Skip to main content

Full text of "Hétérogénie; ou, Traité de la génération spontanee, basé sur de nouvelles expériences"

See other formats


Spontaneous  Génération.  —  J\fM.  Joly  and  Ch. 
Musset,  who  hâve  hitherto  sidecl  with  M.  Pouchet  in  his 
endeavours  to  prove  that  the  lower  kinds  of  organism 
may  be  produced  without  the  intervention  of  any 
ancestor,  hâve  just  made  a  new  communication  on  the 
subject  to  the  Academy  of  Sciences,  in  support  of  this 
view.  Their  observations  hâve  this  time  been  directed 
to  hen's  eggs  in  a  state  of  spontaneous  décomposition. 
A  pellicle,  solely  composed  of  the  granules  of  the  yollc, 
was  f ormed  in  the  first  instance  after  the  lapse  of  twelve 
hours.  This  was  succeeded  by  a  living  population,  con- 
sisting  of  Monas  capusculum  and  Bacterium  ternio, 
which  were  seen  traversing  the  slides  of  the  microscope 
in  aU  directions.  This  population  increased  for  some 
days  to  an  incredible  extent  ;  ifc  then  died  off,  and  its 
remains,  after  lying  heaped  up  for  some  time,  were  at 
last  covered  with  a  membrane  dotted  with  little  spherical 
grains  or  spontaneous  eggs,  according  to  M.  Pouchet, 
which  in  their  turn  produced  the  Kolpoda  Gucullus, 
which,  after  remaining  for  some  time  imprisoned  on  ail 
sides  by  the  membrane,  at  length  began  to  rotate  slowly 
like  the  embryos  of  certain  mollusks,  and  then,  extri- 
cating  themselves  from  the  mass  in  which  they  had  been 
generated,  fairly  appeared  under  their  characteristic 
forms  and  with  their  usual  motions.  The  proliférons 
pellicle  which  covered  the  surface  of  the  liquid  being 
duly  removed,  the  mass  of  yolky  grains  under  experi- 
ment  was  gradually  exhausted,  the  same  phenomena 
being  each  time  visible.  Hence  MM.  Joly  and  Ch. 
Musset  are  of  opinion  that  it  is  thèse  grains  which  are 
transformed  without  any  extraneous  agency  into 
Monades  and  Bacteria,  and  subsequently  into  Kolpoda. 
Milk,  calves'  liver,  pounded  linseed,  potato  fecula,  and 
yeast,  mixed  with  pure  distilled  water,  hâve  produced 
similar  efFects. 


HÉTÉROGÉNIE 


OU 


TRAITE  DE  LA  GENERATION  SPONTANÉE 


^ 

'^ 


OUVRAGES  DE  L'AUTEUR 

QUE    l'on    trouve    A    LA    MÊME    LIBRAIRIE  I 


Théorie  positive  de  l'oTulation  spontanée  et  de  la  fécondation 
dans  l'espèce  humaine  et  les  mammifères,  basée  sm^  l'observation  de 
toute  la  série  animale  ,  par  le  docteur  F.  A.  Pouchet.  Ouvrage  qui  a 
obtenu  le  grand  prix  de  physiologie  à  l'Institut  de  France.  Paris , 
1847,  1  vol.  in-S  de  500  pages,  avec  atlas  in-4  de  20  planches,  renfer- 
mant 250  figures  dessinées  d'après  nature,  gravées  et  coloriées.      36  fr. 

Dans  son  rapport  à  l'Académie,  en  1845,  la  commission  s'exprimait  ainsi  en  résu- 
mant son  opinion  sur  cet  ouvrage  :  Le  travail  de  M.  Pouchet  se  distingue  par  l'im- 
portance des  résultats,  par  le  soin  scrupuleux  de  V exactitude,  par  Vétendue  des 
vues,  par  une  méthode  excellente.  L'auteur  a  eu  le  coui'age  de  repasser  tout  au 
critérium  de  l'expérimentation,  et  c'est  après  avoir  successivement  confronté  les 
divers  phénomènes  qu'offre  la  série  animale,  et  après  avoir,  en  quelque  sorte,  tout 
soumis  à  l'épreuve  du  scalpel  et  du  microscope,  qu'il  a  formulé  ses  lois  physiolo- 
giques  FONDAMENTALES. 

flistoire  des  Sciences  naturelles  au  moyen  âg^e,  ou  Albert 
le  Grand  et  son  époque,  considérés  comme  point  de  départ  de  l'école 
expérimentale,  par  F.  A.  Poughet.  Paris,  1853.  1  beau  vol.  in-8.     9  fr. 

Reclierclies  et  Expériences  sur  les  Animaux  ressusci- 
tants faites  au  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Rouen,  par  F.  A.  Pou- 
chet. Paris,  1859.  Brochure  in-8 ,  5oz« /^re^^e. 

Zoolog^ie  classique  ou  Histoire  naturelle  du  règ^ne  ani- 
mal, par  F.  A.  Pouchet.  Paris,  1841.  2  vol.  in-8  et  atlas.  26  fr. 

Histoire  naturelle  et  ag^ricole  du  hanneton.  Rouen,  1853, 
in-8.  '  2  fr. 


He  la  I*luralité  des  Haces  humaines.   Essai  anthropologique, 
par  Georges  Pouchet.  Paris,  185S.  In-8  de  200  pages.  3  fr.  50. 


CoRBEiL,   typographie   et  sléréotypie  de   CRÉTi, 


I 


HÉTÉROGÉNIE 


ou 


TRAITÉ 

DE  LA  GÉNÉRATION  SPONTANÉE, 

BASÉ    SUR   DE   NOUVELLES   EXPÉRIENCES  , 
PAR 

F.  A.    POUCHET 

CORKESPONDANT   DE    l'iNSTITCT  (aCADÉMIE   DES   SCIENCES), 

Directeur  du  Muséum  d'hisloire  naturelle  de  Rouen, 

Professeur  à  l'École  de  médecine  et  à   l'École   supérieure  des  Sciences  de  la  même  ville; 

Chevalier  de  l'ordre  impérial  de  la  Légion  d'honneirr,  oflïcier  de  l'ordre  impérial  du  Lion  et  du  Soleil  • 

Membre   des  Sociétés  de  Biologie,  philomatique  ,  d'histoire  naturelle  et  des  Sciences   physiques 

de  Paris;  membre  fondateur  de  la  Société  impériale  zoologique  d'acclimatation  de  Paris; 

Associé  de  la  Société  d'Anthropologie  -,  membre  de  l'Académie  des  Sciences  et  des  Lettres  de  Rouen, 

et  des  académies  de  Strasbourg,  Toulouse,  Caen,  Cherbourg,  Lisieux,\Veiiise,  Philadelphie, 

Turin,  Bruges;  de  la  Société  linnéenne  et  de  la  Société  des  Antiquaires 

de  Normandie;  correspondant  du  ministère  de  l'Instruction 

publique  pour  les  travaux  scientifiques ,  etc.,  etc. 

MuUa  renascentm\    quœ  jam'cecidere. 

HoR. ,  Art  Poét. 

A-\1S.C  TROIS   PliAMCHES  ORATKES. 


PARIS 


J.  B.  BAILLIERE  et  FILS, 

LIBRAIRES     DE     l'aCADÉMIE     IMPÉRIALE     DE     MÉDECINE, 

rue  Hautefeuille ,  19. 

L.O.VDRES  (  NEW-YORK 

HIPPOLÏIE  BAlLLlÈRE,  21^,  REGENT-STREET.  |        HIPP.  ET  CH.  BilLLIÈRE  FRÈRES,  440,  BROADWAY' 

MADRID,  G.    BAILLY- BAILLIERE,   GALLE   DEL  PRINCIPE,    11. 

1S59 


MONSIEUR  P.  RAYER, 

MÉDECIN    ORDINAIRE    DE    SA    MAJESTÉ    l'empeREUR, 

MEMBRE    DE   LINSTITUT    (ACADÉMIE   DES   SCIENCES), 

MEMBRE   DE    L' ACADÉMIE  IMPÉRIALE    DE   MÉDECINE,    COMMANDEuL  DE   L'ORDRE 

IMPÉRIAL   DE   LA   LÉGION   D'hONNEUR, 

PRÉSIDENT    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    BIOLOGIE, 

PRÉSIDENT    DU    COMITÉ    CONSULTATIF     d'hYGIÈNE    PUBl'iQUE 

DÉ   FRANCE,   ETC.,   ETC. 


Monsieur  et  très-illustre  Confrère, 

En  plaçant  votre  nom  en  tête  de  cet  écrit,  je  n'ai  eu 
que  l'intention  de  dédier  celui-ci  à  l'un  des  savants  dont 
s'honore  le  plus  la  France,  et  non  d'en  sauvegarder  les 
doctrines  à  l'aide  d'un  patronage  illustre. 

Vous  remplissez  une  noble  mission  au  milieu  du  tour- 
billon scientifique  de  notre  époque  ;  c'est  celle  d'un  homme 
qui,  voué  lui-même  aux  travaux  intellectuels,  aime  à  pla> 
cer  sous  son  égide  protectrice  tous  ceux  qui  s'en  occupent 
aussi. 

J'ai  été  à  même  de  pouvoir  l'apprécier,  et  c'est  un 
hommage  public  de  ma  reconnaissance  que  je  me  plais 
ici  à  vous  adresser. 

F.  POUCHET. 

Au  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Rouen,  15  juillet  18S9. 


PREFACE 


Cet  ouvrage  est  le  fruit  de  trois  années  d'expé- 
riences et  de  recherches  incessantes.  Lorsque ,  par  la 
méditation ,  il  fut  évident  pour  moi  que  la  génération 
spontanée  était  encore  l'un  des  moyens  qu'emploie  la 
nature  pour  la  reproduction  des  êtres,  je  m'appliquai 
à  découvrir  par  quels  procédés  on  pouvait  parvenir  à 
en  mettre  les  phénomènes  en  évidence  :  là  fut  la  tache 
laborieuse.  Au  milieu  de  mille  essais  infructueux,  j'ai 
poursuivi  celle-ci,  sans  relâche  comme  sans  découra- 
gement ,  jusqu'au  moment  où  l'expérience  est  enfin 
venue  la  sanctionner  de  toute  son  autorité. 

L'ensemble  de  cet  ouvrage  peut  naturellement  se 
partager  en  deux  sections  :  la  partie  expérimentale , 
qui  en  est  la  seule  fondamentale ,  et  la  partie  théo- 
rique, qui  n'en  forme  qii\ui  fragment  accessoire. 

Je  n'ai  eu  pour  but  que  de  démontrer  un  fait ,  et 


VIII  PRÉFACE. 

non  d'en  discuter  l'essence  et  les  nébuleuses  théories. 

J'appelle  toutes  les  sévérités  de  la  critique  sur  la 
partie  réellement  essentielle  de  cet  écrit;  de  cette  cri- 
tique loyale  et  indépendante  qui ,  en  dehors  des  idées 
préconçues  ou  des  passions,  cherche  la  vérité  partout 
où  elle  se  trouve,  et  signale  l'erreur  avec  une  louable 
fermeté;  de  cette  critique,  enfin,  qui  honore  autant 
ceux  qui  en  sont  l'objet  que  ceux  dont  elle  émane. 

Je  dois  avouer  qu'une  telle  critique  m'a  déjà  été 
fort  utile  dans  l'achèvement  de  cette  œuvre.  Deux  des 
expériences  qu'elle  contient  y  ont  donné  lieu ,  et  elle 
m'a  permis  de  connaître  quelles  étaient  ses  exigences. 
Je  me  suis  efforcé  de  m'y  conformer.  Ce  sont  ces 
mêmes  conseils  éclairés  que  je  réclame  encore  aujour- 
d'hui. 

Mais  en  même  temps  que  j'appelle  toutes  les  sévé- 
rités de  l'opinion  sur  la  partie  expérimentale  ,  j'im- 
plore toute  son  indulgence  à  l'égard  des  théories.  Sur 
celles-ci,  chacun  peut  avoir  ses  idées,  et  les  disputes 
incessantes  n'éclairciront  peut-être  rien;  aussi  je  serai 
heureux  de  voir  écarter  ce  sujet,  jusqu'au  moment  où 
l'on  reconnaîtra  généralement  que  le  fait  capital  est 
incontestablement  démontré,  ce  qui,  je  l'espère,  n'est 
pas  éloigné. 

Quelques  naturalistes  illustres  de  notre  époque,  en 


PRÉFACE.  IX 

tête  de  leurs  ouvrages,  ont  cru  devoir  protester  avec 
amertume  du  peu  d'encouragement  qu'ils  avaient 
trouvé  dans  les  sphères  élevées  de  l'enseignement.  Je 
viens  remplir  une  tâche  plus  douce,  et  parler  de  mes 
sentiments  de  reconnaissance  envers  les  personnes 
qui  m'ont  entouré  de  leur  protection.  J'ai  dû  à  M.  le 
baron  Ernest  Le  Roy,  sénateur,  préfet  de  la  Seine- 
Tnférieure,  un  acte  tout  spontané  de  justice,  et  je  me 
plais  à  lui  en  exprimer  ma  vive  gratitude  dans  les 
premières  lignes  de  ce  livre ,  destiné  probablement  à 
se  répandre  dans  tant  de  lieux  divers.  D'un  autre  côté, 
M.  Verdrel,  maire  de  Rouen  ,  avec  une  bienveillance 
qui  n'a  été  dépassée  que  par  le  sentiment  de  courtoisie 
qui  l'accompagnait,  a  mis  le  directeur  du  Muséum 
d'histoire  naturelle  de  Rouen  dans  une  situation 
propre  à  faciliter  ses  travaux  ;  je  dois  l'en  remercier 
bien  vivement. 

Enfin,  ce  Muséum  lui-même,  auquel  l'administra- 
tion de  M.  H.  Rarbet  et  celle  de  M.  Fleury  ont  donné 
une  si  grande  impulsion,  par  ses  laboratoires,  si  bien 
disposés  pour  la  méditation  et  le  travail ,  est  venu 
aussi  m'offrir  les  plus  amples  ressources.  Là  j'ai  pu 
répéter  presque  toutes  les  expériences  de  mes  devan- 
ciers, et  en  instituer  un  grand  nombre  de  nouvelles. 

Je  ne  puis  non  plus  ouiettre  de  dire  que  j'ai  trouvé 


X  PRÉFACE c 

en  Angleterre  les  plus  vastes  moyens  d'étude,  dans  la 
magnifique  bibliothèque  du  British  muséum.  C'est 
un  vrai  paradis  pour  ceux  qui  se  consacrent  aux 
sciences;  d'autres  l'ont  déjà  exprimé  avant  moi.  Je 
regrette  sincèrement  d'avoir  à  reporter  à  l'étranger 
une  admiration  pour  une  institution  qui  n'a  point  d'é- 
gale en  France ,  où  le  manque  absolu  de  confiance 
empêche  de  rien  réaliser  de  grand  dans  cette  direc- 
tion. Cependant,  il  serait  injuste  de  ne  pas  dire  que, 
si  j'ai  été  loin  de  rencontrer  les  mêmes  ressources,  les 
mêmes  matériaux,  dans  les  bibliothèques  de  l'Institut 
et  du  Jardin  des  Plantes,  j'y  ai  toujours  rencontré  la 
plus  grande  obhgeance  de  la  part  des  hommes  in- 
struits qui  les  dirigent. 


ERRATA. 


Page  113,  lig.  4%  au  lieu  de  décomposition,  lisez  de  composition. 

Page  138,  lisez  chapitre  III. 

Page  152,  au  lieu  de  Muséum  d'histoire  naturelle  de  Rome,  lisez 
de  Rouen. 

Page  544,  lig.  iO^,  au  lieu  de  Rudolphi,  lisez  Redi. 


MiTHABD  M.  METOàLF, 


BIBLIOGRAPHIE 


Adanson.  Voyage  au  Sénégal.  Paris,  1757.  —  Famille  des  plantes. 
Paris,  1763. 
Adelon.  Physiologie  de  l'homme.  Paris,  1828. 
Agassiz.  Recherches  sur  les  poissons  fossiles.  Neufchâtel,  1835. 

—  Études  sur  les  glaciers.  Neufchàtel,    iS^O.  —  Annals  of  nat. 
hist.  1850. 

Aldrovap^de.  De  mollibus  ci'ustaceis,  etc.  Bologne,  1642. 
Alt.  Dissertatio  de  Phthiriasi.  Bonn,  1824. 
Andry.  De  la  génération  des  vers  dans  le  corps  de  l'homme,  Paris, 
1741. 
Arago.  Système  osseux,  aqueux  et  volcanique. 
Aristote.  Opéra  omnia.  Meteor.,  lib.  —  De  cœlo^  cap.  n  et  xii. 

—  Histoire  des  animaux.  Paris,  1783.  —  Traité  de  la  génération. 
AviCENNE.  De  congelatione  et  conglutinatione  lapidum,  dans  VArs 

aurifera.  Bâle,  1610. 

Bacon  (François).  JSovum  organum.  Paris,  1843. 

Bacon  (Roger).  Opus  majus.  Londres,  1733. 

Baer  (De).  De  ovi  mammalium  et  hominis  genesi.  —  NoVc  act. 
nat.  cur. 

Balbiani.  Note  sur  l'existence  d'une  génération  sexuelle  chez 
les  infusoires.  {Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences,  1858, 
t.  XLVI,  p.  628,  et  Journal  de  la  physiologie  de  l'homme  et  des  ani- 
maux, 1858.) 

Baillet  (G.).  Compte  rendu  des  expériences  faites  à  l'école  impé- 
riale vétérinaire  de  Toulouse  sur  la  reproduction  des  cestoides.  Tou- 
louse, 1858. 

Baillie.  Morhid  anatomy. 

Barry.  Researches  in  embryology,  three  séries.  Philosophical 
transactions.  London,  1840. 

Barthez.  Nouveaux  éléments  de  la  science  de  l'homme . 

Bartholin  (Th.).  De  vermibus  in  aceto  et  semine.  Copenhague,  1671. 

Bx\LE.  Dictionnaire  historique  et  critique.  Paris,  1820. 


XII  BIBLIOGRAPHIE. 

Bazin.  Recherches  sur  la  nature  et  le  traitement  des  teignes.  Pa- 
ris, 1853. 

Beaumont  (Élie  de).  Recherches  sur  quelques-unes  des  révolutions 
de  la  surface  du  globe.  Acad.  des  scienc.  1829. —  Système  des  mon- 
tagnes. Dictionnaire  universel  d'histoire  naturelle.  Paris,  t.  XIT, 
—  Leçons  de  géologie,  Paris,  1845. 

BÊCHE  (De  la).  Geological  researches.  1834,  p.  239. 

Béclard  (J.).  Traité  élémentaire  de  physiologie.  Paris,  1856. 

Bennet  Dowler.  Tableaux  of  New-Orleans.  1852. 

Bennett.  On  the  présence  of  confervœ  in  some  exsudative  masses 
passed  by  the  boivels.  {Lectures  in  clinical  medfcm. Edinburgh,l 85 1 .) 

Bérard.  Cours  de  physiologie.  Paris,  1848. 

Berg  et  Creplin.  Archiv.  skandinavischer  Bëitràge  zur  Natur- 
geschichte.  1815.  — Archives  Scandinaves  d'histoire  naturelle. 

Bernard  (Claude).  Leçons  sur  les  propriétés  physiologiques  et  les 
altérations  pathologiques  des  liquides  de  l'organisme.  Paris,  1859. 

Bernardin  de  Saint-Pierre.  Harmonies  delanature.  Paris,  1826. 

Berthelot.  Thèse  inaugurale.  Montpellier,  1856. 

Berthelue.  Revue  zoologique,  1848. 

Berthold.  Bëitràge  zur  Anatomie^  Zootomie  und  Physiologie. 
Gœttingue,  1851.  —  Recherches  anatomiques,  zootomiques  e  t  phy- 
siologiques. 

Beudant.  Cours  de  géologie.  Paris,  1857.  —  Minéralogie  et  géo- 
logie. Paris,  1837. 

BiBLiA  sacra.  Juges.  Chap.  XIV,  v.  14.  — Ecclésiaste,  chap.  ni. 

BiCHAT.  Recherchesphysîologiques  sur  la  vie  et  la  mort.  Paris,  4818. 

BiLHARZ.  Bëitràge  zur  Helminthographia  humana,  in  der  Zeit- 
^chrift  fur  wissenschaftliche  Z  oologie.  Jahrgang  1852. 

BiscHOFF.  Traité  du  développement  de  l'homme  et  des  mammifères. 
Paris,  1843. 

BlaiiNville  (De).  Dictionnaire  des  sciences  naturelles^  t.  XXIH, 
p.  410.  —  Ostéographie,  Paris,  1844.  — Dissertation  sur  la  place 
que  la  famille  des  ornithorhinques  et  des  échidnés  doit  occuper 
dans  la  série  naturelle.  Paris,  1812.  — Bulletin  de  la  Société  phi- 
lomatique.  —  Dict.  des  se.  nat.  Art.  Zoophytes,  Paris,  1830.  — 
Manuel  d'actinologîe  et  de  zoophytologie.  Paris,  1834.  —  Cours  de 
physiologie  générale  et  comparée.  Paris,  1835. 

BLA.INV1LLE  et  Maupied,  Histoive  des  sciences  de  l'organisation. 
Paris,  1843,  3  vol.  in-8. 

Blanchard.  Mémoire  lu  à  V Académie  des  sciences  en  1848. 

Bloch.  Abhandl.  iiber  die  Erzeugung  der  Eingew.^  1852.  (Mé- 
moire sur  la  génération  des  vers  intestinaux.) 

Blumenbach.  Manuel  d'histoire  naturelle.  Metz,  1803. 

BoBRiK.  System  der  Logik.  Zurich,  1838.  Traité  de  logique. 


BIBLIOGRAPHIE.  XIII 

BoERHAAVE.  InstUutiones  ret  medicŒ.  Leyde,  1708. 

BojANUS.  IsiSf  1818. 

BoNANNi.  Ricreazione  del  occhioet  délia  mente  nell'  osservazione 
délie  Chiocciole.  Rome,  1681.  —  Observationes  circa  viventia  , 
quœ  in  rébus  nonviventibus reperiuntur  cum  micrographia  curiosa. 
Rome,[1691. 

BoNiFAs.  De  la  génération  spontanée.  Paris,  18o8. 

BoNET  (Th.).  Sepulcretumsive  Anatomia  practica.  Genève,  1697. 

Bonnet  (Ch.).  Lettre  sur  les  animalcules,  adressée  à  Spallanzani. 
1771  (OEuv.  de  Spallanzani).  —  Considérations  sur  les  corps  or- 
ganisés, Paris,  1772. 

hoîiOMi.  Nineveh  and  its palaces.  London,  iS^il. 

BoRELLi.  De  motu  animalium.  Romse,  1680. 

Bory  de  Saint-Vincent.  Mémoire  sur  lesmicrozoaires.  —  Encyc. 
méth.  Zoophytes,  art.  Psychodiaires.  —  Dictionnaire  class.  d'hist. 
nat.y  art.  Géographie  botanique.  Matière. 

Bosc.  Mémoire  sur  la  génération  spontanée. 

BosT  (J.  A.).  Dictionnaire  de  la  Bible.  Paris,  1849. 

Boudin  (Ch.  M.).  Traité  de  géographie  et  de  statistique  médicales. 
Paris,  1857. 

BouÉ.  Guide  du  géologue  voyageur.  Paris,  1835,  2  vol. 

Bourdon.  Principes  de  physiologie  comparée.  Paris,  1830. 

Brachet.  Physiologie  élémentaire  de  l  homme.  Paris,  1855. 

Brecher.  L'immortalité  de  l'âme  chez  les  Juifs.  Trad.  dePallem. 
pari.  Gahen.  Paris,  1857.  Sanh.,  90,  91. 

Bremser.  Traité  zoologique  et  physiologique  des  vers  intesti- 
naux. Paris,  1824.  —  Icônes  helminthum  systema  Rudolphi  il- 
lustrantes. Vienne,  1823. 

Brongniart  (Alex.).  Mémoire  sur  la  Limnadie.  —  Mém.  du  Mus. 
d'hist.  nat.  1820,  t.  VI.  —  Tableau  des  terrains  qui  composent 
Vécorce  du  globe.  Paris,  1829.  —  Description  géologique  des^  en- 
virons de  Paris,  en  collaboration  avec  Guvier. 

Brongniart  (Adol.).  Histoire  des  végétaux  fossiles.  Paris,   1828. 

Broussais.  Examendes  doctrines  médicales.  Paris,  1829.  —  Cours 
de  phrénologie.  Paris,  1836. 

Bruch.  Annales  de  la  zoologie  scientifique  de  Ch.  de  Siebold  et 
Kôlliker.  Leipzig,  1853. 

Brunetta.  Scienziati  italiani  atti.  Lucca,  1844,  p.  5. 

Buch(De).  Voyage  en  Norwége  et  en  Laponie.  Berlin,  1810.  — 
Description  des  îles  Canaries. 

BucKLAND.  La  géologie  et  la  minéralogie  dans  leurs  rapports  avec 
la  théologie  naturelle.  Paris,  1838.  —  Reliquiœ  dilutianœ.  Lon- 
dres, 1823.  —  Accowit  of  an  assemblage  of  fossil  and  bones  disco^ 
vered  in  the  cave  of  Kirkdale.  (Trans.  phil.  1821.) 


XIV  BIBLIOGRAPHIE. 

BuFFON.  Histoire  naturelle.  Paris^  1749.  Sappl.,  t.  IV^  p.  343. — 
Époques  de  la  nature,  hist.  nat.  Deux-Ponts,  1783.  —  Histoire 
naturelle.  Suppl.,  t.  IV,  p.  333,  édit.  de  Deux-Ponts,  t.  XI,  p.  17. 
Théorie  de  la  terre,  hist.  nat.  Deux-Ponts,  1783. 

BuLLiARD.  Histoire  des  champignons  de  France.  Paris,  1809. 

BuRDACH.  Traité  de  physiologie.  Trad.  de  Jourdan.  Paris,  1837. 

BuRMEiSTER.  Handbuch  der  Entomologie,  Berlin,  1832  (Manuel 
de  l'entomologie).  —  Gênera insectorum.  Berolini,  1838. 

BuRNETT.  Revieivs  and  Records  in  Anatomy  and  Physiology .  The 
american  Journal  of  science  and  arts.  1854. 

BuRNETT  (W.).  The  family  of  vibrionia  (Ehrenberg)  not  ani- 
mais, but  plants.  —  Proceedings  of  the  American  association  for 
the  advancement  of  science.  1851. 

BuRNET  Çï.).Archœol.  philosoph.  Amsterdam,  1(394. 


Cabanis.  Rapports  du  physique  et  du  moral.  Paris,  1824. 

Cadet  de  Gassicourt.  Dictionnaire  des  sciences  médicales.  Paris, 
1813. 

Cahen.  La  Bible  avec  l'hébreu  en  regard,  ou  les  principales  va- 
riantes de  la  version  des  Septante.  Paris,  1834. 

Camus.  Note  sur  l'histoire  des  animaux  d'Aristote. 

Candolle  (De).  Flore  française.  Paris,  1813.  —  Physiologie  vé- 
gétale. Paris.  1832. 

Champollion  (Figeac).  Egypte  ancienne.  Paris,  1830. 

Champollion  (jeune).  Panthéon  égyptien.  Paris,  1823. 

Cardan.  De  subtilitate,irsià.  franc.  Rouen,  1342. 

Carter  (H.  J.).  On  the  organization  of  infusoria.  The  annals 
and  magazine  of  natural  history.  Lond.,  1836. 

Carus.  Traité  d'anatomie  comparée.  Paris,  1835. 

Cavolini.  Memorie  per  servire  alla  storia  dei  Polipi  marini.  Na- 
ples,  1783. 

Chevreul.  Lettres  adressées  à  M.  Villeraain  sur  la  méthode  en 
général.  Paris,  1836. 

Claparède.  Recherches  sur  la  génération  des  înfusoires  (Mémoire 
présenté  au  concours  de  l'Académie  des  sciences.  —  Supplément 
au  mémoire  sur  la  reproduction  des  infusoires  (Mémoire  présenté 
au  concours,  1838). 

Cloquet  (J.).  Anatomie  des  vers  intestinaux.  Paris,  1824. 

Clos.  Origine  des  champignons.  Toulouse,  1838. 

CoRDiER.  Essai  sur  la  température  de  l'intérieur  de  la  terre.  Aca- 
démie des  sciences,  1 827 . 

Co^m{R.).  Lettres  dans  les  Transactions  philosophiques.  Londres, 
1816,  t.  XX,  p.  289. 


BIBLIOGRAPHIE.  XV 

CoNYBEARE.  Rapport  sur  la  géologie,  i  832,  dans  lequel  il  déve- 
loppe les  vues  de  Leibnitz. 

CooPER.  On  intestinal  worms.  Londres. 

CosTE  et  Delpech.  Recherches  sur  la  génération  des  mammifères. 
Paris,  1834. 

Creplin.  Observ.  de  Ëntozois.GY^^hiswaldisG,  1825. 

Creuzer  (F.).  Religions  de  l'antiquité.  Paris,  1825. 

CoRYiSART.  Observation  sur  une  hydropisie  enkystée  du  foie  avec 
hydatides.  Journ.  de  méd. 

CuLLERiER.  Observation  sur  une  tumeur  du  tibia  qui  contenait 
une  grande  quantité  d' hydatides.  Journ.  de  méd.,  1806. 

Crusu.  Anleitung  liber,  etc.  (Manière  de  bien  penser  sur  les  évé- 
nements naturels.  Leipzig,  1749. 

CuviER  et  Valenciennes.  Histoire  naturelle  des  poissons.  Paris,!  828. 

CuviER  (G.).  Discours  sur  les  révolutions  du  globe.  Paris,  1851 . — 
Tableau  élémentaire  de  l'histoire  naturelle.  Paris,  1798.  —  Règne 
animal.  Paris,  1829. —  Nouvelles  Annales  du  Muséum  d'histoire 
naturelle.  — Recherches  sur  les  ossements  fossiles.  Paris,  1812. 
Ann.  du  Muséum,  cah.  78,  p.  411.  —  Éloge  historique  de  Palisot 
de  Beauvois.  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences.  1819. 

D 

Darwin.  Journal  des  voyages  dans  l'Amérique  du  Sud,  de  1832- 
1836.  Voyage  du  Beagle,  t.  III,  p.  5o7. —  Proceedings  of  the  geolog . 
soc.  n.  51,  p.  552. 

Dechrtstol.  Note  sur  les  ossements  fossiles  des  cavernes  du,  dépar- 
tement du  Gard.  Montpellier,  1829. 

Delafond  et  Gruby.  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences, 

DeLamétherie.  Traité  de  la  perfectibilité  et  de  la  dégénérescence 
des  êtres  organisés.  Paris,  1806;  ou  t.  III  des  Considérations  sur 
les  êtres  organisés.  —  Leçons  de  géologie.  Paris,  18-16.  —  Journal 
de  physique,  t.  LXXIX,  p.  196. 

Demaillet.  Telliamed  ou  Entretiens  d'un  philosophe  indien  avec 
un  missionnaire  français.  Amsterdam,  1748. 

Denon.  Voyage  dans  la  haute  et  basse  Egypte  pendant  les  cam- 
pagnes  du  général  Bonaparte.  Paris,  1802. 

Descartes.  Œuvres.  Édition  de  V.  Cousin. 
—  Traité  des  passions,  art.  9.  Paris,  1844.  —  Discours  sur  la  mé- 
thode. 

Deslonchamps (Eudes).  Encyclopédie  méthodique.  Zoophytes . 

Desmoulins  (Charles).  Écho  du  monde  savant.  2c  année. 

Devergie.  Traité  pratique  des  maladies  de  la  peau.  Paris,  1856. 
#DiKESoiN  and  Brown,  Cypress  timber  of  the  Mississippi.  1848. 


XVI  BIBLIOGRAPHIE. 

DiESiNG.  Systema  helminthum.  Vindobonœ,   1850. 

DiODORE  DE  Sicile.  Bibliothèque  historique,  Paris,  1846. 

DioGÉNE  Laert.  Lib.  2,  num.  12. 

DoLOMiEU.  Journal  de  physique.  Paris,  1792.  — Rapports  à  l'In- 
stitut, an  Y  et  Yl. 

D'Orbigny  (Alcide).  Paléontologie  française,  Paris,  1840. 

D'Orbigny  (Gh.).  Géologie  appliquée  aux  arts  et  à  l'agriculture. 
Paris,  1851. 

Doyére.  Mémoire  sur  les  Tardigrades.  —  Annales  des  sciences 
naturelles.  Paris,  1842. 

DuFOUR  (Léon).  Recherches  anatomiques  et  physiologiques  sur  les 
orthoptères,  les  hyménoptères  et  les  névroptères.  —  Mém.  des  sa- 
vants étrangers.  1841. 

DuGÉs.  Traité  de  physiologie  comparée.  Paris,  1839. 

DujARDiN.  Histoire  naturelle  des  infusoires.  Paris,  1841,  ei  His- 
toire naturelle  des  helminthes,  1845.  —  Dict.  univ.  d'hist.  natur. 
Paris,  1846. 

Duhamel.  Traité  des  semis  et  plantations  des  arbres.  Paris, 
1760. 

Dumas.  Annales  des  sciences  naturelles.  — Dictionnaire  classi- 
que d'histoire  naturelle.  Paris,  1825.  —  Essai  de  statique  chimi- 
que des  êtres  organisés.  Paris,  1842. 

DuMÉRiL  (Aug.).  Ichthyologie  analytique.  Acad.   des  sciences, 

DuMÉRiL  et  BiBRON.  Erpéthologic  générale.  Paris,  1834. 

Dupetit-Thouars.  Observations  faites  aux  îles  Gallapagos. 
Comptes  rendus.  Paris,  1859. 

E 

Eberhard  (F.).  Recherches  sur  le  passage  des  matières  insolubles 
de  l'intestin  et  de  la  peau  dans  le  sang.  Zurich,  1847  (en  allemand). 

Ehreisberg.  Organisation,  systematische  und  geographische  Ver- 
hàltnisse  der  Infusionsthierchen.  Berlin,  1830.  {Organisation, 
(^assificati07i  et  géographie  des  infusoires.)  Die  geographische  Ver- 
breitung  der  Infusionsthierchen,  etc.  1828.  (De  la  répartition  géo- 
graphique des  infusoires  sur  le  globe). — Zusàtze  zur  Erkenntniss, 
etc.,  1836.  Suppléments. 

EicHHORN.  Kleinste  Wasserthiere,  Berlin,  1781.  —  Les  infusoires. 

Ellis.  Philos,  trans.  Londres,  1770. 

Ercolani  et  Vella.  On  the  embryogeny  and  propagation  of  intes- 
tinal worms.  Ann.  and  rnag.  of  nat.  hist.  London,  1854,  t.  XIV. 
—  Comptes  rendus  de  l'Ac.  des  sciences.  1855,  24  av. 

EscHRicHT.  Undersogelser  over  den  i  Island  endemiske  hydati- 
desî/^dom.  Copenhague,  1854. 


BIBLIOGRAPHIE.  XVII 

EuLER.  Lettres  sur  divers  sujets  de  physique  et  de  philosophie. 
Paris,  1843. 
Euripide.  Ménalippe, 


Fabri.  Tractatus  duo,  quorum prior  est  :  De  plantis  et  de  genera- 
tione  animalium,  posteriori  De  homine.  Paris,  1G66. 

Ferdoucy.  Le  Châh-Nâmeh,  suite  de  poëmes  héroïques  sur  l'an- 
cienne histoire  de  la  Perse,  traduits  en  français  par  M.  Jules  MohI, 
1839. 

FiCHTE  (J.).  Doctrine  de  la  science. 

FiLippi  (De).  Mémoires  de  P Académie  de  Turin,  2®  série. 

Fischer.  Bulletin  de  la  société  impériale  des  naturalistes  de  Mos- 
cou. 1831. 

Fischer.  Brevis  entozoorum  seu  verm.  intest,  exercitio.  Viennœ, 
1822. 

Flourens.  Cours  sur  la  génération,  l'ovologie  et  l'embryologie. 
Paris,  1835.  —  Buffon,  histoire  de  ses  idées  et  de  ses  travaux, 
Paris,  1841. 

Fontenelle.  Éloge  d'Hartsoeker,  Paris. 

Fourrier.  Théorie  analytique  de  la  chaleur.  Paris,  1822. 

Fournier.  A.y{.  Cas  rares.  Dict.  des  sciences  médicales.  Paris,  1813. 

Fray.  Essai  sur  V origine  des  corps  organisés  et  inorganisés . 
Paris,  1817. 

Freyer.  Lettre  adressée  à  M.  Gh.  Lyell,  communiquée  à  la  So- 
ciété géologique  de  Londres,  1835. 

G 

Galen  (Roger).  Philosophical  Transactions.  London,  1742. 

Galien.  De  formatione  fœtus. 

Gassendi.  De  vita,  morihus  et  placitis  Epicuri.  Physica,  t.  I. 
Lyon, 1648. 

Gaultier  de  Claubry.  Note  relative  aux  générations  spontanées 
des  végétaux  et  des  animaux.  Comptes  rendus,  1859. 

Geoffroy  Saint-Hilaire  (Ei.). Philosophie  anatomique.  Paris,1818. 
—  Études  progressives  d'un  naturaliste. —  Sur  le  degré  d'influence 
du  monde  ambiant  pour  modifier  les  formes  animales.  Mém.  de 
VAcad.  des  se.  1833.  —  Principes  de  philosophie  zoologique.  Paris, 
1830.  —  Considérations  et  rapports  nouveaux  d'ostéologie  compa- 
rée. Mém.  du  Muséum,  t.  V. 

Geoffroy  Saiist-Hilaire  (L).  Histoire  naturelle  générale  des  règnes 
organiques.  Paris,  1854. 

POUCHET.  h 


XVin  BIBLIOGRAPHIE. 

Gérard.  Dictionnaire  univ.  d'histoire  naturelle.  Paris,  1845. 

Gérahdin.  Propriété  conservatrice  des  graines. 

Gerdy.  Physiologie  philosophique  des  sensations  et  de  l'intelligence. 
.Paris,  1846. 

Gerhardt.  Traité  de  chimie  organique.  Paris,  1856. 

Gerlach.  Le  Nouveau  Testament,  avec  notes  explicatives.  Paris^ 
1840. 

Gervais  et  Van  Beneden.  Zoologie  médicale.  Paris,  1859. 

Gervais  (P.).  Dictionnaire  d'histoire  naturelle.  Paris,  1836. 

Gesner.  Historiée  animal ium.T'igurï,  1551. 

Gigot  (L.).  Recherches  expérimentales  sur  la  nature  des  émana- 
tions marécageuses.  Paris,  1859. 

Gleiciien.  Dissertation  sur  la  génération,  les  animalcules  sper- 
matiques  et  ceux  d'infusion.  Paris,  an  VII.  —  Infusionsthierchen, 
1778. 

Gi-issoN.  Tractatus  dénatura  substantiœ energeticâ.  Londres  1772. 

Gluge.  Sur  un  entozoaire  dans  le  sang  de  la  grenouille.  AYchi\ es 
de  médecine  comparée  de  Rayer,  t.  I,  p.  44. 

Gmelin.  Reisen,  3ter  Theil.  S.  302,  tab.  30.  —  Voyages,  t.  III. 

GoDRON.  De  l'espèce  et  des  races.  Mém.  de  la  Soc.  de  Nancy,  1847. 

Goedaert.  Histoire  naturelle  des  insectes.  Amsterdam,  1700. 

GoEZE.  Mémoire  sur  les  animalcules  mères  d'infusions. — Cité  par 
Gleiciien,  Collection  de  Berlin,  t.  IV,  p.  94  [Berliner  Sammlungen). 
— Dans  sa  traduction  de  Ch.  Bonnet.  —  Versuch  einer  Naturge- 
schichte  der  Eingeweidewurmer  thierischer  Kôrper,  1782. —  Essai 
d'une  histoire  naturelle  des  vers  intestinaux. 

GoLDFUSS,  Petrefacta  Germaniœ.  Dusseldorf,  1826.  —  Manuel  de 
zoologie.  Nuremberg,  1820. 

GoRiiNi  [^(Paolo).  Suir  origine  délie  montagne  e  dei  vulcani  studio 
sperimentale.  Lodi,  1851. 

GouLD.  An  introduction  to  the  birds  of  Australia.  Londres,  1843. 
—  The  Birds  of  Australia.  Londres,  ^40. 

Graetzer.  Maladies  du  fœtus.  Breaidu,  1837. 

Grant.  Heusinger's  Zeitschrift  fur  organische  Physik  (Annales 
de  physique  organique). 

Gros.  De  la  génération  primitive  ascendante,  facultative.  —  Bul- 
letin de  la  Société  impériale  des  naturalistes  de  Moscou,  1854. 

Griffith  et  A.  Henfrey.  The  micrographie  dictionary.  Lon- 
don,  1856. 

Gruby,  Comptes  rendus  de  l'Acad.  des  sciences.  Paris,  1841 .  —  Re- 
cherches et  observations  sur  une  nouvelle  espèce  d'hématozoaire. 
Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1844.  —  Sur  une  espèce  de  mentagre  con- 
tagieuse résultant  du  développement  d'un  nouveau  cryptogame. 


BIBLIOGRAPHIE.  XIX 

Académie  des  sciences,  1842.  —  Note  sur  des  plantes  cryptogames, 
se  développant  en  grande  masse  dans  l'estomac.  Comptes  rendus  de 
l'Académie  des  sciences,  1844. 

Gruithuisen.  Organozoonomie.  Munich,  1821.  —  Beitràge  zur 
Phijsiognosie.  —  Idées  sur  la  physiognosie. 

GuENEAU.  Bible  de  la  nature  de  Swammerdam,  Introduction, 
collection  académique,  t.  V. 

GuÉPiN.  Philosophie  du  dix-neuvième  siècle.  Paris,  1854. 

GuERSANT.  Bulletin  de  la  société  philomatique. 

GuiLLOUTET.  Nouvelle  théorie  de  la  vie.  ï^àris,  1807. 

H 

Haime  (J.).  Observations  sur  les  métamorphoses  et  sur  l'organi- 
sation de  la  Trychoda  lynceus.  Ann.  se.  nat.  Zoologie.  3®  série, 
1853,  t.  XIX. 

Hallen.  Naturgeschichte  der  Thiere  (Histoire  naturelle  des  ani- 
maux). 

Hartig(S.).  Ziveiter  Nachtrag  zur  Naturgeschichte  der  Gallwes- 
pen,  dans  Germar's  Zeitsch.  f.  die  Entomol.  1843  (Recherches  sur 
le  Cynips  de  la  noix  de  galle.  Dans  les  Annales  entomologiques  de 
Germar). 

Hartsoeker.  Conjectures  physiques.  Amsterdam,  1706. — Éclair- 
cissements sur  les  conjectures  physiques.  Amsterdam,  1710.  — 
Suite  des  conjectures  physiques  et  des  éclaircissements  sur  les  con- 
jectures physiques.  Amsterdam,  1712. 

Harvey.  Exercitationes  de  generatlone  animalium.  London,  1651 . 

Haubiner.  Journal  agronomique  de  Hamm.  1854. 

Heberden  (G.).  Commentarii  de  morborum  historiâ  et  curatione. 
Londiiii. 

Heine  (H.).  De  V Allemagne.  Paris,  1855. 

Herbart.  Lehrbuch  zur  Psychologie.  Kœnigsberg,  1834  (Traité 
de  psychologie). 

Herbst.  Expériences  sur  la  transmission  des  vers  intestinaux. 
Société  des  sciences  de  Gœttingue,  1851  ;  Institut,  n"  956.  Ann. 
des  se.  nat.  1852.  —  Le  système  lymphatique  et  ses  opérations. 
Gœttingue. 

HiLL.  Essay  of  natural  history.  1752. 

Hilton.  Médical  Gazette.  February  1833. 

HoFFxMANN.  Froriep^s  Notizen. 

Hoffmann  (G.  E.).  Sur  le  passage  du  mercure  et  de  la  graisse 
dans  le  courant  du  sang^dissertationinaugurale.V^mizhom'^,  1854 
(en  allemand). 

Hollard.  Nouveaux  éléments  de  zoologie.  Paris,  1838. 


L I  B  R  A  R  Y  U- 


XX  BIBLIOGRAPHIE. 

Home.  Philosophical  transactions,  1793. 

HopKiNSON.  Account  of  a  worm  in  a  horse's  eye.  In  Trans,  of 
the  amer,  philos,  society.  1786,  p.  183. 

HuMBOLDT  (Alex.  de).  Mélanges  de  géologie  et  de  physique  géné- 
rale. Paris,  1854.  —  Histoire  de  la  Nouvelle-Espagne  ;  et  Journal 
de  physique,  t.  XIX,  p.  149.  : — Cosmos.  Essai  d'une  description 
physique  du  monde.  Paris,  18o5.  —  Tableaux  de  la  nature.  Paris, 
1828.  —  Lettre  à  M.  Panckoucke,  en  tête  de  la  traduction  de 
Bremser.  —  De  distributione  geographicâ  plantarum,  Paris,  1817. 

HuMBOLDT  et  BoNPLAND.  Esstti  poUtiquc  sur  la  Nouvelle-Espagne^ 
ouvrage  dédié  à  S.  M.  Catholique  Charles  IV.  Paris,  1811. 

HuMBOLDT  et  Provençal.  Sur  la  respiration  des  poissons.  —  Re- 
cueil d'observations  zoologiques.  Paris,  1805. 

HuoT.  Nouveau  cours  de  géologie.  Paris,  1837. 

Hyde  (Th.).  Veterum  Persarum  religionis  historia,  eorumque 
Magorum.  Oxonii,  1760. 


Ilmoni.  Mémoire  de  la  troisième  assemblée  des  naturalistes  Scan- 
dinaves à  Stockholm,  1842. 

Ingen-housz.  Journal  de  physique,  1784.  —  Miscellanea  medico- 
physica.  —  Expériences  sur  les  végétaux.  Paris,  1800. 


Jacobson.  Nouvelles  annales  du  muséum,  t.  III,  p.  80. 

Jarcbi.  Comment,  in  Pentateuchum.  Naples,  1491. 

Jérémie.  Comp.  Cahen,  Genèse,  i. 

Jobard.  De  la  vitalité  des  germes.  —  Comptes  rendus  de  l'Aca- 
démie des  sciences,  t.  XLVIII. 

JoBLOT.  Observations  d'histoire  naturelle  faites  avec  le  micros- 
cope, 1754. 

Joerdens.  Entomologie  und  Helminthologie  des  menschlichen 
Kôrpers,  1801. 

JoLY.  Mémoire  sur  une  nouvelle  espèce  d'hématozoaire,  observée 
dans  le  cœur  d'un  phoque.  Compt.  rend.  1858,  t.  XL VI. 

JoMARD.  Recueil  d'observations  et  mémoires  sur  l'Egypte.  Paris, 
1823. 

JoNSTON.  Theatrum  universale  omnium  animalium.  Amsterdam, 
1718. 

JuRiNE.  Histoire  des  Monocles  qui  se  trouvent  aux  environs  de 
Genève,  1820. 

JusTiNiEN.  Inst.  Just.y  lib.  11,  tit.  1. 


BIBLIOGRAPHIE.  XXI 


K 


Keil.  Tentamina  medico-physica.  Londres,  1718. 

Kepler.  De  motibus  stellœ  Martis.  —  Harmonice  mmidi.  1619. 

KiNG  (R.)  Edinburgh  neiv  phiiosophical  journal. 

KiRCHER.  OEdipus  œgyptiacus.  Romae,  1653.  —  Mundus  suhter- 
raneus.  Amsterdam,  1778.  Cap.  De  Panspermia  rerum. 

Klee  (F.).  Le  Déluge.  Considérations  géologiques  et  historiques 
sur  les  derniers  cataclysmes  du  globe.  Paris,  1847. 

Kœnig.  Mémoire  sur  U7i  squelette  humain  de  la  Guadeloupe. 
Trans.  phil.,  1814. 

KÔLLiKER.  Éléments  d'histologie  humaine.  Paris,  1856. 

KoREN  (J.)  et  D.  Daniel§sen.  Recherches  sur  le  développement  des 
pectinibr anches.  Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1853. 

Krause.  Muller's  Archiv.  —  Wiegmann's  Archiv. ,\S^0. 

Kuchemmeister.  Mémoire  présenté  à  l'Académie  des  sciences^ 
avec  cette  devise  :  Omne  vivum  ex  ovo  ;  Generatio  œquivoca  nulla, 
1853.  ' —  On  the  cœnurus  cerebralis  of  the  sheep,  dans  the  annals 
and  magazine  of  the  natural  history.  Lond.,  1 854. —  On  animal  and 
vegetable  parasites  of  the  human  body.  London,  1857. 

KuTziNG  (T.).  Sulla  metamorfosi degliinfusori  in  alghe inferiori. 
Giornale  deir  I.  R.  inslituto  lombardo  di  scienze,  lettere  ed  arti. 
Milan,  1845.  —  Phycologia  generalis,  Leipzig,  1843.  —  Species 
algarum.  Lipsiae,  1849. 


Lacaze-Duthiers.  Lettre  sur  les  recherches  de  M.  H  aime,  con- 
cernant les  générations  spontanées.  Comptes  rendus  de  T Académie 
des  sciences,  t.  XLVIII.  —  Recherches  sur  les  organes  génitaux 
des  acéphales  lamellibranches.  Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1854. 

Lactance.  Divinar.  Institution.,  \ih.  III,  ch.  xvn,  p.  190.  —  De 
Ira  Dei,  cap.  x. 

Laennec.  Bulletins  de  l'École  de  médecine,  13^  a«née.  —  Diction- 
naire des  sciences  médicales. 

Lamarck.  Philosophie  zoologique.  Paris,  1809.  —  Système  des 
animaux  sans  vertèbres.  Paris,  1801.  —  Recherches  sur  l'organisa- 
tion des  corps  vivants.  Paris,  1802.  —  Système  des  connaissances 
positives.  Paris,  1820.  —  Histoire  naturelle  des  animaux  .sans  ver- 
tèbres. Paris,  1815. 

Lamarck  et  Decandolle.  Flore  française.  Paris,  1805. 

Lancisi.  De  noxiis  paludum  effluviis.  Romœ,  1687. 


XXII  BIBLIOGRAPHIE. 

Laplace  (De).  Exposition  du  système  du  mondent.  II. 

Lartet.  Les  migrations  anciennes  des  mammifères.  Comptes  ren- 
dus, 1858. 

Latreille.  Familles  naturelles  du  règne  animal.  Paris,  1825. 

—  Cours  d'entomologie.  Paris,  1831. 

LxvRAS.  Lettre  pour  servir  à  Vhistoire  des  générations  spontanées. 
Ann.  des  se.  1859. 

Laurent  (P.).  Etudes  physiologiques  sur  les  animalcules  des  in- 
fusions végétales.  Nancy,  1854. 

Laurent.  Recherches  sur  l'hydre  et  l'éponge  d'eau  douce.  Paris, 
1844. 

Laurillard.  Éloge  de  Cuvier. 

Lebert.  Physiologie  pathologique.  Paris,  1845.  —  Mémoire  sur 
la  formation  des  organes  de  la  circulation  du  sang  dans  l'embryon 
du  poulet. 

Leblond.  Quelques  matériaux  pour  servir  à  l'histoire  des  filaires. 
Acad.  des  se.  de  Rouen.  1836. 

Lecoq  (H.).  Études  sur  la  géographie  botaniquedel' Europe. Paris, 
1854. 

Lehmann.  Précis  de  chimie  physiologique  animale.  Paris,  1855. 

Leibnitz.  Acta  eruditorum.  Leipzig,  1693.  —  Protogœa.  Gœttin- 
gue,  1749.  Protogée,  ou  de  la  form,ation  et  des  révolutions  du 
globe.  Paris,  1859. —  Monadologie.  Paris,  1842.  —  Système  nou- 
veau de  la  nature  et  de  la  communication  des  substances. 

Lemoine  (Albert).  Stahl  et  l'animisme.  Paris,  1858. 

Lereboullet.  Embryologie  comparée  de  la  perche,  du  brochet  et 
de  l'écrevisse.  Ann.  se.  nat.  Zoologie.  1854. 

Lesson.  Traité  d'ornithologie,  Paris,  1831. 

Leuckart.  Parasiten  tind  Parasitismus .  Arcliiv.  fur  physiol. 
Heilkunde.  Stuttgart  (Archives  de  physiologie). —  Lettre  relative  à 
de  nouvelles  expériences  sur  le  développement  des  vers  intestinaux. 
Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1855. 

Leudet  (E,).  Comptes  rendus  de  la  Société  de  biologie  de  Paris, 
série  i,  vol.  V. 

Leuvenhoek.  Arcana  naturœ  détecta.  Delpf.  1695. 

Lewald.  De  cysticercorum  in  tœnias  metamorphosi. 

Licetus,  De  monstris.  Amsterdam,  1665. 

Lidth  de  Jeude.  Recueil  de  figures  des  vers  intestinaux.  Leyde, 
1829. 

Lieberkuhn.  Mémoire  présenté  à  l'Académie  des  sciences  et  qui 
a  obtenu  le  grand  prix  des  sciences  physiques,  1858. 

LiEB\G.  Nouvelles  lettres  sur  la  chimie.  Paris,  1852. 

LiEVTkVD.  Historia  anatomico-medica.  Paris,  1767. 

Linck.  Elementa  philosophiœ  botanicœ,  p.  462.  —  Versuch  einer 


BIBLIOGRAPHIE.  XXIII 

Geschichte  und  Physiologie  der  Thiere  (Essai  d'une  histoire  et  phy- 
siologie des  animaux).  —  Grundiehren  der  Anatomie  und  Physio- 
logie der  Pflanzen  (Anatomie  et  physiologie  des  plantes). 

LiNNÉE.  Systema  natur œ,  \11^. —  Fundamenta  botanica,  1736. 
—  Oratio  de  telluris  habitabilis  incremento,  1743.  —  Philosophia 
botanica,  1751.  —  Generatio  ambigena,  thèse  de  Ramslrœm. 
Upsal,  1759. —  AmœnitateSy  édit.  d'Erlang,  1789. —  Critica  bota- 
nica, p.  155. 

LoNGET.  Traité  de  physiologie. 

Lucrèce.  De  rerum  naturâ,  lib.  I. 

LuDERSDORFF.  Anu.  der  Physik  und  Chemie  von  Poggendorf. 

Lyell.  Comptes  rendus  de  l'association  britannique.  Edimbourg, 
1834.  —  Transactions  philosophiques,  1825.  —  Second  visit  to  the 
United  states,  part.  2.  —  Éléments  de  géologie.  Paris,  1839. 

m 

Mage>'die.  Phénomènes  physiques  de  lame.  Paris,  1842. 

Malbranche.  De  l'origine  des  espèces  en  botanique.  Rouen, 
1854. 

Mantegazza.  Recherches  sur  la  génération  des  infusoires,  Journal 
de  l'Institut  Lombard.,  t.  III. 

Mantell.  The  medals  of  création.  Londres,  1846. 

Marchal  (de  Galvi).  Idée  de  la  bio-pathologie.  Union  me'dic, 
1859. 

Marchelli.  Memorie  délia  soc.  medic.  di  Genova. 

Marfels  (F.).  Recherches  sur  la  voie  par  laquelle  de  petits  cor- 
puscules solides,  etc. 

Martin  (Henri).  Philosophie  spiritualiste  de  la  nature,  Paris, 
1849. 

Martini.  Éléments  de  physiologie,  trad.  de  Titalien.  Paris,  1824. 

Marquis.  Fragments  de  philosophie  botanique.  Paris,  1821. 

Marsigli.  De  generatione  fungorum  epistola  ad  La/icwum.  Romse, 
1714. 

Matougues  (B.  de).  Saint  Jérôme  et  son  siècle,  1841  (préface  de 
rédition  du  Panthéon  littéraire). 

Matthtole.  Commentarii  in  sex  libres  Pedar.  Dioscorid.  Venise, 
trad.  de  J.  Desmoulins. 

Mauduyt.  Monde  savant,  8LYi.  Ichthyologie,  1835. 

Mayer.  De  organo  electrico  et  de  hœmatozois.  Bonn,  1843^  — 
Deutsches  Archiv  fur  die  Physiologie^  t.  T (Archives  allemandes  de 
physiologie). 

Meckel.  Ornithorynchi  paradoxi  descriptio  anatomica.  Leip- 
zig, 1826.  —  Ver  g  leichende  Anatomie,  t.  I  (Anatomie  compaiée). 


XXIV  BIBLIOGRAPHIE. 

Meunier  (Victor).  Histoire  philosophique  des  progrès  de  la  zoolo- 
gie générale.  Paris,  1840.  ^  L'Ami  des  sciences.  Paris,  1859. 

MiCHELET.  V Insecte.  Paris,  1858. 

MiCHELi.  Novaplantarum  gênera.  Florentise,  1779. 

MiLiNE  Edwards.  Répertoire  général  d'anatomie  et  de  physiologie. 
Paris,  1827.  —  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences.  Paris, 
1859,  t.  XLVIII,  p.  25.  —  Mémoire  sur  la  distribution  géographique 
des  crustacés.  Ann.  se.  nat.  1838. 

MiRAN.  Wiegmann's  Archiv.  1840. 

MiRBEL.  Physiologie  végétale.  Paris,  1815. 

MoiGNO  (L'abbé).  Cosmos.  Paris,  1859. 

MôLLER,  Gazette  médicale.  1851. 

Montagne.  Plantes  cellulaires  nouvelles^  exotiques  et  indigènes. 
Paris,  1859. 

MoNTFAucoN.  L'antiquité  expliquée  et  représentée  en  figures.  Pa- 
ris, 1719. 

Moquin-Tandon.  Éléments  de  tératologie  végétale.  Paris,  1841. 

MoRELLO.  Scienziati  italiani  atti.  Lucca,  1844. 

Morgan.  Of  a  living  snake  in  a  living  horse's  eye,  etc.  In  Trans. 
of  the  amer,  society,  1786. 

MoRREN.  Expériences  sur  l'absorption  de  l'azote  par  les  animal- 
cules et  les  algues.  Ann.  des  se.  nat. Zoologie.  1854. 

—  Essai  pour  déterminer  l'influence  qu  exerce  la  lumière  sur  le 
développement  des  végétaux  et  des  animaux  dont  l'origine  avait  été 
attribuée  à  la  génération  spontanée.  Observateur  médical  belge, 
1834,  et  Ann.  des  se.  nat.,  1835. 

MoRRO  (Lazare).  De  crostacei  e  degli  altri  marini  corpi  che  si  tro- 
vano  su'  monti.  Yenezia,  1741. 

MoRTON  (S.  G.).  Types  of  mankindj  or  Ethnological  researches. 
Philadelphie,  1854. 

MoscATi.  Acta  acad.  Bonon.,  t.  CXI. 

MouFET.  Insectorum  sive  minimorum  animalium  Theatrum. 
Londres,  1634. 

Muller(0.  F.).  Animalcula  infusoria,  fluviatilia  et  marina  quœ 
detexit,  etc.  Op.  posth.  cura  Othon  Fabricii.  Leipzig,  1787. 

—  Animalium  infusorium  succincta  historia.  Copenh.,  1773.  — 
Vermium  terrestrium  et  fluviatilium  historia.,  1774. 

Muller  (J.).  Manuel  de  physiologie,  traduit  de  Tallemand  par 
A.  J.  L.  Jourdan.  Deuxième  édition.  Paris,  1851. 

MiJLLER  (0.).  Manuel  d'archéologie.  Paris,  1841,  atlas, 

MiJLLER  (Nicolas).  In  Dovo\y's morgenlànd.  Alterthum. 

Munster.  Cosmographie  universelle.  Paris,  1575  (Antiquités 
orientales,  publiées  par  Dorow). 


BIBLIOGRAPHIE.  XXV 

N 

Nacquart.  Dictionnaire  des  sciences  médicales.  Paris,  1819. 
Naudin.  Considérations  philosophiques  sur  l'espèce  et  la  variété. 
Revue  horticole,  1852. 

Nathusius.  Wiegmann's  Archiv.  1837. 

Necker  (De).  Traité  sur  la  mycétologie. 

^EEDUkm.  Nouvelles  recherches  sur  les  découvertes  microscopiques. 

—  Notes  sur  les  nouvelles  découvertes  microscopiques  de  Spallan- 
zani.  —  Nouvelles  recherches  physiques  et  mathématiques  sur  la 
nature.  Paris,  1768. 

Nelson.  The  reproduction  of  the  AscàYis  mystax.Phil.trans.  1852. 

Neuber.  Des  mouches  volantes  de  l'œil.  Hambourg,  1830. 

NiTzscH.  Art.  Anthocephalus ,  dans  V Encyclopédie  d'Ersch  et  de 
Gruber,  1820.  —  Beitràge  zur  Infusorienkunde.  Halle,  1817  (Sup- 
pléments à  rhistoire  des  infusoires). 

NoRDMA^N.  Mikrographische  Beitràge.  Berlin,  1832  (Recherches 
micrographiques). 

Nysten.  Dictionnaire  de  médecine,  onzième  édition,  par  Robin 
et  Littré.  Paris,  1858. 

o 

Olfers.  De  vegetativis  et  animatis  corporibus  in  corporibus  repe- 
r lundis.  Berlin^  1816. 

Olaus  Magnus.  Historia  de  gentibus  septentrionalibus.  Rome, 
1555.  —  De  piscibus  monstruosis. 

Omalius  (D')  d'Halloy.  Éléments  de  péo/og'ze.  Paris,  1831. 

CEsTERLEN.  Annales  de  Henle  et  Pfeufer  pour  la  médecine  ra- 
tionnelle, t.  V,  p.  434. 

Ovide.  Métamorphoses,  trad.  par  Villenave.  Paris,  1806. 

OwEN  (R.).  On  Parthenogenesis  orthe  successive  production  of  in- 
dividuals  from  a  single  ovum.  1849.  —  Lecture  on  the  comparative 
anatomy  and  physiology  ofthe  invertebrate  animais.  Londres,  1843. 

—  Transactions  de  la  Société  géologique.  Londres,  1835. 


PALLAS.De  infestis  viventibus  intra  viventia.  Rotterdam. — Elen- 
chus  zoophytorum.  1766. — Observations  sur  la  formation  des  mon- 
tagnes, traduction  française.  —  Neue  nordische  Beitràge,  erster 
Band.  Leipzig,  1781. 


XXVI  BIBLIOGRAPHIE. 

Paracelse.  Operum  medico-chimicorum  sive  parado'xorum,  to- 
mus  genuinusprimus.  Francfort,  1603.  —  De  vita  rerum  natura- 
lium.  —  Chap.  De  gêner ationibus  rerum  naturalium. 

Paré  (A.).  OEuvres  chirurgicales.  Paris,  1840. 

Passalacqua.  Catalogue  raisonné  des  antiquités  égyptiennes.  Pa- 
ris, 1818. 

P ASTEVf^.  Nouveaux  faits  pour  servir  à  l'histoire  de  la  levure  lac- 
tique. Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences,  1859. 

Paulus  Sanctinus.  De  machinis  bellicis. 

Payen.  Précis  de  chimie  industrielle.  Paris,  1849.  —  Annales  de 
chimie  j  1843. 

Pelletier  (A.).  Observations  et  recherches  expérimentales  sur  les 
trombes.  Paris,  1840, 

Pennetier.  Journal  l'Ami  des  sciences.  Paris,  1850. 

PiCTET.  Traité  de  paléontologie  ou  Histoire  naturelle  des  animaux 
fossiles.  Paris,  1853. 

Pirri  (Filippo).  Riproduzione  de'  corpi  organizati  con  licenza. 

Pineau  (J.).  Observations  sur  les  animalcules  in fusoir es.  Ann.  se. 
nat.  Zoologie,  1848.  —  Recherches  sur  le  développement  des  ani- 
malcules infusoires  et  des  moisissures.  Ann.  des  se.  nat.  Zoologie. 

—  Supplément  aux  recherches  sur  le  développement  des  animalcules 
infusoires.  Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1845. 

Plater.  Ohserv.,  lib.  III. 

Platner.  Dissertatio  de  pestiferis  aquarum  putrescentium  expi- 
rationibus.  Leipzig,  1747. 

Plenck.  Exjgrologia,  Vienne,  1794. 

Pline.  Hist.  nat.,  liv.  XII. 

Plutarque.  Deplacit.  philos.,  cap.  xix.  —  Adv.  Coloten. 

PoGGiALE.  Bulletin  de  l'Académie  de  médecine,  1856.  —  Journal 
V Ami  des  sciences,  1856. 

PoiRET.  Cours  complet  de  botanique.  Paris,  1813. 

PoucHET  (F.  A.).  Annales  françaises  et  étrangères  d'anatomie  et 
de  physiologie.  Paris,  1838.  —  Comptes  rendus  de  l'Académie  des 
sciences,  1847.  —  Théorie  positive  de  l'ovulation  et  de  la  féconda- 
tion dans  les  mammifères  et  l'espèce  humaine.  Paris,  1847.  —  Re- 
cherches sur  les  organes  de  la  circulation,  de  la  digestion  et  de  la 
respiration  des  animaux  infusoires.  Acad.  des  sciences,  1848-49. 

—  Zoologie  classique.  Paris,  1841. 

PouCHET  (Georges).  De  la  pluralité  des  races  humaines.  Paris, 
1858,  p.  174. 

Priestley.  Expériences  et  observations  sur  différentes  espèces 
d'air,  etc.  Paris,  1779.  —  Versuche  und  Beobachtungen  uber  ver- 
schiedene  Theile  der  Naturlehre.y ienne.,  1795.  — Expériences  et 
observations  sur  quelques  parties  de  la  physique. 


BIBLIOGRAPHIE.  XXVII 


QuATREFAGEs  (De).  Souveuirs  d'un  naturaliste.  Paris,  1856.  — 
—  Rapport  sur  le  concours.  Comptes  rendus,  1858.  —  Rapport  sur 
rhelminthologie.  Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1834.  —  Comptes  rendus 
de  l'Académie  des  sciences.  Paris,  1839.  —  Études  embryofjéniques» 
Ann.  se.  nat.  Zoologie.  1848. 


R 


Raspail.  Nouveau  sijstème  de  physiologie  végétale.  Paris,  1837. 

—  Nouveau  système  de  chimie  organique.  Paris,  1838. 
Rathke.  In  Froriep's  Notizen. 

Rayer.  Traité  théorique  et  pratique  des  maladies  de  la  peau.  Pa- 
ris, 1835. 

Rayer  et  de  Nordmann.  Helminthes  dans  l'œil  de  l'homme.  Ar- 
chives de  médecine  comparée,  par  P.  Rayer,  Paris,  1842,  t.  I. 

Rayer  et  Montagne.  Journal  f Institut,  \S^2. 

Réaumur.  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  insectes.  Paris, 
1734. 

Redi.  Experienzi  intorno  alla  generazione  degli  insctti.  Florence, 
1668.  —  Osservazioni  intorno  animali  viventi  che  si  trovano  negli 
animali  viventi,  1681. 

Regnault  et  Reiset.  Recherches  chimiques  sur  la  respiration  des 
animaux  des  diverses  classes.  Paris,  1849. 

Reinbein.  Bemerkungen  ilber  den  Ursprung,  die  Entwickelung,die 
Ursachen,  Symptôme  und  Heilart  des  breiten  Bandivurmes  in  den 
Gedàrmen  der  Menschen.  Vienne,  1833  (Sur  l'origine,  le  dévelop- 
pement, les  causes,  les  symptômes  et  le  traitement  du  ténia  large 
chez  rhomme). 

Rlmak.  Diagnost.  und  pathologische  Untersuchungen  (Recher- 
ches diagnostiques  et  pathologiques).  Berlin,  1855.  —  Canstatt's 
Jaliresbericht,  1842  (Annales  de  Canstatt). 

Retzius.  Lectiones  publicœ  de  vermibus  intestinalibus.  Holm., 
1786.  —  Froriep's  Notizen,  5. 

Richard  (A.).  Histoire  naturelle  médicale.  Zoologie.  Paris,  1849. 

—  Éléments  de  botanique  -et  de  physiologie  végétale.  Paris,  1846. 
Robin  (Ch.).  Histoire  naturelle  des  végétaux  parasites  qui  crois- 
sent sur  l'homme  et  les  animaux  vivants.  Paris,  1853.  —  Des  fer- 
mentations. Paris,   1847. 

Robin  (Gh.)  et  Verdeil.  Traité  de  chimie  anatomique  normale  et 
pathologique.  VdiYÏs,  1852. 


XXVIII  BIBLIOGRAPHIE. 

Rœmer.  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences,  1673.  —  Théorie 
élémentaire,  trad.  de  l'allemand. 

RoESEL.  Jnsect.  Belustigung,  1747.  —  Récréations  entomologiques, 
part.  II. 

RoLL.  On  the  resuit  ofthe  administration  ofthetape-tuorm. 

Rondelet.  Libri  de  piscibus  marinis,  Lyon,  1554. 

Rosier.  Observations  sur  la  physique. 

Rougemont  (F.  de).  Fragments  d'une  histoire  de  la  terre. 

Rousseau  et  Serrurier.  Développement  de  cryptogames  sur  les 
tissus  de  vertébrés  vivants.  Comptes  rendus  de  Tlnstitut. 

RuDOLPHi.  Observ.  circa  vermes  intestinales.  Greifesw.,  1793. — 
Entozoorum  sivevermium  intestinalium  historia  natur  a  lis.  Amsier- 
dam,  1808.  — Entozoorum  synopsis.  Berlin,  1819. 

RuYSCH.  Thésaurus  anatomicus. 


Saint  Augustin.  Enchiridion^  cap.  xv.  —  De  civitate  Dei. 

Saint  Basile  le  Grand.  Homélies  sur  l'ouvrage  des  six  jours. 
Lyon,  1827. 

Saint  Jean.  Apocalypse,  iv,  11.  —  Ps.  cxlviii,  5. 

Saint  Jékôme.  Œuvres  de  saint  Jérôme.  Paris,  1841.  —  Traité 
contre  saint  Jean,  évéque  de  Jérusalem  (préface). 

Saint  Thomas,  Tract,  de  indulgentiâ. 

Salomon.  Psalm.  cm,  30. 

S) AjiCTORWs.  Ar s  de  staticâmedicinâ.  Y enise,  1614. 

Sauvages.  Physiologiœ  e l ementa.  Axenione,  1754. 

ScALiGER.  Traduction  latine  de  V Histoire  des  animaux  A' Arhioie. 
Toulouse,  1619. 

ScHACHT  (Hermann).  Rapport  au  collège  royal  d'économie  rurale 
sur  la  pomme  de  terre  et  ses  maladies.  Berlin,  1856. 

ScHjEFFER.  Die  Egelschnecken.  S.  29. 

ScHELLiNG.  Idées  pour  servir  à  une  philosophie  de  la  nature.  — 
—  Zeitschrift,  1800  (Annales).  —  Sur  la  spéculation  et  l'expérience 
en  physique,  p.  365,*  trad.  par  Bénard.  —  Philosophische  Briefe 
uber  Dogmatismus  und  Kriticismus,  1795  (Lettres  philosophiques, 
dogmatiques  et  critiques). 

ScHEUCHZER;  Physîca  sacra  iconibus  illustrata.  Zurich,  1721.  — 
Musœum  diluvianum,  1716. 

ScHLEiDEN.  Sur  la  formation  de  l'ovule  et  l'origine  de  l'embryon 
dans  les  phanérogames .  Ann.  se.  nat.  Botanique. 

ScHLEisNER.  Forsog  til  en  Nosographie  of  Island.  Copenhague, 
1849  (Essai  d'une  nosographie  d'Islande). 


BIBLIOGRAPHIE.  XXIX 

ScHMALZ.  Tahuke  anatomicœ  entozoorum.  Dresde,  1831. 

ScHMEERLiNG.  Recherches  sur  les  ossements  fossiles  de  la  province 
de  Liège,  1825. 

ScHMiTz.  De  vermibus  in  circulatione  viventibus.  Berolini. 

ScHRANK.  Fauna  Bnica.  Nuremberg,  1798. 

ScHROEDER.  Cosmos.  Revue  encyclopédique.  Paris,  1859. 

ScHULTZE.  Annalesde  Poggendorf.ASSl» — Edinburghnew  philoso- 
phical  Journal,  octobre  1827.  —  Notice  ofthe  resuit  of  an  expé- 
rimental observation  made  regarding  equivocal  génération.  — 
Expériences  sur  les  générations  équivoques.  Ann.  se.  nat.,  2®  série. 
Zoologie,  t.  YIII,  p.  320.  —  Mikroskopische  Untersuchunyen  iiber 
Brown's  Entdeckung  lebender  Theilchen  in  allen  Korpern^  p.  29 
(Recherches  microscopiques  sur  le  mouvement  brownien). 

ScHWANN.  Observations  microscopiques  sur  l'analogie  de  struc- 
tion  et  d' accroissement  des  végétaux  et  des  animaux.  Ann.  se.  nat. 

ScHWEiNiTZ.  Carol.^  n°  1298. 

Senebier.  Journal  de  physique,  1781.  —  Sur  la  lumière  solaire, 
1782.  —  Ébauche  de  l'histoire  des  êtres  organisés  avant  leur  fécon- 
dation. 

Sénèque.  Natur.  quœst.,  lib,  II,  cap.  xxvi. 

Serres.  Anatomie  transcendante.  Ann.  se.  nat.  1827,  p.  47. 

Serrurier.  Dict.  scienc.  médicales,  t.  XLII,  art.  Phthiriase, 

Sichel.  Iconographie  ophthalmologique.  Paris,  1859. — Historiœ 
phthiriasis  internée  verœ  fragmentum. 

Siebold  (T.  de).  Art.  Parasites  du  Handwôrterbuch  (Encyclopé- 
die d'his.  nat.,  article  parasites).  —  Manuel  de  phijsiologie,  1844. 
—  Zeitschr.  fur  wiss.  Zool.,  1850  (Annales  de  zoologie).  —  Mé- 
moire sur  les  vers  rubanés  et  vésiculaires  de  thomme  et  des  ani- 
maux. Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1855.  —  Mémoire  sur  la  génération 
alternante  des  cestoîdes.  Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1851. 

Siebold  et  Stannius.  Anatomie  comparée.  Paris,  1850. 

Sluyter.  Devegetabilibus  organismi  animalis  parasitis.  Berolini,- 
1847. 

Sonnerat.  Voyage  aux  Indes  orientales.  Paris,  1782. 

Spallanzani.  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale.  Pavie, 
1787.  —  Observations  et  expériences  sur  Jes  animalcules. 

Sperlingius  (J.).  Zoologie. 

Spinosa.  Tractatus  theologico-politicus.  Amst.,  1670. 

Sprengel.  Von  demBauundder  Natur  der  Gewàchse.  Halle,  1812 
(Delà  structure  et  de  la  nature  des  végétaux). 

Spring.  Sur  une  mucédinée  développée  dans  la  poche  abdo- 
minale d'un  pluvier  doré.  Bulletin  de  TAcadémie  royale  de 
Bruxelles,  1848. 

Stahl(E.).  Theoria  medica  vera.  Halse,  1737,  p.  SS^.^Disqui- 


XXX  BIBUOGKAPHIE. 

sitio  de  mechanismi  et  organismi  diversitate.  —  Demonstratio  de 
mixti  et  vivi  corporis  vera  diversitate. 

Steenstrup.  Gêner ationswechsel.  Copenhague,  1842  (De  la  gé- 
nération alternante).  — '  On  ihe  alternation  of  générations.  Lon- 
dres, 1845. 

Stein.  Recherches  sur  le  développement  des  vorticelles.  Ann.  se. 
pat.  Zoologie,  1842.  — Siebold  and  Kôlliker's  Zeitschr.  V.  —  Die 
Jnfusionsthierchen,  etc.  (Les  infiisoires). 

Sténon.  De  solido  intra  solidum  natur aliter  contento  dissertation 
nis  prodromus.  Florence,  1669. 

Strabon.  Géographie;  trad.  franc. 

Straus.  Théologie  de  la  nature.  Paris,  1852. 

Suider.  La  crea^/on.  Paris,  1859. 

Sylvius.  Opéra  medica.  Amstel.;,  1679. 

Swammerdam.  Bihlia  natur œ,  seu  historia  insectorum.  Leyde, 
1737. 


Terechovski.  Diss.  de  chao  infusorio  Linnœi. 

Thénard.  Traité  de  chimie.  Paris,  1815. 

Theuet.  Cosmographie. 

Thomson  (Allen).  Génération.  Todd's  cijclopedia  of  anatomy  and 
physiology. 

Thompson.  Transactions  philosophiques,  1787. 

TiEDEMANN.  Phijsiologie  de  l'homme.  Paris,  1831. 

TiNEL.  L'f/mon  médicale.  Paris,  1859,  n.  1. 

Trécul.  Comptes  rendus,  1858. 

Treutler.  Observ.  pathol.  anat.  ad  Helminthologiam  corp.  hu- 
mani.  Leipz.,  1793. 

Treviranus  (L.  C).  Beitràge  zur  Pflanzenphysiologie  (Supplé- 
ment à  la  physiologie  végétale).  —  Traité  de  physiologie  de 
l'homme.  Paris,  i%'6{.  — Biologie.  Gœttingue,  1802. 

TuRPiN.  Règne  organique. —  Dictionnaire  des  sciences  naturelles. 
Végétaux  microscopiques,  pi.  iv,  fig.  1.  —  Mémoires  de  l'Institut, 
t.  XVII. 


Valencieinnes.  Observation  d'une  espèce  de  ver  de  la  cavité  ab- 
dominale d'un  lézard  vert  {Dithyridium  lacertœ,\d.\.).  Ann.  se. 
nat.  Zoologie,  1844,  t.  II,  p.  248.—  institut,  t.  XlX. 

Valentin.  Repertorium,  1840.— De  la  présence  d'entozoaires  dans 
le  sang.  Archives  de  médecine  comparée  de  Rayer,  t.  I,  p.  42,  43. 


BIBLIOGRAPHIE.  XXXI 

— Nov.  ad.  nat.cur.,  t.  XIX. — Tex  book  ofphysiology.  Londres. — 
De  functïonibtts  nervorum  cerebralium  et  nervi  sympathici,  1839. 

Vallisneri.  Dialoghi  fra  Malpighi  e  Plinio,  intorno  la  curiosa 
origine  di  molli  inselti.  Venise,  1700.  —  Considerazioni  ed  espe- 
rienze  intorno  alla  generazione  dei  vermi  ordinari  del  corpo  umano. 
Padoue,  1710. 

Van  Beneden.  De  l'homme  et  de  la  perpétuation  des  espèces.  Bruxel- 
les, 1859. — Les  vers  cesto'ïdes  ou  acotyles.  Briixelle?,  1850. — Bulle- 
tinde  l'Académie  royale  des  sciences  de  Belgique,  t.  XXI,  n.  5  et7. — 
Note  sur  des  expériences  relatives  au  développement  des  Cysticer- 
ijues.  Aiin.  se.  nat.  Zoologie,  1855.  —  Nouvelles  observations  sur 
le  développement  des  vers  cesto'ïdes.  Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1853. 

Van  Be^seden  etGERVAis.  Zoologie  médicale.  Paris,  1859. 

Van  Helmont.  Or^ws  mec//cmœ.  Amsterdam,  1648. 

Van  der  Hoeven  (J.).  Handbook  of  zoology.  Londres,  1856. 

Van  Swieten.  Comment.  VI,  ad  s.  cxxv,  de  Podagrâ. 

ViBORG.  Magazin  der  Gesellchafft  naturforschender  Freunde  zu 
Berlin,  t.  XI,  p.  74.  — Ann.  de  la  Soc.  des  nat.  de  Berlin. 

ViREY.  Dict.  se.  méd.,  article  Fermentation.  —  Dictionnaire 
d'hist.  nat.  de  Déterville,  article  Génération,  t.  XU. 

Virgile.  Géorgiques,  épis.  d'Aristée. 

VoGEL.  Anatomie  pathologique  générale.  Pa.r\s,  1846. 

VoGT.  Bilder  aus  dem  Thierleben,  1852,  p.  217  (Scène  de  la  vie 
animale).  —  Sur  la  transmigration  des  vers.  Bib.  univ.  de  Genève, 
1851. 

VoiGT.  Éléments  d'histoire  naturelle.  1817. 


ZiMMERMANN.  Archiv.  fur  gesammte  Naturlehre,  1. 1  (Archives  de 
rhistoirc  naturelle). 

W 

Wagner  (R.).  Handwôrterbuch  der  Physiologie.  Braunschweig, 
1844  (Dictionnaire  de  la  physiologie).  —  Icônes  physiologicœ, 
tab.  H.  —  Histoire  de  la  génération  et  du.développement.  Bruxelles, 
1841. 

Werner.  Vermium  intestinalium,  etc.,  brevis  expositio.  Leipzig, 
1782. 

Whewell  (W.).  T/ie  philosophy  ofthe  inductive sciences.  London, 
1847. 

WiLLis  (T.).  Opéra  omnia.  Genève,  1680.  De  fermentatione. 

WiSEMAN.  Lectures  on  science  and  revealed  Religion. 


XXXII  BIBLrOGRAPHIE. 

WoLKE.  Relations  du  professeur  Wolke.  Gilhert's  Annalen,  1.  X. 
WoLF.  Theoria  generationis,  t.  II,  p.  2-16. 
^ooDWAnu.  Géographie  physique  ou  Essai  sur  l'histoire  naturelle 
de  la  terre.  1695. 

Wrisberg.  Observationum  de  animalculis  infusoriis  naturâ,  Gœt- 
tingue,  1765. 


HÉTÉROGÉNlÊ 


OU 


f         r 


TRAITE  DE  LA  GENERATION  SPONTANEE 

CHAPITRE   PREMIER. 

HISTORIQUE. 

La  génération  spontanée  est  la  production  d'un 
être  organisé  nouveau,  dénué  de  parents,  et  dont 
tous  les  éléments  primordiaux  ont  ététirés  de  la  ma- 
tière ambiante.  Celle  définition  se  rapproche  de 
toutes  celles  des  physiologistes  modernes,  mais  elle 
est  seulement  un  peu  plus  explicite,  plus  précise. 

Cette  génération,  ainsi  que  l'exprime  Burdach, 
étant  la  manifestation  d'un  être  dénué  de  parents, 
est  par  conséquent  une  génération  primordiale,  une 
Création!  L'illustre  savant  qui  a  soutenu  si  magnifi- 
quement l'existence  de  ce  phénomène  auquel  il 
donne  le  nom  dliétérogénie,  ajoute  qu'on  le  recon- 
naît partout  où  nous  voyons  paraître  un  corps  or- 
ganisé sans  apercevoir  un  autre  corps  de  même  na- 
ture  dont  il  puisse  procéder  (1). 

i 

( l) Burdach, Trmïe  de  physiologie.  Trad.  de  Jourdan,  Paris,  1837, 
t.  I,  p.  8. 

POUCHET.  1 


f 


HETEROGENïE. 


C'est  ce  mode  de  reproduction  qui  a  été  successi- 
vement appelé  génération  primitive^  primigène^  ori- 
ginaire, directe,  équivoque  {\)  elspontéparilé  {2). 

La  question  de  la  génération  spontanée  a  divisé 
les  savants  en  deux  camps  opposés,  et  les  hommes 
les  plus  illustres  ont  pris  part  aux  luîtes  animées  et 
incessantes  auxquelles  ce  grave  sujet  a  donné  lieu 
depuis  tant  de  siècles.  La  victoire  est  encore  indécise; 
aussi  reste-t-il  quelque  gloire  à  conquérir  pour  celui 
qui  la  fera  pencher  de  son  côté. 

Pour  nous,  nous  combattons  à  l'abri  d'une  ban- 
nière bien  respectable  et  bien  imposante,  puisque 
déjà,  dans  l'antiquité,  elle  portait  les  noms  d'Anaxa- 
gore,  de  Leucippc,  de  Démocrite,  d'Épicure,  d'Aris- 
tote,  de  Pline,  de  Lucrèce  et  de  Diodore  de  Sicile;  et 
que  depuis  la  Renaissance  jusqu'à  nos  jours,  on  a  vu 
successivement V^  inscrire  ceux  de  Rircher,  Rondelet, 
Aldrovande,  Matthiole  ,  Fabri  ,  Bonanni,  Burnet, 
Gassendi,  Morison,  Dillen,  BufTon,  GuéneaudeMont- 
béliard,  Needham,  Priestley,  ïngsnhousz,  Gleichen, 
Stenon,  Baker,  Wrisberg,  Fray ,  Werner,  0.  F.  Muller, 
Braun,  Pallas,  Rudolphi,  Bremser,  Goeze,  Nées 
d'Esenbeck,  Eschricht,  Unger,  Allen  Thomson, 
de  Lamélherie,  Cabanis,  Lavoisier,  Lamarck,  Saint- 
Amans,  Turpin  Desmoulins,  Latreille,  Bory  Saint- 
Vincent,  Dumas,  Dugès,  Eudes  Deslonchamps,  Gros, 
Tiedemann,  Treviranus,  Bauer,  J.  Muller,  Burdach, 


(1)  BuRDACii,  Traité  de  physioloyie.  Paris,  1837,  l.  I,  p.  8. 
[2]  Dugès  ,  Traité  de  phijsiologie  comparée.    Paris,  1839,  t.    II, 
p.  197. 


f:' 


HISTORIQUE.  3 

Carus,  Oken,  Yaientin,  Dujardin,  et  A.  Richard  (1). 

Nous  n'entendons  nullement,  en  nous  appuyant  de 

l'autorité  de  tant  d'hommes,  dont  la  plupart  se  sont 

(1)  Comp.  Aristote,  Histoire  des  animaux.  l?airis,{lS3.  —  Traité 
de  la  génération.  —  Diodore  de  SiaLK,  Bibliothèque  historique. 
Trad.  Paris,  1846. — Pline.  Histoire  naturelle.M'^.Xj  chap.  lxxxvii. 
Lucrèce,  Dererum  naturd.  Paris,  1680.  —  Kirciier,  Mundus  suh- 
terraneus.  Amslei'dam,  1678.  —  Rondelet,  Universœ  aquatilium 
Historiœ pars  altéra,  etc.  Lyon,  1554.  — Gassendi,  Devila,  mori- 
bus  et  placitis  Epicuri.  L\ou,  1648.  — Burnet,  TeUuris  theoria 
sacra.  Londres^  1689.  —  Matthiole,  Commentarii  in  sex  libros 
Ped.  Dioscorid.  Venise,  1o65.  —  Buffon,  Histoire  naturelle.  Sup- 
pléments, t.  IV.  —  Guéneaude  Montbéll\rd,  Notes  sur  la  bible  de 
la  nature  de  Swammerdam.  Dijon,  17o8.  —  Needham,  Observa- 
tions upon  the  génération,  composition  and  décomposition  of 
animal  and  vegetabîe  substances.  Londres,  1749.  — Priestley, 
Versuche  und  Beobachtungen  ueber  verschiedene  Thelle  der  Na- 
turlehre.  Vienne,  1795.  —  Ingenhousz,  Miscellanea  phijsico-medio. 
éd.  Scherer.  —  Gleichen,  Dissertation  sur  la  génération,  les  ani- 
malcules spermatiques  et  ceux  d'infusion.  Paris,  an  VIL  —  Baker, 
The  Microscope  made  easy.  Londres,  1743.  — Wrîsberg,  Obser- 
vationes  de  animalcul.  infusor.  naturd.  Gottingue,  1764.  —  Fray 
Essai  sur  l'origine  des  corps  organisés  et  inorganisés.  Paris,  1817. 
— Werner,  Vermium  intestinaliumprœsertim  tœniœ  humanœ.  Leip- 
zig, 1782. — BuRMEisTER,  Handbuch  dcr  Eutomologie.  (Manuc!  d'en- 
tomologie). Berlin,  1795. —  0.  F.  "SluLLE^yAnimaliuminfusoriorum 
succincta  historia.  Copenh.,  1773.  — Pallas,  De  insectis  viventibus 
intra  viventia.  Leyde,  1760.  —  Rudolphi,  Entozoorum  sive  ver- 
mium intestinalium  hisforia  naturalis.  Amsterdam,  1809.  — 
Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique  sur  les  vers  intesti- 
naux. Paris,  1824.  —  Goeze,  Mémoire  sur  les  animalcules  d'infu- 
sion. —  J.  Muller,  Manuel  de  physiologie.  Paris,  1845.  —  Allen 
TnoMSON,  Génération  of  Todd's  Cyclopœdia  of  Anatomy  and  Phy- 
siology,  t.  Il,  p.  421. — De  Lamétherie,  Sur  Torganisation  animale 
et  végétale.  Vues  physiologiques.  —  Cabanis,  Rapports  du  phy- 
sique et  du  moral  de  l'homme.  Paris,  1824.  —  Lamarck,  Philoso- 
phie zoologique.  Paris,  1809.  Histoire  naturelle  des  animaux  sans 
vertèbres.  Paris,  1 822. —Turpin^  Règne  organique,  p.  28.  ■— Bory 


^  HETEROGENIE. 

illustres  dans  les  sciences  ou  la  philosophie,  que 
leurs  doctrines  reposent  toujours  sur  des  bases  so- 
lides, bien  loin  s'en  faut;  mais  ce  que  nous  préten- 
dons seulement,  c'est  que  le  sentiment  de  l'existence 
de  la  spontéparité  était  inhérente  tous,  et  que  tous 
le  possédaient. 

Mais  nous  n'ignorons  pas  non  plus  que,  d'un  autre 
côté,  il  existe  aussi  des  savants,  dont  quelques-uns 
ont  une  immense  valeur,  qui  ont  combattu  vivement 
cette  hypothèse:  parmi  eux  on  compte  Redi,  Vallis- 
neri,  Swammerdam,Réaumur,  Bonnet,  Spallanzani, 
Andry,  Virey,  Cuvier,  Flourens,  Ehrenberg,  I.  Bour- 
don etLonge  t  (1). 

Saint-Vincent,  Essai  sur  les  animaux  microscopiques.  Paris,  1826. 
Encycl.  métli.,  art.  Ptisychodiaires.  Zooph.  Dict.  class.d'liist.  nat. 
—  IJuMAS,  Dictionnaire  classique  d'iiisloire  naturelle.  Paris,  1825, 
t.  VU.  —  DnGÈs,  Physiologie  comparée.  Paris,  1838.  —  Eudes 
Deslonciiamps,  Encyclopédie  méthodique.  Zoophytes,  t.  XI, 
p.  773.  — Gros,  Bulletin  de  la  Société  impériale  des  naturalistes  de 
Moscow. —  BuRDACH,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837.  —  Carus, 
Traité  d'anatomie  comparée.  Paris,  1835.  —  G.  Treviranus,  Biolo- 
gie. Golliugue,  1802.  —  F.  Tif.demann,  Traité  complet  de  physio- 
logie de  l'homme.  Paris,  183  i.  — Dujardin,  Histoire  naturelle  des 
infusoires.  Paris,  1841.  Histoire  naturelle  des  helminthes.  Pa- 
ris, t845.  — Valentjn,  A  Text-book  of  Physiology.  Londies.  — 
RiciiAiiD,  Histoire  naturelle  médicale.  Paris,  1849.  —  Gérard^ 
Dict.  univ.  d'hist.  nat.,  art.  Génération. 

(1  )  Comp.  Redi,  Expérimenta  circa  generationem  insectorum.  Am- 
sterdam, 1 G7  i . —  VALLIs^ERI,  Dialoghi  fra  Malpighi  e  Plinio  inlorno 
alla  curiosa  origine  di  molli  insetti.  Venise,  1700.  —  Considera- 
zioni  ed  esperienze  intorno  alla  generazione  de'  vermi  ordinari  del 
corpo  umano.  Padoue,  1710.  —  Swammerdam,  Biblia  naturœ  nve 
hisloria  insectorum.  Leyde,  1737.  —  Réaumur,  Mémoires  pour 
servir  à  l'histoire  des  insectes.  Paris,  1734.  —  Andry,  De  la  géné- 
ration des  vers  dans  le  corps  de  l'homme.  Paris,  1741.  —  Bonnet, 


HISTORIQUE.  •  5 

De  Blainville  et  de  Gandoile  sont  restés  absolument 
indécis  au  milieu  de  tant  de  combattants,  et  plusieurs 
physiologistes  modernes,  tels  que  Martini,  Béclard, 
les  ont  imités  (1). 

Les  antagonistes  de  la  génération  spontanéeont  par- 
fois traité  ses  partisans  avec  une  rigueur  qu'on  n'a  ja- 
mais en  défendant  une  loyale  cause;  et  souvent  même 
ils  ont  représenté  leurs  théories  comme  n'étant  que 
le  fruit  de  la  démence;  cependant  les  noms  illustres 
qui  abritent  celle-ci  de  leur  autorité,  devaient  avoir 
droit  à  plus  de  respects,  et  les  opinions  d'hommes 
qui  ont  tant  honoré  les  sciences  méritaient  bien  un 
simple  examen  avant  d'obtenir  une  si  dédaigneuse 
réprobation. 

Nous,  nous  combattons  avec  une  armée  plus  ma- 
gnanime et  plus  disciplinée,  et  si  nous  aspirons  à  faire 
triompher  nos  opinions,  confiant  en  nos  forces,  nous 
ne  voulons  devoir  ce  succès  qu'à  une  lutte  libre  et 

Considérations  sur  les  corps  organisés.  Amsterdam,  1762.  —  Spal- 
LANZAM.  Opuscules  de  pliysique  anim.  et  végét.  Paris,  1787.  — 
Saggio  di  osservazioni  microscopiche  concenienti  il  sislema  délia 
generazione  di  Needham  e  Buffon.  Modène,  1767.  —  Virey,  Dic- 
tionnaire de  Déterville, art.  Génération,  t.  XII,  p.  S43. — Ehreisberg, 
Die  Infusionsthierchen  als  voUkommene  Orgaiiismen.  (Les  infu- 
soires  organisés  complètement.)  Leipzig,  1838.  —  Cuvier,  Règne 
animal.  Paris,  — Flourens,  Cours  sur  la  génération,  l'ovologie 
et  l'embryologie.  Paris.  1835.  Histoire  des  travaux  de  Buffon, 
p.  97.  —  L  BouiiDON,  Principes  de  physiologie  comparée.  Paris, 
1830.  —  LoNGET,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1841. 

(1)  De  Blainville,  Manuel  de  zoophylologie.  Paris,  1834.  —  Cours 
de  physiologie  générale  et  comparée,  Paris,  1835.  —  De  Candolle, 
Physiologie  végétale.  Paris,  1832. —  Béclard,  Traité  élémentaire 
de  physiologie.  Paris,  1856.  — Martini,  Éléments  de  physiologie. 
trad.  de  l'italien.  Paris,  1824,  p.  539. 


6  HETEROGENIE. 

vive  peut-être,  mais  vierge  de  tout  excès  et  de  tout 
reproche. 

La  vérité,  comme  le  dit  le  savant  Chevreul,  est 
pour  tout  homme  de  bien,  quelle  que  soit  sa  position 
dans  le  monde,  ce  qu'il  y  a  de  plus  précieux;  car  tôt 
ou  tard  elle  triomphera  de  l'erreur  (1).  Nous  y  comp- 
tons et  nous  avons  foi  en  l'avenir  et  en  nos  travaux 
consciencieux. 

Descartes  voulait  qu'on  examinât  toutes  les  ques- 
tions scientifiques,  même  les  plus  invraiscniblables  et 
les  plus  fausses,  «  afin,  disait-il,  de  connaître  leur 
«juste  valeur  et  de  se  garder  d'en  être  trompé.» 
C'est  cette  faveur  que  j'implore  ici  ;  et  je  demande 
en  grâce  qu'on  ne  juge  cet  écrit  qu'après  l'avoir  lu  et 
médité  (2). 

Nous  devons  avouer^,  en  débutant,  que  c'est  en 
poussant  leurs  prétentions  jusqu'au  delà  du  possible 
et  parfois  môme  jusqu'à  l'absurde,  que  certains  par- 
tisans de  l'hétérogénie  ont  entravé  une  cause  qu'ils 
prétendaient  défendre.  Fray  est  malheureusement 
tombé  dans  cet  excès  en  prétendant  avoir  vu  des 
limaçons  et  des  vers  de  terre  naître  au  milieu  des 
substances  organiques  en  fermentation  (3). 

