq  premières  compagnies  du  bataillon  de  Tirail- 
leurs, renforcées  de  cent  soixante  hommes  des  compagnies  de  Bône  et  présen- 
tant ainsi  un  effectif  de  cinq  cent  trente  hommes ,  arrivèrent  dans  ce  poste 
le  29.  Le  commandant  Thomas  commandait  lui-même  ce  détachement. 

La  colonne,  forte  d'environ  cinq  mille  cinq  cents  hommes,  quitta  Batna  le 
l^cmai.  Elle  avait  été  divisée  en  deux  brigades  :  la  première  était  sous  les  ordres 
du  général  Levasseur;  la  seconde ,  sous  le  commandement  du  colonel  llerbil- 
lon.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  fut  placé  dans  celle  du  général  Levasseur.  Ces 
deux  brigades  suivirent  d'abord  la  même  route,  se  dirigeant  au  sud-est,  de 
façon  à  pénétrer  par  le  versant  septentrional.  Le  2,  elles  traversèrent  les  pre- 
mières %ne8  de  hauteurs  et  allèrent  bivouaquer  dans  la  plaine  de  Yabous. 


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[1845]       LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE  33 

Le  3,  elles  arrivèrent  au  pied  des  hautes  noontagnes ,  en  face  du  col  de  For- 
tas,  qui  paraissait  être  fortement  occupé  par  l'ennemi.  En  avant  du  défilé, 
ce  dernier  avait  en  effet  construit  une  petite  redoute  en  pierres  sèches  ;  à  droite, 
il  s'était  établi  sur  une  montagne  assez  élevée  et  couronnée  do  bois;  à  gauche, 
il  s'était  embusqué  dans  des  rochers  plongeant  directement  dans  Tintérieur 
du  col. 

La  brigade  Lcvasscur,  restée  sous  les  ordres  directs  du  général  Bedeau , 
fut  chargée  d'attaquer  la  position;  le  colonel  Ilerbillon  devait  contourner 
celle-ci  par  la  gauche ,  se  placer  sur  la  ligne  de  retraite  des  rebelles  et  faire 
ensuite  sa  jonction  avec  la  colonne  principale.  Pendant  qu'on  prenait  ces 
dispositions,  la  l*^  compagnie  (capitaine  Vindrios),  qui  se  trouvait  à  l'avant- 
garde ,  avait  déjà  engagé  une  assez  vive  fusillade  avec  les  défenseurs  de  la 
redoute.  Sur  l'ordre  du  général  Bedeau,  le  commandant  Thomas  fit  porter 
sur  sa  gauche  les  4«  et  9^  compagnies,  qui  se  déployèrent  face  au  mamelon 
boisé,  d'où  en  un  instant  les  Arabes  furent  débusqués.  Au  môme  moment, 
la  3^  compagnie  vint  prolonger  la  ligne  de  la  l^,et  la  2*  se  placer  en  soutien. 
Se  portant  alors  tout  entier  en  avant,  le  bataillon  marcha  droit  à  la  redoute, 
qui  fut  aussitôt  enlevée;  puis ,  oppuyé  par  un  bataillon  du  31*  de  ligne  et  un 
autre  du  19"  léger,  il  s'élança  vers  le  col,  escaladant  des  pentes  abruptes, 
franchissant  un  terrain  boisé  et  tourmenté,  et  cela  avec  une  telle  rapidité, 
que  lorsque,  après  avoir  poursuivi  les  Arabes  de  crôte  en  crôte,  les  Tirailleurs 
débouchèrent  de  l'autre  côté  du  passage,  la  colonne  du  colonel  Ilerbillon  n'y 
avait  pas  encore  paru.  L'ennemi  avait  ainsi  pu  se  retirer  et  prendre  posi- 
tion en  arrière,  à  Téniet-el-KorchelT.  Quoique  la  journée  fût  déjà  avancée 
lorsque  les  deux  brigades  eurent  fait  leur  jonction,  on  se  porta  sur  ce  dernier 
point,  qui  fut  aussitôt  occupé.  Le  bivouac  y  fut  établi ,  et  la  colonne  y  passa 
la  nuit. 

Le  bataillon  avait  eu  quatre  hommes  blessés.  En  rendant  compte  de  ce 
succès ,  le  général  Bedeau  citait ,  comme  ayant  fait  preuve  d'un  courage  tout 
particulier,  le  sergent  Sald-ben-Mohamed  et  le  caporal  Ben-Kedmy,  qui,  tombés 
dans  un  groupe  d'ennemis,  en  avaient  tué  cinq  et  mis  le  reste  en  fuite. 

Le  combat  du  3  amena  aussitôt  la  soumission  des  Ouled-Abdi  et  des  Beni- 
Daoud.  Le  4,  la  colonne  se  dirigea  sur  Médina,  point  central  où  le  général 
avait  résolu  de  former  un  camp.  Dès  le  5,  les  travaux  commencèrent,  et  pen- 
dant deux  jours  les  troupes  furent  employées  à  la  construction  d'une  redoute, 
où  l'on  déposa  tous  les  approvisionnements ,  sous  la  garde  du  S®  bataillon 
d'Afrique. 

Les  opérations  furent  reprises  le  7.  Le  but  à  atteindre  était  de  soumettre 
la  tribu  des  Beni-Oûdjana.  A  cet  effet,  la  colonne  fut  divisée  en  deux  groupes  : 
le  premier,  dans  lc(|ucl  se  trouvait  le  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes,  de- 
vait, sous  les  ordres  du  général  Levasscur,  marcher  directement  surTarit- 
el-Baatcha,  pendant  que  l'autre,  avec  le  général  Bedeau,  opérerait  plus 
au  sud  et  reviendrait  par  la  vallée  du  Mélagou,  où  la  jonction  devait  avoir 
lieu. 

Le  premier  jour,  la  colonne  du  général  Levasseur  franchit  le  col  de  Tizou- 
garin  et  vint  s^étahlir  dans  cette  vallée.  L'ennemi  n'avait  même  pas  essayé 

3 


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34  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1845] 

de  lûoir;  il  8*était  enfui  précipitamment,  laissant  dos  approvisionnements  de 
toute  sorte  que  le  général  ordonna  de  détruire.  Le  9,  on  séjourna  sur  le 
Hélagou;  la  journée  fut  employée  à  des  reconnaissances.  Le  10,  les  deux  co- 
lonnes firent  leur  jonction ,  et  toutes  les  troupes  se  trouvèrent  de  nouveau 
sous  les  ordres  du  général  Bedeau. 

Les  reconnaissances  du  9  avaient  signalé,  au  village  de  Bou- Hammam, 
de  nombreux  rassemblements  des  Beni-Oudjana,  auxquels  s'étaieot  joints  un 
groupe  des  Beni-Sliman  et  un  autre  des  Amar-Kaddour.  Dès  son  arrivée,  le 
général  Bedeau  décida  qu'on  irait  déloger  Tennemi.  A  une  heure  de  l'après- 
midi  ,  une  colonne  de  dix-  huit  cents  hommes,  dont  le  bataillon  fit  partie,  se 
mit  en  route  et  dispersa  en  un  instant  ce  qu'elle  trouva  devant  elle. 

Le  11,  toute  la  colonne  reprit  sa  marche  dans  la  direction  suivie  la  veille  et 
poursuivit  quelques  Arabes  qui  occupaient  les  contreforts  sud  du  Chellia.  Le 
soir,  elle  arriva  à  Messarah  ;  là ,  surprise  par  la  neige  qui  tombait  en  abon- 
dance et  rendait  les  sentiers  impraticables ,  elle  fut  obligée  do  séjourner  lu  12. 
Le  13,  franchissant  de  nouveau  le  col  de  Tizougarin,  qu'elle  trouva  couvert  de 
neige,  elle  rentra  à  Hédina  pour  s'y  ravitailler.  Le  15,  pourvue  de  huit  jours 
de  vivres,  elle  reprit  la  campagne,  se  dirigeant  sur  la  vallée  des  Ouled-Abdi; 
elle  arriva  le  soir  à  Hesseret,  sur  la  rive  droite  de  l'Oued-el-Abiod  et  y  séjourna 
le  16.  Le  17,  le  bivouac  fut  établi  un  peu  plus  loin ,  à  Hadj-Jadj.  Le  18,  à  midi, 
quittant  tout  à  fait  la  vallée  de  l'Oued-el-Abiod ,  elle  vint  camper  sur  le  Djebel- 
bou-Bezizen.  La  journée  du  19  fut  employée  par  le  bataillon  à  une  reconnais- 
sance sur  l'Oued-el-Abdi.  On  attendait  pour  se  remettre  en  roule  l'arrivée  du 
colonel  Ilerbiilon ,  qui  était  allé  chercher  un  convoi  de  vivres  à  Batna.  Ce  convoi 
arriva  dans  la  journée  et,  le  20,  la  petite  armée  reprit  sa  marche  sur  deux 
colonnes  :  celle  de  gauche,  sous  les  ordres  du  colonel  Ilerbiilon,  suivit  les 
crêtes  en  marchant  parallèlement  à  TOued-el-Abdi;  celle  de  droite,  avec  la- 
quelle se  trouvait  le  général  Bedeau  et  qui  comprenait  le  bataillon  de  Tirail- 
leurs, un  bataillon  du  19®  léger,  un  bataillon  du  31^^  de  ligne  et  un  autre  du 
22**,  descendit  dans  la  vallée,  traversa  la  rivière  au  pie<i  du  Itou-Hezizcn  et 
commença  à  gravir  les  pentes  delà  rive  droite,  se  maintenant  à  la  hauteur  du 
colonel  Herbillon,  qui  se  prolongeait  sur  les  crêtes  de  la  rive  gauche.  Pendant 
la  matinée ,  cette  dernière  colonne  laissa  sur  son  chemin  de  nombreux  vil- 
lages abandonnés  par  l'ennemi;  celui-ci  ne  paraissait  nulle  part  :  partout  le 
vide  et  cette  dévastation  hâtive  qui  indique  une  émigration  précipitée.  Vers 
midi  cependant,  quelques  Arabes  furent  signalés  dans  la  vallée,  en  avant  d'Aï- 
doussa ,  village  assez  important  situé  sur  l'Oued-el-Abdi  ;  enfin  d*importants 
rassemblements  apparurent  sur  la  rive  gauche  de  cette  rivière,  aux  villages 
d'AIdoussa,  de  Ténict-el-Abdi  et  de  Fedjcl-Kadi. 

L'ennemi  semblait  attendre  l'allaque  principale  du  côté  de  la  colonne 
de  gauche;  pour  la  soutenir,  il  avait  construit  sur  les  hauteurs  dominant 
Aldoussa  plusieurs  redoutes  en  pierres  sèches,  dont  la  défense  avait  été  confiée 
à  ses  meilleurs  soldats.  Mais  le  général  Bedeau,  cessant  tout  à  coup  de  se  pro- 
longer sur  la  rive  droite ,  lit  télé  de  colonne  à  gauche  et  marcha  sur  la  rivière, 
pendant  que  le  colonel  Herbillon,  descendant  les  pentes  de  la  rive  gauche,  se 
dirigeait  sur  le  village  d'AIdoussa.  A  ce  moment,  le  bataillon  de  Tirailleurs 


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[1845]  EN  ALGÉRIE  35 

reçut  Tordre  de  se  porter  en  avant,  de  laisser  Âidoussa  sur  sa  gauche,  de 
passer  la  rivière  en  aval  de  ce  village  et  de  s'emparer  de  Téniet-el-Abdi.  La 
2*  compagnie  (capitaine  Taverne)  se  déploya  au  pas  de  course;  la  3*  vint 
bientôt  appuyer  sa  ligne  à  droite,  puis  tout  le  bataillon  se  porta  en  avant, 
franchit  la  rivière  et  arriva  devant  Téniet-el-Abdi.  Les  deux  compagnies  de 
tête,  gravissant  alors  les  pentes  de  droite  et  de  gauche,  en  délogèrent  Tennemi, 
pendant  que  le  gros  du  bataillon  pénétrait  dans  le  village,  qui  venait  d*étre 
abandonné. 

Sur  tous  les  autres  points  le  succès  était  également  complet  :  Tennemi 
fuyait  précipitamment,  cherchant  à  gagner  la  montagne,  où  la  poursuite  de- 
venait fort  difficile,  sinon  impossible.  Mais  il  avait  subi  des  pertes  considé- 
rables et  laissait  une  quarantaine  de  prisonniers  entre  nos  mains. 

Dans  ce  combat,  le  bataillon  avait  eu  cinq  blessés  dont  un  officier,  M.  le 
sous-lieutenant  Bonnomain.  Dans  son  rapport,  le  général  citait  comme  s'étant 
particulièrement  distingués  : 

MM.  Sarrauton ,  capitaine-adjudant-major. 
Bonnemain,  sous-lieutenant,  blessé. 

Le  soir,  la  colonne  établit  son  bivouac  sur  les  deux  rives  de  TOued-el-Abdi. 
Le  22,  elle  reprit  sa  marche  et  descendit  la  vallée  jusqu'à  Ménah;  là,  elle 
attendit  la  complète  soumission  des  Ouled-Abdi.  Le  27,  les  deux  brigades  se 
mirent  en  route  pour  Médina ,  où  elles  arrivèrent  le  29. 

Le  2  juin,  on  évacua  définitivement  Médina.  Ce  jour-là,  la  colonne  se  di- 
rigea vers  le  territoire  des  Bou-Sliman.  Le  lendemain,  elle  franchit  le  Teniet- 
el-Abiod  et  arriva  le  soir  à  Chamaoura  sur  TOucd-Haumel.  Après  avoir  sé- 
journé deux  jours  sur  ce  point,  afin  de  recevoir  quelques  soumissions,  le  6, 
elle  vint  bivouaquer  à  Kessour,  sur  TOued-Chéraya.  Le  7,  elle  continua  sa 
marche  vers  Test.  A  la  grand*halle,  au  moment  où  les  soldats  faisaient  le 
café,  arrivèrent  au  camp  plusieurs  courriers  indigènes  que  les  Arabes  avaient 
poursuivis  à  coups  de  fusil.  La  punition  ne  se  fit  pas  attendre;  sur  l'ordre  du 
général  Bedeau,  le  bataillon  de  Tirailleurs  prit  les  armes,  et,  appuyé  à  droite 
par  deux  compagnies  du  61^^  il  se  porta  sur  le  village  de  Djar-Alla,  d*où 
étaient  partis  les  coups  do  feu. 

Ce  village,  situé  au  fond  d'un  étroit  ravin ,  était  défendu  à  droite  et  à  gaucho 
par  des  rochers  escarpés  et,  dans  la  gorge  môme,  par  un  terrain  coupé  de 
jardins  étages  entourés  de  murs  en  pierres  sèches.  La  7*  compagnie  (lieute- 
nant Duchaine)  et  la  5®  (capitaine  Lapeyrussc)  franchirent  en  un  instant  les 
escarpements  de  droite  et  de  gauche,  pendant  que  la  3*  (capitaine  Bessière) 
pénétrait  dans  Djar- Alla  par  la  gorge  du  ravin.  Mais  Tennemi  ne  nous  avait 
pas  attendus.  Ce  ne  fut  que  lorsque  le  bataillon  se  retira,  après  avoir  incendié 
le  village,  qu'il  fit  sa  réapparition.  Il  revint  alors  en  nombre,  et  ne  cessa  de 
harceler  la  compagnie  d*arrière-garde  (capitaine  Vindrios)  que  lorsque  celles:! 
fut  hors  du  ravin.  Celte  compagnie  eut  deux  hommes  blessés. 

Après  avoir  accompli  sa  mission ,  le  commandant  Thomas  rejoignit  la  co- 
lonne, qui  reprit  sa  marche,  et,  le  môme  soir,  vint  s'établir  au  Kessir  sur  l'Oued- 


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36  LB  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1845] 

Tichtad.  Le  8,  elle  arriva  à  El-Bahl,  après  uoe  marche  pénible  au  sein  d'un 
pays  accidenté,  privé  d*eau  et  complètement  aride.  Le  9,  elle  atteignit  El-Oudja 
et|  le  10,  alla  camper  à  Djelaîl.  Dans  cette  journée,  la  marche  avait  été  par«- 
ticttlièrement  fatigante  :  un  siroco  brûlant  n'avait  pas  cessé  de  souffler,  et  sur 
tout  le  parcours  il  avait  fallu  franchir  des  ravins ,  gravir  des  pentes  abruptes, 
et  cela  sans  trouver  une  goutte  d*eau. 

Le  11 ,  au  moment  où  la  colonne  établissait  son  bivouac,  des  gens  de  Beni- 
Amzan,  qui  n'avaient  payé  qu'une  partie  de  leurs  contributions,  vinrent  lui 
tirer  quelques  coups  de  fusil.  Le  12,  pendant  toute  la  matinée,  l'arrière-garde 
fut  inquiétée  par  des  groupes  de  Maafas  et  de  Hachach^.  A  midi,  le  gros 
de  la  colonne  se  trouvant  réuni  sur  TOued-Fréchou,  le  général  Bedeau  prit 
quatre  bataillons,  dont  celui  de  Tirailleurs  indigènes,  et,  faisant  laisser  les 
sacs  au  camp,  se  porta  rapidement  contre  Taberga,  centre  très  important  où 
les  rebelles  s'étaient  retirés.  Dissimulée  par  des  accidents  de  terrain ,  l'attaque 
se  trouva  combinée  de  telle  sorte,  qu'au  moment  où  le  bataillon  de  Tirailleurs 
ouvrit  le  feu  sur  la  droite  et  celui  du  2*  de  ligne  sur  la  gauche,  les  Arabes, 
qui  ne  s'étaient  aperçus  de  rien,  se  trouvèrent  complètement  dominés  et  en- 
veloppés. Désespérant  de  se  défendre,  ils  se  rendirent  à  discrétion.  Cette  opé- 
ration terminée,  le  général  ramena  ses  quatre  bataillons  sur  TOued-Fréchou , 
où  le  bivouac  fut  établi. 

Le  lendemain,  on  se  remit  en  route  pour  pénétrer  dans  le  pays  des  Amamra. 
Le  14,  on  contourna  les  contreforts  ouest  du  Djebel -Aiuauira  et  Fou  arriva 
dans  la  plaine  de  Ramisa,  où  Ton  séjourna  le  15  pour  y  recevoir  un  convoi 
de  vivres  venant  de  Batna.  Le  16 ,  le  bivouac  fut  établi  à  Khenchela.  La  tribu 
des  Ouled-Ensirah,  fraction  sud  des  Amamra,  n*ayant  pas  voulu  payer  l'impét 
ni  envoyer  ses  chefs  fS&ire  leur  soumission,  la  colonne  repartit  le  17,  gravit  la 
montagne  et  découvrit  la  population  en  fuite  emmenant  ses  troupeaux.  Les 
bataillons  d'avant-garde  déposèrent  leurs  sacs  et  deux  colonnes  furent  aussitôt 
formées  :  l'une,  composée  du  bataillon  du  22®,  de  l'escadron  de  chasseurs, 
d'une  pièce  de  canon  et  de  deux  compagnies  d'élite  du  2<>  de  ligne,  se  dirigea 
par  les  crêtes;  l'autre,  constituée  par  le  bataillon  de  Tirailleurs,  prit  le  fond 
de  la  vallée.  Précipitant  sa  marche ,  cette  dernière  atteignit  bientôt  les  fuyards, 
qui  se  dispersèrent  aux  premiers  coups  de  feu,  et  s'empara  de  huit  à  dix  mille 
moutons  et  de  quatre  cent  cinquante  bœufs,  qu'elle  ramena  au  lieu  de  la  halte. 
Ce  coup  de  main  lui  avait  coûté  un  homme  blessé. 

La  colonne  revint  ensuite  sur  TOucd-Fringal  et  enfin  se  dirigea  sur  Uatna , 
où  elle  arriva  le  21.  L'expédition  avait  duré  cinquante-deux  jours.  Ses  résul- 
tats furent  considérables  :  toutes  les  tribus  de  ces  montagnes  firent  leur  sou- 
mission et  payèrent  dès  lors  leurs  contributions  sans  difficultés.  Toutefois  on 
n'avait  pu  s'emparer  ni  de  Mohamed-bel-Uadj  ni  d'Ahmed-bey.  Le  premier, 
avec  une  trentaine  d'hommes  au  plus,  s'était  enfui  à  Nefta  en  Tunisie;  Tautre, 
abandonné  de  la  plupart  de  ses  derniers  partisans,  était  allé  se  réfugier  dans 
les  montagnes  de  Bougie. 

Le  bataillon  de  Tirailleurs  resta  à  Batna  jusqu'au  26.  Le  30,  il  était  de 
retour  à  Constantine. 

Pendant  ce  temps  la  6* compagnie,  détachée  à  Sétif,  ne  restait  pas  inactive. 


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3. 

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[1845]  EN  ALGÉRIE  37 

Lo  6  juin,  elle  entrait  dans  la  composition  d'une  colonne  qui,  sous  les  ordres 
du  colonel  Régeau,  devait  opérer  dans  le  Hodna.  Cette  colonne  se  rendit  d'a- 
bord chez  les  Ouled-Déradj  ;  mais,  lo  10  juin,  elle  dut  revenir  sur  ses  pas  pour 
se  porter  vers  les  Relissas  et  les  Hannaïch,  devant  les  montagnes  desquels  le 
général  d*Arbouville  se  trouvait  arrêté.  Lorsqu'elle  arriva,  le  général  n*y  était 
plus;  il  s'était  rendu  à  l'appel  du  général  Marey,  qui  se  trouvait  dans  leTitteri 
aux  prises  avec  Ben-Salem,  lieutenant  d'Abd-el-Kader.  Elle  reprit  alors  le 
chemin  du  Hodna ,  parcourut  ce  pays  pendant  quelques  jours  et  se  dirigea 
ensuite  sur  Bou-Saftda.  Le  28  juin,  elle  eut ,  sur  le  territoire  des  Ouled-Djellah, 
un  léger  engagement  auquel  la  6^  compagnie  prit  une  brillante  part.  Le  21  juil- 
let, elle  était  de  retour  à  Sétif. 

TiA  paix  semblait  enfin  ôtro  assurée  sur  toute  l'étendue  de  nos  possessions 
algériennes.  TiO  mnrécliol  Rugonud  était  lui-mémo  tellement  persuadé  que  co 
résultat  venait  d'être  atteint  par  les  brillantes  expéditions  qui  avaient  eu  lieu 
dans  chaque  province,  qu'il  était  parti  en  congé,  laissant  l'intérim  de  son  gou- 
vernement au  général  de  Lamoricière.  Cependant  une  sourde  agitation  ne  tarda 
pas  à  se  manifester  à  la  voix  de  nombreux  prédicateurs  de  guerre  sainte,  qui 
tous  se  disaient  chérifs  et  tous  prenaient  le  nom  de  Bou-Maxa.  Dans  les  pro- 
vinces d'Alger  et  d'Oran  ce  soudlo  de  rébellion  s'étendit  avec  une  extrême  ra- 
pidité. Abd-el-Kader,  réduit  à  l'impuissance  depuis  notre  yictoire  dlsly,  yivait 
alors  parmi  les  quelques  tribus  marocaines  qui  l'avaient  recueilli.  Aussitôt 
qu'il  apprit  ce  nouvel  état  de  choses ,  il  traversa  les  frontières  à  la  tête  d'une 
nombreuse  troupe  de  cavaliers  et  de  fantassins  et  ne  tarda  pas  à  paraître  dans 
la  yallée  de  la  Tafna ,  non  moins  menaçant  qu'auparavant. 

Le  22  septembre,  il  surprit  le  lieutenant-colonel  de  Montagnac  à  Sidi-Brahim, 
et  remporta  sur  lui  un  sanglant  succès  qui  vint  ranimer  tout  le  fanatisme  de 
ses  partisans.  Dès  ce  moment  l'insurrection  devint  générale. 

L'agitation  avait  gagné  jusqu'à  la  province  de  Constantine  :  toute  la  Medjana 
menaçait  de  se  soulever.  On  se  hâta  d'envoyer  des  troupes  à  Sétif.  Le  24  sep- 
tembre, les  cinq  premières  compagnies  de  Tirailleurs  indigènes,  formant  un 
bataillon  de  marche  de  quatre  cent  trente  hommes,  furent  dirigés  sur  ce  poste, 
où  se  trouvait  déjà  la  6^  compagnie.  Le  2  octobre,  le  colonel  de  Chasseloup,  à 
la  tête  de  ce  bataillon  et  d*un  autre  du  lO*'  léger,  se  porta  à  Bordj-Bou-Arréridj, 
où  il  resta  jusqu'au  16  pour  rassurer  les  populations.  Le  calme  se  rétablit 
peu  à  peu,  et  l'on  put  bientôt  considérer  le  danger  comme  définitivement 
éloigné. 

Il  n'en  était  pas  de  même  dans  le  Hamza  :  toute  cette  contrée  avait  pris  les 
armes  à  la  voix  d'un  prétendu  chérif  nommé  Mohamed-ben-Abdallah.  Le  gé- 
néral Marey,  commandant  alors  dans  le  Titteri,  marcha  ausntêt  contre  cet  agi- 
tateur ;  mais,  comme  il  ne  pouvait  disposer  que  de  forces  insuffisantes  et  que 
les  troupes  de  Sétif  devenaient  inoccupées ,  le  général  d'Arbouville  reçut  Tordre 
de  se  joindre  à  lui.  Celui-ci  organisa  aussitôt  une  petite  colonne  ayee  laquelle 
il  se  mit  en  route  le  4  novembre.  Parmi  les  troupes  qui  la  composaient  se 
trouvaient,  sous  les  ordres  du  capitaine  Lapey russe,  les  4*  et  S*  compagnies 
du  bataillon  et  un  détachement  de  trente-cinq  hommes  de  la  l'*  compagnie. 

La  jonction  des  deux  généraux  eut  lieu  le  11.  Le  12,  ils  livrèrent,  près  du 


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3S  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1845] 

Djebel-Baghar,  chez  les  Ouled-Aziz,  un  sanglant  combat  au  chérif  qu'ils  bat- 
tirent complètement  et  dont  ils  enlevèrent  les  tentes  et  les  bagages.  A  la  suite 
de  cet  engagement,  le  détachement  du  bataillon  indigène  eut  &  soutenir  une 
retraite  des  plus  difficiles,  durant  laquelle  il  se  trouva  continuellement  aux 
prises  avec  l'ennemi.  Pendant  un  instant  Arabes  et  Tirailleurs  se  trouvèrent 
même  complètement  confondus;  il  s'en  suivit  une  lutte  corps  &  corps  où  ces 
Kabyles  donnèrent  une  idée  de  la  ténacité  qu'ils  opposeraient  un  jour  à  nos 
troupes,  quand  celles-ci  tenteraient  de  pénétrer  dans  leur  pays. 

Ils  finirent  cependant  par  céder  après  avoir  éprouvé  des  pertes  considé- 
rables. De  notre  côté  nous  avions  perdu  un  officier,  M.  Ledoux,  lieutenant 
commandant  la  4«  compagnie,  qui  fut  tué  à  bout  portant,  et  quinze  hommes 
blessés. 

Le  rapport  du  général  d'Arbouvillo  citait  comme  ayant  fait  preuve  d'une 
grande  bravoure  : 

MM.  Lapeyrusse,  capitaine. 

Hadj-Amou ,         sous-lieutenant. 
Landini,  sergent-major. 

Presque  aussitôt  après  cet  important  succès ,  le  général  Harey  fut  appelé 
vers  Boghar,  et  le  général  d'Arbouvillo  resta  seul  dans  l'est  du  Tilteri.  Il  pour- 
suivit les  opérations  commencées  et  parcourut  les  tribus  qui  s'étaient  révoltées 
pour  leur  imposer  des  contributions  de  guerre.  Le  22  novembre,  alors  que 
notre  victoire  sur  Mohamed- ben- Abdallah  paraissait  avoir  fait  rentrer  dans 
l'ordre  la  plus  grande  partie  du  pays,  les  Beni-Djaad,  qui  n'avaient  cependant 
point  pris  part  à  l'insurrection ,  vinrent  tout  &  coup  attaquer  le  camp.  Après 
les  avoir  complètement  battus,  le  général  d'Arbouvillo  se  porta  sur  leur  ter- 
ritoire et  fil  incendier  tous  leurs  villages  par  le  détachement  do  Tirailleurs  in- 
digènes. liCur  soumission  immédiate  fut  le  résultat  do  ce  juste  chAtimont. 

A  ce  moment  Ben -Salem,  lieutenant  d'Abd-el-Kador,  parut  à  son  tour  au 
milieu  de  ces  tribus  avec  un  nombre  assez  considérable  d'irréguliers,  et  s'unit 
au  chérif  qui  cherchait  &  recruter  de  nouveaux  partisans.  Dès  qu'il  apprit  cette 
nouvelle,  le  général  Bedeau,  qui  opérait  alors  dans  le  haut  Chélif,  se  trans- 
porta lui -môme  sur  les  lieux.  Il  se  mit,  conjointement  avec  le  général  d'Ar- 
bouvillo, &  la  poursuite  des  deux  chefs  rebelles,  qui  n'échappèrent  &  cette  ma- 
nœuvre enveloppante  qu*en  se  jetant  dans  les  gorges  les  plus  inaccessibles  du 
Djurjura. 

Le  11  décembre,  les  deux  colonnes  se  trouvèrent  réunies  et  n'en  formèrent 
plus  qu'une  seule  sous  le  commandement  du  général  Be«lcau.  Le  13,  la  bri- 
gade d'Arbouvillo  alla  se  ravitailler  &  Médéah  et,  le  15,  revint  prendre  le  cours 
de  ses  opérations.  On  parcourut  d'abord  le  pays  des  Beni-Zouzoug,  où  l'on  ne 
rencontra  aucune  résistance,  puis  on  se  porta  sur  le  Kef-el-Lagdar. 

Cependant  Abd-el-Kader,  traqué  partout  ailleurs,  no  tarda  pas  &  paraître 
lui-même  dans  le  Titteri.  Son  intention  était  de  faire  une  pointe  dans  la  Mi- 
tidja  et  de  ravager  cette  riche  contrée.  Déjà  il  avait  attaqué  les  Isser,  nos  alliés, 
et  avait  fait  sur  eux  un  butin  considérable.  Ben- Salem  s'était  empressé  de 


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[1846]  EN  ALGÉRIE  39 

descendre  du  Djurjura  et  s^était  joint  à  lui  dans  les  premiers  jours  de  fémer 
1846.  Hais  le  maréchal  Bageaud ,  qui  avait  parfaitement  pénétré  le  plan  de 
Témir,  ayait  pris  toutes  ses  précautions  pour  mettre  ce  dernier  dans  l'impos- 
sibilité do  Toxécutor.  Le  général  Gentil,  le  maréchal  lui-môme  et  enfin  le 
général  Bedeau  et  le  général  d'Arbouville  se  portèrent  en  toute  hâte  sur  le 
haut  Isser,  et  bientôt  Abd-el-Kader  n'eut,  à  son  tour,  d'autre  ressource 
que  les  gorges  du  Djurjura. 

Le  8  féTrier,  la  colonne  du  général  Bedeau  fit  sa  jonction  ayec  celle  du  ma- 
réchal. Les  conservant  toutes  les  deux  sous  sa  main,  le  gouverneur  général 
se  tourna  alors  contre  les  tribus  qui  avaient  accueilli  l'émir,  entre  autres  les 
Guechtoula,  les  Beni-Khalfoun ,  les  Neziiona  et  quelques  fractions  des  Flissa. 
Quant  à  Abd-el-Kader,  on  ne  put  l'atteindre. 

La  tranquillité  paraissant  alors  partout  rétablie,  le  maréchal  résolut  de 
rentrer  à  Alger,  dont  il  ne  se  trouvait  pas  très  éloigné.  Le  23  février,  il  quitta 
la  colonne  avec  la  brigade  d'Arbouville  et,  le  lendemain ,  fit  son  entrée  dans 
la  capitale  de  son  gouvernement. 

Pendant  les  quelques  jours  où  la  colonne  d'Arbouville  avait  marché  sous 
ses  yeux,  le  maréchal  Bugcaud  avait  été  particulièrement  frappé  de  la  belle 
tenue,  do  la  discipline,  de  l'entrain  et  du  dévouement  du  détachement  de  Ti- 
railleurs do  Constantino.  Voulant  donner  à  ce  dernier  une  preuve  de  sa  satis- 
faction, il  avait  dccido  qu'il  prendrait  la  tôto  des  troupes  lors  de  l'entrée  do 
celles-ci  à  Alger.  Une  somme  de  six  cents  francs  fut  en  outre  remise  au  capi- 
taine Lapeyrusse  pour  être  distribuée  entre  les  hommes,  et  pendant  quatre 
jours  la  plus  grande  liberté  fut  laissée  à  ceux-ci  qui,  partout  acclama  par 
leurs  coreligionnaires  de  la  première  ville  de  l'Algérie,  jouirent  d'un  triomphe 
justement  mérité  par  quatre  mois  de  fatigues,  de  privations  et  de  dangers. 
Le  28  février,  il  fallut  s'arracher  à  cette  Capoue  et  s'embarquer  pour  Philippe- 
ville.  Le  4  mars ,  les  compagnies  qui  avaient  pris  part  à  la  glorieuse  expédi- 
tion du  Titleri  étaient  de  retour  à  Constantine. 

Pendant  que  les  événements  que  nous  venons  de  raconter  se  déroulaient 
dans  la  province  d'Alger,  celle  de  Constantine,  sans  ôtre  agitée  au  môme 
point,  éprouvait  cependant  le  contre-coup  de  cette  vaste  insurrection.  Au  mois 
de  novembre  1845,  un  certain  Mohamed-cl-TrébouI,  surnommé  Bou-Darbelo, 
s'était  montré  dans  le  ndezma  et  avait  parcouru  cette  région  en  y  prêchant 
la  guerre  sainte.  Les  Oulcd-Soltan  furent  les  premiers  à  prêter  Toreille  à  ses 
excitations;  mais,  maintenus  parle  colonel  Herbillon,  qui  commandait  la  sub* 
division  de  Batna ,  ils  n'osaient  encore  donner  un  libre  cours  à  leurs  idées 
de  rébellion,  lorsque  l'exemple  des  Ouled-Soulam,  leurs  voisins,  vint  faire 
tomber  leurs  dernières  hésitations. 

Le  général  Levasseur  était  alors  chargé  de  l'expédition  des  affaires  de  la 
province  pendant  l'absence  du  général  Bedeau.  Il  organisa  aussitôt  une  co- 
lonne dont  il  prit  le  commandement,  et  se  porta  au  sein  du  pays  insurgé. 

Le  1 1  décembre ,  les  l*"*,  2«  et  3°  compagnies  quittèrent  Sétif  sous  les  ordres 
du  capitaine  Bessière  et  l'y  rejoignirent  le  13.  Ce  détachement,  réuni  à  un 
autre  du  3®  bataillon  d'Afrique,  forma  un  bataillon  mixte  qui  fut  placé  sous 
les  ordres  du  commandant  de  Liniers,  du  bataillon  d'infanterie  légère. 


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40  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1846] 

Le  16,  le  temps,  jusque-là  très  mauvais,  se  remit  au  beau  et  les  opérations 
purent  commencer.  On  marcha  contre  les  Ouled-Soulam.  Le  bataillon  formé 
par  les  Tirailleurs  indigènes  et  le  bataillon  d'Afrique  prit  les  créles  et  refoula 
les  Arabes  dans  le  fond  de  la  vallée,  où  ils  furent  atteints  par  la  colonne  prin- 
cipale, qui  leur  tua  une  centaine  d'hommes  et  les  poursuivit  pendant  plusieurs 
heures.  Bou-Darbela  fut  arrêté  dans  sa  fuite  et  envoyé  comme  prisonnier  & 
Biskra.  Les  Tirailleurs  avaient  eu  un  homme  blessé. 

Après  cette  affaire,  le  général  se  tourna  contre  les  Ouled-Soltan,  auxquels 
il  imposa  une  forte  contribution  de  guerre.  Pour  en  assurer  la  levée,  il  dissé- 
mina sa  colonne  sur  les  points  les  plus  importants  et  fit  âur veiller  les  prin- 
cipaux débouchés.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  se  trouva  ainsi  réparti  entre 
trois  villages  situés  dans  le  défilé  de  Foum-bou-Thaleb.  Cette  dispersion  faillit 
avoir  de  fâcheuses  conséquences. 

Dans  le  pays  vivait  alors  un  chef  influent  nommé  Si-Saad  qui,  Tannée 
précédente,  avait  brigué  auprès  du  duc  d'Aumale  un  emploi  de  caïd  pour 
lequel  il  s*était  vu  préférer  son  compétiteur  Si-Mokran.  Devenu  par  cela  seul 
notre  ennemi ,  il  s'était  vite  créé  un  parti  parmi  les  rebelles  et  les  mécontents, 
et,  tout  en  protestant  de  son  dévouement  à  la  cause  française,  il  n'avait  cessé 
de  travailler  activement  les  esprits  on  vue  d'une  insurrection.  Voyant  dans  la 
disposition  de  nos  troupes  la  possibilité  do  remporter  un  facile  succès  qui 
aurait  suffi  à  exaller  toutes  les  populations  de  ces  montagnes,  il  crut  le  mo- 
ment favorable  arrivé.  Le 25,  il  se  mit  à  la  tète  d*une  bande  de  quatre  à  cinq 
cents  rebelles  et  vint  tomber  à  l'improviste  sur  le  village  d'Oumassa,  occupé 
par  la  compagnie  du  capitaine  Bessière. 

On  était  loin  de  s'attendre  à  une  pareille  attaque  ;  aussi  y  eut-il  un  moment 
de  surprise;  mais  le  sang-froid  du  capitaine  Bessière  et  la  bravoure  des  Tirail- 
leurs conjurèrent  tout.  Sans  se  laisser  effrayer  par  les  forces  quatre  fois  supé- 
rieures de  l'ennemi,  le  valeureux  commandant  de  la  3®  compagnie  rallia  sa 
troupe,  l'enleva  vigoureusement  et  chargea  à  la  baïonnette  les  bandes  con- 
fuses de  Si-Saad,  qui  furent  rejetées  dans  un  ravin.  Atteint  de  deux  blessures 
graves ,  il  continua  avec  une  énergie  peu  commune  &  diriger  le  combat,  et 
permit  ainsi  à  des  renforts  d'arriver  et  d'achever  la  défaite  des  Arabes,  qui 
s'enfuirent  dans  toutes  les  directions ,  abandonnant  leur  chef ,  qui  rentra 
presque  seul  dans  son  douar.  Ce  brillant  fait  d'armes,  dont  tout  l'honneur 
revenait  au  capitaine  Bessière,  nous  coûtait,  outre  ce  brave  oflicier,  qui  avait 
reçu  deux  balles  dans  la  cuisse  droite,  dix  Tirailleurs  blessés. 

Débarrassée  du  seul  rassemblement  important  qu'elle  eût  trouvé  devant 
elle,  la  colonne  s'occupa  de  vider  les  silos.  Ce  travail  dura  plusieurs  jours.  Le 
30,  le  détachement  du  bataillon  indigène  reçut  l'ordre  d'attaquer  le  douar  de 
Si-Saad.  Ce  coup  de  main,  habilement  dirigé  par  le  commandant  de  Liniers, 
fut  couronné  d'un  plein  succès  et  ne  nous  coûta  qu'un  caporal  tué. 

Cette  opération  fut  la  dernière  de  la  colonne  Levasscur;  le  llodna  étant  pa- 
cifié, et  par  suite  sa  mission  terminée,  elle  se  mit  en  route  pour  Sétif.  Le  3  jan- 
vier 1846,  elle  se  trouvait  dans  les  défilés  du  Djebel -bou-Thaleb,  lorsqu'elle 
fut  assaillie  par  un  ouragan  glacial  accompagné  d'une  neige  tellement  abon- 
dante, que  toutes  les  routes  en  furent  bientôt  couvertes.  Pendant  deux  jours 


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[1846]  EN  ALGÉRIE  4f 

il  ne  cessa  d*en  tomber;  le  froid  était  si  intense,  qu'elle  gelait  aussitôt. 

Les  soldats  ne  pouvaient  plus  trouver  un  seul  morceau  de  bois  pour  faire 
le  café.  Accablés  de  fatigue,  de  privations,  ils  marcbaient  au  basard  avec  des 
peines  infinies,  s'égarant  de  tous  côtés;  beaucoup  durent  se  réfugier  dans  les 
tentes  nrnbes,  dans  Icf;  douars,  où  ils  purent,  et  furent  recueillis  quelques 
jours  après;  d'autres  tombèrent  pour  no  plus  se  relever.  Lorsqu'elle  arriva  à 
Sétif,  le  4  au  soir,  la  colonne  était  réduite  presque  à  rien.  Quand  tous  les 
traînards  furent  rentrés,  on  s'aperçut  qu'une  centaine  d'hommes  étaient  morts 
de  froid  ou  de  besoin.  Les  Arabes  de  la  tribu  des  Rir'a  se  firent  remarquer  par 
leur  généreuse  hospitalité  et  en  sauvèrent  un  grand  nombre,  qu'ils  ramenèrent 
à  Sétif. 

Pendant  toute  cette  dure  épreuve,  les  Tirailleurs  se  montrèrent  admirables 
de  résignation  et  de  dévouement.  Grâce  à  cet  excellent  moral ,  le  détachement 
ne  perdit  qu'un  homme,  un  jeune  clairon ,  et  ne  compta  que  quinze  malades, 
alors  que  beaucoup  d'autres  corps  furent  diminués  de  pluS'de  moitié. 

Ces  trois  compagnies  n'allaient  pas  jouir  d'un  repos  de  bien  longue  durée 
pour  se  remettre  de  cette  terrible  expédition.  Le  20  janvier,  il  leur  fallut  de 
nouveau  partir  pour  l'ouest  avec  une  colonne  commandée  par  le  lieutenant- 
colonel  Dumonict,  du  19°  hVgor.  Dans  sa  marche  insurrectionnelle  dans  la  pro- 
vince d'Alger,  Abd-el-Kader  s'était  avancé  vers  Bou-^aâda,  et  une  vive  agitation 
n'avait  pas  tardé  à  se  manifester  dans  la  partie  méridionale  du  llodna ,  notam- 
ment chez  les  Oulcd-Mahdi ,  où  l'ordre  fut  bientôt  rétabli.  Cette  agitation  avait 
même  gagné  jusqu'aux  environs  de  Sétif.  La  colonne  Dumontet  vint  d'abord 
s'établir  au  sud  de  Bord- Medjana,  puis  elle  rentra  à  Bou-Saftda  et  revint 
à  Sétif  à  peu  près  en  môme  temps  que  le  général  d'Arbouville,  de  retour  de 
son  expédition  dans  la  province  d'Alger,  y  arrivait  de  son  côté.  A  ce  moment, 
le  groupe  formé  par  les  1>^,  2,^  et  3°  compagnies  se  trouvait  réduit  à  soixante- 
dix  hommes  ;  encore  une  expédition ,  et  il  n'en  serait  rien  resté.  On  Tenvoya 
à  Constantine  pour  s'y  réorganiser.  Il  y  arriva  le  17  mars.  Là  se  trouvait  déjà 
le  détachement  qui  venait  d'Alger  et  qui  n'avait  pas  été  beaucoup  moins 
éprouvé,  et  enfin  celui  de  Bône,  qui  représentait  un  effectif  relativement  con- 
sidérable. Les  compagnies  furent  ^alisées,  les  recrues  nouvellement  instruites 
réparties  parmi  les  anciens  soldats,  les  cadres  portés  au  complet  réglementaire, 
et,  au  bout  de  quelques  jours,  ce  bataillon ,  qui  semblait  ne  pouvoir  de  long- 
temps concourir  aux  opérations  d'une  campagne ,  était  prêt  à  prendre  dans 
celle  qui  allait  s'ouvrir  une  part  non  moins  glorieuse  que  dans  celle  qui  venait 
de  se  terminer. 


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CHAPITRE  V 

(1846-1847) 


(1846)  Marche  sur  Batna.  —  Dépari  pour  Sétlf.  —  Opérations  chez  les  Ouled-Nall.  — 
Expédition  du  colonel  Eynard  ches  les  Amoucha.  —Combats  des  7,  10  et  22  juin.  — 
Retour  à  Sétif.  —  Opérations  du  détachement  de  B6ne.  —  Derniers  éyénements  de 
l'année  1846.  —  (1847)  Expédition  contre  les  Nemencba.  —  Marche  sur  Bougie.  — 
Combat  du  16  mai.  —  Rentrée  à  Sétif.  —  Colonne  expéditionnaire  de  Collo.  —  Le 
commandant  Bonrbaki  remplace  le  commandant  Thomas. 


A  peine  quelques  soins  hâtifs  eurent-ils  été  consacrés  à  sa  réorganisation, 
que  le  bataillon  dut  reprendre  le  cours  de  ses  expéditions.  Le  24  mars,  c'est-à- 
dire  sept  jours  après  avoir  été  rejoint  par  les  trois  premières  compagnies,  il  se 
mit  en  route  pour  Batnai  &  l'exception  cependant  de  la  6®  compagnie,  qui  venait 
d'entrer  dans  la  composition  d'une  colonne  qui  devait  partir  de  Sétif,  sous  les 
ordres  du  général  d'ArbouvillIei  pour  se  porter  au  milieu  des  Oulod-Naîl.  La 
marche  sur  Datna  avait  pour  but  une  opération  dans  le  Bciczma,  où  quelques 
troubles  avaient  ou  lieu;  mais  quand  on  arriva  dans  cotte  ville,  le  27  mars, 
la  tranquillité  était  partout  rétablie  et  la  présence  de  nouvelles  troupes  deve- 
nait inutile.  Le  bataillon  repartit  alors  pour  Sétif,  qui,  au  contraire,  venait 
d'être  dégarni  par  le  général  d'Arbouville.  Il  atteignit  ce  poste  le  2  avril. 

Le  5  avril,  de  nouveaux  ordres  le  désignèrent  pour  l'escorte  d'un  convoi 
destiné  à  la  colonne  des  Ouled-Nall.  Il  se  mil  eu  roule  le  môu)o  jour,  et,  le  17, 
atteignit  El-IIheuch ,  au  sud  de  Uou-Saâda ,  sans  avoir  rencontré  un  ennemi 
sur  tout  son  parcours.  Là ,  le  commandant  Thomas  laissa  ce  premier  convoi 
à  la  garde  de  la  4®  compagnie ,  qui  eut  pour  mission  de  le  remettre  au  géné- 
ral d'Arbouville,  qui  ne  se  trouvait  plus  qu'à  deux  jours  de  marche,  et  rétro- 
grada sur  Sétif  avec  les  six  autres  compagnies.  Arrivé  dans  ce  poste  le  9  au 
soir,  il  en  repartait  le  10  avec  un  deuxième  convoi  de  quatre  cents  mulets 
ayant  la  même  destination.  Après  avoir  traversé  une  troisième  fois  M'Sila ,  le 
Ilodna  et  Bou-Saâda,  le  19,  il  rejoignit  la  colonne  d'Arbouville  à  Aln-Grab 
chez  les  Ouled-Aîssa,  fraction  des  Ouled-Nail.  Pour  la  première  fois  les  huit 
compagnies  du  bataillon,  représentant  à  ce  moment  un  eflectif  de  six  cent  cin- 
quante hommes,  se  trouvèrent  réunies  dans  la  main  de  leur  chef;  confondues 


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[1846]       LE  S*"  nÉOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE  43 

dès  lors  avec  les  autres  troupes  de  la  colonne,  elles  prirent  part  à  toutes  les 
opérations  de  celle-ci. 

Le  21  avril,  on  marcha  contre  les  Ouled-Alssa,  sur  lesquels  on  exécuta  une 
razzia  qui  nous  rendit  maîtres  de  la  plus  grande  partie  de  leurs  troupeaux. 
Ce  succ^s  ayant  amené  la  complète  soumission  des  Ouled-Naîl,  la  colonne 
parcourut  ensuite  le  pays  de  l'est  à  Touest,  revint  à  Bou-Saftda,  s'arrêta 
quelques  jours  dans  la  plaine  du  Hodna,  et  le  7  mai  arriva  à  H*Sila.  Le  8, 
le  général  d'Arbouville  la  quitta  pour  aller  prendre  le  commandement  de  la 
subdivision  de  Milianah.  Le  colonel  Eynard,  de  Tétat-major,  désigné  pour 
lui  succéder  à  Sétir,  vint  le  remplacer,  et  les  opérations  qu'il  avait  préparées 
ne  furent  pas  un  instant  interrompues.  Le  10,  la  colonne  alla  s'établir  près 
de  la  Casbah,  petite  ville  située  dans  TOuennougha,  région  montagneuse 
traversée  par  Abd-el-Kadcr  quelques  mois  auparavant,  et  qui  se  ressentait 
encore  delà  sourde  agitation  produite  par  le  passage  de  Témir.  Elle  y.séjourna 
jusqu'au  19,  combinant  ses  mouvements  avec  ceux  d'autres  troupes  opérant 
dans  le  Hamza,  sous  les  ordres  du  duc  d'Aumale;  puis,  la  tranquillité  parais- 
sant assurée,  elle  se  mit  en  route  pour  Sétif,  où  elle  fit  sa  rentrée  le  21  mai, 
après  être  passée  par  Bordj-bou-Arreridj ,  et  y  avoir  laissé  la  6*  compagnie 
du  bataillon. 

Cependant,  si  la  paix  commençait  à  renaître  dans  le  sud-ouest  de  la  province, 
les  populations  du  nord-ouest  étaient  encore  vivement  secouées  par  le  souffle 
insurrectionnel.  Au  moment  de  Tapparition  d'Abd-el-Kader,  plusieurs  agita- 
teurs avaient  subitement  surgi  et  s'étaient  mis  à  parcourir  les  tribus  belli- 
queuses de  la  Kabylie,  réveillant  leur  hostilité  et  les  poussant  à  la  révolte. 
Dans  le  Sahel  de  Sétif,  un  de  ces  faux  chérifs,  nommé  Mouley- Mohamed, 
était  même  parvenu  à  réunir  un  contingent  assez  considérable;  mais,  battu, 
le  12  avril,  par  le  colonel  Dumontet,  qui  lui  avait  tué  environ  deux  cents 
hommes,  il  avait  dû  se  retirer  dans  le  pays  des  Amoucha,  où  il  n'avait  pas 
tardé  à  recommencer  ses  prédications. 

Il  importait  de  ne  pas  lui  donner  le  temps  de  former  de  nouveaux  rassem- 
blements et  d^entrafner  dans  la  rébellion  les  montagnards  du  Babor  et  du 
Guergour.  Le  colonel  Eynard ,  qui  venait  de  rentrer  de  l'Ouennougha ,  reçut 
Tordre  d'organiser  une  nouvelle  colonne  et  de  se  porter  immédiatement  au- 
dovant  du  chérif.  Le  31  mai,  cet  officier  supérieur  quitta  Sétif,  à  la  tête  d'un 
demi -bataillon  du  61°  de  ligne,  d'un  bataillon  de  la  légion  étrangère,  d'une 
compagnie  d'infanterie  légère  d'Afrique,  du  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes 
(à  l'exception  de  la  6*  compagnie),  de  trois  bataillons  du  19*  léger,  de 
six  pièces  d'artillerie  et  de  quatre  cents  chevaux ,  et  alla  s'établir  au  centre 
des  Ouled-Nabeth ,  au  marabout  de  Sidi-Aîssa.  Ayant  fait  rentrer  cette  tribu 
dans  l'ordre,  il  s'occupa  do  Mouley-Mohamed,  et,  le  7  juin,  prenant  avec  lui 
toute  sa  cavalerie  et  quatre  bataillons  sans  sacs,  il  se  dirigea  sur  le  pays  des 
Ouled-Amar-ben -si-Ahmed,  où  les  cavaliers  arabes  avaient  signalé  le  camp 
du  chérif.  Son  intention  était  simplement  de  faire  une  reconnaissance  offen- 
sive. A  midi,  cette  petite  colonne  se  mit  en  route  et  parcourut  d'abord  une 
région  facile,  qu  elle  trouva  d'ailleurs  complètement  abandonnée;  mais  bientôt 
le  terrain  devint  raviné,  montueux,et  quelques  groupes  de  Kabyles  commen- 


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44  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALQÉRIEN8  [1846] 

cèrent  à  so  montrer  à  Thorizon.  Vors  doux  heures  et  demie ,  on  atteignit  à  la 
naissance  d*un  pays  particulièrement  tourmenté,  présentant  des  mamelons 
étages  coupés  entre  eux  par  des  ravins,  des  gorges  profondes,  la  plupart  inac- 
cessibles aux  choraux.  C'était  là  que  l'ennemi  avait  établi  le  gros  de  ses 
forces;  en  avant,  se  trouvait  la  cavalerie  du  chérif,  dont  on  distinguait  par- 
faitement la  bannière;  un  peu  en  arrière,  un  millier  do  Kabyles  couronnaient 
les  hauteurs.  Malgré  les  difficultés  qu'elle  avait  devant  elle,  notre  cavalerie 
n'hésita  pas  &  charger;  chasseurs  et  spahis  se  précipitèrent  sur  les  cavaliers 
du  chérif,  qui  en  un  instant  furent  dispersés,  laissant  trente  des  leurs  sur 
le  terrain.  Le  bataillon  de  Tirailleurs,  qui  se  trouvait  &  l'avant-garde,  avait 
mission  d'appuyer  la  cavalerie  ;  les  5<»,  7®  et  8®  compagnies  iiâtèrent  le  pas  et 
vinrent  prendre  position  en  avant  de  façon  à  protéger  la  retraite  de  nos  esca- 
drons; les  autres  compagnies  s'établirent  plus  en  arrière  pour  être  sucoessi- 
y^mtui  é  xoéme  de  couvrir  la  coloone  pendant  son  mouveineot  rétro^rrade. 

Iles  que  (a  cavalerie  se  fut  retirée,  (es  Kabyles,  au  norrit^re  (Vtavïeoa  àix 
cents,  et  ayant  à  leur  tête  le  chérif  avec  les  quelques  cavaliers  qui  lui  restaient, 
se  ruèrent  sur  cette  arrière-garde.  Mais  celle  -  ci  soutint  vigoureusement  le 
choc  et  ne  se  retira  que  pas  à  pas,  en  combattant  toujours,  chargeant  l'en- 
nemi à  la  baïonnette,  et,  quand  celui-ci  devenait  trop  pressant,  l'attirant  dans 
les  embuscades  formées  parles  autres  compagnies;  en  un  mot,  lui  faisant  un 
mal  tel,  que  dans  cette  journée  les  rebelles  perdirent  au  moins  autant 
d'hommes  que  dans  un  combat  où  touto  la  colonne  se  serait  trouvée  engagée. 
A  mesure  qu'une  compagnie  arrivait  &  hauteur  du  point  occupé  par  celle  qui  la 
précédait  immédiatement,  elle  cédait  sa  place  à  celle-ci ,  de  sorte  qu'après  les 
5®,  7*  et  8*,  ce  furent  les  2«,  3®,  1^  et  4®  qui  eurent  successivement  les  hon- 
neurs de  la  première  ligne.  Après  une  heure  de  cette  lutte  à  peu  près  continuel- 
lement corps  à  corps,  lebataillon de  Tirailleurs  fut  relevé  par  un  bataillon  delà 
l^ion  étrangère,  qui  acheva  de  disperser  les  Kabyles,  f'eux-ci  eurent  environ 
quatre-vingts  hommes  tués.  Parmi  leurs  blessés ,  se  trouvait  le  chérif  Mo- 
hamed, qui  avait  eu  la  mâchoire  fracassée  par  une  balle,  accident  qui  porta 
une  forte  atteinte  &  la  réputation  d'invulnérabilité  qu'il  s'était  faite  pour  avoir 
plus  d'ascendant  sur  les  siens.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  comptait  un  homme 
tué  et  vingt- quatre  blessés.  Ce  combat  était  sans  contredit  l'affaire  la  plus 
sérieuse  à  laquelle  il  eût  assisté  depuis  sa  formation.  Réduit  à  ses  seules  res- 
sources, il  avait  su  contenir  tous  les  efforts  de  l'ennemi,  et,  sous  sa  pro- 
tection, la  colonne  avait  pu  opérer  sa  retraite  sans  être  autrement  inquiétée. 

Dans  son  rapport,  le  colonel  Eynard  citait  comme  ayant  fait  preuve  d'une 
grande  bravoure  et  d'un  grand  sang-froid  : 

MM.  Thomas ,  chef  de  bataillon . 
Sarrauton ,                         capitaine-adjudant-major. 

Lapeyrusse ,  capitaine. 

Desporles,  lieutenant. 

Coulon-Lagrandval ,  sous-lieutenant. 

Mohamed-ben-Belkassem ,  sergent. 

Prévost ,  sergent-fourrier. 


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[1846]  EN  ALGÉRIE  48 

Le  10 ,  la  colonne  leva  le  camp  de  Sidi-Aîssa  et  vint  s'établir  à  Téniet-Essouf. 
Le  môme  jour,  à  peine  le  bivouac  fut-il  installé,  que  le  colonel  Eynard ,  laissant 
là  le  convoi  sous  la  garde  d^un  bataillon ,  repartit  avec  les  autres  troupes,  et 
vers  une  heure  arriva  sur  le  champ  de  bataille  du  7  juin.  L'ennemi,  plus 
nombreux  encore  que  lors  do  ce  dernier  combat ,  occupait  cette  fois  une  forte 
position  en  avant  du  grand  ravin  des  Oulcd-Amar-ben-si-Alimcd.  Los  liaulours 
de  droite,  attaquées  de  front  par  le  19«  léger  et  tournées  par  la  cavalerie, 
furent  bientôt  enlevées.  Pendant  ce  temps  le  bataillon  de  Tirailleurs,  qui  avait 
reçu  pour  mission  de  prendre  à  gauche,  de  tourner  Tennemi  si  c'était  pos- 
sible et  de  se  maintenir  &  hauteur  des  bataillons  du  19^  léger,  avait  par- 
couru environ  une  lieue  sans  rencontrer  de  résistance  sérieuse;  enfin  il  se 
trouva  en  face  d'une  position  élevée  et  vigoureusement  défendue.  Il  l'aborda 
résolument,  délogea  les  Kabyles  de  tous  les  points  où  ils  cherchaient  à  tenir 
et  s'arrêta  sur  la  crête,  poursuivant  de  ses  feux  l'ennemi  qui  était  alors  en 
pleine  déroute.  La  k^  compagnie,  qui  marchait  sur  le  flanc  &  droite,  tirailla 
longtemps  dans  le  fond  du  ravin ,  où  se  précipitaient  en  désordre  les  bandes 
refoulées  par  les  autres  troupes,  et  infligea  aux  Kabyles  des  pertes  considé- 
rables. 

La  retraite  s'opéra  avec  tout  l'ordre  possible.  Les  compagnies  furent  éche- 
lonnées derrière  des  plis  de  terrain  et,  comme  après  le  combat  du  7  juin,  for- 
mèrent successivement  l'extrême  arrière-garde.  Mais  l'ennemi,  beaucoup  plus 
maltraité,  fut  moins  agressif.  Il  essaya  bien  de  s'étendre  sur  notre  gauche, 
mais  la  bonne  contenance  des  Tirailleurs  l'arrêta  aussitôt  dans  ce  mouve- 
ment. A  six  heures  du  soir,  toutes  les  troupes  étaient  rentrées  au  camp. 

Cette  journée  coûtait  au  bataillon  un  homme  tué  et  douze  blessés. 

Étaient  cités  dans  le  rapport  du  commandant  de  la  colonne  : 


MM.  Montfort, 

capitaine. 

Fromental , 

lieutenant. 

Coulon-Lagrandval , 

sous-lieutenant. 

Hasscn-ben  -  tIadj-Kassen . 

do 

Mohamed-ben-Amar, 

sergent. 

Ali-ben-Ghelil, 

tirailleur. 

Hassein-ben-Hadj-Kassen ,  d^ 

Le  lendemain ,  les  Amoucha  vinrent  faire  des  propositions  de  paix.  Le  12  au 
soir,  la  colonne  reprit  sa  marche,  se  dirigeant  vers  les  montagnes  du  Guergour. 
Au  point  du  jour,  elle  arriva  devant  les  villages  de  Tafreut  et  de  Ksanoussa,  qui 
l'accueillirent  par  quelques  coups  de  fusil.  Le  bataillon  indigène  reçut  l'ordre 
de  les  détruire.  En  quelques  instants  cette  opération  fut  exécutée,  et  les  Tirail- 
leurs parvinrent  même  à  s'cmparor  des  troupeaux  do  l'cnnenii;  mais,  lorsqu'il 
fallut  se  mettre  en  retraite,  environ  deux  cents  Kabyles  se  rassemblèrent,  et 
pendant  près  d'une  heure  tiraillèrent  avec  acharnemetit  sur  l'arrière-garde, 
qui  eut  cinq  hommes  blessés. 

Le  15,  eut  lieu  une  nouvelle  marche  de  nuit  dans  le  but  de  brûler  quelques 
habitations  et  d'obtenir  une  soumission  plus  sûre  de  la  part  de  quelques  tribus 


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46  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1846] 

qui  bésitaiont  encore.  Le  bataillon  do  Tirailleurs,  placé  à  ravant-garde,  cou- 
vrit cette  opération  en  occupant  successivement  diverses  positions  et  en  tirail- 
lant avec  l'ennemi ,  qui  se  tint  ce  jour-là  &  une  assez  grande  distance. 

Le  18,  un  bataillon  du  19*  léger  eut  sur  l'Oued- Hiroum  un  engagement 
qui  lui  coûta  vingt  hommes  bors  de  combat  et  un  oflBcier  tué.  Le  comman- 
dant Thomas  fîit  aussitôt  envoyé  avec  son  bataillon  pour  l'appuyer  et  soutenir 
sa  retraite.  Comme  les  jours  précédents,  les  compagnies  manœuvrèrent  avec 
le  plus  grand  ordre;  l'ennemi  fîit  contenu  et  refoulé  à  la  baïonnette  toutes  les 
fois  qu'il  devint  trop  audacieux. 

Les  20  et  21 ,  en  protégeant  des  faucheurs  qui  étaient  allés  faire  du  fou^- 
rage  pour  les  chevaux ,  le  bataillon  échangea  quelques  coups  de  fusil  avec  les 
Kabyles  de  la  fraction  des  Ouled-Neirrhoumm ,  mais  n'eut  personne  d'atteint. 
Le  22,  la  colonne,  campée  sur  les  pentes  du  Châbet-Ecorla ,  ravin  limitant  & 
l'est  le  pays  des  Amoucha,  leva  son  bivouac  à  une  heure  du  matin  et  se  porta 
rapidement  sur  lo  territoire  des  Ouled-Yahia.  Au  point  du  jour,  elle  arriva 
devant  un  terrain  excessivement  difficile ,  coupé  par  un  ravin  profond ,  au 
fond  duquel  coulait  l'Oued -Berd,  torrent  alimenté  par  les  eaux  et  les  neiges 
du  Babor.  Là  s'étaient  rassemblés  plusieurs  contingents  kabyles,  appartenant 
pour  la  plupart  à  ce  massif  montagneux.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  se  trouvait 
à  l'avant-garde;  il  reçut  l'ordre  de  fouiller  le  ravin  principal,  de  détruire  les 
habitations,  de  s'emparer  des  troupeaux,  en  un  mot  de  faire  le  plus  de  mal 
possible  à  l'ennemi.  Les  l^^  et  2*  compagnies  furent  détachées  sur  la  droite,  au 
fond  de  la  gorge;  les  autres  s'avancèrent  le  long  des  crêtes  escarpées  qui 
plongent  sur  l'Oued-Berd.  D'abord  surpris  par  ce  mouvement  audacieux,  l'en- 
nemi prit  la  fuite ,  nous  abandonnant  ses  villages  ;  mais  bientôt  il  se  ras- 
sembla sur  le  flanc  droit  des  3®,  4®  et  5*  compagnies  et,  les  débordant  tout  à 
fait,  se  jeta  sur  l'arrière-garde  du  bataillon.  Prenant  alors  des  positions  éche- 
lonnées, ces  compagnies  se  retirèrent  en  combattant  et  se  replièrent  sur  le 
gros  du  bataillon,  qui  à  son  tour  rétrograda  sur  la  colonne,  qui  elle-même  était 
aux  prises  avec  les  Kabyles.  Une  compagnie  de  la  légion  étrangère  se  trouvait 
même  dans  une  situation  assex  difficile,  lorsqu'elle  fut  dégagée  par  les  1*^  et 
2®  compagnies  qui,  après  avoir  remonté  le  ravin  qu'elles  avaient  mission  de 
fouiller,  gravirent  les  pentes  escarpées  occupées  par  l'ennemi,  chassèrent 
celui-ci,  protégèrent  une  pièce  d'artillerie  qui  fut  placée  sur  ce  point,  et  per- 
mirent ainsi  à  la  colonne  d'opérer  son  mouvement  de  retraite  sans  être  trop 
inquiétée. 

Cet  engagement  avait  été  très  vif;  l'infanterie,  qui  seule  avait  donné,  n'avait 
pas  moins  de  trente  hommes  hors  de  combat  parmi  lesquels  le  bataillon  de  Ti- 
railleurs comptait  un  tué  et  dix  blessés.  Son  résultat  le  plus  direct  avait  été  de 
prouver  à  l'ennemi  qu'il  n*y  avait  pas  de  terrain  qu'il  occupât  qui  ne  fût  ac- 
cessible à  nos  troupes ,  et  cette  considération  amena  bientôt  ce  dernier  à  cesser 
une  guerre  où  il  subissait  des  pertes  considérables,  où  il  voyait  ses  campagnes 
dévastées,  ses  villages  brûlés  et,  à  mesure  que  sa  résistance  se  prolongeait, 
la  clémence  du  vainqueur  devenir  plus  difficile  et  plus  inespérée. 

Seule  la  fraction  des  Ouled-Amar-ben-Ahmed  persista  dans  une  attitude 
dissidente.  Le  4  juillet,  la  colonne  vint  s'établir  à  Tabia,  au  centre  de  son 


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[1846]  EN  ALGÉRIE  47 

territoire.  Les  5,  6  et  7,  la  cavalerie  fit  du  fourrage  sans  être  autrement  in- 
quiétée que  par  quelques  coups  de  fusil  tirés  hors  de  portée.  Le  8,  la  8*  com- 
pagnie, qui  protégeait  les  faucheurs,  fut  tout  à  coup  attaquée  par  environ 
deux  cents  Kabyles  auxquels  elle  infligea  des  pertes  sérieuses.  Elle  eut  elle- 
même  deux  hommes  blessés. 

Le  même" jour,  la  colonne,  ayant  à  peu  près  terminé  sa  mission,  se  mit  en 
marche  vers  Touest,  passa  devant  le  Chêbet-el-Akrera ,  immense  ravin  au  fond 
duquel  coule  un  torrent  qui  se  rend  à  la  mer,  qui  n*est  pas  loin  de  là,  puis  se 
dirigea  vers  le  massif  du  Guergour,  au  milieu  duquel  elle  vint  établir  son 
bivouac.  Pendant  huit  jours  elle  rayonna  dans  cette  région ,  recevant  les  sou- 
missions et  rimp6t  des  diverses  tribus  qui  Thabitent.  Le  16,  elle  se  remit  en 
route  et,  le  17,  arriva  devant  Zamoura,  centre  d*une  population  considérable 
répartie  en  une  dizaine  de  villages  adossés  à  une  montagne  décharnée  tenant 
au  pays  des  Ueni-Abbès,  tribu  paisible  et  industrieuse.  La  chaleur  était  de- 
venue étouffante  et  les  marches  excessivement  pénibles;  le  résultat  à  obtenir 
n'était  plus  en  rapport  avec  les  fatigues  à  endurer.  Après  être  resté  deux  jours 
devant  Zamoura,  on  se  remit  en  route  pour  Sétif ,  où  Ton  arriva  le  21.  Là 
la  colonne  fut  dissoute  et  le  bataillon  do  Tirailleurs  dirigé  sur  Constantine. 
Le  26,  il  rentrait  dans  cette  place  et,  le  l*'*'  août,  les  7«  et  8^  compagnies  re- 
prenaient leur  garnison  de  Bêne. 

Le  bataillon  avait  sans  désemparer  tenu  la  campagne  pendant  dix  mois. 
Durant  le  cours  de  cette  période,  il  avait  pris  part  à  onze  combats,  dans 
lesquels  il  avait  eu  un  officier  tué,  un  autre  blessé,  six  hommes  tués  et 
soixante- dix -huit  blessés,  soit  un  total  de  quatre-vingt-six  hommes  hors  de 
combat.  Partout  il  s'était  trouvé  au  premier  rang  et  avait  hautement  justifié 
cet  honneur;  sa  réputation  longtemps  jalousée  s'imposait  maintenant  de  telle 
sorte,  que  ce  corps,  de  si  récente  formation,  allait  être  considéré  comme  in- 
dispensable dnns  toutes  les  expéditions  qu'on  devait  encore  diriger  dans  cette 
région  abrupte,  défendue  par  une  population  d'une  extrême  bravoure  :  la 
Kabylie. 

L'est  de  la  province,  si  tranquille  jusqu'alors,  s'était  légèrement  ressenti 
du  contre-coup  des  événements  qui  s*étaient  passés  dans  l'ouest.  Un  prétendu 
chérif  s'y  était  également  présenté,  mais  avait  bientôt  dû  s'enfuir,  chassé  par 
les  indigènes  eux-mêmes.  Les  esprits  étaient  cependant  dans  une  profonde 
surexcitation;  le  1^'  juin,  un  convoi  de  malades,  qu'on  évacuait  de  Tébessa 
sur  Guelma ,  s'étant  aventuré  dans  un  douar  des  Ouled-Sidi-Yahia-bou-Thaleb, 
y  fut  complètement  massacré.  Dans  ce  convoi  se  trouvait  un  Tirailleur  du 
bataillon. 

La  vengeance  ne  se  fît  pas  attendre;  douze  heures  après,  le  général  Ran- 
don,  à  la  tête  d'une  colonne  dans  laquelle  sejtrouvaient  trente  Tirailleurs  du 
détachement  de  Bônc,  atteignit  la  population  coupable,  et  deux  cents  Arabes 
payèrent  de  leur  tête  ce  lâche  guet-apens.  Une  contribution  de  guerre  fut 
imposée  à  la  tribu,  qui  livra  en  outre  cinq  individus  désignés  comme  les 
principaux  instigateurs  du  meurtre  du  l^*"  juin,  et  qui  étaient  parvenus  à  se 
soustraire  à  nos  recherches. 

Le  séjour  du  bataillon  à  Constantine  ne  fut  pas  de  longue  durée.  Le  20  août, 


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48  LE  a^"  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l847] 

on  formait  une  colonne  destinée  à  châtier  les  Beni-QuetcU,  qui  venaient  d'as- 
sassiner leur  ca!d ,  et  il  était  désigné  pour  en  faire  partie  avec  un  bataillon 
mixte  du  2*  et  du  31*  de  ligne  et  un  escadron  de  chasseurs.  D'autres  troupes, 
parties  de  Guelma  et  de  Philippeville,  devaient  participer  &  cette  opération, 
dirigée  par  le  général  Bedeau  en  personne.  Le  premier  jour,  la  colonne  de 
Constantine  alla  camper  à  Châbet-el-Kéroum.  Le  21,  on  arriva  au  pied  des 
montagnes  de  la  tribu  révoltée.  Les  22  et  23  furent  employés  à  vider  les  silos. 
Le  24,  on  exécuta  une  razzia  sur  les  Béni -Ahmed,  qui  avaient  recelé  les 
troupeaux  des  Beni-Quetclt.  Les  auteurs  de  la  mort  du  caïd  ayant  ensuite  été 
arrêtés,  une  forte  amende  fut  imposée  à  la  tribu  et  les  troupes  regagnèrent 
leurs  garnisons  respectives.  Le  bataillon  était  de  retour  le  27. 

Le  21  octobre,  les  cinq  premières  compagnies  partirent  pour  Batna  et 
allèrent  se  mettre  à  la  disposition  du  général  Uerbillon ,  commandant  cette 
subdivision.  Le  vrai  Bou-Haza,  celui  qui  devait  si  souvent  être  aux  prises  avec 
nos  postes  du  sud,  venait  do  paraître  dans  le  Zab,  et  un  certain  trouble  se 
manifestait  parmi  les  oasis  du  cercle  de  Biskra.  Cependant,  le  fanatique  pré- 
dicateur s*étant  momentanément  éloigné,  le  calme  parut  renaître  et  le  général 
Herbillon  crut  devoir  renvoyer  ces  compagnies  à  Constantine.  Elles  y  arrivèrent 
le  27,  et  pendant  les  autres  mois  d'hiver  ne  quittèrent  plus  cette  garnison ,  où 
elles  s'occupèrent  activement  de  leur  réorganisation  et  de  leur  instruction. 

Le  20  mars  1847,  tout  le  bataillon,  &  l'exception  de  la  6*  compagnie,  qui 
occupait  toujours  le  fort  de  Bordj-bou-Arréridj,  fit  partie  d'une  colonne  en- 
voyée de  Constantine  à  Batna  pour  coopérer  &  une  expédition  qui  devait  avoir 
lieu  dans  le  pays  des  Nemencha.  Depuis  que  nous  occupions  Tébessa  el  Biskra, 
cette  importante  tribu  protestait  de  sa  soumission  en  envoyant  tous  les  ans 
des  députés  à  Constantine;  mais,  dans  le  fait,  elle  restait  indépendante  et 
n'en  continuait  pas  moins  &  exercer  des  actes  de  brigandage  sur  les  tribus 
plus  faibles  qu'elle  et  la  plupart  réellement  soumises.  Le  général  Bedeau, 
voulant  en  finir  avec  ces  gens,  ordonna  au  général  Uerbillon  de  se  porter  au 
cœur  do  leur  territoire  par  l'ouest,  en  partant  de  liatna,  pendant  (|ue  le  co- 
lonel Senilhes,  venant  de  Bône,  les  cernerait  pur  le  nord  tout  en  surveillant 
la  frontière  de  Tunis,  et  que  le  colonel  Sonnet,  parti  de  Biskra,  intercepterait 
tous  les  défilés  du  sud. 

La  colonne  de  Batna,  dont  le  bataillon  de  Tirailleurs  fit  partie,  se  mit  en 
route  le  25  mars,  se  dirigeant  sur  Sidi-Abib,  où  elle  arriva  le  30.  Cette  impor- 
tante déchera  était  complètement  abandonnée.  Les  jours  suivants,  des  recon- 
naissances envoyées  dans  toutes  les  directions  trouvèrent  la  campagne  abso- 
lument déserte  :  les  Nemencha  avaient  gagné  en  toute  hâte  la  frontière  de  la 
Tunisie,  et  de  là  s'étaient  retirés  dans  le  Sahara.  On  se  mit  cependant  à  par- 
courir le  pays  pour  le  fouiller  dans  toiites  ses  parties.  Le  S  avril,  les  colonnes 
de  Béne  et  de  Batna  firent  leur  jonction  à  Tilizaïn.  Un  mois  se  passa  encore  & 
des  marches  et  des  contremarches  qui  n'amenèrent  pas  d'autre  résultat,  et, 
le  2  nmi,  la  colonne  du  général  Uerbillon  rentra  à  Batna,  laissant  celle  du 
colonel  Senilhos  au  centre  du  pays  pour  attendre  que  l'ennemi ,  vaimui  par 
la  sécheresse,  abandonnât  le  désert  pour  venir  abreuver  ses  troupeaux. 

Le  4  mai,  le  bataillon  quitta  Batna  pour  se  rendre  à  Sétif,  où  s'organisait 


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[1847]  EN  ALGÉRIE  49 

une  autre  colonne  qui,  sous  les  ordres  du  général  Bedeau,  devait  se  porter 
sur  Bougie  en  traversant  toute  la  grande  Kabylie.  U  présentait  alors  un  effectif 
de  vingt-trois  officiers  et  de  cinq  cent  quarante-sept  hommes.  Avec  un  autre 
bataillon  du  38*  de  ligne,  il  forma  la  brigade  d*avant-garde  dont  le  colonel 
Eynard  reçut  le  commandement. 

La  colonne  quitta  Sétif  le  14.  Le  16,  des  renseignements  firent  croire  que 
la  tribu  des  Reboulah  ferait  quelque  résistance.  A  cinq  heures  du  matin,  on 
se  mit  en  route.  Les  Tirailleurs  étaient  à  l*avant-garde.  Après  avoir  gravi  un 
plateau  d*où  Ton  découvrait  toute  la  vallée  de  l'Oued-Rousselam,  la  colonne 
descendit  dans  celte  vallée,  atteignit  la  rivière  et  la  traversa.  A  ce  moment, 
des  rassemblements  commencèrent  à  se  montrer  dans  la  montagne. 

Il  était  deux  heures.  Le  général  6t  masser  la  colonne,  laissa  la  garde  du 
convoi  à  quatre  bataillons,  et  avec  les  cinq  autres  se  dirigea  vers  les  groupes 
hostiles.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  reçut  l^ordre  d*enlevcr  les  hauteurs  pour 
protéger  Toccupation  des  villages.  En  un  instant  l'ennemi  fut  attaqué,  délogé, 
poursuivi  de  crèle  en  crête,  pendant  que  les  autres  bataillons ,  pénétrant  dans 
les  villages  abandonnés,  incendiaient  ces  derniers  et  ravageaient  les  jardins. 

Cette  journée  coûta  onze  blessés  au  bataillon. 

(lO  17,  In  marche  fut  reprise;  In  colonne  se  dirigea  au  nord.  IjO  18,  elle 
traversait  le  pays  des  Ouled-Oucrtillan,  lorsqu^un  rassemblement  de  mille 
à  douze  cents  Kabyles  fut  aperçu  dans  la  direction  de  la  route  à  suivre,  et  qu'un 
autre  de  quatre  ou  cinq  cents  apparut  à  son  tour  sur  la  gauche.  Laissant  au 
gros  de  la  colonne  le  soin  de  s'occuper  de  ce  dernier,  le  général  se  porta  en 
avant  avec  les  bataillons  d*avant-garde  et  marcha  droit  au  gros  contingent. 
Ii*ennemi,  embusqué  derrière  les  haies,  nous  résista  vigoureusement.  Le  ba- 
taillon fut  chargé  de  le  déloger.  S*élançant  aussitôt  sur  un  chemin  étroit  que 
défendait  la  masse  des  tirailleurs  kabyles,  il  aborda  la  position  par  deux  côtés 
à  la  fois;  voyant  sa  ligne  de  retraite  menacée,  Tennemi  prit  la  fuite  en  tirail- 
lant toujours,  et  fînit  par  disparaître  tout  à  fait.  Dans  cette  audacieuse  opéra- 
tion, nous  perdîmes  M.  Bittard- Desportes,  lieutenant  à  la  S«  compagnie,  qui 
fut  tué  glorieusement  à  la  tète  de  sa  troupe,  et  eûmes  en  outre  cinq  tirailleurs 
blessés. 

Les  19,  20  et  21  mai  se  passèrent  sans  incident.  Le  soir  du  21,  le  camp 
fut  établi  tout  près  do  relui  du  gouverneur  général.  Le  maréchal  Bugeaud, 
parti  d*Alger,  opérait  de  son  côté  avec  une  importante  colonne  et  venait  de 
soumettre  les  Beni-Abbès.  Le  22,  les  troupes  des  deux  provinces  effectuèrent 
leur  jonction  et  firent  leur  entrée  dans  Bougie.  Le  24,  le  maréchal  passa  en 
revue  la  division  Bedeau;  il  investit  ensuite  plusieurs  caïds,  puis  il  s'embar- 
qua pour  Alger.  Le  26 ,  les  deux  colonnes  se  mirent  en  marche  pour  se  sé- 
parer le  lendemain  :  celle  d* Alger  reprit  la  route  de  sa  province  et  celle  du 
générai  Bedeau  se  dirigea  sur  Sétif. 

Le  31 ,  en  arrivant  sur  TOued-Rousselam ,  la  colonne  de  Constanline  aper- 
çut de  nombreux  groupes  de  Kabyles  qu'avait  rassemblé  contre  nous  un  chef 
nouvellement  investi:  Si-Sliman-ben-Adda.  Après  avoir  fait  masser  son  convoi 
et  l'avoir  mis  sous  la  garde  de  deux  bataillons,  le  général,  avec  les  autres 
troupes,  se  porta  au-devant  de  l'ennemi.  Arrivé  à  six  cents  mètres,  il  forma 

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60  LE  3«  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1847] 

une  colonne  d'attaque  comprenant  quatre  bataillons,  dont  celui  de  Tirailleurs, 
et  fit  tourner  la  position  par  le  43<»  de  ligne  et  la  légion.  Ce  mouvement  fut 
exécuté  avec  une  telle  rapidité  que  les  Kabyles,  débordés  de  (ouïes  parts, 
furent  à  Tinstant  rejetés  dans  le  ravin  du  Rousselam,  où  les  poursuivirent  le 
bataillon  de  Tirailleurs  et  le  bataillon  du  38*.  Leurs  pertes  furent  considé- 
rables. Dans  le  bataillon  il  n*y  eut  qu'un  ofticier  blessé,  M.  Sarrauton,  capi- 
taine-adjudant-major. Après  deux  heures  de  repos,  les  troupes  vinrent  re- 
prendre le  convoi ,  et  la  marche  continua  vers  l'est.  Le  5  juin ,  toute  la  colonne 
rentrait  à  Sétif. 

Depuis  longtemps  une  expédition  semblable  à  celle  qui  venait  d'avoir  lieu , 
quoique  devant  être  faite  avec  des  forces  moindres,  était  résolue  à  l'égard 
de  Collo.  Les  tribus  qui  avoisinaient  cet  établissement,  très  incertaines  dans 
leur  soumission,  étaient  une  continuelle  menace  pour  sa  sécurité,  et  il  deve- 
nait indispensable  de  parcourir  le  pays  pour  y  relever  le  prestige  de  notre 
puissance. 

A  peine  rentré  &  Sétif,  le  général  Bedeau  se  mit  aussitôt  aux  préparatifs  de 
cette  nouvelle  opération  ;  une  colonne  comprenant  la  plus  grande  partie  des 
troupes  disponibles  de  la  province  fut  réunie  à  Milah  et,  le  16  juin,  il  alla 
lui-même  en  prendre  le  commandement.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  était  ar- 
rivé au  point  de  concentration  le  11,  après  avoir  quitté  Sétif  le  9  avec  un 
effectif  de  vingt-deux  ofliciers  et  cinq  cent  trente-deux  hommes. 

Le  17,  la  division  se  mit  en  umrche  sur  une  seule  colonne,  et  arriva  chez 
les  Achèches  sans  avoir  rencontré  la  moindre  résistance.  Le  11)  eut  lieu,  chez 
les  Ouled-Aidoun ,  un  engagement  assez  vif,  mais  le  bataillon  n*y  prit  point 
part,  pas  plus  qu'il  ne  fut  employé  à  repousser  d'autres  attaques  que  les 
Arabes  de  la  même  tribu  dirigèrent  sur  le  camp  dans  la  nuit  du  20  au  21  et 
dans  celle  du  21  au  22.  Le  24,  on  arriva  à  Collo.  On  y  resta  jusqu'au  27; 
puis,  le  pays  paraissant  être  complètement  pacifié,  la  colonne  reprit  la  route 
qu'elle  venait  de  parcourir.  Le  30,  les  7®  et  8®  compagnies  quittèrent  le  ba- 
taillon pour  se  diriger  d'abord  sur  Smendou  et  ensuite  sur  Bône.  Le  1°^  juillet, 
les  cinq  premières  compagnies  rentraient  à  Constantine  après  une  absence  de 
cent  trois  jours. 

A  la  suite  de  cette  expédition,  les  troupes  de  la  province  de  Constantine 
jouirent  pendant  quelques  mois  d'une  parfaite  tranquillité.  Le  bataillon  de 
Tirailleurs  en  avait  besoin  pour  réorganiser  ses  compagnies  et  renforcer  son 
effectif,  sensiblement  réduit  par  les  fatigues  qu'avaient  entraniées  les  nom- 
breuses opérations  auxquelles  il  venait  de  prendre  part. 

Nommé  lieutenant-colonel  par  décret  du  9  octobre  1847,  le  commandant 
Thomas  ne  tarda  pas  à  quitter  ce  corps  à  la  formation  duquel  il  s'était  con- 
sacré. Il  laissait  au  commandant  Bourbaki ,  son  successeur,  une  troupe  ani- 
mée du  plus  parfait  esprit  de  discipline,  ayant  déjà  de  glorieuses  traditions, 
comptant  de  nobles  actions  dans  son  passé,  donnant  les  plus  belles  espérances 
pour  l'avenir. 

M.  Bourbaki  n'était  pas  un  inconnu  pour  le  bataillon;  il  y  avait  servi  comme 
lieutenant,  alors  que  ce  dernier  portait  encore  le  titre  de  bataillon  turc.  U 
sortait  maintenant  du  corps  des  zouaves,  et  possédait  par  conséquent  une 


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[\BM]  BN  ALGÉmn:  51 

parfaite  expérience  de  rAlgérie ,  et  par  suite  du  soldat  indigène.  Il  apportait 
dans  le  commandement  qu'il  allait  exercer  un  tempérament  bien  particulier 
de  soldat  d*une  extrême  bravoure,  d*une  indomptable  énergie  mêlée  à  un  peu 
de  celte  bonhomio  dont  le  maréchal  Bugeaud  semblait  avoir  donné  le  ton  aux 
chefs  de  raruicc  d*Afrif|uc.  Brillant  officier  dans  toute  la  force  du  terme,  il  allait 
communiquer  aux  Tirailleurs  celte  coquetterie  qui  ne  les  a  pas  quittés  depuis, 
et  qui  fut  bientôt  si  légendaire,  que  ce  refrain  est  resté  depuis  dans  la  bouche 
de  tous  nos  troupiers  d'Algérie  : 

Et  ce  chic  exquis , 
Par  les  turcos  acquis, 
Ils  le  doivent  à  qui? 

A  Dourbaki, 
A  Charles  Itourhnki. 

Sous  rintelligente  et  vigoureuse  impulsion  de  ce  nouveau  chef,  si  bien  fait 
pour  commander  à  de  tels  soldats,  les  Tirailleurs  du  bataillon  de  Constantine 
allaient  encore  faire  de  nouveaux  progrès,  acquérir  de  nouvelles  qualités, 
ajouter  de  nouvelles  pages  à  leur  livre  d'or,  s'assimiler  de  plus  en  plus  aux 
autres  corps  de  Tarmée  française  par  leur  instruction  militaire,  tout  en  restant 
d*incomparables  éclaireurs  admirablement  préparés  au  combat  individuel  et 
à  cette  lutte  de  partisans  qui  allait  ôlre  le  caractère  particulier  de  la  dernière 
période  de  la  conquête  algérienne.  Le  nom  de  Bourbaki  restera  toujours  pour 
les  turcos  ce  que  celui  de  Lamoricière  est  resté  pour  les  zouaves,  celui  autour 
duquel  se  groupent  toutes  ces  vieilles  traditions  qui  s'allient  intimement  à 
riiistoire  d'un  régiment,  et  qui  deviennent  pour  lui  ce  lien  magique  qu'on 
appelle  vspnl  dv  voqïs. 


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CHAPITRE  VI 

(1848) 


Opérations  dans  le  fielezma.  ~  Expédition  de  l'Aurès;  arrestation  de  l'ancien  bey  Hadj- 
Ahmed.  ^  Expédition  de  Sidi-Mérouan.  ^  Combat  des  8  août  et  %  septembre.  —  Sou- 
mission des  deux  frères  Ben-Àiedine.  ~  Retour  du  bataillon  à  GonstanUne. 


La  campagne  de  1848  s'ouvrit  par  une  expédition  chez  les  Ouled-Soltan. 

Bou-Aziz,  ancien  cheik  du  Belezma,  personnage  peu  intelligent,  mais 
que  l'influence  do  son  nom  pouvait  rendre  dangereux ,  avait  été  longtemps 
interné  à  Batna,  pour  y  être  l'objet  d'une  surveillance  particulière.  Nul  indice 
n'étant  venu  éveiller  le  moindre  soupçon  à  son  égard ,  vers  la  fin  de  1847  on 
lui  rendit  sa  liberté.  Au  lieu  de  nous  savoir  gré  de  cette  générosité,  il  se  mit 
aussitôt  à  fomenter  des  troubles  dans  le  pays,  faisant  appel  à  tous  nos 
ennemis,  réveillant  le  fanatisme  de  ces  tribus,  qui  n'étaient  pour  la  plupart 
soumises  que  de  nom.  On  l'écoula  volontiers,  et  bientôt  Ahmcd-Sgliir, 
kbodja  (secrétaire)  de  Si-el-Bey,  caïd  des  Ouled-ben-Aoun ,  quitta  la  smala  de 
son  mattre,  et  vint  se  mettre  à  sa  disposition  avec  environ  soixante-dix  tentes. 

Il  importait  de  réduire  ce  soulèvement  avant  qu'il  eût  pris  de  la  consis- 
tance. Le  7  avril ,  le  commandant  Bourbaki  quitta  Constantine  avec  les  cinq 
premières  compagnies  du  bataillon  pour  se  rendre  à  Batna  ;  là  ce  détachement 
entra  dans  la  composition  d'une  colonne  où  se  trouvaient  en  outre  six  com- 
pagnies d'élite  du  2«  de  ligne,  un  escadron  de  chasseurs  d'Afrique,  un  pe- 
loton de  spahis  et  deux  pièces  d'artillerie ,  le  tout  sous  les  ordres  du  colonel 
Canrobert. 

Le  11  avril  au  soir,  cette  colonne  se  mit  en  route,  et  fut,  vers  minuit, 
assaillie  par  une  neige  tellement  abondante  et  un  froid  tellement  intense, 
qu'on  crut  un  moment  que  le  désastre  du  2  janvier  1846,  dans  les  montagnes 
du  Bou-Thaleb^  allait  se  renouveler.  L'obscurité  la  plus  profonde  couvrit 
toute  la  campagne,  et,  les  guides  ayant  perdu  la  route,  il  ne  fut  plus  possible 
d'avancer.  Quand  le  jour  parut,  la  neige  cessa  un  peu,  et  l'on  put  franchir 
la  gorge  effiroyable  par  laquelle  la  route  de  Sétif  débouche  dans  le  délilé  do 
Batna;  enfin  on  arriva  à  Aln-Djeina,  où  l'on  attendit  le  retour  du  colonel 
Canrobert,  qui,  avec  la  cavalerie,  s'était  porté  jusqu'au  marabout  de  Sidi- 


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[1848]         LE  3""  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE  53 

Brahim,  où  s'étaient  réunies  les  tentes  qui  avaient  abandonné  Si-el-Bey.  Gés 
dernières  firent  leur  soumission.  Quant  à  Ahmed-Sghir,  il  fut  livré  le  jour 
môme  par  un  marabout  de  la  décbera  de  Guergour,  cbez  lequel  il  s'était 
réfugié.  Le  11  au  soir,  la  colonne  rentrait  pour  laisser  passer  le  mauvais 
temps.  Elle  repartait  le  13  pour  se  mettre  à  la  poursuite  des  Haliana,  qui 
s'étaient  retirés  dans  les  montagnes.  Cette  fraction  fut  surprise  le  lendemain , 
et,  après  une  vaine  tentative  de  résistance,  dut  nous  abandonner  ses  trou- 
peaux ,  ses  chevaux  et  ses  botes  de  somme.  Le  15,  la  colonne  arriva  à  Aîn- 
Cheddi.  Elle  parcourut  ensuite  la  plus  grande  partie  du  pays  des  Ouled- 
Soltan ,  arrêta  plusieurs  perturbateurs ,  et  rentra  à  Batna  le  25  avril. 

Plusieurs  tribus  de  TAurès,  notamment  celle  des  Beni-Ondjana,  refusaient 
depuis  longtemps  de  payer  l'impôt.  Dès  que  le  colonel  Canrobert  fut  de  retour 
à  Batna,  le  général  Herbillon,  qui  venait  depuis  peu  de  prendre  le  comman- 
dement de  la  province ,  le  chargea  de  diriger  une  expédition  dans  ce  pays. 
Une  colonne  comprenant  cinq  compagnies  de  la  légion,  un  bataillon  du  43*, 
les  cinq  premières  compagnies  du  bataillon  de  Tirailleurs ,  un  escadron  de 
chasseurs  d'Afrique,  un  peloton  de  spahis  et  trois  pièces  de  montagne,  fut 
aussitôt  réunie,  et,  le  10  mai,  se  mit  en  route  pour  le  territoire  des  Ouled- 
Mncho,  où  elle  arriva  le  londomnin.  Le  12,  elle  opéra  une  raxzia  chez  les 
Oulcd-Uachia,  fraction  des  Béni  -  Oudjana.  Le  l^i,  le  camp  fut  porté  sur 
l'Oued -Mclagou.  Les  tentes  des  Beni-Oudjana  se  trouvaient  rassemblées  sur 
les  bords  de  cette  rivière.  Les  chefs  vinrent  au  camp  en  suppliants;  leur 
soumission  fut  acceptée.  Cependant  une  colonne  mobile,  composée  du  ba- 
taillon de  Tirailleurs,  des  compagnies  d'élite  du  43*  et  de  la  compagnie  de 
voltigeurs  de  la  légion ,  fut  organisée  pour  parcourir  le  pays  et  en  imposer 
à  CCS  populations  qui  n'avaient  cédé  que  devant  la  nécessité.  Le  20  mai,  cette 
colonne  se  mit  en  route  et  campa  à  Aîn-Tout,  aux  sources  de  l'Oued-Tama- 
grat.  Le 22,  elle  s'établit  sur  les  bord  de  l'Oued -el- Hammam,  après  avoir 
franchi  le  col  de  Khenchela.  Le  24,  elle  était  de  retour  au  camp,  sans  avoir 
rencontré  le  moindre  rassemblement  ni  la  moindre  manifestation  hostile  sur 
tout  son  parcours.  Une  journée  fut  encore  consacrée  à  la  perception  des  im- 
pôts, puis  la  colonne  entière  se  remit  en  marche  et,  le  27,  arriva  à  El- 
Akbarath.  Le  31,  elle  campa  sur  l'Oued-Taza,  où  elle  reçut  un  convoi  d'appro- 
visionnements de  toute  nature.  Elle  descendit  ensuite  la  belle  et  riche  vallée 
de  l'Oued-el-Abiob,  et,  le  3  juin,  arriva  à  Menna.  Là  on  apprit  tout  à  coup 
le  voisinage  d'Hadj-Ahmed ,  l'ancien  bey  de  Constantine. 

Depuis  longtemps  ce  chef  détrôné  s'était  retiré  dans  les  Aurès,  où  il  vivait 
plutôt  en  fugitif  qu'en  chef  de  partisans.  Abandonné  de  tous  les  siens,  déses- 
pérant désormais  de  se  créer  un  nouveau  parti ,  tous  ses  soins  étaient  main- 
tenant employés  &  nous  dérober  le  lieu  de  sa  retraite;  pour  cela,  il  s'était 
réfugié  au  village  de  Kébaîoch ,  situé  dans  un  des  endroits  les  plus  difliciles 
de  la  montagne.  Il  n'avait  exercé  aucune  action  bien  directe  sur  les  agitateurs 
qui  avaient  soulevé  la  province;  mais  son  nom,  en  servant  de  mot  d'ordre, 
pouvait  rendre  un  moment  ou  l'autre  sa  présence  dans  le  pays  une  cause 
de  troubles,  sinon  d'insurrection.  Déjà  une  correspondance  saisie  un  mois 
auparavant  avait  amené  l'arrestation,  à  Constantine,  de  plusieurs  person- 


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54  LE  3^  RÉOIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1848] 

nag08  influents  qui  clierclmicnl  à  ourdir  uno  conspiration  en  sa  faveur.  Il 
devenait  donc  politique  de  s'emparer  de  sa  personne,  pour  enlever  tout 
prétexte  d'agitation. 

Le  4  juin ,  le  colonel  Canrobert  quitta  le  camp  de  Menna  à  la  tête  des  cinq 
compagnies  de  Tirailleurs,  des  compagnies  d'élite  du  43«  et  de  la  légion  et 
de  deux  pièces  d'artillerie ,  pour  se  diriger  sur  Kébaîech.  Pendant  ce  temps, 
le  commandant  de  Saint- Germain,  avec  la  garnison  de  Biskra,  interceptait 
tous  les  défilés  du  sud.  Découragé,  en  voyant  découverte  une  retraite  qu'il 
avait  cru  sûre,  fatigué  de  la  vie  de  proscrit  qu'il  menait  depuis  la  prise  de 
Constantine,  et  sur  le  point  de  se  voir  saisi,  Hadj- Ahmed  résolut  de  se 
mettre  sous  la  protection  de  la  générosité  française;  il' écrivit  au  colonel 
Canrobert  et  demanda  un  oflicier  français  entre  les  mains  duquel  il  pût  se 
rendre. 

La  petite  colonne  de  marche,  partie  de  Menna  dans  la  matinée  du  4,  était 
à  six  lieues  du  camp  lorsque  le  colonel  reçut  ce  message.  Quoique  rassuré 
par  les  propositions  du  bey ,  il  ne  voulut  pas  compromettre  le  résultat  de  ses 
marches  pénibles,  et  résolut  de  se  porter  lui-même  sur  Kebaîech  avec  une 
force  respectable.  Il  prit  avec  lui  la  cavalerie,  trois  compagnies  du  bataillon 
de  Tirailleurs,  la  compagnie  de  voltigeurs  de  la  légion,  et  partit  è  minuit. 
Mais ,  égaré  par  ses  guides,  ce  petit  détachement  parcourut  un  chemin  aHreux  ; 
il  descendit  une  montagne  à  pic  hérissée  de  quartiers  de  roche,  où  les  che- 
vaux ne  pouvaient  tenir,  et  au  jour  il  était  encore  à  quelques  heures  de  Ke- 
baîech. On  fit  halte  sur  l'Oued-Eriche  pour  prendre  un  peu  de  repos.  Là  on 
apprit  qu'IIadj- Ahmed  s'était  déjà  rendu  à  M.  de  Saint -Germain.  Dans  la 
soirée,  on  rallia  les  deux  autres  compagnies  de  Tirailleurs  et  les  deux  compa- 
gnies d'élite  du  43*,  qui  n'avaient  quitté  le  bivouac  qu'à  sept  heures  du 
matin.  Le  6,  la  colonne  alla  camper  à  Méchounech;  le  7,  elle  arrivait  à 
Biskra;  enfin,  le  14,  elle  rentrait  à  Batna,  où  elle  fut  aussitôt  dissoute.  En 
se  séparant  du  bataillon  de  Tirailleurs,  le  colonel  Canrobert,  s'odressont  au 
commandant  Bourbaki ,  lui  dit  :  <(  Je  ne  prétomls  pus  (|uc  vos  soldats  soient 
les  meilleurs  de  l'armée  française,  mais  je  n'en  connais  pas  qui  vaillent  mieux. 
Avec  une  troupe  comme  la  vôtre,  on  peut  tout  entreprendre,  on  peut  tout 
oser.  >  Ce  bataillon  et  la  cavalerie  rentrèrent  à  Constantine  le  19,  y  rame- 
nant Iladj-Ahmed,  qui  fut  envoyé  à  Alger,  où  on  le  traita  noblement,  et  où 
il  mourut  au  bout  d'un  certain  temps ,  après  avoir  presque  cflacé ,  par  sa 
conduite  paisible  et  la  dignité  de  ses  manières,  sa  réputation  de  cruauté  si 
profondément  gravée  dans  l'opinion  publique. 

Parmi  les  soumissions  qu'avait  reçues  le  général  Bedeau  l'année  précé- 
dente, dans  son  expédition  sur  Collo,  se  trouvait  celle  des  deux  Ben-Azedine, 
Mohamed  et  Bou-Renou ,  chefs  très  influents  du  Zouagha.  Ces  derniers  ayant 
énergiquement  protesté  de  leur  dévouement  pour  la  cause  française,  le  gé- 
néral avait  cru  devoir  leur  laisser  leur  titre  de  cheiks,  et,  en  bon  politique, 
ménager  un  peu  ces  personnages,  dont  l'exemple  pouvait  entraîner  toutes  les 
populations  de  cette  région  montagneuse  dans  la  voie  de  la  pacification.  Mais 
les  deux  frères  n'étaient  pas  sincères  ;  après  le  départ  de  la  colonne ,  ils  con- 
tinuèrent à  accorder  refuge  aux  voleurs  et  aux  assassins ,  et  autorisèrent  leurs 


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[1848]  EN  ALGÉniE  55 

cayalicrs  à  courir  et  à  piller  sur  le  territoire  dos  Moulas  et  des  Deni-Tlilen , 
tribus  inoircnsivos  qui  nous  payaient  régulièrement  Timpôt.  Les  deux  caïds 
investis  par  nous  en  1847,  Férath  et  Bou-Lakkas,  étaient  sans  autorité; 
Tanarchie  la  plus  complète  régnait  dans  le  pays. 

Justement  préoccupé  par  cet  état  do  choses ,  le  général  Herbillon  se  pro- 
posait d*inleryenir  avec  des  forces  considérables,  lorsque  l'arrivée  à  Milali 
d*un  autre  Ben-Azedine ,  Bou-el-Âkhas,  neveu  des  précédents ,  que  ses  oncles 
avaient  dépouillé  de  Théritage  de  son  père,  lui  fournit  le  moyen  d*opposer  une 
autre  influence  à  celles  des  deux  chefs  rebelles,  en  même  temps  que  le  pré- 
texte de  défendre  un  opprimé  contre  ses  oppresseurs.  En  conséquence,  et  dans 
le  but  de  favoriser  les  prétentions  du  jeune  Bou-el-Akhas,  le  général  ordonna 
qu'une  colonne  irait  s'établir  à  Sidi-Mérouan,  dans  un  camp  qui  avait  déjà 
été  occupé  l'annéo  précédente. 

Cette  colonne  fut  placée  sous  les  ordres  du  colonel  Jamin ,  du  8*  de  ligne. 
Elle  était  composée  d'un  bataillon  du  8®  de  ligne,  des  cinq  premières  com- 
pagnies du  bataillon  de  Tirailleurs  avec  un  eflectif  de  quinze  officiers  et  cinq 
cent  quatre-vingt-dix-sept  hommes,  d'un  escadron  du  3*  chasseurs  d'Afrique, 
d'un  pnloton  du  3«  spahis  et  de  deux  pièces  de  montagne,  en  tout  à  peu  près 
d(Hi7.o.  cents  hommes.  Elle  quitta  (]onstnnlino  le  3  août,  et  s'arrêta  lo  soir 
môme  à  Aîn-Tedjcmouth.  Le  lendemain  elle  se  porta  sur  Aîn-Sidi-Mérouan , 
village  important,  situé  au  confluent  du  Rummel  et  de  l'Oued-Eudja.  A  partir 
de  ce  point,  la  rivière  prend  le  nom  d'Oued-cl-Kébir,  et  pénètre  dans  la  Ka- 
bylie  par  un  étroit  défilé  formé  par  les  dernières  pentes  du  Zouahra  et  du 
Djebel -Ségou. 

A  son  arrivée,  la  colonne  trouva  le  village  en  feu  et  les  collines  en  arrière 
occupées  par  les  cavaliers  des  Ben-Azedine.  Le  colonel  Jamin  fit  aussitôt  cou- 
ronner les  hauteurs  de  droite  par  trois  compagnies  du  bataillon  de  Tirailleurs 
et  deux  pièces  d'artillerie;  en  mémo  (emps  la  cavalerie  s'avança  par  la  gauche 
et  chargea  vigoureusement  celle  de  l'ennemi,  qui  fut  poursuivie  jusqu'à  l'Oued- 
Eudja.  Mais  l'approche  de  la  nuit  ne  permit  pas  de  profiter  de  cet  avantage; 
les  troupes  durent  se  replier  pour  établir  leur  camp,  et  les  Kabyles  purent  con- 
tinuer leur  retraite  sans  être  inquiétés. 

I^e  5,  deux  compagnies  du  bataillon  et  un  escadron  de  cavalerie  remon- 
tèrent la  rive  droite  do  l'Oncd-Euilja ,  où  so  trouvaient,  avec  leurs  troupeaux, 
les  habitants  de  Sidi-Mérouan.  Ces  derniers,  qui  étaient  partis  contre  leur 
gré ,  demandèrent  protection  au  détachement  et  rentrèrent  avec  lui. 

Le  7,  un  escadron,  deux  compagnies  de  Tirailleurs  et  une  du  8*  de  ligne, 
allèrent,  sous  les  ordres  du  capitaine  de  Torcy,  chef  d'état-major,  fourrager 
à  la  zaouîa  de  Sidi-Aissa.  Au  retour,  l'ennemi  se  montra  du  côté  de  la  rivière 
et  engagea  une  fusillade  assez  vive  ave<!  l'infanterie;  mais  une  charge  vigou- 
reuse des  chasseurs  et  des  spahis  l'eut  bientôt  délogé.  Les  trois  autres  com- 
pagnies de  Tirailleurs  accouraient  déjà  du  camp,  au  bruit  de  la  fusillade,  pour 
se  mettre  à  la  poursuite  des  Kabyles,  lorsque  ceux-ci  se  dérobèrent  en  ga- 
gnant la  rive  opposée ,  où  il  nous  était  défendu  de  les  suivre. 

Le  même  jour,  un  escadron  de  chasseurs  d'Afrique  vint  augmenter  les 
forces  de  la  colonne. 


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56  LE  S""  RÉGIMENT  DE  TIBAILLEURS  ALGÉRIENS  [1848] 

Le  8,  un  nouveau  fourrage  donna  lieu  à  une  aiïaire  assez  chaude.  Trois 
compagnies  de  Tirailleurs ,  qualre  du  8*  de  ligne  et  six  pelolons  de  chasseurs 
s'étaient  de  nouveau  rendus  à  la  zaouîa,  sous  les  ordres  du  commandant 
de  Noé.  L'ennemi  s'attendait  à  cette  opération;  ses  fantassins,  en  nombre 
considérable,  avaient  franchi  TOued-Eudja  et  s'étaient  embusqués  derrière  les 
escarpements  qui  bordent  la  rive  droite  de  cette  rivière;  sa  cavalerie,  dissi- 
mulée pour  le  moment,  n'attendait  qu'une  occasion  pour  nous  inquiéter.  Le 
fourrage  se  fit  cependant  en  bon  ordre,  sous  la  protection  de  deux  compa- 
gnies de  Tirailleurs,  qui  engagèrent  une  assez  vive  fusillade  avec  l'ennemi; 
mais,  dès  que  le  détachement  eut  commencé  son  mouvement  rétrograde ,  les 
fantassins  kabyles  se  portèrent  sur  le  flanc  gauche  de  la  colonne  et  dirigèrent 
sur  celle-ci  un  feu  des  mieux  nourris.  Les  deux  compagnies  du  8*  leur 
furent  aussitôt  opposées,  et  la  marche  continua,  malgré  la  fusillade  qui  par- 
tait des  deux  rives  de  l'Oued -Eudja.  Les  Tirailleurs  indigènes  formaient  l'ar- 
rière-garde.  Tout  à  coup,  débouchant  à  l'improvistc,  la  cavalerie  des  Ben- 
Azedine  se  précipite  sur  la  section  du  lieutenant  Godinot  de  Villaire ,  de  la 
i^  compagnie ,  qui  se  trouve  à  l'extrême  gauche  de  la  colonne.  M.  de  Villaire 
n'a  qu'une  dizaine  d'hommes  avec  lui;  il  est  d'ailleurs  séparé  du  reste  de  la 
route  par  un  pli  de  terrain  ;  on  ne  peut  deviner  le  danger  qu'il  court.  Néan- 
moins il  soutient  vaillamment  ce  choc;  le  combat  s'engage  à  l'arme  blanche, 
et,  quoique  entourés,  les  Tirailleurs  font  bravement  face  à  leurs  adversaires, 
qui  ne  peuvent  les  entamer.  Le  sergent -major  Mouline,  qui  vient  d'être  saisi 
par  son  turban ,  va  être  entraîné  par  un  Arabe ,  lorsque ,  par  un  vigoureux 
effort,  ce  sous -officier  parvient  à  se  dégager,  et  d'un  coup  de  baïonnette 
terrasse  son  adversaire.  Plus  loin,  c'est  le  caporal  Chalba-ben-Ali,  qui  se 
distingue  par  un  acte  d'une  rare  énergie.  Il  vient  d'être  blessé,  son  sang 
coule,  et  il  se  bat  toujours,  encourageant  ses  hommes  à  la  résistance.  Sou- 
dain l'un  de  ceux-ci  est  atteint  d'une  balle  à  la  jambe;  les  Kabyles  vont  l'em- 
porter, ils  le  tiennent  déjà;  mais  le  caporal  se  précipite,  met  les  Arabes  en 
îiiite,  prend  le  blessé  sur  ses  épaules  et  le  rapporte  au  moment  où  le  restant 
de  la  1*^  compagnie,  arrivant  au  pas  de  course,  dégage  enfin  la  section  de 
de  M.  de  Villaire,  qui  aurait  fatalement  fini  par  succomber  dans  cette  lutte 
par  trop  inégale. 

Cependant  le  commandant  de  Noé  avait  fait  arrêter  la  colonne.  Les  com- 
pagnie du  8*  arrivèrent  au  secours  des  Tirailleurs,  et  se  précipitèrent  sur 
l'ennemi,  qui  prit  aussitôt  la  fuite.  On  le  poursuivit  jusqu'à  l'Oued -Eudja; 
puis  la  marche  fut  reprise,  et  la  retraite  continua  sans  être  de  nouveau  in- 
quiétée. Pendant  ce  temps  le  commandant  Bourbaki ,  resté  au  camp ,  effec- 
tuait une  sortie  à  la  tête  de  cinquante  cavaliers  et  d'une  compagnie  de  Tirail- 
leurs. Il  se  jeta  d'abord  sur  un  parti  de  cavaliers  qui  était  venu  attaquer  nos 
avant- postes,  et  culbuta  ensuite  un  gros  de  fantassins  kabyles  qui  avait  pris 
position  dans  le  hameau  de  Sem-Ellil ,  à  une  portée  de  canon  du  camp. 

Cette  journée,  si  glorieuse  pour  le  bataillon,  lui  coûtait  un  homme  tué  et 
treize  blessés. 

Les  pertes  de  l'ennemi  avaient  été  considérables  :  Férath ,  un  des  neveux 
des  Ben-Azedine,  avait  été  grièvement  blessé.  On  l'avait  reconnu,  pendant 


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[1848]  EN  ALGÉRIE  57        4k 

ralTaire,  au  burnous  rouge  que  le  général  Bedeau  lui  avait  donné  l'année 


Du  9  au  13,  il  ne  se  passa  aucun  événement  remarquable.  Le  13  au  soir, 
le  commandant  Bourbaki,  à  la  tête  de  trois  compagnies  du  bataillon  et  d*un 
escadron  de  chasseur»  d'Afrique,  se  porta  sur  le  village  d'EI-Amma,  avec 
mission  d*emp6cher  Tennomi  do  venir  s'y  ravitailler.  Quand  il  y  arriva,  celui-ci 
avait  déjà  commencé  à  vider  ses  silos.  Celte  opération  fut  brusquement  in- 
terrompue, et  le  détachement  s'empara  de  plusieurs  mulets  qu*il  ramena  au 
camp  le  lendemain  malin. 

Le  14,  un  fourrage  eut  encore  lieu  à  la  zaouTa  de  Sidi-A!ssa-ben-Zeid,  sous 
les  ordres  du  commandant  Robuste.  Ainsi  qu'ils  l'avaient  fait  le  8,  les  Kabyles 
attendirent  que  la  colonne  fût  en  retraite  pour  l'attaquer.  Ils  se  jetèrent  en- 
core sur  l'arrière -garde,  formée  par  une  compagnie  de  tirailleurs;  mais,  vi- 
goureusement repoussés ,  ils  se  bornèrent  bientôt  à  une  fusillade  à  distance 
qui  n'eut  rien  de  bien  meurtrier. 

Ce  jour-là,  ils  vinrent  encore  occuper  le  village  de  Sem-Ellil ,  mais  cette 
fois  avec  des  forces  plus  considérables  qu'à  l'ordinaire.  Deux  pelotons  de 
chasseurs  d'Afrique,  soutenus  par  une  compagnie  de  Tirailleurs,  sortirent  du 
camp  sous  les  ordres  du  commandant  Bourbaki ,  exécutèrent  une  charge  à 
fond  et  poursuivirent  l'ennemi  jusqu'à  la  rivière.  Toute  la  cavalerie  qui  reve- 
nait du  fourrage  s'engagea  pour  les  appuyer.  L'infanterie  s'avança  à  son  tour; 
mais  les  fantassins  kabyles,  ne  voulant  pas  se  laisser  aborder,  repassèrent 
la  rivière  péle-méle  sous  un  feu  très  vif  qui  leur  fit  éprouver  des  pertes  con- 
sidérables. De  son  côté,  le  bataillon  de  Tirailleurs  comptait  sept  blessés ,  dont 
un  ofScier,  M.  de  Montalembert ,  lieutenant,  détaché  à  la  5"  compagnie. 

Le  17,  une  reconnaissance  fut  poussée  sur  la  rive  droite  de  l'Oued-el-Kébir 
par  une  cotnpngnio.  du  hnlnillon  et  un  escadron  do  chasseurs.  Los  Kabyles  se 
montrèrent  en  petit  nombre  et  ne  se  rapprochèrent  qu'au  moment  du  pas- 
sage de  la  rivière  ;  quelques  coups  de  fusil  seulement  furent  échangés,  et  nous 
n'eûmes  personne  d'atteint. 

Le  18,  à  neuf  heures  du  soir,  l'ennemi  attaqua  la  face  nord  du  camp  oc- 
cupée par  les  trois  premières  compagnies  du  bataillon;  quelques  forcenés 
parvinrent  même  à  se  glisser  jusqu'à  la  ligne  des  avant-postes.  Ceux-ci  furent 
aussitôt  renforcés  et  reliés  entre  eux  par  deux  compagnies  déployées  en  tirail- 
leurs. Repoussés  sur  tous  les  points ,  les  Kabyles  tiraillèrent  encore  pendant 
quelques  instants;  puis,  voyant  qu'on  ne  daignait  même  pas  leur  répondre, 
ils  se  retirèrent  tout  à  fait.  Le  bataillon  avait  eu  deux  hommes  blessés. 

Le  22,  deux  compagnies  d'élite  du  8"  de  ligne  vinrent  renforcer  la  colonne, 
qui  fut  ainsi  portée  à  treize  compagnies  d'infanterie. 

Le  25,  une  importante  razzia  fut  opérée  à  Zéroga,  village  situé  sur  la  rive 
droite  do  l'Oued-Ëudja,  à  trois  lieues  du  camp. 

Le  30  août  au  soir,  c'était  la  fîn  du  Ramadan.  Les  Ben-Azedine  en  profi- 
tèrent pour  attaquer,  vers  neuf  heures ,  les  deux  faces  occupées  par  le  batail- 
lon indigène,  qu'ils  croyaient  disirait  par  la  célébration  de  cette  fôte.  Mais  ils 
trouvèrent  le  service  de  sûreté  fait  avec  la  môme  vigilance,  et  les  postes  ré- 
pondirent aussitôt  à  leur  agression  par  une  fusillade  des  mieux  nourries.  En 


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58  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1848] 

môme  temps  le  commandant  Uourbaki  se  portait  avec  deux  compagnies  sur 
les  faces  attaquées,  renforçait  les  grand*gardes  et  nettoyait  complèlement  le 
terrain.  Il  y  eut  au  bataillon  trois  blessés,  dont  M.  Colignon,  lieutenant, 
remplissant  les  fonctions  d'adjudant-major. 

Le  31 ,  une  reconnaissance  de  cavalerie  se  porta  un  peu  au  delà  de  Djel- 
lamah ,  où  elle  détruisit  une  propriété  particulière  des  Ben-Azedine. 

Le  2  seplembre,  à  neuf  heures  du  soir,  une  masse  d'environ  trois  mille 
Kabyles  se  porta  sur  le  camp.  L'attaque,  dirigée  d*abord  sur  une  seule  face, 
ne  tarda  pas  à  se  dessiner  sur  toutes  à  la  fois.  Tous  les  postes,  et  principale- 
ment ceux  des  Tirailleurs,  qui  paraissaient  être  les  plus  menacés,  furent  aus- 
sitôt renforcés.  Le  nombre  des  assaillants  et  la  faiblesse  de  Id  colonne  néces- 
sitant rentrée  en  ligne  de  tous  les  hommes  disponibles,  le  combat  devint 
bientôt  général,  et,  sur  certains  points,  atteignit  à  un  extrôme  acharnement. 
Les  Kabyles  s'excitaient  par  des  chants,  les  femmes  encourageaient  les  com- 
battants par  des  hourras.  Un  grand  feu,  allumé  à  une  certaine  distance  et 
dans  un  lieu  habilement  choisi,  répandait  sur  tout  le  camp  une  lumière  rou- 
geâtre,  et  permettait  aux  assaillants  de  voir  sans  être  vus.  La  fusillade  était 
des  plus  vives.  L*ennemi,  ayant  une  connaissance  parfaite  du  terrain ,  s*était 
glissé  dans  les  positions  les  plus  favorables,  d'où  il  fallut  successivement  le 
débusquer.  Après  trois  heures  de  cette  lutte,  les  Kabyles,  désespérés  par 
l'énergie  de  la  défense,  se  retirèrent.  Le  lendemain ,  de  larges  mares  de  sang, 
qu*on  voyait  tout  autour  de  nos  postes,  indiquaient  que  les  pertes  des  assail- 
lants avaient  dû  être  considérables.  Celles  du  bataillon  de  Tirailleurs  s'éle- 
vaient à  un  homme  tué  et  cinq  blessés. 

Le  3,  Bou-el-Akhas-ben-Azedine  se  mit  à  la  tête  des  Mouias,  et,  appuyé  par 
un  peloton  de  spahis,  voulut  tenter  une  razzia  sur  les  Beni-IIaroun ,  qui  four- 
nissaient des  contingents  à  ses  oncles.  Mais  celte  tribu  avait  été  prévenue  et 
venait  d'être  renforcée  par  soixante-dix  cavaliers  des  Ucn-Azedinc;  elle  se 
défendit  vigoureusement,  et,  les  Mouîas  n'ayant  pu  enlever  les  troupeaux, 
qui  avaient  été  mis  en  lieu  sur,  tout  se  borna  à  rinccnclie  de  quelques  vil- 
lages. 

Pour  seconder  cette  opération  et  pour  empêcher  toutes  les  troupes  des  Ben- 
Azedine  de  se  porter  chez  les  Beni-IIaroun ,  le  colonel  Jamin  avait  envoyé  cent 
cinquante  chevaux  et  deux  cents  hommes  fournis  moitié  par  le  bataillon  de 
tirailleurs,  moitié  par  le  8*  de  ligne,  prendre  position  au-dessus  du  gué  du 
Rummel.  Ce  détachement  ne  tarda  pas  à  être  attaqué  sur  sa  gauche  qui  se 
rapprochait  de  l'Oued-Eudja.  La  compagnie  de  Tirailleurs  (capitaine  Jolivel) 
descendit  dans  la  rivière,  y  surprit  les  Kabyles  et  en  fusilla  une  vingtaine  à 
bout  portant.  A  ce  moment  arrivèrent  trois  compagnies  envoyées  par  le  co- 
lonel ,  et  la  retraite  commença ,  sous  la  protection  d'une  charge  de  cavalerie, 
qu'exécuta  le  commandant  de  Noé.  Refoulé  et  dispersé,  l'ennemi  ne  songea 
plus  à  nous  inquiéter,  et  les  troupes  rentrèrent  au  camp  sans  être  suivies. 
Dans  cette  aiïaire,  les  Tirailleurs  avaient  eu  trois  hommes  blessés. 

Dans  la  soirée  du  3 ,  deux  pièces  d'artillerie  vinrent  renforcer  les  deux  que 
possédait  déjà  la  colonne. 

Le  6,  la  cavalerie  étant  allé  faire  du  fourrage  A  Tayer-Mokhou,  pour  fa- 


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[1848]  EN  ALGÉRIE  59 

vorifier  sa  rentrée,  le  colonel  Jamin  fit  encore  occuper  le  gué  du  Rummel 
par  deux  cents  Tirailleurs.  Quelques  hommes  de  ce  détachement  passèrent  la 
rivière  et  prirent  position  de  l'autre  côté  du  gué.  Des  fantassins  kabyles  ac- 
coururent vers  le  point  menacé,  la  fusillade  s'engagea,  et  le  combat  fut  bientôt 
très  vif  en  cet  endroit.  Les  cavaliers  arabes  essayèrent  de  charger;  mais  ils 
furent  victorieusement  repoussés.  Le  fou  continua  alors  de  part  et  d*autrc, 
diminuant  peu  à  peu  d'intensité,  et  dura  jusqu'à  la  nuit.  Le  peloton  de  cava- 
lerie de  réserve  était  venu  renforcer  les  Tirailleurs.  Dès  que  le  détachement 
du  fourrage  fut  rentré ,  la  retraite  commença  et  s'effectua  en  bon  ordre  sans 
être  beaucoup  inquiétée.  Dans  cette  journée,  le  bataillon  comptait  un  homme 
tué  et  trois  blessés. 

Le  7,  le  général  Herbillon  arriva  au  camp  et  prit  la  direction  des  opérations. 
liC  8,  il  voulut  pousser  une  reconnaissance  dans  la  vallée  supérieure  do  TOuod- 
Kudjn,  vers  la  maison  du  chcik  Mohnmod-bcn-Azcdino.  Il  prit  avec  lui  les  six 
compagnies  d'élilo  du  S*^  de  ligne,  trois  compagnies  de  Tirailleurs,  un  esca- 
dron do  chasseurs ,  le  peloton  de  spahis  et  deux  pièces  d'artillerie.  Le  com- 
mandant Bourbaki  eut  le  commandement  de  ce  détachement.  On  se  dirigea 
sur  le  village  de  Bou-Fouchi;  puis,  tournant  à  droite,  on  arriva  au  col  domi- 
nant le  village  de  Djcilomah. 

Ce  village,  centre  de  la  résistance  des  Ben-Azedine,  était  situé  sur  la  rive 
droite  d'un  petit  ruisseau  aflluent  de  l'Oued-Eudja.  La  vallée  était  d'une  lon- 
gueur peu  considérable  et  allait  se  rétrécissant  jusqu'à  devenir  un  étroit  dé- 
filé à  l'embouchure  du  ruisseau.  Les  pentes  qui  formaient  ce  défilé  étaient 
raides,  couvertes  de  taillis  et  difficilement  accessibles  à  la  cavalerie.  La  position 
était  fortement  occupée.  Le  général  y  fit  jeter  quelques  obus  qui  dispersèrent 
les  principaux  groupes  de  Kabyles.  Profitant  de  ce  moment  de  stupéfaction 
do  rcnno.nii ,  lo  coinmnndnnt  Bourbaki  fit  aussitôt  avancer  deux  compagnies 
de  Tirailleurs,  qui  s'élancèrent  au  pas  de  course  et  poursuivirent  les  Kabyles 
jus(|u'au  delà  de  la  rivière.  La  cavalerie  acheva  cette  poursuite,  et  l'ennemi 
se  dispersa  dans  toutes  les  directions,  laissant  une  centaine  de  morts  sur  le 
terrain.  Grâce  à  la  vigueur  et  à  la  rapidité  qu'ils  avaient  apportées  dans  l'at- 
taque, les  Tirailleurs  n'avaient  eu  qu'un  homme  tué  et  un  autre  blessé.  Après 
quelques  instants  de  repos,  les  troupes  rentrèrent  au  camp.  La  retraite  s'ef- 
fectua sans  combat. 

Le  9  septembre,  on  attaqua  la  smala  de  Bou-Renou-ben-Azedine.  Le  général 
Herbillon ,  à  la  tôte  d'une  colonne  comprenant  le  bataillon  de  Tirailleurs,  un 
bataillon  du  ^l^  arrivé  la  veille,  deux  compagnies  d'élite  du  8^,  deux  obu- 
siers  et  cent  cinquante  chevaux  ,  exécuta  lui -môme  cette  opération  pendant 
que  le  colonel  Jamin ,  avec  cinq  cents  hommes ,  faisait  une  démonstration  sur 
rOued-Eudja.  Après  avoir  traversé  cette  rivière  près  de  son  confluent  avec  le 
Bummel ,  la  colonne  d'attaque  fut  divisée  en  deux  groupes  :  les  Tirailleurs 
indigènes,  qui  formaient  l'avant-garde,  se  lancèrent  sur  la  gauche,  le  8°,  le 
31^  et  la  cavalerie  se  portèrent  directement  sur  la  smala.  Avec  sa  vigueur  ac- 
coutumée, le  bataillon  aborda  les  hauteurs  qui  dominaient  cette  dernière,  et 
en  un  instant  eut  occupé  toutes  les  crêtes.  Mais  sur  les  autres  points  le  suc- 
cès était  moins  rapide  ;  la  fusillade  était  devenue  très  vive,  et  la  lutte  menaçait 


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60  LE  3®  RÊOIBIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE        [1848] 

de  prendre  une  certaine  intensité,  lorsque  l'intervention  de  l'artillerie,  suivie 
d'un  mouvement  en  avant  de  toute  Tinfanterie ,  décida  enfin  Tennemi  à  la 
retraite.  La  smala  fut  enlevée  et  incendiée ,  le  jardin  des  Ben-Azedine  détruit. 
Dans  cette  affaire,  le  bataillon  de  Tirailleurs  avait  eu  quatre  hommes  blessés. 

Ce  dernier  combat  amena  la  complète  soumission  des  rebelles.  Les  Ben- 
Azedine  payèrent  une  forte  amende  et  durent  rendre  les  biens  de  leur  neveu 
Bou-el-Akhas-ben-Azedine. 

L'expédition  était  terminée  :  elle  avait  duré  plus  d'un  mois  et  donné  lieu 
à  dix  combats,  dans  lesquels  le  bataillon  avait  eu  quatre  hommes  tués,  deux 
ofQciers  et  trente -neuf  hommes  blessés ,  soit  quarante-cinq  hommes  hors 
de  combat.  Il  est  à  remarquer  qu'il  avait  presque  toujours  été  le  premier  et 
le  seul  engagé.  C'est  que,  dans  cette  lutte  sur  un  terrain  particulièrement 
difficile,  cette  troupe  avait  une  aptitude  tout  à  fait  spéciale  pour  atteindre 
rapidement  l'ennemi  partout  où  ce  dernier  se  trouvait.  De  plus,  la  fièvre 
avait  sévi  sur  la  colonne  avec  une  rigueur  telle ,  que  les  bataillons  d'infan- 
terie de  ligne  se  trouvaient  considérablement  affaiblis  par  le  nombre  toujours 
croissant  de  leurs  malades.  Les  Tirailleurs,  sous  l'habile  et  vigoureuse  direc- 
tion du  commandant  Bourbaki ,  avaient  fait  face  à  tout,  et  lorsque  le  général 
Herbillon  était  arrivé  avec  d'importants  renforts,  les  opérations  étaient  déjà 
très  avancées  et  le  succès  presque  assuré. 

Le  12  septembre,  la  colonne  fut  dissoute,  et  le  bataillon  se  mit  en  route 
pour  Constantine,  où  il  arriva  le  lendemain. 

Pendant  que  la  portion  principale  avait  opéré  en  Kabylie ,  les  détache- 
ments de  Bordj-bou-Arréridj  et  de  Bône  n'avaient  pas  quitté  leurs  garnisons, 
aux  environs  desquelles  la  plus  parfaite  tranquillité  régnait  alors.  Cette  tran- 
quillité devint  bientôt  générale,  et  l'année  1848  se  termina  sans  autre  expé- 
dition. 


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CHAPITRE  Vil 

(4849) 


ExpédiUoD  de  Kabylie.  —  Combat  du  21  mai.  —  Rentrée  à  Goostantine. 
Siège  de  Zaatclia. 


Malgré  les  fréqiicnlos  incursions  dont  la  Kabylio  était  dovonue  lo  théétro 
de  la  part  de  nos  troupes ,  cette  région  était  moins  soumise  que  jamais.  Les 
difOcultés  du  sol,  le  fanatisme  de  la  population,  le  peu  de  pays  que  la  len- 
teur des  opérations*  dans  une  semblable  contrée  permettait  de  parcourir  à 
chaque  nouvelle  campagne,  étaient  autant  de  causes  qui  «'ajoutaient  aux 
efforts  des  nombreux  perturbateurs  qui  ne  cessaient  d'entretenir  ches  ces 
tribus  belliqueuses  un  souffle  d'indépendance  et  d'insurrection. 

Chaque  année,  ces  prétendus  envoyés  du  prophète  étaient  nombreux;  mais 
des  dissidences  ne  manquaient  jamais  de  surgir  entre  eux ,  et  leur  influence 
ne  s'étendait  guère  au  delà  d'une  tribu;  elle  était  même  souvent  des  plus 
éphémères,  car  les  événements  se  chargeaient  vite  de  mettre  à  nu  l'imposture 
de  ces  missionnaires  divins. 

Au  commencement  de  1849,  un  nommé  Ahmed-ben-Abdallah-ben-Dja- 
mina  parut  au  sein  des  tribus  des  environs  de  Collo,  et  tenta  de  les  soulever. 
Pour  agir  sur  les  populations  crédules  et  fanatiques  de  cette  région ,  il  disait 
avoir  reçu  de  Dieu  le  pouvoir  de  faire  tomber  les  murailles  des  villes,  et  de 
changer  la  poudre  en  poussière.  En  peu  de  jours  il  eut  autour  de  lui  un 
nombre  considérable  de  croyants;  à  ce  groupe  de  religionnaires  vinrent 
bientôt  s'ajouter  les  mécontents  de  toute  sorte,  et  l'insurrection  prit  une 
certaine  gravités 

Le  28  avril ,  on  apprit  tout  à  coup  à  Constantine  que  Ben-Djamina  s'était 
avancé  jusqu'à  Souk-el-Scbt,  et  menaçait  la  route  de  Philippeville  avec  un 
rassemblement  qu'on  disait  être  une  véritable  armée.  La  surprise  fut  telle, 
qu'on  crut  un  moment  que  Constantine  lui-même  allait  être  attaqué.  Un 
peloton  de  spahis  fut  aussitôt  envoyé  pour  reconnaître  l'ennemi.  Le  même  soir, 
le  bataillon  de  Tirailleurs  fut  réuni  et  bivouaqua  par  compagnie,  se  tenant 
prêta  partir  au  premier  signal.  Le  29,  on  acquit  la  certitude  que  le  danger 
était  plus  apparent  que  réel  :  Bou-Djamina  se  contentait  de  menacer  El- 


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62  LE  3»  RÉOmBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1840] 

Arrouch,  qui  n'était  défondu  que  pur  une  fuiblu  gurnitfou,  luuii»  qui  était  ce* 
pendant  assex  fort  pour  résister  à  un  ennemi  dépourvu  d'artillerie.  A  six 
heures  du  soir,  le  bataillon  de  Tirailleurs  se  mit  précipitamment  en  marche 
pour  aller  renforcer  ce  poste;  mais  le  lendemain,  en  arrivant  à  Smendou, 
le  commandant  Bourbaki  apprenait  que  Tattaquo  avait  eu  lieu  la  nuit  môme, 
que  Bou-Djamina  avait  été  repoussé  et  avait  pris  honteusement  la  fuite,  don- 
nant à  ses  plus  fidèles  la  preuve  de  son  impuissance. 

Le  30  au  matin ,  le  général  de  Salles  arrivait  à  son  tour  à  Smendou ,  à  la 
tête  d'un  bataillon  du  S^  de  ligne  et  d*une  batterie  de  montagne.  Laissant 
là  le  bataillon  du  8*,  il  continua,  avec  le  bataillon  de  Tirailleurs  et  l'artillerie, 
sa  route  jusqu'à  El-Arrouch.  Le  2  moi ,  le  bataillon  du  8*  ayant  rejoint,  le 
général  alla,  avec  deux  bataillons  d'infanterie,  deux  pièces  de  montagne  et 
deux  escadrons  de  cavalerie,  s'établir  à  Roberville.  Ben-Djamina  avait  dis- 
paru. Après  qu'on  eut  imposé  une  lourde  contribution  de  guerre  aux  tribus 
qui  avaient  prêté  main-forte  à  cet  agitateur,  la  colonne  rentra  à  Constantino, 
où  elle  arriva  le  7  mai. 

Cette  opération  avait  relégué  l'insurfecliôn  dans  les  montagnes ,  mais  ne 
l'avait  pas  étouffée.  La  situation  conservait  encore  une  certaine  gravité;  toutes 
les  tribus  du  cercle  de  Philippeville  avaient  pactisé  avec  le  chérif  rebelle,  et 
l'influence  de  notre  caid  Saoudi,  personnage  dans  le<iuel  on  avait  la  plus 
grande  confiance,  venait  d'être  complètement  méconnue  par  une  partie  de  son 
goum,  qui  avait  fait  défcctiou  au  moment  du  combat.  On  savait,  à  n'en  pas 
douter,  que  les  deux  frères  Bcn-Azcdine,  Mohamed  et  Buu-Henou,  n'étaient 
pas  étrangers  à  ce  désordre,  ou  que  du  moins  ils  ne  mamiuoraicnt  pas  d'en 
profiter  pour  attaquer  et  dépouiller  les  tribus  soumises  à  notre  autorité. 

En  prévision  de  ce  qui  pouvait  se  produire ,  le  bataillon  de  Tirailleurs  re- 
partit le  8  de  Constantine,  et  se  porta  à  Smendou,  où  il  resta  jusqu'au  12. 
En  même  temps  le  général  Herbillon  s'occupa  d'organiser  une  colonne 
destinée  à  marcher  sur  le  premier  point  où  le  danger  se  révélerait.  Cette 
colonne  comprit  un  bataillon  d'élite  formé  de  trois  compagnies  de  la  légion 
étrangère,  le  bataillon  de  Tirailleurs  (six  compagnies),  un  bataillon  du  SS** 
de  ligne,  deux  escadrons  de  chasseuri  d'Afrique,  un  escadron  de  spahis,  une 
batterie  et  demie  d'artillerie  et  une  compagnie  du  génie. 

Le  18  mai,  ces  troupes  quittèrent  Constantine,  et,  le  lendemain,  après 
une  marche  rendue  très  fatigante  par  le  sirocu,  qui  couvrait  la  uiontugiic 
d'un  nuage  de  poussière,  elles  arrivèrent  à  Milali.  Lo  2U  mai,  elles  allmnt 
prendre  position  sur  la  rive  droite  de  l'Oued-el-Akahal.  Le  soir  de  ce  même 
jour,  le  général  Herbillon ,  avec  deux  escadrons  de  cavalerie  appuyés  par 
trois  cents  Tirailleurs,  se  porta  sur  llahadjas,  où  se  trouvait  la  maison  du 
cheik  Mohamed -ben-Azedine.  Quelques  cavaliers  arabes  postés  sur  les  hau- 
teurs se  bornèrent  à  observer  ce  détachement  sans  l'inquiéter. 

Le  21 ,  on  se  mit  en  marche  sur  trois  colonnes  pour  pénétrer  dans  les  mon- 
tagnes. Le  bataillon  de  Tirailleurs  forma  la  colonne  do  gauche.  A  dix  heures 
on  arriva  à  Béinen ,  très  bonne  position  où  le  campement  fut  établi.  A  onze 
heures  on  vint  prévenir  le  général  qu'il  lui  serait  facile  d'atteindre  des  trou- 
peaux se  dirigeant  du  côté  des  Beni-Mimoun. 


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[1849]  RN  ALGÉRIR  63 

Une  petite  colonne,  comprenant  sept  compagnies,  dont  trois  de  Tirailleurs 
(2<',  5*  et  8«),  fut  formée  à  l'instant  et,  vers  deux  heures,  quitta  le  camp 
sous  les  ordres  directs  du  général,  et  se  dirigea  à  travers  des  sentiers  impra- 
ticables sur  le  territoire  dos  Beni-Mimoun.  Bou-Uenou-bcn-Azedinc  comptait 
tellement  que  nous  n'oserions  jamais  nous  engager  dans  la  montagne  de  celte 
tribu,  qu'il  y  avait  rassemblé  toutes  ses  richesses.  Celte  montagne  était,  en 
eflet,  une  position  défensive  du  premier  ordre  :  complètement  isolée  par  deux 
torrents  formant  tout  autour  des  ravins  de  quarante  à  cinquante  mètres  de 
profondeur,  auxquels  ne  donnaient  accès  que  quelques  étroits  sentiers  cachés 
par  les  plantes  et  par  les  herbes,  hérissée  de  rochers  abrupts,  coupée  de 
gorges  inabordables,  elle  se  présentait  au  premier  abord  comme  un  obstacle 
devant  le(iuel  la  valeur  de  nos  soldats  devait  fatalement  échouer. 

Lorsque  l'avant- garde  de  la  colonne  arriva  devant  le  fosse  naturel  formé 
par  le  raviu  principal ,  elle  se  trouva  en  face  du  guum  de  Bcn-Azcdino,  dont 
une  partie  avait  traversé  la  rivière.  L'action  s'engagea  aussitôt;  tous  les 
efforts  de  l'ennemi  tendirent  à  nous  défendre  l'accès  du  seul  passage  réelle- 
ment praticable  pour  nous.  Mais  le  commandant  Bourbaki ,  après  une  recon- 
naissance minutieuse ,  venait  de  découvrir  les  petits  sentiers  serpentant  dans 
les  rochers.  Il  demanda  au  général  la  permission  de  s'y  engager  avec  ses 
trois  compagnies;  elle  lui  Tut  accordée.  Le  mouvement  commença  par  la 
2*  compagnie  (capitaine  Taverne);  les  aulres  suivirent  immédiatement. 
Reçues  par  une  vive  fusillade ,  elles  continuèrent  leur  route  sans  y  ré- 
pondre, et  débouchèrent  bientôt  sur  la  rive  opposée.  Dès  lors,  la  position 
était  non  seulement  tournée  ,  mais  le  goum  de  Ben-Âzedine  n'avait  plus  de 
retraite  possible,  pris  qu'il  était  entre  le  gros  de  la  colonne,  les  Tirailleurs 
et  des  pentes  rocheuses  qu'il  fallait  renoncer  A  gravir.  Les  cavaliers  firent  le 
sacrifice  do  leurs  chevaux ,  et  tout  ce  monde  chercha  à  se  sauver  dans  les 
broussailles  du  fond  du  ravin  ,  où  le  plus  grand  nombre  succomba  sous  les 
balles  de  nos  soldats.  La  nuit  approchait  ;  il  fallut  rallier  la  colonne  pour  la 
ramener  au  camp.  Elle  avait  fait  un  butin  considérable  en  moutons,  bœufs, 
mulets,  chevaux,  dont  quelques-uns  très  richement  harnachés.  Les  Tirail- 
leurs reçurent,  pour  ce  beau  coup  de  main,  tous  les  éloges  du  général  Her- 
billon.  Les  pertes  s'élevaient  A  un  ofSciertué,  M.  Mohamed-ben-Rabah-el- 
Aîdouna,  sous-lieutenant ,  et  à  huit  hommes  blessés. 

Le  résultat  de  cette  brillante  afiaire  fut  la  soumission  de  presque  toutes  les 
tribus  du  Zouagba.  Les  journées  suivanles,  jusqu'au  25,  furent  employées 
à  l'organisation  du  pays.  Le  jeune  Bou-el-Akhas ,  neveu  des  Ben-Azedine,  fut 
nomme  chcik delà  région,  en  remplacement  de  ses  oncles,  destitués  tous  les 
deux.  Le  25,  oiî  alla  camper  à  Taïna  dans  les  Ahrès;  le  27,  le  bivouac  fut 
établi  à  Mdzej-Tobbal ,  et  le  26  à  Sidi-Mérouan. 

Les  Beni-Mimoun ,  considérant  celle  retraite  comme  un  succès,  et  persuades 
que  la  colonne  s'éloignait  définitivement,  s'élaient  empressés  de  donner  asile 
aux  Ben  -Azedine,  revenus  au  milieu  d'eux.  Mais,  à  l'annonce  de  cette  nou- 
velle, le  général  retourna  sur  ses  pas,  et,  le  30,  porta  son  camp  à  Fedjel-el- 
Akdel ,  au  centre  du  Zouagha. 

Le  i^*'  juin ,  un  fourrage  fut  fait  sur  les  bords  de  l'Oued-Faraz ,  affluent  de 


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64  LE  3*  RÊGIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1849] 

gauche  de  l'Oaed-el-Kébir.  Placés  de  Tautre  côlé  du  raviu,  les  Uoni-Mimouii 
tiraillèrent  pendant  toute  la  durée  de  cette  opération  et  blessèrent  trois 
hommes  au  bataillon  de  Tirailleurs. 

Le  2,  les  rebelles,  ayant  reçu  quelques  renforts  amenés  par  Bou-Renou-ben- 
Azedine  ,  voulurent  tenter  une  attaque  sur  le  camp.  Vers  six  heures  du  soir, 
on  les  vit  en  grand  nombre  gravir  la  montagne  au  sommet  de  laquelle  ce 
dernier  était  établi  ;  on  les  laissa  approcher  jusqu'à  trois  cents  mètres  ;  à  ce  mo- 
ment quatre  compagnies  de  Tirailleurs,  désignées  par  le  général ,  s'élancèrent 
sur  eux  au  pas  do  course,  cl  en  un  instant  lout  ce  rassciiililcnient  fut  dis- 
persé. Les  Kabyles  disparurent,  et  pendant  la  nuit  qui  suivit  il  n*y  eut  pas  un 
seul  coup  de  fusil  tiré  sur  nos  avant-postes. 

Le  3  au  matin,  une  forte  partie  des  troupes  descendit  sur  le  bord  de  la 
rivière  pour  attaquer  la  position  des  Beni-Mimoun.  Trois  groupes  furent 
formés;  le  bataillon  de  Tirailleurs,  chargé  de  l'attaque  proprement  dite,  de- 
vait traverser  le  ravin  et  continuer  à  marcher  en  poussant  Tennemi  devant 
lui  jusqu'à  ce  qu'il  eût  fait  sa  jonction  avec  le  bataillon  d*élite  qu'il  avait  sur 
sa  droite  et  celui  du  38*  sur  sa  gauche.  Mais  les  Beni-Mimoun  n'opposèrent 
qu'une  molle  résistance,  et  commencèrent  à  prendre  la  fuite  avant  que  les 
colonnes  des  ailes  eussent  terminé  leur  mouvement.  Les  Tirailleurs,  lancés 
au  pas  de  course,  remontèrent  le  ravin  qui  sépare  les  Beni-Mimoun  des  Béni- 
Akkas ,  essuyèrent  d'abord  une  assez  vive  fusillade ,  puis  se  mirent  à  la 
poursuite  de  l'ennemi  avec  une  telle  rapidité ,  que  cette  poursuite  se  trans- 
forma bientôt  en  une  véritable  chasse  à  courre,  où,  malgré  leur  agilité,  les 
Kabyles  éprouvèrent  encore  des  pertes  considérables.  Les  compagnies  se  ral- 
lièrent sur  l'arête  d'un  des  derniers  contreforts  du  Zouahra.  A  une  faible 
distance  on  apercevait  la  mer^  pour  la  première  fois  la  route  de  Djidjelli  était 
ouverte.  Le  général,  ne  voulant  pas  perdre  les  avantages  de  sa  position  cen- 
trale, revint  sur  ses  pas,  et,  le  soir ,  les  troupes  qui  avaient  pris  part  à  cette 
opération  reprenaient  leur  place  dans  le  camp. 

Cette  journée  coûtait  six  hommes  blessés  au  bataillon  de  Tirailleurs. 

La  leçon  infligée  aux  Beni-Mimoun  avait  été  suffisante;  le  lendemain  ils 
vinrent  faire  leur  soumission ,  entraînant  à  leur  suite  toutes  les  tribus  qui 
n'avaient  pas  encore  payé  l'amende  qui  leur  avait  été  infligée.  Bou-Renou-ben- 
Azedine  s*était  enfui  chez  les  Ouled-Abebi;  le  cheik  Mohamed  s*était  réfugié 
chez  les  Beni-Akkas. 

Le  S,  la  colonne  revint  à  Sidi-Mérouan  ;  le  6,  elle  campa  à  Bou-Nouara , 
le  7,  sur  les  bords  de  l'Oued -Hekressel,  et  le  8,  à  Souk-el-Sebt.  Ce  jour-là 
le  général ,  voulant  châtier  les  Ouled-Hadj  et  les  Beni-Sbiche  pour  leur  parti- 
cipation à  l'attaque  d'EI-Arrouch,  envoya  le  bataillon  de  Tirailleurs  pour 
s'emparer  des  troupeaux  de  ces  tribus.  Mais  ceux-ci  avaient  été  abandonnés 
dans  les  fourrés,  et  il  fallut  fouiller  tout  le  pays  pour  en  réunir  la  principale 
partie. 

Le  9,  deux  bataillons  du  43',  sous  les  ordres  du  lieutenant -colonel  de 
Tourville,  vinrent  se  joindre  aux  autres  troupes  de  la  colonne.  Le  10,  le  gé- 
néral Herbillon,  à  la  tête  du  bataillon  de  Tirailleurs  et  du  bataillon  d*élite, 
remonta  la  vallée  de  l'Oued -Schessa  et  rentra  par  les  crêtes,  ramenant  au 


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[1849]  EN  ALGÉRIE  65 

camp  un  grand  nombre  de  troupeaux.  Le  13,  le  bivouac  fut  porté  à  Djenen* 
el-Anab;  le  14,  à  Roussa-el-Youdi  sur  les  bords  de  TOued-el-Rehasse.  On 
resta  là  deux  jours  pour  recevoir  la  soumission  des  Beni-Toufout.  Ces  derniers 
n*ayantpayé  qu'une  partie  do  Tamende  qui  leur  avait  été  imposée,  le  17  la 
colonne  se  porta  à  Tsomelout. 

Ce  mouvement  n'était  qu'une  feinte;  le  lendemain ,  au  moment  où  les  Béni- 
Toufout  devaient  le  croire  loin  de  leur  territoire,  le  général  Herbillon  revint 
brusquement  sur  ses  pas,  fit  fouiller  par  le  bataillon  indigène  la  riche  vallée 
de  Karoubah  et  s'installa  au  centre  du  pays,  d'où,  les  jours  suivants,  il  dirigea 
des  colonnes  volantes  qui  dissipèrent  les  derniers  symptômes  de  résistance. 
Le  22,  une  partie  des  troupes  passa  la  journée  à  Collo,  pendant  que  le  géné- 
ral ,  avec  le  bataillon  de  Tirailleurs  et  celui  du  38*,  allait  châtier  les  Beni- 
Ishac.  Cctlo  tribu  no  résista  mémo  pas;  seuls,  quelques  fanatiques  vinrent 
tirailler  sur  le  détachement,  au  moment  où  celui-ci  se  mettait  en  retraite,  et 
blessèrent  deux  hommes  du  bataillon  indigène.  Le  25,  on  arrivait  à  El-Arroucb, 
et,  le  lendemain,  le  bataillon  de  Tirailleurs  et  la  cavalerie  rentraient  à  Cons- 
tantine,  en  faisant  tout  le  trajet  en  une  seule  étape. 

Ainsi  se  termina  cette  insurrection,  qui  avait  d'abord  paru  si  menaçante, 
dont  on  s'était  si  fort  inquiété  au  début,  et  qui  no  fut  au  fond  qu'un  effort 
décousu  commencé  par  un  fanatique  et  poursuivi  par  deux  intrigants.  Grâce 
aux  promptes  mesures  prises  par  le  commandement,  la  révolte  fut  circonscrite 
dans  un  cercle  assez  étroit,  où  elle  fut  bientôt  étoufiée. 

Quant  à  ceux  qui  l'avaient  provoquée ,  Ben-Djamina  et  les  frères  Ben-Azedine, 
ils  eurent  tous  les  trois  le  sort  qu'ils  méritaient  :  Ben-Djamina  fut  tué  dans 
une  petite  affaire  par  nos  Arabes  auxiliaires;  les  frères  Ben-Azedine  durent 
définitivement  quitter  le  pays  où  ils  avaient  toutes  leurs  propriétés,  toutes 
leurs  richesses,  et  laisser  l'autorité  qu'on  leur  avait  imprudemment  maintenue 
à  Bou-el-Aklias,  leur  neveu. 

Un  autre  soulèvement,  qui  allait  avoir  le  sud  de  la  province  pour  théâtre 
et  qui  se  présenta  d'abord  sous  un  aspect  bien  moins  inquiétant,  devait  ce- 
pendant être  autrement  sérieux.  Nous  voulons  parler  de  l'insurrection  de 
Zaotcha. 


SIEGE  DE  ZAÂTGHÂ 


Zaatcha  est  une  oasis  située  au  sud-ouest  de  Biskra ,  dans  la  partie  méri- 
dionale des  Zibans,  vaste  région  s'étendent  à  environ  deux  cent  quarante 
kilomètres  au  sud  de  Constantine,  cent  vingt  de  Bou-Saâda,  quatre  cents 
d'Alger,  et  qui  se  trouve  limitée  au  nord  par  une  chaîne  de  montagnes  qui  ne 
présente,  de  l'est  à  l'ouest,  que  deux  défilés  par  lesquels  les  nomades,  lors 
des  émigrations  annuelles,  pénètrent  du  Sahara  dans  le  Tell,  pour  y  échanger 
contre  leurs  produits  les  denrées  qu'on  ne  trouve  pas  en  quantité  suffisante 

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6G  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1849] 

dans  le  désert.  Ces  défilés  sont  :  Ël-Kanlara ,  sur  la  roule  de  Itatiia  à  Uiskni| 
et  Ngaous  à  l'ouest,  chez  les  Ouled-Soltan,  dans  le  bassin  de  TOued-Barika. 
11  existe  bien  un  troisième  passage  du  Sahara  dans  le  Tell ,  plus  à  l'est  :  c'est 
celui  de  Khencbela;  mais  il  sert  principalement  aux  tribus  de  l'est,  limi- 
trophes de  la  région  de  Tunis,  et  non  aux  nomades  des  Zibans.  Tout  ce  pays 
avait  été,  sinon  soumis,  du  moins  parcouru  en  1844  par  les  colonnes  du  duc 
d'Âumale;  Uiskra,  l'oasis  la  plus  importante  de  la  contrée,  avait  été  occupée 
dans  les  circonstances  que  l'on  sait  par  le  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes, 
et  était  devenue  le  centre  d'un  cercle  dont  le  commandement  su)>érieur  avait 
été  confié  au  commandant  Thomas,  puis  au  commandant  de  Saint- Germain, 
qui  Texerçait  encore  au  début  des  événements  qui  vont  se -dérouler.  Ce  cercle 
relevait  de  la  subdivision  de  Batna  qui,  pendant  trois  années,  de  1845  à  1848, 
avait  été  administrée  par  le  général  Herbillon.  Ce  dernier  avait  fait  de  nom- 
breuses incursions  dans  le  Sahara;  aidé  par  notre  cheik  el-arab  Bcn-Ganah, 
il  avait  parcouru  les  oasis  les  plus  considérables,  avait  reçu  leur  soumission, 
et,  depuis  Biskra  jusqu'à  Tuggurt,  la  tranquillité  la  plus  parfaite  semblait 
régner,  lorsque  tout  à  coup,  au  moment  où  les  tribus  de  CoUo  et  celles  du 
Zouagha  prenaient  les  armes  contre  nous,  une  certaine  agitation  commença 
à  se  manifester.  Elle  était  provoquée  par  un  nommé  Bou-Zian,  ancien  cheik 
du  Zab-Dahari  sous  Âbd-el-Kader,  personnage  riche  et  influent,  qui ,  mécon- 
tent de  n'avoir  par  été  employé  par  l'administration  française ,  crut  le  moment 
favorable  pour  mettre  à  exécution  ses  projets  de  vengeance.  Il  alUrma  que  le 
Prophète  lui  était  apparu,  lui  prédisant  l'extermination  des  Français  et  le 
triomphe  des  vrais  croyants,  et  essaya  ainsi  de  réveiller  le  fanatisme  de  ses 
coreligionnaires.  11  y  réussit  pleinement. 

Cependant  l'insurrection  n'en  était  encore  qu'à  un  étal  de  sourde  fermen- 
tation ,  et  pouvait  être  enrayée  par  des  mesures  énergiques.  M.  Seroka,  officier 
des  bureaux  arabes,  fut  envoyé  à  Zaatcha  pour  arrêter  les  perturbateurs. 
En  arrivant  dans  le  village,  il  trouva  Bou-Zian  seul  sur  la  place.  Il  ordonna 
à  l'ancien  cheik  de  le  suivre  ;  mais  les  habitants  étaient  accourus,  s'étaient 
ameutés,  et  au  lieu  d'emmener  son  prisonnier,  M.  Seroka  n'eut  que  le  temps 
de  songer  à  sa  propre  sécurité.  H  ne  s'échappa  que  par  miracle,  en  essuyant, 
lui  et  les  quelques  spahis  qui  l'accompagnaient,  plusieurs  coups  de  feu  qui 
heureusement  ne  les  atteignirent  pas. 

Biskra  était  alprs  dégarni  de  troupes;  on  ne  put  envoyer  contre  Zaatcha 
que  vingt  spahis  et  trente  cavaliers  du  goum,  sous  les  ordres  du  lieutenant 
Dubosquet.  Ce  détachement  trouva  les  portes  fermées  et  ne  put  pénétrer.  11 
revint  sur  Biskra.  Il  fallait  maintenant  attendre  que  le  nord  de  la  province 
fût  pacifié  pour  pouvoir  agir  avec  des  forces  suffisantes.  Hais  ces  deux  tenta- 
tives infructueuses  avaient  tout  à  coup  donné  une  importance  extraordinaire 
à  Bou-Zian.  Si«Moktar,  marabout  des  Ouled-Djelled ,  et  Si-Abd-el-Afid ,  autre 
personnage  non  moins  influent,  s'étaient  joints  à  lui;  tout  l'Aurès  était  en 
insurrection. 

Le  17  septembre,  Si-Abd-el-Âfid ,  à  la  tête  de  nombreux  contingents,  vint 
établir  son  camp  à  Sériana,  à  vingt  kilomètres  de  Batna.  Il  espérait  ainsi  sou- 
lever tout  le  Zab. 


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[I84fl]  EN  ALGÉRIE  67 

En  présence  de  celle  agitation  croissante,  M.  de  Saint -Germain  n'hésita 
pas:  il  sortit  de  Biskra  avec  trois  cents  hommes  de  la  iégion  étrangère,  cent 
vingt-cinq  chevaux  du  S*'  spahis ,  deux  cents  autres  du  goum ,  mit  en  pleine 
déroute  les  Arabes  de  Si-Âbd-el-Âfid ,  mais  malheureusement  fut  tué  au  milieu 
de  son  succès. 

Malgré  ce  brillant  combat  les  populations  restèrent  inquiètes,  et  Tannonce 
de  Tarrivée  d*une  colonne  française  produisit  peu  d'eflet.  Les  marabouts  con- 
tinuèrent à  prêcher  la  guerre  sainte,  la  question  de  Timpôt  fut  habilement 
exploitée,  les  anciens  agents  d*Abd-el-Kader  se  mirent  à  parcourir  le  pays, 
tout  fut  mis  en  œuvre  pour  organiser  dans  cette  oasis ,  qui  n*avait  jamais  pu 
être  occupée  par  les  bey s ,  une  résistance  capable  d'arrêter  Tarmée  française 
elle-même. 

IjC  22  septembre,  la  colonne  destinée  à  opérer  contre  Zaatcha  fut  réunie  au 
Coudiat-Aty.  Elle  comprenait,  comme  infanterie,  un  bataillon  du  8*  de  ligne, 
deux  bataillons  du  43*,  un  bataillon  de  chasseurs  à  pied  et  le  bataillon  de 
Tirailleurs  indigènes. 

Le  24 ,  elle  se  mit  en  route,  sous  les  ordres  du  colonel  Dumontet,  du  43*,  et 
arriva  à  Batna  le  27.  Là  elle  fut  rejointe  par  le  général  Herbillon  et  la  cava- 
lerie. Le  4  octobre,  elle  arrivait  à  Biskra  et  s'y  renforçait  d'un  bataillon  de 
la  légion  étrangère.  Le  7,  à  neuf  heures  du  matin ,  elle  se  trouva  enCn  en  face 
de  Zaatcha  et  de  Lichana.  Elle  avait  laissé  à  Test  l'oasis  de  Bou-Chagroun, 
qui  n'est  qu'à  un  quart  d'heure  de  Zaatcha. 

Toute  la  partie  de  l'oasis  qu'on  pouvait  apercevoir  était  entourée  d'Arabes, 
qui  regardaient  tranquillement  défiler  nos  troupes,  sans  paraître  le  moins  du 
monde  effrayés  de  ce  déploiement  de  forces.  Quand  toute  la  colonne  se  trouva 
réunie,  elle  présenta  un  effectif  de  quatre  mille  cinq  cents  hommes.  C'était 
peu  pour  In  développement  qu^allnit  avoir  notre  ligne  d'attaque. 

A  cette  époque,  Zaatcha  était  un  immense  bouquet  de  palmiers,  six  ou 
sept  fois  plus  long  qu'il  n'était  profond.  Le  village  ressemblait  à  une  vraie 
place  de  guerre  :  des  tours  carrées  s'élevaient  de  distance  en  distance,  reliées 
entre  elles  par  des  maisons  percées  de  petites  ouvertures  triangulaires,  desti- 
nées à  la  dessication  des  dattes,  et  qui  allaient  être  transformées  en  véritables 
créneaux.  Un  chemin  de  ronde  bordait  un  fossé  d'une  largeur  moyenne  de  six 
mètres,  et  d'une  profondeur  variant  entre  un  et  deux  mètres.  Ce  fossé  était 
plein  d'eau.  On  pénétrait  dans  l'enceinte  par  un  pont  en  pierre.  Les  rues 
étaient  très  étroites;  les  maisons  avaient  des  entrées  très  basses  et  communi- 
quaient entre  elles  au  moyen  de  terrasses. 

Vis-à-vis  de  l'oasis,  à  peu  près  à  sept  à  huit  cents  mètres,  se  trouvent  des 
hauteurs  qui  sont  la  continuation  d'une  chaîne  qui ,  depuis  Biskra  jusqu'à 
Zaatcha,  borde  la  route  et  pourrait  en  quelque  sorte  servir  de  guide.  A  envi- 
ron cinq  cents  mètres  de  là,  contre  Toasis  et  vers  le  milieu  de  sa  longueur, 
existait  alors  une  zaouîa  composée  d'un  groupe  de  maisons  dominé  par  un 
minaret  assez  élevé. 

lia  colonne  fut  arrêtée  sur  les  hauteurs  dont  nous  venons  de  parler.  Aus- 
sitôt qu'elle  y  fut  installée,  le  général  ordonna  au  cheik  Ben-Ganah  de  réunir 
ses  goums  et  de  faire  le  tour  de  l'oasis  par  le  sud,  pendant  que  la  cavalerie, 


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68  lE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l849] 

appuyéo  par  lo  balaillon  inJigènû,  so  porterait  entre  Zuatclia  et  ïolga,  avec 
mission  d'empêcher  les  gens  de  celte  dernière  oasis  de  venir  en  aide  à  leurs 
voisins.  En  même  temps,  l'artillerie  se  mit  en  batterie  et  commença  à  tirer 
sur  la  zaouia,  où  devait  être  établi  un  dépôt  de  tranchée. 

Le  bataillon  de  Tirailleurs ,  désigné  pour  seconder  le  mouvement  de  notre 
cavalerie,  alla  s'établir  entre  l'oasis  de  Parfar  et  celle  de  Tolga.  Ces  oasis 
étaient  pleines  de  défenseurs  qui ,  en  entendant  la  fusillade,  cherchèrent  à  venir 
en  aide  à  leurs  frères  de  Zaatcha;  mais,  vigoureusement  maintenus,  ils  durent 
se  résigner  à  ne  prendre  aucune  part  à  la  lutte  qui  avait  lieu  sur  un  autre 
point.  A  quatre  heures  du  soir,  le  bataillon  rentra  au  camp  :  il  n'avait  eu  aucun 
homme  atteint.  Pendant  ce  temps,  le  colonel  Carbuccia  avait  donné  l'assaut 
à  la  zaouia  avec  les  deux  bataillons  du  43«,  et  s'en  était  emparé  sans  ren- 
contrer de  résbtance  bien  sérieuse.  Malheureusement  nos  soldats  s'égarèrent 
ensuite  dans  les  jardins,  subiront  dos  pertes  considérables,  et  durent  se  re- 
plier, laissant  plusieurs  des  leurs  entre  les  mains  do  l'eunenii. 

Dans  la  nuit  du  7  au  8  octobre,  l'artillerie  construisit,  à  environ  soixante-dix 
mètres  en  avant  de  la  saoula,  l'emplacement  d'une  batterie  qui  fut  armée  de  trois 
pièces.  A  dix  heures  du  matin,  cette  batterie  ouvrit  son  feu;  mais  on  ne  put 
juger  de  l'effet  de  ses  coups  que  par  le  nuage  de  poussière  que  soulevait  chacun 
de  ses  projectiles.  Tout  à  coup  on  aperçut  quelques  lézardes.  Ces  dernières 
paraissaient  assez  grandes;  peut-être  la  brèche  était-elle  déjà  praticable. 
Guidé  par  cette  espérance,  le  général  lit  appeler  le  commandant  Bourbaki, 
et  le  chargea  d'aller  avec  son  bataillon  reconnaître  le  véritable  état  des 
choses. 

A  onze  heures,  le  bataillon  fut  réuni  à  la  batterie;  soudain  celle-ci  cessa  son 
tir,  et  le  conmiandant  Bourbaki,  avec  les  1>^,  2«  et  3»  compagnies,  se  porta 
vers  la  droite,  dépassa  les  tirailleurs  du  43®,  qu'on  avait  placés  pour  couvrir 
l'abattage  des  palmiers,  et  reconnut  que  de  ce  côté  la  muraille  était  endom- 
magée dans  sa  partie  supérieure,  mais  ne  présentait  cependant  pas  un  pas- 
sage suffisant  pour  pcriiiettro  do  donner  un  assaut  immédiat.  Se  jetant  ensuite 
sur  la  gauche,  il  arriva  jusqu'au  fossé,  que  quelques  Tirailleurs  tentèrent  en 
vain  de  traverser.  Accueillies  par  un  feu  violent,  les  compagnies  durent  alors 
chercher  un  refuge  dans  les  jardins.  Là  ce  qui  s'était  produit  la  veille  pour 
le  43®  se  renouvela  :  les  hommes ,  ne  pouvant  plus  être  surveillés  par  les 
chefs,  se  dispersèrent  dans  des  dédales  impraticables,  et  engagèrent  une  lutte 
où  ils  furent  superbes  de  bravoure,  mais  qui  devait  fatalement  se  terminer  à 
leur  désavantage,  l'ennemi  demeurant  invisible.  Il  fallut  se  retirer.  Dès  que 
ce  mouvement  de  retraite  eut  commencé,  les  Arabes  sortirent  de  tous  côtés 
pour  essayer  de  déborder  le  bataillon;  mais  celui-ci,  faisant  un  vigoureux 
retour  offensif,  se  précipita  sur  ces  bandes  acharnées ,  les  culbuta ,  les  rejeta 
dans  le  village,  leur  infligea  des  pertes  considérables  et  leur  arracha  un  ofû» 
cier  qui  venait  d'être  blessé,  M.  Déjoux,  sous -lieutenant,  ainsi  que  le  corps 
d'un  Tirailleur  tué. 

Les  Tirailleurs  avaient  sur-le-champ  pris  leur  revanche  d'un  échec  momen- 
tané; mais  cette  journée  n'en  avait  pas  moins  été  sanglante  pour  eux.  Outre 
M.  Déjoux,  le  bataillon  comptait  encore  un  oflBcier  blessé,  H.  le  capitaine  Ta- 


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[1849]  EN  ALGÉRIE  69 

▼erne.  Ce  dernier  avait  été  admirable  de  courage  et  de  sang -froid  :  atteint 
d'une  balle  dans  le  ventre,  il  n'avait  pas  cessé  de  diriger  sa  compagnie,  qui, 
électrisée  par  un  tel  exemple,  avait  elle-même  accompli  des  prodiges.  Le 
nombre  des  hommes  hors  de  combat  s'élevait  à  trente-sept,  dont  cinq  tués  et 
trente-deux  blessés.  Quoique  abrités,  les  Arabes  n'avaient  pas  été  sans  être 
également  éprouvés;  mais,  comme  chcs  eux  les  morts  et  les  blessés  étaient 
immédiatement  remplacés  par  des  hommes  valides,  les  pertes  qu'ils  avaient 
subies  ne  pouvaient  les  affaiblir. 

Cette  infructueuse  tentative  d'attaque  de  vive  force  avait  du  moins  démon- 
tré l'inutilité  et  le  danger  de  tout  nouvel  effort  de  ce  genre.  Aussi  fut  «il  dès 
lors  décidé  qu'on  ferait  un  siège  en  règle.  De  nouvelles  batteries  furent  éta- 
blies, et  le  génie  entreprit  des  travaux  de  défilement  devant  permettre  aux 
assaillants  de  se  rapprocher  de  la  place.  Avec  ces  travaux  commença  un  ser- 
vice de  tranchée  et  de  grand'garde  très  fatigant  pour  les  troupes ,  qui  n'eurent 
plus  qu'une  nuit  de  repos  sur  deux. 

Le  12,  le  colonel  de  Barrai,  qui  venait  de  parcourir  les  environs  de  Bou- 
SaAda,  arriva  avec  une  colonne  de  mille  cinq  cents  hommes,  comprenant 
un  bataillon  de  xouavcs,  un  autre  du  38^  de  ligne,  la  6^  compagnie  du  ba- 
Ifiillon  fin  Tirailleurs  et  do  In  cnvaleric.  Ce  renfort,  tout  important  qu*il  fAt, 
no  changea  cependant  rien  h  la  situation,  si  en  n*est  que  les  travaux  furent 
pousses  avec  plus  d'activité.  Le  génie  dirigeait  deux  attaques  :  l'une  au  nord , 
Tautre  au  sud.  Celle  de  gauche  (sud),  commencée  la  première,  fut  praticable 
dès  le  14  octobre;  le  19,  celle  de  droite  (nord)  n'était  plus  qu'à  vingt  mètres 
de  la  contrescarpe.  L'accès  de  l'enceinte  paraissait  possible  maintenant.  Le 
général  Ilcrbillon  réunit  les  chefs  de  service,  prit  leur  avis,  et  décida  que 
l'assaut  aurait  lieu  le  lendemain. 

Une  fois  cette  résolution  prise ,  le  général  adopta  les  dispositions  suivantes  : 
le  colonel  Dumontet ,  avec  le  43°  de  ligne,  fut  chargé  de  pénétrer  par  la  brèche 
de  droite;  le  colonel  Carbuccia,  avec  la  légion,  par  celle  de  gauche;  pendant 
ce  temps,  le  bataillon  d'Afrique  à  droite  et  celui  de  Tirailleurs  à  gauche  de- 
vaient tourner  Zaatcha  et  Tisoler  des  autres  oasis. 

Le  20 ,  à  six  heures  du  matin ,  l'artillerie  augmenta  l'intensité  de  son  feu. 
Au  môme  moment,  le  bataillon  de  Tirailleurs  commença  son  mouvement;  il 
gagna  par  In  gnncho,  pénétra  dans  les  jardins,  et  s'établit  de  façon  à  inter- 
cepter toute  communication  entre  Lichana  et  Zaatcha,  rapprochant  autant 
que  possible  sa  gauche  de  la  droite  du  bataillon  d'Afrique.  Il  se  trouvait  cou- 
vert du  côté  de  Tolga  par  la  cavalerie  du  colonel  de  Mirbeck,  qui  avait  pour 
mission  de  surveiller  les  alentours  de  l'oasis  et  de  se  porter  sur  tel  point  où 
sa  présence  serait  nécessaire. 

Dès  que  le  général  fut  informé  que  le  commandant  Bourbaki  avait  pris  ses 
dispositions,  il  fit  sonner  la  charge.  Les  deux  colonnes  se  précipitèrent  et 
essayèrent  de  pénétrer  dans  la  place.  Une  vive  fusillade  s'engagea.  A  ce  bruit, 
les  gens  de  Lichana  voulurent  accourir  au  secours  de  Zaatcha;  mais  ils  trou- 
vèrent les  Tirailleurs  qui  leur  barraient  la  route.  En  vain  tentèrent-ils  de  forcer 
le  cordon  qui  les  maintenait;  ils  furent  partout  repoussés  et  obligés  d'assister 
à  distance  à  la  lutte  sanglante  dont  les  échos  parvenaient  jusqu'à  eux.  A  une 


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70  LE  3*  RÉQIUBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1848] 

beuro  de  l'aprèa-inidi,  le  commaadanl  Bourbaki  reçut  Tordre  do  rentrer  au 
camp  :  l'attaque  avait  échoué  ;  l'assaut  avait  été  repoussé. 

Dans  cette  journée,  où  le  43*  et  la  légion  subirent  des  pertes  considérables, 
le  bataillon  ne  compta  qu'un  officier  blessé,  M.  Coulon-Lagrandval ,  lieu- 
tenant commandant  la  2*  compagnie,  un  homme  tué  et  six  blessés. 

Encouragés  par  ce  succès,  les  défenseurs  de  Zaatcha  devinrent  de  plus  en 
plus  audacieux ,  et  leur  fanatisme  et  leur  vénération  pour  Bou-Zian  n'eurent 
plus  aucune  borne.  C'était  bien  là  le  protégé  du  Prophète,  celui  qui  avait  été 
envoyé  pour  chasser  les  infidèles  et  rétablir  Tancienne  puissance  de  l'islam. 
De  tous  côtés  lui  arrivaient  de  nouveaux  soldats,  et  le  nombre  des  défen- 
seurs de  Zaatcha  allait  s'augmentant  dans  la  même  proportion  que  les  forces 
de  la  colonne  s^aflaiblissaient.  Le  général  n'en  décida  pas  moins  que  le  siège 
continuerait;  mais  il  fallut  renoncer  à  rien  entreprendre  avant  l'arrivée  de 
renforts  et  de  munitions.  L'artillerie  continua  un  tir  lent,  de  façon  à  entre- 
tenir l'inquiétude  des  assiégés  et  à  élargir  les  brèches  déjà  faites;  le  génie 
reprit  ses  travaux  pour  les  pousser  jusqu'au  pied  de  l'enceinte. 

Le  bataillon  de  Tirailleurs  avait  également  repris  son  service  de  garde  et 
de  tranchée ,  service  &tigant  au  possible ,  à  cause  de  l'activité  incessante  des 
assiégés.  Le  25,  il  reçut  l'ordre  de  sortir  pour  aller  protéger  la  légion  étran- 
gère et  le  bataillon  d'Afrique  employés  à  la  coupe  des  palmiers.  Ces  deux 
corps  s'étaient  tout  à  coup  trouvés  engagés  avec  un  ennemi  nombreux,  et, 
depuis  un  moment ,  la  fusillade  était  des  plus  vives.  A  l'arrivée  du  bataillon 
indigène,  les  Arabes  rentrèrent  dans  la  place,  et  les  travailleurs  ne  furent 
plus  inquiétés. 

Cependant  la  situation  devenait  des  plus  graves;  l'effervescence  gagnait  les 
tribus  voisines:  tout  le  sud  de  la  province  était  en  armes.  Le  30  octobre, 
une  reconnaissance  envoyée  entre  Farfar  et  Tolga  fut  vivement  attaquée,  vers 
quatre  heures  du  soir,  par  une  bande  de  huit  à  dix  mille  nomades  venue  du 
désert.  Cette  reconnaissance  dut  se  replier  sur  le  camp.  Averti  de  cette  at- 
taque, le  généra]  fit  aussitôt  sortir  la  cavalerie  en  la  faisant  appuyer  par  les 
1^,  4*,  5*  et  6*  compagnies  du  bataillon  de  Tirailleurs.  Après  une  courte  rési- 
stance, les  nomades  se  retirèrent,  laissant  un  grand  nombre  des  leurs  sur  le 
terrain.  La  nuit  étant  arrivée ,  toute  poursuite  devint  impossible,  et  les  troupes 
rentrèrent  dans  leurs  positions.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  avait  eu  un  homme 
blessé. 

Le  lendeniiain,  les  nomades  renouvelèrent  leur  tentative,  mais  sans  plus 
de  succès. 

Le  3  novembre,  le  bataillon  partit  avec  deux  compagnies  de  chasseurs  à 
pied  et  cent  vingt  chevaux ,  pour  aller  chercher  un  convoi  à  Biskra.  Le  len- 
demain ,  il  était  de  retour  au  camp. 

Le  8,  le  colonel  Canrobert,  qui  avait  été  envoyé  d'Aumale  à  Bou-Saàda 
avec  un  bataillon  de  zouaves,  un  autre  du  16®  de  ligne  et  de  la  cavalerie,  vint 
se  joindre  à  la  colonne  et  prendre  part  aux  travaux  d'attaque. 

Le  12,  toute  la  cavalerie,  les  1^,  2*,  3*,  5®  et  8®  compagnies  du  bataillon  et 
un  obusier  de  montagne  sortirent,  sous  les  ordres  du  colonel  de  Mîrbeck, 
pour  aller  faire  du  fourrage  à  environ  deux  lieues  de  Zaatcha,  sur  la  route 


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[48491  EN  ALGÉRIE  71 

de  Biskra.  En  arrivant  au  del&  de  Boa-Chagroun ,  cette  colonne  commença  à 
apercevoir,  sur  la  droite  et  hors  de  portée ,  une  troupe  considérable  de  cava- 
lerie et  d'infanterie  ennemies.  Quêtaient  les  nomades ,  qui ,  depuis  les  échecs 
qu'ils  avaient  subis,  s'étaient  retirés  en  dehors  de  la  zone  d'action  de  nos 
troupes.  Le  colonel  fit  arrêter,  croyant  avoir  à  livrer  un  combat;  mais,  les 
Arabes  ne  faisant  que  regarder,  il  se  contenta  do  leur  lancer  quelques  obus 
qui  les  éloignèrent  encore,  puis  il  reprit  sa  marche  et  fit  son  fourrage  sans 
être  inquiété.  Au  retour,  les  troupes  furent  ainsi  disposées  :  en  avant,  la  ca- 
valerie par  peloton ,  appuyant  sa  droite  aux  montagnes  et  ayant  sa  gauche 
couverte  par  une  compagnie  déployée  en  tirailleurs;  au  centre,  la  pièce  de 
montagne,  et  comme  arrière-garde,  la  3*  compagnie  du  bataillon. 

A  peine  cette  colonne  fut -elle  en  marche,  que  toute  la  masâe  de  cavalerie 
ennemie  fondit  sur  elle,  pondant  que  rinfantcrio,  débouchant  de  Bou-Cha- 
groun ,  cherchait  à  déborder  son  flanc  gauche.  La  1*^  section  de  la  3*  com- 
pagnie, faisant  demi -tour,  accueillit  cette  charge  par  une  fusillade  exécutée 
avec  un  ordre  parfait  et  qui  Gt  aussitôt  tourner  bride  aux  cavalière  arabes. 
Ceux-ci  revinrent  encore  harceler  l'arrière -garde;  mais  cette  dernière  fit 
face  à  tout  et,  sans  se  laisser  intimider  par  cette  fantasia  désordonnée  de  ses 
adversaires,  se  retira  lentement,  combattant  toujours  et  maintenant  Tennemi 
à  distance.  On  arriva  ainsi  jusqu'à  une  petite  rivière  qui  partage  la  plaine 
en  deux.  Là  les  autres  compagnies  s'arrétèrant  pour  attendre  que  la  3*  eût 
passé.  A  ce  moment,  les  nomades  voulurent  tenter  un  dernier  eflbrt.  Mais 
les  Tirailleurs ,  obéissant  à  un  magnifique  élan ,  passent  subitement  de  la  d^ 
fense  à  l'offensive,  chargent  les  fantassins  arabes,  les  enfoncent,  les  pour- 
suivent avec  acharnement,  pendant  que  notre  cavalerie,  qui  jusque-là  n'a 
pris  aucune  part  à  l'action ,  jette  son  fourrage,  se  dirige  sur  celle  de  l'ennemi, 
l'atteint,  la  sabre,  la  disperse  et  revient  achever  la  déroute  des  fantassins. 
En  un  instant  l'horizon,  tout  à  l'heure  assombri  par  ces  masses  confuses, 
devient  complètement  vide;  l'ennemi  atterré  fuit,  —  il  fuit  sans  regarder 
derrière  lui ,  et  si  convaincu  de  son  impuissance ,  qu'à  partir  de  ce  jour  on 
ne  verra  plus  les  nomades  que  très  loin  aux  environs  de  Zaatcha. 

Dès  lors  on  n*eut  plus  à  compter  avec  ces  bandes ,  que  l'espoir  de  l'exter- 
mination des  Français  et  l'appât  d'un  riche  butin  avaient  seuls  fait  venir  du 
désert.  Mais  il  ne  suffisait  pas  de  celte  circonspection  de  leur  part;  il  fallait 
profiter  de  l'effet  produit  par  leur  défaite  pour  s'en  débarrasser  tout  à  fait. 
Apprenant  qu'elles  s'étaient  réunies  à  Ourlai ,  où  elles  croyaient  se  trouver  à 
l'abri  de  toute  surprise,  le  général  Herbillon  partit  le  16,  à  deux  heures  du 
matin ,  avec  deux  colonnes,  dans  le  but  de  les  attaquer.  Quand  le  jour  parut, 
on  aperçut  une  ville  de  tentes ,  de  douars  sans  nombre  s'étendant  de  tous 
côtés;  puis  des  chevaux,  des  chameaux,  des  troupeaux  couvrant  la  plaine 
aussi  loin  que  l'œil  pouvait  parvenir.  Toute  l'immense  caravane  était  là,  avec 
ses  biens,  ses  troupeaux ,  ses  innombrables  impedimenta  :  cavaliers,  femmes, 
enfants,  vieillards  étaient  confondus  et  reposaient  tous  dans  la  quiétude  la 
plus  profonde. 

Cependant,  au  premier  bruit,  les  hommes  sortirent  des  tentes,  montèrent 
à  cheval ,  et  se  portèrent  en  avant  ;  tout  ce  qui  ne  pouvait  combattre  s'enfuit 


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72  LB  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1849] 

précipitammoiU  vora  los  oasis.  Mais  on  no  leur  donna  pas  le  temps  do  se  ro- 
connaitre;  le  colonel  de  Mirbeck  fondit  sur  eux  avec  la  cavalerie.  Au  môme 
instant,  Tinfanterie  se  jeta  au  milieu  des  tentes,  dispersant  les  fantassins 
arabes,  renversant,  bousculant,  détruisant  tout  ce  qui  se  trouvait  sur  son 
passage,  pendant  que  rartillerie  accompagnait  de  ses  obus  les  fuyards, 
qui,  saisis  d'épouvante,  jetaient  tout  ce  qui  pouvait  les  gêner  dans  leur 
course. 

Après  qu'on  en  eut  fini  avec  les  combattants,  le  bataillon  de  Tirailleurs  et 
les  spahis  se  jetèrent  à  la  poursuite  des  troupeaux.  Il  fut  capturé  environ 
quinze  mille  moutons  et  deux  mille  chameaux.  Les  gardiens  de  ces  derniers 
se  défendirent  vaillamment  en  cherchant  à  les  sauver.  Le?  Tirailleurs  eurent 
un  homme  tué  et  cinq  blessés* 

Enfin,  ne  trouvant  plus  personne  à  combattre,  los  deux  colonnes  se  ral- 
lièrent pour  rentrer  au  camp.  A  peine  descendu  de  cheval ,  le  général  recevait 
la  soumission  des  grands  des  deux  fractions  les  plus  importantes  des  no- 
mades. Quelques  jours  après,  ces  derniers  repartaient  pour  leur  campe- 
ment habituel ,  laissant  entre  nos  mains  des  otages  pris  dans  les  grandes 
familles  et  devant  servir  de  garantie  pour  le  payement  des  amendes. 

Délivré  de  tout  souci  extérieur,  le  général  put  désormais  concentrer  tous 
ses  efforts  contre  la  place.  A  partir  du  17,  les  travaux  du  génie  furent  poussés 
de  telle  sorte,  qu'au  bout  de  quelques  jours  on  se  vit  enfin  près  du  but  si  ar- 
demment désiré.  L'ennemi,  sentant  le  moment  suprême  s'avancer,  devenait 
de  plus  en  plus  agressif.  Le  24,  à  onze  heures  du  malin,  il  saisit  le  moment 
où  l'on  relevait  les  gardes  de  tranchée  pour  faire,  sur  les  lignes  de  l'attaque 
de  droite,  une  audacieuse  sortie  très  habilement  préméditée.  Les  Arabes  se 
répandirent  dans  les  enclos  et  tout  à  coup  firent  irruption  sur  les  travailleurs; 
quelques-uns  pénétrèrent  même  jusque  dans  l'une  de  nos  batteries,  où  ils 
se  firent  brayement  tuer.  Lo  danger  devenant  pressant,  le  général  envoya 
chercher  au  camp  le  bataillon  de  Tirailleurs  et  trois  compagnies  du  8*  ba- 
taillon do  chasseurs.  Lo  commandant  Bourbuki  divisa  sa  troupo  en  dcuK 
groupes  et  tourna  la  position  des  Arabes  en  s'engageant  jusque  sous  les  murs 
de  la  ville;  après  avoir  débusqué  ceux-ci  de  tous  les  points  qu'ils  occupaient, 
il  les  poursuivit  de  jardin  en  jardin, d'enclos  en  enclos ,  jusqu'à  hauteur  de  la 
porte  de  Zaatcha,  où  ils  firent  encore  une  vigoureuse  résistance.  Enfin ,  com- 
plètement acculés  à  la  place,  ils  durent  se  retirer,  non  sans  avoir  subi  des 
pertes  considérables.  De  son  côté,  le  bataillon  avait  un  officier  blessé,  un 
homme  tué  et  huit  autres  blessés. 

Tout  étant  prêt  pour  un  effort  décisif,  l'assaut  fut  fixé  au  26  novembre, 
n  devait  avoir  lieu  par  trois  brèches.  Le  commandant  Bourbaki  avec  le  ba- 
taillon indigène  était  chargé  de  l'investissement  provisoire  de  l'oasis. 

Au  point  du  jour,  l'artillerie  redoubla  son  tir.  Le  bataillon  de  Tirailleurs 
était  venu  de  bonne  heure  se  masser  à  la  zaoula;  à  un  signal  donné,  il  se 
porta  vers  la  face  ouest  du  village  pour  prendre  position  entre  les  extrémités 
de  droite  et  de  gauche  des  deux  attaques  nord  et  sud.  Ce  mouvement,  ainsi 
que  ceux  opérés  dans  le  camp,  donnèrent  l'éveil  à  l'ennemi;  des  groupes 
nombreux  sortirent  de  Zaatcha,  se  dirigeant  vers  Lichana  et  Tolga ,  soit  pour 


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[1849]  EN  ALGÉniE  73 

fuir,  soit  pour  y  chercher  des  renforts.  Mais  ils  no  purent  y  parvenir:  tombés 
au  milieu  des  Tirailleurs,  ils  furent  tous  tués  ou  pris. 

A  huit  heures,  trois  notes  de  clairon  font  connaître  que  Tinvestissement 
est  terminé.  Le  général  fait  sonner  la  charge;  tout  le  monde  s'élance:  h  . 
droite,  c'est  le  colonel  Canrobert;  au  centre ,  le  colonel  de  Barrai  ;  à  gauche , 
le  lieutenant- colonel  de  Lourmel.  Menée  avec  une  vigueur  extraordinaire, 
cette  attaque  nous  rend  enfin  maîtres  de  Zaatcha;  seulement  il  faut  faire  le 
siège  de  chaque  maison ,  et  ce  n'est  qu'après  avoir  vu  tomber  la  dernière 
que  les  Français  peuvent  se  proclamer  vainqueurs.  Les  Arabes  se  font  tuer 
jusqu'au  dernier,  y  compris  Bou-Zian,  qui  succombe  héroïquement  au  mo- 
ment où  il  voit  que  tout  est  perdu  pour  lui. 

Pendant  que  cette  lutte  sanglante  se  livrait  à  Tintérieur  de  la  place,  le 
commandant  Ik)urlmki  était  aux  prises  avec  les  gens  do  Lichana ,  qui  étaient 
sortis  do  leur  village  pour  venir  en  aide  à  ceux  de  Zaatcha.  Arrêtés  sur 
tous  les  poinU,  ils  durent  bientôt  renoncer  A  Tcspoir  de  venir  secourir  Bou- 
Zian;  le  bruit  sourd  des  mines,  le  retentissement  du  canon,  la  colonne  de 
fumée  qui  s'élevait  au-dessus  de  Zaatcha ,  leur  indiquaient  d'ailleurs  que  Tin- 
surrection  rendait  son  dernier  soupir.  Mais  le  fanatisme  les  animait  d'une 
telle  ardeur,  il  leur  paraissait  tellement  impossible  que  Bou-Zian  fût  vaincu, 
qu'ils  combattirent  encore  avec  une  sauvage  énergie  et  ne  se  retirèrent  que 
lorsqu'ils  eurent  acquis  la  certitude  que  Zaatcha  n'existait  plus. 

Quoique  moins  éprouvé  que  les  corps  qui  avaient  pris  part  à  l'assaut ,  le 
bataillon  n'en  avait  pas  moins  subi  des  pertes  très  sensibles  dans  cette  san- 
glante journée;  il  comptait  un  officier  et  sept  hommes  tués  et  vingt  hommes 
blessés.  L'officier  tué  était  le  capitaine  Lapeyrusse,  l'un  des  plus  braves  et 
des  plus  anciens  du  bataillon.  Sa  mort  éveilla  d'unanimes  regrets,  non  seu- 
lement parmi  ses  camarades,  mais  encore  parmi  les  soldats,  qui  avaient  pour 
ce  chef  l'amour  l'obéissance  et  le  respect  que  commandent  la  valeur  et  l'in- 
telligence. 

Les  pertes  totales  pour  toute  la  durée  du  siège  s'élevaient  à  :  un  officier 
tué,  quatre  blessés,  quinze  hommes  tués  et  soixante -dix -sept  blessés,  soit 
quatre-vingt-dix-sept  hommes  hors  de  combat,  c'est-à-dire  à  peu  près  le  hui- 
tième de  l'efTectif. 

Zaatcha  n'était  plus  qu'un  monceau  de  ruines.  Le  28,  la  colonne  quitta  le 
camp,  se  dirigeant  sur  Biskra.  Là  le  général  llerbillon  trouva  des  députations 
de  la  plupart  des  tribus  qui  s'étaient  compromises  dans  l'insurrection.  Les 
troupes  se  portèrent  ensuite  sur  Ksour,  où  elles  furent  divisées  en  deux 
groupes  :  le  colonel  de  Barrai  prit  la  route  de  Bou-Saàda ,  le  colonel  Canrobert 
se  dirigea  vers  le  Ilodna.  Ce  dernier  groupe,  dont  le  bataillon  de  Tirailleurs 
fit  partie,  parcourut  tout  le  pays  des  Oulcd-Soltan  et  des  Ouled-Abdi,  réta- 
blissant l'ordre  dans  ces  tribus,  arrêtant  les  perturbateurs,  infligeant  des 
amendes  aux  fractions  qui  avaient  plus  particulièrement  pris  part  aux  der- 
nières hostilités.  La  colonne  Canpobert  se  rendit  ensuite  dans  les  Aurès;  mais, 
à  ce  moment,  le  bataillon  s'en  sépara  pour  rentrer  à  Constantine,  où  il  arriva 
le  24  décembre,  à  l'exception  delà  6*  compagnie,  qui  avait  suivi  le  colonel  de 
Barrai ,  d'abord  à  Bou-Saàda ,  ensuite  à  Sétif. 


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74  LE  3*  RÊQIUBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALQÊUIE        [l849l 

A  la  suite  de  la  longae  expédition  do  Zaatcha ,  la  plus  importante  dont  la 
province  de  Constantine  eût  été  jusque-là  le  théâtre,  un  ordre  de  l'armée  porta 
à  la  connaissance  des  troupes  les  citations  suivantes  daiis  le  corps  des  Tirail- 
fleurs  indigènes  : 

HM.  Bourbaki ,  chef  de  bataillon. 

Montfort,  capitaine. 

Taverne,  d<> 

De  Haussion ,  capitaine-adjudanl-major. 

Gaudinot  de  Yillaire ,  lieutenant. 

Coulon-Lagrandval ,  d*^ 

Pelisse,  sous-lieutenant. 

Déjoux ,  d^ 

Valentin ,  d^* 

Moulinier,  chirurgien-aide-major. 

Rougeot,  adjudant. 


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CHAPITRE  VIII 

(1850-1851) 


(1850)  Le  commandant  Bourbaki  est  remplacé  par  le  commandant  Bataille.  —  Sortie 
contre  les  Maftdhid.  —  Expédition  des  Nemencha.  —  (1881)  Expédition  de  la  petite 
Kabylie.  —  Combat  du  1i  mai.  —  ArriTée  à  DjidJelU.  —  Reprise  des  opérations.  — 
Rentrée  à  Gonstantine.  —  Le  commandant  Jolivet  remplace  le  commandant  Bataille. 


Le  16  janvier  1850,  le  commandant  Bourbaki  Tut  nommé  au  grade  de  lieu- 
tenant-colonel et  remplacé,  dans  le  commandement  du  bataillon,  par  le  com- 
mandant Bataille,  officier  d*une  rare  énergie,  qui  venait  de  se  signaler  d'une 
façon  toute  particulière  au  siège  de  Zaatcha.  Avec  un  tel  chef,  les  Tirailleurs 
de  Gonstantine  allaient  continuer  à  porter  brillamment  le  titre  de  troupe  infa* 
tigahlc,  f|ii*ilfl  vcnnicnt  d^ncquérir  avoc  le  commandant  Bourbaki. 

Le  23  février,  les  3^,  4°  et  5*  compagnies,  sous  les  ordres  du  capitaine  Vassal, 
furent  envoyées  à  Batna  pour  aider  au  service  de  cette  place,  et  permettre  de 
pousser  activement  les  travaux  qu*on  y  avait  entrepris.  Elles  y  restèrent  jus- 
qu'au 24  mars.  Ce  jour-Iè  elles  se  mirent  en  route  pour  Sétif ,  où  elles  de- 
vaient entrer  dans  la  composition  d'une  colonne  commandée  par  le  général  de 
Barrai ,  et  destinée  à  aller  châtier  les  Maâdhid  et  les  Ouled-Anech,  qui  avaient 
attaqué,  dans  un  défilé  de  leurs  montagnes,  trois  compagnies  du  38*  de  ligne 
se  rendant  à  Bou-SaAda.  Cette  colonne  comprit,  outre  les  trois  compagnies  de 
Tirailleurs  :  un  bataillon  du  38°  de  ligne,  le  bataillon  d'Afrique,  un  escadron 
de  chasseurs  d* Afrique,  un  demi-escadron  de  spahis,  deux  pièces  de  montagne 
et  une  section  du  génie.  EIIq  se  mit  en  route  le  7  avril,  et,  le  9,  arriva  au 
pied  de  la  montagne  des  Maftdhid,  montagne  qui  termine  la  chaîne  qui  vient 
mourir  dans  le  llodna  et  domine  M'Sila. 

Uiiciqucs  fractions  de  la  tribu  révoltée  se  présentèrent  aussitôt  pour  de- 
mander Paman;  mais,  avant  de  traiter  avec  elles,  le  général  exigea  que  les 
insurgés  vinssent  tous  se  mettre  à  sa  disposition  avec  leurs  femmes,  leurs 
enfants  et  leurs  biens.  Le  lendemain,  personne  ne  s'étant  présenté,  le  camp 
fut  porté  plus  près  de  la  montagne.  Dans  la  journée,  des  rassemblements 
commencèrent  à  se  montrer  çà  et  là,  puis  se  réunirent  en  un  seul  groupe  qui 


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70  LE  3"*  RÉaiUENT  DE  TIRAIU.EURS  ALGËIUENS  [të&O] 

dûscoiidil  jusqu'à  huit  coqU  luèlrcs  do  nos  avant -poslcs,  cl  se  mil  à  y  con- 
struire une  petite  redoute  en  pierres  sèches.  Quelques  obus  suffirent  pour  faire 
abandonner  ce  commencement  de  fortification.  Cependant,  lorsque  la  nuit 
arriva ,  les  Arabes  se  rapprochèrent  de  nouveau  et  tentèrent  d*enlever  quelques- 
uns  de  nos  avant-postes.  Ceux-ci  résistèrent  vigoureusement,  et  cette  surprise 
se  termina  par  la  fuite  précipitée  de  l'ennemi.  Le  bataillon  eut  deux  hommes 
tués  et  quelques  blessés. 

Le  1 1 ,  les  débouchés  de  la  plaine  ayant  été  occupés  par  le  goum  de  Mokroni, 
les  Maâdhid  se  virent  entourés  do  toutes  parts,  sans  fuite  possible  cl  à  la  com- 
plète merci  du  vainqueur.  Le  général  leur  accorda  doux  jours  pour  leur  per- 
mettre de  réunir  leurs  troupeaux  ;  puis  il  leur  signifia  que  leur  nom  n'existait 
plus  et  que  leur  tribu  allait  être  dispersée  sur  tout  le  territoire,  ce  qui  fut  fait. 

Le  14  avril,  la  colonne  se  dirigea  sur  les  Ouled-Anech ,  qui  payèrent  sans 
difficulté  Tamende  qui  leur  fut  imposée.  Le  16,  elle  reprenait  la  route  de 
Sétif,  pendant  que  les  trois  compagnies  de  Tirailleurs,  après  avoir  re^.u  les 
éloges  du  général  pour  leur  attitude  pendant  toute  cette  expédition,  se  diri- 
geaient sur  Batna,  où  elles  arrivèrent  le  19. 

Peu  de  jours  après  être  rentrées  dans  ce  poste,  ces  mémos  compagnies 
allèrent,  sous  les  ordres  du  capitaine  Jolivet,  s'établir  à  Khenchela.  Là  se 
trouvaient  déjà  réunis  les  premiers  élément  d'une  colonne  destinée  à  parcourir 
le  territoire  des  Nemencha  et  toute  la  partie  méridionale  de  TAurès.  En  atten- 
dant le  commencement  des  opérations,  ces  troupes  travaillaient  à  l'établisse- 
ment d'une  redoute  qui  devait  servir  de  point  de  ravitaillement. 

Le  6  mai ,  le  général  de  Saint-Arnaud,  commandant  la  province,  qui  venait 
d'arriver  avec  les  troupes  de  Constantine,  dans  lesquelles  se  trouvaient  les 
l'*,  2<>,  7®  et  8*  compagnies  du  bataillon  indigène  avec  le  commandant  Ba- 
taille, oVganisa  la  colonne  en  deux  brigades  d'infanterie.  La  première,  dont 
le  colonel  Eynard  reçut  le  commandement,  comprit  deux  bataillons  du  20"  de 
ligne,  un  bataillon  du  43«  et  les  3«,  4"^  et  5*  compagnies  de  Tirailleurs;  la 
deuxième,  qui  fut  placée  sous  les  ordres  du  colonel  Jamin ,  fut  composée  avec 
un  bataillon  du  8®  de  ligne ,  deux  bataillons  de  la  légion  étrangère  et  les  quatre 
autres  compagnies  du  bataillon  indigène. 

Le  9,  la  colonne  entière  se  mit  en  marche  vers  le  sud-est ,  se  dirigeant  sur 
le  pays  de  Nemencha.  Le  10,  elle  arriva  à  Ras-el-Gueber,  où  elle  trouva  les 
premières  cultures  de  la  tribu;  seulement,  comme  pour  toutes  les  expéditions 
qui  avaient  déjà  eu  lieu  dans  cotte  contrée,  la  population  avait  fui.  On  vint 
cependant  dire  au  général  qu'un  rassemblement  considérable  avait  été  vu  du 
cOté  de  Sidi-Abid.  Une  colonne  légère,  composée  do  la  cavalerie  et  de  quelques 
compagnies  d'infanterie,  dont  deux  de  Tirailleurs,  fut  aussitôt  envoyée  sur  ce 
point;  mais  lorsqu'elle  y  arriva,  les  contingents  s'étaient  déjà  en  grande  partie 
dispersés,  et  c'est  à  peine  si  nos  troupes  purent  capturer  quelques  chevaux 
et  une  quarantaine  d'Arabes,  qui  furent  ramenés  au  camp. 

Le  11,  le  biyouac  fut  porté  à  Aîn-Tilidjen  ;  le  15,  à  Aln-Saboun.  Le  17,  la 
colonne  arriva  à  Tebessa,  où  elle  séjourna  jusi|u'au  19.  Le  20,  elle  alla  s'éta- 
blir à  Okkous.  Dans  la  soirée,  ayant  appris  que  les  Nemencha  soumis  avaient 
parmi  leur  bétail  des  troupeaux  appartenant  aux  rebelles,  le  général  donna 


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[1850]  EN  ALGÉRIE  77 

Tordre  à  toute  la  cavalerie,  à  un  bataillon  du  43*  et  à  celui  de  Tirailleurs  de 
partir  dans  la  nuit.  Au  point  du  jour,  cette  colonne  légère  arrivait  à  Feutrée 
d*une  immense  plaine  où  se  trouvaient  les  principaux  douars  de  la  tribu.  Elle 
hflta sa  marche,  se  précipita  sur  ces  douars,  qui  furent  envahis  en  un  instant, 
dispersa  les  Arabes,  s'empara  de  tous  les  troupeaux  qui  se  trouvaient  réunis 
sur  ce  point,  et  se  remit  ensuite  en  route  pour  le  camp  ramenant  avec  elle 
quatre  cents  chameaux  et  quinze  mille  moutons. 

Le  22,  la  colonne  se  porta  sur  TOued-Mesquina;  le  23,  à  Ain-M'Toussa, 
et,  le  24,  rentra  à  Khenchela  pour  s'y  ravitailler.  Le  27,  laissant  dans  ce 
poste  deux  cents  hommes  d^infanterie  et  la  cavalerie,  moins  un  escadron ,  pour 
protéger  Tinstallation  de  ce  camp  provisoire ,  elle  se  mit  en  route  pour  l'Aurès. 
Le  soir,  elle  bivouaqua  à  Aîn-Tamagra.  Le  28,  elle  entra  dans  le  Djebel- 
(îlicr.lmr  par  Aîn-Tarbnr  «l  Aîn-Ujcmol,  et  s'arrêta  à  Aln-Frodjou.  Le  29,  elle 
poussa  jusqu'à  Taoïirlcnt.  A  partir  du  30,  elle  s'engagea  dans  un  pays  nu, 
désolé,  habité  par  une  population  misérable;  elle  traversa  de  vastes  plateaux 
déchirés,  complètement  arides,  sans  eau,  sans  verdure,  sans  ombrage  et 
présentant  çà  et  là  quelques  villages  dénotant  la  plus  désolante  pauvreté. 
liC  30,  clic  bivouaqua  à  DjcIIel,  un  de  ces  villogcs,  placé,  comme  tous  les 
autres  d'ailleurs,  dans  une  position  difficile  au  sommet  d'un  rocher.  Le  31 , 
on  s'arrêta  à  Kheîran  sur  l'Oued-el-Arab;  le  1*' juin,  à  l'oasis d'Oueldja,  où 
l'on  séjourna  le  2.  Pendant  ce  séjour,  des  maraudeurs  ayant  assassiné  un 
soldat  du  20°  de  ligne  qui  s'était  écarté  du  camp,  et  le  général  s'étant  vu  re- 
fuser la  livraison  des  coupables  par  la  population  de  l'oasis,  le  village  fut 
cerné,  incendié,  et  une  trentaine  d'Arabes  passés  par  les  armes. 

Ce  châtiment  infligé,  la  colonne  se  mit  en  route.  Les  gens  d'Oueldja  la 
suivirent  quelque  temps  avec  des  manifestations  hostiles,  mais,  tenus  à  dis- 
tiiiiro  par  \m  Tirailleurs  des  3"^,  4°  et  5*'  compagnies  et  une  compagnie  du  20^, 
ils  durent  renoncer  à  l'espoir  d'inquiéter  sa  marche.  Le  3  au  soir,  elle  arriva 
h  Rl-UaaI.  Le  lendemain,  quittant  la  roule  déjà  connue,  elle  se  jeta  vers  le 
nord  et  remonta  jusqu'à  sa  sortie  le  long  et  difficile  défilé  de  l'Oued-Cherfa 
qu'elle  ne  franchit  qu'à  la  nuit.  Le  5,  elle  campa  sur  l'Oued-Messara,  au  point 
même  où  la  colonne  du  général  Bedeau  avait  été  arrêtée  par  les  neiges  en 
1845.  Le  6,  elle  arriva  à  Médina,  où  l'attendait  un  ravitaillement. 

Le  8,  les  troupes  quittèrent  Médina  et  s'engagèrent  dans  la  vallée  de  l'Oued- 
el-Abiod.  Le  but  était  de  reconnaître  une  nouvelle  route  pour  pénétrer  dans  le 
Sahara. 

Le  soir,  elles  bivouaquèrent  à  Senef,  le  9,  à  Tizanimin,  à  l'entrée  du 
Kauget-el-Abiod.  Cet  étroit  passage  est  formé  par  l'étranglement  de  deux  mon- 
tagnes, et  représente  une  gorge  profonde  au  fond  de  laquelle  la  rivière,  de- 
venue torrent  à  la  moindre  pluie,  se  précipite  avec  violence  et  roule  sur  un 
lit  de  rochers.  Les  chefs  arabes  cherchèrent  à  dissuader  le  général  de  pour- 
suivre son  projet  de  franchir  ce  point;  mais  ce  dernier  voulait  frapper  l'ima- 
gination de  ces  populations,  en  leur  donnant  le  spectacle  d'une  lutte  victo- 
rieuse contre  la  nature.  Le  10  au  matin ,  cinq  cents  travailleurs  furent  envoyés 
dans  la  gorge,  et,  pendant  dix  heures,  s'efforcèrent  de  rendre  praticables  les 
passages  les  plus  dangereux.  Le  lendemain ,  à  la  pointe  du  jour,  toute  la 


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78  l'B  3«  RÉOIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l8Sl] 

colonne  s'engagea  dans  le  fameux  déOlé.  Le  convoi  marchait  dans  le  lit  de  la 
rivière  avec  une  partie  de  la  troupe,  l'autre  partie  cliemiuait  avec  peine  dans 
la  rainure  d'un  ancien  conduit  romain  taillé  dans  le  roc.  Une  inscription  gra- 
vée dans  la  paroi  même  du  rocher  apprit  aux  antiquaires  que,  sous  le  règne 
d'Ântonin  le  Pieux,  la  vi*  légion  d'Auguste  avait  ouvert  une  route  en  ces 
mômes  lieux.  Le  soir,  on  bivouaqua  à  Banian ,  première  oasis  de  palmiers  sur 
rOued-el-Âbiod.  Le  12,  la  colonne  arriva  à  Biskra,  où  elle  séjourna  le  13.  Le 
14,  elle  alla  bivouaquer  à  Loutaîa,  et,  le  16,  à  El-Kantara.  Le  17,  les  bri- 
gades furent  dissoutes.  Ce  môme  jour,  le  bataillon  de  Tirailleurs  se  mit  en 
marche  pour  Constantine,  où  il  arriva  le  21  juin. 

Aucune  expédition  ne  devait  plus  avoir  lieu  jusqu'au  printemps  de  1851 . 
C'était  presque  une  année  de  repos  qu'allait  voir  s'écouler  le  bataillon,  c*est- 
à-dire  plus  qu'il  n'en  avait  jamais  connu  depuis  sa  formation.  Mais  cette  inac- 
tivité n'allait  pas  être  perdue  pour  lui,  et,  dans  la  prochaine  campagne,  il 
allait  encore  donner  les  preuves  de  ces  brillantes  qualités  milituires  où  lu  bra- 
voure s'allie  à  instruction  et  à  la  discipline. 


EXPÉDITION  DE  LA  PETITE  KABYLIE 


Depuis  longtemps  le  gouvernement,  d*accord  avec  le  commandant  supé- 
rieur de  nos  forces  en  Algérie,  avait  décidé  qu'une  importante  expédition 
serait  dirigée  sur  la  petite  Kabylie,  pour  rendre  effective  la  soumission  de  ces 
tribus  belliqueuses,  qui  avaient  toujours  été  une  menace  pour  les  place  de 
Collo  et  de  Djidjelli.  Le  16  mars  1851 ,  des  instructions  précises  furent  en- 
voyées au  général  Pélissier,  gouverneur  général  par  intérim,  et  le  général  de 
Saint-Arnaud,  commandant  la  province  de  Constantine,  eut  pour  mission  de 
préparer  cette  importante  opération,  qui  allait  avoir  pour  théâtre  le  triangle 
montagneux  compris  entre  Hilah ,  Djidjelli  et  Philippeville. 

Une  grande  agitation  se  manifesta  dans  cette  contrée  dès  qu'on  y  apprit 
cette  résolution;  persuadés  que  l'armée  française  ne  pourrait  pas  plus  péné- 
trer dans  leur  pays  que  ne  l'avaient  pu  les  armées  turques  à  répoc|ue  des  beys, 
les  Kabyles  juraient  de  nous  résister  jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Un  faux 
chérif ,  comme  il  en  avait  déjà  tant  surgi  parmi  ces  populations  toujours  dis- 
posées à  écouter  la  voix  d'un  agitateur,  venait  de  paraître  chez  les  Zaouas,  et 
ses  prédications  trouvant  les  esprits  admirablement  préparés  à  la  révolte,  il 
avait  bientôt  vu  se  grossir  la  bande  d'uventuriers  qu'il  traînait  ù  sa  suite  et 
ses  contingents  former  presque  une  armée.  Ce  nouveau  soi-disant  envoyé  du 
prophète  se  nommait  Bou-Baghla;  il  eut  jusqu'à  l'audace  de  se  présenter  de- 
vant Bougie;  mais,  cette  tentative  ne  lui  ayant  pas  réussi,  il  dut  s'éloigner  et 
rentrer  dans  les  montagnes,  où  il  conlinua  à  exciter  les  tribus. 

Pendant  ce  temps ,  le  général  de  Saint-Arnaud  organisait  sa  colonne  à  Milah. 
Le  10  avril ,  le  bataillon  indigène,  qui  devait  en  faire  partie,  quittait  Constan- 


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[1851]  EN  ALGÉRIE  79 

Une  pour  se  rendre  à  ce  point  de  concentration  ;  il  apportait  un  appoint  de 
trente  officiers  et  de  sept  cent  quinze  hommes.  Quand  toutes  les  troupes  se 
trouvèrent  réunies,  elles  présentèrent  un  total  de  douze  bataillons,  quatre 
escadrons  et  huit  pièces  de  montagne,  soit  un  effectif  d'environ  huit  mille 
hommes.  Deux  brigades  furent  formées  :  Tune  fut  placée  sous  les  ordres  du 
général  de  Luzzy  do  Pélissnc,  la  seconde  sous  le  commandement  du  général 
Itosquet.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  se  trouva  faire  partie  de  la  première. 

Le  8  mai,  la  division  expéditionnaire  quitta  Milah  et  s'engagea  dans  la 
vallée  de  TOucd-el-Kébir.  Le  10,  elle  arriva  sur  la  rive  droite  de  l'Oued-Mechta, 
en  face  du  col  de  Feldj-Benazem ,  situé  sur  la  rive  gauche.  Ce  passage ,  rela- 
tivement difficile,  avait  été  occupé  par  les  Ouled-Asker,  qui  s'y  étaient  re- 
tranchés au  moyen  de  fortifîcations  en  pierres  sèches.  Mais  la  journée  était 
déjà  trop  avancée  pour  tenter  une  attaque;  le  général  installa  le  bivouac  dans 
le  col  de  Feidj-Deînem ,  et  se  contenta  de  reconnaître  la  position  afin  de  mieux 
préparer  l'opération  du  lendemain. 

Le  1 1 ,  il  était  quatre  heures  du  matin  quand  les  troupes  commencèrent  à 
déboucher  du  camp.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  ouvrait  la  marche.  Il  descendit 
de  Feldj-Beînem  jusqu'au  fond  de  l'étroit  ravin  dans  lequel  l'Oued-Mechta  ' 
coule  à  quatre  cents  mètres  au-dessous  du  niveau  du  col ,  puis  se  mit  à  gravir 
sur  la  rive  gauche  des  pentes  escarpées,  dominées  par  des  villages  fortifiés. 
Là,  il  dut  s'arrêter  pour  attendre  que  la  colonne  eût  franchi  la  rivière.  Cette 
opération ,  retardée  par  de  nombreuses  difficultés,  prit  un  temps  considérable, 
et  l'heure  était  déjà  fort  avancée  lorsque  le  mouvement  offensif  put  avoir  lieu. 

Trois  colonnes  furent  formées  :  à  gauche,  le  général  de  Luzzy  avec  la  plus 
grande  partie  de  sa  brigade;  à  droite,  le  général  Bosquet;  au  centre,  le  géné- 
ral en  chef  avec  une  importante  réserve. 

Bientôt  le  bataillon  indigène,  qui  avait  conservé  la  tête  de  la  colonne  de 
Luzzy,  se  trouva  aux  prises  avec  les  premiers  postes  ennemis.  De  part  et 
d'autre  une  vive  fusillade  s'engagea.  L'ennemi  se  défendait  vigoureusement  : 
abrité  derrière  ses  retranchements,  il  dirigeait  sur  les  compagnies  de  pre- 
mière ligne  un  feu  des  plus  meurtriers.  Nos  Tirailleurs  ripostaient  de  leur 
mieux,  mais  sans  parvenir  à  déloger  les  Kabyles,  qui  montraient  ce  jour-là 
une  ténacité  peu  commune.  A  ce  moment,  une  charge  audacieuse  exécutée 
par  le  goum  et  la  cavalerie  vint  cependant  leur  faire  lâcher  pied.  Profitant 
aussitôt  de  l'efTct  produit  por  ce  choc  impétueux,  le  bataillon  mit  sac  à  terre 
et  se  précipita  à  son  tour  sur  les  hauteurs  qu'il  était  chargé  d'enlever.  Il  y  eut 
encore  un  instant  de  lutte  opiniâtre  entre  les  Tirailleurs  et  les  Kabyles;  mais 
ces  derniers,  enfoncés  de  toutes  parts,  se  décidèrent  enfin  à  se  retirer.  Toute 
la  colonne  de  Luzzy  s'était  portée  en  avant,  et  nous  étions  maîtres  de  toutes 
les  crêtes  qui  dominent  le  côté  gauche  du  col.  A  droite,  le  succès  était  le 
même  :  l'ennemi  était  en  fuite,  tiraillant  encore  de  loin,  sans  grand  effet  du 
reste,  sur  les  compagnies  lancées  à  sa  poursuite.  Enfin  il  n'y  eut  plus  un 
burnous  à  l'horizon;  la  colonne  de  Luzzy  s'arrêta;  puis,  comme  les  autres 
colonnes  étaient  encore  assez  loin,  elle  assura  l'installation  du  camp,  qui  fut 
établi  près  d'EI-Arroussa.  La  nuit  était  venue;  le  combat  avait  duré  toute  la 
journée. 


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80  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1851] 

Lob  portos  subios  par  lo  bataillon  do  Tirailleurs  s'élevaient  à  un  oHicier  tué, 
M.  Brafaim-ben-Mustapha,  sous-lieutenant,  deux  hommes  tués,  un  oflicier  et 
dix*neuf  hommes  blessés,  soit  vingt-deux  hommes  hors  de  combat. 

Le  12,  le  bataillon  appuya  une  opération  du  colonel  Marulaz,  du  20*  de 
ligne,  et  incendia  plusieurs  villages,  qui  ne  furent  pas  très  sérieusement  dé- 
fendus. 11  n*eut  que  trois  hommes  blessés  ce  jour-là. 

Le  13,  la  marche  fut  reprise  dans  la  direction  de  Djidjelli.  Le  bataillon  se 
trouva  d'abord  à  l'arrière- garde,  commandée  par  le  lieutenant-colonel  Espi- 
nasse.  La  colonne  avait  à  parcourir  un  pays  des  plus  difficiles.  Le  convoi 
suivait  un  sentier  étroit,  bordé  de  taillis;  au  fur  et  à  mesure  qu'on  avançait, 
les  bataillons  se  succédaient  sur  les  hauteurs  pour  le  proléger.  L'eniieuii ,  en 
nombre  considérable,  se  montrait  de  tous  côtés.  Pendant  toute  la  durée  de 
cette  marche,  des  engagements  parfois  très  vifs  eurent  lieu  en  tête,  en  queue, 
en  flanc,  par  moments  sur  tous  les  points  à  la  fois. 

Le  bataillon  de  Tirailleurs  fut  encore  des  plus  éprouvés ,  après  deux  com- 
pagnies du  10*  de  ligne  qui,  surprises  par  quatre  cents  Kabyles,  furent 
presque  anéanties  ;  il  avait  pour  sa  part  vingt-six  hommes  blessa. 

Le  14,  la  marche  se  poursuivit  dans  les  mêmes  conditions.  On  tirailla 
encore  pendant  toute  la  journée.  La  colonne  continua  à  descendre  vers  Tem- 
bouchure  de  l'Oued-el-Kébir.  Les  Kabyles  montrèrent  ce  jour-là  une  opiniâ- 
treté peut-être  plus  grande  encore  que  celle  des  jours  précédents.  C'était  dans 
ces  mêmes  parages  qu'en  1804  ils  avaient  complètement  détruit  Taruiée  du 
bey  Osman.  Mais  cette  fois  ils  durent  céder  à  la  vigueur  et  à  la  bravoure  de 
nos  troupes;  malgré  leur  ténacité,  malgré  les  difficultés  du  terrain,  notre 
marche  ne  fut  pas  arrêtée,  et  le  soir  le  camp  put  être  établi  dans  une  position 
très  forte  sur  les  derniers  contreforts  des  montagnes  des  Ouled-Âouat.  Le 
bataillon  avait  eu  huit  hommes  blessés. 

On  était  enfin  sorti  du  massif  montagneux.  En  avant,  la  vallée  s'élargis- 
sait; puis  venait  la  plaine  avec  ses  riches  villages,  ses  magnifiques  récoltes, 
sa  population  relativement  peu  hostile.  Après  un  jour  de  repos ,  pendant  lequel 
Tennemi  n'inquiéta  que  faiblement  nos  avant-postes,  on  pénétra  dans  le 
riche  territoire  des  Beni-M*Âmar,  et,  le  IG  au  soir,  on  vint  bivouaquer  sous 
les  murs  de  Djidjelli.  Le  général  Pélissier  se  trouvait  dans  celte  ville  depuis 
le  14;  il  se  rendit  au-devant  des  troupes ,  au  moment  où  celles-ci  arrivaient 
au  camp. 

Cependant  cette  longue  et  pénible  marche  n'avait  pas  donné  des  résultats 
en  rapport  avec  les  efforts  qu'elle  avait  coûtés;  ces  luttes  de  chaque  juur 
avaient  encombré  l'ambulance,  et  le  général  de  Saint-Arnaud  avait  dû  hâter 
son  arrivée  à  Djidjelli  pour  se  débarrasser  de  ses  blessés  et  se  ravitailler. 
Le  19 ,  la  colonne  reprit  le  cours  de  ses  opérations;  après  avoir  passé  l'Oued- 
Koutra,  elle  vint  camper  au  village  de  Dar-el-Guidjali,  au  milieu  de  la  tribu 
des  Béni-Amram.  Le  même  jour,  on  apprit  que  des  bandes  considérables 
de  Kabyles  de  la  tribu  des  Beni-Kiicttab-Seheragas ,  de  Tuntre  côté  de  l'Oued- 
Uoukinal ,  s'étaient  réunies  sur  une  montagne  voisine.  Le  générai  fil  aussitôt 
prendre  les  armes  à  toutes  les  troupes ,  ne  laissant  au  camp  que  les  hommes 
de  cuisine  et  un  bataillon  du  8«  de  ligne,  et  se  porta  contre  les  positions 


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[1851]  EN  ALGÉRIE  81 

ennemies.  Deux  colonnes  furent  formées  :  celle  du  général  de  Lnzzy ,  chargée 
de  l'attaque  de  gauche ,  aborda  aussitôt  les  Kabyles,  qui  se  défendirent  vigou- 
reusement, mais  n'osèrent  tenir  devant  un  mouvement  tournant  ayant  pour 
but  de  leur  couper  la  retraite.  La  poursuite  dura  plusieurs  heures.  L'ennemi 
éprouva  des  pertes  considérables,  les  nôtres  furent  insignitiantes. 

Après  ce  succès,  qui  eut  un  grand  retentissement  dans  le  pays,  les  troupes 
rentrèrent  au  bivouac.  Le  20 ,  on  fit  séjour  à  Guidjali.  Vers  midi,  on  vint 
annoncer  au  général  que  les  Kabyles  descendaient  des  montagnes  voisines 
pour  tenter  une  attaque  contre  le  camp.  On  ne  les  attendit  pas  :  au  signal 
d'un  coup  de  canon,  la  cavalerie  s'élança  sur  eux  pour  tourner  leur  droite ^ 
pendant  que  Tinfanterie  les  abordait  de  front.  Ils  occupaient  à  ce  moment 
une  croie  boisée,  longue  de  deux  kilomètres;  à  leur  gauche  se  trouvait  un 
ravin  profond;  à  droite,  le  terrain  allait  s'abaissent  pour  former  un  col 
d'assez  facile  accès.  C'est  par  ce  col  que  la  cavalerie  devait  exécuter  son  mou- 
vement tournant. 

Le  bataillon  de  Tirailleurs,  formant  Textréme  droite  de  la  ligne  française , 
avait  pour  mission  do  gagner  rapidement  le  bord  du  ravin ,  de  façon  à  se 
placer  sur  le  flanc  gauche  de  l'ennemi.  Ce  mouvement,  rendu  très  difficile 
par  les  obstacles  que  présentait  le  terrain ,  n'en  fut  pas  moins  exécuté  avec 
une  étonnante  rapidité;  si  bien  que,  lorsque  la  cavalerie  eut  assailli  le  flanc 
droit  des  Kabyles,  et  que  ceux-ci  cherchèrent  précipitamment  à  gagner  le 
ravin,  ils  furent  reçus  à  bout  portant  par  nos  compagnies,  qui  leur  barraient 
la  route.  Ils  ne  laissèrent  pas  moins  de  trois  à  quatre  cents  des  leurs  sur  le 
lieu  du  combat,  pendant  que  la  colonne  avait  en  tout  trois  hommes  tués  et 
six  blessés,  dont  trois  de  ces  derniers  appartenant  au  bataillon  indigène. 

Dès  ce  moment,  toutes  les  fractions  des  Beni-Àmram,  des  Beni-Âhmed, 
des  Uoni-Taarar,  dos  Bcni-Kliettab-Schoragas,  envoyèrent  leurs  chefs  pour 
faire  leur  soumission. 

Le  21,  les  troupes  séjournèrent  encore  au  camp  de  Dar-el-Guidjali;  les 
malades  et  les  blessés  furent  évacués  sur  Djidjelli.  Le  22,  la  colonne  se 
remit  en  route ,  sans  rencontrer  cette  fois  d'autres  difficultés  que  celles  qu'op- 
posait le  terrain.  Le  24 ,  elle  arrivait  à  Tibaîren.  Le  surlendemain,  le  général 
Bosquet  la  quittait  avec  deux  bataillons  et  deux  pièces  d'artillerie  pour  aller 
se  joindre  au  général  Camou,  qui,  avec  des  troupes  delà  province  d'Alger, 
opérait  entre  Sélif  et  Bougie. 

Le  26,  on  quitta  Tibaîren  pour  se  rendre  sur  l'Oued  -  M' Taa,  chez  les 
H'Silia.  Le  bivouac  fut  établi  ce  jour-là  au  milieu  des  Beni-Foughal.  Quel- 
ques rassemblemeois  s'étant  formés  dans  les  environs,  ils  furent  aussitôt 
attaqués  et  dispersés.  Ce  léger  combat  coûta  un  homme  tué  au  bataillon 
indigène.  IjO  27,  eut  lieu  un  nouvel  engagement  avec  les  gens  de  la  même 
tribu;  mais  les  Kabyles  ne  tinrent  que  faiblement  et  s'enfuirent  bientôt  sans 
nous  avoir  infligé  la  moindre  perte. 

Le  28 ,  le  bivouac  fut  porté  à  Aïn-Djouharra.  Le  2  juin,  la  colonne  revint 
sur  Djidjelli  pour  se  ravitailler.  Le  5,  elle  se  remit  en  route  pour  aller  opérer 
à  l'ouest  contre  les  Beni-Skeflel.  Le  8,  on  arrivait  à  El-Aouna.  Jusque-là 
aucun  incident  ne  s'était  produit.  Le  9,  on  quitta  El-Aouna  à  cinq  heures  du 

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82  LE  3^  nÊQIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1861] 

inalia.  Vers  midii  dos  bandes  assez  iiombrousos  furent  aperçues  sur  les  croies 
environnantes.  Une  petite  colonne,  dont  iirent  partie  six  compagnies  de 
Tirailleurs,  fut  aussitôt  formée;  mais  avant  que  ces  troupes  eussent  gravi  les 
pentes  abruptes  de  la  montagne,  les  Kabyles  étaient  en  fuite.  Le  10,  la 
marche  continua;  pendant  toute  sa  durée  il  fallut  tirailler  contre  l'ennemi, 
qui  se  montra  particulièrement  agressif.  Le  bivouac  fut  établi  chez  les  Beni- 
Haad.  Près  de  là  se  trouvaient  réunis  les  contingents  des  Ouled-Nabeth ,  des 
Ouled-Âli  et  des  Beni-Marmi.  Les  troupes  prirent  les  armes,  et  les  positions 
ennemies  furent  successivement  enlevées.  Dans  celte  journée,  le  bataillon  de 
Tirailleurs  eut  un  homme  tué  et  deux  blessés. 

Le  11  se  passa  sans  incident.  Le  12,  on  arriva  sur  remplacement  de  Tan- 
cienne  ville  de  Ziama.  Pendant  la  route,  des  contingents  des  Ouled-Nabeth 
et  des  Beni-Ségoual  ayant  paru  vouloir  disputer  à  la  colonne  le  passage  du 
col  qui  sépare  les  bassins  de  l'Oued -Mansouriah  et  de  TOued-Ziami,  le  ba- 
taillon indigène,  qui  se  trouvait  à  l'avant-garde,  les  en  avait  promplement 


Le  16 1  la  colonne  rentrait  une  troisième  fois  à  Djidjelli.  Le  18,  elle  se 
remettait  en  marche,  se  dirigeant  cette  fois  vers  Test,  pour  revenir  sur 
rOued-el-Kébir.  Le  lendemain  eut  lieu  un  léger  combat  contre  les  Ouled- 
Ali.  Dans  la  nuit  du  20  au  21 ,  les  Kabyles,  descendus  des  montagnes,  (en- 
tèrent sur  le  camp  une  attaque  qui  fut  repoussée.  Le  21 ,  on  alla  bivouaquer 
à  Tahar,  position  importante  qui  domine  le  pays  des  Ouled-Asker.  L'avant- 
garde  et  l'arrière-garde  eurent  seules  à  combattre  pendant  la  marche  ;  mais 
après  l'installation  du  camp,  quelques  bataillons,  dont  celui  de  Tirailleurs, 
furent  lancés  contre  les  Kabyles,  qu'ils  poursuivirent  très  loin,  leur  infligeant 
des  pertes  considérables.  Le  bataillon  eut  deux  hommes  blessés.  Le  lende- 
main, l'ennemi  étant  revenu  occuper  les  mêmes  positions,  le  combat  recom- 
mença; mais  les  Kabyles  tinrent  mollement,  et  n'attendirent  pas  qu'on 
donnât  l'assaut  à  leurs  positions.  Les  Tirailleurs  eurent  encore  un  homme 


Le  24,  on  arriva  sur  le  territoire  des  Beni-Habibi.  Cette  tribu  paraissait 
disposée  à  nous  opposer  une  vigoureuse  résistance.  Quatre  bataillons ,  dont 
celui  de  Tirailleurs,  furent  lancés  contre  ses  villages  et  s  en  rendirent  bientôt 
maîtres.  A  leur  retour  au  camp,  ils  furent  suivis  de  près  par  les  Kabyles, 
qui  payèrent  cher  cette  audace  :  trois  bataillons  sans  sacs  vinrent  appuyer 
ceux  qui  venaient  de  combattre,  et  toute  cette  masse  d'infanterie,  aux  ordres 
du  général  de  Luzzy ,  fondit  sur  eux  et  les  poursuivit  la  baïonnette  dans  les 
reins.  L'ennemi  laissa  encore  deux  cents  cadavres  sur  le  terrain.  Dans  cette 
affaire,  le  bataillon  de  Tirailleurs,  brillamment  enlevé  par  le  commandant 
Bataille,  avait  déployé  une  bravoure  qui  lui  valut  les  plus  vifs  éloges  de  la 
part  du  général  de  Luzxy. 

Le  26 ,  la  colonne  descendit  le  pays  de  Taberna  à  Kounar.  Jamais  peut- 
être  le  terrain  n'avait  opposé  de  diflicullés  plus  grandes.  Cependant  la  marche 
s'opérait  sans  être  inquiétée,  et  tout  semblait  annoncer  qu'elle  se  termine- 
rait ainsi,  lorsque  tout  à  coup  l'arrière- garde,  commandée  par  le  colonel 
Uaruloz,  fut  assaillie  par  environ  trois  mille  Kabyles.  Cette  attaque  fut  re- 


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[1851  ]  EN  ALGÉRIE  $3 

poussée  par  les  zouaves  et  le  20*  de  ligne  ;  le  bataillon  de  Tirailleurs,  qui  se 
trouvait  à  l'avant- garde,  ne  prit  aucune  part  au  combat. 

La  colonne  se  porta  ensuite  sur  la  rive  droite  de  TOued-el-Kébir,  se  diri- 
geant sur  Collo.  Le  1'''  juillet,  elle  arrivait  à  Bou-Âdjoul,  chez  les  Beni-ben* 
Soîd,  dont  les  contingents  avaient  pris  les  armes.  Plusieurs  colonnes  furent 
dirigées  sur  eux,  et,  npres  un  loger  combat,  qui  coûta  quatre  blessés  au  ba- 
taillon de  Tirailleurs,  ils  furent  complètement  dispersés. 

Le  2,  on  pénétra  chez  les  Béni -Meslem,  tribu  importante  qui  disposait 
d'au  moins  quinze  cents  fusils.  On  y  rencontra  une  sérieuse  résistance.  Ce 
jour-là,  le  bataillon  indigène  eut&  supporter  presque  tout  Teflbrt  de  la  lutte; 
il  déploya  partout  sa  bravoure  accoutumée ,  et  s'empara  successivement  des 
principaux  villages  ennemis,  qui  furent  incendiés.  Ce  brillant  engagement, 
qui  coûtait  au  bataillon  quatre  officiers  blessés ,  un  homme  tué  et  quinze 
blessé<),  amena  la  complète  soumission  des  Béni- Meslem.  Dans  la  nuit  qui 
suivit,  le  camp  fut  attaqué  par  de  nombreux  contingents  des  Ouled-Âidoun, 
Ouled-Attia,  Ouled-Aouat,  qui  durent  se  retirer  précipitamment,  après 
avoir  subi  des  pertes  sérieuses. 

Le  4,  on  arriva  au  village  de  Taziki,  chez  les  Djebala.  Ce  village  paraissait 
être  fortement  occupé:  les  crêtes  environnantes  étaient  couvertes  de  Kabyles. 
Deux  colonnes  légères  ayant  été  formées,  les  Tirailleurs,  qui  se  trouvaient  à 
l'avant-garde,  furent  chargés  d'attaquer  le  village.  La  défense  y  fut  opiniâtre; 
l'ennemi  résista  jusqu'au  dernier  moment.  La  position  finit  enfin  par  rester 
en  notre  pouvoir,  mais  au  prix  de  pertes  relativement  considérables.  Deux  offi- 
ciers étaient  blessés:  M.  Kaddour-ben-Brahim,  lieutenant,  et  M.  Âbd-el- 
Kader-ben-Blidi ,  sous-lieutenant;  quatorze  hommes  étaient  en  outre  plus  ou 
moins  grièvement  atteints.  Les  Kabyles  furent  ensuite  poursuivis  dans  toutes 
les  directions,  et  ne  songèrent  plus  &  se  défendre,  sur  ce  point-là  du  moins. 
La  soumission  des  Djebala  et  des  Beni-Fergan  fut  le  fruit  immédiat  de 
ce  brillant  succès. 

Le  6,  la  colonne  se  porta  chez  lesMéchat,  où  se  trouvaient  encore  de  nom- 
breux rassemblements  qu'il  fallut  disperser  à  coups  de  fusil.  Un  léger  enga- 
gement eut  lieu  le  même  jour  sur  le  Bou-Sieba;  le  bataillon  y  eut  quatre 
hommes  blesses.  Le  soir,  on  bivouaqua  chez  les  Ouled-Aïdoun»  Les  jours  sui- 
vanU,  la  marche  continua  lente,  méthodique,  de  position,  en  position  avec 
des  pointes  dans  tous  les  sens.  A  quoi  il  importait  surtout  d'arriver,  c'était 
de  bien  persuader  à  ces  populations,  dont  les  espoirs  d'indépendance  repo- 
saient surtout  sur  la  nature  de  leur  pays ,  que  partout  où  un  Kabyle  pouvait 
atteindre,  nos  soldées  savaient  y  arriver.  Ce  résultat,  obtenu  presque  partout, 
était  dû  en  grande  partie  au  bataillon  indigène;  grftce  à  son  extrême  mobi- 
lité, à  l'intrépidité  éprouvée  des  Tirailleurs,  à  l'habitude  qu'ils  avaient  de 
gravir  les  pentes  les  plus  abruptes ,  à  leur  intelligence  dans  le  combat  indivi- 
duel, l'ennemi  s'était  toujours  vu  débusqué,  quelque  part  qu'il  se  fût  établi 
et  retranché.  Cette  tactique,  aidée  par  les  combats  heureux  qui  avaient  mar- 
qué chaque  étape,  avait  porté  ses  fruits:  chaque  jour,  des  tribus  jusque-là 
ouvertement  hostiles  venaient  faire  leur  soumission  et  payer  l'impêt.  Sans 
doute  cette  soumission  était  beaucoup  plus  dictée  par  la  crainte  que  par  le 


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84  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l85l] 

désir  d*un  rapprochomeat  avec  la  France,  mais  il  n*ca  restait  pas  moins  que 
l'influence  des  che&  était  désormais  considérablement  diminuée,  pendant 
que  la  nôtre  commençait  à  se  faire  jour  et  à  inspirer  une  certaine  confiance. 

Le  12 ,  la  colonne  quitta  son  birouac  d'EI-Milia  pour  se  rendre  à  Gollo. 
Cette  marche  donna  lieu  à  un  léger  combat  livré  à  une  fraction  insoumise 
des  Ouled-Aîdoun.  Dans  cette  affaire,  le  bataillon,  chargé  d'appuyer  une 
charge  des  spahis,  eut  un  homme  tué  et  cinq  autres  blessés.  Le  13,  on  bivoua- 
qua sur  l'Oued-Driouak,  affluent  de  l'Oued-Guebli  ;  le  14,  à  El-Hammam,  et  le 
15  sous  Collo. 

Cette  ville  avait  été,  quelques  jours  auparavant,  menacée  par  les  Âchach 
et  les  Beni-Ishac.  Il  fut  décidé  qu'on  se  porterait  contre  ces  deux  tribus. 
Le  16,  on  pénétra  dans  les  montagnes  des  Achach;  ceux-ci  furent  com- 
plètement dispersés;  la  résistance  ne  fut  pas  sérieuse.  Le  17,  le  colonel  Ha- 
rulaz,  avec  un  bataillon  du  20*,  un  bataillon  de  zouaves,  un  autre  de  la 
légion  étrangère  et  celui  de  Tirailleurs,  marcha  contre  les  Beni-lshac.  Les  qua- 
torze villages  de  ces  derniers  furent  d'abord  enlevés  sans  coup  férir;  mais 
bientôt  l'on  se  trouva  en  présence  d'un  rassemblement  d'environ  sept  cents 
fusils.  L'artillerie  n'ayant  pu  parvenir  à  le  dissiper,  le  signal  de  l'attaque  fut 
donné,  et  l'infanterie  se  précipita  au  pas  de  course  sur  la  position,  d'où  les 
Arabes  furent  immédiatement  chassés.  On  les  poursuivit  pendant  longtemps, 
et  nulle  part  ils  n'osèi*ont  se  reformer.  Leurs  pertes  étaient  considérables;  le 
bataillon  avait  un  homme  blessé. 

Les  opérations  étaient  terminées.  Il  était  temps:  le  soleil  et  le  sirocco  com- 
mençaient à  peser  lourdement  sur  ces  troupes ,  épuisées  par  trois  mois  de 
marches  et  de  combats;  les  fièvres  sévissaient  rigoureusement,  et  les  effectifs 
allaient  s'affaiblissent  chaque  jour.  On  avait  parcouru  environ  sept  cents  ki- 
lomètres, pendant  lesquels  on  avait  eu  vingt-six  rencontres  avec  l'ennemi. 
Le  bataillon  de  Tirailleurs,  parti  avec  un  effectif  de  trente  officiers  et  de  sept 
cent  quinze  hommes ,  se  trouvait  réduit  à  dix-neuf  officiers  et  cinq  cent  cin- 
quante-sept hommes. 

Le  feu  avait  atteint  huit  officiers,  dont  un  mortellement,  et  cent  onze 
hommes,  dans  lesquels  on  comptait  six  tués.  Le  reste  avait  été  enlevé  par  les 
fatigues  et  les  maladies. 

Le  18,  le  bataillon  se  mit  en  route  pour  Constantine,  où  il  arriva  le  len- 
demain. 

Cependant  l'heure  du  repos  n'avait  pas  encore  sonné  ;  un  commencement 
de  soulèvement  venait  de  se  produire  dans  l'est  de  la  province ,  et  déjà  les 
Tirailleurs  étaient  désignés  pour  faire  partie  d'une  colonne  qui ,  sous  les  ordres 
du  général  de  Mac-Mahon,  devait  parcourir  le  pays  des  Haracta,  où  cette 
agitation  s'était  subitement  manifestée.  Cette  colonne  se  mit  en  route  dans 
les  premiers  jours  de  juillet  et  se  porta  d'abord  à  Tébessa,  sans  rencontrer 
de  résistance  sérieuse  sur  son  parcours;  elle  se  rendit  ensuite  à  Souk-Arras, 
et  enfin  rentra  à  Constantine,  après  une  absence  de  dix-huit  jours.  Les  Ha- 
racta, effrayés,  s'étaient  empressés  de  faire  leur  soumission  ;  le  calme  le  plus 
parfait  régnait  maintenant  dans  toute  Tétondue  de  cette  région. 

A  partir  de  ce  moment,  le  bataillon  reprit  ses  garnisons  habituelles,  et 


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[1851]  EN  ALOÊRIB  85 

Tannée  1851  s*acheya  sans  qu*aucon  événement  important  ne  l'appelât  à 
conconrir  &  de  nouvelles  opérations. 

Le  8  août,  le  commandant  Bataille  fut  nommé  lieutenant-colonel  en  ré- 
compense des  services  exceptionnels  qu'il  avait  rendus  avec  son  bataillon 
pondant  la  longue  et  pénible  expédition  do  Kabylie.  Le  même  décret  élevait 
le  capitaine  Jolivet  au  grade  de  chef  de  bataillon  et  le  désignait  pour  exercer 
le  commandement  des  Tirailleurs  indigènes  de  Constantine.  Nul  officier  ne 
pouvait  être  mieux  préparé  à  ces  importantes  fonctions  que  M.  Jolivet,  qui 
servait  déjà  dans  le  bataillon  depuis  quatre  ans  comme  capitaine,  et  connais- 
sait non  seulement  cette  troupe,  mais  possédait  à  merveille  tous  les  détails 
concernant  la  province. 


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CHAPITRE    IX 

(1852-1853) 


(1851)  Modifications  apportées  dans  l'organisation  des  bataillons  do  Tirailleurs  indigènes. 

—  Expédition  de  la  Kabylie  orientale.  —  Combat  du  31  mai.  —  Rentrée  à  Constantine. 

—  Opérations  contre  les  Haracta  et  les  Nemencha.  —  Expédition  de  Laghouat.  — 
NouTean  tarif  de  solde  pour  les  bataillons  d'infanterie  indigène.  —  (1853)  Fixation 
déflnitiTe  de  la  tenue  des  Tirailleurs  indigènes.  —  Expédition  des  Babors  et  de  la 
Kabylie  orientale.  —  Combat  du  12  mai.  —  Le  bataillon  est  envoyé  à  Djidjelli.  — 
Dernières  opérations  de  Tannée  1853. 


Depuis  Tordonnance  constitutive  du  7  décembre  1841 ,  rorganisation  des 
bataillons  de  Tirailleurs  indigènes  n'avait  subi  aucune  modification.  L'impor- 
tance qu'avait  peu  à  peu  acquise  ce  nouveau  corps  réclamait  cependant  l'amé- 
lioration de  certains  rouages  administratifs  devenus  incomplets,  et  l'intro- 
duction d'éléments  français  en  quantité  suflisanlo  pour  assurer  les  divers 
services  auxiliaires.  Devenu  ministre  de  la  guerre,  le  maréchal  de  Saint- 
Arnaud  ,  à  qui  rien  de  ce  qui  touchait  cette  troupe  ne  {louvuil  ôtru  étranger, 
s'en  inquiéta  aussitôt,  et  le  décret  présidentiel  qui  suit  vint  combler  les 
quelques  lacunes  que  l'expérience  avait  fait  ressortir. 


DÉCHET 

PORTAirr  OBGANISATIO»   OBS  COMPAGNIES  DBS  BATAILLONS 
Dl  TIRAILLEUIIS  INUICÈNBS 


Parti,  1«  13  février  1852. 

Los  trois  bataiiloQS  de  Tirailleurs  indigènes  seront  formés  chacun  de  huit 
compagnies,  conformément  aux  dispositions  de  Tordonnance  constitutive  du 
7  décembre  1841. 


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[18521        I.R  3^  RéGIMBfrr  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE  87 

Leur  organisation  sera  complétée  comme  il  suit  : 
Par  bataillon  : 

Un  capitaine  major; 

Un  lieutenant  ou  sous-lieutenant  faisant  fonctions  d'offlcier  d^habillement  et 
d'armement; 

Un  sergent  secrétaire  du  trésorier  ; 

Un  sergent  français  garde-magasin; 

Deux  sergents  et  deux  caporaux  français  par  compagnie; 

Les  bataillons  de  Tirailleurs  indigènes  pourront,  en  outre,  recevoir  des  sol- 
dats français  jusqu'à  concurrence  de  trente  par  bataillon. 

Un  quart  de  reffectif  de  ces  trois  bataillons  (soldats  et  clairons)  pourra  être 
de  première  classe  aux  conditions  déterminées  pour  Tadmission  dans  les  com- 
pagnies d*élite  dans  les  corps  d'infanterie. 

Il  sera  statué  par  des  règlements  ultérieurs  sur  toutes  les  questions  de  solde 
et  d'admission  qui  se  rattachent  aux  dispositions  du  présent  décret. 

Fait  au  palais  des  Tuileries,  le  13  février  1852. 

Signé  :  LOUIS-NAPOLÉON. 


EXPÉDITION  DE  LA  KABYLIE  ORIENTALE 


Bien  qu'ayant  parcouru  et  soumis ,  nominalement  du  moins ,  une  grande 
partie  de  la  Kabylic,  la  colonne  commandée  par  le  général  de  Saint- Arnaud 
n'avait  pas  eu  la  possibilité  de  peser  assez  longtemps  sur  le  pays  pour  que 
cette  soumission  pût  être  considérée  comme  effective.  11  devenait  donc  indis- 
pensable, pour  ne  pas  perdre  les  fruits  de  l'importante  expédition  de  Tannée 
précédente,  de  diriger  de  nouvelles  troupes  vers  cette  région,  et  de  leur  faire 
parcourir  tout  le  territoire  des  tribus  qui  n^avaient  pas  encore  senti  le  poids 
de  nos  armes.  Parmi  ces  dernières,  il  fallait  principalement  compter  les 
Ouled-Atlia,  les  llcni-SaAl,  les  Oulcd-Chaoua,  en  un  mot  toutes  celles  oc- 
cupant la  vallée  de  l'Ouecl-Zohr.  Ces  tribus,  sans  cesse  remuantes ,  donnaient 
asile  &  tous  les  malfaiteurs  et  se  trouvaient  toujours  disposées  à  suivre  la  for- 
tune du  premier  imposteur  venu. 

La  direction  doucette  nouvelle  campagne  fut  confiée  au  général  de  Mac- 
Mahon ,  commandant  la  division  de  Constantine.  Pendant  que  la  colonne 
principale  allait  parcourir  tout  le  pays  compris  entre  TOued-el-Kébir  et  la 
route  de  Constantine  à  Pliilippevilie,  le  général  Camou  devait  survdiler  le 
Djurjura  avec  les  troupes  de  la  province  d*Alger,  et  le  général  Maissiat  sln- 
staller  avec  un  corps  d'observation  entre  Sétif  et  Bougie,  de  façon  à  maintenir 
toute  la  région  du  Babor. 

Les  troupes  qui  devaient  iaire  parUe  de  la  colonne  du  général  de  Mao- 
Mahon  furent  concentrées  à  Milab  au  commencement  du  mois  de  mai.  Les 


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88  LE  3*  RËOIlfKNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1852] 

l^*!  2^1  3^1  4^,  5<*  ol  7^  compagiiiûs  du  balaillon ,  roprésontanl  un  oITcctir  do 
trente  et  un  officiers  et  de  sept  cent  cinquante-huit  hommes,  quittèrent  Cons- 
tantine  le  9  mai ,  sous  les  ordres  du  commandant  JoHvet ,  et  y  arrivèrent  le 
lendemain.  Deux  brigades  furent  formées  :  la  première,  aux  ordres  du  général 
Bosquet;  la  seconde,  sous  le  commandement  du  général  d'Âutemarre.  Les 
Tirailleurs  firent  parti  de  cette  dernière. 

La  colonne I  une  fois  organisée,  comprit  dix  bataillons  d'infanterie,  deux 
escadrons  de  cavalerie ,  deux  sections  de  montagne ,  soixante  hommes  du 
génie  :  en  tout  six  mille  cinq  cents  hommes. 

Elle  quitta  Hilah  le  12  mai.  La  2*  brigade  tourna  la  ville,  qu'elle  laissa  sur 
sa  gauche,  et  suivit  jusque  près  du  Rummel  la  rive  droite  de  l'Oued-Milah. 
Le  soir,  le  bivouac  fut  établi  sur  les  hauteurs  de  Bou-Nouara.  Le  13,  on  s'ar- 
rêta à  Bou-Âhmed,  sur  l*Oued-el-Affia,  après  avoir  traversé  un  pays  des 
plus  difficiles  I  mais  sans  y  avoir  rencontré  le  moindre  rassemblement.  Le  14, 
on  alla  coucher  au  point  dit  Outha-Âzouzaïm,  sur  l'Oued  -  Achoum ,  chez 
les  Ouled-Aidoun.  Le  15,  on  fit  séjour.  Ce  jour-là,  quelques  Kabyles  com- 
mencèrent à  se  montrer  au  sommet  des  crêtes  et  eurent ,  avec  un  détache- 
ment chargé  d'exécuter  une  razzia,  un  l^er  engagement  de  courte  durée. 

Le  16,  à  dix  heures  du  matin ,  le  général  de  Hac-Malion  sortit  du  camp  à  la 
tête  d'une  colonne  légère,  composée  de  quatre  bataillons,  dont  celui  de  Tirail- 
leurs indigènes,  et  de  quatre-vingts  chevaux.  Cette  colonne  fut  divisée  en 
deux  groupes:  deux  bataillons,  sous  les  ordres  du  général  d'Autemarre, 
avaient  mission  de  prendre  à  gauche,  de  suivre  le  chemin  conduisant  au 
Rummel;  les  deux  autres,  avec  le  général  de  Mac-Mahon,  devaient  se  jeter 
dans  la  montagne  et  fouiller  les  étroits  ravins  qui  sillonnent  cette  partie  du 
pays.  Le  batailbn  de  Tirailleurs  fut  un  de  ces  derniers. 

Bientôt  séparés  l'un  de  l'autre  par  des  accidents  de  terrain,  ces  deux  groupes 
durent  agir  chacun  pour  leur  propre  compte.  Sur  tout  leur  parcours  ils  trou- 
vèrent les  villages  évacués  et  se  contentèrent  de  les  incendier.  Vers  trois 
heures,  ils  opérèrent  leur  jonction  sans  avoir  vu  un  seul  ennemi.  Ils  se  re- 
mirent en  marche  pour  le  camp:  celui  de  gauche  en  suivant  à  peu  près  le 
même  chemin ,  celui  de  droite  en  tournant  un  massif  de  pitons  très  élevés. 

Si  l'ennemi  ne  s'était  pas  montré,  c'est  que  Bou-Scba ,  le  nouvel  agitateur, 
le  nouveau  faux  chérif  qui  s'était  mb  à  la  tête  de  l'insurrection ,  croyait 
que  les  premiers  coups  allaient  être  portés  contre  le  massif  do  Collo.  L'ut- 
taque  dirigée  contre  les  Oulod-Aîdoun  l'avait  évidemment  surpris;  mais  il 
n*allait  pas  tarder  à  se  montrer  et  à  essayer  d'arrêter  notre  marche. 

Dans  la  nuit  du  16  au  17,  le  camp  Ait  attaqué  par  des  bandes  considé- 
rables descendues  des  montagnes.  Les  eflbrts  de  l'ennemi  se  portèrent  sur- 
tout sur  la  face  occupée  par  les  Tirailleurs  indigènes:  la  fusillade  fut  très  vive 
pendant  quelques  instants  ;  mais  les  Kabyles  ne  tardèrent  pas  à  se  retirer, 
déconcertés  par  la  résistance  opiniâtre  qu'ils  avaient  rencontrée.  Leurs  pertes 
furent  considérables  ;  celles  du  bataillon  s'élevaient  à  cinq  hommes  tués  et 
trois  blessés. 

IjO  18,  la  colonne  quitta  Outha-Azouzalm  pour  aller  s'établir  à  EUMilia. 
C'était  dans  les  environs  de  cette  localité  que  Bou-Seba  semblait  avoir  réuni 


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[1852]  EN  ALGÉRIE  89 

ses  contingents.  Le  20,  le  général  fut  en  effet  prévenu  qu'un  important  ras- 
semblement de  Kabyles  s'était  formé  dans  un  village  situé  à  l'extrémité  de 
Tun  des  contreforts  qui  séparent  TOued-Alcb  de  TOued-^sl-Kébir. 

Le  même  jour,  une  reconnaissance  dont  le  bataillon  de  Tirailleurs  fit  partie 
fut  dirigée  sur  la  position,  qu'on  trouva  fortement  occupée  par  Tennemi  et  re- 
marquablement fortifiée  par  la  nature.  Un  seul  chemin ,  descendant  en  écharpo 
jusqu'à  la  rivière,  y  donnait  accès;  sur  les  autres  points  s'étendait  un  ravin 
profond ,  aux  flancs  escarpés ,  hérissés  de  rochers  nus  et  encombrés  de  brous- 
sailles épaisses  entremêlées  de  figuiers  de  Barbarie.  La  partie  du  terrain  la 
plus  rapprochée  des  maisons ,  en  pente  très  rapide ,  était  plantée  do  gros  oli- 
viers et  permettait  à  l'ennemi  de  s'y  défendre  avec  un  écrasant  avantage. 
Tous  ces  obstacles  rendant  fort  dangereuse  une  attaque  de  front,  le  général 
de  Mac-Mahon  se  décida  à  faire  tourner  le  village  par  la  droite,  et  chargea  le 
général  d'Autemarre  do  l'exécution  de  ce  mouvement. 

Le  21 ,  à  trois  heures  du  matin ,  la  2^^  brigade  s'engagea  dans  les  étroits 
sentiers  conduisant  au  Rummel,  traversa  cette  rivière,  appuya  fortement  à 
gauche  de  façon  &  déborder  la  droite  de  l'ennemi ,  puis  commença  à  gravir 
les  pentes  du  contrefort.  Bientôt  le  combat  se  trouva  engagé;  prenant  alors 
vigoureusement  Toffcnsivo,  cette  brigade  s'élança  sur  la  première  ligne  do 
crêtes,  en  délogea  les  Kabyles  et  dirigea  ses  feux  sur  le  village,  où  ces  der- 
niers s'étaient  retirés  et  paraissaient  vouloir  se  maintenir.  Mais  la  charge 
sonna  encore  une  fois,  le  village  fut  enlevé  à  son  tour,  et  Tennemi  mis  en 
fuite  sur  tous  les  points  où  il  essaya  de  résister.  A  ce  moment  les  deux  co- 
lonnes appuyèrent  l'une  vers  l'autre  et,  se  dirigeant  à  travers  bois,  se  mirent 
à  la  poursuite  des  fuyards,  auxquels  elles  infligèrent  des  pertes  considérables. 
La  brigade  d'Autemarre  eut  même  encore  un  léger  engagement  au  village 
d'EI-Arba.l)'Sir.ha. 

Pendant  cette  poursuite,  le  bataillon  de  Tirailleurs  s'était  porté  à  une  très 
grande  distance  dans  la  campagne,  afin  de  faire  du  dégât.  Tout  à  coup  l'une 
de  ses  compagnies  se  trouva  aux  prises  avec  des  bandes  considérables  de  Ka- 
byles. Le  commandant  Jolivet  commença  par  la  faire  appuyer  par  une  section , 
puis  par  deux  compagnies;  puis,  la  lutte  se  poursuivant  sans  que  l'ennemi  se 
décidât  à  lâcher  pied ,  le  bataillon  tout  entier  se  trouva  bientôt  engagé.  Il  y 
eut  alors  un  violent  combat  corps  à  corps  que  la  retraite  précipitée  de  l'en- 
nemi vint  seul  faire  cesser.  Ce  dernier  laissait  une  quarantaine  de  morts  sur 
le  terrain.  Le  bataillon  comptait  neuf  hommes  blessés. 

A  midi ,  on  se  mit  en  retraite.  En  nous  voyant  rétrograder,  l'ennemi  revint 
sur  ses  pas  et  engagea  une  vive  fusillade  avec  les  compagnies  d'arrière-garde, 
qui  eurent  quelques  hommes  blessés. 

A  la  suite  do  ce  combat,  tontes  les  tribus  voisines  vinrent  faire  leur  sou- 
mission, à  l'exception  cependant  des  Beni-Khettab,  contre  lesquels  une  opéra- 
tion fut  dirigée  le  23.  Le  bataillon,  désigné  pour  la  garde  du  camp,  n'y  prit 
aucune  part. 

Le  27,  le  camp  fut  porté  d'El-Milia  à  Tsem-Fédouz,  sur  le  Bou-Sébia,  près 
du  territoire  des  Méchat,  tribu  particulièrement  hostile.  On  attendit  pendant 
trois  jours  :  pas  un  chef  de  la  région  ne  se  présenta  au  camp.  Deux  fractions 


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90  LE  3*  RÉQllIENT  DIS  TlRAlttEURS  ALGÉRIENS  [1852] 

dos  Oulûd-Aûuat,  établios  sur  la  rivo  droilo  do  rOiiO(l-cl-K6bir,  qui  avuiout 
déjà  payé  une  partie  de  l'impôt  qui  leur  avait  été  infligé,  refusèrent  même  do 
payer  le  restant,  sous  prétexte  qu'elles  étaient  dans  Timpossibilité  de  le  faire 
en  présence  des  contingents  du  chérif  Bou-Seba. 

Le  31,  à  la  pointe  du  jour,  le  général  de  Hac-Mahon  se  mit  en  route  pour 
le  territoire  de  ces  fractions  avec  les  cinq  bataillons  de  la  brigade  d'Aute- 
marre,  un  bataillon  du  16^  léger,  cent  chevaux  et  une  section  de  montagne. 
Hais,  à  l'approche  de  cette  colonne,  les  chefs  des  Ouled-Aouat  accoururent 
au-devant  du  général ,  amenant  des  otages  pour  répondre  de  l'amende  qui 
leur  était  infligée.  La  marche  sur  ce  point  fut  alors  arrêtée,  et  le  général  se 
tourna  vers  les  Héchat,  dont  les  nombreux  rassemblements  s'apercevaient 
vers  le  nord.  Ils  étaient  établis  sur  un  contrefort  s'étendant  de  l'est  à  l'ouest, 
depuis  les  villages  de  Chassera  et  d'Iladéria  jusqu'à  rOued-el-Kébir. 

Le  licutenant-colonol  do  Saint-Pol  fut  chargé  d'allaqucr  de  front  avec  doux 
bataillons,  pondant  que  le  général  d'Aulomarrc,  avec  les  trois  autres,  |Mirnii 
lesquels  celui  de  Tirailleurs  indigènes,  devait  appuyer  à  droite  pour  venir 
prendre  la  route  conduisant  directement  de  Tsem-Fédouz  à  Chassera.  Lorsque 
cette  dernière  colonne  arriva  dans  ce  village,  le  lieutenant -colonel  de  Saint- 
Pol  venait,  après  un  sanglant  combat,  d'enlever  la  crête  qu'il  avait  devant 
lui.  Toute  la  brigade  s'arrêta  alors  pour  incendier  les  maisons;  puis,  cette 
opération  terminée,  la  retraite  commença. 

Il  était  trois  heures.  Les  trois  bataillons  du  général  d'Autemarre  furent 
échelonnés  par  compagnie  sur  les  crêtes,  le  long  de  la  route  que  l'on  devait 
suivre  pour  rentrer  au  camp.  Les  troupes  s'écoulèi'cnt  ensuite  dans  le  plus 
grand  ordre,  chaque  fraction  devenant  successivement  arrière-garde  pour  se 
retrouver  un  peu  après  au  gros  ou  à  la  tête  de  la  colonne. 

La  compagnie  de  Tirailleurs  commandée  par  le  lieutenant  Dermier  avait 
été  envoyée  au-dessous  d'une  crête  d'où  l'ennemi  aurait  pu  prendre  la  colonne 
en  flanc.  Elle  arriva  à  son  poste  à  peu  près  en  même  temps  qu'une  cinquan- 
taine de  Kabyles  s'y  portaient  par  un  autre  point.  Has<|ué8  imr  des  bois,  Ti- 
railleurs et  Arabes  ne  pouvaient  cependant  pas  s'apercevoir.  Tout  à  coup  la 
rencontre  eut  lieu,  et  une  mêlée  furieuse  s'ensuivit;  les  deux  groupes  ne  for- 
mèrent plus  qu'un  tourbillon  confus,  dans  lequel  il  eût  été  difficile  de  distinguer 
les  nôtres  au  milieu  du  nombre  toujours  croissant  des  Kabyles.  La  situation 
allait  devenir  critique,  lorsque  le  commandant  Jolivet  arriva  à  la  tête  d'une 
compagnie  de  soutien,  chargea  l'ennemi  à  la  baïonnette,  le  mit  en  fuite  et 
dégagea  complètement  le  terrain.  Dans  ce  court,  mais  violent  combat,  les 
Kabyles  laissèrent  environ  trente  morts ,  qu'ils  ne  purent  enlever.  Quant  aux 
Tirailleurs,  ils  eurent  leur  valeureux  chef,  le  commandant  Jolivet,  blessé 
d'un  coup  de  feu  au  bras,  et  dix -neuf  hommes  plus  ou  moins  grièvement 
atteints. 

Dans  son  rapport,  le  général  de  Mac-Mahon  citait  comme  ayant  fait  preuve 
d'une  bravoure  au-dessus  de  tout  éloge  : 

MM.  Dermier,  lieutenant. 

Ahihed-ben-Larbi ,  d» 

Ramdam-ben-Mohamed,  sergent,  blessé  pour  la  quatrième  fois. 


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[18521  EN  ALOÉRIE  91 

Le  l®'*  juin ,  la  colonne  se  porta  à  Tarsetz,  au  cœur  du  pays  des  Méchat  et 
dans  une  belle  plaine,  qui  s*étend  jusqu'au  territoire  des  Ouled-Arbi.  Les  jour- 
nées du  2  et  du  3  furent  employées  à  la  destruction  des  récoltes.  La  tribu  des 
Méchat,  malgré  les  pertes  qu'elle  avait  subies  le  31  mai,  était  loin  d'être 
soumise;  de  nombreux  rassemblements  se  montraient  chaque  jour  à  peu  de 
distance  du  camp.  Dans  la  nuit  du  2  au  3,  on  crut  même  un  instant  à  une 
attaque  :  de  grands  feux  s'allumèrent  sur  les  montagnes,  le  bruit  du  tam-tam 
se  répandit  de  village  en  village,  des  groupes  de  Kabyles  se  rapprochèrent  des 
avant-postes;  mais  tout  se  borna  à  ces  démonstrations  bruyantes,  auxquelles 
nos  troupes  commençaient  à  être  habituées.  On  n'en  prit  pas  moins  toutes 
les  précautions  possibles  pour  la  nuit  suivante,  qui  se  passa  dans  la  plus  par- 
faite tranquillité. 

Le  4,  les  deux  brigades  pénétrèrent  dans  le  pays  des  Beni-Toufout,  dont 
elles  traversèrent  une  partie,  et  vinrent  s'établir  à  Dou-Belléout,  sur  l'Oued- 
Marsel.  Le  6,  elles  se  portèrent  à  Aïn-Gacher;  le  7,  à  Outhiat-el-Hamim,  où 
elles  passèrent  la  journée  du  8.  Le  9,  le  bivouac  fut  établi  à  Harta-Sedma;  le 
10,  on  atteignit  Sadra,  où  l'on  séjourna  le  11;  le  12,  on  se  rendit  à  Bou- 
Madger;  le  14,  on  alla  à  Tarca-Emta-Karia,  et  le  15  on  arriva  à  Collo.  Là 
le  général  d'Aulomarro  quitta  la  colonne  avec  doux  bataillons,  pour  se  porter 
en  toute  liAtc  au  secours  d*Aïn-Beida ,  menacé  par  les  Ilaracta. 

Le  17,  la  colonne  se  remit  en  marche  et,  vers  dix  heures  du  matin,  ar- 
riva en  face  du  mont  GouflS,  position  très  élevée  sur  laquelle  les  Kabyles 
s'étaient  réunis  en  nombre  considérable.  Le  général  de  Mac-Mahon  ayant 
décidé  qu'on  les  attaquerait  à  l'instant,  deux  colonnes  furent  immédiatement 
formées  et  se  dirig^rcnt,  l'une  par  la  droite,  Tautre  par  la  gauche,  vers  les  hau- 
teurs occupées  par  l'ennemi.  Celui-ci  s'était  établi  sur  une  succession  de  pitons 
aux  flancs  escarpés  d'un  accès  des  plus  difficiles ,  et  qui  se  trouvaient  divisés 
en  deux  groupes  par  un  étroit  ravin  hérissé  de  rochers.  Quelques  redoutes  en 
pierres  sèches  avaient  été  construites  à  la  hflte  sur  les  principaux  d'entre  eux. 

Après  un  quart  d'heure  de  marche,  la  colonne  de  droite,  dont  le  général  de 
Mac-Mahon  avait  conservé  le  commandement  et  dont  le  bataillon  de  Tirailleurs 
faisait  partie ,  arriva  au  pied  des  premières  pentes  défendues  par  les  Kabyles. 
L&  le  bataillon  de  Tirailleurs  fut  détaché  et  envoyé  dans  le  ravin,  avec 
mission  de  le  remonter  jusqu'ô  son  origine,  et  do  le  fouiller  dans  tous  les  sens 
pendant  que  les  autres  troupes  allaient  donner  l'assaut.  Délogé  partout,  tourné 
par  la  colonne  Bosquet,  qui  l'avait  assailli  sur  sa  gauche,  poursuivi  de  piton 
en  piton,  l'ennemi  ne  manqua  pas  de  se  jeter  dans  cette  gorge  profonde, 
espérant  y  trouver  le  salut.  Une  chasse  à  l'homme  s'organisa  alors  au  milieu 
de  ces  rochers  abrupts,  et,  malgré  leur  agilité,  les  Kabyles  n'échappèrent 
qu'en  petit  nombre  aux  balles  ou  aux  baïonnettes  des  Tirailleurs.  Un  riche 
butin  fut  pour  ces  derniers  la  récompense  de  cette  difficile  opération. 

Le  18,  on  se  prépara  à  pénétrer  dans  la  vallée  de  l'Oued -Zohr.  A  cinq 
heures  du  matin ,  le  général ,  ayant  avec  lui  le  bataillon  de  Tirailleurs  et  les 
sapeurs  du  génie,  quitta  le  camp  pour  aller  reconnaître  une  route  donnant 
accès  dans  cette  difficile  région.  Pendant  quatre  à  cinq  kilomètres ,  on  suivit 
une  crête  anguleuse,  surmontée  de  plusieurs  pitons  aux  pentes  très  rapides. 


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92  LE  a*  RÉOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1852] 

Arrivée  sur  une  bonne  position ,  la  colonne  s'arrôU,  cl  le  giuie  se  mil  à  Ira- 
Yfliller  aux  passages  les  plus  difficiles  de  l'étroit  sentier  qu'on  avait  parcouru. 
Bientôt  de  nombreux  rassemblements  de  Kabyles  se  montrèrent  sur  les  croies 
Yoidnes;  puis,  nous  voyant  immobiles,  ils  se  rapprochèrent  peu  à  peu,  et  fina- 
lement engagèrent  une  asseï  vive  fusillade  avec  nos  postes  les  plus  avancés. 
Cependant,  maintenus  à  distance  par  la  bonne  contenance  de  ces  derniers, 
ils  ne  devinrent  réellement  agressirs  qu'au  moment  de  la  retraite;  plusieurs 
retours  oflensifs  furent  alors  nécessaires  pour  les  éloigner,  et  lorsque,  vers 
midi,  le  bataillon  rentra  au  camp,  il  comptait  un  homme  tué  et  six  blessés. 

Le  19,  les  troupes  se  mirent  en  marche  pour  Bou-Taouîa.  Quelques  combats 
partiels  eurent  encore  lieu  pendant  la  route,  mais  nos  pertes  furent  insigni- 
fiantes. Le  20,  après  mille  difficultés,  après  mille  retards  causés  par  les  obstacles 
du  terrain,  on  atteignit  enfin  les  bords  de  rOued-Zohr.  Le 22,  le  bivouac  fut 
porté  à  Emta-el-Ârba;  le  23,  à  Marboua,  et,  le  25,  à  Sra.  Le  26,  on  arriva 
à  Cheflara.  Ce  jour-là ,  au  moment  où  la  grand'garde  du  bataillon  travaillait 
à  se  retrancher,  elle  fut  brusquement  attaquée  par  quelques  groupes  de  Ka- 
byles, qui  furent  aussitôt  repoussés  après  avoir  éprouvé  des  pertes  sérieuses. 
De  notre  côté,  nous  avions  un  homme  tué  et  deux  blessés. 

Le  28,  on  revint  à  El-Milia.  Pendant  cette  journée,  les  Arabes  tirèrent 
encore  quelques  coups  de  fusil  de  loin  sur  les  flancs  de  la  colonne,  mais  sans 
atteindre  personne.  Le  29,  on  campa  à  Batsi;  le  30,  sur  rOued-Kottou,  et  le 
1^  juillet,  à  Salah-bey ,  à  deux  lieues  de  Constantine.  Le  lendemain  on  était 
de  retour  dans  cette  ville,  où  la  colonne  fut  dissoute.  L'expédition  avait  duré 
cinquante-deux  jours,  pendant  lesquels  le  bataillon  avait  pris  part  à  huit  en- 
gagements, qui  lui  avaient  coûté  un  officier  et  quarante- huit  hommes  hors 
de  combat. 

Pendant  que  la  plus  grande  partie  de  nos  troupes  se  trouvaient  en  Kabylie, 
les  tribus  de  l'est  (Haracta,  Nemencha  et  Beni-Salah)  avaient  fait  comme 
l'année  précédente  :  s'étaient  révoltées.  Cette  fois  l'insurrection  avait  même  été 
assex  grave,  et  plusieurs  postes  de  la  région  Bône-Guelma  -Tébessa  s'étaient 
subitement  vus  menacés.  Mais  le  colonel  de  Tourville,  qui  commandait  à 
Bône,  s'était  rapidement  porté  contre  les  Haracta  et  les  avait  battus  les  13  et 
14  juin;  d'un  autre  côté,  le  général  d'Autemarre,  que  nous  avons  vu  quitter 
la  colonne  de  Kabylie  à  Collo  pour  voler  au  secours  d'Ain-Rcïda,  avait  envahi 
le  territoire  des  Nemencha  et  poussé  les  contingents  de  ces  derniers  jus(|ue 
sur  la  frontière  de  Tunis.  Celte  situation,  quoique  devenue  meilleure,  n'en 
avait  pas  moins  hâté  le  retour  à  Constantine  du  général  de  Mac-Mahon. 

A  peine  rentré,  ce  dernier  organisa  une  nouvelle  colonne  comprenant  cinq 
bataillons,  dont  celui  de  Tirailleurs  indigènes,  deux  sections  d'artillerie  et  un 
escadron  et  demi  de  cavalerie,  avec  laquelle  il  se  porta  d'abord  à  Tmatat; 
puis,  ayant  obtenu  l'autorisation  de  pénétrer  sur  le  territoire  tunisien  pour  y 
poursuivre  les  dissidents,  il  leva  son  camp  le  12  juillet  à  quatre  heures  du 
soir,  et  se  dirigea  sur  le  marabout  des  OuIed-Sidi-Yaya-ben-Thaleb,  où  il 
arriva  à  trois  heures  du  matin  avec  la  cavalerie.  Malgré  la  fatigue  de  ses  che- 
vaux ,  celle-ci  se  mit  immédiatement  à  la  poursuite  des  Arabes,  qu'elle  parvint 
à  atteindre,  et  sur  lesquels  elle  fit  un  butin  considérable,  après  leur  avoir  tué 


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[1852]  EN  ALGÉRIE  93 

enfiron  deux  cents  hommes.  Quand  Tinfanterie  arriva,  à  neuf  heures  un 
quart,  après  une  marche  de  plus  de  diz-*sept  heures,  tout  était  fini,  et  les 
Nemencha  demandaient  l'aman. 

Après  un  jour  de  repos,  la  colonne  se  remit  en  route  pour  se  rendre  ches 
les  Beni-Salah  en  suivant  la  frontière.  En  raison  de  la  chaleur  et  de  la  fatigue 
des  troupes,  les  étapes  furent  très  courtes  et  les  séjours  multipliés.  G*est  ainsi 
qu'on  mit  jusqu'au  18  pour  arriver  à  Sidi-Toussef. 

Les  Beni-Salah  s'étaient  également  réfugiés  en  Tunisie,  ches  les  Ouchetata. 
Ils  y  furent  poursuivis  et  razzés  les  23  et  24  juillet. 

Le  28,  on  arrivait  à  Souk-Arras.  Tout  étant  rentré  dans  l'ordre,  la  colonne 
fut  dissoute,  et  les  troupes  dirigées  sur  leurs  garnisons  respectives.  Le  batail- 
lon de  Tirailleurs  rentra  à  Constantine. 

A  cette  môme  époque ,  une  certaine  agitation  avait  gagné  les  tribus  saha- 
riennes. Mohamed-ben-Abdallah,  cet  ancien  khalifa  que  nous  avons  vu  en  1845 
dans  les  événements  du  Hamza,  était  revenu  de  la  Mecque,  où  il  était  allé  en 
pèlerinage ,  et  s'était  retiré  à  Ouargla ,  où  il  n'avait  pas  tardé  à  prêcher  la  ré- 
volte et  à  se  créer  un  parti  assez  important.  Au  mois  de  janvier  1852,  il  avait 
essayé  do  se  rapprocher  de  nos  postes  et  de  faire  une  pointe  dans  le  sud  de  la 
province  d'Alger;  mais,  contenu  par  le  général  de  Ladmirault,  qui  comman- 
dait à  Médéah ,  il  avait  dû  se  rabattre  vers  l'est,  où  il  n'avait  pas  été  plus  heu- 
reux. Le  commandant  Gollineau ,  chef  du  cercle  de  Biskra ,  s'était  mis  à  sa 
poursuite,  l'avait  atteint  le  21  mai  près  de  Mlili,  et  rejeté  de  nouveau  vers  le 
désert.  Au  commencement  de  juillet,  il  se  trouvait  sur  l'Oued-Ittel,  chez  les 
Ouled-Sassi,  qu'il  avait  entraînés  dans  son  mouvement  insurrectionnel. 

Devant  ce  commencement  de  troubles,  qui  pouvait,  s'il  n'était  immédiate- 
ment étouffé,  nous  entraîner  dans  une  expédition  comme  celle  de  Zaatcha, 
le  g(';néral  do  Mac-Malion,  qui  se  trouvait  alors  en  Kabylie,  s'empressa  de  faire 
renforcer,  avec  les  quelques  troupes  qui  restaient  disponibles,  nos  postes  les 
plus  menacés.  La  6°  compagnie  du  bataillon  de  Tirailleurs ,  qui  n'avait  pas 
quitté  Sétif ,  fournit  aussitôt  un  détachement  de  soixante-quatorze  hommes,  et 
ce  détachement  alla,  sous  les  ordres  de  M.  le  lieutenant  Costa,  se  mettre  à  la 
disposition  du  capitaine  Pcin,  commandant  supérieur  du  cercle  de  Bou-SaAda. 

Dès  qu'il  eut  reçu  ce  renfort,  le  capitaine  Pein  se  mit  en  marche,  et,  com- 
binant ses  opérations  avec  celles  du  colonel  Desvaux,  commandant  la  subdi- 
vision do  Ratna,  se  dirigea  sur  l'Oued -lltel  pour  atteindre  Mohamed-ben- 
Abdallah.  Mais  ce  dernier  n'attendit  pas  l'arrivée  des  colonnes  françaises;  il  se 
retira  en  toute  hAte  vers  le  sud,  et  laissa  les  Ouled-Sassi  réduits  à  leurs  seuls 
moyens  pour  nous  résister.  Le  capitaine  Pein ,  se  tournant  alors  contre  cette 
tribu,  se  porta  sur  son  territoire  et  rencontra  ses  contingents  le  15 juillet  sur 
l'Oued-Ghramra.  Les  Arabes  résistèrent  énergiquement;  le  succès  fut  long- 
temps disputé.  H  finit  enfin  par  nous  rester,  grAce  A  une  charge  A  fond  de  la 
cavalerie  et  A  l'attitude  héroïque  du  détachement  de  Tirailleurs,  qui,  entouré 
de  toutes  parts  par  des  cavaliers  ennemis ,  offrit  A  ces  derniers  une  muraille 
vivante  contre  laquelle  s'émoussèrent  tous  leurs  efforts;  mais  il  fut  chèrement 
acheté  :  le  seul  détachement  de  M.  Costa  comptait  cinq  hommes  tués  et  six 
blessés,  soit  onze  hommes  hors  de  combat  ou  le  sixième  de  son  effectif. 


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94  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1852] 

Co  brillant  combat  siifTit  à  faîro  rentrer  tout  lo  sud  do  la  province  dans  la 
plus  complète  tranquillité.  Hohamed-ben -Abdallah,  qui  était  retourné  à 
Ouargla,  ne  donna  plus  signe  de  vie  tant  que  dura  l'été;  mais,  au  commen- 
cement d'octobre ,  il  remonta  de  nouveau  vers  le  nord  et  vint  menacer  la  ville 
de  Laghouat.  Le  général  Yusuf,  qui  opérait  alors  dans  les  environs  de  Djelfa, 
s'y  porta-aussitôt,  fit  prendre  aux  habitants  quelques  mesures  de  défense  et, 
croyant  le  danger  conjuré,  reprit  le  chemin  de  Djelfa.  Mais  le  chérif  n'avait 
pas  abandonné  son  projet;  vers  le  milieu  de  novembre,  il  reparut  à  la  tête  de 
forces  encore  plus  considérables,  mit  le  siège  devant  la  place,  y  pénétra  au 
moyen  d'une  trahison  et  s'y  retrancha  solidement,  décidé  à  s'y  défendre  jus- 
qu'à la  dernière  extrémité. 

Aussitôt  qu'il  apprit  cette  nouvelle ,  le  général  Randon ,  gouverneur  géné- 
ral, dirigea  sur  Laghouat  toutes  les  colonnes  qui  opéraient  alors  dans  le  nord 
du  Sahara.  C'est  ainsi  qu*à  peu  de  jours  d'intervalle  on  vit  arriver  devant  la 
place  les  généraux  Bouscaren  et  Yusuf  et  lo  commandant  Pcin.  Ce  dernier 
venait  de  Bou-Saflda  et  amenait  avec  lui  quelques  troupes,  parmi  lesquelles 
le  détachement  de  la  6*  compagnie  de  Tirailleurs.  Mohamed -ben -Abdallah  se 
défendit  vigoureusement ,  et  il  fallut  renoncer  à  l'espoir  de  s'emparer  de  la 
ville  au  moyen  d'un  simple  coup  de  main.  Le  2  décembre,  le  général  Pélissier 
arriva  à  son  tour  à  la  tête  d'une  nouvelle  colonne  et  prit  le  commandement 
de  toutes  les  troupes. 

Dans  la  nuit  du  3  au  4,  une  batterie  fut  établie  dans  la  kouba  de  Sidi-el- 
Hadj-Aïssa. 

Au  point  du  jour,  le  bombardement  commença.  A  onze  heures,  la  brèche 
étant  devenue  praticable,  le  général  Pélissier  fit  donner  le  signal  de  l'assaut. 
Quatre  colonnes  se  précipitèrent  en  avant  :  à  l'ouest ,  celle  des  généraux  Pé- 
lissier et  Bouscaren;  à  l'est,  les  troupes  du  général  Yusuf  et  du  commandant 
Pein.  I^a  défense  fut  opiniâtre;  mais  rien  ne  put  résister  à  l'élan  de  nos  sol- 
dats. Entre  tous,  les  Tirailleurs  de  Constantine  se  signalèrent  parleur  audace 
et  leur  bravoure;  sous  un  fou  meurtrier,  ils  es4uiladèrcnl  les  rochers  (|ui  for- 
maient la  principale  fortification  de  la  ville,  et  pénétrcreut  des  premiers  dans 
la  place.  A  ce  moment  leur  chef,  le  lieutenant  Costa ,  tomba  mortellement 
frappé.  Déjà  les  Arabes  s'étaient  emparé  de  son  corps  et  se  disposaient  à  l'em- 
porter, lorsque  le  nommé  Mohamed -bcn-Tayeb  arrive,  se  jette  sur  eux  à  la 
baïonnette  et  parvient  à  leur  arracher  celte  glorieuse  dépouille.  Quelques  ins- 
tants après  les  quatre  colonnes  opéraient  leur  jonction  :  la  ville  était  à  nous. 
Mohamed -ben- Abdallah,  qui  était  parvenu  à  s'échapper,  fuyait  à  toute  bride 
vers  le  désert. 

Nos  pertes  avaient  été  sensibles;  parmi  les  tués  se  trouvaient  le  général 
Bouscaren,  les  capitoines  Morand  et  Bess'ière,  et  enfin  le  liinitcnunt  Costa, 
qui  dans  toute  cette  expédition  s'était  généreusement  prodigué  à  la  tôle  de 
sa  petite  troupe,  faisant  partout  preuve  des  plus  brillantes  qualités  militaires. 
Outre  la  mort  de  ce  jeune  officier,  le  corps  comptait  neuf  hommes  blessés. 

L.a  prise  de  Laghouat  eut  un  grand  retentissement  chez  les  Arabes  et  con- 
tribua puissamment  à  asseoir  notre  influence  parmi  les  tribus  nomades  du 
Sahara.  Elle  est  restée,  autant  par  ses  résultats  que  par  la  bravoure  qu'y 


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[1852]  EN  ALOÊRIB  95 

déployèrent  nos  troupes,  un  des  éYénemcnts  des  plus  importants  de  l'histoire 
de  notre  conquête.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  de  Constantine  n*y  avait,  il  est 
vrai,  pris  qu'une  faible  part,  si  Ton  n*en visage  son  rôle  que  d'après  le 
mince  appoint  qu'il  avait  fourni  aux  colonnes  d*attaque;  mais,  par  l'admi- 
rable conduite  du  détachement  de  la  6*  compagnie ,  par  la  proportion  des 
pertes  subies,  ce  fait  peut  être  considéré  comme  l'un  des  plus  glorieux 
qu'il  soit  en  droit  de  citer  parmi  ceux  qui  composent  ses  brillantes  annales. 
Aussi  est-ce  avec  justice  que  le  nom  de  cette  victoire  6gure  aujourd'hui  sur 
le  drapeau  du  régiment,  à  c6té  de  ceux  do  Sébastopol,  de  Solférino,  de  San- 
liOrenzoet  d*Ëxtrémc- Orient. 

A  son  retour  de  Logliouat,  la  colonne  du  commandant  Pein  eut  deux 
engagements  assez  vifs  :  l'un  avec  les  Ouled-Tebbat ,  fraction  révoltée  des 
Ouled-Naïl ,  l'autre  contre  les  Oulcd-Sidi-Zian.  Ce  dernier  eut  lieu  le  10  jan- 
vier 18K3.  liO  20  mars,  le  détachement  do  la  6®  compagnie  arrivait  à  Dou- 
SaAda ,  et  quelques  jours  après  se  mettait  en  route  pour  Sétif. 

Le  30  novembre  1852,  un  nouveau  tarif  était  venu  fixer  à  1  fr.  par  jour 
la  solde  de  présence  des  Tirailleurs  de  première  classe,  et  à  95  c.  celle  des 
Tirailleurs  de  deuxième  classe.  Il  ne  faut  pas  oublier  que  les  Tirailleurs  indigènes 
continuaient  à  pourvoir  eux-mêmes  h  leur  nourriture,  ce  qui  explique  l'élé- 
vation do  celle  solde. 

Depuis  loiiglenips  tous  les  chefs  qui  s'intéressaient  à  l'avenir  des  troupes 
indigènes  réclamaient  avec  insistance  la  fixation  d'une  tenue  régulière  de- 
vant relever  un  peu  le  prestige  de  ces  dernières;  mais  cette  question,  consi- 
dérée comme  de  second  ordre,  n'avait  pas  encore  reçu  de  solution,  lorsque 
1  maréchal  de  Saint-Arnaud,  qui  avait  déjà  complété  l'organisation  des 
bataillons  de  Tirailleurs  indigènes,  s'en  occupa  enfin,  et  répondit  de  la  façon 
la  plus  complèle  à  tous  les  vœux  qui  avaient  été  formulés  à  ce  sujet. 

Le  14  février  18511,  une  décision  ministérielle  donna  la  description  du 
nouvel  uniforme,  adopté  à  titre  définitif.  Désormais  le  burnous  crasseux,  les 
turbans  de  formes  diverses,  les  souliers  de  confection  arabe  allaient  faire 
place  au  pantalon  et  à  la  veste  bleu  de  ciel ,  à  la  chéchia  et  à  la  chaussure 
française,  avec  des  jambières  en  cuir  de  mouton  fauve.  Pour  tout  ce  qui 
concerne  les  autres  détails ,  cette  tenue  allait  être  telle  qu'elle  est  restée  au- 
jourd'hui, telle  qu'elle  s'est  montrée  depuis  sur  tous  les  champs  de  bataille 
où  a  llollé  le  drapeau  de  la  France. 

liCS  orficiers  reçurent  la  tunique  bleu  de  ciel  pour  la  pelite  et  la  grande 
tenue ,  le  caban  également  bleu  de  ciel ,  le  pantalon  garance  avec  bande  de 
drap  bleu ,  le  képi  à  turban  bleu ,  et  le  ceinturon  des  chasseurs  à  pied ,  en 
un  mot  la  tenue  qu'ils  avaient  encore  avant  l'adoption  du  dolman. 

L'uniforme  des  officiers  indigènes  était  le  même  qu'il  est  encore  aujour- 
d'hui, avec  cette  simple  diirùronco  que,  pour  la  grande  tenue,  les  tresses 
et  broderies  de  la  veste  et  du  gilet  étaient  en  or,  et  que  le  pantalon  bleu  de 
ciel ,  quoique  de  forme  arabe,  avait  une  bande  de  drap  jonquille  de  cinq  cen- 
timètres de  largeur.  Les  bataillons  se  distinguaient  entre  eux  par  la  couleur 
du  drap  formant  la  fausse  poche  de  la  veste  dite  tombeau,  qui  était  : 


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96  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1852] 

Garance,  pour  le  bataillon  d'Alger n«  1. 

Blanc,  pour  le  bataillon  d*Oran n«  2. 

Jonquille,  pour  le  bataillon  de  Constantine.  ...    n**  3. 

Lorsque,  plus  tard,  chacun  de  cesbataillons  devint  un  régiment,  ces  mômes 
couleurs  furent  conservées  comme  signes  distinctiCs. 


EXPEDITION  DES  BABORS 

ET  DE  LA  KABYLIE  ORIENTALE  (1853) 

L'année  1853  eut,  comme  ses  précédentes,  son  expédition  de  Kabylie. 
Cette  fois  il  fut  formé  un  corps  expéditionnaire,  dont  le  général  Randon, 
gouverneur  général ,  prit  lui-môme  le  commandement.  Ce  corps  comprit  deux 
divisions,  qui  furent  placées  sous  les  ordres  des  généraux  do  Mac-Mahonet 
Bosquet.  La  concentration  eut  lieu  à  Sélif  au  commencement  de  mai.  Les  l**®, 
2®,  3*,  4*,  5*  et  7*  compagnies  du  bataillon  de  Tirailleurs,  désignées  pour  en 
faire  partie,  formèrent,  avec  deux  bataillons  du  11*  léger,  la  deuxième  bri- 
gade de  la  division  de  Mac-Mahon,  brigade  dont  le  colonel  Thomas  reçut  le 
commandement. 

L'expédition  devait  avoir  pour  tliéûtro  la  région  du  Uabor  et  toute  cetle 
partie  de  la  Kabylie  orientale,  comprise  entre  le  littoral  de  DJidjelli  et  le 
cours  de  l'Oued-el-Kébir. 

Elle  allait  comprendre  deux  périodes  bien  distinctes  :  dans  la  première ,  il 
allait  falloir  combattre,  sans  cependant  se  trouver  en  présence  d'une  résis- 
tance comparable  à  celle  des  campagnes  précédentes;  dans  la  seconde,  cette 
résistance  n'existant  plus,  les  troupes  allaient  être  employées  aux  travaux  des 
routes.  Le  13,  le  corps  expéditionnaire  se  trouva  complètement  organisé;  il 
présentait  un  effectif  de  onze  mille  sept  cent  quarante  hommes. 

Le  18,  le  départ  eut  lieu  dans  deux  directions,  chaque  division  devant,  au 
début,  agir  sur  un  théâtre  d'opérations  particulier.  La  division  de  Mac- 
Mahon  se  dirigea  sur  Sidi-Tallout.  Elle  devait  ensuite  contourner  le  Ta-Babor 
par  1-est,  manœuvrer  sur  la  rive  droite  de  l'Oued-Âgrioun ,  et  enfin  gagner  la 
vallée  inférieure  de  cette  rivière,  pour  y  effectuer,  après  douze  à  quinze 
jours  de  marche,  sa  jonction  avec  la  division  Bosquet,  avec  laquelle  se  trou- 
vait le  général  en  chef. 

Le  20,  on  arrivait  à  Sidi-Tallout,  et  le  général  établissait  son  camp  sur 
la  crête  qui  réunit  le  Ta-Babor  au  Djebel-Adrar. 

Le  21 ,  quelques  bataillons  furent  envoyés  à  peu  de  distance  du  camp  pour 
y  détruire  des  villages  kabyles.  Au  retour ,  ils  furent  vivement  inquiétés  par 
Tennemi. 

Le  22,  à  huit  heures  du  matin,  le  bataillon  de  Tirailleurs  se  mil  en  route, 
avec  mission  de  protéger  un  détachement  du  génie  envoyé  pour  ouvrir  une 
route  pour  les  opérations  du  lendemain. 


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[1853]  EN  ALGÉRIE  07 

La  route  à  laquelle  il  s'agissait  de  travailler  devait  passer  au  pied  d*an 
piton  assez  élevé',  sur  lequel  un  poste  avait  été  détaché  la  veille ,  et  qui  était 
pour  le  moment  occupé  par  des  Kabyles,  puis  s'engager  dans  un  col  formant 
gorge  et  déboucher  dans  une  espèce  d'entonnoir  dominé  à  droite  par  un 
contrefort  du  piton  dont  nous  venons  déparier  et,  à  gauche  et  en  avant, 
par  une  ligne  de  mamelons  d'une  hauteur  moyenne  do  deux  cents  mètres. 
Le  commandant  Jolivet  avait  Tordre  formel  de  ne  pas  dépasser  ce  point. 

A  peine  arrive  à  quelques  kilomètres  du  camp,  l'avant- garde  commença 
à  essuyer  le  feu  de  l'ennemi  ;  mais  deux  compagnies  furent  aussitôt  envoyées 
sur  la  hauteur  de  droite,  afin  de  débusquer  ce  dernier. 

En  un  instant  elles  y  furent  établies,  et,  s'élendant  ensuite  sur  toute  la 
crôto,  elles  couvrirent  tout  le  terrain  de  ce  côté,  le  seul  qui  du  reste  fut 
menacé  pour  le  moment.  Quant  aux  Kabyles,  après  quelques  décharges  aux- 
quelles les  Tirailleurs  n'avaient  môme  pas  répondu,  ils  avaient  craint  d'être 
tournés  et  s'étaient  dispersés  pour  aller  se  reformer  plus  loin. 

On  les  retrouva,  en  effet,  au  nombre  d'au  moins  quatre  à  cinq  cents, 
dès  qu'on  déboucha  de  Tautre  côté  du  col.  Ils  avaient  couronné  toutes 
les  hauteurs  commandant  l'entonnoir  dont  il  est  question  plus  haut.  A  ce 
moment,  le  bataillon  s'arrôta;  une  section  fut  alors  déployée  et  portée  en 
avant  pour  couvrir  l'entrée  du  défilé ,  et  deux  compagnies  s'élancèrent  sur  les 
hauteurs  de  gauche,  dont  elles  s'emparèrent  au  prix  de  deux  hommes 


Se  trouvant  ainsi  protégés  en  avant  et  sur  leurs  flancs ,  les  travailleurs 
du  génie  purent  vaquer  à  leur  besogne  en  toute  sécurité.  L'ennemi  se  main- 
tenait à  distance ,  se  contentant  de  harceler  de  ses  feux  les  compagnies  qui 
avaient  pris  position. 

liorsquo  le  moment  de  la  retraite  arriva ,  les  ordres  les  plus  précis  furent 
donnés  pour  l'évacuation  successive  des  hauteurs  occupées.  Le  mouvement 
s'exécuta  dans  le  plus  grand  ordre,  d'abord  par  les  compagnies  du  centre, 
puis  par  celles  de  gauche.  Au  fur  et  à  mesure  que  nous  quittions  une  posi- 
tion ,  les  Kabyles  venaient  immédiatement  la  reprendre. 

Quand  il  arriva  &  la  sortie  do  la  gorge,  le  bataillon  s'arrôta,  afin  de  per- 
mettre à  une  compagnie,  qui  s'était  avancée  un  peu  trop  loin  sur  la  gauche , 
de  se  replier. 

Les  deux  compagnies  qui  avaient  été  détachées  sur  la  droite,  et  qui  jusque* 
là  avaient  protégé  le  mouvement  rétrograde,  se  retirèrent  à  leur  tour  en  con- 
tinuant à  suivre  les  crôtes,  et  vinrent  prendre  position  plus  en  arrière.  Les 
Kabyles,  qui  avaient  aussitôt  gravi  l'extrémité  qu'elles  venaient  d'aban- 
donner, les  serrèrent  de  près  dans  leur  retraite,  et  tentèrent  bientôt  de 
déborder  la  compagnie  du  capitaine  Grémelin,  qui  se  trouvait  à  l'extrôme 
droite.  Mais  cet  officier,  entraînant  sa  troupe  dans  un  vigoureux  retour 
offensif,  se  jeta  sur  ces  bandes  acharnées  pour  les  refouler  dans  le  ravin. 
Pendant  un  instant,  cet  étroit  plateau  fut  le  théâtre  d'un  sanglant  combat 
corps  à  corps.  Confiants  dans  leur  nombre,  les  Kabyles  résistaient  énergique* 
ment.  Déjà  le  capitaine  Grémelin  avait  été  grièvement  blessé;  M.  Pape, 
son  sous -lieutenant,  venait  de  tomber  mortellement  frappé;  il  ne  restait 

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98  LE  3*  RÉOIMENT  DE  TIB AILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE        [1853[ 

plus,  commo  officior,  quo  M.  Abd-ol-Kador-bcn-Ulidi.  Mais  co  dornior, 
poursuivant  ayec  beaucoup  d'intelligence  le  mouvement  commencé,  continua 
à  charger  l'ennemi,  qui,  définitivement  vaincu,  ne  tarda  pas  à  prendre  la 
fuite,  ayant  subi  des  pertes  considérables  en  morts  et  en  blessés,  et  laissant 
un  certain  nombre  de  prisonniers  entre  nos  mains. 

Le  terrain  était  dégagé;  rendus  prudents,  les  Kabyles  se  tinrent  désormais 
à  distance,  et  la  compagnie  Grémelin  put  effectuer  sa  retraite  en  bon  ordre 
sans  être  trop  inquiétée.  Cependant,  lorsqu'elle  abandonna  les  crêtes  pour 
rejoindre  le  bataillon ,  elle  eut  encore  un  peu  à  souffrir  du  feu  plongeant  de 
Pennemi.  Enfin ,  on  atteignit  le  camp,  et  la  vue  des  grand'gardes  suffit  alors 
pour  décider  les  Arabes  à  se  disperser  pour  ne  plus  reparaître. 

Cette  difficile  et  périlleuse  opération  avait  duré  plus  de  cinq  heures,  et, 
pendant  ce  temps,  les  différentes  compagnies  du  bataillon  n'avaient  pas  cessé 
de  combattre  :  aussi  les  pertes  étaient-elles  sérieuses.  Étaient  tués  :  Âl.  Pape, 
sous-lieutenant,  et  trois  Tirailleurs;  étaient  blessés  :  MM.  Grémelin,  capi* 
tame;  Lapoinle,  capitaine;  Dermier,  lieutenant;  Uel-Kassem,  lieutenant  in- 
digène; quatre  sous-officiers  et  vingt-sept  Tirailleurs. 

Les  conséquences  de  ce  combat,  le  seul  important  qui  eut  lieu  dans  le 
courant  de  l'expédition,  furent  immenses  :  dès  le  lendemain,  les  tribus  du 
Babor,  jugeant  la  résistance  impossible,  vinrent  faire  leur  soumission,  et  le 
pays  devint  immédiatement  si  tranquille,  qu'un  officier  put  le  traverser  avec 
une  escorte  de  quelques  hommes. 

Le  29,  les  deux  divisions  se  mirent  en  route  pour  se  rapprocher  de  la  mer 
et  faire  leur  jonction  près  do  rcniboucliure  do  l'Oued -Agrioun.  La  division 
Bosquet  se  trouva  au  rendes-vous  le  l®**  juin;  celle  du  général  de  Mac-Mahon, 
arrêtée  par  l'impraticabilité  des  chemins,  ne  put  y  arriver  que  le  4. 

Le  6  juin,  le  corps  expéditionnaire  quitta  les  bords  de  l'Oued-Agrioun  pour 
aller  camper  à  Ziama.  Là,  il  fut  arrêté  près  de  quatre  jours  par  le  mauvais 
temps.  Le  10,  il  se  remit  en  route  vers  l'est.  Le  17,  les  deux  divisions  pé- 
nétrèrent, Puno  par  Post  et  Pautro  par  l'uuost,  sur  le  territoire  dos  lleni-ldor 
et  des  Beni-Affer,  tribus  qui  n'avaient  encore  fait  aucune  demande  de  sou- 
mission. Se  voyant  entourées  de  toutes  parts,  elles  n'attendirent  pas  d'être 
attaquées  et  envoyèrent  aussitôt  leurs  chefs  pour  demander  l'aman. 

Le  18,  le  bataillon  de  Tirailleurs,  à  l'exception  de  deux  compagnies,  fut 
dirigé  sur  Bougie  pour  y  tenir  garnison  jusqu'à  nouvel  ordre.  Le  comman- 
dant Jolivet  fut  en  même  temps  nommé  commandant  intérimaire  de  la  place. 

A  partir  du  20 ,  les  autres  troupes  furent  échelonnées  sur  les  chemins  et 
employées  à  ouvrir  des  routes  stratégiques  reliant  Djidjelli  à  Milah  et  à  Sétif. 
Au  mois  de  juillet,  les  chaleurs  étant  devenues  par  trop  fortes  pour  continuer 
ces  travaux,  les  bataillons  rentrèrent  dans  leurs  garnisons  respectives.  Celui 
de  Tirailleurs  revint  à  Constantine. 

Au  mois  d'octobre,  le  général  de  Mac-Mahon  se  transporta  de  nouveau  ches 
les  Beni-Ider  avec  une  colonne  forte  do  sept  bataillons,  dont  celui  de  Tirailleurs 
indigènes.  Les  travaux  des  routes  furent  repris  et  continués  avec  la  plus 
grande  activité.  En  même  temps,  des  pointes  exécutées  chaque  jour  dans  l'in- 
térieur du  pays  assurèrent  la  tranquillité  des  tribus. 


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EXPÉDITION  DE  CRIMÉE 


CHAPITRE  X 


Fonnation  d*un  régiment  de  Tirailleurs  algériens.  —  Embarquement  à  Alger.  —  Débar* 
quement  à  Gallipoli.  —  Camp  de  Boulahir.  —  Départ  pour  Varna.  —  Reconnaissance 
dans  la  Dobrntscha.  —  Le  choléra.  —  Retour  à  Varna.  —  Débarquement  en  Grimée. 
—  Bataille  de  TAlma.  —  Marche  sur  Sébastopol. 


Dès  les  premiers  jours  de  l'année  1854,  une  guerre  avec  la  Russie  étant 
devenue  imminente  par  suite  de  Tintervention  de  la  France  dans  l'étemelle 
question  d*Orient,  on  s'occupa  à  la  hé  te  d'organiser  un  corps  expédition- 
naire. Cependant,  à  cette  époque,  le  gouvernement  impérial,  non  encore  fixé 
sur  l'importance  de  l'effort  qu'il  se  proposait  de  faire  en  faveur  de  la  Turquie, 
ne  constitua  d*abord  que  deux  divisions,  dont  les  généraux  Canrobert  et 
Bosquet  reçurent  le  commandement,  plus  une  brigade  de  cavalerie.  Le  ma- 
réchal de  Saint-Arnaud ,  désigné  pour  être  placé  à  la  tète  de  cette  expédition, 
fut  chargé  do  l'organisation  des  troupes  qui  devaient  y  prendre  part.  Le  ma-* 
réchal,  qui  pendant  ses  nombreuses  campagnes  en  Algérie  avait  hautement 
apprécié  les  qualités  des  Tirailleurs  indigènes ,  pensa  aussitôt  à  ces  derniers 
pour  les  emmener  ^n  Orient.  Seulement,  une  difîculté  se  présentait  t  les  sol- 
dats des  bataillons  de  Tirailleurs  ne  s'étaient  engagés  que  pour  servir  dans 
leur  pays;  allaient-ils  se  décider  à  nous  suivre  dans  des  contrées  aussi  loin- 
taines? Le  maréchal  n'en  douta  pas,  et  l'événement  lui  donna  raison. 

