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COLLECTION MICHEL LCVV
HOMERE
ET
SOCRATE
OUVRAGES
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A. D£ LAMARTINE
PARU8 Din LA COLLBCTIOI UCaBL U¥T
Antan
Ghristophe Golomb
Cic^ron
Les confidences.
Genevieve, Histoire d*une servante •
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Hom^re et Socrate ,
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Nouvelles confidences. . . • « . . .
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Conlommiert. * Typographie A« MOUSSIH.
HOMilRE
ET
SOCRATE
PAR
A. DE LAMARTINi:
PARIS
MIGBEL LiVT FRJIftES, LIBRAIRES iDITEURS
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A LA LIBRAnilX HOUTXIiLI
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Tons droits rcsenr^s
^ihAma^
UNIVERSITY
-f JUL 1961
OF OXFORD
R
HOMfiRE
C'est une des facultes les plus naturelles
et les plus universelles de rhomme, que
de reproduire en lui par rimagination et
la pensee, et en dehors de lui par I'art et
par la parole, Tunivers materiel et TuniT.
i
^aM
2 HOMfiRE
vers moral au sein duquel il a ete place
par la Providence. L'homme est le miroir
pensant de la nature. Tout s'y retrace,
tout s'y anime , tout y renait par la poe-
sie. C'est une seconde creation que Dieu
a permis a rhomme de feindre en refle-
tant Tautre dans sa pensee et dans sa pa-
role, un verbe inferieur, mais un verba ve-
ritable qui cree, bien qu'il ne cree qu'a-
vec les elements, avec les images et avec
les souvenirs, des choses que la nature a
creeesavantlui; jeu d' enfant, mais jeudi-
vin de notre ame avec les impressions
qu'elle regoit de la nature ; jeu par lequel
nous reconstruisons sans cesse cette figure
passagere du monde exterieur et du monde
hom£:r£ 3
interieur, qui se peint, qui s'efface et qui se
renouvelle sans cesse devant nous. Voila
pourquoi le mot poesie veut dire creation.
La memoire est le premier element de
cette creation, parce qu'elle retrace les cho-
ses passees et disparues a notre ame. Aussi
les Muses, ces symboles de I'inspiration ,
furent-elles nommees les filles de memoire
par Tantiquite.
L'imagination est le second, parce qu'elle
colore ces choses dansle souvenir et qu'elle
les vivifie.
Le sentiment est le troisieme, parce qu'a
la Yue ou au souvenir de ces choses surve-
nues et repeintes dans notre ame, cette sen-
sibilite fait ressentir a I'homme des impres-
k HOMflRE
sions physiques ou morales presque aussi
intenses et aussi penetrantes que le seraient
les impressions de ces choses memes, si
elles etaient reelles et presentes dgvant nos
yeux.
Le jugement est le quatrieme, parce qu*il
nous enseigne dans quel ordre, dans quelle
proportion, dans quels rapports, dans quelle
juste harmonie nous devons combiner et
coordonner entre eux ces souvenirs, ces
fant6mes, ces drames, ces sentiments ima-
ginaires ou historiques, pour les rendre le
plus conformes possible a la realite, ^la na-
ture, a la vraisemblance, afln qu'ils produi-
sent sur nous-memes etsurles autresune im-
pression aussi entiere que si Tart etait v6rite.
H0M£A£ 5
Le cinquieme element necessaire de cette
creation ou de celte poesie, c'est le don
d'exprimer par la parole ce que nous voyons
et ce que nous sentons en nous-memes, de
produire en dehors ce qui nous remue en
dedans, de peindre avec les mots, de donncr
pour ainsi dire aux paroles de la couleur,
de leur donnerl'impression, lemouvement,
la palpitation, la vie, la jouissance ou la
douleur qu'eprouvent les fibres de notre pro-
pre coeur a la vue des objets que nous ima-
ginons. II faut pour cela deux choses : la
premiere, que les langues soient deja tres-
riches, tres-fortes et tres-nuancees d'expres-
sions, sans quoi le poete manquerait de
couleurs sur sa palette ; la seconde, que le
6 HOMfeRE
poete lui-memc soitun instrument humain
de sensations , tres-impressionnable , tres-
sensitif et tres-complet , qu'il ne manque
aucune fibre humaine a son imagination ou
a son ccBur, qu'il soit une veritable lyre vi-
vante a toutes cordes, une gamme humaine
aussi etendue que la nature, afln que toute
chose, grave ou legere, douce ou triste,
douloureuse ou delicieuse, y trouve son re-
tentissement ou son cri. II faut plus encore,
il faut que les notes de cette gamme hu-
maine soient tres-sonores et tres-vibrantes
en lui, pour communiquer leur vibration
aux autres ; il faut que cette vibration inte-
rieure enfante sur ses levres des expressions
fortes, pittoresques, frappantes, qui se gra-
hom£re 7
vent dans Tesprit par I'energie meme do
leur accent. C'est la force seule de Timpres-
sion qui cree en nous le mot, car le mot
n'est que le contre-coup de la pensec. Si la
pensee frappe fort, le mot est fort ; si ello
frappe doucement il est doux ; si elle frappe
faiblement, il est faible. Tel coup, tel mot :
voila la nature !
Enfln, le sixi^me element necessaire k
cette creation interieure et exterieure qu'on
appelle poesie, c'est le sentiment musical
dans Toreille des grands poetes, parce que
la poesie chante au lieu de parler, el que
tout chant a besoin d'une musique qui le
note et le rende plus retentissant et plus
voluptueux i nos sens et k notre ftme. El si
t HOMtrilK
vous me demandez : Pourquoi le chant est-
il une condilion de la languepo6tique? je
Tous repondrai : Parce que la parole chantee
est plus belle que la parole simplement par-
lee. Mais si vous allez plus loin, et si vous
me demandez : Pourquoi la parole chantee
est-elle plus belle que la parole parlee? je
vous repondrai que je n*en sais rien, et
qu'il faut le demander a Celui qui a fait les
sens et I'oreille de Thomme plus voluptueu-
sement impressionnes par la cadence, par
la symetrie, par la mesure et par la melodie
des sons et desmots, que par les sons et les
mots inharmoniques jetes au hasard; j3
vous r6pondrai que le rhythme et Tharmo-
nie sont deux lois mysterieuses de la na-^
HOM£:n£ 9
ture, qui constituent la souveraine beaute
ou Tordre dans la parole. Les spheres elles-
memes se meuvent aux mesures d'un
rhythme divin, les astres chantent ; et Dieu
n'estpas seulement le grand architecte, Ic
grand mathematicien, le grand poete des
mondes, il en est aussi le grand musicien.
La creation est un chant dont il a mesure
la cadence et dontil ecoute la melodic.
Mais le grand poete, d'apres ce que je
viens de dire, ne doit pas etre done seule-
ment d'une memoire vaste, d'une imagina-
tion riche, d'une sensibilite vive, d'unjuge-
ment sur, d'une expression forte, d'un sens
musical aussi harmonieux que cadence ; il
10 IIOMfeUE
faut qu'il soit un supreme philosophe, car
la sagesse est Tame et la base de ses chants ;
il faut qu'il soit legislateur, car il doitcom-
prendre les lois qui regissent les rapports
des liommes entre eux, lois qui sont aux
societes huraaines et aux nations ce que le
ciment est aux edifices ; il doit etre guerrier,
car il chante souvent les batailles rangees,
les prises de villes, les invasions ou les de-
fenses de territoire paries armees; il doit
avoir le cceur d'un heros, car il celebre les
grands exploits et les grands devouements
^ de rheroisme ; il doit etre historien, car ses
chants sont des recits ; il doit etre Eloquent,
car il fait discuter et haranguer ses person-
nages ; il doit etre voyageur, car il decrit la
HOM^RE 11
terre, la mer, les montagnes, les produc-
tions, les monuments, les moeurs des ditI6-
rents peuples; il doit connaitre la nature
animee ct inanimee, la geographic, Tastro-
nomie, la navigation, ragriculture, les arts,
les metiers meme les plus vulgaires de son
temps, car il parcourt dans ses chants le
ciel, la terre, TOcean, et il prend ses com-
paraisons, ses tableaux, ses images dans la
marche des astres, dans la manoeuvre des
vaisseaux, dans les formes et dans les habi-
tudes des animaux les plus doux ou les plus
feroces, matelot avec les matelots, pasteur
avec les pasteurs, laboureur avec les labou-
reurs, forgeron avec les forgerons, lisserand
avec ceux qui fllent les toisons des trou-
12 HOMilUE
peaux ou qui tissent les toiles, mendiant
meme avec les mendiants aux portes des
chaumieres ou des palais. II doit avoir Tame
naive comme celle des enfants, tendrc,
compatissante et pleine de pitie comme celle
des femmes, ferme et impassible comme
eelle des juges et des vieillards, car il recite
les jeux, les innocences, les candeurs de
Venfance, les amours des jeunes hommes
et des belles vierges, les allachements et les
dechirements du coeur, les attendrissements
de la compassion sur les miseres du sort ; il
ecrit avec des larmes, son chef-d'oeuvre est
d'en faire couler. II doit inspirer aux hom-
ines la pitie, cette plus belle des sympathies
humaines, parcc qu'elle est la plus desinte-
HOMilUE 13
ressee. Eafin, il doit tre un homme pieux
et rempli de la presence et du culte de la
Providence, car il parle du ciel autant que
de la terre. Sa mission est de faire aspircr
les hommes au monde invisible et supe-
rieur, de faire proferer le nom supreme i
toute chose, meme muette, et de remplir
tontes les emotions qu'il suscite dans Tesprit
on dans le cceur de je ne sais quel pressen-
timent immortel et infini, qui est I'atmo-
«phere et comme Telement invisible de la
Divinite-
«
Tel devrait etre le poete parfait : homme
multiple, resume vivant de tons les dons,
de toutes les intelligences, de tons les ins-
tincts, de toutes les sagesses> de toutes les
lA H0M£RE
tendresses, de toutes les verlus, de tous les
heroi'smes de Tame; creature aussi com-
plete que Targile humaine peut comporter
de perfection.
Aussi, qu'une fois cet homme apparaisse-
sur la terre, deplace, par sa superiority
meme, parmi le commun des homines^
rincredulit6 et Ten vie s'attachent a ses pas
comme I'ombre au corps. La fortune, ja-
louse de la nature, le fuit; le vulgaire^
incapable de le comprendre, le meprise-
comme un h6te importun de la vie com-
mune ; les femmes, les enfants et les jeune^
gens Tecoutent chanter en secret et en se
cachant des vieillards, parce que ces chants
r6pondent aux fibres encore neuves et sen-
IIOMEUE 15
sibles de leurs coeurs. Les hommes murs
hochenl la tete, ils n'aiment pas qu'on en-
leve ainsi leurs lils et leurs femmes aux
froides realites de la vie ; ils appelent reves
les idees et les sentiments que cos genies
inspires font monter k la tete et au coeur
de leurs generations; les vieillards crai-
gnent pour leurs lois et leurs moBurs, les
grands et les puissants pour leur domina-
tion, les courtisans pour leurs faveurs, les
rivaux pour leur portion de gloire. Les de-
dains affectes ou reels etouffent la renora-
mee de ces hommes divins, la misere et
rindigence les promenent de ville en ville,
I'exil les ecarte, la persecution les montre du
doigt ; un enfant ou un chien les conduit,
HOMfeUE
inUrmes , aveugles' ou mendiant de porte
en porte, ou bien un cachot les enferme ;
et on appelle leur genie demence, afin de se
dispenser meme de pitie I
Et ce n'est pas seulenient le vulgaire qui
traite ainsi ces hommes de memoire; non,
ce sont des philosophes tels que Platon,
qui font des lois ou des voeux de proscrip-
tion contre les poetes I Platon avait raison
dans son anatheme contre la poesie ; car
si I'aveugle de Chio etait entre a Athenes,
le peuple aurait peut-etre detrone le philo-
sophe. II y a plus de politique pratique
dans un chant d'Homere que dans les uto-
pies de Platon !
II
Homere est cet ideal, cet homme surhu-
main, m6connu et persecute de son temps,
iflimortel apres sa disparition de la terre.
Voici rhistoire de sa vie :
Quelques savants ont pretendu et pr6ten-
dent encore qu'il n'a pas exists, et que ses
poemes sont des rapsodies ou des fragments
de poesie recousus ensemble par des rap-
18 HOMfellE
sodes^ chanteurs ambulants qui parcouraient
le Grece et TAsie en improvisant des chant s^
populaires. Gette opinion est Tatheisme da
genie, elle se refute par sapropre absurdite.
Cent Homeres ne seraient-ils done pas plusv
merveilleux qu'un seul? L'unite et la per-
fection egale des oeuvres n'atlestent-elles
pas Tunite de pensee et la perfection de
main de I'ouvrier? Si la Minerve de Phidias^
avait ete brisee en morceaux par les Bar-
bares, et qu'on m'en rapportat un a un le.s
membres mutiles et exhumes, s'adaptant
I^rfaitement les uns aux autres et portant
to us Tempreinte du meme ciseau depuis
I'orteil jusqu'a la boucle de cheveux, dirais-
je, en contemplant tous ces fragments d'in-
H0M£:R£ 19'
comparable beaute : Cette statue n'est pas
d'un seul Phidias, elle est Tceuvre de mille
ouvriers inconnus qui se sont rencontres
par hasard a faire successivement ce chef-
d'oeuvre de des^in et d'execution? Non, je
reconnaitrais, a Tevidence de Tunite de con-
ception, Tunite d'artiste, et je m'ecrierais :
C'est Phidias I comme le monde entier s'e-
crie : G'est Homere I Passons done sur ces
increduliles , vestiges de Tautique cnvie
qui a poursuivi ce grand homme j usque
dans la posterite, et disbns comment il a
vecu.
Homere est ne 907 ans (1) avant la nais-
(1) Sdon la chronologie des marbres de Paros.
20 HOM&RE
sance du Christ. II etait de race grecque,
soit qu'il eut vu le jour a Ohio, ile de I'ar-
chipel grec qui touche a TAsie-Mineure,
soit qu'il eut regu la vie a Smyrne, ville
asiatique, mais colonisee par des Grecs.
Les Grecs sortaient alors de la peri ode
primitive de leur formation, periode pasto-
rale, guerriere, agricole, navale, pour en-
trer dans la periode intellectuelle et mo-
rale : serablables en cela aux neiges de
leur Thessalie et de leur mont Olympe,
qui roulent leurs eaux troubles et impe-
tueuses avant de s'appaiser et de se clari-
fierdans leurs vallees. Ce peuple, destine
a occuper sur un aussi petit espace une si
grande place dans le monde de Thistoire,
H0M£:R£ 2f
a «
de la pensee et des arts, etait une agr6ga-
tion de cinq ou six races, les unes euro-
peennes, les autres africaines, les autres
asiatiques, que la contiguite de TEurope,
de TAsie et de TAfrique avait melees en-
semble dans ce carrefour du monde ancien,
frontiere indecise de trois continents. Leur
noyau natal 6tait dans les rochers de I'fipire
et de la Mac6doine ; mais la rudesse du
montagnard, Tesprit d'aventure du marin,
la douceur de TAsiatique, la religion de
I'Egyptien, la pensee de Tlndien, la mo-
bilite du Perse, etaient si bien fondus dans
leur physionomie physique et dans leur
genie multiple, que ce peuple etait par sa
beaute, son heroisme, sa grSce, son carac-
112 HOMfiRE
tere a la fois entreprenant et flexible comme
un resume de tousles peuples. Les forets de
TEurope lui avaient donne leurs moeurs he-
roiques et sauvages, TEgypte ses pretres et
ses divinites, les Pheniciens leur alphabet,
les Perses et les Lydiens leurs arts et leur
poesie, les Gretois leur Olyrape et leurs
lois, les Thraces leurs armes, les Hellenes
leur navigation et leur federation en tribus
independantes, les Hindous leurs mysteres
et leurs allegories religieuses ; en sorte que
leur del etait une colonie de dieux comme
leurs continents et leurs lies etaient une
colonie d'hommes de toutes sources. Leurs
aptitudes 6taient aussi diverses que leurs
origines.
H0M£RE 23
La mer de Tarchipel grec, c'est le lac
Leman de TOrient. Ayant pour contours ccs
golfes, ces anses, ces detroits qui s'insi-
niient entre les caps de ces tferres dentelees,
«lle baigne les c6tes les plus Apres et les
plus gracieuses tour a tour, et semble avoir
ete creusee pour amolir le choc entre les
deux continents oil Bysance s'asseoit inde-
oise sur les deux rivages. Les voiles aussi
multiplies que les oiseaux de la mer navi-
guent sans cesse d'une lie a Tautre, et de
I'Afrique a TAsie, et de TAsie a TEurope,
-comme des essaims d'une meme famille qui
Tont s'entrevisiter au printemps sur leurs
divers rochers.
Le climat de cette contree montagneuse
24 H0M£RE
et maritime est aussi varie que ses sites et
aussi tempere que sa latitude. Depuis les
neiges eternelles de la Thessalie jusqu'a
Tete perpetuel des vallees de la Lydie et
jusqu'a la fraiche ventilation des iles, toutes
les rigueurs, toutes les chaleurs et toutes
les tiedeurs de temperature s'y touchent,
s'y contrastentou s'y confondent sur les
montagnes, dans les plaines et sur les flats.