Est-ce  la  faute  de  cette  sérieuse  question,  qui  exi- 
geait les  plus  déHcates  observations  des  naturalistes, 
les  plus  abstraites  méditations  des  philosophes,  si 

(1)  Chkvreul,  Lettres  adressées  à  M.  Villemain  sur  la  méthode 
en  général.  Paris,  1856,  p.  3. 

(2)  Descartks,  Discours  delà  méthode.  Paris,  1845,  p.  4. 

(3)  Fray,  Essai  surPorigine  des  corps  organisés  et  inorganisés. 
Paris,  1817.  — -  Burdacii,  Phys.,  p.  17. 


HISTORIQUE.  ' 

elle  a  subi  de  compromettantes  interprétations?  Les 
rêveries  de  ralchimie  ont-elles  fait  condamner  la 
science  des  Lavoisier  et  desDavy?  L'immense  savoir^ ^ 
d'Arislote  est-il  compromis  pour  avoir  avancé  qué^^^^^ 
j   c'est  du.  Union  de  nos  fleuves  que  naissent  les  an-     . 
guilles(l)? 

Ainsi  M.  Camus  se  révolte  à  Tidée  «  d'attribuer  à  un 
assemblage  fortuit  ou  au  hasard,  la  production  d'un 
être  qui  a  des  organes  aussi  parfaits  dans  leur  genre, 
aussi  propres  à  remplir  la  fin  à  laquelle  ils  sont  des- 
tinés. Comment,  ajoute-t-il,  rapprocher  jamais  deux 
termes  aussi  éloignés  que  le  sont  une  opération  for- 
tuite et  un  résultat  aussi  parfait  que  l'est  le  corps 
d'un  animal  quelconque  (2)?  » 

Je  ne  me, soulève  pas  avec  moins  d'énergie  contre 
cette  idée  que  fie  le  fait  ce  savant  helléniste  ;  c'est  là 
justement  qu'est  le  point  culminant  de  la  dissidence, 
el  il  faut  bien  spécifier  que  par  génération  spon- 
tanée, nous  n'entendons  pas  plus  que  celle-ci  forme 
un  insecte  de  toutes  pièces,  que  nous  n'entendons 
qu'il  naît  fortuitement  un  homme  dans  l'ovaire  delà 
femme.  Mais  nous  prétendons  seulement  que,  sous 
l'influence  de  forces  analogues  encore  inexpliquées, 
et  qui,  comme  le  dit  Cabanis  (3), "resteront  vraisem- 
blablement inexplicables,  il  se  produit,  soit  dans  les 
animaux  eux-mêmes,  soit  ailleurs,  une  manifestation 

(i)  Aristote,  Histoire  des  animaux.   Paris,  1783,   p.*  367.  — 
Traité  de  la  géncration,  iiv.  111,  ch.  ii. 

(2)  Camus,  Notes  sur  l'Histoire  des  anirnaux  d'Aristote,  p.  345. 

(3)  Cabanis,  Rapports  du  physique  et  du  moral  de  l'homme. 
Paris,  1824,  t.  Il,  p.  236. 


rkcr^r 


8  HETEROGENIE. 

plastique  qui  tend  à  grouper  des  molécules;  à  leur 
imposer  un  mode  spécial  de  vitalité  dont  il  résulte  en- 
fin un  nouvel  être,  en  rapport  avec  le  milieu  où  ses 
éléments  ont  été  primitivement  puisés. 

J'espère  que  nous  abordons  la  question  sans  am- 
bages. 

C'est  en  prêtant  aux  hétérogénistes  de  notre  temps 
les  prétentions  des  atomistes  de  l'antiquité,  qu'on  a 
soulevé  contre  eux  de  légitimes  répugnances.  Lais- 
sons à  chaque  siècle  la  responsabilité  de  ses  doctrines 
et  de  ses  erreurs,  et  n'entravons  point  la  marche  du 
nôtre  en  accumulant  les  fautes  des  autres  époques; 
la  gloire  des  sciences  modernes  n'a  plus  à  compter 
avec  les  vieilleries  des  temps  passés. 

Éludions  la  question  dans  ses  proportions  ra- 
tionnelles, et  nous  verrons  ses  adversaires  dispa- 
raître. 

Lorsqu'on  envisage  celle-ci  sous  ce  point  de  vue, 
on  voit  que  l'épreuve  que  Balbus  propose  aux  épicu- 
riens, et  que  reproduisent  sans  cesse  tous  les  scolas- 
liques,  n'est  réellement  qu'une  puérilité  (1  ).  Car  il  ne  ^,, 
doit  pas  être  plus  permis  aux  molécules  de  la  matière 
de  se  grouper  fortuilement  dans  l'ovaire  d'un  animal 
pour  y  donner  naissance  à  un  nouvel  être,  qu'il  ne 
leur  est  permis  de  s'agglomérer  dans  un  milieu  diffé- 
rent pour  arriver  au  même  résultat.  Il  ne  s'agit  plus 

({)  Camus,  Notes  sur  Thistoire  des  animaux  d'Aristote,  p.  345. 
—  Balbus  voulait  que  les  épicuriens,  pour  prouver  leur  système, 
jetassent  épars  une  foule  de  caractères  pour  voir  s'il  résulterait 
jamais  de  leur  groupement  fortuit  quelque  poème  suivi  ou  au 
moins  quelques  vers.  Cicéron,  De  nat.  Deor.^  lib.  II. 


HrSTORIOUE.  g 

ici  que  de  savoir  si  l'Intelligence  suprême,  si  ïordre 
de  Dieu,  comme  l'appelait  Van  Helmonl  dans  son  style 
poétique  (1),  a  ou  non  permis  que  la  même  force 
plastique  qui  est  mise  en  œuvre  dans  l'organisme  des 
animaux  et  des  plantes,  puisse  aussi,  dans  certaines 
circonstances,  se  manifester  au  milieu  des  débris  de 
ceux-ci  ;  ou  enfin  si  la  même  loi  qui  préside  à  la 
formation  d'un  ovule  dans  le  tissu  du  slroma  peut 
également  élever  à  la  puissance  d'un  œuf  les  molé- 
cules organiques  dispersées  en  d'autres  endroits. 

C'est  dans  une  autre  direction  qu'on  ne  l'a  fait  gé- 
néralement qu'il  faut  considérer  la  génération  spon- 
tanée. Lui  prêter,  comme  on  le  fait,  la  création  immé- 
diate d  animaux  parfaits,  surgissant  instantanément 
de  a  rencontre  fortuite  de  leurs  éléments  au  milieu 
de  la  matière,  c'est  nous  reporter  aux  absurdités  anti- 
ques, dont  la  critique  a  fait  ample  justice;  et  c'est 
prêter  a  ce  mode  de  génération  une  puissance  que  n'a 
même  pas  la  reproduction  sexuelle,  où  tout  com- 
mence par  des  phénomènes  de  l'ordre  le  plus  obscur 
et  se  manifeste  successivement.  La  génération  spon- 
anee  ne  crée  pas  un  être  adulte,  elle  procède  par 
les   mêmes  voies  que  la  génération  sexuelle,  qui, 
comme  nous  le  démontrerons,  est  elle-même  d'abord 
un  acte  tout  spontané,  par  lequel  la  force  plasti- 
que rassemble  dans  un  organe  spécial  les  éléments 
primitifs  de  l'organisme.  De  façon   que  la  généra- 
tion qu'on  appelle  sexuelle,  comme  l'ont  déjà  dé- 
montré nos  travaux,   est  réellement  précédée  d'un 


(1)  Van  Helmont,  Ortes  mcAcm*.  Amslerdam   1648  yi  \jr^--^«.  A 

(uj{lIBRARYJ:J 


10  HÉTÉROGÉNIE. 

phénomène  tout  individuel  et  tout  spontané    (1). 

Dans  l'ovaire  d'un  animal,  si  la  force  vitale  est 
réglée  pour  produire  un  être  dont  l'essence  dérive 
des  conditions  particulières  qu'y  offre  la  matière  ani- 
mée, il  en  est  de  même  dans  la  substance  proligère 
primaire;  la  force  plastique  y  est  réglée  aussi  pour 
produire  des  êtres  dont  l'essence  dérive  du  milieu 
qui  les  engendre.  Le  contraire  serait  tout  aussi  anor- 
mal dans  un  cas  que  dans  l'autre. 

C'est  donc  sur  un  autre  terrain  que  nous  voulons 
poser  la  question.  Il  faut  absolument,  pour  la  vider 
scientifiquement,  la  reporter  au  point  initial,  ei  c'est 
ce  que  nous  ferons  dans  tout  le  cours  de  cet  ouvrage. 


§  I.  —  Antiquité. 

L'idée  de  l'existence  des  générations  spontanées 
est  si  naturelle,  qu'on  en  trouve  des  traces  dans  les 
plus  graves  écrits  de  toutes  les  nations  et  de  tous  les 
temps.  J'avoue  que  celles-ci  n'ont  ordinairement 
rien  de  sérieux,  surtout  lorsqu'elles  figurent  dans  les 
anciens  mythes  ou  les  croyances  populaires,  mais  il 
n'en  ressort  pas  moins  un  argument  de  quelque  va- 
leur, c'est  que  la  notion  de  la  spontéparité  est  uni- 
versellement répandue,  et  a  traversé  tous  les  siècles 
de  la  civilisation. 

Dans  les  Juges,  l'écrivain  inspiré  fait  naître  un  es- 
saim d'abeilles  de  la  corruption  des  entrailles  d'un 

(1)  PouciiET,  Théorie  positive  de  l'ovulation  et  de  la  féconda- 
tion dans  les  mammlCères  el  respècc  humaine.  Paris,  1847. 


HISTORIQUE.  ANTIQUITÉ.  H 

jeune  lion,  et  Samson  en  dérobe  le  miel  pour  son 
festin.  Plus  loin,netrouve-t-on  pas  dans  l'Ecclésiaste 
une  idée  des  perpétuelles  mutations  de  la  matière, 
lorsque  le  sage  Roi  s'écrie  :  «  Tout  va  en  un  même 
lieu,  tout  a  été  fait  de  poudre,  et  tout  retourne  en 
poudre  (1)?» 

Le  rabbin  Ame  cite  des  chapitres  du  Sanhédrin 
où  il  est  question  de  souris  et  de  vers  que  Ton 
croyait  engendrés  par  le  limon  (2). 

La  génération  spontanée  était  presque  un  dogme 
pourlaplupartdes  philosophes  de  l'antiquité,  etcette 
sentence  :  Corruptio  iinius  est  generalio  allerim,  res- 
tait incontestée  comme  l'expression  d'une  vérité  fon- 
damentale. Pour  eux,  tous  les  animaux  dont  la  géné- 
ration n'étalait  pas  ostensiblement  ses  mystères  à 
nos  yeux,  étaient  réputés  comme  naissant  spontané- 
ment des  éléments  des  corps  parmi  lesquels  on  les 
découvrait,  sous  l'influence  fécondante  delà  chaleur, 
de  l'air  et  de  l'humidité.  On  attribuait  même  à  la 
terre  la  formation  des  serpents,  des  rats  et  des  tau- 
pes; à  la  fange  des  marécages,  la  production  des  gre- 
nouilles, des  anguilles  et  do  quelques  autres  poissons  ; 
aux  substances  animales  en  putréfaction  ou  aux  vé- 
gétaux, les  divers  insectes  qui  s'en  nourrissent  et  en 
sortent  parfois  par  légions  innombrables  (3).  Et  ces 


(i)  BiBL.    SAC,  Juges,  ch.  xiv,  v.  14.  —   licclésiaste,  chap.    m, 
V.  20. 

(2)  Breciier,  L^mmortalilé  de  rame  chez  les  Juifs.  Trad.  de 
raliemaudpar  I.  Cahin.  Paris,  1857.  Sanh.,  90,  91. 

(3)  Aristote,  Hisloire  des  animaux.    Tiaii.   de  Camus,   t.   I, 
p.  313.  —  Lucrèce,  Diodore  de  Sicile,  etc. 


12  HÉTÉROGÉNIE. 

croyances  furent  admises  par  la  plupart  des  écrivains 
jusqu'au  seizième  siècle. 

L'un  des  plus  illustres  et  des  plus  anciens  philoso- 
phes de  la  Grèce,  Anaxagore,  qui  naquit  l'an  BOOavant 
l'ère  chrétienne,  avait  déjà  prêté  la  plus  extrême  ex- 
tension aux  générations  spontanées,  en  supposant 
qu'au  commencement  du  monde  les  animaux  avaient 
été  formés  à  même  la  terre  sous  l'influence  de  l'hu- 
midité et  de  la  chaleur  (1).  Mais,  ce  que  le  système 
d'Anaxagore  offre  de  réellement  remarquable,  c'est 
le  rôle  qu'il  fait  jouer,  dans  la  formation  des 
corps,  à  l'élément  coordonnateur.  Il  est  le  premier, 
à  ce  que  dit  Bayle,  qui  n'abandonne  pas  les  combi- 
naisons de  la  matière  au  hasard,  à  l'aveugle  fatalité, 
en  professant  qu'une  intelligence  élevée  produisit  le 
mouvement  et  débrouilla  le  chaos.  Là  il  met  en 
scène  la  cause  efficiente  et  la  matière  passive,  l'ou- 
vrier et  les  matériaux  (2). 

Cependant  c'est  à  Leucippeque  l'on  attribue  géné- 
ralement l'invention  du  fameux  système  des  atomes, 
qui  a  joué  un  si  grand  rôle  dans  la  philosophie  an- 
cienne et  moderne,  quoique  plusieurs  écrivains, 
ainsi  qu'on  peut  le  voir  dans  Strabon,  en  reportent 
l'origine  au  delà  de  la  guerre  de  Troie  (3),  ce  qui  a 
été  réfuté  par  T.  Burnet  (4)  et  Bayle. 

{{)  DiOG.  Laert.,  lib.  II,  num.  12.— Bayi.k,  Dict.  hisl.  et  crit., 
t.  II,  p.  21. 

(2)  Bayle,  Dictionnaire  tiistorique  et  critique.  Paris,  1820,  t.  11^ 
p.  21. 

(3)  Strabon,  lib.  XVI,  p.  512. 

(4)  T.  Burnet,  Archœol.  philosoph.,  lib.  1,  p.  314.  Amster- 
dam, 1694. 


HISTORIQUE.  —  ANTIQUITÉ.  43 

L'hypothèse  de  Leucippe,  qui  a  subi  tant  de  déve- 
loppements dans  les  mains  de  Démocrite  et  surtout 
dans  celles  d'Épicure,  et  que  Lactance  a  combat- 
tue à  diverses  reprises  avec  un  si  grand  éclat  (1)  ; 
après  avoir  fourni  de  nombreux  éléments  aux  di- 
vers systèmes  des  philosophes  de  toutes  les  épo- 
ques, semble  jeter  ses  dernières  lueurs  dans  les  écrits 
de  Kepler,  de  Descartes  et  de  Gassendi,  pour  suc- 
comber tout  à  fait  sous  l'ascendant  de  la  science 
actuelle  (2). 

A  l'égard  de  la  doctrine  des  atomes,  un  incommen- 
surable espace  sépare  les  physiologistes  modernes  et 
les  philosophes  anciens,  car  il  n'existe  rien  de  com- 
mun entre  le  rôle  de  ces  atomes,  à  la  rencontre  for- 
tuile  desquels  presque  tous  ceux-ci  prêtaient  l'inces- 
sante production  des  globes  et  des  créatures  animées, 
et  les  modestes  prétentions  des  hétérogénistes,  qui  se 
bornent  à  ne  considérer  que  le  point  initial  delà 
force  vitale  et  de  la  matière. 

Mais,  malgré  la  distance  qui  sépare  tes  atomistes 
anciens  des  modernes  partisans  de  la  génération 
spontanée,  les  exagérations  des  premiers  n'en  doi- 
vent pas  moins  trouver  place  dans  l'histoire  de  celle- 
ci,  parce  que  ce  sont  elles  qui  l'ont  si  amplement 
discréditée;  leurs  rêveries,  confond^jes  avec  un  phé- 
nomène positif,  ont  déprécié  celui-ci  à  tel  point  que 
des  esprits  sérieux,  sans  se  rendre  compte  de  l'im- 

(i)  Lactance,  Divinar.  Institution,    lib.  III,  c.   xvii,  p.  190.  — 
De  ira  Dei,  c,  x,  p.  533. 

(2)Comp.    Bayle,  Dict,  philos.  Paris,  1820,  t.  IX,  p.   196.  — 
Id.,  t.  Ylll,  p.  549. 


14  HÉTÉROGÈNIE. 

mense  difTérence  des  prétentions  de  l'une  et  de  l'au- 
tre hypothèse,  les  ont  toutes  les  deux  confondues 
dans  le  même  anaihème.  Aussi  demandons-nous  ici 
que  l'on  forme  une  scission  nette  entre  les  atomistes 
et  les  spontéparistes  ;  leurs  prétentions  réciproques 
étant  désormais  bien  tranchées,  la  vérité  surgira  plus 
facilement. 

Démocrite  et  quelques  autres  philosophes,  ainsi 
que  le  confirm.ent  saint  Augustin  et  Plutarque, 
avaient  cru  que  chaque  atome  possédait  une  âme  et 
des  facultés  sensitives  (1) ,  d'autres  les  leur  avaient 
refusées. 

L'on  est  vraiment  étonné  de  voir  Plutarque  et  Ga- 
lien  traiter  sérieusement  cette  question,  et  être  imités 
par  quelques  écrivains  modernes  (2).  Dans  l'hypo- 
thèse, disent  les  premiers,  où  chaque  atome  serait 
destitué  d'âme  et  de  faculté  sensitive,  on  voit  mani- 
festement qu'aucun  assemblage  d'atomes  ne  peut  de- 
venir un  être  animé  et  sensible.  Mais  si  chaque 
atome  avait  une  âme  et  des  sentiments,  on  compren- 
drait que  les  assemblages  d'atomes  pourraient  être  un 
composé  susceptible  de  sensation  et  de  mouvement. 
La  diversité  que  l'on  remarque  entre  les  passions  des 
animaux  raisonnables  et  irraisonnables  s'explique- 
rait par  la  combinaison  différente  des  atomes;  auda- 
cieuse hypothèse  s'il  en  fut,  que  Bayle  lui-même 
paraît  cependant  fort  disposé  à  admettre  (3).  Mais  ne 

(1)  s.  Augustin,  epist.  56.  —  Plutarque,  Adv.  Coloten_,  p.  llH. 

(2)  Plutarque,  Adv.  Culoten,  p.  1 1  H.  — Galien. 

(3)  Bayle,  Dict.  philos.,  art.  Leucippe.  Paris,  1820,  t.  IX, 
p.  196. 


HISTORIQUE.  ANTIQUITÉ.  i5 

nous  arrêtons  pas  davantage  sur  de  tels  errements 
qui  ne  sont  plus  de  notre  siècle. 

Ce  que  l'on  a  débité  si  souvent  à  l'égard  des  ato- 
mes a  été  reporté  avec  usure  aux  molécules  organi- 
ques employées  à  la  génération  primaire  ;  mais  c'était 
tout  à  fait  sans  fondement,  car  les  spontéparistes  ra- 
tionnels n'attribuent  aucune   activité  spéciale  aux 
particules  des  corps,  et  selon  eux  elles  ne  se  grou- 
pent, pour  former  ceux-ci,  que  sous  l'empire  des  mê- 
mes lois  qui  président  à  la  formation  de  l'être  dans  la 
génération  ovarique.  Les  molécules  primaires  ne  sont 
pas  plus  capables  de  former  instantanément  une  mo- 
nade adulte  que  l'ovaire  d'un   quadrumane  de  pro- 
duire un  singe  tout  développé.  Et  je  m'étonne  qu'il 
faille  arriver  au  dix-neuvième  siècle  pour  s'aperce- 
voir qu'au  point  initial  tout  se  passe  de  même  dans 
les  deux  générations. 

Les  prétentions  des  anciens  philosophes  au  sujet 
de  la  génération  spontanée  ont  été  poussées  jusqu'à 
rextrême.  Ainsi,  Anaximandre  et  Empédoclc,  attri- 
buaient à  cette  génération  tous  les  êtres  vivants  qui 
peuplèrent  primitivement  le  globe;  seulement   ils 
pensaient  qu'à  leur  apparition  ceux-ci  étaient  loin 
d'avoir  la  suprême  perfection  qu'ils  revêtirent  après 
en  se  reproduisant  (1).  Aristote,  selon  les  plus  éclairés 
commentateurs,  parait  au  contraire  penser  qu'à  l'ori- 
gine des  choses  tout  a  été  créé  parla  volonté  divine, 
mais  que  malgré  cela  quelques  animaux  n'en  sont 
pas  moins  produits  par  la  génération  spontanée  (2). 

(1)  Plutarque,  De  placit.  philos.,  cap.  xix. 

{2}  Camus,  Notes  sur  V Histoire  des  animaux,  d'Aristote,  p.  344. 


i6  HÉTÉROGÉNIE. 

Dans  ses  écrits,  le  grand  philosophe  revient  à  di- 
verses reprises  sur  ce  sujet,  de  manière  qu'il  est  évi- 
dent qu'il  a  été  pour  lui  l'objet  de  méditations  sou- 
tenues. Il  admet  plusieurs  sources  à  ce  mode  de 
production:  tantôî,  selon  lui,  les  animaux  se  for- 
ment dans  la  terre  putréfiée  ;  tan  tôt  dans  les  plantes,  et 
enfin,  tantôt  dans  les  humeurs  des  autres  animaux  (1). 

Arislote,  que  Ton  doit  placer  à  la  tête  des  plus 
illustres  partisans  de  l'hétérogénie,  lui  donnait  même 
beaucoup  plus  d'extension  qu'on  ne  l'a  généralement 
fait  depuis.  Dans  son  livre  cinquième,  qu'il  consacre 
à  l'étude  de  la  Génération,  le  savant  auteur  de  V His- 
toire des  animaux  émet  que  beaucoup  de  ceux-ci  ne 
se  propagent  pas  à  l'aide  d'êtres  semblables  à  eux, 
et  qu'ils  s'engendrent  de  la  matière  lorsqu'elle  se 
trouve  dans  des  conditions  particulières.  Il  généra- 
lise même  ce  précepte  en  prétendant  «  que  tout  corps 
«sec  qui  devient  huniide,  et  tout  corps  humide  qui 
«se  sèche,  produit  des  animaux,  pourvu  qu'il  soit 
«  susceptible  de  les  nourrir  (2).  » 

Ainsi,  il  prétend  que  la  fermentation  du  limon  de 
la  mer  et  des  marécages  donne  fréquemment  nais- 
sance à  certaines  espèces  de  poissons,  en  se  fondant 
principalement  sur  ce  que  souvent  les  voyageurs  ont 
observé  que  de  nombreuses  légions  de  ceux-ci  appa- 
raissaient dans  des  marais  absolument  desséchés,  lors- 
que les  pluies  y  ramenaient  une  quantité  d'eau  suffi- 

(1)  Aristote^  Hist.  liv.  V,ch.  xv,  xix,  xxxi,  xxxîi;  liv.  VI,  ch.  xv. 
—  De  la  génération,  liv.  I,ch.  i;  'iv.  III,  ch.  ii. 

(2)  Aristote,  Histoire  des  animaux.  Trad.  de  Camus,  t.  I, 
p.  313. 


HISTORIQUE.    ANTIQUITÉ.  17 

sante(l).  II  cite  particulièrement  à  ce  sujet  les  marais 
des  environs  de  Cnide,  qui,  à  l'époque  de  la  canicule, 
devenaient  absolument  à  sec,  et  dans  lesquels  on 
voyait  pulluler  une  espèce  de  muge,  aussitôt  que  les 
premières   pluies  de  l'automne  y    avaient  ramené 
l'eau  (2).  «Il  se  forme,  dit-il,  de  la  même  manière, 
«  en  Asie,  à  l'embouchure  des  fleuves,  d'autres  petits 
«  poissons  de  la  grosseur  de  ceux  dont  on  fait  les 
«  sauces  (3);  »  ailleurs  il  prête  la  même  origine  aux 
anguilles  (4);  selon  ce  philosophe,  les  chenilles  de 
divers  papillons  ne  seraient  que  le  produit  des  plantes 
diverses  sur  lesquelles  elles  vivent  (5),  et  il  va  même 
jusqu'à  prétendre  que  certains  insectes  dérivent  do  la 
rosée  qui  baigne  les  feuilles  à  l'époque   du  prin- 
temps (6),  et  que  les  poux  du  corps  s'engendrent 
spontanément  dans  les  chairs  et  viennent  ensuite  sur« 
gir  à  la  surface  de  la  peau  (7). 

Théophraste  a  été  le  continuateur  de  son  maître 
relativement  à  ses  opinions  sur  la  spontéparité.  On  a 
de  lui  un  livre  sur  les  animaux  qui  apparaissent  su- 
bitement :  on  le  trouve  dans  la  Bibliothèque  de 
Photius(8). 


(1)  Ahistote,  Histoire  des  animaux.  Traduct.  de  Camus,  1. 1,  p.  363 

(2)  Adanson  dit  quelque  chose  d'analogue  des  marécages  de  la 
Senegambie  {Voyage  au  Sénégal). 

(3)ARisTOTE,///5^oirec;e«ammaMcc.Traduct.deCamus.t.I   n  363 
(4) /g?.,  p.  367.  '      yf- 

{^)ld.,  p.  287. 

(6)  Id.,  p.  287. 

(7)  Id.,  p.  3H. 

(8)  F.  Redi,  Génération  des  insectes,  coll.  acad.,  t.  \I,  p.  443  cite 
ce  livre.  ' 

POUCHET.  a 


18  HÉTÉROGÉNIE. 

Dans  la  suite,  les  théories  des  philosophes  grecs  que 
nous  venons  de  citer  se  répandirent  parmi  les  écri- 
vains de  la  république  et  de  l'empire  romain  ,  et 
plusieurs  de  ceux  qui  illustrèrent  l'époque  d'Auguste, 
les  admirent  même  sans  le  moindre  contrôle. 

C'est  ici  le  lieu  de  rappeler  Lucrèce,  qui  a  traité 
son  sujet  comme  poêle  et  comme  physicien,  et  a  si 
audacieusement  développé  les  théories  atomis- 
tiques  de  Leucippe  et  d'Épicure  (1).  Rien  n'ar- 
rête ce  penseur  téméraire.  Il  croit  possible  ,  dit 
Bayle,  que  les  mômes  atomes  doiit  un  homme  a 
été  composé,  et,  qui  se  dissipent  par  la  mort,  re- 
prennent, avec  le  temps,  la  même  situation  et  repro- 
duisent un  homme  :  mais  il  veut  que  les  accidents  de 
ce  nouvel  homme  ne  concernent  en  aucune  manière 
le  premier  (2). 

Pline  assure  qu'il  existe  quelques  animaux  qui 
sont  engendrés  par  des  êlres  non  engendrés,  et 
dont  l'origine  n'est  nullement  semblable  à  celle  des 
autres  espèces  (3),  et  il  assure  aussi  qu'il  se  forme 
une  foule  d'insectes  ailés  à  même  la  poussière  des  ca- 
vernes (4). 

{{)  LvciitcEf  De  rerum  naturâ.  Paris,  1680  : 

Nonne  vides  quaecumque  morâ,  fliiidoque  liquore 
Corpora  tabuerinl,  in  parva  animalia  verli? 

(2)  Batle,  Dictionnaire  historique  et  critique.  Paris,  1820,  t.  IX, 
p.  528. 

(3)  Pline,  Histoire  naturelle,  liv.X,  ch.  lxxxvii:  ctQuaedamvero 
gigiimitur  ex  non  genitis,  et  sine  uUâ  .^imili  origine.  » 

(4)  Pline,  Hist.  nat,,  liv.  XII^  cité  par  Buffon,  t.  XI, p.  30,  édition 
de  Dcux-Ponls. 


HISTORIQUE.    —   ANTIQUITÉ.  J9 

Diodore  de  Sicile,  en  décrivant  le  sol  de  la  fer- 
tile Egypte,  prélend  que,  lorsque  le  soleil  échauffe 
et  dessèche  le  récent  limon  du  Nil,  on  voit  sortir  de 
cehji-ci  une  foule  d'animaux  dont  l'origine  ne  peut 
être  douteuse,  puisqu'il  en  est  encore  parmi  eux  qui, 
incomplètement  formés,  débattent  à  la  surface  du  sol 
leur  tronc  tout  à  fait  achevé,  tandis  que  leur  train 
de  derrière  encore  informe  et  incomplet  reste  adhé- 
rent à  la  terre  (1). 

Ovide,  dans  de  magnifiques  vers,  a  raconté  le  même 
fait  (2);  et  lorsqu'il  décrit  le  déluge  deDeucalion,  il  va 
même  plus  loin,  en  prétendant  que  c'est  à  la  terre 
seule  que  fut  abandonnée  la  reproduction  des  ani- 
maux (3).  Plutarque  dit  lui-même,  que  le  sol  de  l'E- 
gypte passait  pour  engendrer  spontanément  des 
rats  (4),  et  Porphyre  fait  aussi  mention  de  cette 
croyance  (5).  Enfin, tout  le  monde  sait  que  Virgile 


(1)  DioJORE  DE  Sicile,  Bibliothèque  historique.  Paris,  1846, 
1. 1,  p.  12. 

(2)  Ovide,  Métamorphoses,  liv.  I,  v.  422  : 

Et  eodem  in  corpore  saepè 

Altéra  pars  vivit;  rudis  est  pars  altéra  tellus. 

(3)  Ovide,  Métamorphoses.  Paris,  t.  I,  p.  35: 

Caetera  diversis  tellus  animalia  formis 
Sponte  siià  peperit... 

(4)  Plutarque,  Sympo^mcon^  lib.  ÏI,  p.  131.  Par  ce  mot  il  faut 
entendre  de  petits  mammifères  de  l'ordre  des  Rongeurs,  car  le  Rat 
proprement  dit  était  inconnu  aux  anciens. 

(5)Comp.  Camus,  Notes  sur  l'Histoire  des  animaux  d'Aristote, 
p.  711.  —  YiLLENAVE,  IS'otes  sur  les  Métam.  d'Ooide^  p.  129. 


20  HÉTÉROGÉNIE. 

prétendait  que  les  abeilles  naissaient  au  milieu  des 
chairs  en  putréfaction  d'un  taureau  (1). 

I  II. —  Moyeu  àgc. 

A  l'époque  du  moyen  âge,  les  écoles  étant  sous 
l'empire  absolu  de  la  philosophie  péripatéticienne,  les 
idées  des  maîtres  de  la  scolastique,  lorsqu'ils  ne 
turent  pas  entraînés  par  le  sentiment  chrétien  , 
rappellent  évidemment  celles  du  chef  de  l'école  an- 
tique. C'est  ainsi  qu'Avicenne,  dans  son  ouvrage  sur 
les  Déluges,  prétend  qu'après  les  grandes  inonda- 
tions du  globe,  de  nouvelles  races  d'hommes  se  sont 
produites  à  même  les  amas  de  cadavres  humains 
abandonnés  par  l'eau  (2). 

Les  auteurs  citent  encore  comme  l'un  des  parti- 
sans de  la  génération  spontanée  ,  Crescenzi,  le  plus 
savant  agriculteur  du  moyen  âge  (3).  Et,  d'aprèseux, 
celui-ci,  à  l'exemple  des  anciens,  prétendait  que  des 
essaims  d'abeilles  pouvaient  naître  des  entrailles  d'un 
taureau. 

§  III.  —  Renaissance. 

A  l'époque  de  la  Renaissance  et  durant  les  pre- 

{\]  ViRGiLF,  Géorg'.^ épis.  d'Aristée. 

(2)  AviCENNE,  De  congelatione  et  conglutinatione  lapidum,  dans 
Ars  anrifera.  Baie,  1610,  t.  I. — Villenave,  Métam.  d'Ovide,  Paris, 
1806.  Notes,  t.  l,  p.  129. 

(3^  Ci!é  par  Rf.di,  Générât,  des  ins.,  collect.  académ.,  t.  VI, 
p.  42i.  — Je  pense  qu'il  est  question  ici  du  célèbre  agronome  du 
moyen  âge,  n'ayant  pu  vérifier  cette  citation. 


HISTORIQUE.    —   RENAISSAMCE.  21 

mières  années  qui  la  suivirent,  les  écoles,  malgré  l'ef- 
fort des  deux  Bacon  (1),  ne  s'étant  point  encore 
soustraites  au  joug  delà  philosophie  du  Stagyrite,  il 
en  résulta  nécessairement  que  les  idées  du  chef  inat- 
taquable y  furent  généralement  professées,  et  que 
presque  tous  les  savants  d'alors,  à  l'exemple  d'Aristote, 
admirent,  sans  le  moindre  doute,  l'existence  des  gé- 
nérations spontanées.  Parmi  eux,  on  peut  citer  prin- 
cipalement Matthiole,  qui  n'hésite  pas  à  considérer  les 
grenouilles  comme  naissant  du  limon  des  maré- 
cages (2)  ;  Cardan,  qui  prétend  que  l'eau  engendre 
les  poissons  et  que  beaucoup  d'animaux  naissent  de 
la  putréfaction  (3). 

On  peut  ajouter  à  ceux-ci,  Aldrovande  (4),  Séb. 
Munster  (5),  Rondelet  (6),  Licelus,  (7),  Moufet  (8), 
Jonston  (9),  Th.  Bartholin  (10),  Gassendi  (1  j),  Scali- 

(1)  RogerBacon,  Opus  majus.  Londres,  1733.  — François BacOi>;, 
Novum  organum.  Paris^  1843. 

(2)  Matthiole,  Commentarii  in  sex  libros  Vedar.  Dioscorid.  Ve- 
nise, trad.  de  J.  Desmoulins,  p.  216. 

(3)  Cardan,  De  subtilitate,  trad.  franc.  Rouen,  1542,  p.  256. 

(4)  Aldrovande,  Opéra  omnm.  Bononiae,  1642. 

(5)  Séb.  Munster,  Cosmographie  universelle.  Paris,  1575. 

(6)  Rondelet,  Universœ  aquatilium  historiée  pars  altéra,  etc. 
Lyon,  1554. 

(7)  LicETUS,  De  monsim.  Amsterdam,  1665. 

(8)  Moufet,  Insectorum  sive  minimorum  animalium  theatrum. 
Londres,  1634. 

(9}  JoNSTON;,  Theatrum  universale  omnium  animalium.  Amster- 
dam, 1718. 

(10)  Th.  Bartholin,  De  vermibus  in  aceto  et  semme.  Copenhague, 
1671. 

(11)  Gassendi,  De  vita,  moribus  et  placitis  Epicuri.  Lyon, 
164S. 


HETEROGENIE. 


ger  (1),  qui  pour  la  plupart  admirent  sur  ce  sujet 
les  errements  des  anciens  (2). 

Vers  l'époque  de  la  Renaissance,  la  cause  de  l'hé- 
térogénie  fut  aussi  embrassée  sans  scrupule  par  plu- 
sieurs religieux,  et  entre  autres  par  quelques  jésuites, 
qui  ont  joui  d'une  grande  réputation  scientifique, 
tels  que  le  P.  Kircher,  connu  par  sa  vaste  érudi- 
tion (3);  leP.Fabri,  savant  mathématicien  français, 
qu'on  prétend  avoir  connu  la  circulation  avant  Har- 
vey,  et  qui  mourut  à  Rome  grand  pénitencier  du 
pape  (4);  puis  le  P.  Ronanni ,  naturaliste  et  anti- 
quaire italien  (5),  et  enfin  le  P.  Cabée  (6). 

Dans  son  Mundus  suhterraneus  ^  le  P.  Kircher  a 
écrit  de  longs  et  curieux  chapitres  sur  la  question 
qui  nous  occupe  et  il  s'en  déclare  l'un  des  plus  ar- 
dents partisans.  Pour  lui,  les  exemples  abondent,  et 
il  en  trouve  même  des  plus  extraordinaires.  La  fer- 
veur du  savant  jésuite  était  telle  pour- cette  thèse,  qu'il 
allait  jusqu'à  prétendre  que  des  fragments  de  tiges  de 
certains  végétaux,  en  tombant  dansleaus'y  transfor- 
maient en  animaux  divers;  et,  pour  convaincre  ses 
lecteurs^  il  a  même  fait  reproduire  quelques  figures  de 

(1)  ScALiGER,  Traduction  latine  de  l'Histoire  des  animaux  d'Aris- 
tote.  Toulouse,  1619. 

(2)  Comp.  Redi,   Génération  des  insectes,  coll.  acad.,   t.    VI, 
p.  424. 

(3)  P.  KiRCHEK,  Mundus  subterraneus. 

(4)  P.  Fabri,  Traclatus  duo  ;  quorum  prior  est  De  plantis,  et  de 
generatione  animatium ;  posterior  Dehomine.  Paris,  1666. 

(5)  BOi^A^Nl,  Observationes  circa  viventia,  quœ  viventibus  repe- 
fiuntur,  cum  micrographiâ  curiosâ.  Rome,  1691. 

(ô)  Cabée. 


HISTORIQUE.    —   RENAISSANCE.  23 

ceux-ci  dans  son  œuvre  (1).  Là  il  présente  les  choses 
avec  tant  d'assurance  que  Redi  ne  dédaigna  pas  d'es- 
sayer deles  vérifier  par  l'expérience  (2).  Le  P.  Kircher 
avait  une  si  grande  ferveur  pour  la  cause  de  la  gé- 
nération spontanée  qu'il  allait  jusqu'à  professer  qu'il 
suffisait  d'ensemencer  la  terre  avec  des  serpents  pul- 
vérisés pour  récolter  une  moisson  d'ophidiens! 

Le  P.  Bonanni ,  naturaliste  connu  par  son  livre 
sur  la  conchyliologie  (3),  a  été  aussi  l'un  des  plus 
zélés  partisans  de  la  génération  spontanée  (4),  et  ses 
opinions  ont  eu  de  son  temps  assez  de  retentisse- 
ment pour  que  Redi  ait  aussi  cru  devoir  lui  répon- 
dre (5).  Tl  a  même  été  assez  avancé  pour  prétendre 
que  les  diverses  espèces  animales  et  végétales,  en  se 
décomposant,  produisaient  chacune  des  espèces  par- 
ticulières; opinion  que  BufPon  a  lui-même  repro- 
duite lorsqu'il  était  dans  toute  la  maturité  de  sa  car- 
rière (6). 

Amis  du  merveilleux  et  frappés  de  Tétrange  aspect 
de  tous  ces  monstres  plus  ou  moins  authentiques 
qu'ils  décrivirent  dans  leurs  œuvres,  Aldrovande  et 

(1)  KiRCiiER,  Mundus  SM5ierrane«5.  Amsterdam,  1778,  lib.  XH 
De  panspermiâ  rervm,  p.  371. 

(2)  J.  Redi,  De  la  génération  des  insectes,  coll.  acad.,  t.  VI, 
p.  443. 

(3)  BoNAisNT,  Ricreazione  delV  occhio  e  délia  mente  nelV  osserva- 
zione  délie  chiocciole.  Rume,  i681. 

(4)  BoNANM^  Observaiiones,  etc. 

(5)  F.  Redi,  Osservazioni  intorno  agli  animali  viventi  che  si 
trovano  neg'i  animali  viventi.  Florence,  168 i.  Trad.  de  la  coll. 
acad.,  t.  VI,  p.  487. 

(6)  BuFFON,  Hist.  na^^  Suppléments.  Deux-Ponts,  1786,  t.  11» 
p.  38. 


24  HÉTÉROGÉNIE. 

Licetus  (1)  se  déclarèrent  naturellement  partisans  de 
la  génération  spontanée.  L'audace  du  premier  n'est 
arrêtée  par  rien.  Dans  son    Ornithologie,  il  existe 
même  un  passage  fort  curieux  dans  lequel  il  expose 
que  les  bernaches  sont  produites  par  certains  arbres 
qui  habitent  le  nord   de  notre  continent;  et,  pour 
mieux  persuader  ses  lecteurs,  il  consacre  une  grande 
planche  à  illustrer  ce  sujet.  Celle-ci  représente  un 
arbre  portant  des  anatifes  en  guise  de  fruits,  et  au- 
dessous  de  celui-ci  des  bernaches,  qui  sont  censées  en 
être  sorties,  nagent  à  la  surface  d'un  lac  (2).  Séb. 
Munster  a  reproduit  une  fable  analogue,  et  l'a  aussi 
illustrée  par  une  figure  dans  son  important  ouvrage. 
D'après  cet  érudit,  ce  serait  un  arbre  des  rivages  des 
Orcades  qui  produirait  les  bernaches,  et  il  représente 
même  celles-ci  sortant  de  ses  fruits  oviformes  (3). 
Enfin,  je  me  plais  à  croire  que,  par  respect  pour 
notre  espèce,  Rondelet  (4),  Gesner  (5),  Theuet  (6), 
A.  Paré  (7),  Olaus  Magnus  (8)  et  Aldrovande  (9)  ont 

(1)  AldrovaîsdE;,  De  mollibus  crustaceis,  etc.,  p.  583.  —  Licetus, 
Demonstris.  Amsterdam,  1065. 

(2)  AiJ)RO\ A^BE y  De  moUibus  crustaceis,  etc.,  p.  543,   appelle  ce 
prétendu  U^miConcha  anatifera. 

(3)  S.  Munster^    Cosmographie  universelle.  Paris,    1575,    t.   I, 
p.  100. 

(4)  Rondelet,  Libri  de  piscibus  marinis.  Lyon,  1554. 

(5)  Gesner^  Historiœ  animalium.  Tiguri,  1551. 

(6)  Theuet,  Cosmographie,  eh.  x-xxii,  etc. 

(7)  A.  Paré,  OEuvres  chirurgicales,  édition  de  J.  F.  Malgaigne. 
Paris,  1841,  t.  III,  liv.XlX. 

(8)  Olaus  Magisus,  Historiade  gentibus  septentrionalibus.  Rome, 
1555.  De  piscibus  monstruosis. 

(9)  Alorovande,  Monstrorum  historia.  Bologne,  1642. 


HISTORIQUE.    —    ÉPOQUE   MODERNE.  25 

dû  considérer  comme  le  produit  d'une  génération 
anormale  ces  monstres  étranges,  dont  leurs  œuvres 
renferment  de  longues  descriptions  ou  d'incroyables 
dessins,  véritables  conceptions  d'une  crédulité  sans 
bornes  ou  d'une  imagination  en  démence. 

Cependant  nous  devons  avouer,  en  terminant,  que 
quelques-uns  des  savants  de  la  Renaissance,  vaincus 
par  l'observation  ,  pour  concilier  celle-ci  avec  la  foi 
qu'imposaient  les  doctrines  du  raaîlre  révéré,  s'effor- 
cèrent déjà  de  trouver  quelques  expédients.  Ronde- 
let fut  du  nombre.  Tout  en  admettant  avec  Aristole 
que  les  anguilles  s'engendrent  spontanément  du  li- 
mon en  putréfaction,  il  ajoute  que,  cependant,  dans 
certaines  circonstances,  ces  poissons  sont  également 
le  produit  du  rapprochement  des  sexes  (t). 

§  IV.  —  Époque  moderne. 

L'époque  moderne  fut  remarquable  par  l'accrois- 
sement extrême  des  partisans  de  la  génération  spon- 
tanée. La  découverte  du  microscope  ne  contribua 
pas  peu  à  ce  résultat.  Le  monde  nouveau  d'êtres  or- 
ganisés que  cet  instrument  révélait;  ces  animalcules, 
dont  l'infinie  petitesse  étonnait  tous  les  observateurs, 
leur  paraissaient  ne  pouvoir  s'expliquer  qu'en  suppo- 
sant que  la  matière  elle-même  parvenait  à  s'animer. 
La  plupart  des  savants,  en  voyant  surgir  presque  sous 
leurs  yeux  ces  myriades  d'aniaialcules  nouveaux 
pour  eux,  supposaient  même   avoir  pris  la  nature 

(l)  Rondelet,  Des  poissons  de  rivière,  chap.  xx. 


26  HETEROGENIE. 

sur  le  fait;  quelques-uns  seulement  doutaient  en- 
core. On  reconnaît,  d'après  cela,  que  durant  les 
deux  derniers  siècles  qui  ont  précédé  noire  temps, 
l'histoire  de  l'hétérogénie  se  lie  intimement  à  la  dé- 
couverte et  aux  perfectionnements  du  microscope; 
les  partisans  ou  les  adversaires  de  cette  hypothèse 
ayant  souvent  trouvé  dans  l'emploi  de  cet  instrument 
des  arguments  nouveaux  pour  l'appuyer  ou  la  com- 
battre ! 

Aussi,  d'après  nous,  l'histoire  des  découvertes  qui 
doivent  être  embrassées  pour  apprécier  tout  ce  qui 
concerne  l'hétérogénie,  doit-elle  se  diviser,  pour  l'é- 
poque moderne,  en  trois  périodes,  qui  sont  aussi  les 
trois  grandes  phases  de  l'histoire  des  microzoaires. 
La  première  ne  comprend  que  les  temps  où  le  mi- 
croscope simple  est  employé;  c'est  une  époque  d'in- 
vestigation superficielle;  on  ne  voit  guère  y  briller 
queLeeuwenhoek,  Hartsoeker  et  Baker.  La  seconde 
commence  au  tenips  où  le  microscope  composé  est 
inventé  et  permet  un  plus  scrupuleux  examen  des 
faits;  c'est  l'époque  durant  laquelle  Needham,  Buffon 
et  0.  F.  Muller  font  leurs  observations.  Enfin,  on  ar- 
rive au  dernier  perfectionnement  de  l'instrument  ou  au 
microscope  achromatique;  c'est  la  troisième  période, 
alors  que  les  Ehrenberg,  les  Dujardin,  les  Yalenlin  et 
les  Czermak  (1)  font  leurs  beaux  travaux  sur  l'orga- 
nisation des  microzoaires  ;  et  ce  fut  seulement  alors, 
aussi,  que  l'on  parvint  à  embrasser  toute  l'immen- 
sité du  monde  nouveau  révélé  par  cet  instrument. 

(i)  Valentin,  Nov.  act.  nat.  cur.,  t.  XIX.  ~  Czermak,  Beitraege 
zu  der  Lehre  von  der  Spermatozoen.  Vienne. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  27 

L'imagination  n'avait  rien  supposé  d'aussi  extraordi- 
naire! Ce  fut  alors  qu'on  put  découvrir  ce  Monas 
crepuscidiis,  Ehr.,  dont  le  dianriètre  n'a  guère  que 
0,0005  de  millimètre,  ténuité  qui  est  telle  que 
M.  R.  Owen  suppose  qu'une  seule  goutte  d'eau  en 
contient  parfois  cinq  cents  millions  d'individus, 
nombre  qui  égale  celui  de  res[)èce  humaine  répan- 
due à  la  surface  de  la  terre  (1). 

Les  premiers  observateurs  qui  firent  usage  du 
microscope,  étonnés  de  tant  d'êtres  inattendus  qu'il 
leur  révélait  et  n'ayant  encore  que  des  instruments 
assez  imparfaits,  admirent  généralement  la  généra- 
tion spontanée;  mais  lorsque  de  grands  perfectionne- 
ments permirent  de  mieux  apprécier  les  objets  et  de 
découvrir  que  des  animalcules,  que  l'on  avait  consi- 
dérés précédemment  comme  de  simples  fragments 
de  gélatine  doués  de  formes  et  de  \ie  ,  possédaient 
parfois  une  organisation  fort  avancée ,  l'opinion  de 
quelques  naturalist^es  fut  ébranlée  et  les  doutes  com- 
mencèrent à  surgir  parmi  eux.  Il  y  a  donc,  comme 
nous  venons  de  le  dire  ,  une  liaison  intime  entre 
l'histoire  de  la  génération  spontanée  et  celle  du  mi- 
croscope, si  souvent  invoqué  pour  en  dissiper  les 
ténèbres. 

l»  Microscope  simple  (dix-sepliéme  siècle). 

La  Hollande  peut,  ajuste  titre,  revendiquer  d'avoir 

(l)R.  Owen,  Lecture  on  the  comparative  Anatomy  and Physiology 
of  the  Inverlebrate  Animais.  Londres,  1843,  p.  18.  —  «  Nuniber 
equjilling  thaï  of  Ihe  whole  human  species  now  existing  upon 
the  surface  of  the  earth.  » 


28  HÉTÉROGÉINIE. 

été  le  berceau  de  la  micrographie,  car  ce  fut  dans  ce 
pays  que  Leeuwenhoek  et  Hartsoeker  employèrent 
pour  la  première  fois  le  microscope,  dont  ils  se  dis- 
putèrent si  vivement  l'invention. 

Mais  ces  premiers  investigateurs  n'employèrent 
que  des  microscopes  simples,  et  leur  patience  infinie, 
leur  sagacité,  en  triomphant  de  tous  les  obstacles, 
leur  permirent  cependant,  malgré  l'imperfection  de 
leurs  instruments,  de  faire  une  foule  d'observations 
précieuses  qui  ont  servi  de  point  de  départ  à  la 
science  des  infiniment  petits. 

Leeuwenhoek,  que  la  Hollande  compte  au  nombre 
de  ses  plus  illustres  enfants,  n'en  a  jamais  possédé 
d'autres;  et  ce  fut  avec  ceux-ci  que  ce  savant,  que 
Ton  considère  ajuste  titre  comme  le  père  de  la  micro- 
graphie, fit  ses  plus  importantes  découvertes.  On 
peut  encore  vérifier  cette  assertion  dans  les  collec- 
tions de  la  Société  royale  de  Londres  ;  car,  en  mou- 
rant, il  légua  à  ce  corps  savant,  dont  il  était  membre, 
tous  ceux  dont  il  s'était  servi  (1). 

A  l'aide  de  ses  microscopes  simples,  Leeuwenhoek 
découvrit  les  animalcules  spermatiques,  découverte 
qui  eut  un  immense  retentissement,  ainsi  que  quel- 
ques autres  animalcules  qui  dérivent  évidemment  de 
la  génération  spontanée  (2) .  Cependant  ce  naturaliste 
n'en  fut  pas  moins  un  ardent  antagoniste  de  cette 
thèse,  dont  on  aurait  cru  qu'il  devait  être  le  défen- 

(1)  Baker  dit  que  les  plus  fortes  lentilles  de  Leeuwenhoek  ne 
grossissaient  les  objets  que  cent  soixante  fois  en  diamètre.  Glei- 

CHEN,  p.     15. 

(2)  Leeuwenhoek,  Arcana naturœ détecta .  Delft,  1695. 


HISTORIQUE.    —   ÉPOQUE  MODERNE.  29 

seur-né.  Quelques  auteurs,  avec  M.  Dujardin,  ont 
attribué  àLeeuwenhoekla  découverte  des  infusoires; 
mais  Ja  sagacité  du  micrographe  liollandais  s'est  plu- 
tôt exercée  sur  d'autres  animalcules  que  sur  ceux  des 
infusions  proprement  dits,  et  il  possède  assez  de 
titres  de  gloire  sans  qu'on  ait  besoin  d'y  ajou- 
ter celui-ci  (1). 

Lorsqu'il  est  question  de  Leeuwenhoekj  on  ne  peut 
oublier  de  citer  Hartsoeker,  qui  fut  son  émule  et  eut 
de  si  vives  luttes  avec  lui  à  l'égard  de  la  priorité  de  la 
découverte  des  animalcules  spermatiques  et  de  divers 
autres  sujets.  Ce  savant,  qui  a  écrit  plusieurs  traités 
sur  l'optique,  a  acquis  plus  de  célébrité  comme  physi- 
cien que  comme  micrographe  (2);  cependant  il  s'est 
aussi  occupé  des  animalcules  microscopiques,  qu'il 
n'observa  également  qu'avec  de  simples  lentilles  (3). 
Hartsoeker  s'est  encore  fait  remarquer  par  ses  étran- 
ges conjectures  concernant  certains  êtres  organisés. 

En  renouvelant  l'hypothèse  de  la  panspermie,  ce 
physicien  imagina  que  les  germes  invisibles  des  ani- 
malcules spermatiques  voltigeaient  dansrair,et  qu'ils 
entraient  dans  le  corps  des  animaux  par  la  respira- 
tion ou  avec  les  aliments;  puisque  ceux  qui  conve-- 
naient  à  chaque  espèce  se  rendaient  aux  organes  gé- 
nitaux des  mâles,  où  ils  subissaient  leurs  divers  déve- 
loppements. Mais  cette  étrange  hypothèse  ayant  été 

(1)  DujARDîN,  Dict.  univ.  d'hist.  nat.  Paris,  1846,  art.  Infu- 
soires, t.  VII,  p.  43. 

(2)  Hartsoeker,  Principes  de  physique.  1696. 

(3)  Il  se  servit  d'abord  de  lentilles  fabriquées  avec  des  fils  de 
verres  exposés  à  la  flamme  d'une  chandelle. 


30  HÉTÉROGÉNIE. 

abandonnée  par  lui,  il  admit  ensuite  que  la  forma- 
tion des  êtres  dépendait  à' une  force  plastique  intel- 
ligente qu'\,  comme  une  espèce  d'âme  végétative,  pré- 
side à  leur  création  et  régit  le  jeu  régulier  de  leurs 
fonctions.  Hartsoeker  a  développé  ce  système  dans 
plusieurs  de  ses  ouvrages  (  1  ) . 

Ainsi  que  le  fait  observer  Fonfenelle,  Tâme  plasti- 
que ou  formatrice  du  physicien  hollandais  est  fort 
analogue  aux  natures  plastiques  de  Cudworlh  qui  ont 
compté  tant  de  partisans,  si  ce  n'était  que  ces  der- 
nières, selon  le  philosophe  anglais,  agissent  sans  con- 
naissance, tandis  que  la  force  plastique  d'Harlsoeker 
est  intelligente  (2). 

Un  naturaliste  liollandais  qui  vivait  vers  la  même 
époque  que  les  deux  savants  précédents,  Goedaert, 
semble  admettre  la  génération  spontanée  des  insec- 
tes, puisque  l'on  trouve  cette  phrase  dans  son  ou- 
vrage :  «  Les  vers  s'engendrent  de  toute  substance  et 
lesani.naux terrestres,  comme  les  aquatiques,  en  pro- 
duisent à  foison  (3).  » 

Baker,  micrographeanglais  qui  a  joui  d'une  grande 
célébrité  durant  le  siècle  dernier,  ne  se  servait  aussi 
que  du  microscope  simple,  et  ce  fut  à  l'aide  de  celui- 
ci  qu'il  ajouta  si  amplement  aux  travaux  de  Leeuwen- 

(!)  Hartsoeker,  Conjectures  physiques.  Amsterdam,  1706.  — 
Éclaircissements  sur  les  Conjectures  physiques.  Amsterdam,  1710. 
—  Suite  des  Conjectures  physiques  et  des  Éclaircissements  sur  les 
Conjectures  physiques.  Ainslerdam,  1712. 

(2)  FoNTENKLLE,  Éloge  d' Hartsoeker .  Paris.  —  Cudworth,  True 
intellectual  Sy.'^tem  of  the  Universe.  Londres,  1678. 

(3)  GoEDAEUT,  Histoire  naturelle  des  insectes.  Amsterdam,  1700. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  3i 

hoek,  en  décrivant,  mais  il  est  vrai  assez  imparfaite- 
ment, un  assez  grand  nombre  d'animalcules  qui 
avaient  échappé  à  ce  savant,  et  qu'il  observa  dans  l'eau 
des  marais  et  dans  les  infusions  de  foin  et  de  quel- 
ques autres  plantes  (1). 

L'hypothèse  de  la  génération  spontanée  avait  tra- 
versé une  succession  de  siècles  sans  que  l'on  songeât 
même  à  l'attaquer,  mais  nécessairement,  en  passant 
parle  critérium  de  l'école  expérimentale  de  la  Renais- 
sance, elle  perdit  une  partie  de  son  prestige.  Les 
premiers  coups  lui  furent  portés  dans  l'Académie 
del  Cimento  d'immortelle  mémoire;  là,  au  dix-sep- 
tième siècle,  Redi,  qui  en  fut  l'un  des  plus  illustres 
membres,  démontra  par  de  nombreuses  expériences 
que  beaucoup  d'insectes  que  l'on  avait  crus  s'engen- 
drer spontanément  dans  les  chairs  en  pulréfaclion, 
ne  se  dérobaient  pas  à  la  loi  générale.  Cet  expérimen- 
tateur ayant  recouvert  des  viandes  en  putréfaction 
avec  une  gaze,  reconnut  qu'aucun  ver  ne  naissait 
à  leur  surface,  et  que  les  mouches  attirées  par  l'odeur 
infecte  de  la  chair  voltigeaient  sans  cesse  autour  de 
l'appareil;  et,  dans  l'impossibilité  d'approcher  de  la 
substance  qu'il  contenait,  se  bornaient  à  déposer 
leurs  œufs  sur  la  gaze  vers  les  points  les  plus  rappro- 
chés de  la  viande.  Cette  expérience  fut  répétée  avec 
du  fromage  et  diverses  autres  substances,  et  toujours 
elle  eut  le  même  résultat;  aussi  la  conclusion  du  sa- 
vant italien  fut  «  que  les  vers  qui  naissent  dans  les 


(1)  Baker,  The  Microscope  made  easy.  London,  1743.  —  Em- 
ployment  for  tlie  Microsc.  1752. 


32  HÉTÉROGÉNIE. 

chairs  y  sont  produits  par  les  mouches  et  non  par 
ces  chairs  elles-mêmes  (i).  » 

Les  expériences  de  Redi  eurent  à  son  époque  un 
immense  retentissement,  et  il  les  compléta  à  son 
point  de  vue  en  soutenant  que  les  entozoaires  qui 
s'engendrent  dans  les  autres  animaux,  et  qu'on  regar- 
dait comme  étant  essentiellement  le  produit  de  l'hé- 
térogénie,  avaient  des  organes  sexuels  et  suivaient, 
pour  se  reproduire,  la  voie  normale  (2). 

C'était  là,  comme  on  le  voit,  toute  une  révolution 
dans  les  idées  généralement  admises;  cependantRedi, 
qui  fut  certainement  trop  facile  à  l'égard  des  vers  in- 
testinaux, manqua  d'audace  lorsqu'il  s'agit  des  insec- 
tes qui  s'engendrent  à  l'intérieur  des  tissus  des  plan- 
tes; il  crut  que  ceux-ci  pourraient  bien  dériver  d'une 
génération  spontanée. 

Redi,  dont  les  travaux  ont  encore  une  grande 
célébrité,  avait  victorieusement  renversé  toutes  les 
traditions  de  l'antiquité  concernant  la  génération 
encore  inexpliquée  d'une  foule  d'animaux  inférieurs. 
Mais  après  avoir  bien  convaincu  son  époque  que  ceux- 
ci  ne  naissaient  nullement  par  des  voies  anormales, 
mais  simplement  à  l'aide  d'œufs,  cet  heureux  nova- 
teur voulut  trop  généraliser  ses  observations,  en 
prétendant  que  ce  mode  de  reproduction  est  uni- 
versel. Là  est  le  reproche  qu'on  peut  lui  adresser; 
cependant  il  faut  dire  que  lorsqu'on  lit  attentivement 
son  œuvre,  on  y  rencontre  de  place  en  place  quel- 

(1)  Redi,  Esperienze  intorno  alla  generazione  degl'  insetti.  1638. 

(2)  Redi,  Osservazioni  intorno  agli  animali  viventi  che si  trovano 
negli  animali  viventi.  1684. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  33 

ques  aveux  indiquant  qu'il  n'était  pas  parfaitement 
convaincu;  aveux  qui  s'élèvent  contre  les  préten- 
tions de  ceux  qui  rangent  l'illustre  naturaliste  de  Flo- 
rence parmi  les  adversaires  absolus  de  l'hétérogénie. 

Il  suffit  de  citer  quelques  passages  des  œuvres  de 
Redi  pour  se  convaincre  de  la  vérité  de  ce  que  nous 
avançons.  Au  début  de  son  Traité  de  la  génération 
des  insectes,  il  semble  déjà  refuser  le  combat,  en 
disant  qu'il  ne  prétend  nullement  examiner  les  opi- 
nions des  philosophes,  ni  se  prononcer  à  leur  égard  (1  ). 
Presque  immédiatement  après  avoir  parlé  de  la 
création ,  il  dit  qu'il  est  porté  à  croire  que  depuis 
celle-ci,  la  terre  n'a  produit  d'elle-même  aucun  être 
organisé,  et  il  ajoute,  enfin^  qu'il  \ui paraît  vraisem- 
blable que  toutes  les  espèces  se  perpétuent  par  des 
semences  (2).  De  telles  assertions  sont  loin  d'être 
aussi  explicites  qu'on  le  prétend. 

Plus  loin,  le  doute  est  encore  plus  manifeste;  et 
là,  il  est  impossible  de  ne  pas  voir  que  le  savant 
florentin  admet  aussi  la  génération  spontanée.  En 
parlant  des  vers  qui  habitent  les  végétaux,  il  prétend 
que  leur  génération  s'opère  de  deux  manières  : 
«  L'une,  dit-il,  c'est  lorsque  ces  vers  viennent  du 
dehors;  l'autre,  qui  ne  me  paraît  point  incroijable^ 
c'est  que  la  même  vertu  qui  produit  les  fleurs  et  les 
fruits  y  fait  naître  aussi  les  vers  qui  se  trouvent  ren- 
fermés dans  ceux-ci  (o).  » 

(1)F.  Redi^  Expérimenta  circa  generationem  insectorum.  Ârnsle- 
lodami,  1671^  p.  24. 

(2)  F.  Redi,  26. 

(3)  F.  Redi,  Expériences  sur  la  génération  des  insectes.  Trad. 
coUect.  acad.ji.VI,  p.  447. 

PoUCHIiT.  3 


34  HÉTÉROGÊNIE. 

Mais  lorsque  Redi  arrive  aux  vers  intestinaux  ,  il 
ne  résiste  plus  à  l'évidence,  et  là,  il  en  explique 
franchement  l'apparition  en  invoquant  la  génération 
spontanée.  On  lit  dans  un  de  ses  chapitres  :  «  Je  suis 
porté  à  croire  que  toute  matière  vivante  peut  d'elle- 
même  produire  quelques  vers  qui  se  transforment 
en  insectes  volants...  »  Et  deux  lignes  plus  bas,  il 
ajoute  :  «  Je  suis  très-porté  à  croire  que  les  vers  et 
les  autres  insectes  qui  se  trouvent  dans  les  intestins 
et  dans  les  autres  parties  du  corps  humain  s'y  en- 
gendrent de  la  même  manière  (1).  »  Redi,  ainsi 
qu'on  le  voit,  ne  doit  donc  pas  être  compté  au  nom- 
bre des  adversaires  absolus  de  l'hétérogénie  ! 

Dans  d'autres  circonstances,  Redi,  malgré  la  na- 
ture de  ses  travaux  et  son  opinion,  arrêtée ,  a  plu- 
sieurs fois  failli  à  ses  convictions.  Ainsi ,  en  parlant 
de  larves  qu'il  a  observées  à  diverses  reprises  dans 
le  crâne  des  cerfs,  et  dont  il  donne  la  figure  dans 
son  œuvre  (2),  il  dit  que  le  même  principe  actif  et 
vivifiant  qui  produit  ces  petits  animaux  dans  la  tête 
des  cerfs  et  des  moutons  donne  peut-être  aussi  nais- 
sance aux  poux  qui  tourmentent  les  hommes,  les 
quadrupèdes  et  les  oiseaux  (3).  N'omettons  pas  ce- 

(1)  F.  Redi^  Expériences  sur  la  génération  des  insectes.  Coll. 
acad.,  t.  VI,  p.  458  Osservazioni  intorno  agli  animali  viventi  che 
si  tiovanonegli  animali  viventi.  Florence,  1684. 

(2)  F.  Redi,  Expérimenta  circa  generationem  insectorum.  Ams- 
terdam, 1771,  p.  303.  Aristote  avait  déjà  parlé  de  ces  vers  ou  lar- 
ves que  l'on  trouve  dans  la  tête  des  cerfs.  Hist.  des  anim.,  liv.  II, 
ch.  XV. 

(3)  F.  Redi,  Expérimenta  circa  generationem  insectorum,  Ams- 
terdam, 1771,  p.  309,el  CoUect.  académique,  p.  460. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  35 

pendant  de  dire  qu'il  ajoute  qu'il  est  porté  à  croire 
avec  J.  Sperlingius,  que  ces  insectes  naissent  des 
œufs  déposés  par  les  femelles  (1).  II  est  bien  ques- 
tion ici  d'un  insecte,  et  non  d'un  cœnure,  ce  que 
quelques  naturalistes  avaient  pensé  (2),  car  Redi 
représente  exactement  sa  larve  dans  ses  planches. 
Ainsi  donc  voici  le  chef  des  adversaires  de  Thété- 
rogénie  que  nous  surprenons  doutant  à  plusieurs 
reprises. 

Mais  la  lacune  que  l'illustre  médecin  florentin 
laissa  dans  son  œuvre  fut  rapidement  comblée  par 
Vallisneri,  qui  fut  l'élève  et  le  continuateur  des  Ira- 
vaux  de  Redi,  et  qui  traita  le  môme  sujet  avec  plus 
de  sévérité  que  son  maître,  en  n'y  admettant  aucune 
exception.  En  effet,  Yallisneri  dans  ses  Dialogues^ 
publiés  en  1700,  démontra  que  les  insectes  qui  ré- 
sident à  l'inléricur  des  plantes  se  reproduisent  aussi 
par  les  lois  ordinaires  de  la  génération  (3).. 

Enfin,  vers  la  même  époque,  Swammerdam  con- 
tribua avec  Redi  et  Yallisneri  à  former  le  trio  auquel 
revient  toute  la  gloire  du  premier  effort  vigoureux 
dirigé  contre  riiypothèse,  si  populaire,  alors  de  la 
génération  spontanée.  Ce  grand  observateur,  en  dé- 
crivant la  reproduclion  des  insectes,  dans  sa  Bible 
de  la  nature  j  et  en  suivant  les  diverses  phases  de 
leurs  merveilleuses  métamorphoses,  est  venu  appor- 
ter aussi  d'incontestables  preuves  en  faveur  de  tout 

(\)  J.  Sperlingius,  Zoologie.  ^ 

(2)  Gérard,  Dict.  univ.  d' hi st.  nat.  Paris ^  1845,  p.  57. 

(3)  Vallisneiu,.  Dialoghi  fra  Malpighi  e  Plinio  intorno  la  curiosa 
origine  di  molli  insetti.  Venise,  1700. 


36  HÉTÉROGÉNIE. 

ce  qu'avaient  avancé   les  deux  savants  italiens  (1). 

Swammerdam  ne  paraît  être  que  le  trait  d'union 
qui  relie  les  travaux  de  Redi  à  ceux  de  notre  épo- 
que ;  il  embrassa  naturellement  les  vues  de  l'illustre 
médecin  de  Cosme  111 ,  dont  il  ne  fut ,  en  quelque 
sorte,  que  le  continuateur;  mais  Swammerdam  se 
montra  beaucoup  plus  inexorable  que  son  prédéces- 
seur envers  les  générations  spontanées  (2).  Il  combat 
victorieusement,  il  est  vrai ,  quelques  vestiges  de  la 
crédulité  des  anciennes  époques,  encore  abondam- 
ment dispersés  dans  les  écrits  des  savants  d'alors, 
mais  il  n'attaque  aucun  des  faits  transcendants  que 
la  science  et  la  philosophie  modernes  ont  évoqués 
avec  autorité  pour  démontrer  Thétérogénie.  Et  d'ail- 
leurs ,  Swammerdam  ne  possédait  guère  le  calme 
d'esprit  nécessaire  pour  éclairer  toutes  les  obscuri- 
tés de  la  question;  ses  relations  avec  Antoinetle  Bou- 
rignon  l'avaient  conduit  à  une  vie  ascétique  peu  propre 
à  la  découverte  de  la  vérité  ;  aussi  l'antagonisme  de 
Swammerdam  est-il  d'une  moins  grande  importance 
pour  nous  que  celui  de  Redi. 

Mais  une  étrange  chose  se  passa  par  rapport  à 
Swammerdam  ,  c'est  que,  tandis  que  toute  sa  solli- 
citude s'épuisait  à  combattre  les  générations  sponta- 
néeSy  l'un  des  éditeurs  de  la  traduction  de  sa  Bible 
de  la  nature,  M.  Gueneau,  de  son  côté,  sapait  à  ou- 


(1)  Swammerdam,  Biblia  naturœ _,  seu  historia  insectorum. 
Leyde,  1737.  Traduite  dans  le  tome  XVII  de  la  Collection  acade'- 
iiîiqiie. 

(2)  Swammerdam^  Biblia  naturœ  seu  historia  insectorum.  Leyde, 

•1737. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  37 

trance  ses  vues  dans  une  longue  introduction  qui 
précède  cet  ouvrage  (1). 

En  France,  M.  de  Réaumur,  l'un  des  membres 
les  plus  saillants  de  TAcadémie  des  sciences,  eut  la 
gloire  de  populariser  les  découvertes  des  trois  savants 
que  nous  venons  de  citer.  Et,  dans  un  ouvrage,  mo- 
nument impérissable  de  la  science,  il  consigne  une 
foule  de  curieuses  recherches  sur  la  reproduction  des 
insectes,  dont  les  lois  générales,  posées  par  ses  de- 
vanciers, avaient  encore  besoin  d'être  élayées  par  de 
nouvelles  observations.  Les  travaux  du  naturaliste 
français  sont  un  modèle  de  précision  et  de  sagacité; 
aussi  sont-ils  encore  consultés  de  nos  jours  comme 
ayant  la  fraîcheur  de  la  veille,  et  laissent-ils  loin  der- 
rière eux  ceux  de  ses  prédécesseurs  (2). 

Lesser,  naturaliste  allemand,  qui  vécut  à  la  même 
époque  que  Réaumur,  professa  des  vues  analogues 
aux  siennes,  relativement  à  la  génération  spontanée. 
En  effet,  le  savant  auteur  de  la  Théologie  des  insectes 
ne  pouvait  naturellement  être  compté  au  nombre 
des  hétérogénistes,  lui  qui,  armé  du  texte  sacré  et 
le  prenant  partout  comme  point  de  départ,  com- 
mence son  livre  en  livrant  une  bataille  en  règle  à 
toute  l'ancienne  philosophie  (3). 

Si  jusqu'ici  nous  avons  omis  le  nom  d'Harvey, 
c'est  que  son  aphorisme,  devenu  si  célèbre,  ornne 

{{)  GuENEAu,  Bible  de  la  nature.  Introduction,  Collection  acadé- 
mique, p.  24. 

(*2)   Réaumur,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  insectes. 
Paris,  1734. 

(3)  Lesser,  Théologie  des  insectes.  Paris,  1745,  liv.  I,  p.  55. 


38  HÉTÉROGÉNIE. 

vivum  ex  ovo ,  n'a  peut-être  pas  toute  la  portée  que 
lui  accordent  la  plupart  des  o^aristes;  car  il  semble 
qu'en  dehors  de  cette  proposition  générale,  le  savant 
physiologiste  admettait  aussi  la  génération  primaire. 
«  Les  animaux  et  les  végétaux,  dit-il ,  naissent  tous 
spontanément,  soit  d'autres  êtres  organisés,  soit  en- 
tre eux,  soit  de  partie  d'entre  eux  ,  soit  par  la  putré- 
faction de  leurs  excréments....  (1).»  On  voit  donc 
par  tout  ce  que  nous  rapportons  que  nos  adversaires 
ne  sont  pas  aussi  absolus  qu'on  le  pense  générale- 
ment. On  peut  ajouter  que  cet  aphorisme  a  été  frappé 
d'inexactitude  par  la  science  moderne  ,  du  mouient 
cil  celle-ci  a  signalé  qu'un  grand  nombre  d'animaux 
inférieurs  font  exception  ;  et  comme  le  dit  Ch.  Ro- 
bin, sous  une  meilleure  rédaction  ,  omne  vivum  ex 
vivo  ^  il  constituera  toujours  l'une  des  principales  ba- 
ses de  la  biologie  systématique  (2). 

2o  Microscope  composé  (dix-huitième  siècle). 

L'invention  du  microscope  composé  ayant  suivi  de 
près  celle  du  microscope  simple,  les  savants  com- 
mencèrent spécialement  à  l'employer  vers  le  milieu 
du  siècle  dernier.  Les  travaux  deRedi  (3),  de  Vallis- 


(1)  Harvey,  Exercitationes  de  gêner atione  animalium.  Lon- 
dres, 165i,  p.  54. 

(2)  Ch.  Robin,  Histoire  naturelle  des  végétaux  parasites  qui 
croissent  sur  l'homme  et  les  animaux.  Paris,  1853,  p.  87. 

(3)  Redi  Esperienze  intorno  alla  generazione  degli  insetti.  Flo- 
rence, 1668.  —  Osservazioni  intornoagli  animali  viventi  che  si 
trovano  neyli  animali  viventi.  1681. 


HISTORIQUE.    —   ÉPOQUE    MODERNE.  39 

neri  (1),  de  Swammerdam  (2),  de  Réaumur  (3),  en 
nous  dévoilant  la  reproduction  d'une  foule  d'ani- 
maux inférieurs,  avaient  porté  une  profonde  atteinte  à 
l'existence  des  générations  spontanées,  admise  depuis 
tant  de  siècles  comme  un  fait  positif.  Celles-ci  parais- 
saient même  alors  contestées  de  toutes  parts,  lorsque 
l'usage  du  microscope  composé,  en  se  répandant, 
transforma  de  nouveau  l'opinion.  Les  animalcules 
d'une  infinie  petitesse,  que  cet  instrument  révélait  par- 
tout où  l'on  en  supposait  le  moins  l'existence,  firent 
naturellement  penser  qu'ils  s'y  engendraient  sponta- 
nément; et  jamais  peut-être  l'hypothèsederhétérogé- 
nie  ne  compta  une  armée  plus  compacte  de  partisans 
que  durant  cette  seconde  phase  de  la  micrographie. 
On  peut  considérer  Othon  Frédéric  Muller,  natu- 
raliste danois,  comme  ayant  été  le  prince  des  mi- 
crographes de  cette  époque  (4).  En  effet,  ce  fut  lui 
qui,  pour  ses  grands  travaux  sur  les  infusoires,  em- 
ploya le  microscope  composé  avec  un  art  encore  in- 
connu jusqu'alors.  Le  temps  durant  lequel  vécut  ce 
savant  célèbre  fut  fécond  en  observateurs  qui,  pres- 
que tous,  ainsi  qu'il  le  fit  lui-même,  embrassèrent 
la  défense  de  l'hétérogénie. 

(1)  Vallisneri,  Dialoghi  fra  Malpighi  e  Plinio  intorno  la  curiosa 
origine  di  molti  insetti.  Venise,  1700.  —  Considerazioni  ed  espe- 
rienze  intorno  alla  generazione  de'  vermiùrdinari  del  corpo  umano^ 
Padoue,  1710. 

(2)SwAMMERDAM,  BîbUanaturœseu  historiainsectorum.  Leyde,  1 737. 

(3)  Reaumur,  Mémoires  pour  servir  à  l'histoire  des  insectes. 
Paris,  1734. 

(4)  0.  F.  Muller,  Vermium  terrestrium  et  fluviatilium  Historia, 
1774.  —  Animalcula  infusoria,  etc.  Copenh.,  1786. 


40  HÉTÉROGÉNIE. 

Tels  furent  principalement  Hill  ,  que  l'on  cite 
comme  le  premier  nomenclateur  des  microzoaires(l), 
Jobiot(2),  Rœsel  (3)  et  Wrisberg  (4)  ;  puis,  bientôt 
après,  les  infusoires  furent  étudiés  accessoirement 
parPallas(o)  et  Ellis(6),  dans  leurs  ouvrages  sur  les 
zoopbytes;  Eichhorn  (7),  Needham(8),  Gleicben(9), 
produisirent  sur  ces  animaux  des  travaux  remarqua- 
bles; enfin  Goeze(IO)  etBIocb(ll),  dans  leurs  œu- 
vres sur  l'helminlhologie,  signalèrent  quelques  es- 
pèces qui  vivent  dans  le  tube  digestif  des  grenouilles. 

Les  travaux  de  plusieurs  de  ces  savants,  ainsi  que 
ceux  de  divers  grands  naturalistes  de  leur  époque, 
ayant  eu  une  immense  influence  sur  les  questions 
qui  nous  préoccupent,  nous  leur  consacrerons  spé- 
cialement quelques  lignes,  afin  d'en  mieux  apprécier 
toute  l'importance. 

En  suivant  à  peu  près  l'ordre  dans  lequel  leurs 
observations  et  leurs  opinions  ont  pris  rang  dans  la 

(I)  HiLL^  Essay  of  natural  history,  1752. 

(2)JoBLOT^  Observations d'hist.  nat. faites  aveclemicroscope,  1754. 

(3)  RoESEL,  Insecten  Belustigung  von  Rôsel.  1746.  Récréations 
entomologiques. 

(4)  Wrisberg,  Observationes  de  animalcul.  infusor.  naturâ.  Goel- 
tingue,  176i. 

(5)  Pallas,  Elenchus  zoophytorum.  1766. 

(6)  Ellis,  Philos.  Trans.,  Londres,  1770. 

(7)  EiciiiiORN,  Kleinste  Wasserthiere.  Berlin^  1781.  Los  infini- 
ment petits  aquatiques. 

(8)  Needhâm  ,  Découvertes  faites  avec  le  microscope.  Leyde,  1747. 

(9)  Gleichen,  Tnfusionsthierchen.  1778.  Des  infusoires. 

(iO)  Goeze^  Naturgeschichte  der  Eingeweidewurmer,  1782.  His- 
toire naturelle  des  vers  intestinaux. 

(II)  Blocw,  Abhandl.  uber  die  Erzeugung  der  Eingew.  1782.  Sur 
la  génération  des  vers  intestinaux. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  41 

science ,  nous  voyons  se  présenter  successivement  les 
noms  de  Needham,  de  Buffon,  de  Spallanzani,  de 
Bonnet,  de  Gleichen,  d'O.  F.  Muller,  etc. 

Needham,  physicien  anglais,  auquel  plusieurs  sa- 
vants attribuent  exclusivement  la  découverte  des  in- 
fusoires  (1),  a  été  l'un  des  plus  vigoureux  athlètes  de  la 
génération  spontanée;  trop  vigoureux  peut-être,  car 
en  voulant  la  démontrer  par  des  faits  controuvés  ou 
impossibles,  il  a  peut-être  plus  discrédité  qu'avancé 
la  question.  Ayant  reçu  le  jour  dans  une  patrie  où  les 
convictions  religieuses  ont  de  profondes  racines,  le 
célèbre  membre  de  la  Société  royale  de  Londres  sen- 
tit qu'un  semblable  système  ne  serait  jamais  accepté 
s'il  heurtait  les  crovances.  Aussi  le  voit-on,  tout 
d'abord,  annoncer  que  l'hypothèse  de  laspontéparité 
est  dans  un  parfait  accord  avec  la  plus  saine  métaphy- 
sique ainsi  qu'avec  nos  croyances  religieuses  (2). 

Il  est  en  effet  d'accord  avec  les  préceptes  méta- 
physiques de  Leibnitz,  qui  admet  une  force  active 
dans  les  éléments  des  corps  (3)  ;  il  a  la  conviction 
que  ses  théories  ne  sont  nullement  en  opposition 
avec  la  religion  ,  en  considérant  Dieu  comme  le 
grand  régulateur  de  cette  force  végétative,  atlingens 
a  fine  iisque  ad  finem  et  disponens  omnia  snaviler. 
N'étant  embarrassé  par  aucun  obstacle  ,  il  dit  avec 
raison  que  le  premier  homme  surgit  de  la  matière 

(1)  J.  MuLLER,  Manuel  de  physiologie.  Paris,  1845,  p.  10. 

(2;  Nef.duam,  Notes  de  Needham  sur  les  nouvelles  recherches 
sur  les  découvertes  microscopiques  et  la  génération  des  corps  orga- 
nisés par  Spallanzani,  p.  144. 

(3)  Leibnitz,  Monadologie. 


42  HÉTÉROGÉNIE. 

à  la  voix  du  Créateur,  et  le  savant  d'outre-mer 
termine  ce  paragraphe  par  un  singulier  rapproche- 
ment en  prétendant  qu'elle  aussi,  Eve,  sous  la  même 
inspiration  ,  n'a  été  qu'une  expansion  suhite  de 
cette  même  matière,  se  détachant  du  corps  d'Adam 
comme  un  jeune  polype  se  détache  du  polype 
mère  (1)  ! 

C'était  à  Needham  qu'il  appartenait  de  mettre  un 
frein  aux  prétentions  exagérées  des  successeurs  de 
Redi.  Le  premier,  selon  J.Muller  (2),  il  eut  la  gloire 
de  démontrer  que  si  la  putréfaction  n'engendre 
point  d'insectes,  au  moins,  sous  son  influence,  il  se 
produit  des  myriades  d'animalcules  auxquels  les 
naturalistes  imposèrent  d'abord  la  dénoiiiination 
d'infusoires  (3). 

Ses  travaux  ouvrirent  une  nouvelle  carrière  à  l'ob- 
servation; aussi  les  traces  du  micrographe  anglais 
furent-elles  rapidement  suivies  par  des  naturalistes 
du  plus  grand  mérite.  Parmi  eux  on  remarqua  d'a- 
bord Wrisberg,  0.  F.  Muller,  Ingenhousz;  puis  par 
la  suite,  Treviranus,  Schuitz,  Bory  Saint-Vincent, 
Ehrenberg,  Dujardin. 

Needham ,  si  souvent  associé  à  Buffon  lorsqu'il  s'agit 
de  travaux  microscopiques,  avait  au  sujet  de  l'origine 
des  microzoaires  une  théorie  à  lui;  il  pensait  qu'ils  se 


(1)  Needham,  Notes  sur  les  nouvelles  recherches  microscopiques 
de  SpaUanzani,  p.  144  et  suiv. 

(2)  J.  Muller,  Manuel  de  physiologie.  Paris,  Î84;>,  p.  10. 

(3)  Needham,  New  microscopical  discoveries.  Londres,  1745.  — 
Trad.  en  franc,  sous  le  litre  de  Découvertes  faites  avec  le  micro- 
scope. Le  y  de,  1747. 


HISTORIQUE.    —   ÉPOQUE    MODERNE.  43 

produisaient  à  l'aide  d'une  force  végétative  particu- 
lière (1). 

Les  travaux  de  Bufîon  doivent  se  trouver  naturel- 
lement placés  après  ceux  de  Needham,  dont  il  fui 
presque  le  commensal,  à  l'égard  de  ses  observations 
microscopiques,  car  c'était  souvent  ce  dernier  qui  les 
lui  préparait. 

Un  homme  comme  BufTon,  dont  la  pensée  est  si 
souvent  audacieuse,  devait  marcher  témérairement 
en  avant  de  son  siècle  :  aussi  le  voit-on  embrasser 
sans  hésitation  la  cause  de  l'hétérogénie,  alors  si  con- 
troversée. Et  dans  l'un  de  ces  moments  où  le  natu- 
raliste s'efface  devant  le  philosophe,  il  s'écrie  :  «  Il  y 
a  peut-être  autant  d'êtres,  soit  vivants,  soit  végétants, 
qui  se  reproduisent  par  l'assemblage  fortuit  des  molé- 
cules organiques,  qu'il  y  a  d'animaux  ou  de  végétaux 
qui  peuvent  se  reproduire  par  une  succession  con- 
stante de  générations  (2).  »  Dans  un  autre  endroit 
de  ses  œuvres  il  fouille  encore  plus  avant  la  question. 
c<  On  s'assurera  même,  dit-il,  que  cette  manière  de 
génération  est  non-seulement  la  plus  fréquente  et  la 
plus  générale,  mais  la  plus  ancienne,  c'est-à-dire  la 
première  et  la  plus  universelle  (3).  » 

C'est  absolument  celte  même  thèse,  qu'a  déve- 
loppée récemment  l'école  allemande,  en  s'appuyant  de 
toutes  les  ressources  de  la  science  moderne. 


(1)  Needham,  Nouvelles  Recherches  sur  les  découvertes  microsco- 
piques, t.  I,  p.  171. 

(2)  BuFFON,  Histoire  naturelle.  Suppléments,  t.  IV,  p.  335  ;  édit. 
de  Deiix-Ponls,  t.  XI,  p.  17. 

(3)BuFF0N,  Histoire  naturelle,  t.  II,  p.  420. 


44  HÉTÉROGÉNIE. 

Bufïon,  n'ayant  encore  en  sa  possession  que  d'im- 
parfaits instruments  d'optique,  et  trompé  par  l'appa- 
rence confuse  de  certaines  infusions,  avait  cru  recon- 
naître qu'il  existait  une  matière  ou  des  molécules  or- 
ganiques et  vivantes,  universellement  disséminées 
dans  les  animaux  et  les  plantes,  et  servant  successi- 
vement à  leur  génération  et  à  leur  développement. 
Quoique  parti  d'observations  inexactes,  l'illustre  natu- 
raliste n'en  était  pas  moins  dans  une  voie  rationnelle, 
seulement  il  fallait  reporter  sa  pensée  dans  l'inconnu 
du  monde  moléculaire. 

Quelques  lignes  empruntées  à  Buffon  donneront 
une  idée  exacte  de  son  système;  nous  citons  ici  tex- 
tuellement l'illustre  naturaliste,  parce  que  souvent 
on  a  exposé  fort  inexactement  ses  opinions.  «  Lorsque 
les  molécules  organiques  vivantes,  dit-il,  ne  sont 
plus  contraintes  par  la  puissance  du  moule  intérieur, 
lorsque  la  mort  fait  cesser  le  jeu  de  l'organisation, 
c'est-à-dire,  la  puissance  de  ce  moule,  la  décomposi- 
tion du  corps  suit,  et  les  molécules  organiques  qui 
toutes  survivent,  se  retrouvant  en  liberté  dans  la  dis- 
solution et  la  putréfaction  des  corps,  passent  dans 
d'autres  corps  aussitôt  qu'elles  sont  pompées  par  la 
puissance  de  quelques  autres  moules;  en  sorte  qu'elles 
peuvent  passer  de  l'animal  au  végétal,  et  du  végétal 
à  l'animal  sans  altération  (1).  »  Feu  de  lignes  plus 
bas  il  ajoute  que  si  pendant  leur  état  de  liberté  ces 

[\)  Ses  convictions  sont  tellement  grandes,  quMl  rapporte  que 
des  populations  de  TÉlhiopie  qui  se  nourrissent  de  sauterelles,  ont 
parfois  le  corps  envahi  et  dévoré  par  ces  insectes,  qui  se  sont  re- 
produits à  même  leurs  débris.  Édit.  de  Deux-Ponts,  t.  XI,  p.  26. 


HISTORIQUE.    —   ÉPOQUE    MODERNE.  45 

molécules  ne  se  trouvent  pas  sous  la  puissance  d'un 
moule  identique,  il  en  résulte  une  infinité  de  géné- 
rations spontanées  (1). 

Ce  qu'il  y  eut  de  remarquable,  c'est  que  Tauda- 
cieuse  idée  du  savant  Français  passa  en  Italie  et  y 
fut  soutenue  par  Filippo  Pirri  (2)  dans  un  ouvrage 
qui  reçut  en  quelque  sorte  le  baptême  de  l'Église , 
dans  les  mêmes  États  où  Galilée,  plus  de  cent  ans 
avant,  prononçait  l'impérissable  abjuration  de  son 
système  (3). 

Buffon  ne  se  bornait  pas  à  limiter  aux  animaux 
microscopiques  la  génération  spontanée ,  il  reten- 
dait aussi  aux  ténias,  aux  ascarides  et  aux  autres 
vers  intestinaux  (4)  ;  ce  grand  naturaliste  croyait 
aussi  que  chaque  espèce  en  se  putréfiant,  donnait 
naissance  à  une  espèce  particulière  d'infusoires  (5). 

Mais,  avouons-le  sans  détour,  Buffon  était  peu 
apte  à  élucider  un  tel  sujet.  L'illustre  historien  de  la 
nature  ne  s'entendait  qu'à  décrire  les  plus  majes- 
tueux phénomènes  de  celle-ci;  et  c'était  à  d'autres, 
c'était  à  Daubenton,  àNeedham,  qu'il  abandonnait 
presque  entièrement  le  soin  d'en  explorer  les  plus 


(i)  Buffon,  Histoire  naturelle.  Deux-Ponts,  1785,  t.  XI,  p.  21-22. 

(2)  FiLipPO  PiRiu,  Riproduzione  de  '  corpi  organizati,  con  licenza 
de'  superiori. 

(3)  Solem  esse  in  centra mundi  et  immobilem  motu  locali,  est  pro- 
positio  absurda  et  falsa  in  philosophia,  et  formaliter  hœretica,  quia 
est  expresse  contraria  sacrœ  Scripturœ. 

(4)  BvFFùK,  Suppléments  à  l'hist.nat.  Deux-Ponls,  1786,  t.  Il, 
p.  27. 

15)  Id.,  p  38. 


46  HÉTÉROGÉNIE. 

obscurs  replis.  En  effet ,  que  pouvait-on  attendre 
de  Buffon,  lui  qui,  sans  jamais  avoir  bien  vu  les 
animalcules  spermatiques  des  chiens,  qui  sont  ce- 
pendant si  faciles  à  observer,  prétend,  nonobstant, 
en  trouver  de  pareils  sur  les  ovaires  de  la  chienne, 
elle  qui  n'en  possède  pas  le  moindre  vestige!  Et 
pour  constater  une  telle  découverte,  il  cite  deux 
témoins  oculaires,  Needham  et  Daubenton,  assu- 
rant que  ces  savants  ont  répété  dix  fois  cette  obser- 
vation (1). 

Le  plus  rude  antagoniste  des  générations  sponta- 
nées est  incontestablement  l'abbé  Spallanzani.  Jus- 
qu'à lui,  elles  n'avaient  été  attaquées  que  par  bou- 
tades et  souvent  avec  assez  d'incohérence  ;  mais  le 
professeur  de  Pavie  se  passionne  contre  elles,  et  ac- 
cumule les  expériences  et  les  volumes  pour  en  démon- 
trer la  fausseté.  A-t-il  réussi  ?  C'est  ce  que  nous 
prouvera  la  suite  de  cet  ouvrage. 

C'est  principalement  sur  les  travaux  de  Spallan- 
zani que  s'appuient  les  antagonistes  de  l'hétérogénie, 
et  cependant  on  peut  dire,  sans  sévérité,  que  ces  tra- 
vaux, qui  n'ont  pas  été  sans  valeur  à  Tépoque  à  la- 
quelle existait  l'illustre  expérimentateur,  sont  au- 
jourd'hui largement  distancés  par  les  découvertes  ^ 
modernes.  Il  faut  aussi  ajouter  que  le  naturaliste  de 
Pavie  n'était  peut-être  pas  assez  zoologiste  pour  en)- 
brasser  complètement  la  question. 

L'œuvre  de  Spallanzani,  au  premier  abord,  paraît 

(i)  li  se  servait  cepL'ndant  de  microscope  composé.  Gleichen, 
Dissertation  sur  la  génération,  les  animalcules  et  ceux  d'infusion, 
Paris,  an  VIL  p.  î)5-56. 


HISTORIQrE.    —   ÉPOQUE    MODERNE.  47 

assez  volumineuse  :  mais  quanrl  on  la  soumet  aux  sé- 
vérités de  l'analyse,  on  s'aperçoit  immédiatement 
qu'elle  contient  bien  moins  de  matière  qu'on  ne 
l'aurait  cru  ,  à  cause  de  la  manière  prolixe  dont  tous 
les  faits  sont  exposés  :  c'est  plutôt  un  rhéteur  qui 
écrit  qu'un  expérimentateur  qui  expose.  Souvent 
mêm.e  les  faits  sont  narrés  avec  tant  de  détails  qu'il  en 
résulte  un  certain  embarras  pour  les  débrouiller  et 
que  l'auteur  lui-même  n'est  pas  toujours  exempt 
d'obscurité  ou  de  contradictions. 

Cependant,  les  plus  exclusifs  antagonistes  de  la 
spontéparité  se  groupent  tous  autour  de  l'étendard  de 
Spallanzani  qui  pour  eux  est  presque  un  prophète. 
Nonobstant,  de  place  en  place,  vaincu  par  l'évidence, 
celui-ci  avoue  les  faiblesses  de  la  cause  qu'il  soutient, 
et  fait  quelques  concessions  au  sujet  d'une  matière  qui 
n'en  souffre  aucune;  car  dans  celle-ci,  la  moindre 
concession  estune  défaite  absolue...  Ainsi,  n'est-ce  pas 
un  aveu  sans  réplique  que  celui  qui  échappe  au  cé- 
lèbre professeur  de  Pavie  lorsqu'il  dit  :  «Les  infu- 
soires  tirent  sans  doute  leur  première  origine  de  prin- 
cipes préorganisés;  mais  ces  principes  sont-ils  des 
œufs,  des  germes  ou  d'autres  semblables  corpuscules? 
S'il  faut  offrir  des  faits  pour  répondre  à  cette  ques- 
tion, j'avoue  ingénument  que  nous  n'avons  sur  ce 
sujet  aucune  certitude  (1).  »  Que  peuvent  être,  en 
effet,  ces  corpuscules  préorganisés,  si  ce  ne  sont 
des  molécules  organiques  toutes  prêtes  à  entrer  en 

(1)  Spallanzani,   Opuscules  de   physique   animale   et   végétale. 
Pavie,  1787,  t.  I,  p.  230. 


48  HETEROGENIE. 

combinaison  pour  la  production  de  quelque  nouvel 
être  ? 

La  lecture  de  Spallanzani  révèle  môme  à  chaque 
page,  qu'il  sent  son  impuissance  pour  expliquer  l'ap- 
parition des  microzoaires  dans  les  expériences  de  nos 
laboratoires.  Là,  il  dit,  «  que  l'on  n'a  aucun  fondement 
«pour  croire  qu'ils  commencent  à  paraître  dans  les 
«  infusions,  lorsqu'ils  y  tombent  de  l'air  (1).  »  A.il- 
leurs,  et  c'est  sa  théorie  de  prédilection,  il  émet,  au 
contraire,  que  c'est  ce  fluide  qui  transporte  partout 
avec  lui  les  germes  de  l'immewse  variété  de  proto- 
zoaires que  nous  observons;  mais  il  ne  sait  dire  au  juste 
quelle  est  la  nature  de  leurs  introuvables  éléments 
procréateurs.  Il  avoue  seulement  qu'il  est  raisonnable 
de  croire  qu'ils  proviennent  de  quelques  germes 
ou  de  quelque  principe  préorganisé  (2).  Ce  principe 
qu'il  prétend  n'être  pas  toujours  visible  est  un  vrai 
mythe;  admettre  l'existence  de  ce  moteur  organique 
impalpable,  c'est  substituer  la  prééminence  de  la  ma- 
tière à  celle  de  la  force  biologique. 

Spallanzani  prétend  que  le  système  de  Buffon  n'est 
qu'une  fiction  ingénieuse,  c'est  déjà  quelque  chose  et 
l'on  pourrait  lui  répondre  que  son  espèce  de  Pansper- 
mie,àlui,  repose  encore  surde-bienplusfragiles  bases, 
et  nous  espérons  le  démontrer  dans  cet  écrit.  Du 
reste,  comme  le  dit  J.  Muller,  le  savant  italien,  n'ayant 
pas  fait  connaître  précisément  les  espèces  d'infusoires 
qu'il  a  observées ,    ses   expériences  perdent   beau- 

(1)  Spallanzaisi,   Opuscules   de  physique  animale   et   végétale. 
Pavie,  1787,  t.  I,  p.  231. 
(2) /d.,  p.  231. 


HISTORIQUE.    EPOQUE    MODERNE.  49 

coup  de  leur  valeur  (1)  ;  et  celles  de  Tieviranus,  qui 
les  renversent,  sont  bien  autrement  concluantes  (2). 