Le  colonel  de  Wimpffen ,  qui  connaissait  parfaitement  les  troupes  indigènes 
pour  avoir  servi  pendant  longtemps  dans  le  bataillon  de  Tirailleurs  d'Alger, 
eut  mission  de  former  un  corps  de  volontaires  avec  des  hommes.pris  dans  les 
bataillons  des  trois  provinces  de  l'Algérie.  Au  commencement  de  février,  il  se 
rendit  d'abord  à  Alger,  puis  à  Constantine,  et  s'occupa  activement  de  réunir 


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100 


LE  3^  RÊOIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1854] 


les  éléments  nécessaires  à  la  constitution  d*un  régiment  à  deux  bataillons. 
A  Constantine,  officiers  et  soldats  demandèrent  presque  tous  à  partir.  Dans 
les  derniers  on  choisit  cinq  cent  cinquante  hommes  ;  parmi  les  premiers 
furent  désignés  : 


MM.  Quinemant,  capitaine. 

Godinot  de  Villaire ,  dfi 

Dermier,  à^ 

Panier  des  Touches ,  d^ 

Schweimberg,  lieutenant. 

D'Uxer,  d» 

Chevreuil ,  d^ 

Pelsex,  d« 


MM.  Mariani,  lieutenant. 

Kaddour-ben-Brahim,  dfi 
Ahmed-bcl-Larbi,  d^ 

Mohamed-bel-Gasm ,  d^ 
Abd-el-Kadejr-ben-Blidi,  d^ 
Véran ,  sous-lieutenant. 

Humery,  d® 


Ce  détachement  fut  aussitôt  dirigé  sur  Goléa,  où  devait  avoir  lieu  Torgani- 
sation  définitive.  Le  9  mars,  parut  un  décret  impérial  réglant  cette  organi- 
sation :  le  régiment  qui  allait  être  créé  devait  porter  le  titre  de  Régiment  de 
TiraiHewrs  algérieni. 

Le  21  mars,  les  contingents  des  trois  provinces  étant  arrivés,  le  général 
Camou  les  passa  en  revue  et  procéda  à  la  constitution  définitive  do  ce  nouveau 
corps ,  dont  le  colonel  do  WimpOcn  reçut  le  commandement.  Le  lieutenant* 
colonel  était  M.  Lévy,  qui  avait  servi  autrefois  au  bataillon  d'Alger,  et  les 
chefs  de  bataillon,  MM.  de  Maiission  et  Martineau-Dcschenez,  le  premier 
venant  du  bataillon  d* Alger,  le  second  de  celui  d'Oran. 

Le  décret  du  9  mars  1854  fixait  la  composition  de  chaque  bataillon  à  neuf 
compagnies,  dont  une  de  dépôt.  Chaque  compagnie  devait  comprendre  cinq 
officiers  et  cent  cinquante  hommes  de  troupe.  Le  contingent  d'Alger  entra 
tout  entier  dans  le  premier  bataillon,  et  celui  d'Oran  dans  le  deuxième;  quant 
à  celui  de  Constantine,  il  fut  réparti  dans  les  deux  balaillons. 

Le  1^  avril,  le  régiment,  réunissant  un  efiectif  de  soixante- quatorze  offi- 
ciers et  de  deux  mille  vingt-cinq  hommes,  se  mit  en  route  pour  Alger,  où 
devait  s'effectuer  l'embarquement. 

Le  6  avril ,  eut  lieu  un  premier  départ  sur  les  transports  le  Labrador  et 
rWoa.  One  foule  considérable  se  trouvait  sur  le  quai.  La  population  indigène 
tout  entière  était  accourue.  Au  fond,  l'idée  religieuse  ne  se  dégagcait-cllo  pas 
pour  elle  de  cette  guerre,  qui  avait  pour  but  la  protection  du  trône  du  sultan? 
Il  faut  le  croire,  car  ce  fut  avec  un  profond  enthousiasme  qu'elle  salua  de 
ses  vœux  les  bateaux  qui  emportaient,  loin  de  leur  patrie,  ces  soldats  parmi 
lesquels  chacun  comptait  des  parents  et  des  amis. 

Le  10  avril,  le  Berthollet  prit  à  son  bord  ce  que  les  deux  autres  navires 
n'avaient  pu  embarquer. 

La  traversée  s'effectua  sans  incident. 

Le  14,  le  Labradw  débarquait  à  Gallipoli  trente  et  un  officiers  et  sept  cent 
soixante  et  un  hommes.  Ce  détachement  fut  le  jour  môme  conduit  au  camp 
de  la  Grande-iUvière. 


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[1854]  EN  CRIMÉE  lOi 

Le  16,  le  général  Bouat,  commandant  provisoirement  la  deuxième  diviaioni 
en  passa  la  revue  et  fut  émerveillé  de  Tentrain  qui  y  régnait. 

Le  17,  VVlloa  et  le  Berthollet  débarquèrent  encore  quarante -trois  officiers 
et  mille  deux  cent  vingt-trois  hommes.  Dès  lors,  tout  le  régiment  se  trouva 
réuni  au  camp  do  la  Grandc-Ilivièrc. 

Aussitôt  qu'elles  furent  installées,  les  troupes  s'occupèrent  de  compléter 
leur  instruction.  Le  mois  d*avril  s*achova  au  sein  de  cette  occupation,  qui  fut 
continuée  pendant  la  première  partie  du  mois  suivant. 

Dans  l'organisation  de  Tarmée  d'Orient,  le  régiment  de  Tirailleurs  avait  été 
compris  dans  la  première  brigade  (général  d'Autemarre)  de  la  deuxième  di- 
vision (général  Bosquet). 

Les  deux  généraux  sous  lesquels  il  allait  servir  étaient  de  longue  date 
connus  des  indigènes,  notamment  de  ceux  de  Constantine. 

Le  7  mai,  le  maréchal  de  Saint-Arnaud  toucha  à  Gallipoli  avant  de  se 
rendre  à  Constantinople,  et  passa  toutes  les  troupes  en  revue. 

Le  13,  le  régiment  alla  camper  au  village  turc  de  Boulahir,  à  quatorze  kilo- 
mètres au  nord  de  Gallipoli.  Là,  il  fut  employé  à  des  travaux  de  fortification 
ayant  pour  but  de  fermer  complètement  la  presqu'île. 

Le  2R ,  le  maréchal  était  de  rclour,  h  Gallipoli.  IjC  mémo  jour,  il  passa  une 
nouvelle  revue  pour  se  rendre  un  compte  exact  de  la  situation  de  Tarmée,  de 
ses  ressources  et  de  ses  besoins.  En  arrivant  devant  les  Tirailleurs,  il  en  re- 
connut plusieurs  qu'il  avait  vus  pendant  sa  brillante  expédition  de  Kabylie, 
en  1851.  Il  félicita  ensuite  le  colonel  de  WimpOen  sur  leur  attitude  martiale, 
sur  leur  belle  tenue,  puis  remit  à  ce  dernier  le  drapeau  destiné  au  nouveau 
régiment.  Se  tournant  alors  vers  la  troupe,  il  lui  adressa  l'allocution  suivante, 
qui  fut  aussitôt  traduite  en  arabe  par  le  général  Bosquet  : 

«  Tirailleurs, 

«  L'empereur  m*a  chargé  de  vous  remettre  ce  drapeau. 

«  Cest  avec  un  bien  grand  plaisir  que  je  m'acquitte  de  ma  mission,  car  je 
sais  que  vous  êtes  de  braves  soldats.  Vous  me  l'avez  prouvé  plus  d'une  fois  en 
Afrique.  On  vous  a  choisis  pour  venir  en  Orient,  parce  qu'on  vous  sait  dignes 
de  combattre  dans  les  rangs  français.  Continuez ,  Tirailleurs ,  à  vous  montrer 
tels  que  je  vous  ni  connus  I  Marchez  sur  les  traces  de  votre  bravo  colonel! 
Obéissez  toujours  à  vos  chefs  :  robôissance  et  la  discipline  sont  les  guides 
du  soldat  français. 

c  Tirailleurs  I  n'oubliez  pas  que  lorsqu'on  a  Tbonneur  de  combattre  sous  les 
couleurs  de  la  France,  on  ne  les  rend  jamais  :  on  meurt  1  » 

Cependant,  à  la  suite  d'une  conférence  qui  avait  eu  lieu,  le  19  mai,  entre  les 
commandants  des  armées  alliées,  il  avait  été  décidé  que  le  gros  des  troupes 
serait  concentré  à  Varna. 

Le  7  juin,  la  division  Bosquet  quitta  Boulahir;  le  14,  elle  arriva  àAndri- 
nople;  elle  s'établit  aux  portes  de  la  ville,  dans  l'île  du  Sérail,  y  séjourna 
jusqu'au  25  et  continua  sa  route  sur  Varna.  Le  7  juillet,  elle  se  trouva  réunie 
en  entier  à  Yéni-Keul,  village  formant,  avec  ceux  de  Franka  et  de  Zefierli, 


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102  LB  3*  BÂOIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l854] 

la  couronne  d'un  vostd  plateau  qui  8*étend  à  huit  kilomètres  au  nord  do 
Varna. 

Cette  concentration  avait  eu  pour  but  la  protection  de  la  place  de  Silistrie , 
assiégée  par  les  Russes  depuis  la  fin  d'avril.  Mais  ces  derniers,  après  quelques 
tentatives  sans  résultat ,  levèrent  le  siège  dans  la  nuit  du  22  au  23  juin.  Les 
poursuivre  dans  un  pays  ravagé,  difficile,  peu  connu,  et  de  plus  infecté  de 
maladies  pestilentielles,  était  une  entreprise  non  seulement  dangereuse,  mais 
qui  ne  promettait  aucun  avantage;  car  ce  mouvement,  en  nous  entraînant 
loin  de  notre  base  d'opérations,  permettait  à  l'armée  ennemie  do  se  rappro- 
cher de  la  sienne.  Pour  frapper  la  Russie ,  il  fallait  donc  chercher  un  autre 
terrain;  les  chefs  des  deux  armées  et  les  commandants  des  deux  flottes 
crurent  le  trouver  dans  la  Crimée  et  surtout  dans  la  ville  de  Sébastopol. 
Mais  un  débarquement  dans  cette  presqu'île  demandait  d'immenses  prépa- 
ratifs: il  fallait  réunir  les  moyens  de  transporter  une  armée  de  soixante  mille 
hommes  avoc  son  matériel  et  sos  approvisionnomonts ,  faire  reconnaître  la 
côte  sur  laquelle  on  se  proposait  d'aborder,  prendre  des  renseignements  sur 
le  pays  dans  lequel  on  allait  s'engager,  en  un  mot  assurer  dans  toutes  ses 
parties  une  opération  qui  pouvait  être  considérée  comme  une  seconde  expé- 
dition. Tout  cela  allait  demander  du  temps  et  permettre  à  la  Russie  de  parer 
au  danger  qui  la  menaçiût.  Il  importait  donc ,  pour  détourner  son  attention 
de  la  Criméie ,  de  lui  laisser  croire  à  une  action  sérieuse  dans  la  Dobrutscha. 
A  cet  effet ,  le  maréchal  ordonna ,  pour  le  22  juillet,  une  grande  reconnais- 
sance par  les  spahis  d'Orient,  appuyés  par  les  trois  divisions. 

La  division  Bosquet  se  mit  en  marche  à  quatre  heures  du  matin.  Elle  de- 
vait se  rendre  en  deux  jours  à  Bajardjik ,  s'y  installer,  et  détacher  en  avant 
des  postes  sur  les  routes  de  Silistrie,  de  Rassowa  et  de  Mangalia.  Mais,  au 
lieu  de  deux  jours,  elle  dut  en  mettre  trois;  elle  n'arriva  que  le  24,  après 
une  marche  des  plus  difficiles  sur  un  terrain  nu ,  sec,  couvert  d'herbes  sau- 
vages et  présentant  tous  les  caractères  de  la  steppe. 

Avant  le  départ,  le  choléra  avait  fût  son  apparition  à  Varna.  On  avait  cru 
le  fuir  en  quittant  cette  ville,  et  il  nous  suivait,  au  contraire,  acquérant 
chaque  jour  une  nouvelle  intensité.  Déjà  quelques  régiments  se  trouvaient 
crudlement  éprouvés;  les  effectifs  fondaient  avec  une  bcroyable  rapidité. 
Seuls,  les  Tirailleurs  algériens  semblaient  résister  au  redoutable  fléau.  Ce 
dernier  les  visita  cependant  à  leur  tour,  mais  sans  prendre  des  proportions 
bien  alarmantes  :  le  nombre  des  victimes  ne  dépassa  pas  quatorze. 

On  se  figure  généralement  que  le  fatalisme  de  l'Arabe  l'entraine  plus  faci- 
lement au  découragement.  C'est  une  erreur.  Ce  btalisme  lui  fait  traverser  les 
situations  les  plus  graves ,  lui  fait  supporter  les  maux  plus  terribles  avec  une 
indifférence  tenant  beaucoup  plus  de  la  résignation  que  de  l'abattement.  Ce 
qui  est  arrivé  devait  arriver,  et  voilà  tout. 

Quoi  qu'il  en  soit,  dans  cette  circonstance,  le  régiment  algérien  fut  admi- 
rable; non  seulement  les  hommes  ne  cessèrent  de  donner  les  preuves  de  la 
plus  grande  énergie,  mais  encore  ils  s'offrirent  généreusement  pour  servir 
d'infirmiers  auxiliaires ,  et  leur  infatigable  dévouement  fut  partout  hautement 
apprécié. 


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[1854]  EN  CntMÉB  103 

Le  25,  on  arriva  à  Mangalia,  d*où  Ton  repartit  le  lendemain  pour  se  porter 
sur  Babadagh ,  où  des  postes  ennemis  avaient  été  signalés.  On  mit  quatre 
jours  pour  atteindre  cette  localité.  L&  il  fallut  s'arrêter  :  le  choléra  prenait 
un  développement  oITrayant.  Dans  celle  seule  journée  il  n*avalt  pas  fait  moins 
de  cinq  cents  victimes.  Dès  lors  il  ne  s'agissait  plus  de  trouver  Tennemi,  mais 
de  mettre  les  troupes  à  Tabri  du  climat  pestilentiel  de  cette  région.  Le  retour 
à  Varna  fut  décidé.  La  retraite  s'efTeclua  lentement,  péniblement,  et,  le  9  août, 
la  2*  division  reprenait  ses  cantonnements  à  Yéni-Keu!. 

On  arrivait  juste  pour  assister  à  une  nouvelle  catastrophe.  Dans  la  nuit  du 
10  août,  un  violent  incendie  éclata  tout  à  coup  dans  le  bas  quartier  de  Varna 
et  faillit  amener  le  plus  épouvantable  des  désastres.  Après  avoir  détruit  les 
magasins  contenant  les  approvisionnements  des  armées  alliées,  les  flammes 
vinrent  lécher  les  murs  des  constructions  où  Ton  avait  renfermé  les  muni- 
tions pour  toute  la  campagne.  Toutes  les  troupes  étaient  là,  travaillant  avec 
une  ardeur  que  décuplait  Timminence  du  danger.  Une  étincelle  pour  enflam- 
mer ce  volcan ,  et  Ton  aurait  compté  des  milliers  d*hommes  complètement 
broyés.  Le  vent  tourna,  tout  fut  sauvé.  Dès  les  premiers  instants,  le  régi- 
ment de  Tirailleurs  était  accouru  d*Yéni-Keuî  et  avait  prêté  son  concours  aux 
travailleurs  venus  do  toutes  parts  pour  circonscrire  le  terrible  élément.  Là 
encore  les  soldats  indigènes  trouvèrent  Toccasion  de  faire  preuve  de  leur 
dévouement  et  de  leur  énergie. 

Après  une  reconnaissance  maritime  faite  par  une  commission  composée  des 
hommes  les  plus  compétents ,  la  descente  en  Grimée  fut  définitivement  réso- 
lue. Le  25  août,  un  ordre  du  maréchal  apprit  aux  troupes  leur  prochain 
embarquement. 

Cette  nouvelle  fut  reçue  avec  une  joie  profonde ,  avec  un  enthousiasme  que 
n'avaient  pu  détruire  les  nombreux  malheurs  qu'on  venait  d'éprouver. 

Le  29,  l'armée  quitta  ses  bivouacs  et  se  rendit  à  Baltchickt,  où  se  trouvaient 
réunies  les  flottes  alliées.  Le  i^'  septembre ,  le  régiment  s'embarqua  sur  le 
trois-ponts  le  Friedland.  Le  5,  on  appareilla;  le  12,  on  signala  les  côtes  de 
la  Crimée.  Le  13,  les  deux  flottes  se  présentèrent  devant  Eupatoria,  qui  se 
rendit  à  la  première  sommation.  Le  point  choisi  pour  le  débarquement  était 
la  plage  d'Old-Fort.  Le  14,  à  sept  heures  du  matin,  cette  opération  com- 
mença; le  soir,  elle  était  terminée  pour  les  trois  premières  divisions;  elle 
se  continua  jusqu'au  18  pour  les  approvisionnements  et  le  matériel. 

L'armée  qui  venait  de  débarquer  sur  le  sol  de  la  Crimée  comprenait  envi- 
ron trente  mille  Français  représentant  quatre  divisions,  vingt-deux  mille 
Anglais  et  une  division  turque  forte  de  six  mille  hommes  :  en  tout  cinquante- 
huit  mille  hommes ,  dont  à  peu  près  trois  mille  non-combattants.  Les  forces 
russes  chargées  de  la  défense  de  la  presqu'île  s'élevaient  à  cinquante  et  un 
mille  hommes  de  troupes  de  terre,  répartis  sous  deux  commandements  dis- 
tincts :  le  général  Khomoutof,  avec  douze  mille  hommes,  surveillait  la  partie 
orientale  et  particulièrement  Kertch;  le  prince  Menschikoff,  avec  le  reste,  cou- 
vrait Sébastopol. 

Le  19,  les  alliés  se  mirent  en  marche  dans  l'ordre  suivant:  à  droite  et 
côtoyant  la  mer,  l'armée  française;  à  gauche,  les  Anglais;  à  l'arrière-gardei 


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104  LE  3*  RÉOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (1854] 

la  division  turque.  La  division  Bosquet,  formant  rextréme  droite  de  la  ligne 
française,  longeait  le  rivage  et  se  trouvait  directement  appuyée  par  la  flotte. 
Chacune  des  deux  brigades  marchait  en  colonne,  par  division,  à  distance  de 
peloton. 

A  midi,  on  atteignit  la  rive  droite  duBoulganak.  Quelques  cosaques,  qui 
se  trouvaient  sur  la  rive  opposée,  se  retirèrent,  et  le  passage  de  la  rivière  s'ef- 
fectua sans  être  troublé.  De  l'autre  côté,  on  aperçut  l'armée  russe,  sur  les 
hauteurs  qui  s'élèvent  sur  la  rive  goiiche  do  l'Aima.  L'étape  n'avait  été  que 
do  seise  kilomètres  et  s'était  oITectuée  sans  difficulté  sur  un  sol  sec  et  nu;  les 
troupes  n'étaient  point  fatiguées,  on  aurait  pu  attaquer  de  suite ,  mais  la 
nécessité  de  concerter  les  opérations  fit  remettre  la  bataille  au  lendemain. 

Le  bivouac  fut  établi  sur  la  rive  gauche  du  Boulganak.  La  nuit,  froide 
et  sombre,  se  passa  sans  alerte.  Les  deux  armées,  calmes,  recueillies,  cher- 
chaient à  deviner  leur  force  respective  au  nombre  do  leurs  feux,  et  atten- 
daient chacune  avec  impatience  l'heure  d'en  venir  aux  mains. 

La  position  occupée  par  l'armée  ennemie  avait  une  valeur  défensive  de 
premier  ordre:  bordée  d'un  fossé  naturel  formé  par  la  rivière,  elle  s'élevait 
graduellement,  présentant  plusieurs  étages,  qui  avaient  été  mis  en  état  de 
défense  et  armés  d'une  façon  redoutable.  A  droite,  elle  s'appuyait  à  une 
haute  montagne;  au  centre,  existait  une  trouée  par  où  passait  la  route  d*Eu- 
patoria  à  Sébastopol;  à  gauche,  elle  se  terminait  par  une  falaise  escarpée 
qui  descendait  jusqu'à  la  mer.  Le  point  qui  paraissait  le  plus  faible  aux 
Russes,  celui  sur  lequel  ils  avaient  accumulé  le  plus  de  moyens  de  résistance, 
était  leur  centre  ;  ils  croyaient  leur  gauche  absolument  inattaquable.  C'était 
cependant  celte  aile  que  le  maréchal  de  Saint-Arnaud  se  proposait  de  tourner 
et  de  déborder. 

Le  plan  arrêté  le  dimanche  au  soir  par  les  commandants  français  ot  an- 
glais était,  en  eflet,  de  diriger  une  division  le  long  de  la  mer,  de  lui  faire 
gravir  les  pentes  abruptes  qui  dominaient  l'embouchuro  de  l'Aima,  et  d'at- 
tendre qu'elle  se  fût  établie  sur  le  flanc  gauche  de  Tarmée  russe  pour  pro- 
noncer l'attaque  générale  sur  le  front  même  de  la  position.  Cette  mission  dif- 
ficile, dont  devait  dépendre  le  succès  de  la  journée,  fut  confiée  à  la  divi- 
sion Bosquet. 

Le  20  septembre,  à  cinq  heures  et  demie  du  matin,  cette  division  se  mit 
en  marche  sur  deux  colonnes,  ayant  en  arrière  et  comme  réserve  la  division 
turque.  A  sept  heures,  elle  reçut  l'ordre  de  s'arrêter:  les  Anglais  n'étaient 
pas  prêts. 

On  forma  les  faisceaux,  et  les  troupes  profitèrent  de  ce  retard  pour  faire  le 
café.  Quatre  heures  se  passèrent  dans  cette  attente.  Enfin  on  se  remit  en  mou- 
vement :  il  était  onze  heures  et  demie. 

Pendant  ce  temps,  le  général  Bosquet  avait  fait  reconnaître  les  abords  du 
village  d'Almalamak  et  les  passages  de  l'Aima.  Un  peu  en  amont  du  village, 
on  trouva  un  gué;  il  en  existait  un  autre  à  la  barre.  La  brigade  d'Aute- 
marre  s'engagea  dans  le  premier.  Le  3<^  zouaves  traversa  d'abord  et  commença 
à  gravir  les  pentes  de  la  rive  gauche;  il  fut  bientôt  suivi  par  le  régiment  de 
Tirailleurs  algériens,  puis  par  une  batterie  d'artillerie,  et  enfin  par  le  50*  de 


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[1854]  EN  CRIMÉE  105 

ligne.  Nos  soldats  grimpèrent  en  s'accrochent  des  mains  aux  aspérités  da  sol, 
en  suivant  les  étroits  sentiers  qui  serpentaient  le  long  des  contreforts,  en 
s'aidant  les  uns  les  autres ,  et  débouchèrent  soudain  sur  le  plateau  d'ÂkIèse 
que  les  Russes  n'avaient  que  faiblement  occupé. 

One  vive  fusillade  s'engagea  aussitôt  entre  le  3®  zouaves  et  le  bataillon  de 
Minsk.  Ce  dernier  était  appuyé  par  le  tir  d*une  batterie  de  licornes.  Nous 
n'avions  pas  encore  d'artillerie  ;  nous  nous  trouvions  dans  une  notable  infé- 
riorité tactique.  Enfin,  après  des  efforts  inouïs,  surhumains,  la  batterie  fran- 
çaise arriva  à  son  tour  et  ouvrit  immédiatement  le  feu.  Il  était  temps  :  les 
Russes  venaient  de  recevoir  trois  batteries  à  cheval,  de  la  cavalerie,  quelques 
bataillons  d'infanterie,  et  menaçaient  notre  flanc  droit  d'un  mouvement  tour- 
nant. A  ce  moment  commença  à  paraître  la  tète  de  la  brigade  Bouat,  qui  avait 
traversé  la  rivière  à  la  barre;  Tartillerie  qui  l'accompagnait  suivit  de  près, 
et  la  lutte  se  continua  dès  lors  avec  tous  les  avantages  de  notre  cAté. 

Le  régiment  de  Tirailleurs  algériens  avait  été  placé  comme  soutien  de  l'ar- 
tillerie; le  deuxième  bataillon  s'était  déployé  en  bataille  derrière  les  deux 
batteries  de  la  division  ;  le  1*'  était  resté  en  colonne  serrée  à  la  droite.  La 
canonnade  était  furieuse  de  part  et  d'autre  ;  mais  les  Russes  tiraient  avec 
quarante  pièces,  et  le  régiment  souffrait  cruellement  de  leur  feu.  Troublés  par 
le  sifflement  de  ces  projectiles  auxquels  ils  n'étaient  pas  encore  habitués, 
quelques  Tirailleurs,  baissant  la  tète,  les  saluaient  au  passage.  Le  général 
Rosquct  s'en  aperçut:  c  Eli  quoil  s'écria-t-il  en  les  apostrophant  en  arabe, 
la  balle  frappe-t-elle  moins  que  le  boulet?  —  Be$$ah  (c'est  vrai),  répondi- 
rent-ils en  se  redressant  fièrement,  et  de  ce  moment  les  obus  ennemis  se 
succédèrent  sans  avoir  les  honneurs  de  la  moindre  révérence. 

Cependant  ce  duel  d'artillerie  devenait  de  plus  en  plus  meurtrier  pour 
l'infanterie  qui  se  trouvait  exposée  à  ses  coups;  les  deux  bataillons  de  Tirail- 
leurs durent  s'abriter  derrière  un  pli  de  terrain.  Là,  ils  attendaient,  l'arme  au 
pied ,  le  moment  tant  désiré  de  rendre  aux  Russes  le  mal  qu'ils  en  recevaient. 

La  situation  de  la  division  Bosquet  était  celle-ci  :  vaincre  à  tout  prix  ou 
succomber  glorieusement  dans  un  irrémédiable  désastre.  Les  forces  qu'elle 
ayait  devant  elle  grossissaient  toujours.  Le  prince  Menschikoff  était  accouru 
sur  le  terrain  ,  avait  fait  avancer  une  partie  de  sa  réserve,  et  c'était  à  son 
tour  de  déborder  notre  flanc  droit.  Deux  régiments  de  cavalerie  avaient  en 
effet  été  lancés  sur  ce  point ,  et  notre  artillerie  se  trouvait  particulièrement 
en  danger.  Le  général  Bosquet  ordonna  aussitôt  au  colonel  de  Wimpffen  de 
prendre  ses  dispositions  contre  les  assaillants.  Les  Tirailleurs  algériens  se 
formèrent  en  carré,  par  bataillon,  et,  impatients  d'en  venir  à  une  action  corps 
à  corps,  s'apprêtèrent  à  recevoir  l'ennemi.  Mais  quelques  obus  de  la  marine 
heureusement  dirigés  jetèrent  le  désordre  dans  les  escadrons.  Au  môme 
moment,  la  brigade  Rouat  dessina  un  mouvement  en  avant.  La  cavalerie 
russe  craignit  d'être  enveloppée  et  se  retira.  Dès  lors,  la  gauche  de  l'ennemi 
n'essaya  plus  de  sortir  de  la  défensive,  et,  seule,  la  canonnade  continua.  Pour 
attaquer  de  nouveau ,  le  général  Bosquet  attendait  que  les  autres  divisions 
françaises  fussent  complètement  en  ligne. 

Il  était  deux  heures.  Les  1^  et  3*  divisions  s'étaient  déployées,  avaient 


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100  LB  3*  BâOIMBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [i854] 

franchi  rAlma,  ot  maintonant  attaquaient  lo  contro  russe,  pendant  que,  sur 
la  gauche ,  les  Anglais  abordaient  vigoureusement  lés  nombreux  retranche- 
ments qu'ils  avaient  devant  eux.  La  division  Bosquet,  dont  la  division  turque 
était  venue  prolonger  la  droite,  commença  alors  un  mouvement  oblique  à 
droite  pour  se  porter  sur  le  derrière  du  flanc  gauche  de  l'ennemi.  Elle  s'avança 
ainsi  avec  un  entrain  irrésistible  et  s'étendit  sur  le  plateau ,  où  quelques  in- 
stants auparavant  elle  avait  eu  tant  de  mal  à  prendre  pied.  Les  bataillons 
russes,  complètement  décimés,  se  retiraient  en  bon  ordre  sans  trop  de  préci- 
pitation vers  la  route  de  Sébastopol. 

La  victoire  était  décidée  sur  ce  point.  Il  n'en  était  pas  de  même  sur  la 
gauche,  où  les  Anglais,  arrêtés  par  une  artillerie  formidable,  avaient  échoué 
une  première  fois.  Mais  bientôt,  surmontant  tous  les  obstacles,  ils  apparurent 
à  leur  tour  sur  la  hauteur. 

Il  était  quatre  heures.  L'armée  russe,  en  pleine  retraite,  se  dirigeait  vers 
laKatcha;  mais  nos  troupes,  qui  n'avaient  pris  que  le  café,  étaient  exté- 
nuées; les  lancer  dans  une  poursuite  qui  promettait  d'être  des  plus  difliciles 
eût  été  leur  demander  un  effort  au-dessus  des  forces  humaines.  Les  divisions 
prirent  donc  leurs  bivouacs ,  chacune  s'établissant  sur  le  point  qu'elle  occu- 
pait sur  le  champ  de  bataille. 

Dans  la  lutte  sanglante  qui  venait  d'avoir  lieu ,  le  régiment  de  Tirailleurs 
avait  non  seulement  justifié  ce  qu'on  attendait  de  lui ,  mais  encore  fait  preuve 
des  qualités  les  plus  brillantes  qui  caractérisent  une  vieille  troupe ,  en  res- 
tant calme  et  impassible  au  point  le  plus  battu  par  l'artillerie  ennemie.  Ses 
pertes  s'étaient  élevées  à  trente-cinq  tués  ou  blessés.  Parmi  les  tués  se  trouvait 
on  officier,  M.  Lapeyre.  Le  détachement  de  Constantine  comptait  dans  ce 
chiffre  trois  tués  et  quatre  blessés.  La  plupart  des  blessures  étaient  d'une 
extrême  gravité,  et  presque  toutes  le  résultat  du  canon  russe. 

Les  journées  du  21  et  22  furent  consacrées  au  renouvellement  des  muni- 
tions, à  l'ensevelissement  des  morts  et  à  l'évacuation  des  blessés. 

Le  23,  l'armée  reprit  sa  marche  sur  Sébastopol.  A  dix  heures,  on  arriva 
sur  la  Katcha  ;  nulle  trace  de  l'ennemi  que  des  armes  brisées ,  des  casques 
abandonnés,  des  sacs  éventrés,  en  un  mot,  que  ces  épaves  que  laisse  toujours 
une  retraite  précipitée. 

Le  24,  on  se  porta  sur  le  Belbeck ,  petite  rivière  coulant  de  l'est  à  l'ouest , 
un  peu  au  nord  de  Sébastopol.  Eu  s'en  approchant,  on  commença  à  décou- 
vrir des  ouvrages  russes;  pour  les  éviter,  ou  dut  fortement  appuyer  sur  la 
gauche. 

Le  25,  il  fallut  encore  attendre  les  Anglais,  qui  n'étaient  jamais  prêts  à 
partir  ;  le  mouvement  ne  put  ainsi  commencer  qu'à  midi.  On  suivit ,  dans  la 
direction  sud -est,  un  chemin  de  traverse  qui  rejoignait,  à  la  ferme  de 
Mackenzie,  la  route  de  Baktchiaarai  à  Balaklava.  L'artillerie  et  le  convoi 
marchaient  sur  cette  étroite  chaussée,  l'infanterie  se  frayait  péniblement  un 
passage  à  travers  bois.  Hetardée  par  un  léger  engagement  que  les  Anglais 
eurent  avec  un  détachement  ennemi  se  rendant  de  Sébastopol  à  Baktchisarai, 
la  marche  dut  se  continuer  pendant  la  nuit.  Vers  onze  heures,  la  division 
Bosquet,  qui  formait  l'avant- garde  de  la  colonne  française,  déboucha  dans 


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[1854]  EN  GRIMÉE  107 

la  clairière  de  Mackenzie.  Les  Anglais  s*étant  arrêtés  là,  il  fallut  faire 
comme  eux;  au  milieu  de  robscurité  la  plus  profonde,  nos  soldats  s'entas- 
sèrent pêle-mêle  et  durent  s'endormir  sans  faire  la  soupe,  Peau  manquant 
absolument,  môme  pour  boire.  Aussi  ce  triste  bivouac  reçut- il  le  nom  de 
Camp  de  la  soif. 

Le  26,  on  pénétra  dans  la  riche  vallée  de  la  Tchernala.  Les  Anglais,  en 
avance  ce  jour-là ,  s'emparèrent  de  Balaklava.  Le  soir,  on  campa  sur  les  monts 
Fédioukhine,  collines  boisées  qui  s'élèvent  immédiatement  sur  la  rive  gauche 
de  la  Tchernala ,  au-dessus  du  pont  de  Traktir. 

Aidé  par  les  fatigues  des  jours  précédents,  le  choléra  avait  reparu  et  fait  de 
nouvelles  victimes.  Le  26,  l'armée  apprenait,  par  un  ordre  du  jour,  que  le 
roaréciial  de  Saint-Arnaud  était  lui-même  gravement  atteint,  et  que  le  com- 
mandement en  chef  passait  aux  mains  du  général  Canrobert. 

Le  27,  les  doux  premières  divisions,  sous  les  ordres  du  général  Bosquet, 
firent  une  reconnaissance  dans  la  direction  de  Sébastopol.  Le  lendemain,  l'ar- 
mée française  se  rapprocha  de  Balaklava  pour  se  ravitailler  au  moyen  de  la 
flotte.  Mais  ce  port,  assez  petit  d'ailleurs,  avait  été  complètement  accaparé 
par  les  Anglais.  11  fallut  en  chercher  un  autre,  qu'on  trouva  heureusement 
dans  la  l)aie  de  Kamiesch ,  où  nos  bâtiments  s'installèrent  aussitôt.  Cette  dé- 
couverte amena  naturellement  la  désignation  de  l'attaque  dont  chaque  armée 
serait  chargée  :  les  Anglais  eurent  celle  de  droite ,  les  Français  celle  de  gauche. 

Ces  dispositions  ayant  été  définitivement  arrêtées,  l'armée  française  fut  di- 
visée en  deux  corps,  l'un  de  siège,  l'autre  d'observation.  Le  premier  (3*  et 
4®  division]  fut  placé  sous  les  ordres  du  général  Forey  ;  le  second  (l*^  et  2*  di- 
vision) se  trouva  sous  le  commandement  du  général  Bosquet.  Dès  le  30  octobre, 
ce  dernier  corps  fut  établi  face  à  la  vallée  de  Balaklava,  sa  droite  en  arrière 
du  col  qui  conduit  à  cette  ville,  et  sa  gauche  en  arrière  du  télégraphe  de  la 
r6ute  de  Sébastopol  à  Balaklava.  Le  régiment  de  Tirailleurs  algériens,  qui 
n'avait  pas  cessé  de  faire  partie  de  la  brigade  d'Autemarre,  se  trouva  natu- 
rellement compris  dans  les  troupes  qui  le  composaient. 


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CHAPITRE  XI 


Sébastopol.  —  Ouverture  du  siège.  —  Travaux  préliminaires. 
Bataille  d'Iakermann. 


Lorsque  les  alliés  se  présentèrent  devant  Sébastopol,  les  Russes  avaient 
déjà  mis  à  profit  le  temps  qui  leur  avait  été  laissé.  Depuis  le  14  septembre, 
ils  n'avaient  pas  cessé  de  traTailler  nuit  et  jour  sous  l'habile  et  énergique  di- 
rection du  lieutenant-colonel  Todieben.  Les  fortifications  que  les  armées  fran- 
çaises et  anglaises  avaient  devant  elles  présentaient  deux  fronts  d'une  certaine 
étendue  :  le  front  de  la  ville  et  celui  de  Karabelnaïa.  Les  bastions  principaux 
de  ces  ouvrages  prirent  des  noms  particuliers,  qu'ils  conservèrent  pendant 
tout  le  siège.  Sur  le  front  de  la  ville  se  trouvaient,  en  partant  de  l'ouest,  le 
bastion  de  la  Quarantaine,  le  bastion  Central  et  le  bastion  du  Mât;  du  côté  de 
Karabelnaïa,  c'étaient  le  Grand-Redan ,  la  tour  Malakoff  et  le  Petit-Redan.  Les 
Français  devaient  concentrer  leurs  attaques  sur  le  bastion  du  Mât,  les  Anglais 
sur  le  Grand-Redan. 

Les  premiers  jours  d'octobre  furent  employés  à  des  reconnaissances.  Le  5, 
dans  l'après-midi,  les  Russes  firent  une  sortie  vers  la  gauche  de  la  ligne  des 
attaques  françaises.  Le  corps  d'observation  prit  les  armes,  mais  n'eut  cepen- 
dant pas  à  marcher. 

Le  6,  on  commença  les  lignes  de  contre vallation.  Le  7,  dans  la  matinée, 
une  Tive  canonnade  se  fit  entendre  dans  la  vallée  de  Balaklava.  C'était  l'artil- 
lerie anglaise,  qui  tirait  sur  une  reconnaissance  composée  de  cavalerie  et  d'ar- 
tillerie russes.  Les  troupes  du  corps  d'observation  prirent  encore  les  armes; 
mais,  pas  plus  que  le  5,  n'eurent  à  se  porter  en  avant. 

Dans  la  nuit  du  9  au  10,  le  corps  du  siège  ouvrit  la  première  tranchée.  Les 
jours  suivants  lurent  consacrés  à  la  construction  do  plusieurs  batteries,  et, 
le  17,  les  assiégeants  purent  ouvrir  le  feu.  Dès  le  début  de  la  canonnade ,  le 
général  Bosquet  fit  doubler  ses  grand'gardes  et  prendre  les  armes  aux  troupes 
restées  au  camp.  On  pensait  pouvoir  pénétrer  le  jour  mémo  dans  Sélmslopol. 
Au  lieu  de  cela,  les  batteries  françaises,  après  quatre  heures  de  combat, 
durent  se  taire  devant  la  supériorité  écrasante  du  feu  de  la  défense.  Seules, 
les  batteries  anglaises  conservèrent  un  certain  avantage.  Le  lendemain,  les 


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[1854]        LE  3"^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS   EN  CRIMÉE  109 

Russes  tentèrent  une  sortie;  mais  une  simple  démonstration  du  corps  d'obser- 
vation suffit  à  les  faire  rentrer  dans  la  place. 

Il  fallait  réparer  Téchec  que  notre  artillerie  Tenait  de  subir.  Les  travaux 
furent  repris  avec  une  nouvelle  activité ,  et,  le  19,  la  canonnade  recommença 
des  deux  côtés,  sans  cependant  que  les  batteries  françaises  parvinssent  encore 
à  prendre  la  supériorité.  Cette  résistance  démontra  que  Ton  n'aurait  raison  de 
Sébastopol  qu'on  passant  par  toutes  les  phases  d'un  siège  régulier. 

Dans  la  nuit  du  21  au  22  octobre,  on  commença  le  tracé  de  la  seconde  pa- 
rallèle à  quatre  cents  mètres  de  l'enceinte. 

De  leur  côté,  les  Russes  ne  s'endormaient  pas;  non  contents  de  nous  oppo- 
ser une  résistance  victorieuse  dans  Sébastopol,  ils  songèrent  bientôt  à  inquiéter 
les  travaux  des  assiégeants.  Le  25,  à  huit  heures  et  demie  du  matin,  au  mo- 
ment où  le  brouillard  commença  à  se  dissiper,  les  grand'gardes  aperçurent 
tout  à  coup  un  petit  corps  ennemi  se  dirigeant  vers  la  vallée  de  Balaklava. 
Déjà  le  canon  se  faisait  entendre  du  côté  des  Anglais.  Ces  derniers  étaient  aux 
prises  avec  des  masses  considérables  d'infanterie  et  de  cavalerie  russes;  à  la 
droite  de  leur  ligne,  trois  redoutes,  gardées  par  les  Turcs,  venaient  de  tomber 
au  pouvoir  de  l'assaillant.  Le  corps  d'observation  couronna  aussitôt  les  crêtes 
en  avant  do  son  front  et  attendit.  La  lutte  continuait  et  gagnait  jusqu'aux  en- 
virons do  Ualaklava;  elle  dura  jusqu'à  midi  et  demie.  A  ce  moment,  les  deux 
armées  ayant  pris  position,  elles  se  contentèrent  de  s'observer  réciproque- 
ment; l'artillerie  seule  continua  son  feu.  Voyant  enfin  que  toute  nouvelle  ten- 
tative de  leur  part  ne  pouvait  qu'échouer,  les  Russes  prirent  le  parti  de  se 
retirer. 

Dans  la  nuit  du  27  au  28,  les  troupes  furent  soudain  réveillées  par  une 
fusillade  et  une  canonnade  des  plus  vives  engagées  entre  la  place  et  les  batte- 
ries de  Balaklava.  On  prit  aussitôt  les  armes;  mais,  au  bout  d'un  instant,  on 
s'aperçut  que  ce  n*était  qu'une  alerte.  Revenues  de  leur  erreur,  les  divisions 
avaient  repris  leurs  emplacements  lorsque,  vers  quatre  heures  du  matin,  ce 
fut  le  tour  des  lignes  françaises  d'ouvrir  le  feu.  Cette  fois  on  percevait  distinc- 
tement, dans  toute  la  vallée,  le  bruit  confus  de  chevaux  lancés  au  galop.  Le 
jour  parut  heureusement,  et  l'aflaire  s'éclaircit  :  les  chevaux  étaient  sans  cava- 
liers; ils  appartenaient  à  des  dragons  et  à  des  lanciers  russes,  et  avaient  dû 
se  détacher  au  moment  de  la  première  panique. 

Le  29  et  le  30  se  passèrent  sans  incident.  Le  31 ,  à  onze  heures  et  demie 
du  soir,  le  feu  s'ouvrit  sur  toute  la  ligne  russe  sans  qu'on  sût  trop  pourquoi. 
Les  alliés  ne  répondant  point ,  au  bout  d'un  instant  le  calme  se  trouva  rétabli. 

Le  1^'  novembre,  les  Français  ouvraient  la  troisième  parallèle  à  cent  qua- 
rante mètres  du'bastion  du  Met.  Le  feu  reprit  contre  la  place,  et,  le  4,  dans 
un  conseil  de  guerre  tenu  par  les  généraux  en  chef  et  les  commandants  de 
l'artillerie  et  du  génie,  l'assaut  fut  décidé  pour  le  7. 

Cependant  la  ville,  en  continuelle  communication  avec  l'armée  du  prince 
MenschikoflT,  recevait  tous  les  secours  dont  elle  pouvait  avoir  besoin;  chaque  jour 
de  nouveaux  ouvrages  de  défense  étaient  opposés  aux  progrès  des  assaillants; 
chaque  nuit  les  batteries  qu'avait  endommagées  notre  tir  étaient  réparées  et 
mises  en  état  de  recommencer  le  combat.  Les  grands -ducs  Michel  et  Nicolas 


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110  LE  3*  BÉOIIIBNT  DE  TIRAILLEUH8  ALGÉRIENS  [1854] 

voaaiont  d'arriver,  ot  leur  présonco  était  un  stimulant  qui  décuplait  locouraga 
et  le  dévouement  des  assiégés. 

Le  5  novembre,  le  jour  se  leva  voilé  par  un  brouillard  intense  qui  couvrait 
toute  la  vallée  de  laTchemaîa.  Pendant  la  nuit,  on  avait  entendu  des  rumeurs 
confuses  venant  de  Sébastopol ,  des  sons  de  cloches,  des  aboiements  de  chiens, 
des  bruits  de  chariots,  des  cris,  des  chants;  mais  on  n'y  avait  pas  fait  at- 
tention. 

Tout  à  coup,  vers  six  heures  du  matin,  la  fusillade  éclata  vers  la  droite  de 
l'armée  anglaise,  et  presque  aussitôt  le  canon  lui-même  éleva  sa  forte  voix.  A 
ce  moment  le  brouillard  s'éclaircit  un  peu,  et  l'on  put  distinguer  trois  colonnes 
ennemies  se  dirigeant  vers  les  positions  de  nos  alliés  :  une  première  en  bce 
de  la  droite  du  corps  d'observation  de  ces  derniers,  une  deuxième  dans  la 
plaine  de  la  Tchemaia,  et  enfin  une  troisième  occupant  le  mamelon  et  la  plaine 
en  face  du  télégraphe. 

Surpris  par  des  forces  considérables ,  les  Anglais  se  défondirent  d'abord  avec 
une  rare  bravoure;  mais,  le  nombre  des  Russes  allant  toujours  croissant,  ils 
allaient  btalement  finir  par  succomber,  lorsque  le  général  Bosquet,  qui  dès 
la  première  alerte  avait  fait  prendre  les  armes  au  corps  d'observation  et  ap- 
puyer son  infanterie  vers  le  télégraphe,  leur  envoya  comme  renfort  un  ba- 
taillon de  zouaves,  quatre  compagnies  du  3^^  bataillon  de  chasseurs  à  pied  et 
le  2^  bataillon  de  Tirailleurs  algériens.  Le  général  d'Automarre  devait  suivre 
de  près  avec  un  second  bataillon  de  zouaves  et  deux  bataillons  du  S0<*  de  ligne. 
Le  l^'  bataillon  de  Tirailleurs  avait  été  détaché  à  la  redoute  Canrobert  pour 
observer  la  plaine,  où  le  général  Liprandi  commençait  une  démonstration  du 
côté  de  Balaklava. 

Il  n'était  pas  encore  dix  heures.  Déjà  le  général  Bourbaki ,  à  la  tète  du  6*  de 
ligne  et  du  7*  léger,  s'était  lancé  en  avant  et  avait  poussé  jusqu'à  la  batterie 
des  sacs  à  terre,  vis-à-vis  les  ruines  d'Inkermann.  A  l'arrivée  des  zouaves  et 
des  Tirailleurs,  la  charge  fut  renouvelée  et  menée  cette  fois  avec  un  élan  irrésis- 
tible jusqu'à  la  crête  dominant  le  ravin  de  la  route,  c  Montrez- vous,  enfants 
du  feul  »  avait  dit  en  arabe  et  d'une  voix  forte  le  général  Bosquet  au  bataillon 
Martineau-Deschenez.  On  cri  aigu,  plein  d'enthousiasme,  avait  répondu  à  ces 
magiques  paroles,  et,  conduit  par  le  colonel  de  Wimpfien,  le  bataillon  s'était 
précipité  à  la  baïonnette  dans  cette  furieuse  mêlée.  Ceux  qui  virent  ce  mouve- 
ment héroïque  poussèrent  des  cris  d'admiration,  a  Ce  sont  des  panthères  qui 
bondissent  dans  les  buissons,  »  dit  le  général  Bosquet,  on  les  suivant  d'un 
regard  plein  de  confiance.  Et  devant  les  prodiges  de  vaillance  qu'ils  accom- 
plissaient, les  Anglais  eux-mêmes  leur  criaient  de  loin  :  c  Bravo,  Algerianersl 
bravo I  bravo I  »  Quant  à  eux,  profitant  des  moindres  accidents  du  sol,  ils 
allaient,  se  rasant  dans  les  broussailles,  disparaissant,  reparaissant,  bondis- 
sant comme  des  bêtes  fauves,  surprenant  les  Russes  moins  alertes,  les  pour- 
suivant avec  une  inconcevable  fîiria,  et  poussant  cette  exclamation  sauvage 
que  les  Kabyles  avaient  tant  de  fois  entendue.  Rien  ne  put  leur  résister;  la 
batterie  des  sacs  à  terre  fut  reprise,  dépassée,  et  il  n'y  avait  pas  un  quart 
d'heure  qu'on  avait  donné  le  signal  de  Tattaque,  que  déjà  ils  atteignaient  le 
sommet  du  contrefort  au-dessus  du  ravin  des  carrières. 


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[1854]  EN  CRIMÉE  fli 

En  ordonnant  ce  mouyement  oflbnsif ,  le  général  Bosquet  arait  pensé  que 
les  Anglais,  qoi  araient  eu  le  temps  de  reprendre  haleine,  Tappuieraient  à 
gauche.  Il  i^^en  fut  point  ainsi,  et  l'infanterie  française  se  trouva  bientôt  dé- 
bordée, presque  enveloppée  par  les  Russes.  Ces  derniers,  à  qui  des  réserves 
venaient  d^arriver,  tentèrent  un  effort  désespéré  pour  nous  rejeter  sur  les  An- 
glais. Nos  bataillons,  pour  n*ôlrepas  coupés  du  gros  de  Tannée,  durent  alors 
se  replier.  Ils  opéraient  ce  mouvement  lentement,  en  continuant  de  faire  face  à 
l'ennemi  et  en  combattant  toujours,  lorsqu*arriva  le  général  d'Autemarre 
avec  trois  bataillons  de  sa  brigade.  A  ce  moment,  le  cri  de  :  En  aoant!  fut  de 
nouveau  répété  sur  toute  la  ligne,  et  Tirailleurs,  zouaves,  chasseurs  et  lignards 
se  précipitèrent  avec  une  vigueur  admirable  sur  les  masses  compactes  des  ré- 
giments d'Okhotsk,  d'Yakoutsk  et  de  Selenghinsk.  De  part  et  d'autre  la  lutte 
fut  opinifttre,  acharnée,  les  Russes  sentant  que  c'était  leur  dernière  chance, 
les  Français  qu'ils  tentaient  un  eflbrt  décisif.  Toujours  conduits  par  le  colonel 
de  Wimpffen ,  les  Tirailleurs  furent  de  nouveau  superbes  de  bravoure;  arrivés 
devant  une  redoute  qui,  dans  la  journée,  avait  été  prise  et  reprise  quatre  fois 
par  les  Russes  et  par  les  Anglais,  et  dans  laquelle  un  gros  d'ennemis  s'était 
solidement  retranché,  ils  n'hésitèrent  pas  à  donner  l'assaut.  Ils  parvinrent  d'a- 
bord jusqu'au  sommet  du  parapet,  où  le  sous -lieutenant  Mcynard  pion  ta  le 
drapeau  du  régiment;  mais,  accueillis  par  un  tir  à  mitraille,  fusillés  à  bout 
portant,  il  leur  fallut  se  replier  dans  le  fossé.  Lie  colonel  avait  eu  son  cheval 
tué  et  se  trouvait  à  pied  ;  il  rallia  les  compagnies,  s'élança  à  leur  tête  et  les  en- 
traîna une  deuxième  fois  contre  l'ouvrage  si  longtemps  disputé.  Cette  attaque 
devait  être  la  dernière  dont  il  allait  être  l'objet  ;  malgré  leur  courage,  les 
Russes  en  furent  chassés,  et  il  resta  définitivement  en  notre  pouvoir. 

La  victoire  était  désormais  assurée;  sur  tous  les  points  l'ennemi  se  retirait 
en  désordre,  sous  la  protection  du  régiment  de  Vladimir,  sa  dernière  réserve. 
Les  Tirailleurs  algériens,  les  chasseurs  à  pied  et  le  6*  de  ligne  continuaient, 
sous  les  ordres  du  général  Bourbaki,  à  les  poursuivre,  la  baïonnette  dans  les 
reins;  en  arrière,  le  général  d'Autemarre  venait  en  soutien  avec  quatre  ba- 
taillons; un  peu  plus  loin,  la  brigade  de  Monet  se  tenait  en  réserve.  Il  était 
alors  environ  onze  heures;  les  Russes  ne  combattaient  plus  que  pour  défendre 
le  peu  de  terrain  qui  leur  restait,  et  permettre  à  leur  nombreuse  artillerie  de 
s'ccoulcr;  mais  l'encombrement  était  partout,  et  la  confusion  augmentait  à 
chaque  pas.  Serré  de  près  par  les  zouaves  et  les  Tirailleurs,  le  régiment  do 
Selenghinsk  se  trouva  tout  à  coup  acculé  au  bord  de  l'escarpement  d'un  éperon 
du  mont  Sapoune,  situation  terrible  à  laquelle  il  ne  songea  même  pas  à  échap- 
per par  une  capitulation,  qui  restait  sa  seule  chance  de  salut.  L'élan  des  vain- 
queurs suivit  son  cours;  un  dernier  choc,  encore  plus  furieux  que  les  autres, 
eut  lieu  sur  cet  étroit  espace  limité  par  un  abîme,  et  les  vaincus,  précipités 
de  ces  hauteurs  abruptes,  roulèrent  pêle-mêle  au  fond  de  la  vallée,  qui  s'en- 
combra de  leurs  morts.  Les  Russes  ne  connurent  toute  l'étendue  de  cet  épou- 
vantable désastre  que  dix-sept  mois  plus  tard,  lorsque  la  paix  leur  permit  de 
recueillir  les  restes  glorieux  qui  gisaient  au  pied  de  la  fatale  muraille  rocheuse. 
Vers  trois  heures,  le  canon  cessa  de  se  faire  entendre  :  tout  était  terminé. 
Un  instant  après,  les  derniers  pelotons  russes  disparurent  dans  les  ravins 


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112  LE  3*  RÉOIIIBNT  DE  TIRAILLEURS  AL0ÉRIEN8BN  CRIIfÉB  (1854| 

du  cAlé  do  Sébastopol ,  et  lo  morno  silence  qui  succède  habilucUemcnt  à  ces 
yioleates  collisions  humaines  s'étendit  sur  tout  ce  plateau  de  Chersonèse,  dont 
la  possession  venait  de  nous  être  si  vigoureusement  disputée.  Apinq  heures, 
les  troupes  du  corps  d'observation  gagnaient  leurs  bivouacs  respectifs. 

Dans  la  lutte  sanglante  qui  venait  d'avoir  lieu,  les  Tirailleurs  s'étaient  cou- 
verts de  gloire  et  avaient  mérité  tous  les  éloges  du  général  Bosquet.  Hais 
cette  gloire  avait  été  chèrement  achetée  :  pour  le  seul  bataillon  qui  avait  été 
engagé,  il  y  avait  six  officiers  et  cent  quarante-quatre  hommes  hors  de  combat. 
Parmi  les  ofliciors,  deux  étaient  tués  :  HH.  Alimod-bcULaibi,  lieutenant  au 
détachement  de  Constantine,  et  Hohamed-Zerfaoui,  de  celui  d'Oran;  quatre 
étaient  blessés  :  MM.  Schweimberg,  capitaine;  Loyer  et  Véran,  sous-lieute- 
nants français,  et  Saïd-ben-Ali,  sous-lieutenant  indigène.  Dans  ces  derniers, 
le  détachement  de  Constantine  comptait  encore  MM.  Schweimberg  et  Véran; 
pour  les  hommes,  ses  pertes  s'élevaient  à  trois  tués  et  vingt-sept  blessés.  Si 
Ton  veut  bien  se  rappeler  que  ce  détachement  avait  été  réparti  entre  les  deux 
bataillons  du  régiment,  et  que  l'effectif  qu'il  possédait  dans  celui  qui  venait 
de  combattre  ne  dépassait  pas  deux  cents  hommes,  on  trouvera  que  la  pro- 
portion, en  oflBciers  surtout,  était  considérable. 

Les  pertes  totales  des  Français  et  des  Anglais  s'élevaient  à  quatre  mille  trois 
cent  vingt  hommes.  Quoique  sensibles,  elles  restaient  cependant  bien  au-des- 
sous de  celles  de  l'ennemi  :  ce  dernier  avait  eu  le  chiffre  inorme  de  onse  mille 
sept  cent  cinquante-neuf  hommes  hors  de  combat. 

Nous  avons  dit  que  le  1^  bataillon  de  Tirailleurs  avait  été  détaché  à  la  re- 
doute Canrobert.  Sur  ce  point,  tout  s'était  borné  à  un  service  d'observation, 
la  colonne  du  général  Liprandi  n'ayant  pas  attaqué. 

Dans  l'ordre  de  l'armée  qui  porta  à  la  connaissance  des  troupes  et  du  pays 
le  résultat  de  cette  belle  victoire,  le  régiment  de  Tirailleurs  algériens  fut  cité 
pour  sa  brillante  conduite  et  la  part  importante  qu'il  avait  prise  à  l'action. 

Les  jours  suivants,  les  soins  pieux  qui  incombent  généralement  au  posses- 
seur du  champ  de  bataille  furent  religieusement  rendus  aux  morts  et  aux 
blessés  amis  et  ennemis. 


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CHAPITRE  XII 


Hcpriso  dn  siftpc.  —  NoiivpIIp»  rUspositions.  —  Tempôto  da  14  novembre.  —  Création 
d'un  corps  d*éclaircurs  volontaires.  •— Reconnaissances  exécutées  par  les  Tirailleurs.-* 
Hiver  de  1854-4855;  suspension  des  travaux  &  cause  du  froid.  —  Ouragan  du  19  fé- 
vrier 1855.  —  Combats  d'embuscades.  —  Le  colonel  Rose  remplace  le  colonel  de 
Wimpffen  nommé  général.  —  Sortie  du  22  au  23  mars.  —  Continuation  des  travaux. 


Bien  que  les  armées  alliées  eussent  été  victorieuses  le  5  novembre,  il  ne 
fallait  plus  compter  donner  Tassant  le  7  ;  non  seulement  les  troupes  avaient 
besoin  de  repos,  mais  il  ressortait  maintenant  que  la  préparation  était  insuf- 
fisante, et  les  événements  qui  venaient  d*avoir  lieu  démontraient  que  plus 
que  jamais  il  ne  fallait  rien  laisser  au  hasard.  Dans  un  conseil  de  guerre,  tenu 
le  6  chez  lord  Raglan,  il  fut  décidé,  à  Tunanimité,  que  cet  assaut  serait 
ajourné  ju8qu*à  l'arrivée  des  renforts  qu'on  attendait.  On  résolut  de  se  re- 
trancher plus  solidement  dans  les  positions  défensives  que  Ton  avait  choisies, 
de  développer  et  de  fortifier  les  parties  faibles  de  la  ligne  de  contrevallation, 
et  d'élever  de  nouvelles  batteries. 

Les  renforts  dont  il  était  question  ne  tardèrent  pas  à  arriver  au  régiment 
de  Tirailleurs;  des  hommes  pris  dans  les  bataillons  des  trois  provinces  furent 
embarqués  à  Alger  dans  le  courant  du  mois,  et  bientôt  disparurent  les  vides 
causés  par  le  feu  de  l'ennemi ,  les  fatigues  et  les  maladies. 

Le  14  novembre,  avant  le  jour,  un  épouvantable  cyclone  s'abattit  sur  la 
Crimée.  Rien  ne  peut  décrire  la  violence  extrême  de  cet  ouragan ,  contre  la 
puissance  duquel  aucune  construction  ne  résista.  Les  baraquements  furent 
renversés,  les  tentes  arrachées  et  emportées  dans  l'espace,  les  ambulances 
menacées  d'une  eiftiëre  destruction,  les  malades  et  les  blessés  exposés  aux 
battements  de  la  pluie  qui  tombait  à  torrents.  Sans  le  dévouement  de  leurs 
camarades,  ces  derniers  eussent  péri.  Tant  sur  terre  que  sur  mer  les  dégâts 
furent  immenses.  Les  assiégés  eurent  également  fort  à  souffrir ,  et  les  jour* 
nées  qui  suivirent  durent  être  de  part  et  d'autre  employées  à  réparer  le  mal 
fait  par  la  tempête. 

Le  reste  du  mois  de  novembre  se  passa  ainsi  à  la  continuation  des  travaux, 
sans  que  rien  vînt  interrompre  les  travailleurs  anglais  et  français.  Cependant 

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1U  LB  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1884] 

l'hiver  approchait;  la  tompératuro  n'était  point  basse  encore,  mais  la  pluie 
amenait  une  fraîcheur  humide  des  plus  malsaines  et  des  plus  désagréables. 

Décembre  arriva  sans  apporter  un  changement  notable  dans  l'état  général 
des  choses  ;  il  s'écoula  sans  que  le  corps  d*observation  eût  à  livrer  un  seul 
combat.  Ce  n'est  pas  que  la  vigilance  de  la  défense  eût  cessé,  au  contraire; 
mais  tout  se  passait  avec  le  corps  de  siège.  Depuis  Inkermann ,  les  Russes 
paraissaient  avoir  renoncé  aux  grandes  sorties. 

Pour  combattre  les  menaces  perpétuelles  de  l'ennemi  contre  nos  tranchées, 
le  général  on  chef  résolut  do  créer  un  corps  d'édaireurs  volontaires.  11  fut 
demandé  des  hommes  de  bonne  volonté  dans  tous  les  corps,  et  cette  organi- 
sation eut  lieu  le  17  décembre.  Trois  compagnies  furent  formées ,  et  chaque 
compagnie  fut  divisée  en  trente  brigades  de  cinq  hommes.  Ces  brigades  de- 
vaient être  détachées  entre  nos  travaux  et.Sébastopol,  pour  observer  tous 
les  mouvements  des  Russes. 

Aucune  troupe  n'était  mieux  propre  que  les  Tirailleurs  algériens  à  ce  ser- 
vice, qui  demandait  à  la  fois  de  Taudace,  de  la  prudence  et  de  TagiUté. 
Aussi,  parmi  les  nombreuses  demandes  qui  furent  faites,  une  certaine  pré- 
férence fut-elle  accordée  aux  militaires  du  régiment;  environ  cinquanted'entre 
eux  et  M.  le  lieutenant  Chazote  furent  détachés  dans  ce  corps  provisoire,  dont 
les  opérations  commencèrent  aussitôt.  Plusieurs  actes  d'une  incroyable  témé- 
rité signalèrent  bientôt  les  éclaireurs  volontaires,  et,  plusieurs  fuis  dans  le 
courant  du  siège,  le  général  Forey  leur  rendit  un  glorieux  téinoignugo.  Dans 
une  rencontre  qui  eut  lieu  le  lU  décembre,  le  lieutenant  Chaxute  ayant  été 
blessé,  ce  fut  le  lieutenant  Munier  qui  le  remplaça. 

Vers  la  même  époque ,  le  général  Bosquet,  qui  connaissait  à  merveille  les 
Tirailleurs  algériens ,  pour  avoir  été  pendant  quelques  années  le  chef  du  ba- 
taillon d'Oran  ,  les  employa  spécialement  à  un  service  tenant  un  peu  de  celui 
des  éclaireurs  volontaires,  mais  devant  s'effectuer  dans  un  rayon  beaucoup 
plus  étendu.  Des  batteries  servies  par  les  Turcs  couvraient  les  positions  do- 
minant la  vallée,  en  arrière  des  grand'gardes  du  corps  d'observation;  depuis 
quelque  temps  des  éclaireurs  russes  venaient  chaque  nuit  y  jeter  le  trouble, 
et  tenter  de  surprendre  les  grand'gardes  établies  en  avant  :  do  là  des  alertes, 
la  plupart  sans  motif,  à  peu  près  toutes  sans  résultat,  car,  dès  que  des 
renforts  arrivaient  aux  avant-postes,  les  Russes  se  retiraient.  Massés  en 
arrière  des  grand'gardes,  les  bataillons  attendaient  alors  le  jour,  ayant  le 
plus  souvent  à  supporter  un  froid  glacial,  ou  la  pluie,  ou  la  neige,  et  ren- 
traient accablés  de  lassitude.  Il  n'y  avait  qu'une  façon  de  faire  cesser  cet 
état  de  choses  :  c'était  d'employer  contre  l'ennemi  les  mêmes  moyens  dont  il 
se  servait  pour  nous  harceler.  Mais  pour  cela  il  fallait  des  hommes  hardis, 
entreprenants,  méprisant  le  danger,  capables  d'exécuter  des  marches  ra- 
pides, de  supporter  les  plus  dures  fatigues,  en  un  mot  d'être  toujours  prêts 
à  partir,  quelle  que  fût  l'heure  du  jour  ou  de  la  nuit,  sur  un  bruit,  un 
indice,  un  rfen. 

Habitués  comme  ils  l'étaient  à  cette  activité  permanente ,  à  ces  opérations 
individuelles  où  leur  instinct  les  servait  admirablement,  les  Tirailleurs  étaient 
tout  désignés  pour  ce  genre  de  mission.  Us  acceptèrent  avec  enthousiasme  le 


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Ii85.*(]  EN  CRIMÉE  |18 

périlleux  honneur  qui  leur  était  olfert,  et  ne  tardèrent  pas  à  justifier  la  con- 
fiance qu'on  avait  bien  voulu  mettre  dans  leur  valeur.  Un  détachement  de 
vingt  hommes ,  sous  les  ordres  du  lieutenant  Messaoud-ben-Mohamed ,  exécuta 
une  première  sortie,  qui  fut  poussée  jusqu'au  camp  de  la  Soif  (ferme  Mac- 
kenzie).  L'ennemi  ne  fut  rencontré  nulle  part,  et  ces  hommes  rentrèrent 
sans  avoir  tiré  un  coup  do  fusil.  Quelques  jours  après,  un  autredétachement, 
conduit  par  le  lieutenant  Omar-ben-Âhmed-Tounci,  parvint  assez  près  des 
avant-postes  russes  pour  donner  Téveil  à  toute  une  partie  du  camp  ennemi. 
Toute  la  nuit  celui-ci  fut  en  alerte ,  croyant  à  une  tentative  beaucoup  plus 
sérieuse  de  la  part  des  assiégeants.  Enfin  une  troisième  sortie  fut  faite  par 
le  colonel  de  Wimpiïen  en  personne ,  accompagné  du  lieutenant  de  Lam- 
mcrz  et  de  huit  sapeurs.  Profitant  d'une  nuit  dos  plus  sombres ,  cette  petite 
troupe  s'avança  jusqu'au  bord  du  lac  de  la  Tchernaîa,  et  fit  feu  sur  un  poste 
de  cosaques.  Ce  dernier ,  croyant  à  une  puissante  agression ,  se  retira  sur  le 
camp  en  poussant  des  cris  d'alarme.  L'émoi  fut  bientôt  général  ;  le  canon  se 
mit  &  tonner,  la  fusillade  éclata  sur  tous  les  points,  et  pendant  une  demi- 
heure  une  grêle  de  projectiles  vint  sillonner  le  vide. 

En  apprenant  ce  résultat,  le  général  Bosquet  ordonna  pour  le  lendemain, 
à  la  nuit  tombante ,  une  reconnaissance  de  trois  compagnies  sur  le  même 
point.  On  y  trouva  encore  le  poste  de  cosaques,  mais  sérieusement  renforcé. 
Cette  fois  il  essaya  de  résister;  mais  après  un  court  engagement,  pendant 
lequel  la  lueur  des  coups  de  feu  indiquait  seule  la  position  des  combattants, 
il  battit  en  retraite,  laissant  itrois  prisonniers  blessés  entre  nos  mains.  L'en- 
nemi, effrayé,  resta  sous  les  armes  pendant  toute  la'nuit;  le  but  poursuivi  était 
atteint.  De  ce  moment  les  édaireurs  russes  cessèrent  tout  à  fait  d'inquiéter 
nos  avant- postes. 

lio!M  d(V.oinhro,  toutes  les  troupes  do  l'armée  françaiso  furent  passées  on 
revue  par  le  général  on  chef,  qui  leur  distribua  les  récompenses  méritées  par 
les  hauts  faits  qui  venaient  de  marquer  la  première  partie  de  la  campagne. 
Dans  les  promotions  qui  eurent  lieu  à  cette  occasion,  les  deux  chefs  de  ba- 
taillon du  régiment,  MM.  de  Maussion  et  Martineau-Deschenez,'  furent 
nommés  lieutenants -colonels.  Ils  furent  remplacés  au  corps  par  MM.  Gibonet 
Castex ,  qui  tous  les  deux  étaient  passés  par  le  bataillon  d'Alger.   ' 

Cependant  l'année  1854  venait  de  s'écouler  sans  avoir  vu  les  drapeaux 
alliés  flotter  sur  Sébastopol;  la  place  semblait,  au  contraire,  devenir  de  plus 
en  plus  inexpugnable,  et  il  eût  été  bien  difficile  encore  de  fixer  le  jour  où  nos 
colonnes  victorieuses  devaient  pénétrer  dans  son  enceinte.  Ce  siège,  qu'on 
avait  d'abord,  du  côté  des  assaillants ,  considéré  comme  une  opération  préli- 
minaire, devant  servir  de  point  de  départ  à  un  programme  beaucoup  plus 
élcndu,  était  inRcnsibIcmcnt  devenu  l'événement  capital  de  l'expédition  ; 
commencé  avec  ciuquanle  mille  hommes,  il  se  poursuivait  maintenant  avec 
cent  mil^e,  et  ce  nombre  allait  encore  s'augmenter  de  nouveaux  renforts.  En 
môme  temps  qu'ils  devaient  peu  à  peu,  et  les  unes  après  les  autres,  voir 
s'user  derrière  eux  les  forces  colossales  de  la  Russie ,  pendant  onze  mois  ces 
remparts  allaient  être  une  barrière  assez  puissante  pour  arrêter  le  flot  impé* 
tueux  de  deux  des  plus  belles  aripées  de  l'Europe. 


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lie  LE  3^  RÊOIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1855] 

Le  mauvais  tomps  était  arrivé;  aux  pluies  torrentielles  avaient  maintenant 
succédé  la  neige,  la  gelée,  les  bourrasques  glaciales,  les  coups  de  vent,  qui 
sur  ce  plateau  découvert  étaient  souvent  d'une  violence  redoutable.  Pendant 
la  première  quinzaine  de  janvier,  les  travaux  durent  être  interrompus.  Les 
Tirailleurs  algériens,  peu  habitués  &  cette  température  rigoureuse,  furent  de 
ceux  qui  en  eurent  le  plus  à  souffrir;  dès  les  premiers  jours ,  les  cas  de  con- 
gélation devinrent  fréquents,  et  atteignirent  parfois  à  une  extrême  gravité  : 
plusieurs  furent  suivis  de  mort ,  la  plupart  de  mutilations  douloureuses.  De- 
vant cette  terrible  épreuve,  les  Tirailleurs  surent  rester  calmes,  résignés, 
dévoués  à  leurs  chefs  et  prêts  à  prodiguer  leur  vie  au  premier  signal. 

Vers  le  20  janvier ,  deux  compagnies  furent  détachées  pour  travailler  à  la 
route  de  Kamiesch.  Ces  deux  compagnies  rentrèrent  au  corps  le  2  février. 

Le  9  février,  parut  un  ordre  général ,  divisant  l'armée  en  deux  corps  de 
quatre  divisions  chacune,  plus  une  réserve  comprenant  une  division  d'infan- 
terie, une  brigade  de  la  garde,  une  division  de  cavalerie,  et  les  batteries 
à  cheval  de  l'artillerie.  Le  commandement  du  1*^  corps  fut  confié  au  gé- 
néral Pélissier,  celui  du  second  au  général  Bosquet;  l'ancienne  deuxième 
division  conserva  son  numéro,  et  fut  comprise  dans  le  deuxième  corps  : 
seulement,  le  général  Bosquet  cessa  d'en  avoir  le  commandement.  Celui-ci 
passa  aux  mains  du  général  Camou^  En  attendant  l'arrivée  de  ce  dernier, 
qui  se  trouvait  encore  en  Algérie,  le  général  d'Âutemarre  l'exerça  provisoire- 
ment. 

Sans  cesser  d'être  chargé  du  service  d'observation ,  le  corps  du  général 
Bosquet  allait  avoir  un  nouveau  rôle  à  remplir  :  c*était  à  lui  qu'incombait' 
l'attaque  contre  la  tour  Malakoff ,  qui  venait  d'être  décidée  par  les  chefs  du 
génie  des  deux  armées.  De  ce  jour,  les  Tirailleurs  allaient  prendre  part  à  tous 
les  travaux  et  s'initier  à  la  vie  des  tranchées;  mais,  plus  propres  aux  expé- 
ditions aventureuses,  on  devait  les  retrouver  chaque  fois  qu'un  coup  de  main 
allait  être  tenté  sur  un  point  quelconque  des  positions  ennemies. 

Prévenu  de  la  présence  de  sept  à  huit  mille  Russes  ù  Tchorgouuo,  sur  la 
rive  droite  de  la  Tchernaîa ,  le  général  Canrobert  avait  résolu  de  les  surprendre 
et  de  les  enlever,  au  moyen  d'une  attaque  de  nuit.  Une  colonne,  comprenant 
la  division  Bouat,  la  brigade  d'Âutemarre,  deux  autres  bataillons  français, 
deux  bataillons  turcs,  la  cavalerie  du  général  d'Âllon ville  et  quatre  batteries 
d*artillerie,  fut  subitement  organisée  le  19  février  au  soir,  et  placée  sous  la 
direction  du  général  Bosquet.  Le  mouvement  commença  à  minuit ,  favorisé 
par  la  plus  profonde  obscurité;  soudain  un  épouvantable  chasse- neige, 
venu  du  nord,  s'abattit  sur  les  têtes  de  colonne  et  les  arrêta  court.  Rejetés  les 
uns  sur  les  autres  par  la  force  de  la  tourmente,  les  hommes  rompirent  les 
rangs  et  se  dispersèrent,  essayant  de  fuir  l'ouragan.  L'ordre  de  rentrer  fut 
aussitôt  donné,  mais,  n'ayant  pu  être  transmis  à  toutes  les  fractions,  pendant 
une  partie  de  la  nuit  des  groupes  égarés  errèrent  çà  et  là,  à  l'aventure, 
cherchant  le  camp,  qui  lui-même  avait  pour  ainsi  dire  disparu  enseveli  sous 
la  .neige.  Le  régiment  s'était  trouvé  tout  entier  enveloppé  par  ce  violent  tour- 
billon; grâce  à  la  merveilleuse  sagacité  des  Tirailleurs,  il  s'en  tira  facilement; 
et  n'auraient  été  quelques  congélations,  qui  résultèrent  du  froid  excessif  au- 


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[1885]  EN  CRIMÉE  117 

quel  atteignit  la  température  dans  cette  nuit,  cette  malheureuse  expédition 
n*eût  entraîné  aucun  accident  grave  pour  lui. 

Un  ordre  du  22  février  organisa  d'une  façon  définitive  le  service  de  tran- 
chée à  l'attaque  de  la  tour  Maiakoff.  D'après  cet  ordre,  un  bataillon  de  la 
deuxième  division,  do  cinq  cents  hommes  au  minimum,  devait  chaque  jour 
être  do  garde  de  tranchée,  sous  les  ordres  d*un  colonel  de  tranchée.  Cette 
répartition  n'appelait  le  régiment  à  fournir  cette  garde  qu'environ  tous  les 
douze  jours. 

Dans  la  nuit  du  23  au  24  février,  eut  lieu  une  attaque  vigoureuse  contre 
les  travaux  de  contre -approche  des  Russes  à  la  tour  MalakoflT,  travaux  ap- 
pelés depuis  owrages  blancs.  Cette  attaque  échoua.  Les  Tirailleurs  n'y  prirent 
point  part. 

Le  25,  le  général  Camou,  qui  venait  d'arriver,  prit  le  commandement  de 
la  division. 

Le  3  mars,  le  l*'  bataillon  du  régiment,  étant  de  garde  à  la  tranchée, 
y  eut  un  officier  grièvement  blessé,  M.  le  lieutenant  Kaddour-Toubar,  du  ba- 
taillon d'Oran. 

Pendant  ce  temps,  les  éclaireurs  volontaires  fournis  par  le  corps  conti- 
nuaient vaillamment  leur  périlleux  service.  liO  S  mars,  à  la  suite  d'un  auda- 
cieux coup  de  main ,  le  capitaine  Municr  et  le  sergent  Mohamed-bel-IIadj , 
appartenant  tous  les  deux  bu  détachement  de  Constanline,  furent  cités  à 
l'ordre  de  l'armée. 

A  partir  du  12  mars,  en  raison  de  l'ouverture  d'une  nouvelle  branche  de 
parallèle,  la  division  dut  fournir,  en  sus  du  bataillon  de  garde  de  tranchée, 
deux  bataillons  supplémentaires  pris  dans  le  3*  zouaves  et  les  Tirailleurs  algé- 
riens. Ces  bataillons  devaient  se  porter  &  la  redoute  Victoria  à  la  nuit  tom- 
bante f  de  façon  à  se  défiler  des  vues  de  l'ennemi ,  et ,  pendant  les  vingt^quatre 
heures,  assurer  le  service  de  surveillance  sur  ce  point. 

En  présence  des  rapides  progrès  que  faisait  notre  attaque  contre  Maiakoff, 
l'ennemi  résolut  de  nous  harceler  toutes  les  nuits  par  des  embuscades,  de 
manière  &  fatiguer  les  gardes  de  tranchée  et  &  interrompre  les  trà  railleurs. 
Bientôt,  grâce  &  cette  tactique,  chaque  nuit  fut  marquée  par  un  ou  plusieurs 
petits  combats.  Dans  celle  du  14  au  15,  nos  troupes  attaquèrent  les  embus- 
cades les  plus  avancées,  et,  après  une  lutte  des  plus  acharnées,  parvinrent 
à  s'en  emparer.  Le  colonel  Frossard ,  du  génie,  mit  aussitôt  ses  travailleurs 
à  l'œuvre  sur  le  terrain  conquis;  mais,  des  renforts  étant  arrivés  aux  Russes, 
les  Français  allaient  être  ramenés  en  arrière,  lorsque  le  commandant  Gibon 
parut  à  la  tête  des-trois  compagnies  du  2*  bataillon.  Chargeant  aussitôt  l'en- 
nemi à  la  baïonnette,  ce  bataillon  le  poursuivit  jusque  dans  ses  retranche- 
ments en  lui  infligeant  des  pertes  considérables. 

Dans  l'ordre  général  du  19  mars,  le  régiment  de  Tirailleurs  algériens  était 
cité  «  pour  Taudace  avec  laquelle  trois  compagnies  s'étaient  jetées  sur  une 
masse  d'infanterie  russe,  l'avait  mise  en  déroute  et  refoulée  dans  la  place». 

La  nuit  suivante,  cinq  autres  embuscades  furent  enlevées.  Ce  fut,  cette 
fois,  le  commandant  Castex,  avec  deux  compagnies  du  1^  bataillon,  qui  prit 
part  à  cet  audacieux  coup  de  main. 


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118  LE  3*  RÉGIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1855] 

Dans  ces  divers  engagements,  les  Tirailleurs  do  Constanlinc  avaient  eu  six 
hommes  blessés. 

Le  17  mars,  le  colonel  de  Wimpffen  Ait  promu  au  grade  de  général,  et 
remplaça,  à  la  tête  de  la  première  brigade  de  la  deuxième  division ,  le  général 
d'Âutemarre,  nommé  divisionnaire.  Les  Tirailleurs  algériens  continuèrent  ainsi 
à  rester  sous  ses  ordres.  Le  colonel  Rose  lui  succéda  à  la  tête  du  régiment. 
Ce  nouveau  chef  avait  appartenu  autrefois  au  bataillon  de  Constantino  comme 
capitaine,  et  à  celui  d*Âlger  comme  chef  de  bataillon.  Il  arrivait  donc  avec 
une  parfaite  expérience  du  commandement  qu'il  allait  exercer. 

En  focede  l'attaque  de  Malakoff,  et  à  cinq  cent  cinquante  mètres  à  l'est  de 
la  tour  qui  avait  donné  son  nom  à  cette  partie  des  défenses  de  la  ville,  se 
trouvait  une  hauteur  assez  élevée,  de  la  possession  de  laquelle  dépendait  le 
succès  de  cette  attaque;  c*était  le  Mamelon -Vert.  Dn  coup  de  main  se  pré- 
parait déjà  contre  cette  position  qui,  pour  le  moment,  n'était  occupée  que 
par  un  faible  poste  ennemi,  lorsque,  dans  la  nuit  du  10  au  11  mars,  les 
Russes  nous  y  devancèrent  subitement  et  y  construisirent  un  important  ou- 
vrage, qui  fut  armé  de  dix  pièces  de  24,  et  prit  le  nom  de  lunette  Kamtchatka. 
Une  fois  solidement  établis  sur  ce  point,  ces  derniers  résolurent  de  profiter 
des  moyens  oflensifs  que  leur  donnait  leur  nouveau  retranchement  pour 
tenter,  à  la  bveur  de  la  nuit,  une  surprise  contre  les  attaques  françaises  de 
Victoria.  Toute  la  journée  du  22  fut  employée,  du  c6té  de  l'ennemi,  aux  pré- 
paratib  de  cette  entreprise.  Le  soir  venu,  la  sortie  eut  lieu ,  mais  elle  échoua 
complètement,  grSce  à  la  ténacité  des  gardes  de  tranchée,  comprenant,  cette 
nuit-là,  un  bataillon  du  82«,  un  demi-bataillon  du  4*  chasseurs  à  pied,  le 
deuxième  bataillon  du  3*  xouaves  et  on  bataillon  du  86*.  Le  combat  dura  plu- 
sieurs heures,  et  sur  quelques  points,  particulièrement  au  chemin  de  gauche, 
atteignit  à  un  extrême  acharnement. 

Dès  la  première  alerte,  toute  la  division  Camou  avait  pris  les  armes  et 
s'était  portée  en  soutien  des  gardes  attaquées  ;  elle  y  resta  jusqu'au  lende- 
main. Au  point  du  jour,  le  deuxième  bataillon  de  Tirailleurs,  sous  les  ordres 
du  commandant  Gibon ,  emporta  de  vive  force  plusieurs  embuscades  russes; 
mais  bientôt  il  se  trouva  aux  prises  avec  des  forces  par  trop  supérieures,  et  il 
lui  fdlut  rétrograder.  Cependant  il  accomplit  son  mouvement  de  retraite  avec 
tant  d'ordre  et  de  sang-froid,  que  l'emaemi  n'osa  pas  le  poursuivre.  Les  pertes 
avaient  été  de  trois  officiers  blessés,  dont  aucun  n'appartenait  au  bataillon  de 
Constantine,  et  d'un  certain  nombre  d'hommes  hors  de  combat,  parmi  les- 
quels le  sergent-major  Gély  et  trois  Tirailleurs  blessés  faisant  partie  de  ce  dé- 
tachement 

.  Le  29  mars,  un  ordre  dn  général  en  chef  prononçait  le  passage  au  régi- 
ment de  Tirailleurs  algériens  de  quinxe  caporaux  pris  dans  les  autres  régi- 
ment du  2*  corps.  Ces  mutations  avaient  pour  but  de  reconstituer  les  cadres 
français ,  que  les  maladies  avaient  plus  particulièrement  décimés. 

Le  9  avril,  cinq  cent  vingt  pièces  alliées  furent  soudain  démasquées  et  ou- 
vrirent le  feu  contre  la  place;  neuf  cent  dix  canons  russes  répondirent,  et, 
pendant  plus  de  ringt-quatre  heures,  le  plateau  de  Chersonèse  fut  transformé 
en  un  véritable  volcan.  Ce  même  jour,  le  commandant  Castex  eut  le  poignet 


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[18S8]  EN  CRIMÉE  119 

droit  enlevé  par  un  boulet  au  moment  où  il  se  rendait  à  la  tranchée  à  la  tête 
de  son  bataillon. 

Le  lendemain,  le  feu  continua,  mais  avec  moins  d'intensité;  le  11,  il  cessa 
tout  à  fait.  Ce  jour-l&,  le  régiment  eut  encore  un  officier  blessé,  M.  Gély,  sous* 
lieutenant. 

Depuis  Touverture  des  tranchées  de  Tattaquo  MalakolT,  il  ne  se  passait  pas 
un  jour  que  le  corps  n'eût  un  certain  nombre  d'hommes  atteints  par  le  feu  de 
Tennemi ,  pas  une  nuit  où  il  n'y  eût  un  engagement  plus  ou  moins  important 
sur  un  point  quelconque  de  cette  attaque.  C'était  une  continuelle  guerre  d'em- 
buscades, où  l'on  voyait  alternativement  l'assiégeant  et  l'assiégé  se  causer  des 
surprises,  se  tendre  des  embûches,  se  traquer  dans  des  opérations  de  détail. 
Mais  cetle  lutte  sourde  allait  bientôt  prendre  fin  ;  les  événements  allaient  gran- 
dir, et  les  Tirailleurs  algériens  rentrer  dans  un  rôle  plus  fait  pour  mettre  en 
relief  leur  admirable  bravoure  et  leur  incomparable  élan. 


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CHAPITRE  XIII 


Le  général  Pélissier  prend  le  commandement  de  l'armée.  —  Attaque  du  Mamelon-Vert. 
—  Assaut  du  18  Juin.  —  Bataille  de  Traktir. 


Le  16  mai,  lo  général  Canrobert  donnait  sa  démission,  et  demandait  à  être 
replacé  dans  le  commandement  de  son  ancienne  division ,  la  l**  du  2*  corps.  Le 
général  Pélissier,  désigné  d'avance  pour  le  remplacer  en  cas  d'événement  im- 
prévu ,  fut  aussitôt  confirmé  dans  les  importantes  fonctions  de  commandant  do 
l'armée,  qui  passèrent  effectivement  dans  ses  mains  deux  jours  après,  le  18  mai. 

Le  premier  acte  du  général  en  chef  fut  une  nouvelle  répartition  des  troupes, 
qui  divisa  celles-ci  en  trois  corps.  Dn  ordre  du  20  mai  organisait  ainsi  les 
forces  devant  Sébastopol  :  premier  corps  (cinq  divisions,  dont  une  do  cavale- 
rie), général  de  Salles;  dcuxièuio  corps  (six  divisions,  dont  une  do  cavalerie), 
général  Bosquet;  corps  de  réserve  (trois  divisions  d'infanterie  et  une  brigade 
do  cavalerie) ,  général  llegnaud  de  Saint- Jean-d'Angély.  La  division  Camou 
resta  2*  du  2*  corps  et  continua  &  être  employée  &  l'attaque  Halakoff. 

Le  26  mai,  le  lieutenant-colonel  Lévy  fut  nommé  colonel ,  et  remplacé  au 
corps  par  le  lieutenant-colonel  Roques. 

Le  général  Pélissier  était  arrivé  au  commandement  avec  une  opinion  toute 
faite  sur  la  situation ,  et  un  plan  tout  tracé  quant  à  la  marche  à  donner  aux  fu- 
tures opérations.  Pour  lui  le  succès  dépendait  de  la  prise  de  Halakoff;  il  pensait 
avec  raison  que,  le  jour  où  nous  serions  maîtres  de  ce  point  de  Tenceinte, 
l'ennemi,  voyant  ses  autres  défenses  complètement  dominées,  ne  se  soucierait 
pas  d'affronter  les  effets  meurtriers  de  notre  artillerie,  et  préférerait  évacuer  la 
place  ou  capituler.  Hais,  pour  s'emparer  de  Halakoff,  il  fallait  d'abord  s'éta- 
blir dans  les  ouvrages  avancés  qui  couvraient  ce  front,  et  qui  consistaient  en 
deux  redoutes  construites  les  22  et  27  février,  sur  le  plateau  qui  s'étendait 
entre  la  rive  sud  do  la  rode  et  lu  ruvin  du  (lurciiugo,  et  dans  les  furtilicutions 
du  Hamelon-Vcrt,  autrement  dit  lunette  Kamtchatka.  Les  llusses,  qui  sen- 
taient l'importance  de  ces  positions,  les  avaient  fortifiées  et  armées  d'une 
façon' formidable;  chaque  jour  les  retranchements  dont  il  s'agit  se  dévelop- 


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[18851        LE  3"*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  CRIMÉE  121 

paient,  se  complétaient;  bien  plus,  des  travaux  de  contre-approche  araient 
été  entrepris  en  ayant  de  cette  ligne,  et  les  assiégés  se  préparaient  à  renou- 
veler de  ce  côté  la  lutte  souterraine  qu'ils  avaient  engagée,  non  sans  succès, 
devant  nos  cheminements  du  bastion  du  Mât.  Une  attaque  de  vive  force  était 
donc  grosso  de  difficultés;  mais,  les  avantages  qui  devaient  en  résulter  pro- 
mettant de  compenser  largement  les  sacrifices  qu^elle  entraînerait,  elle  n'en 
fut  pas  moins  préparée  avec  la  plus  grande  activité  et  irrévocablement  fixée 
au  7  juin. 

Le  6,  à  trois  heures  de  Taprës-midi,  les  batteries  anglaises  et  françaises 
ouvrirent  le  feu  contre  les  ouvrages  extérieurs  de  Karabéinaîa.  Le  soir,  le  Ma- 
melon-Yert  et  le  bastion  MalakoflT  étaient  réduits  au  silence  ;  seuls ,  les  ouvrages 
blancs  (redoutes  des  22  et  27  février)  résistaient  encore.  La  canonnade  r^ 
commença  le  lendemain  dès  l'aube  et  se  poursuivit  toute  la  journée;  quand 
elle  cessa,  les  fortifications  russes  n'étaient  plus  qu'un  monceau  de  ruines. 
Vers  midi ,  la  2»  division  du  2*  corps  avait  reçu  avis  qu'elle  était  désignée  pour 
donner  l'assaut  au  Mamelon -Vert;  à  quatre  heures  et  demie,  elle  quitta  ses 
bivouacs  et  vint  s'établir  dans  les  tranchées,  en  face  de  la  position  à  attaquer. 
En  tète  se  trouvait  la  l^  brigade  (de  Wimpffen);  puis  venaient  la  2*  (Vergé), 
suivie  par  le  1*'  bataillon  des  grenadiers  do  la  garde,  et  enfin,  comme  r^ 
serve,  la  division  Brunet  (5«  du  2*  corps).  La  brigade  de  Wimpfien,  établie 
dans  les  deuxième  et  troisième  parallèles,  se  trouvait  ainsi  disposée  :  à  droite, 
le  régiment  de  Tirailleurs  algériens;  au  centre,  le  50*  de  ligne;  à  gauche, 
le  3«  régiment  de  zouaves. 

A  six  heures  trois  quarts  du  soir,  un  bouquet  de  fusées  jaillit  tout  à  coup 
de  la  redoute  Victoria.  C'était  le  signal  de  l'attaque;  la  brigade  de  Wimpfien 
s'élança  aussitôt  sur  la  lunette  Kamtchatka,  pendant  que,  plus  à  droite,  la  di- 
vision Mayron  se  précipitait  sur  les  redoutes  Voihynie  et  Selenghinsk. 

L*attaquc  du  Mamclon-Vcrt  avait  à  parcourir  au  moins  quatre  cent  cin- 
quante mètres;  malgré  quelques  coups  h  mitraille  qui  vinrent  balayer  le  ter- 
rain ,  cette  distance  fut  franchie  au  pas  de  course,  et  en  un  instant  les  batail- 
lons de  tête  eurent  dépassé  la  contre-approche  russe,  après  en  avoir  chassé 
les  défenseurs.  Les  canons  ennemis  ayant  en  grande  partie  été  réduits  à  l'im- 
puissance, on  n'eut  guère  à  compter  qu'avec  trois  ou  quatre  décharges;  heureu- 
sement, car,  h  peine  nos  troupes  eurent-elles  remonté  la  pente  qui  couronnait 
l'ouvrage,  qu'elles  furent  assaillies  par  un  violent  feu  de  mousqueterie.  Les 
premiers  rangs  furent  complètement  décimés;  mais  l'élan  était  tel,  qu'il  n'en 
fut  pas  un  seul  instant  arrêté. 

Le  colonel  Rose,  &  la  tête  de  son  premier  bataillon,  s'était  dirigé  sur  la 
droite  de  la  position;  arrivé  l'un  des  premiers  au  sommet  de  celle-ci,  il  avait 
obliqué  encore  plus  h  droite,  et,  sans  s'inquiéter  de  la  fusillade  meurtrière 
qui  partait  des  flancs  de  la  lunette,  s'était  jeté  sur  les  tranchées  et  les  batteries 
annexes,  pendant  qu'au  centre  et  h  gauche  le  50«  et  le  3*  zouaves  escaladaient 
résolument  les  parapets  éboulés.  Très  en  avance  dans  son  mouvement,  le 
colonel  rallia  son  deuxième  bataillon,  et,  laissant  quelques  compagnies  dans 
les  retranchements  qu'il  venait  d'envahir,  se  porta  rapidement  à  la  gorge  de 
l'ouvrage.  Toutes  les  défenses  russes  se  trouvèrent  tournées;  il  ne  resta  plus 


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122  LE  3*  RÉQIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [18551 

à  ronnemi  qu'un  étroit  passage  dont  il  s'empressa  do  profiter  pour  se  retirer 
précipitamment  rers  l'enceinte  fortifiée  de  Sébastopol. 

La  lutte  avait  été  rive;  les  Russes,  commandés  par  le  vice-amiral  Nakhimof 
en  personne,  s'étaient  défendus  avec  une  incroyable  énergie,  afin  de  donner  à 
leurs  réserves  le  temps  d'accourir.  Le  50*  et  le  3<*  zouaves  n'étaient  parvenus  à 
s'établir  dans  la  lunette  qu'après  un  combat  acharné,  combat  qui  s'était 
d'ailleurs  continué  dans  l'ouvrage  même,  et  qu'avait  seule  fait  cesser  l'arrivée 
subite  des  Tirailleurs.  liO  colonel  de  lirancion ,  du  50*,  était  tombé  glorieuse- 
ment en  plantant  lui-môme  le  drapeau  de  son  régiment  sur  le  parapet. 

Maintenant  le  succès  était  complet  :  nous  étions  maîtres  de  la  position;  le 
but  poursuivi  était  atteint,  il  fallait  en  rester  là.  Mais,  entraînés  par  une 
ardeur  irréfléchie,  le  plus  grand  nombre  des  assaillants  s'étaient  jetés  à  la 
poursuite  de  l'ennemi,  qui  fuyait  vers  Malakoff;  quelques-uns  étaient  même 
parvenus,  sur  les  pas  des  Russes,  jusque  dans  les  fossés  du  bastion,  et  ten- 
taient vainement  d'escalader  les  embrasures  d'une  batterie.  Ils  payèrent  cher 
cette  fetale  imprudence;  obligés  de  rétrograder  pendant  plus  de  cinq  cents 
mètres  sous  le  feu  convergent  des  canons  ennemis ,  assaillis  par  la  fusillade 
et  la  mitraille  des  remparts,  suivis  et  serrés  de  près  par  six  bataillons  qui  ve- 
naient de  sortir  de  la  place ,  dispersés ,  confondus ,  décimés ,  ils  firent  d'inutiles 
efforts  pour  se  rallier,  et  furent  ramenés  jusqu'au  Mamelon-Vert. 

L'explosion  d'une  fougasse  venait  juste  de  jeter  la  confusion  parmi  les 
troupes  qui  gardaient  l'ouvrage  conquis,  lorsque  ce  flot  de  fuyards  fit  brus- 
quement irruption.  On  entendait  déjà  les  clameurs  des  Russes;  ceux-ci  étaient 
là,  tout  enivrés  de  leur  succès,  et  ayant  à  leur  tête  le  général  Khroulef ,  qui  les 
dirigeait  résolument  vers  la  position  qui  venait  de  leur  être  arrachée.  En  vain 
essaya-t-on  de  leur  résister;  il  fallut  céder,  se  replier  en  désordre  sur  les  pre- 
mières parallèles  françaises,  où  se  tenait  la  brigade  Vergé.  Là,  le  mouvement 
en  arrière  s'arrêta;  les  bataillons  de  la  brigade  de  Wimpflbn  furent  reformés  et 
reprirent  leur  place  en  avant;  puis,  à  la  voix  du  général  Camou  la  charge 
sonna  de  nouveau;  toute  la  division  s'élança,  et  avec  un  élan  irrésistible  se 
jeta  sur  les  masses  ennemies,  dans  lesquelles  les  projectiles  de  notre  artillerie 
étaient  déjà  venus  faire  de  profondes  trouées.  Tout  plia,  tout  céda  devant  ce 
choc  Impétueux;  en  moins  de  temps  qu'ils  n'en  avaient  mis  pour  reprendre 
la  lunette  Kamtchatka,  les  Russes  s'en  virent  rechassés,  et  cette  fois  sans 
espoir  de  jamais  la  reconquérir. 

Dans  ces  deux  attaques  successives,  les  Tirailleurs  avaient  été,  de  l'avis  de 
tout  le  monde,  admirables  de  bravoure  et  d'énergie.  Si  leur  impétuosité  ha- 
bituelle les  avait  d'abord  emportés  beaucoup  trop  loin  du  but,  s'ils  s'étaient 
précipités  contre  les  murs  de  Malakoff  avec  cet  aveuglement  qui  n'était  que 
l'exagération  de  leur  plus  belle  qualité ,  l'insouciance  du  danger,  on  les  avait 
vite  vus  se  rallier,  et,  brûlant  du  désir  de  venger  leur  insuccès,  revenir  avec 
une  ardeur  nouvelle  sur  l'ouvrage  à  la  prise  duquel  ils  avaient  puissamment 
contribué. 

Il  était  sept  heures  et  demie;  la  nuit  approchait;  on  prit  en  toute  hâte  les 
dispositions  nécessaires  pour  parer  à  un  retour  possible  des  Russes.  Le  général 
Vergé  reçut,  en  qualité  de  plus  ancien ,  le  commandement  des  troupes  restées 


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[1855]  EN  CRIMÉE  123 

dans  la  position,  et  les  disposa  de  la  façon  suivante  :  dans  TouTrage  même,  la 
2*  brigade  tout  entière,  et  sur  la  droite,  en  faisant  face  à  HalakoflT,  la  brigade 
de  WimpfTen,  ayant  comme  abri  la  parallèle  russe  allant  du  Mamelon -^Vert  au 
ravin  du  Carénage.  La  droite  de  cette  dernière  brigade  se  reliait  avec  la  gauche 
do  colle  du  général  Bisson,  do  la  division  Dulac,  laquelle  occupait  les  re- 
flonlos  Volliynio  et  Sclcnghinsk. 

La  nuit  se  passa  sans  que  Tcnnemi  ftt  la  moindre  tentative  pour  reprendre 
ses  positions  perdues.  Du  côté  des  Français  on  ne  perdit  pas  une  minute;  le 
génie  se  mit  immédiatement  à  l'œuvre,  et,  quand  le  jour  parut,  la  contre- 
approche  du  Mamelon -Vert  et  la  double  tranchée  &  droite  et  à  gauche  de  la 
lunette  Kamtchatka  étaient  devenues  la  troisième  et  la  quatrième  parallèle  de 
Tattaque  Victoria  :  toutes  les  fortifications  qui  avaient  été  si  opiniâtrement  dé- 
fendues la  veille  étaient  maintenant  complètement  retournées. 

Le  8,  les  troupes  restèrent  dans  leurs  positions;  les  travaux  furent  continués 
avec  une  infatigable  activité,  malgré  le  feu  de  place  qui  couvrit  le  terrain  de 
projectiles  et  nous  infligea  des  pertes  considérables.  Le  9,  après  quarante 
heures  de  ce  service ,  qui  pouvait  être  considéré  comme  un  combat  non  inter- 
rompu, la  2»  division  fut  relevée  par  la  division  Brunet,  et  rentra  à  son  camp 
vers  midi. 

Depuis  le  commencement  de  la  campagne,  aucune  division  française  n*avail 
produit  un  eflbrt  aussi  considérable,  subi  des  pertes  aussi  sensibles,  montré 
plus  de  courage  et  d'entrain  ;  sur  les  cinq  mille  quatre  cent  quarante-trois 
hommes  hors  de  combat  qu'avait  eus  le  2*  corps  dans  la  journée  du  7  juin, 
deux  mille  sept  cent  quatre-vingt-cinq  lui  appartenaient  et  se  décomptaient 
comme  il  suit  :  officiers  tués,  cinquante -quatre;  blessés,  quatre-vingt-qua- 
torze; hommes  de  troupes  tués,  sept  cent  soixante-huit;  blessés,  mille  huit 
cent  soixante-neuf.  Le  régiment  des  Tirailleurs  algériens,  qui  s'était  si  géné- 
reusement prodigué,  était  aussi  l'un  des  plus  éprouvés;  il  comptait  treize 
ofliciers  tués,  dix-neuf  blessés  et  quatre  cent  quatre-vingt-dix-huit  hommes 
tués  ou  blessés,  soit  un  total  de  cinq  cent  trente,  ou  le  tiers  de  son  effectif. 

Les  officiers  tués  étaient  : 


MM.  Schweimberg, 

capitaine. 

Eberiin, 

d* 

Pattier, 

do 

Pacatod, 

lieutenant. 

Hanusse, 

do 

Constère, 

do 

Poiscz, 

do 

Lnulard , 

do 

Bourgeois, 

sous-lieutenant. 

Serpentini , 

do 

Gérard, 

do 

Loyer, 

do 

Hessaoud-ben-Mohamed , 

lieutenant  indigène. 

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124  LE  3*  RÉOIIIBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGERIENS  [1855) 


Étaient  bletsés  : 

MM.  Gibon, 

chef  de  bataillon. 

Pietri, 

capitaine. 

DeRoquefeuil, 

capitaine,  mort  de  ses  biessures. 

Conot, 

capitaine. 

PeliBae 

d» 

Déjoui, 

d» 

Yéran, 

lieutenant. 

Humery, 

.!• 

Mohamed-bel-Hadj-Mobained , 

d» 

Mohamed-ben-Amar-Cbibli , 

d» 

Jauge, 

sous-lieutenant. 

Masse, 

d» 

RaBn, 

d* 

Lange  de  Perrière, 

d» 

Thierry, 

d» 

Mohamed-ben-Aouda , 

d» 

Mastapha-beo-Ferkatadji ,     sous-Iieulenant ,  mort  de  ses  blessures. 
Mohamed-ben-Abd-el-Kader,  sous-lieutenant. 

Cela  portait  en  réalité  le  chiffre  des  officiers  morts  à  dix-sept.  De  plus, 
M.  Legrandy  sous -lieutenant,  avait  été  fait  prisonnier  dans  les  fossés  de 
Malakoff  avec  un  certain  nombre  d'hommes,  à  peu  près  tous  grièvement 
blessés. 

Dans  les  chiffres  qui  précèdent,  le  détachement  de  Constantine  avait  pour 
sa  part  dix-huit  hommes  tués  et  cinquante-neuf  blessés.  Parmi  les  ofdciers 
tué^,  il  comptait  MM.  Schweimberg  etllanusse,  et  parmi  les  blessés,  MM.  Pe- 
lisse, Déjoux,  Véran,  Ilumory  et  Mustapha-ben-Fcrkatadji. 

Le  régiment  de  Tirailleurs  algériens  fut  cité  dans  l'ordre  général  du  15  juin 
c  pour  la  part  active  qu'il  avait  prise  à  Tenlèvement  de  vive  force  des  redoutes 
russes  en  avant  de  Sébastopol  >• 

Le  même  ordre  signalait  comme  s*étant  particulièrement  distingués  : 

MM.  Gibon,  chef  de  bataillon. 

Pietri  y  capitaine. 

Mustapha-ben-Ferkatadji,  sous-lieutenant  (détachement  de  Constantine.) 
Âhmed-ben-Mesmoudi,  sergent  d« 

Ali-ben-Djelali ,  clairon . 

Par  arrêté  du  général  on  chef,  en  date  du  16  juin,  furent  promus  dans  la 
Légion  d'honneur  : 

Au  grade  d'officier  :  M.  Pelisse,  capitaine. 


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58]                                                     EN  CRIMÉE 

Au  grade  de  chevalier  :  MM.  Monassot , 

capitaine. 

—                    Conot, 

d* 

—                    DeRoquefeuil, 

do 

—                    De  Lammerz , 

lieutenant. 

—                     Humery, 

do 

128 


•  —  Mustapha-ben-Ferkatadjii  80ua*Iieutenant. 

—  Blanpied,  sergent-major. 

Le  9,  de  midi  à  cinq  heures,  il  y  eut,  à  la  demande  de  Tennemi,  une  sus- 
pension d'armes  pour  l'enlèvement  des  morts  et  des  blessés.  Le  soir,  le  canon 
reprit  son  œuvre  dévastatrice  et  la  vigilance  redoubla  dans  les  deux  camps. 
Vers  minuit,  une  vive  fusillade  éclata  tout  à  coup  dans  la  direction  de  Malakoff 
sans  qu'on  en  dcvinftt  la  raison.  On  crut  à  un  retour  des  Russes,  et  la  brigade 
de  Wimpflbn  reçut  du  général  Bosquet  Tordre  d'aller  s'établir  dans  le  ravin 
de  Karabeinaîa ,  pour  servir  de  réserve  aux  troupes  de  la  division  Brunet. 
Mais  à  peine  fut -elle  installée  dans  sa  nouvelle  position  que  le  silence  se  fit 
de  toutes  parts  ;  la  nuit  s'écoula  ensuite  sans  incident.  Â  huit  heures  du  matin, 
la  division  Brunel  se  retira,  et  toute  la  2*  prit  le  service  aux  attaques;  la  bri- 
gade do  WinipITon  reprit  ses  positions  du  8  dans  les  parallèles  russes  et  les  ou- 
vrages du  Mamclon-Vert ,  portant  maintenant  le  nom  de  redoute  Brandon.  Pen- 
dant toute  la  journée,  les  troupes  travaillèrent  à  la  construction  de  batteries; 
la  nuit,  elles  ouvrirent,  en  avant  du  mamelon,  une  nouvelle  parallèle  destinée 
à  envelopper  la  position  et  à  la  relier  au  ravin  du  Carénage.  Le  lendemain , 
dans  la  matinée,  la  division  Camou  céda  de  nouveau  la  place  à  la  division 
Brunet,  avec  laquelle  elle  devait  alterner  toutes  les  vingt-quatre  heures. 

Le  succès  du  7  juin  avait  fait  naître  l'espoir  que  la  place  ne  résisterait  pas 
à  un  assaut  général.  Le  15  juin ,  dans  un  conseil  tenu  par  le  général  Pélissier, 
lord  Raglan,  Omer- Pacha  et  le  général  de  la  Marmora,  cet  assaut  fut  décidé 
pour  le  18.  Mais  la  2*  division  du  2»  corps  n'allait  pas  y  prendre  part;  elle 
devait,  avec  les  divisions  Canrobert,  Dulac  et  Herbillon,  aller  prendre  posi- 
tion sur  la  rive  gauche  de  la  Tchernaîa,  pour  surveiller  et  arrêter  au  besoin 
l'armée  de  secours.  Le  général  Bosquet,  qui  lui-même  avait  dû  céder  la  place 
au  général  Regnaud  de  Saint-Jean-d'Angély,  avait  le  commandement  de  ces 
quatre  divisions. 

Le  16,  &  quatre  heures  du  soir,  le  régiment  de  Tirailleurs  algériens  quitta 
les  hauts  plateaux  et,  &  sept  heures ,  arriva  à  son  nouveau  bivouac  du  camp 
de  Traktir.  Il  s'y  établit  sur  la  crête  des  collines  qui  bordent  la  rive  gauche 
de  la  Tchernaîa,  et  détacha  l'un  de  ses  bataillons  aux  avant-postes. 

Tout  étant  prêt  pour  une  action  décisive,  le  bombardement  commença  le 
17,  &  quatre  heures  du  matin ,  et  se  continua  pendant  toute  la  journée  et  une 
partie  de  la  nuit.  Le  18,  à  trois  heures  du  matin,  un  bouquet  de  fusées  à 
étoiles  parti  de  la  redoute  Victoria  donna  le  signal  de  l'assaut.  Malgré  des 
prodiges  de  valeur,  l'attaque  échoua;  repoussées  sur  tous  les  points,  les 
troupes  durent  rentrer  dans  leurs  parallèles. 

Cet  insuccès,  bien  que  nous  ayant  coûté  des  pertes  considérables,  ne  mo- 
difia pas  sensiblement  la  situation;  il  eut  plutôt  pour  conséquence  une  réaction 


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i26  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1855] 

salutaire,  en  ramenant  les  esprits  vers  une  moins  aveugle  confiance  en  ces 
attaques  trop  peu  préparées.  Désormais  rien  ne  devait  plus  être  laissé  au  ha- 
sard ,  et  les  cheminements  allaient  être  poussés  assez  près  de  Tenceinte  pour 
que,  dans  le  prochain  assaut,  on  n'eût  pas  des  espaces  de  trois  cents  et  même 
quatre  cents  mètres  à  parcourir  pour  arriver  sur  les  retranchements  ennemis. 
De  leur  côté,  les  défenseurs  de  Sébastopol  ne  se  dissimulaient  pas  plus  qu'a- 
vant que  l'heure  de  la  lutte  finale  n'allait  pas  tarder  à  sonner,  et  que  tout  ce 
que  pouvaient  leurs  eflTorts,  c'était  de  prolonger  la  résistance  peut-être  pen- 
dant quelques  semaines  encore. 

Depuis  le  commencement  de  mars,  le  général  GortchakoiT avait  remplacé 
le  prince  Henchikoff  à  la  tète  de  Tarmée  de  secours.  Le  nouveau  commandant 
en  chef  ne  comptait  plus  guère  sur  Tefficacité  d'une  diversion  en  faveur  des 
assiégés,  mais,  pressé  par  Pétat  désespéré  de  ces  derniers  et  surtout  par  les 
instances  du  général  Vrersky,  que  le  czar  venait  d'envoyer  en  Crimée  avec 
mission  de  pousser  à  Toffensive,  il  se  décida  néanmoins  à  une  tentative  sur 
nos  positions  de  la  rive  gauche  de  la  Tchernaïa. 

Ces  positions,  formées  par  les  monts  Fédioukhine,  étaient  occupées  par  la 
division  Faucheux  à  droite,  la  division  Camou  à  gauche,  et  la  division  Her- 
billon  en  arrière.  Le  général  Herbillon  exerçait  le  commandement  en  qualité 
do  plus  ancien.  Le  régiment  de  Tirailleurs  algériens  se  trouvait  établi  à 
l'extrême  gauche,  en  arrière  de  l'aqueduc  qui  court  parallèlemout  à  la 
Tclioriiuîa ,  et  détachait  ou  pormuuoncc  quati*o  couipugnics  do  grund'gardo 
en  avant  de  cet  aqueduc. 

Le  15  août ,  à  dix  heures  du  soir,  six  divisions  russes,  rassemblées  au  camp 
de  Hackentie,  se  mirent  en  mouvement  et  descendirent  des  hauteurs  pour 
venir  se  mettre  en  bataille  dans  la  plaine  de  la  Tchernaïa.  La  force  de  cette 
armée,  d'après  les  documents  trouvés  sur  le  général  Read,  tué  et  laissé  le 
lendemain  sur  le  champ  de  bataille,  était  de  soixante- quinze  bataillons  d'in- 
fanterie, cent  quatre-vingt-six  bouches  à  feu  et  dix  mille  hommes  de  cava- 
lerie, soit  un  total  d'environ  soixante-dix  mille  hommes.  Des  détachements 
du  génie  suivaient,  portant  des  ponts  préparés  à  l'avance,  pour  aider  au  pas- 
sage de  la  rivière  et  du  canal. 

A  quatre  heures  et  demie  du  matin ,  des  postes  piémontais ,  établis  sur  les 
hauteurs  de  Tchorgoune,  sur  la  rive  droite  de  la  Tchernaïa,  furent  vivement 
attaqués,  et  durent  venir  prendre  position  sur  la  rive  opposée.  Comme  pour  le 
matin  d'inkeniiann ,  un  impénétrable  brouillard  couvrait  la  vallée:  impos- 
sible d'y  voir  à  cent  mètres.  Le  jour  painit  sans  le  dissiper.  L'artillerie  russe 
avait  commencé  son  tir  ;  la  nôtre  attendait,  pour  lui  répondre,  qu'il  fût  pos- 
sible d'y  voir  et  de  pointer.  Les  compagnies  de  piquet  s'étaient  portées  en 
avant  pour  appuyer  les  grand'gardes. 

Vers  cinq  heures,  le  soleil,  déjà  assez  haut,  dissipa  enfin  l'épais  rideau 
qui  cachait  l'armée  russe ,  et  celle-ci  apparut  déployée  sur  les  hauteurs  de  la 
rive  gauche,  sa  droite  en  avant  et  face  aux  monts  Fcdipukhine,  sa  gauche 
menaçant  le  mont  Hasfort,  où  se  trouvaient  les  Piémontais.  Devant  la  division 
Camou ,  s'avançait  la  septième  division  d'infanterie,  sa  première  brigade  dé- 
ployée ,  une  partie  de  son  artillerie  dans  les  intervalles. 


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[1855]  EN  CRIMÉE  i%l 

Sans  attendre  l'ordre  du  prince  Gortchakoff,  le  général  Read,  qui  comman- 
dait &  droite,  fit  passer  la  Tchernaîa  &  son  infanterie,  qu'il  lança  aussitôt  sur 
les  monts  Fédioukhine.  À  l'extrême  droite,  venait  la  division  OuschakolT, 
plus  À  gauche,  et  faisant  face  à  la  division  Faucheux ,  s'avançait  la  division 
Martineau. 

Pondant  quo  colle  dornièro  division,  arrivant  par  le  pont  de  Traktir,  so 
jetait  sur  la  brigado  do  Failly,  la  7«,  après  avoir  franchi  la  rivière  à  gué, 
cherchait  &  parcourir,  au  moyen  d'un  mouvement  oblique,  la  distance  encore 
assez  considérable  qui ,  en  face  des  éperons  nord ,  sépare  la  Tchernaîa  du  ca- 
nal. A  ce  moment,  nos  grand'gardes  avaient  lentement  opéré  leur  retraite 
pour  venir  se  joindre  au  reste  du  régiment.  L'un  des  deux  bataillons  de  Tirailr 
leurs  algériens  s'était  déployé  en  avant  du  troisième  mamelon ,  presque  au 
nord  ;  l'autre,  en  colonne  de  compognics,  lui  servait  de  soutien;  à  droite,  se 
trouvait  le  d^  zouaves;  en  arrière,  le  &^  et  le  82«  de  ligne  appartenant  à  la 
brigade  Vergé. 

A  peine  les  Russes  eurent-ils  débouché  sous  les  feux  convergents  des 
zouaves  et  des  Tirailleurs  algériens ,  que  lo  désordre  se  jeta  dans  leurs  rangs  ; 
pris  d'écharpc  cl  do  flanc,  leurs  bataillons  flottèrent  d'abord  incertains,  puis 
peu  à  peu  se  replièrent,  et  finalement  rétrogradèrent  précipitamment  vers 
la  rivioro,  qu'ils  repassèrent  h  la  hfllo,  pour  aller  so  reformer  sous  la  protec- 
tion do  quelques  escadrons  de  cuirassiers  et  de  cosaques.  Composée  en  grande 
partie  déjeunes  soldats,  cette  division  combattait  pour  la  première  fois,  et 
cela  contre  des  troupes  aguerries  par  une  année  de  campagne.  Aussi,  de  ce 
moment,  resta-t-elle  à  l'écart  du  combat,  et  la  première  attaque  de  droite  se 
borna-t-elle  à  cette  simple  échauflburée. 

Il  n'en  était  pas  de  même  au  centre.  Surprise  par  des  forces  considérables, 
la  brigade  de  Failly  avait  été  obligée  d'abandonner  lo  pont  de  Traktir  et  de  se 
replier  sur  le  restant  de  la  division  Faucheux.  La  situation  de  cette  division 
était  tout  à  coup  devenue  des  plus  critiques;  abordée  par  des  masses  com- 
pactes ,  qui  s'avançaient  par  la  route  de  Mackenzie  &  Balaklava ,  elle  s'était 
vue  menacée  d'être  coupée  en  deux  tronçons,  et  n'avait  échappé  &  ce  danger 
qu'en  s'engageant  à  fond  dans  une  charge  &  la  baïonnette,  qui  avait  rejeté 
Tennemi  de  l'autre  côté  du  pont.  Malheureusement,  notre  artillerie  étant  trop 
faible  pour  achever  l'œuvre  de  l'infanterie,  l'ennemi  parvint  &  se  rallier;  la 
division  Martineau,  épuisée  par  l'eflort  qu'elle  venait  de  fournir,  fut  rem- 
placée par  une  division  de  réserve,  et  la  lutte  recommença  avec  une  nouvelle 
énergie.  Mais  le  général  de  Wimpiïen  était  accouru  avec  trois  bataillons  des 
50*  et  82«  de  ligne,  le  général  Cler  avec  toute  sa  brigade;  la  charge  sonna 
encore  une  fois  ,'et  l'ennemi  fut  encore  une  fois  repoussé. 

Pcndont  ce  temps,  le  combat  avait  également  repris  sur  notre  gauche; 
une  colonne  d'environ  dix  mille  Russes  s'était  prolongée  sur  ce  point,  avait 
franchi  la  rivière  et  le  canal ,  et  s'était  avancée  vers  la  position  occupée  par 
le  3®  zouaves.  Sans  s'occuper  de  son  infériorité  numérique,  le  colonel  de  Po- 
Ihès,  commandant  ce  régiment,  n'avait  pas  hésité  &  entamer  la  fusillade; 
mais  il  allait  bientôt  céder,  accablé  par  le  nombre,  lorsque  le  colonel  de  Cas- 
tagny  arriva  à  son  secours  avec  le  82*  de  ligne.  Cependant  l'ennemi  résistait 


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128  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALOÉRIENS  EN  CRIMÉE         [l855l 

encore,  quand  arriva  à  son  tour  le  général  Vorgè  à  la  lôlo  du  régiment  de 
TiraUleura  algériens.  A  ce  moment,  le  cri  de  :  c  En  avant  1  »  fut  répété  sur 
toute  la  ligne,  la  charge  sonna,  nos  troupes  s'élancèrent  à  la  baïonnette ,  et, 
comme  au  pont  de  Traktir,  rejetèrent  péle-méle  les  masses  ennemies  de 
l'autre  côté  de  la  Tchemaia. 

Il  était  huit  heures;  la  victoire  nous  appartenait  sur  tous  les  points;  les 
Russes,  renversés,  culbutés,  fuyaient  partout,  poursuivis  par  les  obus  fran- 
çais, qui  faisaient  des  trouées  profondes  dans  leurs  colonnes  entassées  et 
confondues  au  fond  de  l'étroite  vallée  où  elles  essayaient  de  se  rallier. 

Si  dans  cette  dernière  phase  de  l'action  le  régiment  de  Tirailleurs  n'était 
arrivé  que  fort  tard  pour  appuyer  le  3*  souaves ,  c'est  qu'il  avait  d'abord  fallu 
assurer  la  défense  de  notre  gauche;  mais  bientôt  fixé  sur  la  direction  de 
l'attaque  russe,  le  générai  Vergé  n*avait  pas  hésité  à  dégarnir  ce  point  de  la 
ligne,  dont  il  avait  laissé  le  commandement  au  lieutenant -colonel  Roques, 
pour  venir  achever  la  déroute  de  l'infanterie  ennemie. 

La  lutte  pouvait  maintenant  être  considérée  comme  terminée.  Sous  la  pro- 
tection de  leur  artillerie,  les  Russes  se  ralliaient,  mais  plutôt  pour  opérer 
leur  retraite  en  bon  ordre  que  pour  tenter  un  nouvel  effort,  que  l'arrivée  des 
réserves  françaises  aurait  pu  rendre  beaucoup  plus  désastreux  que  le  premier. 
A  midi,  le  riment  de  Tirailleurs  avait  regagné  son  bivouac.  Il  n'avait,  dans 
cette  journée,  subi  que  des  pertes  insignifiantes. 

Dans  un  ordre  général  du  14  août,  la  division  Camou  était  citée  €  comme 
ayant  été  à  hauteur  de  sa  vieille  réputation  ». 


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CHAPITRE  XIV 


Assaut  du  8  septembre.  —  Prise  de  Malakoff.  »  Le  régiment  de  Tirailleurs  algériens 
quitte  la  Grimée.  —  Expédition  de  Kinboum.  —  Rentrée  à  Alger.  —  lioeneiement 
du  régiment. 


Au  1^'  septembre ,  les  cheminements  devant  Malakoff  et  le  Petit-Redan 
n'étaient  plus  qu*&  quarante  mètres  de  robjectif.  11  devenait  impassible 
do  les  pousser  plus  loin.  Le  3,  dans  une  conférence  qui  eut  lieu  chez  le 
général  Pélissicr,  Tassant  fut  décidé  pour  le  8  à  midi.  Le  2"  corps  devait 
d*abord  attaquer  la  tour  Malakoff,  puis,  en  cas  de  succès,  abordef  le  Petit* 
Redan,  pendant  que  le  l^^  corps  se  jetterait  sur  le  bastion  Central,  et  les  An- 
glais sur  le  Grand-Rcdan. 

Le  5,  commença  le  dernier  bombardement,  le  bombardement  infernal, 
selon  l'expression  du  prince  Gortchakoff.  Huit  cent  trois  pièces  du  côté  des 
alliés,  treize  cent  quatre-vingts  du  côté  des  Russes  tonnèrent  pendant  trois 
jours.  Le  8  au  matin,  les  fortifications  de  la  place  étaient  bouleversées,  ses 
batteries  en  partie  démontées. 

Au  point  du  jour,  les  troupes  étaient  venues  occuper  leurs  emplace- 
ment. G^élnit  la  division  do  Mac-Mahon  (ancienne  division  Canrobert)  qui 
devait  attaquer  Malakoff;  la  brigade  de  Wimpffen  et  les  zouaves  de  la  garde 
étaient  désignés  pour  lui  servir  de  soutien.  Le  6,  cette  brigade  avait  quitté 
les  monts  Fedioukhine  pour  se  rapprocher  du  siège;  le  7,  elle  avait  pris  le 
service  de  tranchée  afin  de  ménager  les  troupes  qui  devaient  marcher  en  pre- 
mière ligne. 

A  midi  précis ,  rartillcrio  se  tait  ;  tout  &  coup  un  immense  cri  de  :  En  avant  ! 
retentit  sur  toute  la  ligne,  le  son  strident  des  clairons  se  mêle  au  bruit  ca- 
dencé des  tambours,  et  la  division  de  Mac-Mahon,  le  l'^*  zouaves  en  tête, 
s'élance  vers  Malakoff.  Le  fossé,  &  demi  comblé  par  les  débris  de  l'escarpe,  est 
rapidement  franchi,  les  parapets  sont  escaladés;  les  Français  pénètrent  enfin 
dans  la  redoutable  enceinte. 

Q 


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130  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l855] 

Les  Russes  ont  été  surpris;  pour  les  mettre  à  l'abri  du  bombardement, 
leurs  réserves  avaient  été  confinées  dans  les  blindages  ;  elles  en  sortent  aussitôt, 
mais  confusément,  par  petits  groupes,  et  engagent  avec  Tassaillant  un  combat 
décousu  qui  est  tout  à  l'avantage  de  ce  dernier.  Le  7*  de  ligne  est  venu  ren- 
forcer le  l***  zouaves,  et  rennemi,  partout  refoulé  par  nos  baïonnettes,  va  se 
reformer  derrière  la  première  traverse  de  Touvrage. 

Dès  le  début  de  l'action ,  le  général  de  Wimpffen  avait  fait  porter  ses  troupes 
vers  la  redoute  Brancion  et  les  avait  établies  dans  la  sixième  parallèle.  A 
peine  y  fut-il  arrivé,  que  le  général  de  Mac-Mahon  lui  lit  demander  des  se- 
cours; au  même  moment  le  général  de  Martimprey,  chef  d'état -major  gé- 
néral, lui  prescrivait  lui-même  d'appuyer  à  droite  pour  servir  de  réserve 
aux  troupes  qui  attaquaient  le  Petit-  Redan.  Mais  les  ordres  du  général  de 
Mac-Mahon  étaient  pressants;  la  possession  de  Malakoff  était  la  chose  capi- 
tale du  moment;  le  général  n'hésita  pas  :  il  fit  d'abord  avancer  le  3®  zouaves 
jusqu'à  la  septième  parallèle;  puis,  avec  le  50®  et  les  Tirailleurs  algériens, 
il  se  porta  en  soutien  des  7*,  20  et  27*  de  ligne  aux  prises  avec  les  Russes 
à  là  gorge  de  Malakoff. 

La  première  surprise  passée,  l'ennemi  n'avait  pas  tardé  à  se  reconnaître, 
à  se  rïdlier  et  à  s'opposer  énergiquement  aux  progrès  de  la  colonne  d'assaut. 
S|abritant  successivement  derrière  les  nombreuses  traverses  de  l'ouvrage, 
les  défenseurs  de  Malakoff  n'avaient  alors  cédé  le  terrain  que  pied  à  pied ,  se 
reformant  derrière  chaque  parapet,  combattant  avec  un  courage  peut-être 
un  peu  lourd,  mais  froid  t  méthodique,  opiniâtre,  et  parfaitement  fait  pour 
démonter  l'ardeur  do  l'attaque.  Complètement  décimés,  le  l^'  zouaves  et  le 
7®.de  ligne  s'étaient  subitement  vus  arrêtés  dans  leur  succès;  mais  l'apparition 
de  la  brigade  Vinoy,  qui ,  après  avoir  longé  le  fossé  oriental  du  bastion  et 
gravi  Tenceinte  au  delà  des  traverses,  était  soudain  venue  menacer  le  flanc 
gauche  des  Russes ,  avait  enfin  décidé  ces  derniers  à  se  replier. 

C'est  à  ce  moment  qu'arriva  la  brigade  de  Wimpffen.  Il  était  une  heure  et 
demie  environ.  Le  l***  zouaves,  qui  avait  énormément  souffert,  fut  renvoyé 
dans  la  tranchée  ;  le  3*  zouaves  et  le  50  de  ligne  le  remplacèrent  dans  l'ou- 
yrage  même;  les  Tirailleurs  algériens  s'établirent  à  la  gorge,  la  partie  la  plus 
directement  menacée. 

Les  Russes  n'avaient  pas  abandonné  la  partie  ;  après  s'être  reformés,  après 
avoir  reçu  de  nouvelles  réserves,  ils  revinrent  à  la  charge,  et  dans  un  effort 
désespéré  tentèrent  encore  une  fois  do  nous  enlever  Malukuff.  Ce  fut  d'abord 
le  général  Lisenko  qui  accourut  avec  les  régiments  d'OrcI ,  de  Rriunsk  et 
d'Ieletz,  puis  le  général  Khroulef  avec  les  quatre  bataillons  de  Ladoga.  La 
plus  grande  partie  de  ces  forces  se  jeta  sur  le  régiment  de  Tirailleurs  algé- 
riens; mais  celui-ci  avait  eu  le  temps  de  prendre  ses  dispositions;  il  fit  réso- 
lyment  face  au  péril,  et,  solidement  appuyé  par  les  zouaves  de  la  garde ,  se 
montra  digne  de  sa  vieille  réputation. 

Le  moment  était  critique  ;  il  fallait  à  tout  prix  empêcher  Tennemi  de  re- 
prendre pied  dans  Malakoff.  Le  général  Frossard  venait  d'arriver  avec  quelques 
sapeurs  du  génie  et  cherchait  à  obstruer,  sinon  à  fermer,  l'étroit  passage  de- 
vant lequel  étaient  rangés  nos  héroïques  Algériens.  Mais  ces  premiers  tra- 


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[1855]  EN  CHIMÊB  131 

▼ailleurs  tombent  les  uns  après  les  autres,  et  les  Russes  s*aTancent,  se  rap- 
prochent, et  regagnent  insensiblement  le  terrain  qu'ils  ont  perdu;  ils  sont 
1&,  la  baïonnette  basse,  calmes,  résolus,  menaçants.  Entrdnés  par  l'exemple 
du  lieutenant- colonel  Roques,  qui  porte  lui-même  un  gabion,  les  Tirailleurs 
se  mettent  &  l'œuvre;  parmi  les  corps  amoncelés,  ils  jettent  pèle- mêle  des 
gabions,  des  fascines,  des  débris  de  toute  sorte,  et  une  barrière  informe 
s'oppose  bientôt  aux  efforts  des  assaillants.  Pendant  ce  temps ,  la  lutte  con- 
tinue, ardente,  opinifttre,  acharnée.  Une  mêlée  terrible  s'engage  sur  ce  parapet 
improvisé;  les  baïonnettes,  tordues,  brisées,  ne  peuvent  plus  servir  :  c'est  à 
coups  de  crosse,  &  coups  de  pierres,  qu'on  attaque  et  qu'on  se  défend.  Russes  et 
turcos  sont  confondus  ;  aux  hourras  des  premiers  se  mêle  le  cri  rauque  des 
seconds  ;  on  s'invective ,  on  s'insulte ,  on  se  provoque,  on  se  défie,  on  se  saisiti 
on  s'étreint;  et  ce  tourbillon  humain  roule,  tourne,  piétine  sur  des  cadavres, 
sur  des  blessés,  dans  une  boue  sanglante;  et  le  canon  tonne  au  loin,  des 
obus  viennent  soudain  fouiller  ces  décombres,  et  deci,  delà,  c^est  l'explo- 
sion d'une  fougasse,  d'une  mine,  qui  couvre  tout  à  coup  cetle  scène  d*un  nuage 
sombre  et  laisse  dans  la  terre  un  trou  large  et  béant  :  instant  sublime ,  où 
des  deux  côtés  chaque  combattant  devient  un  héros. 

Comment  citer  les  noms  de  tous  ceux  qui,  dans  cette  lutle  infernale,  furent 
admirables  do  sang-froid  et  d'intrépidité?  Qui  a  vu  tous  les  actes  glorieux  dont 
cette  étroite  arène  fut  le  théâtre?  Que  d'héroïques  actions  ont  dû  rester  igno- 
rées! Que  d'autres  sans  doute  ont  dû  servir  de  sujet  &  ces  récits  mouvementés 
que  l'Arabe  aime  tant  à  faire  le  soir,  sous  la  tente,  sans  qu'aucune  plume 
n'ait  été  1&  pour  les  recueillir!...  Victime  de  son  dévouement,  le  lieutenant- 
colonel  Roques  tombe  l'un  des  premiers,  la  tête  fracassée  par  un  éclat  d'obus. 
Un  peu  après,  c'est  le  tour  du  capitaine  Bonnemain.  Ce  dernier  est  atteint 
par  une  bombe,  qui  va  en  sifflant  labourer  le  sol.  Elle  n'a  pas  éclaté;  le 
blessé  la  suit  des  yeux  avec  une  mortelle  angoisse.  Il  ne  peut  fuir.  Mais 
le  sergent  Moliamctl-el-lladj-Kadour  a  deviné  le  péril  do  son  capitaine;  il  se 
précipite  sur  le  projectile,  le  saisit,  l'enlève  contre  sa  poitrine  et  court  vers 
une  traverse  blindée  derrière  laquelle  il  pense  le  jeter.  Il  n'a  pas  fait  deux 
pas,  que  la  bombe  éclate,  lui  emporte  les  deux  bras,  lui  laboure  la  poitrine, 
et,  semant  ses  éclats  de  tous  côtés,  va  achever  le  capitaine  Bonnemain.  Plus 
loin,  c'est  le  lieutenant  de  Boyne  qui  se  signale  par  une  rare  énergie.  En- 
touré d'ennemis,  il  refuse  de  se  rendre;  il  attend  ses  adversaires  de  pied 
ferme,  tire  sur  eux  les  six  coups  du  revolver  dont  il  est  armé,  et  parvient 
ainsi  à  se  dégager,  sans  avoir,  par  le  plus  miraculeux  des  hasards,  reçu  une 
seule  blessure. 

Du  côté  des  Russes,  le  courage  est  non  moins  ardent,  le  dévouement  non 
moins  admirable  ;  presque  tous  les  généraux  succombent  glorieusement.  Dès 
le  début  de  ce  combat ,  le  général  Khroulef  est  grièvement  blessé.  Il  passe  le 
commandement  au  général  Lisenko,  qui  tombe  pour  ne  plus  se  relever.  Le 
général  Touferof  succède  &  ce  dernier  :  il  a  le  même  sort.  Arrive  le  général 
Martineau  :  il  a  le  bras  droit  emporté  par  un  boulet.  Vient  enfin  le  général 
Chepelef ,  qui  fait  cesser  cette  boucherie  inutile  et  ordonne  la  retraite. 
Il  était  cinq  heures  du  soir;  le  drapeau  français  flottait  orgueilleusement 


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iZ%  LE  3*  RÊOIlfENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1855] 

au-dessus  do  MalakoflT;  mais  sur  les  autres  poinls  les  attaques  des  alliés 
avaient  complètement  échoué  :  les  divisions  Dulac  et  La  Motterouge  au  Petit- 
Redan ,  Godrington  au  Grand -Redan,  Levaillant  au  bastion  Central ,  d'Àute- 
marre  à  la  redoute  Schwartz,  n'avaient  pu  prendre  pied  dans  les  ouvrages 
ennemis,  et  avaient  été  ramenées  avec  de  grandes  pertes  dans  les  parallèles 
d'où  elles  étaient  parties.  Mais,  quelque  fftcheux  que  fussent  ces  insuccès,  la 
possession  de  Malakoff  ne  nous  en  assurait  pas  moins  une  complète  victoire. 

De  ce  côté,  la  lutte  avait  cessé;  les  troupes  russes  s'étaient  retirées  en 
arrière  de  la  seconde  enceinte,  au-dessous  du  mamelon  en  allant  vers  le 
nord,  et,  seul,  le  canon  jetait  encore  de  temps  à  autre  sa  note  sourde  au  sein 
de  ce  chaos.  Dans  l'intérieur  de  Malakoff,  le  génie  et  l'artillerie  travaillaient 
activement  pour  remettre  l'ouvrage  en  état  de  défense;  les  bataillons  d'infan- 
terie avaient  conservé  leurs  emplacements  respectifs  et  se  tenaient  prêts  à 
repousser  toute  nouvelle  attaque  de  l'ennemi.  Mais  ce  dernier ,  sentant  la 
partie  définitivement  perdue  pour  lui,  était  loin  de  songer  à  recommencer  le 
combat  ;  il  évacuait  successivement  les  différents  ouvrages  de  l'enceinte  et 
se  retirait  dans  les  quartiers  bas  de  la  ville;  bientôt  il  allait  môme  aban- 
donner celle-d,  et  ne  laisser  derrière  lui  qu'un  épouvantable  amas  de  ruines. 
La  nuit  vint.  Le  canon  se  tut  ;  les  rumeurs  confuses  qui  s'élevaient  encore 
des  rues  de  Sébastopol  s'éloignèrent  peu  à  peu  :  un  mystérieux  silence 
s'étendit  sur  l'invisible  cité.  Tout  à  coup  l'horizon  s'illumina ,  des  incendies 
apparurent  de  toutes  parts,  des  explosions  formidables  bouleversèrent  suc- 
cessivement les  forts,  les  batteries,  les  bastions,  les  redoutes,  les  magasins 
un  immense  souffle  de  dévastation  sembla  envelopper  la  ville  et  ses  faubourgs, 
et,  à  la  lueur  rougeôtre  que  répandit  cet  immense  brasier,  on  put  voir  les 
derniers  postes  ennemis  gagner  la  rive  nord  de  la  rade. 

Le  lendemain ,  à  huit  heures  du  matin,  le  régiment  de  Tirailleurs  algériens 
quitta  Malakoff  et  revint  s*élablir  au  camp  de  Traktir.  Ce  môme  jour,  les 
Russes  demandèrent  un  armistice  pour  enlever  leurs  morts  et  leurs  blessés; 
le  môme  devoir  fut  rempli  par  celles  do  nos  troupes  restées  sur  le  tliéûtro  de 
la  lutte. 

Nos  pertes  avaient  été  considérables  :  dix  mille  cinquante-quatre  hommes 
hors  de  combat.  Les  Tirailleurs  algériens ,  déjà  bien  décimés  par  l'assaut  du 
7  juin,  avaient  encore  eu  deux  cent  soixante  et  onze  tués  ou  blessés,  dont 
seize  oflSciers. 

Parmi  ces  derniers  étaient  tués  : 

MM.  Roques,  lieutenant-colonel. 

Rolland ,  capitaine  adjudant-major. 

Bonnemain,  capitaine. 

Meynard ,  lieutenant. 

Étaient  blessés  : 

MM.  Quinemant,  capitaine. 

Dermier,  d* 


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[1895]  EN  GRTIIÉB  !83 

MM.         ^ 

Baudier,  lieutenant, 

de  Laromerz ,  d^ 

(  mort  de  ses  blessures) . 


EN  GRTIIÉB 

Lavigne, 

capitaine. 

Baudier, 

lieutenant. 

de  Laromerz, 

do 

Abd-el-Kader-ben-Blidi, 

d*        (mo 

Mohamed-llamou-ben-ÀH, 

do 

Mustapha-ben-Bof  ram , 

do 

Mohamed-Chibli, 

do 

Mohamed-bel-Hadj , 

sous- lieutenant. 

Messaoud-ben-Ahmed , 

do 

Dans  ces  noms,  le  détachement  de  Conslantine  comptait  ceux  de  HH.  Qui- 
nemant,  Oermier,  Abd-el-Kader-ben-Blidi  et  Messaoud-ben-Ahmed.  Ses 
pertes  en  hommes  de  troupe  étaient  de  seize  tués  et  vingt-sept  blessés. 

Ainsi  se  termina  ce  siège,  sans  précédent  sous  le  rapport  des  moyens  mis 
en  œuvre  par  la  défense  et  par  Tattaque.  Il  avait  duré  onze  mois.  Dans  cette 
lutte  gigantesque,  de  nouveaux  soldats,  à  peine  d*hier  au  service  de  la  France, 
qui  jusque-là  n'avaient  eu  &  combattre  qu'un  ennemi  qui  leur  était  familier, 
qui  n'avaient  jamais  été  employés  en  dehors  de  leur  propre  pays,  s'étaient 
placés  au  premier  rang  parmi  les  plus  braves,  les  plus  disciplinés,  les  plus 
endurcis  aux  fatigues  et  aux  privations ,  les  plus  énergiques  et  les  plus  dé- 
voués. Le  plus  bel  éloge  qu'on  puisse  faire  d'eux  après  le  récit  de  cette  glo- 
rieuse campagne,  c'est  de  reproduire  l'ordre  que  le  général  Camou,  comman- 
dant provisoirement  le  2*  corps  depuis  la  blessure  du  général  Bosquet,  leur 
adressait  le  1*'  octobre  1855. 

«  Tirailleurs  algériens , 

«  L'empereur,  content  des  services  que  vous  avez  rendus,  et  heureux  de  la 
part  que  vous  avez  eue  dans  cette  guerre  entreprise  pour  le  maintien  de  la 
puissance  du  Sultan,  vous  rend  à  l'Algérie  et  à  vos  familles. 

c  Pendant  cette  lutte  mémorable,  vous  avez  été  de  vaillants  soldats,  et  votre 
brillante  conduite  vous  a  acquis,  dans  l'armée  française,  une  réputation  dont 
nos  alliés  et  notre  ennemi  lui-môme  vous  ont  reconnus  dignes  en  vous  égalant 
à  nos  meilleures  troupes. 

«  Fatigues  des  travaux  do  siège,  privations  et  souffrances  de  l'hiver,  péril 
des  combats,  vous  avez  tout  surmonté. 

«  Le  20  corps  vous  fait  ses  adieux ,  ainsi  que  son  chef,  qu'une  blessure  reçue 
en  vous  conduisant  à  la  victoire  prive  du  bonheur  de  vous  exprimer  lui-même 
ses  sympathies.  Chargé  par  lui  d'ôtre  son  interprète  auprès  de  vous,  je  ne 
puis  mieux  faire  que  de  rappeler  les  noms  immortels  de  l'Aima,  d'Inkermann, 
du  mamelon  Brancion,  de  la  Tchemaïa,  de  Malakoff  et  de  Sébastopol,  autant 
de  titres  de  gloires  pour  le  régiment  de  Tirailleurs  algériens,  et  que  chacun 
de  vous  peut  citer  avec  orgueil,  fier  d'avoir  assisté  aux  plus  grands  événe- 
ments militaires  de  l'histoire  des  peuples. 

•  Au  oamp  de  la  Tchemaïa,  le  l**  octobre  i8S5. 

«  Le  général  de  division  commandant  la  2«  division  et  provisoirement 
le2«  corps  d*armée, 

<  Signé  :  CAMOU.  > 


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134  LB  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1855] 

Ainsi  que  l'annonçait  cet  ordre,  le  régiment  de  Tirailleurs  algériens  allait 
(piitter  la  Crimée;  mais,  avant  de  cesser  de  faire  partie  de  Fermée  d'Orient, 
il  lui  était  réservé  de  prendre  part  au  dernier  succès  que  les  alliés  devaient 
remporter  sur  les  Russes,  à  la  dernière  opération  qui  devait  précéder  la 
paix. 

Le  2  octobre,  une  brigade  française,  commandée  par  le  général  de  Wim- 
pffen,  et  comprenant  le  14*  bataillon  de  chasseurs  à  pied ,  le  95*  de  ligne  et 
le  régiment  de  Tirailleurs  algériens,  reçut  l'ordre  de  se  rendre  à  Kamiescb; 
elle  devait,  avec  la  brigade  anglaise  du  général  Spencer,  former  une  division 
qui ,  sous  les  ordres  du  général  Bazaine,  était  destinée  à  une  expédition  sur 
Kinboum,  forteresse  assez  importante  fermant  le  limon  du  Dniepr,  sorte  de 
golfe  intérieur  qui  reçoit  les  eaux  de  deux  fleuves  considérables  :  le  Dniepr 
et  le  Boug. 

Le  7  octobre,  la  brigade  française  s'embarqua  à  Kamiescb,  et  la  brigade 
anglaise  à  Balaklava.  Lerégiment  de  Tirailleurs  algériens  ne  devait  plus  mettre 
le  pied  sur  la  terre  de  Grimée. 

Le  8,  la  flotte  arriva  dans  les  parages  d'Odessa;  elle  resta  pendant  cinq 
jours  en  position  devant  cette  ville,  et  le  14  fit  voile  vers  Kinboum.  Le  15, 
le  débarquement  commença,  mais  l'état  de  la  mer  ne  permit  de  le  terminer 
que  le  lendemain. 

Le  16,  une  reconnaissance  poussée  en  avant  des  lignes  anglaises,  à  quatre 
ou  cinq  lieues  dans  les  terres,  rentra  sans  avoir  rencontré  l'ounenii. 

Le  bombardement  par  la  flotte  devait  avoir  lieu  le  17;  dans  la  nuit,  une 
tranchée  d'investissement  fut  ouverte  à  environ  neuf  cents  mètres  do  la  place, 
et  vers  une  heure  du  matin  ce  travail  se  trouva  assez  avancé  pour  permettre 
d'y  installer  une  partie  du  bataillon  de  chasseurs. 

Le  lendemain,  dans  la  matinée,  le  général  de  Wimpffen  reçut  l'ordre 
de  faire  avancer  ses  troupes  dans  la  plaine,  de  façon  à  être  prêt  à  maintenir 
la  garnison  dans  le  cas  où  elle  tenterait  une  sortie  désespérée.  À  neuf  heures 
et  demie,  les  batteries  flottantes  ouvrirent  le  feu;  bientôt  les  frégates  et 
les  canonnières  vinrent  y  joindre  le  leur  ;  enfin ,  vers  midi ,  les  gros  vais- 
seaux saluèrent  à  leur  tour  la  forteresse  de  leurs  puissantes  bordées.  Pendant 
ce  temps,  du  côté  de  la  terre,  d'habiles  tireurs  se  glissaient  jusqu'à  quatre 
cents  mètres  de  la  place,  et,  abrités  par  de  gros  tas  de  bois,  exécutaient  un 
feu  des  plus  précis  qui  prenait  d'écharpc  les  canonniors  des  Imltcries  ennemies. 

Vers  une  heure  et  demie,  la  |)osition  n'était  plus  lenuhlo  pour  les  assiégés; 
leur  artillerie,  complètement  démontée,  était  hors  d'état  de  soutenir  la  lutte. 
L'attaque  fut  suspendue;  des  parlementaires  furent  envoyés  au  général  russe, 
qui  hésita  longtemps,  et  finit  enfin  par  accepter  les  clauses  de  la  capitulation 
qui  le  faisaient  prisonnier  de  guerre  avec  toute  la  garnison,  soit  quarante 
officiers  et  mille  quatre  cent  vingt  hommes.  De  ce  fait,  cent  soixante-quatorze 
bouches  à  feu  tombèrent  en  notre  pouvoir.  Cette  brillante  opération  n'avait 
pas  coûté  un  seul  homme  au  régiment. 

Le  lendemain ,  les  Uusses  faisaient  sauter  le  fort  d'Otchakow ,  situé  en  face 
de  Kinboum,  de  l'autre  côté  de  la  passe  du  liman. 
Lss  jours  suivants,  pendant  que  les  canonnières  anglaises  et  françaises  ex* 


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[1855]  EN  CRIMÉE  i35 

ploraient  le  Dniepr  et  le  Boug,  une  partie  des  troupes  alla  camper  à  environ 
quinze  kilomètres  dans  les  terres,  au  village  de  Pakrovka.  Des  reconnais- 
sances furent  envoyées  dans  les  diiïérentes  directions,  et  le  régiment  de 
Tirailleurs  poussa  jusqu^à  Otchérétina,  &  une  journée  plus  avant  dans  Tinté- 
rieur.  L*enncmi  ne  se  montra  nulle  part.  Cependant,  au  moment  où  Ton 
quittait  Pakrovka  pour  revenir  à  Kinbourn ,  une  forte  troupe  de  cavalerie 
russe  apparut  soudain  à  une  faible  distance  du  village  qu'on  venait  d*évacuer. 
Trois  compagnies  de  Tirailleurs  algériens  furent  aussitôt  déployées  pour  faire 
face  &  une  agression  qui  paraissait  imminente;  mais  Tennemi  ne  tarda  pas 
à  s'éloigner,  et  la  marche  continua  sans  être  marquée  par  aucun  autre  in« 
cident. 

lifl  20,  le  régiment  fut  cmhnrqué  &  bord  du  Fleftrm,  qui  le  ramena  à  Ka- 
inicscli ,  où  il  fut  immédialcment  transbordé  sur  Vllaxiite,  Le  30  octobre ,  ce 
dernier  bâtiment  mettait  à  la  voile ,  et  le  27  novembre,  après  une  traversée 
des  plus  heureuses,  il  entrait  dans  le  port  d'Alger.  Il  y  avait  dix-neuf  mois 
que  les  Tirailleurs  algériens  avaient  quitté  cette  ville.  Une  magnifique  récep- 
tion y  avait  été  préparée  en  leur  honneur.  Le  général  Randon,  gouverneur 
général,  suivi  d'un  nombreux  état-major,  d'un  brillant  cortège  de  chefs 
indigènes,  de  musiques  françaises  et  arabes,  vint  lui-même  au-devant  d'eux 
et  les  accompagna  jusqu'à  leur  campement ,  en  dehors  de  la  porte  d'Isly.  Sur 
tout  leur  parcours,  des  fleurs,  des  bouquets,  des  acclamations,  des  vivats 
enthousiastes  leur  furent  prodigués  par  la  foule,  qui  leur  prouva  ainsi  l'ad- 
miration qu'avait  fait  naître  le  récit  de  leurs  glorieux  succès.  Le  soir ,  une 
immense  difla  leur  fut  ofTerte  par  leurs  coreligionnaires,  et  la  population 
européenne  leur  témoigna  ses  sympathies  en  donnant  à  leur  intention  une 
grando  soirée  théâtrale,  dans  laquelle  furent  représentés  divers  épisodes 
ayant  trait  à  la  campagne  d'Orient. 

Quelques  jours  après ,  le  gouverneur  général  les  passait  en  revue ,  et  les 
contingents  d'Oran  et  de  Gonstantine  étaient  dirigés  sur  leur  province  res- 
pective. De  nouvelles  ovations  attendaient  ces  braves  à  leur  arrivée  à  Gonstan- 
tine, de  nouvelles  fêtes  avaient  été  préparées;  mais  ici  leurs  réjouissances 
revêtirent  un  caractère  plus  intime;  leurs  parents,  leurs  amis,  tous  ceux  qui 
leur  étaient  chers,  et  dont  ils  avaient  été  si  longtemps  séparés  étaient  là  pour 
les  recevoir,  les  féliciter  et  leur  exprimer  la  joie  qu*éveillait  leur  retour. 

Un  décret  du  10  octobre ,  complété  par  une  décision  ministérielle  du  7  no- 
vembre, prononçait  le  licenciement  du  régiment  de  Tirailleurs  algériens  pour 
le  31  décembre  1855.  Les  militaires  qui  en  faisaient  partie  devaient  être 
versés  dans  les  trois  régiments  indigènes  créés  par  le  même  décret,  et  cela 
de  façon  que  chacun  d'eux  pût  revenir  dans  sa  province  d'origine,  à  moins 
cependant  qu'il  eût  manifesté  une  intention  contraire.  G'est  ainsi  que  le  déta- 
chement de  Gonstantine  allait  entrer  dans  la  composition  du  3**  régiment,  et 
apporter  dans  ce  nouveau  corps  les  nobles  traditions  de  discipline,  de  courage 
et  de  dévouement  qu'il  avait  puisées  sur  le  sol  de  la  Grimée. 


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CHAPITRE  XY 

(1854-1866) 


Opératioiis  en  Algérie  pendant  les  années  1854*1855.  —  (1854)  Expédition  dans  la  grande 
Kabylie.  —  Prise  du  col  de  Sldl-AIssa.  —  Ciombats  des  17,  iO  et  30  juin.  —  Disse- 
Intlon  de  la  colonne.  —  Le  commandant  Guichard  remplace  le  commandant  Jolivet.— 
Opérations  contre  les  Nemencha.  —  Occupation  de  Tuggart.  —  (1855)  Création  d'un 
deuxième  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes  dans  la  province  de  Gonstantlne.  —  Li- 
cenciement des  bataillons  de  Tirailleurs  indigènes  et  création  de  régiments  de 
Tirailleurs  algériens. 


.  Pendant  qu'une  notable  partie  du  bataillon  de  Tirailleurs  de  Constantine 
se  couvrait  de  gloire  en  Crimée,  la  portion  de  ce  corps  demeurée  en  Algérie 
avait  été  loin  de  rester  inactive.  Grâce  aux  eflbrts  du  commandant  Jolivet, 
aidé  en  cela  par  les  capitaines  Vindrios,  Le  Bustier,  Fossiat- Deschâtres  et 
Pelisse,  cette  portion  avait  été  rapidement  réorganisée.  Son  effectif,  considé- 
rablement réduit  par  le  premier  contingent  envoyé  on  Orient  et  {mr  les  im- 
portants renforts  dont  il  avait  bientôt  fallu  le  faire  suivre,  s'était  presque 
aussitôt  trouvé  reconstitué,  et,  dès  le  mois  de  mai ,  quatre  compagnies  ayant 
chacune  un  effectif  de  près  de  deux  cents  hommes  étaient  prêtes  à  reprendre 
la  campagne. 

La  province  était  assez  tranquille;  cependant  un  bruit,  qui  pouvait  en- 
traîner à  de  graves  conséquences  en  s'accréditant,  s'était  tout  à  coup  répandu 
parmi  les  indigènes  :  on  se  répétait  dans  les  douars  que  la  guerre  d'Orient  allait 
nous  faire  abandonner  l'Algérie,  et  cet  espoir,  d'abord  timidement  caressé  par 
quelques  tribus  indépendantes,  avait  pris  peu  à  peu  une  consistance  qui  me- 
naçait de  le  faire  partager  par  celles  qui  paraissaient  nous  être  le  plus  dé- 
vouées. D*un  autre  côté,  la  Kabylie  subissait  encore  la  sourde  influence  de 
Bou-Baghia ,  ce  chef  opiniâtre  que  nous  avons  vu  se  présenter  devant  Bougie 
en  18SI,  et  déjà,  au  mois  d*avrii,  une  colonne  avait  dû  être  envoyée  sur  le 
Sébaou  pour  surveiller  cette  contrée,  où  son  parti,  quoique  vaincu,  était 
eucore  assez  puissant  pour  demeurer  une  constante  inquiétude  pour  les  en- 
virons de  la  petite  place  de  Deihys.  Il  importait  donc,  quelque  diminuée 


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[1854]  EN  ALOÉRIB  |37 

qa*eût  été  Tarmée  d'occupation,  de  se  montrer  en  force  att  sein  de  ces  popu- 
lations rebelles ,  pour  bien  les  persuader  que  nous  n'étions  pas  prêts  à  faire 
volontairement  le  sacrifice  de  notre  conquête.  Un  corps  expéditionnaire  fut 
organisé  dans  ce  but  avec  toutes  les  troupes  disponibles  des  provinces 
d'Alger  et  de  Conslantine,  et  il  fut  décidé  que  les  opérations  auraient  pour 
théAtro  la  région  comprise  onlro  Tizi-Ouzou,  Ksar-Kebouch,  Dolbys  et 
Bougie. 

Les  troupes  de  la  province  de  Constantine  formèrent  une  division  qui  fut 
placée  sous  les  ordres  du  général  de  Mac-Mahon.  D'après  les  ordres  du  gou- 
verneur général,  cette  division  devait  marcher  sur  Tifrit,  puis  se  porter  de 
ce  point  vers  Chaoufa ,  pour  y  opérer  sa  jonction  avec  les  troupes  venues  de 
la  province  d'Alger. 

Le  18  mai ,  le  bataillon  de  Tirailleurs  quitta  Constantine  pour  se  rendre  à 
Sétify  où  devait  s'organiser  la  colonne.  Au  moment  de  son  départ,  il  avait 
un  eflectif  de  dix-sept  officiers  et  de  six  cent  quarante-cinq  hommes. 

Le  mouvement  commença  le  26.  On  se  dirigea  d'abord  sur  Bougie,  où  l'on 
arriva  le  30.  Le  31,  on  quitta  ce  poste,  pour  remonter  la  rive  gauche  de 
rOued-Sahel.  Le  3  juin,  on  arrivait  &  Tizi-Takerin.  Le  4,  la  colonne  se  remit 
en  route  à  cinq  heures  du  matin;  elle  arriva  au  bivouac  de  Souk-el-IIad, 
vers  onze  heures.  Les  tentes  furent  dressées  sur  les  bords  de  l'Oued -el-Ilad , 
petit  ruisseau  alimenté  par  les  nombreux  ravins  descendant  du  sommet 
d'une  montagne  située  à  douze  ou  quatorze  cents  mètres  de  là. 

La  crête  de  cette  montagne  semblait,  vue  du  camp,  former  un  arc  de 
cercle  dont  la  convexité  aurait  été  tournée  vers  le  nord;  sur  plusieurs  points 
elle  présentait  des  rochers  abrupts;  sur  ses  flancs,  quelques  bouquets  d'ar« 
bres  et  de  la  broussaille  paraissaient  rendre  ses  pentes,  sinon  impraticables, 
du  moins  fort  difficiles  à  gravir.  Un  sentier  étroit,  parlant  des  bords  de 
rOued-el-Had  et  menant  directement  au  col  de  Sidi-Aîssa,  était  la  seule 
communication  y  donnant  accès. 

A  peine  les  troupes  eurent-elles  commencé  à  installer  leur  bivouac ,  que 
toutes  les  hauteurs  environnantes  se  couvrirent  de  Kabyles.  On  les  voyait  de 
loin  construisant  en  toute  hftte  des  retranchements  en  pierres  sèches;  ils 
se  préparaient  visiblement  &  nous  disputer  énergiquement  le  passage  du 
défilé. 

II  était  midi  ;  les  troupes  furent  aussitôt  rassemblées  et  organisées  dans 
l'ordre  suivant  :  &  l'extrême  droite,  le  1^  bataillon  de  chasseurs  à  pied;  puis, 
à  la  gauche  de  ce  bataillon,  trois  bataillons  du  \6^  léger,  deux  bataillons  de 
zouaves,  un  bataillon  du  71*  de  ligne,  et  enfin,  à  l'extrême  gauche,  le  ba- 
taillon de  Tirailleurs  indigènes.  Elles  se  mirent  en  marche  dans  cet  ordre,  se 
dirigeant  vers  la  montagne  dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  Les  deux  batail- 
lons des  ailes  devaient  presser  leur  marche,  chercher  à  déborder  les  extré- 
mités de  la  ligne  ennemie,  puis  tourner  cette  dernière  de  façon  à  obliger  les 
Kabyles  à  abandonner  leurs  positions. 

Vers  deux  heures,  le  mouvement  tournant  étant  assez  prononcé ,  le  général 
de  Mac-Mahon  fit  donner  le  signal  de  l'attaque;  toutes  les  troupes  s'élan- 
cèrent à  l'assaut;  en  même  temps  le  bataillon  de  Tirailleurs  et  celui  des 


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138  LB  3«  RÉGIMENT  D£  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [lb64] 

chasseura  se  rabaltaiont  sur  les  flancs  de  rcnnemi.  Voyant  sa  relraile  près 
de  lui  être  coupée,  ce  dernier  s'empressa  d'abandonner  les  hauteurs  qu'il 
ayail  si  soigneusement  fortifiées.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  avait  eu  deux 
hommes  blessés. 

Après  une  poursuite  de  quelques  instants,  les  deux  brigades  rentrèrent  au 
bivouac,  et  la  journée  se  passa  sans  qu'aucun  Kabyle  se  montrât  aux  envi- 
rons de  nos  avant-postes. 

Le  lendemain ,  la  marche  fut  reprise  dans  la  direction  de  Tifrit.  Le  12,  les 
troupes  des  deux  provinces  opérèrent  leur  jonction  ;  les  deux  divisions  ne 
formèrent  plus  alors  qu'une  seule  colonne  sous  les  ordres  du  général  Randon, 
gouverneur  général.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  se  trouva  compris  dans  la 
deuxième  brigade  (colonel  Piot)  de  la  deuxième  division.  Le  13,  ce  bataillon 
fut  passé  en  revue  par  le  général  Randon,  qui  se  montra  fort  satisfait  de  son 
attitude  et  de  sa  tenue. 

Le  16,  le  bivouac  fut  établi  sur  la  crôte  des  montagnes  dos  Boni-Yahia.  On 
devait  faire  séjour  le  lendemain. 

Le  17,  vers  dix  heures  du  matin,  on  commença  à  apercevoir  de  nom- 
breuses bandes  de  Kabyles  se  réunissant  sur  la  ligne  de  crêtes  bornant 
l'horison  au  sud.  La  division  de  Constantine  prit  immédiatement  les  armes 
et  fut  divisée  en  trois  groupes;  le  bataillon  indigène  forma,  avec  un  demi 
bataillon  de  souaves,  le  groupe  de  gauche,  dont  M.  le  lieutenant-colonel 
Paêr  eut  le  commandement. 

Cette  dernière  colonne  avait  pour  mission  d*enlever  le  col  de  Tîzi-Oulem. 
Elle  s'engagea  dans  un  étroit  chemin  en  corniche ,  tracé  sur  le  flanc  du  Faît- 
Oudja,  et  se  trouva  bientôt  devant  la  position,  qu'elle  aborda  des  deux  côtés 
à  la  fois.  La  résistance  fut  opiniâtre  ;  mais  l'ennemi ,  voyant  sa  droite  près 
d'ôtre  tournée  par  le  bataillon  de  Tirailleurs,  se  retira  précipitamment,  aban- 
donnant une  partie  de  ses  morts  et  de  ses  blessés.  Après  avoir  franchi  le  col , 
le  lieutenant -colonel  Paêr  reçut  l'ordre  de  brûler  tous  les  villages  qui  se 
trouvaient  sur  la  gauche.  Ce  fut  encore  le  bataillon  indigène  qui  se  chargea 
de  cette  opération. 

A  six  heures  et  demie ,  toutes  les  troupes  étaient  rentrées  au  camp. 

Le  bataillon  de  Tirailleurs  avait  eu  onze  blessés,  dont  M.  Cayrol,  lieute- 
nant, atteint  d'un  coup  de  feu  à  la  poitrine.  Le  soir,  le  commandant  Jolivct 
reçut  pour  sa  troupe  les  plus  flatteurs  éloges  de  la  part  du  gouverneur 
général. 

Un  brouillard  intense  étant  survenu,  la  colonne  séjourna  encore  trois 
jours  sur  le  territoire  des  Beni-Yahia.  Le  20,  six  bataillons  de  la  division 
d'Alger  et  trois  de  celle  de  Constantine,  parmi  lesquels  celui  des  Tirailleurs 
indigènes,  quittèrent  le  camp  à  six  heures  du  matin ,  sous  les  ordres  du  gé- 
néral Randon,  pour  se  porter  sur  le  territoire  des  Beni-Henguillet.  L'opé- 
ration projetée  avait  pour  but  de  dévaster  le  pays  et  de  détruire  plusieurs 
villages,  notamment  celui  de  Taourir-Inteditz,  l'orgueil  de  la  tribu.  Ce 
village  se  trouvait  placé  sur  un  contrefort  boisé  à  croupe  arrondie  se  déta- 
chant de  la  grande  chaîne  des  Sebt.  Les  Kabyles  en  avalent  crénelé  les  mai- 
sons, barricadé  les  rues,  et  couvert  les  approches  au  moyen  d'abatis. 


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[1854]  EN  ALOÊRIR  139 

Ce  furent  les  bataillons  de  la  division  d'Alger  qui  eurent  pour  mission  de 
Tenlever.  Après  une  lutte  acharnée,  ils  finirent  par  s*y  établir  de  vive  force. 
Immédiatement  on  procéda  à  la  démolition  des  maisons  et  &  la  dévastation 
des  jardins  et  des  vergers  environnants.  Le  bataillon  de  Tirailleurs  do  Con- 
stantine  fut  chargé  de  protéger  les  travailleurs  contre  les  Kabyles,  qui  reve- 
naient en  nombre  pour  s*opposer  à  la  destruction  de  leurs  habitations  et  de 
leurs  récoltes.  L*ennemi  ne  tarda  pas  à  se  montrer  agressif  et  à  diriger 
sur  nos  troupes  une  fusillade  des  plus  nourries  ;  mais  le  bataillon  de  Tirail- 
leurs ,  passant  aussitôt  à  une  vigoureuse  offensive,  l'aborda  &  la  baïonnette , 
le  culbuta,  le  rejeta  dans  un  ravin  où,  pendant  un  instant,  eut  lieu  un  san- 
glant combat  corps  à  corps  qui  se  termina  par  la  fuite  précipitée  des  Ka- 
byles, qui ,  à  partir  do  ce  moment,  n'inquiétèrent  plus  la  colonne.  Ils  avaient 
laissé  cinquante  des  leurs  sur  le  terrain.  Presque  toutes  les  blessures  étaient 
le  fait  do  la  baïonnette.  Les  Tirailleurs  comptaient  un  homme  tué  et  vingt- 
six  blessés ,  pertes  assez  sensibles  et  qui  témoignent  suffisamment  de  l'ardeur 
de  la  lutte. 

L'opération  avait  complètement  réussi  ;  les  troupes  furent  rassemblées  et 
ramenées  au  camp.  Le  lendemain,  les  Beni-Menguillet  vinrent  faire  leur 
soumission. 

Le  25,  le  camp  fut  levé  et  porté  à  Djouma-Nétonich-Guida,  sur  les  contre- 
forts des  Beni-Itouragh.  Le  26,  eut  lieu  une  nouvelle  sortie  contre  les  con- 
tingents de  cette  tribu,  qui  furent  dispersés  après  un  assez  vif  combat,  où  le 
bataillon  eut  deux  hommes  blessés.  Le  28 ,  la  colonne  reprit  sa  marche  et  se 
dirigea  vers  la  plaine  du  Sébaou.  Le  30 ,  les  deux  divisions  quittèrent  leurs 
bivouacs  &  quatre  heures  du  matin,  pour  se  porter  au  centre  de  la  tribu  des 
Beni-Idjer.  Après  trois  heures  de  marche,  on  arriva  près  de  Tléta,  sur  la 
rive  droite  du  Ghcba-Rouzian.  Sur  les  bords  de  cotte  rivière  s'élevaient  plu- 
sieurs villages,  dont  les  principaux  étaient  :  Bouzian,  au  fond  d'un  vallon  très 
riche;  Sahel,  Ekia-Toussen ,  au  sommet  de  la  crête  d'un  contrefort  projeté 
par  la  chaîne  principale  des  Beni-Idjer ,  et,  à  l'extrémité  sud  de  ce  contrefort, 
sur  un  pic  dominant  la  rive  droite  de  l'Oued -Sahel,  Taourir,  où  se  voyait  la 
maison  du  fameux  Bou-Baghla. 

En  s'approchent  de  Bouzian,  l'avant-garde  de  la  division  de  Constantine 
fut  assaillie  de  coups  de  fusil  ;  de  nombreux  Kabyles  s'étaient  embusqués 
derrière  les  arbres  qui  bordaient  la  rivière,  et  de  1&  dirigeaient  un  feu  bien 
ajusté  sur  le  bataillon  de  zouaves  qui  se  trouvait  en  tête  de  la  colonne.  Ce 
bataillon  reçut  aussitôt  l'ordre  de  s'avancer  au  pas  de  course;  en  même 
temps  un  bataillon  du  71°  do  ligne  se  portait  en  avant  pour  appuyer  ce 
mouvement,  pendant  que  celui  des  Tirailleurs  indigènes  se  déployait  plus  à 
droite,  et  commençait  à  gravir  les  pentes  abruptes  qui  s'étendaient  au  pied 
d'Ekia-Toussen. 

Ce  dernier  point  semblait  être  le  centre  de  la  résistance;  c'était  là  que  les 
Kabyles  se  trouvaient  en  plus  grand  nombre,  ce  fut  là  aussi  qu'ils  se  défen- 
dirent avec  le  plus  d'opiniâtreté.  Cependant  rien  ne  put  résister  à  l'admirable 
élan  des  Tirailleurs  ;  sous  le  feu  meurtrier  des  Kabyles,  le  bataillon  gravit  la 
montagne  au  pas  de  course,  puis  aborda  résolument  le  village,  d'où  l'ennemi 


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140  LE  3*  HÉOIIIBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1854] 

fut  bientAi  chassé.  De  leur  cAté,  les  zouaves  s'étaient  emparés  du  village  de 
Bousian.  Les  Arabes  étaient  en  fuite  sur  tous  les  points.  Vers  onie  heures, 
trois  bataillons  de  la  division  d'Alger  se  portèrent  en  avant,  avec  mission  de 
couvrir  la  retraite.  Celle-ci  s'opéra  lentement,  en  bon  ordre,  et  à  midi  toutes 
les  troupes  se  trouvaient  sous  la  tente. 

Le  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes,  qui  avait  fourni  l'effort  principal  de  la 
journée,  avait  également  subi  les  pertes  les  plus  considérables;  ces  der- 
nières s'élevaient  à  deux  hommes  tués  et  trente-deux  blessés,  chiffre  énorme 
pour  un  combat  qui  avait  duré  si  peu  d'instants. 

Le  2  juillet,  ce  fut  le  tour  du  village  de  Taourir.  Les  bandes  chassées  dans 
la  journée  du  30  juin  étaient  venues  s'y  réunir  et  tentaient  de  s'y  fortifier.  Une 
partie  des  troupes  sortit  du  camp,  et  le  village,  abordé  par  le  7*  bataillon  do 
chasseurs  à  pied  et  le  3«  bataillon  du  16^  léger,  qu'appuyait  le  bataillon  de 
Tirailleurs  indigènes,  fut  enlevé  avec  un  entrain  remarquable. 

Dans  cette  journée,  le  bataillon  de  Tirailleurs  n'eut  que  deux^blessés. 

Ce  dernier  combat  amena  la  complète  soumission  des  Beni-Idjer.  Le  but  de 
l'expédition  était  atteint.  Le  6  juillet,  le  gouverneur  général  prononça  la  dis- 
solution de  la  colonne.  Les  troupes  devaient  rentrer  dans  leurs  garnisons 
respectives.  Avant  de  les  quitter,  le  général  Randon  leur  laissa  l'ordre 
suivant  : 


c  Soldats  des  divisions  d'Alger  et  de  Constantine, 

«  Vous  avez  dignement  accompli  votre  longue  et  laborieuse  campagne.  Vous 
avez  eu  de  grandes  fatigues  à  endurer,  de  rudes  combats  à  livrer.  Vous  avez 
surmonté  tous  ces  obstacles  par  votre  persévérance  et  votre  courage. 

«  Vos  glorieuses  journées  des  4,  9,  20,  26,  il  et  30  juin,  !<'*'  et  i  juillet,  sont 
inscrites  aux  plus  belles  pages  de  notre  guerre  d'Afrique.  Le  sang  précieux  que 
vous  venez  de  verser  fécondera  le  sol  de  notre  conquête,  que  vous  venez  encore 
d'agrandir. 

«  Soldats,  vous  avez  bien  mérité  de  la  France  et  de  l'empereur.  Notre  au- 
guste souverain  reconnaîtra  vos  brillants  services.  Voire  général  en  chef  les 
signalera,  comme  ils  le  méritent,  à  Son  Excellence  le  ministi-e  de  la  guerre,  qui 
sera  votre  chaleureux  intermédiaire  auprès  de  Sa  Majesté.  » 

Un  autre  ordre,  en  date  du  13  août,  signalait  les  noms  de  ceux  nui  s'étaient 
plus  particulièrement  distingués  dans  le  cours  do  cette  expédition.  Etaient  cités 
au  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes  : 

MM.  Villers,  capitaine. 
Cayrol ,  lieutenant. 
Mallot,  d« 

Renaud,  sergent -major. 
Labessi ,        sergent. 

Le  17  juillet,  le  bataillon  était  de  retour  à  Constantine. 

Le  29  juin,  le  commandant  Jollvet  avait  été  nommé  lieutenant-colonel.  Ce 


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[1854]  EN  ALGÉRIE  141 

fat  le  commandant  Guichard  qui  fut  désigné  pour  le  remplacer  à  la  tôte  des 
Tirailleurs  de  Constantine. 

Pendant  que  la  portion  principale  du  corps  se  trouvait  en  Kabylie,  la  8"  com- 
pagnie, qui  fournissait  plusieurs  détachements  dans  les  postes  de  Test  de  la 
province,  prenait  part  à  un  hardi  coup  de  main  dirigé  contre  les  Nemencha. 

Cette  importante  tribu  était  depuis  longtemps  en  relations  avec  le  faux 
chérif  Mohamed-ben-Àbdallah,  et  lui  fournissait  secrètement  des  armes, 
des  munitions  et  des  chevaux.  Ces  agissements  méritaient  une  sévère  punition. 

Apprenant  que  quelques-uns  de  ses  douars  se  trouvaient  campés  près  du 
défilé  de  TOuba,  le  commandant  supérieur  de  Tébessa  résolut  de  les  y  sur- 
prendre. Prenant  avec  lui  un  escadron  de  chasseurs,  cinquante  spahis, 
soixante- quinze  Tirailleurs  et  cinquante  goumiers,  il  quitta  Tébessa  dans  la 
nuit  du  22  au  23  mai ,  et  au  point  du  jour  tomba  sur  les  Arabes,  qui  étaient 
loin  de  s'attendre  à  cette  agression.  Il  leur  enleva  trois  cents  tentes  et  leur 
tua  soixante -trois  hommes.  Par  la  vigueur  qu*il  avait  déployée  dans  cette 
marche  difficile  et  par  le  concours  quMl  avait  prêté  à  la  cavalerie  dans  Ten- 
lèvement  des  douars ,  le  détachement  de  Tirailleurs  s*était  attiré  tous  les  éloges 
du  chef  de  l'expédition. 

Un  des  faits  les  plus  importants  de  l'année  1854  fut  Toccupation  de  Tuggurt. 

Depuis  longtemps  celte  oasis,  dont  dépendait  alors  le  Souf  et  toute  la  vallée 
de  rOued-R'rir,  obéissait  à  la  famille  des  Ben-Djellab,  dont  quelques  membres 
avaient  même,  à  diverses  époques,  pris  le  titre  pompeux  de  sultan.  En  1834| 
le  général  Voirol  étant  gouverneur  général,  le  cheik  de  Tuggurt,  qui  jusque-là 
n'avait  reconnu  que  nominalement  la  suprématie  des  beys  de  Constantine ,  se 
mit  en  relations  avec  l'autorité  française ,  et  donna  bientôt  à  son  attachement 
&  notre  cause  le  caractère  d'une  certaine  fidélité.  Lors  de  l'occupation  de 
Biskra  en  1844,  son  fils  Abd-er-Rhaman-ben-Djellab,  devenu  cheik  à  son 
tour,  vint  même,  sans  y  être  sollicité,  rcconnailre  la  suzeraineté  de  la  France 
et  s'engager  &  payer  un  tribut  annuel  de  vingt  mille  francs,  à  la  simple  con- 
dition de  pouvoir  fréquenter  nos  marchés. 

De  ce  jour,  nos  rapports  avec  Tuggurt  devinrent  de  plus  en  plus  suivis,  et 
le  cheik  ne  demandait  qu'è  s'abandonner  tout  &  fait  à  notre  influence,  lorsque, 
vers  la  fin  de  1851 ,  il  fut  brusquement  assassiné.  11  ne  laissait  que  des  en- 
fants en  bas  Age,  mais  il  avait  eu  la  précaution,  avant  sa  mort,  de  demander 
l'investiture  pour  son  fils  aine.  Agé  de  huit  ans.  Cette  faveur  lui  avait  été  ac- 
cordée; seulement  le  cheik  el-arab  Si-Ahmed-el-Hadj-ben-Ganah  devait 
exercer  le  pouvoir  jusqu'à  la  majorité  de  l'enfant.  Le  cheik  el-arab,  au  lieu 
de  se  rendre  immédiatement  à  son  poste  et  de  faire  reconnaître  son  autorité, 
attendit,  perdit 'du  temps,  négocia ,  indisposa  les  habitants  de  l'oasis,  et  fina- 
lement trouva  la  ville  fermée  lorsqu'il  s'y  présenta. 

Il  existait  alors  un  autre  membre  de  la  famille  des  Ben-Djellab  :  c'était  un 
nommé  Selman-ben-Djellab.  Il  était  cousin  du  dernier  cheik  et  prétendait 
être  le  seul  héritier  légitime  du  pouvoir;  plusieurs  fois  déjà  il  avait  fait  des 
tentatives  pour  s'en  emparer;  mais,  toutes  ayant  échoué,  il  s'était  enfin  réfugié 
à  Ouargla  auprès  du  chérif  Mohamed -ben- Abdallah.  Aussitôt  qu'il  apprit  ce 
qui  s'était  passé  entre  les  habitants  de  Tuggurt  et  le  cheik  el-arab,  il  vint  à 


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142  LE  3*  RÉOmCNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (t8S4] 

Tomacin,  réunit  autour  de  lui  uoo  partio  dos  tribus  do  la  régiou,  marcha 
coutre  Tuggurt  et  s'en  empara. 

A  partir  de  ce  moment,  Selman-ben-DjelIab  et  Mohamed-ben-AbdalIah  firent 
cause  commune  et  se  mirent  à  razzer  toutes  les  tribus  qui  nous  étaient  res- 
tées fidèles.  Préoccupé  par  les  graves  événements  dont  le  nord  de  la  province 
était  alors  le  théâtre,  le  général  commandant  la  division  avait  dû  momenta- 
nément se  désintéresser  de  cette  grave  question;  mais  vers  la  fin  de  1854 
la  Kabylie  paraissant  pacifiée,  il  allait  enfin  pouvoir  reporter  une  partie  de 
son  attention  vers  le  sud. 

Le  mois  de  novembre  arrivait;  avec  lui  la  récolte  des  dattes  allait  commen- 
cer et  les  exactions  du  cheik  et  du  chérif  reprendre  leur  cours.  Pour  mettre 
les  oasis  à  l'abri  de  leurs  coups  de  main ,  il  fut  décidé  qu'un  goum  de  huit 
cents  chevaux  et  de  treize  cents  fantassins,  soutenu  par  deux  escadrons 
de  spahis  et  une  compagnie  de  Tirailleurs  indigènes,  irait,  sous  les  ordres  du 
commandant  Marmier,  des  spahis,  prendre  position  à  Mégarin,  au  nord  de 
Tuggurt.  De  ce  point  on  pouvait  surveiller  les  mouvements  de  Selman-ben- 
Djellab,  et  ôtre  à  môme  de  se  porter  rapidement  au  secours  des  oasis  du  Souf, 
au  cas  où  celles-ci  se  trouveraient  menacées.  Pendant  ce  temps  une  réserve, 
comprenant  un  bataillon  du  68*  de  ligne ,  trois  escadrons  de  chasseurs  et  deux 
obusiers,  devait  se  réunir  à  Mérayer,  sous  le  commandement  du  colonel  Des- 
vaux, et  se  tenir  prôte  à  venir  appuyer  la  colonne  du  commandant  Marmier. 

Ce  fut  la  compagnie  du  capitaine  Vindrios  qui  fut  désignée  pour  faire  partio 
de  la  colonne  de  Hégarin.  Le  mouvement  commença  le  16  novembre.  A  cette 
époque  Mohamed-ben-Abdallah,  prévenu  de  nos  intentions,  était  à  El-Oucd , 
cherchant  à  recruter  des  défenseurs  pour  Tuggurt.  Quant  à  Selman ,  il  s'as- 
surait de  la  fidélité  des  populations  de  rOued-R'rir  en  pesant  sur  elles  pour 
les  obliger  à  déposer  leurs  dattes  dans  la  place. 

Le  18  novembre,  la  colonne  du  commandant  Marmier  arrivait  à  Rayou; 
le  22,  elle  campait  à  Mérayer;  le  24 ,  elle  couchait  près  d*Ourlana,  et,  le  25, 
à  Sidi-Rached.  A  partir  de  ce  dernier  point,  elle  trouva  les  oasis  abandonnées  : 
les  habitants  s'étaient  réfugiés  à  Tuggurt.  Cependant  à  Mégarin ,  où  l'on  arriva 
le  26,  les  Arabes  n'avaient  pas  fui;  mais  ils  nous  reçurent  avec  des  manifes- 
tations tellement  hostiles,  qu'on  crut  un  moment  qu'il  allait  falloir  les  réduire 
par  la  force.  Voyant  enfin  qu'on  allait  agir  envers  eux  avec  la  dernière  rigueur, 
ils  demandèrent  l'aman. 

Le  commandant  Marmier  voulut  ensuite  se  porter  sur  Tuihet-el-Gucblia, 
pour  fermer  la  retraite  aux  contingents  que  Mohamed-ben-Abdallah  amenait 
à  Tuggurt;  mais  il  fut  devancé  sur  ce  point  par  le  chérif,  et  il  dut  en  toute 
hâte  rentrer  à  Hégarin  pour  n'être  pas  à  son  tour  coupé  de  sa  base  d'opé- 
rations. 

Le  camp  français  avait  été  établi  contre  l'oasis  de  Mégarin.  On  savait  très 
bien  que  la  sourde  hostilité  des  habitants  de  cette  oasis  rendait  celte  position 
dangereuse;  mais  le  besoin  de  rester  à  côté  de  l'eau  nous  imposait  celte  fâ- 
cheuse situation ,  dont  le  cheik  et  le  chérif  allaient  profiter  pour  nous  allaqucr. 

Le  2U  novembre,  on  aperçut  tout  à  coup,  à  environ  une  lieue  du  camp, 
la  cavalerie  de  Mohamed -ben- Abdallah  «  Une  partie  du  goum  monta  aussitôt 


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[1854]  EN  ALGÉRIE  148 

à  cheval  et,  soutenue  par  un  détachement  de  spahis,  marcha  au-devant  des 
cavaliers  arabes,  qui  s*enfuirent  en  cherchant  à  attirer  les  nôtres  dans  la 
plaine.  On  crut  à  une  simple  escarmouche;  mais  au  même  instant  de  grands 
cris  B*6lnv6ront  de  Toasts  do  Mégarin ,  et  une  masse  do  deux  mille  fantassins 
en  déboucha  brusquement  pour  se  jeter  sur  le  camp.  C'était  Tinfanterie  du 
cheik  et  du  chérif ,  qui,  grâce  à  la  connivence  des  habitants  de  l'oasis,  avait 
pu  se  cacher  dans  celle-ci  pour  en  sortir  au  moment  où  notre  attention  allait 
se  trouver  concentrée  sur  Taction  de  la  cavalerie. 

Cette  tactique,  très  habilement  combinée,  aurait  infailliblement  réussi  sans 
la  présence  de  troupes  régulières.  Mais  la  compagnie  du  capitaine  Vindrios,  qui 
avait  pris  les  armes  dès  la  première  alerte,  se  jeta  résolument  sur  cette  iniante- 
rie,  qu'elle  arrêta  d'abord ,  et  qu'elle  enfonça  ensuite  avec  une  ardeur  que  décu- 
plait rimmincnco  du  péril.  Pendant  co  temps,  les  spahis,  entraînant  le  goum, 
chorgcaicnt  h  fond  cette  masse  confuse,  faisant  çà  et  là  des  trouées  profondes, 
taillant,  sabrant  avec  un  acharnement  qui  ne  cessa  que  lorsqu'il  n*y  eut  plus 
un  seul  ennemi  à  combattre.  Se  voyant  repoussés ,  Selman  et  Mohamed-ben- 
Abdallah  avaient  pris  la  fuite  sans  s'inquiéter  de  leurs  malheureux  fantas- 
sins. €es  dçrniers  laissèrent  environ  cinq  cents  hommes  sur  le  terrain  ;  il  n'y 
eut  de  sauvé  que  ce  qui  put  gagner  les  oasis  voisines  et  s'y  cacher.  De  notre 
côté,  nous  avions  onze  morts  et  quarante-six  blessés,  dont  deux  hommes 
tués  et  huit  blessés  pour  la  compagnie  de  Tirailleurs. 

Le  lendemain ,  le  commandant  Marmier  fit  faire  une  reconnaissance  le  long 
de  l'oasis  de  Tuggurt;  il  n'en  partit  pas  un  coup  de  fusil.  Le  même  jour,  des 
habitants  commencèrent  à  venir  au  camp;  la  plus  intime  confraternité  s'établit 
aussitôt  entre  eux,  les  spahis,  les  Tirailleurs  et  les  Arabes  du  goum.  Le  l***  dé- 
cembre, Selman  réunit  ses  contingents  et  voulut  les  haranguer;  mais,  au  lieu 
de  le  suivre,  ils  se  dispersèrent.  Le  cheik  aurait  alors  voulu  s'enfermer  dans 
Tuggurt  pour  nous  résister  avec  le  peu  qui  lui  restait  de  fidèles;  mais  le  ché- 
rif, qui  se  rappelait  le  siège  de  Laghouat ,  où  il  avait  failli  être  pris,  s'y  opposa. 
Le  colonel  Desvaux  venant  d'arriver  à  Méraycr,  les  deux  chefs  craignirent 
d'être  cernés  et  prirent  la  fuite,  abandonnant  la  ville,  dans  laquelle  le  com- 
mandant Marmier  entra  le  lendemain  sans  coup  férir.  Le  5  décembre,  le  colo- 
nel Desvaux  arrivait  à  son  tour  et  prenait  officiellement  possession  de  la  place. 

Selman  et  le  chérif  s'étaient  retirés  dans  le  Souf.  Les  oasis  de  cette  région 
avaient  toujours  relevé  de  Tuggurt;  le  colonel  Desvaux  s'y  porta,  reçut  par- 
tout des  soumissions,  obligea  les  chefs  rebelles  à  s'enfuir  dans  le  Djerid  tuni- 
sien, et,  le  22  décembre,  revint  à  Tuggurt.  Le  26,  Si-AIi-ben-Ferath ,  le  chef 
de  la  famille  des  Okkas,  fut  nommé  caïd  de  Tuggurt,  de  l'Oued -R'rir  et  du 
Souf.  Selman,  qui  s'était  réfugié  en  Tunisie,  fut  arrêté  sur  l'ordre  du  bey  et 
interné  à  Tunis.  Quant  à  Mohamed-ben-Abdallab ,  il  parvint  encore  une  fois 
à  s'échapper. 

Après.avoir  séjourné  encore  quelque  temps  dans  la  région  et  en  avoir  assuré 
l'administration,  le  colonel  Desvaux  rentra  à  Batna,  ramenant  avec  lui  les 
troupes  des  deux  colonnes,  à  l'exception  d'un  détachement  de  cinquante  Ti- 
railleurs ,  qui  fut  laissé  à  Tuggurt  sous  les  ordres  de  M.  Mohamed-ben-Kassem, 
sous-liçutenant  indig(*pe. 


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144  LE  3*  RÊOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1855] 

Un  ordre  du  gouvornour  général  porta  bionlAl  à  la  connaissanco  do  Tarmée 
d'Algérie  les  noms  des  braves  qui  s'étaient  le  plus  distingués  dans  cette  pé- 
rilleuse opération.  Étaient  cités  dans  la  compagnie  de  Tirailleurs  : 

M.  Vindrios,  capitaine,  pour  avoir,  par  l'élan  et  la  direction  donnés  à  sa 
compagnie,  contribué  au  succès  de  la  journée  du  29  novembre. 

M.  Jouanneau,  sous-lieutenant. 

M.  Fargue,  sergent-major. 

M.  Mohamed-ben-Amraoui,  tirailleur,  pour  avoir  pris  deux  drapeaux  après 
avoir  tué  les  porteurs. 

M.  Taîeb-ben-Ali,  sergent,  blessé. 

En  récompense  de  l'acte  de  bravoure  qu'il  avait  accompli,  le  tirailleur 
Mohamed-ben-Amraoui  fit  partie  d'une  députatlon  envoyée  à  Paris  pour  pré- 
senter à  l'empereur  les  drapeaux  pris  dans  le  combat  do  Mégarin. 

Si  l'année  1854  avait  été  remplie  par  des  expéditions  dans  toutes  les  parties 
de  la  province,  l'année  1855  devait,  en  revanche,  s'écouler  dans  le  calme  le  plus 
parfait.  Au  nord  comme  au  sud,  à  l'est  comme  à  l'ouest,  la  tranquillité  ne 
cessa  pas  un  instant  de  régner.  Aussi  les  Tirailleurs  indigènes  ne  prirent-ils 
part  à  aucun  événement  qui  mérite  d'ôtre  noté.  Seules  quelques  modifications 
survenues  dans  leur  organisation  sont  à  relater  ici. 

Le  9  janvier,  parut  un  décret  impérial  portant  création ,  dans  chacune  des 
provinces  de  l'Algérie,  d'un  deuxième  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes,  et 
réduisant  le  nombre  des  compagnies  dans  les  bataillons  d'infianterie  légère 
d'Afrique. 

Aux  termes  de  ce  décret,  les  nouveaux  bataillons  devaient  recevoir  la  môme 
organisation  que  les  premiers.  Toutefois  le  nombre  des  compagnies  à  former 
immédiatement  n'était  que  de  quatre  ;  les  autres ,  jusqu'à  concurrence  de  huit, 
ne  devaient  l'être  qu'au  fur  et  à  mesure  que  le  ministre  Tordoimerait. 

Les  deux  compagnies  de  dépôt  du  régiment  qui  était  en  Crimée  éluicnt  sup- 
primées. 

Les  cadres  des  compagnies  à  organiser  devaient  être  pris  dans  les  cadres 
de  ces  deux  compagnies  et  dans  ceux  des  neuf  compagnies  retirées  aux  ba- 
taillons d'infanterie  légère  d'Afrique. 

Le  commandant  Arnaudeau,  qui  sortait  du  bataillon  indigène  d'Oran,  fut 
chargé  de  cette  nouvelle  organisation.  Elle  eut  lieu  le  1*^  mars  1855. 

Entrèrent  dans  la  composition  de  ce  nouveau  bataillon  : 

1«  La  9*  compagnie  du  2*  bataillon  du  régiment  de  Tirailleurs  algériens  (ré- 
giment de  Crimée); 

2f^  Les  cadres  des  8*,  9*  et  10*  compagnies  du  3*  bataillon  d'infanterie  lé- 
gère d'Afrique; 

3*  On  contingent  d'hommes  ayant  appartenu  au  l^*^  bataillon  de  Tirailleurs 
indigènes. 

Les  événements  ne  permirent  pas  à  ce  nouveau  corps  de  se  graver  la  plus 
courte  page  avant  d'être  confondu  dans  le  3*  régiment  de  tirailleurs  algériens. 
Nous  l'avons  dit  plus  haut,  la  province  traversa  en  1855  une  ère  de  paix 


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[1855]  EN  ALOÉRIB  145 

absolue,  et  lorsque,  le  31  décembre,  les  deux  bataillons  de  Tirailleurs  indi- 
gènes furent  dissous  pour  servir  à  la  formation  du  3<>  Tirailleurs  actuel,  le  2«  de 
ces  bataillons  n'avait  encore  pris  part  à  aucune  expédition. 

Là  s'arrêtent  les  annales  de  celte  troupe  qui  eut  nom  Tirailleurs  indigènes  de 
Comtantinc.  Créée  en  vue  d*un  rôle  purement  auxiliaire,  et  dans  le  but  d'en 
faire  une  milice  provinciale  destinée  bien  plus  à  assurer  les  opérations  fiscales 
qu'&  prendre  part  aux  grandes  expéditions  et  aux  luttes  sanglantes  des  pre- 
miers jours  de  l'occupation ,  elle  était  insensiblement  devenue  un  corps  d'élite 
propre  h  toutes  les  missions,  un  bataillon  éprouvé  dont  les  services  ne  se 
comptaient  plus.  Instruction,  bravoure,  discipline,  dévouement  :  telles  étaient 
les  nobles  traditions  que  des  chefs  intelligents  y  avaient  peu  à  peu  développées, 
et  qu'ils  laissaient  comme  héritage  h  ceux  qui,  avec  les  mêmes  éléments, 
allaient  organiser  le  3<»  régiment  de  Tirailleurs  algériens.  Aussi  notre  devoir 
est-il  de  rendre  un  reconnaissant  hommage  à  cette  phalange  do  jeunes  officiers 
qui  consacrèrent  leurs  efforts,  leur  talent,  leur  expérience  &  perfectionner  le 
soldat  indigène,  &  en  faire  ce  merveilleux  instrument  qu'il  est  resté  depuis, 
à  lui  donner  cette  attitude  pleine  de  dignité,  cette  coquetterie  particulière, 
cette  allure  fière  et  dégagée  que  tout  le  monde  admire  chez  lui.  Honneur 
&  ceux  qui  lui  ont  inspiré  cette  attentive  déférence  qu'il  a  pour  ses  chefs,  ce 
profond  attachement  qu'il  témoigne  pour  son  dropeau,  cet  ardent  amour  de 
la  gloire  et  des  dangers  qu'il  faut  traverser  pour  atteindre  à  cette  palme  éphé- 
mère, qu'il  a  si  souvent  arrosée  de  son  sangl 


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DEUXIEME  PARTIE 

(1856-1871) 

DKPUIS    I,A    l'OllMATlON    DU    IIÉOIMRNT 

jusqu'à  sa   ilI«:NTIlÉE  DE  CAITIVITÉ,  APRÈS  LA  CAMPAGNE 

CONTRe    L'ALLEMAGNE 


CHAPITRE  I 

(1856) 


Décret  impérial  itortint  cr&Ulon  do  trois  régiments  do  TIrailloars  algériens.  —  Organi- 
sation du  S"  rAglmcnt.  —  Tableau  du  personnel  (orflclers).  —  llépartltlon  des  gar- 
nisons —  Afodiflcatlons  dans  rarnienient.  —  Affaire  du  11  mal  contre  les  Amoucha. 

—  Expédition  des  Ha])ors.  —  Combats  du  31  mai  et  du  1  Juin.  —  Dissolution  de  la 
colonne.  —  Razzia  snr  les  Nemencha.  —  Réception  du  drapeau.  —  Eipédition  de  Test. 

—  Colonnes  du  sud. 


Le  rôle  brillant  joué  en  Crimée  par  les  Tirailleurs  algériens  leur  avait  non 
seulement  assuré  une  place  définitive  et  des  plus  enviables  dans  les  rangs  de 
l'armée  française,  mais  il  avait  en  même  temps  démontré  l'importance  que  cette 
troupe  était  susceptible  d'acquérir  en  développant  sa  force,  les  services  qu'elle 
serait  peut-être  un  jour  appelée  à  rendre  dans  les  lointaines  expéditions,  et 
enfin  l'appoint  qu'elle  apporterait  dans  la  défense  même  du  pays.  Il  ne  fallait 
plus  considérer  les  turcos  seulement  comme  des  auxiliaires  spécialement  des- 
tinés à  nous  prêter  leur  concours  dons  l'œuvre  de  conquête  que  nous  avions 
entreprise  dans  le  nord  de  l'Afrique,  comme  des  hommes  uniquement  préparés 
à  cette  guerre  d'embuscades,  à  cette  lutte  de  surprises,  à  ces  combats  indivi- 
duels dont  depuis  quelques  années  la  Kabylie  était  le  théâtre,  mais  encore 
comme  des  soldats  dont  l'incomparable  élan  pouvait,  sur  un  champ  de  bataille 
plus  vaste,  devenir  un  puissant  élément  de  succès.  Désormais  ils  faisaient 


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i4d  LE  3<»  RÊOIIIBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1856] 

ialégralement  partie  des  forces  effectives  de  la  France;  leur  dévouement  n'était 
plus  à  éprouver,  et  le  gouvernement  pouvait  sans  crainte  leur  donner  une 
organisation  définitive,  conforme  en  tout  à  celle  des  autres  corps  d'infanterie, 
et  répondant  à  l'extension  que  la  pacification  progressive  de  la  partie  monta- 
gneuse de  TAlgérie  donnait  de  jour  en  jour  au  recrutement.  On  a  déjà  vu  qu'un 
2*  bataillon  avait  été  organisé  dans  chaque  province;  cette  création  était  main- 
tenant devenue  insuffisante,  et,  en  tout  cas,  restait  défectueuse,  en  ce  sens 
qu'elle  formait  deux  corps  distincts,  pouvant  ne  pas  avoir  le  même  esprit,  ne 
pas  jouir  de  la  même  prédilection  parmi  les  indigènes,  ne  pas  ôtro  également 
choisis  par  ces  derniers;  il  importait  de  réunir  les  forces  de  chacune  des  trois 
provinces  en  un  seul  groupe,  de  les  placer  sous  le  même  commandement,  de 
leur  donner  une  seule  administration,  en  un  mot  de  remplacer  les  anciens 
bataillons  par  des  régiments.  Ces  considérations  ne  manquèrent  pas  de  frapper 
le  général  Randon ,  qu'une  longue  expérience  avait  mis  à  même  d'apprécier 
les  qualités  militaires  des  troupes  indigènes,  et,  sur  sa  proposition,  le  maré- 
chal Vaillant,  alors  ministre  de  la  guerre,  fit  signer  un  décret  prescrivant  la 
formation  de  trois  régiments  de  Tirailleurs  algériens  avec  les  huit  bataillons 
existant  déjà,  y  compris  le  régiment  qui  se  trouvait  en  Orient.  Ce  n'était,  en 
réalité,  qu'un  troisième  bataillon  à  créer  dans  chaque  province,  et  nous  allons 
voir  que  dans  celle  de  Constantine  les  enrôlements  furent  assez  nombreux 
pour  porter  immédiatement  l'effectif  du  3«  régiment  à  un  chiffre  atteignant 
presque  au  complet  réglementaire  fixé  par  le  décret  constitutif. 


DÉCRET  IMPÉRIAL 

POSTANT  CUAaTION  DK  TttOIS  StfGiMgNTS  l)K  TlUAlLUUHS  ALG^UIBNS 


Saiol-Cloud ,  lo  11  octobre  1865. 

Napoléon,  etc... 

Vu  la  loi  du  9  mars  1831 ,  rordonnance  du  7  décembre  18U ,  l'arrôté  du  31  oc- 
tobre 1848,  et  les  décrets  des  13  féyrier  1852,  9  mars  1854  et  9  Janvier  1855, 

GonsidéranI  qu'il  im^rte  de  constituer  déflnitivemeot,  sur  des  bases  solides  et  homo- 
gènes, rinfîanterie  indigène  de  TAlgérie, 

Sur  le  rapport  de  notre  ministre  secrétaire  d'État  an  département  de  la  guerre, 

Ayons  décrété  et  décrétons  ce  qui  suit  : 

AsT.  i*'.  11  est  créé  trois  régiments  de  Tirailleurs  algériens.  Chacun  de  ces 
régiments  aura  trois  bataillons  de  six  compagnies,  et  sera  composé  conformé- 
ment au  tableau  annexé  au  présent  décret. 

AsT.  9.  Gos  régiments  prendront  les  u<^  1 ,  S  et  3.  l^o  prcniior  sera  formé  dans 
la  proviuco  d'Algor,  lo  second  dans  lu  province  d'Orun ,  ot  lo  troisiènio  dans  lu 
province  de  Constantine. 

Art.  3.  Toutes  les  dispositions  qui  régissent  les  bataillons  de  Tirailleurs  indi- 
gènes sont  applicables  aux  régiments  de  Tirailleurs  algériens.  Seulement  Tavan- 


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[1886]  EN  ALGÉRIE  149 

cément  aux  grades  de  sous- lieutenant,  do  lieutenant  et  de  capitaine,  au  lieu 
de  s^effectuer  sur  rensemble  des  bataillons,  s'opérera  par  régiment. 

ÂRTi  4.  Par  dérogation  à  Tart.  34  de  Tordonnance  du  16  mars  1838,  les  em- 
plois qui  viendront  à  vaquer,  par  suite  de  la  réorganisation  de  Tinfanterie  in- 
digène do  TAlgérie,  seront  donnés  à  Tavancemont  des  militaires  des  corps  où 
la  vacance  se  sera  produite. 

Art.  5.  Les  six  bataillons  de  Tirailleurs  indigènes  et  le  régiment  de  Tirailleurs 
algériens  actuellement  existants  seront  licenciés,  et  leurs  éléments  fondus  dans 
les  trois  nouveaux  régiments  do  Tirailleurs  algériens. 

Fait  au  palais  de  Saint-Cloud,  le  10  octobre  1855. 

Signé  :  NAPOLÉON. 

Parremperaor, 

Le  maréchal  de  France  ministre  secrétaire  d*Ètat 
au  département  de  la  guerre, 

Signé  :  Vaillant. 


Ainsi  qu'on  vient  do  le  voir,  il  n*élait  rien  changé  à  la  composition  des 
cadres  des  anciens  bataillons  indigènes,  pas  plus  dVilIeurs  qu'au  mode  de  re- 
crutement en  usage  dans  ceux-ci  depuis  leur  formation.  Un  tableau  annexé 
au  décret  ci-dessus  fixait  de  la  manière  suivante  le  complet  réglementaire  d'un 
régiment  de  Tirailleurs  algériens  : 

"«--■  I  SI:  :  :  :  :  :    l^- 


f  Français 279  )  „  -„n 

'^^""P*-   (  Indigènes 2,78oJ  ^'^^^ 

Restait  à  arrêter  la  dissolution  du  régiment  de  Tirailleurs  algériens  et  des 
six  bataillons  de  Tirailleurs  indigènes,  ainsi  qu'à  déterminer  la  composition 
du  personnel  (officiers)  de  chacun  des  trois  nouveaux  régiments.  Ces  ques- 
tions furent  définitivement  réglées  par  une  décision  impériale  du  7  novembre, 
approuvant  les  dispositions  contenues  dans  le  rapport  ci-dessous  : 


RAPPORT  A  L'EMPEREUR 

«  Paris ,  le  7  noTembre  1856. 
c  Sire, 

«  En  conformité  du  décret  impérial  du  10  octobre  1855,  portant  création  de 
trois  régiments  de  Tirailleurs  algériens  et  dissolution  des  six  bataillons  de 
Tirailleurs  indigènes  et  du  régiment  de  Tirailleurs  algériens  actuellement  exis- 


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150  LE  3*  RÉOIURNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [|856] 

ianU  f  j*ai  riiouneiir  do  proposer  à  Vo(ro  Majonté  radoptioii  îles  iiiesiiroti  siii- 
vantes  : 

«  La  dissolution  du  régiment  de  Tirailleurs  algériens  et  des  six  bataillons  de 
Tirailleurs  indigènes  aura  lieu  le  31  décembre  suivant. 

«  Les  ofQciers  qui  font  partie  de  ces  corps,  et  qui  se  trouvent  en  non-activité 
par  le  seul  fait  du  licenciement,  seront  replacés,  le  même  jour,  dans  les  trois 
régiments  de  Tirailleurs  algériens. 

«  La  composition  des  cadres  d*officiers  de  ces  régiments  sera  conforme  au 
tableau  ci-Joint. 

«  Le  mode  de  répartition  suivi  dans  ce  tableau  a  pour  but,  en  ce  qui  concerne 
les  ofQciers  français,  d^égaltser  l'ancienneté  dans  les  trois  régiments,  et,  en  ce 
qui  regarde  les  ofûciers  indigènes ,  de  les  maintenir  dans  les  provinces  dont  ils 
sont  originaires. 

«  L*époque  de  la  rentrée  en  Algérie  du  régiment  de  Tirailleurs  étant  encore 
incertaine,  et  ce  corps  pouvant,  d*ici  à  cette  époque,  acquérir  de  nouveaux 
droits  à  dos  récompenses,  je  |K)nso  qu'il  y  a  eu  lieu  do  décider  (|Uo  toutos  les 
yacances  devront  en  être  comblées  avant  son  départ  de  Crimée,  sauf  à  donner 
aux  militaires  promus  par  M.  le  marécbal  Pélissier  la  destination  affectée  aux 
ofQciers  qu'ils  auront  remplacés. 

«  Si  Votre  Majesté  accueille  ces  propositions,  je  la  prie  de  vouloir  bien 
reyétir  de  son  approbation  le  présent  rapport,  ainsi  que  le  tableau  qui  l'accom- 
pagne. 

«  Le  maréchal  de  France  ministre  secrétaire  d'État 
au  département  de  la  guerre, 

«  Signé  :  Vaillant. 

«t  Approuvé, 

«  Signé  :  NAPOLÉON.  » 


A  ce  rapport  était  Joint  le  tableau  des  ofQciers  désignés  pour  constituer  les 
cadres  de  chacun  des  trois  régiments  de  Tirailleurs.  On  trouvera  ci-après  les 
noms  de  ceux  qui  étaient  affectés  au  3*. 

En  exécution  du  décret  et  de  la  décision  précités ,  les  l**"  et  2*  bataillons  de 
Tirailleurs  indigènes  furent  licenciés  le  31  décembre  1855,  Tun  à  Constantine, 
Tautre  à  Sétif.  Le  l**"  Janvier  1856,  eut  lieu,  à  Constantine ,  la  formation  effec- 
tive du  3*  régiment  de  Tirailleurs  algériens.  I^e  procès- verbal  de  cette  opé- 
ration fut  dressé  par  M.  Rossignol,  adjoint  de  première  classe  à  l'intendance 
militaire,  délégué  par  l'intendant  militaire  de  la  division.  Le  môme  Jour,  le 
général  Maissiat,  commandant  la  province,  présida  lui-même  à  Torganisation 
du  nouveau  corps,  en  faisant  reconnaître,  devant  la  troupe  réunie  sous  les 
armes,  les  officiers  désignés  pour  en  faire  partie.  Une  reconnaissance  analogue 
fut  ensuite  effectuée  à  Tégard  des  sous -officiers  et  caporaux;  enfin  le  général 
inspecteur  procéda  à  l'installation  du  conseil  d'administration  central ,  et  le 
régiment  dont  nous  faisons  ici  l'historique  eut  nom  et  rang  dans  les  autres 
corps  de  l'armée.  Il  comprenait  trois  bataillons  à  six  compagnies  et  se  com- 
posait des  divers  éléments  provenant  : 


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[1886] 


EN  ALQÉRIB 


181 


{o  Du  {er  bataillon  do  Tirailleurs  indigènes  de  Constantine; 
2»  Du  2«  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes  de  Constantine; 
3*  Du  détachement  do  Tirailleurs  indigènes  de  Constantine  revenant  do 
Crimée  et  ayant  fait  partie  du  régiment  de  Tirailleurs  algériens. 
La  situation  jointe  au  procès-verbal  faisait  ressortir  reflectif  suivant  : 


Officiers. 
Troupe  . 


86 
2,414 


Voici  quel  était  le  classement  des  officiers  : 


ÉTAT-MAiOR 

MM.  Liébert,  colonel. 

Castox ,  lieutenant-colonel . 

Vinciguerra,  major. 

Âlliou ,  capitaine  trésorier. 

Germain ,  capitaine  d'habillement, 

nmsflour,  sous-liontonant  adjoint  au  trésorier. 

Manouvricr,  sous-lieutenant  porte-drapeau. 

Poulet ,  médecin-major. 

Hervé ,  médecin  aide-major. 


!«'   BATAILLON 

MM.  Guicliard ,  chef  do  bataillon. 

Groût  do  Saint-Pacr,    capitaine  adjudant-major. 


l*"*  compagnie, 

MM.  Estelle,  capitaine. 

Galland,  lieutenant  français. 
Hadj-Hassem,  lient,  indigène. 
Hiriart,  sous-lieutenant  français. 
Mohamcd-Ali-Djcgerli,  s.-I.  ind. 

2**  compngnk, 

MM.  ncaumellc,  capitaine. 

Fabre  de  Montvaillant,  lient,  fr. 
Moireau,  sous-lieut.  français. 
Mohamed-ben-Kassem,  s.-l.  ind. 

3«  compagnie. 

MM.  Conot,  capitaine. 

Cabiro,  lieutenant  français. 
Mohamed-Bournass,  lient,  ind. 
Louvet,  sous-lieut.  français. 
Amar-ben-Kalafaf,  s.-lieut.  ind. 


4*  compagnie. 

MM.  Mallat,  capitaine. 

Billon ,  lieutenant  français. 
Caddour-ben-Brahim,  lient,  ind. 
Pélissier,  sous-lieut.  français. 

6«  compagnie. 

MM.  Letellier,  capitaine. 

Verdier,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Toudji,  lient,  ind. 
Fargue,  sous-lieut.  français. 
Messaoud-ben-Ahmed,  s.-I.  ind. 

6«  compagnie, 

MM.  Munier,  capitaine. 

Maussion,  lieutenant  français. 
Roussel ,  sous-lieut.  français. 


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152 


LE  3*  RÊOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1856] 


2«  BATAILLON 


MM.  Arnaudeau, 
AIxon, 

i^  compagme. 

MM.  Viéyille,  capitaine. 

de  Paillot,  lieutenant  français. 
Lavondes,  sous-Iieut.  français. 
Achmet-Khodja,  sous-lieut.  ind. 

2*  compagme. 

MM.  Yédie,  capitaine. 

Sorin,  lieutenant  français. 
Guérin  de  Touryille,  s.-lieut.  fr. 
Larbi-ben-Lagdar,  s.-lieut.  ind. 

3«  compagnie. 

MM.  Saar,  capitaine. 

Ramakers,  lieutenant  français. 
Mohamed-bel-Gasm,  lieut.  ind. 
Dufour,  sous-Iieut.  français. 
Ali-ben-Osman ,  sous-Iieut.  ind. 


chef  de  bataillon, 
capitaine  adjudant-major. 

4"  compagnie. 
MM.  Berrué,  capitaine. 


Brisson,  lieutenant  français, 
de  Foy,  sous-lieut.  français. 

5*  compagnie. 

MM.  Desmaison,  capitaine. 

Lacroix,  lieutenant  français. 
Sa!d-ben-Mohamed I  lient,  ind. 
Sénac,  sous-lieut.  français. 
Ali-ben-Toumi ,  sous-lieut.  ind. 

6*  compagnie. 

MM.  Clemmer,  capitaine. 

Ceccaldi,  lieutenant  français. 


3*  BATAILLON 


MM.  GottretS 
Chevreuil , 

1'*  compagnie. 

MM.  Dorsène,  capitaine. 

Quinemant,  lieutenant  français. 
Achmed ,  lieutenant  indigène. 
Lescure,  sous-lieut.  français. 
Achmed-ben-Omar,  s.-l.  ind. 

2*  compagnie. 

MM.  Cayrol ,  capitaine. 

Aubrespy,  lieutenant  français. 
Cléry,  sous-lieut.  français. 
Abderrhaman-ben-Ekarfi ,  sous- 
lieutenant  indigène. 


chef  de  bataillon, 
capitaine  adjudant-major. 

3*  compagnie. 

MM.  Soumet,  capitaine. 

Burin ,  lieutenant  français. 
Ahssen-ben-Kréliil,  lient,  ind. 
Bosvicl ,  sous-lieut.  français. 
Ahmed-Assen-ben-Kinaoua,  sous- 
lieutenant  indigène. 

4«  compagnie. 

MM.  Lucas,  capitaine. 

Marion-Dumersan,  lieut.  franc. 
Coussières,  sous-lieut.  français. 


1  Nommé  à  la  date  du  19  JanTier. 


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[1886]  EN  ALGÉRIE  158 


5<^  compagnie, 

,  de  Lacvivier,  capitaine. 
Angaminare,  lieutenant  français. 
Renaud,  sous-lieut.  français. 
Moktnr-bcn-Youssef,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


6*  compagnie. 

MM.  Beaudier,  capitaine. 

de  Boyne,  lieutenant  français. 


Dix-neuf  vacances,  se  répartissant  comme  il  suit,  n*étaient  pas  encore 
remplies  : 

Lieutenants  indigènes 10  \ 

Sous-lieutenants  français ^(iq 

—  indigènes 6  i 

Médecin  aide-major 1  y 

• 

L'absence  de  candidats  aptes  aux  fonctions  d'officiers  n'ayait  pas  permis  de 
porter  In  cndro  indig(>no  nu  complot  rAgIcmontniro.  Il  le  fut  plus  tard,  au  fur 
et  h  mesure  que  Tinstruction  des  sous-officiers  vint  permettre  do  donner  de 
l'avancement  à  ces  derniers. 

Le  colonel  Liébert,  qui  venait  d'être  placé  h  la  tête  de  cet  important  com- 
mandement, était  un  oflicier  de  haute  valeur,  ayant  fait  toute  sa  carrière  mi- 
litaire en  Algérie  et  connaissant  à  fond  la  langue,  les  mœurs  et  le  caractère 
des  indigènes.  Dans  sa  main  ferme  et  habile,  les  Tirailleurs  allaient  non  seu- 
lement conserver  cet  excellent  esprit  auquel  ils  devaient  d'avoir  vu  grandir  si 
rapidement  leur  réputation  naissante,  mais  encore  acquérir  de  nouvelles  qua- 
lités, et  justifier  cette  réputation,  en  élevant  leur  dévouement  à  la  hauteur 
du  rôle  de  plus  on  plus  honorable  qu'allait  bientôt  leur  créer  les  événements.  Il 
était  secondé  dans  sa  tâche  d'organisateur  par  le  lieutenant- colonel  Castex, 
que  nous  avons  vu ,  comme  chef  de  bataillon ,  blessé  glorieusement  dans  la 
tranchée  devant  Sébastopol,  et  qui  apportait,  dans  les  fonctions  qu'il  allait 
remplir,  une  longue  expérience  puisée  dans  un  séjour  de  plusieurs  années 
au  bataillon  indigène  d'Alger. 

Les  balaillons  obéissaient  &  dos  chefs  possédant  tous  au  plus  haut  degré 
cotte  autorité  large  et  éclairée  que  donne  la  bienveillanco  unie  au  talent.  Sous 
leur  intelligente  et  énergique  direction,  l'instruction  allait  ôtre  activement 
poussée.  Le  l^^* était  sous  les  ordres  de  M.  Guichard,  qui,  en  1854,  avait  rem- 
placé le  commandant  Jolivet  à  la  tête  du  bataillon  de  Tirailleurs  de  Constan- 
tine;  le  2<*,  de  M.  Arnaudcau,  qui,  en  mars  1855,  avait  été  chargé  d'organiser 
le  2°  bataillon  de  Tirailleurs  de  la  province  ;  et  enfin  le  3*  allait  recevoir 
M.  Cottret,  qui  devait  plus  tard  commander  au  Mexique  le  bataillon  de  marche 
formé  avec  un  contingent  des  trois  régiments  de  Tirailleurs  algériens.  Quant 
aux  capitaines,  aux  lieutenants  et  aux  sous-lieutenants  du  cadre  français,  ils 
provenaient  tous  des  précédents  corps  indigènes  licenciés,  et  se  trouvaient  par 
conséquent  familiarisés  de  longue  date  avec  les  éléments  spéciaux  qu'ils  allaient 


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tttA  LB  3«  RËGIMRNT  DE  TIRAILLEURS  AI.OËRIENS  [1866] 

avoir  à  fuçoonor  ol  à  diriger.  Il  cûl  certuiDomcnt  été  dinicilo  do  consliluer  un 
corps  d'officiers  présentant  plus  d'homogénéité,  réunissant  plus  de  savoir,  en 
un  mot  étant  mieux  préparé  que  celui-là  à  la  tâche  laborieuse  qui  lui  incom- 
bait. Aussi  ne  ferons -nous  que  nous  en  rapporter  à  l'opinion  des  divers  ins- 
pecteurs généraux ,  en  disant  que  le  3*  Tirailleurs  fut  bientôt  Tun  des  régiments 
les  plus  brillants  de  l'armée  d'Afrique. 
Au  moment  de  l'organisation ,  les  garnisons  se  trouvèrent  ainsi  réparties  : 

Étal-major  du  régiment  à  Constantine. 

Les  six  compagnies     du  \^^  bataillon  à         —  - 


l",3«,4«et5» 

— 

du  2* 

— 

à  Sétif. 

2« 

— 

du2« 

— 

à  Bordj-bou-Arréridj, 

6» 

— 

du2« 

— 

à  Bou-Saftda. 

Ir. 

— 

du3« 

-« 

À  Riskra. 

2»  et  3» 

— 

du3« 

— 

à  La  Galle. 

4» 

— 

du3« 

— 

à  Tebessa. 

S»  et  6» 

_ 

du  3* 

— i 

à  Batna. 

Un  détachement  pris  sur  tout  le  régiment  à  Tuggurt. 

La  plupart  de  ces  garnisons  étaient  permanentes.  Aussi ,  malgré  le  chiiTre 
assez  élevé  de  l'eflectif,  restait -il  bien  peu  d'hommes  disponibles  pour  le  cas 
où  le  régiment  aurait  été  appelé  à  prendre  part  à  une  expédition  importante. 
Pour  remédier  à  cette  insuffisance,  des  officiers  indigènes  furent  envoyés  dans 
les  places  de  Bône,  Guelma,  Djidjelli  et  Bougie,  pour  y  recruter.  Leurs  opé- 
rations furent  des  plus  satisfaisantes;  et,  du  mois  de  janvier  au  mois  de 
juillet,  il  n'y  eut  pas  moins  de  neuf  cent  neuf  hommes  d'enrôlés. 

A  cette  époque,  ainsi  que  cela  se  pratique  encore  pour  certains  postes  de 
spahis,  les  fractions  qui  se  trouvaient  à  résidence  fixe  s'établissaient  en  smala. 
Ce  système  apportait  une  amélioration  sensible  dans  la  subsistance  des  com- 
pagnies et  aidait  considérablement  au  recrutement,  à  cause  des  relations  que 
cette  vie  collective  et  absolument  conforme  aux  habitudes  du  pays  amenait 
généralement  avec  les  Arabes  des  tribus.  11  resta  en  usage  jusqu'à  ce  que,  sur 
l'initiative  du  colonel  Le  Poittevin  de  Lacroix ,  on  eût  donné  aux  Tirailleurs 
l'ordinairo  dos  autres  troupes. 

L'armement  se  composait  alors  du  fusil  uHNièlo  1847.  En  18!>!>,  le  général 
Randon  avait  fait  essayer  l'emploi  des  carabines  à  tige  dans  une  compagnie 
du  1«'  bataillon  de  Tirailleurs  de  Constantine  ;  mais  celle  tentative  n'avait  pas 
donné  tous  les  résultats  qu'on  en  attendait  :  les  indigènes  n'avaient  pas  su 
tirer  parti  des  qualités  balistiques  do  celle  nouvelle  arme,  qui  dans  leurs  mains 
perdait  ainsi  sa  principale  supériorité.  On  ne  se  découragea  cependant  pas; 
au  commencement  de  1856 ,  quatre  cent  cinquante  fusils  à  tige  furent  de 
nouveau  distribués,  et  l'on  en  arma  la  1^^  compagnie  do  chaque  bataillon. 
Celte  fois,  grâce  à  la  persévérance  des  instructeurs,  le  but  désiré  fut  atteint, 
et  le  régiment  compta  dès  lors  un  groupe  de  tireurs  d'élite  auquel  on  donna 
le  nom  de  carabiniers.  Les  services  que  ces  derniers  rendirent  par  la  suite 


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[18S6]  EN  AT.GÊmR  185 

dédommagèrent  largement  de  leurs  efforts  les  officiers  qui  8*étaient  consacrés 
à  cette  laborieuse  éducation. 

La  campagne  de  ISHO  s'ouvrit  par  une  brusque  insurrection  en  Kabylie  et 
par  un  combat  qui ,  bien  que  malheureux,  n'en  reste  pas  moins ,  pour  le  3®  Ti^ 
railleurs,  un  des  Faits  les  plus  honorables  qui  soient  dans  son  glorieux  passé. 

Les  Kcrrata,  fraction  des  Beni-Mcraî ,  grande  tribu  dont  le  territoire  s'étend 
à  l'ouest  du  Djebel -Babor,  avaient  assassiné  le  cheik  institué  par  notre  auto- 
rité. Voulant  punir  ce  lâche  attentat,  le  colonel  Desmaretz,  qui  commandait 
alors  la  subdivision  de  Sétif,  envoya  aussitôt  contre  eux  le  chef  du  bureau 
arabe  avec  un  goum  de  cent  chevaux.  Hais  lorsque  cet  officier  se  présenta 
devant  les  villages  incriminés  et  voulut  exiger  qu'on  lui  livrftt  les  coupables, 
il  fut  assailli  h  coups  do  fusil  et  n'eut  que  le  temps  de  se  retirer. 

(l'était  un  acte  do  rébellion;  il  fallait  un  exemple  éclatant.  Dès  qu'il  en  fut 
informé,  lo  colonel  Desmaretz  renvoya  le  goum,  mais  en  le  faisant  appuyer 
par  trois  cent  vingt-deux  hommes  des  3",  i^  et  8*  compagnies  du  2*  bataillon 
de  Tirailleurs  algériens,  sous  les  ordres  du  commandant  Arnaudeau. 

Ce  détachement  quitta  Sétif  le  10  mai  au  soir,  et,  après  une  marche  forcée 
d'au  moins  soixante  kilomètres,  exécutée  dans  la  nuit,  arriva  le  lendemain 
dovont  les  villages  révoltés.  En  un  instant  ceux-ci  furent  pris  et  brûlés,  ainsi 
que  la  mosquée  de  Sidi-Atia,  la  plus  vénérée  du  pays. 

Mais,  pendant  ce  temps,  la  nouvelle  de  la  marche  des  Tirailleurs  s'était  ra- 
pidement répandue  dans  les  environs,  et  de  nombreux  contingents  du  Babor 
et  du  Ferdjiouah  (Beni-Meral,  Menchar,  Ouled-Salah,  Ouled-AIssa,  etc.)  s'é- 
taient immédiatement  réunis  pour  marcher  au  secours  delà  fraction  attaquée. 
Lorsque ,  leur  opération  terminée ,  nos  compagnies  voulurent  songer  à  la  re- 
traite, le  nombre  des  rebelles  qu'elles  avaient  eu  à  combattre  se  trouvait 
considérablement  groi^si,  et  de  tous  les  points  do  l'horizon  d'autres  Kabyles 
accouraient  pour  couronner  les  crêtes  au  pied  desquelles  la  petite  colonne 
devait  défiler. 

Le  mouvement  en  arrière  commença  et  s'elTectua  d'abord  dans  le  plus  grand 
ordre,  dans  la  direction  de  l'Oued-Berd.  L'ennemi  n'était  pas  encore  trop 
agressif,  et  bien  que  sa  force,  qui  allait  s'augmentant  toujours,  dût  inspirer 
une  certaine  inquiétude  &  ceux  qui  connaissaient  sa  ruse  et  son  acharnement, 
on  marchait  avec  confiance  et  sans  hâte  vers  le  point  où  Ton  espérait  trouver 
le  salut.  Que  craignait-on,  en  effet?  L'Oued-Berd  traversé,  on  allait  se  trouver 
sur  le  territoire  des  Amoucha,  des  alliés  fidèles  qui  ne  manqueraient  pas  de 
nous  offrir  leurs  concours  et  sous  la  protection  desquels  on  pourrait  enfin 
prendre  un  peu.de  repos,  et  même  au  besoin  attendre  des  secours  de  Sétif.  La 
distance  qui  en  sépare  est  bientôt  franchie;  on  arrive,  on  passe  le  ruisseau 
tant  désiré  :  on  est  chez  des  amis.  Mais  de  toutes  parts  la  fusillade  éclate,  de 
tous  côtés  de  nouveaux  assaillants  surgissent  :  les  Amoucha  sont  aussi  contre 
nous.  Méconnaissant  la  voix  de  leurs  chefs,  ils  se  joignent  aux  autres  rebelles, 
et  la  montagne,  la  vallée,  aussi  loin  que  l'œil  peut  s'étendre,  ne  sont  qu'une 
vaste  forêt  de  burnous,  qu'un  fourmillement  d'êtres  sauvages  poussant  des 
cris  féroces  et  se  ruant  sur  nos  pauvres  soldats,  au  moment  où  ceux-ci 
croyaient  atteindre  enfin  au  terme  de  leurs  efforts. 


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186  LE  3*  nËOIIIENT  DE  TIRAIM.BUR8  ALGÉRIENS  [1856] 

Les  Tirailleurs  firent  cependant  bravement  face  au  danger;  un  gros  d'enne- 
mis s*6tant  avancé  pour  leur  couper  la  retraite  dans  le  lit  môme  de  TOued-* 
Berd,  ils  fondirent  sur  lui  à  la  baïonnette,  pénétrèrent  fort  avant  dans  sa 
masse  profonde,  mais  ne  purent  parvenir  à  Tenfoncer.  Il  fallut  même  renoncer 
à  l'espoir  de  se  faire  jour  sur  ce  point;  le  nombre  des  Kabyles  grossissait  tou- 
jours, notre  petite  troupe  pouvait  ê(re  cernée.  Réunissant  alors  ses  trois 
compagnies,  le  commandant  Arnaudeau  se  jeta  avec  elles  sur  la  gaucbe,  et, 
s'élançant  à  leur  tète,  les  entraîna  vers  un  col  dont  renlèvcment  était  pour 
nos  soldats  une  question  de  vie  ou  de  mort.  Toutes  les  crêtes  qui  le  dominaient 
étaient  couvertes  par  les  Amoucha.  Oubliant  leurs  fatigues,  les  Tirailleurs  se 
précipitèrent  avec  l'ardeur  du  désespoir  sur  ces  traîtres,  dont  lé  défection  était 
la  chose  la  plus  inattendue;  et  une  lutte  sanglante,  terrible,  sans  merci  de 
part  et  d'autre,  commença  immédiatement  pour  se  continuer  pendant  au  moins 
dix  kilomètres  sans  trêve  ni  répit,  et  dans  l'incroyable  proportion  d'un  contre 
dix. 

Tout  ce  que  peut  le  courage,  tout  ce  dont  est  capable  l'héroïsme,  fut  tenté 
dans  ce  critique  et  sublime  moment  :  le  col  fut  enlevé,  les  Kabyles  se  virent 
rejetés  sur  les  flancs  de  la  montagne,  le  terrain  se  trouva  momentanément 
d^agé;  mais,  ces  ennemis  culbutés,  d'autres  non  moins  menaçants  les  rem- 
placèrent aussitôt,  et  la  retraite  devint  un  incessant  effort,  pour  lequel  il 
eût  fallu  des  Titans  au  lieu  d'hommes  épuisés  par  vingt  heures  de  marche  ou 
de  combat.  Qu'on  se  figure,  en  effet,  une  troupe  partie  la  veille  de  Sétif,  ayant 
fait  quinze  lieues  dans  la  nuit  et,  sans  avoir  pris  le  moindre  repos,  se  battant 
depuis  le  matin,  refaisant  la  même  étape  au  milieu  de  populations  soulevées, 
voyant  à  chaque  pas  les  difficultés  grandir,  et  subissant  la  cruelle  nécessité 
de  combattre,  de  combattre  toujours  pour  n'être  pas  cernée,  pour  n'être  pas 
massacrée  par  un  ennemi  implacable,  dont  l'audace  et  l'acharnement  redou- 
blaient à  mesure  qu'il  sentait  sa  proie  lui  échapper. 

Cette  meurtrière  action  dura  tant  qu'on  fut  sur  le  territoire  des  Amoucha. 
Enfin  on  atteignit  Sétif;  on  fit  l'appel  :  quatre-vingt-dix  hommes  manquaient. 
Plus  tard ,  lorsqu'il  fut  possible  d'obtenir  des  renseignements  sur  le  sort  de 
ces  malheureux ,  il  fut  établi  que  quarante-deux  avaient  été  tués  dans  le  com- 
bat ;  les  autres  avaient  reçu  des  blessures  plus  ou  moins  graves  et  étaient  restés 
entre  les  mains  des  Arabes ,  qui  les  avaient  achevés  pour  la  plupart. 

En  présence  de  cette  situation,  le  général  Maissiat,  commandant  la  division, 
dirigea  aussitôt  les  troupes  disponibles  de  la  province  sur  Sétif.  Le  17  mai, 
la  1^  compagnie  du  3«  bataillon,  les  V;  S"",  4«  du  1«>^  bataillon  et  la  1^  du 
2*  bataillon  quittèrent  Constantine  sous  les  ordres  du  colonel  Liébert.  Le  21, 
ces  compagnies  arrivèrent  à  Sétif.  La  colonne  devait  se  former  au  camp  de 
Medjes-el-Foul ,  à  environ  vingt-cinq  kilomètres  au  nord ,  sur  le  territoire  des 
Ouled-Ameur;  les  2«,  3«,  4®  et  5«  compagnies  du  2<^  bataillon  s'y  étaient  déjà 
rendues  dans  la  journée  du  20;  les  autres  les  y  rejoignirent  le  22.  La  portion 
du  régiment  qui  se  trouva  alors  réunie  i>our  prendre  |>art  à  l'expédition  con- 
stitua un  effectif  de  trente-quatre  officiers  et  de  mille  soixante-trois  hommes. 
On  en  forma  deux  bataillons,  qui  restèrent  sous  les  ordres  des  commandants 
Guichard  et  Arnaudeau. 


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[1856]  EN  ALGÉRIE  157 

Le  29,  le  général  MaièBÎat  yint  prendre  le  commandennent  supérieur  des 
troupes.  Il  organisa  celles-ci  en  deux  brigades,  qui  furent  placées,  la  première 
sous  les  ordres  du  colonel  de  Margadel ,  la  seconde  sous  le  commandement 
du  colonel  Dosmarctz.  Le  régiment  do  Tirailleurs  ro  trouvait  dans  la  première. 

Le  but  de  Pexpédition  qui  allait  8*ou?rir  était  d'abord  de  punir  sévèrement 
la  tribu  des  Amoucha  pour  sa  participation  au  combat  du  11,  puis  de  sou- 
mettre de  nouveau  par  la  voie  des  armes  toutes  les  populations  kabyles  qui  s'é- 
taient insurgées  dans  le  territoire  compris  entre  TOued-Berd  et  la  mer,  depuis 
l'embouchure  de  TOued-Agrioun  jusqu'à  Ziama. 

Le  30,  la  colonne  se  porta  à  A!n- Portas,  chez  les  Ouled- Djebar.  Le  31,  à 
onze  heures  du  matin,  la  première  brigade,  un  bataillon  de  zouaves,  toute 
la  cavalerie  et  deux  obusicrs  do  montagne  furent  dirigés  sur  le  pays  des  Ouled- 
Khalfala,  oit  do  nombreux  rassomblomcnts  avaient  été  aperçus  sur  le  versant 
est  du  Djebel-Moiitanon ,  au  pied  du  Dabor.  Le  goum  ouvrait  la  marche;  venait 
ensuite  le  régiment,  avec  le  2«  bataillon  en  tète.  Après  avoir  brûlé  les  villages 
des  Ouled-Djebar,  des  Arguebet  des  Khalfala,  Tavant-garde traversa  l'Oued- 
Berd  et  se  trouva  au  pied  du  Djebel-Montanon. 

Le  feu  s'ouvrit  aussitôt  entre  le  goum  et  les  Kabyles.  Ces  derniers  occupaient 
une  très  forte  position  sur  les  deux  rives  de  TOued-Berd  :  sur  la  rive  droite, 
ils  défendaient  le  village  de  Sidi-Rezek-Allah ;  sur  la  rive  gauche,  ils  garnis- 
saient les  crêtes  d'un  contrefort  du  Djebel -Mentanon  dominant  les  villages  et 
les  jardins  des  Aïaoun-Sultann.  Le  2^  bataillon  s'était  avancé  au  pas  de  course 
à  la  suite  du  goum  et  avait  pris  position  sur  la  rive  gauche  de  la  rivière;  le 
i***  s'était  déployé  à  la  gauche  du  2*,  et,  après  avoir  détruit  deux  yillages, 
avait  par  ses  feux  déterminé  la  retraite  d'un  important  groupe  d'ennemis. 
Pendant  ce  temps,  le  7®  de  ligne  s'était  emparé  de  la  position  d'Aiaoun-Sul- 
tann. 

A  ce  moment,  le  général  ayant  décidé  l'occupation  de  toutes  les  positions, 
le  colonel  Liébert  reçut  l'ordre  de  s'établir  au  village  de  Rezck-Allah.  Se  met- 
tant à  la  tête  de  deux  compagnies  du  i*'  bataillon ,  le  colonel  traversa  la  rivière 
sous  le  feu  de  l'ennemi  et  aborda  vigoureusement  les  Kabyles,  qui  en  on  ins- 
tant furent  culbutés  et  successivement  chassés  des  gourbis  et  des  jardins  qui 
leur  servaient  d'abris.  C'était  sur  ce  point  que  se  trouvait  leur  ambulance; 
après  l'avoir  vaillamment  défendue,  ils  cherchèrent  à  sauver  leurs  blessés, 
mais  ils  ne  purent  parvenir  à  en  emporter  qu'une  partie,  l'autre  resta  entre 
nos  mains.  L'occupation  de  Rezek-Allah  avait  décidé  du  succès  :  l'ennemi 
fuyait  de  toutes  parts.  La  poursuite  commença  et  se  continua  jusque  près  du 
village  de  Taguerboust,  au  pied  du  Djebel-Babor. 

Nous  restions  maîtres  de  tout  le  Djebel -Mentanon.  Cette  opération,  qui 
avait  commencé  par  une  reconnaissance,  s'était  terminée  par  un  combat  dé- 
cisif. Les  Kabyles  avaient  subi  des  pertes  considérables,  mais  ils  nous  avaient 
chèrement  fait  payer  le  succès  :  le  régiment  comptait  à  lui  seul  un  officier 
blessé,  M.  Louvet,  sous-lieutenant,  deux  hommes  tués  et  trente-six  blessés. 

On  bivouaqua  sur  les  positions  conquises.  Le  lendemain,  les  troupes  qui 
étaient  restées  à  Aln-Fortas  rejoignirent  le  nouveau  bivouac. 
Le  2  juin ,  la  2''  brigade  et  la  cavalerie  étant  allées  faire  une  reconnaissance, 


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168  LE  8*  RftOIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1806] 

quelques  contingents  profitèrent  de  l'éloignement  de  cette  partie  des  troupes 
pour  attaquer  les  grand*gardes  du  71*  de  ligne.  Celles-ci  se  dérendirent  éner- 
giquement,  et  l'ennemi,  repoussé  sur  tous  les  points,  se  retira  dans  le  village 
de  Taguerboust,  position  réputée  imprenable  d'où  il  pouvait  menacer  notre 
camp.  Le  général  résolut  de  l'en  déloger  aussitôt  et  de  détruire  la  zaoula,  les 
jardins  et  les  nombreux  villages  des  Ouled-Salah  groupés  autour  de  ce  point. 

Ce  Tut  le  3*  Tirailleurs  qui  eut  pour  mission  d'exécuter  cette  difficile  opéra- 
tion. Les  deux  bataillons  descendirent  dans  .le  lit  de  l'Oucd-Berd,  en  suivirent 
le  cours,  et  vinrent  déboucher  au-dessous  de  Taguerboust  et  du  marabout  des 
Ouled-Aîssa.  Le  mouvement  s'exécuta  avec  tant  d'ordre,  de  rapidité  et  de  pré- 
cbion,  que  les  Kabyles,  surpris,  essayèrent  à  peine  de  résister.  On  ne  leur 
donna  du  reste  pas  le  temps  de  se  reconnaître;  aussitôt  arrivés,  les  bataillons 
s'élancèrent  sur  Taguerboust,  l'enlevèrent  avec  un  élan  irrésistible,  et  en 
moins  d'une  heure  occupèrent  tous  les  points  dominant  les  habitations  des 
Ouled-Salah.  L'ennemi  fuyait  en  désordre  vers  la  partie  supérieure  du  Ikbor. 

La  nuit  approchait;  il  n'était  pas  possible  d'aller  plus  loin.  Après  qu'on  eut 
mis  le  feu  à  tous  les  gourbis,  les  diverses  fractions  du  régiment  furent  ras- 
semblées, et,  vers  six  heures,  on  abandonna  la  position  sans  sonnerie.  Quand 
l'ennemi  s'aperçut  de  notre  mouvement  de  retraite,  les  points  les  plus  difficiles 
étaient  déjà  évacués.  Sous  la  protection  de  la  compagnie  des  carabiniers  du 
2«  bataillon,  le  régiment  continua  sa  route  sans  être  trop  inquiété.  A  huit 
heures,  tout  le  monde  était  rentré  au  camp. 

Les  pertes  de  la  journée  s'élevaient  à  un  homme  tué  et  douze  blessés. 

A  partir  de  ce  moment,  la  résistance  des  Kabyles  fut  complètement  vaincue; 
les  opérations  n'allaient  plus  comprendre  que  quelques  reconnaissances  et  des 
travaux  ayant  pour  but  d'ouvrir  des  voies  de  communication. 

Le  9,  on  quitta  le  camp  d'Aîaoun-Sultann  ;  la  colonne  contourna  le  Djebel- 
Mentanon  par  le  sud,  traversa  l'Oued -Berd  un  peu  au-dessus  du  marabout 
de  Sidi-AUa ,  et  vint  s'établir  sur  la  rive  droite  dans  l'angle  formé  par  l'Oued- 
Berd  et  l'Oued-Menalla.  Le  10,  on  se  porta  à  Ain-Sidi-Tallout.  Vers  midi, 
quelques  groupes  de  Kabyles  s'étant  montrés  sur  les  hauteurs,  on  envoya 
quatre  compagnies  du  régiment  pour  les  disperser;  mais  l'ennemi  se  contenta 
de  tirer  quelques  coups  de  fusil  qui  n'atteignirent  personne,  puis  il  prit  la 
fuite  pour  ne  plus  reparaître  de  la  journée. 

Le  16,  une  partie  de  la  brigade  Desmarets,  renforcée  par  le  1*'  bataillon 
du  régiment,  se  porta  chez  les  Ouled-Salah  et  les  Deni-Drassen.  De  nombreux 
villages  et  jardins  furent  brûlés  ou  détruits,  et  la  colonne  rentra  sans  être  in- 
quiétée. 

Le  20,  le  camp  fut  levé;  la  colonne  alla  s'établir  à  Tanierdja-Zoudj ,  chez 
les  Ouled-Salah  entre  le  Babor  et  le  Tababor.  Le  21,  un  brouillard  épais 
empêcha  toute  sortie.  Le  22,  eut  lieu  une  opération  contre  les  Ouled-Ayades, 
fraction  des  Ouled-Salah  qui  conservait  une  attitude  hostile^  Grâce  à  un  mou- 
vement audacieux  eiécuté  par  le  régiment  appuyé  par  trois  compagnies  de 
chasseurs  à  pied,  les  Kabyles,  surpris  et  déconcertés,  se  dispersèrent  sans 
résister.  Quelques  coups  de  fusil  furent  cependant  échangés ,  mais  sans  qu'il 
y  eût  un  seul  homme  d'atteint  chez  nous. 


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[1856]  EN  ALGÉRIE  159 

Gctlo  opération  fut  la  dernière  do  Toxpédition.  La  chaleur  était  devenue 
excessive;  les  troupes  commençaient  à  avoir  besoin  de  repos.  Jusqu'au  2  juil- 
let, elles  furent  encore  employées  aux  travaux  des  routes;  puis,  le  3,  la  co- 
lonne fut  dissoute ,  et  les  divers  détachements  renvoyés  dans  leurs  garnisons 
respectives.  Le  11  juillet,  le  colonel  Liébert  rentrait  à  Gonstantine  avec  les 
compagnies  qui  en  étaient  parties,  à  Texception  de  la  1^  du  2®  bataillon  restée 
à  Sétif ,  où  elle  était  arrivée  Je  7,  avec  les  !^,  3*,  4*  et  5«  de  ce  même  ba- 
taillon. 

Au  moment  de  se  séparer  des  difTéreots  corps  qui  avaient  combattu  sous  ses 
ordres,  le  général  Maissiat  leur  avait  adressé  un  ordre  des  plus  flatteurs,  dont 
nous  détachons  le  passage  suivant  : 

«  Je  saisis  cette  occasion  pour  exprimer  aux  officiers  et  soldats  combien  j^ai 
été  satisfait  do  la  conduite  qu'ils  ont  tenue  pendant  le  cours  de  cette  expédition. 
Malgré  les  difficultés  du  terrain,  partout  où  Tennemi  B*est  montré,  il  a  été 
abordé  avec  un  entrain  et  une  vigueur  qui,  dès  les  premiers  jours,  lui  ont 
laissé  peu  d'espoir  sur  les  résultats  de  sa  révolte;  ses  pertes  sont  considérables  : 
quatre  cents  morts  ou  blessés,  cinquante  villages  détruits  ont  vengé  les  tra- 
hisons des  iO  et  li  mai.  » 

Et  nous  ajouterons  :  non  seulement  ceitc  trahison  était  vengée,  mais  elle 
l'était  en  grande  partie  par  ceux  mêmes  qui  en  avaient  été  victimes.  Dans  les 
journées  du  31  mai  et  du  2  juin ,  les  Tirailleurs  avaient  prouvé'  aux  Kabyles 
que  le  souvenir  de  leurs  frères  lâchement  assassinés  dans  les  montagnes  des 
Amoucha  n'était  pas  près  de  s'éteindre  chez  eux. 

Le  1^>  juillet,  la  G<^  compagnie  du  1°**  bataillon,  sous  les  ordres  du  capitaine 
Munier,  partit  subitement  de  Batna  pour  coopérer  à  une  razzia  sur  les  Ne- 
mcncha,  non  loin  d'Aîn-Reîda.  Cependant,  malgré  la  rapidité  de  sa  marche, 
elle  arriva  trop  tard  pour  prendre  une  part  eflective  &  Topération;  celle-ci, 
menée  uniquement  par  la  cavalerie,  fut  un  peu  trop  hâtée  et  ne  donna  pas 
tous  les  résultats  qu'on  était  en  droit  d'attendre.  Le  23,  cette  compagnie 
rentrait  &  Batna. 

Le  27  juillet,  eut  lieu  à  Gonstantine  une  imposante  cérémonie  :  la  remise 
du  drapeau  destiné  au  régiment.  Le  général  Maissiat ,  après  une  revue  passée 
à  cet  elTot,  retraça  en  quelques  mots  les  glorieux  événements  auxquels  les  Ti- 
railleurs avaient  déjà  pris  part,  et  confia  au  colonel  Liébert  ce  noble  emblème 
de  la  patrie.  C'est  ce  même  étendard  qui  allait  recevoir  la  croix  de  la  Légion 
d'honneur  pour  la  prise  de  deux  drapeaux  ennemis  au  combat  de  San-Lorenzo, 
et  le  même  encore,  qui,  en  1870,  devait  être  brûlé  sur  l'ordre  du  colonel 
Barrué,  pour  être  soustrait  aux  Prussiens  lors  de  la  capitulation  de  Sedan. 

Le  27  septembre,  \e2^  bataillon,  détaché  à  Sétif,  quitta  cette  ville  pour 
aller  à  Akbou  faire  partie  d'une  colonne  d*observation  sous  les  ordres  du  colo- 
nel Desmareiz.  Au  bout  d'un  mois  de  séjour,  les  troupes  qui  composaient 
cette  colonne  rentrèrent  dans  leurs  garnisons  sans  avoir  eu  un  seul  engage- 
ment. 

Le  9  octobre,  un  détachement  de  cinquante  Tirailleurs,  commandé  par  le 


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160  LE  3®  RÊGIIIBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE       [  18561 

80U8-lieutenant  Bosvicl,  quitta  La  Calle  pour  aller  rejoiadre  à  Bou-IIadjaâr 
une  colonne  qui,  sous  les  ordres  du  général  Périgot,  devait  opérer  dans  la 
vallée  de  la  Hedjerda.  Le  16,  eut  lieu,  sur  les  bords  do  cette  rivière,  un  léger 
combat  auquel  ce  détachement  trouva  l'occasion  de  prendre  une  brillante 
part.  Le  26,  H.  Bosviel  et  ses  cinquante  hommes  rentraient  à  La  Galle. 

Au  commencement  de  décembre  deux  colonnes  furent  organisées,  l'une 
à  Biskra  sous  les  ordres  du  général  Desvaux,  l'autre  à  Bou-Saâda  sous  le 
commandement  du  lieutenant-colonel  Pein,  pour  Taire  une  pointe  dans  le 
Sahara.  La  l)^  compagnie  du  3®  bataillon  (capitaine  Dorsône)  fit  partie  de  la 
première  de  ces  colonnes,  et  la  6®  compagnie  du  2<*  bataillon  (capitaine  Clem- 
mer)  de  la  deuxième.  Le  mouvement  commença  des  deux  côtés  le  15  décembre. 
Le  général  Desvaux  visita  successivement  Tuggurt,  Temacin,  Ouargla  et  Né- 
grine,  et  rentra  à  Biskra  le  9  février  1857,  après  cinquante-cinq  jours  de 
marche,  sans  avoir  nulle  part  rencontré  la  moindre  résistance.  Quant  au  lieu- 
tenant-colonel Pein,  il  se  dirigea  d'abord  sur  Ouargla,  et  revint  par  Temacin, 
Tuggurt  et  Négrine.  Le  18  février,  il  rentrait  à  Bou-Saâda,  après  avoir  par- 
couru environ  douze  cent  trente- trois  kilomètres.  Dans  le  cours  de  ces  deux 
opérations,  les  Tirailleurs  s'étaient  fait  remarquer  par  leur  résistance  à  la 
fatigue,  leur  résignation  devant  les  privations  endurées  et  leur  inaltérable 
entrain;  ils  avaient  été  surtout  d'un  grand  secours  pour  nos  relations  avec  les 
Arabes  des  oasb. 


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EXPÉDITION  DE  Lk  GRANDE-KÂBYLIE 


CHAPITRE  II 

(1857-1858) 


(i857)  Expédition  de  la  Grande-Rabylie.  —  Opérations  de  la  colonne  principale.  — 
Prise  d*Âguemoun  (30  Juin).  —  Dissolution  du  corps  expéditionnaire.  —  Opérations 
de  la  division  Maisslat.  —  Prise  du  col  de  Cihellata  (S?  juin).  —  Ciombat  du  29  Juin. 
—  Actes  de  courage  de  deux  sous -officiers.  —  Rentrée  des  troupes.  —  Expédition  de 
Test.  —  (1858)  Opérations  dans  le  sud.  —  Le  colonel  de  Lacroix  est  appelé  an  com- 
mandement du  régiment.  —  C!olonne  de  l'est.  —  Formation  de  deux  compagnies  des- 
tinées au  Sénégal.  —  Expédition  contre  les  Ouled-AIdoun.  —  Colonne  de  TAurès. 


L'année  18S7  fut  tout  entière  consacrée  à  l'expédition  de  la  Grande-Kn- 
bylio,  à  laquelle  prirent  port  toutes  les  troupes  disponibles  de  l'Algérie.  Celte 
expédition ,  qui  devait  être  le  couronnement  de  celles  des  années  précédentes , 
était  depuis  longtemps  demandée  par  le  maréchal  Randon ,  gouverneur  gé- 
néral, pour  en  fmir  avec  l'œuvre  de  pacification  entreprise  au  sein  de  ces 
populations  belliqueuses  de  la  partie  montagneuse  des  provinces  de  Constan- 
tine  et  d'Alger.  Beaucoup  de  tribus  de  cette  région  n'avaient  pas  encore  ac- 
cepté notre  autorité,  et,  parmi  celles  qui  obéissaient  à  des  cheiks  et  à  des 
calds  nommés  par  nous,  bien  peu  étaient  sincères  et  consentaient  à  voir 
dans  notre  conquête  l'immutabilité  du  fait  accompli.  On  se  rappelle  les 
troubles  survenus  dans  les  Babors  en  1856;  d'autres,  non  moins  sérieux, 
avaient  éclaté  à  celte  môme  époque  dans  la  province  d'Alger,  et  nécessité 
rintcrvention  du  général  de  Ligny,  commandant  la  subdivision  de  Dellys. 
L'ogitateur  le  plus  fanatique,  en  môme  temps  que  le  plus  dangereux  ,  était 
cette  fois  un  nommé  El-Uadj-Amar.  Ancien  lieutenant  de  Bou-Baghla,  il  avait, 
après  la  mort  de  ce  dernier,  continué  à  prôclier  la  révolte  dans  tout  le  bassin 
du  Sébaott ,  et  son  influence  allait  grandissant  toujours.  C'est  sur  son  insti- 

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152  LE  3<*  RÊOIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l857] 

galion  que  les  Kabyles  avaient,  au  mois  do  seplmnbre  18!iG ,  dirigé  une 
attaque  sur  le  poste  de  Dra-el-Mizan.  Grâce  aux  mesures  qui  avaient  été 
immédiatement  prises,  cette  tentative  avait  été  victorieusement  repoussée; 
mais  l'agitation  était  restée  latente,  et  les  troupes  de  la  division  d'Alger ,  sous 
les  ordres  des  généraux  Renault  et  Yusuf,  avaient  dû,  jusqu'au  mois  de  no- 
vembre, rester  en  observation  dans  la  contrée. 

Les  opérations  projetées  allaient  embrasser  toute  la  Grande-Kabylie  ;  pen- 
dant qu'un  corps  expéditionnaire  de  trois  divisions  devait,  sous  les  ordres  du 
gouverneur  général,  pénétrer  dans  cette  contrée  par  l'ouest,  une  autre  divi- 
sion ,  commandée  par  le  général  Maissiat,  avait  pour  mission  de  se  concentrer 
sur  les  frontières  sud -est,  en  face  du  col  de  Cbellata,  l'un  des  passages  de 
la  grande  crête  rocheuse  du  Djurjura ,  et  trois  colonnes  d'observation  de 
s'établir,  l'une  à  l'entrée  de  la  vallée  de  Boghni,  l'autre  cher  les  Benî- 
Mansour,  dans  la  vallée  de  l'Oued -Sahel,  et  enfin  la  dernière  à  Tazmaict, 
chez  les  Beni-Abbès.  C'éUit  là,  en  résumé,  un  vaste  investissement  qui  allait 
enfermer  le  pays  dans  un  cercle  de  baïonnettes. 

La  concentration  de  la  colonne  principale  eut  lieu  en  avant  du  fort  de  Tizi- 
Ouzou,  dans  la  plaine  du  Sébaou.  Vingt-cinq  mille  hommes  obéissant  aux 
généraux  Renault,  de  Hac-Hahon  et  Yusuf,  furent  rassemblés  là.  Un  seul 
bataillon  du  régiment  fut  appelé  à  en  faire  partie;  il  fut  placé  dans  la  bri- 
gade Périgot,  qui  elle-même  fut  comprise  dans  la  2*  division,  commandée 
par  le  général  de  Mac-Mahon. 

A  cet  effet,  l'état- major  et  les  l^*,  5*  et  6<»  compagnies  du  S^"  bataillon , 
quittèrent  Bône  le  10  avril  pour  se  rendre  à  Constantine ,  où  ils  arrivèrent 
le  14.  Là  ces  compagnies,  jointes  aux  5<»  et  6^  du  1*>^  bataillon,  formèrent 
un  bataillon  de  marche  qui  fut  placé  sous  les  ordres  du  commandant 
Cottret.  Le  17  avril,  ce  bataillon  se  mit  en  route  pour  Sétif,  où  se  for- 
mait la  brigade  Périgot,  laquelle  quitta  bientôt  cette  ville  pour  se  rendre 
au  camp  de  Tizi-Ouzou,  où  elle  arriva  dans  les  premiers  jours  de  mai,  après 
quinze  jours  d'une  uiarchn  rendue  souvent  fort  difficile  pur  lu  mauvais  étut 
des  chemins. 

Le  17  mai,  le  maréchal  Randon  vint  prendre  le  commandement  en  chef. 
11  décida  que  les  opérations  commenceraient  par  l'envahissement  du  terri- 
toire des  Beni-Iraten,  la  tribu  la  plus  importante  parmi  celles  qui  restaient 
insoumises.  Ce  mouvement  devait  avoir  lieu  le  19  ;  mais,  le  mauvais  temps 
étant  survenu,  il  fallut  l'ajourner. 

Le  24,  au  point  du  jour,  les  trois  divisions  levèrent  leur  camp  et  se  mirent 
lentement  en  marphe  vers  l'est,  celle  du  général  Renault  à  droite,  celle  du 
général  Yusuf  au  centre,  enfin  celle  du  général  de  Mac-Hahon  à  gauche. 
Dans  cette  dernière,  ce  fut  la  brigade  Bourbaki  qui  fut  chargée  d'enlever  les 
positions  ennemies.  Cette  brigade  avait  devant  elle  un  premier  plan  de  ter- 
rains à  pentes  douces  plantés  de  figuiers  et  occupés  çà  et  là  par  quelques 
hameaux  fortifiés;  puis,  à  trois  cents  mètres  au-dessus  de  la  vallée,  le  village 
de  Tacherahir,  centre  de  la  résistance  sur  ce  point,  et  enfin,  à  une  altitude 
d'à  peu  près  huit  cents  mètres,  le  plateau  de  Souk-el-Arba ,  but  des  opéra- 
tions de  la  journée.  La  brigade  Périgot  devait ,  en  cas  de  besoin ,  appuyer  son 


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[1857]  EN  ALOËRfE  f63 

mouvement ,  tout  en  B*étendant  sur  la  droite,  pour  se  relier  avec  les  troupes 
du  général  Tusuf. 

Tachcrahir  fut  rapidement  enlevé;  Délias,  autre  bourgade,  subit  bientôt 
le  même  sort,  ainsi  qu'Imaîseren  et  Bou-Afra,  et  la  division  de  Mac-Mahon 
ne  fut  plus  qu'à  une  faible  distance  du  plateau  de  Souk-el-Ârba.  A  ce  mo- 
ment elle  reçut  l'ordre  de  s'arrêter  pour  attendre  les  deux  autres,  légèrement 
en  retard  sur  son  mouvement.  Dans  la  deuxième  phase  de  la  lutte,  le  bataillon 
du  3®  Tirailleurs  s'était  déployé  pour  repousser  une  attaque  tentée  par  des 
Kabyles  que  la  division  Tusuf  avait  rejetés  sur  la  gauche.  Deux  compagnies, 
les  l^et  6*  du  3®  bataillon,  furent  même,  pendant  un  instant,  asses  se-' 
rieusement  engagées;  on  put  croire  que  toute  la  2*  brigade  serait  obligée 
d'intervenir;  mais,  débordes  par  le  3*  zouaves,  pressés  par  un  bataillon 
du  93*^,  les  Kabyles  ne  résistèrent  pas,  et  cherchèrent  le  salut  dans  une  fuite 
précipitée,  que  favorisèrent  un  peu  les  profonds  ravins  descendant  vers  le 
Sébaou.  Après  cet  effort,  [la  lutte  cessa  de  ce  côté,  et  nos  troupes  n'eurent 
plus  qu'à  se  fortifier  dans  les  positions  conquises,  en  attendant  l'arrivée  des 
autres  divisions. 

A  midi,  tout  était  terminé;  nous  étions  victorieux  sur  tous  les  points;  les 
Kabyles  fuyaient  dans  toutes  les  directions.  La  poursuite  devenant  inutile, 
puisque  le  pays  se  trouvait,  pour  ainsi  dire,  cerné,  les  troupes  s'établirent  au 
bivouac,  et  se  reposèrent  des  fatigues  que  ces  huit  heures  de  combat  leur 
avaient  coûtées.  Le  soir ,  la  3»  compagnie  du  1^  bataillon  fut  envoyée  en 
grand'garde;  elle  resta  en  position  pendant  vingt- quatre  heures,  et  durant 
tout  ce  temps  eut  à  repousser  des  attaques  continuelles  de  la  part  de  Ten- 
nemi.  Elle  eut  deux  hommes  tués,  ce  qui  porta  les  pertes  totales  du  ha- 
tnillon ,  pour  la  journée  du  24,  à  deux  tués  et  quatorze  blessés. 

Dans  cette  circonsUmce,  le  sergent  llassein-ben-Ali  s'était  signalé  par  un 
acte  de  courage  qui  lui  valut  plus  tard  la  croix  de  la  Légion  d'honneur. 
Un  homme  de  son  poste  venait  d'être  tué  et  était  resté  entre  les  mains  des 
Kabyles,  qui  se  disposaient  à  le  mutiler.  Le  sergent  se  précipite,  disperse  ses 
adversaires ,  et  parvient  à  leur  arracher  le  corps  de  son  camarade,  qu'il  raiH 
porte  au  poste  en  essuyant  plusieurs  coups  de  feu. 

Le  lendemain ,  les  Beni-Iraten  vinrent  faire  leur  soumission  ;  les  jours  sui- 
vants ce  fut  le  tour  des  Beni-Fraoucen ,  des  Beni-Bouchaïb,  des  Beni-Setka, 
des  Beni-Mahmoud ,  etc. 

Le  28,  la  division  de  Mac^Mahon  s'établit  à  Aboudid.  A  partir  de  ce  jour, 
les  troupes  allaient  être  employées  à  des  travaux  plus  pacifiques  :  il  s'agissait 
de  relier  Souk-el-Arba,  où  un  fort  allait  être  construit,  à  Tizi-Ousou,  au 
moyen  d'une  route  dont  les  soldats  seuls  devaient  être  les  ouvriers.  Pendant 
un  mois,  la  pioche  et  la  pelle  remplacèrent  le  fusil;  une  voie  de  communica- 
tion se  dessina  bientôt  sur  les  flancs  de  ces  montagnes  abruptes,  et,  le  14  juin, 
jour  anniversaire  de  Marengo  et  de  Friediand ,  le  maréchal  posa  lui-même  la 
première  pierre  du  fort  Souk-el-Arba,  qu'on  nomma  d'abord  fort  Napoléon,  et 
qui  porte  aujourd'hui  le  nom  de  fort  National. 

Restait  cependant  à  soumettre  les  Beni-Menguillet,  voisins  immédiats  des 
Beni-Iraten.  Depuis  un  mois  cette  tribu  se  préparait  à  la  résistance,  et  pla«- 


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164  LE  3«  RÊQIIIBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1857] 

sieurs  fois  déjà  nos  grand'gardes  avaient  été  attaquées.  Le  24  juin ,  la  division  de 
Mac-Hahon  commença  la  première  son  mouvement  eu  quittant  Aboudid , 
pour  se  porter  contre  le  village  d'Icheriden ,  position  dominante  où  les  Hen- 
guillet  avaient  concentré  leurs  défenses.  De  fortes  barricades,  des  fossés  pro- 
fonds, des  abatis,  tels  étaient  les  obstacles  que  les  assaillants  allaient  trouver 
accumulés  sous  leurs  pas. 

Ce  fut  encore  à  la  brigade  Bourbaki  que  revint  Thonneur  de  commencer 
Tattaque.  I^e  2^  zouaves  et  le  54*  de  ligne  s'élancèrent;  mais  lorsque,  après 
avoir  gravi  les  premiers  contreforts  donnant  accès  à  Icheriden,  ils  débou- 
chèrent à  environ  deux  cents  mètres  de  cette  position,  ils  furent  assaillis 
par  un  feu  tellement  violent,  qu'ils  durent  s'arrêter.  Le  mouvement  en  avant 
ne  put  être  repris  qu'à  l'arrivée  d'un  bataillon  de  la  légion  étrangère ,  qui 
tourna  la  position  par  la  gauche.  A  ce  moment,  la  charge  sonna  de  nouveau 
sur  toute  la  ligne ,  et  le  village  fut  enlevé. 

Chassés  d'Icheriden ,  les  Kabyles  s'étaient  rejetés  sur  tous  les  versants  de 
la  montagne,  prenant  pour  lignes  de  retraite  les  contreforts  menant  à  la 
vallée  des  Beni-Yenni ,  et  surtout  un  chemin  sinueux  allant  au  village  d'A- 
guemoun-Isen,  dernière  position  occupée  par  eux.  La  légion  étrangère  et  le 
2*  zouaves  essayèrent  de  les  y  poursuivre,  mais  ils  durent  bientôt  se  replier, 
décimés  par  un  feu  meurtrier.  La  brigade  Périgot  venait  d'arriver;  elle  fut 
déployée  en  toute  hâte  et  chargée  de  protéger  d'abord  la  retraite  de  la  brigade 
Bourbaki,  puis  d'occuper  les  positions  qu'on  venait  de  conquérir.  Le  combat 
dura  plusieurs  heures,  diminuant  peu  à  peu  d'intensité,  et  enfin  cessa  tout 
'à  fait.  La  nuit  vint,  les  troupes  s'établirent  au  bivouac  et  ne  furent  plus  in- 
quiétées. La  journée  d'Icheriden  avait  été  l'une  des  plus  sanglantes  qu'on  eût 
vues  en  Algéne.  Cependant  le  bataillon  de  Tirailleurs,  qui  n'était  entré  en 
ligne  que  fort  tard,  n'avait  été  aucunement  éprouvé. 

Le  25,  la  brigade  Périgot  fut  chargée  d'opérer  une  diversion  sur  les  Ueni- 
Yenni ,  attaqués  en  même  temps  par  les  divisions  llenuult  et  Yusuf. 

Le  30,  à  deux  heures  de  l'aprôs-midi,  cette  brigade  prit  encore  les  armes , 
pour  marcher  sur  Aguemoun-Isen ,  dernier  point  qui  nous  restait  à  enlever 
pour  être  maîtres  de  toute  cette  crête  du  Djurjura,  qui  s'étend  parallèlement 
au  cours  supérieur  du  Sébaou.  Trots  colonnes  furent  formées  :  à  gauche,  le 
colonel  de  Chabron,  avec  deux  bataillons  de  zouaves;  au  centre,  le  comman- 
dant Niepce,  avec  le  11*  bataillon  de  chasseurs;  à  droite,  le  colonel  Paulze 
d'Ivoie  ,  avec  le  bataillon  de  Tirailleurs  algériens  et  un  autre  du  93*  de 
ligne. 

Ce  fut  le  bataillon  de  Tirailleurs  qui  eut  pour  mission  d'enlever  le  village. 
Formant  l'extrême  droite  do  notre  ligne,  il  descendit  par  un  cheuiiu 
rocailleux  au  fond  d'un  étroit  ravin,  qui  lui  permit  de  prononcer  une  partie 
de  son  mouvement  tournant  à  l'abri  des  retranchements  ennemis.  La  6* 
compagnie  (capitaine  Munier)  du  l^^"  bataillon  tenait  la  tête.  Dès  que  co 
mouvement  fut  achevé,  le  colonel  Paulze  d'Ivoie  lit  donner  le  signal  de 
l'assaut;  les  Tirailleurs  se  précipitèrent  avec  leur  vigueur  accoutumée,  et 
d'un  seul  élan  gravirent  la  pente  abrupte  qui  les  séparait  d'Aguemoun,  pro- 
tégés par  l'inclinaison  même  du  terrain ,  qui  les  plaçait  dans  un  angle  mort 


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[18S7]  EN  ALGÉRIE  165 

OÙ  les  balles  kabyles  ne  pouvaient  les  atteindre.  Enleyée  par  le  capitaine 
Manier,  qui  le  premier  escalada  les  barricades  ennemies,  la  6*  compagnie 
pénétra  aussitôt  dans  la  position;  le  restant  du  bataillon  suivit  de  près,  et 
bientôt  les  Kabyles,  débordés  sur  tout  leur  front  par  nos  trois  colonnes,  dont 
les  ailes  s*étaicnt  rabattues,  menacés  sur  leurs  derrières  par  un  mouvement 
de  nos  contingents  alliés,  commencèrent  à  s'enfuir,  nous  abandonnant  presque 
sans  combattre  toutes  ces  fortifications  élevées  à  grand*peine,  et  derrière 
lesquelles  ils  se  croyaient  complètement  à  Tabri.  En  moins  d'une  heure  toute 
la  montagne  d'Agucmoun  fut  en  notre  pouvoir.  Cet  important  succès,  qui 
terminait  si  brillamment  la  campagne,  fit  presque  oublier,  par  le  peu  de 
monde  qu'il  avait  coûté,  les  pertes  cruelles  d'Icheriden.  La  brigade  Périgot 
n'avait,  en  effet,  pas  eu  plus  de  douze  blessés,  dont  deux  officiers;  encore  ces 
perles  portaient- elles  à  pou  près  uniquement  sur  le  bataillon  de  Tirailleurs, 
qui  comptait  huit  blessés,  dont  le  capitaine  Munier,  atteint  à  bout  portant 
à  la  tête  de  sa  compagnie. 

Ce  combat  fut  le  dernier  elTort  sérieux  tenté  par  les  Kabyles;  poursuivis  de 
toutes  parts ,  enveloppés  par  les  colonnes  d'observation  qui  les  maintenaient 
sur  leur  territoire,  poussés  du  côté  du  col  de  Chellata  par  la  division  Maissiat, 
qui  nvnit  combiné  f«es  opérations  avec  celles  doMa  colonne  principale,  ils 
n'avaient  plus  qu'A  subir  les  conditions  des  vainqueurs.  Les  ncni-Menguillet, 
les  Ataf ,  les  Akbilcs,  les  Bou-Youssef ,  les  Zaoua,  les  Beni-Acache ,  les  Tahia, 
IcsZouaoua  vinrent  successivement  faire  leur  soumission,  et  le  parti  delà 
résistance  ne  compta  plus  que  quatre  tribus  peu  importantes ,  mais  que  les 
difficultés  du  terrain  semblaient  devoir  protéger  contre  nos  incursions  :  les 
Reni-Ithouragh ,  les  Illilten,  les  Illoula-ou-Malou  et  les  Beni-Idjer. 

Après  la  prise  d'Aguemoun-Isen,  la  division  de  Mac-Mahon  était  Tenue 
camper  à  Djemma-el-Korn,  en  plein  pays  menguillet;  un  demi-bataillon 
resté  à  Icheriden  et  les  contingents  alliés  des  Beni-Iraten  et  des  Fraoucen 
devaient  protéger  les  convois  entre  Souk-el-Arba  et  le  nouveau  camp.  Le 
5  juillet,  cette  division  se  remit  de  nouveau  en  route,  et  se  porta  au  sebt  des 
Beni-Yahia.  Le  lendemain,  elle  traversa  tout  le  territoire  des  Ithouragh, 
incendiant  les  villages  sur  son  passage ,  et  vint  s'établir  sur  le  pic  de  Tames- 
guida ,  l'un  des  plus  élevés  de  la  Kabylie.  Le  10,  elle  quitta  Tamesguida,  et, 
prenant  la  vallée  d'un  des  affluents  supérieurs  du  Sébaou,  elle  alla  bivoua- 
quer au  pied  de  la  montagne  principale  des  Illoula-ou-Malou,  menaçant  cette 
tribu  par  Test. 

Le  11,  eut  lieu  l'invasion  du  pays  ennemi.  La  2fi  division  s'empara ,  sans 
rencontrer  de  résistance  sérieuse,  de  tous  les  villages  des  bas  contreforts  des 
Illoula-ou-Malou,  les  incendia  successivement  et,  le  soir,  opéra  sa  jonction 
avec  la  division  Maissiat,  partie  du  col  do  Chellata.  Ce  jour-là,  le  bataillon 
de  Tirailleurs  eut  un  homme  blessé  mortellement. 

Le  lendemain,  les  derniers  défenseurs  de  l'indépendance  kabyle  vinrent 
faire  leur  soumission.  Le  Djurjura  n'existait  plus  à  l'état  de  pays  indépendant; 
toutes  les  tribus  avaient  accepté  sans  réserve  la  domination  de  la  France; 
toutes  avaient  livré  des  otages;  toutes  allaient  recevoir  des  chefs  investis  par 
nous. 


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196  LE  3<»  RÉOmENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1857] 

Le  14,  le  maréchal  prononça  la  diâsoluiion  du  corps  expédilionnairo.  liO  i«H, 
la  division  de  Mac-Bfahon  se  porta  encore  sup  le  terriloire  des  Beni-Idjer,  qu'elle 
parcourut  pendant  trois  jours  sans  avoir  un  seul  combat  à  livrer.  Le  18,  elle 
fut  dissoute  à  son  tour,  et  la  brigade  Périgot  vint  se  joindre  à  la  division 
Maissiat,  campée  au  col  d'Akfadou.  Le  27,  le  bataillon  de  marche  du  3*  Ti- 
railleurs quitta  cette  brigade  et  rentra  sous  les  ordres  du  colonel  Liébert,  qui 
le  ramena  le  l***  août  à  Gonstantine,  ainsi  que  le  bataillon  du  commandant 
Amaudeau,  qui  avait  fait  partie  de  la  division  Maissiat,  et  dont  nous  allons 
maintenant  résumer  les  opérations. 

La  4«  division  (général  Maissiat),  qui ,  ainsi  qu'il  a  été  dit  au  commencement 
de  ce  chapitre,  devait  se  concentrer  au  col  de  Chellata,  au  sud -est  du  DJur- 
jura,  fut  d'abord  rassemblée  et  organisée  au  sebt  des  Beni-Sliman. 

Le  1®^  mai,  les  l'^et  3*  compagnies  du  l^^^  bataillon  du  régiment  quittèrent 
Gonstantine  avec  le  colonel  Liébert  pour  se  rendre  à  Sétif,  où,  avec  les  1*^, 
2*,  4*  et  5« compagnies  du  2<*  bataillon ,  elles  formèrent  un  bataillon  de  marche 
sous  les  ordres  du  commandant  Amaudeau.  Le  28,  ce  bataillon  se  mit  en 
route  pour  aller  se  joindre  aux  autres  troupes  de  la  division  Maissiat.  Il  fut 
compris  dans  la  2*  brigade  (colonel  Desmareti)  de  celte  division. 

Près  d'un  mois  se  passa  à  l'ouverture  de  routes,  à  des  travaux  prépara- 
toires devant  faciliter  l'accès  de  la  vallée  de  TOued-Sahel.  Le  24  juin,  la  di- 
vision tout  entière  pénétra  dans  cette  vallée  et  vint  s'établir  près  du  bordj 
d'Akbou,  dans  une  position  centrale  lui  permettant  de  menacer  également 
les  Beni'Mellikeuch  et  les  llloula-ou-Malou ,  et  de  se  porter  rapidement  au  col 
de  Ghellata,  l'une  des  deux  seules  gorges  accessibles  traversant  le  massif  du 
Djurjura,  et  faisant  communiquer  entre  elles  les  vallées  de  l'Oued-Sahel  et 
du  Sébaou. 

Le  27,  au  point  du  jour,  la  division  se  mit  en  marche  et  gravit  à  l'impro- 
viste  l'étroit  sentier  conduisant  à  ce  col.  Vers  sept  heures,  le  bataillon  de  Ti- 
railleurs, qui  formait  l'avant-garde,  atteignit  aux  premières  pentes  de  la  po- 
sition; mais  le  siroco  avait  été  si  brûlant,  que  les  autres  troupes  n'avaient  pu 
suivre;  il  fallut  s'arrêter  et  attendre  que  l'arrière -garde  eût  serré.  Lorsque  le 
mouvement  put  être  repris,  il  était  une  heure  et  demie  de  l'après-midi. 

Les  crêtes  qui  dominaient  le  passage  de  Ghellata  étaient  larges  et  pour  la 
plupart  accessibles  à  la  cavalerie;  mais  l'entrée  même  du  col  était  commandée 
par  un  rocher  à  flancs  escarpés  d'une  hauteur  considérable,  connu  dans  le 
pays  sous  le  nom  do  Tisibcii.  Les  Kabyles  Pavaient  couronné  d'ouvrages  en 
pierres  sèches  qui  en  formaient  une  sorte  de  forteresse,  dans  laquelle  ils 
avaient  concentré  la  plus  grande  partie  de  leurs  forces.  Les  autres  pitons 
avaient  également  été  fortifiés ,  et  de  loin  paraissaient  garnis  de  nombreux 
•défenseurs. 

Les  troupes  furent  disposées  en  trois  colonnes  :  à  droile,  le  colonel  de  Mar- 
gadel  avec  sa  brigade;  au  centre,  le  colonel  Liébert  avec  le  bataillon  de  Tirail- 
leurs; à  gauche,  le  colonel  Desmaretz  avec  un  bataillon  du  70  de  ligne  et 
un  autre  du  1^  étranger.  Le  colonel  Liébert  avait  déjà  fait  déployer  une  de 
MB  compagnies,  la  l^o  du  1^  bataillon;  la  5«  du  2«  bataillon ,  qui  pendant 
toute  la  matinée  avait  marché  sur  le  flanc  droit  de  la  colonne,  conserva  sa 


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[1857]  RN  ALOArTE  167 

position  oxccnlriquo  et  servit  à  relier  les  deux  attaques  de  la  droite  et  du  centre. 

Dès  que  le  mouyement  des  ailes  fut  asses  prononcé ,  le  général  donna  le 
signal  de  Tassaut.  En  un  instant,  la  crête  même  du  col  fut  occupée  par  la 
i^  compagnie,  appuyée  par  tout  le  bataillon.  Hais  rennemi  8*était  replié  sur 
sa  deuxième  ligne  de  défense,  et  s*était  surtout  concentré  sur  le  Tisibert,  d'où 
il  nous  répondait  par  un  feu  yiolent.  Celui-ci  devint  même  si  meurtrieri  que 
les  Tirailleurs,  qui  venaient  de  se  masser,  durent  s*en  abriter  en  se  dispersant. 
La  1^  compagnie  du  1^  bataillon  et  la  2*  du  2«  bataillon  furent  envoyées  sur 
la  gauche ,  et  la  5«  du  2*,  tout  en  conservant  sa  position  sur  la  droite ,  se  porta 
un  peu  en  avant. 

Cependant,  les  mouvements  des  autres  colonnes  menaçant  leur  ligne  de 
retraite,  les  Kabyles  commencèrent  à  évacuer  successivement  leurs  retran- 
chemonls,  qui  furent  immédiatement  occupés  par  les  Tirailleurs;  bientôt  il  ne 
leur  resta  plus  que  le  Tisibert  ot  doux  redoutes  demi-circulaires  situées  en 
arrière  et  en  face  du  centre  même  du  col.  Après  quelques  salves  d'artillerie, 
le  Tisibert  fut  vigoureusement  abordé  par  le  colonel  Desmaretz,  qui  s'y  éta- 
blit solidement.  Au  même  moment,  le  colonel  Liébert  donna  l'ordre  au  sous- 
lieutenant  Dufour  de  se  porter,  avec  une  demi -section  de  carabiniers  du 
2»  bataillon,  sur  les  deux  redoutes  en  partie  évacuées  et  de  s'en  emparer. 
Ce  mouvement,  exécuté  avec  un  irrésistible  entrain,  nous  rendit  maîtres  des 
dernières  défenses  de  l'ennemi. 

Les  Kabyles  avaient  été  chassés  du  col ,  mais  n'en  continuaient  pas  moins 
encore  la  lutte  avec  une  sauvage  énergie.  La  section  du  sous-lieutenant  Barbier 
était  venue  appuyer  celle  de  M.  Dufour  dans  les  deux  redoutes,  et,  malgré  ce 
renfort,  ces  deux  officiers  s'étaient  vus  un  moment  débordés  par  l'ennemi , 
qui  avait  tenté  un  vigoureux  retour  offensif.  Le  capitaine  ViévillOi  commandant 
les  carabiniers  du  2^  bataillon ,  reçut  alors  l'ordre  de  se  porter  avec  toute  sa 
compagnie  sur  la  position  occupée  par  M.  Dufour,  et  le  capitaine  Quinemant, 
avec  ce  qui  {'estait  de  la  3®  du  l^,  d'aller  au  secours  de  M.  Barbier.  Assaillis 
par  un  feu  supérieur,  les  Kabyles  furent  dès  lors  maintenus  à  distance,  et 
jusqu'à  six  heures  du  soir  ils  se  contentèrent  de  tirailler  sans  nous  faire 
beaucoup  de  mal. 

La  nuit  approchant,  et  le  général  ayant  choisi  le  plateau  du  col  pour  y  éta- 
blir son  bivouac,  le  bataillon  do  Tirailleurs,  qui  se  trouvait  beaucoup  trop 
en  avant,  reçut  Tordre  do  se  replier.  Les  \^  et  2*  compagnies  évacuèrent  les 
hauteurs  de  gauche  sans  être  inquiétées.  La  2*  alla  immédiatement  s'installer 
sur  le  plateau;  la  l^^  vint  occuper  quelques  redoutes  qui,  par  leur  situation, 
pouvaient  servir  utilement  à  la  retraite  de  la  3*  du  l^^  bataillon  et  aux  cara- 
biniers du  2^.  Le  mouvement  s'effectua  par  échelons  et  avec  un  ordre  parfait; 
les  Kabyles  cherchèrent  d'abord  à  nous  harceler;  mais,  vigoureusement  reçus, 
ils  se  retirèrent  à  leur  tour  et  nous  laissèrent  gagner  le  camp  sans  tirer  un 
nouveau  coup  de  fusil. 

La  journée  du  27  avait  coûté  au  bataillon  de  Tirailleurs  deux  hommes  tués 
et  seixe  blessés.  Parmi  les  blessés  se  trouvaient  trois  officiers  :  MM.  Angam- 
mare,  lieutenant;  Barbier  et  Dufour,  sous-lieutenants. 

Les  Kabyles  avaient  été  refoulés,  mais  ne  s^étaient  pas  dispersés;  ils  occu- 


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108  LE  3*  RÊQIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1857] 

paient  encore,  à  environ  une  heure  du  camp,  deux  villages  assez  importants 
dans  lesquels  ils  commençaient  à  se  fortifier  :  Mezeggen  et  Aît-Azîz. 

Le  29,  la  brigade  Margadel,  renforcée  du  bataillon  de  Tirailleurs,  se  porta 
contre  Mezeggen.  Le  village  fut  enlevé  presque  sans  coup  férir;  mais  le  temps 
qu*on  mit  à  démolir  les  maisons  et  à  rassembler  la  colonne  permit  aux  Kabyles 
de  s*embusquer  dans  les  ravins  qui  débouchaient  sur  notre  ligne  do  retraite, 
et  notre  succès  faillit  en  être  compromis.  Lorsque  la  brigade  se  mit  en  route 
pour  rétrograder  sur  Ckellata,  elle  fut  soudain  assaillie  do  toutes  parts;  l'en- 
nemi,  admirablement  favorisé  par  le  terrain,  s'était  établi  sur  les  côtés  de 
Taréte  étroite  que  suivait  la  route,  et,  dissimulé  par  de  grands  arbres  et  des 
moissons  sur  pied ,  dirigeait  sur  nos  troupes  un  feu  d'autant  plus  meurtrier, 
que  Tencombrement  n*avait  pas  tardé  à  arrêter  la  marche  de  ces  dernières , 
et  qu'elles  se  trouvaient  entassées  sur  un  espace  tellement  restreint ,  que  tout 
déploiement  devenait  impossible. 

Le  bataillon  de  Tirailleurs,  qui  pendant  l'attaque  de  Mezeggen  avait  été  tenu 
en  réserve,  s*était  trouvé  naturellement  désigné  pour  former  Tarrière-garde.  Le 
commandant  Amaudeau  prit  immédiatement  ses  dispositions  pour  protéger  la 
retraite  du  gros  de  la  colonne,  et  forma  ses  compagnies  en  deux  échelons  :  un 
premier,  composé  des  l^*  et  3*  du  1^  bataillon  et  S*  du  2*,  fut  établi  en  fer  à 
cheval  de  façon  à  garnir  toute  la  largeur  de  la  crête;  un  autre,  constitué  par 
les  l*^  et  2*  du  2*  bataillon ,  se  plaça  un  peu  en  arrière  comme  soutien.  Bien- 
tôt toute  cette  ligne  se  trouva  aux  prises  avec  l'ennemi  ;  ce  dernier,  déliouchanl 
par  la  droite  et  par  la  gauche,  essaya  de  prendre  le  bataillon  entre  deux  feux 
et  de  le  couper  des  autres  troupes.  La  situation  pouvait  devenir  critique.  Le 
colonel  de  Margadel,  quoique  blessé,  était  là,  donnant  lui-même  ses  ordres; 
il  prescrivit  aussitêt  à  la  réserve  de  se  porter  en  arrière  d*un  petit  mamelon 
placé  sur  la  route,  et  aux  autres  compagnies  de  se  replier  sur  cette  position 
en  tiraillant.  Ce  mouvement,  exécuté  avec  un  rare  sang -froid,  déconcerta 
complètement  les  Kabyles,  qui  n'eurent  pas  le  temps  de  s'y  opposer;  la  réserve 
devint  à  son  tour  extrême  arrière -garde,  et  bientôt  l'on  atteignit  à  une  autre 
position  solidement  occupée  par  le  70,  qui  releva  le  bataillon  de  Tirailleurs 
cruellement  éprouvé.  On  n'était  plus  alors  qu'à  une  faible  distance  du  camp; 
l'ennemi  s'arrêta,  et  ce  combat  meurtrier,  qui  avait  duré  plus  d'une  heure, 
cessa  tout  à  fait.  Les  pertes  du  bataillon  avaient  été  sérieuses  :  quatre  officiers 
étaient  blessés;  c'étaient  MM.  Desmaison  et  Quinemant,  capitaines;  de  Foy  et 
Barbier,  sous-lieutenants.  M.  Barbier,  on  se  le  rappelle,  avait  déjà  été  atteint 
légèrement  dans  la  journée  du  27.  Il  y  avait,  en  outre,  deux  hommes  tués 
et  trente-huit  blessés. 

Des  actes  d'une  incomparable  bravoure  avaient  signalé  cette  vigoureuse 
action.  Il  serait  trop  long  de  les  citer  tous;  mais  en  voici  deux  qui  peuvent 
compter  parmi  les  plus  beaux  que  puisse  dicter  le  dévouement  : 

Le  sergent  Amar-ben-Saad,  vieux  soldat  qui  n'ignore  pas  le  danger  qu'il 
court,  voit  une  bombe,  lancée  par  un  de  nos  mortiers,  tomber  au  milieu  de 
sa  compagnie  ^t  prête  à  semer  la  mort  dans  nos  rangs.  Il  se  précipite  sur  le 
projectile,  le  saisit  et  va  l'emporter  loin  de  là,  lorsqu'il  lui  éclate  dans  les 
mains  et  lui  emporte  le  bras  droit. 


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[1857]  EN  ALGÉRIE  169 

Le  sergent-fourrier  Salvignol  aperçoit  un  soldat  du  71»  de  ligne,  grièvement 
blessé,  sur  le  point  d'être  enlevé  par  trois  Kabyles,  qui  déjà  le  tiennent  par  ses 
vêtements.  Il  s'élance  à  la  baïonnette,  atteint  deux  de  ses  adversaires,  reçoit 
lui-même  un  coup  de  yatagan  qui  lui  traverse  la  main  droite,  mais  parvient 
à  sauver  le  soldat. 

Le  30,  ce  fut  le  tour  do  la  brigade  Dcsmarets  de  marcher  contro  Âlt-Aziz, 
position  non  moins  forte  que  Mezeggen  et  située  à  six  kilomètres  du  camp, 
sur  un  piton  isolé.  La  coloniie  comprenait  quatre  bataillons  :  un  du  70*  de 
ligne,  le  3*  d'inranterie  légère  d^Afrique,  un  autre  du  l**"  étranger,  et  enfin 
celui  de  Tirailleurs  algériens.  Le  colonel  Liébert,  qui  avait  succédé  au  colonel 
de  Margadel  dans  le  commandement  de  la  l'^  brigade,  devait  appuyer  le 
mouvement  avec  deux  bataillons  du  71*. 

Après  quelques  obus  lancés  par  l'artillerie ,  le  général  donna  le  signal  de 
l'attaque.  Elle  devait  avoir  lieu  de  la  façon  suivante  :  à  droite,  les  Tirailleurs; 
au  centre,  Ie70*;  à  gauche,  le  bataillon  d'Afrique;  en  arrière,  comme  sou- 
tien, le  l**"  étranger.  Sur  la  droite,  le  terrain  relativement  facile  se  prêta 
assez  bien  à  un  mouvement  tournant,  qui  s'effectua  sans  grandes  pertes; 
mais,  vers  la  gauche,  le  bataillon  d'Afrique  se  vit  arrêté  au  milieu  de  sa 
marche  par  des  escarpements  si  abrupts,  qu'il  fut  obligé  de  rétrograder  sous 
le  feu  du  village  et  d'attaquer  de  front  avec  le  70*  de  ligne.  En  un  instant  les 
barricades  ennemies  furent  enlevées,  et  les  deux  colonnes  pénétrèrent  à  peu 
près  en  même  temps  dans  la  position ,  que  les  Kabyles  évacuèrent  précipitam- 
ment pour  ne  pas  se  trouver  cernés.  Ces  derniers  essayèrent  bien  encore  d'in- 
quiéter les  troupes  à  leur  retour;  mais  un  vigoureux  retour  offensif,  dirigé 
par  le  colonel  Jolivet,  les  obligea  à  se  retirer  définitivement.  Dans  cette  jour- 
née, le  bataillon  de  Tirailleurs  avait  eu  six  hommes  blessés. 

Maîtresse  de  toutes  les  positions  permettant  de  prendre  à  revers  les  tribus 
des  Illoula-ou-Malou  et  des  Illilten ,  la  division  Maissiat  borna  là  ses  efforts  et 
attendit,  pour  reprendre  ses  opérations,  l'arrivée  et  la  coopération  des  divi- 
sions de  la  colonne  principale.  Elle  resta  campée  sur  les  hauteurs  de  Chellata, 
demeurant  pour  les  Kabyles  une  menace  permanente ,  et  se  tenant  prête  à 
fondre  sur  le  premier  point  où  se  manifesteraient  de  nouvelles  hostilité. 

Le  11  juillet,  toutes  les  divisions  se  portèrent  en  avant.  La  4*  quitta  enfin 
son  camp  et  s'avança  à  travers  le  pays  des  Illoula-ou-Malou,  ne  trouvant  de- 
vant elle  que  des  villages  soumis  ou  abandonnés.  Arrivée  au  piton  de  Tablana, 
elle  opéra  sa  jonction  avec  celle  du  général  de  Mac-Mahon,  et,  le  soir,  les 
deux  bivouacs  furent  établis  à  côté  l'un  de  l'autre. 

Le  lendemain,  le  général  Maissiat  ramena  ses  troupes  au  col  de  Chellata. 
Le  IS,  il  abandonna  définitivement  cette  position  et  se  porta  au  col  d'Akfadou, 
on  combinant  sn  marche  avec  les  opérations  du  général  de  Mac-Mahon  chez 
les  Reni-Idjer.  Le  18,  la  2*  division  ayant  été  dissoute,  le  général  Périgot  vint 
l'y  rejoindre  avec  sa  brigade,  uniquement,  comme  on  sait,  composée  de 
troupes  de  la  province  de  Constantine.  Le  colonel  Liébert  se  trouva  ainsi  avoir 
dans  sa  main  les  deux  bataillons  de  son  régiment. 

Le  21,  toutes  les  opérations  étant  terminées,  la  4*  division  et  la  brigade 
Périgot  se  mirent  en  route  pour  Sétif ,  en  suivant  le  même  itinéraire  que  celui 


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170  l'B  3«  RÊQIUBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1858] 

déjà  parcouru  par  la  colonuo  do  Cliollata,  c*osl-à-dîro  eu  passant  par  Ouod- 
Rumila,  Oued-Amziou ,  El-bir-el-Kombila  elle  sebt  des  Beni-Sliman.  On  ar- 
riva le  27.  Le  mémo  jour  eut  lieu  la  dissolution  de  la  colonne.  Les  compagnies 
du  2*  bataillon  restèrent  à  Sélif ,  celles  du  l***  et  du  3*  rentrèrent  à  Conslan- 
tine  avec  le  colonel  Liébert,  et  y  arrivèrent  le  l***  août. 

Dans  l'expédition  qui  venait  de  prendre  fin ,  le  régiment  s'était  trouvé  à 
sept  combats  importants,  dans  lesquels  il  avait  eu  quatre-vingt-treize  hommes 
hors  de  combat,  dont  huit  officiers  blessés,  sept  hommes  tués  et  soixante- 
dix-huit  blessés. 

Une  complète  tranquillité  succéda  à  cette  grande  lutte ,  un  repos  absolu  à 
ce  puissant  effort.  A  l'automne  eut  cependant  lieu  une  expédition  sur  la  fron- 
tière tunisienne,  mais  beaucoup  plus  en  vue  des  troubles  qui  auraient  pu  s'y 
produire  que  pour  en  réprimer  d'existant.  Sans  être  belliqueuses,  les  tribus 
de  cette  région  étaient  en  effet  toujours  remuantes,  et  il  devenait  nécessaire 
de  recourir  périodiquement  à  des  démonstrations  do  ce  genre  pour  appuyer 
l'autorité  de  nos  caïds  et  assurer  la  perception  de  l'impôt.  La  plupart  des 
troupes  de  la  province  se  trouvaient  d'ailleurs  disponibles ,  et  c'était  une  façon 
comme  une  autre  de  les  tenir  en  baleine,  tout  en  inspirant  une  crainte  salu- 
taire aux  populations  d'un  pays  continuellement  travaillé  par  un  esprit  dis- 
sident. 

Ce  fut  le  général  Périgot,  commandant  la  subdivision  de  Bàne,  qui  eut  la 
direction  de  cette  opération.  En  conséquence,  une  brigade,  dans  laquelle  en- 
trèrent les  l'*,  4*,  5«  et  6®  compagnies  du  3*  bataillon,  et  des  détachements 
fournis  par  les  2*  et  3®  compagnies,  détachées,  Tun  ù  Souk-Arras,  l'autre  à 
La  Calle,  fut  organisée  à  Bône  dans  les  premiers  jours  d'octobre,  et  se  mit 
en  route  le  S  du  même  mois.  Elle  se  dirigea,  par  la  vallée  de  la  Seybouse, 
sur  le  territoire  des  Beni-Salah,  qu'elle  parcourut  sans  avoir  à  tirer  un  seul 
coup  de  fusil ,  pénétra  ensuite  dans  le  pays  des  Hanencha  sans  y  rencontrer 
plus  de  difficultés,  et  enfin  revint  à  Bône  en  longeant  la  frontière  de  Tunis  jus- 
qu'à La  Calle  et  en  passant  par  Modj(^-el-lladjar  et  Sidi-Abil-cl-Aziz.  Nulle  part 
elle  n'avait  eu  à  combattre;  partout  les  tribus  avaient  protesté  de  leur  soumis- 
sion et  payé  r^lièrement  les  amendes  qui  leur  avaient  été  imposées.  Le  12  no- 
vembre, jour  de  sa  rentrée  à  Bône,  la  brigade  fut  licenciée,  et  les  troupes  qui 
en  avaient  fait  partie  reprirent  leurs  anciennes  garnisons. 

Cette  tranquillité  allait  être  maintenant  la  situation  normale  de  la  province, 
et  l'avenir  n'allait  plus  fournir  aux  Tirailleurs,  en  Algérie  du  moins,  que  de 
rares  occasions  de  s'illustrer  dans  de  nouveaux  combats.  A  l'action  miUtaire 
allait  succéder  l'œuvre  politique,  le  guerrier  devait  faire  place  à  l'administra- 
teur. Désormais  convaincus  de  leur  impuissance  et  rassurés  sur  la  possession 
de  leurs  propriétés,  les  Kabyles,  à  part  quelques  fort  peu  nombreuses  exceptions, 
allaient  eux-mêmes  accepter  notre  domination  sans  révolte,  et  par  leur  attitude 
franche  et  conciliatrice  faire  presque  oublier  les  luttes  sanglantes  dont  leurs 
campagnes  dévastées  éveillaient  partout  le  désolant  souvenir.  L'ère  de  la  con- 
quête était  terminée  ,  l'ère  civilisatrice  allait  commencer.  Devenu  différent,  le 
rôle  des  Tirailleurs  indigènes  n'en  allait  pas  avoir  une  moindre  importance , 
et,  si  jusque-là  il  avait  démontré  l'utilité  de  cette  troupe  au  point  de  vue 


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[1858]  EN  ALGÉRIE  i7i 

militaire,  il  allait  dès  lors  affirmer  chaque  jour  la  nécessité  de  cette  dernière 
au  point  de  vue  politique. 

C'est  par  les  relations  qu*il  aura  avec  les  deux  éléments  civilisateurs ,  avec 
le  soldat  français,  —  l'officier  surtout,  —  et  le  colon  que  le  soldat  indi> 
gène  nous  sera  d'un  précieux  secours.  Vivant  d'une  vie  double,  moitié  euro- 
péenne, moitié  orientale,  il  sera  vite  familiarisé  avec  nos  mœurs  et  nos  insti^ 
tutions,  et,  tout  en  se  laissant  gagner  par  ce  que  les  unes  ont  de  pernicieux, 
il  arrivera  peu  à  peu  &  comprendre  les  bienfaits  des  autres,  et  il  gardera  pour 
elles  une  profonde  sympathie  qu'il  emportera  jusque  dans  son  douar  et  qu'il 
communiquera  aux  autres  membres  do  sa  tribu.  Le  régiment  restera  pour  lui 
une  autre  famille  qu'il  n'oubliera  jamais,  dans  laquelle  il  cherchera  souvent 
à  revenir,  et  dont  il  conservera  le  respect  quelque  part  qu'il  se  trouve  et  dans 
quelque  circonstance  que  ce  soit.  Qu'il  revoie  cet  uniforme  qu'il  a  lui-même 
si  dignement  et  si  fièrement  porté,  sa  joie  et  son  enthousiasme  se  réveilleront 
aussitôt,  et  il  s'empressera  auprès  de  celui  qui  lui  rappellera  les  jours  glorieux 
passés  à  l'ombre  du  drapeau. 

En  garnison,  il  aura  été  non  moins  utile  &  notre  cause,  bien  que  d'une 
façon  moins  directe  et  plus  inconsciente  parfois.  Dans  les  postes  occupés  par  le 
régiment,  la  sécurité  la  plus  complète  no  tardera  pas  h  régner,  le  Tirailleur 
servant,  pour  ainsi  dire,  de  prolecteur  au  colon ,  dont  il  commence  à  parler  la 
langue,  et  quHI  est  fier  de  guider  et  de  rassurer.  Avec  lui,  pas  de  trahison  à 
craindre  :  l'uniforme  dont  il  est  revêtu  est  la  plus  sûre  garantie.  Grâce  à  ces 
rapports  incidemment  établis  par  lui  entre  l'Arabe  et  le  Français,  vainqueurs 
et  vaincus  ne  tarderont  pas  &  se  connaître  mieux  et  à  s'apprécier  mutuelle- 
ment; la  haine  des  derniers  s'cflfacera  graduellement;  le  Roumi  perdra  in- 
sensiblement aux  yeux  des  farouches  sectaires  du  Coran  ce  caractère  d'infi- 
dèle, d'ennemi  inplacable  de  l'islamisme  qu'on  lui  a  accordé  jusque-lè,  et 
bientôt  une  estime  réciproque  rapprochera  les  bords  do  l'abime  si  profondé- 
ment creusé  par  le  sentiment  religieux.  C'est  là  une  des  influences  dont  on 
s'est  le  moins  occupé  en  parlant  de  la  colonisation  algérienne,  et  sur  laquelle 
nous  voudrions  nous  étendre  davantage  si  l'esprit  de  ce  livre  nous  le  permet- 
tait. Mais  ce  dernier,  ne  devant  pas  sortir  de  son  cadre  essentiellement  mili- 
taire, nous  nous  hfttons  de  revenir  au  récit  des  faits  ne  se  rapportant  qu'à  ce 
côté  du  passé  du  3®  régiment  do  Tirailleurs. 

La  première  expédition  à  laquelle  donnèrent  lieu  les  événements  de  l'année 
1858  fut  dirigée  sur  l'oasis  d'El-Oued ,  dont  les  habitants  avaient  assassiné  un 
cheik  nommé  par  nous  et  dont  le  concours  dévoué  nous  était  d'un  utile 
secours  dans  cette  région.  Les  troupes  destinées  &  y  prendre  part  furent  placées 
sous  les  ordres  du  général  Desvaux,  commandant  la  subdivision  de  Batna; 
parmi  elles  se  trouva  comprise  la  2®  compagnie  du  l**"  bataillon  (capitaine 
Beaumelle),  alors  en  garnison  à  Biskra. 

La  colonne  quitta  celte  dernière  ville  le  27  février,  et  arriva  le  S  mars  à  El- 
Oued.  Le  général  frappa  la  population  de  l'oasis  d'une  amende  de  vingt  mille 
francs,  se  fit  livrer  de  nombreux  otages  comme  garantie;  puis,  ce  châtiment 
infligé ,  il  se  dirigea  sur  Tuggurt,  où  il  ne  s'arrêta  que  quelques  jours,  et  reprit 
le  chemin  de  Biskra,  où  il  fut  de  retour  le  29  mars.  L'opération  avait  duré  un 


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172  LB  3*  RÉOIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1858] 

moii  et  n'arait  pas  entraîné  le  moindre  combat;  des  fatigues  seules  étaient 
résultées  les  quelques  difficultés  qu'on  avait  rencontrées,  difficultés  que  l'en- 
train et  la  discipline  des  troupes  araient  du  reste  brillamment  surmontées. 
Le  général  Desvaux  citait  d'une  manière  toute  particulière  la  compagnie  de 
Tirailleurs  comme  n'ayant  pas  cessé  de  se  signaler  par  son  bon  esprit  et  son 
inaltérable  énergie. 

Le  13  mars,  le  colonel  Liébert  fut  promu  général  de  brigade.  Quelques 
jours  après,  il  quittait  ce  régiment  qu'il  avait  formé  et  organisé,  emportant 
avec  lui  les  regrets  de  tous,  ofliciers  et  Tirailleurs,  et  laissant  à  son  succes- 
seur une  troupe  bien  pénétrée  de  ses  devoirs  et  admirablement  préparée  au 
rôle  glorieux  qu'elle  allait  bientôt  être  appelée  à  jouer  sur  les  champs  do 
bataille  d'Itolie. 