Le ciel y est limpide comme en Bgypte, la
terre f6conde comme en Syrie, la mer fan-
tot caressante et tantot orageuse comme
aux tropiques. Les sites et les scenes de la
nature y sont, a pen de distance et dans nn
cjadre qui les rapproche, grands, bornes,
sublimes, gracieux, alpestres, maritimes^
HOMfiRE 2&
recueillis ou sans bornes comme Timagi-
nation des hommes. Tout s'y peint en traits
imposants, pittoresques, 6blouissants dans
les yeux. Tant6t hymne, tantot poeme, tan-
tot elegie, tantot cantique, tantdt strophe
voluptueuse, cette terre est la terre qui
peint, qui parle et qui chante le mieux a
tons les sens. Les ecueils murmurants du
Peloponese, les caps foudroyes d'eclairst
du Taurus, les golfes sinueux de TEubee,.
les larges canaux du Bosphore, les anse&
melancoliques de TAsie-Mineure, les lies-
vertes ou bleuitres egrenees sur les flots^
comme les bouees flottantes d'une ancre
qui rattacherait les deux rivages; Tile de
Crete avec ses cent villes ; Rhodes, qui a
2
26 HOMfeRE
pris son nom de la rose ou le lui a donne ;
Scyros, reine des Gyclades ; Naxos ; Hydra,
sentinelle avancee de la Grece continen-
tale ; Tile de Chypre, assez vaste pour deux
royaumes ; Ghalcis, qu'un pont sur TEuripe
reunit a TEurope ; Tenedos, qui ouvre ou
qui ferme les Dardanelles ; Lemnos, Mity-
lene ou Lesbos, qui semble imiter sur une
petite echelle les monts, les vallees, les
gorges et les golfes du continent de TAsie
qu'elle regarde en face; Ghio, qui pr6-
sente, comme une double terrasse de fleurs
sur ses deux flancs opposes, ses oliviers
a I'Europe et ses orangers a FAsie ; Samos,
qui creuse ses ports et qui 61eve ses cimes
aussi haul que le mont Mycale avec lequel
UOM^RE 27
elle entrelace ses pieds; d'innombrables
groupes d'autres iles encore, dont chacune
avait son peuple, ses moeurs, ses arts, ses
temples, ses dieux, ses fables, son histoire,
sa renommee dans la famille grecque, mais
dont toutes parlaient deja la merne langue
et chantaient dans les memes vers : telle
etait la Grece an temps de cette incarnation
de la poesie dans la personne d'Homere.
Elle attendait un historien, un chantre na-
tional, le poete de ses dieux, de ses heros,
de ses exploits, pour constituer son unite
d'imagination et de c61ebrite dans le pre-
sent et dans ravenir.
Dans son hymne a YApoIlon de Ddos^ dieu
de I'inspiration grecque, Homere lui-memc
1^8 HOMfiRE
decrit en quelques vers geographiques ces
groupes d'iles et de continents, qui conte-
naienl toute la poesie de la nature :
« Vous aimez,' dit-il an dieu, les som-
mets des hautes montagnes, les lieux ethe-
res d'ou le regard plonge et plane au loin,
les fleuves qui courent a la mer, les pro-
montoires inclines vers les flots et les lar-
ges ports I... Oui, depuis que votre mere
Latone, s'appuyant sur le mont Gynthus,
vous enfanta au murmure des vagues
hleuatres que Thaleine sonore des vents
poussait vers les deux rivages, vous regnez
sur ces lieux et sur leurs habitants,
» Sur ceux de Crete et d'Athenes,
IlOMfeKE 29
» Sur ceux qui peuplent Tile d'Egine, et
TEubee, celebre par ses vaisseaux ; fig6e,
Iresie et la maritime Peparethe ; TAthos,
Samos de Thrace, les sommets du Pelion ;
les montagnes boisees de Tlda ; Imbros, aux
edifices repandus sur sa.cote ; I'inaccessible
Lemnos; Ohio, la plus belle des iles de
TArchipel ; le Mimas escarpe et les pics du
Coryce ; Claros, qui eblouit les matelots, et
Esagee, dont le regard cherche la cime
dans le ciel ; Samos, ruisselante de sources,
et le mont Mycale, aux gradins de collines;
Milet et Cos, le sejour des Meropes; Guide,
oil regnent les orages; Naxos et Faros, oil
la mer blanchit sur les ecueilsl CetteDelos,
continue-t-il, oil Latone, saisie des dou-
2.
m^
30 IIOMflRE
leurs de Tenfantement, entoure le palmier
de ses bras et presse de ses genoux Therbe
tnoUe! laterre qui la portait en sourit...
Aussilot Delos se couvre d*or, conime la
tete d'une montagne couronnee de forets^
C'esl dans cette ile que se rassemblent Ics
loniens (peuple de Smyrne) aux robes flot-
tantes, avec leurs enfants et leurs chasles
epouses. En les voyant reunis en face du
temple, on les prendrait pour des ini-
mortels exempts de vieillesse. L'ame s'e-
panouit en contemplant la beaute des hom-
mes, la stature majestueuse des femmes,
leurs rapldes valsseaux, leurs merveilleuses
richesses... »
Puis le poete se repliant sur lui-meme, i
HOMfeRE 31
la fin de cette enumeration, et s*adressant
aux fiUes de Delos :
« Si jamais, leur dit-il dans la derniere
strophe, si jamais parmi les mortels qucl-
que voyageur malheureux aborde ici et
qu'il vous dise :
» — Jeunes fiUes, quel est le plus inspire
des chantres qui visitent voire lie, et le-
quel aimez-vous le mieux ecouter ?
j> Repondez alors toutes, en vous souvc-
nant de moi :
» — C'est rhomme aveugle qui habitc
la montagneuse Chio ; ses chants I'empor-
teront eternellement dans Tavenir sur tous
les autres chants I »
Z2 HOMfeRE
Voila en quelques vers d^Homere lui-
mSme, le site, le temps, les peuples, les
moeurs de la Grece a son avenement.
Nous empruntons naivement le recit de sa
vie aux traditions antiques et locales qui se
sont transmises de bouche en bouche
parmi les hommes les plus interesses a se
souvenir de lui, puisqu il etait leur gloire.
«
Les traditions, toutes merveilleuses qu'elles
paraissent, sont I'erudition des peuples;
nous y croyons plus qu'aux savants qui
viennent apres des siecles les contester ou
les dementir. En I'absence de livres ecrits,
la memoire des nations est le livre inedit
de leur race. Ce que le pere a raconte au
Ills et que le fils a redit a ses enfants d'age
HOMfeRE 33
en age n'est jamais sans fondement dans la
realite. En remontant de generations en
generations k I'origine de ces traditions de
famille ou de race qui se grossissent de
quelques fables dans leur cours, on res-
semble a un homme qui remonte le cours
d'un fleuve inconnu, on fmit par arriver k
une source petite sans doute, mais a la
source d'une verite.
Disons done ce qu'ont dil les Grecs com-
temporains et la posterite d'Homere sur le
genie le plus antique et le plus national de
leur race.
Ill
II y avait dans la ville de Magnesie, co-
lonie grecque de TAsie-Mineure, separee de
Smyrne par une chaine de montagnes, un
homme originaire de Thessalie, nomme
Melanopus. II etait pauvre, comme le sont
en gen6ral ces hommes errants qui s'exilent
de leur pays, ou ne les retiennent ni maison,
ni champs paternels. II se transporta de
36 HOM&RE
Magnesie dans une autre ville neuve et peu
eloignee, qui s'appelait Cym6. Melanopus
s'y maria avec une jeune Grecque aussi
pauvre que lui, fiUe d'un de ses compatrio-
tes, nomme Omyrethes. II en eut une fiUe
unique, a laquelle il donna le nom de Cri-
theis. II perdit bientot sa femme; et se sen-
tant lui-meme mourir, il legua sa fiUe ,
encore [enfant, a un de ses amis qui
etait d'Argos et qui portait le nom de
C16anax.
La beaute de Critheis porta malheur a
Torpheline et porta bonheur a la Grece et
au monde. II semble que le plus merveil-
leux des hommes fut predestine a ne pas
connaitre son pere, comme si la Providence
H0M£RE 37
avait voulu jeter un mystere sur sa nais-
sance, afin d'accroitre le prestige autour de
son berceau. Gritheis inspira Tamour k un
inconnu, se laissa surprendre ou s6duire.
Sa faute ayant eclate aux yeux de la famille
de Gleanax, cette famille craignit d'etre des-
honoree par la presence d'un enfant illegi-
time a son foyer. On cacha la faiblesse de
Gritheis, on Tenvoya dans une autre colo-
nie grecque qui se peuplait en ce temps -la
au fond du golfe d'Hermus et qui s'appelait
Smyrne. Gritheis, portant dans ses flancs
celui qui couvrait son front de honte et
qui devait un jour couvrir son nomde cel6-
brite, reQutasile a Smyrne chez un parent de
Gleanax, ne en Beotie et transplante dans
3
3S BOllkM
la nouvelle colonie grecque, il se nommaif
Ismenias. On ignore si cet hamme connais-
sait ou ignorait T^tat de Critheis, qui pas-
sait sans doute pour veuve ou pour mariee
k Cyme.
Quoi qu'il en soil, Forpheline ayant un
jour accompagn6 les femmes et les lilies
de Smyrne au bord du petit fieuve Meles,
oti Ton celebrait en plein champ une fete
en rhonneur des dieux, fat surprise par les
douleurs de renfantemcnl. Son enfant vint
au monde au milieu d*iine procession a la
gloire des divinit^s dont il devait repandre
le culte au chant des hymnes, sous un pla-
tane, sur Therbe, an bord du ruisseau. Les
compagnes de Grith6i5 ramen^rent la jeune
H0M£RE 39
fille et rapporterent Tenfant nu, dans leurs
bras, a Smyrne^ dans la maison d'Ismenias.
G'est de ce jour que le ruisseau obscur qui
serpente entre les cypres et les joncs autour
du faubourg de Smyrne a pris un nom qui
regale aux fleuves. La gloire d'un enfant
remonte , pour I'eclairer , jusqu'au brin
d'herbe ou il fut couche en tombant du sein
de sa mere. Les traditions racontent et les
anciens ont 6crit qu'Orphee, le premier des
poetes grecs qui chanta en vers des hymnes
aux immortels, fut dechire en lambeaux
par les femmes du mont Rhodope, irritees
de ce qu'il enseignait des dieux plus grands
que les leurs ; que sa tete, separee de son
corps, fut jet^e par elles dans THebre^
ho hom£:re
fleuve dont Tembouchure est i plus de cent
lieues de Smyrne ; que le fleuve roula cette
tele encore harmonieuse jusqu'i la mer;
que les vagues, k leur tour, la porterent
jusqu'a Tembouchure du Meles; qu'elle
echoua sur I'herbe pres de la prairie ou
Critheis mil au monde son enfant, comme
pour venir d'elle-meme transmettre son
4me et son inspiration k Hom6re. Les ros-
signols pres de sa tombe , ajoutent-ils,
chantent plus melodieusement . qu'ail-
leurs (1).
Soit qu'Ismenias fut trop pauvre pour
nourrir la mere et I'enfant, soit que la
(1) M. de Marcellus, Episodes littiraires en Orient,
tome II.
j
hom£re lii
naissance de ce flls sans pere eut jete quel-
que ombre sur la reputation de Crith6is, il
la congedia de son foyer. EUe chercha pour
elle et pour son enfant un asile et un pro-
tecteur de porte en porte .
II y a\ait en ce temps-1^, a Smyrne, un
hommepeu riche aussi, mais bon et inspire
par le coeur, tel que le sont souvent les
hommes detaches des choses perissables
par Tetude des choses eternelles. II se
nommait Ph6mius, il tenait une ecole de
chant. On appelait le chant, alors tout ce
qui parle, tout ce qui exprime, tout ce qui
peint a Timagination, au coeur, au sens,
tout ce qui chante en nous, la gramm^ire,
la lecture, r6criture, les lettres, Teloquence,
42 HOMilRfi
les vers, la musique ; car ce que les anciens
entendaient par musique s'appliquait k
Y&axe autant qu'aux oreilles. Les vers se
chantaient et ne se recitaieut pa& Gette
musique n'etait qiie Tart jde confornier le
vers a Taccent et Taccent au vers. Voil^
pourquoi on appelait Tecole de Phemius
une ecole de musique : musique de Y&me
et de I'oreille, qui s'emparait de Thomme
tout entier.
Phemius avait, pour tout salaire des soins
qu'il prenait de cette jeunesse, la retribu-
tion, non en argent, mais en nature, que
les parents lui donnaient pour*prix de Tedu-
cation recue par leurs fils. Les montagnes
HOMfiR£ hS
qui encadrent le golfe d'Hermus, au fond
duquel s'eleve Smyrne, ^talent alors, comme
elles sont encore aujourd*hui, une contrte
pastorale, riche en troupeaux ; les femmes
filaient les laines pour faire des tapis, in-
dustrie liereditaire de I'lonie. Chacun des
enfants, en venant 4 Tecole de Phemius, lui
apportait une toison enUere ou une poign6e
de toison des brebis de son p6re. Phemius
les faisait filer par ses servantes, les teignait
et les echangeait ensuite, pretes pour le
metier, centres 1^ choses necessaires k la
vie de rhomme. Grith6is, qui avait entendu
parler de la bonte de oe maitre d'ecole pour
les enfants, parce qu'elle songeait d'avance
sans doute k lui coafler le sien quand 11
Uli HOMfeRE
serait en 4ge, conduisit son flls par la main
»
au seuil de Phemius. II fut touche de la
beaute et des larmes de la jeune flUe, de
rage et de I'abandon de Tenfant ; il regut
Critheis dans sa maison comme servante;
il lui permit de garder et de nourrir avec
elle son flls; il employa la jeune Magne-
sienne a filer les laines qu'il recevait pour
prix de ses legons ; il trouva Critheis aussi
modeste, aussi laborieuse et aussi habile
qu'elle etait belle; il s'attacha a Tenfant
dont I'intelligence precoce faisait presager
je ne sais quelle gloire a la maison ou les
dieux Tavaient conduit ; il proposa a Cri-
theis de Tepouser et de donner ainsi un
p6re a son" flls. L'hospitalite et Tamour de
H0M£R£ lib'
Phemius, Tinteret de Tenfant, toucherent k
la fois le coeur de la jeune femme ; elle devint
Fepouse du maitre d'ecole et la maitresse
de la maison dont elle avait aborde le seuil
en suppliante quelques annees aupara-
vant.
Phemius s'atlacha de plus en plus au petit
Melesigene. Ce nom, qu'on donnait familie-
rement a Homere, veut dire enfant de Melds,
en memoire des bords du ruisseau oil il
etait ne. Son pere adoptif I'aimait k cause
de sa mere, et aussi k cause de lui. Institu-
teur et pere k la fois pour cet enfant, il lui
prodiguait tout son coeur et tons les secrets
de son art. Homere, dont Y&me etait ou-
3.
46 H0M£AE
verte aux legons de Phemius par sa ten-
dresse, et que la nature avait doue d'une
intelligence qui comprenait et d'une me-
moire qui reproduisait toutes choses, re-
compensait les soins du vieillard et rejouis-
sait Torgueil de Critheis. On le regardait
comme bientot capable, malgre sa tendre
jeunesse, d'enseigner lui-meme dans Tecole
et desucceder un jour a Phemius. Les dieux
lui destinaient a son insu moins de bon-
heur et une autre gloire : le. monde a ensei-
gner, et la gloire immortelle a conquerir.
L'enfant adorait son pere dans son maitre ;
et', pour eterniser sa reconnaissance, il
donna plus tard le nom de Phemius a un
chantre divin dans ses poemes.
IV
Phemius mourut, laissant pour heritage
a Tenfant son modique bien et son ecole.
Critheis, privee do Tappui qu'elle avait
trouve dans la tendresse de cet homme hos-
pitaller qui lui avait ouvert jusqu'a son
coBur, s'attrista jusqu*it la mort et suivit le
vieillard au tombeau, Homere resta seul, a
peine adolescent, dans cette maison oil 11
US HOMfiRE
avait tout regu et tout perdu. Sa sagesse
supplea en lui les annees ; il continua a tenir
I'ecole de Phemius et il en accrut bientot la
renommee, ainsi que Phemius lui-meme
Tavait pr6sage en mourant. Le chantre futur
de Ylliade et YOdyssee enseignant la musi-
que aux enfants, presque enfant lui-meme,
parlant et chantant dans une langue inspi -
ree par les dieux, parut aux habitants de
Smyrne un oracle qui verifiait le prodige de
sa naissance divine apres de leur fleuve
Meles. Les hommes mtirs, les m6res de
famille, les vieillards eux-memes allaient
s'etonner et s'attendrir k ses legons. Les mar-
chands de ble et de laines, les etrangers que
le commerce ou la curiosite attirait de toutes
H0M£RE /i9
les iles de la Gr6ce ou de toutes les villes
maritimes de rionie, sur leurs vaisseaux,
dans la rade frequentee de Smyrne, enten-
daient parler de ce phenomene. Apres leurs
vaisseaux charges, ils ne voulaient pas re-
partir sans avoir entendu une de ses legons ;
ils reportaient la renomm6edujeune maitre
d'ecole dans leur pays.
Un de ces etrangers se nommait Mentes;
il etait possesseur et pilote a la fols de son
navire. II venait chercher du froment de
Lydie, pour le transporter a Leucade, dans
rile montagneuse de Lesbos. Plus amoureux
des chants divins que les autres navigateurs
de la rade, il ne cherchait pas seulement la
fortune, xnais la sagesse et la science, sor
52 H0M£RE
les terres qu'il visitait. Frappe du genie et
de la sup6riorite d'Homere sur tous les
hommes qu'il avait entendus dans les ecoles
ou dans les temples de la Grece et de Tlonie,
il se lia d'amitie avec le jeune Melesigene;
11 lui depeignait les terres, les iles, les mers,
les cultes, les villes, les ports des rivages
divers oil son commerce de grains le con-
duisait ; il le convainquit que le livre vivant
et inflni de la nature etait la veritable ecole
de toute verite, de toute poesie, de toute
sagesse; il enflamma Tesprit du jeune
homme du desir de lire par ses propres
yeux dans ce livre des dieux. Homere, a qui
les images et les couleurs manquaient pour
rendre sensibles les in^puisables concep-
hom£:re 53
tions de son esprit, renonga gen6reusement
k la fortune et a la renommee domestique
qui lui souriaient dans sa patrie, pour aller
enrichir son imagination, nourrir son ftme,
et recueillir des impressions et des images
sur toute la terre. II ferma son 6cole, vendit
la maison et les laines dePhemius; et, pre-
nant pour maison le vaisseau de Mentes, il
lui paya le prix de ce foyer errant pour
plusieurs annees.