Dans  une  de  ses  lettres  à  Bonnet,  l'abbé  Spallan- 
zani  disait  que  la  théologie  naturelle  pourrait  reti- 
rer de  vives  lumières  de  la  connaissance  du  dévelop- 
pement des  animalcules  infusoires;  mais  le  célèbre 
professeur  de  Pavie  avouait  qu'il  n'exislait  aucun 
sujet  qui  exigeât  du  naturaliste  une  logique  plus  ser- 
rée (3).  Je  partage  aussi  celte  opinion  ;  mais  c'est  jus- 
tement parce  que  cet  élément  lui  a  été  tout  à  fait 
enlevé  que  de  si  longues  controverses  ont  entravé 
son  avancement. 

Bonnet,  qui  par  l'importance  de  son  œuvre  a  été 
placé  à  la  tcle  du  parti  desovaristes,  nous  paraît  avoir 
traité  la  question  de  la  génération  plutôt  en  philo- 
sophe qu'en  observateur  profond  et  en  naturaliste. 
Et  ceux  qui  ont  parlé  des  opinions  de  ce  savant, 
qui  a  joui  d'une  si  grande  célébrité  durant  le  siècle 
dernier,  l'ont  fréquemment  cité,  plutôt  d'après  son 
ancienne  réputation  que  d'après  la  lecture  de  son 
livre.  Celui-ci  n'est  que  le  produit  de  la  jeunesse  de 
l'auteur,  car  l'on  sait  que  Bonnet,  lassé  prématuré- 
ment par  ses  observations  microscopiques,  aban- 
donna de  bonne  heure  les  sciences  naturelles  pour 
se  livrer  entièrement  à  la  philosophie.  Son  ouvrage 
sur  les  corps  organisés  porte  partout  l'empreinte 
d'une  production    incomplètement  élaborée;   c'est 

(1)  J.  MuLLER,  Manuel  de  physiologie,  Paris,  1845. 

(2)  Trkviranus,  Biologie,  t.  Il,  p.  279. 

(3)  Lettre  de  Ch.  Spallanzani  à  Bonnet,  mentionnée  parGleichen, 
op.  cit.,  p.  174. 

POUCHET,  4 


oO  KETEROGEISÏE. 

plutôt  une  succession  de  propositions  sur  des  sujets 
fort  variés  que  ce  n'est  l'exposition  d'une  doctrine 
appuyée  sur  l'expérience  ;  il  est  coupé  par  une  mul- 
titude de  chapitres  et  d'innombrables  alinéa.  L'un 
des  deux  volumes,  qui  est  formé  de  328  pages,  offre 
360  chapitres  :  c'est  plus  de  chapitres  que  de  feuilles  ;  il 
y  en  a  parfois  trois  dans  chacune  d'elles,  ce  qui  en  rend 
la  lecture  difficile.  Souvent  même,  les  faits  sont  bien 
moins  clairement  énoncésqu'on  n'aurait  ledroitde  s'y 
attendre  de  la  part  d'un  professeur  de  philosophie. 

La  réputation  de  celui-ci  a  peut-être  fait  la  fortune 
de  ses  doctrines  sur  l'histoire  naturelle;  mais  ce  que 
nous  pouvons  affirmer,  c'est  que,  pour  notre  compte, 
l'ouvrage  du  célèbre  Genevois  nous  a  paru  loin  d'avoir 
la  valeur  scientifique  qu'on  lui  prête  généralement, 
quand  on  ne  l'a  pas  sondé  d'un  bout  à  l'autre ,  et 
j'avoue  que  quelques-uns  de  ses  passages  m'ont  été 
absolument  ininlelHgibles.  Bonnet  est  même  fort 
vague,  lorsqu'à  la  première  page  de  son  œuvre  il  ex- 
pose ce  qu'il  entend  par  l'emboîlement  des  germes, 
hypothèse  dont  il  va  devenir  l'ardent  défenseur. 

Il  débute  en  avançant  que  cette  hypothèse  a  accable 
«  r imagination  sans  effrayer  la  raison  (1).  »  Je 
commence  par  ne  pas  être  de  cette  opinion,  car, 
pour  moi,  elle  me  semble  les  épouvanter  l'une 
et  l'autre.  On  oppose  à  l'emboîtement  d'ef- 
frayants calculs,  et  l'on  sait  qu'Hartsoeker  assurait 
que  «  la  première  graine  serait  à  la  dernière  et 
«  la  plus  petite  qui  paraîtrait    la  dernière  année 

(1)  Bonnet,  Considérations  sur  les  corps  organisés.  Amsterdam, 
1772,  t.  I,  p.  2. 


HISTORIQUE.  —   ÉPOQUE   MODERNE.  51 

«  du  soixantième  siècle,  comme  l'unité  suivie  de 
«  trente  mille  zéros  est  à  l'uni  lé,  »  d'où  le  physicien 
hollandais  concluait  que  l'emboîtement  était  ab- 
surde (1).  M.  Hallen  disait  que  l'imagination  se 
trouvait  comme  étourdie  en  voyant  qu'un  seul  ver 
spermalique,  millionième  partie  de  l'homme,  ren- 
ferme un  million  d'autres  petits  animalcules  qui  se 
développent  successivement  (2)  ;  Glcichen  n'était 
pas  moins  effrayé  d'une  telle  supposition  (3). 

On  lit  quelques  lignes  plus  bas  :  «  Le  soleil  un 
«  million  de  fois  plus  grand  que  la  terre  a  pour  ex- 
ce  trême  un  globule  de  lumière,  dont  plusieurs  mil- 
«  liarcls  entrent  à  la  fois  dans  l'œil  de  l'animal  vingt 
«  millions  de  fois  plus  petit  qu'un  ciron.  »  . 

((  Mais  la  raison  perce  encore  au  delà.  De  ce  glo- 
«  bule  de  lumière,  elle  voit  sortir  un  autre  univers 
«  qui  a  son  soleil,  ses  planètes,  ses  végétaux,  ses 
«  animaux,  et  parmi  ces  derniers  un  animalcule  qui 
«  esta  ce  nouveau  monde  ce  que  celui  dont  je  viens 
ï(  de  parler  est  au  monde  que  nous  habitons.  » 

C'est  là  toute  la  substance  de  l'un  des  plus  impor- 
tants chapitres  dé  l'œuvre  de  Bonnet,  où  il  est  ques- 
tion de  définir  ce  qu'il  entend  par  emboîtement; 
chapitre  qui  ne  renferme  que  dix-huit  lignes  (4)! 
Voici  les  grands  antagonistes  que  Ton  nous  oppose. 

(1)  Hartsoeker,  Physique. 

(2)  Hallen,  Naturgeschichte  der  Thiere  (Histoire  naturelle  des 
animaux),  p.  74. 

(3)  Gleichen,  Dissertation  sur  la  génération,  etc.  Paris,  an  VII, 
p.  65. 

(4)  Bonnet,  Considérations  sur  les  corps  organisés.  Amsterdam, 
1772,  t.  ï,p.  2. 


52  HETEROGENIE. 

Je  ne  sais  si  quelques  personnes  pourront  considérer 
tout  cela  comme  sérieux,  mais  pour  moi  j'aime  à 
traiter  les  sciences  avec  plus  de  reclitude.  J'avoue  ne 
pas  connaître  les  yeux  de  ces  animaux  vingt-sept 
millions  de  fois  plus  petits  que  le  ciron;  et  que  mon 
imagination  neva  pasjusqu'à  suspendre  dessoleils  au- 
tour d'un  atome  de  lumière,  et  à  le  peupler  de  végé- 
taux et  d'animaux! 

En  somme,  l'hypothèse  de  Bonnet  n'est  que  la 
Panspermie  renouvelée  de  l'antiquité.  Il  sature  toute 
la  création  de  germes  près  d'éclore  ;  les  êtres  animés, 
comme  les  substances  inertes,  en  sont  gorgés,  et, 
selon  lui,  ils  tombent  de  l'air  dans  les  infusions,  ou 
ils  y  préexistent;  et  il  les  fait  parfois  résister  aux 
agents  les  plus  désorganisateurs,  au  feu  lui-même  (1). 
Etcependant  tous  les  naturalistes  ne  savent-ils  pas  que 
des  températures  peu  élevées  anéantissent  à  jamais 
les  organes  reproducteurs  des  animaux  et  des  plan- 
tes (2)?  Dugès  tuait  à  volonté  les  germes  du  vibrio 
glutinis  à  l'aide  d'une  chaleur  de  80"  (3)  ;  et  Morren 
va  plus  loin,  en  prétendant  qu'il  ne  faut  qu'élever  la 
température  à  45"  pour  détruire  tous  les  germes  orga- 
niques qui  cheminent  dans  l'espace  (4). 

Mais  lorsqu'on  lit  attentivement  Bonnet,  on  voit 
que  ce  savant,  à  plusieurs  reprises,  avoue  la  faiblesse 
de  ses  convictions.  Il  dit  lui-même  que  son  système 

(1)  Spall\nzani  ,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale. 
Paris,  1789,1.  II,  p.  304. 

(2)  MoscAT[,  Acta  Acad.  Bonon.^  t.  CXI. 

(3)  Dugès,  Traité  de  physiologie  comparée.  Paris,  1839,  t.  llï, 
p.  210. 

(4)  Morren,  Cf.  Dugès,  Phys.  camp.,  1. 111,  p.  210. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  .^)3 

est  sujet  à  de  grandes  difficultés  (1).  En  développant 
celui-ci  il  s'est  fréquemment  attaqué  à  Buffon,  en 
essayant  de  renverser  sa  théorie  des  molécules  orga- 
niques; mais,  hélas  !  comme  il  est  loin  de  notre 
Pline  français,  pour  l'élévation  des  pensées  et  l'en- 
trainement  du  style! 

Comme  observateur,  le  baron  de  Gleichen  mérite 
d'être  placé  fort  au-dessus  de  Spallanzani  et  de  Bon- 
net. S'il  n'a  pas  embrassé  un  aussi  grand  cadre  qu'eux, 
évidemment,  lorsqu'il  se  rencontre  sur  le  même  ter- 
rain, l'avantage  reste  de  son  côté.  Ainsi,  quand  Glei- 
chen représente  les  zoosperraes  de  l'homme,  il  le  fait 
avec  une  remarquable  précision  pour  son  époque  (2), 
tandis  que  Spallanzani  n'en  donne  qu'une  figure  ab- 
surde (3).  Mais  ce  qui  a  peut-être  empêché  l'œuvre 
du  micrographe  allemand  d'avoir  tout  le  retentisse- 
ment qu'elle  méritait,  c'est  qu'il  y  combattait  les 
plus  rudes  athlètes  de  son  époque,  les  Buffon,  les 
Bonnet,  et  Spallanzani  lui-m.ême. 

Gleichen  a  exposé  ses  idées  avec  modestie,  mais 
non  pas  sans  avoir  la  conscience  de  sa  force.  Il  sait 
qu'il  a  contre  lui  les  hommes  les  plus  émiiients  de 
son  époque,  mais  il  sait  aussi  qu'il  peut  s'appuyer  sur 
quinze  années  d'observations  et  de  patientes  médita- 
tions, et  il  ne  craint  pas  de  s'avancer. 

(ijBoNNET;,  Considérations  sur  les  corps  organisés.  Paris,  1772, 
t.  I,  p.  118. 

(2)  Gleichen,  Dissertation  sur  la  génération.  Paris,  an  VII,  pi.  1, 
fig.  1.  —  Certains  histologistes  de  notre  époque,  je  regrette  de  le 
dire,  n'ont  pas  surpassé  cette  figure. 

(3)  Spallanzani,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale.  Paris, 
1787,  pi.  3,  fig.  1. 


-j ,  HÉTÉROGÉNSE. 

04 

Danssonimportantouvrage,Gleichen,admirateur 
des  idées  d'O.  F.  Muller  sur  la  génération  spontanée, 
les  admet  et  les  regarde  comme  étant  en  parfa.te 
concordance  avec  ce  qu'il  a  appelé  germes  ongi- 

""ctichen  a  eu  le  courage  d'attaquer  de  front  Buf- 
fon  pour  avoir  méconnu  l'animalité  des  zoosperraes 
et    es  avoir  confondus  avec  ses  molécules  organ.- 
aues  (1);  car  en  effet  l'intendant  du  Jardm  du  Ro. 
Jvaitpensé  que  les  animalcules  de  la  semence  re- 
présentaient ces  molécules  a"'^;!»^'^^!  '' ]f  .?;,";;. 
un  si  extraordinaire  rôle  dans  la  genèse  de  lolga- 
"' On  peut  dire  que  Gleichen  ne  s'est  pas  borné  à  de 
simples  supputations  logiques,  il  a  voulu  ecla.rer  la 
nue^lionna  l'observation;  et  malgré l'.mperfect.on 
Tst:  insîruments,il  n'en  trace  pas  moins  cla.emen 
les  phénomènes  qui  président  au  groupement  des 
Molécules  organiques  pour  former  un  an.malcule 

"£  Investigation    anatomique  J- ;;/-;- 
doituneidéeheureuseaubarondeGe.chenCeutu 

qui  conçut  le  premier  de  fa.re  avaler  de^  "^^   «"^ 
colorées  aux  microzoaires  pour  éclmrerleiis  orgam 

lions  et  leurs  fonctions  ;  il  leur  d--  ^J^ - 
Mais  le  célèbre  observateur  ne  tira  aucun  fru  t  de  ces 
IxTé  en  esàcet  égard,  et  il  avoue,  après  les  avo,r 
expo^s!  qu-n  ne  sait  nullement  que  penser  de  leur 

(,)  G...CB..,  Dissertation  sur  la  génération.  Paris,  an  Ml, 

p.  n. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  55 

résultat  (1).  Il  faut  arriver  à  Elirenberg  pour  obtenir 
la  solution  du  problème  (2). 

On  pourrait  seulement  reprocher  à  Gleichen  d'avoir 
trop  délayé  son  sujet  ;  car  c'est  à  peine  si  dans  son  ou- 
vrage, qui  offre  une  certaine  étendue,  il  attaque  au  vif 
la  question  de  la  production  des  raicrozoaires;  mais, 
au  contraire,  il  dépense  de  longues  pages  à  discuter 
les  opinions  de  Buffon,  de  Spallanzani  et  de  ses  autres 
antagonistes,  à  l'égard  de  la  génération  des  grands  ani- 
maux. Cette  direction  scientifique,  il  faut  malheureu- 
sement l'avouer,  était  celle  de  son  époque  !  Bonnet  et 
Spallanzani  semblent  eux-mêmes  n'écrire  que  pourat- 
taquer,  ou  combattre  les  systèmes  de  leurs  adversaires. 

Cependant  au  milieu  des  longueurs  de  l'ouvrage 
de  Gleichen,  on  trouve  de  place  en  place  quelques 
vues  fort  larges,  quelques  aperçus  épars  que  la  science 
n'a  fait  que  développer.  C'est  ainsi  que  déjà  il  y  parle 
fort  nettement  de  la  pénétration  du  sperme  à  l'inté- 
rieur de  l'œuf  (3);  acte  déjà  entrevu  sérieusement  par 
Lesser  et  le  baron  de  Wolf  (4),  et  remis  en  lumière  ré- 
cemment par  MM.  Claparède,  F.  Keber  et  Bischoff  (5). 

(1)  GLE\cnEV,  Dissertation  sur  la  génération,  les  animalcules  sper- 
matiques  et  ceux  d'infusion.  Paris^  an  VII,  p.  200. 

(2)  EiiREisEERG^  Die  Infusionsthierchen^  etc. 

(3)  GleicheiNj  Dissertation  sur  la  génération,  les  animalcule^ 
spermatiques  et  ceux  d'infusion.  Paris,  an  VII,  p.  63. 

(  i)  Wolf,  Pensées  sur  les  ouvrages  de  la  nature,  p.  730. 

Lesser^  Théologie  des  insectes. 

(5)  Claparède^  Biblioth.  univ.  de  Genève^  183,  t.  XXIX^,  p.  306. 

F.  Keber,  Eintritt  der  SamenzeUen  in  das  Ei  (De  l'entrée  des 
cellules  spermatiques  dans  l'œuf).  Kœnigsb.,  1854. 

Bischoff,  Bebtàtigung  des  Eindringens  der  Spermatozoîden  in  das 
Ei  (Sur  l'entrée  des  spermatozoïdes  dans  l'œuf).  Giessen,  1854. 


36  HETEROGÉNIE. 

Gleiclipn,  qui,  dans  tout  le  cours  de  son  œuvre, 
avoue,  de  place  en  place,  combien  l'explication  de  la 
génération  des  infusoires  lui  paraît  difficile,  en  termi- 
nant son  livre,  fruit  de  tant  d'années  de  travail,  revient 
un  peu  sur  ce  sujet:  c'est  qu'en  effet,  à  ce  moment  seu- 
lement, il  a  cru  avoir  soulevé  un  coin  du  voile  de  cette 
importante  question;  mais  il  n'est  guère  plus  heureux 
là  qu'il  ne  le  fut  à  l'égard  de  l'emploi  des  substances 
colorantes.  En  cet  endroit  il  parle  des  vorlicelles,  qui 
paraissent  lui  avoir  été  jusqu'à  ce  moment  peu  con- 
nues, et  par  une  étrange  aberration  il  considère  leur 
filament  postériourcomme  un  oviducte,etlasubstance 
de  l'infusion  qui  y  adhère  parfois,  comme  des  amas 
d'œufs.  C'est  aussi  à  cet  endroit  seulement  qu'il  con- 
fesse avoir  observé  la  scission  de  quelques  vorlicelles, 
et  il  ne  figure  celles-ci  que  dans  l'une  de  ses  dernières 
planches.  Alors  seulement,  et  pour  la  première  fois, 
il  pose  en  principe,  que  les  infusoires  se  propagent  de 
trois  manières  :  par  des  œufs,  par  des  petits  vivants, 
et  par  scission  (1).  Mais  pour  celte  dernière,  Gleichen, 
qui  a  passé  quinze  années  de  sa  vie  à  marner  un  mi- 
croscope, confesse  ne  l'avoir  jamais  observée  que  trois 
fois que  trois  fois  lorsqu'il  achève  son  œuvre! 

A  l'égard  de  la  reproduction  des  protozoaires,  un 
observateur  scrupuleux  qui  consacra  quinze  années      | 
de  sa  vie  à  observer  des  infusoires,  Gleichen,  confesse      | 
qu'il  n'est  pas  plus  avancé  que  je  ne  le  suis  moi- 
même.    «  Je  dois  avouer,  dit-il,  que  malgré  toute 
l'activité  que  j'ai  mise  dans  mes  observations,  mapa- 

(1)  Gleichen,  Dissertation  sur  la  génération.  Paris,  an  VI!,  p.  218 
et  pi.  29. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  57 

tience,  le  temps  que  j'y  ai  employé,  il  ne  m'a  point  été 
possible  pendant  plusieurs  années  d'en  rien  direde  cer- 
tain (1).  »  Après  cela  que  des  physiologistes  qui  n'ont 
peut-être  jamaisobservé  ce  phénomène  viennent  avec 
assurance  parler  de  scission  comme  d'un  fait  nor- 
mal! Vraiment  il  y  a  plus  que  de  la  présomption. 

Othon-Frédéric  Mûller,  qui  fut  réellement  le  pre- 
mier des  micrographes  de  son  époque,  n'hésita  pas  un 
moment  à  admettre  que  les  infusoires,  dont  il  a  été  le 
plus  fécond  historien,  ne  sont  que  le  résultat  de  l'hé- 
térogénie,  et  qu'ils  se  produisent  ex  moleculis  briitis 
et  qiioad  sensiim  nostrum  inorganicls  (2). 

Le  grand  naturaliste  avait  môme  sur  la  génération 
spontanée  une  théorie  spéciale  qu'il  a  exposée  dans 
la  préface  de  son  important  ouvrage.  «  Les  animaux 
«  et  les  végétaux,  y  lit-on,  se  décomposent  en  par- 
ce ticules  organiques,  douées  d'un  certain  degré  de 
«  vilalitéet  constituant  des  animalcules  très-simples, 
«  lesquels  sont  susceptibles  de  se  développer  comme 
<(  des  germes  par  l'adjonction  d'autres  particules, 
«  ou  de  concourir  eux-mêmes  au  développement  de 
«  quelque  autre  animal,  pour  redevenir  libres  après 
«  la  mort  et  recommencer  éternellement  un  pareil 
((  cycle  de  transmutations.  »  0.  F.  Mûller  n'ad- 
mettait ce  mode  de  formation  que  pour  les  micro- 
zoaires  les  plus  infimes  et  il  pensait,  en  quelque  sorte, 
l'avoir  saisi  à  son  origine,  et  avoir  vu  les  particules 

(1)  Gleichen,  Dissertation  sur  la  génération.    Paris^  an   VII, 
p.  122. 

(2)  0.  F.  MuLLER,  Ânimalcula  infusoria,  fluviatilia  et  marina^ 
quœdetexit  ,  etc.  Opits  posth.  cura  Othon.  Fabricii.  Leipzig,  4787. 


58  HÉTÉROGÉME. 

organiques  dont  il  parle  dans  le  mouvement  de  dé- 
composition des  corps  (1). 

Mais  ce  qui  est  tiès-regrettable,  c'est  que  le  savant 
auquel  la  science  doit  de  si  amples  travaux  sur  les  in- 
fusoires,  lui  ait  été  ravi  avant  d'avoir  terminé  son 
œuvre;  lui  qui  avait  tant  éclairé  l'histoire  de  ces  ani- 
malcules, aurait  pu,  à  n'en  pas  douter,  jeter  aussi  de 
vives  lumières  sur  leur  génération,  encore  si  impar- 
faitement connue  (2). 

On  s'accorde  aussi  à  attribuer  à  0.  F.  Muller 
la  dénomination  à'infusoires,  sous  laquelle  on  dési- 
gne les  animalcules  qui  vont  tant  nous  occuper  (3). 
Cette  dénomination,  qui  a  été  généralement  ac- 
ceptée, nous  parait  cependant  absolument  défec- 
tueuse, parla  raison  que  l'essence  de  ces  animalcules 
n'est  point  d'apparaître  seulement  dans  les  infusions, 
puisqu'on  en  trouve  aussi  dans  tous  les  liquides  où  il 
existe  des  produits  organiques  en  macération.  On 
découvre  également  des  infusoires  dans  la  mer,  dans 
toutes  les  eaux  stagnantes  ;  aussi  à  ce  nom  nous  préfé- 
rons ceux  de  Mcro:zoaire.s  employé  par  deBlainville  (4) 
ou  de  Protozoaires  dont  Goldfuss,  Carus  et  Siebold 
ont  fait  usage  (5),  parce  que  ces  noms,  que  nous  avons 

(1)0.  F.  Muller,  Vermium  terrestrium  et  fluviatilium  Historia, 
1774. 

(2)  Le  traité  d'O.  F.  MûUer  fut  publié  par  les  soins  d'Othon  Fa- 
bricius. 

(3)  De  Blainville,  Dict.  des  sciences  naturelles^  t.  XXIII,  p.  416, 
et  autres  auteurs. 

(4)  Id.,  ibid.,  1830,  t.  LX,  p.  140. 

(5)  Goldfuss,  Manuel  de  zoologie.  Nuremberg.  1820,  en  alle- 
mand . 


HISTORIQUE. ÉPOQUE    MODERNE.  59 

nous-même  adoptés  depuislongtemps,  nous  paraissent 
infiniment  plus  convenables  et  ne  donnent  aucune 
idée  fausse  sur  ces  animalcules,  surtout  les  pre- 
miers (1), 

De Blainville  les  appelait  aussi .4(/a5^ra/res(2)5 etLa- 
treille  Âgastriqites  (3),  dénominations  qui  ont  néces- 
sairement dû  être  abandonnées  du  moment  où  Ehren- 
berg,  et  après  lui,  R.  Owen  et  Carus  reconnaissaient 
que  loin  d'être  privés  d'estomac,  ces  animalcules  pos- 
sèdent souvent  de  nombreuses  cavités  gastriques  (4). 

Goeze.  observateur  habile  et  pasteur  à  Quedlim- 
bourg,  a  suivi  de  près  0.  F.  Mûller  et  a  même 
contribué  à  faire  connaître  l'œuvre  de  celui-ci  en  en 
publiant  quelques  fragments  (5).  On  lui  doit  des  ob- 
servations sur  la  scission  des  microzoaires,  qu'il  a 
même  représentée  (6).  Il  a  aussi  observé  plusieurs  de 
ces  animalcules  dans  les  infusions  (7). 

Plus  on  étudie  les  protozoaires,  plus  on  recon- 
naît qu'il  est  difficile  de  débrouiller  les  ténèbres  de 

Carus^  Traité  élémentaire  d'anatomie  comparée.  Paris,  1835. 
SiEBOLD  et  Stannius,  Anatomie  comparée. 

(1)  PoucHET,  Zoologie  classique.  Paris,  1841,  l.  II,  p.  588. 

(2)  De  Blainville,  Bull,  de  la  Soc.  philom. 

(3)  Latreille,  Familles  naturelles  du  règne  animal.  Paris,  1825. 
p.  550. 

(4)  Ehrenbep.g,  dm  Infusion sthierchenj  etc. 

R.  Owen,  Lectureson  the  comparative  Anatomy  and  Physiology 
of  the  invertebrate  animais.  Londres,  1843,  p.  '22. 

Carus,  Traité  élémentaire  d'anatomie  comparée.  Paris,  1835. 

(5)  Goeze,  Berliner  Sammlungen  (CôllecUons  de  Berlin),  t.  IV. 
p.  94. 

(6)  Goeze,  dans  sa  Traduction  de  Bonnet,  pi.  7,  fig.  7. 

(7)  GoEZF,  Recueil  de  la  Société  des  amis  de  la  nature  de  Berlin, 
t.  III,  p.  375. 


60  HÉTÉROGÉNiK. 

leur  origine.  Il  n'y  a  que  les  physiologistes  superficiels 
qui  tranchent  la  question  avec  une  imperturbable 
présomption.  Ce  que  nous  disons  avait  été  parfaite- 
ment senti  il  y  a  longtemps  par  Goeze.  «11  nous  man- 
que, dit  ce  laborieux  ministre  protestant,  des  expé- 
riences suffisantes  et  concordantes  qui  puissent  servir 
de  base  à  un  système  parfait  et  certain,  qui  réponde  à 
toutes  les  difficultés  sur  ce  sujet  obscur,  et  qui  nous 
permette  de  dire  :  Ainsi,  et  non  autrement,  s'opère 
toute  génération  des  animalcules  d'infusions  (1).  » 

3o  Microscope  achromatique  (dix-neuvième  siècle). 

Vers  les  premières  années  du  dix-neuvièmesiècle, 
l'étude  des  sciences  prit  un  immense  essor,  et  les 
instruments  mis  à  la  disposition  des  savants  ayant 
subi  de  grands  perfectionnements,  celles-ci  entrèrent 
dans  une  nouvelle  et  brillante  phase.  L'anatomie  et 
la  physiologie  comparées,  dans  leurs  progrès  inces- 
sants, jetaient  alors  de  vives  lumières  sur  l'organisa- 
tion et  la  vie  des  moindres  êtres  de  la  série  zoologique 
comme  sur  les  plus  obscurs  végétaux. 

Depuis  cette  époque  jusqu'(à  ce  moment,  les  plus 
illustres  zoologistes  et  les  physiologistes  les  plus  en 
renom,  favorisés  par  l'emploi  du  microscope  achro- 
matique et  le  progrès  de  Ticonographie,  éclairèrent 
sans  relâche  et  avec  une  rectitude  inaccoutumée,  la 
structure  et  lagénésie  d'un  grand  nombre  d'animaux 
inférieurs  et  en  particulier  celles  des  microzoaires. 
La  connaissance  plus  intime  de  ceux-ci  fit  faire  un 

(\)  GoEZE;,  Mémoire  sur  les  animalcules  mères  d'infusions.  —  Cité 
par  Gleichen,  p.  ni. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  61 

grand  pas  à  la  queslion  qui  nous  préoccupe,  et  Ton 
peut  dire  qu'à  compter  de  cette  époque,  Thisloiredes 
générations  spontanées  entre  dans  une  nouvelle  voie 
plus  sévère  et  plus  pliilosopbique. 

Il  est  vrai  de  dire  aussi  que  la  science  moderne,  en 
découvrant  les  organes  génitaux  et  le  mode  de  re- 
production de  certains  organismes  inférieurs  dans 
lesquels  ceux-ci  étaient  précédemment  inconnus,  a 
semblé  restreindre  le  cercle  de  la  génération  spon- 
tanée et  les  prétentions  des  liétérogénisles.  Mais  ce 
résultat  a  souvent  été  plus  apparent  que  réel,  car, 
ainsi  que  nous  le  démontrerons  avec  les  physiolo- 
gistes les  plus  considérables  de  l'époque,  de  ce  f|ue 
Ton  découvre  l'appareil  sexuel  dans  un  certain  être 
et  qu'à  un  moment  donné  il  se  reproduit  par  la  gé- 
nération normale,  il  n'en  résulte  pas  qu'à  sa  pre- 
mière apparition  il  ne  se  soit  pas  formé  par  la  spon- 
téparité.  Telle  est  aussi  l'opinion  desBuffon  (1),  des 
Lamarck(2),  des  Burdach  (3)  et  des  Bremser  (4). 

Lamarck  doit  occuper  Tune  des  premières  places 
parmi  la  série  des  grands  naturalistes  modernes  qui 
ont  abordé  la  question  de  la  génération  spontanée, 
et  cela  non-seulement  à  cause  de  l'époque  à  laquelle 
il  vécut  et  qu'il  a  tant  contribué  à  illustrer,  mais 
aussi  à  cause  du  courage  et  de  la  rectitude  avec  les- 
quels il  émet  son  opinion  à  cet  égard. 

(1)  BuFFON,  Suppléments  à  l'Hist.nat.  Deux-Ponts,  1786,  t.  II, 
p.  27. 

(2)  Lamarck,  Philosophie  zooloyfque.  Paris,  1809,  t.  II,  p.  88. 

(3)  BuuDAC»,   Traité  de  physiologie.  Paris,   1837,  t.  I. 

(4)  Bkemser^  Traité  zoologique  et  physiologique  des  vers  intesti- 
naux. Paris,  1824,  in-8%  et  atlas  de  15  planches. 


65  HÉTÉROGENIE. 

Il  n'était  guère  possible  que  Lamarck,  dans  son 
écrit  sur  la  philosophie  zoologique,  passât  sous 
silence  la  question  de  l'hétérogénie;  il  en  parle  en 
effet,  non  avec  ces  phrases  entortillées  qu'affectent 
certains  auteurs  pour  tourner  le  sujet  et  décliner 
presque  à  l'avance  la  responsabilité  de  leurs  opinions, 
mais  avec  la  netteté  et  l'assurance  d'un  homme  con- 
vaincu (1). 

«Les  corps,  dit  leLinnée  français,  sont  sans  cesse 
assujettis  à  des  mutations  d'état,  de  combinaison  et 
de  nature,  au  milieu  desquelles  les  uns  passent  con- 
tinuellement de  l'état  de  corps  inerte  ou  passif  à  ce- 
lui qui  permet  en  eux  la  vie,  tandis  que  les  autres 
repassent  de  l'état  vivant  à  celui  de  corps  brut  et  sans 
vie.  Ces  passages  de  la  vie  à  la  mort  et  de  la  mort  à 
la  vie,  font  évidemment  partie  du  cercle  immense  de 
toutes  les  sortes  de  changements  auxquels,  pendant 
le  cours  des  temps,  tous  les  corps  physiques  sont  sou- 
mis  (2).  » 

Mais  déjà  Lamarck  avait  préludé  à  cette  exposi- 
tion catégorique  du  sujet,  en  disant,  dans  un  autre 
ouvrage,  que  la  nature  crée  elle-même  les  pre- 
miers traits  de  l'organisation  dans  des  masses  où 
il  n'en  existait  pas  précédemment,  et  qu'ensuite 

le  mouvement  vital  développe  et  compose  les  or  • 
ganes  (3). 

Plus  loin  Lamarck  pose  la  question  avec  une  net- 
teté qui  ne  souffre  aucun  doute,  et  sa  conviction  est  si 

.1)  Lamarck,  Philosophie  zoologique.  Paris,  1809,  t.  II,  p.  80. 

(2)  Id.,  ibid.,  p.  61. 

(3)  Lamarck,  Recherches  sur  les  corps  vivants,  p.  92. 


HISTORIQUE.    —    ÉPOQUE    MODERNE.  63 

profonde  que  pour  mieux  l'inculquer  à  ses  lecteurs, 
il  souligne  chacune  de  ses  phrases.  «  La  nature^ 
dit-il,  à  V  aide  de  la  chaleur,  de  la  lumière,  de  V  élec- 
tricité et  de  V humidité,  forme  des  générations  sponta- 
nées ou  directes,  à  V extrémité  de  chaque  règne  des 
corps  vivants,  où  se  trouvent  les  plus  simples  de  ces 
corps  (1).  » 

Le  grand  zoologiste,  après  avoir  si  franchenient 
tracé  ses  convictions,  s'avance  même  bien  au  delà  de 
cette  première  pensée,  et  déjà  il  explore  une  route 
que  suivront  plus  tard  la  plupart  des  naturalistes 
philosophes  de  l'Allemagne.  Après  avoir  dit  :  «  C'est 
pour  moi  une  vérité  des  2:)lus  évidentes,  que  la  nature 
forme  des  générations  spontanées  au  commencement 
de  l'échelle  animale  ou  végétale,  »  il  se  demande  s'il 
ne  s'en  produit  pas  également  dans  des  régions  plus 
élevées  de  l'organisme?  Il  n'a  pas  encore  des  convic- 
tions arrêtées  à  l'égard  du  dernier  fait,  mais  il  avoue 
qu'il  y  a  tant  d'observations  bien  constatées  qui  l'in- 
diquent, et  que  la  nature  a  tant  de  ressources,  qu'il 
est  presque  tenté  d'y  croire.  Il  lui  paraît  même  pré- 
sumable  que  les  vers  intestinaux,  et  que  quelques 
insectes  parasites  pourraient  bien  n'être  que  le  résul- 
tat de  la  génération  directe,  et  que  les  moisissures  et 
divers  champignons  pourraient  aussi  avoir  la  même 
origine  (2). 

Cependant,  après  avoir  si  nettement  tranché  la 
question,  nous  devons  avouer  que,  lorsque,  six  ans 
plus  tard,  Lamarck  publie  son  grand  ouvrage  sur  les 

(1)  L\MARCK,  Philosophie  zoologique.  Paris j  1809,  t.  II,  p.  80. 

(2)  Id.,  ihid.y  p.  88. 


64  HÉTÉROGÉNIE. 

Invertébrés,  il  semble  devenu  moins  hardi  que  ne 
rétait  l'auteur  de  la  Philosophie  zoologique.  Sa  des- 
cription des  infusoires  est  embrouillée  ;  et  lorsqu'il 
parle  de  leur  reproduction,  lui  qui  précédemment 
poussait  Taudace  si  loin,  il  devient  là  de  la  plus  ex- 
trême timidité.  Il  ne  parle  plus  que  des  cissiparité,  sans 
faire  attention  que,  pour  que  celle-ci  s'accomplisse,  il 
faut  qu'il  y  ait  nécessairement  d'abord,  dans  une  in- 
fusion, une  procréation  spontanée  ou  par  des  œufs  (1  ). 
Cependant  plus  loin  ,  comme  par  un  aveu  qui  lui 
échappe,  en  décrivant  les  monades,  il  dit  que  ces  vé- 
ritables ébauches  de  l'animalité  ?>e  forment,  lorsqu'il 
fait  chaud,  dans  les  eaux  croupissantes  ou  dans  les 
marécages  (2). 

On  eût  désiré  trouver  dans  les  œuvres  des  savants 
qui  suivirent  Lamarck  des  opinions  sinon  d'accord 
avec  les  siennes,  au  moins  exprimées  avec  la  même 
franchise  et  sans  la  moindre  équivoque,  et  c'est  ce 
que  l'on  ne  rencontre  nullement  dans  celles  des 
hommes  qui,  tels  que  Cuvier  et  De  Blainville,  pour- 
ront en  quelque  sorte  être  regardés  comme  ses  suc- 
cesseurs. 

Cuvier  ne  doit  être  mentionné  ici  que  pour  com- 
pléter celle  esquisse  historique  ;  car  ce  naturaliste 
d'une  immense  valeur  a  traité  la  question  qui  nous 
occupe,  si  légèrement  et  si  vaguement,  qu'en  con- 
science, si  nous  pénétrons  le   sens  de  ses  paroles, 

(1)  Lamarck,   Histoire  naturelle  des  animaux  sans  vertèbres. 
Paris,  i8l5,  t.  I,  p.  404. 

(2)  Id.,  ibid. 

(3)  W,  26/(/.,  p.  4H. 


V 


HISTORIQUE.    —   ÉPOQUE    MODERNE.  63 

nous  ne  sondons  réellement  pas  dans  celles-ci  les  re- 
plis cachés  de  sa  pensée.  M.  Laurillard,  qui  a  été  l'un 
des  plus  intimes  confidents  du  grand  homme,  nous 
apprend  que  celui-ci  «  croyait  à  la  préexistence  des 
germes.  Non  pas,  dit-il,  à  la  préexistence  d'un  être 
tout  formé,  puisqu'il  est  bien  évident  que  ce  n'est  que 
par  des  développements  successifs  que  l'être  acquiert 
sa  forme ,  mais,  si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  à  la 
présence  du  radical  de  V être,  radical  qui  existe  avant 
la  série  des  évolutions,  et  qui  remonte  au  moins  cer- 
tainement, suivant  la  belle  observation  de  Bonnet,  à 
plusieurs  générations  (1).» 

Cuvier  admet  donc  une  sorte  d'emboîtement  au- 
tre que  celui  de  Bonnet,  une  espèce  d'emboîtement 
métaphysique  ;  car  le  radical  de  Vêtre  n'est  réelle- 
ment que  cette  force  qui  préside  à  tout  mouvement 
organique  ;  cette  force,  tellement  évidente  qu'elle  a 
été  pressentie  et  admise  par  tous  les  physiologistes, 
car  ceux-ci  n'ont  réellement  différé  que  sur  le  nom 
qu'ils  lui  imposaient  et  sur  son  mode  d'action. 

Que  cette  force  culminante  de  l'organisme  soit 
appelée  Radical  de  l'être  par  Cuvier;  Archée,  forma- 
rurn  or  tus  et  spiritus  vitœ,  parVan  Helmont  (2)  ;  Prin- 
cipe vital,  par  Barthez  (3);  Ame,  par  Stahl  (4), 
cela  n'y  fait  absolument  rien  ,  c'est  l'aveu  de  son 
existence  et  de  son  impulsion  qui  constitue  toute  la 
doctrine.  Mais  cet  être  abstrait,  Cuvier  ne  le  fait 

(1)  Laurillard,  Éloge  de  Cuvier ,  p.  55. 

(2)  Van  Helmont,  Opéra  omnia.  Tract,  de  anima. 

(3)  Barthez,  Nouveaux  éléments  de  la  science  de  l'homme. 

(4)  Staul,  De  organismi  et  mechanismi  diversitate.  Halle,  1706. 

POUCHET.  9 


6(5  HETEROGENIE. 

remonter  qu'à  plusieurs  générations  ;  il  a  donc  été 
précédemment  libre  de  toute  liaison  organique,  et 
ce  n'est  donc  qu'à  un  certain  moment  qu'il  s'est  con- 
jugué, uni  à  la  matière  pour  lui  imposer  une  période 
d'évolutions.  Là,  à  cet  instant,  a  commencé  une  gé- 
nération primordiale  ;  c'est  évident  :  un  principe 
abstrait  a  coordonné  des  matériaux  épars^  en  a  do- 
miné l'arrangement  et  a  créé  un  nouvel  être.  Nous 
ne  demandons  pas  autre  chose  ;  seulement,  pour  nous, 
ce  principe  a  tantôt  sa  sphère  d'action  dans  le  tissu 
ovarique,  tantôt  dans  la  matière  organique  amor- 
phe; dans  l'un  comme  dans  l'autre  cas,  sa  puissance 
et  son  œuvre  offrent  d'aussi  profondes  ténèbres  à 
notre  intellect. 

Lalreille  a  suivi  les  mêmes  errements  que  Cuvier; 
cependant  il  s'avance  assez  pour  qu'on  puisse  le 
compter  parmi  les  partisans  de  la  génération  primi- 
tive, puisqu'il  dit,  dans  l'un  de  ses  ouvrages,  que  les 
protozoaires  naissent  à  nu  dans  les  diverses  matières 
animales  ou  végétales  en  infusion  (l). 

L'illustre  successeur  de  Lamarck  et  de  Cuvier, 
M.  De  Blainville,  en  reprenant  leurs  travaux,  y  a 
laissé  de  vivaces  empreintes  de  son  génie.  Dans  son 
histoire  des  zoophytes  (2),  qui  n'est  pas  l'un  de  ses 
moindres  litres  de  gloire,  ainsi  que  dans  plusieurs 
de  ses  articles  du  Dictionnaire  des  sciences  naturel- 
les, il  se  trouve  forcément  appelé  à  se  prononcer  sur 

(i)  Latreille,  Familles  naturelles  du  règne  animal.  Paris,  1825, 
p. 551. 

(2)  De  Blainville,  Manuel  d'actinologie  ou  de  zoophytologie. 
Paris,  1834. 


HISTORIQUE.    —    ÉPOQUE    MODERNE.  67 

l'organisation  et  la  reproduction  des  microzoaires. 
Dans  un  très-court  article  sur  ceux-ci,  écrit  en  1822, 
on  \oit  poindre  de  toutes  parts  les  plus  ingénieux 
aperçus  sur  l'organisation  et  la  classification  de  ces 
êtres  :  c'est  en  quelques  lignes  toute  une  ébauche  de 
leur  histoire  (1).  Dans  ses  écrits  subséquents,  le  grand 
naturaliste  ne  s'avance  guère  au  delà,  surtout  pour 
ce  qui  concerne  leur  reproduction  et  leur  organi- 
sation. 

On  devait  essentiellement  s'attendre  à  ce  résultat; 
car  ce  savant,  dont  je  me  glorifie  d'être  l'élève,  et 
qu'un  de  ses  plus  illustres  antagonistes,  par  une  bien 
noble  abnégation,  en  conversant  avec  moi,  rangeait 
parmi  les  princes  de  la  zoologie  moderne,  n'était 
guère  apte  aux  patientes  observations  que  nécessite 
l'exploration  des  infiniment  petits;  son  naturel 
bouillant,  impatient,  était  l'obstacle  insurmontable. 
Ne  l'ai-je  pas  entendu,  dans  ses  cours  de  physiologie 
comparée,  employer  toutes  les  ressources  de  sa  logi- 
que pour  démontrer  que  les  zoospermes  n'existaient 
nullement  (2)?  A  l'égard  de  la  génération  des  micro- 
zoaires, il  est  constamment  indécis  ;  lorsqu'il  prélude 
à  leur  histoire,  il  récuse  la  génération  spontanée 
à  l'égard  d'une  grande  partie  de  ceux-ci,  mais  il  pa- 
raît disposé  à  l'admettre  pour  les  autres  (3);  huit 
ans  après,  lorsqu'il  produit  son  grand  travail  sur  les 

(1  )  De  Blain ville.  Dictionnaire  des  sciences  naturelles.  Paris,  1 822, 
t.  m,  p.  419;  —t.  LX,  p.  141. 

(2)  De  Blainville  ,  Cours  de  physiologie  générale  et  comparée. 
Paris,  1835. 

(3)  De  Blai  n  ville.  Dictionnaire  des  sciences  naturelles.  Paris,  i  822 , 
t.  XXllI,  p.  420. 


68  HÉTÉROGÉNIE. 

zoophytes,  il  n'est  encore  nullement  fixé,  et  on  le 
voit  se  résumer,  en  disant  :  «  Nous  n'avons,  du  reste, 
rien  de  bien  positif  sur  le  mode  de  reproduction  de 
ces  animaux  (1).  » 

Était-il  possible  que  l'ardent  anatomiste  parvînt  à 
une  autre  conclusion  sans  de  patientes  et  longues 
observations?  et  il  n'en  avait  jamais  fait,  puisqu'il 
confesse  lui-même ,  dans  son  dernier  travail  sur  les 
microzoaires,  que  toutes  les  expériences  qu'il  a  en- 
treprises ne  sont  point  encore  terminées  au  moment 
où  il  écrit  l'histoire  de  ces  animaux. 

Dans  son  premier  article  sur  les  infusoires ,  De 
Blainville,  sans  être  influencé  par  les  assertions  de 
Spallanzani,  acceptées  sans  contrôle  par  tant  de  phy- 
siologistes (2),  avoue  seulement  que  l'espèce  de  scis- 
sion par  laquelle  on  a  cru  que  les  infusoires  se  re- 
produisaient, peut  se  concevoir  à  priori,  mais  il 
ajoute  qu'il  serait  cependant  important  de  voir  si 
elle  a  certainement  lieu  (3).  Ce  n'est  que  huit  ans 
plus  tard ,  en  revenant  sur  ce  sujet ,  qu'il  dit  enfin  : 
«  Nous  nous  sommes  assuré  positivement  que  plu- 
sieurs espèces  de  kolpodes  peuvent  se  propager  en  se 
coupant  à  peu  près  par  le  milieu  du  corps.  Nous 
avons  vu,  ajoute-t-il,  ceXie -singulière  scissure  plu- 
sieurs fois  d'une  manière  indubitable  (4).  » 

(1)  De  BlainvillEj  Art.  Zoophytes,  Dict.  des  se.  nat.  Paris,  1830, 
t.LX,  p.  144. 

(2)  LoNGET,  Traité  de  physiologie,  etc. 

(3)  De  Blainville,  Dictionnaire  des  se.  naturelles.  Paris,  1822. 
t.  XXUI,  p.  420. 

(4)  De  Blainville,  Dict.  des  se.  nat.  Paris,  1830,  t.  LX,  p.  144. 
—  Manuel  de  zoophytologie .  Paris,  1834. 


•       HISTORIQUE.    —   ÉPOQUE    iMODERKE.  69 

Nous  en  sommes  absolument  au  même  point, 
n'ayant  vu  cette  scission  que  comme  une  rare  excep- 
tion durant  plus  de  dix  années  d'observation. 

L'un  des  élèves  de  M.  De  Blainville,  M.  P.  Gervais, 
a  montré  moins  d'hésitation  que  son  maître.  Quoique 
confessant  que  la  science  ne  possède  pas  assez  de  faits 
pour  trancher  la  question,  il  n'en  considère  pas 
moins  l'hypothèse  de  la  génération  spontanée  comme 
tout  à  fait  inadmissible.  Selon  lui,  les  germes  des  in- 
fusoires  et  des  entozoaires  sont  probablement  tenus 
en  suspension  dans  les  fluides  que  nous  respirons  ou 
dans  ceux  qui  composent  notre  nourriture  ou  qui 
circulent  dans  notre  organisme.  Partout,  dans  cette 
véritable  panspermie,  ils  se  trouveraient  à  l'état 
latent,  pour  ne  commencer  leur  évolution  qu'au 
moment  où  ils  rencontrent  les  circonstances  favo- 
rables (1). 

A  l'étonnante  indécision  qui  a  régné  dans  les  œu- 
vres des  deux  naturalistes  auxquels  leur  incontesta- 
ble célébrité  imposait  de  nous  éclairer  sur  une  aussi 
grave  question,  nous  pouvons  actuellement  opposer 
les  opinions  d'une  série  d'hommes  illustres,  philoso- 
phes, naturalistes  et  physiologistes .  qui  ont  marché 
sans  hésitation  sous  la  même  bannière  que  les  Buf- 
fon,  les  0.  F.  Mûller  et  les  Lamarck. 

A  leur  tête,  on  compte  Cabanis,  deux  fois  illus- 
tre ,  et  comme  philosophe  et  comme  médecin.  Ses 
allures  franches  contrastent  ostensiblement  avec  la 
contenance  timorée  de  Cuvier.   Dans  ses  considé- 

(1)  E.  Gervais,  Dict.  d'histoire  nat.  et  des  phénom.  de  la  nature. 
Paris,  1836.  t.  IV,  p.  i48. 


70  HÉTÉROGÉNIE. 

rations  sur  la  vie  animale,  il  revient  assez  sou  vent  sur 
l'organisation  de  la  matière,  et  là,  de  place  en  place, 
on  peut  apprécier  ses  doctrines  sur  la  génération 
spontanée,  qu'il  admet  d'une  manière  fort  étendue. 

Cabanis  professe  que,  suivant  certaines  circon- 
stances, la  malière  inanimée  est  capable  de  s'organi- 
ser, de  vivre  et  de  sentir  (1)  ! 

H  ne  se  borne  pas  à  croire  que  la  force  plastique 
s'épuise  au  delà  de  la  production  des  infusoires  ; 
cet  illustre  penseur  n'est  pas  moins  audacieux  que 
l'école  allemande.  Selon  lui,  fréquemment,  les 
pouxet  les  vers  intestinaux  qui  assiègent  l'homme, 
devraient  leur  origine  à  la  génération  spontanée. 
A  l'égard  de  ces  derniers,  ses  convictions  sont  telles, 
qu'on  le  voit  s'égarer  avec  la  même  bonhomie  que 
le  firent  quelques  auteurs  de  l'antiquité  (2).  Il  pré- 
tend qu'on  peut  parfois  en  suivre  à  l'œil  le  dévelop- 
pement, parce  que  l'on  voit  assez  fréquemment  des 
enfants  expulser  des  lambeaux  de  vers  intestinaux 
«  à  peine  ébauchés  et  traînant  après  eux  des  por- 
tions plus  ou  moins  considérables  de  glaire,  dans 
lesquelles  les  parties  organisées  vont  s'évanouir  et 
se  fondre  par  d'insensibles  dégradations  (3).  » 

Ces  animaux  ,  suivant  Cabanis,  se  forment  au 
milieu  et  à  l'aide  des  humeurs  des  êtres  chez  lesquels 


(1)  Cabaisis,  Rapports   du  physique  et  du  moral  de  l'homme. 
Paris,  1824,  t.  II,  p.  240. 

(2)  DiODORE  DE  Sicile,  Bibliothèque  historique.  Paris,  1846,  t.  II, 
p.  12. 

(3)  Cabanis,  Rapports  du  physique  et  du  moral  de  l'homme. 
Paris,  1824,  t.  II,  p.  242. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE   MODERNE.  7  4 

on  les  observe  ;  car  après  ce  que  l'on  vient  de  lire  il 
ajoute:  «  On  trouve  sur lesquadrupèdes,  sur  les  oi- 
seaux et  dans  les  différentes  parties  de  leur  corps, 
des  peuplades  d'animalcules  très-variées,  que  l'on 
peut,  à  juste  litre,  regarder  comme  des  générations 
de  la  substance  même  de  l'individu  (1).  » 

Parmi  les  plus  ardents  partisans  de  la  génération 
spontanée  qui  apparurent  au  commencement  du  dix- 
neuvième  siècle,  et  envisagèrent  la  question  plus 
sérieusement  qu'on  ne  l'avait  fait  d'abord,  il  faut 
citer  en  première  ligne  Bory  Saiiit-Vincent.  Déjà  il 
s'exprime  à  ce  sujet  fort  nettement  dans  l'un  des  ar- 
ticles de  ï Encyclopédie  méthodique^  en  disant  :  «  Il 
est  bien  démontré  maintenant  qu'il  existe  des  créa- 
tures végétantes,  et  même  très-vivantes,  qui  peuvent 
naître  spontanément  sans  œufs  ni  germes,  sauf  à  dis- 
paraître sans  se  reproduire,  ou  bien  à  se  reproduire 
par  scission  (2).  »  Il  émet  là  une  idée  exacte,  selon 
moi,  car  il  existe  quelques  microzoaires  qui  me  pa- 
raissent ne  jamais  se  reproduire  autrement  que  par 
l'hétérogénie  ;  mais  en  terminant  il  est  moins  auda- 
cieux que  l'école  qui  va  le  suivre  immédiatement,  et 
prétendre  que  certains  animaux  naissent  primitive- 
ment par  spontéparité,  puis,  après  cela,  sécrètent  des 
œufs  et  se  reproduisent  parle  mode  normal  (3). 

(1)  Cabanis,  Rapports  du  physique  et  du  moral.  Paris,  1824,  t.  II, 
p.  241 . 

(2)  Boa  Y  Saint-Vincent,  Ency.  méth.  Zoophytes,  art.  Psycho- 
iUaires,  t.  II,  p.  691. 

(3)  Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique  des  vers  intesti- 
naux. Paris,  1824. 

Blrdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1. 1. 


72  HÉTÉROGÉNIE. 

Dans  la  suite,  Bory  Saint- Vincent  n'abandonne 
point  son  idée.  Ses  méditations  le  portent,  au  con- 
traire, à  la  développer  plus  ostensiblement  ;  c'est  ce 
qu'on  le  voit  faire  dans  plusieurs  articles  du  Diction- 
naire classique  d'histoire  naturelle,  où  il  semble 
déjà  éclairer,  mais  encore  timidement  cependant,  la 
route  presque  inexplorée  que  les  physiologistes  alle- 
mands vont  franchir  audacieusement,  en  ne  crai- 
gnant pas  d'affronter  les  mystères  de  l'inconnu  à 
l'aide  des  seules  forces  de  la  pensée  (1). 

Dans  son  article  Microscopiques,  du  Dictionnaire 
classique,  ce  naturaliste  s'exprime  ainsi  :  «  L'idée 
de  générations  spontanées  révolta  d'abord  de  très- 
bons  esprits,  et  le  microscope  en  démontre  pour- 
tant l'existence.  Ces  assertions  seront  sans  doute 
traitées  légèrement  par  la  presque  totalité  des  sa- 
vants qui,  ayant  formé  leur  manière  de  voir  d'après 
des  créatures  où  les  sexes  sont  incontestables,  ne 
sauraient  consentir  à  ne  pas  avoir  tout  connu  ;  mais 
lorsque  l'habitude  des  observations  du  genre  de 
celles  où  nous  nous  sommes  longtemps  et  patiem- 
ment exercé,  sera  très-répandue,  et  que  pour  étudier 
la  nature  on  adoptera  la  marche  du  simple  au  com- 
posé, force  sera  de  ne  les  plus  trouver  absurdes (2).» 

M.  Dumas,  qui  a  jeté  de  si  vives  lumières  sur  cer- 
tains points  de  la  physiologie  comparée,  et  en  par- 
ticulier sur  la  génération,  a  été  conduit  par  ses  nora- 

{\)  Bory  Saint-Vincent,  Dictionnaire  class.  d'hist.  nat.,  article 
Matière. 

(2)  Bory,  Dictionnaire  classique  d'histoire  naturelle.  Paris,  1826, 
t.  X,  p.  541. 


HISTORIQUE.    ÉPOQLK    MODERNE.  73 

breuses  expériences  sur  celle-ci,  à  considérer  cer- 
tains animaux  inférieurs,  tels  que  les  infusoireset 
quelques  vers  intestinaux,  comme  pouvant  devoir 
leur  origine  à  la  génération  spontanée.  Selon  lui  les 
spermalozoaires  n'auraient  pas  une  autre  source. 
L'illustre  chimiste  a  formulé  ses  opinions  avec  une 
netteté,  avec  une  précision  qu'on  voudrait  souvent 
retrouver  dans  les  œuvres  de  beaucoup  de  naturalis- 
tes de  notre  époque,  qui  sont  souvent  fort  obscurs, 
fort  indécis,  lorsque  la  nécessité  les  conduit  à  trai- 
ter ce  sujet. 

M.  Dumas  ne  se  borne  pas  à  combattre  les  étran- 
ges prétentions  de  quelques-uns  des  partisans  de  la 
thèse  qu'il  embrasse  sans  hésitation  ;  il  en  pose  les 
conditions,  et  il  en  trace  minutieusement  les  phéno- 
mènes, tels  qu'il  les  a  observés  durant  ses  délicates 
expériences  (1). 

Si  là  il  condamne  de  trop  crédules  observateurs 
qui,  à  l'exemple  de  Fray,  imbus  des  idées  anciennes, 
s'imaginent  encore  que  les  substances  en  putré- 
faction peuvent  engendrer  des  mouches  ou  d'autres 
insectes  aussi  compliqués  ;  s'il  s'élève  énergiquement 
contre  les  prétentions  de  Spallanzani,  lorsqu'il  pro- 
fesse que  les  germes  des  infusoires  résistent  à  l'ébul- 
4ilion ,  ailleurs  il  sait  tracer  avec  une  admirable 
précision  tous  les  phénomènes  à  l'aide  desquels  la 
nature  procède  au  développement  spontané  des 
moindres  êtres  de  la  création.  Devenu  l'un  des  plus 
habiles  micrographes  de  son  époque,  il  nous  révèle 

(i)  Dumas,  Annales  des  sciences  naturelles, i.  I, II,  III.  —  Diction- 
naire classique  d'histoire  naturelle.  PdiVis,  1825,  t.  VII,  p.  194. 


lA  HÉTÉROGÉNIE. 

comment,  dans  les  infusions,  les  molécules  animées 
se  groupent  successivement  pour  donner  enfin 
naissance  à  des  êtres  plus  élevés,  à  des  microzoaires 
résultant  de  ces  agglomérations.  M.  Dumas  a  tracé 
la  route  que  devraient  suivre  tous  les  observateurs. 
Il  donne  l'exemple  en  ne  décrivant  que  ce  qu'il  a  vu; 
et  il  appelle  de  nouvelles  expériences  qui,  comme 
il  le  dit,  débarrassées  aujourd'hui  de  toutes  les  chan- 
ces d'erreurs  que  la  physique  et  la  chimie  peuvent 
nous  permettre  d'éviter,  pourront  enfin  éclairer 
une  si  importante  question,  et  rendre  à  la  physiolo- 
gie le  plus  éminent  service  (1). 

Mais  si  la  question  de  l'hétérogénie  a  jamais  été 
traitée  avec  une  grande  élévation,  et  parfois  même 
avec  une  profonde  philosophie,  c'est  assurément  en 
Allemagne  qu'on  l'a  observé.  Ce  que  nous  avons  à 
peine  effleuré,  l'audacieuse  persévérance  des  natu- 
ralistes allemands  l'a  fouillé  à  fond,  et  ceux-ci  se 
sont  livrés  à  ce  sujet  à  toutes  les  témérités  de  la  pen- 
sée. Au  premier  rang  des  défenseurs  de  l'hétérogénie, 
brillent  principalement  les  noms  des  Bremser,  des 
Tiedemann,des  Burdach,  des  Carus,et  surtout  celui 
deTreviranus,  qui  s'en  est  occupé  avec  toute  la  saga- 
cité d'un  expérimentateur  consommé. 

Les  magnifiques  développements  que  prit  l'étude 
des  sciences  au  commencement  de  notre  siècle  por- 
tèrent les  penseurs  à  sonder  les  plus  mystérieuses 
opérations  de  la  nature.  Des  instruments  d'une  rare 
perfection  leur  étaient  offerts,  et  en  s' aidant  de  toutes 

(1)  Dumas,  Annales  des  sciences  naturelles ,  t.  1,  II,  III.  — Diction- 
naire classique  d'histoire  naturelle.  Paris,  1825,  t.  Vil,  p.  224. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODEREE.  75 

les  ressources  synthétiques  que  les  découvertes  ré- 
centes leur  donnaient  si  libéralement,  ils  ont  pu  s'a- 
vancer moins  timidement  que  leurs  prédécesseurs, 
et  c'est  alors  qu'ils  ont  quitté  la  voie  uniquement 
hypothétique  pour  lui  substituer  des  théories  phi- 
losophiques, ou  de  véritables  déductions  tirées  de 
l'observation  et  de  la  comparaison  des  faits. 

Bremser,  savant  médecin  allemand,  intervint  dans 
la  discussion  en  1818,  dans  son  Traité  des  vers  in- 
testinaux. Son  but  était  de  démontrer  que,  lors- 
que ceux-ci  apparaissent  pour  la  première  fois  dans 
le  corps  des  animaux,  ils  s'y  produisent  par  la  géné- 
ration spontanée.  Cet  auteur  a  traité  ce  sujet  fort 
largement,  et  souvent  même  il  lui  donne  une  grande 
élévation  en  empruntant  ses  arguments  aux  phases 
géologiques  du  globe  ou  à  la  zoologie. 

Bremser  a  non-seulement  considéré  les  infusoires 
et  les  vers  intestinaux  comme  étant  dus  à  l'hétéro- 
génie,  mais  il  prétend  aussi  que  certains  insectes, 
tels  que  les  poux,  lui  doivent  parfois  naissance.  Il 
n'ignore  pas  que  ces  animaux  possèdent  des  ovaires 
et  des  œufs,  et  même  que  plusieurs  sont  vivipares; 
mais  ces  objections  n'enchaînent  nullement  un  es- 
prit aussi  indépendant  que  le  sien,  et  on  le  voit  pro- 
fesser que,  lorsqu'ils  apparaissent  pour  la  première 
fois  chez  l'homme  ou  les  animaux,  ils  y  naissent 
spontanément  (1). 

Les  théories  de  Bremser  ont  reçu  indirectement 
la  sanction  d'un  des  plus  illustres  savants  de  notre 

(1)  Bremser j  Traité  zooîogique  et  physiologique  des  vers  intes- 
tinaux. Paris,  1824,  p.  65. 


76  HÉTÉROGÉME. 

siècle  :  Humboldt  semble  s'y  associer,  puisque  dans 
une  de  ses  lettres  il  cite  l'ouvrage  de  Thelmintholo- 
giste  allemand  comme  un  excellent  traité  (1). 

L'esprit  philosophique  d'Oken  ne  pouvait  laisser 
passer  inaperçue  une  thèse  telle  que  la  spontépa- 
rite,  encore  toute  pleine  d'obscurité,  il  est  vrai,  mais 
qui  se  prêtait  à  de  si  magnifiques  développements, 
m'admet  sans  conteste  et  va  même  plus  loin,  puis- 
qu'il considère  tous  les  êtres  comme  n'étant  compo- 
sés que  d'animalcules  microscopiques  (2).  Cependant 
on  doit  dire  que  ce  grand  naturaliste  a  plutôt  traité 
cette  question  à  l'aide  de  l'argumentation  qu'en  ex- 
posant des  faits. 

Carus,  qui  est  peut-être  le  plus  audacieux  de  ses 
compatriotes  lorsqu'il  affronte  les  questions  délicates 
de  l'anatomie  transcendante,  traite  la  question  des 
générations  primordiales  avec  moins  de  clarté  que 
ceux-ci;  mais  cependant  on  s'aperçoit  assez  qu'il 
en  est  partisan  lorsqu'il  dit,  dans  son  Anatomie 
comparée,  «  que  toute  naissance,  toute  génération, 
«  est,  quant  à  son  essence ,  la  production  d'une 
«  chose  déterminée  par  une  chose  non  déterminée, 
«  mais  déterminable,  et  que  le  déplacement  spon- 
«  tané  d'un  être  déterminé  qui  naît  d'un  être  indé- 
«  terminé,  est  la  ligne  primordiale  et  en  même  temps 
«  le  symbole  de  la  vie  (3).  » 

(1)  Humboldt,  Lettre  à  M.  Panckouke,  imprimée  en  tête  de  la 
traduction  de  Bremser, 

(2)  Gérard,  Dict,  univ.  d'hist.  nat.,  t.  VI,  p.  56. 
DujARDiN,  Histoire  naturelle  des  infusoires.  Paris,  p.  92. 

(3)  Carus,  Anatomie  comparée.  Paris,  1835,  t.  Ill^  p.  13. 


HISTORIQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  77 

Mais  parmi  les  savants  allemands  qui  se  sont  occu- 
pés de  la  génération  spontanée,  Treviranus  et  Tiede- 
mann  doivent  être  cités  au  nombre  de  ceux  qui  l'ont 
défendue  avec  plus  d'autorité  (l).Le  premier  a  ana- 
lysé avec  la  même  sagacité  les  travaux  de  Needham, 
Wrisberg,  0.  F.MûUer,  Ingenhousz,  etc.,  qui  en  fu- 
rent d'ardents  partisans,  et  ceux  de  Spallanzani,  de 
Terechovski,  leurs  antagonistes  (2)  ;  et,  en  physiolo- 
giste consciencieux,  avant  de  combattre  ou  d'ap- 
prouver les  doctrines  des  autres,  il  a  répété  leurs 
expériences,  et  ensuite  il  lésa  diversement  variées. 

Ainsi  que  presque  toute  l'école  allemande,  Trevi- 
ranus et  Tiedemann  admettent,  comme  Buffon  l'a- 
vait fait,  une  matière  organique  primaire,  amorphe, 
susceptible  par  sa  concentration  de  se  revêtir  de  for- 
mes diverses,  sous  l'influence  de  la  vie  qui  vient  l'ani- 
mer. En  parlant  de  cette  véritable  matière  plastique, 
subissant  toutes  les  mutations  imaginables,  Trevi- 
ranus dit  qu'elle  est  dépourvue  de  formes,  mais 
qu'elle  est  apte  à  prendre  toutes  celles  de  la  vie  et  à 
les  conserver  sous  l'influence  des  causes  extérieures  ; 
mais  que,  quand  ces  causes  cessent  d'agir,  elle  prend 
d'autres  formes  sous  des  influences  nouvelles  (3). 

Mais  Tiedemann,  surtout,  expose  ses  opinions  en 
des  termes  dont  la  netteté  ne  laisse  rien  à  désirer  : 
«  Les  êtres  organisés,  dit  ce  célèbre  physiologiste, 
«  sont  produits  par  leurs  semblables  ou  doivent  nais- 

(i)  TrevirkîsXjs f  Biologie.  Gœttingue,  1802. 
Tiedemann,  Physiologie  de  l'homme.  Paris,  1831. 

(2)  Terechovski,  Diss.  de  chao  infusorio  Linnœi. 

(3)  Treviranus,  Biologie.  Gœttingue,  1802,  t,  II,  p.  267-403. 


78  HÉTÉROGÉINIE. 

«  sance  à  la  matière  des  corps  organisés  en  état  de 
«  décomposition  (1).  »  Ailleurs  il  ajoute  :  «  La  puis- 
«  sance  plastique  de  la  matière  ne  s'éteint  pas  après 
«  la  mort  ;  elle  conserve  la  faculté  de  revêtir  une  nou- 
«  velle  forme  et  de  se  montrer  apte  à  jouir  de  la  vie. 
«  La  mort  ne  porte  donc  que  sur  les  individus  orga- 
«  nisés,  tandis  que  les  matières  organiques  entrant 
«  dans  la  composition  de  ces  êtres,  continuent  à  pou- 
ce voir  prendre  forme  et  recevoir  la  vie  (2).  » 

Poussant  l'investigation  des  faits  jusqu'à  sa  der- 
nière limite,  Tiedemann  va  même  jusqu'à  tracer  les 
conditions  dans  lesquelles  les  molécules  de  la  matière 
vivante  peuvent  animer  d'autres  existences  ou  celles 
qui  leur  en  interdisent  la  puissance;  c'est  alors  qu'il 
dit  :  «  Les  matières  organiques  qui  se  séparent  de  leur 
«  organisation  conservent,  lorsqu'elles  ne  sont  pas 
«  ramenées  à  leurs  éléments  ou  converties  en  corn- 
«  posés  binaires  par  l'action  des  affinités  chimiques, 
«  la  propriété  de  reparaître,  avec  le  concours  d'in- 
«  fluences  extérieures  favorables,  de  la  chaleur,  de 
«  l'eau,  de  l'air  et  de  la  lumière,  sous  des  formes 
«  animales  ou  végétales  plus  simples,  qui  varient 
«  toutefois  en  raison  des  influences  à  l'action  des- 
«  quelles  elles  se  trouvent  soumises  (3).  » 

Burdach,  l'un  des  savants  les  plus  éminenls  de  la 
laborieuse  Allemagne,  ayant  dû,  dans  son  œuvre,  se 
prononcer  sur  la  génération  spontanée,  on  reconnaît 
qu'il  l'a  considérée  comme  un  fait  indubitable.  A  cet 

(1)  Tiedemann,  Physiologie  de  l'homme.  Paris,  i83l,t.  I,  p.  100. 
(2)/d.,  p.  104. 
(3)  Id.,  p.  152. 


I 


HISTORIQUE.    EPOQUE    MODERNE.  79 

égard,  rien  n'arrête  l'illuslre  physiologiste;  et  sortant 
des  voies  où  la  timidité  enchaîne  ordinairement  les 
plus  ardents  partisans  de  l'hétérogénie  ,  lui,  il  en 
étend  les  phénomènes  beaucoup  plus  loin  qu'eux.  Ne 
se  bornant  pas  à  admettre  qu'elle  ne  produit  de  nos 
jours  que  des  êtres  de  la  plus  infime  organisation,  il 
lui  prête  aussi  le  pouvoir  de  donner  naissance  à  cer- 
taines créatures  d'un  ordre  élevé  dans  la  série  zoolo- 
gique ou  botanique.  11  va  même  jusqu'à  concevoir 
que  dans  certains  cas  exceptionnels  il  peut  en  naître 
encore  des  champignons  (1),  des  vers,  des  insectes, 
des  crustacés  et  peut-être  même  certains  animaux 
vertébrés  (2). 

Le  traité  de  Burdach  contient  le  plus  complet  ex- 
posé qui  ail  encore  paru  sur  la  matière.  Il  s'y  appuie 
de  tant  d'autorités  imposantes,  il  cite  tant  de  faits  et 
il  les  élucide  avec  une  si  laborieuse  persistance,  qu'il 
convainc  ses  lecteurs,  sinon  de  l'existence  absolue 
de  tous  ceux-ci,  au  moins  de  celle  de  la  plupart  d'en- 
tre eux. 

J.  Mûller  a  marché  dans  la  même  voie  que  ses 
compatriotes.  Il  admet  une  génération  spontanée 
qui  ne  serait  que  le  résultat  de  la  décomposition 
des  grands  organismes,  dont  les  molécules,  en  se 
dissociant,  deviendraient  autant  d'animalcules.  «  Or- 
«  dinairement,  dit-il,  les  corps  organiques  d'une  cer- 
«  taine  espèce  ne  naissent  que  d'autres  corps  de  la 
«  même  espèce  qu'eux,  c'est-à-dire,  par  des  œufs 
«  ou  des  bourgeons.  Mais  on  peut  se  demander  si, 

(1)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837, 1. 1,  p.  32. 

(2)  M.,  p.  30-45,  etc. 


80  HÉTÉROGÉISÎE. 

«  lorsqu'un  corps  organique  se  décompose,  la  ma- 
a  tière  qui  le  constitue  ne  produit  pas  aussi,  sous 
«  certaines  influences,  des  organismes  d'une  autre 
«  espèce;  si  non-seulement  elle  est  apte  à  vivre, 
«  mais  encore  continue  de  vivre  avec  d'autres  modi- 
«  fications  ;  si  par  le  concours  de  certaines  condi- 
«  tions,  c'est-à-dire,  par  l'action  de  l'air  atmosphé- 
«  rique,  de  l'eau,  de  la  lumière,  elle  se  résout  en 
«  infusoires  vivants,  tandis  qu'en  d'autres  circon- 
«  stances  elle  revit  dans  des  plantes  appartenant  aux 
«  classes  inférieures,  les  moisissures  (1).  » 

Plusieurs  des  savants  allemands  que  nous  venons 
de  citeront  même  donné  à  la  génération  spontanée 
une  puissance  que  nous  sommes  loin  de  lui  accor- 
der, mais  qui  témoigne  de  leurs  profondes  convic- 
tions. Nous  ne  la  plaçons  que  sur  l'extrême  limite 
des  deux  règnes  ;  là  où  l'anatomie  et  la  physiologie 
semblent  presque  faire  défaut,  eux  n'ont  pas  craint 
de  lui  attribuer  des  organismes  parfaitement  déter- 
minés. Burmeister  prétend  que  les  poux  et  l'acarus 
de  la  gale  peuvent  en  être  le  résultat  (2);  Bremser, 
comme  nous  venons  de  le  dire,  lui  attribue  aussi 
les  poux  et  certains  entozoaires  munis  d'appa- 
reils sexuels  (ri);  Burdach  semble  croire  que  non- 
seulement  elle  produit  des  infusoires,  mais  encore 
qu'il  peut  en  résulter  des  poissons  (4),  opinion  que 

(1)  J.  MuLLER,  Manuel  de  physiologie.  Paris,  1851,  p.  9. 

(2)  Bur.MEiSTER,  Handbuck  der  Entomologie.  Berlin,  1705  (Manuel 
de  rentomologie). 

(3)  Bremser,  Traité  des  vers  intestinaux  de  l'homme.  Paris,  1824. 

(4)  BuRDACii,  Traité  de  phîjsiologie.  Paris,  1. 1,  p.  45. 


HISTORiQUl'.  —   EPOQUE   MODERNE.  81 

nous  avons  déjà  vu  être  celle  du  prince  des  zoolo- 
gistes (1). 

Mais  si  l^Allemagne  paya  largement  son  contingent 
à  la  question  de  l'hétérogénie  et  si  ses  physiologistes 
les  plus  éminenls  l'acceptèrent  comme  un  fait  dé- 
montré, les  zoologistes  anglais  s'en  occupèrent  beau- 
coup moins;  les  uns  ne  l'admirent  qu'avec  un  ex- 
trême doute,  les  autres  la  combattirent  vivement. 

Au  nombre  des  Anglais  qui  n'ont  abordé  qu'avec 
réticence  la  question  de  l'hétérogénie,  Allen  Thom- 
son doit  être  cité  au  premier  rang.  Ce  savant  avoue 
que  celle-ci  n'a  dû  son  discrédit  qu'à  l'obstination 
de  quelques-uns  de  ses  partisans  à  invoquer  des  faits 
manifestement  impossibles,  et  que,  sans  cela,  elle  eût 
conquis  plus  de  prosélytes  (2). 

Tandis  que  le  majorité  des  hommes  transcendants 
de  l'Allemagne  embrassait  si  énergiquement  la 
cause  de  l'hétérogénie,  en  France,  on  voyait  surgir 
de  moment  en  moment  quelques  partisans  de  cette 
hypothèse;  m.ais  ceux-ci  plus  timides  et  moins  dis- 
ciplinés, loin  d'avoir  la  ferveur  des  Bremser,  des 
Burdach,  des  Tiedemann  et  des  Treviranus,  n'émet- 
taient leurs  opinions  que  comme  autant  d'aveux 
arrachés  de  vive  force  par  les  circonstances. 

Cependant,  quelques-uns  des  naturalistes,  élevés 
à  l'école  philosophique  de  Geoffroy  Sainl-Hilaire, 
avec  l'indépendance  du  maître,  ont  aussi  abordé  la 

(i)  Aristote,  Histoire  des  animaux,  traduct.  de  Camus,  t.  1, 
p.  363. 

(2)  Allen  Thomson,  Génération,  todd's  Cycîopœdia  of  Anatonuj 
and  Physiology,  t.  XI,  p.  431. 

PeUCBET.  6 


82  HÉrÉROGÉNlE. 

question  à  l'aide  de  la  même  franchise  que  nous 
avons  rencontrée  chez  les  Allemands.  Parmi  eux, 
Dugès  doit  occuper  l'un  des  premiers  rangs.  Moins 
hardi  que  les  physiologistes  que  nous  venons  de  citer, 
et  peut-être  moins  préparé  qu'eux  par  l'expérience 
et  la  méditation,  il  se  contente  seulement  d'exprimer 
ses  convictions,  mais  sans  leur  donner  ce  dévelop- 
pement qu'on  aurait  pu  attendre  de  lui,  et  qu'on 
aurait  cru  devoir  entrer  dans  le  plan  de  sa  physiolo- 
gie comparée. 

Cependant  Dugès  n'hésite  pas  à  dire  que  les  objec- 
tions qu'on  oppose  à  la  spontéparité  lui  paraissent  de 
peu  de  valeur,  et  que  c'est  aux  doctrines  opposées  qu'il 
faut  adresser  le  reproche  d'être  inintelligibles  (1);  as- 
sertion tout  à  fait  marquée  au  cachet  de  l'exactitude; 
car,  ainsi  que  nous  le  démontrerons,  l'hétérogéiiie 
explique  lucidement  certains  phénomènes  dont  les 
ovaristes  ne  peuvent  donner  la  moindre  solution: 
et  ses  vérités,  facilement  accessibles,  contrastent 
ostensiblement  avec  les  obscures  conceptions  de  ses 
antagonistes. 

Parmi  les  derniers  travaux  relatifs  aux  Infusoires, 
viennent  ceux  de  M.  Dujardin.  L'œuvre  de  ce  natu- 
raliste laborieux  a  une  réelle  importance  soit  par  les 
bonnes  observations  dont  il  est  rempli,  soit  par  son 
étendue.  L'auteur,  avec  une  grande  indépendance, 
attaque  avec  vigueur  les  hypothèses  qui  lui  paraissent 
erronées,  et  il  ne  craint  pas,  pour  le  triomphe  de  ses 
opinions,  d'affronter  les  plus  rudes  antagonistes.  C'est 

(1)  DuGÉs,  Traité  de  physiologie  comparée.  Paris^  1839,  t.  111^ 
p.  207,  208. 


HISTORIQUE.    —   ÉPOQUE   MODERNE.  83 

ainsi  qu'il  reproche  à  Ehrenberg  d'avoir  attribué  aux 
Infusoires  une  richesse  d'organisation  qu'on  ne  leur 
découvre  nullement  (1).  En  cela  il  a  tort,  et  une  lon- 
gue pratique  du  microscope  nous  a  convaincu  de 
l'authenticité  de  ce  qu'avance  l'illustre  mierographe 
de  Berlin.  Avec  la  moindre  attention  on  vérifie  sur 
plusieurs  genres  cette  disposition  polygastrique  contre 
laquelle  s'élève  le  naturaliste  français  :  on  précise 
le  diamètre  des  estomacs,  et  on  les  voit  se  remplir 
à  volonté  d'ahments,  comme  nous  l'avons  observé  à 
tant  de  reprises  (2). 

M.  Dujardin,  dans  divers  endroits  de  ses  œuvres, 
admet  évidemment  la  génération  spontanée,  soit 
pour  les  infusoires,  soit  pour  quelques  helminthes  (3). 
Mais  ce  que  l'on  devait  attendre  d'un  naturahste 
qui  est  si  riche  d'observations,  c'eût  été  de  formuler 
nettement  ses  principes  à  ce  sujet  et  d'émettre  sur 
quels  faits  il  les  fonde  principalement;  et  c'est  ce  que 
l'on  ne  trouve  pas  nettement  exprimé  dans  ses  gé- 
néralités sur  la  physiologie  de  ces  animaux.  A  diver- 
ses reprises  il  dit  aussi  que  plusieurs  de  ceux-ci  sont 
dépourvus  de  sexe  et  se  reproduisent  par  scission. 
N'avoir  point  de  sexe,  c'est  n'avoir  point]  d'œufs, 
et  comme  avant  que  de  pouvoir  se  diviser  itfaut 
naître,  alors,  forcément,  il  faut  bien  que  le  premier 


(1)  DujARDiN_,  Histoire  naturelle  des  infusoires.  Paris,  1841. 

(2)  PoucBET,  Recherches  sur  les  organes  de  la  circulation,  de  la 
digestioïi  et  de  la  respiration  des  infusoires.  —  Comptes  rendus  de 
l'Académie  des  scienc  es^  1 848-1 849. 

(3)  Dujardin,  Histoire  naturelle  des  infusoires.  Paris,  1841,  et 
Histoire  naturelle  des  helminthes ,  1844. 


84  IlÉTÉROGÉME. 

microzoaire  qui  se  produit  dans  une  macération,  y 
soit  engendré  spontanément  ! 

Cependant,  M.  Dujardin,  en  traçant  l'histoire  des 
vers  intestinaux,  est  forcé  d'avouer  que  l'apparition  de 
plusieurs  d'entre  eux  ne  peut  se  concevoir  ration- 
nellement que  par  l'hétérogénie  (1).  C'est  ainsi  qu'il 
explique  seulement  par  elle  l'apparition  de  certains 
helrainthesmicroscopiques(^?ic/ima5/j/ra/i5,R.Ow.), 
qui  envahissent  parfois  presque  tous  les  muscles  de 
l'homme  (2). 

Dans  son  Histoire  naturelle  des  Infusoires,  la 
même  question,  sivivace  àl'égard  de  ce  sujet,  s'était 
déjà  présentée  ;  mais  dans  cet  ouvrage  il  oscille  à 
diverses  reprises  :  là  il  semble  avoir  de  grandes  ten- 
dances à  expliquer  par  la  génération  primaire  l'ap- 
parition de  certains  protozoaires;  ailleurs  ce  mode 
de  reproduction  lui  parait  moins  clair  (3). 

En  s'occupant  de  l'histoire  des  vers  intestinaux, 
M.  Eudes  Deslongchamps  a  aussi  été  conduit  à  se 
prononcer  sur  leur  mode  de  propagation  et  il  n"a 
pas  hésité  à  embrasser  à  ce  sujet  les  vues  générale- 
ment professées  par  les  helminthologistes  allemands, 
et  à  dire  qu'il  considérait  ces  animaux  comme  étant 
le  résultat  de  la  génération  spontanée.  Il  ne  prétend 
pas  en  avoir  découvert  aucune  preuve  directe,  mais 
ainsi  que  tous  les  naturalistes  consciencieux,  il 
trouve  que,  sans  invoquer  ce  moyen,  il  est  absolument 

(i)  DujARDiN,  Histoire  naturelle  des  helminthes.  Paris,  p.  294-408. 
(2)      Id.,       Ibid.,  Paris,  1844. 

(3j       Jd.,       Histoire    naturelle   des    in  fumoir  es.   i*aris.    J8il, 
p.  100. 


ITISTORiQUE.    ÉPOQUE    MODERNE.  80 

impossible  d'expliquer  comment  s'engendrent  cer- 
tains entozoaires  (1). 

Au  nombre  des  derniers  naturalistes  qui  admet- 
tent la  génération  spontanée  il  faut  encore  compter 
A.  Richard.  Il  passe,  sans  s'y  arrêter,  sur  la  repro- 
duction des  Infusoires;  maisentraîné  par  ses  convic- 
tions, avec  cette  probité  dont  il  a  été  un  si  vivant 
modèle,  l'illustre  professeur  dont  je  m'honore  d'a- 
voir été  l'ami,  termine  son  œuvre  sur  la  zoologie  mé- 
dicale en  disant  que  pour  un  grand  nombre  de  vers 
intestinaux,  la  génération  spontanée  lui  paraît  le 
mode  le  plus  probable  qu'on  puisse  admettre  pour 
expliquer  leur  origine  (2). 

Quelques  naturalistes  éminents  de  notre  époque, 
ayant  restreint  le  cercle  de  la  génération  spontanée, 
n'admirent  plus  guère  celle-ci  que  dans  les  êtres 
dont  l'organisation  s'était  jusqu'alors  dérobée  à  nos 
recherches;  et  à  mesure  que  leur  structure  nous  fut 
dévoilée  par  la  micrographie,  on  craignit  désormais 
d'attribuer  cette  origine  à  des  animaux  doués  d'ap- 
pareils vitaux  assez  complexes. 

En  suivant  cette  impulsion,  Ehrenberg,  auquel 
on  doit  de  si  belles  observations  et  un  si  magnifique 
ouvrage  sur  les  Microzoaires,  passa  naturellement 
parmi  les  adversaires  de  la  spontéparité  (3), 


(1)  Eudes  Deslongchamps,  Encyclopédie  méthodique.  Zoophytes, 
Paris,  1824,  t.  II,  p.  773. 

(2)  A,RiciikKD,Histoire  naturelle  médicale.  Zoologie.  Paris,  1849, 
t.I,  p.  310. 

(3)  EiiRKNBERG;,  Die  Infusionsthierchen  ah  voUkommene  Organis- 
men.  Leipsig,  iB38. 


86  HÊTEROGENIE, 

Le  célèbre  professeur  de  Berlin  nous  apprit  que 
divers  animalcules  microscopiques,  auxquels  certains 
naturalistes  refusaient  toute  trace  d'organisation  (1), 
étaient  cependant  doués  d'appareils  vitaux  fort  mul- 
tiples et  d'une  merveilleuse  ténuité.  Ses  découvertes 
étaient  tellement  inattendues,  que  plusieurs  savants 
proclamèrent  que  l'on  était  presque  tenté  de  les  con- 
sidérer comme  un  roman  ingénieux  (2);  elles  étaient 
cependant  bien  positives. 

Les  volumineux  travaux  d'Ehrenberg  ayant  am- 
plement éclairé  l'organisation  des  infusoires,  le  sa- 
vant de  Berlin  voulut  les  compléter  en  signalant  les 
organes  génitaux  de  ceux-ci;  mais  dans  cette  der- 
nière tentative  il  fut  moins  heureux  que  dans  les 
autres.  N'ayant  jamais  observé  d'accouplement  entre 
ces  animaux,  il  en  conclut  qu'ils  devaient  être  herma- 
phrodites. Il  prit  parfois  pour  des  œufs  les  molé- 
cules produites  par  la  diffluence,  et  considéra  comme 
des  appareils  générateurs  mâles  les  vésicules  contrac- 
tées que  présentent  certains  microzoaires  (3);  vési- 
cules que  Spallanzani  regardait  comme  des  appareils 
de  respiration  (4)  et  que  nous  avons  enfin  exactement 
déterminées,  en  démontrant  qu'elles  ne  pouvaient 
être  que  des  cœurs  lançant  le  sang  dans  toutes  les 

(1)  0.  F.  MuLLER,  Animalium  infusoriorum  succincta  historia. 
Copenh.,  1773.  —  Dujardin,  Histoire  naturelle  des  infusoires.  Paris, 
1841.  —  Dict.  univ.  d'hist.  natur.  Paris,  184G,  t.  VII,  p.  44. 

(2)  Comp.  Gérard,  Dict.  univ.  d'hist.  nat.  Paris,  1845,  t.  VI. 
p.  58. 

(3)  Ehrenberg,  Zusàtze  zur  Erkenniniss,  etc.,  1836.  Supplé- 
ments, etc. 

(4)  Spallanzani,  Opusc,  de  phys.  anim.  et  veg. 


HISTORIQUE.    -—   ÉPOQUE    MODERNE.  S" 

parties  du  corps,  et  que  nous  avons  signalés  jusque 
dans  l'œuf  où  on  en  constate  déjà  les  pulsations  (1). 

Ehrenberg  doit  être  compté  au  nombre  des  plus 
savants  antagonistes  de  la  génération  spontanée.  Il 
l'attaqua  vivement  dans  plusieurs  de  ses  écrits,  mais 
c'est  surtout  dans  son  Mémoire  sur  le  développement 
et  la  durée  de  la  vie  des  Infusoires  que  se  trouvent 
ses  principaux  arguments,  ceux  à  l'aide  desquels  il 
croit  principalement  faire  triompher  ses  opinions. 
Dans  cet  écrit  il  prétend  avoir  constaté  que  la  repro- 
duction de  ces  animalcules  se  fait  normalement  à 
l'aide  d'œufs;  ce  que  nous  combattrons  victorieu- 
sement plus  loin,  au  moins  à  l'égard  de  la  plupart  (2). 
Car  si  nous  croyons  fermement  avec  Ehrenberg  que 
les  microzoaires  les  plus  élevés,  tels  que  lesRotifères, 
possèdent  des  organes  génitaux  et  pondent  des  œufs, 
nos  observations  nous  ont  convaincu  que  cela  ne  se 
produit  nullement  dans  ceux  d'une  plus  simple  tex- 
ture ,  tels  que  les  Rolpodes  et  encore  plus  les 
Monades.  De  Siebold  partage  absolument  notre  opi- 
nion (3). 

Quelques  physiologistes  de  notre  époque,  entraî- 
nés par  l'ascendant  d'Ehrenberg,  se  sont  aussi  dé- 
clarés contre  l'hétérogénie.  Parmi  eux  on  compte 
M.  Longet,  qui,  quoique  n'ayant  répété  aucune  des 
expériences  de  ses  prédécesseurs,  n'en  tranche  pas 

(1)  PouCHET,  Recherches  sur  les  organes  de  la  circulation,  de  la 
digestion  et  de  la  respiration  des  animaux  infusoires.  Acad.  des 
sciences,  1848-1849. 

(2)  Comp.  le  chapitre  de  la  polémique. 

(3)  De  Siebold  et  Stanmus,  Anatomie  comparée.  VdiVxs,  ISoO, 
p.I,  p.  23. 


88  HÉTÉROGÉNIE. 

moins  nettement  toutes  les  questions  les  plus  délica- 
tes du  sujet  ;  puis,  en  suivant  la  tactique  des  anta- 
gonistes de  la  génération  spontanée,  expose  longue- 
ment les  faits  qui  peuvent  lui  être  opposés,  et  passe 
sous  silence  les  principaux  arguments  qu'on  peut  in- 
voquer en  sa  faveur  (1). 

Ce  physiologiste  considère  même  certains  faits 
comme  la  loi  générale,  tandis  qu'ils  ne  forment  pro- 
bablement qu'une  rare  exception;  telle  est,  entre  au- 
tres, la  scission  spontanée  des  infusoires.  Mais  si  dans 
l'œuvre  de  ce  savant,  l'hétérogénie  est  attaquée  sans 
discussion,  nous  voyons,  par  compensation,  un  de  nos 
plus  célèbres  physiologistes  français,  M.  Bérard,  sou- 
mettre la  question  à  toutes  les  sévérités  de  la  logique, 
et  avouer  avec  franchise  que,  dans  certains  cas,  il  est 
impossible  de  ne  pas  reconnaître  l'existence  de  la  gé- 
nération primordiale  (2). 

Devons-nous  nous  arrêter  sur  les  opinions  d'un 
autre  physiologiste,  M.  Bourdon,  qui,  au  dix-neu- 
vième siècle,  lorsque  les  beaux  travaux  des  0.  F. 
Millier,  des  Bory  deSaint-Yincent,  des  Ehrenberg  et 
des  Dujardin,  ont  vu  le  jour;  et  lorsque  nous  possé- 
dons des  microscopes  achromatiques  et  des  micro- 
mètres qui  mesurent  un  dix  millième  de  millimètre, 
vient  soutenir  que  les  infusoires  ne  sont  pas  des  ani- 
maux, et  que  peut-être  ils  ne  se  meuvent  pas(3)!... 

Mais  si  certains  physiologistes  français  attaquaient 

(1)  LoNGET,  Traité  de  physiologie.  Paris^  1848. 

(2)  Béhârd^  Cours  de  physiologie.  Paris,  18i8. 

({)  Bourdon,  Principes  de  physiologie  comparée.  Paris ^  4830, 
p.  51,55. 


HISTORIQUE.    ÉPOOUK    MODEREE.  89 

l'hétérogénie  sans  apporter  contre  elle  aucun  argu- 
ment solide,  il  n'en  était  pas  de  même  en  Allemagne 
et  en  Belgique.  Là,  les  découvertes  de  Steenslrup 
sur  les  générations  alternantes  ayant  ouvert  la  voie, 
on  vit  successivement  Kùchenmeister,  de  Siebold, 
Lewald,  Leuckart,  Kœlliker  et  Van  Beneden,  donner 
naissance  à  d'importants  travaux  sur  la  génération 
des  Helminthes  et  s'efforcer  de  rétrécir  ainsi  le  cercle 
des  générations  spontanées  (1).  Devant  revenir,  en 
son  lieu,  sur  l'effort  nouveau  tenté  par  ces  savants, 
nous  n'insisterons  pas  ici  sur  leurs  expériences. 

Parmi  les  naturalistes  qui  ont  travaillé,  durant  ces 
dernières  années,  à  débrouiller  la  question  qui  nous 
occupe,  on  ne  peut  omettre  de  citer  M.  Gros,  médecin 
français  résidant  à  Moscou.  C'est  un  ardent  partisan 
de  l'hétérogénie;  mais  il  esta  regretter  que  ce  savant 
ait  souvent  traité  cette  question  avec  plus  d'entraî- 
nement que  de  logique.  Il  annonce,  sans  la  moindre 
hésitation,  d'inconcevables  métamorphoses.  Selon  lui, 
il  n'existe  aucune  différence  entre  la  cellule  végétale 
et  la  cellule  animale,  et  tels  animaux,  tels  que  les 
Euglènes,  en  se  parifissant,  donnent  parfois  naissance 
à  des  conferves;  et  les  Rotifères  peuvent  produire  des 

(1)  Steexstî'.up,  Onthe  alternation  of  générations.  Lond.,  1845. 

Kùchenmeister,  On  animal  and  vegetable  parasites  ofthehuman 
hody.  Londres,  i8o7  (traduction  anglaise). 

De  Siebold,  Exp.  sur  la  transf.  des  Cijsticerques  en  Ténias .  1 852 ,elc . 

Lewald,  De  cysticercorum  in  tœnias  metamorphosi. 

Leuckart,  Parasiien  und  parasitismus  (Archiv.  fur  physiol. 
Ileilkunde,  t.Xl.). 

KoLUKER,  Zeitschrift  filr  Wiss.  zoQL,i.  VU,  p.  13:». 

Van  Beneden,  Les  vers  cestoules.  Bruxelles,  1850. 


00  HÉTÉRO  GÉNIE. 

champignons (1)...  Mais  nous  ne  suivrons  pas  plus 
loin  M.  Gros  ;  ce  fragment  de  ses  œuvres  suffît  seul 
pour  nous  justifier. 

Les  derniers  travaux  ayant  trait  à  la  génération 
spontanée,  qui  soient  parvenus  à  notre  connaissance, 
sont  ceux  de  MM.  Claparède  et  J.  Lachmann ,  de 
Lieberkuhn  et  de  Balbiani. 

MM.  Claparède  et  Lachmann,  dans  leur  Mémoire 
présenté  à  l'Académie  des  sciences (2),  n'ont,  à  ce 
que  dit  le  savant  rapporteur,  ajouté  à  ce  que  l'on 
connaissait  déjà  aucun  de  ces  faits  fondamentaux  qui 
ouvrent  desvoies  nouvelles  (3),  et  n'ont  guère  fait  que 
mieux  signaler  ce  qui  avait  été  étudié  précédemment. 

M.  Lieberkuhn  est  entré  plus  au  vif  dans  la  ques- 
tion, et  paraît  avoir  découvert  chez  quelques  para- 
mécies des  organes  remplis  de  spermatozoaires.  En 
outre,  il  a  mieux  précisé,  qu'on  ne  l'avait  fait,  un 
grand  nombre  d'assertions  sur  la  scissiparité,  la 
gemmiparité  et  le  développement  des  embryons  des 
protozoaires  (4). 

Enfin,  M.  Balbiani  a  ajouté  quelques  faits  curieux 
aux  observations  qui  précèdent,  et  est  venu  clore  les 
divers  travaux  émis  récemment  sur  la  reproduction 
des  infusoires,  11  a  reconnu  que  la  paramécie  verte, 

{\)  G^os ,  Bulletin  de  la  Société  impériale  des  naturalistes  de 
Moscou,  1854,  n.  3,  p.  273. 

(2)  Claparède  et  Lachmainn,  Mémoire  couronne',  portant  pour 
épigraphe  :  Omne  vivum  ex  ovo. 

(3)  De  Quatrefages,  Rapport  sur  le  concours  (Comptes  rendus, 
1858,  t.  XLvi,  p.  27o). 

(4)  Lieberkuhn^  Mémoire  présenté  à  l'Académie  des  sciences  et 
qui  a  obtenu  le  grand  prix  des  sciences  physiques,  1858. 


HISTORIQUE.    —   ÉPOQUE    MODERNE.  91 

paramecmm  bursaria  de  Focke,  après  s'être  multi- 
pliée par  scission  spontanée  pendant  un  certain 
temps,  finissait  par  présenter  des  organes  des  sexes, 
mâles  et  femelles,  reconnaissabies  à  leurs  ovules  et  à 
leurs  spermatozoaires  ;  et  que  ces  animalcules  don- 
naient naissance  à  des  embryons,  après  y  avoir  pré- 
ludé par  un  accouplement,  qui  se  prolonge  durant 
cinq  à  six  jours (i). 

Les  faits  avancés  par  M.  Balbiani  paraissent  être  le 
résultat  d'observations  attentivement  exécutées,  mais 
ainsi  que  ceux  que  l'on  doit  à  MM.  Claparède,  Lach- 
mann  et  Lieberkuhn,  ils  touchent  à  peine  à  la  ques- 
tion qui  nous  préoccupe^  parce  qu'ils  n'impliquent 
nullement  qu'à  leur  première  apparition  ces  êtres 
n'ont  point  été  le  résultat  de  la  spontéparité  ;  et  il  est 
même  de  doctrine  parmi  les  hétérogénistes,  d'ad- 
mettre que  certains  animaux,  chez  lesquels  on  ob- 
serve des  sexes  et  qui  se  reproduisent  à  l'aide  d'œufs, 
à  certaines  époques,  cependant,  n'en  doivent  pas 
moins  leur  primitive  apparition  à  la  génération 
spontanée  (2). 