On  décret  du  17  mars  nomnuiit  à  sa  place  M.  Le  Poittevin  de  Lacroix,  qui 
depuis  deux  années  était  lieutenant-colonel  du  2*  régiment  de  Tirailleurs. 
Non  moins  familiarisé  que  M.  Liébert  avec  tout  ce  qui  touchait  aux  habitudes 
arabes  et  au  tempérament  spécial  de  la  troupe  qu'il  devait  commander,  il 
allait  poursuivre  activement  la  tâche  commencée  par  ce  dernier,  et  donner  au 
régiment  son  caractère  définitif,  caractère  qu'il  a  conservé  depuis,  et  qui  lui 
fut  imprimé  d'une  façon  si  énergique  en  môme  temps  qu'éclairée,  que  tous 
les  anciens  Tirailleurs  parlent  encore  du  colonel  de  Lacroix  comme  si  c'était 
d'hier  seulement  qu'il  eût  quitté  le  corps.  De  tels  souvenirs ,  laissés  par  un 
chef,  prouvent  que  non  seulement  celui-ci  fut  craint  do  tous,  mais  encore,  et 
surtout,  qu'il  en  fut  particulièrement  aimé. 

Le  4  juillet,  un  incendie  considérable  éclata  dans  la  forêt  de  TEdough,  à 
l'ouest  de  Bône.  Les  l***,  4*,  5«  et  6*  compagnies  du  3«  bataillon,  dirigées  en 
toute  hâte  sur  les  lieux,  prirent  part,  pendant  trente-six  heures  consécutives, 
aux  travaux  qui  furent  exécutés  pour  arrêter  le  redoutable  élément.  IjC 
général  Périgot  leur  en  témoigna  sa  satisfaction  dans  un  ordre  du  jour  con- 
tenant pour  elles  les  éloges  les  plus  flatteurs. 

Au  commencement  d'octobre  une  colonne,  devant  exécuter  une  opération 
analogue  à  celle  qui  avait  eu  lieu  Tannée  précédente  sur  la  frontière  de  Tu- 
nisie, fut  organisée  à  Bône  par  le  général  Périgot,  qui  en  eut  le  commande- 
ment. Les  1>^,  4^,  5*  et  6*  compagnies  du  3<>  bataillon  furent  appelées  à  en 
faire  partie,  sous  les  ordres  du  commandant  Cottret.  Le  5,  elle  se  mit  en  route, 
se  dirigeant  d'abord  à  l'est ,  en  passant  par  le  marabout  de  Sidi-Abid ,  et  se 
porta  sur  le  territoire  des  Ouled-Ali,  où  des  tribus  tunisiennes  avaient  commis 
des  empiétements;  elle  redescendit  ensuite  vers  le  sud,  en  parcourant  succes- 
sivement le  pays  des  Uuled- Nasser,  des  Chiebena,  des  Ouled-Dhia,  des 
Ouled-Moumen ,  des  Ouled-Khriar ,  et  revint  à  Bône  le  27  octobre  par  Souk- 
Arras,  Du  vivier.  Barrai  et  Hondovi,  sens  avoir  eu  à  disperser  un  seul  rassem- 
blement. Les  2*  et  3*  compagnies,  détachées  à  Souk -Arras  et  à  La  Galle, 
avaient  fourni  chacune  des  détachements  qui,  au  passage  des  troupes,  s'étaient 
joints  au  bataillon. 

Pendant  ce  temps,  une  section  de  la  4*  compagnie  du  l^**  bataillon  prenait 
part,  à  Tebessa,  à  une  sortie  exécutée  pour  mettre  fin  aux  incursions  des 
Fraichoch ,  tribu  limitrophe  appartenant  à  la  régence  de  Tunis.  Cette  opéra- 


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[1858]  EN  ALGÉRIE  |73 

tion  eut  lieu  dans  la  nuit  du  23  au  24  octobre,  mais  fut  presque  entièrement 
menée  par  la  caralerie ,  de  sorte  que  l'action  des  Tirailleurs  se  borna  à  une 
rapide  marche  de  nuit,  qu'ils  exécutèrent  arec  leur  vigueur  accoutumée* 

Dans  les  premiers  jours  de  norembre,  le  régiment  reçut  l'ordre  de  former 
deux  compagnies  de  cent  cinquante  hommes  chacune,  destinées  à  aller  au 
Sénégal.  Ces  compagnies,  qu'on  recruta  sans  peine  parmi  les  hommes  de 
bonne  volonté,  prirent  les  numéros  3  et  6  dans  le  1*'  bataillon.  Leur  départ 
n'était  pas  encore  fixé;  nous  verrons  bientôt  qu*il  n'eut  môme  pas  lieu,  et  que 
les  complications  de  la  politique  européenne  renvoya  à  deux  années  plus  tard 
l'envoi  des  Tirailleurs  algériens  dans  cette  lointaine  colonie. 

Depuis  que  nos  troupes  n'avaient  parcouru  le  bassin  de  l'Oued-el-Kebir, 
un  certain  esprit  d'indépendance  s'était  peu  à  peu  emparé  des  tribus  de  cette 
région.  Aucune  hostilité  bien  marquée  ne  s'était  encore  déclarée,  mais  on  com- 
mençait à  sentir,  dans  les  rapports  de  ces  populations  avec  notre  autorité,  une 
mauvaise  volonté  évidente,  sur  la  signification  de  laquelle  il  n'y  avait  pas  à  se 
tromper.  Après  la  levée  de  la  récolte  de  1858,  cette  situation  s'accusa  encore 
davantage,  et  prit  tout  à  coup  un  caractère  bien  déterminé  dès  qu'il  fut  question 
défaire  rentrer  les  impôts;  des  difficultés  sans  nombre  furent  alors  créées  à  nos 
caïds,  et  l'un  de  ceux-ci,  celui  des  Ouled-Aîdoun,  dut  môme  renoncera  se 
faire  payer  les  perceptions  dont  il  était  chargé.  A  celte  désobéissance  étant 
ensuite  venus  fc  joindre  de  nombreux  incendies  de  forôts,  et  bien  d'autres  actes 
dénotant  la  malveillance ,  il  fut  décidé  qu'une  importante  colonne  irait  mettre 
fin  à  ces  désordres  et  châtier,  comme  ils  le  méritaienti  ces  coupables  agisse- 
ments. 

Les  troupes  devaient  se  réunir  à  Elma-el-Abiod,  ches  les  Moulas.  Le  21  no- 
vembre, le  général  Gastu,  commandant  la  province,  quitta  Gonstantine  avec 
les  1"^,  3",  4«,  5®  et  6®  compagnies  du  l*'  bataillon  (commandant  Van  Hoo- 
rick)  pour  aller  en  prendre  la  direction.  Les  opérations  commencèrent  le  23. 
Le  24,  la  colonne  était  à  El-Hilia,  où ,  le  môme  jour,  elle  était  rejointe  par 
la  1*'°  compagnie  du  2*  bataillon,  partie  le  16  de  Bougie.  De  ce  point  elle 
pesa  lourdement  sur  la  population  révoltée,  infligea  de  fortes  amendes  aux 
fractions  qui  avaient  méconnu  les  pouvoirs  de  notre  caïd,  et  enfin  acheva 
d'asseoir  notre  influence  sur  tout  ce  pays ,  où  nos  armes  n'avaient  pas  paru 
depuis  1853.  Le  4  décembre,  elle  rentrait  à  Gonstantine,  après  avoir  laissé  à 
El-Milia  un  bataillon  de  zouaves  et  une  section  de  la  5*  compagnie  du  1«'  ba- 
taillon ,  pour  y  travailler  à  la  construction  d'un  bordj. 

11  y  avait  à  peine  dix  jours  que  nos  compagnies  étaient  de  retour  de  la  Ka- 
bylie,  qu'elles  devaient  repartir  pour  Biskra,  où  s'organisait  une  expédition 
destinée  à  réprimer  un  commencement  de  troubles  qui  venait  d'éclater  dans 
les  Auros.  Les  1"^,  4°  et  5*  se  mirent  d'abord  en  route  sous  les  ordres  du 
coininandanl  Van  Iloorick;  puis  les  'i^  et  G^  ayant  reçu  lo  contro-ordre  de  leur 
départ  pour  le  Sénégal ,  elles  suivirent  bientôt  avec  le  colonel  Le  Poittevin  de 
Lacroix. 

L'agitation  qui  régnait  alors  dans  cette  vaste  contrée,  et  qui  menaçait  de 
gagner  tout  le  pays  des  Ouled-Abdi ,  des  Beni-Daoud  et  des  Bou-Sliman,  avait 
été  suscitée  par  un  certain  Si-Saddock,  mokkadem  de  la  zaouïa  de  Timermadn, 


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174  LB  3*  RÉOIlfBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (l858] 

porsonnage  influent  dont  les  excitations  à  la  guerre  sainte  avaient  été  partout 
fayorablement  accueillies.  Mais  dès  les  premiers  symptômes  de  dispositions 
insurrectionnelles  de  ces  tribus,  le  général  Desvaux,  qui  commandait  à  Batna, 
avait  envoyé  un  goum,  trois  escadrons  de  chasseurs  d'Afrique  et  deux  com- 
pagnies du  99*  occuper  Sidi-Obka,  et  la  présence  de  ce  poste  avait  sufB  pour 
empêcher  insurrection  de  se  déclarer  ouvertement.  Des  rassemblements  assez 
sérieux  ne  s*en  étaient  pas  moins  formés  dans  toute  la  vallée  de  TOued-el- 
Abiod  occidental ,  et  c'était  pour  les  disperser  qu'une  colonne  mobile  s'orga- 
nisait. 

Celle-ci  fut  concentrée  à  Chelma,  à  sept  kilomètres  au  nord-est  de  Biskra; 
le  général  Desvaux  en  eut  le  commandement.  Le  colonel  de  Lacroix  eut  sous 
ses  ordres  toute  la  fraction  du  régiment  appelée  à  en  faire  partie,  fraction  qui 
se  composa  en  réalité  de  tout  le  l*'  bataillon,  la  2*  compagnie,  détachée  à 
Biskra ,  s*étant  jointe  aux  cinq  autres  à  leur  arrivée. 

Les  opérations  commencèrent  le  10  janvier  1859.  Ce  jour-là,  la  colonne,  se 
dirigeant  à  l*est,  alla  bivouaquer  à  Garta.  Le  lendemain,  elle  se  porta  à  Si- 
Oghab,  sur  un  coteau  raviné,  au  bord  de  TOued-Chanin.  Le  12,  elle  quitta 
Si-Oghab  pour  s'engager  dans  des  ravins  encoissés  au  milieu  d'un  terrain 
sablonneux  et  entièrement  nu ,  puis  remonta  les  pentes  abruptes  d'un  plateau 
dominant  l'Oued-Mnaisef,  et  alla  camper  sur  les  bords  do  TOued-Zita.  Le  13, 
elle  arriva  devant  Tonnegaline,  où  quelques  bandes  s'étaient  rassemblées.  La 
position ,  abordée  par  tous  les  côtés  à  la  fois ,  fut  rapidement  en  noire  pouvoir 
sans  nous  coûter  plus  de  deux  ou  trois  hommes  légèrement  blessés.  Le  14,  on 
se  porta  sur  K'ssar,  où  Si-Saddock  s'était  retiré.  Celte  localité  pouvait  passer 
pour  une  petite  ville  et  môme  pour  une  forteresse;  située  à  l'entrée  d'une  gorge 
formée  par  l'Oued-Djida,  bâtie  en  pierres,  défendue  au  nord-est  par  le  pic  de 
Zerzerai  au  nord-ouest  par  celui  d'Afson,  muni  d'une  citadelle,  elle  semblait 
devoir  nous  opposer  une  sérieuse  résistance;  mais,  grâce  aux  habiles  dispo- 
sitions prises,  elle  fut  enlevée  sans  coup  férir,  et  le  marabout  fomenteur  de 
guerre  sainte  resta  notre  prisonnier  avec  une  partie  de  ses  partisans.  Comme 
la  veille,  nos  pertes  avaient  été  insigniiiantes.  Après  ce  coup  de  main,  la 
colonne  établit  son  camp  à  K*ssar,  où  elle  resta  jusqu'à  la  fin  du  mois. 

Le  30,  les  troupes  reprirent  leur  marche,  et,  se  dirigeant  cette  fois  vers  le 
sud ,  allèrent  camper  à  Si-Masmoudi.  Le  lendemain  elles  continuèrent  d'abord 
dans  la  même  direction ,  puis  tournèrent  à  l'ouest,  et  vinrent  à  Memehidibid 
sur  l'oued  Mnaisef.  Le  l*''  février,  on  arriva  à  Sidi-Obka,  où  l'on  fit  séjour. 
Le  3 1  on  remonta  vers  le  nord  pour  venir  camper  à  El-Uabbel.  Le  4,  on  se 
porta  àEdissa,  en  face  de  Banian  et  au  pied  du  Djebel -Houssoun.  Le  5,  on 
atteignit  Rufi,  où  quelques  contingents  avaient  été  signalés,  et,  après  s'être 
emparé  de  ce  village,  dont  la  résistance  fut  encore  moindre  que  celle  de  K'ssar, 
on  alla  s'étabUr  à  A!n-Tiboudd ,  où  l'on  s'arrêta  pendant  trois  jours.  Le  8,  on 
revint  à  Edissa  ;  le  9,  on  campa  à  Drolieu ,  et  le  10  on  fut  de  retour  à 
Chelma. 

L'expédition  avait  eu  tout  le  succès  espéré,  et  cela  presque  sans  efiusion  de 
sang.  Comme  toujours,  les  Tirailleurs  s'y  étaient  fait  remarquer  par  leur  bril- 
lante attitude,  ainsi  que  le  témoigne  l'ordre  du  jour  suivant  : 


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[1858]  RN  ALOÊRIR  475 

c  Le  colonel  8*empro88e  de  porter  à  la  connaissance  du  régiment  les  témoi- 
gnages de  satisfaction  que  lui  a  manifestés  le  général  Desvaux,  tant  pour  la  con- 
duite, la  discipline  et  la  tenue  des  Tirailleurs  depuis  le  commencement  de 
Texpédition  que  pour  la  vigueur  et  Tentrain  qu'ils  ont  montrés  dans  les  Journées 
des  13  et  14  février. 

c  Au  camp  devant  K'ssar,  le  15  janvier  1859. 

c  Le  colonel  y 
c  Signé  :  Lk  Poittbviii  de  Licroix.  » 


A  la  dissolution  do  la  colonne,  qui  eut  lieu  le  10  février,  les  i'*,  4*  et  5*  com- 
pagnies rentrèrent  à  Constantine;  les  2<',  3^  et  6*  restèrent  à  Biskra. 

Dans  le  courant  des  deux  années  qui  venaient  de  s*écouler,  quelques  chan- 
gements étaient  survenus  dans  le  cadre  des  ofBciers  supérieurs  du  corps. 
Ainsi,  le  l®**  avril  1857,  le  commandant  Guîchard  était  passé  au  3*  bataillon 
d*iiifanterie  légère  d'Afrique,  et  avait  été  remplacé  par  M.  Van  Hoorick,  qui 
avait  autrefois  servi  comme  lieutenant  dans  In  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes 
de  Constantine.  Le  30  décembre  suivant,  c'avait  été  le  tour  de  M.  Arnaudeau 
d'être  appelé  à  prendre  le  commandement  du  4*  bataillon  de  chasseurs  à 
pied,  et  de  céder  celui  qu'il  avait  au  régiment  à  M.  Mercier  de  Sainte- Croix, 
récemment  nommé  chef  de  bataillon.  Enfin,  par  décret  du  24  décembre  1858, 
le  lieutenant-colonel  Castex  avait  été  promu  colonel  du  72«  de  ligne,  et  le  lieu- 
tenant-colonel Colin ,  du  27<,  désigné  pour  le  remplacer  au  3®  Tirailleurs. 


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CAMPAGNE   D'ITALIE 


CHAPITRE  III 

(1859) 


Création  d'un  régiment  provisoire  de  Tirailleurs  algériens.  —  Formation,  à  Constantine , 
d*ua  butiillon  do  marclio  pour  le  régiment  provisoire  ;  sa  coiiipositiou.  —  Euibun|uo- 
ment  à  IMiilippevillo.  —  Dél)an|Uumoal  à  (iéacs.  —  Goustiiutiou  du  léKimcut.  —  l*rc- 
mières  mardies  et  opérations  du  2«  corps.— Combat  de  Turbigo  (3  juin).  —  bataille 
de  Magenta  (4  Juin). 


Au  commencement  de  Tannée  1859,  l'horizon  politique  de  TEurope  s^était 
tout  à  coup  rembruni.  L'attitude  hautaine  de  l'Autriche  envers  la  Sardaigne 
et  le  Piémont  avait  vivement  surexcité  les  esprits,  et  la  diplomatie  s'était 
bientôt  vue  impuissante  à  conjurer  une  guerre  qui  chaque  jour  devenait  de 
plus  en  plus  imminente.  En  face  de  cette  situation ,  le  gouvernement  français 
s'était  ouvertement  déclaré  pour  le  Piémont,  et,  en  attendant  le  dernier  mot 
des  négociations  entamées,il  se  préparait  activement  à  la  lutte,  qui  paraissait 
inévitable.  De  tous  les  points  de  la  France  des  troupes  élaient  dirigées  vers  la 
Trontière  des  Alpes,  où  s'opérait  la  concentration  de  plusieurs  divisions,  et 
l'Algérie  se  disposait  elle-même  à  fournir  son  solide  contingent. 

Le  26  mars,  un  décret  impérial  vint  ordonner  la  création  d'un  régiment 
provisoire  de  Tirailleurs  algériens.  Aux  termes  de  ce  décret,  ce  régiment  de- 
vait être  formé  avec  trois  bataillons  de  onze  cents  hommes,  tirés  respective- 
ment de  chacune  des  trois  provinces  et  portant  le  numéro  de  leur  régiment 
d'origine;  c'est-à-dire  que  le  1^  régiment  devait  fournir  le  l^'  bataillon,  le 
2*  régiment  le  2*  bataillon ,  et  le  3«  régiment  le  3«  bataillon. 

En  exécution  de  ces  prescriptions,  le  12  avril  un  procès-verbal  d'organi- 
sation, dressé  à  Constantine,  désignait  les  compagnies  suivantes  pour  entrer 
dans  la  composition  du  bataillon  fourni  par  le  *à^  r^iment  : 


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[1859]         LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ITAUB 


177 


l'*  compagnie  du  !•' bataillon ,  stationnée  à  Constentine. 


2» 

— 

du  2* 

3« 

— 

du  l*f 

4« 

— 

du  3* 

1" 

— 

du  3» 

6» 

— 

du  !•' 

—  à  Biskra. 

—  à  Gonstantine. 

—  à  Bàne. 

—  à  Biskra. 

Chacune  de  ces  compagnies  prenait,  dans  le  balaillon  provisoire,  le  nu- 
méro que  lui  assignait  Tordre  ci-dessus. 

Le  même  procès-verbal  désignait  les  officiers  dont  les  noms  suivent  pour- 
les  cadres  dudit  bataillon  : 

ÉTAT-MAJOR 


MM.  Van  Hoorick, 

Groût  de  Saint-Paêr, 
Poulet, 

l'*  compagnie, 

MM.  Estelle,  capitaine. 

Sorin,  lieutenant  fiançais. 
Larbi-ben^Lagdar,  lîeut.  indig. 
De  Foy,  sous-lieutenant  français. 
Yaya-ben-Simo,  s. -lient,  ind. 

2*  compagnie. 

MM.  Doulcetdo  Pontécoulant,  capil. 
Fabro  do  Montvaillant,  lient,  fr. 
Ahmed- ben-Amor,  lient,  ind. 
Bouguès,  sous-lieut.  français. 
Kacem-Labougie ,  s.-lieut.  ind. 

3<^  compagnie, 

MM.  Quinemant,  capitaine. 

Louvet,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Kacem,  lient,  ind. 
Barbier,  souslieut.  français. 
Iladj-Tahar,  sous-lieut.  ind. 


chef  de  bataillon, 
capitaine  adjudant- major, 
médecin-major. 

4*  compagnie. 
MM.  Galland,  capitaine. 

Marion-Dumersan,  lieut.  franc. 
Messaoud-ben-Ahmed,  lieut.  ind. 
Bobillard,  sous-lieut.  français. 
Soliman-ben-Ali,  sous-lieut.  ind. 

6«  compagnie. 
MM.  Dardcnne ,  capitaine. 

De  Boy  ne,  lieutenant  français. 
Mphamed-Pounep,  Jieut.  ind. 
Dufour,  sous-lieut.  français. 
Ali-ben-Rebah,  sous-rliei|t.,ind. 

6*  compagnie. 

MM.  Munier,  capitaine. 

Maussion ,'  lieutenant  français. 
Assen-ben-Krelill,  lieut.  ind. 
Castex ,  sous-lieut.  français. 
Sald-ben-Amor,  sous-lieut.  ind. 


\éQ  contingent  demandé  fut  uniquement  choisi  parmi  les  volontaires;  mais 
le  nombre  do  ceux-ci  fut  tel,  qu*on  peut  dire  que  le  régiment  tout  entier  de- 
manda à  partir.  Il  ne  se  présenta  donc  qu*une  diflicuUé,  celle  de  ne  pas  faire 
trop  de  jaloux. 

Le  11  avril,  les  1^^,  3*,  4*  et  6^  compagnies  quittèrent  Gonstantine  pour  se 
rendre  h  Philippcvillc,  où  elles  furent  ralliées  par  la  5*  venapt  de  BônOi  et  la 
2*  de  Bougie. 

13 


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176  LB  8*  UÊQIIIUNT  DIS  TlllAlLLKUllS  AI.OÉlilKNB  [iStf^] 

Le  22|  arriva  dans  le  port  la  frégate  à  vapeur  la  Dt^ade.  L'embarquement 
commença  aussitôt,  et,  le  23  au  soir,  le. bâtiment  levait  l'ancre,  emportant 
encore  une  fois  loin  de  leur  pays  ces  c  enfants  du  feu  >  que  le  bonheur  d'aller 
faire  parler  la  poudre  et  parcourir  des  pays  inconnus  dont  on  disait  tant  de 
merveilles  rendait  débordants  d'entrain ,  d'enthousiasme  et  de  gaieté.  Étrange 
coïncidence!  c'était  ce  même  bateau  qui,  onze  années  plus  tard,  en  1870, 
devait  encore  prendre  le  régiment  à  son  bord  pour  l'emmener  au  secours  de 
la  patrie  menacée.  La  même  joie,  la  môme  confiance,  le  môme  empressement 
allaient  alors  accompagner  ce  nouveau  départ;  mais  combien  allait  être  diffé- 
rent le  retour  I 

Le  25  dans  l'après-midi ,  le  vaisseau  arrivait  dans  le  port  de  Toulon.  Quand 
il  était  parti  de  Philippeville ,  la  guerre  était  à  peu  près  certaine;  lorsqu'il 
arriva  sur  les  côtes  de  Franco,  elle  était  déclarée.  Il  lui  fallut  virer  de  boid  et 
mettre  le  cap  sur  Gônes,  où,  le  lendemain  26,  à  deux  heures  de  Taprès-midi, 
il  put  enfin  débarquer  ses  impatients  passagers. 

Gênes  était  le  point  de  réunion  de  toutes  les  troupes  venues  par  mer.  Le 
bataillon  alla  camper  à  environ  une  lieue  de  la  ville,  entre  Saint-Pierre 
d'Arena  et  Rivarolo,  dans  le  lit  de  la  Polcevera,  rivière  détournée  pour  l'assai- 
nissement de  la  plaine  et  les  travaux  du  chemin  de  fer  d'Alexandrie.  Il  sta- 
tionna là  pendant  sept  jours,  qui  furent  employés  à  l'organisation  du  régiment, 
dont  le  commandement  fîit  donné,  par  ancienneté,  au  colonel  Laure,  du 
2<»  Tirailleurs.  La  môme  disposition  fit  désigner  H.  Montfort,  du  i'^'  régiment, 
pour  les  fonctions  de  lieutenant-colonel.  Les  bataillons  étaient  sous  les  ordres 
des  commandants  Gibon  (1*'),  Calignon  (2*),  et  Van  Hoorick  (3«). 

Les  Tirailleurs  algériens  furent  d*abord  placés  dans  la  brigade  du  général 
de  Polhès;  mais  ils  la  quittèrent  quelques  jours  après  pour  entrer  dans  celle 
du  général  Lefèvre,  qui ,  à  la  suite  de  l'organisation  définitive  de  l'armée,  se 
trouva  être  la  i^  de  la  i^  division  (général  de  la  Motterouge)  du  2*  corps. 
Composé  exclusivement  de  régiments  appartenant  à  l'armée  d'Afrique  ou 
venant  d'y  faire  un  long  séjour,  ce  dernier  était  sous  les  ordres  du  général 
de  Mac-Mahon,  qui  venait  de  quitter  le  commandement  supérieur  de  l'Al- 
gérie. 

La  campagne  s'ouvrait,  pour  le  régiment,  sous  les  auspices  les  plus  favo- 
rables :  un  corps  composé  de  troupes  aguerries ,  placé  sous  les  ordres  de  gé- 
néraux dont  la  valeur  et  les  talents  étaient  connus  de  tous ,  était  naturelle- 
ment en  mesure  do  faire  de  grandes  choses ,  de  prendre  une  large  part  dans 
la  lutte  héroïque  qui  allait  bientôt  s'engager. 

Le  2  mai,  pour  éviter  Tencombrement  des  troupes  à  Gônes,  le  régiment 
fut  dirigé  sur  Novi  par  la  roule  de  la  Bochetta.  Les  premières  étapes  donnèrent 
aux  troupes  un  avant-goût  de  la  façon  dont  elles  allaient  voyager.  Parties  à 
quatre  heures  de  l'après-midi,  ce  ne  fut  qu'é  dix  heures  du  soir  qu'elles  arri- 
vèrent à  Pontedecimo,  ayant  fait  à  peine  deux  lieues.  Le  régiment  bivouaqua, 
par  bataillon  en  masse,  dans  le  lit  d'un  ruisseau  desséché. 

Le  3,  à  dix  heures  du  matin,  une  fois  la  distribution  des  vivres  faite,  il  leva 
le  camp  et  se  dirigea  sur  Fiaconi;  il  traversa  ce  village,  franchit  le  col  de  la 
Bochetta  et  alla  camper  un  peu  plus  loin  que  Voltaggio ,  à  proximité  de  Gavi. 


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[1859]  EN  ITALIE  |79 

Là  un  repos  de  trois  jours  vint  permettre  au  soldat  de  mettre  un  peu  d'ordre 
dans  sa  tenue  et  do  parfaire  son  outillage  de  campagne. 

Le  7,  à  cinq  heures  du  matin,  les  Tirailleurs  allèrent  s'établir  à  cinq  kilo- 
mètres de  Novif  en  passant  par  les  villages  de  Carosio  et  la  petite  ville  de 
Gavi.  Le  lendemain,  le  camp  fut  porté  à  deux  kilomètres  plus  loin  pour  se 
rapprocher  de  Novi,  où  arrivaient,  par  la  voie  ferrée,  tous  les  approvisionne- 
ments du  corps  d'armée. 

Ce  fut  entre  Gavi  et  Novi  que  se  compléta  Torganisation  du  2*  corps,  que 
venait  de  rejoindre  son  commandant,  le  général  de  Mac-Mahon.  La  1**  divi- 
sion avait  son  quartier  général  à  Novi,  la  2*  à  Carioso;  l'arrière-garde  obser- 
vait le  cours  du  Lcmmo  et  la  vallée  de  Carleidora. 

Le  12  mai,  l'empereur  Napoléon  III,  qui  devait  prendre  le  commandement 
en  chef  de  l'armée,  débarquait  à  Gênes.  Il  se  porta  aussitôt  à  Alexandrie  et 
ordonna  la  concentration  des  corps  français.  Jusqu'à  ce  moment  ceux-ci 
avaient  constitué  deux  groupes  bien  distincts  résultant  de  leur  point  d'ar- 
rivée :  Tun  par  Gènes,  l'autre  par  Turin. 

En  exécution  de  ces  nouveaux  ordres,  le  régiment  de  Tirailleurs  reprit  sa 
marche  le  15  mai.  Il  traversa  Novi,  Pozzolo,  Formigaro,  San-Giuliano-il- 
Vccchio  et  alla  prendre  ses  cantonnements  à  San-Giuliano-il-Nuovo,  non  loin 
du  village  de  Marcngo,  où  fut  établi  le  quartier  général  du  corps  d^arméo. 
Le  16,  il  continua  sa  route  vers  le  nord  et  se  porta  à  Alluvionne-di-Gambio, 
en  passant  par  Sale,  ville  située  sur  la  route  d'Alexandrie  à  Tortone,  à  douze 
kilomètres  de  cette  dernière  place.  Le  3«  bataillon  fut  logé  dans  la  ferme  de 
Frambaglia ,  (Très  du  ruisseau  de  la  Ruggia  et  de  la  route  de  Sale  à  Guassora, 
à  deux  mille  cinq  cents  mètres  de  cette  dernière  localité.  Il  séjourna  dans  cette 
position  jusqu'au  18,  et  rejoignit  ensuite  les  deux  autres  bataillons  restés  à 
Alluvionne  avec  l'état-major  du  régiment. 

A  cette  date,  la  position  respective  des  deux  armées  était  celle-ci  : 

L'armée  autrichienne  était  établie  en  arrière  de  la  Sesia,  ayant  ses  corps 
de  première  ligne  à  Palestro,  Robbio,  Gastelnuovetto,  Yercelli,  Mortara,  Ce- 
retto,  Olevanno,  Trumello,  Garlasco  et  Alagna,  et  sa  réserve  à  Vespolate, 
Gravellona  et  Vigevano. 

L'armée  alliée,  formant  deux  groupes  distincts,  avait  pour  centres  Casale 
et  Alexandrie.  Les  Piémontais  occupaient  les  deux  rives  du  Pô;  les  Français 
étaient  concentrés  sur  le  Tanaro  :  le  1*>'  corps  à  Pontecurone  et  Voghera,  le 
2<*  à  Sale,  le  3^ en  deuxième  ligne  à  Tortone,  le  4*  en  avant  de  San-Salvatore 
autour  de  Valenza,  et  enfin  la  garde  et  le  grand  quartier  général  à  Alexandrie. 

Les  16, 17  et  18  mai,  l'armée  autrichienne  se  renforça  d*un  nouveau  corps, 
qui  occupa  Plaisance  et  poussa  une  brigade  jusqu'à  Stradella. 

IjC  20  mai,  le  feld-zeugmcstre  Gyulai,  commandant  l'armée  ennemie,  or- 
donna une  reconnaissance  offensive  sur  Voghera ,  où  se  trouvait  la  division 
Forey  (l**®  du  l***  corps).  Cette  opération  fut  confiée  au  feld-zeugmestre  Sta- 
dion ,  et  amena,  à  Montebello,  un  sanglant  combat,  qui ,  malgré  l'énorme  su- 
périorité numérique  de  l'ennemi ,  se  termina  par  une  complète  victoire  pour 
nous. 

Cette  affaire,  vigoureusement  menée  de  notre  côté,  avait  laissé  dans  l'esprit 


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180  LE  3*  RÊOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1859] 

du  généralissime  autrichien  l'idée  bien  arrêtée  que  les  Français  cherchaient 
à  se  concentrer  sur  sa  gauche  pour  descendre  le  Pô  vers  Plaisance  et  Crémone. 
Pour  l'entretenir  dans  son  erreur,  le  21,  l'état-major  général  ordonna  la  con- 
centration de  l'armée  sur  la  ligne  Montebello-Valenza,  c'est-à-dire  parallè- 
lement au  cours  du  Pô  :  le  1^  corps  à  Montebello,  le  2*  à  Voghera,  le  3*  à 
Pontecurone  et  le  4*  à  Valensa,  La  garde  devait  demeurer  en  réserve  à 
Alexandrie. 

Le  régiment  de  Tirailleurs  algériens  était  resté  à  Alluvionne,  poussant  jour- 
nellement des  reconnaissances  sur  le  Tanaro,  sur  la  rive  gauche  duquel  on 
apercevait  les  éclaireurs  ennemis.  Le  21,  il  passa  la  Sçrivia  sur  un  pont  de 
bois  à  Castelnuovo ,  et  alla  cantonner  à  Casei.  Le  lendemain ,  il  franchit  le 
Qurone,  traversa  Voghera,  Oriolo,  la  Staffora,  et  alla  relever  à  Pizzale  et 
dans  les  fermes  environnantes  les  troupes  du  1*'  corps  qui  devaient  appuyer 
sur  Montebello. 

Cette  concentration  avait  complètement  donné  le  change  au  feld-zeugmestre 
Gyulai,  qui  s'était  empressé  d'opérer  un  changement  de  front  pour  pouvoir 
répondre  à  Tattaque  de  la  droite  française.  Mais  celle-ci  ne  se  proposait  pas 
de  prendre  l'oflensive;  ce  n'était  pas  sur  ce  point  que  se  préparait  Teflort  de 
l'armée  alliée,  et  ce  mouvement  avait  simplement  pour  but  d'en  masquer  un 
autre  beaucoup  plus  audacieux  et  beaucoup  plus  décisif,  qui  devait  com- 
mencer quelques  jours  après. 

Quoi  qu'il  en  fût,  le  voisinage  do  l'ennemi  cominandait  une  extrême  vigi- 
lance; chaque  jour  des  reconnaissances  de  deux  cent  cinquante  à  trois  cents 
hommes  chacune  étaient  dirigées  par  tous  les  chemins  vers  les  bords  du  Pô. 
Le  23,  le  bruit  se  répandit  tout  à  coup  que  l'armée  autrichienne  devait  atta- 
quer le  lendemain  ;  tout  confirmait  cette  opinion  :  les  nombreux  mouvements 
de  troupes  observés  de  l'autre  côté  du  fleuve,  les  rapports  des  espions,  la 
crainte  qui  régnait  parmi  les  populations. 

La  nuit  du  23  au  24  fut  consacrée  tout  entière  par  le  régiment  aux  dispo- 
sitions de  défense;  le  village  de  Pizzale  fut  fortifié,  les  maisons  crénelées,  les 
abords  couverts  par  des  retranchements,  des  fossés,  des  barricades,  des 
abatis;  les  grand'gardes  furent  renforcées  et  reçurent  les  instructions  les  plus 
précises  pour  se  replier  en  cas  d'alerte.  Vers  trois  heures  du  matin ,  il  y  eut 
même,  on  ne  sait  trop  pourquoi,  une  prise  d'armes  générale;  les  troupes  se 
portèrent  en  avant  de  leurs  cantonnements  ;  mais,  les  éclaireurs  ne  signalant 
dans  aucune  direction  la  marche  des  colonnes  eunemies,  elles  reprirent  bientôt 
leurs  emplacements. 

iL'attaque  n'ayant  pas  eu  lieu  le  24,  on  l'attendit  pour  le  25,  et  l'on  con- 
tinua les  préparatifs;  mais  l'ennemi  ne  se  montra  nulle  part  :  non  moins  in- 
certain sur  nos  intentions  que  nous  Tétions  sur  les  siennes,  il  attendait  de  son 
côté.  Le  27,  vers  dix  heures  du  soir,  une  sentinelle  maladroite  donna  une 
fausse  alerte,  et  deux  ou  trois  heures  après  seulement  on  s'aperçut  de  l'erreur, 
et  tout  rentra  dans  l'ordre. 

Dès  qu'il  fut  bien  établi ,  par  les  reconnaissances  et  par  les  événements  de 
ces  quelques  jours  d'attente,  que  l'ennemi  était  décidé  à  rester  sur  la  défen- 
sive, l'état-major  français  se  disposa  à  mettre  à  exécution  le  plan  qui  avait 


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[1859]  EN  ITALIE  181 

été  conçu,  et  qui  consistait  à  se  porter,  au  moyen  d*uDe  rapide  marche  de 
flanc,  sur  la  droite  do  Tarmée  autrichienne,  à  surprendre  le  passage  du  Tessin 
et  à  marcher  ensuite  sur  Milan.  Comme  moyens  d'exécution  on  disposait  de 
plusieurs  routes,  et,  ce  qui  était  d'un  grand  secours,  du  chemin  de  fer  qui , 
par  Alexandrie ,  Yalenza ,  Casale  et  Verceil ,  longeait  la  rive  droite  de  la 
Sesia. 

Le  mouvement  commença  le  26  mai  par  l'infanterie  du  3*  corps;  le  28,  il 
se  continua  par  toute  l'armée.  Ce  jour-là  le  régiment  alla  reprendre  ses  can* 
tonnements  à  Alluvionne-di-Gambio.  Le  29,  il  franchit  le  Tanaro  sur  deux 
ponts  de  bateaux  établis  par  le  génie  près  de  Bassignano ,  grand  village  qu'il 
traversa  ensuite  pour  aller  camper  à  environ  une  lieue  en  aval  de  Yalenza. 
Les  grand'gardes  établies  sur  les  bords  du  P6  voyaient  distinctement  les 
postes  autrichiens  sur  la  rive  opposée;  mais  ces  derniers  se  contentaient  d'ob- 
server et  ne  semblaient  pas  s'inquiéter  beaucoup  de  ce  qui  se  passait  dans  le 
camp  français.  L'avedglement  du  feld-zeugmestre  Gyulai  était  tel,  qu*il  ne 
voulait  voir  qu'une  diversion  dans  ce  mouvement,  qu'il  ne  chercha  du  reste 
pas  un  instant  à  contrarier.  Dans  la  nuit,  en  face  de  nos  avant-postes,  vinrent 
s'échouer  les  débris  d'un  pont  de  bateaux.  Ce  dernier  avait  été  détruit  par  le 
canon  autrichien  en  même  temps  que  deux  arches  du  pont  en  pierres  do  la 
route  de  Mortara. 

Le  30,  on  alla  s'établir  à  Casale.  Le  temps,  qui  depuis  quelques  jours 
s'était  mis  à  la  pluie,  était  maintenant  des  plus  désagréables;  les  chemins 
étaient  détrempés,  les  marches  devenaient  très  lentes  et  très  fatigantes  pour 
le  soldat.  Le  31 ,  le  régiment  passa  le  Pô  sur  le  pont  du  chemin  de  fer  et  sur 
un  pont  de  bateaux  pour  prendre  la  route  de  Verceil,  où  il  arriva  après  avoir 
traversé  Villanuova  et  le  grand  bourg  de  Stroppiana.  Là  on  apprit  le  succès 
qui  avait  été  remporté  par  l'armée  sarde  à  Palestre.  On  ne  s'arrêta  pas  à  Ver- 
ceil; après  avoir  franchi  le  Cervo  sur  un  pont  en  pierre,  et  la  Sesia,  dont  le 
lit  était  à  sec  en  plusieurs  endroits,  sur  une  succession  de  ponts  de  chevalets, 
on  alla  camper  à  sept  kilomètres  plus  loin ,  dans  un  terrain  marécageux  et 
coupé  de  canaux  et  de  fossés.  Il  était  dix  heures  du  soir  quand  les  tentes 
furent  dressées. 

Le  1*'  juin ,  le  2*  corps  reçut  l'ordre  de  se  porter  à  Novare.  Le  régiment 
leva  son  camp  à  six  heures  du  matin,  passa  par  Borgo,  Vercelli  et  Game- 
riano,  traversa  la  Cogna  et  alla  s'établir  à  cinq  cents  mètres  de  Novare  avee 
toute  la  1*^  division;  la  2®  division  avait  été  placée  entre  la  route  de  Novare 
et  celle  de  Milan.  Par  suite  de  cette  disposition ,  le  corps  du  général  de  Mac- 
Mahon  se  trouvait  prêt  à  marcher  sur  le  Tessin.  L'aspect  du  pays  commençait 
à  changer;  on  se  trouvait  maintenant  sur  un  terrain  très  bas,  sillonné  de 
rigoles  pour  faciliter  Téconlement  dos  eaux,  ou  bien,  par  endroits,  aban- 
donné à  l'inondation  et  transformé  en  vastes  et  fertiles  rizières.  Le  temps 
s'était  remis  au  beau;  tout  semblait  favoriser  l'armée  française,  qui  venait 
d'achever  sa  fameuse  marche  de  flanc,  opération  heureuse  et  téméraire  à  la 
fois ,  qui  allait  pour  une  grande  part  peser  sur  les  événements  ultérieurs  de  U 
campagne. 

Le  lendemain  on  devait  faire  séjour  à  Novare;  mais,  dans  la  matinée,  la 


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182  LE  3*  RÊOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l8K9] 

l'*  division  fîit  prévenue  de  se  tenir  prôte  à  partir.  A  dix  heures  elle  se  porta 
entre  les  deux  lignes  de  chemin  de  fer  de  Milan  et  de  Gônes ,  lignes  qui 
araient  été  mises  hors  de  service  par  les  Aulrichiens. 

Le  3  juin,  à  sept  heures  du  matin,  le  2«  corps  recevait  l'ordre  de  se  porter 
sur  Turbigo  et  d'y  franchir  le  Tessin  sur  un  pont  qui  y  avait  été  jeté  dans  la 
nuit,  sous  la  protection  de  la  division  Camou  de  la  garde.  A  huit  heures  et 
demie  les  tentes  furent  abattues,  et  l'on  se  dirigea  vers  l'endroit  où  devait 
s'opérer  le  passage  par  Romentino  et  Galiate.  Le  fleuve  fut  traversé  vers 
1  h.  30  m.,  et,  après  avoir  débouché  de  Turbigo,  la  marche  se  continua 
sur  Robecchetto.  A  ce  moment  le  général  de  la  Motterouge  fut  averti  que 
l'ennemi  se  dirigeait  sur  ce  dernier  village  pour  l'occuper,  et  en  môme  temps 
reçut  Tordre  de  le  prévenir  sur  ce  point,  ou  de  l'en  déloger  s'il  y  était  déjà. 

Le  général  n'avait  encore  avec  lui  qu'un  régiment,  celui  de  Tirailleurs  algé- 
riens, qui  ce  jour-là  était  avant* garde  du  corps  d'armée;  le  45<*,  qui  venait 
ensuite,  commençait  seulement  à  effectuer  à  son  tour  le  passage  du  Tessin. 
Le  colonel  Laure  forma  immédiatement  sa  troupe  en  trois  colonnes  d'attaque 
par  bataillon,  à  double  intervalle  de  déploiement  :  le  l*'  bataillon  devait 
marcher  sur  le  centre  du  village,  le  3*  sur  la  gauche ,  et  enfin  le  2®  appuyer 
le  mouvement  des  deux  autres,  tout  en  se  maintenant  un  peu  en  arrière  de 
l'échelon  de  combat.  Les  deux  premières  de  ces  colonnes  étaient  couvertes 
chacune  par  une  compagnie  déployée  en  avant  de  son  front.  On  était  alors  à 
environ  cinq  cents  mètres  de  la  position.  En  avant  et  sur  la  droite,  le  terrain 
était  semé  de  quelques  bouquets  d'arbres' et  accidenté  par  quelques  ravines 
peu  profondes  ne  pouvant  constituer  un  obstacle  pour  l'assaillant;  sur  la 
gauche,  au  contraire,  il  était  complètement  uniforme,  mais  présentait  de 
longues  allées  de  mûriers  reliés  entre  eux  par  de  gros  fils  de  fer  soutenant 
des  guirlandes  de  vigne,  dont  chacune  était  une  barrière  qu'il  fallait  détruire 
pour  la  franchir;  à  ces  difficultés  s'ajoutaient  celles  résultant  d'une  marche 
dans  des  champs  récemment  labourés  et  coupés  çà  et  là  par  de  larges  rigoles 
d'irrigation. 

Ces  dispositions  n'avaient  demandé  qu'un  instant;  dès  qu'elles  furent  prises, 
le  général  de  la  Hotte- Rouge  parcourut  le  front  des  troupes,  adressa  à  ces 
dernières  quelques  paroles  énergiques,  puis,  levant  son  sabre,  donna  le  signal 
de  l'assaut.  Le  régiment  entier  fondit  sur  Robecchetto;  fossés,  vignes,  fils  de 
fer  furent  franchis  ou  brisés,  et  chaque  bataillon,  se  dirigeant  sur  le  point 
qui  lui  était  assigné,  se  disposa  à  aborder  Tenceinte  du  village,  en  avant 
de  laquelle  on  apercevait  depuis  un  moment  une  longue  ligne  d'infanterie 
ennemie. 

Bientôt  la  fusillade  domina  les  cris  des  Tirailleurs  :  les  Autrichiens  se  dé- 
fendaient vigoureusement.  Ils  avaient  là,  sous  les  ordres  du  général  Corbon , 
trois  bataillons  d'infanterie  de  douze  cents  hommes  chacun,  et,  en  réserve,  un 
autre  bataillon,  une  batterie  de  huit  pièces  et  deux  escadrons  de  cavalerie. 
Mais,  déposant  leurs  sacs,  les  i""^  et  3**  bataillons  se  précipitèrent  à  la  baïon- 
nette, enfoncèrent  un  bataillon  ennemi  qui  voulut  s'opposer  à  leur  marche, 
et  pénétrèrent  dans  Robecchetto  par  deux  points  à  la  fois,  le  1"*'  en  chassant 
devant  lui  les  débris  de  l'avant-garde  autrichienne ,  le  3*  en  contournant  le 


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[1889]  EN  ITALIE  183 

yillage  par  Touest,  de  façon  à  déborder  l'ennemi  sur  sa  gauche  et  à  menacer 
directement  sa  ligne  de  retraite.  A  ce  moment  le  général  Lefèrre  arriva  avec 
le  restant  de  sa  brigade;  le  4S*  se  porta  en  avant  pour  appuyer  le  mouvement 
des  Tirailleurs  algériens,  et  le  général  Auger,  dirigeant  lui-même  le  feu  de 
son  artillerie  f  accabla  do  projectiles  les  Autrichiens  en  pleine  fuite  dans  la 
direction  do  Malvagglio. 

Les  Tirailleurs  étaient  entrés  dans  Robeccheito  et  en  avaient  chassé  les  dé« 
fenseurs;  Malvagglio  venait  d*6tre  enlevé  à  son  tour,  et  notre  marche  en 
avant  allait  se  continuer,  malgré  la  tentative  faite  par  la  cavalerie  autrichienne 
pour  Tarrôter,  lorsque  le  général  de  la  Motterouge  aperçut  soudain,  en  colonne 
sur  la  droite,  le  bataillon  de  réserve  de  Tennemi.  Le  régiment  de  Tirailleurs 
fut  aussitôt  rallié  en  arrière  de  Malvagglio,  et  le  4S*,  déployé  de  manière  à  ré* 
pondre  à  celte  attaque  qui  se  portait  entre  Malvagglio  et  Robecchetto,  et  qui, 
appuyée  par  une  nombreuse  artillerie,  prenait  d*écharpe  notre  première  ligne 
et  lui  infligeait  des  pertes  assez  sensibles.  En  même  temps,  le  général  Auger 
changeait  le  tir  de  ses  batteries  et  accablait  celles  de  l'ennemi.  Pris  alors 
entre  le  feu  des  Tirailleurs  et  celui  du  45<*,  le  bataillon  autrichien  fut  bientôt 
mis  en  pleine  déroute,  et,  sans  le  terrain  extrêmement  couvert  et  coupé  qui 
protégeait  sa  retraite,  il  eût  infailliblement  élé  fait  prisonnier. 

Il  était  cinq  heures,  le  combat  était  terminé;  de  toutes  parts  Tennemi  était 
en  fuite,  nous  abandonnant  une  pièce  de  canon,  ses  sacs,  dont  certains  ba- 
taillons s'étaient  débarrassés  pour  attaquer,  d'autres  pour  fuir  plus  vite,  un 
fanion  de  bataillon  et  un  cheval  tout  équipé  portant  un  harnachement  très 
riche  et  appartenant  probablement  à  un  officier  général. 

Grâce  à  la  vigueur  avec  laquelle  cette  attaque  avait  été  conduite,  nos  pertes 
étaient  extrêmement  faibles  à  côté  de  celles  de  l'ennemi  et  relativement  au 
résultat  obtenu;  elles  s'élevaient  à  un  officier  tué  et  trois  blessés,  appartenant 
tous  les  quatre  au  1'^  régiment,  et  enfin  à  une  trentaine  de  Tirailleurs  tués 
ou  blessés,  dont  deux  ou  trois  seulement  comptant  au  3^  bataillon. 

La  surprise  des  Autrichiens  avait  été  telle  en  se  trouvant  en  face  des  turcos, 
dont  le  cri  sauvage  leur  était  encore  inconnu,  qu'au  moment  de  l'entrée  de 
ceux-ci  dans  Robecchetto  on  avait  vu  des  compagnies  entières  prendre  la  fuite 
en  abandonnant  leurs  armes  et  leurs  sacs.  On  ne  s'étonnera  pas  de  cette  pa^ 
nique,  lorsqu'on  saura  que  depuis  que  nos  ennemis  avaient  appris  la  présence 
de  nos  braves  Algériens  à  Farmée  d'Italie ,  ils  avaient  volontiers  ajouté  foi  à 
de  grossières  histoires  d'anthropophagie  que  certains  journaux  italiens  avaient 
à  dessein  fait  circuler  sur  le  compte  de  ces  derniers.  Ils  eurent,  par  la  suite, 
le  temps  de  revenir  sur  cette  opinion,  qui  ne  leur  était  pas  du  reste  particu- 
lière, et  que  d'honnêtes  bourgeois  de  France  partageaient  avec  la  plus  entière 
conviction,  sur  le  récit  plus  que  fantaisiste  de  quelque  vieux  umaoe  on  quelque 
vieux  zéphir. 

Dans  son  rapport,  le  général  de  la  Motterouge  adressait  les  plus  cha- 
leureux éloges  au  colonel  Laure  et  à  son  brave  régiment,  et,  dans  le  télé- 
gramme envoyé  le  soir  même  à  Paris,  l'empereur  disait  :  c  Les  Tirailleurs  du 
colonel  Laure  ont  fait  merveille.  » 

Après  avoir  parcouru  le  théâtre  du  combat,  la  1*^*  division  rentra  dans  Ro- 


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184  LB  3*  RÉOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1889] 

becchetlo  et  t'y  établit,  sa  gauche  au  cimetière,  sa  droite  au  ravin.  I/aflairo 
qui  tenait  d'afoir  lieu  avait  mis  les  Tirailleurs  en  gaieté;  ils  avaient  enfin  ren- 
contré cet  ennemi  qu'on  leur  avait  promis  et  qu'ils  ne  voyaient  jamais;  la 
poudre  avait  parlé;  les  jours  étaient  revenus  de  ces  combats  héroïques  dont 
les  sar?ivant8  de  l'expédition  de  Crimée  se  plaisaient  à  entretenir  leurs  cama- 
rades; et  Ten train  renaissait  parmi  ces  hommes  pour  lesquels  le  danger  était 
une  fôte;  la  mort  sur  le  champ  de  bataille,  un  bienfait  du  ciel,  et  le  bruit  du 
canon,  de  la  fusillade ,  l'odeur  de  la  poudre,  le  plus  suprême  des  enivrements. 
Le  3  juin  au  soir,  les  armées  adverses  occupaient  les  positions  suivantes  : 
L'armée  autrichienne  avait  son  extrême  droite  à  Gallarate  et  son  extrême 
gauche  vers  Bereguardo,  sa  réserve  se  trouvant  partagée'  entre  Stradella  et 
Plaisance. 

L'armée  franco-sarde  avait  sa  droite  à  Lumelogno,  son  centre  à  Novare,  sa 
gauche  à  Turbigo  et  Robecchetto,  et  sa  réserve,  formée  par  une  partie  de 
l'armée  sardSi  à  Galliate. 

D'après  les  ordres  donnés  par  l'état-major  français  pour  le  lendemain, 
l'armée  alliée  devait  se  placer  à  cheval  sur  le  Tessin ,  de  façon  à  pouvoir  ré- 
pondre à  une  attaque  venant  par  Tune  ou  par  l'autre  rive.  En  vue  de  l'exé- 
cution de  ce  mouvement,  le  corps  du  général  de  Mac-Mahon,  renforcé  de  la 
division  Camou  (voltigeurs  de  la  garde),  avait  mission  de  se  porter  de  Tur- 
bigo sur  Buffalora.  Cette  marche  allait  amener  la  bataille  de  Magenta. 

Le  4,  à  dix  heures  du  matin ,  le  régiment  se  mit  en  roule  formant  encore 
cette  fois  la  tète  de  colonne  du  2*  corps.  Il  traversa  d'abord  Robecchetto,  puis 
Malvagglio,  et  s'avança  vers  Induno,  en  trouvant  à  chaque  pas  de  nombreuses 
traces  de  la  retraite  précipitée  de  la  veille.  A  la  sortie  d'Induno,  la  pointe 
d'avant -garde,  fournie  par  la  cavalerie,  fut  attaquée  par  quelques  éclaireurs 
ennemis  laissés  en  avant  de  Casate,  occupé  en  force  par  les  Autrichiens.  Ces 
avant- postes  ne  tardèrent  pas  à  se  replier,  et  la  marche  continua  jusqu'à 
CuggionOi  où  eut  lieu  une  courte  halte  pendant  laquelle  le  régiment  prit  ses 
dispositions  de  combat. 

Il  s'agissait  d'enlever  Casate;  le  l*'  bataillon,  ayant  à  sa  tête  le  général 
Lefèvre,  se  porta  aussitôt  en  avant  pendant  que  les  deux  autres  se  jetaient 
à  droite  et  à  gauche  pour  laisser  passer  l'artillerie.  Vigoureusement  abordé, 
le  village  n'opposa  qu'une  faible  résistance;  l'ennemi  se  retira  en  désordre 
vers  Buflalora,  occupant,  avant  d'entrer  dans  cette  localité,  une  position  dé- 
fensive dans  le  fond  de  la  vallée,  et  dirigeant  sur  notre  colonne  d'attaque  le 
tir  à  mitraille  d'une  batterie  d'artillerie.  Mais,  entraînés  par  leur  ardeur,  les 
Tirailleurs  ne  lui  donnèrent  pas  le  temps  de  se  reconnaître;  malgré  l'ordre 
donné  d'arrêter  les  troupes  et  d'attendre  que  toute  la  division  eût  pris  posi- 
tion, ils  se  précipitèrent  à  sa  poursuite,  et,  après  Ta  voir  chassé  de  la  plaine, 
abordèrent  résolument  les  premières  défenses  de  Buflalora.  Quatre  compagnies 
du  3*  bataillon  se  portèrent  à  droite,  et,  après  un  combat  de  courte  durée, 
mais  excessivement  vif,  occupèrent  le  village  de  Bernate.  Sur  la  gauche,  les 
l*'  et  2*  bataillons  avaient  déjà  franchi  les  barricades  élevées  à  l'entrée  de 
Buflalora  et  enlevé  les  premières  maisons  de  la  ville,  lorsque  le  général  de 
Mac-Mahon,  qui  ne  voulait  pas  s'engager  davantage  avant  d'avoir  toutes  ses 


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[1899]  EN  ITALIE  188 

Torces  en  ligne,  fit  donner  au  général  Lcfèvre  Tordre  do  se  replier.  Le  régi- 
ment se  retira  lentement,  en  emportant  ses  morts  et  ses  blessés,  et  vint 
reprendre  sa  place  dans  la  1*^  division ,  laquelle  avait  ordre  de  s'établir  en 
avant  do  Cuggiono,  sa  droite  à  la  cascina  Valizio,  sa  gauche  vers  la  cascina 
Mallastala. 

Cependant  l'évacuation  de  Bernate  présenta  quelques  difficultés.  L*ennemi 
était  revenu  en  force  et  menaçait,  malgré  Ténergique  résistance  du  capitaine 
de  Pontécoulant,  de  déborder  nos  quatre  compagnies,  lorsqu'un  vigoureux 
retour  oflTensif  exécuté  par  le  capitaine  Dardenne,  qui  y  fut  blessé  et  y  eut  son 
cheval  tué  sous  lui ,  dégagea  un  peu  la  gauche  de  la  petite  colonne,  qui  put 
dès  lors  se  replier  en  bon  ordre  sur  la  réserve  du  bataillon. 

Il  était  deux  heures;  la  division  Camou,  qui  avait  pris  à  travers  champs 
pour  hâter  sa  marche,  venait  d'arriver,  et  s'était  établie  un  peu  en  arrière  et 
à  gauche  de  la  division  de  la  Motlcrouge.  Pour  attaquer,  il  fallait  attendre 
que  la  division  Espinasse,  en  marche  sur  Marcello,  fût  arrivée  à  hauteur  de 
la  1^  division.  Celle-ci  s'était  formée  par  bataillons  en  colonne  serrée  à  demi- 
intervalle  de  déploiement,  cinq  bataillons  à  la  droite  de  la  route,  cinq  ba- 
taillons à  la  gauche,  rangés  d'une  façon  symétrique,  chacun  d'eux  ayant 
devant  lui  une  compagnie  en  tirailleurs  ;  deux  bataillons  avaient  été  main- 
tenus en  réserve  en  arrière  du  centre  de  la  division.  Pendant  ce  temps ,  la 
division  Mellinet  (grenadiers  et  zouaves  de  la  garde)  avait  franchi  le  Tessin 
à  Ponte-Nuovo-di -Magenta,  dont  le  pont  avait  été  incomplètement  détruit 
par  les  Autrichiens,  et  s'était  avancée  vers  Bufialora,  où  le  2**  grenadiers  était 
maintenant  tenu  en  échec. 

Vers  trois  heures,  la  division  Espinasse  ayant  été  signalée,  le  général  de 
Mac-Mahon  fît  commencer  à  la  1>^  division  un  léger  changement  de  direction 
à  gauche.  Ce  mouvement  eut  pour  eflct  de  faire  évacuer  BulTalora,  où  la  garde 
s'établit  aussitôt.  A  trois  heures  et  demie,  la  division  Espinasse  étant  arrivée 
à  hauteur  de  la  division  de  la  Motterouge  et  ayant  appuyé  sa  gauche  au  village 
de  Marcallo,  le  général  de  Mac-Mahon  réduisit  la  distance  existant  entre  ces 
deux  divisions  et  donna  le  signal  de  la  marche  sur  Magenta. 

La  1^^  division  devait  se  porter  d'abord  sur  Bufialora,  dont  on  ignorait  l'oc- 
cupation par  le  2«  grenadiers ,  puis  sur  Magenta ,  en  prenant  pour  point  de 
direction  le  clocher  de  l'église  de  ce  village.  Le  r^iment  de  Tirailleurs  occu- 
pait maintenant  la  gauche  de  la  brigade  Lefèvre,  de  même  que  cette  brigade 
occupait  la  gauche  de  la  division  de  la  Motterouge. 

Il  était  quatre  heures  et  demie  quand  le  2^  corps  reprit  son  mouvement  en 
avant  et  que  la  deuxième  phase  de  la  bataille  commença  à  se  dessiner.  Après 
que  la  division  de  la  Motterouge  eut  dépassé  Bufialora,  le  général  de  Mac' 
Mahon  vint  se  mettre  à  sa  tête  et  la  dirigea  sur  la  route  de  Bufialora  à  Ma- 
genta, en  lui  faisant  exécuter  une  légère  conversion  à  gauche,  de  façon  à  In 
relier  avec  la  division  Mellinet ,  qui  s'était  avancée  par  la  route  de  Ponte- 
Nuovo-di-Buiïalora.  Bientôt  le  45^,  qui  formait  la  tète  de  colonne,  se  trouva 
en  présence  d'une  ferme  appelée  Cascina-Nova,  où  les  Autrichiens  s'étaient 
solidement  retranchés.  Les  bâtiments  furent  enveloppés  de  toutes  parts  ot 
l'ennemi  obligé  de  mettre  bas  les  armes.  On  fit  là  six  à  sept  cents  prisonniers. 


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186  LE  .V  RÉGIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [18591 

ÂussitAt  ce  premier  succès  obtenu,  la  colonne  reprit  sa  marche  en  arant,  se 
dirigeant  rers  l'embarcadère  du  chemin  de  fer,  d*où  partait  un  violent  feu  de 
mousqueterie. 

Ce  fut  réellement  alors  que  la  bataille  commença  ;  l'ennemi,  en  force  partout, 
couvrait  tout  le  terrain  en  avant  de  Magenta  et  ne  cédait  la  place  que  pied 
à  pied ,  profitant  des  bouquets  d*arbres  et  dos  haies  pour  se  replier.  Ce  rideau, 
qui  le  dérobait  ainsi  à  notre  vue,  ne  permettait  pas  d'apprécier  exactement  le 
nombre  dos  troupes  qu'il  avait  en  ligne  et  condamnait  l'attaque  à  une  marche 
prudente  et  calculée.  Sur  la  gauche,  une  vive  canonnade  venait  de  s'engager  :- 
c'était  la  division  Espinasse  qui  était  aux  prises  avec  le  1*'  corps  autrichien. 
Nos  colonnes,  admirables  d'énergie,  de  calme  et  de  résolution,  avançaient 
malgré  tout,  lentement,  c'est  vrai,  mais  se  rapprochant  insensiblement  de 
Magenta,  dont  le  clocher  se  détachait  nettement  de  la  ligne  d'arbres  qui  bor- 
dait l'horizon. 

A  mesure  qu'on  approchait,  le  combat  devenait  plus  vif,  plus  ardent,  plus 
opiniâtre;  toutes  les  haies,  tous  les  fossés  étaient  garnis  de  tirailleurs;  toutes 
les  maisons  étalent  crénelées,  barricadées  et  fortement  occupées;  sur  tout  le 
front  de  Magenta ,  une  nombreuse  artillerie  labourait  le  terrain  en  avant,  et 
couvrait  de  sa  mitraille  les  abords  de  la  route  de  Buflalora. 

Cependant  les  deux  batteries  de  la  division  venaient  d'arriver,  et,  s'étant 
établies  à  droite  et  à  gauche  de  la  route,  avaient,  par  un  tir  bien  réglé, 
commencé  à  ébranler  la  ténacité  de  la  défense.  Profitant  de  ce  moment  de 
répit,  le  général  de  la  Motterouge  fit  sonner  la  charge  et  s'élança,  à  la  tète 
de  toute  son  infanterie,  sur  l'église,  le  cimetière  et  l'embarcadère  du  chemin 
de  fer.  Chargé  d'enlever  cette  dernière  partie  de  la  position,  le  régiment  de 
Tirailleurs  algériens  se  jeta  avec  une  nouvelle  ardeur  dans  cette  lutte  acharnée 
dans  laquelle  il  lui  avait  été  donné  de  porter  les  premiers  coups,  et  se  préci- 
pitant sur  la  chaussée  que  balayaient  encore  l'artillerie  et  la  mousqueterie 
ennemies,  pénétra  enfin  dans  l'intérieur  de  la  gare,  dont  les  défenseurs  furent 
immédiatement  chassés  ou  faits  prisonniers.  Le  3*  bataillon  avait  largement 
concouru  à  ce  succès  en  enfonçant  le  premier  les  palissades  qui  bordaient  la 
voie  ferrée  et  en  franchissant  résolument  le  terrain  découvert  qui  le  séparait 
des  bâtiments  crénelés  de  l'embarcadère.  C'est  à  la  rapidité  inouïe  avec  la- 
quelle fut  exécuté  ce  mouvement  qu'il  dut  de  ne  pas  éprouver  de  pertes  trop 
sensibles  et  de  voir  l'ennemi  évacuer  précipitamment  la  position.  Dans  cette 
attaque,  le  capitaine  de  Pontécoulant  s'était  encore  fait  remarquer  par  son 
admirable  intrépidité  et  avait  été  violemment  contusionné. 

Après  avoir  traversé  la  voie  ferrée ,  la  brigade  Lefèvre  se  trouva  à  cheval 
sur  la  route  de  Milan ,  faisant  face  à  l'église  de  Magenta,  qu'attaquait  la  2<*  bri- 
gade sous  la  conduite  du  général  de  Polhès.  Ma! tresse  de  ce  dernier  point,  la 
division  de  la  Motterouge  pénétra  daùs  le  village  par  plusieurs  côtés  à  la  fois. 
C'est  à  ce  moment  que  commença  la  dernière  et  peut-être  la  plus  meurtrière 
phase  de  cette  sanglante  journée.  Il  fallut  faire  le  siège  de  chaque  rue,  de 
chaque  maison,  et  ce  ne  fut  que  vers  huit  heures  du  soir,  après  deux  heures 
d'héroïques  efforts,  que  Magenta  resta  définitivement  en  notre  pouvoir. 

Dès  les  premiers  pas  du  3®  bataillon  de  Tirailleurs  dans  ce  dédale  de  rues 


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[1859]  EN  ITALIE  187 

étroites  et  barricadées,  le  commandant  Van  Hoorick,  qui  déjà  un  moment 
auparavant  avait  eu  son  cheval  tué  sous  lui,  tombait  la  cuisse  traversée  par 
une  balle  ;  au  même  instant  le  capitaine  Estelle  était  également  blessé.  Mais , 
poursuivant  leur  mouvement  dans  cette  mêlée  furieuse,  acharnée,  implacablCj 
les  compagnies,  qui  n'avaient  pas  tardé  à  agir  pour  leur  propre  compte, 
avaient  biontét  eu  fait  d'enlever  les  maisons  qui  tentaient  de  leur  résister,  et 
de  faire  dans  chacune  d'elles  un  nombre  considérable  de  prisonniers.  Dans 
Tune  de  ces  dernières,  un  détachement  de  deux  cent  vingt -neuf  Autrichiens, 
cerné  par  la  compagnie  du  capitaine  Munier,  tenait  encore,  ne  connaissant  pas 
le  résultat  de  la  lutte.  Il  attendit  ainsi  jusqu'au  lendemain.  Au  point  du  jour, 
l'officier  supérieur  qui  le  commandait  remit  son  épée. 

Sur  tous  les  points  la  victoire,  longtemps  disputée ,  nous  appartenait  main^ 
tenant  :  à  gauche,  la  division  Espinasse  avait  de  son  côté  pénétré  dans  Ma- 
genta, et  s'y  était  solidement  établie;  à  droite,  où  la  brigade  Picard,  puis  la 
brigade  Jeannin  et  enfin  la  division  Vinoy  étaient  venues  successivement  ren- 
forcer et  prolonger  la  ligne  formée  par  la  division  Mellinet,  le  succès  s'était 
également  déclaré  pour  nous  :  après  une  lutte  opiniâtre,  pendant  laquelle 
Ponti-Vecchio-di-Magenla  avait  été  pris  et  repris  plusieurs  fois,  l'ennemi  avait 
fini  par  se  retirer  sous  la  protection  d'une  charge  désespérée  de  sa  cava- 
lerie. 

Les  pertes  subies  de  part  et  d'autre  témoignaient  de  la  vigueur  déployée 
dans  Tattaque  et  dans  la  défense  :  les  Français  comptaient  quatre  mille  cinq 
cent  trente  hommes  hors  de  combat,  les  Autrichiens  cinq  mille  deux  cent 
soixante-seize,  indépendamment  des  prisonniers,  dont  le  total  s'élevait  à  quatre 
mille  cinq  cent.  Le  bataillon  fourni  par  le  3*  régiment  de  Tirailleurs  algériens 
avait  pour  sa  part  soixante- quatorze  hommes  atteints  par  le  feu  de  l'ennemi, 
dont  quatre  oITicicrs  blcssrs,  neuf  hommes  do  troupe  tués  et  soixante-deux 
blessés.  Ces  chilTres  disent  mieux  que  tout  ce  que  nous  pourrions  ajouter  com- 
bien était  glorieuse  la  page  dont  ce  bataillon  venait  d'enrichir  l'historique  du 
corps  dont  il  faisait  partie. 

Le  régiment  passa  la  nuit  dans  les  rues  de  Magenta.  Le  lendemain,  il  alla 
camper  dans  la  plaine,  en  arrière  de  la  chaussée  du  chemin  de  fer,  sur  un 
terrain  jonché  de  cadavres  ennemis,  dont  l'emplacement  jalonnait  encore  la 
direction  des  lignes  de  tirailleurs  qui  avaient  cherché  à  couvrir  les  approches 
du  village.  La  journée  fut  employée  partie  à  se  reposer  un  peu  des  fatigues  de 
la  veille ,  partie  à  ramasser  les  armes ,  les  sacs  et  les  effets  abandonnés  par 
Tennemi  et  par  les  blessés. 

Le  6,  l'armée  française  se  remit  en  mouvement;  toutes  les  troupes  du 
2^  corps  quittèrent  Magenta  pour  se  porter  à  San-Pietro-l'Olmo,  sur  la  route 
de  Milan.  Parti  vers  onze  heures  et  demie  du  matin,  le  régiment  arrivait  dans 
celte  localité  à  quatre  heures  et  demie  du  soir  et  y  établissait  son  bivouac. 
Mais,  une  demi- heure  après,  un  corps  autrichien  ayant  été  signalé  à  Garba- 
nate,  village  situé  à  vingt  kilomètres  au  nord-ouest  de  San-Pictro,  il  reprit 
aussitôt  les  armes  avec  toute  la  2*^  division  et  deux  escadrons  du  7*  chasseurs, 
pour  se  porter  à  la  rencontre  de  l'ennemi.  Après  cinq  heures  de  marche,  il 
rentrait  sans  avoir  rien  découvert,  les  Autrichiens  n'ayant  fait  que  passer  à 


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188  LE  3^  RÉOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ITALIE         [1859] 

Garbaiiat6|  qui  était  déjà,  lorsque  la  cavalerie  française  8*y  présentai  occupé 
par  l'araDt-garde  de  la  brigade  piémontaise  du  général  Fanti. 

L*ordre  de  mouTement  pour  la  journée  du  lendemain  portait  que  le  2*  corps 
eptrerait  dans  Milan  à  la  tête  de  Tarmée,  en  récompense  du  rôle  glorieux  qu'il 
avait  joué  dans  la  journée  du  4  juin.  Déjà,  depuis  deux  jours,  son  chef,  le 
général  de  Mac-Mahon,  était  élevé  à  la  dignité  de  maréchal  de  France  et  créé 
duc  de  Magenta. 

Le  7,  à  six  heures  du  matin,  la  division  de  la  Motterouge  quittait  San- 
Pietro-TOImo  et  se  dirigeait  sur  Milan.  A  huit  heures,  elle  arrivait  devant  la 
porte  Vercilina  et  s'arrêtait  pour  attendre  les  autres  troupes  du  corps  d*arméo. 
Le  défilé  commença  à  onze  heures.  Ce  fut  un  véritable  triomphe  :  la  popula- 
tion tout  entière  était  accourue  au-devant  de  nos  soldats.  De  la  porte  Vercilina 
à  la  porte  de  Pavie,  près  do  laquelle  le  bivouac  fut  établi,  ce  ne  fut  qu'une 
pluie  de  fleurs  et  de  bouquets;  avec  la  même  facilité  que  dix  ans  plus  tard  il 
allait  s'éteindre ,  l'enthousiasme  des  Italiens ,  cet  enthousiasme  ardent ,  chauffé 
au  soleil  des  plaines  du  Pô ,  s'allumait  au  point  de  devenir  du  délire  et  de  se 
traduire  par  des  cris,  des  vivats,  des  trépignements,  des  bénédictions,  des 
embrassements  chaleureux  sous  lesquels  les  vainqueurs  de  Magenta  se  trou- 
vaient littéralement  étouffés. 

Mais  l'armée  ne  devait  pas  s'amollir  dans  les  délices  de  cette  séduisante 
Capoue  ;  les  Autrichiens  avaient  été  chassés  de  Milan ,  mais  ils  étaient  bien 
loin  encore  d'être  entièrement  vaincus  :  ils  étaient  encore  maîtres  de  la  ligne 
de  TAdda.  Il  fallait  les  en  chasser  avant  qu'ils  s'y  fussent  solidement  établis, 
et  consacrer  par  une  nouvelle  et  éclatante  victoire  l'œuvre  libératrice  si  géné- 
reusement entreprise  par  la  vieille  Gaule  en  faveur  de  l'antique  patrie  de  Do- 
mitius  et  de  Jules  César. 


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CHAPITRE  IV 


Départ  de  Milan.  —  Continuation  des  opérations.  —  Berne  du  général  de  la  Motte-Rouge 
à  San-Zeno  ;  distribution  de  croix  et  de  médailles  accordées  au  régiment  à  la  suite  de 
la  bataille  de  Magenta.  —  Bataille  dé  Solférino.  —  Passage  du  Mlndo  à  Monzambano. 
—  Conclusion  d'un  armistice.  —  Paix  de  Villafranca.  —  Récompenses  accordées  i  la 
suite  de  la  bataille  de  8olferino.  —  Les  Tirailleurs  quittent  Tltalie  et  sont  dirigés  sur 
lo  camp  do  8aint-Maur.  —  Entrée  du  régiment  dans  Paris.  —  Embarquement  à  Toulon. 
•—  llcntréo  à  Constautliio. 


Le  8  juin ,  à  quatre  lieures  du  matin ,  le  2<>  corps  quitta  Milan  et  se  dirigea, 
par  la  route  de  Lodi ,  sur  le  village  de  Melegnano  (Marignan),  dans  le  but  d'in- 
tcrccplcr  la  marche  du  viii<*  corps  autrichien  (Benedeck),  qui ,  après  avoir  cou- 
vert la  retraite  de  l'armée,  se  retirait  sur  Lodi  par  Binasco  et  Landriano,  sous 
la  protection  d'une  forte  arrière-garde  comprenant  toute  la  brigade  Roden  de 
la  division  Berger.  Melegnano  devait  être  enlevé  par  le  l*''^  corps;  aussitôt 
après  le  passage  de  celui-ci,  le  2^  avait  pour  mission  d'appuyer  vers  la  droite 
et  d'exécuter  un  grand  mouvement  tournant  pour  venir  s'établir  entre  ce  vil- 
lage et  Lodi ,  de  façon  à  rejeter  l'ennemi  dans  la  direction  de  Pavie. 

Après  être  sorti  de  Milan ,  le  régiment  de  Tirailleurs  algériens ,  au  lieu  de 
suivre  la  route,  prit  à  travers  champs,  et,  vers  neuf  heures  du  matin,  s'arrêta 
pour  Taire  la  grand'haltedans  une  vaste  prairie  près  du  village  de  San-Donato. 
Là  il  dut  attendre  l'écoulement  des  troupes  du  1^  corps  et  celui  de  la  2*  divi- 
sion, qui  ne  commença  qu'à  deux  heures  de  l'après-midi;  enfin,  à  quatre 
heures,  il  s'ébranla  à  son  tour  et  se  prépara  à  exécuter,  pour  ce  qui  le  con- 
cernait, le  mouvement  qui  devait  porter  les  troupes  du  2*  corps  sur  la  ligne 
de  retraite  des  Autrichiens.  Il  traversa  d'abord  le  village  do  San-Giuliano,  où 
l'on  croyait  trouver  l'ennemi,  puis  il  quitta  encore  une  fois  la  grande  route 
pour  aller  passer  le  Lambro  à  gué,  et  se  diriger  ensuite,  par  Garpanullo  et  la 
Cascina  Barona,  sur  le  village  de  Médiglia,  où  devait  s'opérer  la  jonction  des 
deax  divisions.  Il  était  environ  six  heures  lorsqu'il  atteignit  cette  dernière 
localité.  A  peine  l'eut-il  dépassée,  que  le  canon  se  fit  entendre  du  cêté  de  Me- 
legnano :  c'était  le  maréchal  Baraguey-d'Hilliers  qui,  sans  attendre  que  le 
maréchal  de  Mac-Mahon  eût  achevé  son  mouvement,  abordait  de  front  la  re- 


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190  LE  3*  RÉOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1859] 

doutable  position  de  l'eoDemi.  Les  divisions  de  la  Hollerouge  et  Decaen  (an- 
cienne Espinasse)  hâtèrent  le  pas  pour  se  rapprocher  du  lieu  du  combat;  mais 
déjà,  quand  elles  eurent  dépassé  Dresano,  les  Autrichiens  étaient  en  fuite, 
gagnant  Mulazzano.  Le  régiment  fut  alors  arrêté  à  Colognio,  où  il  attendit, 
l'arme  au  pied ,  la  fin  de  la  lutte  engagée.  Depuis  quatre  heures  la  pluie  tom- 
bait à  torrents;  la  marche  avait  été  extrêmement  fatigante;  les  hommes 
étaient  exténués.  A  onze  heures  et  demie  du  soir,  on  put  enfin  s'établir  au 
bivouac.  Do  grands  feux  furent  allumés  de  tous  côtés;  mais  le  sol  était  telle- 
ment humide,  qu'il  ne  fut  pas  possible  do  se  couclier  ni  de  dormir. 

Les  journées  des  9  et  10  vinrent  heureusement  permettre  de  réparer  cette 
fatigue  excessive.  Pendant  ces  deux  jours  le'2«  corps,  établi  partie  à  Médiglia, 
partie  à  Sordio,  demeura  dans  un  repos  absolu.  On  attendait,  pour  se  porter 
en  avant,  d'être  exactement  fixé  sur  la  direction  suivie  par  l'armée  autrichienne 
dans  sa  retraite,  et  particulièrement  sur  l'abandon  de  la  ligne  de  l'Adda, 
qu'on  savait  décidé  par  le  feld-zeugmestre  Gyulai.  Le  10,  on  apprit  que  l'en- 
nemi avait  évacué  Lodi  et  semblait  vouloir  se  concentrer  derrière  le  Mincio. 

Le  11 ,  le  2*  corps  reçut  l'ordre  de  se  porter  à  Paullo,  entre  le  Lambro  et 
l'Adda.  Le  mouvement  commença  à  six  heures  du  matin.  Le  régiment  traversa 
successivement  Mulazzano,  Cascina-Alberi,  passa  la  petite  rivière  de  la  Muzza 
et  prit  ses  cantonnements  avec  le  gros  du  corps  d'armée.  Le  lendemain ,  il  se 
dirigea  par  Marzano,  Comazzo,  Carnegliano,  où  il  repassa  la  Muzza,  et  Tru- 
cazzano  sur  Âlbignano,  où  le  bivouac  fut  établi.  liO  13,  à  dix  heures  et  demie 
du  matin,  il  franchit  une  troisième  fois  la  Muzza  sur  un  pont  de  pilotis  con- 
struit parle  génie,  et  arriva  un  peu  au-dessous  de  Casano,  où  s'eflectua  le 
passage  de  l'Adda  sur  le  pont  du  chemin  de  fer,  dont  la  première  arche  seule 
avait  été  détruite;  il  prit  ensuite  la  grande  route  de  Brescia,  qu'il  quitta  aux 
portes  de  Treviglio,  et,  passant  par  Calvenzano,  gagna  Garavagglio.  Le  bi- 
vouac fut  établi  devant  une  magnifique  église  surmontée  d'un  dôme  élevé,  du 
haut  duquel  l'œil  pouvait  s'étendre  sur  les  merveilleuses  plaines  des  vallées  de 
l'Adda  et  du  Serio.  Le  14 ,  on  franchit  celte  dernière  rivière  un  peu  au  delà  de 
Mozzanica,  et  l'on  alla  camper  à  Autignate  après  être  passé  par  Sola  et  Isso.  La 
marche  du  15  nous  conduisit  au  village  d'Urago-d'Oglio.  On  s'attendait  à  trouver 
rompu  le  pont  sur  l'Oglio,  mais  la  tentative  des  Autrichiens  pour  le  faire  sauter 
était  restée  sans  résultat.  On  put,  en  revanche,  constater  de  nombreux  travaux 
indiquant  que  l'ennemi  avait  eu  un  instant  la  pensée  de  défendre  la  ligne  de 
ce  cours  d'eau.  Le  soir,  le  bivouac  de  la  brigade  Lcfèvre  fut  établi  en  avant 
d'Urago-d'Oglio,  de  façon  à  surveiller  la  route  de  Chiari.  Le  16,  on  traversa 
Chiari  pour  arriver  à  Castrezzalo,  où  tout  le  2^  corps  se  trouva  réuni.  Le  len- 
demain, le  régiment  rejoignit  la  route  de  Brescia  à  Trevigliato;  il  la  suivit 
jusqu'à  Roncadelli  et  vint  camper  entre  ce  village  et  celui  d'Onzato.  Le  18,  il 
descendit  jusqu'à  Castel-Nuovo  pour  y  passer  la  Mella;  il  remonta  ensuite 
vers  Aspes,  y  traversa  la  Garga  et  s'arrêta  à  San-Zeno,  à  quatre  kilomètres 
au  sud-eat  de  Brescia,  la  seconde  capitale  de  la  Lombardie.  Depuis  Mêle- 
gnano,  l'ennemi  n'avait  été  aperçu  sur  aucun  point.  Les  nouvelles  qui  ou 
arrivaient  chaque  jour  étaient  qu'il  se  retirait  précipitamment  sur  la  ligne  du 
Mincio,  où  devait  avoir  lieu  sa  concentration.  Le  17,  l'empereur  d'Autriche 


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[1859]  EN  ITALIE  19t 

ôtait  venu  lui-même  se  mettre  à  la  tète  de  ses  troupes ,  avec  le  feld-ceugmestre 
baron  de  Hess  pour  chef  d'état-major  géoéral,  et  les  généraux  comte  Wimpffen 
et  comte  Schlik  comme  lieutenants. 

Les  récompenses  (décorations  et  médailles)  décernées  à  la  suite  de  la  ba- 
taille de  Magenta  étaient  arrivées  dans  la  journée  du  18.  Afin  de  faire  de  leur 
distribution  Tobjet  d*une  cérémonie  imposante  qui  en  relevât  Tobjet  aux  yeux 
de  toute  l'armée,  une  grande  revue  fut  ordonnée  pour  le  19,  à  onze  heures 
et  demie  du  matin.  Le  général  de  la  Motterouge  passa  devant  le  front  des 
troupes  de  la  1>^  division,  exprima  à  ces  dernières  combien  il  était  heureux 
de  se  trouver  à  leur  tête,  et  posa  sur  la  poitrine  de  quelques  braves  la  dis- 
tinction que  leur  avait  valu  leur  belle  conduite  devant  Tennemi.  Sur  dix  croix 
accordées  au  régiment  de  Tirailleurs  algériens,  le  3*  bataillon  en  recevait  six. 

Était  fait  oflBcier  de  la  Légion  d'honneur  : 

M.  Van  Hoorick,  chef  de  bataillon. 

Etaient  fait  chevaliers  : 

MM.  Dardenne ,  capitaine. 

Louvet,  lieutenant. 

Dufour,  sous-lieutenant. 

Malte! ,  sergent-major. 

Poulleau ,  sergent-fourrier. 

Étaient  décorés  de  la  médaille  militaire  : 

MM.  Drot,  sergent-fourrier. 

MulalInli-bcn-Michcri ,  sergent. 

Molianicd-bcn-Abdallali ,  caporal. 

et  trois  Tirailleurs. 

Le  20,  le  2^  corps  séjourna  à  San-Zeno.  Le  21 ,  le  régiment  se  dirigea,  par 
Borgo-Satello,  vers  le  Campo-di-Monte-Chiaro,  qu'il  traversa  disposé  de  façon 
à  pouvoir  promptement  former  le  carré  dans  le  cas  où  la  cavalerie  autrichienne 
serait  venue  l'inquiéter.  Vers  deux  heures,  il  rejoignit  la  route  de  Monte- 
Chiaro,  et  passa  la  Chicse  sans  difficulté  sur  un  pont  en  bois  incomplètement 
détruit  par  l'ennemi  et  rapidement  réparé.  11  alla  ensuite  s'établir  sur  la  droite 
de  la  route  de  Castiglione,  dans  une  plaine  couverte  de  champs  de  mais.  Le 
22 ,  il  se  porta  à  deux  kilomètres  au  sud  de  Castiglione  en  passant  par  Novagli. 
Ce  jour-là,  on  apprit  plusieurs  mutations  survenues  dans  le  personnel  des 
oUicicrs  par  suite  de  promotions.  En  ce  qui  concernait  le  3"  bataillon,  le  capi- 
taine de  Saint- Pacr  était  nomme  chef  de  bataillon  au  15*  de  ligne  (1*'' corps) 
et  remplacé  par  le  capitaine  Ilulot,  du  l^^  bataillon;  le  sous-lieutenant  Dufour 
était  promu  lieutenant  et  maintenu,  et  le  sergent-major  Athènes  nommé 
sous-lieutenant  et  placé  au  1*'  bataillon.  Déjà,  par  décret  du  17  mai,  le  lieu- 
tenant-colonel Montfort  avait  été  nommé  colonel  du  2*  régiment  de  Tirailleurs 


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19Î  LB  3*  RÉGIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1859] 

algériens  et  remplacé  par  M.  Uermeot,  Yeoant  dos  chefs  de  bataillon  du  36*  de 


Le  23,  on  fit  séjour.  Dans  la  journée ,  de  nombreuses  reconnaissances  de 
cayalerie  parcoururent  la  plaine  dans  la  direction  du  Mincio,  et  s'accordèrent 
à  établir  que  l'ennemi  occupait  en  force  Solferinoi  Cavriana,  Guidizsolo  et 
Hedole,  alors  qu'on  le  croyait  déjà  retiré  dans  le  quadrilatère  Peschiera,  Vé- 
rone,  Mantoue  et  Legnago.  L'état-major  français  ne  voulut  cependant  voir  là 
qu'un  mouvement  d'avant-postes ,  et  les  ordres  pour  la  marche  du  lendemain 
furent  donnés  comme  si  la  rencontre  des  deux  armées  eût  été  la  chose  la  plus 
improbable.  D  faut  s'empresser  de  reconnaître  que  l'empereur  François-Joseph 
n'était  guère  mieux  inspiré  en  ne  prescrivant  le  mouvement  de  ses  troupes 
que  pour  neuf  heures  du  matin ,  et  qu'il  allait  par  ce  retard  permettre  à  nos 
corps  d'armée  de  prendre  une  avance  considérable,  et  de  détruire  peu  à  peu 
le  désavantage  dans  lequel  allait  les  placer  l'initiative  des  corps  autrichiens. 

Le  24 ,  à  trois  heures  du  matin,  l'armée  entière  se  mit  en  mouveiuont  sur 
quatre  colonnes,  le  l***  corps  formant  l'extrême  gauche  de  la  ligne,  et  le  3*  l'ex- 
trôme  droite.  Le  2*  avait  l'ordre  de  se  porter  à  Cavriana.  Il  s'engagea  sur  la 
route  de  Mantoue,  et,  vers  cinq  heures  du  matin,  se  heurta  à  la  Casa-Morino. 
La  2*  division,  qui  formait  tête  de  colonne,  commença  immédiatement  l'at- 
taque et  s'empara  de  cette  position,  qui  ne  fut  d'ailleurs  que  faiblement  dé- 
fendue. Ce  premier  succès  ayant  rendu  le  maréchal  de  Mac-Mahon  maître  do 
toute  la  plaine,  celui-ci  put  dès  lors  prendre  les  mesures  que  commandait  la 
gravité  de  la  situation.  La  2*  division  fut  établie  en  avant  de  la  position  qu'elle 
venait  d'enlever  et  perpendiculairement  à  la  route  de  Mantoue;  la  1<^  appuya 
sa  gauche  à  cette  route,  et,  inclinant  sa  droite  vers  Hedole,  se  forma  par 
bataillons  en  masse,  la  1^  brigade  en  tête,  et  la  2*  en  réserve,  en  arrière  d'un 
pli  de  terrain  où  elle  se  trouva  à  l'abri  du  feu  de  Tartillerie  ennemie. 

Depuis  déjà  longtemps  le  maréchal  Bara'guey-d'Ililliers  (1^  corps)  était 
aux  prises  avec  le  v*  corps  autrichien,  occupant  les  hauteurs  de  Solfcrino,  et 
l'armée  surdc  avec  le  vm«,  du  cAlé  de  Sau-Murliiio.  C'était  une  bataille  générale 
qui  s'engageait;  pour  la  soutenir,  l'ennemi  précipitait  la  marche  de  ses  ré- 
serves; pour  prendre  l'oflensive,  les  Français  attendaient  l'arrivée  de  la  garde, 
qui,  )Murtie  de  Monte-Chiaro,  n'était  encore  qu'à  CastigUone  et  se  dirigeait  en 
toute  hflte  vers  le  point  où  l'on  entendait  le  canon. 

Cependant  le  2«  corps  ne  pouvait  quitter  sa  position  dans  la  plaine  de  Mo- 
dèle, à  cause  du  vide  qui  aurait  existé  entre  sa  droite  et  la  gauche  du  4*.  11 
en  était  donc,  pour  le  moment,  réduit  à  la  simple  action  de  son  artillerie,  qui, 
sous  la  direction  du  général  Auger,  couvrait  de  projectiles  la  route  de  Mantoue 
par  laquelle  s'avançait  le  m»  corps  ennemi.  Pendant  cette  canonnade,  qui  dura 
environ  deux  heures  et  qui  ne  cessa  que  lorsque  les  batteries  autrichiennes 
eurent  été  complètement  éteintes,  le  45^,  déployé  à  la  hauteur  de  Hedole,  ra- 
massa environ  six  cents  prisonniers  provenant  d'un  régiment  hongrois  débordé 
par  une  charge  de  notre  cavalerie. 

Vers  onse  heures,  la  division  de  cavalerie  de  la  garde,  sous  les  ordres  du 
général  Morris,  arriva  à  toute  bride  et  se  plaça  immédiatement  dans  le  vide 
existant  entre  le  2* et  le  4* corps;  au  même  instant  le  maréchal  de  Hac-Mahon 


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[1859]  EN  ITALIE  193 

fut  averti  de  la  part  du  général  Nie!  que  celui-ci  était  prôt  à  se  porter  en 
avant  pour  protéger  son  mouvement  sur  Gavriana.  Désormais  sans  inquiétude 
sur  sa  droite,  le  maréchal  ordonna  au  général  de  la  Motterouge  de  s'avancer 
d*abord  dans  la  direction  des  hauteurs  de  Solferino  pour  appuyer  l'attaque  de 
la  division  dos  voltigeurs  de  la  garde,  puis  de  tourner  à  droite,  de  marcher 
sur  San-Cassiano  et  de  s'en  emparer.  En  conséquence,  la  brigade  Lefbvre  fit 
aussitôt  un  changement  de  direction  à  gauche,  et  s'engagea  en  partie  dans  le 
chemin  creux  qui  conduit  de  Médole  à  Solferino,  suivie  par  la  2*  brigade,  qui 
se  conforma  exactement  au  même  mouvement.  Dès  que  la  division  entière  eut 
dépassé  la  gauche  de  la  division  Decaen,elle  fit  face  à  droite  et  se  déploya 
par  bataillons  en  masse,  les  premiers  échelons  à  environ  quatre  cents  mètres 
de  San -Martine.  A  sa  gauche,  et  sensiblement  à  la  même  hauteur,  venait  la 
division  des  grenadiers  de  la  garde  (Mellinet);  à  sa  droite,  la  2*  division,  qui, 
prenant  sa  gauche  pour  pivot,  exécutait  à  son  tour  le  mouvement  qui  devait 
placer  le  2*  corps  parallèlement  à  la  ligne  Solferino-Cavriana. 

San-Cassiano  avait  été  solidement  occupé  par  les  Autrichiens ,  dont  les  ré- 
serves s'abritaient  dans  des  ondulations  formées  par  les  mamelons  au  pied 
desquels  ce  village  se  trouve  bflti.  Ces  mamelons,  qui  portent  le  nom  de  mont 
Fontana,  se  composent  de  trois  pitons  principaux,  dont  les  arêtes,  sensible- 
inont  parallèles,  ont  une  direction  nord-sud  et  constituent,  par  la  disposition 
de  leur  petit  côté ,  une  courbe  assez  prononcée,  dont  la  convexité  est  tournée 
vers  la  plaine  de  Guidizzolo.  L'ennemi  avait  admirablement  tiré  parti  de  cette 
ligne  de  défense  en  y  élevant  des  ouvrages  de  campagne  et  en  la  garnissant 
d'une  nombreuse  artillerie. 

Il  était  à  peu  près  deux  heures  lorsque  le  maréchal  de  Mac-Mahon  donna 
le  signal  de  l'assaut;  aussitôt  le  régiment  de  Tirailleurs,  ayant  à  sa  tète  le 
général  Lefèvre,  s'élança  sur  San-Cassiano.  L'attaque  devait  être  exécutée  par 
les  2*  et  3®  bataillons;  le  l^''  venait  en  soutien.  A  la  tête  du  3*  bataillon  se 
trouvait  le  capitaine  Munier,  qui ,  en  qualité  de  plus  ancien ,  en  avait  pris  le 
commandement  depuis  le  départ  de  M.  de  Saint-Paêr,  qui  lui-même  avait 
remplacé  le  commandant  Van  Hoorick,  blessé  à  Magenta.  En  avant  du  front 
du  régiment,  et  donnant  l'exemple  du  plus  noble  courage,  marchaient  le  co- 
lonel Laure  et  le  lieutenant-colonel  Herment. 

Excités  par  une  inaction  de  plusieurs  heures,  jaloux  des  lauriers  que,  sur 
la  gaucho,  les  troupes  do  la  garde  et  du  l^^*"  corps  cueillaient  à  l'attaque  de 
Solferino,  les  Tirailleurs  se  jetèrent  sur  lo  village  avec  une  ardeur  furieuse 
à  laquelle  les  Autrichiens  tentèrent  en  vain  de  résister.  En  un  instant  San- 
Cassiano  fut  en  notre  pouvoir,  et,  poursuivant  son  succès,  le  régiment  se 
porta  en  avant  de  cette  localité  en  suivant  une  direction  à  peu  près  parallèle 
à  la  route  passant  au  pied  du  mont  Fontana.  Pendant  ce  temps  le  45*  s'était 
dirigé  sur  la  ferme  dite  Malpetti ,  située  à  droite  et  à  environ  cinq  cents  mètres 
de  San-Cassiano,  s'en  était  emparé  et,  avec  le  concours  d'une  compagnie  de 
Tirailleurs,  y  avait  fait  une  centaine  de  prisonniers. 

Grftce  à  la  vigueur  avec  laquelle  il  avait  été  mené,  ce  premier  assaut  n'avait 
pas  été  trop  meurtrier.  Au  3*  bataillon ,  les  capitaines  Munier  et  Quinemant 
avaient  cependant  eu  leurs  chevaux  tués ,  et  plusieurs  hommes  étaient  déjà 

13 


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194  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1859] 

horfl  de  comtNit;  mais  ce  n'était  là  que  le  prélude  de  la  lutte  véritable,  que 
le  premier  épisode  do  cette  rude  journée.  L'ennemi  s'était  replié  sur  les  hau- 
teurs du  mont  Fontana,  et  ç'allait  être  à  tout  le  corps  d*armée  du  feld-maré- 
chal-lieutenant  Clam-Gallas  que  la  1^*  brigade  allait  bientôt  se  heurter. 

Nous  avons  dit  que  cette  position  avait  été  solidement  occupée;  elle  venait 
d'être  encore  renforcée,  et  se  trouvait  maintenant  défendue  par  dix  régiments. 
C'était  sur  la  conservation  de  ce  point  que  l'empereur  d'Autriche  comptait 
pour  rétablir  le  combat,  fortement  compromis  pour  lui  par  la  prise  de  Sulfe- 
rino,  et  menacer  le  centre  do  l'armée  française,  pendant  qu'une  vigoureuse 
attaque  dirigée  sur  la  droite  de  celte  dernière  rejetterait  en  désordro  les  3"*  et 
4*  corps  dans  la  direction  de  Castel-Goffredo.  Depuis  dix  heures  du  matin, 
François-Joseph  s'était  de  sa  personne  transporté  à  Cavriaûa  et  excitait  par  sa 
présence  le  courage  de  ses  soldats  et  l'émulation  de  ses  officiers. 

Mais  on  ne  laissa  pas  aux  Autrichiens  le  temps  de  combiner  les  mouve- 
ments de  leur  centre  avec  ceux  de  leur  gauche.  A  peine  San-Cassiano  fut- il 
en  notre  pouvoir,  que  la  colonne  du  général  Lefèvre  s'élança  sur  le  premier 
contrefort  du  mont  Fontana.  Cette  vigoureuse  initiative  était  due  en  partie  au 
capitaine  Munier.  Cet  officier,  avec  un  sang-froid  et  une  habileté  rares,  avait 
rapidement  rallié  son  bataillon,  et,  sans  perdre  le  bénéfice  du  premier  élan, 
s'était  précipité  à  sa  tête  sur  la  redoutable  position  qu'il  avait  devant  lui ,  suivi 
de  près  parles  deux  autres  bataillons,  qui  s'étaient  immédiatement  conformés 
à  ce  mouvement,  auquel  présidait  le  colonel  Laure,  qui  fut  mortellement 
atteint  au  moment  où,  se  portant  en  avant  du  son  héroïque  régiment,  il 
indiquait  lui-même  la  direction  que  devait  suivre  l'attaque. 

En  voyant  tomber  leur  chef,  qu'ils  adoraient  parce  qu'ils  le  reconnaissaient 
comme  le  plus  brave,  les  Tirailleurs  poussèrent  un  long  cri  de  fureur,  et  ce 
ne  fut  plus  le  choc  d'une  troupe,  mais  le  tourbillon  impétueux  d'un  ouragan 
qui  s'abattit  sur  les  Autrichiens.  En  vain  ces  derniers  essayèrent- ils  de  pro- 
fiter de  l'avantage  que  leur  donnaient  le  nombre  et  la  disposition  du  ter- 
rain, ils  furent  renversés,  culbutés,  refoulés  et  délogés  du  premier  mamelon, 
sur  lequel  le  ianion  du  3*  bataillon  fut  immédiatoaicnl  piaulé.  A  ce  moment 
le  45^  s'élançait  de  son  côté  sur  le  second  mamelon ,  mais  se  voyait  repoussé 
par  des  forces  considérables. 

Il  était  près  de  trois  heures;  Napoléon  III  venait  d'arriver  sur  ce  point  du 
champ  de  bataille,  et,  jugeant  toute  la  gravité  que  prenait  la  situation,  il  avait 
fait  avancer,  en  soutien  des  Tirailleurs,  deux  bataillons  du  l***  régiment  de 
grenadiers  de  la  garde,  sous  les  ordres  du  colonel  de  Brelteville.  Déjà  une 
batterie  de  ce  corps  était  accourue  en  toute  hflte,  s'était  établie  un  peu  en 
arrière  du  premier  mamelon ,  et ,  dirigée  d'abord  par  le  général  de  Sévelinges, 
puis  par  le  général  Lebœuf  en  personne,  foudroyait  les  masses  autrichiennes 
à  mesure  que  celles-ci  débouchaient  pour  assaillir  le  régiment  de  Tirailleurs, 
qui  s'était  logé  dans  la  première  redoute  et  s*y  maintenait  victorieuse- 
ment. 

Cependant  il  s'agissait  d'enlever  le  deuxième  mamelon,  celui  contre  le- 
quel le  4S<>  avait  échoué  et  sur  lequel  se  trouvaient  concentrés  les  moyens  de 
résistance  do  l'ennemi.  Une  fois  ce  dernier  point  en  noire  pouvoir ,  le  suivant 


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[1859]  EN  ITALIE  195 

tombait  de  lui-même,  et  c'en  était  fait  de  toute  la  ligne  de  Cavriana  :  le  centre 
des  Autrichiens  était  enfoncé,  leur  armée  coupée  en  deux  tronçons. 

Dès  qu'il  se  vit  appuyé,  le  généra]  Lefèvre  rallia  les  débris  de  sa  brigade, 
et,  plaçant  encore  les  Tirailleurs  en  première  ligne,  se  précipita,  à  la  tête  de 
ses  deux  braves  régiments,  contre  la  redoutable  position,  sur  laquelle  allait, 
en  quelques  instants  et  sous  les  yeux  des  deux  empereurs,  se  dénouer  la  der- 
nière chance  de  la  grande  partie  engagée.  Cet  effort  fut  peut-être  encore  plus 
héroïque  que  le  premier;  on  allait  s'établir  dans  l'ouvrage;  déjà  l'ennemi, 
surpris  par  cette  audace  qu'animait  une  indomptable  furie,  se  relirait  en  dé- 
sordre sur  ses  réserves,  lorsque,  s'apercevant  de  notre  petit  noiiibre,  il  revint 
à  la  charge,  nous  déborda  de  toutes  parts,  et,  combattant  avec  une  opiniâtreté 
sans  égale ,  reprit  peu  à  peu  le  terrain  qu'il  avait  perdu. 

A  ce  moment  arriva  le  72»,  commandé  par  le  colonel  Gastex,  l'ancien 
lieutenant-colonel  du  3^  Tirailleurs.  Il  n'y  eut  qu'une  seule  voix  pour  répéter 
le  cri  de  :  a  En  avant  I  9  la  charge  reprit  sur  toute  la  ligne  ;  le  colonel  Gastex  fit 
déployer  son  drapeau,  autour  duquel  se  groupèrent  indifféremment  les  combat- 
tants des  trois  régiments;  et  un  nouvel  assaut,  ardent,  impétueux,  irrésis- 
tible, délogea  une  deuxième  fois  les  Autrichiens.  Mais  une  deuxième  fois 
ceux-ci  reçurent  des  réserves,  une  deuxième  fois  nos  valeureux  soldats  furent 
ramenés  en  arrière,  une  deuxième  fois  la  force  eut  raison  de  l'héroïsme. 

Il  fallait  en  finir;  la  2»  brigade,  jusque-là  maintenue  en  réserve,  sur  l'ordre 
formel  du  maréchal  de  Mac-Mahon,  afin  de  se  relier  à  la  division  Decaen, 
venait  enfin  d'être  relevée  par  une  brigade  de  la  garde  (Niol) ,  et  de  se  porter 
en  soutien  de  la  première ,  qui ,  ralliée  par  son  intrépide  chef,  ne  s'aperce- 
vait pas  des  vides  considérables  qui  existaient  dans  ses  rangs,  et  ne  deman- 
dait (|irt\  recommencer  la  lutte.  Le  général  do  la  Molterougo  accourut,  forma 
une  nouvelle  colonne  d'attaque  comprenant  :  les  Tirailleurs  algériens,  lo45<>, 
le  l'I^  et  le  70<^,  et  la  lança  sur  la  position  si  longtemps  disputée,  pendant 
que,  se  plaçant  à  la  tête  de  deux  bataillons  du  65®,  il  se  précipitait  lui-même 
sur  le  troisième  et  dernier  mamelon. 

Pendant  un  instant ,  ce  point  du  combat  ne  fut  qu'un  chaos  indescriptible, 
duquel  s'élevaient  les  longs  déchirements  de  la  fusillade,  les  retentissements 
formidables  de  l'artillerie,  le  son  strident  des  clairons,  les  cris,  les  hourras, 
les  imprécations  des  combattants  ;  puis  ce  bruit  épouvantable  s'éloigna  peu  à 
peu ,  devint  moins  intense,  moins  sourd,  et  enfin  ne  tarda  pas  à  se  perdre  en 
échos  courus*  dans  la  direction  de  Cavriana.  Un  instant  après,  on  voyait  le 
drapeau  tricolore  flotter  victorieusement  sur  toutes  les  hauteurs  du  mont 
Fontana  ;  la  bataille  de  Solferino  était  définitivement  perdue  par  les  Autri- 
chiens. 

Itien  n'avait  pu  résistera  la  vigueur  indicible  de  nos  bataillons;  le  général 
Lefèvre  d'un  côté,  le  général  de  la  Mottcrouge  de  l'autre,  avaient  pénétré 
dans  les  tranchées  ennemies ,  en  avaient  délogé  les  défenseurs  et  poursui- 
vaient maintenant  les  fuyards,  qui  se  retiraient  sur  Cavriana. 

Dans  ce  dernier  assaut,  les  Tirailleurs  avaient  été  admirables;  jamais  peut- 
être  leur  bravoure  ne  s'était  révélée  plus  grande,  plus  soutenue,  plus  opi- 
niâtre, plus  irrésistible.  Après  leur  colonel,  ils  avaient  vu  tomber  leur  lieu- 


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196 


LE  3*  nÉGIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1859] 


tenant-colonel,  qui,  non  moins  brave  et  non  moins  aimé  que  le  premier,  fut 
non  moins  regretté  et  non  moins  glorieusement  vengé.  Sous  l'énergique  im- 
pulsion du  capitaine  Munier,  le  3«  bataillon  avait  encore  fait  des  prodiges. 
C^était  à  lui  que  revenaient  les  honneurs  de  la  journée;  mais  c'était  aussi  dans 
ses  rangs  que  la  mort  avait  foit  la  plus  ample  moisson  d'officiers  et  de  sol- 
daU. 

Pendant  que  le  2*  corps,  avec  une  vigueur  et  une  ténacité  remarquables, 
s'établissait  ainsi  sur  la  position  de  San-Cassiano  et  du  montFontana,  la  lutte 
engagée  sur  les  hauteurs  de  Solferino  avait  suivi  son  cours.  Là  aussi  le 
succès  avait  pleinement  couronné  nos  efforts,  et  la  brigade  Manèque  (volti- 
geurs  de  la  garde) ,  renforcée  du  bataillon  de  chasseurs  à  pied  du  comman- 
dant Clinchant ,  après  avoir  enlevé  le  mont  Sarco ,  s'était  avancée  vers 
Cavriana  pour  donner  la  main  à  la  division  do  la  Molterouge;  ello  arrivait 
à  hauteur  de  cette  dernière  juste  au  moment  où  celle-ci  se  rendait  définiti- 
vement maîtresse  des  derniers  mamelons.  Il  était  trois  heures  et  demie;  Ca- 
vriana restait  le  dernier  point  à  enlever  pour  que  la  séparation  des  deux  ailes 
de  l'armée  autrichienne  fût  un  fait  accompli.  A  ce  même  moment,  le  régi- 
ment de  Tirailleurs  venait  d'être  rallié,  et  formait  alors  comme  le  prolonge- 
ment des  troupes  de  la  garde.  Ces  trois  corps  infatigables,  voltigeurs,  chas- 
seurs et  Tirailleurs,  si  dignes  de  marcher  l'un  à  côté  de  l'autre,  se  portèrent 
résolument  en  avant  et  pénétrèrent  en  même  temps  dans  Tintérieur  do  Ca- 
vriana. La  dernière  résistance  de  l'ennemi  se  trouva  immédiatement  brisée. 
Ne  pouvant  plus  espérer  forcer  notre  droite,  les  Autrichiens  se  mirent  en 
retraite  sur  le  Mincio,  et  cherchèrent  à  gagner  le  pont  de  Valeggio,  sous  la  pro- 
tection de  leur  vu*  corps  (Zobel  ),  qui,  arrivé  trop  tard  pour  prendre  part  à  la 
lutte ,  s'était  établi  à  l'est  de  Giudizzolo.  La  poursuite  fut  brusquement  inter- 
rompue par  un  orage  épouvantable  qui  se  décbaîna  sur  les  deux  armées  ;  elle 
reprit  ensuite;  mais  à  la  faveur  de  ce  contre- temps  l'ennemi  avait  échappé  à 
nos  colonnes  victorieuses,  et  s'était  assuré  le  passage  du  Mincio. 

Le  régiment  do  Tirailleurs  bivouaqua  sur  le  terrain  qu*il  avait  conquis  en 
arrière  de  Cavriana.  Ses  pertes  avaient  été  sensibles,  notamment  pour  le 
3«  bataillon,  qui  à  lui  seul  comptait  un  nombre  de  tués  et  de  blessés  aussi 
élevé  que  celui  des  deux  autres  bataillons  réunis.  Voici  du  reste  ci-dessous, 
en  regard  des  pertes  totales  du  régiment,  celles  de  ce  bataillon  en  parti- 
culier : 


Officiers 


Troupe 


HKGIMBNT 

tués 

7 

blessés  .... 

21 

tués.  ..... 

blessés  .... 

70 

288 

^  disiMiruB.  .  .  . 

31 

Totaux.  .  .  . 

417 

3"  BITIILLON 

3 
12 

31 

13i) 

18 


203 


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[1859]                                                      EN  ITALIE 

Les  officiers  tués  étaient  : 

MM.  de  Boyne, 

lieutenant. 

Larbi-ben-Lagdar, 

lieutenant  indigène. 

do  Foy , 

sous -lieutenant. 

Étaient  blessés  : 

MM.  de  Pontécottlant, 

capitaine. 

de  Montvaillant, 

lieutenant. 

Sono, 

d» 

Louvet, 

do 

Bouguès, 

do 

Mohamed-  ben-Kacem , 

lieutenant  indigène. 

Messaoued  -  ben  -  Ahmed , 

do 

Mohamed -Bounep, 

do 

Barbier, 

sous-lieutenant. 

Yaya-  ben-Simo ,        sont 

1- lieutenant  indigène. 

Kaccm-Labougic, 

do 

Saïd-bcn-Amor, 

do 

197 


M.  Barbier  avait  eu  la  cuisse  fracassée  pendant  la  première  retraite.  Deux 
fois  il  avait  vu  les  Autrichiens  lui  passer  sur  le  corps;  ceux-ci  Tavaient  dé- 
pouillé de  quelques  objets  de  valeur  qu'il  portait  sur  lui,  lui  avaient  enlevé 
son  pistolet  et  l'avaient  laissé  là,  où  quelques  instants  après  ses  hommes 
l'avaient  retrouvé. 

La  page  que  les  Tirailleurs  venaient  de  se  graver  à  Solforino  est  restée  et 
restera  Tune  des  plus  belles  parmi  tant  d*autres  déjà  bien  glorieuses  dont  se 
compose  leur  histoire.  Dans  cette  rude  journée,  où  la  bravoure  fit  autant, 
sinon  plus,  que  la  science  militaire,  ils  provoquèrent  l'admiration  de  toute 
Parmée  en  se  montrant  non  seulement  Tincomparable  troupe  de  choc  qu'ils 
avaient  toujours  été,  mais  encore  d'opiniâtres  défenseurs  du  terrain  conquis, 
d'infatigables  combattants  toujours  prêts  à  recommencer  la  lutte,  en  un  mot 
en  faisant  preuve  des  plus  précieuses  qualités  qui  distinguent  une  troupe 
d*élite ,  aussi  bien  dans  la  défense  que  dans  l'attaque. 

Le  capitaine  Munier,  qui  s'était  révélé  comme  un  officier  do  grand  sang^ 
froid  et  de  haute  capacité  militaire,  reçut  du  maréchal  de  Mac-Mahon  les 
éloges  les  plus  flatteurs  pour  sa  belle  conduite  et  celle  de  son  bataillon,  et 
quelques  jours  après  trouva  la  récompense  de  sa  bravoure  dans  l'épaulette 
de  chef  de  bataillon. 

La  journée  du  25  se  passa  à  inhumer  les  morts.  Le  2o  corps  et  la  garde  res- 
tèrent à  Cavriana,  où  avait  été  établi  le  quartier  général  de  l'armée;  les  autres 
fractions  se  rapprochèrent  du  Mincio.  L'ennemi  avait  passé  cette  rivière  et 
s'était  retiré  dans  le  fameux  quadrilatère. 

Ce  même  jour,  un  décret  Impérial  nommait  le  lieutenant-colonel  Butet^  du 


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198  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l859l 

l^**  rAginionl  Alrongor,  au  coiiiiimniloinciil  du  ré({iinciil  do  TiraillcurB  ulgé- 
riens,  en  remplacement  du  colonel  Laure,  tué  à  l'ennemi.  Le  lieutenant- 
colonel  Gibon,  du  70«,  était  en  même  temps  désigné  pour  succéder  à  M.  Her- 
ment,  et  M.  Quinemant,  capitaine  au  3<>  bataillon,  pour  être  adjudant-major 
au  l^i*  bataillon. 

Le  26 ,  le  2^  corps  quitta  Gavriana  pour  se  rapprocher  à  son  tour  du  Mincie. 
Le  régiment  leva  son  bivouac  à  quatre  heures  et  demie  du  matin  et  s'engagea 
sur  la  route  de  Solferino  à  Monzambano.  Au  moment  du  départ,  l'air  fut 
tout  à  coup  ébranlé  par  une  explosion  Tormidable ,  et  une  fumée  noire  s'éleva 
au-dessus  de  Goîto.  G'était  l'ennemi  qui,  en  se  retirant,  avait  fait  sauter  le 
pont  sur  lequel  on  franchissait  le  Mincie.  La  marche  se  continua  jusqu'à 
Gampagnano  ;  Ih  les  troupes  prirent  à  gauche  et  se  dirigèrent  sur  Gastellaro , 
où  l'on  devait  séjourner  jusqu'au  30  juin. 

Les  Autrichiens ,  ne  considérant  plus  le  quadrilatère  et  la  barrière  du  Mincie 
comme  une  protection  suffisante,  s'étaient  retirés  derrière  l'Adige,  et  garnis- 
saient la  rive  gauche  de  ce  cours  d'eau  depuis  Vérone  jusqu'à  Legnago.  Le 
!•' juillet,  l'armée  alliée  reprit  son  mouvement  en  avant.  Le  ifi  corps  passa 
sans  difficulté  le  Mincio  à  Monzambano,  sur  un  pont  de  bateaux  établi  par  le 
génie,  et,  après  dix  heures  de  marche,  vint  s'établir  sur  les  hauteurs  de 
Santa-Lucia.  Le  lendemain,  le  régiment  de  Tirailleurs  se  remettait  en  route 
à  quatre  heures  du  matin,  traversait  Villafranca,  et  allait  prendre  position  à 
un  kilomètre  plus  loin,  sur  la  ligne  du  chemin  de  fer  de  Vérone,  où  il  ne  de- 
vait rester  que  quelques  heures.  Dans  la  nuit,  il  reçut  en  eirct  de  nouveaux 
ordres  et  se  reporta  en  arrière  pour  venir  occuper  les  positions  de  Monte-Mag- 
giore,  près  de  Santa -Lucia  et  à  peu  de  distance  du  point  où  il  avait  campé  la 
veille.  On  s'attendait  chaque  jour  à  une  bataille  devant  Vérone;  le  7  juillet, 
toutes  les  dispositions  étaient  prises  ;  l'armée  française  tout  entière  était  rangée 
sur  la  ligne  deGastelnuovo-Valeggio,  prête  à  faire  face  à  une  attaque,  qui, 
d'après  les  derniers  mouvements  de  l'ennemi ,  semblait  devoir  se  porter  sur 
sa  gauche.  Mais  il  n'en  fut  rien;  Solferino  devait  être  la  dernière  lutte  de 
cette  campagne.  Le  8  juillet,  un  armistice  fut  conclu  entre  les  trois  puissances 
belligérantes,  et,  le  11 ,  les  préliminaires  de  la  paix  ayant  été  signés  à  Villa- 
franca, les  troupes  apprirent  tout  à  coup  que  leur  rôle  était  terminé. 

Ce  fut  le  B  juillet  que  le  régiment  reçut  les  décorations  et  connut  les  nomi- 
nations que  lui  valait  la  bataille  du  24  juin.  Au  3<'  bataillon,  le  lieutenant  do 
Montvaillant  était  nommé  capitaine  et  fait  chevalier  de  la  Légion  d'honneur  ; 
les  sous-lieutenants  Robillard  et  Bouguès  étaient  nommés  lieutenants;  le  sous- 
lieutenant  Barbier,  amputé,  recevait  la  croix,  ainsi  que  le  sergent  Isarn;  les 
sergents- majors  Matleî  et  Oriot  étaient  promus  sous -lieu  tenants.  Quelque 
temps  après,  le  capitaine  de  Pontécoulant  fut  nommé  officier  de  la  Légion 
d'honneur,  l'adjudant  de  Busserolle  fait  chevalier,  et  l'adjudant  de  Sambœuf 
promu  sous- lieutenant.  Enfin  plusieurs  sous-  officiers  et  soldats ,  entre  autres 
les  sergents- majors  d'IIélie  et  Mazué,  reçurent  la  médaille  militaire. 

Le  15  juillet,  l'armée  française  commença  son  mouvement  en  arrière.  Le 
régiment  quitta  Santa-Lucia  et  se  dirigea  d'abord  sur  Brescia,  puis  sur  Ron- 
cadello,  où  il  arriva  le  18.  Il  séjourna  dans  cette  ville  jusqu'au  25  et  se  rendit 


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[1859]  EN  ITALIE  190 

cnfluito  à  Milan,  ft  qui  il  dit  bientôt  adieu,  ainsi  qu*&  toiito  Htalie,  pour 
prendre  la  route  du  mont  Genis  et  revenir  en  France.  Le  5  août,  il  arrivait  & 
Paris  par  les  voies  ferrées  et  allait  s'installer  au  camp  de  Saint-Maur. 

Ce  voyage  des  Tirailleurs  avait  pour  but  de  leur  faire  prendre  leur  rang 
dans  rentrée  triomphale  dans  la  capitale  des  troupes  de  l'armée  d'Italie.  Cette 
grande  fête  militaire  était  fixée  au  14  août.  En  attendant  ce  jour,  la  curiosité 
qu'ils  excitaient  attirait  la  foule  des  Parisiens  dans  leur  camp;  tout  le  monde 
voulait  voir  ces  soldats  sur  lesquels  couraient  les  histoires  les  plus  invraisem- 
blables, les  légendes  les  plus  fantastiques.  On  ne  se  figurait  les  iureos  que 
comme  des  êtres  extraordinaires;  certaines  gens  s'attendaient  à  se  trouver  en 
présence  de  guerriers  sauvages  aux  allures  bizarres ,  au  tempérament  sangui- 
naire, et  portant  sur  leur  visage  l'empreinte  d'une  effrayante  férocité  ;  d'autres 
se  demandaient  s'il  était  très  prudent  de  les  aborder  sans  s'être,  au  préalable, 
assuré  qu'ils  avaient  bien  déjeuné.  Aussi  Tétonnement  fut-il  général  lors- 
qu'on vit  des  hommes  qui,  &  part  leur  teint  un  peu  plus  bronzé,  ressera-- 
blaient  à  tous  les  autres,  mangeaient  et  buvaient  de  la  même  façon  et  se 
montniientavec  tous  doux,  calmes,  placides  et  bons  enfants.  Et  l'on  avait  alors 
peine  à  croire  que  ce  fût  là  cette  troupe  terrible  dont  on  disait  tant  de  choses 
merveilleuses,  dont  la  fureur  dans  le  combat  ne  connaissait  point  d'obstacle, 
dont  l'étonnante  bravoure  avait  déconcerté  les  colonnes  russes  à  la  gorge  de 
Malakoiï  et  fait  reculer  les  masses  autrichiennes  sur  les  hauteurs  du  mont 
Fontana. 

Ce  fut  une  solennité  bien  imposante ,  bien  patriotique,  bien  faite  pour  faire 
vibrer  toutes  les  cordes  de  l'enthousiasme  national ,  que  celle  du  défilé  dans 
Paris,  et  devant  une  population  venue  de  tous  les  coins  de  la  France,  des 
braves  régiments  dont  les  drapeaux  allaient  désormais  porter  les  deux  nou- 
veaux noms  de  Magenta  et  de  Soircrino.  Do  tous  ces  corps,  Tun  des  plus  fêtés, 
des  plus  acclamés,  fut  celui  des  Tirailleurs  algériens;  de  toutes  parts  des  cris^ 
des  vivats,  des  bouquets,  de  fraternelles  poignées  de  main  dirent  à  ces  fiers 
Algériens,  qui  avaient  si  vaillamment  combattu  pour  une  nouvelle  patrie  dont 
jusque-là  ils  n'avaient  connu  que  le  nom,  combien  notre  pays  leur  en  était 
reconnaissant  et  quelles  légitimes  espérances  il  fondait  sur  eux  pour  l'avenir. 

liC  13  août,  un  décret  impérial  était  venu  prononcer  la  dissolution  du  régi- 
ment provisoire  de  Tirailleurs  algériens.  Les  officiers  qui  en  faisaient  partie 
étaient  mis  provisoirement  en  non -activité  par  suite  de  licenciement,  et  re- 
placés dans  les  trois  régiments  de  Tirailleurs.  Ce  même  décret  portait  que  ces 
derniers  seraient  réorganisés  sur  le  pied  de  sept  compagnies  par  bataillon,  au 
lieu  de  six  précédemment  existant. 

En  exécution  des  prescriptions  ci -dessus,  chaque  bataillon  devait  immé- 
diatement regagner  le  siège  de  son  régiment.  Le  18 ,  les  trois  bataillons  quit- 
tèrent Paris  en  chemin  de  fer,  et  le  lendemain  arrivèrent  à  Toulon,  où,  le 
même  jour,  le  3«  fut  embarqué  pour  Philippeville.  Le  3  septembre,  ce  dernier 
rentrait  à  Constantine,  où  il  recevait  le  plus  sympathique  accueil  de  la  part 
de  la  population  européenne  et  indigène,  et  reprenait  sa  place  au  sein  du 
3«  régiment ,  dont  il  venait  d'enrichir  les  annales  d'une  page  à  jamais  mémo- 
rable qu'il  avait  généreusement  payée  avec  son  sang.  Nulle  troupe  n'avait  en 


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260 


200  LE  3*  RÉGIUBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ITALIE  [1859] 

effet  moins  marchandé  le  sien ,  et  les  chiffres  ci -dessous  ont  trop  d'éloquence 
pour  que  nous  insistions  sur  la  part  de  gloire  qui  revient  à  notre  beau  et  brave 
régiment  dans  la  courte  et  brillante  campagne  d'Italie. 

Les  deux  seules  journées  de  Magenta  et  de  Solferino  coûtaient  au  3*  Ti- 
railleurs: 

Tués. 

Officiers 3 

Troupe 40 

Blessés. 

Officiers 16 

Troupe  .  • 201 

Il  avait  eu  le  quart  de  son  effectif  mobilisé  hors  de  combat,  proportion 
considérable  si  Ton  tient  compte  du  peu  de  durée  de  la  guerre. 

Pour  en  finir  avec  les  événements  se  rapportant  à  cette  campagne,  il  nous 
reste  à  parler  de  la  création  d'un  2^  régiment  provisoire  de  Tirailleurs  algé- 
riens, qui,  d'après  un  décret  du  13  juin,  devait,  comme  le  premier,  se  com- 
poser de  trois  bataillons  pris  chacun  dans  l'un  des  trois  régiments.  Seulement , 
au  lieu  do  prélever  ce  bataillon  sur  ronsuiublo  du  corps,  (U)minû  celui  précé- 
domuieat  constitué,  c'était  Tua  des  bataillons  existant,  avec  ses  cadres  dans 
l'état  où  ils  se  trouvaient,  son  effectif,  sa  composition  propre,  qui  devait  être 
désigné.  De  ce  qui  allait  rester  en  Algérie  dans  chaque  province,  on  devait 
ensuite  former  deux  bataillons  à  sept  compagnies. 

On  s'occupa  immédiatement  de  Torganisation  de  ce  nouveau  corps,  dont  le 
commandement  était  confié  au  lieutenant-colonel  Wolff;  mais  la  concluttion 
de  la  paix  n'ayant  pas  tardé  à  avoir  lieu,  un  décret  du  20  juillet  vint  en  pro- 
noncer la  dissolution  avant  que  ses  divers  éléments  eussent  été  réunis.  On  se 
contenta,  après  la  bataille  de  Solferino,  pour  le  3«*  régiment  du  moins,  de 
former  un  détachement  comprenant  quatre-vingt-quatre  hommes  de  bonne 
volonté,  sous  les  ordres  du  lieutenant  Moktar-ben-Youssef,  et  de  l'envoyer 
comme  renfort  au  3*  bataillon  du  l***  régiment  provisoire  en  Italie.  Ce  détache- 
ment s'embarqua  à  Philippeville  le  6  juillet,  et  fiit  aussitôt  dirigé  sur  sa  nou- 
velle destination.  Il  rentra  ensuite  à  Gonstantine  avec  les  autres  Tirailleurs 
de  la  province. 


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CHAPITRE  V 

(1859-1863) 


(1859)  Opérations  en  Algérie.  —  Golonne  des  Oaled-Asker.  —  Réorganisation  du  régi- 
ment après  le  licenciement  du  3«  bataillon  du  régiment  provisoire.  —  Golonne  de 
Test.  —  Attaque  des  smalas  do  la  compagnie  de  Souk-Arras  par  un  parti  do  Tunisiens. 
—  (  1860)  Golonne  du  Hodna.  —  Expédition  de  la  Kabylie  orientale.  —  (1861)  Gompo- 
sition  des  cadres  du  régiment  apr^s  la  formation  des  7«  compagnies.  —  Envoi  d'une 
compagnie  au  Sénégal.  —  Nouvelles  dispositions  concernant  le  rccrutomo.nt.  —Départ 
de  deux  compagnies  pour  la  Cocliinchino.  —  (1862)  Formation  d*un  liataillon  do 
mnrclio  destiné  k  rcxpédition  du  Mcxiiiue.  —  Opérations  oontro  les  Khroumirs,  sur 
les  frontières  do  la  Tunisie.  —  Emplacements  des  bataillons  à  la  date  du  31  dé- 
cembre 1863. 


La  campagne  d'Italie  devait  être,  pour  le  régiment,  le  dernier  épisode  de 
cette  grande  épopée  qui,  depuis  vingt  ans,  c'est-à-dire  depuis  la  formation 
du  bataillon  de  Tirailleurs  de  Gonslantine,  8*était  déroulée  sans  interruption , 
embrassant  dan&  son  ensemble  la  période  la  plus  difficile  de  la  conquête  de 
PAIgérie  et  ces  deux  grandes  luttes  en  Europe,  qui  semblaient  avoir  ressuscité 
Tépoque  héroïque  des  grands  faits  militaires  du  commencement  de  ce  siècle. 
Durant  ces  vingt  années,  ce  corps  n'avait  pas  cessé  de  vivre  au  sein  de  la 
guerre,  qui  était  devenue  son  seul  élément;  tour  à  tour  au  fond  des  montagnes 
de  la  Kabylie,  au  milieu  des  sables  du  désert,  sur  le  plateau  désolé  du  Cher- 
sonèse  et  dans  les  riches  plaines  du  Piémont ,  partout  on  l'avait  vu  au  pre- 
mier rang,  ardent,  infatigable,  prêt  à  tous  les  efforts,  capable  de  tous  les 
dévouements,  affirmant  chaque  jour  sa  valeur  désormais  proverbiale  et  ses 
solides  qualités ,  se  signalant  à  chaque  instant  par  sa  fidélité ,  son  abnéga- 
tion ,  sa  vigueur,  sa  rigoureuse  discipline  et  son  mépris  du  danger.  Se  battre 
aujourd'hui,  recommencer  demain,  ne  pas  laisser  se  tirer  un  coup  de  fusil 
sans  être  là,  telle  aurait  pu  être  sa  devise  et  telle  elle  demeurait  encore;  car 
s'il  allait  enfîn  connaître  un  repos  qu'il  n'avait  jamais  demandé ,  les  événe- 
ments seuls  allaient  le  lui  imposer.  Oui ,  c'était  bien  malgré  lui  qu'il  allait 
maintenant  être  condamné  à  la  vie  sédentaire  des  garnisons ,  à  la  monotonie 
du  tableau  de  service  journalier,  à  la  tâche  ingrate  de  la  garde  d'une  quan- 


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202  LE  3«  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [i859] 

tité  innombrable  de  petits  postes  distribués  sur  tout  le  territoire  de  la  pro- 
vince ,  &  cette  inactivité  plus  lourde  que  les  plus  dures  fatigues,  parce  qu'elle 
était  sans  compensations,  parce  qu'elle  ne  s'accordait  plus  avec  les  habitudes 
de  ces  hommes,  qui  depuis  si  longtemps  ne  vivaient  qu'au  milieu  des  dan- 
gers. Il  devait  bien  encore  prendre  part  &  des  colonnes  périodiques  dirigées 
dans  les  régions  où,  pour  y  être  maintenue,  notre  autorité  avait,  à  certaines 
époques  de  l'année,  besoin  d'être  appuyée  par  des  démonstrations  armées; 
mais  ces  dernières,  à  part  celles  de  la  Kabylie  orientale  en  1860,  et  du  Ilodna 
en  1864,  n'allaient  jamais  lui  demander  qu'une  partie  insignifiante  de  ses 
forces  et  ne  devaient  plus  être  marquées  que  par  des  actions  sans  impor- 
tance, de  légers  combats,  où  nous  allions  presque  toujours  avoir  l'avan- 
tage du  nombre  et,  par  suite,  la  certitude  du  succès.  N'ayant  plus,  en  effet, 
pour  s'exalter  et  se  soutenir,  ni  le  fanatisme  religieux  des  premiers  jours 
de  la  conquête,  ni  Thorreur  qu'inspirait  alors  le  Roimi,  la  résistance  des 
indigènes  ne  devait  plus  se  traduire,  du  moins  jusqu'à  la  grande  insurrec- 
tion de  1871 ,  que  par  des  efforts  décousus,  facilement  vaincus  et  timidement 
renouvelés. 

Cependant ,  si  la  portion  principale  du  3®  Tirailleurs  ne  devait  plus  qu'à 
de  longs  intervalles  se  retremper  dans  les  émotions  enivrantes  de  la  lutte, 
quelques  fractions ,  quelques  compagnies ,  comme  pour  no  pas  laisser  s'éteindre 
cet  ardent  amour  de  l'imprévu ,  qui  attirait  dans  les  rang  de  cette  troupe  les 
teuipéranieiits  les  plus  aventureux,  allaient  encore  guerroyer  dans  do  kiin- 
taines  contrées,  au  Sénégal,  en  Cochinchine,au  Mexique,  et  montrer  presque  en 
même  temps  à  trois  des  cinq  parties  du  monde  cet  uniforme  bleu,  désormais 
inséparable  de  toute  expédition  entreprise  sous  les  auspices  du  drapeau  fran- 
çais. De  belles  pages  devaient  encore  venir  s'ajouter  à  celles  de  la  glorieuse 
époque  que  nous  venons  de  raconter  et  couronner  d'une  façon  inattaquable 
la  réputation  toujours  grandissante  de  cet  admirable  régiment. 

Nous  avons  laissé  les  bataillons  restés  en  Algérie  au  moment  où  celui  des- 
tiné à  concourir  à  la  formation  du  régiment  provisoire  s'embarquait  pour  l'Ita- 
lie. De  ce  jour,  et  jusqu'à  la  rentrée  de  ce  dernier,  tous  les  regards  furent 
tournés  vers  le  tliéûtre  de  ses  exploits,  tout  le  monde  aurait  voulu  le  suivre 
et  partager  ses  lauriers.  La  paix  arriva;  il  fallut  renoncer  à  cet  espoir. 
Pendant  ce  temps,  les  opérations  militaires  s'étaient  bornées  dans  la  province 
à  l'envoi  d'une  colonne  d'observation  en  Kabylie. 

Il  s'agissait  de  calmer  une  certaine  agitation  qui  régnait  au  sein  des  Ou- 
led-Asker,  dans  le  Zouagha.  Le  28  juin,  le  général  Lefèvre  quitta  Constan- 
tine  à  la  tête  de  quelques  troupes,  dont  deux  compagnies  et  demie  du  régi- 
ment (1^*  et  S*  dul^i*  bataillon  et  une  section  de  la  6*),  sous  les  ordres  du  lieu- 
tenant-colonel Colin,  et  se  dirigea  sur  FelJj-Bemem,  où  il  arriva  en  trois 
jours,  en  passant  par  Hilah  et  Djelamah.  Il  établit  son  camp  un  peu  à  l'ouest 
du  feldj,  au  pied  du  Djebel -Arhès,  dans  un  endroit  largement  pourvu  d'eau, 
de  bois  et  de  fourrage,  et  attendit  là  jusqu'au!)  juillet.  Tout  étant  alors  rentré 
dans  l'ordre,  et  les  populations  dissidentes  ayant  donné  des  garanties  de  leur 
soumission,  il  se  remit  en  route  pour  Constantine,  où  il  fut  de  retour  le  9. 

Le  21  septembre,  eut  lieu  la  réorganisation  du  régiment  conformément  aux 


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[i859]  EN  ALGÉRIE  203 

noavellcs  dispositions  contenues  dans  le  décret  du  13  août.  Les  homnies  pro- 
venant du  régiment  provisoire  furent  réincorporés,  un  nouveau  tiercement 
détermina  les  cadres  des  trois  bataillons ,  et  une  7«  compagnie  fut  créée  dans 
chacun  de  ces  derniers.  Celles  appartenant  nu  bataillon  licencié  reprirent  leur 
place  et  leur  numéro  dans  les  bataillons  dont  elles  avaient  précédemment  fait 
partie. 

Le  2  octobre,  une  colonne,  sous  les  ordres  du  général  Périgot,  quitta  BAne 
pour  parcourir,  ainsi  qu*on  le  faisait  chaque  année,  la  frontière  de  Test  de  la 
province,  pour  faire  rentrer  les  impôts  et  empêcher  les  tentatives  d'empiéte- 
ment que  quelques  fractions  des  tribus  tunisiennes  étaient  toujours  prêtes  à 
commettre  dès  que  notre  vigilance  se  trouvait  un  instant  en  défaut.  Le  3*  ba- 
taillon du  régiment ,  à  Texception  de  la  7*  compagnie  encore  en  voie  d'or- 
ganisation h  Constantino,  et  d*une  partie  des  2^  et  3®  détachées  à  Souk-Arras 
et  la  Galle,  prit  part  à  cette  expédition ,  sous  la  direction  de  son  chef,  le  com- 
mandant Cottret.  La  colonne  se  dirigea  d*abord  sur  la  Galle  en  marchant  pa- 
rallèlement à  la  côte  et  en  passant  par  Dafar-Mohallad,  sur  la  Mafrag,  Aîn- 
Oum,  Ghelik  et  Teniot-Ellil  ;  elle  redescendit  ensuite  vers  le  sud  en  serrant  de 
très  près  la  frontière  et  en  visitant  successivement  El-Aîoun ,  Roumol-Soug , 
Mexna ,  A?n-Kebir,  points  relativement  importants  occupés,  les  deux  premiers 
par  un  poslc  de  Tirailleurs  fourni  par  la  compagnie  de  la  Galle,  le  dernier 
par  un  détachement  de  spahis;  Medjez-Delabi ,  Bou-Hadjar,  Elma-el-Amar, 
où  Ton  trouva  d'importantes  ruines  romaines;  Sidi-Ali-el-Amissi,  possédant 
d'autres  ruines  non  moins  importantes,  qu'on  supposa  être  celles  de  l'an- 
cienne ville  de  Zamma;  Sidi-Youssef,  et  Oued-Zerga  ;  puis  elle  tourna  à  l'ouest, 
atteignit  Souk-Arras  le  28  octobre,  et  rentra  à  Bêne  le  31 ,  n'ayant  pas  eu 
un  seul  engagement  pendant  tout  le  cours  de  ses  opérations. 

Il  y  avait,  en  revanche ,  h  peine  quelques  jours  que  les  troupes  du  général 
rérigot  élaicnt  rentrées  dans  leurs  garnisons,  que  deux  postes  de  la  2®  com- 
pagnie du  3®  bataillon  (capitaine  Deaumelle),  détachée  à  Souk-Arras,  étaient 
brusquement  attaqués. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  certains  détachements  avaient  la  faculté  de 
vivre  en  smala  ;  il  en  était  ainsi  pour  la  compagnie  de  Souk-Arras.  Gette  der- 
nière était  donc  répartie  sur  tout  le  territoire  qu'elle  avait  mission  de  garder, 
et  les  hommes  employaient  le  temps  que  leur  laissait  le  service  à  la  culture 
des  terres  dont  la  jouissance  leur  avait  été  concédée.  Jusque-là  la  tranquillité 
du  pays  leur  avait  permis  de  vaquer  en  toute  sécurité  à  leurs  occupations , 
et  aucun  incident  n'était  encore  venu  faire  ressortir  les  inconvénients  de  cette 
dispersion.  Les  tribus  de  la  Régence  se  permettaient  bien  quelques  incur- 
sions; mais  elles'  se  contentaient  généralement  de  tomber  sur  les  fractions 
les  plus  faibles,  de  les  dépouiller,  de  s'installer  à  la  rigueur  sur  leur  sol,  pour 
fuir  ensuite  au  premier  signal  annonçant  l'apparition  d'un  uniforme  français. 

Le  4  décembre ,  les  Tirailleurs  des  3°  et  V  smalas  se  disposaient  à  com- 
mencer leurs  lal)ours  sur  des  terrains  voisins  do  la  frontière,  lorsqu'ils  furent 
tout  à  coup  assaillis  par  les  Drahouza ,  fraction  de  l'importante  tribu  tuni- 
sienne des  Ouagha.  Quoique  surpris  par  cette  subite  agression,  les  Tirailleurs 
firent  bravement  face  à  leurs  ennemis  et  les  repoussèrent  vigoureusement, 


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204  LE  3®  RÉOIlfBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [I8GO] 

leur  tuant  un  bonimo,  lour  on  blossant  deux  et  leur  fuiBant  un  prisonnier. 
Us  eurent  eux-mêmes  un  homme  tué. 

Mises  désormais  en  garde  contre  des  entreprises  de  ce  genre,  ces  deux 
smalas  redoublèrent  de  vigilance,  sans  cependant  abandonner  leurs  tra- 
vaux. Bien  leur  en  prit;  le  7  décembre,  les  hommes  de  la  3«  smala  furent 
encore  soudainement  attaqués  par  des  bandes  beaucoup  plus  considérables 
que  la  première  fois.  Hais,  grftce  au  concours  du  cheik  des  Haddada,  qui 
accourut  immédiatement  à  son  secours,  cette  smala  eut  encore  raison  des 
Tunisiens,  qui  s'enfuirent  cette  fois  pour  ne  plus  revenir,  après  avoir  tué  un 
Tirailleur  et  avoir  eux-mêmes  subi  des  pertes  assez  sérieuses. 

Dans  ces  deux  affaires,  les  Tirailleurs  avaient  fait  preuve  de  la  plus  grande 
vigueur,  et  tous  avaient  fait  leur  devoir.  Il  on  fut  cependant  qui,  par  leur 
sang- froid,  leur  courage  et  leur  dévouement ,  méritèrent  d'être  plus  particu- 
lièrement signalés.  Parmi  ces  derniers  se  trouvaient  Abdallah-bcn-Sineîda, 
fonctionnaire  caporal,  chef  de  la  4*  smala;  Lafsi-ben-Nasseur;  Ahuicd- 
ben-el-Aresqui,  de  la  même  smala;  Mohamed- bel -Achi  et  Mohamed -ben- 
Abdallah,  de  la  3*  smala. 

Dans  le  commencement  de  l'année  1860,  un  nommé  Mohamed-ben-Bou- 
Keutach  parut  dans  le  Hodna,  et,  se  faisant  passer  pour  chérif,  chercha  à 
exploiter  la  crédulité  des  populations  de  cette  contrée.  Le  colonel  Pein  com- 
mandait alors  à  Batna  ;  il  voulut  exiger  qu'on  lui  livrftt  ce  fomcntcur  de 
troubles;  mais  les  tribus  au  sein  desquelles  se  trouvait  Mohamed -ben-Bou- 
Keutach ,  au  lieu  d'obéir  &  cette  injonction,  se  préparèrent  à  défendre  ce  per- 
sonnage les  armes  à  la  main.  Le  19  mars ,  on  fut  mùiiio  prévenu  à  Biskra 
qu'un  soulèvement  considérable  s'organisait  en  faveur  du  faux  chérif. 

Dès  qu'il  eut  connaissance  de  ces  nouvelles,  le  colonel  Pein  se  mil  à  la  tête 
de  la  garnison  de  Batna,  dont  faisait  partie  la  6*  compagnie  du  l***  bataillon 
(capitaine  de  Montvaillant),  atteignit  les  rebelles  dans  les  montagnes  du  Bou- 
Thabeb ,  foyer  de  l'insurrection ,  et  les  attaqua  le  25 ,  conjointement  avec  le 
général  Desmaretx  venu  de  Sétif.  Pris  entre  les  clotix  culoiiiics,  les  parliaitns 
de  Bou-Keutach  furent  en  grande  partie  tués ,  disperses  ou  pris.  Parmi  ceux 
qui  tombèrent  entre  nos  mains,  se  trouvait  le  faux  chérif  lui-même.  Cette 
importante  capture  mit  fin  à  l'insurrection ,  et  les  troupes  se  remirent  en 
route  pour  leurs  garnisons  respectives.  Celles  de  Batna  rentrèrent  dans  ce  poste 
le  3  mai ,  après  avoir  parcouru  une  partie  du  Belezma. 

En  même  temps  que  cette  agitation  se  produisait  dans  le  Hodna ,  la  Kabylie 
elle-même,  et  particulièrement  le  pays  traversé  par  rOued-el-Kebir,  subis- 
sait également  les  influences  d*un  soufiÈle  insurrectionnel,  qui  menaçait  d'agiter 
fortement  quelques  tribus,  notamment  les  Ouled-Askcr,  les  Bcni-Khetlab  et 
les  Beni-Ider.  Hais  avant  que  la  révolte  se  fût  ouvertement  déclarée  par  des 
hostilités,  le  général  Desvaux,  commandant  la  province,  avait  déjà  pris  toutes 
ses  dispositions  pour  l'étouffer.  Vers  la  fin  du  mois  de  mai ,  deux  colonnes 
importantes  furent  subitement  organisées  :  la  première,  comprenant  trois 
brigades ,  prit  le  nom  de  colonne  expédilionnaivc  de  la  Ktibylic  oêimlale,  et 
resta  sous  les  ordres  directs  du  général  Desvaux;  la  deuxième,  exclusive- 
ment composée  de  cavalerie,  était  commandée  par  le  colonel  de  Vignolles. 


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[1860]  RN  ATMniR  205 

Le  rôle  de  cette  dernière  devait  consister  simplement  dans  le  maintien  de 
Tordre  sur  tout  le  territoire  de  la  province,  pendant  que  les  autres  troupes 
allaient  être  employées  en  Kabylie.  En  conséquence ,  elle  avait  pour  mission 
de  parcourir  les  régions  d*Am-Bclda,de  Datna,  de  Sétif,  de  pousser  même,  le 
cas  échéant ,  jusqu'à  Tebessa,  en  un  mot  de  se  porter  sur  tout  point  où  la 
tranquillité  viendrait  &  être  troublée.  Le  4  juin ,  elle  arrivait  à  Aîn-Beida,  et 
y  était  rejointe  par  une  section  de  la  ¥  compagnie  du  1^  bataillon  du  3^  Ti- 
railleurs, qui  raccompagna  jusqu'à  Batna.  Là,  l'escorte  fut  reprise  par  la 
6«  compagnie  du  l^'*'  bataillon,  qui,  le  12  juin ,  se  mit  en  route  pour  Sétif, 
où  elle  arriva  le  17.  Après  un  court  séjour  dans  ce  poste,  cette  compagnie 
reprit  le  chemin  de  Batna,  où  elle  fut  de  retour  le  l**"  juillet,  sans  qu'aucun 
incident  particulier  eût  signalé  cette  opération. 

liCS  troupes  désignées  pour  faire  partie  de  la  colonne  de  la  Kabylie  orien- 
tale devaient  se  concentrer  à  Milali,  où  l'organisation  des  brigades  se  prépa- 
rait. Le  régiment  de  Tirailleurs  fut  appelé  à  fournir  deux  bataillons  réunis 
sous  les  ordres  du  commandant  Gottret  :  le  l^**,  commandé  par  M.  le  capi- 
taine Estelle ,  avait  été  formé  à  Constantine  avec  les  l*^*,  3*  et  7®  compagnies 
du  l^*"  bataillon  et  la  7*  du  2<>  bataillon  ;  le  2<^,  sous  les  ordres  du  capitaine 
Viévillc,  venait  de  Rône  et  comprenait  les  l»"»,  4®,  G«  et  7«  compagnies  du 
3°  bataillon.  Le  20  mai,  les  deux  bataillons  se  trouvèrent  à  Milah  et  entrèrent 
dans  la  3<3  brigade,  dont  le  colonel  du  régiment,  M.  le  Poittevîn  de  Lacroix, 
reçut  le  commandement. 

Les  opérations  commencèrent  le  28  mai.  Ce  même  jour,  les  trois  brigades 
se  mirent  en  marche  sur  la  même  route  et  atteignirent  Am-Nekla,  sur  la  rive 
gauche  de  TOued-Eudja.  Le  29,  la  colonne  arriva  à  Fedj-Beînem,  et,  le  30,  à 
FeIdj-el-Arbn,  point  central  d'où  elle  pouvait  ensuite  rayonner  sur  les  terri- 
toires des  tribus  agitées.  Elle  s'établit  sur  ce  point  et  attendit  les  événements. 

Lc<;  premiers  jours  de  juin  se  passèrent  sans  incident,  sans  aucun  acte 
d'hostilité  de  la  part  des  Kabyles;  les  Ouled-Arrhès  et  les  Ouled-Asker  vin- 
rent même  faire  leur  soumission,  et  l'ordre  paraissait  se  rétablir  peu  à  peu, 
lorsque,  cédant  à  de  funestes  conseils,  quelques  tribus,  à  la  tête  desquelles 
se  placèrent  les  Beni-Khettab,  refusèrent  tout  à  coup  de  livrer  leurs  otages 
et  de  payer  leurs  amendes.  Sur  l'instigation  de  quelques  chefs ,  une  assem- 
blée solennelle  de  Kabyles  se  tint  le  12  juin  à  Sidi-Maarouf ,  et  la  guerre 
sainte  fut  proclamée. 

Dès  que  cette  détermination  eut  été  prise  par  ces  farouches  montagnards, 
des  rassemblements  se  formèrent  sur  tous  les  points,  et  pendant  les  nuits  qui 
suivirent  nos  grands'gardes  furent  assaillies  de  coups  de  fusil.  Le  13  juin, 
un  détachement  envoyé  au  fourrage  fut  vivement  inquiété.  Devant  de  pareilles 
démonstrations,  l'indulgence  n'était  plus  permise;  il  fallait  agir,  comprimer 
énergiquement  ce  commencement  d'insurrection ,  et  châtier  sévèrement  les 
tribus  fanatiques  qui  s'étaient  rendues  à  l'assemblée  de  Sidi-Maarouf. 

Le  14  juin,  la  colonne  quitta  ses  bivouacs  de  FeIdj-el-Arba ,  et,  se  dirigeant 
vers  le  nord ,  vint  coucher  à  El- Arroussa.  Le  lendemain ,  elle  reprit  sa  marche 
dans  la  direction  du  territoire  des  Béni -Khettab.  Vers  neuf  heures  du  matin, 
elle  arriva  devant  le  col  de  Feldj-Inouidret,  dans  le  Djebel -Thouil,  et  trouva 


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206  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [i860] 

devant  elle  d'assez  nombreux  contingents  qui  voulurent  tenter  de  lui  barrer 
le  passage.  Mais  vigoureusement  abordée  par  le  régiment  de  Tirailleurs ,  qui 
formait  l'avant-garde,  et  tournée  par  une  partie  des  autres  troupes,  la  posi- 
tion fut  immédiatement  enlevée.  Poursuivant  sa  route,  la  colonne  vint  alors 
s'établir  au  sommet  du  Tafertas,  à  une  altitude  d'au  moins  1,200  mètres,  et 
dans  une  situation  lui  permettant  de  commander  à  tout  le  pays  révolté.  De 
ce  point  on  allait  chaque  jour  faire  une  sortie,  et  réduire  les  unes  après  les 
autres  les  fractions  dissidentes  des  Bcni-Kbcllab  et  des  Ucni-Miuioum. 

Dans  la  journée  du  15,  le  régiment  avait  eu  deux  hommes  tués. 

Les  16  et  17,  eurent  lieu  des  sorties  contre  les  Ouled-Ameur,  fraction  des 
Beni-Khettab  située  au  nord  du  Tafertas.  Malgré  quelques 'coups  de  fusil 
échangés  pendant  le  cours  de  ces  deux  opérations,  le  régiment  n*eut  personne 
d'atteint. 

Le  20,  ce  fut  le  tour  des  Arb-bou-Thouil;  le  23,  des  Beni-Mimoum.  Ce 
jour-là,  les  Kabyles  se  défendirent  énergiquement,  et  les  Tirailleurs  curent 
deux  hommes  blessés.  Le  lendemain,  on  se  porta  encore  sur  le  territoire  de 
cette  tribu ,  mais  sans  y  rencontrer  la  résistance  de  la  veille. 

Le  26,  eut  lieu  une  nouvelle  pointe  chez  les  Ouled-Ameur.  On  tirailla  des 
deux  côtés,  et  le  régiment  rentra  avec  un  blessé,  le  sergent- major  Petit. 

Le  28,  une  dernière  opération  fut  dirigée  contre  les  Beni-Mimoum,  qui 
étaient  revenus  en  forces  et  se  montraient  particulièrement  décidés  à  la  lutte. 
Un  combat  assez  sérieux  s'engagea  avec  leurs  contingents  et  se  termina  par  la 
fuite  précipitée  de  ces  derniers,  que  les  Tirailleurs,  qui  avaient  fourni  rcllbrt 
principal  de  la  journée,  poursuivirent  pendant  plusieurs  heures,  incendiant 
et  détruisant  les  quelques  villages  restant  encore  debout.  Le  régiment  eut  ce 
jour- là  un  officier,  M.  Marion-Dumersan,  et  quatre  hommes  blessés. 

Ce  combat  ayant  amené  la  soumission  complète  des  Beni-Khettab  et  des 
Beni-Mimoum,  le  2  juillet,  la  colonne  quitta  la  position  de  Tafertas  et  se  dirigea 
vers  le  pays  des  Ouled-Ali,  se  rapprochant  ainsi  de  la  rive  gauche  de  TOued- 
el-Kebir.  Le  soir,  le  bivouac  fut  établi  à  El-Uoutou  ;  le  lendemain,  à  Kl-Krcucg- 
mta-Ouled-Ali,  où  l'on  fit  séjour  le  4.  Le  5,  on  vint  camper  à  Maarka,  sur 
le  territoire  des  Béni- Aïcha.  Le  6,  on  exécuta  contre  cette  tribu  une  sortie  qui 
n'amena  aucun  engagement  sérieux.  Le  7,  on  arriva  à  El-Arsa,  chez  les 
Taîlmen,  le  8  à  Mourerioun,  dans  les  montagnes  des  Beni-Habibi,  et  le  9  à 
Bordj-Tahar,  au  milieu  des  Beni-Ider.  Le  lendemain,  dans  une  sortie  qui 
fut  dirigée  contre  cette  tribu,  le  régiment  eut  un  officier  blessé,  M.  Mohamed- 
bel-Gasm ,  lieutenant.  Un  autre  petit  engagement  eut  encore  lieu  avec  les 
mêmes  contingents  dans  la  journée  du  13,  puis  la  principale  résistance  se 
trouva  vaincue.  Les  opérations  entre  l'Oued-el-Kebir  et  la  route  de  Djidjelli 
touchaient  à  leur  fin.  Le  16,  une  colonne  légère,  dans  laquelle  se  trouvaient 
les  Tirailleurs,  fut  organisée  à  Bordj-Tahar,  et,  le  même  jour,  alla  prendre 
position  à  El-Uaindidj,  chez  les  Beni-Ftach.  Cernés  dans  la  vallée  de  TOucd- 
Irdjana,  n'ayant  plus  de  ressources,  voyant  leurs  habitations  détruites,  leurs 
campagnes  dévastées,  leurs  troupeaux  enlevés,  les  rebelles  se  décidèrent  enfin 
à  rentrer  dans  le  devoir  et  demandèrent  l'aman. 

Pour  en  finir  avec  l'insurrection  de  l'Oued -el-Kebir,  il  ne  restait  plus  qu'à 


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[i860]  EN  ALGÉRIE  207 

régler  ralTaire  d*Âin-ol-Ser.  Sur  ce  point,  situé  au  confluent  do  TOued- 
Irdjana  et  de  l'Oued-el-Kebir,  existait,  avant  les  derniers  troubles,  un  éta- 
blissement français  dont  la  destruction  avait  été  résolue  par  rassemblée  de 
Sidi-Maarouf,  et  mise  à  exécution  pendant  que  nos  troupes  étaient  encore  & 
Feldj-el-Ârba.  Il  s'agissait  de  punir  les  Taïlmen ,  auteurs  de  cette  dévasta- 
tion. Le  23,  la  colonne  quitta  Bordj-Tahar  et  revint  à  Mourerioun;  le  24, 
elle  coucha  &  El-Arsa,  et  le  25  arriva  à  Aîn-el-Ser.  L'intention  du  général 
Desvaux  était  de  séjourner  quelque  temps  sur  ce  point,  afin  de  poser  plus 
lourdement  sur  la  population  coupable  et  de  réduire  également  les  Ouled- 
Âouat,  qui  avaient  fortement  trempé  dans  les  derniers  événements;  mais  Tat- 
taque  d'un  de  nos  convois  par  les  Béni-  Toufout  vint  brusquement  l'appeler 
vers  Test.  II  se  contenta  donc  d'infliger  une  forte  amende  aux  Taïlmen;  puis, 
le  26,  il  se  remit  en  route  avec  toute  la  colonne,  passa  trois  fois  l'Oued-el- 
Kebir,  et  vint  le  même  soir  camper  à  El-Milia,  où  il  fit  séjour  le  27.  Le  28,  la 
marche  continua  vers  l'est  jusqu'à  Outha-Azouzaïm ,  chez  les  Ouled-Aidoun. 
Le  29,  la  colonno  pénétra  dans  le  pays  des  Béni -Toufout  et  s'installa  à  El- 
Betha,  au  pied  du  Djebel -Sinetz.  Elle  y  resta  deux  jours ,  pendant  lesquels  on 
fit  plusieurs  sorties,  dont  la  principale  fut  poussée  dans  la  direction  de  la  maison 
du  caid,  sur  les  bords  de  TOued-Guebli.  Le  l®**  août,  la  marche  fut  reprise, 
cl  les  troupes,  se  dirigeant  vers  le  nord ,  atteignirent  llarta-Discdma,  position 
importante  au  sommet  de  la  ligne  de  crêtes  séparant  les  trois  bassins  de  l'Oued- 
Guebli,  de  TOued-Zohr  et  de  l'Oued -el-Kebir.  De  ce  point,  de  nombreuses 
colonnes  légères  rayonnèrent  sur  le  territoire  des  Beni-Toufout  et  déterminè- 
rent la  complète  soumission  de  cette  tribu. 

Le  4  août,  une  autre  colonne  légère,  dans  laquelle  entra  un  fort  détache- 
ment de  Tirailleurs,  fut  dirigée  contre  les  Beni-Ishac,  et  alla  ce  même  jour 
bivouaquer  à  El-Maliougcn,  près  du  mont  Gouffi,  &  Touest  do  Collo.  Lo  len- 
demain, cette  colonne  se  rapprocha  de  la  côte,  passa  à  Bou-Mahadjar,  à 
trois  kilomètres  au  sud  de  Collo,  et,  reprenant  la  direction  do  Ilarta-Disedma 
par  la  vallée  de  TOued- Guebli,  vint  couchera  Souk-el-Khamis.  Le  6,  elle 
était  de  retour  à  son  point  de  départ  sans  avoir  eu  à  livrer  de  combat  sérieux. 

Le  7 ,  la  colonne  fut  divisée  en  deux  groupes.  Le  premier  resta  sous  les 
ordres  du  général  Desvaux  et  se  mit  en  route  pour  revenir  à  EI-Milia,  en  sui- 
vant exactement  le  même  itinéraire  que  celui  qu'on  avait  parcouru  quelques 
jours  auparavant.  Le  deuxième  demeura  à  Harta-  Disedma  ;  il  devait  séjourner 
encore  deux  jours  sur  ce  point,  puis  se  porter  à  El-Araba,  chez  les  Ouled- 
Aouat.  Le  i^  bataillon  de  Tirailleurs  (capitaine  Estelle)  marchait  avec  le 
premier  de  ces  groupes;  le  3*  bataillon  (capitaine  Viéville),  avec  le  second. 

La  colonne  principale  arriva,  le  7  au  soir,  à  EI-Betha.  Le  8,  elle  bivouaqua 
à  Oulha-Azouzaîm;  le  9,  elle  quitta  ce  point  pour  venir  coucher  &  EI- 
Milia.  Dans  la  matinée  de  ce  jour,  le  bataillon  du  capitaine  Estelle  la  quitta  à 
Kl-Neima  pour  exécuter  sur  les  Arb-Teskif,  fraction  des  Ouled-Aïdoun,  un 
vigoureux  coup  de  main  secrètement  et  habilement  préparé  par  le  service  des 
renseignements. 

C'était  une  affaire  déjà  ancienne  que  celle  qu'il  s'agissait  de  régler  avec  les 
gens  de  celle  tribu;  elle  remontait  à  Tannée  précédente,  à  l'époque  de  la  con- 


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208  LE  3^  RÈOIlfENT  DE  TIRAIIXEUR8  ALGÉRIENS  [I86O] 

siruction  du  bordj  d*EI-Milia.  liOrs  des  travaux  d'inslallalion  de  ce  poste, 
travaux  qui  étaient  protégés  par  uo  bataillon  de  zouaves  et  une  section  de  la 
5*  compagnie  du  1*'  bataillon,  les  Arb-Teskif étaient  venus,  une  nuit,  essayer 
de  surprendre  notre  petit  détachement;  n*y  ayant  pas  réussi,  ils  s'étaient 
ensuite  retirés  au  sein  de  leurs  montagnes,  dans  des  grottes  profondes,  inac- 
cessibles, vrai  repaire  de  brigands,  dont  la  position  était  inconnue,  dont  l'exis- 
tence était  même  incertaine,  mais  où,  dans  tous  les  cas,  ils  avaient  jusque - 
I&  échappé  à  toutes  nos  recherches. 

Le  bataillon  de  Tirailleurs,  qui  avait  en  réserve  un  bataillon  du  1<^'  étranger 
en  vue  des  complications  qui  pouvaient  se  produire,  attendit  la  nuit  pour  exécu- 
ter sa  difficile  opération.  A  onze  heures  du  soir,  il  quitta  les  bords  de  TOued- 
Achaien,  et  un  peu  avant  le  jour  arriva  devant  la  position  de  Tennemi, 
c'est-à-dire  tout  près  des  fameuses  grottes  que  des  guides  sûrs  avaient  tout 
de  même  fini  par  découvrir.  Cette  marche  de  nuit  au  milieu  des  rochers,  des 
précipices,  des  difficultés  de  toute  sorte,  avait  été  un  véritable  tour  de  force, 
et  venait  de  se  terminer  de  la  façon  la  plus  heureuse,  sans  un  seul  accident, 
et  sans  que  les  insurgés  s*en  fussent  aperçu.  L'attaque  commença  immédia- 
tement. Quoique  cernés,  les  Arb-Teskif  se  défendirent  vigoureusement  et 
surent  habilement  tirer  parti  de  tous  les  obstacles  que  le  terrain  opposait  à 
nos  soldats.  Mais  le  capitaine  Estelle,  se  mettant  résolument  &  la  tête  de  sa 
troupe,  pénétra  avec  celle-ci  dans  Tintérieur  des  grottes,  où  se  livra  alors  un 
combat  acharné ,  une  impitoyable  chasse  à  riiomme  qui  dura  plusieurs  heures , 
et  ne  prit  fin  qu'avec  la  mort  ou  la  capture  de  tous  les  rebelles  qui  avaient 
cherché  un  refuge  dans  cette  mystérieuse  et  terrible  retraite. 

Dans  cette  lutte  sanglante ,  soutenue  avec  l'ardeur  du  désespoir  par  des 
gens  qui,  se  voyant  acculés  dans  un  labyrinthe  sans  issue,  savaient  parfaite- 
ment qu'on  serait  sans  pitié  pour  eux,  les  Tirailleurs  se  montrèrent  ce  qu'ils 
avaient  toujours  été,  d'admirables  partisans,  employant  avec  leurs  adversaires 
ruse  pour  ruse,  audace  pour  audace,  agilité  pour  agilité.  Aussi  les  pertes 
subies  étaient-elles  relativement  faibles  eu  présence  du  résultat  obtenu;  le 
bataillon  ne  comptait,  en  effet,  qu'un  homme  tué,  deux  officiers  et  huit  hommes 
blessés.  Les  officiers  blessés  étaient  :  M.  le  capitaine  Estelle,  qui  n'avait  pas 
cessé,  dans  la  direction  de  cette  opération ,  d'allier  le  courage  et  le  sang-froid 
les  plus  inébranlables  à  un  coup  d'oeil  sûr  et  expérimenté,  et  M.  Manouvrier, 
sous- lieutenant. 

Ce  combat  fut  le  plus  sérieux  et  en  même  temps  le  dernier  de  l'expédition. 
Le  bataillon  de  Tirailleurs  rejoignit  le  soir  même  la  colonne  principale  à  El- 
Milia.  Le  16  août,  celle-ci  ayant  également  été  ralliée  par  la  colonne  légère 
dirigée  contre  les  Ouled-Aouat,  la  dissolution  de  la  division  expéditionnaire 
de  la  Kabylie  orientale  fut  prononcée. 

La  colonne  avec  laquelle  se  trouvait  le  3*  bataillon  avait  quitté  Harta- 
Disedma  le  9  août,  était  arrivée  ce  même  jour  à  Tarset,  où  elle  avait  bivouaqué, 
et  le  lendemain  était  venue  s'établir  à  El- Araba,  sur  la  rive  gauche  de  l'Oued- 
el-Kebir.  Après  avoir,  pendant  cinq  jours,  attendu  sur  ce  point  des  soumis- 
sions qui  s'effectuèrent  sans  incident,  le  16  elle  rejoignit  les  autres  troupes  & 
El-Milia.  Quelques  jours  après  ces  dernières  opérations,  le  colonel  de  Lacroix 


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[1860]  EN  ALGÉRIE  £09 

rentrait  à  GonstantiDe  avec  les  deux  bataillons  de  son  régiment,  dont  l'un, 
le  3*,  fut  immédiatement  dirigé  sur  Bône,  sa  garnison. 

Dans  les  différents  engagements  qu'avait  entraînés  celte  longue  et  difficile 
expédition ,  le  3*  régiment  de  Tirailleurs  avait  eu  vingt-dnq  hommes  hors  de 
combat,  soit  quatre  tués  et  vingt  et  un  blessés,  dont  quatre  officiers. 

Le  24  août,  un  ordre  du  général  commandant  en  chef  les  forces  de  terre 
et  de  mer  vint  porter  à  la  connaissance  de  l'armée  d'Algérie  les  brillantes  opé- 
rations effectuées  par  la  colonne  du  général  Desvaux  et  signaler  les  noms  de 
ceux  qui  s'étaient  le  plus  particulièrement  distingués.  Le  régiment  eut  une 
large  part  dans  ces  citations ,  que  voici  du  reste  pour  ce  qui  le  concernait 
directement  : 

M.  de  Lacroix,  colonel,  commandant  une  brigade,  pour  avoir  assuré  le 
succès  de  deux  engagements  dans  les  ravins  des  Béni*'  Mimoun  par  l'énergie  de 
ses  attaques  et  ses  habiles  dispositions; 

M.  Estelle,  capitaine,  pour  s'être  brillamment  conduit  et  avoir  été  blessé  en 
enlevant,  à  la  tête  de  son  bataillon,  les  grottes  où  s'étaient  réfugiés  les  Arb- 
Teskîf; 

M.  Manon -Dumersan,  lieutenant,  pour  avoir  fait  preuve  delà  plus  grande 
bravoure  dans  un  combat  contre  les  Beni-Mimoun,  et  avoir  reçu  une  blessure 
ayant  nécessité  la  désarticulation  de  la  cuisse; 

M.  Reymond,  sergent- fourrier,  pour  avoir  montré  beaucoup  d'entrain  et 
avoir  été  blessé  dans  le  combat  livré  aux  Arb-Teskif; 

M.  BeIkassem-ben-Deradj,  sergent,  pour  s'être  fait  remarquer  par  son 
intrépidité  dans  plusieurs  rencontres. 

Pendant  que  ces  événements  se  déroulaient  en  Kabylie,  le  calme  le  plus 
profond  régnait  dans  toutes  les  autres  parties  de  la  province.  Nulle  autre  part 
le  régiment  n'avait  h  prendre  les  armes. 

Dans  le  courant  du  mois  de  septembre ,  le  voysge  de  Temporeur  Napoléon  III 
en  Algérie  fut  le  prétexte  de  l'envoi  de  deux  compagnies  à  Alger,  pour  y 
représenter  le  3*  Tirailleurs  à  la  revue  et^  aux  manœuvres  qui  allaient  avoir 
lieu  à  Toccasion  de  l'arrivée  du  chef  de  l'État.  Ces  deux  compagnies,  formées 
avec  les  hommes  les  plus  méritants ,  quittèrent  Constantine  le  2  septembre 
pour  aller  s'embarquer  à  Philippeville.  Le  19,  elles  assistèrent,  à  Alger,  au 
débarquement  de  l'empereur;  puis,  le  lendemain,  elles  furent  dirigées  sur  la 
Maison -Carrée,  où  elles  prirent  part  aux  exercices  et  prises  d'armes  ordon- 
nées en  l'honneur  du  souverain.  Le  25,  elles  étaient  de  retour  dans  leur  gar- 
nison. 

Le  4  novembre^  la  6*  compagnie  du  1*'  bataillon ,  détachée  à  Batna ,  quitta 
ce  poste  pour  rentrer  à  Constantine,  où  elle  fut  dissoute  pour  donner  son  rang 
et  son  numéro  à  une  compagnie  de  marche  en  voie  d'organisation  pour  être 
envoyé  au  Sénégal. 

.  Depuis  les  premiers  jours  du  mois  d'août,  le  colonel  de  Lacroix  avait  reçu 
avis  que,  pendant  l'hiver,  aurait  lieu  l'expédition  qui  avait  dû  être  ajournée 
en  1858 ,  et  que  chaque  régiment  de  Tirailleurs  algériens  serait  appelé  à  fournir 
une  compagnie  composée  autant  que  possible  d'hommes  de  couleur  et  com-- 
prenant  cent  combattants,  pour  y  prendre  part.  Cette  dernière  fut  organisée 

14 


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^10 


LB  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1860] 


le. 9  Dovoii^bre,  et,  comme  on  vient  de  le  voir,  prit  le  numôro  6  (long  le 
l*'  bataillon.  Ses  éléments ,  officiers  et  troupe ,  avaient  été  exclusivement 
choisis  parmi  les  volontaires.  Le  capitaine  de  Pontécoulant  en  reçut  le  com- 
jhandement.  Le  10  novembre ,  elle  se  mit  en  route  pour  Philippeville,  et  le 
18  s*embarqua  pour  Oran ,  point  de  réunion  des  contingents  des  trois  pro- 
vinces. 

-  Le  restant  de  l'année  1860  s'écoula  sans  amener  d'autres  mouvements  que 
des  changements  de  garnison.  Il  est  cependant  à  signaler  deux  sorties  exécu- 
tées contre  les  Freiclieich,  les  28  novembre  et  21  décembre,  par  la  section 
de  la  4*  compagnie  du  l***  bataillon ,  détachée  à  Tebessa.  Cette  tribu  tunisienne 
avait  encore  franchi  la  frontière  et  s'était  avancée  jusqu'au  bordj  d'Aîn-Te- 
noucla;  mais,  dès  qu'elle  apprit  la  marche  des  Tirailleurs,  elle  prit  la  fuite,  et 
ceux-ci  n'eurent  seulement  pas  dans  les  deux  fois  l'occasion  de  tirer  un  seul 
coup  de  fusil. 

Au  31  décembre,  la  7®  compagnie  de  chaque  bataillon  étant  alors  définiti- 
vement constituée,  le  cadre  des  officiers  du  régiment  se  trouva  ainsi  com- 
posé: 

ÉTiT-MAJOa 


MM.  Le  Poittevin  de  Lacroix, 
De  Colomb, 
Vinciguerra , 
Alliou, 
Clemmer, 
Cohat, 
Manouvrier, 
Poulet, 
Navarre, 
Accarias, 


colonel. 

lieutcnant-colonoP . 

major. 

capitaine  trésorier. 

capitaine  d'habillement. 

sous-lieutenant  adjoint  au  trésorier. 

sous-lieutenant  porte-drapeau. 

médecin-major  de  l'*  classe. 

médecin-major  de  2**  dusse. 

médecin  aide-major  do  i'*  classe. 


l*''*    BATAILLON 

MM.  Van  Iloorick,      chef  de  bataillon. 

AIzon ,  capitaine  adjudant-major. 


l'«  compagnie. 

MM.  Estelle,  capitaine. 

Emy,  lieutenant  français. 
Mohamed-bel-Gasm ,  lient,  ind. 
De  Saint-Julien,  sous-lieut.  fr. 
Yaya-ben-Simo,  sous-lieut.  ind. 


2^  compofpiie, 

MM.  Cayrol,  capitaine. 

Michaud,  lieutenant  français. 
Saîd-ben-Mohamed,  lient,  ind. 
Dufict,  sous-lieutenant  français. 
Amar-bcn-Abdallah ,  s.-l.  ind. 


<  M.  de  Colomb,  qui,  le  IS  mai  1860,  avait  succédé  au  lieutenant -colonel  Colin, 
nommé  colonel ,  fat,  à  «on  tour  remplacé  par  M.  Gandil,  le  81  janvier  1861. 


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[1860] 


EN  ALGÉRIE 


tit 


3*  compagnie, 

MM.  Dardonne,  capitaine. 

Billon ,  lieutenant  français. 
Mohamed-Boanêp,  lient,  ind. 
Gastex,  sous-licutenant  français. 
Bechir-ben-Mohamed ,  s.-l.  ind. 

4*  cùmpagnie, 

MM.  Daniel  de  Vaugaion,  capitaine. 
Corréard ,  lieutenant  français. 
Kaddonr-  ben-  Brahim ,   lieute- 
nant indigène. 
Orioty  sous-lieutenant  français. 


5*  eampagnie. 

MM.  Gailliot,  capitaine. 

Le  Grontec ,  lieutenant  français. 
Hassen-ben-Krelill,  lieut.  ind. 
Bisson ,  sous-lieutenant  français. 
Said-ben-Âmor ,  sous-lieut.  ind. 

6*  compagnie, 

MM.  Le  Doulcetde  Pontécoulant,  cap. 
Maussion ,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Toudji,  lieut.  ind. 
Cléry,  sous^lieutenant  français» 
Ali-ben-Rebah ,  sous-lieut.  ind. 


7«  compagnie. 

MM.  Angamarro,  capitaine. 

Robillard ,  lieutenant  français. 

Lagdar-bcn-ZmouIi ,  lieutenant  indigène. 

Montignault,  sous-lieutenant  français. 

2»   BATAILLON 


MM.  Mercier  de  Sainte-Groix, 
Quinemant, 

V^  compagnie. 

MM.  Desmaison,  capitaine. 

Louvet,  lieutenant  français. 
Messaoud-ben-Ahmed,  lieut.  ind. 
De  la  Bonninière  de  Beaumont, 

sous-lieutenant  français. 
Asscn-ben-Ali ,  sous-lieut.  ind. 

2«  comiHignie. 

MM.  Saar,  capitaine. 

Fargue,  lieutenant  français. 
Ahmed-ben-Omar,  lieut.  ind. 
Lahejre,  sous-lieut.  français. 
Kacem-Labougie,  s.-lieut.  ind. 

3*  compagnie, 

MM.  Le  Noble,  capitaine. 

Dttfour,  lieutenant  français. 
Gailliot,  sous-lieut.  français. 
Ilaoussin-bcn-Ali,  s.-Iicut.  ind. 


chef  de  bataillon, 
capitaine  adjudant-major. 

4*  compagnie, 

MM.  Marty,  capitaine. 

RamakerSy  lieutenant  français. 
Jallot,  sous-lieutenant  français» 
Lagdar-ben-Haoussin ,  s.-l.  ind. 


i^  compagnie. 

MM.  Gabiro,  capitaine. 

Vignier,  lieutenant  français. 
Abderrahman-ben-EkarB,  lieu- 
tenant indigène. 
Mélixi  sous-lieutenant  français. 

6*  compagnie. 

MM.  Hiriard,  lieutenant  français. 
Achmed ,  lieutenant  indigène. 
Mattel,  sous-lieutenant  français. 
Amar-ben-Medeli ,  s.-lieut.  ind» 


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112  LE  3^  RÉOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [t860] 

?•  compagnie. 

MM.  Lucas,  capitaÎDe. 

Berthomier,  lieutenant  français. 

Bosquette,  sous-lieutenant  français. 

Amou-bon-Mousseli,  sous-lieutenant  indigène. 

3«    BATAILLON 

MM.  Cotret,  chef  de  bataillon. 

Chevreuil ,  capitaine  adjudant-major. 

4*  compagnie, 

MM.  Bobet,  capitaine. 

Marion-Dumersan,  lient,  fr. 
Achmet-Khodja,  lieutenant  ind. 
Roussel ,  sous-lieut.  français. 


Il»  compagnie. 

MM.  Viéville,  capitaine. 

Lacroix ,  lieutenant  français. 
Mohamed-Bournas,  lient,  ind. 
Boswiel,  sous-lieutenant  fr. 
SoIiman»ben-Ali,  sous-lieut.  ind 

2*  compagnie. 

MM.  Beaumelle,  capitaine. 

La  vendes,  lieutenant  français. 
Moktar-ben-Youssef,  lieut.  ind. 
Sauvage ,  sous-lieut.  français. 
Amar-ben-Brahim ,  s.-lieut.  ind 

3*  con^gnie. 

MM.  Letellier,  capitaine. 

Burin,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Kacem,  lieut.  ind. 
Strolh,  sous-lieutenant  français. 


5*  compagnie. 

MM.  Leblanc,  capitaine. 

Amar-ben-Kalafat,  lieut.  franc. 
lladj-Tahar,  lieutenant  ind. 
Dcscoinbes,  sous -lieutenant  fr. 

6«  compagnie. 

MM.  Galland,  capitaine. 

Ceccaldi,  lieutenant  français. 
Duchesne,  sous-lieut.  français. 
Mohamed-ben-Kassem-Labessy , 
sous-lieutenant  indigène. 


7*  compagnie. 
MM.  de  Lacvivior,      capitaine. 

Aubrespy ,  lieutenant  français. 

Soumagne,         sous-lieutenant  français. 

L'année  1864  s'ouvrit  sous  les  auspices  les  plus  paisibles;  elle  devait,  en 
Algérie  du  moins,  s'écouler  dans  la  plus  profonde  tranquillité.  Pendant  ces 
doute  mois,  le  gros  du  régiment  allait  jouir  d'un  repos  absolu  ;  seuls  les  déta- 
chements envoyés  au  Sénégal  et  en  Cochinchine  devaient  continuer,  au  sein 
d'un  pays  meurtrier,  &  glaner  un  peu  de  gloire  en  traversant  les  plus  rudes 
épreuves  et  en  supportant  les  fatigues  les  plus  accablantes. 

Le  8  juin,  parut  la  décision  impériale  suivante,  dont  les  dispositions  furent 
immédiatement  mises  en  vigueur  : 

i«  L'effectif  de  chacun  des  trois  régiments  de  Tirailleurs  algériens  est  fixé 
à  deux  mille  hommes. 


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[f8Al]  EN  ALGÉRIE  213 

8®  Les  engagements  et  les  rengagements  pour  les  Tirailleurs  seront  contractés 
devant  les  fonctionnaires  de  Tintendance  et  pour  une  durée  de  quatre  ans. 

3®  Les  Tirailleurs  recerront,  dans  toutes  les  positions ,  les  virres  de  campagne 
et  la  ration  de  chauffage  ou  Tindemnité  de  0,2635  représentatire  des  rations. 

A^  La  solde  des  soldats  est  fixée  par  jour  à  0,60  c.  pour  la  première  classe  |. 
et  h  0,50  c.  pour  la  dcuxiômo  classe. 

5<»  Les  cadres  français,  sous -officiers,  caporaux,  soldats ,  tambours  et  clal<* 
rons  recevront  les  mêmes  allocations  que  dans  les  zouaves. 

6<>  Les  sous -officiers  et  caporaux  indigènes  conserveront  la  solde  qui  leur 
est  allouée  par  le  tarif. 

70  Les  soldes  de  congé  et  d*h6pital  seront  les  mêmes  que  celles  affectées  aux 
zouaves. 

8®  Le  Tirailleur  qui  voudra  rester  sans  interruption  sous  les  drapeaux,  devra 
contracter  un  rengagement  dans  les  trois  derniers  mois  de  son  service.  Il  aura 
droit  à  une  prime  de  50  fr.,  et  à  une  haute  paye  de  5  c.  Cette  prime  et  cette 
haute  paye  ne  seront  allouées  qu*à  Texpiration  de  son  engagement  actuel.  La 
même  prime  de  50  fr.  et  une  augmentation  de  5  c.  dans  la  hante  paye  lui  seront 
accordées  après  chaque  rengagement  et  jusqu'au  troisième  inclusivement. 

9^  Ijï  haute  paye  des  sons-orficiers  sera  do  i 0,15  et  20  c. 

iù^  Après  chaque  nouvel  engagement  sans  interruption  de  service,  les  Ti- 
railleurs auront  droit  h  un  congé  de  trois  mois. 

Jusque-là ,  ainsi  que  la  chose  était  déterminée  par  les  paragraphes  3  et  4 
de  Tarticle  10  de  Tordonnance  royale  du  7  décembre  1841 ,  les  indigènes 
avaient  été  reçus  sans  engagement  et  maintenus  sans  rengagement,  dans  les 
bataillons  de  Tirailleurs  d*abord,  ensuite  dans  les  régiments.  Ils  avaient,  en 
revanche,  joui  de  la  faculté  de  pouvoir  être  renvoyés,  soit  d'après  leur  de*, 
mande,  soit  pour  cause  dlnapiitudc  ou  d'inconduitc,  sur  une  simple  propo-' 
sition  du  chef  do  corps  revêtue  de  Tapprobation  du  commandant  militaire 
supérieur. 

Ce  système  présentait  de  graves  inconvénients;  outre  qu'il  n'assurait  en 
rien  la  situation  de  l'enrôlé ,  il  provoquait  dans  le  corps  d'incessantes  muta- 
tions, qui  donnaient  à  l'effectif  de  celui-ci  une  instabilité  le  mettant  à  la  merci 
du  moindre  événement.  Ce  n'est  pas  que  les  désertions  fussent  plus  nom- 
breuses qu'elles  l'ont  été  depuis;  mais,  suivant  la  situation  politique  du  mo- 
ment, particulièrement  en  temps  de  paix,  les  demandes  de  renvoi  pouvaient 
tout  à  coup  atteindre  à  un  chiffre  considérable.  Il  avait  cependant  certains  avan- 
tages, entre  autres  celui  de  permettre  un  choix  minutieux  parmi  les  sujets  en 
ligne  pour  l'admission  et,  par  suite,  celui  d'autoriser  le  renvoi  immédiat  de. 
ceux  dont  la  conduite,  l'aptitude  ou  l'état  de  santé  laissaient  par  trop  à  désirer. 

Si  désormais  l'indigène  qui  se  proposait  d'entrer  à  notre  service  allait  rece- 
voir dos  garanties,  par  contre  il  allait  également  être  tenu  d'en  fournir.  Cette 
spécification,  qui  n'avait  pas  été  prévue  par  la  décision  précitée,  le  fut  par 
une  circnlaire  du  4  mars  1862  complétant  celle-ci  et  dont  voici  la  teneur  : 

L'indigène  qui  demandera  à  s'engager  devra  produire  : 
i^  Un  certificat  délivré  par  le  commandant  du  cercle  ou  de  l'annete,  et 
constatant  sa  moralité; 


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21^  LE  3*  nÉOIllKNT  DR  TIRAlLLEUnS  AL0ÊniEN8  [t862] 

f*  Un  certiflcal  du  iiiédociii  éliililissaiil  son  apliludo  p1iytti(|uo. 

Sur  le  TU  de  ces  pièces,  le  sous-intendant  mililaire  ou  l'ofQcier  qui  en  fait 
fonctions  recevra  l'engagement ,  conformément  à  la  décision  impériale  du 
8  Juin  1861;  une  expédition  de  cet  acte  sera  remise  à  l'engagé,  qui  la  présentera 
à  son  arrivée  au  corps,  pour  servir  à  son  immatriculation. 

Les  généraux  commandant  les  divisions  et  les  subdivisions  n'auront  donc 
point  à  intervenir  dans  l'eiamen  individuel  des  engagés;  mais  c'est  aux  géné- 
raux divisionnaires  qu'il  appartiendra  d'ouvrir  ou  de  fermer  les  engagements 
pour  les  régiments  de  Tirailleurs  algériens,  suivant  que  l'eiïectif  de  ces  corps 
sera  inférieur  ou  supérieur  au  chiffre  normal  de  deux  mille  hommes. 

Enfin,  pour  en  finir  avec  cette  question  du  recrutement,  nous  signalerons 
encore  une  décision  ministérielle  du  10  février  1863,  autorisant  les  rempla- 
cementi  dans  les  régiments  de  Tirailleurs. 

Le  7  juin  1861 ,  rentrait  à  Gonstantine  la  compagnie  qui  s*élait  embarquée 
l'année  précédente  pour  le  Sénégal,  et  dont  les  opérations  feront  Tobjet  du 
chapitre  suivant.  Déjà  Ton  parlait  d'un  autre  détachement  qui  devait  être, 
sous  peu,  mis  à  la  disposition  du  ministre  de  la  marine  pour  être  envoyé  en 
Gochinchine.  Le  4  août,  une  décision  ministérielle  vint,  en  effet ,  ordonner  la 
formation  d*un  bataillon  de  marche.  Ce  dernier,  qui  allait  être  considéré  comme 
formant  corps  et  concourir  isolément  pour  Tavancement,  devait  comprendre 
deux  compagnies  de  chacun  des  trois  régiments  de  Tirailleurs  algériens.  Pro- 
visoirement, les  olBciers  qui  allaient  être  appelés  à  en  faire  partie  ne  devaient 
pas  être  remplacés  au  corps. 

L'effectif  de  chaque  compagnie  était  fixé  à  cent  quarante  hommes,  cadre 
non  compris.  Comme  pour  les  précédentes  expéditions  hors  de  l'Algérie,  ces 
hommes  ne  devaient  être  pris  que  parmi  ceux  de  bonne  volonté. 

Dans  les  premiers  jours  de  septembre,  les  deux  compagnies  du  3*  régiment 
furent  organisées  par  les  soins  du  colonel  de  Lacroix  :  la  l^^,  à  Constantine, 
avec  les  éléments  tirés  du  !«'  bataillon  ;  la  ifi^  à  Bougie,  avec  ceux  fournis  par 
le  2*.  Les  demandes  furent  tellement  nombreuses,  que  le  ministre  do  la  guerre 
prescrivit  un  choix  très  minutieux  parmi  les  candidats;  la  préférence  fut  na- 
turellement donnée  aux  hommes  les  plus  solides  et  les  plus  énergiques,  l'ex- 
pédition qui  allait  s'ouvrir  devant  avoir  lieu  dans  une  contrée  où  le  climat 
allait  être  dix  fois  plus  meurtrier  que  les  armes  de  l'ennemi. 

Le  14  septembre,  la  compagnie  formée  k  Constantine  se  mit  en  roule  pour 
Philippeville,  où  elle  s'embarqua  le  28  pour  Alger.  A  son  passage,  elle  devait 
prendre  celle  de  Bougie. 

Pendant  que  cette  faible  partie  du  corps  allait  concourir,  sur  les  bords  du 
Hé-Kong,  au  commencement  de  la  conquête  de  cette  immense  colonie  qui 
s'étend  aujourd'hui  de  la  pointe  Camau  au  cap  Pakiung,  l'envoi  de  deux 
autres  compagnies  au  Mexique  et  une  petite  opération  sur  la  frontière  de  Tu- 
nisie devaient  être  les  seuls  dits  à  enregistrer  pour  la  portion  du  régiment 
restée  en  Algérie. 

C'est  par  une  dépêche  télégraphique  du  4  juillet  1862  que  le  colonel  de 
Lacroix  fut  informé  de  l'organisation  d'un  nouveau  bataillon  de  marche  des- 
tiné au  corps  expéditionnaire  du  Mexique.  Comme  celui  de  la  Gochinchine, 


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[1862]  EN  ALGÉRIE  215 

co  balnillon  (lovait  comprcndro  deux  compngnicfl  do  clmquo  régiment  de  Ti- 
railleurs, plus  un  état-major  fourni  par  te  3<>  régiment. 

En  exécution  de  ces  prescriptions,  les  l^^^  et  3*^  compagnies  du  l^^  bataillon 
furent  immédiatement  portées  à  cent  quarante  combattants,  et  leurs  cadres 
complétés  sur  le  pied  de  guerre.  Le  18  juillet,  elles  s'embarquaient  sur  le 
rhénix  à  destination  d'Alger,  où  elles  arrivaient  le  lendemain. 

Dans  les  premiers  jours  de  novembre  s'organisa  à  la  Galle  une  petite  co- 
lonne, dont  le  général  de  Mézange  de  Saint- André  reçut  le  commandement, 
et  dont  firent  partie  les  4»  (capitaine  Bobet)  et  5^  compagnies  du  3^  bataillon , 
sous  les  ordres  du  commandant  Sériziat. 

On  se  proposait  de  prêter  aux  troupes  du  bey  de  Tunis,  engagées  contre  les 
Khroumirs,  confédération  indépendante  qui  refusait  de  payer  l'impôt,  un 
appui  moral  suffisant  pour  déterminer  la  soumission  de  ces  derniers.  Les 
troupes  réunies  à  cet  elTet  n'eurent  pas  à  combattre;  elles  restèrent  en  obser- 
vation à  la  Galle,  et  leur  seule  présence  amena  bientôt  le  désarmement  des 
dissidents,  qui  entrèrent  en  pourparlers  avec  le  frère  du  bey,  qui  commandait 
la  colonne  tunisienne.  Le  22  décembre,  tous  les  différends  étant  réglés  à  la 
satisfaction  de  notre  allié,  la  colonne  de  la  Galle  fut  dissoute. 

En  1803,  il  n*y  ont  pas  une  seule  opération  de  guerre  en  Algérie;  tous  les 
mouvements  de  troupes  se  bornèrent  à  des  changements  de  garnison ,  dont  le 
détail  n'offrirait  aucun  intérêt.  Qu'il  nous  suffise  de  donner  ci -dessous  le 
tableau  de  l'emplacement  des  diverses  fractions  du  régiment  au  31  décembre 
de  cette  même  année  ^ 

f  l^  compagnie  au  Mexique. 

.2»  —  à  Biskra. 

1-»ATAILI,0N  )''"  -  ûu  Mexique. 

(État-major  à  ConsUntine)  <*'  T  *  ConsUntme. 

1 5^  —  à  Constantinc. 

6a  —  à  Gonstantine. 

7o  _  à  Tebessa. 

l^^  compagnie  à  Sétif. 

2«^         —        à  Bou-Saftda. 


2«  BATAILLON  VJ"  ~  ^  ^T^        .         ... 

(État-mojor  au  Mexique)  ^.  ^'  ^  *  Bordj-Bou-Arreridj. 

^  ^  '    M  5o  _  à  Bougie. 

f  6o  —  à  Sétif. 

\  7o  —  à  Gonstantine  et  Aïn-Bcûla. 

>  Qaoiquo  comptant  toujours  au  régiment,  les  deux  compagnies  alors  en  Gochinchine 
ne  diminuaient  pas  le  nombre  de  celles  restées  en  Algérie.  Les  officiers  et  les  autres 
gradés  qui  en  faisaient  partie  étaient  considérés  comme  détachés,  et  contionaient  à 
figurer  dans  les  cadres  réglementaires  du  corps.  Il  en  était  de  même  du  détachement 
de  cinquante  Tirailleurs  maintenu  en  permanence  à  Tuggurt,  lequel  se  composait 
d'hommes  prélevés  sur  tout  le  régiment  et  non  pas  d'une  section  appartenant  à  une 
seule  compagnie. 


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216  LE  3*  RÉOfMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE       [1862] 

^  1'*  compagnie  à  la  CaHe. 

3^  BATAILLON 

(Étot- major  &  Bône) 


2» 

- — 

à  Bône. 

3» 



&Bône. 

4» 

— 

à  Bône. 

5» 

— - 

à  Bône. 

6» 



à  la  Galle. 

7. 

-. 

à  Conatantine 

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EXPÉDITION  DU   SÉNÉGAL 


CHAPITRE  VI 

(1860-1861) 


Composition  de  la  compagnie  enToyée  an  Sénégal.  —  Départ  de  PhilippeTille.  —  Arri- 
Tée  à  Alger  et  h  Oran.  —  Débarquement  &  Saint -Louis.  ~  Marclie  sur  le  Gayor.  — 
Causes  et  but  de  l'expédition.  —  Soumission  de  Makodou.  —  Arrivée  à  Corée.  — 
Expédition  de  la  Cazamance.  —  Défaite  des  Mandingues.  —  Retour  à  Corée.  —  Expé- 
dition dans  le  Salonm  et  le  Sine.  ^  Attaque  et  prise  des  Tillages  de  Cahon  et  de 
Kolah.  —  La  colonne  se  dirige  sur  Marouk  et  Diakhao.  —  Le  roi  de  Sine  demande 
la  paix.  —  Retour  à  Corée.  —  Deuxième  expédition  du  Gayor.  —  Marche  sur  Cuéonl. 
—  Retour  à  Saint-IiOuis.  —  Excursion  à  Podor.  —  Préparatifs  de  départ.  —  Ordre 
du  jour  du  gouTcmeur  du  Sénégal.  —  Embarquement  pour  l'Algérie.  —  Débarque- 
ment &  Alger.  —  Retour  à  Gonstantine. 


On  a  TU f  dans  le  chapitre  précédent,  que  le  régiment  avait  été  appelé  à 
foarnir  une  compagnie  destinée  à  prendre  part  à  la  campagne  d'hiver  qui 
devait  avoir  lieu  au  Sénégal.  Cette  compagnie  s*était  embarquée  le  18  no- 
vembre 1860  à  Philippevillc  sur  le  courrier  d*Algcr.  Kilo  comprenait  un  elTcctif 
de  cent  quatre  hommes  et  les  oflSciers  dont  les  noms  suivent  : 

HH.  Le  Doulcet  de  Pontécoulant,  capitaine. 

Haussion ,  lieutenant  français. 

Mohamed-Toudji ,  lieutenant  indigène. 

Cléry,  sous-lieutenant  français. 

Ali-ben-Rebah ,  sous-lieutenant  indigène. 

Arrivée  à  Alger  le  20,  elle  se  rembarquait  pour  Oran  le  24,  et,  le  27,  se 
réunissait  aux  deux  compagnies  tirées  des  deux  autres  régiments  de  Tirailleurs 
et  devant  coopérer  à  la  même  expédition. 


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218  LK  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1860] 

Le  6  décembre,  le  détachement  tout  entier  prenait  passage  à  bord  du  trans- 
port mixte  l'Yonne,  qui  levait  Tancre  le  môme  jour.  La  mer  était  mauvaise  ; 
le  lendemain,  il  fallut  relâcher  à  San-Felipe,  et,  le  8,  à  Almaviva,  où  Ton 
resta  jusqu'au  12  pour  attendre  que  les  vents  d'est  fussent  un  peu  calmés. 
Le  14 ,  on  toucha  à  Gibraltar  pour  faire  du  charbon ,  puis  on  continua  jusqu'à 
Santa-Cruz  de  TénérinTc,  où  l'on  arriva  le  20.  Le  26,  VYonne  éluit  en  vue  de 
Saint-Louis,  et,  le  27,  y  débarquait  ses  passagers. 

Le  gouverneur  du  Sénégal ,  le  colonel  Faidherbe ,  n'attendait  que  l'arrivée 
des  Tirailleurs  pour  commencer  les  opérations.  Aussi  ces  derniers  jouirent-ils 
à  peine  de  quatre  jours  de  repos,  et,  le  l^' janvier  1861 ,  durent-ils  se  mettre 
en  route  pour  aller  prendre  rang  dans  la  colonne  expéditionnaire  qui  devait 
opérer  dans  le  Cayor,  et  dont  les  éléments  se  trouvaient  déjà  réunis  à  Gan- 
diole,  poste  français  situé  près  de  la  mer,  au  sud  de  Saint-Louis. 

Le  Cayor  est  un  vaste  territoire  s'étendant  le  long  de  la  côte,  depuis  l'em- 
bouchure du  Sénégal  jusqu'au  cap  Vert.  En  1859,  la  nécessité  d'établir  une 
ligne  électrique  entre  Saint-Louis  et  Gorée  et  d'avoir  des  relais,  des  caravan- 
sérails pour  faciliter  les  voyages  par  terre  entre  ces  deux  villes,  avaient  dé- 
terminé le  gouverneur  du  Sénégal  à  proposer  au  damel  (roi)  de  cette  contrée 
un  traité  nous  accordant  certaines  concessions.  Le  traité  fut  signé;  mais,  peu 
de  temps  après,  le  damel,  qui  se  nommait  Riraïma,  élant  venu  à  mourir, 
Makodou,  son  fils  et  successeur,  déclara  formellement  qu'il  ne  roxéculcrait 
jamais. 

Une  lutte  avec  le  Cayor  passait  alors  pour  une  entreprise  grosso  do  diflicul- 
tés  et  ne  pouvant  être  tentée  qu'avec  des  forces  considérables.  Les  ressources 
de  la  colonie  ne  permettant  de  mettre  en  ligne  que  quelques  compagnies  d'in- 
fanterie de  marine  considérablement  affaiblies  par  les  maladies,  et  un  déta- 
chement de  Tirailleurs  sénégalais,  récemment  organisé  et  n'inspirant  encore 
qu'une  faible  confiance,  il  fallut  l'ajourner.  Un  an  se  passa  ainsi,  le  ministre 
de  la  marine  attendant  que  d'autres  questions  beaucoup  plus  graves  fussent 
réglées  en  Europe  avant  de  rien  entreprendre  dans  cette  contrée.  Prenant  cette 
attente  pour  de  la  crainte,  Makodou  se  livra  à  toutes  sortes  d'exactions  sur 
nos  traitants  dès  que  ceux-ci  voulurent  s'engager  dans  son  pays;  il  disposait 
pour  cela  d'une  bande  de  tiédos  (pillards  armés)  qui  opérait  indifféremment 
sur  les  étrangers  et  sur  les  indigènes.  Trouvant  en  effet  ses  revenus  au-des- 
sous de  ses  besoins,  le  damel  les  complétait  au  moyen  des  biens  de  ses  sujets, 
et  quand  cette  ressource  devenait  elle-môme  insuffisante ,  c'était  la  personne 
môme  de  ses  administrés  qui  lui  servait  pour  pratiquer  à  son  bénéfice  un 
honteux  trafic,  que  tous  nos  efforts  tendaient  à  faire  disparaître.  La  consé- 
quence de  ce  sauvage  procédé  avait  d'abord  été  une  dépopulation  effrayante, 
puis  le  dépérissement  de  l'agriculture  du  Cayor,  qui  était  la  principale  source 
du  commerce  que  cette  région  faisait  avec  Gorée  et  Saint-Louis. 

C'était  cette  situation,  dont  les  suites  pouvaient  se  traduire  en  incidents 
fâcheux  pour  les  quelques  nationaux  que  nous  avions  sur  la  côte,  qui  avait 
déterminé  l'envoi  de  trois  compagnies  de  Tirailleurs.  Maintenant  que  le  gou- 
verneur avait  dans  la  main  les  forces  nécessaires  pour  pénétrer  dans  le  cœur 
du  pays,  il  s'agissait  d'atteindre  le  damel,  d'en  obtenir  des  garanties  pour 


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[18G1]  AU  8ÉNÉ0AL  219 

Texéculion  du  traité  qui  avait  été  conclu  avec  son  père,  et  d'assurer  la  pro- 
tection et  la  liberté  des  habitants. 

Les  Tirailleurs  algériens  arrivèrent  à  Gandiole  le  2  janvier.  Là  s'acheva 
leur  organisation  et  leurs  préparatifs  pour  l'expédition  qui  allait  avoir  lieu. 
Les  trois  compagnies  formèrent  un  bataillon  séparé  sous  les  ordres  du  capi- 
taine Béchado,  du  l*'  régiment,  que  son  ancienneté  désigna  de  droit  pour  co 
commandement. 

Le  3  janvier,  le  colonel  Faidherbe  étant  venu  prendre  la  direction  des  opé- 
rations, le  camp  de  Gandiole  fut  levé  et  porté  à  Potou.  La  route  que  la  co- 
lonne suivit  ce  jour-là,  et  qu'elle  allait  suivre  les  jours  suivants,  était  une 
ligne  éloignée  d'une  à  deux  lieues  de  la  côte,  et  longeant  une  région  lacustre 
s'étendant  parallèlement  &  cette  dernière,  depuis  Saint- Louis  jusque  près  du 
cnp  Vert.  Le  terrain  était  bas,  aride  ou  marécageux;  çà  et  là,  au  milieu  de 
l)ouquct8  do  palmiers  formant  oasis,  s'élevaient  quelques  cases,  quelques 
cahutes  autour  desquelles  paissaient  de  maigres  troupeaux.  Peu  d'eau  potable 
et  pas  d'autres  ressources,  comme  nourriture,  que  les  provisions  emportées 
par  le  convoi.  Le  ravitaillement  devait  se  faire  par  mer  à  Benou-M'boro, 
point  sur  lequel  on  se  dirigeait,  et  où  la  colonne  do  Saint-Louis  devait  attendre 
d'autres  troupes  venant  de  Gorée. 

Le  4 ,  la  colonne  se  remit  en  route  dans  la  même  direction  et  atteignit 
M'baar;  le  lendemain,  elle  alla  coucher  à  Tiakmat;  le  6,  à  Guelkony,  et  le  7, 
à  Benou-M'boro.  Ces  étapes  avaient  été  extrêmement  pénibles,  surtout  pour 
des  hommes  non  encore  familiarisés  avec  l'hygiène  à  observer  sous  le  climat 
changeant  que  possède  le  Sénégal  pendant  cette  époque  de  l'année.  Rien,  en 
ëflet,  de  plus  variable  que  la  température  des  mois  d'hiver  dans  la  partie 
marécageuse  de  ce  pays  :  pendant  le  jour  c'est  la  chaleur  accablante  des  tro- 
piques, et  pendant  la  nuit  une  fraîcheur  humide  qui,  par  moments,  ramène 
le  thermomètre  bien  près  do  zéro.  Do  là  des  refroidissements,  dos  indisposi- 
tions, et  malheureusement  trop  souvent  de  dangereuses  diarrhées. 

Dès  qu'il  avait  appris  la  marche  do  nos  troupes,  le  damel  Hakodou  avait 
abandonné  Mekhey,  sa  capitale,  et  s'était  réfugié  à  Ndand ,  à  trente  kilomètres 
dans  l'intérieur.  Là  il  fit  un  appel  à  tous  ses  guerriers,  leur  disant  que  c'était 
pour  aller  conquérir  le  Baol,  pays  voisin  du  Cayor;  mais  ceux-ci,  se  doutant 
au  contraire  qu'il  s'agissait  de  combattre  les  ioubabs  (blancs),  se  montrèrent 
si  peu  empressés,  que  le  farouche  monarque  crut  devoir  prévenir  l'orage 
suspendu  sur  sa  tète  en  écrivant  au  gouverneur,  c  Demande-moi  ce  que  tu 
désires,  lui  disait-il;  mais  n'emploie  pas  la  force  pour  le  prendre...  » 

Le  7,  la  colonne  de  Gorée,  sous  les  ordres  du  commandant  du  génie  Pinet- 
Laprade,  arriva  à  son  tour  à  Benou-M'boro.  Les  troupes  réunies  sous  les 
ordres  du  colonel  Faidherbe  comprirent  alors  quatorze  cents  hommes  d'infan- 
terie de  marine  ou  de  Tirailleurs  algériens,  deux  cents  Tirailleurs  sénégalais, 
un  peloton  de  cent  spahis,  deux  pièces  d'artillerie,  cinquante  hommes  du 
train,  et  enfin  quatre  à  cinq  cents  volontaires  venus  de  Saint -Louis  ou  de 
Corée,  soit  en  tout  environ  deux  mille  deux  cents  hommes. 

Le  8  au  matin,  on  commença  la  construction  du  poste  de  Benou-M'boro; 
deux  blockhaus,  venus  démontés  de  Saint-Louis,  furent  installés  sur  un  point 


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220  LE  3*  BÉQIIIENT  DE  TIRA1LLBUB8  ALQÊBIENS  [l86t| 

coDvenablement  choisi  ;  à  côté,  on  construisit  deux  baraques  pour  y  déposer 
des  approTisionnements,  et  le  tout  fut  entouré  d*une  forte  palissade.  Le  11 , 
tout  étant  terminé,  le  pavillon  français  y  fut  déployé  devant  toutes  les  troupes 
et  salué  par  les  canons  de  la  colonne  et  ceux  des  navires. 

Ayant  désormais  assuré  sa  base  d'opérations,  et  par  suite  son  ravitaille- 
ment, le  gouverneur  résolut  de  se  porter  à  la  rencontre  du  damel.  Le  12  jan- 
vier, la  colonne  se  remit  en  route  et  alla  bivouaquer  au  village  de  Diaty.  Le 
lendemain ,  elle  entrait  sans  coup  férir  à  Mekhey,  capitale  du  Cayor  et  rési- 
dence ordinaire  de  Makodou.  On  avait  quitté  la  zone  des  marigots,  petits  ruis- 
seaux sillonnant  la  côte ,  et  Ton  ne  trouvait  plus  d'eau  que  dans  des  puits  ; 
s'aventurer  ainsi  dans  l'intérieur  eût  été  s'exposer  à  des  fatigues  meurtrières  et 
peut-être  à  de  cruelles  déceptions.  Le  gouverneur  ne  voulut  pas  risquer  dans 
une  opération  de  ce  genre  le  facile  succès  qu'il  venait  d'obtenir;  jugeant,  avec 
raison,  que  la  possession  des  deux  plus  beaux  villages  du  damel  amènerait 
inévitablement  ce  dernier  à  des  propositions  de  paix,  il  résolut  d'attendre  les 
envoyés  de  Makodou.  Ceux-ci  ne  furent,  en  effet,  pas  longtemps  avant  de  se 
présenter  avec  une  lettre  de  leur  chef,  dans  laquelle  ce  dernier  conjurait  in- 
stamment le  colonel  Faidberbe  de  ne  pas  pénétrer  plus  avant  dans  le  pays, 
qu'il  passerait  par  toutes  les  conditions  qu'on  lui  imposerait.  Ces  derniers 
furent  la  cession  de  trois  lieues  de  terrain  sur  la  côte  et,  moyennant  paye- 
ment, l'abandon  à  la  France  des  riches  salines  de  Gandiole.  Ce  traité  conclu, 
une  longue  marche  de  nuit  ramena  la  colonne  à  Benou-M'boro,  oii  elle  arriva 
le  15,  dans  la  matinée. 

De  ce  fait,  l'expédition  du  Cayor  se  trouvait  terminée;  il  ne  restait  plus  qu'à 
construire,  sur  le  terrain  concédé,  quelques  postes  pour  assurer  les  commu- 
nications entre  Saint-Louis  et  Corée.  Les  journées  des  15  et  16  janvier  furent 
consacrées  à  l'achèvement  de  celui  de  Benou-M'boro.  Le  17,  la  colonne  se 
remit  en  marche  et  se  dirigea  sur  M'bidjen,  où  elle  arriva  le  19,  après  avoir 
campé  le  17  à  Taîba,  et  le  18  à  Guellet.  Le»  travaux  à  exécuter  sur  ce  nou- 
veau point  commencèrent  aussitôt  :  ils  consistèrent  cncoro  dans  l'installa- 
tion d'un  blockhaus  venudémonté  et  dans  la  construction  de  deux  baraques. 
Le  22  au  soir,  tout  était  achevé.  Le  20  à  midi,  le  gouverneur  était  parti 
avec  la  colonne  de  Saint-Louis  pour  aller  créer  le  poste  de  Lompoul ,  laissant 
à  M'bidjen  les  Tirailleurs  algériens  avec  la  colonne  de  Corée.  Le  23,  cette 
dernière,  voyant  sa  mission  terminée,  se  mit  en  route  à  son  tour,  et  vint 
camper  à  Ugolam.  Le  24,  elle  s'arrêta  à  Rufisque;  le  25,  elle  atteignit  Hann, 
et  le  26,  Dakar.  Le  27,  les  troupes  du  commandant  Pinet-Laprade  prenaient 
terre  à  Corée  et  s'installaient  dans  la  citadelle  de  cette  place. 

Les  moments  étaient  trop  précieux  et  le  concours  du  détachement  de  Tirail- 
leurs trop  indispensable  dans  la  continuation  de  l'œuvre  commencée,  pour 
qu'on  accordât  à  celui-d  un  repos  de  longue  durée.  Le  Cayor,  en  apparence 
du  moins,  venait  d'être  soumis,  mais  il  restait  à  rétablir  notre  autorité  dans 
le  Souna  (llaute-Caxamance),  et  à  châtier  vigoureusement  les  Mandingues, 
peuplades  musulmanes  qui,  depuis  des  années,  malgré  plusieurs  traités  pas- 
sés avec  leurs  chefs,  pillaient  nos  embarcations,  massacraient  nos  équi- 
pages, attaquaient  nos  postes,  dépouillaient  nos  traitants,  exerçaient  en  un 


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[1861]  AU  SÉNÉGAL  221 

mot  toutes  les  yiolenoes  que  pouvaient  leur  dicter  leurs  sauvages  instincts. 

Le  5  février  au  matin,  une  colonne  destinée  à  opérer  dans  cette  contrée 
et  comprenant  les  Tirailleurs  algériens,  un  détachement  d'infanterie  de  ma- 
rine, un  peu  d'artillerie  et  quelques  volontaires  nègres  récemment  enrôlés, 
quitta  Corée  et  prit  la  mer  sur  les  avisos  VAfric(^i^9  ^  Grand-Basson,  le  DiaU 
math,  le  Griffon,  le  cullcr  t Écureuil,  la  goélcllo  la  Fourmi  et  la  citerne  la 
Trombe.  Le  commandant  Pinet-Laprade  avait  la  direction  de  l'expédition. 

Le  6,  dans  l'après-midi,  la  flottille  entra  dans  la  rivière  de  Gazamance  et 
passa  devant  le  poste  français  de  Garabane  ;  le  7,  elle  dépassa  le  poste  portugais 
deZikenschor,  et  enfin,  après  une  navigation  excessivement  pénible,  qui  avait 
dû  être  interrompue  chaque  nuit,  elle  arriva  à  Sédiou,  poste  français  construit 
sur  la  rive  droite  et  situé  au  cœur  du  pays  des  Handingues. 

Le  10,  le  débarquement  s'effectua  sur  la  rive  gauche,  aune  demi -lieue 
de  Sandiniéri,  grand  et  riche  village  appartenant  aux  rebelles,  et  sur  lequel 
on  marcha  immédiatement.  Pour  la  première  fois  depuis  leur  débarquement 
à  Saint-Louis,  les  Tirailleurs  allaient  faire  parler  la  poudre,  pour  la  première 
fois  ils  allaient  trouver  devant  eux  une  population  guerrière,  assez  bien 
armée  et  combattant  avec  une  certaine  habileté. 

Comme  tous  les  musulmans ,  les  Mandingues  sont  braves  ;  quoique  de 
sang  noir,  ils  sont  plus  intelligents  que  les  nègres,  desquels  ils  se  font  craindre 
et  respecter.  Leurs  guerriers,  composés  des  hommes  les  plus  robustes,  pas- 
saient alors  pour  les  plus  redoutables  du  Sénégal;  armés  de  lances,  de  poi- 
gnards, de  longs  et  lourds  fusils  dans  lesquels  ils  glissaient  un  nombre  de 
grosses  chevrotines  en  rapport  avec  «  le  degré  de  colère  qu'ils  éprouvaient  », 
quelquefois  douze  ou  quinze ,  ils  se  battaient  avec  un  acharnement  sauvage, 
qui  se  traduisait  généralement  par  l'extermination  de  leurs  ennemis.  Les 
chefs  étaient  montés  sur  des  chevaux  de  petite  taille,  mais  remplis  d'ardeur; 
les  simples  combattants  marchaient  à  pied. 

Il  était  sept  heures  du  matin  lorsqu'on  arriva  devant  Sandiniéri.  Ce  vil- 
lage, composé  de  huttes,  était  défendu  par  d'épaisses  haies  de  roseaux  reliées 
par  de  solides  barricades.  Malgré  ces  obstacles ,  vigoureusement  abordé  par 
les  Tirailleurs,  il  fut  enlevé  à  la  première  attaque,  au  prix  de  quatre  blessés 
seulement,  et  immédiatement  incendié.  Les  Handingues,  surpris,  s'étaient 
enfuis  dans  les  bois,  laissant  entre  nos  mains  vingt  morts,  cinquante  prison- 
niers et  un  troupeau  de  plus  de  six  cents  bœufs.  Hais  bientôt  ils  se  rallièrent 
et  se  ruèrent  sur  le  camp  comme  des  forcenés.  Ce  fut  notre  tour  d'être  sur- 
pris ;  le  désordre  se  mit  parmi  les  nègres  chargés  de  la  garde  du  troupeau , 
et,  quoique  repoussé  sur  tous  les  points,  l'ennemi  put  reprendre  et  emmener 
une  partie  du  bétail  qui  venait  de  lui  être  enlevé. 

A  en  moment  tout  paraissait  terminé;  il  était  onze  heures;  la  chaleur 
était  dovonuo  étouffante,  la  fatigue  était  oxlréine;  chacun  songeait  au  repos, 
lorsque  tout  à  coup  on  entendit  des  cris  désespérés.  C'était  un  groupe  d'une 
vingtaine  de  soldats  qui,  cédant  au  besoin  de  se  désaltérer,  étaient  allés  im- 
prudemment au  fleuve,  sans  armes,  et  y  avaient  été  brusquement  surpris 
par  les  contingents  de  la  rive  droite  qui  arrivaient  au  secours  des  gens  de 
Sandiniéri.  Trois  de  ces  hommes  avaient  été  tués  et  deux  atrocement  mutilés 


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222  LE  3*  nÉQlUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [t86|] 

à  coups  de  hache  et  de  sabre.  Quant  aux  autres,  ils  fuyaient  vers  le  camp, 
qui  heureusement  n'était  pas  éloigné. 

Cet  incident  amena  une  nouvelle  attaque,  encore  plus  vive  que  la  pre- 
mière, mais  qui  se  termina  d'une  façon  plus  désastreuse  pour  les  Mandingues. 
Bien  que  ne  connaissant  pas  le  pays,  les  trois  compagnies  de  Tirailleurs 
n'hésitèrent  pas  à  se  jeter  dans  les  bois  faisant  face  à  la  partie  du  camp 
qu'elles  occupaient,  pendant  que  l'infanterie  de  marine,  se  portant  également 
droit  devant  elle ,  cherchait  à  rejeter  les  assaillants  sur  le  fleuve.  Ce  mou- 
vement, exécuté  avec  toute  la  rapidité  que  commandait  Timminence  du 
danger,  amena  le  plus  inespéré  des  résultais;  par  un  heureux  hasard ,  la  Ca- 
zamance  formait  en  cet  endroit  un  coude  très  prononcé,  de  telle  sorte  que  les 
Mandingues  se  trouvèrent  soudain  acculés  à  ce  cours  d'eau ,  qu'ils  essayèrent 
bien  de  traverser  à  la  nage,  mais  poursuivis  par  nos  balles,  qui  accompa- 
gnèrent les  survivants  jusque  sur  la  rive  opposée.  Indépendamment  du  nombre 
considérable  des  leurs  qui  périt  dans  celte  circonstance,  ils  laissaient  une 
trentaine  de  cadavres  sur  le  point  où  avait  eu  lieu  le  combat. 

Les  pertes  totales  de  la  colonne,  pendant  cette  journée,  s'élevaient  à  quinze 
à  vingt  hommes  tués  ou  blessés. 

A  l'approche  de  la  nuit,  les  troupes  revinrent  camper  au  point  de  débar- 
quement. Dès  que  l'obscurité  fut  venue,  et  jusqu'à  ce  que  le  jour  reparut, 
des  coups  de  feu  furent  tirés  des  bois  voisins ,  mais  demeurèrent  sans  ré- 
sultat. Nos  sentinelles  no  répondirent  mémo  pas. 

Le  11 ,  une  centaine  d*hommes  ayant  été  laissés  à  la  garde  du  camp,  le 
restant  de  la  colonne  se  porta  sur  le  village  de  Dioudoubou,  situé  au  sud  de 
Sandiniéri.  On  y  arriva  vers  neuf  heures  du  matin.  Les  Uandingues  n'avaient 
pas  fui;  ils  attendirent  même  l'attaque,  qui  fut  exécutée  par  les  Tirailleurs 
algériens,  et  la  reçurent  par  une  décharge  à  bout  portant,  qui  nous  tua  deux 
hommes  et  nous  en  blessa  trois;  mais  pas  plus  que  la  veille  ils  ne  purent, 
malgré  leur  nombre,  résister  à  la  bravoure  et  à  l'ardeur  impétueuse  des  as- 
saillants et  empêcher  ces  derniers  de  détruire  leurs  hubitalions. 

Après  avoir  brûlé  le  village,  la  petite  colonne  se  mit  en  marche  pour  ren- 
trer au  camp  avant  que  la  chaleur  fût  devenue  trop  accablante.  Déjà  elle 
avait  fait  une  partie  do  la  route  sans  difliculté ,  sans  avoir  rencontré  un  seul 
ennemi ,  lorsque ,  au  moment  d'atteindre  la  plaine  de  Sandiniéri ,  une  section 
do  Tirailleurs  qui  marchait  sur  le  flanc  droit  fut  brusquement  attaquée  par 
une  bonde  d'au  moins  six  cents  hommes.  Cette  secliou ,  se  Irouvant  séparée 
des  autres  troupes  par  un  vaste  marais  qu'on  ne  pouvait  traverser,  dut 
s'arrêter  pour  faire  face  au  danger;  pendant  près  d'une  demi -heure,  elle  se 
défendit  avec  ses  seules  ressources ,  et  les  Mandingues  ne  purent  l'entamer. 
Enfin  on  arriva  à  son  secours,  l'ennemi  fut  dispersé,  et  la  marche  se  con- 
tinua sur  le  camp,  où  Ton  arriva  vers  midi. 

Pendant  toute  la  durée  de  l'opération  qui  venait  d'avoir  lieu,  les  postes 
laissés  près  de  la  rivière  avaient  eu  à  supporter  un  feu  continuel,  peu  meur- 
trier, il  est  vrai,  mais  qui  dénotait  la  hardiesse  de  nos  adversaires.  Dans  l'après- 
midi,  celle  fusillade  recommença,  et  les  Mandingues  tentèrent  môme  de 
surprendre  la  compagnie  du  2<>  Tirailleurs ,  qui  s'était  écartée  à  quelques 


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[1861]  AU  SÉNÉGAL  223 

centaines  de  mètres  du  camp  pour  rendre  les  derniers  devoirs  à  un  de  ses 
hommes  décédé.  Hais  leurs  diverses  attaques  de  la  reille  avaient  appris  à  les 
combattre;  les  Tirailleurs  des  deux  autres  compagnies  se  jetèrent  immédiate- 
ment dans  les  bois,  et ,  se  portant  rapidement  sur  leurs  derrières,  leur  enle- 
vèrent tout  moyen  de  fuir.  Cernés  de  tous  côtés,  les  sauvages  se  défendirent 
en  désespérés;  mais  bientôt,  se  voyant  à  la  merci  des  vainqueurs,  les  survi- 
vants jetèrent  leurs  armes  et  se  précipitèrent  aux  pieds  de  nos  soldats.  Ce 
même  jour,  les  Tirailleurs ,  qui  étaient  excités  au  plus  haut  point  par  la  mu- 
tilation de  Tun  des  leurs  qui,  la  veille,  avait  été  décapité  par  les  sauvages» 
s*étanl  emparé  du  marabout  de  CarabantaSa ,  le  principal  village  des  Man-^ 
dingues,  ils  lui  firent  subir  le  même  sort  et  rapportèrent  sa  tète  au  camp,  où 
elle  fut  exposée  à  la  vue  des  prisonniers. 

Les  perles  subies  avaient ,  dans  cette  journée,  porté  uniquement  sur  les 
Tirailleurs  algériens  et  s*élevaient  à  trois  hommes  tués  et  quatre  blessés. 

Le  brillant  succès  qu'on  venait  de  remporter  eut  raison  des  dernières  velléités 
de  résistance  des  gens  du  Souna.  Dès  le  lendemain,  les  Mandingues,  atter- 
rés, vinrent  en  foule  demander  grâce  et  se  livrer  comme  esclaves  sans  condi- 
tions. Cependantle  village  de  Bombadiou  ayant  été  condamné  à  être  détruit  pour 
la  participation  de  ses  habitants  aux  événements  des  jours  précédents,  la  sen- 
tence reçut  son  exécution.  Le  13,  eut  encore  lieu,  pour  les  mêmes  raisons, 
l'incendie  de  Hancono;  puis  les  opérations  se  trouvèrent  terminées.  La  colonne 
rentra  le  lendemain  à  Sédiou ,  où  le  commandant  Laprade  reçut  la  soumis- 
sion des  chefs  de  la  rive  droite. 

Le  rembarquement  devait  avoir  lieu  le  15;  mais,  le  mauvais  temps  étant 
survenu,  il  dut  être  retardé  et  ne  s'effectua  que  le  17.  Le  16,  dans  une  revue 
passée  à  sa  petite  colonne ,  le  commandant  supérieur  de  Corée  félicita  haute^ 
ment  les  Tirailleurs  algériens  sur  leur  courage  à  supporter  les  privations,  sur 
leur  excellente  discipline,  et  surtout  sur  la  glorieuse  part  qu'ils  venaient  de 
prendre  dans  la  diflicile  expédition  de  la  Cazamance. 

Rentrée  à  Corée  le  21  février,  la  colonne  en  reparlait  de  nouveau  le  26 , 
à  bord  de  la  flottille,  qui  l'emmena  cette  fois  dans  le  Saloum  et  dans  le  Sine. 
Le  but  à  atteindre  dans  cette  contrée  élait  le  même  que  dans  le  Gayor  et 
dans  le  Souna  :  c'est-à-dire  terrifier  les  chefs  de  ces  deux  royaumes,  leur 
imposer  le  respect  des  traités,  et  assurer  la  tranquillité  et  la  sécurité  de  nos 
commerçants. 

Le  28  février  au  matin,  la  flotille  franchissait  la  barre  du  Saloum ,  et,  le 
lendemain  soir  l**"  mars,  arrivait  à  Kaolakh,  petit  poste  retranché  établi  sur 
la  rive  droite  de  cette  rivière.  Elle  avait  laissé  sur  sa  gauche  le  Sine,  affluent 
du  Saloum ,  et  sur  sa  droite  l'important  village  de  M'ham.  Le  débarquement 
s'efTcctua  à  une  heure  du  matin.  Aussitôt  qu'il  fut  terminé,  les  troupes  se 
mirent  en  route  sur  deux  petites  colonnes  :  la  première,  composée  des  trois 
compagnies  de  Tirailleurs  algériens,  se  dirigeait  sur  le  village  de  Gabon;  la 
deuxième,  comprenant  l'infanterie  de  marine  et  l'artillerie  faisant  le  service 
do  l'infanterie,  marchait  sur  celui  de  Kolah. 

A  (^hon  se  trouvait  la  famille  du  roi.  Le  village  fut  enveloppé,  puis  en-^ 
levé  par  les  Tirailleurs ,  et  tous  les  habitants  faits  prisonniers  et  ramenés  à 


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224  LE  3*  RÊQIUBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [iSM] 

Kaolakh.  La  même  chose  so  passa  à  Kolah ,  et  le  commandant  de  la  colonne 
n*eut  plus  qu'à  choisir,  dans  la  population  des  deux  villages ,  des  otages  of- 
frant des  garanties  suffisantes  pour  décider  le  roi  de  Saloum,  alors  absent  de 
sa  capitale,  pour  faire  la  guerre  à  un  de  ses  voisins  de  l'est,  à  se  soumettre 
à  nos  conditions.  On  désigna  ces  otages  principalement  parmi  la  propre  fa- 
mille dudit  roi,  et  le  gros  des  prisonniers  fut  relâché. 

A  huit  heures  du  matin,  la  colonne  remontait  à  bord  de  la  flottille.  L'expé- 
dition du  Saloum  pouvait  être  considérée  comme  terminée;  restait  encore 
celle  du  Sine.  Cette  dernière  menaçant  de  se  traduire  par  des  marches  très  (ati- 
gantes ,  le  commandant  Pinet-Laprade  profita  du  succès  qu'il  venait  de  rem- 
porter pour  exiger  des  gens  du  Saloum  les  moyens  de  transport  dont  il  avait 
besoin.  On  réquisitionna  une  trentaine  de  chevaux,  qui  servirent  à  monter 
tous  les  officiers.  Quant  aux  soldats,  ils  eurent  leur  charge  allégée  le  plus 
possible  et  réduite  à  la  demi-couverture,  aux  cartouches  et  à  quatre  jours  de 
vivres. 

Le  départ  eut  lieu  le  3  à  minuit.  On  traversa  les  villages  de  Lindian,  de  Goroid, 
de  Dia  et  de  Lommès,  qu'on  trouva  abandonnés,  et  l'on  vint  camper  à  Dio- 
koul,  à  l'ouest  de  Kaolakh.  il  était  neuf  heures  du  matin  ;  l'on  avait  fait  environ 
dix-huit  kilomètres  sans  rencontrer  .la  moindre  résistance  ;  seuls  quelques 
cavaliers  armés  d'arcs  .et  de  flèches  s'étaient  montrés  au  loin,  mais  sans  pa- 
raître désireux  d'engager  le  combat.  Le  4,  le  camp  fut  porté  à  Marouk,  où 
l'on  arriva  à  sept  heures  du  matin.  Là  on  apprit  que  le  roi  do  Sine  se  trouvait 
avec  ses  guerriers  à  environ  deux  lieues  au  nord,  dans  Tune  de  ses  capitales 
appelée  Diakhao. 

Le  S ,  la  colonne  se  mit  en  route  à  quatre  heures  du  matin  pour  se  porter 
sur  ce  point.  On  espérait  y  rencontrer  les  cavaliers  du  Sine,  si  redoutables, 
disait-on,  avec  leurs  fusils  longs  de  deux  mètres  qu'ils  bourraient  de  balles 
jusqu'au  bout;  mais  lorsqu'on  y  arriva,  vers  sept  heures  du  matin,  le  roi  et 
son  armée  s'étaient  retirés  à  quatre  kilomètres  plus  loin.  Le  monarque  noir, 
ne  sachant  trop  à  quel  parti  s'arrêter,  iinit  cependant  par  envoyer  des  am- 
bassadeurs au  commandant  Pinet-Laprade,  et  cette  journée,  dans  laquelle 
on  aurait  cru  que  le  sang  allait  couler,  se  termina  par  un  traité  de  paix  au- 
quel le  fils  du  roi,  laissé  comme  otage  par  son  père,  devait  servir  de  garantie. 

Toutes  les  satisfactions  exigées  ayant  été  obtenues,  la  colonne  reprit  le 
même  jour  le  chemin  de  Marouk  et  vint  passer  la  nuit  sur  le  même  emplace- 
ment que  la  veille.  Le  lendemain  6 ,  elle  était  de  retour  à  Diokoul  à  neuf 
heures  du  matin,  et  en  repartait  dans  l'après-midi  pour  se  rendre  à  Gan- 
diayes,  village  situé  au  confluent  du  Sine  et  du  Saloum,  où  la  flottille  était 
allée  l'attendre.  Le  rembarquement  eut  lieu  le  7,  et  la  rentrée  à  Corée  le  9. 
Outre  les  otages,  on  ramenait  un  fort  troupeau  de  bœufs  destiné  à  désinté- 
resser les  traitants  pillés. 

L'expédition  du  Saloum,  entreprise  et  terminée  en  pleine  période  de  vent 
du  désert,  avait  été  particulièrement  pénible  et  fatigante;  aussi  beaucoup 
d'officiers  et  de  soldats  en  revenaient-ils  malades,  et  le  restant  se  trouvait-il 
exténué.  Aux  uns  comme  aux  autres  il  aurait  fallu  un  repos  d'une  ou  deux 
semaines,  mais  les  circonstances  vinrent  encore  s'y  opposer. 


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[1861]  AU  SÉNÉGAL  225 

Pendant  que  la  plupart  des  troupes  disponibles  étaient  occupées  dans  nos 
possessions  du  sud  sous  les  ordres  du  commandant  supérieur  de  Gorée,  le 
damel  du  Cayor,  voyant  le  danger  écarté,  s'était  empressé  d'oublier  le  traité 
qu'il  avait  conclu  avec  le  gouverneur  général.  Dès  la  rentrée  de  ce  dernier  à 
Saint^Louis,  il  avait  rassemblé  ses  guerriers  et  poussé  )*andace  jusqu'à  venir 
attaquer  le  poste  de  Benou-M'boro.  Cotte  tentative  s'était  naturellement  tra- 
duite en  un  honteux  échec;  mais  la  garnison  française  n'ayant  pu,  à  cause 
de  sa  Taiblesse,  se  mettre  à  la  poursuite  des  bandes  de  Makodou,  celles-ci 
s'étaient  rejetées  vers  le  nord  et  avaient  ravagé  toute  la  campagne  aux  envi- 
rons de  Gandiole,  en  s'emparant,  sans  plus  de  scrupules  que  par  le  passé,  des 
biens  et  des  habitants  tout  à  la  fois.  En  même  temps  qu'il  rétablissait  ainsi  la 
traite  de  ses  propres  sujets ,  le  damel  recommençait  à  faire  piller  par  ses  Uédoi 
les  caravanes  imprudentes  qui  s'engageaient  dans  ses  États. 

Cette  conduite  demandait  un  châtiment  exemplaire  et  immédiat.  Se  mettant 
à  la  tête  de  Finfanterie  de  marine  en  garnison  à  Saint- Louis,  des  Tirailleurs 
sénégalais  et  des  spahis,  le  colonel  Faidherbe  reprit  la  campagne  le  10  mars, 
et  se  dirigea  immédiatement  sur  le  pays  insurgé,'  laissant  des  ordres  pour  se 
faire  rejoindre  le  plus  vite  possible  par  les  Tirailleurs  algériens.  Ceux-ci  quit- 
tèrent Gorée  le  14,  arrivèrent  à  Saint-Louis  le  lendemain  15,  et,  sans  être 
débarqués,  repartirent  le  même  jour  pour  Noult,  village  situé  à  deux  lieues 
de  la  côte  et  à  cinq  au  sud  du  chef-lieu  de  la  colonie.  Ce  mouvement  avftit 
deux  buts  :  assurer  les  communications  de  la  colonne  du  gouverneur  et  purger 
les  environs  des  villages  de  Gandiole,  Gueben  et  Noult  d*une  bande  de  tiédos 
qui,  deux  jours  auparavant,  y  était  venue  piller  nos  alliés.  Quand  on  arriva, 
les  tiédos  avaient  disparu;  il  ne  restait  donc  plus  qu'à  attendre  la  rentrée  du 
colonel,  laquelle  eut  lieu  le  17.  La  colonne  du  gouverneur  avait  brûlé  vingtr 
rinc|  villages  du  Cnyor  et  battu  deux  fois  les  gens  du  damel.  Pensant  quf 
cette  deuxième  leçon  serait  suffisante,  et  la  température  devenant  de  plus  en 
plus  accablante,  le  colonel  Faidherbe  ne  voulut  pas  en  demander  davantage 
à  ses  troupes  et  les  ramena  toutes  à  Saint-Louis,  où  elles  arrivèrent  le  19. 

La  saison  s'avançant  et  l'heure  de  la  cessation  des  opérations  n'étant  pas 
loin  de  sonner,  les  Tirailleurs  algériens  commencèrent  à  faire  leurs  préparatifs 
de  départ.  Ils  pensaient  s*embarquer  à  la  fin  du  mois.  Avant  qu'ils  eussent 
quitté  Saint- Louis,  le  colonel  Faidherbe  voulut  prendre  dans  leurs  rangs  les 
éléments  nécessaires  pour  constituer  sur  des  bases  solides  le  bataillon  de  Ti- 
railleurs sénégalais  en  voie  d'organisation.  A  cet  effet,  il  fit  demander  les 
noms  des  hommes  désirant  être  incorporés  dans  ce  nouveau  corps.  Il  s'en  pré- 
senta un  peu  plus  d'un  cent,  dont  une  trentaine  appartenant  à  la  compagnie 
du  3®  régiment.  De  ce  moment,  ces  hommes  cessèrent  de  faire  partie  du  dé- 
tachement et  comptèrent  parmi  les  troupes  indigènes  de  la  colonie. 

Dans  un  but  absolument  politique,  ce  qui  restait  disponible  des  trois  com- 
pagnies, c'est-à-dire  environ  deux  cents  hommes,  s'embarqua  le  23  mars  sur 
le  vapeur  VÉloile  pour  remonter  le  haut  Sénégal  jusqu'à  Podor.  Il  s'agissait 
de  montrer  aux  Maures  de  la  rive  droite  du  fleuve  de  leurs  coreligionnaires  à 
notre  service  et  de  les  engager,  au  moyen  d'une  habile  propagande ,  à  se  rap- 
procher de  la  France  et  à  s*enrôler  à  leur  tour.  Nos  hommes  furent  parfaite- 

15 


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220  I.K  3°  nÉOlMENT  DE  TIRAIIJ.KURS  ALOÊIUENS  [l86l] 

ment  accueillis,  obtinrent  partout  un  grand  succès  do  curiosili,  ot  rontrèrent 
le  26,  ayant  produit  et  peut-être  môme  dépassé  TeHet  qu'on  avait  espéré  de 
cette  excursion.  Us  avaient  successivement  visité  les  postes  de  Richard-Toll, 
de  Dagana  et  de  Podor. 

A  leur  retour  à  Saint-Louis,  ils  apprirent  que  le  damel  s'était  de  nouveau 
l^pproché  de  nos  postes  et  narguait  de  plus  belle  notre  autorité.  A  peine  nos 
troupes  avaient-elles  eu  quitté  son  pays,  que  l'incorrigible  souverain  avait  fait 
battre  le  tam-tam  de  guerre  et  demandé  alliance  aux  Trareas  pour  venir, 
disait-il,  attaquer  et  détruire Gandiole.  En  attendant,  il  s'était  établi  à  Ndia- 
kher,  à.  vingt  lieues  dans  l'intérieur,  et  là  se  permettait  toutes  les  fanfaron- 
nades qui  peuvent  germer  dans  l'orgueilleuse  tôte  d'un  noir. 

Ces  menaces,  quoique  faites  à  distance,  n'en  pouvaient  pas  moins  avoir 
une  influence  déplorable  sur  nos  alliés  si  on  les  tolérait  plus  longtemps  dans 
la  bouche  de  Makodou.  Une  troisième  invasion  du  Cayor  s'imposait.  Le 
29  mars,  les  Tirailleurs  algériens,  qui  avaient  déjà  versé  leurs  cartouches 
pour  rentrer  en  Algérie,  reçurent  l'ordre  de  les  reprendre  et  de  s'embarquer 
de  nouveau  sur  VÉloile  pour  prendre  terre  à  Gandiole.  De  là  ils  furent,  le 
même  jour,  dirigés  sur  Nouït  pour  couvrir  celte  région  en  attendant  l'arrivée 
des  autres  troupes  et  l'organisation  de  la  colonne.  Celle-ci ,  qui ,  outre  les  Ti- 
railleurs, comprit  deux  cents  hommes  d'infanterie  de  marine,  quatre  cents 
Tirailleurs  sénégalais,  cent  spahis,  quatre  obusiers  de  montagne  et  environ 
un  millier  do  volontaires,  se  trouva  prête  le  4  avril ,  et,  dans  l'après-midi  do 
ce  jour,  se  porta  au  village  de  Ker,  qui,  la  veille,  avait  été  l'objet  d'une  agression 
de  la  part  des  tiédos.  Le  5,  elle  se  remit  en  marche  à  trois  heures  du  matin, 
et,  vers  neuf  heures,  arriva  au  village  de  Karahubéguen ,  où  l'avant-gardo  et 
les  spahis  eurent  un  léger  engagement  avec  l'ennemi,  qui  eut  cinq  hommes 
tués  et  laissa  une  dizaine  de  prisonniers  entre  nos  mains. 

Le  lendemain ,  les  troupes  levèrent  le  camp  do  Karahubéguen  et  se  por- 
tèrent à  Guéoul,  centre  important  où  l'on  espérait  trouver  de  l'eau,  dont  on 
commençait  à  être  privé  depuis  le  départ  do  Gandiole,  et  dont  le  manque 
absolu  pendant  la  dernière  étape  avait  rendu  celle-ci  encore  plus  fatigante  que 
toutes  celles  qui  l'avaient  précédée.  La  déception  fut  grande  :  on  y  découvrit 
un  seul  puits,  presque  vide,  de  sorte  qu'après  une  longue  attente  chaque 
homme  ne  reçut  qu'un  quart  de  ce  précieux  liquide  pour  combattre  la  soif 
dévorante  dont  il  souffrait.  Le  soir  et  le  lendemain  malin ,  eut  lieu  une  autre 
distribution  d'une  quantité  égale,  ce  qui  permit  de  faire  un  peu  de  soupe  et 
un  peu  de  café,  mais  non  de  satisfaire  aux  autres  besoins.  On  vit  des  Tirail- 
leurs payer  jusqu*à  six  francs  de  petites  peaux  de  bouc  que  des  volontaires 
allaient,  en  risquant  leur  tète,  remplir  dans  un  village  en  avant  de  Guéoul. 

Malgré  cette  situation ,  qui  menaçait  de  devenir  alarmante  à  cause  de  l'éloi- 
gnement  où  l'on  se  trouvait  de  la  côte,  le  gouverneur  ne  voulait  pas  aban- 
donner ce  point  pour  ne  pas  perdre  le  fruit  des  fotigues  qu'on  venait  d'endu- 
rer. L'occupation  de  cette  position  excellente  lui  donnait  l'espoir  d'amener  le 
damel  à  engager  une  affaire  décisive,  et  d'avoir  ainsi  l'occasion  d'exterminer 
les  bandes  de  ce  dernier.  Il  avait,  dans  ce  but,  envoyé,  sans  les  faire  appuyer, 
les  volontaires  brûler  tous  les  villages  des  environs  et  les  avait  même  poussés 


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[1861]  AU  SÉNÉGAL  227 

jusque  dans  la  province  de  M'baouar,  mais  en  vain;  car  Makodou ,  abandonné 
par  la  plupart  de  ceux  que  FappAt  du  pillage  avait  réunis  autour  de  lui ,  venait 
de  se  retirer  à  Taggar,  dans  Test.  D'une  façon  comme  d'une  antre,  la  retraite 
s'imposait  maintenant;  la  retarder  eût  été  dangereux.  Elle  commença  le 
8  avril ,  à  cinq  heures  du  soir.  Au  moment  où  la  colonne  allait  se  mettre  en 
route,  des  groupes  de  tiédos  vinrent  tirer  quelques  coups  de  fusil  sur  les 
grand'gardes,  mais  sans  aucun  résultat. 

Il  était  deux  heures  du  matin  quand  on  arriva  à  Karahubéguen.  On  sé- 
journa vingt-quatre  heures  sur  ce  point,  comptant  toujours  que  l'ennemi,  que 
le  gouverneur  avait  fait  prévenir  de  notre  retraite  par  un  prisonnier,  se  pré- 
senterait; mais  rien  ne  parut.  Le  10,  on  alla  coucher  à  Ker,  et  le  lendemain 
on  atteignit  enfin  Gandiolc,  où  l'on  trouva  la  flottille  qui,  le  même  jour,  ra- 
mena tout  le  monde  à  Saint-Louis. 

Pendant  toute  cette  dernière  expédition ,  qui  avait  surpassé  en  privations  et 
en  fatigues  toutes  celles  que  les  troupes  de  la  colonie  avaient  faites  jusque-là , 
les  Tirailleurs  n'avaient  pas  cessé  de  se  montrer  une  troupe  admirablement 
disciplinée;  même  aux  heures  les  plus  dures,  les  plus  difficiles,  aucune 
plainte,  aucun  murmure  ne  s'était  élevé  dans  leurs  rangs. 

Le  14  avril,  le  gouverneur,  qui  se  rendait  &  Podor,  voulut  se  faire  accom- 
pagner d*un  détachement  de  cinquante  Tirailleurs  algériens,  dans  le  but  de  les 
montrer  encore  une  fois  aux  Maures  et  d'achever  de  persuader  ees  musul- 
mans ,  qui  croyaient  déroger  à  leur  qualité  en  entrant  aux  Tirailleurs  séné-r 
galais.  Ce  voyage  eut  le  même  succès  que  le  premier  :  les  Tirailleurs  furent 
partout  bien  accueillis  par  leurs  coreligionnaires.  Le  18,  ils  rentraient  à 
Saint-Louis,  enchantés  eux-mêmes  de  leur  excursion.  Celte  fois,  leur  retour 
fut  marqué  par  une  bonne  nouvelle,  celle  do  leur  rapatriement.  Une  autre,  qui 
les  louchait  de  moins  près,  quoique  plus  importante,  venait  également  de  se 
répandre  et  ne  larda  pas  &  se  confirmer  :  c'était  que  le  dainel  avait  été  chassé 
de  ses  Étals  par  ses  propres  sujets,  et  s'était  vu  obligé  de  chercher  un  refuge 
chez,  son  frère  le  roi  de  Sine. 

Le  colonel  Faidherbe,  qui  toutes  les  fois  qu'il  avait  eu  les  Tirailleurs  sous 
les  yeux  ne  leur  avait  pas  ménagé  ses  éloges  ni  son  admiration ,  ne  voulut  pas 
les  laisser  partir  sans  leur  adresser  un  témoignage  de  sa  satisfaction.  L'ordre 
du  jour  suivant  dit  assez  combien  il  appréciait  cette  troupe  et  les  officiers  qui 
la  commandaient  : 


c  Au  moment  où  les  trois  compagnies  des  l^r,  2e  et  3<^  régiments  de  Ti- 
railleurs algériens,  commandées  par  MM.  les  capitaines  Déchade,  Girard  et  de 
Pontécoulant,  quittent  le  Sénégal,  le  gouverneur  leur  témoigne  toute  sa  satis- 
faction et  ses  sincères  romcrcicnionts  pour  les  brillants  services  qu'elles  ont 
rendus  à  la  colonne  pendant  près  de  quatre  mois  d'expéditions  continuelles. 

«  Maintenant  la  belle  réputation  de  bravoure  qu'elle  a  depuis  longtemps 
acquise,  non  seulement  en  Algérie,  mais  encore  sur  les  champs  de  bataille  de 
TEurope ,  cette  excellente  troupe  a  fait  éprouver  aux  Mandingues  de  la  Caza- 
mance  les  effets  de  sa  vigueur,  de  son  élan  irrésistible  au  feu ,  et  de  rexpérieoce 
de  la  guerre  qui  la  distingue  essentiellement,  chefs  et  soldats. 


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228  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  AU  SÉNÉGAL       [I86I] 

«  Peodanl  les  courU  momenU  qu'Us  ont  passés  à  Saint-Louis  et  à  Goréo,  los 
Tirailleurs  algériens  ont  t^li  admirer  leur  élégante  tenue,  et  leur  conduite  n'a 
dpnné  lieu  à  ai|cun  reproche,  do  façon  que  notre  Jeune  et  déjà  si  bonne  troupe 
de  Tirailleurs  sénégalais  a  trouvé  dans  ses  anciens  l'exemple  de  toutes  les  qua- 
lités militaires. 

c  Le  gouverneur  attend  aussi  de  très  bons  résultats  du  imssagc  d'un  certain 
nombre  d'Algériens  au  bataillon  sénégalais,  et  il  remercie  les  chefs  do  corps 
d'avoir  facilité  cette  opération  avec  le  bon  esprit  qui  les  anime  en  toute  cir- 
constance. 

«  Saint-Louis,  le  23  avril  1861. 

«  Le  gouverneur  du  Sénégal  et  dépendances , 
c  Paiohbabi.  » 

Le  26  avril ,  à  huit  heures  du  matin ,  le  détachement  prit  place  à  bord  de 
VÉtoiU,  qui,  après  lui  avoir  fait  franchir  la  passe  du  fleuve,  le  transborda  sur 
le  transport  l'Yonne,  le  même  qui  l'avait  amené  d'Algérie.  A  quatre  heures 
du  soir  le  bateau  levait  Tancre,  et  quelques  instants  après  la  ville  de  Saint- 
Louis  et  la  côte  du  Sénégal  avaient  disparu. 

La  traversée  dura  un  mois.  Le  27  mai  au  matin,  VYonne  arrivait  dans  le 
port  de  Mers-el-Kebir,  et  le  débarquement  s'effectuait  le  même  jour.  La  com- 
pagnie du  3*  régiment  s'embarqua  do  nouveau,  le  DU,  sur  le  Ccrbàtx,  pour  être 
encore  débarquée  à  Alger  le  lendemain  31 ,  et  roiiiburquéo  sur  lu  Timycr  dans 
la  journée  du  3  juin.  Enfin,  le  5  du  même  mois,  elle  prenait  définitivement 
terre  à  Philippeville,  et,  le  7,  se  mettait  en  route  pour  Constantine,  où  elle 
arriva  le  9. 

A  l'occasion  de  sa  rentrée,  le  colonel  de  Lacroix  fit  paraître  l'ordre  suivant  : 

«  Après  une  absence  de  six  mois,  la  compagnie  expéditionnaire  du  Sénégal, 
sous  les  ordres  de  M.  le  capitaine  de  Pontécoulant,  vient  de  rentrer  parmi  nous. 
Pendant  tout  ce  temps,  nos  braves  volontaires  n'ont  pas  cessé  d'expéditionner 
et  de  soutenir  la  renommée  du  régiment  par  leur  courage,  leur  élan,  leur  tenue 
et  leur  expérience  de  la  guerre;  en  outre,  leur  excellente  conduite  a  été  re- 
marquée de  tous. 

«  Dans  les  contrées  lointaines  de  la  Sénégambie,  on  conservera  la  mémoire 
des  Tirailleurs  algériens,  et  les  Mandingues  de  la  Cazamance  se  souviendront 
de  leur  irrésistible  valeur,  comme  déjà  s'en  souviennent  Arabes,  Kabyles, 
Russes  et  Autrichiens. 

«  Honneur  donc  à  la  6*  du  1<^',  qui  a  ajouté  une  belle  page  au  récit  des  faits 
d'armes  du  S*  Tirailleurs,  et  remerciements  à  ses  chefs,  qui  ont  donné  le  bofi 
exemple  en  toutes  circonstances! 

«  Constantine,  le  9  juin  1861. 

«  Le  colonel  commandant  le  régiment, 

t  l)K  Lackoix.  » 


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EXPEDITION  DE  COCHINCHINE 

(I861-t864) 


CHAPITRE  VII 


Formation  d'an  bataillon  de  marche  destiné  &  la  Gochinchlne.  —  CSomposition  da  déta- 
chement fourni  par  le  3«  régiment  de  Tiraillears.  —  Départ  d* Alger.  —  Arrivée  à 
Alexandrie.  —  Rembarquement  à  Saez.  —  Arrirée  à  Saigon.  —  Gauses  de  Texpé- 
dition.  —  Ciommencement  des  opérations.  —  Prise  de  Yinh-long.  —  Attacine  et  enlè- 
rement  de  Ml-Goi.  —  Retour  à  Saigon.  —  Cessation  des  opérations.  —  Traité  de  Saigon. 
—  R^sfstinco  rlf^gnfsée  de  la  cour  de  Une.  —  Dissémination  dn  bataillon.  —  Colonnes 
volanlcs.  —  \a  V  compngnlo  occupo  lo  |K>sto  do  Cho-Ga6.  —  Elle  j  est  relOTéo  par 
la  5«  compagnie. 


Les  deux  compagnies  désignées  au  3®  régiment  de  Tirailleurs  algériens  pour 
entrer  dans  la  composition  du  bataillon  de  marche  destiné  à  la  Cochinchine 
étaient,  nous  Tavons  dit  plus  haut,  formées  exclusivement  avec  des  volon- 
taires ,  et  comprenaient  chacun  un  eflectif  de  cent  quarante  combattants , 
cadre  non  compris.  Voici  quels  étaient  les  officiers  qui  leur  étaient  aflectis  : 

!HM.  Dardenne,  capitaine. 
Aubrespy,  lieutenant  français. 
Abderrahman-ben-Ekarfi ,  lieutenant  indigène. 
Cléry,  sous-lieutenant  français. 
Kassem-Labougie,  sous-lieutenant  indigène. 

!MM.  Galland ,  capitaine. 
Ceccaldi,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Toudji ,  lieutenant  indigène. 
Roussel,  sous-lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Assem  Labessi,  sous-lieutenant  indigène. 


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230  LE  3^  nÉGIMENT  DE  TUIAILLEURS  ALGÉRIENS  [iSGî] 

IndépoadammoDt  dos  ollicicrs  do  ces  doux  coinpognios,  lo  corps  eut  encore 
à  fournir  ceux  dont  les  noms  suivent,  qui  firent  partie  de  l'éiat-major  du 
bataillon  de  marche  et  occupèrent  les  emplois  indiqués  ci-après  : 


MM.  Clemmer,  capitaine-major. 

Quinemant ,  capitaine-adjudant-major. 
Cohat ,  lieutenant ,  officier  payeur. 
Accarias ,  médecin  aide-major. 

La  compagnie  de  Constantine  et  les  officiers  do  Tétat-mâjor  s'embarquèrent 
à  Philippevillo  sur  le  courrier  d'Alger,  qui ,  le  lendemain ,  prit  la  compagnie 
de  Bougie  au  passage,  et  arriva  le  30  à  sa  destination. 

Lo  séjour  à  Alger  dura  quinze  jours.  Ce  temps  fut  employé  à  l'organisation 
du  bataillon.  Ce  dernier  fut  placé  sous  les  ordres  du  commandant  Pietri,  du 
2*  Tirailleurs.  Les  deux  compagnies  du  !•'  régiment  prirent  les  numéros  1  et  4  ; 
les  deux  du  2«,  3  et  6;  et  enfin  les  deux  du  3®  formèrent,  celle  du  capitaine 
Galland  la  2*,  et  celle  du  capitaine  Dardenne  la  5*. 

Le  départ  eut  lieu  le  15  octobre,  sur  le  transport  de  l'État  le  Canada, 
Le  23,  le  bataillon  débarqua  à  Alexandrie,  où  il  séjourna  jusqu'au  S  no- 
vembre au  soir.  Ce  jour-là,  il  se  rembarquait  sur  deux  petits  vapeurs  et  se 
mettait  en  route  pour  le  Caire,  en  suivant  le  canal  qui  longe  le  bras  occidental 
du  Nil.  Arrivé  le  30,  il  repartait  aussitôt  par  la  voie  ferrée  et  gagnait  Suez, 
où,  lo  12  novembre,  lo  transport-écurie  le  Jura  le  prenait  ù  son  bord,  pour  lo 
conduire  cette  fois  jusqu'à  Saigon.  Le  20  novembre,  on  arriva  à  Aden ,  où  l'on 
resta  jusqu'au  24;  le  13  décembre,  à  Pointe-de-Galles,  qu'on  quitta  le  15,  pour 
atteindre  ensuite  Singapour  le  8  janvier  1862.  Après  une  escale  de  huit  jours, 
nécessaire  pour  réparer  de  sérieuses  avaries,  résultat  d*un  violent  cyclone  qui 
avait  eu  lieu  le  29  décembre,  le  Jttra  se  remettait  en  route  le  15  janvier,  et, 
le  27  du  même  mois,  jetait  l'ancre  devant  le  cap  Saint- Jacques,  où  il  restait 
jusqu'au  30.  Enfin ,  le  l***  février,  il  arrivait  dans  le  port  de  Saigon ,  où  il  dé- 
barquait ses  passagers. 

Le  bataillon  fut  d'abord  cantonné  dans  le  haut  de  la  ville,  en  face  de  Tan- 
cien  camp  des  Lettrés;  puis  ses  diverses  compagnies  furent  ensuite  disséminées 
dans  les  pagodes  ou  les  villages  environnants,  en  attendant  le  commencement 
des  opérations. 

Avant  d'aborder  l'historique  des  faits  auxquels ,  pendant  plus  de  deux  an- 
nées, les  deux  compagnies  du  3®  Tirailleurs  devaient  se  trouver  mêlées  dans 
cette  lointaine  contrée,  nous  allons  dire  quelques  mots  sur  les  événements 
qui  amenèrent  cette  expédition,  qui ,  vingt  ans  plus  tard,  devait  avoir  comme 
conséquence  celle  du  Tonkin. 

L'Indo-Chine,  déjà  en  relations  avec  le  Portugal,  l'Angleterre,  la  Hollande 
et  l'Espagne  depuis  les  grands  voyages  de  découvertes  des  xv®  et  xvi*  siècles, 
n'eut  pour  la  pi^emière  fois  des  rapports  avec  la  France  que  vers  la  fin  du 
siècle  dernier.  En  1786,  Gia-Long,  héritier  du  trône  d'Annam,  en  ayant  été 
dépouillé  par  ses  rivaux,  vint  se  réfugier  auprès  d'un  vicaire  apostolique  fran- 


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[1862]  EN  CUCHINCIIINE  231 

çais,  Pigncau  do  Béliaine,  évoque  d*Adran,  qui  l*cngagea  à  avoir  recouts  au 
cabinet  de  Versailles  pour  rentrer  en  possession  de  ses  États.  Un  traité  fut 
aussitôt  négocié  entre  lui  et  Louis  XVI,  et  signé  le  28  novembre  1787.  Gia- 
long  recevait  la  promesse  de  secours  qui  devaient  lui  être  fournis  par  le  gou- 
verneur de  nos  établissements  indiens,  mais  il  devait,  en  échange,  céder  à  la 
France  le  port  de  Touranc  et  le  groupe  de  Poulo-Condoro;  Soit  lenteur,  soit 
mauvais  vouloir,  soit  impossibilité  de  la  part  du  gouverneur  de  Pondichéry, 
ce  traité  no  reçut  d*abord  aucune  exécution ,  do  sorte  que,  les  événements  de 
1789  étant  survenus,  il  n*en  fut  bientôt  plus  question;  ou  du  moins  de  tous 
les  secours  promis  le  prince  dépossédé  ne  vit-il  arriver  que  quelques  oflBciers, 
parmi  lesquels  le  colonel  Ollivier,  homme  d'un  grand  savoir,  Dayot,  Ghai- 
gneau,  etc. 

Mais  révoque  d*Adran  ne  se  découragea  pas;  il  équipa  deux  navires  à  Pon- 
dichéry, rejoignit  Gia-Long,  et,  aidé  par  les  ofliciers  dont  nous  venons  do 
parler,  rendit  non  seulement  son  royaume  à  ce  dernier,  mais  lui  conquit  en- 
core le  Tonkin ,  alors  gouverné  par  la  dynastie  des  L6. 

Un  tel  service  ne  pouvait  s*oublier.  Aussi  Pigneau  de  Béhaine  devint-il  lo 
second  personnage  de  Tempire,  et  nos  compatriotes  restèrent -ils  au  service 
do  Gia-IjOiig,  qui,  on  1804,  refusa  leur  expulsion  à  l'Angleterre.  Malheureuse- 
ment les  ludcs  que  nous  soutenions  en  Europe  et  l'aiïaiblissement  de  notro 
marine  ne  permirent  pas  alors  à  notro  pays  do  tirer  parti  de  ces  avantages, 
et  seuls  les  missionnaires  en  profitèrent  pour  étendre  leur  influence  dans  le 
pays.  Gependant  ces  heureuses  dispositions  ne  devaient  pas  durer  longtemps; 
à  la  mort  de  Gia-Long  tout  changea  :  les  missionnaires  furent  partout  en  butte 
aux  persécutions  des  mandarins,  et,  en  vertu  de  cette  ingratitude  naturelle 
qui  fait  généralement  place  aux  élans  de  la  reconnaissance  d'un  peuple,  la 
Franco  fut  bientôt,  de  toutes  les  nations  de  l'Occident,  celle  envers  laquelle 
les  empereurs  d*Annam  montrèrent  le  plus  d'hostilité.  Avec  Tu-Duc,  le  troi- 
sième des  successeurs  de  Gia-Long,  cette  situation  prit  tout  à  coup  un  carac- 
tère aigu  :  des  proclamations  insultantes  pour  les  Français  furent  adressées 
au  peuple,  et  le  supplice  de  plusieurs  de  nos  missionnaires  fut  jeté  comme  un 
défi  à  la  face  de  notre  gouvernement. 

On  ne  pouvait  tolérer  plus  longtemps  de  tels  actes.  Deux  fois,  en  1847  et 
en  1850,  nos  marins  ravagèrent  les  côtes  de  l'Indo-Ghino,  battirent  les  man- 
darins annamites,  abaissèrent  l'orgueil  de  Tu-Duc;  mais,  dès  qu'ils  se  furent 
éloignés,  ce  prince  fourbe  et  vindicatif  recommença  ses  exactions  et  ses  vexa- 
tions. Les  choses  en  restèrent  1&  jusqu'en  1858.  A  cette  époque,  le  cabinet 
des  Tuileries,  d'accord  avec  l'Espagne,  qui  avait  également  à  venger  la  morï 
de  plusieurs  de  ses  nationaux,  se  décida  &  ngir  vigoureusement  et  organisa 
une  petite  expédition,  qui  fut  placée  sous  les  ordres  de  l'amiral  Rigault  de 
Genouilly  et  du  colonel  Palanka  -  Gultierez.  La  prise  de  Tourane  (31  août  185^ 
et  celle  de  Saigon  (lS-17  février  1859]  furent  le  résultat  de  cette  action  com- 
binée, que  la  campagne  d'Italie  vint  brusquement  arrêter.  Tourane  fut  évacué, 
mais  on  conserva  Saigon ,  où  fut  laissée  une  garnison  de  huit  cents  hommes, 
sous  le  commandement  de  M.  d'Ariès,  capitaine  de  vaisseau.  Ge  détache- 
ment ,  trop  Taible  pour  faire  des  sorties ,  se  trouva  bientôt  bloqué  par  des  forces 


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Î32  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1862] 

dii  fois  Bupérioures,  et  enrermé  dans  les  vosles  lignes  do  conlrevallalion  do 
Ki-Hoai  que  les  Annamites  construisirent  avec  une  étonnante  rapidité,  sous 
la  direction  du  maréchal  Nguyen-Tri-Phuong.  Le  traité  de  Pékin  étant  heu- 
reusement survenu  sur  ces  entrefaites,  un  corps  de  débarquement  de  trois  à 
quatre  mille  hommes  put  être  dirigé  sur  la  Cochinchine,  et  les  lignes  de  Ki- 
Hoa  furent  enlevées  les  24  et  25  février  1861.  L'eipédition  se  continua  par 
des  succès,  et  au  commencement  de  1862,  au  moment  où  le  bataillon  de 
marche  de  Tirailleurs  algériens  arrivait  pour  renforcer  les  troupes  débarquées 
par  l'amiral  Cbarner,  nous  étions  déjà  maîtres  de  Hytho,  Hion-Uoa  et  Uaria.  11 
ne  nous  restait  plus,  pour  compléter  l'occupation  du  pays,  qu'à  nous  emparer 
de  Vinh-Long  et  du  territoire  de  la  Basse-Cochinchine ,  où,  favorisés  par  les 
nombreux  cours  d'eau  ou  canaux  qui  sillonnent  cette  contrée,  les  Annamites 
s'étaient  solidement  retranchés  sous  les  ordres  du  grand  mandarin  Phan- 
Than-Gian,  récemment  nommé  vice -roi. 

C'est  sur  ce  point  que  furent  dirigées  les  premières  opérations  auxquelles 
les  2*  et  8«  compagnies  prirent  part.  Ces  opérations  commencèrent  par  la  prise 
de  Vinh-Long  et  se  terminèrent  par  l'enlèvement  des  lignes  de  Mi-Cui. 

La  colonne  qui  devait  marcher  sur  Vinh-Long  fut  organisée  à  Saigon  dans 
les  premieirs  jours  de  mars.  Elle  comprit  :  quatre  compagnies  de  Tirailleurs 
algériens  (lesl'*,  2*,  3*  et  6*),  avec  le  commandant  Piétri,  une  compagnie 
d'infanterie  de  marine,  deux  de  Tagals  espagnols  (troupe  venue  do  Manille) , 
et  une  autre  de  Chinois,  dits  Cantonnais.  IiO  lieutenant- colonel  IIcImuI,  do 
l'infanterie  de  marine ,  en  eut  le  commandement.  La  flottille  fut  placée  sous 
les  ordres  de  M.  Desvaux,  capitaine  de  vaisseau.  Ces  deux  chefs  obéissaient 
à  l'amiral  Bonard,  qui  avait  la  direction  supérieure  de  l'eipédition. 

Ces  troupes  lurent  embarquées  à  Saigon,  du  11  au  12  mars,  sur  diverses 
canonnières  qui  les  transportèrent  è  Mytho,  où  elles  se  trouvèrent  réunies 
lé  14  au  soir.  Elles  en  repartirent  le  20,  à  huit  heures  du  matin,  escortées 
par  la  grande  canonnière  la  Fusée,  qui  avait  descendu  la  rivière  de  Saigon 
jusqu'à  son  embouchure,  pour  prendre  la  mer  et  remonter  ensuite  le  Cua-Daî, 
l'une  des  branches  du  Mé-Kong.  Arrivées  au  point  de  débarquement  le  lende- 
main à  trois  heures  du  soir,  elles  furent  immédiatement  mises  à  terre  et  diri- 
gées sur  Vinh-Long. 

La  route  conduisant  à  cette  ville  traversait  un  pays  couvert  d'une  végétation 
exceptionnelle  et  coupé  par  plusieurs  affluents  du  Mé-Kong,  dont  les  ponts 
étaient  défendus  par  des  ouvrages  en  terre,  qui  ne  pouvaient  la  plupart  être 
abordés  que  de  front.  Opérer  sur  ce  point  était  donc  difficile,  et,  si  l'on  songe 
à  là  faiblesse  de  la  colonne,  même  dangereux;  mais  le  choix  n'était  pas  pos- 
sible, et  il  fallut  bien  en  passer  par  là  :  ce  qui ,  en  somme ,  ne  fut  pas  aussi 
terrible  qu*on  l'avait  pensé,  les  Annamites  ne  devant  pas  se  défendre  avec 
beaucoup  d'opiniâtreté  dans  ces  positions  avancées,  où  ils  allaient  être  conti- 
nuellement assaillis  par  la  crainte  de  se  voir  couper  de  Vinh-Long. 

Le  21,  on  arriva  devant  Varroyo  (petite  rivière)  du  Tantiel,  défendu  par 
une  fortification  tenant  lieu  de  tète  de  pont  et  dominée  par  un  mirador,  sorte 
de  tour  en  maçonnerie  ou  en  charpente  qu*on  trouve  dans  toutes  les  villes, 
tous  les  villages ,  tous  les  retranchements  annamites  ou  chinois ,  et  en  haut 


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[1862]  EN  GOCHTNCHINE  233 

de  laquelle  se  tient  la  vigie  chargée  de  signaler  rapproche  de  Tennemi.  Dès 
que  la  tête  de  notre  colonne  fut  aperçue,  les  Annamites  abandonnèrent  leur 
fortin ,  se  retirèrent  dans  les  retranchements  de  la  rive  opposée  et  détruisirent 
le  pont.  Il  était  trop  tard  pour  forcer  le  passage  ;  cette  opération  fut  renvoyée 
au  lendemain. 

Le  22,  &  sept  heures  du  malin,  le  lieutenant- colonel  Rcboul,  &  la  tète 
d\me  compagnie  de  Tirailleurs  (l^^) ,  des  Tâgals ,  du  génie  et  de  deux  obusiers, 
vint  prendre  position  en  face  du  pont  détruit,  et  se  mit  à  canonner  les  ouvragée 
ennemis.  Pendant  ce  temps,  Tinfanterie  de  marine  essayait  de  franchir  la 
rivière  à  un  kilomètre  sur  la  droite,  et,  au  bout  d'une  heure,  parvenait  sur 
Fautre  rive.  Se  voyant  tournés,  les  Annamites  abandonnèrent  toutes  leurs 
fortifications.  On  y  trouva  trois  pièces  en  fonte  d'assez  fort  calibre.  Dans  la 
même  journée,  on  passa  le  Cal-Cong  sans  rencontrer  de  résistance,  malgré 
deux  ouvrages  élevés  dans  le  but  de  retarder  notre  marche,  et  Ton  arriva 
devant  les  forts  de  Binh-Tong,  construits  dans  une  petite  ile  et  couvrant  com- 
plètement les  approches  de  Vinh-  Long. 

C'eût  été  téméraire  que  d'attaquer  ces  ouvrages  de  front  :  des  petits  piquets, 
des  palissades ,  des  défenses  accessoires  très  habilement  disposées ,  auraient 
arrêté  l'assaillant  sous  le  feu  de  la  position  dès  que  celui-ci  aurait  eu  pris 
terre,  après  avoir  traversé  le  bras  de  rivière  qui  servait  de  fossé.  Aussi  fallut-il 
aviser  aux  moyens  d'une  surprise,  possible  peut-être  sur  les  autres  faces, 
qui  n'étaient  pas  beaucoup  moins  fortifiées,  mais  où  la  vigilance  des  défen- 
seurs était  loin  d'être  aussi  attentive.  A  la  faveur  d'une  démonstration  faite 
sur  le  front  principal  par  le  lieutenant-colonel  Reboul ,  le  commandant  Piétri, 
à  la  tête  d'une  section  de  la  2«  compagnie  (capitaine  Galland),  remonta,  en 
dissimulant  le  plus  possible  son  mouvement  à  l'ennemi,  la  berge  pondant 
quelques  centaines  de  mètres;  puis,  se  jetant  &  la  nage  avec  sa  petite  troupe, 
aborda  au  pied  du  bastion  de  droite ,  dont  il  tenta  aussitôt  l'escalade,  et  dans 
lequel  il  pénétra  avant  que  les  Annamites  eussent  eu  le  temps  de  s'y  opposer. 
Ce  hardi  coup  de  main ,  exécuté  avec  un  merveilleux  sang-froid  et  une  audace 
qui  eût  été  taxée  d'insensée  si  le  succès  ne  l'eût  pas  excusée ,  fit  immédiate- 
ment tomber  les  forts  de  Binh  -long.  Effrayés  par  cette  attaque,  et  craignant 
pour  leur  ligne  de  retraite ,  les  Annamites  s'enfuirent  précipitamment ,  laissant 
entre  nos  mains  onze  pièces  de  canon  de  tous  calibres,  six  cents  kilogrammes 
de  poudre  et  un  fort  approvisionnement  de  boulets.  Ce  résultat  était  d'autant 
plus  surprenant  qu'il  avait  été  obtenu  sans  effusion  de  sang. 

La  prise  de  Binh-Tong  nous  avait  rendus  maîtres  de  toute  la  ligne  avancée 
qui  couvrait  Vinh-Long.  Nous  étions  maintenant  aux  portes  de  la  citadelle 
de  cette  ville,  où  le  vice- roi  s'était  enfermé  avec  la  plus  grande  partie  de  ses 
soldats.  Cette  citadelle,  construite  sur  les  plans  du  colonel  Ollivier  (mission  de 
1788),  était  un  quadrilatère  do  quatre  cents  mètres  decêté,  couvert  par  des 
fossés  de  huit  &  dix  mètres  de  largeur,  et  dont  les  faces  étaient  flanquées  par 
des  demi-lunes  demi -circulaires,  sur  le  côté  desquelles  s'engageaient  les 
quatre  portes  donnant  accès  dans  la  place. 

On  prit  position  en  attendant  le  lendemain.  Les  Tirailleurs  algériens , 
impatients  de  combattre,  se  réjouissaient  en  pensant  qu'on  allait  enfin  en 


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234  lÀ  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAIIXEURS  ALGÉRIENS  [1862] 

venir  uno  bonno  fois  aux  mains.  Ijû  jour  so  leva;  avec  lui  nppnrul  une 
épaisse  colonne  de  fumée  montant  vers  le  ciel  :  c^étaient  les  bâtiments  do  la 
citadelle  qui  brûlaient.  Phan-Tban-Gian  n'avait  pas  voulu  risquer  les  cbaoces 
d'un  assaut;  à  la  faveur  de  la  nuit  il  avait  évacué  la  place,  et  s'était  dérobé 
en  embarquant  son  monde  sur  des  jonques  et  en  s'engageant  sur  un  arroyo 
qui  lui  avait  permis  de  gagner  le  sud.  Son  arrière-garde,  cbargée  de  mettre 
le  feu,  venait  de  partir  à  son  tour ,  et  la  ville  ne  renfermait  plus  un  être  vivant. 
L'ennemi  laissait  entre  nos  mains  un  immense  approvisionnement  de  riz  et 
de  poudre,  une  quinzaine  de  canons,  un  nombre  considérable  de  pierriers, 
de  lances ,  et  quelques  mauvais  fusils. 

Les  quatre  compagnies  do  Tirailleurs  restèrent  à  Vinli-IiOng  jusqu'au 
26  mars.  Ce  jour- là,  elles  s'embarquèrent  pour  Caï-Laï,  poste  déjà  occupé 
par  une  compagnie  d'infanterie  de  marine  et  situé  au  nord-ouest  de  Mytho, 
et  à  peu  de  distance  de  Mi-Cui ,  position  retrahchée  où  s'étaient  réfugiées  les 
bandes  de  l'empereur  Tu-Duc,  et  dont  l'attaque  était  résolue  pour  les  jours 
suivants. 

Trois  colonnes  furent  organisées  pour  marcher  sur  ce  point  :  la  première, 
sous  le  commandement  du  colonel  espagnol  Palanka-Guttierez,  et  composée 
de  Tagals  de  Manille,  et  de  la  5*  compagnie  de  Tirailleurs  (capitaine  Dar- 
denne),  devait  partir  de  Mytho;  la  deuxième,  sous  les  ordres  de  M.  Vcrgne, 
lieutenant  de  vaisseau,  et  comprenant  cent  quinze  marins,  avait  pour  mission 
d'aller  d*abord  s'établir  A  Tan-Ly ,  au  nord  de  Mytho,  et  de  so  diriger  ensuite 
sur  les  forts  de  Tonk-Niou,  à  l'est  de  Hi-Cui  ;  enfin  la  troisième,  ayant  à  sa 
tête  le  commandant  Piétri,  et  comptant  les  l***^  et  2^  compagnies  de  Tirailleurs 
algériens  et  un  détachement  d'infanterie  de  marine,  devait  venir  de  Caî-Lal 
et  prendre  à  revers  une  partie  des  ouvrages  ennemis.  M.  Desvaux,  capitaine 
de  vaisseau,  commandant  supérieur  de  Mytho,  avait  la  direction  des  opéra- 
tions. 

Le  29  mars  était  le  jour  fixé  pour  le  rendez -vous  général  et  l'attaque  simul- 
tanée. 

Les  lignes  de  Mi-Cui  avaient  été  élevées  au  milieu  d'une  grande  plaine  en 
partie  inondée  et  couverte  de  rizières.  A  Test,  le  terrain,  assez  praticable,  n'é- 
tait coupé  que  par  quelques  villages  non  fortifiés;  à  l'ouest,  au  contraire,  il 
était  sillonné  par  plusieurs  arroyos  communiquant  entre  eux,  et  dont  le  prin- 
cipal, appelé  Taluoc,  ne  pouvait  être  franchi  que  sur  un  pont,  dit  de  Mi- An, 
le^|uel  était  protégé  par  un  fort  relié  aux  autres  fortifications.  Ces  dernières 
comprenaient  trois  groupes  bien  distincts  :  les  forts  de  Tonk-Niou  à  l'est,  ceux 
de  Mi-Cui-Taî  à  l'ouest,  et  la  citadelle  de  Mi-Cui  formant  réduit  au  centre. 

Le  27,  le  commandant  Piétri  exécuta,  à  la  tête  de  la  l*^  compagnie  de  son 
bataillon,  une  reconnaissance  qui  démontra  la  possibilité  do  surprendre  le 
pont  de  Mi -An. 

Ainsi  que  le  prescrivaient  les  instructions  reçues  par  chaque  chef  de  colonne, 
le  mouvement  concentrique  eut  lieu  le  29.  Les  deux  colonnes  de  Test  enle- 
vèrent sans  coup  férir  le  premier  groupe  de  retranchements,  c'est-à-dire  les 
forts  de  Tonk-Niou,  et  trouvèrent  la  citadelle  de  Mi-Cui  évacuée.  Quant  à  celle 
du  commandant  Piétri,  eUe  n'eut  qu'un  combat  d'avant-garde,  que  soutînt 


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[18C2]  EN  COCIIINCIIINE  235 

seule  la  seclion  du  sous-lieutenanl  Roussel  (2^  compagnie,  capitaine  Galland). 
Grâce  à  l'élan  donné  par  cet  oflîcier,  le  pont  de  Mi-Ân  fut  rapidement  enlevé, 
et  le  restant  de  la  colonne  pénétra  sans  rencontrer  d'autre  résistance  dans  la 
position  do  Mi-Cui-Taî,  que  Tennemi  s'empressa  d'abandonner.  Ce  rapide 
succès  n'avait  coûté  qu'un  homme  blessé  &  la  2»  compagnie. 

On  employa  les  jours  suivants  à  purger  les  environs  de  Caï-Lal  des  soldats 
annamites  qui  s'y  étaient  réfugiés.  Le  30,  une  section  de  la  2«  compagnie 
(capitaine  Galland)  alla  saccager  et  brûler  les  villages  de  la  rive  gauche  du 
Taluoc.  Le  31 ,  la  même  opération  fut  exécutée  sur  la  rive  droite  par  la  l**"  com- 
pagnie. 

Le  2  avril ,  la  fraction  du  bataillon  détachée  à  Gai- Lai  prenait  passage  sur 
plusieurs  canonnières  et  rentrait  à  Mytho,  où  se  trouvait  déjà  la  5«  compa- 
gnie (capitaine  Dardenne).  Le  4 ,  les  Tirailleurs  algériens  qui  avaient  pris  part 
aux  opérations  contre  Vinh-Long  et  Mi-Gui  s'embarquaient  pour  Saigon,  où  ils 
arrivèrent  le  7. 

La  saison  des  pluies  était  arrivée,  et  avec  elles  l'époque  des  inondations.  Les 
communications  par  terre  n'allaient  plus  être  possibles  qu*au  moyen  de  digues 
ou  de  chaussées  bien  souvent  couvertes  par  les  eaux ,  et  que  l'ennemi  avait  la 
faculté  de  détruire  h  la  moindre  alerte  donnée  par  les  nombreux  postes  qu'il 
avait  installés  pour  nous  surveiller.  Dans  ces  conditions,  la  poursuite  des  opé- 
rations devenait  impossible,  ou  du  moins  passait  entièrement  aux  mains  de 
la  flottille,  qui  seule  pouvait  encore,  au  moyen  des  nombreux  canaux  reliant 
entre  eux  les  divers  bras  de  Mé-Kong,  parcourir  cette  vaste  plaine  devenue 
un  immence  lac.  Nos  compagnies  furent  donc  établies  dans  des  cantonnements 
aux  environs  de  Saigon  pour  passer  une  partie  de  Tété  dans  le  plus  complet 
repos.  Les  effets  extrêmement  meurtriers  du  climat  de  la  Gochinchine  com- 
mençaient du  reste  &  se  faire  sentir,  et  les  fièvres,  la  dysenterie,  dos  maladies 
do  toute  sorte,  décimaient  chaque  jour  le  détachement,  qui  perdait  plus  de 
monde  ainsi  qu'il  ne  l'aurait  fait  dans  des  combats  continuels.  Les  Tirailleurs, 
toujours  fatalistes,  toujours  soumis  d'avance  au  sort  qui  pouvait  les  attendre, 
acceptaient  cette  situation  difficile  avec  autant  de  résignation  qu'ils  avaient 
autrefois  subi  le  choléra  en  Grimée. 

Gependant  la  cour  de  Hué,  effrayée  par  la  prise  de  Vinh-Long,  avait  repris 
des  négociations  entamées  depuis  longtemps  en  vue  de  la  conclusion  de  la  paix. 
Sentant  que  ses  tergiversations  habituelles  ne  pouvaient  la  conduire  qu'à  de 
nouveaux  désastres ,  elle  consentit  enfin  à  accepter  les  conditions  qui  lui  étaient 
imposées  et ,  le  5  juin  1862 ,  fut  signé  à  Saigon  un  traité  qui  cédait  à  la  France 
les  trois  provinces  occidentales  de  la  Gochinchine  (Saigon,  Bien-IIoa,  Mytho) 
et  le  groupe  de  Poulo-Gondore.  Tu -Duc  s'engageait  en  outre  à  payer  à  la 
France  et  à  l'Espagne  une  indemnité  de  guerre  de  vingt  millions  de  francs, 
et  à  ouvrir  au  commerce  les  ports  de  Tourane,  Balat  et  Quangan.  Il  rentrait, 
il  est  vrai,  en  possession  de  Vinh-Long;  mais  il  ne  devait  y  entretenir,  ainsi 
que  dans  les  provinces  occidentales  qui  restaient  en  son  pouvoir,  qu'un  nombre 
limité  de  soldats. 

Il  n'aurait  pas  fallu  connaître  le  caractère  retors  des  Annamites,  pour  ne 
pas  comprendre  que  ce  traité,  dicté  par  la  nécessité,  n'avait  rien  de  sincère 


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236  LB  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1862] 

chez  008  ennemis.  Ce  n'était  qu*an  moyen  do  gagner  du  temps,  do  permettre 
à  leur  habile  diplomatie  d'obtenir  la  rétrocession  du  territoire  qui  nous  était 
abandonné.  En  attendant  le  résultat  de  ces  patientes  machinations,  les  man- 
darins allaient  continuer  à  exciter  secrètement  les  dispositions  hostiles  de  la 
population,  et  une  guerre  sourde,  occulte,  faite  de  ruses  et  de  surprises, 
devait  bientôt  succéder  aux  hostilités  ouvertes  que  la  paix  venait  do  faire 
cesser. 

En  prévision  des  événements  qui  n'allaient  pas  manquer  de  so  produire 
après  la  récolte  du  riz,  les  2^  et  5«  compagnies  de  Tirailleurs  algériens  furent, 
à  partir  du  12  août,  dirigées  successivement  par  section  sur  Mytho,  où  elles 
se  trouvèrent  réunies  le  27.  Là  elles  reçurent,  dans  le  courant  de  septembre, 
l'avis  des  récompenses  suivantes  accordées  à  la  suite  des  expéditions  de  Vinh- 
Long  et  de  Mi-Cui. 

Par  décret  du  15  juillet  1862,  de  S.  M.  la  reine  d'Espagne,  étaient  nommés  : 

Chevaliers  de  Tordre     (  HM.  Dardenne,  capitaine. 
d*Isabftlle  la  Catholique.   {         Aubrespy,  lieutenant. 


Chevaliers  de  Tordre 
de  Harie-Louise. 


Lebouc,  sergent. 

Didier,  sergent-fourrier. 

Mohamed-ben-Brahim ,    tirailleur. 


Par  décret  impérial  du  22  du  môme  mois,  la  inédaillo  inililairu  était  ac- 
cordée au  sergent  Courrège  et  au  caporal  Nacer-bcn-Mossaoud. 

Le  1*'  octobre,  la  2«  compagnie  reçut  l'ordre  de  fournir  un  détachement  de 
cinquante  hommes  afin  de  disperser  des  bandes  qui  inquiétaient  le  canton 
de  Than-Quan,  compris  entre  l'arroyo  de  la  Poste  et  le  Rac-Bac-Ly.  Ce 
détachement,  sous  les  ordres  du  sous-lieutenant  Guèze,  du  l^^  régiment,  alla 
coucher  le  soir  môme  à  la  pagode  du  marché  de  Luong-phu ,  où  il  fut  rejoint 
par  le  huyen  (sous-préfet  annamite) ,  amenant  avec  lui  trente  soldats  et  les 
coolies  nécessaires  pour  le  transport  des  bagages.  Le  lendemain ,  il  so  dirigea 
sur  Binh  -Kach ,  village  indiqué  comme  le  centre  d'un  rassemblement  de  trois 
cents  rebelles.  Mais  ces  derniers,  dès  qu'ils  aperçurent  les  Tirailleurs,  s'en- 
fuirent précipitamnîent,  rendant  ainsi  la  liberté  à  soixante  prisonniers  qu'ils 
détenaient.  Le  huyen  fit  incendier  les  cases  des  chefs,  et  obtint  la  soumission 
de  dix  communes.  Le  môme  jour,  la  petite  colonne  se  porta  &  Chao-Than,  où 
elle  fit  séjour  pendant  la  journée  du  3 ,  et  le  4  arriva  à  Phu-Kiet.  Le  sous- 
lieutenant  Guèze  ayant  été  désigné  pour  garder  ce  point  avec  vingt-cinq  Tirail- 
leurs algériens  et  dix  soldats  annamites,  le  restant  du  détachement  rentra  à 
Mytho,  où  il  arriva  à  temps  pour  accompagner  à  sa  dernière  demeure  le  capi- 
taine Dardenne,  qui  avait  succombé  la  veille,  terrassé  par  une  maladie  contre 
laquelle  toute  son  énergie  avait  été  impuissante  &  lutter.  Par  suite  de  ce  décès , 
le  commandement  do  la  5*  compagnie  fut,  à  partir  de  ce  jour,  exercé  par 
M.  le  lieutenant  Aubrespy. 

Le  13,  les  vingt-cinq  Tirailleurs  de  la  2*^  compagnie  détachés  à  Phu-Kiet 
rentrèrent  à  Mytho. 

Le  18,  le  sous-lieutenant  Oriot,  qui  avait  remplacé  M.  Cléry,  nommé  lieu- 


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]1862]  EN  COCHTNGHINB  237 

tenant,  alla  occuper,  avec  vingt-cinq  hommes  de  la  5«  compagnie,  le  poste  de 
Kien-Ân-Phu,  près  de  Tarroyo  de  la  Poste,  au  nord  de  Hytho. 

Le  13  novembre,  le  lieutenant  Aubrespy,  le  sous-lieutenant  Kassem-La* 
bougie  et  cinquante  hommes  do  la  S»  compagnie ,  furent  dirigés  sur  le  village 
de  Cho-Gaô  (marché  au  riz),  à  trois  heures  à  Test  de  Hytho,  dans  le  but  de 
protéger  ce  centre  important  contre  les  tentatives  des  rebelles  de  66-Kong, 
autre  localité  située  non  loin  de  la  mer. 

A  peine  installé,  dans  la  nuit  du  18  au  19  novembre,  ce  détachement  eut, 
en  effet ,  &  repousser  une  attaque  tentée  par  une  bande  de  cinq  à  six  cents 
pirates.  Un  certain  nombre  de  ces  derniers  étant  parvenus,  à  la  faveur  de 
Tobscurité,  à  se  glisser  jusqu^au  milieu  du  village,  le  poste  fut  tout  à  coup 
mis  en  émoi  par  l'incendie  de  quelques  cases  et  par  des  fusées  lancées  sur  la 
pagode  où  la  troupe  s'était  logée.  Tout  le  monde  fut  bient6t  sous  les  armes, 
et  des  patrouilles  parcoururent  les  massifs  de  bambou  d'où  les  incendiaires 
furent  immédiatement  chassés.  Une  sortie  effectuée  par  le  lieutenant  Aubrespy 
à  la  tôte  d'un  groupe  de  quinze  hommes ,  et  quelques  obus  habilement  dirigés 
par  une  canonnière  mouillée  dans  le  Hac-Kahon,  achevèrent  do  disperser  les 
insurgés,  qui  s'enfuirent  à  travers  les  rizières,  où  il  fut  impossible  de  les  pour- 
suivre. La  nuit  suivante,  ils  essayèrent  encore  d'une  pareille  tentative;  mais, 
des  embuscades  ayant  été  disposées  aux  abords  du  village,  ils  furent  accueillis 
par  une  fusillade  qui  leur  enleva  définitivement  le  goût  de  ces  nocturnes  expé- 
ditions. Dans  la  journée  qui  s'était  écoulée  entre  ces  deux  attaques,  le  sous- 
lieutenant  Guèze  était  arrivé  à  Cho-Gaô,  avec  quinze  Tirailleurs  de  la  2«  com- 
pagnie, dix  fusiliers  marins,  quatre  artilleurs  et  un  obusier  de  douze.  Ainsi 
renforcé,  le  lieutenant  Aubrespy  s'occupa  de  mettre  la  pagode  en  état  de  dé- 
fense, et  d'organiser  le  poste  de  telle  façon,  qu'il  fût  désormais  à  l'abri  de 
toute  surprise. 

Lo  2U  novembre,  le  lieutenant  Ccccaldi,  avec  vingt- cinq  hommes  do  la 
2<*  compagnie,  quitta  Myllio  pour  suivre  la  rive  gauche  de  Mé- Kong  jusqu'au 
confluent  du  Uac-^Gam,  et  remonter  ensuite  cette  rivière  et  visiter  certains 
villages  soupçonnés  de  s'organiser  en  bandes,  sous  l'influence  d'anciens  chefs 
annamites.  H  rentra  le  lendemain ,  ayant  trouvé  partout  un  accueil  empressé 
et  des  protestations  de  soumission.  Le  23 ,  il  alla  avec  le  même  détachement 
rolcvcr,  au  poste  de  Kien-An-Phu,  lo  sous-lieutenant  Oriot,  qui,  le  27,  rejoi- 
gnit à  Cho-Gaô  le  reste  do  sa  compagnie,  et  permit  ainsi  au  sous-lieutenant 
Guèze  de  rentrer  &  Mytho  avec  les  Tirailleurs  de  la  2<». 

Depuis  leurs  tentatives  des  18  et  19  novembre,  non  seulement  les  insurgés 
de  Gô-Kong  ne  comptaient  plus  surprendre  le  poste  de  Cho-Gaô,  mais  ils 
cherchaient  à  se  fortifier,  en  vue  des  opérations  que  pouvait  entreprendre  la 
garnison  de  ce  dernier.  Ils  avaient  en  toute  hftte  élevé,  sur  la  route  de  Cho- 
Gaô  à  Gô-Kong,  une  ligne  de  retranchements  que  le  lieutenant  Aubrespy  eut 
l'ordre  d'aller  reconnaître  dans  la  journée  du  29  novembre. 

Cet  officier  partit  à  la  pointe  du  jour,  avec  un  détachement  de  quarante 
hommes,  dont  dix  fusiliers  marins,  et,  après  un  trajet  de  5  à  6  kilomètres, 
arriva  en  face  des  ouvrages  ennemis,  construits  en  avant  du  village  de  Binh- 
Phu-Nhiet.  Reçu  à  coups  de  canon,  il  se  contenta  de  reconnaître  la  position 


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238      LB  3^  RÉOIMENT  DB  TIHAILLBURS  ALGÉRIENS  EN  COCIIINCIIINB     [l862] 

desforU,  et  86  mit  lentement  en  retraite  vers  Cbo-Goô.  Mais,  à  peine  se 
furent-ils  aperçu  de  son  mouvement  rétrograde,  que,  devenant  plus  auda- 
cieux, les  Annamites  sortirent  de  leurs  fortifications  et  le  suivirent  à  distance 
avec  trois  ou  quatre  pierriers,  dont  les  effets  furent  plus  bruyants  que  meur- 
triers. Quelques  feux  bien  ajustés,  exécutés  parles  fusiliers  marins  avec  leurs 
carabines,  eurent  des  résultats  tout  à  fait  contraires,  et  les  plus  hardis  ne 
tardèrent  pas  à  se  disperser  pour  ne  plus  reparaître  à  portée  de  nos  coups.  La 
reconnaissance  rentra  ainsi  sans  être  autrement  inquiétée. 

Malgré  ces  succès,  l'agitation  était  à  son  comble  dans  toute  la  région.  Des 
lamlnnhs  (généraux)  parcouraient  les  villages  pour  organiser  la  résistance  et 
pousser  à  l'insurrection.  Ces  mandarins,  agents  directs  do  la  cour  de  Hué, 
que  celle-ci  désavouait  toutes  les  fois  qu'elle  était  obligée  de  donner  des  expli- 
cations sur  leurs  agissements,  préparaient  activement  une  révolte  générale 
qui  devait  éclatera  la  lin  du  mois.  En  attendant,  ils  réunissaient  les  notables, 
présidaient  à  des  conciliabules  où  les  moyens  d'action  étaient  discutés  et 
combinés  avec  ceux  des  autres  parties  de  la  province,  en  un  mot  mettaient 
tout  en  œuvre  pour  qu'au  premier  signal  tout  le  pays  fût  sur  pied. 

Prévenu  par  le  huyen  de  Kien-An-Phu  de  la  présence  d'un  de  ces  chefs  au 
village  de  Long-Dinh ,  le  lieutenant  Ceccaldi  partit  dans  la  nuit  du  4  décembre 
avec  un  groupe  de  dix  hommes,  et  fut  assez  heureux  pour  surprendre  celui-ci 
au  milieu  d'une  de  ces  réunions  dont  nous  venons  de  parler,  et  de  s'en  em- 
parer, ainsi  que  de  seize  autres  insurgés,  parmi  lesquels  se  trouvaient  quelques 
autres  mandarins  militaires  d'un  grade  inférieur. 

Le  soulèvement  projeté  eut  lieu  le  18  décembre.  Mais  l'autorité  française, 
prévenue  par  ses  agents  indigènes,  avait  pris  toutes  les  mesures  nécessaires 
pour  conjurer  le  danger.  Tout  se  borna  donc  à  l'organisation  de  nouvelles 
bandes  qui  vinrent  grossir  celles  qui  parcouraient  déjà  la  contrée,  et  ravager, 
de  concert  avec  ces  dernières ,  les  villages  qui  étaient  restés  soumis  à  notre 
domination. 

La  plus  active  vigilance  n'en  était  pas  moins  recommandée  à  nos  postes , 
qui  allaient  désormais  avoir  à  compter  avec  de  nombreuses  surprises,  la  plu- 
part tentées  pendant  la  nuit. 

Le  21  décembre,  le  capitaine  Galland,  avec  le  lieutenant  Toudji,  le  sous- 
lieutenant  Guèze  et  cinquante  hommes  de  troupe  delà  2»  compagnie,  alla 
relever  à  Cho-Gaô  le  lieutenant  Aubrespy,  qui  rentra  à  Mytho  avec  le  déta- 
chement de  la  5<^  compagnie.  Le  22,  le  lieutenant  Ceccaldi  quitta  le  poste  de 
Kien-An-Phu,  devenu  un  peu  trop  exposé,  et  rentra  également  à  Mytho. 

Voici  donc,  d'après  ce  qui  précède,  quels  étaient,  à  la  fin  de  l'année  18G2, 
les  emplacements  occupés  par  le  détachement  du  3**  régiment  de  Tirailleurs  en 
Cochinchine  (2*  et  S«  compagnies). 
2«  compagnie  :  cinquante  hommes  à  Cho-Gaô  (capitaine  Galland); 
Une  section  à  Mytho  (lieutenant  Ceccaldi). 
5«»  compagnie  :  tout  entière  à  Mytho  (lieutenant  Aubrespy). 


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CHAPITRE  Vin 

(1863-1864) 


(1863)  Dispositions  prises  pour  arrêter  rinsurrection.  —Opérations  dans  les  enyirons  de 
Alytho.  —  Sortie  efTectuéc  par  le  capitaine  Galland  contre  les  bandes  daTien-hô.— Prise 
de  Ni-Biag.  —  Poursaite  des  rebelles.  —  Rentrée  à  Mytbo.  —  Deuxième  sortie  du  capi- 
taine Galland.—  Combat  du  22  février.  —  Retour  à  Mytho.  —  Nouyelle  répartition  des 
dét'iclicnients  —  Récompenses.  —  Mouvements  dans  les  postes  occupés  par  les  deux 
cniu|iagnlrs.  —  Pertes  résultant  do  maladies.  —  (IR64)  Rentrée  à  Saigon.  —  Prépa- 
ratifs de  départ.  —  Traversée.  —  Débarquement  à  Philipperilie.  —  Rentrée  à  Gons- 
tantine. 


Ainsi  quo  nous  Tavons  dit  plus  haut ,  l'insurrection  était  générale;  mais 
c'était  surtout  dans  les  provinces  de  Mitho  et  de  Bien  -  lloa  que  s'étaient  con- 
centrées les  bandes  de  Quann-dhin  (grand  chef  des  rebelles).  Partout  où  ces 
bandes  se  trouvaient,  les  communications  étaient  coupées,  les  villages  pillés 
et  rançonnés  en  hommes  et  en  argent ,  nos  postes  investis ,  cernés  et  qudque- 
fois  assaillis  et  massacrés.  Il  en  avait  été  ainsi,  le  17  décembre,  pour  celui 
de  Uach-Tra,  commandé  par  le  capitaine  Thouroude,  de  l'infanterie  do  ma- 
rine. La  situation  devenait  critique;  les  troupes  que  nous  possédions  dans  la 
colonie ,  malgré  leur  activité ,  malgré  leur  énergie ,  avaient  de  la  peine  à  suf- 
fire au  service  accablant  qui  leur  incombait,  et  chaque  jour  les  rebelles  se 
rapprochaient,  devenant  de  plus  en  plus  menaçants. 

Il  fallut  faire  appel  h  la  division  navale  des  mers  de  Chine,  qui  heureusement 
disposait  encore  du  3<^  bataillon  d'infanterie  légère  d'Afrique  et  de  quelques 
compagnies  de  débarquement.  Les  Espagnols  ayant  de  leur  côté  fait  Tenir  de 
Manille  un  nouveau  détachement  de  huit  cents  Tagals,  l'amiral  Donard  se 
trouva  bientôt  à  la  tête  de  moyens  suffisants  pour  prendre  une  vigoureuse 
offensive,  disperser  les  insurgés  et  imposer  aux  populations  qui  nous  étaient 
restées  fidèles  et  que  la  crainte  seule  retenait  dans  le  devoir. 

Toutes  ces  forces  furent  divisées  en  trois  groupes  :  1<>  l'infanterie  de  marine 
et  les  Espagnols,  sous  les  ordres  du  général  Chaumont;  2^  trois  compagnies 
de  Tirailleurs  algériens,  le  bataillon  d'infanterie  légère  d'Afrique,  trois  com- 
pagnies de  tirailleurs  annamites  etdeuxpiècesd'artiilerie,avec  le  commandant 


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Î40  LE  3*  RÉOIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l863] 

Piélri;  3^  les  trois  autres  compagnies  do  Tirailleurs  algériens,  dont  les  2* 
et  5*,  les  fusiliers  marias  et  quelques  sections  de  débarquement,  sous  le  corn- 
^  mandement  du  capitaine  de  vaisseau  d'Ariès ,  gouverneur  de  la  province  de 
Mytbo.  La  flottille  devait  prêter  son  concours  à  chacun  de  ces  groupes,  et 
servir  surtout  au  transport  des  troupes  pour  tous  les  mouvements  rapides 
que  colles -ci  allaient  avoir  à  exécuter. 

Ces  dispositions  étant  données,  nous  n'allons  maintenant  ne  nous  occuper 
que  du  troisième  groupe,  dans  la  composition  duquel  en  Iraient  les  deux  com- 
pagnies du  régiment. 

Le  3  janvier  1863,  le  lieutenant  Ceccaldi,  le  sous- lieutenant  Labessi  et 
vingt  hommes  de  la  2«  compagnie ,  quittèrent  Hylho  avec  une  petite  co- 
lonne, qui,  sous  les  ordres  du  lieutenant  de  vaisseau  Dol,  devait  par- 
courir le  canton  de  Than-Quan,  depuis  le  village  de  Phu-Kiet  jusqu'à  la  rive 
droite  du  Rac-Baby.  Le  5,  on  rencontra,  vers  fiing-Kach,  un  millier  d'Anna- 
mites armés  de  lances  et  de  mauvais  fusils,  et  traînant  après  eux  quelques 
pierriers.  Encouragée  par  notre  petit  nombre,  cette  bande  tenta  d'envelopper 
la  troupe  de  M.  Dol;  mais  cette  dernière,  exécutant  aussitôt  une  vigoureuse 
attaque  préparée  par  quelques  feux  dirigés  au  milieu  de  la  masse  ennemie, 
eut  vite  fait  de  disperser  les  rebelles,  qui  ne  reparurent  plus  de  la  journée. 
Dans  celte  polite  aifairo,  les  Tirailleurs  déployèrent  toute  leur  vigueur  accou- 
tuméo,  et  méritèrent  tous  les  éloges  du  chef  du  lu  colonne.  Four  leur  propre 
compte,  ils  enlevèrent  ù  l'ennemi  des  ariiies  eu  nombre  œiisidéruble,  sept 
drapeaux  et  l'énorme  tam-tam  qui  avait  servi  quelques  instants  auparavant 
à  donner  le  signal  de  l'attaque. 

Cet  incident  fut  le  seul  de  toute  cette  opération.  Le  7,  la  colonne  rentra 
à  Mytho  sans  avoir  revu  un  seul  ennemi. 

Le  restant  du  mois  de  janvier  fut  employé  aux  préparatifs  des  nombreuses 
expéditions  qui  allaient  bientôt  s'ouvrir  et  auxquelles  toutes  les  troupes  de 
la  colonie  allaient  bientôt  prendre  part.  Le  26,  le  poste  de  Cho-Gaô  fut  oc- 
cupé par  un  détachement  de  la  colonne  Piétri ,  et  la  2®  compagnie  rentra 
à  Mytho,  où  tous  les  Tirailleurs  du  3<»  régiment  se  trouvèrent  alors  réunis. 
Le  29 ,  le  lieutenant  Aubrespy,  avec  deux  officiers  et  cinquaute-lrois  hommes 
de  sa  compagnie,  alla  réoccuper  le  poste  de  Kien- An-Phu,  afin  d'y  protéger  le 
huyen ,  fonctionnaire  indigène  dont  le  dévouement  pouvait  nous  être  d'un 
grand  secours,  et  qui  se  trouvait  exposé  aux  coups  des  rebelles  qui  infestaient 
les  environs. 

Le  2  février,  le  sous-lieutenant  Uuèze,  toujours  détaché  &  lu  2'*  compagnie 
pour  y  faire  le  service,  se  mit  en  route  avec  une  section  de  quarante  Tirail- 
leurs (trente  de  la  2fi  compagnie  et  dix  de  la  5^),  pour  se  porter  sur  le  vil- 
lage de  Bmh-Dang,  à  l'est  de  Mytho,  où  les  insurgés  avaient  été  signalés.  11 
n'y  rencontra  qu'un  détachement  de  Tirailleurs  venus  de  Cho-Gaô  et  un  autre 
de  matelots,  qui  avait  remonté  le  Rac-Kaon.  Ces  trois  groupes  couchèrent 
dans  le  village,  et  le  lendemain  se  dirigèrent  sur  Cho-Gaô,  que  celui  du  sous- 
lieutenant  Guèze  ne  fit  que  traverser,  pour  rentrer  le  même  jour  à  Mytho. 

Pendant  que  ces  opérations  s'eflcctuatent  au  nord  et  à  l'est  de  cette  ville, 
les  compagnies  de  l'ouest  étaient  envahies  par  les  bandes  du  Ticn-hô  (chef 


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[1863]  EN  COCIIINCHINE  241 

des  rebelles  de  cette  région] ,  et  ce  dernier  prenait  position  à  peu  de  distance 
delà,  au  village  de  Ni-Bing,  sur  la  roule  de  Mytho  à  Hi-Cui.  Il  Importait  de 
Ten  chasser  au  plus  tôt,  avant  qu'il  eût  eu  le  temps  do  s*y  fortifîor  et  d*in- 
tcrccptcr  les  conuiiunicatîons  avec  Ton k-Niou,  petit  poste  occupé  par  nous,  à 
environ  trois  kilomètres  plus  loin. 