YI
Homere, en compagnie de son ami et de
son pilote Mentes, navigua ainsi pendant
un espace de temps inconnu. Voyageur,
trafiquant, matelot, chantre tour a tour ou
tout a la fois, il visita Tfigyple, source alors
de toute lumiere et patrie originelle de tous
les dieux. du paganisme, FEspagne, lltalie,
les rivages de la mer Adriatique, ceux du
56 hom£:re
Peloponnese, les iles, les 6cueils, les conti-
nents ; conversant avec tons les peuples,
prenant legon de tons les sages, et recueil-
lant, sur des notes perdues depuis, les des-
criptions, les souvenirs, les histoires, les
symboles dont il construisit plus tard ses
poemes. II revenait pauvre de biens, riche
d'impressions, pour se reposer enfin dans
sa patrie et pour s'y reconstruire une exis- *
tence mercenaire, quand une maladie des
yeux, qu'il avait fatigues du soleil, de con-
templations et d'etudes, Tarreta dans Tile
dlthaque, ou Mentes avait aborde pour son
trafic. Mentes, oblige de porter la cargaison
de son navire k Lesbos, confia Homere ma-
lade a un habitant d'ltaque, riche, compa-
HOMftRE 57
tissant et ami des poetes, nomme Mentor,
fils d'Alcinoiis. Mentor prodigua au chantre
divin tons les soulagements de la medecine
et toutes les tendresses de rhospitalit6.
Homere, qui payait de gloir6 les dettes de
son coeur, immortalisa bientot Mentor et
Alcinous, en faisant de Tun Toracle de toute
sagesse, de Tautre le modele de la f elicits
de rhomme champetre, recueilli, apres une
vie agitee, dans la culture de ses jardins.
II fit d'lthaque la scene de son poeme de
VOdyssie, il y trouva les traditions de son
heros Ulysse, il les grava dans ses souve-
nirs, et il fit de cette petite ile une grande
memoire.
Le repos dans le domaine d' Alcinous, les
58 hom£;re
soins de Mentor, les baumes des medecins
dlthaque, dont il donna le nom a ces
hommes divins qui guerissent les blessures
des mortels, lui rendirent la vie et la sante.
Mentes, fldele a sa promesse, traversa la
mer fegee pour venir le reprendre k Ithaque*
Homere navigua encore plusieurs annees
avec lui. Frappe une seconde fois de cecite
dans le port de Colophon, il y fut laisse
pour se guerir par Mentes, com me il avait
et6 depose k Ithaque. Mais ni le sejour sur
terre, ni Tart du medecin ne purent preva-
loir contre la volonte des dieux : il devint
aveugle, et le tableau de la nature qu'il avait
tant contemple s'effaga completement de-
vant ses yeux. Ce tableau n'en fut que plus
H0M£RE 59
colore, plus vif et plus en relief dans son
imagination. Ce qu'il ne voyait plus au de-
hors, il le revit en dedans ; la memoire lui
rendit tout. Le regret meme de cette lumiere
du jour, de cette face des mers et des terres,
des hommes qu'il cessait de voir, donna
quelque chose de plus p6netrant et de plus
melancolique a ce souvenir du monde dis-
paru. II retourna sa vision en lui-meme, et
11 peignit mieux ce qu'il s'affligeait de ne
plus regarder.
VII
La premiere image qui lui remonte au
ccBur apres avoir perdu tout espoir de gue-
rison, fut eelle de la patrie. L'oiseau bless6
cherche k s'abattre sur le nid qui Ta vu nai-
tre. II se fit rapporter k Smyme, dans la
maison de Pli6mius et pres du tombeau de
Gritheis, sa mere. II y rouwit une 6cole ;
mais sa longue absence avait fait oublier
62 hom£:re
son nom et son art a ses concitoyens, d'au-
tres avaientpris sa place dans larenommee.
Sa cecite semblait un signe de la colere des
dieux.On ne croyait pas qu'un homme prive
du plus n6cessaire de ses sens put enseigner
le plus sublime des arts. Sa voix retentit
dans le vide, son ecole resta deserte, ses
anciens amis ne le reconnurent pas. L'indi-
gence le forga de chanter de porte en porte
des vers populaires, pour arracher a Tindif-
ference de ses compatriotes le pain neces-
saire a sa subsistance et au salaire de Ten-
fant qui servait de guide a ses pas. Toujours
noble et majestueux d'expressions et d'atti-
tude dans cette humiliante condition de
mendiant aveugle, il ressemblait a un dieu
H0M£RE 63
de ses fables, se souvenant de sa superiorit6
divine quand il demandait Taumdne aux
mortels. Ulysse, sous les haillons d'un men-
diant dans YOdyssee, est un souvenir de ce
temps de sa vie immortalise par le poete.
Mais, soit que ses concitoyens devinssent
sourds k ses chants, soit que la honte qui
chasse les hommes dechus des villes ou ils
ont ete heureux, rendit le s6jour de Smyrne
plus cruel que la faim au coeur d'Homere,
il en sortit pour aller chercher de ville en
ville des auditeurs plus compatissants. H
traversa k pied la plaine de THermus
pour aller d'abord k Cyme, patrie de sa
m6re et de son ai'eul, oil 11 esperait sans
doute retrouver quelques souvenirs d'eux
eu hom£re
dans des vieillards amis des parents de son
nom. La lassitude Tarreta d'abord a Neoti-
chos, petite ville naissante, colonie de Cyme,
b4tie au pied du mont Sedene et au bord
de THermus. Comme il est d'usage parmi
les mendiants qui lient conversation avec
les pauvres artisans plut6t qu'avec les ri-
ches, parce que les uns travaillent en plein
air tandis que les autres sont a I'abri dans
leurs maisons ou dans leurs jardins, Ho-
mere entra dans Tatelier d'un corroyeur qui
tannait le cuir, et il improvisa ses premiers
vers aux flls de Cyme :
« vous qui habitez la ville repandue sur
la coUine, au pied du mont Sedene cou-
ronne de sombres forets, et qui buvez les
hom£;re 65
ondes fraiches ^e THermus au lit ecumant,
plaiignez rhomme errant qui n'a point de
demeure k lui, et pretez lui le seuil et le
foyer de Thospitalite. »
Le corroyeur, emu de compassion et sen-
sible a I'accent de cette supplication chantee
en vers k sa porte, fit entrer Homere, lui
offrit un siege dans son atelier et un asile
dans sa maison. La merveille de ce men-
diant qui parlait la langue des dieux se re-
pandit de bouche en bouche dans la villa ;
la foule s'attroupa k la porte du corroyeur ;
les principaux d'entre le peuple entrerent
dans la boutique, et, s'asseyant autour de
I'aveugle, ils se complurent k I'interroger et
a lui faire reciter ses vers bien avant dans
66 HOM&AE
la nuit. U recita un poeme herol'gue sur la
ville de Thebes, chere aux Grecs, et des
hymnes aux dieux immortels, qui rempli-
rent ses auditeurs de patriotisme et de piete.
La patrie et le ciel sont les deux notes qui
resonnentle plus universellement dans Ydme
des hommes reunis. Us le prirent pour un
mendlant divin qui cachait le dieu sous
Thumanite. L'entretien se prolongea et se
detourna ensuite, entre Homere et les sages
de la ville, sur les plus belles poesies qu'Or-
phee et ses disciples avaient repandues dans
la memoire du peuple. U les jugea et les
loua en homme capable de les egaler. II re-
vela dans le sublime inspire le souverain
artiste. Ses auditeurs le supplierent d'hono-
H0M£R£ 67
rer leur ville par un long sejour ; ils envie-
rent au corroyeur la gloire d'avoir et6 le
premier bote de cet inconnu ; ils lui envoye-
rent des presents pour avoir leur part et
leur gloire dans Thospitalite que le tanneur
de cuir donnait au chantre des dieux.
. J
VIII
II vecut de sa lyre un certain temps k
Neotichos. On montrait encore, du temps
d'Herodote, la place oil il s'asseyait pour
reciter ses vers et le peuplier antique dont
les premieres feuilles etaient tomb6es sur
son front.
Ayant epuise r6tonnement et radmiration
des habitants, il craignit qu'une plus longue
70 HOMilRE
hospitalite ne leur fut importune, et il par-
tit aussi pauvre qu'il etait arrive, ne leur
ay ant emprunte que la vie. II dirigeases
pas vers Cym6, et composa, en marchant,
quelques vers k I'honneur des Cymeens,
pour meriter d'eux un bon accueil. II passa
par Larisse. A la demande des citoyens, il
leur dicta une inscription en vers sur une
colonne elev6e a la m6moire d'un roi qui
leur 6tait cher : ces vers subsistent encore,
Arriv6 aux portes de Cyme, il se nomma, il
se fit reconnaitre pour un descendant des
Cymeens. Introduit dans rassembl6e des
vieillards, il les enchanta par ses poemes.
Ghann6 lui-meme de rencontrer des hom-
mes si amoureux de la lyre, il prit Tengage*
HOM&RE 71
ment de rester au milieu d'eux et de donner
rimmortalite k leur patrie, si la ville voulait
seulement lui assurer Tabri et la sabsis-
tance. Les vieillards Tengagerent k se pre-
senter devant le s6nat, pour faire ratifler ce
contra t entre ses concitoyens et lui. Un
cort6ge d'admirateurs I'y accompagna. De-
bout devant les senateurs, il renouvela sa
demande, puis se retira, apres avoir chant6,
pour attendre la d6cision des grands. Tous
inclinaient k nourrir Hom6re pour ce salaire
de memoire et de gloire qu'il promettait k
la ville. Mais un homme se leva, un de ces
hommes chagrins qui se croient plus sages
que la foule parce qu'ils n'ont ni ses enthou-
siasmes ni son cceur. II representa que, si
72 HOMfeRE
la ville s'engageait ainsi k recueillir et a
Bourrir tous les chantres aveugles errants
dans rionie, elle ruinerait le tresor public.
Le senat, ne voulant pas paraitre moins sage
et moins 6conome des deniers du peuple
que ce senateur, changea d'avis et refusa
rhospitalit6 k Homere. Le chef du senat fut
cliarg6 d'aller communiquer cette dure r6-
ponse au poete : il s'assit sur une pierre k
c6te de lui, et t4cha d'adoucir ce refus par
les considerations de prudence et d'interet
public qui avaient determine le vote du^
s6nat. Homere, contrist6 etindigne de la
durete de ses concitoyens, 6clata en g6mis-
sements et en reproches devant la foule
attendrie qui Tentourait :
hom£;re 73
« A quel sort miserable, s'6criait-il en
chantant et pleurant k la fois, les dieux
m'ont-ils abandonn6 ? Berce sur les genoux
d'une tendre mere, j'ai suce son lait dans
cette ville, dont les plages sont baignees par
les flots de la mer, et dont le Meles, d6sor-
mais sacre, arrose les jardins. Poursuivi par
rinfortune, et les yeux priv6s de la lumi^re
du jour, je venais ici, patrie de ma mere,
pour y conduire avec moi les Muses, fllles
aimables de Jupiter, et pour assurer une
etemelle renomm6e a Cyme I... et ses habi-
tants refusent d'entendre leurs voix divines I
Qu'ils soient desherit6s de tout souvenir, et
qu'ils subissent les peines dues k ceux qui
insultent au malheur et qui repoussent Tin-
5
7h HOM&RS
digent \ Mais moi, leprit-U, je sauiai d'un
cQQur ferme supporter, quel qu'il soit, le
destlB que les dieux m'ont fait en m'infli^
geant la vie l Deja mes pieds inpatients
m'eutrainent d'eux-memes loin de cetie
ville ingrate ) »
U partit, en demandant aux dieux que
Cyme ne donn&t jamais naissance k un
cbaatre capable de 16guerla renammee^ sa
patrie.
IX
11 se traina jusqu'a Plioc6e, autre colonie
grecque de I'lonie, qui devint le berceau de
Marseille. Le golfe, entour6 de rochers et
ombrage de platanes, ressemble k un port
creuse par la seule nature pour attirer sur
les bords un peuple de navigateurs. La
poesie fleurissait a Phocee plus qu'ailleurs,
parce que la mer inspire la reverie et le
76 H0M£RE
chant. II y avait une ecole de chant c61ebre
dans la ville, tenue par un homme eloquent,
mais jaloux et astucieux, qui connaissait le
g6nie d'Homere par les recits des marchands
de Smyrne, voisine de Phocee. II se nom-
mait Thestoride. En apprenant Tarrivee du
pauvre aveugle, Thestoride felgnit d'etre
emu d'une g6nereuse piti6. U alia au-devant
de lui et lui offrit dans son 6cole le toil et
la table, k condition qu'Homere transcrirait
pour lui les poemes qu'il avait chantes dans
ses voyages et tons ceux que les Muses lui
inspireraient a Favenir. Homere, contraint
par la misere et la c6cite, consentit k ces
dures exigences de Thestoride, et vendit son
genie pour gagner sa vie.
HOMfiRE 77
Ce fut 1^ qu'il ecrivit le plus accompli de
ses poemes, Ylliade^ ceuvre a la fois natio-
nale et religieuse, oil les mceurs des Grecs,
les exploits de leurs h6ros et les fables de
leurs dieux sont chantes dans des vers
qu'aucune langue n'egala jamais.
Cependant Thestoride ayant enrichi sa
m6moire d'un grand nombre de vers ache-
tes de son h6te, et craignant que le larcin
ne fut trop facilement decouvert s'il les
r6citait comme siens a Phocee, alia 6tablir
une ecole dans Tile de Chio. L^ il s'enrichit
en chantant et en vendant les depouilles
d'Hom6re, pendant que le veritable auteur
languissait et mendiait lui-meme a Phocee.
78 HOMtRE
Mais c'etait peu de se voir derober sa gloire,
il fut accus6 de derober lui-meme celle de
Thestoride. Des matelots revenant de Ghio
oik iis avaient entendu ce rapsode, et enten-
dant Homere reciter sur le port de Phoc6e
les memes vers, d^clarerent que ces chants
etaient d'un poete de Ohio. A ce dernier
coup du sort, Homere, patient jusque-la,
s'indigna contre cette derision des dieux. il
voulut aller oonfondre son calomniateur k
Ghio. II supplia des matelots qui partaient
pour oette lie de le recevoir sur leur barque,
promettant de leur payer le prix de sa Ira-
versee en poemes dont les Grecs des plus
humbles professions etaient amoureux. Ces
matelots compatissants le prirent ^ bord,
HOMiRE 7»
Gomme un gage de la protection des dieux.
II chanta pour eux tout le jour. lis le d^po-
s^rent, la nuit, sur un 6cueil de Tile oil Us
ne descendirent pas eux-memes. II s*end0T-
mit pres du rivage sous un pin, dont
un fruit secou6 par le vent tomba sur
sa tete. Ge pin lui rappela les bois de
Cym6, sa patrie, et Tingratitude de la ville
k Fombre de iaquelle 11 6tait all6 en vain
chercher Tabri de sa vie. U exprima un
amer souvenir dans des vers adress6s k
Tarbre. Se levant enfin, il essaya de trouver
k t&tons sa route vers la ville. Le belement
d*un troupeau de ch6vres Tattire par le
bruit, qui lui fait esp6rer le voisinage d'un
berger. Des chiens de garde se jettent sur
80 H0M£R£
ses haillons en aboyant. Le berger, nomme
Glaucus, les rappelle et court vers le voya-
geur pour le d61ivrer de la dent des chiens.
fimu de pitie, il ne pent comprendre com-
ment un homme prive de la vue a pu gravir
seul cette cote escarp6e. II prend Homere
par la main, le conduit dans sa cabane,
allume du feu, prepare sa table frugale, et
y fait asseoir avec lui le poete, les chiens
aboyant k leurs pieds pour demander leur
part du repas.
Homere improvisa en vers des conseils
aux bergers, pour discipliner ces vigilants
gardiens des troupeaux. II se souvint plus
tard de cette aventure, et il se retraga lui-
m&me dans YOdyss^, sous la figure d'Ulysse
H0M£RE 81
gronde, puisreconnu par son chien. L'ima-
gination ne se compose que des lambeaux
de la memoire.
Apres le repas, Homere entretint le berger
des lieux, des choses, des hommes qu'il
avait vus dans ses longs voyages ; et il lui
chanta les plus belles parties de ses poemes
qui retracent la vie pastorale ou la vie des
matelots. Le berger, fascine par la science,
la sagesse et la poesie de son bote, oubliait
les heures de la nuit. lis s'endormirent en-
fin sur les memes feuilles.
5.
X
Avant Taurore, le berger, laissant Hom6re
endormi dans sa cabane, alia h la ville voi-
sine raconter k son maltre la rencontre qu'il
avait faite de ce divin vieillard et Thospita-
lite qtfil Ini avait donn^e: Le maltre lui re-
prochason imprudence de s'etre 116 ainsi
anx belles paroles d'un inconmi. li ordonna
Dependant i Glaucus de lui amener son
8/i hom£:re
hdte k Bolisse, pour qu'il jugeftt lui-meme
desmerveilles de cet etranger. Homeresuivit
le berger, channa le maitre par son entre-
tien et par ses vers. On lui confla Teduca-
tion des enfants de la maison. Au bruit de
son arrivee dans Tile de Ohio, Thestoride,
tremblant d'etre dementi et confondu par la
presence de celui dontil avaitvole lagloire,
s'enfuit de Tile et alia cacher ailleurs sa
honte et son nom.