Nous  ne  pouvons  omettre,  en  terminant,  cette  es- 
quisse historique  de  l'hétérogénie,  de  parler  de  nos 
premiers  efforts  pour  arriver  à  la  démonstration  de 
ce  phénomène.  Dans  un  ouvrage  qui  avait  pour  objet 
l'étude  de  l'ovulation  spontanée  des  mammifères, 

(1)  Balbiani,  Note  sur  l'existence  d'une  génération  sexuelle  chez 
les  Infusoires  (Comptes-rendus  de  rAcadémie  des  sciences),  1858, 
t.  XLVl^  p.  628,  et  Journal  de  la  'physiologie  de  l'homme  et  des 
animaux,  par  Brown-Seqiiard.  Paris,  1858,  p.  347). 

{%)  C'est  ce  que  Bremser,  Uudolphi  et  d'autres  ont  professé  à 
l'égard  des  vers  intestinaux. 


95  RÉTÉROGÉNÎE. 

nous  avons  déjà  fait  entrevoir  que  la  scissiparité  est 
beaucoup  moins  fréquente  qu'on  ne  le  suppose  or- 
dinairement (1)  ;  le  temps  et  un  nombre  énorme 
d'observations  nous  en  ont  de  plus  en  plus  con- 
vaincu. Dans  cet  ouvrage  aussi,  nous  nous  sommes 
attaché  à  démontrer  qu'à  de  rares  exceptions  près, 
dans  tout  le  règne  animal ,  la  génération  a  lieu  à 
l'aide  d'œufs;  et  nous  verrons  ici  que  les  microzoaires 
eux-mêmes,  dans  la  génération  primordiale,  se  déve- 
loppent souvent,  ainsi  que  les  autres  animaux,  à  l'aide 
d'ovules;  mais  seulement  que  les  leurs  ont  pour 
site  une  pseudo-membrane  et  non  le  stroma  de  l'o- 
vaire; voilà  la  seule  différence. 

Beaucoup  d'animaux  inférieurs  avaient  paru  se 
soustraire  à  la  loi  générale  de  la  reproduction  ;  mais 
les  recherches  de  Rudolphi,  de  Cavolini,  de  Ber- 
Ihold,  de  Gaede,  de  Rathke,  de  Valentin,  de  Grant 
et  de  Laurent,  nous  ont  démontré  que  la  plupart  de 
ceux-ci,  tels  que  les  helminthes,  les  gorgones,  les 
actinies,  les  méduses,  les  astéries,  les  échinodermes, 
les  flustres  et  les  éponges,  produisent  des  œufs  (2). 

(1)  PoucHET,  Théorie  positive  de  l'ovulation  spontanée.  Paris, 
i8i7,  p.  27. 

(2)  Rudolphi,  Entozoorum  seu  vormium  intcstinalium  historia 
naturalis.  Amsterdam,  1808. 

Cavolim  ,  Memorie  per  servire  alla  storia  dei  Polipi  marini. 
Naples,  1785. 

Berthold,  Beitrage  zur  anatomie ,  zootomie  und  physiologie. 
Gœttingue,  1831. 

Ratoke,  In  floriep's  notizen,  1.  XXI. 

Valentin,  Repertorium,  1840. 

Grant,  Heusinger's  zeitschrift  fur  organische  Physik,  t.  II,  p.  53. 

Laurent,  Becherches  sur  l'hydre  et  l'éponge  d'eau  douce. 


HISTORIQUE.    ÉPOQl'E    MODERNE.  93 

Elirenberg  nous  a  fait  connaître  ceux  de  quelques 
espèces  d'infusoires,  etnous-mêaies  nous  avons  suivi 
le  développement  de  plusieurs  de  ces  œufs  spontanés 
et  avons  signalé  leur  gyration  et  leur  punctum  sa- 
liens  (i). 

En  terminant  cet  exposé  historique,  nous  dirons 
que  ce  que  l'on  peut  reprocher  aux  adversaires  de  la 
spontéparité,  c'est  d'être  restés  immobiles  en  présence 
de  la  marche  ascendante  des  sciences  philosophi- 
ques. C'est  à  cent  ans  en  arrière  de  notre  époque 
qu'ils  vont  souvent  emprunter  leurs  arguments.  Quel- 
ques phrases  des  naturalistes  du  siècle  dernier  sont 
citées  par  eux  comme  inexpugnables!  Et  n'est-ce  donc 
rien  que  d'avoir  pour  soi  toute  l'antiquité  et  tous  les 
penseurs  de  l'école  moderne?  Si  les  Redi,  les  Swam- 
merdam,  et  les  Spallanzani  furent  de  respectables 
adversaires,  ne  pouvons-nous  pas  leur  opposer  les  Tre- 
viranus,  les  ïiedemann,  les  Bremser  et  les  Burdach? 

Ainsi  que  l'observe  judicieusement  M.  Gérard, 
dans  un  excellent  article  sur  la  génération  spontanée, 
on  a  toujours  opposé  à  ses  partisans  de  simples  déné- 
gations et  pas  d'argumentation  serrée.  Cette  question, 
dit-ii  avec  raison,  est  plus  vivace  que  jamais,  et  l'on 
ne  peut,  sans  fermer  les  yeux  à  l'évidence,  se  refuser  à 
voir  que,  depuis  Buffon,  les  naturalistes  les  plus  émi- 
nents  y  ont  ajouté  foi  ;   qu'aujourd'hui  les  hommes 

(1)  EuRENBEUG,  Organisation,  sijstematik  und  geographische  Ver- 
hœltniss  der  Infusionstkierchen.  Berlin,  1830. 

PouciiET,  Recherches  sur  les  organes  de  la  circulation^  de  la  di- 
gestion et  de  la  respiralion  des  animaux  infusoires.  (Comptes  ren- 
dus de  Hnslilut,  I8i8-i849.) 


94  HÉTÉROGÉNIE, 

qui  ont  le  plus  reculé  devant  les  idées  philosophiques 
des  encyclopédistes,  les  Anglais  et  les  Allemands,  ad- 
mettent eux-mêmes  cette  théorie  (1).  » 

Gérard,  Dict.  univ.  dliist.  mt.  Paris,  1845,  t.  VI,  p.  oO,  ai- 
licle  Génération. 


CHAPITRE  11 


METAPHYSIOIE. 


Certains  savants  se  révoltent  à  l'idée  que  des  êtres 
organisés  puissent  sortir  fortuitenaent  de  la  matière 
amorphe.  Ils  n'y  ont  pas  songé,  car  la  cause  est  jugée 
affirmativement  et  sans  réplique;  il  ne  s'agit  simple- 
ment ici  que  de  savoir  si  le  phénomène  se  continue 
avec  la  succession  des  siècles,  ou  s'il  a  été  anéanti  à 
tout  jamais. 

Personne  ne  contestera,  je  Tespère.  qu'au  mo- 
ment du  fiatlux  toute  la  création  d'alors  fut  évoquée 
du  néant;  le  chaos  s'organisa,  les  globes  se  disper- 
sèrent dans  l'espace,  et  de  la  matière  sans  forme  et 
sans  vie,  la  toute-puissante  main  de  Dieu  fit  surgir 
les  animaux  et  les  plantes.  Cette  première  phase  de 
l'organisation  ne  fut  donc  qu'une  véritable  génération 
spontanée  s'opérant  sous  l'inspiration  divine  ! 

Pour  quelques-uns,  la  question  de  la  génération 
spontanée  est  un  imprudent  défi  jeté  à  la  face  de  la 
religion  ;  question  formidable  s'il  en  fût.  qui,  selon 
eux,  sape  les  bases  de  nos  croyances  et  renvei^e  les 
lois  de  la  terre  et  du  ciel!  fraveurs  illéiïitiLijes.  car 
si  le  phénomène  existe,  c'est  que  Dieu  a  voulu  rcrn- 


96  HÉTÉROGÉNIE. 

ployer  à  ses  fins  ;  et  nous  ne  pouvons  y  voir  que  l'une 
de  ces  mystérieuses  voies,  aussi  variées  que  merveil- 
leuses, qui  forcent  notre  front  à  s'incliner  en  présence 
(le  sa  sagesse  infinie.  A  ceux  qui  ne  le  concevront 
pas,  nous  nous  contenterons  de  répondre  par  ce  ver- 
set, que  l'un  de  nos  poètes  a  si  noblement  interprété. 

Qui  vides  multa^  nonne  custodies?  qui  aperlas 
liabes  aiires,  nonne  audies?  (îs,  xliii,  20.) 

Étrange  anomalie!  c'est  cette  suprême  intelligence 
qui  sonde  les  profondeurs  des  cieux,  pèse  les  globes 
disséminés  dansi'immensité;  puis,  trop  à  l'étroit  sur 
sa  plage  terrestre,  s'élance  dans  les  sphères  de  l'intini 
et  pénètre  les  mystères  incréés;  c'est  cette  même  in- 
telligence, inquiète,  audacieuse,  qui  enchaîne  impé- 
rieusement la  main  de  Dieu,  et  lui  défend  d'animer 
d'une  étincelle  de  vie  quelques  molécules  inertes! 

C'est  ce  même  homme  aussi,  dont  à  chaque  instant 
le  cerveau  crée  spontanément  la  pensée  immatérielle, 
qui  prétend  qu'il  ne  peut  rien  surgir  de  la  matière! 
On  le  voit,  à  son  gré,  rêver  des  régions  imaginaires, 
se  bercer  de  visions  féeriques,  et  c'est  lui  qui,  si 
magnifiquement  doté  par  la  libéralité  divine,  pré- 
tend lui  arracher  le  sceptre  de  la  création  ! 

Si  Dieu  renverse  parfois  les  lois  immuables  qui  ré- 
gissent Tunivers,  pour  susciter  au  milieu  de  nous 
ces  niiracles  qui  étonnent  le  vulgaire  et  fortifient 
la  foi;  si  à  sa  voix  suprême  les  murailles  s'écrou- 
lent, les  morts  sont  ressuscites,  n'est-ce  pas  le  comble 
de  l'orgueil  que  de  lui  contester  le  pouvoir  de  créer  un 
ciron?  Et  si,  à  un  moment  donné,  il  a  plu  au  sublime 
architecte  de  tant  de  merveilles  d'anéantir  quelques 


MÉTAPHYSiyLE.  97 

fragments  de  son  œuvre,  pourquoi  donc  vouloir  lui 
défendre  d'en  combler  les  lacunes?  aux  Mastodontes, 
aux  Rhinocéros,  aux  Hippopotames,  aux  Éléphants, 
qui  animaient  autrefois  le  sol  que  nous  foulons  au- 
jourd'hui, ont  succédé  d'autres  races  d'animaux  ; 
tout  a  changé  à  la  surface  de  la  terre,  et,  durant 
notre  éphémère  passage  sur  celle-ci,  nous,  nous  pré- 
tendons effacer  les  impérissables  traces  du  passé  et 
limiter  les  phénomènes  de  l'avenir! 

Il  est  certain  que  parmi  les  savants  qui  ont  re- 
poussé l'existence  de  la  spontéparité,  beaucoup  ont 
été  dominés  par  de  respectables  convictions  :  op- 
pressa gravi  sub  religione  (1).  Mais  rien  n'autorise 
ce  zèle  insensé,  et  tout,  dans  le  vivant  spectacle  de  la 
création  et  dans  notre  conscience  intime,  proteste 
contre  lui. 

La  Genèse  dit  bien  qu'après  le  sixième  jour  Dieu  se 
reposa.  Mais  quel  est  donc  le  verset  du  livre  sacré 
qui  nous  annonce  qu'il  s'impose  de  ne  jamais  re- 
prendre son  œuvre?  Où  donc  est-il  dit  qu'après  ce 
repos,  il  ait  brisé  ses  moules  et  anéanti  sa  faculté 
créatrice? 

Enfin,  si  Ton  prétendait  que  c'est  faire  décoger  la 
majesté  suprême  que  de  l'astreindre  à  de  journalières 
innovations;  pour  ne  pas  immobiliser  le  génie  créa- 
teur dans  l'éternité,  ce  qui  serait  la  négation  de  l'om- 
nipotence divine,  n'est-il  pas  possible  d'admettre  que 
celui  dont  les  mains  ont  façonné  le  germe  de  tant 
d'êtres   merveilleux,  ait,   avant  d'abandonner   son 


(1)  Lucrèce,  De  rerum  naturâ,  lib, 

IN)IC11LT. 


98  HÉTÉROGÉNIE. 

* 

œuvre,  posé  des  lois  dominatrices  de  la  matière  et  de 
la  vie,  déterminant  les  circonstances  dans  lesquelles 
la  puissance  organisatrice  peut  se  manifester  et  don- 
ner naissance  à  de  nouvelles  combinaisons.  Ces  lois, 
en  définitive,  ne  seraient  qu'ua  parallèle  de  celles 
qui  régissent  la  génération  sexuelle,  la  scissiparité,  la 
gemmiparité,  etc. 

Les  théories  des  hétérogénistes,  loin  d'énerver  les 
attributs  du  Créateur,  ne  font  qu'en  augmenter  la  di- 
vine majesté.  Si  parfois,  dans  le  silence  de  son  labo- 
ratoire, le  savant  produit  l'évolution  de  quelque  être 
nouveau,  son  orgueil  ne  saurait  s'abuser;  il  sait  qu'il 
n'est  là  que  l'ouvrier  intelligent  qui  réalise  les  con- 
ceptions du  sublime  maître.  Il  s'est  borné  à  placer  la 
matière  dans  les  circonstances  où,  conformément  à  la 
loi  suprême,  la  force  organisatrice  devait  s'y  mani- 
fester :  ainsi  fait  le  chimiste  lorsqu'il  produit  un 
cristal  inconnu! 

Nous  nous  abritons  sous  l'éclat  des  plus  vives  lu- 
mières de  l'Église;  mais  si  cela  n'était  pas,  à  ceux  qui 
nous  le  reprocheraient  nous  répondrions  avec  saint 
Augustin  :  que  la  science  et  la  théologie  s'avancent 
par  des  sentiers  divers,  mais  que  toutes  deux  mènent 
à  la  connaissance  de  la  vérité  (1). 

De  place  en  place,  en  effet,  l'Écriture  proteste  contre 
ce  repos  dans  lequel  on  veut  inutilement  enchaîner 
l'esprit  de  rEternel,  et  tout  semble,  au  contraire,  y  in- 
diquer que  celui-ci  n'est  jamais  inactif.  Moïse  lui  fait 


(I)  Duo  sunt  quœ  in  cognitionem  Dei  ducunty  creatio  et  Scrip 
tura. 


METAPHYSIQUE.  90 

dire  :  je  tue  et  vivifie, comme  si  c'était  Tœuvre  de  tous 
les  instants  (1). 

Lorsque  Dieu  commence  à  débrouiller  le  chaos, 
les  commentateurs  se  trouvent  embarrassés  pour  ex- 
primer l'état  des  choses  à  la  suite  de  ce  premier  grand 
acte  de  la  suprême  volonté.  La  terre  était  informe 
et  en  désordre,  et  Jérémie  la  compare  à  un  pays  dé- 
solé, ravagé  (2)  ;  les  ténèbres  régnaient  à  la  surface 
de  l'abîme,  et  l'Esprit  de  Dieu  planait  au-dessus  des 
eaux. 

Telle  est  la  version  de  la  Septante.  Mais  S.  Cahen 
pense  que  le  dernier  membre  de  phrase  pourrait  bien 
n'exprimer  que  l'action  d'un  vent  violent  qui  labou- 
rait la  surface  de  l'abîme  (3);  et  selon  le  rabbin 
Jarchi,  le  texte  exprime  mot  à  mot  l'action  de  l'oi- 
seau qui  plane  ou  qui  couve  (4). 

C.  Morton,  dans  ses  Recherches  ethnologiques,  a 
donné  une  traduction  rigoureuse  du  verset  de  la 
Bible  qui  commence  le  récit  de  la  création,  et  qui  a 
été  l'objet  de  tant  de  commentaires.  Voici  sa  version  : 

Dans  le  commencement  Élohim  créa  Tuniversalilé 
des  cieux  et  l'universalité  de  la  terre.  Et  la  terre  fut 
tohu  et  bohu  (5),  masculin  et  féminin,  principes  dislo- 
qués ou  confondus,  paraphrastiquement  «  sans  forme 
et  en  masse  confuse  ;  »  et  les  ténèbres  furent  sur  la  face 

(1)  Moïse,  xxxii,  39. 

(2)  Jérémie.  Comp.  Cahen,  Genèse,  i. 

(3)  Caheis  ,  La  Bible  avec  l'hébreu  en  regard,  ou  les  principales 
variantes  de  la  version  des  Septante.  Paris,  1834,  p.  1. 

(4)  Jauchi,  Comment,  in  Pentateuchum.  Naples,  149i. 

(5)  r/io/ioM  ua6o/ioM,  littéralement,  selon  J.  A.  B.  Bost.,  Dict.  do 
la  Bible.  Paris,  1849,  t.  I>  p.  231 . 


100  HÉTÉROGÉME. 

de  l'abîme  ;  et  (le  souffle)  l'esprit  d'Eloliim  plana 
comme  un  oiseau  qui  descend  sur  la  face  des  eaux  (l). 

Saint  Basile  dit  aussi  qu'à  l'origine  de  la  création 
les  eaux  couvraient  toute  la  surface  de  la  terre  ;  et, 
en  suivant  la  version  syrienne,  qui,  selon  lui,  se 
rapproche  le  plus  du  sens  exact  de  l'Écriture,  que 
l'Esprit-Saint  en  planant  sur  Tabime,  les  échauffait 
et  les  fécondait,  semblable  à  un  oiseau  qui  couve  ses 
œufs,  et,  en  les  échauffant,  en  excite  la  puissance 
vitale  (2). 

Nous  avons  fait  quelque  attention  au  texte  de  la 
Genèse,  parce  que,  comme  Texpiime  Luther,  Scrip- 
tara  jmmum  intelligi  débet  grammaticè  antequam 
pos sitexplicari  theologicè  (3). 

Il  est  évident  qu'après  avoir  décrit  la  création 
d'une  si  large  manière,  l'auteur  inspiré  de  la  Genèse 
n'en  reparle  plus,  et  que  rien,  dans  ce  livre,  n'auto- 
rise à  supposer  qu'il  puisse  advenir  une  répétition  de 
l'action  créatrice.  Nous  le  savons,  mais  rien  non  plus 
n'y  autorise  à  prétendre  que  l'Esprit  divin  s'est  im- 
posé de  ne  jamais  retoucher  son  œuvre!  cette  im- 
mense épopée  occupe  à  peine  quelques  lignes,  et  sans 
doute  qu'après  avoir  esquissé  si  brièvement  un  si 
grandiose  tableau,  on  ne  devait  pas  s'attendre  à  y 
rencontrer  des  détails  sur  les  actes  subséquents;  ils 


(1)  s.  G.  MoKTO^,  Types  ofmankind,  or  Ethnological  researches. 
ï^iladelphie,  1854,  p.  562. 

(2)  Saint  Basile  le  Grand,  Homélies  sur  l'ouvrage  des  six  jours. 
Lyon,  1827,  p.  380. 

i3)    Comp.    Gliddon.     Archœological  iiiliu  nclion  lo   the  Xîh 
chapter  of  Gcncsis.  Supr.  à  Moi.TOX,  p.  575. 


MÉTAPHYSIQUE.  101 

découlent  naturellement  de  l'intelligence  suprême 
et  de  l'incessante  activité  du  Créateur. 

Cependant,  de  place  en  place,  nos  livres  sacres 
protestent  contre  l'immobilité  dont  on  prétend  frap- 
per la  création.  Nous  avons  déjà  vu  qu'on  rencontrait 
dans  le  livre  des  Juges  quelques  faits  qui  sembleraient 
dériver  de  l'hélérogénie  (1).  Mais  dans  d'autres  en- 
droits les  indices  sont  bien  autrement  manifestes, 
bien  autrement  irrécusables. 

L'audace  du  Psalmiste,  par  exemple, ne  s'arrête  pas 
aux  étroites  considérations  qui  enchaînent  notre 
époque.  Dans  ses  chants  inspirés^  lorsque  ses  pensées 
s'élancent  vers  la  région  des  nuages,  abandonnant 
l'esprit  de  Dieu  à  ses  mobiles  inspirations,  il  s'écrie 
dans  l'une  de  ses  brillantes  métaphores  : 

Emittes  sp'irilum  tuum  et  creabuntur,  et  renovabis 
faciem  tervœ;  averlente  autem  tefaciem,  turbabuntur ; 
au  fer  es  spiritum  eorum  et  déficient,  et  in  pidverem 
suum  revertentur  (2) . 

Lorsque  dans  un  autre  endroit  le  Psalmiste  pro- 
teste que  les  limites  de  la  terre  sont  dans  la  main  de 
Dieu,  il  est  évident  qu'il  fait  une  allusion  à  la  volonté 
du  Créateur,  pouvant  à  son  gré  suspendre  ou  conti- 
nuer son  œuvre  (3). 

L'idée  de  l'action  incessante  de  l'Éternel  sur  la 
création  ne  surgit  pas  seulement  dans  l'esprit  de  ceux 
qui  méditent  ce  sujet,  mais  an    trouve  même,  de 

(1)  Historique,  p.  10  Bib.  sac.  Juges,  xiv,  14.  Ecdésiaste , 
m,  20. 

(2)  Salomon,  Psalm.  cm,  30. 

(3)  Salomon,  P;.nlm.  xr.iv,  4. 


102  HETEROGENIE. 

place  en  place,  des  passages  des  saintes  Écritures  qui 
YÎennent  la  confirmer.  Ainsi,  lorsque  le  Christ  était 
poursuivi  par  les  Juifs  pour  avoir  guéri  un  malade,  le 
jour  du  sabbat,  il  se  retourne  en  leur  disant,  Pater 
meus  iisque  modo  operatur,  et  ego  operor^  Mon  père 
travaille  jusqu'à  maintenant,  et  je  travaille  aussi  (i).» 
Tous  les  commentateurs  ont  considéré  cette  phrase 
comme  signifiant  que  Dieu  avait  travaillé  jusqu'à 
présent,  constamment,  sans  cesse,  toujours  (2).  «Dieu 
s'était  reposé  au  septième  jour  de  la  création,  dit 
Gerlach  en  s'inspirant  de  l'œuvre  de  saint  Matthieu; 
mais  ce  repos  n'était  que  la  joie  du  Créateur,  prenant 
son  plaisir  au  bonheur  de  la  créature  qui  venait  de 
sortir  de  ses  mains.  Or,  ajoute-t-il,  la  conservation 
du  monde,  et  surtout  son  rétablissement  après  la 
chute,  exige  l'action  créatrice  de  Dieu,  sans  aucune 
interruption  (3).  » 

Dans  sa  magnifique  définition  de  la  création,  saint 
Jean  s'exprime  comme  si  elle  s'exerçait  sans  discon- 
tinuer. C'est  un  acte  du  Dieu  éternel  et  tout-puissant, 
s'écrie-t-il,  par  lequel  il  appelle  à  l'existence,  des 
choses  visibles  et  invisibles,  matérielles  et  spiri- 
tuelles (4). 

Les  opinions  d'Aristote  sur  la  génération  spon- 
tanée eurent  presque  autant  de  sectateurs  que  saphi- 

(i)  Évangile  selon  saint  Jean,  chap.  v,  17. 

(2)  Gerlach,  L.  Bonnet  et  Ch.  Baup,  Le  Nouveau  Testament. 
Paris,  1846,  p.  365. 

(3)  Gerlach,  Le  Nouveau  Testament,  avec  notes  explicatives. 
Paris,  1846,  p.  365. 

(4)  Saint  Jean,  Apocalypse^  iv,  H.  Ps.  cxlvui,  5.  (Bost,  t.  I, 
p.  227.) 


METAPHYSIQUE.  103 

losophie,  et  Ton  n'est  pas  surpris  d'en  retrouver 
quelques  vestiges  dans  les  écrits  des  Pères  de  l'Église 
eux-mêmes.  Saint  Augustin  s'exprime  ainsi  dans  un 
passage  de  ses  œuvres  :  «  Ut  omitlam  aliter  de  homine 
nasci  filium^  aliter  capilliim,  pediculuniy  lumbricuniy 
quorum  nihil  est  filius,  etc.  (1).  » 

Enfin  la  preuve  manifeste  que  les  prétentions  des 
hétérogénistes  n'ont  jamais  dérogé  à  l'orthodoxie, 
c'est  que  nous  ne  sommes  absolument  aujourd'hui 
que  l'interprète  des  opinions  de  l'un  des  plus  grands 
philosophes  chrétiens,  de  ce  même  saint  Augustin 
que  nous  venons  de  citer.  C'est  sa  thèse  que  nous  dé- 
veloppons ici  avec  l'assurance  et  la  précision  que  nous 
donnent  les  sciences  au  dix-neuvième  siècle.  Voici 
ce  qu'il  dit  dans  ses  lettres  sur  la  Genèse  :  «  La  pro- 
«  duclion  desêtres  vivants  et  animés  n'élait  complète 
«  et  terminée  que  d'une  certaine  manière  dans  leur 
«  principe  et  dans  leur  cause,  en  ce  sens  que  la  terre 
«  et  les  eaux,  en  passant  du  néant  à  l'être,  avaient 
«  reçu  en  même  temps  le  pouvoir  d'amener  au  jour, 
K  à  l'époque  fixée,  les  êtres  vivants  destinés  à  ré- 
«  pandre  dans  les  airs,  dans  les  abîmes  des  mers  et 
«  sur  tous  les  points  du  globe,  la  vie  et  le  mouve- 
«  ment  qui  forment  le  plus  bel  ornement  de  la  na- 
«  ture...  Ainsi  les  êtres  vivants  n'ont  apparu  dans 
«  l'état  actuel  que  dans  le  temps,  ou  autrement  dit, 
«  par  le  déroulement  successif  des  siècles  (2).  » 

Saint  Jérôme,  ce  génie  audacieux  des  beaux  temps 
de  l'Église,  combat  aussi  avec  nous  pour  restituer  a 

{{)  Saint  Augustin,  Enchiridion,  cap.  xv, 
(2)  Id.,  Lettres  sur  la  Genèse. 


iOi  nÉTÉROGÉNIE. 

l'Éternel  sa  puissance  suprême.  Dieu,  dit-il,  ne  cesse 
pas  d'être  Créateur  cl  d'être  continuellement  agis- 
sant. Selon  lui,  la  nature,  soit  matérielle,  soit  spi- 
rituelle, est  dans  un  mouvement  permanent  ;  et  celte 
vie  permanente,  cette  puissance  d'action  est  un  ca- 
ractère ou  plutôt  le  grand  caractère  de  la  Divinité  (i). 
Ce  principe  de  saint  Jérôme,  comme  le  dit  M.  Benoît 
de  Matougues,  est  la  base  de  toute  philosophie,  et  en 
cela  il  est  d'accord  avec  les  savants  de  nos  jours  (2). 

Enfin,  si  la  question  de  l'hétérogénie  était  aussi 
brûlante  que  le  prétendent  certaines  consciences  ti- 
morées, eût-on  vu  des  Pères  de  l'Église  en  devenir 
eux-mêmes  partisans?  eût-on  vu  aussi  le  béatifié 
Albert  le  Grand,  l'ami  de  saint  Thomas  d'Aquin,  et 
plusieurssavants  jésuites  tels  que  les  Kircher  (3),  les 
Fabri  (4),  et  les  Bonanni  (5),  l'embrasser  sans  le 
moindre  scrupule?  Et  l'un  de  ces  ardents  défenseurs 
de  la  foi  eût-il  dédié  au  pape  Alexandre  MI,  l'œuvre 
dans  laquelle  il  traite  cette  question  avec  une  au- 
dace à  nulle  autre  pareille  (6)  ? 

La  philosophie  moderne,  dépouillée  de  tout  le  mys- 


(i)  Saint  Jérôme,  (Euvres  de  saint  Jérôme.  Paris,  18il. — Traité 
contre  saint  Jean,  écêque  de  Jérusalem  (préface,  p.  26). 

(2)  B.  DE  Matougues,  Saint  Jérôme  et  son  siècle,  1841  (préface 
(lorédition  du  Panthéon  littéraire). 

(3)  Kircher,  M undus  subterraneus.  Amiierdam,  1778. 

(4)  Fabri  Tractatus  duo,  quorum  prior  est  :  De  plantis  et  de  gene- 
ralîone  animalium,  posterior  :  De  homine.  Paris,  1666.    * 

(o)  Bonanni,  Obseroationes  circa  viventia  quœ  in  rébus  viventi- 
bus  reperiuntur,  cum  micrographiâ  curiosâ .  Rome,  1691. 

(G)  Le  père  Kircher  a  dédié  à  ce  pape  son  ouvi-age  le  plus  cé- 
lèbre, le  Mundus  subterraneus.  Édit.  d'Amsterdam,  4  778. 


MÉTAPHYSIQUE.  105 

ticisme  qui  l'enchaînait  naguère,  ne  vient-elle  pas 
elle-même  prêter  un  auguste  appui  à  la  thèse  de 
l'hétérogénie?  Elle  restitue  à  la  matière  sa  véritable 
dignité  en  Tassociant  intimement  à  l'esprit,  et,  par 
cette  étroite  combinaison,  elle  en  explique  d'une  plus 
satisfaisante  manière  les  mobiles  mutations.  La  phi- 
losophie de  la  nature  conduit  à  cette  conclusion,  car, 
ainsi  que  Heine  en  convient  lui-même,  elle  n'est 
qu'un  développement  du  panthéisme  ancien  (1). 
L'école  allemande,  après  avoir  successivement  dé- 
daigné le  matérialisme  de  Locke  et  l'idéalisme  de 
Leibnitz,  en  est  revenue  au  panthéisme  de  Spinosa, 
qui  forme  le  point  initial  et  la  base  des  doctrines  de 
Fichte  (2)  et  de  Schelling  (3).  En  effet,  ces  deux  phi- 
losophes enseignent  qu'il  n'existe  qu'un  seul  être,  le 
moi,  l'absolu  ;  et  qu'il  y  a  identité  entre  l'idéal  et  le 
réel  (4). 

Il  n'est  pas  à  dédaigner,  en  traitant  un  sujet  aussi 
abstrait  que  le  nôtre,  de  rechercher  quels  sont  les 
procédés  par  lesquels  on  peut  s'aventurer  dans  son 
étude.  Nous  avons  reconnu  que  la  route  la  plus  sûre 
était  de  suivre,  presque  toujours,  cette  méthode  expé- 
rimentale qui,  depuis  Galilée,  a  tant  fait  progresser 
les  sciences  naturelles,  et  qui  consistée  prendre  pour 
point  de  déparî  l'observation  des  phénomènes,  à  en 
rechercher  les  causes,  conformément  à  ce  que  l'on 
appelle  Vàmélhode  à  posteriori,  méthode  que  nossa- 

{\)  H.  Heinr,  De  l'Allemagne.  Paris,  1855,  1. 1,  p.  109. 

(2)  J.  FiCHTE,  Doctrine  de  la  science. 

(3)  Schelling,  Idées  pour  servir  à  une  philosophie  de  la  nature. 
^4)  H.  Hei.ne,  De  V Allemagne.  Paris,  1335,  t.  I,  p.  ifio. 


106  HÉTÉROGÉNIE. 

vanls  les  plus  profonds  nous  conseillent  tous  pour 
éviter  l'erreur  (1). 

Cependant  pour  élucider  l'importante  question  de 
la  génération  spontanée,  ce  n'est  pas  trop  d'appeler  à 
son  secours  toutes  les  ressources  de  l'esprit  humain, 
et  de  mettre  en  œuvre  ses  plus  nobles  facultés.  Là 
aussi  on  peut  répéter  ce  que  dit  Is.  Geoffroy  Saint- 
Hilaire,  en  parlant  des  sciences  naturelles  en  géné- 
ral :  L'observation,  l'analyse sontindispensables;  mais 
elles  ne  suffisent  pas;  le  raisonnement,  la  synthèse  ont 
aussi  leurs  droits  (2).  Mais  pour  arriver  à  la  découverte 
de  la  vérité,  à' la  vraie  science,  selon  l'expression 
de  la  philosophie  germanique,  il  ne  faut  abuser  ni 
des  moyens  de  Galilée,  ni  des  inspirations  de  Schel- 
ling. 

Après  avoir  traversé  des  époques  d'inexplicable 
crédulité,  nous  sommes  tombés  dans  un  excès  con- 
traire. En  embrassant  la  voie  de  l'expérimentation, 
nous  avons  affecté  le  plus  profond  scepticisme  pour 
tout  ce  qui  n'en  découlait  pas;  nous  avons  ainsi  tari 
une  des  plus  fécondes  sources  de  tout  progrès,  le  cri- 
térium de  l'intellect,  qui  discute  et  qui  juge.  Nos  de- 
vanciers en  avaient  abusé,  mais  nous,  nous  l'avons 
trop  dédaigné.  Si  Zenon  et  les  stoïciens  subordon- 
naient toute  la  nature  à  l'action  d'un  feu  vital  intellec- 
tuel; si  Aristote  admettait  que  les  éléments  et  les  astres 
sont  dominés  par  un  agent  universel  intelligent  (3)  ; 

(1)  Chexrevl, Lettres  sur  la  méthode  en  général.  Paris,l856,  p.l2. 

(2)  Is.  Geoffroy  Saiist-Hilaire,  Histoire  naturelle  génér aie.  PariSy 
J854,  t.  I,  p.  317. 

(3)  Arjstotr,  De  cœloy  cap.  ii  et  xii. 


MÉTAPHYSIQUE.  107 

si  Descartes  prétend  qu'une  flamme  vitale  pénètre  le 
cœur  des  animaux  et  en  règle  tout  le  mécanisme  (1)  ; 
si  Gassendi  considérait  comme  une  sorte  d'âme  du 
monde  la  chaleur  latente  qui  pénètre  les  globes  et 
l'espace  (2)  ;  enfin,  si  saint  Thomas,  pour  expliquer 
une  métaphore  de  Job  et  de  saint  Matthieu  (3),  a  pu 
penser  qu'il  existait  des  espèces  d'âmes  dans  les  astres 
et  les  cieux  (4),  faut-il,  à  cause  de  ces  écarts  de  l'ima- 
gination, nier  l'attraction  planétaire  et  le  principe 
vital?  On  n'oserait  le  prétendre.  Il  en  est  de  môme 
de  l'hétérogénie;  quoique  certains  naturalistes  aient 
poussé  trop  loin  leurs  prétentions,  en  lui  attribuant 
une  fantastique  puissance,  il  n'en  est  pas  moins  po- 
sitif qu'elle  s'exerce  dans  une  sphère  déterminée, 
plus  modeste,  il  est  vrai,  mais  que  ses  résultats  sont 
évidents. 

Ainsi  que  le  dit  Is.  Geoffroy  Saint-Hilaire,  dans  son 
magnifique  ouvrage,  Texpérimentation,  telle  que  la 
conçoit  Scheliing,  n'est  que  la  vérification  d'une  idée 
préexistante;  et  d'après  lui  on  ne  doit  condescendre 
à  interroger  les  faits  matériels  que  pour  constater,  en 
quelque  sorte,  les  prophéties  de  l'intelligence  (5). 
Mais,  selon  nous,  le  philosophe  allemand  sacrifie  ici 
l'un  des  plus  féconds  résultats  des  expériences  ;  car  si 
fréquemment  celles-ci    ne  torturent  la  matière  et 

(1)  Descartes,  Traité  des  passions,  art.  9.  Paris,  1844,  p.  508. 

(2)  Gassendi,  Phijsic,  1. 1,  p.  158. 

(3)  Métaphore  dans  laquelle  il  est  question  des  vertus  des  cieux. 
(Job,  cliap.  ix;  saint  Matthieu^  chap.  xxiv.) 

(4)  Tract,  de  indulgentiâ. 

(5)  Is.  Gf.oefkoy  Saint-Hilaire,  Histoire  naturelle  générale  des  rè- 
gnes organiques.  Paris,  1854,  t.  I,  p.  308. 


108  HETEROGENIE. 

l'organisation  que  pour  les  faire  déposer  en  faveur  des 
théories  préconçues,  souvent  aussi  lesavant,en  voyant 
des  phénomènes  insolites,  inattendus,  surgir  pendant 
ses  opérations,  en  déduit  à  posteriori  des  lois  que 
jamais  son  esprit  n'eût  fait  éclore  spontanément. 

Professer  une  théorie  opposée,  c'est  sacrifier  l'u- 
tile moitié  des  recherches  expérimentales.  Nous,  nous 
avons  essayé  de  les  mettre  en  œuvre  sur  leurs  deux 
faces  et  de  leur  donner  ainsi  toute  leur  force. 

Pour  la  recherche  des  majestueux  phénomènes  de 
la  création,  il  ne  faut  ni  trop  oser,  ni  trop  craindre  ; 
rintelligence  et  l'expérimentation  ont  leurs  écueils, 
étonne  les  évite  qu'en  les  unissant  étroitement  : 
c'est  là  la  vraie  science.  L'esprit  seul,  dans  son  infinie 
fécondité,  édifie  dans  l'immensité  du  vide,  et  l'ex- 
périence reste  souvent  stérile  si  ses  résultats  ne  se 
trouvent  ni  vivifiés,  ni  agrandis.  11  ne  faut  se  laisser 
entraîner  ni  par  les  témérités  des  philosophes  de  la 
nature,  ni  par  la  timide  réserve  de  V école  des  faits  ;  il 
faut  savoir  observer  et  oser,  c'est  làquenous  conduit 
la  méthode  philosophique  introduite  dans  la  science 
par  l'immortel  E.  Geoffroy  Saint-Hilaire  (1). 

C'est,  armé  du  flambeau  dont  on  lui  doit  les  pre- 
mières clartés,  que  nous  voulons  ici  nous  avancer. 

En  se  bornant  à  une  étude  philosophique  ou  spé- 
culative de  la  nature,  on  se  plonge  dans  un  inextri- 
cable dédale,  et  l'esprit  se  perd  au  milieu  des  plus 
chimériques  conceptions  :  c'est  le  règne  de  la  sco- 

(1)  Comp.  Geoffroy  Saint-ÎIilaire,  Philosophie  anatomique.  Pa- 
ris, 1818.  —  Seures,  Anatomie  transcendante,  Mém.  inséré  dans 
les  Ann.  des  se.  nat.y  1827,  p.  M. 


MÉTAPHYSIQUE.  109 

lastiquc  replacé  sur  le  trône  des  sciences  modernes! 
Schelling  impose  le  plus  modeste  rang  aux  observa- 
teurs, et  prétend  qu'il  leur  serait  aussi  difficile  d'édi- 
fier un  système  que  de  traverser  V Océan  sur  un  brin 
de  paille  {\).  Mais  on  pourrait  lui  demander  si  c'est 
toujours  à  priori  que  nos  plus  illustres  savants  ont 
conçu  ces  systèmes  magnifiques  devenus  la  gloire  de 
notre  époque?  Rœmer  cherchait-il  à  préciser  la  vi- 
tesse de  la  lumière  quand  il  découvrait  la  différence 
d'immersion  des  satellites  de  Jupiter  (2)?  Goethe  avait- 
il  rêvé  la  structure  du  crâne,  quand,  en  se  déchirant 
sous  ses  pieds,  une  tête  de  Mouton  la  lui  révélait  au 
milieu  d'un  cimetière  du  Lido  (3)? 

Lorsque  toute  notre  carrière  a  été  consacrée  à 
l'expérimentation,  nous  ne  pouvons  accepter,  avec 
Schelling,  que  la  pensée  est  la  source  de  toute 
vraie  science,  et  que  les  faits  sans  théorie  n'expri- 
ment rien  (4)!  Ce  que  nous  voulons,  c'est  que  l'in- 
telligence soit  fécondée  par  les  faits,  et,  que,  dans 
ses  déductions  les  plus  audacieuses,  elle  s'appuie 
toujours  sur  les  éléments  du  connu  pour  en  abstraire 
les  théories.  C'est  là  la  vraie  science,  qui  ne  peut  être 
que  l'expression  philosophique  des  faits  acquis  et 
développés  dans  toutes  leurs  conséquences. 

Nous  faisons  entrer  largement  dans  la  science  de 
la  nature,  le  même  élément  intellectuel  que  le  chef 

(i)  Schelling.  Traduction  de  Bénard.  p.  177. 

(2)  RoEMER,  Mémoires  de  l' Académie  des  sciences,  1673. 

(3)  Goethe,  OEucres  d' histoire  naturelle.  Paris,  1837. 

(4)  Schelling,  ZeUschrift.  \>:00.  (Annales).  Sur  la  spéculation  et 
l'expérience  en  physique,  p.  305.  Traduit  par  lîénard. 


i  1 0  HETEROGENIE. 

de  la  philosophie  allemande  y  introduisait,  mais, 
contrairement  à  lui,  nous,  nous  voulons  des  théories 
essentiellement  déductives,  et  non  des  théories  intui- 
tives] car,  selon  Schelling,  si  l'observation  et  l'ex- 
périence ont  à  intervenir  dans  la  vraie  science,  c*esl; 
non  pour  découvrir,  mais  pour  vérifier  les  concep- 
tions de  notre  esprit. 

Ainsi,  sur  ce  vaste  champ  clos  où  depuis  si  long- 
temps luttent,  sans  victoire  décisive,  tant  d'adver- 
saires d'un  haut  mérite,  nous  venons  jeter  un  élé- 
ment nouveau  ;  c'est  le  large  exercice  de  la  pensée, 
s'appliquant  à  scruter  des  masses  de  faits  pour  en 
déduire  des  lois. 

L'histoire  naturelle  estessentiellement  une  science 
de  faits,  comme  le  dit  Cuvier  (1),  mais  elle  resterait 
bien  au-dessous  de  ses  splendeurs,  si  on  l'enser- 
rait dans  le  pur  examen  de  ceux-ci  (2).  La  science 
de  la  nature  ne  s'élève  au  niveau  de  la  philosophie 
que  lorsqu'on  y  associe  l'exercice  des  plus  hautes 
facultés  humaines,  et  les  expériences  et  les  observa- 
tions n'ont  de  prix  qu'autant  que  l'intelligence  en 
déduit  toutes  les  conséquences.  C'est  ce  que  nous 
avons  prétendu  faire  aujourd'hui,  non  plus  en 
opérant  sur  des  bases  restreintes,  mais  en  étendant 
immensément  le  champ  de  l'observation,  en  multi- 

(1)  Cuvier  et  Valenciennes,  Histoire  naturelle  des  poissons,  Pa- 
ris, 1828, 1. 1,  p.  1. 

(2)  Cuvier,  Nouvelles  Annales  du  Muséum  d'histoire  naturelle, 
1832. 

Comp.  Is.  Geoffroy  Saint-Hilaire,  Histoire  naturelle  générale 
des  règnes  organiques.  Paris,  1844,  t.  l,  p.  289. 


MÉTAPHYSIQUE.  1  1  1 

pliant  à  Tinfini  les  expériences,  et  en  ne  déduisant 
aucune  loi  de  celles-ci  en  particulier,  mais  en  tirant 
nos  conclusions  de  ce  que  nous  présentait  leur  en- 
semble. Ainsi,  la  pensée  et  l'expérimentation  OiU 
pu  s'avancer  avec  une  certitude  presque  mathéma- 
tique. 

Nous  ne  prétendons  pas  pousser  la  hardiesse  de 
la  pensée  jusque  dans  les  sphères  de  l'inconnu,  et 
oser  dire  comme  Schelling,  que  celle-ci  est  la  science 
tout  entière  (1);  mais  ce  que  nous  voulons,  c'est 
qu'elle  apparaisse  largement  sur  la  scène  de  l'expéri- 
mentation, et  que  la  majesté  de  ses  conceptionsviennc 
corroborer  les  faits  et  en  déduire  des  lois  stables. 
La  science  de  l'observation  !  mais  c'est  celle  du  vul- 
gaire, et  prétendre  y  restreindre  le  savoir  et  le  génie 
c'est  les  faire  descendre  de  leur  trône  élevé.  Que  les 
témérités  de  l'intelligence  aient  leur  libre  coui's. 
dans  nos  laboratoires  ou  au  milieu  de  nos  biblio- 
thèques, nous  l'accordons  bien  volontiers;  mafs 
qu'au  moins,  lorsqu'elles  apparaissent  sur  la  scène 
de  l'enseignement,  elles  ne  s'y  montrent  qu'avec 
la  corroboration  de  l'expérience  et  de  l'observation. 

Nous  nous  résumons  en  disant  que  ce  que  nous 
voulons,  c'est  la  doctrine  de  l'illustre  E.  Geoffroy 
Saint-Hilaire,  ce  sont  :  les  faits  d'abord,  et  leurs 
conséquences  ensuite,  c'est  là  la.science  complète  (2)  ; 

(1)  Schelling,  Philosophische  Briefe  liber  dogmatismus  undkri- 
ticismus.  1795.  (Lettres  philosophiques,  dogmatiques  et  criti- 
ques.) 

(2)  Et.  Geoffroy  Saiist-Hilaire,  Considérations  et  rapports  nou- 
veaux d'ostéologie  comparée  {Mém.  du  Miisénm,  t.  X,  p.  184).  — 


112  HÉTÉRO  GÉNIE. 

car,  comme  l'exprime  Henri  Marlin,  il  serait  illu- 
soire de  supposer  que  la  découverte  des  formules 
biologiques  pût  se  faire  à  priori  (1). 

On  a  poussé  beaucoup  trop  loin  le  scepticisme, 
lorsque  l'on  a  jugé  la  question  qui  nous  occupe,  et 
généralement  ses  antagonistes  ont  considéré  comme 
un  axiome,  qu'il  fallait  repousser  tout  ce  qui  se  dé- 
robait à  l'investigation  matérielle.  Mais  nous  ne 
consentons  pas  à  ce  que  l'on  écarte  ainsi  le  plus 
noble  attribut  de  noire  nature,  l'exercice  de  la  rai- 
son, consacré  à  la  démonstration  de  la  vérité.  Nous 
demandons  que  celle-ci  jouisse  de  toute  sa  pré- 
rogative, en  prenant  pour  point  de  départ  l'expéri- 
mentation. Si,  au  milieu  de  ses  infinies  combinai- 
sons ,  elle  peut  mal  interpréter  quelques  faits , 
lorsqu'elle  n'aspire  qu'à  statuer  sur  l'ensemble  d'un 
immense  nombre  de  ceux-ci,  il  nous  paraît  que  ses 
prétentions  sont  réellement  bien  légitimes. 

Nous  n'avons  voulu  suivre  ici  ni  cette  science 
uniquement  rationnelle,  spéculative,  philosophique; 
ni  celle  qui  nous  restreint  à  l'observation  matérielle. 
Nous  avons  emprunté  des  ressources  de  toutes  parts, 
pour  féconder  notre  œuvre.  Tantôt  nous  nous 
soQimes  appuyé  sur  l'autorité  des  faits,  et  tantôt  sur 
les  déductions  qu'en  peut  abstraire  la  pensée  ;  tantôt 
sur  l'observation,  tantôt  sur  les  commentaires  de  l'in- 

Principes  de  philosophie  zoologique.  Paris,  1830,  p.  188,  189. — 
Comp.  Victor  Meunier,  Histoire  philosophique  des  progrès  de  la 
zoologie  générale.  Paris,  1840,  p.  78. 

(1)  Hejnri  Martin,  Philosophie  spiritualiste  de  la  nature.  Paris, 
1849,  t.  I,  p.  41. 


MÉTAPHYSIQUE.  143 

telligence.  Nous  avons  employé  les  deux  éléments  : 
la  méthode  empirique  et  la  méthode  rationnelle. 

La  matière  organique  subit  un  incessant  travail  de 
décomposition  et  de  désagrégation,  véritable  cycle 
de  vie  et  de  mort,  dans  lequel  elle  se  trouve  à  jamais 
enchaînée,  et  qu'elle  parcourt  en  présence  des  siècles 
qui  passent  et  servent  de  muets  témoins  à  la  renais- 
sance et  aux  perpétuelles  funérailles  des  êtres.  Telle 
est  la  loi  suprême,  tout  naît  et  périt  tour  à  tour; 
l'homme  et  la  Monade  elle-même  ne  sauraient  s'y 
dérober.  De  tout  temps  l'intelligence  humaine  s'est 
efforcée  de  débrouiller  quelles  sont  les  mystérieuses 
puissances  qui  président  à  celte  immense  arène  de 
destruction  permanente  et  d'efforts  organisateurs. 

Les  recherches  sur  l'origine  des  choses  ne  sem- 
blent-elles pas  un  attribut  de  notre  esprit  inquiet  et  té- 
mérairement investigateur?  Ne  voit-on  pas  la  même 
tendance  se  révéler  dans  toutes  les  cosmogonies, 
dans  tous  les  écrits  des  philosophes,  comme  pour 
rappeler  que  Dieu  même  tradidit  mundum  disputa- 
tionibus  eorum  ? 

Cette  puissance  qui  produit  à  la  surface  du  globe 
ce  mouvement  intime  de  la  matière,  durant  lequel 
celle-ci  s'anime  et  expire  tour  à  tour,  était  regardé 
par  Kircher  comme  le  Monde  archétype  ou  idéal  des 
Égyptiens,  Miindiis  archetypus,  qu'il  appelait  aussi 
Mimdus  causœ  causarum  (1).  Ce  mythe,  n'est-ce  pas 
cet  immense  mouvement  générateur  qu'engendrent 
partout  la  matière  et  la  vie,  la  substance  et  l'esprit? 

(1)  Kircher,  OEdipus  œgyptiacus.  Romce,  1053,  t.  II,  p.  404. 

POUCHET.  8 


1J4  HÉTÉRO  GENIE. 

Mais  si  ce  grand  acte  générateur  de  la  nature  est 
partout  ostensible,  les  mystérieux  pliénomènes  par 
lesquels  il  s'opère  sont  Tobjet  de  perpétuelles  dissi- 
dences parmi  les  philosophes  et  les  savants,  et  ceux- 
ci  se  trouvent  partagés,  à  cet  égard,  en  groupes  fort 
distincts.  William  Wliewell,  auquel  on  doit  d'impor- 
tants elïorts  tendant  à  introduire  l'ascendant  de  la 
philosophie  dans  les  sciences,  a  fort  bien  tracé,  à  ce 
sujet,  la  limite  des  différentes  écoles  qui  ont  succes- 
sivement régné  dans  celles-ci  (1). 

Trois  hypothèses  ont  tour  à  tour  été  exhumées 
pour  expliquer  les  phénomènes  de  la  vie,  et  sont  de- 
venues le  partage  de  trois  écoles  distinctes. 

Dans  la  première,  tous  les  actes  de  l'organisme  se 
trouvent  sous  l'empire  des  lois  qui  régissent  la  ma- 
tière brute.  Les  physiciens  atomistes  de  l'antiquité 
ont  été  les  promoteurs  de  ce  grand  système,  seule- 
ment, l'obscurité  qui  régnait  alors  dans  les  sciences 
les  restreignit  à  de  vagues  généralités  ;  mais  les  mo- 
dernes ayant  mieux  scindé  les  connaissances  humai- 
nes, il  se  manifesta  parmi  eux  plusieurs  sectes  très- 
tranchées. 

Les  uns  ne  voyant  uniquement  dans  la  manifestation 
de  la  vie  que  des  phénomènes  de  mécanique  et  d'hy- 
drodynamique, pour  eux  tout  s'y  réduit  à  un  simple 
jeu  de  leviers  et  de  siphons.  Sanctorius,  Boerhaave, 
Borelli,  Keil,  Robinson  et  Sauvages  peuvent  être  re- 
gardés comme  les  chefs  de  cette  phalange  de  physio- 


(I)  W.  Whewëll,  The  philo sophxj  of  the  indactioe  sciences.  Loii- 
don,  i847,  t.I,  p.  518. 


MÉTAPHYSÎQLE.  115 

logistes  que  l'on  a  appelés  lalromécaniciens  (1).  Les 
autres,  transformant  les  organes  \itaux  en  de  véri 
tables  niatras  de  chimie,  réduisaient  l'existence  aux 
simples  lois  des  affinités  de  la  matière;  telle  était 
l'école  des  lalrochimistes,  dont  Sylvius  et  T.  Willis 
furent  les  principaux  apôtres  (2),  et  que  l'illustre 
Newton  lui-même  parut  sanctionner  (3).  Mais  ce  fut 
T.  Willis  surtout  qui  lui  donna  un  grand  renom,  en 
prétendant  expliquer  une  foule  d'actes  physiologi- 
ques par  les  seuls  phénomènes  de  la  fermentation  (4). 

Ces  deux  écoles  ne  sont  en  réalité  que  des  reflets 
de  la  philosophie  cartésienne  et,  Ton  peut  en  somme 
considérer  Descartes  comme  en  ayant  été  le  principal 
promoteur  par  sa  métaphysique  (5). 

Les  partisans  de  la  seconde  école,  au  contraire, 
détrônent  la  matière  et  n'expliquent  la  vie  qu'à 
l'aide  d'un  principe  immatériel,  intelligent,  qui  en 
régit  et  en  domine  mystérieusement  tous  les  actes  : 
c'est  là  l'école  du  spiritualisme.  Dans  l'antiquité,  ses 
chefs  étaient  Platon,  Aristote  etGalien(6).  Durant 

(1)  Comp.  Sanctorius,  ir5   de  staticâ  medicinâ.  Venise,  1614. 
BoERHAAVE,  InstituUones  vei  mediccB.  Leyde,  1708. 

BoRELLi,  Demotu  animalium.  Romae,  1680. 
Keil,  Tentaminamedico-phijsica.'Lox\à\'&'S>,  1718. 
RoBiNsoN,  Traité  de  l'économie  animale.  Londres,  1738. 
Sk\]\ AGES,  Physiologiœ  elementa.  Avenione,  1754. 

(2)  Sylvius,  Opéra  medica.  Xms[e\.,  1679. 

(3)  Haller  dit  dans  ses  œuvres  :  Neque  magna  illa  mens  Newtoni^ 
ita  ah  hypothesium  amore  pura  fuit ,  quin  ex  fermentatione  humo- 
rum,  spiritus  in  ipso  corde  generari  conjecerit. 

(4)  T.  Willis,  De  fermentatione .  In  opéra  omnia.  Genève,  1680. 

(5)  Descartes,  Traité  des  passions,  etc. 

(6)  Galien,  De  formatione  fœtus. —  Galicn  admettait  trois  sortes 


116  HÉTÉIIOGÉME. 

l'époque  moderne,  ce  furent  Paracelse,  Van  Hel- 
mont(l)  et  Stahl  (2),  qu'on  s'étonne  de  ne  pas  comp- 
ter au  nombre  des  chimiàtres. 

Cette  école,  ainsi  que  celle  qui  précède,  porta 
l'empreinte  du  génie  de  ceux  qui  en  furent  les  adep- 
tes :  ses  doctrines  sont  tempérées  par  une  philoso- 
phie rationnelle,  quand  elle  est  dirigée  par  des 
hommes  d'un  génie  élevé;  mais  elle  tombe  dans  les 
extravagances  de  l'illuminisme,  lorsqu'elle  se  trouve 
dans  les  mains  des  fauteurs  de  la  Cabale  ou  de  l'Al- 
chimie (3).  W.  Whewell  lui  donne  même  alors  le 
nom  à' école  mystique  (4),  lorsque  ses  partisans,  et 
tel  fut  Paracelse,  font  intervenir  les  esprits  élémen- 
taires, les  salamandres  et  les  gnomes,  dans  l'accom- 
plissement des  phénomènes  de  la  vie  (5). 

Enfin,  vient  la  troisième  école,  ou  le  vitalisme^ 
qui  dérive  frauduleusement  des  deux  autres.  Selon 
celle-ci,  les  phénomènes  vitaux  ne  résultent  ni  d'un 
principe  immatériel,  intelligent,  ni  des  lois  qui  ré- 
gissent les  corps  bruts,  mais  d'une  force  particulière 
inhérente  à  l'organisme.  C'est  celte  force  qu'on  a 

d'âmes  :  une  âme  végétative  pour  les  plantes;  une  âme  sensitive 
qui  s'y  ajoutait  chez  les  animaux;  et  enfin  une  âme  raisonnable 
qu'on  rencontrait,  en  outre,  chez  Thomme; 
(i)  Van  Helmont,  Ortus  medicinœ.  Amsterdam. 

(2)  Stahl,  Theoria  medica  vera.  Physiologia.UaAe,  1737. 

(3)  Ainsi  Paracelse ,  dominé  par  ses  errements  cabalistiques, 
admettait  aussi  que  les  astres  influençaient  directement  nos  or- 
ganes. Le  soleil  agissait  sur  le  cœur,  la  lune  sur  le  cerveau,  Vé- 
nus sur  les  organes  génitaux. 

(4)  W.  Whewell,  The  philosophy  ofthe  inductive  sciences.  Lon- 
(Jon,  1847,  t.  h  p.  548. 

(5)  Paracelse,  De  vitâ  rerum  naturalium. 


MÉTAPHYSIQUE.  117 

appelée  principe  vital.  Cette  école,  qu'on  a  nommée 
aussi  école  oi^ganiciste,  ne  remonte  pas  au  delà  du 
dix-septième  siècle  ;  on  en  trouve  les  premiers  rudi- 
ments dans  les  œuvres  de  Glisson,  savant  anatomiste 
de  Cambridge  ;  mais  elle  a  surtout  été  illustrée  dans 
ces  derniers  temps  par  les  Bichat  et  les  Broussais(i). 

Cette  prétendue  propriété  vitale  n'est  qu'un  em- 
prunt fait  à  l'animisme  ancien,  dont  seulement  l'é- 
cole moderne  a  fait  un  usage  moins  rationnel.  Les 
philosophes  de  l'antiquité  et  les  stahliens  de  notre 
époque  entouraient  d'un  certain  prestige  ce  principe 
animateur;  aucun  lien  ne  l'unissaità  la  matière  qu'il 
régissait  souverainement  :  c'était  un  être  d'une  es- 
sence suprême.  Les  vitalistes  d'aujourd'hui  le  font 
descendre  de  ses  régions  élevées,  et  immolent  sa 
suprématie  en  l'enchaînant  étroitement  à  l'orga- 
nisme dont,  selon  eux,  il  semble  plutôt  le  résultat 
que  le  coordonnateur. 

Quelle  que  soit  l'autorité  et  le  génie  de  ceux  qui 
ont  propagé  le  vitalisme,  il  est  cependant  évident  que 
s'il  y  a  une  mutuelle  influence  entre  la  matière  et  le 
principe  de  la  vie,  ce  principe  n'en  dérive  certaine- 
ment pas.  Il  est  évident  qu'un  agent  coordonnateur 
domine  toutes  les  manifestations  vitales,  mais  aucune 
des  écoles  ne  l'a  suffisamment  défini. 


(1)  Glisson^  Tractatus  de  naturâ  substantiœ  energeticâ. Londre?, 
1672. 

Bichat,  Recherches  physiologiques  sur  la  vie  et  la  mort.  Paris, 
1818. 

Broussais,  Examen  des  doctrines  médicales.  Paris,  1821 . —  Cours 
de  phrénologie.  Paris,  1830. 


lis  HÉTÉROGÉNÎE, 

Deux  systèmes  sont  seulement  restés  en  présence 
aujourd'hui  :  l'un  est  celui  de  l'école  de  Montpellier^ 
qui  représente  V animisme },  l'autre  celui  de  l'école  de 
Paris,  ÏOrganicisme, 

La  première  école,  sous  les  inspirations  de  Stahl 
et  magnifiquement  secondée  par  le  génie  de  Bar- 
thez,  s'est  peut-être  perdue  par  son  spiritualisme 
exagéré  (1),  L'autre,  éblouie  par  l'éclat  des  sciences 
modernes ,  en  voulant  trop  leur  emprunter,  est 
menacée  du  même  naufrage. 

Ainsi  que  l'a  dit  avec  une  profonde  raison  un 
grand  physiologiste  de  notre  époque,  M.  Bérard, 
nous  ne  connaissons  les  causes  premières  de  rien,  et 
ces  causes  seront  placées  à  tout  jamais  au  delà  de 
notre  intelligence  (2). 

Et^  en  effet,  l'essence  du  principe  vital  est  tout 
aussi  difficile  à  déterminer  que  l'est  celle  du  principe 
immatériel  des  slahliens.  Quelques  physiologistes  se 
révoltent  même  contre  son  existence.  «  On  a  ima- 
giné, dit  Magendie,  des  propriétés  vitales  et  je  m'é- 
tonne que  l'esprit  puisse  se  contenter  d'une  sembla- 
ble mystification  (3).  »  Nous  dirons  avec  plus  de 
calme,  que  l'intervention  de  celles-ci  n'explique  pas 
mieux  les  phénomènes  de  la  vie  que  ne  le  faisait 
l'animisme,  qu'on  a  prétendu  détrôner.  A  notre  sens, 
les  doctrines  de  l'école  de  Stahl  auraient  même  un 
immense  avantage  sur  le  vitalisme,  c'est  d'être  plus 
ingénieuses  et  plus  élevées. 

(1)  Bkï^iiiEz,  Nouveaux  éléments  de  la  science  de  l'homme.  1778. 

(2)  Bérard,  Cours  de  physiologie.  Paris,  1848,  t.  I,  p.  142. 

(3)  Magendie,  Phénomènes  physiques  de  la  vie. 


MÉTAPHYSIQUE.  119 

Les  partisans  de  cette  dernière  école  ne  sont  du 
reste  pas  plus  d'accord  entre  eux  sur  le  nombre  des 
propriétés  vitales,  que  ne  l'étaient  les  successeurs  de 
Stahl  et  de  Van  Helmont  sur  le  nombre  et  les  attri- 
buts des  archées  et  des  âmes.  Les  uns,  avec  Adelon, 
englobent  toutes  les  propriétés  vitales  en  une  seule, 
qui  est  la  sensibilité  (1).  D'autres  multiplient  celles-ci 
à  l'infini,  tel  est  Gerdy,  qui  en  compte  jusqu'à  dix- 
huit  (2). 

Bichat  etBroussais  ont  beau  protester  qu'il  n'existe 
dans  l'organisme  que  des  tissus  et  des  appareils  exci- 
tables et  vivants,  et  que  l'animisme  n'est  qu'une 
entité  chimérique  ;  notre  sens  intime  se  révolte 
contre  une  telle  prétention;  elle  blesse  la  dignité 
humaine,  et  tout  révèle  au  philosophe  que  si  dans 
le  jeu  de  l'organisme  une  foule  d'actes  peuvent 
avoir  leur  mobile  dans  des  forces  inhérentes  à  la 
matière  elle-même,  il  en  est  d'autres,  d'un  ordre 
plus  élevé,  qui  dérivent  d'une  puissance  immaté- 
rielle. 

S'il  faut  se  garantir  des  écarts  de  l'animisme  des 
stahliens,  il  faut  non  moins  se  préserver  des  efforts 
irrationnels  de  l'école  moderne.  M.  Bérard  se  borne 
à  penser  qu'un  arrangement  particulier  de  la  matière 
organique  pourrait  donner  naissance  à  des  phéno- 
mènes que  ni  la  physique  ni  la  chimie  ne  nous  ex- 
pliquent complètement,  et  c'est  à  eux  seulement  qu'il 
entendrait  donner  le  nom  de  propriétés  vitales  ou 

(1)  Adelon,  Physiologie  de  l'homme.  Paris,  182S. 

(2)  Gerdy  ,  Physiologie  philosophique  des  sensations  et  de  Vin- 
telligence.'PsLns,  1846. 


J20  HETEROGENIE. 

mieux  de  propriétés  organiques  (1).  Dans  ce  cas  ce 
serait  donc  le  corps  brut  qui,  par  ses  combinaisons, 
produirait  l'essence  immatérielle. 

Nous  aimons  mieux  penser  que  le  principe  coor- 
donnateur  domine  et  régit  l'organisme,  que  de 
croire  que  lliarraonieux  ensemble  des  phénomènes 
vitaux  est  subordonné  à  la  modalité  de  la  matière 
vivante.  Pour  nous,  le  génie  de  l'architecte  devance 
la  construction  de  l'édifice,  et  les  matériaux  de  celui- 
ci  n'engendrent  nullement  l'intelligence  qui  préside 
à  son  admirable  disposition.  D'après  nous  enfin,  la 
force  vitale  rassemble  les  particules  et  en  forme  des 
organes;  mais  cette  force  ne  puise  pas  ses  matériaux 
dans  les  éléments  chimiques  environnant  le  lieu  où 
elle  se  manifeste,  elle  ne  groupe  que  des  molécules 
organiques  binaires  ou  ternaires;  car  c'est  en  vain 
qu'on  en  voudrait  saisir  la  manifestation  là  où  se 
rencontreraient  isolés  les  divers  corps  dont  la  combi- 
naison constitue  chimiquement  l'organisme.  Ce  sont 
probablement  ces  molécules  que  M.  Lebert  nomme 
globules  organo-plastiques  (2). 

Cependant,  au  milieu  de  ce  conflit  entre  les  orga- 
iiicistes  et  les  spiritualistes,  nous  qui  bientôt  allons 
nous  efforcer  de  saisir  les  premières  traces  du  mou- 
vement vital,  nous  devons  préliminairement  essayer 
d'indiquer  quel  doit  être  là  le  rôle  simultané  de  la 
matière  ostensible  et  du  principe  insaisissable  qui  l'a- 
nime. 

(1)  Bérard,  Cours  de  physiologie.  Paris,  1848. 

(2)  Lebert,  Mémoire  sur  la  formation  des  organes  de  la  circula- 
tion du  sang  dans  V embryon  du  poulet. 


MÉTAPHYSIQUE.  121 

Lorsque  la  philosophie  antique,  avec  Épicure , 
prétend  que  le  groupement  fortuit  de  myriades  ato- 
miques, purement  matérielles  et  inertes,  peut  faire 
surgir  des  images  animées  et  sensibles,  c'est  là  une 
hypothèse  qui  est  aussi  confuse  que  le  chaos  d'Hé- 
siode. Mais  si  l'on  admet  que  les  atomes  eux-mêmes 
sont  animés,  ainsi  que  le  prétendaient  quelques 
sages  de  la  Grèce,  on  conçoit  alors  qu'une  pen- 
sée, qu'un  sentiment  en  dirige  les  combinaisons, 
et  que  de  celles-ci  peuvent  surgir  des  êtres  aux  formes 
variées  à  l'infini,  et  se  reproduisant  avec  les  mêmes 
caractères  lorsque  des  combinaisons ,  qui  ne  sont 
plus  l'effet  d'un  hasard  incommensurable ,  se  pré- 
sentent de  nouveau.  Envisagée  ainsi,  l'hypothèse  des 
alomistes  devient  beaucoup  plus  élevée  et  plus  sé- 
rieuse, et  les  hommes  les  plus  éminents,  tels  que 
Bayle  etLeibnitz(l),  ne  dédaignent  pas  de  la  prendre 
en  considération. 

On  admet  bien  sans  conteste  que  c'est  par  une 
force  spéciale,  un  mode  particulier  de  sensibilité, 
l'affinité,  que  les  molécules,  s'attirent  et  se  combi- 
nent pendant  les  opérations  de  la  chimie.  Pourquoi 
donc  voudrait-on  que  les  molécules  qui  se  groupent 
pour  former  l'organisme  fussent  dépouillées  d'une 
qualité  que  l'on  accorde  si  libéralement  aux  particules 

minérales?  Si  les  molécules  qui  entrent  dans  un  être 
organisé  ne  sont  point  aussi  somptueusement  parta- 
gées que  le  voulait  Démocrite,  au  moins  faut-il  abso- 


(i)  Bayle,  Dictionnaite  philosophique.  Paris,  1820,  t.  IX,p.  i78. 
—  Leibnitz,  Monadologie.  Paris,  1842,  p.  392. 


122  HÊTÉROGÉNïE. 

Jument  leur  accorder  un  mode  spécial  de  sensibilité, 
qui  régit  et  domine  leurs  combinaisons.  DeBlainville 
n'était  pas  éloigné  d'admettre  une  espèce  de  sensi- 
bilité dans  les  molécules  minérales  (1)  et  M.  Trécul 
ne  \ient-il  pas  de  décrire  des  cristaux  organiques 
vivants  (2)? 

Les  plus  ardents  partisans  de  Thétérogénie  ne 
renouvellent  nullement  aujourd'hui  l'hypothèse  su- 
rannée d'Épicure.  11  semblerait  absurde  de  sou- 
tenir que  les  Monades  inorganiques  peuvent  en  se 
groupant  engendrer  spontanément  le  plus  simple 
organisme.  Les  défenseurs  actuels  de  la  génération 
spontanée  émettent  que  celle-ci  ne  peut  se  produire 
qu'aux  dépens  des  corps  organisés  subissant  les  phé- 
nomènes de  la  décomposition,  ou  dans  l'intérieur 
des  corps  vivants.  Selon  eux  l'énergie  avec  laquelle 
se  manifeste  la  spontéparité  et  l'élévation  organique 
des  êtres  qu'elle  engendre  dépend  du  plus  ou  moins 
d'abondance  de  matériaux  au  sein  desquels  les  nou- 
veaux êtres  créés  se  sont  développés  (3). 

Les  doctrines  del'organicismc  pâlissent  en  présence 
des  merveilleux  phénomènes  de  la  vie  ;  tout  atteste 
qu'une  sagesse  suprême  a  réglé  le  cours  de  ceux-ci, 
et  qu'ils  ne  peuvent  être  abandonnés  au  caprice  de 

(j)  DeBlainville.  Dans  le  moment  où  les  molécules  composantes 
s'attirent,  dit-il,  pour  former  la  molécule  composante,  il  y  a  réel- 
lement quelque  chose  de  la  vie.  {Anatomie  comparée.  Strasb.,  1822^ 
Introd.,  p.  15.) 

(2)  Trécul,  Comptes  rendus  1858. 

(3)  BuRDACH,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  I. 
Bremser,  Traité  zoologique  et  phijsiologique  sur  les  vers  intesti- 
naux. Paris,  1837,  p.  70. 


MÉTAPHYSIQUE.  123 

la  matière  aveugle  ;  aussi,  à  toutes  les  époques,  voit- 
on  les  philosophes  et  les  naturalistes  s'efforcer  d'évo- 
quer des  causes  mystérieuses,  des  êtres  incorporels, 
pour  jeter  quelque  lumière  sur  l'existence  des  ani- 
maux et  des  plantes.  L'antiquité  se  fit  remarquer  par 
ses  tentatives  dans  cette  direction,  et  le  moyen  âge 
religieux  tomba  dans  les  exagérations  du  spiritua- 
lisme le  plus  outré. 

Comme  s'ils  étaient  encore  sous  l'ascendant  de  la 
scolastique,  Adanson  et  Kepler  multiplient  les  intel- 
ligences au  sein  de  la  matière,  pour  en  expliquer  les 
plus  insaisissables  mystères.  Rien  n'arrête  même 
l'astronome  allemand  :  craignant  d'abandonner  les 
astres  errant  sans  guide  dans  l'espace,  et  troublant 
l'harmonie  des  cieux,  il  leur  accorde  une  âme  di- 
rectrice qui  coordonne  leurs  courbes  savantes;  il  va 
même  jusqu'à  les  considérer,  ainsi  que  la  terre, 
comme  de  grands  êtres  organisés  dont  les  montagnes 
réprésentent  l'ossature,  les  fleuves  l'appareil  vascu- 
laire,  et  les  volcans  les  bouches  destinées  à  leur  servir 
d'émoncloires  (1). 

Dans  presque  toutes  les  cosmogonies  on  semble  in- 
diquer que  l'esprit  divin  est  en  quelque  sorte  infiltré 
dans  chaque  fragment  de  la  création  :  Jovis  omnia 
plena,  disaient  les  anciens.  Cette  pénétration  indé- 
finie des  parcelles  de  la  Divinité  dans  toutes  les  mo- 


(1)  Adanson  accorde  des  âmes  aux  plantes^  et,  selon  lui,  cha- 
cune d'elles  en  a  même  plusieurs.  {Familles  des  plantes.  Paris^ 
1763,  t.  1,  p.  32. 

Kepler,  De  stellâ  Martis.  —  Harmon.  mundi,  1619. 


124  HÉTÉROGÉNÏE. 

léculesde  la  matière,  ce  panthéisme,  enfin,  qui  anime 
d'un  souffle  divin  tous  les  atomes,  né  au  sein  de 
l'antiquité  et  ressuscité  par  la  moderne  philosophie 
allemande,  ne  vient-il  pas  prêter  son  appui  à  l'hé- 
térogénic? 

Selon  les  panthéistes.  Dieu  pénètre  tout  le  monde 
matériel  et  son  esprit  remplit  tous  les  espaces  inter- 
moléculaires. Saint  Augustin  pour  rendre  ce  fait  pal- 
pable au  milieu  de  l'harmonie  des  globes,  compare 
Dieu  à  un  grand  lac  et  le  monde  à  une  éponge  qui 
nage  au  milieu  et  se  gonfle  de  sa  divinité  (1).  Mais 
les  successeurs  deKant  vont  plus  loin,  et  pour  eux  la 
matière  n'est  pas  seulement  imprégnée  de  l'esprit 
divin,  elle  est  une  parcelle  de  Dieu  même. 

Cet  esprit  immatériel,  intimement  unià  la  matière, 
ne  doit-il  pas  en  régler  les  mouvements,  en  présider 
les  transformations  et  lui  imposer  des  lois  ?  là,  la  faire 
apparaître  par  la  succession  harmonieuse  delà  géné- 
ration, ailleurs  l'animer  spontanément  ? 

Ce  principe  suprême,  identique  avec  la  substance 
du  monde,  d'après  les  audacieuses  conceptions  des 
Spinosa,  des  Kant  et  des  Schelling,  se  révèle  déjà 
dans  l'existence  presque  automatique  des  plantes 
comme  dans  la  vie  sensitive  et  mobile  des  ani- 
maux (2)  ;  et  il  se  révèle  surtout  chez  l'homme,  cette 
plus  haute  manifestation  de  la  création,  lui  dont  l'in- 
telligence est  déjà  assez  exquise  pour  isoler  sa  propre 
individualité  de  la  nature  objective;  chez  l'homme, 


(l)  H.  Heine,  De  VAllemagne.  Paris,  1853,  t.  T^  p.  78. 
(2)SpmosA,  Tractatïistheologico-politicus.  Amst.,  1670. 


MÉTAPHYSIQUE.  4  25 

OÙ,  d'après  la  philosophie  allemande,  la  divinité 
arrive  à  la  conscience  d'elle  même  (1). 

Nous  ne  voulons  pas  rétrograder  jusqu'aux  doc- 
trines de  Van  Helmont  el;  de  Stahl,  en  prétendant 
que  l'organisme  est  le  résultat  d'une  puissance  archi- 
tectonique  inhérente  à  l'âme,  et  que  celle-ci  se  fa- 
brique en  quelque  sorte  le  corps  qu'elle  habite.  Mais 
sans  ravaler  à  ce  rôle  l'essence  immatérielle  de  la  vie, 
il  faut  bien  qu'il  y  ait  une  harmonie  intime  entre  le 
choix  des  matériaux  et  le  principe  immatériel  qui  doit 
les  animer,  et  que  des  lois  suprêmes  en  déterminent 
la  corrélation. 

11  est  évident  que  pour  Stahl,  l'âme  est  à  la  fois  le 
principe  de  la  vie  organique  et  celui  de  la  pensée; 
mais  ce  puissant  promoteur  de  tous  les  ressorts  de 
l'existence  matérielle  et  intellectuelle  perd  de  ses  pré- 
rogatives en  siégeant  chez  les  animaux  ;  cependant  il 
est  évident  que  Stahl  accorde  également  à  ceux-ci  une 
âme  architectonique,  et,  comme  le  dit  M.  Lemoine, 
les  passages  abondent  dans  son  œuvre  pour  le  prou- 
ver (2).  C'était  une  conséquence  des  doctrines  du 
grand  philosophe,  puisque  pour  lui  l'âme  est  le  prin- 
cipe vital,  et  que  c'est  ce  principe  qui  édifie  et  con- 
serve l'organisme  (3). 

Dans  son  chapitre  sur  le  conflit  entre  l'âme  et 
l'organisme,  J.  Mùller,  qui  s'est  inspiré  des  idées 
de  deux   métaphysiciens     allemands ,   Herbart    et 

(i)  H.  Hei^e,  De  VAllemagne.  Paris,  1855, 1. 1,  p.  83. 

(2)  Lemoine,  Slahl  et  l'animisme.  Paris,  1858,  p.  83. 

(3)  ^lAUL  y  Disquisitio  de  mechanismi  et  organismi  diversitate, 
p.  83. 


12G  HÉTÉROGÉME. 

Bobrik  (1),  admet  que,  outre  la  force  vitale  qui  est 
inhérente  au  germe,  celui-ci  possède  une  aptitude 
latente  aux  phénomènes  intellectuels  ou  qui  dé- 
rivent de  l'âme,  et  que  celle-ci  y  établit  ses  mani- 
festations à  mesure  que  les  appareils  où  elle  réside 
se  développent  eux-mêmes.  L'illustre  physiologiste, 
qui  se  rapproche  ainsi  des  doctrines  de  Stahl,  com- 
pare les  relations  qui  existent  entre  l'âme  et  l'orga- 
nisme aux  rapports  des  corps  impondérables  et  de  la 
matière  (2). 

Nous  devons  avouer  que  lorsque  l'on  fouille  fort 
avant  dans  les  primitives  manifestations  de  l'orga- 
nisme, les  voiles  s'épaississent  et  les  difficultés  abon- 
dent. En  suivant  les  philosophes  on  tombe  souvent 
dans  les  exagérations  du  spiritualisme;  en  marchant 
avec  les  physiologistes  on  se  surprend  matérialiste. 
La  vérité  plane  entre  les  deux  opinions  opposées. 

Enhardis  parles  témérités  de  Leibnitz,  les  premiers 
observateurs  des  Microzoaires  se  sont  égarés  en  attri- 
buant des  facultés  d'élite  à  d'aussi  frêles  animaux.  En 
effet,  ne  les  a-t-on  pas  vus,  avec  Gleichen  (3)  et 
Crusius,  se  plonger  dans  le  dédale  de  la  métaphysi- 
que (4),  et,  renouvelant  à  l'égard  de  ces  animalcules, 

(1)  Herbart,  Lehrbuchzur psychologie.  Kœnisberg,  1834. 
BoBRiK,  System  der  logik.  Zurich,  1838. 
g  (2)  J.  MuLLER,  Manuel  de  fliysiologie.  Paris^  1851,  t.  II,  p.  536. 

(3)  Gleichen,  Dissertation  sur  la  génération,  etc.  Paris,  an  VII, 
p.  144. 

(4)  Le  professeur  Crusius  va  jusqu'à  prétendre  que  leur  âme 
surpasse  en  perfection  celle  de  certains  animaux.  —  Christ.  Aug. 
CïiVin  Anleitung-uber,  etc.  (Manière  de  bien  penser  sur  les  événe- 
ments naturels).  Leipsig,  1749,  part.  II,  p.  120.  —  Comp.  Roesel, 
Hécréations  entomologiques,  p.  II,  p.  544. 


MÉTAPHYSIQUE.  127 

les  prétentions  de  quelques  philosophes  et  de  saint 
Basile  lui-même,  relativement^  l'àmedes  bêtes  (1), 
discuter  gravement  pour  établir  si  les  Infusoires  en 
possèdent  une  ou  non  !  C'est  par  de  tels  errements 
qu'ils  ont  si  profondément  déprécié  l'hétérogénie. 

L'étude  du  principe  vital  est  l'une  des  plus  diffi- 
ciles que  Ton  puisse  offrir  à  la  sagesse  humaine  ;  et 
plus  on  examine  les  systèmes  des  philosophes^  plus 
on  tombe  dans  l'incertitude. 

Le  principe  de  vitalité  dérive-t-il  des  Monades  de 
Leibnitz,ces  atomes  de  la  nature,  ces  éléments  des 
choses,  comme  il  les  appelait  aussi!  monades  qu'il 
considère  comme  de  véritables  automates  incorpo- 
rels (2),  ou  comme  des  forces  qu'on  peut  assimiler 
à  des  points  métaphysiques,  ayant  quelque  chose  de 
vital  et  une  espèce  de  perception  (3),  et  qu'il  va  même 
jusqu'à  dire  qu'on  pourrait  appeler  âmes  (4)  ? 

La  succession  de  la  vie  à  la  surface  du  globe  en- 
chaîne la  matière  dans  un  cercle  étroit  auquel  elle 
ne  peut  se  soustraire  :  elle  est  successivement  attirée 
et  repoussée  par  des  phénomènes  incessants.  Mais 
les  particules  organiques,  tantôt  intimement  unies, 
et  formant  des  organismes,  et  tantôt  à  l'état  de  liberté 
dans  l'espace,  n'en  sont  pas  moins  animées  d'une  vie 
latente,  qui  paraît  n'attendre  que  leur  groupement 


(1)  Saint  Basile,  Hexaémeron,  OMVOEuvre  des  six  jours.  Lyon, 
1827. 

(2)  Leibnitz,  Monadologîe.  Paris,  1842,  p.  391 . 

(3)  Leibnitz,  Système  nouveau  de  la  nature  et  de  la  comimtnica- 
tiondes  substances.  —  Euler,  int.,  p.  15. 

(4)  Leibnitz,  Monadolocjie.  Paris,  1842,  p.  392. 


128  HÉTÉROGÉNIE. 

pour  se  manifester  ostensiblement,  11  semble  que 
pour  les  molécules  organiques,  il  n'y  ait  pas  de  mort 
réelle  dans  toute  l'acception  du  mot,  et  qu'il  n'y  a 
pour  elles  qu'une  transition  à  une  nouvelle  vie  ; 
c'est  ce  quePlenck(l),  Bremser(2)  et  Tre\iranus(3) 
ont  parfaitement  senti. 

Brachet  embrasse  la  question  d'une  manière  éle- 
vée. Selon  lui,  la  vie  de  la  matière  organique  dérive 
d'un  principe  qui  lui  est  étranger,  le  principe  vital, 
qui  se  répand  dans  toutes  les  parties  de  l'être  organi- 
sé, par  l'intermédiaire  du  système  nerveux  ganglion- 
naire, dont  il  prétend  même  reconnaître  l'existence 
dans  l'organisation  végétale. 

D'après  ce  physiologiste,  quoique  ce  principe  vital 
ne  puisse  être  isolé  de  l'organisme,  il  n'en  a  pas 
moins  une  existence  indépendante,  distincte  à  la  fois 
de  la  matière  et  de  l'âme  intelligente,  et  pourtant  il 
est  intelligent  lui-même  puisqu'il  préside  au  dévelop- 
pement des  organes  et  qu'il  en  règle  les  lois  physiolo- 
giques. Brachet  pense  que  celui-ci  stagne  dans  «  un 
vaste  réservoir  ou  tourbillon  vital,  qui  enveloppe  le 
globe  terrestre,  et  que  c'est  de  lui  que  part  cette 

(1)  Plenck  dans  son  Hygrologia,  s'exprime  ainsi  : 

«  Terra  nostrœtelluris  putredinis  producta  absorbendo  nigra  et 
fertilissima  evadit,  hinc  plantis  praestantissimum  prsebet  pabii- 
lum.  Hinc  elucescit  morte,  et  putrefactione  hominis  corpus  non 
perire,  sed  duntaxat  ejusdem  strucluram  organicam  deleri ,  et 
perenni  circulo  elementorum  unius  destructionem  alterius  esse 
generationem.  » 

(2)  Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique  sur  les  vers  in- 
testinaux.P^ris,  1837,  p.  89. 

(3)  Trevirakus,  Mull.,  p.  i. 


METAPHYSIQUE,  129 

étincelle  de  vie  qui  anime  chaque  être  organisé...  et 
à  lui  qu'elle  retourne  toutes  les  fois  qu'elle  abandonne 
le  corps  (1).  » 

Cette  idée  qui  fractionne  d'une  manière  indéfinie 
l'essence  vitale  et  la  matière,est  extrêmement  avancée. 
En  subordonnant  ainsi  l'arrangement  de  la  matière 
à  la  rencontre  du  principe  qui  le  régit  et  le  domine, 
on  arrive  à  la  production  de  l'hétérogénie  dans  tout 
et  partout. 

Mais  si  le  sens  intime  nous  révèle  facilement  quelles 
sont  les  diverses  puissances  qui  président  à  toutes  les 
manifestations  organiques ,  leur  pondération  et  leur 
modalité  nous  offrent  d'insolubles  difficultés,  lorsque 
nous  tentons  d'en  élucider  la  portée.  Faut-il,  en 
sapant  toutes  les  m.erveilles  de  l'organisme,  ainsi 
que  le  fait  Guilloutet,  ne  voir  dans  lesdiverses  fonc- 
tions vitales  que  le  simple  jeu  des  forces  attrac- 
tives et  répulsives  du  calorique  (2)?  Et  ce  sont  de 
tels  adversaires  que  l'on  oppose  aux  Stahl  et  aux 
Barthez! 

La  grave  question  de  l'essence  des  corps  avait  été 
l'objet  de  longues  méditations  de  la  part  d'Euler. 
Ceux-ci ,  selon  lui,  sont  constitués  par  deux  prin- 
cipes liés  étroitement  ensemble,  l'un  matériel  et  l'au- 
tre spirituel,  donnant  lieu  aux  remarquables  phéno- 
mènes de  la  vie  (3).  Comme  l'a  dit  Barthez,  il  faut 
reconnaître  que  toutes  les  parties  dé  l'organisme  ont 

(1)  Brachet,  Physiologie  élémentaire  de  l'homme.  Paris^  1855. 
C^;)  GuiLLOuTET^  Nouvelle  théorie  de  la  vie.  Paris^  1807,  p.  H. 
(3)  EuLER,  Lettres  sur  divers  sujets  de  physique  et  de  philoso- 
phie. Paris,  1843,  p.  208. 

POUCHET  9 


430  HÉTÉRO  GÉNIE. 

une  faculté  vitale  et  même  une  sorte  de  perception, 
ce  qui  peut  seul  expliquer  les  divers  actes  qui  s'accom- 
plissent dans  les  corps  vivants  (1). 

Mais  c'est  à  la  moderne  philosophie  de  la  nature 
qu'est  due  la  démonstration  la  plus  incisive  de  V éter- 
nel antagonisme  qui  règne  entre  V esprit  et  la  matière, 
l'idéal  et  le  réel  ;  et  enfin  l'établissement  de  ce  paral- 
lélisme qui  s'observe  dans  la  plus  sublime  concep- 
tion de  la  création,  l'espèce  humaine  (2)  ! 

Toutes  les  cosmogonies  s'accordent  sur  ce  point, 
c'est  que  la  matière  a  précédé  le  souffle  divin  qui 
l'anime  (3).  Le  livre  fondamental  de  notre  foi  s'ex- 
prime dans  ce  sens,  lorsqu'il  nous  dépeint  les  scènes 
imposantes  de  la  création.  Celle-ci  n'a  été  qu'un 
grand  acte  de  la  volonté  de  Dieu  réagissant  sur  l'iner- 
tie de  la  matière  préexistante,  et  lui  intimant  la  vie 
et  le  mouvement.  Quelques  philosophes  chrétiens 
pensent  aussi,  avec  Gassendi,  que  le  texte  sacré  ne  dit 
nullement  que  le  monde  a  été  produit  de  rien,  mais 
au  contraire  qu'il  a  été  formé  à  l'aide  d'une  substance 
inapercevable,  ex  invisâ  materiâ  (4). 

Il  est  évident  que  les  êtres  organisés  sont  sous 
l'empire  d'un  principe  vital,  sans  lequel  toutes  leurs 
fonctions  s'anéantissent  ;  mais  les  liens  qui  enchaî- 
nent cet  agent  immatériel  à  la  matière  elle-même, 

(1)  Barthez,  Nouv.  éléments  de  la  science  de  l'homme, i.  I,  p.  48. 

(2)  Gomp.  Bremser  ,  Traité  zoologique  et  physiologique  sur  les 
vers  intestinaux.  Paris,  1837,  p.  74. 

H.  Heine,  De  l'Allemagne.  Paris^  18S5,  1. 1,  p.  77. 

(3)  BoRY  Saint-Vincent,  Dict.  class.  d'hist.  nai.,  art.  Matière, 
t.  X,  p.  248. 

(4)  Gassendi,  Physica,  t.  I,  p.  163. 


MÉTAPHYSIQUE.  131 

sont  loin  d'être  connus.  L'esprit  qui  coordonne  la 
marche  des  organismes  est-il  éternellement  lié  à  leur 
ensemble  matériel,  ou  change-t-il  seulement  d'édifice 
à  mesure  que  ceux-ci  se  succèdent?  Qu'est  devenu  ce 
régulateur  de  tous  les  actes  âe  la  vie  chez  ces  Roti- 
fères,  ces  Tardigrades,  ces  Vibrions,  que,  dans  leurs 
expériences,  Spallanzani  (1),  Donné  (2),  Gérard  (3), 
voyaient  tour  à  tour  périr  et  renaître?  On  rapporte 
que  des  Microzoaires  exhumés  des  profondeurs  de  la 
terre,  où  ils  gisaient  compris  dans  des  roches  extrê- 
mement anciennes,  ramenés  à  la  lumière,  repren- 
nent la  vie  au  contact  de  l'eau,  comme  s'ils  venaient 
de  s'engourdir  (4)!  Mais  où  donc  s'était  réfugié  cet 
immatériel  agent  qui  régissait  anciennement  ces  im- 
perceptibles êtres?  Est-il  resté  près  d'eux  pendant 
tant  de  milliers  d'années  de  sommeil,  ou  un  esprit 
nouveau  s'y  est-il  mêlé  au  moment  où  le  hasard  les  a 
rappelés  à  l'existence?  Il  faudrait  s'expliquer  pour 
savoir  si  la  vie  est  restée  latente  dans  les  cadavres  de 
ces  anciens  contemporains  du  déluge,  ou  si  une  force 
vitale    nouvelle   vient  les  ranimer  au  moment  de 
leur  immersion  ! 

C'est  en  exagérant  à  l'extrême  les  plus  simples 
phénomènes  de  la  vie,  que  certains  philosophes  ont 
perdu  la  cause  qu'ils  voulaient  défendre.  Ainsi  il  y  a 
des  forces  souvent  définies,   sinon  expliquées,  qui 

(1)  Spallanzani,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale.  Pa- 
ris, 1787, 1. 11,  p.  203. 

(2)  Donné.  Cours  de  Microscopie,  Paris,  1844. 

(3)  Gérard,  Dict.  univ.d'hist,  7iat.,art.  Génération. 

(4)  Id.,  ihid.,  p.  60. 


132  HÉTÉROGÉNIE. 

président  aux  mutations  de  la  matière  et  à  la  forma- 
tion des  corps  bruts  et  des  êtres  organisés  ;  et  c'est  en 
voulant  les  élever  au  rang  des  plus  hautes  facultés, 
que  souvent  les  sophistes  anciens  ont  soulevé  tant 
de  répulsion.  A  des  prétentions  qui  dérogeaient  à  la 
simple  raison  on  a  répondu  par  une  dénégation  for- 
melle. Par  exemple,  évidemment,  il  existe  une  force 
qui  préside  au  groupeaient  des  molécules  ;  quoique 
insaisissable,  toutes  les  ressources  de  l'inteUigence  se 
réunissent  pour  la  démontrer.  Mais  Démocrite  l'a 
rendue  ridicule  en  professant  que  les  atomes  avaient 
une  âme,  car  la  lecture  de  saint  Augustin  ne  nous 
permet  pas  de  douter  en  effet  que  ce  philosophe  ait 
enseigné  que  les  atomes  étaient  animés.  Democrkiis, 
d\i-\\, hoc  distare  in  naturalibiis  qiiœstionibiis  ah  Epi" 
euro  dicitur,  qiiod  iste  sentit  inesse  conciirsioni  ato- 

moriim  vim  quamdam  animalem  et  spiritalem 

Epicurus  verô  neque  aliqiiidin  principiis  i^emim  ponit 
prœter  atomos  (  1  ) . 

Pourquoi  donc  ainsi,  par  de  stériles  observations  de 
laboratoire,  vouloir  intervenir  dans  le  domaine  des 
faits  que  la  suprématie  de  la  pensée  résout  avec  bien 
plus  de  profondeur  et  de  maturité  que  le  microscope 
et  la  pointe  du  scalpel?  Les  anatomistes  ont  trop  de 
tendance  à  se  laisser  entraîner  aux  exigences  du 
matérialisme.  Il  y  a  deux  parties  dans  tout  être  orga- 
nisé :  la  substance  grossière  qui  le  compose,  et  la 
puissance  vitale  qui  en  régit  et  coordonne  tous  les 
éléments;  et  c'est  cette  dernière  cependant  que.  l'on 

(1)  AUGUST.,  Epist.    LVI. 


MÉTAPHYSIQUE.  133 

oublie,  elle  qui,  au  fond,  en  constitue  la  seule  essence 
biologique;  c'est  tout  à  fait  comme  si,  en  faisant 
l'histoire  des  splendeurs  monumentales  d'une  cité,  on 
omettait  qu'on  les  doit  à  la  féconde  intelligence  de 
ses  architectes  !  Nous,  nous  admirons  l'organisme,  et 
nous  oublions  l'élément  intelligent  qui  le  met  en 
mouvement;  nous  voyons  la  matière,  nous  n'aperce- 
vons pas  la  vie. 

Mais  hâtons-nous  de  proclamer,  en  achevant  ce 
chapitre,  que  quelques  penseurs  ont  sondé  la  question 
d'une  manière  élevée,  et  parmi  eux  on  peut  citer  en 
première  ligne  Burdach  et  Treviranus. 

La  théorie  de  Burdach  relativement  aux  grandes 
mutations  vitales  qui  se  manifestent  à  la  surface  du 
globe  se  trouve  résumée  dans  les  lignes  suivantes  : 
«  La  génération,  dit  l'illustre  physiologiste,  est  la 
«  réalisation  de  la  tendance  à  la  totalité  ou  à  l'indi- 
«  vidualité;  les  deux  directions  de  la  nature  dyna- 
<.(  mique  et  matérielle  se  réalisent  simultanément 
«  dans  le  produit  organique  ;  une  pluralité  de  parties 
«  en  activité  continuelle  se  trouve  englobée  dans  une 
«  forme  déterminée,  et  ramenée  à  l'unité  d'action 
«  par  le  conflit  ou  la  réaction  mutuelle  des  activités 
«  diverses.  Cette  réunion  de  ce  qui  était  isolé  dans  le 
«  corps  inorganique,  fait  que  le  produit  organique 
«  de  la  nature  ressemble  davantage  à  l'univers;  son 
«  corps  est  un  monde  en  petit,  un  microcosme,  et 
«  l'unité  idéale  de  sa  vie  une  émanation  de  l'âme  du 
«  monde  ;  le  particulier  y  devient  individu  et  tout, 
«  par  le  fait  de  sa  participation  à  l'infini.  Chaque 
«  chose  terrestre  est  une  partie  de  l'univers  et  prend 


134  HETERO  GENIE. 

part  à  l'idée  primordiale.  »  Ainsi,  selon  Burdach,  le 
même  esprit  unique  qui  produit  l'univers,  y  crée 
des  individualités  portant  en  soi  le  caractère  du 
tout,  et  c'est  ainsi  que  primordialement  la  yie 
apparaît  sur  la  terre  comme  génération  sponta- 
née(l). 

Déjà  Gleichen  avait  touché  le  côté  philosophique 
de  la  question.  Il  lui  semble  qu'il  serait  peut-être 
plus  noble  de  supposer  que  la  sagesse  suprême  a  im- 
primé des  lois  immuables  aux  éléments  de  l'organi- 
sation, que  d'admettre  qu'elle  en  dirige  à  chaque  in- 
stant la  force  plastique,  pour  coopérer  à  l'incessante 
fécondité  de  la  nature  (2). 