Le  5  février,  une  petite  colonne,  dans  laquelle  se  trouvaient  les  lieutenants 
Ceccaldi  et  Mohamed-ben-Toudji,  cinquante  Tirailleurs  de  la  2«  compagnie 
et  vingt  fusiliers  marins  commandés  par  renseigne  Barrué,  fut  placée  sous 
les  ordres  du  capitaine  Galland,  et,  le  même  jour,  quitta  Mytho  pour  se  rendre 
à  Long-Uoî,  où  elle  fut  rejointe  par  le  sous-lieutenant  Oriot  avec  vingt  hommes 
tirés  du  poste  de  Kien-Ân-Phu.  Le  convoi  ayant  été  laissé  à  la  garde  de  ce  der- 
nier détachement,  elle  repartit  dans  la  nuit ,  et  avant  le  lever  du  soleil  attei- 
gnit Long-Dinli,  où  l'on  croyait  surprendre  le  Tien-llô  ;  mais  ce  dernier,  qu'on 
y  avait  signalé  la  veille,  avait  déjà  quitté  ce  village,  et  ce  ne  fut  que  vers  le 
milieu  de  la  journée  que  des  renseignements  firent  connaître  qu'il  s'était 
retiré  dans  les  fortifications  de  Ni-Bing. 

Dès  quil  put  être  fixé  sur  la  position  réelle  de  l'ennemi,  le  capitaine  Gal- 
land fit  reprendre  les  armes  et  se  porta  sur  ce  point,  où  il  arriva  à  quatro 
heures  et  demie.  Il  y  trouva  en  effet  les  rebelles  formés  en  bataille,  mais  cou- 
verts par  des  palissades  en  bambous  ,  par  des  retranchements  armés  d'une 
dizaine  de  pierriers  et  par  un  marais ,  heureusement  peu  profond ,  s'étendant 
sur  une  longueur  de  près  d'un  kilomètre  et  protégeant  tout  le  front  de  la  ligne 
fortifiée.  Sur  toute  cette  ligne,  des  drapeaux  de  toutes  les  couleurs  flottaient 
oi^ueîlleusement ,  pendant  qu'au  centre  deux  grands  parasols  déployés  indi- 
quaient à  tous  la  présence  du  Tien-hô  et  le  point  d'où  devaient  partir  les  si- 
gnaux pendant  le  combat. 

Malgré  la  situation  désavantageuse  où  le  plaçait  cette  disposition  du  ter- 
rain et  rénonne  inrériorilé  do  sa  petite  troupe,  dont  l'elfcctif  ne  s'élevait  pas 
à  plus  do  soixante-dix  hommes,  lors(|ue  les  Annamites  étaient  au  moins  sept 
à  huit  cents,  lu  capitaine  Galland  n'hésita  pas  à  attaquer.  Ayant  disposé  ses 
Tirailleurs  et  ses  fusiliers  marins  sur  cinq  rangs  successifs,  avec  des  inter- 
valles de  deux  pas  entre  les  hommes  de  chaque  rang,  il  s'élança  à  leur  tête, 
et  se  jeta  résolument  dans  le  marais,  qui  fut  rapidement  franclil.  Arrivé  à 
deux  cents  mètres,  il  fit  mettre  la  baïonnette  au  cauon  et  sonner  la  charge. 
Au  même  moment,  l'ennemi,  qui  jusque-là  n'avait  pas  tiré  un  coup  de  fusil, 
ouvrit  le  feu  de  ses  pierriers,  dont  les  projectiles  allèrent  se  perdre  dans  l'eau. 
Mais  nos  soldats,  que  cette  décharge  n'avait  pu  arrêter,  avaient  parcouru  en 
quelques  bonds  le  court  espace  qui  les  séparait  des  retranchements  et  péné- 
traient déjà  dans  ces  derniers,  où  une  panique  indescriptible  se  produisit 
aussitôt.  Les  Annamites,  frappés  de  stupeur  devant  cette  audace  dépassant 
tout  ce  dont  ils  croyaient  capables  de  simples  mortels,  fuyaient  terrifiés, 
bravement  guidés  dans  ce  mouvement  précipité  par  leurs  chefs,  dont  la  seule 
préoccupation  était,  pour  le  moment,  de  mettre  une  distance  respectable 
entre  nos  balles  et  leur  auguste  personne.  Un  pierrier  restait  entre  nos  mains  ; 
sa  prise  était  due  au  caporal  Ali-ben-Kebah,  de  la  2®  compagnie,  qui  avait 
tué  l'un  des  porteurs  et  s'était  jeté  sur  les  autres,  qui  avaient  aussitôt, 

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242  LE  a^"  RÉQIUKNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1863] 

pour  fuir  avec  plus  do  rapidilô ,  obandouné  la  pièco  conliéo  à  lours  soins. 

Lo  capitaino  Galland  donna  quelques  instants  de  repos  à  ses  hommes  ; 
puis,  après  avoir  fait  mettre  les  retranchements  qu'on  venait  d'enlever  hors 
d'état  de  servir  de  nouveau ,  il  se  dirigea  sur  Tonk-Niou ,  afin  de  s'y  ravi- 
tailler. Il  resta  dans  ce  poste  toute  la  journée  du  lendemain,  observant  de  1& 
les  rebelles  qui  étaient  revenus  occuper  un  autre  point  de  Ni-Bing.  De  l'arbre 
qui  servait  de  mirador,  on  les  voyait  distinctement  élevant  à  la  hâte  de  nou- 
velles fortifications,  qu'ils  semblaient,  cette  fois,  vouloir  tourner  vers  l'ouest, 
comme  pour  narguer  Tonk-Niou,  dont  ils  se  trouvaient  séparés  par  un  marais 
infranchissable. 

Le  8,  la  petite  colonne  se  trouva  affaiblie  de  dix  fusiliers  marins  envoyés 
à  bord  de  la  canonnière  stationnée  dans  le  Rac-Gam.  D'un  autre  côté,  la  gar- 
nison de  Tonk-Niou,  sur  le  concours  de  laquelle  on  avait  compté  pour  l'at- 
taque de  la  nouvelle  position  de  Ni-Bing,  dut  aller  chercher,  &  trois  quarts 
d'heure  du  poste,  un  convoi  de  soiiante  jours  de  vivres  auquel  la  marée  basse 
n'avait  pas  permis  d'aller  plus  loin.  Réduit  à  n'emmener  qu'une  soixantaine 
d'hommes,  le  capitaine  Galland  ne  voulut  cependant  pas  renvoyer  cette  opé- 
ration au  lendemain,  pensant  avec  raison  que  pendant  ces  vingt -quatre 
heures  les  difficultés  augmenteraient  dans  des  proportions  plus  considérables 
que  le  renfort  qu'il  pourrait  obtenir.  Il  se  mit  donc  en  route  avec  les  cinquante 
Tirailleurs  et  les  neuf  fusiliers  marins  qui  lui  restaient,  et  arriva  jusqu'aux 
retranchements  enlevés  l'avant-veille  sans  rencontrer  un  seul  ennemi.  Avant 
de  s'engager  plus  avant ,  il  fit  exécuter  plusieurs  reconnaissances.  L'une  de 
ces  dernières  s'étant  tout  À  coup  trouvée  en  face  do  la  position  occupée  par 
les  Annamites,  il  Fappuya  immédiatement  avec  le  reste  de  sa  troupe  et,  dans 
les  mômes  conditions  d'infériorité  que  la  première  fois ,  aborda  ses  adver- 
saires, dont  les  dispositions  étaient  sensiblement  les  mêmes  que  pour  la 
journée  du  6. 

De  mémo  que  dans  le  combat  précédent,  les  gens  du  Tien-hé  laissèrent 
approcher  les  nôtres  sans  tirer  un  seul  coup  de  fusil ,  puis  ouvriront  le  fou  de 
leurs  pierriers,  qui  fut  peut-ôtre  un  peu  plus  nourri,  mais  aussi  peu  meur- 
trier. Le  résultat  qui  suivit  fut  exactement  le  même  :  une  fuite  générale  se 
déclara  sur  tous  les  points;  chefs  et  soldats  se  dispersèrent  avec  non  moins 
de  précipitation ,  et  bientôt  il  n'y  eut  plus  personne  derrière  ces  fortifications, 
auxquelles  les  rebelles  avaient  travaillé  avec  tant  d'ardeur.  11  était  environ 
six  heures  du  soir;  on  poursuivit  les  fuyards  jusqu'à  la  nuit,  puis  le  capi- 
taine rassembla  ses  hommes  et  les  ramena  coucher  à  Ni-Bing.  On  gros  pier- 
rier,  des  munitions,  quelques  lances,  un  étendard ,  deux  affûts  de  pierriers, 
le  tambourin  du  Tien-hô,  tels  furent  les  trophées  qu'on  ramassa  sur  le  terrain 
du  combat.  Les  pertes  de  l'ennemi  s'élevaient  à  une  centaine  d'hommes  tués 
ou  noyés  et  à  dix- neuf  prisonniers,  parmi  lesquels  un  qmn  (capitaine)  et 
trois  dois  (sergents). 

La  journée  du  lendemain  fut  employée  à  raser  tous  les  ouvrages  de  Ni- 
Bing.  Le  soir,  le  détachement  se  remit  en  route  après  avoir  incendié  le  village, 
et  vint  coucher  à  Long-Hol|  où  il  retrouva  son  convoi.  Le  10,  le  capitaine 
Galland ,  laissant  encore  là  ce  dernier  sous  la  protection  de  quarante  hommes 


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[1863]  EN  COCIIINCHINE  243 

commandés  par  le  lieutenant  Ceccaldi  et  le  sous- lieutenant  Oriot,  repartit 
avec  les  trente  Tirailleurs  restant,  descendit  le  Rac-Gam  jusqu*à  sa  jonction 
avec  le  Mé-Kong,  et  remonta  ensuite  ce  dernier  pour  aller  coucher  sur  l'A  va- 
lanche,  mouillée  à  Fentrée  du  Rac-Barraî.  Le  11 ,  il  suivit  encore  cet  arroyo 
jusqu'à  Caî-Laï.  Là  les  hommes  furent  répartis  par  deux  et  par  trois  dans  des 
jonriucs ,  qui  allèrent  se  poster  sur  Tarroyo  Commercial ,  où  elles  restèrent 
pendant  toute  la  journée  du  12,  observant  le  pays,  où  des  mouvements  im- 
portants avaient  été  signalés;  mais  aucun  incident  ne  se  produisit.  Le  13,  le 
capitaine  Galland  rallia  ses  hommes  à  Cal-La!,  et  les  fit  embarquer  sur  la 
canonnière  n®  27,  qui  les  ramena  le  soir  môme  à  Mytho,  en  même  temps 
qu'y  arrivaient  par  terre  ceux  laissés  à  Long- Ho!  avec  le  lieutenant  Ceccaldi. 
Le  sous-lieutenant  Oriot  était  également  rentré  à  Kien-An-Phu  avec  le  déta- 
chement de  la  S®  compagnie. 

Cette  sortie,  très  habilement  et  très  vigoureusement  dirigée,  avait  momen- 
tanément dégagé  le  pays  à  l'ouest  de  Mytho,  et  chassé  les  rebelles  de  toute 
cette  région  comprise  entre  le  Mé-Kong  et  Tarroyo  Commercial  d'un  côté,  le 
Rac-Barra!  et  l'arroyo  de  la  Poste  de  l'autre.  A  l'est,  les  opérations  étaient 
poussées  avec  non  moins  d'activité.  A  cette  même  date,  le  commandant  Pietri 
était  avec  toute  sa  colonne  devant  les  forts  do  Vinh-Loi,  en  avant  do  Gô-Kong, 
et  se  trouvait  aux  prises  avec  le  Quann-Dhin,  le  chef  môme  de  l'insur- 
rection. 

Il  s'agissait,  sur  ce  point,  de  s'emparer  successivement  des  nombreux  re- 
tranchements élevés  depuis  Vinh-Loi  jusqu'à  Dong-Son,  et  d'acculer  l'ennemi 
sur  Gô-Kong ,  où  l'on  espérait  le  prendre  entre  les  colonnes  Pietri  et  Chaumont 
d'un  côté,  et  d'autres  troupes  envoyées  de  Mytho  et  les  canonnières  de  la  flot- 
tille de  l'autre.  Pendant  ce  temps ,  des  détachements  d'inégale  importance 
devaient  parcourir  le  canton  de  Than-Quan,  entre  Cho-Gaô  et  Tarroyo  do  la 
Poste,  et  purger  cette  contrée  des  nombreuses  bandes  qui  l'infestaient  et  qui 
s'étaient  retranchées  à  Long-Tri ,  village  situé  à  environ  une  journée  de  marche 
au  nord-est  de  Mytho< 

Dans  ce  dernier  but,  le  lieutenant  Aubrespy  quitta  le  poste  de  Kien-An-Phu 
le  14  février  avec  trente-quatre  Tirailleurs  de  la  5*  compagnie,  et  se  rendit  au 
village  de  Phu-Kiet,  où  il  rallia  trente  marins  du  Cosmao,  vingt  soldats  an- 
namites et  les  coolies  nécessaires  au  transport  de  quelques  jours  de  vivres. 
IjC  soir  môme,  il  alla  avec  ce  détachement  coucher  à  la  pagode  de  Mi-Trflng. 
Le  lendemain,  au  point  du  jour,  il  se  présenta  devant  les  lignes  de  Long-Tri, 
qu'il  trouva  évacuées.  Là  il  fut  rejoint  par  une  autre  troupe  partie  de  Cho-Gaô 
avec  le  même  objectif.  Les  deux  groupes  se  reposèrent  quelques  jours;  puis, 
le  19,  ils  allèrent  coucher  à  Binh-Dang,  afin  de  marcher  à  la  première  heure  sur 
Binh-Phu-Nhiet,  qu'on  croyait  encore  occupé  et  qu'on  trouva  également  aban- 
donné. Le  21 ,  ils  allèrent  s'établir  à  Yinh-Lol,  qui  depuis  deux  jours  était  au 
pouvoir  du  commandant  Pietri.  Ils  devaient  y  rester  jusqu*au  23,  et  rejoindre 
ensuite  une  autre  colonne  partie  de  Mytho ,  et  dont  nous  allons  nous  occuper. 
Cette  dernière  avait  été  formée  le  21  février  avec  cinquante  Tirailleurs  de 
la  2*  compagnie  sous  les  ordres  du  capitaine  Galland ,  et  vingt-cinq  fusiliers 
marins  commandés  par  l'enseigne  Barrué.  Le  même  jour,  elle  quitta  Mytho 


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2i4  LE  3*  RÉGIMRNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1863] 

et  arriva  à  l'cnirée  du  Rac-Rinh-Quen ,  où  so  trouvait  mouilléo  V Avalanche.  I«à, 
elle  se  renforça  de  trente  marins  do  cette  canonnière ,  et  le  commandant  Vergne 
en  prit  la  direclion  tout  en  laissant  au  capitaine  Galland  le  soin  de  conduire 
les  opérations  de  terre,  qui  devaient  avoir  pour  but  l'investissement  de  66- 
kong  au  sud ,  pendant  que  la  colonne  Pietri  venant  du  nord  rejetterait  les 
rebelles  sur  ce  point. 

Le  22,  on  remonta  le  llac-Rinh-Qucn  jusqu'au  village  de  Rinh-Quon,  où 
s'effectua  le  débarquement.  La  petite  colonne  se  mit  ensuite  en  marche  dans 
l'ordre  suivant  :  à  l'avant-garde,  vingt-cinq  Tirailleurs  sous  les  ordres  du  sous- 
lieutenant  Guèze;  puis  successivement  la  2*  section  de  Tirailleurs  avec  le  sous- 
lieutenant  Labessi,  les  vingt-cinq  fusiliers  marins  de  l'enseigne  Rarruô  et  les 
matelots  de  V Avalanche.  Après  une  demi-heure  de  marche,  pendant  laquelle 
on  côtoya  Binh-Quen,  qui  était  complètement  désert,  on  se  trouva  en  face 
d'un  village  retranché,  dont  le  front  était  armé  de  cinq  ou  six  pierriers. 

Cet  obstacle  fut  abordé  et  franchi  au  pas  de  course  par  les  sous-lieutenants 
Guèze  et  Labessi,  et  la  colonne  continua  sa  route  en  se  prolongeant  jusqu'à 
la  hauteur  du  Rac-Gia,  arroyo  sur  lequel  s'appuyaient  de  nombreux  ouvrages, 
qui  furent  successivement  abandonnés  par  leurs  défenseurs.  Les  Tirailleurs, 
se  lançant  alors  à  la  recherche  de  l'ennemi ,  qui  semblait  se  dérober  sur  tous 
les  points,  allèrent  donner  contre  une  ligne  d'arbres,  de  maisons  et  de  re- 
tranchements limitant  une  plaine  mamelonnée  s'étcndant  jusqu'au  Roc-Gia. 
Cette  ligne  était  sérieusement  occupée.  On  commença  d'abord  pur  tirailler  à 
distance,  puis  les  Tirailleurs  s'étant  par  trop  approchés,  les  Annamites  sor- 
tirent de  toutes  parts,  envahirent  la  plaine  et  formèrent  un  demi-cercle 
n'ayant  pas  moins  de  deux  mille  mètres  de  développement,  avec  des  intervalles 
remplis  par  une  trentaine  de  pierriers.  Un  combat  assez  vif  ne  tarda  pas  à 
s'engager  avec  ces  bandes  considérables,  et  malgré  la  disproportion  existant 
entre  nos  forces  et  celles  de  l'ennemi ,  ce  dernier  fut  victorieusement  maintenu 
par  la  petite  troupe  du  capitaine  Galland,  qui  n'avait  pas  tardé  &  se  grossir 
des  matelots  de  VAvalancJie  et  des  fusiliers  de  M.  Rarrué. 

Il  ne  fallait  pas  chercher  à  enfoncer  la  masse  toujours  croissante  de  nos 
adversaires,  mais  bien  plutôt  à  nous  tirer  prudemment  d'une  situation  que  le 
moindre  incident  pouvait  compliquer.  Pour  faciliter  une  retraite  qu'il  était  8age 
de  ne  pas  se  laisser  dicter  par  les  circonstances,  le  commandant  Vergne  avait 
fait  avancer,  sous  les  ordres  de  l'enseigne  Mortcmart,  trente  marins  de  la  Dra- 
gmme,  dont  la  moitié  fut  disposée  en  tirailleurs.  Sous  leur  protection ,  le  mou- 
vement rétrograde  s'effectua  lentement  et  en  bon  ordre  dans  la  direction  du 
Rac-Gia.  Cependant  le  cercle  se  resserrait  de  plus  en  plus;  devenus  confiants, 
les  Annamites  se  rapprochaient  tellement ,  que  les  coups  de  leurs  mauvais 
fusils  commençaient  à  porter  dans  nos  rangs.  Ils  exécutaient  déjà,  au  bruit  du 
tam-tam  et  au  balancement  des  drapeaux ,  des  passes  extravagantes  mimant 
assez  expressivement  la  décapitation  des  vaincus.  Mais  là  s'arrêta  leur  fan- 
tasia :  trois  charges,  fournies  successivement  par  renseigne  Mortemart  et  les 
sous-lieutenants  Guèze  et  Labessi,  culbutèrent  soudain  ces  guerriers  bizarres, 
dont  les  exercices  pyrrhiques  se  transformèrent  aussitôt  en  un  autre  où  les 
Jambes  seules  furent  en  jeu.  On  les  rejota  assez  loin;  mais,  dès  qu'on  eut 


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[1863]  EN  COCHINGHINB  245 

repris  le  mouvement  en  arrière,  leur  ligne  se  reforma.  Ce  combat,  qui  durait 
depuis  quatre  heures,  menaçant  ainsi  de  se  prolopger  sans  résultat  déGnitif, 
le  commandant  Vergne  fit  rentrer  les  troupes  dans  les  retranchements  enlevés 
dans  la  matinée.  L'ennemi  les  suivit  pendant  quelque  temps,  mais  sans  se 
hasarder  à  aucune  tentative  sérieuse.  Il  avait  du  reste  éprouvé  des  pertes  asses 
importantes,  alors  que  de  notre  côté  il  n*y  avait  que  quelques  contusions  sans 
gravité. 

Le  23  au  matin ,  dans  une  reconnaissance  poussée  en  avant  du  cantonne- 
ment, le  sous-lieutenant  Labessi,  avec  vingtrcinq  Tirailleurs  et  les  marins  de 
la  Dragonne,  enleva  une  pagode  retranchée  située  vers  le  milieu  de  la  ligne 
attaquée  la  veille,  et  s*empara  d^un  pierrier  en  tuant  de  sa  main  les  deux  por- 
teurs. N'ayant  ensuite  ni  les  moyens  do  démolir  cette  construction  ni  ceux 
de  Toccuper  solidement,  il  Tabandonna.  Les  robolics  revinrent  en  toute  hâte 
pour  s'y  réinstaller;  mais,  le  lendemain,  une  autre  reconnaissance  conduite 
par  le  lieutenant  de  vaisseau  Daisy,  et  dans  laquelle  se  trouvaient  vingt-cinq 
Tirailleurs  avec  M.  Guèzc,  les  en  chassa  de  nouveau  en  leur  prenant  encore 
deux  picrriors. 

Dans  cette  même  journée  du  23  février,  le  détachement  du  lieutenant  Au- 
brcspy  et  celui  parti  de  Gho-Gaé  arrivèrent  à  Vinh-Loî  et  se  joignirent  à  la  co- 
lonne du  commandant  Vergne,  qui  se  trouva  ainsi  renforcée  d'environ  cent 
vingt  hommes. 

Le  25,  le  capitaine  Galland,  chargé  de  faire  une  démonstration  dans  la  di- 
rection de  Gô-Kong,  partit  dès  le  matin  avec  la  section  du  sous-lieutenant 
Labessi,  le  détachement  du  lieutenant  Âubrespy  et  les  marins  de  M.  Barrué 
et  de  V Avalanche,  en  tout  cent  quarante  hommes.  Après  avoir  dépassé  les  re- 
tranchements enlevés  le  22,  il  se  dirigea  diagonalement  à  travers  la  plaine 
et  arriva  au  village  de  Uinh-Long,  dont  les  habitants  fuyaient  déjà  dans  toutes 
les  directions.  Partout  d'ailleurs  on  ne  voyait  que  de  longues  files  d'Anna- 
mites cherchant  à  gagner  la  campagne  et  à  s'éloigner  de  G6-Kong.  Supposant 
que  tous  ces  mouvements  devaient  avoir  pour  cause  quelque  événement  ex- 
traordinaire,  le  capitaine  Galland  rentra  immédiatement  au  campement  de 
Rac-Gia,  et  en  repartit  à  quatre  heures  du  soir  avec  une  autre  colonne  se 
composant  à  peu  près  des  mômes  troupes  que  celles  du  matin,  mais  compre- 
nant en  outre  dix  sapeurs  du  génie  et  dix  artilleurs  avec  une  pièce  de  quatre 
rayée.  Le  détachement  de  M.  Aubrespy,  qui  devait  s'embarquer  le  môme  soir 
pour  Vinh-LoI,  avait  été  remplacé  par  la  section  de  M.  Guèze,  de  sorte  que  le^ 
cinquante  Tirailleurs  de  la  2^  compagnie  se  trouvaient  maintenant  réunis. 

Le  capitaine  Galland  revint  s'établir  à  Dinh-Long.  En  y  arrivant,  il  apprit 
la  prise  de  Gô-Kong.  Les  bandes  qu'il  avait  vues  le  matin  n'étaient  autres  que 
celles  du  Quann-Dhin ,  qui,  pressées  par  les  deux  autres  colonnes,  se  dispersaient 
précipitamment,  abandonnant  sans  retour  les  fortifications  qu'elles  avaient  si 
patiemment  élevées.  Gô-Kong  était  maintenant  au  pouvoir  de  l'amiral  Bo- 
nard.  Le  rôle  des  troupes  du  commandant  Vergne  se  trouvait  terminé.  Le  26| 
le  capitaine  Galland  rentrait  dans  les  lignes  de  Rac-Gia  et,  le  soir  du  même 
jour,  s'embarquait  avec  les  hommes  de  sa  compagnie  pour  revenir  à  Mytho. 

Le  lieutenant  Aubrespy,  qui,  dans  la  journée  du  25,  était  reparti  pour 


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2h%  lE  3<*  nÉGIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1863] 

Vinh-Loi  avec  los  trente-quatre  Tirailleurs  do  la  5^  compagnie,  resta  dans  ce 
poste  jusqu'au  28,  donnant  chaque  jour  la  chasse  aux  débris  des  bandes  échap- 
pées de  Gô-Kong;  puis  il  se  dirigea  sur  Cho-Gaô,  qu'il  quitta  le  l'''  mars 
pour  aller  détruire  les  fortifications  de  Long -Tri.  Cette  opération  terminée,  il 
reprit  le  chemin  de  Kien-An-Phu ,  où  il  arriva  le  5  au  soir. 

A  la  suite  de  ces  opérations,  les  Tirailleurs  des  2^  et  5*  compagnies  furent 
cités  avec  les  plus  grands  éloges  par  l'amiral  Bonard  pour  les  affaires  de 
Ni-Bing  (6  et  8  février)  et  de  Rac-Gia  (22,  23  et  24  février).  Quelque  temps 
après ,  les  promotions  suivantes  faites  dans  l'ordre  de  la  Légion  d'honneur 
vinrent  récompenser  ceux  qui  s'étaient  le  plus  distingués.  ^ 

Étaient  nommés  chevaliers  : 

MM.  Ccccaldi,  lieutenant. 

Accarias,  médocin-aide-iiiajor. 

Mohamed-ben-Assen-Labessi ,      sous-lieutenant. 
Ali-ben-Rebah ,  sergent. 

Le  souS'lieutenant  Guèze,  du  !•'  régiment,  qui  pendant  toute  cette  dernière 
période  avait  fait  le  service  à  la  2*  compagnie,  était  nommé  lieutenant. 

En  détruisant  ou  en  dispersant  les  forces  considérables  que  le  parti  de  la 
résistance  était  parvenu  à  réunir  entre  les  mains  du  Quann-dhin ,  l'expédition 
qui  venait  de  se  terminer  avait  non  seulement  déjoué  toutes  les  machinations 
ourdies  par  l'astucieuse  cour  de  Hué,  mais  encore  persuadé  aux  populations 
des  provinces  soumises  à  notre  domination  que  tout  nouvel  effort  de  ce  genre 
serait  une  folie.  C'était  son  dernier  soupir  que  l'insurrection  nationale  (si 
toutefois  elle  peut  mériter  ce  nom)  avait  rendu  à  Gô-Kong.  Maintenant  les 
dissidents  n'allaient  plus  se  composer  que  de  simples  pillards,  la  plupart 
venant  des  provinces  non  occupas,  et  formant  des  bandes  indépendantes 
encouragées,  il  est  vrai,  par  les  mandarins  à  la  dévotion  de  Tu -Duc,  mais 
opérant  sans  accord,  sans  autre  but  que  leur  intérêt  particulier,  sans  autre 
stimulant  que  l'appât  du  butin.  Pour  en  avoir  raison,  un  simple  service  de 
gendarmerie  allait  ôtre  suffisant.  Aussi,  pendant  l'année  qui  devait  encore 
s'écouler  avant  leur  rapatriement ,  les  Tirailleurs  n'allaient-ils  plus  avoir  qu'à 
fournir  de  petites  garnisons  aux  nombreux  petits  postes  existant  déjà  ou  en 
voie  de  création  pour  le  maintien  de  la  tranquillité.  C'est  dans  cette  mission , 
peu  en  rapport  avec  leur  tempérament,  que  nous  allons  les  suivre  jusqu'à 
leur  retour  en  Algérie. 

Le  15  mars,  le  détachement  de  la  5*  compagnie  occupant  Kien-An-Phu 
rentra  à  Mytho.  Le  20,  le  lieutenant  Ceccaldi,  avec  cinquante  hommes  de 
la  2«,  lut  envoyé  à  Cho-Gaô,  où  il  resta  jusqu'au  29  avril,  sans  qu'aucun  in- 
cident vint  y  signaler  son  séjour.  Il  y  fut  remplacé,  le  29  du  même  mois,  par 
le  lieutenant  Aubrespy  avec  trente- cinq  hommes  de  la  5®,  pendant  que  le 
Bous-lieutenant  Oriot,  avec  le  restant  de  cette  dernière,  retournait  à  Kien- 
An-Phu. 
Du  6  au  10  mai ,  le  lieutenant  Guèze,  avec  vingt-cinq  hommes  de  la  2*  corn- 


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[1863]  EN  C0CHINCH1NB  247 

pagnie,  fut  détaché  sur  le  Rac-Baby,  et  rentra  sans  avoir  de  fait  importaot 
à  enregistrer. 

Le  S  juin,  le  lieutenant  Aubrespy  revint  à  Mytho  et,  le  lendemain,  fut 
remplacé  &  Cho-Gaô  par  le  lieutenant  Ccccaldi  avec  la  2»  section  de  la  2^  com- 
pagnie. Le  7,  le  capitaine  Galland,  avec  la  l'^'  section  de  cette  dernière,  alla 
relever  à  Kicn-An-Phu  le  détachomont  du  sous-lioutonant  Oriot,  qui  rentra 
le  soir  môme  à  Mytho. 

Le  6  août,  les  deux  sections  de  la  5<>  compagnie  allèrent  relever  celles  de  la 
2^^,  de  sorte  que  les  postes  de  Cho-6aô  et  de  Kien-An-Phu  se  trouvèrent  de 
nouveau  commandés,  le  premier  par  le  lieutenant  Aubrespy,  le  second  par 
le  sous- lieutenant  Oriot.  Le  8,  celui  de  Cho-Gaô  envoya  un  détachement  de 
quinze  hommes  au  village  de  Chao-N*ghan,  situé  à  trois  kilomètres  &  Test. 
Le  21 ,  la  section  de  M.  Oriot  occupant  Kion-An-Phu  étant  venue  se  joindre  à 
celle  de  M.  Aubrespy,  toute  la  5®  compagnie  se  trouva  alors  réunie  à  Cho-Gaô, 
à  l'exception  des  quinze  hommes  dont  il  est  question  ci-dessus  et  de  dix  autres 
qui,  le  22,  furent  envoyés  au  village  de  Binh-Dang.  Ces  dispositions  restèrent 
les  mômes  jusqu'au  9  octobre,  jour  où  cette  compagnie  rentra  à  Mytho  pour 
y  rejoindre  la  2<^,  qui  depuis  te  commencement  d*août  n*avait  pas  bougé. 

Le  6  novembre,  le  lieutenant  Ceccaldi  alla  réoccuper  Kien-An-Phu  avec 
trente-cinq  hommes  de  la  2<)  compagnie.  Il  resta  dix-sept  hommes  de  cette 
dernière  qui ,  le  29,  partirent  avec  la  5®  compagnie  tout  entière  (cinquante-six 
hommes)  pour  retourner  à  Gho-Gaô.  Le  capitaine  Galland  demeura  à  Mytho 
pour  y  remplir  les  fonctions  de  commandant  de  la  citadelle  et  de  chef  de  tout 
le  détachement  de  Tirailleurs  de  la  province,  qui  se  composait,  outre  les  deux 
compagnies  du  3®  régiment,  d'une  autre  du  2*. 

Ce  détachement,  comme  du  reste  toutes  les  autres  troupes  de  la  colonie, 
avait  été  cruellement  éprouvé  par  les  maladies.  De  cet  eflcctif  de  cent  qua-* 
rante  hommes  qu'elles  avaient  au  départ  d'Algérie,  les  compagnies  étaient, 
comme  on  vient  de  le  voir,  descendues  à  celui  de  cinquante;  encore  fallait-il 
comprendre  dans  ce  chiffre  beaucoup  d'hommes  fatigués,  et  par  suite  inca- 
pables de  supporter  les  épreuves  d'une  opération  de  longue  durée.  Il  n'y  avait 
plus,  en  réalité,  &  entreprendre  des  expéditions  du  genre  de  celles  qui  avaient 
eu  lieu  pendant  Thiver  1862-1863;  mais  il  fallait  cependant  encore,  indépen- 
damment des  Fréquents  changements  do  garnison,  faire  quelques  excursions 
dans  les  environs  des  postes,  afin  de  rassurer  les  populations  paisibles  tou- 
jours en  butte  aux  attaques  des  nombreux  pirates  qu'avait  fait  naître  l'état 
d'anarchie  où  se  trouvait  encore  le  pays.  Des  arrestations  importantes  de  man- 
darins ou  de  chefs^e  bandes  étaient  souvent  le  résultat  de  ces  marches,  qui 
avaient  généralement  lieu  sur  des  renseignements  fournis  par  les  autorités 
indigènes  locales.  Ces  petites  colonnes  volantes,  en  débarrassant  les  campagnes 
des  agitateurs  qui  cherchaient  encore  à  y  semer  les  excitations  de  la  cour  de 
Hué,  contribuèrent  pour  une  large  part  à  la  pacification  progressive  de  la  pro- 
vince de  Mytho  et  au  rétablissement  de  Tordre  et  de  la  prospérité. 

Au  commencement  de  l'année  1864,  la  situation  étant  aussi  satisfaisante 
que  possible ,  la  tAche  des  Tirailleurs  algériens  Fut  considérée  comme  achevée. 
On  les  fit  relever  dans  les  postes  qu'ils  occupaient,  et  on  les  dirigea  sur  Saigon 


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2^8      LE  3*  RÉOIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  COCHINCIIINE     [1863] 

pour  y  procéder  aux  préparalib  de  leur  rapatriement.  Les  2*  et  5*  compagnies, 
rentrées  &  Mytho  les  19  et  21  janvier,  et  embarquées  à  cette  dernière  date, 
s*y  trouvèrent  réunies  le  23.  Les  autres  suivirent  de  près,  et,  le  26,  le  ba- 
taillon se  retrouva,  pour  la  première  fois  depuis  le  commencement  de  la 
campagne,  tout  entier  sous  les  ordres  directs  de  son  chef.  Malheureusement 
on  y  constatait  de  tels  vides,  que  les  compagnies  n'étaient  plus  guère  que  des 
sections.  Elles  allaient  cependant  être  réduites  à  une  expression  plus  simple 
encore  par  le  passage  de  cent  deux  volontaires,  dont  trente-quatre  apparte- 
naient au  3*  régiment,  à  l'escadron  de  spahis  de  Cochinchine.  Les  hommes 
désignés  pour  cette  aflectation  allaient  encore  rester  deux  années  dans  la  co- 
lonie, pendant  que  les  autres  n'attendaient  plus  qu'un  transport  pour  les 
ramener  en  Algérie. 

Cette  attente  dura  trois  mois;  enfin,  le  1*  mai,  le  Japon  prit  un  peu  plus 
de  deux  cents  hommes  à  son  bord,  et,  indépendamment  des  volontaires  ci- 
dessus,  tout  ce  qui  restait  de  Tirailleurs  en  Cochinchine  s'éloigna  de  cette 
terre  inhospitalière  pour  revenir  sous  le  ciel  plus  clément  de  l'Algérie. 

Le  5  mai,  le  Japwi  arriva  à  Singapour,  d'où  il  repartit  le  7  pour  atteindre 
Ceyian  le  15,  et  y  faire  escale  jusqu'au  17.  De  Ceylan,  il  gagna  Aden  le  29, 
y  resta  jusqu'au  31 ,  et  aborda  le  8  juin  à  Suez.  Là  mourut,  d'une  maladie 
contractée  au  sein  du  climat  pestilentiel  qu'on  venait  d'abandonner,  H.  le 
lieutenant  Cohat,  remplissant  les  fonctions  d'oflScier  payeur. 

Le  11  juin,  le  bataillon  quitta  Suez  en  chemin  de  for  et  arriva  le  lendemain 
à  Alexandrie,  où  il  dut  attendre  jusqu'au  4  juillet  pour  s'embarquer  sur  VEl- 
dorado,  qui  le  débarqua  le  12  à  Toulon.  Le  19,  il  passa  à  bord  du  Labrador, 
qui  le  transporta  à  Alger,  où  il  arriva  le  21.  Enfin  le  détachement  du  S^"  ré- 
giment prit  encore  passage  sur  le  courrier  de  la  côte  et  revit  Philippeville  le 
4  août.  Immédiatement  dirigé  sur  Constantine,  il  y  arriva  le  8,  et  y  fut  reçu 
avec  tous  les  honneurs  dus  à  une  troupe  qui  avait  une  fois  de  plus  fait  appré- 
cier les  rares  qualités  qui  distinguaient  le  corps  auquel  elle  appartenait. 


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EXPÉDITION  DU  MEXIQUE 

(1862-1867) 


CHAPITRE  IX 


Guerre  du  Mexique.  —  Formation  d*un  bataillon  de  Tirailleurs  destiné  à  prendre  part 
à  l'expédition.  —  Départ  d*Alger.  —  Traversée.  —  Débarquement  à  Vera-Cruz.  —  Le 
bataillon  est  employé  à  Tescorte  de  convois.  —  Ck>mbat  du  28  janvier  1863.  —  Cîoncen- 
tration  à  Orizaba.  —  Marche  sur  Paebla.  —  Investissement  de  la  place.  —  Difficultés 
des  premières  attaques.  —  Tentative  de  ravitaillement  de  la  part  de  Tennemi.  — 
Combat  de  San-Lorenzo.  —  Reddition  de  Paebla.  —  Marche  sur  Mexico.  —  Entrée  des 
troupes  françaises  dans  la  capitale  du  Mexique. 


Lorsque,  par  dépêche  du  4  juillet  1862,  le  ministre  de  la  guerre  avait 
prescrit  la  formation  d'un  bataillon  de  Tirailleurs  algériens  pour  renvoyer  au 
Mexique,  il  y  avait  déjà  près  de  six  mois  que  Timmixtion  du  gouvernement 
français  dans  les  affaires  intérieures  do  ce  pays  y  avait  amené  la  présence  do 
noire  drapeau.  D'abord  sous  les  ordres  du  contre-amiral  Jurion  do  la  Gravièro 
et  ne  comprenant  que  trois  mille  hommes,  le  corps  expéditionnaire  en  avait 
eu  bientôt  six  mille  avec  le  général  de  Lorencez,  et  c'était  pour  le  porter  à 
trente  mille  avec  le  général  Forey,  qu*on  envoyait  ces  nouveaux  renforts. 

Jusque-là  Texpédition  ne  s*était  pas  présentée  sous  des  auspices  bien  en- 
courageants; abandonnée  par  TEspagne  et  l'Angleterre,  ses  alliées  de  la  pre- 
mière heure,  la  France  8*était  soudain  vue  seule  à  poursuivre  celte  entreprise, 
et,  de  Faction  politique  qu'elle  se  proposait,  elle  avait  bientôt  dû  en  venir  à 
une  intervention  essentiellement  militaire.  On  s'était  bien  vite  aperçu  que 
Fenthousiasme  des  Mexicains,  cet  enthousiasme  sur  lequel  on  comptait  pour 
seconder  notre  influence  et  accomplir  certaines  réformes ,  avait  été  considéra- 
blement exagéré ,  et  que  le  parti  national ,  au  lieu  de  nous  être  favorable,  était 


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250  LE  3*  RÉaillENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1862] 

au  contraire  ouvertement  hoslile  à  des  changements  qu*il  se  figurait  comme 
devant  porter  atteinte  à  sa  liberté.  Une  marche  de  la  Soledad  sur  Orizaba,  puis 
d*Orizaba  sur  Puebla,  8*é(ait  terminée,  le  5  mai  1862,  par  un  sanglant  échec 
devant  cette  dernière  ville,  et  par  une  retraite  qui  n'avait,  il  est  vrai,  pas  été 
inquiétée,  mais  qui  avait  ensuite  permis  à  Tennemi  de  venir  jusque  sous  les 
murs  d'Orizaba,  et  de  menacer  nos  communications  avec  Vera-Cruz. 

C'était  cet  insuccès  et  la  situation  critique  qui  en  était  résultée ,  qui  avaient 
décidé  l'envoi  de  nouvelles  troupes  et  le  remplacement  du  général  de  Lorcncez 
par  le  général  Porey. 

Présentant  un  effectif  de  trente- quatre  oflSciers  et  de  sept  cents  hommes 
de  troupe,  le  bataillon  de  Tirailleurs  algériens  dont  la  formation  avait  été 
prescrite  par  le  ministre  fut  organisée  à  Alger  dans  le  courant  du  mois  d'août. 
C'est  là  que  vinrent  se  réunir  les  contingents  des  trois  provinces.  Le  détache- 
ment fourni  par  le  3*  régiment,  détachement  que  nous  avons  vu  s*embarquer 
à  Philippeville  le  18  juillet  1862,  y  était  arrivé  le  lendemain  19. 

Voici  quelle  était  sa  composition  en  officiers  : 

1MM.  Cottret,  chef  de  bataillon. 
Alzon,  capitaine-adjudant-major. 
Bock,  médccin-aide-major. 

/MM.  Estelle,  capitaine. 

lr«  coMPAGmi       1  ^™y»  lieutenant  français. 

(Irt  du  1er  bataillon)  \  Mohamed-bel-Gasm ,  lieutenant  indigène. 

f  De  Saint-Julien ,  sous-lieutenant  français. 

\  Yahia-ben-Simo,  sous-lieutenant  indigène. 

/MM.  DeVauguion,  capitaine. 
2«  COMPAGNIB        \         ^®  Grontec,  lieutenant  français. 
(3*  du  l»'  bataillon)  ]         Assen-ben-Krélill ,  lieutenant  indigène. 
I         Cailliot,  sous-lieutenant  français. 
\        Béchir-ben-Hohamed ,  sous-lieutenant  indigène. 

A  la  suite  du  tiercement  d'organisation ,  la  compagnie  du  capitaine  Estelle 
devint  la  l^*  du  bataillon  de  marche,  et  celle  du  capitaine  de  Vauguion  la  5«. 
Le  contingent  du  l*''  régiment  forma  les  3«  et  6*  compagnies ,  celui  du  2<»  les 
2«  et  4«. 

L'embarquement  eut  lieu  le  9  septembre  sur  le  Ponlenoy,  qui  leva  l'ancre  le 
lendemain  pour  faire  route  vers  Vera-Cruz.  Le  12,  à  huit  heures  du  soir, 
on  passa  le  détroit  de  Gibraltar;  le  16,  on  arriva  dans  la  rade  de  Finchal  (fie 
Madère),  où  l'on  fit  relAche  jusqu'au  18.  Le  6  octobre  au  point  du  jour,  on 
aperçut  la  Martinique  et  Sainte-Lucie;  vers  midi,  on  mouilla  en  rade  de  Fort- 
de-France.  Le  9,  les  1>^,  2«,  3*  et  6«  compagnies  furent  débarquées  et  logées 
au  fort  Saint- Louis.  Ces  compagnies  revinrent  à  bord  le  12  au  matin,  et,  le 
13,  le  FonUnoy  reprit  la  mer  de  concert  avec  VUlm  et  YAriège,  emportant 


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[1862]  AU  MEXIQUE  251 

également  des  troupes.  Le  20,  on  entra  dans  le  golfe  du  Mexique,  où,  le  27, 
on  fut  assailli  par  une  violente  tempête  qui  dura  toute  la  journée  et  entraîna 
un  retard  assez  considérable;  enfin,  le  29,  on  arriva  à'Vera-Gruz.  Le  débar- 
quement s'effectua  le  30  dans  la  matinée,  et  le  bataillon  de  Tirailleurs  alla 
camper  à  Test  de  la  ville. 

Dès  le  lendemain  eut  lieu  la  mise  en  route  de  cinq  compagnies  (  la  3^  restait 
àVera-Cruzpour  y  terminer  le  débarquement  du  magasin);  elles  se  dirigèrent 
sur  laTéjéria,  localité  peu  importante  située  sur  la  route  de  la  Soledad.  Le  4, 
la  i^^  compagnie  (capitaine  Estelle)  fut  désignée  pour  escorter  jusqu'à  celte 
dernière  ville  un  convoi  de  vivres  à  destination  d'Orizaba.  Le  soir,  elle  bi- 
vouaqua à  la  Pulga,  et  le  lendemain  arriva  à  la  Soledad,  où  elle  attendit 
le  bataillon  qui,  parti  un  jour  après,  ne  s'y  trouva  que  le  6,  après  avoir  été 
rallié  à  Santa-Anna  par  la  3<>  compagnie  restée  &  Vera-Cruz.  La  Soledad  était 
un  grand  village  abandonné  de  ses  habitants,  et  ne  présentant  d'autres  res- 
sources que  celles  qu'y  avait  réunies  l'administration; 

Le  7,  les  1'*  et  2®  compagnies  partirent  encore  pour  escorter  un  nouveau 
convoi.  Elles  s'arrêtèrent  le  même  jour  &  Palo-Verde,  village  que  la  2«  avait 
mission  d'occuper.  Le  lendemain,  la  i^^  continua  seule  la  route,  passa  à 
Camarone  et  arriva  le  soir  à  Paso -del- Macho,  où  elle  releva  une  compagnie 
du  l^'  zouaves.  Ces  deux  postes,  Palo-Verde  et  Paso-deUMacho,  situés  sur 
la  route  d'Orizaba,  avaient  surtout  pour  but  la  protection  des  petits  détache- 
ments et  des  convois  se  rendant  de  la  Vera-Cruz  à  cette  dernière  ville,  et 
vice  versa.  Aussi ,  pendant  près  de  trois  mois,  le  service  du  bataillon  allait-il 
se  borner  à  des  escortes  continuelles,  la  plupart  sans  incident,  quelques-  unes 
marquées  par  de  petits  combats  avec  les  guérilleros.  Le  16.,  la  4*  compagnie 
quitta  la  Soledad,  et  alla  avec  sa  1*^ section  renforcer  le  poste  de  Palo-Verde, 
et  avec  sa  2*^  coluî  do  Paso -dcl- Macho. 

Dans  le  commencement  d'octobre  eut  lieu  une  petite  opération.  Des  gué- 
rilleros ayant  enlevé ,  à  peu  de  distance  de  la  Soledad ,  quelques  mulets  chargés 
à  l'un  des  nombreux  convois  qui  passaient  sur  ce  point,  le  commandant 
Cottret  se  rendit  seul  sur  les  lieux,  afîn  de  s'assurer  par  lui-même  de  l'im- 
portance des  faits.  Reçu  par  des  coups  de  fusil,  il  dut  se  retirer;  mais  le  6, 
à  onze  heures  du  matin,  prenant  avec  lui  la  3®  compagnie,  une  section  de 
la  5^  et  quelques  cavaliers,  il  se  dirigea  sur  le  rancho  *  del  Surdo,  sur  la  rive 
droite  du  Rio-Jamapa,  qu'il  savait  être  le  repaire  d'une  audacieuse  guérilla. 
Il  y  surprit,  en  efTet,  un  assez  grand  nombre  de  ces  voleurs;  quatre  furent 
tués,  le  restant  se  sauva  à  la  nage,  nous  abandonnant  des  chevaux,  des 
mulets  et  un  butin  considérable,  fruit  de  plusieurs  mois  de  rapines. 

Le  18  décembre,  les  l''^',  2"  et  4<)  compagnies,  c'est-à-dire  la  garnison  de 
Paso -del -Macho  et  celle  de  Palo-Verde,  qui  l'avait  rejointe  la  veille,  quittè- 
rent Paso-del-Macho ,  où  elles  furent  remplacées  par  une  section  de  la  6*  com- 
pagnie, et  arrivèrent  le  même  soir  à  Chiquihuite,  où  elles  prirent  position. 
Le  23,  l'état- major  et  les  'S^ ,  5<)  et  &^  compagnies,  abandonnèrent  également 
la  Soledad,  escorlant  un  convoi  de  trente- sept  voitures  chargées  de  poudre. 

'  Village. 


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252  LE  3*  nÊGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1863] 

Arrivé  è  Poso-del -Macho,  lo  commandant  Cotlrol  y  laissa  les  S«  cl  G*  com- 
pagnies et  continua  avec  la  3«  et  le  convoi  jusqu'à  Chiquihuite ,  où  il  arriva  le 
25.  Là  il  fit  occuper,  par  les  quatre  compagnies  réunies  sous  sa  main,  le 
long  et  difficile  défilé  qui  sépare  l'immense  plaine  connue  sous  le  nom  de 
Tierras  ealientes  (terres  chaudes)  du  vaste  plateau  des  Tierra$  templadas  (terres 
tempérées).  Placé  à  moitié  distance  entre  la  Soledad  et  Cordova,  le  bataillon 
allait  encore,  pendant  plus  de  deux  mois,  assurer  les  communications  entre 
ces  deux  villes,  et  fournir  tous  les  détachements  nécessaires  pour  l'escorlodes 
incessants  convois  allant  et  venant  sur  la  route  d*Orizaba.  Ce  service  donna 
lieu  à  un  fait  d'armes  particulièrement  honorable  pour  le  3*  Tirailleurs. 

Lo  28  jonvier  1863,  le  lieutenant  Mohamed- Bouncp,  qui  avait  remplacé 
à  la  5«  compagnie  H.  Assen-ben-Krélill  rentré  en  Algérie,  ayant  été  avec 
sa  section  et  un  détachement  de  vingt- huit  chasseurs  d'Afrique  chargé  d'es- 
corter un  convoi  parti  du  la  Soledad,  se  vit  soudainement  attaqué  à  G  kilo- 
mètres environ  en  avant  do  Palu-Verde.  Son  avant-garde,  coiupusée  du 
peloton  de  chasseurs  d'Afrique ,  d'abord  brusquement  arrêtée  par  le  feu  do 
trois  à  quatre  cents  fantassins  embusqués  dans  les  broussailles  épaisses  qui 
bordaient  la  route  en  cet  endroit,  fut  presque  immédiatement  chargée  par 
une  troupe  de  cent  cinquante  cavaliers  ennemis.  Malgré  leur  petit  nombre, 
les  chasseurs  n'hésitèrent  pas  à  aborder  hardiment  ces  nouveaux  venus ,  qui 
furent  aussitôt  dispersés.  Mais  ceux-ci  se  reformèrent,  revinrent  avec  l'infan- 
terioetclierclièrent  à  entourer  le  convoi  pour  y  juter  lu  désordre  et  y  pénétrer. 
Disposant  sa  troupe  avec  beaucoup  d*à  -  propos  et  la  dirigeant  avec  beaucoup 
de  sang-froid,  le  lieutenant  Bounep  parvint  ù  déjouer  toutes  les  tentatives  dus 
Mexicains,  et  força  enfin  ceux-ci  à  s'élpigner,  après  leur  avoir  infligé  des 
pertes  considérables.  L'ennemi  se  porta-alors  à  deux  kilomètres  en  avant,  sur 
des  hauteurs  dominant  la  route,  et,  lorsque  la  colonne  arriva  à  portée  de  son 
feu,  il  recommença  ses  attaques.  Les  munitions  commençaient  à  manquer; 
les  attelages  du  convoi,  qui  venaient  d'être  surmenés,  avaient  besoin  de 
repos;  la  situation  devenait  difficile.  Nu  voulant  pos  Tuggravur  duvunlugu,  le 
lieutenant  Bounep  résolut  de  s'arrêter  sur  une  bonne  position,  ut  d'unvoyur 
chercher  à  la  Soledad  les  renforts  et  les  munitions  dont  il  avait  besoin.  Pre- 
nant cette  détermination  pour  l'aveu  d'une  défaite,  l'ennemi  essaya  encore 
d*une  audacieuse  agression  ;  mais ,  reçu  cette  fois  par  une  vive  fusillade  exé- 
cutée à  bout  portant,  il  prit  la  fuite  et  disparut  pour  ne  plus  revenir.  Les 
secours  demandés,  consistant  dans  cinquante  cavaliers  auxiliaires,  arrivèrent 
le  soir  même.  La  marche  fut  aussitôt  reprise,  et  se  continua  jusqu'à  Palo- 
Verde  sans  être  de  nouveau  inquiétée. 

Cet  engagement  nous  avait  coûté  deux  hommes  tués  et  trois  autres  blessés. 

La  portion  principale  du  bataillon  resta  à  Chiquihuite  jusqu'au  19  février. 
A  cette  date,  les  cinq  premières  compagnies  se  mirent  en  route  pour  Orizaba, 
pendant  que  la  6*  restait  détachée  au  poste  de  Paso -del- Macho.  Le  premier 
jour  on  atteignit  Cordova,  après  avoir  traversé  Potrero  et  Aïo-Seco,  deux 
hameaux  perdus  au  milieu  des  bois. 

On  se  trouvait  maintenant  au  milieu  des  terres  tempérées ,  dans  un  pays 
d'un  aspect  superbe,  calme  et  réjouissant  tout  à  la  fois.  Toute  cette  xone  est, 


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[1863]  AU  MEXIQUE  253 

en  eflct,  ravoriséc  par  la  nature  et  dotée  des  fruits  les  plus  renommés  des 
tropiques.  Aussi  loin  que  Toeil  peut  s'étendre,  on  n*aperçoit  que  des  pitons 
couverts  de  forêts  magnifiques  que  séparent  d'étroites  rallées  sillonnées  de 
ruisseaux  limpides  descendant  des  rochers  et  disparaissant  parfois  sous  des 
voûtes  épaisses  formées  de  lianes  enlacées.  Une  humidité  continuelle  et  des 
pluies  très  fréquentes,  même  dans  la  saison  dite  sèche,  sont  les  seuls  incon- 
vénients qu*on  puisse  reprocher  à  cette  région  privilégiée. 

Le  20,  on  s'engagea  d'abord  dans  le  Fortin,  vallée  très  encaissée,  arrosée 
par  une  rivière  abondante;  puis  on  traversa  Cantlapa,  joli  hameau  au  milieu 
des  cannes  &  sucre  et  des  bananiers,  au  pied  de  la  côte  de  Cocolate.  La  montée 
de  cette  dernière,  très  raide  et  longue  d*au  moins  deux  kilomètres,  conduisit 
le  bataillon  sur  le  grand  plateau  où  se  trouve  Orizaba,  ville  assez  vaste  et 
bien  bfltie,  mais  sale  et  mal  pavée.  On  y  séjourna  jusqu'au  23.  Là  on  apprit, 
avec  une  bien  légitime  satisfaction ,  que  les  Tirailleurs  algériens  allaient  être 
appelés  à  participer  aux  opérations  qui  se  préparaient  contre  la  ville  de  Puebla. 
D'après  la  nouvelle  organisation  des  troupes,  le  bataillon  faisait  partie  de  la 
2«  brigade  (général  de  Castagny)  de  la  l*"*  division  (général  Baiaine). 

Depuis  sa  prise  de  commandement,  le  général  Forey  s'était  activement  oc- 
cupé d'établir  soigneusement  les  communications  entre  Orizaba  et  Vera-Cruz, 
afin  d'assurer  le  ravitaillement  des  troupes  qui  allaient  s'avancer  dans  l'inté- 
rieur; il  avait  ensuite  fait  altorder,  par  trois  roules  différentes,  le  haut  pla- 
teau d'Anahuac.  A  la  date  du  16  février,  le  général  Bazaine  avait  son  quartier 
général  dans  la  petite  ville  de  Nopalucan,  et  la  2«  division  (générai  Douay) 
se  trouvait  réunie  &  Acatzingo  et  à  Los-Reyes. 

Le  23  février,  le  général  en  chef  quittait  Orizaba  pour  aller  prendre  lui- 
même  la  direction  des  opérations;  il  emmenait  comme  escorte  le  bataillon 
de  Tirailleurs  algériens.  La  petite  colonne  traversa  d'abord  le  village  d'Ingénio, 
puis  le  hameau  ruiné  de  Tecamalucan,  et,  après  une  étape  de  trente  kilo- 
mètres, arriva  à  Acultzingo,  petit  village  indien  situé  entre  les  deux  sources 
du  Rio-Blanco.  Non  loin  de  là  se  trouvaient  les  Gumbres,  sorle  de  soubas- 
sement naturel  formant  deux  étages  au-dessous  du  plateau  d*Anahuac  et 
portant  l'altitude  de  ce  dernier  à  environ  mille  mètres  au-dessus  de  la  plaine 
d'Acultzingo.  Ce  double  seuil  est  constitué  par  deux  épaisses  murailles,  presque 
verticales,  séparées  par  une  étroite  vallée  courant  du  nord  au  sud  et  que  suit 
la  roule  de  Tcluiacan. 

Le  24,  on  gravit  la  première  montée  par  une  route  faisant  de  nombreux 
lacets  et  passant  près  des  ruines  du  fort  Presidio,  site  magnifique  d'où  l'œil 
pouvait  embrasser  un  merveilleux  panorama.  Après  neuf  kilomètres  de  cette 
marche  fatigante,  mais  égayée  par  la  beauté  du  paysage,  on  arriva  à  Puente- 
Colorado ,  hameau  presque  désert ,  bâti  au  pied  de  la  deuxième  muraille  et 
dans  la  petite  vallée  dont  nous  avons  parlé.  I^  lendemain,  on  franchit  les 
deuxièmes  Cumbres,  et,  oprès  un  trajet  de  dix  kilomètres,  on  déboucha  tout 
à  coup  dans  une  vaste  région  tout  à  fait  difierente  de  celles  déjà  parcourues  : 
c'était  le  plateau  d'Anahuoc,  qui  s'étend  jusqu*au  delà  de  Mexico.  Comme 
nature  du  sol ,  on  se  serait  cru  dans  le  pays  des  hauts  plateaux  d'Algérie;  mais 
le  climat  et  les  produits  en  étaient  diiïcrents.  Çà  et  là  on  apercevait  quelques 


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S54  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1863] 

champs  de  maïs,  perdus  au  milieu  d'immenses  espaces  couverts  de  magiicy 
(sorte  d'aloës).  La  saison  des  pluies  passée,  rien  n'est  moins  riant  que  l'aspect 
général  de  cette  contrée;  il  ne  reste  plus  alors  que  de  rares  flaques  d'eau  ou 
quelques  puits  à  moitié  tarb  ;  toute  verdure  a  disparu ,  et  l'on  ne  découvre 
tout  autour  de  soi  que  les  tiges  brûlées  des  mais  ou  les  feuilles  glauques  du 
magney.  Cette  plante  est  une  richesse  pour  le  pays  ;  elle  sert  à  tous  les  usages  : 
on  tire  de  son  suc  une  liqueur  assez  agréable  appelée  pulque,  qui  sur  la  plu- 
part des  tables  mexicaines  remplace  le  vin  ;  on  fuit  des  cordes  et  des  tissus 
avec  ses  fibres,  du  feu  avec  ses  tiges  et  dos  tuiles  avec  ses  feuilles.  Le  magney 
constitue  en  outre  de  très  bonnes  clôtures,  et  pousse  sans  qu'on  s'en  occupe. 

On  passa  la  nuit  du  25  au  26  à  la  Canada,  village  à  peu  jprès  abandonné, 
situé  près  d'un  filet  d'eau.  Le  26,  le  bataillon  quitta  la  route  directe  d'Orizaba 
à  Puebla  pour  se  diriger  au  nord,  sur  San-Andrès  ou  Cholchicomula ,  afin 
de  rejoindre  la  division  Bazaine  à  Nopalucan.  Pendant  cette  journée,  une  cha- 
leur suffoquante  et  des  flots  d'une  poussière  nuageuse,  dont  l'atmosphère  se 
trouvait  imprégnée,  rendirent  la  marche  extrêmement  pénible.  Le  lendemain, 
on  campa  à  l'hadenda  ou  métairie  de  San- Francisco -Alquivez.  Toute  la 
plaine,  couverte  de  maïs,  à  peine  bordée  à  l'ouest  par  quelques  collines  aux 
flancs  déchirés,  était  parsemée  de  ces  haciendas.  C'étaient  de  vastes  fermes 
fortifiées,  parfois  très  coquettes,  entourées  de  huttes  d*lndiens,  et  rappelant 
d'une  manière  frappante  les  cliAleauz  de  notre  époque  féodale,  avec  leurs 
serfs,  leurs  immenses  terres,  leurs  troupeaux,  leurs  tours  crénelcus,  leurs 
hommes  d'armes  et  leurs  larges  fossés. 

Le  1^  mars,  on  arriva  à  Nopalucan ,  où  se  trouvait  déjà  la  3^*  compagnie 
partie  un  jour  plus  tôt  d'Orizaba.  La  i^  division  était  tout  entière  cantonnée 
dans  les  haciendas  des  environs;  les  Tirailleurs  furent  logés  dans  celle  de 
San  ta -Rose,  qu'ils  quittèrent  deux  jours  après,  pour  aller  relever  les  zouaves 
à  San -Antonio-Tamaris. 

Le 9,  le  général  de  Castagny ,  commandant  la  2*  brigade  de  la  l''*^  division , 
ayant  établi  son  quartier  général  &  la  Floresta ,  appela  à  lui  le  bataillon  de 
Tirailleurs,  qui  faisait,  comme  on  le  sait,  partie  de  sa  brigade. 

L'arrivée  du  général  Forey  avait  été  le  signal  du  commencement  des  opéra- 
tions, lesquelles  devaient  aboutira  un  seul  but  :  l'investissement  de  Puebla, 
où  le  général  Ortega  s'était  enfermé  avec  une  armée  d'environ  quinze  mille 
hommes.  Le  13  mars,  le  général  de  Castagny  quittait  la  Floresta  avec  le 
bataillon  de  Tirailleurs,  celui  du  20"*  chasseurs,  une  compagnie  du  génie  et 
une  batterie  de  campagne,  et,  après  avoir  rallié  deux  bataillons  du  zouaves 
et  d'autres  détachements  de  l'artillerie  et  du  génie,  allait  établir  son  bivouac 
à  Acajete,  à  quinze  kilomètres  au  sud-ouest.  Le  16,  toutes  les  troupes  con- 
centrées sur  ce  point  se  mirent  en  mouvement  de  grand  matin  ;  le  bataillon 
de  Tirailleurs  se  porta  sur  la  crête  du  Cerro-Amalucan,  mamelon  assez  élevé 
dominant  Puebla  et  ses  environs,  et  d'où  l'on  pouvait  voir  la  ville,  avec 
ses  clocliers,  ses  coupoles,  ses  forts,  ses  innombrables  défenses  jusqu'aux 
moindres  détails. 

Le  17,  toutes  les  troupes  de  la  brigade  Nègre  (l^^  de  la  l'«  division),  le 
parc,  l'ambulance,  le  convoi,  les  services  auxiliaires  de  la  division  Bazaine, 


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[1863]  AU  MEXIQUE  255 

se  mirent  en  roule  pour  tourner  Puobla  par  le  sud  et  venir  s'établir  à  Tha- 
cienda  de  San-Bartholo.  La  brigade  de  Castagny  garda  sa  position  du  Gerro- 
Amalucan.  Le  23,  le  général,  qui  s*était  installé  à  la  ferme  d'Alamos,  laissa 
le  commandement  d'Amalucan  au  colonel  du  95^^  de  ligne,  et  se  porta  &  Mayo- 
rosco  avec  le  bataillon  de  Tirailleurs  algériens ,  une  section  de  montagne  et 
les  Tuséens. 

L*attaque  ayant  été  décidée  du  côté  de  Touest,  la  tranchée  fut  ouverte,  dans 
la  nuit  du  23  au  24  mars,  devant  le  fort  San -Xavier  ou  Pénitencier.  Ce  fort 
fut  enlevé  le  29  par  les  troupes  de  la  brigade  L'Hériller.  Mais  ce  succès  n'a- 
vança pas  beaucoup  les  opérations;  les  Mexicains  se  fortiGèrent  dans  les 
maisons  voisines,  et,  grAce  au  tracé  régulier  des  rues,  formèrent,  avec  les 
artères  perpendiculaires ,  des  cadres  de  maisons  dont  chacun  devint  une  véri- 
table forteresse  :  derrière  les  murs  s'élevaient  d'épais  retranchements  en 
terre,  puis,  au  delà  de  ceux-ci,  des  grilles  de  fer,  des  fossés,  de  nouvelles 
tranchées,  des  créneaux,  des  blindages,  en  un  mot  tout  ce  que  la  défense  la 
plus  désespérée  peut  imaginer.  Si  à  cela  on  ajoute  la  faiblesse  de  notre  artil- 
lerie, l'insuffisance  de  notre  approvisionnement  en  munitions,le8  exigences  du 
blocus  de  la  place,  on  comprendra  toutes  les  difficultés  que  présenta  ce  siège, 
et  l'on  s'expliquera  facilement  les  quelques  échecs  qui  vinrent  tromper  nos 
eflbrts,  notamment  dans  les  journées  des  4 ,  6  et  25  avril. 

Depuis  le  23 ,  le  bataillon  de  Tirailleurs  prenait  part  au  service  de  tranchée. 
Le 26,  il  quitta  la  position  de  Mayorosco  pour  aller,  à  Puente-de-Los-Animas, 
relever  un  bataillon  d'infanterie  de  marine.  Il  y  resta  jusqu'au  14  avril,  et 
revint  s'établir  en  avant  de  Mayorosco.  De  ce  côté,  une  nouvelle  tranchée 
avait  été  ouverte  et  se  poursuivait  avec  la  plus  grande  activité.  Le  général 
Bazaine  avait  fait  exécuter  devant  le  fort  de  Carmen  un  solide  ouvrage  de 
campagne,  appuyé  par  une  batterie  qui  enfilait  une  des  principales  rues  de 
Pucbla. 

Le  19  avril ,  aux  attaques  de  gauche,  le  colonel  Mangin ,  du  3^^  zouaves,  Gt 
enlever  les  cadres  n<>*  29  et  31.  Le  soir,  le  bataillon  do  Tirailleurs  algériens 
se  porta  en  toute  hâte  au  Pénitencier  pour  servir  de  renfort,  s'il  en  était 
besoin.  A  dix  heures,  le  général  Douay  le  renvoya  dans  ses  bivouacs.  Le  len- 
demain ,  il  prit  de  service  le  tranchée  pour  trois  jours. 

Cependant  un  assaut  dirigé  le  25  avril  contre  le  couvent  de  Santa-Inès 
ayant  échoué ,  il  fallut  suspendre  ce  système  d'attaque  de  vive  force  et  attendre 
que  l'arrivée  de  l'artillerie  et  des  munitions  qu'on  attendait  de  Vera-Cruz  nous 
permît  d'agir  avec  des  moyens  répondant  à  ceux  de  la  défense.  Ce  temps 
d'arrêt  fut  employé  à  compléter  les  travaux  d'investissement  et  à  enfermer 
la  garnison  de  Pnebla  dans  un  cercle  qu'elle  ne  pût  tenter  de  franchir. 

Ces  dispositions  ne  pouvaient  être  prises  avec  plus  d'opportunité.  A  peine 
étaient-elles  achevées,  qu'on  apprenait  en  eflet  que  le  général  Comonfort,  qui 
avait  reçu  du  président  Juarez  le  commandement  de  Tarmée  de  secours,  se 
préparait  à  tenter  un  elTort  sérieux  pour  faire  parvenir  des  vivres  aux  assiégés. 
Le  5  mai,  l'ennemi  fut  signalé  dans  la  direction  de  San-Pablo-del -Monte. 
Un  escadron  de  chasseurs  d'Afrique  envoyé  sur  ce  point  y  rencontra  un 
millier  do  cavaliers  mexicains  appu\és  par  de  l'infanterie  et  de  l'artillerie.  Il 


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256  LE  3"*  RÉOIlfENT  DB  TIRAILLEURB  ALGÉRIENS  [l863] 

s'en  suivit  un  assez  vir  combat  dans  lci|uoi  intorvinrciil  (|Ucl(|uos  compagnies 
du  99* ,  et  qui  se  termina  des  deux  ciblés  par  une  retraite  sur  les  positions 
précédemment  occupées.  Le  6 ,  Comonfort  reprit  l'oiïensivo  et  obtint  d'abord 
quelque  succès  en  chassant  plusieurs  postes  d'auxiliaires  mexicains  du  pas- 
sage de  l'Atoyac  et  des  hauteurs  de  la  Cruz  ;  mais  l'arrivée  des  colonnes  fran- 
çaises vint  bientôt  l'obliger  à  rétrograder  à  son  tour,  et  à  renoncer  à  joindre 
son  canon  &  celui  de  la  place  pour  faire  pénétrer  son  convoi. 

Ces  insuccès  ne  découragèrent  pas  le  général  mexicain  ;  ne  pouvant  réussir 
à  tromper  la  vigilance  des  postes  français ,  il  résolut  de  s'établir  solidement 
sur  les  hauteurs  de  San-Lorenzo,  situées  à  environ  dix  kilomètres  au  nord-ouest 
de  Puebla ,  et  de  devenir  ainsi  une  menace  continuelle  pour  notre  ligne  d'in- 
vestissement. Toute  la  journée  du  7  fut  par  l'ennemi  employée  à  des  tra- 
vaux do  fortification  et  è  l'organisation  défensive  du  village  et  de  ses  abords. 

San -Lorcnzo  était  une  localité  de  peu  d'importance  par  elle- uiôme,  mais 
se pr&tant  admirablement,  par  sa  situation  au  sommet  d'un  mamelon  bordant 
la  rive  droite  de  l'Atoyac,  à  une  longue  résistance  contre  un  ennemi  de  beau- 
coup supérieur.  A  l'ouest,  le  terrain  était  relativement  facile  et  présentait  des 
pentes  douces  et  ondulées  couvertes  de  magney,  de  cactus,  de  bouquets 
d'arbres ,  de  cases  indiennes ,  et  se  prolongeant  au  loin  pour  aller  se  fondre 
avec  la  plaine  d'Ocotlan;  à  l'est,  au  contraire,  il  se  terminait  tout  à  coup  par 
des  flancs  abrupts  tombant  sur  l'Atoyac  et  rétrécissant  cette  rivière ,  qui  n'était 
guéable  qu'un  peu  en  amont,  près  du  moulin  de  Pensacola;  au  sud,  un  plan 
légèrement  incliné  et  complètement  découvert  formait,  pour  ainsi  dire,  un 
immense  glacis  aboutissant ,  à  environ  deux  kilomètres  du  village ,  à  une  petite 
barranca  (ravin) ,  aux  bords  assez  escarpés. 

Dès  qu'il  fut  renseigné  sur  la  nouvelle  position  occupée  par  l'armée  juariste , 
le  général  Forey  résolut  de  l'en  déloger.  En  conséquence,  une  colonne,  com- 
posée du  l^''^  bataillon  du  3*»  zouaves,  du  2<*  bataillon  du  Ul»  de  ligue  et  de 
celui  de  Tirailleurs  algériens,  partit  avec  le  général  Bazaine  du  camp  devant 
Puebla  le  7  mai,  à  cinq  heures  du  soir,  pour  se  rendre  à  l'iiacimida  do  Santa- 
"  Cruz  en  avant  du  pont  do  Mexico.  Là  elle  fut  ralliée  par  un  bataillon  du 
81*  deux  escadrons  du  3* chasseurs  d'Afrique  et  un  du  12»  chasseurs,  la  bat- 
terie d'artillerie  de  la  garde  impériale,  une  ambulance  complète  et  environ 
deux  cent  cinquante  cavaliers  mexicains. 

Il  était  minuit  lorsque  ces  divers  éléments  se  trouvèrent  réunis.  On  prit  le 
café.  A  une  heure  du  matin ,  la  colonne  se  mit  en  marche  ;  elle  suivit  d'abord 
la  route  de  Mexico  jusqu'au  village  de  Cuautlancingo ,  puis  elle  prit  à  droite, 
et  se  dirigea  à  travers  champs  pour  éviter  les  postes  ennemis.  Le  silence  le 
plus  absolu  était  recommandé.  On  s'avança  ainsi,  en  prenant  toutes  sortes  de 
précautions,  jusqu'à  une  assez  faible  distance  de  San-Lorenzo.  Tout  à  coup 
la  pointe  d'avant- garde  fut  arrêtée  par  le  Qui  vive?  d'une  sentinelle  ennemie. 
L'obscurité  était  profonde;  le  général  Uazaioe  lit  répondre  par  un  cavalier 
mexicain ,  et  l'on  passa  sans  autre  incident  que  ces  deux  cris  qui  se  perdirent 
dans  la  nuit.  Un  approchait.  Bientôt  on  rencontra  la  barranca;  il  fallut  s'ur- 
réter,  faire  des  rampes  pour  l'artillerie;  de  là  une  légère  perte  de  temps.  Cet 
obstacle  franchi,  il  était  un  peu  plus  de  quatre  heures,  et  le  jour  commençait 


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[1863]  AU  MEXIQUE  257 

&  dessiner  une  large  bande  rougefltre  à  Thorizon.  Uu  peu  plus  loin,  un  nou- 
veau poste  fut  mis  en  éveil.  11  n*y  avait  plus  moyen  de  dissimuler  l'opérationt 
Le  général  Bazaine  ordonna  qu'on  enlevât  le  poste;  en  même  temps  il  pressa 
la  marche  des  troupes  et  prit  rapidement  ses  dispositions  pour  attaquer  San- 
Lorenzo,  dont  les  hauteurs,  voilées  par  une  l^re  brume  matinale ,  apparais- 
saient maintenant  à  une  portée  de  canon. 

La  position  avait  été  solidement  Tortifiéc  :  une  ligne  continue  d*épaulement8 
en  Taisait  une  sorte  de  grande  redoute  ouverte  à  la  gorge ,  dont  l'église  du 
village,  crénelée  et  mise  en  état  de  défense,  représentait  le  réduit.  Huit  pièces 
d'artillerie  armaient  la  face  sud  et  la  gorge,  constituée  par  la  face  ouest.  Toutes 
les  troupes  du  général  Echegaray,  c'est-à-dire  sept  à  huit  mille  hommes, 
étaient  là  avec  le  convoi  de  ravitaillement.  Comonfort,  avec  l'autre  partie  de 
ses  forces,  était  resté  sur  la  rive  gauche  de  l'Atoyac. 

Ce  fut  Tartillerie  ennemie  qui  la  première  ouvrit  le  feu.  On  était  alors  à  un 
peu  plus  de  1,000  mètres.  Notre  infanterie  fut  aussitôt  déployée  par  bataillon 
en  colonne  à  distances  entières,  le  bataillon  du  3®  zouaves  à  droite,  celui  du 
51*  de  ligne  à  gauche,  les  Tirailleurs  algériens  au  centre.  Le  bataillon  du 
81*  de  ligne  avait  été  laissé  à  la  garde  des  bagages  et  devait,  comme  réserve, 
appuyer  l'attaque  si  le  besoin  s'en  faisait  sentir;  celui  du  3*  zouaves  fut  dé- 
doublé et  forma  ainsi  deux  colonnes,  au  milieu  desquelles  vint  se  placer  la 
batterie  de  Vaudrey ,  de  la  garde.  Ces  divers  mouvements  furent  exécutés  par 
nos  troupes  sans  tirer  un  coup  de  fusil,  et  avec  autant  de  rapidité  que  de  pré- 
cision. Quand  ils  furent  terminés,  la  ligne  se  trouva  formée  en  échelons,  par 
bataillons  à  cent  pas,  l'aile  droite  en  avant,  celle  de  gauche  prolongée  par  la 
cavalerie,  dont  les  escadrons  avaient  pour  mission  de  rejeter  sur  l'Atoyac  les 
fractions  ennemies  qui  chercheraient  à  s'échapper  de  San-Lorenzo. 

Il  était  un  peu  plus  de  cinq  heures  quand  fut  donné  le  signal  de  l'assaut. 
La  colonne  entière,  ayant  à  sa  tête  le  général  baron  Nègre,  se  précipita  sur 
les  ouvrages  ennemis  :  huit  cents  mètres  l'en  séparaient  encore,  huit  cents 
mètres  sur  un  terrain  n'oflrant  pas  le  moindre  abri  et  battu  de  tous  côtés  par 
les  feux  de  la  défense.  Bouillants  d'impatience,  heureux  de  pouvoir  enfin  res- 
pirer la  fumée  enivrante  de  la  poudre ,  de  se  jeter  dans  le  tourbillon  eflréné 
d'une  lutte  où  leur  arme  favorite,  la  baïonnette,  allait  avoir  la  plus  brillante 
part,  les  Tirailleurs  algériens  s'étaient  élancés  avec  une  irrésistible  ardeur. 
D'un  bond  héroïque  ils  se  trouvèrent  sur  San-Lorenzo.  Le  capitaine  Estelle 
était  en  tôte  avec  sa  compagnie;  sous  le  feu  le  plus  violent,  il  escalada  les 
épaulements,  franchit  la  première  enceinte,  déborda  une  partie  des  pièces 
ennemies  et  pénétra  dans  le  village,  où  tout  le  bataillon  se  trouva  alors  engagé 
dans  de  petits  combats  partiels,  dans  lesquels  l'ennemi  opposa  une  vigoureuse 
résistance.  Mais,  chassés  de  leurs  fortifications,  menacés  sur  leur  droite  par 
le  bataillon  du  51*  et  le  mouvement  tournant  de  la  cavalerie,  culbutés  sur 
leur  gauche  par  les  zouaves ,  dont  quelques  compagnies  se  trouvaient  main- 
tenant confondues  avec  celles  de  Tirailleurs  algériens ,  les  Mexicains  commen- 
cèrent à  se  retirer  afin  de  gagner  avant  l'assaillant  la  seule  ligne  de  retraite 
qu'ils  possédassent  sur  l'Atoyac.  Déjà  le  convoi  de  ravitaillement  avait  repassé 
cette  rivière,  et  rétrogradait  précipitamment  sur  la  route  de  TIaxala.  Dans  ce 

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258  LE  3"*  RÊQIIfBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [iSdS] 

court  mais  brillant  épisode,  deux  Tirailleurs  du  3<^  régiment,  les  nommés 
llamod-ben-Myoub  et  Klienil-bon-Ali,  8*élaieiit  oinpai^és  do  deux  drapeaux 
înexicains  en  les  arrachant  des  mains  de  leurs  porteurs. 

Il  ne  restait  plus  que  l'église ,  où  s'était  retranché  un  bataillon  de  zapadorès. 
Ici  la  défense  fut  opini&tre;  accueillies  par  une  fusillade  des  plus  meurtrières, 
les  premières  compagnies  qui  abordèrent  la  position  durent  s'arrêter  un  instant 
pour  se  reformer;  mais  bientôt,  une  compagnie  de  touaves  étant  parvenue  à 
se  frayer  un  passage,  Tennemi  craignit  d'être  cerné  et  se  relira. 

Cependant  Gomonfort  était  accouru  avec  quelques  renforts;  d'autres  descen- 
daient en  toute  héte  de  San-Francisco.  Mais  il  arrivait  trop  tard  pour  rétablir 
le  combat;  il  dut  céder  au  courant  des  fuyards  et  se  rabattre  également  sur 
l'Atoyac,  poursuivi  par  la  cavalerie  française,  qui  avait  chargé  ràolument  les 
groupes  chassés  de  San-Lorenzo,  pendant  que  notre  infanterie  gagnait,  sans 
perdre  de  temps,  le  gué  de  Pensacola.  Là  eut  lieu  une  confusion  indescriptible  : 
les  débris  de  Tarmée  mexicaine,  qui  n'avaient  pu  atteindre  la  rive  opposée, 
se  virent  tout  à  coup  coupés  de  leur  ligne  de  retraite  et  obligés  de  mettra  bas 
les  armes;  en  même  temps  Tirailleurs,  souaves  et  soldats  de  la  ligne  pas- 
saient la  rivière,  se  jetaient  sur  le  convoi  de  ravitaillement,  et  capturaient 
les  voitures  toutes  attelées.  Le  désordre  chez  Tennemi  était  à  son  comble  : 
plus  de  commandement,  plus  de  direction,  plus  d'effort  pour  s^opposer  &  la 
marche  des  vainqueurs  ;  tout  le  inonde  fuyait  pêle-mêle  et  avec  une  telle 
rapidité,  que  la  poursuite  dut  bientôt  cesser  devant  Timpossibilité  d'atteindre 
les  vaincus. 

Il  était  alors  six  heures  et  demie.  Le  général  Marquez,  en  position  sur  le 
Cerro  de  la  Cruz ,  en  était  descendu  avec  deux  bataillons  et  deux  escadrons; 
il  reçut  la  mission  de  pousser  jusqu'à  Santa-Inès-Zacatelco;  les  autres  troupes 
furent  ralliées.  En  une  heure  et  demie,  nous  avions  livré  et  gagné  une  véri- 
table bataille ,  détruit  une  armée;  Gomonfort,  qui,  trois  jours  auparavant, 
caressait  orgueilleusement  le  projet  de  forcer  notre  ligne  d'investissement, 
d'approvisionner  Puebla,  de  nous  tenir  ensuite  en  échec  avec  des  forces  que 
son  succès  aurait  considérablement  grossies ,  Gomonfort  fuyait  avec  des  bandes 
désorganisées,  démoralisées,  incapables  de  reprendre  la  campagne,  désor- 
mais impuissantes  à  secourir  Ortéga,  dont  la  capitulation  ne  devenait  plus 
qu'une  affaire  de  temps.  L'ennemi  avait  eu  environ  huit  cents  hommes  tués 
ou  blessés;  il  laissait  entre  nos  mains  douze  cents  prisonniers,  tous  ses  canons, 
toutes  ses  munitions,  quatre  drapeaux,  onzo  fanions,  cinq  cents  mulets  et 
tout  le  convoi  destiné  au  ravitaillement  do  la  place  assiégée. 

Est-il  besoin  de  dire  que,  dans  ce  combat,  comme  dans  tous  ceux  où  ils 
avaient  été  appelés  à  marcher  au  premier  rang,  les  Tirailleurs  algériens  s'é- 
taient montrés  admirables  d'audace  et  d'intrépidité  ?  Est-ce  la  peine  d'ajouter 
qu'ils  étaient  en  droit  de  revendiquer  une  large  part  dans  ce  magniGque  succès  ? 
Non;  les  Tirailleurs  furent  à  San-Lorenzo  ce  qu'ils  avaient  été  à  Zaatcha, 
à  Laghouat,  à  l'Aima,  à  Inkermann,  à  Malakoff,  à  Magenta,  à  Solférino  :  ils 
ne  le  cédèrent  en  rien  aux  plus  braves,  aux  plus  aventureux,  et  si  nous  insis- 
tons  sur  le  rôle  qu'ils  jouèrent  dans  cette  lutte  de  quelques  heures,  la  plus 
imporiaiitc  et  la  plus  décisive  de  Toxpédition,  c'est  uniquement  pour  relever 


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[1863]  AU  MEXIQUE  259 

un  Tait  qu*il  est  de  notre  devoir  de  rétablir  dans  toute  sa  vérité.  Nous  voulons 
parler  du  nombre  de  drapeaux  que  le  bataillon  enleva  à  Tennemi.  L*annuaire 
de  la  Légion  d'honneur,  dans  le  motif  de  la  décoration  du  drapeau  du  3*  Tirail- 
leurs ,  et  la  plupart  des  récits  ou  historiques  parlant  du  combat  de  San-Lorenso 
n*en  signalent  qu*un  seul.  C'est  une  erreur  :  il  y  en  eut  deux.  Pour  8*en  con- 
vaincre, il  suffit  de  consulter  deux  documents  dont  Tautorité  ne  saurait  être 
discutée  :  le  rapport  du  général  baron  Nègre,  qui  commandait  toute  l'infan- 
terie dans  ce  combat,  et  Tordre  de  Tarmée  n9  145,  daté  de  devant  I^uebla  le 
17  mai  1863.  Voici  ce  que  dit  &  ce  sujet  le  général  baron  Nègre  en  s'adres- 
sent au  général  Bazaine  :  «  Quant  aux  Tirailleurs  algériens ,  bataillon  héroïque, 

<  entrain  admirable,  chef  de  bataillon  remarquable.  J'appelle  toute  votre 
c  attention  sur  le  brave  commandant  Cottret.  M.  Alzon,  capitaine  adjudant- 

<  major,  déjà  proposé  pour  chef  do  bataillon,  s'est  conduit  comme  un  véri' 

<  table  solilat.  Oette  expression  doit  lui  donner  les  plus  grands  titres...  Deux 
«  Tircdlkurs  fnont  apporté  des  drapeaux.  Le  commandant  Cottret  vous  donnera 

<  à  cet  égard  tous  les  renseignements  * ,  le  temps  me  manquant  pour  com- 

<  pléter  un  travail  que  mon  cœur  voudrait  pouvoir  écrire.  »  Dans  l'ordre  de 
Tarmée  n^'  145,  dont  on  trouvera  plus  loin  un  extrait,  les  deux  Tirailleurs 
Hamed-ben-Myoub  et  Khenil-ben-Ali  sont  cités  chacun  pour  la  prise  d'un 
drapeau.  Devant  ces  deux  témoignages,  le  doute  ne  peut  plus  exister. 

La  remarque  absolument  incidente  que  nous  venons  de  faire  n'ayant  d'autre 
but  que  de  compléter  un  renseignement  qui,  bien  qu'important,  ne  peut  ni 
grandir  ni  diminuer  la  gloire  acquise  par  le  3*  régiment  de  Tirailleurs  algé- 
riens, on  aurait  tort  de  la  prendre  pour  autre  chose  que  pour  ce  qu'elle  est  : 
c'est-à-dire  pour  une  revendication  légitime,  à  laquelle  un  corps  ne  saurait 
renoncer  sans  être  indifférent  à  son  propre  passé,  sans  renier  les  vieilles  tra- 
ditions sur  lesquelles  reposent  sa  fierté  dans  le  présent,  sa  confiance  dans 
l'avenir. 

Les  Tirailleurs  Ahmed -ben-Myoub  et  Khenil-ben-Ali,  nous  l'avons  dit 
plus  haut ,  appartenaient  tous  les  deux  au  3^  régiment.  Aussi  les  deux  actes 
de  bravoure  dont  ils  étaient  les  auteurs  ayant  valu,  le  11  novembre  1863,  la 
croix  de  la  Légion  d'honneur  au  fanion  du  bataillon  provisoire  des  Tirailleurs 
algériens,  cette  décoration  revint- elle  de  droit  au  corps  qui  comptait  sur  ses 
contrôles  ces  deux  noms  que  nous  relevons  orgueilleusement,  et  qui  resteront 
éternellement  associés  à  celui  de  San-Lorenio,  inscrit  sur  l'étendard  en  haut 
duquel  se  balance  ce  noble  emblème  de  courage  et  de  dévouement  &  la  patrie. 

Dans  la  journée  du  8  mai ,  les  pertes  totales  du  bataillon  de  Tirailleurs  s'éle- 
vaient &  deux  officiers  blessés  :  M.  le  commandant  Cottret,  du  3*  régiment, 
et  M.  le  sous- lieutenant  Lopez,  du  2*;  à  cinq  hommes  tués  et  treize  autres 
blessés. 

Les  troupes  qui  avaient  combattu  à  San-Lorenzo  passèrent  sur  les  positions 
conquises  la  nuit  du  8  au  9.  Le  9,  à  neuf  heures  du  matin,  le  général  Ba- 
zaine reprit,  avec  le  bataillon  de  Tirailleurs  algériens ,  la  route  de  Molino-del- 

*  Le  rapport  du  commandant  Cottret  n*a  pu  être  retrouvé  dans  les  archives  du  mi- 
nistère de  la  gaerre. 


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260  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  AL0ÉRIEN8  [1863] 

Mûdio,  Bon  quarlier  gi^iiéral.  Quolquos  jours  après,  Tordre  do  l'arméo  n^  145 
porta  à  la  coDDaissaoce  du  corps  expéditionnaire  les  noms  de  ceui  qui  s'étaient 
le  plus  distingués.  Voici  les  citations  qu'eut  à  enregistrer  le  détachement 
fourni  par  le  3*  régiment  de  Tirailleurs. 

HM.  Cottret,  chef  de  bataillon. 

Alzon,  capitaine  adjudant-major. 

Estelle,  capitaine  (d'une  rare  bravoure,  a  entraîné  tout  le  bataillon  par 

l'exemple  de  sa  compagnie). 
Mohamed-Bounep,  lieutenant  indigène. 
Bock,  médecin  aide -major. 
Hamed-ben-Myoub,  tirailleur  (a  pris  un  drapeau). 
Khenil-ben-Ali,  tirailleur  (a  pris  un  drapeau). 
Salem -ben-Guibi,  caporal  (a  pris  un  fanion). 
Ducreux,  sergent- major. 

Pendant  les  journées  qui  suivirent  cette  victoire ,  les  travaux  devant  Puebla , 
qui  avaient  un  instant  été  interrompus,  furent  activement  repris  et  poussés 
avec  la  plus  grande  vigueur.  Le  12  mai,  on  ouvrit  devant  le  fort  de  Totime- 
huacan  une  première  parallèle  &  environ  sept  cents  mètres  du  saillant  sud.  Le 
13,  à  huit  heures  du  matin,  l'ennemi  tenta  une  vigoureuse  sortie  sur  la  droite 
de  cette  parallèle,  et  vint  jusqu'à  cent  cinquante  mètres  des  tranchées.  Il  se 
heurta  contre  les  gardes  de  ces  dernières,  qui  l'accueillirent  par  un  feu  violent, 
auquel  se  joignit  bientôt  c^lui  des  batteries  de  la  Teja  et  de  Molino-de-Gua- 
dalupe.  Dès  le  commencement  de  l'action ,  le  bataillon  de  Tirailleurs  algériens 
fut  envoyé  en  réserve  à  San -Francisco.  Une  balle  malheureuse  vint  y  frapper 
mortellement  le  sous -lieutenant  Cailliot,  de  la  S<*  compagnie,  jeunQ  homme 
plein  d'avenir,  qui  fut  ainsi  enlevé  à  l'affection  de  ses  camarades  et  à  celle  de 
son  frère I  qu'il  laissait  dans  le  régiment  et  qui,  deux  années  après,  devait 
aller I  comme  adjudant-major,  servir  dans  le  uiéiuo  bataillon  cl  préparer 
cette  réputation  militaire  qui  en  a  fait  depuis  un  de  nos  plus  jeunes  ofliciers 
généraux. 

Le  16,  à  cinq  heures  du  matin,  les  batteries  des  deux  attaques  ouvrirent 
le  feu  contre  la  place,  et  pendant  deux  heures  accablèrent  de  leurs  projectiles 
les  forts  de  Totimehuacan ,  de  Carmen  et  de  Zaragoza.  L'artillerie  ennemie 
répondit  avec  énergie;  il  fallut  même  interrompre  notre  tir  pour  réparer  cer- 
taines de  nos  batteries  fortement  maltraitées.  A  midi,  la  canonnade  recom- 
mença avec  une  nouvelle  vigueur.  Cette  fois,  les  Mexicains  ne  ripostèrent  que 
faiblement,  et,  le  soir  à  quatre  heures,  la  lutte  ayant  encore  recommencé, 
ils  demeurèrent  silencieux. 

La  journée  du  17  se  passa  sans  incident.  Dans  la  nuit  qui  suivit,  on  ren- 
força encore  les  batteries.  Vers  une  heure  du  matin,  on  commença  à  remar- 
quer un  grand  mouvement  dans  la  ville  et  dans  les  forts;  quelques  instants 
après,  on  entendit  successivement  plusieurs  fortes  explosions,  et  enfin,  à 
quatre  heures,  le  général  Forey  reçut  du  général  Ortega  une  lettre  livrant  la 
place  entre  nos  mains.  L'armée  qui  l'avait  défendue  était  dissoute,  l'arme- 


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[1863]  AU  MEXIQUE  t6t 

ment  mis  hors  de  service  et  les  munitions  détruites.  Le  drapeau  français  y 
fut  hissé  le  19  f  à  côté  du  drapeau  mexicain.  Le  siège  avait  duré  soixante- 
deux  jours. 

Un  ordre  du  général  en  chef,  en  date  du  18  mai,  vint  changer  l'aflectation 
du  hataillon  do  Tirailleurs  algériens  et  lo  faire  passer  do  la  1>^  dans  la  2*  di- 
vision. Cette  dernière,  commandée  par  le  général  Douay,  reçut  bientôt  Tordre 
de  prendre  ses  dispositions  pour  se  porter  sur  Mexico;  en  conséquence,  di- 
verses compagnies  qui  avaient  été  dirigées  sur  Orizaba  pour  y  escorter  des 
prisonniers  furent  successivement  rappelées  &  Puebla. 

La  colonne  Douay  se  mit  en  route  le  2  juin.  Ce  jour-là,  elle  alla  coucher  à 
San-Pietro.  Le  lendemain,  elle  s'arrêta  à  San-Martino.  Le  4,  en  quittant  cette 
localité ,  le  général  envoya  deux  compagnies  du  bataillon  relever  deux  compa- 
gnies du  2*  zouaves  au  moulin  de  San-Miguel  ;  une  autre  alla  s'établir  au  pont 
de  Tezmalucan.  Ces  dispositions  étaient  prises  pour  protéger  la  marche,  qui 
pouvait  être  inquiétée  par  cinq  mille  hommes  que  Juarez  avait  laissés  en 
avant  de  Mexico  pour  couvrir  sa  retraite.  Le  restant  du  bataillon  alla  coucher 
à  Tezmalucan.  Le  soir,  un  orage  épouvantable  inonda  le  camp,  détrempa  le 
sol,  ravina  les  routes,  ravagea  la  campagne  et  causa  des  dégâts  considérables, 
notamment  dans  le  convoi  de  la  colonne,  où  une  partie  des  vivres  fut  ava- 
riée. Le  5,  on  arriva  sur  le  Rio-Frio.  Le  6,  vers  neuf  heures  du  matin, 
Tavant-garde  déboucha  dans  la  vallée  de  Mexico;  à  droite,  on  apercevait  le 
grand  lac  de  Texuco;  à  gauche,  ceux  de  Chalco  et  de  Xochimilco.  On  passa 
successivement  à  la  Venta-de-Cordova,  à  la  Venta-Nueva,  et  enfin  on  bivoua- 
qua à  Buenavista,  où  Ton  s'arrêta  pendant  pendant  deux  jours. 

Le  9,  la  2«  division  reprit  sa  marche  avec  le  général  en  chef,  qui  était  ar- 
rivé le  8.  On  côtoya  le  lac  de  Châles,  on  traversa  Agostlan,  San -Isidore,  et, 
vers  midi,  on  arriva  au  Penon.  Le  lendemain,  on  se  dirigea  sur  Mexico,  où 
depuis  le  7  le  général  Bazaine  se  trouvait  déjà  avec  le  2*  zouaves.  À  dix 
heures  du  matin,  le  général  en  chef  y  fit  son  entrée  solennelle  à  la  tête  des 
troupes.  Nos  soldats  furent  reçus  avec  enthousiasme;  une  population  immense 
se  pressa  sur  leur  passage  et  les  couvrit  de  fleurs.  A  ce  moment,  tout  le  monde 
dut  croire  au  succès  de  l'expédition.  Ce  n'en  était  cependant  que  le  premier 
épisode,  et  les  événements  qui  devaient  suivre  n'allaient  pas  longtemps  ré- 
pondre aux  heureuses  conjectures  que  faisait  naître  ce  fugitif  élan  d'un  peuple 
qui  allait  au-devant  du  nouveau,  dans  l'éternel  espoir  de  rencontrer  le 
mieux. 


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CHAPITRE  X 


Le  commandani-Gottrei  est  remplacé  par  le  commandant  Manier.  —  DUsômioation  da 
bataillon.  —  Opération  sur  Ilusguapan.  —  Le  bataillon  rentre  à  Mexico  pour  prendre 
part  à  la  campagne  dliiver.  —  Marche  sur  Queretaro.  —  Poursuite  du  général  Uraga. 
—  Séjour  à  Zamora  et  à  G«adalajara.  —  Décoration  du  fanion  du  bataiUon.  —  Occu* 
patlon  du  port  d'Àci^ulco.  —  Combat  de  Pueblo-Nuovo.  —  Occupation  de  Mazatlan.  — 
Émuatlon  d'Àcapolco.  —  Combat  de  San-Pedro. 


Par  décret  du  16  mai,  le  commandant  Cottret  avait  été  promu  lieutenant- 
colonel.  Il  fut  remplacé  à  la  tète  du  bataillon  de  marche  de  Tirailleurs  algé- 
riens, et  dans  le  cadre  des  officiers  supérieurs  du  3«  régiment,  par  le 
commandant  Munier,  du  régiment  étranger,  bien  connu  des  Tirailleurs  de 
Constantine,  qu*il  avait  si  vaillamment  et  si  habilement  dirigés  à  la  bataille 
de  Solferino.  Dn  autre  décret,  en  date  du  4  mars,  avait  nommé  le  capitaine 
Alion  chef  de  bataillon  au  99«  de  ligne;  enfin  un  troisième,  du  6  août,  vint 
donner  le  môme  grade  au  capitaine  Estelle,  qui  passa  au  79«  de  ligne,  et  pro- 
mouvoir capitaine  M.  le  Grontec,  lieutenant  à  la  5«  compagnie,  et  qui  exerça 
dès  lors  le  commandement  de  la  1^. 

Le  bataillon  de  Tirailleurs  algériens  resta  en  entier  à  Mexico  jusqu'au 
26  juin.  Ce  jour-là,  deux  compagnies  allèrent  à  San-Martino  relever  deux 
compagnies  du  81*  qui  occupaient  ce  poste.  Le  6  juillet,  deux  autres  compa- 
gnies se  portèrent  à  Texoco,  où  elles  demeurèrent  jusqu'au  10.  Le  11 ,  ce  qui 
restait  du  bataillon  à  Mexico  quitta  cette  ville  pour  aller  relever  le  7«  de  ligne 
à  la  Canada  et  à  Puente- Colorado.  Toutes  les  compagnies  se  trouvèrent  alors 
disséminées  sur  la  route  de  Puebla.  On  avait  repris  ce  service  d'escorte  de 
convois  par  lequel  on  avait  commencé  la  campagne.  Par  suite  de  cette  dispe^- 
sion  et  de  ce  service  tout  particulier,  les  Tirailleurs  cessèrent  de  faire  partie 
de  la  2«  division,  et  passèrent  dans  la  brigade  de  réserve  (ordre du  11  juillet). 

Ces  dispositions  restèrent  les  mômes  pendant  tout  le  mois  de  juillet.  Le 
1er  août,  le  commandant  Munier  installa  les  1^  et  2*  compagnies  à  San- 
Andrès.  Le  lendemain,  il  partit  pour  Tehuacan,  dont  il  venait  d*ôtre  nommé 
commandant  supérieur.  Les  5*  et  6«  compagnies  et  l'état-major  du  bataillon 
vinrent  Ty  rejoindre  le  8,  aprèi  ôlro  parlis  le  3  de  Puebla.  Le  10,  prenant 


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[1863]       LE  2""  nÉOlMRNT  DB  TinAlLLGUnS  ALOÉniBNS  AU  MEXIQUE  263 

avec  lui  la  5®  compagnie  (capitaine  de  Vauguion  )  et  une  compagnie  de  zouaves, 
il  se  rendit  dans  les  villes  voisines  pour  y  installer,  de  concert  avec  le  préfet 
politique,  la  force  publique  et  les  ayuntamierUs.  Il  rentra  à  Tébuacan  le  14, 
et  la  5<>  compagnie  le  15. 

Le  l^*"  octobre,  le  maréchal  Forey,  rappelé  en  France,  remit  au  général 
Bazaine  ses  pouvoirs  militaires  et  diplomatiques.  Ce  changement,  en  amenant 
une  autre  manière  de  voir  à  la  direction  supérieure  des  affaires,  allait  donner 
une  nouvelle  marche  aux  opérations  militaires,  et  étendre  celles-ci  sur  la  plus 
grande  partie  du  pays. 

Les  premiers  soins  du  nouveau  général  en  chef  furent  de  protéger  les  com-^ 
munications  avec  Vera-Cruz;  mais,  au  lieu  des  innombrables  petits  postes 
qui  jusque-là  avaient  été  échelonnés  entre  cette  ville  et  Mexico,  il  ne  maintint 
que  les  principaux ,  qui  furent  alors  installés  dans  de  bons  réduits  susceptibles 
d'une  défense  prolongée.  H  on  résulta  que  le  chiffre  des  troupes  disponibles 
pour  les  opérations  actives  se  trouva  considérablement  augmenté.  Ces  nouvelles 
dispositions  allaient  ainsi  permettre  au  bataillon  de  Tirailleurs  algériens  de 
prendre  part  à  la  campagne  d'hiver  qui  allait  avoir  lieu  dans  le  nord. 

En  attendant  que  les  préparatifs  de  cette  importante  expédition  fussent  ter- 
minés, le  commandant  Munier  ne  resta  pas  inactif.  Le  12  octobre,  il  quitta 
Tehuacan  avec  les  2",  3*  et  4<>  compagnies  et  alla  coucher  à  Zapolitlan,  où  se 
trouvait  déjà  la  5*  compagnie.  Le  lendemain ,  il  se  remit  en  marche  avec  toute 
cette  partie  de  son  bataillon  et  se  dirigea  sur  Acatlan ,  où  il  arriva  le  15,  après 
ôtre  passé  par  San-Geremio.  Il  lit  séjour  le  16.  Le  17,  il  repartit  avec  les  3", 
4<>  et  5<>  compagnies,  laissant  la  2«  à  Acatlan  pour  la  garde  de  ce  point,  et 
atteignit  Iluajuapan  le  lendemain  à  cinq  heures  du  matin.  Il  espérait  y  sur-* 
prendre  sept  à  huit  cents  Mexicains;  mais  ceux-ci,  malgré  les  précautions 
prises  pour  tenir  secrète  cette  marche  rapide  dont  la  dernière  étape  avait  été 
faite  de  nuit,  avaient  appris  Tarrivée  des  Tirailleurs  et  abandonné  la  ville, 
dont  les  habitants  s'empressèrent  d'arborer  le  drapeau  blanc  de  la  paix. 
Le  19,  la  petite  colonAe  revint  coucher  à  Octlamenigo.  Le  20,  elle  était  de 
retour  à  Acatlan. 

Comme  on  vient  de  le  voir,  l'ennemi  était  insaisissable;  prévenu  de  nos 
moindres  marches,  il  mettait  aussitôt  la  distance  entre  lui  et  nos  colonnes.  De 
là  dos  fatigues  sans  résultat,  des  opérations  qu'on  commençait  dans  Tespé- 
rance  d'un  brillant  succès,  et  qui  se  terminaient  le  plus  souvent  par  une 
inconcevable  déception.  Mais  le  commandant  Munier  n'était  pas  homme  à  se 
laisser  décourager;  pensant  que  l'occupation  de  certains  points  de  leurs  lignes 
de  communication  amènerait  probablement  les  Mexicains  à  se  heurter  à  Tune 
de  nos  compagnies,  le  22,  il  dirigea  la  5«  sur  San-Inès-Auentenpan,  et  se 
porta  avec  les  3«  et  4«  aux  villages  de  Piantha  et  de  Chinotla.  Le  lendemain, 
il  s'arrêta  à  Chincingo.  On  détachement  de  quarante  hommes,  sous  les  ordres 
du  lieutenant  Bouguès  du  2°  régiment,  fut  envoyé  jusqu'au  gué  de  l'Atoyac 
en  face  des  ranchos  de San-Vicente  et  de  San-Juan.  En  vain  encore  il  attendit: 
l'ennemi  ne  parut  point.  Le  24,  la  petite  colonne  atteignit  Acoyuco,  petit  vil- 
lage qui  venait  d'être  incendié  par  une  compagnie  du  1«'  zouaves;  le  25,  elle 
arriva  à  San-Inès,  où  elle  fut  ralliée  par  la  5«  compagnie,  qui, 'de  son  côté. 


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264  LE  3*  RÊQIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1863] 

n*avait  pas  aperçu  un  seul  dissident.  Le  26,  tout  le  détachement  quitta  San- 
Inès,  la  3«  compagnie  pour  aller  relever  la  Tfi  à  Acatlan,  les  4«  et  5«  pour 
revenir  à  Puebla.  Le  même  jour,  les  l^*  et  6«,  sous  les  ordres  du  capitaine 
Testard,  partaient  de  Tehuacan  pour  se  porter  à  San -Francisco,  petite  ville 
bituée  un  peu  plus  au  sud. 

A  la  fin  du  mois  d'octobre,  le  commandant  Manier  reçut  l'ordre  de  con- 
centrer son  bataillon  à  Mexico.  C'était  do  celte  ville  que  devait  partir  la  co- 
lonne Douay,  dont  les  Tirailleurs  algériens  étaient  appelés  à  Taire  partie.  liO 
jor  novembre,  Télat-major,  les  2»,  4«  et  li"*  compagnies  quittèrent  Puebla,  et 
les  1^  et  6«  San-Francisco  pour  exécuter  ce  mouvement.  Ces  deux  dernières 
devaient  prendre  la  3*  à  leur  passage  à  Acatlan.  Les  compagnies  parties  de 
Puebla  arrivèrent  A  Mexico  le  S,  et  en  repartirent  le  9  avec  le  général  Douay, 
qui  emmenait  en  outre  trois  compagnies  du  81<>  de  ligne,  un  escadron  de 
chasseurs  d'Afrique,  une  section  d'artillerie  de  siège,  un  détachement  du 
génie  et  un  asses  fort  convoi. 

Le  but  du  général  en  chef,  dans  la  campagne  qu'il  allait  entreprendre,  était 
d*occuper  les  principales  villes  de  l'intérieur  et  de  disperser  les  bandes  asses 
considérables  qu'avaient  réunies  les  généraux  Doblado  et  Uraga ,  le  premier 
entre  Queretaro  et  Tepeji-del-Rio,  le  second  en  avant  de  Morelia.  Les  troupes 
de  la  l'*  divison  devaient  marcher  sur  Morelia,  celles  de  la  2*  sur  Queretaro. 
Le  10  novembre,  la  colonne  Douay  alla  coucher  à  San-Miguel.  IjO  lende- 
main le  commandant  Munier  s'arrêta  à  Tepeji  avec  ses  trois  coaipaguies,  afin 
d'y  attendre  les  trois  autres,  qui  n'y  arrivèrent  que  le  16.  Le  18,  le  bataillon 
tout  entier  reprit  sa  marche  et  s'arrêta  à  San-Francisco.  Le  19,  il  arriva  à  la 
Soledad,  et,  le  21,  à  San-Juan-del-Rio,  où  il  fit  séjour  le  22.  Le  23,  il  rejoi- 
gnit à  l'hacienda  de  Sauz  une  colonne  placée  sous  les  ordres  du  colonel 
Aymard.  Cette  dernière  coucha  le  24  à  Colorado,  et,  le  25,  entra  à  Queretaro, 
que  le  général  Douay  avait  fait  occuper  le  17,  aux  acclamations  d'une  popu- 
lation paraissant  tout  heureuse  de  voir  les  Français. 

Le  l*'  décembre,  toute  la  2«  division  quitta  Queretaro  pour  se  mettre,  de 
concert  avec  la  1^,  à  la  poursuite  du  général  Doblado.  Le  2,  elle  arriva  à 
Celago,  où  elle  fit  séjour  le  3  et  le  4;  le  5,  elle  s'arrêta  à  Chamacuera  ;  le  6, 
à  San-Miguel-Allende;  le  7,  à  Las-Cascinas;  le  8,  à  la  Sauced;  et  enfin,  le 9, 
à  Guanajuato,  ville  importante  dominée  de  tous  côtés  par  de  hautes  montagnes 
contenant  des  mines  d'argent  d'une  inépuisable  richesse. 

Jusque-là,  non  seulement  on  n'avait  pas  rencontré  l'ennemi,  mais  on  était 
encore  dans  la  plus  grande  incertitude  sur  la  direction  qu'il  avait  pu  prendre. 
Tout  ce  qu'on  savait,  c'était  qu'une  troupe  assez  considérable  se  dirigeait 
vers  San-Piedro-Piedra-Gorda.  Dans  le  but  de  lui  couper  la  retraite,  le  gé- 
néral Basaine  ordonna  au  général  Douay  de  se  porter  immédiatement  avec 
une  colonne  légère  à  Léon,  pendant  que  lui-même  s'avancerait  directement 
vers  Piedra-Gorda. 

Ce  mouvement  commença  le  13  décembre.  Le  général  Douay  partit  de 
Guanajuato  avec  le  bataillon  de  Tirailleurs  algériens,  trois  compagnies  du 
2*  zouaves,  l'ambulance  et  la  plus  grande  partie  du  convoi,  et  se  dirigea  par 
Silao  sur  la  petite  ville  de  Léon.  Le  17,  de  nouveaux  avis  ayant  fait  connaître 


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[1864]  AU  MEXIQUE  265 

que  Tennemi,  avec  son  artillerie  et  ses  parcs,  se  jetait  précipitamment  dans 
le  nord ,  le  plan  adopté  fut  modifié ,  et  seule  la  division  de  Castagny  continua 
la  poursuite  commencée.  Le  général  Douay  reçut  alors  la  mission  d'exécuter 
sur  Piedra-Gorda  Topération  entreprise  par  le  général  en  chef,  et  de  chercher 
le  général  Uragn,  qu'on  savait  à  la  tôtc  de  douze  mille  hommes  et  trente-six 
bouches  à  feu.  En  conséquence,  il  quitta  Léon,  où  fut  laissée  la  k^  compagnie 
du  bataillon,  et,  après  une  marche  forcée  de  vingt-huit  lieues  exécutée  en 
trente-six  heures,  arriva  à  Piedra-Gorda  le  19.  Le  22,  la  petite  colonne  attei- 
gnit Zamora,  où  elle  avait  été  précédée  par  le  colonel  Margueritle  avec  une 
avant-garde  légère  qui  éclairait  le  pays  à  une  journée  en  avant.  Cet  officier 
avait  surpris  les  Mexicains,  leur  avait  tué  une  dizaine  d'hommes  et  pris  cin- 
quante prisonniers.  Ce  combat,  en  coupant  aux  troupes  d'Uraga  la  route  de 
Zamora  à  Guadalajara,  les  avait  rejetées  vers  Goalcoman. 

Après  quatre  jours  de  repos  accordés  à  sa  colonne,  le  général  Douay  quitta 
Zamora  pour  se  porter  à  Los-Reyes.  On  marcha  pendant  six  heures  dans 
d'affreux  chemins  au  milieu  des  montagnes,  et  Ton  s'arrêta  à  Tarepuato.  Là 
le  général  fut  informé  qu'Uraga  en  personne  se  trouvait  à  Los-Reyes ,  s'occu- 
pent activement  de  faire  cheminer  son  convoi  et  son  artillerie.  Le  lendemain 
28,  la  marche  fut  reprise  et  conduite  avec  la  plus  grande  célérité;  mais  lors- 
qu'à quatre  heures  du  soir  on  arriva  à  Los-Reyes,  l'ennemi  n'y  était  déjà 
plus  :  il  avait  fui,  se  dirigeant  sur  Telpacatepcd. 

Le  30 ,  à  cinq  heures  et  demie  du  matin ,  le  commandant  Munier  quitta 
Los-Reyes  avec  son  bataillon  pour  se  rendre  à  San-Francisco,  à  six  kilomètres 
de  là,  où  devait  le  rejoindre  le  général  Douay,  qui,  avec  un  faible  détache- 
ment, s'était  porté  à  Périban  sur  des  indications  lui  signalant  l'abandon  d'un 
matériel  considérable  par  Uraga.  Le  général  ne  trouva  rien;  mais,  arrivé  à 
San-Francisco,  il  apprit  que  l'ennemi  avait  une  batterie  d'artillerie  rayée  en- 
gagée sur  la  route  d'Uruapan,  et  que  d'autres  pièces,  après  être  venues  jus- 
qu'à Sirosto,  avaient  subitement  rebroussé  chemin  pour  suivre  la  mémo 
direction.  Dès  le  lendemain,  il  se  mit  en  marche  vers  le  point  indiqué,  em- 
menant avec  lui  toutes  les  troupes  de  sa  colonne.  En  route  il  fut  informé  que 
quatre  cents  cavaliers  mexicains  se  trouvaient  au  village  de  San-Juan-de-Las- 
Golchas.  On  pressa  la  marche;  l'infanterie  eut  ordre  d'aborder  le  village  de 
front,  la  cavalerie  do  le  tourner  par  la  gauche;  mais  encore  une  fois,  malgré 
leur  nombre,  les  Mexicains  ne  nous  avaient  pas  attendus. 

La  colonne  traversa  San-Juan  sans  s'arrêter,  et  poussa  jusqu^à  six  kilo- 
mètres au  delà ,  trouvant  sur  la  route  des  traces  toutes  récentes  de  la  fuite 
précipitée  de  l'ennemi.  Le  bivouac  fut  installé  dans  un  endroit  appelé  Ojo-di- 
Agna.  Le  lendemain,  premier  jour  de  l'année  1864,  le  départ  eut  lieu  avant 
quatre  heures  du  matin.  Trois  compagnies  de  Tirailleurs  étaient  à  l'avant- 
garde.  La  nuit  était  noire;  on  y  voyait  à  peine  devant  soi;  pas  un  cri,  pas 
une  voix,  pas  un  bruit  ne  s'entendait  au  loin.  Les  Mexicains  s'étaient-ils 
encore  dérobés?  c'était  à  croire.  Enfin ,  après  deux  heures  de  marche,  le  jour 
parut;  tout  à  coup  sur  la  route,  dans  les  fossés,  un  peu  partout,  on  aperçut 
des  pièces,  des  affûts,  des  voitures,  des  harnais,  des  caissons,  tout  cela  gi- 
sant épars,  en  partie  détruit,  et  dans  un  désordre  témoignant  du  plus  épou- 


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266  LE  3«  RÊOIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1864] 

Tantable  désarroi.  Il  y  avait  là  un  outillage  de  fonderie  de  canons,  une  ma- 
chine à  frapper  de  la  monnaie,  des  munitions  en  quantité  considérable,  et 
en6n  neuf  bouches  à  feu.  Ce  matériel  paraissait  avoir  été  abandonné  dans  un 
moment  de  panique  profonde,  probablement  la  veille,  à  la  suite  de  Talarmo 
donnée  par  les  cavaliers  chassa  de  San -Juan.  A  neuf  heures,  on  arriva  à 
Uruapan.  La  ville  avait  été  évacuée  par  les  juaristes,  qui,  en  s'en  allant, 
avaient  détruit  tout  ce  qui  aurait  pu  nous  être  de  quelque  utilité. 

Le  général  laissa  deux  heures  de  repos  à  la  cavalerie  et  au  bataillon  do  Ti- 
railleurs algériens,  puis  il  les  lança  sur  les  traces  de  Tennenii.  Cette  recon- 
naissance poussa  jusqu'à  environ  douze  kilomètres ,  trouvant  à  chaque  pas 
des  objets  laissés  sur  la  route,  et  rentra  à  quatre  heures  diî  soir,  ramenant 
neuf  chariots  attelés  de  neuf  paires  de  bœub.  De  l'ennemi  elle  savait  seule- 
ment qu*Uraga,  avec  deux  mille  cinq  cents  hommes,  dernier  débris  de  ses 
douze  mille,  et  la  partie  la  moins  pesante  de  ses  parcs,  s'était  jeté  dans  des 
chemins  perdus  pour  gagner  Zopotlan ,  dans  le  Jalisco. 

Sinon  atteint  dans  son  côté  matériel,  le  but  poursuivi  par  le  général  Douay 
l'était  du  moins  quant  au  résultat  moral  qu'il  s'agissait  d'obtenir.  L'armée 
d'Uraga  n'avait  pas  été  détruite,  mais  elle  fuyait  dans  toutes  les  directions, 
en  proie  à  la  plus  profonde  panique,  égarée,  dispersée,  démoralisée,  hors 
d'état  de  résister  à  nos  colonnes,  d'inquiéter  nos  postes,  de  longtemps  impos- 
sible à  rallier  et  à  réorganiser.  C'était  le  cas  de  dire  que  le  commandant  de 
la  2*  division  avait  gagné  des  batailles  avec  les  jambes  de  ses  soldats;  car 
tout  s'était  passé  en  marches,  la  plupart  exécutées  de  nuit,  plusieurs  très 
longues  et  très  fatigantes,  toutes  ayant  demandé  de  la  part  de  nos  fantassins 
autant  d'énergie  que  de  dévouement.  Une  fois  de  plus  s'était  affirmée  la  rare 
aptitude  des  Tirailleurs  algériens  pour  ces  courses  rapides,  ces  étapes  de 
trente-cinq*,  quarante  et  môme  cinquante  kilomètres  sans  faire  de  repos, 
sans  cesser  d'ôtre  sur  les  talons  de  la  cavalerie  pour  être  prêts  à  la  soutenir  ; 
et  tout  cela  dans  un  pays  difficile,  monlueux,  n'ayant  que  de  mauvais  che- 
mins muletiers  ravinés  par  les  pluies,  ne  possédant  d'autres  ressources  que 
quelques  villages  qui  servaient  quelquefois  d'abri ,  mais  qu'on  trouvait  le  plus 
souvent  pillés  ou  incendiés.  Le  bataillon  reçut  les  éloges  les  plus  flatteurs  de 
la  part  du  général ,  mais  il  faut  reconnaître  qu'il  les  avait  bien  mérités. 

La  colonne  séjourna  deux  jours  à  Uruapan  et  revint  à  Zamora  par  la  route 
de  San- Pedro- Paracho.  Elle  arriva  le  7  janvier.  Là  le  général  Douay  trouva 
des  instructions  lyi  prescrivant  de  se  porter  sur  la  Barca  pour  concourir,  s'il 
en  était  besoin,  au  mouvement  que  le  général  en  chef  opérait  alors  sur  Gua- 
dalajara.  A  cet  effet,  il  laissa  à  Zamora  le  commandant  Brincourt,  du  18*  ba- 
taillon de  chasseurs,  avec  une  garnison  composée  des  2*,  3*  et  5*  compagnies 
de  Tirailleurs;  puis,  avec  le  restant  de  sa  colonne,  où  se  trouvaient  encore  les 
Ira  et  6*  compagnies  avec  le  commandant  Munier,  il  se  dirigea  d'abord  sur  le 
Rio-Grande,  et  enfin  sur  Duenavista.  Le  11 ,  il  quitta  ce  village  avec  la  cava- 
lerie et  les  deux  compagnies  de  Tirailleurs  pour  se  porter  à  l'hacienda  de  Qui- 
ringuicharo,  située  à  trente  kilomètres  de  là.  On  y  arriva  à  trois  heures  de 
l'après-midi.  Les  ordres  étaient  déjà  donnés  pour  la  journée  du  lendemain, 
lorsque,  dans  la  soirée,  le  général  reçut  la  nouvelle  que  la  petite  ville  de  la 


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[1864]  AU  MEXIQUE  267 

Piedad  était  attaquée  par  les  libéraux.  Les  habitants  ayant  résolu  de  se  dé- 
fendre, il  voulut  les  sauver  des  horreurs  d*un  assaut,  et  dédda  que  le  soir 
même  on  marcherait  à  leur  secours. 

Le  départ  eut  lieu  à  dix  heures.  Outre  la  cavalerie  et  les  deux  compagnies 
de  Tirailleurs,  la  colonne  comprenait  le  1^  bataillon  de  chasseurs  à  pied  et 
deux  pièces  de  campagne.  L*infanterie  était  sans  sacs.  On  marcha  toute  la 
nuit.  Au  point  du  jour,  lorsqu'on  arriva  devant  la  Piedad,  Tennemi  s*était 
enfui.  La  veille  il  avait  jeté  quelques  obus  dans  la  ville,  avait  menacé  les  ha- 
bitants d'un  assaut  dans  les  vingt-quatre  heures  s'ils  né  se  rendaient  pas; 
mais,  apprenant  Tarrivée  des  Français,  il  était  parti  dans  la  nuit. 

Cette  opération  fut  la  dernière  à  laquelle  les  Tirailleurs  devaient  prendre 
part  sous  les  ordres  du  général  Douay  ;  le  13,  ils  cessèrent  de  faire  partie  de 
la  2*  division,  et,  le  15,  le  commandant  Munior  quitta  la  Piedad  avec  les 
Ire  et  Go  compagnies  pour  retourner  à  Zamora,  où  il  arriva  le  lendemain. 
Tout  le  bataillon  se  trouva  dès  lors  réuni  dans  cette  ville,  à  l'exception  de  la 
4*  compagnie,  qui  avait  été  laissée  &  Léon  et  qui  en  fut  rappelée  pour  être 
envoyée  à  la  Piedad. 

Cette  situation  demeura  la  même  jusqu'au  15  mars;  seule  la  6*  compagnie 
fit  mouvement  pour  aller  relever  la  4*  à  la  Piedad.  Pendant  les  deux  mois  qui 
s'écoulèrent  jusqu'à  cette  date,  les  compagnies  restées  à  Zamora  travaillèrent 
aux  fortifications  de  cette  ville,  et  détachèrent  de  nombreuses  escortes  pour 
la  protection  des  convois. 

A  cette  même  époque ,  une  modification  importante  fut  apportée  dans  l'oi^ 
ganisation  du  bataillon  ;  dans  chaque  compagnie,  une  section  fut  montée  avec 
des  chevaux  achetés  par  les  soins  du  corps.  Plus  tard ,  ce  premier  essai  ayant 
donné  d'excellents  résultats,  ces  dispositions  reçurent  plus  d'extension;  le 
bataillon  eut  alors  un  escadron  do  cent  quatre-vingts  chevaux,  dont  le  capi- 
taine le  plus  ancien  reçut  le  commandement,  et  dans  lequel  on  détacha  le 
sous-lieutenant  de  Nyvenheim ,  du  l^*'  régiment  de  lanciers.  Cette  cavalerie  se 
trouva  ainsi  successivement  sous  les  ordres  du  capitaine  Bézard ,  du  l^^*  Ti- 
railleurs; du  capitaine  de  Vauguion,  du  3«;  et  enfin  du  capitaine  Testard, 
du  1«'.  Les  hommes  qui  la  composaient  étaient  naturellement  pris  dans  toutes 
les  compagnies  indistinctement,  et  choisis  de  préférence  parmi  ceux  sachant 
déjà  parfaitement  monter  à  cheval. 

Le  15  mars,  le  commandant  Munier  se  mit  en  route  pour  Tepatitlan  avec 
une  colonne  se  composant  des  Tirailleurs  algériens  et  d'une  batterie  de  mon- 
tagne. La  6"  compagnie,  détachée  à  la  Piedad,  devait  rallier  le  bataillon  au 
passage.  On  arriva  le  22.  L'état-major  et  les  3^,  4«  et  6*  compagnies  restèrent 
à  Tepatitlan;  les  1*^  et  2*  furent  détachées  à  Lagos,  la  5«  au  pont  de  Tolo- 
lotian.  A  la  fin  du  mois,  cette  dernière  rentra  à  Tepatitian,  et  la  6^  fut  en- 
voyée à  Arroyo-del-Medio. 

Le  séjour  des  Tirailleurs  dans  ces  différents  postes  ne  devait  pas  être  de 
longue  durée;  le  général  en  chef  avait  décidé  l'occupation  du  port  d'Acapulco, 
sur  le  Pacifique ,  et  c'était  le  bataillon  qui  était  désigné  pour  en  constituer  la 
garnison;  on  le  croyait  avec  raison  plus  apte  qu'aucune  autre  troupe,  à  ré- 
sister à  l'insalubrité  du  climat,  aux  fièvres  pernicieuses  qui  dans  cette  région 


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{68  LE  2^  RÉQIIIBNT  DE  TIRAILLEUnS  AhOÉniENS  [1664] 

sévissent  pendant  une  grande  partie  do  l'année.  En  attendant  son  départ,  il 
devait  se  concentrer  à  Guadalajara. 

Le  5  avril,  les  l'*  et  2«  compagnies,  qui  se  trouvaient  les  plus  éloignées, 
quittèrent  Lagos.  Le  8,  le  commandant  Munier  se  mit  en  route  à  son  tour  avec 
les  3«,  4«  et  5«  compagnies,  auxquelles  se  rallia  la  6«,  A  leur  passage  à  Arroyo- 
del-Medio.  Ce  dernier  détachement  arriva  à  Guadalajara  le  10,  celui  de  Lagos 
le  13.  Quelques  jours  après,  on  reçut  un  renfort  de  soixante- quinze  hommes 
venant  d'Algérie  et  les  officiers  comptables,  qui  étaient  restés  à  Mexico. 

Hais  les  préparatifs  de  la  petite  expédition  n'étaient  point  achevés;  il  fallut 
attendre  près  d'un  mois.  Pour  que  ce  temps  ne  fût  point  perdu ,  quelques 
compagnies  furent  détachées  dans  les  environs  de  Guadalajara,  infestés  de 
guérilleros.  Le  5  avril,  les  3<»,  S«  et  6«>,  représentant  un  eircctif  de  deux  cent 
quarante  et  un  fantassins  et  cent  Irente-sept  cavaliers,  allèrent,  sous  les  ordres 
du  capitaine  de  Vauguion,  occuper  le  village  de  Santa- Anuuila  et  riiacicnda 
de  la  Conception.  Le  même  jour,  la  4«  compagnie  se  portait  à  la  Ycuta-de- 
Astillero. 

Le  23,  le  capitaine  de  Vauguion  partait  de  la  Conception  avec  soixante  Ti- 
railleurs montés,  et  surprenait,  à  Cuyutlan,  une  bande  de  cent  guérilleros  aux 
ordres  de  Guerrero,  chef  redouté  dans  tout  le  pays.  Ce  dernier  essaya  de  se 
défendre,  mais  les  Tirailleurs  se  précipitèrent  sur  sa  troupe,  la  dispersèrent 
en  un  clin  d'œil  et  lui  tuèrent  vingt-cinq  hommes. 

Le  26,  eut  lieu  une  autre  opération  dirigée  par  le  capitaine  Testard.  A  la 
tète  de  douze  Tirailleurs  à  pied  et  vingt  montés,  celui-ci  parlit  à  une  heure 
du  matin  et  fut  assez  heureux  pour  surprendre  de  nouveau  les  guérilleros  à 
Cruz-Vieja.  11  leur  tua  douze  hommes  et  leur  enleva  quatorze  chevaux. 

Ces  deux  vigoureuses  leçons  n'avaient  cependant  point  suffi  aux  bandes  de 
Guerrero,  qui  étaient  revenues  occuper  Cuyutlan ,  et  avaient  commis  plusieurs 
exactions  sur  les  habitants  qui  nous  avaient  accueillis.  Maintenant  les  bandits 
se  tenaient  sur  leurs  gardes  et  surveillaient  nos  moindres  mouvements,  prêts 
à  fuir  au  moindre  signal.  Mais  rien  de  suspect  ne  paraissait  du  côté  de  la  Con- 
ception; seuls,  le  27,  de  bonne  heure,  quelques  bouviers  mexicains  en  arri- 
vèrent avec  des  chariots  chargés  de  paille  qu'ils  arrêtèrent  sur  la  place.  Ils 
n'avaient  rien  vu  ;  selon  eux ,  les  Français  devaient  se  reposer  de  leurs  expé- 
ditions des  jours  précédents.  Tout  à  coup  la  paille  de  ces  mêmes  chariots 
s'agita  :  des  têtes,  puis  des  bras ,  puis  des  hommes ,  puis  des  armes  en  émer- 
gèrent subitement,  et  une  cinquantaine  de  Tirailleurs,  sous  les  ordres  du 
capitaine  de  Vauguion ,  se  précipitèrent  dans  le  village  à  la  chasse  des  guéril- 
leros imprudents,  qui  n'avaient  pas  dans  cette  circonstance  imité  la  circons- 
pection du  vieux  rat  de  la  fable;  surpris,  traqués,  poursuivis  sans  répit,  ces 
derniers  eurent  cinq  tués  et  un  grand  nombre  de  blessés.  Ils  laissèrent  entre 
nos  mains  cinq  prisonniers,  dont  deux  chefs,  des  chevaux,  des  armes,  des 
munitions,  et  se  dispersèrent  dans  la  campagne,  se  promettant  bien  cette  fois 
de  choisir  une  autre  région  pour  théâtre  de  leurs  exploits.  La  ruse  du  capi- 
taine de  Vauguion  avait  été  couronnée  du  plus  brillant  succès.  Ce  hardi  coup 
de  main,  préparé  d*une  façon  si  extraordinaire,  presque  invraisemblable,  fit 
le  plus  grand  honneur  aux  Tirailleurs,  qui,  en  saisissant  parfaitement  la 


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[1864]  AU  MEXIQUR  269 

pensée  de  leur  chef,  sarent  apporter  dans  son  exécution  Taudace  et  la  pru- 
dence qui  seules  font  réussir  de  semblables  opérations. 

A  la  suite  de  ces  trois  affaires,  le  capitaine  de  Vauguion  et  le  sergent  Lesbros 
furent  cités  à  Tordre  de  Tarmée. 

Le  30  ayril ,  toutes  les  compagnies  détachées  furent  rappelées  à  Guadala- 
jara.  Le  4  moi,  le  bataillon  tout  entier  prit  les  armes  pour  être  passé  on  revue 
par  le  général  Douay,  et  voir  ensuite  attacher  à  la  hampe  de  son  fanion  de 
manœuvre  la  croix  de  la  Légion  d'honneur,  qui,  par  décret  du  11  novembre 
1863,  lui  avait  été  accordée,  pour,  à  sa  dissolution,  appartenir  définitivement 
au  3«  régiment  de  Tirailleurs  algériens,  en  commémoration  de  la  prise  de 
deux  drapeaux  à  Tennemi  au  combat  de  San-Lorenzo. 

Le  5  mai ,  eut  lieu  le  départ  pour  Acapulco.  Le  bataillon  devait  se  rendre  à 
San-Dlas ,  petit  port  situé  au  sud  de  la  côte  orientale  du  golfe  de  Californie, 
puis  prendre  passage  sur  des  transports  de  TÉtat  pour  être  ensuite,  après 
une  traversée  de  quatre  à  cinq  jours,  débarqué  à  destination.  11  quitta  Gua- 
dalajara  avec  un  effectif  de  quatre  cent  soixante -dix -sept  hommes  et  cent 
soixante-dix -huit  chevaux.  Par  suite  d'un  accident  de  cheval  arrivé  la  rdlle 
au  commandant  Munier,  le  capitaine  Bézard ,  en  qualité  de  plus  ancien ,  en 
avait  le  commandement.  Le  6 ,  on  fit  étape  à  Amatitlan  ;  le 7,  à  Tequila;  le  8, 
&  Magdalcna;  le  9,  à  Vonla;  le  10,  à  Plan-de-las-Barancas;  le  11,  à  Ixtlan, 
où  Ton  séjourna  les  12  et  13  ;  le  14 ,  à  Ahuacatlan ;  le  15,  à  Tetillan ;  le  16, 
à  Ojotillo;  le  17,  à  Estancia;  le  18,  à  Tepic,  d'où  Ton  repartit  le  23  pour 
Navarret ,  qu'on  quitta  pour  arriver  à  Zapotillo  le  24 ,  et  &  San-Blas  le  25. 

L'embarquement  eut  lieu  le  28  sur  les  transports  le  Bhin  et  la  Palla$,  qm 
arrivèrent  à  Acapulco  le  3  juin.  Le  môme  jour  s'effectua  la  mise  à  terre  des 
hommes  et  des  chevaux. 

Dien  que  n'étant  que  du  cinquième  ou  du  sixième  ordre  au  point  de  vue  du 
rendement  des  douanes,  le  port  d' Acapulco  n'en  avait  pas  moins  pour  nous 
une  importance  considérable,  et  depuis  longtemps  l'amiral  Bouêt,  comman- 
dant l'escadre  du  Pacifique,  en  avait  demandé  l'occupation,  autant  pour 
fournir  un  refuge  aux  bfttiments  de  la  croisière  que  pour  avoir  un  lien  de 
relâche  pour  les  navires  marchands  qui  nous  vendaient  des  approvisionne- 
ments. 

Déjà  réduite  par  nos  navires,  la  ville  n'opposa  aucune  résistance  au  débar- 
quement des  Tirailleurs;  les  forces  dissidentes  l'avaient  du  reste  abandonnée, 
et,  sous  les  ordres  du  vieil  Alvarez,  s'étaient  retirées  à  douze  kilomètres 
de  là,  au  village  de  Pueblo-Nuovo.  Ces  forces  comprenaient  environ  huit 
cents  hommes  possédant  une  certaine  instruction  militaire  et  disposant  de 
quelques  canons';  composées  d'Indiens  Pintes,  elles  inspiraient  dans  le  pays 
une  terreur  qui  se  répandait  jusque  sur  les  hauts  plateaux. 

A  peine  le  bataillon  fut-il  arrivé  et  installé,  que  le  capitaine  Bézard  résolut 
de  se  débarrasser  de  ces  dangereux  voisins.  Dans  la  nuit  du  5  au  6  juin,  il 
partit  avec  trois  cent  vingt  hommes ,  c'est-à-dire  tout  ce  qu'il  avait  de  dispo- 
nible, et  se  dirigea  vers  Pueblo-Nuovo.  Il  y  trouva  Alvarez  solidement  retranché 
au  sommet  d'un  cerro,  où  l'on  ne  parvenait  que  par  d'étroits  sentiers  serpen- 
tant au  milieu  d'escarpements  que  le  chef  mexicain  devait  croire  impraticables 


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270  LB  3*  RÉOIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1864] 

pour  nou8|  car  nul  poste  avancé  n'avait  été  chargé  de  surveiller  la  route  (1*A- 
capulco.  Bien  que  le  jour  commençât  seulement  à  paraître,  l'attaque  eut  lieu 
aussitôt;  les  Tirailleurs  escaladèrent  ces  pentes  abruptes  avec  le  même  entrain, 
la  même  ardeur,  la  môme  agilité  avec  laquelle  ils  avaient  tant  de  Tois  gravi  les 
montagnes  de  Kabylie,  et  surprirent  la  troupe  ennemie,  qui  n'eut  que  le 
temps  de  se  jeter  sur  ses  armes  pour  résister  à  cette  subite  agression.  Les 
soldats  d'Alvarez  se  défendirent  d'abord  avec  une  certaine  énergie,  mais  as- 
saillis,-enfoncés,  dispersés,  poursuivis,  ils  virent  en  un  instant  s'évanouir 
leur  féroce  réputation  :  ils  s'enfuirent  atterrés,  nous  abandonnant  quatre 
canons,  cent  vingt  fusils,  des  sabres,  des  munitions,  un  pavillon,  des  che- 
vaux et  des  mulets.  La  lutte  avait  été  courte  mais  vive  :  .Alvarez  avait  eu 
cinquante  tués,  nous  comptions  quatre  hommes  blessés. 

Le  bataillon  était  de  retour  à  Acapulco  à  cinq  heures  du  soir. 

Les  journées  des  7  et  8  se  passèrent  sans  incident.  Dans  la  matinée  du  9, 
le  capitaine  de  Vauguion  partit  avec  l'escadron  de  cavalerie  pour  exécuter  une 
reconnaissance  sur  la  route  de  Mexico.  Il  y  avait  deux  heures  et  demie  qu'il 
marchait  sur  cette  dernière,  sans  voir  quoi  que  ce  soit  de  suspect,  sans  ren- 
contrer un  seul  dissident,  quand  tout  à  coup  il  donna  dans  une  barricade  fort 
habilement  dissimulée ,  et  derrière  laquelle  s'était  embusqué  un  fort  détache- 
ment de  Pintos.  Une  première  décharge  renversa  mortellement  le  sous-lieu- 
tenant de  Nyvenheim  et  atteignit  plusieurs  Tirailleurs;  bientôt  le  capitaine  de 
Vauguion  fut  lui-môme  assez  grièvement  blessé;  mais,  conservant  tout  son 
sang- froid,  toute  son  énergie,  au  milieu  de  celte  situation  que  la  moindre 
hésitation  pouvait  rendre  critique,  il  Gt  mettre  pied  à  terre  et  ordonna  l'at- 
taque de  la  barricade,  qui  fut  enlevée  avec  un  remarquable  élan.  Dès  que 
l'ennemi  en  eut  été  délogé,  les  Tirailleurs  remontèrent  à  cheval  et  poursui- 
virent les  fuyards  pendant  quatre  kilomètres,  leur  tuant  un  grand  nombre 
d'hommes  et  dispersant  le  reste,  qui  ne  tenta  plus  de  résister.  Outre  les  deux 
officiers  qui  avaient  été  blessés,  cette  affaire  nous  coûtait  un  homme  tué  et 
trois  blessés. 

Dans  un  ordre  de  l'armée  en  date  du  2  juillet,  le  général  en  chef  félicitait 
le  bataillon  de  Tirailleurs  algériens  €  pour  la  manière  brillante  dont  il  avait 
inauguré  notre  apparition  sur  les  côtes  du  Pacifique  »  ;  puis  il  citait  comme 
s'étant  particulièrement  distingués  dans  les  combats  des  6  et  9  juin  *  : 

H.  de  Vauguion,  capitaine  (blessé]  ; 

H.  le  Grontec,  capitaine  adjudant-major;  dans  l'affaire  du  G  juin,  au  pre- 
mier coup  de  feu ,  s'était  porté  eu  avant  avec  les  quelques  hommes  qui  l'en- 
touraient. 

Sylvestre,  sergent- fourrier. 
Kockempot,  sergent-major. 
Djelloud-ben-Kaudel,  sergent. 

Le  môme  ordre  accordait  la  croix  d'officier  de  la  Légion  d'honneur  au  capi- 

1  U  n'est  question  ci-dessus  que  des  citations  et  des  récompenses  concernant  le  S*  régi- 
ment de  TlraUleurs. 


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[1861]  AU  MEXIQUE  271 

taine  de  Vauguion ,  et  la  médaille  militaire  au  sergent -fourrier  Sylvestre  et  au 
sergent  Djelloud-ben-Kaudel. 

Le  combat  du  9  juin  fut  le  dernier  qu'on  eut  à  livrer  contre  les  bandes 
d*Alvares;  ces  dernières  essayèrent  bien  encore  de  se  montrer  de  loin  pendant 
le  jour ,  de  venir  à  distance  tirer  des  coups  de  fusils  sur  nos  postes  pendant  la 
nuit;  elles  tentèrent  même,  sans  résultat,  du  reste,  de  surprendre  quelques- 
uns  de  ceux-ci,  mais  jamais  plus  elles  n'acceptèrent  la  lutte  et  se  retirèrent 
toujours  devant  les  colonnes  ou  les  reconnaissances  qui  furent  dirigées  dans 
le  pays.  Tant  que  dura  leur  séjour  à  Acapulco,  les  Tirailleurs  n'en  furent  pas 
moins  continuellement  sur  pied  ;  presque  cliaque  jour  des  détachements 
exécutaient  des  sorties,  parcouraient  les  environs,  poussaient  des  pointes 
dans  l'intérieur  de  la  contrée  aCn  dMmposer  aux  populations  du  Guerrero, 
qui  nourrissaient  une  hostilité  sourde  qui  n'attendait  qu'une  occasion  pour  se 
manifester.  L'insalubrité  du  climat  rendait  ce  service  extrêmement  fatigant; 
les  lièvres  bilieuses  et  intermittentes,  la  dysenterie,  bien  d'autres  maladies 
encore,  s'abattaient  sur  tous,  officiers  et  soldats,  et,  sans  être  excessivement 
meurtrières,  rendaient  en  permanence  plus  de  la  moitié  de  l'eflectif  indis- 
ponible pour  les  opérations  à  l'extérieur.  A  peine  aurait  -on  pu  réunir  cent 
cinquante  fusils  pour  une  expédition  de  quelque  durée.  Chez  tous  cependant 
le  dévouement  était  resté  le  même,  et  pas  un  murmure,  pas  une  plainte,  pas 
un  mot  de  découragement  ne  sortait  de  la  bouche  de  ces  hommes,  dont  l'inal- 
térable discipline  entretenait  la  constante  abnégation. 

L'été  de  1864  s'écoula  tout  entier  dans  ces  conditions.  Au  mois  d'octobre, 
les  l'«  et  2®  compagnies  furent  désignées  pour  aller  occuper  Mazatlan,  port 
marchand  d'une  certaine  importance,  situé  sur  la  côte  de  l'État  de  Sinaloa, 
dans  le  golfe  de  Californie.  Embarquées  le  21  sur  le  d'Assas  et  la  Victoire,  ces 
compagnies  prirent  terre  à  San-Blas  quelques  jours  après;  de  là  elles  se 
rendirent  &  Tepic,  pour  y  rallier  le  commandant  Munier  et  quelques  ren- 
forts que  ce  dernier  amenait  de  Mexico;  puis  elles  se  rembarquèrent  le 
10  novembre,  et  arrivèrent  à  Mazatlan  le  12. 

Cette  place  possédait  quelques  fortifications  :  entourée  d'un  fossé  profond 
et  plein  d'eau ,  défendue  du  côté  de  la  terre  par  des  redoutes  se  flanquant 
mutuellement  et  fermant  complètement  la  petite  presqu'île  à  l'extrémité  de 
laquelle  elle  était  bâtie,  du  côté  de  la  mer  par  un  fortin  armé  de  grosse 
artillerie,  dans  l'intérieur  par  une  caserne  fortifiée  pouvant  servir  de  réduit, 
elle  avait,  au  commencement  de  l'année,  victorieusement  résisté  à  un  bom- 
bardement tenté  par  la  corvette  la  Cordelière,  qui  s'était  retirée  avec  sa  coque 
et  sa  voilure  sérieusement  endommagées. 

Le  capitaine  de.  vaisseau  le  Normand  de  Kergrist,  qui  cette  fois  avait  pour 
mission  d'emporter  la  ville  de  vive  force ,  disposait  pour  cette  opération  de 
quatre  petits  bâtiments,  de  deux  cent  vingt  Tirailleurs  algériens  et  de  cent 
cinquante  marins  de  débarquement;  il  devait,  en  outre,  être  appuyé  du  côté 
de  la  terre  par  les  troupes  alliées  du  général  de  Lozada.  Les  forces  ennemies 
s'élevaient  à  environ  sept  cents  hommes,  dont  cinq  cents  dans  la  place  et 
deux  cents  à  l'extérieur. 

Le  13  novembre,  après  une  canonnade  de  quelques  instants,  le  débarque- 


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272  LE  3*  RÊOIIIENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1804] 

ment  s'effectua  sans  difficulté.  Le  commandant  Munier  prit  alors  le  comman- 
dement des  troupes  et  pénétra  dans  la  ville,  qu*il  trouva  évacuée.  L'ennemi 
fuyait  dans  la  direction  de  Guliacan,  poursuivi  parle  général  do  Lozada,  qui, 
en  entendant  le  canon,  s'était  rapproché  de  la  place  et  était  arrivé  assez  à 
temps  pour  tomber  sur  une  arrière- garde  avec  sa  cavalerie.  On  trouva  dans 
Mazatlan  vingt-cinq  pièces  de  canon ,  dont  dix  seulement  avaient  été  enclouées, 
des  armes,  des  munitions,  des  approvisionnements  de  toute  sorte,  des  res- 
sources considérables  en  vivres  et  en  matériel.  Mais  la  population,  composée 
en  grande  partie  de  commerçants  que  cette  guerre  ruinait,  no  nous  était  pas 
plus  favorable  qu'à  Acapulco. 

Le  commandant  Munier  fut  nommé  commandant  supérieur  de  Mazatlan  et 
chargé  d'en  organiser  la  défense  et  d'y  installer  les  services  civils,  mission 
difficile  dont  il  s'acquitta  avec  son  habileté  et  son  intelligence  habituelles. 
C'était  bien  peu  cependant  que  deux  compagnies,  décimées  par  les  maladies, 
pour  garder  un  poste  d'une  importance  aussi  considérable,  dans  un  pays  aussi 
ouvertement  hostile  que  celui  de  Sinaloa;  aussi  ne  tardèrent-elles  à  se 
trouver  étroitement  bloquées  dans  la  place  par  un  corps  de  quatorze  cents 
hommes  qui  s'avança  jusqu'à  une  portée  de  canon  des  remparts. 

Les  choses  en  étaient  là  lorsque,  le  17  décembre,  les  quatre  autres  com- 
pagnies du  bataillon,  qui  étaient  restées  à  Acapulco,  arrivèrent  à  leur  tour  à 
Mazatlan.  C'était,  déduction  faite  des  malades  et  des  non- valeurs,  un  appoint 
de  deux  cent  trente  hommes,  dont  cent  soixante  montés,  que  recevait  la  gar- 
nison. Le  même  jour,  le  commandant  Hunier  exécuta  une  sortie,  culbuta  les 
avant-postes  ennemis,  poursuivit  les  juaristes  jusqu'au  village  de  Las-Hi- 
gueras  avec  les  deux  compagnies  montées,  leur  sabra  une  cinquantaine 
d'hommes  et  rompit  enfin  le  cercle  qui  l'enveloppait.  De  notre  côté,  nous  n'a- 
vions eu  qu'un  officier  blessé,  M.  Feitu,  sous-lieutenant  à  la  1^*  compagnie. 
Malheureusement  un  regrettable  incident,  qu'il  était  impossible  de  prévoir, 
n'allait  pas  tarder  à  détruire  l'effet  produit  par  ce  vigoureux  engagement. 
Nous  voulons  parler  du  combat  de  San  -  Pedro  ^ 

Nommé  au  commandement  militaire  de  la  ville  de  Culiacan,  le  général 
mexicain  Certes  n'attendait,  pour  rejoindre  son  poste,  que  d'avoir  une 
escorte  que  jusque-là  la  faiblesse  de  la  garqison  de  Mazatlan  n'avait  pas 
permis  de  lui  donner.  Dès  que  les  compagnies  d'Acapulco  furent  arrivées,  le 
commandant  Munier  s'occupa  d'organiser  à  cette  intention  une  petite  co- 
lonne qui  comprit  la  2«  compagnie  de  Tirailleurs  algériens  (soixante- quatre 
hommes)  et  quatre  cents  auxiliaires  alliés  récemment  organisés  et  armés.  Le 
18  décembre,  ces  troupes  prirent  passage  sur  l'aviso  le  Lucifer,  qui,  le  20, 
les  débarqua  à  Altata,  petit  port  au  nord  de  Mazatlan,  d'où  elles  devaient 

>  Bien  quels  compagnie  de  Tirailleurs  qui  se  trouva  engagée  dans  le  combat  de  San- 
Pedro  appartint,  dans  le  principe,  tout  entière  au  2«  régiment,  et  que  cet  épisode  pa- 
raisse relover  de  riilstorique  do  ce  corps,  nous  avons  cru  devoir  lui  donner  place  ici; 
car,  depuis  la  formation  dos  compagnies  montées,  les  éléuieuts  dus  trots  régiments 
avaient,  pour  ainsi  diro,  été  fusionnés.  G*C8t  ainsi  que  dans  la  compagnie  dont  il  est  ques- 
tion ci-dessus  se  trouvaient  deux  officiers  du  3«  Tirailleurs  :  Mil.  de  Saint -Julien,  lieu- 
tenant, et  Delkassom-ben-Mohamed,  sous-lieutenant. 


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[1864]  AU  MEXIQUE  273 

ensuite  se  rendre  à  Guliacan,  en  six  ou  huit  étapes,  dans  un  pays  où  nos 
armes  ne  s*étaient  pas  encore  montrées.  Le  capitaine  de  frégate  Grazielle  avait 
été  désigné  pour  diriger  cette  marche ,  à  laquelle  devaient  également  prendre 
part  quarante  fusiliers  marins  et  deux  petits  obusiers  de  Tescadre  mis  à  terre 
à  cet  effet. 

Le  départ  d*  AI  ta  ta  eut  lieu  le  21  ;  il  devait  coïncider  avec  un  mouvement 
du  général  Vcga,  qui  soutenait  la  cause  de  Fempire  dans  le  nord  do  l'Etat  de 
Sinaloa  :  tout  semblait  donc  prévu  pour  la  réussite  de  Topération. 

Le  premier  jour,  cependant,  on  commença  à  apercevoir  quelques  groupes 
d'ennemis;  bientôt  même  on  fut  attaqué;  mais  la  2*  compagnie  (capitaine 
Véran)  eut  vite  fait  de  disperser  les  dissidents.  Le  lendemain,  la  marche 
reprit  de  bonne  heure ,  et  se  poursuivit  dans  les  mêmes  conditions  jusque  près 
du  village  de  San-Pedro;  tout  à  coup  une  vive  fusillade  éclata  :  le  village 
était  solidement  occupé  par  cinq  cents  hommes  aux  ordres  du  général  Rosalès. 

Aux  premiers  coups  de  feu,  le  capitaine  Grazielle  s'était  porté  en  avant 
avec  le  gros  de  sa  colonne,  et,  de  concert  avec  le  capitaine  Véran  et  le  général 
Certes,  avait  pris  les  dispositions  que  nécessitait  la  situation  :  soutenus  par 
les  Tirailleurs  algériens,  les  auxiliaires  mexicains  devaient  aborder  le  village 
et  tenter  de  s'en  emparer,  pendant  que  les  fusiliers  marins,  tout  en  servant 
do  réserve,  veilleraient  h  la  protection  du  convoi.  L'attaque  commença;  mais, 
dès  que  les  auxiliaires  se  trouvèrent  en  présence  des  troupes  de  Rosalès,  ils 
passèrent  de  leur  côté.  Le  chiffre  de  nos  adversaires  se  trouva  ainsi  porté  à 
mille,  nous  restions  à  peine  cent. 

Malgré  cette  proportion  énorme,  la  lutte  continua;  pendant  deux  heures 
les  Tirailleurs  et  les  marins  firent  des  prodiges  de  valeur ,  se  prodiguèrent 
dans  d'héroïques  eflbrts,  tentèrent  tout  ce  que  le  plus  inébranlable  courage 
est  capable  de  dicter;  mais  que  pouvaient -ils  contre  le  nombre  dix  fois 
supérieur  de  leurs  ennemis?  Si  seulement  ils  avaient  eu,  comme  la  légion 
étrangère  à  Camarone ,  un  abri  quelconque  pour  se  réfugier  I  mais  rien ,  rien 
qu'un  cercle  de  baïonnettes  qui  allait  toujours  se  rétrécissant. 

Dès  le  premier  moment,  le  capitaine  Véran  était  tombé  pour  ne  plus  se 
relever.  Le  lieutenant  de  Saint  -Julien  avait  pris  le  commandement  de  la 
compagnie  et  avait  à  son  tour  été  grièvement  blessé;  peu  de  temps  après,  le 
sous -lieutenant  Belkassem-ben- Mohamed  avait  le  môme  sort.  Il  ne  restait 
plus  qu'un  seul  oflicier,  M.  Marquiset,  sous -lieutenant. 

Cependant  les  Tirailleurs  tenaient  toujours;  couvrant  de  leur  corps  les 
nombreux  blessés  qui  gisaient  étendus,  ils  se  battaient  comme  des  forcenés, 
se  reformant  aussitôt  que  les  balles  ennemies  avaient  fait  des  vides  trop 
profonds.  Mais  les ^nunitions  s'épuisaient;  bientôt  on  en  fut  aux  dernières 
cartouches,  et  la  situation,  de  grave  qu'elle  était,  devint  désespérée.  Que 
faire  dans  ces  conditions?  Tenter  une  trouée  à  la  baïonnette?  Certes,  marins 
et  Turcos  ne  demandaient  pas  mieux;  mais  que  seraient-ils  ensuite  devenus? 
Trente  kilomètres  les  séparaient  delà  côte;  on  les  aurait  écrasés  en  détail  jus- 
qu'au dernier,  sans  pitié,  sans  égard  pour  la  bravoure  qu'ils  venaient  de 
déployer.  Le  capitaine  Grazielle  préféra  sauver  les  débris  de  sa  petite  troupe  : 
il  se  rendit. 

18 


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iU  LE  3*  RÊGIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1864] 

A  coux  qui  pourraiont  éire  tontes  d'ajouter  qu'il  ost,  dans  notre  hintoiro 
odilitairOi  des  exemples  où  une  troupe  d'élite  a  préféré  succomber  glorieuse- 
ment  plutôt  que  de  subir  les  conditions  de  l'ennemi,  ce  dernier  fût-il  vingt, 
trente  fois  supérieur,  nous  répondrons  par  l'énumération  des  pertes  subies 
par  les  Tirailleurs.  Nous  avons  vu  que,  sur  quatre  officiers,  il  y  en  avait  un 
de  tué  et  deux  de  blessés;  sur  soixante-quatre  hommes,  onxe  étaient  tués, 
vingt- deux  blessés,  soit  en  tout  trente-six  hommes  hors  de  combat,  c'est- 
à-dire  plus  de  la  moitié  de  l'eflectif.  Un  tel  chiffre  se  passe  de  commentaires. 

Parmi  les  braves  dont  la  fortune  venait  ainsi  de  trahir  les  généreux  efforts, 
un  certain  nombre  appartenaient  au  3«  Tirailleurs;  malheureusement  les 
noms  de  beaucoup  de  ces  derniers  ne  nous  sont  pas  connus.  Voici  ceux  qu'il 
nous  a  été  donné  de  retrouver  : 

M.  de  Saint- Julien ,  lieutenant  (blessé). 
H.  Belkassem-ben -Mohamed ,  sous -lieutenant  indigène  (blessé). 
El-Abid-Ould-Cada-Ould- Ahmed,  tirailleur  (a  reçu  six  blessures). 
Mohamed-ou-Heknech ,  tirailleur  (a  reçu  deux  blessures). 

Tout  fait  supposer  que  le  chiffre  des  hommes  du  3«  régiment  qui ,  dans  cette 
circonstance,  furent  tués,  blessés  ou  faits  prisonniers,  ne  devait  pas  s'élever 
à  moins  de  quinte  à  vingt. 

Ce  combat  fut  le  dernier  événement  militaire  de  Tannée  1864.  Celait  un 
fâcheux  présage  pour  celle  qui  allait  s'ouvrir.  L'horizon  commençait  du  reste 
à  se  rembrunir;  la  situation ,  d'abord  satisfaisante  au  moment  de  l'arrivée  de 
Maximilien,  se  modifiait  chaque  jour  en  faveur  des  libéraux,  et  déjà  les  oscil- 
lations qui  devaient  amener  l'effondrement  de  Tédifice  éphémère  élevé  par  la 
France  devenaient  parfaitement  visibles  pour  les  esprits  clairvoyants  que 
n'aveuglait  pas  l'ambition  personnelle,  ou  que  n'égaraient  point  les  engage- 
ments du  passé. 


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CHAPITRE  XI 


Le  bataillon  est  relevé  à  Masatlan  par  les  troupes  de  la  V*  diTlsfon  et  rerient  à  Quada- 
lajara.  —  Le  eommandant  Munier,  nommé  lleatenant-eolonel,  est  remplacé  par  le 
commandant  de  Leuchey.  —  Rentrée  à  Meiico.  —  Occupation  de  Zitacuaro.  —  Opé- 
rations autour  de  Zitacuaro  et  de  Tusantla.  —  Séjour  à  Tolnca.  —  Ck)mbat  de  Mayo- 
rasco.  —  Retour  à  Mexico.  —  Le  bataillon  est  envoyé  dans  les  Terres  cbaudes.  — 
Dernières  opérations.—  Le  commandant  Glenmier  remplace  le  commandant  de  Leucbey, 
nommé  lieutenant-colonel.  —  Rapatriement  des  Tirailleurs  algériens.  —Ordre  d'adieux 
du  maréchal  Bazaine.  —  Rentrée  à  Cîonstantine. 


L'affaire  de  San-Pedro,  en  encourageant  le  parti  libéral ,  déjà  très  puissant 
dans  lea  deux  États  de  Sinaloa,  pouvant  entraîner  des  complications  très 
graves  dans  cette  région ,  le  maréchal  Bazaine  avait  aussitôt  décidé  l'envoi  du 
général  do  Castagny  avec  deux  mille  huit  cents  hommes  à  Mazatlan.  Ces 
troupes  arrivèrent  le  13  janvier  1865.  Le  lendemain,  le  commandant  Municr 
partit  avec  tout  son  bataillon  et  une  compagnie  du  51*  de  ligne  pour  escorter 
un  convoi  destiné  à  une  colonne  qui  opérait  dans  le  district  de  San -Sébas- 
tien, sous  les  ordres  du  lieutenant- colonel  Cottret.  A  son  retour,  il  devait 
combiner  ses  mouvements  avec  ceux  de  deux  autres  colonnes  commandées, 
Tune  par  le  colonel  Garnier,  l'autre  par  le  commandant  de  Lignières,  et  batr- 
tant  toutes  les  deux  les  environs  de  Mazatlan. 

Le  premier  jour,  on  s'arrêta  à  Piarte-de -Laval;  le  15  janvier,  on  arriva 
à  la  Noria;  le  16,  on  atteignit  Las-Iguanas;  et  enfin,  le  17,  on  se  dirigea 
vers  Chapote,  à  la  rencontre  du  lieutenant- colonel  Cottret,  qu'on  trouva  à 
Palmillas.  La  remise  du  convoi  terminée,  le  colonne  du  commandant  Hunier 
revint  coucher  à  Las-Iguanas,  d*où  elle  partit  le  lendemain  pour  refaire  les 
mêmes  étapes,  et  rentrer  le  20  janvier  à  Mazatlan  sans  avoir  pu  rencontrer 
un  seul  guérillero. 

Cependant  le  bataillon  de  Tirailleurs  algériens  venait  de  recevoir  l'ordre 
de  rentrer  à  Guadalajara  par  les  mêmes  moyens  qu'il  en  était  venu,  c'est- 
à-dire  en  s'embarquant  jusqu'à  San-Blas,  et  en  faisant  ensuite  par  étapes  le 
restant  du  trajet.  Le  21  janvier ,  il  prit  passage  à  bord  de  la  Pallas  et  du  ilAin , 
et,  le  24,  fut  débarqué  à  San-Blas.  Il  se  mit  en  route  le  26  janvier,  et  arriva 


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276  LE  3<»  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEUBS  ALGÉRIENS  [1865] 

à  Guadalajara  le  10  février,  après  avoir  suivi  seosibleuieol  le  même  itiaéraire 
que  celui  déjà  parcouru  Tanoée  précédente  lors  de  son  envoi  à  Acapulco.  Da 
jour  de  sa  rentrée  à  Guadalajara ,  il  Tut  compris  dans  les  troupes  de  la  l'*  bri- 
gade (général  L*Hérillier)  de  la  1^*  division. 

Par  décret  du  26  décembre  1864 ,  le  commandant  Munier  avait  été  nommé 
lieutenant- colonel.  Il  fut  remplacé  par  le  commandant  Guyot  de  Leuchey, 
du  régiment  étranger. 

Pendant  les  neuf  mois  qu'allait  durer  le  séjour  du  bataillon  à  Guadalajara, 
les  Tirailleurs  ne  devaient  pas  rester  inaclifs;  des  compagnies  allaient  ôtre 
constamment  détachées  dans  les  localités  des  environs,  à  Tepatitlan,  Sanla- 
Anna,  Los-Reyes,  Cocula,  Mazamilla,  Sayula,  etc.,  afin  d*y  traquer  sans 
relâche  les  nombreuses  guérillas  qui  infestaient  celte  contrée;  d'autres  frac- 
tions allaient  servir  d*escorte  aux  convois;  enfin  la  garnison  proprement  dite 
allait  travailler  aux  fortifications  de  la  place  et  à  l'amélioration  de  l'instal- 
lation. Un  certain  nombre  de  petits  combats  furent  livrés  aux  guérilleros, 
mais  sans  qu'aucun  entraînât  de  perles  bien  sérieuses  pour  nous;  tout  se 
bornait  à  une  guerre  de  surprises,  à  des  opérations  de  nuit,  à  des  marches 
rapides,  à  des  excursions  de  courte  durée  et  fréquemment  renouvelées  faites 
par  l'escadron  de  cavalerie.  Une  sécurité  jusque-là  inconnue,  le  fonctionne- 
ment régulier  des  services  établis ,  la  reprise  de  nombreux  travaux  inter- 
rompus, furent  pour  le  pays  le  résultat  de  celle  habile  taclique  et  de  l'inces- 
sante activité  déployée  par  nos  déluchemenls. 

Dans  les  premiers  jours  de  septembre ,  la  compagnie  montée  du  capitaine 
de  Vauguion  fut  remise  à  pied.  Le  cadre  de  celle  du  capitaine  Testard  fut 
dirigé  sur  les  Terres  chaudes  de  Vera-Cruz,  pour  y  organiser  une  compagnie 
franche;  cette  dernière  devait  se  recruter  en  route  parmi  trois  cents  hommes 
récemment  arrivés  d'Afrique  et  se  dirigeant  sur  Guadalajara.  Dès  qu'elle  fut 
formée,  elle  alla  s'établir  à  Cordova,  afin  d'assurer  les  communications  entre 
cette  ville  et  Paso-dcl- Macho. 

Le  4  novembre,  l'étal- major  et  les  cinq  compagnies  restées  à  Guadalajara 
se  mirent  en  route  pour  Mexico,  où  ils  arrivèrent  le  27,  après  une  absence 
de  deux  années.  Le  même  jour,  arrivèrent  également  AIM.  de  Saint- Julien, 
lieutenant;  Marquiset  et  Bclkassem-ben- Mohamed,  sous -lieutenants,  et  une 
trenlaine  d'hommes  appartenant  à  la  2«  compagnie,  et  faits  prisonniers  au 
combat  de  San -Pedro.  On  les  avait  emmenés  en  captivité  à  Oposura,  au  fond 
de  la  Sonera,  où  pendant  près  de  dix  mois  ils  étaient  restés  sans  nouvelles  de 
leurs  familles  et  des  événements.  Plusieurs  fois,  sans  pouvoir  y  réussir,  ils 
avaient  tenté  de  s'échapper;  enfin  ils  avaient  été  délivrés  par  le  chef  indien 
Tanori,  et,  au  prix  de  faligues  et  de  privations  inouïes,  étaient  ensuite  par- 
venus à  gagner  les  premiers  postes  français.  Au  commencement  de  décembre, 
la  6«  compagnie,  détachée  à  Cordova,  rallia  à  sou  tour,  et  tout  le  bataillon 
se  trouva  pour  un  moment  réuni  dans  la  main  de  son  chef. 

Son  séjour  à  Mexico  fut  pour  lui  une  période  do  repos ,  ou  plutôt  d'un 
simple  service  de  garnison  ;  pendant  trois  mois ,  à  l'exception  de  la  ti«*  compa- 
gnie qui,  après  être  rentrée  de  Cordova,  fut,  au  bout  d'à  peine  un  mois, 
renvoyée  dans  cette  même  région,  il  ne  prit  part  à  aucune  opération  de 


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[1866]  AU  MEXIQUE  279 

ils  s'étaient  simplement  retirés  à  Jungapéo ,  à  quinze  kilomètres  de  Zilacuaro. 
Dès  qu'il  en  fut  informé,  le  commandant  de  Leuchey  organisa  deux  colonnes, 
qui  se  mirent  en  route  le  11  au  matin.  La  première,  composée  de  la  1<«  com- 
pagnie et  de  deux  pelotons  de  la  compagnie  montée,  devait,  sous  les  ordres 
du  commandant ,  se  diriger  directement  sur  Jungapéo ,  en  passant  par  Ocurio  ; 
la  deuxième ,  commandée  par  le  capitaine  de  Vauguion ,  et  comprenant  la 
5*  compagnie  et  un  peloton  de  la  compagnie  montée,  arait  pour  mission  de 
gagner  Comenbiaro ,  afin  de  couper  à  l'ennemi  la  retraite  sur  Tusantla.  Cette 
manœuvre  eut  un  plem  succès  :  croyant  fuir  les  troupes  françaises ,  les  Mexi- 
cains vinrent  défiler  à  portée  de  fusil  de  la  compagnie  du  capitaine  de  Vau- 
guion, perdirent  ainsi  quelques  hommes  tués  ou  blessés ,  et  furent  poursuivis 
jusqu'à  la  Mesa-de-Caparo.  Le  lendeiqain,  les  deux  colonnes,  n'en  formant 
plus  qu'une  seule,  rentrèrent  à  Zitacuaro,  en  passant  par  Comenbiaro  et  en 
poussant  une  recon|iaissance  jusqu'à  Jésus -dcl- Rio. 

A  la  fin  du  mois,  la  pacification  du  pays,  en  apparence  du  moins,  était 
fort  avancée;  plusieurs  bandes  tenaient  encore  la  campagne;  mais,  conti- 
nuellement harcelées  par  les  sorties  de  la  garnison,  elles  erraient  plutôt  en 
fugitives  qu'elles  n'étaient  inquiétantes  pour  nous.  La  mise  en  état  de  défense 
do  Zitacuaro  était  maintenant  achevée;  quelques  ouvrages  en  terre,  appuyés 
ou  flanqués  par  des  murs  crénelés,  un  casernement  pouvant  servir  de  réduit, 
tel  était  l'ensemble  des  fortifications  dans  lesquelles  allait  être  laissé  le  ba- 
taillon mexicain  qui  devait  succéder  aux  Tirailleurs  algériens.  Ces  dispositions 
prises,  et  croyant  ce  poste  désormais  à  l'abri  d'une  surprise,  le  commandant 
de  Leuchey  mit  la  dernière  main  à  l'organisation  du  bataillon  auxiliaire,  et 
se  mit  en  route  le  l^^  juin  avec  les  Tirailleurs,  pour  gagner  d'abord  Toluca  et 
ensuite  Mexico.  Déjà ,  le  29  mai ,  la  4®  compagnie  avait  commencé  le  mouve- 
ment en  se  portant  à  San- José- Molacatepel. 

Le  jour  de  son  départ  de  Zitacuaro ,  le  bataillon  coucha  à  Chorcados.  -Le 
lendemain ,  la  marche  fut  reprise  et  l'on  atteignit  Cocomesco  ;  la  4*  compagnie 
se  conforma  à  ce  mouvement,  en  envoyant  Tune  de  ses  sections  dans  cette 
dernière  localité  et  en  poussant  l'autre  jusqu'à  la  Gavia.  Le  3  juin ,  le  com- 
mandant de  Leuchey,  avec  les  1<^,  2*  et  3*  compagnies,  fit  une  pointe  vers 
Los-Ahocados,  où  se  trouvaient  quelques  guérilleros ,  qui  s'enfuirent  précipi- 
tamment. Il  avait  laissé  la  5^  compagnie  à  l'Assomption  do  Molacatepel 
pour  protéger  un  convoi  d'argent;  quant  à  la  4«,  elle  avait  une  section  qui 
gardait  les  bagages  à  Cocomesco,  et  une  autre  qui  venait  d'arriver  à  Toluca. 
Le  4,  la  5«  compagnie  rejoignit  le  gros  du  bataillon  à  Los-Ahocados,  et  les 
quatre  compagnies  réunies  sur  ce  point  rentrèrent  à  Cocomesco.  Là  le  com- 
mandant apprit  que  Régulés ,  trompant  la  vigilance  du  général  Mondes,  s'était 
présenté  devant  Zitacuaro ,  en  avait  chassé  la  garnison  mexicaine  et  rasé  les 
quelques  travaux  qu'on  y  avait  exécutés.  Il  revint  en  toute  hâte  sur  ses  pas  , 
avec  les  l'*,  2«,  3*  et  5«  compagnies ,  et  rentra  sans  coup  férir  dans  Zitacuaro, 
où  vinrent  le  rejoindre  les  deux  sections  de  la  4*  compagnie.  On  travailla  jour 
et  nuit  à  remettre  les  fortifications  en  état;  les  fuyards  du  bataillon  mexicain 
rentrèrent  peu  à  peu,  et,  au  bout  de  quelques  jours,  le  poste  se  trouva  de 
nouveau  en  état  de  résister  à  une  agression.  Tout  en  s'occupant  de  cette  réin- 


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280  l'E  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [t866] 

siallation ,  le  commandant  de  Leuchey ,  à  la  tète  d'une  colonne  légère  composée 
d'une  section  de  la  2«  compagnie,  d*un  peloton  monté  et  de  vingt-cinq  auxiliaires 
mexicains ,  exécutait ,  le  9  juin ,  une  sortie  sur  le  village  de  San- José- Holaca- 
tepel,  y  surprenait  un  détachement  ennemi,  lui  tuait  deux  hommes,  lui  en 
blessait  un  grand  nombre  et  le  dbpersait  complètement.  A  la  suite  de  ce  coup 
de  main,  qui  semblait  de  nouveau  avoir  rendu  la  sécurité  au  pays,  il  reprit 
le  chemin  de  Toluca ,  laissant  le  bataillon  mexicain  seul  dans  Zitacuaro. 

liO  13,  le  bataillon  do  Tirailleurs  campait  do  nouvoau  à  Cocomosco.  Le  14, 
il  se  porta  à  l'Ascension  de  Molacatepcl ,  où  il  fit  séjour  les  15,  IG  et  17;  le  18, 
il  arriva  à  la  Gavia.  Le  19,  Tétat- major,  deux  compagnies  et  deux  pelotons 
de  la  compagnie  montée  poussèrent  jusqu'à  Toluca;  les  autres  compagnies 
restèrent  à  la  Gavia.  On  pensait  enfin  prendre  cfuclques  jours  d'un  repos  dont 
le  besoin  commençait  à  se  faire  sérieusement  sentir,  quand  tout  à  coup  on 
apprit  que  Zitacuaro  était  encore  attaqué  par  les  forces  du  général  Ugaldc. 
Pour  la  deuxième  fois,  nos  compagnies  durent  revenir  sur  leurs  pas.  Le  21 , 
le  groupe  de  la  Gavia,  qui  se  trouvait  le  moins  éloigné,  rétrograda  sur  TAs- 
cension  de  Molacatepel,  et,  le  23,  arriva  à  Zitacuaro,  où  il  fut  rejoint  deux 
jours  après  par  celui  qui  se  trouvait  à  Toluca. 

Dès  le  lendemain  24,  le  commandant  de  Leuchey  se  mit  à  la  recherche  de 
l'ennemi,  qui,  selon  son  habitude,  s'était  empressé  de  fuir  à  rapproche  des 
Tirailleurs.  II  l'atteignit,  échangea  avec  lui  quelques  coups  de  fusil,  le  mit  en 
pleine  déroute,  et,  comme  représailles,  livra  aux  flammes  les  villages  de  San- 
Francisco -Filopetec,  de  San-Andres  et  l'hacienda  del  Bosque.  Le  25,  deux 
compagnies  se  portèrent  à  San- Felipe  pour  protéger  l'arrivée  d'un  détachement 
mexicain  destiné  à  renforcer  la  garnison.  Ce  détachement  arriva  le  soir  même 
et  fut  fondu  avec  le  bataillon  auxiliaire,  qui,  dans  la  dernière  attaque  qui  avait 
été  dirigée  contre  la  place ,  s'était  assex  bien  conduit. 

•Le  26,  les  Tirailleurs  algériens  reprirent,  pour  la  troisième  et  dernière  fois, 
le  chemin  de  Toluca.  Les  cinq  compagnies  s'arrêtèrent  le  soir  à  l'Ascension 
de  Molacatepel,  et,  le  27,  arrivèrent  à  la  Gavia.  Le  28,  deux  d'entre  elles 
restèrent  dans  cette  localité,  pendant  que  les  trois  autres  et  l'état- major 
allaient  s'établir  à  Toluca. 

Le  12  juillet,  vint  l'ordre  de  rentrer  à  Mexico.  Les  deux  compagnies  restées 
à  la  Gavia  rejoignirent  à  Toluca  le  13,  et,  le  15,  eut  lieu  le  départ  de  tout  le 
bataillon.  Le  soir,  on  arriva  à  Ixlahura,  et,  le  16,  à  Tamayaoya.  Le  17,  on 
fit  la  grand'halte  à  l'hacienda  de  Mayorasco.  A  ce  moment,  le  commandant 
de  Leuchey  fut  prévenu  qu'une  troupe  d'infanterie  et  de  cavalerie  ennemies , 
ignorant  la  présence  des  Français,  arrivait  pour  s'établir  à  la  même  hacienda. 
Il  fit  immédiatement  monter  à  cheval  deux  pelotons  de  cavalerie,  donna  l'ordre 
à  une  section  de  la  2*  compagnie  d'appuyer  leur  mouvement,  et  se  jeta  à  la 
recherche  des  Mexicains,  qu'il  ne  tarda  pas  à  atteindre,  et  dont  il  détruisit 
l'infanterie  près  d'un  rancho  situé  à  quelques  kilomètres  de  Mayorasco.  Il 
continua  ensuite,  pendant  quinze  kilomètres,  la  poursuite  de  leur  cavalerie 
avec  les  deux  pelotons  montés,  la  sabra,  la  dispersa,  et  rentra  à  l'hacienda 
après  avoir  tué  vingt-deux  hommes  &  l'ennemi,  pris  doute  chevaux,  des  fu- 
sils, des  armes,  des  munitions. 


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[1866]  AU  MEXIQUE  281 

Le  18,  le  bataillon  reprit  sa  marche  et  alla  coucher  au  moulin  du  rio  Undo; 
le  19,  il  arrivait  à  Mexico. 

Pendant  que  les  cinq  premières  compagnies  donnaient  ainsi ,  dans  le  Mi- 
choacan,  une  si  haute  idée  de  ce  que  peut  une  troupe  dont  le  dé?ouement 
n*e8t  jamais  au-dessous  des  difBcultés  même  les  plus  imprévues ,  la  6*  com- 
pagnie, que  nous  avons  rue  repartir  pour  les  Terres  chaudes  de  Vera-Cruz, 
faisait  dans  ce  pays  un  service  des  plus  pénibles,  consistant  dans  une  pour- 
suite  continuelle  des  guérilleros  qui  troublaient  la  sécurité  de  nos  commu- 
nications entre  Cordova  et  Paso-del- Macho.  Du  18  mars  au  1***  mai,  elle 
avait,  conjointement  avec  le  bataillon  nègre  égyptien  et  quelques  Mexicains 
alliés,  fait  une  longue  et  fatigante  expédition  dans  le  sud  de  TÉtat  de  Vera- 
Cruz,  dans  le  but  de  rejeter  au  loin  les  bandes  dissidentes  du  colonel  Garcia. 
Cette  opération  s'était  terminée  avec  succès,  et  la  compagnie  était  ensuite 
rentrée  à  Paso-del-Macho,  d'où  elle  n*avait  pas  tardé  à  revenir  à  Cordova.  Le 
20  juillet,  c'est-à-dire  le  lendemain  de  sa  rentrée  à  Toluca,  la  compagnie 
montée  (3«)  quittait  Mexico  pour  aller  la  rejoindre;  les  autres  devaient  à  leur 
tour  prendre  cette  direction,  mais  auparavant  on  leur  accordait  un  repos 
qu'elles  avaient  bien  mérité. 

La  situation  générale,  que  nous  avons  vu  si  peu  satisfaisante  à  la  fin  de 
Tannée  1864,  avait  empiré  au  point  de  devenir  alarmante  dès  les  premiers 
mois  de  1865.  Chaque  jour  les  progrès  des  libéraux  resserraient  plus  étroite- 
ment le  cercle  d'investissement  qui  se  formait  autour  du  territoire  occupé  par 
nos  postes.  Impuissant  à  se  maintenir  au  moyen  de  ses  propres  ressources, 
l'empire  de  Maximilien  ne  subsistait  plus  que  par  la  France,  qui,  lasse  à  son 
tour  des  sacrifices  en  hommes  et  en  argent  que  lui  coûtait  cette  guerre  qui 
devenait  de  plus  en  plus  impopulaire,  songeait  maintenant  à  rappeler  ses 
troupes  et  &  nimndonncr  le  pnys  à  son  propre  sort.  Déjb  les  États-Unis,  aux- 
quels la  fin  de  la  guerre  de  sécession  venait  do  rendre  une  entière  liberté  de 
mouvements,  commençaient  à  peser  de  tout  leur  poids  dans  la  balance  poli- 
tique en  faveur  de  Juarez ,  qu'ils  reconnaissaient  comme  le  seul  légitime  chef 
du  gouvernement  mexicain  ;  des  complications  pouvaient  surgir  d'un  moment 
à  l'autre;  d'autres  plus  graves  existaient  à  l'élat  latent  par  suite  de  la  mésin- 
telligence qui  était  survenue  entre  le  maréchal  Bazaine  et  l'empereur  Maxi- 
milien; il  fallait  donc  prévoir,  à  courte  échéance,  l'intervention  d*un  dénoue- 
ment que  les  moins  pessimistes  ne  se  dissimulaient  plus. 

Le  13  août,  Tétat- major  du  bataillon  et  les  quatre  compagnies  qui  se 
trouvaient  à  Mexico  quittèrent  cette  ville  pour  se  rendre  à  Cordova.  C'était 
pour  toujours  que  les  Tirailleurs  algériens  abandonnaient  la  région  des  hauts 
plateaux  :  leur  séjour  dans  les  Terres  chaudes  devait  se  prolonger  jusqu^à 
leur  embaquement  pour  l'Algérie.  On  arriva  à  destination  le  27.  Dès  le  29, 
les  compagnies  furent  ainsi  réparties  :  la  i<^,  une  section  à  Paso-del-Macho  et 
l'autre  à  Camarone;  la  S*',  à  Cordova;  la  4<>,  à  la  Soledad;  la  5*,  à  Cordova; 
la  6®  à  la  Soledad.  Vingt  hommes  de  l'escadron  étaient  détachés  à  Orizaba. 
L'état-major  se  trouvait  à  Cordova. 

Pendant  toute  la  durée  du  mois  de  septembre,  il  n'y  eut  d'autre  change- 
ment que  celui  de  la  4*  compagnie,  qui  rentra  à  Cordova  le  11.  Vers  la  fin 


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282  LB  3*  RÉrsiMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l896] 

d'octobre,  rélat-major,  les  l)^  et  2*  compagnies  et  une  section  de  la  5*  furent 
concentrées  à  Vera-Cruz;  l'autre  section  de  la  5*  fut  détachée  à  la  Tejeria. 
Dans  le  courant  de  ces  deux  mois,  la  fièvre  jaune  fit  de  cruels  ravages  dans 
la  plupart  des  postes  désignés  ci- dessus.  Le  nombre  des  victimes  s'éleva  à 
cent  trente  sur  six  cents  hommes  environ  que  comptait  encore  le  bataillon. 
Parmi  ces  dernières  se  trouvaient  quatre  officiers. 

Le  restant  de  Tannée  1866  s'écoula  sans  amener  d'événement  important  ; 
quelques  surprises  de  guérillas,  des  courses  et  des  fatigues  continuelles  dans 
le  but  d'assurer  le  passage  des  convois,  tel  fut  le  bilan  de  cette  période ,  pen- 
dant laquelle  les  Tirailleurs  continuèrent  à  occuper  Vera-Cruz,  Paso-del-Hacho 
et  la  Tejeria.  Le  1*'  décembre,  le  capitaine  Senac,  du  2«  régiment,  tomba 
avec  huit  Tirailleurs  dans  une  embuscade  près  de  Paso-del-Hacho.  Il  perdit 
deux  hommes  tués  et  trois  blessés,  mais  parvint  cependant  à  se  dégager  de 
ce  mauvais  pas.  Quelques  jours  après  il  prit  sa  revanche  en  allant  attaquer 
Puoblo-Viego,  occupé  par  les  libéraux,  et  en  faisant  subir  à  ceux-ci  des 
pertes  considérables. 

On  décret  du  21  décembre  vint  nommer  le  commandant  Guyot  de  Leuchey 
au  grade  de  lieutenant -colonel.  Ce  n'était  là  qu'une  juste  récompense  des 
brillants  services  rendus  par  cet  officier  depuis  qu'il  se  trouvait  à  la  tête  du 
bataillon  de  Tirailleurs  algériens.  Ce  fut  le  commandant  Clemmer,  du  régi- 
ment étranger,  qui  fut  désigné  pour  le  remplacer.  H.  Clemmer  avait  été  pen- 
dant longtemps  capitaine  au  i^  régiment,  et  était  parti  pour  le  Mcxi(|uo  avec 
le  détachement  fourni  par  ce  dernier. 

Le  6  janvier  1867,  le  bataillon,  sous  les  ordres  du  capitaine  Cailliot,  aJju- 
dant-major,  fut  envoyé  à  Hedellin ,  tombé  au  pouvoir  des  juaristes  par  suite 
de  la  défection  d'un  escadron  mexicain.  Arrivés  à  Jamapa,  les  Tirailleurs  se 
joignirent  à  la  contre-guérilla  du  colonel  de  Galliffet.  Ce  dernier  ayant  pris  le 
commandement  de  l'expédition,  on  se  porta  immédiatement  sur  la  ville,  qui 
fut  précipitamment  évacuée  par  les  dissidents.  Hais,  se  jetant  à  leur  pour- 
suite avec  lu  cavalerie  et  la  compagnie  montée  du  cupiluino  Urault,  le  colonel 
les  atteignit  à  quatre  kilomètres  de  là,  et,  malgré  la  supériorité  de  leur 
nombre,  les  mit  en  pleine  déroute.  Cet  engagement  devait  être  le  dernier 
auquel  allaient  assister  les  Tirailleurs  algériens  sur  la  terre  du  Mexique. 

L'ordre  du  rapatriement  du  corps  expéditionnaire  était  arrivé  ;  toutes  les 
troupes  rétrogradaient  vera  Vera-Cruz,  où  leur  embarquement  devait  s'effec- 
tuer successivement  au  fur  et  à  mesure  de  l'arrivée  des  transports  envoyés  do 
France  à  cet  effet.  En  vue  de  ce  départ,  les  compagnies  de  Tirailleurs  déta- 
chés à  Paso-del-Hacho  et  à  Tejeria,  furent  relevées  par  des  garnisons  mexicaines 
et  rallièrent  les  autres  à  Vera-Cruz.  Avant  de  se  séparer  du  bataillon,  qu'il 
avait  toujours  apprécié  d'une  façon  toute  particulière,  le  commandant  en  chef 
lui  adressa  un  ordre  d'adieux  qui  se  résumait  ainsi  : 

c  Officiers  et  soldats, 

«  Plus  qu'aucune  autre  troupe,  le  bataillon  de  Tirailleurs  algériens  a  pris  sa 
large  part  des  travaux  et  des  luttes  de  rexpédition  du  Mexique;  partout  où  il 
y  a  eu  de  rudes  combats  à  livrer,  partout  où  il  a  fallu  poursuivre  d*insaisis- 


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[1867]  AU  MEXIQUE  283 

sables  ennemis  par  des  marches  continuelles,  partout  où  il  a  fallu  affronter  le 
climat  meurtrier  des  tropiques ,  les  Tirailleurs  ont  soutenu  glorieusement  l'hon- 
neur du  nom  franjais.  Toujours  ils  ont  déployé  la  plus  grande  bravoure  en  face 
de  Tennemi,  la  plus  héroïque  abnégation  devant  la  mort  sans  écho  des  am- 
bulances. 

«  Retournez  dans  votre  patrie,  braves  Tirailleurs,  fiers  du  devoir  accompli. 
Vos  frères  d*armes  de  Tarmée  d'Afrique  vous  attendent  pour  vous  féliciter  de 
vos  exploits  sur  la  terre  lointaine  du  Mexique. 

c  Meiico,  le  4  janvier  1867. 

«  Le  maréchal  commandant  en  chef, 
«  Signé  :  Bazainb.  » 

Le  départ  des  Tirailleurs  devait  s^eflectuer  en  trois  détachements,  chacun 
comprenant  les  hommes  du  même  régiment. 

Le  20  février,  le  commandant  Clommer  vint  prendre  le  commandement  du 
bataillon.  Le  22,  eut  lieu  le  départ  du  détachement  d'Oran;  le  26,  de  celui 
d*Alger;  celui  de  Constantine  8*embarqua  le  28  sur  VEvare,  qui  prit  la  mer  le 
lendemain  l^^  mars,  et  arriva  à  Philippeville  le  9  avril.  Le  17  avril,  les  Ti- 
railleurs du  >  régiment  qui  avaient  pris  part  à  l'expédition  du  Mexique  ren- 
traient à  Constantine  aux  acclamations  do  la  population. 

Le  bataillon  provisoire  de  Tirailleurs  algériens,  parti  d'Alger  le  9  sep- 
tembre 1862,  avait  été  licencié  d'une  façon  officielle  à  la  dald  du  8  avril  1867. 
L'absence  de  ce  bataillon  avait  duré  cinquante-cinq  mois,  pendant  lesquels  il 
n'avait  cessé  de  prendre  part  aux  opérations  actives,  aux  marches,  aux  com- 
bats, aux  travaux  dont  le  Mexique  avait  été  le  théâtre,  concourant  aux  ser- 
vices les  plus  divers,  aux  missions  les  plus  périlleuses,  occupant  les  postes 
les  plus  malsains,  et  donnant  partout  les  preuves  d'une  solide  discipline  et 
d'un  infatigable  dévouement  alliés  à  une  bravoure  qui  avait  toujours  provoqué 
la  crainte  et  l'admiration  de  l'ennemi.  Ainsi  que  le  disait  le  maréchal  com- 
mandant en  chef,  aucune  troupe  ne  s'était  plus  prodiguée  que  les  Tirailleurs 
algériens;  tour  à  tour  fantassins  ou  cavaliers,  dans  ces  deux  rôles  ils  avaient 
également  su  déployer  leurs  incomparables  qualités  :  cette  audace  mêlée  de 
ruse,  de  patience  parfois,  cette  science  ou  plutôt  ce  profond  instinct  de  la 
guerre,  qui  on  avait  fait  do  si  remarquables  éclaircurs  devant  Sébastopol,  de 
si  redoutables  soldats  de  montagne  en  Kabylie. 


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CHAPITRE  Xll 


Opérations  en  Algérie  pendant  les  années  1864  et  1865.  —  Colonne  du  Tuggurt  —  Co- 
lonne de  Test.  —  Insurrection  de  1864.  —  Mesures  prises  pour  arrêter  ses  progrès 
dans  la  province  de  Constantine.  ^  Opérations  des  colonnes  Briand,  Gandil  et  Seroka. 

—  Le  colonel  de  Lacroix  prend  le  commandement  des  troupes  réunies  à  Bou-Saàda.  — 
Combat  de  Teniet-er-Rihh.  —  Attaque  du  camp  de  Dermel.  —  Mouyements  combinés 
des  colonnes  Yusuf  et  de  Lacroix.  —  Fin  des  opérations  actives.  ^  Ravitaillement  • 
de  Laghouat.  —  Colonne  mobile  de  Bou-Saàda.  —  Le  colonel  de  Lacroix  est  nommé 
général,  et  le  lieutenant-colonel  Gandil  colonel.  ^  Colonne  d'observation  de  Bou-Saàda. 

—  Mardie  de  la  colonne  Seroka  sur  Ouargla.  —  Colonne  de  Takilouut.  ^  Combats  des 
24  novembre  1864,  20  mars  et  4  avril  1805. 


Afin  de  suivre  les  détachements  du  3*  Tirailleurs  dans  les  lointaines  et  glo- 
rieuses expéditions  du  Sénégal,  de  la  Cochincbine  et  du  Mexique,  nous  avons 
laissé  rhistorique  de  la  portion  du  régiment  restée  en  Algérie  à  la  fin  de  Tan- 
née 1863. 

A  cette  époque,  la  province  de  Constantine  jouissait  d*une  parfaite  tranquil- 
lité. Les  premiers  mois  de  l'année  1864  s'écoulèrent  sans  modifier  cet  état  de 
choses,  sans  que  rien  vint  môme  faire  supposer  qu'il  ne  dût  pas  se  continuer 
indéfiniment.  L'ordre  régnait  partout,  nos  relations  avec  les  chefs  indigènes 
semblaient  des  meilleures,  les  tribus  se  livraient  régulièrement  à  leurs  tra- 
vaux habituels;  tout,  en  un  mot,  respirait  le  calme  et  la  paix.  On  en  était  à 
croire  à  la  soumission  complète  et  désormais  certaine  de  l'Algérie,  quand  tout 
à  coup  un  fait  grave,  survenu  dans  la  province  d'Oran,  vint  profondément 
agiter  les  esprits.  Nous  voulons  parler  de  l'assassinat  du  lieutenant-colonel 
Beauprôtre. 

Cet  oflBcier  supérieur  était  commandant  du  cercle  de  Tiaret  lorsque,  au  mois 
de  mars,  lesOuled-Sidi-Cheiks  commençant  à  donner  quelques  inquiétudes 
et  à  laisser  deviner  quelques  indices  de  rébellion ,  il  se  porta  contre  eux  avec 
son  goum  et  quelques  spahis.  Arrivé  au  milieu  des  dissidents,  il  fut  trahi  par 
son  escorte,  surpris  dans  son  camp  et  Iflchement  tué  par  ses  ennemis. 

L'eflet  produit  par  ce  coupable  attentat  fut  immédiat  :  tout  le  sud  de  la 
province  d'Oran  se  mit  en  insurrection.  Cependant,  malgré  l'émotion  qui  ré- 


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[1867]       LE  3°  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE  285 

gnait  dans  les  autres,  malgré  la  facilité  extraordinaire  arec  laquelle  les  tribus 
sahariennes  obéissent  à  un  mot  d'ordre  parti  d'un  point  quelconque  des  im- 
menses espaces  qu'elles  parcourent  journellement,  la  révolte  ne  semblait  pas 
devoir  sortir  de  son  foyer,  ou  tout  au  plus  du  sud  de  la  province  d'Alger.  L'op- 
portunité de  mesures  préventives  ne  s'en  faisait  pas  moins  sentir  dans  toute 
l'étendue  do  nos  possessions,  et,  pour  ce  qui  concernait  la  province  de  Cons- 
tantine,  le  général  Desvaux,  qui  commandait  alors  la  division,  connaissait  trop 
bien  les  populations  de  TOued-R'rir  et  de  l'Oued -Souf  pour  ne  pas  juger  de 
l'utilité  de  les  faire  spécialement  surveiller.  Aussi ,  dès  les  premiers  jours  d'a- 
vril, le  colonel  Seroka,  commandant  la  subdivision  de  Batna,  eut- il  mission 
d'organiser  une  colonne  et  de  se  porter  avec  elle  à  Tuggurt. 

Dans  la  composition  de  cette  dernière  devait  entrer  un  bataillon  de  marche 
do  Tirailleurs  algériens,  sous  les  ordres  du  commandant  Mercier  de  Sainte- 
Croix.  En  conséquence,  la  4®  compagnie  du  1«'  bataillon  (lieutenant  Corréard), 
la  7»  du  2«  (lieutenant  Boswiel  )  et  la  7«  du  3«  quittèrent  Constantine  le  12  avril, 
et  arrivèrent  le  15  à  Batna. 

Le  18,  la  colonne  se  mit  en  route  se  dirigeant  sur  Biskra,  où  elle  prit  la  2*  com- 
pagnie du  l^'''  bataillon  (capitaine  Berthomier).  Arrivée  à  Tuggurt  le  30  du 
môme  mois,  elle  y  séjourna  quelque  temps,  parcourant  les  oasis  des  environs; 
puis  elle  reprit  le  chemin  de  Batna  et  rentra  dans  ce  poste  dans  les  premiers 
jours  do  juillet ,  sans  avoir  remarqué  nulle  part  ni  dispositions  hostiles  ni 
symptômes  de  soulèvement.  La  2«  compagnie  du  1*'  bataillon  avait  été  laissée 
à  Biskra  au  passage;  les  trois  autres  rentrèrent  à  Constantine  le  18  juillet. 

En  môme  temps  que  le  colonel  Seroka  assurait  ainsi ,  pour  le  moment  du 
moins,  la  tranquillité  autour  de  nos  postes  du  sud,  le  général  d'Exéa,  com- 
mandant la  subdivision  de  Bône,  faisait  le  long  de  la  frontière  tunisienne,  et 
particulièrement  dans  les  environs  de  Tebcssa,  l'excursion  qu'on  avait  l'ha- 
bitude d'y  foire  chaque  année,  autant  pour  y  maintenir  l'ordre  que  pour  re- 
fouler sur  leur  territoire  certaines  tribus  de  la  Régence  dont  les  empiétements 
tendaient  constamment  à  se  renouveler.  Cette  colonne  s'organisa  à  Souk-Arras. 
Deux  compagnies  de  Tirailleurs,  les  l*"*  (capitaine  Vivenot)  et  3«  (capitaine 
Lacroix)  du  3«  bataillon,  furent  désignées  pour  en  faire  partie. 

A  cet  eflet,  elles  quittèrent  Bône  le  27  mai,  sous  les  ordres  du  comman- 
dant Seriziat ,  et  arrivèrent  à  Souk-Arras  le  31.  Là  se  réunirent  successivement 
un  bataillon  du  4«  de  ligne,  deux  du  GS^',  un  du  83<<,  deux  escadrons  de  chas- 
seurs d'Afrique,  un  de  chasseurs  de  France,  un  autre  de  spahis  et  une  section 
d'artillerie,  soit  environ  trois  mille  hommes. 

Ces  troupes  quittèrent  Souk-Arras  le  17  juin,  et  arrivèrent  à  Tebessa  le  25; 
elles  rayonnèrent  quelques  jours  autour  de  cette  ville  pour  rassurer  les  tribus, 
et  les  défendre  au  besoin  contre  les  incursions  et  les  vexations  des  Fraichech 
et  des  Oulcd-bcnithanem ,  puis  elles  revinrent  sur  Souk-Arras  et  se  dirigèrent 
sur  la  Celle  en  suivant  la  frontière.  Il  s*agissait  de  châtier  une  fraction  des 
Ouled-Ali,  qui  avaient  accueilli  à  coups  de  fusil  un  officier  du  bureau  arabe 
et  son  escorte  de  spahis. 

Lorsqu'on  arriva  sur  le  territoire  des  dissidents,  ceux-ci  avaient  déjà  passé 
la  frontière  pour  se  réfugier  en  Tunisie.  Les  y  poursuivre,  comme  on  l'avait 


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286  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (t864 

déjà  bit  d*autre8  fois,  eût  été  s'engager  dans  des  complications  que  la  gravité 
des  faits  n'exigeait  nullement;  le  général  se  contenta  de  faire  ravager  la  con- 
trée, et  d'ordonner  la  destruction  des  habitations  et  des  récoltes  de  toute  la 
population  émigrée.  Sur  ces  entrefaites,  un  soldat  ayant  été  assassiné  à  quelques 
kilomètres  du  camp  par  une  autre  fraction  de  la  même  tribu,  le  goum  et  les 
deux  compagnies  de  Tirailleurs  furent  chargés  d'exécuter  la  même  opération 
sur  une  plus  grande  étendue  de  pays.  Les  Ouled-Ali  essayèrent  de  s'y  oppo- 
ser, et  il  s'en  suivit  sur  l'Oued-Rehan  un  léger  combat  dans  lequel  les  Tirail- 
leurs eurent  un  homme  blessé. 

Le  9  août,  la  colonne  arrivait  à  la  Galle  sans  avoir  eu  d'autres  difficultés 
à  surmonter.  Le  lendemain,  elle  était  dissoute ,  et  les  deux-  compagnies  du 
régiment  se  mettaient  en  route  pour  BAne,  où  elles  étaient  de  retour  le 
14  août. 

Cependant  les  troubles  qui  s'étaient  manifestés  dans  la  province  d'Oran 
n'avaient  pas  lardé  à  prendre  une  exlension  inquiétante  et  à  gagner  les  autres 
province  où  ils  avaient,  en  peu  de  jours,  fait  de  rapides  progrès.  Il  n'y  avait 
pas  de  doute,  c'était  bien  une  insurrection  générale  qui  se  déclarait  :  un 
souffle  de  haine  et  d'indépendance  tout  à  la  fois  s'était  soudain  levé  au  sein 
de  tribus  paisibles  jusque-là,  y  avait  ranimé  toutes  les  vieilles  hostilités  et 
toutes  les  vieilles  espérances,  et  la  révolte  agitait  maintenant  toute  la  région 
des  Hauts-Plateaux,  menaçant  de  pénétrer  en  Kabylie  et  de  donner  la  main  à 
un  important  soulèvement  en  Tunisie.  De  toutes  parts  avaient  surgi  de  faux 
chérib;  de  tous  côtés  s'étaient  répandus  des  prédicateurs  de  guerre  sainte, 
dont  le  fanatisme  s'aidait  de  toutes  sortes  de  jongleries  pour  exciter  l'enthou- 
siasme en  proclamant  Textermination  des  Français  et  le  triomphe  définitif 
de  l'islam;  partout  les  intrigants  et  les  mécontents,  plus  nombreux  qu'on  ne 
les  supposait,  travaillaient  activement  ces  dispositions  belliqueuses  de  la  po- 
pulation, en  flattant  au  besoin  l'ignorance  de  celle-ci. 

Devant  cette  situation,  qui,  dans  la  province  de  Constantine,  semblait  de 
jour  en  jour  devenir  particulièrement  grave,  le  général  Périgot,  qui  venait  de 
remplacer  le  général  Desvaux,  s'occupa  immédiatement  d'assurer  la  sécurité 
de  nos  postes  en  organisant  de  nombreuses  colonnes,  dont  quelques-unes, 
dites  d^obiervatUm,  devaient  se  contenter  de  surveiller  le  pays,  pendant  que 
les  autres  parcourraient  le  territoire  des  tribus  qui  s'étaient  ouvertement  ré- 
voltées. Ces  opérations,  qui  devaient  durer  près  d'une  année,  allaient  em- 
brasser tout  le  sud  de  la  province,  toute  la  région  de  l'ouest  et  une  grande 
partie  de  la  Kabylie.  Nous  n'allons  ici  ne  nous  occuper  que  de  celles  concer- 
nant le  3«  Tirailleurs. 

Dans  le  courant  de  la  première  période  de  la  campagne,  le  régiment  fut 
appelé  à  fournir  des  contingents  à  quatre  des  principales  colonnes  qui  furent 
formées.  Ces  dernières  étaient  :  1»  une  colonne,  dite  d'Ouargla,  commandée 
par  le  colonel  Seroka  et  devant  se  réunir  à  El-Badj ,  à  moitié  chemin  de  Biskra 
à  Tuggurt;  2<>  une  colonne  de  cavalerie,  envoyée  à  Duu-Saàdu  sous  les  ordres 
du  lieutenant-colonel  Briand,  du  3^  chasseurs  de  France;  3<>  la  colonne  du 
Hodna,  organisée  à  Sétif  par  le  lieutenant-colonel  Gandil,  du  3*  Tirailleurs, 


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[1864]  EN  ALGÉRIE  287 

et  placée  plus  lard,  ainsi  que  les  deux  précAdentes,  sous  le  commandement 
supérieur  du  colonel  le  Poilterin  de  Lacroix;  4«  la  colonne  d'observation  de 
Takitount. 

Vmci  quelles  furent  les  compagnies  qui  entrèrent  dans  la  composition  de 
chacune  de  ces  colonnes,  ainsi  que  le  lieu  et  la  date  de  leur  départ  pour  se 
rendre  à  chaquo  point  de  concentration  : 

l^*  Colonne  Seroha,  dite  colonne  d*Ouargla. 

(Deux  compagnies,  sous  les  ordres  du  capitaine-adjudant- major  Cailliot). 

2<*  compagnie  du  1«'  bataillon,  partie  de  Biskra  le  17  août. 

6*        —        dul«r  —  de  Constantine  le  29  août. 


2*  Colonne  Briand  {réunie  enmUe  à  la  colonne  Qandil). 
(Une  compagnie,  commandée  par  le  capitaine  Gabrielli). 
2^  compagnie  du  2«  bataillon,  partie  de  Bou-Saâda  le  7  septembre. 

3^  Colonne  Gandil,  dite  colonne  du  Hodna. 

(Huit  compagnies  organisées  en  deux  bataillons  :  !•',  commandant  de  Sainte- 
Croix;  2^,  capitaine  Vivenot). 

4«  compagnie  du  1*^  bataillon,  partie  de  Constantine  le  29  août. 


6« 

— 

dul«' 

— 

de  Constantine  le  29  août. 

4e 

— 

du  2e 

— 

de  Bordj-bou-Arréridj  le  7  septembre. 

7« 

— 

du2o 

— 

de  Constantine  le  29  août. 

Iro 

— 

du  3* 

— 

de  B6ne  le  22  août. 

2« 

— 

du  3* 

— 

de  Bône  le  22  août. 

3« 

— 

du3o 

— 

de  B6ne  le  22  août. 

!• 

— 

du3« 

— 

deSétifle29août. 

4*  Colonne  d'ohw^vaiion  de  Takitowît. 

(Quatre  compagnies  formant  un  bataillon,  sous  les  ordres  du  capitaine  Dos- 
maison). 

l^*  compagnie  du  2«  bataillon ,  partie  de  Constantine  le  29  août. 
3«        —         du2o  —  de  Bougie  le  29  août. 

5»        —         du  2»  —  do  Bougie  le  1"  juillet. 

6»       —        du2«  —  de  Bougie  le  !•' juillet. 


Soit  un  total  de  quinze  compagnies,  représentant  un  eOectif  de  mille  cinq 
cents  hommes  environ. 


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288  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1864] 

L'insurrection  sembluil  avoir  pour  contro  la  région  du  llodna,  et  s'étendait 
sur  tout  le  pays  compris  dans  le  triangle  H'Sila,  Aumale  et  Bou-SaAda,  avec 
des  ramifications  vers  Bordj-bou-Arréridj  et  en  Kabylie.  Déjà  les  troupes  de  la 
province  d* Alger,  sous  la  direction  supérieure  du  général  Yusuf ,  parcouraient 
les  cercles  d'Aumale,  de  Boghar  et  de  Djeira;  en  se  hfltant  vers  H*Sila  et  Bou- 
SaAda,  on  pouvait  espérer  enfermer  les  dissidents  entre  les  forces  convergentes 
des  deux  divisions.  Malheureusement  quelques  hésitations  qui  se  produisirent 
au  début  des  opérations  ne  permirent  pas  de  donner  à  ce  plan  Tensemble 
qu'il  eût  fallu  dans  son  exécution. 

La  colonne  Gandil  commença  la  première  son  mouvement;  le  5  septembre, 
elle  quitta  Sétif,  et,  le  lendemain,  arriva  à  Bordj-bou-Arréridj,  d'où  elle  re- 
partit le  7,  se  dirigeant  sur  M'Sila,  qu'elle  atteignit  le  9.  On  s'attendait  à  y 
trouver  la  colonne  Briand  ou  tout  au  moins  des  renseignements  faisant  con- 
naître son  départ  de  Bou-SaAda.  Au  lieu  de  cela,  circulait  parmi  les  Arabes 
une  nouvelle  qui  aurait  pu  paraître  alarmante  s*il  n'avait  fallu  faire  la  part 
de  l'exagération;  d'après  eux,  cette  colonne  avait  été  surprise  par  les  dissi- 
dents, et,  complètement  battue,  s'était  vue  obligée  de  rentrer  à  Bou-SaAda, 
où  maintenant  elle  se  trouvait  bloquée.  Justement  inquiet,  le  colonel  Gandil 
fit  aussitôt  prendre  de  sérieuses  informations,  et  bientôt  les  faits  se  trouvèrent 
rétablis  dans  toute  leur  vérité.  Voici  ce  qui  s'était  passé.  Sorti  de  Bou-SaAda 
le  7  septembre,  avec  trois  escadrons  de  cavalerie,  deux  compagnies  d'infan- 
terie dont  une  do  Tirailleurs  algériens  (i^  du  2«>)  et  deux  pièces  «le  canon,  le 
colonel  Briand  était  arrivé  le  lendemain  8  sur  rOued-Chellal.  Là  il  avait  appris 
que  les  Ouled-HAdhi  l'attendaient  en  armes  au  puits  de  Dayet-el-lleubarra; 
trompé  par  des  renseignements  exagérés  qui  lui  représentaient  tout  le  llodna 
soulevé ,  la  ville  de  M*Sila  et  tout  le  pays  en  insurrection  jusqu'à  Bordj  ;  per- 
suadé par  des  rapports  malveillants  qu'il  n'y  avait  pas  à  compter  sur  la 
fidélité  du  bach-agha  à  notre  cause;  ignorant  enfin  le  mouvement  vers  H'Sila 
qu'exécutait  à  ce  moment  la  colonne  Gandil,  il  s'était  cru  trop  faible  pour 
percer  la  masse  de  ses  ennemis,  et,  après  une  escarmouche  do  deux  heures, 
livrée  sans  succès  ni  pertes,  il  s'était  replié  sur  Baniou  et  Bou-SaAda. 

Il  n'en  fallut  pas  davantage,  aux  yeux  de  ces  populations  crédules  et  fana- 
tiques, pour  leur  laisser  croire  que  les  rebelles  venaient  de  remporter  une 
grande  victoire;  le  bruit  s'en  répandit  avec  une  rapidité  extraordinaire,  et  la 
plupart  des  tribus  qu'une  certaine  hésitation  maintenait  encore  dans  le  devoir 
se  jetèrent  aussitôt  dans  le  mouvement  insurrectionnel.  Au  bout  de  quelques 
jours,  tout  le  llodna  fut  en  feu;  la  situation,  do  grave  qu'elle  était,  pouvait 
devenir  critique  :  il  n'y  avait  pas  une  minute  à  perdre  pour  conjurer  le  danger. 

Ce  qui  importait  d'abord ,  c'était  la  jonction  des  colonnes  Briand  et  Gandil. 
Des  ordres  furent  donnés  dans  ce  sens,  et  le  colonel  Briand,  se  remettant  en 
route,  arriva  le  14  septembre  à  M'Sila  sans  avoir  eu,  malgré  les  nombreux 
contingents  qui  parcouraient  le  pays,  de  combat  sérieux  à  livrer.  Ce  mouve- 
ment eut  pour  résultat  immédiat  de  rejeter  le  gros  des  insurgés  du  côté  du 
Sebkha-Zahres ,  et  de  dégager  ainsi  la  plus  grande  partie  du  llodna. 

Pendant  ce  temps,  le  colonel  Seroka  avait  été  arrêté  dans  son  mouvement 
de  Biskra  vers  le  sud  et  rappelé  dans  le  Tell.  11  revint  à  marches  forcées, 


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[1864]  EN  ALGÉRIE  £89 

Qvec  touto  sa  colonno,  comprenant  deux  compognies  de  Tirailleurs  «  quatre 
compagnies  d*éKte  du  66^  et  cinq  escadrons  de  cavalerie,  et,  le  16  septembre, 
arriva  à  son  tour  à  M*Sila,  où  il  prit  le  commandement  de  toutes  les  troupes 
qui  s'y  trouvaient  alors  réunies,  troupes  dans  lesquelles  entraient  onze  com- 
pagnies du  régiment.  Le  18,  il  en  repartit  avec  les  trois  colonnes  pour  so 
rendre  à  Bou-SaAda,  qu'il  atteignit  le  20,  sans  avoir  eu  à  tirer  un  seul  coup 
de  fusil. 

La  région  dans  laquelle  il  s'agissait  maintenant  d'aller  combattre  l'insur- 
rection était  peu  connue;  on  la  savait  seulement  difficile,  peu  habitée,  et 
protégée  au  sud  par  le  vaste  massif  du  Medjedel ,  dont  on  ignorait  absolument 
la  topographie.  Les  Arabes  alliés  prétendaient  que  dans  cette  partie  elle 
était  inexpugnable  pour  une  colonne  aussi  faible  en  infanterie,  d'autant  plus 
que  les  insurgés  avaient  appelé  les  gens  de  Boghar,  de  Djelfa  et  d'Aumale,  et 
(|u'ils  devaient  être  on  nombre  pour  garder  les  principaux  défilés.  Rendu  pru- 
dent par  ces  renseignements,  dont  la  plupart  étaient  erronés  ou  volontaire- 
ment exagérés,  le  colonel  Seroka  demanda  des  renforts  au  général  do  division, 
et  ne  voulut  rien  entreprendre  avant  l'arrivée  du  colonel  le  Poittevin  de  La- 
croix, désigné  pour  prendre  la  direction  supérieure  des  opérations. 

Cette  circonspection,  dont  on  ne  saurait  cependant  contester  la  sagesse, 
avait  un  grand  défaut,  celui  de  manquer  d'opportunité.  Chaque  jour  de  retard 
ajoutait  plus  à  la  force  et  à  la  confiance  de  l'ennemi ,  que  nous  ne  pouvions 
gagner  par  l'appoint  des  renforts  attendus  :  il  fallait  agir  vite,  frapper  l'ima- 
gination des  populations,  prendre  une  vigoureuse  oflensive,  et  détruire  ainsi 
la  légende  d'impuissance  qui  s'était  rapidement  établie  à  notre  égard  après 
l'événement  survenu  à  la  colonne  Briand.  Un  fait  vint  bientôt  démontrer  ce 
qu'une  telle  prudence  avait  d'exagéré. 

I^  22  septembre,  le  commandant  de  Sainte-Croix,  ayant  sous  ses  ordres 
le  goum  et  un  bntoillon  de  Tirailleurs  algériens,  fut  envoyé  à  environ  dix  ki- 
lomètres du  camp  pour  exécuter  une  razzia  sur  une  fraction  des  Ouled-Sidi- 
Brahim.  A  la  suite  d'une  marche  rapide,  faite  de  nuit  dans  le  lit  de  l'Oued- 
Maîter,  il  faillit  surprendre  un  fort  parti  d'insurgés  au  col  de  Tessa.  Ceux-ci 
s'enfuirent  précipitamment  en  nous  abandonnant  une  partie  de  leurs  trou- 
peaux. Il  aurait  été  facile  de  les  poursuivre,  de  les  atteindre,  de  leur  tuer  du 
moudre;  mais  les  instructions  du  colonel  Seroka  étaient  formelles,  et  le  com-* 
mandant  de  Sainte-Croix  dut,  bien  contre  son  gré,  arrêter  son  mouvement  et 
reprendre  le  chemin  de  Bou-SaAda. 

Le  même  jour  arriva  le  colonel  de  Lacroix.  N'envisageant  pas  la  situation 
au  même  point  de  vue  que  son  prédécesseur,  il  se  prononça  aussitôt  pour  une 
marche  en  avant. ^Calculant,  en  effet,  que  les  renforts  demandés  au  général 
n'arriveraient  pas  avant  dix  ou  douze  jours;  convaincu  que  le  temps  perdu  et 
cette  inactivité  apparente  ne  feraient  qu'exalter  l'audace  do  l'ennemi  et  lui 
donner  de  nouveaux  adhérents,  il  résolut  de  commencer  immédiatement  les 
opérations  avec  les  seules  forces  qu'il  avait  sous  la  main.  En  conséquence,  le 
26 ,  il  écrivit  au  général  Yusuf  afin  de  lui  proposer  un  mouvement  simultané 
pour  surprendre  et  envelopper  les  tribus  révoltées.  Le  général  se  porterait 
rapidement  aux  débouchés  d'Ain -Khala,  sur  l'Oued -Medjedel,  et  do  Raîam- 

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890  LE  3^  RÉOIIIBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1864] 

Chergui,  au  sud  de  rextrémité  ouest  du  Sebkha-Zahrez,  pendant  que  lui,  le 
colonel  de  Lacroix,  arriverait  par  Bordj-Hedjebel,  fermant  ainsi  la  porte  de 
la  souricière  où  il  pensait  que  se  réfugieraient  les  rebelles  avec  leurs  femmes, 
leurs  tentes,  leurs  richesses  et  leurs  troupeaux. 

Jugeant  que  la  réponse  ne  se  ferait  pas  longtemps  attendre,  le  29,  le  colo- 
nel se  mit  lentement  en  marche  par  le  chemin  de  Dermel ,  faisant  répandre 
le  bruit  qu'il  rejoignait  le  général  Yusuf  du  côté  de  Djcifa,  et  que  les  opérations 
oBensives  ne  commenceraient  qu'après  cette  concentration  et  probablement 
du  côlé  d'Aîn-Hicb.  Un  mouvement  vers  Selim,  déjà  prononcé  par  le  général 
Yusuf,  devait  tromper  l'ennemi  et  le  laisser  sans  inquiétude  pour  ses  der- 
rières, en  lui  faisant  croire  que  le  bruit  répandu  était  vrai.^ 

Le  30,  la  colonne  campa  à  Dermel ,  village  situé  sur  l'oued  de  ce  nom ,  à 
dix-huit  kilomètres  au  sud-ouest  de  Bou-Saûda.  De  ce  point,  la  colonne  pou- 
vait en  deux  jours  se  porter  à  Bordj-Medjebel ,  et  par  suite  concourir  aux  opé- 
rations du  général  Yusuf  dès  qu'on  aurait  la  réponse  do  celui-ci. 

En  apprenant  notre  mouvement,  les  insurgés  s'étaient  rapprochés  jusqu'à 
Teniet-er-Rihh,  dans  le  but  de  protéger  leurs  troupeaux  répandus  dans  la 
plaine  de  Temça  ;  bientôt  môme  leurs  avant-postes  se  trouvèrent  en  présence 
de  nos  goums,  qui  avaient  été  laissés  à  la  sortie  do  la  gorge  de  l'Oued-Dermel. 

Vers  quatre  heures  et  demie  du  soir,  le  colonel  reçut  avis  que  notre  bach- 
agha,  s'étant  trop  avancé,  se  trouvait  à  six  kilomètres  du  camp  dans  une  po- 
sition fort  diflBcile,  ne  pouvant  ni  reculer  sans  danger,  ni  attaquer  avec  quel- 
que chance  de  succès.  Il  se  faisait  tard;  on  ne  pouvait  songer  à  engager  une 
action  sérieuse  à  une  telle  heure  et  dans  un  lieu  si  peu  choisi  pour  cela.  Le 
lieutenant -colonel  de  la  Jaille,  du  ^^  chasseurs  d'Afrique,  reçut  l'ordre  de 
monter  à  cheval  avec  les  cinq  escadrons  de  la  colonne  Seroka ,  et  de  se  porter 
au  secours  du  goum  en  ayant  soin  d'éviter  tout  engagement.  Cent  cinquante 
Tirailleurs,  montés  à  dos  de  mulets,  devaient  appuyer  ce  mouvement  et  cou- 
vrir la  retraite  de  la  cavalerie. 

A  cinq  heures  et  demie,  cette  colonne  arrivait  en  face  de  l'ennemi,  qui  avait 
occupé  avec  son  infanterie  le  col  de  Teniet-er-lUhli,  et  déployé  sa  cavalerie 
dans  la  plaine  afin  de  couvrir  le  chemin  de  Temça.  Au  lieu  de  se  conformer 
aux  sages  prescriptions  qu'il  avait  reçues,  le  colonel  de  la  Jaille  crut  devoir 
repousser  les  rebelles  avant  de  commencer  sa  retraite.  Disposant  sa  cavalerie 
en  deux  groupes,  il  fit  aussitôt  charger  l'ennemi  de  face  et  de  flanc.  En  un 
instant  la  plaine  fut  balayée;  mais  les  cavaliers  arabes  allèrent  se  réfugier  près 
de  leur  infanterie,  et  deux  escadrons  qui  essayèrent  de  les  y  poursuivre  furent 
ramenés  à  leur  tour  après  avoir  été  cruellement  décimés. 

Le  jour  baissait,  le  commandant  de  la  colonne  appela  à  lui  les  cent  cin- 
quante Tirailleurs  algériens,  qu'il  avait  jetés  sur  la  droite,  les  déploya  perpen- 
diculairement à  la  route  et  fit  sonner  la  retraite.  Celle-ci  s'opéra  en  bon  ordre  ; 
soit  que  les  Arabes  eussent  trop  souffert  dans  ce  combat  de  cavalerie,  soit 
que  l'apparition  soudaine  d'une  troupe  d'infanterie  leur  fit  craindre  quelque 
embuscade,  contre  leur  habitude,  ils  no  nous  poursuivirent  pas.  Les  Tirail- 
leurs n'eurent  donc  qu'à  prot^er,  par  quelques  feux  exécutés  avec  un  grand 
sang- froid,  le  mouvement  rétrograde  de  nos  escadrons,  sans  en  arriver  à  un 


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[1864]  EN  ALGÉRIE  291 

engagement  soutenu  ;  l'un  d'eux,  le  sergent  M'Hamed-ben-M'Hamoud,  allait 
cependant  trouver  l'occaBion  de  ae  signaler  par  un  acte  de  braroure  inspiré 
par  le  plus  noble  dévouement. 

En  se  portant  sur  la  ligne,  ce  sous-officier  aperçoit  un  blessé  laissé  sur  le 
champ  de  bataille,  à  cent  mètres  do  l'ennemi.  N'écoutant  que  son  courage, 
il  se  porto  résolument  en  avant  avec  quelques  hommes  qu'onlraino  son 
exemple,  essuie  plusieurs  coups  de  feu  et  revient,  rapportant  deux  chasseurs 
grièvement  blessés,  qu'il  arrache  ainsi  à  une  atroce  agonie. 

A  huit  heures  du  soir,  le  détachement  du  colonel  de  la  Jaille  rentrait  au  camp. 

Le  combat  de  Teniet-er-Rihh  était  un  insuccès  et  une  faute  :  un  insuccès, 
car  malgré  les  pertes  que  nous  avions  subies^,  l'ennemi  n'avait  pu  être 
délogé  de  ses  positions  ;  une  faute,  car  il  allait  encore  augmenter  la  confiance 
des  rebelles  et  grossir  les  difficultés  déjà  assez  nombreuses  qu'avaient  créées 
nos  précédentes  hésitations.  Les  Arabes  en  exploitèrent  habilement  la  nou- 
velle, en  la  semant  avec  autant  d'éclat  que  d'exagération.  L'effet  en  fut  immé- 
diat; de  toutes  parts  des  tribus,  jusque-là  incertaines,  envoyèrent  de  nouveaux 
contingents;  l'enthousiasme  des  insurgés  fut  à  son  comble,  leur  audace  ne 
connut  plus  aucune  borne.  Chose  inouïe  dans  les  fastes  de  la  guerre  d'Afrique, 
on  allait  les  voir  attaquer  en  plein  jour,  et  dans  des  positions  formidables,  un 
cnmp  défendu  par  doux  mille  hommes  et  cinq  pièces  de  canon. 

Le  camp  de  Dermel  avait  été  assis  sur  la  rive  droite  de  l'oued  de  ce  nom , 
qui,  en  cet  endroit,  est  très  encaissé,  et  s'étendait  sur  un  espèce  de  plateau 
coupé  do  distance  en  distance  d'étroits  ravins  formant  de  vastes  fossés.  La 
première  face,  occupée  par  l'infanterie  de  la  colonne  Gandil,  et  comprenant 
deux  bataillons  de  Tirailleurs  et  un  autre  du  63*,  se  trouvait  placée  perpen- 
diculairement à  la  rivière,  face  à  la  direction  par  où  l'on  attendait  l'ennemi; 
la  deuxième,  directement  sur  la  rivière,  était  constituée  par  l'infanterie  Seroka  ; 
la  troisième ,  parallèle  à  la  précédente,  regardait  les  crêtes  et  se  composait  de 
la  cavalerie  Briand  ;  la  quatrième,  formée  de  la  cavalerie  de  la  Jaille,  bordait 
un  ravin  profond ,  aux  flancs  abrupts  et  hérissé  de  taillis.  En  prévision  d'une 
surprise,  les  grand'gardes  avaient  été  doublées  et  s'étaient  couvertes  par  des 
remblais  et  des  abatis  ;  le  convoi  avait  reçu  l'ordre  de  se  masser  dans  un  ravin, 
sous  la  surveillance  d'un  peloton  de  cavalerie,  avec  défense  rigoureuse,  pour 
les  muletiers  et  chameliers  indigènes,  de  se  lever  et  de  quitter  leur  emplace- 
ment; enfin  la  plus  grande  vigilance  était  recommandée  à  nos  postes  les  plus 
avancés. 

Mais  c'était  bien  au  grand  jour  que  l'ennemi  se  proposait  de  se  montrer. 
Le  2  octobre,  dès  le  matin,  les  crêtes  éloignées  se  couvrirent  d'Arabes,  qui 
se  mirent  à  nous  observer.  Vers  onze  heures  et  demie,  des  masses  consi- 
dérables commencèrent  à  s'avancer  par  le  chemin  de  Teniet-er-Rihh.  On 
apercevait  au  loin,  dans  la  plaine,  de  longues  lignes  de  cavalerie  avec  leurs 
étendards  déployés,  puis  de  grandes  bandes  de  fantassins  marchant  avec  un 
certain  ordre  et  couvrant  les  flancs  de  l'étroite  vallée  de  l'Oued- Dermel.  L'ar- 

*  Dans  ce  combat,  la  cavalerie  avait  eu  dix  tués,  dont  deux  officiers,  et  dix  blessés. 
Six  cadavres  étaient  restés  entre  les  mains  de  Tennemi. 


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292  LE  3*  RÉQIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1864 

tillorie  prit  position  :  doux  pièces  fiiront  placées  on  avant  dos  deux  bataillons 
de  Tirailleurs,  deux  autres  à  l'angle  formé  par  les  première  et  deuxième  bces, 
la  cinquième  en  avant  de  la  cavalerie  de  la  Jaille. 

A  midi,  l'attaque  commença;  plus  de  deux  mille  fantassins  et  mille  cava- 
liers se  ruèrent  sur  le  camp ,  une  partie  cherchant  à  pénétrer  par  le  lit  de  la 
rivière,  l'autre  se  portant  de  front  contre  la  ligne  des  grands'gardes  des  Tirail- 
leurs algériens.  Quelques  obus,  dirigés  le  long  de  l'Oued -Dermel,  arrêtèrent 
court  ceux  qui  avaient  pris  ce  chemin ,  et  les  rejetèrent  vers  la  gauche  de  la 
première  face;  mais  là  ils  rencontrèrent  des  postes  doublés,  retranchés  dans 
de  fortes  positions ,  et  une  compagnie  entière ,  celle  du  capitaine  Gabrielli 
(2^  du  2<»] ,  déployée  en  avant  de  la  section  d'artillerie.  Sur  ce  point,  une  vive 
fusillade  se  trouva  aussitôt  engagée.  La  deuxième  face  avait  aussi  à  répondre 
à  un  feu  assez  violent ,  mais  les  troisième  et  quatrième  n'étaient  pas  inquié- 
tées. 

Cette  lutte,  tout  à  notre  avantage,  continua  ainsi  pendant  une  heure  environ  ; 
enfin,  les  Arabes  ne  se  décidant  pas  à  se  retirer,  le  colonel  do  Lacroix  fil 
porter  les  deux  bataillons  de  Tirailleurs  en  avant.  Ceux-ci,  qui  depuis  long- 
temps frémissaient  d'impatience,  se  précipitèrent  en  poussant  un  long  cri  de 
joie,  suivi  bientôt  d'un  autre  plus  sauvage,  plus  terrible,  qui  suffit  à  rendre 
hésitantes  les  masses  confuses  de  l'ennemi ,  en  y  semant  un  effroi  qui  devint 
de  la  panique,  dès  que  la  baïonnette  menaçante  de  nos  soldats  eut  commencé 
à  fouiller  dans  ce  tourbillon  humain.  De  ce  moment ,  la  fuite  des  rebelles 
commença  sur  tous  les  points;  elle  s'effectua  avec  une  telle  rapidité,  qu'ils 
eurent  bientôt  complètement  disparu,  et  que  la  cavalerie  elle-même  dut 
renoncer  à  une  poursuite  qui  l'aurait  entraînée  beaucoup  trop  loin  du  camp. 

C'était  un  coup  mortel  que  celui  que  venait  de  recevoir  l'insurrection;  les 
échecs  des  8  et  30  septembre  étaient  non  seulement  vengés,  mais  notre  pres- 
tige, notre  force ,  notre  autorité  se  relevaient  plus  grands  que  jamais  aux  yeux 
des  populations  effrayées.  Les  pertes  de  Tennemî  avaient  atteint  le  chiffre 
énorme  de  trois  cents  tués  ou  blessés;  quarante  cadavres  avaient  été  aban- 
donnés sur  le  terrain.  De  leur  côté,  les  Tirailleurs  comptaient  quatre  hommes 
tués  et  douze  blessés. 

La  réponse  du  général  Yusuf  était  arrivée;  il  adoptait  tout  le  plan  proposé 
par  le  colonel  de  Lacroix;  le  5,  sa  colonne  camperait  à  Ain-Kliala.  Le  colonel 
n'avait  pas  de  temps  à  perdre  pour  se  trouver  au  rendez- vous;  le  4,  il  leva  le 
camp  de  Dermel  et  se  dirigea  sur  Temça,  par  la  route  qui  franchit  le  défilé 
de  Teniet-Zebbech.  A  trois  kilomètres  environ  avant  d'arriver  à  ce  point,  les 
spahis  d'avant -garde  signalèrent  dans  la  plaine  de  nombreux  troupeoux  qui 
paissaient.  Cette  découverte ,  qui  aurait  paru  toute  naturelle  dans  un  autre 
moment,  sembla  au  colonel  cacher  une  ruse  dont  il  était  prudent  de  se  méfier. 
Ces  troupeaux  ne  pouvaient- ils  pas,  en  effet,  avoir  été  ramassés  là  pour 
servir  d'appât,  pour  nous  attirer  dans  une  embuscade  que  les  difficultés  du 
pays  auraient  rendue  désastreuse  pour  nous?  11  était  tout  au  moins  sage  de 
prendre  quelques  précautions.  La  tête  de  la  colonne  fut  arrêtée  pour  foire 
serrer  les  autres  échelons,  puis  la  marche  fut  reprise ,  couverte  par  de  nom- 
breux éclaireurs.  Mais  rien  ne  se  montra;  ce  retard  allait,  au  contraire,  nous 


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[1864]  EN  ALQÉRIB  293 

là 

^  faire  perdre  une  partie  des  fruits  du  combat  de  Dermel,  en  donnant  aux 

insurgés  le  temps  de  faire  filer,  dans  la  direction  d'Aumale,  par  les  bords  du 
,.  Zahrcz,  tout  ce  qu'ils  avaient  pu  réunir  do  leurs  richesses,  entre  autres  leur 

^  gros  bétail  et  leurs  chevaux.  Le  pAté  de  montagnes  du  Medjedeli  dans  lequel 

j.  on  pensait  que  la  révolte  chercherait  son  dernier  refuge ,  était  complètement 

abandonné. 

La  colonne  de  Lacroix  n'avait  plus  aucun  intérêt  à  presser  sa  marche; 
arrivée  à  Temça,  elle  se  reposa  la  journée  du  4.  Le  5,  elle  se  remit  en  route 
et  s'arrôta  à  Bordj-Medjedel.  Le  lendemain,  avec  deux  escadrons  de  chas- 
seurs et  soixante  Tirailleurs,  le  colonel  fit  la  reconnaissance  de  ce  massif , 
qu'on  avait  présenté  comme  inexpugnable.  Il  le  traversa  dans  toute  sa  lon- 
gueur, et  constata  que  si  du  côté  du  lac  l'attaque  eût,  en  eflet,  été  difficile  et 
(iangcrouso  h  cause  do  la  raideur  dos  pentes,  de  l'élévation  dos  crêtes  et  dos 
profondes  coupures  du  terrain,  du  c6té  d'ÂIn-Khala  le  sol  allait  s'abaissant 
graduellement,  s'ouvrait  par  des  plaines  et  présentait  partout  à  l'assaillant 
des  chemins  d*un  facile  accès. 

Ruinées  par  les  nombreuses  razzias  exécutées  sur  elles  par  le  général  Tusuf, 
découragées,  sans  moyen  de  transport  pour  fuir,  les  tribus  demandèrent  et 
obtinrent  l'aman.  Cette  soumission,  qui  mettait  fin  à  la  résistance  armée  des 
rebelles  des  cercles  d'Aumale  et  de  Bou-SaAda  et  qui  rejetait  la  lutte  dans  le 
sud,  était  en  grande  partie  l'œuvre  de  la  colonne  du  Hodna,  colonne  dans 
laquelle  les  Tirailleurs  avaient,  comme  toujours,  pris  une  large  part  des 
fatigues  et  des  dangers  qui  s'étaient  présentés. 

Les  opérations  actives  des  troupes  sous  les  ordres  du  colonel  de  Lacroix 
étaient  terminées.  Mise  à  la  disposition  du  général  Yusuf ,  la  colonne  de  Bon- 
SaAda  allait  maintenant  travailler  au  ravitaillement  de  la  place  de  Laghouat, 
en  escortant  les  immenses  convois  qu'on  organisait  à  cet  efiet.  Après  les  émo- 
tions do  la  lutte,  la  satisfaction  enivrante  du  succès,  les  efibrts  noblement 
récompensés,  l'ère  des  jours  d'ennuis  et  de  fatigues  sans  gloire  allait  com- 
mencer; plus  rien  de  ce  qui  console  le  soldat  des  privations  et  de  la  misère 
ne  devait  plus  trancher  la  monotonie  de  cette  vie  errante  au  sein  d'un  pays 
désolé;  plus  un  seul  combat,  plus  une  seule  journée  de  poudre  n'allait  mar- 
quer ces  longues  étapes  sur  ces  vastes  plateaux  couverts  d'alfa,  avec  ces 
interminables  files  de  chameaux  et  de  mulets,  ces  campements  énormes  dont 
on  aurait  dit  une  ville  fugitive  se  dressant  le  soir  sur  un  point  quelconque  de 
l'espace  et  que  ne  retrouvait  plus  le  lever  du  soleil ,  ces  nuits  passées  sous  le 
ciel  du  désert,  nuits  pleines  de  la  rumeur  confuse  qui  s'élevait  de  cette  cité 
bizarre,  de  cette  Dabel  étrange,  de  cette  arche  de  Noé,  où  hommes  et  ani- 
maux jetaient  chacun  une  note  différente,  où  l'Orient  et  l'Occident  se  trou- 
vaient confondus  :  jours  mornes  que  rien  ne  fixe  sur  l'orbe  mobile  du  souvenir, 
jours  d'abnégation  pour  lesquels  il  faut  l'insouciance  et  le  fatalisme  du  soldat 
indigène  ou  l'inaltérable  gaieté  et  l'entrain  du  troupier  français'. 

Le  15  octobre,  le  colonel  de  Lacroix  quitta  Bordj-Medjedel  et  revint  camper 
à  Temça;  le  lendemain,  il  rentrait  à  Bou-SaAda.  Le  18,  le  colonel  Seroka, 
avec  le  groupe  sous  ses  ordres,  se  séparait  de  lui  et  reprenait ,  par  Ain-Rich, 
la  route  du  sud  et  d'Ouargla. 


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294  LE  3"^  RÉOIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [\Btk] 

Renforcée  de  douze  cents  zouaves ,  la  colonne  se  remit  en  route  le  20  octobre, 
avec  un  convoi  de  deux  mille  chameaux  et  se  dirigea  sur  Djelfa,  par  Sélim  et 
Houlla.  Le  26,  elle  arrivait  à  Laghouat.  Après  un  jour  de  repos,  elle  reprit 
sa  marche  pour  revenir  sur  Djelb  et  sur  Sélim ,  où,  elle  campa  de  nouveau  le 
sixième  jour.  Là  elle  devait  attendre  un  nouveau  convoi  qu'on  préparait  à 
Bou-SaAda.  Ce  dernier,  qui  comprenait  dix-huit  cents  chameaux,  arriva  le  4. 
Le  5,  on  partit  de  nouveau  pour  Laghouat,  qu'on  utluignit  le  10.  Le  12,  la 
colonne  reprenait  do  nouveau  le  chemin  do  Ujcira,  où  lo  18,  venait  la  trouver 
un  ordre  la  rappelant  à  Bou-Sa4da.  Le  21 ,  elle  installa  son  camp  au  pied  du 
Kerdada,  entre  la  ville  et  Toasis.  A  partir  de  ce  moment,  et  pendant  trois 
mois,  elle  allait  devenir  une  sorte  de  colonne  mobile,  ayant  Bou-Sa4da 
comme  centre  d*action  et  pour  mission  de  parcourir  tout  le  cercle,  afin  de 
faire  rentrer  les  amendes  et  les  impôts  et  de  rétablir  l'autorité  de  nos  caïds 
fortement  ébranlée  par  l'insurrection. 

Le  7  décembre,  le  colonel  de  Lacroix  commença  une  première  tournée  que 
le  mauvais  temps  vint  brusquement  interrompre  à  la  fin  du  mois.  D'ailleurs, 
nommé  général,  il  cédait  quelques  jours  après  le  commandement  de  la 
colonne  et  celui  du  3<^  Tirailleurs  au  lieutenant- colonel  Gandil,  promu 
colonel. 

Une  deuxième  tournée  recommença  le  22  janvier  1865;  mais,  le  4  février, 
les  troupes  furent  encore  rappelées  à  Bou-Saâda  par  une  tourmente  de  neige 
et  l'impraticabilité  des  chemins.  Elles  en  repartirent  le  7  février,  pour  en  finir 
avec  ces  opérations,  qui,  en  effet,  se  terminèrent  le  7. 

A  partir  de  ce  jour,  la  colonne  Gandil  resta  sous  les  murs  de  Bou-SaSda. 
Le  27  mars,  sept  compagnies  de  Tirailleurs  la  quittèrent  pour  se  rendre 
d'abord  à  Conslanline  et  ensuite  à  Milah,  où  s'organisait  une  brigade  destinée 
à  opérer  en  Kabylie;  deux  compagnies  seulement,  les  2^  et  4®  du  2*  bataillon, 
lui  restèrent  encore  et  ne  cessèrent,  jusqu'au  dernier  moment,  de  compter  à 
son  oneclif.  Déjà,  à  la  fin  do  novembre,  elle  avoil  été  aHuiblio  d'un  escadron 
de  chasseurs  et  d'un  bataillon  de  zouaves  dirigés  sur  Sétif.  Héduite  à  un  mil- 
lier d'hommes,  elle  prit  le  nom  de  colonne  d'observation  de  Dou-Saâda,  et 
conserva  ce  rôle  purement  spectatif  jusqu'au  mois  de  juillet,  époque  de  sa 
dissolution. 

Nous  avons  laissé  la  colonne  Seroka,  dans  laquelle  se  trouvaient  les  2^  et 
6*  compagnies  du  1*'  bataillon,  en  route  pour  Ouargla.  Partie  de  Bou-Saàda 
le  18  octobre  1864,  elle  redescendit  dans  le  Sahara,  en  faisant  des  séjours 
successifs  à  Mengoub,  El-Ouara,  Oulm-el-Adom,  Dzioua,  El-lladjira,  et 
enfin,  le  28  février  1865,  arriva  à  Ouargla,  qui  venait  d'ôlre  détaché  de  la 
province  d'Oran  et  placé,  militairement  et  administrativement,  dans  le  res- 
sort decelle  de  Constantine.  Il  s'agissait  d'y  installer  Ali-bey ,  caid  de  Tuggurt, 
d'y  assurer  son  autorité,  d'établir  l'impôt  sur  de  nouvelles  bases,  et  de  régler 
l'administration  de  l'oasis.  Celte  mission  denionda  quinze  jours,  après  lesquels 
la  colonne  se  dirigea  sur  Tuggurt,  puis  sur  Biskra,  où  elle  arriva  le  12  avril. 
Diminuée  d'une  partie  de  sa  cavalerie,  elle  demeura  ensuite  dans  les  mêmes 
conditions  que  celle  de  Bou-Saàda,  en  observation  jusqu'au  mois  de  juillet. 

Pendant  que  les  colonnes  Gandil ,  Briand  et  Seroka,  s'unissaient  pour  com- 


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[1864]  EN  ALGÉRIE  205 

battre  l'insurrection  danâ  les  environs  de  Bou-Saâda,  une  autre,  d'une 
moindre  importance,  s'établissait  à  Takitount,  pour  surreiller,  avec  Taide 
des  goums,  les  tribus  kabyles  environnant  les  Babors.  Ainsi  qu'on  I*a  vu  plus 
haut,  cette  dernière  se  composait  de  quatre  compagnies  de  Tirailleurs  algé- 
riens, formant  un  Imlnillon  .«tous  les  ordrof^  du  cnpilaino  Posmaison. 

Arrive  à  son  poste  le  11  octobre  1804,  ce  détachement  eût  d*abord  & 
repousser  quelques  timides  tentatives  d'attaque  de  la  part  des  insurgés;  puis 
il  ne  tarda  pas  à  jouir  d'une  certaine  tranquillité  dont  il  profita  pour  prendre 
de  bonnes  dispositions  défensives  en  vue  d'une  nouvelle  agression ,  sinon 
imminente,  du  moins  prévue.  Plus  d'un  mois  se  passa  ainsi  dans  cette  pru- 
dente attitude,  dont  la  faiblesse  de  notre  petite  troupe  ne  permettait  guère  de 
se  départir. 

Cependant  l'agitation  allait  toujours  croissant  au  sein  de  ces  populations 
remuantes  et  fanatiques,  dont  les  idées  d'indépendance  n'avaient  pu  être 
étouffées  par  de  longues  années  d'une  administration  toute  bienveillante  à  leur 
égard  ;  de  nombreux  contingents  parcouraient  le  pays  ;  toutes  les  tribus , 
échappante  l'autorité  de  leurs  caïds,  semblaient  n'attendre  qu'un  signal  pour 
renouveler  la  résistance  opiniAtre  des  grands  jours  de  la  Kabylie.  Cette  situa- 
tion inspirant  des  craintes  sérieuses  au  général  Périgot  pour  la  sécurité  du 
poste  de  Takitount,  il  décida  que  d'importants  renforts  y  seraient  envoyés. 

L'ennemi  eut- il  connaissance  de  celte  détermination?  S'était-il  enhardi 
en  nous  voyant  inactifs  ?  Céda-t-il  à  un  mobile  étranger  à  ces  deux  considé- 
rations 7  Toujours  est-il  que  le  24  novembre,  veille  du  jour  où  de  nouvelles 
troupes  devaient  arriver  pour  porter  la  force  de  la  colonne  à  dix  compagnies  i 
il  tenta  brusquement  un  eiïort  décisif  contre  nos  positions. 

Dès  le  matin ,  toutes  les  crêtes  dans  la  direction  du  Babor  se  couvrirent 
de  Kabyles;  bientôt  ceux-ci  se  rapprochèrent  et  s'avancèrent  résolument  sur 
la  maison  du  cheik,  située  à  environ  quatre  kilomètres  du  bordj  et  à  peine  à 
neuf  cents  mètres  de  l'une  de  nos  grands'gardes  fortifiées. 

A  la  première  alerte ,  le  capitaine  Desmaison  avait  fait  prendre  les  armes 
à  ses  quatre  compagnies;  aussitôt  qu'il  eut  pénétré  l'intention  de  l'ennemi, 
il  en  envoya  deux  (1^  et  6*  du  2»  bataillon)  occuper  le  point  menacé;  l'une 
d'elles  se  déploya  rapidement  en  tirailleurs ,  l'autre  resta  massée  derrière  un 
pli  de  terrain.  La  fusillade  avait  immédiatement  commencé,  très  vive  do 
part  et  d'autre,  mais  particulièrement  meurtrière  pour  les  Kabyles,  dont  la 
masse  compacte  offrait  h  nos  balles  un  but  dans  lequel  aucune  d'elles  ne  se 
perdait.  Malgré  leurs  pertes ,  les  assaillants  continuaient  cependant  à  gravir 
la  hauteiir  sur  laquelle  se  trouvait  la  maison  du  cheik,  montrant  une  ténacité, 
une  audace  qu'on  aurait  dit  inspirées  par  la  certitude  du  succès.  Mais  à  peine 
furent- ils  arrivés  h  deux  cents  mètres  du  but,  que  la  compagnie  restée  en 
réserve  se  démasqua  tout  à  coup ,  exécuta  une  décharge  à  bout  portant  et 
se  rua  sur  eux  avec  une  irrésistible  impétuosité;  stupéfaits,  effrayés  de  la 
fureur  de  cette  attaque,  les  Kabyles  commencèrent  à  fuir,  et  finalement  se 
dispersèrent  dans  toutes  les  directions,  poursuivis  par  les  Tirailleurs,  que 
l'ardeur  du  combat  aurait  emportés  jusque  dans  leurs  montagnes,  si  la  main 
ferme  et  prudente  des  officiers  n'eût  été  là  pour  les  arrêter.  Ce  dernier  mou- 


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2IM  LB  3*  RÉGIMENT  DU  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE        [l8S5 

Yomenl  avait  été  si  brusque,  si  vigoureusement  menô,  que  nous  n'avions  eu 
que  deux  hommes  blessés.  L'ennemi  comptait  une  vingtaine  de  morts  et  un 
nombre  considérable  de  blessés. 

Le  lendemain  de  ce  combat,  à  cinq  heures  du  soir,  le  lieutenant -colonel 
Ameler,  du  20*  de  ligne,  arrivait  avec  six  compagnies  de  son  régiment  et 
prenait  le  commandement  de  la  colonne. 

A  partir  de  ce  moment,  les  Kabyles  témoignèrent  d'une  circonspection  qui 
dénotait  combien  leur  échec  les  avait  démoralisés;  dès  lors  ils  ne  se  montrè- 
rent plus  qu'à  de  grandes  distances,  évitant  avec  soin  de  se  laisser  aborder 
par  nos  compagnies.  Le  29  mars ,  eut  cependant  lieu  un  léger  engagement,  un 
échange  de  coups  de  fusil  qui  n'entraîna  aucune  perte  pour  nous.  Le  4  avril , 
quelques  bandes  tentèrent  une  nouvelle  démonstration  vers  la  maison  du 
cheik;  mais,  à  l'arrivée  des  troupes  envoyées  à  leur  rencontre,  elles  se  reti- 
rèrent, emportant  quelques  tués  et  quelques  blessés  que  leur  avait  coûtés  notre 
feu.  Le  fourrier  Verrière,  de  la  5^  compagnie  du  2<'  bataillon ,  fut  blessé  assez 
grièvement  dans  ce  combat,  qui  allait  être  le  dernier  auquel ,  sur  ce  point, 
devaient  prendre  part  les  quatre  compagnies  du  3*  Tirailleurs.  Appelées  à 
concourir  à  la  formation  de  la  colonne  que  le  général  Périgot  devait  diriger 
dans  la  Kabylie  orientale,  elles  quittèrent  en  effet  Takitount  le  11  avril,  et 
arrivèrent  à  Constantine  le  18  du  même  mois. 

Pour  en  finir  avec  les  opérations  secondaires  auxquelles  donna  lieu  la  grande 
insurrection  de  1864 ,  il  nous  reste  à  dire  deux  mots  d'une  colonne  qui,  durant 
le  mois  de  janvier  1865 ,  parcourut  la  frontière  tunisienne  dans  le  double  but 
de  favoriser  l'entrée  sur  notre  territoire  des  populations  de  la  Régence  qui , 
fuyant  les  exactions  des  troupes  du  bey ,  venaient  chercher  un  refuge  auprès 
de  nous,  et  de  veiller  à  ce  que  ces  mêmes  troupes  ne  commissent  point  d'em- 
piétements. Composée  de  quatre  compagnies  du  83*,  d*une  de  Tirailleurs 
algériens  (7*  du  l*'^  bataillon,  capitaine  Rapp),  d'un  escadron  de  chasseurs 
d'Afrique  et  de  deux  pelotons  de  spahis,  cette  colonne  fut  placée  sous  les 
ordres  du  lieutenant- colonel  Flogny ,  du  3*  régiment  de  spahis,  et  commença 
ses  opérations  le  9  janvier.  Elle  protégea  le  passage,  en  deçà  de  la  frontière, 
d'environ  quinze  à  seize  cents  tentes  de  tribus  pauvres ,  misérables ,  auxquelles 
l'aman  fut  accordé  sur  la  demande  do  la  France,  et  qu*on  rapatria  le  15  fé- 
vrier. 

Le  18  janvier,  la  compagnie  du  capitaine  Rapp  était  rentrée  à  Tebcssa,  sa 
garnison,  et,  seul,  un  détachement  de  cinquanlo-cinq  hommes,  sous  les 
ordres  du  sous-lieutenant  Darolles,  entra  dans  la  composition  d'une  petite 
colonne  qui,  sous  le  commandement  du  général  de  Lacroix,  surveilla  l'opé- 
ration du  rapatriement. 


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CHAPITRE  XIII 

(1865-1870) 


(IRAn)  Progrès  do  IMnsiirrcction  en  Rabylie.  —  Golonno  expédlUonnairo  dos  Baboni.  — 
Passage  dn  col  de  Boudcrnis.  —  La  colonne  se  rond  à  Dougic.  —  Rentrée  à  Gonsian- 
tfne.  —  Paciflcaiion  générale  de  la  province.  —  Golonno  du  sud  (1865-1606).  —  Co- 
lonne de  Bou-Saâda.  —  (1866)  Le  régiment  est  appelé  à  fournir  un  bataillon  pour 
tenir  garnison  à  Paris.  —  Formation  du  4«  bataillon.  —  Réorganisation  des  écoles  régi- 
mentaires.  —  Colonne  d'observation  de  Bon-Saftda  (1866-1867).  —  Épidémie  cholérique 
de  1867.  —  Récompenses  pour  dévouements. 


La  violente  secousse  qui  avait  soulevé  et  mis  en  feu  toute  cette  région  des 
Hauts-PlateauK,  intermédiaire  entre  le  Tell  et  le  Sahara,  avait  eu  un  contre- 
coup immédiat  en  Kabylie.  Cependant,  si  elles  étaient  plus  tenaces  une  fois 
qu'elles  avaient  les  armes  à  la  main ,  les  populations  de  ces  montagnes,  deve- 
nues moins  hostiles  depuis  la  grande  épopée  de  leurs  luttes  héroïques,  étaient, 
par  contre,  moins  impressionnables,  moins  ardentes,  moins  prêtes  à  céder 
nu  premier  soufTIc  de  révolte  que  colles  de  nos  cercles  du  sud.  Aussi,  au  lieu 
d*y  être  générale,  comme  dans  les  environs  d'Aumale  et  de  Bou-Saftda,  Tin- 
surrection  s*y  trouva- t-elle,  dans  ses  débuts,  limitée  à  quelques  tribus  ou 
fractions  de  tribus ,  dont  Taction  agressive  se  borna  à  Tatlaque  du  bordj  de 
Zcraîa,  à  Touesl  de  Milah.  Mais  bientôt  Tagitation  fit  d'inquiétants  progrès; 
elle  s'étendit  dans  la  plus  grande  partie  du  bassin  de  TOued-el-Kebir,  se 
répandit  dans  celui  do  TOued-Eudja,  et  gagna  rapidement  vers  l'ouest,  comme 
pour  se  relier,  du  côté  de  Dordj-bou-Arrérldj,  avec  le  mouvement  qui  par- 
tait du  Hodna.  A  ce  moment,  on  put  craindre  de  graves  complications;  aucun 
succès  de  nos  armes  n'était  encore  venu  étouffer  les  espérances  des  rebelles, 
et  presque  toutes  nos  troupes  disponibles  étaient  en  marche  vers  Bou-SaAda. 
C'est  alors  que,' pour  conjurer  le  danger,  on  organisa  de  nombreux  camps 
d'observation  qu'on  établit  sur  des  points  habilement  choisis.  La  faiblesse  de 
ces  postes  ne  leur  permettait  guère  d'étendre  leur  action  à  plus  de  quelques 
kilomètres  de  ces  points,  mais  ils  n'en  demeuraient  pas  moins  une  menace 
permanente  pour  les  insurgés.  Indépendamment  de  cela,  le  général  Périgot 
se  mit  lui-môme  à  la  tête  d'une  colonne  mobile,  et,  dans  le  courant  de  sep- 
tembre, parcourut  les  bords  de  l'Oued -Eudja,  pénétra  dans  le  Ferdjiouah , 
et  dispersa  quelques  rassemblements  dans  les  environs  de  Marianoum.  Déjà 


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298 


LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[18Ô5] 


les  tribas  insoumises  commençaient  à  rentrer  dans  le  devoir,  la  tranquillité 
à  renaître  dans  le  pays,  lorsque,  brusquement  appelé  &  Bordj-bou-Arréridj 
par  les  événements  du  llodna ,  le  général  dut  interrompre  en  plein  succès  son 
œuvre  de  pacification. 

A  peine  nos  troupes  se  furent-elles  éloignées,  que  les  intrigues  recommen- 
cèrent, que  les  marabouts  influents  reprirent  leur  campagne  en  faveur  de  la 
guerre  sainte,  et  que  les  tribus  hostiles  reformèrent  leurs  contingents.  Celte 
fois,  c'était  do  la  région  du  Rabor  quo  partait  rincomlio.  VéU  quelques  jours 
la  rébellion  eut  promené  ses  torches  dans  tout  le  pays  compris  entre  Bougie, 
Sétif ,  Djidjelli  et  Milah.  La  saison  n'était  pas  favorable  à  une  expédition  ;  il 
eût  du  reste  été  difficile  d'en  réunir  les  moyens  :  on  se  contenta  de  renforcer 
les  postes  de  Milah  et  de  Takitount ,  et  l'on  attendit. 

Cette  situation  resta  la  même  jusqu'au  mois  d'avril.  Le  printemps  arrivait  ; 
c'est  l'époque  où  le  Kabyle  redoute  le  plus  la  guerre,  car  il  a  sa  récolte,  c'est- 
à-dire  toute  sa  fortune  qui  est  en  jeu;  le  moment  était  donc  venu  d'en  finir 
avec  les  troubles  qui  désolaient  cette  partie  de  la  province ,  et  de  châtier  les 
fractions  remuantes  qui  les  avaient  provoqués.  Deux  colonnes  furent  organi- 
sées :  l'une,  sous  le  commandement  du  colonel  Augeraud,  et  comprenant  en 
grande  partie  des  troupes  de  la  province  d'Alger,  devait  envahir  le  territoire 
insurgé  par  le  sud-ouest;  l'autre,  sous  les  ordres  du  général  Périgot,  se  dis- 
posait à  y  entrer  par  l'ouest  avec  le  Babor  pour  objectif. 

Celte  dernière,  la  seule  dont  nous  ayons  à  nous  occuper,  fut  réunio  :  partie 
à  Milah  avec  le  général  commandant  la  division,  et  partie  à  Djidjelli  avec  le 
général  le  Poittevin  de  Lacroix.  C'est  sur  Milah  que  furent  dirigées  les  frac- 
tions du  3*  Tirailleurs  désignées  pour  on  faire  partie.  Le  19  avril ,  arrivèrent 
sept  compagnies  (4*  et  5»  du  1»'  bataillon ,  7»  du  2» ,  l'*" ,  2%  3<)  et  1^  du  3<») 
venant  de  Bou-SaAda,  sous  les  ordres  du  commandant  de  Sainte-Croix; 
le  22,  elles  se  grossirent  des  quatre  qui  se  trouvaient  à  Takitount;  enfin, 
le  23,  la  7«  du  l<^'  bataillon,  partie  de  îebessa,  vint  compléter  à  douze  com- 
pagnies le  contingent  fourni  par  le  régiment.  Le  lieutenant-colonel  Bcrlhe, 
qui,  par  décret  du  26  décembre  1864,  avait  remplacé  M.  Gandil,  promu 
colonel ,  avait  le  commandement  de  toute  cette  portion  du  corps ,  qui  fut  orga- 
nisée en  deux  bataillons  de  marche  ^ 


>         !•' bataillon, 
Commandant  de  Saiate-Ooix. 

Capitaine  Gheyreail ,  adjadanl- 
major. 


2«  bataillon, 
Commandant  Seriziat. 

Lieutenant  Gléry,  adjudant- 
mujor. 


4*  comp.  du  i^r  bataillon  (caplt.  Lannes  de  Monlebello). 


(capltaioe  Égrot). 
(capitaine  Rapp). 
(capitaine  Desmaison), 
(capitaine  Billon). 
(capitaine  Louvet). 
(capitaine  Maussion). 
(capitaine  Âubrespy). 
(capitaine  Vivcnot). 
(lieutenant  Dosvicl). 
(capitaine  Kcssou). 
(capitaine  Legrand). 


Effectif 


Officiers. 
Troupe. 


47 
969 


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[1865]  EN  ALGÉRIE  290 

Le  24 ,  arriva  le  général  Périgot,  qui  prit  ausâilôt  ie  commandement  de  la 
colonne.  Outre  les  deux  bataillons  de  Tirailleurs,  celle-ci  comprenait  actuel- 
lement un  bataillon  du  3*^  zouaves,  deux  du  83* ,  quatre  pièces  de  canon,  une 
ambulance  complète,  et  seulement  de  cavalerie  ce  qui  était  indispensable 
pour  le  service  do  correspondance  et  Tescorte  du  général.  À  peu  près  la  tota- 
lité do  ce  qui  avait  été  réuni  do  ccKo  arme  formait  une  colouno  indépondanio 
qui,  sous  les  ordres  du  commandant  de  Bonnemain,  du  3"  spahis,  devait, 
pendant  la  marche  de  la  colonne  principale,  opérer  dans  la  vallée  de  TOued- 
Eudja  et  dans  le  Ferdjiouah ,  pour  maintenir  cette  partie  du  pays  et  assurer 
les  ravitaillements. 

Le  25 ,  à  six  heures  du  matin ,  toutes  les  troupes  concentrées  à  Milah  se 
mirent  en  marche,  se  dirigeant  sur  le  territoire  des  Ahrès;  le  27,  elles  éta- 
blissaient leur  camp  à  Djemma-'Ahrez,  sur  un  plateau  à  treize  cent  cin* 
quante  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  De  ce  point  culminant,  Foeil 
embrassait  toute  la  petite  Kabylie  jusqu*au  Babor;  de  là  on  dominait  tout 
le  territoire  des  Béni- Ahrès,  des  Zouahra,  des  Asfiras,  tribus  qui  vinrent 
immédiatement  faire  leur  soumission. 

Le  29,  la  colonne  reprit  son  mouvement  vers  Touest;  elle  traversa,  sans 
combattre,  le  pays  des  Asfiras,  des  Ouled-Yahia,  des  Ouled-Ameur,  des  Ouled- 
Sliman,  des  Bcni-Adjiz,  des  Ouled-Tahar,  des  Beni-Foughalès,  et,  le  16  mai, 
arriva  sur  la  limite  des  Rechia,  entre  le  pic  de  Tamesguida  et  le  massif  du 
Babor.  La  veille,  elle  avait  été  ralliée  par  quatre  bataillons  venant  de  Djidjelli, 
sous  les  ordres  du  général  le  Poittevin  de  Lacroix.  Désormais  au  complet,  elle 
reçut  une  organisation  définitive  et  comprit  deux  brigades  ainsi  composées  : 

V*  brigade  (général  de  Lacroix)  :  deux  bataillons  du  67*  de  ligne  et  deux 
bataillons  du  3*  Tirailleurs  ; 

2<^  brigade  (colonel  Nayral,  du  83^)  :  un  bataillon  du  3*  zouaves, un  bataillon 
du  i^  de  ligne,  un  autre  du  20*  de  ligne  et  deux  du  83*. 

La  tribu  des  Uechia  était  Tune  des  premières  qui,  en  Kabylie,  s'étaient 
jetées  dans  le  mouvement  insurrectionnel;  elle  méritait  donc  un  châtiment 
exemplaire,  une  sévère  répression.  Le  17,  on  pénétra  sur  son  territoire;  cou- 
verte en  avant  par  le  goum  de  Sétif ,  et  sur  son  flanc  gauche  par  les  deux 
bataillons  de  Tirailleurs  algériens ,  dont  les  compagnies  avaient  été  échelon- 
nées sur  une  succession  de  mamelons,  la  colonne  s'avança  sans  difficulté 
jusqu'à  la  position  de  Dar-el-Razzi.  Là  on  crut  un  moment  que  Tennemi 
tiendrait;  mais  il  se  contenta  d'échanger  quelques,  coups  de  fusil  avec  nos 
cavaliers  arabes  et  se  retira  à  la  première  démonstration  de  notre  infanterie. 
L'une  de  nos  compagnies ,  la  5*  (capitaine  Louvet)  du  2*  bataillon,  parvint 
cependant  à  joindre  quelques  groupes  et  à  leur  enlever  un  troupeau  de  deux 
cents  bœufs  et  d'un  millier  de  moutons,  qu'elle  ramena  au  camp. 

Le  lendemain ,  le  2*  bataillon  de  marche  (commandant  Seriziat)  fil  partie 
d'un  détachement  do  la  1*^  brigade  qui ,  sous  les  ordres  du  général  de  Lacroix , 
exécuta  une  sortie  dans  le  but  de  surprendre  quelques  fractions  en  fuite  vers 
l'est,  de  razzer  leurs  troupeaux  et  d'incendier  leurs  gourbis. 

Le  départ  eut  lieu  à  cinq  heures  et  demie;  à  sept  heures,  on  arriva  sur  un 
plateau,  au  pied  d'un  immense  rocher  très  remarquable  par  sa  forme,  qui  lui 


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300  LE  3<^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1805] 

avait  fiiit  donner  le  nom  de  Scrdi-d-lighoul  (selle  do  l'ogre).  Du  grand 
nombre  de  Kabyles  s'étaient  réfugiés  dans  les  profondes  excavations  de  sa 
partie  sud -est.  En  un  instant,  ils  se  trouvèrent  complètement  cernés.  Pensant 
alors  qu'ils  se  rendraient  à  discrétion,  le  général  attendit  une  partie  de  la 
mâtiné.  A  onze  heures,  aucun  chef  n'avait  encore  paru.  Il  fallait  en  finir; 
une  compagnie  du  67« ,  trois  cent  cinquante  zouaves  et  trois  compagnies  de 
Tirailleurs  furent  envoyés  pour  les  déloger.  L'opération  était  difficile;  elle 
demanda  du  temps.  Enfin,  après  une  pénible  et  périlleuse  ascension  sur  les 
flancs  abrupts  du  rocher,  on  arriva  au  sommet;  la  compagnie  de  zouaves 
ouvrit  aussitôt  le  feu  sur  l'ennemi,  qui  prit  la  fuite  en  laissant  sur  le  terrain 
une  quinzaine  de  morts  ou  de  blessés.  Mais  les  trois  compagnies  de  Tirailleurs 
avaient  occupé  toutes  les  issues;  les  Kabyles  vinrent  y  donner  tête  baissée  et 
tombèrent  ainsi  presque  tous  entre  nos  mains.  Pendant  ce  temps,  les  cavaliers 
du  goum  avaient  ramassé  un  énorme  butin,  pris  des  troupeaux  et  incendié  un 
grand  nombre  de  villages  et  de  gourbis  isolés.  A  cinq  heures  du  soir,  la  petite 
colonne  rentrait  au  camp  ramenant  environ  deux  cents  prisonniers,  des  armes, 
des  prises  de  toute  sorte  et,  ce  qui  ajoutait  encore  à  ce  magnifique  succès, 
sans  compter  un  seul  blessé. 

Le  19,  les  troupes  de  la  2«  brigade  firent  une  nouvelle  sortie,  et  semèrent 
la  terreur  dans  tous  les  villages  de  la  tribu  qui  n'avaient  point  encore  été 
visités.  Le  châtiment  des  Rechia  était  complet  :  leurs  habitations  détruites , 
leurs  troupeaux  enlevés,  leurs  moissons  perdues,  leurs  contingents  dispersés, 
ils  étaient  maintenant  à  la  merci  du  vainqueur,  qui  leur  accorda  l'aman 
contre  des  f^aranties  nous  assurant  désormais  de  leur  lidélitô. 

Les  Rechia  soumis,  il  ne  restait  plus  qu'à  marcher  sur  les  rassemblements 
qui  s'étaient  réfugiés  dans  le  Djebel -Babor.  Le  23,  la  colonne  quitta  le  camp 
de  Dar-el-Razzi.  Une  pluie  aboodante,  tombée  dans  la  matinée,  avait  rendu 
les  chemins  fort  mauvais;  de  là,  une  marche  lente  et  difficile  tant  que  dura 
la  descente  des  pentes  conduisant  à  l'Oued -Djebas.  Arrivées  sur  les  bords  de 
cette  rivière,  les  deux  brigades  se  séparèrent;  la  l*"*,  après  l'avoir  traversée, 
prit  une  route  longeant  sa  rive  gauche  et  conduisant  à  El-Nator,  sur  un 
étroit  plateau  entre  l'Oued -Behar  et  l'Oued -Djebas;  la  2<»  se  dirigea  plus  à 
droite,  et,  couverte  par  la  première,  suivit  un  élroit  sentier  aboutissant  au 
même  point.  Pendant  toute  la  durée  do  la  marche ,  les  troupes  de  la  colonne 
de  Lacroix  furent  surveillées  par  de  nombreux  rassemblements  établis  sur  les 
contreforts  du  Babor  et  semblant  attendre  le  moment  favorable  pour  attaquer. 
Mais,  grâce  aux  précautions  prises,  on  arriva  sans  avoir  fourni  à  l'ennemi 
l'occasion  qu'il  cherchait.  Toule  la  nuit,  d'immenses  feux  allumés  sur  les 
créles  principales  de  Babor  et  du  Ta-Babor  appelèrent  aux  armes  les  derniers 
partisans  de  la  lutte  contre  la  France ,  et  annoncèrent  aux  autres  points  de 
la  Kabylie  que  l'insurrection^se  trouvait  enfermée  dans  son  dernier  réduit. 

Le  lendemain  24,  la  colonne  continua  son  mouvement  vers  la  redoutable 
position,  qui  maintenant  occupait  tout  l'horizon  vers  le  sud-ouest.  La  2«  bri- 
gade était  en  tète;  la  i^  prot^eait  le  convoi.  Tout  à  coup  le  canon  se  mit  à 
tonner.  Allait-on  enfin  avoir  à  livrer  un  de  ces  sanglants  assauts  dont  cette 
même  contrée  avait  été  si  souvent  le  théâtre?  L'ennemi  se  défendrait -il?  On 


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[i86S]  EN  ALGÉRIE  301 

l'espérait.  Pendant  un  instant  les  coeurs  battirent  à  Tunisson  arec  les  échos 
sourds  que  renvoyait  la  montagne;  mais  bientôt  tout  se  tut  :  Tennemi  fuyait. 

La  position  sur  laquelle  nous  venions  d*aborder  sans  coup  férir  était  consti- 
tuée par  le  versant  est  du  Ta-Babor  et  portait  le  nom  de  Takreneg-el-Had  ; 
très  forte  sur  tous  les  points,  elle  aurait  permis  aux  rebelles  de  nous  disputer 
avantageusement  le  terrain  s'ils  avaient  résisté;  mais  ceux-ci  fuyaient  de  toutes 
parts,  et  tout  so  termina  par  l'envoi  de  quelques  fusées  dans  les  ravins  pour 
en  déloger  quelques  groupes  qui  s*y  étaient  embusqués,  et  par  un  échange  de 
coups  de  fusil  entre  une  de  nos  grand'gardes,  placée  au  pied  du  Babor,  et 
une  embuscade  kabyle  établie  sur  un  rocher.  La  nuit  fut  tranquille. 

Le  25  s'annonçait  comme  un  jour  de  grande  lutte;  tous  les  ordres  avaient 
été  donnés  pour  l'attaque  du  coi  do  Boudemis,  entre  les  deux  Babors.  Ce 
passage,  réputé  l'un  des  plus  difficiles  de  la  Kabylie,  semblait  devoir  être  le 
point  où  les  insurgés  tenteraient  leur  dernier  effort;  défendu  par  les  bandes 
(|ui  avaient  attaqué  Takitount,  bandes  qui  pouvaient,  au  moindre  succès,  so 
grossir  de  toutes  les  tribus  des  environs,  il  présentait  un  obstacle  contre  le- 
quel on  pensait  qu'il  se  produirait  un  choc  meurtrier  pour  lequel  il  n'était 
pas  de  trop  de  toutes  les  troupes  des  deux  brigages  réunies. 

A  six  heures  du  matin,  celles-ci  se  mirent  en  mouvement  pour  prendre  la 
place  qui  leur  avait  été  assignée;  pendant  ce  temps,  l'artillerie  commençait 
à  battre  l'étroit  défilé  dans  lequel  on  devait  s'engager.  Cent  zouaves  et  un 
bataillon  mixte,  sans  sacs  (trois  compagnies  du  67®  et  trois  compagnies  de 
Tirailleurs),  sous  les  ordres  du  commandant  de  Sainte-Croix,  prirent  la  tête 
de  la  colonne  et  se  lancèrent  au  pas  de  course  sur  la  position ,  en  se  tenant  le 
plus  près  possible  du  Ta-Babor.  Chacun  rivalisant  d'ardeur,  ce  mouvement 
s'exécuta  avec  une  si  étonnante  rapidité,  qu'après  avoir  dirigé  sur  nous  une 
courte  fusillade,  les  Kabyles  n'eurent  pas  le  temps  de  recharger  leurs  armes 
et  (lurent  s'onftiir  précipitamment  pour  échapper  aux  baïonnettes  des  assail- 
lants. Nos  compagnies  les  poursuivirent  pendant  quelque  temps,  puis  se 
rallièrent  sur  de  bonnes  positions  en  attendant  l'arrivée  du  restant  de  la  co- 
lonne. Dans  cette  attaque,  nous  n'avions  eu  qu*un  officier  blessé,  le  lieutenant 
Messaoud-ben'Ahmed ,  de  la  i^  compagnie  du  2*  bataillon. 

Au  moment  où  s'exécutait  sur  la  droite  cette  attaque  de  front  dont  la  vigueur 
avait  assuré  le  succès,  le  lieutenant-colonel  Berthe  recevait  Tordre  d'enlever, 
avec  le  2<^  bataillon  de  marche  (commandant  Seriziat)  et  une  section  d'artille- 
rie, un  immense  mamelon  situé  au  milieu  du  col ,  à  environ  trois  mille  mètres 
au  sud-ouest  du  camp  de  Takreneg-el-Had ,  mais  séparé  de  ce  dernier  par  de 
profonds  ravins  se  dirigeant  de  l'ouest  à  Test  pour  aboutir  à  l'Oued-Djebas.  Il 
forma  le  bataillon  en  colonne,  la  6*  compagnie  (capitaine  Maussion)  du  2*  ba- 
taillon à  i'avant-garde,  la  section  d'artillerie  après  la  2*  compagnie,  et  se  mit 
on  marche  dans  cet  oniro  jusqu'&  la  tète  dos  ravins.  Lh  commencèrent  les 
difficultés  d'une  ascension  pénible,  d'une  marche  arrêtée  à  cha(|ue  pas  par  les 
obstacles  du  sol  ;  enfin  la  compagnie  d'avant-garde  atteignit  les  premières 
crêtes  et  en  prit  possession  juste  au  moment  où  le  capitaine  do  Polignac  y  ar- 
rivait de  son  côté  &  la  tête  des  goums.  Craignant  d'être  cernés,  les  Kabyles 
déchargèrent  leurs  armes  et  allèrent  en  toute  hâte  chercher  un  refuge  dans  les 


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802  LE  S*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1865] 

bois  épais  qui  couvraient  le  flanc  nord  du  Babor.  Ce  résultat  obtenu ,  le  colo- 
nel Berthe  resta  en  position  jusqu'à  ce  que  rarrièro-garde  de  la  2^  brigade  fût 
arrivée  dans  le  col. 

Cependant  une  partie  des  Kabyles  chassés  des  positions  de  droite  avaient 
gagné  le  sommet  du  Ta-Babor,  d'où  ils  faisaient  rouler  d'énormes  rochers  sur 
les  pentes  où  ils  nous  croyaient  engagés.  Bien  que  ces  groupes  ne  nous  fissent 
pas  grand  mal  pour  le  moment ,  leur  présence  sur  nos  derrières  pouvant  de- 
venir dangereuse  au  moment  du  départ  de  la  colonne,  le  général  résolut  de 
les  déloger  du  faite  inexpugnable  où  ils  s'étaient  établis.  Ce  fut  à  la  1"»  com- 
pagnie du  2fi  bataillon  (capitaine  Desmaisons)  qu'incomba  cette  difllicilo  mis- 
sion, dont  le  succès  exigeait  une  rare  intrépidité.  Il  s'agissait,  en  effet,  de 
gravir  une  hauteur  d'au  moins  quatre  cents  mètres  de  rochers  &  pic,  et  cela 
sous  les  yeux  d'un  ennemi  dangereux  qu'on  devait  supposer  embusqué  pour 
nous  recevoir. 

Guidés  par  leurs  ofliciers,  les  Tirailleurs  exécutèrent  cette  ascension  péril- 
leuso  avec  une  merveilleuse  agilité;  le  fusil  en  bandoulière,  ils  grimpèrent  en 
s'aidant  des  mains  et  des  genoux,  en  s'accrochant  aux  broussailles,  aux  aspé- 
rités du  sol,  en  se  cramponnant  à  tout  ce  qui  offrait  la  moindre  saillie,  et, 
après  des  efforts  inouïs,  atteignirent  enfin  le  sommet  de  la  montagne.  Les 
Kabyles,  ne  soupçonnant  pas  la  possibilité  d'un  pareil  tour  de  force,  n'avaient 
nullement  cherché  à  s'y  opposer;  dès  qu'ils  virent  paraître  nos  soldats,  sur- 
pris, stupéfiés,  ils  ne  songèrent  môme  pas  à  se  défendre,  et  ils  s'échappèrent 
par  des  passages  qu'ils  étaient  les  seuls  à  connaître  et  dans  lesquels  il  eût  été 
dangereux  de  s'engager.  Un  instant  après,  un  immense  feu  allumé  sur  le  pic 
le  plus  élevé  du  Ta-Babor  signalait  et  notre  présence  et  notre  succès  à  la  co- 
lonne Augeraud,  campée  près  de  Sidi-Tallout. 

Vers  une  heure,  la  colonne  reprit  sa  marche,  en  suivant  la  route  straté- 
gique ouverte  par  la  colonne  expéditionnaire  de  1856.  La  1^  compagnie  du 
2^  bataillon  se  conformait  au  mouvement  en  s'avançant  par  la  crôte  du  ïa- 
Babor.  Les  cavaliers  du  goum  avaient  pris  à  gauche  et  livraient  aux  flammes 
tous  les  villages  et  tous  les  gourbis  qu'ils  rencontraient. 

Le  camp  fut  établi  sur  une  position  très  forte,  à  Ighil-Abahri.  Jamais  peut- 
être  un  plus  magnifique  panorama  ne  s'était  déroulé  aux  yeux  de  nos  troupes 
dans  cette  région  cependant  si  pittoresque,  si  riche  en  sites  merveilleux.  Au 
sud  et  à  l'ouest ,  jusqu'à  un  horizon  se  perdant  dans  le  gris  du  ciel ,  on  aper- 
cevait des  lignes  de  montagnes  qui  s'abaissaient  progressivement  à  mesure 
qu'elles  s'éloignaient  du  Djebel-Babor;  au  sein  de  ces  croupes,  de  ces  pics,  de 
ces  rochers,  de  ces  vallées,  on  distinguait  vaguement  le  bordj  de  Takitount, 
puis,  un  peu  plus  loin,  le  camp  de  la  colonne  Augeraud,  et  enfin,  en  remon- 
tant vers  le  nord-ouest,  on  découvrait  au  loin  la  mer,  le  cap  Carbon,  la  mon- 
tagne de  Gouraya,  et,  au  pied  de  cette  dernière,  une  tache  blanchStre  :  la 
ville  de  Bougie. 

Le  lendemain  26 ,  les  quelques  tribus  qui  n'avaient  point  encore  fait  leur 
soumission  venaient  demander  l'aman.  L^  opérations  de  guerre  étaient  ter- 
minées. 

La  colonne  quitta  Ighil-Abahri  le  2  juin  pour  se  rendre  à  Bougie,  où  l'em- 


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[1865]  EN  ALGÉRIE  803 

pcreur  devait  passer  la  revue  de  toutes  les  troupes  qui  avaient  pris  part  à 
cette  expédition.  Elle  arriva  le  4,  passa  la  revue  le  7,  et  se  mit  en  route  pour 
Constantine  le  10.  A  son  retour,  elle  devait  passer  sur  le  territoire  des  tribus 
situées  au  nord  du  Babor;  en  conséquence,  elle  suivit  la  côte  jusqu'à  Ziama, 
puis  redescendit  vers  le  sud,  séjourna  du  13  au  15  à  El-Mekassel;  du  16  au 
20,  à  Dra-ol-Karouba;  du  21  au  30,  à  Tazerout;  et  enfin  arriva  à  Constantine 
le  7  juillet.  Sns  opérations  avaient  duré  soixante-quatorze  jours. 

Le  calme  venait  enfin  do  renaître  dans  toute  Tétendue  de  la  province  :  au 
nord  comme  au  midi,  à  Test  comme  &  Vouest,  Tinsurrection  était  vaincue, 
notre  autorité  rafTermie.  Ce  résultat,  qui  avait  demandé  près  d'une  année 
d'cfTorls,  et  qui  presque  partout  avait  été  obtenu  sans  grande  eiïusion  do 
sang,  était  dû  surtout  à  d'habiles  combinaisons  de  mouvements,  à  l'occupa- 
tion de  points  judicieusement  choisis,  à  une  grande  sagesse  politique,  et  fai- 
sait le  plus  grand  honneur  au  général  Périgot  et  au  colonel  le  Poittevin  de 
Lacroix,  nommé  général.  Il  est  juste  de  reconnaître  aussi  que  les  troupes  de 
la  division  de  Constantine  n'avaient  peut-être  jamais  fait  preuve  de  plus  d'ab- 
négation, de  plus  de  dévouement,  de  plus  d'émulation,  de  plus  de  persévé- 
rance que  dans  cette  tûche  ingrate  qui  les  avait  successivement  appelées  dans 
les  plaines  arides  du  désert  et  sur  les  cimes  presque  inaccessibles  de  la  Kabylie. 
De  toutes  CCS  troupes,  le  3'^  régiment  de  Tirailleurs  avait  été  certainement  le 
corps  qui  s'iHait  le  plus  prodigué,  qui  avait  supporté  le  plus  de  fatigues  et  le 
plus  contribué  au  succi^s.  Aussi  la  campagne  de  18G4-1865  peut-elle  compter, 
sinon  parmi  les  plus  glorieuses,  du  moins  parmi  les  plus  honorables  aux- 
quelles il  lui  ait  été  donné  de  prendre  part. 

Jusqu'à  la  grande  insurrection  qui ,  en  1871 ,  allait  être  la  conséquence 
de  nos  revers,  cette  tranquillité  ne  devait  plus  être  troublée  que  par  quelques 
agitations  sans  importance,  ayant  seulement  le  sud  pour  théâtre  et  n'attei- 
gnant que  les  populations  nomades  du  Sahara.  Comprenant,  en  effet,  ce  qu'a- 
vait d'insensé  toute  tentative  même  générale  de  leur  part  pour  nous  arra- 
cher notre  conquête ,  les  Arabes  allaient  maintenant  se  prêter  d'assez  bonne 
grâce,  ou  du  moins  autant  que  devaient  le  permettre  leurs  mœurs  et  leur  reli- 
gion, à  l'œuvre  civilisatrice  entreprise  par  notre  pays.  C'était  donc  une  pé- 
riode de  repos  qui  s'ouvrait  pour  le  3^  Tirailleurs,  période  peu  intéressante  et 
sur  laquelle  nous  passerons  rapidement. 

Au  mois  de  juillet  IBRH,  l'ordre  paraissant  partout  rétabli  dans  nos  cercles 
de  l'extrême  sud ,  on  avait  dissous  les  colonnes  Gandil  et  Seroka  alin  de  leur 
épargner  les  épreuves  des  grandes  chaleurs.  Il  n'en  avait  pas  été  de  même 
dans  les  provinces  d'Alger  et  d'Oran,  encore  agitées,  encore  parcourues  par  des 
bandes  de  dissidents  aux  ordres  de  chefs  influents  tels  que  Bou-Diça  et  Si- 
Lalla.  Dans  ces  dernières,  on  avait,  pendant  toute  la  durée  de  l'été,  laissé  en 
observation  une  partie  des  troupes  qui  avaient  pris  part  &  la  campagne  d'hiver. 
Les  opérations  avaient  ensuite  repris  de  bonne  heure,  et  Si-Lalla,  battu  par 
une  colonne  venue  de  Géryville  et  poursuivi  par  une  autre  sortie  de  Laghouat, 
avait  été  rejeté  dans  la  direction  d'Ouargla.  Dans  le  but  de  lui  fermer  la  route 
de  cette  oasis,  il  fut  décidé  qu'une  colonne  partirait  de  Biskra,  irait  s'établir 
dans  les  environs  d'Ouargla,  et  compléterait  ainsi  le  cercle  d'investissement 


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304  LB  3*  RÉGIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1865] 

qui  se  formait  autour  de  l'agitateur.  Cette  colonne,  placée  sous  les  ordres  du 
colonel  Arnaudeau\  du  GG*  do  ligne,  Tut  organisée  le  7  novembre,  et  comprit 
les  deux  compagnies  du  régiment  en  garnison  à  Biskra  (7*  du  !«■*  bataillon, 
capitaine  de  Larochelambert;  5*  du  2*,  lieutenant  Montignault),  huit  compa- 
gnies du  66«  de  ligne,  une  du  3*  zouaves  et  trois  escadrons  de  cavalerie. 

Afin  de  faire  coïncider  cette  marche  avec  les  mouvements  d'autres  troupes 
aux  ordres  des  colonels  de  Colomb  et  de  Sonis,  le  départ  n*eut  lieu  que  le 
13  décembre.  La  colonne  se  dirigea  d'abord  sur  Toasis  de  Sidi-Khaled,  par  la 
vallée  de  l'Oued-Djedid ,  puis  elle  marcha  directement  au  sud  et  atteignit  El- 
lladjira  le  31.  Ce  point,  situé  à  mi-chemin  entre  Ouargla  et  Tuggurt,  offrait 
une  excellente  position  pour  observer  les  routes  du  Mzab.  Le  colonel  y  laissa 
le  matériel  de  l'ambulance,  une  partie  du  convoi,  les  malingres  et  quatre  com- 
pagnies du  66*,  et,  le  6  janvier  1866,  avec  le  restant  de  sa  troupe,  repartit 
pour  Ouargla,  où  il  arriva  le  8.  Si-Lalla  n'y  avait  point  paru;  il  semblait 
même,  au  contraire,  avoir  renoncé  au  projet  d'y  venir.  On  resta  néanmoins 
en  observation  jusqu'au  22  janvier,  puis  on  revint  à  El-IIadjira,  d'où  la 
colonne  entière  surveilla  encore  le  pays  jusqu'au  27  mars.  A  cette  date,  des 
renseignements  ayant  bit  supposer  que  les  insurgés  se  dirigeaient  enfin  sur 
Ouargla,  le  colonel  Arnaudeau  reprit  en  toute  hSle  le  chemin  de  cette  oasis, 
et  lança  aussitôt  sur  leurs  traces  son  goum  et  une  partie  de  sa  cavalerie;  mais 
les  dissidents  avaient  depuis  longtemps  pris  la  fuite  vers  l'ouest,  oti  les  tra- 
quaient maintenant  les  colonnes  de  Colomb  et  de  Sonis.  Ne  pouvant  concou- 
rir à  ces  dernières  opérations  et  no  voulant  pas  attendre  l'époque  des  grandes 
chaleurs  pour  ramener  ses  troupes,  le  colonel  rentra  à  El-Iiadjira  le  3  avril, 
et,  le  6,  se  mit  en  route  pour  Biskra,  où  il  arriva  le  23. 
.  En  même  temps  que  se  réunissait  à  Biskra  la  colonne  dont  nous  venons 
de  résumer  la  lointaine  expédition ,  le  colonel  Gandil  en  organisait  une  autre 
à  Bou-Saâda.  Le  but  de  cette  dernière  était  de  rassurer  les  populations  du 
sud  de  la  province  menacées  par  les  incursions  de  Si-Lalla  et  de  ses  adhé- 
rents, de  peser  sur  quelques  fractions  des  Ouled-Nall,  et  enfin  de  continuer, 
entre  les  colonnes  de  Laghouat  et  de  Biskra,  le  cordon  qui  rejetait  l'ennemi 
hors  des  Hauts- Plateaux.  Formée  le  4  novembre  186S,  elle  se  composa  de 
quatre  compagnies  du  83<^  de  ligne,  deux  de  Tirailleurs  algériens  (2<^  et  6^  du 
3*  bataillon,  capitames  Egrot  et  Gabrielli),  deux  escadrons  de  cavalerie  et  une 
section  d'artillerie. 

Pour  tenir  ses  troupes  en  haleine  et  afin  de  visiter  on  détail  ce  massif  mon- 
lagneuz,  qui  l'année  précédente  avait  servi  de  refuge  à  l'insurrection  après 
en  avoir  été  le  plus  ardent  foyer,  le  colonel  ordonna,  pour  le  25  novembre, 
une  première  sortie  dans  la  direction  du  Sebkha-Zahrez.  La  colonne  se  porta, 
por  Temça,  à  Bordj-Medjedel,  et,  franchissant  les  crêtes  dont  nous  venons  de 
parler,  vint  s'établir  à  Sidi-el-Embareck,  d'où  des  reconnaissances  furent 
ensuite  dirigées  dans  toutes  les  parties  de  la  région  dont  il  s'agissait  de  déter- 
miner la  topographie.  Le  l**"  décembre,  les  troupes  étaient  de  retour  à  Bou- 
Saêda. 

Le  25,  elles  en  repartaient  pour  une  nouvelle  excursion  qui  ne  devait  pas 
durer  moins  de  quatre  mois.  Elles  se  dirigèrent,  par  A!n-Ghrab  et  Aîn-Melah,  sur 


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[1865]  EN  ALOÉRIB  305 

Âïn-Ricb ,  où  elles  arrivèrent  le  28;  continuant  alors  à  descendre  vers  le  sud- 
ouest,  elles  franchirent  le  massif  du  Bou-Khaïl  au  défil6  d*Am-Kala,  et,  le 
2  janvier,  établirent  leur  camp  à  Abd-el-Medjed ,  position  excellente  au  point 
do  vuo  militaire  et  politique,  sur  le  versant  méridional  do  ces  montagnes  et 
non  loin  de  la  vallée  de  TOued-Djedid.  De  ce  point,  elles  pouvaient  surveiller 
tous  les  agissements  des  Ouled-Nall.  Elles  y  restèrent  jusqu'au  20,  et  se  por- 
tèrent ensuite  à  dix-huit  kilomètres  à  Touest,  près  de  TOued-Kef-el-Amar,  où 
elles  demeurèrent  pendant  deux  mois  en  observation. 

Le  23  mars,  elles  se  mirent  en  route  pour  Laghouat.  Arrivées  dans  cette 
place  le  27,  elles  la  quittaient  le  l***  avril  pour  se  rendre  dans  le  Mzab.  Le  but 
de  ce  mouvement  était  de  maintenir  les  Larbaa  pendant  l'absence  de  la  co- 
lonne de  Sonis  à  la  poursuite  de  la  colonne  de  Si-Lalla,  et  de  protéger  le  pays 
contre  les  irruptions  des  Chambaa.  Le  3  avril ,  la  colonne  campait  à  Tilremt, 
daya  *  remarquable  &  cause  d'une  vaste  citerne  construite  dans  sa  partie  la 
plus  basse  *.  Elle  se  reporta  ensuite  vers  le  nord ,  en  prenant  un  autre  chemin  * 
situé  plus  à  l'ouest,  et  passant  par  les  dayas  de  Matrel-Dolman  et  M'Daguin  pour 
aboutir  à  Ksar-el-lra ,  sur  TOued-Djodid.  Partie  le  16  avril ,  elle  était  de  retour 
à  Laghouat  le  5  mai,  après  un  arrêt  de  quinze  jours  à  M'Daguin.  Ses  opéra- 
tions étaient  terminées.  Le  9  au  matin ,  elle  se  mit  en  route  pour  Bou-Saâda , 
où  elle  arriva  le  16,  pour  y  être  dissoute  le  19.  Les  deux  compagnies  de  Ti- 
railleurs qui  en  avaient  fait  partie  restèrent  en  garnison  dans  ce  poste. 

Un  ordre,  remontant  aux  premiers  jours  de  l'année  1863,  avait  décidé  que 
les  Tirailleurs  algériens  seraient  représentés  à  Paris  par  un  bataillon  pris 
chaque  année,  &  tour  de  rôlo,  dans  chacun  des  trois  régiments.  Le  l**"  régi- 
ment avait  naturellement  été  appelé  à  commencer  le  tour,  puis  le  2*  lui  avait 
succédé,  et  enfm  au  moment  où  nous  sommes  arrivés,  c'est-à-dire  au  com- 
mencement de  1866,  le  3"*  allait  lui-mémo  bénéficier  de  cette  faveur.  Cette 
dernière  aurait,  en  réalité,  dû  lui  échoir  en  1869;  mais  les  graves  événements 
survenus  en  1864  avaient  fait  suspendre  pendant  une  année  l'exécution  de 
cette  décision. 

C'est  au  l**"  bataillon  (commandant  Mercier  de  Sainte-Croix)  que  revint 
l'honneur  de  fournir  ce  détachement.  Conformément  aux  ordres  du  mmistre, 
il  fut  à  cet  efTet  réduit  à  ses  six  premières  compagmes  (la  7*  demeurait  en 
Algérie)  et  porté  à  l'effectif  total  de  six  cent  trente  hommes.  Ainsi  constitué, 
il  quitta  Conslantine  le  6  mars,  s'embarqua  &  Philippeville  le  22  avril,  dé- 
barqua à  Toulon  le  25,  et,  le  29,  arriva  à  Paris. 

Le  service  des  Tirailleurs  algériens  dans  la  capitale  était  le  même  que  celui 
de  la  garde  impériale;  compris  dans  la  2*  brigade  de  la  2*  division  de  cette 
troupe  d'élite,  ils  étaient,  pour  tout  ce  qui  touchait  aux  attributions  particu- 
lières dévolues  par  les  règlements  en  vigueur,  assimilés  aux  autres  régiments 
d'infanterie  do  ce  môme  corps. 

Un  décret  impérial  en  date  du  15  novembre  1865,  rendu  en  vue  de  Taliège- 

Grande  prairie  humide, 
s  Cet  immense  réservoir  ne  mesure  pas  moins  de  trente -trois  mètres  de  longueur 
sur  six  de  large  et  quatre  de  profondeur. 

20 


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306 


LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1866] 


ment  des  charges  du  Trésor,  était  venu  réduire  les  cadres  de  tous  les  corps 
de  l'armée;  par  contre  il  devait,  aux  termes  de  ce  même  décret,  être  créé 
dans  chacun  des  trois  régiments  de  Tirailleurs  algériens  un  quatrième  batail* 
Ion,  ayant  la  même  organisation  que  ceux  déjà  existants.  On  se  proposait 
ainsi  d'augmenter  Teffectif  des  troupes  indigènes  dans  des  proportions  telles, 
que  rimpôt  en  hommes  que  la  loi  de  recrutement  faisait  peser  sur  le  pays  s'en 
trouvât  sensiblement  diminué.  C'était,  de  fait,  avec  la  liberté  d'enrôlement 
qu'on  allait  donner  aux  conseils  d'administration  des  régiments  de  Tirailleurs, 
un  surcroît  de  près  de  six  mille  excellents  soldats  qu'on  allait  avoir  en  peu 
de  temps. 

En  ce  qui  concerne  le  3*  régiment,  cette  mesure  ne  reçut  son  exécution  que 
le  22  août  1866.  A  cette  date,  le  ministre  désigna  les  officiers  devant  consti- 
tuer l'état-major  du  bataillon  et  les  cadres  des  sept  nouvelles  compagnies.  Le 
l*r  octobre,  cette  organisation  était  terminée.  Voici  quelle  fut,  à  la  suite  du 
tiercement  qui  eut  lieu  à  cet  eiïet,  et  à  la  date  du  i^'^  janvier,  la  composition 
du  3«  Tirailleurs  après  cette  formation  : 


ÉTAT-MAJOR 

colonel. 

Ueutenant-colonel. 

major. 

capitaine  trésorier. 

capitaine  d'habillement. 

sous-lieutenant  adjoint  au  trésorier. 


HM.  GandU, 
Berthe, 
AUiou, 
Dufour, 
Ramakers, 
Maxué, 

Carré  de  BusseroUe,  sous-lieutenant  porte-drapeau 
Ropert,  médecin-major  de  i^^  classée. 

Reboud ,  médecin-major  de  2*  classe. 

Janvier,  médecin-aide-major  de  1^  classe 

1<^'  BATAILLON 

UM.  Mercier  de  Sainte-Croix,  chef  de  bataillon. 

Chevreuil ,  capitaine-adjudant-major. 


MM. 


!'•  compagnie. 

Desmaison,  capitaine. 
Oriot,  lieutenant  français. 
Messaoud-ben-Ahmed,  lient,  ind. 
DaroUes,  sous-lieut.  français. 
Rebah-ben-AIech,  s.-lieut.  ind. 

2*  compagnie. 

MM.  Ducoroy,  capitaine. 

Mattel,  lieutenant  français. 
Ahmed-ben-Kodja,  lieut  ind. 
Blumendalh,  s.^ieut.  français. 
Mohamed-Omar,  sous-lieut.  ind. 


3*  compagnie. 
MM.  Petitjean,  capitaine. 

Soumagne,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Toudji,  lieut.  ind. 
Ruihmann,  sous-lieut.  français. 

4*  compagnie. 

MM.  Jeannerod,  capitaine. 

Lalannc  des  Camps,  lieut.  fr. 
Abdcrrahman-ben-Ekarli,  lieu- 
tenant indigène. 
Teilhard  de  Latérisse,  s.-lieut.  fr. 


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[18661 


EN  ALGÉRIE 


807 


5*  compagnie, 

MM.  Marty,  capitaine. 

Duchesne,  lieutenant  français. 
Thiersatilt,  aous-lieut.  français. 
Amar-bon-Mcdeli,  s.-licut.  ind. 


6*  compagnie. 

MM.  de  Carrière,  capitaine. 
Pont,  lieutenant  français. 
Ali-ben-Osman ,  licut.  indigène. 
Valal ,  sous-Iioulenant  français. 
Saad-ben-Sorir,  sous-lieut.  ind. 


7*  compagnie, 

MM.  Michaud,    capitaine. 

Besson ,  lieutenant  français. 
Adj-Tahar,  lieutenant  indigène. 
Lafon ,        sous-lieutenant  français. 


2*  BITIILLON 

MM.  Glemmer,  chef  de  bataillon. 

CalUiot ,     capitaine-adjudant-major. 


!«"•  compagnie. 

MM.  Châtaignier,  capitaine. 
Fargue,  lieutenant  français. 
Hasscn-ben-Krelill ,  lieut.  ind. 
Garnier,  sous-lieut.  français. 
Lagdar-bcl-IIaoussin ,  s.-l.  ind. 

2*  compagnie» 

MM.  Delahogue,  capitaine. 

Boscary,  lieutenant  français. 
Gillet,  sous-lieutenant  français. 
Ali-ben-Ahmed ,  sous-lieut.  ind. 

3^  compagnie, 

MM.  Vivenot,  capitaine. 

Roussel ,  lieutenant  français. 
Ali-ben-Rebah ,  lieut.  mdigène. 
Fouju,  sous-lieutenant  français. 
MohRfno(M)on-Ta]cb,  s.-l.  ind. 


4*  compagnie. 

MM.  Louvet,  capitaine. 

Woroniez  de  Pawenza,  lieut.  fr. 
Clausset,  sous-lieut.  français. 
Hassem-ben-Ali ,  s.-lieut.  ind. 

8*  compagnie. 

MM.  Rapp,  capitaine. 

Lelorrain ,  lieutenant  français. 
Lagdar-Zemouli ,  lieut.  indigène. 
Camion ,  sous-lieut.  français. 
Amar-ben-Brahim ,  s.-lieut.  ind. 

G*  compagnie. 

MM.  Pillot,  capitaine. 

Hardouin ,  lieutenant  français. 
Davoine,  sous-lieut.  français. 
Ali-ben-Toussef,  s.-lieut.  ind. 


MM.  Brault, 
Taddeî, 
Vigel, 


7*  compagnie. 

capitaine. 

lieutenant  français, 
sous-lieutenant  français. 


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308 


UB  3*  RËQUIBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1866] 


3*  BATAILLON 

MM.  Sériâat,       chef  de  bataUlon. 

Le  GronteCi  capitaine-adjudant-major. 


1^  compagnie. 

MM.  de  Lacvivier,  capitaine. 
Strolli ,  lieutenant  français. 
Beaumont,  sous-lieut.  français. 
Kassem-Labougie,  s.-lieut.  ind. 
2*  compagnie, 

MM.  Legrand,  capitaine. 

Donin  de  Rozière,  lieut.  français. 
Mondielli,  sous-liout.  français. 
Haoussin-ben-Ali,  s.-lieut.  ind. 

3*  compagnie. 

MM.  Giraud,  capitaine. 

Cléry,  lieutenant  français. 
Amar-ben-Abdallah,  lieut.  ind. 
Bernad ,  sous-liout.  français. 
Béchir-ben-Mohamed  I  s.-l.  ind. 


4*  compagnie. 

MM.  Émy,  capitaine. 

Feitu,  lieutenant  français. 
Mohamed-bel-Gasm,  lieut.  ind. 
Yahia-ben-Simo,  sous-lieut.  ind. 

5*  compacte. 

MM.  Roux-Beaufort,  capitaine. 
Boswiel,  lieutenant  français. 
Moktar-l>cn-You8suf,  lieut.  ind. 
Uègne,  sous-lieutenant  français. 
6*  compagnie. 

MM.  Chasseloup  de  Laubat ,  capitaine. 
Rinn ,  lieutenant  français. 
Pétiaux ,  sous-lieut.  français. 
Tabar-ben-Amoudai  s.-l.  ind. 


1*  compagnie. 

MM.  Ceccaldi,  capitaine. 

Sergent,  lieutenant  français. 

Said-ben-Mohamed,  lieutenant  indigène. 

4*  BATAILLON 

MM.  Aubry,  cbef  de  bataillon. 

Égrot,  capitaine-adjudant-major. 


i^  con^pagnie. 

MM.  Matthieu,  capitaine. 

Bosquette,  lieutenant  français. 
Achmed-ben-Omar,  lieut.  ind. 
Larrivet,  sous-lieut.  français. 

2^  compagnie. 

MM.  Lannes  de  Montebello,  capitfiine. 
Sauvage,  lieutenant  français. 
Amou-ben-Mousseli,  lieut.  ind. 
Esparron ,  sous-lieut.  français. 
Hassein-ben-Ali,  sous-lieut.  ind. 


3^  compagnie. 

MM.  Mas-Mézeran,  capitaine. 

Montignault,  lieutenant  français. 

Mohamed-Bounep,  lieut.  ind. 

Sibille,  sous-lieut.  français. 

Salah-ben-Ossemen,  s.-lieut.  ind. 
4*  compagnie. 
MM.  Besson,  capitaine. 

De  la  Bonninière  de  Beaumont, 
lieutenant  français. 

Bulliod,  sous-lieut.  français. 

Kaddour-ben-Anuo*,  s.-lieut.  ind. 


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[1866]  EN  ALGÉRIE  300 


6*  eompoomie. 

MM.  Maisonneuye-Lacoste,  capitaine. 
Benielli ,  lieutenant  français. 
Achmed,  lieutenant  indigène. 


6*  compagnie. 

MM.  de  Larochelambert,  capitaine. 
Méliz  I  lieutenant  français. 
Mohamed- ben-Ifassein  -Labessi , 

FieatenanC  îningèae. 
Itny,  RoiiA-linutonnnl  frnnçaifi.      | 

7»  compagnie. 

MM.  Corréard,  capitaine. 

Lapcyro,  lieutenant  français. 

Clerc,  sous-lieutenant  français. 

MoImmcd-ben-Charad,  sous-lieutenant  indigène. 

Les  ressources  du  recrutement  furent  largement  suffisantes  pour  porter  à 
son  complet  et  à  Py  maintenir  le  nouvel  eflectif  du  régiment.  Il  est  bon  cepen- 
dant d'ajouter  que  de  grands  avantages  pécuniaires  furent  à  peu  près  en  même 
temps  assurés  aux  soldats  indigènes.  En  vertu  d'un  arrêté  ministériel  du 
9  juin  1866,  les  dispositions  suivantes  étaient  mises  en  vigueur  dans  les  trois 
r^iments  : 

c  Les  rengagements  de  sept  ans  souscrits  par  les  militaires  indigènes  don- 
neront droit  à  une  prime  de  sept  cents  francs  (700  fr.),  dont  trois  cent  cin- 
quante francs  (350  fr.)  payables  au  moment  du  rengagement,  et  trois  cent  cin- 
quante (350  fr.)  à  la  libération  définitive  du  service. 