Apr6s avoir erev6 les enfants du maitre
de Glaucus k Bolisse, Homere, de plus en
plus celebre, alia fonder une 6cole publique
dans la ville maritime de Ghio, capitale de
rile. II retrouva sur cette terre 6trangere
toute la faveurpopulaire qu'il n'avait pu re-
H0M£RE 85
trouver a Smyrne, sa patrie. La jeunesse de
Tile se pressait en foule a ses lemons ; il de-
vint assez riche des dons des peres et des
meres pour se donner k lui-meme la dou-
ceur d'une famille. Ilepousa unefille de Tile,
qui prefera en lui la liimi^re divine du ge-
nie k la lumiere des yeux. On pent juger de
I'amour qu'il eut pour elle par les delicieu-
ses peintures de la tendresse conjugale,
dont il attendrit partout ses recits. II eut
pour fruits de cet amour tardif deux flUes :
Tune mourut dans sa fleur, I'autre se maria
k Ohio et perpetua son sang dans cette ile
devenue la patrie de sa vieillesse.
Ge fut dans la douce aisance et dans le
86 HOMlSRE
loisir de sa vie d'epoux et de p^.re k Ghio
qu'il composa VOdy^see, poeme de sa vieil-
lesse, resume de ses voyages, de ses impres-
sions, de ses infortunes et de son bonhenr,
dans leqael ii fait revivre, agir et parier,
sous des noms chers a sa memoire, led-
m^me et tons les personnages qui revivaient
par leuTS bienfaits dans son coBur:
Phimius, t son cher maltre et son second
p^re, qui Temporte sur tous les mortels
dans Tart des chants, et qui pressant du
doigt les fibres de la lyre, prelude A ses re-
cits melodieux ; »
Mentds^ son ami et son pilote de mer en
mer, dont il dit :
« Je me glorifie du nom de Kw^, flte du
H0M£RE S7
genereux Anchyale ; je commande oxix Ta-
phiens consommes dans Tart de gouvemer
les navires sur les flots ; »
PenMope, sons le nom de laqnelle il c61e-
bre « la beant6 et la fidelite d'une chaste
6pouse que ni les seductions, ni Tor des
jeunes pretendants, ni les bruits r6pandus
de la mort d'Dlysse, ni les absences, ni les
adversites, ni les haillons de son mari, ne
peuvent detacher de son amour et de sa re-
ligion du lit conjugal ; »
Tychyns, Touvrier tanneur qui lui donna
le premier Thospitalite k J»feotichos et dont
*
il eternise, en passant le nom sur le bou-
clier d'Ajax :
« Ajax porte nn bouclier d'airain, sem-
88 H0M£R£
blable au flanc arrondi d'une tour; sept
peaux de boBuf, les unes sur les autres, re-
couvrent le bouclier. EUes sortent des
mains de Tychius, le plus habile des enfants
de Neotichos dans Tart de tanner, de cou-
per et de coudre le cuir. »
II n'oublia pas meme ses esclaves, et le
fidele vieillard Eumie est sans doute le sou-
venir poetise d'un de ces vieux serviteurs
que Tattachement et les annees incorporent
a la f amille et qui en suivent les prosperit6s
et les decadences comme Tombre de I'arbre
domestique croit et decroit sur le seuil avec
%
les printemps et les hivers.
Le bruit de sa renommee se repandit tard,
mais immense, avec ses vers, d'ile en ile,
H0M£RE 89
de port en port, dans Tlonie et dans toute
la Grece. Chaque navire, en partant de Ohio,
emportait un lambeau de ses poemes dans
la memoire des matelots ou des guerriers ;
chaque voile, en abordant Tile dont il avait
fait son s6jour, lui amenait des admirateurs
et des disciples. II vieillissait dans la gloire
plus que dans les ann6es. Historien de la
Grece autant que son poete, chaque ville,
chaque colonic, chaque famille du conti-
nent ou des lies le suppliait de donner la
memoire k son nom, k ses exploits ou k ses
fables. II 6tait, comme Minos, juge des vi-
vants et des morts; il tenait les clefs de
Tavenir, grand pretre de la post6rite, cette
divinity qui passionne tons les grands coeursl
90 HOM&RE
Jamais la poesie sur la terre n*exerga uae
telle souverainete avant les prophetes. Le
g^nie s'6tait fait plus que roi, 11 s'etait &it
dieu, le dieu de rimmortalitd humaine.
XI
Chaque terre de la Grece voulait garder
la trace du pied de cet aveugle, que chaque
terre avait repousse quelques annees aupa-
ravant. Les citoyens et les envoy6s des vil-
les venaient en deputation le chercher sur
leur vaisseau et le supplier de visiter la Grece
pleine de son nom.
II ceda, au terme de ses ann6es, k ces ins-
92 H0M£RE
tances de sapatrie. II avait sans dojate perdu
la compagne de sa vie, qui Taurait retenu,
si elle eut vecu encore, dans le foyer de ses
jours heureux, dont le vieillard ne doit pas
s'6carter, de peur d'6garer son tombeau. II
partit pour visiter une derniere fois toute
la Grece, patrie de ses vers et de son nom.
II navigua d'abord vers Tile montueuse de
Samos. II y d6barqua le jour oil Ton y cele-
brait une fete en Thonneur des dieux. Re-
connu, au moment oil il descendait sur la
plage, par un habitant de Tile qui I'avait
entendu k Ohio, le bruit del'arriv^e du poete
se repandit k I'instant dans la ville ; les Sa-
miens accoururent et le prierent d'illustrer
de sa presence leur ceremonie. II se rendit
hom£:re 93
au temple avec le cortege : et, etant arrive
sur le seuil au moment ou Ton venait d'al-
lumer le feu sacre :
« SamiensI chanta-t-il en vers inspires
par la lueur du feu domestique, les enfants
sont la gloire des peres, les tours sont la
force des villes, les coursiers sont la beaute
des prairies ou ils bondissent, les vaisseaux
sont la grace des mers, les richesses sont la
prosperite des maisons ; les chefs et les vieil-
lards, assis sur leurs trones dans la place
publique, sont un des plus majestueux spec-
tacles que les yeux des hommes puissent
contempler. Mais iln'estrien surlaterre de
plus auguste et de plus pieux que la demeure
d'une famille eclairee par le feu du foyer. »
^U HOMiiRE
Les Samiens, ravis de Thonneur que cet
h6te faisait a leur He, lui donnerent la place
la plus elevee au festin et le reconduislrent
en grande pompe k la maison oh son lit
etait pr6par6.
Le lendemain, en se promenant dans Tile
dont il se faisait d6crire les sites et les
villes pour reconnaitre avec Fesprit ce qu'il
avait vu jadis avec les yeux, il passa pres
d'un four allume ou des potiers de terrefa-
Qonnaient des vases et cuisaient Fai^ile. II fnl
encore reconnu et entoure par ces ouvriers.
lis le pri^rent de s'arreter un moment au-
pres de leur atelier et de leur chanter
quelques vers propres k immortaliser
leur art; ils lui offrirent, pour prix de sa
HOMiiRE 95
condescendance, les plus belles ceuvres de
leurs mains. Homere sourit, s'assit sur une
amphore renversee et lear chaata ces vers,
eelebres depuis dans les ateliers des mou*
leurs d'argile sous le titre de la Fournaise.
« O vous, qui petrissez I'argile et qui
m^offrez une coupe en salaire de mes vers !
ecoutez un de mes chants I
« Je finvoque, 6 Minerve, deesse indu-
striensel Daigne descendre au milieu de ces
hommes et preter ta main liabile a leur
travail 1 Que les vases qui vont sortir de
cette foumaise, et surtout eeux qui sont
destines aux autels des dieux, se colorent
egalement sous la vapeur enjBammee des
briquesl Qu'ils se dureissent par d<^6 a
96 HOM&RK
un feu sagement gradue, et qu'ils se ven-
dent, recherches pour leur elegance et leur
solidite, dans les rues et dans les marchfe
de la Grece, afin que leur prix fassent Tai-
sance de Touvrier et ne demente pas Teloge
du poete I Mais si vous voulez me tromper,
moi, aveugle, et ne pas me donner les cou-
pes offertes, j'invoque contre votre four-
neau les fl6aux des dieuxl... Que le feu de-
vore votre poterie, que le four fasse enten-
dre un bruit semblable aux grincements
de dents d'un cheval furieux 1... Que le
potier gemissant contemple en larmes sa
mine... et que personne ne puisse se bais-
ser pour regarder dans le four sans avoir
le visage ronge par la reverberation de
hom£:re 97
la flamme qui consumera vos vases!... »
II passa rhiver entier k Samos. Bien qu'il
ne fut plus contraint par rindigence k ven-
dre ses chants pour un morceau de pain, il
continua k chanter de temps en temps par
reconnaissance pour les habitants hospita-
llers de File, des vers appropries aux fortu-
nes ou aux conditions des maisons qu'il
visitait dans ses doux et demiers loisirs.
Un enfant le guidait dans les rues des villes
ou dans les sentiers des campagnes. La
memoire des Samiens a garde de pere en
fils quelques-unes de ces benedictions po6-
tiques de Taveugle de Ohio , comme des
medailles qu'on retrouve ga et \k dans le
sable de ces plages.
9S UOMtRB
Hom^, en souvenir de son ancienne
mendicity, portait a la main, k Texemple
des mendiants antiques, une branche d'ar-
bre garnie de ses feuilles.
« Nous voici arrives, chantait-il a Tenfant
son guide, pr6s de la vaste maison qu'habite
un citoyen opulent, maison qui retentit
sans cesse du bruit des clients et des servi-
teurs. Que ses portes s'ouv^nt pour laisser
entrer la fortune, et, avec elle, la s6r6nite
et le loisir! Qu'aueune amphore ne reste
jamais vide dans cette heureuse demeure, et
que la huche y soit toujours pleine de fleur
de farine I Que la jenne epouse du ills de
la maison, toutes les fois qu'elle en sort,
soit trainee sur un char, et que les mules
HOM&RE 99
aux pieds durs la ramenent de meme dans
sa demeure, oil, les pieds poses sur un ta-
bouret incruste d'ambre, elle travaille de
I'aiguille a ourdir un riche tissu. Quant k
moi, je reviendrai a ce toit, seulement
comme y revient Thirondelle au retour de
I'annee... »
Les petits enfants de Samos ont chante
longtemps ces vers de porte en porte, en
allant queter aux fetes religieuses consa-
crees a la bienfaisance et a la mendicitey
XII
Au retour du printemps , des vagues
aplanies et des vents tiedes, il reprit sa na-
vigation vers le golfe d'Athenes. Les mate-
lots du navire qui le portait ayant 6t6 rete-
nus par la tempete dans la rade de la petite
lie dlos, Homere sentit que la vie se retirait
de lui. II se fit transporter au bord de Tile
pour mourir plus en paix, couch6 au soleil,
6.
102 HOMilRE
sur le sable du rivage. Ses compagnons lui
avaient dresseune couchesous la voile, au-
pres de la mer. Les habitants riches de la
ville eloignee du rivage, informes de la
presence et de la maladie du poete, descen-
dirent de la coUine pour lui offrir leur de-
meure et pour lui apporter des soulage-
ments, des dons et des hommages. Les
bergers, les pecheufs et les matelots de la
o6te accaururent poor lui demander des
oracles^ comme a una voix des dieux sur la
terre. II continaa k parler en langage divin
mveo les hommes lettr^ et k s'entretenir,
jusqu'^ son dernier ficmpir, avec les hom-
mes simples dont il wait d^crit tant de fois
l08 mosurS) les tramyu et les misdres dans
HOM&RE ij$$
ses poemes. Son dme avait pasa6 tout en-
tiere dans leur m^moire avecses chants; en
la rendant aux dieux, il ne Tenlevait pas a
la terre, Elle etait devenue Timd de ioute la
Grece; elle allait de^enir bientdt cello de
toate I'antiquit^.
Apr6s qn'il eut expire sur cette plage, au
bord des flots, comme un naufrage de la
vie, Tenfant qui servait de lumi^es k ses
pas, ses compagnons, les habitants de la
ville, les pecheurs de la c6te Ini crenserent
me tombe dans le sable, k la place meme
oti il avait voalu mourir. Dsy roul^nt
one roc^, sor laquelle ils gray^rent au ci-
aeau ces mots :
iOk HOM&RE
« Cette plage recouvre la tete sacree du
divin Homere. »
los garda k jamais la cendre de celui a qui
elle avait donn6 ainsi la supreme hospita*
lit6. La tombe d'Hom6re consacra cette ile,
jusque-li obscure, plus que n'aurait fait son
berceau que sept villes se disputent encore.
La tradition de la plage oil le vieillard
aveugle fut enseveli se perdit heureusement
dans la suite des temps et dans les vicissi-
tudes de rile. NuUe rivalite de funerailles,
de monument ou de vaine piete ne troubla
son dernier sommeil. Sa sepulture fut dans
tons les souvenirs, son monument dans ses
propres vers. On montre seulement dans
rile de Ohio, pr6s de la ville, un banc de
H0M£RE 106
pierre semblable a un cirque et ombrag6
par un platane qui s'est renouvel6, depuis
trois mille ans^ par ses rejetons, qu'on
appelle I'lficole d'Hom6re. G'estli, dit-on,
que Taveugle se faisait conduire par ses
fllles, et qu'il enseignait et chantait ses
poemes. De ce site on apergoit les deux
mers, les caps de I'lonie, les sommets nei-
geux de TOlympe, les plages dor6es des lies,
les voiles qui se plient en entrant dans leurs
anses, ou se d6ploient en sortant des ports.
Ses fllles voyaient pour lui ces spectacles,
dont la magnificence et la variete auraient
distrait ses inspirations. La nature, cruelle
et consolatrice, semblait avoir voulu le re-
cueillir tout entier dans ces spectales inte-
106 H0M£RE
rieurs, en jetant un voile sur sa vue. G'est
depuis cette 6poque, dit-ou dans les lies de
rArchipel, que les hommes attribuerent a
la c6cit6 le don d'inspirer le chant, et que
les bergers impitoyables creverent les yeox
aux rossignolSy pour ajouter k rinstinct de
la melodie dans r&me et dans la voix de ce
pauvre oiseau.
XIII
Voila I'histoire d'Homdre. EUe est simple
comme la nature, triste comme la vie. EUe
consiste a souffrir et k chanter. C'est, en
general, la destin6e des poetes. Les fibres
qu'on ne torture pas ne rendent que peu de
sons. La poesie est un eri : nul ne le jette
bien retentissant, s'il n'a 6t6 frapp6 au coeur.
Job n'a cri6 k Dieu que sur son fumier et
108 HOM&RE
dans ses angoisses. De nos jours comme
dans Tantiquite, il faut que les hommes qui
sont doues de ce don choisissent entre leur
genie et leur bonheur, entre la vie et Tim-
mortalite.
Et, maintenant, la poesie vaut-elle ce
sacrifice? Quelle fut I'influence d'Homere
sur la civilisation, et en quoi merita-t-il le
nom de civilisateur ?
Pour repondre a cette question, il suffit
de lire.
Supposez, dans Tenfance ou dans I'ado-
lescence du monde, un homme k demi sau-
vage, doue seulement de ces instincts 61e-
mentaires, grossiers, feroces, qui formaient
le fond de notre nature brute, avant que la
HOMi:R£ 109
societe, la religion, les arts eussent petri,
adouci, vivifle, spiritualise, sanctifie le coeur
humain ; supposez qu'a un tel homme, isole
au milieu des forets et livr6 a ses appetits
sensuels, un esprit celeste apprenne Tart
de lire les caracteres graves sur le papyrus,
et qu'il disparaisse apres en lui laissant seu-
lement entre les mains les poesies d'Homere I
L'homme sauvage lit, et un monde nou-
veau apparait page par page k ses yeux. II
sent eclore en lui des milliers de pens6es,
d'images, de sentiments qui lui etaient in-
connus ; de materiel qu'il etait un moment
avant d*avoir ouvert ce livre, il devient un
etre intellectuel et bientot apres un etre
moral. Homerelui revele d'abord un monde
no HOMiRB
sup6rieiir, une immortality de T&me, un
jugcment de nos actions apres la vie, une
justice souveraine, une expiation, une r6-
mun6ration selon nos vertus ou nos crimes,
des cieux et des enfers, tout cela alt^rS de
fables ou d'all6gories sans doute, mais tout
cela visible et transparent sous les symbo-
les, conmie la forme sous le vfitement qui
la r6v61een lavoilant. Illuiapprend ensuite
la gloire, cette passion de Testime mutuelle
et de Festime 6temelle, donn6e aux hom-
mes Gomme Tinstinct le plus rapproch6 de
la vertu. II lui apprend le patriotisme dans
les exploits de ces hdrcs qui quittent leur
royaume patemel, qui s'arrachent des bras
de leura meres et de leurs epouses pour
!•■*.
HOMfiRE Hi
aller sacrifier leur sang dans des expeditions
nationales, comme la guerre de Troie^ pour
illustrer leur commune patrie; il lui ap-
prend les calamites de ces guerres dans les
assauts et les incendies de la cit6 troyenne ;
il lui apprend Tamitie dans Achille et Pa-
trode, la sagesse dans Mentor, la fidelite
conjugale dans Andromaque^ la piete pour
la vieillesse dans le -vieux Priam, k qui
Achille rend en pleurant le corps de son fils
Hector ; Thorreur pour Toutrage des morts
dans ce cadavre d'Hector traine sept fois
autour des murs de la patrie ; la piete dans
Astyanax, son ills, emmene en esdavage^
dans le sein de sa mere, par les Grecs ; la
vengeance des dieux dans la mort precoce
112 HOM&RE
d'Achille; les suites de rinfldfilite dans
Hel6ne ; le m6pris pour la trahison du foyer
domestique dans M§n61as ; la saintete des
lois; Tutilite des metiers, I'invention et la
beaut6 des arts : partout, enfln, Tinterpre-
tation des images de la nature, contenant
toutes un sens moral, revele dans chacun
de ses phenomenes sur la terre, sur la mer,
dans le ciel ; sorte d'alphabet entre Dieu et
I'homme, si complet et si bien 6pele dans
les vers d'Homere, que le monde moral et
le monde mat6riel, reflechis Tun dans I'autre
comme le firmament dans I'eau, semblent
n'etre plus qu'une seule pensee et ne parler
qu'une seule et mfime langue k Tintelli-
gence de I'aveugle divin ! Et cette langue
H0M£R£ 113
encore cadencee par un tel rhythme de la
mesure et pleine d'une telle musique des
mots, que chaque pensee semble entrer
dans Tame par Toreille, non-seulement
comme une intelligence, mais aussi comme
une volupt6 !