Après  s'être  reposé  de  ses  expériences  et  en  avoir 
médité  les  résultats,  Treviranus  est  arrivé  à  profes- 
ser, comme  dernière  conclusion,  qu'il  existe  dans 
toutes  les  parties  du  globe  une  matière  absolument 
indestructible  et  d'une  incessante  activité,  et  que  c'est 
d'elle  que  dérivent  les  végétaux  et  les  animaux  les 
plus  simples  et  les  plus  complexes  ;  elle  est  l'essence 
du  plus  humble  Byssus  et  du  Chêne  altier  ;  de  la  Mo- 
nade invisible  et  de  la  monstrueuse  Baleine.  Il  pense 
que  cette  matière  invariable  dans  son  essence,  mais 
variant  comme  les  circonstances,  peut  prendre  toutes 
les  apparences  des  corps  vivants  dans  ses  multiples  et 
infinies  combinaisons.  Matière  amorphe  pendant  son 
état  de  Hberté,    mais  revêtant  toutes  les  formes  des 

(1)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1838,  t.  II,  p.  336. 

(2)  Gleichen,  Dissertation  sur  la  génération,  etc.  Paris,  an  VII  , 
p.  109. 


MÉTAPHYSIQUE.  135 

corps  organisés  pendant  le  temps  que  dure  leur  exis- 
tence (1). 

En  effet,  en  considérant  les  forces  décomposantes 
qui  s'emparent  des  grands  organismes,  et  le  résultat 
de  leur  désagrégation,  on  voit  que  chacun  de  leurs 
atomes  n'abandonne  momentanément  ses  affinités, 
que  pour  rentrer  dans  une  autre  sphère  d'attrac- 
tion active  et  vivante,  après  avoir  éprouvé  un  temps 
d'arrêt  entre  deux  existences,  un  stage  momen- 
tané, entre  les  perpétuelles  oscillations  de  son  acti- 
vité vitale.  Aussi,  en  considérant  abstractivement 
chaque  molécule  organique,  est-on  tenté  de  se  de- 
mander, si  elle  ne  recèle  pas  quelques  étincelles  de 
vie,  Laleat  scintilhila  forsan? 

Mais  le  principe  vital  ne  préside  pas  à  la  formation 
de  l'ovule  par  les  mêmes  procédés  qu'à  l'exercice  de 
la  pensée  ou  du  mouvement.  Le  premier  acte  est  tout 
à  fait  intime  et  résulte  de  lois  préétablies,  qui  opè- 
rent sans  que  l'individu  en  ait  conscience,  et  qui 
peuvent  se  manifester  sur  une  foule  de  points,  sous 
une  foule  de  formes.  Les  actes  du  mouvement,  au 
contraire,  résultent  du  libre  arbitre  de  l'individu. 
Ce  n'est  pas  plus  l'organisme  qui  engendre  un  nou- 
vel être  par  son  concours  intelligent,  que  ce  n'est 
celui-ci  qui  régit  l'acte  respiratoire.  Chacun  de  ces 
phénomènes  est  le  résultat  de  l'action  vitale,  dont  le 
seul  souffle  a  animé  et  a  primitivement  fait  surgir 
l'organisme  aux  dépens  de  la  rhatière;  et  c'est  ce 
même  souffle  vital  qui  peut,  loin  d'un  ovaire,  comme 

(1)  TREVIRA^^us,  Biologie,  t.  II. 


136  HÉTÉROGÉNIE. 

dans  le  sein  de  celui-ci,  présider  à  l'évolution  pri- 
maire des  êtres  de  la  création. 

A  l'aide  de  cette  conception,  l'on  n'abandonne 
plus  les  combinaisons  de  la  matière  aux  chances 
inespérées  du  hasard,  et  chaque  particule  animée  a 
son  but  et  ses  instincts  de  combinaison.  Ainsi  se  trou- 
vent réfutées  les  imposantes  objections  de  Galien 
et  de  Plutarque  (1). 

Lorsque,  contrairement  aux  idées  généralement 
reçues,  nous  venons  ici  prétendre  que  ce  n'est  pas  la 
mère  qui  forme  l'œuf,  par  un  mouvement  expansif 
de  son  organisme,  mais  que  c'est,  au  contraire,  l'ovule 
qui  recèle  en  lui-même  toute  sa  puissance  architec- 
tonique,  nous  sommes  loin  d'être  le  seul  qui  profes- 
sions cette  idée.  Stahl  la  soutenait  déjà  de  son  temps. 
«  Le  fœtus,  dit-il,  et  toutes  les  parties  qui  l'envelop- 
pent et  le  contiennent  immédiatement,  jouissent 
d'une  vitalité  qui  leur  est  propre  et  non  étran- 
gère (2).  »  C'est  là,  mot  à  mot,  ce  que  nous  pré- 
tendons soutenir  aujourd'hui. 

Les  hétérogénistes  peuvent  se  partager  en  deux 
groupes  distincts  :  les  uns,  à  l'exemple  de  Lamarck, 
considèrent  les  agents  physiques  comme  suffisants 
pour  déterminer  la  matière  brute  à  s'organiser; 
les  autres,  au  nombre  desquels  on  compte  Redi 
lui-même,  suivant  M.  De  Quatrefages,  et  sur- 
tout Rudolphi,  Oken,  Morren  et  Nordmann,  admet- 

(1)  Plutarque,  ic^t;.  Colot.  — Comp.  Bayle,  Dict.  hist.,  t.  VI 
p.  178. 

(2)  Stahl,  Theoria  medica  vera.  Halse,  1737,  p.  385. 


MÉTAPHYSIQUE.  137 

tent  une  force  plastique  existant  dans  les  êtres 
\ivants,  et  pouvant  y  produire  certains  êtres  orga- 
nisés (1).  On  voit,  parce  qui  précède,  que  nous  ap- 
partenons à  la  dernière  école. 

(IJ  De  Quatrefages,  Rapport  sur  Vhelminthologie  (Ann.  se.  nat. 
zoolog.  1854,  t.  I,  p.  8). 


CHAPITRE  II. 

CONDITIONS  PRÉLIMINAIRES  DE  L'HÉTÉROGÉNIE. 

La  génération  spontanée,  pour  se  manifester,  exige 
généralement  le  concours  de  trois  éléments  :  un  corps 
solide  putrescible,  de  l'eau  et  de  l'air.  Déjà  Wrisberg 
avait  parfaitement  signalé  ceci  (1)  ;  et  Ton  sait,  en 
outre,  que  divers  agents  généraux  tels  que  la  chaleur, 
l'électricité  et  la  lumière,  concourent  également  à  ce 
phénomène  important. 

Contrairement  à  certains  physiologistes  (2),  nous 
n'admettons  pas  que  ces  trois  corps  soient  absolument 
nécessaires  à  l'hétérogénie,  car  nous  verrons  plus  loin 
que  si  leur  concours  est  constamment  simultané  dans 
la  nature,  dans  nos  expériences  nous  pouvons  nous 
passer  d'un  ou  de  deux  de  ceux-ci. 

Il  est  évident  que  chacun  des  trois  corps  dont  la 
réunion  est  presque  indispensable  à  la  production 
spontanée  des  Proto-organismes,  joue  dans  celle-ci 
un  rôle  spécial;  mais  nous  pensons  que  le  rôle  d'a- 
gent procréateur  immédiat  n'appartient  qu'à  un  seul 
d'entre  eux,  au  corps  solide,  et  que  l'eau  et  l'air  ne 
doivent  être  ordinairement  considérés,  que  comme 

(1)  Wrisberg,  Observationum  de  animalcuUs  infusoriis  natura,\ 
p.  82. 

(2)  BuRDACH,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837, 1. 1^  p.  19. 


CONDITIONS    PRÉLDimAIRES    DE    l' HÉTÉRO  GÉNIE.        139 

fournissant  l'un  le  milieu  \ital,  et  l'autre  le  fluide 
respiratoire. 

Les  expériences  multipliées  que  nous  avons  entre- 
prises pour  arriver  à  cette  démonstration,  nous  ont 
fait  voir,  en  effet,  qu'en  variant  à  l'infini  la  substance 
solide  de  l'infusion ,  lorsque  l'on  employait  toujours 
la  même  eau  et  le  même  air,  les  Infusoires  variaient 
également  à  l'infini,  comme  les  substances  employées. 
Là  c'était  donc  uniquement  et  incontestablement  le 
corps  solide,  qui  était  l'agent  fondamental  de  la  pro- 
création primordiale.  Le  même  corps,  avec  la  même 
eau,  donne  même  des  Protozoaires  différents  selon 
que  ce  corps  a  subi  ou  non  l'ébuUition.  Ce  n'est  donc 
pas  la  nature  du  liquide  qui  fait  varier  la  génération 
qu'on  voit  apparaître,  puisque  l'eau  n'a  pas  éprouvé 
d'addition.  Ceci  nous  l'avons  vérifié  dix  fois  après 
Spallanzani,  qui  déjà  avait  annoncé  qu'il  naissait  des 
Infusoires  différents  dans  du  trèfle  soumis  à  l'ébuUi- 
tion, et  dans  celui  qui  était  simplement  en  macéra- 
tion (i). 

Burdach,  qui  est  ordinairement  si  audacieux  quand 
il  traite  des  hautes  conceptions  delà  physiologie,  de- 
vient timide  dans  le  cas  dont  il  s'agit.  Il  dit  que  la  na- 
ture des  Infusoires  est  déterminée,  non  pas  par  la  na- 
ture de  l'un  des  corpsindispensables  à  leur  formation 
mais  par  celle  de  tous  (2).  Nous  ne  pensons  nullement 
ainsi. 

Il  est  vrai  qu'en  mettant  le  même  corps  solide  dans 

(1)  Spallanzani,  Opuscules  de  physique  végétale  et  animale.  Pa- 
vie,  1787. 

(2)  Burdach,  Traité  de  Phtjsiologie.  Paris,  1837,  t.  I. 


140  HÉTÉROGÉNIE. 

des  liquides  différents,  on  obtient  des  générations  d'a- 
nimalcules dissemblables,  mais  cela  n'infirme  nulle- 
ment que  celles-ci  n'ont  pas  le  même  corps  pour  élé- 
ment procréateur  spécial.  En  effet,  il  se  peut  que 
sans  participer  à  l'organisation  des  productions  pri- 
maires, l'action  particulière  de  tel  liquide  sur  la  sub- 
stance solide  en  fasse  surgir  des  éléments  organisables 
d'une  nature  différente  :  le  produit  est  varié,  mais  il 
n'en  tire  pas  moins  son  origine  de  la  même  base.  En 
considérant  la  question  sous  ce  point  de  vue,  on  ne 
s'étonne  plus  si,  dansses  expériences, Terechovsky,  en 
employant  des  eaux  différentes,  voyait  y  apparaître 
des  Infusoires  différents  (1).  Essentiellement  dérivés 
du  corps  solide,  ceux-ci  n'apparaissaient  sous  une 
forme  variée  qu'à  cause  de  la  diversité  d'action  de 
l'eau  sur  ce  même  corps. 

Vaincu  par  l'évidence  des  preuves,  J.  Muller  est 
forcé  de  dire  qu'ordinairement  les  corps  organiques 
ne  se  perpétuent  que  par  des  œufs  ou  des  germes. 
c(  Mais,  ajoute- 1- il,  on  peut  se  demander  si,  lorsqu'un 
«  corps  organique  se  décompose,  la  matière  qui  le 
«  constitue  ne  produit  pas  aussi,  sous  certaines  in- 
«  fluences,  des  organismes  d'une  autre  espèce  ;  si 
«  par  le  concours  de  certaines  conditions  de  l'air  at- 
«  mosphérique,  elle  se  résout  en  Infusoires  vivants, 
c<  tandis  que  dans  d'autres  circonstances  elle  revit 
«  dans  des  plantes  appartenant  aux  classes  infè- 
re rieur  es  (2).  » 


(i)  Terechovski,  Dissert,  de  chao  infusorio  Linnœi,  p.  53. 

(2)  Muller,  Manuel  de  physiologie^  2«  édition,  Paris,  1851,  p.  9. 


CONDITIONS    PRÉLIMINAIRES    DE    l'hÉTÉROGÉNIE.        144 

Le  grand  physiologiste  allemand  admet  donc  la  gé- 
nération spontanée  dans  sa  plus  stricte  acception  : 
c'est  presque  l'antique  tradition  d'Aristote  (1). 

Il  faut  bien  s'entendre  à  l'égard  des  sources  dans 
lesquelles  les  Proto-organismes,  qui  naissent  sponta- 
nément puisent  leurs  premiers  éléments.  Ceux-ci  ne 
sont  pas  extraits  de  la  matière  brute  proprement  dite, 
ainsi  que  l'ont  prétendu  quelques  fauteurs  de  Fhé- 
térogénie,  mais  bien  des  particules  organiques,  débris 
des  anciennes  générations  d'animaux  et  de  plantes, 
qui  se  trouvent  combinées  aux  parties  constituantes 
des  minéraux.  Selon  cette  doctrine,  ce  ne  sont  donc 
pas  des  molécules  minérales  qui  s'organisent,  mais 
bien  des  particules  organiques  qui  sont  appelées  à 
une  nouvelle  vie.  Les  créations  qui  apparaissent  sem- 
blent même  se  présenter  avec  des  proportions  qui 
sont  en  rapport  avec  la  masse  d'éléments  qui  se 
trouvent  en  présence;  de  manière  que  si  dans  nos 
expériences  de  laboratoire  nous  n'obtenons  jamais 
in  vitro  que  de  chétives  productions,  dans  la  nature, 
là  où  tant  de  particules  animales  ou  végétales  se  trou- 
vent en  fermentation,  les  générations  qui  surgissent 
ont  une  bien  autre  puissance.  Bremser  a  développé 
cette  thèse  avec  autant  de  logique  que  d'audace  (2). 
Ainsi  le  Proto^organisme  qui  naît  au  sein  de  la  subs- 
tance expirante,  y  apparaît  avec  des  formes  d'autant 
plus  élevées  qu'il  se  trouve  environné  d'une  plus 
grande  abondance  de  matière  organisable. 

(1)  Aristote^  Histoire  des  animaux.  PariS;,  1783. 

(2)  Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique  des  vers  intes- 
tinaux de  Vhomme.  Paris^  1824,  p.  69  et  suiv 


142  HÉTÉROGÉNIE. 

SECTION   I.  —   DU  COUPS    PUTRESCIBLE. 

Les  naturalistes  professent  généralement  que  le 
corps  solide,  cet  indispensable  élément  de  la  pro- 
duction des  Infusoires,  doit  absolument  appartenir  au 
règne  organique.  J.  Muller  soutient  cette  proposition 
en  se  fondant  sur  ce  que  les  végétaux  ont  seuls  la  pro- 
priété de  transformer  les  substances  minérales  en  êtres 
organisés  (1).  Mais  Burdach  se  renferme  dans  le  doute 
à  cetégard  (2). Cette  question  mérite  d'être  examinée, 
puisque  Gruithuisen  prétend  qu'il  a  vu  naître  des 
Microzoaires  dans  des  infusions  de  granit,  d'anthra- 
cite ou  de  marbre  coquillier  (3).  A  l'égard  des  deux 
derniers  corps,  le  phénomène  peut  être  facilement 
expliqué.  Si  l'on  se  rappelle  leur  origine  géologique, 
résultat  d'un  mélange  d'êtres  organisés  et  de  parti- 
cules minérales,  ne  se  peut-il  pas  qu'il  existe  encore 
dans  leurs  interstices  quelques  vestiges  de  substance 
organique  qui  se  trouve  mise  en  liberté  par  le  contact 
du  liquide?  J.  Muller,  a  fait,  avant  nous,  cette  suppo- 
sition (4). 

Ce  qu'il  y  a  de  positif,  cependant,  c'est  qu'aucun 
animalcule  n'apparaît  dans  l'eau  contenant  des  corps 
métalliques,  tels  que  du  fer,  du  cuivre,  du  plomb  ou 
des  sels  de  mercure  (5).  Le  sel  marin  n'en  produit 

(1)  Muller,  Manuel  de  phijsiologiej  2^  édition,  Paris,  1851,  1. 1, 
p.  10. 

(2)  Burdach^  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  î,  p.  16. 

(3)  Gruithuisen,  Beitràge  zur  Physiognosie  und  Eautognosie.  — 
Idées  sur  la  physiognosie  et  sur  la  génération  spontanée. 

(4)  Muller,  Manuel  de  physiologie.  Paris,  iSol,  1. 1,  p.  8. 

(5)  Comp.  Gruithuisen,  Beitràge  zur  Physiognosie  und  Eautogno- 


DU    CORPS    PUTEŒSCIBLE.  143 

pas  non  plus,  suivant  Gruithuisen,  tandis  que  Trevi- 
ranus  prétend  qu'il  en  a  vu  naître  dans  l'eau  qui  en 
contenait.  Je  partage  absolument  l'opinion  de  l'il- 
lustre physiologiste,  car  je  suis  parvenu  au  même  ré- 
sultat dans  mes  expériences.  A  priori,  on  devait  le 
supposer,  le  sel  marin  contenant  toujours  quelques 
particules  organiques.  —  Si  Gruithuisen  a  eu  des  ré- 
sultats différents  des  nôtres ,  cela  est  peut-être  dû-  à 
ce  que  ses  solutions  étaient  trop  chargées  de  parti- 
cules minérales. 

Selon  Burdach,  la  propriété  inhérente  à  certaines 
substances  de  produire  des  Infusoires,  dépendrait  de 
leur  affinité  pour  l'eau  (1),  et  non  point  de  leur  solu- 
bilité, comme  le  veut  Gruithuisen  (2).  La  solubilité 
est  si  bien  une  qualité  accessoire,  que  certaines  sub- 
stances qui  en  sont  parfaitement  douées,  telles  que 
le  quinquina,  le  sirop,  les  acides  azotique^  sulfu- 
rique,  etc.,  ne  fournissent  jamais  d'infusoires. 

C'est,  je  ne  dirai  pas  par  erreur,  mais  simple- 
ment par  inattention ,  que  Burdach  mentionne  les 
acides,  sans  restriction,  comme  s'opposant  à  la  pro- 
duction des  Infusoires  (3);  l'acide  acétique  affaibli, 
et  d'autres,  en  fournissent,  on  le  sait,  en  abondance. 

Les  animalcules  apparaissent  d'autant  plusrapide- 

sie,  p.  100.  —  Idées  sur  la  physiognosie  et  sur  la  génération  spon- 
tanée. 
Treviranus,  Biologie,  t.  II,  p.  30o. 

(1)  Burdach,  Traité  de  phijsiologie.  Paris,  1. 1,  p..  17. 

(2)  Gruithuisen  ,  Beitràge  zur  Physiognosie  und  Eautognosie, 
p.  100.  —  Idées  sur  la  physiognosie  et  sur  la  génération  spon- 
tanée. 

(3)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris^  t.  I,  p.  17. 


144  HÉTÉROGÉNIE. 

ment,  que  la  substance  mise  en  expérience  est  plus 
putrescible.  Ce  fait,  reconnu  par  Priestley,  et  men- 
tionné par  Treviranus  et  Burdach,  n'est  pas  douteux. 

Le  premier  de  ces  savants  avait  vu  aussi  qu'il  se 
développait  beaucoup  plus  de  Microzoaires  dans  de 
l'eau  contenant  des  fraises,  que  dans  celle  où  Ton 
avait  mis  des  graines  de  lin  ou  d'autres  corps  orga- 
nisés d'une  difficile  décomposition.  Spallanzani  rap- 
porte à  l'appui  de  cette  assertion,  qu'il  a  observé  que 
le  gluten  produisait  plus  d'Infusoires  que  l'amidon. 
D'après  cela  on  s'accorde  généralement  à  penser  que 
les  infusions  les  plus  putrescibles  sont  celles  où  les 
Microzoaires  se  montrent  avec  plus  d'abondance  (1). 
Comment  expliquerait-on  ce  fait  dans  l'hypothèse  où 
l'on  suppose  que  les  germes  de  ces  animaux  provien- 
nent du  dehors  et  tombent dansle  liquide?  Or,  comme 
on  ne  peut  admettre  que  des  êtres  aussi  microsco- 
piques exigent  le  superflu  de  matière  nutritive  qu'on 
observe  dans  les  infusions  les  plus  chargées,  il  faut 
bien  convenir  que  s'ils  sont  plus  abondants  parmi 
celles-ci,  c'est  que  leur  production  n'est  réellement 
due  qu'à  l'exubérance  des  molécules  organiques  qui 
s'y  trouvent  mises  en  liberté,  et  toutes  prêtes  à  entrer 
dans  de  nouvelles  combinaisons. 

En  s'occupant  du  rôle  de  la  substance  putrescible, 
il  serait  important  de  se  faire  une  idée  des  phéno- 
mènes intimes  de  désagrégation  et  de  recomposition 

(1)  Comp.  Treviranus,  Biologie.  Gœttingue,  1822,  t.  II,  p.  360. 
BuRDACH,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1. 1,  p.  14. 
Spallanzani,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale.  Pavie, 
1787',  t.I. 


DU    CORPS    PUTRESCIBLE.  i-45 

qu'elle  éprouve  durant  les  phases  de  la  génération 
primaire,  mais  c'est  là  le  point  le  plus  obscur  de  la 
question.  Nous  avons  déjà  vu  que,  selon  Buffon,  il 
existerait  une  mutation  continue  dans  les  éléments 
matériels  et  animés  des  animaux,  ainsi  que  dans  la 
forme  de  ceux-ci  ;  les  molécules  organiques  deve- 
nues libres  parla  désagrégation,  pouvant  entrer  dans 
une  série  infinie  de  combinaisons  nouvelles,  et  pro- 
duire des  êtres  tout  à  fait  différents  de  ceux  dont 
elles  provenaient  (1).  Ceci,  est  comme  on  le  voit,  la 
génération  spontanée  dans  toute  son  extension.  Celte 
hypothèse  est  naturellement  la  conséquence  de 
l'autre,  ainsi  que  M.  Flourens  l'avait  déjà  exprimé 
en  analysant  les  travaux  de  notre  Pline  moderne  (2) . 
M.  Longet,  après  avoir  émis,  en  abrégé,  les  idées 
de  Buffon,  dit  qu'il  est  inutile  aujourd'hui  de  les  ré- 
péter, et  que  nos  connaissances  histologiques  ne  nous 
permettent  pas  le  moindre  doute  |à  cet  égard  (3). 
Nous  ne  traitons  pas  aussi  cavalièrement  un  _sem- 
blable  sujet;  et,  lorsque  les  physiologistes  les  plus 
considérables  de  notre  époque  émettent  encore  des 
opinions  qui  se  rapprochent  de  celles  de  notre  im- 
mortel compatriote,  ses  hypothèses  ont  bien  le  droit 
d'être  considérées  comme  étant  de  quelque  valeur. 
Naguère  encore  ,  M.  Milne  Edwards  les  partageait 
en  partie;  s'il  s'est  éloigné  de  cette  voie,  d'autres 

(1)  Buffon,   Histoire    naturelle.   Paris_,    1749.  Suppl.,   t.    IV, 
p.  343. 

(2)  Flourens,  Histoire  des  travaux  et  des  idées  de  Buffon.  Paris, 
1844,  p.  78. 

(3)  Longet,  Traité  de  Physiologie.  Paris,  t.  II,  p.  7. 

POLCIILT.  10 


146  HÉTÉROGÉNIE. 

savants  persistent  encore  à  la  suivre  :  il    faut  dé- 
brouiller où  gît  la  vérité  (1). 

Selon  Wrisberg,  les  Infusoires  ne  seraient  que  les 
particules  des  corps  soumis  à  la  putréfaction,  et  qui, 
pendant  que  ce  phénomène  se  manifeste,  deviennent 
libres,  et  s'animent  d'une  vie  propre.  Cette  hypo- 
thèse se  rapproche  donc  des  vues  de  Buffon,  dont  il 
vient  d'être  question.  S.  Schultze  soutient  une  thèse 
analogue  en  prétendant  que  les  Microzoaires  ne  sont 
parfois  que  le  résultat  des  métamorphoses  de  la  sub- 
stance organique  :  c'est  une  grande  concession  de  la 
part  de  ce  savant,  lui  dont  les  expériences  tendent 
à  prouver  que  l'air  renferme  les  germes  des  Proto- 


organismes. 


Dans  la  manifestation  de  ses  sublimes  harmonies, 
Ja  nature  répartit  à  chaque  être  son  rôle  physiolo- 
gique. Les  végétaux  possèdent  le  privilège  presque 
exclusif  de  s'approprier  les  molécules  minérales,  de 
les  transformer  en  leur  propre  substance,  tandis  que 
les  animaux,  au  contraire,  ne  s'alimentent  que  d'é- 
léments organisés,  ainsi  que  l'ont  largement  déve- 
loppé Burdach  et  J.  Muller  (2).  De  là  chacun  des 
deux  règnes  du  monde  animé  a  sa  fonction  spéciale  ; 
les  végétaux  semblent  avoir  seuls  la  propriété  de 
transformer  en  leur  propre  substance  les  composés 
binaires  minéraux,  tels  que  l'eau,  l'acide  carbonique 
et  l'ammoniaque,  en  élevant  leur  combinaison  à  l'é- 

(1)  MiLîSE  Ej)\y\ï^DS y  Répertoire  général  d'anatomie  et  de  physio- 
logie. Paris,  1827,  t.  III,  p.  47. 

(2)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  IX,  p.  401. 
J.  Muller,  Manuel  de  physiologie.  Paris,  1845,  1. 1,  p.  16. 


DU    CORPS    PUTRESCIBLE.  147 

tat  de  composés  ternaires  organiques.  Les  végétaux, 
comme  Ta  dit  M.  Dumas,  savent  organiser  la  matière 
et  J'accumuler,  et  les  animaux,  pour  lesquels  cette 
matière  a  été  amassée,  la  consomment  pour  l'entretien 
de  leur  vie  (1).  C'est  par  cette  raison  que  dans  les 
milieux  où  il  n'existe  aucun  vestige  animé,  ce  sont 
des  végétaux  qui  apparaissent  d'abord,  et  que  les  ani- 
maux les  suivent. 

Il  est  utile,  dans  toutes  les  expériences  que  l'on  en- 
treprend sur  la  génération  spontanée,  de  tenir  compte 
de  l'état  du  corps  solide  putrescible  ;  et  c'est  pour  ne 
pas  l'avoir  fait,  que  souvent  les  physiologistes  ont  ob- 
tenu d'inexacts  résultats.  Une  certaine  température 
arrêtant  le  mouvement  fermentescible ,  et  celui-ci 
étant  un  phénomène  indispensable  à  la  production  des 
Proto-organismes,  il  arrive  que  ceux-ci  n'apparais- 
sent qu'après  un  temps  fort  long  ou  même  cessent 
absolument  de  se  produire,  lorsque  le  corps  solide  a 
subi  une  ébullition  prolongée.  Dans  les  décoctions,  ce 
n'est  même  souvent  qu'après  plus  d'un  mois  qu'elles 
ont  été  exposées  à  l'air  que  cela  a  lieu.  Parfois  même, 
après  un  temps  beaucoup  plus  long  encore,  on  n'y 
voit  pas  le  moindre  vestige  d'organisme. 

Que  signifient  donc  quelques  rares  expériences 
à  vaisseaux  clos  faites  par  certains  physiologistes,  qui 
n'ayant  point  rencontré  d'animalcule  dans  leurs 
vases,  ont  argué  de  là  qu'il  ne  s'en  produisait  pas  dans 
la  matière  soumise  à  l'expérimentation! 


(1)  Dumas,  Essai  de  statique  chimique  des  êtres  organisés.  Paris, 
1842  .  11. 


148  HÉTÉROGÉNIE. 

Lors  même  qu'on  laisse  dans  l'eau  le  corps  qui  a 
subi  la  décoction,  ce  n'est  souvent  qu'après  un  temps 
considérable,  parfois  plus  d'un  mois,  qu'il  s'y  déve- 
loppe des  animalcules.  Voici  des  faits  à  l'appui  de 
cette  assertion. 

Expérience.  — Une  forte  décoction  de  foin,  expo- 
sée à  l'air  durant  trente-cinq  jours,  n'a  présenté  au- 
cun animalcule  vivant,  soit  à  cette  époque,  soit  dans 
les  observations  qui  ont  été  faites  dans  l'intervalle. 

Au  contraire,  des  macérations  de  foin  également 
exposées  à  l'air,  près  de  cette  décoction,  nous  ont 
constamment  offert  des  myriades  de  lons^s  Vibrions, 
au  bout  de  vingt-quatre  heures,  quand  la  température 
était  de  25  à  28°;  et  des  Kolpodes  et  d'autres  Micro - 
zoaires  d'un  ordre  élevé,  après  trois  ou  quatre  jours. 

Expérience.  — -  Quatre  grands  verres  à  expériences 
ont  été  placés  sous  une  même  cloche,  très-ample, 
pour  qu'ils  soient  soumis  tous  les  quatre  aux  mêmes 
influences.  Chacun  d'eux  avait  reçu  300  grammes 
de  liquide.  Ils  furent  examinés  trois  jours  après,  la 
température  moyenne  ayant  été  de  24%  et  la  pression 
de  0,755. 

Le  premier  verre  était  rempli  d'eau  qui  avait 
bouilli  pendant  15  minutes,  et  de  5  grammes  de 
foin,  qui  avait  aussi  subi  Tébullition.  La  couleur  du 
liquide  était  d'un  fauve  extrêmement  pâle;  la  pelli- 
cule membraneuse  à  peine  apparente  ;  sa  surface 
était  seulement  parcourue  par  un  certain  nombre 
de  longs  Vibrions  {Vibrio  graiiifer  ^  Pouch.  et 
Vïbris  levis,  Pouch.),  de  20  à  25  divisions  micro- 
métri([ues  de  longueur. 


DU    CORPS   PUTRESCIBLE.  U9 

Le  deuxième  verre  était  rempli  d'eau  qui  avait 
bouilli,  mais  de  5  grammes  de  foin  qui  n'avait  point 
subi  l'ébullition.  Le  liquide  était  fauve  et  sa  pellicule 
bien  formée.  Il  contenait  les  mêmesYibrions  que  l'on 
rencontrait  dans  le  vase  précédent,  mais  en  quantité 
immensément  plus  considérable.  En  outre  on  y  ob- 
servait une  abondance  de  Kolpodes  triticiformes. 

Le  troisième  verre  contenait  de  l'eau  qui  n'avait 
point  été  chauffée,  et  5  grammes  de  foin  qui  avait, 
au  contraire,  été  dans  l'eau  en  ébullition  pendant 
quinze  minutes.  Le  liquide  était  d'un  fauve  très- pâle 
comme  celui  du  premier  vase;  à  la  surface  on  ren- 
contrait les  mêmes  Vibrions  que  dans  les  deux  pré- 
cédents vases;  seulement  ils  y  étaient  plus  abondants 
que  dans  le  premier  vase,  mais  en  bien  moindre 
nombre  que  dans  le  second  ;  en  outre  on  y  voyait 
quelques  Kolpodes  triticiformes. 

Le  quatrième  vase,  que  l'on  pourrait  considérer 
comme  un  critérium,  contenait  de  l'eau  n'ayant 
point  été  chauffée,  et  5  grammes  de  foin  n'ayant 
subi  aucune  préparation.  Son  liquide  était  trouble 
et  d'une  couleur  fauve,  et  sa  pellicule  offrait  beau- 
coup plus  d'épaisseur  que  dans  tous  les  autres  vases. 
Sa  faune  était  la  même,  mais  plus  abondante  que 
celle  des  autres  verres.  On  y  voyait  à  la  fois  des  Vi- 
brions granifères  ,  des  Vibrions  lisses ,  et  des  Kol- 
podes triticiformes. 

Ces  expériences  rendent  donc  évident  ce  que  nous 
avons  avancé,  à  savoir  :  que  le  corps  putrescible  qui 
a  subi  l'ébullition,  est  moins  propre  qu'auparavant  à 
fournir  les  particules  élémentaires  des  Protozoaires. 


150  HÉTÉROGÉNtE. 

Celte  conclusion  aurait  pu  se  déduire  à  priori,  car 
on  conçoit  que  l'action  d'une  chaleur  élevée  et  le 
contact  de  l'eau  ont  dû  attaquer  une  partie  de  la 
substance  organique  du  solide,  et  par  cela  même  le 
rendre  moins  apte  à  reformer  d'autres  organismes. 

Il  est  certain  que  la  diversité  des  substances  orga- 
niques soumises  à  la  macération,  entraine  des  diffé- 
rences notables  dans  les  Microzoaires  qui  se  déve- 
loppent au  milieu  d'elles.  Bory  de  Saint-Vincent 
Tavait  depuis  longtemps  reconnu  (1),  et  Treviranus 
insiste  également  sur  ce  fait  (2).  Le  premier  de  ces 
naturalistes  a  même  remarqué  que  certaines  infu- 
sions de  produits  exotiques  donnaient  naissance  à 
des  espèces  particulières,  et  que  même  si  l'on  unis- 
sait deux  infusions  différentes,  il  en  résultait  des  mi- 
crozoaires qui  n'étaient  nullement  les  mêmes  que 
ceux  que  produisait  ordinairement  chaque  liquide 
séparé  (3).  M.  Gérard  a  émis  une  semblable  opi- 
nion (4).  De  tels  faits  sont,  je  pense,  embarrassants  à 
expliquer  pour  les  physiologistes  qui  s'obstinent  à 
ne  voir  dans  les  Infusoires  que  le  résultat  de  cette 
panspermie  aérienne  que  nous  combattons. 

Treviranus  avait  aussi  prouvé  que  les  mêmes 
substances  fournissent  des  espèces  différentes,  lorsque 
l'on  fait  varier  les  conditions  de  l'expérience.  Ainsi, 
une  infusion  de  Pois  dans  laquelle  on  ajoute  de  l'eau 

(1)  Bory,  Dictionnaire  classique  d'histoire  naturelle.  Paris,  t.V  , 
p.  46. 

(2)  TRE\iRk?ivs,  Biologie.  Gottingue,  1822,  t.  11^  p.  325. 

(3)  Bory,  oper.  cit.^i.  V,  p.  16. 

(4)  Gérard,  Dict.  univ.  d'hist.  nat.  Paris,  1845,  t.  VI,,  p.  66. 


DU    CORPS    PUTRESCIBLE.  151 

de  Laurier-cerise,  donne  des  animalcules  plus  fins  et 
plus  Yifs  que  ceux  de  la  simple  infusion  (1).  M.  Bé- 
rard  n'hésite  pas  à  accepter  cette  opinion,  nonob- 
stant l'opposition  d'Ehrenberg  (2),  et  pour  notre 
compte  c'est  un  fait  incontestable. 

En  effet,  nos  expériences,  si  nombreuses,  nous  ont 
fait  reconnaître  l'exactitude  des  opinions  de  Bory  de 
Saint- Vincent  et  de  Treviranus;  et  nous  allons  au 
delà,  car,  pour  nous,  chaque  substance  donne  non- 
seulement  naissance  à  des  organismes  particuliers, 
mais  ceux  qu'elle  produit  peuvent  encore  varier  infi- 
niment selon  les  conditions  dans  lesquelles  celle-ci 
se  trouve  :  la  saison,  la  température,  la  pression  at- 
mosphérique, la  nature  du  liquide,  etc.,  agissent  avec 
plus  ou  moins  d'intensité  sur  la  procréation.  Aussi, 
pour  l'œil  qui  sait  saisir  les  moindres  nuances  mor- 
phologiques, il  semble  que  presque  jamais  chez  les 
animalcules  une  forme  zoologique  ne  se  reproduit 
deux  ïois  parfaitemeîît  identique. 

Des  substances  absolument  analogues  produisent 
même  souvent  des  animalcules  entièrement  diffé- 
rents, quoique  placés  dans  des  circonstances  tout  à 
fait  identiques.  Ainsi,  des  fragments  de  crânes  d'hom- 
mes de  diverses  nations  anciennes  et  modernes,  mis 
macérer  à  la  même  époque,  et  près  les  uns  des  au- 
tres, nous  ont  donné  des  Proto-organismes  animaux 
et  végétaux  incontestablement  différents.  Les  faits 
suivants  démontrent  ce  que  nous  venons  d'avancer  : 

Expérience.  —  Le  même  jour  on  prit  trois  vases 

(1)  T^Exmk^vs,  Biologie.  Gottingue,  1822,  t.  II. 

(2)  BérarDj  Cours  de  physiologie.  Paris,  1848,  1. 1,  p.  93. 


152  HÉTÉROGÉNIE. 

en  verre,  et  chacun  d'eux  fut  rempli  avec  300  gram- 
mes de  la  même  eau  filtrée.  Dans  le  premier  on 
mit  5  grammes  d'os  d'un  crâne  d'Égyptien,  que  j'a- 
vais rapporté  des  nécropoles  de  Sakkara.  Le  second 
reçut  5  grammes  de  fragments  d'os  provenant  d'un 
crâne  de  mérovingien;  enfin,  dans  le  troisième  on 
mit  5  grammes  de  fragments  du  crâne  de  l'un  de 
nos  contemporains. 

Chacun  de  ces  vases  fut  placé  sous  une  cloche  par- 
ticulière, et  abandonné  pendant  un  mois.  Au  bout 
de  ce  temps,  durant  lequel  la  température  moyenne 
avait  été  de  20%  on  inspecta  scrupuleusement  leur 
contenu,  et  l'on  reconnut  que  dans  chacun  d'eux  il 
était  absolument  différent  : 

Le  vase  qui  contenait  des  fragments  de  crâne  d'É- 
gyptien, était  rempli  d'une  énorme  quantité  d'Épis- 
tylis,  d'Enchéliydeset  de  Vibrionides. 

Le  vase  contenant  des  portions  de  crâne  de  méro- 
vingien était  peuplé  d'immenses  légions  du  Glaucoma 
scintillans,  Ehr.  et  on  y  observait  en  outre,  ça  et  là, 
quelques  Vorticella  infusionum  Duj.  ,  mais  en  fort 
petit  nombre.  ~  Il  ne  s'y  trouvait  aucune  des  es- 
pèces du  vase  précédent  (1). 

Enfin,  le  liquide  qui  contenait  des  fragments  d'un 
crâne  contemporain,  avait  aussi  sa  zoologie  particu- 
lière. —  Il  était  seulement  rempli  de  Kolpodes. 

(1)  Les  crânes  que  nous  avons  employés  dans  nos  expériences 
provenaient  de  sépultures  du  sixième  siècle^,  contemporaines  de 
Cliilpéric  ou"de  Mérovée/Le  Muséum  d'iiistoirenalurelle  de  Rome 
les  avait  reçus  de  notre  savant  et  infatigable  ami  l'abbé  Cochet, 
auteur  de  la  Normandie  souterraine. 


DU    GOIÎPS    PUTRESCIBLE.  1  ^3 

Immédiatement  après  cette  première  observation, 
les  trois  vases  qui  avaient  été  séparés  jusqu'alors, 
furent  placés  sous  une  même  cloche  en  verre;  et  par 
la  suite,  les  débris  du  contemporain  des  Pharaons  et 
ceux  du  compagnon  de  Mérovée  ou  de  notre  compa- 
triote, continuèrent  toujours  à  présenter  une  faune 
absolument  différente. 

Expérience.  —  Dans  une  autre  expérience,    10 

< 

grammes  des  os  d'un  crâne  de  mérovingien  ayant 
été  mis  dans  un  grand  verre,  celui-ci,  après  avoir 
été  rempli  d'eau  filtrée  ,  fut  abandonné  dans  mon 
laboratoire  pendant  six  mois  d'été,  ayant  été  simple- 
ment recouvert  d'une  lame  de  verre. 

Dix  grammes  des  os  d'un  crâne  que  j'avais  rap- 
porté des  hypogées  de  ïhèbes,  furent  placés  à  côté 
et  dans  les  mêmes  circonstances. 

On  observa  d'abord  que  les  animalcules  de  l'un  et  de 
l'autre  vase  étaient  absolument  différents  ;  puis  avec  le 
temps,  ceux-ci  ayant  disparu  des  deux  macérations, 
il  se  produisit  de  la  matière  verte  dans  l'une  et  dans 
l'autre.  La  macération  des  débris  de  mérovingien  fut 
toujours  beaucoup  moins  verte  que  l'autre,  qui  finit 
même  par  être  d'un  beau  vert  d'émeraude  très-foncé. 
Lorsqu'au  bout  du  temps  mentionné,  on  examina 
au  microscope  les  deux  produits,  on  reconnut  qu'il 
existait  dans  la  macération  d'os  de  mérovingien  une 
algue  remarquable,  que  je  n'ai  vue  nulle  part  figurée, 
et  qui  était  formée  de  cordons  verts  et  courts,  fort 
contournés,  paraissant  étendus  à  la  surface  d'un  tube 
membraneux,  excessivement  mince  ;  ces  cordons  res- 
semblaient absolument  à  des  phrases  d'écriture  arabe. 


154  HÉTÉROGÉNIE. 

Dans  la  macération  de  fragments  du  crâne  de 
Thébain,  il  n'existait  rien  d'analogue.  La  coloration 
d'un  vert  foncé  était  simplement  due  à  de  la  matière 
verte  de  Priestley,  composée  de  petits  granules  isolés, 
et  d'un  beau  vert. 

Dix  grammes  d'une  Turritelle  fossile,  provenant 
des  terrains  tertiaires  de  Bordeaux  {Tiirritella  tere- 
bralis ^Lam.),  ayant  été  placés  le  même  jour  dans 
une  égale  quantité  d'eau ,  et  abandonnés  dans  le 
même  endroit,  offraient  une  Algue  tout  à  fait  diffé- 
rente de  celles  des  deux  vases  précédents.  Celle-ci 
se  composait  de  petits  bâtonnets  d'un  vert  très-pâle, 
articulés,  et  contenant  dans  leur  intérieur,  entre 
chaque  article,  quatre  nodules,  plus  ou  moins  dis- 
tincts. 

Nous  devons  ajouter  à  ce  qui  précède,  qu'il  est 
également  fort  notable  que  le  corps  putrescible  n'in- 
flue pas  seulement,  par  sa  nature  intime,  sur  les  êtres 
qui  se  produisent  à  même  de  sa  substance,  mais  que 
les  proportions  dans  lesquelles  on  l'emploie,  ont  aussi 
une  influence  manifeste  sur  l'essence  et  sur  l'abon- 
dance de  ces  mêmes  êtres.  Les  expériences  qui  sui- 
vent, le  démontrent  suftisamment  : 

Expérience.  —  On  a  pris  quatre  vases  de  même 
forme,  et  dans  chacun  d'eux  on  amis  300  grammes 
d'eau  de  fontaine,  et  une  quantité  de  foin  différente. 
Ces  vases  ont  ensuite  été  placés  séparément  sous  des 
cloches.  Huit  jours  après  ,  par  une  température 
moyenne  de  24°  et  une"  pression  de  0,76^  on  a  ob- 
servé ce  qui  suit  : 

Le  premier  vase,  contenant  10  grammes  de  foin, 


DU    CORPS    PUTRESCIBLE.  1S5 

offiait  une  pellicule  épaisse  et  de  teinte  foncée.  Le 
microscope  signale  dans  sa  macération  une  grande 
quantité  deKérones,  Kerona  lepus,  MuW.,  de  0,1 120 
deraillimètrede longueur, desanimalcules  piriformes 
offrant  0,0560  de  millimètre  de  longueur,  et  un  grand 
nombre  de  gros  kistes  de  0,0420  de  millimètre  de 
diamètre.  En  outre  la  pellicule  proligère  était  remplie 
par  une  innombrable  quantité  de  petits  kistes  de 
0,0084  à  0,0140  de  millimètre  de  diamètre,  telle- 
ment serrés  de  toutes  parts  qu'ils  se  touchaient. 

Le  second  \ase  contenait  5  grammes  de  foin.  Sa 
pellicule  est  m.oins  épaisse.  On  n'y  observe  aucune 
Kérone  et  il  y  existait  seulement  quelques  animal- 
culespir  iformes  moins  gros  que  dans  le  premier  vase. 
Les  groskistes,  y  étaient  bien  moins  nombreux  et  les 
petit,  s  encore  en  quantité  considérable,  étaient  seule- 
ment moins  tassés. 

Le  troisième  vase  avait  reçu  seulement  2  grammes 
5  décigrammes  de  foin.  Il  n'offrait  aucune  Kérone, 
aucun  gros  kiste  et  l'on  y  distinguait  seulement  quel- 
ques animalcules  très-petits,  indéterminables.  On  y 
voyait  encore  quelques  petits  kistes,  mais  ceux-ci  y 
étaient  infiniment  moins  nombreux  et  moins  serrés 
que  dans  le  cas  précédent. 

Enfin,  le  quatrième  vase  qui  ne  contenait  que 
1  gramme  25  centigrammes  de  foin,  n'offrait  aucun 
Kérone,  aucun  animalcule  piriforme,  aucun  grand 
kiste.  Il  présentait  seulement  quelques  Microzoaires 
infiniment  plus  petits  que  dans  les  trois  premiers 
vases  et  encore  indéterminables.  Cette  macération 
contenait  aussi  quelques  petits  kistes;  mais  ceux-ci 


156  HETEROGEME. 

y  étaient  tellement  rares  qu'au  lieu  de  s'offrir  par 
centaines  dans  le  champ  du  microscope,  comme 
dans  les  cas  qui  précèdent,  l'on  n'y  en  comptait  pas 
plus  de  douze  à  quinze  à  chaque  observation. 

Il  ressort  évidemment  de  cette  expérience  compa- 
rative, comme  de  tant  et  tant  d'autres,  entreprises 
par  nous  dans  la  même  direction,  1°  que  l'organisation 
et  le  nombre  des  animalcules  s'élève  en  raison  directe 
de  la  masse  des  corps  en  état  de  décomposition,  et 
2°  que  ces  animalcules  se  forment  de  toutes  pièces 
dans  le  milieu  où  on  les  rencontre. 

Il  est  évident  en  effet  que  si  la  nature,  le  déve- 
loppement et  le  nombre  des  animalcules  n'étaient 
pas  absolument  subordonnés  au  volume  et  à  la  na- 
ture du  corps  en  décomposition,  on  eût  rencontré  les 
mêmes  Microzoaires,  et  en  même  nombre  dans  les 
quatre   vases,  et  il  en  a  été  tout  autrement.  Dans  le 
liquide  qui  contenait  le  plus  de  matériaux  putrescibles 
ils  étaient  d'une  organisation  infiniment  plus  élevée 
et  en   nombre  infiniment  plus  grand  que  dans  les 
autres;  et  on  les  voyait  successivement  diminuer  à 
mesure  que  l'on  arrivait  aux  vases  qui  contenaient  la 
moindre  quantité  de  foin.  Là  ils  étaient  même  exces- 
sivement rares.  Il  résulte  aussi  de  cette  expérience 
que  ce  n'est  point  l'air  qui  est  le  véhicule  des  germes, 
car  comme  ces  quatre  vases  étaient  remplis  d'une 
macération  identique,  si  ce  n'est  sous  le  rapport  de 
la  masse  du  corps  putrescible,  on  ne  voitpas  pourquoi 
les  mêmes  germes  n'auraient  pas  tombé  et  n'auraient 
pas  acquis  un  égal  développement  dans  le  dernier 
vase  comme  dans  le  premier. 


DU    CORPS   PUTRESCIBLE,  157 

Dira-t-on  que  si  le  dernier  vase  ne  présentait  pas 
plus  d'animalcules,  c'est  que  l'aliment  n'y  était  pas 
en  assez  grande  proportion?  ce  serait  une  objection 
puérile.  Si  elle  était  admissible,  il  y  existerait  néan- 
moins quelques  spécimens  des  grosses  espèces  du  pre- 
mier, et  les  kistes,  eux  qui  ne  mangent  point,  se- 
raient aussi  nombreux  dans  chaque  macération,  c'est 
évident....  et  il  n'en  était  pas  ainsi.  On  pourrait  ob- 
jecter que  ne  m'étant  pas  servi  d'une  même  macéra- 
tion, les  germes  se  trouvaient  dans  le  foin,  mais  ce 
résultat  qu'on  obtient  constamment  serait  alors  vrai- 
ment extraordinaire.  Cependant  pour  prévenir  toute 
controverse,  j'ai  aussi  opéré  avec  une  décoction  de 
la  même  substance,  qui  avait  bouilli  une  demi-heure, 
et  j'ai  obtenu  absolument  les  mêmes  résultats  ! 

Nous  pouvons  ajouter  que  les  mêmes  macérations 
ayant  été  observées  àquinze  jours  de  distance,  on  re- 
connut constamment  que  la  population  zoologique 
était  devenue  absolument  différente  de  ce  quelle  était 
lors  des  premières  observations,  et  qu'elle  offrait  éga- 
leriient  des  différences  notables  dans  chacun  des  vases 
en  expérimentation. 

Nous  avons  reconnu  aussi  qu'entre  les  diverses  in- 
fluences que  nous  venons  d'énumérer,  l'état  de  divi- 
sion du  corps  putrescible  avait  une  action  très-pro- 
noncée sur  les  phénomènes  de  l'hétérogénie  ;  et  que 
ceux-ci  se  manifestaient  d'autant  plus  promptement 
et  plus  énergiquement  que  ce  corps  était  plus  finement 
broyé.  C'est  là  un  fait  incontestable,  et  que*  cent  ex- 
périences nous  ont  démontré.  On  voit  même  parfois, 
dans  des  observations  exécutées  parallèlement,  se 


158  HETEROGENIE. 

produire  (les  espèces  différentes,  dans  des  macérations 
absolument  identiques,  sauf  Tétat  de  division  de  la 
substance.  Ces  divers  faits  sont  une  preuve  de  plus  en 
faveur  de  Fhypothèse  que  c'est  à  la  décomposition  du 
corps  solide  seul,  et  aux  diverses  circonstances  dans 
lesquelles  elle  se  produit,  que  les  Proto-organismes 
doivent  leur  modalité. 

Nous  choisissons  parmi  nos  expériences  les  deux 
suivantes;  elles  nous  semblent  suffire  pour  démontrer 
ce  que  nous  avançons  : 

Expérience.  —  Après  douze  heures,  à  une  tempé- 
rature moyenne  de  23  degrés  et  sous  la  pression  de 
0,76  une  macération  de  5  grammes  d'étoupe 
dans  300  grammes  d'eau,  offre  seulement  quelques 
petits  Vibrions,  peu  agiles,  rectilignes,  ayant  de  2 
à  4  divisions  micrométriques  de  longueur. 

De  l'étoupe  hachée  placée  dans  les  mêmes  condi- 
tions, contenait  un  bien  plus  grand  nombre  de  ces 
petits  Vibrions  et  ils  étaient  tous  en  grande  agitation. 
On  y  rencontrait  en  outre  une  quantité  considérable 
de  VibrionsJ  gigantesques  ayant  de  20  à  25  divisions 
micrométriques  de  longueur,  animés  de  vifs  mouve- 
ments anguiiloïdes. 

Expérience.  —  Dans  deux  vases  de  même  capacité, 
contenant  la  même  quantité  d'eau,  le  même  jour, 
on  met  un  poids  égal  de  foin  ;  seulement,  dans  l'un 
celui-ci  est  entier  et  lié  en  une  petite  botte;  et  dans 
l'autre  il  est  haclié  excessivement  fin  et  contenu  dans 
un  sac  de  tulle.  Au  bout  de  huitjours,  latempéralure 
ayant  été  en  moyenne  de  21  degrés  et  la  pression  de 
0,755  on  observa  les  deux  vases  en  expérience,  et 


DE   l'eau.  159 

l'on  reconnut  que  la  population  zoologique  de  l'un 
était  absolument  différente  de  celle  de  l'autre. 

Dans  le  vase  où  le  foin  était  entier  l'eau  offrait  une 
teinte  fauve  nébuleuse  etlapelliculeprésentaitpeud'é- 
paisseur  et  était  arachnoïde.  Sa  trameencore  distincte 
était  formée  de  l'enchevêtrement  de  longs  Vibrions, 
dans  l'intervalle  desquels  on  distingue  une  énorme 
quantité  de  Monaslens  Duj.  morts.  Le  liquide  était 
rempli  d'animalcules  piriformes  de  15  divisions  mi- 
crométriques de  longueur. 

Dans  le  vase  où  le  foin  a  été  haché  la  faune  est 
plus  riche  et  absolument  différente.  Elle  se  compose 
d'une  énorme  quantité  de  Kérones,  parfaitement 
adultes  et  d'une  abondance  deKolpodes  d'une  taille 
extraordinaire,  et  que  je  n'ai  jamais  rencontrés,  du 
moins  avec  une  telle  dimension.  Ces  Kolpodes  ont 
40  et  même  45  divisions  micrométriques  de  longueur 
et  offrent  des  estomacs  nombreux,  disséminés  dans 
une  substance  diaphane.  En  outre  il  existe  aussi 
dans  le  liquide  une  Algue  rameuse ,  cloisonnée  , 
et  de  tous  côtés  nagent  des  Vibrions  et  des  Mo- 
nades. 

SECTION    II.    —  DE   l'eau. 

L'eau  joue  un  rôle  important  dansles  phénomènes 
de  l'hétérogénie,  et  elle  est  regardée,  avec  raison, 
comme  l'un  des  éléments  indispensables  au  dévelop- 
peaient  des  Proto-organismes.  En  considérant  le  su- 
jet d'un  pointde  vue  plus  élevé,  on  reconnaît  même 
que  toute  existence  soit  végétale,  soit  animale,  dérive 
primitivement  de  celle-ci,  et  que  dans  la  suite,  soit 


i  60  HÉTÉROGÉNIE. 

à  l'état  liquide,  soit  à  l'état  de  vapeur,  elle  continue 
d'être  de  la  plus  haute  importante  pour  l'entretien 
de  la  vie. 

C'est  donc  avec  une  sorte  de  raison  instinctive, 
que  les  auteurs  inspirés  des  principales  cosmogonie», 
font  tous  sortir  de  l'eau  la  majeure  partie  de  la  créa- 
tion. En  traçant  le  tableau  de  l'origine  des  choses, 
les  livres  sacrés  de  presque  toutes  les  nations  nous 
représentent  la  superficie  du  globe  comme  étant  sub- 
mergée par  un  immense  océan.  Les  commentateur 
de  la  Bible,  ainsi  que  l'indique  lui-même  saint 
Jean,  s'accordent  à  émettre  qu'à  l'époque  du  chaos, 
la  terre  était  entièrement  couverte  par  une  vaste  mer, 
qui  disparut  pour  faire  place  à  la  création  (1).  Le 
mot  abîme  de  notre  texte  sacré  a  même  été  considéré 
par  la  plupart  des  commentateurs  comme  synonyme 
des  eaux  sur  lesquelles  planait  l'esprit  de  Dieu  (2). 

L'élément  fluide  joue  aussi  un  très-grand  rôle 
dans  les  cosmogonies  indiennes.  Là,  les  védas  repré- 
sentent Siva,  le  suprême  auteur  de  la  création,  dé- 
posant dans  le  sein  de  l'Océan  les  germes  de  l'uni- 
versalité des  êtres  (3).  Ailleurs  ils  peignent  Yichnou, 
qui  en  est  le  symbole,  flottant  sur  l'abîme  des  eaux, 

(1)  Saint  Jean,  Apocalypse ,  ch .  xxi,  1.  —  Comp.  Bost  ,  t.  I, 
p.  238. 

(2)  Comp.  J.  A.  Bost,  Dictionnaire  de  la  Bible.  Paris,  1849,  1. 1, 
p.  231.  —  Job,  xxxviii,  30.  Ps.  xlii,  viii,  civ,  vi.  —  Jonas,  ii,  6. 

(3)  Siva,  principe  de  la  chaleur  et  de  la  lumière,  y  tient  mani- 
festement la  place  du  grand  géne'rateur  ou  créateur.  Son  action 
a  précédé  toute  autre  action,  et  c'est  lui  qui  déposa  dans  les  eaux 
primitives  (représentées  parBhavani),  les  germes  producteurs 
de  toutes  choses.  (F.  Creuzer,  Religionsde  Vantiquité.  Paris,  1825, 
t.  I,  p.  177.) 


DE    LEAU.  161 

paisiblement  endormi  dans  les  replis  du  serpent 
adysséchen  (1).  Enfin,  dans  d'autres  endroits,  s'offre 
la  charmante  figure  de  Maya,  mère  de  la  mer  de  lait, 
matière  première  de  toutes  choses  (2),  et  d'où  na- 
quit la  déesse  des  sciences  elle-même,  Sarassouadi, 
épouse  de  Brama  (3). 

Dans  les  anciennes  théogonies  des  Persans,  on 
Yoit  que  ceux-ci  regardaient  la  terre,  Fair  et  l'eau, 
comme  les  principes  de  toutes  choses  (4). 

Au  milieu  de  leurs  errements,  les  alchimistes  du 
moyen  âge  et  de  la  renaissance,  accordent  aussi  àl'eau 
une  suprême  puissance  et  la  considèrent  comme  le 
grand  agent  de  la  vie  universelle.  Dans  un  endroit 
de  ses  œuvres,  le  trop  célèbre  Paracelse  la  désigne 
sous  la  dénomination  de  creatiirarum  universarum 
matrix  (5).  Et  plus  loin,  comme  s'il  avait  une  con- 


(1)  Selon  Creuzer_,  Vichnou  n'est  pas  seulement  l'eau,  mais  bien 
plutôt  l'esprit  ou  le  souffle  divin ,  se  mouvant  ou  marchant  sur 
les  eaux,  c'est-à-dire  les  vivifiant.  [Relig.  de  Vaut.,  t.L  p.  169.) 

(2)  C'est  une  des  plus  gracieuses  conceptions  de  l'art  indien. 
Cette  déesse ,  richement  parce  et  entourée  du  voile  des  préfor- 
mations^  dont  les  plis  recèlent  toute  la  création,  effleure  légère- 
ment la  surface  de  la  mer  de  lait  qui  s'écoule  de  son  sein  en  deux 
longs  ruisseaux. 

Comp.  Niclas  Muller,  in  Dorow's  morgenland.  Alterthum,\.\\, 
pi.  2,  flg.  2.  —  Creuzer,  Belig.  de  l'ant. 

(3)  So.^KERAT;,  Voyage  aux  Indes  orientales.  Paris,  1782,  t.  I, 
p.  154-172. 

(4)  Th.  Hyde,  Veterum  Persarum  religionis  historia,  eorumque 
Magorum.  Oxonii^  1760,  t,  I. 

(5)  Paracelse.  Nobilis,  clarissimi  ac  probatissimi  philosophi  et 
medici,Dn.  Aureoli  Philippi  Theophrasti  Bombast,  ab  Hohenherniy 
dicti  Paracelsi ,  opcrum  mcdico-chimicorum  site  paradoxorum^ 
tomus  genuinus  primus.  Francfort,  1603,  t.  III,  p.  25. 

POUCHET*  1  1 


162  HÉTÉROGÉME. 

fuse  idée  du  rôle  des  principaux  agents  de  l'hétéro- 
génie,  on  le  \oit  dire  :  «  Vita  in  omnibus  animalibus 
a  a  duahus  sphœris  gubernatur  :  a  siiperiore  quce 
«  aer  est  et  ignis;  ab  inferiore  j  quœ  aqiia  est  et 
«  terra  (1).  » 

Si,  abandonnant  ces  supputations  purement  histo- 
riques, nous  passons  à  Texanien  de  la  fonction  de 
l'eau  dans  la  production  des  phénomènes  de  l'hélé- 
rogénie,  nous  reconnaissons  que,  quoique  l'appari- 
tion normale  des  Proto-organismes  nécessite  ordinai- 
rement la  présence  simultanée  de  ce  fluide,  de  l'air 
et  d'un  corps  putrescible,  il  est  cependant  non  douteux 
que  des  organismes  peuvent  apparaître,  ainsi  que  le 
dit  Gleichen,  dans  l'eau  simple,  filtrée  ou  distillée; 
seulement  leur  formation  y  marche  beaucoup  plus 
lentement  que  dans  les  infusions,  la  nourriture  y 
manquant  (2).  Selon  Fray,  l'eau  pure  seule  pourrait 
même  engendrer  des  Microzoaires  ;  il  assure  en  avoir 
parfois  observé  dans  celle-ci  (3).  Si  ce  savant  ne  pré- 
tendait y  avoir  rencontré  que  des  végétaux  rudimen- 
taires,  nous  pourrions  partager  son  opinion,  mais 
jamais  nous  n'avons  vu  de  l'eau  distillée  produire  des 
animalcules,  si  ce  n'est  de  la  matière  verte. 

En  effet,  lorsque  de  l'eau  très-pure,  ou  même  de 
l'eau  distillée,  est  abandonnée  à  la  lumière  dans  les 
vases  de  nos  laboratoires,  au  bout  d'un  temps  qui 
varie,  selon  la  température,  on  voit  y  apparaître  des 

« 

(1)  Paracelse,  Ici.,  ihid.,  p.  27. 

(2)  Gleichen,   Dissertation  sur  la  génération.  Paris,  an  VII  ^ 

(3;  Fr.AY,  Essai  sur  l'origine  des  corps  organisés.  Paris,  1817. 


DE   l'eau.  163 


granulations  d'un  beau  verl,  rondes  ou  elliptiques, 
plus  ou  moins  abondantes  et  rapprochées.  Celles-ci 
sont  immobiles  ou  douées  de  mouvements  excessive- 
ment prononcés. 

Cette  matière  verte,  dont  il  est  souvent  question 
lorsqu'il  s'agit  de  génération  spontanée,  fut  signalée 
au  monde  savant  par  Priestley,  dans  un  travail  de- 
venu célèbre.  Ce  physicien  ne  l'avait  d'abord  consi- 
dérée que  comme  un  sédiment  muqueux  (1);  mais 
à  peine  deux  ans  s'étaient  écoulés  depuis  sa  décou- 
verte, qu'il  revint  sur  sa  première  idée,  et  éleva  cette 
matière  au  rang  des  végétaux,  en  la  regardant  comme 
une  espèce  de  Conferve  (2).  Forster,  Senebier  et  De 
Candolle,  ont  successivement  partagé  cette  erreur. 
Le  premier  la  prit  pour  le  Bissas  botryoides  de  Lin- 
née  j  Senebier  ne  vit  en  elle  que  le  Conferva  cespitosa 
filis  redis  undique  divergentibus  de  Haller  (3)  ;  et 
De  Candolle  créa  pour  celle-ci  son  Vaucheria  infusio- 
num  (4). 

Ingen  Housz,  patient  observateur,  jeta  un  jour 
nouveau  sur  la  nature  de  la  matière  verte,  qui  avait 
déjà  donné  lieu  à  tant  de  controverses  (5).  Il  la  con- 
sidéra d'abord  comme  une  espèce  de  mousse  ;  puis 
plus  tard  il  se  rangea  de  l'opinion  de  M.  Thomp- 
son de  la  société  royale  de  Londr^es,  qui  ne  vit  en 

(1)  Priestley^  Expériences  et  observations  sur  différentes  espèces 
d'air,  eic.  Paris,  1779,  t.  IV. 

(2)  Priestley,  Expériences  et  observations,  etc.  1781,  t.  V. 

(3)  Senebier  ,  Journal  de  physique.  1781,  t.  XXVIl,  p.  209.  Ou- 
vrage sur  la  lumière  solaire.  1782. 

(4)  De  Candolle,  Flore  française.  Paris  1805,  t.  II,  p.  65. 
(o)  Ingkn  Housz,  Journal  de  physique.  1784,  t.  XIV,  p.  3o6. 


164  HÉTÉROGÉNIE. 

elle  que  des  animalcules  (1)  et  il  l'envisagea  comme 
n'étant  que  le  groupement  d'une  immense  quantité 
de  Microzoaires  auxquels  il  donna  improprement  le 
nom  d'Insectes  (2).  Cette  matière  se  développe  égale- 
ment dans  l'eau  de  pluie,  dans  les  infusions,  et 
même  dans  l'eau  de  la  mer,  et  elle  abonde  parfois 
aux  environs  des  fontaines,  sur  les  pierres  qui  sont 
imbibées  d'eau.  Selon  Bory  de  Saint-Yincent,elle  se 
développe  bientôt  après  que  l'eau  a  manifesté  son 
sédiment  muqueux,  et  celui-ci  s'en  remplit  pour 
constituer  le  végétal  qui,  par  son  extrême  simplicité, 
a  le  droit  d'être  placé  à  la  tête  de  la  série,  le  Chaos 
prirnor^dialis .  Ainsi  donc,  pour  ce  savant,  celui-ci 
n'est  que  le  résultat  de  l'apparition  de  la  matière 
verte,  qu'il  appelle  îTia/ière  végétative  de  la  matière 
muqueuse  (3).  Enfin,  plus  récemment,  cette  matière 
paradoxale  a  été  regardée  par  Wagner  comme  n'é- 
tant formée  que  par  les  cadavres  de  plusieurs  espèces 
d'infusoires  de  couleur  verte,  et  surtout  par  ceux  de 
VEuglena  viridis  (4).  Nos  observations  nous  ont  con- 
duit à  la  même  conclusion,  en  voyant  cette  matière 
verte  s'animer  à  certains  moments  de  mouvements 
qui  ne  peuvent  appartenir  qu'à  l'animalité. 

Des  Proto-organismes  peuvent   aussi   apparaître 
dans  des  liquides  de  composition  variée.  Retzius  dit 


(1)  Thompson,  Transactions  philosophiques.  1787. 

(2)  Ingen  Housz,  Expériences  sur  les  végétaux.  Paris,  1789,  t.  II, 
p.  365. 

(3)  BoRYDE  Saint-Vincent,  Dictionnaire  classique  d'histoire  na- 
turelle. Paris,  182G,  t.' I,  p.  264. 

(4)  Comp.  J.  MuLLER,  Manuel  de  physiologie,  {.  I,  p.  11. 


DE    L  EAU.  165 

avoir  vu  desConferves  se  développer  dans  une  disso- 
lution de  chlorure  de  baryte,  opérée  à  Taide  d'eau 
distillée,  et  contenue  dans  un  flacon  bouché  à  l'é- 
meri  (1). 

Dans  certaines  circonstances,  la  composition  de 
Teau  peut  à  elle  seule  expliquer  l'apparition  des  Mi- 
crozoaires,  sans  qu'il  soit  utile  d'invoquer  la  pré- 
sence de  germes.  De  l'eau  météorique,  analysée  par 
Zimmermann  ,  lui  a  fourni  une  certaine  quantité 
d'une  substance  particulière,  dégageant  de  l'ammo- 
niaque, différente  du  mucus,  et  qu'il  a  appelée  Pyr- 
rhine.  Cette  eau  contenait  en  outre  du  fer,  du  manga- 
nèse, de  la  chaux  et  quelques  autres  substances  (2). 
Selon  Nées  d'Esenbeck,  lorsque  cette  pyrrhine  vient 
à  se  précipiter,  il  se  peut  qu'elle  produise  des  ani- 
malcules. 

Selon  Burdach,  Teau  qui,  dans  nos  expériences, 
se  fait  remarquer  par  sa  plus  grande  fécondité  en 
produits  organiques,  est  celle  de  la  rosée  ;  l'eau  de 
pluie  vient  après,  et  enfin  celle  de  source  (o). 

On  peut  considérer  comme  une  règle  générale 
que  le  mouvement  fermentescible  qui  précède  con- 
stamment l'apparition  des  Protozoaires,  se  manifeste 
beaucoup  plus  lentement  et  plus  difficilement  dans 
l'eau  qui  a  bouilli,  que  dans  celle  qui  n'a  pas  subi 
l'action  de  la  chaleur.  Les  observations  viennent  à 
satiété  établir  ce  que  nous  avançons. 

(1)  Retzius.  Froriep,  Notizen^j  n»  56, 

(2)  Zimmermann  ,  Archiv.  fur  gesammte  Naturlehre^  t.  I,  p.  257. 
Archives  de  l'histoire  naturelle. 

(3)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  t.  I^  p.  18. 


d66  HÉTÉROGÉNIE. 

Expérience. — Les  diverses  combinaisons  suivantes 
ont  été  abandonnées  durant  cinq  jours  à  l'air  libre, 
par  une  température  moyenne  de  24%  et  une  pres- 
sion de  0,755.  On  opérait  sur  300  grammes  d'eau. 

Le  premier  vase  contenait  une  décoction  de  foin, 
filtrée,  ayant  subi  une  heure  d'ébullition.  Le  liquide 
était  un  peu  trouble  et  fortement  coloré  en  fauve; 
sa  surface  n'offrait  aucune  trace  de  pellicule.  Seule- 
ment de  place  en  place  on  voyait  nager  quelques 
petits  îlots  d'un  Bissus  microscopique,  inarticulé,  ra- 
meux.  Il  n'existait  aucun  animalcule  dans  la  liqueur. 

Le  second  vase  contenait,  outre  la  même  décoc- 
tion que  le  précédent,  5  grammes  du  foin  qui  avait 
servi  à  la  confectionner.  Le  liquide  n'offrait  pas  la 
moindre  trace  de  pellicule.  Le  microscope  y  signala 
quelques  rares  fragments  du  même  Bissus  que  dans 
le  vase  précédent,  et  de  plus  une  immense  quantité 
de  Vibrions  en  mouvement.  Aucun  autre  animalcule 
n'y  existait. 

Le  troisième  vase  contenait  de  l'eau  de  citerne  fil- 
trée, dans  laquelle  on  avait  mis  5  grammes  de  foin 
qui  avait  subi  l'ébullition.  Le  liquide  était  d'une 
couleur  fauve,  et  recouvert  d'une  pellicule  bien  for- 
mée. Il  était  peuplé  de  Kolpodes,  de  Glaucomes  et 
d'une  innombrable  quantité  de  Vibrions  dispersés  au 
milieu  de  filaments  bissoïdes. 

Enfin  ,  un  quatrième  vase  était  rempli  d'eau  de 
citerne,  et  contenait  5  grammes  de  foin,  n'ayant 
subi  aucune  préparation.  Dans  ce  vase  la  pellicule 
était  encore  plus  épaisse  que  dans  le  précédent. 
L'examen  y  fit  reconnaître  un  nombre  de  Vibrions, 


DE   L  EAU.  167 

de  Kolpodes  et  de  Glaucomes  encore  beaucoup  plus 
considérable  que  dans  le  troisième  matras,  et  en 
outre  une  infinité  de  petits  kistos  oviformes,  repré- 
sentant les  nouveaux  éléments  d'une  immense  po- 
pulation de  Monade  lentille,  qui  va  apparaître. 

Cette  expérience,  que  nous  avons  répétée  plusieurs 
fois,  en  variant  l'intervalle  du  temps,  nous  a  tou- 
joursdonné  les  mêmes  résultats.  Elle  démontre  donc  : 
r  que  l'eau  qui  a  subi  un  certain  temps  d'ébullition 
est  infiniment  moins  apte  à  produire  des  animalcules 
que  ne  l'est  l'eau  ordinaire  ;  2°  que  le  foin  qui  a  subi 
l'ébullition,  comme  nous  l'avons  déjà  vu,  est  lui- 
même  moins  rapidement  prolifique  que  celui  qui  est 
naturel.  Elle  prouve,  en  outre,  que  ce  n'est  pas  le 
foin  qui  recèle  les  germes  des  animalcules,  puisqu'il 
s'en  développe  d'abondantes  légions  dans  les  expé- 
riences où  lui  seul  a  subi  l'ébullition  ;  et  enfin,  que 
ce  n'est  pas  non  plus  l'eau  qui  contient  ces  germes, 
puisque  dans  Teau  qui  a  bouilli  on  découvre  égale- 
ment des  animalcules,  mais  seulement  ceux-ci  n'y 
apparaissent  qu'avec  plus  de  lenteur. 

On  peut  aussi  considérer  comme  une  loi  fonda- 
mentale que  les  phénomènes  de  l'hétérogénie  se  ma- 
nifestent avec  d'autant  plus  d'intensité  que  le  corps 
putrescible  est  placé  davantage  vers  la  surface  du  li- 
quide. Cela  est  tellement  évident,  que  lorsque  nous 
voulons  activer  dans  nos  bocaux  la  production  de 
certains  animalcules,  nous  nous  bornons  à  laisser 
surnager  une  petite  portion  de  la  substance  sur  la- 
quelle nous  opérons.  Il  est  même  fort  curieux  de 
noter  que  la  profondeur  à  laquelle  se  trouve  le  corps 


168  HETEROGENIE. 

putrescible,  influe  même  sur  la  nature  des  espèces 
qui  sont  produites,  ainsi  que  le  prouvent  les  dernières 
expériences  que  nous  citons  ici  à  Tappui  de  nos  as- 
sertions. 

Expérience.  —  Une  forte  éprouvette  est  remplie 
d'eau  de  citerne  jusqu'à  la  hauteur  de  30  centi- 
mètres ;  \  centimètre  au-dessous  de  la  surface  du 
liquide  on  a  suspendu  5  gram  mes  de  foin  haché, 
maintenu  dans  un  sac  de  tulle.  Le  troisième  jour,  le 
liquide  est  légèrement  trouble  ;  sa  surface  offre  une 
pellicule  mince,  fragile,  et  des  bulles  d'acide  carbo- 
nique. On  y  rencontre  des  Kolpodes  piriformes  et 
des  Kérones  nageant  au  milieu  d'une  immense  quan- 
tité de  Vibrions  granifères,  de  Vibrions  gigantesques, 
et  de  Monades . 

Dans  une  éprouvette  absolument  semblable,  avec 
la  même  quantité  d'eau,  on  met  le  foin  au  fond  du 
vase.  La  pellicule  est  excessivement  mince,  etcelte  ma- 
cération est  infiniment  moins  peuplée  que  la  précé- 
dente. Les  Monades  y  sont  clair-semées  ;  les  Vibrions 
gigantesques  et  les  Vibrions  granifères  sont  beaucoup 
moins  nombreux;  on  n'y  rencontre  ni  Kolpodes  ni 
Kérones. 

Expérience.  —  Dans  une  autre  expérience,  nous 
avons  placé  5  grammes  de  foin  à  50  centimètres  de 
profondeur  dans  un  long  tube  de  2  centimètres  de 
diamètre.  Parallèlement,  on  a  placé  la  même  sub- 
stance, et  en  quantité  égale,  au  fond  d'un  tube,  à  1 
mètre  au-dessous  du  niveau  de  l'eau  5  enfin,  dans  un 
troisième  tube,  le  foin  a  été  placé  à  2  mètres  de  pro- 
fondeur. Vingt-quatre  heures  après,  voici  ce  que 


DE    l'eau.  169 

l'on  observait,  la  température  étant  de  25%  la  pres- 
sion de  0,757. 

Dans  le  tube  où  le  foin  était  à  50  centimètres  sous 
l'eau,  il  existait  une  innombrable  quantité  de  Mo- 
nades, et  d'innombrables  légions  de  Vibrions  gigan- 
tesques et  de  Vibrions  granifères,  tous  fort  agiles. 

Dans  le  tube  où  le  foin  était  placé  à  1  mètre  sous 
l'eau,  il  y  avait  moins  de  ces  animalcules. 

Enfin,  dans  le  tube  où  le  foin  était  situé  à  2  mètres 
au-dessous  du  niveau  de  l'eau,  on  ne  rencontrait  plus 
que  des  Menas  termo,  Mull.  fort  espacés,  fort  rares, 
entremêlés  de  quelques  Vibrions  très-fins.  On  ne  dé- 
couvre plus  ici  un  seul  Vibrion  gigantesque,  ni  un 
seul  Vibrion  granifère. 

Expérience.  —  J'ai  répété  cette  expérience,  mais 
en  observant  seulement  ses  résultats  quatre  jours 
après  qu'elle  avait  été  commencée.  Voici  ce  qui  eut 
lieu  : 

Dans  le  tube  où  le  foin  a  été  placé  à  2  mètres  de 
profondeur,  la  pellicule  est  aréniforme  et  composée 
de  granules  immobiles  :  la  liqueur  ne  contient  pas 
le  moindre  animalcule  vivant. 

Dans  le  vase  où  le  corps  putrescible  est  à  1  mètre 
de  profondeur,  il  existe  quelques  animalcules  indé- 
terminables, très-agiles,  allongés,  d'une  division  mi- 
crométrique de  longueur,  puis  un  assez  bon  nombre 
de  fins  Vibrions. 

Dans  le  tube  où  le  corps  fermentescible  est  placé 
à  50  centimètres  au-dessous  du  niveau  de  l'eau,  on 
trouve  une  immense  quantité  d'animalcules  très- 
agiles,  d'une  division  micrométrique  de  longueur, 


170  HETEROGEME. 

encore  indéterminables  ;  puis  des  Vibrions  très-fins; 
et  en  outre  un  nombre  considérable  de  Protées,  tan- 
dis que  les  autres  tubes  ne  contiennent  pas  un  seul 
de  ces  animalcules. 

Ces  expériences,  que  nous  avons  répétées  à  di- 
verses reprises,  et  toujours  avec  des  résultats  ana- 
logues, viennent  donc  nous  démontrer  que  la  pro- 
fondeur à  laquelle  le  corps  putrescible  est  placé  sous 
l'eau,  a  une  extraordinaire  influence,  non-seulement 
sur  la  rapidité  de  l'évolution  des  Microzoaires,  mais 
encore  qu'elle  suscite  l'apparition  d'espèces  absolu- 
ment différentes,  quoique  l'on  fasse  usage  de  la  même 
substance.  Ces  expériences  prouvent  en  outre,  que 
si  les  germes  des  animalcules  étaient  dans  l'un  des 
trois  corps  que  l'on  en  a  fait  successivement  déposi- 
sitaires,  il  n'y  aurait  pas  de  raison  pour  que  les  ani- 
malcules ne  fussent  pas  identiques  et  aussi  abondants 
dans  un  tube  que  dans  l'autre;  au  contraire,  cela 
s'explique ,  si  leur  production  n'est  que  le  résultat 
de  l'action  combinée  des  éléments  de  l'eau,  du  so- 
lide et  de  l'air. 

Expérience.  —  En  expérimentant  sur  de  l'eau 
contenant  du  Trèfle  ordinaire,  je  suis  parvenu  aux 
mêmes  résultats  que  précédemment.  Si  ce  végétal  se 
trouvait  submergé  par  une  abondance  d'eau,  lesin- 
fiisoires  étaient  fort  longtemps  à  apparaître,  et  peu 
nombreux.  Au  contraire,  plus  j'approchais  de  la  sur- 
face du  liquide  le  végétal  en  expérience ,  plus  la 
génération  était  copieuse  et  rapide.  Enfin,  si  même 
je  laissais  une  portion  du  Trèfle  sortir  de  l'eau,  dans 
ce  cas  j'obtenais  une  production  de   Microzoaires 


DE    l'air.  171 

d'une  abondance  à  nulle  autre  pareille,  et  dans  le 
moindre  espace  de  temps. 

Fray  et  Burdach,  dansd'autres expériences,  avaient 
déjà  obtenu  des  résultats  analogues  aux  miens,  mais 
pas  tout  à  fait  aussi  nettement  trancliés,  aussi  précis. 
Le  premier  dit  seulement  que  si  la  substance  qui 
macère  est  surmontée  d'une  trop  haute  colonne  de 
liquide,  il  ne  se  produit  pas  d'animalcules  dis- 
tincts (i);  et  Burdach  avance  simplement  qu'en 
plongeant  un  morceau  de  granit  dans  de  l'eau,  si 
cette  roche  y  est  totalement  submergée ,  la  matière 
verte  ne  se  reproduit  que  lentement;  et  qu'au  con- 
traire, si  elle  ne  l'est  qu'imparfaitement,  et  qu'une 
partie  surpasse  le  niveau  du  liquide  ,  cette  ma- 
tière apparaît  plus  promptement  et  plus  abon- 
damment (2). 


SECTION    m.    —   DE  LAIR. 


11  est  à  peine  besoin  de  dire  que  l'air  est  indispen- 
sable à  la  production  des  Microzoaires,  l'atmosphère, 
selon  l'expression  d'un  illustre  chimiste,  renfermant 
les  matières  premières  de  toute  l'organisation  (3). 
Une  expérience  de  Wrisberg  suffirait,  s'il  en  était 
besoin ,  pour  le  démontrer.  En  couvrant  ses  infu- 
sions d'une  couche  d'huile  d'olive,  d'une  ligne  d'é- 
paisseur, jamais  il  ne  vit  d'animaux  apparaître; 

(1)  Fray,  Essai  sur  l'origine  des  corps  organisés  et  inorganisés . 
Paris,  1817. 

(2)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1831,  t.  î^  p.  21. 

(3)  Dumas,  Essai  de  statique  chimique  des  êtres  organisés.  Pa- 
ris, 1842,  p.  10. 


172  HÉTÉROGÉNÏE 

tandis  que  s'il  ne  mettait  à  la  surface  du  liquide  que 
quelques  gouttelettes  d'huile,  dans  les  intervalles  des- 
quelles celui-ci  se  trouvait  en  contact  avec  Tatmos- 
phère,  on  voyait  des  Protozoaires  s'y  former  (1).  D'un 
autre  côté,  Spallanzani  affirme,  ce  qui  à  priori  semble 
n'être  pas  douteux,  que  dans  le  vide  de  la  machine 
pneumatique,  aucun  animalcule  ne  se  produit  (2). 
Gruithuisen  est  venu  aussi,  par  ses  expériences,  appor- 
ter une  nouvelle  preuve  de  l'indispensable  nécessité 
de  l'air  pour  la  production  des  Protozoaires.  En  ren- 
fermant une  infusion  produisant  ordinairement  d'a- 
bondants animalcules,  dans  des  flacons  bouchés  à 
l'émeri,  et  dont  le  bouchon  touchant  au  liquide  en- 
travait la  présence  de  l'air,  jamais  il  ne  vit  de  Micro- 
zoaires  apparaître  (3). 

L'air  est  tellement  indispensable  à  la  vie  des  Mi- 
crozoaires  que  si  sa  masse  n'est  pas  suffisante,  lors- 
qu'on opère  à  vaisseaux  clos,  on  n'en  voit  aucun 
apparaître.  Lorsque  dans  ceux-ci  son  volume  est 
trop  restreint,  on  observe  même  que  jamais  il  ne  s'y 
développe  que  des  animalcules  dei'ordre  le  plus  in- 
fime (4).  Ceux-ci  y  meurent  même  rapidement,  de 
façon  que  lorsqu'on  ouvre  les  vases,  on  n'y  trouve 
plus  que  leurs  vestiges.  Spallanzani  avait  déjà  si- 
gnalé l'influence  lélhifère  qu'exercent  sur  les  anirnal- 

(1)  Wrisberg,  Observationum  de  animalculis  infusoriis  Natura, 
etc.  Gottingue,  1765,  p.  82. 

(2)  Spallanzani.  Observations  et  expériences  sur  les  animalcules, 
p.  140. 

(3)  Gruithuisen.  — Gehuer,  Journal  fur  die  Chemie  und  Physik, 
t.  YIII,  p.  523. 

(4)  Monas,  vibriO;,  bacterium,  etc. 


DE    L  AIR.  173 

cules  microscopiques  les  vases  fermés  hermétique- 
ment (1).  Mais  il  ne  nous  paraît  point  en  avoir 
pénétré  la  cause  réelle,  qui^  selon  nous,  est  peut-être 
la  stagnation  à  la  surface  de  l'eau  de  l'acide  carbo- 
nique et  des  gaz  méphitiques  produits  par  la  fermen- 
tation putride. 

Voici  quelques  expériences  propres  à  élucider  ce 
sujet. 

Expérience.  —  Ayant  pris  un  flacon  d'un  litre  de 
capacité,  bouchant  à l'émeri,  on  y  mit  un  demi-litre 
d'eau  de  citerne,  passée  au  filtre,  et  5  grammes  de 
foin.  Ce  flacon  qui  contenait  en  conséquence  un 
demi-litre  d'air,  après  avoir  été  bouché  hermétique- 
ment fut  laissé  quarante  six-jours  dans  mon  labora- 
toire, en  été,  à  une  température  moyenne  de  23  de- 
grés. Après  ce  laps  de  temps  l'eau  était  d'une  teinte 
légèrement  citrine,  limpide,  sans  dépôt  au  fond  et 
sans  pellicule  à  sa  surface.  Cette  eau  ne  contenait 
aucun  animalcule  ni  aucune  autre  production  orga- 
nisée ;  de  place  en  place  seulement  de  rares  granules, 
soit  globuleux,  soit  allongés,  sont  animés  d'un  mou- 
vement brownien;  mais  ces  granules,  qui  pourraient 
en  imposer  à  des  observateurs  inattentifs,  examinés 
aux  plus  forts  grossissements,  ne  sont  ni  des  Monades 
ni  des  Vibrions.  L'air  qui  se  trouve  dans  le  vase  a 
contracté  une  grande  fétidité  et  son  odeur  rappelle 
celle  de  l'hydrogène  sulfuré. 

Expérience.  —  Quatre  flacons  d'un  litre  de  capa- 
cité, bouchant  à  l'émeri,  ont  été  remplis  aux  deux 

(1)  Spallanzani,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale.  Pa- 
ris, 1787,  1. 11,  p.  199. 


il  A  HÉTÉROGÉNIE. 

tiers  d'eau;  on  a  ensuite  introduit  dans  chacun  d'eux 

10  grammes  de  foin,  lié  en  une  petite  botte;  puis 
ils  ont  été  bouchés  hermétiquement,  contenant,  par 
conséquent  au-dessus  de  l'eau,  un  tiers  de  litre  d'air 
atmosphérique.  La  température  moyenne  a  été  de 
22  degrés  pendant  le  cours  de  cette  expérience. 

Le  deuxième  jour,  le  premier  de  ces  flacons  a  été 
observé.  La  macération  était  d'une  teinte  fauve,  trou- 
ble; sa  superficie  était  couverte  d'un  peu  d'écume, 
mais  il  n'existait  encore  aucune  pseudo-membrane. 
La  macération  contenait  alors  une  immense  quantité 
de  Vibrions  de  grande  et  de  petite  dimension,  Vibrio 
tremiilans  j  Vibrio  levis.  Tous  étaient  morts;  seu- 
lement le  réseau  formé  par  leurs  débris  était  par- 
couru de  place  en  place  par  quelques  ifonas  lens,  Duj. 

Le  quatrième  jour,  le  second  flacon  a  été  ouvert; 
sa  surface  était  écumeuse  et  sans  pellicule  apparente. 

11  n'y  existait  absolument  que  des  corps  morts  du 
Bacterium  trilociilare,  Ehr.  assez  espacés,  et  quelques 
Y(ives  Monas  lens  en  mouvement;  souvent  même  on 
n'en  rencontrait  pas  un  seul  dans  le  champ  du  mi- 
croscope. 

Le  troisième  flacon,  ouvert  le  septième  jour,  ne 
présente  à  sa  surface  que  de  rares  bulles  gazeuses. 
Son  liquide  est  jaune  fauve,  un  peu  nébuleux.  La 
pellicule  à  peine  formée  se  compose  de  cadavres  de 
Monas  crepiisculiim ;  dans  la  liqueur  rien  autre  chose 
qne  quelques-uns  de  ses  monas  morts  et  flottants^  et 
quQ\([ue?>  Baclcrium  trilociilare  également  sans  mou- 
vement. Vie  absolument  nullcc  Le  premier  flacon, 
resté  ouvert  depuis  cinq  jours,  est  rempli  au  con- 


DE  l'air.  175 

traire    d'une    abondance  de   Glaiicoma  scintillans 
Duj.  et  de  Kolpoda  eiicullus,  Mull.  etc. 

Le  dix-huitième  jour  on  ouvrit  Je  quatrième  fla- 
con; la  macération  était  de  couleur  citrine ,  légère- 
ment nébuleuse;  à  sa  surface  existait  une  pellicule 
extrêmement  mince,  formée  de  cadavres  de  Bade- 
riumtermo,  maison  ne  rencontrait  aucun  animalcule 
vivant  dans  la  macération. 

Expérience.  —  Deux  flacons  à  large  ouverture  re- 
çoivent un  litre  d'eau,  10  grammes  de  foin  et  con- 
tiennent en  outre  un  demi-litre  d'air. 

Uun  de  ces  flacons,  dont  l'ouverture  est  abritée 
d'une  simple  cloche  en  verre,  est  examiné  le  qua- 
trième jour,  une  température  moyenne  de  23  degrés 
ayant  régné  pendant  la  durée  de  l'expérience;  il 
offre  alors  à  sa  surface  une  pellicule  cassante,  peu 
épaisse,  peuplée  de  Monas  lens,  de  Bacterium  termo, 
de  Vibrio  undidta,  de  Vibrio  levis,  de  Vibrio  gra- 
ni  fer  Kerona  lepus  et  de  vivants. 

Le  même  jour  on  débouche  l'autre  flacon  qui  a 
été  au  contraire  hermétiquement  fermé.  Il  n'existe 
aucune  pellicule  à  sa  surface,  ni  aucune  bulle  ga- 
zeuse; son  liquide  est  d'un  jaune  pâle,  peu  nébu- 
leux. Les  gaz  contenus  dans  l'intérieur  sont  fétides. 
La  macération  n'off're  absolument  aucun  animalcule 
vivant. 

Expérience.  —  Un  flacon  ayant  un  litre  de  conte- 
nance est  à  moitié  rempli  d'eau  de  citerne,  et  on  y 
introduit  5  grammes  de  foin.  Ce  flacon,  bouchant 
à  l'émeri,  est  fermé  hermétiquement,  ayant  par 
conséquent  un  demi-litre  d'air  dans  son  intérieur. 


d  76  HETEROGENIE. 

Après  quatre  jours  écoulés,  par  une  température  de 
25  degrés  en  moyenne,  on  ne  rencontre  dans  ce  fla- 
con que  des  Monades  et  de  très-petits  Vibrions.  Au- 
cun Vibrion  gigantesque,  aucun  Vibrion  granifère, 
et  aucun  autre  animal  plus  élevé,  tandis  que  dans 
vingt  expériences  commencées  à  la  même  époque  et 
dans  lesquelles  l'air  est  en  contact  avec  l'eau,  déjà 
depuis  deux  jours,  l'époque  des  grands  Vibrions  est 
passée  et  l'on  découvre  desKoîpodes,  des  Glaucomes 
et  des  Kérones. 

Il  est  à  noter  aussi  que  dans  celte  expérience, 
comme  dans  toutes  celles  qui  sont  analogues,  îe 
foin  s'était  mieux  conservé  que  lorsqu'on  expéri- 
mentait au  contact  de  l'atmosphère,  comme  si  l'ab- 
sence d'une  quantité  suffisante  d'air  arrêtait  le  mou- 
vement putrescible. 

Ainsi  donc  ces  diverses  expériences  concernant  ce 
qui  se  passe  dans  les  vaisseaux  clos,  prouvent  plusieurs 
choses  :  1°  que  la  stagnation  de  l'air  peut  anéantir 
absolument  la  production  des  Proto-organismes; 
T  que  s'il  n'y  a  pas  une  complète  absence  de  ceux-ci, 
leur  développement  est  considérablement  entravé  : 
qu'ils  sont  moins  nombreux  et  constamment  d'une 
organisation  moins  élevée;  3°  que  l'atmosphère  ne 
contient  pas  normalement  les  germes  des  organismes, 
puisque  le  demi-litre  d'air  compris  dans  le  flacon 
n'en  dépose  parfois  pas  un  seul  dans  l'eau  et  n'en 
dépose  jamais  d'un  ordre  élevé;  tandis  que  dans  des 
expériences  où  l'eau  est  en  contact  avec  un  bieii 
moindre  volume  d'air,  mais  dans  lesquelles  les  gaz 
produits  par  la  décoiiiposilion  putride  peuvent  s'é- 


DE    L  AIR.  177 

chapper  en  liberté,  on  voit  s'engendrer  des  myriades 
d'animalcules  de  toute  espèce. 

Cependant ,  si  l'air  pur  est  indispensable  à  la  \ie 
des  Microzoaires,  on  peut  ajouter  qu'il  ne  leur  en 
faut  qu'une  quantité  infiniment  petite,  car  on  les 
voit  prolonger  longtemps  leur  existence  dans  le 
vide  de  la  machine  pneumatique.  Malgré  la  délica- 
tesse de  leur  organisation,  ils  supportent  même 
mieux  son  influence  que  certains  animaux  immensé- 
ment plus  robustes,  qui,  tels  que  les  poissons  et  les 
grenouilles,  sont  bien  plus  rapidement  tués  qu'eux 
par  la  raréfaction  de  l'air. 

Expérience.  —  Un  vase  rempli  de  Kolpodes,  de 
Kérones  et  de  Vibrions  est  placé  sous  le  récipient 
d'une  machine  pneumatique.  On  fait  le  vide,  sans  en 
constater  l'intensité, et  on  laisse  ces  animaux  pendant 
une  nuit  sous  son  influence.  Le  lendemain  tous  ceux- 
ci  étaient  parfaitement  vivants.  La  raréfaction  de 
l'air  ne  peut  donc  pas  influencer  la  vie  des  Micro* 
zoaires,  quand  elle  n'est  pas  portée  à  un  trop  haut 
degré. 

Expérience.  —  Le  vide,  même  assez  intense,  ne 
semble  pas  non  plus  nuire  aux  animalcules.  Une 
macération  de  Dahlia  qui  contenait  une  nombreuse 
population  de  Kérones,  fut  exposée  sous  la  cloche 
d'une  machine  pneumatique  et  Ton  fit  le  vide. 
Bientôt  le  liquide  bouillonna  avec  beaucoup  de  force 
et  l'on  obtint  le  vide  à  deux  centimètres.  Au  bout 
de  deux  jours,  par  une  température  de  25  degrés, 
l'on  examina  l'appareil,  et  tous  les  Kérones  étaient 
parfaitement  portants  et  semblaient  avoir  grossi. 

PoccnET.  1 2 


178  HÉTÉROGÉNIE. 

Expérience.  —  Une  coupe  contenant  une  macéra- 
lion  remplie  de  Kolpodes  et  de  Vibrions  est  exposée 
sous  Ja  machine  pneumatique  ;  à  côté  d'elle,  dans  un 
vase  pareil,  on  place  un  petit  Cyprin  doré,  de  6  cen- 
timètres de  longueur.  On  fait  le  vide,  et  au  bout  de 
deux  minutes  l'eau  de  l'infusion  bouillonne  forte- 
ment et  se  couvre  d'écume  ;  après  cinq  minutes  le 
Cyprin  vient  à  la  surface  de  l'eau  et  reste  sans  mou- 
vement. Le  vide  est  fait  à  1  centimètre.  Après  dix 
minutes  le  Cyprin  expire  ;  et  après  vingt  minutes  on 
rend  l'air  au  récipient  et  Ton  observe  la  macération. 
Le  microscope  fait  reconnaître  que  tous  les  Kolpodes 
et  lesVibrions  sont  vivants,  comme  auparavant.  Ainsi 
donc  pour  tuer  ces  animaux,  il  faut  une  plus  puis- 
sante action  que  celle  qui  tue  un  poisson. 

Dansles  belles  expériences  entreprises parMessieurs 
Y.  Regnault  et  J.  Reiset,  les  animaux  que  l'on  plaçait 
dans  desappareils  oiileurrespiration  n'était  entretenue 
qu'à  l'aide  d'un  air  factice,  y  ont  resté  trois  ou  quatre 
jours  sans  en  éprouver  aucun  malaise  apparent  (1). 
Nous  avons  vu  aussi  que  les  Microzoaires  pouvaient 
vivre  pendant  un  temps  assez  long  dans  un  mélange 
de  gaz  azote  et  de  gaz  oxygène,  exécuté  dans  les  pro- 
portions rigoureuses  pour  constituer  de  l'air  artificiel . 

Selon  Fray ,  l'air  atmosphérique  ne  serait  pas  indis- 
pensableau  développement  des  Microzoaires,  et  l'on 
pourrait  le  remplacer  par  divers  autres  gaz  sans  qu'il 
soit  entravé.  Ce  savant  dit  avoir  vu  de  nombreux  In- 
fusoires  s'engendrer  dans  de  l'eau  qui  était  en  con- 

(1)  Regnault  et  J.  Reiset,  Recherches  chimiques  sur  la  respira- 
tion des  animaux  des  diverses  classes.  Paris,  1849^  p.  24. 


DE    L  AIR.  ITÎ) 

tact  avec  de  Thydrogène  ou  de  l'azote  (1).  Burdach 
assure  avoir  répété  ces  expériences  et  avoir  obtenu  les 
mêmes  résultats  (2). 