«  Les  rengagements  contractés  pour  moins  de  sept  ans  donneront  droit, 
jusqu'à  quatorze  ans  de  service,  à  une  somme  de  cent  francs  (100  fr.)  pour 
chaque  année  de  rengagement,  dont  cinquante  francs  (50  fr.)  payables  au  mo- 
ment du  rengagement,  et  cinquante  francs  (50  fr.)  à  la  libération  définitive.  » 

Ces  instructions  faisaient  suite  à  un  décret  du  21  avril  1866,  dont  Tartide 
premier  était  ainsi  conçu  : 

c  Les  troupes  indigènes  de  TAlgérie  font  partie  de  Tannée  française, 
c  Elles  comptent  dans  TelTectif  général.  » 

La  conséquence  la  plus  directe  de  cette  importante  décision  c'était  que, 
d'après  le  môme  décret,  €  dans  le  dernier  trimestre  de  sa  quatrième  année 
de  service,  Tindigène  pouvait  être  admis,  par  le  conseil  d'administration  du 
corps,  à  contracter  un  rengagement  soit  pour  un  corps  indigène,  soit  pour  un 
corps  français.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  indigènes  vinrent  en  foule  pour  s'engager,  et,  le 
l^r  janvier  1868,  le  3^  Tirailleurs  avait  un  eflectif  de  trois  mille  neuf  cent 
cinquante  et  un  hommes. 

Toutes  ces  mesures  avaient  été  prises  sur  l'initiative  du  maréchal  Randon , 
alors  ministre  de  la  guerre.  Personne  plus  que  lui  n'appréciait  les  Tirailleurs 
algériens,  personne  ne  les  connaissait  mieux,  personne  n'était  plus  à  même 


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310  LE  8*  RÊQnOBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1866] 

de  présider  à  leur  organisation  définitive.  Aussi  sa  sollicitude  éclairée  avait- 
elle  porté  sur  tout  ce  qui  pouvait  améliorer  la  situation  morale  et  matérielle 
de  ce  corps.  Nous  avons  vu  qu'en  même  temps  qu'il  augmentait  Teflectif  des 
régiments,  le  ministre  allait  au-devant  des  difficultés  du  recrutement;  qu*au 
point  de  vue  national  il  avait  définitivement  réglé  la  situation  du  soldat  indi- 
gèoe;  mais  il  est  encore  une  autre  question  qui  avait  attiré  particulièrement 
son  attention ,  et  dont  nous  n'avons  point  encore  parlé  :  la  réorganisation  des 
écoles  régimontairos. 

Pour  bien  traduire  la  pensée  qui  on  cela  guidait  le  maréchal ,  nous  ne  pou- 
vons mieux  taire  que  de  reproduire  les  instructions  qu'il  envoyait  à  ce  sujet  au 
maréchal  de  Mac-Mahdn,  gouverneur  général  de  rÂlgérie  ': 


•  Parii,lol9JanTier  iSCO. 

«  Monsieur  le  maréchal,  ma  sollicitude  est  depuis  longtemps  appeléeusur  les 
questions  qui  intéressent  l*ayetiir  des  Tirailleurs  algériens,  et  colle  do  la  com- 
position des  cadres  m'a  paru  surtout  d'une  importance  capitale. 

c  Cest  elle ,  évidemment ,  qui  doit  le  plus  puissamment  contribuer  à  l'assi- 
milation des  corps  indigènes  à  nos  troupes  nationales;  il  est  donc  urgent  de  se 
préoccuper  des  moyens  de  donner  aux  officiers  et  aux  sous-officiers  indigènes 
de  ces  corps  une  instruction  suffisante  pour  les  mettre  à  la  hauteur  do  leurs 
fonctions,  et  roniôdier  aux  difficultés  iiicossautos  qu'occasionne,  dans  tous  les 
détails  du  service,  l'ignorance  absolue  dans  laquelle  se  trouvent  la  plupart 
d'entre  eux. 

«  Il  faut  d'abord  qu'ils  apprennent  à  parler  et  à  écrire  le  français,  tout  au 
moins  à  le  Ure,  afin  qu'ils  puissent  prendre,  par  eux-mêmes,  connaissance  do 
leurs  devoirs,  de  leurs  obligations,  se  rendre  compto  des  consignQS,  des  ordres 
écrits  relatifs  aux  mille  détails  du  service  journalier,  faire  les  appels,  etc. 

c  Dans  ce  but,  j'ai  décidé  que  des  cours  spéciaux  seraient  institués  dans  les 
régiments  do  Tirailleurs,  les  uns  |K)ur  los  officiers,  les  autres  |K>ur  les  liouimos 
de  troupe. 

c  Qu'en  outre,  des  écoles  régimentaires.  seraient  créées  dans  ces  corps  afin 
d'y  préparer,  pour  l'avenir,  des  éléments  propres  à  alimenter  les  cadres  indi- 
gènes. Ces  écoles  se  recruteraient  d'enfants  arabes  ou  d'orphelins  appartenant 
à  un  titre  quelconque  aux  militaires  du  régiment ,  et  qui ,  au  moyen  de  l'ins- 
truction qui  leur  serait  donnée,  offriraient,  plus  tard,  les  ressources  et  les 
garanties  désirables  pour  occuper  utilement  les  divers  emplois  dans  les 
cadres...  » 

Venaient  ensuite  des  ordres  de  détail  pour  le  fonctionnement  de  ces  diffé- 
rentes écoles.  En  ce  qui  concerne  le  dernier  paragraphe  de  la  lettre  ci-dessus, 
le  nombre  des  enfonts  à  instruire  dans  le  régiment  était  fixé  à  soixante.  Cette 
instruction  devait  être  donnée  sous  la  direction  d'ofiiciers  et  de  sous-ofliciers 
spécialement  désignés  pour  ce  service ,  et  sous  la  haute  surveillance  du  dicf 
de  corps. 

En  exécution  de  ces  différentes  prescriptions,  des  cours  de -français  et 
d*arabe  furent  organisés  au  régiment,  et,  grAca  à  l'impukion  donnée  par  le 


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[1866]  EN  ALGÉRIE  31! 

colonel  Gandil,  les  résultats  furent  bientAt  dos  plus  Fatisfatsants.  Du  21  août 
au  31  décembre  1866,  vingt-quatre  enfants  furent  admis;  Tannée  suivante , 
il  y  en  eut  encore  vingt-sept;  enfin  le  chiffre  de  soixante  fut  complété  dès  les 
premiers  jours  de  1868.  Le  lieutenant  Montignault  »  chargé  de  la  direction  et  de 
la  survcillanco  do  ces  cnfnnls,  apporta  dans  cetto  mission' beaucoup  de  cœur 
et  d*inlclligcnco,  et  ne  marchanda  pas  ses  efforts  pour  préparer  ses  jeunes 
élèves  à  Tavenir  auquel  ils  se  destinaient.  Beaucoup  de  ceux-d  n'auront  pas 
oublié  cet  excellent  officier,  à  qui  ils  doivent  en  partie  la  situation  qu'ils  peuvent 
occuper  aujourd'hui. 

L*année  18GG  ne  fut  guère  signalée  que  par  les  modifications  d'un  ordre 
purement  constitutif  ou  administratif  que  nous  venons  d'enregistrer.  Les  nom- 
breuses opérations  des  années  précédentes  avaient  porté  leurs  fruits,  et  le 
calme  le  plus  complet  régnait  maintenant  dans  toute  l'Algérie.  Il  ne  fallait 
cependant  pas  trop  se  fier  à  cette  paix  apparente  qu'un  rien  pouvait  troubler, 
et  le  mieux  était  de  prévoir  les  événements  futurs.  Aussi ,  quelque  tranquille 
que  fût  le  sud  de  la  province  de  Constantine,  il  n'en  fut  pas  moins  décidé 
qu'une  colonne  d'observation,  sous  les  ordres  du  colonel  Gandil,  irait  passer 
l'hiver  à  Bou-Saâda ,  afin  d'éloigner  par  sa  présence  toute  possibilité  d'insur- 
rection (le  cctln  rrgion  si  trnvailIt'H^  par  les  agitateurs. 

Celle  colonne  fui  formée  le  l^'*'  octobre,  et  se  composa  de  cinq  compagnies 
du  36°  de  ligne,  deux  du  3«  Tirailleurs  (S®  du  2«  bataillon,  capitaine  Rapp; 
2°  du  3®  bataillon  ,  capitaine  Legrand),  deux  escadrons  du  6*  chasseurs,  un 
peloton  du  3*  spahis  et  une  section  d'artillerie.  Elle  fut  dissoute  le  10  mars 
1867,  sans  avoir  pris  part  à  aucune  opération  méritant  d'être  mentionnée. 

Dans  le  courant  de  l'année  1867  eut  lieu,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  la 
rentrée  des  deux  compagnies  qui  se  trouvaient  au  Mexique,  et  le  retour  du 
bataillon  qui  avait  été  détaché  à  Paris.  Ce  dernier  quitta  la  capitale  le  1"' juin, 
s'embarqua  à  Toulon  le  4,  débarqua  à  Pbilippeville  le  6,  et  arriva  à  Constan- 
tine le  10. 

A  peine  sortie  des  épreuves  d'une  guerre  de  plus  de  trente  années ,  l'Algérie 
allait  voir  s'abattre  sur  elle  des  calamités  qui  devaient  entraîner  des  maux 
dépassant  tous  ceux  qu'elle  avait  connus  jusque-là  :  pendant  deux  années,  en 
1867  et  en  1868,  le  choléra,  le  typhus  et  la  famine  allaient  jeter  partout  le 
deuil  et  la  consternation. 

Le  premier  de  ces  fléaux  fit  son  apparition  dans  le  mois  d'avril  1867,  et 
s'étendit  rapidement  dans  les  trois  provinces,  exerçant  particulièrement  ses 
ravages  sur  les  Européens.  Une  des  régions  qui  furent  les  plus  éprouvées  fut 
celle  de  Biskra  ;  toutes  les  troupes  françaises  qui  composaient  la  garnison  de 
cette  ville  durent  être  rappelées  dans  le  nord,  et  seule  la  5«  compagnie  du 
3°  bataillon  continua,  avec  un  rare  dévouement,  à  assurer  le  service  de  ce 
poste  important.  Elle  y  perdit  son  capitaine,  M.  Roux-Beaufort,  et  son  lieu- 
tenant, M.  Boswiel,  deux  officiers  de  grande  valeur  qui  surent  jusqu'au  bout 
donner  l'exemple  de  la  plus  noble  abnégation. 

Ce  ne  furent  pas  là  les  seuls  actes  de  courage,  les  seuls  sacrifices  qu'eut  à 
enregistrer  le  régiment  pendant  cette  terrible  épidémie;  partout  les  Tirailleurs 
se  montrèrent  ce  qu'ils  avaient  été  en  1854  dans  la  Dobrutscha  et  à  Varna, 


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318  LE  3®  RÉOIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE        [1869 

et  firent  preuve  de  ce  généreux  sentiment  qui  porte  aussi  bien  l'homme  yéri- 
tablement  braye  au-devant  de  la  mort  obscure  des  hApitaux  que  de  celle  re- 
tentissante  des  champs  de  bataille.  La  liste  des  récompenses  qui  forent  données 
au  corps  pour  les  services  qu'il  avait  rendus  dans  ces  douloureuses  circon- 
stances en  dira  plus  que  nous  ne  pourrions  le  faire  sur  la  conduite  de  nos 
valeureux  soldats. 
Par  décret  du  14  décembre  1867,  il  fut  décerné  : 

Deux  médailles  d'or  (MM.  Rinn,  lieutenant. 

de  l'*  classe.      (         Guyon-Desdiguières,  sous-lieutenant. 

Une  médaille  d'or (»  o  i  l  i.      al     j  i-    * 

.    ^0  1  {H.  Salah-ben-Ahmed,  sous-lieutenant. 

Due  médaille  dWenlf»  ^,  . 

de  1"  classe.        (M.  Claisse,  sergent. 

Une  médaille  de  bronze.  {  M.  Rouget,  sergent-fourrier. 
Par  décret  du  21  décembre  reçurent  : 


La  croix  do  chevalier 
dû  la  Légion  d'honneur. 


MM.  Règne,  sous-lieutcnanl. 
Ali-bcn-Osman ,  lieutenant. 
Verrière,  adjudant. 

1MM.  Mohamed*ben-M*Ahmoud ,  caporal. 
Ali-bon-Brahim ,  Tirailleur. 
Messaoud-ben-Ahmed,  Tirailleur. 

Au  choléra  succéda  le  typhus.  De  nombreuses  victimes  marquèrent  encore, 
pendant  l'année  1868,  le  passage  de  ce  redoutable  visiteur.  Parmi  ces  der- 
nières, nous  signalerons  :  M.  Janvier,  médecin -major  do  l'»  classe,  mort  à 
Bougie  en  combattant  l'épidémie,  et  MM.  Boscary  et  Moktar-ben-Youssef ,  lieu- 
tenants, décédés,  le  premier  à  Djidjelli,  le  second  à  Conslantino. 

Par  décret  du  4  août  1868,  les  récompenses  suivantes  étaient  accordées  à 
ceux  qui  s'étaient  le  plus  fait  remarquer  en  donnant  des  soins  à  leurs  cama- 
rades : 

Deux  médailles  d'argent  [MM.  Magand,  sergent. 

de  1^*  classe.  (         Mohamed-bcn-AbdalIah ,  caporal. 

Dne  médaille  de  bronze.  |  M.  Resqui-ben-Mohamed ,  Tirailleur. 

En  1869,  ce  fut  encore  au  tour  du  3<»  Tirailleurs  de  fournir  le  bataillon  qui 
devait  passer  un  an  à  Paris.  Le  1^  juin ,  les  six  premières  compagnies  du 
2«  bataillon  (commandant  Clemmer)  quittèrent  Constantine  avec  un  effectif 
de  six  cent  vingt  hommes;  le  10,  elles  s'embarquèrent  à  Philippeville,  et, 
le  16,  arrivèrent  à  destination.  Ce  bataillon  rentra  l'année  suivante,  quelques 
jours  seulement  avant  la  déclaration  de  guerre. 


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GUERRE  CONTRE  L'ALLEMAGNE 

(1870-1871) 


CHAPITRE  XIV 

ARMÉE  DU  RHIN 


Déclaration  de  guerre.  —  Départ  des  1*',  %•  et  3«  bataillons  pour  l'armée  du  Rhin.  — 
Arrivée  à  Strasbourg.  —  Cioncentration  autour  de  Wœrth.  —  Journée  du  5  août.  — 
Bataille^  de  Frœschwlller  (6  août).  ~  Retour  sur  Sayeme.  —  Pertes  subies  par 
le  régiment. 


Nous  voici  arrivés  à  Tune  des  pages  les  plus  douloureuses  de  notre  histoire, 
à  la  première  de  cet  historique  en  haut  de  laquelle  vienne  se  placer  le  mot 
défaite;  page  inachevée,  qui  sera  reprise  un  jour,  et  qui,  nous  l'espérons, 
se  terminera  alors  par  le  mot  revanche.  Elle  a  pour  titre  une  simple  date  : 
Mil  huit  cent  soixante -dix, 

Jusqu*ici ,  que  nous  ayons  suivi  lea  Tirailleurs  de  la  province  de  Constan- 
tine  dans  leurs  longues  et  pénibles  expéditions  en  Algérie,  dans  les  péripéties 
émouvantes  d'un  siège  mémorable  en  Grimée ,  dans  leurs  courtes  mais  immor- 
telles étapes  en  Italie,  dans  les  fatigues  sans  nombre  d'une  campagne  au 
Sénégal ,  dans  leur  séjour  prolongé  sous  le  climat  meurtrier  de  la  Cochinchine, 
dans  leurs  récents  et  glorieux  exploits  dans  le  nouveau  monde;  que  nous  les 
ayons  vus  en  face  d^Arabes,  de  Kabyles,  de  Russes,  d'Autrichiens,  de  Man- 
dingucs,  d*Annamitc8  ou  de  Mexicains,  partout  la  victoire  a  accompagné  leur 
drapeau  et  fait  naître  chez  eux  une  confiance  illimitée  dans  les  destinées  de  la 
France,  leur  nouvelle  patrie.  Pour  ces  intrépides  soldats,  il  n'était  pas  possible 
que  notre  beau  pays  fût  jamais  vaincu.  Quelle  nation  pouvait,  en  effet,  être 


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314  LE  3*  RÉOIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [i870] 

asses  forte  pour  battre  celle  qui  les  avait  soumis,  eux;  qui  avait  eu  raison  de 
leur  héroïque  résistance  et  fait  flotter  ses  trois  couleurs  depuis  le  sommet  le 
plus  élevé  de  la  Kabylie  jusqu'à  la  dernière  oasis  du  désert?  Aucune.  Et 
dans  leur  assurance  sans  forfanterie  ils  se  croyaient  aussi  invincibles  que  le 
peuple  dont  la  fortune  était  devenue  la  leur.  Après  tant  de  gloire  moissonnée 
dans  tant  de  pays  différents,  après  tant  de  combats  dont  chacun  était  un 
succès,  les  jours  de  revers  allaient  cependant  arriver;  de  même  que  toute  cette 
vaillante  armée  qui,  comme  eux,  portait  sur  ses  étendards  les  noms  encore 
retentissants  de  Sébastopol,  de  Magenta  et  do  Solférino,  ils  devaient,  eux 
aussi,  connaître  les  tristes  épreuves  de  la  défaite  et  l'humiliation  de  la  cap- 
tivité; et,  plus  surpris  que  démoralisés,  ils  allaient  se  demander  s*il  n'y  avait 
pas  là  une  erreur  du  destin,  un  malentendu  entre  le  ciel  et  nous,  ou  bien 
quelque  expiation  passagère  qu'il  fallait  subir  sans  se  plaindre  en  attendant 
qu'une  nouvelle  faveur  d'en  haut  nous  rendit  notre  force  et  notre  grandeur. 
Pur  fatalisme,  qui,  sans  les  laisser  indifférents  à  nos  malheurs,  les  leur  fai- 
sait envisager  comme  une  chose  écrite  du  doigt  même  de  Dieu. 

Le  13  juillet  1870,  c'est-à-dire  quarante-huit  heures  avant  que  la  décla- 
ration de  guerre  fût  officiellement  annoncée,  le  colonel  Gandil  reçut  Tordre 
de  se  tenir  prêt  à  partir  pour  la  France  avec  trois  bataillons  de  son  régiment. 
Ces  derniers  devaient  être  organisés  sur  le  pied  de  guerre,  comprendre  six 
compagnies  chacun  et,  réunis ,  présenter  un  effectif  total  de  deux  mille  deux 
cents  combattants.  Les  l^'',  2^  et  3^  ayant  été  désignés,  on  s'occupa  aussitôt 
de  compléter  à  l'effectif  réglementaire  leurs  six  premières  compagnies ,  et  de 
mettre  en  état  l'armement,  l'équipement  et  l'habillement  des  hommes  appelés 
à  en  faire  partie.  Au  bout  de  trois  jours,  le  3*  Tirailleurs  était  sous  les  armes, 
n'attendant  qu'un  signal  pour  se  rendre  à  Philippeville ,  où  la  portion  prin- 
cipale devait  s'embarquer,  pendant  que  le  l^**  bataillon  et  la  l^*  compagnie 
du  2*,  alors  à  Bône,  attendraient  dans  cette  ville  le  transport  désigné  pour 
les  emmener. 

Voici  quelle  était  la  composition  du  régiment  qui  venait  d'être  ainsi  mobi- 
lisé : 


MM. 


ÉTAT-lfAIOR 

Gandil, 

colonel. 

Barrué, 

lieutenant-colonel. 

Mondielli, 

sous-lieutenant  porte-drapeau. 

Soulice, 

sous-lieutcnant  oflîcier  payeur. 

Reboud , 

médecin-major  de  1"^  classe. 

Ferron, 

médecin  aide-major  de  1*^  classe, 

!•'  BATAILLON 

MM.  Clemmer,        chef  de  bataillon. 

Chevreuil ,       capitaine  adjudant-major. 


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[1870] 


EN  FRANGE 


315 


l»"»  compagnie, 

MM.  Besson ,  capitaÎDe. 

Beniclli,  lieutenant  français. 
Clerc,  sous-lieutenant  français. 
HonlarM>on-Tmol),  sous-l.  inil. 


2«  compagnie, 

MM.  Ducoroy,  capitaine. 

Fay,  lieutenant  français. 
Blumendalh ,  sous-lieut.  fr. 
Lagdar-ben-el-Achi,  s.-l.  ind. 

3«  compagnie, 

MM.  Petiljean ,  capitaine. 

Soumagnc,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Toudji,  lient,  ind. 
Spoltz,  sous-lieut.  français. 
Larbi-bcn-cMIaoussin,  s.-I.  ind. 


4«  compagnie. 


MM.  Matthieu,  capitaine. 

Lalanno  des  Camps,  lient,  fr. 
Abderrahman-ben-Ekarfi ,  lieu- 
tenant indigène. 
Walroir,  sous-liout.  français. 
Garmi-ben-Tahar,  s.-lieut.  ind. 

5*  compagnie. 

MM.  Mas-Mézeran,  capitaine. 

Sauvage,  lieutenant  français. 


MM. 


fr* 


Krélill-ben-Moliamcd ,  s.-I.  ind. 


2^    BATAILLON 

MM.  Aubry,        chef  de  bataillon. 

Brault,        capitaine  adjudant-major. 


!»••  compagnie. 

MM.  Henry,  capitaine. 

Uulhmann,  lieutenant  français. 
Tahar-ben-Amouda,  lient,  ind. 
Garnier,  sous-lieutenant  fr. 
Mustapha-ben-Amar,  s.-l.  ind. 

2«  compagnie. 

MM.  De  Bourgoing,  capitaine. 
Kolb,  lieutenant  français. 
Lagdar-bel-Haoussin ,  lient,  ind. 
Bruzeaux,  sous-lieutenant  fr. 
Saïd-ben-Taya,  sous-lieut.  ind. 

3«  compagnie. 

MM.  WoroniezdePawenza,  capitaine. 
Bosquette,  lieutenant  français. 
Dufour ,  sous-lieutenant  fr. 
Mohamed-ben-Taîeb,  s.-l.  ind. 


4»  compagnie. 

MM.  Roux ,  capitaine. 

Roy,  lieutenant  français. 
Ilassein-ben-Ali ,  lient,  ind. 
Clausset,  sous-lieut.  français. 
Kacem-ben-Mohamed ,  s.-l.  ind. 

5®  compagnie. 

MM.  Rapp,  capitaine. 

Darolles,  lieutenant  français. 
Soulice,  sous-lieut.  français. 
Amar-ben-Brahim ,  s.-l.  ind. 

6«  compagnie. 

MM.  Deschamps,  capitaine. 

Hardouin,  lieutenant  français. 
Davoine,  sous-lieutenant  fr. 
Larbi-ben-Oucif,  sous-lieut.  ind. 


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310 


LE  8*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1870] 


3«   BATAILLON 


MH.  Thiénot, 
LeGrontec, 

l'*  compagnie. 

MM.  Hontignault ,  capitaine. 
Gillet,  lieutenaDt  français. 
Macarex,  sous-lieutenant  fir. 
Zénati-ben-Serir,  s.-i.  ind. 

2^  compagnie. 

MM.  Deiahogue,  capitaine. 

Donin  de  Rosière,  lieut.  fr. 
Ali-ben-Ahmed,  lient,  ind. 
Anglade,  sous-lieutenant  fr. 
Mustapha-ben  -el-hadj  -Otman, 
sous-lieutenant  indigène. 

3*  compagnie, 

MM.  Giraud ,  capitaine. 

Pétiaux ,  lieutenant  français. 
Bcrnad ,  sous-licutenant  fr. 
Abmed-ben  -el  -  Haou.^sin ,  sous- 
lieutenant  indigène. 


^'"-  f  ^: 


chef  de  bataillon, 
capitaine  adjudant-major. 


4^  compagnie, 

MM.  Emy ,  capitaine. 

Guillaume ,  lieutenant  français. 
Renoux ,  sous-lieutenant  fr. 
Salab-beu-Abmed ,  s.-I.  ind. 

5«  compagnie, 

MH.  De  Larocbelambert ,  capitaine. 
Lafon,  lieutenant  français. 
Règne,  sous-lieutenant  fr. 
Salah-ben-Tahar,  s.-l.  ind. 


6*  compagnie. 

MM.  Gillot,  capitaine. 

Doaumont,  lieut.  français. 
Pasqualini,  sous-lieut.  fr. 
AIssa-ben-el-Hadj  -  Assein ,  sous- 
lieutenant  indigène. 

89 

2200 


Dans  la  matinée  du  17,  on  reçut,  du  train  des  équipages  militaires,  des 
mulets  bâtés  et  bamachés  destinés  au  transport  des  bagages.  Ces  animaux 
n'allaient  heureusement  pas  être  utilisés;  car  leur  livraison,  faite  à  la  bâte, 
au  dernier  moment,  se  ressentit  par  trop  de  cette  précipitation  :  les  bâts  et 
les  harnachements  n'étaient  pas  ajustés,  la  plupart  no  pouvaient  mémo  pas 
servir,  et  le  corps  n'avait  pas  un  seul  ouvrier  pour  les  mettre  en  état.  Ce 
n'était  là  du  reste  qu'un  premier  exemple  des  nombreuses  négligences  <|u'on 
allait  avoir  à  relever  dans  le  cours  de  cetle  guerre,  en  vue  de  laquelle  rien 
n'avait  été  préparé. 

Le  même  jour,  vers  midi,  le  détachement  qui  devait  s'embarquer  à  Phi- 
lippevUle  quitta  Constantine  aux  acclamations  de  la  population  et  prit  le 
chemin  de  fer  pour  se  rendre  dans  ce  port.  Il  y  arriva  le  soir  même  et  s'in- 
stalla dans  l'intérieur  de  la  ville,  le  long  du  rempart  ouest. 

Retardé  par  l'état  de  la  mer ,  le  premier  embarquement  n'eut  lieu  que  le 
20  juillet,  à  deux  heures  de  l'après-midi.  Ce  jour-là,  l'élat-major,  lcs2<^, 
3«,  4«,  5«  et  6<»  compagnies  du  2«  bataillon  et  la  i^  du  3«  prirent  passage  sur 
la  Dryade,  à  destination  de  Toulon.  Le  lendemain,  s'effectua  sans  accidejit 


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[!870l  EN  FRANCE  317 

la  mise  à  bord  des  chevaux  et  des  mulets;  puis,  à  trois  heures  du  soir,  la 
Dryade  leya  i*ancre,  et  quelques  instants  après  disparut  à  l'horixon.  Que  de 
ceux  qu'elle  emportait  ne  devaient  plus  revenir  I 

Le  !«■'  bataillon  et  la  l^^  compagnie  du  2«  à  B6ne,  ainsi  que  les  cinq  der- 
nières compagnies  du  3«  bataillon  restées  à  Philippeville,  durent  attendre 
jusqu'au  28  juillet.  Enfin  ces  fractions  s'embarquèrent  à  leur  tour  pour  re- 
joindre le  restant  du  corps  qui,  lorsqu'elles  arrivèrent  en  France,  avait  déjà 
été  dirigé  sur  le  Rhin.  La  Dryade  était  en  eflet  arrivée  à  Toulon  le  23;  elle 
avait  immédiatement  mis  à  terre  le  personnel  et  le  matériel  qu'elle  amenait 
d'Algérie,  et,  le  lendemain  à  neuf  heures  du  soir,  le  colonel  Gandil  et  ce  qu'il 
avait  de  son  régiment  avaient  pris  le  chemin  de  fer  pour  se  rendre  à  Stras- 
bourg, où  se  concentrait  le  l^**  corps  d'armée. 

Le  voyage  dura  doux  jours  ;  on  traversa  successivement  Lyon ,  Dijo  i , 
Besançon  et  Bcifort.  L'enthousiasme  des  populations  était  à  son  comble;  à 
partir  de  Lyon  surtout,  il  se  manifesta  parfois  d'une  façon  irraisonnable  et 
nuisible  à  la  discipline  :  de  trop  copieuses  et  trop  fréquentes  distributions  de 
liquides  furent  faites  à  nos  soldats,  alors  que  ceux-ci,  la  plupart  du  temps, 
n'avaient  seulement  pas  mangé,  et  non  seulement  il  en  résulta  quelques  petits 
désordres,  mais  encore  un  certain  nombre  d'hommes  en  furent  assez  sérieu- 
sement malodcs  pendant  plusieurs  jours.  Il  eût  été  beaucoup  plus  rationnel , 
avec  l'argent  qui  fut  gaspillé  ainsi,  de  préparer,  dans  certaines  gares  dési- 
gnées d'avance,  du  café  qui  aurait  été  rapidement  distribué,  ou  bien  un  léger 
repas  froid  que  les  hommes  auraient  emporté  pour  le  consommer  en  route. 
Mais  qui  alors  aurait  eu  une  idée  aussi  simple  et  aussi  pratique  à  la  fois? 

A  son  arrivée  à  Strasbourg,  le  26  à  sept  heures  du  soir,  le  colonel  Gandil 
apprit  que  le  3«  Tirailleurs  était  compris  dans  la  2«  brigade  (général  Lacre- 
telle)  de  la  4^  division  (général  de  Lartigue)  du  l***  corps  d'armée  (maré- 
chal <lc  Mac-Mahon). 

Jusqu'au  4  août,  le  régiment  resta  campé  sur  le  glacis  de  l'ouvrage  n^  42. 
On  profita  de  ce  repos  pour  reverser  au  train  des  équipages  militaires  les  mulets 
et  les  bâts  qu'on  en  avait  reçus  à  Constantine  ;  ils  furent  remplacés  par  des 
voitures  de  transport  achetées  dans  le  commerce,  les  magasins  n'en  ayant  pas 
assez  pour  fournir  à  tous  les  besoins.  On  constitua,  en  même  temps,  un  petit 
dépôt  destiné  à  garder  les  approvisionnements  d'effets  apportés  d'Algérie,  et 
qui  se  composa  d'un  sous-officier  (sergent  Blanc)  et  de  six  Tirailleurs.  Le  3, 
arrivèrent  les  cinq  dernières  compagnies  du  3«  bataillon  avec  le  commandant 
Thiénot. 

La  division  de  Lartigue  avait  reçu  Tordre  de  se  porter  à  Haguenau.  Le 
4  août,  les  2«  et  3^  bataillons  prirent  le  chemin  de  fer  à  midi,  et  en  descen- 
dirent à  quatre  heures  pour  aller  camper  à  trois  kilomètres  à  l'ouest  de  la 
ville  sur  la  rive  droite  de  la  Moder.  A  sept  heures  du  soir ,  ils  y  furent  rejoints 
par  le  h'  bataillon  et  la  l'*  compagnie  du  2*  qui,  partis  de  Toulon  le  2  août, 
avaient  été  transportés  à  RcichshoOen,  d'où  on  les  avait  ensuite  fait  rétro- 
grader sur  Haguenau ,  qu'ils  allaient  quitter  le  soir  même  pour  refaire  exacte- 
ment le  chemin  qu'ils  venaient  de  parcourir.  A  partir  de  ce  moment,  le 
régiment  se  trouva  au  complet.  Le  87*  de  ligne,  désigné  pour  faire  brigade 


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318      "  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  AL0ÉRIEN8  [1870] 

avec  lui,  était  resté  à  Strasbourg  pour  Tonner,  avec  quelques  bataillons  de  la 
mobile  et  quelques  dépôts,  la  garnison  de  celte  place  en  cas  de  siège* 
Dans  la  soirée  du  4 ,  on  apprit  Técbec  de  Wissembourg. 
Depuis  le  jour  de  la  déclaration  de  guerre,  les  événements  avaient  marché 
avec  une  effrayante  rapidité.  A  peine  deux  semaines  s'élaient-elles  écoulées, 
que  déjà  le  canon  tonnait,  que  déjà  notre  territoire  était  envahi  et  que  Ten- 
nemi  chassait  devant  lui  les  débris  de  l'une  de  nos  plus  belles  divisions. 
Funestes  présages  qui  changèrent  tout  à  coup  l'enthousiasme  de  la  première 
heure  en  un  morne  abattement,  en  une  irrésolution  générale  qui  devait  bientôt 
paralyser  Faction  commune  en  permettant  aux  petites  jalousies  et  aux  grandes 
ambitions  de  se  faire  jour. 

Le  moment  n'était  cependant  pas  aux  hésitations,  et  il  eût  fallu  remédier 
immédiatement  à  ce  qu'avait  de  défectueux  la  répartition  de  nos  forces  en  ne 
formant  de  celles-ci  qu'une  seule  masse,  avec  laquelle  on  serait  peut-être 
arrivé  à  arrêter  les  progrès  dos  Allemands.  Au  lieu  de  cela,  l'onipercur  se 
contenta  de  diviser  son  armée  en  deux  groupes,  dont  les  maréchaux  de  Mac- 
Mahon  et  Bazaine  reçurent  le  commandement,  sans  donner,  ni  à  Tun  ni  à 
l'autre  de  ces  deux  chefs,  des  instructions  précises  quant  au  plan  qu'il  s'agis- 
sait d'adopter.  De  cette  faute  allait  résulter  la  sanglante  défaite  de  Fresch- 
willer. 

Le  premier  soin  du  maréchal  de  Mac-Mahon,  sous  les  ordres  duquel  se 
trouvaient  les  1*'',  5«  et  7*  corps,  fut  de  concentrer  toutes  ses  troupes  dans 
une  bonne  position  défensive  en  avant  de  llaguenau,  sur  la  rive  droite  de 
la  Sauerbach,  de  façon  à  couvrir  les  routes  de  Bitche  et  de  Saveme,  et  de  se 
ménager  au  besoin  une  retraite  sur  Nancy.  Mais,  de  tous  ces  corps,  un  seul, 
le  l*',  se  trouvait  sous  sa  main  :  le  5^  (général  de  Failly)  était  à  Bitche,  et 
le  7«,  resté  à  Belfort,  n'avait  encore  qu'une  seule  division  (!■'•)  en  état  de 
marcher. 

En  vertu  de  ces  nouvelles  dispositions,  la  division  de  Lartigue  quitta  llague- 
nau le  4,  à  neuf  heures  du  soir,  et  se  dirigea  au  nord,  à  travera  la  vasto  forêt 
qui  s'étend  depuis  cette  ville  jusqu'au  delà  de  la  Sauerbach.  Le  3«  Tirailleurs 
formait  l'avant- garde  :  venait  d'abord,  prête  à  se  déployer,  la  l**  compagnie 
du  3«  bataillon  (capitaine  Montignault),  puis  le  3«  bataillon  (commandant 
Thiénot),  une  batterie  d'artillerie,  le  2<»  bataillon  (commandant  Aubry),  et 
enfin  le  1«>'  ( commandant  Clemmer).  En  avant,  pas  le  moindre  détachement 
de  cavalerie. 

A  environ  trois  kilomètres  de  Haguenau,  on  rencontra  le  50«  de  ligne,  qui 
revenait  de  Wissembourg,  et  qui  confirma  la  nouvelle  de  la  défaite  essuyée 
par  la  division  Abel  Douay.  La  marche  continua  toute  la  nuit,  mal  réglée, 
sans  qu'aucune  des  prescriptions  faites  par  les  règlements  pour  empêcher  les 
différentes  fractions  de  s'4;arer  fussent  observées.  Vers  onze  heures,  on  se 
heurta  tout  à  coup  à  une  nouvelle  troupe  :  c'était  une  brigade  de  cavalerie  qui 
s'était  arrêtée  en  plein  champ  et  y  avait  dressé  son  bivouac,  laissant  ses 
bagages  sur  la  route,  qu'ils  encombraient  complètcuieut.  Enfin ,  à  cinq  heures 
du  matin,  la  division  arriva  sur  la  Sauerbach,  qu'elle  passa  sur  le  pont  do 
Gûnstett ,  pour  aller  occuper  ce  village ,  autour  duquel  furent  envoyées  quelques 


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[1870]  EN  FRANGE  810 

reconnaissances  qui  rentrèrent  sans  avoir  rencontré  un  seul  ennemi.  Après 
quelques  heures  accordées  aux  troupes  pour  se  reposer  et  faire  le  café,  elle 
reçut  Tordre  de  revenir  sur  la  rive  opposée,  pour  former  Textréme  droite  de 
la  ligne  de  bataille  du  l^'  corps  d'armée  sur  les  hauteurs  de  Frescbwîller. 

La  position  qu'elle  allait  occuper,  et  sur  laquelle  elle  devait  combattre  une 
partie  do  la  journée  du  lendemain,  était  un  étroit  plateau,  en  partie  boisé, 
ayant  une  direction  nord -sud  et  une  hauteur  moyenne  de  soixante  mètres 
au-dessus  de  la  vallée.  Au  pied  de  son  versant  est,  et  parallèlement  à  la 
route  de  Wœrth  à  Haguenau,  coulait  la  Sauerbach,  qu'on  passait  sur  de  nom- 
breux ponts,  dont  ceux  de  Wœrth  seuls  avaient  été  détruits;  à  l'ouest,  un 
petit  affluent  de  cette  rivière,  TEberbach,  avait  un  lit  asses  encaissé  pour 
servir  au  besoin  de  seconde  ligne  de  défense ,  et  permettre  d'utiliser  les  hau- 
teurs en  arrière  pour  prolonger  la  résistance  sur  ce  point.  Le  front  que  cette 
division  avait  à  garnir  était  malheureusement  beaucoup  trop  grand  pour  son 
eflectif  ;  réduite  à  dix  bataillons ,  il  lui  fallait  s'étendre  sur  une  ligne  d'environ 
deux  mille  cinq  cents  mètres,  et  cela  à  une  aile ,  c'est-à-dire  dans  une  situa- 
tion l'exposaiit  aux  mouvements  tournants  de  l'ennemi. 

Voici  comment  elle  fut  disposée  : 

A  la  gauche ,  s'appuyant  au  village  d'EIsashausen  et  défendant  la  lisière  et 
les  débouchés  de  Nicdor-Wald,  le  3^  zouaves  (colonel  Boclier)  ;  au  centre,  le 
l*^*"  bataillon  do  chasseurs  (commandant  Bureau);  à  l'extrême  droite,  le 
3o  Tirailleurs,  et  enfîn,  en  seconde  ligne,  le  56^  (colonel  Mena).  En  réserve 
se  trouvait  la  brigade  de  cuirassiers  du  général  Michel.  Sur  la  gauche,  la 
ligne  de  bataille  était  prolongée  par  les  3«  et  1^  divisions  (généraux  Raoult 
et  Ducrot);  sur  la  droite,  elle  s'appuyait  au  village  de  Morsbronn. 

Vers  midi,  au  moment  où  le  bivouac  allait  être  installé,  on  signala  tout 
à  coup  l'approche  de  l'ennemi.  La  4«  division  prit  immédiatement  les  armes. 
Le  régiment  se  porta  en  avant  et  vint  s'établir  à  l'extrémité  du  plateau,  sur 
un  terrain  découvert,  face  au  mamelon  et  au  village  de  Morsbronn,  et  suivant 
une  direction  faisant  un  angle  très  obtus  avec  celle  du  restant  de  la  division. 
Les  i^^  et  3^  bataillons  furent  seuls  déployés;  le  2"  resta  en  colonne,  par 
pelotons  à  demi -distance,  en  arrière  de  la  droite  du  1^.  Un  cordon  de  ti- 
railleurs, formé  par  la  l*^  compagnie  du  3*  bataillon  (capitaine  Montignault), 
fut  envoyé  le  long  de  la  Sauerbach ,  où  s'engagea  alors  une  fusillade  insigni- 
fiante avec  quelques  reconnaissances  prussiennes  qui  se  replièrent  lentement 
vers  le  village  do  Giinslctt.  A  quatre  heures  et  demie,  rien  ne  pouvant  plus 
laisser  croire  ù  un  combat,  nos  trois  bataillons  installèrent  leur  camp  sur  la 
pente  est  du  plateau,  en  face  de  Gûnstett,  dont  les  hauteurs  commençaient 
à  se  couronner  de  vedettes  ennemies.  Pour  la  nuit,  une  compagnie  du  régi- 
ment fut  placée  en  grand'garde  dans  la  direction  de  Morsbronn;  une  autre, 
du  i^  bataillon  de  chasseurs ,  fut  envoyée  de  l'autre  cété  de  la  route  de  Wœrth, 
près  de  la  Sauerbach.  Dans  la  soirée,  le  temps,  douteux  pendant  la  dernière 
partie  de  la  journée,  se  mit  définitivement  à  la  pluie,  et  jusque  vers  quatre 
heures  du  matin  l'eau  tomba  à  torrents  sur  cette  longue  ligne  de  bivouacs, 
dont  les  feux  se  trouvèrent  ainsi  rapidement  éteints. 

Le  jour  parut  sans  qu'aucun  indice  vînt  faire  supposer  qu'une  action  géné- 


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820  LE  3^  RÉQIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

raie  s'engagerait  à  quelques  heures  de  là;  des  coups  de  feu  ayaient  bien  été 
échangés,  pendant  la  nuit ,  entre  nos  avant-postes  et  ceux  de  Tennemi ,  mais 
ces  derniers  n'avaient  encore  fait  tâter  nos  grands'gardcs  que  par  de  simples 
détachements^ 

A  cinq  heures  du  matin,  le  colonel  Gandil  donna  l'ordre  d'aller,  en  armes, 
chercher  à  la  Sauerbach  l'eau  nécessaire  pour  faire  le  café.  La  corvée  fut 
réunie  sous  les  ordres  d'un  officier  par  compagnie ,  et  du  capilaine  Montignault 
pour  tout  le  régiment.  Elle  se  rendit  à  la  rivière  sans  être  inquiéléo;  mais,  au 
inomont  où  les  hommes  voulurent  aller  prendre  du  l'eau,  ils  furent  assaillis 
par  une  vive  fusillade  partant  d'un  moulin  bSli  sur  lu  rive  gaucho  de  la 
Sauerbach ,  qui  avait  été  crénelé  la  veille  par  les  sapeurs  du  jénie  de  la  divi- 
sion ,  qu'on  avait  ensuite  négligé  de  faire  occuper,  et  dans  lequel  une  grand'- 
garde  prussienne  s'était  solidement  établie.  Les  Tirailleurs,  surpris,  un  peu 
en  désordre,  ripostèrent  de  leur  mieux;  mais  ils  durent  cependant  se  replier 
sans  avoir  pris  de  l'eau,  le  feu  de  l'ennemi  devenant  très  meurtrier.  Un  offi- 
cier, le  sous-lieutenant  Krélill-ben-Mohamed,  était  blessé;  un  homme  était 
tué,  et  un  autre  blessé.  A  partir  de  ce  moment,  la  fusillade  continua  entre 
les  avant- postes  allemands  et  ceux  de  la  4*  division. 

A  sept  heures,  quelques  coups  de  canon  se  firent  entendre  dans  la  direction 
de  Wœrth;  mais,  vers  huit  heures,  le  feu  cessa. 

Le  rapport  du  6  prescrivait  un  jour  de  repos  pour  les  troupes;  ce  repos 
devait  être  mis  à  profit  pour  compléter  les  vivres  et  évacuer  sur  Strasbourg 
les  demi -couvertures  de  campement  des  corps  qui  avaient  emporté  les  leurs, 
malgré  les  ordres  donnés.  Personne  ne  s'attendait  donc  à  une  bataille,  pas 
plus  le  commandant  en  chef  que  le  plus  ignorant  des  soldats. 

A  huit  heures  et  demie,  la  canonnade  recommença  et  se  rapprocha  bientôt, 
mêlée  à  une  fusillade  assez  vive  qui  partait  des  deux  rives  de  la  Sauerbach. 
Le  régiment  reçut  l'ordre  de  prendre  les  armes  tout  en  laissant  ses  cuisiniers 
au  camp.  On  ignorait  encore  la  portée  du  combat  qui  s'engageait  :  l'état-major 
général  était  persuadé  que  nous  n'avions  devant  nous  qu'une  reconnaissance 
offensive  qui  ne  serait  pas  sérieusement  appuyée. 

Cependant  la  lutte  prenait  vers  la  gauche  une  intensité  qui  dénotait  plus 
qu'une  simple  démonstration  de  la  part  de  Tennemi;  une  partie  des  1*^  et  3<> 
divisions  avait  dû  s'engager  pour  faire  face  au  danger  qui  venait  de  ce  côté. 
Le  combat  n'allait  pas  tarder  à  s'étendre  aussi  sur  la  droite;  mais,  sur  ce 
point,  nous  allions  avoir  l'initiative  de  l'attaque. 

Dans  le  premier  moment ,  les  l^'  et  3«  bataillons  du  3<»  Tirailleurs  étaient 
restés  sur  l'emplacement  du  camp ,  attendant  des  ordres  pour  agir.  Pendant 
ce  temps ,  le  colonel  Gandil ,  avec  le  2»  bataillon  qu'appuyaient  deux  escadrons 
de  lanciers,  se  portait  sur  le  plateau  découvert  qui  avait  été  occupé  la  veille 
par  le  régiment.  De  là,  il  envoya  les  lieutenants  Hardouin  et  Kolb,  chacun 
avec  une  escouade,  pour  fouiller  les  jardins  et  le  village  de  Morsbronn,  en 
même  temps  qu'il  faisait  explorer  un  petit  bois  à  droite  et  en  arrière  par 
les  deux  escadrons  de  cavalerie.  Ayant  acquis  la  certitude  que  le  village 
n'était  pas  occupé ,  il  donna  l'ordre  au  commandant  Aubry  d'aller  y  prendre 
position  avec  deux  compagnies  (4^  et5«).  Le  restant  du  2<  bataillon  fut 


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[1870]  EN  FRANCE  321 

ensuite  établi  dans  un  chemin  creux  conduisant  de  ReichshofTen  à  Gflnstett, 
Il  était  alors  environ  dix  heures.  Un  instant  auparavant,  le  général  de 
Lartigue  avait  dirigé  sur  le  moulin  de  la  rive  gauche  une  attaque  qui,  exé- 
cutée par  le  !«''  bataillon  de  chasseurs  soutenu  par  une  compagnie  do  zouaves 
et  une  partie  de  Tartillerie  de  la  division ,  avait  déterminé  la  retraite  de 
Tennemi.  Mais,  à  peine  notre  artillerie  avait-elle  eu  ouvert  son  feu,  qu'on 
avait  vu  quatre  batteries  prussiennes,  accompagnées  de  leurs  soutiens,  venir 
prendre  position  sur  les  hauteurs  au  nord -ouest  do  Gûnstett  et  diriger  sur 
nos  douze  pièces  de  quatre  un  tir  des  plus  précis,  dont  la  supériorité  allait 
vite  avoir  raison  des  eflbrts  impuissants  de  nos  artilleurs.  A  ces  quatre  bat- 
teries vinrent  presque  aussitôt  s'en  ajouter  d*autres,  et,  à  partir  de  neuf 
heures  et  demie,  cent  huit  pièces  allemandes  ne  cessèrent  de  tonner  sur  toute 
la  ligne  des  hauteurs  de  la  rive  gaucho,  et  de  faire  pleuvoir  sur  nos  troupes 
une  grôlc  d*obu8  dont  Thumidité  du  sol  atténuait  heureusement  les  elTets. 

L'artillerie  ennemie  ne  tarda  pas  à  être  appuyée  par  des  masses  profondes 
d'infanterie;  bientôt,  le  ii*  corps  bavarois  et  les  v*  et  xi«  corps  prussiens  se 
trouvèrent  en  grande  partie  engagés.  En  face  de  la  division  de  Lartigue, 
mais  n'ayant  encore  en  ligne  qu'une  seule  division,  la  21*,  se  trouvait  le 
xi*'  corps  prussien.  L'une  de  ses  brigades  (la  41*  )  s'était  déployée  le  long  de 
la  Sauerbach,  et  le  l**"  bataillon  de  chasseurs,  après  une  vaine  tentative  pour 
franchir  cette  rivière,  s'était  vu  obligé  de  rétrograder  et  de  venir  prendre 
position  en  arrière  de  la  route  de  Wœrth  à  Haguenau.  Notre  première  ligne  de 
défense  se  trouvant  ainsi  dégarnie,  Tennemi  en  proGta  pour  faire  avancer, 
Tune  par  le  village  de  Sjftichbach ,  l'autre  par  le  pont  de  Gûnstett,  deux  co- 
lonnes de  deux  à  trois  mille  hommes  chacune,  qui  franchirent  la  Sauerbach 
et  s'élancèrent  résolument  à  l'attaque  des  positions  occupées  par  la  4«  divi- 
sion. 

A  la  première  démonstration  de  ce  mouvement  oITensif ,  le  général  de  Lar- 
tigue avait  fait  prolonger,  par  deux  bataillons  du  56<*,  la  ligne  formée  par  le 
l^^  bataillon  de  chasseurs;  puis,  l'ennemi  continuant  à  gagner  du  terrain, 
les  \^^  et  3<*  bataillons  du  régiment,  sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel 
Barrué,  s'étaient  déployés  à  leur  tour,  compagnie  par  compagnie,  et  portés, 
partie  en  soutien  de  l'artillerie,  partie  au-devant  des  colonnes  prussiennes 
qui  s'avançaient  menaçantes  à  l'attaque  du  Nieder-Wald  et  du  plateau  de 
Morsbronn. 

Sur  ce  point,  la  lutte  atteignit  bientôt  à  une  extrême  intensité.  Malgré  le 
feu  écrasant  de  l'artillerie  ennemie,  notre  infanterie  reprit  un  incontestable 
avantage  et  se  maintint  dans  toutes  ses  positions;  malheureusement  elle 
s'épuisait  en  efforts  successifs ,  en  attaques  décousues ,  en  mouvements  isolés 
dont  chaque  commandant  de  compagnie  avait,  pour  ainsi  dire,  l'initiative  et  la 
direction.  Aussi ,  s'ils  n'avançaient  pas,  les  Prussiens  se  maintenaient-ils  sur 
le  terrain  conquis,  et  leurs  masses  toujours  croissantes  continuaient-elles  à 
déboucher  par  le  pont  de  Gûnstett,  que,  faute  de  poudre,  le  génie  n'avait  pu 
faire  sauter. 

Dès  qu'ils  s'étaient  trouvés  dans  cette  furieuse  mêlée,  les  Tirailleurs  avaient 
accompli  des  prodiges;  partout  où  s'était  portée  leur  redoutable  furie,  les 

ai 


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322  LE  3«  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l870l 

Allemands  avaient  dû  reculer;  mais  les  obus  pleuvaicnl  dans  leurs  rangs,  la 
mort  fauchait  soldats  et  officiers  avec  une  effrayante  rapidité.  Déjà  les  capi- 
taines Gillot  et  Deschamps ,  les  lieutenants  Uardouin ,  Benielli  et  Mohamed- 
ben-Toudji  et  le  sous- lieutenant  Pasqualini  étaient  tombés  pour  ne  plus  se 
relever. 

Il  était  onze  heures  et  demie.  Le  colonel  Gandil ,  que  nous  avons  laissé  sur 
Textrème  droite  avec  une  partie  du  2»  bataillon ,  voit  le  manque  d'unité  de 
notre  action  et  les  progrès  des  assaillants.  Une  allaque  vigoureuse  est  indis- 
pensable si  Ton  veut  empêcher  ceux-ci  de  prendre  pied  sur  la  rive  droite  de 
la  Sauerbach.  Il  n*a  avec  lui  que  trois  compagnies  (l''» ,  2<>  et  3<))  ;  il  les  forme 
en  bataille,  s'élance  à  leur  tète,  et  d'un  bond  irrésistibles&ruesur  la  colonne 
ennemie,  qui  immédiatement  rétrograde  en  désordre  vers  le  pont  de  Gûnstett. 
Tout  plie,  tout  cède  devant  cette  charge  à  fond;  les  Tirailleurs  franchissent 
le  pont  à  la  suite  des  Prussiens,  poursuivent  ceux-ci  la  baïonnette  dans  les 
reins,  les  refoulent  jusqu'aux  premières  maisons  de  Uunstctt;  mais  là,  épuisés 
par  TeSort  héroïque,  surhumain,  qu'ils  viennent  de  fournir,  assaillis  par  le 
feu  qui  part  du  village,  ils  doivent  s'arrêter ,  puis  céder  à  leur  tour  et  repasser 
le  pont  pour  venir  se  reformer  en  arrière  et  mettre  un  peu  d'ordre  dans  leurs 
rangs,  qui  viennent  d'être  complètement  décimés.  Parmi  les  morts  on  compte 
le  capitaine  de  Bourgoing,  frappé  glorieusement  à  la  tête  de  la  2^  compagnie, 
et  le  sous -lieutenant  Mustapha-ben-Âmar. 

Ce  mouvement  avait  été  appuyé  directement  par  quelques  compagnies  du 
56»  et,  plus  à  gauche,  par  les  deux  autres  bataillons  du  régiment,  sous  les 
ordres  du  lieutenant -colonel  Barrué.  Il  eut  pour  résultat  de  suspendre 
momentanément  l'attaque  du  Xi<»  corps  prussien,  et  de  maintenir,  pendant 
une  heure  au  moins,  celui-ci  sur  la  rive  gauche  de  la  Sauerbach.  Si  à  ce 
moment  le  feu  de  notre  artillerie  n'eût  pas  été  presque  entièrement  éteint  ;  s'il 
y  eût  eu  là  des  troupes  fraîches,  une  division  du  corps  de  Failly  par  exemple, 
pour  seconder  la  tentative  de  la  division  do  Larliguo,  pour  soutenir  le 
3«  Tirailleurs,  qui  était  déjà  entré  comme  un  coin  vivant  dans  l'épaisse  ligne 
des  bataillons  ennemis,  nul  doute  que,  sur  ce  point  du  moins,  l'avantage  ne 
se  fût  déclaré  pour  nous,  et  que  les  Prussiens  n'eussent  été  mis  dans  l'impos- 
sibilité d'exécuter  le  fameux  mouvement  tournant  qui  devait  placer  notre 
droite  dans  une  situation  désespérée  et  la  contraindre  à  une  retraite  précipitée. 
Hais,  au  lieu  des  renforts  qui  auraient  été  nécessaires  pour  profiter  de  ce  fugitif 
retour  de  fortune,  il  ne  restait  que  des  troupes  exténuées,  cruellement  éprou- 
vées par  la  lutte  sanglante  qu'elles  venaient  de  soutenir  et ,  chose  terrible , 
bien  prèé  de  voir  leurs  munitions  s'épuiser. 

A  Morsbronn,  après  avoir  occupé  le  village  en  plaçant  une  compagnie  (la 
4«,  capitaine  Roux),  aux  diverses  issues  et  en  conservant  l'autre  (la  5«, 
capitaine  Rapp),  en  réserve  dans  le  cimetière,  dont  les  murs  offraient  un 
excellent  abri  contre  la  mousqueterie ,  le  commandant  Aubry  était  monté  dans 
le  clocher  de  l'église  pour  surveiller  les  manœuvres  de  l'ennomi.  Il  assista 
de  là  à  la  phase  que  nous  venons  do  raconter,  et  put  constater  chez  les  Alle- 
mands l'immobilité  qui  lui  succéda;  mais  bientôt  il  vit  de  fortes  colonnes 
d'infanterie  prononcer,  à  la  faveur  des  bois,  un  grand  mouvement  envelop- 


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I?* 


£■& 


[1870]  EN  FRANGE  323 

¥  '  pant  se  prolongeant  jofique  sur  les  derrières  de  Morsbronn  et  menaçant  tout 

^^  le  flanc  droit  de  la  4«  division.  Il  en  informa  aussitôt  le  général  Lacretelle, 

■^  qui  Tint  lui-même  yérifier  le  fait  et  juger  de  sa  gravité.  Les  Prussiens  avaient 

'^^  déjà  franchi  la  rivière  à  Dûrrenbach,  dont  les  ponts,  pour  les  mêmes  raisons 

que  celui  de  Gfinstctt,  n'avaient  pas  été  détruits,  et  dans  un  instant  Mors-    • 
^^'  bronn  allait  être  attaqué.  Défendre  ce  village  avec  deux  compagnies,  il  n'y 

fallait  pas  songer;  le  général  ordonna  qu'on  TévacuAt.  Le  mouvement  s*ef- 
'^  fectua  sous  un  feu  très  vif  d'artillerie,  et  le  commandant  Aubry,  avec  sa 

petite  troupe,  se  porta  dans  la  partie  de  la  plaine  située  entre  la  Biberbach  et 
m  la  route  de  Lembach  à  Ilaguenau ,  et  chercha  à  se  relier  aux  autres  bataillons 

2«  qui  se  trouvaient  de  nouvenu  vigoureusement  engagés  avec  les  forces  enne- 

1  mies  descendant  de  Gûnstett  et  s'avançant  vers  le  pont  de  la  Sauerbach. 

il  Mais  notre  ligne  commençait  à  faiblir;  il  allait  se  trouver  séparé  d'elle  par  le 

■i  gros  des  Allemands;  il  battit  alors  en  retraite,  et  vint  s'établir  dans  le  chemin 

^  creux  qui  mène  de  Morsbronn  à  Gûnstett.  Prévoyant  que  sa  résistance  sur  ce 

j  point  ne  pourrait  être  de  longue  durée,  il  envoyait  en  même  temps  chercher 

f  des  ordres  auprès  du  général  de  Lartigue.  Ceux-ci  ne  se  firent  pas  attendre  : 

il  devait  rallier  autour  de  lui  tout  ce  qu'il  trouverait  sous  sa  main ,  et  choisir, 
en  orrièro,  une  lionne  position  défensive  pour  proti^gor  par  des  feux  le  mou- 
vement rétrograde  des  autres  troupes  de  la  division.  A  peine  établies,  nos 
compagnies  eurent  à  soutenir  une  fusillade  très  vive  avec  les  têtes  de  colonne 
de  l'infanterie  ennemie,  qui  commençait  à  déboucher  par  trois  côtés  à  la  fois  : 
par  les  pentes  faisant  face  à  Gûnstett,  par  le  village  de  Morsbronn,  et,  tout 
à  fait  sur  nos  derrières ,  par  la  vallée  de  l'Eberbach.  Le  commandant  Aubry 
tint  jusqu^au  dernier  moment,  et  permit  ainsi  au  S6«  et  aux  deux  autres 
bataillons  du  régiment  de  se  retirer  en  assez  bon  ordre  dans  la  direction  de 
RcichRhonbn.  A  ce  moment ,  la  retraite  était  générale  et  le  combat  sur  ce  point 
définitivement  rompu. 

Nous  avons  laissé  les  W  et  3^  bataillons,  ainsi  qu'une  partie  du  2*,  au  mo- 
ment où  un  vigoureux  retour  ofTensif,  exécuté  par  le  colonel  Gandil,  avait 
rejeté  l'ennemi  sur  la  rive  gauche  de  la  Sauerbach.  De  ce  côté,  la  lutte  resta 
près  d'une  heure  en  suspens ,  ou  du  moins  se  borna  à  une  fusillade  sans  im- 
portance échangée  entre  les  premières  lignes  de  tirailleurs.  Mais  il  était  facile 
de  prévoir  qu'il  n'en  serait  pas  longtemps  ainsi;  depuis  un  moment,  on  aper- 
cevait des  masses  considérables  d'infanterie  prussienne  débouchant  de  la  forêt 
de  Surbourg,  et  se  dirigeant  sur  trois  colonnes  vers  Spachbach,  Gûnstett  et 
Dûrrenbach.  C'était  le  gros  du  xi«  corps  (Bose)  et  la  division  wurtembergeoise 
(d'Obernitz),  qui  ^e  portaient  en  ligne  pour  appuyer  l'attaque  de  la  21«  divi- 
sion. Le  prince  royal  venait  d'arriver  et  de  prendre  la  direction  du  comhat; 
toutes  les  forces  do  la  iii<'  année  se  trouvaient  maintenant  réunies  sous  la  main 
de  leur  chef  :  une  écrasante  offensive  allait  avoir  lieu  sur  tous  les  points  à  la 
fois. 

Bientôt  les  Allemands  eurent  repassé  la  Sauerbach.  Le  l*'  bataillon  de 
chasseurs,  le  S6«  de  ligne  et  les  1®**  et  3«  bataillons  de  Tirailleurs  essayèrent 
encore  une  fois  de  s'opposer  au  flot  toujours  croissant  qui  montait  de  Gûnstett; 
quelques  charges  partielles  furent  successivement  exécutées  sur  les  premiers 


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324  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l870] 

éckeloRB,  qui  se  montrèrent  un  moment  késilanls;  mois,  ciForU  vains,  la 
poussée  était  trop  puissante ,  et  nos  soldats  trouvaient  toujours  des  rangs  re- 
formés derrière  ceux  qu'ils  avaient  enfoncés. 

Il  était  une  heure  et  demie.  Notre  ligne  dut  commencer  à  se  replier.  Elle  le 
fit  en  bon  ordre,  mais  eut  fort  à  souffrir  des  batteries  de  Gûnstett,  dont  le  feu 
avait  redoublé  d'intensité.  Les  compagnies  changeaient  fréquemment  de  place, 
afin  de  se  soustraire  autant  que  possible  à  leur  action  ;  seulement,  ces  mou- 
vements nuisant  à  leur  cohésion ,  elles  perdaient  ainsi  chaque  fois  du  terrain. 

Cependant,  si  l'ennemi  nous  faisait  du  mal  avec  son  artillerie,  nous  lui  en 
fabions  non  moins  avec  notre  mousqueterie  :  sa  21^  division  surtout  était  très 
éprouvée.  Hais,  nous  l'avons  dit,  les  munitions  commençaient  à  s'épuiser; 
beaucoup  de  compagnies  n'en  avaient  presque  plus,  les  autres  les  ménageaient. 
Nos  troupes  avaient  rétrogradé  jusqu'au  sommet  des  pentes  qu'elles  occu- 
paient, et,  se  cramponnant  à  cette  dernière  position,  balançaient  encore  le 
succès,  qui,  pour  celui  qui  ne  voyait  pas  les  profondes  réserves  de  l'ennemi, 
demeurait  encore  incertain.  Â  ce  moment  courut  le  bruit  que  la  division  Guyot 
de  Lespart,  partie  de  Bitche  le  matin,  arrivait  à  notre  secours  :  l'espoir  fit 
battre  tous  les  cœurs,  une  nouvelle  ardeur  ramena  au  combat  les  fractions 
hésitantes  qui  étaient  déjà  en  retraite  vers  rEbcibach,  et  la  lutte  reprit  avec 
une  nouvelle  vigueur. 

Depuis  longtemps  le  général  Lucretclle,  prévenu  par  le  commandant  Au- 
bry,  avait  à  son  tour  fuit  avertir  le  général  do  Larliguu  du  inuuvcnient 
tournant  des  Prussiens;  déjà  ceux-ci  étaient  dans  Morsbronn,  évacué  par  nos 
deux  compagnies,  et  allaient  atteindre  Forstheim,  qui  leur  avait  servi  de  point 
de  direction.  La  situation  était  critique.  Tentant  un  dernier  effort,  les  colo- 
nels Gandîl  et  Barrué  réunirent  le  plus  qu'ils  purent  des  trois  bataillons,  pour 
arrêter,  ne  fût-ce  qu*un  moment,  cette  marée  envahissante  qui  montait, 
montait  toujours.  Autour  d'eux  vinrent  se  grouper  des  hommes  de  tous  les 
régiments  de  la  division.  Ils  les  établirent  sur  une  ligne  s'étendant  du  bois 
d'Eberbach  au  Nieder-Wald,  où,  de  son  côté,  le  3«)  zouaves  soutenait  une 
lutte  héroïque  contre  un  ennemi  dix  fois  supérieur.  Là  curent  encore  lieu 
quelques  tentatives  désespérées;  on  se  battit  comme  on  put,  à  ranne  blanche 
principalement,  puis  il  fallut  définitivement  abandonner  la  partie  :  la  division 
4e  Lartigue  était  irrémédiablement  vaincue.  H  était  alors  deux  heures  et  demie. 
Le  commandant  Thiénot  venait  d'être  tué,  le  coiniuandant  Clemmer  était 
mortellement  blessé. 

Il  eût  été  insensé  de  prolonger  d'une  minute  de  plus  cette  résistance  opiniâtre, 
dont  le  résultat  ne  pouvait  plus  être  douteux.  Déjà  le  2<'  bataillon,  qui,  d'a- 
près les  ordres  du  colonel  d'Andigné,  chef  d'état- major  de  la  division,  avait 
occupé  le  bouquet  de  bois  situé  au  sud  d'Eberbach ,  était  menacé  d'être  pris 
par  les  forces  ennemies  qui  sortaient  de  Forstheim.  Il  fallait  se  retirer  à  tout 
prix.  Le  mouvement  commença,  protégé  d'abord  par  les  feux  du  2»  bataillon, 
puis  par  la  charge  de  la  brigade  Michel  (8<>  et  9°  régiments  de  cuirassiers  et 
deux  escadrons  du  6«  lanciers),  et  enfin  par  deux  compagnies  du  3**  zouaves, 
qui  jusque-lA  n'avaient  été  que  légèrement  engagées. 

Cependant  notre  artillerie  parvenait  difficilement  à  se  dégager;  une  batterie 


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[f870]  EN  FRANGE  325 

do  mitrailleuses  se  trouvait  compromise  :  il  fallait  la  sauver.  Le  général  La- 
cretelle,  qui  surveillait  le  mouvement  de  nos  derniers  échelons,  s'adressa 
alors  au  capitaine  Delahogue,  du  3**  bataillon,  lui  prescrivant  de  faire  son 
possible  pour  maintenir  les  Prussiens ,  dont  tous  les  eiïorts  se  concentraient 
maintenant  sur  nos  pièces,  quils  voyaient  distinctement.  Le  capitaine  fît  appel 
au  dévouement  do  chacun ,  et  tous  roux  qui  purent  entendre  sa  voix  vinrent 
se  grouper  autour  de  lui.  Il  parvint  aussi  à  rallier  deux  cents  hommes,  prove- 
nant pour  la  plupart  des  débris  du  3^  bataillon.  Sous  leur  protection,  nos  mi- 
trailleuses purent  se  retirer,  ainsi  que  quelques  traînards  qui  erraient  sans  com- 
mandement. Sur  la  droite,  on  voyait  de  petits  groupes  de  cavaliers  qui  revenaient 
sanglants,  et  qui  cherchaient  à  rejoindre  la  division;  sur  la  gauche,  le 3* zouaves 
ap^onisait.  Seul  avec  sa  petite  troupe,  le  capitaine  Delahogue  tient  encore  sur 
le  plateau.  Enfîn  il  va  se  mettre  en  retraite  h  son  tour,  quand  tout  à  coup 
le  sous-licutenant  Mondiclli  arrive  avec  le  drapeau,  c  Mon  capitaine,  lui  dii-il, 
sauvez  le  drapeau,  t^  Celui-ci  est  placé  au  milieu  du  groupe;  le  capitaine  De- 
lahogue fait  jurer  à  tous  de  se  faire  tuer  plutôt  que  de  le  laisser  prendre,  et 
la  marche  en  arrière  s'eiïectue  en  combattant.  Heureusement  la  fatigue  ou 
plutôt  la  surprise  de  nous  avoir  vaincus  est  telle  chez  nos  ennemis,  qu'ils  ne 
nous  poursuivent  que  mollement.  Le  capitaine  Delahogue  parvient  à  se  déga- 
ger; il  franchit  VEberbach  et  gagne  ReichshofTen,  en  formant,  pour  ainsi  dire, 
l'arrière -garde  de  la  division.  Là  il  trouve  les  autres  bataillons,  et  tout  le 
monde  pousse  des  cris  de  joie  en  voyant  que  le  drapeau,  qu*on  croyait  perdu, 
vient  d'être  sauvé. 

Le  gros  du  régiment,  qui  avait  commencé  son  mouvement  rétrograde  au 
moment  de  la  charge  des  cuirassiers ,  eut  pendant  un  instant  fort  à  faire  pour 
échapper  à  l'étreinte  qui  le  menaçait  du  côté  de  Forstheim.  Le  2«  bataillon 
flurtniil  était  serré  de  très  près.  Mois,  sous  l'impulsion  do  quelques  officiers, 
quelques  groupes  d'hommes  de  toutes  les  compagnies  s'élancèrent  sur  les  Al- 
lemands, qui,  sur  plusieurs  points,  durent  céder  devant  ces  retours  impé- 
tueux. On  arriva  ainsi  jusque  sur  la  rive  droite  de  l'Eberbach.  Cherchant  alors 
ft  rallier  les  débris  de  ses  régiments,  le  général  de  Lartigue  voulut  essayer  de 
se  maintenir  un  instant  sur  cette  position.  Pour  s'opposer  au  danger  qui  ve* 
nait  de  la  droite,  le  colonel  Barrué  parvint  à  réunir  cinq  h  six  cents  Tirailleurs, 
qu'il  déploya  sur  la  crôte  qui  s'étend  à  l'ouest  d'Eberbach,  protégeant  ainsi 
l'artillerie  divisionnaire,  qui,  par  suite  des  pertes  subies  par  ses  attelages,  ne 
se  retirait  qu'avec  difliculté.  Mais  que  faire  sans  cartouches?  Ne  pouvant  ré- 
pondre à  la  fusillade  meurtrière  qu'ils  recevaient,  les  Tirailleurs  durent  en- 
core une  fois  se  replier;  harassés,  brisés,  mais  nullement  abattus  par  cette 
lutte  que  depuis  huit  heures  ils  soutenaient  sans  interruption,  ils  reprirent 
lentement  leur  marche  vers  ReichshoflTen.  Quant  à  l'ennemi,  il  était  tout 
entier  à  Tivresse  de  la  victoire,  et  ne  nous  poursuivait  plus  que  des  sons 
triomphants  des  musiques  de  ses  régiments.  Ce  ne  fut  qu'à  celte  attitude  ines- 
pérée de  sa  part  que  les  dernières  fractions  de  la  division  de  Lartigue  durent 
de  ne  pas  être  enlevées.  Vers  trois  heures  et  demie,  il  n'y  avait  plus  un  soldat 
français  valide  sur  le  plateau  de  Morsbronn ,  et  les  Prussiens  se  précipitaient 
dans  le  Nieder-Wald  pour  marcher  à  l'attaque  de  Frœschwiller. 


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326  LE  3«  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

A  la  gauche  et  au  centre,  pour  se  trouver  un  peu  plus  longtemps  retardé, 
le  dénouement  n'en  devait  pas  être  moins  décisif.  Haitre  de  Frœsckwiller, 
Tennemi  allait  bientôt  obliger  à  la  retraite  les  i'^  et  3«  divisions,  ainsi  que  la 
division  Conseil- Dumesnil  du  7«  corps.  Hâtons-nous  d'ajouter  qu'ainsi  que 
pour  la  4^,  le  nombre  seul  allait  avoir  raison  de  ces  dernières  et  que,  malgré 
leur  écrasante  supériorité ,  les  Allemands  eussent  eu  encore  longtemps  à  nous 
disputer  le  succès,  si  l'échec  de  notre  droite  ne  leur  eût  livré  le  Nieder-Wald. 
Ce  qui  est  indéniable,  c'est  que  la  division  Ducrot  resta  jusqu'au  bout  sur  ses 
positions  et  déjoua  toutes  les  attaques  des  i^'  et  il®  corps  bavarois.  Que  faut-il 
de  plus  pour  démontrer  que  nos  orgueilleux  adversaires  eurent  peut-être  la 
victoire,  mais  que  la  gloire  de  cette  bataille  restera  éternellement  aux  vaincus? 

Avant  d'arriver  à  Reichshoiïen ,  le  colonel  Gandil  arrêta  le  régiment  pour 
le  remettre  en  ordre  et  lui  faire  distribuer  des  cartouches.  Ce  fut  à  ce  moment 
que  le  capitaine  Delahogue  rejoignit  avec  le  drapeau.  Les  hommes  n'avaient 
plus  de  sacs,  plus  de  tentes,  plus  de  vivres,  plus  d'ustensiles  de  campement  : 
tout  avait  été  laissé  sur  le  champ  de  bataille,  les  compagnies  ayant  mis  sac 
à  terre  au  moment  de  se  porter  en  avant.  On  allait  non  seulement  marcher, 
mais  encore  bivouaquer  dans  ces  conditions.  Les  officiers  n'étaient  pas  plus 
heureux  :  leurs  bagages  étaient  également  au  pouvoir  de  l'ennemi.  Mis  en  route 
au  moment  où  la  fortune  s'était  nettement  décidée  contre  nous,  le  convoi  avait 
pris  la  direction  de  llaguenau,  au  lieu  décolle  de  ReichshoHcn,  qui  lui  avait  été 
indiquée,  et,  de  plus,  avait  commis  l'imprudence  de  faire  une  halte  près  des 
forges  de  GundershoflTen.  Là  il  avait  été  brusquement  assailli  par  la  cavalerie 
wurtembergeoise,  qui  avait  impitoyablement  sabré  les  quelques  ordonnances 
et  les  quelques  hommes  qui  avaient  tenté  de  résister  en  faisant  le  coup  de  feu. 
La  cantinière  du  régiment  parvint  seule  à  s'échapper  eu  se  cachant  dans  les 
bois.  Elle  assista  de  là  à  cette  sanglante  scène  de  carnage  et  de  pillage,  dont 
son  mari  fut  l'une  des  premières  victimes. 

On  traversa  successivement,  et  sans  s'arrêter,  Reichshoflbn  et  Niederbronn. 
Après  ce  village,  on  prit  la  route  de  Saverne,  route  qui  longe  le  pied  des 
Vosges  et  passe  dans  plusieurs  localités  sans  grandes  ressources.  On  marcha 
toute  la  nuit.  Toutes  les  armes ,  tous  les  corps ,  toutes  les  fractions  étaient 
mélangées  et  s'en  allaient  pêle-mêle,  sans  direction,  suivant  au  hasard  ce  flot 
humain  dans  lequel  régnait  maintenant  le  plus  complet  désarroi.  La  cavale- 
rie, qui  aurait  dû  couvrir  la  retraite,  cherchait  au  contraire  à  prendre  les 
devants,  renversant,  bousculant  les  nommes  sur  son  passage,  les  poussant 
au  milieu  des  voitures  de  l'artillerie,  qui,  elles  aussi,  pressaient  leur  mouve- 
ment pour  arriver  plus  tôt.  Comme  presque  toujours ,  les  pauvres  fantasûns 
étaient  encore  les  plus  malheureux  :  mourant  de  faim ,  tombant  de  sommeil , 
ils  se  traînaient  péniblement  ou  demeuraient  là  où  la  fatigue  les  clouait , 
n'ayant  même  plus  le  sentiment  du  danger  qu'ils  pouvaient  courir. 

Dans  ces  douloureuses  circonstances,  le  régiment  montra  encore  ce  que 
peut  une  troupe  réellement  disciplinée.  Malgré  le  désordre  général ,  malgré 
l'accablement  qui  s'emparait  de  tous,  il  parvint  à  conserver  une  certaine 
cohésion.  Il  faut  reconnaître  aussi  que  les  officiers,  tous  connus  de  leurs  sol- 
dats et  les  connaissant  non  moins,  surent  garder  un  calme,  un  sang-froid 


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[f870]  EN  FRANGE  827 

au-dessus  de  tout  éloge,  qu'ils  communiquèrent  continuellement  à  ces  der- 
niers. Pas  un  instant  ils  ne  cessèrent  de  veiller  avec  la  plus  attentive  sollicitude 
sur  les  glorieux  débris  qu'ils  ramenaient.  C'est  ainsi  qu'au  lieu  de  suivre  le 
mouvement  confus  de  certains  autres  corps,  le  3«  Tirailleurs  s'arrêta  pendant 
deux  hcurns  A  Iiigwillcr,  ce  qui  permit  aux  hommes  do  prendre  un  pou  do 
repos ,  et  à  une  quantité  de  traînards  de  rallier  leur  compagnie. 

On  se  remit  en  marche  vers  deux  heures  du  matin ,  et  l'on  arriva  à  Saveme 
à  cinq  heures.  Un  lieu  de  rassemblement  avait  été  désigné  à  chaque  corps. 
Le  régiment  s'installa  sur  la  rive  gauche  de  la  Zorn ,  et  bientôt  une  foule  de 
dons,  dus  à  la  générosité  des  habitants,  vinrent  faire  pour  un  instant  ou- 
blier à  nos  malheureux  soldats  les  misères,  les  souiïrances  et  les  privations 
qu'ils  venaient  d'endurer.  Mais,  hélas!  la  triste  réalité  de  la  défaite  n'en  res- 
tait pas  moins  vivante,  et,  à  ceux  qui  auraient  été  tentés  de  la  distraire  de 
leur  pensée ,  un  ordre  subit  devait  se  charger  dé  la  rappeler  :  se  trouvant  un 
des  moins  désorganisés ,  le  régiment  devait  à  neuf  heures  repartir  pour 
Phaisbourg. 

Pendant  le  court  moment  de  répit  qui  lui  avait  été  laissé,  le  colonel  Gandil 
avait  eu  le  temps  de  faire  faire  l'appel  et  de  procéder  à  la  reconstitution  hfttive 
des  compagnies.  Alors  seulement  on  avait  pu  so  rendre  un  compto  exact  des 
vides  faits  par  la  lutte  de  la  veille.  Les  pertes  s'élevaient  à  huit  cent  soixante- 
douze  hommes  hors  do  combat,  dont  trente-trois  officiers.  Sur  ce  total ,  beau- 
coup avaient  été  tués,  le  plus  grand  nombre  blessés,  très  peu'faits  prisonniers. 
Les  officiers  surtout  avaient  été  cruellement  éprouvés  par  le  feu  de  l'ennemi. 


( mort  de  ses  blessures). 


Etaient  tués  : 

MM.  Thiénot, 

chef  do  bataillon. 

Clemmer, 

d« 

Deschamps, 

capitaine. 

DeBourgoing, 

do 

Gillot, 

do 

Hardouin, 

lieutenant. 

Benielli , 

do 

Mohamed-ben-Toudji , 

do 

Pasqualini , 

sous-lieutenant. 

Mustapha-ben-Amar, 

do 

Walroff, 

do 

Krélill-ben-Mohamed , 

do            ( 

Étaient  blessés  : 

MM.  Barrué, 

lieutenant-colonel. 

De  Larochelambert, 

capitaine. 

Giraud, 

do 

Émy, 

do 

Montignault, 

do 

(mort  de  ses  blessures). 


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328  LB  3*  BÉGIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (1870) 


Uesson, 
Roy, 

capitaine, 
lieutenant. 

Pétiaux, 

d« 

Guillaume  1 

d* 

Règne, 
Saad-ben-Serir,      . 

d« 
d* 

Garnier, 

80U8-lieutenant. 

Bruzeaux, 

d* 

Tourret, 

d* 

Rénaux , 

do 

Déporter, 
Aîssa-ben-el-Hadj-Assein 

do 
do 

(nouveau  promu). 

Amar-ben-Medeli, 

do 

Larbi-ben-el-Haoussin , 

do 

Lagdar-ben-el-Âchi , 

do 

Salah-ben-Mohamed , 

do 

(nouveau  promu). 

Quand ,  à  dix-sept  années  de  distance ,  on  jette  un  regard  sur  cette  lutte  san- 
glante qui  devait  avoir  une  si  désastreuse  influence  sur  les  événements  ultérieurs 
do  la  campagne,  on  est  étonné  de  voir  que  trente-six  mille  hommes  parvinrent 
à  se  maintenir  une  bonne  partie  do  la  journéo  contre  cent  quinze  mille.  Déjà , 
à  Wissembourg,  une  de  nos  divisions  avait  tenu  tête  à  tout  un  corps  d'armée 
t>russien.  D'où  venait  donc  à  nos  soldats  cette  force  morale  qui  quadruplait  ainsi 
leur  valeur?  De  ce  que  le  découragement  et  l'indiscipline  n'avaient  point  encore 
pénétré  dans  leurs  rangs,  nous  répondra-t-on.  Oui,  ce  fut  là  une  des  causes 
de  l'admirable  attitude  de  Tarmée  du  Rhin  ;  mais  une  autre  qu'on  oublie  trop 
souvent  avec  une  intention  malveillante,  c'est  que  cette  armée  se  composait 
presque  uniquement  de  régiments  venant  d'Algérie,  et  se  trouvant  non  seule- 
ment plus  aguerris  que  ceux  de  l'intérieur,  mais  ayant  tous  un  glorieux  passé 
à  soutenir.  Ne  prenons  que  les  Tirailleurs  algériens.  Où  vit- on  jamais  une 
troupe  plus  héroïque  que  les  turcos  do  Wisscuibourg  et  do  Fniischwillort 
Quelle  est  celle  qui  versa  plus  généreusement  son  sang  ^  ?  Et  qu'avaient  à 
défendre  ces  hommes,  qui  se  sacrifiaient  ainsi  pour  chasser  l'envahisseur  de 
notre  territoire?  Un  foyer?  non;  le  leur  était  loin,  et,  bien  plus,  pouvait  d'un 
moment  à  l'autre  être  menacé  par  un  autre  ennemi,  sans  qu'ils  fussent  lu  pour 
le  protéger.  Une  famille?  beaucoup  n'en  avaient  point;  quant  aux  autres,  peut- 
être  demain  allait-on  leur  demander  de  marcher  contre  leurs  frères,  contre 
leurs  parents,  contre  leurs  amis*.  Des  richesses?  c'était  une  chose  qu'ils  ne 
connaissaient  pas.  Ce  qu'ils  avaient  à  défendre  était  bien  plus  précieux,  bien 


*  Partis  d'Algérie  avec  ua effectif  total  de  six  mille  six  cents  hommes,  les  trois  régi- 
ments de  Tirailleurs  algériens  n*ep  comptaient  plus  que  deux  mille  quatre  cents  le  soir 
de  Prœscliwiller.  Sur  les  quatre  mille  deux  cents  qui  manquaient ,  environ  mille  deux 
cents  étaient  tués ,  et  trois  mille  blessés  ou  prisonuiers. 

*  Tout  le  monde  sait  qu'en  revenant  de  captivité  le  régiment  fut  tout  entier  em- 
ployé à  combattre  l'insurrection  qui  avait  envahi  toute  la  province  de  Gonstantine. 


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[1870]  EN  FRANGE  329 

plus  grand ,  bien  plus  noble  à  nos  yeux  :  ils  avaient  à  défendre  leur  drapeau 
d^abord,  leur  honneur  ensuite;  ils  avaient  ft  justifier  cette  réputation  qu'ils 
s'étaient  acquise  dans  cent  autres  combats ,  à  maintenir  ces  brillantes  tradi- 
tions que  leur  avaient  léguées  les  Bosquet,  les  Wimpflen  et  les  Bourbaki,  à 
rester  fidèles  à  ces  belles  paroles  que  leur  avait  tressées  le  maréchal  de 
Saint-Arnaud  en  leur  remettant  le  premier  drapeau  qui  ait  été  confié  h  leur 
bravoure  :  c  Tirailleurs,  n'oubliez  pas  que  lorsqu'on  a  l'honneur  de  combattre 
sous  les  couleurs  de  la  France,  on  ne  les  rend  jamais  :  on  meurt  1  > 


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CHAPITRE  XV 

ARMÉE  DE  GHALONS 


Retraite  sur  GhÀlons.  ~  Promotions  et  récompenses  à  la  snite  de  la  bataille  de  Frœsch- 
wliier.  —  Organisation  de  Tarmôe  de  Gliilons.  —  Marche  sur  Metz.  —  Journées 
des  30  et  31  août  —  Bataille  de  Sedan.  —  Belle  attitude  des  Tirailleurs.  —  Capitu- 
lation. —  Le  drapeau  du  régiment  est  brûlé.  —  Départ  pour  l'Allemagne.  —  Captivité. 
~  Siège  de  Strasbourg.  —  Défense  de  Pbalsbourg. 


Ainsi  que  nous  l'avons  vu ,  les  troupes  qui  avaient  combattu  à  Frœsciiwiller 
avaient  en  grande  partie  pu  se  retirer  librement  sur  Saveme.  L'ennemi  n'avait 
commencé  sa  poursuite  que  fort  tard ,  et  sa  cavalerie,  trompée  par  la  présence 
do  quelques  traînards  sur  la  route  de  Bitche,  qu'avait  suivie  une  brigade  do 
la  division  Guyot  de  Lespart  du  5»  corps,  avait  cru  que  toute  l'armée  vaincue 
avait  pris  cette  direction  et  ne  s'était  portée  en  force  que  de  ce  côté,  sans  ce- 
pendant parvenir  à  reprendre  le  contact.  Supposant  néanmoins  que,  malgré 
leur  fatigue,  les  Allemands  ne  tarderaient  pas  à  poursuivre  leur  marche  vic- 
torieuse au  travers  des  Vosges,  le  maréchal  de  Mac-Hahon  avait,  dès  son 
arrivée  à  Saveme,  ordonné  la  continuation  du  mouvement  de  retraite  jusqu'à 
Pbalsbourg;  mais  bientôt,  devant  l'absence  d'un  danger  immédiat,  et  sur- 
tout en  présence  de  Tétat  déplorable  dans  lequel  se  trouvaient  la  plupart  des 
régiments,  il  renvoya  ce  départ  à  trois  heures  du  soir. 

Le  3*  Tirailleurs,  rapidement  réoi^nisé  et  remis  dans  la  main  de  ses 
cheb,  ne  fut  pas  compris  dans  ce  contre-ordre;  il  partit  à  neuf  heures,  ainsi 
que  cela  lui  avait  été  prescrit,  et  arriva  vers  midi.  Il  fut  installé  en  dehors  de 
la  ville,  et,  pour  se  remettre  des  épreuves  de  la  veille,  passa  la  nuit  au  bi- 
vouac, sans  abri,  sans  rien  pour  se  garantir  du  froid  et  de  l'humidité  du  sol , 
alors  que  certains  corps  qui  avaient  encore  leurs  tentes  et  leurs  objets  de  cam- 
pement étaient  cantonnés.  Cette  insouciance  du  commandement  à  l'égard  do 
braves  gens  qui  avaient  si  noblement  fait  leur  devoir  so  continua  jusqu'au  10, 
au  moment  d'arriver  à  Lunéville.  Voyant  déliler  nos  malheureux  soldats  cou- 
verts de  boue  et  n'en  pouvant  plus,  le  maréchal  de  Mac-Mahon  s'enquit  de 


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[1870]  EN  FRANGB  331 

leur  situatioD ,  et ,  touché  des  misères  qu'ils  avaient  endurées  sans  se  plaindre, 
donna  des  ordres  très  sévères  pour  quMIs  fussent  désormais  traités  avec  un 
peu  plus  d*équité.  A  partir  de  ce  jour,  et  jusqu'à  ce  qu'il  fut  possible  de  lui 
donner  des  moyens  de  bivouaquer,  le  régiment  fut  établi  au  cantonnement* 

Le  8,  la  marche  reprit  à  quatre  heures  du  matin  et  s'effectua  dans  la  di- 
rection de  Sarrebourg,  où  le  soir  se  trouvèrent  en  grande  partie  réunis  les 
!«'  et  b^  corps.  Le  9 ,  le  régiment  traversa  Lorquin  et  s'arrêta  à  Harboué  ; 
le  10,  il  atteignit  Lunéville,  où  il  ne  resta  que  quelques  instants,  et  alla  cou- 
cher à  Chafontaine.  Le  11 ,  dans  le  but  d'éviter  plus  sûrement  une  rencontre 
avec  l'ennemi,  que  l'état  de  désorganisation  de  nos  troupes  eût  pu  rendre  dé- 
sastreuse, on  obliqua  vers  le  sud-ouest  pour  arriver  à  Bayon.  Le  12,  on  s'ar- 
rêtait à  Harroué,  sur  le  Hodon  ;  le  13,  à  Trament;  et,  le  15,  à  Neufchftteau.  Le 
lendemain,  le  3»  Tirailleurs  quittait  cette  ville  en  chemin  de  fer,  et,  le  17, 
arrivait  au  camp  de  Chftlons.  Là  devaient  se  réunir  les  1^,  5«,  7*  et  12»  corps, 
pour  y  constituer  une  armée  dont  le  maréchal  de  Mac-Mahon,  qui  depuis 
Frœschwiller  était  remplacé  à  la  tête  du  l^**  corps  par  le  général  Ducrot,  allait 
avoir  le  commandement. 

La  division  de  Lartigue  campa  sur  la  rive  gauche  do  la  Vcsie  et  séjourna 
en  cet  endroit  jusqu'au  20  août  inclusivement.  Ce  temps  fut  activement  em- 
ployé au  remplacement  des  effets  perdus  et  à  la  reconstitution  des  cadres  des 
compagnies.  Des  renforts,  mis  en  route  par  les  dépôts  des  régiments,  arri- 
vaient chaque  jour  et  permettaient  de  combler  une  partie  des  vides  faits  par 
le  feu  de  l'ennemi;  les  Tirailleurs  en  attendaient  également  d'Algérie. 

Le  21,  l'armée  se  dirigea  sur  Reims,  où  elle  arriva  le  même  jour.  Ce  fut  là 
qu'on  apprit  les  récompenses  accordées  à  la  suite  des  journées  de  Wissem- 
bourg  et  de  Frœschwiller  (décret  du  20  août). 

Au  régiment,  le  colonel  Gandil  était  nommé  général  de  brigade  et  remplacé 
par  le  colonel  Barrué,  qui  lui-même  avait  pour  successeur  le  commandant 
Aubry,  le  seul  survivant  des  trois  chefs  de  bataillon.  Enfin  étaient  promus  : 

MM.  Matthieu,  capitaine  (affecté au  1«' bataillon). 
Rapp ,  do        (  affecté  au  2«  bataillon  ) . 

Petitjean ,      d«        (affecté  au  3^  bataillon ) . 

MM.  Soumagne,  lieutenant. 

Sauvage,  d* 

Lalanne  des  Camps,        d« 
Kolb,  d* 

Donin  de  Ronère,  &* 

Gillet,  d« 

/MM.  Dufour,    sous-lieutenant. 


\^  Chefs  de  bataillon 


2<>  Capitaines 


Garnîer, 

do 

Valat, 

d» 

3*  Lieutenants 

Winter, 

d» 

Anglade , 

d» 

Soulice, 

d» 

\         Bernad, 

d» 

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HH.  MonUgnault, 

capitaine. 

Wissant, 

d" 

Roy, 

lieutenant. 

Clerc, 

d- 

Ali-ben-Âhmed, 

d» 

Valat. 

sous-lieutenant. 

33S  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [i870] 

(MM.  Martin,      adjudant. 

Martin,  sergent-major. 

Anc      1-4        s    )         Walter,  d* 

4«Sou8-lieutenanU^         CreuUer,         d- 

Monot,  d<» 

Pavot,  d« 

Les  nominations  suivantes  étaient  faites  dans  Tordre  de  la  Légion  d'honneur  : 

1o  A         /l   /i'  ffi  •     i^^'  Reboud ,  médecin-major  de  1™  classe. 
1   AU  grade  d  omcicr '^         Brault,     capitaine-adjudant-major. 


2®  Au  grade  de  chevalier 


Le  général  Lacrotollo  était  promu  divisionnaire,  et  remplacé  par  le  général 
Carroy  de  nellemare  dans  le  commandement  do  la  2»  hrigado  de  lu  4»  division. 

Deux  plans  se  présentaient  an  maréchal  do  Mac- Malien  :  se  replier  snr 
Paris  pour  attendre  Tennemi  sous  la  protection  du  camp  retranché  formé  par 
les  forts  extérieurs  de  la  capitale,  ou  se  porter  au  secours  de  Bazaine  bloqué 
dans  Metz.  Des  considérations  politiques  déterminèrent  le  ministre  de  la  guerre 
à  lui  imposer  le  second.  Il  s'agissait  donc  de  marcher  rapidement  sur  la  Meuse, 
d'atteindre  Verdun  et  de  se  masser  autour  de  celte  ville,  do  façon  à  être  prêt 
à  livrer  bataille  pour  percer  la  ligne  d'investissement  de  Tennemi. 

Le  22,  l'armée  entière  fit  séjour  à  Reims.  Ce  jour-là,  le  régiment  reçut  un 
détachement  de  trois  cents  hommes,  venu  d'Algérie  sous  la  conduite  du  lieute- 
nant Camion.  Ce  renfort  porta  son  effectif  à  mille  cinq  cents  hommes,  déduction 
faite  des  pertes  éprouvées  à  Frœschwillcr.  Le  mouvement  sur  la  Meuse  com- 
mença le  23.  Le  régiment  se  mit  en  marche  à  six  heures  du  matin ,  traversa 
Commentreuil ,  Taissy,  Saint -Léonard,  et  alla  camper  sur  la  rive  gaucho  de 
la  Suippes,  près  de  Réthcniville,  où  se  trouvaient  Napoléon  111  et  le  quartier 
'général  de  l'armée.  Le  24,  les  exigences  du  ravitaillemcnl  ayant  obligé  d'ap- 
puyer vers  Rethel,  on  bivouaqua  sur  la  rive  gauche  de  la  Retourne,  à  J uni- 
ville.  Pendant  ce  temps ,  trompé  par  une  fausse  dépêche  qu'on  avait  à  dessein 
fait  tomber  entre  ses  mains,  le  prince  royal  de  Prusse  croyait  Tarmée  de 
Chalons  en  retraite  sur  Paris,  et  restait  immobile  à  Vitry-le-Français. 

Le  25,  le  1^  corps  campa  à  Givry,  sur  le  bord  est  du  canal  des  Ardennes. 
Ce  même  jour,  un  télégramme  de  Paris,  —  celui-là  authentique,  —  reçu  par 
la  voie  de  Londres,  apprenait  à  Tétat- major  allemand  la  vraie  direction  prise 
par  les  troupes  du  maréchal  de  Mac-Mahon. 

Dans  la  journée  du  26,  l'armée  française  pivota  sur  sa  droite  (7<^  corps),  et 
le  lor  corps  alla  s'établir  à  Voucq,  sur  un  plateau  olfrant  une  belle  position 


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[!870]  EN  FRANCE  $33 

défensive.  Lo  lendemain  continua  le  mouvement  de  conversion ,  dont  le  but 
était  d'appuyer  le  7«  corps,  qui  s^attendait  à  une  attaque  venant  de  Grand- 
Pré.  Au  point  du  jour,  les  3*^  et  4*  divisions  du  l^^  corps  allèrent  même  prendre 
position  &  rintcrscction  de  la  route  de  Voucq  au  Chêne- Populeux;  mais,  vers 
huit  heures,  elles  reçurent  Tordre  de  rentrer  dans  leurs  anciennes  positions. 

Tous  ces  mouvements,  toutes  ces  hésitations  avaient  entraîné  du  retard,  et 
les  Allemands  arrivaient  à  marches  forcées.  Le  27,  la  cavalerie  des  deux  ar- 
mées s'était  heurtée  à  Busancy;  les  Français  n'étaient  plus  guère  en  avance 
que  d'une  journée. 

Le  28,  la  division  de  Lartigue  vint  camper  près  de  la  petite  ville  du  Chéne- 
Populeux.  Le  29,  à  huit  heures  du  matin ,  deux  paysans  informèrent  le  géné- 
ral que  deux  escadrons  ennemis  avaient  été  vus  à  Voucq.  Les  moments  deve- 
naient précieux.  On  n'était  plus  qu'à  une  (aible  distance  de  la  Meuse;  il  fallait 
atteindre  celle-ci,  là  franchir  et  couper  les  ponts.  La  marche  de  cette  journée 
est  ordonnée  dans  ce  but  ;  mais  soudain  on  apprend  que  Stenay  est  occupé 
par  les  Prussiens.  On  se  dirige  au  nord ,  et  le  i®'  corps  atteint  Raucourt. 

Le  30,  le  2®  régiment  de  marche  fut  désigné  pour  remplacer,  à  la  2*  brigade 
de  la  4^  division,  le  87*  de  ligne  laissé  à  Strasbourg.  Ce  même  jour,  la  divi* 
sion  de  Lartigue  quitta  son  bivouac  vers  dix  heures  du  matin,  descendit  vers  la 
Meuse  par  llarancourt ,  Angecourt  et  Uemilly ,  passa  cette  rivière  sur  un  pont  de 
bateaux,  traversa  ensuite  Tétaigne  etCarignan,  et  alla  camper  au  nord-est  de 
cette  petite  ville,  à  une  faible  distance  de  la  frontière  belge.  Depuis  trois  heures 
de  Taprès-midi,  on  entendait  une  vive  canonnade  dans  la  direction  du  sud* 
ouest  :  c'était  le  5<»  corps  (général  de  Failly),  qui ,  surpris  à  Beaumont,  essayait 
de  résister  aux  forces  allemandes,  et,  ne  pouvant  y  parvenir,  se  retirait  dans  le 
plus  grand  désordre  sur  Mouzon ,  poursuivi  par  le  feu  de  Tartillerie  ennemie. 

Le  31 ,  dès  cinq  heures  du  matin,  les  divisions  de  Lartigue  et  Pelle  prirent 
position  sur  les  hauteurs  au  nord  do  Carignan.  Deux  heures  après,  elles  se 
mirent  en  marche  dans  la  direction  de  Sedan  en  passant  par  Escombres  et 
Fourru-aux-Bois.  De  ce  dernier  village,  on  percevait  une  canonnade  assez  vive 
dans  la  direction  de  Uemilly.  Un  corps  bavarois  tirait  de  la  rive  gauche  de  la 
Meuse  sur  notre  convoi,  qui  suivait  la  route  de  Montmédy  à  Sedan  par  Douzy. 

Vers  deux  heures  de  l'après-midi,  le  régiment,  arrivé  près  de  Francheval, 
reçut  l'ordre  d'aller  s'établir,  comme  soutien  de  la  brigade  de  cavalerie  Mi- 
chel ,  sur  les  hauteurs  couronnées  de  bois  qui  dominent  le  village  de  Douzy 
au  nord.  Le  colonel  Bar  rué  fit  déployer  deux  compagnies  en  tirailleurs,  en 
avant  des  2»  et  3<'  bataillons  en  ligne  sur  la  crête ,  et  garda  en  réserve  le  l**"  ba- 
taillon formé  en  colonne.  On  apercevait  alors  des  masses  considérables  d'in- 
fanterie et  d*artillerie  (|ui  descendaient  des  hauteurs  de  Mouzon ,  et  se  diri- 
geaient sur  Douzy.  Bientôt  la  tête  de  cette  colonne  atteignit  Francheval  et  les 
hauteurs  situées  à  l'ouest,  qui  furent  immédiatement  occupées.  On  distinguait 
parfaitement  des  Prussiens.  Il  eût  été  facile  aux  deux  compagnies  déployées 
en  tirailleurs  de  les  inquiéter  sérieusement  avec  leurs  feux ,  et  même  de  rejeter 
ces  avant- postes  sur  leurs  soutiens;  mais  le  général  Michel,  que  les  oflBciers 
de  ces  compagnies  avaient  fait  prévenir,  s'obstina  à  ne  voir  que  de  l'infanterie 
de  marine  dans  ces  troupes  qui  débouchaient  tranquillement  à  environ  mille 


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834  LB  3*  RÉGIMBNT  DB  TIRAILLEimS  ALGÉRIBNB  [1870] 

mètres  do  notre  ligne.  Rien  n'était  cependant  plus  simple  que  de  faire  TériGor 
le  fait  par  la  cavalerie;  mais  non  seulement  celle-ci  ne  lit  aucune  reconnais- 
sance, mais  encore  elle  se  retira  dans  la  direction  de  Villers-Cernay,  sur  cette 
idée  que  les  grand*gardes  du  1®'  corps  se  trouvaient  maintenant  couvertes 
par  la  division  de  Yassoigne  du  12*.  C'est  ainsi  que  l'avant-garde  du  xii«  corps 
prussien  put  se  porter  librement  à  la  droite  des  Bavarois,  et  faciliter  pour  le 
lendemain  le  mouvement  enveloppant  de  ce  corps  et  de  la  garde  par  Daigny, 
Givonne  et  Illy. 

  six  heures  du  soir,  le  régiment  quitta  sa  position,  traversa  Villers-Cernay 
et  Givonne,  et  vint  camper  au-dessus  du  village  de  Daigny,  sur  les  hauteurs 
qui  sont  à  l'ouest  du  ruisseau  de  Givonne.  Pendant  tout  l'après-midi,  la  fu- 
sillade et  la  canonnade  s'étaient  fait  entendre  du  côté  de  Baseilles,  où  le  12«  corps 
avait  repoussé  toutes  les  attaques  du  P*^  bavarois. 

La  nuit  se  passa  tranquillement.  Le  jour  se  leva  froid  et  brumeux  et  fut 
aussitôt  salué  par  le  canon  ennemi  :  c'étaient  les  Bavarois ,  qui  reprenaient 
contre  Baxeilles  l'attaque  vainement  tentée  la  veille  par  leur  v^^  corps. 

  ce  moment,  le  dispositif  de  l'armée  française  alTectait  la  forme  d'un 
triangle  dont  les  côtés  se  trouvaient  nettement  déterminés  par  la  Meuse  à 
l'ouest,  le  ruisseau  de  Givonne  à  l'est,  et  celui  de  Floing  au  nord.  Bazeillesi 
Floing  et  Illy  en  représentaient  les  sommets.  Le  U'  corps  était  établi  en  avant 
du  bois  de  la  Garenne,  faisant  face  à  l'est  et  ayant  en  avant  de  lui  les  villages 
de  Givonne,  d'IIaybes  et  de  Daigny.  La  division  de  Larligue  formait  la  droite. 
Le  terrain  sur  lequel  cette  dernière  devait  combattre  avait,  par  rapport  à  la 
position  occupée  par  l'ennemi,  sensiblement  la  même  disposition  topogra- 
phique que  celui  de  Frœschwîller  :  en  avant  se  trouvait  un  ruisseau ,  en  arrière 
un  plateau,  sur  la  gauche  un  bois.  Mais,  au  lieu  de  former  l'extrémité  de  la 
ligne ,  cette  division  était  cette  fois  couverte  sur  son  flanc  droit  par  le  12<>  corps. 

Dès  les  premiers  coups  de  canon,  le  régiment  avait  pi*is  les  armes;  bientôt 
il  reçut  l'ordre  d'aller  se  placer  derrière  le  2^  régiment  de  marche,  qui  venait 
de  se  déployer  en  face  de  Tintervalle  existant  entre  les  villages  d'IIaybes  et  de 
Daigny.  Ce  mouvement  était  en  cours  d'exécution,  lorsque  le  l^'*'  bataillon 
(commandant  Mathieu),  fut  arrêté  par  le  général  Ducrot,  qui  lui  prescrivit 
de  se  porter  sur  les  hauteurs  à  l'est  de  Givonne,  sur  la  rive  gauche  du  ruis- 
seau de  ce  nom,  dans  le  but  de  s'opposer  k  la  marche  des  Allemands,  qui 
commençaient  à  déboucher  au  sud  de  Villers-Cernay.  11  était  alors  six  heures 
du  matin;  ce  bataillon  se  dirigea  sur  la  position  qui  lui  était  indiquée;  mais 
à  peine  y  arrivait-il,  qu'il  était  accueilli  par  une  forte  canonnade  partant  des 
batteries  françaises.  Il  se  replia  et  attendit,  pour  se  reporter  en  avant,  que, 
sur  l'ordre  d'un  officier  de  l'état-major,  ces  batteries  eussent  cessé  le  feu. 
Pendant  ce  temps,  il  était  rejoint  par  deux  bataillons  du  3*  zouaves,  sous  les 
ordres  du  lieutenant-colonel  Méric. 

Mais,  à  la  faveur  de  ce  retard ,  l'ennemi  avait  pu  s'avancer  par  le  bois  Che- 
valier, et  garnir  de  nombreux  défenseurs  la  lisière  de  ce  dernier,  do  sorte  que, 
lorsifue  le  commandant  Mathieu  voulut  gagner  du  terrain,  il  fut  soudain 
arrêté  par  un  violent  feu  de  mousqueterie.  Deux  compagnies  lurent  alors 
déployées  parallèlement  au  chemin  de  Givonne  à  Villers-Cernay,  et  la  lutte 


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[1870]  EN  FRANGE  3S5 

B*engagca  aussitôt  entre  les  Tirailleurs  et  les  Allemands.  Ceux-ci  continuaient 
à  déboucher  entre  la  Moncclle  et  Rubécourt,  et,  comme  à  Frœschwillery 
appuyaient  leur  mouvement  par  le  feu  d'une  formidable  artillerie.  Ayant 
beaucoup  de  terrain  à  couvrir,  le  commandant  Mathieu  dut  déployer  trois 
autres  compagnies,  n'en  conservant  ainsi  qu'une  seule  en  réserve.  A  ce 
moment,  rcnncmi  voulut  tenter  l'assaut  de  notre  position;  son  infanterie 
sortit  du  bois ,  mais  les  Tirailleurs  prévinrent  son  attaque  par  une  charge  à  la 
baïonnette  et  la  rejetèrent  en  désordre  sur  ses  réserves. 

Sous  la  protection  de  ce  vigoureux  mouvement  offensif,  les  zouaves  avaient 
pu  se  déployer  à  leur  tour;  ils  relevèrent  notre  ligne,  fort  éprouvée  par  cet 
effort,  et  le  l^'  bataillon,  rallié  et  reformé,  se  reporta,  sur  l'ordre  du  général 
de  Lartiguo,  de  l'autre  côté  du  ravin  de  Givonne,  pour  servir  de  soutien  à 
une  batterie  d'artillerie.  Il  se  trouva  alors  établi  à  la  gauche  de  la  cavalerie 
du  général  Marguerittc,  que  deux  compagnies,  sous  les  ordres  du  capitaine 
adjudant- major  Chevreuil,  eurent  mission  d'appuyer. 

II  était  un  peu  plus  de  huit  heures  ;  le  général  Ducrot  venait  de  prendre  le 
commandement  et  d'ordonner  la  retraite  sur  Mézières;  la  batterie  d'artillerie 
cessa  son  tir  et  se  mit  en  devoir  de  se  replier.  N'ayant  point  d'ordres,  le 
commandant  Mathieu  suivit  son  mouvement  avec  les  quatre  compagnies  qui 
restaient  encore  dans  sa  main ,  et  eut  ainsi  l'occasion  de  sauver  une  pièce  qui 
allait  tomber  entre  les  mains  de  l'ennemi.  Cette  dernière  venait  de  perdre  ses 
chevaux  ;  force  allait  être  aux  artilleurs  de  l'abandonner,  lorsque  les  Tirail- 
leurs arrivent,  s'y  attèlent  eux-mêmes,  la  traînent  pendant  au  moins  deux 
cents  mètres  sous  le  feu  des  Allemands,  et  la  remettent  enfin  à  un  attelage 
de  renfort. 

A  partir  de  ce  moment ,  le  commandant  Mathieu  ne  reçut  plus  aucun  ordre 
ni  aucune  direction.  En  vain  demanda-t-il  des  indications  aux  généraux  et 
officiers  d*élat- major  qu'il  rencontra,  personne  ne  put  lui  en  fournir.  Bat- 
tait-on en  retraite?  Ueprcnait-onroffensive?  Chacun  l'ignorait.  La  confusion 
était  partout.  Çà  et  là  c'était  de  l'infanterie,  de  rartillerie  ou  de  la  cavalerie 
qui  s*en  allait  au  hasard  ,  et  qu'une  puissance  inexplicable  portait  vers  Sedan. 
Le  commandant  fit  comme  à  peu  près  tout  le  monde  ;  il  chercha  son  régiment, 
ne  le  trouva  pas,  et  finalement  se  mit  à  la  suite  d'un  gros  d'artillerie  et  de 
cavalerie  qui  rentrait  dans  la  place.  II  était  cinq  heures  du  soir;  depuis  deux 
heures  le  drapeau  blanc  avait  été  arboré  sur  l'ordre  de  Tempereur;  la  lutte 
continuait  encore  dans  la  direction  de  Balan;  sur  les  autres  points  elle  avait 
cessé. 

Lorsque  les  2®  et  3^  bataillons  avaient  été  envoyés  en  soutien  du  2«  régi- 
ment de  marche,  sur  la  droite  le  combat  était  encore  circonscrit  au  front 
la  Moncelle-Bazeilles  qu'attaquaient  les  Bavarois  et  une  division  du  xii*  corps. 
Malgré  sa  supériorité ,  l'ennemi  n'avait  encore  aucunement  progressé.  Nos 
deux  bataillons  se  formèrent  en  deux  colonnes  à  distance  de  peloton ,  face  à 
la  lisière  ouest  du  bois  Chevalier.  Mais  cette  disposition  fut  bientôt  modifiée 
par  le  général  Carrey  de  Bellemare,  qui  ordonna  un  changement  de  direction 
à  gauche,  de  façon  à  placer  notre  ligne  parallèlement  au  ravin  de  Givonne. 

Vers  sept  heures,  l'ennemi  commençant  à  apparaître  sur  les  hauteurs  de 


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336  LB  3*  RÉGIMENT  DB  TIRAILLBUR8  ALGÉRIENS  [1870] 

la  Moncelloi  le  colonel  Barrué  fit  porier  la  2*  compagnie  du  3®  bataillon  (capi- 
taine Delahogue)  dans  un  petit  bois  situé  sur  la  pente  du  ravin  de  Givonne, 
un  peu  au-dessus  du  village  de  Daigny.  Cette  compagnie  se  déploya  en  tirail- 
leurs; mais  à  peine  se  fut-elle  engagée  dans  le  bois,  qu'elle  se  trouva  en 
présence  d'un  fort  détachement  de  la  garde  royale  prussienne,  qui  s'était 
avancé  sous  le  couvert  des  ravins  débouchant  sur  le  ruisseau  de  Givonne, 
dans  le  but  de  surprendre  notre  ligne,  ce  qui  serait  efTcctivement  arrivé  un 
instant  auparavant.  En  ce  moment,  il  y  avait  surprise  de?  deux  côtés,  mais 
surtout  chez  les  Allemands  qui,  loin  de  leurs  réserves  et  vigoureusement 
abordés  par  la  compagnie  du  capitaine  Delahogue,  qui  venait  d*étre  renforcée 
de  la  3*  du  3<>  bataillon  (lieutenant  Bernad),  se  re tirèrent jprécipitamment, 
laissant  une  trentaine  de  morts  sur  le  terrain.  Dès  lors  l'infanterie  ennemie 
ne  fit  plus  aucune  tentative  sur  ce  point,  et  le  bois  fut  complètement  évacué. 
L'intention  de  nos  adversaires  était  évidemment  de  nous  maintenir  avec  leur 
puissante  artillerie  jusqu'à  ce  que  le  mouvement  enveloppant  de  leurs  ailes 
fût  achevé. 

  la  suite  de  ce  léger  engagement,  les  2«  et  3«  bataillons  avaient  pris  posi- 
tion en  arrière  du  bois,  au-dessous  d'une  batterie  de  douze  qui  essayait  de 
répondre  au  feu  des  Allemands.  Dans  le  début,  le  régiment  n'eut  pas  trop  à 
souffrir  de  ce  gigantesque  duel  d'artillerie;  mais,  vers  huit  heures,  nos  bat- 
teries de  première  ligne  ayant  reçu  l'ordre  de  battre  en  retraite,  celles  de 
l'ennemi  purent  se  rapprocher  en  toute  sécurité,  et  leur  tir  devint  excessive- 
ment meurtrier;  toutefois  elles  ne  parvinrent  pas  à  déloger  nos  compagnies, 
qui  restèrent  impassibles  sous  cette  pluie  d'obus. 

A  huit  heures  et  demie ,  le  général  de  Wimpffen  ayant  réclamé  le  comman- 
dement en  chef,  le  mouvement  de  retraite  sur  Mézières  fut  brusquement 
arrêté.  Les  troupes  des  1«'  et  12®  corps  reçurent  même  bientôt  l'ordre  de 
reprendre  l'offensive  et  de  chasser  les  Allemands  des  positions  qu'on  venait 
volontairement  de  leur  abandonner;  mais  tout  au  plus  put -on  se  maintenir 
sur  celles  qu'on  avait  conservées;  le  12«  corps  surtout,  malgré  sa  bonne  con- 
tenance et  ses  tentatives  répétées,  dut  renoncer  k  regagner  le  terrain  perdu. 
Il  fallait  cependant  arrêter  les  progrès  de  l'ennenii;  le  commandant  Uapp  fut 
envoyé  avec  son  bataillon  (le  3<>)  pour  appuyer  le  58<>  de  ligne,  qui  avait 
rétrogradé  vers  le  Fond -de -Givonne,  où  il  résistait  énergiquement  aux  efforts 
des  Bavarois.  Le  commandant  ne  disposait  que  de  quatre  compagnies  *  ;  il  en 
déploya  trois  sur  la  crête  et  gorda  l'autre  eu  réserve.  Pur  suite  de  cette  nou- 
velle disposition,  les  2^  et  *i^  bataillons  du  régiiuout  foruiuiont  iiiuiulonunt, 
celui-ci  la  gauche  du  12*  corps,  celui-là  la  droite  du  i^'.  Il  était  environ  dix 
heures  ;  sur  toute  la  ligne  de  Givonne -Daigny,  nos  troupes  étaient  aux  prises 
avec  l'ennemi,  dont  la  marche  enveloppante  s'accusait  de  plus  en  plus  du 
côté  d'illy. 

Malgré  cela,  la  lutte  héroïque  soutenue  depuis  le  matin  par  les  troupes  du 
général  Lebrun  se  continuait  avec  une  rare  ténacité  de  la  part  de  celles-ci 

VLes  2«  et  z;  on  se  le  rappelle,  avaient  été  détadiées  dans  le  petit  bois  au-dessus 
de  Daigny. 


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[f870]  BN  FRANGE  337 

qui  malheureusement  étaient  absolument  exténuées.  Sur  ce  point,  les  Alle- 
mands avançaient  toujours;  vers  midi ,  ils  franchissaient  le  Fond-de-Givonne, 
et  notre  ligne  n^était  plus  qu*à  une  faible  distance  du  bois  de  la  Garenne.  Le 
l^''  corps  avait  dû  céder  comme  le  12»,  et  se  trouvait  maintenant  en  grando 
partie  concentré  sur  le  plateau  d*II]y,  que  le  général  Ducrot  défendait  avec  la 
plus  grande  opiniâtreté;  seules  quelques  fractions  do  la  division  de  Lartigue, 
dont  les  2«  et  3^^  bataillons  du  3^  Tirailleurs,  oprès  avoir  maintenu  l'ennemi 
sur  la  rive  gaucho  de  la  Givonne,  faisaient  encore  face  aux  forces  allemandes 
qui  s^avançaient  par  Daigny.  Le  général  de  Lartigue  venait  d'être  blessé;  le 
général  Fraboulet  de  Kerléadec  avait  pris  le  commandement. 

La  situation  était  devenue  désespérée;  on  ne  combattait  plus  que  pour 
l'honneur;  la  résistance  n'étant  même  plus  possible,  le  général  de  Kerl^dec 
ordonna  la  retraite  sur  Sedan.  Le  mouvement  s'exécuta  sous  la  direction  du 
général  de  Bcllcmare;  le  ii^  bataillon  do  Tirailleurs  se  retira  en  bon  ordre  sur 
une  ligne  d'infanterie  et  d'artillerie  établie  à  environ  quinze  cents  mètres  do  la 
première  position ,  et  qui  semblait  avoir  été  disposée  pour  protéger  cette  opé- 
ration,  quoique  le  hasard  seul  en  eût  décidé  ainsi.  Arrivé  là,  le  général  de 
brigade  lui  fit  continuer  son  mouvement  sur  Sedan,  où  il  pénétra  vers  deux 
heures ,  au  milieu  de  l'indescriptible  confusion  qui  commençait  à  y  régner. 

Resté  le  dernier  sur  la  position  où  il  avait  été  déployé  au  commencement 
de  la  journée,  le  2°  bataillon  (commandant  Petitjean)  n'avait  cédé  le  terrain 
que  pas  à  pas  et  en  combattant  toujours,  ou  plutôt  en  se  reformant  continuel- 
lement sous  les  coups  de  l'artillerie  allemande;  car,  ainsi  que  nous  l'avons 
dit,  l'infanterie  ennemie  se  tenait  autant  que  possible  hors  de  la  portée  de 
nos  fusils.  II  se  replia  ainsi ,  peu  à  peu  et  par  échelons ,  vers  l'extrémité 
sud  du  bois  de  la  Garenne ,  où  il  essaya  encore  de  prendre  position  ;  mais , 
accablé  por  un  feu  violent,  abandonné  à  son  propre  sort,  il  finit  par  suivre  le 
mouvement  générol  et  se  dirigea  oussi  sur  Sedan,  dont  il  s'était  d'ailleurs 
considérnblnmcnt  rapproché.  Il  était  environ  trois  heures  et  demie:  les  portos 
de  la  ville  avaient  été  ouvertes  toutes  grondes,  et  tout  le  monde  maintenant 
s'engoufl'rait,  s'entassait  dans  ce  réduit  fait  pour  contenir  dix  mille  hommes, 
et  qui  allait  en  renfermer  quatre -vingt  mille. 

Cependant,  au  milieu  des  péripéties  successives  de  cette  lutte  impossible, 
dont  des  ordres  et  des  contre-ordres  avaient  par  deux  ou  trois  fois  changé  le 
but  et  la  direction,  on  avait  complètement  oublié  les  deux  compagnies  dé- 
ployées le  matin  dans  le  petit  bois  du  ravin  de  Givonne.  Ne  sachant  rien  de  ce 
qui  se  passait  en  arrière,  le  capitaine  Delahogue  était  resté  en  position  avec  sa 
petite  troupe ,  qu'il  avait  disposée  de  son  mieux  pour  la  dissimuler  aux  vues 
de  l'ennemi,  qui  continuait  à  fouiller  le  bois  avec  son  artillerie.  Une  heure, 
deux  heures,  trois  heures  se  passèrent  oinsi;  pendant  ce  temps,  le  mouve- 
ment de  retraite  avait  été  commencé,  interrompu  et  repris;  le  feu  de  nos 
batteries  s'était  peu  à  peu  éloigné,  et  notre  infanterie  s'était  retirée  en  arrière 
de  la  crête  dominant  le  ravin.  Enfin  le  capitaine  Delahogue  aperçut  une 
ambulance  près  du  villogc  de  Daigny;  il  crut  que  les  Français  s'étaient  portés 
en  avant,  et  se  dirigea  droit  vers  le  groupe  qu'il  avait  devant  lui,  et  au  milieu 
duquel  il  distinguait  parfaitement  l'uniforme  d'un  de  nos  médecins.  Sa  joie 

22 


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838  US  3®  RÉGIIIBNT  DB  tiRAILLBURS  ALGteiBNS  [1870] 

fut  grande  en  reconnaissant  le  docteur  Reboud,  du  régiment;  mais  elle  ne 
devait  pas  ôtre  de  longue  durée.  Ce  dernier  lui  apprit  on  effet  qu'il  avait  été 
fiiit  prisonnier  un  instant  auparavant,  et  qu'il  se  trouvait  dans  une  ambu- 
lance prussienne.  Il  n'y  avait  pas  un  instant  à  perdre;  le  capitaine  rallia  ses 
deux  compagnies,  parvint  à  les  dérober  aux  Allemands,  dont  les  bataillons 
s'avançaient  de  tous  côtés,  gagna  le  point  où  il  avait  laissé  le  régiment,  n*y 
trouva  personne,  et  se  mit  à  son  tour  en  retraite  sur  Sedan,  sans  arriver  à 
retrouver  son  bataillon,  qui  suivait  une  autre  direction ^ 

Par  ce  qui  précède,  on  voit  qu'à  ce  moment  le  régiment  se  trouvait  dispersé 
sur  tous  les  points  du  champ  de  bataille  :  le  l*'  bataillon  avait  quatre  com- 
pagnies avec  le  commandant  Mathieu,  qui  s'était  perdu  au  milieu  des  débris 
des  1*'  et  7«  corps ,  et  deux  avec  le  capitaine  Chevreuil ,  que  personnne  n'avait 
revu;  le  2*,  avec  lequel  étaient  restés  le  colonel  Barrué  et  le  lieutenant-colonel 
Aubry,  n'avait  plus  aucune  liaison  avec  le  3«,  qui  lui-môme  comptait  deux 
compagnies  sur  le  sort  desquelles  le  commandant  Rapp  n'était  nullement 
fixé.  Comment  toutes  ces  fractions  parvinrent- elles  à  se  retrouver?  Par  l'eHct 
du  hasard  d'abord ,  et  ensuite  grôce  à  cette  invincible  attraction  qui  faisait 
converger  tout  le  monde  vers  ce  centre  fatal  :  Sedan. 

Vers  quatre  heures,  les  2«  et  3®  bataillons  se  trouvèrent  en  effet  réunis 
près  du  café  de  la  Comédie ,  sur  la  place  Turenne ,  que  le  colonel  Barrué  avait 
indiquée  comme  point  de  ralliement.  Bien  que  le  drapeau  blanc  eût  été  arboré, 
l'artillerie  ennemie  tirait  toujours.  Tout  à  coup  se  répandit  le  bruit  que 
Bazaine  arrivait  de  Metz;  en  môme  temps  quelques  groupes  de  soldats  de 
tous  les  corps  passèrent  en  répétant  cette  nouvelle.  Ils  allaient  à  Balan,  où, 
disaient-ils,  le  général  de  Wimpffen  faisait  une  trouée.  A  ce  moment,  entra 
dans  Sedan  le  capitaine  Delahogue  avec  les  deux  compagnies  du  3*  bataillon 
qu'on  avait  oubliées.  Au  milieu  de  la  cohue ,  il  rencontre  le  lieutenant  Sou- 
lice:  €  Où  est  le  drapeau?  »  lui  dit-il.  M.  Soulice  lui  répond  qu'en  prévision 
des  événements,  le  drapeau  a  été  caché  au  fond  d'une  citerne,  sur  l'ordre  du 
colonel  Barrué,  mais  que,  s'il  croit  qu'il  puisse  servir  à  grouper  quelques 
combattants ,  il  court  le  chercher.  Un  instant  après  il  arrive  avec  ce  glorieux 
symbole  de  la  patrie,  dont  l'eau  a  confondu  les  couleurs,  dont  seule  la  croix 
d'honneur  a  conservé  tout  son  éclat,  et  ces  deux  officiers  se  mettent  à  la  tôte 
de  tout  ce  qu'ils  peuvent  réunir,  cherchant  à  entraîner  le  plus  de  monde 
possible  du  côté  où  l'on  se  bat.  Mais  la  poussée  devient  telle  dans  les  rues  de 
Sedan ,  qu'ils  éprouvent  les  plus  grandes  difficultés  pour  sortir.  En  vain  récla- 
ment-ils le  passage  pour  le  drapeau  décoré  du  3«  Tirailleurs,  on  n'y  prend 
pas  garde;  on  ne  salue  môme  plus  cet  emblème  sacré.  Enfin  ils  sont  dehors; 
tout  ce  qui  a  pu  les  suivre  (environ  deux  cents  hommes)  se  réunit  autour 
d'eux;  ils  se  précipitent  vers  Balan.  Hais  tout  est  fini;  on  tiraille  encore 
quelques  instants ,  puis  le  général  de  Wimpffen  passe  au  galop  de  son  cheval , 
se  dirigeant  vers  Sedan;  derrière  lui  vient  un  flot  do  fuyards  :  la  dernière 
tentative  pour  briser  le  cercle  de  fer  qui  étreint  nos  troupes  a  échoué,  ces 
dernières  sont  irrévocablement  à  la  merci  du  vainqueur*  A  six  heures,  le 

*  D'après  le  récit  da  capitaine  Deiabogue ,  aujourd'hui  chef  de  bat&Uion  en  retraite. 


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[1870}  BN  FRANGE  839 

général  de  Wimpflen  se  rendait  auprès  de  Tétat -major  allemand  pour  diacater 
les  conditions  de  la  capitulation.  G*en  était  fait  de  l'armée  de  Cbfllons,  c'en 
était  fait  de  la  dernière  armée  qui  aurait  pu  sauver  la  France  I 

Si  quelque  chose  eût  pu  consoler  les  braves  officiers  du  régiment  de  ce 
désastre  qui  trompait  leurs  généreux  efforts,  c'eût  été  l'attitude  calme  et 
respectueuse  que  gardèrent  les  Tirailleurs  au  milieu  des  scènes  de  désordre  et 
d'indiscipline  dont  ils  furent  à  chaque  instant  les  témoins.  De  même  qu'au 
combat  ils  avaient  fait  preuve  de  cette  indomptable  bravoure  qui  est  leur 
seconde  nature,  de  même,  dans  l'infortune,  ils  restaient  cette  troupe  soumise 
et  dévouée  qu'ils  avaient  toujours  été,  troupe  que  la  défaite  peut  abattre, 
mais  que  le  malheur  ne  saurait  désorganiser.  Oui,  disons-le  sans  craindre 
d*étre  démenti,  le  sentiment  militaire  qui  fait  la  force  d'une  armée,  la  subor- 
dination qui  maintient  chacun  dans  le  devoir ,  étaient  restés  intacts  ches  ces 
hommes,  qui  ne  discutaient  nos  revers  que  pour  les  attribuer  à  la  fatalité.  Que 
leur  importaient  les  fautes  commises  ?  En  ce  qui  les  concernait  n'avaient-ils 
pas  toujours  vu  leurs  chefs  au  premier  rang?  Si  l'on  était  battu,  c'est  que 
Dieu  le  voulait  :  Mektouh  Rahhi^, 

Ceux  qui  ont  vu  le  soldat  indigène  dans  des  circonstances  difficiles  ne 
seront  nullement  étonnés  de  ce  que  nous  venons  d'affirmer.  Aucun  n'a  peut- 
Atro  pour  l'officier  plus  do  dévouement  et  plus  de  considération.  C'est  facile  à 
expliquer  :  il  accorde  h  celui-ci  une  telle  supériorité,  il  le  sent  tellement  au- 
dessus  do  lui ,  il  se  rend  si  bien  compte  que  lui-même  n'est  que  le  bras  qui 
frappe,  et  que  le  chef  est  la  tête  qui  dirige,  qu'il  conserve  toujours  une  entière 
obéissance  à  ce  dernier,  et  que  cette  obéissance  est  d'autant  plus  aveugle, 
d'autant  plus  absolue,  que  le  danger  ou  les  difficultés  sont  plus  grands. 

A  Sedan ,  le  régiment  avait  été  ce  qu'on  l'avait  vu  à  Frœschwiller  :  admi- 
rable. Malgré  l'épouvantable  feu  d'artillerie  auquel  il  avait  été  exposé,  pas 
une  faiblesse,  pas  un  mouvement  d'hésitation,  pas  un  désordre  ne  s'était 
produit  dans  ses  rangs.  Nulle  part  l'ennemi  n'avait  pu  le  déloger;  partout  il 
ne  s*était  retiré  que  sur  les  ordres  qui  lui  avaient  été  donnés.  La  tentative  sur 
Balan  donne  une  idée  de  ce  qu'on  aurait  encore  pu  obtenir  de  lui. 

Sans  être  aussi  considérables  que  le  6  août,  ses  pertes  étaient  cependant 
sensibles,  et  provenaient  à  peu  près  toutes  des  obus  ennemis,  ce  qui  donnait 
aux  blessures  une  extrême  gravité. 

Parmi  les  officiers  étaient  tués  : 

MM.  Henry,  capitaine. 

Bosquette,  d9 

Soumagne,  d* 

Étaient  blessés  : 

MM.  Règne,  lieutenant. 

Walter,  sous-lieutenant. 

<  C'était  écrit  chez  Dieu. 


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340  LE  3*  RÉGIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

Il  y  avait  on  tout  de  cent  tronto  à  cent  cinquante  bomiues  hors  do  combat. 

Le  capitaine  adjudant -major  Cheyreuil,  le  lieutenant  Carré  de  Busaerolle 
et  le  sous-lieutenant  Mustapha -ben-el-Hadj-Otman  avaient  disparu,  ainsi 
que  les  deux  compagnies  envoyées  en  soutien  de  la  cavalerie.  On  sut  plus 
tard  que  cette  fraction  du  régiment  avait,  le  matin  d*assez  bonne  heure, 
suivi  le  mouvement  d'une  partie  du  3^  zouaves  et  du  56^  de  ligne  vers  la 
frontière  belge,  et,  par  la  route  de  Bouillon  encore  libre,  gagné  Hézièrcs,  où 
elle  s*était  ralliée  aux  troupes  du  général  Vinoy. 

Le  2  septembre,  le  3<>  Tirailleurs  alla  camper  sur  la  face  nord  des  remparls 
de  Sedan.  Vers  deux  heures  du  soir,  on  connut  les  termes  de  la  capitulation  : 
l'armée  entière  était  prisonnière  de  guerre.  Il  serait  cependant  c  fuit  excep- 
c  tion  pour  les  généraux  et  officiers,  ainsi  que  pour  les  employés  spéciaux 
c  ayant  rang  d*officier,  qui  engageraient  leur  parole  d'honneur ,  par  écrit,  de 
(c  ne  pas  porter  les  armes  contre  l'Allemagne,  et  de  n'agir  en  aucune  autre 
c  manière  contre  ses  intéréls  jusqu'à  la  fin  de  la  guerre  actuelle'  d.  Est- il 
besoin  de  dire  qu'il  ne  fut  aucun  officier  au  régiment  pour  accepter  de  telles 
conditions?  C*eût  été  renier  l'esprit  du  corps  auquel  ils  appartenaient,  et 
perdre  à  jamais  l'estime  de  leurs  camarades  et  la  confiance  de  leurs  soldats; 
tous  suivirent  la  seule  voie  de  l'honneur  en  accompagnant  ceux-ci  en  Alle- 
magne et  en  partageant  leur  destinée  jusqu'au  bout. 

Dès  qu'on  eut  appris  le  sort  réservé  aux  vaincus,  le  colonel  Darrué  ordonna 
la  deslruciiou  du  drapeau.  Ce  dernier  fut  d*abord  déchiré  et  distribué  à  Ions 
les  officiers  qui  se  trouvaient  là,  pour  que  chacun  d'eux  en  possédât  un  lam- 
beau; puis,  la  croix  de  la  Légion  d'honneur  qui  se  balançait  en  haut  de  sa 
hampe  ayant  été  confiée  au  commandant  Mathieu,  ce  qui  restait  encore  fut 
livré  aux  fiammes  par  les  soins  des  capitaines  Monlignault  et  Lalanne  des 
Camps,  pour  que  l'ennemi  n*eût  pas  le  moindre  débris  de  ce  témoin  de  nos 
victoires  passées. 

Il  en  fut  de  même  des  fanioos  de  compagnie,  ainsi  que  des  armes,  que 
l'autorité  allemande  avait  ordonné  de  déposer  sur-le-champ  entre  ses  mains. 
Tous  les  fusils,  sans  exception,  furent  brisés  ou  jetés  dans  la  Meuse.  On 
répartit  ce  qui  restait  de  la  caisse  du  corps  entre  tous  les  officiers.  Aucun 
trophée,  aucune  valeur,  aucune  dépouille  provenant  du  3<»  Tirailleurs  ne 
devait  servir  à  l'orgueil  du  vainqueur. 

La  convention  conclue  entre  le  général  de  Mollkeet  le  général  de  Winiplfen 
décidait  que  l'armée  française  serait  dirigée  sous  escorte  do  Sedan  à  la  pres- 
qu'île d'Iges;  de  là  elle  devait  ensuite  être  acheminée  par  délacheaientH 
sur  l'Allemagne,  pour  y  être  internée,  par  petits  groupes,  dans  les  forteresses 
de  l'intérieur. 

En  exécution  de  ces  dispositions,  le  3  septembre,  vers  deux  heures  du  soir, 
le  régiment  sortit  de  la  place  par  la  porte  Tory  et  se  rendit,  sans  armes, 
au  lieu  indiqué.  Les  officiers,  quoique  n'exerçant  plus  aucun  commandement, 
avaient  provisoirement  pu  conserver  leur  sabre;  plus  tard  on  le  leur  demanda, 
mais  la  plupart  préférèrent  le  briser  plutôt  que  de  le  remettre. 

*  Article  S  du  protocole. 


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[1870]  EN  FRANCE  341 

Pnrr|iir'0?i  itnnfi  un  ^Iroil  ofipnro  niiloiir  ilii  villnf^n  irigofl,  non  tronpofi  nllniont, 
pon<lniit  MX  jourfi,  coiinnîlrn  toiilofi  les  liorrourfl  do  ]a  faim,  touloa  loa  aoiif-' 
rrnncon  fin  froid  oi  de  Thninidil^,  tonlnfi  Ion  nnfvoiBflOS  d*uno  situation  qui 
menaçait  de  devenir  intolérable  pour  elles,  et,  chose  plus  terrible  encore, 
toute  rhnmiliation  de  la  déFaite.  N'ayant  en  eflct  rien  prévu,  rien  préparé, 
rien  disposé,  —  peut-être  &  dessein ,  —  pour  la  subsistance  et  I Installation  de 
ces  soixante-dix  mille  hommes  agglomérés  sur  un  point  qui  n'olTrait  aucune 
ressource,  Tautorité  allemande  allait  les  laisser  sans  vivres ,  sans  pain,  sans 
abri,  sans  paille,  sans  bois,  au  milieu  de  la  boue,  confondus  avec  les  che- 
vaux; et,  non  contente  de  cette  négligence,  de  ce  procédé  barbare  réprouvé 
par  les  lois  de  Thumanité,  elle  devait  encore  faire  subir  à  nos  malheureux 
soldais  tous  les  mauvais  traitements  que  peut  dicter  la  brutalité  alliée  à  une 
féroce  jalousie,  de  n'était  pas  assez  pour  nos  implacables  ennemis  d*avotr 
vaincu  les  glorieux  débris  de  cette  armée  qu'ils  avaient  Bi  longtemps  redoutée, 
il  leur  fallait  encore  la  satisfaction  de  les  insulter. 

Raconter  ce  qui  se  passa  pendant  ces  quelques  jours,  qui  firent  donner  le 
nom  de  camp  de  la  misrre  au  triste  emplacement  qui  vit  de  pareilles  éprouves, 
serait  faire  le  tableau  le  plus  navrant  qu'il  ait  jamais  été  donné  à  aucune 
plume  d'essayer.  Nous  préférons  passer  sous  silence  les  cruautés  inqualifiables 
de  nos  adversaires,  sûrs  que  ceux  qui  en  ont  été  les  victimes  ne  pourront  les 
oublier,  et  qu'ils  en  légueront  le  souvenir  à  ceux  qui  se  préparent  à  les  venger. 

Le  7  septembre,  les  sous-officiers  et  les  soldats  furent  séparés  de  leurs 
officiers*  et  prirent  le  chemin  de  l'Allemagne.  Triste  séparation  1  tristes 
adieux  I  triste  départ  I  Quand  allait- on  se  revoir  ?  Les  Tirailleurs  s'emparaient 
des  mains  de  leurs  chefs  et  les  embrassaient  fiévreusement.  Beaucoup  de 
vieux  braves  pleuraient;  d'autres  s'en  allaient  la  tôto  basse,  hagards,  anéantis, 
sans  volonté.  Qu'on  songe  en  effet  au  sort  de  ces  pauvres  gens  :  loin  do  leur 
pays,  loin  de  leur  patrie,  loin  de  tout  ce  qui  aurait  pu  être  une  consolation 
pour  eux,  au  moment  où  ils  allaient  avoir  besoin  de  défenseurs,  de  guides, 
de  soutiens ,  on  leur  enlevait  ceux  en  qui  ils  se  reposaient  entièrement  de  leur 
destinée,  leurs  pères,  comme  ils  les  appellent  souvent.  Les  officiers  étaient 
non  moins  émus;  il  y  en  avait  là  qui,  depuis  dix  ans  et  même  plus,  vivaient 
avec  les  mêmes  hommes ,  partageant  avec  eux  les  mêmes  fatigues ,  les  mêmes 
privations,  les  mêmes  dangers;  et  maintenant,  à  l'heure  où  ils  auraient  pu 
leur  rendre  en  sollicitude  ce  qu'ils  en  avaient  reçu  en  dévouement,  il  fallait 
les  quitter,  les  abandonner  à  de  farouches  gardiens  qui  ne  pouvaient  savoir 
quelles  fières  Ames  se  cachaient  sous  ces  visages  bronzés. 

Le  même  jour,  les  officiers  supérieurs,  ainsi  que  les  lieutenants  et  sous- 
lieutenants  quittèrent  Iges  pour  Pont -à-Mousson  :  les  premiers  librement, 
après  avoir  donné  leur  porole  de  se  présenter  le  10  septembre  au  commandant 
prussien  de  ce  dernier  poste;  les  seconds  à  pied ,  par  détachements  de  quatre 
cents.  Le  lendemain ,  ce  fut  le  tour  des  capitaines,  pour  lesquels  on  n'eut  pas 
plus  d'égard  que  pour  les  autres  officiers  subalternes. 

1  Une  fat  fait  exception  que  pour  les  officiers  indigènes,  dont  les  Allemands  pensaient 
n*avoir  rien  à,  craindre  et  que,  pour  cette  raison,  ils  confondirent  à  peu  près  avec  les 
soas-ofiiders  du  corps. 


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842  LE  3<^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [iS70l 

Disséminés  par  petites  Tractions  dans  les  diverses  villes  do  l*Alleinagno,  les 
sous -officiers  et  soldats  du  régiment  eurent  plus  ou  moins  à  souflrir  des 
rigueurs  de  ceux  qui  étaient  chargés  de  les  garder,  et  des  intempéries  d*un 
hiver  des  plus  meurtriers.  Beaucoup  succombèrent.  Dans  certaines  places,  les 
maladies  épidémiques  vinrent  s'ajouter  à  l'inclémence  du  climat  et  augmenter 
considérablement  le  nombre  des  victimes.  Quant  aux  officiers ,  pour  être  un 
peu  mieux  traités ,  ils  n'échappèrent  pas  non  plus  à  ces  souffrances  morales 
et  matérielles;  l'un  d'eux,  H.  Teilhard  doLaiérisso,  lieutenant  démission- 
naire, rappelé  au  service  au  mois  d'août,  et  qui  s'était  fait  remarquer  par  son 
xèle  et  son  énergie,  mourut  du  typhus  à  Magdebourg.  Pendant  ce  temps,  tous 
assistaient  de  loin  à  une  autre  agonie,  plus  terrible,  plus  douloureuse,  plus 
pénible  encore  pour  eux  :  celle  de  la  France. 

Indépendamment  des  officiers  et  des  Tirailleurs  qui  étaient  parvenus  à 
s'échapper  de  Sedan,  tout  ce  qui,  au  début  de  la  guerre,  avait  été  dirigé  sur 
le  Rhin  par  le  régiment, n'avait  pas  été  fait  prisonnier  dans  cette  fatale 
journée  du  1^  septembre.  Quelques  groupes,  peu  importants,  il  est  vrai,  mais 
dont  il  y  aurait  ingratitude  à  ne  point  parler,  n'avaient  pu,  par  suite  de  cir- 
constances diverses,  suivre  le  mouvement  de  l'armée  sur  Chfllons,  et,  sous 
les  ordres  d'officiers  appartenant  également  au  corps,  devaient  se  trouver 
môles  à  deux  événements  remarquables  :  à  la  défense  deStrasbouii;  et  à  celle 
de  Phalsbourg. 

Le  matin  du  6  août,  on  s'attendait  si  peu  à  une  bataille,  que  plusieurs 
corvées  avaient  été  envoyées  à  Reischshoflen ,  les  unes  pour  y  emporter  les 
couvertures  de  campement  qu'on  expédiait  à  Strasbourg,  les  autres  pour  y 
chercher  des  vivres.  Dans  ces  dernières,  s'en  trouvait  une  du  3«  Tirailleurs, 
qui,  partie  de  bonne  heure,  arriva  au  moment  où  le  canon  commençait  à 
tonner.  Pendant  longtemps  elle  attendit  son  tour  de  distribution  ;  mais,  aux 
premières  nouvelles,  l'administration  ayant  fait  filer  le  convoi,  elle  ne  toucha 
rien.  Les  fuyards  commençaient  à  arriver;  leurs  rapports  étaient  des  plus 
alarmants  :  il  ne  fallait  même  pas  compter  sur  le  salut  de  l'armée.  Due  sorte 
de  panique  se  répandit  alors  dans  ces  détachements,  et  la  plupart,  sans 
attendre  le  résultat  final  de  la  lutte ,  se  mirent  d'abord  en  retraite  sur  Ha- 
guenau,  puis  enfin  sur  Strasbourg.  C'est  ainsi  qu'environ  cent  hommes, 
appartenant  à  toutes  les  compagnies  du  régiment,  se  trouvèrent  enfermés 
dans  cette  place  lorsque  l'ennemi  s'y  présenta,  le  8  août.  La  veille  y  étaient 
également  arrivés  le  capitaine  do  Larochclambert  et  les  sous -lieutenants 
Tourret  et  Amar-ben-Medeli,  tous  les  trois  blessés  à  Frœschwiller.  A  ce 
groupe  se  joignirent  le  petit  dépôt  et  les  quelques  malingres  qui  n'avaient  pu 
partir  pour  Haguenau,  et  l'on  en  forma  une  compagnie,  dont  le  capitaine  de 
Larochelambert  eut  le  commandement  lorsqu'il  fut  rétabli.  Cette  dernière 
prit  part  à  toutes  les  opérations  et  à  tous  les  travaux  de  la  défense. 

On  sait  l'héroïque  résistance  qu'opposa  la  vaillante  cité  alsacienne  aux 
troupes  du  général  Werder.  Sous  les  ordros  du  général  Uhrich ,  la  garnison 
de  Strasbourg,  bravement  secondée  par  les  habitants,  déjoua  pendant  près 
de  deux  mois  les  tentatives  de  soixante-cinq  mille  Allemands,  pourvus  de 
deux  cent  quarante  pièces  de  canon.  Enfin,  le  27  septembre,  il  fallut  capi- 


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[f870]  EN  FRANCS  433 

tuler ,  et  la  petite  fraction  du  corps  qui  avait  échappé  à  nos  premiers  malhears 
dut  à  son  tour  partir  en  captivité. 

Les  mêmes  causes  qui  avaient  retenu  les  officiers  ci-dessus  dans  Strasbourg 
assiégé  firent  que  le  capitaine  Giraud,  le  lieutenant  Beaumont  et  le  sous- 
lieutenant  Larbi-ben-el-Haoussin  furent  appelés,  avec  quelques  Tirailleurs 
provenant  en  grande  partie  des  blessés  du  6  août,  à  concourir  à  la  défense  de 
Pbalsbourg,  Tune  des  plus  belles,  pour  ne  pas  dire  la  plus  glorieuse  qu*ait 
vue  la  guerre  néfaste  de  1870. 

La  place  était  commandée  par  le  chef  de  bataillon  Taillant,  officier  éner- 
gique, qui  sut  inspirer,  non  seulement  à  ses  troupes,  mais  encore  à  la  popula- 
tion ,  le  sentiment  du  devoir  poussé  jusqu'au  sacrifice.  Phaisbourg  ne  capitula 
pas;  dix  parlementaires  allemands  se  présentèrent  et  furent  successivement 
éconduits.  Lorsque  tous  les  moyens  de  résistance  furent  épuisés;  lorsqu'il  ne 
resta  plus  un  seul  morceau  de  pain  noir;  lorsque  les  hommes  chancelants 
n'eurent  plus  la  force  de  supporter  les  privations  ;  .lorsque  la  famine  eut  com- 
mencé sa  terrible  moisson  parmi  tant  de  braves  que  les  obus  prussiens 
n'avaient  pu  intimider,  le  commandant  Taillant  fit  répandre  les  poudres  dans 
la  neige ,  enclouer  les  canons ,  détruire  tout  ce  qui  aurait  pu  être  de  quelque 
utilité  à  Tennemi  ou  lui  servir  de  trophée,  puis  il  prévint  ce  dernier  qu'étant 
hors  d'état  de  continuer  la  lutte  il  lui  livrait  la  ville,  c  Vous  nous  trouverez, 
disait -il,  désarmés,  mais  non  vaincus.  »  Cette  fière  attitude  inspira  aux  Alle- 
mands une  des  seules  générosités  qu'ils  aient  eues  dans  toute  la  campagne  : 
la  garnison  eut  le  droit  d'emporter  ses  bagages. 

Dans  cette  lutte  de  chaque  jour  et  de  chaque  nuit,  les  Tirailleurs  avaient 
retrouvé  tous  les  instincts  du  partisan ,  du  Kabyle  à  l'aflïit  derrière  un  buisson 
ou  derrière  un  rocher.  Quelques-uns  étaient  devenus  de  remarquables  tireurs. 

c  Dans  l'après-midi  du  18  août,  raconte  le  général  Ambert\  toute  la  gar- 
nison put  voir  deux  sentinelles  prussiennes  qui  se  promenaient  gravement 
à  douze  cents  mètres  environ  du  bastion  n^  2.  On  se  mit  à  les  canarder, 
mais  les  sentinelles  ne  changeaient  pas  de  place  et  saluaient  en  Atant  leurs 
casquettes  lorsque  les  balles  faisaient  jaillir  la  terre  autour  d'elles.  L'adjudant 
du  63*  prend  un  fusil  et  fait  feu  ;  cette  fois  les  Prussiens  détalent  sans  saluer, 
et  nos  soldats  applaudissent  joyeusement. 

c  Uuclqueà  heures  après,  un  turco  ajuste  avec  soin  une  troisième  sentinelle. 
Il  tire,  et  le  Prussien  s'aflaisse.  Un  de  ses  camarades  accourt  pour  le  relever; 
mais  le  turco,  qui  a  rechargé  son  fusil,  le  renverse.  Tout  fier  de  ce  double  suc- 
cès, l'Algérien  fait  tournoyer  son  fusil  au-dessus  de  sa  tête  en  dansant  et  en 
chantant  d'une  étrange  façon  :  c  Le  Prousse  morto,  tous  les  Prousses  mortel  » 

Il  ne  nous  a  pas  été  possible  de  retrouver  le  nom  de  ce  brave  Tirailleur. 

Parmi  les  hommes  hors  de  combat  que  compta  notre  faible  détachement 
pendant  toute  la  durée  du  blocus,  se  trouvait  un  officier,  M.  Larbi-ben-el- 
Haoussin,  sous-lieutenant. 

Phaisbourg  succomba  le  12  décembre.  Sa  résistance  avait  duré  quatre  mois. 

<  Récits  militairei. 


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CHAPITRE  XVI 


ARMÉE  DE  LA  LOIRE 


Formation  à  Salnt-Gloud  d*un  régiment  de  marche  de  Tirailleurs  algériens.  —  Départ  de 
Paris.  —  Arrivée  &  Bourges.  --  Premières  opérations  autour  d'Orléans  avec  le  général 
de  Polbès.  —  Retraite  en  Sologne.  —  Commandement  du  général  de  la  Motterouge.  — 
RéoGCupation  d*Oi*léans.  —  Combat  do  Toury.  —  Défaite  d'Arteuay.  —  DcuxiiMuo  éva- 
cuation d*Orléans.  —  Le  générai  do  la  Alotlci-ouge  est  remplacé  par  lo  général  d*Au- 
rcllo  de  Paladlncs.  —  Arrivée  d'un  bataillon  de  Tirailleurs  venant  d'Algérie.  —  Nou- 
velle constitution  du  régiment  de  marche.  —  Organisation  de  la  première  armée  do 
la  Loire.  —  Marche  sur  Orléans.  —  Bataille  de  Coulmicrs.  —  Séjour  à  Chilieurs-aux- 
Bois.  ^  Défaite  de  Loigny.  ^  Retraite  sur  Orléans.  —  Troisième  évacuation  de  la  ville. 
—  L'armée  se  replie  sur  Bourges;  sa  nouvelle  organisation.  —  Départ  de  Gonstan- 
tine  de  quatre  nouvelles  compagnies,  sous  les  ordres  du  capitaine  adjudant-major 
Égrot.  ^  Opérations  auxquelles  elles  prennent  part  avec  les  troupes  du  18«  corps.  — 
Combat  de  Maizières.  —  Elles  rejoignent  le  régiment  à  Coudray.  —  Dernières  opéra- 
tions de  la  première  armée  de  la  Loire. 


Le  désastre  de  Sedan,  en  faisant  prisonniers  les  trois  bataillons  qui  au 
début  de  la  campagne  avaient  été  fournis  par  le  3«  régiment  de  Tirailleurs 
algériens,  semblait  devoir  exclure  désormais  celui-ci  de  la  lutte.  C'était,  en 
somme,  avec  le  renfort  qui  avait  rejoint  à  Reims,  un  chiffre  de  deux  mille 
cinq  cents  hommes  qui  avait  été  prélevé  sur  son  effectif;  et,  si  Ton  songe  à  la 
quantité  de  postes  dont  la  garde  lui  était  confiée  dans  la  province  de  Constan- 
tine;  si  l'on  tient  compte  de  la  situation  particulière  qui  était  faite  à  notre 
colonie  par  suite  de  nos  revers ,  les  quelques  compagnies  qui  restaient  encore 
en  Algérie  ne  pouvaient  guère  en  être  retirées.  Mais  l'heure  n'était  pas  plus 
aux  hésitations  qu'aux  prévisions  pcssimisles  :  la  patrie  éluit  en  danger;  elle 
avait  besoin  do  soldats;  il  fallait  la  défendre  d'abord,  on  verrait  ensuite.  Avec 
un  héroïsme  dont  ses  ennemis  la  croyaient  incapable ,  la  France  avait  saisi 
d'une  main  vigoureuse  le  tronçon  d'épée  que  lui  avait  laissé  l'Empire  en  s'af- 
faissant,  et  avec  cette  arme  brisée  elle  se  disposait  à  arrêter  l'envahisseur. 


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[1870]  EN  FRANCS  &45 

Pour  cela,  il  lui  fallait  le  concours  de  tous  les  dévouements,  la  mobilisation 
de  toutes  ses  ressources  :  on  allait  faire  appel  à  tout  ce  qui  restait  des  vieux 
régiments;  on  allait  épuiser  tous  les  dépôts;  on  allait  demander  à  TAlgérie 
elle-même  tout  ce  qui  n'était  pas  absolument  indispensable  au  maintien  de  sa 
sécurité,  et  ces  derniers  débris  do  notre  vieille  armée  allaient  servir  de  noyau 
à  des  armées  nouvelles  qui  allaient  surgir  do  toutes  parts,  et  faire  croire  un 
instant  au  retour  de  la  fortune  militaire  de  notre  pays. 

Déjà,  après  la  bataille  de  Frœschwiller,  les  dépôts  des  trois  régiments  de 
Tirailleurs  s'étaient  hâtés  de  diriger  sur  les  bataillons  de  guerre  le  nombre  de 
soldats  nécessaires  pour  combler  en  partie  les  vides  énormes  faits  par  le  feu  de 
Tennemi.  Quelques-uns  de  ces  détachements  avaient  pu  rallier  leur  corps  avant 
le  1^'  septembre,  les  autres  avaient  été  dirigés  sur  Paris;  ces  derniers  furent 
bientôt  rejoints  par  les  nombreuses  fractions  qui  avaient  pu  s'échapper  de 
Sedan,  lesquelles  gagnèrent  la  capitale  soit  isolément,  soit  à  la  suite  du  gé- 
néral Vinoy.  Nous  avons  vu  que  deux  compagnies  du  1«'  bataillon  du  3«  ré- 
giment avaient  été  dans  ce  cas;  avec  elles  se  trouvaient  trois  officiers  : 
MM.  Chevreuil,  capitainc-adjudant-major;  Carré  de  Dusserollc,  lieutenant,  et 
Muslapha-ben-el-IIadj-Osman ,  sous-lieutenant.  Tous  ces  débris  furent  réunis 
à  Saint-Cloud  par  les  soins  du  colonel  Morandy  \  du  l^""  régiment,  et  du  ca- 
pitaine Chevreuil ,  qui  fut  presque  aussitôt  nommé  au  grade  supérieur,  ainsi 
que  les  deux  ofliciers  qui  l'avaient  accompagné.  Bientôt  ces  précieuses  épaves 
rcspréscnlèrcnl  un  efTeclif  assez  considérable,  et,  le  9  septembre,  une  décision 
ministérielle,  qui  fut  plus  tard  complétée  par  un  décret  du  2  octobre,  vint 
ordonner  la  formation  d'un  régiment  de  marche  de  Tirailleurs  algériens  avec 
ces  éléments  et  ceux  que  pourraient  fournir  la  portion  de  chaque  régiment 
restée  en  Algérie.  En  principe,  le  régiment  de  marche  devait  comprendre  trois 
bataillons  correspondant  aux  trois  régiments  actifs*;  mais,  comme  il  aurait 
fallu  près  d*un  mois  pour  attendre  les  renforts  complémentaires,  et  que  la 
marche  des  Allemands  sur  Paris  rendait  pressante  la  concentration  de  quelques 
troupes  sur  la  Loire  afîn  de  protéger  Orléans,  le  colonel  Morandy  divisa  les 
compagnies  qu'il  avait  pu  reformer  en  deux  bataillons,  et  le  régiment  se 
trouva  provisoirement  constitué  de  la  manière  suivante  : 

M.  Morandy,  colonel. 

1«'  BATAILLON 


l'e  compagnie  (!«'  T.) 
M.  de  Raymond-Cahusac,  lieutenant. 


2«  compagnie  (!«'  T.) 
M.  Renard,  sous-lieutenant. 


1  Ne  s*étnit  pas  échnppô  do  Sedan.  Son  état  do  santé  ayant,  quelques  jours  aupa- 
ravant, nécessité  son  entrée  \  Tambulance,  il  avait  aussitôt  été  évacué  sur  Paris  ainsi 
que  plusieurs  autres  officiers  se  trouvant  dans  son  cas. 

*  Le  2«  régiment,  qui  fut,  comme  on  le  sait,  presque  anéanti  à  Frœschwiller,  ne  put 
jamais  envoyer  plus  de  deux  compagnies  au  régiment  de  marche.  Par  contre,  les  !•'  et 
8*  en  fournirent  chacun  huit. 


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845  LB  8*  RÉQIMBNT  DB  TIRAILLBUR8  ALGÉRIENS 

3^  compagnie  {l^^  T.) 
M.  Morinière,  BOus-lieutenant. 

4*  compagnie  (!•'  T.) 
M.  Gaujard,  lieutenant  au  2«  régiment. 


(1870] 


5«  compagnie  [l^  T.) 
M.  Brandi ,  sous-lieutenant. 

6*  compagnie  (l*'  T.) 
M.  Cellier,  lieutenant. 


2«  BATAILLON 

M.  Chevreuil ,  chef  de  bataillon. 


1»  compagnie  (2«  T.) 
M.  Comte,  lieutenant. 

2*  compagnie  (2«  T.) 
M.  Bastouil ,  sous-lieutenant. 

3«  compagnie  (3*  T.) 
M.  Carré  de  BusseroUe,  capitaine. 


4*  compagnie  (i^  T.) 
M.  Esparron^  lieutenant. 

5*  compagnie  (3«  T.) 
M.Mustapha-l)en-el-Hadj-Otman,lieut. 

6*  compagnie  (3'  T.) 
M.  Wacquez*,  lieutenant. 


L'effectif  8*élevait  à  environ  mille  trois  cents  hommes. 

Ainsi  organisé  et  encadré,  le  régiment  de  Tirailleurs  algériens  quitta  Saint- 
Cloud  le  15  septembre  pour  entrer  dans  Paris,  où  il  fut  caserne  au  quartier 
de  Rcuilly  ;  il  passa  là  les  journées  des  16  et  17,  et,  le  18  à  quatre  heures  du 
matin ,  cW-à-dire  au  moment  où  les  lU*  et  iv*  armées  allemandes  arrivaient 
devant  la  capitale,  il  se  rendit  à  la  gare  Montparnasse,  où,  à  neuf  heures,  il 
prit  le  chemin  de  fer  pour  Bourges,  où  se  réunissaient  les  premiers  éléments 
d*un  15*  corps  d*armée.  Le  lendemain  il  était  à  Tours,  et,  le  21 ,  il  arrivait  à 
destination. 

De  Bourges,  où  commandait  le  général  de  Polhès,  les  Tirailleurs  furent 
immédiatement  dirigés  sur  Orléans  par  la  voie  ferrée.  11  s'agissait  de  couvrir 
cette  ville  contre  des  forces  ennemies  dont  on  ignorait  l'importance,  mais 
qu'on  savait  détachées  par  les  armées  assiégeant  Paris.  Arrivé  le  22  au  soir, 
le  24,  le  régiment  se  porta  à  Vitry-aux-Loges,  en  passant  par  Pont-aux-Moines 
et  Fay-aux-Loges.  Sa  mission  était  d'appuyer,  avec  quelques  autres  troupes 
d'infanterie,  les  faibles  détachements  de  cavalerie  qui  avaient  été  réunis  en 
avant  de  la  forél  d'Orléans,  dans  le  but  d'interdire  celle-ci  aux  nombreuses 
reconnaissances  allemandes  qui  depuis  quelques  jours  faisaient  des  pointes 
audacieuses  dans  toutes  les  directions. 

Le  26,  ce  ne  fut  plus  une  simple  reconnaissance,  mais  toute  une  division, 
évaluée  à  environ  huit  mille  hommes,  qui  se  montra  entre  Orléans  et  Pithi- 

^  M.  Esparron  était  parti  d'Algérie  avec  les  seconds  renforts  envoyés  au  3«  régiment 
do  Tirailleurs. 

*  OIflder  du  %•  Tirailleurs  détaché  provisoirement  pour  commander  une  compagnie 
du8«. 

Nota.  —  L*indtcation  (!•'  T.),  (2«  T.).  (3*  T.).  qui  suit  le  numéro  de  chaque  compagnie, 
sert  à  distinguer  le  régiment  auquel  appartenait  celle-ci. 


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[1870]  EN  FRANCIS  347 

viers.  Devant  ce  déploiement  de  forces ,  auxquelles  elles  étaient  incapables  de 
résister,  nos  troupes  rentrèrent  à  Orléans.  Là  le  général  de  Polhès  assembla 
un  conseil  de  guerre,  et,  Tavis  de  la  majorité  ayant  été  que  la  ville  ne  pou* 
vait  être  défendue,  il  fut  décidé  qu'op  Tévacuerait  pour  lui  éviter  les  horreurs 
d*un  assaut.  Le  27,  à  quatre  heures  du  matin,  on  se  mit  donc  en  retraite  vers 
le  sud,  et  Ton  ne  s'arrêta  qu'à  la  Ferté-Saint- Aubin.  Le  28,  le  mouvement 
continua  sur  la  Motte-Beuvron.  Le  même  jour,  le  général  de  Polhès  fut  des- 
titué par  une  dépêche  de  Tours ,  et  les  troupes  reçurent  Tordre  de  revenir  sur 
leurs  pas  et  de  réoccuper  la  ville  et  la  forêt  d'Orléans ,  où  Tennemi  n'avait 
même  pas  paru.  Le  lendemain ,  le  régiment  prenait  le  chemin  de  fer,  et  le  soir 
couchait  à  la  caserne  de  l'Étape. 

Au  général  de  Polhès  avait  succédé  le  général  de  la  Motterouge.  C'était  une 
vieille  connaissance  pour  les  Tirailleurs;  c'est  sous  ses  ordres  qu'ils  avaient 
combattu  à  llobcchctto,  à  Magenta  et  à  Solférino;  aussi  fut-il  assuré  d'avance 
de  toute  leur  confiance  et  de  tout  leur  dévouement. 

La  tâche  qui  lui  était  laissée  par  son  prédécesseur  ou  plutôt  imposée  par 
le  gouvernement  de  Tours  était  lourde,  nous  dirons  même  plus,  écrasante. 
Il  lui  fallait,  en  effet,  organiser  de  toutes  pièces  le  15«  corps,  et  cela  avec 
des  troupes  disparates,  sans  cohésion,  déjà  découragées  sans  avoir  combattu; 
puis,  avec  cette  armée  improvisée,  prendre  l'offensive,  chasser  l'ennemi  des 
environs  d'Orléans,  dégager  la  route  de  Paris  et  marcher  ensuite  au  secours 
de  la  capitale  assiégée.  Il  y  consacra  tous  ses  efforts;  mais,  n'ayant  à  mettre 
en  ligne  que  des  soldats  insuffisamment  encadrés  ou  inexpérimentés ,  il  devait 
fatalement  échouer. 

Les  Tirailleurs  algériens  restèrent  à  Orléans  les  l^^*,  2  et  3  octobre.  Par  un 
décret  de  ce  dernier  jour,  le  colonel  Morandy  ayant  été  nommé  général  de 
brigade,  ce  fut  dès  lors,  et  jusqu'à  la  nomination  d'un  lieutenant-colonel,  le 
commandant  Chevreuil  qui  exerça  le  commandement  du  régiment  de  marche. 
Le  4,  celui-ci  se  mit  en  route  pour  Chevilly,  à  seize  kilomètres  au  nord.  Il 
devait  appuyer  une  opération  de  cavalerie  dirigée  par  le  général  Reyau  contre 
le  village  de  Toury,  occupé  en  force  par  le  P'  corps  bavarois  (général  Von  der 
Thann). 

Arrivées  à  Chevilly  de  bonne  heure,  les  troupes  s'y  reposèrent  le  restant 
de  la  journée;  à  minuit,  elles  prirent  le  café,  et,  à  deux  heures  du  matin, 
elles  se  mirent  en  marche  sur  trois  colonnes.  Les  Tirailleurs  étaient  à  celle 
de  droite,  qui  se  composait  en  outre  de  deux  régiments  de  cuirassiers  et  d*une 
demi-batterie  d'artillerie.  Le  général  Ressayre  en  avait  le  commandement. 
Cette  colonne  atteignit  d'abord  Artenay  en  suivant  la  grande  route  de  Paris; 
puis,  tournant  à  droite,  elle  se  porta  directement  sur  Toury  par  Lion-en- 
Beauce,  Oison  et  Tivernon.  Les  deux  autres  devaient  se  diriger  vers  le  même 
objectif,  celle  de  gauche  (général  Michel)  en  passant  par  Janville,  celle  du 
centre  (général  de  Longuerue)  en  longeant  la  chaussée  du  chemin  de  fer.  A 
Tivernon  se  trouvait  un  poste  de  douze  hommes  de  la  garde  royale  bava- 
roise. 11  n'eut  pas  le  temps  de  se  replier,  et  fut  enlevé  par  la  compagnie 
d'avant-garde. 

Il  était  sept  heures  quand  on  arriva  devant  Toury.  Les  Allemands,  qui  les 


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848  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

les  jours  précédents  y  avaient  réuni  un  important  convoi  de  bestiaux  destiné 
au  ravitaillement  de  leur  armée  de  Paris,  s'empressaient  de  faire  filer  celui-ci 
sur  la  route  de  Chartres.  Le  général  Ressayre  prit  position  à  Test  du  chemin 
de  fer;  deux  compagnies  du  régiment  furent  déployées  en  tirailleurs,  et  les 
autres  s'établirent  en  arrière  de  l'artillerie,  qui  ouvrit  immédiatement  le  feu 
sur  la  cavalerie  ennemie  en  bataille  en  avant  de  Toury.  A  la  gauche  de  la  voie 
ft^rrée,  le  général  de  Longuorue  avait  pris  les  mâmes  dispositions.  La  cavalerie 
allemande,  se  voyant  ainsi  menacée  par  notre  infanterie  et  notre  artillerie, 
battit  alors  en  retraite  sur  Jan ville  en  démascjuant  une  ballerie,  qui  se  mit  à 
répondre  vigoureusement  à  notre  tir.  Pendant  ce  temps,  le  régiment  s'était 
porté  en  avant  et  avait  délogé  environ  deux  mille  Bavarofs  du  village  de 
Tellay. 

Cependant  l'ennemi  ne  cherchait  qu'à  gagner  du  temps ,  afin  de  permettre 
à  son  convoi  de  s'éloigner;  son  intention  était  visiblement  de  ne  pas  s'enga- 
ger; mais  le  général  Reyau  le  fit  attaquer  en  tête  par  son  artillerie,  et  en  queue 
par  les  Tirailleurs  algériens,  qu'il  lança  contre  le  village  de  Toury.  Les  Alle- 
mands cherchèrent  alors  à  nous  arrêter  par  le  feu  d'une  deuxième  batterie, 
et  parvinrent  môme  à  éteindre  celui  de  nos  pièces;  mais,  exécuté  avec  un 
remarquable  entrain,  le  mouvement  sur  Toury  fut  couronné  d'un  plein  suc- 
cès, et  nous  rendit  maîtres  d'une  vingtaine  de  voilures  de  vivres  et  d'une 
centaine  do  tôtes  de  bétail.  C'était  peu ,  il  est  vrai  ;  mais,  outre  que  nos  pertes 
étaient  peu  sensibles,  ce  polit  combat,  mené  avec  brancoup  de  vigueur  cl 
terminé  par  la  retraite  de  nos  adversaires,  avait  donné  à  nos  troupes  une  con- 
fiance qu'elles  ne  connaissaient  plus  et  qui  augurait  bien  de  l'avenir.  A  onze 
heures  du  malin,  tout  était  terminé,  et  le  régiment  rôlrogradait  sur  Artenay 
afin  d'y  passer  la  nuit;  seule  la  compagnie  du  lieutenant  Gaujard  restait  avec 
une  brigade  de  cavalerie  et  une  demi-batterie  d'artillerie  pour  surveiller  la 
route  de  Chartres.  Le  6  au  soir,  la  division  Reyau  reprit  son  mouvement  en 
avant  et  se  porta  à  Aschères,  où  elle  fut  ralliée  par  les  troupes  laissées  la 
veille  à  Toury.  Le  lendemain ,  elle  atteignit  Pithiviers,  qui  était  occupé  depuis 
vingt-quatre  heures  par  nos  francs-tireurs  ;  le  8,  elle  fit  sc'ijour. 

C'était  trop  se  hftter  de  mettre  en  ligne  le  15°  corps,  encore  en  pleine  voie 
d'organisation,  et  donner  ainsi  à  l'ennemi  une  excellente  occasion  de  prendre 
sa  revanche  du  combat  du  5.  Disposant  en  eflet  de  tout  le  i^^"  corps  bavarois, 
de  la  22*  division  d'infanterie  et  des  2^  et  4«  divisions  de  cavalerie,  le  général 
Von  der  Thann  n'avait  pas  tardé  à  reprendre  l'ofTensive  et  à  marcher  en  même 
temps  sur  Artenay  et  sur  Pithiviers.  Dès  le  9,  ses  avant-postes  étaient  en  vue 
de  cette  dernière  ville.  Le  soir  même,  l'ordre  fut  donné  de  se  replier  sur  Or- 
léans. On  marcha  jusqu'à  une  heure  assez  avancée  de  la  nuit,  et  le  régiment 
de  Tirailleurs  algériens,  avec  lequel  se  trouvait  le  général  Reyau,  s'arrêta  à 
Neuville-aux-Bois,  ainsi  que  le  6^  régiment  de  cuirassiers. 

Le  10,  la  marche  continua  sur  Chovilly.  On  arriva  à  dix  heures.  Une  demi- 
heure  après,  au  moment  où  ilfaisail  dresser  les  tentes,  le  comuiandunl  Che- 
vreuil reçut  l'ordre  de  repartir  :  Artenay  était  attaqué.  Lorsque  le  régiment 
arriva  sur  le  champ  de  bataille,  vers  onze  heures  et  demie,  le  générai  de  Lon- 
guerue,  qui  avait  été  laissé  dans  le  village,  venait  d'en  être  chassé  par  des 


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[1870]  EN  FRANCE  349 

forces  considérables  et  de  prendre  position  derrière  la  chaussée  du  chemin  de 
fer,  où  il  résistait  énergiquement  aux  nouyelles  attaques  de  Tennemi.  Un  Vio- 
lent combat  d'artillerie  se  trouvait  engagé. 

Après  avoir  mis  sac  à  terre,  les  deux  bataillons  de  Tirailleurs  se  déployèrent 
à  gauche  de  la  route  de  Paris,  à  peu  près  à  huit  cents  mètres  d*Arlenay.  Le 
commandant  Chevreuil  disposa  deux  compagnies  (celles  de  M.  Comte,  du  2«  ré- 
giment, cl  (le  M.  Ësparron,  du  3**)  en  tirailleurs  fuco  au  village.  Celles  do  MM.  de 
Busscrolle  et  Muslapha-bcn-el-lIadj-Otman  furent  désignées  pour  protéger 
une  batterie  d*artillerie  placée  vers  la  gauche  et  en  môme  temps  couvrir  notre 
flanc  de  ce  côté.  Le  lieutenant  Wacquez,  du  2«  Tirailleurs,  commandant  une 
compagnie  du  3»,  fut  envoyé  avec  cette  dernière  en  embuscade  dans  un  petit 
bois,  au  delà  du  chemin  de  fer,  et  le  sous-lieutenant  Brandi,  du  1*'  régiment, 
sur  le  chemin  do  fer  môme,  où  il  dissimula  ses  hommes  dans  les  broussailles 
couvrant  les  abords  de  la  chaussée.  Les  autres  compagnies  restèrent  en  ré- 
serve dans  un  fossé  bordant  la  route.  A  environ  huit  cents  mètres  de  chaque 
côté  de  celle-ci,  en  avant  de  la  Croix-Briquet  et  hors  de  la  portée  du  feu  de 
l'ennemi,  se  trouvait  massée  la  cavalerie*( sept  régiments). 

Fidolcs  aux  principes  Quxf|ucls  ils  s'étaient  invariablement  conformés  do- 
puis  le  commencement  de  celte  campagne,  les  Allemands  commencèrent  aus- 
sitôt l'attaque  avec  loule  leur  artillerie ,  dirigeant  leur  tir  de  façon  à  écraser 
notre  gauche  et  à  empocher  notre  cavalerie  de  manœuvrer.  Après  une  heure 
de  combat,  les  pièces  de  la  batterie  française  se  trouvèrent  en  partie  démon- 
tées; rennomi  en  profita  pour  concentrer  alors  tout  le  feu  des  siennes  sur  nos 
compagnies  ;  puis ,  sous  la  protection  de  cette  pluie  d'obus,  il  chercha  à  porter 
ses  bataillons  en  avant,  en  leur  donnant  pour  principal  objectif  la  droite  du 
régiment  de  Tirailleurs  algériens ,  dont  la  retraite  lui  aurait  assuré  le  succès 
en  lui  permettant  de  couper  notre  petite  troupe  en  deux;  mais,  reçue  à  bonne 
portée  par  le  feu  des  Tirailleurs,  pris  en  flanc  par  celui  d'un  bataillon  de 
chasseurs  formant  la  gauche  de  la  brigade  de  Longuerue,  son  infanterie  dut 
regagner  ses  abris  en  laissant  le  terrain  couvert  de  ses  morts.  Cet  engage- 
ment, vigoureusement  soutenu  par  nos  compagnies  de  première  ligne,  dura 
près  d'une  demi-heure;  puis  la  fusillade,  très  vive  des  deux  côtés,  cessa  tout 
à  coup  chez  les  Allemands,  dont  l'artillerie  seule  continua  le  combat.  Cet 
arrêt  de  leur  part  avait  simplement  pour  but  l'attente  d'autres  troupes  pour 
tenler  un  nouvel  eflbrt. 

Vers  une  heure  et  demie,  la  lutte  reprit  avec  une  nouvelle  intensité; 
appuyée  par  de  fortes  réserves,  l'infanterie  ennemie  ne  se  contenta  plus  d'une 
attaque  sur  notre  droile,  mais  elle  combina  son  oflensive  avec  une  manœuvre 
enveloppante  menaçant  de  déborder  notre  gauche  et  de  nous  couper  la  retraite 
sur  Orléans.  Celle  fois ,  les  compagnies  engagées  furent  sérieusement  éprou- 
vées; mais,  pas  plus  que  dans  leur  première  tentative,  les  Allemands  ne 
parvinrent  à  faire  reculer  les  Tirailleurs;  seule  la  compagnie  du  lieutenant 
Wacquez,  établie  dans  le  petit  bois,  faiblit  un  instant  devant  le  nombre  par 
trop  considérable  des  assaillants;  mais,  presque  aussitôt  renforcée  par  une 
section  du  1^^  régiment,  commandée  par  M.  Morinière,  et  soutenue  par  un 
bataillon  de  mobiles  de  la  Nièvre,  elle  reprit  courageusement  l'oOensivei 


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350  LB  3*  RÉQIMBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

chassa  los  Bavarois  do  la  position  dont  ils  s'étaient  emparés,  et  dégagea  ainsi 
le  bataillon  de  chasseurs,  menacé  d'être  pris  à  revers. 

Il  était  trois  heures;  malgré  son  énorme  supériorité  numérique,  l'ennemi 
n'avait  pas  gagné  un  pouce  de  terrain,  et  pour  la  deuxième  fois  il  avait  été 
obligé  de  se  replier.  Malheureusement  nos  munitions  s'épuisaient,  les  com- 
pagnies de  première  ligne  avaient  brûlé  leurs  dernières  cartouches  ;  il  fallut 
les  faire  relever.  Quoique  ordonné  en  plein  combat,  ce  mouvement  s'effectua 
cependant  en  très  bon  ordre,  gréce  é  un  court  moment  de  répit  que  nous  lais- 
sèrent les  Allemands;  MM.  Comte  et  Esparron  furent  remplacés  par  MM.  de 
Raymond-Cahusac,  dul®'  régiment,  etBastouil,  du  2*,  et  MM.  de  Busserolle 
et  Mustapha  par  MM.  Gaujard  et  Cellier,  tous  les  deux  du  ly  régiment. 

Cependant  l'ennemi  continuait  à  recevoir  des  réserves ,  et  son  mouvement 
tournant  sur  notre  gauche  se  poursuivait  en  dépit  de  nos  succès  partiels. 
Bientôt  la  cavalerie  et  l'artillerie  durent  se  mettre  en  retraite;  les  Tirailleurs 
tenaient  encore,  mais  leur  résistance  ne  pouvait  plus  être  de  longue  durée  : 
dans  quelques  instants,  ils  allaient  être  débordés.  11  était  alors  environ  quatre 
heures;  le  commandant  Chevreuil  se  décida  à  son  tour  à  se  retirer,  mais 
lentement,  sans  cesser  de  combattre  et  en  faisant  protéger  son  mouvement 
par  les  compagnies  Gaujard  et  Cellier,  qui  n'avaient  pas  été  engagées.  On 
rétrograda  ainsi,  par  échelons,  jusqu'au  point  dit  la  Croix- Briquet,  où  s'ef- 
fectua le  ralliement.  A  ce  moment,  l'ennnemi  avançant  toujours,  l'ordre  fut 
donné  de  battre  définitivement  en  retraite  sur  Orléans. 

Toutes  les  troupes  avaient  depuis  un  instant  commencé  le  môme  mouve- 
ment; la  cartouchière  vide,  nos  soldats  s'en  allaient  la  tête  basse,  se  sentant 
accablés,  mais  non  vaincus.  Les  Allemands  nous  poursuivaient  avec  acharne- 
ment. Le  régiment  quitta  la  Croix -Briquet,  et,  partie  par  la  roule,  partie  A 
travers  champs,  se  dirigea  sur  Chevilly.  Tout  à  coup,  au  moment  où  les  der- 
nières compagnies  vont  se  mettre  en  route,  deux  escadrons  de  dragons  prus- 
siens se  jettent  sur  la  gauche  en  poussant  de  grands  cris,  et  se  mettent  & 
sabrer  les  retardataires;  il  s'en  suit  une  sanglante  mêlée  où  les  Tirailleurs 
sont  écrasés  en  détail ,  et  dans  laquelle  ils  vont  fatalement  succomber ,  lorsque, 
conservant  une  attitude  digne  d'une  vieille  troupe,  le  bataillon  de  mobiles  de 
la  Nièvre  dirige  son  tir  sur  la  cavalerie  ennemie,  qui  finit  par  s'éloigner,  pen- 
dant que  les  Tirailleurs,  qui  ont  tout  simplement  été  héroïques,  se  reforment 
rapidement  et  reprennent  leur  marche  interrompue. 

Enfin  on  atteignit  la  forêt  d'Orléans ,  où  les  Allemands  n'osèrent  s'en* 
gager;  quoique  victorieux,  ils  craignaient  encore  de  se  heurter  à  ces  soldats, 
dont  la  ténacité  les  avait  surpris ,  et  desquels  ils  s'attendaient  à  de  vigoureux 
retours  offensifs.  Le  succès  était  d'ailleurs  assez  complet  pour  eux  :  une  seule 
journée  leur  avait  rendu  tout  le  terrain  perdu ,  et  une  partie  de  notre  artillerie 
restait  entre  leurs  mains.  A  neuf  heures  du  soir,  le  régiment  arriva  à  Orléans. 
Les  Tirailleurs,  qui  avaient  marché  ou  combattu  toute  la  journée  sans  prendre 
le  moindre  repos,  étaient  exténués;  ils  avaient  en  outre  énormément  souffert 
du  feu  de  l'ennemi ,  et  les  compagnies ,  n'ayant  pour  la  plupart  plus  do 
sous-officiers,  se  trouvaient  dans  un  état  de  désorganisation  qui  ajoutait 
encore  au  désarroi  de  cette  retraite  précipitée.  La  fraction  du  3*  régiment, 


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[1870]  EN  FRANGE  351 

qui  avait  m>utenu  la  lutte  aux  heures  les  plus  difficiles ,  était  surtout  particu- 
lièremont  décimée  ;  elle  comptait  : 

2  officiers  disparus  :  MM.  Wacquez,  lieutenant,  et  Marot, 

sous-lieutenant  ; 
10  sous-officiers  tués; 
IS  caporaux  ou  Tirailleurs  tués; 
73  sous -officiers,  caporaux  ou  Tirailleurs  blessés; 
118  hommes  disparus. 

Total.   .    218  hommes  hors  de  combat. 

Nos  ennemis  avaient  été  non  moins  éprouvés  :  dans  son  rapport,  le  général 
Von  dcr  Tliann  signalait  un  régiment  de  la  garde  bavaroise  comme  ayant  été 
complètement  anéanti.  Aussi  peut- on  considérer  la  défense  d*Artenay  comme 
un  des  faits  les  plus  honorables  qui  aient  illustré  la  première  armée  de  la 
Loire  et  le  15^  corps  en  particulier;  à  peine  organisé,  ne  comptant  que  des 
éléments  hétérogènes ,  qu'une  main  ferme  et  un  même  commandement  n*a- 
vaîent  point  encore  suffisamment  fondus  entre  eux,  ce  corps  avait  cependant 
su  résister  pendant  toute  une  journée  aux  troupes  aguerries  et  de  beaucoup 
supérieures  en  nombre  du  général  bavarois.  Les  Tirailleurs  surtout  se  mon- 
trèrent encore  de  braves  et  intrépides  soldats ,  ne  doutant  nullement  du  succès 
et  se  sacrifiant  noblement  pour  l'obtenir;  les  derniers  ils  battirent  en  retraite; 
jusque-là  l'ennemi  n'avait  pu  les  déloger.  Qui  sait  même  ce  qui  serait  arrivé 
si,  après  la  tentative  infructueuse  des  Allemands,  on  avait  lancé  contre  leur 
infanterie  les  deux  bataillons  de  notre  héroïque  régiment?  Nos  soldats  l'espé- 
raient, le  demandaient  même  hautement;  mais  le  mot  d'ordre  était  la  défen- 
sive ,  et  personne  n'osa  s'en  écarter. 

La  défaite  du  l^^  corps  découvrait  complètement  Orléans;  tenir  dans  cette 
ville,  il  n'y  fallait  pas  songer.  Le  général  de  la  Motterouge  prit  le  parti,  pour 
sauver  l'armée  et  le  matériel ,  de  passer  la  Loire  et  de  se  retirer  en  Sologne. 
Commencé  dans  la  nuit,  le  mouvement  s'efiectua  le  11  au  matin ,  sous  la 
protection  d'un  corps  de  quatre  mille  hommes,  qui  soutint  jusqu'au  dernier 
moment  un  combat  des  plus  glorieux.  On  se  dirigea  sur  la  Ferté-Saint- 
Aubin ,  où  Ton  arriva  en  assez  bon  ordre  vers  trois  heures  du  soir.  Le  même 
jour,  le  général  de  la  Motterouge  était  destitué  et  remplacé  par  le  général 
d'Aurelle  de  Paladines. 

Le  12,  la  marche  continua  jusqu'à  la  Motte- Beuvron.  Le  lendemain  13, 
les  Tirailleurs  furent  dirigés  sur  Nevers  en  chemin  de  fer,  et,  le  15,  ils  arri- 
vèrent à  Gien ,  ôii  ils  rallièrent  un  bataillon  de  marche  venu  d'Algérie. 

Ce  bataillon,  qui  comptait  six  compagnies,  avait  été  organisé  par  les  soins 
du  général  Durrieu,  gouverneur  général  de  l'Algérie.  Son  effectif  était  de 
douze  cents  hommes,  soit  quatre  cents  hommes  (deux  compagnies)  de  chaque 
régiment.  Il  était  placé  sous  les  ordres  de  H.  le  capitaine  Boussenard,  qui 
peu  de  temps  après  devait  être  nommé  chef  de  bataillon. 

Les  deux  compagnies  envoyées  par  le  3*  régiment,  étaient  la  ?•  du  i*>'  ba- 


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352  US  8*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

taillon  (capitaine  Leiorrain),  et  la  7*  du  2»  (capitaine  Fargue).  Portées  à 
Teffectif  de  deux  cents  hommes,  elles  avaient  quitté  Constantine  le  29  sep- 
tembre en  chemin  de  Ter,  et  étaient  arrivées  à  Philippeville  le  môme  jour; 
embarquées  le  lendemain  30  à  bord  de  V Amérique,  débarquées  à  Marseille 
le  2  octobre,  elles  prenaient  le  soir  même  le  chemin  de  fer  pour  Nevers,  où 
elles  arrivaient  le  3.  N'étant  pas  armées,  elles  ne  pouvaient  rejoindre  le  régi- 
ment de  marche,  alors  aux  prises  avec  l'ennemi;  elles  attendirent  jusqu'au 
15 ,  puis  se  portèrent  à  Gien ,  où  nous  venons  de  voir  qu'elles  se  réunirent  aux 
débris  que  le  commandant  Chevreuil  ramenait  d'Artenay. 

Ce  secours  ne  pouvait  arriver  plus  à  propos;  car,  avec  ce  qui  restait  de 
Tirailleurs  algériens  après  les  terribles  journées  des  5,  10  et  11  octobre, 
à  peine  aurait-on  pu  reconstituer  un  bataillon.  Il  fallut  procéder  à  une  com- 
plète réorganisation  du  corps,  à  une  nouvelle  répartition  des  cadres,  à  un 
autre  classement  des  compagnies.  On  conserva  deux  bataillons;  mais,  afin  de 
donner  à  ceux-ci  plus  d'homogénéité ,  le  l^^  se  composa  uniquement  d'élé- 
ments appartenant  au  ^^'  régiment,  et  le  2<^  groupa  tout  ce  qui  provenait  des 
provinces  de  Constantine  et  d'Oran.  Chacun  d'eux  resta  à  six  compagnies. 
M.  Capdepont,  chef  de  bataillon  au  16«  de  ligne,  nommé  lieutenant-colonel 
par  décret  du  4  octobre,  était  désigné  pour  prendre  le  commandement  du 
régiment.  En  attendant  son  arrivée,  ce  commandement  allait  continuer  à  être 
exercé  par  le  commandant  Chevreuil ,  qui  demeurait  à  la  tête  du  2^  bataillon. 
Les  Tirailleurs  étaient  compris  dans  la  2^  brigade  (général  Bertrand) ,  de  la 
1<^  division  (général  Martin  des  Pallières),  du  1K«>  corps  (d'abord  général 
d'Aurelle  de  Paladines,  puis  général  Martin  des  Pallières). 

Le  16,  on  fit  séjour  à  Gien.  Le  17,  la  2«  brigade  fut  dirigée  sur  Argent, 
qui  venait  d'être  choisi  comme  point  de  concentration  de  la  division  Martin 
des  Pallières.  Le  régiment,  qui  n*avait  touché  ses  armes,  pour  les  détache- 
ments venus  d'Algérie,  que  le  matin,  ne  put  partir  qu'ù  midi,  et  n'arriva 
qu'à  cinq  heures  du  soir.  Là  s'acheva  son  organisation;  elle  fut  laborieuse, 
et  il  ne  fallut  pas  moins  que  l'activité,  l'intelligence  et  le  dévouement  de  tous 
les  ofliciors  pour  la  mener  à  bonne  fin.  On  manquait  de  tout,  de  havre-sacs, 
de  tentes,  de  couvertures,  d'effets  d'habillement,  de  campement  et  d'équi- 
pement. On  dut  improviser  des  moyens  de  transport,  faire  confectionner  dos 
cantines,  des  sacs  d'ambulance,  créer  de  toutes  pièces  un  matériel  que  l'in- 
dustrie civile  n'avait  pas  les  moyens  de  livrer,  et  cela  tout  en  poursuivant 
sans  relâche  l'instruction  des  compagnies. 

A  ce  moment ,  la  première  armée  de  la  Loire  se  bornait  encore  au  15<^  corps; 
on  ne  pouvait  compter  reprendre  la  campagne  que  lorsque  le  16<^,  dont  le 
général  Pourcet  venait  de  recevoir  le  commandement,  serait  venu  se  joindre 
à  ce  premier  noyau.  En  attendant,  le  général  d'Aurelle  s'était  solidement 
établi  à  Salbris  et  à  Argent,  derrière  la  Sauldre,  dans  une  bonne  position 
défensive  lui  permettant  à  la  fois  de  couvrir  Bourges  et  Yierzon. 

Le  24  octobre,  la  marche  sur  Orléans  fut  décidée  dans  un  conseil  de  guerre 
tenu  à  Salbris.  Lo  mouvement  devait  s'eirectucr  par  Blois ,  excepté  pour  la 
Ire  division  du  1S<*  corps,  qui  avait  pour  mission  de  passer  la  Loire  au-dessus 
d'Orléans,  à  Gien,  de  se  rabattre  sur  la  ville  en  cheminant  entre  le  fleuve 


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[1870]  EN  ALGÉRIB  353 

et  ]a  forêt,  et  de  tomber  à  Timproviste  sur  les  derrières  de  Tennemi,  au 
moment  où  celui-ci  serait  aux  prises  avec  les  troupes  chargées  de  FeATort  prin- 
cipal. 

Le  28,  la  2«  brigade^  de  cette  division  quittait  Argent,  pour  se  diriger  çur 
Sully,  où  elle  arrivait  à  quatre  heures  du  soir.  Le  régiment  campa  sur  la  rive 
droite  de  la  Loire,  et  détacha  quatre  compagnies  du  l^^  bataillon  au  village 
do  Donnée,  h  ({uatrc  kilomètres  environ^  Dans  la  journée  du  loudcnmtn,  les 
grand'gardcs  reçurent  Tordre  de  se  replier,  et  la  brigade  repassa  la  Loire. 
Les  Tirailleurs  formèrent  l'arrière -garde  et  n'arrivèrent  que  fort  tard  dans 
la  nuit  à  Sully,  où  ils  s'installèrent  au  bivouac.  Ce  même  jour,  le  lieutenant- 
colonel  Capdepont  avait  pris  possession  de  son  commandement. 

Ce  mouvement  rétrograde  avait  pour  cause  de  nouvelles  instructions  venues 
de  Tours,  et  suspendant  la  marche  sur  Orléans,  jusqu'à  ce  que  la  complète 
organisation  des  troupes  permit  de  l'entreprendre  avec  des  chances  certaines 
de  succès.  En  conséquence,  la  division  des  Pallières  était  provisoirement 
maintenue  à  Argent.  Cependant,  pour  éviter  l'encombrement  et  faciliter  le 
ravitaillement,  cette  disposition  fut  presque  aussitôt  modifiée,  et  la  première 
brigade  seule  resta  A  Argent,  pendant  que  la  2«  allait  s'établir  à  sept  kilo- 
mètres en  arrière,  près  d'Aubigny.  Ce  changement  eut  lieu  le  2  novembre. 
Sur  ces  rnlrcfailcs,  on  opprit  la  capitulation  de  Metz.  Cet  événement  inat- 
tendu, (|ui  allait  rendre  disponible  une  armée  allemande  de  plus  de  deux  coût 
mille  hommes,  changea  toutes  les  combinaisons  de  l'état- major  français: 
l'attente  n*était  plus  possible;  il  fallait  à  tout  prix  réoccuper  Orléans  avant 
que  nos  ennemis  fussent  à  même  de  prendre  l'oflensive.  La  marche  sur  cette 
ville ,  qui  avait  été  interrompue  le  30  octobre ,  fut  donc  reprise  le  7  novembre, 
sans  qu'aucune  modification  importante  vînt  changer  les  dispositions  primi- 
tivement arrêtées.  Rn  exécution  do  ces  nouveaux  ordres,  le  régiment  de 
Tirtiillciirf^  (juitla  Auhigny  h  six  heures  et  demie  du  malin,  et  alla  coucher  à 
Ccrdon.  Le  lendemain  8 ,  il  traversa  de  nouveau  la  Loire  à  Sully,  et  s  arrêta 
À  Uray.  Pendant  ce  temps,  les  2^  et  3*  divisions  du  15<^  corps  et  le  16*  corps 
tout  entier  avaient  remonté  la  rive  gauche  de  la  Loire,  et  s'étaient  déployés 
en  avant  de  la  forêt  de  Marchenoir. 

Le  U,  la  2°  brigade  de  la  division  des  Pallières  quitta  Bray  à  six  heures  du 
matin.  Un  bataillon  de  Tirailleurs  était  à  Pavant-garde.  Bien  que  l*attaque 
d'Orléans  ne  fût  lixéc  que  pour  le  lendemain,  on  n'avançait  qu'avec  circons- 
pection ,  car  on  s'attendait  à  chaque  instant  à  donner  dans  les  avant-postes 
ennemis.  Vers  neuf  heures  et  demie ,  on  commença  à  entendre  une  violente 
canonnade  dans  la  direction  de  Pouest  :  c'était  la  bataille  de  Coulmiers  qui 
s'engageait.  On  se  dirigea  aussitôt,  par  Chftteauneuf,  sur  Orléans,  où  semblait 
se  livrer  le  combat;  mais,  en  arrivant  près  du  village  de  Pont- aux- Mornes, 

»  Celle  brigade  clail  ainsi  composée  : 

Coininamlant  :  M.  Berlrand,  général  do  brigade. 

Tiraîllniirs  algériens  :  M  Capdepont,  lieutenant-colonel. 

29«  régiment  de  marche  :  M.  Cuurlois,  lieuleuant-colonel. 

18°  régiment  de  mobiles  (Oiarenle)  :  M.  d'Angelas,  lieutenantpoolonel. 

4*  balaillon  de  marche  de  chasseurs  à  pied  :  M.  de  Sico,  chef  de  bataillon. 

23 


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854  Lfi  3*  RÉQIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

on  apprit  quorennoini  avait  évacué  la  villo,  ot  qu'il  était  inaiutonaot  ou  ploino 
retraite  sur  Paris.  Ordre  fut  alors  donné  de  se  jeter  à  travers  champs  pour 
tomber  sur  les  derrières  des  Allemands.  Les  troupes  étaient  exténuées;  mais 
Tespoir  d'en  venir  aux  mains,  l'annonce  du  succès  remporté  par  le  général 
d'Âurelle,  l'importance  qu'on  accordait  à  ce  mouvement  qui  n*avait  qu'un 
tort,  celui  de  s'effectuer  malheureusement  un  peu  trop  tard,  tout  contribuait 
à  faire  oublier  les  fatigues  de  la  journée  et  à  diminuer  le  nombre  des  traînards. 
Enfin,  à  la  nuit,  l'avant-garde  arriva  à  Chevilly  ;  mais  le  canon  ne  se  faisait 
déjà  plus  entendre  :  tout  était  terminé.  Ne  pouvant  espérer  joindre  les  fuyards, 
cette  avant -garde,  qui  ne  se  composait  guère  que  des  Tirailleurs,  revint  sur 
ses  pas  pour  passer  avec  la  2*  brigade  la  nuit  à  Boigny ,  pendant  que  la  1^  s'é- 
tablissait à  Fleury-aux-Choux. 

Si  la  1>*  division  du  15*  corps  n'avait  point  pris  part  à  la  bataille  de  Coul- 
miers,  c'est  qu'on  ne  s'attendait  à  une  attaque  sérieuse  des  forces  allemandes 
que  pour  le  lendemain;  autrement,  tout  ce  qu'il  lui  était  possible  de  faire  dans 
cette  journée  elle  l'avait  fait.  Par  le  froid,  le  mauvais  temps,  et  malgré  l'in- 
certitude où  elle  se  trouvait  de  ce  qui  se  passait  en  avant,  elle  avait  marché 
quatorze  heures  sans  s'arrêter  et  fait  quarante- cinq  kilomètres  pour  venir 
joindre  son  canon  à  celui  du  corps  principal.  Dans  cette  circonstance  les  Ti- 
railleurs s'étaient,  comme  toujours,  montrés  infatigables. 

La  nuit  du  9  au  10  fut  une  des  plus  dures  que  nos  soldats  eussent  encore 
vues;  la  pluie  ne  cessa  de  tomber  à  torrents,  et,  sans  autre  abri  que  la  teiilo, 
il  leur  fallut  coucher  dans  une  boue  glacée  formée  de  neige  fondue.  Le  lende- 
main,  la  l^*  brigade  seule  se  remit  à  la  poursuite  de  l'ennemi;  la  2«  alla  la 
remplacer  à  Fleury-aux-Choux  en  passant  par  Semoy.  Le  11 ,  le  régiment  se 
porta  à  Gidy;  le  12,  il  revint  vers  louest  et  s'installa  à  Saint-Lyé. 

  la  suite  de  ce  premier  eflbrt,  les  troupes  avaient  besoin  d'un  certain  repos 
pour  se  réorganiser.  La  confiance  commençait  à  renaître,  mais  il  était  néces- 
saire de  la  fortifier  en  resserrant  les  liens  de  la  discipline,  en  améliorant  autant 
que  les  moyens  le  permettaient  la  situation  umtéricllo  du  soldat,  on  permet- 
tant aux  mobiles  de  s'aguerrir  peu  à  peu  au  contact  des  vieux  régiments  qui 
se  trouvaient  là,  en  un  mot  en  donnant  à  l'armée  un  même  esprit  et  une  en- 
tière cohésion.  Il  n'y  avait  d'ailleurs  pas  à  se  dissimuler  que  toute  tentative 
pour  sortir  d'une  défensive  prudente  pouvait  entraîner  de  funestes  déceptions. 
L'armée  du  général  Von  der  Thann,  renforcée  et  reconstituée,  nous  attendait 
dans  de  bonnes  positions  à  Ângerville,  à  une  journée  de  Toury  ;  celle  du  prince 
Frédéric-Charles  arrivait  à  marches  forcées  :  dans  quelques  jours  cent  cin- 
quante mille  Allemands  allaient  être  aux  portes  d'Orléans.  Ne  voulant  pas 
compromettre  son  succès  par  trop  de  précipitation ,  et  encore  moins  découvrir 
cette  ville,  à  laquelle  la  présence  du  gouvernement  à  Tours  donnait  une  im- 
portance qui  n'échappait  pas  à  nos  ennemis,  le  général  d'Aurelle  s'était  décidé 
dès  le  lendemain  de  Coulmiers  à  se  retrancher  dans  de  bonnes  positions,  et 
à  faire  occuper  solidement  les  principaux  débouchés  de  la  forêt.  Saint-Lyé 
était  un  de  ces  débouchés;  le  r^iment  y  fit  aussitôt  des  travaux  de  défense, 
et  se  mit  en  mesure  de  résister  le  plus  longtemps  possible  aux  attaques  qui 
pourraient  être  dirigées  sur  ce  point. 


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[18701  BN  FRANCE  85(1 

Le  18,  le  général  Martin  des  Pallières  prit  le  commandement  du  15*  corps 
en  remplacement  du  général  d*Aurelle  de  Paladines,  nommé,  depuis  le  14, 
général  en  chef  de  toutes  les  forces  réunies  autour  d'Orléans.  Par  suite  de  ce 
changement,  le  général  Bertrand  était  appelé  au  commandement  de  la  1<'«  di- 
vision, et  le  colonel  Ghoppin-'Merey  placé  à  la  tête  de  la  2«  brigade;  mais  ni 
l'un  ni  Tautre  niellaient  exercer  longtemps  ces  fonctions,  le  premier  ne  devant 
pas  tarder  à  quitter  le  15*  corps,  et  le  second  à  être  relevé  par  le  général  Mi- 
not.  Ce  même  jour,  le  l***  bataillon  du  régiment  reçut  Tordre  de  se  porter  à 
Gourcy-aux-Loges  et  de  s'y  joindre  aux  corps  francs  vendéens  du  colonel  Ga- 
thelineau.  Ces  deux  troupes  étaient  destinées  à  se  jeter  d'abord  dans  la  forêt 
de  Montargis,  puis  dans  celle  de  Fontainebleau,  de  façon  à  couvrir  le  flanc 
droit  de  l'armée  dans  le  cas  d'une  marche  sur  Paris.  En  même  temps  le  lieu- 
tenant-colonel Capdepont  était  envoyé  comme  commandant  supérieur  à  Nou- 
ville-aux-Bois,  de  sorte  qu'il  ne  resta  plus  à  Saint-Lyé  que  le  2^^  bataillon  avec 
le  commandant  Chevreuil. 

Cependant  le  ministre  de  la  guerre  préparait  activement,  presque  à  l'insu 
du  général  en  chef  et  malgré  l'opinion  de  celui-ci ,  un  grand  mouvement  of- 
fensif dont  Paris  devait  être  le  principal  objectif.  Le  plan  élaboré  par  M.  de 
Freycinet  consistait  à  s'emparer  d'abord  de  Pithiviers ,  pour  de  là  se  porter 
ensuite  à  Fontiiincblcau.  La  première  partie  do  ce  programme  devait  être  exé- 
cutée par  le  20"  corps  (général  Crouzat)  récemment  venu  de  TEst,  et  pour  le 
moment  réuni  à  Gien,  et  par  la  \^  division  du  15»  corps,  qui  reçut  l'ordre  de 
se  concentrer  à  Ghilleurs- aux -Bois  et  d'y  attendre  de  nouvelles  instructions. 
A  cet  eiïet,  le  2*  bataillon  de  Tirailleurs  quitta  sa  position  de  Saint-Lyé  le  21, 
et  arriva  le  même  jour  au  point  désigné.  Le  22,  il  rejoignit  le  1^  bataillon  à 
Courcy-aux-Loges ,  mais  le  lendemain  il  fut  rappelé  à  Ghilleurs-aux-Bois. 

Les  opérations  projetées  commencèrent  le  24;  de  nouvelles  dispositions 
avaient  encore  été  adoptées,  et  ce  n'était  plus  le  général  Martin  des  Pallières, 
mais  le  colonel  Billot  avec  le  18*  corps  qui  devait  appuyer  la  marche  du  géné- 
ral Crouzat.  La  l''*  division  du  15*  corps  devait  simplement  demeurer  en  ob- 
servation à  Ghilleurs-aux-Bois,  et  rester  spectatrice  de  ce  qui  allait  se  dérouler 
à  ses  côtés. 

La  journée  du  25  se  passa  sans  incident.  Le  26,  arrivèrent  deux  compagnies  de 
deux  cents  hommes  appartenant  au  l*'  régiment  de  Tirailleurs.  Elles  étaient, 
en  vertu  d'un  décret  du  14  novembre,  destinées  à  servir  à  la  formation  d'un 
3^  bataillon.  Le  complément  de  cette  nouvelle  unité  devait  être  constitué  par 
quatre  compagnies  du  3*  régiment  parties  de  Constantine  sous  les  ordres  du 
capitaine  Égrot  et  provisoirement  détachées  au  18"  corps.  Nous  verrons  plus 
loin  la  part  qu'elles  prirent  aux  glorieux  combats  qu*eut  à  livrer  ce  dernier. 

Les  27  et  28,  le  canon  tonna  violemment  pendant  une  grande  partie  de  la 
journée  du  côté  de  Montargis.  Le  29,  on  apprit  que  les  18*  et  20«  corps  avaient 
été  repoussés  dans  leur  tentative  sur  Beaune-la-Rolande,  et  qu'ils  se  repliaient 
sur  Bellegarde,  à  Pest  de  la  forêt  d'Orléans.  Dans  la  journée,  les  Tirailleurs 
qui  restaient  à  Ghilleurs  s'étaient  portés  à  Gourcy-aux-Loges  pour  renforcer 
le  l*'  bataillon;  mais,  rien  de  grave  n'étant  à  redouter  de  ce  côté,  ils  ren- 
trèrent dans  la  nuit. 


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356  LB  3^  RÉGIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l870] 

Coi  insuccès I  qui  no  justifiait  quo  trop  los  prévisions  du  général  on  chor, 
semblait  devoir  de  nouveau  imposer  à  Tannée  de  la  Loire  ccltu  défensive 
expectante  qu*elle  avait  observée  après  Goulmiers,  lorsque,  le  30  au  soir,  ar- 
riva de  Paris  une  dépêche  du  18,  annonçant  pour  le  29  une  sortie  générale  de 
la  garnison.  On  ne  pouvait,  quoi  qu'il  dût  arriver,  ne  pas  seconder  cette  ten- 
tative par  un  effort  énergique  dans  la  direction  de  la  capitale,  de  manière  à 
pouvoir,  en  cas  de  succès,  donner  la  main  aux  troupes  du  général  Ducrot. 
Aussi,  d'un  commuu  accord,  le  gouvernement  et  le  général  d'AurclIc  déci- 
dèrent-ils que  toutes  les  troupes  se  porteraient  en  avant  en  prenant  Pilliiviei'S 
comme  premier  objectif.  D'après  Je  plan  adopté,  le  17<*  corps  devait  rester 
devant  Orléans,  pendant  que  les  15*  et  16®  exécuteraient  un  changement  de 
front  vers  la  droite,  la  1"*  division  du  15*  servant  de  pivot,  et  que  les  18* 
et  20*  marcheraient  sur  Beaune-la-l\olande  et  Beaumont. 

Ces  différents  mouvements  commencèrent  le  l*'^  décembre  au  matin.  Les 
troupes  du  général  Martin  des  Pallières  n'ayant  pas  à  bouger,  le  régiment 
resta  à  Chilleurs-aux-Bois.  Dès  midi,  le  canon  se  fit  entendre  à  l'ouest  :  c'était 
le  16*  corps  (général  Chanzy)qui  rencontrait  l'ennemi  à  Palay  et  lui  enlevait 
successivement  cette  position  et  celles  de  Monneville,  Villepion  et  FaveroUcs, 
sur  lesquelles  il  passa  la  nuit.  Le  lendemain ,  la  marche  reprit  et  le  combat 
recommença ,  prenant  bientôt  un  développement  nécessitant  l'entrée  en  ligne 
de  tout  le  16*  corps,  de  la  plus  grande  partie  du  17*  et  des  2*  et  3*  divisions 
du  15*.  liO  soir,  le  général  Clianzy  était  obligé  d'évacuer  Loiguy,  enlevé  dans 
la  journée,  et  la  victoire  restait  inconlestableuieut  aux  Alleuiunds.  Le  16"  corps 
était  exténué;  le  17*  avait  perdu  son  chef.  La  lutte  devenant  impossible  dans 
ces  conditions,  il  fut  décidé  que  l'armée  battrait  en  retraite  pour  reprendre 
ses  positions  en  avant  d'Orléans.  Cette  retraite  devait  s'effectuer  sous  la  pro- 
tection de  la  division  Hartineau-Deschenez  du  1 5*  corps  et  par  toutes  les  troupes 
simultanément.  La  1^  division,  qui  n'avait  point  combattu,  était  désignée 
pour  garder  l'enceinte  d'Orléans. 

Le  3,  au  point  du  jour,  le  général  Martin  des  Pallières  dirigea  la  2*  brigade, 
sous  les  ordres  du  général  Minot,  sur  Neuville-aux-Bois,  avec  mission  d'y 
tenir  just|u'à  la  nuit,  puis  de  se  rcpliur  sur  le  reste  de  la  division  ù  Suiiil-Lyé, 
formant  ainsi  l'arrière-garde  de  cette  dernière,  qui,  d'après  les  instructions 
du  général  en  chef,  devait  abandonner  complètement  la  position  de  Cbilleurs- 
aux-Bois.  Arrivé  à  neuf  heures  du  matin,  le  général  Minot  fit  prendre  position 
à  ses  troupes  soit  dans  le  village,  soit  dans  les  abords.  Réduit  à  huit  compa- 
gnies, par  suite  de  l'absence  du  l***  bataillon  resté  à  Courcy-aux-Loges,  le 
régiment  fut  placé  sur  la  droite  et  détacha  sur  son  flanc  la  compagnie  du  lieu- 
tenant Vigel  (du  3*  Tirailleurs) ,  qui  fut  déployée  en  tirailleurs  ;  les  autres 
restèrent  massées.  La  journée  se  passa  sans  incident,  si  ce  n'est  qu'une  forte 
canonnade  indiqua  que  Ghilleurs  était  attaqué.  Le  froid  était  très  vif,  et  dans 
l'après-midi  un  brouillard  épais  couvrit  la  campagne,  empêchant  d'y  voir  à 
cent  pas.  Tout  à  coup,  vers  cinq  heures  du  soir,  la  fusillade  éclata  de  tous  les 
côtés  à  la  fois,  mêlée  aux  cris  et  aux  hourras  des  Prussiens,  qui,  ù  la  faveur 
de  cette  brume  intense,  avaient  pu  se  rapprocher  sans  être  vus.  Surprises, 
nos  troupes  se  replièrent  immédiatement,  et  il  ne  resta  en  position  que  la 


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[1870]  EN  FRANGE.  357 

compagnie  du  Hoatenant  Vigol ,  que  personne  n'avait  fait  prévenir  du  mouve- 
ment rétrograde  qui  s'effectuait.  Celle-ci  essaya  un  instant  de  résister;  mais 
hîcntAt  accablée  par  le  nombre  et  ne  se  voyant  pas  secourue,  elle  ne  chercha 
plus  qu*à  se  dégager,  et  n'y  parvint  malheureusement  qu'au  prix  de  grands 
sacrKîrca  et  en  passant  sur  le  ventre  de  ses  ennemis. 

Le  général  Minot  avait  ordonné  la  retraite  sur  Loury  ;  elle  s'effectua  en  assez 
l)on  ordre;  mais  en  arrivant  devant  ce  village,  l'avant-garde  fut  accueillie  par 
des  coups  de  fusil.  Il  était  huit  heures  du  soir;  l'obscurité  de  la  nuit  ne  pei^ 
mettait  pas  de  distinguer  la  force  de  Tennemi ,  et  l'on  craignit  de  tomber  au 
milieu  d'un  gros  rassemblement;  quelques  feux  do  salve  furent  néanmoins 
diri;;cs  sur  le  point  d'où  venait  la  fusillade,  et  rien  ne  semblait  annoncer  une 
sîliinlion  bien  grave,  lorsque  soudain  la  panique  se  jeta  parmi  nos  troupes  et 
y  provor|im  un  sauve -r|ui- peut  général.  Chaque  groupe,  chaque  fraction  se 
dispersa  ou  hasard,  les  uns  allant  donnor  tête  baissée  dans  les  avant- postes 
ennemis,  les  autres  cherchant  à  gagner  les  parties  les  plus  profondes  de  la 
forêt  pour  atteindre  Orléans,  dont  ils  se  voyaient  complètement  coupés.  De 
CCS  derniers  fut  lo  régiment  de  Tirailleurs,  que  son  chef,  le  lieutenant-colonel 
Capdepont,  était  parvenu  à  maintenir  dans  sa  main.  On  marcha  toute  la  nuit. 
Le  froid,  trfes  vif  pendant  la  journée,  avait,  par  suite  du  brouillard,  atteint  une 
intensité  qu'il  n'avait  pas  encore  eue  jusque-là  :  le  thermomètre  était  descendu 
à  dix  degrés  au-dessous  de  zéro.  Non  habitués,  non  préparés  à  une  pareille 
intempérie,  les  Tirailleurs  endurèrent  les  plus  épouvantables  souffrances  qu'ils 
eussent  encore  connues;  beaucoup,  exténués,  découragés,  ne  voyant  aucune 
issue  h  cotte  situation,  se  couchaient  sur  la  neige  et  s'y  endormaient...  pour 
toujours.  Au  matin,  le  lieutenant^ colonel  Capdepont,  qui  pendant  tout  ce 
temps  n'avait  pns  quitté  l'arrière -garde  afin  do  voilier  au  bon  ordre,  prit  les 
devants  pour  se  rendre  un  compte  exact  do  en  qui  se  passait  autour  de  lui.  Il 
apprit  que  In  cavalerie  était  porlie  avec  le  général  Minot,  que  l'artillerie  avait 
brisé  ses  affûts  et  coupé  les  traits  de  ses  chevaux;  bref,  qu'il  restait  seul  avec 
les  débris  de  ses  huit  compagnies  et  quelques  traînards,  qui,  deci,  delà, 
étaient  venus  se  joindre  à  ce  faible  noyau.  La  canonnade  avait  recommencé  à 
l'ouest  et  se  rapprochait  sensiblement  d'Orléans;  peut-être  le  détachement 
allait-il  trouver  l'ennemi  aux  débouchés  de  la  forêt.  Dans  ces  conjectures,  le 
lieutcnant-rolonel  fit  appeler  les  commandants  de  compagnie  et  leur  demanda 
leur  avis  :  tous  répondirent  qu'il  fallait  s'ouvrir  un  passage  à  n'importe  quel 
prix.  On  se  remit  en  route,  chacun  appelant  à  lui  toute  son  énergie  pour  ce 
dernier  effort,  et  l'on  fut  assez  heureux  pour  atteindre  Orléans  dans  la  journée. 

Lorsque  le  régiment  arriva  dans  cette  ville,  il  n'y  avait  que  désordre  et 
confusion  parmi  les  troupes  qui  s'y  trouvaient  déjà  réunies;  soldats  et  sous- 
offîrîers ,  —  et  m/^me  bon  nombre  d'officiers,  —  avaient  rompu  les  rangs  et 
s'étaient  répandus  dans  les  caborets,  dans  les  hAtels,  dans  les  cofés,  dans  les 
maisons  particulières,  cherchant,  les  premiers  surtout,  à  oublier  leurs  souf- 
franc>cs  dans  des  libations  qui  leur  enlevaient  jusqu'au  sentiment  du  danger 
présent.  Les  Tirailleurs  avaient  eux-mêmes  traversé  une  situation  trop  diffi- 
cile, supporté  des  épreuves  trop  démoralisatrices  pour  ne  pas  céder  à  ce  fâ- 
cheux entraînement;  bientôt  les  officiers,  qui  malheureusement  ne  payèrent 


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858  LK  ty^  RÉQIIIBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

pQH  iouB  d'oxomplo  dons  collo  circonstQnce  qui  eût  exigé  toute  leur  énergie, 
furent  impuissants  à  maintenir  la  discipline,  et  il  ne  resta  que  quelques  hommes 
dévoués  autour  des  chefs  que  retenait  le  devoir.  Il  en  était  du  reste  ainsi  pour 
tous  les  corps,  et  il  devint  matériellement  impossible  au  général  en  chef  de 
rassembler  les  hommes  nécessaires  pour  garnir  l'enceinte  de  la  ville,  aux 
portes  de  laquelle  l'ennemi  allait  arriver  dans  un  instant.  Il  fallut  même  aban- 
donner tout  à  fait  la  résolution  de  défendre  cette  dernière,  et  songer  à  sauver 
cette  pauvre  armée  en  lui  faisant  passer  la  Loire  dans  la  nuit.  Dès  quatre 
heures  du  soir,  des  ordres  furent  donnés  dans  ce  sens,  et  le  mouvement  s'ef- 
fectua avec  plus  de  régularité  qu'on  ne  l'aurait  pensé.  Resté  le  dernier  avec  sa 
l*^  division,  le  général  Martin  des  Pallières  présida  à  l'enclouage  des  canons, 
à  la  destruction  du  matériel  qu'on  ne  pouvait  emmener,  puis ,  à  onze  heures 
et  demie,  il  se  mit  en  retraite  à  son  tour  et  se  dirigea  sur  la  Ferté-Saint-Aubin, 
où  il  arriva  le  lendemain  dans  la  matinée  sans  avoir  été  inquiété. 

Le  moment  de  découragement  de  la  veille  passé,  les  Tirailleurs  étaient  re- 
venus d'eux-mêmes  à  cette  respectueuse  obéissance  dont,  pour  la  première 
fois,  on  les  avait  vus  s'écarter,  et  le  régiment  avait  immédiatement  repris  sa 
vaillante  attitude  et  sa  cohésion.  Il  était  toujours  réduit  à  huit  compagnies  ; 
abandonné  en  quelque  sorte  à  son  propre  sort  dans  sa  position  de  Courcy-aux- 
Loges,  le  1^  bataillon  battait  isolément  en  retraite  du  côté  de  Sully,  après 
n'avoir  échappé  à  l'ennemi  que  par  un  hasard  providentiel.  Le  5  au  soir,  la 
fraction  restée  avec  le  lieutenant-colonel  Capdepont  arriva  à  la  Motte-Beuvron  ; 
le  6,  elle  s'arrêta  à  Salbris,  et  le  7,  à  Aubigny.  Un  peu  avant  d'arriver  à  ce 
dernier  gîte,  on  avait  rencontré  le  20*  corps  venant  de  Gien.  Le  8,  le  régi- 
ment coucha  à  Henrichemont ,  et  le  9 ,  il  atteignit  Bourges ,  où  il  fut  cantonné 
dans  la  chapelle  Saint-Ursins,  en  avant  de  la  ville. 

Par  suite  de  la  direction  prise  par  les  différents  corps  d'aitnée  dans  cette 
malheureuse  retraite  qui  réduisait  à  néant  le  résultat  de  deux  longs  mois  de 
fatigues  et  d'efforts,  l'armée  do  la  Loire  se  trouvait  maintenant  partagée  en 
deux  groupes  que  le  fleuve  séparait  :  les  IG*  et  11^  corps  étaient  restés  sur  la 
rive  droite  avec  le  général  Chanzy  ;  les  15",  18*  et  20*  se  réunissaient  en  So- 
logne sous  les  ordres  directs  du  général  en  chef.  Cette  situation  désavanta- 
geuse, qui  n'était  que  le  fait  de  circonstances  momentanées,  allait  être  modi- 
fiée par  les  soins  du  général  d'Aurelle,  lorsqu'elle  se  trouva  définitivement 
consacrée  par  la  destitution  de  celui-ci.  Par  un  décret  du  10  décembre,  le 
gouvernement  de  la  Défense  nationale  décidait,  en  cfiet,  la  suppression  du 
commandement  en  chef  et  la  création  de  deux  armées  : 

lo  La  l^  armée  de  la  Loire  (15<*,  18"  et  21"  corps),  sous  les  ordres  du  gé- 
néral Bourbaki  ; 

2*  La  2"  armée  de  la  Loire  (16",  17",  et  plus  tard  20"  corps) ,  sous  le  com- 
mandement du  général  Chanzy. 

La  1*^  armée  de  la  Loire,  dont  faisaient  partie  les  Tirailleurs  algériens, 
devait  se  reformer  en  avant  de  Bourges,  et  là  attendre  les  ordres  du  gou- 
vernement. 

Pendant  ce  temps,  l'ennemi  avait  passé  la  Loire  et  se  portait,  par  les  deux 
rives  du  fleuve,  contre  les  troupes  du  général  Chanzy.  n  devenait  nécessaire 


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[i870]  EN  FRANCE  8S9 

de  faire  une  dirersion  pour  dégager  ce  dernier.  Le  12,  le  15*  corps,  à  la  tAte 
duquel  le  général  Martin  des  Pallières,  démissionnaire,  avait  été  remplacé 
par  le  général  Martineau-Deschenez,  reçut  Tordre  de  faire  une  pointe  dans  la 
direction  de  Vierzon.  Le  soir,  le  régiment  de  Tirailleurs,  qui  avait  maintenant 
ses  trois  bataillons  réunis  (à  Texception  cependant  des  quatre  compagnies  du 
cnpilnino  Kgrot),  cantonna  à  Mohun;  In  111,  il  campa  à  Vignoux-sur-Baran- 
gcon,  où  il  demeura  les  14  et  IK;  et,  le  16,  il  se  porta  à  Coudray.  Ce  fut  là 
que,  le  18,  il  fut  rejoint  par  le  détachement  du  3'  régiment  qui  avait  été 
provisoirement  maintenu  au  18*  corps,  et  dont  nous  allons  résumer  les  opé- 
rations. 

Parti  do  Constantine  le  5  novembre,  embarqué  à  Philippeville  le  6,  débar- 
qué à  Marseille  le  8,  retenu  dans  cette  ville  pendant  cinq  jours,  ce  détachement 
était  arrivé  le  15  à  Gien.  Là  il  lui  avait  été  prescrit  d*attendre  de  nouveaux 
ordres,  tout  en  procédant  au  complètement  de  son  organisation.  Il  était  alors, 
ainsi  qu'on  a  pu  le  voir  plus  haut,  question  d*un  grand  mouvement  en  avant 
qui,  après  des  ordres  et  des  contre-ordres,  se  borna  à  une  tentative  infruc- 
tueuse des  18*  et  20*  corps  pour  chasser  Tennemi  de  Pithiviers.  La  troupe 
qu'amenait  le  capitaine  Égrot  était  un  appoint  de  cinq  à  six  cents  hommes; 
elle  pouvait  rendre  de  grands  services  dans  cette  opération  ;  il  fut  décidé  qu'elle 
y  prciulroit  part.  Mise  ainsi  à  la  disposition  du  général  Crouzat,  elle  fut  aflec- 
tée  au  18*  corps. 

Le  mouvement  commença  le  24.  Le  25,  nos  quatre  compagnies  quittèrent 
Gien  en  chemin  de  fer  et  furent  transportées  à  Bois-Morand  ;  continuant  alors 
leur  route  à  pied ,  elles  traversèrent  successivement  Choux-Langresse,  Ghangy 
etVanesse,  et  s'arrêtèrent  à  Passe; .  Le  26,  elles  arrivèrent  à  Montargis,  après 
être  passées  par  Vimory  et  Villemandeur  ;  le  27,  elles  allèrent  coucher  à  Ville- 
moutiers.  Le  28,  elles  quittaient  ce  village  lorsque  le  canon  commença  à  se 
faire  entendre  sur  la  gauche,  dans  la  direction  de  la  forêt  d'Orléans  :  c'était 
le  20*  corps  qui,  prenant  l'oflensive,  attaquait  les  positions  de  Saint-Loup, 
Nancray  et  Batilly.  A  neuf  heures,  elles  arrivaient  à  Ladon.  La  bataille  était 
maintenant  engagée  sur  une  ligne  de  sept  à  huit  kilomètres,  et,  sur  certains 
points ,  atteignait  à  une  violence  dénotant  une  défense  opiniâtre  de  la  part  de 
l'ennemi.  Sur  la  gauche,  le  général  Crouzat  concentrait  tous  ses  efforts  sur 
Beaune-la-Bolande ,  pendant  que  le  18*  corps,  qui  s'avançait  pour  l'appuyer, 
rencontrait  sur  la  droite,  à  Maizières  et  à  Juranville,  une  résistance  qui,  dans 
le  dernier  de  ces  villages,  ne  devait  cesser  qu'à  l'approche  de  la  nuit. 

A  peine  arrivés  à  Ladon ,  les  Tirailleurs  recevaient  l'ordre  de  se  porter  en 
avant;  ils  se  dirigèrent  sur  Maizières,  qui  venait  d'être  occupé  par  nos  troupes, 
et,  dépassant  ce  village,  vinrent  s'établir  sur  la  route  de  Beaune-la-Rolande, 
près  de  son  intersection  avec  celle  venant  de  Bellegarde-du-Loiret.  Ils  demeu- 
rèrent là  près  d'une  heure,  l'arme  au  pied,  attendant  avec  impatience  le  mo- 
ment d'en  venir  aux  mains.  Enfin  leur  arriva  le  signal  d'entrer  en  ligne  à  leur 
tour,  et  de  concourir  à  l'enlèvement  des  abords  de  Juranville,  que  canonnait 
vigoureusement  notre  artillerie;  mais  un  contre-ordre  vint  bientôt  les  arrêter 
de  nouveau  et  leur  prescrire  de  prendre  position  sur  la  rive  droite  du  ruis- 
seau qui  passe  près  de  ce  village  et  va  se  jeter  dans  le  Fusain. 


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360  LB  3"*  RÉGIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

Vers  trois  heures,  l'enneun  conlinuunl  à  se  iiiuiiilcnir  el  le  colonel  Rillot 
ayant  hflte  d'en  Hoir  pour  se  porter  sur  Beaune-la-Rolaode ,  où  la  lutte  restait 
indécise  par  suite  des  secours  qui  arrivaient  à  chaque  instant  aux  Prussiens, 
le  capitaine  Ëgrot  reçut  pour  la  deuxième  fois  l'injonction  de  marcher  au  com- 
bat; il  s'avança  vers  la  gauche  de  la  position;  mais  au  mémo  moment  l'en- 
nemi ayant  commencé  à  plier,  de  nouvelles  instructions  vinrent  encore 
suspendre  son  mouvement.  11  déploya  ses  compagnies  dans  un  petit  boii 
situé  à  l'ouest  de  Juranvillo-le-Pavé,  el  attendit.  Pendant  ce  temps,  les  Alle- 
mands évacuaient  Juranville  et  se  reliraient  dans  la  direction  de  Ueaumonl. 
Environ  une  heure  après,  le  bataillon  recevait  Tordre  d'occuper  le  village 
conquis,  et  de  s'y  retrancher  de  façon  à  résister  aux  retours  olTensifs  de  l'en- 
nemi. A  la  nuit,  une  compagnie  fut  détachée  à  Juranville-le-Pavé. 

Le  29  novembre,  le  18°  corps  se  mil  en  retraite  sur  ses  positions  des  jours 
précédents.  Juranville  fut  évacué  sans  que  les  Prussiens  songeassent  à  nous 
inquiéter,  et  les  Tirailleurs  algériens,  formant  l'arrière -garde,  se  rclirèrcnt 
sur  Ladon.  Ils  allaient  atteindre  ce  village  lorsque,  vers  dix  heures  et  demie, 
on  leur  fit  faire  demi -tour  pour  revenir  occuper  Maizières ,  qu'on  avait  aban- 
donné. C'était  un  poste  avancé,  une  forte  grand'garde  surveillant  les  princi- 
pales voies  de  communication,  que  le  commandant  du  18^  corps  désirait 
conserver  pour  donner  le  temps  à  ses  jeunes  troupes  de  se  reformer  en  toute 
sécurité.  Lo  capitaine  Égrot  installa  trois  compagnies  dans  le  village,  et  se 
couvrit  on  détachant  la  4®  en  avant,  face  à  Hoaune-la-Uolande,  sa  gauche 
appuyée  à  la  route,  et  sa  droite  au  ruisseau  qui  coule  à  l'est;  quelques  tra- 
vaux furent  en  outre  exécutés  pour  augmenter  les  moyens  de  résistance  et 
permettre  à  nos  soldats  de  s'abriter  un  peu  contre  les  coups  de  l'artillerie.  La 
journée  se  passa  ainsi  à  ces  préparatifs  sans  que  l'ennemi ,  qui  semblait  avoir 
été  non  moins  éprouvé  que  nous  par  la  lutte  de  la  veille,  se  montrât  en  vue 
de  nos  avant- postes.  Le  soir,  l'arrivée  d'un  détachement  de  trois  cent  cin- 
quante hommes  du  l"'  bataillon  d'infanterie  légère  d'Afrique  porta  à  environ 
huit  cents  combattants  la  troupe  chargée  de  défendre  la  position. 

Le  lendemain  30,  les  Prussiens  furent  signalés  du  côté  de  Juranville.  Vers 
neuf  heures,  ils  arrivaient  devant  Mutzicres,  et  dirigeaient  aussitôt  sur  le  vil- 
lage le  feu  de  leurs  batteries.  En  un  instant,  toutes  les  maisons  furent  en 
flammes.  Cette  canonnade  dura  près  d'une  heure;  puis,  jugeant  la  résislance 
suflisammont  ébranlée,  l'ennemi  lit  avancer  son  infanterie.  Celle-ci  chercha 
aussitôt  à  tourner  Maizières,  mais  un  violent  feu  de  uious(|ueterie ,  exécute 
fort  à  propos,  vint  soudain  Taréier  dans  son  mouvement.  Cependant  ce  ne  fut 
pour  elle  qu'un  moment  d'hésitation;  de  fortes  réserves  ne  tardèrent  pas  à 
l'appuyer,  et  bientôt  notre  petite  troupe  se  trouva  menacée  d'être  complète- 
ment enveloppée.  La  situation  allait  devenir  des  plus  critiques,  lorsque  arri- 
vèrent un  bataillon  du  42^  régiment  de  marche  venant  de  Bellegarde,  et  une 
batterie  d'artillerie  envoyée  de  Ladon.  Profitant  fort  habilement  de  Theureux 
effet  produit  par  l'intervention  de  ce  secours,  le  capitaine  Égrot  fit  sonner  la 
charge,  et  s'élançant  à  la  tôte  des  Tirailleurs,  se  jeta  sur  l'ennemi,  qui,  sur- 
pris par  cette  bru8(|ue  offensive  et  croyant  avoir  affaire  à  des  forces  plus  con- 
sidérables, rétrograda  précipitamment  sur  Juranville.  Ne  lui  laissant  pas  le 


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f!R70l  KN  PHANCR  361 

Icmpn  (In  nn  rnronnntLrOf  iiih  snlilnl»  In  pniirRiiivironl  In  hnlonnotln  dmiA  lofi 
reins  cl  In  ^.llnss^rc^t  do  ce  villof^o,  dont  doux  joinn  auparavant  Tcnlftyoïnont 
avait  roAté  Innt  d'offorU.  Mois  là  dut  9c  borner  leur  succès  :  épuises  par  la 
lutin  o|iiniAtrn  rpriU  vninirnl  th\  ponlnnir,  niir  In  point  do  voir  In^  munitions 
leur  mnnqucr,  nVtiint  pas  d*uilleurs  sunîAanimont  soutenus,  Il  leur  Tnllut 
s*arrAtor;  ils  so  mirent  alors  en  retraite  sur  Maizièros  lentement,  en  bon 
ordre  et  sans  cesser  de  faire  face  à  l'ennemi ,  qui  ne  songea  nullement  à  les 
inquiéter.  Quelques  instants  après,  le  capitaine  Égrot  recevait  du  général 
Feillet-Pilatrie  Tordre  d*cvacuer  le  village  qu'il  avait  si  énergiquement  dé- 
fendu, et  de  se  replier  sur  Ladon.  Le  soir,  à  onze  heures,  le  bataillon  venait 
camper  devant  le  village  de  Bellegarde,  où  se  trouvait  la  plus  grande  partie 
du  18®  corps. 

Por  suite  des  circonstances  qui  l'accompagnèrent,  le  brillant  combat  do  Mai- 
zic>rcs  n'ont  aucun  retentissement  :  il  arrivait  lo  lendemain  d'une  défaite  ot  à 
la  veille  d'une  autre.  Bien  que  ce  fût  pour  nous  un  incontestable  succès,  ceux 
qui  en  furent  les  héros  n'en  retirèrent  rien;  le  souvenir  lui-même  devait  en 
être  emportn  pnr  le  tourbillon  des  événements  mollieurcux.  Ceux-ci  allaient 
se  succéder  avec  une  telle  rapidité,  les  jours  de  deuil  allaient  si  complètement 
assombrir  la  dernière  période  de  celte  lulte  suprême,  dont  l'issue  ne  pouvait 
déjà  plus  laisser  d'illusion,  que,  même  encore  aujourd'hui,  le  résultat  de 
cette  glorieuse  journée  est  à  peine  connu.  Nous  sommes  heureux  de  le  rap- 
peler; car,  venant  à  l'appui  de  bien  d'autres  exemples  fournis  par  la  même 
campagne,  il  prouve  de  la  façon  la  plus  rassurante  pour  nous  que,  toutes  les 
fois  que  les  Allemands  n'eurent  pas  à  nous  opposer  des  forces  deux  et  même  ' 
trois  fois  supérieures,  ils  ne  purent  tenir  devant  l'impétuosité  de  nos  soldats. 

Les  pertes  subies  par  les  Tirailleurs  étaient  sensibles  et  indiquaient  assez 
combien  ces  derniers  avaient  été  opiniâtres  dans  la  défense  ot  vigoureux  dans 
ratta(|iio.  Kilos  s'élevaient,  m  eifet,  à  cent  cinquante- trois  hommes  hors  do 
combat,  dont  trois  ofliciers  et  treize  sous-officiors. 

Le  régiment  perdit  là  un  chef  d'une  grande  bravoure  et  d'un  grand  dé- 
vouement :  le  capitaine  Cléry,  blessé  mortellement  d'un  éclat  d'obus.  Au  3®  Ti- 
railleurs depuis  sa  formation,  ce  vaillant  soldat  s'était  toujours  fait  remarquer 
par  sa  vigueur  et  son  entrain;  il  mourut  en  véritable  héros.  Les  deux  autres 
officiers  atteints  étaient  le  capitaine  Roussel  et  le  sous-lieutenant  Mazué. 

Le  2  décembre,  ce  qui  restait  (environ  trois  cent  cinquante  hommes)  des 
quatre  compagnies  du  capitaine  Egrot  quitta  Bellegarde  pour  le  château  des 
Marais,  près  de  Montliard.  Dans  la  nuit  qui  suivit,  une  compagnie  fut  envoyée 
en  reconnaissance  au  petit  village  de  Bois-Commun;  elle  trouva  celui-ci  oc- 
cupé par  le  1"'  bataillon  d'infanterie  légère  d'Afrique,  et  rentra  au  château 
des  Marais  juste  au  moment  où  venait  d'être  donné  Tordre  de  battre  en  re- 
traite sur  la  Loire.  Le  mouvement  commença  à  quatre  heures  du  matin,  et 
s'eiïcctua  par  la  forêt  d'Orléans  et  par  les  villages  de  Nesploy,  Combreux  et 
Faye- aux -Loges,  où  l'on  arriva  dans  la  soirée.  Là  on  apprit  qu'une  avant- 
garde  allemande  avait  occupé  Jargeau.  Il  fallut  changer  de  direction  et  re- 
monter la  Loire  pour  chercher  un  autre  passage.  Le  bataillon  gagna  ainsi , 
par  Chflteauneuf  et  Gemigny,  Sully,  dont  le  pont  fut  détruit  le  4,  à  deux  heures 


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363  tB  3*  RftOIllENT  DB  TIRAILLBURS  ALGÉRIENS  [I870] 

de  l'après-midi,  cl,  lo  5,  arriva  on  faco  do  Gicn,  sur  la  riyc  gaucho  do  la 
Loire.  Il  prit  là  vingt-quatre  heures  d'un  repos  dont  il  avait  grand  besoin  après 
les  fatigues  qu'il  venait  de  supporter,  et,  le  7,  continua  son  mouvement  rétro- 
grade sur  Bourges,  après  avoir,  au  moment  de  quitter  son  bivouac,  essuyé 
quelques  coups  de  canon  tirés  par  une  reconnaissance  ennemie  envoyée  le 
long  de  la  rive  droite.  Le  soir,  il  couchait  à  Âutry  ;  le  8,  à  Barlieu;  le  9,  à 
Henetou;  le  10,  à  Henrichemont;  et,  le  11,  il  arrivait  à  Bourges,  où  le  général 
Bourbaki  réunissait  et  réorganisait  les  débris  épars  des  1S«,  18*  et  20*  corps. 
On  a  vu  que,  le  18,  le  capitaine  Égrot  avait  fini  par  rallier  lo  régiment  à 
Coudray.  Le  lendemain ,  les  Tirailleurs  algériens  abandonnaient  les  environs 
de  Vierzon,  et  revenaient  prendre  leurs  anciennes  positions  en  avant  de 
Bourges. 

Les  opérations  de  la  l**  armée  de  la  Loire  touchaient  à  leur  fin;  n'ayant  pu 
réussir  dans  sa  tentative  pour  débloquer  Paris,  le  gouvernement  de  la  Défense 
nationale  se  disposait  à  lui  donner  une  auti*e  mission  qui  allait  la  transporter 
sur  un  autre  théâtre,  où  elle  allait  prendre  un  autre  nom.  De  nouvelles  fa- 
tigues, de  nouvelles  souffrances,  de  nouveaux  combats  devaient  encore  mettre 
à  l'épreuve  l'énergie  de  ses  chefs  et  le  dévouement  de  ses  soldats;  et,  parmi 
ces  derniers,  on  allait  encore  voir  au  premier  rang  pendant  l'attaque,  au  der- 
nier pendant  la  retraite,  ces  Gers  enfants  do  l'Algérie  qu'on  se  dispensait 
d'appeler  braves  quand  on  leur  avait  donné  le  nom  de  Turcos. 


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CHAPITRE  XVII 


ARMÉE  DE  L*E8T 


Reprise  des  opérations  dans  le  bassin  de  la  Saône.  —  La  première  armée  de  la  Loire 
dovicnl  annAp  do  l'Pst.  —  îiO  ir»o  corps  est  provisoiromont  maintonn  en  Sologne.  — 
Réorganisation  du  rngiment  de  Tirailleurs  algériens.  —  liO  16»  corps  rejoint  l'arméo 
do  PKst.  —  Marche  snr  Rclfort.  —  Combat  do  Sainte -Mario  (13  janvier).  —  Ratiillo 
dlléricoiirt  (15, 16  et  17  janvier).  —  Retraite  sur  Besançon.  —  Mutations  survenncs 
dans  divers  commandements.  —  Gontlnnatlon  du  mouvement  de  retraite.  —  Surprise 
de  Sombacourt.  —  Nouvelle  de  la  conclusion  d*ua  armistice.  —  L*armée  de  l'Est  n^est 
pas  comprise  dans  cette  conrentlon;  elle  passe  en  Suisse.  —  Souffrances  éproarées  par 
nos  soldats  pendant  cette  dernière  partie  de  la  campagne.  —  Situation  du  S»  Tirailleurs 
à  la  fin  de  la  guerre.  —  Sa  rentrée  de  captivité.  —  Observations  sur  le  r61e  da  régi- 
ment pendant  la  guerre  contre  rAllemagne. 


A  la  suite  de  révacuation  d'Orléans  et  de  la  division  en  deux  groupes  des 
cinq  corps  qui  avaient  constitué  Tarmée  de  la  Loire,  il  n*était  plus  guère  pos- 
sible, étant  donné  l'état  de  désorganisation  de  nos  troupes,  de  reprendre  l'or- 
fensivc  sur  aucun  point.  Le  général  Chanzy  effectuait,  il  est  vrai,  une  fort 
belle  retraite  sur  le  Mans  et  Laval;  mais  chaque  jour  ses  forces  allaient  s*af- 
faiblissant,  et  l'ennemi  ne  cessait  de  gagner  du  terrain.  Quant  au  général 
Bourbaki,  condamné  d'abord  à  l'inaction  par  la  situation  déplorable  et  la 
complète  désagrégation  des  régiments  improvisés  qu'on  avait  réunis  sous  son 
commandement,  il  n'était  ensuite  parvenu  que  difficilement  à  remettre  un 
peu  d*ordre  dans  ces  bandes  démoralisées,  et,  sept  à  huit  jours  après  sa  con- 
centration à  Bourges,  à  peine  pouvait-il  compter  soixante  à  soixante-dix 
mille  soldats  capables  de  prendre  part  à  une  opération  de  longue  durée,  sur 
les  cent  mille  que  comptaient  ses  effectifs.  Le  gouvernement  de  Tours,  main- 
tenant à  Bordeaux ,  n'en  croyait  pas  moins  toujours  à  la  possibilité  do  faire 
de  grandes  choses  avec  ces  faibles  éléments ,  et  n'abandonnait  pas  son  idée 
d'une  marche  sur  Paris.  Le  19  décembre  au  matin,  ce  mouvement  était  si 


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864  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALOÊRTENS  [1870] 

près  d*avoir  liou,  quo  le  1«'  baUillon  do  Tirailleurs  olgéricns  rcccvail  Tordro 
de  86  rendre  à  Bourges,  pour  s'unir  de  nouveau  aux  corps  francs  vendéens 
du  colonel  Cathelineau.  Mais  l'adminislralion  de  la  guerre  changea  brusque- 
ment ses  résolutions,  et,  après  mc^intes  discussions,  s'urréta  à  une  diversion 
dans  l'Est.  Les  opérations  étaient  alors  à  peu  près  interrompues  dans  cette 
région,  ou  du  moins,  confiées  à  Garibaldi  et  au  général  Cremor,  elles  man- 
quaient absolument  de  suite  et  d*unité  et  ne  pouvaient  sérieusement  in- 
quiéter Tennomi,  qui  trouvait  dans  les  riches  campagncâ  de  la  Bourgogne  une 
excellente  source  de  ravitaillement.  Il  s'agissait  donc  de  transporter  sur  ce 
point  les  18*  et  20^  corps,  auxquels  se  joindrait  le  24*  organisé  à  Lyon,  de 
marcher  ensuite  rapidement  sur  Bol  fort  pour  faire  lever  le  siège  de  cette  place, 
et  enQn,  si  la  chose  était  possible,  de  pénétrer  en  Alsace  et  de  menacer  les 
derrières  des  armées  allemandes.  Dans  cette  combinaison,  le  15*  corps  était 
destiné  d*abord  à  masquer  le  mouvement  des  18*  et  20*,  tout  en  couvrant 
Bourges  et  Nevers,  puis,  suivant  les  circonstances,  à  rallier  définitivement 
l'armée  de  TEst  pour  lui  apporter  l'appoint  de  ses  quarante  mille  hommes  re- 
lativement aguerris. 

Communiqué  le  19  décembre  au  général  Bourbaki,  le  20,  ce  projet  recevait 
un  commencement  d'exécution.  Le  29,  le  18*  corps  était  réuni  à  Chagny,  le 
20*  à  Chfllons-sur-Saône,  et  le  24*  à  Besançon.  Pendant  ce  temps ,  le  15*  élar- 
gissait ses  (uintonnements  eu  Sologne  et  travaillait  uctivemeiit  à  hu  réorgani- 
sation. liO  2!i,  le  l^i*  ImtailluH  de  Tirsilleurs,  qui  avait  été  envoyé  ù  Bourges,  et 
les  2*  et  3*,  logés  à  la  Grange-Mitton,  se  mirent  en  route  pour  Vierzon.  Le  24, 
ils  campaient  à  Mehun,  et,  le  25,  ils  s'établissaient  à  Saint-llilaire,  petit  vil- 
lage à  quatre  kilomètres  de  Vierzon.  Ils  restèrent  là  jusqu'au  30,  puis  ils 
furent  répartis  entre  cette  localité,  les  fermes  des  Grandes  et  des  Petites-Loges, 
le  village  de  Gy-le-Grand  et  celui  de  Saint-Georges. 

Depuis  la  retraite  d'Orléans  et  l'arrivée  du  détachement  du  3*  Tirailleurs, 
le  régiment  de  marche  avait  subi  un  remaniement  coniplet  qui  en  avait  refait 
une  troupe  solide  et  disciplinée.  Chaque  jour  sa  situation  s'améliorait;  pour- 
vues de  cadres  excellents,  refondues,  reconstituées  avec  toute  l'homogénéité 
possible,  les  compagnies  étaient  maintenant  dans  de  bonnes  conditions  mo- 
rales et  matérielles,  et,  grâce  à  leur  réunion  sous  le  même  commandement, 
à  leur  contact  de  chaque  jour,  elles  avaient  peu  à  peu  retrouvé  cet  esprit  de 
corps  qui  seul  donne  la  cohésion  et  met  tous  les  dévouements  au  service  de 
la  môme  volonté.  Plusieurs  mutations  étaient  survenues  ou  allaient  survenir 
dans  le  cadre  des  officiers  supérieurs.  Le  capitaine  Égrot  ayant  été  nommé 
chef  de  bataillon ,  le  commandant  Lanes  l'avait  remplacé  à  la  tète  du  3*  ba- 
taillon. Le  31 ,  ce  fut  le  lieutenant-colonel  Capdepont  qui,  entré  à  l'ambulance 
pour  une  dangereuse  chute  de  cheval ,  céda  son  commandement  au  lieutenant- 
colonel  Lemoing,  venant  du  l'^*  zouaves  de  marche;  enfin,  le  commandant 
Chevreuil  devant  bientôt  être  promu  lieutenant- colonel,  le  capitaine  Fargue 
allait  diriger  le  2*  bataillon  jusqu'à  la  lin  de  la  guerre.  Voici  du  resle  (|uclle 
était,  à  la  date  du  l***  janvier  1871,  la  composition  exacte  du  régiment  : 


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[1870] 


EN  FRANCE 


365 


ÉTAT-MAJOR 

MM.  Lemoing,  lieutenant-colonel. 
Comte,      capitaîne-inajor. 
Weber,     lieutenant  faisant  fonctions  d'officier  payeur. 

l""  BATAILLON 

MM.  Boussenard ,  chef  de  bataillon. . 

De  Raymond-Cahusac,  capitaine  adjudant-major. 
Dufour,  médecin  aide-major  de  l'"  classe. 


1'®  compagnie  (!"'  T.) 

MM.  Gillct,  capitaine. 

Lobrani ,  lieutenant  français. 
Lekal-bcn-Rebah ,  lieut.  indig. 
Ilor.liard ,  sous-li(Mil.  français. 
Braham-ben-Grad-Turqui,  sous- 
lieutenant  indigène. 

2^  compagnie  {l^' T.) 

MM.  De  Lansac,  capitaine. 

De  Sénelé,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Ali-el-Maboub, 

lieutenant  indigène. 
*  Nnvicl,  sous -lieutenant  franc. 
AInncd-on-Omar,  s.-lieut.  ind, 

3®  compagnie  (  1®'  T.) 

MM.  Girard ,  capitaine. 

Andanson ,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Sassi ,  lieut.  ind. 
Michel,  sous- lieut.  français. 
Abd-el-Kader-benAissa,  sous- 
lieutenant  indigène. 


4«  compagnie  {i^  T.) 

MM.  Gaujard,  capitaine. 

Esselin ,  lieutenant  français. 
*  *  Mohamed -ben- Ali -Chaoui, 

lieutenant  indigène. 
Monlfort,  sous-licut.  français. 
M  ohamed  -  ben  -  Mohamed ,  sous- 

lieutenant  indigène. 

6»  compagnie  (!•'  T.) 

MM.  Morinière,  lieutenant  français. 
EI-Hadj-ben-Adda,  lieut.  indig. 
DeVendomois,  s.-lieut.  français. 
Amar-ben-Ahmed ,  s.-lieut.  ind. 


G®  compagnie  (i^  T,) 

MM.  Cellier,  capitaine. 

Munier,  lieutenant  français. 
Ali-ben-el-Haoussin ,  lieut.  ind. 
Leroux ,  sous-lieut.  français. 
Mohamed-ben-Mohamed-Blidi , 
sous-lieutenant  indigène. 


2*  BATAILLON 

MM.  Chevreuil,  chef  de  bataillon. 

Lclorrain ,  capitaine  adjudant-major. 
Perron ,      médecin  aide-major  de  l'*  classe. 

*  L'nstérisqno  qui  préc(^de  certains  noms  sert  .\  désigner  les  officiers  qui  appartenaient 
an  se  Tirailleurs  avant  leur  affectation  au  régiment  de  marche  ou  qui  en  firent  partie 
à  la  dissolution  de  celui-ci.  Pinsieurs  étaient  sous -officiers  avant  la  guerre  et  avaient 
obtenu  leur  grade  pendant  la  campagne. 


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866 


LB  3«  RÉOfMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1870] 


i^  compagnie  (2^  T.) 

HM.  Bailleul ,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Saddok,  lient,  ind. 
Déroulède,  aous-lieut.  français. 
Mûhamed-ben-Mohamed,  soua- 
lieutenant  indigène. 

2*  compagnie  (2*  et  3*  T.) 

MH.  "^  Mu8tapha-ben-el-Hadj-0tman| 
lieutenant  français. 
Miloud-ben-Kaddoni,  lient,  ind. 
Castel,  sous-lieut.  français. 
Mohamed -ben-Âhmed,  sous- 
lieutenant  indigène. 
3«  compagnie  (2*  T.) 

MH.  Comte,  capitaine. 

Bastouil ,  lieutenant  français. 
Jouglon-ben-Kaous,  lient,  ind. 
Cliomme,  sous-lieut.  français. 


A^  compagnie  (3^  T.) 

MM.  *  Carré  de  Busserolle,  capitaine* 

*  Esparron ,  lieutenant  français. 

*  Âmar-ben-Brahim ,  lient,  ind. 

*  Foucault,  sous-lieut.  français. 
"^  Uebah-bon- Amelaoni,  sous- 
lieutenant  indigène. 

b"^  compagnie  {i*^  T.) 

MM.     Lesbros,  capitaine. 

*  Amar-ben-Kalafa ,  lient,  franc. 

*  Amar-ben-Taieb,  lient,  indig. 

*  Fravreau,  sous-lieut.  français. 

*  Douguorak -ben- Mohamed -A- 

gaoua,  sous-lieut.  indigène. 

6«  compagnie  (3*  T.) 

MM.  *  Fargue,  capitaine. 

*  Aubry,  lieutenant  français. 

*  Kaddour-ben-Amar,  lient,  ind. 

*  Sturler,  sous-lieut.  français. 
Cliaban-bcn-Kara,  s.-liout.  ind. 


3«  BATAILLON 


HM. 


MM. 


MH.  Lanes,  chef  de  bataillon. 

*  Vigel,  capitaine  adjudant-major. 
Saurey,  médecin  sous-aide-major. 


!'•  compagnie  (^•' T.) 

Constant,  capitaine. 
Weber,  lieutenant  français. 
Mohamed  -  ben  -  Abd  -  el  -  Kader , 

lieutenant  indigène. 
Taleb-ben-lladj ,  sous-lieutenant 

indiffène. 


2«  compagnie  (!•'  T.) 

Brandi,  capitaine. 

Baudard ,  lieutenant  français. 

Omar-  ben  -Mohamed  -  Chaouch , 

lieutenant  indigène. 
Richomme,  sous-lieut.  français. 
Bakri-ben-Mohamed ,  s.-l.  ind. 


3«  con^pagnie  (3*  T.) 

HH.  *  Roussel,  capitaine. 

*  d'Eu ,  lieutenant  français. 

*  Hazué,  sous-lieut.  français. 

*  Djellali-ben-Aouda,  s.-l.  ind. 


4«  compagnie  (3«  T.) 

MM.  *  Taulières,  capitaine. 

*  Lariche ,  lieutenant  français. 

*  Yahia-ben-Simo,  lient,  indig. 
Monleau,  sous-lieut.  français. 
Salah-ben-Hohamed,  s.-l.  ind. 


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[1670]  EN  FRANCE  867 


5*  compagnie  (3*  T.) 

MM.  *  Sibillo,  capitaine. 

*  Meslé,  lieutenant  français. 

*  Kacem-ben-Âhmed ,  lieu  t.  înd. 

*  Empérauger,  sous-lieut.  franc. 
Rcbah  -  bon  -  Kaddour ,   bous  - 

lieutenant  indigène. 


MM.    Lemoine,  capitaine. 

*  Taverne,  lieutenant  français. 

*  Mohamed-ben-Saîd,  lieu  t.  ind. 

*  Jacquard ,  sous-lieut.  français. 

*  Âhmed-ben-DjellouI,  s.-l.  ind. 


Quelques  changements  eurent  également  lieu  dans  les  commandements  su* 
périeurs.  Nous  avons  vu  que  le  général  Martineau-Deschenes  avait  succédé 
au  général  Martin  des  Pallieras  à  la  tête  du  l^^  corps.  Par  une  décision  ulté- 
rieure, la  1**^  division  fut  placée  sous  les  ordres  du  général  Durrieu,  et  la 
1^  brigade  de  cette  division  sous  ceux  du  général  Minot,  qui  fut  remplacé 
à  la  2^  par  le  général  Questel.  Le  régiment  de  Tirailleurs  continua  de  faire 
partie  de  cette  dernière. 

Pendant  ce  temps,  le  général  de  Werder,  commandant  les  forces  allemandes 
dans  l'Est,  avait  évacué  Dijon  et  s*claît  porté  À  Vesoul.  De  lÀ,  il  allait  se  re-- 
plier  sur  la  Lisaine  et  attendre  l'armée  française  dans  de  bonnes  positions  en 
avant  do  Belfort.  De  son  côté,  le  général  Bourbaki  avait  activé  la  concentration 
de  ses  troupes;  mais  le  peu  de  mobilité  de  celles-ci,  les  difficultés  de  ravitail- 
lement, le  mauvais  état  des  chemins,  la  rigueur  de  la  saison  rendaient  ses 
mouvements  beaucoup  plus  lents  que  ceux  de  son  adversaire,  et  lui  enlevaient 
en  partie  les  avantages  de  sa  supériorité  numérique.  Il  devint  môme  bientôt 
si  évident  que  telle  qu^elle  était  (environ  cent  mille  hommes  contre  soixante 
mille)  cette  armée  ne  suffirait  pas,  que  le  15*  corps  reçut  Tordre  de  se  porter 
à  son  tour  sur  les  bords  du  Doubs. 

Le  3  janvier  1871 ,  le  régiment  de  Tirailleurs  se  concentra  à  Vierzon,  où 
il  fut  embarqué  en  chemin  de  fer  à  destination  de  Dijon.  Arrivé  dans  cette 
ville  le  4 ,  il  y  fit  séjour  le  5.  Le  6 ,  il  se  mit  en  route  pour  rallier  le  gros  de 
l'armée  et  s'arrêta  à  Mirabeau;  le  7,  il  coucha  à  Gray;  le  8,  à  Bucy-Ies-6y; 
le  9,  à  Rioz;  et,  le  10,  à  Montbozon.  Le  9,  avait  eu  lieu  le  combat  de  Viller- 
sexel;  les  deux  armées  se  trouvaient  en  présence  :  l'heure  de  la  lutte  était 
arrivée. 

Le  11 ,  le  régiment,  qui  se  trouvait  encore  à  plus  d'une  journée  de  marche 
des  têtes  de  colonne  françaises,  se  dirigea  sur  Melcey,  où  il  arriva  vers  midi, 
par  un  froid  excessif,  qui  avait  couvert  les  routes  d*un  épais  verglas  et  fait  de 
cette  étape  une  source  de  fatigues  inouïes.  Dans  la  soirée,  le  1°'  bataillon  fut 
envoyé  à  Fallon,'et  les  2°  et  3*  à  Bourenoy.  Pour  le  lendemain,  l'ordre  de 
marche  de  chaque  corps  d'armée  était  ainsi  déterminé  :  15",  objectif  Montbé- 
liard  ;  20«,  2/i«  et  18%  Ih^ricourt. 

Les  Tirailleurs  algériens  quittèrent  leurs  cantonnements  au  point  du  jour, 
et  après  deux  heures  de  marche  dans  une  neige  épaisse  atteignirent  Ornans. 
Le  pays  était  sillonné  d'interminables  colonnes  suivant  toutes  la  direction  du 
nord-est,  et  se  coupant,  s*entre-croisant  parfois.  De  là  des  désordres,  des  re- 
tards, et  pour  nos  pauvres  soldats  des  heures  d'attente  dans  la  neige  glacée. 


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368  LB  3*  RËOIMBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

Voro  cinq  liourcs  du  soir,  l'onooini  ayant  été  signalé  à  Moiilcnois,  la  brigailo 
Queslel  reçut  l'ordre  de  s'avancer  jusqu'à  Urétiguy.  Le  régiment  passa  la  nuit 
sous  les  armes ,  s'attendant  à  chaque  instant  à  marcher  pour  appuyer  le  4«  ba- 
taillon de  chasseurs  de  marche,  qui,  dirigé  sur  Montenois,  en  avait  délogé  les 
grand'gardes  allemandes,  qui  s'étaient  repliées  sur  Sainte- Marie.  Mais  ce  ne 
fut  qu'à  quatre  heures  du  matin  qu'il  leva  son  bivouac  pour  gagner  Montenois, 
où  il  attendit  le  jour.  A  l'arrivée  de  celui-ci,  la  brigade  devait  attaquer  Sainte- 
Marie,  afin  de  permettre  au  1S«  corps  d'effectuer  un  léger  changement  de 
direction  à  droite  devant  le  placer  parallèlement  au  cours  de  la  Lisaine. 

A  sept  heures  du  matin,  le  régiment  prit  ses  dispositions  de  combat;  le 
4»  bataillon  de  chasseurs  de  marche  ayant  été  déployé  en  face  de  Sainte-Marie 
pour  aborder  le  village  de  front,  le  bataillon  du  commandant  Boussenard  (l*'') 
fut  désigné  pour  lui  servir  de  soutien  ;  le  3«  (commandant  Lanes)  eut  pour 
mission  de  surveiller  la  route  d'Arcey;  le  2*  (capitaine  Fargue)  resta  en 
arrière  comme  réserve. 

Après  avoir  fait  fouiller  les  bois  par  son  arlillorio,  le  général  Questcl  lit 
porter  sa  ligne  en  avant;  la  fusillade  s'engagea  aussitôt  entre  les  chasseurs 
à  pied  et  les  tirailleurs  ennemis  établis  dans  les  abords  du  village;  mais 
ceux-ci  ne  tinrent  pas  et  se.retirèrent  sur  leurs  soutiens.  Pendant  ce  temps, 
le  bataillon  du  commandant  Boussenard  s'était  scindé  en  deux  demi-bataillons, 
et,  malgré  la  neige  épaisse  qui  couvrait  le  sol ,  s'était  avancé  au  pas  de  course 
pour  tourner  Sainte-Marie  par  les  deux  ailes.  A  trois  cents  mètres,  on  lit  le 
commandement  de  :  A  /a  baionnellc!  Les  Allemands  l'entendirent  parfaiteuieut, 
et,  au  dire  des  habitants,  évacuèrent  immédiatement  la  position;  ils  se  reti- 
rèrent en  bon  ordre  sur  Allondans  et  Présentevillers,  poursuivis  par  les  feux 
d'une  batterie  de  12  que,  dès  le  début  de  l'action,  le  général  Durrieu  avait 
fait  établir  sur  notre  droite.  Les  Tirailleurs  pénétrèrent  dans  le  village  au 
moment  où  les  dernières  fractions  ennemies  l'abandonnaient,  et  firent  quelques 
prisonniers.  D'après  ces  derniers,  nos  soldats  ayaienteu  à  combattre  environ 
un  millier  d'hommes  du  47*  d'infanterie  prussienne.  Étant  donné  que,  de 
notre  côté,  deux  bataillons  seulement  prirent  elVectivement  part  au  combat, 
les  forces  étaient  à  peu  près  égales;  mais  craignant  d'être  pris  à  revers  par  le 
bataillon  du  commandant  Lanes,  qui,  après  avoir  battu  le  bois  du  Chénois, 
se  disposait  à  contourner  Sainte-Marie  par  l'ouest,  les  Prussiens  n'avaient  pas 
jugé  prudent  de  résister  trop  longtemps  :  de  là  leur  retraite  précipitée.  Ce 
combat,  très  heureux  au  fond,  puisqu'il  s'était  terminé  par  le  résultat  qu'on 
en  attendait,  coûtait  au  régiment  neuf  hommes  tués  ou  blessés.  Ou  passa  la 
journée  du  13  et  la  nuit  qui  suivit  dans  le  village  conquis. 

Le  14,  la  brigade  Questel  quitta  Sainte-Marie  et  se  dirigea  sur  Présente- 
villers, que  l'ennemi  évacua  à  son  approche.  On  laissa  dans  le  village  le  2*  ba- 
taillon de  Tirailleurs,  une  compagnie  de  chasseurs  et  uoe  du  29*  de  marche, 
puis  les  autres  troupes  prirent  position  au  nord ,  dans  les  bois  de  la  Côte  et 
de  Samans.  Vers  quatre  heures  de  l'après-midi,  les  1*'  et  3«  bataillons  du 
régiment  reçurent  l'ordre  d'appuyer  une  atta(|ue  du  l^'*'  zouaves  do  marche 
sur  Allondans.  Ce  village  fut  occupé  sans  coup  férir,  et,  leur  mission  termi- 
née, les  Tirailleurs  rentrèrent  à  Présentevillers.  Mais,  une  heure  après,  l'en- 


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[i870l  EN  FRANCE  360 

ncnii  revint  en  force,  cIiQSsa  &  son  tour  les  zonavos  d*Allondan8,  et  réoccupa 
le  village,  qu*il  évacua  de  nouveau,  mais  volontairement,  pendant  la  nuit. 

Dans  la  journée  le  vent  du  nord  s*était  levé,  amenant  un  froid  de  18  de- 
grés au-dessous  de  zéro.  Cet  abaissement  de  température,  qui  avec  des 
troupes  aguerries  eût  été  une  heureuse  circonstance,  puisqu'il  supprimait, 
pour  ainsi  dire,  Pobstacle  formé  par  la  Lisaine  en  couvrant  celle-ci  d'une 
épaisse  couche  de  glace,  ne  vint  malheureusement  que  rendre  plus  vives  les 
souiïrances  résultant  des  fatigues  et  des  privations,  et  ajouter  encore  aux  dif- 
ficultés déjà  assez  grandes  des  mouvements  en  cours  d'exécution .  La  nuit  qui 
suivit  fut  terrible,  surtout  pour  les  grand'gardes ,  à  qui  la  proximité  de  l'en- 
nemi ne  permettait  pas  de  faire  du  feu.  Parmi  les  hommes  qui  s'endormirent, 
beaucoup  ne  se  réveillèrent  pas.  Les  plus  endurcis  n'échappaient  à  l'engour- 
disscment  qu'en  se  privant  de  repos;  aussi,  le  lendemain,  ceux  qui  restaient 
debout  étaient-ils  exténués.  Partout  on  n'entendait  que  le  bruit  d'une  toux 
s^.che  qui  brûlait  les  poitrines,  pendant  que  les  membres  étaient  glacés. 

Le  15  au  matin.  Français  et  Allemands  n'avaient  plus  qu'à  mettre  le  feu 
à  la  lumière  de  leurs  canons  pour  en  venir  à  une  action  générale  :  des  deux 
côtés  les  préparatifs  semblaient  terminés.*  Forte  d'environ  soixante  mille 
hommes,  l'armée  ennemie  avait  pris  position  sur  la  rive  gauche  de  la  Li- 
snino,  sa  gauchn  A  Monlbéliard ,  sa  droite  à  Chcnebier,  son  centre  avec  sa 
réserve  à  llcricourt.  Tout  avait  été  mis  en  œuvre  pour  arrêter  l'assaillant, 
surtout  à  lléricourt,  qui  était  considéré  par  les  deux  généraux  en  chef  comme 
le  point  capital  de  la  défense.  Très  aflaiblis  par  les  combats  des  jours  pré- 
cédents, manquant  de  vivres,  ayant  déjà  rempli  les  ambulances  de  leurs 
malades  et  couvert  les  roules  de  leurs  traînards,  les  quatre  corps  français 
s'apprôtnicnt  cependant  à  la  lutte  avec  un  entrain  et  une  vigueur  donnant 
les  miilKuros  espérances  quant  au  résultat  final.  Le  15*  formait  toujours  la 
droite,  avec  Monlbéliard  comme  principal  oitjectif.  11  se  trouvait  ainsi  disposé  : 
à  droite,  en  ovant  du  mont  Bart  et  s'appuyant  au  canal  du  Uhône  au  Rhin, 
la  3<'  division  (général  Peitavin);  à  gauthe,  depuis  Présentevillers  jusqu'à 
Allondans,  la  1^°  division,  ayant  sa  1^  brigade  à  la  gauche  et  sa  2*  à  la 
droite;  en  arrière  et  comme  réserve,  la  2^  division  (général  Rebillard).  Les 
généraux  Durrieu  et  Questel,  tous  les  deux  malades,  avaient  été  remplacés, 
le  premier  par  le  général  Daslugue  et  le  second  par  le  lieutenant-colonel  Le- 
moing,  qui  lui-inAinc  avait  laissé  le  commandement  du  régiment  de  Tirailleurs 
ou  cuininandnnl  Uoussonard ,  le  plus  ancien  des  chefs  de  bataillon. 

Le  terrain  sur  lequel  la  2°  brigade  allait,  pour  son  compte,  prendre  part 
à  la  partie  décisive  qui  était  sur  le  point  de  s'engager,  était  un  grand  plateau 
aux  deux  tiers  boisé  et  se  terminant  à  l'est  par  des  pentes  assez  douces  abou- 
tissant à  la  vallée  de  la  Lisaine,  ayant  en  cet  endroit  une  largeur  moyenne 
de  six  cents  mètres.  La  rivière,  peu  considérable  et  d'ailleurs  complètement 
gelée ,  était  longée ,  sur  la  rive  gauche ,  par  la  voie  ferrée  de  Monlbéliard  à 
Belfort ,  organisée  défcnsivement  par  les  Allemands.  A  Toueslde  Monlbéliard, 
ce  plateau  présentait  une  partie  dénudée  et  légèrement  dominante  au  milieu 
de  laquelle  se  trouvait  la  ferme  de  Monl-Chevis,  et  dont  le  village  de  Sainte- 
Suzanne  couvrait  les  pentes  sud.  Plus  au  nord,  et  faisant  face  au  village  de 

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370  LE  3«  RÉQIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1870] 

Béthoncoart,  solidement  occupé  par  rennemi,  s'étendaient  les  bois  Bourgeois 
et  de  Hontévillars ,  par  lesquels  s'avançait  la  brigade  Minot. 

Dès  neuf  heures ,  éclata  sur  la  droite  une  violente  canonnade  à  laquelle  les 
positions  de  Mont-Chevis  et  du  bois  Bourgeois  servirent  de  but.  Bientôt  les 
postes  allemands  qui  occupaient  ces  points  commencèrent  à  les  évacuer,  et 
l'infanterie  des  deux  brigades  reçut  l'ordre  de  se  porter  en  avant.  Désigné 
pour  donner  l'assaut  à  la  ferme  du  Mont-Chcvis ,  le  régiment  de  Tirailleurs 
algériens  se  forma  en  échelons  par  bataillon;  puis,  à  la  voix  du  commandant 
Boussenard,  il  s'élança  sur  les  hauteurs  de  Sainte-Suzanne,  qui  furent  immé- 
diatement couronnées.  L'ennemi  s'était  retiré  dans  Montbéliard ,  sous  la  pro- 
tection de  sa  puissante  artillerie.  Pendant  ce  temps,  la  3*  division  s'était 
emparée  des  villages  de  Bart  et  de  Dun ,  et  s'était  avancée  vers  Courcelles 
pour  appuyer  ce  mouvement  offensif.  Disposant  alors  toutes  ses  batteries  sur 
le  plateau,  le  général  Martineau-Deschenez  dirigea  tous  ses  efforts  sur  Mont- 
béliard dont  le  chAteau,  armé  de  grosses  pièces  de  siège  amenées  de  devant 
Belfort,  ripostait  vigoureusement.  Ce  duel  d'artillerie  continua  pendant  trois 
heures  sans  que  d'aucun  côté  il  y  eût  avantage  bien  marqué.  Entin ,  passant 
résolument  à  l'attaque  de  toute 'la  gauche  ennemie,  la  3<»  division  dépassa 
Courcelles  et  menaça  Montbéliard  par  le  sud.  De  son  côté,  le  2«  bataillon  du 
régiment,  qui  formait  l'extrême  droite  de  la  l'*  division ,  descendit  rapidement 
vers  la  Lisaine,  pénétra  dans  la  ville  par  l'ouest,  et  parvint  à  s'y  maintenir 
malgré  la  fusillade  et  la  mitraille  qui  partaient  du  cliûtcau.  Poussant  mémo 
jusque  sous  les  murs  de  cette  furtcresso,  il  obligea  lus  bataillons  allemands 
qui,  plus  à  droite,  allaient  être  débordés  par  la  division  Peitavin,  à  rétro- 
grader jusqu'à  Sochaux,  à  deux  kilomètres  à  l'est  de  Montbéliard.  Les  !*■'  et 
3*  bataillons  étaient  restés  sur  les  hauteurs  de  Sainte- Suzanne,  en  soutien 
derrière  l'artillerie ,  qui  continuait  à  battre  le  cbêteau. 

La  nuit  seule  sépara  les  combattants,  qui  restèrent  sur  leurs  positions  res- 
pectives jusqu'au  lendemain.  A  part  le  succès  remporté  sur  la  droite,  la  lutte 
avait  été  partout  indécise,  malgré  la  vigueur  et  la  bravoure  déployées  par  nos 
troupes.  Mais  l'occupation  de  Montbéliard  était  un  bon  pas  de  fait  vers  Tat- 
taque  du  chêteau  et  de  toute  la  ligne  de  la  Lisaine,  qui  se  trouvait  ainsi 
ébranlée  sur  l'un  de  ses  plus  solides  points  d'appui.  Cette  première  journée 
coûtait  aux  Tirailleurs  trente-cinq  hommes  hors  de  combat,  dont  deux  offi- 
ciers. Ces  pertes  portaient  presque  uniquement  sur  les  compagnies  du  3*  ré- 
giment, qui  formaient  la  majeure  parlie  du  i^  bataillon. 

Le  Iti,  la  bataille  recommença  avec  un  nouvel  acharnement;  cependant 
elle  ne  se  généralisa  que  fort  tard,  et  jusque  vers  midi,  sur  la  droite  du 
moins,  l'artillerie  seule  en  lit  tous  les  frais.  La  cause  en  était  à  un  brouillard 
intense  qui  couvrait  toute  la  vallée  et  empêchait  les  deux  infanteries  de  se 
voir.  Pendant  la  nuit,  la  division  Peitavin  avait  jeté  quatre  pièces  dans  Mont- 
béliard; elles  essayèrent  débattre  le  chêteau  à  huit  cents  mètres;  mais,  prises 
en  flanc  par  une  batterie  extérieure,  il  n'en  resta  bientôt  que  deux,  qui  conti- 
nuèrent à  tirer,  blotties  derrière  un  abri, .pendant  que  le  2®  bataillon  de  Ti- 
railleurs, appuyé  par  les  troupes  de  la  3*  division,  renouvelait  une  tentative 
infructueuse  contre  le  vieux  donjon.  Quelques  compagnies  parvinrent  bien  à 


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[1871]  EN  FRANGE  871 

86  loger  dans  les  maisons  voisines,  mais  ce  fut  là  tout  le  succès  qu'on  devait 
obtenir  de  ce  côté. 

Sur  le  plateau  du  Hont-Chevis,  Tartillerie  de  la  2*  division  était  venue  se 
joindre  à  celle  de  la  1^^  division  et  de  la  réserve,  et  trente-six  pièces  canon- 
naient  vigoureusement  les  hauteurs  de  Montbélîard  et  le  village  de  Béthon- 
court,  que  les  brigades  Minot  et  Qucslol  avaient  mission  d'enlever.  Vers  une 
heure  do  l'après-midi,  les  l^'^'  et  3*  bataillons  de  Tirailleurs  reçurent  Tordre 
de  marcher  à  Tattaque  de  la  position  ;  ils  devaient  être  appuyés  à  gauche  par 
le  1*^  zouaves  de  marche,  à  droite  par  les  mobiles  de  la  Charente.  Ces  trois 
régiments  s'avancèrent  à  travers  le  bois  Bourgeois  jusqu'à  environ  huit  cents 
mètres  de  la  Lisaine;  mais  lorsqu'ils  voulurent  déboucher  du  couvert  sous 
lequel  ils  avaient  cheminé,  ils  se  trouvèrent  dans  une  grande  plaine  couverte 
de  neige,  où  ils  furent  assaillis  de  face  par  une  fusillade  meurtrière  partant 
du  chemin  do  fer,  et  de  flanc  par  les  feux  croisés  des  batteries  de  Montbéliard 
et  de  Béthoncourt.  Cependant  l'élan  était  tel ,  qu'il  n'en  aurait  pas  été  inter- 
rompu si ,  par  suite  d'une  fâcheuse  coïncidence ,  l'artillerie  française,  dont  les 
munitions  commençaient  à  s'épuiser,  n'eût  tout  à  coup  ralenti  son  tir  et  per- 
mis à  celui  de  l'ennemi  de  redoubler  d'intensité;  accablés  par  les  obus  qui 
soulevaient  des  trombes  de  neige  sur  leurs  pas,  décimés  par  les  feux  de  salve 
que  rinfanlcric  prussienne  dirigeait  en  toute  sécurité  sur  leurs  rangs  pressés, 
enfin  ne  se  sentant  plus  suffisamment  soutenus  dans  l'efTort  suprême  qu'ils 
allaient  tenter,  nos  soldats  rétrogradèrent  sur  le  bois  Bourgeois.  Quelques 
instants  après  la  charge  sonna  de  nouveau;  zouaves  et  Tirailleurs  se  précipi- 
tèrent encore  avec  le  même  entrain;  mais  pas  plus  que  la  première  fois  ils 
ne  purent  franchir  l'espace  qui  les  séparait  de  l'ennemi.  A  cinq  heures  du 
soir,  cette  oiïensive  fut  définitivement  abandonnée,  et  nos  bataillons  se  re- 
plièrent sur  leurs  positions  du  matin,  pendant  que  l'artillerie  continuait  jus- 
qu'à la  nuit  à  répondre  à  celle  des  Allemands.  Dans  cette  deuxième  journée, 
les  Tirailleurs  avaient  perdu  vingt-quatre  hommes  tués  ou  blessés,  dont  un 
officier  appartenant  au  1*'  régiments 

Sur  les  autres  points,  la  fortune  ne  nous  avait  pas  été  beaucoup  plus  favo^ 
rable.  A  gauche,  les  divisions  Cremer  et  Penhoat  s'étaient  bien  emparés  de 
Chenebier;  mais,  obtenu  trop  tard  et  non  poursuivi,  ce  succès  n'avait  pas 
donné  tous  les  résultats  qu'on  était  en  droit  d'en  attendre. 

Dans  la  nuit,  le  2«  bataillon  de  Tirailleurs  évacua  Montbéliard  et  rallia  le 
restant  du  régiment  établi  dans  le  bois  Bourgeois.  A  cinq  heures  du  matin, 
une  violente  canonnade  éclata  tout  à  coup  sur  la  gauche  :  c'était  l'ennemi  qui 
attaquait  Chenebier;  à  la  faveur  de  l'obscurité,  il  parvint  même  à  s'emparer 
de  ce  village;  mais  au  point  du  jour  les  divisions  Cremer  et  Penhoat  l'en  dé- 
logèrent de  nouveau.  Cet  événement  amena  naturellement  la  reprise  de  la 
lutte  au  centre  et  à  la  droite ,  d'autant  plus  que  les  ordres  du  quartier  général 
prescrîx aient  une  offensive  générale  pour  cette  troisième  journée.  Du  côté  de 
Montbéliard,  le  15* corps  conserva  toutes  ses  positions,  mais  il  lui  fut  impos- 
sible de  gagner  du  terrain.  Un  nouvel  effort  dirigé  contre  Béthoncourt  échoua 

I  M.  Omar-ben-Mobamed-Chaouch. 


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372  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1671  ] 

oacoro  clovant  Icb  feux  convorgouU  dcë  ballerio«  oniimiiics.  Un  ttulro  plus  im- 
portant, tenté  vers  deux  heures  de  l'après-midi  contre  le  ckAlcau  de  Mont- 
béliard,  n'amena  pas  un  meilleur  résultat.  A  partir  de  ce  moment,  l'action 
commença  à  languir  sur  ce  point  et  ne  fut  plus  entretenue  que  par  les  coups 
de  plus  en  plus  rares  des  deux  artilleries.  Le  soir,  nos  batteries  n'avaient 
presque  plus  de  munitions.  Ce  qui  élait  non  moins  grave,  c'est  que  les  vivres 
manquaient  pour  tous.  Ajoutons  que  le  bruit  commençait  à  se  répandre  qu'une 
nouvelle  armée  allemande,  détachée  de  devant  Paris,  s'avançait  à  marches 
forcées,  sous  les  ordres  du  général  de  Manteuffel,  pour  prêter  son  appui  à 
celle  du  général  Werder. 

En  présence  des  conjectures  que  faisait  naître  cetle  situation,  qui,  après 
s'être  montrée  relativement  brillante,  pouvait  tout  à  coup  devenir  désespérée, 
le  général  Bourbaki  se  décida  à  battre  en  retraite  sur  Besançon,  afin  de  se 
rapprocher  de  ses  convois  et  de  sa  base  d'opérations.  Le  mouvement  devait 
d'abord  s'effectuer  parla  gauche,  qui  avait  le  plus  de  chemin  à  parcourir.  Eu 
conséquence,  et  dans  le  but  d'arrêter  toute  tentative  de  l'ennemi,  dès  le  17  au 
soir  les  troupes  du  15*  corps  commencèrent  à  se  fortifier  dans  leurs  positions 
en  se  couvrant  au  moyen  d'abatis.  Le  lendemain ,  la  canonnade  reprit  encore 
des  deux  côtés;  mais  aucune  nouvelle  attaque  n*eul  lieu  ni  sur  Montbéliard  ni 
sur  Béthoncourt.  L'ennemi  observa  lui-même  une  réserve  prudente  en  restant 
dans  ses  lignes,  et  tout  se  borna  à  l'échange  de  quelques  obus.  liO  froid  avait 
cessé;  mais  un  épouvantable  temps  de  pluie  et  de  dégel  lui  avait  succédé,  et, 
pour  en  être  moins  meurtrier,  n'en  créait  pas  moins  de  nouvelles  dilHcultés 
en  ajoutant  encore  au  mauvais  état  des  chemins. 

Le  19,  à  trois  heures  du  matin ,  le  15*  corps  se  mit  en  route  à  son  tour. 
La  Ir*  division  quitta  la  dernière  les  hauteurs  de  Sainte-Suzanne,  et  l'arrière 
garde  fut  fournie  par  la  2*  brigade,  qui  elle-même  laissa  comme  troupe  eilrêmt! 
le  bataillon  de  chasseurs  à  pied.  Celui-ci  eut  fort  à  souffrir  de  rarûllerie  cane- 
mie,  qui,  après  s'être  établie  sur  les  positions  qu'on  venait  d'abandonner,  le 
poursuivit  longtemps  de  son  feu.  On  traversa  les  villages  de  Longres  et  de 
Longueville,  et,  dans  la  soirée,  on  atteignit  l'Isle-sur-Doubs,  où  le  régiment 
de  Tirailleurs  prit  aussitôt  la  grand'garde.  La  nuits*écoula  sans  incident  ;  mais 
dans  la  matinée  du  20,  l'ennemi,  dont  la  poursuite  avait  d'abord  paiu  hési- 
tante, attaqua  tout  à  coup  nos  avant-postes.  L'ordre  fut  donné  de  continuer  la 
retraite  sur  Ponipierre,  et  la  i'^  division  protégea  encore  ce  mouvement,  au- 
quel les  Allemonds  ne  cherchèrent  d'ailleurs  pas  à  s'opposer.  Le  lendemain ,  un 
coucha  à  Beauno-les-Dumcs.  Le  22,  le  régiment  fut  dirigé  en  chemin  de  fer  sur 
Besançon ,  où  il  arriva  le  même  jour.  Le  23,  il  lut  envoyé  à  Torpes,  point  où  le 
chemin  de  fer  de  Lyon  coupe  une  grande  boucle  du  Doubs.  Ce  même  jour,  de 
nombreuses  mutations  eurent  encore  lieu  dans  les  divers  commandements  : 
le  lieutenant- colonel  Lemoing  et  le  commandant  Boussenard  étant  entrés  à 
l'ambulance,  le  commandant  Lanes  prit  la  direction  de  la  2*  brigade,  et  le 
commandant  Ferrandi  fut  placé  à  la  tête  du  régiment,  où  il  ne  restait  plus 
un  seul  chef  de  bataillon.  Les  vides  étaient  nombreux  aussi  parmi  les  autas 
officiers;  quant  aux  hommes,  à  peine  en  restait- il  la  moitié.  Les  fatigues 
des  jours  précédents,  et  surtout  le  froid  excessif  des  trois  journées  et  des  trois 


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[1871]  EN  FRANCE  073 

nuits  passées  devant  lléricourt,  étaient  la  cause  do  cette  elTrayante  réduction. 

L'occupation  de  Torpes  avait  pour  but  la  protection  du  chemin  de  fer  de 
Lyon  et  la  défense  du  passage  du  Doubs.  En  même  temps  qu'elle  avait  été 
ordonnée,  d'autres  troupes  des  U»  et  3»  divisions  du  15"  corps  avaient  été 
dirigées  sur  Buzy  et  sur  Quingey.  Déjà  des  reconnaissances  ennemies  étaient 
signalées  vers  ce  dernier  point.  Le  régiment  prit  position  sur  les  hauteurs  qui 
avoisinent  le  Doubs  et  passa  une  partie  de  la  journée  sans  être  inquiété,  bien 
qu'on  entendît  le  canon  et  la  fusillade  sur  plusieurs  points.  Dans  l'après-midi, 
la  gare  de  Byans,  défendue  par  un  détachement  du  l*^  zouaves  de  marche, 
fut  attaquée  par  la  xiiP  division  prussienne,  qui  s'en  empara  et  cribla  de 
projectiles  un  train  d'évacuation  de  malades  et  de  blessés.  L'ennemi  essaya 
ensuit»  d'une  tentative  sur  le  pont  de  Torpes,  mais  elle  fut  repoussée  par  les 
Tirnillo.urs ,  qni  curent  trois  liomnics  birssés.  Pondant  ce  temps,  nos  troupes 
devaient  abandonner  Quingey  et  Al  bans  et  se  retirer  sur  Épeugney,  sur  la 
rive  droite  do  la  liouc.  A  la  nuit,  le  régiment  se  trouvait  presque  cerné  de 
toutes  parts.  Décidé  à  se  faire  jour,  le  commandant  Ferrandi  évacua  Torpes 
à  deux  heures  du  malin,  gagna  la  route  de  D61e,  qu'il  trouva  encore  libre,  et 
se  replia  sur  Besançon ,  où  il  rallia  le  restant  de  la  2^  brigade.  Il  en  repartit 
peu  d'instants  nprhs,  et,  redescendant  vers  le  sud,  vint  cantonner  à  Pugey, 
excellente  position  sur  la  rive  gauche  du  Doubs.  Le  lendemain  25,  le  régiment 
se  porta  à  Epeugney,  où  se  trouvait  réunie  la  plus  grande  partie  du  15*  corps. 

A  celte  date,  la  situation  s'était  singulièrement  aggravée  :  ce  n*était  plus  aux 
seules  forces  du  général  Werder  qu'on  avait  affaire,  mais  encore  à  toute  l'ar- 
mée de  ManteulTel ,  qui  arrivait  par  le  sud  et  par  les  deux  rives  du  Doubs  pour 
couper  à  nos  troupes  la  retraite  sur  Lyon.  Une  seule  route  restait  encore  à  ces 
dernières,  celle  de  Pontarlier,  d'où  elles  parviendraient  peut-être  è  gagner  les 
bords  du  llliAnc,  en  sacrifinnt  une  partie  do  leurs  bagages  et  do  leur  matériel, 
et  en  s'engngcant  dans  les  chemins  et  les  sentiers  longeant  le  Jura.  L'hésita- 
tion n'était  pas  possible;  le  général  Bourbaki  s'arrêta  à  cette  résolution,  mais 
un  échange  de  télégrammes  avec  Bordeaux  amena  encore  la  perte  d'un  temps 
précieux.  Chaque  jour  le  cercle  se  resserrait  autour  de  Besançon.  Le  27,  le 
général  Clinchant  prit  le  commandement  de  l'armée  et  fit  poursuivre  le  mou- 
vement commencé.  Les  Tirailleurs  algériens  quittèrent  Epeugney,  passèrent 
la  Loire  h  Cléron  et  s'arrêtèrent  à  Amancey.  Le  lendemain,  la  marche  reprit 
à  six  heures  du  matin ,  et,  &  sept  heures  du  soir,  ils  arrivèrent  à  Sombacourt, 
après  de  nombreux  arrêts  provenant  de  l'encombrement  des  routes.  Le  29,  il 
y  eut  séjour.  La  nouvelle  d'un  armistice  commençait  à  se  répandre,  et  nos  sol- 
dats se  reposaient  en  toute  sécurité,  lorsque  vers  cinq  heures  du  soir  le  village 
fut  soudain  attaqué  par  les  Allemands.  La  l^^  division  du  15*  corps,  qui  se 
trouvait  presque  tout  entière  cantonnée  là,  essaya  à  peine  do  se  défendre,  et 
les  généraux  Dastuguc  et  Minot,  deux  mille  sept  cents  hommes,  dix  canons 
et  sept  mitrailleuses  tombèrent  entre  les  mains  de  l'ennemi.  Réduit  à  environ 
quatre  cents  hommes ,  le  régiment  se  retira  sur  Hutteaux ,  près  de  Pontarlier. 
Le  30,  il  continua  son  mouvement  par  Pontarlier,  Oye  et  Pallet,  et  installa 
son  bivouac  près  de  ce  dernier  village.  Le  soir,  on  apprit  que  l'armistice  dont 
il  était  question  la  veille  ne  concernait  pas  l'armée  de  l'Est;  alors  que  la  France 


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874  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [iSTl] 

entière  meKait  bas  les  armes,  nos  ennemis  se  réservaient  le  droit  d'écraser 
complètement  cette  armée  et  de  détruire  ainsi  les  derniers  éléments  de  résis- 
tance qui  restassent  à  notre  malheureux  pays. 

Cion  formément  aux  ordres  donnés  par  Tétat-major  général,  le  3 1 ,  le  1 5*  corps 
se  remit  en  route  et  se  dirigea  sur  Vaux  pour  atteindre  les  Granges-Sainte- 
Marie  et  l'Abergement;  mais  à  peine  son  avant-garde  fut-elle  à  une  heure  de 
Pallet,  qu'elle  fut  attaquée  et  obligée  de  se  replier.  Si  quelques  instants  aupa- 
ravant il  existait  encore  un  faible  espoir,  il  venait  brusquement  do  s'évanouir  : 
l'armée  se  trouvait  irrémédiablement  acculée  à  la  frontière  de  la  Suisse,  et  le 
seul  moyen  qui  lui  restait  pour  échapper  à  une  reddition  pure  et  simple  était 
de  se  réfugier  sur  le  territoire  de  cette  puissance  amie.  Le  (5*  corps  rebroussa 
chemin  et  se  retira  dans  la  direction  de  Pontarlier.  Il  n'existait,  pour  ainsi 
dire,  plus  de  commandement;  chacun  s'en  allait  au  hasard,  se  portant  de  pré- 
férence où  il  voyait  la  possibilité  de  trouver  un  abri  ou  un  morceau  do  pain. 
L'habitude  seule  retenait  encore  quelques  fractions  réunies.  H  n'y  avait  plus 
de  tenue  régulière  :  xouaves  et  mobiles,  francs- tireurs  et  soldats  de  la  ligne, 
artilleurs  et  Tirailleurs ,  dragons  et  lanciers  se  confondaient  pour  ne  former 
qu'une  même  foule  déguenillée.  Le  froid  était  revenu ,  et  par  16  degrés  au- 
dessous  de  zéro  on  voyait  des  gens  marcher  pieds  nus.  Les  distributions ,  très 
irrégulières  depuis  le  départ  de  Besançon ,  s'étaient  faites  chaque  jour  plus 
rares,  et  maintenant  n'avaient  lieu  que  pour  quelques  corps  privilégiés  se 
trouvant  à  proximité  des  convois.  C'était  le  désordre  tel  (|u'on  ne  l'avait  en- 
core vu;  c'étaient  des  souffrances  qui  ne  laissaient  plus  qu'aux  hommes  extra- 
ordinairement  trempés  la  force  morale  nécessaire  pour  résister  au  décourage- 
ment et  combattre  ces  implacables  difficultés. 

Pendant  ce  temps,  le  général  Clinchant  entrait  en  pourparlers  avec  le 
général  llerzog ,  commandant  les  forces  fédérales  suisses.  Déjà  les  doux  chefs 
avaient  eu  à  s'entendre  sur  l'évacuation  des  convois  sanitaires;  le  31,  les  né- 
gociations se  continuèrent  pour  régler  les  conditions  do  rinternement  do  toute 
l'armée;  eniin,  le  l^^**  février  au  matin,  était  signée  aux  Verrières  une  con- 
vention d'après  laquelle  nos  troupes  pouvaient  immédiatement  commencer  à 
franchir  la  frontière,  après  y  avoir  laissé  leurs  armes  et  leurs  munitions,  qui 
devaient  d'ailleurs  être  restituées  à  la  France  après  la  conclusion  de  la  paix. 

La  retraite  s'effectua  sous  la  protection  du  18*  corps  et  de  la  division  de 
réserve  du  général  Pallu  de  la  Barrière,  qui  soutinrent  à  la  Cluse  un  dernier 
et  glorieux  combat,  qui  arrêta  net  la  poursuite  des  Allemands.  Les  débris  du 
régiment  de  Tirailleurs,  qui  la  veille  avaient  gagné  péniblement  le  village  des 
Fourgs,  se  mirent  en  route  aussitôt  que  les  ordres  eurent  été  communiqués, 
et  dans  la  soirée  arrivèrent  à  Sainte-Croix.  A  partir  de  ce  moment,  ils  allaient 
être  sous  l'administration  de  l'autorité  militaire  suisse,  qui  allait  les  con- 
fondre avec  les  autres  corps  de  l'armée. 

Les  jours  qui  suivirent  furent  consacrés  aux  détails  matériels  de  cet  interne- 
ment. On  fixa  six  villes  comme  résidences  aux  ofliciers;  ceux  qui  voulurent 
donner  leur  parole  de  ne  point  chercher  à  s'échapper  restèrent  libres  de  vivre 
à  leur  gré.  Les  soldats  furent  distribués  dans  cent  soixante -quinze  dépôts,  et 
durent  se  soumettre  au  code  militaire  du  pays  ;  ils  devaient  être  traités  comme 


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[1871]  EN  FRANGE  375 

les  milices  suisses  en  garnison,  c'est-à-dire  être  nourris,  logés  et  payés  à  rai- 
son de  25  c.  par  homme  et  par  jour. 

Les  Tirailleurs  trouvèrent  chez  les  populations  helvétiques  l'accueil  le  plus 
généreux.  Au  contraire  des  Allemands,  qui,  dans  certaines  villes  où  nos  Alg^ 
riens  étaient  prisonniers,  ne  voulaient  voir  en  eux  que  des  partisans,  des  infi- 
dèles ,  et  disons  mémo  le  mot ,  des  barbares  n'ayant  pas  droit  au  titre  do  belli- 
gérants, et  par  suite  aux  égards  dus  à  des  vahicus  qui  ont  déposé  les  armes,  les 
Suisses  leur  témoignèrent  la  même  sympathie  qu'aux  autres  soldats  français, 
et  les  entourèrent  toujours  des  mômes  prévenances  et  des  mômes  soins.  Aussi 
lorsque  deux  mois  après,  la  paix  étant  signée,  eut  lieu  leur  rapatriement, 
bien  des  larmes  de  reconnaissance,  coulant  le  long  de  ces  figures  bronzées, 
prouvèrent  à  nos  hôtes  que  le  souvenir  de  leurs  bienfaits  serait  emporté  jus- 
qu'au fond  du  désert  ou  de  la  Kabylie,  jusqu'au  sein  de  ces  tribus  belliqueuses, 
qui  pourraient  revendiquer  les  mômes  vertus  que  les  fiers  montagnards  des 
Alpes  et  du  Jura  :  l'amour  de  l'indépendance  et  le  respect  de  l'hospitalité. 

Ainsi  devait  se  dissoudre  de  lui-môme,  par  le  fait  d'une  succession  d'évé- 
nements malheureux,  le  régiment  de  marche  des  Tirailleurs  algériens.  A  leur 
rentrée  en  Algérie,  les  divers  éléments  qui  avaient  servi  à  sa  constitution 
allaient  rejoindre  leur  régiment  d'origine,  pour  y  être  fondus  avec  les  déta- 
chements revenant  d'Allemagne  et  les  quelques  compagnies  demeurées  dans 
la  colonie.  Si  nous  examinons  la  part  qu'il  prit  dans  les  vains  efforts  qui  furent 
faits  le  lendemain  d'un  désastre  irréparable  pour  ramener  la  victoire  sous  nos 
drapeaux,  nous  voyons  qu'elle  fut  des  plus  honorables  et  qu'elle  répondit 
toujours  à  ce  qu'on  attendait  d'une  troupe  dont  la  réputation  était  aussi  avan- 
tageusement établie.  Les  noms  de  Toury,  d'Artenay,  d'Orléans,  de  Maisières 
et  d*IIéricourt  sont  et  resteront  pour  lui  des  titres  de  gloire  que  personne  ne 
cherchera  &  lui  contester.  Celte  gloire  est  d'autant  plus  grande ,  que  les  Ti- 
railleurs indigènes  eurent  non  seulement  à  lutter  contre  un  ennemi  aguerri  et 
supérieur  en  nombre,  mais  encore  contre  un  climat  pour  lequel  ils  n'étaient 
pas  nés ,  et  qui  pour  eux  fut  souvent  plus  meurtrier  que  le  feu  des  Allemands. 
Nul  ne  peut  se  figurer  les  souflrances  qu'ils  endurèrent  sans  se  plaindre,  les 
misères  qu'ils  supportèrent  avec  résignation ,  le  courage  qu'ils  montrèrent  à 
chaque  heure  de  cette  période  douloureuse  où  chaque  jour  amenait  une  nou- 
velle épreuve  et  une  nouvelle  déception.  Quel  qu'ait  été  le  résultat  de  cette 
dernière  et  opinifllre  résistance ,  le  3*  régiment  de  Tirailleurs ,  qui  fut  si  digne- 
ment représenté  au  régiment  de  marche,  peut  être  fier  d'y  avoir  contribué; 
car  si  dans  la  journée  de  Frœschviller  les  turcos  de  Constantine  furent  admi- 
rables de  bravoure,  dans  cette  suprême  et  infructueuse  tentative  de  nos 
armes ,  ils  se  montrèrent  parfois  sublimes  de  dévouement. 

Au  moment  où  s'ouvraient  les  préliminaires  de  paix,  ce  beau  régiment, 
que  nous  avons  vu  envoyer  deux  millo  deux  cents  hommes  sur  les  bords  du 
Rhin ,  qui  devait  ensuite  fournir  encore  de  nombreux  contingents  aux  armées 
de  la  Loire  et  de  l'Est,  n'existait,  pour  ainsi  dire,  plus  que  de  nom;  dispersé 
sur  tous  les  points  de  la  France,  de  la  Suisse,  de  l'Allemagne  et  de  l'Algérie, 
il  semblait  avoir  complètement  disparu.  Les  l*',  2«  et  3*  bataillons  et  quatre 
compagnies  du  4*  avaient  été  dirigés  sur  le  théâtre  de  la  guerre;  il  ne  restait 


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376  LE  3^  nÉQIMBNT  OB  TIRAILLEURS  AL0ÉUIEN8  [1871  ] 

donc  on  Algérie  que  Irois  couipugiiica  du  4^  Imluilloii  :  encore  n'esl-ce  là  qu'une 
désignation  administrative;  car,  de  fait,  ces  dernières  avaient  versé  tous  leurs 
hommes  valides  dans  les  compagnies  de  guerre  et  ne  constituaient  plus  qu'un  dé- 
pôt,  réparti  dans  les  divers  postes  de  la  province,  et  s'occupant  surtout  du  recru- 
tement, de  l'instruction ,  et  ne  concourant  que  pour  une  faible  part  au  service 
actif  des  garnisons.  Celles-ci  étaient  en  grande  partie  tenues  par  des  mobiles, 
auxquels  s'ajoutaient  quelques  anciens  soldats,  malingres  n'ayant  pu  faire  la 
campagne,  blessés  convalescents,  étrangers  ayant  demandé  à  ne  pas  marcher 
contre  la  Prusse  :  tout  cela  commandé  par  des  officiers  s'étant  eux-mêmes  en- 
gagés à  ne  plus  servir  dans  les  armées  opposées  aux  Allemands.  Telle  était  la 
situation  de  ce  qui  restait  du  3^  Tirailleurs  dans  la  province  de  Constantino 
lorsque  éclata  la  grande  insurrection  de  t871 ,  et  que  les  hommes  et  les  offi- 
ciers prisonniers  de  guerre  rentrèrent  de  captivité. 

Ce  n'est  que  vers  le  20  mars  que  coinmenc4U*enl  à  être  dirigés  sur  Marseille 
et  Toulon,  puis  sur  KAne  et  Pliilippevillo,  les  détachemcntH  du  réginuuil  re- 
venant de  Suisse  ou  d'Allemagne.  Ils  arrivaient  juste  pour  prendre  part  à  une 
nouvelle  campagne,  pour  supporter  de  nouvelles  fatigues,  pour  livrer  de  nou- 
veaux combats. 

Avant  de  suivre  le  régiment  dans  sa  réorganisation ,  avant  d'entreprendre 
le  récit  des  opérations  qui,  pendant  une  année,  allaient  absorber  toutes  ses 
forces  reconstituées,  nous  croyons  devoir  revenir  sur  les  événements  de  1870 
pour  bien  voir  quel  fut  le  rôle  des  Tirailleurs  algériens  pendant  cette  cam- 
pagne. 

Jusqu'au  moment  où  on  les  opposa  aux  Allemands,  les  Tirailleurs  n'avaient 
à  proprement  parler  pas  fait  la  grande  guerre.  Admirables  soldats  dans  toute 
l'acception  du  terme,  disciplinés,  dévoués,  aventureux,  rompus  aux  fatigues 
des  longues  marches,  aimant  le  danger,  se  battant  avec  une  furia  irrésistible, 
ils  représentaient  plutôt  l'idéal  d*excellcnts  partisans,  ou  mieux  encore  d'une 
vigoureuse  infanterie  do  montagne,  que  celui  d'une  troupe  possédant  les  qua- 
lités montcuvrit^res  indispensables  sur  un  champ  do  huluilleuu  peu  vaste.  Les 
journées  de  Wissembourg  et  de  Frœschwiller  prouvèrent  que,  pour  n'avoir 
peut-être  pas  été  autant  développées  qu'elles  auraient  pu  l'être,  ces  qualités 
n'en  existaient  pas  moins  chez  eux  à  un  remarquable  degré.  Dans  ces  deux 
grandes  affaires  on  put  voir  que  les  turcos,  qu'on  croyait  généralement  peu 
propres  à  la  défensive,  savaient  parfaitement  tirer  parti  du  terrain  et  main- 
tenir l'ennemi  en  ne  lui  cédant  que  pied  à  pied,  ou  bien  eu  le  déconcertant 
au  moyen  de  vigoureux  retours  offensifs.  Plus  tard,  in  l'armée  de  la  Loire,  les 
combats  d'Artenay  et  de  Maizières  donnèrent  encore  une  haute  idée  do  leur 
intelligence  flans  une  action  un  peu  compliquée;  à  Maizières  surtout,  ils  éton- 
nèrent les  Allemands  eux-mêmes  par  leur  entente  de  la  défense  de  ce  village, 
et  par  Tà-propos  avec  lequel  ils  passèrent  subitement  à  une  offensive  que  rien 
ne  pouvait  faire  prévoir  dans  les  conditions  d'infériorité  numérique  où  ils  se 
trouvaient.  A  l'armée  de  l'Est,  quoique  alors  leurs  cadres  n'eussent  plus  la 
même  expérience  ni  la  même  autorité,  on  n'apprécia  pas  moins  la  vigueur 
avec  laquelle,  après  être  pénétrés  de  force  dans  Montl>éliurd ,  ils  s'y  maintinrtuit 
pendant  deux  jours. 