N*est-il pas evident qu'apres un long et
familier entretien avec ce livre, rhomme
brutal et feroce aurait disparu, et rhomme
intellectuel et moral serait 6clos dans ce
barbare auquel les dieux auraient ainsi
enseigne Ho mere?
Eh bien, ce qu'un tel poete aurait fait
pour ce seul homme, Homere le fit pour
tout un peuple. A peine la mort eut-elle
interrompu ses chants divins, que les Ra/p-
li& HOMfiRI
^odes ou les HomSrideSj chantres ambulants,
Toreille et la m6moire encore pleines de ces
vers, se r6pandireiit dans toutes les ties et
danstontes lesvillesde la Gr6ce, emportant
a Fenvi chacun un des fragments mutil6s
de ses poemes et les rocltant de generation
en generation aux fetes publiques, aux ce-
remonies religieuses, aux foyers des palais
ou des cabanes, aux ecoles des petits en-
fants ; en sorte qu'une race enti^re devint
r6dition vivante et imperissable de ce livre
universel de la primitive antiquite. Sous
Ptol^mee Philopator , les Smym6ens lui
erigerent des temples et les Argiens lui
rendirent les honneurs divins. L'4me d'un
seul homme souffla pendant deux mille ans
H0M£R£ 115
sur cette partie de Tunivers. En 884 avant
J.-G.y Lycurgue rapporta ^ Sparte les vers
d'Homere pour en nourrir r&me des ci-
toyens. Puis vlnt Solon, ce fondateur de la
d^mocratie d'Athenes, qui, plus homme
d'£ltat que Platon, sentit ce qu'il y avait de
civilisation dans le genie, et qui fit recueil-
lir ces chants 6pars comme les Remains
recueillirent plus tard les pages divines de la
SybiUe. Puis vint Alexandre le Grand, qui,
passionne pour rimmortalite de sa renom-
mee, et sachant que la clef de Tavenir est
dans la main des poetes, fit faire une cas-
sette d'une richesse merveilleuse pour y
enfermer les chants d'Homere, et qui les
pla§ait toujours sous son chevet pour avoir
116 HOMilRE
des songes divins. Puis vinrent les Ro-
mains, qui, de toutes leurs conquetes en
Gr^, n'estim^rent rien k I'egal de la con-
quete des poemes d'Homere, et dont tous
les poetes ne furent que les echos prolonges
de cette voix de Chio. Puis vinrent les te-
n6bres des ages barbares, qui envelopperent
pres de mille ans TOccident d'ignorance, et
qui ne commencerent a se dissiper qu'a Te-
poque oil les manuscrits d'Homere retrou-
ves dans les cendres du paganisme rede-
vinrent I'etude la source et Fenthousiasme
de Vesprit humain. En sorte que le monde
ancien, histoire, poesie, arts, m6tiers, civi-
lisation, moeurs, religion, est tout entier
dans Homere; que le monde litt6raire
H0M£RE 117
meme modeme precede k moiti6 de lui, et
que, devant ce premier et ce dernier des
chantres inspires, aucun homme, quel qu'il
soit, ne pourrait, sans rougir, se donner &
lui-meme le nom de poete. Demander si un*
tel homme pent compter au rang des civili-
sateurs du genre humain, c'est demander si
le genie est une clart6 ou une obscurit6 sur
le monde ; c'est renouveler le blaspheme de
Platon ; c'est chasser les poetes de la civili-
sation; c'est mutiler riiumanit6 dans son
plus sublime organe, I'organe de I'infini I
c'est renvoyer k Dieu ces plus souveraines
facult6s, de peur qu'elles n'offusquent les
yeux jaloux et qu'elles ne fassent paraitre le
monde reel trop obscur et trop petit, com-
7.
118 H0M£RE
par6 k la splendeur de rimagination et k la
grandeur de la nature I
FIN DE HOMiRE
SOCRATE
I
Toutle monde coimait ce nom» synonyme
de sagesse ; un petit nombre connait sa
doctrine ; nul ne connait de sa vie que ses
conversations et sa mort.
Ge n*est pas un proph^tOi ce n'est pas un
120 SOGRATE
rev61aleur, ce n'est pas un fondateur de
religion ou de secte; il ne parle pas aux
hommes au nom de Dieu, il ne leur im-
pose aucune foi, il ne s'enveloppe pas de
mysteres, il ne promulgue point d'ora-
cles, il ne fait pas de prodiges; il est
homme, il subit tout de rhumanite, jus-
qu'k ses faiblesses et k ses doutes. Mais
11 vit bien , il parle bien , il meurt bien ,
c'est-i-dire qu'il accomplit simplement,
dans toute son humilite et dans toute
sa grandeur, ce role que la Providence im-
pose k tout homme ici-bas : penser juste,
vivre honnetement, mourir avec espe-
rancel
Tel est Socrate, la plus pure incarnation
SOGRATE 121
du bon sens et de la philsosophie pratique
que la Grece, sa patrie, ait montr6e & Tan-
tiquite.
II
Nous ne dirons que peu de chose de sa
vie; car vivre, pour lui, ce fut penser. Nous
raconterons surtout ici sa mort, le plus bel
acte de sa vie ; et nous la raconterons dans
la langue oil Ton doit etemiser les choses
etemelles, c'est-^-dire dans la langue des
vers. Nos lecteurs trouveront peut-etre
quelque diversion impr6vue, mais permise
illTIM T ~ — i
12& SOGRATE
k Taridite de nos recits en prose, dans ce
chant 6pic[ue et philosophique , compose
par nous a un 4ge oil Thomme chante avant
de raisonner. A vingt ans il ne sort du
coeur que des hymnes : c'6tait notre tge
quand nous ecrivimes cette mort de Socrate.
Ill
Socrate etait d'Athenes, capitale politique,
policee, lettree, artistique, de cette Gr6ce
qui etait alors surtout la capitale de
Tesprit humain. II 6tait flls d'un pauvre
sculpteur et d'une sage-femme. On assure
que ces deux metiers, qui nourrissaient sa
famille, lui donn^rent, avec les premieres
impressions de son enfance, les premieres
126 SOCRATE
vocations de son genie : comme son pere
le scultpteur, adorer le beau, le rechercher,
le reproduire dans Vdme comme Tartisan le
reproduisait dans la pierre ; comme sa m^re,
aider Thomme a naitre a la lumiere et I'en-
fanter k la v6rit6.
Le jeune Socrate eut plus de peine et plus
de m6rite qu'un autre homme k degrossir
et k sculpter en lui-meme ce modele du
beau intellectuel qui fut la passion et le tra-
vail de sa vie. La nature ne lui avait donnS
en le formant aucune de ces noblesses ou
de ces gr&ces corporelles dont sont dou6s
en general ce& favoris de la Providence, qui
portent dans leurs traits les signes ext6rieurs
de cette beauts et de cette vertu rayonnant
SOGRAT£ 127
de leur &me a travers Tenveloppe des sens.
U dtait petit de taille, lourd de stature ; il
avait lea epaules hautes et larges com me
celles d'un homme destind a transporter les
blocs de marbre dans Tatelier de son pere,
le cou gros et court, la tete ronde et non
allongee en ovale, la bouche trivialement
fendue pour le rlre, les levres 6paisses pour
la sensualit6, le nez informe et releve de
Silene, les yeux railleurs, le front rude,
proeminent et mal 6baucli6. Tout ce visage,
quoique souverainement intelligent dans
son expression g6nerale, annongait plut6t
les instincts chamels et les app6tits gros-
siers de rhomme de peine que les divines
aspirations de I'homme de pens6e.
128 SOGRATE
C'est de cette forme inculte , rebelle et
lourde, qu'il fallait faire sortir a force de
coups de ciseau la plus pure beauts morale
et la plus immaterielle image de la vertu
qui ait jamais ravi la Grece antique. Ce fut
Foeuvre de la vie de Socrate. II se dit, en
regardant les blocs de pierre 6bauch6s par,
le marteau de son pere :
c Puisque la beaute sort de 1&, je la feral
sortir de moi-meme, »
II se dit en entendant raconter a sa m^re
les souffrances des m6res qu'elle avait ac-
couchees dans sa journ^e :
« Puisque I'homme physique nait avec
tant de gemissements et tant d'efforts, ni
.J
SOCRATE 129
efforts ni g6missements ne me coiiteront
pour faire naitre rhomme intellectuel et
moral a la v6rite et h la vertu ! »
lit* . . '.i.^^s*
IV
Socrate prit le metier de son pere, il ga-
gna sa vie dans I'atelier. Seulement le
p6re n'6tait qu'artisan, le fils devint
promptement artiste : le type id6al et exquis
de beaute qu'il portait en lui eclata bientdt
sous sa main en contours, en attitudes, en
visages plus parfaits que les 6bauclies de
son p6re. On montrait, dit Xenophon, son
132 SOCRATE
disciple et son Mstorien, un groupe des
trois Graces voil6es sculpte avec tant de
bonheur par le jeune Socrate qu'il pouvait
supporter, sans trop d'inferiorite, le voisi-
nage des plus divines statues de Phidias.
Les Atli6niens en d6cor6rent le portique du
Parthenon, chef-d'oeuvre d'architecture, qui
ne contenait lui-meme que des chefs-d'oeu-
vre.
Mais Socrate aspirait secretement k sculp-
ter des Ames et non des pierres. II ne don-
nait a sa profession que ce qui 6tait stricte-
ment necessaire k la vie de sa famille ; il
employait tout le superflu de son temps a
la reflexion, a la lecture, k I'etude, k la fr6-
quentation des 6coles de philosopbie et
8
13A SOCRATE
d'eloquence, qu'une innombrable nuee de
rh6teurs et de philosophes, les uns sages,
les autres chimeriques ou pervers, elevaient
alors de toutes parts dans Athenes. Genie
eminemment sincere et critique, Socpate
discemait promptement le vrai du faux
dans ces doctrines. II s'incorporait le bien,.
il raillait le mal. II etait la terreur etle fleau
des sophistes, ces charlatans de sagesse ; it
n'admettait aucune de leurs affirmations sur
parole ; il leur demandait raison de tout, et^
dlnterrogation en interrc^tion les embar-
rassant dans leurs reponses et les forQaat
promptement k se contredire, il les livrait a
la risee de leurs auditeurs, et se retirait heu-
reux d'avoir premuni Tesprit de leurs dis-
SOGRATE 135
ciples centre leurs reveries et leurs subtili-
tes. Plein de d6f6rence, au contraire, pour
les vrais sages, il s'asseyait comme un petit
enfant parmi les sectateurs d'Anaxagore. II
ecoutait avec ravissement parler des dieux,
de la justice, des lois, de rimmortalite,
cette certitude de I'esperance. Socrate sor-
tait de leurs leQons penetre de m6pris pour
les choses passageres, qui ne sont que la
route des choses eternelles. II se considerait
comme un voyageur qui fait une halte dans
rh6tellerie dela terre, maisqui ne s'attache
a aucun des meubles de la maison, sachant
bien qu'ils ne lui appartiennent pas et qu'il
ne les emportera pas le lendemain avec lui.
II s'y reposait et s'y puriflait seulement de
136 SOGRATE
toutes les souillures de la mati^re, pour pa-
raitre bientdt plus respectueusement devant
les dieux.
VI
Mais, non content de se perfectionner lui-
meme, Socrate etait possed6 de la passion
plus desint6ress6e et plus divine encore de
perfectionner les autres. 11 employait k ins-
truire, k corriger, k edifier ses concitoyens
de toutes les classes, tout le temps qull
pouvait raisonnablement distraire de ses oc-
cupations domestiques. Souvent meme, et
8.
138 SOGRATE
sa femme en gemissait avec raison, il ou-
bliait les necessites de son propre foyer
pour les meditations speculatives dans les-
quelles il restait comme aneanti, la tete en-
tre les mains, pendant des journees entieres,
et pour les commerces philosophiques avec
les premiers venus qui lui demandaient la
sagesse.
Insensiblement la juslesse profonde de
ses reparties, la nonveaute de ses id6es, la
simplicit6 toujours p6n6trante, inattendne,
de ses demonstrations, la vulgarity des ima-
ges on des paraboles qtf il emprantait anx
metiers les plus usuels de la vie pour 61ever
rftme de ses interlocuteurs aux plus subli-
mes conceptions de Tesprif , comme ttn or-
SOCKATE i3»
16vte se sert de la pins vile poussidre pour
polir le diamant, attirdrent autour de So*
crate un cercle de disciples.
Athenes etait une r6publique litre, riche,
oisive, amoureuse de doctrines, de contro-
verses, de sectes, de v6rites, de sophismes,
de mensonges meme; son gouvernement,
qui se tenait sur la place publique, n*6tait
qu'un perpetuel entretien des citoyens entre
eux sur la politique, les lois, la religion, la
nature, les dieux. Dans ce beau climat ot
rhomme vit au soleil, les portiques a6r6s
des temples, les jardins publics, les ateliers
des artistes, les boutiques ouvertes des arti-
sans, les nies, les places, les marchfe,
6laient autant d'academies et d'ecoles oil
1/iO SOCRATE
chacun discourait avec tous, et oti le plus
Eloquent, le plus corrupteur ou le plus sage
enlevait des groupes d'auditeurs k ses ri-
vaux. La conversation perpetuelle 6tait en
r6alit6 la premiere institution d'Athenes.
EUe suppl^ait k ce qu'est chez nous la
presse periodique depuis la decouverte de
rimprimerie, avec cette difference, cepen-
dant, que la presse parle un & un 5. des lec-
teurs isoles et ne comporte ni le dialogue
ni la r6plique, tandis que la conversation
en plein air d'Athenes se changeait en dia-
logues animes, et attroupait en secte ou en
6cole les oisifs et les disciples autour du
discoureur le .plus 6cout6. C'est ce qui fit
que Socrate, quoique parlant sans cesse et
SOGRATE 141
de tout, n'6crivit rien ; que ses legons furent
toutes des dialogues avec ses auditeurs, et
(lu'aprfis sa mort ses disciples Platon et
Xenophon 6crivireiit de m6moire, et sous
cette forme obligee de dialogues, les doc-
trines qu'ils avaient entendues et not6es
pendant la vie de leur maitre.
VII
Gependant Socrate, qui 6tait avant tout
un homme de devoir et de bon sens, ne n^-
gligea aucune des fonctions de la vie civile,
du soldat, du citoyen, du maglstrat, de
rhomme d'fitat, sous pr6texte de dedain
pour les choses du monde et de contempla-
tion exclusive des choses d'en haut. II com-
prit et il voulut montrer par son exemple
lAA SOCRATE
que servir les hommes, c'est le meilleur
moyen de servir les dieux, et que la defense
et le gouvemement de sa patrie sont des
devoirs obligatoires du citoyen libre dans
la r6publique. Sa conscience, son principal
sens, parce qu'elle est le sens du devoir,
etait si juste, si forte et si infaillible en lui,
qu'elle lui paraissait physiquement une
parole interieure qui parlait dans sa poi-
trine et qu'il appelait de bonne foi son oracle
ou son g6nie. Cette conscience lui com-
manda d'etre un h6ros dans I'occasion pen-
dant les guerres de sa patrie, et il le fut.
.L^^
> •• *
YIII
Au siege de Potidee, le jeune Alcibiade
ayant ete fait prisonnier par les ennemis,
Socrate se jeta avec une poignee d' Athenians
dans la mel6e, dispersa les vainqueurs qui
entrainaient leur proie, et ramena Alcibiade
delivre au prix de son sang.
A [son re tour, Athenes lui ayant d6ceme
le prix de la valeur, il proclama Alcibiade
9
iUe SOGRATE
plus brave que lui, puisqu'il 6tait plus jeune
et plus beau, et qu'en exposant sa vie il
exposait davantage. A la bataile de D61ium
dans la Beotie^ les Ath6niens vaincus
allaient perir tous par la faute ou par la Ifi-
chete de leurs gen6raux, capricieusement
nomm6s par les d6magogues, lorsque So-
crate, se precipitant k rarrifire-garde, grou-
pant autour de lui les v6t6rans et faisant
reculer Tennemi, releva un autre de ses
disciples, X6nophon, du champ de bataille,
et le rapporta sur ses 6paules au camp.