Déjà  Humboldt  avait  fait  pressentir  qu'il  était  très- 
douteux  qu'un  animal  pût  vivre  dans  l'azote  pur  (3). 
Pour  nous,  à  diverses  reprises,  nous  avons  répété  les 
expériences  de  Fray  et  de  Burdach,  et,  comme  sem- 
blaient à  l'avance  nous  l'indiquer  les  notions  physiolo- 
giques, nous  avons  obtenu  des  résultats  absolument 
opposés  à  ceux  que  mentionnent  ces  deux  savants  (4). 
On  conçoit  cependant  que  s'ils  ont  opéré  en  em- 
ployant de  l'eau  qui  contenait  beaucoup  d'air,  il  ait 
pu  se  faire  que  celui-ci  suffît  à  la  vie  des  Microzoaires 
à  mesure  qu'ils  apparaissaient  ;  mais  il  est  certain  que 
toutes  les  fois  que  l'on  fait  usage  d'eau  qui  ne  con- 
tient point  d'air  atmosphérique,  aucun  animalcule 
ne  se  développe  avec  les  gaz  précités.  Dans  les 
expériences  suivantes,  exécutées  avec  toute  la  pré- 
cision possible,  nous  n'avons  jamais  vu  aucun 
Proto- organisme  apparaître  ,  soit  dans  l'eau  privée 
d'air,  soit  même  dans  l'eau  aérée,  que  nous  avons  mise 
en  contact  avec  de  l'azote,  de  l'hydrogène,  ou  de 
l'acide  carbonique;  l'oxygène  seul,  comme  on  pouvait 
s'y  attendre,  a  offert  une  exception. 

Expériences  avec  l'eau  aérée.  —  Ayant  mis 
10  grammes  de  foin  dans  un  demi-litre  d'eau  filtrée 

(1)  Fray,  Essai  sur  V origine  des  corps  organisés  et  inorganisés, 
Paris,  1821,  p.  5-8. 

(2)  BuRDACH^  Traité  de  pJnjsiologie.  Paris,  1837,  t.  I,  p.  19. 

(3)  Humboldt,  Tableaux  de  la  nature.  Paris,  1828,  t.  II,  p.  89. 

(4)  Humboldt  et  Provençal,  Sur  la  respiration  des  poissons.— 
Recueil  d'observations  zoologiques,  t.  II,  p.  194. 


i80  lîETEROGEME. 

en  contact  avec  1  décimètre  cube  d'oxygène,  au  bout 
de  vingt-cinq  jours,  la  température  moyenne  ayant 
été  de  18  degrés,  la  macération  offrait  une  pellicule 
mince,  et  l'on  reconnut  au  microscope  que  la  surface 
du  liquide  était  animée  par  une  grande  quantité  de 
Monas  termo,  Mull.  et  de  Vibrions,  Vibrio  lineola , 
Mull.  Vibrio  tremidans ,  Ehv .  Vibrio  spirilliim,  Mull. 

Une  pareille  macération  de  foin,  dans  les  mêmes 
circonstances,  mise  en  contact  avec  de  l'azote,  ne 
présentait  à  sa  surface  aucune  pellicule,  ni  aucun 
Microzoaire. 

En  conta :t  avec  l'acide  carbonique,  une  même 
macération  ne  m'a  offert  aucune  pellicule  à  sa  sur- 
face et  aucun  organisme. 

Enfin,  un  flacon  de  la  même  macération ,  mais 
étant  en  partie  rempli  d'hydrogène  et  qu'on  n'exa- 
mina que  deux  mois  et  demi  après,  n'offrait  à 
sa  surface  aucune  pellicule  ,  aucune  bulle  gazeuse 
et  ne  contenait  pas  le  moindre  vestige  d'animal- 
cules. 

Expériences  avec  de  l'eau  privée  d'air.  —  Avant 
rempli  d'eau  bouillante  un  flacon  d'un  litre  de  ca- 
pacité, et  l'ayant  renversé  et  bouché  hermétiquement 
sous  une  cuve  à  mercure,  lorsque  l'eau  fut  refroidie, 
on  introduisit  dans  celui-ci  un  demi -litre  de  gaz 
azote,  et  10  grammes  de  foin,  ayant  subi  quinze  mi- 
nutes l'action  d'une  étuve  à  la  température  de 
110  degrés.  Ce  foin  fut  introduit  avec  les  plus 
grandes  précautions  possibles,  afin  d'éviter  la  moin- 
dre introduction  d'air.  Ensuite  le  flacon  fut  bouché 
à  l'émeri,  et  pour  plus  d'exactitude  on  recouvrit  le 


DE    l'air.  ,  îSi 

contour  du  bouchon  d'un  enduit  de  vernis  au  co- 
pal  mêle  à  du  vermillon.  Six  jours  après,  la  tem- 
pérature ayant  été  en  moyenne  de  19  degrés,  l'eau 
n'offrait  aucune  pellicule.  Alors ,  ce  flacon  ayant  été 
ouvert  et  examiné  attentivement,  on  n'y  découvrit 
aucune  trace  d'animalcules,  ni  de  végétaux  rudi- 
mentaires. 

Expérience.  —  En  prenant  les  mêmes  précautions 
que  dans  l'expérience  qui  précède,  et  en  employant 
de  l'hydrogène,  au  bout  de  douze  jours,  la  macé- 
ration était  d'un  jaune  citrin,  limpide,  et  ne  présen- 
tait à  sa  surface  aucune  bulle  de  gaz  et  aucune  pel- 
licule. Cette  macération  examinée  au  microscope 
n'offrit  pas  la  moindre  trace  d'organismes  vivants  ou 
morls. 

Expérience.  —  De  l'acide  carbonique  nous  a 
donné  un  résultat  absolument  négatif.  Après  douze 
jours,  l'eau  colorée  en  fauve  clair,  était  diaphane, 
sans  pellicule  et  sans  bulles  à  sa  surface.  Le  micro- 
scope n'y  fit  découvrir  aucune  trace  d'organisation. 
On  s'assura  à  l'ouverture  que  le  gaz  était  resté  in- 
tact. 

Expérience.  —  De  l'oxygène ,  au  contraire,  après 
un  moindre  temps,  huit  jours  seulement,  ainsi  que 
nous  le  reverrons  en  son  lieu,  avait  permis  à  de 
fortes  touffes  d'une  espèce  à'Aspergilhis  de  se  dé- 
velopper dans  l'eau  dont  il  baignait  la  superficie  (1). 

Mais  outre   son   indispensable    nécessité  comme 

(1)  Voyez  le  chapitre  de  l'éliminalion  de  Tair,  considéré  comme 
■véliicule  des  germes,  où  cette  expérience  et  son  résultat  sont  dé- 
crits avec  les  détails  qu'ils  comportent. 


Î82  HETEROGENIE. 

• 

fluide  respiratoire ,  quelques  physiologistes  considè- 
rent encore  l'air  comme  le  véhicule  des  germes 
des  Microzoaires.  Pour  eux  il  en  est  absolument  sa- 
turé et  les  dissémine  dans  tous  les  endroits  où  il 
pénètre  (1).  Nous  prouverons  plus  loin,  à  l'aide 
d'expériences  de  précision ,  que  l'atmosphère  ne 
possède  nullement  la  vertu  qu'on  lui  suppose,  et  que 
les  faits  qui  suivent  suffiraient  seuls  pour  lui  faire 
contester. 

Expérience. — Quatre  vases  en  verre,  à  large 
ouverture,  ont  été  remplis  chacun  avec  300  gram- 
mes d'eau  de  source,  filtrée.  Dans  le  premier  de  ces 
vases  on  mit  10  gramnies  de  foin  ;  dans  le  second, 
on  en  mit  5  grammes;  dans  le  troisième,  2  grammes 
et  5  décigrammes;  enfin,  dans  le  quatrième,  seule- 
ment 1  gramme  25  centigrammes.  Ce  foin  était  par- 
faitement homogène  ;  les  brins  en  avaient  été  fine- 
ment hachés  et  mêlés  ensemble,  pour  qu'on  ne  pût 
pas  arguer  que  certaines  de  ses  parties  pouvaient  rece- 
ler plus  de  germes  que  d'autres. 

Après  vingt  jours  d'expérimentation,  à  une  tem- 
pérature moyenne  de  19  degrés,  à  une  pression 
de  0,756,  et  après  que  durant  ce  laps  de  temps  on 
eut  plusieurs  fois  constaté  que  les  Protozoaires 
abondaient  d'autant  plus  dans  les  macérations  que 
l'on  observait  les  vases  qui  contenaient  le  plus  de 
foin,  on  s'aperçut  que  le  troisième  vase,  en  vingt- 
quatre  heures  seulement ,  s'était  rempli  sur  toute  sa 
superficie,  d'une  quantité  considérable  de  matière 

(1)  SpallanzanI;,  Opuscules  de  physiqueanimale  et  végétale.  Pa- 
ris, 1787,  t.  I,  p.  205. 


DE    L  AIR.  183 

verte  de  Priestley,  qui  donnait  une  teinte  d'un  vert 
foncé  ou  liquide  dans  une  épaisseur  de  4  centi- 
mètres. La  surface  de  ce  liquide  était  occupée  par  de 
très-grosses  bulles  de  gaz,  dont  quelques-unes  pou- 
vaient avoir  un  centimètre  cube  de  capacité.  Ce  gaz/ 
ayant  été  examiné,  fut  reconnu  être  de  l'oxygène. 
La  matière  verte  était  formée  de  petits  grains  verts 
ovoïdes,  très-allongés. 

Chacun  des  vases,  dans  cette  expérience,  avait  été 
placé  sous  une  cloche  particulière,  et  les  quatre 
cloches  étaient  groupées  sur  la  même  table,  et  ce- 
pendant dans  aucun  des  autres  vases  rien  de  sem- 
blable ne  s'observait. 

Dans  l'hypothèse  vulgairement  admise  de  la  dis- 
sémination aérienne  des  germes ,  comment  expli- 
querait-on ce  qui  se  présenta  ici  ?  Pourquoi  donc, 
lorsqu'il  existe  dans  les  autres  vases  des  macérations 
analogues,  est-ce  cependant  dans  un  seul  de  ceux-ci 
que  Ton  voit,  tout  à  coup,  se  produire  cette  grande 
abondance  de  matière  verte,  et  ces  bulles  d'oxygène 
qu'elle  engendre?  Si  les  vases  étaient  restés  à  décou- 
vert, on  pourrait,  on  ne  craindrait  pas  de  dire,  pour 
m'exprimer  plus  exactement,  qu'une  étroite  veine 
d'air  chargée  de  corps  reproducteurs  imperceptibles, 
s'est  promenée  sur  l'un  des  vases  sans  s'étendre  sur 
les  autres  !  mais  chaque  vase  était  sous  une  cloche,  et 
si  un  effort  de  pression  atmosphérique  ,  une  aspira- 
tion, a  rempli  un  vase  deséminulesde  matière  verte, 
il  a  dû  remplir  aussi  les  autres  de  la  même  manière, 
et  c'est  ce  qui  ne  s'observait  pas.  On  ne  pourrait  pas 
arguer  que  les  autres  vases  contenaient  des  macéra- 


184  HETEROGENIE. 

tions  impropres  au  développement  de  la  matière 
verte,  puisqu'ils  étaient  remplis  d'une  infusion  de  la 
même  substance. 

On  peut  donc  dire,  selon  nous,  que  si  cette  ma- 
tière verte  est  tellement  abondante  dans  le  troisième 
vase^etsi  elle  manque  absolument  dans  les  autres, 
c'est  que  ce  vase  possédait  seulement  et  fortuitement 
l'aptitude  à  la  production  de  cette  matière.  Tandis 
que  si  les  germes  de  ce  corps  organisé  avaient  été 
transmis  du  dehors,  ils  se  fussent  à  la  fois  introduits 
dans  tous  les  bocaux,  et  en  égale  abondance;  car 
tous  étaient  évidemment  aptes  à  les  laisser  se  déve- 
lopper s'ils  s'y  étaient  introduits,  et  si  la  matière  verte 
ne  se  formait  pas  de  toutes  pièces  là  où  on  l'observe. 

Nous  avons  déjà  reconnu  que  la  production  des 
Proto-organismes  dépendait  de  la  nature  des  substan- 
ces qu'on  employait,  et  des  influences  concom  itantes. 

On  se  souvient  que  les  os  d'un  crâne  d'Égyptien 
ancien,  nous  ont  donné  des  produits  tout  à  fait  dif- 
férents de  ceux  d'un  crâne  de  Mérovingien.  Dans  des 
expériences  subséquentes,  nous  avons  rempli  un  vase 
d'une  quantité  d'eau  déterminée,  et  nous  avons  mis 
macérer  dans  celle-ci  des  fragments  d'un  tibia,  que 
nous  avions  rapporté  des  hypogées  de  Thèbes.  Dans 
un  autre  vase,  on  mit  une  égale  quantité  d'eau  et 
des  fragments  d'os  qui  appartenaient  à  la  jambe  d'un 
Mérovingien  du  sixième  siècle. 

Ces  deux  vases  furent  placés  dans  mon  laboratoire, 
à  côté  l'un  de  l'autre,  et  ils  furent  observés  huit 
jours  après  le  commencement  de  l'expérience.  Celle- 
ci  avait  lieu  au  mois  de  juin. 


DE    LAÎR.  185 

Ainsi  que  dans  les  expériences  précédentes,  les 
Protozoaires  qui  existaient  dans  chaque  vase,  étaient 
absolument  différents. 

Après  m'être  bien  assuré  de  ce  fait,  je  mis  mes 
deux  vases  en  contact  sous  une  môme  cloche,  afin 
qu'ils  se  trouvassent  sous  les  mêmes  influences.  Je 
les  abandonnai  ainsi  pendant  un  mois  Tun  à  côté  de 
l'autre,  la  température  ayant  été  en  moyenne  de  IT, 
Examinés  attentivement  alors,  on  reconnut  que  l'eau 
avait  considérablement  diminué  dans  ces  deux  vases, 
et  c'était  à  peine  s'il  en  restait  le  tiers  de  la  quantité 
qu'on  y  avait  mise.  Le  liquide  de  l'un  et  de  l'autre 
vase  avait  contracté,  dans  les  derniers  temps,  une 
couleur  verte  très-intense,  mais  dont  la  teinte  était 
fort  différente  dans  chacun  d'eux  ;  le  vert  de  la  macé- 
ration des  os  de  TÉgyptien  était  d'un  beau  vert  pur, 
transparent; la  teinte  verte  du  tibia  de  Mérovingien, 
qui  s'était  déclarée  beaucoup  après ,  était  moins 
translucide,  plus  foncé  et  d'un  vert  bleu.  Il  était  évi- 
dent, à  priori,  que  dans  cette  seconde  phase  de  l'ex- 
périence, on  allait  encore,  après  deux  mois,  comme 
après  huit  jours,  rencontrer  des  produits  absolument 
différents.  C'est  ce  qui  eut  lieu  : 

La  macération  d'os  d'Égyptien  était  peuplée,  à  sa 
surface,  d'une  abondance  de  Vorticelles  et  d'Épisty- 
lis,  et  sur  le  fond  on  rencontrait  une  épaisse  couche 
de  Globuline  très-fine,  et  dont  tous  les  grains  verts 
étaient  séparés.  Leur  diamètre  était  de  0,0028  mil- 
limètre. 11  n'existait  dans  cette  macération  aucune 
Paramécie,  aucun  Vibrion,  aucun  Bacillaire,  aucun  e 
Arthrodiée. 


186  HETEROGEME. 

La  macération  d'os  de  Mérovingien,  au  contraire, 
était  remplie  de  Paramécies,  de  globules  d'un  beau 
vert  remplis  de  granules;  ces  globules,  tout  à  fait 
différents  de  la  globuline  de  la  macération  précé- 
dente, offraient  de  0,0095  à  0,0119  de  millimètre 
de  diamètre.  Le  fond  de  cette  macération  était  en- 
combré d'une  Arthrodiée,  dont  beaucoup  de  compar- 
timents étaient  isolés;  on  y  rencontrait  aussi  de  nom- 
breux Vibrions  et  des  Bacillaires.  Il  n'y  existait  au- 
cun Épistylis,  ni  aucun  grain  de  globuline. 

Comment  donc  les  partisans  de  la  panspermie  aé- 
rienne, et  c'est  le  dernier  refuge  de  nos  antagonistes, 
expliqueraient-ils  pourquoi  deux  macérations  pres- 
que absolument  identiques,  et  qui  par  cela  même 
pourraient  nourrir  les  mêmes  êtres,  si  elles  les  rece- 
vaient en  même  temps,  offraient-elles  cependant 
deux  faunes  absolument  différentes  ?  Dira-t-on  que  la 
nappe  d'atmosphère  qui  a  labouré  l'une  d'elles  était 
différente  de  celle  qui  baignait  l'autre?  ce  n'est  pas 
soutenable,  quand  le  contact  a  été  continuel.  Mais 
bien  plus,  les  deux  vases  ont  été  rapprochés  sous  la 
même  cloche,  les  deux  tiers  de  leur  eau  se  sont  vapo- 
risés, et  une  partie  de  leur  population  animée  a  été 
mise  à  nu,  desséchée  sur  leurs  parois.  Si  c'est  l'air 
qui  transporte  les  germes  avec  cette  immense  facilité 
qu'on  lui  prête,  les  deux  vases  en  expérimentation 
devaient  nécessairement  mélanger  leurs  progénitures 
diverses  :  la  dessiccation  d'une  partie  de  celles-ci  fa- 
vorisait elle-même  le  transport;  l'air  pouvait  s'empa- 
rer d'une  multitude  de  germes,  les  vases  se  tou- 
chaient, toute  la  population  de  l'un  d'eux  pouvait  et 


DU    CALORIQUE^    DE    LA   LUMIÈRE,    ETC.  187 

(levait  envahir  l'autre.  Et,  cependant,  on  peut  dire 
que  pas  un  germe  n'a  été  déplacé  par  l'atmosphère; 
pas  un,  parce  que  ce  n'est  pas  lui  qui  est  chargé  de 
ce  rôle,  et  que  les  générations  se  forment  spontané- 
ment, et  dépendent  de  la  nature  intime  des  sub- 
stances sur  lesquelles  on  expérimente,  et  de  l'in- 
fluence des  agents  extérieurs  !... 

SECTION    IV.  —    DU    CALOP.IQUE_,   DE    LA    LUMIÈRE,    ETC. 

Outre  les  agents  fondamentaux  de  toute  procréa- 
tion, il  existe  encore  certaines  forces  physiques  gé- 
nérales, qui  réagissent  sur  celle-ci  avec  une  variable 
intensité.  Tantôt  elles  lui  sont  absolument  indispen- 
sables, et  tantôt  leur  influence  est  plus  ou  moins 
accessoire.  On  peut  citer  principalement  la  chaleur, 
la  lumière  et  l'électricité. 

M.  Gros  admet  aussi  cette  influence  des  agents 
extérieurs  sur  la  nature  des  Proto-organismes.  Il  a 
raison  de  dire  qu'un  fait  qui  se  présente  fort  souvent, 
c'est  que  les  mêmes  formes  Polygastriques  ou  Systoli- 
diennes,  suivant  la  saison,  la  quantité  d'eau,  de  lu- 
mière, de  chaleur,  etc.,  peuvent  présenter  d'autres 
phases  évolutives,  et  donner  naissance  à  d'autres 
produits  (1).  Gruithuisen  avait  depuis  un  certain 
temps  soutenu  à  peu  près  la  même  thèse,  en  préten- 
dant que  dans  plus  de  mille  expériences,  il  n'avait  ja- 
mais trouvé  cesanimaux  parfaitement  semblables(2). 
Nos  observations,  répétées  depuis  tant  d'années,  nous 

(1)  Gros,  Bulletin  de  la  Société  impériale  des  naturalistes  de 
Moscou,  1551,  11^3,  p.  27 't. 

(2)  GRUiTHUiiE.v,  Organozoonomie.  Munich,  1821,  p.  164. 


188  HÉTÉROGÉNIE. 

ont  absolument  conduit  aux  mêmes  conclusions  que 
ces  savants.  Adanson  disait,  en  parlant  des  végétaux, 
que  l'espèce  est  un  champ  dans  lequel  chacun  peut 
errer  en  liberté  (1);  nous  pouvons  assurer  que  cette 
maxime  est  on  ne  peut  plus  applicable  à  la  généralité 
des  Microzoaires. 

La  chaleur  est  non-seulement  le  plus  énergique 
des  agents  qui  contribuent  au  développement  des 
Protozoaires,  rnais  on  peut  même  dire  qu'elle  lui  est 
tout  à  fait  indispensable.  En  effet,  nous  n'avons  ja- 
mais vu  aucun  animalcule  se  produire,  lorsque  la 
température  était  au-dessous  de  -j-  5°  cent. 

Dans  le  chapitre  remarquable  sur  les  générations 
spontanées,  qui  se  trouve  dans  sa  philosophie  zoolo- 
gique, Lamarck  a  fait  ressortir  toute  l'importance  de 
cet  agent  à  l'égard  des  créations  primaires.  Selon 
lui,  la  chaleur,  a  laquelle  il  donne  le  nom  de  mère 
de  toutes  les  générations,  à'àme  matérielle  des  corps 
vivants^esi  le  moteur  principal  qu'emploie  la  nature, 
pour  tirer  des  substances  inertes  les  premières 
ébauches  de  l'organisation  ;  et  il  compare  son  action, 
qu'il  appelle  un  acte  de  vitalisation,  à  la  fécondation 
sexuelle  (2). 

Spallanzani  s'était  contenté  de  dire  que  la  tem- 
pérature requise  pour  la  production  des  Infusoires, 
était  simplement  celle  qui  suffisait  au  mouvement 
fermentescible   des  substances   soumises  à  l'expé- 


(1)  Adanson,  Famille  des  fiantes.  Paris,  i763;,  préface,  p.  153  et 
suiv. 

(2)  Lamarck,  Philosophie  zooJogique.Pdiiïi,  1807,  1. 11.  p.  82. 


DU    CALORIQUE,    DE    LA    LU.-^IfÈRE,    ETC.  189 

rience  (1).  Il  aurait  dû  préciser  plus  exacleiiient 
Faction  de  cet  important  agent.  Dans  nos  expé- 
riences, nous  avons  généralement  reconnu  que,  plus 
la  température  était  élevée,  plus  la  production  des 
Infusoires  était  rapide  et  abondante.  Des  macérations 
qui  étaient  sous  l'influence  d'une  température 
de  -f-  ^2  degrés  centig.,  ont  mis  souvent  huit  à  dix 
jours  pour  nous  fournir  desKolpodes  adultes  et  très- 
disséminés;  tandis  que  sous  une  température  de 
-{-  26  degrés,  nous  en  obtenions  en  quatre  jours  de 
nombreuses  légions,  parfailement  développées. 

Selon  nous,  l'action  du  calorique  influe  non-seule- 
ment d'une  manière  manifeste  sur  l'abondance  avec 
laquelle  apparaissent  et  se  développent  les  Micro- 
zoaires,  mais  il  est  certain  aussi  que  le  degré  d'acti- 
vité qu'il  suscite  dans  les  phénomènes  de  décomposi- 
tion putride,  réagit  sur  les  organismes  qui  en  sont  le 
produit;  il  en  augmente  ou  en  diminue  le  perfection- 
nement, de  manière  que  sous  une  température  op- 
posée, avecle  même  corps,  on  obtient  des  espèces  dif- 
férentes. Ainsi,  si  une  même  substance  est  mise  à 
macérer  à  une  température  de  J  0  à  1 2  degrés  et  à  celle 
de  25  à  28  degrés,  souvent,  dans  les  deux  cas,  elle 
produira  des  Protozoaires  d'une  espèce  particulière. 
Nos  expériences  nous  ont  mis  à  même  de  vérifier  cela 
cent  fois.  Nous  en  citerons  seulement  quelques-unes. 

Expérience.  —  Yers  les  premiers  jours  de  sep- 
tembre, par  une  température  de  22  degrés  en 
moyenne,  une  macération  de  25  grammes  d'.4s^er 

(1)  SFALLA]szA:'iî,  Opusciiles  de  physique  animale  et  végétale,  t.  I. 


190  HÉTÉROGÉNIE. 

chinensis  dans  un  litre  d'eau,  au  bout  de  huit  jours, 
est  remplie  d'une  immense  quantité  d'une  petite 
espèce  de  Kolpodes,  très-grêles,  n'ayant  jamais  plus  de 
15  divisions  micrométriques  de  longueur  et  4  de 
diamètre.  Ces  animalcules  observés  pendant  quinze 
jours  n'augmentèrent  pas  de  taille,  el,  pressés  les 
uns  sur  les  autres,  ne  parurent  pas  non  plus  aug- 
menter en  nombre.  C'est  pour  moi  une  espèce  que 
je  ne  trouve  décrite  nulle  part. 

Une  macération  de  la  même  plante  exécutée  dans 
les  mêmes  proportions,  durant  les  premiers  jours 
d'octobre,  mais  par  une  température  moyenne  de 
12  degrés,  au  bout  d'un  nombre  égal  de  jours,  of- 
frait une  espèce  de  Kolpodes  absolument  différente 
de  celle  qui  avait  été  observée  dans  la  macération 
précédente;  elle  était  ovoïde  et  présentait  une  lon- 
gueur presque  double,  25  à  30  divisions  micromé- 
triques. 

Expérience.  —  En  septembre,  par  une  tempéra- 
ture de  26  degrés  en  moyenne,  après  vingt-quatre 
heures,  et  à  la  pression  de  0,75,  une  macération 
d'Aster  chinensis  et  une  macération  de  lin  sont  peu- 
plées d'une  immense  quantité  de  Monas  crepuscii- 
liim,  de  Vibrio  granifer  et  de  Vibrio  levis,  doués 
de  mouvements  fort  énergiques. 

La  température  s'étant  abaissée  subitement  à 
+  12  degrés  en  moyenne,  deux  macérations  des 
mêmes  plantes  ayant  été  faites  dans  les  mêmes  pro- 
portions et  examinées  après  le  même  laps  de  temps, 
on  n'y  rencontre  absolumentqu'uneespècede  Bacté- 
rium,le  Ba et erinm  trilocuîare  Ehr,  On  n'y   trouve 


DU  CALORIQUE,  DE  LA  LUMIÈRE,  ETC.       191 

aucun  vestige  ni  de  Monade,  ni  de  Vibrion  granifère, 
ni  de  Vibrion  lisse.  La  même  expérience  répétée  avec 
d'autres  végétaux  a  donné  des  résultats  analogues. 

Expérience.  —  Une  macération  de  10  grammes 
de  foin  sur  250  grammes  d'eau,  durant  huit  jours, 
sous  une  température  moyenne  de  12  degrés,  ne 
m'a  jamais  donné,  dans  les  premiersjours  du  mois  de 
mai,  que  des  Monas  lens ,  Duj.et  des  Vibrions.  Tan- 
dis que  la  même  macération,  dans  les  derniers  jours 
du  même  mois,  mais  sous  l'influence  d'une  tempé- 
rature beaucoup  plus  élevée,  en  moyenne  24  degrés, 
me  donnait,  dans  le  même  espace  de  temps,  une  im- 
mense abondance  de  Vorticelles. 

D'après  Gruithuisen,  la  température  ne  doit  pas 
dépasser  80  à  96  degrés  du  thermomètre  de  Fah- 
renheit (1).  .Te  partage  cette  opinion,  ayant  vu  que 
rien  ne  se  produisait  dans  mes  vases  quand,  pendant 
l'été,  je  les  exposais  à  une  chaleur  trop  élevée. 

Mais  si  les  animalcules  ne  s'engendrent  point 
lorsque  l'atmosphère  est  trop  chaude  ou  trop  froide, 
quand  une  fois  ils  sont  formés  ils  supportent  d'assez 
extrêmes  températures.  Spallanzani  avait  déjà  re- 
connu ce  que  nous  avançons;  mais  ses  expériences 
sur  ce  sujet  manquent  de  précision;  ce  savant  ne 
donnant  aucune  indication  sur  les  espèces  qu'il  a 
employées,  nous  avons  cru  devoir  répéter  ses  es- 
sais (2). 

(i)  Gruithuisen,  Beitràge  zur  Physiognosie,\>.  298.  —  Idées  sur 
la  physiognosie. 

(2)  Spallanzani,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale.  Pa- 
vie,  1787,  t.  I,  p.  76. 


102  HËTEROGEME. 

Nous  avons  vu  que  des  animalcules  qui  vivaient 
dans  une  eau  dont  la  température  était  de  22  degrés, 
s'étant,  en  peu  de  minutes,  trouvés  dans  un  liquide 
qui  était  descendu  à  0,  ne  parurent  nullement  s'a- 
percevoir de  ce  brusque  changement.  On  peut  dire 
que  tous  les  animalcules  supportent  la  température 
de  la  glace  fondante.  îl  en  est  même,  dans  les  régions 
polaires,  pour  lesquels  celle-ci  est  l'état  normal;  et 
tel  est  aussi  le  cas  des  animalcules  que  nous  avons  vus 
colorer  en  un  beau  rouge  la  neige  des  Hautes-Alpes. 

0.  F.  Muller  prétend  que  certains  animalcules 
peuvent  se  ranimer  après  avoir  été  totalement  gelés 
dans  leurs  infusions.  «  Qucedam  sic  animalia  infu- 
soria  rigorem  frigoris  sustinent,  aquâque  gelii  solutd, 
eodem  numéro  vigoreque  pristino  circumnatant  ;  alla 
gelu  enecta  periere  (1).  »  Spallanzani  soutient,  au 
contraire,  que  les  animalcules  ne  survivent  jamais  à 
la  congélation  (2). 

Les  assertions  de  ces  deux  naturalistes  étant  con- 
tradictoires, j'ai  dû  entreprendre  quelques  expé- 
riences pour  me  fixer  à  cet  égard;  et  j'ai  reconnu 
que  c'était  O.-F.  Muller  qui  avait  le  mieux  observé 
les  faits.  En  faisant  congeler  de  l'eau  dans  laquelle 
il  y  avait  des  Infusones  de  diverses  espèces^  j'aivu 
que  toutes  les  fois  qu'il  restait  dans  la  glace  quelques 
petits  interstices  liquides,  quoique  toute  la  masse 
parût  solidifiée,  dans  ce  cas,  tous  les  animalcules 

(1)  0.  F.  yiVLLEn,  Animalium  infasorior uni  succincta  historia. 
Leipzig,  1773-1774. 

(2)  Spallanzaini^  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale.  Pa- 
vic,  1787,  î.  !,  p.  77. 


DU    CALORIQUE,    DE    LA    LUMIÈRE,    ETC.  193 

résistaient  à  l'épreuve,  et,  après  la  fonte  de  la  glace, 
semblaiiMit  aussi  vivants  que  précédemment.  AJais  si 
dans  l'expérience  le  mélange  frigorifique  agit  avec 
assez  d'intensité  pour  congeler  totalement  le  liquide, 
alors  toutes  les  grosses  espèces  périssent,  tels  que  les 
Dileptes,  les  Glaucomes,  les  Kolpodes,  etc.,  et  l'on 
retrouve  leurs  cadavres  inanimés;  mais  les  petites, 
au  contraire,  tels  que  les  Monades,  les  Vibrions,  les 
Bactériums,  échappent  en  grande  partie  à  l'action 
destructive  de  la  congélation. 

Expérience.  —  Nous  avons  entouré  d'un  mélange 
frigorifique  des  vases  qui  contenaient  plusieurs  es- 
pèces d'animalcules.  Bientôt  le  liquide  a  été  totale- 
ment pris  en  glace,  et  le  thermomètre  placé  au  milieu 
était  descendu  à  —  2°.  Une  heure  après,  ces  vases 
ont  été  extraits  du  mélange  et  se  sont  peu  à  peu  dé- 
gelés. Tous  les  grands  animalcules  qu'ils  conte- 
naient étaient  morts,  et  l'on  distinguait  parfaite- 
ment leurs  cadavres  flottant  çà  et  là.  Voici  la  liste 
des  espèces  que  nous  avons  vu  périr  dans  cette  expé- 
rience :  Kolpoda  cucullus ,  Glaucoma  scintillans, 
Dileptiis  foHum  ,  Vibrio  gi^ani fer,  Pouch, ,  Vibriolevis, 
Pouch. 

Expérience.  —  Une  éprouvette  contenant  de  l'eau 
dans  laquelle  vivent  des  Kolpoda  cucullus,  des  Glau- 
coma scintillans,  des  Monas  lens;  des  Vibrio  tremu- 
lans,  des  Bacterium  triloculare,  etc.,  est  placée  dans 
un  vase  et  entourée  de  glace  fondante.  Un  thermo- 
mètre placé  dans  l'eau  contenant  ces  Microzoaires, 
en  dix  minutes,  s'abaisse  de  vingt-qu^atre  degrés  et 
tombe  à  0.  Les  animalcules   ne   paraissent  nulle- 

F^OUCHET.  /[  3 


19^  HÉTÉROGÉME. 

ment  en  être  affectés,  et  tous  sont  aussi  vifs  que  pré- 
cédemment. 

Expérience.  —  Une  autre  éprouvette,  contenant  les 
mêmes  animalcules,  est  entourée  d'un  mélange  de 
sel  et  de  glace  pilée.  Un  thermomètre  placé  dans  l'eau 
qu'elle  contient,  s'abaisse  rapidement  à  un  degré 
au-dessous  de  zéro.  On  laisse  cette  éprouvette  une 
heure  dans  le  mélange  frigorifique,  et  quand  on 
la  retire,  le  liquide  semble  être  totalement  congelé, 
et  le  thermomètre  se  trouve  solidement  fixé  au  mi- 
lieu de  lui.  On  fit  dégeler  lentement  la  glace,  et 
quand  l'eau  fut  revenue  à  l'état  liquide,  on  l'observa 
et  on  la  trouva  peuplée  exactement  comme  aupara- 
vant. Ses  Kolpodes,  ses  Glaucomes,  ses  Monas,'ses 
Vibrions,  ses  Bactériums,  etc.,  nageaient  au  milieu 
d'elle  sans  paraître  avoir  été  le  moindrement  affectés 
par  l'épreuve  qu'ils  venaient  de  subir.  Nous  attri- 
buons ce  résultat  à  ce  que  sans  doute  il  aura  resté  au 
milieu  de  la  glace  quelque  espace  non  congelé  où  les 
animalcules  se  sont  réfugiés  ;  car  pas  un  seul  ne 
semble  avoir  péri,  puisque  l'on  n*^  rencontre  pas  un 
seul  de  leurs  cadavres.  L'expérience  qui  suit  con- 
firme ce  que  nous  avançons. 

Expérience»  — Une  éprouvette,  contenant  de  l'eau 
où  vivent  des  Kolpodes,  des  Glaucomes^  des  Dileptes, 
des  Monades,  des  Vibrions  et  des  Bactériums, est  placée 
dans  un  mélange  frigorifique, et,  pour  plusd'efficacité, 
on  la  recouvre  d'une  petite  cloche,  qui  est  elle-même 
surmontée  de  glace.  Cette  éprouvette  reste  une  heure 
exposée  à  l'action  d'un  froid  de  —  5%  et  quand  on 
Ty  soustrait,  l'eau  qu'elle  contenait  a  subi  la  plus 


DU    CALORIQUE j    DE    LA   LUMIÈRE,    ETC.  195 

absolue  congélation  possible.  Celle-ci  ayant  été  ra- 
menée lentement  à  l'état  liquide,  et  ensuite  exami- 
née au  microscope,  on  reconnut  que  la  congélation 
avait  tué  toutes  les  grosses  espèces,  les  Dileptes,  les 
Kolpodes  et  les  Glaucomes,  dont  on  rencontrait  çà  et 
là  les  cadavres,  très-reconnaissables  ;  mais  qu'au 
contraire  beaucoup  de  Monas,  de  petits  Vibrions  et 
de  Bactériums  avaient  échappé  à  cette  destruction  et 
étaient  encore  pleins  de  vie  dans  la  liqueur. 

Certains  petits  Vibrions  supportent  même,  sans 
périr,  un  froid  beaucoup  plus  intense  que  celui  que 
nous  .venons  de  mentionner;  une  température  de 
quinze  degrés  au-dessous  de  zéro  ne  les  tue  même 
pas  ;  mais  les  Monades  n'y  résistent  point. 

Expérience.  —  Un  tube  contenant  de  l'eau  dans 
laquelle  il  y  a  des  Kolpodes,  des  Dileptes,  des  Glau- 
comes, des  Monades  et  des  Vibrions,  est  plongé  dans 
un  mélange  frigorifique  énergique  pendant  une 
heure,  et  le  thermomètre  y  reste  pendant  ce  temps 
à  —  15°.  Le  tube  ayant  été  alors  retiré  de  l'eau  et  son 
eau  ayant  été  dégelée,  on  n'y  rencontra  de  vivants 
qu'un  petit  nombre  de  Vibrio  tremiilans.  Tous  les 
autres  animalcules  étaient  morts,  même  les  Mo- 
nades. 

M.  Boudin  prétend  que  la  génération  spontanée 
n'est  jamais  plus  active  qu'au  printemps  (1).  Nous 
pensons  que  c'est  une  erreur  et  qu'elle  n'est  nulle- 
ment influencée  par  la  saison,  mais  seulement  par  le 
retour  de  la  chaleur  à  cette  époque.  Pour  nous,  nous 

(l)  Ch.  Boudin,  Traité  de  géographie  et  de  statistique  médicales. 
Paris,  1857,  t.  1,  p.  244. 


196  HÉTÉROGÉNIE. 

avons  constamment  vu  que  c'était,  au  contraire,  en 
été  et  en  automne,  qu'elle  se  manifestait  avec  une 
plus  grande  intensité,  surtout  pendant  les  journées 
chaudes  et  orageuses  de  ces  deux  saisons.  Au  mo- 
ment où  nous  écrivons  ces  lignes,  l'automne  tire  vers 
sa  fin  et  notre  laboratoire  se  peuple  chaque  jour 
d'aussi  nombreux  Protozoaires  qu'il  nous  en  naissait 
au  printemps.  Nous  avons  aussi  obtenu  des  hifn- 
soires  en  hiver,  lorsque  nous  placions  nos  vases  ma- 
cératoires  dans  les  endroits  où  la  température  était 
constamment  au-dessus  de  12  à  15°  cent.  Mais, 
dans  cette  circonstance,  les  phénomènes  uiarchaient 
toujours  beaucoup  plus  lentement. 

Une  lumière  peu  intense  semble,  en  général,  favo- 
riser le  développement  des  Protozoaires;  aussi  ne 
puis-je  adopter  l'opinion  de  Burdach  ,  qui  prétend 
que  ces  animalcules  se  produisent  mieux  au  soleil 
qu'à  l'ombre  (1).  J'ai  même  observé  que  l'insolation, 
pendant  lesjours  les  plus  chauds,  leur  nuisait,  tandis 
que ,  sous  des  cloches  noires,  mes  générations  mar- 
chaient rapidement.  Ainsi,  selon  nous,  une  tempéra- 
ture élevée,  unie  à  la  lumière  diffuse,  est  ce  qui  con- 
vient le  mieux  à  la  génération  spontanée,  et,  avec  les 
mêmes  conditions  de  chaleur,  cet  acte  se  produit 
parfaitement  à  l'obscurité  absolue. 

Les  expériences  de  Treviranus  ont  mieux  déter- 
miné qu'on  ne  l'avait  fait  jusqu'alors  le  rôle  impor- 
tant de  la  lumière  dans  la  génération  spontanée. 
Nous  pensons  avoir  poussé  plus  loin  que  ce  physiolo- 

(I)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1838,  t.  II,  p.  28. 


DU  CALORIQUE,  DE  LA  LUMIÈRE,  ETC.       197 

giste  l'étude  de  rinlluence  de  cet  agent  sur  la  pro- 
duction des  Microzoaires.  A  l'aide  d'expériences 
répétées  à  des  températures  différentes,  nous  avons 
reconnu  que  la  couleur  des  rayons  lumineux  influait 
énormément  sur  l'abondance,  le  développement  et 
même  sur  la  nature  des  animalcules  en  voie  de  pro- 
création. 

La  lumière  blanche  paraît  être  la  plus  favorable  au 
développement  des  Microzoaires;  après  elle  vient  le 
rouge,  puis  le  violet,  le  bleu  et  enfin  le  vert.  11  est  à 
remarquer,  cependant,  que  cette  action  des  éléments 
de  la  lumière  est  absolument  inverse  lorsqu'il  s'agit 
des  Proto-organismes  végétaux,  ainsi  que  de  la  ma- 
tière verte  de  Pries! ley,  qui  semble  se  rapprocher  de 
ceux-ci  par  quelques  caractères.  Il  résulte  de  nos 
observations  que  le  rayon  vert  est  pour  eux  le  plus  fa- 
vorable de  tous;  le  bleu  et  le  violet  viennent  après, 
et  ensuite  la  lumière  blanche.  Le  rouge,  au  contraire, 
en  entrave  le  développement,  lui  qui  est  si  favorable 
à  la  nroduction  des  animalcules. 

L 

Voici  le  résultat  d'une  de  nos  expériences  sur  l'in- 
fluence des  couleurs  sur  la  production  des  Proto- 
organismes végétaux  et  de  la  matière  verte. 

Expérience.  —  Pour  donner  au  liquide  employé 
une  même  tendance  à  la  production  de  la  matière 
verte,  nous  avons  employé  de  l'eau  qui  contenait 
déjà  de  cette  matière,  après  l'avoir  exactement  fil- 
trée. L'expérience  a  été  commencée  le  1"  janvier,  et 
ses  résultats  examinés  trois  mois  après,  le  1"  mars. 

Sous  un  vitrail  vert,  l'eau  contient  une  quantité 
considérable  de  globules  de  matière  verte,  sphériques 


198  HÉTÉROGÉNIE. 

OU  ovoïdes,  paraissant  dus  à  l'agglomération  de  nom- 
breux grains  simples. 

Sous  un  vitrail  bleu,  on  observe  des  globules  de 
matière  verte  analogues  à  ceux  qui  viennent  d'être 
mentionnés,  seulement  moins  nombreux;  et,  outre 
ceux-ci,  de  petits  granules  simples  de  la  même  cou- 
leur. 

Sous  un  vitrail  violet,  l'eau  ne  contient  que  peu 
de  granules  simples. 

Sous  un  vitrail  rouge,  il  existe  à  peine  quelques 
granules  verts  ;  celui-ci  étant  évidemment  beau- 
coup moins  favorable  que  les  autres  au  développe- 
ment de  ces  Proto-organismes. 

Enfin,  sous  un  vitrail  incolore,  on  trouve  les 
mêmes  produits  que  sous  le  vert,  mais  seulement  un 
peu  moins  abondants. 

Selon  M.  Morren,  l'action  de  la  lumière  est  telle- 
ment indispensable  à  la  génésie  des  végétaux ,  que, 
si  l'on  expose  une  série  de  vases  remplis  d'eau  à  une 
lumière  de  moins  en  moins  intense,  la  production  de 
ceux-ci  diminue  et  la  simplicité  de  leur  oiganisalion 
augnjente  à  mesure  que  ces  vases  sont  de  moins  en 
moins  éclairés  ;  et  même,  d'après  ce  naturaliste,  à 
un  certain  degré  d'obscurité,  il  ne  se  développe 
absolument  rien  dans  le  liquide  mis  en  expérience. 

La  loi  établie  par  M.  Morren  ne  nous  parait  pas 
fondée  sur  des  observations  positives.  En  répétant 
ses  expériences,  ou  en  en  faisant  dautiesa^ant  pour 

(1)  Morren,  Essais  pour  déterminer  quelle  est  l'influence  qu'exerce 
la  lumière  sur  la  manifestation  et  le  développement  des  êtres  orga- 
nisés. [Ann.  des  scifinces  naturelles.  Zoologie,  1822,  t.  111.) 


DU    CALORIQUE,    DE    LA   LUMIÈRE,    ETC.  199 

objet  de  préciser  quelle  est  l'action  de  la  lumière 
sur  l'évolution  des  Proto-organismes,  je  suis  parvenu 
à  des  résultats  absolument  opposés  aux  siens.  On  sait 
que  quelques  moisissures  se  plaisent  mieux  à  l'om- 
bre qu'à  la  lumière  (1);  et  il  en  est  même,  telles 
sont  celles  qui  abondenl  à  l'intérieur  du  pain  qui  se 
gâté,  qui  croissent  dans  l'obscurité  la  plus  absolue. 
C'est  dans  des  cavernes  que  Ton  cultive  le  mieux  les 
Champignons,  etHumboldt  a  trouvé  certaines  Rumex 
dans  l'obscurité  des  mines.  Dans  l'économie  animale 
on  voit  même  des  végétaux  apparaître  dans  des  lieux 
tout  à  fait  inaccessibles  à  la  lumière.  M.  Rayer  a  ob- 
servé des  productions  Bissoïdes  sur  la  plèvre  d'un 
phthisique  (2).  Enfin,  les  expériences  qui  suivent 
achèvent  de  dé  ni  outrer  ce  que  nous  avançons. 

Expérience.  —  On  mit  un  morceau  de  mie  de 
pain  dans  un  grand  verre  à  expérience;  celui-ci  fut 
recouvert  de  trois  cloches  noires  et  placé  dans  un 
endroit  où  régnait  une  profonde  obscurité.  Huit 
jours  après,  la  température  de  l'appartement  ayant 
été  de  21  degrés  en  moyenne,  toute  la  surface  de 
l'eau  est  occupée  par  le  Pénicillium  glaiiciim,  Link(3), 
en  fructification,  entre  les  filaments  duquel  nagent 
en  abondance  des  Monas  lens,  Duj.,  des  Monas 
oblonga,  Duj.,  et  diverses  espèces  de  Vibrions. 

Expérience.  —-  Ayant  placé  du  lait  absolument 
dans  les  mêmes  circonstances,  n^ous  obtenons  des  ré- 
sultats tout  à  fait  analogues.  Sa  surface  est  couverte 

[i)  Bérard,  Cours  de  physiologie.  Paris,  1848,  1. 1,  p.  89. 

(2)  Rayer,  Journal  l'Institut,  1842,  n°  492. 

(3)  LiNKj  Species,  l.  l.  —  Synonymie  :  Mucor  penicillatus,  Bull. 


200  HÉTÉROGÉNIE. 

de  Pénicillium  glaucum,  Link,  et  d' Aspergillus  glau- 
cus,  Fries  (1);  et  en  outre  elle  est  parcourue  par  un 
grand  nombre  de  Monasatlenuata,  Duj. 

M.  Morren  prétend  aussi  que  la  lumière  est  indis- 
pensable à  la  production  des  Protozoaires.  Il  rapporte 
qu'ayant  mis  macérer  des  substances  végétales  dans 
deux  vases  dont  un  se  trouvait  absolument  dérobé  à 
l'action  de  la  lumière,  tandis  que  l'autre  y  restait 
exposé,  il  vit  qu'il  ne  se  formait  aucun  ïnfusoire 
dans  le  premier,  tandis  qu'ils  pullulaient  dans  le  se- 
cond. Cependant  M.  Morren  ajoute  qu'en  substituant 
des  substances  animales  à  celles  que  l'on  avait  em- 
ployées, on  trouva  quelques  Monas  termo  dans  le 
vase  placé  dans  l'obscurité,  mais  que  celui  qui,  au 
contraire,  était  exposé  à  la  lumière,  contenait  une 
foule  d'animalcules  d'un  ordre  plus  élevé  (2).  De 
là  le  naturaliste  que  nous  venons  de  citer  proclame 
comme  une  loi,  que  l'on  obtient  d'autant  moins 
de  Protozoaires  dans  les  macérations,  que  l'on  sou- 
met celles-ci  à  une  obscurité  de  plus  en  plus  intense. 

Dans  ses  expériences  relatives  à  l'influence 
qu'exerce  la  lumière  sur  l'apparition  et  le  dévelop- 
pement des  Microzoaires,  M.  Morren  aura  sans  doute 
été  victime  de  l'une  des  nombreuses  causes  d'erreurs 
qui   égarent   parfois  les  physiologistes.  Nous  avons 

(0  Fries,,  Systema  mycologicum,  1829,  t.  III,  p.  385.  — Synony- 
mie :  Mucor  glacusa  danica  ^  Lin.,  Species;  Mucor  aspergillus. 
BiiUiard,  Histoire  des  champignons;  Monilia  glauca,  Persoon., 
Synopsis  methodica  fungorum. 

(2)  Morren  ,  Essais  pour  déterminer  quelle  est  rinfluence  qu'exerce 
la  lumière  sur  la  manifestation  et  le  développement  des  êtres  orga- 
nisés. {Ann.  des  sciences  naturelles.  Zoologie,  vol.  III.) 


DU  CALORIQUE,  DE  LA  LUMIÈRE,  ETC.       201 

obtenu  des  résultats  absolument  opposés  aux  siens, 
et  ce  sont  nos  expériences  qui  doivent  faire  autorité 
parce  que  nous  sommes  parvenu  à  constater  un  fait 
positif,  précis,  tandis  que  le  savant  de  Bruxelles  n'a 
obtenu  qu'un  résultat  négatif. 

Expérience. — Dans  nos  expériences  sur  ce  sujet, 
nous  avons  pris  toutes  les  précautions  imaginables 
pour  qu'il  régnât  l'obscurité  la  plus  absolue  là  où  nous 
opérions.  Dans  une  pièce  de  mon  laboi'atoire,  sous- 
traite à  la  lumière  à  l'aide  de  lideaux  doubles,  noirs 
et  fauves,  on  prit  un  vase  à  précipiter  et  celui-ci  fut 
rempli  d'eau  et  reçut  5  grammes  de  foin.  Après  l'a- 
voir mis  sur  un  pied,  on  le  recouvrit  d'une  cloche 
peinte  en  noir.  Sur  celle-ci  on  plaça  une  forte  feuille 
de  papier  gris  ;  puis  enfin,  le  tout  fut  recouvert  d'une 
seconde  cloche  noire  dont  le  pied  était  environné 
d'un  linge  roulé,  afin  que  le  vase  ne  reçût  pas  le 
moindre  rayon  de  lumière. 

Le  troisième  jour  après  que  cette  expérience  avait 
été  commencée,  on  examina  la  macération.  La  tem- 
pérature avaitélé  en  moyenne  de  26 degrés,  la  pres- 
sion de  0,  759.  La  liqueur  était  trouble  et  d'un  fauve 
foncé;  sa  surface  était  recouverte  d'une  pellicule 
épaisse,  muqueuse.  On  y  trouva  des  Monades,  des 
Bactériums,  des  Vibrions  gigantesques  et  des  Vibrions 
granifères,  en  quantité;  enfin  on  y  voyait  aussi  de 
nombreux ^o//^of/a  lepus,  Mulh,  de  lOà  12  divisions 
micrométriques  de  longueur.  Nous  avons  diverses 
fois  répété  cette  expérience  avec  des  résultats  ana- 
logues. 

On  voit,  par  l'apparition  de  cette  nombreuse  popu- 


202  HÉTÉROGÉINIE. 

Jation  zoologique,  qu'il  n'est  pas  possible  de  prétendre 
que  l'obscurité,  même  l'obscurité  la  plus  absolue, 
entrave  la  production  des  Microzoaires.  L'expérience 
qui  suit  \ieut  encore  à  l'appui  de  nos  prétentions. 

Expérience.  - —  Dans  un  malras  de  verre,  on  met 
un  litre  d'eau  et  un  morceau  de  pain.  Ce  vase  est 
placé  sous  trois  cloches  en  verre,  peintes  en  noir  en 
dedans,  et  se  recouvrant  les  unes  les  autres;  on  en  en- 
toure le  pied  avec  des  linges,  et  Tappareil,  ainsi  dis- 
posé, est  même  placé  dans  un  cabinet  où  règne  une 
obscurité  profonde.  Après  quatre  jours,  durant  les- 
quels la  température  a  été  de  1 4  degrés  en  moyenne, 
et  la  pression  de  0,  75,  on  ouvre  cette  pièce  et  on 
examine  le  liquide.  On  le  trouve  rempli  de  Monas 
oblomja,  de  Monas  lens  et  de  Monas  crepiiscidum, 
parfaitement  vivants.  Là  nous  avons  une  population 
moins  élevée  que  dans  l'autre  expérience,  ce  qui  dé- 
pend seulement  du  refroidissement  de  l'atuiosphère. 

L'observation  seule  suffisait  même  pour  rendre 
toutes  ces  expériences  inutiles.  Ainsi  que  le  dit  de 
Humboldt,  la  vie  remplit  les  lieux  les  plus  cachés  de 
la  nature  (1);  et  ne  sait-on  pas  qu'une  foule  d'Ento- 
zoaires  naissent  et  vivent  dans  des  sites  de  l'orga- 
nisme tout  à  fait  inaccessibles  à  la  lumière  (2)? 

Parmi  les  agents  qui  ont  une  remarquable  influ- 
ence sur  l'évolution  des  êtres  organisés,  l'électricité 
occupe  une  place  importante;  et  son  action,  qui  est 
si  remarquable  sur  le  développement  des  animaux 

(i)  Humboldt,  Tableaux  de  lanature.  Paris,  1828,  t.  II,  p.  9. 
(2)  Le  cerveau,  le  foie, le  canal  intestinal  sont  habiles  par  des 
Cysticerques,  des  Distomes,  des  Ténias,  etc. 


DU  CALORIQUE,  DE  LA  LUMIÈRE,  ETC.        203 

élevés,  ne  l'est  pas  moins  sur  celui  des  Proto-orga- 
nismes les  plus  infîmes. 

A  l'égard  des  premiers  j'ai  constamment  vu  dans 
six  expériences  comparatives,  que,  sous  l'influence 
d'un  simple  élément  d'une  pile  de  Bunsen,  des  œufs 
de  la  grenouille  verte,  Rana  escidenta,  éclosaient  un 
jour  et  parfois  deux  plus  tôt  que  ceux  du  même  reptile 
qui  se  trouvaient  soustraits  à  l'action  de  l'électricité. 
A  une  température  moyenne  de  18  degrés,  les  œufs 
que  je  soumettais  à  un  faible  courant  électrique 
éclosaient  au  bout  de  neuf  jours;  et  ceux  qui  ne 
subissaient  point  son  influence  n'éclosaient  que 
le  dixième  ou  le  onzième  jour. 

Expérience.  —  Sous  l'influence  de  l'électricité  il 
est  évident  aussi  que  les  Infusoires  apparaissent  et 
se  développent  beaucoup  plus  vite  qu'ils  ne  le  font 
normalement.  Je  m'en  suis  assuré  à  l'aide  de  plusieurs 
expériences.  Au  mois  de  mai,  en  faisant  traverser 
par  un  courant  électrique  constant,  obtenu  à  l'aide 
d'un  élément  de  Bunsen,  un  vase  rempli  d'une  ma- 
cération de  lin,  j  ai  vu,  à  une  température  moyenne 
de  18  degrés  et  sous  une  pression  de  0,75,  que  des 
Kolpoda  ciiculluSy  MuU.,  y  parvenaient  a  leur  entier 
accroissement  en  six  à  sept  jours,  tandis  que  dans  les 
vases  placés  dans  des  circonstances  analogues  mais 
soustraits  à  l'influence  de  la  pile,  pour  atteindre  cet 
état,  ils  mettaient  neuf  à  dix  jours. 

L'influence  de  l'électricité  atmosphérique  est  en- 
core plus  remarquable.  Plus  elle  est  abondante,  plus 
j'ai  reconnu  que  les  Infusoires  s'engendraient  vite, 
surtout  si  l'air  n'en  est  pas  surchargé  instantaii^ 


20  i  HÈTÉROGÉNIE. 

par  un  orage,  et  si  sa  tension  électrique  se  prolonge 
plusieurs  jours  :  dans  ce  cas,  j'ai  \u  une  accélération 
de  moitié  dans  le  développement  des  Kolpodes.  En 
trois  jours,  par  une  température  de  25  degrés,  j'ob- 
tenais deces  animalcules  offrant  une  dimension  qu'ils 
mettaient  six  jours  à  acquérir  par  la  même  tempé- 
rature lorsque  l'air  n'était  pas  surchargé  d'électricité. 

ïreviranus  avait  fait  des  expériences  analogues 
mais  sur  les  végétaux.  Il  dit  que  sous  l'influence  du 
galvanisme  on  voit  des  Bissusse  former  sur  des  infu- 
sions qui,  soustraites  à  son  action,  ne  donnent  que 
des  moisissures,  au  moins  le  plus  communément  (1). 

Quand  on  reconnaît  cette  influence  si  manifeste 
de  l'électricité  sur  le  développement  non-seulement 
des  organismes  inférieurs,  mais  encore  sur  celui  des 
êtres  d'un  ordre  élevé  ,  n'est-il  pas  permis  de  croire 
que  ce  fluide  joue  un  grand  rôle  sur  les  phénomènes 
primaires  de  la  vie,  au  moment  où  le  premier  grou- 
pement des  molécules  organiques  va  se  former? 
MM,  Coste  et  Delpech  le  lui  prêtent  en  effet,  et  pré- 
tendent qu'il  domine  les  premiers  éléments  géné- 
rateurs (2). 

Il  y  a  une  vingtaine  d'années  ,  qu'un  expérimen- 
tateur anglais,  M.  Cross,  fit  retentir  le  monde  sa- 
vant de  faits  non  moins  extraordinaires  que  ceux 
queFray  avait  avancés.  Dans  des  essais  qu'il  avait, 
dit-il,  répétés  à  plusieurs  reprises,  en  soumettant  de 
la  lave  arrosée  d'une  solution  de    silice  à  l'action 

(1)  Treviranus,  fi^o/o(/^>,  t   II,  p.  327. 

(2)  Coste  et  Delpech,  Recherches  sur  la  génération  des  mammi- 
fères.  Paris,  1834. 


DU  CALORIQUE,  DE  LA  LUMIÈRE,  ETC.       205 

d'un  courant  électrique,  il  vit  bientôt  se  produire,  à 
la  surface  de  cette  roche,  de  petits  corps  qui  s'ani- 
mèrent enfin  ,  prirent  une  forme  déterminée,  celle 
d'un  Acarus  d'une  espèce  encore  inconnue  (l).Mais 
cette  asserlion  ne  nous  paraît  pas  assez  sérieuse  pour 
mériter  qu'on  la  réfute  ,  et  nous  ne  l'enregistrons 
que  comme  document  historique. 

L'état  hygrométrique  de  l'atmosphère  a  aussi  une 
influence  non  douteuse  sur  les  phénomènes  de  l'hé- 
térogénie.  Gruithuisen  avait  déjà  fait  remarquer  que 
les  Microzoaires  apparaissent  en  plus  grande  abon- 
dance dans  les  temps  humides  et  chauds,  que  dans 
ceux  qui  oftYent  une  constitution  opposée  (2).  Dans 
nos  expériences  nous  avons  aussi  constaté  ce  fait  et 
remarqué  que  la  chaleur  humide  accélérait  énormé- 
ment l'accroissement  des  animalcules.  Toutes  les  fois 
que  nous  placions,  sous  des  cloches  dont  le  pied  était 
baigné  d'eau,  des  vases  dans  lesquels  nous  voulions 
produire  des  animalcules,  ceux-ci  se  développaient 
manifestement  beaucoup  plus  vite  que  dans  les  ma- 
iras  exposés  à  l'air. 

Nous  avons  reconnu  que  la  génération  spontanée 
est  influencée  par  la  température  et  par  l'intensité  et 
la  coloration  de  la  lumière  ;  on  doit  ajouter  que  la 
naissance  de  certains  Microzoaires  est  aussi  in- 
fluencée par  l'heure  de  la  journée.  Ainsi,  M.  Boudin 
prétend  que  le  Cercaire  éphémère,  Cercaria  ephe- 
mera,  naît  constamment  vers  midi,  et  qu'avant  cette 

(1)  Cros5;^  Athenœum. 

(2)  Gruithuisen,  Beitràge  zut  Physiognosie.  —  Idées  sur  la 
physiognosie. 


206  IIETEROGENIE. 

heure,  l'eau  qui  en  fourmille  n'en  offre  point  le  moin- 
dre individu  ;  car  tous  ceux  qui  apparaissent  si 
subitement,  sont  morts  le  lendemain  matin  avant  le 
moment  où  il  s'en  reproduit  une  nouvelle  généra- 
tion (1).  Six.  jours  consécutifs  d'observations  ont 
démontré  ce  fait  à  Nitzsch.  Une  autre  Cercaire,la 
Cercana  majora  devance  de  deux  heures  la  précé- 
dente :  elle  apparaît  vers  dix  heures  du  matin  (2). 

Outre  l'influence  qu'ont  sur  les  Proto-organismes 
les  principaux  agents  de  la  nature,  il  en  existe  encore 
d'autres  qui  possèdent  également  sur  eux  une  action 
réelle,  lorsqu'ils  se  trouvent  accidentellement  soumis 
à  leur  influence.  Enfin,  l'on  doit  aussi  rectifier  ce 
que  l'on  a  avancé  d'inexact  sur  la  manière  d'agir  de 
certains  corps  à  leur  égard. 

Dans  cette  dernière  catégorie  nous  devons  citer  le 
mercure  dont  on  a  considéré  les  émanations  ou  le 
contact,  comme  étant  funestes  aux  animalcules.  L'ef- 
ficacité avec  laquelle  les  sels  mercuriels  paralysent 
le  développement  des  Proto-organismes  en  aura  sans 
doute  imposé,  car,  dans  nos  expériences,  nous  avons 
constamment  reconnu  l'innocuité  des  vapeurs  ou  du 
contact  de  ce  métal  à  Tégard  des  Protozoaires  et  de 
la  végétation  cryptogamique. 

Les  vapeurs  mercurielles,  dans  les  expériences  de 
M.  Gaspard,  semblent  avoir  agi  avec  plus  d'intensité 
sur  les  insectes  qu'elles  ne  l'ont  fait  dans  les  miennes 

(1)  Boudin,  Traité  de  géographie   et    de   statistique  médicales. 
Paris,  1857,  t.II,  p.  9. 

(2)  Nitzsch^  Beitràge  zur  Infusorienkunde .  Halle,  1817,  p.  43. 
—  Idées  sur  l'histoire  naturelle  des  infusoires. 


DU    CALORIQUE,    DE    LA    LUMIÈRE,    ETC.  2  07 

sur  les  Microzoaires.  Des  œufs  de  Mouche  qui  se 
trouvaient  sur  un  morceau  de  viande,  ayant  été  pla- 
cés dans  des  vases  contenant  du  mercure  et  sans  être 
en  contact  avec  le  métal,  ne  produisirent  jamais  de 
larves,  tandis  qu'il  en  naissait  de  ceux  qui  avaient  été 
mis  dans  des  circonstances  analogues,  mais  loin  des 
émanations  mercurielles  (1). 

Expérience. —  Le  fait  suivant  suffirait  seul  pour 
démontrer  ce  que  nous  avançons  : 

Le  1"  mai,  nous  avons  pris  un  verre  à  expérience 
rempli  de  Kolpodes  et  de  Vorticelle?,  et  nous  l'avons 
exposé  sous  une  cloche  dont  le  pied  était  baigné  de 
mercure.  Deux  jours  après,  la  température  moyenne 
ayant  été  dans  l'intervalle  de  20  degrés,  on  examina 
le  contenu  du  verre  et  l'on  y  rencontra  ces  mêmes 
animaux  en  parfait  état.  Deux  jours  après  ce  premier 
examen,  ces  Vorlicelles  et  ces  Kolpodes  avaient  même 
considérablement  pullulé.  Le  15  niai,  toute  la  popu- 
lation animée  déposée  sous  les  cloches  se  portait  par- 
faitement bien. 

Ainsi  donc  il  est  évident  que  les  vapeurs  mercu- 
rielles pendant  un  espace  de  quinze  jours,  n'ont  eu 
aucune  influence  délétère  sur  des  Microzoaires  et 
n'ont  nullement  arrêté  leur  procréation.  Le  niveau 
de  la  macération  était  à  dix  centimètres  au-dessus  de 
celui  du  mercure. 

Expérience.  —  Cette  expérience  prouve  encore 
mieux  que  les  précédentes  l'innocuité  du  mercure. 
Des  Vorticeiles  et  des  Kolpodes  ayant  été  placés  sur 

(1)  Gaspard,  Journal  de  physiologie  expérimentale  de  Magendie. 
1821, 1. 1,  p.  105. 


208  HÉTÉROGÉNŒ. 

une  couche  de  mercure  qui  était  contenue  dans  une 
petite  cuvette  en  cristal,  et  celle-ci  ayant  été  elle- 
même  mise  à  flot  sur  un  bain  de  ce  métal  et  recou- 
verte d'une  cloche,  le  lendemain,  quoique  ayant  été 
exposée  à  l'action  directe  du  mercure  et  aux  vapeurs 
qui  s'en  élèvent,  ainsi  que  le  prouvent  les  expérien- 
ces de  Faraday  (1)  et  d'Alex.  Colson  (2),  les  animal- 
cules que  nous  venons  de  citer  ne  parurent  en  avoir 
éprouvé  aucun  inconvénient.  Huit  jours  après,  ces 
animalcules  étaient  encore  en  parfaite  santé. 

L'expérience  qui  suit  démontre  même  que  le  con- 
tact du  mercure  n'entrave  nullement  la  production 
des  Microzoaires. 

Expérience.  —  Le  fond  d'une  cuvette  en  cristal, 
de  30  centimètres  de  diamètre,  a  été  rempli  d'une 
couche  de  mercure  d'un  centimètre  de  profondeur. 
Au-dessus  on  a  mis  une  couche  d'eau  de  3  centimè- 
tres d'épaisseur  ;  dans  le  milieu  de  celle-ci  on  plaça 
une  petite  cuvette  en  cristal,  qui  flottait  sur  le  métal 
et  contenait  5  grammes  de  foin,  afin  d'empêcher  ce- 
lui-ci de  toucher  le  mercure,  sans  cependant  qu'il 
cessât  d'être  baigné  par  la  masse  du  liquide  en  expé- 
rience; enfin,  l'appareil  fut  recouvert  d'une  cloche 
en  verre. 

Après  avoir  abandonné  cet  appareil  pendant  huit 
jours,  sous  l'influence  d'une  température  moyenne 
de  21  degrés,  il  fut  examiné.  Toute  la  surface  de 
l'eau    était  peuplée  d'une  immensité  de  Kolpodes. 

{\)  Quarterly  Journal  of  sciences  and  arts,  20th  novcmber. 
(2)  Alex.  Colson^  Archives  générales  de  médecine.  Paris,   1826, 
t.  Xlï,  p.  70. 


DU   CALORIQUE,    DE    LA   LUMIÈRE,    ETC.  209 

Ce  Kolpodevcnu  sur  le  mercure  ne  me  paraît  se 
rapprocher  d'aucune  espèce  décrite.  Il  est  réniforme 
et  contient  ordinairement  de  dix  à  vingt  vésicules 
stomacales  ;  on  voit  fort  bien  que  ces  vésicules  ont 
une  paroi  ;  elles  offrent  de  deux  à  trois  divisions  mi- 
crométriques de  diamètre  et  semblent  remplies  d'ali- 
ments qui  leur  donnent  une  teinte  légèrement  jau- 
nâtre. L'animalcule  est  diaphane,  hyalin  ;  le  cœur,  peu 
apparent,  est  très-difficile  à  reconnaître,  à  cause  de 
la  lenteur  de  ses  contractions.  La  superficie  du  corps 
est  grossièrement  striée ,  granulée.  Les  vésicules 
internes  sont  évidemment  des  estomacs  et  non  des 
œufs,  ce  que  l'on  pourrait  croire.  J'ai  donné  du 
carmin  à  ces  animalcules  et  bientôt  je  lésai  vus 
remplir  un  certain  nombre  de  ces  vésicules  ;  en  dix 
minutes,  dix  à  vingt  étaient  déjà  gorgées. 

Si  réellement  il  était  possible  d'assigner  un  carac- 
tère positif  à  de  tels  animaux,  je  nommerais  ce  Kol- 
pode,  que  je  crois  particulier,  Kolpoda  hydrargijri. 

M.  Morren  a  prétendu  que  Tair  qui  passait  à  tra- 
vers l'acide  sulfurique  déterminait  la  mort  des  Mi- 
crozoaires  ou  entravait  leur  production  (1). 

Nos  expériences  nous  ont  démontré  l'inexactitude 
de  cette  assertion.  Et  quoiqu'elles  fussent  exécutées 
avec  plus  de  rigueur  que  celles  qui  ont  été  précédem- 
ment entreprises,  et  que  nous  ayons  poussé  le  soin 
jusqu'à  faire  traverser  l'eau  oii  vivaient  les  Microzoai- 
res  par  l'air  lavé  dans  l'acide,  ceux-ci  n'ont  jamais 

{{)  Morren,  Expériences  sur  l'absorption  de  l'azote  par  les  ani- 
malcules et  les  algues.  [Ann.  des  sciences  naturelles.  Zoologie,  1854, 
1. 1,  p.  339.) 

POUCHET.  i  4 


210  HETEROGENIE. 

paru  en  souffrir,  et  ils  ont  même  multiplié  dans  les 
vases  où  ils  se  trouvaient. 

Expérience.  —  On  a  pris  un  appareil  de  Woulf, 
composé  de  trois  flacons  à  deux  tubulures.  Le  pre- 
mier de  ces  flacons  fut  rempli,  aux  trois  quarts,  d'a- 
cide sulfurique  concentré.  La  première  tubulure 
donne  entrée  à  un  tube  effilé  à  la  lampe  à  son  extré- 
mité et  qui  plonge  au  fond  de  l'acide.  De  la  seconde, 
part  un  tube  qui  naît  au-dessus  du  niveau  de  cet 
acide  et  va  se  rendre  dans  le  flacon  suivant.  Ce  se- 
cond flacon  a  été  rempli  aux  trois  quarts  d'eau  et 
l'on  a  peuplé  sa  surface  d'une  immense  quantité  de 
Glaucomes,  de  Dileptes  et  de  Kolpodes.  Le  tube  qui 
provient  du  flacon  d'acide  sulfurique  plonge  au  fond 
de  l'eau,  et  l'autre  tubulure  donne  issue  à  un  tube 
qui  naît  un  pouce  au-dessus  de  l'eau  et  va  se  termi- 
ner dans  le  dernier  flacon  à  la  même  hauteur.  Enfin 
ce  troisième  flacon  est  également  rempli  aux  trois 
quarts  d'eau,  et  en  outre  on  y  met  les  mêmes  animal- 
cules que  dans  le  précédent.  De  la  dernière  tubulure 
sort  un  tube  qui  se  rend  dans  une  éprouvette  remplie 
d'eau. 

Deux  fois  par  jour  on  pousse  dans  cet  appareil  une 
cinquantaine  de  litres  d'air,  et  il  se  passe  donc  ceci  : 
cet  air  traverse  d'abord  tout  l'acide  sulfurique  qui 
remplit  en  grande  partie  le  premier  flacon;  ensuite  il 
traverse  de  bas  en  haut  toute  l'eau  que  Ton  a  placée 
dans  le  second,  et  enfin  il  laboure  toute  la  surface  du 
troisième. 

L'appareil  est  déluté  le  huitième  jour,  et  Ton  re- 
connaît que  non-seulement  tous  les  animalculesqu'on 


DU    CALORIQUE,    DE    LA    LUMIÈRE,    ETC.  2H 

y  a  introduits  sont  en  parfait  état,  mais  qu'en  outre 
ils  ont  multiplié  ;  quelques  animalcules  nouveaux  ont 
même  apparu  dans  l'un  et  l'autre  flacon.  On  n'y 
avait  mis  aucune  Vorticelle,  et  quand  on  examina  le 
résultat  de  l'expérience,  il  s'y  en  trouva  un  bon 
nombre. 

Ainsi  donc,  non-seulement  les  Microzoaires  vivent 
bien  sous  l'influence  de  l'air  qui  a  traversé  de  l'acide 
sulfurique,  mais  encore  on  peut  faire  traverser  par 
cet  air  l'eau  qui  les  recèle,  et  ils  ne  paraissent  pas 
non  plus  en  soufl'rir;  bien  mieux,  ils  y  multiplient. 

La  proximité  de  l'acide  sulfurique  semble  aussi 
être  sans  action  sur  les  Microzoaires. 

Expérience.  —  Le  l^'"  mai,  j'exposai  un  grand 
verre  à  expériences,  rempli  de  Kolpodes  et  de  Vorti- 
celles  sous  une  cloche  dont  le  pied  était  baigné  d'a- 
cide sulfurique  concentré.  Deux  jours  après,  la  tem- 
pérature moyenne  ayant  été  de  20  degrés  centigrades, 
le  contenu  du  verre  ayant  subi  un  nouvel  examen, 
j'y  retrouvai  les  mêmes  légions  d'animalcules  qui  y 
existaient  précédemment,  tout  aussi  abondantes  et 
seulement  un  peu  plus  développées.  Le  15  mai,  un 
nouvel  examen  ayant  été  fait,  on  reconnut  que  les 
animalcules  avaient  augmenté  en  nombre  et  qu'il 
s'en  était  produit  de  nouveaux.  Il  était  donc  évident 
que  l'acide  n'avait  point  influencé  les  Microzoaires 
pendant  un  contact  médiat  de  quinze  jours. 

La  proximité  de  certains  corps  influe  d'une  ma- 
nière extraordinaire  sur  les  phénomènes  de  la  géné- 
ration spontanée.  Dans  de  nombreuses  expériences, 
exécutées  dans  des  conditions  absolument  identiques. 


212  HÉTÉROGÉNIE. 

avec  les  mêmes  liquides,  dans  des  vases  absolument 
pareils,  et  sous  l'influence  de  temps  égaux,  nous 
avons  constamment  vu  que  les  vases  que  nous  recou- 
vrions avec  un  fort  couvercle  en  bois,  offraient  tou- 
jours une  pellicule  animée  beaucoup  plus  épaisse  que 
ceux  qui  avaient  un  simple  couvercle  en  verre,  et  que 
leurs  animalcules  étaient  infiniment  plus  abondants 
et  se  développaient  avec  plus  de  rapidité  que  dans  ces 
derniers.  Un  semblable  résultat  ne  peut  être  attribué 
qu'aux  émanations  de  la  substance  végétale  qui  se 
trouvait  à  proximité  de  la  surface  de  l'eau,  à  quatre 
millimètres  à  peu  près. 

Au  contraire,  les  effluves  du  bois  semblent  avoir 
un  effet  paralysant  sur  la  production  de  la  matière 
verte.  Mais  pour  ceci  je  n'ai  qu'une  seule  expérience 
à  citer.  Plusieurs  vases  étaient  remplis  d'eau  de  puits; 
ils  restèrent  en  expérience  deux  mois.  Au  bout  de  ce 
temps  tous  les  vases  offraient  de  la  matière  verte  en 
abondance,  nageant  à  la  surface  de  l'eau  ou  précipi- 
tée au  fond.  Le  vase  recouvert  de  bois  n'en  contenait 
que  beaucoup  moins  et  sa  coloration  était  d'un  vert 
sale,  blafard,  peu  foncé. 

Nous  avons  fait  un  grand  nombre  d'expériences 
sur  ce  sujet,  et  ce  qu'elles  ont  en  outre  offert  d'extrê- 
mement remarquable,  c'est  que,  non-seulement  la 
proximité  d'une  masse  végétale  augmentait  l'intensité 
de  la  production  des  organismes,  mais,  en  outre, 
c'est  qu'elle  déterminait  l'apparition  d'espèces  d'un 
ordre  plus  élevé  que  celles  qu'on  rencontrait  dans  les 
autres  macérations.  Nous  ne  citerons  qu'une  seule 
de  nos  expériences  sur  ce  sujet  : 


DU  CALORIQUE,  DE  LA  LUMIÈRE,  ETC.       213 

Expérience.  —  On  remplit  deux  vases  en  cristal 
d'une  égale  quantité  de  foin  et  d'eau  qui  ont  bouilli 
vingt-cinq  aiinutes,  pour  qu'on  ne  puisse  dire  qu'ils 
contenaient  quelques  germes.  L'un  de  ces  vases  rem- 
pli presque  au  niveau  de  son  bord,  est  recouvert  d'une 
épaisse  planche  de  tilleul  et  placé  sous  une  grande 
cloche  en  verre.  L'autre  est  rempli  pareillement 
et  recouvert  d'une  lame  de  verre  et  placé  aussi  sous 
une  cloche.  On  a  la  précaution  de  ne  laisser  le  foin 
surnager  ni  dans  l'un  de  ces  vases,  ni  dans  l'autre. 
Huit  jours  après,  on  procède  à  l'examen  des  produits. 

Le  vase  recouvert  par  une  planchette  de  bois  est 
rempli  d'un  nombre  considérable  de  Kérones  et  de 
Glaucomes  adultes. 

Le  vase  recouvert  d'une  plaque  de  verre  n'offre 
que  quelques  rares  Kolpodes  de  petite  dimension. 

Il  y  a  donc  eu,  dans  le  premier  vase,  production 
d'animalcules  plus  abondants  et  d'espèce  différente 
et  plus  hautement  organisés. 

Au  nombre  des  choses  qui  influent  sur  la  procréa- 
tion spontanée  des  Microzoaires,  on  ne  s'allendrait 
guère  que  l'on  dût  compter  la  forme  des  vases,  et  ce- 
pendant il  est  certain  que  celle-ci  a  une  incontesta- 
ble action  sur  cet  acte.  Nos  expériences  sur  l'hétéro- 
génie  nous  ont  souvent  démontré  que  la  population 
zoologique  est  ditîérente  dans  les  vases  de  configura- 
tion dissemblable.  Ceci  ne  veut  pas  le  moins  du  monde 
dire  que  la  manifestation  organique  est  liée  à  la  forme 
grossière  de  la  matière,  mais  seulement  que,  par  la 
disposition  de  celle-ci,  les  réactions  chimiques  ou 
physiques  sont  influencées,  et  qu'il  en  résulte  ainsi 


214  HÉTÉROGÉNIE. 

une  manifeste  influence  sur  la  genèse  des  Proto- 
organismes.  Les  faits  qui  suivent,  pris  au  hasard, 
parmi  tant  d'autres,  confirment  cette  assertion. 

Expériences.  —  Dans  toutes  ces  expériences  on  a 
employé  la  même  quantité  d'eau  et  de  foin,  500 
grammes  d'eau,  5  grammes  de  foin,  et  le  produit  a 
été  examiné  le  troisième  jour,  la  moyenne  de  la  tem- 
pérature ayant  été  de  19  degrés,  la  pression  atmo- 
sphérique en  moyenne  de  0,759. 

Dans  un  petit  ballon  de  verre,  la  pellicule  est  peu 
épaisse,  et  l'on  trouve  une  grande  quantité,  de  Yi- 
brions  granifères,  quelques  Vibrions  gigantesques, 
et  enfin  quelques  Monas  lens,  Duj. 

Dans  une  éprouvette  extrêmement  étroite,  de  deux 
décimètres  de  diamètre,  la  pellicule  est  peu  épaisse. 
11  n'y  existe  aucun  Vibrion  granifère,  mais  seulement 
un  fort  petit  nombre  de  Vibrions  lisses  inanimés;  on 
y  voit  en  outre  des  Vibrions  tremblants  et  quelques 
Monades  lentilles. 

Dans  une  cuvette  en  verre,  de  25  centimètres  de  dia- 
mètre, la  pellicule  proligère  est  peu  épaisse.  Au  mi- 
croscope, elle  est  granulée  et  renferme  un  nombre 
considérable  de  Monas  oblonga.  En  outre  on  y  voit 
un  assez  bon  nombre  de  Vibrions  granifères,  et  tout 
le  hquide  est  sablé  de  petits  Vibrions. 

Ce  vase,  dont  la  surface  est  peut-être  cent  fois  plus 
étendue  que  celle  du  précédent,  contient,  en  propor- 
tion, un  nombre  d'animalcules  immensément  plus 
considérable.  Si  c'est  le  corps  solide  qui  les  pro- 
duit seul  ou  les  recèle,  un  vase  en  contenant  la  même 
quantité  que  l'autre,  les  Microzoaires  eussent  dû  être 


DU    CALORIQUE,    DE    LA    LUMIÈRE,    ETC.  215 

infiniment  plus  nombreux  à  la  surface  restreinte  du 
précédent,  et  c'est  l'opposé  qui  a  eu  lieu! 

Une  nouvelle  série  d'expériences  sur  la  forme  des 
vases  fut  entreprise  dans  les  mêmes  conditions  que  la 
précédente,  maison  n'examinâtes  résultats  qu'après 
huit  jours,  durant  lesquels  la  température  avait  été 
en  moyenne  de  24  degrés. 

Dans  un  petit  ballon  en  verre,  la  pellicule  est  très- 
mince.  On  y  observe  une  abondance  de  Kérones 
lièvres  et  de  petits  Vibrions.  Aucun  Kolpode. 

Dans  une  éprouvette  étroite,  la  pellicule  est  bien 
formée,  de  couleur  jaune  pâle  terne,  et  contient 
beaucoup  de  petits  Kolpodes  et  des  animalcules  pi- 
riformes.  Il  n'y  existe  aucun  Kérone,  mais  beaucoup 
de  petits  Vibrions. 

Dans  une  grande  cuvette  de  25  centimètres  de  dia- 
mètre, la  pellicule  est  à  peine  formée  et  même  man- 
que par  places.  On  n'y  découvre  que  des  Kolpodes» 
mais  en  très-petit  nombre,  et  une  immense  quantité 
de  Bacterium  articulalumj  Ehr. 

Dans  un  grand  verre  à  expériences  la  pellicule  est 
plus  épaisse  que  dans  aucun  des  autres  vases.  Le  li- 
quide est  aussi  d'une  teinte  plus  foncée.  On  y  observe 
immensément  plus  d'animalcules  vivants  que  dans 
aucun  des  vases  précédents. 

Dans  un  vase  en  coupe,  dilaté  à  son  fond  et  un 
peu  rétréci  au  haut,  la  pellicule  est  plus  mince  que 
dans  le  verre.  On  y  trouve  des  Kérones  de  forte  taille 
et  surtout  des  Kolpodes  et  des  Bactériums. 


CHAPITRE  IV. 

HYPOTHÈSE  DE  LA  DISSÉMINATION  DES  GERMES  ORGANIQUES. 

Les  physiologistes  qui  ont  tracé  la  voie  expéri- 
mentale à  suivre  dans  le  but  de  réfuter  les  générations 
spontanées,  ont  considéré  comme  une  condition  fon- 
damentale de  s'assurer  d'abord  que  tout  organisme, 
soit  à  l'état  de  germe,  soit  à  l'état  vivant,  était  détruit 
dans  les  corps  soumis  aux  expériences;  puis  ensuite 
de  veiller  à  ce  qu'il  ne  puisse,  durant  celles-ci,  s'en 
introduire  de  l'extérieur.  Nous  convenons ,  assuré- 
ment, que  c'est  là  une  condition  essentielle  ;  mais  il 
eût  fallu  ajouter  aussi  qu'en  prenant  ces  deux  pré- 
cautions ,  on  aviserait  à  ne  pas  dénaturer  trop  pro- 
fondément les  divers  éléments  génésiques.  Nous  aurons 
à  examiner  si  cette  loi  n'a  pas  souvent  été  transgressée 
par  l'action  des  agents  chimiques  ou  physiques  que 
l'on  a  employés;  et  si  ceux-ci,  en  altérant  le  milieu  au 
sein  duquel  réside  le  principe  vital,  n'y  ont  pas  frappé 
de  mort  tout  effort  organisateur;  c'est  pour  éviter  cet 
écueil  que  souvent  nous  avons  suivi  des  routes  inu- 
sitées. 

Pour  nous  conformer  aux  exigences  de  la  critique, 
nous  avons  exécuté  beaucoup  d'expériences  à  vais- 
seaux hermétiquement  isolés  du  contact  de  l'atmo- 
sphère. Nos  précautions,  à  cet  effet,  ont  été  poussées  à 


HYPOTHÈSE    DE   LA   DISSÉMINATION,    ETC.  217 

Textrême,  afin  de  suspendre  les  élans  d'imagination  de 
ceux  qui  pourraient  voir  dans  un  atonie  d'air  la  source 
de  l'incommensurable  fécondité  de  nos  matras.  Mais 
en  outre,  nous  avons  fréquemment  aussi  adopté  une 
voie  absolument  opposée  à  celle  de  nos  devanciers: 
nous  avons  opéré  à  l'air  libre;  et  les  faits,  dans  celle- 
ci,  se  sont  tellement  contrôlés  réciproquement,  et  ils 
sont  tellement  nombreux ,  que  nous  pensons  qu'ils 
forment  un  faisceau  non  moins  indestrucfible  que  les 
révélations  obtenues  par  la  méthode  opposée.  Ainsi 
donc  toutes  les  ressources  ont  été  appelées  à  notre 
aide  :  là  le  tribut  de  l'observation  a  seul  été  invoqué  ; 
ailleurs  les  supputations  de  l'intellect.  La  méthode 
expérimentale  ne  doit  pas  être  plus  oppressive  que 
l'idéalisme.  Chaque  moyen  a  ses  avantages;  si  l'ex- 
périence subjugue  parfois  la  raison,  celle-ci  peut  sou- 
vent l'éclairer  à  son  tour;  il  faut  prendre  ce  que  l'une 
et  l'autre  voie  ont  de  bon  :  nous  voulons  l'ascendant 
de  Galilée  uni  à  l'investigation  de  Schelling. 

Dans  tout  le  cours  de  cet  ouvrage  on  verra  que 
nous  avons  répété  la  majeure  partie  des  expériences 
de  nos  prédécesseurs,  non  pour  nous  en  servir  direc- 
tement, parce  que  souvent  elles  manquent  de  préci- 
sion, mais  pour  expliquer  la  diversité  des  résultats 
auxquels  elles  ont  conduit.  Nous  ne  prétendons  nul- 
lement rétrograder  jusqu'à  Spallanzani  et  Bonnet, 
mais  nous  interpréterons  la  portée  de  leur  œuvre. 

En  commençant  ce  chapitre  nous  exposerons  net- 
tement ce  qu'il  est  appelé  à  démontrer.  Le  but  que 
nous  nous  proposons  est  de  prouver  que  les  germes 
des  Proto-organismes  ne  peuvent  être  contenus  dans 


218  HETEROGEÎSIE. 

les  corps  qui  concourent  à  leur  évolution,  et  que,  par 
conséquent,  ils  ne  doivent  leur  genèse  qu'aux  réac- 
tions qui  s'opèrent  dans  l'ensemble  de  ceux-ci.  De 
très-simples  arguments  suffiront  pour  cela. 

Selon  Ehrenberg  ,  les  germes  des  Microzoaires  au- 
raient une  double  source  :  ils  préexisteraient  dans  les 
substances  que  l'on  met  infuser  ou  dans  l'eau  qui  sert 
aux  expériences.  Là,  ils  resteraient  absolument  inac- 
cessibles à  nos  plus  puissants  microscopes,  jusqu'au 
moment  oii  les  infusions  leur  offrant  une  nourriture 
appropriée  ,  devenus  plus  apparents  enfin,  nous  les 
apercevons  (1).  Au  contraire,  selon  Spallanzani  et 
Bonnet,  ce  serait  l'air  qui  contiendrait  les  germes  des 
animalcules,  en  quantité  telle  que  l'esprit  ne  peut 
s'en  faire  une  idée.  Et  ce  fluide  en  pénétrant  dans  les 
interstices  les  plus  inaccessibles  des  corps,  y  dissémi- 
nerait ces  incalculables  légions  de  Proto-organismes 
qui,  en  apparaissant  tout  à  coup ,  étonnent  et  stupé- 
fient l'imagination  (2). 

Ainsi  donc,  de  l'aveu  des  plus  ardents  antagonistes 
de  l'hétérogénie ,  les  germes  des  Proto-organismes 
qu'on  voit  surgir  dans  nos  expériences ,  ne  peuvent 

(1)  EHnENBEKG  (Gérard),  Dict.  d'hist.natur.ded'Orb.,  t.  TI.p.  6o. 

(2)  Spallanzani  ,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale.  Pa- 
vie,  1787,  t.  I,  p.  295. 

BoNKET  voit  même  clans  chaque  être  une  espèce  de  microcosme, 
et  il  s'exprime  ainsi  à  ce  sujet  : 

«  Cha(}iie  corps  organisé  se  présente  à  moi  sous  l'image  d'une 
petite  terre  où  j'aperçois,  en  raccourci,  toutes  les  espèces  de 
plantes  et  d'animaux,  qui  s'offrent  en  grand  sur  la  surface  de 
notre  globe.  Un  chêne  me  paraît  composé  de  plantes,  d'insectes, 
de  coquillages,  de  reptiles,  de  poissons,  d'oiseaux,  de  quadrupèdes, 


HYPOTHÈSE    DE    LA    DISSÉMINATION,    ETC.  219 

dériver  que  de  trois  sources  :  du  corps  putrescible , 
de  l'eau  ou  de  l'air. 

Mais  l'examen  de  l'état  de  la  question  contribue 
encore  à  la  simplifier.  En  effet ,  on  reconnaît  tout 
d'abord  que  les  physiologistes  qui  se  sont  élevés  avec 
le  plus  de  vivacité  contre  la  génération  hétérogène, 
vaincus  par  l'argumentation  de  ses  partisans  ,  ont  été 
rapidement  forcés  d'abandonner  deux  des  moyens  de 
propagation  :  le  corps  putrescible  et  l'eau.  Et  c'est 
seulement  à  l'air  qu'ils  ont  confié  le  rôle  de  dissémi- 
nateur  universel  de  ces  germes  invisibles,  impalpables 
comme  l'atmosphère  elle-même,  et  qui  s'insinuent 
avec  lui  partout  et  dans  tout  (1).  Ainsi  donc  l'air,  et 
l'air  seul,  sera  réellement  en  question,  et  l'objet  de  la 
lutte  décisive. 

Si  l'on  admet  que  dans  nos  expériences  la  géné- 
ration ne  peut  s'opérer  qu'à  l'aide  de  trois  facteurs, 
et  que  c'est  l'un  d'eux  seul  qui  recèle  les  germes  des 
Proto-organismes,  il  est  évident  que  si  l'on  prend 
chacun  de  ces  trois  corps  en  particulier ,  sans  s'in- 
quiéter nullement  alors  des  deux  autres  ,  et  que  l'on 
démontre  successivement  que  ce  n'est  aucun  d'eux 

d'hommes  môme.  Je  vois  monter  dans  les  racines  de  ce  cliêne, 
avec  les  sucs  destinés  à  sa  nourriture ,  des  légions  innombrables 
de  germes.  Je  les  vois  circuler  dans  les  différents  vaisseaux,  se 
loger  ensuite  dans  l'épaisseur  de  leurs  membranes  pour  les  aug- 
menter en  tous  sens.  »  [Cons.  sur  les  corps  org.,  t.  1^  p.  lOo.)  Et 
c^est  avec  de  tels  arguments  que  nos  adversaires  prétendent  com- 
battre rhétérogénie! 

(1)  Ici  nous  adoptons  le  langage  de  nos  adversaires,  car  nous 
verrons  que  souvent  ces  germes  sont  parfaitement  connus,  me- 
surés, et  qu'ils  ne  peuvent  échapper  où  ils  sont  réellement. 


220  HÉTÉROGÉNIE. 

qui  contient  ces  germes ,  il  faudra  bien ,  en  somme  , 
reconnaître,  quand  le  fait  aura  été  strictement  établi 
pour  chacun  isolément ,  que  ce  n'est  donc  aucun  de 
ces  trois  corps  qui  peut  servir  d'asile  aux  œufs  ou  aux 
séminules  introuvables  des  êtres  divers  qu'on  voit 
s'engendrer  sous  ses  yeux. 

Si  cela  n'est  pas  évident,  il  faut  renoncer  à  per- 
suader nos  antagonistes. 

Ceci  bien  nettement  posé,  nous  ajouterons  qu'il 
est  de  la  plus  extrême  facilité  de  renverser  les  divers 
systèmes  qui  nous  sont  opposés,  et  nous  le  ferons 
d'abord  en  quelques  mots ,  sauf  à  apporter  plus  loin 
des  masses  de  preuves. 

D'après  ce  qui  précède,  pour  démontrer,  jusqu'à 
la  dernière  évidence,  l'existence  de  la  génération 
spontanée,  il  suffit  donc  de  constater  que  les  corps  que 
l'on  a  employés  ne  contenaient  auparavant  aucun 
germe.  Mais  cela  est  on  ne  peut  plus  aisé  par  les 
plus  élémentaires  combinaisons  de  l'expérimenta- 
tion ;  et  il  faut  assurément  vouloir  fermer  les  yeux 
et  détourner  son  esprit,  pour  ne  pas  se  rendre  à 
l'évidence. 

En  effet ,  les  trois  expériences  qui  suivent  prouvent 
sans  réplique  que  ce  n'est  :  ni  le  corps  solide,  ni  l'eau, 
ni  l'air  qui  contiennent  les  germes  ;  et  si  je  m'étonne, 
c'est  que  les  savants  se  soient  donné  tant  et  tant  de 
mal  pour  arriver  à  un  tel  résultat. 

1"  Il  est  évident  que  le  corps  putrescible  ne  con- 
tient point  les  germes  des  Proto-organismes,  puisque, 
lorsqu'on  n'emploie  celui-ci  qu'après  l'avoir  car- 
bonisé, on   voit  l'eau   dans  laquelle  on  l'a  placé, 


HYPOTHÈSE    DE   LA  DISSÉMINATION^    ETC.  221 

se  peupler  de  Microzoaires  et  de  cryptogames  (1). 

2°  Ce  n'est  pas  l'eau,  non  plus  ,  qui  renferme  ces 
germes,  puisque  si  l'on  met  une  substance  organisée 
dans  de  l'eau  artificielle,  on  voit  s*y  produire  aussi 
des  animalcules  et  des  végétaux  (2) . 

3°  Enfin,  il  est  évident  aussi  que  ce  n'est  pas  l'at- 
mosphère qui  dissémine  les  germes,  puisque ,  dans 
nos  expériences  multipliées,  nous  avons  vu  des  Proto- 
organismes s'engendrer  soit  dans  des  vases  où  il 
n'existait  que  de  l'air  artificiel,  et  pas  la  moindre 
parcelle  d'air  atmosphérique;  soit  dans  des  appareils 
où  il  ne  parvenait  que  de  l'air  dont  on  avait  détruit 
radicalement  tout  principe  vital ,  en  le  soumettant  à 
la  température  de  la  chaleur  rouge  ou  en  lui  faisant 
traverser  de  l'acide  sulfurique  concentré  (3). 

Si  la  genèse  d'un  Proto-organisme  réclame,  géné- 
ralement, le  concours  de  trois  éléments,  comme  au- 
cun de  ceux-ci,  en  particulier,. n'a  la  puissance  de  le 
produire,  et  ne  le  contient  pas,  ainsi  qu'on  le  démontré 
expérimentalement, il  faut  bien,  nécessairement, que 
l'être  nouveau  dérive  de  deux  ou  de  trois  de  ces  élé- 
ments. Or,  comme  un  germe  ne  peut  pas  être  bi- 
en tripartite  ,  il  est  évident  que  celui-ci  résulte 
de  toutes  pièces  des  combinaisons  des  particules  orga- 

(1)  Voyez,  pour  le  développement  de  cette  proposition^  le  cha- 
pitre concernant  rélimination  du  corps  putrescible  considéré 
comme  véhicule  des  germes,  où  se  trouvent  les  expériences  à 
Tappui. 

(2)  Compulser  la  section  de  rélimination  de  l'eau,  etc. ,  p.  231. 

(3)  Consulter,  pour  toutes  les  expériences  sur  ce  sujet ,  la  sec- 
tion de  rélimination  de  Tair  considéré  comme  véhicule  des 
germes,  p.  240. 


222  HÉTÉROGÉNIE. 

niques  contenues  dans  les  trois  éléments  produc- 
teurs. 