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l!87!]  KN  FIIANGB  377 

Par  ce  qui  précède,  il  ne  faut  cependant  pas  conclure  qu'ils  ne  perdirent 
pas  une  gramlc  partie  de  leur  valeur  inlrinsèquc  dans  ce  rôle  purenâcnt  dé- 
fensif,  absolument  contraire  a  leur  tempérament;  s'ils  se  montrèrent  presque 
toujours  dignes  fie  la  réputation  (Pune  Iroupc  d*élile  dans  la  défense,  dans 
Taltaque  ils  furent  partout  héroïque.^).  Malheureusement  on  eut  le  tort,  selon 
nous,  de  les  engager  beaucoup  trop  tôt,  de  les  croire  mieux  à  leur  place  en 
première  ligne  qu'en  réserve,  de  ne  pas  les  garder  pour  le  moment  décisif; 
trop  ardents,  trop  impétueux,  ils  n'eurent  pas  toujours  la  mesure  nécessaire 
pour  tâter  l'ennemi  au  début  de  l'action,  et  ils  furent  généralement  entraînés 
à  donner  immédiatement  foute  la  somme  de  leurs  moyens.  C'est  ainsi  qu'à 
Frœschwillcr  les  2^  et  3°  régiments  se  firent  écraser  en  détail,  s'épuisèrent 
dès  le  commencement  de  la  lutte  en  tentatives  certainement  très  glorieuses, 
mois  sans  résultat,  alors  qu'ils  eussent  constitué,  chacun  pour  la  division  à 
laquelle  il  appartenait,  une  réserve  peul-ôtre  capable  de  rompre,  pour  un  bon 
moment  du  moins,  la  ligne  déj&  assez  flottante  de  l'ennemi  à  l'heure  où  celui^ 
ci  se  décida  &  marcher  en  masse  à  l'attaque  de  nos  positions.  Deux  exemples, 
pris  dans  cette  même  journée,  suffiront  pour  appuyer  notre  opinion  :  le  mou- 
vement du  colonel  Gandil  sur  Gûnstett,  et  l'entrée  en  ligne  du  1°'  régiment. 

Au  sujet  du  niotiveinent  sur  fiunslolt  nous  ne  dirons  qu'une  chose,  c'est 
(|u'il  eut  lieu  promoturément  et  fut  tenté  par  trop  peu  de  monde;  mais,  par 
ce  que  firent  trois  compagnies ,  on  peut  juger  de  ce  qu'il  en  eût  été  si ,  exécuté 
seulement  lorsque  notre  droite  fut  sérieusement  menacée,  tout  le  régiment 
y  eût  pris  part.  Ouant  à  l'exemple  du  l^''^  Tirailleurs,  il  est  encore  bien  plus 
concluant.  Lorsque  ce  corps  fut  engagé,  les  Prussiens  débouchaient  déjà  d'EI- 
sasshausen,  ou,  pour  mieux  dire,  la  bataille  était  depuis  longtemps  perdue. 
Bien  qu'aflaibli  par  le  combat  de  Wissembourg,  ce  brave  régiment  n'en  refoula 
pas  moins  les  Allemands  dans  le  Niederwald ,  leur  reprenant  six  de  nos  pièces 
dont  ceux-ci  s'étaient  emparés.  Ce  qu'il  en  résulta,  il  est  facile  de  le  deviner  : 
décimés,  accablés  par  le  nombre,  les  Tirailleurs  furent  ensuite  obligés  de  se 
replier;  mais,  pendant  un  moment,  l'attaque  de  l'ennemi  se  trouva  suspen- 
due, et  ce  répit  contribua  pour  une  bonne  part  à  la  possibilité  de  la  retraite 
de  la  division  Raoult.  Le  choc  fut  si  violent,  que  ce  seul  retour  oflensif,  exé- 
cuté dans  des  conditions  telles  qu'il  était  d'avance  condamné  à  échouer, 
inquiéta  plus  les  Allemands  que  toutes  les  belles  charges  do  nos  cuirassiers. 
A  Morsbronn ,  le  *)^  Tirailleurs  lancé  à  la  place  de  la  brigade  Michel  eût  fait 
des  merveilles. 

S'il  est  quelque  chose  qui  ressorte  plus  particulièrement  de  ces  pages,  hé- 
las I  trop  longues,  puisqu'elles  ne  retracent  que  des  revers,  c'est  l'excellent 
esprit  de  discipline  et  la  parfaite  résignation  que  surent  conserver  les  Tirail- 
leurs aux  heures  les  plus  difficiles  de  cette  dure  épreuve;  ils  montrèrent  ainsi 
pour  la  France  un  attachement  qui  rivalisa  avec  celui  de  ses  propres  enfants. 
C'est  surtout  lorsque  la  fièvre  de  la  lutte  eut  cessé,  lorsqu'ils  se  trouvèrent 
prisonniers  de  l'Allemagne,  que  leur  noble  attitude  se  révéla  dans  toute  sa 
dignité;  en  butte  aux  mauvais  traitements  de  leurs  gardiens,  devenus  l'objet 
d'une  curiosité  importune  et  quelquefois  insultante,  ils  restèrent  calmes,  ré- 
servés, et  n'eurent  jamais  la  moindre  faiblesse  devant  nos  ennemisr  Nous  ne 


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378  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1871  ] 

saurions  mieux  rendre  ce  qu'eurent  de  triste  pour  eux  ces  sombres  jours 
d*exil,  auxquels  se  môlait  l'amertume  de  la  défaite,  qu*en  laissant  le  soin  de 
les  faire  revivre  à  une  plume  plus  autorisée  que  la  nôtre,  à  celle  du  général 
Ambert. 

t  Parmi  les  prisonniers,  dit  ce  dernier,  dans  ses  RéciU  mililairea,  se  trou- 
vaient les  Africains,  soldats  du  corps  des  Tirailleurs  algériens,  connus  sous  le 
nom  de  Turcos.  La  ville  d*Ulm  renfermait  un  grand  nombre  de  ces  bommes,  qui 
excitaient  une  vive  curiosité.  Les  Allemands  se  montraient  scandalisés  do  ce 
que  les  Français  eussent  inlroduU  ces  infidèles  dans  les  armées  chrétiennes, 

«  Leurs  scrupules  n'étaient  pas  étrangers  à  la  peur,  car  sur  le  champ  de  ba- 
taille les  Turcos  répandaient  une  véritable  terreur.  Ils  se  battaient  avec  un  élan 
quelque  peu  sauvage.  A  Wissembourg  notamment,  ils  enlevèrent  buit  pièces 
de  canon*;  mais,  succombant  sous  le  nombre  et  décimés  par  la  mitraille,  ces 
intrépides  soldats  se  flrent  tuer  et  ne  rendirent  pas  les  canons  à  Tennemi. 

«  En  captivité  ils  ont  plus  souffert  que  les  autres  prisonniers  ;  ils  sortaient 
peu,  si  ce  n*est  pour  assister  quelquefois  à  la  messe,  car  ils  goûtaient  un 
extrême  plaisir  à  prendre  part  aux  cérémonies  religieuses  des  catholiques.  Ils 
avaient  cependant  au  milieu  d*eux  un  marabout  fait  prisonnier  avec  eux ,  mais 
qui  ne  s'occupait  pas  de  ses  coreligionnaires.  Ces  malheureux  Turcos  se  dédom- 
mageaient de  rindifférence  de  leur  marabout  en  se  pressant  aux  ofQces.  Si  les 
aumôniers  eussent  connu  la  langue  arabe,  le  nombre  des  conversions  eût  été 
assurément  considérable.  Au  moment  de  la  mort,  plusieurs  d'entre  eux  deman- 
dèrent À  être  baptisés  *. 

«  Le  froid  les  faisait  cruellement  souffrir,  et  c'était  pitié  de  voir  ces  enfants 
du  désert  trembler,  immobiles,  silencieux,  résignés,  dans  l'obscurité  des  case- 
mates. Jamais  une  plainte  ni  un  blasphème  ne  s'échappaient  de  leurs  lèvres. 
Tristes,  mais  toujours  dignes ,  ils  demeuraient  de  longues  heures  à  faire  glisser 
dans  leurs  doigts  les  grains  du  chapelet  des  musulmans.  Cette  mélancolie  qui 
distingue  les  Orientaux  avait  pris  chez  eux  un  caractèi*e  de  douloureux  abatte- 
ment. Les  aumôniers  les  admettaient  aux  distributions  de  secours  comme  les 
Français,  et  ces  Africains  reconnaissants  témoignaient  un  grand  respect  pour 
ces  prêtres,  leurs  bienfaiteurs. 

«  Ceux  qui  mouraient  étaient  inhumés  avec  les  honneurs  militaires;  les  au- 
môniers catholiques  ne  pouvaient  apporter  à  ces  funérailles  le  secours  des  céré- 
monies liturgiques. 

t  Un  ministre  protestant  allemand  crut  devoir  assister  aux  obsèques  des 
Turcos.  La  population  fut  indignée  de  cet  acte,  honorable  d'ailleurs;  mais  le 
pasteur,  homme  d^esprit,  tint  ce  discours  :  «  On  me  repix)che  ma  participation 
à  ces  funérailles;  on  a  tort.  Les  Arabes  ont  une  foi  et  croient  en  Dieu  :  pourquoi 
leur  refuser  cet  honneur,  tandis  que  j'ai  des  paroissiens  chrétiens  qui  ne  croient 
ni  à  Dieu  ni  à  diable,  et  je  suis  bien  obligé  de  les  enterrer.  » 

1  Le  général  eonfond  probablement  Frœschwiller  avec  Wissembourg,  car  dans  le 
combat  du  4  août  il  n'j  eut  pas  de  canons  enlevés  à  l'ennemi  par  les  Tirailleurs. 

*  Il  y  a  de  l'exagération  dans  cette  affirmation.  Les  Tirailleurs  indigènes  n'ont  au- 
cune répugnance  à  assister  à  nos  cérémonies  religieuses ,  mais  ils  n'en  restent  pas  moins 
profondément  attachés  au  culte  musulman,  qu'il  j  ait  un  marabout  ou  non  pour  leur 
en  faciliter  la  praUque.  S'il  y  eut  des  baptisés,  ils  durent  être  en  très  petit  nombre,  et 
seulement  parmi  les  hommes  moralement  aifaiblis  par  la  maladie. 


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[1871]  EN  FRANCS  379 

Les  Tirailleurs  n'ont  oublié  m  rhumiliation  qui  atteignit  la  France,  ni  les 
souATrances  qu'ils  durent  à  la  brutalité  de  ses  ennemis;  que  vienne  Theure  de 
venger  nos  désastres,  et  on  les  verra  marcher  à  la  frontière  avec  le  même 
enthousiasme  et  verser  leur  sang  avec  la  même  générosité.  Le  jour  de  leurs 
vœux  sera  tonjour5<  celui  où  ils  entendront  do  nouveau  ce  cri  qui  résume  tout 
leur  passé  :  En  aoant  ! 


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TROISIEME  PARTIE 

(1871-1887) 

LE   3<»    RÉGIMENT    DE    TIRAILLEURS   ALGÉRIENS 
DEPUIS  LA  GUERRE  CONTRE  L'ALLEMAGNE 


CHAPITRE  I 


Le  3*  régiment  de  Tirailleurs  algériens  après  la  guerre  de  1870.  —  Situation  de  l'Algérie 
au  commencement  de  1871.  —  Incident  d*AIn-Gueitar.  —  Colonne  Pouget.  —  Attaque 
d'Ri  -  M  {lia.  —  Réprossion  do  la  révoltn  dans  1c  cercle  de  Tébcssa.  —  Réorganisation 
du  r(^giiMcut  au  moment  do  sa  rentrée  de  captivité.  —  Ëvénements  de  la  Mcdjana.  — 
Colonne  de  secours  de  Bordj-bou-Arrérlilj.  —  Le  général  Saussier  vient  en  prendre 
le  commnndement.  —  Opérations  dans  la  Medjana  et  au  nord  de  Sétif.  —  Progrès  de 
l'insurrection.  —  Colonne  Adeler.  —  Révolte  des  tribus  des  environs  de  Batna.  —  Réu- 
nion des  colonnes  Adeler  et  Marié.  —  Attaque  du  Djebel-Mestaoua.  —  Nos  troupes  sont 
repoussées.  —  La  colonne  Marié  se  rend  à  Sétif.  —  Dernières  opérations  de  la  colonne 
Adeler. 


Après  la  guerre  de  1870  et  la  répression  de  la  Commune  en  1871,  la  plu- 
part des  régiments  de  Tarmée  française  allaient  jouir  d'un  complet  repos.  Il 
ne  devait  pas  on  être  ainsi  pour  le  3*^  Tirailleurs;  bien  que  les  année»  qui  se 
sont  écoulées  depuis  le  traité  de  Francfort  aient  été,  on  apparence,  des  années 
de  paix,  c^est  encore  pour  le  voir  marcher  et  combattre  que  nous  allons  le 
suivre  pendant  cette  longue  période  d'incessants  efforts  pour  relever  le  prestige 
de  notre  drapeau.  C*est,  en  effet,  pour  assister  avec  lui  à  la  répression  des  in- 
surrections algériennes  de  1871,  1876  et  1879,  à  la  fatale  et  encore  toute 
récente  catastrophe  de  la  mission  Flatters,  à  Texpédition  de  Tunisie,  et  enGn 
à  ces  événements  qui  datent  d*hier  seulement,  à  la  conquête  du  Tonkin,  que 


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882  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1871  ] 

nous  ouvrons  cette  troisième  partie  de  son  histoire,  partie  qui  est  déjà  assez 
remplie  pour  que,  pour  lui,  le  souvenir  de  nos  revers  se  soit  peu  à  peu  effacé 
devant  une  longue  liste  de  succès  et  de  faits  glorieux.  On  verra  par  ce  qui  va 
suivre  que  les  Tirailleurs  algériens  en  général ,  et  ceux  du  3*  régiment  en  par- 
ticulier, n*ont  pas  dégénéré;  que,  tout  en  marchant  résolument  dans  la  voie 
du  progrès  où  l'on  s*est  engagé  dès  le  lendemain  de  notre  défaite,  ils  n'ont 
rien  perdu  des  solides  et  précieuses  qualités  qu'ils  possédaient  autrefois;  qu'au 
point  de  vue  moral,  ils  ont  toujours  le  même  amour  pour  leur  drapeau  et  le 
même  dévouement  pour  notre  pays;  enCn,  que,  constamment  entretenu  par 
un  noyau  d'anciens  soldats  ayant  hérité  des  vertus  et  des  traditions  de  notre 
vieille  armée,  l'esprit  de  corps  est  resté  chez  eux  une  religion  ayant  encore 
toute  sa  puissance,  un  lien  consenrant  toute  sa  force ,  un  stimulant  toujours 
capable  de  provoquer  la  plus  noble  émulation. 

Au  moment  où  prenait  fin  la  guerre  avec  l'Allemagne,  à  l'heure  où,  croyant 
enfin  être  parvenus  au  terme  de  leurs  épreuves,  nos  soldats  voyaient  cesser  la 
lutte  qui  pendant  six  mois  leur  avait  tenu  les  armes  à  la  main ,  des  difficultés 
naissantes  venaient  les  avertir  que  l'instant  du  repos  n'était  pas  encore  arrivé  : 
en  France  se  déclarait  Tinsurrection  de  la  Commune  de  Paris,  en  Algérie  écla- 
tait un  formidable  soulèvement  qui,  pendant  près  d'une  année,  allait  mettre 
à  feu  et  à  sang  toute  la  province  de  Constantine  et  la  plus  grande  partie  de 
celle  d'Alger. 

Parmi  les  causes  multiples  qui  motivèrent  celte  dernière  révolte,  il  en  fut 
de  naturelles  qui  ont  toujours  existé,  qui  existeront  peut-être  longtemps  en- 
core, l'esprit  de  nationalité  et  d'indépendance,  la  haine  du  musulman  pour  le 
chrétien,  l'incompatibilité  de  mœurs  et  d'aptitudes  du  peuple  conquérant  et 
du  peuple  vaincu;  mais  il  en  fut  aussi  d'accidentelles,  nées  de  la  situation 
difficile  que  nous  traversions  ou  créées  par  des  mesures  intempestives  prises 
en  vue  de  l'administration  de  la  colonie.  C'est  sur  celles-ci  que  nous  insiste- 
rons, d'abord  parce  qu'elles  ont  un  caractère  bien  particulier,  ensuite  parce 
qu'il  nous  semble  que  cette  insurrection,  provoquée  par  des  circonstances 
uniques  dans  Thistoire  de  l'Algérie,  alors  que  notre  prestige  militaire  était  à 
ce  point  déchu,  qu'une  troupe  qui  jusque-là  nous  avait  toujours  été  dévouée 
se  mettait  ouvertement  en  rébellion  contre  ses  chefs  et  contre  notre  autorité, 
se  rattache  directement  au  sujet  que  nous  traitons,  et  démontre,  plus  que  nous 
ne  saurions  le  faire,  que,  si  les  Tirailleurs  demeurèrent  absolument  incorrup- 
tibles au  milieu  des  influences  dissolvantes  qui  étaient  devenues  comme  leur 
atmosphère  ambiante ,  ils  le  durent  à  cet  admirable  esprit  de  fidélité  et  de 
cohésion  qu'ils  avaient  acquis  à  l'ombre  de  notre  drapeau,  à  la  vigueur  et  à 
l'expérience  de  leurs  officiers,  et  enfin  et  surtout,  à  cet  inébranlable  respect 
pour  la  discipline  que  nous  avons  le  devoir  de  faire  ressortir,  pour  qu'il  reste 
éternellement  la  devise  de  notre  beau  et  brave  régiment.  D'ailleurs  le  3«  Ti- 
railleurs prit  une  telle  part  à  la  répression  de  la  révolte,  que  relater  ses  opé- 
rations c'est  raconter  l'insurrection  elle-même. 

Dès  la  première  nouvelle  de  l'invasion  du  territoire  français  par  les  Alle- 
mands, les  populations  indigènes  furent  profondément  impressionnées  :  notre 
pays  n'était  plus  invincible;  le  colosse  qui  les  avait  abattues  venait  d'être  ter- 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  883 

rassé  à  son  tour  ;  il  leur  élaii  donc  possible  de  se  dégager  de  la  puissante 
étreinte  qui  les  avait  si  longtemps  enserrées.  Au  lendemain  de  la  capitulation 
de  Paris,  cette  idée,  d^abord  hésitante,  se  répandit  avec  une  effrayante  rapi- 
dité; les  sectes  religieuses  ou  Khouans  en  firent  habilement  leur  profit,  Taris- 
tocratie  arabe  la  cultiva  adroitement  en  vue  de  ses  intérêts,  et  bientôt  la 
révolte,  partout  latente,  n'attendit  pour  se  déclarer  qu'un  prétexte  et  qu'une 
occasion.  Le  prétexte  lui  Tut  fourni  par  divers  actes  politiques  dictés  par  l'es- 
prit du  jour,  entre  autres  le  remplacement  du  gouvernement  militaire  par  le 
gouvernement  civil  et  la  naturalisation  des  Israélites  indigènes;  l'occasion 
allait  surgir  d'un  événement  tout  à  fait  imprévu,  du  refus  des  spahis  de  la 
smala  d'Aîn-Gucttar  de  partir  pour  la  France. 

Le  moment  était  mal  choisi  pour  changer  le  mode  d'administration  de  TAI- 
gérie  :  c'était,  pour  ceux  qui  avaient  Texpérience  de  ce  pays,  abdiquer  volon- 
tairement la  seule  autorité  qui  inspirftt  encore  une  certaine  crainte  au  sein  des 
tribus.  Considérant,  en  effet,  Tavènement  du  régime  civil  comme  la  cessation 
du  règne  de  la  force ,  les  Arabes  en  furent  vite  à  l'envisager  comme  le  signe 
précurseur  de  Tabandon  de  notre  conquête,  et  les  commentaires  auxquels  il 
donna  lieu  tendirent  tous  vers  cette  conclusion  :  qu'il  n'y  avait  plus  d'armée. 
Cette  croyance  s'accréditait  avec  d'autant  plus  de  facilité,  que  pour  le  moment 
la  garde  de  nos  postes  même  les  plus  importants  était  confiée  à  de  jeunes 
mobiles,  &  des  troupes  inexpérimentées  ne  rappelant  en  rien  les  vieux  soldats 
du  temps  passe.  Sur  ces  entrefaites,  étant  survenu  le  décret Crémieux élevant 
les  Juifs,  de  tout  temps  détestés  des  musulmans,  à  la  qualité  de  citoyens  fran- 
çais, la  situation  prit  tout  à  coup  un  caractère  aigu;  de  ce  jour  on  put  con- 
stater de  visibles  symptômes  de  rébellion;  bientôt  l'évidence  devint  telle,  que 
tous  les  efforts  du  commandement,  surtout  dans  la  province  de  Constantine, 
durent  tendre  vers  une  temporisation  prudente  devant,  non  plus  combattre 
un  danger  inévitablt*,  mais  le  relarder  jusc|u*à  ce  qu'on  fût  à  même  d'y  faire 
face.  Malheureusement  une  étincelle  allait  brusquement  mettre  le  feu  aux 
poudres ,  et  placer  notre  colonie  désarmée  dans  les  circonstances  les  plus  cri- 
tiques où  elle  se  soit  jamais  trouvée. 

Vers  le  milieu  du  mois  de  janvier  1871,  le  5<^  escadron  du  3«  spahis,  sta- 
tionné à  la  smala  d'Aîn -Guetter,  à  quelques  kilomètres  de  Souk-Arras,  avait 
été  désigné  pour  aller  en  France  prendre  part  à  la  guerre  contre  l'Allemagne. 
Le  22  janvier,  veille  du  jour  fixé  pour  le  départ,  le  capitaine  commandant 
voulut  réunir  sa  troupe.  Les  spahis  se  rendirent  à  l'appel ,  mais  pour  déclarer, 
à  l'exception  d'une  trentaine  d'anciens  soldats,  qu'ils  refusaient  formellement 
de  quitter  l'Algérie;  puis  ils  se  sauvèrent  à  la  hâte  dans  toutes  les  directions, 
et  vinrent  s'étabKr  avec  leurs  tentes  et  leurs  familles  en  dehors  du  territoire 
de  la  smala,  à  un  endroit  nommé  Enchir-Moussa. 

Cette  mar(|ue  d'insubordination ,  de  la  part  de  gens  passant  pour  les  plus 
dévoués  à  notre  cause,  produisit  une  vive  émotion  parmi  les  tribus  de  la 
contrée.  Il  n'en  fallait  pas  davantage  pour  entraîner  les  Hanencha,  déjà  for- 
tement travaillés  par  la  puissante  famille  des  Resguy,  à  qui  on  avait  récem- 
ment retiré  le  pouvoir,  et  qui  ne  pouvait  prendre  son  parti  de  cette  destitu- 
tion; en  quelques  jours,  à  l'exception  de  trois  douars  entiers  et  de  quelques 


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38<  LE  3®  RÊOmRNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1871  ] 

lonloa  riparliûH  dans  los  divArsos  franlions,  toulo  la  tribu  Tut  on  arinoa ,  oi, 
le  25  janvier,  les  contingents  révoltés  se  présentèrent  devant  Souk-Arras,  où 
le  capitaine  Delahogue,  du  régiment,  exerçait  les  fonctions  de  commandant 
supérieur. 

Souk-Arras  avait  pour  les  insurgés  une  importance  capitale  :  centre  de 
marchés  considérables  ayant  lieu  les  mercredis  et  les  jeudis,  rendez- vous  de 
toutes  les  tribus  de  la  frontière  faisant  le  commerce  avec  la  Tunisie,  cette 
ville  leur  eût  vite  assuré  le  commandement  de  la  région  de  l'est.  Mais  le  capi- 
taine Delahogue,  avec  une  activité  et  une  intelligence  qui  devaient  plus  tard 
être  hautement  reconnus,  avait  en  toute  hAte  organisé  la  résistance  avec  les 
faibles  moyens  dont  il  disposait  %  et  les  rebelles,  malgré  leur  nombre,  durent 
se  contenter  de  bloquer  la  place. 

Pendant  ce  temps,  une  colonne  de  secours  s'organisait  A  Bône  sous  les 
ordres  du  général  Pouget,  commandant  la  subdivision.  Elle  comprit,  entre 
autres  troupes  d'infanterie,  doux  compagnies  de  marche  du  3**  Tirailleurs, 
sous  les  ordres  du  capitaine  Darras.  Le  28,  elle  campait  A  Duvivier.  Le  30, 
elle  arriva  A  Aln-Semour,  où  elle  rencontra  les  contingents  ennemis,  qui, 
grossis  de  nouvelles  bandes  venant  des  Onillen,  des  Séfia,  des  Ouled-Khiar 
et  des  Ouled-Dhia,  s'étaient  portés  au-devant  d'elle  pour  lui  barrer  le  che- 
min. Après  un  court  engagement  où  les  Tirailleurs,  €  vigoureusement  en- 
traînés par  leurs  officiers,  montrèrent  beaucoup  de  valeur  et  d'entrain  *,  »  ces 
contingents  furent  facilement  dispersés,  et  le  lendemain  Souk-Arras  se  trouva 
complètement  débloqué.  La  colonne  séjourna  un  jour  dans  ce  poste;  puis, 
s'étant  renforcée  de  quelques  autres  troupes  parties  de  Philippeville  sous  les 
ordres  du  lieutenant-colonel  Oudan,  du  3<>  chasseurs  d'Afrique,  elle  se  porta 
A  AînGuettar.  Effrayées,  les  fractions  qui  avaient  recueilli  les  spahis  insurgés 
vinrent  faire  leur  soumission,  et  ces  derniers,  ainsi  que  les  indigènes  qui 
s'étaient  le  plus  compromis,  gagnèrent  précipitamment  la  Tunisie.  L'ordre  se 
trouva  alors  momentanément  rétabli;  mais  cet  événement  avait  si  profondé- 
ment agité  les  esprits,  qu'il  fallait  compter  sur  un  contre-coup  sinon  immé- 
diat, du  moins  prochain,  de  cette  tentative  prématurée. 

Le  soulèvement  attendu  ne  tarda  pas  :  le  14  février,  les  Ouled-Aidoun 
prenaient  brusquement  les  armes  et  tentaient  de  surprendre  le  petit  poste 
d'EI-Milia.  Mais,  prévenu,  le  capitaine  Sergent,  du  3^  Tirailleurs,  comman- 
dant l'annexe,  avait  pu  prendre  ses  dispositions  pour  repousser  les  insurgés. 
Voici ,  du  reste ,  dans  (|uelles  circonstances  bizarres  naquit  ce  nouvel  acte  de 
rébellion. 

Les  Ouled-Aîdoun,  qui  s'étaient  compromis  aux  yeux  de  leurs  voisins  en 
restant  étrangers  aux  révoltes  de  1860  et  de  1864,  brûlaient  du  désir  de  se 
réhabiliter  en  frappant  un  grand  coup.  Le  13  février,  les  Keburs  (les  grands) 
de  chaque  fraction  se  réunirent  A  la  noce  d'un  nommé  Alim(«d-ben-Siaoud, 
des  Ouled-IIannech ,  et  lA  il  fut  décidé  qu'un  certain  nombre  d*Ouled-iiannech, 

>  La  garnison  de  Souk-Arras  se  composait  de  cent  treate  tiommes  du  43*  mobiles,  de 
la  milice  et  de  quelques  spahis. 
*  Rapport  du  général  Pouget. 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  385 

d*Ouled-Arbi ,  d*0u1ed-Bouzid ,  après  avoir  caché  leurs  fusils  dans  un  bois  près 
du  marché,  à  douze  cents  mètres  environ  du  bordj,  pilleraient  le  lendemain 
les  marchands  européens,  pendant  que  les  autres  insurgés  attendraient,  em- 
busqués, l'occasion  favorable  pour  se  jeter  sur  le  camp  et  sur  le  bordj  lui- 
même. 

Le  lendemain  14,  le  caïd  Bou-Zian  fut  envoyé  par  le  chef  d'annexé  avec 
deux  spahis  sur  le  marché  pour  y  exercer  une  surveillance  spéciale.  En  même 
temps  la  petite  garnison,  composée  d*un  détachement  du  43*  mobiles,  prit 
les  armes  et  se  tint  prête  à  marcher.  Tout  se  passa ,  pour  les  indigènes,  comme 
il  avait  été  convenu  la  veille  ;  ils  se  portèrent  en  masse  du  marché  sur  le  camp  ; 
mais,  reçus  autrement  qu'ils  ne  s*y  attendaient,  ils  virent  leur  attaque  re- 
poussée. Trop  faible  néanmoins  pour  les  contenir  dans  la  campagne,  le  capi- 
taine Sergent,  oprèfl  deux  vigoureuses  escarmouches  dans  lesquelles  il  fut 
Icgôroinont  blassé,  et  qui  permirent  aux  Européens  do  se  réfugier  dans  le 
bordj,  se  vit  obligé  do  se  renfermer  lui -môme  dans  ce  fortin.  Il  no  tarda  pas 
h  y  être  ctroilcmcnt  bloque,  et  les  rebelles,  restés  maîtres  du  village,  en  incen- 
dièrent les  maisons  et  coupèrent  la  conduite  qui  amenait  Teau  aux  assiégés. 
Cependant  le  général  Augeraud,  commandant  la  province,  était  parvenu, 
en  réunissant  la  majeure  partie  des  troupes  qui  avaient  servi  t  Texpédition  do 
Souk-Arras  &  un  bataillon  du  2^  zouaves,  venu  en  toute  hAte  d^Oran,  et  à  un 
autre  du  l^^*"  Tirailleurs,  envoyé  d'Alger,  à  organiser  à  Elma-el-Abiod  une 
colonne  d'environ  trois  mille  quatre  cents  hommes,  dont  le  commandement 
fut  encore  donné  au  général  Pouget.  Dans  cette  colonne  se  trouvaient  deux 
compagnies  du  3<^  Tirailleurs,  sous  les  ordres  du  capitaine  Maisonneuve-La- 
coste.  La  marche  de  ces  troupes  ne  fut  pas  sérieusement  inquiétée;  après  deux 
légers  engagements  en  avant  d'Elma-el-Abiod  et  à  Kef-Zerzour,  El-Milia  fut 
atteint  et  débloqué  dans  la  journée  du  27  février,  et  le  général  Pouget  n'eut 
plus  qu'&  procéder  au  désarmement  des  tribus,  lesquelles,  devant  l'insuccès 
de  leur  tentative,  s'étaient  empressées  de  faire  leur  soumission.  Ce  désarme- 
ment, qui  s'circctua  très  sérieusement  et  qui  enleva  tout  moyen  de  révolte 
aux  populations  de  celte  partie  de  la  Kabylie,  devait  plus  tard  nous  être  d'un 
grand  secours  en  empêchant  le  mouvement  insurrectionnel  de  se  propager 
dans  les  cercles  de  Collo  et  de  Philippeville.  Le  blocus  d'El-Milia  avait  duré 
treize  jours.  Pendant  ce  temps,  les  insurgés  avaient  tenté  trois  attaques  de 
vive  force  qui  avaient  èU)  brillamment  repoussées  par  lo  capitaine  Sergent. 

Mais,  voyant  nos  troupes  occupées  dans  le  nord  de  la  province,  les  tribus 
de  l'est  n'étaient  pas  restées  longtemps  dans  cette  attitude  soumise  qu'avait 
provoquée  chez  elles  la  marche  rapide  du  général  Pouget  sur  Souk-Arras. 
Quelques  arrestations  faites  chez  les  Ouled-Khalifa,  &  la  suite  de  l'assossinat 
du  doinesli(|uc  d'un  sieur  Cambon,  entrepreneur  des  fourroges  de  TËlat,  fut 
le  signal  de  cette  nouvelle  agitation  dans  celte  région;  les  Ouled-Khalifa  se 
soulevèrent,  volèrent  deux  cents  bœufs  au  sieur  Cambon,  et,  le  7  mars,  no 
craignirent  pas  d'attaquer  le  commandant  supérieur  de  Tebessa,  dans  une 
reconnaissance  que  celui-ci  Taisait  à  Orfaux,  à  quelques  kilomètres  du  poste. 
Profitant  aussitôt  de  cette  situation ,  deux  intrigants,  les  nommés  Naceur-ben- 
Chora,  agitateur  de  toutes  les  époques,  et  Mahi-eUDin,  prétendu  fils  d'Abd- 

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386  LE  3*  RÉOmCNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1871  ] 

el-Kader,  se  donnèrent  comme  chérifs  et  cherchèrent  à  entraîner  les  Nemencha 
dans  Tinsurrection.  Mais  ceux-ci  restèrent  dans  une  expectative  prudente; 
peut-être  auraient-ils  tout  de  même  fini  par  céder  à  ces  sollicilations,  si  Tan- 
nonce  de  l'arrivée  d'une  colonne  ne  fût  venue  tout  à  coup  refroidir  leur  en- 
thousiasme. 

On  avait,  en  effet,  rappelé  en  toute  hdte  le  général  Pouget  de  la  Ka- 
bylie,  et,  le  24  mars,  il  entrait  dans  le  cercle  de  Tebessa  à  la  tête  de  deux 
mille  deux  cents  hommes  de  toutes  armes,  dont  deux  compagnies  du  3«  Ti- 
railleurs, sous  les  ordres  du  capitaine  Besson  (Laurent),  officier  servant  au 
titre  auxiliaire.  Le  25,  les  contingents  réunis  par  les  deux  chérifs  étaient 
battus  à  Aîn-Hadnadja  et  refoulés  dans  les  gorges  d'Youks,  petit  village  à 
trente-trois  kilomètres  de  Tebessa.  Bientôt  chassés  de  là,  les  insurgés  prirent 
la  fuite  vers  le  sud ,  entraînant  avec  eux  toute  la  population ,  même  celle  des 
tribus  qui  ne  s'étaient  pas  déclarées  contre  nous ,  à  tel  point  que  le  général 
Pouget  se  trouva  soudain  au  milieu  d'un  désert.  Les  jours  suivants,  les  frac< 
tiens  les  moins  compromises  rentrèrent  peu  à  peu  pour  demander  l'aman  ; 
mais  en  même  temps  que  l'ordre  se  rétablissait  sur  ce  point,  d'autres  troubles 
éclataient  à  l'ouest  de  la  province,  de  sorte  qu'ainsi  que  le  géant  Antée  l'in- 
surrection reprenait  de  nouvelles  forces  chaque  fois  qu'on  la  croyait  terrassée. 
Heureusement  les  troupes  rentrant  de  captivité  commençaient  à  arriver;  leur 
réorganisation  s'opérait  avec  une  fiévreuse  activité,  et,  si  le  danger  grandis- 
sait, du  moins  les  moyens  de  le  combattre  allaient-ils  de  jour  en  jour  aug- 
menter dans  la  même  proportion. 

Nous  avons  vu  que  la  portion  du  régiment  prisonnière  en  Allemagne  ou  en 
Suisse  n'était  rentrée  en  Algérie  que  dans  le  courant  du  mois  de  mars.  Jusque- 
là,  trois  compagnies  seulement  avaient  pu  concourir  à  la  formation  des  co- 
lonnes dirigées  contre  les  insurgés;  mais,  en  vertu  d'un  décret  du  30  janvier 
prescrivant  la  formation  d'un  2<^  régiment  de  marche  de  Tirailleurs  algé- 
riens ,  qui  devait  aller  s'organiser  à  Perpignan ,  ces  compagnies  avaient  été 
dédoublées,  ai  l'on  avait  ainsi  obtenu  des  compagnies  de  marche  dont  on 
avait  complété  les  cadres  au  moyen  d'officiers  servant  au  litre  auxiliaire.  Cet 
état  de  choses  subsista  jusqu'au  19  mars;  &  celte  date,  les  circonstances  d'un 
côté,  l'arrivée  des  Tirailleurs  prisonniers  de  l'autre  nécessitant  une  complète 
réorganisation  du  corps,  on  y  procéda  conformément  aux  instructions  éma- 
nant d'une  décision  ministérielle  du  13  mars.  Nous  donnons  ci -dessous  la 
nouvelle  composition  du  3*  régiment,  telle  qu'elle  résulta  du  tiercement  qui 
eut  lieu  à  cet  eflet,  mais  en  faisant  remarquer  que  les  bataillons  ne  furent 
guère  constitués  ainsi  qu'après  la  répression  de  l'insurrection;  pour  le  mo- 
ment, on  allait  se  borner  à  former  des  compagnies  avec  les  premiers  arrivés, 
sans  s'occuper  du  classement  figurant  sur  le  papier. 

iTAT-MAJOR 

MM.  Uarrué,  colonel. 

Âubry,   lieutenant-colonel. 

Béhic,    lieutenant-colonel  à  la  suite. 

Brisset,  major. 


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[1871] 


EN  ALGÉRIE 


387 


!•'  BATAILLON 

MM.  Crouzet,      chef  de  bataillon. 

Lcgronlec,  copilainc  adjudant-mojor. 


l'o  compagnie, 

MM.  Darras,  capitaine. 

Guillaume,  lieutenant  français. 
Abderrahman-ben-Ekorfi ,  lieu- 
tenant indigène. 
Henaux,  sous-lieut.  français. 
Sa'id-ben-Yaya ,  sous-lieut.  ind. 

2"  compagnie, 

MM.  Woronicz  de  Pawenza,  capitaine. 
Esparron ,  lieutenant  français. 
Yahia-bcn-Simo ,  lient,  indigène. 
IJi'îCu,  sous-licntcnant  français. 
Kaddour-bcn-Alnncd ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 

S''  compagnie, 

MM.  Ducoroy,  capitaine. 

Lafon,  lieutenant  français. 
Amou-ben-Mousseli,  lient,  ind. 
De  Bazignan,  s.-lieut.  français. 
Mohamed-ben-Ahmed-Khodja , 
sous-lieutenant  indigène. 


4°  compagnie, 

MM.  Sergent,  capitaine. 

Winter,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Taïeb,  lieut.  ind. 
Favreau,  sous-lieut.  français. 
Djellali-ben-Aouda,  s.-Iieut.  ind. 

5*^  compagnie. 

MM.  Wissant,  capitaine. 

Clerc,  lieutenant  français. 
Ali-ben- Ahmed ,  lieut.  indigène. 
Ocutzer,  suus-Iieut.  français. 
Lagdar-bcn-el-Achi ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 

6*^  compagnie, 

MM.  Gillet,  capitaine. 

Bernad ,  lieutenant  français. 
Zenati-ben-Serir,  lieut.  indigène. 
Carli ,  sous-lieutenant  français. 
Amri-ben-Lagdar-ben-Mebrouth, 
sous-lieutenant  indigène. 


7«  compagnie, 

MM.  Pont,  capitaine. 

Macqueron,  lieutenant  français. 

Mohamed-ben-AH-Chaoui ,  lieutenant  indigène. 
Paoli ,  sous-lieutenant  français. 

2<:   BATAILLON 

MM.  Mathieu,  chef  de  bataillon. 

Brault,      capitaine  adjudant-major. 


MM 


!•••  compagnie, 

Uiraud ,  capitaine. 
Fay,  lieutenant  français. 
Adj-Tahar,  lieutenant  indigène. 
Spellz,  sous-Iieulenant  français. 
Boularès-ben-Taieb,  s.-lieut.  ind. 


2«  compagnie. 

MM.  Roussel,  capitaine. 

Uarnier,  lieutenant  français. 
Béchir-ben-Mohanicd,  lieut.  ind 
Quilici,  sous-lieut.  français. 
Belkassem-Zid-ben-Mohamed- 
Zid,  sous-lieutenant  indigène. 


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388 


LB  3*  RftOIllBNT  DB  TIRAI1XBUR8  ALQËHIBNS 


[«871) 


3*  compagnie. 

MM.  Delahogae,  capitaine. 
Roy,  lieutenant  français. 
Kacem-Labougie,  lient,  indig. 
Boutareli  sous-lieut.  français. 
Amar-ben-Barki,  s.-heut.  ind. 


i^  compagnie. 

MM.  Donin  de  Rozière,  capitaine. 
Anglade,  lieutenant  français. 
Kaddour-ben-Amar,  lieut.  indig. 
Hacquart,  soua-lieut.  français. 
Ahmed-ben-Djelloul ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


S«  compagnie. 

MM.  Besson,  capitaine. 

Blumendhal,  lieut.  français. 
Haoussin-ben-Ali,  lieut.  indig. 
Pavot,  sous-lieutenant  français. 
Ahmed-ben-Haoussin,  sous-lieu- 
tenant indigène. 

6*  compagnie. 

MM.  Kolb,  capitaine. 

Hamel ,  lieutenant  français. 
Kacem-ben-Ahmed ,  lieut.  ind. 
Mazué|  souft-lieutenant  français. 
Mohamed-bcn-Chérir,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


MM. 


Ricballey, 
Rouget  I 
Lequiu, 


7*  compagnie. 


capitaine, 
lieutenant  français, 
sous-lieutenant  français. 


Mohamed-ben-Amor,  sous-lieutenant  indigène. 


3«  BATAILLON 

MM.  Petitjean,  chef  de  bataillon. 

Chenu ,      capitaine  adjudant-major. 


1"  compagnie. 

MM.  Mas-Mézeran ,  capitaine. 

Rhulmann ,  lieutenant  français. 
Ali-ben-Osman ,  lieut.  indigène. 
Macares,  sous-lieut.  français. 
Salah-ben-Tahar,  s.-lieut.  ind. 

2^  compagnie. 

MM.  Duchesne,  capitaine. 
Valat,  lieutenant  français. 
Tahar-ben-Amouda|  lieut.  ind. 
Dargent,  sous-lieut.  français. 
Taîeb-bcn-Ali ,  sous-lieut.  Ind. 


3*  compagnie, 

MM.  Émy,  capitaine. 

Camion ,  lieutenant  français. 
llassen-ben-Aii,  lieut.  indig. 
Monot,  sous-lieutenant  français. 
Larbi-bel-Oussif,  sous-lieut.  ind. 

4*  compagnie. 

MM.  Lalanne  des  Camps,  capitaine. 
Soulice ,  lieutenant  français. 
Amar-ben-Medeli,  lieut.  indig. 
Penaud ,  sous-lieut.  français. 
Salah-ben-Mohamed ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


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lt«7lj 


EN  ALOÊRIB 


389 


MH. 


5*  wmpagnie. 

Fargue,  capitaine. 
MondielH,  lieu tcnont  français. 
Saad-ben-Serir,  lieut.  indigène. 
Marol,  80U8-lieutenant  français. 
Garmi-ben-Sahar,  s.-lieut.  ind. 


MM 


MM. 


MM 


6*  compagnie, 

MM.  Oriot,  capitaine. 

Bricux,  lieutenant  français. 
Amor-ben-Taîeb,  lieut.  indig. 
Martin,  sous-lieut.  français. 
Amar-ben-Salah ,  s.-Iieut.  ind. 


?•  compagnie. 

MM.  Legris,  capitaine. 

Déporter,  lieutenant  français. 

Gamin ,  sous-lieutenant  français. 

Robah-bon-Aniolaoui,  sous-lieutenant  indigène. 

4o  BATAILLON 

MM.  Rapp,        chef  de  bataillon. 

Leiorrain ,  capitaine  adjudant-major. 


!•*  compagnie. 

De  Larochelambert,  capitaine. 
Bcaumont,  lieutenant  français. 
Aûer  dit  Omar -ben -Abdallah, 

lieutenant  indigène. 
Bruzeaux,  sous-lieut.  français. 
Salah-ben- Ahmed,  s.-lieut.  ind. 

2«  compagnie, 

Rinn ,  capitaine. 
Dufour,  lieutenant  français. 
Amar-ben-Brahim ,  lieut.  indig. 
Mynard ,  sous-lieut.  français. 
Ali-ben-Djilali,  sous-lieut.  ind. 

3*  compagnie, 

Maisonneuvc-Lacoste,  capitaine. 
Darolles,  lieutenant  français. 
Lagdar-bel-IIooussin ,  lieut.  ind. 
Martin,  sous-lieutenant  français. 
Larbi  -  bel  -  Ilaoussin ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


4*  compagnie, 

MM.  Sauvage,  capitaine. 

Mustapha-ben-^el-Hadj-Otman , 

lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Charad,  lieut.  ind. 
Lacoux,  sous-lieut.  français. 
Bougherah-  ben-Mohamed-Aga- 

ouah,  sous-lieut.  indigène. 

5'  compagnie. 

MM.  Montignault,  capitaine. 
Règne,  lieutenant  français. 
Hassen-ben-Ali ,  lieut.  indigène. 
Foucault,  sous-lieut.  français. 
Mohamed-ben-Taleb ,  sous-Iieu- 
tcnant  indigène. 

6*  compagnie. 

MM.  Carré  de  Busserolle,  capitaine. 
Roux,  lieutenant  français. 
Empérauger ,  soua-lieut.  français. 
Said-ben-Ali ,  sous-lieut.  indig. 


7«  compagnie. 

MM.  Guyon-Desdiguières,      capitaine. 

Taverne ,  lieutenant  français. 

Aîssa-bel-Hadj-Hassen ,  sous-lieutenant  indigène. 


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390 


LK  a""  HÉGIMKNT  DK  TIIUILLKUUS  AKGÉKIKNS 


I1S7I1 


OFFICIBBS  ▲   LA  SUITB  DU  CORPS 


MM. 


Capitaines. 

LietUenants, 

SouS'UciUemnts 

Larrivet. 

MM.  D^Eu. 

MM.  liavettc. 

Sibille. 

Larichc. 

Haull. 

Tciilièrcs. 

Mcsiô. 

Abadiû. 

Vigel. 

Aiiiar-bcn-Kalara. 

Lejosnc. 

Potiaux. 

Dcsruellcs. 

Bessoa  (Laurent). 

Waller. 

Balossier. 

Laplace. 

Les  événemenU  d*Aïn-Gueltar,  d*EI-Milia  ot  de  Tebessa  n*étaieDt  que  le 
prélude  d*autres  plus  graves.  A  peine  cette  première  efTervescence  commençait- 
elle  à  être  calmée,  qu'on  apprenait,  en  efTet,  que  toute  la  Medjana  s'était 
soulevée  à  la  voix  du  bach-agha  Si-el-Hadj-Mohamed-ben-el-Hadj-Ahmed-el- 
Mokrani,  l'un  des  membres  do  la  nombreuse  et  puissante  famille  des  Ouled- 
Mokran,  descendant  du  Prophète,  et  l'une  des  plus  influentes  do  l'Algérie. 
Avec  un  tel  instigateur,  l'insurreclion  no  pouvait  manquer  do  faire  de  rapides 
progrès,  d'autant  plus  que,  dans  celte  partie  de  la  province,  les  indigènes 
étaient  prêts,  que  les  chefs  s'y  étaient  donnés  le  mot  d'ordre,  et  que  tous 
n'attendaient  qu'un  signal  ;  aussi ,  au  premier  appel ,  le  bach-agha  eut-il  au- 
tour de  lui  une  armée  do  sept  à  huit  millo  hommes  avec  laquelle  il  se  pré- 
senta, le  16  mars,  devant  Dordj-bou-Arréridj,  où  se  trouvaient  seulement 
deux  compagnies  do  mobiles  sous  les  ordres  du  commandant  du  («heyron ,  «lu 
8*  hussards.  L'émoi  fut  grand  à  Constantine;  car  Oordj-bou-Arréridj  aux 
mains  des  rebelles,  c'en  était  fait  de  Sétif,  et  rien  n'arrêtait  plus  la  marcho 
victorieuse  de  Mokrani,  qui  aurait  alors  trouvé,  dans  la  capitale  de  la  province, 
une  population  indigènu  parfaitement  disposée  à  lo  sccondor,  par  suilo  do 
l'exaspération  qu'avait  provoquée  chez  elle  la  naturalisation  des  Juifs.  Mais 
encore  une  fois  le  danger  put  être  conjuré,  grAce  A  l'héroïque  résistance  de  la 
petite  garnison  de  Bordj. 

Dès  les  premiers  symptômes  de  cette  redoutable  lovéo  do  boucliers,  la  co- 
lonne d'EI-Milia,  A  la  télé  de  laquelle  se  trouvait  maintenant  le  lieutenant- 
colonel  de  Dancourt,  du  3^  spahis,  avait  quitté  ce  poste  pour  se  rendre  A 
Sétif.  Elle  arriva  dans  cette  ville  le  16.  Le  lendemain,  elle  en  repartait,  sous 
les  ordres  du  colonel  Bonvalet,  commandant  la  subdivision ,  pour  se  porter  au 
secours  de  Bordj,  et  venait  coucher  A  Aïn-Messaoud.  Lo  18,  sa  marche  reprit 
vers  l'ouest;  mais,  arrivée  A  Saint-Uames,  A  vingt-cinq  kilomètres  de  Sétif, 
elle  fut  arrêtée  :  do  graves  nouvelles  venaient  de  parvenir  au  colonel  Bonva- 
let, et  celui-ci ,  malgré  tout  sou  désir  do  secourir  les  assiégés ,  dut  se  résoudre 
A  une  extrême  prudence  jusqu'A  l'arrivée  de  quelques  renforts  demandés  en 
toute  hâte  au  général  Augeraud.  On  ne  savait  point,  en  eflet,  les  forces  dont 
disposait  au  juste  l'ennemi;  le  bach-agha  avait,  disait -on,  quinze  A  vingt 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  391 

mille  hommes;  les  derrières  n*étaient  pas  très  sûrs,  Sétîf  pouvait  être  atta- 
qué, à  la  tête  des  goums  se  trouvaient  des  caids  dont  la  fidélité  était  subor- 
donnée au  moindre  événement;  bref,  rien  n^élait  tant  à  craindre  qu*un  combat 
douteux,  et  Tinaclion  devenait  préférable  à  des  opérations  engagées  avec  d'aussi 
faibles  moyens  que  ceux  d*une  colonne  d*&  peine  deux  mille  hommes,  com- 
posée avec  les  éléments  les  plus  disparates.  Le  19,  on  revint  à  Ain-Messaoud. 
Le  24,  arrivèrent  enfin  les  renforts  attendus,  et  Ton  se  porta  à  Aîn-Tagrout. 
Le  lendemain ,  dans  le  but  de  tourner  rOued-Chair,  qu^on  croyait  sérieusement 
défendu ,  la  colonne  obliqua  vers  le  sud -ouest  et  vint  camper  à  Ain -Tassera , 
chez  le  caïd  Abd-es-Sellem,  qui  devait  plus  tard  faire  défection.  Le  26,  elle 
arriva  devant  Bordj ,  où  elle  entra  sans  coup  férir.  Pendant  douze  jours,  Ten- 
nemi  avait  étroitement  bloqué  ce  poste;  mais  toutes  ses  tentatives  pour  s*en 
emparer  de  vive  force  avaient  échoué.  La  ville,  qui  avait  dû  être  évacuée  dès 
le  premier  jour  par  les  habitants,  qui  s*étaient  réfugiés  dans  le  bordj,  était  en- 
tièrement détruite  et  présentait  le  plus  navrant  spectacle  :  partout  ce  n'était 
que  débris  et  cadavres,  que  ruines  et  traces  sanglantes,  que  désolation  et  in- 
fection. 

Le  2  avril,  arriva  le  général  Saussier,  qui  prit  immédiatemement  le  com- 
mandement do  la  colonne.  Dans  la  composition  do  celle-ci  se  trouvaient  main- 
tenant quatre  compagnies  du  régiment  ;  c'était  : 

La  7*î  du  !•'''  batoillon  (capilaine  Sibille); 

La  2°  du  2«       —       (lieutenant  Déporter); 

La  G°  du  3"       —       (lieutenant  Lariche); 

La  S*'  du  4<^       —       (capitaine  Maisonneuve-Lacoste). 

Outre  les  officiers  ci-dessus,  le  détachement  comprenait  encore  les  lieu- 
tenants Laplaco,  Amar-bcn-Talcb,  Amar-ben-Medeli  et  llaoussin-ben-Ali , 
et  les  sous-lieutenants  Lejosne,  Dargent,  Abadie  et  Ahmed-ben-Chérif.  Le 
commandement  de  ce  bataillon  était  provisoirement  exercé  par  le  capitaine 
Maisonneuve-Lacoste,  en  attendant  Tar rivée  du  commandant  Mathieu. 

Le  7  avril ,  eut  lieu  une  reconnaissance  sur  le  territoire  des  Ouled-Khellouf, 
au  sud  de  Bordj -bou-Arréridj.  Le  8,  le  réveil  se  fit  de  tente  en  tente,  sans 
sonnerie.  On  devait  marcher  sur  le  bordj  de  la  Mcdjana,  résidence  somptueuse 
de  la  famille  des  Mokrani  et  quartier  général  de  insurrection.  Le  mouvement 
commença  à  quatre  heures  du  malin,  mais  il  fut  brusquement  interrompu 
par  un  épais  brouillard  et  ne  put  reprendre  que  vers  six  heures.  Pendant  ce 
temps,  les  crêtes  avoisinant  le  village  et  le  bordj  de  la  Medjana  s'étaient  cou- 
vertes des  gens  du  bach-agha.  A  dix  heures,  l'attaque  éommença;  vivement 
préparé  par  rartillcrie,  dont  les  obus  allèrent  jeter  le  trouble  dans  les  rangs 
pressés  des  fantassins  et  des  cavaliers  ennemis,  elle  fut  ensuite  menée  avec 
un  admirable  entrain  par  Tinfanteric,  qui  en  un  instant  s'empara  do  la  posi- 
tion, au  prix  de  quelques  blessés  seulement.  Le  général  s'installa  dans  le 
bordj  où  le  matin  encore  Mokrani  présidait  au  milieu  des  siens;  les  troupes 
s'établirent  en  partie  dans  le  village,  qu'elles  mirent  en  état  de  défense,  et  la 
nuit  se  passa  sans  amener  le  moindre  incident. 


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302  LB  3*  nËOIMSNT  DE  TinMIJ.CimS  Ainl^miRNS  (18711 

Le  londeinain,  los  Arabes  se  inonlrèroni  clans  les  environs  cl  firent  quelques 
démonstrations  sur  les  hauteurs,  mais  en  ayant  soin  de  se  tenir  hors  de  la 
portée  de  nos  chasscpots.  Le  11 ,  ils  revinrent  plus  nombreux;  mais,  devant 
une  sortie  effectuée  par  nos  troupes,  et  dans  laquelle  le  78^  de  marche  fut  seul 
engagé,  ils  se  retirèrent  précipitamment.  Le  12,  une  nouvelle  sortie  amena 
un  combat  plus  sérieux,  où  la  cavalerie  fut  assez  sensiblement  éprouvée. 

A  la  suite  de  ces  divers  engagements,  qui  lui  avaient  coûté  un  monde  con- 
sidérable, Mokrani  s'était  retiré  vers  la  petite  ville  de  Zamourah,  afin  de  se 
rapprocher  des  insurgés  kabyles  et  d'en  recevoir  des  renforts.  No  comptant 
pas  assez  sur  la  solidité  do  ses  jeunes  troupes  pour  le  poursuivre  dans  cette 
région  diflicile,  le  générai  Saussier  préféra  rester  près  de  sa  base  de  ravitaille- 
ment; toutefois,  pour  rendre  Tennemi  incertain  sur  ses  projets,  il  décida  que 
la  colonne  abandonnerait  la  Medjana  pour  se  porter  sur  le  Djebel -Morissan, 
excellente  position  couvrant  Bordj-bou-Arréridj  et  permettant  do  surveiller  les 
débouchés  de  la  Kabylie.  Le  15,  la  colonne  évacua  le  bordj  et  le  village  de  la 
Medjana;  en  s*éloignant,  elle  fit  sauter  celui-ci  et  incendia  celui-là.  La  marche 
fut  vivement  inquiétée;  le  bataillon  du  3^  Tirailleurs,  qui  avait  été  laissé  à 
Tarrière-garde,  eut  à  repousser  de  nombreuses  attaques  venant  de  la  gauche, 
et  plusieurs  fois  il  dut  exécuter  de  vigoureux  retours  oflcnsifs  pour  permettre 
aux  autres  troupes  de  continuer  leur  mpuvemcnt.  La  position  du  Morissan  dut 
elle-mômo  être  enlevée  de  vive  force;  mais,  à  partir  de  ce  moment,  les  re- 
belles cessèrent  la  lutte  et  se  dispersèrent  dans  la  montagne.  Nos  soldats 
dressèrent  leurs  tentes  sur  l'un  des  contreforts  du  Morissan ,  dans  un  site 
admirable  d'où  l'on  découvrait  parfaitement  Zamourah  avec  ses  magnifiques 
jardins,  sa  vallée  arrosée  par  l'Oued -Embareck,  ses  montagnes  couvertes 
d'insurgés. 

Le  16,  un  convoi  de  malades,  dirigé  sur  Bordj -bou-Arré^idj,  se  trouva 
tout  à  coup  menacé  par  un  fort  parti  d'Arabes  que  la  cavalerie  eut  aussitôt 
mission  de  disperser.  Le  combat  fut  vif,  et  quelques  bataillons ,  dont  celui  du 
régiment,  durent  prendre  les  armes  pour  protéger  la  rentrée  de  nos  escadrons. 

Le  18,  le  général  Saussier  fit  lever  le  camp  comme  pour  marcher  sur  Za- 
mourah; mais,  apprenant  soudain  la  défection  d*Abd-es-Sellem,  caïd  d'Aîn- 
Tassera  et  cousin  de  Mokrani,  il  fil  un  brusque  retour  et  ramena  toute  la 
colonne  à  Dordj.  Aïn-Tagrout,  qui  était  gardé  par  les  gens  du  caïd  insurgé, 
se  trouvant  ainsi  entre  les  mains  des  rebelles,  il  s'agissait  de  chasser  ceux-ci 
de  ce  poste  et  de  rétablir  les  communications  avec  Sétif.  Le  20,  les  troupes  se 
remirent  en  route  pour  se  rapprocher  de  cette  ville  et  vinrent  coucher  à  Ras- 
el-Oued,  après  avoir  eu  un  léger  engagement  avec  les  gens  du  bach-agha.  Le 
23,  la  marche  fut  reprise  de  bonne  heure,  et  l'on  atteignit,  sans  combattre, 
A!n-Messaoud ,  où  l'on  ne  s'arrêta  que  le  temps  de  prendre  le  café;  la  colonne, 
précédée  par  la  cavalerie,  se  dirigea  ensuite  sur  le  Djebel-Megris ,  au  nord  de 
Sétif,  où  des  renseignements  signalaient  la  présence  d'un  important  rassem  - 
blement  d*insurgés  appartenant  aux  Ouled-Nabeth.  On  y  surprit  en  eflet  un 
assez  grand  nombre  de  tentes;  mais  ce  ne  fut  pas  sans  de  sérieuses  difficultés 
qu*on  put  parvenir  jusqu'aux  rebelles,  qui  s'étaient  réfugiés  derrière  un  ter- 
rain peu  favorable  à  la  cavalerie.  On  n'en  fit  pas  moins  sur  eux  une  razzia 


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[I87i]  EN  ALGÉRIE  393 

considérable,  et  les  troupes  rentrèrent  au  camp  chargées  de  butin.  La  cava- 
lerie avait  été  à  peu  près  seule  à  prendre  part  à  ce  beau  coup  de  main;  Tin- 
fanterie,  exténuée  par  une  marche  des  plus  fatigantes,  n'était  arrivée  au  pied 
du  Mégris  qu'à  cinq  heures  du  soir;  elle  s'y  était  arrêtée  et  avait  installé  son 
bivouac  face  &  Mahouan  et  à  la  smala  d*Aîn-Abessa.  Le  25,  on  se  porta  à 
GhAbct-Chcurra,  afîn  de  protéger  le  ravitaillement  du  poste  de  Takitount. 
Le  28,  on  rentrait  à  Aîn-Messaoud. 

Cette  pointe  en  Kabylie  avait  provisoirement  purgé  le  territoire  au  nord  de 
Sélif  des  bandes  qui  le  parcouraient  quelques  jours  auparavant;  mais,  plus 
à  l'ouest,  dans  les  montagnes  du  Guergour  et  la  vallée  de  l'Oued-bou-Sellam, 
l'insurrection  restait  encore  toute- puissante  et  se  renforçait  chaque  jour  de 
nouveaux  contingents.  Il  importait  de  faire  dans  cette  région  une  incursion 
rapide,  do  foçon  6  y  semer  également  la  crainte  qui  commençait  à  régner  sur 
les  autres  points.  Le  29  à  minuit,  le  réveil  eut  lieu  sans  bruit,  et  vers  une 
heure  du  matin  la  colonne,  débarrassée  de  ses  malades  et  de  ses  impedimenta, 
se  mit  en  route  dans  la  direction  du  Djebel-el-Faleck.  Après  une  marche  des 
plus  difficiles  elle  arriva,  vers  les  neuf  heures  du  matin,  en  face  du  village 
d'EI-AIoun,  au  pied  de  cette  montagne;  et,  malgré  qu'elle  eût  été  signalée 
par  do  nombreux  fcnx  allumés  sur  les  hauteurs,  parvint  à  y  surprendre  un 
important  rassemblement  qui  n'opposa  qu*une  molle  résistance,  et  qui  prit  la 
fuite,  laissant  ses  morts  entre  nos  mains.  On  pénétra  donc  sans  coup  férir  dans 
le  village  d*EI-A!oun,  où  l'on  trouva  des  silos  remplis  de  grains,  de  sucre  et 
de  café  provenant  du  pillage  d*un  convoi  de  vivres  qui  avait  été  surpris,  le 
14  avril,  près  d'Aîn-Tagrout.  Après  cette  opération,  la  colonne  rentra  à  Aln- 
Messaoud. 

Les  communications  rétablies  entre  le  Bordj  et  Sétif ,  les  contingents  du 
bach-agha  dispersés,  tout  danger  définitivement  conjuré  dans  la  Medjana,  la 
colonne  Saussier  pouvait  enfin  prendre  quelque  repos,  d'autant  plus  qu'on 
savait  que  Mokrani  venait  de  se  porter  vers  l'ouest,  afin  d'activer  par  sa  pré- 
sence le  mouvement  insurrectionnel  dans  la  Grand«- Kabylie.  On  resta  donc 
à  Aîn-Messaoud  jusqu'au  4  mai.  Le  30  avril,  arrivèrent  le  colonel  Barrué,  le 
commandant  Mathieu,  le  capitaine-adjudant-major  Lelorrain  et  le  lieutenant 
Mesié.  Le  colonel  Barrué  prit  le  commandement  d'une  importante  fraction  de 
rinfnnterie  do  la  colonne,  fraction  dans  laquelle  fut  toujours  compris  lo  ba- 
taillon de  son  régiment. 

Le  4  au  soir,  on  alla  camper  à  Aîn-Tagrout.  Le  5,  la  colonne  s'installa  à  El- 
Anasseur  dans  le  but  d'observer  le  pays  pendant  que  de  nombreux  convois 
procédaient  au  ravitaillement  de  Bordj.  Ge  ravitaillement  terminé,  on  revint  à 
Aîn-Messaoud ,  où  l'on  fut  de  retour  le  8. 

Cependant  le  bruit  commençait  à  se  répandre  que  Mokrani  était  tué;  bientôt 
il  se  confirma  complètement,  et  l'on  apprit,  en  effet,  que  le  bach-agha  avait 
été  atteint  mortellement  dans  un  combat  qu'il  avait  soutenu  le  5  mai  contre 
la  colonne  du  général  Gérez,  opérant  dans  la  vallée  de  l'Oued -Soufflât,  chez 
les  Beni-Djab.  Cette  mort,  qui  eût  dû  porter  un  coup  terrible  à  l'insurrection, 
n'eut  pas  tout  l'eflet  qu'on  en  attendait,  d'abord  parce  qu'elle  fut  soigneuse- 
ment cachée  par  les  fidèles  de  Mokrani,  enfin  parce  qu'un  autre  chef,  peut- 


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394  LC  3®  RÉOIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l87l] 

ûlro  moins  influent,  mais  ayant  plus  do  prestige  religieux,  avait  déjà  proclamé 
la  révolte  dans  tout  le  bassin  de  TOued-Sahei,  et  que  de  partout  les  rebelles 
accouraient  sous  son  étendard.  Ce  chef  était  Si-Auzben-Amziam ,  fils  du  cheik 
EUIladded,  vieux  marabout  n'ayant  plus  la  force  nécessaire  pour  marcher 
lui-même  à  la  tête  des  insurgés,  mais  possédant  assez  de  fanatisme  pour 
prêcher  la  guerre  sainte  et  pousser  ses  enfants  dans  la  lutte  sanglante  qu'il 
essayait  de  provoquer. 

Ce  moment  fut  peut-ôlro,  au  contraire,  le  plus  critique  de  toute  la  période 
insurrectionnelle.  Jusque-là  la  révolte  avait,  pour  ainsi  dire,  été  localisée, 
mais  maintenant  elle  éclatait  de  toutes  paris  :  les  districts  de.Oou-Sadda,  de 
Bordj ,  de  Bougie ,  de  Sétif ,  de  Djidjelli ,  de  Batna ,  étaient  en  ïeu  ;  vers  le  sud , 
le  faux  chérif  Bou-Choucha  s'était  emparé  d'Ouargla  et  marchait  victorieux 
contre  Tuggurt  en  semant  la  terreur  parmi  les  populations  de  l'ouest  R'rir; 
la  province  d'Alger  se  levait  non  moins  menaçante;  partout  l'agilation  faisait 
place  à  la  violence,  et  les  démonstrations  hostiles  à  Tincendie  et  à  l'assas- 
sinat. 

Pour  conjurer  un  danger  aussi  pressant,  le  général  Augeraud  ne  disposait, 
en  dehors  des  troupes  permanentes  de  la  division  de  Constantine,  que  de 
trois  régiments  de  ligne,  d'un  autre  de  mobiles,  d'un  bataillon  de  chasseurs 
à  pied,  enfin  des  milices,  ressources  bien  au-dessous  des  nécessités  du  mo- 
ment et  dont  Téparpillement  augmentait  encore  la  faiblesse.  Mais  sur  tous 
les  points  le  dévouement  suppléera  à  rinsuilisance  des  moyens  d'action  :  les 
colonnes  mobiles  seront  partout;  les  petites  garnisons  se  défendront  non 
seulement  dans  les  postes  qu'elles  occupent,  mais  feront  encore  des  sorties 
pour  harceler  l'ennemi;  les  dépôts  des  régimenls  algériens  mettront  leur 
dernier  homme  en  ligne;  Constantine  sera  complètement  dégarni;  et  l'on 
parviendra  ainsi  à  maintenir  les  rebelles  jusqu'à  l'arrivée  do  nouveaux  ren- 
forts, et  jusqu'à  ce  que  le  général  de  Lacroix,  nommé  au  commandement  des 
troupes,  vienne  faire  trembler  les  indigènes  par  l'énergie  de  ses  mesures,  et 
parcoure  ensuite  la  province  en  maître,  pour  dicter  ses  conditions  aux 
vaincus. 

Le  3  avril,  une  petite  colonne  de  mille  cent  hommes  de  toutes  armes,  dont 
deux  compagnies  du  3^  Tirailleurs  commandées  par  le  capitaine  Darras, 
quittait  Batna,  sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel  Adeler,  commandant  la 
subdivision ,  pour  se  rendre  à  Biskra.  11  s'agissait  de  faire  rentrer  dans  l'ordre 
les  tribus  de  ce  cercle,  dont  quelques-unes,  notamment  les  Saliari,  s'étaient 
livrées  à  des  actes  de  pillage  sur  des  établissements  européens.  Un  convoi 
d'effets  d'habillement,  envoyé  à  Batna,  avait  même  été  attaqué  par  les 
rebelles  et  complètement  dévalisé. 

Arrivé  à  Biskra  le  12  avril,  le  lieutenant-colonel  Adeler  s'occupa  aussitôt 
de  ramener  dans  le  devoir  les  tribus  révoltées;  puis,  aidé  par  Ben-Canah, 
caïd  de  cette  ville,  et  d'Ali -bny,  caïd  de  Tuggurt,  il  prit  hâtivement  les 
dispositions  les  plus  urgentes  pour  empocher  l'insurrection  de  faire  de  nou- 
veaux progrès.  Mais  il  disposait  de  trop  peu  de  monde,  et  la  nouvelle  des 
événements  de  la  Medjana ,  arrangée  d'une  façon  particulière  par  ceux  qui 
étaient  chargés  de  la  répandre,  eut  bientôt  une  influence  décisive  sur  Tesprit 


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[1871]  EN  ALOÉniE  305 

exailé  de  ces  populations.  Quoi  qu'il  en  Boit,  le  colonel  poursuivait  encore 
d*inrruclueuscs  négociations  avec  les  tribus,  lorsqu'il  apprit  tout  à  coup  que 
les  faits  les  plus  graves  se  passaient  dans  les  environs  de  Batna.  Il  reprit 
précipitamment  avec  ses  troupes  le  chemin  de  ce  poste;  mais,  le  26,  lors- 
qu'il arriva,  il  était  trop  tard ,  le  mal  était  consommé  :  trcnto-dcux  Européens 
assassines,  les  magnifiques  fermes  des  environs  pillées  et  incendiées,  tels 
étaient  les  nouveaux  attentats  dont  s'étaient  rendus  coupables  les  indigènes. 
Ce  douloureux  incident,  qu'il  était  difficile  de  prévoir,  produisit  une  vive 
émotion  &  Conslantine.  Dès  qu'il  en  fut  informé,  le  général  commandant  la 
province  dirigea  sur  Batna  la  colonne  mobile  de  Tebessa,  qui  était  passée 
sous  le  commandement  du  lieutenant- colonel  Marié,  et  qui  devait  à  ce  mo- 
ment rejoindre  la  rolonne  Saussicr,  plus  quatre  cents  zouavrsdu  3"  régiment 
sous  les  ordres  du  commandant  Hervé,  de  sorte  que  le  lieutenant- colonel 
Adeler  se  trouva  bientôt  à  même  défaire  face  aux  premières  difficultés. 

Les  opérations  commencèrent  aussitôt.  Quatre  compagnies  du  régiment 
allaient  y  prendre  part  :  trois  dans  la  colonne  Adeler,  une  dans  la  colonne 
Marié. 

Le  détachement  qui  faisait  partie  de  la  colonne  Adeler  était  sous  les  ordres 
du  capitaine  Darras  it  comprenait  les  compagnies  suivantes  : 

jre  (]u  jer  bataillon   (capitaine  Darras)  ; 

l*"»  du  3®       —        (  capitaine  Mas-Mézeran)  ; 

2«  du  3®       —        (lieutenant  Macqueron). 

Les  autres  officiers  qui  y  figuraient  étaient  :  MM.  Duchéne,  Blumendhal, 
Mohamed  -  ben  -  Tiharad  et  Réchir  -  bon  -  Mohamed ,  lieutenants;  Gauvin, 
llavctto,  Ahmed-lien -Khodja  et  Amnr-hen- Harki,  sous- lieutenants. 

C'éloit  la  1^  compagnie  du  V  bataillon  (capitaine  Ducoroy)  qui  se  trouvait 
dans  la  colonne  Marié. 

Le  30  avril ,  la  colonne  Adeler  eut,  &  El-Madher,  une  légère  escarmouche 
de  cavalerie.  Elle  s'établit  ensuite  dans  les  environs  de  ce  village,  et  c'est  là 
qu'elle  fut  rejointe  par  la  colonne  Marié  et  les  renforts  du  commandant  Hervé. 
Ces  troupes  restèrent  quelques  jours  réunies  et  opérèrent  quelques  razzias; 
puis ,  le  3  mai ,  les  deux  colonnes  se  séparèrent  pour  pénétrer  dans  le  Bélezma 
et  se  rejoindre  de  nouveau  au  pied  du  Djebel-Mestaoua,  en  passant,  celle  du 
lieutenant- colonel  Marié  par  le  Djebel  -  Ta freut  et  Kzar-Cheddi,  celle  du 
lieutenant -c/)loncl  Adeler  par  Djerma,  Aîn-Tiskimal  et  le  col  de  Tinjouar. 
Ce  môme  jour ,  la  colonne  Marié  eut  un  petit  engagement  dans  lequel  le  capi- 
taine Rinn,  du  régiment,  commandant  le  goum ,  fut  légèrement  blessé.  Le 7, 
cette  colonne  eut  encore  une  rencontre;  mais  les  difficultés  du  terrain  ne  per- 
mirent pas  aux  Tirailleurs  eux-mômes,  conduits  par  le  capitaine  Ducoroy, 
de  couronner  h  temps  les  croies  situées  sur  les  derrières  de  l'ennemi,  et 
celui-ci,  malgré  le<9  bonnes  dispositions  prises,  parvint  à  s*écbopper.  Do  son 
côté,  la  colonne  Adeler  se  heurtait,  à  Ain-Teheut-Chi,  à  quelques  groupes 
d'insurgés,  qu'elle  dispersa  facilement  avec  son  artillerie. 

Le  17  mai,  les  deux  colonnes  opérèrent  leur  jonction  à  Sidi-Abd-er-Rhaman. 


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396  LE  3*  RiOtllBNT  DB  TinAlLLBURS  ALOftRIBNS  [1871] 

Là  H  fallut  attondro  l'arrivéo  do  vivres  oi  do  munilions.  On  proGla  do  ce 
retard  pour  diriger  plusieurs  reconnaissances  sur  le  Djebel -Meslaoua,  où  la 
plus  grande  partie  des  rebelles  s'étaient  retirés  avec  leurs  familles  et  leurs 
troupeaux,  et  tout  fut  préparé  pour  Pattaque  de  cette  redoutable  position. 

Le  Djebel -Mestaoua,  situé  à  environ  vingt- cinq  kilomètres  au  nord -ouest 
de  Batna,  est  un  pflté  isolé,  limité  au  nord  par  la  plaine  de  Zana,  au  sud  par 
celle  du  Bélezma,  à  l'ouest  par  le  Teniet-Oum-el-Aroug,  à  Test  par  la  vallée 
de  Goumi.  Bordé  sur  tout  son  développement  par  une  ligne  de  rochers 
abrupts,  il  présente,  à  son  centre,  une  table  de  pierre  aux  parois  verticales 
et  complètement  inaccessibles,  en  dehors  de  quelques  crevasses  dans  les- 
quelles s'engagent  des  sentiers  de  chèvres  qu'un  homme  seul  a  de  la  peine 
à  gravir.  Sur  plusieurs  points,  la  muraille  rocheuse  servant  de  ceinture  sur- 
plombe même  les  pentes  de  la  montagne ,  et  forme  ainsi  une  espèce  de  bour- 
relet qui  remplace  avantageusement  les  meilleurs  remparts. 

C'était  dans  ce  véritable  nid  do  vautours,  qui  domine  toute  la  contrée,  que 
s'étaient  réfugiés  les  Halymia,  les  TIets,  les  Ouled-Fatma-Tadjenout,  les 
assassins,  les  voleurs,  les  pillards  qui  avaient  ravagé  les  environs  de  Batna, 
en  un  mot  tout  ce  que  la  région  avait  de  pire  en  fait  d'insurgés.  Les  bandits 
avaient  transporté  là  le  iruit  de  leurs  rapines,  et,  connaissant  le  sort  qui  leur 
était  réservé,  ils  se  disposaient  à  se  défendre  jusqu'à  la  dernière  extrémité. 
Ils  n'avaient  pas  eu  de  peine  à  rendre  impraticables  les  rares  sentiers  condui- 
sant à  la  partie  supérieure  du  plateau  ;  et ,  cela  ne  leur  paraissant  pas  suCTisant 
pour  arrêter  l'élan  de  nos  soldats,  ils  avaient  couronné  ce  camp  naturelle- 
ment fortifié  d'un  mur  en  pierres  sèches,  derrière  lequel  ils  pouvaient  faire 
feu  à  Tabri  de  nos  coups. 

Deux  moyens  se  présentaient  pour  réduire  l'ennemi  :  un  assaut  immédiat, 
opération  fort  chanceuse  dont  il  n'y  avait  pas  à  se  dissimuler  les  difRcultés, 
ou  bien  un  rigoureux  blocus  qui  promettait  d'être  d'autant  plus  infaillible, 
que  les  rebelles  n'avaient  point  d'enu  sur  le  plateau  et  qu'ils  étaient  obligés 
do  descendre  jusciu'à  mi-côte  pour  s*en  procurer.  Mais  pour  s'arrêter  à  ce 
dernier  parti  il  fallait  de  la  patience,  c'est-à-dire  une  chose  souvent  incom- 
patible avec  le  tempérament  français;  les  avis  pour  une  action  de  vive  force 
l'emportèrent ,  et  l'assaut  fut  décidé. 

L'attaque  fut  fixée  pour  le  21.  A  quatre  heures  du  matin,  les  troupes 
abattirent  leurs  tentes,  et,  laissant  leurs  sacs  au  convoi  sous  la  gardo  de 
trois  compagnies,  se  massèrent  en  colonne  serrée  et  s'avancèrent  vers  le 
plateau.  La  colonne  Adeler  devait  aborder  la  position  de  front,  la  colonne 
Marié  la  tourner  par  le  nord. 

A  deux  mille  mètres,  on  tira  quelques  obus  sur  les  premières  crêtes  garnies 
d'insurgés,  embusqués  derrière  les  rochers.  Mais  ceux-ci  ne  s'en  montrèrent 
nullement  intimida;  et,  lorsque  la  colonne  Marié  déboucha  à  leur  portée,  ils 
l'accueillirent  par  une  fusillade  meurtrière  qui  arrêta  sa  marche  jusqu'à  ce 
que  les  trois  compagnies  de  Tirailleurs  qui  marchaient  avec  la  colonne  Adeler 
eussent  atteint  le  plateau ,  et  déterminé  la  fuite  de  ces  opiniâtres  défenseurs 
en  les  prenant  à  revers.  On  vit  alors  ces  derniers  gagner  précipitamment 
l'unique  entrée  conduisant  à  la  table,  en  traînant  après  eux  leurs  morts  et 


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[i87l]  EN  ALOÉRIB  397 

leurs  blessés.  Ce  mouvement  tournant  avait  été  parfaitement  dirigé  par  le 
capitaine  Darras,  qui,  poursuivant  sa  marche,  arriva  presque  au  pied  du 
rempart  naturel  entourant  le  réduit  de  la  position.  En  même  temps,  la 
colonne  Marié  s'établissait  à  son  tour  sur  le  plateau ,  et  se  massait  hors  de  la 
portée  des  projectiles  de  Tennemi,  la  compagnie  du  capitaine  Ducoroy  en 
réserve;  euRn  elle  parvenait,  non  sans  portes  sensibles,  à  s'établir  sur  un 
rocher  dénudé  permettant  de  voir  certaines  parties  du  sommet  de  la  table. 
L'artillerie  ayant  alors  pris  position  à  environ  six  cent  cinquante  mètres  de 
rentrée  de  celle-ci,  son  feu  commença,  et  les  troupes  attendirent,  Tarme  au 
pied ,  les  effets  du  bombardement. 

De  neuf  heures  et  demie  à  dix  heures  et  demie,  les  compagnies  se  relevè- 
rent successivement  et  flrent  le  café  avec  l'eau  emportée  dans  les  petits 
bidons. 

Vers  onze  heures,  rartillerie  se  mit  à  tirer  de  plein  fouet;  bientét  plusieurs 
éboulements  ayant  fait  supposer  que  le  chemin  était  sufGsamment  praticable, 
les  canons  se  turent,  et  la  charge  sonna  :  une  compagnie  de  zouaves,  une 
autre  du  bataillon  d'Afrique  et  deux  du  régiment  se  précipitèrent  avec  cette 
bravoure  dont  elles  avaient  si  souvent  donné  d'égales  preuves;  mais  tous 
leurs  efforts  vinrent  se  briser  contre  les  difficultés  insurmontables  qu'oppo- 
sait la  position.  Les  Tirailleurs  arrivèrent  au  pied  môme  do  la  table;  les 
zouaves  et  le  bataillon  d'Afrique,  6  cinquante  ou  soixante  mètres  du  mur  en 
pierres  sèches.  Là  il  fallut  s'arrêter  :  le  fou  des  insurgés  avait  ocquis  tout  à 
coup  une  furieuse  intensité;  les  femmes  étaient  venues  se  joindre  aux  com- 
battants et  faisaient  rouler  d'énormes  pierres  préparées  à  l'avance  sur  le  bord 
du  rocher,  ou  en  lançaient  de  plus  petites  sur  la  tête  même  des  assaillants; 
nos  pertes  augmentaient  avec  une  effrayante  rapidité;  force  fut  de  chercher, 
au  pied  même  de  l'innaccessible  rempart,  un  abri  momentané  contre  les 
coups  meurtriers  de  la  défense.  L'imprudent  qui  se  montrait  à  découvert 
était  immédiatement  tué  ou  blessé.  A  ce  moment  tombèrent  glorieusement 
deux  braves  officiers  du  régiment  :  le  lieutenant  Bluniendhal  et  le  sous-lieu- 
tenant Bavette,  frappés  mortellement  pendant  qu'ils  embusquaient  leurs 
hommes  et  dirigeaient  leurs  feux.  Trois  fois  enlevées  par  leurs  chefs,  qui 
donnèrent  l'exemple  du  plus  admirable  courage,  nos  troupes  essayèrent  de 
gravir  les  pentes  abruptes  du  terrain ,  et  trois  fois  elles  furent  repoussées.  En 
vain  Tartillorie  appuya- t-elle  de  son  tir  ces  héroïques  mouvements;  en  vain 
les  soutiens  secondèrent- ils  par  des  feux  de  salve  les  tentatives  répétées  de 
l'attaque;  en  vain  le  commandant  Hervé  et  le  capitaine  Darras,  après  ovoir 
reçu  des  renforts,  entraînèrent -ils  une  dernière  fois  leurs  colonnes  à  Fossaut  : 
tout  fut  inutile, 'et  nos  soldats  durent  renoncer  à  prendre  pied  sur  la  table. 
Il  était  deux  heures;  l'artillerie  avait  presque  épuisé  ses  munitions  ;  les  mulets 
des  deux  colonnes  étaient  déj&  insuffisants  pour  les  besoins  de  l'ambulance; 
l'absence  d*eau  ne  permettait  pas  de  camper  à  proximité;  la  retraite  fut 
décidée.  On  ramassa  les  morts  et  les  blessés;  les  compagnies  portées  en  avant 
se  retirèrent  successivement,  en  utilisant  les  plis  du  terrain  pour  se  défiler; 
rartillerie  envoya  ses  derniers  obus ,  et  le  combat  se  trouva  soudain  rompu , 
au  grand  étonnement  des  insurgés,  qui  n'essayèrent  même  pas  de  nous  pour- 


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398  LE  3<^  RÉOIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [I87|] 

suivre.  Ils  avaient  d*ailleurs,  à  cause  de  leur  entassement  dans  un  espace 
restreint,  énormément  souflert  du  feu  de  notre  artillerie,  et  surtout  de  celui 
de  la  colonne  Marié,  qui,  restée  en  réserve  sur  la  position  dominante  où  elle 
s'était  établie  au  début  de  l'action ,  n'avait  cessé  de  balayer  avec  ses  chasse- 
pots  la  longue  terrasse  où  l'on  voyait  confondus,  au  milieu  d'un  enchevêtre- 
ment de  tentes ,  hommes ,  femmes ,  moutons  et  chevaux.  S'il  faut  en  croire 
les  renseignements  qui  furent  donnés  plus  tard,  les  rebelles  eurent  dans  cette 
journée  un  millier  de  personnes  atteintes  par  nos  projectiles.  Mais  quelle 
importance  pouvait  avoir  ce  résultat,  en  présence  des  portes  que  nous  avions 
subies  nous-mêmes,  et  devant  la  force  morale  que  cet  échec  donnait  à 
l'insurrection?  Aucune.  La  colonne  Adeler  revenait,  en  eflfet,  avec  trois  ofli- 
ciers.tués,  quatre  blessés,  neuf  hommes  tués  et  soixante-cinq  blessés;  la 
colonne  Marié  comptait  trois  officiers  blessés,  quatre  hommes  tués  et  qua- 
rante-cinq blessés,  ce  qui  faisait  un  total  de  cent  trente» trois  hommes  hors 
de  combat,  c'est-à-dire  ce  que  perdait  autrefois  une  division  au  moment  des 
grandes  luttes  de*la  Kabylie.  Les  quatre  compagnies  du  3**  Tirailleurs  étaient 
dans  ce  chiffre  pour  deux  officiers  et  dix- neuf  hommes  tués  ou  blessés. 

Après  avoir  opéré  simultanément  leur  mouvement  rétrograde  et  être  ren- 
trées au  camp  d'Abd-er-Rhaman  pour  y  reprendre  leur  convoi,  les  deux 
colonnes  se  séparèrent;  celle  du  lieutenant -colonel  Adeler  revint  à  Batna, 
celle  du  lieutenant-colonel  Marié  se  dirigea  sur  Sélif,  où  elle  était  instuuiinent 
demandée  par  le  colonel  Uoii valet,  qui  se  trouvait  alors  dans  une  situation 
fort  diflicile,  par  suite  de  réluignemenl  de  la  colonne  Saussier.  Devant  la 
retrouver,  lorsque  nous  aurons  à  parler  des  événements  dont  cette  subdivi- 
sion fut  le  théâtre,  nous  n'allons  ne  nous  occuper  que  de  la  première,  dont 
les  opérations  vont  du  reste  pouvoir  maintenant  se  résumer  en  quelques  mots. 

Rentré  à  Batna  le  29  mai,  le  lieutenant-colonel  Adeler  y  reçut  bientôt  un 
renfort  de  trois  compagnies  du  régiment,  qui  portèrent  l'effectif  de  sa  colonne 
à  dix-huit  cents  hommes ,  et  lui  permirent ,  le  14  juin ,  de  se  mettre  en  route 
pour  Biskra,afin  de  ravitailler  cette  place  et  d'en  renforcer  la  garnison. 
Enfin,  de  retour  à  Batna  sans  avoir  eu  de  combat  à  livrer,  cette  colonne  fut 
dissoute  le  30  juin.  Les  compagnies  du  3"*  Tirailleurs  qui  en  avaient  fait 
partie  restèrent  à  Batna  ou  remplacèrent,  dans  la  garde  de  la  route  de  cette 
ville  à  Constantine,  les  milices  de  la  province  qui  occupaient  les  postes 
d'Aïn-Ksar  et  d'Ain -Yagout.  On  forma  avec  celles  demeurées  à  Batna  un 
bataillon  mobile  qui  fut  placé  sous  les  ordres  du  commandant  Petitjean,  et 
qui  fut  ainsi  composé  : 

MM.  Petitjean,  chef  de  bataillon. 

Vigel ,        capitaine  adjudant- major. 
Perron ,     médecin  -  major  de  2"  classe. 


l'»  compagnie  du  l*'  bataillon, 
MM.MacqueroQ,  lieutenant  français. 
Béchir-ben-Mohamed,  lient,  ind. 
Mohamed-ben- Ahmed-Khodja , 
sous -lieutenant  indigène. 


3^  compagnie  du  2^  bataillon. 
MM.  Mas  -  Mézeran ,  capitaine. 
D'Eu,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Saîd ,  s.-lieut.  ind. 


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[1871]  EN  ALQÊRIB  399 


4<  compagnie  du  1*^  hataiUon. 

MM.  Clerc,  lieutenant  français. 

Said-ben-Yayai  lieutenant  ind. 


4*  compagnie  du  2*  bataUion. 

MM.  Anglade,  lieutenant  français. 
Boutareli  sous -lient,  français. 
Salah-ben-Zoughi ,  8.-lieut.  ind. 


3^  compagnie  du  3^  bataillon. 

MM.  Bemad ,  lieutenant  français. 

Navlet  I  sous- lieutenant  français. 

Larbi-bel-Oussif,  sous-lieutenant  indigène. 

Ce  bataillon  fut  surtout  chargé  de  l'escorte  des  convois  entre  Constantine 
cl  niskra.  Il  allait  plus  lard  entrer  tout  entier  dans  la  composition  de  la 
mloiino  f|iii  dcfiiit  ri^iluire  le  Moslaoua,  colonne  qui  fut  placéo  sous  les  ordres 
du  colonel  Flogny. 

Contrairement  à  ce  qu*on  devait  s'attendre,  le  contre -coup  de  Téchee  du 
21  mai  se  fit  plutôt  sentir  dans  le  cercle  de  Bou-Saâda  que  dans  celui  de 
Balna.  Dans  ce  dernier,  rerTerrescenco  de  la  première  heure  se  calma  peu 
à  peu ,  et  les  relations  avec  les  indigènes  se  rétablirent  insensiblement  par  le 
seul  fait  d*une  sage  administration.  Seul  le  repaire  du  Mestaoua  continua 
à  abriter  ceux  qui  n'osaient  espérer  Faman.  11  y  eut  cependant  un  incident 
regrettable  qui  fut  sur  le  point  d'amener  de  graves  complications,  celui  de 
Texécution  sommaire,  à  Aîn-Yagout,  par  les  miliciens  de  Constantine,  de 
trente -cinq  Arabes  des  Zmoul  qu'on  croyait  de  connivence  avec  les  rebelles, 
ce  qui  était  inexact,  pour  le  plus  grand  nombre  du  moins.  La  conséquence 
de  cette  fâcheuse  méprise  fut  une  vive  surexcitation  qui  faillit  provoquer  le 
soulèvement  de  toutes  les  tribus  de  la  région. 

LcH  fvmnfls  événements  se  passaient  maintenant  plus  au  sud  et  plus  au 
nord.  Au  Fiid,  h  Tuggurt,  sedimouait  un  drame  sanglant,  sur  lequel  nous 
aurons  longuement  à  revenir;  au  nord,  le  succèii  répondait  partout  à  nos 
efforts;  l'insurrection  était  non  Feulement  contenue,  mais  encore  réduitt3aux 
abois,  et  la  colonne  Saussier  pénétrait  victorieuse  au  sein  même  de  la  Ka- 
bylie.  C'est  à  cette  colonne  que  nous  allons  nous  reporter,  afin  de  reprendre 
où  nous  Tavons  laissé  le  récit  des  opérations  auxquelles  prenaient  part  les 
quatre  compagnies  du  commandant  Mathieu. 


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CHAPITRE  II 


La  colouno  Saussicr  pônètro  on  Kabylie.  —  Sorlios  olTecluôcs  contre  les  Anioadia.  — 
ÉféoemenU  dont  pendant  ce  temps  les  environs  de  Sétif  sont  le  théâtre.  —  liévolte 
des  Rir*a.  —  Combat  de  Guellai.  —  Reprise  des  opérations  en  Kabylie.  —  Combat 
du  19  Juillet  —  Soumission  du  cheik  El-Hadded.  —  La  colonne  Bonvalet  autour  de 
SéUf.  —  TentatiYe  inftmctueuse  de  la  colonne  Saussier  contre  la  montagne  des  Ala&dhid. 
—  Cette  colonne  se  rend  à  Batna.  —  Colonne  Flogny.  —  Reddition  des  insurgés  du 
Mestaoua.  —  Opérations  dans  le  Uodna,  sous  la  direction  supérieure  du  général  de 
Lacroix.  —  Les  dernières  tribus  insoumises  demandent  Taman.  —  Dissolution  de  la 
colonne  Saussier.  —  Ordres  d'adieux.  —  La  colonne  Flogny  est  envoyée  dans  les  Au- 
rès;  ses  dernières  opérations. 


Nous  avons  quitté  la  coloooe  de  la  Hedjana  le  8  mai,  à  Aîo-Mcssaoud,  au 
moment  où  elle  venait  d'assurer  le  ravitaillement  de  Bordj-bou-Arréridj. 
L'insurrection,  on  se  le  rappelle,  avait  alors,  à  Tinstigation  de  Si-Aziz  et  du 
cheik  El-IIadded,  gagné  la  plus  grande  partie  cfe  la  Kubylîo,  et  la  situation 
apparaissait  partout,  sinon  connue  ricllcuicnt  cuuipruiuisc,  du  moins  couimc 
très  grave  pour  nous.  Si-Azix  s'était,  en  effet,  avancé  sur  le  territoire  de 
Takitount,  en  entraînant  dans  la  défection  toutes  les  tribus  de  cette  annexe, 
et  tout  le  pays  était  maintenant  en  armes,  depuis  les  Babors  jusqu'à  l'Oued- 
Sabel.  Les  environs  de  Sétif  eux-mêmes  se  trouvaient  menacés. 

Pour  faire  face  à  ces  nouvelles  difficultés,  le  général  Saussier  disposait  do 
bien  peu  de  monde  (environ  quatre  mille  lionmics);  mais  les  épreuves  que 
ses  troupes  venaient  de  traverser  avaient  doublé  leur  valeur;  aussi  n'hésita- 
t-il  pas  6  se  jeter  en  plein  pays  kabyle,  et  dès  le  10  mai ,  la  marche  en  avant 
fut-elle  résolue.  Le  premier  jour,  la  colonne  alla  coucher  à  Ain-Rouah,  sur 
la  route  de  Sétif  à  Bougie,  au  pied  du  Djebel- Anini.  Cette  marche  donna  lieu 
à  un  vif  combat,  mais  le  bataillon  du  régiment  n'y  fut  pas  sérieusement  en- 
gagé. Le  1 1 ,  revenant  tout  à  coup  sur  ses  pas,  le  général  ramena  ses  troupes 
à  Ain-Kala,  et,  le  12,  il  se  dirigea  sur  Takitount.  Ce  brusque  mouvement 
avait  pour  but  de  surprendre  les  Amoucba ,  tribu  belliqueuse  dont  les  précé- 
dentes insurrections  avaient  fait  ressortir  l'hostilité.  Mais  on  trouva  celle-ci  en 


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[1871]       LE  3*  RÉOIMENT  DE  Tin  AILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE  401 

armes,  et  à  peine  la  colonne  se  fut -elle  engagée  sur  son  territoire,  que  de 
nombreux  rassemblements  se  montrèrent  sur  la  gauche.  L'artillerie  prit  posi- 
tion; mais,  au  moment  où  rinfanterie  allait  se  diriger  vers  les  crêtes  occupées 
par  les  Kabyles,  un  violent  orage  éclata  soudain  et  fut  immédiatement  suivi 
d*un  brouillard  tellement  épais,  qu*il  devint  impossible  d*y  distinguer  à 
quelques  pas.  Force  fut  donc  de  suspendre  Taltaquc,  et  l'ennemi  eut  ainsi 
toute  facilité  pour  se  dérober.  La  journée  étant  d*ailleurs  déjà  avancée,  la 
colonne  s'éfabiit  au  bivouac.  Le  lendemain,  le  temps  se  remit  au  beau,  et, 
vers  trois  heures  de  Taprès-midi,  on  arriva  à  Takitount. 

Pendant  ce  temps,  des  négociations  avaient  été  entamées  entre  le  bureau 
arabe  et  les  Amoucha ,  et  Ton  pensait  que  ces  derniers  feraient  leur  soumis- 
sion; du  moins  ils  avaient  promis  d'envoyer  des  otages,  et  l'on  attendait 
ceux-ci,  lorsque,  le  14,  dans  l'après-midi,  on  commença  à  apercevoir  d'im- 
portants rassemblements  descendant  des  contreforts  du  Babor  et  garnissant 
les  crêtes  des  environs  du  camp.  Bientôt  la  fusillade  s'engagea  entre  eux  et 
nos  grand*gardes,  et  il  devint  évident  que  les  insurgés  se  disposaient  &  nous 
attaquer.  Mais  le  général  prévint  leur  offensive  en  envoyant  contre  eux  un 
bataillon  du  2»  Tirailleurs  et  le  IS^  de  marche.  Les  Kabyles  furent  vigoureu- 
sement repoussés;  malheureusement,  entraînées  par  leur  ardeur, nos  troupes 
dépassèrent  le  but  qui  leur  avoit  été  assigné,  et  leur  retour  allait  être  sérieu- 
sement compromis,  quand  le  colonel  Barrué  reçut  l'ordre  de  le  protéger  avec 
les  Tirailleurs  du  3^  régiment  et  le  28®  bataillon  de  chasseurs.  Complètement 
dégagés  par  Tintervention  de  ce  renfort,  qui,  malgré  l'obscurité  qui  commen- 
çait &  couvrir  les  combattants,  manœuvra  avec  le  plus  grand  calme  et  la 
plus  admirable  précision,  le  bataillon  du  2^  Tirailleurs  et  le  78*  de  marche 
purent  se  replier  sur  le  camp,  où  ils  arrivèrent  à  huit  heures  du  soir,  rame- 
nant un  grand  nombre  de  tués  et  de  blessés.  Il  était  dix  heures  lorsque  le 
bataillon  du  régiment  put  à  son  tour  reprendre  son  bivouac. 

Le  lendemain,  les  rebelles  recommencèrent  de  bonne  heure  leurs  démons- 
trations devant  nos  avant-postes;  mais  une  sortie  qui  fut  faite  dans  l'après- 
midi  les  rejeta  encore  au  loin.  Toutefois  la  retraite  de  nos  troupes  ne 
s*eflectua  pas  sans  difficultés.  La  nuit  venue,  les  Kabyles  surprenaient  une 
grand*garde  du  78<^  de  marche,  et  lui  tuaient  ses  officiers  et  plusieurs  hommes 
de  troupe. 

Sur  ces  enlrcfoilcs,  d'inquiétantes  nouvelles  étant  arrivées  do  Sétif,  où  le 
colonel  Bonvalet  voyait,  sans  pouvoir  y  porter  remède,  toutes  les  fermes  des 
environs  pillées  et  saccagées,  le  général  Saussier  dut  se  décider  à  interrompre 
ses  opérations  contre  les  Amoucha,  pour  se  rapprocher  de  cette  ville,  d'où  lui 
venaient  tous  ses  convois.  En  conséquence,  le  16  mai,  la  colonne  quitta 
Takitount,  et  vînt  installer  son  camp  sur  le  versant  nord  du  Djebel  -  Mégris , 
à  l'endroit  appelé  le  col  des  Cigognes.  Désignée  pour  former  l'extrême  arrière- 
garde,  la  3<^  compagnie  du  4«  bataillon  (capitaine  Maison  neuve-Lacoste)  fut 
violemment  attaquée  au  passage  de  l'Oued -Delfa,  chez  les  Ouled-Saîd,  frac- 
tion des  Amoucha;  mais  l'ennemi,  rejeté  à  distance  par  un  feu  très  nourri, 
dut  renoncer  à  la  couper  du  gros  de  la  colonne,  comme  il  se  le  proposait. 

Cependant  celte  retraite ,  jointe  à  l'arrivée  de  Si  -  Azis  au  milieu  des 

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402  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALOÊHIENS  [i87l] 

Aiuoucha,  avait  ranimé  Tespoir  des  insurgés  dans  ccUo  partie  do  la  Kabylîe, 
et  fait  perdre  à  la  colonn;  presque  tout  le  bénéfice  de  ses  succès  des  jours 
précédents.  Résolu  à  ne  pas  laisser  aux  rebelles  le  temps  de  se  réorganiser, 
le  général  Saussier,  quelque  difficile  que  Tût  la  situation  du  colonel  Bonvalet, 
quitta  le  col  des  Cigognes  après  quatre  jours  de  repos  accordé  à  ses  troupes, 
et,  remontant  vers  le  nord,  se  porta  vers  les  Babors.  Le  20,  jour  du  départ, 
le  camp  fut  établi  à  Teniet-el-llachcd.  Le  22,  on  se  dirigea  sur  le  village 
d'Aioun-Sullann,  entre  Takitount  et  les  Babors.  L'ennemi, qui  occupait  en 
forces  le  Djebel -Mentanon,  résista  vigoureusement  au  passage  do  l'Oucd- 
Berd,  et  chercha  à  empocher  Tinstallation  du  camp;  mais  l'arrière -garde, 
sous  les  ordres  du  colonel  Barrué,  et  comprenant  un  bataillon  de  zouaves  et 
celui  du  3®  Tirailleurs,  prit  position  et  protégea  cette  opération. 

Le  25,  le  général  fit  une  sortie  avec  six  bataillons,  sans  sacs,  et  la  cava- 
lerie. Cette  colonne  s'avança  contre  les  hauteurs  de  Teniet-Selt,  que  le 
bataillon  du  3*  Tirailleurs  eut  mission  d'enlever.  Sous  les  ordres  du  com- 
mandant Mathieu,  ce  bataillon  s'élança  au  pas  de  course  sur  la  position 
occupée  par  les  Kabyles,  et  délogea  partout  ceux-ci,  qui  furent  rejetés  en 
désordre  sur  la  rive  gauche  de  l'Oued -Berd,  après  avoir  éprouvé  des  pertes 
considérables.  De  son  côté,  le  bataillon  avait  sept  hommes  grièvement 
blessés. 

Les  jours  suivants,  on  attendit  vainement  le  résultat  de  ces  diiïérentos 
sorties;  fanatisés  par  la  présence  de  Si-Aziz,  les  Kabyles  paraissaient  décidés 
à  poursuivre  la  lutte  jusqu'au  bout;  nul  chef  ne  se  présentait  pour  demander 
l'aman.  Pendant  ce  temps,  la  situation  s*était  singulièrement  aggravée  dans 
les  environs  de  Sélif,  et,  le  28,  le  général  Saussier  se  vit  obligé  de  revenir 
hâtivement  sur  ses  pas  pour  se  porter  au  secours  du  colonel  Bonvalet.  Mais 
revenons  nous-mêmes  en  arrière  pour  voir  ce  qui  s'était  passé  sur  ce  point. 

Après  avoir  été  remplacé  par  le  général  Saussier  à  la  tôte  de  la  colonne  qui 
avait  secouru  Bordj,  le  colonel  Bonvalet  était  revenu  prendre  le  commande- 
ment de  la  subdivision  de  Sétif.  Il  avait  à  veiller  sur  la  sécurité  de  cette  ville, 
qui  ne  tarda  pas  à  être  menacée,  d'un  côté  par  les  contingents  d'Abd-Es- 
Sellem,  de  l'autre  par  Ahmed-bey,  ancien  coïd  qui  avait  fait  défcclion  et 
s'était  mis  à  la  tète  des  tribus  du  Uou-Thalcb  et  du  llodna,  et  à  protéger  les 
convois  dirigés,  soit  sur  la  colonne  Saussier,  soit  sur  Bordj -bou-Arréridj. 
Pour  cela ,  il  ne  disposait  au  début  que  de  deux  cents  hussards  à  pied  et 
d'environ  une  centaine  de  miliciens.  C'était  peu;  aussi  les  bandes  de  pillards 
qui  battaient  la  campagne  furent- elles  bientôt  aux  portes  de  la  ville,  après 
avoir  dévasté  les  fermes  et  les  villages  des  environs.  Mais  des  troupes  arri- 
vaient chaque  jour  de  France,  et  au  fur  et  à  mesure  de  leur  débarquement 
on  les  organisait,  et  on  les  envoyait  sur  le  point  où  le  besoin  s'en  faisait  le 
plus  impérieusement  sentir;  la  garnison  de  Sétif  fut  donc  successivement  ren- 
forcée, compagnie  par  compagnie,  et  le  colonel  Bonvalet  put  enfin  exécuter 
quelques  sorties  pour  se  donner  do  l'air  et  maintenir  dans  le  devoir  les  quel- 
ques fractions  qui  restaient  encore  hésitantes.  Parmi  ces  renforts  se  trouvaient 
trois  compagnies  du  régiment  :  la  6^  du  l*''  bataillon ,  la  4^  du  3«  bataillon , 
et  la  1^  du  4®  bataillon,  qui  étaient  arrivées  dans  le  commencement  de  mai, 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  403 

SOUS  le  commandement  du  capitaine  de  Larochelambert.  Le  colonel  Bonvalet 
les  ayant  désignées  pour  occuper  les  postes  extérieurs,  la  l'*  du  4°  bataillon 
avait  été  envoyée  à  El-Anasscr,  la  6«  du  l^*"  bataillon  à  Aln-Messaoud,  et 
enfin  la  4*  du  3*  bataillon  h  Aîn-Arnat.  De  ce  moment,  Sélif  fut  complète- 
ment à  Tabri  d'un  coup  de  main,  et  la  colonne  Saussier,  qui  était  venue 
camper  au  col  des  Cigognes,  put  reprendre  le  cours  de  ses  opérations  en 
Kabylie;  mais  à  peine  celle-ci  se  fut-elle  éloignée,  que  la  révolte  des  Rir*a , 
à  laquelle  servit  de  prétexte  la  funeste  méprise  d'un  officier  de  chasseurs 
d'Afrique,  vint  tout  à  coup  ressusciter  le  danger. 

Sur  la  plainte  de  plusieurs  colons,  le  colonel  Bonvalet  avait  envoyé  sur  le 
territoire  des  Rir'a-Guebala ,  au  sud  de  Sétif ,  une  reconnaissance  de  cavalerie, 
sous  le  commandement  d'un  officier.  Celui-ci  trouva  de  nombreux  Arabes 
répandus  dans  des  champs  (Porgo,  moissonnant  ou  faisant  semblant  do  mois- 
sonner, et,  croyant  avoir  afiaire  à  des  maraudeurs,  il  les  chargea.  Hais  en 
un  instant  il  fut  assailli  par  plusieurs  centaines  d'Arabes,  et  une  quinzaine  de 
ses  hommes  furent  mis  hors  de  combat.  Il  parvint  néanmoins  à  se  dégager; 
mais  le  feu  était  aux  poudres,  et  vingt -quatre  heures  après  toute  la  tribu' 
était  en  armes  et  se  disposait  à  marcher  sur  Sétif. 

Cette  aflaire  avait  eu  lieu  le  22  mai;  le  23,  Ain-Messaoud  fut  attaqué. 
Dans  la  matinée,  quelques  groupes  de  cavaliers  se  montrèrent  d'abord  sur  les 
hauteurs  environnantes ,  puis  leur  nombre  augmenta  peu  à  peu ,  et  la  fusillade 
ne  tarda  pas  à  s'engager  entre  eux  et  les  défenseurs  du  bordj.  Ceux-ci  com- 
prenaient environ  cinquante  Tirailleurs  (une  section)  de  la  6*  compagnie  du 
1^  bataillon,  sous  les  ordres  du  lieutenant  DuFour.  Mais,  immédiatement 
averti,  le  capitaine  de  Larochelambert,  qui  commandait  le  détachement, 
chargea  le  capitaine  Teulières  de  se  porter  au-devant  de  l'ennemi  avec  Pautro 
section  de  la  compagnie.  H  y  eut  alors  un  engngruient  assez  vif,  dans  lequel 
M.  Favrcau,  sous -lieutenant,  et  quelques  Tirailleurs  furent  légèrement 
blessés;  mais  cette  énergique  attitude  imposa  aux  assaillants,  qui,  malgré 
leur  nombre,  suspendirent  leur  attaque.  Quelques  instants  après  le  colonel 
Bonvalet  arrivait  avec  tout  ce  que  la  garnison  de  Sétif  avait  de  disponible , 
et  les  rebelles  se  retiraient  définitivement  sur  les  hauteurs  éloignées,  où  il 
devenait  impossible  de  les  atteindre  sans  cavalerie. 

Le  lendemain,  le  colonel  prit  cent  soixante -dix  zouaves,  trois  cent  cin- 
quante Tirailleurs ,  quarante  hommes  du  78<^  de  marche,  trois  cents  mobiles, 
cinquante  hussards  à  pied ,  un  escadron  de  chasseurs  d'Afrique,  et  constitua 
une  colonne  avec  laquelle  il  alla  coucher  à  Khalfounn,  à  six  kilomètres  à 
l'ouest  de  Sétif.  Dans  la  nuit,  sur  l'avis  d'un  retour  probable  de  l'ennemi, 
quelques  détachements  furent  renvoyés  à  El-Anasser  et  A!n-Arnat,  où  il 
n'avait  été  laissé  que  quelques  Tirailleurs  et  quelques  hussards  à  pied. 

La  journée  du  2S  se  passa  sans  incident.  Le  26 ,  le  colonel  ayant  été  pré- 
venu de  la  présence  d^un  fort  rassemblement  au  sud  de  Mesloug,  la  colonne 
quitta  Khalfounn  et  se  porta  de  ce  cAlé  pour  reconnaître  la  force  et  les  inton* 
tiens  des  insurgés.  Mais  ces  derniers  se  retirèrent  vers  le  Djebel -Toussef,  et 
parurent  peu  disposés  à  accepter  la  lutte.  Il  devint  même  bientôt  évident 
qu'ils  désiraient  parlementer;  deux  cavaliers  se  détachèrent,  en  effet,  pour 


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404  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [i87i] 

venir  au  galop  vers  le  colonel  ;  mais  ils  lui  présentèrent  plutôt  des  doléances 
que  des  propositions  de  soumission,  de  sorte  que  rien  ne  fut  décidé.  Le  soir, 
la  colonne  rentrait  à  Khalfounn ,  d'où  elle  repartait  deux  jours  après  pour 
retourner  à  Mesloug;  mais  pendant  ce  temps  Ahmed -bey  avait  poussé  les 
Rir'a  à  la  résistance,  et  le  colonel  Bonvalet,  au  lieu  de  trouver  la  tribu  dans 
les  dispositions  paisibles  auxquelles  il  s'attendait,  apprit,  au  contraire,  que 
les  rebelles  s'étaient  réunis  en  grand  nombre  à  Guellal. 

C'est  alors  que  le  général  Saussier,  informé  do  ces  événements,  quitta  la 
région  des  Babors  et  ramena  ses  troupes  aux  débouchés  de  la  Kabylie.  Le  28 
au  soir,  il  établissait  son  camp  à  El-Ouricia.  Là  il  n'était  plus  qu'à  douie  kilo- 
mètres de  Sétif ,  et  pouvait  avec  la  même  facilité  se  porter  soit  dans  la  plaine , 
soit  dans  la  montagne.  Le  29  dans  la  journée,  le  colonel  Bonvalet  lui  écrivit 
pour  lui  faire  part  des  dispositions  des  Rir'a,  en  même  temps  qu'il  se  pi^pa- 
rait  lui-même  en  vue  d'une  action  commune  contre  Guellal.  A  minuit,  le  gé- 
néral arrivait  en  effet  avec  une  faible  escorte,  précédant  d'une  heure  ou  deux 
une  colonne  de  douze  cents  hommes,  composée  de  deux  escadrons  de  chas- 
seurs d'Afrique  et  d'un  millier  de  fantassins  (zouaves  et  Tirailleurs),  dont  la 
moitié  montés  sur  des  mulets.  Ces  troupes,  réunies  à  celles  du  colonel  Bon- 
valet, se  remirent  en  route  à  quatre  heures  du  matin  ;  mais  l'ennemi ,  prévenu, 
avait  déjà  commencé  à  déménager  ses  tentes  lorsqu'elles  arrivèrent  à  Guellal, 
après  avoir  perdu  un  temps  précieux  au  passage  de  l'oued  de  ce  nom.  Grâce 
à  son  avance,  la  cavaleriu  parvint  cependant  à  atteindre  les  fuyards  et  fit  sur 
eux  un  butin  considérable.  Lorsque  l'infanterie  arriva,  tout  était  terminé. 
Après  cette  brillante  opération,  les  deux  colonnes  revinrent  à  Mesloug,  d'où 
le  lendemain  celle  du  général  Saussier  repartit  pour  El-Ouricia  et  celle  du 
colonel  Bonvalet  pour  Sétif,  où  elle  n'allait  pas  tarder  à  être  renforcée  par 
celle  du  colonel  Marié,  venant  du  cercle  de  Batna. 

Revenons  à  la  colonne  Saussier. 

Cette  dernière  resta  à  El-Ouricia  jusqu'au  8  juin.  Ce  môme  jour,  elle  reprit 
ses  opérations  contre  Si-Aziz  et  se  porta  à  Ain-Gaouah,  où  nos  escadrons, 
soutenus  par  deux  sections  d*éclaireurs ,  dont  une  sous  les  ordres  du  lieutenant 
Déporter,  du  régiment,  dispersèrent  un  nombreux  parti  de  cavalerie  ennemie. 
Dans  la  nuit  du  13,  les  insurgés  dirigèrent  sur  le  camp  la  plus  furieuse  attaque 
qu'ils  eussent  encore  tentée ,  mais  ils  furent  partout  repoussés.  Le  1 4 ,  on  aban- 
donna la  position  d'AIn-Gaouah,  et  le  camp  fut  établi  à  Coudial-Bèida,  tout 
près  d'El-Ouricia. 

Mais  d'autres  colonnes  arrivaient  par  l'est  et  par  la  province  d'Alger,  et  le 
général  Saussier  allait  enfin  pouvoir  pénétrer  dans  le  cœur  de  la  Kabylie, 
d'autant  plus  que  le  lieutenant -colonel  Marié,  ayant  fait  sa  jonction  avec  le 
colonel  Bonvalet,  Sétif  et  Bordj-bou-Arréridj  n'avaient  plus  rien  à  craindre 
des  insurgés  de  la  Medjana  et  du  Hodoa.  Le  16  juin ,  le  mouvement  en  avant 
commença,  et  le  camp  fut  établi  à  Chàbet-Baîoun,  dans  un  large  défilé,  au 
pied  d'un  pic  assez  élevé,  le  Dra-Khalaoun.  Le  17,  il  y  eut  séjour.  Dans  la  nuit 
qui  suivit,  les  Kabyles  se  rassemblèrent  en  nombre  considérable  autour  du 
camp,  et,  dès  que  les  feux  furent  éteints,  l'attaque  commença  sur  toutes  les 
faces  à  la  fois,  à  un  signal  parti  du  Khalaoun.  L'ennemi  montrait  un  achar- 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  405 

nement  peu  commun;  il  fallut  immédiatement  doubler  et  même  tripler  les 
grand'gardes  ;  mais  tout  se  borna  cependant  à  une  vive  fusillade  peu  meurtrière 
pour  nous,  et  de  laquelle  le  bataillon  du  régiment  n^eut  pas  trop  à  souffrir. 
Cette  tentative  se  renouvela  la  nuit  suivante  et  fut  suivie  du  même  résultat, 
c'cst-à-diro  de  la  retraite  des  Kabyles.  Le  19,  la  colonne  quitta  ce  bivouac, 
contre  lequel  ces  attaques  se  seraient  constamment  renouvelées,  et  se  porta 
à  Dra-el-Cald,  dans  une  excellente  position  offrant  de  Teau  en  abondance  et 
pouvant  défier  tous  les  efforts  de  Tennemi. 

Les  blés  étaient  mûrs  et  les  moissons  avaient  partout  commencé  :  le  moment 
était  venu  de  peser  sur  les  rebelles  en  détruisant  leurs  récoltes.  Cette  œuvre, 
qui  pourrait  paraître  barbare,  mais  qui  au  fond  valait  encore  mieux  que  du 
sang  versé,  commença  le  20  juin  et  se  poursuivit  les  jours  suivants.  Des  sor- 
ties eurent  lieu  à  cet  effet  contre  les  Beni-Meral,  les  Ouled-Âsis,  les  Ouled- 
Salab ,  etc.,  et  se  traduisirent  généralement  par  d*asses  vifs  combats  d'arrière- 
garde  au  moment  de  la  retraite.  Le  bataillon  du  3«  Tirailleurs  prit  une  active 
part  à  ces  opérations ,  et  plusieurs  fois  il  mérita  les  éloges  du  général  par  sa 
vigueur  et  son  entrain ,  notamment  à  la  suite  d*un  brillant  engagement  qui 
eut  lieu  le  26  &  Djermounab. 

Cette  tactique  no  fut  pas  longtemps  sans  produire  ses  résultats  habituels  : 
à  la  On  du  mois  de  juin  arrivèrent  de  toutes  parts  les  demandes  de  soumis- 
sion ,  et  bientôt  la  plus  grande  partie  du  Sahel-Guebli  et  du  pays  des  Amoucha 
eut  abandonné  la  bannière  de  Tinsurrection.  Partout  maintenant  notre  succès 
s^aflBrmait  d*une  façon  définitive;  de  tous  les  côtés  nos  colonnes  s'avançaient 
victorieuses  pour  cerner  ce  qui  restait  des  insurgés  kabyles  :  à  Touest,  c'était 
le  général  Lallemand,  qui,  le  2  juillet,  s'empara  de  Si-Aziz;  au  sud,  la  co- 
lonne Bonvalct,  qui  interceptait  les  débouchés  des  montagnes;  à  l'est,  le  géné- 
ral Saussior  et  le  colonel  Flogny  ;  au  nord,  le  colonel  Ponsart,  qui  devait  plus 
tard  être  remplacé  par  le  colonel  Thibaudin.  Le  9  juillet,  jour  où  la  colonne 
Saussier  reprit  sa  marche  vers  l'ouest,  il  ne  restait  plus  à  réduire  que  Bou- 
Mesrag,  frère  de  Mokrani,  et  le  cheik  El-Hadded,  ce  vieux  fanatique  dont  la 
fortune  venait  déjà  d*être  trahie  par  la  capture  de  son  fils  Si-Aziz. 

En  quittant  le  camp  de  Dra-el-Cald,  où  elle  était  restée  vingt  jours,  la 
colonne  Saussier  se  rendit  &  Mézoudj-el-Ahmra,  près  de  Talaifassen,  dans  le 
Sahel-Guebli.  Après  un  repos  de  vingt-quatre  heures,  elle  se  remit  en  route 
le  11  juillet  pour  se  porter  &  Dra-el-Arba.  Le  12  devait  être  une  journée  de 
repos;  les  ordres  avaient  été  donnés  dans  ce  sens,  lorsque,  vers  midi,  une 
reconnaissance  envoyée  dans  les  environs  signala  de  nombreux  contingents 
kabyles  se  dirigeant  sur  le  camp.  Pour  prévenir  l'attaque  que  l'ennemi  se  pro- 
posait évidemment  de  tenter  contre  nos  grand'gardes,  il  fut  aussitôt  formé  une 
colonne  de  sortie  composée  de  la  cavalerie  et  de  quelques  bataillons  d'infan- 
terie, dont  celui  du  3®  Tirailleurs.  En  avant  fut  placée  la  section  d'éclaireurs 
du  lieutenant  Déporter.  Mais  à  peine  cette  avant-garde  eut-elle  débouché  du 
camp,  qu'elle  fut  assaillie  par  les  Kabyles  embusqués  dans  les  ravins.  Le  lieu- 
tenant  Déporter  n'hésita  pas;  il  entraîna  sa  petite  troupe,  se  précipita  sur 
l'ennemi,  mais  dès  les  premiers  pas  il  tomba  grièvement  blessé.  En  arrière 
venait  le  bataillon  du  régiment;  il  se  porta  immédiatement  en  avant,  et, 


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405  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [I87l1 

appuyé  par  à  peu  près  toute  l'inranteriede  la  colonne,  se  rua  sur  les  rebelles, 
qui,  débordés  par  la  cavalerie,  se  virent  rejetés  dans  des  ravins  sans  issue, 
où  les  projectiles  de  notre  artillerie  leur  firent  subir  des  pertes  énormes.  Bientôt 
ils  furent  en  fuite  sur  tous  les  points,  et,  restées  maîtresses  de  la  position,  nos 
troupes  purent  juger  de  Timportance  du  succès  qu'elles  venaient  de  remporter  : 
un  nombre  considérable  de  morts  que  l'ennemi  n'avait  pas  eu  le  temps  d'en- 
lever, des  armes,  des  munitions,  des  dépouilles  de  toute  sorte ,  tels  étaient 
les  trophées  qui  attestaient  notre  victoire.  Plusieurs  prisonniers  restaient  éga- 
lement entre  nos  mains;  ils  furent  passés  par  les  armes,  et  cet  exemple,  en 
inspirant  une  terreur  salutaire,  contribua  pour  une  large  part  aux  promptes 
soumissions  qui  suivirent  ce  brillant  combat.  Indépendamment  de  H.  Déporter, 
cette  journée  coûtait  au  régiment  un  homme  tué  et  plusieurs  blessés.  C'était 
Bou-Hesrag  en  personne  qui  avait  dirigé  cette  attaque ,  dont  l'insuccès  attei- 
gnit fortement  son  prestige  déjà  sérieusement  ébranlé. 

Le  lendemain,  pour  ne  pas  perdre  le  bénéfice  de  cet  heureux  résultat,  la 
colonne  se  mit  à  la  poursuite  des  dernières  bandes  qui  n'eussent  point  encore 
déposé  les  armes.  Celles-ci  s'enfuirent  ou  se  dispersèrent,  et  la  journée  se 
passa  sans  combat.  Le  soir,  on  bivouaquait  à  MerJj-Oumena,  près  de  la 
terre  sainte  de  Seddouk,  résidence  du  cheik  El-IIadded.  Se  sentant  pris  et 
jugeant  la  lutte  impossible,  le  vieux  marabout  ne  vit  plus  son  salut  que 
dans  la  générosité  des  Français;  un  ou  deux  jours  après  il  quitta  son  ermi- 
tage, et  vint  se  rendre  au  général  Saussier,  qui  Tenvoya  sous  bonne  escorte 
à  Bougie. 

Le  cheik  Kl-lladded  et  son  (ils  Si-Aziz  entre  nos  mains,  on  pouvait  consi- 
dérer l'insurrection  kabyle  comme  vaincue.  De  ce  jour  la  résistance  fut  en 
eifet  moins  vive,  et  bientôt  elle  devait  cesser  tout  à  fait.  Le  20,  la  colonne 
s'engagea  dans  la  vallée  de  l'Oued -bou-Scllam,  et  vint  camper  au  confluent 
do  cette  rivièi*e  et  de  l'OueJ-Sahel,  en  face  du  pic  d'Akbuu.  Itou-Mcsrag,  qui 
s'était  retiré  dans  la  montagne  des  Ucni-Ourtilcn,  se  trouva  ainsi  cuuiplète- 
ment  débordé.  Une  sortie  eut  lieu  contre  ses  contingents,  et  se  termina  pur 
un  assez  vif  engagement  où  la  cavalerie  ennemie  fut  culbutée.  Le  23 ,  remon- 
tant la  vallée  de  l'Oued-bou-Sellam ,  la  colonne  vint  s'établir  à  Djenan-Sidi- 
Brabim;  le  25,  elle  atteignit  l'Oued-Hahadjar.  Le  26,  eut  lieu  une  sortie  sans 
sacs  dans  laquelle  on  s'empara  de  plusieurs  villages,  où  l'on  trouva  de  nom- 
breux objets  provenant  du  pillage  de  Bordj-bou-Arréridj.  Le  30|  nos  troupes 
arrivaient  à  la  Medjana,  chassant  devant  elles  Bou-Mesrag,  qui  allait  chercher 
un  refuge  dans  le  Hodna. 

Pendant  que  le  bataillon  du  commandant  Mathieu  prenait  part  aux  opéra- 
tions que  nous  venons  de  raconter,  les  Tirailleurs  du  régiment  qui  se  trou- 
vaient dans  les  colonnes  Bon  valet  et  Marié,  maintenant  réunies,  ne  restaient 
pas  inactifs.  Les  environs  de  Sétif  étaient  loin  d'être  pacifiés,  et  chaque  jour 
des  sorties  devaient  être  effectuées,  tantôt  au  nord,  tantôt  au  sud,  pour  con- 
tenir les  nombreuses  bandes  armées  qui  venaient  soit  de  la  Kabylie,  soit  du 
Hodna.  C'était  surtout  du  côté  de  cette  dernière  région  qu'existait  le  danger. 
Après  le  combat  de  Guellal,  Bel-Aroussi,  caid  des  Rir'a,  avait  bien  fait  sa 
soumission,  mais  sa  tribu  ne  l'avait  pas  suivi  dans  cette  voie;  partout,  au 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  407 

contraire,  cette  dernière  8*était  livrée  à  de  nouveaux  méfaits,  et,  le  18  juin, 
elle  n*avait  pas  craint  d'attaquer  la  diligence  de  Gonstantine  entre  cette  ville 
et  Sétif.  Cet  acte  méritait  un  châtiment.  Le  20  juin ,  le  colonel  Bonvalet  se 
porta  soudain  avec  toutes  ses  troupes  disponibles,  entre  autres  les  quatre  com- 
pagnies de  Tirailleurs  qu'il  avait  sous  ses  ordres,  à  Kser-eUThir,  au  milieu 
du  territoire  de  la  tribu,  et,  le  21 ,  il  chassa  devant  lui  les  contingents  d'un 
certain  Mohamed -ben-Abda.  Ahmed-bcy,  se  voyant  alors  serré  de  très  près, 
vint  en  personne,  le  22,  faire  des  propositions  de  soumission.  Le  colonel  fit  son 
possible  pour  détacher  ce  chef  influent  du  parti  de  la  révolte;  mais  Ahmed-bey 
ne  voulait  que  gagner  du  temps  :  il  promit  ce  qu'on  voulut,  prêta  même  ser- 
ment de  fidélité  sur  la  tombe  de  son  père;  seulement,  dès  que  nos  troupes  se 
furent  éloignées,  il  oublia  et  ses  promesses  et  son  serment.  Le  3  juillet,  pen- 
dant que  le  colonel  Bonvalet  se  trouvait  à  Mahouan ,  au  nord  de  Sétif,  il  se 
mettait  en  effet  à  la  tête  des  Ouled-Sahoun  pour  marcher  sur  Kser-el-Thir. 
Mais  la  colonne  revint  en  toute  hAte  sur  ses  pas,  atteignit  les  insurgés,  leur 
infligea  des  pertes  sensibles  et  les  poursuivit  jusqu'au  bordj  Messaoud ,  qui 
fut  incendié. 

Malgré  ces  succès,  le  pays  n'en  était  pas  moins  dans  une  profonde  agitation 
lorsqiio  lk)H-Mcsrnp^  y  arriva.  lia  présnnce  de  ce  chef  influent  au  milieu  do 
tribus  do  tout  temps  infcoilocs  h  sn  famille,  n'clnit  pas  faite  pour  calmer  les 
&<prits;  ceux-ci  s'cxaltrrcnt  encore,  cl  bicnlAt  la  révolte,  qu'on  croyait  terras- 
sée, sinon  vaincue,  releva  la  tête  avec  une  telle  audace,  que  les  rebelles  n'hé- 
sitèrent pas  à  prendre  l'oflcnsive  pour  se  porter  contre  la  colonne  Saussier, 
qui  attendait  à  la  Medjana,  dans  un  repos  qui  lui  était  bien  dû,'rarrivée  de 
la  colonne  Thibaudin,  désignée  pour  la  remplacer  dans  la  garde  de  cette  partie 
de  la  province.  Le  6  août,  nos  grand'gardes  signalèrent  tout  à  coup  l'arrivée 
d'un  goum  ennemi ,  manifestant  visiblement  par  ses  manœuyres  l'intention 
de  nous  attaquer.  On  ne  Vattendit  pas  :  une  colonne ,  formée  de  la  cavalerie 
et  de  quelques  bataillons  d'infanterie,  dont  celui  du  régiment,  sortit  à  un 
signal  donné,  se  précipita  sur  ces  masses  confuses  de  cavaliers  et  de  fantas- 
sins, les  chargea,  les  dispersa,  et  de  ce  jour  la  tranquillité  du  camp  ne  fut 
plus  troublée. 

Voyant  encore  une  fois  ses  espérances  déçues,  Bou-Mesrag  se  retira  dans  la 
montagne  des  MaAdhid.  De  1&  il  devenait  une  menace  permanente  pour  le 
llodna  et  tout  le  territoire  de  Bordj  à  M'Sila.  Sûr  d'échapper  à  nos  poursuites 
en  se  réfugiant  dans  les  gorges  inaccessibles  de  cette  contrée  sauvago,  il  pou- 
vait à  tout  moment  faire  des  incursions  dans  la  plaine  et  razzer  les  tribus 
soumises  ou  en  voie  de  soumission ,  et  remettre  tout  en  cause  parmi  ces  po- 
pulations déjà  assez  compromises  pour  n'avoir  rien  à  perdre  en  jouant  leur 
va-tout. 

Mais  le  général  Saussier  ne  perdait  pas  de  vue  l'opinifltre  agitateur.  Appre- 
nant que  le  général  Gérez  se  trouvait  à  M'Sila,  il  résolut  de  tenter  une  opéra- 
tion décisive  en  prenant  les  insurgés  entre  deux  colonnes,  il  écrivit  à  ce  sujet 
au  général  Gérez,  et,  le  13,  il  quitta  la  Medjana  et  se  dirigea  sur  le  territoire 
des  Ouled-Khellouf.  Le  même  jour  le  bivouac  fut  établi  à  Sidi-Ali-Beikreir, 
au  pied  de  l'important  massif  qui  servait  de  refuge  à  l'ennemi.  Malheureuse- 


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4Q8  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIBAILLEURS  ALGÉRIENS  [i87l] 

ment  le  général  Céroz  avait  été  rappelé  dans  la  province  d'Alger,  el  la  lettre 
du  général  Saussier  ne  Tavait  pas  trouvé  à  M'Sila;  réduite  ainsi  à  sa  seule 
action ,  la  tentative  de  la  colonne  de  la  Hedjana  devenait  inutile.  Les  rebelles 
le  comprirent  si  bien  eux-mômes,  que,  dès  la  nuit  suivante,  ils  attaquèrent 
le  camp.  Mais  celui-ci  avait  été  trop  bien  disposé  pour  être  surpris;  les  Arabes 
trouvèrent  nos  grand'gardes  solidement  établies  et  se  virent  partout  repoussés. 
Cette  attaque  se  renouvela  dans  la  nuit  du  14  au  15,  et  se  termina  par  le 
même  résultat.  Dans  les  journées  qui  suivirent,  on  essaya  bien  de  quelques 
sorties  contre  les  dissidents;  mais  ces  derniers,  ne  pouvant  être  poursuivis, 
se  dérobèrent  toujours  à  nos  manœuvres,  et  tout  se  borna  à  quelques  razzias 
plus  ou  moins  importantes,  dont  une  fit  tomber  entre  nos  mains  les  bijoux  de 
l'ancien  bacb-agha,  qui  furent  vendus  à  un  prix  très  élevé. 

Sur  ces  entreraites,  le  général  Saussier  avait  reçu  de  nouvelles  instructions 
lui  prescrivant  de  marcher  sur  Batna,  autant  pour  parcourir  le  territoire  des 
Ouled-Soltan  que  pour  concourir  aux  opérations  qui  allaient  être  dirigées  sur 
le  Djebel -Mestaoua.  Pour  cela,  il  était  nécessaire  de  ravitailler  la  colonne. 
Le  21 ,  on  se  mit  en  route  pour  se  rapprocher  de  Sétif,  et  l'on  vint  bivouaquer 
à  Sidi- Moussa,  en  face  de  la  belle  vallée  des  Ayad.  De  nombreuses  bandes 
parcourant  encore  cette  région ,  une  sortie  fut  organisée  pour  le  22.  Elle  amena 
un  petit  combat  sans  importance;  mais  un  autre  plus  sérieux  eut  lieu  le  len- 
demain, et  celui-ci,  auquel  le  bataillon  du  régiment  prit  une  active  part,  dé- 
termina la  fuite  précipitée  des  rassemblements  ennemis. 

Le  25,  le  camp  fut  établi  à  Ras-el-Oued.  Le  27,  la  colonne  arrivait  à 
Mesloug.  Elle  en  repartait  le  3  septembre  pour  se  porter  vers  Batna,  et,  le 
soir,  couchait  à  Aïn-Melloul;  le  4,  elle  bivouaquait  à  Sidi- bel -Azzem.  Le  5, 
eut  lieu  une  sortie  contre  les  Rir'a-Guebala,  sortie  qui  se  termina  par  la  dis- 
persion des  contingents  d 'Ahmed -bey  et  par  une  belle  razzia  de  troupeaux. 
Le  6,  on  arriva  à  Ras-el-Aîoun,  et,  le  7,  on  atteignit  Ngaous,  petite  ville 
arabe  qui  avait  bravement  soutenu  un  siège  de  deux  mois  contre  les  insurgés. 
La  soumission  des  Ouled-SoUan  fut  le  résultat  de  cette  rapide  marche  au  tra- 
vers de  cette  importante  chaîne  de  montagnes,  qui  limite  au  nord  la  plaine 
du  Hodna. 

Ce  résultat  obtenu,  le  Mestaoua  restait  l'unique  objectif  de  la  colonne  Saus- 
sier; d'autres  troupes,  sous  les  ordres  du  colonel  Flogny,  marchaient  égale- 
ment contre  cette  position ,  de  sorte  que  cette  fois  le  succès  ne  pouvait  être 
douteux;  seule  la  crainte  do  voir  les  insurgés  se  ruudro  sans  combattre  tem- 
pérait la  joie  de  ceux  qui  comptaient  sur  une  chaude  alTaire  pour  venger  leurs 
amis  tombés  le  21  mai. 

Retardé  par  l'attente  du  payement  do  l'amende  des  Ouled-Soltan,  le  départ 
de  Ngaous  n'eut  lieu  que  le  12  septembre.  Ce  jour-là,  le  bivouac  fut  établi  à 
Aîn-el-Foul.  Le  14,  on  arriva  à  Aïn-Cheddi.  Le  15,  la  marche  reprit  à  la 
pointe  du  jour;  mais,  au  premier  repos,  on  apprit  avec  un  profond  désap- 
pointement que  la  veille  la  colonne  Flogny  avait  doublé  l'étape,  était  arrivée 
devant  le  Mestaoua  et  avait  obtenu  la  soumission  des  rebelles.  En  présence 
de  cet  événement,  la  colonne  Saussier  n'avait  plus  qu*à  continuer  sa  marche 
sur  Batna  :  c'est  ce  qu'elle  lit;  le  soir,  elle  campa  près  de  la  colonne  Flo- 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  400 

gny;  le  lendemain,  elle  fit  séjour;  le  17,  elle  se  remit  en  route,  et  enfin, 
le  18,  elle  arriva  à  destination. 

Disons  quelques  mots  de  la  colonne  Flogny. 

Celte  dernière ,  composée  en  grande  partie  de  troupes  venues  de  la 
Kabylie  orientale,  s*était  concentrée  à  Mlila,  et  était  arrivée  le  11  à  Batna. 
Là  elle  s'était  grossie  du  bataillon  de  Tirailleurs  du  commandant  Pe- 
titjean ,  bataillon  dont  nous  avons  vu  la  composition  dans  le  chapitre  pré- 
cédent. 

Le  colonel  n'avait  pas  encore  quitté  M1ila,  qu'intimidés,  les  insurgés  du 
Mestaoua  lui  faisaient  des  oRres  de  soumission.  CesoRres  lui  étaient  adressées 
par  des  gens  des  Zmoul ,  parents  par  alliance  des  Tlet  II  n*en  continua  pas 
moins  sa  route,  emmenant  avec  lui  une  puissante  artillerie,  et,  comme  nous 
venons  do  le  voir,  arriva  le  14  en  Tace  de  la  position.  De  plus  en  plus  effrayés, 
les  rebelles  s'empressèrent  de  renouveler  leurs  propositions  pacifiques,  et  des 
négociations  s'étant  engagées  entre  eux  et  le  capitaine  Villot,  du  bureau  arabe, 
leur  capitulation  pure  et  simple,  moyennant  une  forte  contribution  de  guerre, 
fut  acceptée.  Cette  décision,  qui  accordait  la  vie  sauve  aux  individus  coupables 
des  actes  les  plus  barbares  qui  eussent  été  commis,  fut  d'autant  plus  mal 
accueillie  par  tout  le  monde,  que  non  seulement  on  se  rappelait  les  brigan- 
dages dont  les  environs  de  Datna  avaient  été  le  théâtre  et  les  pertes  cruelles 
qu'on  avait  essuyées  dans  la  journée  du  21  mai ,  mais  qu'on  avait  encore  sous 
les  yeux  le  plus  triste  spectacle  qu'il  soit  possible  d'imaginer  :  les  tombes  de 
nos  malheureux  soldats  avaient  été  profanées,  et  les  restes  do  ceux-ci  étaient 
éparpillés  dans  la  plaine,  et  ne  représentaient  plus  que  quelques  ossements  à 
moitié  rongés  par  les  chiens. 

Après  cette  reddition  il  ne  restait  plus,  pour  avoir  raison  des  derniers  par- 
tisans de  la  révolte,  qu'à  réduire  Bou-Mesrag,  que  nous  avons  laissé  dans  la 
montagne  des  Maâdhid.  Le  général  le  Poittevin  de  Lacroix,  qui  par  décision 
du  22  juin  avait  été  nommé  au  commandement  de  la  division  de  Constantine, 
venait  alors  de  terminer  sa  longue  et  fructueuse  expédition  de  Kabylie  ;  les 
environs  de  Bougie  et  de  Djidjelli  étaient  dégagés,  la  Medjana  pacifiée;  le  mo- 
ment était  venu  de  faire  converger  toutes  les  colonnes  vers  ce  dernier  foyer  de 
la  résistance  et  d'en  finir  avec  le  chef  audacieux  qui  nous  avait  si  souvent 
échappé.  Des  ordres  furent  donnés  dans  ce  sens,  et,  dans  les  premiers  jours 
d'octobre,  à  peu  près  toutes  les  troupes  disponibles  de  la  province  se  dirigèrent 
vers  la  partie  montagneuse  du  Hodna.  La  colonne  Saussier  devait  se  porter  à 
M*Sila,  afin  d'intercepter  les  défilés  du  sud;  la  colonne  Flogny  s'avancer  par 
le  Bélezma  et  le  Bou-Thaled ;  celle  du  colonel  Bonvalet,  parle  pays  des  Rir'a- 
Dahara;  le  colonel  Thibaudin,  par  le  territoire  des  Ouled-Khellouf;  enfin  le 
général  de  Lacroix,  par  Saint- Arnaud,  Aîn-Melloul  et  Ain-Rummel.  A  part 
la  marche  des  colonnes  Thibaudin  et  de  Lacroix,  qui  fut  marquée  par  quelques 
coups  de  fusil,  ces  divers  mouvements  s'effectuèrent  sans  difficultés,  et,  le 
1 1  octobre ,  le  général  de  Lacroix  atteignit  le  sommet  de  l'Afghan.  Ahmed-bey, 
se  voyant  sans  secours  possible,  vint  se  rendre  quelques  jours  après;  la  smala 
des  Ouled-Mokran  était  entre  nos  mains;  Bou-Mesrag  fuyait  en  fugitif  vers  le 
désert  :  l'insurrection  était  vaincue  sur  ce  point.  Le  12  octobre,  toutes  les 


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410  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1871] 

tribus  compromisos  avaient  fait  leur  soumissioD ,  et  la  paciiication  du  llodaa 
était  un  fait  accompli. 

Dans  cette  dernière  opération ,  la  colonne  Saussier  avait  eu  un  rôle  pure- 
ment spectattf.  Arrivée  à  M*Siia  le  10  octobre,  après  être  partie  de  Batna  le 
23  septembre,  elle  se  borna  à  surveiller  les  passages  conduisant  dans  le  sud , 
sans  cependant  pouvoir  les  fermer  à  Bou-Mesrag  et  à  Ben-bou-Daoud,  qui, 
ayant  vingt- quatre  heures  d'avance,  parvinrent  à  fuir  et  à  échapper  à  notre 
goum,  qui  les  poursuivit  pendant  trois  jours.  Le  26  octobre,  commença  la  dis- 
locaiion  de  la  colonne  par  le  départ  des  bataillons  de  la  province  d'Alger,  et 
le  30,  eut  lieu  la  dissolution  générale.  Le  bataillon  du  r^iment  qui  en  avait 
fait  partie  fut  dirigé  sur  Sétif,  où  il  resta  en  garnison.  Avant  de  quitter  les 
troupes  avec  lesquelles  il  avait  fait  face  au  plus  grand  danger  qui  eilt  menacé 
notre  conquête  pendant  toute  la  durée  de  TinsuiTCCtion ,  le  général  leur  adressa 
l'ordre  qui  suit  : 


«  Au  moment  où  vous  allez  dans  vos  garnisons  pour  y  prendre  un  repos  de- 
venu indispensable,  je  ne  puis  me  séparer  de  vous  sans  rendre  le  plus  éclatant 
témoignage  à  votre  persévérance  et  à  votre  abnégation.  Pendant  huit  mois  vous 
avez  lutté  contre  rinsuri'cction ;  rien  ne  vous  a  lassés,  ni  les  marches  pénibles, 
ni  les  combats  incessants,  ni  les  plus  dures  privations;  seuls,  |)eudant  long- 
temps, vous  avez  tenu  tôle  aux  rebelles  de  la  Medjana  et  do  la  Kabylio  orien- 
tale, et  vous  les  avez  battus  en  quarante- sept  combats,  sans  souci  des  récom- 
penses et  no  songeant  qu*à  remplir  noblement  volro  difricilo  mission;  vous 
n'avez  cessé  de  donner  des  preuves  d*un  dévouement  sans  bornes  à  la  cause  de 
la  colonie. 

«  Officiers,  sous-ofiiciers  et  soldats,  travaillez  encore  à  acquérir  ces  mâles 
et  fortes  vertus  qui  font  les  nations  grandes  et  libres,  et  nous  nous  retrouverons 
un  jour  sur  un  cliamp  de  bulaille  où  nous  |)ourrons  enfin  nous  relever  de  nos 
désastres  et  finir  le  deuil  de  la  patrie.  » 


De  son  côté ,  le  général  de  Lacroix  tint  à  exprimer  à  tous  ceux  qui  avaient 
appartenu  à  cette  vaillante  colonne  sa  satisfaction  pour  les  services  rendus 
par  cette  dernière  à  l'Algérie. 


«  Au  moment,  disait-il,  où  vous  allez  pouvoir  vous  reposer  d'une  campagne 
de  huit  mois,  accomplie  au  milieu  de  fatigues  incessantes  et  des  circonstances 
les  plus  difficiles,  je  tiens  à  vous  remercier,  en  mon  nom  et  au  nom  du  pays, 
pour  le  dévouement  et  Tabnégation  dont  vous  nous  avez  donné  des  preuves 
éclatantes.  Vous  vous  êtes  montrés  les  dignes  compagnons  d'armes  du  brave  et 
brillant  général  qui  vous  a  conduits  à  travers  toute  la  Kabylle  jusqu'à  Batna, 
écrasant  à  chaque  pas  Tinsurrection  formidable  qui  avait  cru  abattre  cette  fois 
la  domination  française. 

«  Aussi  je  compte  que  vous  ferez  de  ce  repos  largement  gagné,  non  une 
période  d'oisiveté,  mais  le  véritable  repos  de  l'homme  de  guerre,  c'est-à  dire 
que  ^ous  vous  mettrez  en  état  de  reprendre  au  premier  appel,  si  le  service 


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[1871]  EN  ALQÊRYE  4il 

du  pays  l'oxige ,  la  série  des  succès  dont  la  colonne  Saussier  aura  laissé  le  sou* 
venir  dans  la  colonie.  » 

La  colonne  Flogny,  que  nous  arons  laissée  devant  le  Hestaoua,  avait  atteint 
le  Bou-Thaleb  le  10  octobre,  en  passant,  le  4,  à  Ngaous,  et,  le  6,  à  Barika. 
Après  avoir  fait  sa  jonction  avec  les  colonnes  Bon  valet  et  de  Lacroix,  elle  re- 
partit le  12  pour  Batoa.  Le  IG,  une  brillante  razzia  fut  exécutée  par  le  batail- 
lon du  commandant  Pelitjean.  Le  17,  on  arrivait  à  destination. 

Pendant  que  nos  colonnes  opéraient  dans  la  subdivision  de  Sétif ,  nos  postes 
du  sud -est  de  la  province  se  trouvaient  complètement  dégarnis.  Profitant  de 
cette  situation,  vers  la  fin  du  mois  d'août  un  aventurier  qui  se  donnait  pour 
le  chérif  Mobamed-ben-Abdallab ,  de  la  Mecque,  vint  s'installer  au  milieu  des 
Ouled-Khalifa,  qui  ne  mirent  aucunement  en  doute  son  caractère  sacré.  Aidé 
des  gens  de  cette  tribu ,  il  entraîna  Toasis  de  Négrine  dans  Tinsurrection ,  et 
de  loin  menaça  Ferkane;  puis  il  sUnstalIa  à  la  zaouîa  de  Sidi-Abid,  essayant 
d'exalter  le  fanatisme  des  populations  et  de  provoquer  la  défection  des  tribus 
qui  nous  étaient  restées  attachées.  Mais  l'enthousiasme  de  la  première  heure 
était  éteint,  et,  malgré  un  léger  succès  remporté  par  ses  partisans  sur  le  goum 
do  Tcbossa,  lo  pays  resta  sourd  A  sa  voix.  Abandonnant  alors  la  ré^fion  du 
Djebcl-Chercliar,  le  faux  clicrif  descendit  dans  la  vallée  de  TOued-bou-Dokhane. 
AnsflitAt  los  Allouana,  nos  allies,  allèrent  se  placer  auprès  de  Ferkane,  dans 
le  but  de  lui  couper  la  retraite  de  la  Tunisie.  Cette  tentative,  extrêmement 
hardie  de  leur  part,  ne  put  cependant  réussir;  le  19  octobre,  les  Ouled-Kha- 
lifa forcèrent  le  passage,  et  le  chérif  se  réinstalla  de  nouveau  à  Négrine,  d'où 
il  continua  à  lancer  des  excitations  à  la  révolte. 

Telle  était  la  situation  dans  cette  partie  de  la  province  lorsque,  le  21  oc- 
tobre, le  colonel  Flogny  quitta  Batna  pour  se  rendre  à  Kbenchela,  où  il  arriva 
le  25.  Se  portant  ensuite  vers  le  sud-est,  il  atteignît  Sidi-Abid  le  1^  novembre, 
exécuta  sur  ce  vitloge  une  importante  razzia,  détruisît  de  fond  en  comble  la 
zaouîa  qui  avait  servi  de  lieu  de  réunion  aux  agitateurs,  rassura  les  fractions 
menacées  de  la  vengeance  du  faux  chérif,  et  enfin  rétablit  complètement 
Tordre  que  celui-ci  avait  violemment  troublé.  Le  4  novembre,  il  reprit  avec  ses 
troupes  sa  marche  dans  la  direction  du  nord-est,  en  passant  par  Aîn-Borab  et 
Aîn-Gueber,  atteignit  l'Oued-Tilidjcn ,  et  redescendit  vers  Négrine,  où  il  arriva 
le  15.  L'oasis  était  abandonnée;  les  habitants  et  le  chérif  avaient  fui  et  s'étaient 
réfugiés  près  de  Tamcrza,  d'où  ils  ne  tardèrent  pas  à  gagner  la  Tunisie.  Le 
colonel  fit  incendier  les  maisons  et  couper  les  palmiers,  puis  il  reprit,  le  30  no- 
vembre, le  chemin  de  Kbenchela.  La  colonne  campa  successivement  sur  l'Oued- 
Ouarin,  &  Foum-el-Mechera,  Ras-el-Euch,  Ghéria,  Aîn-Kremmlil ,  Aln-Boud- 
jenan,  Aln-Tazougarth ,  et  arriva  le  11  décembre.  Le  13,  elle  s'engagea  dans 
les  Aurcs  et  se  dirigea  sur  Batna  par  Foum-el-Gueis,  Merdjal-el-Dermel, 
rOued-Tagguerest,  Bou-Zouïa,  El-Arneni  et  Ferrost.  Rendue  le  22  décembre, 
elle  fut  aussitôt  dissoute,  et  les  cinq  compagnies  du  régiment  qui  en  avaient 
fait  partie  restèrent  en  garnison  à  Batna. 

A  la  fin  de  Tannée  1871,  Tinsurrection  pouvait  ôtre  partout  considérée 
comme  vaincue  ;  seule  la  poursuite  des  chefs  qui  s'étaient  retirés  dans  le 


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412  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  AL0ÉRIBN8  EN  ALGÉRIE        [iéli] 

désert  allait  encore  demander  à  nos  troupes  quelques  nouveaux  efforts  accom- 
pagnés de  plus  de  fatigues  que  de  dangers.  Mais,  avant  de  suivre  le  général 
de  Lacroix  dans  les  opérations  qu*il  devait  diriger  en  personne  dans  rextréme 
sud  de  la  province,  nous  allons  revenir  dans  la  Kabylie  orientale  et  reprendre, 
au  point  où  nous  l'avons  laissé,  le  récit  des  événements  auxquels,  dans  cette 
région ,  se  trouvèrent  mêlées  des  fractions  du  3*  Tirailleurs. 


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CHAPITRE  III 


L'insarreetion  dans  la  Kabylie  orientale.  —  Défense  de  DjidlJelli.  —  La  révolte  gagne 
le  cercle  de  Gonstantlne.  —  Attaque  de  Milah  par  les  insurgés.  —  Colonne  Yata.  — 
Colonne  Aubry.  —  Le  général  de  Lacroix  est  nommé  au  commandement  de  la  pro- 
vince; il  prend  la  direction  des  opérations  en  Kabylie.  —  Pacification  des  cercles  du 
Coiio  et  de  Dji^Jelli.  —  La  colonne  se  dirige  sur  le  Bou-Thabeb,  pnis  sur  Bou-Saida, 
Biskra  et  Tiiggnrt. 


Soit  que  son  éloignement  du  foyer  de  l'insurrection  ne  lui  eût  pas  permis 
de  répondre  au  mot  d'ordre  parti  de  la  Medjana;  soit  que  l'infructueuse  ten- 
tative des  Oulcd-Aîdoun  sur  El-Milia  eût  momentanément  étouffé  les  tendances 
de  révolte  au  sein  de  sa  belliqueuse  population  ;  soit  enfin ,  —  et  cette  raison 
nous  parait  la  plus  probable ,  —  que  le  désarmement  effectué  par  le  général 
Pouget  eût  enlevé  à  cette  dernière  toute  possibilité  de  seconder  à  son  début  le 
mouvement  des  tribus  de  l'Oued -Sahel,  la  Kabylie  orientale  était  restée 
assez  longtemps  étrangère  au  grand  soulèvement  suscité  par  Hokrani.  Ce  ne 
fut,  en  effet,  que  vers  la  fin  du  mois  de  mai  qu*une  agitation  sérieuse  com- 
mença &  se  manifester  dans  la  région  située  à  l'est  des  Babors;  encore  n'y 
fut- elle  provoquée  que  par  l'arrivée  de  contingents  envoyés  par  Si-Aziz, 
sous  les  ordres  de  deux  chefs  Khouans.  On  se  rappelle  qu'à  cette  date  le 
général  Saussier  s'était  vu  obligé  d'interrompre  ses  succès  contre  les  Amoucha, 
pour  se  porter  au  secours  de  Sétif;  notre  entreprenant  ennemi  en  avait 
aussitôt  profité  pour  faire  prendre  les  armes  aux  Beni-Foughal;  puis,  les 
ayant  organisés  en  deux  colonnes,  commandées  par  les  nommés  Korichi-ben- 
Si-Safldoun,  des  Talha,  et  Bou-Aaraour,  frère  du  caïd  du  Ta-Babor,  il  les 
avait  loncés  contre  Djidjcili.  Cette  place  était  alors  à  peu  près  dégarnie;  elle 
paraissait  ôtre  une  proie  facile  ;  les  insurgés  ne  doutèrent  pas  qu'elle  ne  suc- 
combât sous  leurs  coups  répétés ,  et  marchèrent  contre  elle  avec  toute  l'ardeur 
que  peut  donner  une  haine  sauvage  s'alliant  à  l'espoir  d'un  riche  butin. 

Dès  qu'il  eut  connaissance  de  ce  nouveau  danger,  le  général  commandant 
la  province  s'empressa  d'envoyer  dans  cette  ville  le  lieutenant -colonel  Béhic 


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LE  3*  RÉQIIIBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


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(&  la  suilo  au  3*  Tirailleurs)  et  quolques  Iroupes  pour  en  assurer  la  défeose. 
Parmi  ces  dernières,  se  trouvaient  deux  compognies  du  régiment,  les  5*  et  6* 
du  2*  bataillon ,  qui  étaient  ainsi  composées  : 


5*  compagnie. 

MM.  Camion ,  lieutenant  français. 
Creutzer,  sous-lieut.  français. 
Aissa-bel-Hadj-llassein,  sous- 
lieutenant  indigène. 


6*  compagnie, 

MM.Kolb,  capitaine. 

Garnier,  lieutenant  français. 
Ilassein- bon -Ahmed,  lient,  ind. 
Macarez,  sous- lient,  français. 


Ces  compagnies  s'embarquèrent  à  Philippeviile  le  l*'  juin.  Outre  ce  déta- 
chement, la  garnison  comprit  alors  une  compagnie  du  i^'  zouaves,  quatre 
du  3«,  une  cinquantaine  d'artilleurs  et  quelques  cavaliers,  soit  environ  un 
millier  do  combattants,  auzquols  s'ajoutait  la  milice  do  lu  ville,  c'est-à-dire 
à  la  ligueur  environ  deux  cents  fusils.  C'était  peu,  eu  égard  au  développe- 
ment qu'allait  avoir  la  ligne  à  défendre. 

La  petite  ville  de  Djidjelli,  bfttie  au  bord  de  la  mer,  est  dominée  de  toutes 
parts,  et  à  une  assez  grande  distance,  par  une  série  de  hauteurs  d'une  alti- 
tude moyenne  de  cinquante  mètres.  Cette  ligne  de  mamelons  s'abaisse  à 
l'ouest  pour  donner  passage  à  la  route  de  Sétif ,  à  l'est  pour  former  des  pentes 
douces  qui  vont  finir  près  de  la  rade,  où  se  jette  une  petite  rivière,  générale- 
ment à  sec  pendant  l'été,  l'Oucd-el-Kantara.  C'est  de  ce  C(Ué  que  débouche 
la  route  de Constantine.  Entre  les  deux  routes,  sur  une  étendue  de  deux  mille 
mètres,  la  crôte  était  alors  défendue  par  les  forts  Orin,  Galboiset  Valée.  Du 
côté  de  la  mer,  deux  autres  ouvrages,  le  fort  Duquesne  à  Test,  et  le  fort 
Saint-Ferdinand  à  l'ouest,  complétaient  ces  défenses  extérieures  et  les  ap- 
puyaient du  tir  de  quelques  pièces  de  gros  calibre.  Un  mur  en  pierres  sèches , 
d'un  mince  relief,  permettait  la  circulation  entre  ces  divers  points.  Les 
Tirailleurs  et  la  compagnie  du  1**  zouaves  furent  chargés  do  lu  garde  du  côté 
est  do  la  place,  les  quatre  compagnies  du  3**  zouuves  do  colle  du  secteur 
ouest. 

Les  lieutenants  de  Si-Aziz  n'avaient  pas  eu  de  peine  à  entraîner  les  tribus 
voisines  dans  la  défection  :  les  El-Aouana,  les  Beni-Khettab  avaient  succes- 
sivement arboré  l'étendard  de  la  rébellion  et  grossi  les  contingents  des  Beni- 
Foughal.  Le  31  mai ,  ces  hordes  furieuses  s'étaient  jetées  sur  les  établisse- 
ments du  cap  Cavallo,  et  les  avaient  entièrement  pillés  et  saccagés.  Enhardies 
par  ce  facile  succès,  elles  se  rapprochèrent  bientôt  de  la  ville,  et,  le  7  juin, 
tirent  une  première  tentative  sur  le  centre  de  la  ligne.  Mais,  reçues  par  une 
vive  fusillade  dès  qu'elles  se  montreront  en  terrain  découvert,  elles  se  reti- 
rèrent précipitamment  hors  de  la  portée  de  notre  feu ,  semblant  ainsi  renoncer 
à  une  attaque  de  vive  force  pour  se  renfermer  dans  un  simple  blocus. 

Ce  n'était  cependant  qu'une  feinte.  Le  9,  au  point  du  jour,  les  avant- 
postes  signalèrent  encore  l'ennemi  du  côté  de  la  porte  de  Constantine.  Les 
insurgés  s'avançaient  sur  deux  lignes  à  travers  bois,  en  suivant  les  crêtes, 
depuis  l'Oued -oUKan tara  jusqu'au  col  de  Mezghitan. 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  «15 

Vers  cinq  heures,  le  feu  s^engagca  enlre  les  tirailleurs  kabyles,  embusqués 
dans  le  lit  de  la  rivière,  et  le  poste  du  parc  à  fourrage,  et  ne  tarda  pas  à 
s'étendre  sur  toute  la  lisière  du  bois.  Prévenue,  la  garnison  était  déjà  sous 
les  armes,  et  la  surprise  sur  laquelle  comptaient  probablement  les  rebelles 
échoua  complètement;  sur  tous  les  points  les  Tirailleurs,  à  qui  incombait 
la  défense  de  cette  partie  de  la  ligne,  répondirent  vigoureusement  à  cette 
brusque  attaque  et  maintinrent  les  assaillants  par  la  précision  de  leur  tir. 
Trois  fois  les  insurgés  essayèrent  de  quitter  leurs  abris  pour  se  porter  contre 
la  porte  de  Constanline  et  le  fort  Valée,  trois  fois  ils  furent  repoussés.  Leur 
deuxième  ligne  étant  alors  venue  appuyer  la  première,  deux  vapeurs  em- 
bossés  dans  la  crique  Duqucsne,  le  Forfait  et  l'AmUde,  joignirent  au  feu  des 
forts  celui  de  leur  puissante  artillerie,  et  toutes  ces  bandes,  effrayée^,  se 
retirèrent  en  laissant  le  terrain  couvert  de  leurs  morts.  Bientôt  leur  retraite 
devint  définitive,  et  seules  quelques  vedettes  restèrent  sur  les  crêtes  pour 
surveiller  le  mouvement.  La  lutte  avait  duré  quatre  heures;  les  rebelles 
avaient  environ  cent  vingt  hommes  hors  de  combat;  les  Tirailleurs  comp- 
taient deux  blessés,  dont  un  officier,  M.  le  sous- lieutenant  Macarez,  atteint 
grièvement  à  la  tête  et  à  la  poitrine. 

Dans  Taprès-midi,  quelques  reconnaissances  envoyées  à  Textérieur  con- 
slnlèrcnt  Tarrivée  tlo  nouveaux  contingents  venant  du  Ta-Babor.  Itenforcés 
ainsi  de  plusieurs  centaines  de  fusils,  les  insurgés  oublièrent  vile  leurs  pertes 
du  matin,  et  reparurent  peu  &  peu  sur  les  crêtes,  mais  par  petits  groupes  et 
à  une  assez  grande  distance  pour  n'avoir  rien  à  craindre  des  coups  de  notre 
artillerie.  Il  n'en  restait  pas  moins  évident  qu'ils  se  préparaient  à  une  troi* 
sième  attaque. 

Celle-ci  eut  lieu  le  11.  A  sept  heures  du  matin,  les  bandes  arrivées 
l'avant -veille,  et  qui  étaient  campées  au  col  de  Mezghitan,  descendirent  dans 
la  plaine  en  deux  colonnes  se  dirigeant,  la  première  sur  les  forts  Galbois  et 
Orin,  la  deuxième  sur  la  partie  du  rempart  reliant  le  fort  Saint -Ferdinand 
à  la  mer.  A  l'exception  de  quelques  fanatiques  qui,  rampant  de  rocher  en 
rocher,  parvinrent  assez  près  de  l'enceinte  pour  inquiéter  les  défenseurs  des 
créneaux,  celte  dernière,  qui  s'avançait  sous  le  canon  du  fort  Saint-Ferdi- 
nand, hésita  d'abord,  puis  finit  par  se  disperser;  mais  l'autre,  profitant 
habilement  des  broussailles,  des  accidents  du  terrain,  des  débris  de  maisons 
incendiée!^,  rcnssil  h  s'inslallor  dans  les  taillis  autour  des  ouvrages  Orin  et 
Galbois,  et  de  là  dirigea  tous  ses  efîorls  sur  la  porte  do  Bougie,  tout  en 
essayant  de  couper  la  conduite  d'eau.  Il  était  urgent  d'empêcher  ce  travail  ; 
l'artillerie  concentra  son  tir  sur  le  point  menacé,  sema  l'eiïroi  parmi  les 
Kabyles,  et  deux- pelotons  du  3*  zouaves  n'euAnt  qu'à  achever,  par  une  vi- 
goureuse sortie,  de  chasser  les  derniers  groupes  ennemis  des  bouquets  de 
bois  où  ils  s'étaient  embusqués.  Du  côté  des  Tirailleurs,  l'action  s'était  bornée 
à  une  assez  vive  fusillade,  dont  les  assaillants  avaient  été  les  seuls  à  souffrir. 

Rendus  prudents  par  ce  nouvel  insuccès,  les  rebelles  se  retirèrent  encore 
en  dehors  de  la  zone  battue  par  le  canon  do  la  place,  mais  sans  renoncer 
complètement  à  menacer  celle-ci.  Le  14,  ils  essayèrent  en  eflet  d'une  der- 
nière tentative,  qui  ne  réussit  pas  plus  que  les  précédentes;  puis,  découragés, 


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Ai6  LB  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1871] 

ils  s'en  tinrent  &  un  blocus  à  distance  qui  permit  enfin  à  la  garnison  do 
prendre  quelque  repos,  ce  dont  elle  avait  grand  besoin.  Enfin  l'influence 
des  événements  extérieurs  commença  à  se  faire  sentir  dans  les  rangs  des 
Kabyles,  et  de  nombreuses  désortions  signalèrent  bientôt  l'annonce  de  chaque 
nouveau  succès  de  la  colonne  Saussier. 

Au  courant  de  cette  situation ,  le  lieutenant-colonel  Béhic  résolut  d'en  pro- 
fiter. Le  26  juillet,  &  quatre  heures  du  malin,  il  sorlit  par  la  porte  de 
Constantine  avec  quatre  cents  zouaves  ou  Tirailleurs,  et  se  disposa  à  brûler 
les  villages  des  Beni-Ilassein,  des  Haraclen  et  des  Boni- Ahmed.  A  cet  eflet, 
la  compagnie  du  !«'  zouaves  fut  dirigée  le  long  de  la  mer  pour  y  culbuter  les 
nombreuses  embuscades  qu'on  y  savait  établies ,  et  les  Tirailleurs  reçurent 
l'ordre  de  déloger  les  postes  et  les  vedettes  qui  occupaient  le  bois  d'El- 
Kantara. 

Conduits  par  le  capitaine  Kolb ,  ces  derniers  s'élancèrent  aussitôt  sur  la 
position  qui  leur  était  indiquée.  A  mi-côte,  ils  essuyèrent  un  feu  violent;  ne 
se  donnant  pas  la  peine  d*y  répondre,  ils  précipitèrent  leur  course,  couron- 
nèrent sans  coup  férir  les  hauteurs  dominant  la  route  de  Constantine,  y 
laissèrent  quelques  postes,  et  rejoignirent  la  colonne,  qui,  désormais  couverte 
sur  ce  point,  se  porta  tout  entière  en  avant.  Les  gourbis  des  fractions  rebelles 
furent  incendiés,  leurs  défenseurs  tués,  les  jardins  ravagés  et  les  fuyards 
poursuivis  jusqu'à  TOued-Mencha.  On  pensait  pouvoir  atteindre  les  nom- 
breux troupeaux  qui  avoient  été  rassemblés  dans  cette  vallée,  mais  les 
Kabyles  leur  avaient  fait  passer  la  rivière,  et  l'on  était  déjà  assez  loin  de  la 
place  pour  avoir  à  craindre  une  retraite  difficile. 

Notre  petite  troupe  fut,  en  eflet,  vivement  harcelée  au  retour;  attirés  par 
la  fusillade,  les  cris  d'appel  et  les  signaux,  les  contingents  des  Ouled-Mars, 
des  Ouled-Berofon,  des  Beni-Amran,  des  Beni-Siar,  des  Beni-Khettab,  des 
Ouled-Ali,  etc.,  étaient  accourus  de  toutes  parts  au  secours  des  gens  de  Si- 
Saftdoun ,  et  bientôt  les  zouaves  et  les  Tirailleurs  eurent  à  répondre  à  une 
vive  fusillade  que  la  faible  portée  des  armes  de  Tenncmi  rendait  heureuse- 
ment peu  meurtrière.  Les  rebelles  cherchaient  surtout  à  gagner  l'Oued- 
el-Kantara,  dans  le  but  de  tourner  les  Tirailleurs,  qui,  après  avoir  razzé  et 
brûlé  les  cases  et  les  villages,  se  trouvaient  séparés  du  restant  de  la  colonne. 
Mois  ceux-ci  se  retirèrent  lentement,  en  bon  ordre,  sans  cesser  de  faire  face 
à  leurs  adversaires,  qu'ils  maintinrent  ainsi  à  une  assez  grande  distance,  et 
qui,  assaillis  de  dos  et  de  flanc  par  les  postes  des  hauteurs,  et  du  côté  de  la 
place  par  une  pièce  de  quatre,  établie  au  parc  à  fourrage,  ne  tardèrent  pas  à 
se  débander,  laissant  la  route  libre  à  nos  compagnies.  Les  zouaves  eurent 
plus  particulièrement  à  soufl*rir  des  individus  embusqués  dans  les  brous- 
sailles, et  perdirent  plusieurs  hommes,  dont  un  officier  tué.  L'ennemi  ne 
laissa  pas  moins  de  quarante  morts  sur  le  terrain. 

Dans  le  rapport  où  il  rendait  compte  de  cette  brillante  opération ,  le  lieu- 
tenant -  colonel  Béhic  citait  comme  s'étant  particulièrement  distingués  : 
MM.  Kolb,  capitaine;  Camion,  lieutenant;  Aissa-bel-lladj-ilassein,  sous- 
lieutenant;  Maudet,  sergent- major;  Salah-ben-Ferkodadji  et  Zair,  sergents; 
Mohamed  -  ben  -  Messaoud    et   Kacem  -  bel  -  llad  j  -  Ahmed ,   caporaux  ;  Amar- 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  417 

ben-ATssa,  Bombeken-ben- Mohamed  et  Amar-ben-Rabah,  Tirailleurs. 
Le  2  août,  une  nouvelle  sortie  fut  effectuée  sur  le  marché  d'El-Arba,  et  se 
termina  par  un  brillant  succès.  Le  3,  les  troupes  se  dirigèrent  encore  sur  ce 
point,  dans  le  but  de  protéger  les  Béni- Caïd ^  qui  venaient  d*obtenir  Taman, 
et  que  les  insurgés  avaient  chassés  do  leurs  villages.  Il  y  eut  échange  do 
coups  do  fusils,  mois  Tennemi  tint  faiblement,  et  fut  rapidement  dispersé. 
Le  lendemain ,  une  tentative  de  razzia,  appuyée  par  le  feu  d'une  frégale  em- 
bosséo  dans  la  rade,  amena  un  engagement  un  peu  plus  sérieux,  suivi 
d'ailleurs  du  même  résultat. 

A  partir  de  ce  jour,  la  garnison  ne  fut  plus  inquiétée,  et  les  détachements 
qu'elle  envoya  à  Textérieur  parcoururent  librement  le  pays.  Les  indigènes 
venaient  d'apprendre  qu'une  importante  colonne  s'organisait  à  Milah,  sous 
les  ordres  du  général  de  Lacroix;  ils  connaissaient  de  longue  date  le  nouveau 
commandant  de  la  province;  ils  savaient  avec  quelle  vigueur  il  allait  diriger 
les  opérations,  avec  quelle  sévérité  il  allait  punir  les  tribus  coupables,  et,  ne 
croyant  plus  au  succès  de  leur  téméraire  entreprise,  ils  ne  cherchaient  plus 
qu'à  échapper  ou  chAtimcnt  qui  les  menaçait.  Les  bandes  de  Si-Saâdoun 
s'étaient  donc  en  grande  partie  dispersées  pour  rentrer  dans  leurs  villages, 
laissant  réduites  &  Iciir  propre  sort  les  populations  qu'elles  avaient  entraînées 
dans  la  rébellion.  Criles-ci  se  soumirent  peu  à  peu  au  lioutenant- colonel 
Béhic.  Lorsque,  le  23  août,  la  colonne  du  général  de  division  arriva  dans  les 
parages  de  Djidjcili  et  y  fut  rejointe  par  les  deux  compagnies  de  Tirailleurs 
qui  avaient  concouru  à  la  défense  de  cette  place,  la  pacification  du  pays  était 
à  peu  près  assurée.  Le  général  en  témoigna  toute  sa  satisfaction  au  lieutenant- 
colonel  Déhic,  dans  une  lettre  fort  élogîeuse,  où  il  le  remerciait  chaleureuse- 
ment des  services  qu'il  avait  rendus.  Il  est  vrai  qu'en  immobilisant  dans  ce 
coin  do  la  Kabylie  les  trois  &  quatre  mille  hommes  qu'avait  autour  de  lui  le 
second  de  Si-Aziz,  la  garnison  de  Djidjelli  avait  non  seulement  sauvé  du 
pillage  et  de  l'incendie  les  établissements  de  la  côte  et  ceux  de  la  vallée  de 
rOued-el-Kébir ,  mais  encore ,  ainsi  que  nous  allons  le  voir,  empêché  l'insur- 
rection de  réunir  des  forces  suffisantes  pour  marcher  sur  Constantine. 

En  gagnant  le  district  de  Djidjelli ,  la  révolte  avait  trouvé  deux  nouveaux 
chefs  :  les  khouans  Mouley-Chekfa,  des  Beni-Ider,  et  Mohamed-ben-Fiala, 
des  Beni-IIabibi.  Par  suite  des  intrigues  de  ces  deux  personnages,  l'agitation 
s'était  rapidement  étendue  dans  la  partie  ouest  du  cercle  de  Collo,  dans  le 
Fcrdjiouah,  et  même  chez  les  Ouled-Kebbcb,  du  cercle  de  Constantine.  On 
craignit  pour  Milah ,  et  l'on  y  envoya  aussitôt  une  compagnie  du  1^  provisoire 
renforcer  la  garnisoji,  qui  ne  se  composait  que  d'une  section  du  3*  Tirailleurs, 
appartenant  à  la  i^  compagnie  du  4<'  bataillon ,  section  qui  se  trouvait  sous 
les  ordres  du  lieutenant  Mustnpha-bcn-EI-IIadj-Otman.  En  môme  temps, 
le  8^  provisoire,  commandé  par  le  colonel  Louis,  prenait,  pour  so  rendre  à 
Sétif,  la  route  du  Ferdjiouah  par  Aln-Smara  et  Feidj-Mezaïa. 

Mais,  pour  promptes  qu'eussent  été  ces  mesures,  les  Beni-Messad,  les 
Ouled-Amer-Zapeza,  les  Beni-Medjalet,  les  Ouled-Sliman,  etc.,  n'en  avaient 
pas  moins  déjà  pris  les  armes,  et,  lorsqu'il  arriva  sur  l'Oued -Redjaz,  le 
colonel  Louis  y  apprit  soudain  que  quatre  à  cinq  cents  insurgés  s'avançaient 

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418  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (l87l] 

par  lo  col  do  Fcdjoulôs,  vura  la  position  de  Feldj-cl-Kiiémis.  Le  biil  dcco 
mouvement,  il  n'y  avait  pas  à  en  douter,  était,  chez  les  rebelles,  d'envahir 
les  vallées  de  TOued-Eudja  et  de  TOued-el-Kébir,  pour  menacer  ensuite 
ou  Milah  ou  la  voie  ferrée  de  Constantine  à  Philippeville.  Changeant  alors 
brusquement  de  direction ,  le  colonel  remonta  vers  le  nord ,  atteignit  rennemi, 
le  battit  une  première  fois,  le  4  juillet,  non  loin  de  FeIdj-el-Arba,  lo  ren- 
contra encore  le  surlendemain  sur  l'Oued -el-Maila,  au  pied  du  Feldj-el- 
Khémis,  lui  livra  un  sanglant  combat  qui  dura  près  de  cinq  heures,  puis,  le 
croyant  dispersé,  reprit  la  route  de  Sétif. 

Bien  que  fortement  maltraités,  les  insurgés  n'avaient  cependant  fait  que 
céder  devant  la  nécessité  du  moment;  la  colonne  était  à  ^leine  partie,  qu'ils 
se  réunissaient  de  nouveau,  se  grossissaient  de  nombreux  contingents  des 
tributs  du  Zouagha,  et  se  ruaient,  au  nombre  d'environ  quatre  mille,  dans 
la  vallée  de  l'Oued -Eudja,  chassant  devant  eux  les  populations  eflrayécs.  Le 
11  juillet,  ils  arrivaient  devant  Milah,  dont  ils  croyaient  s*emparer  sans  coup 
férir,  mais  dont  la  petite  garnison  leur  résista  victorieusement. 

La  ville  était  heureusement  assez  bien  fortifiée;  l'enceinte,  constituée  par 
de  vieux  remparts  romains,  était  bien  en  ruines  sur  plusieurs  points;  mais, 
la  population  ayant  activement  secondé  nos  soldats,  les  plus  importantes  de 
ces  brèches  avaient  été  réparées.  Lo  12,  excités  par  celte  résistance  à  laquelle 
ils  ne  s'attendaient  pas,  les  rebelles  tentèrent  un  violent  assaut  qu'ils  virent 
encore  échouer.  Ilepoussés,  décimés,  ayant  subi  des  pertes  considérables,  ils 
se  retirèrent  à  distance,  et,  renonçant  alors  à  ce  genre  d'attaque,  ne  cher- 
chèrent plus  qu'à  user  l'énergie  des  défenseurs  en  les  harassant  au  moyen  de 
continuelles  alertes  de  nuit.  Ces  derniers ,  qui  avaient  déjà  subi  quelques 
pertes,  et  que  leur  petit  nombre  condamnait  à  rester  en  permanence  sur  les 
remparts,  se  trouvèrent,  en  effet,  bientôt  exténués  par  cette  veille  ininter- 
rompue, et  nul  doute  qu'ils  n*eussent  fini  par  succomber,  accablés  par  la 
fatigue,  si  on  ne  fût  venu  à  leur  secours. 

Mais  le  danger  était  trop  pressant  pour  qu'on  ne  prit  pas  immédiatement 
des  mesures  pour  le  conjurer.  Une  colonne  fut  hâtivement  organisée  à  Con- 
stantine et  confiée  au  lieutenant- colonel  Vata,  du  1*^''  hussards,  do  passago 
avec  son  régiment  pour  aller  à  Sélif.  Cette  colonne  comprenait  :  une  com- 
pogniedu  3^  zouaves,  une  autre  du  3<^  Tirailleurs  (capitaine  Sauvage),  cent 
chasseurs  d'Afrique  à  pied  et  environ  quatre  cents  hommes  du  1*^^  régiment 
de  hussards.  L'infanterie  était  sous  les  ordres  du  commandant  llapp,  du 
3»  Tirailleurs. 

Ces  troupes  quittèrent  Constantine  le  12  juillet,  à  deux  heures  du  soir, 
pour  aller  coucher  à  Ain-Kerma.  Le  lendemain ,  la  marche  reprit  de  bonne 
heure  et  se  poursuivit  jusqu'à  l'Oued-Kotton,  où  l'on  fit  le  café.  Le  pays 
paraissait  tranquille,  et  Ton  savait  que  ce  n'était  qu*à  partir  de  ce  point  qu'on 
pouvait  soudain  faire  la  rencontre  de  l'ennemi.  Mais  celui-ci  ne  se  montra 
nulle  part,  et,  vers  onze  heures,  on  atteignit  les  hauteurs  au  sud  de  Milah, 
sans  autres  renseignements  sur  son  compte  que  ceux  recueillis  pendant  la 
route  auprès  des  indigènes,  qui,  selon  leur  habitude,  n'avaient  pas  manqué 
de  les  exagérer.  D'oprès  eux,  le  nombre  des  insurgés  qui  bloquaient  la  place 


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[1871]  KN  ALGÉRIE  419 

ne  s'élevait  pas  à  moins  de  huit  mille.  Si  la  chose  était  vraie,  il  y  avait  fort  à 
craindre  que  Si-Saftdoun  ne  fût  venu  se  joindre  à  Mouley-Chekfa  avec  les 
contingents  qui  assiégeaient  Djidjelli,  et  alors  la  petite  colonne  se  trouvait 
bien  faible  pour  faire  face  à  des  forces  aussi  considérables  d*autant  plus  que, 
presque  entièrement  composée  d'hommes  voyant  l'Afrique  pour  la  première 
ibis,  elle  se  trouvait  très  éprouvée  par  celte  difficile  étape  que  la  chaleur 
accablante  de  juillet  avait  rendue  plus  difficile  encore. 

Rendu  perplexe  par  cette  situation,  dont  il  mesurait  toute  la  gravité,  le 
lieutenant- colonel  Vata  arrêta  ses  troupes,  hésitant  entre  le  parti  d'une 
attaque  immédiate  et  celui  d'attendre  des  renforts.  Mais,  dans  ce  dernier  cas, 
qu'allait  devenir  la  garnison?  Etait-elle  capable  de  résister?  N'était-ce  pas 
déjà  trop  tard?  Et,  décidé  &  agir  suivant  les  besoins  plus  ou  moins  pressants 
de  celle-ci,  il  envoya  quelques  reconnaissances  pour  se  rendre  compto  du 
véritable  état  de  choses.  Ces  dernières  rentrèrent  bientôt  avec  quelques  cap- 
tures, et  Ton  eut  enfin,  par  des  gens  du  pays,  des  indications  précises  sur 
les  insurgés  :  la  vérité  était  qu'à  l'annonce  de  l'arrivée  de  la  colonne,  Mouley- 
Chekfa  s'était  retire  vers  le  nord  avec  le  gros  de  ses  bandes,  et  qu'il  ne  restait 
plus  que  quelques  centaines  d*ennemis  dans  les  environs. 

A  une  heure  de  l'après-midi,  le  convoi  ayant  serré  et  les  hommes  pris 
quelque  repos,  la  colonne  se  remit  en  mouvement  pour  descendre  vers  Milah  ; 
le  commandant  Rapp,  avec  l'infanterie,  se  dirigea  vers  les  portes  de  la  ville, 
la  cavalerie  se  porta  vers  l'ouest  pour  envelopper  celle-ci  et  couper  la  retraite 
aux  rebelles  attardés  dans  les  jardins.  Ces  mouvements  s'effectuèrent  sans 
que  la  garnison  donnât  signe  de  vie;  enGn,  après  que  nos  escadrons  eurent 
parcouru  la  campagne  pour  la  débarrasser  des  derniers  groupes  qui  y  erraient 
encore;  que  le  capitaine  Sauvage  eut  fouillé  les  bois  et  les  jardins  avec  sa 
compagnie,  et  foit  fusiller  tous  les  individus  pris  les  armes  à  la  main,  on 
trouva  celte  dernière  saine  et  sauve,  mais  épuisée  par  une  veille  de  trois  jours 
et  do  trois  nuits.  Dans  la  journée  du  12,  la  section  du  lieutenant  Mustapha 
avait  eu  un  homme  tué,  le  sergent  Flacon.  Cette  section  comptait  en  outre 
quelques  blessés. 

Après  avoir  dégagé  Milah,  le  lieutenant- colonel  Vata  installa  son  camp  au 
sud  de  la  ville,  et  garda  cette  position  pendant  deux  jours;  il  alla  ensuite 
s'établir  non  loin  de  l'Ouel-el-Kébir,  sur  la  rive  droite  de  l'Oued-Milah,  en 
face  des  pentes  du  Zouahra.  Les  17,  18  et  19  juillet,  des  reconnaissances 
envoyées  dans  les  environs  signalèrent  de  nombreux  rassemblements,  qui 
chaque  jour  se  rapprochaient  du  camp.  Chaque  nuit  celui-ci  était  attaqué. 
Il  avait  été  heureusement  bien  établi,  mais  le  trop  grand  nombre  de 
chevaux  présentait  un  grand  inconvénient  et  obligeait  à  une  surveillance  des 
plus  actives. 

La  situation  politique  devenait  mauvaise  :  les  rebelles  savaient  très  bien 
que  Constantine  était  entièrement  dégarni,  et,  comptant  voir  sa  population 
indigène  se  soulever ,  ils  redoublaient  d'efforts  pour  que  l'insurrection  se  rap- 
prochât de  cette  ville  et  gagnât  les  tribus  voisines  de  la  route  de  Philippeville  ; 
les  gens  du  Zouagha,  les  Beni-Ider,  les  Askers,  les  Beni-Mimoum,  les  Beni- 
Khettab,  les  Ouled-Ali,  etc.,  étaient  en  pleine  rébellion;  les  Mouias,  ne  se 


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420  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1871  ] 

sentant  pas  protégés,  penchaient  cliaque  jour  vers  la  défection  ;  la  population 
de  Milah  elle-même  n'était  pas  très  sûre;  bref,  il  y  avait  à  craindre  les  plus 
graves  complications,  lorsque  l'arrivée  du  général  de  Lacroix,  nommé  au 
commandement  de  la  division,  vint  tout  à  coup  donner  une  autre  physio- 
nomie à  la  lutte,  et  ruiner  les  dernières  espérances  des  insurgés. 

Le  19  juillet,  alors  que  les  Arabes  croyaient  nos  ressources  épuisées,  une 
nouvelle  colonne  fut  organisée  à  Constantine  et  placée  sous  les  ordres  du 
lieutenant-colonel  Aubry,  du  régiment.  Elle  comprenait  :  une  compagnie  du 
3<)  zouaves,  trois  compagnies  de  Tirailleurs  (la  3<>  du  !<'<'  bataillon,  lu  7»  du 
2«,  et  la  1^  du  3«)  et  une  section  d'artillerie  de  montagne.  Le  lendemain, 
elle  rejoignit  celle  du  lieutenant- colonel  Yata,  et  son  arrivée  permit  de  ren- 
voyer deux  escadrons  de  hussards.  Le  23,  elle  se  grossit  de  trois  compagnies 
du  3®  zouaves,  et,  le  24,  d'une  autre  compagnie  de  Tirailleui*s  :  la  S«  du  i^ 
bataillon.  Ces  renforts  arrivaient  à  temps  :  enhardis  par  noire  inaction  forcée, 
les  Kabyles  s'étaient  considérablement  rapprochés  du  camp,  et,  dans  la  nuit 
du  24  au  25,  ils  tentèrent  sur  celui-ci  une  furieuse  attaque  qui  fut  partout 
repoussée,  mais  qui  eût  pu  être  autrement  dangereuse  quelques  jours  aupa- 
ravant. 

A  la  suite  de  cet  insuccès,  Mouley-Chekfa  se  relira  à  Zeraîa,  afin  de  rallier 
de  nouveaux  contingents  du  Zouagha  inférieur.  Pendant  ce  temps,  une 
douzième  bande  de  révoltés  du  cercle  de  Collo  incendiait  les  forêts  de  la  partie 
ouest  du  district,  et  menaçait  Bou-Nouara,  où  ne  se  trouvait  qu'une  com- 
pagnie de  zouaves.  Plus  au  nord,  dans  le  cei*cle  d'ËI-Milia,  le  pays  s^était 
également  soulevé  à  la  voix  de  Mohamed-ben-Fiala.  Ce  dernier,  ayant  échoué 
dans  une  attaque  contre  le  bordj,  s'avançait  maintenant  sur  le  territoire  des 
Beni-Tlilen,  pour, gagner  le  col  d*Klma-el-Ahiod  et  donner  la  main  à 
Mouley-Chekfa,  qui,  prévenu,  se  portait  de  son  celé  au  confluent  de  l'Oued- 
Mclati  et  do  l'Oued -cl -Kébir.  11  fallait  ù  tout  prix  empêcher  cette  jonction; 
si  elle  s'opérait,  Aïn-Kcrniu,  Hizot,  le  llununu,  toute  la  ligne  ferréo,  et 
même  les  faubourgs  de  Constantine  pouvaient  être  menacés.  Jamais  peut-dire 
le  danger  ne  s'était  montré  aussi  près  et  aussi  immédiat. 

Le  27  juillet,  le  lieutenant-colonel  Aubry  se  mit  à  la  tête  de  huit  compa- 
gnies, dont  quatre  de  zouaves  et  quatre  de  Tirailleurs  »  de  deux  pelotons 
de  hussards  et  d'une  section  de  montagne,  et,  laissant  la  garde  du  camp 
au  commandant  Dubuche,  du  3*  zouaves,  marcha  à  la  rencontre  des  re- 
belles. 

Partie  de  Milah,  à  quatre  heures  du  matin,  cette  colonne  suivit  l'Oued- 
Milah  jusqu'à  son  confluent  avec  POued-el-Kébir,  et  passa  cette  dernière 
rivière  au  point  dit  Kef- Andjibar.  A  dix  heures  du  matin ,  elle  arrivait  à  Aîn- 
Seba,8ur  la  rive  droite  de  l'Oued -Cherchan.  Toutes  les  crêtes  de  la  rive 
gauche,  dans  la  direction  de  Bou-Nouara,  étaient  couvertes  de  rassemble- 
ments. On  fit  le  café  ;  puis  l'infanterie  fut  divisée  en  deux  groupes,  et  s'élança 
à  Pattaquo  des  positions  occupées  par  l'ennemi ,  pendant  que  la  cavalerie 
essayait  de  les  tourner.  Ces  positions  furent  successivement  enlevées,  après 
un  combat  qui  ne  dura  pas  moins  de  quatre  heures,  et,  le  soir,  le  camp  fut 
établi  à  Bou-Nouara,  sur  la  rive  droite  de  l'Oued -Dieb.  Grâce  à  la  vigueur 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  *  421 

déployée  par  Ic8  Tirailleurs ,  cetle  journée  décisive  ne  coûtait  que  quelques 
blessés  au  régiment. 

Cette  démonstration  eut  tout  le  succès  qu'on  en  attendait  :  les  insurgés  se 
virent  rejetés  vers  le  Zouagha;  les  abords  de  Philippeville  et  le  territoire  de 
Jcmmnpes  furent  sauvés  de  la  dévastation  dont  ils  étaient  menacés;  les 
Mouîas  n*abandonn&rcnt  pas  notre  cause,  et  Constantino  fut  définitivement 
à  Tabri  d*un  coup  de  main. 

Après  un  jour  de  repos  &  Bou-Nouara,  le  29,  la  colonne  se  rendit  à  Sbuk- 
cl-Ami,  au  pied  du  Messid-bcn-AIssa,  dans  une  excellente  position  lui  per- 
mettant d'observer  tous  les  mouvements  de  Tcnnemi,  tout  en  couvrant 
Milah,  qui,  la  nuit  précédente,  avait  été  vainement  attaqué.  Le  soir,  au 
moment  où  les  troupes  établissaient  leur  bivouac,  elles  furent  assez  vivement 
inquiétées  par  des  Kabyles  embusqués  dans  les  rochers.  Mais  la  3*  compagnie 
du  l^^  bataillon  ayant,  avec  un  merveilleux  entrain,  escaladé  les  pentes 
abruptes  de  la  montagne,  les  rebelles  se  virent  bientôt  chassés  de  ce  refuge, 
où  ils  n'essayèrent  pas  de  revenir.  Cependant  le  lendemain ,  pendant  que  le 
goum  et  deux  compagnies  d'infanterie  elTectuaient  une  reconnaissance,  sous 
les  ordres  du  capitaine  Villot,  du  bureau  arabe,  la  face  sud  du  camp  fut 
vigniircnsotnent  nllni|iiéo.  Deux  compagnies  de  Tirailleurs  (la  7®  du  3«  ba- 
taillon et  la  4<»  du  4)  prirent  aussitôt  les  armes,  sortirent  du  camp  et,  bril« 
lammcnt  entraînées  par  leurs  officiers,  culbutèrent  partout  Tennemi,  qui  fut 
poursuivi  juqn'à  TOued-cl-Kébir.  Les  pertes  de  ce  dernier  furent  considérables; 
celles  des  Tirailleurs  s'élevaient  à  trois  hommes  blessés. 

Le  31  juillet,  par  suite  de  l'arrivée  à  Milah  du  8«  provisoire,  les  compa- 
gnies de  zouaves  et  de  Tirailleurs  laissées  dans  ce  poste  rejoignirent  la  colonne 
Aubry.  Le  régiment  se  trouva  alors  représenté  dans  celle-ci  par  cinq  compa- 
gnies, savoir  :  la  3®  du  l*""  bataillon,  la  7«  du  2%  la  7*  du  3%  et  enfin  les  4« 
et  5*^  du  4<)  bataillon.  Ce  détachement  formait  un  bataillon  de  marche  sous 
les  ordres  du  commandant  Rapp. 

Malgré  ces  succès,  la  situation  restait  encore  fort  difficile.  Résolu  d'en  finir 
rapidement,  le  général  de  Lacroix  décida  qu'il  prendrait  lui-même  la  direction 
des  opérations  dans  cette  partie  de  la  province,  et,  le  2  août,  il  se  rendit  à 
Milah,  où  il  appela  immédiatement  la  colonne  Flogny  (ancienne  colonne 
Louis),  qui  opérait  alors  sur  la  droite  du  général  Saussier.  Celle-ci  l'ayant 
rejoint  le  4,  il  se  dirigea  le  môme  jour  sur  Sidi-Mérouan,  ne  laissant  à  Milah 
qu'une  faible  garnison ,  avec  le  capitaine  Fargue ,  du  régiment ,  comme 
commandant  supérieur. 

A  Sidi-Mérouan- se  trouvait  déjà  le  lieutenant-colonel  Aubry;  le  général 
réunit  les  deux  colonnes,  en  forma  une  seule  brigade  expéditionnaire,  et  se 
prépara  h  parcourir  tonte  la  Kabylie  orientale,  pour,  faire  disparaître  les 
derniers  symptômes  de  résistance. 

Avec  la  colonne  Flogny  était  arrivée  une  nouvelle  compagnie  du  3*  Tirail- 
leurs (la  l^^  du  2»  bataillon  :  capitaine  Giraud)  et  une  autre  du  1*^  Tirailleurs. 
Ces  deux  compagnies  formaient,  pour  le  moment,  un  détachement  à  part, 
sous  les  ordres  du  commandant  Crouzet. 

Le  6,  ce  détachement  et  la  colonne  du  lieutenant- colonel  Aubry  eurent 


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4aa  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (l87l] 

pour  mission  do  razzor  les  silos  aulour  du  camp.  Lo  commandant  Croiizol 
devait  exécuter  celte  opération  à  l'ouest,  le  lieutenant-colonel  Aubry  à  Test. 
A  six  heures  du  soir,  tout  était  terminé.  Le  lendemain,  trots  compagnies  de 
zouaves,  deux  de  Tirailleurs  et  trois  pelotons  de  hussards  Grent  une  nouvelle 
sortie ,  sous  les  ordres  du  commandant  Rapp ,  et  brûlèrent  les  plus  importants 
des  villages  des  Ouled-Yahia.  Le  soir,  cette  petite  troupe  campa  à  Moul- 
Abbès,  où  elle  fut  rejointe,  le  8,  par  le  lieutenant- colonel  Aubry,  avec  le 
restant  de  sa  colonne. 

Le  9,  la  brigade  entière  se  porta  en  avant.  L'objectif  était  Feldj-Beînem. 
Formant  la  droite,  le  lieutenant- colonel  Aubry  se  mit  en  route  ù  cinq  heures 
du  matin ,  se  dirigeant,  par  Dar-el-Hamera ,  sur  Beyloul ,  où  il  devait  rejoindre 
le  général  de  division,  qui  marchait  au  centre.  A  gauche,  venaient  la  colonne 
Flogny  et  le  détachement  Crouzet. 

A  peine  nos  troupes  eurent- elles  quitté  leurs  bivouacs,  que  les  Kabyles 
se  montrèrent  sur  la  droite  et  essayèrent  d'inquiéter  la  colonne  Aubry.  Mais 
celle-ci  les  maintint  à  distance  jusqu'à  ce  qu'elle  eût  effectué  sa  jonction  avec 
celle  du  général.  A  ce  moment,  le  colonel  envoya  une  compagnie  de  zouaves 
et  une  autre  de  Tirailleurs  attaquer  les  rebelles ,  qui  se  retirèrent  précipitam- 
ment. Pendant  ce  temps,  la  compagnie  Giraud  prenait  part,  sur  la  gauche, 
à  une  poursuite  acharnée  qui  eut  pour  eflct  de  précipiter  la  retraite  do  l'en- 
nemi vers  le  versant  nord  du  Djebcl-Djema.  Cette  compagnie  fil  éprouver  des 
pertes  considérables  aux  Kabyles,  et  eut  elle-même  un  homme  blessé. 

Le  lendemain ,  il  y  eut  repos.  Les  Tirailleurs  algériens ,  constituant  main- 
tenant un  groupe  de  sept  compagnies,  dont  une  du  l*^''  régiment  et  six  du  3«, 
furent  organisés  en  deux  bataillons,  sous  les  ordres  immédiats  des  comman- 
dants Crouzet  et  Rapp,  et  le  commandement  supérieur  du  lieutenant-colonel 
Aubry. 

Le  11,  quatre  compagnies  du  régiment  (  i^  et  7«  du  2^  bataillon,  7*  du  3«, 
et  4<*  du  i9)  et  deux  du  7«  provisoire  quittèrent  le  camp  à  quatre  heures  du 
matin  pour  aller,  sous  les  ordres  du  lieutenant -colonel  Aubry,  brûler  les 
villages  et  détruire  les  récoltes  des  Ouled-Rechia.  Guidée  par  le  capitaine 
Sergent,  du  bureau  arabe,  cette  petite  colonne  se  dirigea  vers  le  rocher  de 
Settara,  au  pied  duquel  elle  eut,  dans  la  vallée  de  l'Oued -Ouedia,  un  assez 
vif  engagement  qui  lui  coûta  neuf  hommes  blessés,  dont  sept  appartenant 
aux  Tirailleurs.  A  midi,  ces  troupes  rentraient  au  camp. 

Le  12,  le  colonel  Flogny  pénétra  dans  le  Zouagha  supérieur.  liCS  compagnies 
du  régiment  qui  n'avaient  pas  marché  la  veille,  c'est-à-dire  la  3^  du  l^*''  ba- 
taillon et  la  8*  du  4<>,  se  joignirent  à  sa  colonne  pour  cette  démonstration. 

Ces  diverses  opérations  n'ayant  pu  déterminer  les  Rechia  à  faire  leur 
soumission ,  le  14 ,  toutes  les  troupes  se  portèrent  sur  le  territoire  de  cette 
tribu.  La  colonne,  formant  deux  groupes,  se  dirigea,  en  passant  au  pied  du 
rocher  de  Settara,  sur  l'Oued -Ouedia,  dont  la  vallée,  assez  encaissée,  était 
encore  parcourue  par  de  nombreux  contingents  qui  s'y  croyaient  en  sûreté. 
L'attaque  se  prononça  depuis  le  gué  de  Bouchekem  jusqu'au  pied  oriental  du 
Kof-Sidi-Maarouf ;  tous  les  gourbis  ot  villages  do  la  rive  droite  furent  brûlés 
ou  détruits.  Passant  ensuite  la  rivière,  deux  compagnies  de  Tirailleurs,  celle 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  423 

du  l*:**  régiment  et  la  9^  du  !<'■'  bataillon  (lieutenant  Ilamel],  joignirent  les 
groupes  en  fuite  sur  la  rive  gauche,  les  poursuivirent  jusqu'au  sommet  du 
Bou-Thouil  et  leur  firent  subir  des  pertes  sérieuses.  A  dix  heures,  l'action, 
qui  avait  été  assez  vive  au  début,  était  terminée,  et  la  colonne  se  mettait  en 
retraite,  inquiétée  seulement  par  quelques  fanatiques  qui  tiraillèrent  sur  Tar- 
rièrc-garde  jusqu*au  col  de  Settara.  Les  bataillons  du  régiment  rentraient 
avec  deux  hommes  blessés. 

Le  lendemain  15,  le  camp  fut  porté  à  FeIdj-el-Arba  ;  le  17,  à  EI-Arroussai 
et,  le  20,  &  Mharcka.  Partout  maintenant  la  résistance  était  tombée.  Ce 
môme  jour,  Mohamed-ben-Fîala ,  se  voyant  abandonné  de  tous  les  siens,  vint 
faire  sa  soumission  au  général.  Le  22,  on  arriva  à  El-Milia;  le  24,  on  se 
dirigea  sur  le  territoire  des  Mechat.  Au  moment  de  la  grand'halte,  le  lieu* 
tcnant-coloncl  Aubry  reçut  l'ordre  d'aller ,  avec  le  goum  et  les  Tirailleurs , 
brûler  les  villages  de  celte  tribu,  qui  s'était  toujours  signalée  par  son  hostilité 
à  notre  égard.  Cette  opération  réussit  pleinement;  seulement  il  était  dix 
heures  du  soir  lorsque  les  Tirailleurs  rejoignirent  les  autres  troupes  à 
lleilmann-dt->Tarset,  où  le  bivouac  avait  été  installé. 

Le  26,  la  colonne  arriva  &  Souk-el-Khamis.  Là  elle  s'affaiblit,  le  28,  de 
tontos  Ion  troupes  sous  les  ordres  du  colonel  Flognj,  qui  furent  dirigées  sur 
Batna.  Le  31,  on  campa  &  Bou-Adjoul;  le  l^r  septembre,  à  Sidi-Ouerta;  le 
2,  à  Kef-Koiba;  le  3,  à  Chekfa;  le  7,  à  Dar-el-Guidjali,  sur  les  deux  rives 
de  rOued-Mencha.  Le  8,  on  s'arrêta  sur  l'Oued-Kisser,  à  un  kilomètre  de  son 
embouchure  et  &  vingt-trois  seulement  de  Djidjelli.  Les  deux  compagnies  qui 
avaient  concouru  à  la  défense  de  cette  place  (5«  et  6«  du  2»  bataillon)  vinrent, 
ce  môme  jour,  se  joindre  au  détachement  du  lieutenant- colonel  Aubry,  qui 
comprit  alors  huit  compagnies  du  3«  Tirailleurs. 

Le  11  septembre,  eut  lieu  une  brillante  razzia.  Les  troupes  se  trouvant 
campées  à  Dar-el-Oucd ,  on  forma  une  colonne  légère  dont  firent  partie  trois 
cents  Tirailleurs,  et  dont  le  commandement  fut  donné  au  colonel  Ritter.  Cette 
colonne  se  dirigea  sur  le  territoire  des  Benî-Marmi,  atteignit  la  population  en 
fuite,  et  rentra  à  deux  heures  et  demie  avec  quelques  otages  et  de  nombreux 
troupeaux. 

Le  13,  la  colonne  atteignit  Ziama.  Elle  avait  parcouru,  dans  sa  partie  la 
plus  difficile,  toute  la  Kabylic  orientale,  et  laissait  derrière  elle  un  pays  en- 
tièrement soumis.  Pour  achever  cette  œuvre  de  pacification,  que  les  mesures 
énergiques  prises  par  le  général  avaient  sensiblement  précipitée,  il  lui  restait 
maintenant  à  contourner  les  Babors  pour  descendre  vers  Sélif ,  et  de  là  se  di- 
riger au  travers  deJa  région  montagneuse  du  Hodna,  sur  le  massif  des  Mafldhid 
et  celui  du  Bou-Thaleb ,  où  nous  avons  vu  que  s'étaient  réfugiés  les  principaux 
chefs  de  rinsurrcclion. 

Ce  mouvement  commença  le  16.  Ce  jour-là,  le  bivouac  fut  établi  à  El- 
Mekhogel;  le  17,  ù  Afsa;  le  21 ,  à  Khenag-el-IIadj,  au  pied  des  Babors;  le 
25,  à  Gueslaoual;  le  26,  à  Aîn-Kebira;  le  29,  sur  l'Oued-Dehib,  et  enfin,  le 
30,  à  Saint- Arnaud,  où  sept  compagnies  du  régiment,  sous  les  ordres  du 
commandant  Ferrandi,  attendaient  la  colonne  au  passage;  c'étaient  les  2*  et 
5*  du  l«f  bataillon ,  les  l'«  et  2«  du  3*  et  les  1'%  2«  et  6*  du  4*. 


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424  LE  Z^  RÉQIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [I87l] 

Il  ne  restait  plus,  avons -nous  dit,  qu'à  réduire  quelques  tribus  du  Hodna 
pour  que  l'ordre  fût  partout  rétabli.  C'est  en  vue  de  ce  résultat  flnal  que  le 
général  de  Lacroix,  en  même  temps  qu'il  se  portait  lui-même  au  centre  du 
pays  dissident,  ordonna  la  marche  concentrique  des  colonnes  Bonvalet,  Thi- 
baudin ,  Flogny  et  Saussier,  marche  dont  nous  avons  déjà  eu  à  parler,  et  dont 
il  ne  nous  reste  à  voir  que  ce  qui  intéresse  la  colonne  de  Kabylie. 

Le  départ  de  Saint-Arnaud  eut  lieu  le  3  octobre.  Le  soir,  on  campa  à  Guid- 
jel;  lo  Icndeinain,  à  Molloul;  le  5,  à  Ras-el-Am;  le  6,  à  Aîn-Rummcl,  au 
pied  du  Bou-ïhalcb.  Le  7  au  malin ,  rinfanterie  laissa  ses  sacs  sur  les  mulets 
et  pénétra  dans  la  montagne  par  deux  côtés  à  la  fois  :  à  droite,  le  lieutenant- 
colonel  Aubry  avec  les  Tirailleurs  (moins  deux  compagnies')  et  une  pièce  d'ar- 
tillerie; à  gauche,  le  général  avec  les  autres  bataillons.  Partie  avant  le  jour, 
la  colonne  de  droite  vint  déboucher  au  fond  du  ravin  où  coule  l'Oued-Arras ,  et 
là  se  heurta  à  une  assez  vive  résistance  tentée  par  les  insurgés,  qui  occupaient 
les  hauteurs  de  la  rive  gauche.  Envoyée  pour  déloger  l'ennemi ,  la  compagnie 
du  lieutenant  Clerc  gravit  ces  hauteurs  au  pas  de  course ,  en  chassa  les  re- 
belles, qu'elle  poursuivit  longtemps  de  son  feu ,  pendant  que  l'artillerie  et  deux 
autres  compagnies ,  passant  sur  la  rive  droite,  prenaient  position  et  achevaient 
la  déroute  de  ces  derniers,  qui  s'enfuirent  définitivement  en  nous  abandonnant 
leurs  troupeaux.  A  gauche,  les  dissidents  tentèrent  bien  aussi  à  diverses 
reprises  d'arrêter  la  colonne  du  général ,  qui  suivait  la  route  directe  du  Bou- 
Thaleb;  mais  la  5<^  compagnie  du  4«  bataillon  (capitaine  Wissanl)  força  le 
passage  et  dispersa  rapidement  les  fuyards.  A  neuf  heures,  la  montagne  était 
franchie,  et  la  colonne  s'établissait  sur  l'Oued-Arras.  Nos  pertes  s'élevaient  à 
trois  Tirailleurs  blessés. 

Le  11  octobre,  eut  encore  lieu  une  importante  razzia  qui  conduisit  nos 
troupes  à  la  mcrdja  du  Djebel- Afghan ,  au  sud  de  la  maison  forestière.  liC  13, 
lo  camp  fut  porlé  à  Tafsert.  Le  15,  on  atteignit  Ain-Adoula,  où,  le  lendemain, 
Ahmed-bey  vint  se  rendre  au  général.  Lu  25,  on  bivouaqua  à  Sidi-Alxlallaii; 
le  27,  à  Scimou,  et,  le  2U,  à  M'Sila,  où  se  trouvait  la  colonne  Saussier,  déjà 
en  voie  de  dissolution.  ' 

On  resta  à  M'Sila  jusqu'au  3  novembre.  N'y  laissant  alors  que  le  capitaine 
Fargue  avec  une  faible  garnison,  le  général  se  dirigea  sur  Bou-Saftda.  Le  5, 
une  colonne  légère,  composée  de  toute  la  cavalerie,  des  goums  du  comman- 
dant Rose  et  du  capitaine  Beaumont,  et  de  deux  cents  Tirailleurs  montés  à 
dos  de  mulet,  alla,  sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel  Aubry,  razzer  les 
Madhi,  qui  n'avaient  point  encore  fait  leur  demande  de  soumission.  Cette  tribu 
fut  complètement  cernée,  et  tous  ses  troupeaux  tomberont  en  notre  pouvoir* 

Le  17,  la  marche  reprit;  mais,  au  lieu  de  suivre  la  route  du  chott,  le  gé- 
néral appuya  à  Touest  pour  passer  par  Chellal,  Ain-Chemara,  Ain-Kerman, 
OgIet-el-Beida,  Temsa  et  Ain-Seba.  Le  18,  on  arriva  à  Bou-Sa&da,  où  l'on 
resia  jusqu'au  22.  Ce  jour-là,  on  alla  campera  Aîn-Roumana,  qu'on  quitta 
le  22  pour  se  porter  à  Defta.  De  Defla ,  on  se  rendit  à  Mouchemal ,  et  de  là  sur 
rOued-Melah,  d'où  une  colonne  légère,  comprenant  cinquante  cavaliers  et 
cent  Tirailleurs  choisis  parmi  les  meilleurs  marcheurs,  alla,  sous  les  ordres 
du  commandant  Rose,  razzer  les  Ouled-Rahma.  Le  28,  pendant  que  le  gros 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  425 

des  troupes  se  dirigeait  sur  TOued-Mouilia,  une  autre  colonne  légère,  encore 
sous  les  ordres  du  commandant  Rose,  et  dans  laquelle  se  trouvaient  deux  com- 
pagnies de  Tirailleurs  (5*  et  6®  du  2,^  bataillon),  deux  autres  du  8"  provisoire 
et  un  escadron  de  cavalerie ,  en  était  détachée  pour  opérer  isolément  pendant 
quelques  jours. 

Le  1°''  décembre,  la  colonne  do  Lacroix  arrivait  sur  TOued-Tomda.  Le  soir 
du  même  jour,  le  lieutenant-colonel  Masson,  chef  d'ctat-major,  se  mettait 
à  la  tête  de  la  cavalerie,  de  trois  cents  Tirailleurs  montés  à  dos  de  mulet, 
et  pnrlait  à  la  recherche  des  Ouled-Zakhri.  Après  avoir  marché  toute  la  nuit, 
ce  détachement  rentra  au  camp  sans  avoir  rien  vu. 

Le  3 ,  on  quitta  TOued-Tcmda  pour  aller  coucher  à  El-Bar.  Le  4 ,  on  arriva 
à  El-Amri;  le  6,  à  Zaatcha;  le  7,  à  Ain-Oumanah,  et,  le  8,  à  Biskra.  Là 
quelques  jours  de  repos  furent  nécessaires  pour  tout  préparer  pour  une  expédi- 
tion dans  Textrôme  sud  de  la  province.  EnRn,  le  14,  on  se  mit  en  route  pour 
Tuggurt,  où  Ton  arriva  le  27,  après  être  passé  par  Zebaret-en-Noua,  Talr- 
Tafsou,  Chegga,  Sétil,  Coudiat-el-D'hor,  Merayer,  Sidi-Khetil,  Tinedia,  Our- 
lana,  Tamcrza,  Sidi-Rachcd  et  R'hamra. 

A  Tuggurt  s'étaient  déroulés  de  graves  événements  :  la  garnison,  fournie 
tout  entière  par  le  n^gimcnt,  y  avait  été  massacrée.  La  ville,  après  avoir 
trempé  dans  ce  complot,  avait  ouvertement  résisté  à  notre  caïd,  Ali -boy,  et 
ce  n*élait  que  depuis  un  mois  et  demi  environ  qu'elle  était  rentrée  dans  l'obéis- 
sance, à  la  suite  de  l'intervention  d*Abmed-bou-LakraS'ben-Ganah,  nommé 
cald  à  la  place  d*Ali-bey  destitué. 

Dès  son  arrivée,  le  général  de  Lacroix  fit  procéder  à  une  rigoureuse  enquête 
qui  devait  bientôt  amener  Tarrestation  des  principaux  coupables,  et  faire  con- 
naître enfin  tous  les  détails  de  ce  drame  sanglant,  Tun  des  plus  franchement 
barbares  que  nous  ofire  Thistoire  des  insurrections  algériennes,  et  certaine- 
ment le  plus  émouvant  qui  soit  dans  le  passé  du  3»  Tirailleurs. 


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CHAPITRE  IV 


Massacre  de  la  garnison  de  Tugguri(i3, 14  et  15  mai  1871). 


Au  début  do  l'insurrection,  la  garnison  do  Tuggurt  était  sous  les  ordres  du 
lieutenant  indigène  Amou-ben-Mousseli,  vieil  officier  sur  Téncrgie  et  le  dé- 
vouement duquel  on  pouvait  entièrement  compter.  Elle  se  composait  de  deux 
sergents,  de  deux  caporaux  et  de  soixante-trois  Tirailleurs,  prélevés  sur  toutes 
les  compagnies  du  régiment.  Il  ne  s*y  trouvait  qu'un  seul  Français,  le  sergent 
Basile. 

A  cette  époque  le  sud  de  la  province  de  Ck)nslanline,  sans  rester  complè- 
tement étranger  à  ce  qui  se  passait  dans  le  nord,  n*était  cependant  point  en- 
core en  état  de  rébellion  :  l'agitation,  au  lieu  de  s'y  manifester  ouvertement 
contre  nous,  s'y  traduisait  plutôt  en  une  proronde  anarchie  dont  la  consé- 
quence était  le  réveil  des  vieilles  haines  de  tribu  à  tribu,  et  de  la  rivalité  de 
certaines  grandes  familles,  les  unes  encore  puissantes,  les  autres  déchues  et 
cherchant  à  refaire  leur  fortune.  De  partout  on  y  voyait  accourir  des  intrigants 
prêts  à  profiter  de  ces  divisions  pour  se  rendre  tout-puissants  :  tels  étaient 
Naceur-ben-Chora,  ancien  agha  des  LarbAa  do  Laghouat,  et  Mahi-el-Din,  fils 
de  Tex-émir  Abd-el-Kader.  C'était  en  quelque  sorte  chez  les  indigènes  une 
vaste  guerre  civile  qui  se  préparait,  en  vue  du  partage  de  notre  succession, 
considérée  comme  ouverte  par  tous  les  partis. 

Les  choses  en  étaient  là ,  lorsque,  vers  la  fin  du  mois  de  mars,  on  apprit  tout 
à  coup  la  prise  d'Ouargla  par  un  prétendu  chérif  du  nom  de  Bou-Choucha  (le 
chevelu).  Ce  nouvel  aventurier,  originaire  de  la  province  d'Oran,  s'appelait 
en  réalité  Mohamed-ben-Toumi-ben-Brahim  ;  depuis  longtemps  célèbre  parmi 
les  populations  de  l'extrême  sud  par  ses  nombreuses  tentatives  de  rébellion, 
ses  jongleries  religieuses  et  quelques  hardis  coups  de  main ,  tels  que  le  sac 
d'EI-Goléah  et  celui  de  Metlili ,  dévoré  d'ambition ,  ennemi  implacable  do  Si- 
Ali-bey-ben-Ferath ,  notre  caïd  de  l'Oued-R'rir,  du  Souf  et  d'Ouargla,  il  s'était 


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[1871]        LE  3"*  RÉGIMENT  DE  TlRAILLEUnS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE  427 

mis  &  la  tôle  cIo  quatrc-vingls  mchara*,  montés  par  une  fraction  des  Chambâa 
insoumis,  avait  marché  contre  Ngoussa ,  oasis  de  la  banlieue  d*0uarg1a,  s'en 
était  rendu  maître  en  intimidant  les  habitants  appartenant  aux  Hekhadma, 
tribu  encore  attachée  &  Ali-bey,  puis,  no  doutant  plus  du  succès  de  son  entre- 
prise, s'était  porté  contre  la  ville  même  d'Ouai^la,  dont  il  s'était  emparé 
après  un  sanglant  combat. 

Au  courant  des  desseins  et  des  menées  de  Bou-Choucha,  Ali-bey  eût  par- 
faitement pu  s'opposer  à  leur  exécution  s'il  les  eût  d'abord  pris  au  sérieux  ; 
mais ,  ne  voulant  pas  croire  &  l'influence  du  chérif,  il  s'était  contenté  d'envoyer 
à  Ouargla  le  cheik  llamou- Moussa,  pensant  que  la  présence  de  ce  représen- 
tant de  son  outorité  suffiroît  à  lui  ramener  les  habitants.  Mais  Hamou-Moussa 
fut  surpris  par  Bou-Choucha,  jeté  en  prison  et  mis  dans  l'impossibilité  d'ac- 
complir sa  mission. 

Ne  pouvant  plus  douter  du  danger  qui  le  menaçait,  Ali-bey  voulut  alors 
recourir  à  des  mesures  énergiques  et  punir  les  Mekhadma,  qu'il  accusait  de 
no  s'être  pas  suffisamment  défendus.  Mais  cette  résolution  tardive  ne  fit 
qu'aggraver  la  situation  :  impitoyablement  razzés,  les  Mekhadma  épousèrent 
définitivement  la  cause  du  chérif,  et  celui-ci,  sûr  désormais  du  concours  dé- 
voué do  gens  dont  le  mobile  était  la  vengeance,  n'hésita  pas  à  se  mettre  en 
campagne  contre  Ali-bey  lui-même  et  à  marcher  sur  l'Oued-R'rir.  Il  s'avança 
jusqu'à  Mégarin,  y  surprit  la  tribu  des  Saïd-Ould-Ahmor,  la  défit  complè- 
tement, fit  subir  le  même  sort  à  Ali-bey,  qui  était  sorti  de  Tuggurt  pour  la  pro- 
téger, puis,  chargé  de  butin ,  reprit  le  chemin  d'Ouargla. 

A  la  suite  de  ce  succès,  le  prestige  du  chérif  n'eut  plus  aucune  borne  : 
toutes  les  tribus  nomades  de  l'Oued -R'rir  et  d'Ouargla  sollicitèrent  secrète- 
ment son  appui.  Quant  &  Ali-bey,  sentant  le  pouvoir  lui  échapper,  ne  se 
croyant  pins  en  sûreté  dnns  Tuggurt,  dont  les  habitants  lui  étaient  ouverte- 
ment hostiles,  il  abandonna  celte  ville  pour  aller  placer  ses  biens  et  sa  famille 
sous  la  protection  des  populations  du  Souf ,  en  les  enfermant  dans  la  petite 
place  de  Guemar.  Là  il  reçut  l'ordre  de  se  rendre  à  Biskra,  auprès  du  lieu- 
tenant-colonel Adeler,  qui  venait  d'y  arriver  avec  une  colonne,  et  le  pays, 
restant  dès  lors  livré  à  lui-même,  se  trouva,  pour  ainsi  dire,  à  la  merci  de 
Bou-Choucha. 

Le  chérif  n'était  pos  homme  à  laisser  passer  une  aussi  belle  occasion  de 
satisfaire  sa  double  haine  contre  la  France  et  contre  Ali-bey;  il  quitta  de 
nouveau  Ouargla,  se  dirigea  vers  le  Souf  en  se  faisant  précéder  par  des  procla- 
mations pacifiques,  se  présenta  devant  Guemar,  tomba  inopinément  sur  cette 
ville,  qui  l'attendait  sans  défiance,  la  pilla,  la  saccagea,  y  mit  tout  à  feu 
et  à  sang,  mais  sans  parvenir  cependant  à  s'emparer  de  la  famille  d'Ali- bey, 
que  Si-Mohamed-Scrir,  frère  du  marabout  de  Temacin,  avait  prise  sous  sa 
protection  dans  la  zaouîa.  Ayant  échoué  dans  une  attaque  contre  celle-ci,  Bou- 
Choucha  se  contenta  alors  d'exiger  une  forte  contribution  de  guerre  des  autres 
villes  du  Souf,  et  se  retira  à  Moulat-el-Caid ,  où  ses  bandes  se  grossirent  rapi- 
dement de  gens  de  toute  provenance  que  l'appftt  du  pillage  attirait  de  tous 

1  Chameaux  de  course. 


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428  LE  a""  RÉQIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (1871  ] 

côtés;  Ali-bey,  qui  &  l'anoonce  du  danger  quo  couraient  les  siens  avait  en 
toute  hâte  quitté  Biskra  pour  se  porter  à  leur  secours,  n'osa  pas  Ty  attaquer 
et  rentra  à  Biskra  avec  ses  femines  et  ses  enfants,  laissant  de  nouveau  le 
champ  libre  aux  insurgés. 

Devenu  ainsi  le  seul  chef  réel  du  pays,  Bou-Choucha  se  dirigea  sur  Temacin 
dans  le  but  de  se  venger  sur  le  marabout  Si-Mohamed-cl-Aid  de  l'écliec  qu'il 
avait  subi  devant  la  zaouia  de  Guemar.  Mais,  pour  détourner  l'orage,  Si- 
Mohame<l-el-Aîd  lit  répandre  la  fausse  nouvelle  quo  le  magtaen^  d'Ali -boy 
était  sorti  de  Tuggurt  pour  allor  surprendre  Ouarglu ,  cl  Uou-Cboucha ,  cliaii- 
géant  brusquement  d'objectif,  marcha  directement  sur  Tuggurt,  persuadé 
qu'en  menaçant  cette  ville  le  maghzen  ne  manquerait  pas  d'y  rentrer. 

Les  habitants  de  Tuggurt  étaient  alors  complètement  divisés;  les  uns,  — 
et  c'était  le  petit  nombre,  —  étaient  restés  fidèles  à  Ali-bey;  d'autres  pen- 
chaient, au  contraire,  vers  les  Ben-Ganah;  enfin  la  masse  et  la  faction  reli- 
gieuse étaient  pour  le  chérif.  Dès  qu'on  apprit  l'approche  de  celui-ci,  des 
réunions  publiques  eurent  lieu  chez  les  Medjarias*,  et  l'on  y  discuta  longue- 
ment la  conduite  à  tenir.  Mais,  devant  les  faux  renseignements  semés  à  des- 
sein pour  faire  croire  au  succès  de  l'insurrection  dans  le  nord  de  la  province, 
nos  rares  partisans  se  confondirent  bientôt  avec  nos  ennemis,  c  Les  Français 
ont  disparu,  se  répétait-on;  ils  ont  été  anéantis  par  les  Allemands;  Mokrani 
est  entré  dans  Bordj-bou-Arréridj  et  parcourt  le  Tell  en  vainqueur;  Bou-Saftda 
et  Tcl)CS8a  sont  bloqués;  les  routes  de  rOucd-R'ir  sont  coupées;  nous  ne  pou- 
vons nous  défendre  seuls  contre  le  chérif,  qui  est  tout-puissant.  »  Sur  ces  en- 
trefaites, étant  arrivée  une  lettre  du  Souf  racontant,  en  l'exagérant,  ce  qui 
s'était  passé  à  Guemar,  l'effroi  acheva  ce  que  n'avaient  pu  faire  les  insinua- 
tions du  parti  hostile,  et  de  ce  jour  il  fut  certain  qu'au  dernier  moment  la  villo 
ferait  défection. 

Se  voyant  ainsi  réduit  aux  seules  ressources  de  ses  Tirailleurs,  le  lieutenant 
Amou-ben-Mousseli  ne  songea  plus  qu'à  se  préparer  à  une  énergique  résis- 
tance ;  malheureusement  il  allait  le  faire  en  s'inspirant  des  conseils  de 
quelques  personnages  influents  sur  lesquels  il  croyait  pouvoir  compter,  et  qui 
n'avalent  cherché  à  capter  sa  confiance  que  pour  mieux  le  tromper.  Ces  traîtres 
étaient  le  taleb  Ahmed-ben-Ali-Trablessi,  Bou-Chemal ,  cheik  de  Nezia ,  et  son 
frère  Goubbi-ben-Mohamed. 

Mais  disons  quelques  mots  des  conditions  dans  lesquelles  la  lutte  allait 
s'engager. 

Assise  au  pied  d'un  mamelon  la  dominant  de  très  près  à  l'ouest  et  tou- 
chant, au  nord,  à  l'est  et  au  sud,  à  une  immense  plaine  sablonneuse  décou- 
pée au  sud-est  par  un  massif  de  palmiers,  la  petite  ville  de  Tuggurt  était  alors 
défendue  par  une  enceinte  continue  ayant  environ  douze  cents  mètres  de  dé- 
veloppement et  une  hauteur  moyenne  de  quatre  mètres  cinquante.  Tous  les 


>  Cavaliers  au  service  de  l'autorité  iudigène. 

*  Les  Bledjarias  sont  d'anciens  juifs  convertis  à  l'islamisme.  Ils  se  signalent  par  leur 
fanaUsme,  et  dans  celte  circonstance  ils  se  montrèrent  nos  plus  implacables  ennemis. 
Leur  nombre  leur  donnait  à  Tuggurt  une  certaine  autorité. 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  429 

trente  mètres ,  cette  muraille  circulaire  présentait  des  tours  en  saillie  destinées 
au  flanquement.  Au  sud,  se  trouvait  la  casbah ,  construction  modifiée  par  le 
génie  militaire  et  afTectant  la  forme  d'un  fortin  carré  avec  courtines  et  bas- 
tions. Enceinte  et  casbah  étaient  entourées  (cette  dernière  seulement  du  côté 
do  la  campagne)  d*un  fossé  large  et  profond  pouvant  être  facilement  rempli 
nu  moyen  de  trois  puits  artésiens.  On  traversait  ce  fossé  sur  quatre  étroites 
chaussées  en  terre  permettant  d'arriver  &  quatre  portes ,  dont  une  donnant 
directement  accès  dans  la  casbah. 

La  ville  proprement  dite  représentait  trois  zones  concentriques,  séparées 
par  trois  rues  principales,  sur  lesquelles  venaient  déboucher  des  ruelles  percées 
dans  le  sens  des  rayons.  Au  centre,  était  située  la  mosquée,  que  surmontait 
une  tour  élevée.  Près  de  la  casbah ,  les  maisons  avaient  été  démolies  sur  un 
assez  grand  espace,  afin  de  ménager  une  esplanade  qui  permit  de  se  défendre 
contre  la  population  elle-môme;  seul,  à  Test,  un  pftté  assez  considérable,  con- 
stituant la  demeure  du  khalifa  d*Ali-bey,  avait  été  respecté  et  permettait, 
au  moyen  de  ses  terrasses,  d'avoir  vue  dans  l'intérieur  de  la  caserne.  En 
dehors  de  Tenceinle,  non  loin  de  la  ville,  au  nord-est  et  au  sud,  s'étendaient 
deux  grands  groupes  de  maisons  formant  ensemble  le  village  de  Nezla;  plus 
au  nord  était Tabesbest;  et  enfin,  à  environ  deux  kilomètres  à  l'est,  une  autre 
petite  localité,  El-Guenatar. 

Du  moment  qu'il  n*y  avait  plus  à  compter  sur  la  résistance  des  habitants, 
la  défense  se  trouvait  nécessairement  localisée  dans  la  casbah.  Là  s'étaient 
retirés  les  Douaouda  *,  parents  d'Ali-bey,  occupant  pour  la  plupart  d'impor- 
tantes fonctions  auprès  de  ce  dernier;  au  nombre  de  six,  ils  comptaient  parmi 
eux  Si-Mustapha,  khalifa  de  Tuggurt,  et  Si-Naaman,  khalifa d'Ouargla ;  tous 
nous  étaient  sincèrement  dévoués ,  et  ils  eussent  pu  nous  rendre  de  grands 
services,  si,  par  suite  d*une  déplorable  méprise  habilement  provoquée  par 
Ahn)cd-I>en-Ali-Trab1cs8i,  le  lieutenant  Mousseli  n'eût  nourri  une  incompré- 
hensible défiance  à  leur  égard.  On  représentait  &  cet  officier  toute  la  famille 
d'Ali-bey  faisant  cause  commune  avec  Bou-Choucha,  et  ne  dissimulant  ses 
intentions  que  pour  mieux  favoriser  les  projets  du  chérif.  Une  fois  persuadé 
de  cette  prétendue  trahison,  M.  Mousseli  se  priva  non  seulement  du  concours 
de  ces  auxiliaires  naturels ,  mais  encore  les  fit  surveiller  par  ses  Tirailleurs , 
ainsi  qu'une  trentaine  de  cavaliers  soldés  du  maghzen  du  caïd. 

Une  autre  duperie  non  moins  grave ,  dont  allait  encore  ôtre  victime  le  trop 
crédule  lieutenant,  ne  devait  pas  avoir  de  moins  funestes  conséquences.  Nous 
avons  dit  que  la  casbah  était  dominée  à  Test  par  la  maison  du  khalifa.  Le 
12  mai ,  le  chérif  n'étant  plus  qu'à  une  journée  de  marche,  M.  Mousseli  voulut 
faire  démolir  cefto  construction;  mais  le  cheik  Bou-Ghemal  vint  le  trouver  et 
lui  promit  de  s*y  enfermer  avec  quatre  cents  hommes  de  Nezla,  et  de  s'y  dé- 
fendre jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Il  y  passa  eflcctivement  la  nuit  avec  son 
monde;  mais  ce  n'était  là  qu'une  feinte  destinée  à  dissimuler  ses  sourdes 
menées  :  le  lendemain,  au  moment  où  les  écloireurs  de  Dou-Ghoucha  arri- 

*  Du  nom  de  leur  tribu.  Les  Douaouda  descendent  d'une  branche  célèbre  dont  Mahomet 
et  sa  famille  faisaient  partie. 


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430  LIS  y^  RÉGIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (l87l] 

voiont  on  vuo  do  la  placo,  il  l'abandonnait  prëcipilainniout  cl  so  rotirail  dans 
la  casbah  avec  ses  deux  fils,  pendant  que  son  frère  Goubbi  allait  au-devant  du 
chôrif.  H.  Housseli  tenta  alors  de  faire  incendier  cette  maison  par  un  Euro- 
péen, le  nommé  Jonge,  qui  s'était  réfugié  auprès  de  lui  avec  sa  femme;  mais 
tous  les  efforts  de  ce  dernier  n'aboutirent  qu'à  la  destruction  d'une  partie  du 
mur  faisant  face  à  la  caserne. 

Il  était  environ  six  heures  du  matin  lorsque,  le  13,  les  premières  bandes 
du  chérif  firent  leur  apparition  du  côté  d'EI-Guenalar.  En  route,  Bou-Choucha 
avait  reçu  une  lettre  de  quelques  notables  do  la  ville,  qui,  pour  gagner  ses 
faveurs,  le  prévenaient  des  dispositions  favorables  de  la  population.  S'autori- 
sant  de  cela  pour  dire  qu'il  était  appelé  par  celle-ci ,  il  le  prit  loissitôt  en  maître 
absolu  et  écrivit  à  H.  Housseli,  ainsi  qu'aux  cheiks  et  aux  Douaouda,  pour 
les  inviter  à  faire  leur  soumission,  a  Rends-toi,  livre-moi  la  casbah,  disait-il 
au  lieutenant  Mousseli,  et  je  te  ferai  une  situation  plus  avantageuse  que  celle 
que  te  font  les  Français.  »  Une  vivo  fusillade,  qui  accueillit  ses  cavaliers  dès 
qu'ils  débouchèrent  à  quinze  cents  mètres  de  la  caserne,  fut  la  seule  réponse 
que  reçut  cette  orgueilleuse  sommation.  Comprenant  alors  que  ni  menaces 
ni  promesses  ne  réussiraient  à  ébranler  la  fidélité  des  Tirailleurs  et  do  leur 
chef,  le  chérif  résolut  de  recourir  à  la  ruse;  et,  renonçant  pour  le  moment  à 
toute  tentative  contre  la  caserne,  il  se  retira  vers  Bab-Alssa,  où  les  habitants 
de  Tuggurt,  de  Nezla  et  de  Tabesbest,  qui  étaient  sortis  en  armes  pour  se 
rendre  au-devant  de  lui,  lui  portèrent  la  dilfa.  Là  il  était  protégé  des  vues  et 
des  feux  de  la  place  par  la  ligne  de  dunes  qui  entoure  Tuggurt  à  l'ouest. 

A  la  casbah ,  la  journée  se  passa  en  préparatifs  de  défense  et  en  allées  et 
venues  de  gens  de  la  ville  familiers  de  M.  Mousseli.  Ahmed-bcn-Ali-Trablessi 
y  vint  aussi,  sous  le  prétexte  d'emmener  son  frère  et  ses  femmes,  mais  en 
réalité  pour  se  rendre  compte  de  Tesprit  de  la  garnison  et  sonder  les  disposi- 
tions du  lieutenant  Mousseli.  Il  s'efforça  de  démontrer  à  ce  dernier  qu*il 
n'était  pas  assex  fort  pour  résister  aux  quatre  mille  homuics  de  Uuu-Chouclia, 
l'engagea  avec  uno  nouvelle  insistance  à  ne  pas  se  servir  des  lluuaoudu,  et 
euliu  essaya  de  lui  insinuer  que  le  chérif  u'uvuit  aucune  animosité  contre  lui 
et  ses  soldats,  et  qu'il  exigeait  seulement  la  remise  des  khalîfas  de  Tuggurt 
et  d'Ouargla.  M.  Housseli  refusa  énergiquement  d'écouter  ces  propositions 
et  jura  de  se  défendre  jusqu'à  la  mort;  toutefois,  exagérant  de  plus  en  plus 
sa  défiance  à  l'égard  des  parents  d'Ali-bey,  il  donna  Tordre  de  les  désarmer 
et  de  les  incarcérer.  La  même  mesure  ayant  été  prise  envers  les  cavaliers  du 
maghzen ,  les  Tirailleurs  resteront  dès  lors  les  seuls  défenseurs  de  la  caserne. 
Pendant  ce  temps,  Bou-Choucha  s*était  rapproché  de  la  ville,  dont  il  avait  fait 
enlever  les  portes  par  les  habitants,  et  avait  établi  son  camp  à  Ua-Alloucli, 
du  côté  opposé  à  la  casbah. 

La  nuit  s*écoula  sans  incident. 

Le  lendemain  14,  le  chérif,  conduit  par  la  population,  entra  dans  Tuggurt 
par  la  porte  El-K'roura,  et  donna  immédiatement  l'ordre  d*attaquer  la  ca- 
serne. 11  rassembla  ses  bandes  à  la  mosquée;  puis,  exactement  renseigné  sur 
le  fort  et  le  faible  de  la  position ,  il  lit  percer  les  mura  des  maisons  et  parvint 
ainsi,  sans  danger,  jusqu'à  celle  du  khalifa,  dont  il  fit  occuper  les  terrasses 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  431 

par  868  ineilleur8  tireurs.  Bientôt  do  ce  point  et  ûes  minarets  environnants 
un  feu  plongeant  éclata  sur  les  défenseurs  de  la  casbah.  Les  Tirailleurs  ripos- 
tèrent vigoureusement;  mais,  pris  d'écharpe  et  de  revers  par  les  coups  par- 
tant de  la  demeure  du  khalifa,  ils  durent  complètement  abandonner  la  face 
est,  dont  les  insurgés  essayèrent  vainement  d'incendier  la  poterne.  Ceux-ci 
nvnicnt  ramassé  toute  In  laine  qu'ils  avaient  pu  trouver,  et,  Taynnt  mélangée 
à  de  la  terre  mouillée,  cri  avnicnt  rempli  dos  sacs  à  Tabri  desquels  ils  chemi- 
naient pour  s'avancer  vers  le  pied  du  mur.  Déjà  do  nombreux  créneaux,  ren- 
dus indéfendables  par  le  tir  d*enlilade ,  étaient  embouchés  par  des  fanatiques 
qui  s*y  faisaient  bravement  tuer.  Le  nombre  des  assaillants  grossissait  tou- 
jours; les  habitants  de  la  ville  et  ceux  de  Nezla  étaient  venus  so  joindre  aux 
gens  du  chérif ,  et  nos  soldats  se  battaient  maintenant  un  contre  cent.  Ceux 
qui  se  montraient  les  plus  acharnés  de  nos  ennemis  étaient  les  anciens  admi- 
nistrés d*Ali-bey,  particulièrement  les  Medjarias,  les  Mekhadma,  les  Rouara 
et  les  Chambfla  d*Ouargla.  C'est  que  les  uns  et  les  autres  avaient  tout  intérêt 
&  voir  périr  la  garnison  pour  qu'il  ne  restât  aucun  témoin  de  leur  trahison. 

Malgré  Ténorme  disproportion  dans  laquelle  il  se  soutenait,  le  combat  dura 
jusqu'au  soir.  Vers  six  heures,  la  situation  était  celle-ci  :  l'ennemi  était  maître 
de  tous  les  abords  de  la  casbah ,  et  se  disposait  à  commencer  la  démolition  du 
mur  pour  faire  broche  cl  donner  l'assaut;  les  assiégés  avaient  une  quinzaine 
d'hommes  tues  ou  blessés,  et,  so  trouvant  complètement  dominés,  en  étaient 
réduits  h  ne  défendre  ([u'unc  faible  partie  do  l'enceinto.  Le  sergent  français 
Basile,  qui  eût  pu  seconder  inlelligemment  le  commandant  du  détachement, 
avait  été  mortellement  frappé;  presque  tous  les  vieux  Tirailleurs  étaient  hors 
de  combat;  il  ne  restait  plus  que  de  jeunes  soldats  voyant  le  feu  pour  la  pre- 
mière fois. 

Redoutant  de  voir  la  lutte  continuer  dans  ces  conditions,  persuadé,  d'ail- 
leurs, que  ce  que  voulait  Bou-Choucha  c'était  surtout  de  l'argent  et  du  butin, 
M.  Mousscli  se  décida  à  parlementer;  il  fit  venir  Bou-Chemal  et  lui  prescrivit 
de  se  rendre  auprès  du  chérif  pour  lui  demander  la  somme  qu'il  exigeait  pour 
se  retirer.  A  ce  moment,  Bou-Chemal  appela  son  frère  Goubbi-ben-Mohamed, 
(|ui  se  trouvait  dans  les  rangs  des  insurgés,  et  le  feu  cessa.  L'officier  remit  à 
Bou-Chemal  une  lettre  pour  le  chérif  et  le  fit  sortir  accompagné  du  caïd  de 
Temacin,  qui  la  veille  lui  avait  apporté  la  sommation  de  Bou-Choucha;  mais 
une  décharge,  partie  de  la  maison  du  khaliPa ,  obligea  les  deux  parlementaires 
à  rentrer  dans  la  caserne.  Bou-Chemal  ayant  alors  interpellé  les  insurgés  sur 
celte  trahison ,  son  frère  lui  répondit  qu'il  n'avait  rien  à  craindre,  et  il  se  ren- 
dit, mais  seul  cette  fois,  auprès  du  chérif. 

Le  silence  s'était  maintenant  fait  dans  chaque  camp,  et  des  deux  côtés  on 
80  contentait  de  s'observer.  Assez  inquiet  sur  le  résultat  de  la  négociation 
dont  il  nvnit  chargé  Bou-Chemal,  M.  Âlousseli  attendait  avec  anxiété  le  retour 
du  cheik.  Enfm  celui-ci  arriva  dans  la  soirée,  accompagné  d'un  autre  trans- 
fuge qui  avait  toujours  protesté  de  son  attachement  à  la  France,  le  nommé 
Ahmed -ben-Sliman;  il  apportait  la  réponse  du  chérif.  Ce  dernier  exigeait  la 
livraison  des  parents  d'Ali -bey  et  la  remise  des  armes  de  la  garnison,  c  La 
résistance  est  impossible,  ajoutait-il;  rends- toi,  tu  auras  l'aman.  »  Indigné 


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433  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l87f] 

qu'on  osât  lui  Taire  une  pareille  proposition,  H.  Mousseli  se  refusa  d'abord  à 
rôpondre  au  chérif;  mais,  sur  les  instances  de  Bou-Cliemal,  il  revint  sur  cette 
décision  et  prit  le  parti  d'offrir  à  Bou-Choucha  d'évacuer  purement  et  simple- 
ment la  casbah,  à  la  condition  que  celui-ci  le  laisserait  s'en  aller  librement. 
c  II  m'est  impossible,  lui  disait -il,  de  faire  ce  que  tu  me  demandes.  11  faut, 
au  contraire,  que  tu  t'éloignes  et  que  tu  te  rendes  à  Temacin.  Alors  j'évacuerai 
la  caserne  avec  ma  troupe,  et  je  me  retirerai  sur  Biskra.  » 

Bou-Chemal  lut  encore  chargé  de  porter  cette  deuxième  lettre.  Il  sortit  de 
nouveau  avec  Ahmed-bcn-Sliman;  mais,  à  peine  eut-il  quitté  la  caserne,  que 
le  feu  reprit  du  côté  des  assiégeants  pour  continuer,  avec  des  intermittences, 
pendant  le  restant  de  la  nuit.  H.  Mousseli  eut  alors  un  vague  soupçon  de  tra- 
hison, sans  cesser  cependant  de  compter  sur  le  retour  de  Bou-Chemal,  qui 
s'était  fait  fort  de  réussir  dans  sa  mission.  Nais  le  jour  parut  sans  qu'on  eût 
reçu  la  moindre  nouvelle  du  dehors;  seule  une  lettre  jetée  par-dessus  le  mur 
de  la  caserne  par  quelque  affidé  de  Bou-Choucha,  par  Bou-Chemal  peut-être, 
semblait  laisser  entendre  au  malheureux  officier  que  sa  dernière  proposition 
était  acceptée.  M.  Mousseli  s'abandonna  d'autant  plus  volontiers  à  cette  illu- 
sion ,  que  pour  le  moment  les  insurgés  paraissaient  avoir  complètement  re- 
noncé à  l'attaque  de  la  casbah.  Prenant  alors  résolument  son  parti,  il  réunit 
tous  ceux  de  ses  hommes  qui  étaient  en  état  de  marcher,  leur  fit  distribuer 
quatre-vingt-dix  cartouches,  quatre  jours  de  vivres,  et  leur  annonça  que  le 
chérif  leur  permettait  de  se  retirer  vers  le  nord.  liO  caporal  Ahmcd-ben-Dreis, 
moins  confiant  dans  la  générosité  du  chérif,  flaira  un  piège  et  essaya  de  com- 
battre cette  résolution;  mais  le  lieutenant  Mousseli  n'en  persista  pas  moins 
dans  son  projet,  soit  qu'il  fût  réellement  convaincu  que  Bou-Choucha  ne  s'op- 
poserait pas  à  ce  mouvement,  soit  qu'il  comptât,  une  fois  en  rase  campagne, 
échapper  plus  facilement  à  l'étreinte  de  ses  ennemis. 

Il  était  sept  heures  du  matin.  Mousseli,  à  la  tête  de  son  détachement  ne 
comprenant  plus  que  cinquante  et  un  hommes,  sortit  de  la  caserne  par  la 
porte  principale.  L'Européen  Jonge  et  sa  femme  suivaient.  Après  avoir  lait 
une  décharge  pour  s'ouvrir  la  voie,  les  Tirailleurs  franchirent  le  fossé  d'en- 
ceinte, contournèrent  les  dunes  et  se  dirigèrent  ù  la  course  vers  le  nord.  Ils 
parcoururent  ainsi,  sans  être  inquiétés,  environ  quatre  à  cinq  kilomètres  sur 
la  route  de  Biskra.  Mais  un  goum  avait  été  posté  à  l'avance  pour  leur  couper 
la  retraite,  et  derrière  eux  arrivait,  menaçante,  toute  la  population  de  Tug- 
gurt.  Mille  clameurs  sauvages  avaient  signalé  leur  départ,  et  c'était  à  qui  se 
précipiterait  sur  leurs  traces  pour  que  pas  un  n'échappêt  vivant. 

Il  n'y  avait  plus  de  doute,  c'était  une  lutte  suprême  qu'il  allait  falloir  sou- 
tenir. Le  lieutenant  Mousseli  fit  former  lé  carré,  adressa  quelques  paroles  à 
ses  hommes  pour  les  exhorter  à  faire  leur  devoir;  puis,  calme,  attendit  pour 
lui  et  les  siens  la  mort  inévitable  qui  s'avançait. 

Bientôt  les  insurgés  se  trouvèrent  à  portée  de  fusil;  le  feu,  un  feu  terrible, 
meurtrier,  commença  et  fit  d'abord  hésiter  les  assaillants;  mais  ceux-ci  étaient 
plusieurs  milliers,  leur  nombre  croissait  toujours;  ils  se  ruèrent  eu  masse 
vers  le  carré  et  le  cernèrent  tout  à  fait.  Un  combat  corps  à  corps ,  implacable, 
désespéré,  se  livra  alors  entre  ces  quelques  hommes  et  cette  armée  de  force- 


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[f87l]  EN  ALOÊniB  433 

nés;  un  tourbillon  sanglant  s'agita  pendant  un  instant  au  milieu  de  ce  fouillis 
de  burnous,  puis  on  n'entendit  plus  rien  que  les  cris  de  victoire  des  vain- 
queurs :  le  détachement  du  lieutenant  Mousseli  n*était  plus. 

A  Texception  de  deux  Tirailleurs,  du  sieur  Jonge  et  de  sa  femme,  tout  fut 
massacré.  L*un  des  survivants,  sauvé  par  un  nègre  des  Chambâa,  déclara 
plus  tard  avoir  vu  pendant  le  combat  Ahmed -ben-Sliman  s'acharner  sur  le 
cadavre  du  lieutenant  Mousseli.  Les  autres  victimes,  au  nombre  de  quarante- 
neuf,  furent  également  plus  ou  moins  mutilées. 

Les  deux  Tirailleurs  épargnés  furent  conduits  au  secrétaire  du  chérif ,  Djel- 
loul-ben-Mouley-Ismaîl,  qui  arrivait  à  cheval  sur  le  lieu  du  massacre,  et 
celui-ci  les  remit  à  Ahmed-ben-AK-Trablessi,  qui  s'était  montré  un  de  nos 
adversaires  les  plus  furieux. 

Satisfaits  de  l'acte  barbare  qu'ils  venaient  de  commettre,  et  croyant  8*étre 
ainsi  assuré  l'impunité  de  leurs  crimes,  les  insurgés  revinrent  alors  attaquer 
la  caserne,  où  il  n'était  resté  que  les  Douaouda,  les  cavaliers  du  maghzen  et 
une  quinzaine  de  Tirailleurs  blessés.  La  lutte  recommença.  Les  parents  d'Ali- 
bey,  ne  se  faisant  aucune  illusion  sur  le  sort  qui  leur  était  réservé,  se  défen- 
.  dirent  en  désespérés;  mais  l'un  d'eux,  Ali-Mustapha-ben-Brahim ,  ayant  été 
tué,  les  autres,  découragés,  offrirent  de  se  rendre,  et  Bou-Choucha  leur  en- 
voya l'aman  par  son  secrétaire  Djelloul.  Quelques  cavaliers,  se  défiant  de  la 
clémence  du  chérif,  essayèrent  de  s'enfuir;  mais  presque  tous  furent  tués. 
Quant  aux  Tirailleurs,  incapables  pour  la  plupart  de  rien  tenter  pour  recou- 
vrer leur  liberté,  à  peine  daigna- t-on  s'occuper  d'eux ,  si  ce  n*est  pour  les 
dépouiller  de  leurs  armes  et  de  leurs  effets. 

Après  avoir  obtenu  cette  soumission,  Bou-Choucha  remit  les  Douaouda  à 
la  garde  de  Bou-Chemal ,  qui  avait  enfin  reparu,  mais  dans  les  rangs  enne- 
mis, et  ordonna  le  pillage  de  la  casbah.  Tout  ce  que  celle-ci  renfermait  fut 
détruit  ou  saccagé,  ou  vendu  &  vil  prix  aux  habitants  de  Tuggurt. Bou-Chcmal, 
son  frère  Goubhi  et  Ali-bcn-Sliman  s'adjugèrent  naturellement  la  grosso  part 
du  butin.  Bou-Choucha ,  heureux  de  pouvoir  satisfaire  ses  désirs  de  vengeance, 
se  contenta  des  personnes  et  laissa  ceux  qui  l'avaient  le  mieux  servi  se  par- 
tager leurs  dépouilles.  Il  crut  mémo  devoir  récompenser  encore  ces  derniers 
en  donnant  à  chacun  d'eux  un  titre  honorifique  ou  un  commandement  impor- 
tant; c'est  ainçi  que  Goubbi-ben-Mohamed  fut  placé  à  la  tète  du  gouvernement 
de  Tuggurt  et  institué  khalifa  de  l'Oued-R'ir,  avec  la  jouissance  des  propriétés 
appartenant  à  l'administration  française,  et  qu'Ahmed -ben-Ali-Trablessi  fut 
nommé  chef  du  village  de  Tabesbest.  Bou-Chemal,  qui  devait  partager  le 
pouvoir  avec  son  frère  Goubbi ,  fut  en  outre  autorisé  à  disposer  de  tous  les 
biens  de  la  famille  d'AIi-bey.  C'était  le  plus  favorisé,  mais  c'était  aussi  celui 
dont  la  trahison  lui  avait  fourni  le  concours  le  plus  utile  et  le  plus  apprécié. 

Le  21  mai,  lo  chérif  quittait  Tuggurt  pour  se  rendre  à  Ouargla.  Il  emme- 
nait prisonniers  les  deux  khalifas  Si-Mustapha  et  Si-Naaman,  les  époux  Jonge 
et  sept  Tirailleurs.  A  son  arrivée  à  Blidet-el- Amar,  il  trouva  une  députation 
de  notables  des  Medjarias  ayant  à  sa  tète  Goubbi ,  Bou-Chemal  et  Ahmed-ben- 
Ali-Trablessi ,  qui  venait  lui  demander  la  mort  des  Douaouda,  lui  offrant  une 
somme  de  douze  mille  cinq  cents  francs  pour  cette  exécution.  Bou-Choucha 

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434  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l87l] 

accepta  lo  marché,  et  Djciloul,  sou  sccrilairc,  fui  chargé  de  faire  jiénr  les  deux 
khalifas,  malgré  Taman  qui  leur  avait  été  solennellemcot  accordé.  H  les  en- 
traiaa  loia  du  camp,  sous  la  prétexte  de  leur  ménager  une  entrevue  avec  le 
chérlf,  et  là  les  assassina  lAchement  après  les  avoir  fait  dépouiller  par  ses  gens. 

De  retour  à  Ouargla,  Bou-Chouçha  s*y  installa  en  véritable  sultan.  Il  avait, 
contre  Ta  vis  de  son  entourage,  laissé  vivants  les  Tirailleurs  qu*il  avait  emme- 
nés, et  s*en  servait  habilement  pour  augmenter  son  prestige  aux  yeux  des 
populations;  personne,  en  effet,  n'aurait  osé  douter  de  la  puissance  d'un 
homme  qui  traitait  en  esclaves  des  soldats  français.  Au  bout  do  quelques 
jours,  il  parut  cependant  se  départir  un  peu  du  dédain  qu'il  affectait  à  l'égard 
de  ces  malheureux,  et  ceux-ci,  à  l'exception  du  nommé  Habrouck-ben-Hoha- 
med,  originaire  du  Soudan,  qu'il  conserva  comme  cuisinier,  furent,  pour 
ainsi  dire,  rendus  à  la  liberté.  Ils  vécurent  alors  comme  ils  purent,  les  uns 
chet  des  parents  qu'ils  avaient  dans  la  ville,  les  autres  de  la  charité  publique. 
Trois  d'entre  eui,  Ben -Temer-ben- Mohamed,  llebah-ben-Idir  et  Abd-el- 
Kader-ben-Belkassem ,  prévenus  que  cette  apparente  générosité  n'était  qu'une 
basse  perfidie  cachant  un  obscur  guet-apens,  quittèrent  brusquement  Ouargla 
et  allèrent  à  Ngoussa,  où  ils  furent  recueillis  par  le  marabout  de  la  zaouîa, 
qui  leur  procura  les  moyens  de  se  rendre  à  Laghouat,  d'où  ils  furent  ensuite 
dirigés  sur  Biskra.  Les  trois  autres,  Abd-el-Kader-ben-Ali,  Embarek-ben- 
Saad  et  Mohamed-ben-Mohamed ,  finirent  également  par  trouver  un  refuge  et 
par  échapper  à  leurs  ennemis.  Quant  à  Mabrouck-ben- Mohamed,  ce  ne  fut 
que  dans  le  courant  de  janvier  1872,  lorsque  le  chérif  se  vit  poursuivi  par  la 
colonne  légère  lancée  par  le  général  de  Lacroix,  qu'il  parvint  à  se  soustraire 
à  la  servitude  à  laquelle  il  avait  été  condamné. 

Hais  revenons  à  Tuggurt  et  aux  autres  Tirailleurs  que  nous  y  avons  laissés. 

Rentrés  dans  cette  ville  après  avoir  obtenu  de  Bou-Choucha  la  mort  des 
deux  khalifas  dont  ils  craignaient  pour  plus  tard  les  écrasantes  révélations, 
Goubbi  et  Bou-Chemal  s'apprêtèrent  à  faire  subir  le  môme  sort  aux  autres 
Douaouda  restés  ou  leur  pouvoir.  L'un  d'eux,  Si-Ahmed •bcn-Uuetlal,  ayant 
répssi  à  se  réfugier  dans  la  mosquée,  eut  la  vie  sauve  moyennant  une  rançon 
de  cinq  mille  trois  cents  francs ,  payée  à  Goubbi  par  le  marabout  deTemacin. 
Les  autres,  au  nombre  de  trois,  disparurent  deux  jours  après  sans  qu'on  sût 
d'abord  ce  qu'ils  étaient  devenus.  Pour  détourner  les  soupçons,  Goubbi  et  Bou- 
Chemal  prétendirent  les  avoir  livrés  à  des  cavaliers  du  chérif;  mais  l'opinion 
publique  ne  s'y  laissa  pas  prendre,  et  bientôt  courut  la  rumeur  qu'ils  avaient 
été  assassinés  secrètement  par  des  gens  de  Tabesbest  et  de  Nezla. 

I^  Tirailleurs  Abdallah-ben-Gana ,  Bou-Lara-ben-Mekkri,  El- Aîd-ben-Ali , 
Rouag-bel-Hassem,  Tahar-bcn-Taïeb,  MakIouf-ben-Abdallah,  Abd*el-Kader- 
ben-Ali-Achiani,  Sadok-ben-Achathi ,  Ilamou-ben-Embarek  et  Mohamed-ben- 
Ali-Biskri,  qui  étaient  restés  entre  les  mains  de  la  population,  furent  asset 
heureux  pour  se  dérober  à  la  fureur  de  celle-ci;  tous  parvinrent  à  s'évatler  et 
à  gagner  Biskra,  où  ils  furent  les  premiers  ù  donner  quelques  détails  sur  le 
sort  de  leurs  compagnons. 

Cependant  Ali-bey  avait,  le  12  juin,  reçu  du  général  commandant  la  pro- 
vince l'ordre  impératif  de  reprendre  par  la  force  son  ancien  commandement. 


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[1871]  EN  ALGÉRIE  485 

Il  rassembla  un  goom  d*en?iron  six  mille  hommes  et  se  présenta  devant 
Tuggurt;  mais  les  habitants,  informés  des  terribles  représailles  qu*il  se  pro- 
posait d*exercer  sur  eux,  se  défendirent  avec  Ténergie  du  désespoir.  Ayant 
échoué  dans  deux  vigoureux  assauts  tentés  à  quelques  jours  dlntervalle ,  il 
dut  se  résigner  à  faire  le  siège  de  la  ville.  Il  tenait  celle-ci  étroitement  blo- 
quée, lorsque,  le  4  juillet,  le  chérif,  qui  était  accouru  d'Ouargla,  parut  tout 
h  coup  à  la  této  do  forces  considérables.  Après  un  sanglant  combat  qui  en- 
traîna des  pertes  énormes  pour  les  deux  partis,  Ali-bey,  vaincu,  fut  obligé  de 
se  replier  sur  Biskra. 

Demeuré  encore  une  fois  le  maître  de  la  situation,  Bou-Choucha  adjoignit 
&  Goubbi  Naceur-ben-Chora ,  dont  il  avait  fait  sa  plus  fidèle  créature  et  qu*il 
avait  amené  d^Ouargla.  Tuggurt  se  trouva  alors  sous  les  ordres  de  ces  deux 
personnages,  entre  lesquels  des  dissentiments  ne  tardèrent  pas  à  s'élever.  Sur 
les  instances  de  Goubbi,  Naceur-ben-Ghora  fut  rappelé  à  Ouargla,  et  les  choses 
en  revinrent  à  Tétat  où  elles  étaient  auparavant,  avec  la  seule  différence  que, 
nos  colonnes  victorieuses  ayant  enfin  étouffé  Tinsurrection  dans  le  nord,  les 
populations  du  sud  commencèrent  à  craindre  sérieusement  les  conséquences 
de  leur  conduite,  et  cherchèrent  à  prévenir  le  danger  en  revenant  d'elles- 
méme  au-devant  de  Tautorité  de  la  France.  Le  général  le  Poittevin  de  Lacroix 
profila  Imhilcincnt  de  ces  dispositions  pour  faire  agir  Ahmed-bou-Lakras-bon- 
Ganali,  dont  rinducnce  avait  grandi  à  mesure  que  celle  d*Ali-boy  allait  s*af- 
faihlissant,  et  cette  intervention  donna  le^  plus  heureux  résultats.  Lo  12  oc- 
tobre, Bou-Lakras  se  mit  en  route  pour  le  sud;  quelques  jours  après  Tuggurt 
lui  ouvrait  ses  portes,  en  le  saluant  avec  non  moins  d'enthousiasme  que  le 
chérif  Tavait  été  quelques  mois  auparavant.  Lorsque,  le  27  décembre,  le  gé- 
néral de  Lacroix  arriva  à  son  tour  à  Tuggurt,  la  pacification  du  pays  était  un 
fait  accompli,  et  il  n'y  avait  plus  qu'à  faire  subir  aux  coupables  le  chAtiment 
qu'ils  avaient  mérité.  Aucun  n*y  échappa,  pas  même  Bou-Glioucha,  qui  fut 
capturé  deux  années  après  par  Tagha  Ben-Driss,  et  qui  paya  de  sa  vie  les 
crimes  sans  nombre  qu'il  avait  commis. 

La  mort  des  cinquante  braves  qui  tombèrent  avec  le  lieutenant  Mousseli 
dans  la  plaine  de  Tuggurt  est  Tun  de  ces  faits  héroïques,  —  si  fréquents  dans 
nos  guerres  d'Afrique ,  —  où  nos  soldats ,  en  petit  nombre  pour  résister  à  un 
ennemi  par  trop  supérieur,  préférèrent  succomber  jusqu'au  dernier  plut6t  que 
de  faillir  un  seul  instant  au  devoir  de  sauver  l'honneur  sans  tache  de  leur 
drapeau.  Nous  n'hésitons  pas  à  dire  que  cette  page  malheureuse  est  digne  de 
celles  de  Sidi-Brahim  et  de  Beni-Mered ,  et  que  la  conduite  du  modeste  officier 
indigène  qui  sut  inspirer  à  ses  hommes  un  dévouement  aussi  absolu  n'est 
pas  moins  admirable  que  celle  du  lieutenant-colonel  de  Montagnac  et  du  ser- 
gent Blandan,  et  même  plus  admirable  peut-être,  si  l'on  considère  que  cet 
oUicier  combattait  pour  un  pays  adoptif,  et,  qu'avant  de  marcher  au-devant 
de  la  fin  glorieuse  qui  l'attendait,  il  avait  eu  à  repousser  les  offres  séduisantes 
d'un  personnage  qui  semblait  alors  tout -puissant.  Que  le  lieutenant  Mousseli 
n'eût  pas  mieux  fait  de  demeurer  jusqu'au  bout  dans  la  casbah  de  Tuggurt, 
au  lieu  de  s'aventurer  dans  une  entreprise  qu  il  devait  savoir  complètement 
irréalisable;  qu'il  se  soit  trop  fié  à  un  entourage  qu'il  avait  de  nombreuses 


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436  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE        [f87i 

raisoDB  de  croiro  suspect;  qu'il  irait  pas  su  utiliser  la  bonne  volonté  do  gens 
que  les  circonstances  lui  désignaient  naturellement  comme  ses  seuls  alliés,  ce 
sont  là  des  considérations  sur  lesquelles  nous  n*ayons  pas  à  nous  arrêter;  la 
seule  chose  qui  doive  rester  pour  nous,  c'est  que,  le  15  mai  1871,  le  régiment 
eut  cinquante  de  ses  enfants  qui  donnèrent  leur  sang  pour  la  France,  qui 
payèrent  de  leur  vie  le  serment  de  fidélité  qu'ils  lui  avaient  fait.  Ainsi  envi- 
sagé ,  le  sacrifice  de  la  garnison  de  Tuggurt  est  un  des  plus  nobles  exemples 
que  puisse  nous  oflrir  notre  histoire  militaire  *. 

*  Un  peUt  moDument  a  été  élevé  dans  le  cimetière  de  Taggurt  pour  rappeler  les  noms 
des  vicUmes  de  cette  sanglante  catastrophe. 


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CHAPITRE  V 

(1871-1873) 


La  colonne  de  Lacroix  se  rend  à  Ouargla.  —  Organisation  d'one  colonne  légère;  ses 
opérations.  ->  Arrestation  de  Dou-Mesrag.  —  Retour  à  Tuggnrt.  —  Blarche  vers  le  Sonf. 

—  Formation  d'une  nouvelle  colonne  légère.—  Rentrée  de  la  colonne  principale  à  Biskra. 

—  Excursion  dans  les  Aiirrs.  —  Les  troupes  sont  renvoyées  dans  leurs  garnisons.  — 
Colonne  mobile  de  Dougic.  —  Nouvelle  organisation  du  régiment.  —  Colonne  d^El- 
Goiéah;  sa  marctie  à  travers  le  désert.  —  El-Goléah  en  1873.  —  Soumission  des 
nomades  d'Ouargla.  —  Rentrée  de  la  colonne.  —  Ordre  du  général  de  Lacroix.  — 
Récompenses. 


Nous  avons  laissé  la  colonne  de  Lacroix  à  Tuggurt ,  où  elle  était  arrivée  le 
27  décembre.  Elle  y  resta  deux  jours,  c'est-à-dire  juste  le  temps  nécessaire 
i|u  général  pour  réorganiser  en  toute  h&te  Tadministration  de  Toasis ,  prescrire 
quelques  travaux  de  défense  et  installer  une  nouvelle  garnison  dans  la  place, 
puis  elle  se  mit  en  marche  pour  Ouargla.  Le  30  décembre,  elle  campait  à  Blidet- 
el-Amar;  le  31,  à  Bir-Moulla,  et,  le  !•' janvier  1872,  à  El-Hadjira,  petite 
ville  assez  importante  autrefois  par  sa  position  et  le  nombre  de  ses  maisons, 
mais  presque  en  ruines  depuis  que  les  caravanes  prennent  de  préférence  la 
route  du  Mzab.  Le  4  janvier,  on  atteignit  Ngoussa.  L&  on  trouva  quelques 
ébauches  de  fortifications  que  le  chérif  avait  dû  faire  élever  quelques  mois  au- 
paravant, probablement  en  prévision  d'une  marche  d*AIi-bey  sur  Ouargla.  Ces 
ouvrages  informes  étaient  depuis  longtemps  évacués  par  les  rebelles ,  qu'avait 
suivis  la  plus  grande  partie  de  la  population.  Les  nouvelles  venues  d'Ôuargla 
annonçaient  également  Tabandon  de  cette  ville  par  les  insurgés.  Cette  fuite 
de  Tennemi  ramenant  dès  lors  Faction  de  la  colonne  à  une  poursuite  qui  ne 
pouvait  ôlre  entreprise  que  par  une  troupe  excessivement  mobile ,  le  général 
se  décida  à  renvoyer  une  partie  de  son  infanterie,  afin  de  ne  pas  augmenter 
inutilement  les  difficultés  de  ravitaillement.  Un  détachement  quitta  donc 
Ngoussa  ce  même  jour  sous  les  ordres  du  commandant  Colomb,  du  8*  pro- 
visoire, et  la  1^  compagnie  du  2<'  bataillon  (lieutenant  Rouget),  désignée  pour 
en  faire  partie,  rentra  à  Tuggurt,  d'où  elle  fut  ensuite  dirigée  sur  Biskra.  Il 


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438  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1872] 

no  resta  plus  alors  avoc  lo  général  quo  huit  compagnies  du  régiment  formant 
deux  bataillons  de  marche  ayant  à  leur  tête  les  commandants  Rapp  et  Fer- 
randi;  ces  compagnies  étaient  les  4*»  S*  et  6*  du  !•'  bataillon;  les  l'*,  5*  et 
6*  du  2%  et  les  4»  et  S*  du  1*^  bataillon. 

Ainsi  réduite,  la  colonne  se  remit  en  marche  le  5  au  malin,  et  le  môme 
jour  arriva  à  Ouargla.  La  ville  était  déjà  occupée  par  les  goums  du  comman- 
dant Rose,  qui  y  étaient  entrés  après  une  légère  résistance  facilement  vaincue. 

Dou-Choucha  avait  depuis  longtemps  quitté  Ouargla  pour  se  réfugier  à 
Ilassi-el-Guettari  à  environ  quatre-vingt-dix  kilomètres  au  sud,  où,  pendant 
une  quarantaine  de  jours,  il  s'était  soigné  secrètement  d'une  blessure  grave 
reçue  au  mois  de  novembre  dans  un  combat  livré  aux  Saîd-Otba  à  Kouîf- 
Djelba,  entre  Guerrara  et  El- Alla.  Décidé  à  ne  lui  laisser  aucun  répit,  le  gé- 
néral de  Lacroix  s'occupa  aussitôt  de  l'organisation  d'une  colonne  légère  pour 
la  lancer  à  sa  poursuite.  Cette  colonne  fut  confiée  au  lieutenant-colonel  Gaume, 
du  3<>  chasseurs  d'Afrique,  et  comprit  trois  escadrons  de  cavalerie  (un  de  spahis, 
un  de  chasseurs  d'Afrique,  un  de  hussards),  tous  les  mulets  du  train  en  état 
de  marcher  et  un  détachement  de  deux  cent  soixante-six  Tirailleurs  sous  les 
ordres  du  commandant  Ferrandi,  avec  le  capitaine  Chenu  comme  adjudant- 
major.  Ce  détachement  fut  entièrement  monté  sur  des  mulets  et  divisé  en  trois 
groupes  de  deux  pelotons  chacun. 

Voici  quels  furent  les  ofTiciors  alToctés  à  chacun  do  ces  groupes  : 

Pretnier:  MM.  Lalanne  des  Camps,  capitaine;  Mathieu  et  Salah-ben-Moha- 
med,  sous-lieutenants. 

BeuxOme:  MM.  Ducoroy,  capitaine;  LcjosneetLagdar-ben-el-Achi,  sous- 
lieutenants. 

TroisièrM  :  HH.  Teulières,  capitaine;  Mohamed -ben-Ta!eb,  lieutenant: 
Speltz,  sous-lieutenant. 

A  une  journée  en  avant  devait  marcher  le  goum  du  commandant  Rose, 
s'élevant  à  environ  quatre  cent  cinquante  cavaliers.  A  ce  goum  avaient  été 
détachés  deux  officiers  du  régiment  :  les  sous-lieu  tenants  lk>utarol  et  do  llazi- 
gnan. 

La  colonne  légère  quitta  Ouargla  le  8  mars,  se  dirigeant  vers  le  sud  par  la 
route  de  Hassi-Tamesguida.  Le  9,  elle  bivouaqua  à  Hassi-ben-Roubo;  le  11, 
à  llassi-Kaddour,  où  elle  fut  rejointe  par  le  goum,  qui,  le  9,  avait  livré,  au  sud 
de  Tamesguida ,  un  furieux  combat  aux  rebelles  commandés  par  le  chérif  en 
personne.  Ce  dernier  avait  été  obligé  de  prendre  la  fuite,  laissant  entre  nos 
mains  cent  vingt  tentes,  deux  drapeaux,  huit  cent  cinquante  chameaux  et  un 
butin  considérable.  Dans  cet  engagement,  M.  de  Bazignan  avait  été  assex  griè- 
vement blessé. 

Le  13,  après  avoir  laissé  à  llassi-Kaddour  un  petit  dépôt  sous  lo  comman- 
dement d'un  officier  de  cavalerie  avec  le  lieutenant  Lariche,  du  régiment,  la 
colonne  reprit  sa  marche  et  s'arrêta  à  une  faible  dislance  de  Tamesguida.  Le 
lendemain,  un  détachement  de  vingt  Tirailleurs  fut  envoyé  sur  ce  point  pour 
nettoyer  les  puits  et  remplir  les  tonnelets  vides,  et  rejoignit  ensuite  les  autres 


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[1872]  EN  ALGÉRIE  480 

troupes,  qui  avaient  continué  leur  poursuite  dans  la  direction  du  sud-ouest.  On 
supposait  que  le  chérif  avait  dû  prendre  cette  route  pour  se  retirer  sur  El- 
Goléah  ;  mais,  vers  midi ,  les  éclaireurs  du  goum  signalèrent  des  indices  sem- 
blant, au  contraire,  indiquer  qu*il  était  en  fuite  vers  le  sud-est.  Tournant 
alors  brusquement  &  gaucbc,  toute  la  colonne  se  jeta  sur  cette  nouvelle  piste. 
liO  goum  fl*élançn  d*abord  ;  puis  le  commandant  d'Orléans  partit  au  trot  avoc 
Tcscadron  de.  chasseurs  et  celui  de  spahis  pour  Tappuyer,  pendant  que  le 
restant  des  troupes,  accélérant  Tallure,  se  mettait  sur  la  trace  des  chameaux 
do  Tonncmi.  On  marcha  ainsi,  sans  halte  ni  repos,  jusqu'à  cinq  heures  du 
soir;  mais,  à  ce  moment,  force  fut  au  gros  de  s'arrêter  pour  mettre  un  peu 
d'ordre  dans  les  groupes  et  ramasser  les  paquetages  de  la  cavalerie ,  que  celle- 
ci  avait  été  obligée  de  jeter.  On  repartit  à  six  heures,  pour  ne  s'arrêter  au 
bivouac  qu'à  huit,  après  avoir  parcouru  environ  cinquante  kilomètres.  Le 
goum  et  la  cavalerie ,  eux ,  n'interrompirent  leur  course  qu'à  dix  heures  du 
soir,  lorsqu'il  leur  devint  impossible  de  demander  un  effort  de  plus  à  leurs 
chevaux. 

Le  15,  In  frnclion  principale  marcha  encore  pendant  deux  heures;  puis,  sur 
la  nouvelle  que  la  cavalerie  ne  pouvait  continuer,  on  s'arrêta,  et  l'on  envoya 
à  cette  dernière  des  vivre<«  et  de  l'eau.  Malgré  ce  secours,  le  commandant  d'Or- 
léans dut  renoncer  à  aller  plus  loin ,  et ,  à  onze  heures  du  soir,  il  rentrait  avec 
les  doux  escadrons.  Seul  le  commandant  Rose  continua  la  poursuite  jusqu'à 
Aln-cl-Taîba,  sans  parvenir  d'ailleurs  à  joindre  Bou-Choucha,  qui  fuyait  à 
toute  bride,  abandonné,  trahi  et  volé  par  les  siens,  ayant  failli  être  assassiné 
par  un  de  ses  familiers,  et  voyant  son  trésor,  ses  bijoux,  ses  harnachements 
de  luxe  entre  les  mains  de  Naceur-ben-Chora,  qui,  de  sou  cAté,  galopait  en 
fugitif  sur  la  route  de  Tunisie. 

Il  ne  fallait  plus  maintenant  espérer  atteindre  les  insurgés,  qui  avaient  une 
avance  trop  considérable;  le  retour  fut  décidé.  Le  17,  on  campait  do  nouveau 
près  de  Tamesguida.  Le  18,  il  y  eut  repos.  Le  19,  le  détachement  du  capi- 
taine Lalanne  des  Camps,  la  moitié  de  celui  du  capitaine  Teulières  et  l'es- 
cadron de  hussards  furent  détachés  du  gros  de  la  colonne  sous  les  ordres  du 
commandant  Ferrandi,  et,  après  une  pointe  vers  l'est,  arrivèrent  le  lende- 
main à  Hassi-Mguerba,  pendant  que  les  autres  troupes  s'arrêtaient  à  Hassi- 
Kaddour.  Le  21 ,  toute  la  colonne  bivouaqua  réunie.  Le  22 ,  trois  détachements 
furent  encore  formés  et  marchèrent  isolément  les  23  et  24,  pour  se  joindre  dé- 
finitivement le  25,  à  l'endroit  appelé  la  table  d'Ouargla.  Le  même  jour,  la 
colonne  légère  effectuait  sa  rentrée  au  camp  de  cette  ville;  elle  ramenait  mille 
chameaux  chargés  de  tentes,  de  couvertures,  d'objets  de  toute  sorte  consti- 
tuant à  peu  près  toute  la  fortune  du  chérif.  On  voit  donc  que,  sans  avoir 
amené  la  capture  de  Bou-Choucha,  cette  excursion  avait  cependant  donné  de 
remarquables  résultats  :  obligés  de  fuir  et  de  s'enfoncer  de  plus  en  plus  dans 
le  désert,  ayant  subi  des  pertes  irréparables  en  hommes,  en  bagages  et  en 
moyens  de  transport,  les  insurgés  se  trouvaient  non  seulement  chassés  du 
territoire  soumis  à  notre  administration ,  mais  encore  réduits  pour  longtemps 
à  la  plus  complète  impuissance. 

Pendant  ce  temps,  le  général  de  Lacroix  avait  fait  remettre  en  état  de  défense 


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440  LB  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [f872] 

la  casbah  d'Ouargla  ol  y  avaii  installé,  avec  lo  lilro  d'aglia,  lo  lioulonanl  Jo 
spahis  Hohamed-ben-Driss.  Cet  officier,  dont  les  intérêts  étaient  les  mêmes  que 
les  nôtres  et  qui  avait  tout  à  perdre  dans  une  révolte,  avait  la  charge  d'admi- 
nistrer tout  le  sud  de  la  province  de  Constantine,  sous  la  surveillance  directe 
du  commandant  de  Tannexe  de  Tuggurt.  C'est  lui  qui  allait,  le  29  mars  1874, 
arrêter  enfin  Bou-Choucha  à  El-Milenk,  sur  les  confins  du  territoire  des 
Touareg-Hoggar,  à  environ  dix  journées  de  marche  au  sud-ouest  d'Insalah. 

Le  20  janvier,  le  hasard  devait  faire  tomber  entre  nos  mains  deux  autres 
chefs  dont  on  avait  depuis  longtemps  perdu  la  trace,  et  à  la  prise  desquels 
on  était  loin  de  songer. 

Deux  cavaliers  du  bureau  arabe  se  trouvaient,  ce  jour-là,  en  tournée  dans 
les  environs  d'Ouargla ,  lorsqu'ils  furent  prévenus  par  le  cheik  d*un  village 
que  deux  hommes  paraissant  exténués  venaient  d'arriver,  et,  qu'après  avoir 
demandé  à  se  réconforter,  ils  avaient  refusé  de  se  faire  connaître.  Devinant 
qu'il  s'agissait  de  fugitifs,  les  cavaliers  se  firent  conduire  aux  deux  étrangers, 
qui  venaient  en  effet  de  faire  une  longue  marche,  et  dont  le  costume  annon- 
çait un  hatit  rang.  Ne  pouvant  fuir,  ceux-ci  se  rendirent  sans  résistance ,  et 
l'on  sut  alors  que  l'un  était  Bou-Hesrag,  frère  de  Mokrani,  et  l'autre  son 
cousin  Sa!d-ben-bou-Daoud.  Séparés  du  chérif  après  le  combat  du  9,  ils  avaient 
erré  à  l'aventure  dans  un  pays  qui  leur  était  complètement  inconnu;  puis, 
mourant  do  faim  et  do  soif,  ils  avaient  fini  par  venir  so  réfugier  dans  le  pre- 
mier village  qu'ils  avaient  rencontré. 

Le  1**'  février,  le  général  reprit  avec  ses  troupes  le  chemin  de  Tuggurt.  Il 
laissait  provisoirement  à  Ouargla  deux  compagnies  de  Tirailleurs ,  l'une  sous 
les  ordres  du  capitaine  Kolb,  l'autre  du  lieutenant  Taverne.  Le  retour  s'ef- 
fectua sans  incident,  et,  le  12,  on  arrivait  à  Tuggurt. 

Après  quatre  jours  de  repos,  la  colonne  se  dirigea  vers  le  Souf.  Le  17  fé- 
vrier, elle  bivouaquait  à  H^rin ;  le  18,  à El-Ouibed  ;  le  19,  à  Moulat-Fedjen ; 
le  20,  à  Mouïat-el-Ca!d ;  le  21 ,  à  Mouîat-Fatma;  enfin,  le  22,  entre  les  deux 
villes  de  Tarzout  et  do  Gucmar,  où  l'on  resta  cinq  joure,  pendant  que  le  gé- 
néral de  GalliflTet,  avec  la  cavalerie,  visitait  Bihina,  Zgoum,  Sidi-Aîoun  et 
Debila.  Le  27,  on  alla  coucher  à  Touinin,  et,  lo  28,  on  arriva  à  ElOued. 

Le  6  mars ,  une  colonne  de  six  cents  hommes  et  de  deux  cent  cinquante 
chevaux  fut  placée  sous  les  ordres  du  général  de  Galiflet;  elle  devait  remonter 
le  pays  le  long  do  la  frontière  tunisienne,  de  façon  à  couper  la  retraite  aux 
bandes  qui  auraient  été  tentées  de  s'échapper  do  co  cêté.  L'infaiiterio  do  cctie 
colonne,  uniquement  composée  de  Tirailleurs,  était  répartie  do  la  manière 
suivante  : 

1«  On  détachement  de  cent  soixante-dix  hommes  pris  dans  toutes  les  com- 
pagnies. —  Officiera  :  MH.  Wissant,  capitaine;  Esparron  et  Saad-ben-Serir, 
lieutenants;  Creutzer  et  Boularès-ben-Taîeb ,  sous-lieutenants; 

2<»  Dne  compagnie  constituée  (4*  du  3**  bataillon),  forte  de  quatre-vingt-dix 
hommes.  —  Officiera  :  MM.  Lalanne  des  Camps,  capitaine;  Penaud  et  Salah- 
ben-Mohamed,  sous-lieutenants; 

i^  Une  section  (quarante  hommes)  do  la  2<»  compagnio  du  1^'  bataillon, 
commandée  par  le  lieutenant  Yahia-ben-Simo. 


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[1872]  EN  ALGÉRIE  441 

La  colonne  se  dirigea  d'abord  au  nord ,  du  cAté  do  Kouinin  et  de  Guemar, 
puis  se  porta  à  Sidi-Aîoun,  où  fut  laissé  le  gros  du  convoi  sous  la  garde  de 
la  A^  compagnie  du  3*  bataillon  ;  elle  continua  ensuite  sa  marche  vers  Test  en 
passant  par  Dir-Saccia,  et  s*arréta,  le  9,  à  Bir-bou-Nab.  Le  lendemain,  pen* 
dant  que  la  cavalerie,  partie  dans  la  nuit,  exécutait  une  pointe  du  côté  de 
Nofta ,  le  capitaine  Wissant ,  avec  cent  vingt  Tirailleurs ,  faisait  une  diversion 
vers  Touest  et  poussait  jusqu'à  Bir-Mesloug.  Le  11 ,  toute  Finfanterie  se  porta 
à  Bir-Rabou,  où  elle  fut  rejointe  par  la  cavalerie.  Le  13,  la  colonne  en- 
tière allait  camper  sur  les  bords  de  Toued  Ferkane,  è  deux  kilomètres  de 
Négrine. 

N'ayant  sur  tout  ce  parcours  encontre  aucune  résistance,  le  général  de  Gal- 
liflet  rétrograda  alors  vers  le  sud  jusqu'à  Bir-Rabou,  d*où  il  se  dirigea  ensuite 
vers  le  nonl-ouest  pour  s'arrêter  h  Rosmeah ,  point  choisi  par  lui  pour  réunir 
les  troupeaux  razxés  pendant  Toxpédition ,  et  attendre  la  compagnie  laissée  à 
Sidi-Aîoun,  laquelle  arriva  le  19.  Le  23,  la  colonne  campait  &  Bir-Guerdane; 
le  24 ,  &  El-Baadj ,  où  elle  trouva  un  ravitaillement  venant  de  Biskra  sous  l'e»- 
corte  d'une  compagnie  du  régiment,  la  6®  du  3*  bataillon  (lieutenant  Brieux). 
Le  25,  on  atteignit  El-Feidh;  le  26,  Zéribet-el-Oued;  le  28,  Liana,  et,  le  30, 
Khangha-Sidi-Nadji,  sur  l'oued  El-Arab,  au  pied  des  derniers  contreforts  du 
Djebel -Cherchar.  Là  le  général  de  Galliflet  quitta  la  colonne,  en  laissant  le 
commandement  au  capitaine  Brault. 

On  resta  à  Khangha  jusqu'au  25  avril ,  jour  de  l'arrivée  de  la  colonne  prin- 
cipale avec  le  général  de  Lacroix.  Pendant  ce  temps,  deux  petites  sorties 
eurent  lieu  sous  les  ordres  du  capitaine  Brautt  :  la  première  le  9  avril,  avec 
la  6»  compagnie  du  3«  bataillon,  jusqu'à  El-Oudja;  la  deuxième  le  15,  avec 
quarante  Tirailleurs  et  le  lieutenant  Saad-ben-Serir,  vers  Koumil-Cheurfa, 
dans  les  Aurës. 

La  colonne  de  Lacroix ,  que  nous  avons  laissée  à  El-Ouod ,  quitta  cette  ville 
le  11  mars  pour  revenir  à  Tuggurt,  où  elle  arriva  le  21.  Le  28,  rentrèrent 
les  deux  compagnies  qui  étaient  restées  à  Ouargla,  et,  le  30,  eut  lieu  le  dé- 
part pour  Biskra.  Il  restait  à  Tuggurt  la  l*"*  compagnie  du  1*^  bataillon  (lieu- 
tenant Guillaume). 

Arrivée  à  Biskra  le  10  avril,  la  colonne,  renforcée  d*un  bataillon  du  3^  zouaves, 
en  reparlait  le  18  pour  parcourir  les  Aurès  et  faire  rentrer  les  contributions 
non  encore  payées.  Elle  campa  successivement  à  Sidi-Okba,  Ras-el- Aloun, 
Sidl-Salah,  Oudi-Sidir,  Zéribet-el-Oued,  Liaux,  et  rejoignit,  le  25  avril,  la 
colonne  légère  à  Khangha.  Ce  même  jour,  trois  compagnies  du  régiment  (4<*, 
5»  et  6^  du  3^  bataillon)  en  furent  détachées  pour  être  dirigées  sur  Bougie. 
Le  30,  on  se  porla  à  Cliebla,  où  pendant  une  dizaine  do  jours  les  troupes 
furent  occupées  à  ouvrir  des  routes.  Le  9  mai,  le  général  passa  la  revue  de 
la  colonne  et  lui  adressa  ses  adieux.  II  y  avait  neuf  mois  qu'il  était  à  sa  tête, 
parcourant  avec  elle  toute  la  province,  depuis  le  bord  de  la  mer  jusqu'aux 
dernières  limites  de  ta  partie  explorée  du  Sahara,  écrasant  sur  son  passage 
les  derniers  débris  de  l'insurrection,  faisant  renaître  partout  la  paix,  la  con- 
fiance, la  sécurité  et  le  travail.  Quelques  jours  après,  les  six  compagnies  du 
régiment  (4«,  5*  et  G»  du  i^'  bataillon  et  1^*,  5*  et  6«  du  2*)  qui  avaient  pris 


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442  LE  3"^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1872] 

part  &  ces  dornièros  opérations  rentraient  d'abord  à  Batna,  puis  à  Constan- 
Une. 

L'ordre  était  maintenant  partout  rétabli  ;  mais  il  était  nécessaire  de  peser 
encore  pendant  quelque  temps  sur  les  points  du  pays  où  la  résistance  avait 
été  la  plus  opiniâtre,  afin  d*assurer  jusqu'au  bout  le  payement  des  lourdes 
amendes  qui  avaient  été  imposées.  C'est  dans  ce  but  qu*une  colonne  mobile 
fut  organisée  à-Bougie  dans  les  premiers  jours  du  mois  de  mai. 

D'abord  placée  sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel  Oudan,  du  3*  spahis, 
et  se  composant  du  21*  bataillon  de  chasseurs ,  d'un  autre  du  6^^  de  ligne  et 
d'un  escadron  de  hussards,  cette  colonne  parcourut  pendant  près  de  deux 
mois  la  vallée  de  l'Oued -Sahel,  revint  à  Bougie,  où  elle  laissa  le  bataillon  de 
chasseurs,  et  prit  trois  compagnies  de  Tirailleurs^  et  une  section  d'artillerie 
de  montagne,  puis  repartit  le  24  juillet  sous  le  commandement  du  lieutenant- 
colonel  Béhic,  appelé  à  remplacer  le  lieutenant -colonel  Oudan,  gravement 
malade.  Elle  visita  alors  successivement  les  Mzaîa,  les  Ait- Amer,  les  Beni- 
Hansour,  les  Beni-Oughiis,  les  Aouzellaghen ,  les  Illoula,  les  Harrach,  etc., 
et  redescendit  la  vallée  de  l'Oued-Sahel  pour  rentrer  défmitivement  à  Bougie, 
où  elle  fut  dissoute  le  16  septembre. 

Cette  opération  devait  être,  dans  le  Tell ,  la  dernière  se  rattachant  par  ses 
causes  à  Tinsurrection  de  1871.  La  résistance  des  indigènes  était  maintenant 
vaincue,  bien  vaincue,  et  ce  n'était  plus  qu'à  une  sage  administration  qu'il 
appartenait  désormais  de  faire  disparaître  les  dernières  traces  de  ce  vaste  in- 
cendie. C'était  pour  les  troupes  de  la  province  un  repos  de  plusieurs  années  qui 
se  préparait  ;  toutes  en  avaient  besoin ,  mais  particulièrement  le  3*  Tirailleurs, 
dont  la  réorganisation  provisoire  avait  besoin  d*étre  complétée.et  mise  en  har- 
monie avec  les  nouvelles  dispositions  arrêtées  pour  les  régiments  d'infanterie 
indigène. 

Par  un  décret  du  3  février  1872,  la  composition  de  ceux-ci  avait  été  ainsi 
modifiée  : 

1*  Les  bataillons  ne  devaient  plus  comprendre  que  six  compagnies  au  lieu 
de  sept; 

2^  Il  était  créé  deux  compagnies  de  dépôt. 

En  exécution  de  ces  prescriptions,  la  7*  compagnie  de  chacun  des  deux 
derniers  bataillons  fut  licenciée,  et  la  7*  de  chacun  des  deux  premiers  consti- 
tua une  compagnie  de  dépôt.  A  U  suite  de  cette  modification ,  du  tiercement 
qui  eut  lieu  après  l'inspection  générale  et  do  l'opération  de  la  revision  des 
grades,  le  corps  présenta  la  situation  ci-après  : 

ÉTiT-UiJOR 

HM.  Barrué,      colonel. 

Aubry ,       lieutenant-colonel . 

Béhic,        lioutcnant-coluucl  (à  la  suite). 

1  Ces  compagnies  étalent  les  4*,  5«  et  6>  du  S*  bataillon  ;  elles  étaient  sont  les  ordres 
du  commandant  Petiyean. 


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[18721 


MM 


MM 


RN  ALn^.mR 

MM.  Ilrissel,  major. 

Lapcyrc,  capitaino  trésorier. 

Tafldcl,  capitaine  (I*habillcment. 

Martin ,  aoos-Iieutcnant  poKe-drapeau. 

Hehoufl ,  médecin-major  do  l'*  classe. 

Milon ,  médecin-major  de  2«  classe. 

Nicaud  ,  médecin  aide-major  de  l^^  classe. 


443 


MM.  Croutet, 
Braait, 

l*^*^  compagnie. 


i«'    BATAILLON 

chef  de  bataillon, 
capitaine  adjudant-major. 


MM. 


MM. 


Roux,  capitaine. 
Teulières ,  lieutenant  français. 
Hassein-ben-AIi ,  lieut.  indig. 
Siquart,  sous-lieut.  français. 
Ahmed-ben-Laoussi ,  sous-Jieu- 
tenant  indigène. 

2*  compagnie. 

Donin  de  Roxière,  capitaine. 
Anglade ,  lieutenant  français. 
Kaddour-ben-Ali,  lieut.  ind. 
Lariche,  sous-lieut.  français. 
Salah-ben-Zouaghi ,  s.-lieut.  ind. 

3"  compagtiie, 

,  Maisonneuve-Lacoste,  capitaine. 
Darolles,  lieutenant  français. 
Lagdar-ben-Haoussin,  lieut.  ind. 
Viaud ,  sous-lieutenant  français. 
Larbi-bel-Haoussin,  s.-Iieut.  ind. 


4*  compagnie. 
MM.  Oriot,  capitaine. 

Brieux ,  lieutenant  français. 
Rault,  sous-lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Saîd,  s.-lieut.  ind. 


5*  compagnie. 

MM.  Montignault,  capitaine. 
Règne,  lieutenant  français. 
Salah-ben-Ahmod ,  lieut.  ind. 
Thierry,  sous-lieut.  français. 
Hohamed-ben-Taieb,  sous-lieu- 
tenant indigène. 

6«  compagnie. 

MM.  Richalley,  capitaine. 

Déporter,  lieutenant  français. 
Saîd-ben-Tahia ,  lieut«  indigène. 
Lequin ,  sous-lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Amar,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


2«    BATAILLON 


MM.  Matthieu, 
Leiorrain , 


chef  de  bataillon, 
capitaine  adjudant-major. 


l'«  compagnie. 

Giraud,  capitaine. 
Druzcaux,  lieutenant  français. 
Iladj-Tahar,  lieutenant  ind. 
Munior,  sous-lieutcnant  français. 
Amar-ben-Taleb ,  s.-lieut.  ind. 


2*  compagnie. 

MM.  Lalanne  des  Camps,  capitaine. 
Soulice,  lieutenant  français. 
Aroar-ben-Medeli,  lieut.  ind. 
Penaud ,  soua-lieut.  français. 
Alssa-ben-Hadj-Hassein,  sous- 
lieutenant  indigène. 


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444 


MMi 


LE  3*  nËQIHENT  DB  TIIU1LLEUR8  ALGÉRIENS 


[1872] 


MM 


3*  compagnie. 

Donnier,  capitaine. 
Camion,  lieutenant  français. 
Haoussin-ben-Ali ,  lient,  indig. 
Naviet,  sous-lieutenant  français. 
Larbi-bel-Oussif,  s.-lieut.  ind. 

4*  eon^pagnie. 

Carré  de  Busserolle,  capitaine. 
Roux,  lieutenant  français. 
Empérauger,  sous-lieut.  franc. 
Saïd-ben-Ali,  sous-lieu  t.  ind. 


8*  compagnie. 


MM 


Duchesne,  capitaine. 
Valat,  lieutenant  français. 
Tahar^ben-Amouda,  lieut.  ind. 
Dargent,  sous-lieut.  français. 
Taîeb-ben-Ali ,  sous-lieut.  ind. 

6*  compagnie. 

MM.  Guyon-Desdiguière,  capitaine. 
Lafon,  lieutenant  français. 
De  Baxignan ,  sous-lieut.  franc. 
Mohamed  -  ben  -  Ahmed-Khodja , 
sous-lieutenant  indigène. 


3«   BàTàILLON 


MM.  Petitjean, 
Chenu, 

i'^  compagnie. 

MM.  De  Larochelambert,  capitaine. 
Macarez,  lieutenant  français. 
Mathieu,  sous-lieut.  français. 
Rebab-ben-Amelaoul,  sous-lieu- 
tenant indigène. 

2*  compagnie. 

MM.  Sauvage,  capitaine. 

Mustaplia-ben-el-Iladj-Otman , 
lieutenant  français. 

Mohamed-ben-Charad,  lieut.  ind. 

Lacoux,  sous-lieut.  français. 

Bouguerrah-ben-Mohamed,  sous- 
lieutenant  indigène. 

3®  compagnie. 

MM.  Wissant,  capilaine. 

Clerc,  lieutenant  français. 
Ali-ben-Ahmed ,  lieut.  ind. 
Creutzer,  sous-lieut.  français. 
Lagdar-ben-el-Achi,  s.-lieut.  ind. 


chef  de  bataillon, 
capilaine  adjudant-major. 


4«  compagnie. 

MM.  Maux,  capilaine. 

Bernad ,  lieutenant  français. 
Zenati-ben-Serir,  lieut.  ind. 
Carli ,  sous-lieutenant  français. 
Amri-ben-Lagdar,  s.-lieut.  ind. 

S*  compagnie. 

MM.  Rinn ,  capitaine. 

Dufour,  lieutenant  français. 
Amar-beu-Urahim ,  lieut.  ind. 
Gauvin ,  sous-lieut.  français. 
Ali-ben-Chanoun ,  s.-lieut.  ind. 


6^  compagnie. 

MM.  Larrivet,  capitaine. 

D'Eu ,  lieutenant  français. 
Aliben-Osman,  lieut.  indig. 
Andanson ,  sous-lieut.  français. 
Salah-ben-Tahar,  s.-lieut.  ind. 


¥  BATAILLON 

MM.  Rapp ,      rhcf  de  bataillon. 

Vigel ,      capilaine  adjudant-major. 


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[1872] 

1"*  compagnie. 

MM.  Delahogue,  capitaine. 
Roy,  lieutenant  français. 
Kacem-Labougic ,  licul.  indig. 
Boutarel,  sous-liout.  français. 
Amar-ben-Barki ,  sous-lieut.  ind. 

2*  compagnie. 

MM.  Kolb,  capitaine. 

Hamel,  lieutenant  français. 
Kacem-ben- Ahmed ,  Heu  t.  ind. 
Mazué ,  sous-lieutenant  français. 
Ahmod-bcn-Chérif ,  s.-licut.  ind. 

3*»  compagnie. 

MM.  Fargue,  capitaine. 

Desruelles,  lieutenant  français. 
Yahia-ben-Simo,  lieut.  indig. 
Paoli ,  sous-lieutenant  français. 
Taîob-bcn-Latnchi,  s.-lieut.  ind. 


EN  ALGÉRIE  445 

4*  compagnie. 

MM.  Pont,  capitaine. 

Mondielli ,  lieutenant  français. 
Saad-ben-Serir,  lient,  indigène. 
Marot,  sous-lleutenant  français. 
Garmi-ben-Tahar,  s.-lieut.  ind. 
5®  compagnie. 

MM.  Sergent,  capitaine. 

Winter,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Taîeb ,  lieut.  ind. 
Lejosne,  sous-lieut.  français. 
Djellali-ben-Aouda ,  s.-lieut.  ind. 

6*  compagnie. 

MM.  Poupelier,  capitaine. 

Esparron ,  lieutenant  français. 
Abadie,  sous-liéut.  français. 
Kaddour-ben-Ahmed ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


DEPOT 


l'«  compagnie, 

MM.  Guillaume,  capitaine. 

Ilennequin,  lieutenant  français. 
Abderrahman-bcn-Ekarfi,  lieu- 
tenant indigène. 
Roche ,  sous-lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Ali ,  s.-lieut.  ind. 


2*  compagnie. 

MM.  Garnier,  lieutenant  français. 
Béchir-ben-Mohamed ,  lieut.  ind. 
Quilici ,  sous-Iieut.  français. 
Bel  kasscm  -  Zid  -  ben  -  Mohamed  - 
Zid ,  sous-lieutenant  indigène. 


OFFICIERS  A  LA  SUITE 


MM.  Daret  Deryille  de  Champsoin, 
Alman-ben-Salah , 

Taîeb-ben-el-IIadj-Mahdi , 
Amar-ben-BeIkassem , 


sous-lieutenant  français, 
sous-lieutenant  indigène. 

d* 

d* 


Débarrassé  de  toute  préoccupation  dans  le  nord  de  la  province,  le  général 
de  Lacroix  put  enfîn  reporter  son  attention  vers  le  sud,  où  une  certaine  agi- 
tation continuait  à  se  manifester  parmi  les  tribus  nomades  des  environs 
d'Ouargla. 

Deux  partis  essayaient  encore,  dans  cette  région,  de  combattre  Tinfluence 
de  la  France  :  celui  de  Bou-Choucha,  réduit  maintenant  à  quelques  coupeurs 
de  routes,  et  celui  des  Ouled-Sidi-Cheikh,  qui ,  sans  nous  être  aussi  ouverte- 
ment hostile ,  n'en  cherchait  pas  moins  activement  à  supplanter  notre  autorité. 


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446  LE  3«  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l873] 

Divisés  pour  le  moment,  ils  pouvaient  s*unir,  nous  opposer  de  nouvelles 
difficultés,  détruire  en  quelques  jours  le  fruit  de  longs  efforts,  et  prolonger 
indéfiniment  cette  insécurité  qui ,  depuis  1869,  détournait  toutes  les  caravanes 
du  centre  de  l'Afrique  de  la  route  d'EI-Goléah,  pour  les  rejeter  sur  celles  de 
Ghadamès  et  de  Tripoli.  Il  importait  donc  de  poursuivre  les  rebelles  jusque 
dans  leurs  derniers  repaires,  et  une  reconnaissance  sur  El-Goléali  fut 
décidée. 

C'est  au  général  de  Galliffet  que  fut  coniiée  la  direction  de'cctte  opération.  Il 
fut  mis  à  sa  disposition  une  colonne  de  sept  cents  hommes,  qui  s'organisa  à 
Biskra  au  commencement  de  décembre,  et  se  composa  de  trois  compagnies 
de  Tirailleurs,  d'une  compagnie  du  3*  bataillon  d'infanterie  légère  d'Afrique, 
d'un  escadron  du  3«  spahis,  d'une  section  d'artillerie  de  montagne  et  d'un 
détachement  du  génie.  Les  trois  compagnies  du  régiment  étaient  :  la  i^ 
(capitaine  Delahogue),  la  2«  (capitaine  Kolb),  et  la  3*  (capitaine  Valat)  du 
4*  bataillon.  Le  capitaine  Delahogue  avait  le  commandement  en  qualité  de 
plus  ancien. 

Dès  qu'ils  apprirent  les  préparatifs  de  cette  expédition,  les  Ouled-Sidî- 
Cheikh  tentèrent  habilement  d'en  exploiter  la  nouvelle  à  leur  profit.  Us 
représentèrent  au  commandant  supérieur  de  Laghouat  que  la  marche  sur 
El-Goléah  était  pleine  de  dangers,  et  oiTrirent  do  pacifier  eux-mêmes  le  pays; 
d'un  autre  côté,  s'adressant  aux  Sahariens,  ils  essayèrent  de  les  efiraycr  en 
affirmant  que  la  colonne  fusillerait  tous  ceux  qui  tomberaient  en  son  pouvoir 
et  qu'elle  couperait  tous  les  palmiers.  Mois  cette  politique  astucieuse,  qui 
cachait  mal  chez  cette  tribu  le  désir  de  nous  voir  échouer  dans  une  entreprise 
qui  menaçait  de  détruire  complètement  son  prestige,  ne  réussit  guère  qu'à 
foire  prendre  à  son  égard  des  précautions  devant  assurer  sa  neutralité.  Ces 
précautions  consistèrent  dans  la  conclusion  d*une  trêve  avec  les  principaux 
de  ses  chefs. 

Le  départ  de  Biskra  eut  lieu  le  20  décembre.  Le  29 ,  on  arrivait  à  Tuggurt. 
Là  un  chameau  fut  donné  comme  monture  à  chaque  fantassin.  Les  hommes 
furent  d'abord  exercés  à  monter  sans  sac,  puis  avec  le  sac  au  dos,  le  fusil 
en  travers  de  l'arçon,  prêts  à  sauter  à  terre  au  premier  signal.  Un  assez  long 
apprentissage,  marqué  par  de  nombreuses  chutes,  fut  nécessaire  pendant  la 
route  pour  obtenir  ce  résultat;  mais  les  efibrts  tentés  dans  ce  sens  réussirent 
pleinement,  et  lorsqu'on  arriva  à  Ouargla,  cette  cavalerie  d'un  nouveau  genre 
manœuvrait  d'une  façon  remarquable. 