La paix le rendit k ses etudes et k ses dis-
ciples. L*h6roisme qu'il avait montre k Tar-
c
m6e, le desinteressement d'ambition, meme
de gloire, qu'il montra en reprenant sa pro-
- ^^
SOGRATE 147
fession, le design^rent aux suffrages de la
republique pour les grandes magistratures
auxquelles nommait le peuple. II y montra
les vertus de la politique, plus rares et plus
difflciles que celles de la guerre :1a justesse
de vues, rimpartialite, la moderation, la
resistance inflexible aux entrainements, aux
passions, aux fureurs populaires. Les ami-
raux d'Athenes n'ayant pu, apr6s une d6faite
navale, donner la sepulture aux citoyens
morts, furent condamnes a un injuste sup-
plice par le peuple. Leur vie ou leur mort
dependait du^vote de Socrate, qui ce jour-la
presidait le senat. Ses coUegues, intimides
par les cris et par les armes de la multitude,
avaient c6de le sang des generaux pour
illS SOGRATE
saiiver leur propre vie, Socrate offrit la
sienne pour sauver les innocents. 11 triom-
pha de la colere d'Athenes , qui n'osa pas
violer en lui la loi vivante. Mais de ce jour
la multitude cessa de Taimer, et les dema-
gogues ne lui pardonnerent jamais, depuis,
de- les avoir empeches de commettre un
crime. Sa mort date de ce refus dans le
cceur de ses ennemis.
fcflfirite
IX
La calomnie commenga k s'attacher a son
nom, et le poete Aristophane, le Beautear-
chais d'Athenes, amusa le peuple a ses de-
pens dans une comedie personnelle intitulee
les NuSes. Socrate, dans cette comedie, est
represente aux yeux de la multitude comme
un reveur eveille, suspendu entre ciel et
terre, et demandant des oracles aux Nud^s,
150 SOGRATE
divinites flottantes et insaisissables, qui lui
repondenl au milieu des brouillards. G'est
la vengeance de la routine centre la pensee
et du prejuge contre la sagesse. Aristophane,
vil adulateur des sottises et des supersti-
tions cheres a Tignorance du vulgaire, sou-
levait a la fois le rire et la colere du peuple
contre le plus sage des Atli6niens : le rire
en accusant Socrate de s'elever plus haut
que les tetes de la foule, la colere en Taccu-
sant de chercher dans le ciel un dieu plus
immateriel que les dieux de chair qu'elle
s'6tait forges avec ses plus abjectes creduli-
tes. Aristophane fut ainsi le premier meur-
trier de Socrate. Ce Camille Desmoulins
d'Athenes, en livrant le sage au ridicule, le
SOGRATE 151
livrait d'avance au bourreau. Quand on veut
tuer la victime, on commence par la depouil-
ler de son respect. La rage du peuple com-
mence toujours par la risee des demago-
gues.
Toutefois la philosophie ne fut pas le
vrai crime de Socrate, ce fut la politique.
On ne Taccusa d'impi6te envers les dieux
du pays que pour masquer sous un pre-
texte sacre la haine qu'on lui portait a un
autre titre.
Deux partis divisaient perpetuellement la
republique d'Athenes. Les amis d'une sage
<
154 SOGRATE
liberte ayant pour limite et pour garantie
des lois justes, et pour magistrats les ci-
toyens les plus eclair6s et les plus vertueux
de la republique, composaient le premier
de ces partis ; les anarchistes, les radicaux,
les demagogues, les adulateurs de la multi-
tude, composaient le second. G'est le parti
qui bouleversait sans cesse Athenes. Socrate
Tabhorrait; il ne d6guisait ni son mepris
pour une demagogie ignorante et turbu-
lente, ni son indignation contre les corrup-
teurs de la republique, II disait hautement
que la tete devait gouveraer les membres
dans rfitat comme dans le corps humain,
que rinstruction , la moralite , la vertu ,
etaient des conditions indispensables k Tad-
ftOGRilTE 155
mission des eitofras dans les assemblies
pnbliques et dans les magistratures de la
r6publique; que tirer les magistrals au sort,
c'6tait livrer la rSpublique au hasard ; qu'il
fallait les &itB avec disoemement et apr^s
des epreu'ves, gages de lenr probity ci^ique
et de leur capaeit& Bn nn mot, ii 6tait par-
tisan da saSiage populaire k plusieurs de-
gr^ dans la nomination des hommes in*
vestis de fonctions publiques. II voulait ,
non raristocratie ayeugle et souvent iniqne
dn rang ou delaricbesse^mais raristocratie
di^ne et personnelle de Tintelligence et de
la vertu.
Ges opinions, qnoigue si sages , ^talent
en ce moment d'autant pins snspectes h
156 SOGRATE
Athenes, que la r6publique venait a peine
de briser le joug des trente tyrcms, et que
demander des conditions de sup6riorite et
d'ordre k un peuple ivre de la liberte recon-
quise, c'etait presque, aux yeux des d6ma-
gogues, paraitre regretter la tyrannie. So-
crate I'avait bravee cependant en face pen-
dant qu'elle 6tait debout; et maintenant
qu'elle etait renversee, il 6tait devenu aussi
odieux aux agitateurs de la populace d' Athe-
nes qu'il avait 6t6 redoutable aux tyrans.
II subissait le sort de tons les hommes
justes dans tons les siecles, proscrits par
les deux exc6s, parce que sa conscience lui
defendait de participer aux injustices d'en
bas comme aux injustices d'en haut. On
SOGRATE 157
cherchait un moyen de perdre cet homme
dont la moderation offusquait la popularite
des demagogues, comme elle avait offense
quelque jours auparavant, la toute-puissance
des trente tyrans.
XI
Un certain Anytus, riche citoyen d'Athe-
nes, qui avait concoura an renversement
de la tyrannie et qni avait conqnis par la la
faveur dn penple s'eff orgait Iftchement de
conserver cette faveur par les plus viles
condescendances k tons les caprices et k
tons les prejng6s de la multitude. Les multi-
tudes aiment les superstitions, parce qu'elles
160 SOGRATE
sont les servilit6s de Tesprit et les saintetes
de rignorance. Anytus et ses amis resolurent
d'accuser Socrate de blaspheme centre les
idoles, ces diviiiit6s de la foule. Un poete
infame, nomme Melitus, autrefois disciple
de Socrate, maintenant devenu son ennemi
par cette basse envie qui ne laisse pas par-
donner la gloire a ceux qui ne peuvent I'at-
teindre, se chargea de Taccusation d'impiete
contre son ancien maitre,
M61itus etait un desces hommes quisanc-
tiflent leur haine aux yeux du peuple en
Tattribuant a un zele devorant pour la cause
des dieux, Ainsi ils impriment habilement
a leur passion le caractere divin de leur
cause; ils placent leurs vengeances person-
SOGRATE 161
nelles au rang des choses saintes. lis calom-
nient, ils outragent, ils denoncent, ils frap-
pent leurs ennemis au nom du ciel. Les
superstitieux de bonne foi les admirent et
leur tiennent compte de la pers6cution
comme d'une piete.
Tel 6tait M61itus a Athenes. II avait ecrit
de mauvais livres, mais il s'etait constitue
le vengeur du vieux culte ; il avait des clients
dans le ciel. Le peuple n'osait plus le me-
priser, de peur de m6priser en lui les dieux.
XII
Ge jeune iioimne accusa Socrate, devaut
las xnagistrats, d'lntroduire des croyances,
des divinites, des nouveaut^ dans Tesprlt
de la jeunesse. La philosophie etait suspecte
au peuple parce qu'elle repandait du jour
sur les myst^res, et que la lumiere seule
m
est un attentat contra les t^ndbres. Socrate
ne Youlut pas se defendre, sans doute parce
164 SOGRATE
qu*il aurait fallu mentir. II n*avait jamais
commis d'autre impiete que de penser, et,
bien que ses pensees s'elevassent au-dessus
des miserables symboles qu'adorait alors
la Grece, il n'avait jamais insulte au culte
de ses concitoyens, pensant que radoration
de la Divinite etait une chose si sainte en
elle-meme, qu'il ne fallait pas la contrister
meme quandelle setrompaitdedieu.Ilavait
meme pousse le respect et la condescen-
dance pour le culte legal de sa patrie beau-
coup trop loin pour un philosophe, en sui-
vant (dit Xenophon) tons les rites de la
religion populaire et en offrant des sacri-
fices aux dieux de TOlympe dans Finterieur
de sa maison et dans les temples, II retrouva
SOCRATE 165
sa conscience plus entiere et plus incorrup-
tible devant les juges.
« Si vous me renvoyez absous, leur dit-il,
a condition que je cesserai de philosopher,
je vous repondrai sans hesiter : Atheniens,
je vous honore et je vous aime, mais j'obei-
rai plutot a Dieu qu'^ vous ! »
XIII
Les juges, au nombre de cinq cent cin*
quante-six, se partagerent en deux opinions.
Socrate ne fut condamn6 qu'^t la majorite
de trois voix par le parti des demagogues
r6uni au parti des fanatiques. La loi d'A-
th^nes, en pareil cas, autorisait le condamne
k racheter sa vie par un exil ou par une
amende h laquelle 11 6tait tenu de se con-
168 SOGRATE
damner lui-meme en se reconnaissant cou-
pable. Socrate plaisanta jusqu'au bout avec
la vie et avec la mort.
a Atheniens, dit-il avec cette ironie legere,
mais amere, qui etait la force, mais aussi le
vice de ses discours (car Tironie blesse en
convainquant), Atheniens 1 pour avoir con-
sacre ma vie entiere au service et k la mo-
ralisation de ma patrie, je me condamne
moi-meme a etre nourri le reste de mes
jours dans le Prytanee, aux d6pens de la
republique. »
Les juges, ainsi provoques, porterent la
sentence de mort k une forte majorite.
« Ce n'est point un mal, dit Socrate apres
avoir enlendu son arret; il n'y a aucun mal
SOCRATE 169
pour rhomme religieux, ni pendant sa vie,
ni apres sa mort. Dieu ne Tabandonne
jamais. Ma mort est leur volonte. Je n'ai
aucun ressentiment contre ce peuple ni
contre ces juges. lis vont vivre et je vais
mourir. Dieu sait seul lequel a le meilleur
sort d'eux ou de moi. »
10
XIV
Sa sentence portait qu'il boirait la cigue,
breuvage empoisonne qui donnait la mort
sous la forme du sommeil. La loi defendait
de mettre k mort aucun condamne josqu'au
retour d'une galere que les Atheniens en-
voyaient tons les ans a Tile de Delos porter
des tribus au temple d'Apollon Delien. So-
crate passa oes jours k s'entretenir avec ses
172 SOCRATE
amis. Nous allons donner maintenant le
dernier de ces jours et le dernier de ces
entretiens, conserv(^s par Platon dans le
dialogue dont nous fimes autrefois un
poeme.
LA MORT DE SOCRATE
POEME PHILOSOPHIQUE
Le soleil, se levant aux sommets de THymette,
Du temple de Th^s^e illuminait le falte,
£t, frappant de ses feux les murs du Parthenon,
Gomme un furtif adieu glissait dans la prison.
On voyait sur les mers une poupe dor^e,
An bruit des hymnes saints, voguer vers le Pir6e,
£t c*6tait ce vaisseau dont le fatal retour
I
SOCRATE 173
Devait aux condamn^s marquer leur dernier jour.
Mais la loi d^fendait qu'on leur 6Uit la vie
Tant que le doux soleil 6clairait Tlonie,
De peur que ses rayons, aux vivants destine,
Par des yeux sans regards ne fussent profane,
Ou que le malheureux, en fermant sa paupi^re,
N'eCkt k pleurer deux fois la vie et la lumi^re.
Ainsi Thomme, exil6 du champ de ses aleux,
Part avant que Taurore ait ^clair^ les cieux.
Attendant le r^veil du ills de Sophronique, •
Quelques amis en deuil erraient sousle portique;
Et sa femme, portant son ills sur ses genoux,
Tendre enfant dont la main joue ayec les verrous,
Accusant la lenteur des ge61iers insensibles,
Frappait du front Tairain des portes inflexibles.
La foule inattentive au cri de ses douleurs
Demandait en passant le sujet de ses pleurs,
Et reprenant bient6t sa course suspendue,
Et dans les longs parvis par groupes r^pandue,
10.
ilh SOCRATE
Recueiflait oes vains ImhUb dam le paiple aen^
Parlait d'autela dtooits et des dieux bUuspMrn^
Et d'un culte noineau corrompant la jeimesse,
Et de ce Dim sans nom, stranger dans la Gr^oe.
G'^tait queiqae insensi, quelqne raonstre odieux,
Quelque noavel Oreste aYeogi^ paries diem,
Qu'atteignait & la fin la tardire jastice
Et que la terre an del dcYait en sacrifice.
Socrate ! et c^^ait toi qni, dans les fen jeU,
Mourais pour la justice et pour la Y6rit6 1
Enfin de la prison les gonds broyants ronl^r»it.
A pas lents, reeil baiss^, les amis 8*6coQtei«nt
Mais Socrate, jetant \m regard sur les flots
Et leur montrant dn doigt la loile Yets D6!ob :
« Regardez snr les mers cette ponpe flenrie;
G'est le yaissean sacr6, Phenreuse Tbterie !
Saluons-la, dit-il : cette voile est la moit 1
Mon dme, aussitM qn^elle, entrera dans le port
Et cependant parlez ; ^ qae oe joar soprtoe,
SOCRATE 17$
Dans noB doax eniretiens, s^^coale encor de mftme I
Ne jetons point aux vents les restes dn festin:
Des dons saerto des dieoi nsons jnsqo'k la fin.
L'heureux vaissean qai toache an tenne du voyage
Ne SQspeDd pai sa course k Taspect dn rivage ;
Mais, cour(mii6 de fleurs, et les voiles anx vents,
Dans le port qai Fappeile il entre avec des chants.
» Les pontes ont dit qu'avant sa derni^re heure
En sons hannonieax le doux cygne se plenre :
Amis, n'en croyez rien! Toiseau m^lodienx
D'un plus sublime instinct fdt dou^ par les dieux.
Du riant Eurotas pr^s de quitter la rive,
L'^me, de ce bean corps k demi fngitive,
S'avan9ant pas k pas Ters nn monde enchants,
Voit poindre le jour pur de rimmortalit^,
Et, dans la douce extase fnik ce regard la noie,
Sur la terre en moarant elle exhale sa joie.
Vous qui pris du tombeau venez pour m^^cout^,
Je suis un cygne aussi ; je meurs, je puis chanter 1 »
176 SOGRATE
Sous la \oikit, k ces mots, des sanglots ^clat^rent.
D'un cercle plus ^troit ses amis Tentour^rent :
« Puisque tu vas mourir, ami trop t6t quitt^,
Parle-nous d*esp6rance et d'immortalit^I
— Je le veux bien, dit-il ; mais ^loignons les femmes,
Leurs soupirs 6touff6s amolliraient nos Ames.
Or iliaut, d^daignant les terreurs du lambeau,
Entrer d*un pas hardi dans un monde nouveau !
» Yous le savez, amis : souvent, d^s ma jeunesse,
Un g^nie inconnu m'inspira la sagesse
£t du monde futur me d^couvrit les lois.
, £tait-ce quelque dieu cach^ dans une voix ?
Une ombre m'embrassant d'une amiti6 secrete ?
L'^choderavenir?la muse du po^te?
Je ne sais; mais Tesprit qui me parlait tout bas,
Depuis que de ma fin je m'approche k grands pas,
En accents mieux compris me parle, me console ;
Je reconnais plus t6t sa divine parole,
Soit qu*un coeur affranchi du tumulte des sens
SOCRATE 17
Avec plus de Bilence ^ooute ses accents ;
Soit que, comme Foiseau, Tinvisible g^nie
Redouble vers le soir sa touchante harmonie ;
Soit plul6t qu'oubliant le jour qui va finir,
Mon &me, suspendue aux bords de Tavenir,
Distingue mieux le son qui part d'un autre monde,
Gomme le nautonnier, le soir, errant sur Tonde,
A mesure qu'il vogue et s*approche du bord,
Distingue mieux la voix qui sMl^ve du port.
Get invisible ami jamais ne m'abandonne,
Toujours de son accent mon oreille r^sonne,
Et sa voix dans ma voix parle seule aujourd'hui.
Amis, ^coutez done \ ce n'est plus moi, c'est lui !... »
Le front calme et serein, Toeil rayonnant d'espoir,
Socrate k ses amis fit signe de s'asseoir.
A ce signe muet, soudain ils ob^irent,
Et sur les bords du lit en silence ils s'assirent.
Symnias abaissait son manteau sur ses yeux ;
Griton d'un oeil pensif interrogeait les cieux;
178 SOGRATE
G^b^s penchait k teire on front in6laiicoiiqiie ;
Anaxagore, arm6 d*an rire sardonique,
Semblait, dn philosophe enviant rheoreux sort,
Hire de la fortune et d6fier la mort;
Et, le dos appay^ sur la porte de bronze,
Les bras entrelac^, le serviteor des Ooze,
De doute et de pitM tour k tour combatta,
Murmurait sourdement : « Que M sert sa yerto f »
Mais PhMon, regrettant Tami plus qne le sage,
Sous ses chevenx ^pars yoilant son beau Tisage,
Plus pr^s du lit ftin^bre au pied du mattre assis,
Sur ses genoQx pli^s se penchait somme un fils,
Levait ses yeux vollds sur Tami qull adore,
Rougissait de pleurer, et le pleurait encore.
Du sage, cependairt, la terreslre doulew
N'osait point alt«rer les traits ni la coulcur;
Son regard ^Iev6 loin de nous semblait lire;
Sa bouche, ot reposalt son gracieux sourire,
Toute prftte k parler s'entr'ouyrait k derai ;
Son oreille 6contait son invisible ami ;
SOCRATE 179
Ses cheveuz, efflenr^s da souffle de rautomoe,
Dessinaient sar sa t^te une p4le couronne,
Et, de l*air matinal par moments agiUs,
R^pandaient sar son front des reflets argents
Mais, k travers ce front oti son Ame est trac6e,
On voyait rayonner sa sublime pens^,
Gomme k travers TalMtre et Fairain transparenta
La lampe, sur Tautel jetant ses feux mourants,
Par son ^lat voM se trahissant encore,
D*un reflet lumineux les frappe et les corole.
Gomme Foeil sur les mers suit la voile qui part,
Sur ce front solennel attachant leur regard,
A ses yeux suspendus, ne respirant qu'k peine,
Ses amis attentifs retenaient leur haleine :
Leurs yen le contemplaient pour la dernifere fois.
lis allaient pour jamais emporter cette voix !
Gompie la vague s'ouvre au souffle errant d'fole,
Leur &me impatiente attendait sa parole.
Enfin dtt ciel sur eux son regard s'abaissa,
Et lui, comme autrefois, sourit, et comment :
m
180 SOCRATE
« Quoi ! vous pleurez amis ! vouspletirez quand mon &m<e,
Semblable au pur encens que la pr^tresse enflamme,
Affranchie k jamais du yil poids de son corps^ ':"
Va s'envoler aux dieux, et, dans de saints transports^
Saluant ce jour pur qu'elle entrevit peut-^trc,
Chercher la v^rit^, la voir et la connaitre I
Pourquol done vivons-nous, si ce n'est pour mourir '?