Si  c'était  réellement  l'un  des  trois  corps  au  milieu 
desquels  se  produisent  les  Proto-organismes  qui  en 
contînt  les  germes,  on  ne  voit  pas  pourquoi  ceux-ci  ne 
se  développeraient  pas  dans  l'eau  pure,  comme  le  font 
les  œufs  de  tant  d'animaux  aquatiques,  qui  n'emploient 
absolument  à  leur  évolution  que  le  fluide  ambiant. 
Sans  doute  qu'on  n'ira  pas  jusqu'à  représenter  les 
germes  des  Microzoaires  comme  étant  plus  exigeants 
que  ceux  des  poissons  ou  de  tant  d'autres  animaux. 
Et  si  l'on  prétendait  que  l'eau  pure  ne  peut  pas  nour- 
rir les  légions  de  germes  qui  y  tombent,  nous  ré- 
pondrions à  cela  qu'au  moins  on  rencontrerait  de 
jeunes  animalcules  dans  celle-ci ,  sauf  à  les  voir 
périr  d'inanition  ;  et  nous  ajouterions  même  que  l'ex- 
périence nous  a  prouvé  que  les  adultes  trouvent  très- 
bien  leur  nourriture  dans  l'eau  pure,  et  même  dans 
l'eau  distillée. 

SECTION   1.    —   ÉLIMINATION    DU   CORPS   PUTRESCIBLE,    CONSIDÉRÉ 
COMME    VÉHICULE   DES   GERMES. 

Nous  venons  de  dire  que  des  expériences  excessi- 
vement simples,  démontrent  ostensiblement  que  les 
germes  des  animalcules  ne  se  trouvent  ni  dans  le 
corps  fermentescible,  ni  dans  l'eau,  ni  dans  l'air 
atmosphérique,  et  que  par  conséquent  il  faut  bien 
que  les  animalcules  doivent  leur  origine  à  une  géné- 
ration primaire. 

Maintenant  il  s'agit  de  prouver  ce  que  nous  avons 
avancé,  et  nous  débuterons  en  nous  attachant  à  dé- 


ÉLIMINATION    DU    CORPS    PUTRESCIBLE.  223 

montrer  que  le  corps  solide  ne  peut  receler  les  germes 
organiques.  Ce  sera  facile. 

Quoique  jouant  le  rôle  le  plus  important  dans  le 
phénomène  de  l'hétérogénie,  le  corps  solide,  dans 
quelques  cas  exceptionnels,  peut  cependant  manquer 
absolument.  Ainsi,  de  la  Matière  verte,  des  Con- 
ferves  se  développent  fréquemment  soit  dans  l'eau 
ordinaire,  soit  même  dans  l'eau  distillée,  qui  ne  con- 
tiennent aucune  substance  putrescible  (1).  Et  c'est 
même  probablement  à  cette  propriété  inhérente  à 
l'eau,  qu'il  faut  seulement  attribuer  la  matière  verte 
que  Burdach  et  d'autres  ont  vu  se  développer  dans  des 
macérations  de  granit  et  de  quelques  autres  corps  mi- 
néraux (2). 

Les  savants  qui,  à  l'exemple  de  Bonnet,  prétendent 
que  les  corps  putrescibles  sont  les  dépositaires  des 
germes  organiques,  supposent  que  ceux-ci  se  trouvent 
dispersés  à  leur  intérieur,  et  qu'ils  n'en  sortent  pour 
subir  leur  évolution  qu'au  moment  où  ces  mêmes 
corps  se  décomposent  et  rendent  leurs  éléments  à  la 
masse  commune  (3).  Maintenant  que  nos  instruments 
d'optique  sont  si  perfectionnés  et  que  l'on  connaît  si 

(t)  BoRY  DE  Saint- Vincent,  Dictionnaire  classique  d'histoire  na- 
turelle. Paris,  1826,  art.  Matière^  t.  X,  p.  263. 

(2)  Burdach^  Traité  de  physiologie.  Paris, 1837  t.  I. 

(3)  Bonnet.  La  prodigieuse  petitesse  des  germes,  dit  cet  auteur, 
les  met  hors  de  l'atteinte  des  causes  qui.  opèrent  la  dissolution  des 
mixtes.  Ils  entrent  dans  Tintérieur  des  plantes  et  des  animaux;  ils 
en  deviennent  même  partie  constituante  ;  et,  lorsque  ces  composés 
viennent  à  subir  la  loi  des  décompositions,  ils  en  sortent  sans  al- 
tération pour  flotter  dans  l'air  ou  dans  l'eau ,  ou  pour  entrer 
dans  d'autres  corps  organisés.  {Consid.  sur  les  corps  org.,  t.  I, 
p.  3.) 


224  HÉTÉROGÉNIE. 

bien  les  œufs  el  les  séminules  d'une  foule  d'êtres  mi- 
croscopiques, on  peut  dire  que  cela  est  physique- 
ment impossible,  parce  que  si  ces  germes  encom- 
braient les  organes  des  animaux  et  des  plantes,  on  les 
y  découvrirait. 

Des  expériences  très-simples  suffisent  pour  dé- 
montrer que  ce  n'est  pas  le  corps  putrescible  qui 
recèle  les  germes  ;  aussi  nous  ne  nous  arrêterons 
guère  sur  ce  fait  qui  n'est  plus  contesté,  ni  contes- 
table. 

Si,  par  exemple,  on  soumet  à  la  carbonisation 
certains  produits  animaux  ou  végétaux,  on  sera 
bien  certain  qu'après  l'opération,  tout  germe  orga- 
nisé a  été  complètement  détruit  dans  ceux-ci  ;  et  que, 
dans  l'hypothèse  contre  laquelle  nous  nous  inscri- 
vons, ces  mêmes  produits  ne  pourront,  par  consé- 
quent, donner  naissance  à  aucune  génération  d'êtres 
organisés.  Et  cependant  c'est  tout  le  contraire  qui 
s'observe;  seulement  on  remarque  alors  que  les  ani- 
malcules n'apparaissent  que  plus  tard,  et  qu'ils  sont 
d'une  organisation  inférieure  à  celle  que  la  substance 
produit  lorsqu'elle  n'a  pas  subi  la  carbonisation.  Sans 
doute  que  l'on  ne  prétendra  pas  que  le  feu  a  épargné 
les  germes  des  Microzoaires  que  Ton  voit  naître  alors, 

tandis  qu'il  consumait  les  autres Si  l'on  pouvait 

nous  faire  cette  objection,  nous  n'aurions  plus  rien  à 
répondre  à  de  tels  adversaires. 

Les  Protozoaires  qui  apparaissent  ne  sont  que  le 
résultat  d'une  combinaison  organique  autre  que  celle 
qu'on  eût  obtenue  des  mêmes  corps  à  l'état  frais;  et 
s'ils  sont  moins  élevés  dans  l'échelle  zoologique,  cela 


ELIMINATION    DU    CORPS    PUTRESCIBLE.  22  5 

est  uniquement  dû  à  ce  qu'ils  ont  été  produits  par  des 
combinaisons  dont  l'un  des  éléments  avait  en  partie 
perdu  sa  faculté  génésique,  durant  la  rude  épreuve  à 
laquelle  il  a  été  soumis. 

Spallanzani  lui-même,  qui  a  fait  quelques  expé- 
riences dans  cette  direction,  a  vu  que  des  graines  de 
divers  végétaux  qu'il  exposait,  selon  son  expression,  à 
la  terrible  flamme  du  fourneau  à  réverbère,  après  y 
avoir  été  totalement  carbonisées,  n'en  donnaient  pas 
moins  naissance  à  de  nombreux  animalcules.  A  ce  sujet 
le  savant  Italien  s'exprime  ainsi  :  «  J'avoue  ingénu- 
ment que  je  ne  me  serais  pas  attendu  à  ce  que  des 
animalcules  parussent  encore  dans  ce  nouveau  genre 
d'infusion,  comme  dans  les  précédentes;  même  après 
les  avoir  vus  et  revus,  je  pouvais  à  peine  en  croire  mes 
yeux  (1).  »  Mais,  dans  ses  expériences,  Gruithuisen  a 
obtenu  des  résultats  absolument  opposera  ceux  du  phy- 
siologiste de  Pavie  et  n'a  pu  produire  des  Microzoaires 
en  employant  des  substances  charbonnées  (2).  Cette 
dissidence  absolue  entre  ces  deux  savants,  nous  a  en- 
gagé à  réitérer  leurs  tentatives,  et  nous  avons  re- 
connu que  c'était  Spallanzani  qui  avait  raison.  Voici 
nos  résultats  un  peu  plus  rigoureusement  notés  que 
les  siens. 

Expériences.  Dans  une  cuiller  à  projection  en  fer 
et  rougie  sur  un  brasier  ardent,  on  a  successivement 
opéré  la  carbonisation  complète  de  dix  grammes  de 

(1)  SPALLAiNZAisi,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale.  Pa- 
ris, 1787,  t.  I,  p.  14-27. 

(2)  Gruithuisen  5  Beitrœge  zur  Physiognosie  und  Eautognosie, 
p.  105. 

POCCHET.  15 


226  HÉTÉROGÉNIE. 

chacune  des  semences  suivantes  :  du  Maïs,  des  Pois, 
des  Haricots,  des  Lentilles.  Après  cette  opération,  cha- 
que espèce  de  semence  a  été  placée  dans  un  vase  de 
verre  avec  500  grammes  d'eau  distillée,  et  mise  sous 
une  cloche  en  verre. 

Après  vingt  jours,  la  température  ayant  été  en 
moyenne  de  25%  et  la  pression  atmosphérique  de  0,76, 
on  observa  les  macérations  et  on  les  trouva  toutes 
peuplées  d'animalcules  ;  Tune  d'elles  contenait,  en 
outre^  quelques  végétaux  rudimentaires. 

Le  Maïs  avait  la  surface  de  sa  macération  totalement 
envahie  par  un  champignon  appartenant  au  genre 
Aspergillus  de  Micheli,  ayant  des  ramifications  très- 
touffues  et  enchevêtrées.  Il  n'y  existait  alors  aucun 
animalcule  ;  ce  ne  fut  que  quinze  jours  après,  qu'on  y 
rencontra  un  bon  nombre  de  Monades  et  de  Vibrions. 

Les  Pois  contenaient  des  Microzoaires  assez  variés, 
très-nombreux  et  très-agiles,  ayant  0,0175  de  milli- 
mètre de  longueur,  et  très-rapprochés  du  Monas  at- 
tenuata,  Duj . 

Les  Lentilles  nous  ont  présenté  une  abondance  des 
mêmes  animalcules. 

Les  Fèves  avaient  à  leur  surface  une  population  en- 
core plus  serrée  que  les  macérations  précédentes,  et 
évidemment  composée  par  le  Monas  attenuata,  Duj. 
qui  là  était  bien  caractérisé  (2). 

On  avait  placé  à  côté  de  ces  macérations  des  crité- 
riums, contenant  les  mêmes  graines,   mais  qui  n'a- 

{{)  MicuF.Li,  Nova  plantarum  gênera.  Florentiae,  1779,  p.  212. 
(2)  DujARDiN,  Histoire  naturelle  des  infusoires.   Paris,  1841, 
pi.  m,  fig.  12. 


ELIMINATION    DU    CORPS    PUTRESCIBLE.  227 

vaient  pas  été  exposées  à  l'action  du  feu.  Les  animal- 
cules y  apparurent  avec  la  plus  grande  abondance 
après  trois  jours;  et  ceux-ci  se  composaient  d'espèces 
bien  plus  élevées  par  leur  organisation  que  celles  qui 
peuplaient  les  graines  charbonnées;  alors  celles-ci 
n'offraient  absolument  rien  encore. 

J'espère  que  l'on  conviendra  que  durant  la  carbo- 
nisation, tous  les  germes  ont  été  détruits  dans  lesgrai- 
nés,  si  elles  en  contenaient;  mais  nous  voulons  aller 
au-devant  de  toute  objection.  On  ne  peut  pas  préten- 
dre quel'eau  a  été,  dans  ces  expériences,  le  dépositaire 
des  germes,  puisque  nous  nous  sommes  servi  d'eau 
distillée;  et  d'ailleurs  dans  un  moment  nous  démon- 
trerons que  celle-ci  ne  les  contient  point.  On  ne  pourrait 
non  plus  objecter  que  c'est  l'air  qui  en  a  été  le  véhi- 
cule. Ce  n'est  pas  plus  lui  que  l'eau,  car  s'il  avait  char- 
rié ces  germes,  on  eût  trouvé,  dès  le  début,  les  mêmes 
animalcules  dans  les  macérations  des  graines  carboni- 
sées que  dans  celles  de  graines  fraîches  ;  et  d'ailleurs, 
dans  un  des  paragraphes  suivants,  nous  prouverons 
aussi  que  l'air  ne  jouit  pas  de  cette  attribution. 

Cette  expérience  suffirait  seule  pour  enlever  au  corps 
soHde  le  rôle  de  véhicule,  si  on  s'efforçait  encore  de  le 
lui  attribuer.  Mais  actuellement  les  plus  énergiques 
fauteurs  du  panspermisrae  ont  eux-mêmes  abandonné 
cette  prétention;  aussi  nous  ne  nous  étendrons  pas  lon- 
guement sur  ce  sujet,  et  c'est  à  peine  même  s'il  est 
utile  de  citer  les  faits  suivants. 

Si  nous  ne  poussons  pas  tout  à  fait  aussi  loin  que 
précédemment  la  rigueur  expérimentale,  et  si  nous 
nous  contentons  seulement  de  soumettre  le  corps  or- 


228  HÈTÉROGÉNIE. 

ganisé  à  une  chaleur  qui,  sans  le  carboniser,  soit 
extrêmement  élevée,  nous  voyons  dans  ce  cas  appa- 
raître dans  l'eau  où  on  le  dépose,  de  nombreuses  lé- 
gions de  Proto-organismes.  Nous  élevons  sa  tempé- 
rature de  200''  à  220°.  Sans  doute  que  l'on  conviendra 
que  dans  ce  cas  aucun  germe  organique  n'a  échappé 
à  la  destruction.  Si  quelques  savants  ont  prétendu  que 
les  germes  de  certains  oïdiums  n'étaient  détruits  qu'à 
la  température  de  140°  (1),  aucun,  que  je  sache,  n'a 
encore  avancé  qu'un  œuf  ou  qu'une  séminule  de  plante 
pouvait  supporter  200°. 

Expérience.  — Dans  un  ballon  de  verre  portant  à 
l'intérieur  un  thermomètre,  on  plaça  10  grammes  de 
foin ,  et  celui-ci  y  fut  chauffé  pendant  une  heure  à  une 
température  de  200°  à  210%  et  même  sur  les  bords  du 
ballon  à  une  plus  haute  température,  car  le  végétal 
commençait  à  s'y  charbonner.  Ce  foin,  alors  parfai- 
tement sec,  cassant,  fut  placé  dans  500  grammes 
d'eau  distillée  que  l'on  recouvrit  d'une  lame  de  verre 
et  que  Ton  mit  sous  une  cloche.  Quatre  jours  après, 
une  température  de  26°  en  moyenne  ayant  régné  dans 
mon  laboratoire,  la  macération  fut  examinée  et  on  la 
trouva  peuplée  d'une  abondance  de  cadavres  de  grands 
Vibrions,  et  d'une  population  serrée  de  Glaucomes 
scintillants  (2)  et  de  Monades  lentilles  (3). 

(1)  Payen,  Chimie  industrielle,  Paris,  p.  540. 

(2)  Synonymie  :  Ovales,  Jobelot,  Observations  micrographiques. 
Pari^!,  l7o4^  —  Cydidium  bulla ,  Muller,  Tnf.  —  Bursaria  hullina^ 
ScHRANK,  FaunaBoica.  Nuremberg,  1798,  —  Glaucoma  scintillans, 
Ehrenberg,  Inf.  —  Dujardin,  Inf. 

(3)  Monas  lens,  Dujardin,  Histoire  des  Infusoires,  pi.  iv.,  f.  5,  et 
pi.  IV,  f.  7. 


ÉLIMINATION   DU    CORPS    PUTRESCIBLE.  229 

Expérience.  —  Lorsqu'on  met  un  corps  putres- 
cible dans  de  l'eau  qui  a  bouilli,  et  que  celle-ci  est 
contenue  dans  un  appareil  parfaitement  clos  et  qui 
reçoit  seulement  de  l'air  passé  à  travers  de  l'acide  sul- 
furique  ou  un  tube  chaufTé  au  rouge,  on  ne  voit  aucun 
animalcule  y  apparaître  encore  du  troisième  au  sixième 
jour,  tandis  qu'ils  fourmillent,  beaucoup  avant  ce 
temps,  dans  les  critériums  exposés  à  l'air  libre  et 
confectionnés  avec  l'eau  ordinaire,  si  la  température 
moyenne  a  été  d'environ  25°.  Si  le  corps  solide  con- 
tenait réellement  les  germes  des  Protozoaires,  ils  de- 
vraient normalement  se  développer  aussi  vite  dans 
cet  appareil  où  l'air  et  l'eau  en  ont  été  seulement 
privés,  s'ils  en  contenaient,  mais  où  le  corps  putres- 
cible n'a  subi  aucune  altération  notable  ;  et  cela  n'a 
pas  lieu  (1). 

Le  fait  suivant  viendrait  encore  à  l'appui,  s'il  en 
était  besoin,  des  expériences  précitées;  comme  elles, 
il  contribue  à  enlever  au  corps  solide  la  faculté  de 
receler  les  germes. 

M.  Poggiale,  pharmacien  encbef  du  Val- de-Grâce, 
a  communiqué  à  l'Académie  de  médecine  le  résultat 
de  ses  recherches  sur  une  coloration  du  pain  de  mu- 
nition fabriqué  à  la  Manutention  militaire  de  Paris, 
en  1856.  Ce  pain,  qui  avait  été  préparé  avec  un  mé- 
lange de  farine  de  blé  dur  et  de  farine  de  blé  tendre 
d'Espagne,  passa  au  noir  bleuâtre  peu  de  temps  après 
son  refroidissement.  M.  Poggiale  a  reconnu  que  ce 
pain  contenait  un  nombre  considérable  d'animalcules 

(I)   Compulser  rélimination  de   l'air  et  de  l'eau    considére's 
comme  véhicules. 


230  HETEROGENIE. 

filiformes,  cylindriques,  roides,  articulés  et  animés 
d'un  mouvement  vacillant.  Ces  Proto-organismes, 
que  ce  savant  considère  comme  appartenant  au  genre 
Bacterium,  avaient  généralement  0''^"\003  à  0'"™,004 
de  long.  Quelques-uns  beaucoup  plus  longs  pouvaient 
être  vus  à  l'aide  d'un  faible  grossissement.  On  observait 
en  même  temps  d'autres  animalcules  microscopiques 
en  petit  nombre,  assemblés  par  deux  ou  par  trois. 
Comme  on  ne  trouvait  point  de  ces  Infusoires  dans 
les  diverses  farines  employées,  ni  dans  le  biscuit  pré- 
paré sans  levain,  M.  Poggiale  conclut  que  la  formation 
de  cette  grande  quantité  de  Baclerium  était  due  à  la 
fermentation  panaire  (1).  Sans  admettre  la  génération 
spontanée,  comment  expliquerait-on,  en  effet,  après 
la  cuisson  dans  le  tissu  solide  du  pain,  la  production 
de  ces  animalcules ,  leurs  germes  n'ayant  pu  résister 
à  la  chaleur  du  four  ou  s'introduire  à  Tintérieur  de 
la  pâte? 

Enfin  ce  que  rapporte  Bory  de  Saint- Vincent,  dans 
les  lignes  qui  suivent,  suffirait  pour  prouver  que  le 
corps  putrescible  n'est  pas  le  réceptacle  des  germes, 
puisque  deux  de  ces  corps  réunis  donnent  des  produits 
qui  diffèrent  de  celui  qu'offre  chacun  d'eux  en  parti- 
culier. «  Que  l'on  choisisse,  dit  ce  naturaliste,  pour 
«  faire  l'expérience,  une  plante  propre  au  Canada, 
«  par  exemple  ;  qu'après  l'avoir  soumise  à  l'expérience 
«  et  quand  elle  a  produit  des  animalcules  on  en  mêle 
«  l'infusion  avec  celle  d'un  végétal  de  l'Inde  ou  de  la 
«  Nouvelle-Hollande,  et  qu'il  en  résulte,   comme  la 

{\)  Poggiale,  Bulletin  de  l'Académie  de  médecine,  1856,  t.  XXI, 
p.  875,  et  Journal  l'Ami  des  sciences,  1856,  n.  29. 


ÉLIMINATION    DE   L  EAU.  231 

«  chose  ne  manquera  pas  d'arriver,  quelque  Infusoire 
c(  qui  ne  se  trouvait  ni  dans  l'un  ni  dans  l'autre  de 
«  ces  deux  liquides,  n'aura-t-on  pas  opéré  une  véri- 
«  table  création,  un  être  que  la  nature  n'avait  pas 
«  arrêté  dans  son  plan  primitif  (1)?  »  Cela  est  positif 
et  la  nature  ici  ne  déroge  pas  sans  doute  à  ses  su- 
blimes harmonies  ;  seulement  par  l'étroitesse  de  nos 
conceptions  nous  avons  méconnu  l'extension  de  ses 
lois. 

SECTION    II.  —  ÉLIMINATION   DE  l'eAU,    CONSIDÉRÉE   COMME    VÉHICULE 
DES  GERMES  ORGANIQUES. 

L'observation  dévoile  bien  rapidement  à  ceux  qui, 
sans  système  préconçu,  cherchent  la  vérité,  que  la 
source  des  Proto-organismes  de  nos  macérations  ne 
peut  être  dans  l'eau;  quelques  expériences,  fort  sim- 
ples, le  prouvent.  Il  résulte  de  là  qu'aujourd'hui  bien 
peu  de  personnes  soutiennent  encore  cette  thèse; 
presque  tous  les  défenseurs  de  l'ovarisme,  comme 
nous  l'avons  dit,  s'accordant,  en  ce  moment,  pour 
attribuer  ce  fait  à  l'air.  D'après  cela,  on  sent  à  l'a- 
vance que  dans  ce  chapitre  nous  n'avons  besoin  d'é- 
mettre qu'un  petit  nombre  de  preuves  décisives,  pour 
éviter  une  inutile  prolixité;  le  paragraphe  de  l'air  de- 
vant être  celui  qui  appelle  toutes  nos  ressources 
expérimentales,  ainsi  que  les  plus  sévères  investiga- 
tions de  l'intellect. 

Les  expériences  de   Spallanzani  lui-même   ont, 

(i)  BoRY  DE  Saint- Vincent,  Dict.  class.  d'Hist.  nat.  Paris,  i824, 
t.  V,  p.  46.  Cette  opinion,  comme  nous  l'avons  exposé  p.  i50,  est 
aussi  celle  de  Treviranus  et  de  M.  Gérard. 


232  EETEROGENIE. 

depuis  longtemps,  démontré  que  des  substances  végé- 
tales, quoique  ayant  subi  une  ébullition  de  deux 
heures  de  durée,  n'en  donnent  pas  moins  naissance 
à  des  Microzoaires.  Or,  comme  les  germes  de  ceux-ci, 
de  l'assentiment  de  tous  les  observateurs,  ne  peuvent 
après  une  telle  épreuve  poursuivre  leur  évolution, 
il  devient  hors  de  doute  que  l'eau  n'a  pu  leur  donner 
asile  (1).  Le  physiologiste  de  Pavie  soumit  à  cette 
expérience  des  graines  de  haricots,  de  vesce,  d'orge, 
de  maïs,  de  mauve,  etc. 

En  se  fondant,  avec  raison,  sur  ces  expériences, 
Spallanzani,  professa  d'abord  que  nul  germe  ne 
résistait  à  la  température  de  l'eau  bouillante.  Mais 
un  certain  temps  après,  entraîné  par  les  conséquences 
de  ses  doctrines,  il  s'efforça  de  faire  prévaloir  des 
opinions  contraires.  Pour  ce  revirement,  il  se  fonda 
sur  une  assertion  de  l'abbé  Rozier,  qui  rapporte  que 
Sonnerai  a  rencontré  des  poissons  dans  des  sources 
thermales  des  îles  Phihppines,  dont  la  température 
s'élevait  à  69°  du  thermomètre  de  Réaumur  (2). 
Spallanzani  prétend  aussi  s'étayer  sur  ce  que,  d'après 
une  étrange  supputation  qu'il  fait  du  climat  de  la 
Caroline,  la  chaleur  y  atteindrait  au  soleil  plus  de  80*' 
du  thermomètre  de  Réaumur,  c'est-à-dire  une  tem- 
pérature plus  élevée  que  celle  de  l'eau  bouillante, 
sans  que  cependant,  dans  cette  contrée,  la  chaleur, 
détruise  les  germes  des  animaux  et  des  plantes.  Nous 
ne  pouvons  réellement  nous  occuper  de  réfuter  de 

(1)  Spallanzani,    Opuscules  de  physique  animale  et  végétale. 
Paris,  1787,  1. 1,  p.  22. 

(2)  Rozier,  Observations  sur  la  physique,  t.  lll. 


ÉLIMINATION    DE    l'eAI.  233 

telles  assertions  (1  ).  Qui  ne  sait  qu'au  Sénégal,  d'après 
Adanson,  le  thermomètre  ne  s'élève  pas  au  soleil 
au-dessus  de  60''  (2)? 

Voici  comment  Spallanzani  se  rétracte.  «  La  sin- 
cérité philosophique,  dit-il,  m'oblige  à  penser  sur  les 
germes  de  quelques  espèces  d'animalcules,  d'une 
manière  contraire  aux  idées  que  j'ai  publiées  dans 
ma  dissertation.  Je  disais  alors  que  je  ne  croyais  pas 
possible  que  les  germes  en  général  de  ces  animalcules 
pussent  résister  à  l'action  de  l'eau  bouillante  ;  j'avais 
auguré  cette  impossibilité,  parce  que  j'avais  vu  périr 
des  graines  et  des  œufs  par  ce  degré  de  chaleur;  mais 
les  faits  que  je  viens  de  raconter,  et  que  je  ne  con- 
naissais pas,  me  forcent  à  changer  d'opinion  (3).» 

Mais  lorsqu'on  lit  attentivement  le  récit  que  Spal- 
lanzani fait  de  ses  expériences,  on  s'aperçoit  immédia- 
tement qu'on  ne  peut  en  rien  conclure.  Ainsi,  dans 
celles-ci,  des  œufs  de  grenouille  périssent  à  34"; 
ceux  du  ver  à  soie  à  45%  et  ceux  de  la  grosse  mouche 
à  48^  Il  ajoute  que  la  faculté  germinative  des  graines 
s'anéantit  au-dessous  de  75''  à  80"^  du  thermomètre 
de  Réaumur,  c'est-à-dire  à  la  température  de  l'eau 
bouillante.  Une  fois  seulement  il  vit  des  graines  de 
fèves  qui  y  résistèrent.  Mais  toutes  les  expériences  du 
physiologiste  de  Pavie  manquent  de  précision.  On 
voit,  en  effet,  qu'il  se  contentait  dans  celles-ci ,  de 
placer  ses  graines  dans  de  l'eau   contenue  dans  des 

(1)  Spallanzani,    Opuscules   de  physique   animale  eC  végétale. 
Paris,  1787,  1. 1,  p.  70. 

(2)  Adanson,  Voyage  au  Sénégal.  Paris,  1757^  p.  131. 

(3)  Spallanzani,  Opusc  ,  t.  I,  p.  71. 


^34  HÉTÉROGÉNIE. 

vases  qu'il  plongeait  ensuite  dans  de  Peau  bouillante  , 
pendant  deux  minutes!  Ce  temps  était  absolument  in- 
suffisant pour  élever  la  température  de  la  macération 
au  niveau  de  celle  de  l'eau  dans  laquelle  on  la  plongeait 
et  surtout  pour  que  sa  chaleur  se  propageât  jusqu'à 
l'embryon,  protégé  souvent  d'une  si  efficace  manière. 

Mais  si,  dans  des  expériences,  on  plonge  les  graines 
ou  les  œufs  d'animaux  dans  l'eau  bouillante ,  en  don- 
nant à  la  température  le  temps  de  se  transmettre  à 
leur  intérieur,  bien  avant  l'ébullition,  ces  œufs  et  ces 
graines  sont  tués  radicalement. 

Une  seule  expérience,  fort  simple,  a  prouvé  que  le 
corps  putrescible  ne  contenait  pas  les  germes.  Il  a 
suffi  pour  cela  de  voir  des  animalcules  prendre  nais- 
sance parmi  des  substances  végétales  qui  avaient  subi 
une  complète  carbonisation.  Une  expérience  tout 
aussi  élémentaire  peut  démontrer  que  ce  n'est  pas 
Teau  non  plus  qui  recèle  ces  germes.  On  sait  que  la 
température  de  l'eau  en  ébullition  anéantit  absolu- 
ment chez  eux  toute  vitalité.  Il  ne  s'agit  donc  plus  que 
de  constater  qu'après  que  de  l'eau  a  bouilh  on  voit 
dans  celle-ci  se  développer  des  animalcules ,  comme 
auparavant.  Mais  cela ,  l'expérience  le  prouve  sans 
conteste  ;  et  ce  qui  achève  encore  bien  mieux  la  dé- 
monstration ,  c'est  que  l'eau  distillée  elle-même  en 
fournit  abondamment. 

Il  serait  vraiment  puéril  de  citer  des  expériences 
à  l'appui  de  ceci.  Mais  une  autre  espèce  d'expériences, 
tout  à  fait  fondamentale,  suffira  pour  étayer  ce  que 
nous  avançons  :  c'est  celle  qui  consiste  à  employer  de 
l'eau  artificielle. 


ÉLDîlNATîON    DE    l'eAU.  235 

Expérience.  —  On  fît  de  l'eau  artificielle  de  la 
manière  suivante.  Dans  un  grand  flacon  à  deux  tubu- 
lures on  mit  de  l'eau  et  des  fragments  de  zinc;  l'une 
de  ces  tubulures  recevait  un  tube  terminé  en  enton- 
noir, à  l'aide  duquel  on  versait  de  l'acide  sulfurique 
dans  le  flacon;  l'autre  était  annexée  à  un  gros  tube 
horizontal  rempli  d'amiante  et  d'où  sortait  un  petit 
tube  effilé  à  la  lampe  à  son. extrémité  et  se  terminant 
près  de  l'extérieur  d'un  vase  de  métal ,  rempli  d'eau 
froide.  L'acide  sulfurique  ayant  été  versé  il  se  dégagea 
du  gaz  hydrogène  que  l'on  alluma  à  sa  sortie  du 
tube,  et  dont  la  flamme  rapprochée  du  vase  de  métal 
en  humectait  toute  la  paroi  de  vapeur  d'eau,  résultat 
de  la  combinaison  de  l'oxygène  de  l'air  avec  l'hy- 
drogène de  l'appareil;  et  cette  vapeur,  après  s'être 
condensée,  tombait  dans  un  vase  de  platine.  Cet  ap- 
pareil ayant  été  entretenu  en  combustion  pendant 
trois  jours,  on  obtint  200  grammes  d'eau  qui  furent 
employés  dans  deux  expériences  comparatives. 

La  moitié  de  cette  eau  fut  soumise  à  une  ébulli- 
tion  d'un  quart  d'heure,  pour  tuer  les  germes  qui 
pouvaient  y  être  tombés ,  quoique  pour  la  démons- 
tration actuelle  nous  n'ayons  pas  le  moins  du  monde 
à  nous  préoccuper  de  ce  qui  peut  entrer  dans  le  li- 
quide, mais  de  ce  qui  s'y  trouve  réellement  au  point 
initial.  On  mit  ensuite  cette  eau  dans  un  verre  à  ex- 
périences, avec  5  grammes  de  foin  passé  à  une  étuve 
à  200**  environ.  Ce  verre  fut  déposé  dans  une  cuvette 
ayant  de  l'eau  à  son  fond  et  il  fut  recouvert  d'une 
petite  cloche. 

L'appareil  resta  pendant  quatre  jours  dans  un  salon 


236  -  HÉTÉROGÉNIE. 

à  une  température  moyenne  de  il».  Quand  on  l'exa- 
mina, il  existait  à  sa  surface  une  pellicule  granuleuse, 
dans  laquelle  nageaient  deux  espèces  de  Paramécies 
fort  distinctes,  de  dix  à  quinze  divisions  micrométri- 
ques de  longueur.  L'une  d'elles  était,  pour  la  forme, 
assez  rapprochée  de  la  Paramécie  verte  ;  l'autre ,  qui 
me  parut  absolument  nouvelle,  avait  la  forme  d'une 
losange  très-allongée.  Toutes  les  deux  présentaient  une 
vésicule  contractile  très-prononcée  à  l'extrémité  du 
corps.  Enfin,  çà  et  là,  la  pellicule  offrait  des  œufs  non 
éclos  et  contenant  des  embryons  en  mouvement  ; 
dans  chacun  de  ceux-ci  on  en  distinguait  manifeste- 
ment quatre. 

L'autre  portion  d'eau  artificielle  avait  été  placée 
dans  une  étuve  chauffée  à  18°.  Tout  y  avait  été  disposé 
de  même  ;  seulement  le  foin  n'avait  pas  été  passé  à  l'é- 
tuve  et  l'eau  n'avait  subi  aucune  ébullition.  Le  résultat 
de  l'expérience  fut  cependant  absolument  identique. 
Ce  dernier  fait  ne  contribue-t-il  pas  à  prouver,  en 
outre,  combien  sont  inutiles  ces  précautions  que  l'on 
prend  si  futilement  pour  anéantir  des  germes  qui 
n'existent  réellement  que  dans  l'empire  des  fictions  ? 

Cette  expérience  suffit  à  elle  seule  pour  renverser 
sans  retour  l'hypothèse  de  ceux  qui  prétendent  que 
l'eau  est  le  réceptacle  des  germes.  Nous  avons  dans 
celle-ci  de  l'eau  qui  vient  d'être  formée  de  la  com- 
binaison de  deux  éléments  gazeux,  et  dans  cette  eau 
apparaissent  des  animalcules.  On  ne  prétendra  pas, 
sans  doute,  que  ceux-ci  nageaient  précédemment 
dans  l'hydrogène  ou  l'oxygène  qui  l'ont  formée,  et 
qu'on  vient  d'extraire  violemment  de  leurs  précédentes 


ÉLIMINATION    DE    l'eAU.  237 

combinaisons.  Il  faut  donc  bien  que  les  œufs  qui  ne 
peuvent  provenir  de  cette  eau  artificielle  aient  une 
autre  origine. 

Cette  preuve  est  tout  à  fait  suffisante  ;  cependant 
nous  joindrons  ici  quelques  autres  faits ,  non  qu'ils 
soient  utiles  à  la  démonstration,  mais  seulement  parce 
qu'ils  offrent  quelque  intérêt. 

Expérience.  —  Une  immense  quantité  de  Kolpodes 
ayant  été  enlevée  à  la  surface  d'une  macération  d'As- 
ter de  la  Chine  ,  où  ils  pullulaient ,  fut  placée  dans 
un  grand  verre  à  expériences,  contenant  de  l'eau 
distillée.  Pendant  quinze  jours,  on  observa  cette  eau 
et  l'on  y  trouva  les  mêmes  animalcules  en  parfaite 
santé. 

Il  résulte  de  là  que  ce  ne  sont  pas  les  matières  con- 
tenues en  dissolution  dans  l'eau  qui  alimentent  les 
Microzoaires;  ou  au  moins  que  ceux-ci  peuvent  vivre 
longtemps  dans  l'eau  pure.  D'après  cela,  on  ne  voit 
pas  pourquoi,  si  l'eau  était  réellement  le  véhicule  des 
œufs  des  animalcules ,  ceux-ci  ne  s'y  montreraient 
jamais  sans  l'intervention  d'un  corps  fermentescible. 

Expérience.  —  A.  l'aide  d'une  petite  cuiller  on  a 
recueilh  à  la  surface  d'une  macération  une  immense 
légion  de  Kolpoda  ciicullus,  Mull.,  que  l'on  por- 
phyrisa  sur  une  glace ,  pendant  deux  heures  ,  avec 
un  soin  extraordinaire.  Après  cette  porpliyrisation 
la  moitié  de  la  pâte  homogène  qui  en  était  résultée  fut 
délayée  dans  un  verre  d'eau  et  celui-ci  fut  filtré  et 
placé  sous  une  cloche  en  verre  (1).  Une  expérience 

(!)  La  pâte  qui  fut  ramassée  sur  la  glace  offrait  une  couleur 
grise,  d'une  odeur  absolunnent  semblable  à  celle  du  boletus  edw 


238  HETEROGEME. 

comparative,  identique,  fut  faite  en  même  temps,  avec 
l'autre  moitié  de  cette  véritable  pâte  de  Kolpodes 
porpliyrisés ,  mais  celle-ci  ne  fut  pas  filtrée.  Ces  so- 
lutions de  Kolpodes  furent  examinées  huit  jours  après 
leur  confection.  Depuis  le  commencement  de  l'expé- 
rience, la  moyenne  de  la  température  avait  été  de  15" 
cent,  et  la  pression  de  0,76. 

Le  verre  qui  contenait  les  Kolpodes  broyés  et 
filtrés ,  offrait  alors  une  innombrable  quantité  de 
Vorlicelles,  et  pas  un  seul  Kolpode.  Beaucoup  de  ces 
Vorticelles  étaient  en  voie  de  développement  et  les 
autres  étaient  tout  à  fait  adultes  et  libres. 

Le  verre  occupé  par  la  solution  de  Kolpodes  non 
filtrée,  n'oftrait  aucun  Kolpode  ni  aucune  Vorticelle. 
On  ne  voyait  dans  l'arénaire  que  de  rares  Microzoaires 
excessivement  petits,  appartenant  au  genre  Monas. 

Les  partisans  de  la  transmission  des  œufs  par  l'in- 
termédiaire de  l'air  atmosphérique,  ne  pourraient 
nullement  expliquer  ce  qui  s'est  passé  dans  ces  deux 
expériences.  Si  les  deux  vases  eussent  Contenu  des 
Kolpodes,  les  fauteurs  de  l'ovarisme  n'auraient  pas 
manqué  de  dire  que  les  œufs  de  ces  animalcules 
avaient  une  telle  ténuité  que  la  porphyrisation,  quel- 
que exacte  qu'elle  ait  été,  n'a  pu  les  dilacérer.  Mais 
aucun  Kolpode  ne  se  rencontre  dans  les  deux  liquides 
et  l'un  d'eux  seulement  est  peuplé  de  Vorticelles.  On 
ne  prétendra  pas  sans  doute  que  celles-ci  ou  avaient 

lis  (Lin.).  Examinée  au  microscope,  elle  n'offrait  pas  le  moindre 
animalcule  vivant,  et  elle  n'était  composée  que  de  granules  ex- 
trêmement fins,  de  grosseur  inégale,  véritable  cendre  organique 
des  animaux  qui  l'avaient  formée. 


ÉLIMINATION    DE   l'eAL.  239 

leurs  œufs  dans  l'eau  ou  que  ces  œufs  y  ont  été  ap- 
portés du  dehors.  Une  telle  allégation  ne  serait  pas 
tolérable.  Si  les  œufs  des  Vorticelles  avaient  été  mêlés 
à  la  niasse  de  Kolpodes  qu'on  a  porphyrisée  avec 
tant  de  soin,  ces  œufs  eussent  été  aussi  bien  broyés 
que  ceux  des  Kolpodes.  Et  si  l'on  admettait  mêaie, 
car  nos  adversaires  peuvent  tout  supposer,  que 
ces  œufs  pussent  passer  à  travers  le  filtre ,  j'espère 
qu'on  voudrait  bien  alors  nous  faire  cette  concession  : 
c'est  qu'il  devrait  naturellement  se  trouver  plus  de 
Vorticelles  dans  le  liquide  non  filtré  que  dans  celui 
qui  l'a  été.  Et  on  obtient  un  résultat  tout  opposé  : 
les  Vorticelles  abondent  dans  la  dernière  macération, 
et  on  n'en  rencontre  pas  une  seule  dans  l'autre  î 

Enfin,  en  écartant  la  génération  spontanée,  on  ne 
pourrait  expliquer  pourquoi  une  macération  et  même 
celle  qui  devrait  le  moins  en  contenir,  offre  des 
Vorticelles,  tandis  que  l'autre  n'en  présente  pas!  Le 
laboratoire  étant  plein  de  Microzoaires  d'espèces  va- 
riées, comment  se  peut-il  faire,  dans  l'hypothèse  de 
la  panspermie,  qu'un  seul  des  vases  se  soit  peuplé  d'une 
génération  animée  déterminée,  tandis  que  l'autre  en 
est  absolument  privé  ;  et  comment  sefait-ii,  surtout, 
que  ce  soient  uniquement  des  Vorticelles  et  que  pas 
un  œuf  de  Kolpode  n'y  soit  parvenu  ? 

On  ne  dira  pas,  sans  doute,  que  le  liquide  sur  lequel 
on  expérimentait  n'était  pas  apte  à  nourrir  des  Kol- 
podes, lui  qui  n'a  été  formé  qu'à  l'aide  même  des 
débris -de  leurs  légions  î  ou  que  dans  l'un  des  vases,  il 
n'était  pas  propre  à  l'existence  des  Vorticelles,  lui  qui 
est  parfaitement  identique  dans  tous  les  deux  ! 


240  HÉTÉROGÉME. 

On  se  demandera  pourquoi  aussi  le  résidu  filtré  est 
rempli  d'animalcules  d'une  organisation  supérieure, 
tandis  que  l'autre  n'est  peuplé  que  d'infimes  Monades  ? 
Je  répondrai  à  cela  que,  sans  doute,  la  liqueur  en  se 
filtrant  a  contracté  un  principe  qui  devait  s'y  rencon- 
trer pour  la  production  des  Vorticelles.  Car  j'avoue 
moi-même  avoir  été  trompé,  et  si  je  m'attendais  à 
rencontrer  quelques  animalcules  c'étaient  évidem- 
ment des  Kolpodes  ;  et  que  si,  surtout,  je  m'attendais 
à  en  rencontrer  quelque  part,  c'était  dans  l'eau  non 
filtrée.  Tout  s'est  passé  contrairement. 

L'expérience  dont  nous  venons  de  nous  entretenir 
avant  été  continuée,  le  résultat  était  absolument  le 
même  quinze  jours  après. 

SECTION   111.    —   ÉLIMINATION    DE   l'aIR^    CONSIDÉRÉ    COMME   VÉHICULE 
DES   GERMES   ORGANIQUES. 

Nous  ne  nous  dissimulons  pas  que  c'est  ici 
que  s'engage  la  lutte  sérieuse  ,  décisive  ,  et  nous 
allons  franchement  l'aborder.  Nous  avouerons  même 
que  nous  l'abordons  sans  crainte,  tant  nos  con- 
victions ont  été  renforcées  par  le  nombre  de  nos  expé- 
riences et  par  la  méditation;  ce  sont  les  faits  eux- 
mêmes  qui  vont  combattre  pour  nous,  et  c'est  ce  qui 
centuple  nos  forces. 

Parmi  les  plus  ardents  partisans  de  l'opinion  que 
c'est  l'air  qui  dissémine  partout  les  germes,  nous 
avons  déjà  dit  que  Bonnet  et  Spallanzani  devaient  être 
cités  au  premier  rang  (1).   Et  lorsque  ce  dernier 

(1)  Bonnet,  Considérations  sur  les  corps  organisés.  Amslerdam, 
1762,  l.  1,  p.  3. 


ÉLIMINATION    DE    l'aIR.  241 

voyait  des  Microzoàires  naître  au  milieu  des  diverses 
graines  qu'il  avait  complètement  carbonisées,  il  en 
expliquait  l'apparition  en  supposant  qu'ils  y  avaient 
été  déposés  par  l'atmosphère  (1). 

Les  ovaristes,  après  avoir  considéré  l'air  comme  un 
disséminateur  universel,  à  cause  de  la  merveilleuse 
facilité  avec  laquelle,  en  apparence,  on  peut  lui  con- 
fier les  plus  impossibles  rôles,  ont,  pour  les  besoins 
de  leurs  théories,  réduit  les  germes  à  un  état  presque 
métaphysique. 

Bonnet  suppose  que  ces  germes  sont  d'une  trans- 
parence tellement  parfaite,  que  la  lumière  les  traverse 
sans  réfraction,  et  il  prétend  même  qu'ils  sont  telle- 
ment petits, qu'ils  n'admettent  peut-être  qu'un  ou  deux 
rayons  de  lumière  (2). 

Ainsi  donc  des  corps  organisés  jouiraient  de  la 
transparence  de  l'éther  !  Voici  à  quelles  conséquences 
extrêmes  nous  conduit  une  hypothèse  défectueuse. 
Et,  en  effet,  si  les  Proto-organismes  que  nous  voyons 
pulluler  partout  et  dans  tout,  avaient  leurs  germes 
disséminés  dans  l'atmosphère,  dans  la  proportion  ma- 
thématiquement indispensable  à  cet  effet,  l'air  en  serait 
totalement  obscurci,  car  ils  devraient  s'y  trouver  beau- 
coup plus  serrés  que  les  globules  d'eau  qui  forment  nos 
nuages  épais.  Il  n'y  a  pas  là  la  moindre  exagération. 
Quelque  soit  le  lieu  où  un  corps  se  trouve,  s'il  est  apte 
à  se  peupler  de  diverses  légions  d'animalcules  ou  de 

(1)  Spallanzam  ,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale^  t.  I, 
p.  205,  et  t.  II,  p.  14,  27. 

(2)  Bonnet  ,  Lettre  sur  les  animalcules^  adressée  à  Spallanzani. 
(Euv.  de  Spallanzani,  1. 1,  p.  258.  1771. 

POUCHET.  1 6 


242  HÉTÉROGÉNIE. 

végétaux,  immédiatement  il  en  est  envahi.  Il  faut  donc 
que  l'air,  pour  satisfaire  à  cette  fécondité,  regorge 
dans  toute  sa  masse  d'un  incommensurable  nombre 
de  germes,  qui,  à  de  rares  exceptions  près,  se  trouvent 
tous  voués  à  une  absolue  destruction.  Est-il  rationnel 
de  supposer  que  pour  peupler  quelques  flaques  d'eau 
d'infimes  Protozoaires  ou  de  quelques  cryptogames 
microscopiques,  notre  atmosphère  en  promène  inutile- 
ment les  éléments  génésiques  tout  autour  du  globe  ?La 
nature  nous  offre  partout  une  fécondité  qui  excite  l'é- 
tonnement  de  tous  ceux  qui  l'étudient;  partout  aussi 
ses  moyens  ingénieux  de  dissémination  ont  excité 
l'admiration  des  savants  (1);  mais  c'est  réellement 
une  ironie  que  de  supposer  que  la  sagesse  créatrice 
a  si  frivolement  encombré  son  œuvre.  Je  sais  que 
pour  échapper  à  de  si  sérieuses  objections,  certains 
partisans  de  la  panspermie  aérienne  répondront  qu'il 
suffît  de  quelques  germes  isolés  pour  donner  nais- 
sance aux  nombreuses  populations  que  l'on  récolte. 
L'expérience,  comme  nous  le  verrons  ,  ne  donne 
nullement  sa  sanction  à  une  telle  supposition,  car  cette 
fécondité  ne  tiendrait  pas  moins  du  prodige  (2). 

(i)  Comp.  Bernardin  de  Sainï-Pierre,  Harmonies  delanature. 
Paris,  1826. 

MiRBEL,  Physiologie  végétale.  Paris,  1815, 1. 1,  p.  348. 

PoiRET,  Cours  complet  de  botanique.  Paris,  1813,  t.  I,  p.  18. 

DeCandolle,  Physiologie  végétale.  Paris,  1832,  t.  II,  p.  595. 

Richard,  Éléments  de  botanique  et  de  physiologie  végétale.  Paris, 
1846,  p.  524. 

HuMBOLDT,  De  distributione  geographicâ  plantarum.  Paris,  1817, 
T^ableaux,  p.  163, 

(2)  Compulsez  sur  ce  sujet  nos  expériences  qui  se  trouvent 
plus  loin. 


ÉLIMINATION    DE    l'aIR.  243 

L'illustre  zoologiste  dont  s'honore  l'Angleterre, 
R.  Owen,  pense  que  certains  animalcules  microscopi- 
ques ont  une  telle  ténuité,  et  tel  est,  entre  autres,  le 
Monas  crepiisculum  d'Elirenberg,  qu'il  en  entre  autant 
dans  une  seule  goutte  d'eau  qu'il  y  a  d'hommes  répan- 
dus à  la  surface  du  globe  :  c'est  donc  au  moins  cinq 
cents  millions  (1).  Mais  ce  Microzoaire  peut  se  manifes- 
ter partout  où  nous  lui  offrons  des  infusions  propices. 
Aussi,  en  soutenant  la  dissémination  aérienne,  de- 
vient-il indispensable  d'en  encombrer  universellement 
l'atmosphère,  et  si  l'on  y  joint  tous  les  autres  germes  de 
Protozoaires  qui  devraient  s'y  presser  avec  les  siens, 
n'est-ce  pas  là  une  hypothèse  mille  fois  plus  effrayante 
queles  plus  hardies  conceptions  des  hétérogénistes? 

L'expérience  vient  même  démontrer,  presque  ma- 
thématiquement, que  si  la  dissémination  aérienne 
était  réelle, il  faudrait  que  chaque  millimètre  cubique 
de  l'atmosphère  contînt  immensément  plus  d'œufs  qu'il 
n'y  a  d'habitants  sur  le  globe.  Si  l'on  admet  que  chaque 
goutte  recèle  500,000,000  de  Monades,  en  repré- 
sentant celle-ci  par  huit  millimètres  cubes,  il  en  ré- 
sultera que  chaque  millimètre  contiendra  62,500,000 
animalcules.  En  supposant  seulement  que  Tatmos- 
phère  offre  en  suspension  cent  espèces  de  Micro- 
zoaires  ou  de  cryptogames;  pour  fournir  aux  exigences 
de  la  dissémination,  il  faudrait  donc  que  chacun  de 
ses  millimètres  cubiques  renfermât  6,250,000,000 
d'œufs  en  disponibihté.  Et  alors  l'air  dans  lequel  nous 
vivons  aurait  presque  la  densité  du  fer. 

(1)  R.  Owen,  Lectures  on  the  comparative  anatomy  and  pluf^io- 
lojjij.  London,  1843,  p.  18. 


24  i  HÉTÉROGÉNIE. 

Expérience.  On  a  pris  trois  cuveltes  en  cristal,  de 
trente  centimètres  de  diamètre,  et  dans  chacune 
d'elles  on  a  placé  125  grammes  de  chair  musculaire 
de  bœuf  provenant  du  muscle  psoas.  Puis  ces  vases 
ont  été  exactement  remplis  d'eau  jusqu'à  un  milli- 
mètre de  leurs  bords  ;  et  ensuite  ils  ont  été  re- 
couverts d'une  glace  pohe,  laissant,  par  conséquent, 
entre  elles  et  la  surface  de  l'eau  un  milhmètre  d'in- 
tervalle. L'un  de  ces  vases  fut  placé  dans  les  combles 
du  Muséum  d'histoire  naturelle  ;  l'autre  dans  mon 
laboratoire,  qui  est  au  second,  et  le  dernier  au  rez-de- 
chaussée  du  même  établissement.  Trois  jours  après, 
on  examina  ce  qui  se  passait,  et  l'on  trouva  la  surface 
de  ces  divers  vases  recouverte  d'une  pellicule  animée 
formée  d'une  masse  compacte  de  Monas  crepiisculiim, 
(Ehr.),  assez  entassés  les  uns  sur  les  autres  pour  que 
l'on  pût  croire  qu'il  en  existait  là  un  chiffre  aussi  élevé 
quele  suppose  l'illustre  zoologiste  anglais.  Mais  comme 
chaque  millimètre  carré  de  l'eau,  dans  toute  la  superfi- 
cie des  vases,n'a  eu  au-dessus  de  lui  qu'un  millimètre 
cubique  d'air,  il  est  donc  rationnel  de  supposer 
qu'ayant  reçu  toutes  ses  particules  génésiques  de 
celui-ci,  il  se  trouvait  au  moins  dans  chacun  de  ces 
millimètres  cubiques  plus  de  soixante-deux  millions  de 
germes  du  Monas  crepusculiim ,  abstraction  faite  de 
tous  ceux  des  autres  Microzoaires,  qui  ne  devaient 
pas  s'y  rencontrer  en  moindre  nombre.  Or,  comme  le 
même  résultat  s'est  produit  et  dans  les  vases  placés 
au  sommet  de  l'édifice  et  dans  ceux  placés  au  rez-de- 
chaussée  ,  les  veines  d'atmosphère  encombrées  de 
germes  organiques  doivent  avoir  une  grande  épais- 


ÉLIMINATION      DE    L  AIR.  245 

seur.  En  raisonnant  dans  l'hypothèse  de  la  dissémi- 
nation atmosphérique,  on  se  demande  comment  de 
tels  corpuscules ,  et  aussi  serrés ,  peuvent  échap- 
per aux  lois  de  la  réfraction  de  la  lumière?  Pourquoi 
n'y  seraient-ils  pas  soumis  comme  les  globules  d'eau 
qui  forment  les  nuages?  Il  semble  qu'il  y  ait  là  im- 
possibilité physique. 

Burdach  considère  comme  décisives,  pour  démon- 
trer l'absence  d'œufs  dans  l'air,  quelques  expériences 
qu'il  a  faites  avecHensche  et  de  Baer.  Il  prit  de  la  terre 
fraîche,  qu'il  soumit  à  une  longue  ébullition,  dans 
une  grande  quantité  d'eau.  A  l'aide  de  l'évaporation, 
le  physiologiste  réduisit  la  liqueur  à  la  consistance 
d'extrait  sec  et  en  partie  pulvérulent.  Il  renferma  en- 
suite celui-ci  avec  une  certaine  quantité  d'eau  distillée 
et  de  gaz  oxygène  ou  de  gaz  hydrogène  dans  des 
flacons  bouchés  à  l'émeri  et  coiffés  d'une  vessie.  Ces 
flacons,  soumis  à  l'influence  de  la  lumière,  ne  don- 
nèrent que  de  la  matière  verte  de  Priestley.  Mais  cet 
extrait,  mis  dans  de  l'eau  commune  en  contact  avec 
de  l'air  atmosphérique,  ayant  été  introduit  dans  les 
vases,  on  vit  y  apparaître  de  nombreux  animalcules  (1). 
Cependant  je  dois  avouer  que  dans  le  cas  dont  il  s'agit 
je  ne  conçois  pas  bien  la  portée  de  l'expérience  du 
savant  Allemand. 

Ce  qui  a  pu  tromper  les  observateurs  sur  le  rôle  de 
l'air  dans  la  production  des  animalcules,  c'est  qu'on 
voit  parfois  celui-ci,  comme  l'a  observé  Schultze  (2), 

(1)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  I,  p.  25. 

(2)  Schultze  ,    Microskopische    Untersuchungcn  ueber  Brown's 
Entdeckuîiglebender  Tlieilcheninallen  Kœrpern,  p.  *z9  (Recherches 


246  HETEROGENIE. 

entraîner  au  loin  des  corps  organisés  réduits,  par  !e 
temps,  à  l'état  pulvérulent,  et  en  les  déposant  sur  des 
endroits  où  il  y  a  de  l'eau,  donner  naissance  à  des  Pro- 
tozoaires. C'est  cette  poussière,  déposée  à  la  surface 
des  vases  à  expériences,  que  certains  observateurs  inat- 
tentifs ont  confondue  avec  des  œufs;  car  cette  pous- 
sière microscopique  ne  produit  évidemment  d'animal- 
cules qu'après  s'être  décomposée  et  dissoute  dans  ce 
liquide.  On  ne  peut  donc  voir  dans  cet  acte  un  trans- 
port aérien  des  germes  organiques. 

Ehrenberg,  dont  l'opinion  en  semblable  matière  a 
tant  d'autorité,  vient  lui-même  corroborer  nos  as- 
sertions. En  effet ,  dans  son  premier  écrit  sur  la 
distribution  des  Microzoaires  ,  il  combat  vivement 
ceux  qui  prétendent  que  l'air  est  le  véhicule  des 
germes  des  ïnfusoires  (1).  Ce  savant  rapporte  à 
l'appui  de  son  opinion  qu'il  n'a  jamais  pu  trouver  un 
seul  animalcule  dans  l'eau  delà  rosée  immédiatement 
après  qu'elle  avait  été  recueillie  (2). 

On  voit  donc  Ehrenberg  combattre  Bonnet  et 
Spallanzani.  Userait  bon  qu'avant  tout  nos  antago- 
nistes s'accordassent  ensemble.  Pour  nous,  qui  les  ré- 
futons, nous  avons,  je  crois,  précédemment  démontré 
que  l'on  ne  pouvait  nullement  attribuer  le  rôle  d'agent 

microscopiques  sur  les  molécules  vivantes  dans  tous  les  corps,  dé- 
couvertes par  M.  Brown). 

BuRDACH,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837, 1. 1,  p.  24. 

{{)  Ehrenberg^  Die geographische  Verbreitung  der  Infusionst  hier- 
chen,  etc.  1828.  (De  la  répartition  géographique  des  infusoires 
sur  le  globe.) 

(2)  Ehrenberg,  Ibid. 


ÉLIMINATION   DE   l'aIR.  247 

disséminaleur  ni  à  Feau  ni  aux  corps  solides,  et  c'est 
ici  que  nous  allons  nous  efforcer  d'en  dépouiller  l'air 
lui-même. 

Si  l'on  examine  quels  sont  les  faits  que  les  ovaristes 
apportent  à  l'appui  de  leurs  doctrines,  on  voit  qu'ils 
n'en  possèdent  qu'un  fort  petit  nombre.  Ils  offrent 
seulement  comme  inexpugnables  deux  expériences, 
l'une  faite  par  M.  Schultze  et  l'autre  par  M.  Schwann. 
Nous  allons  les  faire  connaître,  et  nous  pouvons  à 
l'avance  dire  qu'en  les  répétant,  soit  en  suivant  les 
mêmes  procédés  que  ces  savants,  soit  en  leur  don- 
nant encore  plus  de  rii^idité,  nous  avons  obtenu  des 
résultats  absolument  différents  des  leurs.  Ainsi  donc 
tombe  ce  rempart  que  depuis  vingt  ans  on  opposait 
aux  générations  spontanées. 

M.  Longet  ne  s'étaye  même  que  sur  ces  deux  expé- 
riences pour  saper  tous  les  travaux  des  hétérogé- 
nistes  (1).  Et  dans  un  écrit  récent  sur  la  génération 
des  Infusoires,  M.  Claparède  imite  ce  physiologiste  ;  et 
pour  toute  argumentation  se  contente  aussi  d"y  ren- 
voyer ses  lecteurs.  Ce  dernier  s'exprime  ainsi  dans 
son  chapitre  intitulé  :  Generatio  œqiiivoca, 

«  Nous  ne  voulons  pas  entreprendre,  dit-il,  de  ré- 
futer ici  la  génération  spontanée  des  Infusoires.  Les 
expériences  faites  à  ce  sujet  sont  nombreuses  et  bien 
connues.  Nous  renvoyons  donc  ceux  qui  en  seraient 
curieux  aux  travaux  de  MM.  Schultze  (2),  Schwann  (3) 


(1)  Longet,  Traité  de  physiologie.  Vàiis,  i851. 

i'i)  SciWLizE^  Poggendorf  s  Annalen,  1857. 
(3)  Schwann,  Isis,  1837. 


248  HÉTÉROGÉNIE. 

et  Morren  (1),  qui  résument  au  fond  toutes  les  expé- 
riences faites  jusqu'ici  (2).  » 

De  toutes  ces  expériences  nombreuses  et  bien  con- 
nues, on  n'en  cite  cependant  jamais  quedeux  ou  trois, 
et  des  savants  vont  même,  à  l'exemple  de  MM.  Ger- 
vais  et  VanBeneden,  jusqu'à  n'en  mentionner  qu'une 
seule,  en  particulier,  comme  suffisant  pour  renver- 
ser toutes  les  autres  (3).  Une  telle  manière  d'argu- 
menter ménage  toujours  à  son  auteur  un  facile 
triomphe  intérieur,  mais  elle  ne  suffit  pas  à  ceux  qui 
groupent  les  faits  et  qui  les  comparent. 

Mais  ces  expériences  de  MM.  Schultze  et  Schwann 
sont  loin  d'avoir  toute  l'autorité  qu'on  leur  suppose; 
on  en  peut  juger  par  la  traduction  textuelle  que  nous 
donnons  de  l'une  de  celles  du  dernier  savant,  insérée 
dans  VIsis  oii  on  l'indique  ordinairement  (4) .  Et  à  l'é- 
gard des  expériences  de  M.  Morren,  quand  on  les  lit, 
on  voit  qu'elles  ont  au  fond  un  tout  autre  but  que  ce- 
lui qu'on  leur  a  supposé. 

Quelques  savants,  pour  combattre  l'hétérogénie, 
citent  aussi  l'expérience  qui  suit,  exécutée  par  M.  Milne 


(1)  Morren,  Essai  pour  déteiminer  l'influence  qu'exerce  la  lu- 
mière sur  le  développement  des  végétaux  et  des  animaux  dont  l'o- 
rigine avait  élé  attribuée  à  ia  génération  spontanée.  {Observateur 
médical  belge,  1834,  et  Ann.  des  se.  nat.,  1835.) 

(2)  Claparéde,  Mémoire  pour  le  concours  du  prix  de  physiologie 
(manusciit). 

(3)  Gervais  et  Van  Beneden,  Zoologie  médicale.  Paris,  1859,  t.  II, 
p.  309. 

(4)  Schwann  ,  Traduction  de  VIsis.  —  «  II  avait  versé  un  peu 
d'une  infusion  organique  dans  un  globe  en  verre,  laissant  la  ma- 
jeure partie  de  ce  globe  remplie  d'air  atmosphérique.  Il  fermait 
ensuite  les  ouvertures  pratiquées  dans  le  globe  en   fondant  le 


ÉLIMINATION   DE   l'aIR.  249 

Edwards.  Ce  zoologiste  mit  de  l'eau  contenant  des 
substances  organiques  dans  un  tube ,  et  fit  bouillir  le 
mélange  pour  tuer  tous  les  germes  d'êtres  vivants  qui 
pourraient  s'y  trouver,  et  ensuite  il  effila  ce  tube  à  la 
lampe  d'émailleur  et  le  scella  hermétiquement.  Ce  sa- 
vant remarqua  qu'aucun  Infusoire  ne  se  développait 
dans  ce  tube,  même  après  un  laps  de  temps  consi- 
dérable. 

Cette  expérience  que  l'on  s'étonne  de  voir  certains 


verre,  et  le  globe  fut  mis  dans  l'eau  bouillante  ou  bien  dans  le 
«  Pot  papinianien  »,  d'où  on  le  sortait  après  un  quart  d'heure. 
Si  des  animaux  se  montraient  api  es  un  certain  intervalle,  c'est 
qu'ils  s'étaient  formés  par  la  generatio  œquivoca,  car  les  germes 
existants  avaient  été  détruits  par  la  chaleur  de  l'eau  bouillante. 
S'il  n'y  avait  pas  d'animaux  microscopiques,  c'est  qu'il  n'y  avait 
pas  de  generatio  cpçttffoca,  puisque  à  l'exception  des  germes,  toutes 
les  conditions  pour  la  form  ation  de  ces  animaux  subsistaient. 
Jusqu'ici  le  docteur  Schwann  n'avait  encore  remarqué  aucune 
formation  d'animaux  microscopiques  dans  ce  globe.  Pour  éviter 
l'objection  que  la  matière  organique  transformerait ,  pendant  que 
Peau  bouillait,  Toxygène  de  l'atmosphère  enfermée  dans  le  globe 
en  carbone  (en  principe  charbonneux) ,  le  docteur  Schwann  avait 
modiiié  son  appareil  de  la  manière  suivante  :  le  cou  de  l'alambic 
fut  courbé  de  haut  en  bas,  puis  tordu  en  forme  de  genou,  de 
manière  que  l'autre  extrémité  se  retrouvait  tout  droit  debout.  On 
y  joignit,  en  soufflant,  une  petite  boule.  L'autre  bout  de  l'alam- 
bic fut  tiré,  allongé ,  de  manière  à  former  pointe,  et  puis  cassé. 
Ceci  terminé,  on  remplit  le  genou  de  mercure  et  l'on  versa,  par- 
dessus cela,  une  infusion  organique  dans  la  petite  boule,  dopt  on 
fermait,  en  soufflant,  l'issue.  Le  mercure  séparait  donc,  pendant 
l'ébuUition  de  l'eau,  le  fluide  de  l'atmosphère  renfermée  dans  l'a- 
lambic. L'opération  de  bouillir  terminée,  on  i^^nversait  l'appareil, 
le  mercure  descendait  et  l'infusion  entrait  en  contact  avec  l'air 
atmosphérique  dans  l'alambic.  Mais  là  encore  il  ne  se  montrait 
pas  d'animaux  microscopiques.  Otlon ,  Renner,  Sachs,  Huschke 
doutaient  que  de  ces  expérien      ,  expériences  très-ingénieuses  du 


250  HÉTÉRO  GÉNIE. 

physiologistes  invoquer,  et  tel  a  été  M.  Longet  (i), 
pour  saper  Thétérogénie,  ne  doit  pas  même  nous  oc- 
cuper, parce  que  sa  direction  est  telle  qu'elle  ne  peut 
coïncider  avec  la  vie.  L'intérieur  du  tube  étant  absolu- 
ment privé  d'air,  ne  peut  ni  donner  naissance,  ni 
même  permettre  de  vivre  à  aucun  être  organisé.  Déjà 
Bulliard  avait  fait  quelques  tentatives  semblables  (2) 
et  nous  n'avons  pas  cru  devoir  répéter  son  expé- 
rience ni  celle  de  M.  Milne  Edwards,  bien  persuadé  à 
l'avance  que  nous  devrions  obtenir  le  même  résultat 
qu'eux.  Admettez  même  qu'on  puisse  placer  des  êtres 
vivants  dans  de  telles  conditions,  et  immédiatement  on 
les  verra  périr  comme  dans  le  vide  du  marteau  d'eau. 
Cependant  Spallanzani  avait  prétendu  que  les  ani- 
malcules du  dernier  ordre  pouvaient  naître  dans  des 
infusions  scellées  hermétiquement,  et  qui  avaient 
bouilli.  Mais  quoique  ses  expériences  viennent  étayer 
l'opinion  que  nous  nous  efforçons  de  faire  prévaloir, 
elles  nous  paraissent  de  nulle  valeur,  tant  elles  man- 
quent de  précision  (3).  Si  le  physiologiste  de  Pavie  eût 
bien  bouché  ses  matras,  aucun  ïnfusoiren'y  fût  apparu. 

EXPÉRIENCES   EXÉCUTÉES  A   VAISSEAUX   CLOS. 

Pour  mieux  élucider  ce  sujet,  nous  le  partagerons  en 

reste,  l'on  pût  conclure  la  non-existence  de  la  generatio  œqui- 
voca  )).(/m,  1837,  p.  523.) 
(i)  Longet,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1851. 

(2)  Bulliard,  Histoire  des  champignons  de  France.  Paris  1809. 
t.  I,  p.  115. 

(3)  Spallanzani,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale    Pa- 
vie, 1787.  t.  I,  p.  29. 


ÉLIMINATION   DE   l'aIR.  251 

deux  parties.  La  première  traitera  des  expériences 
exécutées  à  vaisseaux  clos,  et  c'est  dans  celle-ci  que 
l'on  trouvera  le  récit  des  deux  tentatives  qui  viennent 
d'être  mentionnées  et  celui  de  nos  travaux  contradic- 
toires. La  seconde  partie  contiendra  l'exposition  des 
expériences  exécutées  à  l'air  libre,  et  qui  selon  nous, 
ont  une  non  moindre  valeur  que  les  autres,  quand  on 
les  interprète  avec  un  esprit  exempt  de  toute  préven- 
tion. 

Les  seules  expériences  fondamentales  qu'on  ait 
opposées  à  l'hétérogénie  sont  celles  de  M.  Schultzeet 
de  M.  Schwann,  insérées  dans  les  Annales  de  Poggen- 
dorf  {{). 

Expérience  de  Schultze.  —  Voici  en  quoi  consiste 
l'expérience  de  M.  Schultze.  Il  prit  un  tlacon  dans 
lequel  il  mit  des  substances  végétales  et  animales,  et 
ensuite  celui-ci  fut  rempli  d'eau  distillée  que  l'on  fît 
bouillir  pour  détruire  tous  les  germes  d'êtres  vivants 
qui  pouvaient  s'y  trouver  en  suspension.  Le  bouchon 
de  ce  ballon  était  traversé  par  deux  tubes  à  analyses 
munis  de  leurs  boules.  Celles  de  l'un  des  tubes  étaient 
pleines  d'acide  sulfurique  concentré;  celles  de  l'autre 
contenaient  une  solution  de  potasse.  Cet  appareil  fut 
ensuite  placé  sur  une  fenêtre  et  à  côté  de  lui  se  trou- 
vait un  vase  ouvert  contenant  les  mêmes  substances. 
Pendant  deux  mois,  chaque  jour,  M.  Schultze  renou- 

(1)  Schultze,  Annales  de  Poggendorf,  1837,  p.  41.  Comp.  Edin- 
burgh  new  philosophical  Journal.  1  STi , octobre. [Annales  des  sciences 
naturelles,  Zoologie,  1837,  t.  VIII,  p.  320.) 

Schwann,  Des  générations  équivoques.  [Annales  de  Poggendorf, 
1837,  p.  184) 


252  HÉTÉROGÉNIE. 

vela  l'air  de  son  flacon  et  examina  le  contenu  de  celui- 
ci.  Il  prétend  que,  pendant  ce  laps  de  temps,  il  ne 
se  développa  aucun  Infusoire,  ni  Moisissure,  ni  Con« 
ferve  dans  le  bocal  fermé  ;  tandis  que  dans  le  crité- 
rium exposé  à  Tair,  on  vit  apparaître  des  Monades,  des 
Vibrions  et  des  Polygastriques.  Plane.  III,  fig.  1  (1). 

Schultze  ajoute  que,  lorsque  las  d'attendre  vaine- 
ment, il  débouchait  son  vase  et  y  laissait  pénétrer  l'air 
extérieur,  au  bout  de  trois  jours,  des  Infusoires  y  pul- 
lulaient, apportés,  dit-il,  par  le  fluide  atmosphérique 
qui  les  tenait  en  suspension  (2).  Ce  dernier  fait  est 
pour  moi  inexplicable  car  nous  avons  déjà  vu,  et  nous 
verrons  encore,  que  dans  les  décoctions  le  phénomène 
ne  marche  pas  aussi  rapidement. 

Nous  ne  concevons  pas  trop  comment  cette  expé- 
rience a  été  conduite  et  comment  chaque  jour  sans 
introduire  de  l'air,  avec  un  tel  appareil,  on  a  pu  véri- 
fier ce  qui  se  passait  dans  le  flacon  en  expérimenta- 
tion. Nous  pourrions  dire  aussi  avec  M.  Bérard,  que 
cette  expérience  prouve  tout  simplement  que  l'air  qui 
a  traversé  l'acide  suif  urique  est  contraire  à  la  généra- 
tion spontanée  (3).  Mais  nous  n'avons  nullement  be- 
soin d'employer  de  tels  arguments,  puisque  cette  ex- 
périence répétée  avec  des  précautions  infiniment  plus 
grandes  que  celles  dont  parle  M.  Schultze  nous  a 
donné  des  résultats  contraires  et  positifs.  Nous  avons 
vu  des  Mucorinées,  des  Monades  et  des  Vibrions  se 
développer  dans  des  vases  qui  ne  recevaient  que  de 

(1)  ScmiLTZVyEdinburgh  new  philosophical  /oî/rnaZ. Janvier  1837. 

(2)  Schultze,  Annales  de  Poggendorf,  1837,  p.  41. 

(3)  Bérard,  Cours  de  physiologie,  Paris,  1848,  1. 1,  p.  95. 


ÉLIMINATION   DE    l'aIR.  253 

l'air  qui  avait  traversé  une  grande  épaisseur  d'acide 
sulfurique,et  même  en  plus,  de  l'eau  bouillante. Nous 
pouvons  en  outre  prétendre,  après  une  lecture  atten- 
tive des  Recueils  scientifiques,  où  l'expérience  unique 
de  M.  Schultze  a  été  insérée,  que  celle-ci  n'offre  au- 
cune garantie  sérieuse  .(1). 

Et  d'abord,  malgré  le  titre  d'Expériences  sur 
les  générations  équivoques,  le  mémoire  ne  contient 
qu'une  seule  expérience  fort  incomplètement  exposée. 
M.  Schultze  ne  dit  nullement  quelles  substances  il  a 
employées  dans  l'eau  qui  remplissait  son  flacon.  Il  dit 
seulement  qu'il  y  mit  des  substances  animales  et  vé- 
gétales variées;  il  n'en  mentionne  point  la  quantité, 
il  ne  donne  aucune  attention  à  la  température  qui  a 
régné  durant  son  expérience.  Le  vase  employé  par 
cet  expérimentateur  était  une  simple  fiole  à  liqueur, 
dont  l'unique  goulot  était  fermé  par  un  bouchon  du- 
quel sortaient  deux  tubes  recourbés,  dont  un  commu- 
niquait avec  un  des  petits  appareils  de  Liebig  destinés 
aux  analyses  organiques  et  était  rempli  d'acide  sulfu- 
rique,  tandis  que  l'autre  offrait  un  appareil  semblable 
mais  rempli  d'une  solution  de  potasse.  Ces  deux  ap- 
pareils avaient  été  adaptés  aux  tubes  tandis  que  la  li- 
queur.du  flacon  était  en  ébullition.  M.  Schultze  aspi- 
rait chaque  jour  deux  fois  avec  sa  bouche  l'air  du 
flacon  par  l'appareil  rempli  de  potasse,  et  il  y  rentrait 
de  l'air  nouveau  qui  traversait  les  boules  remplies 

(1)  Schultze,  Notice  ofthe  Resuit  of  an  Expérimental  Observation 
made  regarding  Equivocal  Génération.  —  Edinburgh  new  philoso- 
phical  Journal.  Octobre  1837.  —  Expériences  sur  les  générations 
équivoques.  Ann.  des  se.  nat.,2.^  série.  Zoologie,  t.  VIII,  p. 320. 


254  HÉTÉROGÉNIE. 

d'acide  sulfurique  ;  et  il  dit  aussi  que  pendant  plus  de 
deux  mois  que  dura  l'expérience,  il  eut  le  soin  d'exa- 
miner chaque  jour  au  microscope  l'infusion  contenue 
dans  le  flacon  et  qu'il  n'y  rencontra  jamais  aucun  ani- 
malcule. Nous  ne  dirons  rien  du  soin  avec  lequel 
M,  Schultze  renouvelait  l'air  de  son  appareil,  il  était 
superflu  ;  mais  nous  voudrions  bien  que  Ton  pût  nous 
enseigner  comment ,  dans  un  appareil  semblable , 
M.  Schultze  a  pu  chaque  jour,  sans  l'ouvrir,  constater 
ce  qui  se  passait  dans  l'infusion  et  en  explorer  les 
bords,  comme  il  le  dit,  à  l'aide  du  microscope!  Voici 
pour  nous  ce  qui  est  inexplicable  (1). 

Nous  ne  parlerons  nullement  du  critérium  placé  à 
côté  de  l'appareil  et  dans  lequel  M.  Schultze  trouve 
rapidement  des  Infusoires,  parce  que  si  le  savant  de 
Berlin  dit  bien  que  dans  celui-ci  il  plaça  les  mêmes 
substances  que  dans  l'appareil,  il  ne  dit  nullement  s'il 
les  soumit  également  à  T action  deVébullition,  ce  qui 
est  fort  essentiel  à  savoir. 

L'expérience  suivante  tend  à  prouver  que  la  facilité 
avec  laquelle  Schultze  obtenait  des  animalcules,  soit 
dans  son  critérium,  soit  à  volonté  et  si  rapidement 
lorsqu'il  ouvrait  le  matras  à  expérience,  n'existe  pas 
toujours,  et  nous  la  regardons  même  comme  fort  pa- 

(1)  Voici  comment  s'exprime  le  traducteur  du  travail  de 
M.  Schultze  dans  le  Nouveau  Journal  d' Edimbourg  : 

Continued  uninterruptedly  the  renewal  of  the  air  in  theflask, 
without  being  able,  by  the  aid  of  the  microscope,  to  perceive 
any  living  animal  or  vegelable  substance,  although  during  the 
whole  of  the  tirne  I  made  my  observations  almost  daily  on  the 
edge  of  the  liquid.  » 


ÉLIMINATION    DE    L  AIR.  255 

radoxale  lorsqu'il   s'agit  de  décoction   de  substances 
végétales. 

Expérience. —  Un  petit  ballon  à  large  goulot,  d'un 
demi-litre  de  capacité  a  été  rempli  d'eau  à  moitié,  et 
l'on  y  a  ensuite  introduit  cinq  grammes  de  foin.  A 
l'aide  d'une  lampe  à  esprit-de-vin  on  a  entretenu  l'eau 
en  ébullition  pendant  quinze  minutes,  et  ensuite,  le 
matras  étant  débouché  y  son  contenu  a  été  abandonné 
au  contact  de  l'air.  Pendant  l'entière  durée  de  l'ex- 
périence, qui  fut  longue,  la  température  fut  en 
moyenne  de  16"  cent.  L'expérience  fut  com- 
mencée le  24  juillet.  Le  2  août  le  liquide  était  dia- 
phane et  d'une  teinte  fauve  ;  sa  surface  n'offrait  au- 
cune pseudo-membrane,  aucune  bulle  gazeuse;  on 
n'y  voyait  aucun  vestige  d'êtres  organisés.  Le  7 
août  on  n'y  reconnut  encore  absolument  rien.  L'ob- 
servation fut  répétée  sans  plus  de  succès  jusqu'au 
18  septembre,  c'est-à-dire  pendant  presque  deux  mois. 

En  présence  d'un  tel  résultat  que  doit-on  croire  de 
ce  qu'avance  Schultzequi,  dans  des  cas  analogues, 
obtenait  des  êtres  organisés  aussitôt  qu'il  exposait  sa 
décoction  au  contact  de  l'atmosphère? 

Lorsque  je  me  trouvai  rationnellement  bien  péné- 
tré de  l'évidence  de  la  thèse  que  je  devais  défendre, 
je  me  mis  à  l'oeuvre  pour  la  démontrer  expérimenta- 
lement. Mais  en  même  temps  que  mes  travaux,  dans 
cette  direction,  venaient  chaque  jour  confirmer  mes 
vues,  je  m'occupai,  d'un  autre  côté,  de  refaire  d'un 
bout  à  l'autre  toutes  les  expériences  des  antagonistes 
de  l'hétérogénie,  en  les  répétant  à  plusieurs  reprises,  et 
en   m'entourant  de  toutes  les  précautions  imagina- 


256  HÉTÉROGÉNIE. 

bles.  Voici  ce  qui  advint.  Dans  tous  les  cas  où  les  phy- 
siologistes que  nous  combattons  ont  opéré  de  manière 
à  ne  pas  entraver  absolument  la  vie  organique,  j'ai 
obtenu  des  résultats  entièrement  opposés  aux  leurs, 
j'ai  vu  constamment  des  animalcules  et  des  végétaux 
apparaître  là  où  ils  prétendaient  n'en  avoir  jamais  ob- 
servé. Puis,  dans  les  cas  où  les  résultats  ont  été  né- 
gatifs, dans  mes  expériences  comme  dans  les  leurs, 
j'ai  reconnu  qu'on  le  devait  à  ce  que  les  conditions 
étaient  telles  qu'aucun  être  vivant  ne  pouvait  subsis- 
ter au  milieu  d'elles. 

Contre-expérience  de  schultze  par  m.  pouchet. 
—  J'ai  répété  delà  manière  suivante  l'expérience  de 
M.  Schultze  :  Un  ballon  d'un  litre  de  capacité  a  été 
rempli  à  moitié  d'eau,  et  l'on  a  mis  dans  celle-ci  cinq 
grammes  de  foin.  Le  bouchon  de  ce  ballon  était  tra- 
versé par  deux  tubes  recourbés  à  angle  droit  à  cinq 
centimètres  au-dessus  de  leur  sortie;  l'un  d'eux,  le 
tube  afférent,  ne  descendait  pas  plus  basque  le  col  de 
ce  ballon;  l'autre,  le  tube  efférent,  plongeait  plus 
profondément  et  arrivait  à  un  centimètre  du  liquide, 
afin  de  mieux  enlever  les  gaz  pesants  qui  stagneraient 
à  sa  surface.  Chacun  de  ces  tubes  était  articulé,  à 
l'aide  d'un  cylindre  de  caoutchouc,  avec  un  appareil 
à  cinq  boules  de  Liebig;  cet  appareil  fut  rempli  d'a- 
cide sulfurique  concentré.  Pour  plus  de  précision,  et 
afin  de  faire  marcher  plus  lentement  et  plus  réguliè- 
rement l'introduction  de  l'air  et  par  conséquent  de 
mieux  le  laver  dans  l'acide,  nous  avons  employé  un 
vase  aspirateur,  dont  le  robinet  ouvert  à  peine  n'atti- 
rait Tair  que  globule  à  globule.  Ce  vase  recevait  un 


ELIMINATION    DE    L  AIR.  2S7 

tube  qui  était  articulé  avec  les  boules  efférentes.  Le 
bouchon  du  ballon  ayant  été  luté  avec  du  vernis  au 
copal  et  du  vermillon,  et  les  extrémités  des  cylin- 
dres de  caoutchouc  qui  unissaient  les  diverses  pièces 
de  l'appareil  ayant  reçu  le  même  lut,  on  plaça  sous 
l'appareil  une  lampe  à  esprit-de-vin  et  l'eau  du  ballon 
fut  bientôt  portée  à  l'ébullition.  On  l'entretint  dans 
cet  état  pendant  une  heure,  durant  laquelle  la  vapeur 
sortait  abondamment  par  les  tubes.  La  lampe  fut  alors 
éteinte  et  le  ballon  se  refroidit  lentement,  en  aspirant 
peu  à  peu  de  l'air  par  les  boules.  Plane.  IIL  fig.  2. 

Le  soir  du  premier  jour,  lorsque  l'appareil  était  tout 
à  fait  froid,  à  l'aide  du  flacon  aspirateur  qu'on  luta 
alors  avec  lui,  on  fit  passer  un  litre  dair  avec  toute 
la  lenteur  possible,  à  travers  le  ballon.  Puis  ensuite, 
chaque  jour,  la  même  opération  fut  répétée  avec  les 
mêmes  précautions,  soit  pour  enlever  les  gaz  qui  se 
produisaient  à  la  surface  du  liquide,  soit  pour  fournir 
de  l'air  respirable  aux  animalcules  qui  pourraient  ap- 
paraître dans  la  décoction.  Près  de  cefle-ci,  on  plaça 
un  critérium  :  c'était  un  ballon  absolument  semblable 
à  celui  employé  pour  l'expérience ,  ayant  reçu  autant 
d'eau  et  de  foin,  et  dans  lequel  ceux-ci  avaient  subi 
une  pareille  ébuUition  ;  seulement  on  laissa  le  matras 
ouvert. 

La  marche  de  cette  expérience  a  été  un  peu  lente 
à  cause  de  la  saison  dans  laquelle  nous  opérions  et  de 
la  basse  température  qui  régnait,  et  qui,  en  moyenne, 
ne  s'est  pas  élevée  au-dessus  de  14°.  Le  liquide  s'est 
coloré  lentement  et  est  resté  parfaitement  diaphane  et 
fauve  jusqu'au  vingtième  jour,  époque  à  laquelle  il 

POUCHET.  1 7 


2  58  HÉTÉROGÉNIE. 

devint  un  peu  nébuleux,  trouble  et  où  il  se  produisit 
au  fond  un  léger  dépôt.  Le  vingt-quatrième  jour,  on  vit 
se  former  à  sa  surface  en  petit  îlot  glauque,  d'environ 
deux  millimètres  de  diamètre,  qui  paraissait  formé 
d'une  espèce  de  Pénicillium,  Le  lendemain  on  en  vit 
un  autre  de  la  même  dimension. 

Enfin,  le  vingt-sixième  jour,  l'appareil  fut  ouvert  -et 
voici  l'énumération  de  ce  que  nous  rencontrâmes  dans 
le  liquide  qu'il  renfermait.  Les  deux  îlots  étaient  réel- 
lement formés  d'un  Pénicillium ,  très-rapproché  du 
Pénicillium  glaucum ,  Link,  mais  plus  rameux  et  à 
cloisons  très- serrées.  L'eau  était  peuplée  à  sa  sur- 
face d'une  immense  quantité  de  Spirillum  ondulé, 
Spirillum  iindula,  Eh.  Duj.  (1)  ;  et  de  Spirillum  iouY- 
no^^dini,  Spirillum  volutans,  Eh.  Duj.  (2).  On  y  ren- 
contrait aussi  beaucoup  d'autres  Vibrions  très-agiles 
de  0,0038  de  millimètre.  La  pellicule  de  la  surface 
était  arachnoïde  et  formée  de  grands  Vibrions  morts, 
parfaitement  enchevêtrés  et  ayant  presque  tous  une 
longueur  de  0,0200  de  millimètre  environ.  Çà  et  là 
s'agitaient  quelques  Monades  difficiles  à  déterminer. 
On  rencontrait  en  outre,  dans  cette  décoction,  une 
abondance  de  Bactériums  articulés  d'une  longueur 
qui  variait  de  0,0076  à  0,0110  de  miUimètre  (3).  Enfin 

(1)  Ehrenberg,  Infus.,  pi.  V,  fig.  3. 

DuJARDiN,  Histoire  naturelle  des  Infusoires.  Paris,  184t,p.  223. 
0.  F.  MuLLER,  Vibrio  undula,  Inf.,  pi.  i,  fig.  4-6. 

(2)  Ehrenberg.  Infus.,\)\.  v,  fig.  13. 
DuJARDiN,  Infus.,  p.  225. 

0.  F.  MuLLER,  Vibrio  spirillum,  Infus.,pl.  vi,  fig.  9. 

(3)  Bacterium  articulatum  et  Baderium  triloculare  (I'Ehrenberg. 
DuJARDIN,  //î/'us.;,p.  216. 


ÉLIMINATION    DE    l'aiR.  259 

on  voyait  aussi  à  certaines  places  quelques  animal- 
cules que  je  pense  indéterminés.  Ceux-ci  étaient  cylin- 
driques, obtus  aux  extrémités,  et  renfermaient  à  leur 
intérieur  de  trois  à  cinq  grosses  granulations  ;  leur 
longueur  était  en  moyenne  de  0,0200  de  millimètre. 
Il  existait  encore  çà  et  là  quelques  semences  de  Péni- 
cilliums faciles  à  reconnaître. 

De  tels  résultats,  obtenus  par  notre  contre-expé- 
rience, renversent  donc  ceux  que  Schultze  avait  ob- 
tenus dans  son  expérience  si  célèbre. 

Voici,  dans  cette  contre-expérience,  ce  qui  se  passa 
dans  le  critérium.  Le  second  jour,  le  liquide  ne  pré- 
sente aucune  production  organique.  Le  troisième,  il 
offre  à  sa  surface  un  certain  nombre  de  grands  Vi- 
brions ayant  pour  la  plupart  0,0140  de  millimètre  de 
longueur.  On  rencontrait  aussi,  de  place  en  place, 
quelques  Vibrio  levis,  nob.  de  0,0336  à  0,0420  de 
milli-mètre  de  longueur;  enfin  çà  et  là  il  existait  quel- 
ques Vibrio  bacilliis  de  80  à  100  divisions  micromé- 
triques, doués,  ainsi  que  tous  les  autres ,  de  mouve- 
ments très-manifesles.  Le  quatrième  jour,  la  tempéra- 
ture étant  de  1 4°,  tous  les  Vibrions  observés  la  veille 
sont  morts  et  forment  à  la  surface  de  la  liqueur  un 
réseau  lâche  inaniaié.  Cette  rapide  phase  de  vitalité  à 
laquelle  succède  une  destruction  complète    n'aura- 
t-elle  pas  été  une  cause  d'erreur  pour  les  observateurs 
qui  n'ont  obtenu  que  des  résultats  négatifs?  Le  cin- 
quième jour,  la  température  moyenne  est  de  10°.  Le 
réseau  de  Vibrions  morts  ,  formé  à  la  surface  de  la 
liqueur  est  encore  très-distinct,  on  n'observe  pas  le 
moindre  animalcule  vivant.  Le  sixième  jour,  temp. 


260  HÉTÉROGÉNIE. 

10%  le  foin  est  remonté  et  surnage  un  peu;  la  super- 
ficie du  liquide ,  pendant  la  nuit,  a  produit  quatre 
petits  îlots  de  Pénicillium  glaucum,  Link.  Le  sep- 
tième jour  ,tenip.  15°,  même  état.  De  temps  à  autre 
.  on  aperçoit  quelques  Vibrions  de  4  à  5  divisions  mi- 
crométriques, animés  de  mouvements  manifestes,  et 
d'autres  Vibrions,  mais  très-petits,  qui  ont  des  mou- 
vements fort  rapides.  On  ne  les  distingue  qu'aux  plus 
puissants  grossissements  :  sans  une  attention  soutenue, 
on  pourrait  croire  qu'il  n'existe  dans  cette  décoction 
aucun  animalcule  vivant.  Le  huitième  jour,  temp.  13% 
dans  certains  endroits  on  découvre  beaucoup  de  Vi- 
brions granifères  enchevêtrés  en  pellicule  et  inanimés; 
puis  beaucoup  de  plus  petits,  très-agiles,  très-nom- 
breux. Le  dixième  jour,  temp.  14%  Hqueur  devenue 
jaune,  trouble  ;  à  sa  surface  nagent  plusieurs  ilôts  de 
Pénicillium,  Pellicule  inapparente.  On  observe  beau- 
coup de  corps  inanimés  de  Vibrions  granulés,  des  Mo- 
nades terme.  Le  quatorzième  jour,  temp.  18%  les  îlots 
de  Pénicillium  se  sont  agrandis  et  laliqueur  ne  contient 
absolument  qu'une  immense  abondance  de  Monades 
fort  rapprochées  du  Monas  elongata ,  Duj.  Le  vingt- 
sixième  jour,  jour  où  l'on  ouvre  l'appareil,  le  critérium 
n'est  pas  plus  avancé  que  lui  pour  sa  faune  ;  quelques 
rares  Monas  lermo y  quelque?,  très-petits  Vibrions,  voilà 
tout  ;  l'avantage  serait  peut-être  même  à  l'expérience. 
On  voit  que  nos  décoctions  à  Tair  libre  ne  sont  pas 
aussi  rapidement  fécondes  que  celles  de  M.  Schultze; 
nous  n'avons  trouvé  aucun  Polygastrique  dans  cette 
circonstance. 

Expérience.  —  Après  avoir  suivi  le  même  procédé 


ÉLIMINATION   DE    l'aIR.  261 

que  M.  Schultze ,  j'ai  conçu  une  expérience  qui  est 
encore  plus  rigoureuse  que  la  sienne,  et,  dans  cette 
tentative,  que  j'ai  répétée  plusieurs  fois,  j'ai  obtenu 
encore  des  résultats  opposés  à  ceux  du  savant  étran- 
ger. Voici  cette  expérience  :  un  flacon  à  trois  tubu- 
lures, de  la  contenance  d'un  litre,  fut  totalement 
rempli  d'acide  sulfurique  concentré.  La  première  tu- 
bulure était  occupée  par  un  tube  recourbé  qui ,  par 
l'une  de  ses  extrémités ,  communiquait  avec  une 
pompe  à  air,  et  par  l'autre  plongeait  au  fond  de  l'acide. 
La  seconde  tubulure ,  ou  tubulure  du  milieu ,  était 
munie  d'un  siphon  qui  naissait  au  niveau  de  la  réunion 
du  tiers  supérieur  du  flacon  avec  les  deux  tiers 
inférieurs  et  allait  se  plonger  au  fond  d'une  éprou- 
vette  vide.La  troisième  tubulure  portait  un  tube  allant 
se  rendre  dans  le  second  Qacon. 

Ce  second  flacon,  de  la  même  capacité  que  l'autre, 
avait  été  rempli  d'eau  bouillante  ;  sa  première  tubulure 
donnait  passage  au  tube  qui  provenait  du  flacon 
rempli  d'acide  ;  né  au  niveau  de  la  tubulure  de  celui- 
ci,  il  allait  se  rendre  au  fond  de  l'eau  bouillante.  La 
tubulure  du  milieu  avait  un  siphon  offrant  exactement 
la  même  disposition  que  le  précédent  et  reçu  aussi  dans 
une  éprouvette  vide.  Enfin,  de  la  troisième  tubulure 
partait  un  tube  allant  dans  le  fond  du  troisième  flacon. 

Ce  flacon  d'une  capacité  égale  aux  autres  n'offrait 
que  deux  tubulures.  La  première  recevait  le  tube  pro- 
venant du  flacon  à  eau  bouillante  ;  né  dans  celui-ci 
au  niveau  de  sa  tubulure ,  il  ne  se  plongeait  qu'au 
même  niveau  dans  le  dernier  flacon.  La  seconde  tu- 
bulure portait  un  tube  ou  siphon  qui,  né  au-dessus  du 


262  HÉTÉROGÉNIE. 

niveau  des  deux  tiers  du  flacon,  allait  se  rendre  dans 
une  éprouvette  remplie  d'eau. 

Une  forte  décoction  de  foin  bouillant  ayant  été  in- 
troduite dans  ce  troisième  vase  et  le  remplissant  exac- 
tement, on  luta  l'appareil  avec  le  plus  grand  soin,  à 
l'aide  de  vernis  gras  et  de  vermillon,  afin  de  le  fermer 
hermétiquement.  L'appareil  était  donc  absolument 
occupé  par  de  l'acide  sulfurique  et  de  l'eau  presque  en 
ébuUition.  Alors,  avec  beaucoup  de  lenteur,  à  l'aide 
d'une  petite  pompe  on  introduisit  de  l'air  dans  l'ap- 
pareil, et  voici  ce  qui  se  passa,  et  ce  que  l'on  voulait 
obtenir  :  l'air  introduit  traversa  peu  à  peu  l'acide 
sulfurique  concentré  et  s'amassa  à  la  partie  supérieure 
du  premier  flacon  ;  la  pression  qu'il  détermina  mit 
en  jeu  le  siphon  qui  était  adapté  à  celui-ci  et  le  tiers 
de  l'acide  sulfurique  alla  remplir  la  première  éprou- 
vette. Lorsque  tout  ce  que  ce  siphon  pouvait  enlever 
d'acide  fut  parti,  l'air  qui  avait  traversé  celui-ci  passa 
dans  le  flacon  d'eau  bouillante,  se  déchargea  des 
vapeurs  d'acide  qu'il  avait  pu  entraîner  et  s'amassa  au 
haut  de  ce  second  flacon  ;  bientôt  le  siphon  se  mit  en 
action  et  vida  un  tiers  de  l'eau  bouillante  dans  la  se- 
conde éprouvette.  Enfin,  lorsque  l'action  de  ce  second 
giphon  fut  épuisée,  l'air  passa  dans  le  troisième,  où  le 
dernier  siphon  se  mit  en  jeu  pour  enlever  aussi  le 
tiers  de  la  décoction  qui  s'y  trouvait  contenue.  Dans 
cet  état  de  choses,  il  n'existait  donc  absolument  en 
contact  avec  la  décoction  mise  en  expérience  que  de 
l'air  ayant  traversé  un  flacon  rempli  d'acide  sulfurique 
concentré,  et  un  autre  flacon  rempli  d'eau  bouillante, 
double  épreuve  plus  que  suffisante  pour  détruire  tous 


ELIMINATION    DE    L  AIR.  263 

les  germes  d'animaux  ou  de  plantes  qui  auraient  pu 
se  trouver  dans  l'air. 

Ensuite  on  abandonna  absolument  l'appareil  à  lui- 
même,  bien  persuadé  qu'il  ne  pouvait  y  avoir  aucune 
communication  entre  l'atmosphère  et  le  troisième  fla- 
con, car,  par  un  excès  de  précaution,  le  fond  des 
éprouvettes  contenait  du  mercure  dans  lequel  plon- 
geaient des  siphons,  afin  qu'on  ne  pût  accuser  au- 
cune action  d'endosmose  du  liquide.  La  dernière 
éprouvette  servait  de  critérium. 