On  quitta  Tuggurt  le  2  janvier  1873,  pour  atteindre  Ouargla  le  8.  A  partir 
de  cette  ville,  on  allait  parcourir  un  pays  complètement  inconnu. 

Deux  routes  se  présentaient  pour  franchir  la  distance  qui  séparait  encore  du 
but  de  l'expédition  :  l'une  directe,  passant  par  liassi-el-lladjar;  Tautre  quit- 
tant celle-ci  à  ce  dernier  point,  et  se  dirigeant  ensuite  à  l'ouest  jusqu'à 
llassi-Bergaouï ,  pour  redescendre  alors  vers  le  sud  et  pasàer  à  Zirahra.  La 
première  était  beaucoup  plus  courte  (trois  cent  vingt- cinq  kilomètres  au  lieu 
de  trois  cent  soixante-cinq) ,  mais  elle  était  moins  connue  et  n'avait  qu'un 
seul  puits  sur  son  parcours  ;  la  dernière  lui  fut  préférée. 

La  colonne  se  mil  en  route  le  11  janvier,  avec  quarante  jours  de  vivres. 


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[1873]  EN  ALGÉRIE  447 

Pendant  toute  la  durée  du  trajet,  à  Taller  et  au  retour,  elle  allait  marcher  en 
carré,  le  convoi  et  Tartillerie  au  milieu,  les  quatre  faces  formées  par  les 
quatre  compagnies  d'infanterie  et  couvertes  par  la  cavalerie.  La  même  dispo- 
sition devait  être  conservée  pour  le  bivouac,  avec  la  seule  différence  que  la 
cavalerie  fournissait  la  quatrième  face,  et  que  la  compagnie  d'arrière- garde 
se  plaçait  en  réserve  de  rartilleric.  Chaque  compagnie  avait  ses  chameaux 
derrière  elle  et  devait  se  garder  elle-même. 

Le  deuxième  jour ,  on  arriva  à  Uassi-el-IIadjar  (quatre-vingt-cinq  kilo- 
mètres), halte  possédant  un  puits  creusé  dans  le  roc,  à  douze  mètres  de 
profondeur,  et  donnant  une  eau  sulfureuse  et  de  mauvaise  qualité.  On  y 
remplit  cependant  les  peaux  de  bouc  qui  avaient  coulé,  et  cette  opération 
demanda  jusqu'au  lendemain  à  deux  heures  de  Taprès-midi;  aussi  l'étape  du 
13  ne  fut-elle  que  do  douze  kilomètres. 

On  allait  maintenant  vers  l'ouest.  Le  14,  la  marche  continua  dans  cette 
direction,  et,  après  un  parcours  de  quarante  kilomètres,  on  campa  sur  un 
terrain  rocailleux  formant  la  première  assise  d'un  vaste  plateau  s'étendant  au 
sud.  Le  16,  on  s'engagea  dans  le  lit  de  l'Oued -Bergaouî,  signalé  par  une 
légère  végétation,  et  l'on  s'arrêta  au  milieu  d'une  gorge  escarpée,  dans  un 
endroit  sauvage  et  désolé.  Cette  marche  forcée,  par  une  chaleur  accablante 
pendant  le  jour,  avait  tellement  fatigué  les  moutons  sur  pied,  qu*une  fois 
abattus,  leur  viande,  complètement  échauffée,  était  immangeable.  Il  fallut 
remédier  à  cet  inconvénient  en  mettant  dès  lors  ces  animaux  sur  des  cha- 
meaux. 

Le  17,  on  rencontra  plusieurs  gorges  étroites  que  les  chameaux  ne  parvin- 
rent à  franchir  que  très  lentement,  et  un  per  un.  Cependant  on  commença  à 
trouver  une  végétation  un  peu  plus  abondante.  A  midi,  après  un  trajet  de 
seize  kilomètios,  on  arriva  aux  puits  dits  Ilassi-IIadadra,  Ilassi-Dorgaoni  et 
Ilassi-Cherfcl ,  fournissant  en  assez  grande  quantité  de  l'eau  sulfureuse  qu'il 
faut  rendre  potable  par  Tévaporation.  Là  passe  la  route  suivie  par  les  cara-  ' 
vanes  qui  se  rendent  directement  d'EI-Goléah  à  Laghouat  par  le  Mzab.  On  s'y 
arrêta  toute  la  journée  du  18,  afin  de  remplir  les  peaux  de  bouc  et  de  per- 
mettre aux  animaux  de  se  refaire  un  peu  dans  les  abondants  pâturages  des 
environs;  puis  le  19,  on  se  dirigea  vers  le  sud,  à  travers  un  terrain  difficile 
et  rocailleux.  Le  20,  le  pays  changea  légèrement  d'aspect;  on  commença  à 
apercevoir  quelques  dunes  de  sable,  et  l'on  s'arrêta  au  puits  de  Zirahra,  au 
milieu  d'une  plaine  assez  vaste,  bordée  de  rochers  d'un  côté  et  de  hautes 
dunes  de  l'autre.  Dans  les  deux  jours  qui  suivirent,  ce  paysage  se  continua 
avec  une  eiïrayante  monotonie.  Le  23 ,  on  traversa  une  grande  plaine  cou- 
verte de  petites  dunes  de  sable,  et  Ton  arriva  à  un  plateau  assez  élevé,  qu'il 
fallut  descendre  par  des  gradins  immenses,  pour  retomber  dans  une  nouvelle 
plaine  limitée  par  des  rochers  que  le  sable  envahit  chaque  jour.  Enfin,  le  24, 
on  atteignit  El-Goléah,  qu'on  trouva  h  peu  près  abandonné. 

L'oasis  de  ce  nom  s'étend  du  nord  au  sud  sur  un  espace  de  plusieurs  kilo- 
mètres carrés.  Elle  est  composée  d'une  série  de  jardins  entourés  de  murs  en 
terre  de  un  mètre  cinquante  centimètres  à  deux  mètres  d*élévation.  Presque 
chaque  jardin  possède  un  puits  dont  la  profondeur  varie  de  quatre  à  six 


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448  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1873] 

inèlrofl.  L'eau  cal  aboiidanlo  et  do  boiiiio  (|iialitô.  I^ca  liabilanta  cultiveiil  le 
palmier,  l'orge,  les  oignons,  quelques  fèves,  le  liguier,  le  pécher,  le  gre- 
nadier et  la  vigne. 

La  ville  se  divise  en  deux  parties  bien  distinctes  :  la  ville  haute  et  la  ville 
basse. 

La  ville  haute  est  bâtie  en  amphithéâtre  sur  un  mamelon  formé  d'assises 
successives  de  marne  et  de  rocher.  Au  sommet  de  ce  mamelon ,  sur  une  table 
rocheuse  dominant  Goléah  et  la  vallée,  se  trouve  la  casbah,  construction 
massive  et  irrégulière,  présentant  plusieurs  bastions,  flanquant  les  murailles 
et  possédant ,  dans  le  bastion  le  plus  élevé,  un  puits  qui  suffirait  à  donner  de 
l*eau  à  la  garnison  en  cas  de  siège.  Ces  fortifications  sont  complétées  par  une 
enceinte  continue  que  la  nature  du  terrain  rend  inabordable  au  nord  et  au 
sud,  et  qui  a  été  renforcée  d*un  second  mur  à  Touèst;  seule  la  face  orientale 
constitue  un  point  faible  pouvant  être  assez  facilement  attaqué. 

La  ville  basse,  non  comprise  dans  l'enceinte,  s'étend  au  pied  iiiômo  du 
mamelon ,  dans  l'oasis. 

En  1873,  la  population  totale  d*EI- Goléah  s'élevait  à  environ  cinq  cents 
tentes;  l'oasis  comptait  seixe  mille  palmiers,  dont  treize  mille  en  plein 
rapport. 

De  la  casbah  on  découvre  le  pays  à  une  grande  distance  :  au  nord,  se 
trouve  le  plateau  traversé  par  la  route  du  Mzab;  sur  les  autres  points,  ce 
sont  des  dunes  de  sable  se  succédant  comme  les  vagues  d'un  océan.  Près  du 
piton  où  s'étage  la  ville  actuelle,  se  dresse  un  deuxième  mamelon  sur  lequel 
on  aperçoit  les  ruines  d'une  autre  cité,  qui  s'appelait,  dit-on,  Tambouzin. 
On  jour,  surprise  par  les  habitants  d'EI- Goléah  pendant  qu'elle  faisait  paître 
ses  troupeaux,  la  population  de  Tambouzin  aurait  été  entièrement  massacrée. 
One  mosquée,  respectée  sans  doute  par  les  vain^iueurs,  est  restée  debout  au 
milieu  de  l'emplacement  do  la  ville  détruite  et  est  devenue  un  pèlerinage  très 
fréquenté. 

Avant  do  quitter  Tuggurt,  le  général  de  Galliflet  avait  adressé  une  procla- 
mation aux  tribus  insoumises,  promettant  l'aman  à  toutes  celles  qui  acquit- 
teraient l'impôt  de  guerre.  Cette  proclamation  eut  tout  l'eflet  qu'on  pouvait  en 
attendre.  Le  12,  à  Hassi-el-Hadjar ,  se  présentait  une  députation  des  Chambâa- 
Houhadid ,  d'Ouargla,  demandant  à  eflectuer  le  versement  exigé.  Les  nomades 
espéraient  ainsi  arrêter  la  colonne  qu'ils  voyaient  avec  une  certaine  appréhen- 
sion pénétrer  dans  leur  pays;  mais,  trompés  dans  leur  attente  et  sous  Tin- 
fluence  des  bruits  répandus  par  les  Ouled-Sidi-Cheikh,  ils  ne  voulurent  pas 
croire  à  nos  intentions  pacifiques  et  se  retirèrent  à  quelques  journées  de 
marche  d'EI-Goléah.  Obéissant  à  un  eflroi  non  moins  réel,  mais  plus  dissi- 
mulé ,  la  djemfta  *  d'Insalah  écrivit  au  général  que  les  habitants  do  cette 
oasis,  désireux  de  vivre  désormais  en  paix  avec  les  Français,  refuseraient  à 
l'avenir  de  recevoir  des  révoltés.  Ils  engageaient  les  Bourouba  à  rappeler 
quelques-unes  de  leurs  tentes  établies  chez  eux,  ajoutant  qu'ils  étaient 
décidés  à  les  chasser  à  coups  de  fusil ,  s'ils  ne  se  retiraient  pas  de  bon  gré. 

*  Assemblée  des  notables. 


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[1873]  EN  ALGÉRIB  449 

De  leur  côté,  les  Mekhadma ,  qui  s'étaient  jetés  dans  le  parti  de  Bou-Choucha, 
annonçaient  qu'ils  quittaient  leurs  campements  pour  rentrer  à  Ouargla.  Dans 
ces  conditions,  il  eût  été  facile  à  la  colonne  de  visiter  les  puits  situés  au  sud 
d'EUGoléah,  sur  la  route  du  Toual;  mais  les  Ouled-Sidi^ Cheikh  y  avaient 
leurs  tentes  :  tout  mouvement  do  nos  troupes  pouvait  les  autoriser  &  croire, 
ou  h  faire  semblant  de  croire,  qu*on  ne  respectait  pas  la  trêve  consentie  avec 
eux;  le  général  dut  s*abstenir. 

On  resta  à  El-Goléah  jusqu'au  l""  février.  Prolonger  ce  séjour  eût  été 
s'exposer  à  un  retour  difficile  à  cause  de  la  chaleur;  il  avait  d'ailleurs  été 
suffisant  pour  faire  les  petits  travaux  nécessaires  pour  assurer  la  défense  de 
la  ville.  La  plate- forme  dominant  celle-ci  avait  été  déblayée,  puis  entourée 
d*un  mur  crénelé,  et  un  logement  y  avait  été  construit  pour  le  cheik  par  les 
soins  du  génie.  Une  inscription ,  gravée  sur  une  pierre  placée  sur  la  face  de 
la  première  maison ,  devait  rappeler  la  date  de  l'entrée  de  la  colonne. 

Le  retour  à  Ouargla  s'efiectua  par  la  route  directe,  en  sept  jours,  c'est- 
à-dire  en  parcourant  une  moyenne  de  quarante-six  kilomètres  par  jour,  résultat 
dont  il  n'existe  aucun  exemple  dans  toutes  les  précédentes  expéditions  à  tra- 
vers le  Sahara.  Le  4  février,  la  colonne  fut  assaillie  par  un  violent  ouragan 
de  sable  qui  se  termina  par  une  forte  pluie.  Cette  bourrasque  apaisée,  le 
temps,  (|ui  jusque -là  s'était  montré  remarquablement  beau,  continua  d'étro 
favorable  à  l'opération. 

Le  13  février,  on  quittait  Ouargla,  et  le  19  on  arrivait  à  Tuggûrt.  L'in- 
fanterie avait,  cette  fois,  fait  le  trajet  à  pied  avec  les  sacs  sur  les  chameaux. 
De  Tuggurt,  la  colonne  rentra  à  Biskra,  où  elle  fut  dissoute. 

Voici  comment  le  génoral  do  Lacroix  appréciait  dans  un  ordre  du  jour  les 
services  rendus  par  les  troupes  qui  avaient  pris  part  à  cette  expédition. 


«  ...  Les  rebelles  comptaient  sur  leur  éloignement  de  tout  poste  français, 
lis  ne  pouvaient  croire  qu*une  colonne  relativement  nombreuse  franchirait 
jamais  les  obstacles  que  lui  opposaient  la  distance  et  la  nature  du  sol  :  aussi 
ont- ils  été  surpris  et  consternés  de  la  rapidité  4e  notre  marche,  et  se  sont-ils 
empressés  de  faire  leur  soumission. 

«  Aujourd'hui,  de  la  mer  à  El-Goléah  il  ne  reste  plus  un  seul  insurgé, 
et  rcITct  produit  sur  les  populations  a  été  tel,  que  des  points  les  plus  éloignés, 
inéino  d'Insalali ,  nous  sont  venues  des  protestations  d*amitié  et  do  désir  do  vivro 
en  paix  avec  le  gouvernement  français. 

«  Notre  influence  s'étend  donc  aujourd'hui  jusqu'à  cette  latitude  extrême, 
c'est-à-dire  à  plus  de  la  moitié  du  chemin  de  la  mer  à  Tombouctou. 

«  Cette  brillante' opération,  indépendamment  de  ses  résultats  politiques, 
Tournit  encore  à  la  science  de  nouveaux  documents.  Elle  fait  le  plus  grand  hon- 
neur au  général  de  GalliiTet,  aux  officiers  et  troupes  sous  ses  ordres. 

«  Si  celles-ci  ont  été  bien  préparées,  bien  organisées  et  bien  conduites,  elles 
ont  à  leur  tour  fait  preuve  de  dévouement  et  d'abnégation.  Elles  sont  restées 
à  la  hauteur  d'une  situation  difficile,  supportant  sans  se  plaindre  toutes  les  pri- 
vations qu'elles  ont  eues  à  subir  dans  ces  parages  éloignés ,  traversant  les  plaines 
arides  du  désert,  dans  une  contrée  que  les  gens  du  sud  eux-mêmes  appellent 
le  pays  de  la  soif...  * 

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450  LB  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  ALGÉRIE       [l873] 

Parmi  les  citations  qui  suivaient  cas  éloges  si  flatteurs ,  liguraicnt  les  capi- 
taines Ddabogue,  Valat  et  Kolb,  qui  n'avaient  cessé  de  se  faire  remarquer 
par  leur  vigueur  et  leur  entrain.  Le  général  de  Galliffet  signalait  encore,  dans 
son  rapport,  le  commandant  Crouzet,  commandant  supérieur  du  cercle  de 
Biskra,  pour  les  renseignements  précieux  qu'il  avait  fournis  sur  le  pays  qu'on 
venait  de  visiter  et  le  concours  éclairé  qu'il  avait  apporté  dans  Torganisation 
de  la  colonne. 

Quelque  temps  après,  le  capitaine  Delahogue  était  fait  officier  de  la  Légion 
d'honneur,  et  le  capitaine  Kolb  nommé  chevalier. 

Ces  récompenses  n'étaient  pas  les  seules  que  le  corps  eût  obtenues  pendant 
ces  deux  années  d'eflbrts  et  de  combats  :  vingt-cinq  croix  de  la  Légion  d'hon- 
neur et  cinquante  et  une  médailles  militaires  lui  avaient  été  précédemment 
accordées.  Voici  quelles  étaient  les  promotions  dans  la  Légion  d'honneur  : 

Cûmmandeur  :  H.  Barrué,  colonel  (20  novembre  1872)  ; 

OffUitn  :  HM.  Mathieu,  chef  de  bataillon;  de  Larochelambert,  capitaine 
(8  août  1871);  Darras,  capitaine  (14  janvier  1872); 

Chevaliers  :  HM.  Donin  de  Rozière,  Lalanne  des  Camps,  Roux,  capitaines; 
Guillaume,  Darolles,  lieutenants;  Tourret,  sous- lieutenant;  Lefebvrc,  ser- 
gent-fourrier (8  août  1871);  Sergent,  capitaine  (17  octobre  1871);  Maison- 
neuvo-I^costo,  capitaine;  Zénati-ben-Scrir,  Amar-I)en-Medcli,  lieutenants; 
Favreau,  sous -lieutenant  (16  novembre  1871);  Chenu,  capitaine;  Déporter, 
HohameJ-ben-Ahmed-Kliodja,  lieutenants;  Aïssa-ben-lladj-Asscn,  sous- 
lieutenant  (14  janvier  1872);  Pétiaux,  capitaine;  Béchir-ben- Mohamed, 
lieutenant;  de  Bazignan,  sous-lieutenant  (22  mars  1872);  enfin  Vigel  et 
lUnn,  capitaines  (20  novembre  1872). 

La  liste  de  ces  distinctions  se  passe  do  commentaires;  elle  est  la  preuve  la 
plus  éclatante  des  services  rendus  au  pays  par  le  3«  Tirailleurs  pendant  le 
cours  des  événements  que  nous  venons  de  raconter;  elle  restera  le  plus  élo- 
quent témoignage  de  ce  qu'il  y  eut  de  courage  et  do  dévouement  dépensé 
dans  cette  lutte  obscure, qui,  pour  n'avoir  pas  été  très  meurtrière,  n'en 
fournira  pas  moins  à  l'histoire  des  pages  dignes  de  figurer  parmi  les  plus 
belles  des  annales  de  l'Algérie. 


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CHAPITRE  VI 

(1873-18RI) 


Années  1873  et  i 874.  —  (1875)  Modifications  apportées  dans  Torganisation  dn  régiment. 
—  (1876)  Insurrection  d'El-Amri.  —  Colonne  du  général  Carteret-Trécourt.  —Combat 
du  11  avril.  —  Attaque  du  camp  par  les  insurgés  (14  avril).  —  Colonne  Barrné.  — 
Reddition  de  l'oasis.—  (1877)  Colonne  de  sunreillanoe  du  général  Logerot.  —  (1879)  Le 
colonel  Barrué,  parti  en  retraite,  est  remplacé  par  le  colonel  Barbier.  —  Expédition 
des  Aurès.  —  Combat  de  R'bàa.  —  Passage  de  la  gorge  de  Touba.  —  Licenciement  des 
colonnes  expéditionnaires  et  formation  d'une  colonne  légère.  —  Le  colonel  Gerder 
remplace  le  colonel  Darbier,  décédé.  —(1880)  Réception  do  nouveau  drapeau.  — 
Mission  Flatters. 


Ln  flccousAo  que  venait  do  subir  TAIgérlo  avait  été  trop  violontc,  les  indi- 
g^nc.9  s*ctaictil  trop  épuisés  dans  cet  immcnso  cITort,  leurs  ospérancos  avaient 
clé  trop  complètement  déçues,  pour  que  le  calme  lo  plus  absolu  no  succédât 
pas  &  cette  longue  période  d'agitation.  Ce  calme  qui  devait  durer  plusieurs 
années,  le  régiment  allait  le  mettre  à  proGt  en  se  consacrant  tout  entier  aux 
réformes  imposées  par  la  réorganisation  de  notre  armée.  Aussi  n'avons-nous 
à  nous  arrêter,  pour  cette  époque,  qu*à  quelques  décisions  portant  modiGca- 
tion  dans  l'administration  ou  Torganisation  du  corps. 

Le  21  mars  1874,  parut  un  décret  étendant  au  cadre  indigène  des  trois 
régiments  de  Tirailleurs  algériens  certaines  dispositions  bienveillantes  adoptées 
en  faveur  de  l'élément  indigène  des  régiments  de  spahis  par  un  décret  du 
6  janvier  de  la  même  année. 

D'après  ce  décret,  les  emplois  du  petit  état- major,  de  fourrier  et  de  ser- 
gent-major de  compagnie,  pouvaient  dorénavant  être  donnés  aux  militaires 
indigènes  remplissant  les  conditions  d'ancienneté  de  service  et  de  grade 
exigées  pour  les  militaires  français ,  et  présentant  d'ailleurs  toutes  les  garanties 
nécessaires  par  leur  conduite,  leur  aptitude  et  leur  instruction.  Tout  officier 
indigène  satisfaisant  aux  conditions  déterminées  par  les  règlements,  et  justi- 
fiant d'une  instruction  générale  et  de  connaissances  spéciales  suffisantes, 
pouvait,  en  vertu  des  mêmes  dispositions,  être  nommé  capitaine  trésorier  ou 


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482 


LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIIUILLEURS  ALGÉRIENS 


(1874) 


d'habillement,  mais  claos  son  régimenl  seulemenl.  Toutefois,  à'  grade  égal, 
le  commandement  devait  toujours  appartenir  à  l'ofticier  français,  quelle  que 
fût  Tancienneté  de  rofficier  indigène.  C*était,  en  un  mot,  l'abrogation  complète 
de  l'article  3  do  l'ordonnance  royale  du  7  décembre  1841. 

Une  autre  modification,  beaucoup  plus  importante,  fut  celle  prescrite  par 
la  loi  du  13  mars  1875 ,  sur  les  cadres  et  les  eiïectifs  de  l'armée.  En  exécution 
de  cette  loi,  les  5<^  et  6«  compagnies  de  chaque  bataillon  et  une  compagnie  de 
dépôt  furent  licenciées ,  et  le  régiment  se  trouva  ainsi  constitué  à  quatre 
bataillons  do  quatre  compagnies,  plus  une  compagnie  de  dépôt,  c'est-à-dire 
tel  qu'il  l'est  aujourd'hui.  Un  premier  tiercement  eut  lieu  à  cet  effet  le 
15  avril,  puis  un  autre  définitif  le  20  novembre.  Voici  quel  fut  le  résultat  de 
ce  dernier  : 

KTAT-UAJOn 

HH .  Barrué ,  colonel . 

Noëllat ,  lieutenant-colonel. 

Pérard ,  major. 

Richard ,  capitaine  trésorier. 

Mondielli ,  capitaine  d'habillement. 

Abadie ,  sous-lieutenant  adjoint  au  trésorier. 

Trémoulet,  sous- lieutenant  porte-drapeau. 

Reboud ,  médecin- major  de  1*^  classe. 

Milon ,  médecin  -  major  de  2»  classe. 

Thiébault,  aide -major  de  l'^^'  classe. 

1«'  BATAILLON 


MM.  Petitjcan,  chef  de  bataillon. 

Lelorrain,  capitaine  adjudanl-mojor. 


1'»  compagnie. 

MM.  Fargue,  capitaine. 

Barrué ,  lieutenant  français. 
Ahmed-ben-Laoussi,  lient.  inJ. 
de  Champsoin,  s.-lieut.  français. 
Amor-ben-Taîcb,  s.-lieut.  ind. 

2*  compagnie. 

MM.  Heiwig,  capitaine. 

Noyer,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Tuîeb,  lient,  iod. 
Penaud,  sous-lieutenant  français. 
Tahar-bcn-Dzitouch,  s.-lieut.  ind. 


3«  compagnie, 

MM.  Maux,  capitaine. 

Tourrct,  lieutenant  français. 
Lagdar-ben-elAchi,  lient,  ind. 
Carli,  sous -lieutenant  français. 
Amri-ben-Lagdar,  s.-lieut.  ind. 

i^  compagnie. 

MM.  Claverie,  capitaine. 

Jullîcn,  lieutenant  français. 
Boiiguerrah-hcn-Mohamed,  lieu- 
tenant indigène. 
Montaigu,  sous-lieut.  français. 
Belkassem-ben-Ali,  s.-lieut.  ind. 


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[1874] 


EN  ALGÉRIE 


4S3 


2«  BATAILLON 

MM.  Dubuche,  chef  de  bataillon. 

Jolly ,        capitaine  adjudant- major. 


1  ^^  compagnie, 

MM.  Iloiiycr,  capitaine. 

Martin ,  lieutenant  français. 
Thiéry,  soua-lieulcnant  français. 
Larbi-beMIaoussin,  s.-lieut.  ind. 

2®  compagnie. 

MM.  Roques,  capitaine. 

Bujac,  lieutenant  français. 
Kacem-ben-Ahraed ,  lient,   ind. 
Mazué,  s.-lieutenant  français. 
Mohamed- bon -Amar,  sous -lieu- 
tenant indignne. 


!}«  compagnie. 

MM.  Pont,  capitaine. 

Mathieu,  lieutenant  français. 
Chiarasini,  sous-Uout.  français. 
Athman-ben-Salah,  s.-lieut.  ind. 

4*  compagnie. 

MM.  Denis,  capitaine. 

Creutzer,  lieutenant  français. 
Tahar-ben-Amouda,  lient,  ind. 
Navlet,  sous-lieutenant  français. 
Ali-ben-Messaoud ,  s.-lieut.  ind. 


3«   BATAILLON 

MM.  Flatters,  chef  de  bataillon. 

Vigcl,      capitaine  adjudant-major. 


If^  compagnie, 

MM.  Donin  de  Rozière,  capitaine. 
Marot,  lieutenant  français. 
Kaddour-ben-Amar,  lient,  ind. 
Orlanducci,  sous-lieut.  français. 
Salali-bcn-Ferkadadji ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 

2*  compagnie. 

MM.  Dailly,  capitaine. 

Fiéreck,  liculenant  français. 
Aîssa-ben-Hadj-Assein,  lient,  ind. 
Vivrel,  sous-lieutenant  français. 
Sliman-bon-Ahmed,  s.-lieut.  ind. 


3*  compagnie. 

HM.  de  Lestapis,  capitaine. 

Langlet,  lientenant  français. 
Garmi-ben-Tahar,  lient,  ind. 
Siquart,  sous-lieutenant  français. 
Déradj-ben-Mohamcd,  8ou»-lieu- 
tenant  indigène. 
4*  compagnie. 

MM.  Macarez,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Talob ,  lient,  ind. 
Pagot,  sous -lieu  tenant  français. 
Rebah-ben-Amelaoui ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


4<»  BATAILLON 

MM.  Gnasco ,  chef  de  bataillon. 

Lalanne  des  Camps,  capitaine  adjudant- major. 


l*"®  compagnie. 

MM.  Carré  de  BusseroUe,  capitaine. 
Feijas,  lieutenant  français. 
àSaïd-ou-Ali,  lieutenant  indigène. 
Gauvin,  sous-lieutenant  français. 
Ben-Amor-Bouka,  s.-lieut.  ind. 


2<^  compagnie. 

MM.  Duhay,  capitaine. 

Virgitti,  lieutenant  français. 
Paoli,  sous -lieutenant  français. 
Taîeb-ben-Lamchi,  s.-lieut.  ind. 


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454  LE  3«  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1876] 


ti<>  compagnie. 

HM.  Greffier,  capitaine. 

Gindonnet,  lieutenant  français. 
Hamou-ben-Sliman,  lient,  ind. 
Lejosne,  sous-lieut.  français. 
Salah-ben-Zouagbi,  s.-lieut.  ind. 


4*»  compagnie. 

MM.  Rivail ,  lieutenant  français. 
Saad-ben-Serir,  lieut.  indigène. 
Roche,  sous-lieut.  français. 
Kaddour-ben-Ahmed,  sons-lieu- 
tenant indigène. 


DÉPÔT 

MM.  Berger,  capitaine. 

Caudron,  lieutenant  français. 

Salah-ben-Tahar ,  lieutenant  indigène. 

Bader,  sous- lieutenant  français. 

Belkassem  -  zid  -  ben  -  Mohamed  -  zid ,  sous  -  lieutenant  indigène. 

OFFICIBRS  A  LA  SUITS 

MM.  Durand  de  Chiloup,        capitaine. 

Lapeyro,  sous- lieutenant  français: 

Taîob-ben-Ali ,  sous -lieutenant  indigène. 

Amar-bon- Belkassem,  sous -lieutenant  indigène. 
Ahmed-ben -  Taleb ,  sous-lieutenant  indigène. 
Bourougah ,  sous- lieutenant  indigène. 

Au  commencement  de  1876,  une  certaine  agitation  se  manifesta  soudain 
dans  les  Zibans,  chez  les  Bou-Azid,  tribu  célèbre  par  son  fanatisme  religieux. 
Ces  troubles,  qui  s'étaient  produits  subitement,  au  moment  où  le  général 
Carteret-Trécourt,  commandant  la  division,  rentrait  d'un  voyage  dans  le  sud, 
avaient  pour  instigateur  un  certain  Mohamed- Yaya-ben- Abdallah,  ancien 
khodja  du  caid  Bou-Lakhras-bcn-Ganah  et  cheik  révoqué  des  Oulcd-Dris. 
Le  désir,  chez  ce  dernier,  de  se  venger  des  Ben-Ganah,  qui ,  disait-on,  avaient 
fait  assassiner  son  frère;  une  haine  implacable  vouée  particulièrement  à  Bou- 
Lakhras  pour  des  motifs  qui  n'ont  jamais  été  bien  connus  :  telles  étaient  les 
causes  de  cette  nouvelle  insurrection.  Mohamed- ben -Abdallah  inventa  un 
marabout,  qu'il  trouva  dans  un  jeune  derviche ,  nommé  Ahmed-lien- Aîcch, 
sorte  d'halluciné  qui  vivait  de  la  charité  publique,  lit  prêcher  la  guerre 
sainte,  exalta  Tesprit  des  mécontents,  et  finalement  provoqua  le  soulèvement 
de  toute  la  tribu  et  la  défection  des  cheiks  des  Djebabra,  des  Ouled-Daoud, 
de  Foughala  et  de  Zaou!et-Mlili.  Vers  la  fin  de  mars,  les  insurgés  se  rassem- 
blèrent à  Ei-Amri,  oasis  située  à  quarante- huit  kilomètres  au  sud -ouest  de 
Biskra,  et  là  firent  tous  leurs  efibrts  pour  entraîner  dans  la  révolte  tous  les 
nomades  des  autres  oasis  des  Zibans. 

Informé  de  ce  qui  se  passait,  le  capitaine  Lefroid,  chef  du  bureau  arabe 
de  Biskra,  voulut  essayer  de  ramener  Mohamed-ben- Abdallah  dans  le  devoir 
et  le  fit  appeler  &  Biskra;  mais  celui-ci  refusa.  Le  capitaine  ne  se  rebuta  pas; 
il  le  convoqua  encore  à  la  zaouia  de  Tolga ,  où ,  de  son  côté ,  il  se  rendit  le 


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(18701 


KN  Ai.nftniK 


A58 


^0  innrsi,  o.flrortA  grulomonl  do  trois  cnTnlicrfi;  mnis  lo  r.oiirngoiix  oflîcior  n*y 
trouva  qu^uno  réponse  arrogante  et  no  dut  qu*à  son  attitude  énergique  et  à  son 
Rang- froid  do  ne  pas  rester  entre  les  mains  des  insurgés.  Tous  les  moyenu  do 
conciliation  se  trouvent  olors  épuisés,  le  général  Carteret,  prévenu,  résolut 
de  recourir  immédiatement  à  d^énergiques  moyens  de  répression  ;  il  se  rendit 
&  Biskra  et  y  organisa  aussitôt  une  colonne  composée  de  deux  bataillons 
dlnfanterie,  d*un  escadron  de  spahis  et  d'une  section  d*artillerie  do  mon- 
tagne. De  cette  colonne  firent  partie  les  !'«  et  i^  compagnies  du  2*  bataillon 
du  régiment,  qui,  en  garnison  à  Batna,  quittèrent  cette  place  le  3  avril  pour 
arriver  le  6  à  Biskra,  où  elles  se  réunirent  à  deux  compagnies  du  11«  ba* 
taillon  de  chasseurs ,  avec  lesquelles  elles  constituèrent  un  bataillon  mixte 
qui  fut  placé  sous  les  ordres  du  commandant  Dubuche. 
Voici  quels  étaient  les  orRciers  de  ce  détachement  : 

MM.  Dubuche,    chef  de  bataillon. 

Jolly,  capitaine  adjudant-major. 

.Thiébault,  médecin  aide -major. 


l"^  compagnie, 

MM.  Rouycr,  capitaine. 

Bouguerrah-ben-Mohamed ,  lieu- 
tenant indigène. 
Cherf-bou-Terfa,  lient,  indigène. 
Thiéry,  sous-lieut.  français. 
Larbi-bcMIaoussin,  s.-lieut.  ind. 


4*  compagnie. 

MM.  Denis,  capitaine. 

Tahar-ben-Amonda,  lient,  ind. 
Navlet,  sous-lieut.  français. 
Ali-ben-Hessaoud ,  s.-lieut.  ind. 


La  colonne,  sous  les  ordres  directs  du  général,  se  mit  on  route  le  8  avril, 
se  dirigeant  sur  Kl-Amri  par.  la  route  do  Zaatcha.  Lo  soir,  elle  campa  sur 
rOucd-Oumache;  le  U,  près  de  Bou-Chagroun,  et  le  10,  en  arrière  d'un 
ruisseau  qui  coule  entre  les  oasis  d'EI-Bordj  et  de  Foughala,  en  un  point  d'où 
Ton  apercevait  distinctement  El-Amri. 

Le  lendemain,  à  cinq  heures  et  demie  du  matin,  nos  troupes  reprirent 
leur  mouvement,  et,  débouchant  dans  la  plaine,  s'avancèrent  versEi-Amri 
sur  trois  échelons  :  &  droite,  le  goum;  au  centre,  les  spahis;  à  gauche, 
l'infanterie  en  colonne  serrée  par  pelotons.  Le  bataillon  mixte,  réduit  à  trois 
compagnies  par  suite  de  l'absence  d'une  compagnie  de  chasseurs  laissée  à  la 
garde  du  convoi,  venait  en  soutien  derrière  rartillerie.  L'ennemi,  fort  d'en- 
viron deux  mille  fantassins  et  cent  cavaliers ,  s'était  déployé  à  trois  kilomètres 
on  avant  d*EI-Amrî,  sur  un  terrain  composé  de  petites  dunes  de  sable  et  se 
prêtant  admirablement  à  un  combat  d'infanterie. 

Vers  six  heures,  le  goum  engagea  l'action  et  fut  bientôt  appuyé  par  la 
cavalerie;  mais  celle-ci,  accueillie  par  un  feu  meurtrier,  dut  battre  en  re- 
traite. Craignant  alors  pour  son  flanc  droit,  le  commandant  Dubuche  fit 
déboîter  la  4»  compagnie  (capitaine  Denis),  et,  après  qu'elle  se  fut  déployée 
en  tirailleurs,  l'entraîna  en  avant.  Cette  compagnie  ouvrit  le  feu  à  une  faible 
distance,  arrêta  Tennemi,  et  permit  ainsi  au  3*  bataillon  d'Afrique  et  à  une 


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486  LE  3"^  nÊGIHBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [t876l 

compagnie  do  chasseurs  do  se  porter  sur  lu  gauche  el  do  prendre  une  vigou- 
reuse oflensivo.  Restée  en  réserve  derrière  rarlillerie,  la  l^^  compagnie 
(capitaine  Rouyer)  s*était  déployée  à  droite,  et,  en  même  temps  qu'elle  s'op- 
posait à  un  mouvement  tournant  des  insurgés,  protégeait  par  des  feux  le 
ralliement  du  goum  et  des  spahis.  Culbuté  sur  tous  les  points,  Fennemi 
commença  alors  à  battre  en  retraite,  mais  en  bon  ordre,  en  ne  cédant  ses 
positions  que  pied  à  pied,  et  en  manœuvrant  avec  un  ensemble  dénotant  chez 
lui  une  réelle  instruction.  A  huit  heures,  nos  troupes  occupaient  une  ligne  à 
peu  près  parallèle  au  côté  nord  de  l'oasis,  à  environ  deux  kilomètres  <lcs  pre- 
miers palmiers.  A  ce  moment  le  général  prescrivit  de  s'arrêter,  de  cesser  le 
feu  et  d'attendre  de  nouveaux  ordres.  Les  rebelles  8*-étaient  maintenant 
retirés  dans  l'oasis. 

Dans  ce  court  mais  vif  combat ,  ces  derniers  avaient  subi  des  pertes  consi- 
dérables :  cinquante  des  leurs,  dontMohamed-Yaya-ben-Abdallah,  le  principal 
instigateur  de  la  révolte ,  étaient  restés  sur  le  terrain  ;  ils  avaient  en  outre 
une  quantité  de  blessés,  parmi  lesquels  le  marabout  Ahmed -ben-Aiech,  qui 
n'en  continua  pas  moins  à  prêcher  la  guerre  sainte  à  outrance.  La  colonne 
comptait  quatre  tués  et  dix -neuf  blessés,  dont  deux  officiers.  Ces  pertes  por- 
taient presque  uniquement  sur  le  goum  et  les  spahis. 

Attaquer  l'oasis  avec  le  peu  de  monde  dont  il  disposait  était,  pour  le 
général,  une  tentative  trop  hasardeuse  pour  qu'il  s'y  décidât;  il  ramena  ses 
troupes  à  environ  trois  kilomètres  au  nord-est,  les  installa  au  bivouac  et  leur 
fit  construire  des  retranchements  rapides  pour  les  mettre  à  l'abri  de  toute 
surprise. 

Le  12,  eut  lieu  une  reconnaissance  générale  qui  fut  poussée  jusqu'à  environ 
quatre  cents  mètres  de  la  face  nord  de  Toasis ,  sans  qu*il  fût  tiré  un  coup  de 
fusil  de  part  et  d'autre. 

Celte  attitude  n'était  cependant  pas  chez  les  insurgés  le  résultat  d'une 
résolution  pacifique  :  plus  que  jamais  ils  étaient  résolus  à  se  défendre.  I^eur 
nombre  grossissait  toujours;  malgré  l'échec  qu'ils  avaient  subi,  malgré  les 
protestations  de  dévouement  des  chefs  des  autres  oasis ,  l'eflervescencc  gagnait 
les  populations  environnantes,  et  le  goum  lui-même  semblait  n'attendre 
qu'une  occasion  pour  faire  défection.  La  situation  de  la  colonne  devenait 
difficile;  trop  faible  pour  rien  tenter  contre  les  rebelles,  elle  ne  pouvait  ce- 
pendant battre  en  retraite  sans  s'exposer  à  voir  tous  les  Zibans  se  soulever. 
Le  général  Carteret  prit  la  résolution  la  plus  sage  et  la  plus  politique  à  la  fois  : 
celle  de  choisir  une  bonne  position  à  proximité  de  l'oasis,  de  s'y  fortifier  et 
d'attendre,  pour  reprendre  l'oflensive,  d'avoir  reçu  les  renforts  qu'il  avait 
prescrit  qu'on  lui  envoyât  en  toute  hâte  de  Constantine.  En  conséquence ,  le 
camp  fut  établi  sur  les  deux  rives  d'une  petite  rivière  à  sec,  l'Aîn-Ghous,  et 
couvert  par  un  retranchement  continu  affectant  la  forme  d'une  vaste  ellipse 
dont  le  grand  axe  était  représenté  par  le  lit  de  la  rivière.  Le  bataillon  mixte 
occupa  la  partie  de  la  rive  droite,  le  bataillon  d'Afrique  et  Tartillerie  l'arc  de 
la  rive  gauche. 

Le  14,  à  une  heure  de  l'après-midi,  la  section  d'artillerie  prit  position  à 
quinze  cents  mètres  d'EI-Amri  et  envoya  une  vingtaine  d'obus  dans  l'oasis. 


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[1876]  EN  ALGÉRIE  457 

en  môinc  Icmps  que  deux  sections  d^infanterie,  dont  uno  composée  de  chas- 
seurs à  pied  et  de  Tirailleurs,  s^avançaient  jusqu'à  huit  cents  mètres  des 
vedettes  ennemies  et  exécutaient  quelques  feux  de  saWe.  A  quatre  heures, 
tout  le  monde  rentra  au  camp,  &  Texception  de  la  section  mixte  (sous-lieu- 
tenant Gabct,  du  11^  bataillon  de  chasseurs)  qui,  n'ayant  pas  reçu  d*ordres 
précis ,  resta  en  position  h  trois  ou  quatre  cents  métros  en  avant. 

Vers  cinq  heures,  uno  épouvantable  tempête  de  sable  éclata  tout  à  coup, 
enleva  les  tentes,  renversa  les  faisceaux  et  fit  en  un  instant  succéder  la  nuit 
au  jour.  Profitant  de  cette  obscurité,  les  insurgés  sortirent  de  Toasis,  chemi- 
nèrent derrière  les  dunes  et  se  dirigèrent  silencieusement  sur  le  camp. 

La  section  du  sous-lieutenant  Gabct  fut  la  première  &  s'apercevoir  de  ce 
mouvement;  elle  le  signala  d*abord  par  quelques  coups  de  fusil  que  la  direc- 
tion du  vent  ne  permit  d'entendre  que  d'une  façon  confuse;  puis,  subitement 
entourée,  elle  se  retira  lentement  en  exécutant  dos  feux  nourris  qui  finiront 
par  donner  l'éveil.  Au  cri  de  :  Aux  armes!  toutes  les  troupes  se  précipitèrent 
aux  tranchées ,  et  les  rebelles  furent  accueillis  par  une  fusillade  meurtrière 
qui  arrêta  court  leur  élan.  Cette  fusillade  continua  jusqu'à  huit  heures  du  soir 
sans  interruption;  l'intensité  do  l'ouragan  ayant  alors  sensiblement  diminué, 
Tenncmi  commença  h  se  retirer.  A  onzo  heures,  tout  était  terminé.  IjO  lon- 
«lo.main ,  des  reconnaissances  envoyées  dans  les  environs  trouvèrent  de  oom- 
hrcux  cadavres  qui  n'avaient  pas  été  enlevés,  indice  presque  toujours  certain, 
chez  les  Arabes,  d*une  complète  démoralisation.  Les  insurge  avaient  dû 
évidemment  être  sérieusement  éprouvés  ;  car,  les  jours  suivants,  de  nouveaux 
orages  étant  survenus,  ils  ne  songèrent  nullement  à  en  profiter.  Cet  engage- 
ment avait  coûté  deux  hommes  tués  au  bataillon  d'Afrique  et  trois  blessés 
aux  Tirailleurs.  Tout  le  monde  s'était  admirablement  battu;  mais  c'était  sur- 
tout à  l'attitude  énergique  de  la  section  du  sous -lieutenant  Gabet  qu'on 
devait  de  n'avoir  pas  clé  surpris  et  d'avoir  pu  faire  face  à  un  danger  aussi 
imminent. 

Pendant  ce  temps,  deux  colonnes  de  secours  avaient  été  organisées,  l'une  à 
Conslantine  sous  les  ordres  du  colonel  Barrué,  l'autre  à  Bou-Saftda  avec  le 
général  de  Vaîsse-Roquebrunne.  Celle  de  Conslantine  s'était  mise  en  route  le 
14  avril.  Deux  compagnies  du  régiment  en  faisaient  partie;  c'étaient  les  3«  et 
/in  (lu  jer  balaillou,  ainsi  composées  : 


.S«  compagnie. 

AlAI.  Noyer,  lieutenant  français. 

Lagdar-ben-EI-Achi ,  lient,  ind. 

Carli,  sous-lieutenant  français. 

Lamri  -  ben  -  Lagdar  -  ben  -  Ma- 

brouck,  sous- lieutenant  ind. 


4'  compagnie. 

MM.  Claverie,  capitaine. 

JuUien ,  lieutenant  français. 
Belkassem-zid-ben-Mohamed-iid , 

lieutenant  indigène. 
Montaigu,  sous-lieut.  français. 
BeIkassem-ben-Ali,  s.-lieut.  ind. 


La  colonne  Barrué  arriva  à  Batna  le  17  avril,  et,  le  22,  rejoignit  celle  du 
général  Carteret  devant  El-Amri.  Les  deux  compagnies  de  chasseurs  de- 


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458  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1877] 

vioroot  alors  indépendantes,  et  les  quatre  de  Tirailleurs  ne  formèrent  qu*un 
seul  bataillon.  Le  colonel  Barrué  reçut  le  commandement  de  toute  l'infanterie. 

Le  23,  commença  le  blocus  de  l'oasis,  blocus  qui  fut  achevé  le  surlende- 
main, après  Tarrivée  des  troupes  de  la  province  d'Alger.  Le  27,  eut  lieu  un 
premier  bombardement  du  village  d'El-Amri,  dont  on  apercevait  confusément 
le  mur  d*enceiate  à  travers  les  palmiers.  L*ennemi  riposta  mollement;  on  le 
vit  abandonner  successivement  ses  tranchées  extérieures  et  la  zaouïa,  bfttie 
sur  la  lisière  de  l'oasis,  pour  se  réfugier  dans  les  jardins  et  derrière  les  petites 
dunes  de  sable.  A  trois  heures  du  soir,  toutes  les  troupes  rentraient  dans 
leurs  bivouacs  sans  être  inquiétées. 

Le  lendemain ,  les  mêmes  dispositions  furent  prises ,  et  le  canon  continua 
son  œuvre  de  destruction  et  d'intimidation.  Vers  une  heure  de  Taprès-midi, 
dans  le  but  de  faire  croire  à  une  attaque  de  vive  force  et  d'atlirer  ainsi  les 
insurgés  sous  les  coups  de  notre  artillerie,  le  colonel  Barrué  ordonna  aux  3* 
et  4*  compagnies  (lieutenant  Noyer  et  capitaine  Claverie)  du  \^  bataillon, 
déployées  en  avant  des  pièces,  de  faire  un  bond  de  cent  mètres  dans  la  direc- 
tion de  la  face  est  de  l'oasis.  Les  assiégés  se  précipitèrent  en  effet  vers  le 
point  menacé,  et  pendant  un  instant  la  lutte  fut  assez  vive;  mais,  sillonné 
en  tous  sens  par  nos  projectiles,  le  terrain  devint  bientôt  intenable  pour 
l'ennemi ,  qui  so  retira  encore  une  fois  derrière  ses  abris.  Dans  ce  court 
instant,  le  capitaine  Claverie  avait  été  légèrement  blessé,  au  moment  où, 
monté  sur  un  puits,  il  dirigeait  les  feux  do  sa  compagnie.  A  cinq  heures,  les 
troupes  se  replièrent  de  nouveau  sur  leurs  bivouacs  respectifs,  poursuivies 
quelque  temps  par  les  rebelles,  qui  essayèrent  de  profiter  de  ce  mouvement 
rétrograde,  mais  qui,  vigoureusement  maintenus,  se  débandèrent  ropide- 
ment.  Très  éprouvés  par  ces  deux  jours  de  bombardement,  ils  étaient  d'ail- 
leurs décidés  à  ne  pas  pousser  plus  loin  la  résistance.  Dans  la  nuit,  ils 
demandèrent  l'aman,  et  le  lendemain  les  principaux  chefs  de  la  révolte,  dont 
le  marabout  Ahmed -ben-Aïech,  se  rendirent  à  discrétion.  Auparavant  une 
sorte  de  guerre  civile  avait  éclaté  entre  les  partisans  de  la  paix  et  ceux  de  la 
guerre;  des  coups  de  feux  avaient  été  échangés;  il  y  avait  eu  de  nombreux 
blessés,  et,  vaincus,  les  derniers  s'étaient  vus  obligés  de  céder.  Leur  reddition 
mettait  fin  à  Tinsurrection. 

Nos  troupes  restèrent  encore  devant  El-Amri  jusqu'au  8  mai,  puis  se  mirent 
en  route  pour  rentrer  dans  leurs  garnisons.  Le  12,  è  Bou-Chagroun,  les 
colonnes  Carteret  et  Barrué  furent  reconstituées  telles  qu'elles  étaient  à 
l'origine,  et  la  première  continua  sa  marche  sur  Biskra,  où  elle  arriva  le  19, 
l'autre  sur  Constantine,  qu'elle  atteignit  le  28. 

Pendant  cette  expédition,  une  autre  compagnie  du  régiment,  la  3*  du  3« 
bataillon  (lieutenant  Langlet),  avait  également  été  dirigée  sur  El-Amri;mai8, 
employé^  à  l'escorte  de  convois ,  elle  n'avait  pris  aucune  part  aux  combats 
livrés  aux  insurgés. 

Vigoureusement  et  sévèrement  réprimé ,  ce  commencement  d'insurrection 
n'avait  pas  eu  de  suites,  et  la  province  avait  aussitôt  repris  sa  physionomie 
accoutumée.  L'hiver  arrivé,  il  fut  cependant  décidé  qu'une  colonne  de  sur- 
veillance, aux  ordres  du  général  Logerot,  serait  envoyée  dans  le  sud,  où 


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[1879]  EN  ALGÉRIE  459 

nous  n*avions  pas  paru  en  force  depuis  1873.  Cette  colonne,  dont  fit  partie 
la  3®  compagnie  du  2«  bataillon ,  visita  successivement  la  partie  méridionale 
des  Aurès,  le  Souf  et  rOued-R*ir,  en  passant  par  Sidi-Okba,  Aîn-Maga, 
Sifli-Salnh,  Zérihctd-Oucd ,  Rl-Foidh,  Rl-Haadja,  Mouîat-Tadjcr,  Dir-Nazia, 
Bir-el-Arab,  Sidi-Aîoun,  Gucmar,  Tarzout,  El-Oued,  Taïbet-el-Gueblia, 
Teniet-Redemsia,  Temacin  et  Tuggurt,  et,  le  20  mars  1877,  rentra  à  Biskra, 
d*où  elle  était  partie  le  15  février. 

Le  restant  de  Tannée  1877  et  Tannée  1878  s'écoulèrent  dans  la  paix  la 
plus  profonde  et  sans  amener  le  moindre  incident. 

Le  7  janvier  1879,  le  colonel  Barrué,  qui  était  à  la  tête  du  régiment  depuis 
neuf  ans,  qui  Tavait  réorganisé,  qui  avait  su  par  sa  bienveillance  s'attirer 
Taflection  et  le  dévouement  de  tons,  était  admis  à  la  pension  de  retraite.  Par 
une  décision  ministérielle  du  15  du  même  mois,  le  colonel  Barbier,  du  81^  de 
ligne,  fut  appelé  h  le  remplacer. 

Devant  le  sort  qu'avait  eu  la  tentative  des  Bou-Azid,  on  pouvait  croire  que 
de  longtemps  aucune  tribu  ne  songerait  à  la  renouveler.  Il  ne  devait  cepen- 
dant point  en  être  ainsi,  tant  il  est  facile,  au  moyen  de  quelques  grossières 
jongleries,  d'éveiller  chez  les  indigènes  Tidée  d'une  intervention  divine  an- 
nonçant enfin  Thcure  de  la  délivrance. 

Le  31  mai  1879,  le  général  Forgemol  de  Bostquénard,  commandant  la 
division  de  Constantine,  était  informé,  par  une  dépêche  de  Batna,  que  des 
troubles  venaient  subitement  de  se  produire  dans  le  commandement  des 
Ouled-Daoud.  Deux  cavaliers  du  caïd,  envoyés  au  village  d'El- Hammam 
pour  faire  cesser  une  réunion  séditieuse  tenue  à  la  mosquée,  avaient  été  reçus 
à  coups  de  fusil.  L'un  d*cux  avait  été  tué,  et  l'autre  grièvement  blessé.  Un 
officier  du  bureau  arabe,  M.  le  lieutenant  Chéroutre,  s'était  aussitôt  trans- 
porté sur  les  lieux  ;  mais  l'agitation,  au  lieu  de  se  calmer,  n'avait  fait  que  s'ac- 
croître,  et  dans  la  nuit  un  vieux  serviteur  de  la  Franco,  Si-el-Bachtardji, 
cnîd  des  Beni-bou-Sliman,  était  lâchement  assassiné  dans  son  bordj,  ft 
Tkout. 

Ces  désordres,  que  rien  ne  faisait  prévoir,  avaient  pour  fauteur  un  certain 
Mohamed -Amzian-ben-Abderrahman,  iman  ^  de  la  mosquée  d'El-Hammam. 
Cet  individu,  qui  était  ventriloque,  s'était  servi  habilement  de  ce  talent 
spécial  pour  faire  croire  qu'il  était  en  perpétuelle  communication  avec  l'esprit 
du  Prophète;  il  prenait  habituellement  une  marmite  qu'il  plaçait  au  milieu 
de  Tassistance,  puis  il  en  faisait  sortir  les  prédictions  les  plus  invraisem- 
blables. Ses  crédules  auditeurs,  dont  l'ignorance  égalait  le  fanatisme,  ne 
manquaient  jannais  de  crier  au  miracle  et  de  proclamer  la  toute- puissance  de 
ce  prétendu  illuminé.  Bientôt  la  réputation  de  Mohamed -ben-Abderrahman 
s'étendit  dans  les  tribus  environnantes;  on  accourut  de  tous  les  points  des 
Aurès  pour  écouler  sa  parole  sacrée,  et  lorsque,  prévenu,  le  caïd  El-Achmi- 
ben-bou-Diaf,  des  Ouled-Daoud,  voulut  mettre  un  terme  à  ses  excitations  à 
la  révolte,  les  esprits  étaient  déjà  assez  exaltés  pour  n'être  ramenés  que  par 
la  force  au  respect  de  notre  autorité. 

1  Celui  qui  préside  habituellement  aux  prières  ordinaires  chez  les  musulmans. 


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460 


LB  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[18701 


Dès  quo  8*é(aicnt  produits  lûs  Toits  graves  quo  nous  venons  de  raconter,  lo 
général  Logerot,  commandant  la  subdivision  de Balna,  avait  en voyé M.  Corbé, 
lieutenant  du  bureau  arabe,  au  cald  Mohamed -bou-Diaf,  des  Deni-Oudjana, 
pour  que  celui-ci  rassemblât  ses  goums  sur  la  frontière  des  Ouled-Daoud.  Le 
même  ordre  avait  été  donné  à  son  fils  El-Achmi,  caid  de  cette  dernière  tribu. 
En  môme  temps  le  capitaine  Bissuel ,  également  du  bureau  arabe,  quittait 
Biskra  avec  une  vingtaine  de  spahis  et  s'avançait  jusqu'à  Banian.  Mais,  dans 
la  nuit  du  \^'  juin ,  les  rebelles  se  jetèrent  sur  le  camp  des  caïds  établi  à 
El-Anasser;  trois  cents  goumiers  firent  aussitôt  déroctioii;  Bou-l)iaf  et  ses 
plus  fidèles  serviteurs  furent  tués,  et  seule  l'obscurité  permit  à  M.  C!orbé 
d'échapper  à  la  poursuite  des  assaillants  et  de  se  réfugier  à  Cbremora.  Le  len- 
demain, toute  la  tribu  des  Ouled-Daoud  était  en  insurrection. 

Cet  incident  aggravait  singulièrement  la  situation;  il  n'y  avait  pas  un 
instant  à  perdre  si  l'on  voulait  empêcher  l'eflervescence  de  gagner  les  tribus 
de  l'est  (Sahari,  Nemencha,  llaracla,  etc.).  liO  2  juin,  une  petite  colonne 
comprenant  la  4«  compagnie  du  3*  bataillon  (capitaine  Lochert)  et  un  esca- 
dron de  spahis  quittait  Batna  pour  se  rendre  à  Khenchela,  où  se  trouvait  déjà 
la  l'*  compagnie  du  même  bataillon.  D*un  autre  côté,  le  commandant  le 
Noble,  du  3«  spahis,  se  portait  à  R*bfta  avec  deux  compagnies  du  17*  ba- 
taillon de  chasseurs  et  tout  ce  qui  restait  de  spahis  à  Batna;  enfin  le  4^  ba- 
taillon du  régiment  partait  en  toute  hâte  de  Constantine  pour  aller  se  mettre 
à  la  disposition  du  général  Logerot. 

Voici  quelle  était  la  composition  de  ce  bataillon  : 


MM.  Vidal  de  Lauzun ,       chef  de  bataillon. 

Lalanne  des  Camps,  capitaine  adjudant- major. 


l**  compagnie. 

MM.  Chirouzo,  lieutenant  français. 
Sald-ou-Ali,  lieutenant  indigène. 
Tatin ,  sous-lieutenant  français. 
Salah-ben-Zouaghi,  s.-lieut.  ind. 

2*  compagnie. 

MM.  Godinet,  capitaine. 

Gauvin ,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Amar-Toumcy, 

lieutenant  indigène. 
Zahner,  sous-lieut.  français. 
Bourougah,  sous-lieut.  ind. 


3*  compagnie. 

MM.  Greffier,  capitaine. 

Méteix,  lieutenant  français. 
Cherf-bou-Terfa,  lient,  indigène. 
François,  sous-lieut.  français. 
M'zita-ben-Aîssa,  s.-lieut.  ind. 

4*  compagnie. 

MM.  Mercier,  capitaine. 

Rivail,  lieutenant  français. 
Saad-ben-Serir,  lient,  indigène. 
Embarck-ou-Alia,  sous-lieute- 
nant indigène. 


Arrivé  le  S  juin  à  Batna,  le  commandant  do  Lauzun  recevait  aussitôt  l'ordre 
de  laisser  une  compagnie  (la  4*^)  dans  ce  poste,  d'en  envoyer  une  (lu  1*^»)  à 
Lambesse,  et  de  rejoindre  avec  les  deux  autres  (2°  et  3*>)  le  commandant  le 
Noble  à  R'bâa.  Il  partit  avec  ces  dernières  le  7,  à  trois  heures  et  demie  du 


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[1879]  EN  ALOÉRIB  461' 

soir,  et  atteignit  R*bAa  vers  minuit.  La  colonne  le  Noble,  qui,  le  3,  s'était 
grossie  d*un  escadron  do  ciiasseurs  d'Afrique  et  d'une  compagnie  de  chasseurs 
&  pied ,  comprit  alors  deux  escadrons  de  cavalerie  et  cinq  compagnies  d'infan- 
terie. 

R'bfla  n'était  qu'un  simple  bordj  construit  quelques  années  auparavant  par 
le  caïd  Bou-DIaf  ;  mais  les  événements  des  jours  précédents  avaient  tout  à  coup 
donné  &  ce  point  une  importance  considérable.  Situé  à  l'entrée  du  territoire 
des  Oulcd-Daoud  et  près  de  l'endroit  où  les  caids  avaient  été  attaqués,  il  fer- 
mait les  débouchés  de  cette  partie  des  Aurès,  et  son  occupation  était  en  même 
temps  une  sauvegarde  pour  Batna  et  une  menace  pour  les  insurgés.  Le  camp 
avait  été  établi  près  d*un  petit  cours  d'eau  à  sec  pendant  Tété,  l'oued  Taga, 
affluent  de  l'Oued -Chemora,  et  se  trouvait  dominé,  au  nord  et  au  sud,  par 
deux  rangs  de  collines  parallèles  laissant  entre  elles  une  vallée  d'environ 
un  kilomètre  de  largeur,  suivie  par  la  route  non  empierrée  de  Batna  à  Khen- 
chcla. 

Le  8  juin  au  soir,  les  rebelles,  que  le  succès  d'El-Anasser  avait  complète- 
ment grisés,  s'avancèrent  au  nombre  d  environ  dix-huit  cents  dans  le  but  de 
surprendre  nos  troupes.  Ils  se  rapprochèrent  en  silence  et  arrivèrent  ainsi, 
sans  être  aperçus,  jusqu'à  une  assez  faible  distance  de  la  grand'garde  des 
Tirailleurs  établie  sur  l'un  des  mamelons  avancés  se  détachant  des  collines 
sud.  Cette  grand'garde  leur  opposa  une  vigoureuse  résistance;  mais,  bientôt 
entièrement  débordée,  elle  dut,  en  combattant  toujours,  se  replier  sur  la  face 
du  camp  occupée  par  les  deux  compagnies  du  régiment,  qui  furent  elles- 
mêmes  aussitôt  assaillies  par  la  masse  confuse  des  insurgés.  Il  était  près  de 
trois  heures  du  matin,  l'obscurité  rendait  la  situation  des  plus  critiques;  un 
moment  d'hésitation ,  et  les  rebelles  pouvaient  pénétrer  dans  le  camp ,  y  jeter 
le  désordre ,  amener  un  de  ces  combats  dangereux  où  amis  et  ennemis  ne 
peuvent  plus  se  reconnaître,  où  les  troupes  les  plus  disciplinées  échappent  à 
toute  direction.  Mais  le  commandant  de  Lauzun ,  jugeant  la  gravité  du  péril, 
y  fît  immédiatement  face  avec  un  sang-froid  et  une  énergie  qu'il  sut  commu- 
niquer &  tous.  Sur  son  ordre,  le  demi-bataillon  exécuta  d'abord  un  feu  rapide 
qui  dura  environ  cinq  minutes;  puis,  l'ennemi  ne  se  retirant  pas,  il  prescrivit 
à  la  3«  compagnie  de  l'aborder  à  la  baïonnette.  Profitant  de  ce  qu'un  nuage 
de  fumée  dérobait  son  mouvement,  cette  dernière  s'élança  avec  une  fureur 
irrésistible,  et,  poussant  de  grands  cris,  se  jeta  brusquement  sur  les  bandes 
acharnées  qui  débouchaient  dans  la  vallée,  leur  reprit  le  mamelon  dont  elles 
venaient  de  s'emparer,  les  délogea  de  tous  les  points  où  elles  essayèrent  de 
résister,  et  les  mit  en  pleine  déroute  après  leur  avoir  infligé  des  pertes  énormes. 
Le  jour  commeiîçait  à  poindre  quand  se  termina  ce  sanglant  combat;  la  cava- 
lerie, qui  n'attendait  qu'une  occasion  de  se  rendre  utile,  se  mit  alors  à  la 
poursuite  dos  fuyards,  qu  elle  accompagna,  le  sabre  dans  les  reins,  jus(|u'aux 
premiers  escarpements  des  Aurès.  L*ennemi  avait  eu  cent  trois  morts  et  envi- 
ron deux  cents  blessés;  les  Tirailleurs  comptaient  cinq  tués  et  cinq  blessés. 
Parmi  les  tués,  il  s'en  trouvait  un  qui  avait  été  horriblement  mutilé;  le  mal- 
heureux était  tombé  vivant  entre  les  mains  des  rebelles ,  qui  lui  avaient 
arraché  les  ongles  des  pieds  et  des  mains,  crevé  les  yeux,  coupé  la  langue. 


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'462  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1879] 

ol,  pour  l'acliovor,  britié  les  juiubca  et  fracassé  la  lAlo  à  coiiim  do  lia- 
cholto. 

Dans  ce  combat,  qui  faisait  le  plus  graod  honneur  au  coup  d'œil  militaire 
du  commandant  de  Lauzun ,  officiers  et  Tirailleurs  avaient  tous  été  admirables 
d*audace  et  d'intrépidité  ;  mais  il  en  était  cependant  qui  s'étaient  fait  plus  par- 
ticulièrement remarquer  :  c'était  d'abord  le  capitaine  Greffier,  par-  la  vigueur 
avec  laquelle  il  avait  enlevé  sa  compagnie;  puis  le  Tirailleur  Mabrouck-ben- 
Mohamed,  qui  avait  dégagé  un  officier  indigène  sur  le  point  de  rester  entre 
les  mains  de  l'ennemi;  Mustapha-ben-Larbi ,  qui  avait  continué  de  combattre 
malgré  une  blessure  sérieuse;  Larbi-ben-Ali-bcn-Chabron ,  qui  avait  délivré 
deux  de  ses  camarades  en  tuant  deux  insurgés  sur  le  point  de  les  égorger; 
enfin  Lepeuchant,  qui  n'avait  cessé  de  se  signaler  par  son  courage  et  son  dé- 
vouement. 

Le  succès  de  R'bfla  devait  avoir  des  conséquences  absolument  décisives  : 
c'était  le  coup  de  grflco  de  l'insurreclion.  De  ce  moment,  Mohamed-ben-Âbder- 
rahman,  sentant  qu'il  avait  engagé  une  partie  dangereuse,  ne  chercha  plus  qu'à 
échapper  au  cercle  de  baïonnettes  qui  se  formait  autour  de  lui;  abandonné 
chaque  jour  par  ceux  qui  avaient  cru  un  instant  à  sa  mission  divine,  il  allait 
bientôt  se  trouver  seul  avec  les  plus  compromis  de  ses  partisans,  et  prendre 
avec  eux  la  roule  du  désert,  celte  dernière  ressource  de  la  plupart  des  agita- 
teurs qui  l'avaient  précédé. 

il  importait  cependant  d'achever  la  pacification  du  pays  en  laissant  s'cflcc- 
tuer  les  opérations  préparées  par  le  général  Forgemol.  En  conséquence,  les 
colonnes  qui  s'étaient  concentrées  aux  principaux  débouchés  des  Aurès  reçurent 
l'ordre  de  commencer  leurs  mouvements  le  12.  Ces  colonnes,  réunies  à  Batna, 
Biskra  et  Khenchela,  étaient  commandées  par  le  général  Logerot  et  les  colo- 
nels Cajard,  du  3®  zouaves,  et  Gaume,  du  3^  chasseurs  d'Afrique.  Avec  la 
colonne  Logerot  se  trouvait  le  général  Forgemol.  Le  régiment  avait  un  batail- 
lon (le  3^)  à  la  colonne  de  Khenchela;  le  4*,  qui  après  le  combat  du  9  avait 
été  réuni  en  entier  à  R'bAa,  allait  entrer  dans  la  composition  de  la  colonne 
Logerot. 

Au  jour  fixé,  cette  colonne  quitta  Batna.  Le  lendemain,  elle  rejoignait  les 
troupes  du  commandant  le  Noble  à  R'bAa.  Là  elle  reçut  son  organisation  dé- 
finitive et  fut  divisée  en  deux  demi -brigades,  dont  les  colonels  Darbier,  du 
3<^  Tirailleurs,  et  Hervé,  du  1*'  zouaves,  eurent  le  commandement.  Le  15, 
elle  se  mettait  en  route  pour  Médina,  laissant  à  U'bûa  la  2"*  compagnie  (capi- 
taine Godinet)  du  4*  bataillon  de  Tirailleurs. 

On  va  de  R'bAa  à  Uédina  par  un  chemin  de  montagne  qui,  après  avoir  tra- 
versé un  plateau  dénudé,  arrive  dans  la  plaine  de  Yabous  pour  s'engager 
ensuite  dans  une  immense  coupure  à  l'entrée  de  laquelle  se  trouve  le  village 
de  Touba.  Les  insurgés,  qui  se  proposaient  de  défendre  ce  passage,  l'avaient 
fortement  occupé.  Dès  qu'il  en  fut  averti ,  le  général  Logerot  donna  l'ordre 
au  15*  bataillon  de  chasseurs  et  A  une  section  d'artillerie  de  tourner  la  posi- 
tion ,  pendant  que  le  4*  bataillon  de  Tirailleurs  l'aborderait  de  front. 

La  nature  du  terrain  rendait  la  mission  de  ce  dernier  des  plus  périlleuses  ; 
c'était,  en  somme,  des  hauteurs  abruptes  A  gravir  sous  le  feu  d'un  ennemi 


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[1879] 


EN  ALGÉRIE 


463 


(le  koaucoup  supérieur,  et  qui  avait  déjà  prouvé  son  ocharnoment.  Mais  cet 
ennemi  se  rappelait  de  U*bAa,  et  à  la  vue  des  Tirailleurs  il  allait  Buccessi- 
vement  abandonner  ses  positions. 

La  l*^  compognic  (lieutenant  Chirouzc],  sac  au  dos,  ses  officiers  en  této, 
escalada  avec  un  entrain  merveilleux  les  falaises  presque  à  pic  formant  le  côté 
sud  de  la  gorge;  en  même  temps  la  3®  compagnie  (capitaine  Greffier),  con- 
duite par  le  commandant  de  Lauzun ,  mettant  sac  à  terre,  marchait  à  l'attaque 
du  village  de  Touba  et  y  pénétrait  sans  coup  férir  par  deux  côtés  à  la  fois.  A 
peine  les  hauteurs  qui  dominent  ce  village  eurent- elles  été  occupées,  qu*une 
assez  vive  fusillade  éclata  sur  nos  groupes  un  peu  pressés;  mais  les  Tirailleurs 
ripostèrent  vigoureusement,  et  Tennemî,  déconcerté,  se  retira.  Le  général 
Logerot  ayant  alors  donné  Tordre  de  prendre  position  sur  un  plateau  s'étendant 
au  sud-ouest  de  Touba,  le  commandant  de  Lauzun  continua  son  mouvement; 
malgré  la  fusillade  qui  avait  repris,  malgré  les  difficultés  sans  nombre  qu'op- 
posait le  terrain,  les  1''®  et  3*  compagnies  gravirent  la  montagne  au  pas  de 
course,  et  déterminèrent  la  retraite  définitive  des  insurgés.  Ces  derniers  avaient 
eu  douze  tués.  Grâce  à  la  vigueur  avec  laquelle  avait  été  conduite  l'attaque, 
nous  n*a viens  eu  personne  d*at teint. 

La  prise  du  défilé  de  Touba  devait  achever,  chez  les  rebelles,  la  démorali- 
sation produite  par  le  combat  do  R'bAa.  Le  16,  la  marche  no  fut,  en  cflct, 
nullement  inquiétée,  et  la  colonne  campa  le  soir  à  Médina.  Le  17,  il  y  eut 
repos.  Le  18,  le  4^^  bataillon  quitta  le  camp  à  cinq  heures  du  matin,  descendit 
la  vallée  de  TOued - el  -  Abiod ,  incendia  tous  les  villages  qu'il  rencontra,  et, 
vers  quatre  heures  du  soir,  rentra  sans  avoir  eu  à  échanger  mi  seul  coup  de 
fusil. 

Dès  le  lendemain ,  les  tribus  insurgées  commencèrent  à  faire  leur  soumis- 
sion. La  colonne  Logerot  exécuta  cependant  encore  quelques  opérations  dans 
les  environs  de  Médina,  puis  elle  se  disloqua  le  2  juillet,  après  avoir  été  rejointe 
par  le  3'  bataillon  du  régiment,  qui  avait  fait  partie  de  la  colonne  Gaume,  et 
dont  nous  allons  rapidement  résumer  les  opérations. 

Au  début  de  Tinsurreclion ,  ce  bataillon  avait  trois  compagnies  en  garnison 
à  Batna ,  et  Tautro  (la  l'^')  &  Khenchela.  Nous  avons  vu  que  la  A9  compagnie 
avait  aussitôt  été  dirigée  sur  ce  dernier  point;  les  autres  y  arrivèrent  à  leur 
tour  quelques  jours  après,  et  leur  réunion  présenta  alors  la  situation  suivante  : 

MM.  Donin  de  Rozière,  capitaine  de  la  l^^  compagnie  commandant  le  bataillon. 
Vigel ,  capitaine  adjudant-major. 

Villemin ,  médecin  aide-major  de  l''»  classe. 


V*  compagnie. 

MM.  Boulay,  lieutenant  français. 
Orlanducci,  sous-lieut.  français. 
Salah-ben-Ferkatadji ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


2*  con^pagnie. 

MM.  Bailly,  capitaine. 

Fiéreck,  lieutenant  français. 
AIssa-ben-IIadj-Assein,  lieut.  ind. 
H*ahmed-ben-Mohamed,  sous- 
lieutenant  indigène. 


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464  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1879] 


3*  cùmpagnie. 

MM.  Polère,  capitaine. 

Langlet ,  lieutenant  français. 
Lapeyre,  sous-lieut.  français. 
Derradji -ben- Messaoud ,  sous- 
lieutenant  indigène. 


4*  compagnie. 

MM.  Lochert,  capitaine. 

Palinade ,  lieutenant  français. 
Taîeb-ben-Mohamed ,  lieut.  ind. 
D*Âniade,  sous-lieut.  français. 
Âli-ben-Mohamed ,  s.-lieut.  ind. 


La  colonne  Gaume,  comprenant  trois  escadrons  de  cavalerie,  une  section 
d*artillerie  de  montagne  et  un  seul  bataillon  d*infauterie,  quitta  Khenchelu  le 
13  juin  pour  aller  camper  à  Ain-ïamaga.  Le  14,  elle  se  porta  à  Taguerzoun, 
où  elle  séjourna  jusqu'au  17.  Elle  parcourut  ensuite  du  sud  au  nord  la  vallée 
du  Mélagou,  longea  le  revers  sud  du  Clielia,  et  vint  s'établir  au  sommet  du 
col  de  Tizougurin,  où  elle  resta  jusqu'au  30,  jour  de  sa  dissolution.  Sur  aucun 
point  de  son  parcours  elle  n'avait  eu  d'engagement  sérieux.  Devenu  disponible, 
le  3*  bataillon  se  rendit  alors  à  Médina,  à  Texception  cependant  de  la  1^  com- 
pagnie, qui  retourna  À  Khenchela. 

Malgré  les  excellentes  dispositions  prises  par  le  général  Forgemol  et  la  rapi- 
dité avec  laquelle  nos  troupes  avaient  manœuvré  dans  ce  pays,  où  il  n'existait 
encore  aucune  voie  de  communication ,  on  n'avait  pu  s'emparer  de  Mohamed- 
ben-Abderrahman ,  qui  fuyait  vers  le  sud  avec  l'intention  de  gagner  la  Tunisie. 
Disons  tout  de  suite  qu'après  deux  sanglants  engagements  avec  les  goums  du 
Djebel-Cherchar  et  les  spahis  de  Zcribet-el-Oued,  il  parvint  à  atteindre  le 
Sahara  et  de  là  le  territoire  tunisien ,  où  il  fut  arrêté  par  les  agents  du  bey, 
qui  le  remirent  entre  les  mains  des  autorités  françaises.  Un  an  après  il  passait 
devant  le  conseil  de  guerre  de  Constantine,  était  condamné  à  mort  et  exécuté. 

N'ayant  plus  leur  raison  d'être,  les  colonnes  expéditionnaires  de  l'Aurès 
furent  licenciées;  les  troupes  de  la  division  d'Alger  reprirent  la  route  de  leur 
province,  et  il  ne  fut  maintenu  qu'une  colonne  légère  sous  les  ordres  du  gé- 
néral Logerot.  Cette  dernière,  dans  la  composition  de  laquelle  entrèrent  le 
17*  Imtaillon  de  chasseurs,  deux  bataillons  de  Tirailleurs  à  trois  compagnies  *, 
un  escadron  de  spahis  et  une  section  d'artillerie,  quitta  Médina  le  G  juillet, 
passa  par  El -Hammam,  Ain -Ara,  Chenaoura,  Taghit,  Chir,  Sanef,  Tarit - 
el-Bachfla,  Bordj-Azouz,  Nouader,  Menah,  Taggoust,  Domina,  Aîn-Toha,  et 
revint  sur  TOued-Taga,  au  bordj  du  caïd  Del-Abbès,  où  elle  fut  dissoute  à  son 
tour.  Les  deux  bataillons  du  régiment  qui  en  avaient  fait  partie  rentrèrent, 
le  3^  à  Batna,  où  il  arriva  le  25  juillet,  et  le  4<'  à  Constantine,  où  il  fut  rendu 
le  31. 

A  l'automne,  deux  colonnes  de  surveillance,  aux  opérations  desquelles  par- 
ticipèrent les  3«  (capitaine  Greffier)  et  4®  (capitaine  Mercier)  compagnies  du 
4^  bataillon,  parcoururent  encore  le  pays,  mais  sans  rencontrer  nulle  part  le 
moindre  symptôme  de  résistance. 

Très  éprouvé  par  les  fatigues  de  l'expédition  de  juin ,  à  laquelle  il  avait  pris 
une  part  active  à  la  tête  de  la  première  denii-hrigade  de  la  colonne  Logerot, 

1  Le  3«  bataillon  était  diminué  de  sa  l'«  compagnie ,  envoyée  à  Khenchela,  la  4«  de 
sa  2«,  laissée  à  U'bda. 


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[1880 1  KN  Al.(n'.lllK  405 

le  colonel  Hnrhier  élait  resté  flotilTrnnt  (Icpum  sa  rentrée  à  Constantino;  mais 
rien  ne  faisait  cependant  prévoir  une  aggravation  dans  son  état,  lorsque,  le 
20  juillet,  le  régiment  apprit  avec  douleur  sa  mort,  survenue  subitement.  Il 
fut  remplacé  par  le  colonel  Verrier  ;  mais  ce  dernier,  qui  ne  parut  jamais 
au  corps,  permuta  hicntôt  avec  le  colonel  Gerder,  qui,  depuis  le  11  sep- 
tembre 1875,  coinmondait  le  48®  de  ligne. 

Le  7  juillet  1880,  une  députation  composée  de  MM.  Gerder,  colonel;  Ri- 
chard, capitaine;  Tatin,  sous-lieutenant  porte-drapeau;  Mohamed -ben-Em- 
barck,  sergent;  Amor-ben-Mohamed ,  caporal;  SuItan-ben-Mohamed ,  Sliman- 
ben -Mohamed  et  Ahmed -ben-Youssef,  tirailleurs,  quitta  Gonstantine  pour 
aller  à  Paris  recevoir  le  nouveau  drapeau  destiné  au  régiment.  Cette  députa- 
tion rentra  le  24  juillet. 

Avec  Tordre  et  la  tranquillité  était  revenu  le  repos,  la  vie  de  garnison,  en 
un  mpt  cette  existence  monotone  que  le  soldat  est  toujours  heureux  d^échan- 
ger  contre  les  tribulations  d'une  campagne.  Deux  années  allaient  s*écouler 
ainsi  ;  deux  années  qui  n'offriraient  aucun  fait  important  à  signaler,  si  un  in- 
cident douloureux,  que  rien  ne  faisait  prévoir,  ne  fût  venu  tout  à  coup  sceller 
d'un  nouveau  sacriBce  la  réputation  de  fidélité  et  de  dévouement  que  le  corps 
avait  toujours  si  hautement  justifié.  Nous  voulons  parler  du  massacre  de  la 
mission  Flattera. 

Au  mois  d'octobre  1880,  alors  que  le  lieutenant-colonel  Flattera  se  disposait, 
pour  la  deuxième  fois,  à  essayer  de  traverser  le  désert  et  de  se  rendre  à  Tom- 
bouctou ,  pour  voir  ce  qu'avait  de  réalisable  une  idée  de  chemin  de  fer  trans- 
saharien vulgarisée  par  un  ingénieur,  M.  Duponchel,  vingt-quatre  hommes 
du  3°  Tirailleurs,  choisis  parmi  ceux  de  bonne  volonté,  furent  envoyés  à  La- 
ghouat  pour  être  mis  &  la  disposition  du  courageux  explorateur,  qui  avait  lui- 
même  appartenu  au  régiment  comme  chef  de  bataillon.  Ces  hommes  étaient 
destines,  avec  un  nombre  égal  d'autres  tirés  du  1"'  Tirailleurs,  à  constituer 
une  escorte  devant  permettre  à  la  mission  d'opérer  en  toute  sécurité,  et  de 
vaincre  au  besoin  la  résistance  qu'elle  pourrait  rencontrer.  Une  première  ten- 
tative, faite  par  le  colonel  au  mois  de  février  de  la  même  année,  avait  échoué, 
en  partie  pour  n'avoir  pas  été  entourée  de  cette  précaution. 

Le  départ  de  Laghouat  eut  lieu  le  18  novembre  1880.  Le  personnel  de  la 
nouvelle  mission  se  composait  de  onze  Français,  dont  le  colonel  Flattera,  le 
capitaine  Masson,  du  corps  d'état-major,  le  lieutenant  Dianous  de  la  Perro- 
tinc,  le  médecin  aide-major  Guiard,  les  ingénieurs  Béringer,  Uoche  et  Santin, 
les  maréchaux -des- logis  Dennery  et  Pobéguin,  de  quarante -cinq  Tirailleurs 
indigènes,  et  d'environ  autant  de  guides  ou  de  chameliers  recrutés  parmi  les 
Ouled-Naîl,  les  LarbAa  de  Laghouat  et  les  ChambAa  d'Ouargla.  Cette  nom- 
breuse caravane  emmenait  deux  cent  quatre-vingts  chameaux,  et  emportait 
pour  quatre  mois  de  vivres.  Les  Tirailleurs  avaient  gardé  leurs  eflets  de  toile, 
qu'ils  portaient  dissimulés  sous  des  burnous;  ils  étaient  armés  du  mousqueton 
d'artillerie,  du  sabre -baïonnette  et  du  revolver  d'ordonnance.  Tous  étaient 
montés  sur  des  mehara. 

Nous  ne  nous  attarderons  pas  à  raconter  ce  voyage  à  travers  une  région 
inexplorée,  à  suivre  les  péripéties  de  cette  entreprise  semée  de  mille  difficul- 

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466  LE  3«  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [iSSl] 

tés,  do  mille  dangers,  et  nous  arriverons  aussitôt  au  Irislo  dénouement  :  la 
mort  du  lieutenant-colonel  Flatlers  et  de  la  plupart  de  ses  compagnons.  Nous 
allons,  pour  ce  dernier  fait,  nous  en  rapporter  aux  récits  des  rares  survivants. 

Après  être  passés  par  Ouargla,  llassi-Inifel  sur  l'Oued -Mia,  llassi-Insokki 
sur  l*oued  du  même  nom,  Uassi-Messegued ,  Amguid  et  Inzelman-Tikhsin,  nos 
intrépides  voyageurs  avaient  dépassé  la  sebkha  d'Amadghôr  et  se  trouvaient 
à  environ  douze  cents  kilomètres  d*Ouargla,  lorsque,  la  16  février  1881,  ils 
furent  brusquement  assaillis  par  les  Touareg-Hoggar. 

On  venait,  paraît-il,  de  terminer  l'étape;  il  s'agissait  du  choix  d'un  cam- 
pement. Le  colonel  voulait  8*établir  près  d'un  puits  qui  lui  avait  été  signalé; 
mais  les  Touareg,  qui  étaient  venus  à  sa  rencontre,  lui  firent  observer  qu'il 
y  serait  continuellement  dérangé  par  les  caravanes  et  les  froupeaux,  et  il  se 
rendit  à  ces  raisons.  Il  désigna  alors  l'endroit  qui  lui  parut  le  plus  favorable, 
et,  sans  descendre  de  cheval,  partit  avec  les  guides  et  MM.  Masson,  Guiard, 
Béringer,  Uoche  et  Dennery  pour  aller  reconnaître  le  puits.  Il  était  une  heure 
de  l'après-midi.  Quelques  instants  après,  on  apportait  au  lieutenant  de  llianous 
l'ordre  d'envoyer  foire  boire  les  chameaux.  Ce  dernier  divisa  ces  animaux  en 
plusieurs  groupes ,  et  donna  à  chaque  groupe  une  escorte  de  Tirailleurs.  Le 
convoi  se  mit  en  route;  le  terrain  était  accidenté,  raviné,  pierreux;  on  avan- 
çait lentement  ;  tout  à  coup ,  après  une  heure  de  marche  environ ,  on  entendit 
plusieurs  détonations.  Comme  il  arrivait  souvent  au  colonel  ou  aux  autres 
membres  de  la  mission  de  chasser  pendant  l'étape,  les  Tirailleurs  de  Tescorte 
n'y  firent  pas  attention.  Mais  bientôt  un  nuage  de  poussière  s'éleva  dans  la 
vallée,  et  une  troupe  de  Touareg  apparut  accourant  sur  des  mehara.  En  tête 
galopaient  deux  cavaliers  montés  sur  les  juments  du  colonel.  Les  Tiraillours 
se  préparèrent  aussitôt  à  repousser  cette  attaque;  mais,  par  suite  d'une  fatale 
imprudence,  quelques-uns  d'entre  eux  seulement  avaient  emporté  leur  fusil, 
et  ceux-là  n'avaient  que  quelques  cartouches.  Ces  munitions  furent  vite  épui- 
sées. Dès  qu'ils  n'eurent  plus  à  redouter  la  fusillade,  les  Touareg  poussèrent 
de  grands  cris,  et,  se  couvrant  de  leurs  petits  boucliers  blancs,  chargèrent  à 
fond  avec  leurs  lances  longues  de  deux  mètres.  Ne  pouvant  résister,  les  Tirail- 
leurs se  replièrent  d'abord  derrière  un  mamelon ,  puis  ils  cherchèrent  à  s'é- 
chapper; plusieurs  furent  tués.  Tous  les  chameaux  s'étaient  dispersés,  pre- 
nant d'eux-mêmes  leur  course  vers  le  point  où  leur  merveilleux  instinct  leur 
signalait  de  l'eau. 

Cependant  l'alarme  avait  été  donnée  au  camp ,  et  le  lieutenant  de  Dianous 
était  parti  avec  une  vingtaine  de  Tirailleurs.  Ce  détachement  arriva,  en  se 
dissimulant,  jusqu'en  vue  du  puits,  mais  ne  put  découvrir  nulle  trace  du  co- 
lonel ni  de  ceux  qui  l'avaient  accompagné;  il  aperçut  seulement  une  centaine 
de  Touareg  qui  se  partageaient  le  butin,  il  rentra  alors  au  camp,  et  le  lieu- 
tenant de  Dianous  fit  disposer  les  caisses  et  les  bagages  en  prévision  d'une  at- 
taque; mais  Tennemi  ne  se  montra  pas.  A  une  heure  du  matin ,  on  prit  tout  ce 
qu'on  pouvait  emporter  Àdos  d'homme  en  fait  d'argent,  de  vivres  et  de  muni- 
tions ;  puis ,  à  la  faveur  de  l'obscurité ,  la  retraite  commença ,  dirigée  par  le  lieu- 
tenant de  Dianous  et  le  maréchal-des-logis  Pobéguin.  Sur  quatre-vingt-douze 
hommes  qui  composaient  la  caravane,  il  n'en  restait  plus  que  soixante-trois. 


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[1881]  EN  ALGÉRIE  467 

Gc  quo  devinrent  ces  malheureux,  on  ne  le  dovino  quo  trop;  harcelés  par  les 
Touareg,  minés  par  la  faim ,  la  fatigue  et  surtout  par  la  soif,  victimes  quel- 
ques-uns d'un  empoisonnement  provoqué  par  des  dattes  achetées  à  leurs  enne- 
mis, ils  perdirent  successivement  leurs  deux  chefs,  virent  chaque  jour  dimi- 
nuer leur  nombre,  et,  vers  la  fin  de  mars,  no  se  retrouvèrent  plus  que  quinze 
en  arrivant  ù  Ounrgia.  La  dernière  période  do  ce  retour  avait  été  particulière- 
ment horrible  :  les  survivants  en  avaient  été  réduits  ft  se  manger  entre  eux. 

Des  vingt-quatre  Tirailleurs  fournis  par  le  régiment,  deux  étaient  rentrés 
prématurément  comme  malades  et  n'avaient  pas  accompagné  la  mission ,  six 
avaient  selon  toute  probabilité  succombé  le  jour  du  massacre  do  celle-ci,  un 
avait  été  tué  pendant  la  retraite,  six  étaient  morts  de  faim,  cinq  s'étaient 
sauvés,  rendus  fous  par  le  poison  qu'ils  avaient  absorbé  et  n'avaient  pas  re- 
paru; enfin  quatre,  faits  prisonniers  par  les  Touaregs,  devaient  rentrer  au 
corps  après  s'être  évadés  et  avoir  péniblement  gogné  Laghouat.  Ces  derniers 
étaient  les  nommés  Khalifa-ben-Dorradji,  Ahmed -ben-Messaoud,  Messaoud- 
ben-Saïd  et  Ali-ben-EI-Messal.  Les  trois  premiers  reçurent  la  médaille  mi- 
litaire. 

Nous  ne  saurions  mieux  terminer  le  récit  de  cette  catastrophe  qu'en  repro- 
duisant l'ordre  par  lequel  le  colonel  Gerder  portait  celle-ci  à  la  connaissance 
du  3*^  Tirnillnurs. 

«  J'ai  la  douleur  d'annoncer  au  régiment,  disait- il,  la  fin  malheureuse  et 
tragique  de  ceux  do  nos  camarades  qui  avaient  bien  voulu  suivre  la  mission 
Flat(ers. 

«  Victimes  d*une  odieuse  perfidie,  ils  sont  morts,  comme  toujours,  en  braves, 
défendant  ceux  quils  accompagnaient.  Tous,  comme  à  Tuggurt,  sont  restés 
fidèles  et  loyaux  soldats  de  la  France;  pas  un  n*a  voulu  pactiser  avec  Tennemi. 

«  Leurs  noms  resteront  gravés  dans  nos  cœurs,  et  nous  garderons  le  ferme 
espoir  de  les  venger  un  jour.  » 


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EXPÉDITION  DE  TUNISIE.  —  CONGO 

(1881-1886) 


CHAPITRE  Vil 


(1881-1882)  Causes  de  l'ezpôdilion  de  Tunisie.  —  Première  péiiode  des  opérations, 
d'avrii  à  juillol  1881.  —  lAi  1"^  iKitaillon  du  rôgiiucnl  y  (irciid  i^irl  dans  l.i  \'^  lirigadc 
do  la  division  l)elel)OCi|ue.  —  Ucnlréo  do  ce  l)atailloii  à  Sétif.  —  ïjù  coIuiiuI  Ja(*ob  suc- 
cède  au  colonel  Gerdcr,  nouiujé  gt^néral.  —  0(*xn|iaUon  du  sud  du  la  TunUio.  —  CUi- 
ioune  de  Négrine.  —  Colonne  de  Tebcssa;  sa  mardie  sur  Kérouan,  puis  sur  Carsa.  — 
Opérations  autour  de  cotte  dernière  ville.  —  Colonne  Jacob;  sa  rentrée  en  Algérie  par 
Tebessa.  —  Colonne  volante  de  Sétif.  —  Les  1^«  et  4«  compagnies  du  Z^  bataillon  sont 
dirigées  sur  le  Kef  pour  prendre  part  aux  opérations  des  colonnes  de  la  Roque  et 
d*Aubigny.  —  Rentrée  de  ces  compagnies  à  Sétir.  —  Le  3«  bataillon  est  envoyé  à  El- 
Oued.  —  Opérations  dont  les  environs  de  ce  poste  ont  été  précédemment  le  théâtre.  — 
Colonne  le  Noble.  —  Incursions  en  Tunisie.  —  La  colonne  vient  s'installer  à  Kbea- 
cbela.  —  Mort  du  colonel  Jacob.  —  Le  colonel  Dottard  est  nommé  au  commandement 
du  régiment.  —  Emplacements  des  bataillons  après  rex|>édiliun  do  Tunisie.  —  Chan- 
gements elTectués  au  mois  d*octobre  1882.  —  (188;s-1880)  Mission  de  Urazza  au 
Congo. 


Dans  le  cours  de  cet  historique,  on  a  pu  bien  des  fois  constater  l'hostilité 
des  tribus  tunisiennes  de  la  fruntièro.  Indociles  ou  insoumises,  ces  tribus 
avaient  toujours  été  une  inquiétude  pour  nos  douars,  <|u'ellus  attaquaient 
souvent  à  Timproviste  pour  les  piller  ou  les  rançonner.  Lorsque  nos  troupes 
arrivaient,  leurs  contingents  étaient  déjà  loin,  et  il  en  résultait  alors,  avec  le 
gouvernement  du  bey,  des  pourparlers  dont  la  longueur  entraînait  presque 
toujours  rimpunité  des  coupables,  et  qui  n'assuraient  que  de  faibles  indem- 
nités aux  victimes  de  ces  attentats.  On  a  vu  également  que  les  malfaiteurs, 
les  insurgés,  les  individus  condamnés  par  nos  tribunaux,  trouvaient  infailli- 
blement un  refuge  parmi  ces  populations  indépendantes,  <|ui,  non  contenlci 
d'abriter  ces  fauteurs  de  désordre,  leur  fournissaient  quelquefois  les  moyens 
de  recommencer  leurs  exploits. 


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[1881]        LE  3®  RÉGIMRNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  EN  TUNISIE  469 

Au  commencement  de  1881 ,  cette  situation  déjà  assez  tendue  s*aggrava 
encore,  et  le  gouvernement  français  dut  provoquer  ]a  réunion  d'une  confé- 
rence pour  régler  les  nombreux  différends  survenus.  Celte  conférence  eut  lieu 
à  Elma>cl-Amar;  M.  le  commandant  Yivensang,  du  i^  Tirailleurs,  détaché 
aux  affaires  indigènes,  y  présenta  nos  réclamations;  mais  il  trouva  un  mau- 
vais vouloir  si  évident  chez  le  délégué  du  l)ey,  que,  sur  Tordre  du  général 
Forgcmol,  ces  négociations  furent  immédiatement  rompues. 

Les  choses  en  étaient  là ,  lorsqu'on  apprit  tout  à  coup  la  violation  de  notre 
territoire  par  les  Ouled-Cedra  (  Khroumirs) ,  tribu  occupant  le  pflté  montagneux 
situé  entre  la  Medjerdah  et  la  mer.  Une  compagnie  et  demie  du  59*  de  ligne 
et  un  bataillon  du  3^  zouaves  furent  aussitôt  envoyés  à  la  Galle,  à  Roumel- 
Soug  et  au  Tarf;  mais  la  présence  de  ces  troupes  n*arréta  pas  les  Tunisiens, 
et  deux  combats  assez  sérieux  curent  lieu,  les  30  et  31  mars,  en  avant  d*EI- 
Aïoun. 

C«^tlc  audacieuse  agression  ne  pouvait  rester  impunie.  Le  général  Forgemol 
dirigea  en  toute  hftte  sur  la  frontière  la  plus  grande  partie  des  forces  dispo- 
nibles de  la  province  et  prit  les  ordres  du  gouvernement;  ce  dernier  décida 
qu'en  raison  de  l'impossibilité  où  se  trouvait  le  bey  de  faire  respecter  son  au- 
torité, on  occuperait  comme  garantie  quelques  points  favorables  du  nord  de 
la  Tunisie.  En  conséquence,  des  renforts  furent  aussitôt  envoyés  au  comman- 
dant de  la  division  de  Constantine,  pour  lui  permettre  d'organiser  un  corps 
expéditionnaire  de  vingt-cinq  mille  hommes ,  et  d'obtenir  par  la  force  les  sa- 
tisfactions qui  nous  avaient  été  refusées  dans  la  conférence  d'Elma-el-Amar. 

Le  3  avril ,  le  colonel  Gerder  recevait  l'ordre  de  se  tenir  prêt  à  partir  avec 
un  bataillon  de  son  régiment.  Le  l"**  bataillon,  alors  en  garnison  à  Constan- 
tine, Tut  h  cet  effet  complété  à  cinq  cents  hommes,  et  le  lendemain  il  s'embar- 
quait on  clieniin  do  fer  pour  ôtre  transporté  &  Mondovi,  d'où,  après  avoir  rallié 
une  section  d'artillerie,  il  devait  ensuite  se  rendre  par  étapes  au  point  de  con- 
centration qui  lui  serait  ultérieurement  iixé.  Le  détachement  était  ainsi  com- 
posé : 

ÉTAT-MAJOR 

MM.  Gerder,  colonel. 

Abadie ,  lieutenant  faisant  fonctions  d'officier  payeur. 

Tatin ,  sous-lieutenant  porte-drapeau. 

Weber,  médecin-major  de  l""»  classe. 

Ic'   BATAILLON 

M.  Maux,  capitaine  adjudant-major,  commandant  le  bataillon. 

1'®  compagnie. 
MM.  Conticr,  capitaine. 

Hathelot,  lieutenant  français. 
Tandonnet,  sous-lieut.  français. 
Delkassem  -  bcn  -  Ahmed ,  sous  - 
lieutenant  indigène. 


2®  compagtiie. 
MM.  Vatin,  capitaine. 

Mohamed-ben-Taieb,  lient,  ind. 
Moufflet,  sous-lieut.  français. 
Mohamed-ben-Said,  s.-lieut.  ind. 


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A70  LE  3*  RÉOIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [I88I] 

4*  compagnie. 

MU.  Claveric,  capitaine. 

Beikassem  -  Zid  -  ben  -  Mohamed- 

Zid ,  lieutenant  indigène. 
Prévost,  sous-lieut.  français. 
Mansour-ben-Brahim ,  sous-licu- 

tenant  indigène. 


3*  compagnie. 

MM.  Saron,  capitaine. 

Lagdar-ben-el-Achi ,  lieut.  ind. 
Toulan ,  sous-lieut.  français. 
Mohamed-ben-Ahmed,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


Désigné  pour  faire  partie  de  la  brigade  Ritter,  le  bataillon  quitta  Mondovi 
le  5  avril  et  se  dirigea  sur  EUAîoun,  où  il  arriva  le  7.  Le  se  trouvaient  déjà 
deux  bataillons  du  3*  zouaves.  On  y  resta  jusqu'au  20  avril.  A  celte  date,  la 
brigade  se  porta  à  Oum-Theboul ,  où  s'acheva  son  organisation  ;  elle  comprit 
alors  deux  régiments  de  marcho  à  trois  bataillons,  dix  pièces  d*artillerie  et 
uno  compagnie  du  génie.  Le  l^*''  régiment  de  marche  se  composait  de  zouaves 
et  le  2^  de  Tirailleurs  (deux  bataillons  du  i^^  régiment  et  un  du  3<>).  Ce  dernier 
était  commandé  par  le  colonel  Gerder. 

Le  corps  expéditionnaire,  sous  les  ordres  du  général  Forgemol,  avait  été 
divisé  en  deux  colonnes  destinées  à  opérer  séparément.  La  première  de  ces 
colonnes  (général  Delebecque),  forte  de  trois  brigades,  devait  d'abord  envahir 
le  territoire  des  Ouled-Cedra,  infliger  un  sévère  châtiment  à  cette  tribu,  puis 
s'avancer  vers  l'est  en  battant  tout  le  pays  jusqu'à  la  mer;  la  deuxième  (gé- 
néral Logerot),  concentrée  à  Souk-Arras,  avait  pour  mission  de  marcher  vers 
le  nord-est,  de  façon  à  faire  sa  jonction  avec  la  première  dans  la  dernière  pé- 
riode des  opérations.  La  brigade  Ritter  faisait  partie  de  la  colonne  Delebecque. 

Retardé  par  le  mauvais  temps,  le  mouvement  général  ne  commença  que  le 
26  avril.  Le  23,  la  brigade  Ritter  s'était  portée  à  Domcnt-Rcbah,  aiin  do  se 
rapprocher  de  son  objectif,  qui  était  le  col  de  Baba-Rrick.  Au  jour  prescrit, 
cette  brigade  s'avança  par  la  crête  du  Djebel -Adeda,  enleva  la  position  de 
Baba-Brik  sans  coup  férir  et  y  établit  son  bivouac.  liO  lendemain,  par  une 
pluie  battante,  elle  revenait  au  camp  de  Dement-Rebah.  Evacué  sur  la  Galle, 
à  la  suite  d'une  insolation ,  le  général  Ritter  était  depuis  la  veille  provisoire- 
ment remplacé  par  le  colonel  Gerder,  qui  l'était  lui-môme,  dans  le  comman- 
dement du  2*  régiment  de  marche,  par  le  lieutenant- colonel  Roussel,  du 
1«^  Tirailleurs. 

En  raison  de  la  présence,  près  de  Roumel-Soug,  d'une  colonne  tunisienne 
forte  d'environ  deux  mille  hommes,  les  jours  suivants  on  resta  à  Dément- 
Rebah.  On  ne  quitta  ce  point  que  le  3  mai,  pour  aller  le  même  jour  camper 
à  Djebabra.  Le  4,  la  brigade  entière  se  porta  à  Sidi-Youssef,  et,  le  5,  à  EU 
Hanah,  où  elle  fut  rejointe  par  le  général  Cailliot ',  envoyé  de  France  pour 
en  prendre  le  commandement. 

Le  mauvais  temps,  qui  n'avait  pas  cessé  depuis  le  commencement  des  opé- 
rations, continuait  d'être  une  source  de  retards  et  de  diiricultés  :  des  pluies 
torrentielles,  un  brouillard  intense  qui  empêchait  souvent  de  se  diriger  au 

*  A  été  capitahie  au  régiment. 


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(1884]  EN  TUNISIE  471 

sein  (lo  co  pay»  inconnu,  toiles  étaient  les  conditions  dans  losqnollcs  on  allait 
80  trouver  pendant  plusieurs  jours. 

Le  8  mai,  le  bataillon  du  régiment  prit  part  à  une  reconnaissance  dirigée 
par  le  général  Dclebecque  sur  le  marabout  de  Sidi-Abdallah^bou-Djemel. 
Lo  10,  rinfanterie  de  la  brigade  Cailliot  fut  répartie  en  trois  régiments  do 
marche  au  lieu  de  deux.  Le  bataillon  du  3^^  Tirailleurs  forma,  avec  jan  autre 
du  2«  zouaves ,  le  2«  régiment ,  à  la  tête  duquel  resta  le  colonel  Gerder.  Le  11 , 
on  alla  prendre  position  sur  Tétroit  plateau  de  Dar-el-Abibi,  d'où,  lo  13,  le 
général  Cailliot  partit  avec  les  l**'et  2«  régiments  de  marche  pour  aller  recon- 
naître lo  défilé  d*EI-Mcri()j ,  réputé  comme  des  plus  difficiles.  Le  lendemain , 
la  brigade  se  porta  à  Ben-Melir  en  passant  par  ce  défilé.  Cette  marche  fut 
particulièrement  pénible  :  les  Khroumirs  avaient  cherché  à  Tentraver  en  jetant 
d*énormcs  troncs  d*arbres  dans  les  passages  les  plus  étroits.  II  était  sept  heures 
du  soir  lorsque  les  tentes  purent  être  dressées. 

La  colonne  Delcbecquo  était  désormais  en  communication  avec  la  colonne 
Logerot,  et  c'était  la  brigade  Cailliot  qui  assurait  cette  jonction.  Le  16,  cette 
brigade  occupa  Aln-Metir,  où  elle  resta  daux  jours;  puis  ello  s'avança  jusqu'à 
El-Guemaîr,  sur  la  rive  gauche  de  TOucfl-Zen.  Lo  19  au  soir,  les  Khroumirs 
nllnqnrrcnt  une  grand'gnrde  du  l*'*'  Tirailleurs;  il  s'en  suivit  un  asses  vif  en- 
gagement, mais  le  bataillon  du  régiment  n'y  prit  point  part.  Le  20,  dans 
Taprès-roidi ,  les  3*  et  4«  compagnies  ayant  été  désignées  pour  escorter  le  gé- 
néral Vincendon ,  elles  eurent  une  légère  escarmouche  avec  des  maraudeurs 
qui  avaient  pillé  des  marchands;  elles  leur  tuèrent  ou  blessèrent  trois  hommes, 
et  leur  reprirent  cinq  des  mulets  dont  ils  s'étaient  emparés. 

Ln  24,  on  campait  près  des  sources  de  TOued-Zen;  le  25,  à  Sidi-Kou1der| 
et,  le  26,  dans  le  col  de  Berzègue.  Lo  27,  les  3*  et  4*  compagnies  prirent  la 
grnnd'gardo;  les  l^**  et  2*,  sous  les  ordres  du  capitaine  commandant  lo  ba- 
taillon, allèrent  chercher  un  convoi  de  vivres  h  Tabarka.  Pendant  ce  temps, 
les  autres  bataillons  de  la  brigade  avaient  un  engagement  sans  importance  à 
Sidi-Moussa. 

Ces  dernières  opérations  ayant  déterminé  la  complète  soumission  dos  Khrou- 
mirs, à  partir  de  ce  moment  le  général  Delebecque  cessa  d*opérer  de  concert 
avec  le  g(*néral  Logerot;  il  se  contenta  alors  d'assurer  cette  soumission  au 
moyen  do  poliloj  colonnM  mobiles  qui  parcoururent  le  pays  datis  tous  les 
sens.  Deux  brigades  seulement  furent  employées  à  cette  mission,  celles  des 
généraux  Ualland*  et  Vincendon.  La  brigade  Cailliot  avait  été  désignée  pour 
faire  une  reconnaissance  vers  Test,  sur  le  territoire  des  Mogods,  et  explorer  la 
région  encore  inconnue  comprise  entre  le  cours  inférieur  de  TOued-Zcn  et  le 
méridien  du  cap  Négro.  A  cet  eflct  elle  alla,  le  4  juin ,  camper  à  Dar-cl-Ma- 
halla;  le  6,  ello  fit  une  pointe  sur  Budmah,  où  elle  passa  la  nuit,  puis  elle 
rentra  à  Dar-el-Mahalla.  Le  9,  elle  revenait  à  Bert^ue,  et,  le  11 ,  allait  s'é- 
tablir à  El-Aghaf ,  à  cinq  kilomètres  de  Tabarka. 

Le  calme  le  plus  parfait  régnait  maintenant  dans  tout  le  nord  de  la  Régence. 
Pendant  que  le  général  Forgemol  s'avançait  par  la  vallée  de  la  Medjerda  et  les 

<  A  été  lieutenaot  et  capitaine  aa  régiment 


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472  LE  3"*  HÉOIIIENT  nE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (1881  ] 

montagnes  dos  Kiiroumirs,  le  général  Uréart  avait  débarqué  à  Uizerlo  avec  un 
corps  de  sept  mille  hommes,  8*était  présenté  le  12  mai  au  Uardo,  et  avait  sou- 
mis à  la  signature  du  bey  le  traité  proposé  par  le  gouvernement  français. 
D'après  ce  traité,  la  Tunisie  étail  placée  sous  le  protectorat  do  la  France,  qui 
s'engageait  à  la  garantir  contre  toute  altaque  du  dehors  et  à  rétablir  l'ordre 
au  dedaps. 

Cette  convention  ayant  bientôt  rendu  inutile  une  partie  des  forces  réunies 
sous  lo  commandement  du  général  Forgemol,  la  dislocation  du  corps  expédi- 
tionnaire fut  décidée.  Elle  commença  le  10  juin  pour  la  colonne  Logerot,  le  15 
pour  la  colonne  Delebecc|ue.  Ce  môme  jour,  la  brigade  Cailliot  vint  camper 
à  Ain-Draham,  où,  le  16,  le  bataillon  du  îfi  zouaves  la  quitta  pour  rentrer 
à  Oran.  Les  autres  troupes  qui  la  composaient  travaillèrent  encore  pendant 
quelques  jours  à  la  roule  de  Fernana;  puis  le  général  leur  fit  ses  adieux,  et 
celles  de  la  province  de  Constantine  se  mirent  en  route  pour  rentrer  dans 
leurs  garnisons.  Le  29  juin ,  le  bataillon  du  3*  Tirailleurs  arrivait  à  Souk- 
Arras,  et  huit  jours  après  y  prenait  le  chemin  de  fer  pour  se  rendre  à  Scttf, 
où  avait  été  transféré  l'état-major  du  régiment.  Il  arriva  dans  cette  ville  le 
9  juillet,  à  sept  heures  du  matin. 

Le  28  juin,  le  colonel  Gerder  avait  été  promu  général  de  brigade.  Il  fut 
remplacé  par  le  colonel  Jacob,  nommé  par  décret  du  10  juillet,  et  quitta  le 
corps  Huivi  par  les  ref(rots  et  ralVection  <lo  tous  ceux  (|ui  rayaient  cumnu. 

Pour  donner  satisfaction  à  l'opinion  publi(|uo,  et  notamment  à  une  partie 
de  la  presse,  qui  avait  fait  une  campagne  des  plus  violentes  contre  l'expé- 
dition qui  venait  d'avoir  lieu,  le  corps  d'occupation  de  la  Tunisie  avait  été 
(en  dehors  des  troupes  d'Algérie  renvoyées  dans  leurs  provinces)  diminué 
d'une  dizaine  de  mille  hommes  rappelés  en  France.  La  conséquence  de  cette 
mesure  prématurée  fut  presque  aussitôt  une  révolte  qui  éclata  à  Sfax ,  et  qui 
se  propagea  rapidement  dans  l'est  et  le  sud  de  la  Régence.  Il  fallut,  en  pré- 
sence de  cette  situation  imprévue,  mobiliser  plus  de  troupes  qu'on  n'en  avait 
précédemment  retiré,  et  constituer  de  nouvelles  et  puissantes  colonnes.  Deux 
de  ces  dernières  furent  organisées  dans  la  province  de  Constantine  :  l'une  à 
Tebessa,  par  le  général  Forgemol,  commandant  en  chef;  l'autre  à  Négrine, 
par  le  colonel  Jacob.  La  première  devait  marcher  sur  Kérouan,  en  même 
temps  que  deux  autres  aux  ordres  des  généraux  Etienne  et  Logerot,  puis  se 
diriger  sur  Gafsa,  pour  s'y  rencontrer  avec  la  deuxième,  venue  par  la  route 
du  sud.  C'est  de  cette  dernière  que  nous  allons  d'abord  nous  occuper. 

Dès  les  premiers  symptômes  d'insurrection  en  Tunisie,  des  troupes  avaient 
été  envoyées  sur  toute  la  partie  méridionale  de  la  frontière  pour  empocher  l'a- 
gitation de  gagner  les  tribus  nomades  de  l'Algérie.  Un  camp  fut  installé  près 
de  Négrine,  oasis  située  sur  l'un  des  passages  les  plus  fréquentés,  et  le  2°  ba- 
taillon du  régiment  y  fut  immédiatement  rassemblé,  sous  les  ordres  du  capi- 
taine Jolly,  adjudant-major.  Les  2<>  et  3<^  compagnies  (lieutenant  Chiarasini 
et  capitaine  Godon)  s'y  rendirent  d'abord,  le  12  juillet,  avec  deux  pelotons 
de  spahis;  puis  la  4*  (capitaine  Tourret)  les  rejoignit  le  22  avec  un  convoi; 
enfin  la  1*^  (capitaine  Gauthier)  rallia  à  son  tour  le  18  septembre.  Lo  9  oc- 
tobre, ce  détachement  se  grossissait  d'un  bataillon  mixte  du  9«  et  du  11**  de 


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[1881]  EN  TUNISIE  473 

ligne,  d*unc  section  d*artil1crie  et  d*un  escadron  du  4^  hussards,  amenés  par 
le  colonel  Jacob,  qui  s'occupa  immédiatement  de  Torganisation  déRnitive  de 
la  colonne.  En  raison  de  la  nature  du  pays  qu'elle  allait  avoir  à  traverser, 
celle-ci  fut  pourvue  d*un  nombre  de  chameaux  suffisant  pour  qu'il  y  eût  un 
do  ces  animaux  pour  doux  hommes;  Tinfantcrie  se  trouva  ainsi  divisée  en 
deux  fractions  :  Tune  montée  et  l'autre  &  pied,  sans  sac.  En  attendant  le  jour 
du  départ,  les  compagnies  exécutèrent  plusieurs  exercices  pour  se  familiariser 
avec  ce  nouveau  genre  de  locomotion ,  auquel  les  Tirailleurs  furent  prompte- 
ment  habitués.  Le  24  octobre,  arriva  le  chef  du  2^^  bataillon,  le  commandant 
Nation. 

La  colonne  se  mit  en  route  le  19  novembre,  et  campa  le  même  jour  à  Cou- 
diat-el-Maiza.  Le  lendemain,  le  bivouac  était  dressé  à  Tentrée  du  Zarf-Ouaar; 
le  20,  &  Midés;  le  21,  à  Djouana-cl-Rechid;  et,  le  22,  à  Ras-el-A!oun,  où 
l'on  fit  séjour  jusqu'au  29,  pour  attendre  un  convoi  destiné  à  la  colonne  For- 
gemol.  Le  23,  le  commandant  Matton  alla  au-devant  de  ce  convoi  avec  deux 
compagnies  de  ce  bataillon  et  la  cavalerie;  il  rejoignit  le  colonel  le  30,  à  Gafsa. 
La  portion  principale  de  la  colonne,  qui  avait  atteint  la  veille  le  grand  plateau 
de  Setah ,  était  elle-môme  arrivée  dans  cette  ville  quelques  heures  auparavant. 
Gnfsa  était  occupé,  depuis  le  20,  par  le  général  Forgemol. 

C'était  le  16  octobre  que  le  général  en  chef  avait  quitté  Tebessa  à  la  tôte 
d'une  division  expéditionnaire.  Parmi  les  troupes  qui  composaient  cette  der- 
nière, se  trouvait  le  4^  bataillon  du  régiment  (commandant  de  Lauzun),  qui, 
avec  un  autre  du  l^*"  Tirailleurs,  formait  un  régiment  de  marche  dont  le  lieu- 
tenant-colonèl  Édon,  du  3*  Tirailleurs,  avait  le  commandement.  Ce  régiment 
faisait  partie  de  la  2^  brigade  (général  de  Gislain).  Le  17,  cette  brigade  campait 
h  Rns-el-Aîoun;  le  1R,  ^  Aulra,  où  il  fallut  attendre  des  approvisionnemonU; 
le  20,  h  llnnout-cl-lliidjom;  le 21,  sur  rOned-Ghoncm,  où  la  1*^  compagnie 
du  4»  bataillon  (capitaine  Mathieu)  eut  à  repousser,  étant  de  grand*garde,  une 
légère  attaque  des  insurgés;  le  22,  à  Enchir-Rouhia ;  le  23,  à  Enchir-Sbiba. 
Pendant  cette  dernière  marche,  l'ennemi  s'était  montré  en  force  sur  plu- 
sieurs points;  il  avait  été  rapidement  délogé  par  notre  artillerie,  et  les  Tirail- 
leurs, qui  s'étaient  précipités  avec  leur  vigueur  accoutumée,  n'avaient  eu  à 
occuper  que  des  positions  évacuées.  Le  25,  en  se  portant  d'Enchir-Sbiba  sur 
l'Oued-el-Ilatteb,  la  cavalerie,  qui  formait  l'avant-garde,  rencontra  encore 
les  rebelles  et  eut  avec  eux  un  assez  vif  engagement  qui  lui  coûta  quelques 
blessés.  La  colonne  prit  immédiatement  ses  dispositions  de  combat;  mais, 
après  une  heure  d'une  canonnade  et  d'une  fusillade  sans  grands  résultats, 
l'ennemi  se  déroba  à  notre  attaque,  et  l'étape  s*acheva  sans  amener  d'autre 
incident.  Le  26,  on  arriva  au  confluent  de  l'Oued-el-Foul  et  de  l'Oued-el- 
llattch.  Le  lendemain ,  nu  moment  de  là  levée  du  camp,  les  insurgés,  qui 
avaient  tiraillé  sur  nos  avant-postes  pendant  une  partie  do  la  nuit,  essayèrent 
d'inr|ni(Hor  notre  flanc  droit;  quelques  feux  de  salve  et  quelques  obus  eurent 
rapidement  raison  de  cette  tentative,  et  c'est  ù  peine  si  la  marche  en  fut  in- 
terrompue. Deux  jours  après ,  le  29  octobre ,  la  division  Forgemol  faisait  son 
entrée  solennelle  dans  la  ville  sainte  de  Kérouan.  Elle  y  avait  été  devancée 
par  les  colonnes  Etienne  et  Logerot,  qui  y  étaient  arrivées ,  la  première  le  26, 


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474  LE  3»  nÉOIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [iSSi] 

la  dcuxièmo  lo  28.  Les  habitants,  dont  on  redoutait  lo  Tanatismc,  n'avaient 
môme  pas  essayé  de  se  défendre. 

La  colonne  de  Tebessa  séjourna  à  Kérouan  jusqu'au  9  novembre,  puis  elle 
se  dirigea  sur  Gafsa.  Le  10,  elle  campait  à  Bir-Zlas;  le  11 ,  sur  l'Oued-Mar- 
guellil;  le  12,  à  EI-Hadjeb-el-Aïoun ;  le  13,  sur  l'Oued-Gilma;  le  15,  à  Bir- 
el-Adam  ;  le  16 ,  sur  l'Oued-Ferka  ;  le  17,  près  des  r'dirs  *  dépendant  du  bassin 
de  rOued-Hallouf;  le  18,  à  côté  d'un  autre  r'dir  du  nom  de  Madjen-Souenia ; 
le  19,  à  Merilba;  le  20,  devant  Gafsa.  Pas  plus  que  Kérouan,  cette  ville  ne 
songea  à  résister;  sa  petite  casbah  fut  occupée  sans  coup  férir,  et  toute  Toasis 
s'empressa  de  faire  sa  soumission.  Un  seul  village  des  environs,  celui  d'Aîcha, 
situé  à  cinquante-quatre  kilomètres  au  sud -est  et  habile  par  une  population 
kabyle,  manifesta  quelques  dispositions  hostiles  lorsque,  le  28  novembre,  le 
général  de  Gislain  s'y  présenta  ù  la  tôte  d'une  colonne  dont  fit  partie  le  régi* 
nient  du  lieutenant-colonel  Édon;  vigoureusement  almnlé  par  nus  Iroupes,  il 
fut  ropidement  enlevé,  et  ses  habitants  prirent  la  fuite  en  emmenant  le  peu  do 
bestiaux  qu'ils  purent  nous  dérober. 

Dès  l'arrivée  du  colonel  Jacob,  le  général  Forgemol  se  disposa  à  lui  laisser 
le  soin  d'achever  la  pacification  du  pays.  Le  3  décembre,  la  colonne  de  Né- 
grine  fut  dissoute.  Le  bataillon  mixte  des  9*  et  11*  de  ligne  et  l'escadron  du 
3*  spahis  reçurent  l'ordre  de  rentrer  en  Algérie.  Une  autre  colonne  dite  de 
Gafsa  fut  alors  formée,  sous  le  commandement  do  cet  officier  supérieur,  pour 
occuper  la  ville,  la  casbah,  et  surveiller  la  région  des  oasis.  Le  régiment  de 
marche  sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel  Édon  ayant  été  licencié,  celte 
colonne  comprit  ainsi  un  bataillon  du  37®  de  ligne,  un  autre  du  3"  zouaves, 
deux  escadrons  de  cavalerie,  une  section  d'artillerie  de  montagne  et  les  2^^  et 
A^  bataillons  du  3*  Tirailleurs,  provenant,  l'un  de  la  colonne  de  Négrine, 
l'autre  de  celle  de  Tebessa. 

Ces  troupes  restèrent  è  Gafsa  jusqu'au  milieu  de  février,  époque  ù  laquelle 
ollos  furent  relovées  por  la  colonne  du  général  IMiilcbert.  Pendant  ce  long 
séjour,  elles  travaillèrent  aclivenient  h  lu  défense  do  cette  ville.  Trois  roiloules 
furent  construites;  une  de  ces  dernières,  élevée  entièrement  par  les  Tirailleurs 
sous  la  direction  du  lieutenant  d'Ornant,  reçut  le  nom  de  fort  Saussier;  une 
autre,  moins  importante  et  défendant  le  front  nord  du  camp,  était  l'œuvre  du 
sous-lieutenant  Bourillet. 

Du  15  au  21  janvier  1882,  le  lieutenant-colonel  Édon,  è  la  tôte  du  2®  ba- 
taillon du  régiment,  de  deux  compagnies  du  3*  zouaves  et  de  l'escadron  du 
4"  hussards,  fit  une  pointe  à  soixante -quinze  kilomètres  au  sud -est,  dans  le 
but  de  montrer  nos  forces  dans  celte  contrée ,  et  d'aller  au-devant  de  quelques 
fractions  des  llammama  qui  étaient  en  instance  de  soumission.  Cette  petite 
colonne  reconnut  le  fameux  défilé  d'Oum-Ali,  barré  à  son  entrée  par  une 
longue  et  épaisse  muraille  romaine  parfaitement  conservée,  atteignit  la  région 
des  chotts,  recueillit  de  nombreux  douars  qui  avaient  précédemment  émigré 
et  que  la  misère  ramenait  vers  lo  territoire  de  leur  tribu,  et  rentra  au  camp 
de  Gafsa  sans  avoir  eu  à  tirer  un  seul  coup  de  fusil. 

*  Flaques  d*eau  souvent  à  sec. 


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[1881]  EN  TUNISIE  475 

Lo  retour  on  Algério  do  la  colonno  Jacob  devait  s'eflectuor  par  la  routo  do 
Tobcssa,  oxcoplé  pour  Io4^  bataillon  du  régiment,  qui,  désigné  pour  aller 
occuper  les  postes  de  Négrine  et  de  Khenchela,  devait  s*y  rendre  par  la  route 
de  Négrine. 

Lo  départ  eut  lieu  le  16  février.  Le  môme  jour,  on  s^arréla  à  Bir-Mekidess , 
où  se  trouve  un  puits  romain  de  trente  mètres  de  prorondeur;  le  17,  &  Bir- 
Sidi-Aîch  ;  lo  18,  &  El-Ogneuf;  lo  19,  à  Feriana;  le  20,  &  Bir-Oum-Ali,  point 
important  par  ses  ruines  romaines;  le  21 ,  à  Elma-el-Abiod ;  enfin,  le  22,  on 
arriva  à  Tebessa ,  où  la  colonne  fut  dissoute.  Le  2*  bataillon  du  3®  Tirailleurs 
continua  olors  sa  marche  sur  Constantine  et  rentra  dans  cette  ville  lo  4  mars. 
L'étal- major  et  la  portion  principale  du  régiment  y  furent  en  même  temps 
réinstallés.  Quant  au  4«  bataillon,  que  nous  avons  laissé  en  route  pour 
Négrino,  il  avait  atteint  ce  poste  le  22  février,  après  être  passé  par  le  col 
de  Setah,  Ras-el-A!oun,  OgIat-ed-Douar,  Mîdès  et  Condiat-el-Maîsa.  Le 
21  mai ,  Tétat-major  du  bataillon  et  les  2^  et  4»  compagnies  (capitaine  Godinet 
et  lieutenant  d*Omant)  se  mirent  en  route  pour  Khenchela,  où  ils  arrivèrent 
le  30. 

Pendant  que  les  2^  et  4*"  bataillons  du  corps  concouraient  ainsi  &  Toccupa- 
tion  et  A  la  par.ificalion  do  la  parlio  méridionalo  do  la  Tunisie,  un  détachement 
du  'M  bataillon,  comprenant  In  4<^  compagnie  (capitaine  Ijochort)  et  lel^*"  pe- 
loton de  la  i^^  compagnie  (lieutenant  Boulay)  entrait  dans  la  composition 
d'une  colonne  volante  formée  à  Sétif  le  11  septembre  1881,  pour  parcourir  lo 
territoire  civil  de  cette  subdivision  et  y  raflermir  l'autorité  de  nos  adminis- 
trateurs. Ce  détachement,  réuni  à  deux  compagnies  du  47*  de  ligne,  constitua 
un  bataillon  mixte  aux  ordres  du  commandant  Lapadu-llargues ,  de  ce  dernier 
régiment.  Après  avoir  visité  Atn-Adelbeg,  Aïn-Togrout,  Sidi-Embarck ,  Bordj- 
bou-Arréridj ,  Aïn  Karaba,  Ain-Chouarirk,  Seddouk,  Djenan-el-Beylick,  Aïn- 
Ourlât,  Dra-oUArba,  Bordj-bou-Sliman ,  Aîn-Margoum,  Ain-Kouah  et  Aîn- 
Abessa,  la  colonno  rentra  à  Sétif  le  28  septembre,  sans  avoir  eu  à  réprimer 
le  moindre  acte  d'hostilité. 

A  peine  revenues  de  cette  excursion,  les  1*^  et  4«  compagnies,  sous  les 
ordres  du  capitaine  Vigel ,  adjudant- major,  quittaient  de  nouveau  Sétif  le 
8  octobre,  pour  se  rendre  en  chemin  de  fer  au  Kef,  où  elles  devaient  faire 
pnrtio  d'une  colonne  commandée  par  le  colonel  do  la  lloque.  Elles  arrivèrent 
dans  crtlo  ville  le  13. 

Dès  le  lendemain  l^i ,  le  colonel  de  la  lloque  allait  camper  au  Pont-llomain, 
à  dix-sept  kilomètres  au  nord-est  du  Kef.  Le  but  de  cette  sortie  était  de  châtier 
les  habitants  du  village  de  Nebeur,  qui  avaient  accueilli  sur  leur  territoire  le 
chef  de  l'insurrection ,  Ali-ben-Amar,  ancien  cald  des  Ouled-Yayar,  et  s'étaient 
joints  à  lui  pour  attaquer,  le  28  septembre,  un  détachement  du  80*  de  ligne 
et  du  29<'  bataillon  de  chasseurs.  Mais,  le  15,  au  moment  où  la  colonne  se 
disposait  h  enlever  le  village  de  vive  force,  les  notables  vinrent  demander 
l'omon;  le  colonel  se  contenta  alors  de  leur  infliger  une  forte  amende  et  de  se 
faire  remettre  des  otages;  puis  il  reprit  le  chemin  du  Kef,  où  il  rentra  le  len- 
demain. Ce  retour  donna  lieu  à  un  léger  combat  d*arrière-garde  dans  lequel 
les  Tirailleurs  ne  furent  pas  engagés. 


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476  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (1881  ] 

Les  insurgés  s'étaient  monienlanémonl  dispersés;  mais,  enhardis  par  celte 
retraite,  ils  revinrent  presque  aussitôt  au  nombre  d'environ  dix-liuit  cents 
cavaliers  et  deux  mille  fantassins,  sous  les  ordres  d'Ali-ben-Amar,  occuper  le 
défilé  de  KanguetelKedim ,  à  sept  ou  huit  kilomètres  du  Pont-Romain.  Le  19, 
la  colonne  dut  se  remetlre  en  campagne;  le  lendemain ,  elle  se  trouvait  devant 
l'ennemi.  Chargées  de  l'attaque  principale,  les  deux  compagnies  du  régiment 
graviront  avec  un  entrain  admirable  les  parties  abruptes  de  la  position,  s'em- 
parèrent on  un  instant  des  hauteurs  formant  le  flanc  septentrional  du  déiilc, 
et  parvinrent  do  l'autre  ciUé  de  celui-ci  sans  avoir  pu  joindre  l'ennemi,  qui 
s'était  précipitamment  retiré.  La  marche  continua  ensuite  jusqu'à  i'Oued- 
Tassa. 

Le  21 ,  à  six  heures  du  matin ,  la  colonne  leva  son  camp  et  alla  s'établir 
près  d'un  caravansérail  portant  le  nom  de  Fondouk-el-Messaoudi ,  construction 
sans  importance  assise  au  pied  d'une  haute  montagne,  le  Djebel -Kézouan, 
que  le  capitaine  Vigel  reçut  l'ordre  d'occuper  avec  son  détachement.  Cette  opé- 
ration donna  Heu  à  un  assez  long  échange  de  coups  de  fusil  avec  les  rebelles; 
mais  la  portée  supérieure  do  nos  armes  permit  d'avoir  facilement  raison  de 
cette  tentative  de  résistance. 

Le  24,  une  partie  des  troupes  alla  au-devant  d'une  autre  colonne  venant  de 
Testoun  sous  le  commandement  du  général  d'Aubigny.  Quelques  jours  après, 
ce  fut  au  tour  du  général  d'Aubigny  do  venir  visiter  le  camp  de  Fondouk- 
ul-Messuoudi.  liO  2  novembre,  ce  camp  fut  levé,  et  la  colonne  de  la  lto(|uo 
revint  sur  l'Oued-Tassa,  dont  elle  reconnut  la  vallée;  le  4,  elle  coucha  encore 
au  Fondouk;  puis,  le  5,  elle  quitta  définitivement  ce  point  pour  se  porter  à 
Enchir-Mouskra,  d'où,  les  jours  suivants,  elle  oflectua  plusieurs  reconnais- 
sances dans  la  direction  du  Djebel-Maïza.  Le  15,  elle  alla  s'établir  à  Enchir- 
Férik,  à  16  kilomètres  seulement  du  camp  de  la  colonne  d'Aubigny.  Par 
suite  de  cette  proximité  il  fut  convenu,  entre  le  général  et  le  colonel,  que 
la  l*"*  compagnie  de  Tirailleurs  (capitaine  Chirouzc)  serait  momentanément 
détachée  à  cette  dernière  pour  le  service  d'éclaireurs. 

L'objectif  commun  était  le  village  de  Magraoua,  sur  lequel  se  dirigeait  une 
troisième  colonne  partie  de  Kérouan  sous  les  ordres  du  général  Philcbcrt. 

Cette  opération  combinée  commença  le  20  novembre.  Ce  jour-là,  le  colonel 
de  la  Roque  alla  camper  à  Ellez,  ancienne  ville  romaine,  et  le  général  d'Au- 
bigny atteignit  Magraoua,  qui  se  rendit  sans  résistance,  mais  dont  les  douars 
voisins  accueillirent  nos  troupes  à  coups  de  fusil.  Le  lendemain,  les  deux  co- 
lonnes razzèrent  ces  douars  et  liront  sur  eux  un  butin  considérable;  on  s'em- 
para d'une  énorme  quantité  d'orge  et  d'au  moins  dix  mille  tètes  de  bétail.  Ce 
résultat,  dû  en  grande  partie  aux  Tirailleurs,  et  particulièrement  à  la  com- 
pagnie du  capitaine  Chirouze,  valut  au  détachement  de  vives  félicitations  de 
la  part  du  général  d'Aubigny. 

Le  22,  la  colonne  de  la  Roque  effectua  une  reconnaissance  dans  un  massif 
montagneux  dit  llamada  des  Ouled-Yayar;  puis  elle  revint  au  camp  d'Kllez, 
oîi,  le  28,  arriva  également  la  1^^  compagnie,  qui  cessait  de  faire  partie  de  la 
colonne  d'Aubigny.  Le  29,  on  remonta  la  vallée  qui  s'étend  au  nord  du  Djebel- 
Zouarin,  et  l'on  s'arrêta  à  Aîn-Zamfour,  sur  la  rive  gauche  de  l'oued  de  ce 


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[1881]  EN  TUNISIE  AU 

nom.  Le  lendemain,  on  bivouaqua  sur  l'Oued-Nameur,  et,  le  l^^'  décembre,  on 
atteignit  El-Ksour,  où  les  deux  compagnies  du  régiment  furent  rejointes  par 
le  chef  du  3®  bataillon ,  le  commandant  Payerne.  Après  quelques  journées 
employées  à  dos  reconnaissances  dans  les  environs  de  ce  dernier  point,  le 
colonel  ramena  ses  troupes  au  Kef.  De  retour  dans  cette  ville  le  li  décembre, 
le  dctacbcmcnt  du  d^  Tirailleurs  en  repartait  le  13  pour  revenir  en  Algérie; 
le  IG,  il  était  &  Souk-Arras;  le  21 ,  &  Guelma,  et,  le  24,  il  rentrait  à  Sélif 
par  le  chemin  de  fer.  Ce  n'était  pas  pour  y  jouir  d*un  repos  de  longue  durée; 
car,  le  22  février  1882,  le  3^  bataillon  tout  entier  se  mettait  en  route  pour 
El-Oucd. 

Ce  poste,  comme  celui  de  Négrine,  avait  été  créé  pour  surveiller  la  fron- 
tière et  plus  particulièrement  les  Hammama,  tribu  nomade  du  Nefzaoua,  qui 
depuis  quelque  temps  faisait  do  fréquentes  incursions  sur  notre  territoire; 
d'abord  occupé  par  le  3^^  bataillon  d*infanlcrio  légère  d'Afrique,  il  Tavait 
bientôt  été  par  le  l^^  bataillon  du  régiment,  qui,  à  peine  rentré  de  Texpédi- 
tion  de  Tunisie,  était  reparti  subitement  pour  le  sud.  On  incendie,  qui  avait 
dévoré  les  armes  et  les  effets  du  bataillon  d'Afrique ,  telle  était  la  cause  de  ce 
brusque  changement.  Le  i*^*"  bataillon  était  parti  de  Sétif  le  29  juillet  1881 , 
avait  été  transporté  jusqu'à  El-Guerrah  en  chemin  de  fer,  et  avait  ensuite,  par 
une  chaleur  accablante,  fait  le  restant  du  trajet  &  pied  ;  il  avait  atteint  la  capi- 
tale du  Souf  le  29  août,  après  être  passé  par  Batna,  Biskra  et  Tuggurt. 
A  El-Oued  se  trouvait  également  un  escadron  du  3*  spahis. 

Le  20  septembre,  la  4®  compagnie  (capitaine  Glaverie)  fut  détachée  à  Dé- 
bile, dans  le  but  d'appuyer  au  besoin  la  cavalerie,  qui  s'était  (Ibrtée  sur  la 
frontière  au  secours  des  Trouds,  menacés,  disait-on,  par  les  dissidents;  mais 
ce  n'était  là  qu'une  fausse  alerte,  et  cette  compagnie  n'eut  pas  à  marcher. 
D'aulrcs  renseignements  non  moins  erronés  firent  encore,  le  25,  partir  le  ca- 
pitaine Maux,  commandant  le  bataillon,  pour  se  porter  avec  la  3*  compagnie 
(capitaine  Sarron),  trois  sections  de  la  1^  (lieutenant  Orlanducci)  et  tout  ce 
qui  restait  de  spahis  disponibles,  à  Tarfaoui ,  afin  de  couper  la  route  aux  con- 
tingents des  Uammama  signalés  comme  étant  venus  près  d'Amich;  il  devait 
y  être  rejoint  par  la  4*  compagnie  et  l'escadron  de  spahis  venant  de  Débita.  Ce 
mouvement,  combiné  avec  celui  des  goums  du  capitaine  Déporter,  du  bureau 
arabe ,  s'exécuta  avec  toute  la  célérité  possible  ;  mais  c'est  en  vain  qu'on  cher- 
cha les  Hammama  :  ils  n'avaient  pas  quitté  la  Tunisie.  Le  soir,  toutes  les 
troupes  rentrèrent  à  El -Oued,  y  compris  la  4«  compagnie  et  les  spahis.  Le 
poste  de  Débita  resta  inoccupé  jusqu'au  8  octobre,  jour  où  le  lieutenant  Or- 
landucci y  fut  envoyé  avec  un  peloton  de  la  1^*  compagnie. 

Le  11  octobre,  arrivèrent  quatre  compagnies  du  3«  bataillon  d'Afrique  sous 
les  ordres  du  capitaine  Oudri.  Ces  compagnies  venaient  pour  renforcer  le  poste 
et  permettre  ainsi  la  constitution  d'une  colonne  mobile,  dite  d'EI-Oued,  sous 
le  comniandcmcnt  du  lieutenant- colonel  le  Noble,  du  3<>  spahis.  Le  l"'  no- 
vembre, Tune  d'elles  fut  envoyée  à  Debila,  et  le  lieutenant  Orlanducci  rentra 
à  El-Oucd. 

Lors(|u'clle  fut  organisée,  la  colonne  le  Noble  comprit  un  bataillon  mixte 
de  Tirailleurs  et  de  chasseurs  du  bataillon  d'Afrique  (quatre  cents  Tirailleurs 


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478  LE  Z^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [I88II 

et  deux  cent  cinquante  hommefl  du  bataillon  d*Ârri(|ue),  bous  les  ordres  du 
commandant  Oouchu  *,  du  3»  Tirailleurs,  un  escadron  de  spahis,  le  goum  du 
capitaine  Déporter  et  huit  cents  Trouds  à  pied.  Sa  première  opération  fut  une 
marche  jusqu'à  Tozert,  au  delà  de  Nefta,  en  Tunisie.  Elle  quitta  El -Oued  le 
19  norembre,  campa  le  soir  même  à  Débita;  le  lendemain,  à  Bir-Ise^sia; 
le  21,  à  Libirsef;  le  22,  à  Bir-bou-Khial,  et,  le  23,  passa  la  frontière  en 
chassant  devant  ello  quelques  groupes  de  Ilammania,  qui  furent  rapidement 
dispersés  par  le  goum.  Le  24,  ello  arrivait  à  Nefla;  enfui,  le  27,  à  Tozert, 
quVIle  abandonnait  le  2  décembre  pour  revenir  à  Dobilu  en  refaisant  les 
mômes  étapes.  De  retour  dans  ce  poste  le  8  décembre,  elle  y  resta  jusqu'au 
3  février  1882,  eflTecluant  des  reconnaissances  dans  le  Souf;  puis  elle  rentra 
à  El-Oued ,  à  Tezception  de  la  3®  compagnie  du  bataillon  de  Tirailleurs,  qui 
fut  maintenue  à  Debila. 

Le  24  mars,  arriva  le  3®  bataillon  du  régiment,  que  nous  avons  vu  partir 
de  Sétif  le  22  février.  Désigné  pour  garder  El-Oued  et  Debila,  il  prit  immé- 
diatement possession  de  ces  deux  postes,  et  la  colonne  mobile  comprit  alors 
tout  le  l^^  bataillon,  les  quatre  compagnies  d'infanterie  légère  d'Afrique,  une 
section  d'artillerie,  enfin  l'escadron  de  spahis  et  les  goums.  Ainsi  constituée, 
elle  se  mit  en  route  le  1*^  avril  pour  pénétrer  dans  le  Djerid  et  le  Nefzaoua. 
Elle  refit  les  mômes  étapes  que  dons  sa  première  excursion ,  entra  en  Tunisie 
par  Bir-bou-Khial,  passa  par  Nefta  et  Tozert,  continua  vers  le  nord-est, 
campa,  le  10,  àSedada,  et,  le  13,  s'arrôla  à  Iluminain ,  où  elle  séjourna  jus- 
qu'au 2U  mai.  A  cette  date,  le  calme  paraissant  complètement  rétabli,  elle  se 
dirigea  sur  Khenchela  ;  elle  arriva  dans  ce  poste  le  29,  après  avoir  bivouaqué 
successivement  à  Bou-Rerif,  Tamerza,  Négrine,  M'Dilah,  Bou-Dokkhane, 
Guentis  et  Aïn-el-IIadjar. 

On  était  enfin  arrivé  au  terme  de  ces  expéditions  difliciles  dans  lesquelles 
le  soldat  trouvait  plus  do  fatigue  que  de  gloire  :  la  Tunisie  était  partout  paci- 
liéCi  et  partout  maintenant  allait  se  faire  sentir  chez  elle  l'influence  civilisa- 
trice et  régénératrice  de  la  Franco.  Si  celle  campagne  avait  été  dure  pour 
certains  corps,  le  3<'  Tirailleurs  pouvait  certainement  revendiquer  la  première 
place  parmi  ceux-là  ;  pendant  une  année  il  avait  vécu  sous  la  tente  (  trois  ba- 
taillons y  vivaient  d'ailleurs  encore),  au  milieu  des  sables,  loin  de  tout  centre 
de  ravitaillement,  dans  des  régions  dépourvues  de  toute  ressource,  ne  possé- 
dant la  plupart  du  temps  qu'une  eau  désagréable  et  malsaine  à  la  fois;  pen- 
dant une  année  il  n'avait  cessé  de  marcher,  de  parcourir  dans  tous  les  sens 
cette  contrée  brûlante  et  dénudée  des  chotts  El-Djerid  et  R'arsa ,  de  poursuivre 
ces  bandes  insaisissables  venues  des  profondeurs  du  désert  pour  surprendre 
nos  tribus,  de  donner  à  chaque  instant  les  preuves  d'une  constance  atteignant 
quelquefois  à  la  hauteur  du  plus  admirable  dévouement.  Aussi  avait-il  besoin 
de  repos;  car  si  les  Tirailleurs  indigènes  n'avaient  jamais  eu  trop  à  souflrir 
de  ces  privations,  il  n'en  était  pas  de  luôme  des  ofiiciers  et  des  Tirailleurs 
français,  qui  tous  avaient  été  sérieusement  éprouvés;  beaucoup  avaient  dû 
rentrer  momentanément  en  France  pour  rétablir  leur  santé  fortement  ébran- 

t  Le  commandant  Doucha  n'arriva  à  El-Oued  que  le  17  novembre. 


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[1883]  EN  TUNISIE  479 

léo;  d*aatro8  n'auraient  pu  supporter  plus  longtemps  cette  vie  errante  et  mo- 
notone épuisant  également  l'énergie  physique  et  l'énergie  morale. 

Parmi  ceux  qui  s'étaient  le  plus  sérieusement  ressenti  des  atteintes  de  ce 
climat  débilitant,  se  trouvait  le  colonel  Jacob.  Après  les  opérations  qu'il  avait 
si  intelligemment  dirigées,  il  était  parti  on  congé,  emportant  avec  lui  le 
germe  d'une  maladie  qui  no  pardonne  pas;  et,  lo  12  juillet  1882,  il  succom- 
bait à  Paris,  à  la  consternation  de  tous  ceux  qui  avaient  été  &  mémo  d'ap- 
précier ses  brillantes  qualités.  Ce  fut  le  colonel  Boitard,  depuis  une  année  & 
la  tôte  du  19«  de  ligne,  qui,  par  décision  du  3  août  1882,  fut  désigné  pour 
lui  succéder. 

Lorsque  ce  nouveau  chef  arriva  pour  prendre  le  commandement  du  r^p- 
ment,  ce  dernier  était  ainsi  réparti  : 

Etat-major  et  dép6t  à  Constantine. 

l^'*'  bataillon  à  Khenchela. 

2°        —       à  Constantine. 

3«        —       A  Ei-Oued  cl  à  Debila. 

4<^        —       &  Khenchela  et  à  Négrino. 

Au  mois  dVtobre  s'cflTcctuèront  plusieurs  changements  :  le  1*''  bataillon 
rentra  &  Constantine,  et  le  2o  alla  tout  entier  &  Négrine;  le  3®  évacua  El-Oued 
et  occupa  les  postes  de  Djidjelli,  Collo,  El-Milia  et  Milah;  enfin  le  4®  eut  sa 
portion  principale  &  Bougie  et  envoya  des  détachements  &  Akbou,  Bordj-bou- 
Arréridj  et  M'Sila.  Telles  étaient  les  conditions  dans  lequelles  allait  s'écouler 
pour  le  corps  le  restant  de  Pannée  1882. 

Mais  le  régiment  pouvait-il  rester  longtemps  sans  avoir  sur  un  point  quel- 
conque du  globe  quel(|ucs-uns  de  ses  enrants  associant  son  drapeau  à  quelque 
entreprise  devant  servir  ft  la  gloire  du  nom  français?  Non;  car  dès  le  com- 
mencement de  l'année  1883  on  pensa  aux  Tirailleurs  pour  fournir  une  escorte 
à  la  mission  qui,  soiis  la  direction  de  M.  Savorgnan  do  Brazza,  devait  explo- 
rer dans  ses  parties  encore  inconnues  notre  nouvelle  colonie  du  Congo.  Le 
détachement  qu'eut  à  fournir  le  S*'  régiment  se  composa  de  sept  hommes 
noirs  (un  sergent  et  six  Tirailleurs)  de  bonne  volonté,  originaires  du  centre 
de  l'Afrique,  et  réunissant  toutes  les  conditions  désirables  an  point  do  vue  do 
la  conduite  et  de  la  santé.  Un  sous-officier  français,  l'adjudant  Pierron,  fut 
en  outre,  sur  sa  demande,  désigné  pour  commander  et  administrer  l'escortei 
qui  s'éleva  en  tout  &  vingt-cinq  Tirailleurs  pris  dans  les  trois  provinces.  Ceux 
de  la  province  de^onstantine  s'embarquèrent  &  Philippeville  le  15  mai,  pour 
aller  attendre  à  Oran  leur  départ  définitif. 

Pendant  plus  do  trois  années  (du  commencement  de  1883  &  In  fin  de  1886) 
CCS  hommes  allaient  seconder,  matériellement  du  moins ,  les  elTorts  opiniâtres 
de  l'infatigable  explorateur  qui  les  avait  emmenés.  Destinés  à  former  les 
cadres  d'une  troupe  de  deux  cent  cinquante  à  trois  cents  nègres  recrutés  au 
Sénégal ,  ils  furent  d'un  précieux  secours  dans  la  conduite  des  convois  et  dans 
toutes  les  circonstances  où  l'on  eut  à  faire  appel  à  des  gens  de  bonne  volonté. 


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480  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l885] 

Maiâ  celui  <|ui  «'atiiru  plus  |iui'liciili6ruiiioiil  lua  élogCH  du  clicf  do  lu  nii&Hiou, 
c'est  Tadjudunl  Picrron  :  éuergii|ue,  iulclligciil,  vigoureux,  ce  ëous-oHicicr 
ne  cessa  de  se  signaler  par  un  concours  aussi  actif  que  dévoué.  Entre  autres 
opérations  importantes  auxquelles  il  prit  une  large  part,  nous  croyons  devoir 
parler  d'une  marche  de  Loango  à  Brazzaville,  en  ligne  droite,  sans  suivre  le 
Congo,  marche  dans  laquelle  il  commanda  le  convoi.  Partie  de  Loango  le 
5  juin  1885,  la  mission  se  dirigea  sur  le  coude  du  Niari,  à  Niari-Loudina, 
remonta  ce  fleuve  par  sa  gauche  à  une  certaine  distance  des  rives,  atteignit 
Manianga ,  et  gagna  ensuite  Brazzaville  en  coupant  les  afllucnts  do  droite  du 
Congo.  Ce  voyage  se  termina  le  28  juillet.  La  chaleur,  la  fièvre,  le  mauvais 
vouloir  des  noirs,  avaient  été  autant  de  causes  de  retard,  autant  de  difficultés 
à  surmonter,  autant  d*occasions  pour  Tadjudant  Pierron  de' montrer  un  cou- 
rage et  une  philosophie  à  toute  épreuve. 

Les  derniers  militaires  du  régiment  ayant  fait  partie  de  la  mission  de  l'ouest 
africain  sont  rentrés  le  27  janvier  1887. 


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EXPEDITION  DU  TONKIN 

(i883-18S6) 


CHAPITRE  VIII 


La  France  au  Tookin.  —  Mort  da  commandant  Rlrière.  —  Enyoi  de  renforts.  »  Le 
19«  corps  d*armée  est  appelé  à  fournir  un  régiment  de  marche;  un  bataillon  du  S* Ti- 
railleurs est  désigné  pour  en  faire  partie.  —  Composition  de  ce  bataillon.  —  Départ. 
—  Traversée.  —  Le  Tonkin  au  moment  de  Tarrlvée  des  renforts.  —  Marche  sur  Son- 
tay.  —  Assaut  de  Phu-Sa  {\k  décembre).  —  Prise  de  SonUiy  (16  décembre).  —  Bé- 
prcsf Ion  do  la  piraterie.  —  0|>érntion8  secondaires  cxi^ciilées  dans  les  premiers  mois  do 
i^aniidcISRi.  —  Départ  do  l'amiral  Courl>et;  ses  adieux  au  bataillon. 


Lorsque  les  Tirailleurs  du  ^^  régiment  qui  avaient  pris  part  à  la  conquôto 
de  la  Cochinchine  étaient  rentrés  en  Algérie,  les  uns  en  1864,  les  autres 
après  avoir  servi  encore  pendant  quatre  ans  dans  un  corps  provisoire  de 
spahis,  aucun  ne  devait  certainement  se  douter  qu*à  dix-neuf  années  de  1&, 
beaucoup  d*entre  eux^  reverraient  sur  un  autre  point  cette  terre  lointaine  de 
TAnnam,  où  tant  de  leurs  camarades  étaient  restés  pour  toujours.  Qui  s*en 
serait  d*ailleurs  douté  pour  eux?  Qui  savait  alors  au  juste  ce  que  c*était  que 
le  Tonkin?  Combien  de  personnes  le  savaient-elles  exactement,  il  y  a  seulement 
quelques  années?  Et  même  aujourd'hui,  combien  d'autres  n'ignorent- elles 
pas  encore  depuis  quelle  époque  nous  sommes  établis  dans  cette  contrée? 

1  Dans  le  premier  bataillon  du  régiment  qui  fut  envoyé  au  Tonkin,  on  comptait  nn 
certain  nombre  d'hommes  qui  avaient  pris  part  à  Texpédition  de  Cochinchine  et  avaient 
demandé  à  repartir  pour  l'Extrême-Orient.  Une  chose  qui  paraîtra  Invraisemblable  et  qui 
cependant  est  rigoureusement  exacte,  c*est  que  parmi  ces  hommes  beaucoup  possédaient 
encore  assez  l*usage  de  la  langue  annamite  pour  pouvoir,  en  eertalnes  droonstances , 
servir  d'interprètes. 

31 


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482  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (1883 

C'osl  en  1873  quo  nolro  drapcaa  parul  pour  la  prcmièro  fois  dans  cctlo 
partie  de  Tlndo-Chine,  à  la  suilo  d'un  diflercod  survenu  entre  un  do  nos  na- 
tionaux, M.  Jean  Dupuis,  élabli  à  Shang-Jla!,  et  les  autorités  annamites  de 
Hanoi.  Il  n*élait  alors,  ce  drapeau ,  tenu  que  par  quelques  braves  ;  mais  ceux-ci 
avaient  pour  chef  un  homme  de  la  race  des  Pizarre  et  des  Fernand  Cortex,  et 
bientôt,  sur  le  refus  du  vice-roi  do  nous  accorder  les  satisfactions  demandées, 
on  l'avait  vu  flotter  sur  toutes  les  citadelles  du  delta  du  Song-Coî  (fleuve  Uougc). 
Ce  chef,  qui  s'appelait  Francis  Garnier  *,  s'était  lui  méuie,  avoc  cent  soixante- 
quinze  hommes,  emparé  en  deux  heures,  le  20  novembre,  de  la  capitale  de 
ce  royaume  de  douze  millions  d'habitants,  capitale  défendue  par  sept  mille 
hommes  enfermés  dans  une  citadelle  à  la  Vauban;  puis  il  avait  dirigé  ses  lieu- 
tenants sur  les  autres  villes  du  pays,  et  chacun  d'eux  lui  avait  conquis  une 
province.  Seulement,  eiïrayée,  la  cour  de  Hué  avait  immédiatement  suscité 
de  nouveaux  ennemis  à  cette  poignée  de  héros;  elle  avait  fait  appel  aux  Pa- 
villons-Noirs *,  anciens  rebelles  chinois  chassés  du  Yunuan  et  du  Kouang-Si , 
et,  le  31  décembre,  un  mois  après  la  prise  de  Hanoï,  Francis  Garnier  trouvait 
la  mort  dans  une  sortie  elTecluéc  contre  ces  pirates,  qui  donnaient  beaucoup 
plus  l'idée  de  bandits  que  de  soldats. 

L*œuvro  de  ce  raillant  oflicier  disparut  presque  entièrement  avec  lui  :  une 
convention  rendit  le  Tonkin  à  l'Annam,  et  seul  un  résident  français  fut  con- 
servé à  llanoî  avec  une  faible  escorte. 

Cet  état  do  choses  subsista  jusqu'au  commencement  de  1882.  A  ce  moment 
l'empereur  Tu-Duc,  changeant  brusquement  de  politique,  oublia  ses  engage- 
ments envers  la  France  et  se  rapprocha  de  la  Chine,  dont  il  rechercha  l'appui, 
en  même  temps  qu'il  encourageait  secrètement  les  exactions  des  Pavillons- 
Noirs  au  Tonkin.  Bientôt  la  situation  de  nos  quelques  nationaux  établis  à 
Hanoi  et  à  Haî-Phoog,  et  particulièrement  de  notre  résident,  devint  intenable. 
Les  réclamations  du  gouverneur  de  la  Cochiuchine  restant  sans  cOct,  un  petit 
corps  de  débarquement  fut  alors  organisé  à  Saigon,  et  envoyé  à  Hanoi  sur  trois 
canonnières  sous  les  ordres  du  capitaine  de  vaisseau  Henri  Hivièro,  qui,  s'é- 
tant  vu  refuser  l'entrée  de  la  citadelle  de  cette  ville  par  le  Ion-doc*,  y  pénétra 
de  vive  force  le  25  avril,  après  un  bombardement  de  quelques  instants.  Mais 
cette  leçon  n'y  fit  encore  rien  ;  la  cour  de  Hué  continua  ses  négociations  avec 
le  Tseng 'li'Yamen^,  s'efTorçant  par  tous  les  moyens  de  combattre  nos  droits 
acquis.  Devant  cette  attitude  franchement  hostile,  le  commandant  Rivière 
poursuivit  ses  opérations,  et  un  an  après  le  Delta  était  de  nouveau  en  notre 
pouvoir. 

Cependant  les  Pavillons-Noirs,  qui  avaient  reçu  d'importants  renforts,  de- 
venaient chaque  jour  plus  menaçants;  ils  s'étaient  rapprochés  de  Hanoi,  et 

1  Francis  Garnier  était  lieutenant  de  vaisseau  ;  il  avait  pendant  longtemps  été  adminis- 
trateur des  affaires  indigènes  en  Ck>chinchine. 

>  Ainsi  appelés  de  la  couleur  do  leurs  nombreux  étendards.  Les  Annamites  les  dési- 
gnaient plus  particulièrement  sous  le  nom  do  hékis. 

'  Le  ton-doc  est  le  représentant  direct  do  Tempereur  dans  chaque  province.  Celui  do 
Hanoi  était  en  mémo  temps  le  gouverneur  de  tout  le  Tonkin  et  portait  le  Uu-e  do  vice-itn. 

*  L%  ministère  des  affaires  étrangères  en  Gliine. 


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[1883]  AU  TONKIN  483 

tous  les  soirs  les  bftliments  de  la  concession  française  étaient  bombardés.  Leur 
chef,  Luu-Vinh-Phuoc,  avait  poussé  Finsolence  jusqu'à  Taire  paraître  une  pro* 
clamation  où  il  invitait  nos  soldats  à  se  rendre  pour  éviter  une  complète  exter- 
mination; dans  une  autre,  il  envoyait  au  commandant  Rivière  le  défi  le  plus 
dédaigneux.  Celui-ci  accepta;  le  19  ma!  1883,  il  sortit  de  Hanoï  avec  deux 
coMipognios  d'inranterio  de  marino,  trois  pièces  de  canon,  les  marins  du  VU- 
lars  et  do  la  Viclmicusc,  et  marcha  sur  Phu-IIoai  ',  où  son  ennemi  lui  avait 
donné  rendez -vous;  mais  il  y  rencontra  des  forces  dix  fois  supérieures,  et, 
comme  Garnier,  paya  de  sa  vie  le  mépris  avec  lequel  il  était  allé  au-devant 
de  tels  adversaires.  Ayant  subi  des  pertes  considérables  (trente  tués  et  cin- 
quante-cinq blessés),  la  petite  colonne  qu'il  avait  si  imprudemment  engagée 
rentra  alors  &  Hanoï,  où  elle  ne  tarda  pas  &  être  étroitement  bloquée. 

La  nouvelle  de  cette  catastrophe  produisit  en  France  une  profonde  émotion. 
C'est  qu'il  n'y  avait  pas  à  s'en  dissimuler  la  gravité  :  outre  que  la  mort  de 
Rivière  réclamait  une  prompte  et  éclatante  vengeance,  il  fallait  secourir  ces 
trois  à  quatre  cents  braves,  qui  restaient  à  la  merci  d'un  ennemi  implacable 
et  d'une  population  qui  pouvait  être  amenée  à  s'intéresser  à  leur  perle  par  le 
besoin  de  se  faire  pardonner  de  les  avoir  accueillist  *.  Aussi  le  gouvernement 
s'en  émut-il  non  moins  que  l'opinion  publique,  et  des  renforts  partiront -ils 
immédiatement  de  Saigon  avec  le  général  Bouët,  de  l'infanterie  de  marine, 
pendant  qu'une  escadre,  à  la  tôte  do  laquelle  avait  été  placé  le  contre-amiral 
Courbet,  s'organisait  hâtivement  à  Toulon  sous  le  titre  de  division  navale  du 
Tonkin. 

.  Mais,  comme  ils  allaient  le  faire  bien  des  fois  dans  la  suite,  en  raison  de  la 
distance,  les  événements  marchèrent  plus  vite  que  les  moyens  envoyés  pour 
les  enrayer;  la  Chine  no  dissimula  plus  son  intention  de  s'opposer  par  les 
nrnii's  à  notre  établissement  sur  le  fleuve  Rougo,  et  lorsque  le  général  Douct 
arriva,  les  forces  dont  il  disposait  (environ  deux  mille  cinq  cents  hommes) 
étaient  déjà  insuffisantes  pour  faire  face  aux  nouvelles  exigences  résultant  de 
cette  brusque  intervention.  Il  essaya  néanmoins  de  reprendre  l'ofTensive;  il 
parvint  même,  avec  le  concours  de  la  flottille,  à  dégager  les  environs  do 
Ilenoî,  dans  le  même  temps  que  l'amiral  Courbet  s'emparait  des  forts  de 
Thuan-An ,  à  l'embouchure  de  la  rivière  de  Hué;  mais  ces  succès,  s'ils  inti- 
midèrent assez  la  cour  d'Annam  pour  la  décider  à  un  traité  dont  l'absence  du 
vieux  Tu-Uuc,  qui  venait  de  mourir,  écarta  les  principales  difficultés,  ces  suc- 
cès, disons-nous,  n'arrêtèrent  pas  la  Chine,  qui,  sans  déclaration  de  guerre, 
continua  de  faire  envahir  le  pays  par  ses  soldats.  Il  fallut  songer  à  un  second 
envoi  de  renforts;  en  les  prit  cette  fois  dans  la  métropole,  partie  dans  la  ma- 
rine, partie  dans  l'armée  de  terre.  A  cet  effet,  le  ministre  de  la  guerre  pres- 

1  Cet  endroit,  situé  à  six  kilomètres  à  Touest  de  Hanoi»  est  plus  connu  sous  le  nom 
de  pont  de  Papier,  nom  qui  lui  vient  de  la  proximité  d*un  village  où  tous  les  habitants 
se  livrent  à  Tindustrie  du  papier.  G*est  près  de  là  que  Garnier  et  Baloy  furent  tués 
en  1873. 

>  La  population  de  Hanoi ,  il  faut  le  reconnaître ,  resta  &  peu  près  neutre  dans  cette 
lutte;  mais  il  y  a  lieu  de  supposer  que  si  elle  n*avait  pas  été  persuadée  que  la  France 
enverrait  de  nouvelles  troupes,  il  n*en  aurait  pas  été  tout  à  fait  ainsi. 


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48A 


LE  3<^  RÉGIMIâNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1883] 


crivit  la  formation  (1*ud  régiment  do  marcho  do  dix-kuit  cont3  hommes,  avec 
trois  bataillons  tirés  respectivement  de  la  légion  étrangère  et  des  1*'  et  3«  ré- 
giments de  Tirailleurs  algériens.  Ce  régiment  devait  être  commandé  par  le 
lieutenant-colonel  Belin ,  du  1«'  Tirailleurs. 

En  vertu  de  ces  ordres,  qui  lui  parvinrent  le  13  septembre,  le  colonel  Boi- 
tard  s'occupa  immédiatement  au  3«  Tirailleurs  de  porter  à  six  cents  hommes 
le  l^^  bataillon  alors  à  Constantine,  et  le  premier  à  reprendre  pour  le  tour  de 
mobilisation.  Le  25,  ce  bataillon  était  dûrigé  sur  Bône  en  chemin  de  fer.  11 
était  ainsi  composé  : 

MM.  Jouneau ,  chef  do  bataillon. 

Godon ,  capitaine  adjudant-major. 

Chiarasini,  lieutenant  ofiicicr  payeur. 

Garcet,  sous-licutciiaut  officier  d'habillement. 

Grangury,  médecin-major  de  2«  classe. 


1«*  compagnie. 

MM.  Godinet,  capitaine. 

Rathelot,  heutenant  français. 
Sulah-ben-Ferkatadji,  lieut.  ind. 
Thierry,  soiis-lieut.  français. 
Beikassem-ben- Ahmed,  sous- 
lieutenant  indigène. 

2*  compagnie, 

MM.  Noirot ,  capitaine. 

Roblot,  lieutenant  français. 
Moharoed-ben-Taleb,  lieut.  ind. 
PierroUi  sous-liout.  fninçois. 
Mohamed-ben-Saîd,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


3<»  compagnie. 

MM.  Caries,  capitaine. 

Orlanducci,  lieutenant  français. 
Lagdar-ben-el-Achi ,  lieut.  ind. 
Pennel ,  sous-lieut.  français. 
Mohamed  -  bcn  -  Ahmed  ,  sous- 
lieutenant  indigène. 

4®  compagnie. 

MM.  Massip,  capitaine. 

Beynet,  lieutenant  français. 
Bclkassem  -  Zid  -  bon  -  Mohamed - 

Zid,  lieutenant  indigène. 
Darier-Chûtelain ,  s  .-lieut.  franc. 
Mohamed -ben-Messaoud,  sous- 
lieutenant  indigène. 


Le  détachement  arriva  à  Bône  le  jour  même  de  son  départ  de  Constantine. 
Son  embarquement  eut  lieu  le  28,  sur  le  transport  de  TËtat  le  Bicn-Uon. 
Toute  la  population  s'était  portée  sur  le  quai  pour  saluer  les  partants.  Le 
Bien-Hoa  leva  l'ancre  à  une  heure  de  l'après-midi;  le  3  octobre,  il  arrivait  à 
Port-Saïd;  le  22,  à  Colombo;  le  31,  à  Singapour,  et,  le  8  novembre,  dans 
la  baie  d'Allong.  Cette  traversée,  qui  avait  été  eflectuée  en  compagnie  d'un 
demi-bataillon  du  !«'  Tirailleurs,  s'était  terminée  sans  incident. 

Le  1«'  novembre,  l'état-major  et  les  l'«  et  2«  compagnies  furent  transbordés 
sur  la  Saône,  qui  le^  débarqua  ù  Ilaï-Phong.  Le  12,  ce  fut  le  tour  do  la  3^  com- 
pagnie, qui  prit  passage  sur  le Parceval;  enfin,  le  13,  de  la  4<>,  qu'emmena 
également  ce  dernier  bateau.  Le  24,  le  bataillon  était  tout  entier  concentré  à 
Hanoï  et  prenait  le  d?  2  dans  lo  régiment  de  marche. 


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[1883]  AU  TONKIN  485 

Depuis  le  25  octobre,  par  suite  de  dissentiments  survenus  entre  le  général 
Bount  et  M.  Ilarmand,  commissaire  général  civil,  le  commandement  des 
forces  de  terre  et  de  mer  du  Tonkin  était  exercé  par  le  contre-amiral  Courbet, 
qui  devait  bientôt  disposer  également  des  pouvoirs  politiques.  La  situation 
était  alors  celle-ci  :  nous  étions  maîtres  de  tout  le  bas  Delta,  nous  appuyant 
pour  cela  sur  les  places  de  Quang-Yen,  Ilaî-Dzuong  et  Hanoi  au  nord,  Nam« 
Dinh  et  Ninh-Binb  au  sud;  l'ennemi  occupait  solidement  Sontay  et  Bac-Ninh. 
ASontay,  se  trouvait  Luu-Vinh-Phuoc  avec  dix  à  douze  mille  Pavillons-Noirs; 
à  Bac-Ninh,  le  général  Hoang-Ké-Lang ,  avec  quinze  à  vingt  mille  Chinois. 

La  première  opération  qui  s'imposait  était  une  marche  sur  Sontay;  c'était 
là  que  s'étaient  retirés  les  meurtriers  du  commandant  Rivière;  1&  que  les  têtes 
et  les  dépouilles  des  malheureuses  victimes  du  10  mai  avaient  été  promenées 
en  triomphe;  I&  que  Luu-Vinh-Phuoc,  notre  plus  redoutable  adversaire,  avait 
son  quartier  général;  I&  enfin  qu*on  était  sûr  de  frapper  le  plus  grand  coup, 
puisqu'on  savait  devoir  y  rencontrer  la  plus  sérieuse  résistance.  Une  autre 
considération  désignait  encore  cette  place  comme  le  premier  but  sur  lequel 
devaient  être  dirigés  nos  eiïorts  :  deux  fois  (le  15  août  et  le  i^*  septembre) 
nos  troupes  étaient  sorties  de  Hanoi  pour  s'avancer  sur  la  route  qui  relie  les 
deux  villes,  et  deux  fois,  oprès  des  pertes  sensibles,  elles  avaient  dû  rétro- 
grader; il  fallait  détruire  chez  les  Pavillons-Noirs  la  confiance  que  ces  deux 
retraites  leur  avaient  donnée,  et  dissiper  en  môme  temps  la  terreur  qu'ils  ins- 
piraient depuis  longtemps  aux  populations  ^ 

Le  corps  expéditionnaire  s*élevait  maintenant  à  près  de  neuf  mille  hommes. 
Dans  les  premiers  jours  de  décembre,  deux  colonnes  furent  organisées  &  Hanoi  : 
Tune,  comprenant  le  régiment  de  marche  da  19*  corps,  un  bataillon  d'infan- 
terie de  marine,  une  compagnie  de  Tirailleurs  annamites,  un  certain  nombre 
d'auxiliaires  tonkinois  et  trois  batteries,  en  tout  trois  mille  trois  cents  hommes, 
fut  placée  sous  les  ordres  du  lieutenant-colonel  Belin  ;  l'autre,  formée  avec  trois 
bataillons  dlnfanterio  de  marine ,  un  bataillon  de  fusiliers  marins ,  trois  compa- 
gnies de  Tirailleurs  annamites  et  quatre  batteries,  soit  environ  deux  mille  six 
cents  hommes ,  fut  confiée  au  colonel  Bichot ,  de  l'infanterie  de  marine.  La  pre- 
mière devait  suivre  la  route  directe  de  Hano!  à  Sontay  ;  la  seconde,  remonter  la 
rive  droite  du  fleuve  Rouge  et  rendre  &  la  flottille  l'appui  qu'elle  en  recevrait. 

Ces  dif^positions  arrêtées,  l'ordre  de  départ  fut  donné  le  10  décembre  à  dix 
heures  du  soir.  IjO  lendemain,  &  six  heures  du  malin,  la  colonno  Belin,  dite 
colonne  de  gauche,  quitta  la  citadelle  de  Hanoi;  elle  se  dirigea  au  nord-ouest, 
passa  sur  le  pont  de  Papier,  où  le  commandant  Rivière  avait  été  tué,  fit  la 

I  Les  Annamites  doutaient  tellement  de  la  réussite  de  Tattaque  que  nous  nous  pro- 
posions de  diriger  contre  Sontay,  qu'en  prévision  d*un  échec  toute  la  population  de  Hanoi 
avait  fui.  On  eut  toutes  les  peines  du  monde,  même  avec  le  concours  de  l'autorité  indi- 
gène ,  à  réunir  les  coolies  nécessaires  pour  le  service  de  Vambulance  et  le  transport  des 
bagages  des  officiers;  encore  fallut-il  faire  étroitement  surveiller  ces  eoolies  pour  qnlls 
ne  s'échappassent  pas.  Huit  Jours  après  notre  succès ,  Hanoi  n'avait  plus  assex  de  maisons 
pour  abriter  les  nombreuses  familles  qui  venaient  se  placer  sous  notre  protection ,  et  les 
indigènes  demandaient  enx-mômos  «\  faire  partie  de  nos  colonnes.  De  ce  moment  seule- 
ment, ils  manifestèrent  une  certaine  confiance  &  notre  égard. 


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486  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1883] 

grand'hallo  à  Yong,  tliéAlro  du  combat  du  15  août,  et  s'arrôla  à  Phong,  vil- 
lage qui  portait  encore  de  nombreuses  traces  de  la  lutte  du  i^'  septembre. 

La  journée  du  12  fut  presque  tout  entière  employée  au  passage  du  Day, 
branche  du  fleuve  Rouge  qui  se  sépare  de  celui-ci  à  Pallan  et  se  rend  directe- 
ment à  la  mer.  Une  tentative  pour  construire  un  pont  de  bateaux  ayant  échoué 
à  cause  du  courant,  il  fallut  traverser  hommes,  chevaux  et  matériel  sur  des 
sampans,  des  jonques,  des  radeaux,  opération  difficile  qui  entraîna  un  long 
retard.  Aussi  l'étape,  qui  n'avait  pu  être  Taito  pendant  le  jour,  lo  fut-elle 
pendant  la  nuit;  la  marche  reprit  à  sept  heures  du  soir  et  continua  juhi|u*ù 
deux*  heures  du  matin ,  sur  une  haute  digue  se  séparant  de  la  roule  directe 
pour  se  rapprocher  sensiblement  du  fleuve.  On  repartit  à  sept  heures.  Bientôt 
on  commença  à  apercevoir  la  fumée  des  canonnières  qui  remontaient  le  Song- 
Coï  à  hauteur  de  la  colonne  Bichot.  A  onze  heures,  on  était  en  communication 
avec  celte  dernière,  et  le  bivouac  était  établi  dans  la  plaine  à  environ  deux 
kilomètres  du  fleuve  et  à  sept  à  Test  de  Sontay.  La  nuit  se  passa  sans  incident. 

Le  14 ,  devait  avoir  lieu  l'attaque  des  approches  de  Sontay.  En  conséquence, 
la  colonne  de  gauche  reçut  l'ordre  de  se  diriger  sur  le  village  de  Thion-Loc, 
pendant  que  la  colonne  Bichot,  avec  laquelle  se  trouvait  l'amiral ,  continuerait 
de  s'avancer  par  la  rive  du  fleuve.  Le  mouvement  commença  à  six  heures  du 
matin.  Le  bataillon  du  3«  Tirailleurs  était  à  l'avant-garde.  Dès  les  premiers 
pas,  on  rencontra  des  obstacles  de  toute  sorte  que  l'ennemi  avait  accumulés 
|)our  retarder  notre  niarcho.  Sun  but  fut  on  partie  otlcint,  car  on  mit  près  do 
trois  heures  pour  faire  quatre  kilouièlros.  Uuelquos  groupes  s'ùtant  montrés 
sur  la  gauche,  la  compagnie  de  tête  (4«}  les  dispersa  par  des  feux  de  salve. 

A  neuf  heures  et  demie  toute  la  colonne  Belin  fut  arrêtée  sur  le  bord  du 
fleuve,  au  nord  du  village  de  Thien-Loc.  On  se  trouvait  à  environ  deux  mille 
cinq  cents  mètres  de  Sontay;  mais  la  ville,  masquée  par  le  village  de  Linh- 
Chien  et  de  nombreuses  haies  de  bambous,  ne  pouvait  être  aperçue.  Les  ren- 
seignements qu'on  possédait  sur  cette  place  étaient  très  incomplets;  on  savait 
qu'elle  avait  été  préparéo  de  longue  main  à  la  résistance;  que  Luu-Vinh-Phuoc^ 
chex  qui  on  avait  déjà  pu  constater  des  connaissances  militaires  et  une  science 
de  la  guerre  révélant  de  sérieuses  éludes,  en  avait  fait  un  camp  retranché 
qu'il  croyait  volontiers  imprenable;  mais  le  seul  plan  qu'on  en  possédât,  d'o- 
rigine annamite,  ne  donnait  aucune  idée  des  fortifications  qu'on  allait  y  ren- 
contrer. Celles-ci  étaient  tellement  nombreuses,  tellement  compliquées,  qu'il 
eût,  en  effet  «  été  difficile  à  nos  espions  d'en  relever  l'ensemble. 

Sontay  est  bâti  dans  une  plaine  à  environ  douze  cents  mètres  du  fleuve 
Rouge ,  sur  la  rive  droite.  La  ville  proprement  dite  comptait  alors  dix  à  douze 
mille  habitants,  non  compris  les  Pavillons-Noirs;  elle  avait  été  entourée  d*une 
enceinte  en  terre  n'ayant  pas  moins  de  six  à  sept  kilomètres  de  circuit.  Cette 
enceinte,  d'un  tracé  irrégulier,  avait  une  hauteur  moyenne  de  quatre  mètres; 
elle  était  précédée  d'un  fossé  large  de  cinq  à  six  mètres  rempli  d'eau.  Le  talus 
extérieur  du  parapet  et  la  benne  qui  le  séparait  du  fossé  étaient  couverts  d'une 
haie  vive  de  bambous  très  épaisse,  très  haute,  et  ne  pouvant  être  franchie 
qu'avec  le  secoura  de  la  hache.  On  pénétrait  dans  la  place  par  quatre  portes 
en  maçonnerie,  protégées  en  avant  par  des  ouvrages  en  terre,  des  palanques. 


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[1883]  AU  TONKTN  487 

des  obatis  et  des  petits  piquets.  Une  fois  dans  rintérieur,  on  trouvait  quatre 
rues  principales,  conduisant  des  quatre  portes  de  Tenccinte  à  la  citadelle,  qua- 
drilatère de  trois  cents  à  trois  cent  cinquante  mètres  de  côté,  avec  remparts 
à  la  Vauban,  fossé,  embrasures,  canons,  etc. 

Ce  système  de  défense  était  complété  par  plusieurs  ouvrages  extérieurs,  dont 
les  plus  importants  étaient  ceux  do  Phu-Sa ,  élevés  en  prévision  d'une  attaque 
par  le  fleuve  et  dans  le  but  d^empécher  l'approche  de  nos  canonnières.  Sur  ce 
point,  situé  entre  le  fleuve  et  la  face  nord  do  l'enceinte,  l'ennemi  avait  avan- 
tageusement tiré  parti  d'une  digue  haute  de  six  mètres  et  large  de  douze,  sur 
laquelle  s'étendait  un  village,  ou  plutôt  une  succession  do  cases  en  bambous 
et  en  torchis  transformées  en  cantonnements.  A  peu  près  au  milieu  du  village, 
cette  digue  se  bifurquait  et  formait  un  immense  Y,  dont  l'ouverture  était  tour- 
née du  côté  do  l'nltnque.  liO  front  do  la  défense  représentait  ainsi  une  tenaille 
&  angle  tn*s  aigu.  La  digue  principale  (digue  de  droite)  avait  été,  sur  une  lon- 
gueur de  plus  d'un  kilomètre,  couverte,  du  côté  du  fleuve,  dont  elle  suivait 
parallèlement  la  berge  &  une  distance  de  trois  cents  mètres,  par  un  parapet 
crénelé  qu'appuyaient  de  nombreux  abris  casemates,  dans  lesquels  avaient 
été  placées  de  vieilles  pièces  en  bronze  ou  en  fonte  se  chargeant  par  la  bouche. 
A  environ  deux  cents  mètres  de  la  bifurcation  s'élevait  sur  chaque  digue  un 
petit  fortin;  celui  de  droite,  également  casemate,  était  armé  de  six  pièces  de 
canon.  Entre  les  deux  fortins  le  terrain  était  inondé,  et,  de  plus,  défendu  par 
une  tranchée -abri.  Une  autre  tranchée  reliait  le  fleuve  &  la  digue  principale 
et  assurait  le  flanquement  de  celle-ci.  Judicieusement  disposés,  et  pour  la 
plupart  habilement  construits,  ces  retranchements  étaient  en  outre  précédés 
par  des  défenses  accessoires  constituant,  en  certains  endroits,  un  obstacle  des 
plus  sérieux. 

Dès  qiio  la  flollillo  déliouclm  en  vue  do  Pliu-Sa,  rarlillorio  dos  Pavillons- 
Noirs  ouvrit  son  feu;  mais  ses  bouloU  n'atteignaient  qu'aux  doux  tiers  do  la 
distance  et  se  perdaient  dans  le  fleuve  après  de  nombreux  ricochets.  Nos  ca- 
nonnières ripostèrent  vigoureusement,  et  bientôt  les  pièces  de  la  défense  furent 
réduites  au  silence.  Pendant  ce  temps,  deux  bataillons  dinfanterie  de  marine 
s'étaient  déployés  à  hauteur  du  villoge  de  Linh-Chien,  avaient  refoulé  les 
avant-postes  ennemis  et  engagé  une  vive  fusillade  avec  des  bandes  qui,  sorties 
de  la  place ,  cherchaient  h  s'étendre  et  &  nous  envelopper. 

A  deux  heures,  le  bataillon  du  3^  Tirailleurs,  qui  était  resté  en  réserve  au 
nord  de  Thien-Loc,  reçut  l'ordre  de  s'avancer  vers  la  digue  de  droite  pour  être 
prêt  à  donner  l'assaut  aux  ouvrages  de  Phu-Sa;  il  fut  arrêté  derrière  cette 
digue  à  cinq  cents  mètres  de  la  position ,  qui  lui  était  cachée  par  une  forte  haie 
de  bambous.  A  ce  moment,  l'amiral  ayant  fait  demander  une  compagnie  pour 
former  le  soutien  de  rartillerie,  la  4^^  (capitaine  Massip)  fut  désignée  et  alla 
s'établir  sur  la  gauche,  près  du  village  de  Linh-Chien.  Deux  batteries  de  4  de 
montagne  venaient  de  s'installer  sur  ce  point  et  tiraient  sur  le  fortin  de  droite, 
qu'elles  prenaient  ainsi  à  revers.  Les  canonnières  s'étaient  rapprochées  et  con- 
couraient activement  à  ce  bombardement,  auquel  l'ennemi  ne  répondait  plus. 
C'était  maintenant  par  une  puissante  diversion  sur  notre  gauche  quo  ce  dernier 
essayait  de  nous  inquiéter;  de  ce  côté  il  avait  fait  avancer  de  nombreuses  ré- 


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488  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [l883] 

8orvo8,  mais  lo  bataillon  do  la  légion  élrangèro  (commandant  Donnicr)  étant 
venu  renforcer  les  deux  bataillons  d'infanterie  de  marine,  celles-ci  durent  se 
replier  devant  la  précision  de  nos  feux. 

Vers  quatre  heures,  le  lieutenant-colonel  Belin,  qui  avait  plus  particulière- 
ment la  direction  de  l'attaque  de  droite,  croyant  celle-ci  suffisamment  pré- 
parée, demanda  Tautorisation  de  lancer  les  Tirailleurs;  en  même  temps  il 
prescrivit  au  commandant  Jouneau  de  s'avancer  rers  Phu-Sa  avec  ses  trois 
compagnies,  et  de  faire  exécuter  quelques  feux  pour  balayer  le  terrain.  Le 
bataillon  quitta  son  abri,  fit  environ  cent  mètres,  et  s'arrêta  en  un  point  où 
la  digue,  entamée  par  le  fleuve,  était  interrompue  par  une  assez  large  échan- 
crure.  De  là  on  commençait  à  apercevoir  les  retranchements  ennemis;  mais 
tout  cela  n'apparaissait  que  comme  un  enchevêtrement  confus  ^e  palissades 
et  de  parapets,  sans  qu'il  fût  possible  de  distinguer  le  faible  ou  le  fort  do  la 
position.  Obligées  de  marcher  par  le  flanc  par  suite  de  l'exiguité  du  terrain , 
nos  compagnies  venaient  dans  l'ordre  suivant  :  on  tôto,  la  \^  (capitaine  Go- 
dinet),  puis  la  2*  (capitaine  Noirot),  enfin  la  3«  (capitaine  Caries). 

Après  un  feu  rapide  de  quelques  minutes,  le  signal  est  donné;  brillamment 
enlevée  par  le  capitaine  Godinet  et  ses  autres  officiers,  la  1»>  compagnie  se 
précipite  sur  la  digue,  suivie  par  les  autres,  qui,  ne  pouvant  se  déployer  à  sa 
hauteur,  doivent  se  contenter  de  l'appuyer.  Mais  cet  élan  ne  peut  se  conserver  : 
le  sol  est  encombré  d'obstacles  qu'il  faut  enjamber  ou  détruire,  et  cela  sous 
un  feu  des  plus  meurtriers.  Aussi  en  un  instant  les  pertes  sont- elles  considé- 
rables. On  arrive  cependant  jusqu'à  l'entrée  du  fortin;  le  capitaine  Godinet  la 
franchit  le  premier,  après  avoir  arraché  do  ses  mains  les  bambous  dont  elle 
est  hérissée,  et  pénètre  aussitôt  dans  l'ouvrage,  que  les  Pavillons-Noirs  éva- 
cuent précipitamment  en  nous  abandonnant  leurs  canons.  Là  un  temps  d'arrêt 
est  nécessaire  pour  se  reconnaître  dans  lo  dédale  inextricable  de  tranchées  et 
de  parapets  où  l'on  se  trouve  engagé.  Enfin,  malgré  le  feu  de  la  défense,  qui 
est  devenu  de  plus  en  plus  vif,  l'attaque  est  reprise  et  menée  avec  une  indi- 
cible vigueur.  Les  Tirailleurs  sont  admirables  :  brûlant  do  rendre  la  uiort 
qu'ils  reçoivent,  ils  avancent  toujours;  après  qu'une  barricado  est  enlevée, 
on  rencontre  une  coupure,  et  celle-ci  est  forcée  à  son  tour;  après  la  coupure 
vient  une  autre  barricado,  et  ils  l'escaladent  encore.  L'ennemi,  qui  ne  peut 
crœre  à  tant  d'audace,  n'abandonne  une  traverse  que  pour  se  retirer  derrière 
une  autre,  d'où  il  est  aussitôt  délogé.  On  fait  ainsi  plus  de  trois  cents  mètres 
par  assauts  successifs,  au  prix  d'un  nombre  toujours  croissant  de  morts  et  de 
blessés,  et  en  cheminant  dans  un  étroit  espace  où  cinq  ou  six  hommes  au  plus 
peuvent  marcher  de  front.  L*infanterie  de  marine  s'est  à  son  tour  rendue  maî- 
tresse de  la  digue  de  gauche,  et  son  action  se  combine  maintenant  avec  celle 
de  la  légion  étrangère,  qui  tiraille  avec  les  défenseurs  de  la  face  est  de 
l'enceinte  de  la  ville.  Il  ne  reste  plus  que  deux  bataillons  en  réserve  :  celui 
des  fusiliers  marins  (commandant  Laguerre)  et  celui  dul®**  Tirailleurs  (com- 
mandant Letellier). 

Cependant  la  colonne  de  Phu-Sa,  après  avoir  dépassé  le  point  de  jonction 
des  deux  digues,  était  arrivée  en  face  d'une  barricade  surélevée,  construite 
au-dessus  d'une  casemate  abritant  une  pièce  de  canon ,  et  s'appuyant  à  droite 


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[1883]  AU  TONKIN  489 

et  à  gauche  à  d'autres  tranchées  vigoureusement  défendues.  Luu-Vinh-Phuoc 
avait  réuni  là  ses  meilleurs  soldats;  Tun  d*euz  y  balançait  le  grand  drapeau 
noir  signalant  la  présence  du  commandement  suprême,  et,  dès  qu*il  tombait, 
un  autre  venait  le  remplacer.  D'après  quelques  témoins  dignes  de  foi ,  on  au- 
rait même  ft  ce  moment  aperçu  sur  la  droite  un  homme  au  costume  européen 
qui  aurait  donné  un  signal ,  puis  se  serait  retiré.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  fusillade 
avait  redoublé,  et  les  Pavillons-Noirs  y  joignaient  maintenant  le  tir  de  fusées, 
dans  le  but  d'incendier  les  cases  qui  bordaient  la  digue  et  de  rendre  la  position 
intenable  aux  assaillants.  Le  feu  prit  en  eflet,  et  les  Tirailleurs,  qui  n'étaient 
plus  qu'à  dix  mètres  de  la  barricade,  se  virent  tout  à  coup  entourés  par  les 
flammes.  Au  même  instant,  le  capitaine  Godinet,  qui  n'avait  pas  cessé  de  se 
conduire  en  héros  et  qui  s'élançait  encore  pour  emporter  ce  nouveau  retran- 
chement, tombait  mortellement  frappé.  Le  commandant  Jouneau  venait  d'être 
grièvement  blessé  ;  le  capitaine  Noirot  avait  la  jambe  traversée  et  devait  quitter 
le  combat;  les  lieutenants  Salah-ben-Ferkadadji  et  Lagdar-ben-el-Achi  étaient 
depuis  un  moment  à  l'ambulance;  le  lieutenant  Rathelot,  bien  que  demeurant 
à  la  tête  de  la  1^  compagnie,  était  violemment  contusionné;  son  sous-lieute^ 
nant,  M.  Thierry,  également  atteint  de  deux  balles,  restait  là  aussi,  mais 
seulement  par  un  remarquable  elTort  de  sa  volonté.  Doux  ou  trois  Tirailleurs 
qui  avaient  voulu  essayer  d'escalader  la  barricade  avaient  été  saisis  vivants 
par  les  Chinois  ',  et  le  lendemain  on  allait  les  retrouver  décapités. 

La  nuit  approchait;  la  lutte  ne  pouvait  continuer  dans  ces  conditions.  Le 
capitaine  Godon ,  qui  venait  de  prendre  le  commandement  du  bataillon ,  donna 
l'ordre  de  se  replier  derrière  une  traverse  située  à  la  bifurcation  des  deux 
digues.  Bien  qu'à  ce  moment  les  compagnies  fussent  complètement  confon- 
dues, le  mouvement  s'exécuta  sans  à-coup,  sans  précipitation,  sans  que  Ten- 
nemi  osflt  l'inquiéter  ;  mais  le  feu  de  ce  dernier  était  tellement  vif,  qu*il  fallut 
renoncer  à  enlever  les  morts  qu'on  laissait  dans  l'espace  d'environ  cinquante 
mètres  qu*on  venait  d'abandonner;  seul  le  corps  du  capitaine  Godinet  fut 
emporté  loin  de  là  pour  le  mettre  à  l'abri  de  l'incendie,  qui  gagnait  avec  une 
eiïrayante  rapidité. 

Il  s'agissait  de  conserver  Phu-Sa  et  de  s'opposer  aux  retours  oflensifs  que 
les  Pavillons-Noirs  ne  manqueraient  pas  de  tenter.  Le  colonel  Belin,  qui  était 
accouru  avec  le  capitaine  Dupommier,  du  génie ,  prescrivit  la  construction 
d'une  petite  tranchée  pour  tirailleur  couché,  en  avant  de  la  traverse  derrièra 
laquelle  on  s'était  retiré;  on  allait  ainsi  pouvoir  installer,  à  soixante  mètres  de 
la  barricade  ennemie,  deux  rangs  de  tireurs  réunissant  quarante  à  cinquante 
fusils,  c'est-à-dire  assez  pour  répondre  aux  feux  directs  de  la  défense.  La 
3<*  compagnie,  la^moins  éprouvée,  quoique  ayant  une  trentaine  d'hommes  bon 
de  combat,  s'établit  sur  ce  point;  les  deux  autres  se  portèrent  en  seconde 
ligne  et  se  défilèrent  le  mieux  qu'elles  purent,  soit  en  utilisant  les  autres  tra- 
verses ,  soit  en  se  construisant  à  la  hflte  de  petits  abris.  Le  bataillon  Dulieu,  de 
l'infanterie  de  marine,  prit  les  mêmes  dispositions  sur  la  digue  de  gauche,  et 

<  Ces  malheureux  furent  harponnés  au  moyen  de  longues  lances  à  bec-de-eorbin.  Les 
Pavillons-Noirs  les  tirèrent  «\  eux  pour  avoir  leurs  tètes ,  qui  durent  leur  être  grassement 
payées. 


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490  LE  3^  RÉOIIIRNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1883] 

la  partie  do  Touvrago  en  notre  pouvoir  se  trouva  alors  à  pou  prôs  retournée. 
L^ennemi  avait  cependant  encore  un  immense  avantage  :  celui  de  la  connais- 
sance des  lieui  ;  de  plus,  il  nous  dominait. 

La  nuit  arriva;  Pincendie  allumé  par  les  Pavillons-Noirs,  manquant  d'ali- 
ments par  suite  de  la  démolition  des  cases  qui  auraient  pu  le  propager,  ne 
jeta  plus  que  quelques  lueurs,  et  l'obscurité  se  fit  sur  les  combattants;  le  si- 
lence l'accompagna  bientôt,  et  l'on  put  croire  un  instant  que  la  lutte  était 
terminée.  Mais  la  luno,  jusque-là  légèrement  voilée,  se  dégagea  peu  à  peu  de 
la  brume,  et  presque  aussitôt  le  feu  recommença.  Il  était  buit  lieures;  le  co- 
lonel Belin ,  n'ayant  plus  de  troupes  fraîches  sous  la  main ,  envoya  chercher 
la  4«  compagnie,  qui  pendant  cette  sanglante  action  n'avait  pas  quitté  sa  po- 
sition de  soutien  de  l'artillerie.  Elle  fit  le  même  chemin  qu'avaient  fait  les 
trois  autres  pour  donner  l'assaut,  et  vint,  en  attendant  de  nouveaux  ordres, 
se  grouper  dans  le  fortin  situé  à  l'entrée  des  ouvrages  de  droite.  Dans  ce 
mouvement,  elle  eut  quelques  hommes  blessés,  dont  le  lieutenant  Belkassem- 
Zid-ben-Hohamed-Zid.  Un  peu  après,  toutes  les  troupes,  qui  n'avaient  pas  eu 
le  temps  de  manger  depuis  le  matin,  touchaient  du  pain  et  des  liquides 
envoyés  par  l'amiral  Courbet,  qui,  non  sans  inquiétude,  se  faisait  renseigner 
à  chaque  instant  sur  ce  qui  se  passait  à  Phu-Sa. 

Vers  neuf  heures,  des  sons  de  trompe  et  certaines  rumeurs  entendues  dans 
les  retranchements  ennemis  ayant  fait  croire  à  une  attaque,  le  copitaine  Massip 
reçut  l'ordre  do  fuiro  avoncer  un  peloton  de  sa  compagnie  pour  appuyer  uu 
besoin  celle  du  capitaine  Caries,  dont  les  hommes  étaient  très  fatigués.  Le 
peloton  du  lieutenant  Beynet  quitta  aus.sitôt  le  fortin  ;  mais,  tout  danger  ayant 
disparu,  il  fut  arrêté  à  mi-chemin  entre  les  2«  et  A^  compagnies.  Quelques 
instants  après,  le  sous-lieutenant  Darier-Chfttelain  fut  prévenu  d'avoir  &  rem- 
placer, avec  Tautre  peloton  de  la  A^  compagnie,  la  3«  dans  la  tranchée  avan- 
cée. Ce  relèvement  s'cRectua  au  pas  de  course,  les  hommes  marchant  à  la  file 
pour  mieux  se  dérober  à  la  vue  des  tireurs  de  la  barricade.  Il  y  eut  néanmoins 
quelques  blessés.  Le  combat  se  poursuivit  ensuite  dans  les  mêmes  conditions 
qu'auparavant,  c'est-à-dire  par  un  échange  continuel  de  coups  de  fusil. 

Il  en  fut  ainsi  jusqu'à  environ  une  heure  du  malin.  Â  ce  moment,  la  digue 
apparut  tout  à  coup  couverte  de  Chinois;  à  la  faveur  de  la  fumée  qui  s'élevait 
encore  des  débris  incendiés,  ceux-ci  avaient  cheminé,  ou  plutôt  rampé  le  long 
des  talus,*  puis  s'étaient  brusquement  dressés  à  quelques  mètres  de  notre 
tranchée  en  poussant  do  grands  cris.  Il  y  eut  alors  un  moment  de  surprise, 
disons  plus,  de  panique,  pendant  lequel  les  Tirailleurs  faillirent  se  replier. 
Voici  ce  qui  l'avait  produit.  On  avait  placé ,  immédiatement  en  arrière  de  la 
fraction  de  première  ligne,  une  cinquantaine  d'auiiliaires  tonkinois,  gens 
armés  depuis  quinze  jours  et  n'ayant  à  leur  tête  que  quelques  gradés  français. 
Dès  qu'ils  entendirent  le  cri  :  c  Les  Chinois I  »  la  frayeur  les  prit,  et  ils  se 
mirent  à  décharger  leurs  armes  dans  toutes  les  directions,  heureusement  en 
1-air  pour  la  plupart.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  défenseurs  de  la  tranchée  se  iigu- 
rèrent  aussitôt  être  pris  entre  deux  feux,  et,  malgré  les  eflbrts  de  leurs  ofli- 
ciers,  ils  allaient  abandonner  celle-ci,  lorsque,  à  la  sonnerie  de  :  c  En  avant  I  » 
et  à  l'arrivée  du  restant  de  la  i9  compagnie ,  amené  par  le  capitaine  Massip ,  ils 


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[1883]  AU  TONKTN  491 

so  portèrent  résolument  au-devant  dos  Pavillons-Noirs,  qui  en  un  instant 
furent  rejeiés  dans  leurs  positions.  Tout  cela  avait  demandé  dix  minutes  au 
plus.  Cette  action  terminée,  la  4*  compagnie  tout  entière  reprit  remplacement 
occupé  précédemment  par  son  2*  peloton ,  et  acheva  par  des  feux  de  section 
de  dégager  la  digue  et  ses  abords.  Pour  éviter  de  nouveaux  accidents,  on  re- 
tira leurs  cartouclies  aux  auxiliaires  tonkinois. 

Pendant  que  Tennemi  essayait  ainsi  de  nous  déloger  de  Phu-Sa  par  une 
attaque  de  front,  une  autre  partie  de  ses  forces  tentait  sur  notre  gauche  un 
mouvement  tournant  qui  ne  fut  pas  plus  heureux  ;  les  feux  de  salve  do  Tin- 
fantcrie  de  marine  et  de  la  légion  étrangère,  le  canon  lui-même,  qui  envoya 
quelques  coups  ft  mitraille,  eurent  rapidement  raison  de  cet  eflbrt,  qui  ne  fut 
pas  d*ailleurs  sérieusement  soutenu. 

Un  calme  relatif  succéda  à  cet  indicent,  et  seuls  les  défenseurs  de  la  barri- 
cade et  ceux  de  la  Iranclice  continuèrent  une  fusillade  intermittente  qui  allait 
encore  par  moments  atteindre  à  une  extrême  intensité,  chaque  tireur  ennemi 
ayant  une  caisse  de  cartouches  à  côté  de  lui.  On  ne  ripostait  que  par  de  petits 
feux  do  salve,  afin  de  ménager  les  munitions,  qui  commençaient  à  manquer. 
Malgré  cette  précaution ,  vers  trois  heures  du  matin ,  la  4*  compagnie  se  trouva 
A  court  de  cartouches  et  dut  en  faire  demander  aux  trois  autres,  qui,  ne  pou- 
vant non  plus  se  démunir,  no  lui  en  envoyèrent  que  quelques  centaines,  qui 
furent  rapidement  épuisées.  11  fallut  alors  recourir  à  un  autre  expédient; 
quelques  hommes,  dont  le  Tirailleur  Barca-ben-Abd-el-Kader,  qui  pendant 
luulc  celte  nuit  n'avait  cessé  de  se  signaler  par  son  mépris  du  danger  et  son 
intrépidité,  allèrent  ramasser  toutes  celles  qu*ils  purent  trouver  dans  les  sacs 
et  les  musettes  des  tués  et  des  blessés.  Cet  appoint  permit  de  tenir  jusqu*à 
quatre  heures  et  demie,  moment  où  le  2«  peloton  (sous-lieutenant  Pierron) 
do  la  2®  compagnie  vint  occuper  la  tranchée  pour  la  garder  jusqu'au  jour. 

Aussitôt  qu'il  fut  possible  d*y  voir,  le  feu  de  Tennemi  cessa  tout  à  fait. 
Bientôt  on  acquit  la  certitude  que  les  défenseurs  de  Phu-Sa  s'étaient  retirés. 
Une  patrouille  de  quelques  hommes,  dont  le  Tirailleur  Barca,  envoyée 
derrière  la  barricade,  trouva  en  effet  l'ouvrage  évacué  et  revint  avec  des 
drapeaux,  des  armes,  des  dépouilles  de  toute  nature  que  les  fuyards  n*avaient 
pas  eu  le  temps  d'emporter.  Mais,  hélas I  un  triste  spectacle  attendait  les 
vainqueurs  :  entre  la  barricade  et  la  tranchée  défendue  par  les  nôtres,  dix 
cadavres  gisaient  sans  tête;  deux  autres  avaient  également  été  trouvés  de 
l'autre  côté  de  la  barricade:  tous  appartenaient  aux  Tirailleurs.  C'était  pendant 
la  nuit  que  les  Pavillons -Noirs  avaient  accompli  ces  horribles  mutilations.  Ils 
s'étaient  pour  cela  servi  d'une  ruse  qui  leur  avait  pleinement  réussi  :  le  cou- 
peur de  têtes  venait  avec  une  lumière,  qu'il  plaçait  du  côté  opposé  à  celui  où 
il  se  proposait  d*eflcctuer  sa  lugubre  opération;  puis,  en  rampant,  il  se  diri- 
geait vers  le  cadavre  choisi  d'avance  par  lui,  pendant  que  les  défenseurs  de  la 
tranchée,  mis  en  éveil  par  cette  clarté,  criblaient  de  projectiles  l'espace  vide 
où  elle  apparaissait.  Plusieurs  de  ces  décapitations  avaient  probablement  dû 
avoir  lieu  aussi  au  moment  du  retour  oflensif '. 

<  Il  faut  savoir  combien,  chez  les  diinois  et  les  Pavillons-Noirs,  une  tète  était  payée 
à  celui  qui  la  rapportait ,  pour  comprendre  TacliarDement  que  ces  gens-là  mettaient  dans 


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492  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1883] 

La  3»  compagnie  occupa  immédiatement  les  retranchements  abandonnés  ; 
les  autres  eurent  la  triste  mission  d'ensevelir  les  morts.  Les  perles  du  batail- 
lon étaient  sensibles;  elles  s'élevaient  à  cent  vingt-six  hommes  hors  de  com- 
bat, c'est-à-dire  à  près  du  quart  de  son  eRectif.  Dans  ce  nombre,  il  y  avait 
vingt-six  tués  et  cent  blessés.  A  elle  seule,  la  1^*  compagnie  comptait  onze  tués 
et  trente-sept  blessés.  Beaucoup  de  blessures  étaient  très  graves  et  devaient 
encore  entraîner  de  nombreux  décès.  Les  oflRciers  avaient,  pour  leur  part,  élé 
cruellement  éprouvés  :  sur  vingt-deux ,  un  était  tué  et  sept  étaient  blessés  : 


Était  tué  : 

H.  Godinet, 

capitaine.' 

Étaient  blessés  : 

MM.  Jouneau, 
Noirot, 
Rathelot, 

Lagdar-ben-el-Achi , 
Salah-ben-Ferkadadji , 

chef  de  bataillon 

capitaine. 

lieutenant. 

do 

d» 

BeIkassem-Zid-ben-Mohamed-Zid ,  d^ 

Thierry,  sous-licutcnanl. 

A  huit  heures,  l'amiral  Courbet  passa  avec  son  état-major  pour  aller  recon- 
naitre  les  abords  de  Sontay.  Auparavant  il  visita  hâtivement  Phu-Sa.  Le 
champ  du  combat  de  la  veille  offrait  &  ce  moment  le  tableau  le  plus  terrible 
et  le  plus  saisissant  qu'il  soit  possible  d'imaginer.  Qu'on  se  figure,  en  effet, 
un  long  boyau  large  de  quelques  mètres,  avec  une  suite  non  interrompue  de 
tranchées,  de  coupures,  de  parapets  formant  un  cheminement  inextricable, 
des  palissades  arrachées,  des  canons  renversés,  des  boulets  épars,  de  la  poudre 
répandue  au  hasard,  des  cases  démolies  ou  incendiées,  des  débris  de  toute 
sorte,  des  armes,  des  effets,  des  loques  traînant  çà  et  là  au  milieu  de  mares 
de  sang,  et,  à  chaque  pas,  des  cadavres  amoncelés,  les  uns  méconnaissables, 
d'autres  &  moitié  carbonisés,  plusieurs  affreusement  entaillés  par  le  coupe-cou 
des  Chinois.  Tout  ce  que  la  guerre  a  d'horrible  et  d'héroïque  s'étalait  là ,  sous 
un  soleil  radieux ,  qui  soulevait  déjà  une  odeur  pestilentielle  de  cet  amas  de 
décombres  humains.  Aussi  l'amiral  fut- il  vivement  ému  ;  il  serra  chaleureu- 
sement la  main  de  tous  les  officiers  qu'il  rencontra ,  passa  rapidement  pour 
qu*on  ne  s'aperçût  pas  que  lui,  le  chef  que  tout  le  monde  admirait,  avait  les 
yeux  humides,  laissa  tomber  quelques  courts  éloges  qui  furent  recueillis  avec 
une  légitime  fierté,  et  ne  s'arrêta  que  devant  la  tranchée  où,  pendant  toute 
la  nuit,  les  nôtres  avaient  résisté  aux  tentatives  désespérées  de  l'ennemi  pour 


cette  sauvage  proranaiion  de  nos  morts.  Pour  un  simple  soldat ,  il  était  donné  environ 
&0  fr.;  pour  un  chef,  cela  pouvait,  suivant  l'importance  de  celui-ci,  aller  jusqu'à  plu- 
sieurs milliers  de  francs.  Dans  ce  dernier  cas,  il  fallait  justifier  du  grade,  et  le  muti- 
lateur  joignait  généralement  à  la  tète  i|n  bras  de  sa  victime. 


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[1883]  AU  T0NK1N  403 

reprendre  la  position.  Un  monceau  d'étuis  de  cartouches  et  les  morts  qui  gi- 
saient tout  autour  disaient  assez  ce  qui  B*était  passé  sur  ce  point,  c  Voilà  une 
tranchée  qu'on  devrait  couvrir  de  fleurs,  dit-il  à  ceux  qui  l'accompagnaient. 
—  Oui,  amiral,  répondit  le  lieutenant  Boynct',  de  fleurs  d'immortelles,  n 

Oui,  c'était  bien  là  l'emblème  dont  il  eût  fallu  entourer  cette  demi-tombe 
et  celle  plus  profonde  qu'on  creusait  à  côté  pour  réunir  les  restes  glorieux  de 
ceux  qui  avaient  succombé;  car,  si  l'ennemi  avait  cédé,  ce  n'avait  été  que 
devant  une  bravoure  dont  il  n'avait  jamais  conçu  la  possibilité,  c  Ce  qui  nous 
a  terrifiés,  disait  plus  tard ,  en  parlant  de  la  journée  du  14  décembre,  un  chef 
chinois  fait  prisonnier  au  moment  de  l'occupation  de  Tuyen-Quan,  ce  n'est 
pas  autant  vos  canons,  que  nous  connaissions  déjà,  que  ces  grands  soldats 
noirs  qui  s'avançaient  toujours  malgré  le  feu  qui  décimait  leurs  rangs.  »  Et 
ce  mémo  chef  ajoutait  que  Luu-Vinh-Phuoc  accordait  une  telle  importance  à 
Phu-Sa,  que,  dans  la  nuit  du  14  au  15,  il  avait  oOert  deux  cent  mille  francs 
à  son  meilleur  lieutenant  pour  nous  en  déloger. 

On  s'étonnera  peut-être  que  l'attaque  n'eût  pas  été  mieux  préparée  par  l'ar- 
tillerie. C'est  que,  dans  l'ignorance  où  ils  se  trouvaient  du  genre  de  retran- 
chements qu'ils  avaient  devant  eux ,  nos  canonniers  avaient  cru  remplir  leur 
tâche  en  se  bornant  à  mettre  les  pièces  de  la  défense  dans  l'impossibilité  de 
riposter;  ils  avaient  bien  ensuite  cherché  à  battre  les  points  où  la  fusillade 
de  l'ennemi  semblait  le  plus  nourrie,  mais  le  terrain  ferme  sur  lequel  ils 
tiraient  ne  formant  qu'un  but  excessivement  étroit,  plus  de  la  moitié  des  pro- 
jectiles étaient  tombés  à  côté ,  dans  des  rizières ,  où  ils  n'avaient  pas  éclaté. 
Rien  que  dans  Phu-Sa,  on  compta  le  lendemain  au  moins  une  vingtaine 
d'obus  de  14  cm.  et  de  90  mm.  restés  intacts.  Le  16,  on  allait  en  trouver  à 
peu  près  autant  dans  une  pagode,  où  ils  avaient  été  transportés  par  les  Pa- 
villons-Noirs, qui  80  proposaient  probablement  d'en  tirer  parti. 

Le  bataillon  passa  toute  la  journée  du  15  dans  les  ouvrages  qu'il  avait  si 
vaillamment  conquis.  Le  soir,  il  fut  relevé  par  le  bataillon  Reygasse,  de  l'in- 
fanterie de  marine ,  et  vint  se  placer  en  seconde  ligne  dans  un  yillage  situé 
plus  à  l'ouest,  entre  la  digue  et  le  fleuve.  L'ennemi  avait  abandonné  toutes 
ses  défenses  extérieures  pour  se  renfermer  dans  l'enceinte  de  la  ville,  d'où  il 
ne  chercha  nullement  à  inquiéter  ce  mouvement,  qui  s'eflectua  cependant  à 
une  faible  distance  de  ses  nouvelles  positions.  La  nuit  elle-même,  s'écoula  sans 
qu'il  fût  tiré  un  seul  coup  de  fusil. 

Le  16  au  matin,  notre  ligne,  ayant  la  digue  pour  appui,  était  disposée  pa- 
rallèlement au  fleuve  et  dans  l'ordre  suivant  :  à  l'extrême  gauche,  le  bataillon 
Reygasse,  occupant  Phu-Sa,  puis  le  bataillon  Chevallier  (infanterie  de  ma- 
rine), le  bataillon  Laguerre  (fusiliers  marins),  le  bataillon  Letellier  ( l***  Ti- 
railleurs), et,  formant  l'extrême  droite,  le  bataillon  Donnier,  de  la  légion 
étrangère.  En  arrière,  venaient  les  bataillons  Roux  et  Dulicu,  de  l'infanterie 
de  marine;  enfin,  en  réserve  du  bataillon  Donnier  et  du  bataillon  Letellier, 
le  bataillon  du  3^  Tirailleurs  sous  les  ordres  du  capitaine  Godon. 

1  Passé  plus  tard  capitaine  à  la  légion  étraogëre  et  tué  au  combat  de  Lam,  le  S  oc- 
tobre 1884. 


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494  LE  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1883] 

Dèa  le  point  du  jour,  le  bataillon  du  1<"^  Tirailleurs  se  porta  en  avant,  sur 
la  droite  du  village  de  Phu-Ni,  situé  entre  la  digue  et  l'enceinte.  Sa  miasîon 
était  de  reconnaître  la  porte  où  aboutissait  la  route  de  Ilong-iloa,  porle  sur 
laquelle  Tamiral  se  proposait  de  diriger  la  principale  attaque.  La  fusillade  ne 
tarda  pas  à  s'engager;  l'ennemi  tirait  des  remparts  mômes  de  l'enceinte  et 
d'une  pagode  fortifiée  s*élevant  à  cent  cinquante  ou  deux  cents  mètres  à 
l'ouest;  son  feu  était  très  vif.  Le  commandant  Letellier  dut  s'arrêter,  dé- 
ployer ses  compagnies,  et,  devant  la  supériorité  de  la  défense,  demander 
quelques  renforts.  Le  bataillon  du  3«»  Tirailleurs  prit  aussitôt  les  armes  et  alla 
se  placer  près  de  la  pagode  de  Phu-Ni,  en  arrière  du  hameau  de  Ha-Tray.  Il 
était  neuf  heures.  Un  instant  après,  le  bataillon  de  la  légion  étrangère  se  porta 
en  ligne  à  son  tour,  dépassa  celui  du  l^*''  Tirailleurs,  et  s'établit  à  cheval  sur 
la  route  de  Hong-lloa,  face  à  l'angle  nord-ouest  de  l'enceinte.  L'amiral,  qui 
venait  d'arriver,  s'était  décidé  à  une  action  générale,  et  toutes  les  troupes 
étaient  maintenant  sous  les  armes,  formant  deux  groupes  menaçant  les  deux 
extrémités  du  front  nord  de  la  ville.  A  gauche,  on  allait  se  borner  à  une  dé- 
monstration; adroite,  l'action  devait  être  poussée  à  fond.  La  flottille  avait 
remonté  le  fleuve  et  s'apprêtait  à  s'opposer  &  tout  mouvement  tournant. 

Jusqu'à  deux  heures,  la  parole  fut  principalement  au  canon  ;  toutes  les  dis- 
positions ayant  alors  été  arrêtées,  la  légion  étrangère  reprit  l'attaque  entamée 
par  le  i*^  Tirailleurs,  et  chercha  par  des  bonds  successifs  &  se  rapprocher  le 
pkis  possible  de  la  porte  ouest,  sur  laquelle  le  bataillon  do  fusiliers  marins, 
déployé  À  gauche,  devait  également  concentrer  ses  efforts.  L'artillerie  secondait 
ce  mouvement  en  criblant  de  projectiles  le  saillant  vers  lequel  on  s'avançait. 
Après  avoir  délogé  les  défenseurs  de  la  pagode,  le  bataillon  Donnier  dirigea 
sur  la  crête  de  l'enceinte  une  série  de  feux  de  salve  qui  provoquèrent  l'admira- 
tion de  tout  le  monde  par  leur  ensemble  et  leur  précision.  A  cinif  heures,  ce 
bataillon  ne  se  trouvant  plus  qu*à  cent  mètres  du  fossé,  l'amiral  donna  le 
signal  de  l'assaut;  la  charge  sunna,  la  légion,  les  fusiliers  marins  et  quelques 
compagnies  d'infanterie  de  marine  bO  précipitèrent  à  droite  et  &  gauche  de  lu 
porte,  franchirent  le  fossé,  se  frayèrent  un  chemin  au  milieu  des  bambous, 
et,  malgré  la  fusillade,  escaladèrent  le  parapet  et  pénétrèrent  dans  la  ville.  En 
même  temps,  les  Pavillons-Noirs,  qui  avaient  déjà,  vers  trois  heures,  essayé  de 
menacer  notre  droite  et  qui  avaient  été  contenus  par  les  obus  du  Pluvier  et  le 
peloton  du  sous-lieutenant  Pennel,  du'S^»  Tirailleurs,  cherchant  encore,  bien 
plus  pour  s'assurer  de  leur  ligne  de  retraite  que  pour  faire  une  diversion,  à 
nous  inquiéter  de  ce  cêté,  le  capitaine  Godun  portait  tout  son  bataillon  en 
avant  et  le  déployait  face  au  sud,  au  deU  du  hameau  de  Ua-Tray.  Hab,  la 
nuit  approchant,  et  ce  mouvement  ayant  suffi  pour  disperser  les  bandes  qui 
s'étaient  montrées  sur  ce  point,  un  instant  après  le  bataillon  fut  de  nouveau 
rassemblé  et  ramené  derrière  la  digue,  à  l'exception  de  la  3*  compagnie,  qui , 
jusqu'à  onze  heures,  escorta  des  coolies  transportant  des  munitions  aux  trou|)es 
établies  dans  Sontay. 

Là  le  combat  avait  également  cessé.  Après  avoir  forcé  l'enceinte,  la  légion 
étrangère,  les  fusiliers  marins  et  l'infanterie  de  marine  s'étaient  avancés  dans 
la  ville  en  chassant  devant  eux  quelques  groupes  qui  déchargeaient  leurs  armes 


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[1883]  AU  tONKIN  495 

avant  do  fuir,  et  étaient  ainsi  parvenus  jusqa'à  cent  cinquante  mètres  de  la 
citadelle,  qui  leur  avait  envoyé  quelques  coups  de  canon;  ils  s^étaient  alors 
arrêtés,  plutôt  devant  Tobscurité  que  devant  le  feu  de  la  place,  puis  avaient 
en  toute  hâte  construit  quelques  barricades  pour  protéger  le  terrain  conquis. 

Sur  la  digue,  le  bataillon  du  3<^  Tirailleurs  ne  prenait  pas  moins  do  précau- 
tions pour  s\)pposcr  à  un  rolour  oITcnsif,  que  la  proximité  do  la  routo  de 
llong-lloa  et  la  possibilité  de  séparer  le  gros  do  nos  troupes  de  la  flottillo  sem- 
blait indiquer  à  un  ennemi  aussi  entreprenant.  Mais  Tcxemple  de  la  nuit  du  14 
oyant  enlevé  h  ce  dernier  tout  espoir  de  nous  chasser  des  positions  dont  nous 
nous  étions  emparés,  il  ne  songea  même  pas  à  risquer  cette  dernière  tentative, 
et  profila  do  Tobscurité  pour  se  dérober.  Vers  trois  heures  du  matin ,  un  ca- 
poral de  l'une  des  compagnies  d'infanterie  de  marine  entrées  dans  la  ville , 
s'étant  avancé  seul  à  une  faible  distance  de  la  citadelle,  fut  frappé  du  silence 
qui  y  régnait.  Il  voulut  voir  de  plus  près  et  rampa  jusqu'à  l'une  des  portes, 
qu'il  trouva  entrebaillée  et  abandonnée  par  ses  défenseurs.  Il  revint  aussitôt 
rendre  compte  du  fait  à  ses  officiers,  qui  de  leur  côté  firent  prévenir  l'amiral. 
Au  point  du  jour,  on  put  se  rendre  compte  que  l'événement  était  rigoureuse- 
ment exact,  et  que  les  Pavillons-Noirs  avaient  bien  réellement  fui.  On  occupa 
alors  la  citadollo,  dans  laquelle  on  trouva  un  immense  approvisionnement  do 
riz,  des  armes,  des  munitions  en  quantité  considérable  et  un  trésor  de  cent 
quarante  mille  francs.  Avec  les  canons  enlevés  à  Phu-Sa,  le  total  des  pièces 
qui  restaient  entre  nos  mains  s'élevait  à  cent  sept.  Une  autre  prise  non  moins 
importante  était  celle  d'une  partie  des  papiers  de  Luu-Vinh-Phuoc. 

Il  était  difficile  d'établir,  même  d'une  façon  approximative,  les  pertes  que 
l'ennemi  avait  éprouvées  dans  les  deux  journées  du  14  et  du  16.  Comme  les 
Arabes,  les  Chinois  emportent  leurs  morts  pendant  le  combat,  pour  les  mettre 
à  l'abri  do  toute  mutilation.  Il  n'était  donc  resté  que  ceux  qui  étaient  toniliés 
trop  près  de  nous  pour  être  enlevés;  mais  le  nombre  de  ces  derniers  était 
assez  grand  pour  faire  supposer  que  les  défenseurs  de  Sontay  n'avaient  pas  dû 
avoir  moins  de  douze  à  quinze  cents  hommes  hors  de  combat.  Le  chiffre  des 
nôtres  atteints  par  le  feu  de  la  place  était  de  quatre  cent  deux;  il  y  avait  eu 
quatre-vingt-trois  tués,  dont  quotre  officiers,  et  trois  cent  dix -neuf  blessés, 
dont  vingt-deux  officiers.  De  tous  les  corps  de  la  colonne,  le  bataillon  du  3"  Ti- 
railleurs était  celui  qui  avait  le  plus  souflcrt.  Ayant  encore  perdu  deux  hommes 
le  16,  il  comptait  cent  vingt-huit  hommes  tués  ou  blessés,  dont  huit  officiers. 

Bien  qu'on  n'eût  pas  suivi  les  Pavillons-Noirs  dans  leur  retraite,  on  pouvait 
présumer  d'avance  qu'ils  s'étaient  retirés  sur  llong-IIoa;  bientôt  des  traces 
vinrent  changer  cette  supposition  en  certitude,  et  l'occasion  d'une  fructueuse 
poursuite  parut  s'oflrir  à  ceux  de  nos  bataillons  qui  la  veille  n'avaient  pas 
combattu.  Malheureusement  l'amiral  Courbet  venait  d'être  appelé  à  Ilanoî  par 
le  départ  de  M.  Ilarmand ,  et  le  colonel  Bichot,  à  qui  il  laissait  le  soin  de  con- 
tinuer les  opérations,  se  borna,  dans  la  journée  du  17,  à  une  simple  recon- 
naissance à  quatre  ou  cinq  kilomètres  au  sud-ouest  de  Sontay.  Le  18,  il  y  eut 
repos;  de  sorte  que  les  fuyards,  qui  avaient  dû  faire  un  long  détour  dans  les 
montagnes  pour  gagner  les  bords  de  la  rivière  Noire,  eurent  tout  le  temps  de 
s'assurer  le  passage  de  celle-ci,  lorsqu'il  eût  été  facile  de  les  y  devancer. 


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406  LE  3«  RÉOIUENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1683] 

l/inlODlion  do  roinirol  était  de  uiarchcr  imuiéJiutouiont  sur  lIong-lliNi.  Dous 
ce  but,  une  grande  reconnaissance  fut  ordonnée  pour  le  19;  presque  toutes 
les  troupes  y  prirent  part.  On  quitta  Sontay  à  six  heures  du  matin,  et  l'on 
alla  coucher  non  loin  de  la  rivière  Noire,  qu'aucun  pont  ne  permettait  de 
franchir.  Le  bataillon  du  3«  Tirailleurs  passa  la  nuit  dans  le  village  de  Phu- 
Aou ,  qui  allait  être,  pour  ce  Tait,  brûlé  quelques  jours  après  par  les  Pavillons- 
Noirs.  Le  lendemain ,  on  rentra  à  Sontay  sans  avoir,  dans  toute  cette  région 
qu'on  parcourait  pour  la  première  fois,  constaté  le  moindre  symptôme  d'hos- 
tilité ches  la  population  indigène,  qui  avait,  au  contraire,  harcelé  les  Chinois 
pendant  leur  retraite. 

Le  24 ,  eut  lieu  une  autre  sortie ,  mais  cette  fois  entre  Sontay  et  Hanoi ,  dans 
la  région  du  Day,  où  d'importantes  bandes  de  pirates  troublaient  depuis  long- 
temps la  sécurité  du  pays.  Le  bataillon  du  régiment  prit  encore  part  à  cette 
opération,  qui  fut  dirigée  par  le  lieutenant-colonel  Belin.  Il  fouilla  le  village 
de  Daî-Dong,  incendia  celui  de  Tach-Tach ,  mais  sans  y  rencontrer  les  pirates 
qu'on  se  proposait  d'y  cerner.  Le  soir  mémo,  la  colonne  rentrait  &  Sontay. 

Cependant  une  canonnière  qui  avait  essayé  de  remonter  le  fleuve  Rouge 
s'étant  vue  arrêtée  par  le  manque  d'eau ,  il  avait  fallu  renoncer  pour  le  mo- 
ment à  s'emparer  de  Ilong-lloa.  La  présence  de  cinq  mille  hommes  à  Sontay 
devenant  dès  lors  inutile,  il  ne  fut  maintenu  dans  celle  place  que  trois  batail- 
lons d'infanterie  et  trois  batteries  d'artillerie.  Do  ces  trois  bataillons  était  celui 
du  3*  Tirailleurs;  les  autres  oppartonaient  à  l'inlontorio  do  marine.  C'était  lo 
lieutenant-colonel  Dertbaut-Levillain ,  de  ce  dernier  corps ,  qui  devait  exercer 
les  fonctions  de  commandant  supérieur. 

Depuis  le  18,  le  bataillon  s'était  cantonné  dans  le  village  où  il  avait  passé 
la  nuit  du  15  au  16.  Désigné  pour  occuper  en  permanence  ce  point,  d*où  il 
devait  détacher  des  postes  sur  la  digue  et  sur  le  bord  du  fleuve,  il  s'occupa 
aussitôt  de  son  installation  dans  les  maisons  abandonnées  par  les  Annamites; 
des  fortiBcstions  furent  en  outre  construites  pour  lui  permettre  au  be:K>in  de 
résister  avec  ses  propres  moyens  à  une  attaque  venont  du  côté  do  Ilong-lloa. 
Tous  les  jours  il  allait  avoir  une  compagnie  de  grand'gardo.  Mais  ce  service 
sédentaire  n'allait  pas  l'empêcher  de  prendre  part  à  de  nombreuses  expédi- 
tions; il  s'agissait  en  eflbt  de  rétablir  l'ordre  dans  la  province,  de  poursuivre 
d'audacieuses  bandes  de  pirates  qui  incendiaient  les  villages  et  pillaient  les 
habitants,  de  faire  de  fréquentes  apparitions  sur  la  rivière  Noire,  où  les  Pa- 
villons-Noirs restaient  menaçants,  et  cette  diflicilc  tâche  allait  exiger  une  in- 
cessante activité  de  la  part  de  la  petite  garnison  de  Sontay.  Aussi ,  comme  il 
serait  trop  long  et  peu  intéressant  de  le  suivre  pas  à  pas  dans  chacune  de  ces 
opérations  de  détail ,  nous  contenterons-nous  de  donner  une  idée  do  ce  qu'était 
cette  petite  guerre  qui  a  coûté  tant  de  fatigues  et  d'eflbrts,  et  qui  dure  proba- 
blement encore  à  l'heure  qu'il  est. 

Par  suite  de  l'état  de  profonde  anarchie  dans  lequel  se  trouvait  depuis  de 
longues  années  le  Tonkin,  de  nombreuses  bandes  do  pillards,  obéissant  en 
général  à  des  chefs  entreprenants,  parcouraient  en  tous  sens  le  pays  et  le  met- 
taient en  coupe  réglée.  Ces  bandes  n'avaient  pas  d'organisation  régulière  et 
n'opéraient  jamais  de  concert.  Chacune  avait  sa  région,  qu'elle  rançonnait  ré- 


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[1883]  AU  TONKIN  407 

guliëroment  dès  que  la  récolte  du  riz  avait  amené  TalBance  chez  les  habitants. 
Mal  armées,  elles  n'étaient  dangereuses  que  pour  les  populations  paisibles 
qu'elles  exploitaient;  mais  parmi  ces  dernières  elles  inspiraient  une  véritable 
terreur.  Leur  principal  moyen  d'intimidation  était  l'incendie;  quelquefois 
c'était  aux  personnes  elles-mêmes  qu'elles  s'en  prenaient,  et  dans  ce  cas  le 
maire  du  village  et  les  notables  qui  l'assistaient  répondaient  généralement 
pour  leurs  administrés. 

Les  pirates  étaient  informés  de  tout;  ils  avaient  des  intelligences  dans 
chaque  localité  et  même  jusqu'auprès  de  nos  commandants  d'armes ,  par  les 
interprètes  et  les  lettrés  que  ceux-ci  étaient  obligés  d'employer;  ils  étaient  à 
l'avance  prévenus  de  nos  moindres  mouvements.  Lorsqu'un  village  avait  été 
par  trop  pressuré ,  les  habitants  venaient  généralement  se  plaindre  à  l'autorité 
indigène ,  ou  au  résident ,  ou  au  commandant  du  poste  le  plus  rapproché.  Une 
colonne  était  immédiatement  organisée;  elle  se  mettait  en  marche  dans  le  plus 
grand  silence,  de  nuit  le  plus  souvent,  arrivait  dans  le  repaire  signalé,  le 
cernait,  y  pénétrait,  et  neuf  fois  sur  dix  n'y  trouvait  rien;  ou  bien  les  indi- 
vidus qu'elle  ramassait  se  donnaient  pour  de  tranquilles  paysans  vacant  à 
leurs  travaux.  Les  armes  avaient  été  cachées  soit  dans  la  haie,  soit  dans  la 
mare  voisine,  soit  dans  les  gros  bambous  formant  la  toiture  des  eagntUt^,  et 
le  plus  fin  se  laissait  prendre  (dans  les  commencements  du  moins)  aux  airs 
larmoyants  et  soumis  de  ceux  qui  tout  à  l'heure  mettaient  cinquante  familles 
en  fuite.  Il  arrivait  maintes  fois  que  le  chef  était  averti  de  la  marche  d'une 
colonne  avant  même  que  les  troupes  qui  devaient  en  faire  partie  eussent  con- 
naissance de  l'opération;  dans  ce  cas,  c'était  par  l'entourage  du  commandant 
d'armes  qu'il  avait  ce  renseignement.  Quand  il  n'avait  pu  se  le  procurer,  il 
apprenait  notre  approche  perdes  signaux  faits  de  village  à  village,  et  consis- 
tant dans  un  certain  nombre  do  coups  frappés  sur  un  gong  en  bois.  Pendant 
la  nuit,  on  se  servait  également  de  feux.  Rarement  les  pirates  essayaient  do 
résister,  à  moins  iiue  les  forces  envoyées  contre  eux  ne  fussent  réellement  trop 
faibles.  Quelques  bandes  devaient  cependant  à  la  présence  de  Chinois  dans 
leurs  rangs  une  audace  qui  surprenait  parfois;  mais  ni  les  unes  ni  les  autres 
n'allaient  au-devant  d'une  rencontre,  et  si  elles  se  défendaient,  c'est  qu'elles 
avaient  été  surprises  en  flagrant  délit  de  pillage  ou  d'incendie.  Tels  étaient 
les  adversaires  qu'en  dehors  des  Pavillons- Noirs  et  des  réguliers  chinois 
allaient  avoir  à  disperser  nos  soldats. 

Parmi  les  opérations  de  ce  genre  qui  eurent  lieu  pendant  le  séjour  du  ba- 
taillon à  Sontay,  nous  signalerons  une  excursion  de  la  3*  compagnie  (capi- 
taine Carlos),  eflectuée  du  2  au  5  janvier  1884,  avec  une  colonne  aux  ordres 
du  lieutenant- colonel  de  Maussion,  de  l'infanterie  de  marine,  dans  la  région 
montagneuse  située  au  sud  de  la  route  de  llong-Hoa;  une  sortie  du  capitaine 
Godon  avec  les  l'^^'  et  4^'  compagnies  (capitaines  Kathelot  et  Massip),  le  11 , 
pour  désarmer  le  village  de  Day-Than ,  à  l'ouest  de  Sontay  ;  une  petite  expé- 
dition sur  les  bords  du  Day,  faite  du  14  au  16,  par  la  4«  compagnie  avec  un 

1  Nom  donné  anx  maisons  annamites,  et  plus  pariicolièrement  aux  cases  en  bambous, 
en  torchis  et  en  chaume,  dont  se  composent  les  villages. 

82 


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498  LE  3*  RËQIIIBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  AU  TONKIN         [1883] 

important  détachemont  d'infaiiterie  de  marine  sous  la  direction  du  lieutenant- 
colonel  Berthaut-Levillain;  une  pointe  sur  la  rivière  Noire,  à  laquelle  prit 
part  la  l'*  compagnie  avec  le  bataillon  de  la  légion  étrangère  commandé  par 
le  lieutenant-colonel  Donnier;  une  marche  de  nuit  exécutée  le  26  par  la 
2«  compagnie,  chaque  homme  ayant  sur  le  sac  quarante  paquets  de  cartouches, 
pour  aller  porter  des  munitions  à  une  colonne  opérant  près  du  Day,  sous  les 
ordres  du  commandant  Reygasse,  de  l'infanterie  de  marine;  enfin,  du  11  au 
14  février,  une  reconnaissance  poussée  sur  les  bords  de  la  rivière  Nuire  par 
le  commandant  Coronnat,  de  l'infanterie  de  marine,  avec  des  troupes  de  di- 
verses armes,  dont  la  4^  compagnie. 

Hais  ces  expéditions ,  qui  ne  fournissaient  presque  jamais  l'occasion  d'en 
venir  sérieusement  aux  mains,  ne  satisfaisaient  pas  les  Tirailleurs,  qui  avaient 
hâte  de  faire  payer  aux  Chinois  les  atrocités  dont  quelques-uns  de  leurs  mal- 
heureux camarades  avaient  été  victimes  à  Phu-Sa;  la  marche  sur  Bac-Ninh 
était  donc  impatiemment  attendue,  lorsqu*on  apprit  que  l'amiral  Courbet, 
qui  préparait  activement  cette  opération,  était  remplacé  dans  le  comman- 
dement en  chef  par  le  général  Hillot,  et  que  cette  dernière  n'aurait  lieu  qu'à 
l'arrivée  des  nouveaux  renforts  qu'on  attendait  de  France. 

Ce  ne  fut  pas  sans  un  profond  regret  que  le  corps  expéditionnaire  vit  partir 
le  chef  qui  l'avait  si  brillamment  conduit  à  l'attaque  de  Sontay  ;  car  ce  chef 
n'inspirait  pas  seulement  cette  confiance  aveugle  que  fait  naître  lo  génie,  mais 
encore  et  surtout  cette  respectueuse  nllection  qui  s'attache  à  l'Iiummo  do  cœur. 
Ce  ne  fut  pas  non  plus  sans  une  vive  émotion  que  le  futur  vainqueur  de  Fou- 
Tchéou  se  sépara  de  ceux  avec  lesquels,  disait-il ,  il  avait  marché  pour  la  pre- 
mière fois  au  feu;  il  les  avait,  pour  les  officiers  du  moins,  tous  vus  successi- 
vement à  sa  table,  il  les  connaissait  tous;  non  moins  connu  d'eux,  il  savait 
très  bien  qu'il  ne  trouverait  jamais  de  bornes  à  leur  dévouement.  Aussi 
quelle  admiration  n'a-t-il  pas  laissée  parmi  eux  I  Le  31  janvier,  il  vint  faire  ses 
adieux  à  la  garnison  de  Sontay;  tous  les  officiers  se  réunirent  sur  le  bord  du 
fleuve,  près  de  Phu-Sa,  et  il  leur  serra  la  main  à  tous,  a  Mon  plus  grand 
honneur,  leur  dit-il,  sera  d'avoir  commandé  à  des  soldats  tels  que  vous.  »  Il 
exprima  ensuite  sa  reconnaissance  à  ceux  du  butuillon  de  Tirailleurs,  et  Itss 
assura  qu'il  ne  les  oublierait  pas.  Nous  avons  lieu  de  croire  que  ceux  qui  l'ont 
vu  là  pour  la  dernière  fois  n'oublieront  jamais,  pour  leur  part,  celui  qui  por- 
tait si  haut  l'amour  de  son  pays,  et  si  loin  l'interprétation  du  mot  devoir. 


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CHAPITRE  IX 


Envoi  do  nouveaux  renforts.  —  Lo  3»  bataillon  du  régiment  est  appelé  à  en  faire  partie; 
sa  composition,  son  départ,  son  arrivée.  —  Les  Tirailleurs  algériens  sont  réunis  en 
un  seul  régiment.  —  Commandement  du  général  Millot.  —  Marche  sur  Bac-Ninh.  — 
Attaque  et  enlèvement  des  hauteurs  de  Trong-Son  (12  mars  1884).  —  Poursuite  des 
Chinois.  —  Rentrée  des  troupes  h  Hanoi.  —  Prise  do  Ilong-IIoa.  —  Occupation  de 
Tuyen-Quan.  —  Premier  traité  de  Tien-Tsin.  —  Nouvelle  convention  conclue  avec 
la  cour  de  Hué  (6  juhi  1884).  —  Incident  de  Bac •  Lé.  —  Colonne  envoyée  an  secours 
du  colonel  Dogenne.  —  Combat  du  27  juin.  —  Le  général  Millot  rentre  en  France 
et  laisse  le  commandement  au  général  Brière  de  llsle. 


L*opiniâtreté  avec  laquelle  Sontay  avait  été  défendTa  faisait  supposer  que  Bae- 
Ninh  n'opposerait  pas  moins  de  difficultés  ;  cette  place  passait  môme  pour  avoir 
été  encore  plus  rormidablemcni  fortifiée  ;  do  plus,  on  la  disait  occupée  par  vingt 
h  vingt-cinq  niilio  liomincs  de  Tarmée  de  Kouang-Si,  et  bien  qu'on  n'allAt  pas 
jusqu'à  comparer  les  soldats  réguliers  de  la  Chine  à  des  troupes  européennes, 
on  avait  cependant  lieu  de  les  croire  sinon  plus  braves,  du  moins  mieux  organi- 
sés, mieux  exercés,  mieux  armés  et  mieux  commandés  que  les  Pavillons-Noirs. 
Malgré  l'autorité  morale  que  lui  donnait  un  grand  succès,  l'amiral  Courbet 
n'avait  donc  pu  songer  à  marcher  contre  ce  nouveau  centre  de  résistance  avec 
les  seules  forces  dont  il  disposait;  car  ces  dernières  étaient  non  seulement 
afiaiblies  des  pertes  subies  devant  Sontay,  mais  encore  de  l'importante  gar- 
nison qu'il  avait  fallu  laisser  dans  ce  poste  pour  le  mettre  à  l'abri  d'un  retour 
possible  de  Luu-Vinh-Phuoc.  Dans  ces  conditions,  l'envoi  de  nouveaux  renforts 
devenait  indispensable.  Cette  éventualité,  le  gouvernement  l'avait  prévue; 
aussi  cette  fois  les  secours  nécessaires  furent -ils  embarqués  sans  retard.  Ces 
secours  consistaient  dans  six  bataillons  d'infanterie,  deux  batteries  de  80  de 
montagne,  deux  batteries  do  position  et  un  détachement  de  cinquante  chas- 
seurs d'Afrique;  ils  devaient  porter  le  corps  expéditionnaire  à  environ  seiie 
mille  hommes  avec  les  services  auxiliaires,  et  permettre  la  formation  de  deux 
brigades  actives,  à  la  tète  desquelles  allaient  être  placés  les  généraux  Brière 
de  risle  et  de  Négrier.  Le  général  Millot,  qui  avait  fait  l'expédition  de  Coehin- 
chine  de  1862  à  1864,  d'abord  comme  capitaine,  ensuite  comme  capitaine 


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BOO 


LB  3®  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1S841 


adjudant-major  aux  Tirailleurs  algériens,  était  désigné  pour  exercer  le  com- 
mandement en  chef  en  remplacement  de  Tamiral  Courbet,  qui,  nommé  vice- 
amiral  à  la  suite  de  la  prise  de  Sontay,  conservait  celui  de  la  division  navale. 

Les  six  bataillons  de  renfort,  à  l'effectif  de  huit  cents  hommes  chacun, 
furent  pris  moitié  en  France,  moitié  en  Algérie;  les  trois  de  France  furent 
tirés  des  23<^,  111®  et  143^  de  ligne;  les  trois  d'Algérie,  de  la  légion  étrangèi-e, 
du  3*  bataillon  d'infanterie  légère  d'Afrique  et  du  3«  Tirailleurs.  Ces  trois 
derniers  devaient  former  le  2*  régiment  de  marche  du  19®  corps  d'armée.  Le 
3*  Tirailleurs  eut  en  outre  à  fournir  un  détachement  de  deux  cents  hommes 
pour  porter  l'effectif  de  son  ^^'  bataillon  au  même  chiffre  que  celui  fixé  pour 
les  bataillons  nouvellement  embarqués;  il  allait  ainsi  avoir  maintenant  seize 
cents  hommes  au  Tonkin. 

Les  ordres  prescrivant  ce  nouveau  départ  étaient  arrivés  au  colonel  Boitard 
le  8  décembre.  Le  19,  le  3<*  bataillon  du  régiiuoat  quittait  Constuntine  pour 
se  rendre  par  étapes  à  Pbilippeville ,  où  il  devait  s'embarquer  avec  les  ren- 
forts destinés  au  l*''  bataillon.  Il  était  ainsi  composé  : 


HM.  DeMibidle, 
Mercier, 
Peyre , 
Pieri, 
Audiguier, 


chef  de  bataillon, 
capitaine  adjudant-major, 
sous-lieutenant  officier  payeur, 
sous-lieutenant  officier  d'habillement, 
médecin  aide-major  de  1^  classe. 


l'*  compagnie. 

MH»  Camper,  capitaine. 

Valet,  lieutenant  français. 
Kaddour-ben-Ahmed ,  lient,  ind. 
De  Féraudy,  sous-lieut.  français. 
Mcssaoud-ben-el-Aïd,  sous-lieu- 
tenant indigène. 

2*  compagnie. 

MH.  Chirouze,  capitaine. 

Hartineau,  lieutenant  français. 
Embarck-ou-Alia ,  lient,  ind. 
Lambert,  sous-lieut.  français. 
Messaoud-ben-Debeza,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


3^  cotnpagnk, 

MM.  Polère,  capitaine. 

Planté,  lieutenant  français. 
Mohamed -ben -M' Ahmed,  lieu- 
tenant indigène. 
Guignabaudet,  s.-licut.  français. 
Sassi-ben-Sussi ,  sous-lieut.  ind. 

4®  cofnpagnie, 

MM.  Lochert,  capitaine. 

Palmade,  lieutenant  français. 
Tahar-ben-Dzitouch,  lient,  ind. 
Dégot,  sous-lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Embarck,  sous- 
lieutenant  indigène. 


Le  détachement  arriva  à  Pbilippeville  le  23.  L*embarquement  eut  lieu  le 
31  décembre  sur  le  Comorin,  paquebot  de  la  compagnie  nationale  de  Marseille. 
Le  Comorin  arriva  à  Port-Saïd  le  4  janvier  1884 ,  à  Colombo  le  24 ,  et,  le  7  fé- 
vrier, dans  la  baie  d'AIlong.  Cette  traversée  s'était  effectuée  dans  les  meilleures 
conditions.  Le  8  février,  Pétat-major  du  bataillon  et  la  2**  compagnie  furent 
transportés  à  Ilai-Phong  sur  la  canonnière  le  Lynx;  le  9,  la  Saône  effectua  la 
même  opération  pour  les  trois  autres  compagnies. 


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[1884]  AU  TONKIN  501 

De  Ilai-Phong,  le  bataillon  de  Mibielle  fut  dirigé  sur  Hai-Dsuong  sur  des 
jonques  remorquées  par  des  vapeurs.  Parti  le  11  février,  U  arriva  le  12,  Mais 
c*était  là  une  erreur  ;  destiné  à  faire  partie  de  la  i'«  brigade ,  qui  se  concentrait 
à  Hanoi,  il  lui  fallut  repartir  le  17  pour  cette  dernière  ville,  où  il  se  trouva 
réuni  le  24. 

L'arrivée  des  nouvcnti^c  renforts  avait  entraîné  une  nouvelle  organisation 
des  régiments  de  marche;  afin  de  donner  à  ceux-ci  plus  d'homogénéité,  on  les 
avait,  autant  que  possible,  cojnposés d'éléments  de  même  provenance.  C'est 
ainsi  que  le  1®^  ne  comprit  que  des  Tirailleurs  algériens;  le  1«'  bataillon  du 
1«'  Tirailleurs  en  constitua  le  l^  bataillon  ;  le  l^'  bataillon  du  3»,  le  2«  batail- 
lon et  le  S*'  bataillon  du  3°,  le  3<)  bataillon.  Le  lieutenant- colonel  Belin  en 
conservait  le  commandement.  Le  ^  bataillon  était  toujours  sous  les  ordres  du 
capitaine  Godon ,  le  commandant  Jouneau ,  nommé  lieutenant-colonel  et  rentré 
en  France  à  la  suite  de  la  blessure  qu'il  avait  reçue  à  Sontay,  n'ayant  pas 
encore  été  remplacé. 

Le  \^^  régiment  de  marche  fut  placé  dans  la  \^^  brigade  (général  Briëre  de 
risle).  Cette  brigade,  nous  l'avons  dit,  devait  se  concentrer  à  Hanoi.  A  cet 
eflet,  le  bataillon  Godon  fut  rappelé  de  Sontay;  il  quitta  cette  place  le  25  fé- 
vrier, et  arriva  h  Hanoi  le  27.  L&  il  trouva  les  deux  cents  hommes  de  renfort 
destinés  h  compléter  son  cITcctif.  Avec  ces  renforts  était  arrivé  un  officier, 
M.  Simon,  lieutenant,  nommé  en  remplacement  do  M.  Rathelot,  passé  capi- 
taine au  136<^  do  ligne,  mais  provisoirement  maintenu  au  corps  pour  occuper 
la  place  laissée  vacante  par  le  capitaine  Godinet,  tué  à  l'ennemi. 

Cette  concentration  avait  pour  but  la  marche  sur  Bac-Ninh,  que  le  général 
en  chef  voulait  entreprendre  avant  l'arrivée  des  grandes  chaleurs.  Cette  opé- 
ration commença  le  7  mars  par  le  passage  du  fleuve  Rougo  par  une  partie  des 
troupes  réunies  h  Hanoi.  Le  lendemain,  le  régiment  de  Tirailleurs  algériens 
quitta  à  son  tour  la  citadelle  h  cinq  heures  du  matin;  à  dix  heures,  il  était  on 
entier  sur  la  rive  gauche. 

Le  plan  du  général  Millot  consistait  à  tourner  les  défenses  que  les  Chinois 
avaient  accumulées  sur  la  route  de  Hanoï,  et  à  attaquer  Bac-Ninh  par  le  sud. 
La  1<'«  brigade,  ayant  Hanoi  comme  base  de  ravitaillement,  devait  s'avancer 
parallèlement  au  canal  des  Rapides,  à  quelques  kilomètres  de  sa  rive  droite, 
en  cITectucr  le  passage  dans  les  environs  du  marché  de  Chi ,  puis,  faisant  front 
vers  le  nord,  manœuvrer  do  concert  avec  la  brigade  de  Négrier,  qui,  partie 
de  Hai-Dzuong,  occupait  depuis  quelques  jours  les  sept  Pagodes,  nœud  des 
routes  fluviales  formées  par  le  canal  des  Rapides,  le  Song-Cau  et  leTal-Binh. 
Cette  dernière  avait  pour  mission  de  remonter  la  rive  droite  du  Song-Cau, 
d'enlever  plus  particulièrement  les  ouvrages  avancés  situés  à  l'est  de  la  place, 
et  de  couper,  si  c'était  possible,  la  retraite  à  l'ennemi.  Elle  devait  être  appuyée 
par  la  flottille,  qui  avait  reçu  l'ordre  de  détruire  avec  son  canon  les  nombreux 
barrages  que  les  Chinois  avaient  construits  pour  entraver  la  navigation  du 
Song-Cau. 

La  brigade  Brière  de  l'Isle,  comprenant  les  Tirailleurs  algériens,  deux  ré- 
giments de  marche  d'infanterie  de  marine,  le  bataillon  de  fusiliers  marins 
du  commandant  Laguerre,  quelques  compagnies  de  Tirailleurs  annamites  et 


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602  LB  a*  RÉOIMBNT  DB  TIIUILLBUR8  ALOftRIBNS  [1884] 

une  nombreuse  artillerie,  quitta  les  bords  du  fleuve  Rouge  le  8,  vers  midi. 
Le  général  en  chef  raccompagnait.  Dès  ce  jour  on  put  se  faire  une  idée  de  ce 
que  serait  cette  marche  :  on  fit  environ  six  kilomètres,  et  l'arrière-garde 
n'arriva  qu'à  onze  heures  du  soir.  Cette  lenteur  provenait  du  dispositif  adopté; 
toute  la  brigade  était,  en  effet,  engagée  sur  une  seule  roule,  dont  le  mauvais 
état  obligeait  souvent  les  hommes  à  marcher  à  la  file,  un  par  un;  de  là  un 
allongement  considérable.  Nulle  prescription  concernant  les  distances  et  les 
haltes  horaires  ne  pouvait  être  observée  :  un  mauvais  pas  qu'on  réparait  en 
avant,  une  pièce  qui  versût  dans  la  rizière  suffisaient  pour  arrêter  toute  la 
colonne  pendant  une  heure  et  même  plus;  ne  sachant  la  durée  de  cet  arrêt, 
les  bataillons,  sac  au  dos,  piétinaient  alors  sur  place,  jusqu'à  ce  que  la  frac- 
tion qui  les  précédait  se  fbt  mis  en  mouvement.  On  devait  ainsi  mettre  une 
moyenne  de  quatorze  heures  pour  parcourir  des  étapes  de  huit  à  dix  kilo- 
mètres. Debout  avant  le  jour,  les  troupes  allaient  presque  toujours  arriver  au 
cantonnement  à  la  nuit  close,  mangeant  peu  et  mal,  faute  de  temps  pour 
préparer  les  aliments. 

Le  8,  on  bivouaqua  dans  la  plaine;  le  9,  le  1*^  régiment  de  marche  can- 
tonna dans  le  village  de  Nga-Tu-Dau.  Le  10,  on  commença  à  entendre  le 
canon  :- c'était  la  canonnière  la  Carabine,  qui,  du  canal  des  Rapides,  tirait  sur 
quelques  bandes  en  fuite  vers  le  nord.  Ce  jour-là,  on  cantonna  au  village  de 
Binh-Lê,  près  du  canal,  qu'on  traversa  le  lendemain  matin  sur  la  Trombe  et 
V Éclair.  Pendant  ce  temps,  le  général  do  Négrier  s'était  emparé  du  fort  do  Dô- 
Son,  élevé  entre  le  canal  des  Rapides  et  le  Song-Cau,  à  peu  près  à  la  hauteur 
du  marché  de  Chi. 

Il  s'agissait  maintenant  de  s'avancer  vers  Bac-Ninh  par  le  sud,  en  effectuant 
un  léger  changement  de  direction  à  gauche  avec  la  l'*  brigade  pour  pivot; 
la  2«  devait  forcer  sa  marche,  de  façon  à  déborder  la  gauche  de  l'ennemi  et  à 
se  placer  entre  la  ville  et  le  fleuve  pour  intercepter  la  route  de  Lang-Son.  Le 
terrain  sur  lequel  on  devait  opérer  était  toujours  le  pays  de  rizières  en  partie 
inondé,  et  présentant  çà  et  là  de  nombreux  villages  entourés  de  haies  vives 
de  bambous.  En  avant  de  la  l^*  brigade  s'élevait  une  série  de  hauteurs  d'une 
altitude  moyenne  de  cent  cinquante  mètres,  que  les  Chinois  avaient  couron- 
nées d'ouvrages  en  terre  dont  on  ne  pouvait  de  loin  juger  la  forme  et  l'impor- 
tance, mais  qu'on  avait  lieu  de  supposer  fortement  occupés,  à  la  profusion 
de  drapeaux  de  toute  couleur  qu'on  y  voyait  déployés.  Ces  hauteurs  étaient  le 
Trong-Son,  ligne  de  mamelons  dénudés  s'étendant  au  sud-est  de  Bac-Ninh 
et  parallèlement  au  cours  du  Song-Cau. 

Le  12,  devait  avoir  lieu  l'attaque  de  cette  position.  Cette  mission  incombait 
à  la  l^*  brigade.  Celle-ci  quitta  son  cantonnement  de  Toi-Xam  à  six  heures 
du  matin  et  longea  le  canal  des  Rapides  jusqu'au  marché  de  Chi,  où  elle  fit 
la  grand'halte.  Elle  devait  attendre,  pour  prononcer  son  attaque,  que  le  mou- 
vement tournant  du  général  de  Négrier  fût  suffisamment  prononcé.  Vers  une 
heure,  l'action  paraissant  vivement  engagée  sur  la  droite,  le  2«  bataillon  (l*' 
du  3«  Tirailleurs,  capitaine  Godon)  du  l^'*'  régiment  de  marche  reçut  Tordre 
d'enlever  les  principaux  retranchements  du  Trong-Son;  il  devait  être  appuyé 
à  gauche  par  le  bataillon  Coronnat,  de  l'infanterie  do  marine,  en  arrière  par 


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[1884]  AU  TONKIN  503 

celui  de  fusiliers  marins.  Arrivé  à  dix- huit  cents  mètres,  il  prit  la  formation 
de  combat,  n*ayant  dès  le  début  que  deux  échelons,  la  chaîne  et  le  soutien. 
Les  2*  et  4«  compagnies,  formant  la  1^^  ligne,  s'avancèrent  les  escouades  dé- 
ployées; les  l^  et  3«  restèrent  en  colonne  de  compagnie.  *Ces  mouvements 
s'exécutèrent  dans  là  rizière  avec  de  Teau  jusqu'au  genou. 

Pendant  ce  temps,  rartillcrio  s'était  rapprochée  et  avait  ouvert  son  feu. 
Sous  sa  protection,  l'infanterie  continua  d'avancer,  mais  lentement,  à  cause 
de  l'inondation  du  terrain.  Enfin  on  arriva  à  environ  cinq  cents  mètres.  A  ce 
moment  Tennemi,  qui  avait  déjà  commencé  à  dégarnir  les  crêtes,  se  décida 
à  les  évacuer  tout  à  fait;  le  capitaine  Cuvellier,  chef  du  service  topographique, 
qui  était  monté  dans  la  nacelle  du  ballon  la  Vigie  pour  observer  ses  mouve- 
ments, le  vit  se  retirer  précipitamment  en  emportant  ses  drapeaux.  Quelques 
groupes  restaient  cependant  encore;  mais  bientôt,  après  avoir  déchargé  leurs 
armes,  ils  prirent  la  fuite  &  leur  tour.  Vers  trois  heures,  lorsque  la  charge 
sonna,  les  forts  du  Trong-5on  étaient  complètement  abandonnés;  c'est  à  peine 
si  les  Tirailleurs  avaient  essuyé  cent  cinquante  coups  de  fusil,  à  peine  si, 
pour  leur  compte,  ils  avaient  brûlé  deux  mille  cartouches;  mais  cette  marche 
'de  près  de  deux  kilomètres  dans  une  vase  qui,  en  certains  endroits,  leur 
venait  jusqu'au  ventre,  les  avait  extrêmement  fatigués.  Ce  fut  néanmoins 
avec  le  même  entrain  qu'à  Sontay  que,  sac  au  dos,  ruisselants  d'eau  et  de 
boue ,  ils  s'élancèrent  sur  les  pentes  du  premier  mamelon ,  que  les  2*  et  4«  com- 
pagnies occupèrent  sans  coup  férir.  Immédiatement  ralliées,  ces  dernières 
exécutèrent  quelques  feux  de  salve  sur  les  fuyards;  puis,  se  précipitant  de 
nouveau,  occupèrent  sans  plus  de  difficultés  tous  les  forts  qu'elles  trouvèrent 
en  avant.  Enfin ,  ayant  dispersé  les  derniers  Chinois  et  n'apercevant  plus  de 
retranchements  devant  lui,  le  bataillon  s'arrêta  sur  les  positions  conquises 
pour  y  passer  In  nuit.  Sur  la  gauche,  non  moins  vigoureusement  menée  par 
rinfantcrio  do  marine,  l'attaque  avait  donné  les  mêmes  résultats;  do  sorte 
qu'à  six  heures  la  1"^  brigade  était  maîtresse  de  tout  le  Trong-Son  sans  avoir 
eu  un  seul  homme  hors  de  combat.  Le  bataillon  Godon  était  le  seul  bataillon 
de  Tirailleurs  qui  eût  été  engagé;  celui  du  commandant  do  Mibielle  était  resté 
en  réserve  jusqu'à  cinq  heures  du  soir,  moment  où  il  était  venu  s'établir  dans 
le  village  d'An-Mao,  à  l'est  du  Trong-Son.  Pendant  la  nuit,' il  ne  fut  pas 
échangé  un  seul  coup  de  fusil. 

Le  lendemain  13,  la  marche  sur  Bac-Ninh  reprit  dès  six  heures  du  matin. 
L'avant-garde  était  fournie  par  le  bataillon  de  Mibielle.  Le  bataillon  Godon 
devait  former  l'arrière-garde  après  avoir  détruit  les  ouvrages  enlevés  la  vdlle. 
On  s'attendait  à  une  action  sérieuse  pour  cette  journée;  on  pensait  que  les 
Chinois  n'avaient  si  facilement  évacué  leurs  forts  extérieurs  que  pour  mieux 
se  défendre  dans  la  place ,  où  ils  disposaient  d'une  magnifique  citadelle  à  la 
Vauban,  qu'ils  avaient,  disait- on,  armée  de  nombreuses  pièces  Krupp.  Aussi 
quel  ne  fut  pas  l'étonnemcnt ,  disons  mieux ,  le  désappointement  de  tous  lors- 
qu'on apprit,  dès  les  premiers  pas  de  la  colonne,  que  cette  citadelle  était  elle- 
même  occupée  depuis  la  veille  par  les  troupes  du  général  de  Négrier  I  Bientêt 
la  vue  du  drapeau  tricolore  surmontant  la  tour  du  mirador  vint  dissiper  le 
doute  des  phis  incrédules ,  et  il  fallut  en  prendre  son  parU  :  après  cinq  jours 


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(t04  LE  3«  nÉOIMBNT  DR  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1884] 

de  morchos  accablantes,  après  cinq  jours  de  fatigues  supportées  stoïquement 
•dans  l'espoir  de  recueillir  un  peu  de  gloire,  la  l^^  brigade  en  était  pour  ce 
grand  coup  d'épée  dans  l'eau  :  le  Trong-Son.  Pendant  qu'elle  s'était  attardée 
à  cette  opération,  le  commandant  de  la  2*  avait  poursuivi  son  mouvement  ep 
avant,  ne  laissant  aucun  répit  aux  Chinois,  les  délogeant  successivement  de 
tous  les  points  où  ils  avaient  essayé  de  tenir,  s'était  emparé  des  hauteurs  de 
Dap-Cau  et  de  Ti-Cau  dominant  la  ville,  avait  dirigé  sur  celle-ci  le  feu  de 
toute  son  artillerie;  puis,  voyant  que  l'ennemi  ne  ripostait  pas,  avait  envoyé 
quelques  reconnaissances  qui  avaient  trouvé  les  portes  ouvertes  et  la  place  à 
peu  près  abandonnée.  Il  s'était  alors  placé  sur  la  ligne  de  retraite  des  Chinois; 
mais  ceux-ci,  n'étant  pas  inquiétés  au  sud  et  à  l'ouest,  avaient  pu  librement 
faire  un  grand  circuit  pour  remonter  ensuite  vers  le  nord,  passer  le  Song-Cau 
à  Gam  et  gagner  les  routes  de  Thai-Nguyen  et  de  Lang-Son.  On  avait  trouvé 
dans  Bac-Ninh  une  batterie  Krupp,  une  mitrailleuse,  une  centaine  de  canons 
en  bronze  ou  en  fonte,  et  plusieurs  objets  do  luxe  dont  l'abandon  dénotait 
une  fuite  précipitée. 

Le  14 ,  il  y  eut  repos  pour  permettre  aux  troupes  de  renouveler  leurs  appro- 
visionnements en  vivres  et  en  munitions.  Le  15,  il  fut  formé  deux  colonnes 
mobiles,  dont  les  généraux  Brière  de  l'isle  et  de  Négrier  eurent  le  comman- 
dement. Le  3«  bataillon  du  3«  Tirailleurs  fit  partie  de  la  première  de  ces  co- 
lonnes, qui  se  dirigea  sur  Thaî-Nguyen.  Le  Song-Cau  fut  traversé  à  Gam  sur 
des  jonques  et  des  sampans;  on  se  lança  sur  la  trace  des  Chinois;  mais  ceux-ci 
avaient  une  avance  trop  considérable,  et  c'est  à  peine  si  les  jours  suivants  on 
allait  trouver  quelques  groupes  de  traînards,  que  l'avant-garde  allait  facile- 
ment disperser.  Le  16 ,  on  occupa  sans  coup  férir  la  petite  citadelle  de  Yen- 
Thé;  le  19,  ce  fut  le  tour  de  Thai-Nguyen,  qu'on  trouva  également  évacué. 
Le  21,  la  colonne  reprit  le  chemin  de  Bac-Ninh ,  où  elle  rentra  le  23  mars.  Plus 
heureuse,  la  colonne  de  Négrier  eut  sur  la  route  de  Lang-Son  deux  petits  en- 
gagements dans  lesquels  elle  s'empara  d'une  seconde  batterie  Krupp. 

Le  bataillon  Godon  n'avait  pas  pris  part  à  ces  dernières  opérations;  en  rai- 
son des  fatigues  qu'il  avait  eu  à  supporter  dans  la  journée  du  12,  il  était 
rentré  à  Hano!  en  deux  élapes  effectuées  les  15  et  16  mars.  Le  26,  le  bataillon 
de  Hibielle  était  également  de  retour  dans  cette  place,  où  se  réunissaient  tous 
les  éléments  de  la  colonne  devant  opérer  contre  Hong-Hoa. 

Telle  fut,  pour  les  Tirailleurs  du  moins,  l'expédition  de  Bac-Ninh,  qui 
semblait  devoir  dépasser  en  diflicultés  celle  de  Sontay.  Elle  n'avait  coûté  que 
huit  tués  et  trente-neuf  blessés;  encore  ces  pertes  insignifiantes  portaient-elles 
uniquement  sur  la  brigade  de  Négrier.  Contrairement  à  ce  qu'on  s'attendait, 
les  réguliers  chinois  s'étaient  montrés  de  beaucoup  inférieurs  aux  Pavillons- 
Noirs.  Les  fortifications  qu'on  avait  rencontrées  ne  rappelaient  d'ailleurs  en 
rien  celles  de  Sontay;  mal  conçues ,  mal  exécutées,  n'offrant  aucun  abri  contre 
les  coups  de  notre  artillerie,  il  avait  suffi  de  quelques  obus  pour  les  rendre 
intenables  à  leurs  défenseurs.  L'emploi  des  défenses  accessoires,  dont  Luu- 
Vinh-Phuoc  avait  si  habilement  tiré  parti  partout  où  il  s'était  retranché,  sem- 
blait avoir  été  complètement  inconnu  au  général  Hoang-Ké-Lang.  Aussi  le  chef 
des  Pavillons-Noirs  s'était-il  refusé  à  prêter  son  concours  pour  la  défense  d'une 


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[1884]  AU  TONKIN  505 

place  aussi  mal  organisée;  après  Tayoïr  visitée,  il  était  rentré  à  Hong-Hoa  en 
donnant  aux  Chinois  le  conseil  de  ne  pas  nous  attendre.  Le  succès  avait  donc 
été  d'autant  plus  facile,  qu'en  présence  d'obstacles  de  moitié  moins  impor- 
tants qu'à  Sontay,  on  avait  disposé  de  moyens  deux  fois  plus  puissants.  C'é- 
tait, en  effet,  avec  environ  dix  mille  hommes  que  le  général  Millot  avait  exé- 
cuté cette  opération  ;  do  plus ,  la  division  do  ses  troupes  en  deux  colonnes  assez 
fortes  pour  pouvoir  à  la  rigueur  combattre  isolément  lui  avait  permis  de  faire 
ce  qui  n'avait  pas  été  possible  à  Sontay,  de  manœuvrer.  Ajoutons  que,  bien 
qu'en  partie  inondé ,  le  terrain  ne  s'était  pas  précisément  opposé  aux  grands 
déploiements,  et  par  suite  aux  combinaisons  tactiques.  Si  celles-ci  ne  don- 
nèrent pas  tous  les  résultats  qu'on  en  attendait,  il  faut  en  voir  la  cause  dans 
la  facilité  même  du  succès,  facilité  qui  avait  déjoué  toutes  les  prévisions  et 
presque  fait  croire  à  un  piège  de  la  part  de  l'ennemi.  Il  est  certain  que  si, 
dans  la  journée  du  12,  la  l*"*  brigade  ne  se  fût  pas  attardée  à  attaquer  dans 
toutes  les  règles  la  position  du  Trong-Son,  une  bonne  partie  de  l'armée  chi- 
noise eût  été  faite  prisonnière.  Mais  comment,  après  le  sanglant  assaut  de 
Phu-Sa  et  Tîncontestable  valeur  rencontrée  chez  les  irréguliers  de  Luu-Vinh- 
Phuoc,  supposer  que  les  Célestes  du  commencement  de  1884  donneraient 
encore  une  vague  idée  de  ceux  de  18607  Ils  allaient  malheureusement  prouver 
par  la  suite  que  les  progrès  qu'on  ovait  signalés  dans  leur  organisation  mili- 
taire n'étaient  pas  une  fiction  ;  et  bon  nombre  de  ceux  qui ,  les  jugeant  d'après 
leur  conduite  h  Bac-Ninhetàllong-IIoa,  allaient  affecter  le  plus  grand  mépris 
à  leur  égard,  devaient  dans  d'autres  circonstances  revenir  singulièrement  sur 
cette  opinion,  qui  ne  tendait  rien  moins  qu'à  démontrer  que  les  pertes  que 
nous  avions  subies  dans  les  combats  antérieurs  ne  pouvaient  être,  en  grande 
partie,  imputables  qu'à  l'imprévoyance  et  à  l'aveugle  témérité  des  chefs  qui 
avaient  alors  dirigé  les  opérations. 

Dans  l'ordre  général  adressé  aux  troupes  à  l'occasion  de  la  prise  de  Bao- 
Ninh ,  le  capitaine  Godon  était  cité  pour  Tintelligence  avec  laquelle  il  avait 
dirigé  son  bataillon  à  l'attaque  du  Trong-Son. 

Bac-Ninh  en  notre  pouvoir,  il  ne  nous  restait  plus,  pour  être  effectivement 
maîtres  de  tout  le  Delta  et  de  tous  les  débouchés  le  fermant  aux  Chinois,  qu'à 
chasser  les  Pavillons-Noirs  de  Hong-Hoa.  Dès  sa  rentrée  à  Hanoi,  le  général 
Millot  s'occupa  activement  des  préparatifs  de  cette  nouvelle  expédition.  Rn 
attendant,  pour  mettre  Sontay  à  l'abri  d'un  coup  de  main  possible  à  cause  de 
l'extrême  réduction  de  la  garnison,  il  y  envoya  au  plus  vite  quelques  troupes. 
Le  26  mars,  le  bataillon  Godon  quitta  llanot  pour  s'y  rendre  par  étapes;  il  y 
arriva  le  28,  et  fut  cantonné  dans  les  abords  de  la  citadelle. 

La  perte  de  Sontay,  l'abandon  entre  nos  mains  de  la  plus  grande  partie  de 
son  trésor,  de  son  matériel  et  de  ses  approvisionnements,  les  vides  énormes 
faits  dans  sa  troupe  par  notre  feu  et  les  désertions,  le  découragement  qui  avait 
dû  s'emparer  de  ses  meilleurs  soldats,  n'avaient  nullement  abattu  Luu-Vinh- 
Phuoc;  avec  une  ténacité,  une  persévérance  dénotant  chez  lui  une  force  mo- 
rale et  une  autorité  peu  communes,  il  se  disposait  encore  à  nous  résister. Pour 
cela,  il  avait  entrepris  à  Hong-Hoa  une  série  de  travaux  de  défense,  dont  le 
développement  ne  mesurait  pas  moins  de  douze  à  quinze  kilomètres.  Ces  ou- 


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806  LE  3«  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1884] 

vragesi  dont  quelques-uns  étaient  do  véritables  forts  détachés,  étaient  con- 
sidérablement avancés  au  moment  de  la  chute  de  Bac-Ninh.  Il  y  eut  alors, 
parait-il,  des  pourparlers  pour  obtenir  à  prix  d'argent  la  soumission  du  vieux 
chef  taïping;  mais  ce  dernier,  prétendit-on,  répondit  qu'il  nous  combattrait 
jusqu'à  la  dernière  extrémité;  que,  s'il  ne  pouvait  tenir  à  Hong-IIoa,  il  se 
retirerait  pour  aller  se  fortifier  plus  loin,  et  ainsi  de  suite  tant  qu'il  lui  reste- 
rait une  poignée  de  partisans. 

Dans  ces  conditions,  il  n'y  avait  plus  qu'à  agir.  Le  5  avril,  les  troupes  de 
la  1*^  brigade  qui  devaient  prendre  part  à  cette  opération  furent  dirigées  sur 
Sontay  ;  celles  de  la  2«  brigade  devaient  suivre  à  une  journée  d'intervalle.  Les 
Tirailleurs  algériens  étaient  encore  appelés  à  marcher,  à  l'exception  cependant 
des  !''«  et  2»  compagnies  du  bataillon  Godon ,  désignées  pour  demeurer  à  Son- 
tay. L'état-major  et  les  deux  autres  compagnies  de  ce  bataillon  avaient  l'ordre 
de  rallier  le  restant  du  1^^  régiment  de  marche  à  son  passage  dans  cette  place. 

Arrivée  à  Sontay  le  7  avril,  la  brigade  Brière  de  Flsle  en  repartit  le  8  pour 
les  bords  de  la  rivière  Noire,  où  elle  arriva  le  10  à  neuf  heures  du  matin, 
après  avoir  passé  la  journée  du  9  à  Dong-Cau ,  village  situé  à  quelques  kilo- 
mètres en  arrière.  Elle  prit  position  sur  les  hauteurs  de  la  rive  droite,  face  à 
Hong-Hoa,  dont  on  apercevait  seulement  le  mirador.  L'artillerie  se  mit  immé- 
diatement en  batterie,  et  dispersa  quelques  groupes  qui  s'étaient  montrés  sur 
la  rivo  opposée.  En  mémo  temps,  une  batterie  de  80  de  campagne  commençait 
lû  bomlmrdomont  des  ouvrages  los  plus  rapprochés.  La  journée  allait  se  passer 
ainsi  en  attendant  la  brigade  de  Négrier,  qui,  ayant  pris  la  digue  longeant  la 
rive  droite  du  fleuve  Rouge  et  ayant  à  protéger  la  flottille,  à  laquelle  le  manque 
d'eau  créait  de  nombreuses  difficultés,  ne  devait  arriver  que  le  lendemain. 

Vers  dix  heures  du  matin ,  le  capitaine  Godon  reçut  l'ordre  d'aller  s'établir 
avec  les  deux  compagnies  de  son  bataillon  dans  le  village  de  Trong-Ha ,  sur  le 
bord  même  de  la  rivière  Noire,  vis-à-vis  celui  de  Quan-Tricn,  sur  la  rive 
gauche,  occupé  par  les  Pavillons-Noirs.  La  4^  compagnie  (capitaine  Massip) 
se  déploya  le  long  de  la  berge  de  la  rivière,  et  eut  aussitôt  à  répondre  à  un 
feu  asses  vif,  mais  heureusement  peu  meurtrier  ;  elle  riposta  d'abord  par 
quelques  feux  de  salve,  puis,  étant  parvenue  à  se  constituer  rapidement  des 
abris  au  moyen  de  gros  madriers  trouvés  en  quantité  sur  les  lieux,  elle  se 
borna  à  un  tir  ajusté  exécuté  par  ses  meilleurs  tireurs.  La  3^  compagnie  (  ca- 
pitaine Caries)  resta  massée  sur  la  gauche  du  village,  n'ayant  près  de  la 
rivière  qu'un  petit  poste,  qui  eut  également  l'occasion  do  brûler  quclifues 
cartouches  et  de  disperser  quelques  groupes  ennemis.  A  ce  moment,  les  Pa- 
villons-Noirs essayèrent  de  mettre  en  batterie  une  mauvaise  pièce  de  canon , 
mais  ils  durent  bientôt  y  renoncer  devant  la  précision  de  notre  feu. 

Dans  l'après-midi,  l'ennemi  commença  à  se  replier  sur  Hong-lloa;  il  ne 
resta  plus  le  long  de  la  rivière  Noire  que  quelques  hommes  formant  un  rideau 
continu,  afin  de  surveiller  nos  moindres  mouvements.  A  la  nuit,  nos  troupes 
s'installèrent  au  bivouac;  les  deux  compagnies  du  bataillon  Godon  dans  le 
village  de  Trong-Ha,  le  bataillon  de  Mibielle  à  cinq  cents  mètres  au  sud  de 
la  route  de  Sontay  à  ilong-iloa,  avec  des  petits  postes  près  de  la  rivière.  La 
nuit  s'écoula  sans  incident. 


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[1884]  AU  TONKIN  K07 

Le  londemain ,  dès  la  pointe  du  jour,  les  postes  ennemis  tirèrent  encore  quel- 
ques coups  de  feu,  puis  se  retirèrent  pour  ne  plus  revenir.  Pendant  cette  courte 
fusillade,  la  i^  compagnie  (capitaine  Camper)  du  3*  bataillon  eut  un  homme 
blessé.  Ce  devait  être  le  seul  de  toute  la  colonne  pour  toute  cette  expédition. 

A  huit  heures,  arriva  la  brigade  de  Négrier,  qui  releva  dans  le  village  de 
Trong-lla  les  deux  compagnies  du  bataillon  Godon ,  et  s'établit  sur  les  hau- 
teurs situées  au  nord  de  la  route  de  Sontay.  Avec  cette  brigade  se  trouvait  le 
général  en  chef,  qui  donna  immédiatement  ses  derniers  ordres  pour  Texécu- 
tion  du  plan  d'opérations  auquel  il  s'était  arrêté.  D'après  ce  plan,  la  1^*  bri- 
gade devait  remonter  la  rive  droite  de  la  rivière  Noire  jusqu'à  Bat^Bac,  passer 
sur  la  rive  gauche  au  moyen  de  jonques,  de  radeaux  et  de  sampans,  et  prendre 
une  route  do  montsgne  permettant  de  tourner  les  défenses  de  l'ennemi  par  le 
sud-ouest.  Pendant  ce  temps  la  2®  brigade,  demeurée  sur  les  positions  qu'elle 
venait  d'occuper,  devait  entretenir  un  violent  fou  d*artillerie  sur  la  ville  et  ses 
abords,  pour  détourner  complètement  l'attention  de  l'ennemi.  Une  batterie 
de  95,  amenée  sur  des  chalands  et  hissée  à  grand*peine  sur  un  mamelon  d'où 
Ton  apercevait  confusément  Hong-IIoa,  devait  tirer  sur  la  ville  et  sur  un  pont 
de  radeaux  la  faisant  communiquer  avec  la  rive  gauche  du  fleuve  Rouge. 
Aussitôt  que  le  mouvement  de  la  brigade  Brière  de  l'isie  serait  assez  pro- 
noncé ,  le  général  de  Négrier  devait  à  son  tour  faire  franchir  la  rivière  Noire 
à  ses  troupes ,  et  marcher  sur  la  place  par  la  route  directe. 

Ces  diverses  opérations  commencèrent  le  jour  même,  à  onse  heures  du  ma- 
tin. Toute  la  1^  brigade,  &  l'exception  des  deux  compagnies  du  bataillon 
Godon ,  qui  furent  laissées  au  village  de  Trong  pour  y  assurer  la  construction 
d'un  pont,  se  mit  en  route  pour  Bat -Bac,  où  elle  arriva  &  la  nuit.  Le  lende- 
main 12,  le  passage  était  terminé,  et  la  marche  était  reprise  à  dix  heures  du 
malin,  avoc  le  bataillon  do  Mihiello  en  têlo  du  gros.  Cette  marche  continua 
jusqu'à  sept  heures  du  soir,  dans  des  chemins  impraticables  où  la  colonne 
était  à  chaque  instant  arrôtcc  par  la  nécessité  d'ouvrir  des  passages  ou  de  faire 
des  rampes  pour  l'artillerie.  Enfin  le  13,  à  onze  heures  du  matin,  on  arriva 
à  Ilong-Hoa,  où  venait  de  pénétrer  un  bataillon  de  la  brigade  de  Négrier.  La 
ville  n'était  plus  qu'un  amas  de  cendres.  Dès  le  11 ,  les  Pavillons-Noirs  avaient 
commencé  à  l'évacuer,  et,  la  nuit  arrivée,  y  avaient  mis  le  feu.  Renonçant  à 
se  défendre  contre  des  forces  aussi  considérables  que  celles  qui  s'avançaient 
contre  lui,  craignant  d'ailleurs  que  sa  ligne  de  retraite  ne  vint  tout  à  coup  à 
lui  être  coupée,  Luu-Vinh-Phuoc  avait  pris  le  parti  de  se  retirer;  mais,  grâce 
aux  moyens  de  passage  qu'il  s'était  réservé  sur  le  fleuve  Rouge,  il  avait  pu, 
cette  fois,  erfectuer  sa  retraite  sans  précipitation,  ne  nous  laissant  qu*une  tren- 
taine de  mauvais  canons  et  des  ruines  encore  fumantes  où  nos  troupes  durent 
renoncer  à  trouver  le  moindre  abri*.  Ses  pertes  en  hommes  n'avaient  pas  dû 
être  considérables;  car,  en  raison  de  la  distance,  les  effets  matériels  de  notre 
artillerie  avaient  été,  pour  ainsi  dire,  insignifiants.  Nous  avions  de  notre  côté 
un  blessé  et  cinq  noyés. 

1  Gcrl  n*c.<^i  dit  que  pour  la  ciLidelIe.  La  ville  proprement  dite  possédait  encore 
quelques  pagodes  et  quelques  constructions  intactes. 


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608  LE  3«  RÉQIIIBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (18841 

Los  foriiGcalions  de  Ilong-IIoa  offraioni  certaiDomoDi  un  exomplo  dos  plus 
curieux  de  ce  que  peut  la  patience  alliée  à  Tinstinct  de  la  conservation  :  presque 
tous  les  ouvrages  étaient  casemates  et  reliés  entre  eux  par  des  galeries  souter- 
raines ressemblant  à  de  vastes  cheminements  de  taupe.  Il  y  avait  des  kilo- 
mètres de  ces  boyaux  étroits  s*enfonçant  parfois  à  de  grandes  profondeurs  sous 
le  sol.  Ces  ouvrages  avaient  été,  il  est  vrai,  tellement  construits  en  vue  de  la 
protection  de  leurs  défenseurs,  qu'ils  n'en  conservaient  plus  qu'une  médiocre 
valeur;  mais  il  faut  reconnaître  que  leur  emplacement  et  leur  tracé  pouvait 
suppléer,  dans  une  certaine  mesure,  à  ce  que  leur  exécution  avait  de  défec- 
tueux. La  citadelle,  de  même  forme  et  de  même  grandeur  que  celle  de  Sontay, 
n'en  différait  que  par  son  fossé,  qui  était  un  peu  plus  profond,  mais  beaucoup 
plus  étroit. 

Les  jours  suivants,  des  colonnes  légères  firent  des  pointes  vers  Dong-Van, 
au  sud-ouest  de  la  place,  et  sur  Phu-Lam-Tao,  sur  la  rive  droite  du  fleuve 
Rouge;  mais  les  Tirailleurs  algériens  ne  prirent  point  part  à  ces  opérations, 
qui  se  bornèrent  d'ailleurs  au  paircours  d'un  pays  abandonné. 

Le  17  avril,  les  1«'  (commandant  Hesling)  et  3*  (commandant  de  Mibielle) 
bataillons  du  1^  régiment  de  marche  se  mirent  en  route  pour  Sontay  sous 
les  ordres  du  lieutenant-colonel  Letellier.  Ils  franchirent  la  rivière  Noire  sur 
le  pont  de  bambous  qui  avait  été  construit  par  les  pontonniers  avec  l'aide  des 
habitants,  sous  la  protection  des  doux  compagnies  du  bataillon  Godon  au  vil- 
lage de  Trong.  Ces  deux  compagnies  furent  à  ce  moment  relevées  par  les 
l'*  (capitaine  Camper)  et  4*  (capitaine  Lochert)  du  bataillon  de  Mibielle,  et 
prirent  leur  place  dans  la  colonne  pour  rentrer  à  Sontay,  oii  l'on  arriva  à 
trois  heures  du  soir.  Le  même  jour,  le  sous-lieutenant  Messaoud-ben-el-Aîd , 
de  la  compagnie  Camper,  se  noyait  dans  la  rivière  Noire  en  voulant  porter 
secours  à  un  Tirailleur  entraîné  par  le  courant.  On  ne  devait  malheureuse- 
ment pas  retrouver  le  corps  de  ce  brave  oflicier,  victime  de  son  dévouement. 
Les  2*  (capitaine  Chirouze)  et  3®  (capitaine  Polèro)  compagnies  du  bataillon 
de  Mibielle,  ayant  été  laissées  à  Suutay  pour  y  tenir  garnison  à  lu  pluco  dos 
if  et  2*  du  bataillon  Godon,  le  18,  les  deux  premiers  bataillons  du  i^'  régi- 
ment de  marche  continuèrent  leur  route  sur  Hanoi,  où  ils  furent  de  retour 
le  19. 

Depuis  quelques  jours,  le  courrier  de  France  avait  apporté  la  liste  des  ré- 
compenses accordées  à  l'occasion  de  la  prise  de  Sontay.  Au  l^'  régiment  de 
marche,  le  lieutenant-colonel  Belin  était  nommé  colonel.  Des  dépêches  avaient 
fait  connaître  antérieurement  la  promotion  des  trois  chefs  de  bataillon ,  MM.  Le- 
tellier, Jouneau  et  Donnier,  au  grade  de  lieutenant-colonel.  Par  une  décision 
ministérielle  du  19  février,  M.  Letellier  était  désigné  pour  succéder  au  colonel 
Belin. 

Dans  le  l^  bataillon  du  3*  Tirailleurs,  bataillon  si  éprouvé  dans  la  journée 
du  14  décembre,  le  lieutenant  Roblot  était  nommé  capitaine  à  la  légion  étran- 
gère; l'adjudunl  Couvreux  et  le  sergent-major  Dnpuis  éluicnl  promus  sous- 
lieutenants,  le  premier  au  i43<>de  ligne,  le  second  au  1®*^  Tirailleurs;  la  croix 
de  la  Légion  d'honneur  était  accordée  au  capitaine  Caries  et  au  lieutenant 
Lagdar-ben-el-Achi,  et  la  médaille  militaire  aux  adjudants  Clément,  Robin 


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[1884]  AU  TONKIN  509 

et  Gœrhing,  au  caporal  Daclouz  et  au  Tirailleur  Mohamed-ben-Ali.  Ce  bataillon , 
on  se  le  rappelle,  avait  perdu  près  du  quart  de  son  effectif. 

Le  commandant  Jouneau  fut  remplacé  par  le  commandant  Béranger,  venant 
des  capitaines  du  23«  de  ligne  (décret  du  19  février),  et  le  lieutenant  Roblot 
par  M.  Patin,  précédemment  sous-lieutenant  au  !«>'  Tirailleurs. 

La  prise  do  llong-lloa  semblait  devoir  clore  la  série  des  opérations  do  guerre 
jusqu'au  retour  do  la  bonne  saison;  la  période  des  grandes  chaleurs  et  des 
grandes  pluies  allait  bientôt  arriver,  et  pendant  toute  sa  durée,  de  Favis  des 
gens  connaissant  le  pays,  il  ne  fallait  songer  à  entreprendre  aucune  expédi- 
tion. Cette  période,  qui  dure  de  mai  à  septembre,  avec  son  maximum  en 
juillet  et  en  août,  est  en  même  temps  l'époque  des  grandes  crues  :  le  fleuve 
Rouge,  le  Thaî-Binh  et  leurs  affluents,  la  rivière  Claire,  la  rivière  Noire,  le 
Loch-Nan  et  le  Song-Thuong,  deviennent  alors  navigables  dans  une  grande 
partie  de  leur  cours  pour  les  canonnières  d'un  faible  tirant  d'eau.  Le  général 
en  chef  se  proposait  d'en  profiter  pour  utiliser  la  nombreuse  flottille  qui  avait 
été  mise  à  sa  disposition ,  en  lui  faisant  exécuter  des  reconnaissances  jusqu'aux 
points  extrêmes  où  elle  aurait  accès,  et  en  s'en  servant  au  besoin  pour  le 
transport  des  troupes  et  des  approvisionnements  sur  les  postes  qu'il  serait 
utile  de  créer  pour  servir  plus  tard  de  base  ou  d'appui  pour  marcher  sur  Lang- 
Son  et  sur  Lao-Kaî. 

La  première  do  ces  reconnaissances  fut  exécutée  sur  la  rivière  Claire  par  la 
canonniôro  le  Yaiaijnn.  Elle  démontra  que,  contrairement  à  co  qu'on  s'atten- 
dait, les  Pavillons -Noirs  avaient  évacué  toute  celte  région.  Pour  empêcher 
leur  retour,  le  général  Millot  décida  l'occupation  immédiate  de  Tuyen-Quan. 
Cette  opération,  à  laquelle  il  se  proposait  d'assister,  devait  être  dirigée  par  le 
lieutenant-colonel  Duchesne,  de  la  légion  étrangère.  Un  bataillon  de  ce  dernier 
corps  et  trois  compagnies  de  Tirailleurs  algériens  furent  désignés  pour  y 
prendre  part. 

Le  26  mai,  les  l^^  (capitaine  Rathelot)  et  2^  (lieutenant  Patin) compagnies 
du  l^^  bataillon  du  3«  Tirailleurs  (commandant  Béranger)  quittèrent  Hanoi 
sur  les  canonnières  la  Trombe  et  V Éclair,  qui,  le  29,  les  débarquèrent  à  Phu- 
Doan,  au  confluent  du  Song-Chaî  et  de  la  rivière  Claire.  Là  elles  furent  re- 
jointes par  la  4*  compagnie  (capitaine  Lochert)  du  bataillon  de  Mibielle,  venue 
de  Sontay  sur  des  jonques  remorquées.  La  légion  étrangère,  partie  de  Hong- 
lloa,  y  était  arrivée  aussi,  mais  par  terre,  en  suivant  la  rive  droite  de  la  ri- 
vière Claire. 

Après  deux  jours  consacrés  à  son  organisation,  la  colonne  se  remit  en  route 
le  31 ,  ne  formant  qu'un  seul  groupe  auquel  l'exiguïté  du  chemin  donnait  un 
allongement  considérable.  Elle  était  appuyée  par  quatre  canonnières,  qui  re- 
montaient la  rivière  Claire  à  sa  hauteur.  Le  terrain,  très  couvert,  ne  per- 
mettait de  s'avancer  qu'avec  d'extrêmes  précautions.  La  chaleur  était  acca- 
blante; aussi  la  première  étape  ne  fut -elle  que  de  douze  kilomètres.  Le  pays 
étant  complètement  abandonné,  on  bivouaqua  dans  les  jungles. 

Le  lendemain  1*'  juin ,  le  départ  eut  lieu  à  quatre  heures  et  demie.  A  quatre 
heures  du  soir,  on  fit  la  grand'halte  à  Duoc;  enfin ,  à  la  nuit,  on  arriva  devant 
Tuyen-Quan,  où  l'on  pénétra  sans  coup  Térir.  La  place  avait  été  évacuée  par 


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510  -    LB  3*  RÉQIIIBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  11884] 

lott  Pavillons-NoirSi  qui  n*y  avaient  laissé  quo  quelques  malades,  dont  Tétat 
indiquait  assez  ce  qu'était  devenue  l'armée  de  Luu-Vinh-Phuoc  depuis  sa  fuite 
de  Hong-Hoa.  Quelques  jours  après  on  en  eut  une  idée  encore  plus  exacte  : 
une  bande  d'environ  deux  cents  hommes,  mourant  de  faim,  vint  demander 
à  faire  sa  soumission  et  à  servir  comme  troupe  auxiliaire.  Son  chef  paraissant 
de  bonne  foi,  le  général  Millot  ne  vit  là  qu'une  occasion  de  faire  un  essai  qui 
n'avait  pas  encore  été  tenté  :  enrôler  des  Chinois  sous  notre  drapeau;  il  décida 
qu'on  formerait  une  compagnie  de  ces  déserteurs,  et,  les  ayant  fait  venir  à 
Hanoi,  où  ils  furent  armés  et  équipés,  il  les  envoya,  sous  le  commandement 
d'un  officier  et  de  quelques  sous-officiers  français,  occuper  le  poste  de  Cho-Do, 
à  une  dizaine  de  kilomètres  au  sud-ouest  de  cette  ville.  Quelque  temps  après , 
ils  tuaient  l'un  des  sous-officiers  préposés  à  leur  surveillance,-  et,  dans  la 
nuit,  se  retiraient  avec  leurs  ai^mes  et  leurs  munitions  dans  les  montagnes  de 
la  rive  droite  du  Day,  pour  y  exercer  l'honorable  profession  de  pirates.  Ils  ont 
prouvé  par  la  suite  que  l'instruction  qu'on  leur  avait  donnée  n'avait  pas  été 
perdue  pour  eux,  et  qu'ils  savaient  parfaitement  se  servir,  —  contre  nous,  — 
de  l'arme  perfectionnée  qu'on  avait  mise  entre  leurs  mains. 

On  laissa  à  Tuyen-Quan  deux  compagnies  de  la  légion  étrangère  et  une 
section  d'artillerie  de  marine.  La  défense  de  la  place  paraissant  ainsi  suffisam- 
ment assurée,  le  3  juin,  les  autres  troupes  reprirent  sur  des  jonques  ou  des 
canonnières  la  route  de  leurs  garnisons.  Le  môme  jour,  les  deux  compagnies 
du  bataillon  Uéranger  étuieat  de  retour  à  Hanoi,  et  celle  du  bataillon  de  Mi- 
bielle  à  Sontay. 

Cependant  la  Chine,  effrayée  de  la  rapidité  de  nos  succès,  s'était  décidée  à 
entrer  dans  la  voie  des  négociations;  d'abord  ces  dernières  s'étaient  bornées 
à  des  pourparlers  officieux  entre  le  grand  mandarin  Li-Hung-Chang,  vice-roi 
du  Pô-Tché-Li,  et  le  capitaine  de  frégate  Foumier;  puis,  Li-Hung-Chang  ayant 
reçu  des  pouvoirs  plus  étendus,  les  deux  plénipotentiaires  avaient  déterminé 
les  bases  d'un  traité  qui  fut  signé  le  11  mai  à  Tien-Tsin.  D'après  ce  traité,  la 
France  s'engageait  à  respecter  et  à  protéger  contre  toute  agression  d'une  na- 
tion quelconque,  et  en  toutes  circonstances,  les  provinces  méridionales  de  la 
Chine  limitrophes  du  Tonkin.  De  son  côté,  la  Chine  devait  retirer  toutes  les 
garnisons  qu'elle  avait  au  Tonkin  ;  elle  renonçait  en  outre  à  toute  suzeraineté 
sur  l'empire  d'Annam.  Il  lui  était,  en  raison  de  cette  concession  et  de  son  atli* 
tude  conciliante,  fait  remise  de  l'indemnité  de  guerre  dont  le  principe  avait 
été  primitivement  admis.  Des  clauses  addilionuelles,  relatives  à  lu  protoction 
de  notre  commerce,  complétaient  cette  convention ,  à  laquelle  il  no  manquait 
plus  que  la  ratification  du  gouvernement  français;  formalité  qui  ne  pouvait 
subir  un  long  retard ,  par  suite  du  départ  immédiat  du  capitaine  Fournier 
pour  Paris. 

Dans  le  môme  temps  que  ces  arrangements  intervenaient  entre  les  deux 
pays,  le  cabinet  de  Paris,  désireux  d'avoir  un  diplomate  auprès  du  Tsong-Li- 
Vamen,  confiait  cette  mission  à  M.  Patenôtre,  qui  était  par  la  môme  occasion 
chargé  de  s'arrêter  à  Hué,  pour  apporter  quelques  modifications  au  traité  du 
25  août  1883  signé  par  H.  ilarmand.  Les  régents  s'étant  opposés  à  toute  né- 
gociation, il  fallut  leur  adresser  un  ultimatum;  enfin,  le  6  juin,  ils  se  déci- 


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[1884]  AU  TONKIN  511 

dèrent  à  accepter  nos  nourelles  conditions.  Le  Binh-Tliuan,  province  annexée 
à  la  Cochinchine,  était  rendu  à  l'Annam,  ainsi  que  leTban-Hoa  et  ses  dépen- 
dances, Nhgé-An  et  Ha-Tinh ,  qui  avaient  toujours  fait  partie  du  Tonkin.  Ces 
rétrocessions  avaient  pour  but  de  diminuer  les  charges  de  Toccupation  directe, 
en  donnant  plus  d'extension  au  protectorat  proprement  dit.  En  retour,  la 
France  se  r^ervait  le  droit  de  se  faire  représenter,  auprès  du  roi  et  de  ses 
ministres,  par  un  résident  qui  demeurerait  en  permanence  à  Hué  avec  une 
escorte  pouvant  s'établir  dans  la  citadelle  même  de  cette  ville. 

La  paix  paraissait  donc  déQnitivement  assurée;  si  quelques  esprits  entre- 
voyaient encore  quelques  difficultés,  ce  n^était  certes  pas  du  côté  de  la  Cbine, 
dont  Tarmée  semblait  s'être  évanouie  depuis  la  prise  de  Bac-Ninh  :  tout  au 
plus  pensait-on  qu'il  serait  nécesssaire  de  livrer  quelques  combats  sur  le  haut 
fleuve  Uoiigo  pour  en  chasser  les  Pavillons-Noirs.  BtentAt  on  songea  même 
au  rapatriement  d'une  partie  du  corps  expéditionnaire;  le  besoin  de  renforts 
s'étant  fait  sentir  à  Madagascar,  on  y  envoya  le  bataillon  de  fusiliers  marins 
du  commandant  Lagucrre;  le  bataillon  de  Tirailleurs  annamites,  qui  avait 
jusque-là  servi  à  éclairer  les  colonnes,  rentra  à  Saigon;  les  bataillons  de8  23<*, 
111®  et  143*^  de  ligne  reçurent  l'ordre  de  se  tenir  prêts  à  s'embarquer  pour  la 
France;  on  gardait  les  Tirailleurs  algériens  pour  l'expédition  de  Lao-Kal, 
qu'on  envisageait  comme  la  seule  où  l'on  dût  rencontrer  des  obstacles  sé- 
rieux. Telle  était  la  situation ,  lorsqu'un  incident  inattendu  vint  remettre  tout 
en  cause  et  montrer  la  bonne  foi  du  gouvernement  de  Pékin. 

Se  basant  sur  les  stipulations  du  traité  Foumier,  le  gouvernement  français 
avait  prescrit  au  général  Millot  de  prendre  ses  mesures  pour  faire  occuper  les 
places  de  la  frontière  aux  dates  où  la  remise  devait  lui  en  être  faite  par  les  gé- 
néraux chinois.  En  vertu  de  ces  instructions,  une  colonne  comprenant  un  ba- 
taillon d'infanterie  de  marine,  une  compagnie  du  2*  bataillon  d'Afrique,  une 
autre  de  Tirailleurs  tonkinois,  troupe  nouvellement  organisée,  et  un  détache- 
ment do  quelques  chasseurs  d'Afrique,  fut,  dans  les  premiers  jours  de  juin, 
placée  sous  le  commandement  du  lieutenant-colonel  Dugenne,  pour  aller  prendre 
possession  de  Lang-Son  de  That-Khé  et  de  Cao-Bang.  Cette  colonne  devait 
suivre  la  route  directe,  dite  route  mandarine,  par  Phu-Lang-Thuong,  Kep, 
Cau-Son,  Bac-Lé,  Than-Moî  et  Cut.  Elle  avait  déjà  parcouru  la  moitié  de  ce 
trajet,  n'ayant  eu,  dans  ses  premières  étapes,  qu'à  surmonter  les  difficultés 
résultant  du  mauvais  état  de  la  route,  du  passage  de  nombreux  cours  d*eau 
grossis  par  les  pluies,  et  surtout  de  la  chaleur  accablante  de  la  saison,  quand, 
le  23  juin,  elle  se  heurta,  au-delà  du  village  de  Bac-Lé,  à  quatre  à  cinq  mille  ré- 
guliers du  Kouang-Si ,  qui  prétendirent  n'avoir  reçu  aucune  communication  au 
sujet  de  l'évacuation  de  Lang-Son.  Fort  des  droits  de  la  France  et  des  ordres  du 
général  en  chef,  le  lieutenant-colonel  Dugenne  voulut  forcer  le  passage;  mais 
il  dut  y  renoncer  :  après  un  combat  meurtrier  qui  dura  une  partie  de  Taprès- 
midi  du  23  et  de  la  matinée  du  24,  il  lui  fallut  rétrograder  pour  n'être  pas 
cerné,  et  s'établir  sur  une  bonne  position  défensive  en  attendant  des  renforts. 

Avant  que  cet  événement  fût  connu  à  Hanoi,  on  avait,  dans  le  but  d'assurer 
pour  un  certain  temps  l'approvisionnement  des  trois  postes  extrêmes  qu'on 
allait  créer,  organisé  un  convoi  supplémentaire  qui  devait  rejoindre  la  colonne 


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512  LE  3"*  RÉOIMBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1884] 

DugODQe,  oa,  à  défaut,  se  rendre  iftolémont  à  Lang-Soo.  Ce  convoi,  réunis- 
sant trois  cents  coolies,  devait  ôtre  transporté  par  eau  jusqu'à  Phu-Lang- 
Thuong,  puis  de  là  continuer  son  chemin  par  étapes  avec  une  escorte  d'un 
peloton  de  la  4*  compagnie  du  \^'  bataillon  du  3*  Tirailleurs ,  sous  les  ordres 
du  capitaine  Massip.  Il  quitta  Hanoï  le  22  juin,  arriva  à  Phu-Lang -Thuong 
le  lendemain,  et  en  repartit  le  24  dans  la  matinée.  Ce  ne  fut  que  le  25  au 
matin,  après  avoir  dépassé  Kep,  que  le  capitaine  Massip  apprit,  par  des  coolies 
et  des  Tirailleurs  tonkinois  qui  avaient  abandonné  la  colonne  Dugenne,  ce  qui 
était  arrivé  à  celle-ci.  Il  n'en  continua  pas  moins  sa  route  jusqu'à  Cau-Son, 
et  là  fîit  exactement  informé.  Pensant  avec  raison  que  la  situation  de  la  co- 
lonne pouvait  rendre  pressante  l'arrivée  du  convoi,  il  se  disposait  à  se  remettre 
en  marche  le  lendemain ,  lorsque  le  soir  il  fut  rejoint  par  le  lieutenant  Bepet, 
qui  arrivait  avec  le  restant  de  la  4«  compagnie,  précédant  les  l^  (capitaine 
Rathelot)  et  2*  (lieutenant  Patin)  du  même  bataillon,  qui  s'étaient  arrêtées 
à  Kep  avec  le  commandant  Béraoger.  Ce  détachement  était  parti  de  Hanoi  le 
24  sur  la  canonnière  V Éclair,  qui  l'avait  débarqué  le  lendemain  à  Phu-Lang- 
Thuong,  d'où,  sur  l'ordre  du  général  de  Négrier,  il  s'était  immédiatement 
mis  en  marche  pour  Bac-Lé.  La  3*  compagnie  (capitaine  Caries),  détachée 
à  Cho-Do,  avait  en  même  temps  été  rappelée  de  ce  poste  et  devait  chercher 
à  rejoindre  le  bataillon. 

Le  26  au  matin,  le  capitaine  Massip,  dont  les  instructions  ne  se  trouvaient 
pas  modifiées,  allait  se  remettre  en  roule  avec  toute  sa  compagnie  et  le  con- 
voi, quand  l'arrivée  du  commandant  Déranger  avec  les  deux  autres  compa- 
gnies vint  suspendre  ce  mouvement  jusqu'à  ce  qu'on  eût  reçu  de  nouveaux 
ordres  du  général  de  Négrier,  que  le  général  en  chef  avait  envoyé  en  toute  hâte 
pour  prendre  le  commandement  de  la  colonne  de  secours.  Le  général  arriva 
dans  la  soirée;  il  décida  qu'une  partie  des  troupes  réunies  à  Cau-Son  se  por- 
terait le  lendemain  au-devant  de  la  colonne  Dugenne,  et  que  le  convoi,  dont 
l'escorte  devait  être  renforcée  d'une  compagnie  du  143*  de  ligne,  suivrait,  tout 
en  restant  sous  le  commandement  du  capitaine  Massip.  Dans  la  journée ,  les 
trois  compagnies  du  bataillon  Déranger  s'étaient  grossies  de  deux  du  143*  et 
d'une  autre  du  1*'  Tirailleurs.  Un  premier  convoi  do  blessés  était  également 
arrivé  de  Bac-Lé,  et  Ton  avait  enfin  eu  quelques  détails  sur  ce  qui  s'était 
passé.  Voici,  parmi  plusieurs  versions  qui  devaient  courir  par  la  suite  sur  ce 
grave  événement,  celle  recueillie  à  ce  moment  auprès  de  ceux  qui  se  trou- 
vaient encore  sous  le  coup  de  l'émotion ,  c'est-à-dire  de  la  vérité. 

Après  avoir  quitté  Bac-Lé,  la  colonne  devait  franchir  le  Song-Thuong,  qui, 
sur  ce  point,  forme  une  courbe  que  la  route  coupe  en  deux  endroits  distants 
d'une  dizaine  de  kilomètres.  En  arrivant  près  de  la  rivière,  deux  hommes 
de  Tavant-garde  furent  blessés.  On  mit  le  fait  sur  le  compte  des  pirates, 
très  nombreux  dans  celte  région,  et  la  marche  continua  comme  si  rien  ne  fût 
survenu. 