Pourquoi pour la justice ai-je voulu souffrir?
Pourquoi dans cette mort qu'on appelle la vie,
Gontre ses vils penchants luttant, quoique asservie,
Mon dme avec mes sens a-t-elle combattu?
.Sans la mort, mes amis, que serait la vertu?
G'est le prix du combat, la celeste couronne
Qu'aux bornes de la course un saint juge nous donne,
La voix m^me de Dieu qui nous rai^elle k Ixiu
Amis, b6nissons-la ! je Tentends aujourd'hui^
Je pouvais, de mes jours disputant quelque restes*
Me faire r^p^ter deux fois Tordre celeste :
Me pr^servent les dieux d'en prolonger le cours!
En esclave attentif, ils m'appellent, j'y cours I
SOCRATE 181
Et vous, si vous m'aimez, comme aux plus belles f^tes,
Amis, faites couler des parfums sur vos t^tes !
Suspendez une offrande aux murs de la prison ;
Et, le front couronn6 d'un verdoyant feston,
Ainsi qu'un jeune 6poux qu'une foule einpress6e,
Semant de chastes fleurs le seuil du gyn^c^e.
Vers le lit nuptial conduit aprfes le bain,
Dans les bras de la mort menez-moi par la main I
» Qu'est-ce done que mourlr? Briser ce nceud infame.
Get adultfere hymen de la terre avec TAme,
D'un vil poids, h la tombe, enfm se d^cliarger.
Mourir n'est pas mourir ; mes amis, c'est changer,
Tant qu'il vit, accabl6 sous le corps qui Tenchalne,
L'homme vers le vrai bien languissamment se tralne,
Et, par ses vils besoins dans sa course arr^t^.
Suit d'un pas chancelant ou perd la v^rit^.
Mais celui qui, touchant au terme qu'il implore,
Voit du jour ^tevnel ^tinceler Faurore,
Gomme un rayon du soir remontant dans les cieux,
11
■fti
182 SOGRATE
ExiM de leur sein, remonte au sein des dieux ;
Et, buvanl k longs traits le nectar qui Tenivre,
Du jour de son tr6pas il commence de vivre I
— Mais mourir c'est souffrir ; et souffrir est un maL
— Amis, qu'en savons-nous? Et quand Finstant fatal,
Gonsacr6 par le sang comme un grand sacrifice,
Pour ce corps immol6 serait un court supplice,
N'est-ce pas par un mal que tout bien est produit?
L'6t6 sort de Thiver, le jour sort de la nuit.
Dieu lui-m6me a nou6 cette 6ternelle chalhe ;
Nous fAmes k la vie enfant6s avec peine,
Et cet heureux tr^pas, des faibles redouts,
N'est qu'un enfantement k Timmortalit^.
» Cependant de la mort qui pent sonder Tabime ?
Les dieux ont mis leur doigt sur sa 16vre sublime :
Qui sait si dans ses mains, prates h la saisir,
L'Ame, incertaine, tombe avec peine ou plaisir ?
Pour moi qui vis encor, je ne sais, mais je pense
SOGRATE i%9
Qu'il est quelque mystfere au fond de ce silence ;
Que des dieux indulgents la s6v6re bont6
A jusque dans la mort cach^ la volupt^,
Oomme, en blessant nos coeurs de ses divines armes,
L' Amour cache souvent un plaisir sous des lannes. »
L'incr6dule C6bfes k ce discours sourit ;
<c Je le saurai bientdt, dit Socrale. U reprit :
« Oui, le premier salut de Thomme k la lumi^re,
Quand le rayon dor6 vient baiser sa paupi^re,
L'accent de ce qu'on aime k la lyre m61^,
Le parfum fugitif de la coupe exhal6,
La saveur du baiser quand de sa l^vre errante
L'amant cherche, la nuit, la l^vre de Tamante,
Sont moins doux k nos sens que le premier transport
De rhomme yertueux afi&anchi par la mort ;
Et pendant qu'ici-bas sa cendre est recueillie,
Emport6 par sa course, en fuyant il oublie
De dire m^me au monde un 6ternel adieu :
Ce monde 6vanoui disparalt devantDieuI... »
18/i SOCRATE
II se tut, et C6b6s rompit seul le silence :
« Me preservent les dieux d'offenser TEsp^rance,
Cette divinity qui, semblable h TAmour,
Un bandeau sur les yeux, nous conduit au vrai jour I
Mais puisque de ces bords comme elle tu t'envoles,
H61as I et que voil^ tes supr^mes paroles,
Pour m'instruire, 6 mon maitre et non pour faffliger,
Pennels-moi de r^pondre et de t'interroger. »
Socrate avec douceur inclina son Yisage,
Et G^b^s en ces mots interrogea le sage :
« L'toe, dis-tu, doit vivre au deli du tombeau.
Mais si r&me est pour nous la lueur d'un flambeau,
Quand la flamme a des sens consume la mati^re,
Quand le flambeau s'^teint, que devient la lumi^re
La ciart^, le flambeau, tout ensemble est d^truit,
Et tout rentre h la fois dans une m^me nuit.
Ou si rame est aux sens ce qu'est k cetle lyre
SOCRATE 186
L'harmonieux accord que notre main en tire,
Quand le temps ou les vers en ont us^ le bois,
Quand la corde rompue a cri^ sous nos doigts,
Et quand les nerfs brisks de la lyre expirante
Sont foul^s sous les pieds de la jeune bacchante,
Qu'est devenu le bruit de ces divins accords ?
Meurt-il avec la lyre? et Ttoe avec le corps?... »
Les sages h ces mots, pour sonder ce mystfere,
Baissant leurs fronts pensifs et regardant la terre,
Cherchaient une r^ponse et ne la Irouvaient pas,
Se parlant Tun k I'autre, ils murmuraient tout bas :
« Quand la lyre n'est plus, oil done est Tharmonie ? »
Et Socrate semblait attendre son genie.
Sur Tune de ses mains appuyant son menton,
L'autre se promenait sur le front de Ph6don,
Et, sur son cou d'ivoire errant h Taventure,
Garessait, en passant, sa blonde chevelure ;
Puis, d^tacliant du doigt un de ses longs rameaux
Qui pendaient jusqii'^ terre en flexibles anneaux,
186 SOGRATE
Faisait sur ses genoax flotter leurs molles oodes,
Ou dans ses doigts distraits roulait leurs tresses blondes.
Il parlait en jouant oomme un vieillard divin
Qui m^le la sagesse aux coupes d*un festin.
« Amis, r^me n'est pas Tincertaine lumi^re
Dont le flambeau des sens ici-bas nous ^claire,
Elle est Tceil immortel qui voit ce faible jour
Nallre, grandir, baisser, renaltre tour h tour,
Et qui sent hors de soi, sans en 6tre affaiblie,
P&lir et sMclipser ce flambeau de la vie :
Pareille k Tceil mortel qui dans Tobscurit^
Conserve le regard en perdant la clart6.
» L'ame n'est pas aux sens ce qu'est k cette lyre
L'harmoni^ux accord que notre main en tire :
Elle est le doigt divin qui seul la fait fr6mir,
L'oreille qui I'entend ou chanter ou g6mir,
L'auditeur attentif, I'invisible g^nie
Quijuge, enchalne, ordonne etr^gle rharmome,
Et qui des sons discords que rendent tous les sens
SOCRATE 187
Forme au plaisir des dieux des concerts ravissants I
En vain la lyre meurt el le son s'^vapore :
Sur ces debris muets Toreille ecoute encore.
Es-tu content, C^bfts? — Oui, j'en crois tes adieux,
Socrate est immortel I — Eh bien, parlons des dieux ! »
Et d^j^ le soleil 6tait sur les montagnes,
^t, rasant d'un rayon les flots et les campagnes,
Semblait, faisant au monde un magnifique adieu,
Aller se rajeunir au sein brillant de Dieu.
Les troupeaux descendaient des sommets du Taygfete;
L'ombre dorinait d^jh sur les flancs de THymette;
Le Githeron nageait dans un oc6an d^or ;
Le pfecheur matinal, sur Tonde errant encor,
Mod^rant prfes du bord sa course suspendue,
Repliait, en chantant, sa voile d6tendue ;
La fli^te dans les bois, et ces chants sur les mers,
Arrivaient jusqu'^ nous sur les soupirs des airs,
Et venaient se mfeler k nos sanglots funfebres,
Gomme un rayon du soir se fond dans les t^n^bres.
188 SOCRATE
« Hdtons-Dous, mes amis I void Fbeure du bain I
Eflclaves, versez Feau dans le vase d'airain !
Je veux oiTrir aux dieux une vlctime pure. »
II dit ; et se plongeant dans Fume qui murmure,
Gomme fait k Tautel le sacriflcateur,
II puisa dans ses mains le Clot lib^rateur,
Et, le versant trois fois sur son front quMl inonde,
Trois fois sur sa poitrine en fit ruisseler Tonde ;
Puis, d'un voile de pourpre en essuyant les flota,
Parfuma ses cheveux el reprit en ces mots :
« Nous oublions le dieu pour adorer ses traces !
Me preserve Apollon de blasphemer les Graces,
H6b6 versant la vie aux celestes lambris,
Le carquois de TAmour, ni I'^cbarpe d'Iris,
Ni surtout de Venus la brillante ceinture
Qui d'un nceud sympathique enchalne la nature,
Ni reternel Saturne ou le grand Jupiter,
Ni tons ces dieux du ciel, de la terre et de Pair 1
Tons ces toes peuplant TOlympe ou I'Elysfee
Sont rimage de Dieu par nous divinis^e,
SOCRATE 189
Des lettres de son nom sur la nature 6crit,
Une ombre que ce Dieu jelte sur notre esprit !
A ce titre divin ma raison les adore,
Gomme nous saluons le soleil dans Taurore,
Et peut-Atre qu'enfin tous ces dieux inventus,
Get enfer et ce ciel par la lyre chanl6s,
]Ne sont pas seulement un songe du g^nie,
Mais les brillants degr^s de T^chelle infinie
Qui, des 6tres sem6s dans ce vaste univers,
S6pare et r^unit tous les astres divers.
» Peut-^tre qu'en effet, dans Timmense 6tendue,
Dans tout ce qui se meut une &me est r^pandue ;
Que ces astres brillants sur nos t^tes sem^s
Sont des soleils brillants et des feux animus ;
Que roc6an frappant sa rive 6pouvant6e,
Ayec ses flots grondants roule une dme irritiie ;
Que notre air embaum6, volant dans un ciel pur,
Est un esprit flottant sur desailes d'azur ;
Que le jour est un ceil qui r^pand le lumi^re ;
190 SOGRATE
La nuit, une beauts qui voile sa paupi^re :
Et qu'eniin dans te ciel, sur la terre, en tout lieu,
Tout est intelligent, tout yit, tout est un dieu I
» Mais, croyez-en, amis, ma voix prfete k s'^teindre,
Par delA tous ces dieux que notre oeil pent atteindre,
U est sous la nature, il est au fond des cieux
Quelque chose d'obscur et de myst^rieux
Que la n^cessit^, que la raison proclame,
Et que voit seulement la foi, cet oeil de Tdmet
Gontemporain des jours et de r^ternit6 1
Grand comme rinfini, seul comme funit^ 1
Impossible k nommer, h nos sens impalpable 1
Son premier attribut, c'est d'etre inconcevablel
Dans les lieux,dans les temps,hier, demain, aujourd^hni,
Descendons, remontons, nous arrivons h lui)
Toutce que vous voyez estsa toute-puissance.
Tout ce que nous pensonsest sa sublime essence!
Force, amour, v^rit^, cr^ateur de tout bien,
C'est le Dieu de vos dieux ! c>st le seul 1 c'est le mien I . . . »
SOGRATE 191
II parlait ; mais un bruit retentit sous la vodte.
Le sage interrompu tranquillement 4coute.
£t nous vers Toccident nous tournons tous les yeux :
H61as I c'6tait le jour qui s'enfuyait des cieux !
En d6tournant les yeux, le serviteur des Onze
Lui tendait le poison dans la coupe de bronze.
Socrate la regut d'un front toujours serein,
Et, comme un don sacr6, relevant dans sa main,
Sans suspendre un moment la phrase commenc^e,
Avant de la vider acheva sa pens6e.
Sur les flancs arrondis du vase au large bord,
Qui jamais de son sein ne versait que la mort,
L'artiste avait fondu sous un souffle de flamme
L'histoire de Pisych6, ce symhole de I'clme ;
Et, symbole plus doux de Timmortalit^,
Un l^ger papillon en ivoire sculpts,
191 SOCRATE
Plongeant sa trompe avide en ces ondes mortelles,
Formait Tanse du vase en d^ployant ses ailes.
Psyche, par ses parents d6vou6e k TAmour,
Quittant avant I'aurore un superbe s^jour,
D'une pompe funfebre allait environn^e
Tenter comme la mort ce divin hym6n6e ;
Puis seule, assise, en pleurs, le front sur ses genoux,
Dans un desert afTreux attendait son ^poux.
Mais, sensible k ses maux, le volage Z^phire,
Gomme un d6sir divin que le ciel nous inspire,
Essuyant d'un soupir les larmes de ses yeux,
Dormante, sur son sein Tenlevait dans les cieux.
On voyait son beau front pench^ sur son ^paule
Livrer ses longs cheveux aux doux baisers d'tole,
£t Z^pkir, succombant sous son chaimant fardeau,
Lui former de ses bras un amoureux berceau,
Efileurer ses longs oils de sa brtklante haleine
Et, jaloux de TAraour, la lui rendre avec peine.
SOCRATE 193
Ici, le tendre Amour, sur des roses couch^,
Pressait entre ses bras la tremblante Psyche,
Qui, d'un secret effroi ne pouvant se d^fendre,
Recevaitses baisers sans oser les lui rendre;
Gar le celeste 6poux, trompant son tendre amour,
Toujours du lit sacr6 fuyaitavec le jour.
Plus loin, par le d^sir en secret 6veill6e,
Et du voile nocturne k demi d6pouill6e,
Sa lampe d'une main et de Fautre un poignard,
Psych6, risquant Tamour, h61as I centre un regard,
De son 6poux qui dort tremblant d'etre entendue,
Se penchait vers le lit, sur un pied suspendue,
Reconnaissait TAmour, jetait un cri soudain,
Et Ton voyait trembler la lampe dans sa main.
Mais de Thuile briilante une goutte 6panch6e,
S'6chappant par malbeur de la lampe pench^e,
Tombait sur le sein nu de Tamant endormi.
L' Amour impatient, s'^veillant k demi,
194 SOGRATE
Gontemplait tour k tour cepoignard, cette goutte,
Et fuyait indign^ vers la celeste voClte :
Embl^me mena^ant des d^sirs indiscrets
Qui profanent les dieux, pour les voir de trop prte!
La vierge cette fois crrante sur la terre
Pleurait son jeune amant, et non plus sa mis^re.
Mais TAmour h la fin, de ses larmes touch6,
Pardonnait k sa faute, et Theureuse Psycb^
Par son c61este ^poux dans roiympe ravie,
Sur les l^vres du dieu buvant des ilots de vie,
S'avangait dans le ciel avec timidity ;
Et Ton voyait V^us sourire k sa beauts.
Ainsi par la yertu P&me divinis^e
Revient, ^aleaux dieux, r^ner dans r^lys^l
Mais Socrate ^levant sa coupe dans ses mains :
u OiTrons, offrons d'abord aux maitres des humains
De rimmortalit6 cette heureuse pr6mice 1 »
II dit ; et vers la terre inclinant le calice,
SOGRATE 195
Gomme pour ^pargoer un nectar pr^ieux.
En versa seulement deux gouttes pour les dieux,
Et, de sa I^vre avide approchant le breuvage,
Le vida lentement sans changer de visage,
Gonime un convive avant de sortir d'un festin,
Qui de sa coupe d'or verse un reste de vin,
Et, pour mieux savourer le dernier jus qu'il goiite,
LMncline lentement et le bois goutte k goutte.
Puis, sur son lit de mort doucement 6tendu,
II reprit aussit6t son discours suspendu :
« Esp^rons dans les dieux, et croyons-en notre ftmel
De Tamour dans nos coeurs alimentons la flamme I
L'amour est le lien des dieux et des mortels ;
La crainte ou la douleur profane leurs autels.
Quand vient Theureux signal de notre d^Iivrance,
Amis, prenons vers eux le vol de Tesp^rance !
Point de fun^bre adieu t point de cris t point de pleurs t
On couronne ici-bas la victime de fleurs :
ue de joie et d'amour notre kaxe couronn^e
196 SOGRATE
S'avance au-devant d'eux, comme k son hym^n^el
Ge 8ont 1^ les festons, les parfums pr^cieux,
Les voix, les instruments, les chants m^lodieux,
Dont r&me, convoqu6e k ce banquet supreme,
Avant d'aller aux dieux, doit s'enchanter soi-m^e !
» Relevez done ces fronts que reffroi fait p41ir !
Ne me demandez plus s'il faut m'ensevelir ;
Sur ce corps, qui fut moi, quelle huile on doit r^pandre;
Dans quellieu,dans quelle urne 11 fautgarder ma cendre,
Qu'imporle k vous, k moi, que cevil v^tement
De la flamme ou des vers devienne Taliment?
Qu'une froide poussi^re k moi jadisunie
Soit balay^e aux Hots ou bien aux g^monies ?
Ce corps vil, compost des ^Itoents divers,
Ne sera pas plus moi qu'une vague des mers,
Qu'une feuille des bois que Taquilon promfene,
Qu'un atome flottant qui fut argile humaine.