Le  Song-Thuong  traversé,  on  se  trouva  dans  un  pays  excessivement  couvert 
et  formant,  un  peu  en  avant,  un  étroit  défilé  dominé  à  gauche  par  des  ruchers, 
à  droite  par  des  collines  boisées.  A  l'entrée  de  ce  défilé,  les  hommes  de  l'ex- 
trême pointe  virent  venir  à  eux  un  parlementaire  chinois,  qui  nuuûfesta  le 


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[1884]  AU  TONKIN  013 

désir  d*étre  conduit  au  commandant  de  la  colonne.  Il  était  porteur  d'une 
lettre  disant  que  dans  le  camp  chinois  on  savait  très  bien  qu*un  traité  avait 
été  signé  à  Tien-Tsin ,  mais  qu'on  y  avait  encore  reçu  aucun  ordre  pour  l'éva- 
cuation de  Lang-Son.  L'ayant  remise  au  lieutenant-colonel  Dugenne,  il  de- 
manda à  ce  dernier  si  un  mandarin  pouvait  en  toute  sécurité  venir  s'en- 
tendre avec  lui,  et,  sur  la  réponse  aflirmative  qui  lui  fut  faite,  il  se  relira. 

Un  instant  après,  le  mandarin  annoncé  arriva,  et  eut  avec  le  lieutenant- 
colonel  une  assez  longue  conférence  à  la  fin  de  laquelle  il  réclama  dix  jours 
pour  en  référer  à  Pékin.  Le  lieutenant-colonel  s*y  refusa  et  manifesta  le  désir 
de  parler  au  commandant  des  troupes  chinoises.  Le  mandarin  partit  pour 
aller  informer  celui-ci  et  revint  bientôt  avec  un  personnage  qui  se  donna 
comme  tel.  Mais  Téminent  généralissime  refusa  de  franchir  la  ligne  des  avant- 
postes,  prétextant  qu'il  était  suffisamment  éloigné  de  son  camp.  L'interven- 
tion du  commandant  Crétin,  chef  d'état -major,  n'étant  parvenu  à  ébranler 
cette  résolution,  les  négociations  en  restèrent  là,  et  le  lieutenant- colonel 
Dugenne  déclara  qu'il  s'arrêtait  à  cause  de  la  chaleur,  mais  qu'à  quatre  heures 
du  soir  il  reprendrait  son  mouvement. 

A  quatre  heures,  la  marche  reprit  en  eflfet;  mais  pendant  cet  arrêt  les  Chinois 
avaient  pris  toutes  leurs  dispositions  pour  barrer  le  défilé  :  aux  premiers  pas 
qu'elle  voulut  faire,  notre  petite  troupe  fut  assaillie  par  une  fusillade  meur- 
trière exécutée  par  des  tireurs  invisibles,  dissimulés  dans  les  hautes  herbes 
et  dans  les  rochers.  Bientôt  il  fut  évident  que  le  courage  lui-même  ne  pourrait 
rien  contre  cette  situation ,  et  le  colonel  rassembla  son  monde  sur  un  petit 
mamelon  à  droite  de  la  route,  décidé  à  attendre  dans  une  défensive  prudente 
que  les  nouvelles  dispositions  des  Chinois  lui  permissent  de  prendre  une  dé- 
termination. La  nuit  se  passa  ainsi,  dans  cet  étroit  espace  où  les  balles  plcu- 
vaient  do  toutes  parts.  Le  Icndomain,  le  feu  redoubla  d'intensité;  en  mémo 
temps,  l'ennemi  commença  à  dessiner  un  mouvement  tournant.  11  n'y  avait 
pas  un  instant  à  perdre  pour  le  devancer  au  passage  de  la  rivière.  Le  colonel 
Dugenne  en  prit  son  parti;  après  avoir  consulté  les  officiers  les  plus  élevés 
en  grade ,  il  se  décida  à  la  retraite.  Vers  neuf  heures  du  matin ,  il  fit  charger 
ses  blessés  et  se  retira  lentement,  en  bon  ordre,  sur  une  bonne  position  do- 
minant le  village  de  Bac-Lé.  C'était  là  qu'il  attendait  maintenant  les  secours 
que  lui  avait  annoncés  le  général  en  chef.  Ses  pertes  s'élevaient  à  soixante- 
dix-neuf  hommes  hors  de  combat,  soit  deux  officiers  et  vingt-huit  hommes 
tués ,  et  quatre  officiers  et  quarante-sept  hommes  blessés. 

Le  27,  les  ordres  du  général  de  Négrier  reçurent  leur  exécution;  les  trois 
compagnies  du  bataillon  Béranger,  deux  autres  du  143*  et  le  convoi  quittèrent 
Cau-Son  à  cinq  heures  et  demie  du  matin  pour  se  diriger  sur  Bac- Lé.  Le  gé- 
néral s'y  rendait  lui-même;  mais,  ayant  pris  les  devants  avec  une  escorte  de 
quelques  chasseurs  d'Afrique,  le  commandement  efTectif  do  la  colonne  resta 
au  commandant  Déranger.  La  route  était  des  plus  mauvaises;  depuis  le  pas- 
sage de  la  colonne  Dugenne  des  crues  étaient  arrivées  et  avaient  emporté  les 
ponts,  de  sorte  que  tous  les  arroyos  durent  être  traversés  à  gué,  quelques- 
uns  avec  de  l'eau  jusqu'aux  aisselles.  Cette  opération ,  difficile  pour  tout  le 
monde,  le  fut  surtout  pour  le  convoi,  qui  en  éprouva  un  tel  retard,  qu'il  se 

33 


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St4  Lie  y^  UÉQIMISNT  ïiïù  TIKAIIXI^UUS  Al.GÉlUCNS  [t884| 

trouva  bioDlAl  séparé  des  autres  troupes  par  une  distance  considérable.  Ne 
croyant  pas  devoir  l'attendre,  le  commandant  Déranger  continua  sa  marche 
avec  trois  compagnies,  et  arriva  à  Bac-Lé  un  peu  avant  la  nuit,  après  une 
halte  de  six  heures  imposée  par  la  chaleur. 

Demeuré  avec  deux  compagnies  (une  du  143®  et  la  4*  du  1*''  bataillon  du 
3*  Tirailleurs),  cinquante  Tirailleurs  tonkinois  déserteurs  de  la  colonne  Du- 
genne  et  trois  cents  coolies  qui  n'auraient  pas  mieux  demandé  que  de  jeter 
leur  charge  pour  s'échapper,  le  capitaine  Massip  s*é(ait  arrêté  à  onze  heures. 
Au  moment  où  il  allait  se  remettre  en  route,  arriva,  allant  de  Bac-Lé  à  Cau- 
Soo ,  un  chasseur  d'Afrique  qui  prévint  qu'il  venait  d'essuyer  plusieurs  coups 
de  fusil,  et  qu'on  serait  probablement  attaqué  à  quelques  kilomètres  plus 
loin.  Toutes  les  précautions  furent  prises  pour  la  protection  du  convoi  :  l'a- 
vant-garde  fut  renforcée,  deux  sections  furent  déployées  sur  les  flancs  avec 
ordre  de  tirer  sur  les  coolies  qui  chercheraient  à  fuir;  l'arrière-garde,  fournie 
par  la  compagnie  du  143®,  fut  prévenue  d'avoir  à  serrer,  pour  être  prêle  au 
besoin  à  prendre  position  pour  contenir  l'ennemi;  enfîn  des  brancarts  furent 
hâtivement  fabriqués  avec  des  bambous  et  des  toiles  de  tentes,  pour  suppléer 
à  un  oubli  que  les  conditions  dans  lesquelles  on  était  parti  de  Hanoï  rendaient 
tout  naturel. 

Le  chasseur  d'Afrique  avait  dit  vrai  ;  à  peine  la  colonne  eut-elle  traversé  un 
petit  arroyo  qu'il  avait  signalé,  qu'elle  fut  assaillie  par  des  coups  de  feu  par- 
tant d'un  buis  bordant  la  route  à  deux  cents  pas  environ.  Après  quelques 
feux  de  salve  exécutés  pour  débusquer  les  tireurs  ennemis  qu'on  ne  voyait 
pas,  on  pressa  la  marche  pour  franchir  ce  mauvais  pas,  où  l'arrière -garde 
eut  un  tué  et  un  blessé.  Plusieurs  coolies  ayant  également  été  atteints,  il  en 
résulta  parmi  les  autres  un  véritable  désarroi.  EnBn  on  arriva  dans  une  petite 
plaine  marécageuse,  où,  le  feu  ayant  cessé,  l'ordre  put  ôlre  rétabli.  Mais  un 
peu  plus  loin  on  s'engagea  encore  dans  un  étroit  défilé,  et  la  fusillade  reprit 
avec  une  nouvelle  intensité.  Cette  fois  l'ennemi  occupait  les  deux  côtés  du  pas- 
sage, et  ses  coups  étaient  beaucoup  plus  meurtriers.  La  chaleur  avait  heureu- 
sement un  peu  diminué,  et  une  section  de  Tirailleurs,  commandée  par  l'ad- 
judant Iloussin  de  Saint-Laurent,  étant  parvenue,  malgré  les  hautes  herbes,  à 
gravir  un  mamelon  sur  la  gauche  de  la  route,  ses  feux  eurent  bientôt  délogé 
les  quelques  centaines  de  pirates  ou  de  Chinois  qui  cherchaient  à  nous  in- 
quiéter. Cependant  l'arrière-garde  avait  encore  eu  fort  à  soulTrir,  et  il  avait 
fallu  qu'une  autre  section  do  Tirailleurs  (sous-lieutenant  Uarier- Châtelain) 
vint,  pour  achever  de  la  dégager,  faire  serrer  ses  nombreux  traînards  et  en- 
lever ses  tués  et  ses  blessés. 

Il  était  six  heures;  on  était  encore  à  cinq  kilomètres  de  Bac- Lé;  la  route 
paraissait  devenir  de  plus  en  plus  ditllcile;  soldats  et  coolies  n'en  pouvaient 
plus;  il  ne  fallait  pas  compter  arriver  avant  la  nuit;  on  pouvait,  par  l'obscu- 
rité, être  attaqué  dans  des  conditions  encore  plus  défectueuses  que  les  deux, 
premières  fois;  le  capitaine  Massip  prit  le  parti  de  s'arrêter,  de  masser  son 
détachement  sur  une  bonne  position  et  de  faire  prévenir  le  général  de  Négrier 
de  ce  qui  était  arrivé.  Ces  dispositions  prises,  il  allait  en  eflct  envoyer  un 
courrier  à  Bac-Lé,  lorsque  arrivèrent  une  compagnie  d'infanterie  de  marine  et 


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[1884]  AU  TONKIN  S15 

un  peloton  de  Tirailleurs  tonkinois  que  le  général  lui-même,  inquiet  sur  le 
sort  du  convoi ,  avait  fait  partir  aussitôt  qu*il  avait  vu  que  ce  dernier  n'arri- 
vait pas  avec  la  colonne  Béranger.  Dans  la  nuit,  trois  hommes  du  143<^  mou- 
rurent d^insolalion  ;  deux  autres  avaient  été  tués,  quatre  étaient  blessés.  A 
ces  perles  s'ajoutaient  deux  Tirailleurs  tonkinois  et  environ  dix  coolies  blessés. 
Le  28,  la  capitaine  Massip  reçut  du  général  de  Négrier  l'ordre  de  faire  la 
remise  du  convoi  à  la  compagnie  du  143®,  qui  le  reconduirait  à  Gau-Son,  et 
d'occuper  avec  sa  compagnie  et  la  l***  (capitaine  Rathelot)  du  même  bataillon, 
partie  le  malin  même  de  Bac-Lé,  les  positions  d'où  les  Chinois  ou  les  pirates 
Tavaient  attaqué  la  veille,  afin  d'empêcher  celte  attaque  de  se  renouveler 
le  lendemain  au  moment  du  retour  de  la  colonne.  A  la  sortie  du  défilé,  la 
4^^  compagnie  eut  encore  à  essuyer  plusieurs  coups  de  fusil  qui  lui  coûtèrent 
deux  blesses;  puis  rcnncnii  finit  par  se  rclirer,  cl  la  journée  s'écoula  sans  que 
nos  poslcs  fussent  inquiélés;  heureusement,  car  la  chaleur  était  devenue  tel- 
lement suflbcante,  par  suite  de  l'approche  d'un  orage  qui  éclata  dans  la  nuit, 
que  la  moitié  des  hommes  eussent  été  incapables  de  défendre  le  peu  de  vie  qui 
leur  restait. 

Après  avoir  vu  de  près  la  situation,  telle  qu'elle  résultait  de  l'incident  sur^ 
venu  à  la  colonne  Dugenne,  de  l'attitude  agressive  des  Chinois  et  des  difficul- 
tés qu'opposaient  le  pays  et  la  saison,  le  général  de  Négrier,  qui  avait  eu  un 
instant  la  pensée  de  venger  sur  l'heure  l'insulte  qui  venait  d'être  faite  à  nos 
armes  et  à  notre  diplomatie,  se  décida  pour  le  moment  à  abandonner  l'idée 
d'une  marche  sur  Lang-Son;  il  obéissait  du  reste  en  cela  aux  instructions  du 
général  en  chef,  qui,  persuadé  qu'il  n'y  avait  qu'un  malentendu,  ne  voulait 
rien  brusquer  avant  d'avoir  reçu  des  ordres  du  gouvernement.  En  consé- 
quence, il  fut  décidé  que  les  troupes  rentreraient  dans  leurs  garnisons.  Le 
20  juin ,  la  colonne  Dugenne  et  toutes  les  compognics  qui  s'étaient  portées  à 
son  secours  revinrent  &  Cau-Son  sans  avoir,  grêco  aux  précautions  prises, 
&  essuyer  un  seul  coup  de  fusil.  Le  3  juillet,  ce  dernier  point  fut  abandonné 
à  son  lour.  Le  4 ,  on  coucha  à  Dong-Nham ,  près  de  Phu-Lang-Thuong;  enfin, 
le  5 ,  on  alteignil  ce  poste ,  où  tous  les  moyens  de  transport  dont  disposait  la 
flottille  avaient  été  réunis.  Le  même  jour,  le  bataillon  Béranger,  maintenant 
au  complet,  la  3*  compagnie  ayant  rallié  les  autres  à  leur  passage  à  Kep,  où 
elle  était  depuis  le  28,  fut  embarqué  sur  des  jonques  remorquées  par  des 
canonnières,  et  rentra  à  Hanoi  le  6  à  midi.  Très  éprouvé  par  les  fatigues  qu'il 
venait  de  supporter,  il  ramenait  un  nombre  considérable  de  malades  (dysen- 
tériques et  fiévreux),  dont  seize  allaient  décéder  en  moins  de  quinse  jours, 
et  dont  beaucoup  allaient  être  obligés  de  quitter  le  Tonkin  devant  l'impossibilité 
d'y  rétablir  leur  santé. 

Quoique  loin  du  théâtre  de  ces  événements,  étant  à  Sontay,  le  3*  bataillon 
du  régiment  avait  aussi  été  appelé  à  marcher  en  partie  pour  se  porter  vers  le 
point  où  l'on  supposait  qu'allait  de  nouveau  se  faire  entendre  le  canon.  Le 
26  juin,  le  commandant  de  Mibielle  s'était  embarqué  pour  Hanoï  avec  les 
Iro  et  40  compagnies.  Le  lendemain ,  ce  détachement  s'était  mis  en  route  pour 
Uac-Ninh,  où  il  était  arrivé  le  29.  Il  séjourna  dans  cette  place  jusqu'au  7  juil- 
let, puis  il  se  rendit  à  Phu-Lang-Thuong,  où  il  devait  tenir  garnison  jusqu'à 


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516  LE  3"*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  AU  TONKIN        (1884] 

lû  reprise  des  opérattoos.  Los  deux  autres  compagnies  du  uiôino  buloilloo 
allaient,  de  leur  côté,  rester  à  Sontay  jusqu^à  la  môme  é|K)que.  Elles  dc- 
yaient,  sous  la  direction  du  capitaine  Polère,  exécuter  plusieurs  sorties  contre 
les  pirates,  mais  aucune  de  ces  sorties  n'allait  amener  de  combat  sérieux. 

Deux  mois  après  l'incident  de  Bac-Lé,  le  général  Millot  était  rappelé  en 
France.  Son  dernier  acte  avait  été  une  intervention  à  Hué  pour  le  remplace- 
ment du  roi  Kien-Phuoc,  mort  prématurément,  probablement  empoisonné 
par  les  régents.  La  présence  du  colonel  Guerrier,  chef  d*état- major,  avec  un 
bataillon  d'infanterie  et  une  batterie  d'artillerie,  et  l'envoi  d'un  ultimatum  au 
premier  régent  Nguyen-Van-Tuong,  firent  cesser  les  difficultés  qui  s'étaient 
d'abord  élevées  entre  notre  résident  et  le  conseil  de  régence,  et,  le  17  août, 
l'autorité  du  nouveau  souverain  Ung-Lich ,  enfant  à  peine  figé  de  quatorze  ans 
et  frère  dti  monarque  défunt,  fut  officiellement  proclamée  par  le  représentant 
du  gouvernement  de  la  Républii|ue. 

Au  départ  du  général  Millot,  le  8  septembre,  le  commandement  en  chef 
passa  par  intérim  entre  les  mains  du  général  Brière  de  l'isle,  le  plus  ancien 
des  deux  généraux  de  brigade.  Quelque  temps  après,  cette  décision  provisoire 
devint  définitive,  et  l'ancien  commandant  de  la  1''*  brigade  fut  muni  de  tous 
les  pouvoirs  militaires  et  politiques  qui  avaient  été  dévolus  au  successeur  de 
l'amiral  Courbet. 


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CHAPITRE  X 


(  1K$'|).  Suilc8  de  l'incident  de  Bac-Lé.  —  Situation  des  deux  bataillons  du  3*  Tirailleurs 
na  moment  de  la  reprise  des  opérations.  —  Sortie  de  la  garnison  de  Phu-LAng-Thuong. 
—  Les  Cliinois  se  disposent  h  envahir  le  Delta  :  ils  s*établissent  i  Kcp  et  dans  la 
vallée  du  Loch-Nan.  —  Dispositions  prises  pour  les  repousser.  —  Opérations  du  3*  ba- 
taillon dn  régiment.  —  Combat  de  Chu  (10  octobre).  —  Retour  du  bataillon  à  Phu- 
L'inR-Tliuoni;;  il  est  rappelé  \  Gliu.  —  (18A5)  Combat  de  NuI-Dop(3  et  H  Janvier).— 
Préparatifs  de  rcxpédltion  do  Lang-Son  :  constitution  de  la  colonne.  —  Prise  dn  camp 
retranché  do  Dong-Son  {h,  5  et  6  février).  —  Combat  de  ISac-Viay  (It  février ).  —  Oc- 
cupation de  Lang-Son  et  de  Ri-Lua  (18  février). 


Il  n'y  avait  pas  à  en  douter,  la  violation  du  traité  de  Tien-Tsin  était  la  guerre 
avec  la  Chine;  pour  être  acceptable,  la  paix  exigeait  maintenant  do  noufellea 
garanties,  et  l'on  ne  se  dissimulait  pas  que  la  cour  de  Pékin,  aux  ordres  de 
laquelle  avait  dd  certainement  obéir  le  commandant  militaire  de  Lang-Son,  se 
refuserait  à  nous  accorder  les  satisfactions  que  notre  dignité  nous  forçait  d'exiger. 
On  sentait  évidemment  que  le  parti  de  la  résistance  atait  repris  la  direction 
des  aflaires ,  et  que  c'était  pour  rouvrir  les  hostilités  qu'il  avait  provoqué  l'in- 
cident que  l'on  ne  désignait  plus  que  sous  le  nom  de  guet-apens  de  Bac-Lé. 

Quoi  qu'il  en  f(it,  aussi  bien  à  Paris  qu*au  Tonkin,  on  était  dans  l'attente 
de  graves  événements;  on  saxait  que,  malgré  ses  protestations,  la  Chine  fai- 
sait envahir  la  province  de  Lang-Son  par  des  forces  considérables;  que  Luu- 
Yinh-Phuoc  se  préparait  &  reprendre  la  campagne  avec  les  secours  qui  lui  ar- 
rivaient chaque  jour  du  Yunnan  ;  que  la  cour  de  Hué  travaillait  sourdement  à 
susciter  de  nouveaux  troubles  partout  où  son  influence  pouvait  parvenir;  bref, 
que  tout  f c  que  nous  avions  d*cnncmis  se  disposait  à  recommencer  la  lutte  pour 
nous  chasser  du  territoire  de  notre  conquête.  Pendant  ce  temps,  la  diplomatie 
poursuivait  son  œuvre  avec  autant  de  lenteur  que  d*insuccèa;  bientôt,  devant 
le  mauvais  vouloir  du  gouvernement  chinois ,  elle  dut  même  renoncer  à  éta- 
blir les  bases  d'un  accommodement,  et,  le  23  août,  l'orage  qu'elle  avait  tenu 
en  suspens  éclata  tout  à  coup.  L'amiral  Courbet,  qui  avait  habilement  profité 
de  la  longueur  des  négociations  pour  pénétrer  hardiment  dans  la  rivière  Min, 


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St8  IM  3^  nÉOlMKNT  OK  TIHAlU.RUnS  AI.OÈUIENS  [188^1 

détruisit  co  jour-là  touto  la  flotte  chinoise  mouillée  dans  le  port  de  Fou-Tcheou. 
Le  lendemain,  il  bombarda  l'arsenal  de  cette  ville;  les  25,  26,  27  et  28,  il 
bouleversa  les  fortifications  des  passes  Mingan  et  Kimpa!  ;  enfin ,  le  29 ,  il  sortit 
victorieux,  ayant  infligé  aux  Chinois  des  pertes  s'élevant  à  environ  deux  mille 
hommes  et  à  vingt-cinq  à  trente  millions  de  francs.  Il  allait  maintenant  se 
diriger  sur  Formose  pour  s*emparer  de  Kelung  et  de  Tamsui. 

AuTonkin,  les  opérations  commencèrent  beaucoup  plus  tard;  non  cepen- 
dant que  nous  ne  fussions  prêts  à  marcher,  mais  parce  que  la  chaleur  s'op- 
posait encore  aux  grands  mouvements  de  troupes.  Le  corps  eipédilionnaire 
était  d'ailleurs  considérahloineiit  afluibli  par  les  maladies ,  et  il  fallait  attendre 
que  le  retour  de  la  bonne  saison  vînt  relever  un  peu  les  efleclifs.  Il  entrait  si 
peu  dans  la  pensée  du  général  en  chef  que  l'ennemi  pût  jamais  nous  prévenir 
dans  la  reprise  de  la  campagne,  qu'il  ne  voulait  rien  entreprendre  avant  de 
s'être  assuré,  par  tous  les  moyens  possibles,  la  certitude  du  succès. 

Le  1^'  bataillon  du  régiment  (commandant  Déranger)  n*avait  pas  quiUc 
Uano!  depuis  son  retour  de  Bac-Lé.  Il  avait  été,  nous  l'avons  vu,  très  éprouvé 
par  cette  opération  exécutée  au  cœur  de  l'été;  mais  son  état  sanitaire  s'amé- 
liorait peu  à  peu,  et  son  moral,  en  tout  cas,  restait  excellent.  De  nombreuses 
mutations  étaient  survenues  parmi  les  officiers.  Par  un  décret  du  28  avril ,  le 
sous-lieutenant  Thierry,  de  la  1*^  compagnie,  avait  été  nommé  lieutenant  au 
23«  do  ligne  et  remplacé  par  M.  Behr,  venant  des  adjudants  du  !•>'  Tirailleurs. 
A  la  date  du  26  mai,  les  sous -lieutenants  indigènes  Mohamed- bon -Saîd,  de 
la  2<*  compagnie,  et  Mohamed-ben-Belkassem,  de  la  1*^,  avaient  également 
été  promus  au  grade  supérieur  dans  le  corps,  et  les  sergents  Abdallah -ben- 
Belkassem  et  Ahmed-ou-Kassi  leur  avaient  succédé  comme  sous- lieutenants. 
Le  12  juillet,  le  lieutenant  Beynet,  de  la  4®  compagnie,  était  passé  capitaine 
à  la  l^on  étrangère;  enfin,  le  30  septembre,  le  lieutenant  Orlanducci,  de 
la  3*,  était  décédé  à  l'hôpital  de  Hanoi.  Ces  deux  dernières  vacances  furent 
remplies I  la  première  par  M.  Martin,  venant  des  sous- lieutenants  de  la 
légion  étrangère,  la  seconde  par  M.  Vidal,  venant  avec  son  grade  du  23*  de 
ligne. 

Le  25  septembre,  arrivèrent  à  Hanoï  quatre  cents  hommes  de  renfort  en- 
voyés d'Algérie,  et  provenant  en  grande  partie  du  l^^  Tirailleurs.  Deux  cents 
étaient  destinés  au  bataillon  Déranger  et  deux  cents  au  bataillon  de  Mibielle. 
Avec  eux  se  trouvaient  quatre  ofliciers  du  régiment  :  le  capitaine  de  la  Geueste, 
désigné  pour  remplacer,  à  la  tête  de  la  2*  compagnie  du  1^^  bataillon,  le  ca- 
pitaine Noirot,  rentré  à  Constantine;  le  capitaine  adjudant- major  Bastide;  le 
lieutenant  Salah-ben-Ferkadadji,  blessé  à  Sontay,  parti  en  convalescence  et 
rentrant  à  sa  compagnie;  et,  pour  remplir  la  première  vacance  qui  se  produi- 
rait, le  sous-lieutenant  Mansourben-Brahim. 

Le  3*  bataillon  (commandant  de  Mibielle)  avait  toujours  deux  compagnies 
(lr«  et  4*)  à  Phu-Lang-Thuong  et 'deux  autres  à  Sontay.  Son  corps  d'olGcicrs 
avait  également  subi  quelques  changements.  Le  25  mai ,  le  lieutenant  liante, 
de  la  3*  compagnie,  avait  été  nommé  capitaine  au  lil*  de  ligne,  et  c'était 
M.  Berge,  venant  des  sous-lieutenants  du  143*  de  ligne,  qui  l'avait  remplacé. 
Le  12  juillet,  le  lieutenant  Valet,  de  la  Ir*  compagnie,  avait  été  l'objet  de  la 


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[188M  AU  TONKIN  S19 

môme  promotion  ot  avait  été  maintenu  aa  corps  en  remplacement  du  capitaine 
Lochert,  de  la  4®  compagnie ,  passé  dans  Tinfanterie  de  marine. 

Le  18  septembre,  la  garnison  de  Phu-Lang-Thuong  se  signala  par  un  joli 
coup  de  main  qui  devait  être  le  prélude  des  nombreux  combats  dont  cette  ré- 
gion allait  bientôt  être  le  théâtre. 

Depuis  quelque  temps  ^  les  environs  de  ce  poste  étaient  dévastés  par  les 
bandes  d*un  certain  chef  indigène  désigné  sous  le  nom  de  CanKinh ,  espèce  de 
roi  de  montagne  autour  duquel  s'étaient  groupés  les  rebelles  des  provinces  de 
Bac-Ninh,  de  Thaî-Nguyen  et  de  Lang-Son,  des  déserteurs,  des  aventuriers 
et  des  bandits  chinois.  Ce  personnage  faisait  la  guerre  pour  son  propre  compte 
on  venant  piller  les  villages  de  la  plaine  et  en  se  faisant  le  pourvoyeur  de 
Tarméo  chinoise  de  Lang-Son.  Il  avait  ainsi  mis  en  coupe  réglée  tout  le  pays 
compris  entre  le  Loch-Nan  et  le  Song-Thuong.  Ses  exactions  étaient  favorisées 
par  ses  propres  victimes,  qui,  terrifiées  par  la  crainte,  préféraient  les  subir 
plutôt  que  de  réclamer  notre  protection  et  nous  avertir  de  l'approche  de  ses 
partisans. 

Enfin  Toccasion  que  les  Annamites  ne  voulaient  pas  faire  naître  se  pré- 
senta d'elle-même,  le  18  septembre,  par  suite  de  la  recrudescence  d'audace 
(les  pirntos,  qui  ne  craignirent  pas  de  venir  incendier  le  village  de  Dong-Nhan, 
à  quelques  kilomètres  seulement  de  Phu-Lang-Thuong.  C'était  le  matin;  les 
deux  compognies  de  Tirailleurs  étaient  prêtes  à  partir  pour  une  marche  mili- 
taire; le  commandant  de  Mibielle  leur  en  adjoignit  une  autre  du  2*  bataillon 
d'Afrique  (capitaine  Dominé)  et  les  envoya  aussitôt,  sous  les  ordres  du  capi- 
taine Mercier,  au  secours  du  village  attaqué.  Favorisé  par  une  brume  épaisse, 
le  détachement  put  s'approcher  sans  être  aperçu.  A  douze  cents  mètres  de 
Dong-Nhan,  la  compagnie  du  2*  bataillon  d'Afrique  fut  détachée  vers  l'ouest 
pour  tourner  le  village,  et  un  peloton  do  la  4^  compagnie  de  Tirailleurs  se 
porta  vers  l'est,  afin  de  déborder  celui-ci  à  grande  distance  et  de  battre  la 
route  de  Lang-Son.  Cette  manœuvre  réussit  pleinement  :  lorsque  les  postes 
d'observation  de  l'ennemi  donnèrent  l'alarme,  le  village  était  déjà  presque 
cerné;  la  bande  qui  le  pillait  prit  immédiatement  la  fuite;  mais,  malgré  la 
diligence  qu'elle  mit  à  se  soustraire  à  nos  feux,  elle  n'en  laissa  pas  moins 
quarante-deux  morts  sur  le  terrain,  c'est-à-dire  environ  le  dixième  de  son 
encclif. 

A  la  suite  ih  ce  combat  et  en  prévision  de  nouvelles  tentatives  du  Caî-Kinh, 
le  général  en  chef  ordonna  la  concentration  du  bataillon  à  Phu-Lang'Thuong. 
A  cet  elTet,  les  2^  et  3«  compagnies  quittèrent  respectivement  Sontay  les  23 
et  29  septembre  et  rejoignirent  l'état- major  et  les  l^  et  4*  le  27  septembre 
et  le  4  octobre. 

Cependant  la  présence  des  réguliers  chinois  commençait  à  être  signalée 
dans  la  vallée  du  Loch-Nan,  au  débouché  des  routes  du  Déo-Van  et  du  Déo- 
Quan  *  ;  une  avant -garde  s'était  même  avancée  jusqu'à  Chu ,  où,  d'après  nos 
émissaires,  elle  travaillait  activement  à  la  construction  de  nombreux  retran- 

<  Noms  de  deux  cols  permettant  de  franchir  la  chaîne  de  montagnes  qoi  s'étend  au 

sud  de  Lang-Son. 


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520  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEUnS  ALGÉRIENS  [  18841 

cliemonU.  Celle  invasion,  qui  coïncidait  avec  les  ravages  du  Cai-Kinh  ci  la 
maturité  des  ris,  imposait  Tobligation  de  commencer  immédiatement  les  opé- 
rations, si  l'on  ne  voulait  pas  voir  passer  à  l'ennemi  toute  la  récolte  de  la 
riche  plaine  siluée  au  nord  de  Phu-Lang-Thuong.  La  saison  étant  encore  très 
chaude,  il  fut  décidé  qu'on  se  bornerait  d'abord  à  une  petite  expédition  avec 
quelques  troupes  de  la  garnison  de  Bac-Ninh,  sous  les  ordres  du  lieutenant- 
colonel  Donnier.  Ces  troupes  devaient  remonter  le  Locli-Nun  jusqu'à  Chu ,  rc- 
Touler  les  bandes  de  Chinois,  de  pillards  et  de  rebelles  dans  les  montagnes, 
puis  marcher  sur  le  village  do  Bao-Loc,  situé  &  mi -distance  enlro  Chu  cl 
Phu-Lang-Thuong,  et  servant  d'entrepôt  au  Cal-Kinh.  Le  commandant  de 
Mibielle  devait  concourir  &  celle  dernière  partie  de  l'opération  avec  un  déta- 
chement de  son  bataillon. 

Mais  à  peine  ces  dispositions  sont-elles  arrêtées,  que  les  événements  se 
précipitent  avec  une  effrayante  rapidité  et  viennent  exiger  la  mise  en  mouve- 
ment do  presque  toutes  nos  troupes  disponibles.  Dans  les  derniers  jours  de 
septembre,  la  canonnière  stationnée  sur  le  haut  Loch -Non  apprend  que  ce 
n'est  pas  une  simple  avant-garde,  mais  bien  une  notable  partie  do  l'armée 
chinoise  qui  est  établie  à  Chu.  Le  l***  octobre,  le  commandant  de  Mibielle 
acquiert  la  certitude  que  deux  mille  hommes  de  cette  armée  sont  arrivés  à 
Kep  deux  jours  auparavant  et  s'y  Tortifient.  Le  2,  les  canonnières  la  Hache, 
la  Massue  et  le  Mousqueton,  en  reconnaissance  sur  le  Loch-Nan,  sont  attaquées 
\mT  dos  forces  considérables,  et,  oprès  avoir  perdu  une  purlio  do  leurs  é(|ui- 
pages,  80  voient  obligées  do  se  retirer,  laissant  la  victoire  aux  Chinois ,  dont 
l'audace  se  trouve  ainsi  subitement  exaltée. 

La  petite  colonne  du  lieutenant-colonel  Donnier,  embarquée  sur  des  jonques 
à  Dap-Cau,  venait  d'arriver  &  rentrée  du  Loch-Nan  lorsqu'elle  apprit  ce  der- 
nier incident.  Considérant  la  situation  comme  prorondémcnt  modifiée,  son 
chef  ne  voulut  pas  l'engager  plus  avant,  et  tout  se  trouva  suspendu  jusqu'à  la 
réception  des  nouvelles  instructions  demandées  au  quartier  général. 

Dès  qu'il  fut  informé  de  ce  qui  se  passait  sur  le  Loch-Nan ,  le  général  en 
chef  dirigea  sur  Phu-Lang-Thuong  le  bataillon  du  23<^  et  celui  du  111«  de  ligne 
en  garnison  &  Ilano!.  En  môme  temps  le  général  de  Négrier  partait  pour  aller 
prendre  la  direction  des  opérations.  Son  plan  fut  rapidement  arrêté;  il  con- 
sistait à  marcher  simultanément  sur  Kep  et  sur  Chu  pour  en  chasser  les  Chi- 
nois, et  accessoirement  à  battre  la  plaine  de  Phu-Lang-Thuong  pour  la  dé- 
barrasser des  pirates  qui  la  dévastaient.  Trois  colonnes  devaient  concourir 
à  son  exécution  :  celle  du  lieutenant-colonel  Donnier,  forte  de  quatre  compa- 
gnies et  demie  d'infanterie  (deux  de  la  légion  étrangère  et  deux  et  demie 
du  143*),  de  deux  pièces  de  80  de  montagne  et  d'une  section  de  Tirailleurs 
tonkinois;  une  autre  formée  avec  le  bataillon  du  23«,  celui  du  111*,  une  com- 
pagnie et  demie  du  143<»,  huit  ou  dix  pièces  d'artillerie  de  montagne,  et  com- 
mandée par  le  lieu  tenant -colonel  Defoy,  du  143<^;  enfin,  sous  les  ordres  du 
commandant  de  Mibielle,  une  dernière  comprenant  le  3*  bataillon  du  régi- 
ment, un  peloton  de  Tirailleurs  tonkinois  et  une  batterie  d'artillerie.  La  co- 
lonne Donnier  devait  remonter  le  Loch-Nan  sur  des  embarcations  protégées 
par  des  canonnières,  enlever  Chu,  et,  en  cas  de  succès  facile,  poursuivre  les 


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[188*]  AU  TONKIN  821 

Chinois  dans  la  montagne  et  se  rabattre  sar  Kep  pour  y  faire  sa  jonction  avec 
les  deux  autres,  qui  s'y  seraient  probablement  déjà  réunies.  Si  la  résistance 
dans  la  vallée  du  Loch-Nan  était  plus  sérieuse  qu*on  avait  lieu  de  le  supposer, 
elle  devait  appeler  &  elle  la  colonne  de  Mibiclle,  qui  avait  pour  mission  do  se 
porter  entre  Phu-Lang-Thuong  et  Chu ,  et  de  marcher  sur  ce  dernier  point  ou 
sur  Kep,  suivant  los  événements  qui  se  produiraient  au  cours  de  ses  opéra- 
tions. Quant  à  la  colonne  Defoy,  son  objectif  était  Kep. 

Le  6  octobre,  la  colonne  Donnier  se  disposa  &  remonter  le  Loch-Nan;  mais, 
arrivé  à  Lam,  à  six  kilomètres  de  Chu,  le  manque  d*eau  Tobligea  &  effectuer 
son  débarquement.  Celui-ci  eut  lieu  sur  un  terrain  mamelonné,  couvert  de 
hautes  herbes  et  légèrement  resserré  par  un  coude  de  la  rivière;  il  commença 
par  les  Tirailleurs  tonkinois  et  se  continua  par  la  légion  étrangère.  Mais  à 
peine  les  Tonkinois  eurent-ils  occupé  le  premier  mamelon,  qu'ils  furent  as- 
saillis par  des  masses  considérables  de  réguliers  chinois  et  ramenés  en  dés- 
ordre sur  la  légion  étrangère,  dont  la  seule  compagnie  en  état  de  se  déployer 
se  porla  aussitôt  en  avant.  Le  combat  se  trouva  ainsi  subitement  engagé, 
et  de  la  fnçon  la  plus  désavantageuse  pour  nous.  Enfin,  grâce  à  l'attitude 
énergique  de  la  compagnie  de  la  légion  étrangère,  vigoureusement  enlevée 
par  son  chef  le  capifaine  Beynet*,  qui  rencontra  là  une  des  morts  les  plus 
glorieuses  de  la  campagne,  le  débarquement  put  se  terminer,  et  les  Chinois 
furent  complètement  repoussés.  Toutefois  ils  avaient  montré  une  ténacité  à 
laquelle  on  était  loin  de  s'attendre  de  leur  part  :  on  les  avait  vus,  chose  sans 
précédent,  charger  &  la  baïonnette  et  combattre  à  moins  de  dix  pas. 

Le  môme  jour,  la  colonne  de  Mibielle  avait  quitté  Phu-Lang-Thuong  à  six 
heures  du  malin,  pour  s'engager  dans  un  pays  encore  à  peu  près  inconnu, 
où  elle  alluit  avoir  à  se  diriger  sans  carte,  avec  les  seuls  renseignements  sou- 
vent bien  incomplets  puisés  Rupr^s  dos  indigènes.  Elle  n'avait  pu  se  procurer 
des  coolies,  et  les  orficiors  avaient  été  obligés  do  so  charger  eux-mêmes  do  lour 
mince  hagngc,  qui  se  trouvait  ainsi  réduit  à  sa  plus  simple  expression.  La 
roule  était  mauvaise,  la  chaleur  accablante;  pas  de  brancards  pour  porter  les 
malades,  pas  la  possibilité  seulement  de  les  alléger  de  leur  sac;  aussi  cette 
première  étape  allait-elle  être  marquée  par  des  difficultés  inouïes.  A  midi,  il 
fallut  s'arrêter  au  village  de  Quan-Lam,  envoyer  chercher  les  hommes  tombés 
d'insolation ,  et  attendre  que  la  chaleur  eût  un  peu  diminué.  On  se  remit  en 
roule  à  cinq  heures  du  soir,  et  vers  deux  heures  du  matin  on  arriva  au  village 
de  llaû-Phu,  but  de  la  marche  de  la  veille.  On  avait  fait  vingt-deux  kilo- 
mètres. 

Au  jour,  les  Tonkinois  de  Tavant-garde  et  les  habitants  signalèrent  un  groupe 
de  quatre  cents  Chinois  se  dirigeant  de  Bao-Loc  sur  Chu.  Malgré  la  fatigue,  le 
commandant  de  Mibielle  parlit  aussitôt  avec  les  i^  et  2*  compagnies  de  Ti- 
railleurs, olteignit  le  parti  ennemi,  et,  après  un  échange  do  quelques  coups 
de  fusil,  le  rejeta  moitié  sur  Chu,  moitié  sur  Bao-Loc.  Ayant  reçu  l'ordre  de 
ne  pas  pousser  trop  vigoureusement  les  bandes  qui  se  présenteraient  sur  son 

I  M.  ncynct,  on  se  1c  rappelle,  avait  fait,  comme  lieutenant,  la  première  partie  de 
1.1  campagne  au  4°'  bataillon  du  3«  Tirailleurs. 


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522  LK  3*  RÉOIMKNT  DE  TIRAILLEURS  ALOÊUIICNS  [l88'i  ] 

liane  gaucho,  ofin  quo  loa  fuyards  n'ollassonl  pus  trop  tût  donner  l'ulurnio  & 
Bao-Loc  et  à  Kep,  il  borna  là  sa  poursuite  et  rentra  à  llaû-IMiu.  Un  instant 
après  il  était  rejoint  par  un  émissaire  du  lieutenant-colonel  Donnier,  lui  ap- 
portant la  nouvelle  du  combat  de  Lam  et  la  demande  du  concours  de  sa  co- 
lonne pour  l'attaque  de  la  position  de  Chu.  Quelques  coolies  venaient  d'arriver 
de  Phu-Lang-ThuoDg  avec  des  brancards  d'ambulance;  on  put  enfin  faire 
porter  les  hommes  les  plus  malades,  et,  à  trois  heures  et  demie  du  soir,  la 
marche  reprit  pour  se  poursuivre  encore  pendant  toute  la  nuit.  Le  chemin 
était  devenu  un  étroit  sentier  où  les  mulets  de  l'artillerie,  très  faibles  et  très 
chargés,  s'abattaient  à  chaque  pas.  Le  lendemain,  ces  difficultés  se  compli- 
quèrent d'une  autre  qui  faillit  faire  perdre  un  temps  précieux  :  il  avait  été 
impossible  au  commandant  de  trouver  un  guide,  et  personne  parmi  les  habi- 
tants ne  pouvait  ou  ne  voulait  lui  donner  des  indications  sur  le  village  de  Lani. 
Enfin  un  Tirailleur  annamite,  servant  d'interprète,  lui  amena  un  indigène 
catholique  disant  connaître  l'endroit  où  se  trouvaient  les  bateaux  du  colonel. 
Cet  homme  disait  vrai;  à  quatre  heures  de  l'après-midi,  on  commença  ù 
apercevoir  des  soldats  français.  A  cinq  heures ,  l'avant-garde  atteignit  le  Loch- 
Nan  au  point  où  étaient  mouillées  les  canonnières.  Les  soldats  aperçus  étaient 
ceux  d'un  petit  détachement  de  la  légion  étrangère  chargé  de  la  garde  des 
vivres  de  la  colonne  Donnier,  dont  le  camp  se  voyait  à  cinq  kilomètres  envi- 
ron. Dans  cette  môme  journée,  le  général  de  Négrier  s'était  porté  sur  Kep 
avec  la  colonne  Defoy,  y  avait  attaqué  les  Chinois  et  les  en  avait  chassés, 
après  un  violent  combat  qui  leur  avait  coûté  six  cents  tués  et  un  nombre  con- 
sidérable de  blessés.  L&  avait  été  frappé  mortellement  le  capitaine  Planté, 
récemment  encore  lieutenant  au  3*  bataillon  du  régiment;  son  successeur,  le 
lieutenant  Berge,  officier  d'ordonnance  du  général  de  Négrier,  y  avait  été 
blessé  légèrement  aux  côtés  de  ce  dernier,  qui  avait  lui-même  été  assez  griève- 
ment atteint  pour  ne  pouvoir  espérer  de  remonter  à  cheval  avant  plus  d'un 
mois.  Mais  revenons  à  la  colonne  du  Loch-Nan. 

Après  avoir  chassé  les  Chinois  de  Lam,  le  colonel  Donnier  s*était  avancé 
dans  la  direction  de  Chu,  en  s'éclairant  soigneusement  pour  ne  pas  s'exposer 
à  un  échec  qui,  dans  l'état  où  en  étaient  les  choses,  aurait  gravement  com- 
promis la  situation.  Jugeant  bientôt  que  l'ennemi  était  trop  en  force  pour  être 
abordé  avec  seulement  quelques  compagnies,  il  s'était  alors  arrêté  sur  une 
bonne  position  afin  d'attendre  d*abord  la  colonne  de  Mibielle  et  enfin  le  géné- 
ral de  Négrier,  qui  lui  avait  promis  de  se  porter  &  son  secours  avec  une  partie 
de  la  colonne  Defoy,  aussitôt  que  les  Chinois  auraient  été  délogés  de  Kep.  Mais, 
sur  ces  entrefaites,  le  général  ayant  été  blessé,  il  avait  reçu  du  général  en 
chef  Tordre  de  le  remplacer  à  la  tête  des  troupes,  et  de  poursuivre  les  opéra- 
tions qu*il  avait  si  brillamment  commencées.  Dès  le  lendemain  du  combat  de 
Kep,  le  bataillon  du  111*,  une  batterie  d'artillerie  et  le  détachement  du  143* 
qui  se  trouvait  à  la  colonne  Defoy,  avaient  été  dirigés  sur  Phu-Lang-Thuong 
pour  s'y  embarquer;  de  sorte  qu'il  allait,  dans  quelques  jours,  disposer  de 
quatorze  compagnies  d'infanterie  et  d'à  peu  près  le  mémo  nombre  de  pièces 
de  canon. 

Le  8  au  soir,  la  colonne  de  Mibielle  avait  bivouaqué  près  du  mouillage  des 


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[188/|]  AU  TONKIN  523 

canonnières,  et,  le  9,  elle  était  à  son  tour  venue  s'établir  devant  la  position 
de  Chu.  Cette  dernière  était  constituée  par  une  succession  de  mamelons  d'iné- 
gale hauteur,  bordant  la  rive  droite  du  Loch-Nan  à  un  coude  que  fait  cette 
rivière  pour  se  rapprocher  de  la  chaîne  de  montagnes  qui  sépare  sa  vallée  do 
celle  du  Song-Thuong.  Presque  tous  ces  mamelons  avaient  été  couronnés  do 
Torts  reliés  ot  précédés  por  dos  tranchées-abris.  Cos  fortifications,  qui  se  com- 
posaient d'ouvrages  circulaires  ou  ovales  d'un  mince  relief  sans  défenses  acces- 
soires, étaient  pour  la  plupart  assez  défectueuses;  mais  l'attitude  des  Chinois 
à  Lam  faisait  supposer  qu^elles  seraient  énergiquement  défendues.  Nos  troupes 
s'étaient  déployées  sur  des  hauteurs  assez  élevées  situées  an  sud  de  ces  lignes, 
dont  elles  étaient  en  quelques  endroits  séparées  par  des  rizières  profondes 
battues  par  le  feu  des  tranchées.  A  Touest,  le  terrain  était  plat,  mais  maréca- 
geux, couvert  de  hautes  herbes,  et  par  suite  peu  propre  à  une  manœuvre 
tendant  à  inquiéter  la  droite  de  l'ennemi. 

Le  colonel  attendant,  pour  attaquer,  d'avoir  été  rejoint  par  les  renforts 
partis  de  Phu-Lang-Thuong,  le  10  rien  n'avait  été  prévu  pour  un  combat; 
on  se  disposait  seulement  &  compléter  la  reconnaissance  des  ouvrages  ennemis. 
A  cet  effet,  plusieurs  détachements  prirent  les  armes  à  cinq  heures  et  demie 
du  malin  et  furent  dirigés  :  un  premier,  comprenant  les  1*^  et  2«  compagnies 
du  bnlnillon  de  Tirailleurs  sous  les  ordres  du  commandant  do  Mibiolle,  vers 
la  droite  de  la  ligne  chinoise;  un  deuxième,  composé  d'uno  compagnie  do  la 
légion,  sur  le  centre;  enfin  un  troisième,  formé  d'une  compagnie  et  demie 
du  143",  sur  la  gauche. 

Avec  ses  deux  compagnies ,  le  commandant  de  Hibielle  s'avança  à  environ 
deux  kilomètres  du  camp;  il  constata  Texistence  de  nombreuses  tranchées- 
abris  sur  les  mamelons  précédant  lei  forts,  et  rentra  au  bivouac  sans  avoir 
eu  à  échanger  un  seul  coup  de  fusil. 

A  la  droite  et  au  centre,  il  n'en  avait  pas  été  ainsi;  sur  ces  deux  points,  la 
compagnie  de  la  légion  et  le  détachement  du  143«  s'étaient  subitement  trouvés 
engagés  à  courte  portée  contre  les  défenseurs  d'un  premier  mamelon  servant 
de  position  avancée.  Ce  mamelon  avait  été  rapidement  enlevé  par  le  détache- 
ment du  143®  ;  mais  celui-ci  ayant  ensuite  voulu  donner  l'assaut  &  une  seconde 
hauteur  couronnée  d*un  petit  bouquet  de  pins  et  flanquée  par  de  nombreuses 
Ironchées,  il  avait  soudain  été  assailli  par  une  fusillade  meurtrière,  qui  en 
quelques  minutes  lui  avait  mis  près  de  quatre-vingts  hommes  hors  do  combat. 
Le  capitaine  Cuvellier,  chef  d'état-major,  qui  accompagnait  cette  reconnais- 
sance, était  tué;  deux  autres  officiers  étaient  blessés.  Un  mouvement  de  recul 
succéda  alors  &  ce  violent  et  infructueux  effort,  et  le  premier  mamelon  dont 
le  détachement  du  143*  s'était  emparé  resta  un  moment  abandonné. 

Il  était  sept  heures  et  demie;  la  3*  compagnie  (capitaine  Polère)  du  batail- 
lon de  Mibielle,  qui  dès  le  début  de  l'action  s'était  portée  vers  la  droite,  reçut 
Tordre  de  s^engager  à  son  tour  pour  recueillir  les  débris  de  la  reconnaissance 
du  143<^  ;  elle  se  déploya  aussitôt;  mais ,  arrivée  sur  la  ligne  qu'elle  avait  mis- 
sion d'appuyer,  elle  n'y  trouva  qu'un  caporal  avec  son  escouade  :  le  reste, 
fort  éprouvé,  s'était  débandé  et  était  rentré  au  bivouac.  Gêné  dans  son  mou- 
vement en  avant  par  des  tirailleurs  chinois  qui  le  prenaient  de  flanc,  trop 


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524  LE  3^^  RÉGIMENT  OB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (1884] 

faible  d*aillourB  pour  ropronJro  ralUquo  c|iril  uo  voyait  niiiloiiioiil  préparùo 
par  Tartillerie,  le  capitaine  Polère  s^arréta  sur  le  premier  mamelon  conquis, 
et  8*y  établit  solidement  pour  résister  aux  retours  oflTensirs  que  semblait  devoir 
encourager  chez  nos  adversaires  cette  retraite  précipitée;  il  y  fut  bientôt  re- 
joint par  la  4*  compagnie  (capitaine  Valet),  qui,  avec  son  premier  peloton, 
forma  un  crochet  défensif  sur  la  droite,  pendant  que  ses  deux  autres  sections 
restaient  en  soutien.  Au  centre,  les  deux  compagnies  de  la  légion  étrangère 
prenaient  les  mêmes  dispositions,  et  s'apprêtaient  à  se  maintenir  sur  la  posi- 
tion dont  l'une  d'elles  avait  pris  possession  au  commencement  du  combat. 

L'insuccès  essuyé  par  le  détachement  du  143«,  —  insuccès  bien  naturel, 
puisque  ce  détachement  s'était  élancé  à  l'assaut  sans  se  sentir  appuyé  et  sans 
avoir  suflisamment  reconnu  les  abords  de  la  position ,  —  avait  laissé  dans 
l'esprit  du  lieutenant- colonel  Donnier  l'idée  d*une  énorme  supériorité  numé- 
rique chez  l'ennemi;  plus  que  jamais  porté  à  la  prudence  par  cette  supposi- 
tion, que  rendait  naturelle  l*opinifltrcté  avcic  laquelle  les  Chinois  s'étaient 
défendus,  il  n'avait  pas  cru  devoir  pousser  plus  loin  cette  tentative,  et  il  s'é- 
tait bientôt  décidé  pour  une  défense  passive,  en  attendant  l'arrivée  des  troupes 
de  la  colonne  Defoy.  En  conséquence,  les  compagnies  de  première  ligne  re- 
çurent l'ordre  de  se  borner  &  repousser  les  attaques  des  Chinois ,  et  rarlillerie 
commença  un  fou  lent,  autant  pour  contenir  ceux-ci  que  pour  rendre  inte- 
nables leurs  retranchements. 

Cette  attitude  ne  tarda  pas  à  enhardir  l'ennemi;  dans  l'après-midi,  il 
sortit  de  ses  tranchées  et  commença  à  dessiner  des  attaques  enveloppantes 
contre  nos  deux  ailes.  Pour  s'opposer  à  celle  dirigée  sur  notre  gauche,  la 
2*  compagnie  de  Tirailleurs  (capitaine  Chirouze)  se  porta  à  son  tour  en  avant 
et  vint  occuper  un  village  ruiné  à  cinq  cents  mètres  environ  au  sud-ouest  du 
mamelon  du  143*.  Des  quatre  compagnies  du  bataillon,  trois  se  trouvèrent 
alors  sur  la  ligne  de  combat;  la  1^  (lieutenant  Martineau*)  était  demeurée 
en  réserve;  ses  deux  pelotons  allaient  dans  la  soirée  être  employés  successive- 
ment à  escorter  à  Traî-Dam,  sur  le  Loch-Nan,  des  convois  de  blessés,  et  à 
ramener  des  vivres  au  camp. 

La  journée  s'écoula  ainsi  sans  qu'un  nouvel  effort  fût  tenté  sur  aucun  point, 
mais  sans  que  la  fusillade  discontinuât  entre  nos  tirailleurs  et  ceux  des  Chi- 
nois. Vers  quatre  heures,  ceux  de  ces  derniers  qui  s'étaient  avancés  contre  les 
extrémités  de  notre  ligne  rentrèrent  dans  leurs  retrancheiùonts.  Un  peu  aprèci, 
n'ayant  plus  rien  devont  elle,  la  compagnie  Chirouze  alla  relever  sur  le  ma- 
melon de  droite  la  compagnie  Polère  engagée  depuis  le  matin.  A  partir  de  ce 
momeot  le  feu  commença  &  faiblir,  pour  cesser  tout  à  fait  à  l'approche  de  la 
nuit.  Il  était  temps  :  encore  une  heure  de  cette  lutte,  et  nos  troupes  se  seraient 
trouvées  sans  munitions.  Des  embarcations  venaient  heureusement  d'en  dé- 
barquer à  Lam;  on  envoya  en  toute  hâte  un  convoi  pour  les  chercher,  et  le 
danger  dont  on  était  menacé  put  être  rapidement  conjuré. 

Le  lendemain,  on  observa  la  même  immobilité.  Pendant  la  nuit,  des  tran- 

1  1^ cipllaiiio  Camper,  comuiandint  cotte  compagnie ,  éUiil  resté,  Iris  malade,  à  Pliii- 
Lang-Thaong. 


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[1884]  AU  TONKIN  tS25 

chéfl  avaient  élé  creusées  sur  les  mamelons  les  plus  avancés,  et  nos  soldats 
étaient  maintenant  abrités  du  feu  des  Chinois,  qui  n*allail  d'ailleurs  pas  être 
bien  violent  dans  cette  journée.  Les  compagnies  du  bataillon  de  Tirailleurs 
avaient  conservé  leurs  mômes  emplacements.  A  cinq  heures  du  soir,  la  1*^  alla 
relever  la  4®  en  première  ligne,  et  la  réserve  se  trouva  alors  composée  des 
deux  qui  avaient  combattu  le  jour  précédent. 

Dans  la  nuit  du  11  au  12,  tous  les  forts  de  Chu  parurent  en  flammes.  Au 
jour,  on  ne  vit  d'autres  troupes  chinoises  qu'une  arrière-garde  campée  au 
sommet  d'une  hauteur  vers  le  nord  ;  l'ennemi  s^était  replié  sur  les  débouchés 
des  montagnes  pour  y  organiser  de  nouvelles  défenses,  nous  abandonnant 
ainsi  toute  la  plaine  et  tout  le  cours  moyen  du  Loch-Nan. 

Il  ne  restait  plus  qu'à  occuper  les  positions  abandonnées  :  c'est  ce  qu*on  fit 
dans  la  journée  qui  suivit;  toutefois  le  3*  bataillon  du  régiment  resta  bivoua- 
qué sur  les  mamelons  où  l'on  s'était  battu ,  pour  couvrir  la  droite  de  la  colonno 
et  assurer  les  communications  avec  Tral-Dam.  Le  10,  re  bataillon  avait  ou  vingt- 
quatre  hommes  hors  de  combat,  dont  trois  tués  et  vingt  et  un  blessés.  C'était 
la  première  lutte  sérieuse  à  laquelle  il  assistait  depuis  qu'il  était  au  Tonkin  ; 
mais,  comme  le  l'**  à  Sontay,  il  lui  avait  sufli  d*une  circonstance  pour  mettre 
en  évidence  ses  solides  qualités.  Aussi ,  de  ce  jour,  n*allait-il  cesser  d*ètre  em- 
ployé aux  missions  les  plus  difficiles,  aux  expéditions  les  plus  périlleuses,  et 
cela  sous  tous  les  généraux  qui  devaient  se  succéder  à  la  tète  du  corps  du 
Tonkin.  Ajoutons  que,  grâce  à  son  bon  esprit  et  à  son  entrain,  grâce  à  la 
vigueur  de  ses  officiers,  grâce  surtout  à  l'intelligence,  au  sang-frmd,  à  l'ex- 
périence et  à  Tactivité  de  son  chef  le  commandant  de  Mibielle,  il  allait  tou- 
jours justifier  hautement  cet  honneur. 

Les  Chinois  chassés  de  Kep  et  de  Chu,  ces  deux  points  solidement  occupés 
et  fortifiés  par  nous,  lo  Delta  était  définitivement  à  Tabri  d'une  invasion,  et 
le  général  en  chef  pouvait  enfin  reporter  tous  ses  soins  aux  préparatifs  de 
l'expédition  de  Lang-Son ,  couronnement  obligé  des  opérations  qui  nous  avaient 
rendus  maîtres  des  points  commandant  les  routes  des  vallées  du  Song-Thuong 
et  du  Loch-Nan.  Nous  ne  pouvions  du  reste  prétendre  avoir  vengé  le  guet- 
apens  du  23  juin  qu'après  nous  être  emparés  de  cette  place,  et  avoir  fait  re- 
passer la  frontière  à  l'armée  chinoise  du  Kouang-Si.  En  attendant,  les  troupes 
de  la  colonno  Donnier  allaient  jouir  d'un  repos  qu'elles  avaient  bien  mérité 
par  les  fatigues  et  les  privations  de  toute  sorte  qu'elles  venaient  de  supporter. 
Quelques  reconnaissances  dans  les  environs  de  Chu,  quelques  travaux  pour 
améliorer  les  fortifications  dans  lesquelles  elles  étaient  établies  :  tel  devait  être 
pour  elles  l'emploi  des  deux  mois  qui  allaient  s'écouler  avant  leur  participation 
à  de  nouveaux  combats. 

Mais  si  nos  succès  avaient  momentanément  arrêté  la  marche  des  Chinois, 
la  diminution  des  garnisons  de  nos  postes  de  l'intérieur  avait  permis  aux  pi- 
rates de  reprendre  le  cours  de  leurs  exploits,  et  sur  certains  points  de  semer 
une  véritable  terreur  parmi  les  populations  soumises  à  notre  administration. 
Une  des  régions  les  plus  malheureuses  à  cet  égard  était  toujours  celle  de  Phu- 
Lang-Thuong,  où  les  bandes  du  Caî-Kinh  et  d'autres,  qui  s*étaient  formées 
entre  le  Song-Cau  et  le  Song-Thuong,  continuaient  à  pilier  et  à  brûler.  Pour 


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526  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1884] 

y  rétablir  la  Bécurité,  le  commandanl  de  Mibielle  y  fut  rappelé,  le  10  no- 
vembre, avec  deux  compagnies  de  son  bataillon,  les  *i^  et  3<>.  Il  y  était  attendu 
par  les  deux  cents  bommes  qui  étaient  arrivés  à  Hanoï  à  la  fin  de  septembre 
et  qui,  n'ayant  pu  rejoindre  le  bataillon  pour  prendre  part  avec  lui  aux  opé- 
rations sur  le  Loch-Nan,  étaient  restés  au  petit  dépôt  que  celui-ci  avait  con- 
stitué avec  ses  malingres  et  ses  éclopés.  Le  25  novembre,  la  1*^  compagnie 
y  arrivait  à  son  tour;  puis,  le  3  décembre,  la  4<^,  qui  vint  y  compléter  la  ré- 
union du  bataillon. 

Le  27  novembre,  la  2«»  compagnie,  sous  les  ordres  du  lieutenant  Martineau, 
partit  à  dix  heures  du  matin  pour  se  porter,  avec  un  peloton  de  Tirailleurs 
tonkinois,  sur  le  village  de  Cao-Thuy,  à  environ  douze  kilomètres  au  sud-est 
de  Phu-Lang-Thuong,  et  concourir  à  une  opération  dirigée  contre  les  pirates 
de  la  rive  gauche  du  Song-Cau  par  le  chef  d'escadron  Palle,  de  l'artillerie, 
commandant  supérieur  de  Bac-Ninh.  Cette  compognie  passa  le  Song-Thuong  à 
Xuan-Dam,  atteignit  Cao-Thuy  à  trois  heures  du  soir,  et  cantonna  dans  ce 
village,  qu'elle  trouva  abandonné.  Le  lendemain,  elle  attaqua  près  de  Dong- 
Maî  une  bande  évaluée  à  deux  mille  individus,  lui  infligea  des  pertes  considé- 
rables et  la  refoula  dans  la  presqu'île  formée  par  le  Song-Cau  et  le  Song- 
Thuong.  Le  29,  elle  se  disposait  à  rentrer  à  Phu-Lang-Thuong,  lorsque  le 
retour  de  cette  même  bande  l'obligea  à  revenir  sur  ^es  pas.  Les  pirates  Turent 
cette  fois  poussés  jusqu'à  l'extrémité  de  la  presqu'île,  et  n'échappèrent  à  une 
entière  destruction  qu'en  s'enfuyant  par  les  deux  rivières.  Ils  laissaient  encore 
trente-cinq  morts  sur  le  terrain,  indépendamment  de  nombreux  noyés,  entre 
autres  vingt  ou  trente  retardataires  qui  s'étaient  réfugiés  sur  une  jonque,  qui 
fut  coulée  par  le  sergent- major  Clément  à  un  passage  du  Song-Thuong.  Le 
même  jour  s'effectua  le  retour  à  Phu-Lang-Thuong. 

Le  17  décembre,  les  2*  et  3<»  compagnies  s'embarquèrent  sur  des  jonques 
remorquées  par  la  Rafale  pour  retourner  sur  le  Loch-Nan.  La  veille,  une  re- 
connaissance dirigée  sur  le  marché  de  Ha- Ho,  à  six  kilomètres  au  nord -est 
de  Chu,  avait  été  brusquement  attaquée  par  les  Chinois,  et  ne  s'était  dégagée 
qu*en  essuyant  des  pertes  asses  sérieuses.  Le  18,  il  fut  envoyé  sur  ce  point 
une  importante  colonne  dont  les  deux  compagnies  de  Tirailleurs  firent  partie; 
mais  on  n'y  trouva  plus  l'ennemi.  Une  autre  tentative  pour  surprendre  celui-ci 
ayant  encore  eu  lieu  le  21  sans  plus  do  succès,  le  23,  les  deux  compagnies 
du  3*  bataillon  se  rembarquèrent  pour  Phu-Lang-Thuong,  où  elles  arrivèrent 
le  lendemain  à  dix  heures  du  matin.  Mais,  en  vertu  d'un  nouvel  ordre  du 
général  en  chef,  le  soir  même,  à  trois  heures,  elles  durent  repartir  pour  Chu. 
Le  25,  le  commandant  de  Mibielle  s*embarqua  à  son  tour  pour  aller  les  y  re- 
joindre avec  la  l'*  compagnie;  enfin,  le  27,  le  départ  de  la  4«  compagnie  ne 
laissa  plus  à  Phu-Lang-Thuong  qu'une  centaine  de  malades  ou  de  malingres 
incapables  de  suivre  le  bataillon. 

Le  rappel  des  Tirailleurs  algériens  &  la  colonne  du  Loch-Nan  ne  pouvait 
être  que  le  prélude  de  nouvelles  opérations.  Mais  sur  quel  point  allaient  porter 
celles-ci?  Élait-ce  enfin  la  marche  sur  Lang-Son?  Personne  n'en  savait  rien; 
on  attendait  pour  être  fixé  l'arrivée  du  général  de  Négrier,  qui,  remis  de  sa 
blessure,  revenait  prendre  le  commandement  des  troupes. 


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[1885]  AU  TONKIN  527 

A  celte  idée  qu'allait  se  rouvrir  Tère  des  combats,  nos  soldats,  à  qui  une 
inaction  de  deux  mois  passée  dans  les  plus  mauvaises  conditions  matérielles 
commençait  à  peser  lourdement  par  sa  monotonie,  avaient  retrouvé  tout  leur 
entrain  et  toute  leur  gaieté.  Pour  eux,  marcher  avec  le  général  de  Négrier, 
c'était  d'ailleurs  courir  à  de  nouveaux  succès,  et  ils  avaient  hâte  de  venger  la 
flurpriso  du  16  décembre,  dont  les  Chinois  n'avaient  pas  manqué  de  faire  une 
victoire  où  nous  avions  été  complètement  écrasés.  Le  2  janvier  1885,  cette 
joie  Tut  encore  accrue  par  une  dépêche  du  ministre  de  la  marine,  faisant  con* 
naître  les  récompenses  accordées  pour  les  aflaires  de  Kep  et  de  Chu.  Au  3*  ba- 
taillon du  régiment,  les  sous-lieutenants  Guignabaudet,  de  la  3*  compagnie,  et 
Mohamed -ben-Embarck,  de  la  4®,  étaient  promus  lieutenants  au  corps;  l'ad- 
judant Codron  et  le  sergentrmajor  Derdos  étaient  faits  sous-lieutenants;  M.  Au- 
diguier,  médecin  aide- major  de  1^  classe,  était  nommé  médecin -major  de 
2«  classe  (décret  du  30  décembre  1884);  enfin  les  capitaines  Camper  et  Valet 
et  les  lieutenants  Berge  et  Tahar-ben-Dzitouch  recevaient  la  croix  de  chevalier 
do  la  Légion  d'honneur  (décret  du  29  décembre).  Déjà,  à  la  date  du  7  no- 
vembre, le  sous-lieutenant  de  Féraudy,  de  la  1*^  compagnie,  était  passé  lieu- 
tenant à  la  légion  étrangère. 

Le  3  janvier,  une  colonne  composée  d'un  bataillon  d'infanterie  de  marine , 
du  bataillon  du  lll*'  do  ligne,  de  celui  du  143%  de  deux  compagnies  de  la 
h^gion  étrangère,  du  3'  bataillon  du  'i^  Tirailleurs  et  de  deux  batteries  d'ar- 
tillerie, quitta  Chu  &  six  heures  du  malin  sous  les  ordres  du  général  do  Né- 
grier ;  elle  passa  sur  la  rive  gauche  du  Loch-Nan ,  prit  la  formation  préparatoire 
de  combat,  et  s'engagea  dans  la  vallée  de  cette  rivière  pour  la  remonter  pen- 
dant quinze  kilomètres  environ.  Le  but  de  l'opération  était  de  surprendre  cinq 
à  six  mille  Chinois  cantonnés  et  retranchés  dans  les  villages  de  Phon-Cot, 
Mai-To,  Phi-Dien  et  Xi-Xa,  situés  au  pied  d'une  hauteur  assez  importante,  le 
Nuî-Bop,  et  près  de  l'endroit  où  la  route  de  Tho-Dzuong  à  An-Chau  traverse 
le  Loch-Nan. 

Pendant  deux  pauses  et  demie,  aucun  obstacle  ne  vint  retarder  la  marche  ; 
mais  après  il  fallut  franchir  une  succession  d*étroit8  défilés  où  l'artillerie  eut  & 
surmonter  de  nombreuses  difficultés.  Vers  onze  heures,  on  aperçut  sur  la  rive 
droite  de  la  rivière  des  détachements  ennemis  suivant  une  direction  parallèle 
&  celle  de  la  colonne  et  dans  le  même  sens.  Craignant  qu'ils  ne  voulussent  le 
prévenir  au  gué  do  Loch -Non,  le  général  prit  les  devants  avec  le  bataillon 
d'infanterie  de  marine,  celui  du  143*  et  l'artillerie,  s'assura  de  ce  passage,  et 
ne  tarda  pas  à  engager  le  combat  avec  des  groupes  de  Chinois  occupant  les 
hauteurs  de  la  rive  opposée.  En  un  instant  l'ennemi  fut  chassé  de  ses  positions 
et  rejeté  vers  le  nord,  dans  la  direction  du  Nui-Bop,  au  pied  duquel  il  avait 
construit  d'importants  retranchements  pour  fermer  une  des  routes  conduisant 
à  Dong-Son ,  le  réduit  de  tout  son  système  de  défense  de  la  région  et  son  centre 
d*approvisionnement  au  sud  de  Lang-Son.  A  cinq  heures,  toutes  les  troupes 
avaient  traversé  le  Loch-Nan ,  et  le  bataillon  de  Mibielle ,  qui  formait  la  queue 
du  gros ,  s'établissait  au  bivouac  autour  de  l'artillerie  et  du  quartier  général. 

Les  hauteurs  dont  on  venait  de  s'emparer  se  prolongeaient  vers  le  nord  en 
formant  une  espèce  de  cuvette  au  fond  de  laquelle  se  trouvait  le  village  de 


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628  tK  3'  RÉGIMENT  DK  TIUAILLËUHS  ALGÉRIENS  [1885] 

lMiOD-4'iol.  Non  loin  do  colui-ci  éluil  uao  [msIUo  riviàro,  uQIuoul  du  liOch-NaU| 
le  Khô-Sbui-Nliien,  doat  la  vallée  était  suivie  par  la  route  de  Chu  à  Biea- 
Dong  et  à  DoDg-Son.  Cétait  sur  la  rive  droite  de  cette  rivière,  au  delà  de 
laquelle  s'élevait  le  Nui-Bop,  que  les  Chinois  avaient  accumulé  leurs  princi- 
pales fortifications.  Ces  dernières  avaient  naturellement  été  conçues  en  prévi- 
sion d'une  attaque  venant  par  la  route  de  Chu,  c'est-à-dire  par  Touest;  de 
sorte  qu'elles  se  présentaient  maintenant  comme  une  longue  ligne  à  inter- 
valles, les  tranchées  qui  les  reliaient  se  trouvant  sur  le  prolongement  de  nos 
feux.  Cette  ligne  se  composait  d'une  dizaine  de  forts  carrés,  dont  deux  armés 
de  canons  Krupp.  L'intention  du  général  était  tout  indiquée  par  la  marche 
qu'il  avait  suivie  :  tourner  ces  nombreux  ouvrages,  les  déborder  par  l'est  et 
déboucher  ainsi  sur  les  derrières  de  l'ennemi. 

Dans  la  nuit,  le  lieutenant-colonel  Ilerbinger  reçut  l'ordre  d'aller  occuper 
Phon-Cot  avec  le  bataillon  du  1 1 1<»  de  ligne.  Il  y  pénétra  sans  coup  férir,  mais 
ses  avant-postes  curent  aussitôt  à  faire  le  coup  do  feu  pour  répondre  à  ceux 
des  Chinois.  Entre  quatre  et  cinq  heures  du  matiu  la  fusillade  devint  très  vive, 
et  tout  le  bataillon  se  trouva  bientôt  engagé. 

Dès  que  le  jour  parut,  le  général  se  porta  en  avant  avec  les  l'®,  2*  et  3*  com- 
pagnies du  bataillon  de  Tirailleurs  algériens  et  l'artillerie,  ne  laissant  au  bi- 
vouac de  deuxième  ligne  que  la  légion  et  la  4«  compagnie  de  Tirailleurs  (capi- 
taine Valet)  pour  protéger  l'ambulance  et  le  convoi.  Le  bataillon  du  I43<^,  qui 
occupait  les  hauleura  de  droite,  fut  alors  relevé,  et  en  profita  pour  aller  cher- 
cher ses  sacs,  qu'il  avait  déposés  la  veille  après  le  passage  du  Loch-Nan. 

A  sept  heures,  la  position  de  nos  troupes  était  la  suivante  :  à  l'extrême 
droite,  le  bataillon  du  111*,  ayant  sa  première  ligne  à  trois  cents  mètres  du 
Ké-Shui-Nhien;  à  gauche,  le  bataillon  d'infanterie  de  marine,  déployé  sur  les 
crêtes  et  s'avançant  sous  la  protection  du  feu  de  l'une  des  deux  batteries; 
en  arrière  du  111*  et  en  marche  pour  le  rejoindre,  les  trois  compagnies  de 
Tirailleurs  et  l'autre  batterie  d'artillerie  ;  enfin,  en  réserve,  le  143«,  la  4*  com- 
pagnie de  Tirailleurs  et  la  légion  étrangère. 

Arrivées  à  hauteur  du  111*,  les  trois  compagnies  de  Tirailleurs  prirent  la 
formation  de  combat  :  la  deuxième  (capitaine  Chirouze)  se  déploya  sur  la 
droite  même  du  111*,  de  façon  à  menacer  la  gauche  de  l'ennemi;  les  1<^  et  3* 
restèrent  en  soutien  près  de  l'artillerie,  qui  tirait  maintenant  à  une  faible 
distance  sur  les  forts  chinois  bordont  la  rivière. 

Jusqu'à  dix  heures,  cette  situation  resta  la  même,  si  ce  n'est  que  l'infanterie 
de  marine  continua  de  s'avancer  et  se  porta  à  son  tour  à  hauteur  du  111*.  Ce 
résultat  obtenu,  pour  en  finir,  le  général  prescrivit  une  attaque  enveloppante 
contre  la  gauche  chinoise.  A  cet  effet,  les  1^  et  3*  compagnies  de  Tirailleurs 
(capitaine  Omper  et  Polère)  reçurent  l'ordre  de  se  déployer  à  la  droite  de  la 
ligne  de  combat,  et  le  143*  et  la  4*  compagnie  de  Tirailleurs  de  quitter  leur 
position  de  réserve,  celle-ci  pour  servir  de  soutien  à  la  compagnie  Chirouze, 
celui-là  pour  appuyer  les  compagnies  Polère  et  Camper. 

Mais  à  peine  les  Chinois  se  furent-ils  rendu  compte  du  but  de  ces  mouve- 
ments, qu'ils  commencèrent  à  évacuer  leurs  forts.  Brusquant  alors  l'attaque,  le 
capitaine  Chirouze  fit  ouvrir  le  feu  rapide  et  se  rapprocha  de  la  rivière  pour  être 


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[18851  AU  T0NK1N  529 

prât  à  la  traverser;  puis,  ayant  fait  mettre  la  baïonnette  au  canon,  il  enleva 
sa  compagnie  avec  un  ensemble  et  un  entrain  qui  arrachèrent  des  applaudis-^ 
semants  au  bataillon  du  143*.  La  rivière  est  rapidement  franchie;  les  Chinois 
qui  la  défendent  sont  chassés  vers  les  forts,  et,  sans  interrompre  leur  élan, 
les  Tirailleurs  les  y  poursuivent  la  baïonnette  dans  les  reins.  Le  capitaine 
Chirouze  a  divisé  sa  troupe  en  deux  groupes;  avec  le  plus  important  il  marche 
sur  le  fort  extrême  de  la  ligne  chinoise,  Tautre  se  porte  plus  à  gauche  sur  un 
autre  ouvrage,  dont  les  feux  de  flanc  peuvent  devenir  très  dangereux.  D'un 
seul  bond  les  retranchements  ennemis  sont  atteints  et  escaladés,  leurs  derniers 
défenseurs  fuient  en  désordre  de  tous  côtés,  et  la  2*  compagnie  reste  mai- 
tresse  des  deux  forts  sur  lesquels  elle  s*est  dirigée.  Elle  y  trouva  six  canons 
Krupp,  des  drapeauv,  des  armes  en  quantité  considérable,  des  munitions, 
des  vivres,  des  tentes,  des  effets  de  toute  nature  et^un  certain  nombre  de 
chevaux.  C'était  I&  le  plus  joli  succès  de  la  journée;  non  seulement  il  avait 
déterminé  la  retraite  précipitée  de  la  gauche  des  Chinois,  mais  il  avait  encore 
favorisé  l'attaque  de  leur  droite  par  l'infanterie  de  marine,  qui,  repoussée  dans 
un  premier  assaut,  en  avait  tenté  un  deuxième  et  venait  également  de  péné- 
trer dans  plusieurs  ouvrages  et  de  s'emparer  d'une  autre  batterie  Krupp. 

AiiRsitAt  que  In  2*  compagnie  do  Tirailleurs  avait  prononcé  son  attaque,  le 
commandant  de  Mibiclle  avait  ordonné  à  la  h!^  de  Tappuyer  en  passant  à  son 
tour  le  Ké-Shui-Nliien.  Plus  à  droite,  les  1^^  et  3®  compagnies  avaient  aussi 
traversé  cette  rivière,  puis  s'étalent  avancées  dans  la  plaine  en  prenant  pied 
sur  la  route  d' An-Chau ,  et  s'étaient  arrêtées  sur  Tun  des  contreforts  du  Nuî- 
Bop,  après  s'être  emparées  d*une  dernière  enceinte  fortifiée,  construite  au  bas 
même  de  la  montagne. 

Notre  victoire  était  complète.  Les  Chinois  avaient  eu  six  cents  tués  et  un 
nombre  considérable  de  blessés;  tout  le  matériel  et  tous  les  approvisionne- 
ments qu'ils  avaient  réunis  sur  ce  point  étaient  en  notre  pouvoir;  les  impor- 
tants travaux  qu'ils  y  avaient  patiemment  exécutés  n'avaient  servi  qu'à  les 
tenir  plus  longtemps  sous  notre  canon  et  à  favoriser  l'habile  manœuvre  du 
général  de  Négrier.  Les  pertes  de  la  colonne  étaient  relativement  minimes  : 
elles  ne  s'élevaient  qu'&  dix-neuf  tués  et  soixante-six  blessés,  dont  trois  offi- 
ciers; encore  ne  portaient-elles  guère  que  sur  le  bataillon  du  111*  et  sur  l'in- 
fanterie de  marine.  Celui  de  Tirailleurs  avait  très  peu  souflert  :  neuf  blessés 
seulement,  tous  de  la  2*  compognie.  C'était  surtout  à  son  magnifique  élan 
que  cette  dernière  devait  de  n'avoir  pas  été  plus  éprouvée;  car  le  feu  de  Ten- 
nemi  n'avait  cessé  que  lorsqu'elle  avait  été  à  dix  mètres  des  forts.  Elle  avait 
eu,  pour  arriver  là,  à  parcourir  près  de  trois  cents  mètres  en  terrain  décou- 
vert, et  cela  sac  au  dos,  après  avoir  franchi  une  rivière.  Qu'on  ne  s'étonne 
donc  pas  qu'une  telle  charge  eût  provoqué  l'enthousiasme  de  toutes  les  autres 
troupes.  Aussi  le  capitaine  Chirouze,  qui  l'avait  conduite,  allait-il  être  l'objet 
d'une  citation  des  plus  flatteuses  à  l'ordre  de  l'armée,  ainsi  que  le  caporal 
Fournier,  qui  était  entré  un  des  premiers  dans  le  fort  principal. 

Le  soir,  les  quatre  compagnies  du  bataillon  de  Mibielle  bivouaquèrent  dans 
les  ouvrages  enlevés  par  la  2<'.  Le  5,  la  4*  partit  à  six  heures  du  matin  dans 
la  direction  d'An-Chau  et  s'arrêta  en  halte  gardée  à  deux  kilomètres  environ 

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530  LE  3®  BÉQIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1885] 

du  Nul-Bop.  Elle  demeura  là  en  observation  toulo  la  journée  sans  voir  un  seul 
ennemi ,  et  rentra  au  camp  à  sept  heures  du  soir.  Pendant  ce  temps ,  les  autres 
avaient  travaillé  &  la  destruction  des  retranchements  chinois.  A  onze  heures 
du  soir,  le  bataillon  reçut  Tordre  d'aller  s'établir  en  embuscade  au  village  de 
Hong,  à  mi-distance  du  Nui-Bop  et  de  Chu,  pour  y  protéger  le  passage  d'un 
convoi  de  vivres  et  de  munitions  venant  de  ce  dernier  poste  par  Kcp-Tua  et 
Liem-Son.  Il  arriva  sur  ce  point  à  deux  heures  du  matin,  et  y  resta  jusqu'au 
lendemain  à  dix  heures.  Il  prit  alors  sa  place  dans  la  colonne  que  le  général 
de  Négrier  ramenait  du  Nuî-Bop,  et  arriva  à  Chu  à  cinq  heures  du  soir. 

Il  eût  fallu,  après  ce  brillant  succès,  pouvoir  marcher  immédiatement  sur 
Lang-Son  ;  mais  les  préparatifs  qu'exigeait  une  telle  opération  ne  devaient  pas 
être  terminés  avant  un  mois.  C'était  plus  qu'il  ne  fallait  aux  Chinois  pour  ré- 
parer leurs  pertes,  construire  de  nouveaux  ouvrages,  et  reprendre  confiance  en 
cette  immense  succession  de  retranchements  qui  faisait  des  environs  de  Doog- 
Son  et  de  Dac-Lé  une  région  étrange,  où  le  moindre  mamelon  était  surmonte 
d'un  fort. 

Ce  retard ,  qui  sur  un  autre  point  eût  pu  avoir  des  conséquences  bien  au- 
trement graves,  sans  l'héroïque  résistance  d'une  mauvaise  place  défendue 
par  une  faible  garnison ,  avait  eu  un  peu  pour  cause  l'attente  de  renforts  sans 
lesquels  le  général  en  chef  n'avait  cru  pouvoir  entreprendre  l'expédition  pro- 
jetée. Ces  renforts  étaient  débarqués  depuis  la  fin  de  décembre,  maïs  n'avaient 
pas  encore  été  dirigés  sur  le  théAtro  des  opérations;  ils  so  composaient  ilo 
deux  bataillons  à  mille  hommes,  l'un  tiré  de  la  légion  étrangère,  l'autre  du 
l*r  Tirailleurs.  L'arrivée  de  ce  dernier  bataillon  avait  porté  à  quatre  ceux  du 
régiment  de  marche  de  Tirailleurs  algériens.  Mais  ce  régiment,  dont  le  com- 
mandement était  toujours  exercé  par  le  lieutenant-colonel  Letellier,  était  dis- 
séminé de  tous  les  côtés,  et  sur  trois  mille  cinq  cents  hommes  qu'il  aurait  pu 
mettre  en  ligne,  seize  cents  seulement,  c'est-à-dire  le  bataillon  de  Mibielle 
et  le  bataillon  Comoy  nouvellement  débarqué,  allaient  entrer  dans  la  compo- 
sition de  la  colonne  en  voie  d'organisation. 

Rentré  à  Chu  le  6  janvier  au  soir,  le  bataillon  de  Mibielle  en  était  reparti 
le  lendemain  pour  aller  occuper  le  village  de  Binh-Noi,  à  trois  kilomètres  au 
nord ,  sur  la  route  conduisant  au  col  de  Déo-Quan.  Sa  mission  était  de  protéger 
les  travailleurs  que  le  génie  devait  envoyer  sur  cette  route  pour  l'améliorer. 
Du  8  au  10  janvier,  les  1*^  et  3^  compagnies  furent  détachées  pour  conduire 
un  convoi  de  vivres  et  de  munitions  à  Nuî-Bop*.  Au  retour,  elles  escortèrent 
jusqu'à  Chu  le  matériel  de  guerre  enlevé  aux  Chinois.  Le  restant  du  mois,  le 
bataillon  ne  quitta  pas  Binh-Noî,  si  ce  n'est  pour  se  porter  deux  ou  trois  fois 
au  col  de  Déo-Quan  pour  y  protéger  les  travailleurs  du  génie. 

Enfin  la  marche  sur  Lang-Son,  depuis  si  longtemps  attendue,  fut  annoncée 
pour  les  premiers  jours  de  février.  Le  général  en  chef,  qui  avait  été  nommé 
divisionnaire  à  la  date  du  3  janvier,  devait  prendre  lui-môme  la  direction  des 
troupes;  celles-ci,  comprenant  environ  sept  mille  combattants,  avaient  été 

<  Nul-Bop  n*ctaQt  pas  le  nom  d'une  localité,  mais  celui  d'une  montagne,  on  devrait 
plutôt  dire  «  le  Nul-Dop  »,  Nous  nous  conformons  à  l'appellation  qui  a  pi'évalu. 


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[18851  AU  TONKIN  531 

organisées  en  deux  brigades  sous  les  ordres  du  colonel  Giovanninelli  et  du  gé- 
néral de  Négrier.  Les  Tirailleurs  algériens,  nous  Tavons  dit,  n*y  comptaient 
que  deux  bataillons  formant  un  régiment  de  marche,  dont  le  Heulenant-colonel 
Letcllinr  était  venu  prendre  le  commandement.  Ce  régiment  faisait  partie  de 
la  l'*  brigade  (colonel  Giovanninelli). 

Avant  les  récentes  opérations  efTcctuées  dans  la  vallée  du  Loch-Nan  et  les 
renseignements  qu'elles  avaient  permis  de  recueillir  sur  cette  région,  jusque- 
là  à  peu  près  inconnue,  la  roule  qu^avait  suivie  la  colonne  Dugenne  pour 
tenter  de  se  rendre  à  Lang-Son  passait  pour  être  la  seule  relativement  prati- 
cable pour  une  colonne  ayant  &  traîner  après  elle  de  Tartillerie  et  un  énorme 
convoi.  Les  Chinois  ne  doutaient  pas,  surtout  depuis  qu'ils  nous  savaient  so- 
lidement établis  &  Kcp,  que  ce  ne  fût  de  ce  côté  que  se  portât  notre  principal 
elTort;  aussi  y  avaient-ils  entassé  défenses  sur  défenses,  retranchements  sur 
retranchements.  Il  n*y  avait  pas,  Il  est  vrai,  à  s'exagérer  la  valeur  de  ces  ou- 
vrages, mais  il  valait  encore  mieux  les  éviter.  Celte  idée  avait  naturellement 
conduit  Tétat-major  général  à  chercher  un  autre  chemin;  et,  sur  les  indica- 
tions des  indigènes,  il  Tavait  trouvé  plus  &  Test,  au  nord  de  Chu,  par  les  cols 
de  Déo-Quan  et  de  Doo-Van,  convergeant  vers  Dong-Son ,  et  une  étroite  vallée 
à  peu  près  parallèle  à  celle  du  Song-Thuong.  Ce  n^était  autrefois  qu'un  simple 
sentier  de  montagne,  mais  il  y  avait  lieu  de  supposer  que  le  va-et-vient  des 
troupes  chinoises  Tavait  depuis  sensiblement  amélioré.  Il  y  avait  bien  aussi  à 
compter  avec  les  moyens  de  résistance  que  Tennemi  avait  réunis  à  Dong-Son  ; 
mais,  cet  obstacle  franchi,  il  n*en  existait  plus  de  sérieux  jusqu^à  Lang-Son. 
Il  fut  donc  décidé  qu'on  prendrait  cette  direction. 

Le  départ  de  Chu  eut  lieu  le  3  février  au  matin.  Au  point  du  jour,  le  ba- 
taillon de  Mibielle  s'était  porté  de  Binh-Noî  à  une  pagode  brûlée  sur  la  route 
de  Nui-Dop,  afm  d'y  attendre  la  colonne,  qui  y  passa  à  huit  heures.  Le  soir, 
les  t''^,  i^  et  3^  compagnies  dressaient  leur  bivouac  à  dix-huit  coûts  mètres 
au  delà  du  col  de  Déo-Van,  sur  les  hauteurs  s'élevant  sur  la  gauche  de  la 
vallée;  la  4°,  dans  Pintérieur  même  du  col. 

Le  4 ,  la  marche  reprit  à  onze  heures  du  matin.  A  midi ,  on  commença  à 
apercevoir  de  nombreux  forts  chinois  :  c'étaient  ceuxdeHao-IIa,  faisant  partie 
de  l'ensemble  des  fortifications  de  Dong-Son.  Ces  fortilications  étaient  dispo- 
sées autour  d'un  point  central  où  venaient  confluer  un  grand  nombre  de 
gorges  ou  de  vallées.  On  eût  dit  une  vaste  étoile  aux  rayons  hérissés  de  re- 
tranchements. Le  diamètre  perpendiculaire  à  la  route  suivie  avait  environ 
douze  kilomètres,  et  se  trouvait  nettement  accusé  par  une  ligne  de  montagnes 
très  élevées.  Au  fond  d'une  gorge  était  Dong-Son.  On  allait  s'emparer  de  cette 
formidable  position  en  suivant  jusqu'au  centre  un  certain  nombre  de  rayons, 
formés  pour  la  plupart  de  hauteurs  asset  considérables  séparées  entre  elles 
par  de  profonds  ravins. 

A  deux  heures,  les  l'^^^et  2'  compagnies  du  bataillon  du  3*  Tirailleurs  re- 
çurent l'ordre  de  se  porter  sur  les  hauteurs  de  gauche  de  la  vallée.  A  peine 
y  furent-elled  arrivées,  qu'un  cavalier  vint  les  prévenir  qu'une  compagnie  de 
la  légion  étrangère  se  trouvait  sérieusement  engagée,  et  qu'il  était  urgent  de 
l'appuyer.  Sur  l'ordre  du  copitaine  Chirouze,  la  l>^compagnie(capilaine  Camper) 


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532  LE  a**  nÉÛlJIENT  DIfi  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1885 1 

86  porta  aussitôt  en  avant  et  so  déploya  à  la  droite  do  la  coiii|ittgiiio  de  la 
légion.  La  ligne  ainsi  formée  8*élança  alors  à  l'attaque  de  trois  positions  for- 
tifiées, qu'elle  enleva  successiveinent.  11  ne  restait  plus  qu'à  s'emparer  d'un 
dernier  retranchement  pour  achever  de  cliasser  les  Chinois  de  cette  crête,  qui 
constituait  un  des  rayons  dont  nous  avons  parlé  ci-dessus. 

Il  était  cinq  heures  et  demie;  le  capitaine  Chirouze  fil  renforcer  la  l^^  com- 
pagnie par  un  peloton  de  la  2*,  et  l'attaque  fut  reprise  avec  une  nouvelle  vi- 
gueur. En  même  temps  l'autre  peloton  de  la  2*  compagnie,  resté  dans  le 
premier  ouvrage  enlevé,  s'apprêtait  à  repousser  une  contre-attaque  que  l'en- 
nemi dessinait  sur  notre  flanc  gauche.  Les  Chinois  furent  encore  partout  dé- 
logés, mais  non  sans  une  vive  résistance  et  des  pertes  assez  sensibles  pour  la 
compagnie  Camper  et  celle  de  la  légion.  A  l'approche  de  la  nuit,  ils  tentèrent 
un  vigoureux  retour  oflensif.  Celui-ci ,  repoussé  après  un  violent  combat,  fui 
renouvelé  plusieurs  fois  avec  un  acharnement  qui  entraîna  à  divers  moments 
une  lutte  corps  à  corps.  Enfin ,  vers  onze  heures  et  demie  du  soir,  ils  renon- 
cèrent définitivement  à  nous  reprendre  la  position ,  et  quelques  instants  après 
la  fusillade  cessa  tout  à  fait.  Dans  cette  sanglante  journée,  la  compagnie  de 
la  légion  avait  eu  ses  trois  officiers  et  le  tiers  de  son  eflectif  hors  de  combat. 
Quoique  moins  éprouvés,  les  Tirailleurs  n'en  comptaient  pas  moins  neuf  tués 
et  vingt-deux  blessés. 

Pendant  qu'une  partie  de  son  bataillon  se  signalait  ainsi  par  une  vigueur 
et  une  ténacité  inébranlables,  le  commandant  de  Mibielle,  demeuré  en  ré- 
serve avec  ses  deux  autres  compagnies,  se  disposait  à  seconder  l'attaque  qu'un 
bataillon  d'infanterie  de  marine  devait  diriger  sur  l'un  des  forts  situés  à  droite 
de  la  vallée;  mais  cette  attaque  ayant  été  remise  au  lendemain,  à  cinq  heures 
il  dressa  son  bivouac  sur  la  position  où  il  s'était  arrêté. 

Le  5,  le  combat  recommença;  toutefois  il  fut  moins  bien  soutenu  du  côté 
de  l'ennemi.  A  midi,  les  3^^  et  4°  compagnies  (capitaine  Polère  et  Valet)  du 
3*  bataillon  du  régiment,  appuyant  le  bataillon  d'infanterie  de  marine,  se 
portèrent  à  l'attaque  de  la  position  devant  laquelle  elles  avaient  pusse  la  nuit. 
Mais  les  Chinois  n'attendirent  pas  cet  assaut  :  dès  qu'ils  virent  nos  soldats 
gravir  les  pentes  de  la  montagne,  ils  se  retirèrent  précipitamment  en  aban- 
donnant également  leurs  ouvrages  de  seconde  ligne,  qui  furent  immédiatement 
occupés.  À  cinq  heures,  nos  deux  compagnies  faisaient  leur  jonction  avec  les 
troupes  de  la  2*  brigade,  et  s'établissaient  sur  la  route  même  de  Lang-Son , 
dans  un  retranchement  récemment  évacué  par  l'ennemi.  Elles  avaient  eu  un 
seul  blessé.  Les  1^  et  2*,  restées  sur  les  hauteurs  de  gauche,  avaient  obéi  ce 
jouHà  aux  ordres  directs  du  lieutenant- colonel  Letellier,  et  s'étaient  portées 
à  trois  kilomètres  en  avant  de  leur  position  de  la  veille. 

Le  6,  on  pénétra  enfin  dans  la  gotge  de  Dong-Son ,  après  un  dernier  et  très 
chaud  engagement,  auquel  ne  put  prendre  part  le  bataillon  de  Hibielle,  dé- 
signé pour  former  l'arrière-garde  et  protéger  le  passage  des  convois.  Ce  succès 
faisait  tomber  entre  nos  mains  d'immenses  approvisionnements,  nous  four- 
nissait une  nouvelle  et  ézccllente  base  de  ravitaillement,  et  enfin  nous  ouvrait 
le  chemin  de  Lang-Son.  La  formidable  ligne  de  forts  élevée  entre  Than-Moï 
et  Bac- Lé  se  trouvait  complètement  tournée,  et  la  route  mandarine  était 


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[I88r»]  AU  TONKIN  533 

ollc-Tndmo  rcnduo  libre  par  la  retraite  précipitée  de  ses  défenseurs.  On  sup- 
posait bien  que  la  résistance  de  Tarmée  chinoise  n'était  pas  entièrement  vain- 
cue, qu'il  faudrait  probablement  livrer  de  nouveaux  combats  en  avant  de 
Lang-Son  ;  mais  personne  ne  doutait  plus  du  succès,  et  l'entrain  que  donnait 
cette  confiance  faisait  facilement  oublier  les  fatigues  et  les  épreuves  des  jours 
précédents. 

Les  journées  des  7,  8  et  9  s'écoulèrent  dans  un  va-et-vient  continuel  de 
convois  allant  chercher  des  vivrps  à  Chu  ;  tous  les  moyens  de  transport  de  la 
colonne  y  furent  employés.  Le  7  au  matin ,  le  bataillon  de  Mibielle  quitta  sa 
position  d'arricrc-gardo  pour  se  porter  &  six  kilomètres  au  nord  de  Dong-Son. 
Mais,  à  sept  heures,  de  nouveaux  ordres  vinrent  lui  donner  une  autre  desti- 
nation :  les  l**^  et  4"  compagnies  furent  désignées  pour  aller  escorter  un  convoi 
à  Giap-Thuong,  à  une  journée  de  marche  en  arrière,  la  2*  pour  aller  occuper 
un  des  premiers  fortins  des  lignes  mômes  de  Dong-Son;  de  sorte  que  la 
3^  seule  continua  sa  route  pour  le  bivouac  primitivement  assigné.  Elle  y  arriva 
à  cinq  heures  du  soir,  et  y  fut  successivement  rejointe  les  jours  suivants  par 
les  trois  autres,  à  mesure  qu'elles  eurent  accompli  leurs  différentes  missions. 

La  marche  en  avant  fut  reprise  le  10,  sans  amener  ce  jour-là  la  rencontre 
d'im  seul  Ciliinois.  Lo  1 1,  In  2"  brip[ade  (général  do  Négrier),  qn>  tenait  la  télo 
de  In  colonne,  eut  è  enlever  de  vive  force  plusieurs  positions,  qu'elle  aborda 
nvcc  sa  vigueur  accoutumée.  Le  soir,  la  l*"^,  qui  devait  être  en  première  ligne 
le  lendemoin ,  installait  son  bivouac  à  Pho-Van-Vy,  à  dix  &  douze  kilomètres 
seulement  de  Lang-Son,  dont  on  n'était  plus  séparé  que  par  une  ligne  de 
hauteurs  à  la  faveur  de  laquelle  on  pensait  que  l'ennemi  tenterait  un  dernier 
cITort. 

Le  12  fut,  en  elTct,  une  journée  de  grande  lutte,  et  l'une  des  plus  glo- 
rieuses de  la  campagne  pour  les  Tirailleurs  algériens.  Ce  fut  cette  fois  au 
bataillon  Comoy,  du  l®''  régiment,  que  revint  l'honneur  d'attaquer  le  défilé 
qui  devait  nous  ouvrir  le  passage.  Ce  bataillon  supporta  à  lui  seul  presque 
toutes  les  pertes  de  la  brigade*,  mais  rien  ne  put  résister  à  ses  assauts  ré-* 
pétés.  Celui  du  commandant  de  Mibielle,  sans  être  aussi  sérieusement  en- 
gagé ,  prit  cependant  encore  une  brillante  part  à  ce  combat.  Dès  neuf  heures 
du  matin ,  il  reçut  l'ordre  de  couronner  les  hauteurs  dominant  à  l'ouest  la 
roule  de  Lnng-Son.  Les  3<>  et  A^  compagnies  furent  poussées  jusqu'aux  der- 
nières de  ces  hauteurs  pour  surveiller  un  col  par  lequel  les  Chinois  menaçaient 
de  déboucher  sur  notre  flanc  gauche;  les  l*^^'  et  2*  restèrent  en  réserve.  Vers 
midi,  tout  danger  ayant  définitivement  disparu  sur  ce  point,  ces  dernières 
redescendirent  dans  la  vallée  et  gravirent  les  mamelons  de  droite,  dans  le 
but  de  protéger  de  ce  côté  l'extrémité  de  la  ligne  du  bataillon  du  1^  Tirail- 
leurs; elles  y  restèrent  jusqu'à  trois  heures  sous  une  fusillade  assez  meutrière; 
puis,  à  l'exception  d'une  section  de  la  l**"  compagnie ,  qui  fut  laissée  en  flanc- 
garde,  elles  regagnèrent  la  route  pour  suivre  le  mouvement  de  la  brigade 
qui,  victorieuse,  s'était  élancée  sur  les  traces  de  l'ennemi.  Les  3*  et  4*  com- 

<  Il  eut  à  peu  pros  cent  cinquante  hommes  hors  de  oomhat ,  sur  environ  deux  cents  que 
roûUi  cette  joiirnc^c. 


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634  LE  3^  RÉQIMBNT  DE  TinAILLEURS  ALGÉRIENS  [1883] 

pagnies  avoionl  à  leur  tour  évacué  loa  hautourâ  do  gaucho,  cl  depuis  un  mo- 
ment s'étaient  également  jointes  à  la  colonne,  dont  maintenant  elles  formaient 
l'avant-garde.  Cette  poursuite  dura  jusqu'à  sept  heures  du  soir  et  ne  s'arrêta 
qu*à  trois  kilomètres  de  Lang-Son.  L'ennemi  fuyait  avec  une  telle  précipita- 
tion, qu'il  y  avait  beaucoup  à  compter  sur  l'évacuation  immédiate  de  la 
place;  mais  l'arrivée  de  la  nuit  ne  permit  pas  d'aller  plus  loin.  Le  bataillon 
du  régiment  bivouaqua  eh  première  ligne,  pour  être  prêt  à  prendre  la  tête 
des  troupes  le  lendemain.  Dans  ce  dernier  engagement  il  avait  eu  quinze 
hommes  blessés,  dont  un  officier  :  le  sous-lieutenant  Ameur-ben-Mohamed  *. 
Le  13,  le  départ  du  bivouac  eut  lieu  seulement  à  dix  heures  du  matin.  Uno 
heure  après,  la  compagnie  Po1ère(3<^)  pénétrait  la  première  dans  la  citadelle 
de  Lang-Son,  une  bicoque  carrée  dominée  de  tous  côtés  et  à  courte  distance 
par  une  ceinture  de  mamelons.  Depuis  la  veille  elle  était  évacuée  par  les  Chi- 
nois, qui,  dans  leur  panique,  y  avaient  laissé  une  partie  de  leurs  approvision- 
nements et  de  leur  matériel.  La  l^^  compagnie  (capitaine  Camper),  sans 
s'arrêter,  poussa  sur  le  Song-Ki-Kung',  le  traversa  à  gué  et  se  porta  sur  le 
marché  de  Ki-Lua,  petit  village  situé  à  quinze  cents  mètres  au  nord,  et  protégé 
par  dos  redoutes  en  terre  où  quelques  retardataires  do  l'armée  chinoise  s'é- 
taient réfugiés.  Mais  ceux-ci  s'enfuirent  sans  essayer  de  se  défendre,  et  les 
Tirailleurs  occupèrent  sans  coup  Térir  ces  nombreux  retranchements.  A  quatre 
heures,  les  2<^,  3^  et  4^  compagnies  rallièrent  la  1>«,  avec  laquelle  se  trouvait 
le  commandant  de  Mibielle,  et  le  bataillon  tout  entier  s'inslalla  au  cantonne- 
ment au  nord  du  marché  de  Ki-Lua,  sur  la  route  de  Chine,  que  ses  avant- 
postes  eurent  particulièrement  mission  de  surveiller. 

Ainsi  se  termina  cette  expédition,  dont  rien  ne  saurait  donner  une  idée 
quant  aux  fatigues  qu'avaient  eu  à  supporter  nos  soldats  et  aux  diflicultés  de 
toute  nature  qu'ils  avaient  eu  à  surmonter.  Debout  avant  le  jour,  le  plus  sou- 
vent après  avoir  passé  la  nuit  en  grand'garde,  ces  derniers  avaient  continuel- 
lement marché  et  combattu  avec  six  jours  de  vivres  et  cent  vingt  cartouches 
sur  le  sac,  et  cela  dans  un  pays  montagneux,  hérissé  d'obstacles  et  n'oiTrant 
que  quelques  étroits  sentiers  que  la  nécessité  d'avoir  en  permanence  la  for- 
mation préparatoire  de  combat  n'avait  même  pas  permis  d'utiliser.  Plus  d'une 
fois,  les  troupes  de  première  ligne  avaient  vu  arriver  le  soir  n'ayant  encore, 
pour  toute  nourriture,  pris  que  le  café  de  la  grand'halte,  heureuses  d'ailleurs 
quand,  dans  cette  circonstance,  il  leur  avait  été  possible  d'allumer  du  feu 
pour  en  faire  un  autre  au  bivouac.  Ces  souffrances,  les  ofliciers  les  avaient 
partagées  dans  des  conditions  les  leur  rendant  peut-être  encore  plus  dures, 
du  moins  en  ce  qui  concerne  l'alimentation.  Le  soldat  avait,  en  somme,  tou- 
jours eu  son  sac;  mais  eux  n'avaient  pas  toujours  eu  leurs  bagages,  et  leur 
subsistance  de  la  journée  s'était  alors  bornée  aux  maigres  provisions  qu'ils 
avaient  eu  la  précaution  de  prendre  sur  eux  le  matin. 

Malgré  ces  privations,  l'entrain  était  loin  d'avoir  disparu,  et  la  plus  noble 
émulation  régnait  dans  les  deux  brigades.  L'une ,  la  2<*,  se  disposait  à  continuer 

*  Mort  des  suites  de  ses  blessures  le  15  ft&vrier. 
>  Nom  de  la  rivière  qui  passe  à  Lang-  Soo. 


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[I8R5]  AU  TONKIN  53» 

la  poursuilc  des  Chinois  et  à  menacer  la  frontière  du  Kouang-Si  ;  Tautro  était 
désignée  pour  se  porter  à  marches  forcées  au  secours  de  Tuyen-Quan ,  assiégé 
par  Tarmée  du  Yunnan.  Mais  avant  de  suivre  le  régiment  de  Tirailleurs  algé- 
rien» dans  In  lutte  glorieuse  qui  devait  enfin  dégnger  Théroïque  garnison  qui 
résistait  à  brèches  ouvertes  à  un  ennemi  quarante  fois  supérieur,  revenons 
de  quelques  mois  en  arrière,  et  voyons  ce  qui  8*était  passé  sur  les  autres  points 
du  Tonkin ,  depuis  quatre  mois  que  tous  les  regards  et  tous  les  moyens  d'ac- 
tion étaient  concentrés  vers  le  nord  et  vers  cette  place  qui  était  l'origine  de 
la  guerre,  et  dont  la  prise  semblait  devoir  la  terminer  :  Lang-Son  ^ 

1  Nous  avons  oublié ,  dans  le  cours  de  ce  chapitre,  de  parler  d'une  citation  à  Tordre  da 
corps  expéditionnaire,  dont  avait  été  l'objet  le  capitaine  Mercier,  adjudant -major  au 
:v  Itatalllon,  h  la  siiito  du  combat  de  Clin  (10  octobre  1884),  pour  avoir,  avec  deux 
roinpagnios  (les  .1"  et  4"),  contenu  les  ciïorts  do  rcnncmi,  qui  essayait  de  tourner  la 
ilntito  de  notre  ligne.  La  véritable  raison  do  cet  oubli  est  qne  le  capitaine  Mercier, 
chargé  fie  la  rédaction  rin  journal  de  marcbc  de  son  bataillon,  avait  complètement  né- 
gligé de  parler  do  lut  en  cette  occasion. 

Nous  profitons  de  cette  circonstance  pour  relever  également  trois  autres  citaUons  qni 
eurent  lien  dans  le  môme  Kitiillon  après  la  marche  sur  Lang-Son.  Ce  furent  : 

10  Le  capitaine  Cliirouze,  pour  s'être  porté,  dans  la  journée  du  4  février  (combat  de 
Tbaï'lloa)  au  secours  d'une  compagnie  de  la  légion  étrangère  sérieusement  engagée, 
et  avoir  ensuite  combattu  toute  une  nuit  contre  dos  forces  très  nombreuses  qni  avaient 
dû ,  à  plusieurs  reprises ,  être  repoussées  à  la  baïonnette  ; 

2»  Le  capitaine  Camper,  à  l'occasion  de  la  même  journée  et  ponr  les  mêmes  motifs 
que  le  capitaine  Chirouze  ; 

30  L'adjudant  Paulet,  pour  avoir  brillamment  enlevé  sa  section,  et  avoir  été  blessé  en 
bousculant  un  parti  ennemi  très  supérieur  en  nombre. 


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CHAPITRE  XI 


(1884)  La  situation  sur  le  liaut  llcuvc  Rouge  au  moment  de  l'expédition  de  Lang-Sou. 

—  Tuyen-Quan  est  attaqué.  —  Combat  de  Duoc  (19  novembre).  —  Retour  des  Chi- 
nois. —  (1885)  La  V  brigade  marche  au  secours  de  Tuyen-Quan.  ->  Combat  de 
Hoa-Moc  (2  et  8  mars).  —  Retraite  de  Lang-Son.  —  La  V^  brigade  est  dirigée  sur 
Chu.  —  Préliminaires  de  paix ,  cessation  des  hostilités.  —  Second  traité  de  Tien-Tsin. 

—  Opérations  contre  les  pirates  —  Répartition  des  garnisons  pour  Tété  de  1885.  — 
Le  général  Brière  de  l'Isle  est  remplacé  par  le  général  de  Courcy.  —  Le  choléra.  — 
Prise  de  Than-Mal.  —  Occupation  de  Phu-An-Binh.  —  Opérations  autour  de  ce  poste. 

—  Détachements  du  1«' bataillon;  leurs  opérations.  —  (1886)  Marche  surThan-Quan. 

—  Rapatriement  du  !•'  bataillon.  —  Le  commandant  de  Mibiullo  se  dirige  sur  la 
haute  rivière  Claire;  il  est  arrêté  par  Tordre  du  rapatriement  de  son  bataillon.  — 
Ordre  du  général  Jamont  à  l'occasion  du  départ  des  Tirailleurs  algériens.  —  Rentrée 
successive  des  deux  bataillons  du  régiment  en  Algérie;  Ils  envoient  chacun  un  déta- 
chement à  Paris  à  l'occasion  de  la  revue  du  14  juillet. 


Ainsi  que  nous  Tovons  dit  plus  liaut,  en  même  temps  que  l'armée  du 
Kouang-Si  se  disposait  à  envahir  le  Tonkin  par  le  nord,  Luu-Vinh-Phuoc, 
qui  s'était  retiré  à  Lao-Kai,  se  préparait  à  redescendre  la  vallée  du  fleuve 
Rouge  avec  ce  qui  lui  restait  de  ses  bandes  et  les  troupes  régulières  qui  lui 
étaient  envoyées  du  Yunnan  '.  Mais  Téloignement  où,  de  ce  côté,  nos  postes 
extrêmes  se  trouvaient  de  la  frontière,  les  difficultés  qu'opposait  le  pays  à  une 
armée  qui  n'en  pouvait  tirer  sa  subsistance,  firent  que  les  hostilités  ne  s*y 
ouvrirent  qu'un  mois  environ  après  qu'elles  curent  éclaté  sur  le  Loch-Nan. 

Nous  avons  vu  que  le  danger  grandissant  qui  menaçait  le  nord  du  Delta 
n'avait  pas  tardé  à  demander  sur  ce  point  la  présence  de  la  plus  grande  partie 


I  Ce  rut  en  réalité  le  vice -roi  du  Yunnan  qui  eut  le  commandement  supérieur  de  toutes 
les  forces  chinoises  qui  envahirent  le  Tonkin  par  l'ouest;  mais  la  direction  clfective  des 
opérations  semble  avoir  appartenu  plus  particulièrement  au  chef  des  Pavillons -Noirs, 
dont  la  réputation  avait  rapidement  grandi  en  Chine ,  et  qui  avait  une  connaissance  par- 
faite du  pays. 


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[1885]        LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  AU  TONKIN  537 

des  Torccs  dont  pouvait  disposer  le  général  en  chef.  Il  était  résulté  de  celte 
exigence  que  les  garnisons  de  l'ouest,  particulièrement  celles  de  Sontay  et  de 
Hong-Hoa,  avaient  été  considérablement  aflTaiblies,  et  qu'il  avait  fallu  at>an- 
donner  l'idée  d'une  marche  sur  Lao-Kaî,  qui  avait  d'abord  été  annoncée  pour 
le  retour  de  la  bonne  saison.  On  avait  môme  dû  renoncer  à  constituer  une 
colonne  mobile  qui,  en  secondant  l'action  do  nos  canonnières,  eût  probable- 
ment déconcerté  les  Chinois  dans  leurs  premières  opérations  dans  cette  région. 
Libre  de  ses  mouvements,  l'ennemi  pouvait  donc  se  porter  sur  Hong-Hoa  ou 
sur  Tuyen-Quan  :  il  choisit  Tuyen-Quan.  Cette  place,  qui  n'était  défendue 
que  par  trois  compagnies  (deux  de  la  légion  étrangère  et  une  de  Tirailleurs 
tonkinois)  et  une  section  d'artillerie,  lui  parut,  en  effet,  plus  facile  à  réduire, 
par  la  possibilité  qu'on  avait  de  Tisoler  complètement  en  occupant  le  défilé  de 
Duoc,  par  lequel  serait  obligée  de  passer  toute  colonne  se  portant  au  secours 
des  assiégés. 

Ce  plan,  très  habilement  conçu,  reçut  son  commencement  d'exécution  vers 
la  fin  d'octobre.  Un  soir,  après  l'extinction  des  feux,  Tuyen-Quan  fut  brus- 
quement assailli  de  coups  de  fusil,  sans  qu'aucun  indice  eût  pu  faire  prévoir 
celte  nocturne  agrcssiun.  Au  jour,  Tennemi  avait  disparu.  Le  lendemain  ce 
fut  la  mémo  chose,  et  h  partir  do  ce  moment  les  Chinois  revinrent  toutes  les 
nuits  faire  le  coup  do  feu;  en  môme  temps  ils  construisaient  à  Duoc  des  l)ar- 
ragcs  pour  arrêter  nos  canonnières,  et  des  fortifications  pour  s'opposer  au 
passage  de  troupes  venant  du  Delta. 

Dans  les  premiers  jours  de  novembre,  le  péril  s'affirma  de  plus  en  plus; 
deux  canonnières,  la  Trombe  et  le  Revolvei^  furent  vivement  attaquéees  en 
descendant  la  rivière  Claire,  et  eurent  leurs  équipages  sérieusement  éprouvés. 
Cet  incident  ne  laissa  pas  d'inquiéter  le  général  Brière  de  l'Isle,  et  une  petite 
expédition  fut  résolue  pour  chasser  les  Chinois  de  Duoc,  relever  la  garnison 
de  Tuyen-Quan,  qui  était  très  éprouvée  par  les  maladies,  enfin  approvisionner 
le  poste  en  vivres  et  en  munitions.  Cette  opération,  qui  fut  confiée  au  colonel 
Duchesne,  avec  deux  compagnies  de  la  légion  et  deux  d'infanterie  de  marine, 
donna  lieu,  le  19  novembre,  à  un  violent  combat  à  Duoc;  mais  les  Chinois  se 
virent  rejetés  sur  la  route  de  Tuyen-Quan  à  Phu-An-Binh,  et  le  danger  se 
trouva  momentanément  écarté.  Le  commandement  de  Tuyen-Quan  *  fut  alors 
donné  au  chef  de  bataillon  Dominé,  et  il  fut  décidé  par  1  état- major  général 
qu'on  ne  s'occuperait  plus  de  cette  placj  jusqu'après  l'expédition  de  Lang- 
Son. 

Cependant,  par  suite  de  l'échouage  de  deux  canonnières  à  Phu-Doan,  au 
confluent  de  la  rivière  Claire  et  du  Song-Chaî,  il  était  résulté  de  cette  courte 
expédition  la  nécessité  de  créer  sur  ce  point  un  poste  pour  les  proléger.  C'était 
là,  on  peut  le  dire ,  une  circonstance  plus  heureuse  que  néfaste;  car  sans  elle 
on  eût  probablement  négligé  d'occuper  cette  position  importante,  commandant 
les  deux  routes  de  Tuyen-Quan  et  de  Phu-An-Binh,  et  les  Chinois  n'eussent 

t  La  garnison  de  la  place  restait  la  même  comme  force ,  mais  les  deux  compagnies  de 
légion  étrangère  qui  s'y  trouvaient  précédemment  étaient  remplacées  par  deux  compa- 
gnies halclies  du  même  corps. 


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538  LB  3®  RÉQIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1885] 

po6  monqué  de  s'y  établir.  Quoi  qu'il  en  soil,  ce  fut  lo  4*  compagnie  (capi-« 
laine  Massip)  du  l^^*  bataillon  du  régiment  qui  fut  désignée  pour  constituer 
cette  nouvelle  garnison.  Cette  compagnie  avait  quitté  Hanoï,  où  se  trouvait 
encore  le  bataillon,  le  31  octobre,  pour  se  rendre  à  Sontay,  où  elle  resta  pen- 
dant un  mois;  elle  en  partit  le  3  décembre  avec  une  compagnie  d'infanterie 
de  marine  et  un  convoi  de  vivres  à  destination  de  Tuyen-Quan ,  arriva  à  Phu- 
Doan  le  7,  se  remit  en  route  le  16  pour  accompagner  ce  convoi  jusqu'à  Duoc, 
et  rentra  le  20  à  Pbu-Doan,  où  pendant  deux  mois  elle  allait  travailler  à  se 
fortifier  avec  une  activité  décuplée  par  la  menace  permanente  d'une  atlaquc 
de  vive  force  par  quinze  à  vingt  mille  Chinois.  A  la  fin  de  janvier  1885,  elle 
devait  y  être  renforcée  par  un  peloton  de  la  légion  étrangère,  sous  les  ordres 
du  lieutenant  Lamole. 

Tuyen-Quan  ne  resta  pas  longtemps  sans  être  de  nouveau  inquiété  par  les 
Chinois;  dès  la  fin  de  d^mbre  ceux-ci  reparurent,  et  vers  le  milieu  de  jan- 
vier on  les  vit  ouvrir  des  parallèles,  construire  des  places  d'armes  et  entre- 
prendre des  travaux  d'approche  pour  un  siège  aussi  judicieusement  étudié 
qu*il  allait  être  vigoureusement  poursuivi.  Bientôt  l'explosion  d'une  mine,  qui 
lit  une  brèche  de  dix  à  douze  mètres  aux  remparts  de  la  place,  démontra  tout 
ce  qu'on  avait  à  craindre  d'un  pareil  ennemi.  La  situation  s'aggravait  :  déjà 
les  courriers  ne  pouvaient  plus  passer  à  Duoc;  on  savait  que  Luu-Vinh-Phuoc 
y  faisait  élever  des  retranchements  formidables;  des  avis  parvenus  au  service 
des  renseignements  signalaient  des  forces  considérables  en  marche  du  Lao-Kuî 
sur  Than-Quan  et  Phu-An-Binh;  l'expédition  de  Lang-Son  n'avait  pas  encore 
commencé;  il  était  difficile  de  prévoir  sa  durée,  encore  plus  son  résultat;  la 
délivrance  n'était  possible  qu'après  cette  opération  ;  bref,  tout  semblait  s'unir 
pour  ne  laisser  à  la  malheureuse  garnison  assiégée  que  la  ressource  de  se  faire 
tuer  bravement  après  s'être  défendue  jusqu'à  la  dernière  extrémité.  Mais  le 
sang-froid  du  commandant  Dominé  devait  tellement  reculer  les  limites  de  cette 
résistance,  qu'un  mois  et  demi  après  Tuyen-Quan  allait  encore  être  debout, 
malgré  de  nouvelles  mines,  malgré  de  nombreux  assauts. 

Lang-Son  fut  enfin  occupé  le  13  février.  Dès  le  16,  la  1*'«  brigade  (colonel 
Giovanninelli),  dans  laquelle  se  trouvait  le  3®  bataillon  du  régiment  (comman- 
dant de  Mibielle),  se  mettait  en  route  pour  revenir  dans  le  Delta  et  se  porter 
à  marches  forcées  sur  la  haute  rivière  Claire.  Le  17,  elle  était  à  Phu-Thuong- 
Khan;  le  18,  à  Bac-Lé;  le  19,  à  Lang-Ma;  le  20,  à  PhuLang-Thuong;  le  21 , 
à  Pbu-Tu-Son,  et,  le  22,  à  llanol.  Depuis  deux  jours,  une  colonne  composée 
de  toutes  les  troupes  disponibles  de  la  garnison  de  cette  ville,  dont  la  3»  com- 
pagnie (capitaine  Caries)  du  1^  bataillon  du  régiment,  avec  le  commandant 
Bérangèr,  était  déjà  partie  pour  Phu-Doan,  sous  les  ordres  du  colonel  de 
Maussion ,  de  l'infanterie  de  marine,  afin  de  préparer  au  besoin  les  opérations 
et  rassurer  la  garnison  de  Tuyen-Quan,  en  lui  faisant  parvenir  la  nouvelle  de 
l'arrivée  de  secours.  Cette  colonne ,  après  s'être  grossie  à  Sontay  d'une  corn* 
pagnie  de  la  légion  étrangère  et  d'une  de  Tirailleurs  tonkinois,  à  Bac -Hat 
d'une  autre  de  Tirailleurs  algériens  et  d'encore  un  peloton.de  Tonkinois,  attei- 
gnit Phu-Doan  le  23.  Là,  sur  les  renseignements  recueillis,  son  chef  jugea 
prudent  de  ne  rien  entreprendre,  et  de  se  contenter  d'observer  lo  pays  eu 


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[1885]  AU  TONKIN  539 

attendant  la  brigade.  Celle-ci,  a^ec  laquelle  marchait  le  général  en  cher, 
arriva  le  27.  Le  chiffre  des  troopf's  réunies  à  Phu-Doan  s'éleva  alors  à  envi- 
ron trois  mille  six  cents  combattants,  en  y  comprenant  quatre  cents  Tirail- 
leurs tonkinois. 

Le  soir,  le  colonel  Giovanninelli  Ht  tirer  des  salves  de  coups  de  canon  et  des 
fusées  tricolores  dans  le  but  de  prévenir  Tuyen-Quan.  C'était  malheureuse- 
ment avertir  aussi  les  Chinois  retranchés  à  Duoc,  et  jamais  assaillant  n*a  été 
plus  sûrement,  plus  froidement  attendu  que  la  colonne  allait  Tétre  dans  cette 
circonstance  par  ceux  qu'elle  se  proposait  de  surprendre  et  de  culbuter. 

Les  lettres  du  rommandant  Dominé  d'un  côté,  les  rapports  des  indigènes  de 
l'autre,  avaient  depuis  longtemps  signalé  l'importance  des  fortifications  de 
Duoc.  Admirablement  favorisé  par  la  position,  l'ennemi  avait  d'abord  barré 
la  ronto  pnr  de  nombreux  ouvrages,  puis  il  en  avait  construit  d'autres  pour 
empêcher  reux-rJ  d*/^tre  tournés,  et  In  tout,  s'appuyant  à  la  rivière,  constituait 
maintenant  une  ligne  redoutable  qui  ne  pouvait  être  abordée  que  de  front. 
Il  ne  se  présentait  que  deux  moyens  pour  l'éviter.  Le  premier,  qui  consistait 
à  remonter  les  rives  du  Song-Cha!  jusqu'à  Phu-An-Binh,  et  à  prendre  ensuite 
la  route  qui  conduisait  de  ce  point  à  Tuyen-Uuan,  eût  peut-être  été  pratique 
dans  un  autre  moment;  mais  le  temps  qu'il  demandait  ne  permettait  pas  de 
s'y  arrêter.  Quant  à  l'autre,  il  ne  lui  manqua,  pour  être  adopté,  que  dMtre 
suffisamment  étudié.  C'était  de  suivre  une  route  intermédiaire  que  des  recon- 
naissances effectuées  par  la  garnison  de  Phu-Doan  venaient  de  découvrir.  Cette 
route,  qui  partait  de  Phu-Doan  pour  aller  déboucher  dans  la  plaine  de  Tuyen- 
Quan,  rencontrait  bien  la  droite  des  lignes  de  Duoc,  mais  sur  ce  point  il  ne 
s'élevait  encore  que  quelques  forts  inachevés,  et  le  terrain  permettait,  ce  qui 
était  impossible  du  côté  de  la  rivière,  de  manœuvrer.  Le  colonel  Giovanninelli 
craignit  de  se  priver  du  concours  de  la  flottille,  d'être  difficilement  suivi  par 
son  convoi  et  son  artillerie,  et  il  préféra  s'engager  sur  la  route  déjà  plusieurs 
fois  parcourue,  se  fiant  à  l'incomparable  valeur  de  ses  troupes  pour  triom- 
pher des  obstacles  que  l'ennemi  avait  accumulés.  Cette  détermination  allait 
amener  le  combat  le  plus  sanglant  de  toute  la  campagne. 

La  brigade  quitta  Phu-Doan  le  28  février  à  midi.  Il  ne  resta  dans  ce  poste 
qu'une  compagnie  du  l"''  Tirailleurs.  Celle  du  3*  qui  l'occupait  précédemment 
était  rentrée  dans  la  colonne,  de  sorte  que  le  régiment  était  représenté  dans 
cette  dernière  par  un  bataillon  et  demi.  Les  canonnières,  au  nombre  de  cinq, 
tentèrent  de  leur  côté  de  remonter  la  rivière  ;  mais  dès  leur  départ  l'une  d'elles 
s'étant  échouée  et  ayant  obstrué  la  passe ,  elles  ne  devaient  arriver  que  lorsque 
tout  serait  terminé. 

Vingt  kilomètres  séparent  Phu-Doan  de  Duoc;  mais  la  route,  coupée  par  de 
nombreux  arroyos  sur  lesquels  il  n'existait  aucun  pont,  était  alors  des  plus 
difficiles,  et  près  de  trois  jours  allaient  être  nécessaires  pour  parcourir  cette 
distance,  qu'on  croyait  pouvoir  franchir  en  un  seul.  Dès  le  second  jour  on 
commença  à  trouver  des  abatis,  des  petits  piquets  que  les  Chinois  avaient 
hâtivement  disposés  dans  les  mauvais  passages  afin  de  nous  retarder.  Ces 
travaux  remontaient  à  quarante-huif  heures  au  plus. 

Le  2  mars,  la  colonne  quitta  son  bivouac,  situé  à  environ  cinq  kilomètres 


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5^0  LE  3^  RÉQIIIENT  DE  TinAILLEURS  ALQÊniENS  [1885] 

de  Duoc*,  à  neuf  heures  du  matin.  Un  peloloa  de  Tirailleurs  tonkinois  for- 
mait la  pointe  d'avant-garde;  venait  ensuite  le  bataillon  de  Mibielle ,  avec  la 
4*  compagnie  (capitaine  Valet)  en  avant  et  les  trois  autres  réunies.  On  s'a- 
vança lentement,  les  abatis  et  les  petits  piquets  arrêtant  les  Tonkinois  à 
chaque  pas.  Enfin,  vers  onze  heures,  les  principaux  forts  chinois  furent  en 
vue.  On  s'arrêta  à  une  faible  distance,  sans  qu'un  coup  de  fusil  eût  encore 
été  échangé.  Il  s'agissait  maintenant  d'effectuer  autant  qu'on  le  pouvait  la 
reconnaissance  de  la  position. 

Celle-ci  se  présentait  au  premier  abord  comme  toutes  celles  qu'on  avait 
rencontrées  jusque-là ,  c'est-à-dire  comme  une  succession  de  mamelons  cou- 
ronnés de  forts;  mais  ces  forts,  qui  s'étendaient  sur  une  triple  ligne  et  se 
prolongeaient  sur  la  gauche  aussi  loin  que  l'œil  pouvait  parvenir,  étaient 
reliés  par  des  tranchées  formant  chemin  couvert  et  se  prêtaient  pour  la  plu- 
part un  mutuel  appui;  construits  sur  des  hauteurs  boisées,  ils  étaient  sur 
toutes  leurs  faces  précédés  d'un  cnchevêlreinent  do  défenses  accessoires  ayant 
dix  à  quinze  mètres  de  profondeur;  plusieurs  possédaient  en  outre  une  double 
enceinte  de  palissades;  tous  étaient  casemates  avec  de  gros  madriers  et  des 
rondins  recouverts  de  terre;  les  plus  importants,  faits  pour  abriter  environ 
cent  cinquante  défenseurs,  comportaient  un  réduit  également  casemate;  en- 
fin, pour  ajouter  encore  à  ces  innombrables  difficultés,  les  uns  et  les  autres 
étaient  presque  invisibles  de  la  vallée,  si  bien  que  dès  ses  premiers  pas  la 
colonne  allait  donner  tiUe  baissée  dans  l'inconnu.  Tous  ces  retranchements 
étaient  surmontés  d*une  profusion  de  drapeaux,  dont  la  couleur  indiquait  la 
présence  dans  les  rangs  ennemis  des  sauvages  soldats  de  Luu-Vinh-Phuoc. 

A  deux  cents  mètres  des  premières  tranchées,  les  Tirailleurs  tonkinois  de 
la  pointe  se  déployèrent  dans  les  hautes  herbes ,  ayant  en  réserve  la  4*  com- 
pagnie du  bataillon  de  Mibielle;  en  même  temps,  la  V^  (capitaine  Camper) 
du  même  bataillon  se  portait  en  flanc-garde  à  deux  cents  mètres  sur  la 
.  gauche.  C*est  à  l'abri  de  ce  mince  rideau  que  le  colonel  Giovanninelli  étudia 
lui-même  l'ensomble  des  ouvrages  ennemis  et  les  moyens  do  les  attaquer. 
Deux  plans  se  présentaient  :  conci'ntrer  tous  les  efforts  de  la  colonne  sur  un 
grand  fort  situé  à  environ  mille  cinq  cents  mètres  de  la  rivière  et  constituant, 
par  sa  situation  dominante,  la  véritable  clef  de  la  position;  marcher  droit 
devant  soi  en  ne  s'occupant  que  des  retranchements  qui  défendaient  spécia- 
lement la  route  de  Tuyen-Quan.  C'est  à  ce  dernier  parti  qu'on  s'arrêta. 
C'était,  pour  nous  servir  d'une  expression  employée  sur  le  moment,  prendi'c  ie 
Ungreau  par  les  cornes. 

Jusque-là  un  silence  absolu  n'avait  cessé  de  régner  dans  les  positions 
chinoises  de  la  vallée;  on  aurait  pu  les  croire  abandonnées  :  des  groupes 
assez  nombreux  s'en  étaient  approchés  à  moins  de  cent  cinquante  mètres,  et 
pas  un  coup  de  fusil  n'en  était  parti. 

Il  était  un  peu  plus  de  midi  ;  les  Tirailleurs  tonkinois  reçurent  l'ordre  de 

>  Le  combat  des  2  et  3  mars  1S85 ,  bien  qu*ayant  ou  pour  tbéâU^  à  peu  près  le  uièuic 
terrain  que  celui  du  19  novembre  i8S4 ,  a  pris  le  nom  de  Hoa-lloc  pour  des  raisons  qui 
ne  peuvent  être  exposées  ici. 


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[1885]  AU  T0NK1N  541 

8*avancer  jusqu^à  co  qu'ils  eussent  coDstaté  la  présence  de  Tennemi.  Pendant 
ce  temps,  la  2"  compagnie  (capitaine  Chirouze)  du  bataillon  de  Mibielle 
devait  essayer  de  se  frayer  un  chemin  à  travers  les  roseaux  qui  bordaient  la 
rivière  pour  voir  sf  le  terrain  était  accessible  de  ce  côté.  Tout  à  coup,  au 
moment  où  les  Tonkinois  vont  arriver  sur  les  premiers  ouvrages  qui  barrent 
la  roule,  la  Tusillade  éclate  de  toutes  parts.  Sans  s'en  douter,  cette  petite 
troupe  s'est  engagée  dans  une  impasse  redoutable  où  viennent  converger  les 
feux  de  quatre  ou  cinq  forts  ou  tranchées;  aussi  a-t-elle  immédiatement  la 
moitié  de  son  efleclif  hors  do  combat;  le  reste  fuit  aflblé  devant  les  Pavillons- 
Noirs,  qui,  voyant  qu*ils  n'ont  affaire  qu'à  des  Annamites,  sont  sortis  de 
leurs  retranchements  avec  d'énormes  coupe-cous  *  pour  décapiter  à  Tinstant 
les  morts  et  les  blessés.  L*intervention  de  la  compagnie  Valet,  du  régiment, 
vient  heureusement  faire  cesser  cette  horrible  boucherie;  mais  il  faut  relever 
les  malheureux  qui  vivent  encore,  et  pour  les  dégager  cette  compagnie  se 
porte  résolument  en  avant,  appuyée  sur  sa  droite  par  la  2«,  qui,  dè^  qu'elle  a 
entendu  la  fusillade,  a  abandonné  sa  reconnaissance  pour  se  porter  au  secours 
des  troupes  engagées.  Un  premier  retranchement,  à  la  droite  de  la  route, 
est  abordé  à  la  baïonnette  :  nos  deux  compagnies  s*y  installent  sous  un  feu 
des  plus  meurtriers,  et,  malgré  les  eflbrts  de  l'ennemi,  elles  vont  s'y  main- 
tenir pendant  toute  la  journée. 

Aussitôt  qu*il  avait  vu  les  Tonkinois  secourus  par  les  Timilleurs  algériens, 
et  ceux-ci  prendre  pied  sur  la  position  môme  de  l'ennemi,  le  colonel  Giovan- 
ninelli  avait  prescrit  à  la  3"  compagnie  (capitaine  Polère)  du  bataillon  de 
Mibielle  de  reprendre  la  reconnaissance  commencée  par  la  2«.  Cette  com- 
pagnie pénétra  à  son  tour  dans  les  jungles,  en  s'ouvrent  un  chemin  avec  ses 
outils.  Au  bout  d'un  moment  elle  disparut  dans  le  fourré,  et  l'on  n'en  eut 
plus  de  nouvelles.  C'est  que,  ne  pouvant  rien  voir,  elle  avait  à  percer  toute 
Tépaisscur  du  massif  pour  arriver  à  accomplir  sa  mission.  Pendant  ce  temps, 
le  lieutenant-colonel  Letellier  faisait  porter  en  arrière  du  bataillon  de  Mibielle 
le  bataillon  Comoy,  du  U'  Tirailleurs,  et  prenait  la  direction  de  tout  ce  côté 
de  la  ligne  de  combat.  A  gauche ,  s'avançait  Tinfanterie  de  marine,  qui  atten- 
dait, pour  s'engager  à  son  tour,  que  Tartillerie  lui  eût  suflisamment  préparé 
Tattaque  des  premiers  forts  de  la  vallée.  Mais  c'était  en  vain  que  nos  pièces 
tiraient  sur  ces  ouvrages  casemates;  complètement  à  l'abri  de  leurs  coups, 
renncini  continuait  de  riposter  par  la  fusillade,  et  se  massait  tranquillement 
sur  le  point  où  il  sentait  qu'allait  se  porter  notre  principal  eiïort. 

Cette  situation  devait  rester  sensiblement  la  môme  jusqu'à  quatre  heures 
du  soir.  Vers  deux  heures  et  demie,  l'air  fut  tout  à  coup  ébranlé  par  un  bruit 
sourd,  et  une'^énorme  colonne  de  fumée  s^éleva  au-dessus  de  la  ligne  de 
combat  :  c'était  le  retranchement  dans  lequel  s'étaient  établies  les  2*  et  4* 
compaguics  du  bataillon  de  Mibielle  qui  sautait.  A  la  violence  de  l'explosion, 
on  crut  un  moment  que  tous  les  nôtres  étaient  ensevelis;  mais  les  Chinois 
avaient  heureusement  très  mal  disposé  leur  mine,  et  seule  une  section  de 

1  Espèce  de  sabre  à  deux  mains  &  lame  très  large,  dont  on  se  sert  pour  les  exéeations 
capitales  en  Oiinc  et  en  Annam. 


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642  LE  3®  RÉQIIIENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1885] 

la  2«  compagoie  en  avait  sérioiuemont  BOuiTort.  Parmi  los  blosséd  so  trouvait 
le  capitaine  Chirouze,  qui  avait  été  projeté  sur  des  abatis;  plusieurs  hommes 
étaient  atrocement  brûlés. 

Cependant  la  3*  compagnie,  qui  avait  été  rejointe  par  le  commandant  de 
Mibielle,  était  en6n  parvenue  à  l'extrémité  du  couvert  sous  lequel  elle  s'était 
engagée.  Elle  se  trouvait  maintenant  à  quatre-vingts  mètres  de  nombreux 
ouvrages  touchant  à  la  rivière  et  formant  une  tenaille  à  angle  très  ouvert.  Il 
lui  était  impossible  d'aller  plus  loin.  Un  instant  après  arrivèrent  le  lieu- 
tenant-colonel Letellier  et  le  commandant  Comoy  avec  une  aulre  compagnie 
du  U'  Tirailleurs;  mais  cet  appoint  ne  permettant  pas  encore  de  risquer  une 
attaque,  il  fut  décidé  qu'on  attendrait,  pour  tenter  celle-ci,  que  sur  la  gauche 
la  situation  se  fût  nettement  dessinée.  Depuis  un  moment,  les  trois  autres 
compagnies  du  l^**  Tirailleurs  s'étaient  mêlées  aux  l^*,  2^  et  4«  du  3*,  et  les 
unes  et  les  autres  se  maintenaient  de  leur  côté  sur  les  positions  où  ces  der- 
nières s'étaient  dès  le  cjébut  respectivement  établies. 

A  quatre  heures  et  demie,  le  bataillon  Mayas,  de  Tinfanterie  de  marine, 
reçut  l'ordre  de  donner  l'assaut  aux  ouvrages  se  trouvant  immédiatement  sur 
la  route  de  Tuyen-Quan.  Le  bataillon  Lambinet,  du  même  corps,  devait 
appuyer  cette  attaque  et  la  favoriser  en  essayant  d'inquiéter  la  droite 
ennemie.  La  charge  sonne;  les  compagnies,  que  les  difficultés  du  terrain 
forcent  de  s'avancer  les  unes  après  les  autres,  s'éluncent  avec  une  remar- 
quable vigueur;  les  premières  tranchées  sont  enlevées;  mais  dès  qu'il  s'agit 
d'aller  plus  loin,  la  violence  de  la  fusillade  vient  arrêter  court  les  assaillants. 
Cette  furieuse  tentative  est  renouvelée  à  six  heures  du  soir;  dans  un  héroïque 
effort,  l'infanterie  de  marine  parvient  à  gagner  encore  un  peu  de  terrain; 
mais  certains  forts,  quoique  débordés,  se  défendent  toujours;  nos  pertes 
augmentent  avec  une  eflrayante  rapidité;  la  nuit  arrive;  il  faut  renoncer  à 
percer  l'étroit  cul-de-sac  dans  lequel  une  trop  présomptueuse  confiance  nous 
a  attirés. 

Près  de  la  rivière  avait  eu  lieu  un  autre  assaut,  aussi  infructueux.  Vers 
cinq  heures,  entendant  les  clairons  de  l'infanterie  de  marine  près  d'arriver  à 
sa  hauteur,  le  commandant  de  Mibielle  avait  jugé  le  moment  favorable  pour 
tenter  une  diversion.  Sur  son  ordre,  deux  sections  de  la  3*  compagnie 
(capitaine  Polère),  vigoureusement  enlevées  par  le  lieutenant  Mohamed- 
ben-H'Ahmed  et  le  sous -lieutenant  Pieri,  avaient  brusquement  débouché 
du  fourré  pour  s'élancer  sur  la  tenaille;  mais  elles  n'avaient  pas  pu  faire 
vingt  pas  :  gênées  par  les  hautes  herbes,  assaillies  par  le  feu  écrasant  de  lu 
défense,  en  un  instant  elles  avaient  eu  vingt-quatre  hommes  hors  de  combat 
et  s'étaient  vues  obligées  de  rentrer  précipitamment  sous  le  couvert.  Toute  la 
compagnie  s'était  alors  mise  hâtivement  à  construire  quelqueé  épaulements 
pour  résister  à  un  retour  offensif  que  semblait  faire  craindre  cet  insuccès. 
A  six  heures,  elle  fut  relevée  par  celle  du  1^'  Tirailleurs  qui  lui  avait  servi 
de  soutien ,  et  vint  s'établir  en  réserve  à  cent  cinquante  mètres  en  arrière. 
C'est  sur  ce  point  qu'elle  allait  passer  la  nuit. 

A  l'extrême  réserve  s'était  également  déroulé  un  incident  qui  ovait  failli 
prendre  des  proportions  inattendues.  Sur  ce  point,  les  quelques  troupes  non 


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[1885]  AU  TONKIN  543 

engagées  aViaicnt  rl^ploy^s  en  arn>ro  et  9iir  le  flanc  gaucho  «  de  façon  à 
proti^gor  rnmbninnro  (|ni  avait  M  \\\%\n\\f^  pr^a  «le  la  rivi^ro.  IiOa  doux  rom- 
pngniofi  (^l"  ol  ^^)  du  1'*'  bataillon  du  n^gimont  avaient  étâ  plus  sp^ialeinent 
chnrgAr»  di!  couvrir  Ioa  dorn^rcs  do  la  hrigado,  qui  comhallait  ayant  à  don 
un  arroyo  au  lit  tr^8  profond  et  aux  berges  bordées  de  hautes  haies  de  bam- 
bous. Soudain ,  au  moment  le  plus  furieux  de  Tassant  de  rinfantorie  de  ma- 
rine, des  coups  de  feu  assez  nourris  avaient  éclaté  de  Tautre  côté  de  Tarroyo. 
Uuciqucs  balles  étaient  venues  frapper  près  de  Tambulance  et  y  avaient 
causé  un  émoi  facile  à  deviner.  La  4<^  compagnie  (capitaine  Massip).B*étant 
alors  portée  vers  Tarroyo  et  ayant  exécuté  quelques  feux  de  salve  dans  la 
direction  des  tireurs  chinois,  ceux-ci  avaient  pris  la  fuite,  mais  non  sans 
avoir  fait  naître  de  sérieuses  inquiétudes  pour  la  nuit  au  sujet  de  nos  blessés. 
Pour  parer  h  ce  danger  dans  la  mesure  du  possible,  la  compagnie  Massip  fut 
disposée  eu  une  ligne  continue  formant,  pour  ainsi  dire,  la  quatrième  face 
d*un  vaste  carré  ilont  le  côté  correspondant  élait  déterminé  par  la  ligne  de 
combat,  et  les  deux  autres  par  la  rivière  et  les  compagnies  établies  en  flanc- 
garde  parallèlement  à  celle-ci. 

A  sept  heures  du  soir,  la  situation  était  telle ,  qu'il  fallait  la  considérer 
comme  fortement  compromise  si  rennenii  continuait  de  se  défendre  avec  la 
même  opiniâtreté  le  lendemain.  La  colonne  comptait  environ  quatre  cents 
tués  ou  blessés ,  et  n'était  maîtresse  que  de  quelques  ouvrages  avancés  ne  lui 
assurant  aucun  avantage  pour  la  reprise  du  combat.  Il  ressortait  même  avec 
une  cruelle  évidence  que ,  si  Ton  persistait  à  vouloir  forcer  la  ligne  chinoise 
sur  le  point  où  on  l'avait  attaquée,  on  ne  ferait  pas  un  pas  de  plus. 

La  nuit  seule  vint  faire  cesser  la  lutte  entre  notre  première  ligne  et  les 
défenseurs  des  forts  chinois  de  la  vallée.  A  ce  moment  l'aspect  qu'oflrait  le 
théAtre  du  carnage  était  navrant  et  sublime  tout  à  la  fois  :  parlent  des  blessés 
qui  n'avaient  encore  pu  ôtre  enlevés,  des  morts  gisant  au  milieu  de  petits 
piquets  et  de  palissades  arrachées,  çà  et  là  des  corps  sans  tète,  horribles, 
diflbrmes,  eiïrayants,  des  débris  de  toute  sorte  projetés  par  la  mine,  des 
vêtements  brûlés,  des  armes  brisées,  des  décombres  sanglants;  plus  loin, 
les  survivants,  la  baïonnette  au  canon,  entassés  dans  d'étroites  tranchées,  et 
s'apprôtant,  calmes,  terribles,  silencieux,  à  repousser  sans  tirer  les  assail* 
lants  qui  s'avanceraient  à  la  faveur  de  Tobscurité;  enGn,  dans  la  brume  du 
soir,  qu'épaississait  encore  la  fumée  des  derniers  coups  de  feu,  les  forts 
ennemis  se  dressant  comme  une  espèce  d'amphithéâtre  dont  nous  occupions 
le  premier  gradin. 

Vers  deux  heures  du  matin,  les  Chinois  ouvrirent  soudain  le  feu,  sans 
qu*on  en  sût  trop  la  cause;  mais  dans  nos  lignes  personne  ne  répondit.  On 
attendait,  l'arme  basse,  dans  un  frémissement  mêlé  d'impatience,  que  l'en- 
nemi sortît  de  ses  retranchements  pour  se  ruer  sur  nos  positions.  Cependant 
le  silence  se  fit  bientôt  et  ne  fut  plus  troublé  que  par  une  rumeur  confuse  et 
un  va-et-vient  continuel  dans  les  forts  les  plus  rapprochés.  Derrière  les 
mamelons  de  gauche  apparaissait  une  vive  lueur  :  c'était  un  village  qui 
brûlait. 
Le  3  mars ,  le  jour  se  leva  froid  et  brumeux  ;  un  épais  brouillard ,  qui  de- 


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544  LB  3®  RÉOIIIRNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [18851 

voit  metlro  assez  longtemps  à  se  dissiper ,  couvrait  la  partie  inrérieure  de  la 
ligne  ennemie.  Très  perplexe,  l'état -major  s'était  décidé  à  abandonner 
l'attaque  de  droite  pour  tenter  celle  du  grand  fort.  Si  cette  dernière  échouait, 
on  se  retirerait  sur  quelque  bonne  position  défensive  en  attendant  l'arrivée  de 
renforts  qu'une  dépêche  pressante  demandait  au  commandant  supérieur  du 
Delta.  D'après  ce  nouveau  plan,  on  ne  devait  laisser  sur  la  droite  que  les 
forces  absolument  indispensables  pour  contenir  l'ennemi;  les  autres  devaient 
se  reformer  en  arrière  en  attendant  le  moment  de  se  précipiter  à  un  dernier 
assaut.  Si  l'on  en  excepte  les  Tirailleurs  tonkinois,  sur  lesquels  il  ne  fallait 
pas  compter,  il  ne  restait  plus,  comme  troupes  fraîches,  qu'une  compagnie 
de  la  légion  étrangère  et  les  deux  compagnies  du  bataillon  Béranger.  Pendant 
la  nuit,  la  compagnie  de  la  légion  s'était  déjà  portée  en  première  ligne;  la 
3*  (capitaine  Caries)  du  bataillon  Béranger  était  venue  se  placer  en  réserve 
de  rartillorie.  C'esl  là  qu'elle  fut  rejointe,  à  six  heures  du  matin,  par  la  4<>, 
que  nous  avons  vue  protégeant  Tainbulance  et  les  derrières  do  la  colonne. 

Dès  qu'on  avait  pu  y  voir,  la  fusillade  avait  repris,  mais  avec  moins  d'in- 
tensité que  la  veille ,  et  seulement,  du  côté  de  l'ennemi ,  sur  la  deuxième  ligne 
des  forts.  La  première  ligne  paraissait  abandonnée.  Vers  sept  heures,  la 
compagnie  du  l»**  Tirailleurs  qui  avait  relevé  la  3*  du  bataillon  de  Hibielle, 
appuyée  par  cette  dernière,  pénétra  en  eflet,  sans  trop  de  difficultés,  dans  les 
ouvrages  contre  lesquels  avait  échoué  l'infanterie  de  marine.  Ce  succès  nous 
rendait  maîtres  de  tous  les  retranchements  situés  entre  la  rivière  et  la  route; 
mais  celle-ci  était  encore  défendue,  sur  la  gauche,  par  d'autres  forts  la 
dominant  de  très  près. 

Jusqu'à  huit  heures  et  demie,  l'action  resta,  pour  ainsi  dire,  en  suspens. 
L'artillerie  (trois  batteries  de  montagne)  s'était  rapprochée,  avait  rouvert 
son  feu,  et  plusieurs  de  ses  pièces  tiraient  maintenant  sur  les  approches  du 
grand  fort.  En  attendant  les  résultats  de  cette  canonnade,  le  colonel  de  Maus- 
sion  était  parti  avec  le  sous -lieutenant  Darier- Châtelain  et  dix  Tirailleurs 
algériens  do  la  compagnie  Massip  pour  enfcctuer  une  reconnaissance  des 
abords  de  la  position  sur  laquelle  on  se  proposait  de  tenter  un  eflbrt  décisif. 
Bientôt  il  se  rendit  compte  qu'une  partie  des  ouvrages  situés  sur  la  gauche  de 
la  vallée  étaient  abandonnés.  Prenant  alors  une  compagnie  d'infanterie  de 
marine  qui  avait  été  placée  en  flanc-garde,  il  fait  sonner  la  charge  et  entre 
sans  coup  férir  dans  un  premier  fort;  il  y  laisse  une  section  et,  sans  perdre 
de  temps,  marche  sur  un  deuiième  ouvrage,  dans  lequel  il  pénètre  encore  au 
prix  de  quelques  blessés  seulement.  Il  a  fait  demander  une  compagnie  de 
renfort;  le  commandant  Béranger  s'y  porte  avec  la  3«  de  son  bataillon,  et  un 
troisième  retranchement  est  occupé. 

Doit-on  l'attribuer  au  hasard?  Faut-il  en  voir  la  cause  dans  une  noble 
émulation,  si  naturelle  parmi  des  troupes  dont  la  bravoure  s'était  aussi 
hautement  aflirmée?  Serait-il  à  supposer  que  la  sonnerie  du  colonel  de  Maus- 
sion  eût  été  prise  pour  un  signal  partant  du  quartier  général?  Quoi  qu'il  en 
soit,  au  même  instant  où  la  charge  avait  retenti  sur  la  gauche,  elle  s'était 
fait  entendre  sur  la  droite,  sonnée  en  même  temps  par  une  compagnie  du 
l^i*  Tirailleurs  et  celle  de  la  légion.  Ces  deux  troupes,  remarquablement  en- 


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[1886]  AU  T0NK1N  546 

levées  par  leurs  ofliciers,  s'étaient  jetées  avec  fureur  sur  un  des  forts  barrant 
encore  la  route,  et,  après  TaToir  en  partie  cerné,  tentaient  en  ?ain  d*y  pé- 
nétrer. Réfugiés  sous  leurs  casemates  et  dans  le  réduit,  les  Chinois  se  défen- 
daient avec  l'énergie  du  désespoir. 

Il  faut  en  finir;  prévenu,  le  colonel  Giovanninclli  arrivo  avec  la  i9  com- 
pagnie du  bataillon  Déranger;  un  peloton  do  cette  dernière  est  disposé  sur  le 
flanc  du  mamelon  pour  répondre  aux  feux  d'un  autre  ouvrage  situé  à  deux 
cents  mètres  plus  loin;  l'aulre  se  blotlit  contre  le  lalus  du  fort  investi,  à 
quelques  mètres  seulement  dos  créneaux.  L'attaque  a  été  suspendue;  le  co- 
lonel fait  apporter  de  la  dynomite;  une  brèche  est  faite  à  la  palissade  qui 
surmonte  le  parapet;  mais  cela  ne  suffit  pas  :  les  Chinois  résistent  toujours. 
Ces  derniers  ont  maintenant  entonné  une  espèce  de  chant  religieux  et 
s'excitent  en  s'accompagnant  sur  des  gongs.  Dans  nos  rangs,  pas  un  cri,  pas 
une  impatience,  pas  une  hésitation.  Le  colonel  Giovanninelli ,  le  lieutenant- 
colonel  Lcteliior  sont  là  à  quelques  pas,  donnant  eux-mêmes  l'exemple  du 
plus  admirable  sang-froid.  On  n'attend  que  ce  seul  mot  :  En  avanti  Mais  le 
colonel  Giovanninelli,  voyant  que  les  Chinois  sont  décidés  à  vendre  chère- 
ment leur  vie,  ne  veut  pas  exposer  inutilement  celle  de  tant  de  braves 
noldnls;  il  fnit  amener  uno  pièce  do  canon,  on  la  hisso  h  grand'poine  & 
quelques  iiiètrrs  do  la  brèche,  elle  est  chargée  à  mitraille,  et,  par  cinq  à  six 
fois,  ses  coups  vont  porter  l'épouvanto  et  la  mort  au  sein  dos  défenseurs  du 
fort,  dont  les  feux  et  les  chants  cessent  enGn  tout  à  fait.  Il  est  neuf  heures  et 
demie;  le  retranchement  est  escaladé  par  la  compagnie  du  1*^  Tirailleurs  et 
le  2^^  peloton  de  la  compagnie  Massip,  et  c'est  ainsi  que  prend  fin  cet  épisode 
des  plus  émouvants. 

Il  ne  restait  plus,  pour  achever  de  dégager  la  route  de  Tuyen-Quan,  qu'à 
s'emparer  d'un  dernier  fortin,  celui -I&  même  sur  lequel  une  partie  do 
la  compagnie  Massip  avait  dirigé  son  tir.  Chargée  de  l'enlever,  cette  der- 
nière s'élance;  mais  l'ennemi  ne  l'attend  pas;  il  fuit  sur  tous  les  points, 
et  le  combat,  si  compromis  la  veille  au  soir,  se  dénoue  subitement  par 
une  victoire  qui  nous  rend  maîtres  de  cette  immense  ligne  de  retranche- 
ments. 

Dans  la  hAte  où  il  était  d'arriver  à  Tuyen-Quan,  le  colonel  Giovanninelli 
ne  s'attarda  môme  pas  à  faire  occuper  les  forts  do  gauche;  il  laissa  cetlo 
mission  au  commandant  Frauger,  do  la  légion  étrangère,  qui  restait  avec 
quelques  compagnies  pour  garder  l'ambulonce,  et  partit  immédiatement  avec 
les' autres  troupes.  On  arriva  à  Tuyen-Quan  à  trois  heures  et  demie  de 
l'après-midi.  La^ploce  était  libre;  les  douze  à  quinze  mille  Chinois  qui 
l'assiégeaient  avaient  commencé  leur  retraite  la  veille,  et  le  matin  il  ne  res- 
tait plus  que  quelques  retardataires  demeurés  dans  les  tranchées.  Une  sortie 
de  la  garnison  les  avait  facilement  dispersés. 

Les  journées  des  2  et  3  mars,  qui  devaient  être  inscrites  sous  la  dénomi- 
nation de  combat  de  IIoa-Moc,  nom  d'un  village  situé  à  quelques  kilomètres 
en  arrière  du  terrain  sur  lequel  on  s'était  battu,  avaient  été  les  plus  san- 
glantes de  l'expédition;  elles  coûtaient  à  la  colonne  à  peu  près  le  septième  de 
son  effectif,  soit  soixonte- seize  tués,  dont  six  officiera,  et  quatre  cent  huit 

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546  LE  3*  RÉGIMENT  DE  "TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1885] 

blessés,  dont  vingt  et  un  ofliciera  ^  Le  3*  bataillon  du  3*  Tirailleurs  avait 
eu  pour  sa  part  quinze  tués,  dont  un  officier,  et  quatre-vingt-un  blessés, 
dont  sept  officiers;  les  deux  compagnies  du  1«'  bataillon  comptaient  six 
blessés,  ce  qui  portait  les  pertes  du  régiment  à  cent  deux  hommes  hors  de 
<M)mbat.  L'officier  tué  était  le  lieutenant  Embarck-ou-Alia.  Étaient  blessés  : 
MM.  Chirouze  et  Valet,  capitaines;  Guignabaudet  et  Mohamed-ben-M' Ahmed, 
lieutenants;  Peyre,  Pieri  et  Mohamed- bon -Embarck,  sous- lieutenants. 
M.  Peyre,  très  grièvement  atteint,  devait  succomber  quelques  jours  après. 

La  gloire  de  ce  succès,  si  chèrement  acheté,  était  à  partager  entre  Tinfan- 
terie  de  marine  et  les  Tirailleurs  algériens  :  Marsouins  *  et  Turcos  avaient  été 
admirables,  les  uns  et  les  autres  s'étaient  surpassés.  En  faisant  suivre  ces 
lignes  de  Tordre  de  l'armée  qui  vint  proclamer  ce  mémorable  fait  d'armes, 
nous  achèverons  de  donner  une  idée  de  ce  quUl  y  eut  là  de  bravoure  dé- 
pensée, d'obstacles  surmontés  et  de  difficultés  vaincues. 

c  Officiers ,  sous-officiers  et  soldats  de  la  l*^  brigade, 

«  Vous  venez  d'ajouter  une  glorieuse  page  à  Tbistoire  du  corps  expédition- 
naire. Après  vos  victoires  de  la  route  de  Chu  à  Lang-Son ,  sans  vous  accorder 
un  repos  déjà  si  bien  mérité,  j*ai  dû  vous  demander  de  nouveaux  efforts,  vous 
conduire  à  de  nouveaux  dangers.  L'entrain  que  vous  avez  montré  dans  vos  belles 
marches  de  Lang-Son  à  llanoï  et  sur  les  bords  de  la  rivière  Claire  a  prouvé  que 
vous  sentiez  Timportance  de  vos  nouvelles  oi)éraliuns. 

«  liO  2  mars,  vous  avez  roucoulré  Turuiôo  chinoise  desceuduo  du  Yuuuan, 
retranchée  dans  une  série  d'ouvrages  formidables,  sur  un  terrain  d'une  diffi- 
culté inouïe.  L'ennemi,  renforcé  de  tous  les  bandits  de  Luu-Yinh-Pbuoc,  avait 
annoncé  bien  haut  qu'il  vous  barrerait  la  route  de  Tuyen-Quan,  assiégé  avec 
riige  par  lui. 

«  Sans  tenir  compte  du  nombre  de  vos  adversaires ,  vous  avez  enlevé  de  vive 
force  les  ouvrages  de  Uoa-Moc  après  une  lutte  de  près  de  vingt-quatre  heures. 
Le  résultat  a  répondu  à  vos  efforts,  et,  le  3  mars,  vous  serriez  la  main  des 
braves  do  l'héroïque  garnison  que  vous  veniez  d'égaler... 

«  llonneur  à  vous  tous,  officiers,  sous-officiers  et  soldats  de  la  1*^  brigade  1 
Je  suis  fier  de  le  proclamer  bien  haut,  vous  avez  montré  une  fois  de  plus 
qu'avec  des  hommes  tels  que  vous  le  drapeau  de  la  France  floltei-a  partout  où 
le  gouvernement  de  la  République  vous  demandera  de  le  porter. 

c  Au  quartier  général,  à  Tuyen-Quan,  le  5  mars  1885. 

«  Le  général  commandant  le  corps  expéditionnaire, 

«  Signé  :  Briârb  db  l'Islb.  » 

A  la  suite  du  combat  de  Hoa-Moc,  le  colonel  Giovanninelli  fut  nommé 
général  de  brigade. 
Le  4  mars,  les  deux  compagnies  du  bataillon  Béranger  se  mirent  en  route 

*  Ces  chiffres,  puisés  dons  l'ouvrage  de  MM.  Bouioais  et  Paulus,  ia  France  en  Indo- 
Chine,  doivent  être  une  rectification  de  ceux  qui  furent  donnés  par  ia  dépéclie  olflcielie, 
laquelle  n'accusait  que  quatre  cent  soixante- trois  liommes  liors  de  combat.  Nous  les 
reproduisons  sous  toutes  réserves. 

s  Surnom  donné  aux  militaires  de  l'infanterie  de  marine. 


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[1885]  AU  TONKIN  847 

pour  revenir  à  Phu-Doan,  où  elles  arrivèrent  le  lendemain.  Le  24  février,  la 
l^A  compagnie  (capilaiae  Rathelot)  du  même  bataillon  avait  à  son  tour  quitté 
Hanoi  pour  aller  tenir  garnison  à  Hong-Iloa. 

Le  bataillon  do  Mibielle  demeura  tout  entier  à  Tuyon-Quan,  sous  les 
ordres  immédiats  du  général  Giovanninelli.  Sur  ce  point,  les  opérations  ne 
furent  pas  poursuivies  :  les  Chinois  s'étaient  retirés  dans  de  nouvelles  posi- 
tions fortifiées,  à  une  faible  distance  au  nord -est  de  la  place,  et  les  y  attaquer 
eût  été  risquer  un  autre  combat  de  Hoa-Mocqui  n'aurait  eu  pour  résultat 
que  de  les  repousser  à  quelques  kilomètres  plus  loin. 

Pendant  ce  temps,  de  nouveaux  renforts  étaient  arrivés  au  corps  expédi- 
tionnaire; à  la  fin  de  février,  il  était  débarqué  à  Hai-Phong  deux  bataillons 
de  xouaves,  des  !«'  et  2*  régiments,  deux  escadrons  dos2<»  et  3*  spahis,  enfin 
un  certain  nombre  d'hommes  et  d^officiers  envoyés  par  les  corps  ayant  déjà 
des  fractions  au  Tonkin  pour  combler  les  vides  faits  parle  fou  et  les  maladies. 
C'est  ainsi  que,  vers  le  milieu  de  mars,  les  deux  bataillons  du  3*  Tirailleurs 
furent  rejoints,  le  1"''  par  deux  cent  trente- deux  hommes  avec  le  lieutenant 
d'Ornant  et  le  sous-Hculonant  Salah-ben-Ali-Kodja,  le  3*  par  cent  quatre- 
vingt-six  hommes  et  le  lieutenant  Dubernet'.  Trois  autres  officiers,  détachés 
de  régiments  de  France  pour  remplir  les  vacances  qui  existaient  déjà  ou 
celles  qui  se  produiraient  ultéridu rement,  accompagnaient  ces  deux  détache- 
ments; ces  officiers  étaient  :  MM.  Bazinet, lieutenant;  Saltzman  et  Allemand, 
sous- lieutenants.  Avec  ces  renforts  était  également  arrivé  le  colonel  Mour- 
lan,  du  l"*"  Tirailleurs,  qui  prit,  à  la  date  du  20  mars,  le  commandement 
du  régiment  de  marche  de  Tirailleurs  algériens. 

La  situation,  fort  indécise  aux  abords  de  Tuyen-Quan,  n'était  brillante 
nulle  part  :  Ilong-lloa  était  menacé  par  des  forces  considérables  qui  descen- 
daient le  fleuve  llouge,  et  Phu-Doan  par  d'autres  qui  s'avançaient  par  la 
vallée  du  Song-Chaî.  Entre  ces  deux  postes,  dans  la  presqu'île  formée  par  le 
fleuve  llouge  et  la  rivière  Claire,  le  pays  était  ravagé  par  des  bandes  de  pirates 
qui  venaient  de  se  rendre  redoutables  en  résistant,  à  Thanh-Mal,  au  bataillon 
du  1*''  zouaves,  qui  était  sorti  de  llong-Hoa  pour  les  disperser. 

Mais  quelque  grandes  que  fussent  les  préoccupations  résultant  de  ces  com- 
plications, elles  allaient  soudain  faire  place  à  d'autres  bien  plus  graves  qui 
devaient  surgir  d*un  événement  aussi  désastreux  qu'inattendu  :  l'abandon 
précipité  de  Lang-Son.  De  ce  côté,  les  opérations  étaient  suspendues  depuis 
la  fin  de  février,  lorsque,  le  23  mars,  la  2*  brigade  se  porta  à  Tattaque  de  la 
position  de  Bang-Bo,  au  delà  de  la  frontière,  sur  la  route  conduisant  à  la 
grande  ville  chinoise  de  Lang-Tchéou.  Cette  journée  fut  encore  marquée  par 
un  succès;  mais  le  lendemain  nos  troupes  se  heurtèrent  à  des  retranchements 
si  formidables  et  à  des  masses  si  considérables  d'ennemis,  qu'il  leur  fallut 
se  replier  sur  Lang-Son  et  Ki-Lua,  en  évacuant  le  poste  de  Dong-Dang. 

Les  journées  des  25,  26  et  27  se  passèrent  en  préparatifs  de  défense. 
Le  28,  les  Chinois  débouchèrent  dans  la  plaine,  et  s'avancèrent  pour  donner 

<  Ces  deux  délaclieiucnts  s*étaient  embarqués  à  Pliillppevillc ,  sur  le  Béam,  le 
22  Janvier  1S85. 


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546  LB  3«  RÉQIIIBNT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1885] 

l'assaut  à  Ki-Lua,  dont  les  ouvrages  avaient  été  moiliGés  et  reliés  par  une 
tranchée  continue.  On  les  laissa  s'approcher  jusqu'à  deux  cents  mètres,  puis 
toute  notre  ligne  ouvrit  un  fou  meurtrier  qui  les  rejeta  dans  la  vallée.  D*autres 
attaques  eurent  le  môme  sort.  Enfin  un  mouvement  tournant,  dirigé  contre 
leur  gauche,  avait  déjà  déterminé  leur  retraite,  quand  le  général  de  Négrier 
fut  grièvement  blessé  *  et  obligé  de  remettre  le  commandement  de  la  brigade 
au  lieutenant-colonel  Ilerbinger.  Ce  dernier  ne  crut  pas  pouvoir  tenir  dans 
Lang-Son,  et  prit  sur-le-champ  ses  dispositions  pour  une  retraite  sur  deux 
colonnes  par  les  roules  de  Kcp  et  do  Chu.  Le  mouvement  commença  dans  la 
nuit  et  se  poursuivit  le  lendemain  sans  être  le  moins  du  monde  inquiété. 
C'est  ainsi  qu*en  moins  de  quarante -huit  heures  toute  cetfe  région ,  qui  avait 
demandé  tant  d'efforts  pour  la  conquérir,  se  trouva  complètement  évacuée. 

Aux  premières  nouvelles  du  danger  que  courait  Lang-Son,  le  général  en 
chef  avait  prescrit  à  la  l*'»  brigade  de  se  diriger  sur  Hanoï  à  marches  forcées, 
après  avoir  laissé  des  garnisons  suffisantes  à  Tuyen-Quan,  à  Iloa-Mocctà 
Phu-Doan.  Le  départ  de  Tuyen-Quan  eut  lieu  le  28  mars.  Le  bataillon  de 
Mibielle  tout  entier  et  les  deux  compagnies  du  bataillon  Béranger  détachées  à 
Phu-Doan  faisaient  partie  de  la  colonne.  Celle-ci  arriva  à  Chu  le  4  avril. 
Là  se  trouvait  déjà  la  1^^  compagnie  (capitaine  Rathelot)  du  bataillon  Bé- 
ranger, qui  avait  quitté  llong-lloa  le  24  mars.  Le  5  avril,  toute  la  brigade 
était  campée  à  Binh-Noî,  sur  la  route  du  col  de  Deo-Quan.  Sur  aucun  point 
l'ennemi  n'avait  encore  paru. 

Le  6,  les  trois  compagnies  du  1^'  bataillon  du  régiment  reçurent  l'ordre  de 
revenir  sur  Bac-Ninh.  Le9,  elles  s'installaient  près  de  cette  ville,  à  Ti-Cau, 
sur  la  rive  droite  du  Song-Cau.  Le  bataillon  de  Mibielle,  qui,  après  avoir  pris 
part  à  une  reconnaissance  dirigée  sur  le  col  de  Deo-Quan,  s'était  embarqué 
le  7  à  Lam,  y  était  arrivé  depuis  la  veille.  La  2»  compagnie  (capitaine  de  la 
Gencste)  du  1<^'  bataillon  occupait  la  citadelle  de  Bac-Ninh. 

Ce  brusque  mouvement  en  arrière  et  la  cessation  des  opérations  eu  èours 
d'exécution  avaient  pour  cause  l'annonce  d'un  armistice  conclu  le  14  avril  à 
Paris,  entre  M.  Billot,  directeur  des  affaires  poUtiques  au  ministère  des 
affaires  étrangères,  et  M.  Campbell,  représentant  le  gouvernement  chinois. 
Ainsi ,  malgré  la  retraite  de  Lang-Son ,  nos  ennemis  demandaient  eux-mêmes 
la  paix.  Ce  résultat  était  dû  aux  nouvelles  victoires  de  l'amiral  Courbet.  Le 
29  mars,  le  vaillant  marin  s'était  emparé  des  iles  Pescadores,  et  il  se  dispo- 
sait maintenant  à  affamer  le  nord  de  la  Chine,  en  empochant  le  débarque- 
ment du  riz  sur  la  côte  du  Pé-Tché-Li.  Effrayée  des  conséquences  que  pou- 
vait avoir  cette  mesure,  la  cour  de  Pékin  s'était  empressée  de  renouer  des 
relations  diplomatiques  en  vue  d'un  arrangement  sur  les  bases  du  traité 
Pourpier. 

Les  négociations  pour  la  paix  eurent  lieu  à  Tien-Tsin,  entre  M.  Patenôtre 
au  nom  de  la  France,  et  Li*Ilung-Chang  au  nom  de  la  Chine.  Ia)  traité  dé- 
finitif fut  signé  le  U  juin.  Celte  nouvelle  convention  relevait  le  Tunkin  et 

>  Le  lieutenant  Berge ,  du  3«  Tirailleurs ,  officier  d'ordonnaace  du  général ,  déjà  légère- 
ment blessé  à  Kep  aux  côtés  de  ce  dernier ,  le  fut  encore  dans  cette  circonstance. 


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[1885]  AU  TONKTN  840 

rAnnam  do  Tantiquo  suzerainoté  chinoise ,  réglait  los  rapports  do  bon  voisin 
nago  entre  la  France  et  l'empire  du  Milieu,  fixait  la  délimitation  des  fron- 
tières, ouvrait  de  nouveaux  débouchés  à  notre  commerce,  enfin  ménageait 
la  préférence  du  concours  des  ingénieurs  français  pour  les  grands  travaux 
publics  que  le  gouvernement  de  Pékin  pourrait  avoir  à  faire  exécuter.  L'éva- 
cuation du  Tonkin  par  les  forces  impériales,  qui  avait  commencé  dès  la 
conclusion  des  préliminaires,  devait  se  poursuivre  sans  interruption,  et,  afin 
d'en  hâter  Texécution,  la  Chine  devait  envoyer  des  commissaires  auprès  des 
chefs  de  ses  différentes  armées. 

Cette  fois,  les  Chinois  exécutèrent  fidèlement  leurs  engagements  :  à  la  fin 
de  mai ,  la  province  de  Lang-Son  et  le  haut  fleuve  Rouge  furent  rendus  à  nos 
troupes;  et  si  celles-ci  n'occupèrent  d'abord  que  Lang-Son,  c'est  que  leur 
état  sanitaire  exigeait  impérieusement  le  plus  complet  repos  pendant  les  mois 
d'été.  Il  allait  bien  rester  encore  quelques  déserteurs  et  quelques  Pavillons- 
Noirs;  mais  l'occupation  progressive  du  pays  ne  devait  bientôt  plus  laisser  à 
la  plupart  d'entre  eux  que  la  ressource  de  se  faire  exploitants  de  forêts  ou 
commerçants.  Mais  reprenons  les  événements  militaires  à  la  suite  do  la 
retraite  de  Lang-Son. 

Ln  V^  brigade,  nous  l'avons  vu,  s'était  concentrée  dans  les  environs  do 
Bac-Ninh,  &  Ti-Cau  et  &  Dap-Cau;  la  2^,  dont  le  commandement  était  pro- 
visoirement exercé  par  le  colonel  Borgnis- Desbordes,  était  toujours  en  grande 
partie  à  Chu.  On  croyait  les  hostilités  terminées;  mais  les  armées  chinoises, 
non  encore  prévenues  de  la  conclusion  d'un  armistice,  continuaient  leurs 
opérations  :  depuis  quelquesjoursHong-Hoa  était  investi;  Tuyen-Quan était 
de  nouveau  menacé,  et,  sur  le  Song-Chai,  les  Célestes  n'étaient  plus  qu'à 
une  journée  de  Phu-Doan.  Le  14  avril,  les  1'»  et  S^'  compagnies  du  bataillon 
Déranger  durent  quitter  précipitamment  Ti-Cau,  pour  se  porter  au  secours  de 
Kep  attaqué.  Mais  lorsqu'elles  atteignirent  Phu-Lang-Thuong,  après  avoir 
marché  une  partie  de  la  nuit,  le  malentendu  avait  eu  le  temps  de  s'éclaircir, 
et  les  Chinois  s'étaient  retirés;  elles  n'eurent  donc  pas  à  dépasser  ce  poste,  où 
elles  allaient  rester  en  garnison  jusqu'à  la  fin  du  mois.  Le  bataillon  de  Mi- 
bielle,  qui  y  arriva  aussi  le  15,  dans  la  journée,  en  repartit  le  16  pour 
revenir  à  Ti-Cau. 

A  Paris,  l'émoi  avait  été  grand  en  apprenant  l'évacuation  de  Lang-Son. 
Le  gouvernement  avait  aussitôt  décidé  que  de  nouveaux  renforts  seraient 
envoyés  au  Tonkin  pour  porter  le  corps  expéditionnaire  à  trente  mille  hommes, 
avec  le  général  de  Courcy  comme  commandant  en  chef.  En  mémo  temps,  une 
division  de  réserva  devait  s'organiser  au  camp  du  Pas-des-Lanciers. 

En  attendant  Tarrivée  de  son  successeur,  le  général  Brière  de  l'isle  s'occupa 
de  la  répartition  des  garnisons  pour  la  saison  d'été.  Les  Tirailleurs  algériens 
devaient  occuper  tous  les  postes  extrêmes  de  la  haute  rivière  Claire,  du  haut 
fleuve  Rouge  et  de  la  haute  rivière  Noire,  l'état- major  du  régiment  de 
marche  étant  à  Sontay.  En  conséquence ,  les  l*"*  et  3«  compagnies  du  l*'  ba- 
taillon quittèrent  Phu-Lang-Thuong  le  l*'  mai,  pour  se  rendre  à  Tuyen- 
Quan  ,  dont  le  commandant  Béranger  était  nommé  commandant  supérieur. 
A  leur  passage  à  Ti-Cau,  le  2  mai,  elles  purent,  avec  la  plus  grande  partie 


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B50  LB  3*  RÉOmENT  DB  TlRAlLLBUnS  ALGÉRIENS  [1885] 

des  iroupos  de  la  l'*  brigade,  rendre  les  derniers  devoirs  au  lieutenant 
Martin ,  de  la  4*  compagnie ,  décédé  la  veille  d'une  fièvre  résullant  des  Tatigues 
de  la  campagne.  Ce  détachement  arriva  à  Tuyen-Quan  le  8  mai  et  y  releva 
la  légion  étrangère.  Les  2«  et  4*  compagnies  du  même  bataillon ,  désignées 
pour  aller  occuper  Thanh-Quan,  Turent  d'abord  dirigées  par  étapes  sur  Bac- 
Hat,  au  confluent  du  fleuve  Rouge  et  de  la  rivière  Claire,  dans  le  but  de 
concourir  à  une  opération  contre  les  pirates,  eRbctuée  par  le  colonel  de  Maus- 
sien,  dans  la  région  du  Song-Calo.  Elles  se  mirent  en  route  le  14  mai,  sous 
les  ordres  du  capitaine  Idassip,  et  atteignirent  Bac- liât  le  10,  après  une 
marche  rendue  des  plus  difficiles  par  la  chaleur.  Deux  hommes  étaient  morts 
d'insolation.  Le  17,  quelques  pirates  avaient  essayé  de  défendre  le  village  de 
Nam-Chunc,  mais  leur  résistance  avait  été  vaincue  sans  pertes  de  notre  c6té. 
De  Bac-Hat  ces  deux  compagnies  furent  envoyées,  le  21 ,  à  Sontay,  où  elles 
devaient  attendre  des  ordres  ultérieurs  pour  aller  occuper  le  poste  qui  leur 
était  assigné. 

Le  3*  bataillon  resta  en  entier  à  Ti-Cau  jusqu'au  21  avril.  Ce  jour-là,  le 
commandant  de  Idibielle  eflectua  une  sortie  avec  les  2*  et  3*  compagnies  afin 
de  disperser  quelques  bandes  de  pirates  qui  ravageaient  les  environs  de  la 
mission  catholique  espagnole  de  Kéroï.  La  petite  colonne  rentra  le  24,  sans 
avoir  rien  vu. 

Du  6  au  21  mai,  eut  lieu,  sous  la  direction  supérieure  du  colonel  Mourlan, 
une  opération  plus  importante  au  nord-ouest,  sur  le  Song-Calo,  et  au  nord, 
dans  la  région  comprise  entre  le  Song-Cau  et  le  Song-Thuong.  Le  6,  le 
commandant  de  Mibielle  partit  avec  les  1*^  et  2*  compagnies,  et  passa  le 
Song-Calo  à  Dong-Tieu.  Le  lendemain,  il  arriva  à  Phu-da-Phuc  *,  sur  la 
route  de  Thal-Nguyen  (rive  droite  du  Song-Cau).  Il  resta  là  jusqu'au  9, 
puis  il  se  porta  au  village  de  La -Thu,  traversa  le  Song-Cau  à  Ha-Chau,  où 
il  fut  rejoint  par  la  4*  compagnie,  qui  était  partie  le  7  on  escorte  de  convoi; 
incendia,  le  11 ,  les  villages  pirates  de  Ngoc-Than  et  Ngoc-Tuc,  continua  sa 
marche  en  visitant  successivement  Tin-  Dao ,  Yen-Lai,  Yun  -Son,  Dao-Quan 
et  Bo-Ha,  et  revint  sur  Bac-Ninh  par  Luc-Tieu,  Phu-Moc  et  la  route  de 
Phu-Lang-Thuong.  Pendant  ce  temps,  la  3*  compagnie  était  restée  à 
Ti-Cau. 

Le  soir  même  de  sa  rentrée  de  cette  expédition ,  le  bataillon  se  mit  en 
route  pour  Hanoï,  où  il  arriva  le  surlendemain  23  mai.  Désigné  pour  aller 
occuper  Ilong-IIoa,  il  repartit  le  2G,  et  atteignit  cette  place  le  30.  Toutes  ces 
marches,  exécutées  pendant  la  période  des  plus  fortes  chaleurs,  avaient  été 
extrêmement  fotigantes;  cependant  l'entraînement  des  Tirailleurs  était  tel, 
qu'ils  les  avaient  supportées  sans  en  être  trop  éprouvés. 

Ce  fut  vers  la  fin  de  mai  qu'on  connut  les  promotions  faites  dans  la 
Légion  d'honneur  et  la  médaille  militaire,  à  la  suite  des  combats  livrés  dans 
la  campagne  d'hiver.  Les  deux  bataillons  du  régiment  recevaient  quatre  croix 
et  vingt  et  une  médailles.  Le  commandant  Béranger  était  nommé  officier  de 

1  Tous  les  noms  do  villages  précédés  de  la  pi-éfixo  Phu  servent  à  désigner  des  centres 
administratifs  équivalant  à  une  sous -préfecture. 


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[1885]'  AU  TONKIN  581 

la  Légion  d'honneur;  le  capitaine  Ghirouze  et  les  lieutenants  Guignabaudet 
et  Kaddour-ben-Ahmed  étaient  faits  chevaliers. 

Le  général  de  Courcy  et  les  renforts  qui  l'accompagnaient  (environ  neuf 
mille  hommes)  débarquèrent  dans  les  premiers  jours  de  juin.  Un  peu  aupa- 
ravant étaient  arrivées  les  troupes  qui  étaient  à  Formose,  de  sorte  que  le 
corps  expéditionnaire  compta  soudain  douze  mille  hommes  en  plus.  Il  reçut 
une  nouvelle  organisation,  et  comprit  alors  deux  divisions  correspondant  à 
deux  grands  territoires  de  commandement,  sous  les  ordres  des  généraux 
Brière  de  Tlsle  et  de  Négrier  ^  Le  régiment  de  marche  de  Tirailleurs  algé- 
riens fut  placé  dans  la  l***  brigade  (général  Jamais),  de  la  l'*  division 
(général  Brière  de  l*lsle).  Ce  régiment  avait  encore  reçu  un  nouveau  déta- 
chement venant  d'Algérie.  Les  deux  bataillons  du  3*  Tirailleurs  avaient  ainsi 
été  grossis  chacun  do  cent  quatre-vingt-sept  hommes.  Ces  renforts  étaient 
partis  do  Constantino  le  13  avril ,  et  de  Philippeville  le  16 ,  sous  los  ordres  du 
lieutenant  Hicha  et  du  sous-lietitenant  Bouland  ;  ils  avaient  pris  passage  sur 
lo  Làbradoi', 

L'été  allait  s'écouler  pour  tout  le  monde  dans  une  tranquillité  relative.  Il 
est  vrai  qu*à  part  les  pirates ,  qui  ne  créaient  pas  un  danger  suffisant  pour 
exposer  la  santé  do  nos  troupes ,  il  ne  restait  plus  d'ennemis.  Un  incident  des 
plus  graves  devait  cependant  se  dérouler  à  Hué  dans  la  nuit  du  4  au  5  juillet. 
Le  général  de  Courcy,  s'étant  transporté  dans  cette  ville  pour  y  faire  recon- 
naître son  autorité,  faillit,  cette  nuit-là,  être  la  victime  d'un  odieux  attentat 
sourdement  prémédité  par  le  roi  et  ses  principaut  conseillers;  brusquement 
attaqué  dans  les  bâtiments  de  la  légation  française,  pendant  que  toutes  les 
pièces  de  la  citadelle  tiraient  sur  les  cantonnements  occupés  par  nos  troupes, 
il  ne  dut  qu'à  son  sang -froid  et  à  l'énergique  attitude  d'un  bataillon  du 
3^^  zouaves,  de  deux  compagnies  du  11*  bataillon  de  chasseurs  et  de  deux 
autres  d'infanterie  de  marine,  d'échapper  à  ce  lâche  guet-apens.  La  situation 
fut  un  moment  très  critique,  mais  au  jour  les  nôtres  prirent  vigoureusement 
l'ofTensive  et  s'emparèrent  de  la  citadelle.  Voyant  la  partie  perdue,  le  roi 
Ung-Lichetle  régent  Thuyet,  chef  du  parti  militaire,  prirent  la  fuite  pour 
se  réfugier  dans  les  montagnes.  Le  premier  régent,  Nguyen-van-Thuong,. 
restait  entre  nos  mains.  Ung-Lich  fut  détrôné  et  remplacé  par  un  fils  adoptif 
do  Tu-Duc,  qui  fut  couronné  le  19  septembre,  sous  le  nom  de  Dong-Khanh. 
De  cet  événement,  qui  créait  deux  pouvoirs,  l'un  officiel,  mais  encore  sans 
prestige,  et  l'autre  représenté  par  un  roi  et  un  ministre  fugitifs,  mais  ayant 
l'appui  secret  des  mandarins  et  des  lettrés,  allait  résulter  une  situation  fort, 
difficile  dont  le  contre -coup  devait  se  faire  sentir  jusqu'au  Tonkin,  où  les 
chefs  de  pirates  allaient  désormais  parler  au  nom  du  roi  Ung-Lich  et  donner 
un  semblant  de  légitimité  à  leurs  exactions. 

Avec  les  chaleurs  étaient  revenues  les  fièvres,  la  dysenterie,  l'anémie,  en 
un  mot  tout  le  cortège  des  maladies  résultant  de  longues  fatigues  et  d'un  cli- 
mat débilitant.  Mais  ce  n'était  là  que  le  prélude  d'une  autre  calamité  bien 
plus  grave,  le  choléra,  qui  s'abattit  soudain  sur  le  corps  expéditionnaire  au 

1  Le  général  de  Négrier  avait  été  nommé  divisionnaire  à  la  date  du  99  mars. 


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66ft  LE  3*  RÉQIMBNT  DE  TIRAILLEURS  ALOftRIENS  [1885] 

moment  où  la  cessation  des  opérations  semblait  promettre,  au  contraire ,  un 
état  sanitaire  plus  satisfaisant.  Rapporté  en  germe  par  les  troupes  qui  ve- 
naient de  Formose,  le  terrible  fléau  avait  bientôt  trouvé  à  Haî-Pbong,  alors 
encombré  de  troupes,  un  byer  propre  d  son  développement;  il  s*y  déclara 
dans  le  courant  du  mois  d'août,  et  ne  tarda  pas  à  s'étendre  dans  les  autres 
garnisons  du  Tonkin,  prenant  d*abord  un  caractère  aigu,  pour  passer  ensuite 
à  un  état  endémique  et  peu  meurtrier  tant  que  des  causes  diverses  ne  venaient 
pas  activer  ses  eÎTets.  L'attitude  des  Tirailleurs  algériens  devant  l'épidémie 
fut  ce  qu'elle  avait  toujours  été  en  do  pareilles  circonstances,  c'est-à-dire 
marquée  par  une  profonde  insouciance  et  un  réel  dévouement.  Aussi  leurs 
pertes  furent-elles  insignifiantes,  comparées  à  celles  de  certains  corps. 

Nous  avons  vu  que  les  deux  bataillons  du  régiment  avaient  été  répartis 
entre  les  trois  garnisons  de  Tuyen-Quan,  Sontay  et  Hong-IIoa.  Le  3<>,  qui 
occupait  Ilong-IIoa,  ne  resta  pas  longtemps  sans  être  disséminé  dans  une 
foule  de  petits  postes  relevant  du  commandement  de  cette  place.  C'est  ainsi 
que  la  canonnière  le  Carreau  s'étant  échouée  au  confluent  du  fleuve  Rouge 
et  de  la  rivière  Noire,  un  peloton  fut  envoyé,  vers  la  fin  de  juin,  au  village  de 
Cau-Do,  sur  la  rive  droite  de  la  rivière  Noire,  pour  protéger  cotte  embarcation 
et  le  poste  optique  communiquant  avec  Sontay.  A  la  même  époque,  une  com- 
pagnie alla  occupar  Bat- Bac.  Deux  mois  après,  ce  dernier  poste  ne  fut  plus 
gardé  que  par  un  peloton  ;  l'autre  de  la  compagnie  qui  s'y  trouvait  fut  détaché 
à  Uao-trang,  dornier  point  sur  la  rivière  Noiro  accessible  à  nos  canonnières. 
A  partir  du  24  août,  le  poste  de  Cau-Do  fut  fourni  par  une  compagnie  établie 
à  Vong-La,  sur  la  rive  gauche  de  la  rivière  Noire.  Enfin,  le  !«■'  septembre, 
un  peloton  alla  renforcer  la  garnison  de  Dong-Van ,  au  sud-ouest  de  Hong-Hoa. 
Tous  ces  détachements  étaient  relevés  périodiquement  par  la  fraction  demeurée 
avec  l'état-major  du  bataillon. 

Malgré  l'aRaiblissement  qui  résultait  pour  elle  de  cette  dispersion ,  la  gar- 
nison de  IIong-Hoa  ne  restait  pas  inactive;  sous  les  ordres  du  commandant 
do  Mibielle,  elle  faisait  une  chasse  incossanlc  aux  piralca  qui  désolaient  la 
région.  Presque  chaque  jour  une  sortie  était  dirigée  contre  ces  derniers,  qui 
avaient  choisi  comme  principal  théâtre  de  leurs  exploits  le  terrain  compris 
entre  la  boucle  que  forme  le  fleuve  Rouge  en  amont  de  la  place  et  un  affluent 
qu'il  reçoit  à  droite,  le  Song-Mua.  Mais  comme  il  ne  serait  d'aucun  intérêt  de 
suivre  dans  le  détail  ces  opérations,  qui  entraînaient  beaucoup  plus  de  fatigues 
que  de  combats,  nous  on  arriverons  immédiatement  à  une  expédition  d'une 
certaine  importance,  à  laquelle  prirent  part  presque  toutes  les  troupes  dispo- 
nibles de  la  l^*  division.  Nous  voulons  parler  de  la  prise  de  Thanh-Maî. 

On  se  rappelle  qu'au  mois  de  mars  un  bataillon  du  l^^  zouaves  avait  es- 
suyé devant  ce  village,  situé  au  nord-est  de  Hong-Hoa,  à  peu  près  au  centre 
de  la  presqu'île  formée  par  le  fleuve  Rouge  et  la  rivière  Claire,  un  sanglant 
échec  que  les  événements  do  Lang-Son  n'avaient  pas  permis  de  venger  sur 
le  moment.  Était  ensuite  venue  la  paix,  puis  la  chaleur,  et  ce  châtiment  avait 
encore  été  ajourné.  Pendant  ce  temps,  les  bandes  qui  occupaient  ce  point 
avaient  activement  travaillé  à  se  fortifier,  et  s'étaient  grossies  d'un  millier  de 
Pavillons-Noirs  et  de  déserteurs  chinois,  auxquels,  après  l'incident  de  Hué, 


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[1885]  AU  TONRIN  553 

étaient  venus  se  joindre  de  nombreux  rebelles  annamites  soulevés  par  lés 
agents  de  Thuyet,  de  sorte  que  vers  la  fin  de  Tété  elles  formaient  un  ramassis 
d*environ  six  mille  individus  assez  bien  armés  et  solidement  établis  dans 
une  bonne  position. 

Au  commencement  d'octobre,  trois  colonnes  furent  formées  :  TunOi  sous 
les  ordres  du  général  Jamais,  devait  remonter  la  rivière  Claire  jusqu^à  Yen- 
Dau  et  cerner  ensuite  la  presqu'île  par  le  nord  ;  une  deuxième ,  partie  de  Hong- 
Hoa  avec  le  colonel  Mourîan ,  avait  pour  mission  de  passer  le  fleuve  Rouge  en 
face  de  Phu-Lam-Tao,  de  s*emparer  des  défenses  que  Tennemi  avait  accumu- 
lées sur  ce  point,  et  de  compléter  le  blocus  eRcctué  par  la  précédente;  enfin 
une  troisième,  sous  le  commandement  du  général  Munier,  devait  marcher 
directement  sur  Than-Maî  en  partant  de  Minh-Nong,  sur  le  fleuve  Rouge. 
Deux  compognics  du  l»**  bataillon  du  régiment,  les  i'^  et  2^  (capitaines  Ra- 
tliclot  et  de  la  Gencste),  entrèrent  dans  la  composition  de  la  colonne  Jamais, 
et,  avec  une  autre  compagnie  du  l*''  Tirailleurs,  formèrent  un  groupe  sous 
les  ordres  du  commandant  Béranger;  deux  du  3*  bataillon,  les  l^*  et  4*  (ca- 
pitaine Camper  et  lieutenant  d*Omant],  avec  le  commandant  de  Mibielle, 
firent  partie  de  la  colonne  Mourîan,  qui  se  concentra  à  Nam-Cuong,  sur  le 
fleuve  Rouge,  à  quinze  kilomètres  en  amont  de  Ilong-IIoa. 

Ces  opérations  commencèrent  le  21  octobre  sous  la  direction  du  général 
Jamont,  qui  avait  remplacé  le  général  Brière  de  Tlsle  à  la  tête  de  la  l^*  divi* 
sion.  Auparavant,  le  colonel  Mourîan  s^élait  assuré  le  passage  du  fleuve  Rouge 
on  faisant  occuper  par  la  compagnie  Camper,  du  3*  bataillon,  une  ile  située 
en  face  de  Nam-Cuong.  Le  14,  cette  compagnie  y  avait  eu  un  homme  blessé. 
Ce  devait  être,  pour  les  Tirailleurs  du  régiment,  le  seul  atteint  pendant  toute 
cette  expédition.  Le  24  octobre,  Thanh-Maî  fut,  en  effet,  occupé  sans  coup 
férir,  et  sans  qu*on  eût  môme  à  utiliser  le  nombreux  matériel  d'artillerie 
traîné  à  grand'peine  à  la  suite  de  chaque  colonne.  Si  les  pertes  provenant  du 
feu  de  l'ennemi  avaient  été  insignifiantes,  le  choléra,  par  contre,  avait  fait 
de  nombreuses  victimes,  surtout  dans  la  colonne  Jamais.  Il  y  avait  eu,  en 
outre,  un  certain  nombre  de  noyés,  dont  cinq  pour  les  deux  compagnies  du 
3»  bataillon. 

Quelques  jours  après,  les  trois  colonnes  Jamais,  Mourîan  et  Munier  furent 
dissoutes;  il  ne  resta  à  Thanh-Ma!  que  les  troupes  nécessaires  à  la  garde  de 
ce  nouveau  poste,  dont  la  2«  compagnie  du  1*'  bataillon.  La  l'*  du  même 
bataillon  fut  désignée  pour  aller  occuper  Lien-Son ,  sur  le  Song-Day,  affluent 
de  gauche  de  la  rivière  Claire.  La  3*  (capitaine  Caries)  était  encore  à  Tuyen- 
Quan  ;  la  4*  (capitaine  Massip)  fournissait  la  garnison  de  Sontay  et  les  postes 
environnants.  Le  30  octobre,  cette  dernière  quitta  cette  place  pour  se  rendre 
à  Vie-Tri,  au  confluent  du  fleuve  Rouge  et  de  la  rivière  Claire,  où  se  trouvait 
rétat-mojor  du  bataillon. 

La  répartition  des  détachements  du  3«  bataillon  avait  également  subi  d'im- 
portantes modifications.  Dès  le  commencement  des  opérations  contre  Thanh- 
Maî  ,  le  village  de  Vong-La  avait  été  évacué,  et  le  peloton  qui  était  à  Dong-Van 
était  rentré  à  IIong-Hoa.  La  2"  compagnie  avait  alors  eu  à  fournir  la  garnison 
de  Hong- Hoa  et  le  poste  de  Cau-Do  en  face  du  Carreau;  la  3*,  occupant  Bat- 


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Q54  LE  3®  RÉOIMBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  (1885] 

Bao,  avait  continué  d'avoir  un  peloton  à  Hao-Trang,  mais  co  pelolon  avait  eu 
à  envoyer  trente  hommes  dans  un  poste  intermédiaire,  à  Phum-Lam,  do 
même  que  celui  resté  à  Bat-Bac  en  détacha  bientôt  trente  aulres  à  Dong-Song, 
en  sorte  que  cette  compagnie  se  trouva  échelonnée  sur  la  rivière  Noire  de 
Bae-Hat  à  Hao-Trang.  Cette  situation  resta  la  même  jusqu'au  milieu  de  no- 
vembre, moment  où  s'effectua  le  relèvement  de  la  3*  compagnie  par  la  2«, 
et  vice  versa. 

Après  la  prise  de  Thanh-Maî,  le  commandant  de  Mibielle  ayant  été  désigné 
pour  prendre  le  commandement  de  la  colonne  chargée  d'aller  occuper  Phu- 
An-Binh ,  sur  le  Song-Chai ,  les  deux  compagnies  qu'il  avait  avec  lui  {l^  et  4*) 
formèrent  l'élément  principal  de  cette  colonne.  Cette  dernière,  qui  s'était 
organisée  à  Vie-Tri,  quitta  ce  poste  le  2  novembre.  Le  5,  elle  arrivait  à  Phu- 
Doan.  Le  7,  elle  se  remit  en  marche  pour  pénétrer  dans  un  pays  où  nos  troupes 
n'avaient  pas  encore  paru.  Enfin,  le  13,  elle  atteignit  Phu-An-Binh,  après 
avoir  réparé  la  roule  sur  une  partie  do  son  parcours. 

Le  17,  le  commandant  de  Mibielle ,  faisant  laisser  à  chaque  compagnie  une 
section  pour  garder  le  cantonnement,  partit  avec  le  restant  et  un  peloton  de 
Tirailleurs  tonkinois  pour  aller  reconnaître  la  route  de  Than-Quan.  Son  in- 
tention n'était  d'abord  que  de  pousser  jusqu'à  une  dizaine  do  kilomètres  de 
Phu-An-Binh  ;  mais  des  renseignements  recueillis  en  chemin  l'ayant  assuré 
que  Than-Quan  n'était  occupé  que  par  une  centaine  de  pirates  mal  armés,  il 
continua  sa  marche,  et,  à  une  heure  de  l'après-midi,  arriva  dans  l'ancien 
quartier  général  de  Luu-Vinh-Phuoc,  où  il  ne  trouva  même  pas  les  pirates, 
qui  s'étaient  enfuis  précipitamment.  A  deux  heures,  il  se  remit  en  route  pour 
Phu-An-Binh,  où  il  rentra  à  sept  heures  du  soir.  La  reconnaissance  avait 
parcouru,  pour  aller  et  revenir,  une  distance  de  trente-quatre  kilomètres. 
Than-Quan  eût  pu  dès  ce  moment  être  occupé  sans  danger;  mais  l'état- 
major  général  ajourna  cette  mesure,  pour  laquelle,  deux  mois  plus  tard, 
quatre  colonnes  devaient  être  mises  en  mouvement. 

Chaquo  jour  d'autres  reconnaissances  allaient  être  dirigées  dans  les  environs 
de  Phu-An-Binh  et  dans  le  haut  Song-Chai,  vers  Pho-Ngoc  et  Luc-An-Chau. 
Toute  cette  contrée  était  encore  infestée  de  Chinois  et  de  Pavillons-Noirs  pro- 
venant des  anciennes  bandes  de  Luu-Vinh-Phuoc;  mais,  dispersés,  manquant 
de  direction,  complètement  démoralisés,  ces  partisans  n'étaient  pas  très  dan- 
gereux; d'ailleurs,  bientôt  traqués  de  tous  cêtés,  ils  allaient  se  voir  obligés 
de  s'enfoncer  de  plus  en  plus  dans  les  montagnes  et  de  gagner  la  haute  rivière 
Claire,  en  amont  de  Tuyen-Quan,  où  l'on  allait  les  retrouver  jouant  aux  pai- 
sibles commerçants  et  se  donnant  pour  d'honnêtes  particuliers  dévoués  à  la 
France  et  à  la  république.  Quelques  petites  rencontres  eurent  lieu  avec  ces 
groupes  et  d'autres  bandes  de  pirates,  mais  aucune  n'entraîna  de  pertes  pour 
les  Tirailleurs. 

Sur  tous  les  points  du  Tonkin  les  opérations  avaient  maintenant  repris,  et 
se  poursuivaient  en  prenant  dans  leur  ensemble  la  forme  d'une  immense 
battue  aux  pirates.  A  cet  offct,  d'innombrables  postes,  comportant  un  peloton, 
une  compagnie  au  plus,  avaient  été  créés  dans  les  régions  les  plus  dévastées 
par  les  pillards,  et  ces  petites  garnisons  combinaient  leurs  mouvements  pour 


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[1886}  AU  TONKIN  555 

surprendre  les  bandes  qui  8*avenluraieni  dans  leur  rayon.  Aussi  aucune  frao^ 
lion  ne  restait-elle  inaclive,  et  les  compagnies  du  l*'  bataillon  n'avaient-elles 
rien  à  envier  à  celles  du  3*.  Mais,  comme  nous  Tavons  déjà  dit,  il  serait  fas- 
tidieux de  suivre  une  à  une  ces  incessantes  expéditions,  qui  se  bornaient  le 
plus  souvent  à  des  marches  pendant  lesquelles  nos  soldats  n'avaient  même 
pas  &  brûler  une  seule  cartouche.  Le  29  septembre,  un  peloton  de  la  i^  com- 
pagnie (capitaine  Massip)  eut  cependant  à  livrer  un  combat  asses  sérieux 
pour  s'emparer  du  village  deSon-Thang,  sur  la  rive  gauche  du  fleuve  Rouge, 
à  sept  ou  huit  kilomètres  de  Bac-Hat.  Le  capitaine  Massip  et  un  Tirailleur  y 
furent  légèrement  blessés;  les  pirates  curent  une  cinquantaine  de  tués.  Dans 
le  courant  de  décembre,  deux  colonnes,  sous  les  ordres  des  commandants 
Béranger  et  Godon  et  la  direction  supérieure  du  colonel  Mourlan ,  parcoururent 
les  bords  du  Song-Calo  et  le  pays  montagneux  qui  s'étend  entre  cette  rivière 
et  Thaî-Nguycn.  Les  l'*"  et  2^  compagnies  firent  partie  de  la  colonne  Godon; 
la  3*,  de  la  colonne  Béranger.  Le  7,  la  2*  compagnie  (capitaine  de  la  Geneste) 
surprit  une  bande  de  cent  cinquante  à  deux  cents  Chinois  au  village  de  Traî- 
Ngoc-Quan ,  dans  les  montagnes ,  et  lui  tua  seize  hommes. 

Le  23  novembre,  la  3*  compagnie  (capitaine  Caries)  avait  été  relevée  à 
Tuycn-Quan  par  une  section  de  la  4*  sous  les  ordres  du  lieutenant  Man- 
sour-ben-Hrahim.  En  mémo  temps  une  autre  section  delà  mémo  compa* 
|înio.,  commandée  par  lo  lieutenant  Bazinet,  avait  été  envoyée  à  Phu-Doan. 
IjO  28  décembre,  le  peloton  restant  de  la  4*  compagnie  quitta  Vie-Tri  avec 
le  capitaine  Massip  pour  aller  occuper  Dong-Vé,  à  six  kilomètres  à  l'est 
de  Bac-Hat.  Il  y  resta  jusqu'au  16  janvier  1886 ,  puis  il  alla  créer  un  nouveau 
poste  à  Lang-Sao,  sur  la  rivière  Claire.  A  la  suite  de  l'expédition  du  Song- 
Calo ,  la  1'*  compagnie  retourna  à  Lien-Son ,  la  2<»  à  Thanh-Mai,  et  la  3*  s'ins- 
talla à  Vie-Tri. 

Par  suite  de  l'arrivée  au  Tonkin  d'un  3®  bataillon  du  1*'  Tirailleurs , 
les  deux  du  3*  cessèrent,  à  la  date  du  5  janvier,  de  Taire  partie  du  régi- 
ment de  marche  de  Tirailleurs  algériens,  qui  ne  comprit  dès  lors  que  des 
éléments  du  1*^  Tirailleurs.  Ces  deux  bataillons  allaient  maintenant,  et 
jusqu'à  la  (in  de  leur  séjour  dans  la  colonie,  être  considérés  comme  formant 
corps. 

Le  19  janvier,  le  général  de  Courcy  rentra  en  France,  et  fut  provisoirement 
remplacé  dans  le  commandement  du  corps  eipéditionnairo  par  le  général 
Warnet,  son  ancien  chef  d'état-major,  qui  était  lui-même  en  route  pour 
rentrer  et  qui  fut  rappelé  de  Saigon.  A  peine  à  la  direction  des  affaires,  ce 
dernier  donna  une  vigoureuse  impulsion  aux  opérations  en  cours  d'exécution, 
et  s'occupa  immédiatement  d'une  expédition  sur  le  haut  fleuve  Rouge,  expé- 
dition si  souvent  projetée  et  si  souvent  abandonnée. 

A  la  fin  de  janvier,  quatre  colonnes,  formant  un  total  d'environ  trois  mille  cinq 
cents  hommes,  furent  organisées  pour  marcher  sur  Than-Quan  :  1*  la  colonne 
Jamais,  par  la  rive  droite  du  fleuve  Rouge;  2^  la  colonne  de  Maussion,  par 
la  rive  gauche;  3®  la  colonne  Béranger,  en  suivant  le  milieu  dé  la  presqu'île 
formée  par  le  fleuve  d'un  côté,  la  rivière  Claire  et  le  Song-Chai  de  l'autre; 
¥  la  colonne  de  Mibielle,  en  s'y  portant  de  Phu-An-Binh.  Le  général  Jamont 


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556  LE  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALOftRIENS  [1885] 

doYait  présider  à  cette  opération.  La  2«  compagnie  du  l^*  bataillon  et  une 
section  de  la  3«  firent  partie  de  la  colonne  Béranger;  la  3«  du  3«  bataillon  et 
une  section  de  la  2«\  de  la  colonne  Jamais;  enfin  les  l^*  et  4*  du  même  ba- 
taillon, de  la  colonne  de  Mibielle. 

Le  mouvement  des  colonnes  n^  1 ,  2  et  3  commença  le  l*''  fé?rier.  Ces  co- 
lonnes devaient  se  réunir  le  4  devant  Than-Quan;  mais  elles  éprouvèrent 
toutes  du  retard,  et,  lorsqu'elles  arrivèrent,  celle  position  était  déjà  occupée 
par  la  colonne  de  Mibielle.  Celte  dernière  avait  quitté  Phu-An-Binh  le  4  à  six 
heures  du  matin ,  avait  enlevé  sans  coup  Térir  quelques  ouvrages  avancés  à 
Hao-Gia,  et  était  entrée  de  la  mémo  façon  dans  Than-Quan.  Depuis  la  recon- 
naissance effectuée  en  novembre  par  la  garnison  de  Phu-An-Binh,  de  nou- 
veaux retranchements  avaient  été  construits  sur  ce  point  par  environ  six  cents 
Chinois  et  autant  d'Annamites,  qui  s*y  étaient  établis;  mais  tous  ces  ouvrages 
avaient  été  évacués  par  leurs  défenseurs,  et  la  colonne  n'avait  trouvé  que 
quelques  retardataires,  qu'elle  avait  passés  par  les  armes.  La  colonne  Béranger 
n'arriva  que  le  11  ;  engagée  dans  un  mauvais  sentier  de  montagne,  aux  prises 
avec  de  nombreuses  difficultés,  elle  n'avait  pu  faire  plus  de  huit  à  dix  kilo- 
mètres par  jour.  Le  8,  la  colonne  de  Mibielle  était  rentrée  à  Phu-An-Binh. 
Le  13,  la  colonne  Béranger  reprit  de  son  c6té  le  chemin  de  Thanh-Maf,  où 
elle  arriva  le  17.  Il  ne  resta  à  Than-Quan  que  la  3«  compagnie  du  3*  bataillon 
(capitaine  Polère)  et  la  section  de  la  2«. 

A  peu  près  dans  le  môme  temps  qu'avait  lieu  celte  expédition,  les  détache- 
ments fournis  par  la  4«  compagnie  du  U'  bataillon  effectuaient  d'audacieuses 
reconnaissances.  Ce  fut  d'abord ,  du  3  au  0  janvier,  une  pointe  à  soixante- 
quinxe  kilomètres  en  amont  de  Tuyen-Quan,  sur  le  Song-Gham ,  affluent  de 
gauche  de  la  rivière  Claire,  exécutée  par  la  section  du  lieutenant  Mansour- 
ben-Brahim  avec  une  petite  colonne  aux  ordres  du  capitaine  Radiguet,  de 
l'infanterie  de  marine;  puis  une  marche  de  Phu-Doan  sur  Than-Quan,  du  3 
au  9  février,  par  la  section  du  lieutenant  Bazinet;  enfin  une  excursion  sur  le 
haut  Song-Day,  par  celle  dernière  section  d'un  côté  et  soixante  hommes  du 
poste  de  Lang-Sao  de  l'autre.  Cette  opération ,  qui  eut  lieu  du  19  au  24  février, 
et  qui  amena  la  dispersion  de  nombreux  groupes  de  Chinois  établis  entre  le 
Song-Day  et  la  rivière  Claire  et  la  destruction  de  leurs  cantonnements,  devait 
être  la  dernière  à  laquelle  allait  prendre  part  le  1*'  bataillon  du  régiment  au 
Tonkin. 

Le  gouvernement  venait,  en  effet,  de  décider  que  le  corps  expéditionnaire 
serait  disloqué,  qu*il  ne  serait  maintenu  dans  l'Annam  et  le  Tonkin  qu'une 
division  à  trois  brigades,  et  qu'en  conséquence  les  bataillons  débarqués  les 
premiers  dans  la  colonie  seraient  rapatriés.  Celle  dernière  mesure  était  géné- 
rale pour  les  Tirailleurs  algériens.  En  vertu  de  ces  dispositions,  le  bataillon 
Béranger  reçut  l'ordre  de  se  réunir  à  Hong-Hoa  pour  y  faire  ses  préparatifs  de 
départ.  Celle  concentration  s'opéra  du  6  au  10  mars.  Le  23,  le  bataillon  se 
mit  en  route  pour  Sontay,  où  il  arriva  le  24.  Le  2G ,  il  s'embarqua  sur  quatre 

1  La  2«  compagnie  avait  à  ce  moment  deux  sections  (2*  et  4*)  à  Houg-Hoa,  une  (S*) 
à  Phum-Lam»  sur  la  rivière  Noire,  enfla  l'autre  (i'«)  en  expédition. 


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[1880]  AU  TONKIN  567 

canonnières,  qui  le transporlèrent  à  Ilaî-Phong,  où,  le  27,  il  prit  place  à  bord 
du  Comorin.  Son  effectir  se  trouvait  réduit  à  seize  officiers  et  six  cent  quatre- 
vingt-sept  hommes.  Des  vingt-cinq  officiers  qui  en  faisaient  partie  au  moment 
do  son  départ  d'Algério,  six  seulement  y  comptaient  encore  ^  Sur  les  dix-neuf 
absents  deux  avaient  étô  tués,  trois  étaient  morts  dans  les  hApilaux,  sept 
avaient  été  rapatriés  précédemment  comme  convalescents,  blessés  ou  retrai- 
tés; enfin  sept  étaient  passés  dans  d'autres  corps,  soit  par  promotion,  soit 
par  mutation  *. 

Le  Comorin  leva  Tahcre  le  28  mars  à  cinq  heures  du  soir. 

Nous  avons  laissé  le  3«  bataillon  ayant  deux  compagnies  à  Phu-An-Binh 
avec  le  commandant  de  Mibielle,  une  autre  à  Than-Quan,  et  la  dernière  four- 
nissant un  poste  sur  la  rivière  Noire  et  la  garnison  de  IIong-Hoa. 

Dès  sa  rentrée  à  Phu-An-Binh,  le  commandant  de  Mibielle  avait  reçu  Tordre 
d'étudier  les  moyens  de  faire  remonter  une  colonne  jusqu'à  Ila-Yang,  dernier 
point  important  avant  la  frontière  chinoise  sur  la  rivière  Claire.  Dans  ce  but , 
il  partit  le  17  février  avec  la  4*  compagnie  (lieutenant  Guignabaudet)  et  une 
autre  de  Tirailleurs  tonkinois  pour  aller  occuper  Luc-An-Chau,  sur  le  haut^ 
Song-Chaï,  à  deux  juurnées  de  marche  en  amont  de  Phu-An-Binh.  Il  y  arriva 
le  19.  Do  ce  point,  où  il  resta  jusqu'au  4  mars,  il  explora  tout  le  pays  dans 
un  rayon  do  près  de  quarante  kilomètres,  et  dispersa  plusieurs  bandes  de 
Pavillons -Noirs  en  leur  infligeant  d^  pertes  sérieuses.  Il  se  porta  ensuite  en 
deux  jours  à  Vinh-Tuy ,  sur  la  rivière  Claire,  à  quatre-vingts  kilomètres  seu- 
lement de  Ha-Yang.  Hais  il  n'avait  pas  été  possible  de  réunir  un  nombre  suf- 
fisant de*  petites  embarcations  pour  assurer  le  ravitaillement  de  la  colonne 
qui  devait  se  diriger  sur  ce  dernier  point,  et  de  nouvelles  instructions  pres- 
crivirent au  commandant  d'installer  un  poste  à  Vinh-Tuy,  et  d'attendre  là  le 
prochain  rapatriement  do  son  bataillon.  Pendant  ce  temps,  la  l^  compagnie 
n'avait  pas  bougé  do  Phu-An-Binh.  Les  2^  et  4®  sections  de  la  2«  (lieutenant 
Dubernet),  qui  étaient  demeurées  à  llong-IIoa ,  avaient  quitté  cette  place  une 
première  fois  du  27  février  au  3  mars,  pour  marcher  contre  une  bande  de 
pirates  établie  au  village  de  Cu-Baîng,  au  sud  de  Dong-Van;  une  seconde  fois 
le  5  mars,  pour  aller  occuper  le  poste  de  Ngol-Lao,  entre  Cam-Khé  et  Than- 
Quan;  elles  y  étaient  restées  jusqu'au  15,  puis  en  étaient  parties  pour  se  re- 
porter vers  Cu-Baïng  et  s'installer  à  Giap-Lal,  à  une  journée  de  IIong-Hoa. 
L&  elles  furent  rejointes,  le  18,  par  la  1^  section  de  la  même  compagnie, 
qui,  après  avoir  fait  partie  de  l'une  des  colonnes  de  Than-Quan  et  avoir  été 
maintenue  dans  ce  dernier  poste,  avait  été  envoyée  à  Van-Ban-Chau ,  qu'elle 
avait  quitté  le  5  mars  pour  servir  d'escorte  au  général  Jamais,  qui  rentrait 
dans  le  Delta  par  Than-Quan,  Phu-An-Binh,  Phu-Doan  et  la  rivière  Claire. 
La  3°  section,  qui  était  détachée  à  Phum-Lam,  sur  la  rivière  Noire,  et  qui 

*  CcB  six  offlciers  étaient:  BfM.  Massip  et  Hathclot,  capitaines;  Grangury,  médecin 
major  do  2^  classe;  Salah-ben-FerkatadJl  et  Mohamed- bon -Sald,  lieutenants;  enfin 
Darier-Ch&telain ,  sous -lieutenant. 

*  C'étaient  :  AIM.  Jouneaa,  passé  lieutenant-colonel  ;  Godon,  nommé  chef  de  bataillon; 
Boblot,  promu  capitaine  ;  Garcet,  Thierry  et  Pennel,  devenus  lieutenants  ;  et  GhiarasinI, 
lieutenant,  passé  avec  son  grade  au  13*  de  ligne  (voir  le  tableau  de  la  page  484). 


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658  LB  3«  RÉOmENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  11886] 

était  revenue  le  14  mars  à  Ilong-lloa ,  ayant  à  son  tour  ralliô  le  30,  toute  la 
compagnie  se  trouva  dès  lors  à  Giap-Lal,  d'où  elle  effectua  de  nombreuses 
reconnaissances  vers  la  rivière  Noire  et  dans  la  vallée  du  Song-Mua.  Quant  à 
la  3«  compagnie  (capitaine  Polère),  elle  fut  relevée  à  Than-Quan  le  17  mars, 
et  rentra  à  Ilong-IIoa  le  23. 

Enfin ,  le  tour  de  rapatriement  du  bataillon  étant  également  arrivé,  les  deux 
compagnies  qui  étaient  sur  la  haule  rivière  Claire  reçurent  l'ordre  de  revenir  à 
Uong-lioa.  Celle  de  Vinh-Tuy,  avec  laquelle  se  trouvait  toujours  le  commandant 
de  Mibiello,  se  mit  en  route  le  30  mars,  colle  de  Phu-Att-liinhle3l.  Le  4  avril, 
elles  se  réunirent  à  Phu-Doan,  où  celle  de  Phu-An-Binh  était  arrivée  le  !•■'. 
Le  9,  elles  étaient  à  Hong-Hoa.  Quelques  opérations  eurent  encore  lieu  les 
jours  suivants  dans  les  environs  de  cette  place,  puis,  le  24  avril,  le  bataillon 
tout  entier  se  dirigea  sur  Sonlay,  où  il  arriva  le  lendemain.  Le  29,  les  3^  et 
4«  compagnies  8*y  embarquaient  sur  deux  canonnières  pour  être  transportées 
à  llal-Pliong.  Le  1*^^  mai,  ce  fut  le  tour  do  l'état-major  et  des  doux  autres 
compagnies.  Le  2,  le  bataillon  était  à  bord  du  Chéiibon,  qui  devait  le  ramener 
en  Algérie.  Le  5,  le  Chéiibon  francbissait  la  passe  de  Hai-Phong  et  s'éloignait 
À  son  tour  des  rivages  de  TAnnam. 

Si  nous  faisons,  pour  les  ofliciers  qui  appartenaient  au  3*  bataillon  au  com- 
mencement de  la  campagne,  la  môme  récapitulation  que  nous  avons  faite 
pour  ceux  du  l^"*,  nous  trouvons  que  six  en  faisant  encore  partie  s'étaient 
rembarques  avec  lui\  que  trois  avaient  été  tués,  qu'un  s'était  noyé,  que 
neuf  avaient  été  rapatriés  isolément,  enfin  que  six  étaient  passés  dans  d'autres 
corps  ou  dans  d'autres  bataillons  du  corps  *.  • 

11  serait  superOu,  après  le  récit  que  nous  venons  de  faire  des  principaux 
événements  de  la  conquête  du  Tonkin ,  d'insister  sur  la  gloire  que  le  régiment 
s'était  acquise  dans  cette  lointaine  expédition.  Celte  gloire  était  d'autant  plus 
enviable,  qu'elle  ne  s'attachait  qu'à  des  succès;  que  partout  où  ils  avaient 
combattu,  les  Tirailleurs  algériens  avaient  eu  la  satisfaction,  quel  que  fût  le 
nombro  de  leurs  adversaires,  de  voir  ceux-ci  fuir  devant  eux.  Ôuns  ces  com- 
bats où  l'ennemi  était  presque  toujours  retranché,  où  les  attaques  de  vive 
force  devenaient  le  seul  moyen  de  le  déloger,  ils  n'avaient  cessé  de  se  faire 
remarquer  par  leur  irrésistible  élan ,  par  une  bravoure  qui ,  à  maintes  reprises, 
avait  provoqué  l'admiration  des  autres  troupes.  Une  fois  maîtres  de  la  posi- 
tion, ils  avaient  toujours  su  s'y  maintenir.  Endurcis  à  la  fatigue,  aux  priva- 
tions, à  la  chaleur,  ils  avaient  dans  plusieurs  circonstances  fourni  la  plus 
grande  somme  d'efforts  qu'il  fût  possible  de  demander  à  des  soldats  sous  un 
climat  aussi  meurtrier.  Aussi,  en  raison  de  ces  épreuves,  avaient-ils  payé  un 
large  tribut  à  la  maladie;  mais,  par  contre,  leur  état  moral  était  jusqu'au 
bout  resté  excellent. 

>  MM.  de  Mibielle,  chef  de  bataillon;  Polère,  capitaine;  Audiguier,  médecin  major 
de  2*  classe;  Gaignabaudei,  Mohamed -ben-àrAhmed  et  Messaoud-ben-Debeza,  lieu- 
tenants. 

>  Ces  derniers  étaient  BIM.  Mercier,  promu  chef  do  bataillon;  du  Kéiaudy,  Dégot, 
Pieri,  Sassi-ben-Sassi,  nommés  lieutenants;  et  Lochert,  capitaine,  passé  dans  Tinfan- 
terie  da  marine  (voir  le  tabieaa  de  la  page  500). 


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[1886]  AU  TONKIN  659 

Pour  montrer  quel  cas  faisaient  d'eux  les  ehefs  qui  les  avaient  eus  sous 
leurs  ordres,  il  nous  suffira  de  donner  Tordre  par  lequel  le  général  Jamonti 
commandant  la  1*^  di?ision ,  annonçait  leur  départ. 

c  Les  bataillons  des  i<^'et  3*  Tirailleurs  algériens,  disait-il,  Tont  quitter  le 
Tonkin,  où  les  premiers  d*en(re  eux  ont  débarqué  il  y  a  plus  do  deux  années. 

c  Ils  ont  pris  part  à  tous  les  événements  militaires  importants  qui  ont  eu 
lieu  pendant  celte  longue  période. 

c  Ils  ont  largement  coopéré  à  la  conquête  et  à  la  pacification  du  pajs.  Sons 
la  direction  de  leurs  brillants  officiers,  ils  ont  partout  fait  preuve  de  résistance 
à  la  fatigue,  d'emlnmnce  aux  effets  d*un  climat  tropical,  d*énergie  et  de  bra- 
voure dans  les  combats. 

c  Le  général  commandant  la  1^  division  se  sépare  avec  regret  de  compagnons 
qui  ont  fait  et  qui  feront  toujours  bonneur  à  leur  drapeau. 

«  Il  leur  souhaite  un  beureux  retour  vers  leur  patrie,  où  ils  vont  prendre  un 
repos  bien  mérité.  » 

Voici  maintenant  quelles  avaient  été  les  pertes  par  le  feu  éprouvées  par  les 
deux  bataillons  du  régiment  réunis  : 

Officiers..  4| 
Tués  ou  morts  des  suites  de  leurs  blessures.^  >  91 

Troupe.  .    87  J 

\326 

Officiers..  15] 
Blessés \  \23i' 

Troupe.  .  220] 

Si  à  ces  chilTres  nous  ajoutons  ceux  de  six  officiers  *  et  d'environ  deux 
cents  hommes  morts  d'accidents  ou  de  maladie,  on  verra  que  le  3*  Tirail- 
leurs avait  chèrement  acheté  le  droit  d'inscrire  sur  son  drapeau  le  nom 
d'Extrême-Orient  à  la  suite  de  ceux  de  Lagbouat,  Sébastopol,  Soiférino  et 
San-Lorcnxo.  La  campagne  du  Tonkin  est,  après  celle  de  1870,  celle  qui  lui 
a  le  plus  coûté  en  sacrifices  de  toutes  sortes;  aussi  restera- t-elle  toujours 
une  des  plus  belles  et  des  plus  glorieuses  pages  de  ses  annales. 

IjO  Vomorin,  ramonant  le  l**"  bataillon,  était  arrivé  le  30  avril  en  rade 
d*Algcr.  Mais,  bien  que  n*ayant  pas  eu  un  cas  de  choléra  pendant  toula  la 
traversée,  en  vertu  d'une  mesure  générale,  les  troupes  qu'il  avait  à  bord 
devaient  faire  une  quarantaine  de  six  jours  avant  d'être  dirigées  sur  leur 
corps.  Celte  quarantaine  devait  être  subie  à  Sidi-Ferruch  pour  les  détache- 
ments à  destination  de  l'Algérie.  Ce  fut  là  que  le  bataillon  débarqua  le  3  mai. 
Le  12,  il  se  rendit,  en  une  seule  étape,  à  Alger,  où  il  fut  reçu  avec  enthou- 
sissme  par  les  autorités  et  la  population.  Le  même  jour,  il  prit  passage  sur 
le  MoVie  pour  être  transporté  à  Bêne,  sa  garnison,  il  y  arriva  le  15,  après 

t  MM.  Orlanducci,  Martin,  Patin,  Garros,  lien  tenants;  Messaood-bea*el*AId  et 
Gallichet,  sous  •lieutenants. 


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860 


LB  3*  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


avoir  été  Tobjetà  Deihys,  où  commandait  lo  général  Corder,  l'ancien  colonel 
du  régiment,  à  Bougie,  à  Djidjelli  et  à  Philippeville,  des  plus  flatteuses  et 
des  plus  touchantes  marques  de  sympathie  de  la  part  des  petites  garnisons 
de  ces  postes.  A  Bône,  une  véritable  fête  locale  avait  été  organisée  en  l'hon- 
neur de  ce  débarquement.  Toute  la  population  y  prit  part.  Le  colonel  Boitard, 
qui  élait  venu  au-devant  du  bataillon  à  Philippeville,  assistait  lui-même  à 
cette  brillante  ovation. 

Un  mois  après,  le  14  juin,  lo  3*  bataillon  débarquait  à  son  tour  à  Sidi- 
Ferruch.  Le  21 ,  il  arrivait  à  Alger,  pour  y  passer  la  journéo  du  22  au  milieu 
de  fêtes  et  de  réceptions.  Le  23,  il  se  rembarqua  sur  la  Corse  et,  le 25,  reprit 
terre  à  Philippeville.  Immédiatement  dirigé  sur  Conslantinef  ar  le  chemin  de 
fer,  il  arriva  dans  cette  ville  le  même  jour,  à  trois  heures  du  soir.  Il  y  fut 
salué  et  fêlé  par  toute  la  population,  européenne  et  indigène,  qui  avait  tenu 
à  honneur  de  s'unir  pour  cette  patriotique  manifestation. 

Mais  un  autre  triomphe  attendait  encore  les  Tirailleurs,  et  celui-là  allait 
avoir  à  leurs  yeux  un  prix  tout  particulier.  Le  ministre  de  la  guerre  ayant 
décidé  que  les  troupes  rentrant  du  Tonkin  seraient  représentées  par  des  déta- 
chements à  la  revue  du  14  juillet  à  Paris,  il  fut  formé  au  régiment  deux 
compagnies  de  marche  avec  les  hommes  les  plus  méritants  des  deux  ba- 
taillons qui  venaient  d'être  rapatriés.  Ces  compagnies  étaient  ainsi  corn- 


2^compiignie  (3^  baUnUon), 

MM.  Polère,  capitaine. 

Guignabaudet,  lient,  français. 
Tahar-ben-Dzitouch,  lient,  ind. 
Savoye,  sous-lieut.  français. 
Ali-ben-Larbi,  s.-lieut.  indigène. 


1^  compagnie  (i^'  balaillon). 

MM.  Massip,  capitaine. 

Vidal,  lieutenant  français. 
Salah-ben-Ferkatadji,  lient,  ind. 
Darier- Châtelain ,    sous-  lieute- 
nant français. 
Ahmed-on-Kassi,  s.-lieut.  indig. 


Le  1^'  Tirailleurs  ayant  également  été  appelé  à  fournir  deux  compagnies, 
le  commandant  Béranger  fut  désigné  pour  commander  le  bataillon  que  for- 
maient ainsi  les  deux  corps  réunis.  Ce  balaillon  devait  être  accompagné  par 
le  drapeau  du  3«  régiment,  porté  par  le  sous -lieutenant  Behr. 

Le  détachement  du  3*  Tirailleurs  s'embarqua  à  Philippeville  le  4  juillet, 
débarqua  à  Marseille  lo  S,  fut  à  Paris  lo  13,  en  repartit  le  18,  se  rembarqua 
lo  21 ,  et  rentra  en  Algérie  le  23. 

A  Marseille  et  à  Paris,  les  Tirailleurs  avaient  été  l'objet  d'une  ovation  en- 
thousiaste. A  Paris,  la  foule  n'avait  cessé  d'assiéger  la  caserne  du  Chêteau- 
d'Eau ,  où  ils  étaient  logés.  Pendant  la  revue  et  sur  tout  lo  parcours  de  la 
caserne  à  l'hippodrome  de  Longchamps,  ils  avaient  été  chaleureusement 
acclamés.  Le  drapeau  du  régiment,  fièrement  tenu  par  M.  Bchr,  n'avait 
cessé  d'être  salué  par  do  frénétiques  vivats.  C'est  qu'on  n'avait  jamais  mieux 
compris  le  respect  sacré  qu'on  devait  à  cet  emblème ,  qu'en  voyant  celui  dont 
l'entouraient  des  hommes  pour  qui  il  n'était  que  lo  symbole  du  devoir  et  de 
la  discipline. 


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CHAPITRE  XII 


Années  18R6  et  i887.  —  Emplacements  successifs  des  bataillons.  —  Le  colonel  Doitard, 
nommé  général ,  est  remplacé  par  le  colonel  Marmet.  —  Composition  da  régiment  lo 
1»'  juin  1888. 


A  la  rcnlréo  des  l^''  et  3«  bataillons  en  Algérie,  les  garnisons  furent  ainsi , 
réparties  :  1«'  bataillon  à  Bône,  2*  à  Sélif,  3«  à  Constantine,  4«  à  Bougie 
avec  des  détachements  à  Bordj-bou-Arreridj ,  Milah,  El-Miliai  Collo,  Djidjelli 
et  Akbou.  Après  les  manœuvres  d'automne,  qui  eurent  lieu  en  septembre  et 
octobre ,  et  auxquelles  prirent  part  les  1^,  2®  et  3*  bataillons,  le  !•■'  bataillon 
alla  à  Sétif,  le  2^*  à  Bônc,  le  3®  à  Bougie  et  dans  les  autres  postes  fournis 
précédctnincnt  par  lo  4<^,  enfin  le  ¥  h  Constantine. 

Kn  1887,  CCS  manœuvres  eurent  lieu  dans  les  mêmes  conditions  pour  les 
!<"',  ^^  et  4°  bataillons.  Las  changements  auxquels  elles  donnèrent  lieu  furent 
les  suivants  :  le  l^^^  bataillon  releva  le  3*  à  Bougie,  Akbou,  Djidjelli,  Collo, 
EUMiliaet  Milah;  le  2^  vint  à  Constantine;  le  3^  occupa  Sétif  et  Bordj-bou- 
Arreridj  ;  le  4* ,  Bône  et  la  Calle. 

Indépendamment  des  garnisons  ci-dessus,  le  corps  a  eu,  depuis  1883,  à 
fournir  des  détachements  dans  le  sud,  à  Négrine,  El-Oued,  Tuggurt  et 
Barika.  Le  poste  de  Négrine  a  récemment  été  supprimé. 

Le  21  octobre  de  cetlc  même  année  1887,  le  colonel  Boitard  fut  nommé 
général  de  brigade.  Il  était  resté  à  la  tète  du  régiment  pendant  cinq  années, 
et  dons  des  circonstances  particulièrement  difficiles  :  par  suite  des  expédi- 
tions de  Tunisie  et  du  Tonkin ,  son  commandement  avait  été,  pour  ainsi  dire, 
une  conlinnello  réorganisation.  Il  partit  avec  la  satisfaction  d'avoir  réussi 
dans  celle  lourde  tâche,  et  en  laissant  les  meilleures  traditions  et  les  meil- 
leurs souvenirs  que  puisse  laisser  un  chef.  Il  fut  remplacé  par  lo  colonel 
Marmet,  auparavant  lieutenant-colonel  au  3<*  zouaves. 

Au  moment  où  nous  arrêtons  cet  historique,  le  !«•  juin  1888,  le  3«  Tirail- 
leurs est  ainsi  composé  : 

36 


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562 


LB  3«  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1888] 


ÉTAT-MAJOR 

MM.  Harmet, 

colonel. 

Descoubès 

lieutenant-colonel. 

Laine, 

major. 

Rech, 

capitaine  trésorier. 

Durand , 

capitaine  d'habillement. 

Douzenot, 

lieutenant  adjoint  au  trésorier. 

Hérendol, 

sous- lieutenant  porte-drapeau. 

Charrier, 

médecin  major  de  1^  classe. 

Manfredi, 

médecin  major  de  2*  classe.  - 

Piol, 

médecin  aide -major  de  l**  classe 

1«^  BATAILLON 

MM.  Delmas  do  Grammont,  chef  de  bataillon. 

Bastide ,  capitaine  adjudant-major. 


l^*  eompagnie. 

MM.Rathelot,  capitaine. 

Simon ,  lieutenant  français. 
Ahmed  -  ou -Kassi,  lieu  t.  ind. 
Marchais,  sous-lieut.  français. 
Assouna-ben-Uamou ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 

Tfi  compagnie. 

MM.  Daly,  capitaine. 

Roussel  Lamourottx  de  Pompi- 
gnac,  lieutenant  français. 

Regnaud ,  sous-lieut.  français. 

Amar  -  ben  -  Belkassem ,  sous- 
lieutenant  indigène. 


3*  ean^agnU, 

MM.  Valette,  capitaine. 

Vidal ,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Saîd ,  lient,  indig. 
Baudouin,  sous-lieut.  français. 
Resqui  -  bon  -  Mohamed  ,    sous  - 
^  lieutenant  indigène. 

4*  con^^nie. 

MM.  Massip,  capitaine. 

Darior-Chfltolain,  lient,  français. 
Mansour-bon-Brahiui,  licut.  ind. 
Pougin,  sous-lieut.  français. 
Ali-ben-Larbi,  sous-lieut.  ind. 


2*  BATAILLON 


MM.  FouIIioy,  chef  de  bataillon. 

Couillet,  capitaine  adjudant- major. 


1>^  compagnie. 

MM.  Dutartre,  capitaine. 

Héliot,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Alimed ,  liuut.  ind. 
Lafontan,  sous-lieut.  français. 
Ali-ben-Ou-Arab,  s.-lieut.  ind. 


2^  compagnie. 

MM.  Mailly ,  capitaine. 

Chapuzot,  lieutenant  français. 
Moliauicd-bcn-Mcssaoud ,  lieute- 
nant indigène. 
Poussel,  sous-lieut.  français. 


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[1888] 


EN  ALGÉRIE 


663 


3*  compagnie. 

MM.  Debrou ,  capitaine. 

Dccque ,  lieutenant  français. 
Belkassem  -  Zid  -  ben  -  Hobamed  - 

Zid,  lieutenant  indigène. 
De  (lislain  de  Boulin ,  sous-Iicu- 

tenant  français. 
Mobamed  -  ben  -  Abderrahman , 

sous- lieutenant  indigène. 


4^  compagnie. 

MH.  Servant,  capitaine. 

Le  Goubin  de  Villodon,  lieute- 
nant français. 
Tchaou-bcl-Iladj,  lient,  ind. 
Capdcpont,  sous- lient,  français. 
Ali-bcn-Abmed,  sous-lieut.  ind. 


S^)   BiTiILLON 


MM.  Chéroutro,  cbef  de  bataillon. 

Bertrand ,   capitaine  adjudant  -major. 


!*■<»  compagnie. 
MM.  Chéray,  capitaine. 

TJCcl^.ro,  lieutenant  français. 
A  bdallali  -  bon  -  Mclkasscni ,  lieu- 
tenant indigène. 
Tucusscl,  s.-lieulcnant  français. 
BeIkreir-ben-Alimed ,  sous-lieu- 
tenant indigène. 

2°  compagnie. 

MM.  Chirouze,  capitaine. 

Klein,  lieutenant  français. 
Messaoud-ben-Debeza,  lient,  ind. 
Savoye,  sous- lient,  français. 
Eu  tbman- ben -Abdallah,  sous- 
lieutenant  indigène. 


3«  compagnie. 

MM.  Resséjac,  capitaine. 

Hébert,  lieutenant  français. 

Moliamed-bcn-M'Alimcd ,  lieute- 
nant indigène. 

Clément,  s.-lieutenant  français. 

Abdallah-bcn-bou-Djema,  sous- 
lieutenant  indigène. 

4«  compagnie, 

MM.  Petitjean,  capitaine. 

Cbrétien ,  lieutenant  français. 
Tabar-ben-Dzitoucb,  lient,  ind. 
Hamelin,  sous-lieut.  français. 
Embarck-ben-Alech,  sous-Iicute- 
nant  indigène. 


4»   BiTiILLON 


MM.  Ecbemann,  chef  de  bataillon. 

Monfeuga ,   capitaine  adjudant-major. 


l^  compagnie. 

MM.  Bevertégat,  capitaine. 

Chi(|ucl,  lieutenant  français. 
Alimcd-ben-Toîcb ,  lient,  indig. 
Hunt,  sous- lieutenant  français. 
Ahmed  -  ben  -  Mohamed ,  sous- 
lieutenant  indigène. 


2«  compagnie. 

MM.  Sordes,  capitaine. 

Cliavy,  lieutenant  français. 

Abd-cl-Kader-ben-Salem ,  lieu- 
tenant indigène. 

Vigarosy,  sous-lieut.  français. 

Mohamed- ben- Amar,  sous-lieu- 
tenant indigène. 


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564 


LE  '6^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


[1888] 


3<^  compagnie. 

MH.  Fauqueux,  capitaine. 
Hétet ,  lieutenant  français. 
Mohamed-ben-Kassi,  lient,  ind. 
Wasmer,  sous-lieut.  français. 
Boukélif -  ben  -  Boudina ,  sous- 
lieutenant  indigène. 


4^  ampagnie. 

MM.  Lombard,  capitaine. 
Alla ,  lieutenant  français. 
Taleb-ben -Mohamed,  lient,  ind. 
Balland,  sous-lieut.  français. 
Larbi-ben-Ali,  sous-lîeut.  ind. 


DÉPÔT 

MM.  Quentin,  capitaine. 

Le  Maistre,  lieutenant  français. 

Sassi-ben-Sassi ,  lieutenant  indigène. 

Bergot ,  sous-lieutenant  français. 

Mohamed  -  ben -Ilassen,  sous-licutcnant  indigène. 


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CONCLUSION 


Il  y  a  cinquante  ans,  des  hommes  d'un  hant  mérite,  qui  ayaient  déjà  une 
profonde  connaissance  de  FAIgérie  et  de  Pindigène,  songèrent  à  faire  con- 
courir ce  dernier  &  Tœuvro  mdme  do  notro  conquête  en  l'enrôlant  dans  un 
corps  irrégulior ,  dans  une  espèce  de  milice  dont  le  commandement  fut  donné 
à  des  ofliciers  français.  L'essai  n'était  pas  nouveau;  depuis  1830,  l'armée 
d'Afrique  possédait  des  bataillons  de  zouaves  dans  lesquels  entrait  une  no- 
table proportion  d'Arabes,  de  Kabyles  et  de  Koulouglis;  mais  ces  éléments 
un  peu  disparates  avaient  été  jusque-là  encadrés  dans  des  soldats  français,  et 
l'on  semblait  s'avancer  timidement  dans  cette  tentative,  qui  paraissait  alors 
excessivement  hardie.  Elle  réussit  cependant  au  delà  de  toute  espérance, 
grAce  aux  elTorts  de  jeunes  orHcicrs  pleins  d'entrain  et  de  vigueur,  qui  se 
jetèrent  dans  ce  nouveau  corps  dans  l'espoir  d'un  avancement  plus  rapide. 
En  1841 ,  chaque  province  avait  son  bataillon  indigène,  et  celte  troupe  avait 
déjà  rendu  assez  de  services  pour  qu'on  songeât  à  en  réglementer  i'orgjani- 
sation.  Une  ordonnance  royale  vint  combler  cette  lacune,  et  ces  auxiliaires 
prirent  le  nom  de  Tirailleun  indigènes.  Le  bataillon  qui  devait  plus  tard 
servir  de  noyau  au  3°  régiment  de  Tirailleurs  algériens  fut  ainsi  formé  de 
deux  bataillons  turcs,  dont  l'un  remontait  à  la  prise  de  Bône,  et  l'autre  à 
celle  de  Constantine.  Il  avait  son  siège  dans  cette  province  et  devait  y  eflec- 
tuer  son  recrutement. 

Bientôt  les  expéditions  de  Zaatcha,  de  Kabylie,  de  Laghouat  et  de  TuggurI, 
vinrent  faire  ressortir  les  solides  qualités  du  bataillon  indigène  de  Constan- 
tine. C'est  que  les  chefs  de  ce  bataillon  s'étaient  successivement  appelés 
Mollière,  Thomas,  Bourbaki,  Bataille  et  Jolivet,  autant  de  noms  de  futurs  et 
vaillants  généraux. 

Mais  jusque-là  les  Tw'cos  S  comme  on  les  appelait  déjà,  ne  s'étaient 
rendus  célèbres  qu'en  Algérie  :  l'expédition  de  Crimée  vint  consacrer  leur 

Ml  y  a  fort  à  croire  que  rorigine  de  ce  nom  vient  de  ce  que  les  premiers  éléments 
des  bataillons  indigènes  des  provinces  d'Oran  et  de  Gônstantine  se  composèrent  en  grande 
partie  d'anciennes  milices  turques. 


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566  LE  3^  RÉGIMENT  DE  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS  [1888] 

réputation.  Après  cette  campagne,  ib  furent  considérée  comme  une  troupe 
d'élite.  Ce  titre,  quMls  s'étaient  acquis  à  TAlma  et  dans  les  sanglants  assauts 
du  7  juin  et  du  8  septembre  1855,  ils  ne  l'ont  jamais  démérité  depuis. 

Cette  brusque  popularité  décida  immédiatement  leur  augmentation.  On 
avait,  quelques  années  auparavant,  donné  à  chaque  province  un  régiment  de 
zouaves;  on  voulut  qu'elle  eût  également  un  régiment  de  Tirailleun  algériens, 
et  cette  création  eut  lieu  le  l^  janvier  1856. 

Los  nouveaux  corps  no  furent  pas  longtemps  sans  ajouter  <lo  nouvelles 
pages  à  celles  déjà  si  glorieuses  que  s'étaient  gravées  les  bataillons  qui  les 
avaient  précédés.  L'année  même  de  sa  formation,  le  3*  régiment  eut  à  livrer 
de  sanglants  combats  aux  Amoucha  révoltés.  L'année  suivante,  il  prit  part  à 
l'expédition  de  la  Grande -Kabylie,  la  plus  vaste  et  la  plus  difGcile  opération 
qui  eût  encore  été  entreprise  en  Algérie.  En  1859,  chaque  régiment  eut  à 
fournir  un  bataillon  à  l'armée  d*Italie.  Les  Tirailleurs  revinrent  de  cette 
nouvelle  campagne  ayant  ajouté  sur  leur  drapeau  les  noms  de  Turbigo, 
Magenta  et  Solférino.  Partout  ils  avaient  rivalisé  de  bravoure  avec  les  troupes 
les  plus  braves;  et,  enthousiasmé.  Napoléon  III  avait  dit  d'eux  :  «  Ils  ont  été 
admirables.  »  Admirables ,  ils  le  furent  plus  encore  dans  les  difficiles  expé- 
ditions du  Sénégal,  de  la  Cochinchine  et  du  Mexique,  en  affrontant  avec  la 
même  indifférence  que  celle  du  champ  de  bataille  la  mort  obscure  que  leur 
apportait  un  climat  meurtrier  et  pestilentiel.  A  ce  moment  ils  paraissaient 
être  arrivés  au  plus  haut  degré  du  prestige  où  il  leur  fût  possible  de  parvenir  : 
ils  n'avaient  que  des  souvenirs  de  victoires;  on  s'inquiétait  d*eux  à  l'égal  des 
troupes  nationales;  chaque  année  un  bataillon  était  détaché  à  Paris  et  y 
jouissait  de  toutes  les  faveurs  accordées  à  la  garde  impériale;  on  les  jalou- 
sait, on  les  enviait  :  et  cependant  il  allait  appartenir  à  nos  revers  de  les 
grandir  encore. 

Vint,  en  effet,  la  guerre  de  1870.  Pour  notre  armée  ce  ne  fut  que  la  dé- 
faite, pour  les  Tirailleurs  ce  fut  le  sacrifice;  comme  pour  nos  vaillants  cui- 
rassiers, leur  tombeau  fut  à  Frœschwillcr.  Ils  n'en  revinrent  qu'avec  des 
débris,  et  ces  débris  allèrent  achever  de  s*englouUr  à  Sedan.  Il  y  eut  bien 
encore  des  Turcos  à  l'armée  de  la  Loire  et  à  l'armée  de  l'Est;  mais  les  vieux 
soldats  de  Crimée,  d'Italie,  du  Mexique  n'étaient  plus  là,  et,  comme  à  tant 
d*autres  corps,  il  leur  manqua  cette  cohésion  qui  fait  la  force,  cette  confiance 
qui  donne  le  succès  :  ils  y  furent  simplement  braves,  alors  qu'à  l'armée  du 
Rhin  ils  avaient  été  magnifiques. 

Le  3*  régiment  rentra  en  Algérie  pour  trouver  toute  la  province  de  Con- 
stantine  en  insurrection.  C'était  une  nouvelle  campagne  qui  s'ouvrait  pour 
lui.  Il  y  fut  tout  entier  employé,  et  eut  maintes  fois  l'occasion  d'y  affirmer 
hautement  son  dévouement  et  sa  fidélité.  A  Tuggurt,  celle-ci  se  traduisit  par 
un  des  actes  les  plus  sublimes  qui  soient  dans  l'histoire  de  nos  guerres 
d'Afrique.  I^es  insurrections  de  1876  et  de  1879,  le  massacre  do  la  malheu- 
reuse mission  Platters  et  la  campagne  do  Tunisie  devaient  encore  servir  à 
mettre  en  relief  ses  belles  qualités;  enfin  l'expédition  du  Tonkin  allait  prouver 
que  les  Tirailleurs  de  nos  jours  sont  les  dignes  frères  de  ceux  de  Zaatcha ,  de 
MalakofT,  de  Solférino  et  de  FroBschwiller. 


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[1888]  EN  ALOÉRIB  K67 

Un  corps  qui  possède  un  tel  passé  n*a-t-il  pas  le  droit  d'être  légitimement 
fier?  Oui,  mais  il  a  également  le  devoir  de  se  préparer  à  justifier  sa  vieille 
réputation  dans  Ta  venir.  Ce  devoir,  nous  le  remplirons  en  nous  pénétrant 
des  nobles  exemples  qui  nous  ont  été  laissés  en  foule  par  ceux  qui  nous  ont 
précédés  dans  ce  beau  et  héroïque  régiment;  nous  le  remplirons  en  n'ou- 
bliant jamais  que  nous  devons  puiser  toute  notre  force  dans  le  respect  de  la 
discipline,  et  tout  notre  courage  dans  Tamour  de  la  Patrie! 


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NOTE  I.  —  Page  197. 

En  parlant  do  la  bataille  do  Solférino ,  nous  avons  dit  que  le  sous-lioutonant  Barbier 
avait  eu  la  cuisse  fracassée  au  moment  du  premier  assaut  de  la  position  du  mont  Fon- 
tana.  Pour  compléter  cet  épisode,  nous  devons  ajouter  que  cet  officier,  atteint  aux  côtés 
du  capitaine  Munier,  qui  commandait  le  bataillon  du  régiment ,  se  vit  perdu  lorsque  les 
nôtres,  débordés  do  toutes  parts,  durent  battre  en  retraite  :  «  Je  vous  donne  ma  parole 
que  je  reviendrai ,  »  lui  dit  le  capitaine  Bfunior.  Et ,  rassuré,  M.  Barbier  attendit. 

Les  Autrichiens,  on  se  le  rappelle,  étaient  redevenus  maîtres  do  la  position.  Bf.  Bar- 
bier les  vit  revenir,  lui  passer  sur  le  corps,  le  dépouiller,  puis  le  laisser  là  siuis  secours. 
11  n'(*spéra  plus  riun.  Mais  bientôt  il  entendit  do  nouveau  le  claii-on  des  Tirailleurs  : 
c'ét;iit  la  chargo  qui  sonnait,  c'était  lo  capitaine  Muuicr  «lui  ramenait  sou  vaillant  ba- 
taillon à  Tassant.  Pour  la  deuxième  fois  les  Autrichiens  furent  rejetés  sur  leurs  réserves. 
Le  capitaine  Bf  unier  avait  tenu  sa  promesse  ;  M.  Barbier  était  sauvé.  Son  premier  soin 
fut  de  faire  porter  le  blessé  à  Tambulance ,  où  il  fut  amputé. 

Depuis,  M.  Barbier  a  été  successivement  sous-préfet  et  secrétaire- général.  Il  a  main- 
tenant quitté  l'administration.  Le  capitaine  Blunier,  son  sauveur,  comme  il  s'est  toujours 
plu  à  l'appeler,  a  rapidement  franchi  tous  les  échelons  de  la  hiérarchie  militaire  et  com- 
mande actuellement  la  se»  division  d'infanterie,  àBayonne. 


NOTE  IL  —  Page  325. 

Voici  quelques  renseignements  complémentaires  au  sujet  du  danger  couru  par  le  dra- 
peau du  réghnent,  le  6  août  1870,  à  Frœschwiller. 

Ainsi  que  le  prescrivait  le  règlement,  Bf.  MoudiclU,  sous-lientcnant  porte -drapeau, 
8*était  placé,  au  début  du  combat,  à  la  3»  compagnie  du  2«  bataillon;  mais  ce  iKitaillon 
s'étant  bientôt  porté  sur  la  droite,  vers  Mor;>broun,  sur  ronlre  du  colonel  Gandll,  le 
drapeau  i*csta  avec  le  1»'  bataillon. 

Ou  sait  comuiout  lu  l'égimont  fut  engagé  :  lus  compagnies  se  iiortrntnt  eu  ligue  les 
unes  après  les  autres ,  au  fur  et  à  mesure  de  l'arrivée  des  renforts  ennouiis.  1^  sous- 
lieutenant  Mondielli  se  trouva  ainsi  marcher  avec  la  6»  (capitaine  Wissaut)  du  1«'  ba- 
taillon. Bientôt  cette  compagnie  fut  sérieusement  aux  prises  avec  les  Prussiens;  en  peu 
d'instants  elle  éprouva  des  pertes  considérables.  Néanmoins  elle  conserva  ses  positions 
Jusqu'au  moment  où,  notre  droite  étant  complètement  débordée,  il  fallut  songer  à  la 
retraite.  A  ce  moment  la  chaîne  ennemie  n'était  plus  qu'à  une  centaine  de  mètres.  Le 
sous-lieutenant  Bloudiclli  fit  sonner  au  drapeau  ;  mais  il  dut  se  résoudre  à  se  défendre 
avec  le  peu  de  monde  qui  l'entourait.  Dispersé  comme  il  l'était,  le  régiment  ne  formait 
plus  qu'une  succession  de  groupes  n'ayant  aucun  lien  entre  eux  :  chacun  se  battait  pour 
son  compte  à  l'endroit  où  il  se  trouvait,  l^a  compagnie  Wissaut  se  replia  sur  la  lisièro 
d'un  bois.  Le  danger  devenait  pressant:  les  Prussiens  avaient  aperçu  notre  étendard,  et 
tous  leurs  efforts  tendaient  à  s*en  emparer.  «  Jurons  do  mouiir  tous  ici  plutôt  que  de 
laisser  prendre  le  drapeau,  s'écria  le  sous -lieutenant  Bfondiclli.  —  Personne  qui  pren- 
dra le  drapeau ,  mon  lieutenant ,  »  répondirent  les  Tirailleurs.  Et  celui-ci  fut  immédia- 
tement dégagé  par  une  charge  à  la  baïonnette. 

Cependant  le  nombre  des  Prussiens  augmentait  toujours;  leurs  bataillons  s'avançaient 
maintenant  en  masse  compacte,  avec  cette  assurance  que  donne  la  certitude  du  succès. 
Notre  ligne  se  voyait  partout  obligée  de  céder  le  terrain  à  l^assaillant;  les  cinquante  ou 
soixante  hommes  groupés  autour  du  drapeau  étaient  menacés  d'être  enveloppés.  Survint 
heureusement  le  capitaine  Delahogue  avec  des  débris  du  3*  bataillon.  Cest  alors  que  le 
sous-lieutenant  Bfondlelli  courut  à  lui  et  le  conjura  de  sauver  l'emblème  sacré  confié 
à  sa  valeur.  On  a  vu  le  reste.  I^o  capitaine  Delahogue,  avec  un  remarquable  sang-froid, 
parvint  à  maintenir  l'ennemi  et  so  retira  lentement  sur  Reischoireu ,  où  il  retrouva  le 
gros  du  régiment.  Les  officiers  et  sous-officiers  présents  formaient  eux-mêmes  la  garde 
du  drapeau.  Étaient  là  :  MM.  Delahogue  S  capitaine;  Anglade^  Mustapha-bçn-el-Hadj- 
Otman>  et  Salah-ben-Ahmed,  sous -lieutenants;  Siquart^  et  Rouget*,  sergents -majors. 

1  Aujourd'hui  chef  de  bat«illoa  en  retraite,  commissaire  du  gouvemement  près  le  conseil  de  guerre 
de  Coostanlioe. 
t  Chef  de  bauilloo  eo  activité, 
s  Capitaine  au  titre  français  au  l«r  Tirailleurs. 
4  Capitaine,  employé  au  service  du  recrutement. 
s  Capiuine  du  18*  de  ligne. 


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APPENDICE 


Tableau  n«  1. 

ÉTAT  NOUINATIP  DBS  CIIBP9  DB  BATAILLOtf  QOI  OlfT  COMMANDÉ  LB8  TIRAILLEURS  INDIOftifIS  DB  CONSTAUTIIIB 
DEPUIS  LBUR  CRÉATION  JUSQU*A  LA  FORMATION  DU  3«  RÉOIMBNT  DB  TIRAILLEURS  ALGÉRIENS 


DURÉE  DU  COMMANDEMENT 

DERNIER   ORADE 

*"™™ 

NOMS 

OMBRTATIONS 

du 

au 

DANS  l'armée 

Mollière. 

octobre       1838 

27  février  1841 

général  de  brig. 

Thomas. 

6  Juin        1842 

28  août       1846 

général  de  brig. 

DourbakI. 

28  août       i84« 

16  Janvier  1858 

général  de  div. 

Cadre  de  réserve. 

nntaille. 

16  Janvier  1860 

8  août       1851 

général  de  dIv. 

Décédé. 

JoUvct. 

8  aoiU       1851 

29  Juin       1854 

général  de  dIv. 

En  retraite. 

Guichard. 

29  Join        1854 

31  dée.       1885 

général  de  brig. 

En  retraite. 

Arnaadcaui. 

17  Janvier  1855 

31  ddc.       1855 

général  de  div. 

Sénateur. 

Tableau  n»  2. 

f.TAT  NOMINATIF  DR8  COIX)NRLn  QUI  ONT  COMMANDÉ  LK  3*  RÉOIMENT  DB  TIRAILLEURS  ALOÉRIRRS 

ItRt'UlS   SA    FORMATION 


DURÉE  DU  COMMANDEMENT 

DERNIER  'GRADE 

NOMS 

OBSERVATIONS 

du 

au 

DANS  l'armée 

I.iébort. 

1"Janvierl8568 

13  mars      1858 

général  do  dlv. 

En  retraite. 

Le  Poitlevin  de 

Lacroix. 

17  mars    1858 

20  déc.       1861 

général  de  div. 

En  retraite. 

Gandil. 

26  déc.      1864 

20  août       1870 

général  de  div. 

Décédé. 

narrué. 

21  déo.      1870S 

7  Janvier  1879 

colonel. 

Barbier. 

I5Janvierl879 

20  juillet    1879 

colonel. 

Verrier*. 

26  Juillet  1879 

11  sept.      1879 

général  de  brig. 

En  activité. 

Gerder. 

Il  sept.     1879 

28  Juin       1881 

général  de  brig. 

En  retraite. 

Jaoob. 

10  Juillet  1881 

12  juillet     1882 

colonel. 

13oitard. 

3  août     1882 

21  octobre  1887 

général  de  br'g. 

gade  d'inliuilerie  à  Saint-Malo. 

Marmot. 

21  octobre  1887 

1  Commanda  le  2«  bataillon  do  Tirailleurs  indigènes  de  Constantlne. 

s  La  nomination  du  colonel  Liébert  est  du  7  novembre  1856,  mais  il  n'exerça  effiBeUTeineni  son  com- 
mandement que  do  jour  de  la  formation  du  régiment. 

s  Nommé  par  décret  du  20  août  1870,  et  renvoyé  au  rang  d'aneienneté  ci -dessus  par  Is  oommissiQn 
do  revision  des  grades. 

4  N*a  Jamais  exercé  son  commandement  au  corps. 


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570 


APPENDICE 


Tableau  n*  8. 

iTAT  NOMlllATir   DS8  OmCIERf  TUil  A  L'eNNIMI  00  MORTS  DM  flOITES  DB  LBUM  BLBSSUEBt 


M0M8 

ORADSS 

Borot. 

eapilaioa. 

Tué  au  combat  da  Iféebottoacb,  la  15  mars  t844  (ai- 
péditioodaDiakra). 

PtUlgaod. 

UaotaoanL 

To6  daoa  la  caabab  da  Diakra,  daos  la  ooit  do  11  ao 
12  mai  1841. 

Croehard. 

aooallaataoaot. 

û*     ' 

Areelio. 

chirorgian  aida-mijor. 

d* 

L«doiu. 

liautaoanl. 

Tué  daos  00  combat  livré  aoi  OoladAxls  (Kabylia), 
la  12  oovambra  1845. 

DiiUrd-DMporlM. 

liauunant. 

Tué  daofl  un  combat  livré  aux  Oulad-Ouartillao  (Ka- 
bylia),  Iel7mail847. 

el-AIJooiia. 

Toé  daos  00  combat  livré  aux  Daoi-Mimouo  (Kaby- 
lia),  la  21  mai  1849. 

LaiMyrotte. 

eapilaioa* 

Tué  davaot  Zaatcba ,  la  25  oovambra  1849. 

soos-Uautananl. 

Tué  daos  uo  combat  livré  aux  Oulad-Aaker  (  Kabylia), 
le  It  mai  1851. 

Costa. 

Uaotaoant. 

Paps. 

aoualieotaoaot. 

Tué  daoa  uo  combat  livré  aux  Kabylaa,  la  22  mai  1853 
(aipédiUoo  daa  Babors). 

AbmsdbelUrbi. 

Tué  à  la  batailla  d'Iokarmaoo,  to  5  oovambra  1864. 

Schwelmbarg. 

capiuloa. 

rué  à  ratlaqua  du  MamalooVort,  la  7  Juin  1855. 

Haouaas. 

Uaotaoant. 

d* 

De  Boyne. 

liaouoanl. 

Tué  à  la  batailla  da  BolCérioo,  la  24  Jnio  1859. 

Larbi-bao-Lagdar. 

liaotaoant. 

d* 

DaPoy. 

aoos-liaolaoant. 

d* 

CalUioi. 

Toé  davaot  Puabla  (Maxiqua),  la  18  mai  1853. 

Tbiénot. 

chafdabataiUoo. 

Tué  à  FrœaebwiUar,  la  5  aodt  1870. 

Clommar. 

obaf  da  baUillon. 

DIaaaé  morullaroaot  à  FrœacbwilUr.  Décédé  la  7  août. 

Daacbampt. 

oapitaioa. 

Tué  à  Prœadiwillar. 

Ds  Bonrgoing. 

capitaine. 

d* 

QUIoi. 

capitaioa. 

d* 

Ilardottio. 

liautaoont. 

d* 

BMiiaUi. 

liaotaoaot. 

d* 

lieotaoaol. 

d* 

Pasqaalloi. 

d* 

MuaUpba-bao-Aniar. 

sooa-liaotaoaot. 

d* 

WalroA 

d* 

soos-liautaoaot. 

Haory. 

capitaioa. 

Tué  à  Sedan ,  la  l**  aaptembra  1870. 

DoSQBSttS- 

oapitaioa. 

d* 

Soumacoa. 

oapitaioa. 

d* 

Cléry. 

capiuloa. 

la  Loire),  le  30  novembre  1870.  Décédé  le  9  décembre. 

liaotaoaot. 

Tuée  l'attaque  du  MesUoua  (Algérie),  le  21  mai  1871. 

Havalta. 

d* 

Amoa-bao-lloassaU. 

liaotaoaot. 

Tué  à  Tuggurt,  le  15  mai  1871. 

Godinet. 

Tué  à  la  priée  du  fort  de  Phu-Sa  (Tookin).  la  14  dé- 
cembre 1883. 

Auiaor-bsn-lfohained. 

Dloaaé  mortellement  au  combat  da  Dac-Viey  (Tookin), 
la  12  février  188D.  Déoédé  le  15  Mvrior. 

Embarck-oa-Alia. 

liaotaoaot. 

Tué  au  combat  de  Hoa-Moc(  Tookin),  la  2  mars  1885. 

Payra. 

aooa-Uaotaoaot. 

Bleeaé  mortellemeot  ao  combat  da  Uoa-Moc  (Tookio), 

le  2  mars  1885.  Décédé  le  8  mars. 

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APPENDICE 


571 


Tableau  ii«  4. 

PSnTES  iPROUVitBS  PAR  LE  3«  TID AILLEURS  ET  LES  CORPS  INDIOfcttES  QUI  ONT  SERTI  A  SA  PORMATIOIf 


OFFICIERS 

— : Il 

Tués  OQ  morts  des  salies 
de  leurs  blessures. 

Blessés. 

Tués. 

BlosBéa. 

41 

il6 

«51 

2442 

ir 

i7 

3093                                      1 

1 

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TABLE 


AvEIITISBKMBirr TU 

PREMIÈRE  PARTIE 

(i830-i856) 

niSTOniQUB  DES  CORPS  D*IffFA5TBniR  INDIGiltlS  ATAIIT  TnicÈDÈ  LB  3^  RfOIMBlfT  DB  nRAULBURS 

DANS  LA  rnOYlMCB  DB  CONSTANTINB 

BT  ÉTANT  EIVSUITB  ENTRÉS  DANS  LA  COMPOSinON  DB  CB  DERNIER 

CHAPITRE  I 

(i830-1842) 

Origine  du  8»  régiment  de  Tirailleurs  algériens.  —  Bataillon  turc  de  Bôoe;  son  origine. 
—  Événements  de  la  casbah  de  Bône.  —  Opérations  auxquelles  ce  bataillon  prend 
part  depuis  sa  formation  jusipiW  sa  fusion  avec  lo  bataillon  turc  do  Conslantino.       1 

GIIAPITIIE  II 

(1837-1842) 

Bataillon  turc  de  Gonstantinc.  —  Sa  formation.  —  Son  organisation  première.  —  Opérations 
militaires  auxquelles  il  prend  part  depuis  sa  formation  jusqu'au  11  août  184S.  .      10 

CHAPITRE  III 

(1842-1844) 

(1842)  Bataillon  de  Tirailleurs  de  Constantine.  —  Son  organisation  déflnitiye.  —  (1843) 
Opérations  contre  les  Zardeza.  —  Expédition  contre  les  Hanencha.  -—  (1844)  Expé- 
ditions contre  les  Ouled  -  Mahhout  et  les  Ouled-Soltan.  —  Combat  de  Méchenex  dans 
les  Aurès;  de  Chùbct-Eneflad,  chez  les  Oulcd-Soltan.  —  Retour  à  Constantine.  .     18 

CHAPITRE  IV 

(1845-1846) 

Expédition  dans  les  Aurfts.  —  Prise  du  col  de  Portas.  —  Camp  de  Médina;  opérations 
autour  de  ce  camp.  —  Combat  d'AIdoussa.  —  Prise  de  Djar-Alla  et  de  Tabergua.  — 
Rentrée  h  Batna.  —  Opérations  do  la  6«  compagnie  à  Sétif.  —  Opérations  da  général 
d*Arbou ville  dans  la  province  d'Alger.  —  Expédition  chez  les  Ouled -Soltan.  —  Tour- 
mente de  neige  du  3  janvier  1846.  —  Rentrée  à  Sétif 82 


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674  TABLE 

GUÂIMTUE  y 

(1846-1847) 

(1846)  Marche  sur  Batna.  —  Départ  pour  Sétif.  —  Opérations  chez  les  Ouled-Nall.  — 
Expédition  du  colonei  Eynard  chez  les  Âmoucha.  —  Combats  des  7,  10  et  22  Juin.  — 
Retour  à  Sétif.  —  Opérations  du  détachement  de  Bône.  —  Derniers  événements  de 
l'année  1846.  —  (1847)  Expédition  contre  les  Nemencha.  —  Marche  sur  Bougie.  — 
Combat  du  16  mai.  —  Rentrée  à  Sétif.  —  Colonne  expéditionnaire  de  Collo.  —  Le 
commandant  Bonrbaki  remplace  le  commandant  Thomas 42 

CHAPITRE  VI 

(1848) 

Opérations  dans  le  Belezma.  —  Expédition  de  TAurès;  arrestation  de  l'ancien  bey  Hadj- 
Ahmed.  ^  Expédition  de  Sidi-Blérouan.  —  Combat  des  8  août  et  2  septembre.  —  Sour 
mission  des  denx  frères  Ben-Azedine.  —  Retour  du  bataillon  à  Constanlino.  .  .     52 

CUAPITRE  VU 

(1849) 

Expédition  de  Kabylie.  —  Combat  du  21  mai.  —  Rentrée  à  Constantine.  —  Siège  de 
Zaatcha 61 

CHAPITRE  YIII 

(1850-1851) 

(1850)  Le  commandant  Bourbaki  est  remplacé  par  le  commandant  Bataille.  •—  Sortie 
contre  les  Maàdhid.  —  Expédition  des  Nemencha.  —  (1851)  Expédition  de  la  petite 
Kabylie.  —  Combat  du  il  mai.  —  Arrivée  à  Djiiyelli.  —  Reprise  des  opérations.  — 
Rentrée  à  Constantine.  —  Le  commandant  Jolivet  remplace  le  commandant  Ba- 
taiUe 75 

CHAPITRE  IX 

(1852-1853) 

(1882)  Modifications  apportées  dans  Torganisution  des  bataillons  do  Tirailleurs  indigènes. 

—  Expédition  de  la  Kabylie  orientale.  —  Combat  du  31  mai.  —  Rentrée  à  Coustautbio. 

—  Opérations  contre  les  Haracta  et  les  Nemencha.  —  Expédition  de  Laghouat.  — 
Nouveau  tarif  de  solde  pour  les  bataillons  d'infanteiie  indigène.  —  (1853)  Fixation 
définitive  de  la  tenue  des  Tirailleurs  indigènes.  —  Expédition  des  Babors  et  de  la 
Kabylie  orientale.  —  Combat  du  22  mai.  —  Le  batailion  est  envoyé  à  Dji4jelli.  — 
Dernières  opérations  de  Tannée  1853 86 

CHAPITRE  X 
Expédition  de  Crimée, 

Formation  d'un  régiment  de  Tirailleurs  algériens.  —  Embarquement  à  Alger.  —  Débar- 
quement à  Gallipoli.  —  Camp  de  Boulahir.  —  Départ  pour  Varna.  —  Reconnaissance 
dans  la  Dobrutscha.  —  Le  choléra.  —  Retour  à  Varna.  —  Débarquement  en  Crimée. 
^  Bataille  de  l'Aima.  —  Marche  sur  Sébastopol Od 

CHAPITRE  XI 

Sébastopol.  —  Ouverture  du  siège.  —  Travaux  prélhninaires.  —  Bataille  d'iuker- 
mann 108 


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TABLE  575 

CHAPITRE  XII 

Reprise  du  siAge.  —  Nouyelles  dtspositions.  —  Tempête  da  14  noyembre.  —  Création 
d*nn  corps  d'éclaireurs  yolontaires.  —  Reconnaissances  exécutées  par  lesTirailleors.— 
Hiver  de  185i-1855;  suspension  des  travaux  à  cause  du  froid.  —  Ouragan  du  19  fé- 
vrier I8n5.  —  Oi)nil)at8  d'ombuscados.  —  Le  colonel  Rose  remplace  le  colonel  do 
WirapITcn ,  nouiiné  général.  —  Sortlo  du  22  au  23  mars.  ^  Continuation  des  tra- 
vaux        113 

CHAPITRE  XIII 

Le  général  Pélissicr  prend  le  commandement  de  l'armée.  —  Attaque  du  Mamelon-Vert. 
—  Assaut  du  18  Juin.  —  Bataille  de  Traktir 120 

CHAPITRE  XIV 

Assaut  du  8  septembre.  —  Prise  de  BfalakolT.  ^  Le  régiment  de  Tirailleurs  algériens 
quitte  la  Crimée.  -—  Expédition  de  Rinboum.  —  Rentrée  à  Alger.  -~  Licenciement 
du  régiment.  . 129 

CHAPITRE  XV 

(1854-1855) 

Opérations  en  Algérie  iicndant  les  années  1854-1856.  ^  (  1854  )  Expédition  dans  la  Qrandc- 
Kabylie.  —  Prise  du  col  de  Sldi-AIssa.  —  Combats  des  17,  20  et  30  juin.  —  Disso- 
lution do  la  colonne.  —  I^  commandant  Guicliard  remplace  le  commandant  Jolivet.— 
Opérations  contre  les  Nemencha.  —  Occupation  de  Tuggnrt.  —  (1855)  Création  d'un 
deuxième  bataillon  de  Tirailleurs  indigènes  dans  la  province  de  Gonstantine.  —  Li- 
cenciement des  bataillons  de  Tirailleurs  indigènes  et  création  de  régiments  de 
Tirailleurs  algériens 136 


DEUXIÈME  PARTIE 

(1856-1871) 

DEPUIS  LA  FORMATION  DU  R«QI1IEI1T  JU8QU*A  SA  RB1IT1É8  DB  CAPnVITÉ 
APRÈS  LA  CAMPAGRI  CONTRE  l'ALLBXAOEB 

CHAPITRE  I 

(1856) 

Décret  impérial  portant  création  de  trois  régiments  de  Tirailleurs  algériens.  —  Organi- 
sation du  30  régiment  —  Tableau  du  personnel  (officiers).  —  Répartition  des  gar- 
nisons. —  Modifications  dans  l'armement.  —  Affaire  du  11  mai  contre  les  Amoucha. 

—  Expédition  des  Babors.  —  Combats  du  Si  mai  et  du  2  juin.  —  Dissolution  de  la 
colonne.  —  Razzia  sur  les  Nemencha.  —  Réception  du  drapeau.  —  Ezpédition  de  Test. 

—  Colonnes  du  sud 147 

CHAPITRE  II 

(1857-1858) 
Expédition  de  la  Grande-Kabylie. 

(1857)  Expédition  de  la  Grande -Kabylie.  —  Opérations  de  la  colonne  principale.  — 
Prise  d'Aguemoun  (30  Juin).  —  Dissolution  du  corps  ezpédltionnaire.  —  Opérations 


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576  TABLE 

do  U  divUlon  Mats8iat.  —  Prtso  du  col  do  Clioilata  {il  Juin).  —  GomUi  du  20  Juiu. 

—  Aoioi  do  courago  do  doux  Houfl-offlciont.  —  Uoulréo  don  iroupui,  —  KxixkUUou  do 
Tost  —  (1858)  OpératioDS  dans  le  sud.  —  Le  colonel  de  Lacroix  est  appelé  au  com- 
mandement dn  régiment.  ^  Colonne  de  Test.  —  Formation  de  deux  compagnies  des- 
tinées au  Sénégal.— Expédition  contre  les  Ouled-AIdoun.  —  Colonne  de  l'Aurès.     161 

CHAPITRE  fil 

(18S9) 

Campagne  d'Ilaiie. 

Création  d'un  régiment  pro?isoire  de  Tirailleurs  algériens.  —  Formation,  à  Constantine, 
d'un  bataillon  de  marche  pour  le  régiment  proTlsoiro  ;  sa  composition.  —  Embarque- 
ment à  PhilippeTllle.  —  Débarquement  à  Gènes.  —  Constitution  dn  régiment.  —  Pre- 
mières marciies  et  opérations  du  2*  corps.— Combat  de  Turbigo  (3  juin).  —  Bataille 
de  MagenU  (4  juin) 176 

CHAPITRE  IV 

Départ  de  Milan.  —  Continuation  des  opérations.  —  Revue  du  général  de  la  Motterouge 
à  San-Zeno;  distribution  de  croix  et  de  médailles  accordées  au  régiment  à  la  suite  de 
la  bataille  de  Magenta.  —  Bataille  de  Solférino.  —  Passage  du  Mindo  à  Monzambano. 

—  Conclusion  d'un  armistice.  —  Paix  de  Villafranca.  —  Récompenses  accordées  à  la 
suite  de  la  bataille  de  Solférino.  —  Les  Tirailleurs  quittent  lltalie  et  sont  dirigés  sur 
le  camp  de  Saint-Maur.  —  Entrée  du  régiment  dans  Paris.  —  Embarquement  à  Toulon. 

—  Rentrée  à  Constantine 189 

CHAPITRE  Y 

(1859-1863) 

(1859)  Opérations  en  Algérie.  —  Colonne  des  Ouled-Asker.  —  Réorganisation  du  régi- 
ment après  le  licenciement  du  3*  bataillon  du  régiment  provisoire.  —  Colonne  de 
Test  —  Attaque  des  smalas  de  la  compagnie  de  Souk-Arras  par  un  parti  de  Tunisiens. 

—  (1860)  Colonne  du  Hodna.  —  Expédition  de  la  Kabylie  orientale.  —  (1861)  Compo- 
sition des  cadres  du  régiment  après  la  formation  des  7*  compagnies.  —  Envoi  d*une 
compagnie  an  Sénégal.  —  Nouvelles  dispositions  concernant  le  recrutement.  —  Départ 
do  doux  compagnies  pour  la  Cochinchino.  —  (1802)  Formation  d'un  bataillon  de 
marche  destiné  à  l'expédition  du  Blexique.  —  Opérations  contre  les  Khroumirs,  sur 
les  firontières  de  la  Tunisie.  —  Emplacements  des  bataillons  à  la  date  du  3t  dé- 
cembre 1868 201 

CHAPITRE  Yl 

(1860-1861) 

Expédition  du  Sénégal, 

Composition  de  la  compagnie  envoyée  au  Sénégal.  —  Départ  de  PhilippevUle.  —  Arri- 
vée à  Alger  et  à  Oran.  —  Débarquement  à  Saint -Louis.  —  Marche  sur  le  Cayor.  — 
Causes  et  but  de  l'expédition.  —  Soumission  do  Makodou.  —  Arrivée  à  Corée.  — 
Expédition  de  la  Caïamance.  —  Défaite  des  Mandingues.  —  Retour  à  Corée.  —  Expé- 
dition dans  le  Saloum  et  le  Sine.  —  Attaque  et  prise  des  villages  de  Cahon  et  de 
Kolah.  —  La  colonne  se  dirige  sur  Marouk  et  Diakbao.  —  Le  roi  de  Sine  demande 
la  paix.  —  Retour  à  Corée.  —  Deuxième  expédition  du  Cayor.  —  Marche  sur  Guéoul. 

—  Retour  à  Saint-Louis.  —  Excursion  à  Podor.  —  Préparatifs  de  départ.  —  Ordre 
du  jour  du  gouverneur  du  Sénégal.  —  Embarquement  pour  l'Algérie.  —  Débarque- 
ment à  Alger.  —  Retour  à  Constantine 217 


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TABLE  B77 

CHAPITRE  VU 

(1861-1864) 

Expédilion  de  Cochinehine. 

Formation  d'un  bataillon  de  marche  destiné  à  la  Cochinehine.  ^  Compositloa  du  déta- 
chement fourni  par  le  3«  régiment  de  Tirailleurs.  —  Départ  d* Alger.  —  Arrivée  à 
Alexandrie.  —  Rembarquement  à  Suez.  —  Arrivée  à  Saigon.  —  Causes  de  Texpé- 
dition.  —  Commencement  des  opérations.  —  Prise  de  Vinh-long.  —  Attaque  eit  enlè- 
yement  de  Mi-Cui.  —  Retour  à  Saigon.  —  Cessation  des  opérations.  —  Traité  de  Saigon. 

—  Résistance  déguisée  de  la  cour  de  Hué.  —  Dissémination  du  bataillon.  —  Colonnes 
volantes.  —  La  i*  compagnie  occupe  le  poste  de  Cho-Oaô.  —  Elle  y  est  relevée  par 
la  6*  compagnie Si9 

CHAPITRE  YIll 

(1863-1864) 

(1863)  Dispositions  prises  pour  arrêter  Tinsurrection.  —  Opérations  dans  les  environs  de 
Mytho.  —  Sortie  elTectuée  par  le  capitaine  Galland  contre  les  bandes  duHen-hô.  —  Prise 
de  Ni-Bing.  —  Poursuite  des  rebelles.  —  Rentrée  à  Mytho.  —Deuxième  sortie  du  capi- 
taine Galland.—  Combat  du  22  février.  —  Retour  à  Mytho.  —  Nouvelle  répartition  des 
détachements.  —  Récompenses.  —  Blouvements  dans  les  postes  occupés  par  les  deux 
compagnies.  —  Pertes  résultant  de  maladies.  —  (1864)  Rentrée  à  Saigon.  —  Prépa- 
ratifs de  départ  —  Traversée.  —  Débarquement  à  PhiUppeville.  —  Rentrée  à  Oons- 
tantinc S39 

CHAPITRE  IX 

(1862-1867) 

Expédition  du  Mexique, 

Guerre  du  BIcxiquo.  —  Formation  d'un  bataillon  de  Tirailleurs  destiné  à  prendre  part 
à  rcxpéditlon.  —  Départ  d'Alger.  —  Traversée.  —  Débarquement  à  Vera-Crui.  —  Le 
bataillon  est  employé  à  l'escorte  de  convois.  —  Combat  du  28  Janvier  1863.  —  Concen- 
tration à  Orizaba.  —  Marche  sur  Puebla.  —  Investissement  de  la  place.  —  Difficultés 
des  premières  aUaques.  —  Tentative  de  ravitaillement  de  la  part  de  l'ennemi.  — 
Combat  de  San-Lorenzo.  —  Reddition  de  Puebla.  —  Marche  sur  Mexico.  —  Entrée  des 
troupes  françaises  dans  la  capitale  du  Mexique 249 

CHAPITRE  X 

Le  commandant  Gottret  est  remplacé  par  le  commandant  Alunier.  —  Dissémination  du 
bataillon.  —  Opération  sur  Hua^juapan.  —  Le  bataillon  rentre  à  Mexico  pour  prendre 
part  à  la  campagne  d'hiver.  —  Marche  sur  Queretaro.  —  Poursuite  du  général  Uraga. 

—  Séjour  &  Znmora  et  à  Guadalajara.  —  Décoration  du  fanion  du  bataillon.  —  Occu- 
pation du  port  d'Acapuloo.  —  Combat  do  Pucblo-Nuovo.  —  Occupation  de  Masatlan.  — 
Évacuation  d'Acapuloo.  —  Combat  de  San-Pedro 262 

CHAPITRE  XI 

Le  bataillon  est  relové  à  MazaUan  par  les  troupes  de  la  l'«  division  et  revient  à  Guada- 
lajara. —  Le  commandant  Alunicr,  nommé  lieutenant -colonel,  est  remplacé  par  le 
commandant  de  Leuchey.  —  Rentrée  h  Mexico.  —  Occupation  de  Zltacuaro.  —  Opé- 
rations autour  de  Zltacuaro  et  de  Tusantla.  —  Séjour  à  Toluca.  —  Combat  de  Mayo- 
rasco.  —  Retour  à  Mexico.  —  Le  bataillon  est  envoyé  dans  les  Terres  chaudes.  — 

37 


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578  TABLE 

Deniières  opérations.—  Le  commandant  Glemmer  remplace  le  commandant  de  Leuchey, 
nommé  lieutenant-colonel.  —  Uapatriement  des  Tirailleurs  algériens.  ~  Ordre  d'adieux 
du  maréchal  Bazaine.  —  Rentrée  à  Gonstantine S75 

CHAPITRE  XII 

Opérations  en  Algérie  pendant  les  années  1864  et  iSes.  —  Colonne  du  TuggurL  —  Co- 
lonne de  Test.  —  Insurrection  de  1864.  —  Mesures  prises  pour  arrêter  ses  progrès 
dans  la  province  de  Gonstantine.  —  Opérations  des  colonnes  Diiand ,  Gandil  et  Seroka. 

—  Le  colonel  de  Lacroix  prend  le  commandement  des  troupes  réunies  à  Dou-Sa&da.  — 
Combat  de  Teniet-or-Ribh.  —  Attaque  du  camp  de  Dcrmel.  —  liouyemcnts  combinés 
des  colonnes  Yusuf  et  de  Lacroix.  —  Fin  des  opérations  actives.  —  Ravitaillement 
de  Lagbouat.  —  Colonne  mobile  de  Dou-Saàda.  —  Le  colonel  de  Lacroix  est  nommé 
général,  et  le  lieutenant-colonel  Gandil  coloneL  —  Colonne  d'observation  de  Dou-Saàda. 

—  Mardie  de  la  colonne  Seroka  sur  Ouargla.  —  Colonne  de  Takitount.  —  Combats  des 
S4  novembre  1864 ,  29  mars  et  4  avril  1865 284 

CHAPITRE  XIII 

(1865-1870) 

(1865)  Progrès  de  rinsurrecUon  en  Kabylie.  —  Colonne  expéditionnaire  des  Babors.  — 
Passage  du  col  de  Boudernis.  —  La  colonne  se  rend  à  Bougie.  —  Rentrée  à  Gonstan- 
tine. —  Pacification  générale  de  la  province.  —  Colonne  du  sud  (1865-1866).  —  Co- 
lonne de  Bou-Saàda.  —  (1866)  Le  régiment  est  appelé  à  fournir  un  bataillon  pour 
tenir  garnison  à  Paris.  —  Formation  du  4^  bataillon.  —  Réorganisation  des  écoles  régl- 
mentairos.  —  Goiouuo  d'obsorvatioa  do  lIou-SaAda  (1866-1807).  —  i^^pidéuiio  cliolériquo 
de  1867.  —  Récompenses  pour  dévouements ii»7 

CHAPITRE  XIY 

(1870-1871) 

Guerre  contre  V Allemagne, 

ARMftR  ou  nniN 

Déclaration  de  guerre.  —  Départ  des  1*',  2«  et  3*  bataillons  pour  l'armée  du  Rhin.  — 
Arrivée  à  Strasbourg.  —  Concentration  autour  de  Wœrth.  —  Journée  du  5  août.  — 
Bataille  de  Frœschwiller  (6  août).  —  Retour  sur  Saveme.  —  Pertes  subies  par 
le  régiment 313 

CHAPITRE  XV 

ARHiB    DE    CUALONS 

Retraite  sur  Chàlons.  ^  Promotions  et  récompenses  à  la  suite  do  la  bataille  de  Frœscb- 
willer.  —  Organisation  de  l'armée  de  Ghllons.  —  Marche  sur  Metz.  —  Journées 
des  30  et  31  août.  —  Bataille  de  Sedan.  —  Belle  attitude  des  Tirailleurs.  —  Capitu- 
lation. —  Le  drapeau  du  régiment  est  brûlé.  —  Départ  pour  TAIIemagne.  —  Captivité. 

—  Siège  de  Strasbourg.  —  Défense  de  Phalsbourg 330 

CHAPITRE  XVI 

ARMftl    Dl    LA    LOIRI 

Formation  à  Saint-Cloud  d*un  régiment  de  marche  de  Tirailleurs  algériens.  —  Départ  de 
Paris.  —  Arrivée  à  Bourges.  —  Premières  opérations  autour  d'Orléans  avec  le  général 
de  Polhcs.  —  Retraite  en  Sologne.  —  Commandement  du  général  de  la  Motterouge.  — 


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TABLE  670 

Réoccupation  d'Orléans.  —  Combat  de  Toory.  —  Défaite  d'Artenay.  —  Deuxième  éva- 
cuation d'Orléans.  —  Le  général  de  la  Motterouge  est  remplacé  par  le  général  d*An- 
relie  de  Paladines.  —  Arrivée  d'un  bataillon  de  Tirailleurs  Tenant  d'Algérie.  —  Nou- 
velle constitution  du  régiment  de  marche.  —  Organisation  de  la  première  armée  de 
la  fiOiro.  —  Marcho  sur  Orléans.  —  aiLiille  do  Coulmiors.  —  S^onr  &  Ghilleurs-aux- 
Dois.  —  Défaite  de  Loigny.  —  Retraite  sur  Orléans.  —  Troisième  évacuation  de  la  ville. 
—  L'armée  se  replie  sur  Dourgos  ;  sa  nouvelle  organisation.  —  Départ  de  Gonstan- 
tine  de  quatre  nouvelles  compagnies,  sous  les  ordres  du  capitaine  adjudant- mi^or 
Égrot.  —  Opérations  auxquelles  elles  prennent  part  avec  les  troupes  du  18*  corps.  — 
Cîombat  de  Maizières.  —  Elles  rejoignent  le  régiment  &  Goudray.  —  Dernières  opéra- 
tions de  la  première  armée  de  la  Loire 844 

CHAPITRE  XYII 

AKHte  DR  L*RST 

Reprise  dos  opérations  dans  le  bassin  do  la  Saène.  —  La  première  armée  de  la  Loire 
devient  armée  de  l'Est.  —  Le  15»  corps  est  provisoirement  maintenu  en  Sologne.  — 
Réorganisation  du  régiment  de  Tirailleurs  algériens.  —  Le  iB«  corps  rejoint  l'armée 
de  l'Est.  —  Marche  sur  Relfort.  —  Combat  de  Sainte -Marie  (13  Janvier).  —  Bataille 
d'Héricourt  (15, 16  et  17  Janvier).  —  Retraite  sur  Besançon.  —  Mutations  survenues 
dans  divers  commandements.  —  Continuation  du  mouvement  de  retraite.  —  Surprise 
de  Sombacourt.  —  Nouvelle  de  la  conclusion  d'un  armistice.  —  L'armée  de  l'Est  n'est 
pas  comprise  dans  cette  convention;  elle  passe  en  Suisse.  —  Souffrances  éprouvées  par 
nos  soldats  pendant  cette  dernière  partie  de  la  campagne.  —  Situation  du  3*  Tirailleurs 
à  la  fin  de  la  guerre.  —  Sa  rentrée  de  captivité.  —  Observations  sur  le  rèle  du  régi- 
ment pendant  la  guerre  contre  l'Allemagne 868 


TROISIÈME  PARTIE 
(1871-1887) 

i.R  8<«  RAamRnT  dr  tirailliurs  AtoAniRNS  niruis  la  ourrrr  cortrb  i/allihaorr 

CHAPITRE  l 

Le  3«  régiment  de  Tirailleurs  algériens  après  la  guerre  de  1870.  —  Situation  de  l'Algérie 
au  commencement  de  1871.  —  Incident  d'Ain -Guettar.  —  Colonne  Pougel.  —  Attaque 
d'El-Mllla.  —  Répression  de  la  révolte  dans  le  cercle  de  Tébessa.  —  Réorganisation 
du  régiment  au  moment  de  sa  rentrée  de  captivité.  —  Événements  de  la  Medjana.  — 
Colonne  de  secours  de  Bordj-bou-Arréric^.  —  Le  général  Saussier  vient  en  prendre 
le  commandement.  —  Opérations  dans  la  Alec^ana  et  au  nord  de  Sétif.  —  Progrès  de 
l'insurrection.  —  Colonne  Adeler.  —  Révolte  des  tribos  des  environs  de  Batna.  —  Réu- 
nion des  colonnes  Adeler  et  Marié.  —  Attaque  du  DJebel-Mestaoua.  —  Nos  troupes  sont 
répoussées.  —  La'colonne  Marié  se  rend  à  SétIf.  —  Dernières  opérations  de  la  colonne 
Adeler 381 

CHAPITRE  II 

La  colonne  Saussier  pénètre  en  Rabylie.  —  Sorties  effectuées  contre  les  Amoncba.  ^ 
Événements  dont  pendant  ce  temps  les  environs  de  Sétif  sont  le  théâtre.  —  Révolte 
des  Rir'a.  —  Combat  de  Guellal.  —  Reprise  des  opérations  en  Kabylie.  —  Combat 
du  it  Juillet.  —  Soumission  du  cheik  El-Hadded.  —  La  colonne  Bonvalet  autour  de 
SétIf.  —  Tentative  infructueuse  de  la  colonne  Saussier  contre  la  montagne  des  Maàdhid. 


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nSO  TABLE 

—  Coite  oolonno  se  rond  à  Dalna.  —  Golonuo  Flogny.  —  UoddIUoQ  dos  insurgés  du 
^  Mestaoua.  —  Opôrailons  dans  lo  Ilodna,  sous  la  direction  supérieure  du  général  do 

Lacroix.  —  Les  dernières  tribus  insoumises  demandent  l'aman.  —  Dissolution  de  la 
colonne  Saussier.  —  Ordres  d'adieux.  —  La  colonne  Plogny  est  enroyée  dans  les  Au- 
ras; ses  dernières  opérations 400 

CHAPITRE  Itl 

L'insurrection  dans  la  Kabylie  orientale.  —  Défense  de  Dji^jelli.  —  La  révolte  gagne 
le  cercle  de  Constantine.  —  Attaque  de  Milah  par  les  insurgés.  ^  Colonne  Vata.  — 
Colonne  Aubry.  —  Le  général  de  Lacroix  est  nommé  au  commandement  de  la  pro- 
vince; il  prend  la  direction  des  opérations  en  Kabylie.  —  Pacification  des  cercles  du 
Collo  et  de  DjicQelli.  —  La  colonne  se  dirige  sur  lo  Bou-Thabeb,  pnis  sur  Bou-Saàda, 
Biskra  et  Tuggurt '. 413 

CHAPITRE  lY 

Massacre  de  la  garnison  de  Tuggurt  (13, 14  et  15  mail87l) 420 

CHAPITRE  V 

(1871-1873) 

La  colonne  de  Lacroix  se  rend  à  Ouargla.  —  Organisation  d'une  colonne  légère;  ses 
opérations.  —  Arrestation  de  Dou-Mesrag.  —  Retour  à  Tuggurt.  —  Marche  vers  le  Souf. 

—  Formation  d'une  nouvelle  colonne  légère.—  Rentrée  de  la  colonne  principale  à  Biskra. 

—  Excursion  dans  les  Aurès.  —  Les  troupes  sont  renvoyées  dans  leurs  garnisons.  — 
Colonne  mobile  de  Bougie.  —  Nouvelle  organisation  du  régiment.  —  Colonne  d'El- 
Goléah;  sa  marche  à  travers  le  désert.  —  El-Goléah  on  1873.  —  Soumission  des 
nomades  d'Ouargla.  —  Rentrée  de  la  colonne.  —  Ordre  du  général  de  Lacroix.  — 
Récompenses 437 

CHAPITRE  Yl 

(1873-1881) 

Années  1878  et  1874.  —  (1875)  Modifications  apportées  dans  Porganisation  du  régiment. 

—  (1876)  Insurrection  d'El-Amri.  —  Colonne  du  général  Carteret-Trécourt.  —Combat 
du  11  avril.  —  Attaque  du  camp  par  les  insurgés  (14  avril).  —  Colonne  Bamié.  — 
Reddition  de  l'oasis.—  (1877)  Colonne  de  surveillance  du  général  Logerot.  —  (1879)  Le 
colonel  Barrué,  parti  en  retraite,  est  remplacé  par  le  coionel  Barbier.  —  Expédition 
des  Aurès.  —  Combat  de  R'bàa.  —  Passage  de  la  gorge  de  Touba.  —  Licenciement  des 
colonnes  expéditionnaires  et  formation  d'une  colonne  légère.  —  Lo  colonel  Gerder 
remplace  le  colonel  Barbier,  décédé.  —  (1880)  Réception  du  nouveau  drapeau.  — 
Mission  Flatters 451 

CHAPITRE  Yll 

(1881-1880) 

Expédition  de  Tunisie,  —  Congo. 

(1881-188S)  Causes  de  l'expédition  de  Tunisie.  —  Première  période  des  opérations, 
d'avril  à  juillet  1881.  —  Le  l«r  bataillon  du  réghnont  y  prend  part  dans  la  V^  brigade 
de  la  division  Deiebecque.  —  Rentrée  de  ce  bataillon  à  Sétif.  —  Le  colonel  Jacob  suc- 
cède au  colonel  Gerder,  nommé  général.  —  Occupation  du  snd  de  la  Tunisie.  —  Co- 


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TABLE  58t 

ionne  de  Négrine.—  Colonne  de  Tebessa;  sa  marche  sur  Kérouan,  puis  sur  Gafsa.  — 
Opérations  autour  de  cette  dernière  rille.  —  Ciolonne  Jacob;  sa  rentrée  en  Algérie  par 
Tebessa.  —  Colonne  volante  de  Sétif.  ^  Les  !'•  et  4«  compagnies  du  3«  bataillon  sont 
dirigées  sur  le  Kef  pour  prendre  part  aux  opérations  des  colonnes  de  la  Roque  et 
d'Aubigny.  ^  Rentrée  de  ces  compagnies  à  Sétif.  —  Le  3«  bataillon  est  envoyé  à  El- 
Oned.  —  Opérations  dont  les  environs  do  ce  pQSto  ont  été  précédemment  le  théâtre.  — 
Colonne  le  Noble.  —  Incursions  en  Tunisie.  —  La  colonne  vient  sinstallor  à  Rlien- 
chela.  -—  Mort  du  colonel  Jacob.  —  Le  colonel  Boitard  est  nommé  an  commandement 
du  régiment.  —  Emplacements  des  bataillons  après  l'expédition  de  Tunisie.  —  Chan- 
gements effectués  au  mois  d'octobre  i88S.  —  (1883-1886)  Mission  de  Drazza  au 
Congo 468 

CHAPITRE  VU! 

(1883-1886) 
Expédilion  du  Tonkin, 

La  France  au  Tonkin.  —  Mort  du  commandant  Rivière.  —  Envoi  de  renforts.  —  Le 
19»  corps  d'armée  est  appelé  &  fournir  un  régiment  de  marche;  un  bataillon  du  3«T1- 
raillears  est  désigné  pour  en  faire  partie.  —  Composftion  de  ce  bataillon.  —  Départ. 

—  Traversée.  —  Le  Tonkin  au  moment  de  l'arrivée  des  renforts.  —  Marche  sur  Son- 
tay.  —  Assaut  de  Phu-Sa  (14  décembre).  —  Prise  de  Sontay  (16  décembre).  —  Ré- 
pression de  la  piraterie.  —  Opérations  secondaires  exécutées  dans  les  premiers  mois  de 
Tannée  1884.  —  Départ  de  l'amiral  Courbet;  ses  adieux  au  bataillon 481 

CHAPITRE  IX 

Envoi  de  nouveaux  renforts.  —  Le  30  bataillon  du  régiment  est  appelé  i  en  faire  partie; 
sa  composition,  son  départ,  son  arrivée.  —  Les  Tirailleurs  algériens  sont  réunis  en 
un  seul  régiment.  —  Commandement  du  général  Millot.  —  Marche  sur  Bac-Ninh.  — 
Attaque  et  enlèvement  des  hauteurs  de  Trong-8on  (12  mars  1884).  —  Poursuite  des 
Chinois.  —  Rentrée  des  troupes  h  Hanoi.  —  Prise  de  Hong-Hoa.  —  Occupation  de 
Tuyen-Quan.  —  Premier  traité  de  Tien-Tsin.  —  Nouvelle  convention  conclue  avec 
la  cour  de  Hué  (6  juin  1884).  —  Incident  de  Bac- Lé.  —  Colonne  envoyée  au  secours 
du  colonel  Dugenne.  —  Combat  du  27  Juin.  —  Le  général  Millot  rentre  en  France 
et  laisse  le  commandement  au  général  firière  de  llsle 499 

CHAPITRE  X 

(1884).  Suite  de  l'incident  de  Bac-Lé.  —  Situation  des  deux  bataillons  du  S«  Tirailleurs 
au  moment  do  la  reprise  des  opérations.  —  Sortie  de  la  garnison  de  Phu-Lang-Thuong. 

—  TiOS  Chinois  so  disposent  \  envahir  le  Delta  :  ils  s'établissent  à  Kcp  et  dans  la 
vallée  du  Locli-Nan.  —  Dispositions  prises  pour  les  repousser.  —  Opérations  du  8«  ba- 
taillon du  régiment.  —  Combat  de  Chu  (19  octobre).  —  Retour  du  batailion  i  Phu- 
Lang-Thuong;  il  est  rappelé  à  Chu.  —  (1885)  C>)mbat  de  Nul-Bop  (3  et  4  janvier).— 
Préparatifs  de  l'expédition  de  Lang-Son  :  constitution  de  la  colonne.  —  Prise  du  camp 
retranché  de  Dong-Son  (3,  5  et  6  février).  — -  Combat  de  Bac-Viay  (12  février).  —  Oc- 
cupation de  Lang-Son  et  de  Ki-Lua  (13  février) 517 

CHAPITRE  XI 

(1884).  La  situation  sur  le  haut  fleuve  Rouge  au  moment  de  l'expédition  de  Lang-Son. 

—  Tuyen-Quan  est  attaqué.  —  Cîombat  de  Duoc  (19  novembre).  —  Retour  des  Chi- 
nois. —  (1885).  La  l'«  brigade  marche  au  secours  de  Tuyen-Quan.  —  Combat  de 
Hoa-Moc  (2  et  3  mars).  —  Retraite  de  Lang-Son.  —  La  l'«  brigade  est  dirigée  sur 
Chu.  —  Préliminaires  de  paix,  cessation  des  hostilités.  —  Second  traité  de  Tien-Tsin. 


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582  TABLE 

—  Opérations  ooniro  l68  pirates.  —  Reparution  des  garnisons  pour  Fôté  de  18S5.  — 
Le  général  Dilèru  de  i'islu  est  i*cmplacé  par  le  général  do  Gourcy.  —  Le  dioléra.  — 
Prise  de  Îlian-Mal.  —  Occupation  de  Pbu-Àn-Binh.  —  Opérations  autour  de  ce  poste. 

—  Détachements  du  l«r  bataillon;  leurs  opérations.  —(1886).  Marche  sur  Than-Quan. 

—  Rapatriement  du  !•'  bataillon.  —  Le  commandant  de  Mibielle  se  dirige  sur  la 
haute  riylère  Glaire;  il  est  arrêté  par  l'ordre  du  rapatriement  de  son  bataillon.  — 
Ordre  du  général  Jamont  à  roccaslon  du  départ  des  Tirailleurs  algériens.  —  Rentrée 
suocessire  des  deux  bataillons  du  régiment  on  Algérie;  Ils  envoient  chacun  un  déta- 
chement k  Paris  à  l'occasion  de  la  revue  du  14  juillet 6S6 

CHAPITRE  XII 

Années  1886  et  1887.  —  Emplacements  successifs  des  bataillons.  —  Le  colonel  Boitard, 
nommé  général ,  est  remplacé  par  le  colonel  Marmet.  ^  Gompodtion  dn  régiment  le 
1«»  juin  1888 661 

CONCLUBIOH 564 

ApraHDici 669 


18714.  —  Tours,  Inpr.  Maine, 


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