Que le feu du biicher dans les airs exhale,
Ou le sable mouvant de vos chemins foul^ I
SOCRATE 197
» Mais je laisse en partant k cette terre ingrate
Un plus noble debris de ce que fiit Socrate :
Mon g^nie k Platon I k vous tous mes vertus I
Mon kme au justes dieux I ma vie k M 61itus,
Gomme au chien d6vorant qui sur le seuil aboie.
En quittant le festin, on jette aussi sa proie!... »
Tel qu'un triste soupir de la rame et des flols
Se m^le sur les mers aux chants des matelots,
Pendant cet entretien une funfebre plainle
Accompagnait sa voix sur le seuil de Pence inte.
H^las ! c'^tait Myrtho demandant son 6poux,
Que rheure des adieux ramenait parmi nous !
L'^arement troublait sa d-marche incertaine,
Et, suspendus aux plis de sa robe qui traine,
Deux enfants, les pieds nus, marchant k ses c6t(^s,
Suivaient en chacelant ses pas pr^cipit^s.
Avec ses longs cheveux elle essuyait ses larmes ;
Mais leur trace profonde avait fl^tri ses charmes,
Et la mort sur ses traits r^pandait sa pAleur.
198 SOGRATE
On edt dit qu'en passant rimpuissante douieur,
Ne pouvant de Socrate atteindre la grandeftme,
Avait respect6 1'homme et profane la femme.
De terreur et d'amour saisie h son aspect,
Elle pleurait sur lui dans nn tendre respect.
Telle, aux f6tes du dieu pleura par CytMr^e,
Sur le corps d' Adonis la bacchante 6plor^e,
Partageant de V6nus les divines douleurs,
R^chaufTe tendrement le marbre de ses pleurs,
De sa bouche muette avec respect Teffleure,
Et paralt adorer le beau dieu qu'elle pleure.
Socrate, en recevant ses enfants dans ses bras,
Baisa sa joue humide et lui parla tout bas.
Nous vlmes une larme, et ce fut la dernifere,
Sous ses cils abaiss^s rouler dans sa paupi^re.
Puis, d'un bras d^faillant ofTrant ses fils aux dieux :
« Je fus leur p6re ici, vous T^tes dans les cieux I
Je meurs, mais vous vivez I Veillez sur leur enfancel
Je les l^gue, 6 dieux bons, k votre providence I... »
^ Mrfll
J
SOGRATE 199
Mais d^jk le poison dans ses veines vers^
Enchalnait dans son cours le flot du sang glac6.
On voyait vers le coeur, comme une onde tarie,
Remonter pas ^ pas la chaleur et la vie,
Et ses membres roidis, sans force et sans couleur,
Du marbre de Pares imitai^t la p&leur.
£n vain PhMon, pencli6 sur ses pieds quUl embrasse^
Sous sa briilante haleine en r6chauiTait la glace ;
Son front,ses mains,ses pieds se gla^aient sous nos doigts*
II ne nous restait plus que son &me et sa voix :
Semblable au bloc divin d'oii sortit Galat^e
Quand une dme immortelle k TOlympe emprunt^e.
Descendant dans le marbre k la voix d'un amant,
Fait palpiter son coeur d'un premier sentiment,
Et qu'ouvrant sa paupi^re au jour qui vient d'6clore,
Elle n'est plus un marbre, et n'est pas femme encore.
£tait-Ge de la mort la p41e majesty
Ou le premier rayon de Timmortalit^?
Mais son front rayonnant d'une beaut6 sublime
200 SOGRATE
Brillait comme Taurore aux sommets de Didyme,
Et nos yeux qui cherchaient k saisir son adieu,
Se d^tournaient de crainte et croyaient voir un dieu !
Ouelquefois, Toeil au del, il rftvait en silence ;
Puis, d^roulant les flots de sa sainte Eloquence,
Comme un homme enivr^ du doux jus du raisin
Brisant cent fois ie fil de ses discours sans fin,
Ou comme Orph^e errant dans les demeures sombres,
En mots entrecoup6s il parlait ^ des ombres.
« Courbez-vous, disait-il, cyprfes d'Acadtous!
Courbez-vous, et pleurez ; vous ne le verrez plus !
Que la vague, en frappant le marbre du Pir^e,
Jette avec son 6cume une voix 6plor6e 1
Les dieux Font rappeW I ne le savez-vous pas?
Mais ses amis en deuil, ou portent-ils leurs pas I
Voil^ Platon, C6bfes, ses enfants et sa femme 1
Voil^ son Cher Ph6don, cet enfant de son dme I
lis vont d'un pas furtif, aux lueurs de Pliceb^,
Pleurer sur un cercueil aux regards d6rob6.
M«i
SOCRATE 201
Et, pencli6s sur mon urne, ils paraissent attendre
Que la voix qu'ils aimaient sorte encore de ma cendre.
Oui, je vais vous parler, amis, comme autrefois,
Quand, pench^s sur mon lit, vous aspiriez ma voix !
Mais que ce temps est loin I et qu'une courte absence
Entre eux et moi, grands dieux, a jet6 de distance I
Vous qui cherchez si loin la trace de mes pas,
Lcvez lesyeux, voyez I... lis ne m'entendent pas 1
Pourquoi ce deuil ?pourquoi cespleurs dont tu t'inondes?
fipargnesau moins,Myrto,teslongues tresses blondes (1);
Tournes vers moi tes yeux de larmes essuy^s I
Myrto, Platon. C^b^s, amis !... si vous saviezl
» Oracles, taisez-vous I tombez, voix du Portique I
Fuyez, vaines lueurs de la sagesse antique I
Nuages color^s d'une vaine clart6,
£vanouissez-vous devant la v6rit6 1
D'un inefifable hymen je la vois pr6s d'^clore ;
(!) Socrate eut deux femmes, Xanlippe ct Myrto.
204 SOCRATE .
Jusqu'au bord du tr^pas Tinterrogeait encore :
« Dors-tu ? lui disait-il La mort, est-ce un sommeil ? »
U recueillil sa force, et dit : « C'est un r^veil !
— Ton ceil est-il voil6 par des ombres funfebres ?
— Non ; je vols un jour pur poindre dans les t6n6bres !
— N'entends-tu pas des cris, des gemissements ? — Non ;
J'entends des astres d'or qui munnurent un nom !
— Que sens-tu? — Ce que sent la jeune chrysalide
Quand, livrant k la terre une d^poullle aride,
Aux rayons de Taurore ouvrant ses faibles yeux.
Le souffle du matin la roule dans les cieux.
— ^Ne nouslrompais-tu pas? r^ponds : L'Ame 6tait-elle...?
— Croyez-en ce sourire, elle 6tait immortelle !...
— De ce monde imparfait qu'attends-ti^i pour sortir ?
— J'attends, comme la nef, un souffle pour partir.
— D'od viendra-t-il ? — Du ciel I — Encore une parole I
— Non ; laisse en paix mon ftme, afin qu'elle s'envole l»
11 dit, ferma les yeux pour la demi^re fois.
II resta quelque temps sans haieine et sans voix.
Un faux rayon de vie, errant par intervalle,
SOCRATE *i05
D'une pourpre mourante 6clairait son front pale.
Ainsi, dans un soir pur de Tarrifere-saison,
Quand d^^ le soleil a quitt6 Thorizon,
Un rayon oubli6 des ombres se d^gage
Et colore en passant les flancs d'or d'un nuage.
Enfin plus librement il semble respirer,
Et, laissant sur ses traits son doux sourir errer,
« Aux dieux lib^rateurs, dit-il, qu'on sacrifie I
lis m'ont gu6ri ! — De quoi? dit C^b6s. — De la vie !...»
Puis un 16ger soupir de ses l^vres coula,
Aussi doux que le vol d'une abeille d'llybla,
£tait-ce...?Je ne sais ; mais, pleins d'un saint dictame,
Nous sentlmes en nous comme une seconde &me!...
Gomme un lis sur les eaux et que la rame incline,
Sa t^te mollemenl penchait sur sa poitrine;
Ses longs cils que la mort n'a ferm^s qu'^ demi,
Retombant en repos sur son ceil endormi,
12
206 SOGRATE
Semblaient comme autrefois, sous leur ombre abaias^e,
Recueillir le silence ou voiler la pens^e ;
La parole surprise en son dernier essor
Sur sa 16vre entr'ouverte, h^las I errait encor,
Et ses traits, oil la vie a perdu son empire,
£taient conune frapp^s d'un ^ternel sourire I
Sa main, qui conservait son geste habituel,
De son doigt ^tendu montrait encore le ciel ;
Et quand le doux regard de la naissante aurore,
Dissipant par degr^s les ombres qu'il colore,
Gomme un phare allum^ sur un sommetlointain,
Vint dorer son front mort des ombres du matin.
On eti dit que V6nus, d'un deuil divin suivie,
Venait pleurer encor sur son amant sans vie ;
Que la triste Phceb^ de son pAle rayon
Garessait, dans la nuit, le sein d'Endymion ;
Ou que du haut du ciel Vkme heureuse du sage
Revenait contemplerle terrestre rivage,
Et, visitant de loin le corps qu'elle a quitt6,
R6fl6chissait sur lui T^clat de sa beauts,
SOCRATE 207
Gona&e un astre berc6 dans un del sans nuage
Aime k voir dans les flots briller sa chaste image.
Onn'entendait autoar ni plainte ni soupir.. .
G'est ainsiqu'il mourut, si c'6tait Ik mourir \
Ainsi, en effet, mourut Socrate.
« Tous ceux, dit Xenophon, cjui ont
connu Socrate le regrettent encore, parce
qu'ils trouvaient en lui les plus grands se-
cours pour la recherche de la vertu. Je Tai
Men connu, je Tai depeint tel que je Tai vu :
si pleux, qu'il n'osait rien entreprendre sans
avoir interroger sa conscience, qu'il appelait
son genie, Tavis du ciel; si juste, qu'il ne
s'est jamais permis de faire le moindre tort
208 SOCRATE
k personne , et qu'il faisait du bien a tous
ceux qui allaient klui; si temperant, qu'il
pr6ferait toujours ce qui etait le'plus hou-
nete k ce qui etait le plus agreable ; si in-
faillible en prudence qu'il ne se trompait
jamais entre le bon et le mauvais parti.
Tel en verite m'a paru Socrate, c'est-a-dire
le meilleur et par la meme le plus heureux
des mortels. »
I
XVI
Quant a nous, tout en admirant avecXeno-
phon la sagesse du philosophe de la Grece,
nous ne pouvons nous empecher de lui prefe-
rer mille fois les sagesses plus divines de Tln-
de, de la Chine, et surtout de la revelation
chretienne. La sagesse de Socrate n'est qu'in-
telligence, elle n'est pas assez amour. Elie
pense bien, elle ne se devoue pas assez. Le
d2.
210 SOGRATE
sacrifice, ce complement de toute vertu et ce
prix de toute verite, lui manque, malgre le
supplice tout politique et nuUemen treligieux
de Socrate. II est sage, il n'est pas martyr ; il
s'accommode avec lesjinceurs, les croyances,
les vices meme decents de son epoque et
de son pays. II donne des conseils tres-spiri-
tuels et tres-habiles de vertu k ceux qui lui
en demandent, mais il] en donne de vices
aussi aux jeunes gens et aux courtisanes.
II croit en un Dieu unique, intelligence et
providence des mondes, et il adore en pu-
blic des divinit6s chamelles et multiple
formees k Timage^de Thomme. II meurt
bien, mais il meurt pour lui-meme autant
que pour la verite. Sa mort meme est una
SOGRATE 211
bonne fortune de sa destin^e, qu'il saisit
en homme de souveraine intelligence.
« Je suis vieux , dit-il k Xenophon , je
n'aurais plus qu'i dechoir dans mes sens et
dans mon esprit, c'est Theure de mourir k
propos. »
Socrate temoigne pen de tendresse pour le
genre humain, meme pour sa femme et po ur
ses enfants ; toujours homme d'esprit plu s
qu'homme de devouement a ses sembla-
bles. Ses entretiens quelques sublimes qu'ils
soient par moments, attestent ce defaut de
divine charite dans sa nature et dans sa sa--
gesse. II raille quelquefois, il semoque soi>*
vent, il plaisante toujours. L'ironie, qui
rend la verite meme offensante, est la forme
212 SOGAATE
perp6tuelle de ses dialogues ; il precede par
interrogation captieuses, comme pour for-
cer son interlocuteur a se couper ; il le mene
de d6tour en detour en lui cachant avec art
le but oil il veut le conduire. II prend a la
fin son antagoniste par ses propres aveux,
comme on prendrait une verite au piege.
II est constamment epilogueur, presque ja-
mais lyrique. Platon, son divin disciple, lui
a mis des ailes; sans cela iL ramperait
souvent terre a terre.
De tout ceci nous concluons que Socrate
ne fut ni le plus sage, ni le plus vertueux,
ni le plus religieux surtout des philosophes
de I'antiquite mais qu'il fut le plus spirituel
et le plus aimable des honnetes gens d'A-
i
SOCRATE 213
thenes ; qu'il sut bien penser, bien parler,
bien mourir, mais qu'il sut aussi bien vivre,
et qu'en un mot, il y eut selon nous, trop
de prudence dans sa sagesse et trop d'ha-
bilete dans sa vertu.
La Charite n'etait pas nee dans le monde.
FIN DE SOCRATE
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Femmes. Seen, de la Vie de Bobeme.
Propos de ville et propos de th^tra. Seen,
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Aai^dee'Pirbat. PoStes ampuranx.
Bk Plouvier. Dernieres Amours.
Bdirard Pee {Trad, Baudelaire).
Hist, exlraontinaires. ^Jouv. List.exlraor-
diuHires. Aventnres d'A. Gordon-Pym.
F. Paaaard. Etudes antiques.
A. de Paatatariia. Cont. et r^lonv.
Mem. d'un Aotaire. Fin dn Proces. Con-
tes d'un Plant, de cboux. Pourq. je reste
a la Campagne. Ur et Clinquant.
Voyag.Coq dn Cloctier. Indnst.en V.
Jer6me Paturoi, Pa«ition sociile.
Palnrot, Republique. Ce qii'on pe
dans uneRue.ComtessedeMauier
reboors. Vie de Corsaire. Vie <le I'
A. Ballaad. Martyrs da Foy-
Tb^eEa Raaaat.Com&lie u'e
J. de Malat-Fcliz. Scenes .
de Gentilhomme.
J. Saadeaa. Sacs at Parebemioi
velles. Cutberine.
6. Plaad. Ill-toira da ma Vie, IOt
{irat. Valentine. Indiana. Jeaniii\ .V
>iable. Petite Fadette.Francoi» !e< I
Taveriuo. Consuelo, 3 v. Comt. :
doI.-<t8dt, 2 V. Andri.IIorsre.Jaoqiie^.
2 V. Lucreua Fioriani. Pecbe'de H
toine, 2 v. Lettras d'un VoyageLir.
nicir d'Angibanlt. Pitrinino, 2 v. £
Derniere Aldini. Secretaire intinie.
B. 9cribe. TbeAtre, 20 v. Nou
nintoriet. et Prov. Piquillo Allinf^,
Alb. Saraad. A quoi tient I'Arro
Fr. PUialie. M6m. do Diable, 2 «.
Cadavres. (^uatre Sceor*. CodT. pi
2 V. An Jonr le Jour. Marguerite.
tre d'ecola. Bananier. EuTalie 1'
Si Jeun. savaiL.. si Viaili. puii*a:i
Hnit jours an CUtaan. 'loneeiller i
Malheur complaL Magneti$ear. Lj
Port de Crileil. Cumt. de Monrior
Seruas. Etea Meudon. Drame* iac.'i
laison n* 3 de la r.da Provence. A<
Cadet de Famille. Amours de B ::■
Olivier Dnharoel. Chit, des Pvrere^
Rftve d*Amuur. Diane et Louise. ^
Ann. Cont. pour lesentants. i^iuat-^
^atbantel. Cumte de Toulouse. V)
de Besiers. Satumin Ficbet, 2 v.
WL Mauveelra. Pfailos. soiu ie*
Coafess.d'onUnvrier.Coindu Fea.j
de la Vie in time. Chron. de !a
Clairiiraa. ScAn. da CbooaDneria.
la Prairie. Darn. Paysans. Ea \i\
taine. Scin. at R&its des A I pes. i
d'Eao. Soirtet de Meudon. Ecld
Femmes. Souv. d'an Vieillard. iv>!
Filets. Cunt4s et Noon Fuyer bre:<y
Pern. Bretons, 2 w, Ange^ ia '
Sur la Peloase. Ricbe et Paavr«. <
de Jennesae. Reprouveb et Elo:i, 2
Famille. Pierre et Jean. Deux II
Pendant la Moisson. Bord do Lbc^
me.-> Parisians. Sons las umbrag^^
cocsgne. Memorial de Famille. Su t
Bab-Breton, 2 v. L'Homme et I'j
Monde ^el qu'il sera. Histoires o'ou*
SuiiK la tonnella. Theitre d« la Je
Maria flauvreatra. Paul Ferrc
auit de VangtaU.
B. Siaabaa. Scioaa de 1« Vie j
Alsaca.
Be SCcadhal. L*Amoar. R<k
Nnir. Chartreuse de Parma. Pronei
Roma, 2. y. Chroniq. italienr.?^.
d'nn toiiri!;te, 2 v. Vie de Ro»$iri
Mw B.%ltawa (Trod, forcaiie
venirs heurenx, 8 v.
B. SaS. Sept Ptebte capitaux :
gr)eil,2v.L'£avie,Colere,2 V. lui-
res^e, 2 v. Avarice, (lt>urmaDdt>e. \
et €iilberte, 3 v. Adela Varneuii. (J
Dame. Clemanee Rervi.
B. Tesler. Amour et Finance.
I<. t:ibacb. Secrets do UiaOie.
O. de ¥allee. Manianrs d^arfttf
A. Tarqnerie. Pru6!s et Gni.iai
M. ¥alrey. Martba da Mootbrai
les sans Dot.
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