Le  critérium  examiné  de  temps  à  autre  prouva, 
comme  il  fallait  s'y  attendre ,  que  Texpérience  devait 
marcher  avec  beaucoup  de  lenteur.  Pendant  plus  de 
quinze  jours,  quoique  exposé  à  l'air,  il  n'offrit  cepen- 
dant aucune  production  organique.  Ce  ne  fut  que  le 
dix-huitième  jour  qu'on  découvrit  à  la  surface  une 
petite  touffe  de  Mucorinée  près  de  laquelle  s'agi- 
taient en  abondance  des  Vibrions. 

L'appareil  ayant  été  abandonné  à  lui-même  pen- 
dant vingt  jours,  le  flacon  qui  contenait  la  décoction 
n'ayant  reçu  aucune  nouvelle  portion  d'air,  n'avait 
donc  alors  été  en  contact  qu'avec  un  demi-litre  de  ce 
fluide.  Avant  d'ouvrir  cet  appareil  on  put  observer 
qu'il  n'y  avait  pas  eu  la  moindre  communication  en- 
tre son  contenu  et  l'air  atmosphérique  ;  le  niveau  de 
l'eau  que  les  pressions  diverses  avaient,  dès  l'origine, 
déterminé  dans  les  tubes  et  les  sipohns  n'ayant  nulle- 
ment varié. 

A  l'issue  de  ces  vingt  jours  on  s'attendait  à  trouver 
à  l'intérieur  du  liquide  en  expérience  des  produits 
analogues  à  ceux  du  critérium,  et  cela  eut  lieu  en  ef- 


264  HÉTÉROGÉNIE. 

fet.  On  avait  vu ,  dès  le  dix-huitième  jour,  se  former 
dans  l'appareil  des  îlots  d'une  Mucorinée  semblable 
à  celle  qui  recouvrait  alors  le  critérium.  Quand  le 
flacon  fut  ouvert,  on  reconnut  que  celle-ci  était  un 
petit  champignon  à  mycélium ,  excessivement  grêle, 
et  dont  les  ramifications  étaient  alternes,  inarticu- 
lées, d'un  bleu  extraordinairement  pâle,  d'un  diamè- 
tre de  0,0028  de  millimètre.  Dans  les  ramifications 
de  cette  plante,  ainsi  qu'au  fond  du  vase,  on  rencon- 
trait un  grand  nombre  de  Bactériums  articulés,  Bac- 
terium  articidatum,  Ehr.,  en  mouvement  ou  immo- 
biles ;  ils  étaient  plus  abondants  au  fond ,  où  la 
végétation  cryptogamique  manquait  ;  on  rencontrait 
aussi  çà  et  là  des  Vibrions-anguilloïdes,  Vibrio  undu- 
la  Mull.  (1),  très-agiles,  et  des  Vibrions  linéaires 
immobiles,  Vibrno  bacillus,  Mull. 

Comme  on  le  voit,  le  contenu  du  flacon  isolé  de 
l'atmosphère  était  à  peu  près  le  même  que  celui  du 
critérium.  Peut-on  donner  une  plus  manifeste  preuve 
que  ce  n'est  point  l'atmosphère  qui  recèle  les  germes 
des  animaux?  La  Mucorinée  du  flacon  était  évidem- 
ment la  même  que  cefle  du  critérium  ;  seulement,  si 
elle  n'offrait  point  d'articulations,  cela  provenait  de 
ce  qu'elle  était  un  peu  plus  nouveflement  formée;  la 
vie  ne  marchant  jamais  à  vaisseau  clos  et  en  présence 
d'une  faible  portion  d'air,  comme  efle  marche  en 
pleine  atmosphère,  car  on  se  rappelle  que  dans  notre 
appareil  l'air  n'a  pas  été  renouvelé. 

(1)  0.  F.  MuLLER,  Anim.  infus.,  pi.  III,  fig.  5,  7. 
Spirillum  undula,  Ehrenberg.  Infusion,  tab.  V,  fig.  12. 
Spinllumundulaj  Dujardin.  Infusoires,  p.  223,  pi.  I,  fig.  8. 


I 


ÉLIMINATION   DE    l'aIR.  265 

Expérience.  —  Connaissant  combien  les  animalcu- 
les sont  lents  à  apparaître  dans  les  décoctions,  j'ai  va- 
rié cette  expérience  de  la  manière  suivante,  pour  ob- 
tenir plus  rapidement  des  produits  et  aussi  des  ani- 
malcules d'un  ordre  plus  élevé;  j'ai  réussi  ainsi  que 
tout  me  le  faisait  présager. 

En  juillet,  cinq  grammes  de  foin  ayant  subi  l'ac- 
tion d'un  courant  de  vapeur  d'eau  pendant  vingt  mi- 
nutes, sont  introduits  dans  le  troisième  flacon  de  mon 
appareil  à  acide  sulfurique,  précédemment  décrit.  Le 
second  flacon  venant  d'être  rempli  d'eau  bouillante, 
on  versa  immédiatement  aussi  de  l'eau  bouillante  dans 
le  troisième  flacon  et  on  luta  hermétiquement.  En- 
suite chaque  jour,  on  fit  passer  un  htre  d'air  dans  l'ap- 
pareil à  travers  l'acide  sulfurique,  puis  l'eau  destinée 
à  le  laver. 

Après  huit  jours  d'une  moyenne  de  22°  pour  la 
température,  on  examina  le  contenu  du  flacon  qui 
renfermait  le  foin  et  voici  ce  que  l'on  trouva.  Le  li- 
quide offre  une  pellicule  apparente,  mince,  cassante. 
Le  microscope  y  signale  ce  qui  suit  :  uiie  immense 
quantité  de  Vibrions  granifères  et  de  Vibrions  lis- 
ses (1)  en  partie  vivants  et  en  partie  déjà  morts.  On 
n'aperçoit  aucune  Monade,  et  les  Vibrions  de  petite  es- 
pèce sont  excessivement  rares.  De  place  en  place,  on 
découvre  de  petits  îlots  composés  de  granules  conte- 
nus dans  l'enchevêtrement  que  forment  les  corps  des 
Vibrions  morts.  Ces  granules  ne  sont  évidemment 
que   des  vestiges  de  la  décomposition  des  Vibrions 

(1)  Vibrio  granifer,  Pouchet.  —  Vibrio  levis,  Pouchet. 


266  HÉTÉROGÉNIE. 

granifèies,  de  façon  que  là  la  membrane  proligère 
n'est  point  formée  par  des  Monades  ou  de  petits  Vi- 
brions, mais  par  les  corps  des  grands  et  par  leurs 
granulations. 

Expérience.  —  L'expérience  qui  suit  fut  exécutée 
sans  que  l'on  s'entourât  des  précautions  si  rigoureuses 
que  l'on  avait  prises  dans  les  précédentes,  et  cepen- 
dant, pour  moi,  elle  est  tout  aussi  explicite.  Elle  offre 
des  résultats  plus  évidents  parce  que  l'on  y  a  moins 
altéré  les  éléments  génésiques.  On  l'exécuta  dans  le 
même  appareil.  On  introduisit  de  l'eau  bouillante  dans 
le  second  flacon  et  le  troisième  fut  rempli  d'eau  fil- 
trée et  de  dix  grammes  de  foin  gardé  pendant  trente 
minutes  dans  une  étuve  chauffée  à  200°  ;  enfin  de  l'air 
extérieur  fut  introduit  dans  l'appareil  en  traversant 
le  flacon  d'acide  sulfurique  et  le  flacon  d'eau  bouil- 
lante. 

Le  lendemain,  la  température  ayant  été  de  17% 
l'eau  est  colorée  en  fauve;  il  n'existe  à  sa  surface 
aucune  bulle  de  gaz,  ce  qui  indique  qu'aucun  mou- 
vement fermentescible  ne  s'est  établi.  On  injecte 
alors  un  litre  d'air. 

Le  deuxième  jour  expiré,  l'appareil  est  ouvert.  Il 
existe  à  la  surface  du  liquide  quelques  bulles  de  gaz; 
la  macération  est  légèrement  trouble.  Le  liquide  offre 
une  pellicule  proligère  excessivement  mince,  formée 
d'une  immense  quantité  de  Vibrions  granifères  en- 
chevêtrés avec  des  Vibrions  lisses,  et  ayant  leurs  in- 
tervalles remplis  de  Monades  crépusculaires  et  de 
Bactériums  articulés.  Presque  tous  les  Vibrions  sont 
déjà  morts,  cependant  quelques-uns  sont  encore  très- 


ÉLIMIISATION    DE    l'aIR.  267 

agiles.  De  place  en  place  aussi  on  voit  s'agiter  quel- 
ques Monades  lentilles. 

Parallèlement  à  cette  expérience,  il  existe  près  de 
mon  appareil  un  flacon  de  la  même  capacité,  et  dans 
lequel,  à  l'aide  d'une  lampe  à  esprit-de-vin,  j'ai  fait 
bouillir  le  foin  pendant  trente  minutes.  Le  liquide  est 
d'un  fauve  extrêmement  foncé,  limpide,  aucunebulle 
de  gaz  n'existe  à  sa  surface,  aucune  pellicule  ne  s'y 
observe.  Examinée  au  microscope,  la  décoction  n'of- 
fre pas  alors  la  moindre  trace  d'animalcule  ! 

Schwann  a  exécuté  aussi  quelques  expériences  qui 
ont  eu  le  même  retentissement  et  le  même  résultat  que 
celles  de  Scliultze  ;  mais  au  lieu  d'employer  Tacide 
sulfuriquepour  tuer  les  germes  qu'il  supposait  errants 
dans  l'atmosphère,  il  eut  recours  au  feu.  Ce  savant, 
après  avoir  fait  bouillir  de  Teau  chargée  de  matières 
organiques ,  ne  faisait  parvenir  sur  celles-ci  que 
de  Tair  qui  avait  traversé  un  milieu  soumis  à  la  tem- 
pérature de  la  chaleur  rouge.  Dans  ses  expériences 
aucun  mouvement  putrescible  ne  se  manifesta  dans 
le  hquide,  et  jamais  dans  celui-ci  aucun  animalcule 
ne  se  développa,  aucun  végétal  rudimentaire  (1). 

Voulant  rendre  incontestable  que  l'air  ne  peut  être 
considéré  comme  le  véhicule  des  germes,  et  renver- 
ser ainsi  le  dernier  retranchement  des  adversaires  de 
l'hétérogénie,  j'ai,  à  plusieurs  reprises,  répété  l'ex- 
périence de  Schwann  avec  le  plus  grand  soin,  et  même 
en  prenant  des  précautions  encore  plus  sévères  que 
ce  savant  ne  l'avait  fait,  et,  cependant,  mes  résultats 

(1)  Schwann,  Des  générations  équivoques.  [Annales  de  Poggen- 
i-irf,  1837,  p.  184. 


268  HÉTÉROGÉNIE. 

ont  été  tout  à  fait  opposés  aux  siens.  J'ai  vu  des  cryp- 
togames et  des  Protozoaires  se  développer  abondam- 
ment dans  des  vases  qui  n'étaient  accessibles  qu'à  de 
Tair  élevé  à  une  température  telle  que  dans  l'hypothèse 
ou  celui-ci  aurait  pu  contenir  quelques  germes,  ceux- 
ci  avaient  évidemment  été  détruits. 

Expérience.  —  J'ai  pris  un  gros  tube  en  verre,  long 
de  cinquante  centimètres,  et,  afin  de  multiplier  les 
points  de  contact  et  de  ralentir  la  marche  de  Tair  qui 
devait  le  traverser,  tout  l'intérieur  en  fut  obstrué  avec 
des  filaments  d'amiante  et  des  fragments  de  verre. 
Ce  tube  recevait  d'un  côté  un  tuyau  de  gomme  élasti- 
que communiquant  avec  une  pompe  à  air,  et  de  l'au- 
tre il  se  continuait  avec  l'appareil.  Ce  tube  était  dis- 
posé horizontalement  et  au-dessous  de  lui  se  trou- 
vaient trois  grosses  lampes  à  esprit-de-vin  dont  la 
flamme  l'entourait  complètement.  Venaient  ensuite 
deux  flacons,  l'un  à  trois  tubulures  et  l'autre  à  deux. 
Le  premier  de  ceux-ci  était  totalement  remph  d'eau 
bouiflante  et  recevait,  par  sa  première  tubulure,  un 
tube  recourbé  qui  plongeait  jusqu'au  fond  du  liquide. 
La  tubulure  du  milieu  était  munie  d'un  siphon  qui 
naissait  dans  ce  flacon  vers  le  milieu  de  sa  hauteur  et 
allait  se  rendre  dans  une  éprouvette  vide.  Enfin  la 
troisième  tubulure  porlait  un  tube  qui,  né  à  un  centi- 
mètre au-dessous  de  son  bouchon ,  allait  se  rendre  dans 
le  second  flacon.  Ce  second  flacon  avait  été  rempli 
entièrement  d'une  décoction  de  foin  bouiflante.  Sa 
première  tubulure  recevait  le  tube  qui  partait  du  vase 
précédent,  et  ce  tube  ne  s'enfonçait  point  dans  le  fla- 
con à  plus  d'un  centimètre  au-dessous  du  bouchon. 


ÉLIMINATION    DE    l'aIR.  269 

De  la  seconde  tubulure  naissait  un  tube  faisant  fonc- 
tion de  siphon.  Il  naissait  vers  le  milieu  delà  hauteur 
du  flacon  et  allait  se  rendre  au  fond  d'une  grande 
éprouvette  vide.  L'appareil  ayant  été  luté  exactement 
en  mettant  peu  de  lut  et  en  recouvrant  celui-ci  d'une 
couche  de  vernis  et  de  vermillon,  on  allumâtes  trois 
lampes;  et  lorsque,  après  une  demi-heure,  il  fut  évi- 
dent que  le  tube  et  les  fragments  de  verre  et  d'a- 
miante qu'il  contenait  étaient  élevés  à  la  température 
rouge , on  poussa  très-lentement  de  l'air  dans  l 'appareil , 
à  l'aide  de  la  pofnpe.  Cet  air,  à  cause  de  la  multiplicité 
des  points  de  contact,  fut  réellement  tamisé  tout  le 
long  du  tube,  de  manière  à  tuer  incontestablement  tous 
les  germes  d'animaux,  s'il  en  contenait.  De  là  il  passa 
dans  le  premier  flacon  en  traversant  l'eau  presque 
bouillante  qu'il  contenait.  Immédiatement  l'air  intro- 
duit dans  l'appareil  mit  en  jeu  le  premier  siphon  et  ce 
premier  flacon  se  vida  de  la  moitié  de  son  eau  dans 
r éprouvette  qui  lui  était  contiguë.  Peu  de  temps 
après,  l'air  traversait  le  tube  de  communication  du 
deuxième  flacon,  arrivait  dans  celui  où  était  la  dé- 
coction de  foin  et  mettait  en  jeu  le  second  siphon, 
qui  alors  en  enlevait  rapidement  la  moitié  pour  en 
remplir  la  seconde  éprouvette.  Plane,  llï,  fig.  3. 

Ainsi  donc,  tout  l'air  qui  remplissait  alors  le  flacon 
contenant  la  décoction  en  expérience  avait  été  tamisé 
dans  une  longueur  de  cinquante  centimètres  et  y 
avait  été  élevé  à  la  température  de  la  chaleur  rouge, 
et  ensuite  cet  air  avait  traversé  de  l'eau  presque  bouil- 
lante. Aucun  germe  n'avait  donc  pu  résister.  Les  tu- 
bes des  éprouvettes  plongeaient  dans  du  mercure. 


270  HETEROGENIE. 

Dans  la  première  expérience  que  nous  tentâmes 
avec  cet  appareil,  nous  fûmes  plus  rigoureux  que 
M.  Schwann.  L'air  ne  fut  nullement  renouvelé  et  la 
décoction  ne  se  trouva,  durant  tout  le  temps,  en  con- 
tact qu'avec  un  décimètre  cube  de  ce  fluide.  Ce  ne  fut 
qu'après  six  semaines  que  l'on  déluta  l'appareil  et 
l'on  put  avant  s'assurer  que  l'intérieur  n'avait  pas 
reçu  la  moindre  parcelle  d'air  atmosphérique,  la  dif- 
férence de  nivellement  que  l'eau  offrit  tout  d'abord 
dans  les  siphons  n'avait  point  varié  depuis  le  com- 
mencement de  l'expérience  jusqu'à  sa  terminaison. 

Voici  ce  qui  fut  observé  alors  :  on  n'a  jamais  dis- 
tingué de  pellicule  à  la  surface  du  liquide,  qui  a 
toujours  été  diaphane  et  d'un  fauve  foncé.  Seulement 
après  vingt-qualrejoursona  vu  se  former  de  place  en 
place  des  îlots  de  quatre  et  six  millimètres  de  diamè- 
tre, composés  évidemment  d'amas  de  petits  champi- 
gnons reconnaissables  à  la  loupe,  à  travers  les  parois 
du  flacon.  Ces  amas,  d'abord  de  couleur  blanche, 
faisaient  une  saillie  d'un  millimètre  à  la  surface  de 
l'eau.  Deux  jours  après,  leur  teinte  devint  d'un  vert 
glauque  (  1  ).  A  l'ouverture  du  flacon,  avec  le  microscope 
on  reconnut  qu'ils  étaient  composés  d'une  espèce  de 
Pénicillium  très-analogue  au  Pénicillium  glaucum  de 
Link,  ainsi  que  le  firent  soupçonner  quelques  vestiges 
de  sa  fructification  en  pinceaux  qu'on  rencontrait  çà  et 
là.  Chacun  de  ceux-ci  était  environné  d'un  nuage  de 
spores  libres,  sphériques  de  0,0028  à  0,0040  de  mil- 
limètre de  diamètre,  colorés  en  jaune  très-clair.  Ou- 

(i)A  ce  moment  on  n'observait  aucun  de  ces  cryptogames  dans 
le  critérium,  ni  dans  le  laboratoire. 


ÉLIMINATION    DE   L  AIR.  271 

tre  ces  spores,  on  trouvait  encore  dans  le  liquide  des 
corpuscules  allongés  fort  petits,  presque  tous  absolu- 
ment immobiles  et  qui  n'étaient  que  les  restes  d'une 
génération  de  Vibrions  qui  avait  précédemment  animé 
cette  infusion.  Quelques-uns  seulement  jouissaient 
encore  de  mouvements.  Ceci  est  parfaitement  en  har- 
monie avec  ce  qu'a  observé  M.  Pineau.  11  a  vu  le  Péni- 
cillium glaucum  succéder  à  des  générations  de  Vi- 
brions (1). 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici  évidemment  un  végétal  et 
des  Vibrionides  qui  se  sont  développés  spontanément 
après  quelques  semaines,  dans  une  atmosphère  d'air 
non  renouvelé  ayant  subi  la  température  rouge  et  tra- 
versé deux  flacons  d'eau  presque  bouillante.  Il  est 
évident  que  l'on  ne  peut  pas  dire  que  là  les  séminules 
sont  venues  du  dehors.  Si  ces  séminules,  chose  im- 
possible, avaient  traversé  le  tube  rouge,  elles  ne  se- 
raient même  pas  parvenues  dans  le  second  flacon , 
elles  fussent  restées  flottantes  dans  le  premier;  enfin  , 
on  les  voit,  on  les  connaît  ;  si  elles  pénétraient  dans  des 
appareils,  on  les  y  découvrirait...  Nous  les  y  décou- 
vrons comme  on  le  voit,  quand  elles  y  sont  réelle- 
ment. 

Pendant  tout  le  temps  qu'a  duré  l'expérience,  le 
critérium  a  conservé  sa  transparence,  et  après  six  se- 
maines c'était  à  peine  si  sa  surface  offrait  une  pelli- 
cule apparente.  Le  vingt-huitième  jour  il  offrait  quel- 
ques yibrio  rngula,Du'].,  mais  en  si  faible  quantité 

(4)  J.  PiNF.AU,  Recherches  sur  le  développement  des  animalcules 
infusoires  et  des  moisissures.  {Ann.  des  se.  nat.  Zoologie,  t.  I!l, 
p.  187.) 


272  HETERO  GENIE. 

qu'ils  auraient  pu  passer  inaperçus.  Le  trente-cin- 
quième jour  on  n'y  distinguait  absolument  rien.  Enfin, 
observé  parallèlement  au  Qacon  et  le  même  jour,  on 
ne  reconnut  à  sa  surface  aucun  Mucor  ni  aucune  sé- 
minule  de  Mucor.  De  place  en  place  seulement  on 
voyait  une  ou  deux  Monades,  un  ou  deux  Vibrions, 
pas  plus. 

Si  les  germes  étaient  réellement  suspendus  dans 
l'atmosphère,  pourquoi  le  Pénicillium  qui  s'est  si  am- 
plement développé  dans  le  vase  fermé,  n' eût-il  pas 
apparu  en  plus  grand  nombre  dans  le  critérium  exposé 
à  l'air?  Il  le  devait  dans  l'hypothèse  de  la  pansper- 
mie.  Si  cela  ne  s'est  pas  réalisé,  c'est  que  celle-ci 
est  sans  fondement.  Pourquoi  le  critérium  était-il 
aussi  dénué  d'animaux,  lui  sur  lequel  tous  les  germes 
atmosphériques  pouvaient  pleuvoir?...  Pourquoi! 
C'est  qu'à  l'air  libre  comme  dans  les  vases  fermés, 
les  décoctions  sont  souvent  fort  peu  riches  en  animal- 
cules, et  c'est  ce  qui  a  égaré  les  expérimentateurs  qui 
nous  ont  précédé. 

Expérience.  —  Nous  avons  tenté  une  nouvelle  ex- 
périence dans  l'appareil  dont  la  description  précède. 
On  y  abandonna ,  pendant  six  semaines ,  un  demi- 
litre  d'eau  bouillante,  contenant  cinq  grammes  de 
foin,  après  avoir  introduit  sur  celle-ci  un  demi-litre 
d'air  qui  avait  traversé  le  tube  chauffé  au  rouge ,  et 
ensuite  le  flacon  rempli  d'eau  à  98  degrés.  Après,  et 
pendant  tout  le  cours  de  l'expérience ,  aucune  nou- 
velle quantité  d'air  ne  fut  introduite  dans  l'appareil. 

Lorsque  j'examinai  le  liquide  je  reconnus  qu'il 
était  d'un  fauve  foncé,  diaphane,  limpide.  Examiné 


ELIMINATION    DE    L  AIR.  273 

au  microscope,  on  s'aperçut  que  sa  surface  était 
occupée  par  une  mince  membrane  proligère  ,  formée 
évidemment  de  cadavres  de  longs  Vibrions.  Les  in- 
tervalles, de  ceux-ci  étaient  remplis  de  myriades  de 
Spirillums  ondulés,  Spirilhim  undula ,Ehv. y  of- 
frant de  0,0084  à  0,0124  de  millimètre  de  longueur, 
nageant  tantôt  lentement ,  tantôt  rapidement  par  un 
mouvement  anguilloïde  (1). 

L'air  contenu  dans  l'appareil  avait  une  extrême 
fétidité.  Est-ce  celle-ci  qui  a  empêché  d'autres  géné- 
rations de  se  produire?  L'odeur  était  analogue  à  celle 
de  r hydrogène  sulfuré. 

Pour  les  hommes  qui  font  succéder  le  jugement  à 
la  méditation,  et  qui,  sans  prévention,  acceptent  les 
décisions  de  l'expérimentation,  il  est  évident  que  le 
fait  suivant,  quoique  dépouillé  d'une  partie  des  pré- 
cautions infinies  qui  ont  été  prises  précédemment, 
n'en  arrive  pas  moins  au  même  but,  à  savoir  :  à 
prouver  purement  et  simplement  que  les  germes  ne 
sont  pas  contenus  dans  l'air.  Nous  employons  ici 
exactement  le  même  appareil  que  dans  les  deux  pré- 
cédentes expériences  ,  seulement  le  second  flacon  où 
est  le  foin  chaufféà  200  degrés,  au  lieu  d'être remph 
d'eau  bouillante,  est  plein  d'eau  froide.  Dans  ce  cas, 
au  bout  de  deux  à  quatre  jours,  on  voit  constamment 
une  nombreuse  population  zoologique  apparaître  dans 
l'appareil.  Le  résultat  est  dû  à  ce  que,  dans  ce  cas, 
nous  n'employons  pas  d'eau  bouillante ,  qui ,  comme 

(1)  Spirillum  undula,  Ehrenberg,  Infus.,  pi.  V,  fig.  12.  — Spi- 
rillum  undula^  Dujardin,  Infus.,  pi.  I,  fig.  8.  —  Vibrio  undula, 
MuLLtR,  Infasoria,  tab.  YI,  fig.  4-6. 

POUCHET.  1 8 


274  lîÈTEROGENIE. 

nous  l'avons  établi  dans  tant  d'expériences  spéciales, 
paralyse  ou  anéantit  le  mouvement  génésique.  Si  l'on 
ne  se  reporte  pas  à  ce  qui  précède,  on  objectera  que 
les  animalcules  ont  pu  tirer  leur  origine  de  l'eau  ; 
nous  pourrions  ne  pas  nous  préoccuper  de  cette  ob- 
jection puisqu'il  ne  s'agit  ici,  purement  et  simplement, 
que  de  prouver  que  ce  n'est  pas  l'air  qui  en  est  le 
dépositaire  (1).  Mais  nous  avons  démontré  précédem- 
ment que  l'eau  ne  recèle  pas  les  germes  :  tous  les 
naturalistes  en  conviennent  aujourd'hui.  Or,  si  dans 
notre  appareil  il  se  développe  des  Proto-organismes , 
comme  ils  ne  peuvent  provenir  de  l'air  qu'on  y  in- 
troduit, il  faut  bien  leur  affecter  un  autre  berceau 
que  l'atmosphère. 

Expérience.  —  Voici  le  résultat  de  l'une  de  nos 
expériences.  On  a  rempli  d'eau  bouillante  le  premier 
flacon  de  l'appareil  à  trois  lampes.  On  a  rempli  d'eau 
filtrée  froide  le  second  flacon  et  l'on  y  a  mis  dix 
grammes  de  foin  passé  dans  une  étuve  chauffée  à 
200  degrés.  Lorsque  le  tube  fut  porté  à  la  tempé- 
rature rouge,  on  introduisit  de  l'air  dans  l'appareil. 
Deux  jours  après,  la  température  moyenne  ayant  été 
de  22  degrés  ,  on  ouvrit  celui-ci  et  voici  ce  que  l'on 
observa.  La  macération  était  de  couleur  fauve  et  sa 
surface  se  trouvait  occupée  par  quelques  bulles 
d'acide  carbonique.  Le  microscope  fit  découvrir 
dans  l'eau  une  immense  quantité  de  Vibrions  grani- 
fères  et  de  Vibrions  lisses  ;  puis  beaucoup  de  Mona- 

(1)  Pour  l'instant,  si  l'on  voulait,  on  pourrait  même  supposer 
que  l'eau  est  gorgée  de  germes;  cela  n'entrave  nullement  la  con- 
clusion. 


ÉLIMINATION    DE    L  AIR.  275 

des  crépusculaires  et  de  Baclériums  articulés  (1). 

Mais  quoique  les  résultats  que  nous  venions  d'ob- 
tenir en  répétant  les  expériences  de  MM.  Schwann  et 
Schultze  fussent  absolument  décisifs,  nous  n'en  som- 
mes pas  resté  là,  et  pour  éviter  toutes  les  objections 
subtiles,  nous  avons  exécuté  une  série  d'expériences 
dans  lesquelles  l'air  atmosphérique  a  été  absolument 
banni.  On  voudra  bien,  nous  l'espérons,  dans  ce  cas, 
nous  concéder  qu'un  agent  que  nous  n'employons 
pas  doit  être  parfaitement  vierge  de  tout  soupçon. 

Quoique  mes  nombreuses  expériences  démontrent 
jusqu'à  l'évidence ,  selon  moi ,  que  l'air  atmosphé- 
rique ne  peut  être  et  n'est  pas  le  véhicule  des  germes 
des  Proto-organismes,  j'ai  pensé  que  ce  serait  en  cou- 
ronner heureusement  la  série  et  en  même  temps 
ne  laisser  aucune  prise  à  la  critique,  si  je  parvenais 
à  déterminer  l'évolution  de  quelque  être  organisé , 
en  substituant  de  l'air  artificiel  à  celui  de  l'atmo- 
sphère. 

Les  belles  expériences  de  MM.  Regnault  et  J.  Reiset 
me  semblaient  à  l'avance  indiquer  que  des  animaux  in- 
férieurs pourraient  se  développer  dans  cet  air,  puisque 
des  animaux  vertébrés  y  vivent  bien  (2).  Mes  tenta- 
tives ont  été  couronnées  de  succès.  Dans  de  l'eau  to- 
talement privée  d'air  et  qui  ne  se  trouvait  en  contact 
qu'avec  de  l'air  artificiel  ou  de  l'oxygène  pur,  j'ai  vu 
des  Proto-organismes  variés  se  développer.  De  tels 

{\)  Vibrio  granifer,  Pouchet.  Vibrio  levis,  Pouch.  Monas  cre- 
pusculurriy  Ehrenberg.  Bacierium  articulatum,  Ehr. 

(2)  Regnault  et  Reiset,  Recherches  chimiques  sur  la  respiration 
des  animaux  des  diverses  classes.  Paris,  1849. 


276  HÉTÉROGÉNIE. 

faits  suffiraient  seuls  pour  étayer  solidement  les  opi- 
nions que  nous  professons. 

L'expérience  que  j'ai  tentée  en  employant  l'air 
artificiel,  a  été  faite  en  commun  avec  un  jeune  et 
savant  chimiste,  M.  Houzeau,  dont  le  nom  s'est  déjà 
inscrit  d'une  si  brillante  manière  dans  la  science. 

Expérience  avec  l'air  artificiel.  —  Nous  avons 
pris  un  grand  flacon  de  cinq  litres  de  capacité,  bou- 
chant à  l'émeri.  Ce  flacon  a  été  rempU  d'eau  bouil- 
lante et  immédiatement  on  Ta  hermétiquement  fermé 
et  renversé  sur  une  cuve  à  mercure.  Lorsque  l'eau 
fut  refroidie ,  on  introduisit  dans  ce  flacon  un  mé- 
lange de  gaz  oxygène  et  d'azote,  dans  les  proportions 
voulues  pour  constituer  de  l'air  artificiel  ;  celui-ci 
occupa  les  trois-quarts  de  la  capacité  du  vase.  Enfin  , 
en  prenant  les  plus  grandes  précautions,  on  a  aussi 
introduit  dans  ce  flacon  10  grammes  de  foin  qui  venait 
d'être  exposé  durant  vingt  minutes  dans  une  étuve  à 
la  température  de  100  degrés.  Ce  foin  ayant  été  en- 
levé de  l'étuve  dans  un  flacon  à  large  ouverture, 
bouché  lui-même  dans  l'étuve  et  débouché  seulement 
sous  la  cuve ,  on  l'introduisit  dans  le  flacon.  Ainsi  on 
était  certain  que  si  quelques  parcelles  d'air  étaient 
restées  dans  les  interstices  de  ce  foin,  chauffées  à 
\  00  degrés  ,  efles  ne  pouvaient  receler  aucun  germe 
susceptible  de  se  développer.  Enfin ,  le  flacon  ayant 
été  bouché  sous  le  mercure,  fut  remis  dans  sa  situa- 
tion ordinaire  et  tout  le  contour  de  l'ouverture  ,  pour 
plus  de  précision ,  quoique  le  bouchon  ait  été  enduit 
d'un  corps  gras,  fut  revêtu  d'une  couche  de  vernis  à 
la  copale,  épaissi  avec  du  vermillon. 


ÉLIMINATION   DE    l'aIR.  277 

Le  vase  fut  ensuite  placé  dans  notre  laboratoire, 
près  d'une  fenêtre,  et  observé  chaque  jour  à  l'exté- 
rieur. 

Durant  les  six  premiers  jours,  la  température 
ayant  été  en  moyenne  de  18  degrés,  le  liquide  resta 
jaune  et  limpide. 

Le  huitième,  Teau  commence  à  devenir  nébuleuse; 
l'on  aperçoit  près  de  ses  bords  un  îlot  flottant ,  d'un 
vert  glauque,  ayant  environ  trois  millimètres  de  dia- 
mètre, et  formé  sans  nul  doute,  d'une  végétation 
cryptogamique  due  à  une  agglomération  de  Pénicil- 
lium. 

Le  douzième  jour  la  liqueur  continue  à  être  trouble, 
sans  bulles  à  sa  surface,  et  on  y  découvre,  vers  le  fond 
du  vase,  un  globule  sphérique  de  cinq  millimètres  de 
diamètre,  constitué  très -probablement  par  un  amas 
d'Aspergilhis. 

Le  dix-huitième  jour,  l'eau  est  encore  plus  trouble 
que  précédemment  et  il  apparaît  vers  son  milieu  un 
nouvel  îlot  flottant,  formé  évidemment  de  Pénicillium 
en  fructification. 

Le  vingt-quatrième  jour  le  liquide  présente  à  peu 
près  le  même  aspect  que  précédemment,  seulement  il 
est  plus  trouble  vers  le  fond. 

Enfin,  un  mois  après  le  commencement  de  cette 
expérience,  le  flacon  fut  débouché.  Le  gaz  contenu 
dans  son  intérieur  n'avait  contracte  aucune  mauvaise 
odeur  ;  la  superficie  de  l'eau  n'offrait  aucune  pellicule, 
et  on  y  voyait  flotter  quatre  petits  îlots  de  Pénicillium, 
Danscehquide,  qui  était  jaune  et  trouble,  nageaient 
plusieurs  flocons  d' Aspergillus  de  grosseurs  diverses^ 


278  HÉTÉROGÉNIE. 

et  dont  deux,  composés  de  touffes  serrées  de  ce  cham- 
pignon, offraient  le  volume  et  l'aspect  des  grains  de 
groseille  blanche. 

L'un  des  îlots,  extrait  et  examiné  au  microscope,  est 
formé  d'une  cryptogame  très-touffue,  très-ramifiée,  à 
ramifications  éparses,  appartenant  au  genre  Pénicil- 
lium, C'est  évidemment  le  Pénicillium  glaucum  de 
LinkO). 

Les  flocons  qui  se  rencontrent  immergés  dans  la 
macération,  par  l'aspect  de  leurs  touffes  et  par  la 
structure  de  leurs  mycéliums,  ressemblent  absolument 
à  VAspergillus  que  nous  avons  observé  dans  l'oxygène 
dans  une  expérience  subséquente  ;  mais  comme  ces 
flocons  sont  restés  sous  l'eau  et  n'ont  pas  fructifié,  il  a 
été  impossible  de  déterminer  exactement  à  quelle  es- 
pèce appartenait  la  mucorinée  qui  les  compose. 

On  rencontre  çàet  là  nageant  à  la  surface  de  l'eau, 
des  grains  de  matière  verte,  sphériques,  remplis  de 
granules,  et  offrant  0,01 12  de  millimètre  de  diamètre. 

Malgré  la  température  qui  avait  toujours  été  assez 
basse  pendant  la  durée  de  cette  expérience,  et  en 
moyenne  de  15%  et  malgré  l'influence  défavorable 
que  présentent  toutes  les  expériences  exécutées  à  vais- 
seaux clos,  nous  découvrîmes  un  assez  grand  nombre 
d'animalcules  dans  notre  macération.  Sa  surface  était 
remphe  deProtées  diffluents,  P r oteus diffliiens ^MuW. , 
Amiba  diffluens^  Dujardin.  On  y  voyait  aussi  un 
grand  nombre  de  Trachelius  absolument  analogues  au 
Trachelius  trichophorus  d'Ehrenberg,  jeunes,  et  n'a- 

(1)  Synonymie:  Mucor  aspergillus,  Bulliard;  Monilia  glauca ^ 
Persoon;  Aspergillus  glaucus,  F  ries. 


ÉLIMINATION   DE    l'aIR.  279 

yant  que  0,065  de  aiillimètre  de  longueur  ;  ils  étaient 
extrêmement  agiles,  se  contournant  en  tous  sens  et 
dardant  leur  longue  trompe  de  tous  côtés.  On  y  voyait, 
en  outre,  quelques  Trachelius  globifer,  Ehr.  ;  puis 
quelques  Monas  elongatUy  Duj.,  et  un  grand  nombre 
de  Vibrions  excessivement  fins,  parmi  lesquels  on 
remarquait  surtout  le  Vibrio  lineola,  Mull.,  et  le  Vi- 
brio  riigida,  Mull. 

Ainsi  donc  voici  une  Faune  variée  d'animaux  mi- 
croscopiques et  quelques  champignons,  qui  se  sont 
développés  dans  un  milieu  absolument  privé  d'air 
atmosphérique,  et  où  celui-ci,  par  conséquent,  n'a 
pas  pu  apporter  les  germes. 

Cette  expérience  à  l'aide  de  l'air  artificiel  parle 
avec  une  telle  autorité,  qu'il  semble  désormais  impos- 
sible d'offrir  un  plus  audacieux  démenti  aux  partisans 
de  la  panspermie  aérienne.  Mais  nous  avons  pu  venir 
encore  l'étayer  par  quelques  autres  faits,  et  l'oxygène 
étant  la  partie  essentiellement  vitale  de  l'air,  nous 
avons  pensé  qu'en  l'employant  on  pourrait  peut-être 
voir  quelques  Proto-organismes  apparaître  au  milieu 
de  lui.  Nous  avons  privé  absolument  d'air  une  certaine 
quantité  d'eau,  et  mis  dans  celle-ci  un  corps  putres- 
cible ayant  subi  une  température  élevée,  et  le  flacon 
qui  les  contenait  ayant  été  rempli  d'oxygène,  on  vit 
en  effet  des  végétaux  parfaitement  caractérisés  naître 
dans  ce  gaz!  N'est-ce  pas  là  encore  une  palpable 
preuve  en  faveur  de  notre  opinion  ?  Voici  les  détails 
de  cette  expérience  répétée  par  nous  deux  fois  avec 
des  résultats  analogues. 

Expérience  avec  l'oxygène.   —  Un  flacon    d'un 


280  HÉTÉROGÉNIE. 

litre  de  capacité  fut  rempli  d'eau  bouillante  et  bouché 
hermétiquement  avec  la  plus  grande  précaution,  et 
immédiatement  on  le  renversa  sur  une  cuve  à  mer- 
cure. Lorsque  l'eau  fut  totalement  refroidie,  on  le  dé- 
boucha sous  le  métal,  et  on  y  introduisit  un  demi-litre 
de  gaz  oxygène  pur.  Aussitôt  après,  on  y  mit,  sous  le 
mercure,  une  petite  botte  de  foin  pesant  dix  grammes, 
qui  venait  d'être  enlevée,  dans  un  flacon  bouché,  à 
une  étuve  chauffée  à  J  00%  et  où  elle  était  restée  trente 
minutes.  Le  flacon  fut  enfin  fermé  hermétiquement  à 
l'aide  de  son  bouchon  rodé  à  l'émeri  ;  et  pour  surcroît 
de  précaution,  lorsqu'on  l'eut  enlevé  de  la  cuve,  on 
mit  une  couche  de  vernis  gras  et  de  vermillon  tout 
autour  de  son  ouverture. 

Huit  jours  après,  la  macération  était  d'une  couleur 
fauve,  sans  pellicule  apparente  à  sa  surface,  au  moins 
à  l'œil  nu,  mais  le  foin  submergé  offrait  sur  quelques- 
uns  des  brins  qui  hérissaient  sa  petite  masse,  des 
globules  d'un  blanc  jaunâtre,  de  la  grosseur  d'un 
grain  de  groseille  blanche,  auquel  de  loin  ils  ressem- 
blaient parfaitement.  Ces  globules,  au  nombre  de 
huit  à  dix,  mais  dont  quelques-uns  étaient  très-petits 
et  libres  dans  la  liqueur,  paraissaient  évidemment 
formés  de  filaments  de  Mucorinées  implantés  en  un 
même  endroit,  et  de  là  s' irradiant  en  touffes  serrées. 
Le  microscope  le  démontra. 

Le  dixième  jour,  le  flacon,  ayant  été  ouvert,  on  exa- 
mina son  contenu.  Il  n'v  avait  eu  entre  l'extérieur  et 
l'atmosphère  aucun  échange.  Le  gaz  oxygène  qu'il  con- 
tenait paraissait  encore  absolument  pur;  et  les  corps  en 
ignition  qu'on  y  plongeait  activaient  leur  combustion. 


ÉLIMINATION    DE   l'aIR.  28 i 

On  reconnut  alors  que  les  gros  flocons  blanchâtres, 
qu'on  discernait  à  travers  les  parois  du  vase  et  qui 
étaient  immergés  dans  l'eau,  étaient  évidemment  for- 
més par  une  espèce  de  champignon  à  mycélium  très- 
touffu  et  tassé.  Les  filaments  de  celui-ci  étaient 
cylindriques ,  articulés,  et  leurs  articulations  plus 
rapprochées  vers  leur  base  qu'à  leur  sommet  ;  des  gra- 
nulations fines  en  remplissaient  les  intervalles  ;  et 
celles-ci,  nombreuses  vers  l'origine  des  filaments,  le 
devenaient  de  moins  en  moins  vers  leurs  extrémités. 

Les  sporanges  sont  parfaitement  sphériques,  lisses, 
d'une  couleur  brune  et  d'un  diamètre  de  0,0700  de 
millimètre  ;  ils  sont  enveloppés  extérieurement  d'une 
fine  membrane  transparente  qui  recouvre  les  spores. 

Le  réceptacle  dépouillé  de  ceux-ci,  est  sphérique  et 
d'un  diamètre  de  0,0280  de  millimètre.  Sa  surface 
est  finement  marquée  de  points  indiquant  l'implan- 
tation des  spores.  Ceux-ci  sont  ovoïdes  et  implantés 
tout  autour  du  réceptacle  ;  le  plus  long  diamètre  de 
ces  spores  varie  de  0,0056  à  0,0084  de  millimètre  et 
leur  plus  court  de  0,0028  à  0,0050. 

Cette  plante,  que  je  pris  pour  un  Aspercjilhis,  ne 
me  paraissant  point  avoir  été  décrite,  afin  de  m'éclai- 
rer  à  ce  sujet,  je  me  suis  adressé  à  M.  Montagne,  dont 
l'autorité  en  semblable  matière  a  une  si  haute  valeur. 
Il  a  pensé  aussi  que  c'était  une  espèce  nouvelle,  et  il 
lui  a  plu  de  lui  imposer  le  norn  d' Aspergillus  Poii- 
chetii{i).  J'ai  respecté  sa  décision. 

Comme  durant  ces  derniers  temps,  plusieurs  sa- 

(1)  Montagne,  Plantes  cellulaires  nouvelles ,  exotiques  et  indi- 
gènes. Paris,  1859,  8'  centurie,  9«  décade. 


282  HÉTÉRO  GÉNIE. 

vants  ont  prétendu  que  les  spores  de  quelques  crypto- 
games ne  perdaient  leur  faculté  de  germer  qu'à  une 
température  au-dessus  de  100  degrés,  j'ai  dû,  pour 
donner  à  l'expérience  dont  il  vient  d'être  question 
toute  l'authenlicité  possible,  m'assurer  s'il  n'en  serait 
pas  ainsi  à  l'égard  des  végétaux  qui  s'étaient  produits 
durant  celle-ci. 

Bulliard  ayant  déjà  reconnu  que  des  séminules 
de  quelques  petits  champignons,  et  en  particulier 
celles  du  Mucor  sphœrocephalus,  perdaient  leur  fa- 
culté germinalive  après  une  courte  immersion  dans 
l'eau  bouillante,  je  pensai,  par  analogie,  qu'il  devait 
en  être  de  même  pour  le  champignon  qui  s'était  déve- 
loppé durant  mon  expérience. 

Ayant  pris  des  spores  du  Pénicillium  glaiicunif 
Link,  je  reconnus  qu'ils  étaient  parfaitement  sphé- 
riques  et  offraient  un  diamètre  de  0,0028  à  0,0042 
de  millimètre.  Je  les  plaçai  dans  un  petit  tube  avec 
environ  deux  centimètres  cubes  d'eau,  et  celle-ci,  à 
l'aide  d'une  lampe  à  esprit-de-vin,  fut  entretenue  en 
ébullition  pendant  un  quart  d'heure.  Au  bout  de  ce 
temps,  on  put  constater,  à  l'aide  du  microscope,  que 
les  spores  de  ce  Pénicillium  étaient  déformés;  ils 
avaient  perdu  un  peu  de  leur  sphéricité,  et  leur  vo- 
lume était  presque  doublé;  ils  offraient  alors  un  dia- 
mètre variant  de  0,0050  à  0,0055  de  millimètre. 

On  rencontrait  aussi  dans  la  liqueur  des  espèces 
de  granules  aplatis,  du  diamètre  de  0,0028  à  0,0030, 
qui  semblaient  n'être  que  des  débris  du  test  de  quel- 
ques séminules  de  ce  Pénicillium,  dont  la  substance 
intérieure  avait  été  enlevée  par  le  fait  de  Fébullition. 


ÉLIMINATION   DE   l'aIR.  283 

L'action  de  l'eau  en  ébuUition  a  paru  affecter  en- 
core bien  plus  profondément  les  spores  d'un  Asper- 
gilliis.  Ces  séminules,  plus  volumineuses  que  les  pré- 
cédentes, et  dont  par  conséquent  on  pouvait  mieux 
suivre  les  altérations,  étaient  ovoïdes  et  offraient  un 
diamètre  de  0,0092  de  millimètre  de  longueur  sur 
0,0054  de  largeur. 

Exposées  dans  l'eau  à  la  température  de  98°  pen- 
dant un  quart  d'heure,  leur  configuration  s'y  altéra 
sensiblement;  elles  se  gonflèrent  et  devinrent  diversi- 
formes  en  prenant  un  aspect  granuleux  à  l'intérieur. 
Enfin,  lorsque  l'eau  dans  laquelle  se  trouvaient  ces 
spores  d'Aspergillus  eut  subi  une  ébuUition  d'un 
quart  d'heure  de  durée,  ils  disparurent  complète- 
ment et  l'on  n'en  retrouva  plus  que  des  débris. 

Ces  recherches  microscopiques  confirment  donc  les 
observations  de  BuUiard  et  viennent  démontrer  que, 
le  cas  échéant  où  notre  liquide  ou  le  corps  putres- 
cible que  nous  avons  employé,  aurait  contenu  quel- 
ques spores  de  la  végétation  cryptogamique  recueillis 
dans  notre  appareil,  la  faculté  germinative  de  ces 
séminules  eût  été  anéantie  par  le  procédé  expéri- 
mental. 

Cette  expérience  vient  donc  mettre  hors  de  doute 
que  ce  n'est  pas  l'air  qui  est  le  dépositaire  des  germes, 
puisque  nous  voyons  un  végétal  naître  dans  un  milieu 
dont  l'air,  absolument  banni,-  a  été  remplacé  par  de 
l'oxygène.  Il  faut  donc  bien  que  les  Proto-organismes 
se  forment  de  toutes  pièces  dans  les  milieux  qui  les 
recèlent. 

Dans  cette  expérience,   le  liquide,   examiné  très- 


284  HETEROGENIE. 

attentivement,  ne  nous  a  paru  contenir  aucun  ani- 
malcule. 

EXPÉRIENCES   EXÉCUTÉES  A  l'aIR   LIBRE. 

Quoique  les  expériences  à  vaisseaux  clos  déposent 
d'une  manière  accablante  contre  l'hypothèse  de  la 
dissémination  aérienne  et  la  renversent  sans  retour, 
cependant,  nous  avons  voulu  encore  joindre  ici  une 
surabondance  d'essais  tentés  en  pleine  atmosphère. 
Notre  intention  est  de  prouver,  par  là,  qu'il  n'est  pas 
utile  d'avoir  recours  à  tant  et  tant  de  précautions  pour 
faire  luire  la  plus  vive  lumière. 

Si,  comme  le  veulent  nos  adversaires,  l'atmo- 
sphère est  réellement  le  disséminateur  universel  des 
germes  organiques,  on  doit  en  déduire  rationnelle- 
ment que  plus  la  masse  d'air  en  contact  avec  un  corps 
donné  sera  considérable,  plus  aussi  la  fécondité  de  ce 
dernier  s'étendra  numériquement.  Mais  rien  de  cela 
n'a  lieu,  parce  que  l'idée,  que  l'atmosphère  charrie 
merveilleusement  les  futures  générations  des  Proto- 
organismes,  n'est  qu'une  fiction. 

Dans  plus  de  cent  expériences,  je  me  suis  con- 
vaincu que  le  nombre  des  animalcules  n'était  pas  plus 
grand  dans  des  vases  qui  étaient  labourés  par  une 
puissante  nappe  d'air  que  dans  ceux  qui  ne  se  trou- 
vaient en  contact  qu'avec  quelques  centimètres  cubes 
de  ce  gaz.  Mais  comme  je  conçus  fort  bien  que  les 
personnes  prévenues  contre  les  doctrines  que  nous 
défendons,  prétendraient  qu'on  n'avait  peut-être  pas 
opéré  en  opposant  des  facteurs  assez  extrêmes  pour 
bien  apprécier  le  résultat  différentiel,  j'ai  conçu,  à  ce 


ELIMINATION    DE    L  AIR.  285 

sujet,  d'exécuter  des  expériences  sur  une  immense 
échelle,  et  elles  ont  toutes  déposé  de  la  plus  éner- 
gique manière  en  faveur  de  mes  prévisions.  C'est  là, 
comme  on  le  voit,  une  démonstration  d'une  précision 
mathématique.  Voici  nos  principales  tentatives  dans 
cette  direction. 

Expérience.  —  Dans  une  grande  coupe  en  cristal, 
je  plaçai  cinq  cents  grammes  d'une  décoction  de  foin 
qui  avait  bouiUi  une  heure,  afin  d'être  bien  certain 
que  l'eau  et  la  substance  végétale  avaient  été  radicale- 
ment purgées  de  tout  germe  d'animalcule.  Une  pomme 
d'arrosoir  plane,  dont  le  diamètre  égalait  presque 
celui  de  la  coupe,  et  dont  les  trous  étaient  tournés 
vers  l'eau,  avait  été  suspendue  à  cinq  centimètres  au- 
dessus  de  celle-ci,  afin  que  le  courant  d'air  n'en  trou- 
blât pas  la  superficie,  quand  on  l'établirait,  et  qu'il  ne 
suscitât  aucune  perturbation  dans  le  développement 
des  organismes.  Cette  pomme  d'arrosoir,  par  un  tube 
en  caoutchouc,  communiquait  à  l'extérieur  et  recevait 
de  l'air  à  l'aide  d'une  pompe.  Enfin,  l'appareil  fut 
couvert  d'une  cloche  de  verre  de  dix  litres  de  capa- 
cité, dont  la  base  plongeait  dans  l'eau. 

Un  critérium  était  placé  à  côté  de  l'appareil  pré- 
cédent :  la  cloche,  le  vase  et  la  décoction  étaient  les 
mêmes,  seulement  il  n'existait  aucune  communication 
entre  l'intérieur  de  la  cloche  et  l'atmosphère. 

Pendant  trois  jours  entiers,  à  l'aide  d'une  pompe 
dont  le  rendement  avait  été  calculé,  un  homme 
fut  occupé  à  injecter  de  l'air  dans  l'appareil.  On  en  fit 
passer  10,000  htres.  Dix  jours  après,  la  température 
ayant  été  en  moyenne  de  21° cent.,  les  deux  appareils 


286  HETEROGENÏE. 

furent  l'objet  d'un  examen  attentif.  Dans  l'un  comme 
dans  l'autre ,  on  reconnut  qu'il  existait  absolument 
la  même  population  animée,  et  qu'elle  s'y  trouvait 
aussi  en  nombre  absolument  égal. 

Comment,  en  présence  de  cette  expérience,  ad- 
mettre encore  cette  espèce  de  panspermie  à  laquelle 
on  veut  nous  faire  revenir  ?  Si  réellement  l'air  était 
le  véhicule  absolu  des  germes  des  Microzoaires,  il  est 
évident  que,  comme  la  surface  de  l'une  de  nos  décoc- 
tions a  été  labourée  par  1 ,000  fois  plus  de  ce  véhicule 
que  l'autre,  nous  eussions  dû  rencontrer  dans  cette  dé- 
coction 1,000  fois  plus  d'animaux  que  dans  l'autre  ; 
et  rien  de  cela  n'avait  lieu.  D'un  autre  côté  aussi, 
comme  d'après  l'hypothèse  que  nous  nous  efforçons 
d'élucider,  plus  le  volume  d'air  est  étendu  et  plus 
aussi  il  doit  disséminer  d'espèces  différentes,  nous 
devrions  trouver  plus  de  sortes  d'animalcules  dans 
l'appareil  qui  reçut  le  plus  d'air  ;  malgré  cela,  tout  était 
absolument  identique  dans  l'un  et  dans  l'autre  vase. 

Nous  devons  même  dire  que  dans  les  deux  vases 
la  population  animée  était  fort  peu  abondante,  ce  qui 
tient  à  ce  que  l'on  avait  employé  une  décoction  afin 
d'obtenir  un  résultat  plus  rigoureux.  On  ne  rencon- 
trait dans  l'un  comme  dans  l'autre,  que  des  amas 
de  Vibrions  granifères,  de  Vibrions  lisses,  de  Bacté- 
riums  articulés  et  quelques  tigelles  de  mucorinées 
articulées  et  ramifiées. 

Expérience.  —  A  une  autre  époque  j'ai  recom- 
mencé l'expérience  précédente,  non  plus  avec  une  dé- 
coction, mais  avec  une  macération  de  dix  grammes 
de  foin  haché  excessivement  fin,  réduit  presque  en 


ÉLIMINATION    DE    L  AIR.  287 

poussière,  et  mêlé  avec  le  plus  extrême  soin,  afin  que 
ses  éléments  organiques  se  trouvassent  également  dis- 
séminés dans  sa  masse.  Cinq  grammes  .de  ce  foin 
furent  mis  dans  cinq  cents  grammes  d'eau  distillée  et 
placés  sous  l'appareil  d'injection  à  air.  Les  cinq 
autres  grammes  furent  mis  dans  cinq  cents  grammes 
d'eau  distillée  et  isolés  sous  la  cloche  de  dix  litres  de 
capacité. 

Durant  toute  la  première  journée  on  ne  cessa  de 
projeter  de  l'air  sur  le  premier  vase  à  l'aide  de  la 
pompe.  Après  on  cessa.  Le  quatrième  jour  une  tem- 
pérature de  24*"  en  moyenne  ayant  régné,  les  deux 
appareils  furent  examinés  attentivement,  à  la  superficie 
et  au  fond.  Ils  possédaient  tous  les  deux  une  pelli- 
cule de  la  même  épaisseur  et  tous  les  deux  étaient 
animés  par  la  même  population  zoologique.  L'un  et 
l'autre  contenaient  un  nombre  prodigieux  de  Vibiio 
granifer,  Poucli.,  et  de  Vibrio  levis,  Pouch.,  nageant 
au  milieu  d'une  atmosphère  de  petits  Vibrio  rugula, 
Duj.,  de  Monas  termo,  Mull.,  et  de  Paramécies  vertes. 

Expérience.  —  Quoique  les  expériences  qui  précè- 
dent aient  été  entreprises  sur  d'assez  larges  bases 
pour  qu'on  ne  puisse  en  contester  la  valeur,  j'ai  ce- 
pendant conçu  le  projet  de  les  répéter  sur  une  échelle 
colossale,  afin  de  paralyser  toute  espèce  d'objection. 
J'employai  à  cet  effet  une  machine  à  vapeur  de  la 
force  de  huit  chevaux,  et  dont  le  puissant  ventilateur, 
à  l'aide  de  ses  1,500  tours  par  minute,  en  moins  de 
si\  heures  remplirait  d'air  toute  la  vaste  nef  de  Notre- 
Dame  de  Paris.  Dans  des  bocaux  d'un  litre  et  de 
deux  litres  de  contenance,  on  prépara,  dans  mon  la- 


288  HETEROGENIE. 

boratoire,  diverses  macérations.  On  y  employa  du 
foin,  des  marguerites  de  la  Chine,  Aster  chinensis. 
Lin.,  du  stramoine,  Datura  stramonium,  Lin.,  et  de 
la  canne  de  Provence,  Arundo  donax,  Lin.  Les  bo- 
caux furent  ensuite  placés  par  gradins  dans  le  large 
conduit  que  l'air  parcourt  pour  se  rendre  à  un  haut- 
fourneau,  et  le  ventilateur  fut  mis  en  marche  avec 
une  vitesse  modérée,  afin  d'empêcher  que  la  vio- 
lence du  courant  ne  renversât  les  vases,  et  de  per- 
mettre aux  germes  organiques  de  s'arrêter  plus  facile- 
ment à  la  surface  des  liquides  qu'on  avait,  dans  ce  but, 
hérissée  d'aspérités,  en  faisant  saillir  de  place  en 
place  quelques  tiges  des  végétaux  en  macération.  La 
vitesse  du  ventilateur  fut  réduite,  à  cet  effet,  à  cinq 
cents  tours  par  minute.  Les  bocaux  restèrent 
exposés  à  son  courant  pendant  deux  heures,  et  Ton 
calcula  que,  durant  ce  temps,  un  volume  de  six 
millions  de  litres  d'air  les  avait  frappés. 

Après  ce  temps,  ces  bocaux  furent  rapportés  au 
laboratoire  et  placés  près  de  leurs  critériums,  conte- 
nant les  mêmes  macérations,  dans  des  vases  absolu- 
ment semblables,  mais  que  l'on  avait  placés  sous  des 
cloches  contenant  un  litre  d'air,  et  dont  le  pied 
était  baigné  d'eau,  afin  d'empêcher  toute  communi- 
cation avec  l'extérieur  et  de  laisser  les  vases  en  con- 
tact avec  une  atmosphère  d'un  volume  déterminé. 
Toutes  ces  expériences  furent  laissées  ainsi  pendant 
cinq  jours  sous  l'influence  d'une  température  moyenne 
de  15°  et  d'une  pression  de  0,75. 

Il  est  évident  que  si  l'air  est  le  réceptacle  des  ger- 
mes et  que  si  c'est  lui  qui  les  disperse,  les  vases  qui 


ELIMINATION    DE    L  AIR.  289 

ont  été  labourés  par  six  millions  de  mètres  cubes  de 
ce  fluide  doivent  contenir  six  millions  de  fois  plus 
d'animalcules  que  ceux  qui  n'ont  été  en  contact  qu'a- 
vec une  atmosphère  d'un  litre  d'air  :  Texpérience 
prouva,  au  contraire,  qu'il  y  avait  autant  d'animal- 
cules dans  les  uns  que  dans  les  autres.  Il  nous 
semble  qu'un  fait  semblable  suffit  seul  pour  constater 
que  l'hétérogénie,  dans  cette  circonstance,  est  l'u- 
nique source  de  toute  vitalité. 

Yoici  l'analyse  comparative  des  vases  exposés  au 
ventilateur  avec  celle  de  leurs  critériums. 

Le  vase  qui  contenait  du  foin  et  que  l'on  avait  ex- 
posé au  puissant  courant  d'air  du  ventilateur,  était 
peuplé  d'une  immense  quantité  de  Monas  lens.  Mull. 
et  de  Kolpodes  d'une  espèce  particulière.  On  y  voyait 
en  outre  beaucoup  de  Vibrions  divers,  mais  aucun 
Monas  crepusculum .  Le  critérium  qui  avait  été  placé 
sous  une  cloche  offrait  exactement  les  mêmes  ani- 
mauxj  et  ceux-ci  y  étaient  en  même  nombre.  Si 
môme  l'une  des  deux  macérations  offrait  quelque 
prééminence  sous  ce  rapport,  c'était  plutôt  la  der- 
nière, par  des  raisons  que  nous  avons  déjà  appré- 
ciées :  la  température  un  peu  plus  élevée  sous  la 
cloche  qu'à  l'air  libre  du  laboratoire. 

Le  vase  qui  contenait  des  tiges  d'Aster  de  la  Chine  et 
qu'on  avait  soumis  au  ventilateur,  était  rempli  d'une 
espèce  particulière  de  Kolpodes  non  décrite,  très-dis- 
tincte du  Kolpoda  cuculhis.  Mull.,  et  d'une  taille 
remarquable,  car  elle  n'avait  pas  moins  de  0,06  à 
0,09  de  millimètre  de  longueur.  On  y  voyait,  en 
outre,  beaucoup  de  Glaucoma  scintillans,  Mull.,  ainsi 

POUCHET.  1 9 


290  HETEROGENIE. 

que  des  Monas  lens,  Duj.  et  des  Paramécies  vertes; 
mais  on  n'y  rencontrait  aucune  Monade  crépusculaire. 
Le  critérium  possédait  absolument  la  même  popula- 
tion pour  la  nature  des  espèces  et  pour  le  nombre. 

La  macération  de  Datura,  soumise  à  l'action  du 
ventilateur,  était  habitée  par  une  couche  épaisse  et 
extrêmement  tassée  de  Monas  crepuscidum,  Ehr.  et 
par  quelques  Paramécies  vertes;  mais  on  n'y  rencon- 
trait certainement  aucun  Kolpode,  aucun  Glaucome. 
Le  critérium  conservé  abrité  sous  une  cloche,  offrait 
la  même  faune,  et  le  nombre  de  ses  habitants  parais- 
sait absolument  semblable  aussi  à  celui  de  la  macé- 
ration soumise  au  ventilateur,  si  même  il  ne  le  dépas- 
sait un  peu. 

Enlin,  le  vase  rempli  de  Canne  de  Provence  et  sou- 
mis à  l'action  du  ventilateur  nourrissait  quelques  lé- 
gions, mais  peu  nombreuses,  de  Glaiicoma  scinlillans, 
Duj.  On  y  rencontrait  un  nombre  énorme  de  Monas 
lens,  Mull.  Il  y  avait  aussi  à  la  surface  de  l'eau  une 
pellicule  renfermant  des  amas  serrés  de  Bacterium 
arlîculatum.  Ehr.,  mais  tout  à  fait  morts.  On  n'y 
voyait  point  de  Monade  crépusculaire.  Le  critérium 
abrité  présentait  tout  à  fait  la  même  population  et 
pour  les  espèces  et  pour  le  nombre.  Tel  est  l'exposé 
de  cette  expérience  qui,  seule,  nous  semble  parler 
plus  éloquemment  que  tous  les  commentaires  pos- 
sibles. 

Les  expériences  qui  précèdent  parlent,  nous  le  pen- 
sons, avec  une  irrécusable  autorité;  nous  pourrions 
donc  nous  arrêter  ici.  Cependant  nous  allons  encore 
les  escorter  d'un  assez  bon  nombre  de  faits,  qui^  in- 


ELIMINATION    DE    L  AIR.  291 

terprétés,  en  suivant  les  préceptes  de  M.  Whewel,  à 
l'aide  d'une  discussion  approfondie,  viendront  jeter  de 
nouvelles  clartés  sur  ce  sujet  (1). 

Partant  de  cette  pensée,  que  si  c'était  l'air  qui  dé- 
posât réellement  les  germes  des  Proto-organismes, 
celui-ci  devrait  successivement  s'en  épurer  à  mesure 
qu'il  traverse  des  milieux  propices,  j'ai  entrepris  une 
série  d'expériences  pour  constater  ce  fait.  Je  me  suis 
servi  ,  à  cet  effet ,  d'un  long  appareil  de  Woulff ^ 
composé  de  huit  flacons,  dans  lesquels  je  mettais  de 
l'eau  ou  des  décoctions  variées.  De  l'air  projeté  dans 
cet  appareil  en  le  traversant  d'un  bout  à  l'autre,  s'il 
est  réellement  le  véhicule  des  germes,  devrait  succes- 
sivement les  abandonner  dans  les  premiers  flacons,  de 
manière  à  en  être  totalement  privé  ou  à  n'en  posséder 
qu'un  bien  moindre  nombre  en  arrivant  aux  der- 
niers. Et  conséquemment,  les  premiers  devraient  être 
d'une  grande  fécondité,  et  les  derniers  absolument 
stériles  ou  bien  peu  peuplés.  Rien  de  tout  cela  n'a  lieu  : 
la  génération  zoologique  est  aussi  abondante  par  tout 
l'appareil.  Voici  les  résultats  précis  de  quelquesrunes 
des  expériences  que  j'ai  exécutées  dans  cette  di- 
rection. 

Expérience.  —  Un  appareil  de  Woulff  de  huit  fla- 
cons fut  disposé  sur  une  même  table,  et  l'on  en  sup- 
prima seulement  les  tubes  de  sûreté.  Chaque  tube 
sortant  d'un  flacon  plongeait  au  fond  du  liquide  con- 
tenu dans  le  flacon  suivant.  Une  forte  décoction  de 
foin,  qui  avait  bouilli  une  heure  et  que  l'on  avait  pas- 

(1)  W.  Whewel,  The  philosophy  of  the  inductive  sciences.  Lon- 
don,  1847,  t.  I,  p.  548. 


292  •  HËTÉROGÉNIE. 

sée  au  filtre,  fut  introduite  bouillante  dans  tout  l'ap- 
pareil. Chaque  flacon  en  était  rempli  aux  trois  quarts. 
Quoique  l'air  renfermé  dans  les  flacons  se  trouvât  lui- 
même  presque  porté  à  la  température  de  l'eau  bouil- 
lante, cependant  pour  bien  s'assurer  qu'il  ne  pouvait 
rester  dans  l'appareil  aucun  germe  qui  n'eût  subi  cette 
température,  on  fit  passer  un  courant  de  vapeur  pen- 
dant un  quart  d'heure  à  travers  toute  la  série  des 
flacons. 

Au  bout  de  quinze  jours,  la  température  ayant  été, 
en  moyenne,  de  18",  on  déluta  l'appareil  et  il  fut 
exploré.  Voici  ce  qui  fut  observé  :  chacun  des  flacons 
présentait  à  sa  surface  une  couche  serrée  d'une  petite 
espèce  de  Kolpode,  très-agile,  passant  comme  un  trait 
dans  le  champ  du  microscope,  et  qui  ne  me  pa- 
raît pas  encore  avoir  été  décrite.  Ce  Microzoaire  était 
réparti  avec  la  même  abondance  dans  chaque  vase. 

Ainsi  donc,  dans  cette  expérience,  l'air  qu'on  sup- 
pose chargé  de  Microzoaires ,  et  qui  les  dépose  si 
facilement  dans  l'eau,  arrive  cependant  jusqu'au  der- 
nier flacon  de  l'appareil  sans  avoir  perdu  une  par- 
celle de  sa  fécondité,  puisque  ce  flacon  est  tout  aussi 
riche  en  animalcules  que  les  premiers Est-ce  ra- 
tionnel? je  le  demande. 

Expérience.  —  Les  premières  expériences  que  je 
fis  à  l'aide  de  mon  appareil  à  huit  flacons  et  à  courant 
d'air,  furent  tentées  d'abord  dans  toute  la  simplicité 
possible,  et  lorsque  les  résultats  en  furent  parfaite- 
ment constatés,  et  que,  par  la  multiplicité  des  preu- 
ves, il  devint  impossible  de  les  contester,  je  m'ap- 
pliquai à  multiplier  les  obstacles  sur  le  trajet  déjà  si 


ELIMINATION    DE    L  AIR.  293 

complexe  de  l'air  mis  en  circulation.  Tantôt  j'occupai 
tout  le  fond  de  mes  bocaux  par  des  fragments  de 
verre  de  bouteille,  grossièrement  brisés,  afin  que  l'air 
poussé  à  l'aide  du  soufQet,  se  divisât  au  milieu  d'eux 
en  très-petits  globules,  et  pût  abandonner  plus  fa- 
cilement les  œufs  des  Protozoaires,  s'il  en  contenait. 
Dans  d'autres  expériences,  j'ai  garni  la  surface  de 
l'eau  d'une  multitude  de  fragments  de  liège  pour 
arrêter  ces  mêmes  œufs  ;  quatre  flacons  étaient  remplis 
par  celui-ci,  quatre  autres  contenaient  des  décoctions. 
Dans  d'autres  appareils,  quatre  flacons  étaient  remplis 
de  sable  grossier.  Enfin,  dans  le  but  de  multiplier  en- 
core les  obstacles,  j'ai  parfois  rempli  le  fond  de  quatre 
de  mes  flacons  de  fragments  de  verre,  tandis  qu'à  la 
surface  de  l'eau  de  ceux-ci  nageaient  des  fragments 
de  liège. 

Eh  bien!  dans  tous  ces  cas,  malgré  tant  et  tant 
d'obstacles  qui  auraient  dû  arrêter  complètement,  ou 
au  moins  en  grande  partie,  les  œufs  en  suspension 
dans  l'atmosphère,  dans  tous  ces  cas,  dis-je,  pendant 
des  expériences  qui  se  sont  renouvelées  sans  relâche 
durant  deux  années  entières,  c'est-à-dire  qui  ont  été 
tentées  sur  une  immense  échelle,  toujours  nous  avons 
vu  que  les  animalcules  étaient  normalement  aussi 
nombreux  dans  tous  les  flacons,  dans  le  premier 
comme  dans  le  dernier. 

Si  les  œufs  des  infusoires  étalent  réellement  dissé- 
minés dans  l'air  atmosphérique,  j'espère  que  personne 
ne  se  refusera  de  convenir  que  des  résultats  absolu- 
ment opposés  à  ceux  que  nous  avons  obtenus  auraient 
dû  se  produire  dans  nos  expériences. 


294  HÉTÉROGÉNIE. 

Expérience.  —  Une  macération  de  sommités  de 
luzerne  fut  exposée  durant  quinze  jours  dans  un  appa- 
reil deWoulff,  composé  de  huit  flacons.  Pendant  tout 
ce  temps,  on  y  injecta,  chaque  jour,  une  dizaine  de 
h  très  d'air  atmospliérique,  et  la  température  moyenne 
fut  de  23°.  Quand  on  déluta  l'appareil,  il  offrit  une 
faune  aussi  inattendue  qu'inexplicable,  en  suivant  les 
errements  des  partisans  de  la  panspermie.  En  effet,  le 
même  courant  d'air  ayant  traversé  les  vases,  si  réelle- 
ment les  œufs  flottants  des  Microzoaires  parvenaient, 
comme  ils  le  prétendent,  si  facilement  dans  les  ma- 
tras  que  nous  prenons  cependant  tant  de  soin  d'isoler, 
toutes  les  pièces  de  notre  appareil,  à  plus  forte  raison, 
auraient  dû  se  peupler  d'une  progéniture  analogue;  et 
tout  le  contraire  a  eu  lieu. 

Le  premier  flacon  était  peuplé  d'une  espèce  de 
Conferve  verte,  articulée,  qui  y  était  fort  abondante  ; 
puis  d'une  énorme  quantité  de  Navicules,  Navicula 
obtiisa,  Turp.,  parfaitement  en  mouvement.  Rien 
autre  chose  ne  s'y  rencontrait. 

Le  second  ne  renfermait  que  des  Dileptes  feuilles, 
Dileptiis  folmm^Bu],  (1),  qui  y  étaient  en  extrême 
abondance  et  s'y  agitaient  au  milieu  d'ilôts  de  matière 
verte.  D'endroit  en  endroit,  mais  rarement,  on  obser- 
vait un  Trachèle  fouet,  Trachelius  trichophoriis, 
Ehr.(2). 

Le  troisième  bocal  ne  contenait  que  de  fort  petits 
animalcules  et    quelques  Rotifères  ;    puis   quelques 

(1)  DujARDiN,  Infusoires,^.  409,  pi.  II,  fig.  6.  Ce  netait  peut-être 
qu'une  espèce  voisine,  qu'on  ne  peut  rapprocher  d'aucune  autre. 

(2)  EhrenberGj //î/i<so?res,  pi.  XXXIII,  fig.  11. 


ÉLIMINATION   DE    l'aIR.  295 

Confei'ves  différentes  de  celles   du   premier  flacon. 

Le  quatrième  flacon  n'était  rempli  que  d'une  Con- 
ferve  de  la  même  espèce  que  celle  du  premier  vase 
et  de  beaucoup  de  Kolpoda  cucullus,  Mull.,  adultes,  et 
dont  les  estomacs,  chez  quelques-uns,  étaient  gorgés 
de  matière  verte. 

Le  cinquième  n'offrait  qu'une  abondance  de  Yor- 
iicelles  communes,  d'Épistylis  et  de  Glaucomes,  et 
rien  de  tout  ce  qui  se  rencontrait  dans  les  pièces  pré- 
cédentes de  l'appareil. 

Le  sixième  flacon  n'est  absolument  rempli  que  de 
globules  de  matière  verte,  GîobuUna  botryoides,  Turp., 
simples  et  doués  de  mouvements  très-rapides,  ou  en- 
kystés deux  à  deux,  trois  à  trois,  quatre  à  quatre  et  im- 
mobiles; puis,  en  outre,  d'une  abondance  extrême  de 
Trachèles  fouets,  Trachelius  trichophorus,  Ehr.  (2). 

Le  septième  flacon  est  rempli  d'une  immense  quan- 
tité à'Enchelys  corrugata,  Duj.,  et  de  matière  verte  à 
granules  simples.  Puis  de  Kystes  qui  donneront  pro- 
bablement naissance  à  des  animalcules  semblables  à 
ceux  du  sixième  flacon.  Mais  on  n'en  rencontre  pas 
d'adultes.  Pas  de  Conferves,  pas  de  Yorticelles. 

Il  est  évident  que  pour  ceux  qui  admettent  que  le 
véhicule  des  œufs  leur  donne  un  si  facile  accès  par- 
tout, cette  progéniture  insaisissable  a  dû  circuler 
amplement  dans  notre  appareil,  avec  le  grand  volume 
d'air  qui  le  traversait  chaque  jour.  Ils  pourraient  pré- 
tendre rationnellement  qu'il  y  eût  une  différence  no- 

(1)  TuRPiN ,  Dictionnaire  des  sciences  naturelles.  Végétaux  mi- 
croscopiques, pi.  IV,  fig.  1. 

(2)  Ehrenbebg,  Infusoires,  pi.  XXXllI,  fig.  H. 


296  HÉTÉROGÉNIE. 

table,  et  même  fort  notable,  dans  le  nombre  d'animal- 
cules qu'offriraient  les  premiers  et  les  derniers  flacons; 
et  que  l'avantage  devrait  toujours  être  au  profit  des  pre- 
miers. Mais  dans  l'hypothèse  de  la  dissémination  des 
œufs  on  ne  peut  pas  admettre  qu'une  espèce  puisse 
traverser  les  premiers  flacons  sans  s'y  arrêter  le  moins 
du  monde,  pour  n'aller  féconder  que  les  derniers  ;  on 
ne  peut  pas  admettre  que  la  population  animée  des  di- 
verses pièces  de  l'appareil  de  Woulff,  puisse  être  ab- 
solument différente,  comme  si  chaque  flacon  la  choi- 
sissait au  passage.  Eh  bien!  c'est  cependant  tout  cela 
qui  a  eu  lieu  dans  notre  expérience. 

Ainsi,  le  premier  flacon  nous  offre  des  Navicules  et 
l'on  n'en  rencontre  plus  une  seule  dans  tous  les  au- 
tres. Le  second  est  rempli  de  Dileptes  feuilles,  dont  pas 
un  ne  s'est  arrêté  dans  le  premier  flacon  ;  dont  pas  un 
ne  s'est  transmis  aux  autres.  Le  troisième  possède  des 
Rotifères  et  c'est  Tunique  où  l'on  en  trouve.  Le  qua- 
trième est  plein  d'une  génération  de  Kolpodes  ca- 
puchons qu'on  ne  retrouve  nulle  part.  Le  cinquième 
n'est  peuplé  que  par  des  Yorticelles,  des  Épistylis  et 
des  Glaucomes,  dont  on  n'a  pas  observé  un  seul  spéci- 
men dans  les  autres  flacons.  Le  sixième  n'est  abso- 
lument animé  que  par  une  abondance  de  Trichopho- 
rus,  Ehr.  (1),  dont  aucun  ne  se  retrouve  dans  les  fla- 
cons qui  suivent. 

Tout  cela  est  fort  remarquable  et  on  se  demande 
pourquoi  tous  les  germes  des  Navicules  se  sont-ils  ar- 
rêtés au  premier  flacon  sans  se  propager  aux  autres  ? 

(1)  EEREmEKG ,  Infusionsthierchen ,  pi.  XXXIII,  fig.  H.  Syno- 
nymie. 


ÉLIMINATION  DE    l'aIR.  297 

pourquoi  aucun  des  œufs  problématiques  qui  ont  été 
éclore  dans  le  cinquième  compartiment  de  l'appareil 
pour  former  desYorticelles  et  des  Épistylis,  ne  s'est-t-il 
arrêté  avant  pour  s'y  développer,  ou  n'a-t-il  pas  passé 
outre  ?  Il  est  vrai  que  Ton  a  découvert  trois  ou  quatre 
Traclîèles  fouets  dans  le  second  flacon,  tandis  que  le 
sixième  a  été  leur  lieu  d'élection  particulier  ;  mais  ce 
fait  est  peut-être  le  plus  fort  argument  dont  nous 
pourrions  nous  servir  contre  nos  adversaires.  En  effet, 
je  demanderai  pourquoi,  dans  l'hypothèse  de  la  pan- 
spermie,  il  ne  s'est  pas  arrêté  un  plus  grand  nombre  de 
germes  dans  le  second  vase,  tandis  qu'il  s'en  est  tant 
développé  dans  le  sixième.  Puisqu'on  en  a  rencon- 
tré dans  le  second,  le  site  convenait  à  l'espèce,  et  il  était 
naturel  de  l'y  rencontrer  plus  abondamment  que  dans 
l'un  des  flacons  suivants,  et  on  a  observé  le  contraire. 
Il  faudrait  expliquer  aussi  pourquoi  cette  forte  espèce 
qui  est  l'un  des  plus  robustes  Microzoaires  que  l'on 
connaisse,  après  avoir  laissé  quelques  rares  représen- 
tants de  sa  race  dans  le  second  flacon,  a  sauté  par- 
dessus le  troisième,  le  quatrième  et  le  cinquième  sans 
y  abandonner  un  seul  de  ses  représentants. 

Tout  cela  est  inexplicable  par  le  système  des  ova- 
ristes;  tout  cela  s'explique  facilement  par  l'hétéro- 
génie.  Chaque  vase  a  vu  s'engendrer  des  générations 
spéciales,  parce  qu'il  se  trouvait  lui-mêa^e  dans  des 
circonstances  particulières  provenant  des  modiflca- 
tions  que  le  temps  avait  réparties  inégalement  sur  les 
macérations  qu'il  contenait  depuis  une  quinzaine  de 
jours. 

Pour  ceux  qui  ne  réfutent  pas  systématiquement 


298  HÉTÉROGÉNIE. 

l'évidence^  il  n'est  même  nullement  besoin  de  recou- 
rir à  cette  série  d'expériences  complexes  auxquelles 
nous  nous  sommes  livré  ;  les  suivantes,  quoique  bien 
simples,  suffiraient. 

Expérience. — Deux  petits  paquets  de  luzerne,  par- 
faitement homogènes  et  d'un  poids  égal,  ayant  été  mis 
bouillir  dans  de  l'eau,  afin  de  tuer  tous  les  germes  qui 
pouvaient  s'y  rencontrer,  on  mit  cette  eau  bouillante 
dans  deux  grands  verres  à  expériences,  en  les  remplis- 
sant presque  jusqu'aux  bords,  après  avoir  placé  dans 
chacun  d'eux  un  de  ces  paquets.  On  laissa  à  l'air  libre 
l'un  de  ces  vases;  on  déposa  sur  l'autre  une  lame  de 
verre  et  on  l'abrita  sous  une  grande  cloche. 

En  raisonnant  d'après  l'hypothèse  qu'on  nous  op- 
pose, le  verre  exposé  au  contact  de  l'air,  et  dont  la 
surface  en  est  sans  cesse  effleurée,  a  dû  recevoir  une 
pluie  de  germes.  Mais,  au  contraire,  le  vase  qui  est 
sous  la  cloche  et  recouvert  d'une  lame  de  verre, 
n'ayant  été  en  contact  qu'avec  une  fort  minime  couche 
d'air  qui  ne  s'est  renouvelée  qu'insensiblement,  a  dû 
être  privé  des  éléments  générateurs  que  l'autre  a 
pu  recevoir  si  libéralement.  Conséquemment  il  de- 
vra donc  y  avoir  une  grande  quantité  d'animalcules 
dans  le  verre  exposé  à  l'air  libre,  et  infiniment  moins 
dans  celui  qui  est  doublement  abrité.  La  vérité,  cest 
quil  y  en  a  autant  dans  Vun  que  dans  Vautre. 

Une  telle  expérience,  lorsqu'il  a  été  précédemment 
établi  que  le  corps  solide  ne  contient  pas  les  germes, 
ne  suffit-elle  pas  pour  prouver  en  outre  que  ni  l'eau 
ni  l'air  n'en  sont  les  dépositaires  ? 

Expérience.  —  Deux  vases,  d'un  litre  de  capacité. 


ÉLIMINATION    DE    L  AIR.  299 

sont  remplis  d'eau,  et  l'on  place  dans  chacun  d'eux 
dix  grammes  de  roseau  commun,  arundo  phragmites. 
Ils  sont  mis  ensemble  sous  une  grande  cloche  en 
verre.  La  température  est  de  28  degrés. 

Le  lendemain,  la  surface  de  ces  deux  vases  contient 
une  prodigieuse  quantité  de  Vibrions  rugules,  Vibrio 
rugitla,  Mull.  ;  puis  en  outre  un  nombre  immense 
de  grands  Vibrions  anguilloïdes,  Vibrio  levis,  Pouch., 
de  dix  à  vingt-cinq  divisions  micrométriques  de  lon- 
gueur. 

Six  autres  vases  de  diverses  formes  sont,  au  même 
moment,  mis  en  expérience.  Tous  reçoivent  trois  cents 
grammes  d'eau  seulement  et  cinq  grammes  de  ro- 
seau. Ils  ne  sont  recouverts  d'aucun  appareil. 

Le  lendemain,  ces  vases  sont  aussi  observés.  Quatre 
de  ceux-ci  ne  contiennent  que  des  granulations  im- 
mobiles ;  deux  seulement  offrent  une  abondance  de 
petits  Vibrions  ;  mais  dans  aucun  on  ne  rencontre  ces 
immenses  Vibrions  de  dix  à  vingt-cinq  divisions  mi- 
crométriques de  longueur,  qui  se  trouvent  dans  les 
deux  vases  abrités. 

Dans  l'hypothèse  de  la  panspermie,  cela  est  plus 
qu'embarrassant  à  expliquer.  Les  vases  exposés  à  l'air 
sont  moins  féconds  que  les  autres.  On  pourrait  dire 
que  la  température  a  été  un  peu  plus  considérable 
sous  la  cloche,  c'est  possible  ,  mais  ce  serait  une  sim- 
ple condition  de  développement,  et  là  il  y  a  une  es- 
pèce qui  manque  absolument  dans  les  autres. 

Expérience.  —  Une  décoction  de  deux  litres  de 
foin  ayant  resté  à  l'air,  dans  un  grand  ballon,  pen- 
dant   huit  jours,   la  température    moyenne    ayant 


300  HÉTÉROGÉME. 

été  de  24  degrés ,  cette  décoction  fut  alors  ex- 
plorée très-attentivement. 

Le  liquide  était  d'un  jaune  foncé  ;  à  sa  surface  na- 
geaient de  nombreux  îlots  de  Pénicillium  glmicum, 
Link.  On  ne  reconnut  point  le  moindre  vestige  d'ani- 
malité dans  ce  liquide. 

Voici  donc  une  décoction  qui  est  sans  nul  doute  de 
nature  à  pouvoir  nourrir  les  animalcules  qui  tombe- 
raient à  sa  surface  et  qui  cependant,  quoique  exposée 
à  l'air,  n'en  possède  aucun  vestige.  Faut-il  s'étonner, 
après  cela,  si  les  décoctions  à  vases  clos  ont  paru  ab- 
solument stériles  à  des  expérimentateurs  trop  impa- 
tients? 

Ce  ne  fut  que  quinze  jours  après  que  de  nouvelles 
observations  furent  faites  ;  mais  alors  une  nombreuse 
population  de  Kolpodes,  de  Vibrions  et  de  Monades 
s'y  rencontrait.  Ce  résultat,  tout  simple  qu'il  est  en 
apparence,  peut  donner  lieu  à  d'importantes  remar- 
ques. Si  l'on  n'a  pas  d'abord  trouvé  d'animalcules, 
on  ne  manquera  pas  d'attribuer  cela  à  l'étroitesse  du 
goulot  du  ballon,  qui  n'a  pas  permis  à  leurs  germes 
d'y  pénétrer.  Mais  si  cela  était  exact,  on  n'eût  pas,  tout 
à  coup,  quinze  jours  après,  trouvé  tout  le  liquide  en- 
vahi d'animalcules;  la  même  cause  ayant  dû  s'opposer 
continuellement  à  cette  subite  invasion.  On  peut 
même  ajouter  à  cela  que  si  c'était  seulement  le  rétré- 
cissement de  l'ouverture  qui  fût  l'obstacle,  cet  obstacle 
n'étant  pas  absolu,  la  population  fût  arrivée  successi- 
vement, et  dès  la  première  observation  il  en  eût 
existé  des  vestiges,  et  alors  on  n'y  en  observait 
pas  le  moindre. 


ELIMINATION    DE    L  AIR.  30! 

Et  enfin,  nous  ajouterons  encore  que  ce  résultat 
était  si  bien  inhérent  au  liquide  lui-même,  qu'une 
portion  de  celui-ci,  exposée  dans  un  vase  à  large  ou- 
verture et  amplement  aérée,  a  offert  la  même  particu- 
larité. Il  est  donc  évident  que  dans  ce  cas  les  Proto- 
organismes n'ont  apparu  qu'à  compter  du  moment  où 
ce  liquide  leur  a  présenté  la  modalité  requise. 

Expérience. —  Cinq  vases,  absolument  semblables, 
contenant  la  même  quantité  d'eau,  le  même  poids  de 
substances  fermentescibles,sont  exposés  le  même  jour 
sous  une  grande  cloche  en  verre  et  absolument  dans 
les  mêmes  circonstances.  Ils  sont  ensuite  abandonnés 
huit  jours,  par  une  température  moyenne  de  22 
degrés.  Voici  comment  se  composait  alors  la  faune 
microscopique  que  l'on  rencontrait  dans  chacun  de 
ces  vases.  Je  passe  à  dessein  l'énumération  des  peti- 
tes espèces  pour  rendre  la  comparaison  plus  claire. 

Le  premier  vase,  contenant  du  foin  haché,  n'offrait 
que  des  Kolpodes  capuchons  parfaitement  caractérisés. 

Le  second  vase,  contenant  du  même  foin,  mais  en- 
tier, était  essentiellement  peuplé  d'une  abondance  de 
Kérones  lièvres,  parfaitement  adultes  ;  et  en  outre  on  y 
observait,  mais  en  petit  nombre,  une  espèce  de  Kol- 
pode  particulière. 

Le  troisième  vase,  qui  contient  du  foin  entier,  n'est 
rempli  que  de  Glaucomes  scintillants ,  très-déve- 
loppés,  et  de  Protées. 

Le  quatrième  vase,  qui  est  également  rempli  de 
foin  entier,  a  sa  faune  uniquement  composée  de  Para- 
mécies. 

Enfin,  le  cinquième  vase,  qui  contient  de  l'étoupe 


302  HÉTÉROGÉNIE. 

de  lin,  est  peuplé  d'une  innombrable  quantité  d'une 
espèce  de  Kolpode,  très-effilée/très-agile,  non  encore 
décrite,  à  ce  que  je  pense,  et  que,  à  cause  de  sa  forme, 
l'on  pourrait  nommer  Kolpoda  triticea. 

Ainsi  qu'on  le  voit,  dans  tous  ces  vases,  la  popula- 
tion fondamentale  est  absolument  distincte,  car  le 
Kolpode  contenu  dans  le  dernier  est  totalement  diffé- 
rent de  celui  que  nous  avons  signalé  dans  le  second. 
Cette  expérience  complexe  suffirait  seule  pour  ruiner 
la  théorie  du  véhicule  aérien  :  car,  en  supposant  que 
ce  soit  l'air  qui  apportât  les  germes,  oserait-on  soute- 
nir que  celui-ci  a  pu,  en  effleurant  le  liquide  des  va- 
ses  en  expérimentation,  trier  pour  chacun  d'eux  une 
population  particulière  ,  absolument  particulière 
même?  car,  pendant  quatre  jours  qu'ont  duré  nos 
observations,  nous  avons  toujours  reconnu  une  par- 
faite identité  dans  la  faune  de  chacun  de  nos  verres, 
et  pas  un  animalcule  ne  s'était  fourvoyé. 

Au  nombre  de  cette  foule  d'arguments  que  l'on  a 
si  souvent  en  réserve  pour  nier  l'évidence,  que  l'on 
ne  vienne  pas  nous  dire  que  la  même  source  de  fécon- 
dité a  été  épanchée  sur  tous  les  vases  en  expérience  ; 
que  la  même  pluie  de  germes  a  tombé  de  tous  côtés, 
mais  que  les  macérations  ne  leur  offraient  pas  à  tous 
un  sol  propice.  Ces  espèces,  étant  toutes  analogues, 
pouvaient  vivre  dans  les  liquides  identiques  qu'of- 
fraient ces  macérations.  Ainsi,  pourquoi  ne  rencon- 
tre-t-on  pas  dans  les  autres  vases  un  seul  des  Kérones 
qui,  dans  le  second  vase,  vivent  cependant  avec  des 
Kolpodes?  pourquoi  les  Glaucomes  se  trouvent-ils 
seulement   parqués  dans   le  troisième   vase  ?  pour- 


ÉLIMINATION    DE    L  AIR.  303 

quoi  ces  Kolpodes  particuliers  du  lin,  s'ils  provenaient 
réellement  de  l'air,  n'auraient-ils  pas  laissé  choir  sur 
les  autres  vases,  placés  côte  à  côte,  quelques  repré- 
sentants de  leurs  innombrables  légions  ? 

Que  l'on  n'aille  pas  non  plus  supposer  que  quelques 
rares  individus  tombent  sur  un  vase  et  qu'ils  s'y  mul- 
tiplient avec  une  rapidité  qui  tient  du  prodige.  Non, 
pour  ceux  qui  observent  lesMicrozoaires,  on  voit  que 
les  choses  ne  se  passent  nullement  ainsi,  et  que 
leur  génération  est  tellement  obscure,  que  ce  n'est 
qu'avec  une  peine  extrême  qu'on  en  pénètre  le 
mystère.  Si  leur  multiplication  se  faisait  ainsi,  leur 
nombre  et  leur  taille  varieraient  à  l'infini  :  et  tous, 
au  contraire,  quand  on  commence  une  observation, 
sont  de  la  même  dimension.  On  sait  aussi,  et  nous 
le  démontrerons,  qu'il  faut  rayer  tout  ce  que  Ton  a 
dit  de  la  génération  par  scissiparité  ;  ce  n'est  qu'un 
charmant  roman.  Si  elle  a  lieu,  ce  dont  je  doute 
beaucoup,  elle  est  si  rare,  si  rare,  qu'elle  constitue 
plutôt  une  exception  qu'une  règle. 

Expérience.  —  J'ai  fréquemment  fait  l'expérience 
suivante  :  je  disposais  trois  vases  d'eau  absolument 
dans  les  mêmes  circonstances;  dans  l'un  d'eux,  je 
plaçais,  tout  au  fond  un  paquet  de  cinq  grammes  de 
trèfle,  surmonté  d'une  colonne  de  hquide  d'environ 
vingt  centimètres  de  hauteur  ;  dans  un  autre  le  paquet 
de  trèfle  était  placé  vers  la  surface  de  l'eau,  mais  ce- 
pendant totalement  submergé;  enfin,  dans  le  troi- 
sième, le  paquet  se  trouvait  seulement  plongé  dans 
l'eau  aux  trois  quarts  de  sa  longueur,  et  le  reste 
était  en  contact  avec  l'air.   Constamment,  dans  le 


30  4  HETEROGENIE. 

premier  vase,  les  animalcules  apparaissaient  plus  len- 
tement que  dans  les  autres  et  étaient  infiniment  moins 
nombreux.  Dans  le  second,  la  génération  se  produisait 
plus  vite  et  était  beaucoup  plus  abondante  ;  enfin, 
dans  le  troisième,  il  y  avait  une  marche  bien  plus  ra- 
pide encore  que  dans  les  deux  autres,  et  surtout  une 
exubérance  extraordinaire  d'animalcules. 

Or,  comment  les  partisans  de  la  dissémination 
aérienne  des  germes  pourraient-ils  expliquer  ce  fait? 
Les  trois  bocaux  contenant  les  mêmes  macérations 
auraient  dû  aussi  offrir  des  générations  identiques.  Si 
cela  n'a  point  eu  lieu,  c'est  qu'il  faut  en  chercher  la 
cause  dans  une  autre  hypothèse.  Cette  différence  si 
notable  tient,  à  n'en  pas  douter,  à  l'obstacle  qu'é- 
prouve le  mouvement  fermentescible  dans  son  déve- 
loppement à  l'égard  du  paquet  de  trèfle  qui  supporte 
une  plus  lourde  colonne  d'eau,  et  à  la  facilité  qu'il 
éprouve  à  se  manifester  dans  le  paquet  incomplète- 
ment submergé. 

Expérience.  —  J'ai  répété  un  assez  grand  nombre 
de  fois  l'expérience  qui  suit.  Durant  le  mois  d'avril, 
je  mis  cinq  grammes  de  foin  dans  deux  cent  cinquante 
grammes  d'eau.  Le  vase  qui  contenait  celle-ci,  après 
avoir  été  recouvert  d'une  plaque  de  verre,  fut  ensuite 
placé  sous  une  cloche  de  cinq  litres  de  capacité,  reçue 
dans  un  plat  dans  lequel  on  versa  de  l'eau  jusqu'à 
la  hauteur  de  cinq  centimètres,  afin  que  l'air  contenu 
sous  la  cloche  ne  subisse  aucune  mutation  sous  l'in- 
fluence des  différentes  raréfactions  que  pourrait  lui 
imprimer  les  variations  de  température  diurne  ou 
nocturne.  Il  était  donc  évident  que  ma  macération  ne 


ÉLIMINATION   DE    l'aIH.  305 

se  trouvait  en  contact  qu'avec  cinq  litres  d'air  en- 
volume  ;  et  je  pourrais  même  dire  avec  beaucoup 
moins,  le  vase  qui  la  contenait  étant  recouvert  d'une 
plaque  en  verre  qui  touchait  presque  le  niveau  de 
l'eau.  A  côté  de  cet  appareil,  un  vase  absolument 
semblable  contenant  la  même  macération,  servait  de 
critérium  et  était  exposé  aux  divers  courants  d'air  du 
laboratoire. 

La  première  expérience  que  je  fis  avec  cet  appa- 
reil fut  tentée  en  avril  1857.  Au  bout  de  quatre  jours, 
la  température  moyenne  ayant  été  de  IG"*  cent.,  et  la 
pression  de  76  centimètres,  j'examinai  les  deux  vases. 
Dans  l'un  comme  dans  l'autre,  il  existait  une  nom- 
breuse génération  de  Kolpoda  cuculhis,  MulL,  parfai- 
tement adultes.  Il  en  existait  un  nombre  absolument 
semblable  dans  le  vase  abrité  par  la  cloche  et  dans  le 
vase  exposé  à  toutes  les  oscillations  de  l'air  libre.  J'en 
appelle  à  la  raison  des  naturalistes  :  est-ce  que  si  l'air 
servait  de  véhicule  aux  Microzoaires,  il  ne  devrait 
pas  y  en  avoir  immensément  plus  dans  le  critérium 
que  dans  le  vase  abrité,  puisque  le  critérium  a  été 
constamment  en  contact  avec  tous  les  courants  d'une 
immense  nappe  d'air,  tandis  que  la  macération  abri- 
tée, n'a  été  baignée  que  par  quelques  centimètres 
cubes  de  ce  fluide. 

Afin  qu'on  ne  puisse  pas  prétendre  que  les  œufs 
étaient  déjà  dans  l'eau,  j'ai  varié  l'expérience  de  plu- 
sieurs manières.  En  employant  des  décoctions  de 
foin  que  j'avais  tenues  en  ébullition  pendant  un  quart 
d'heure  à  une  heure,  j'ai  constamment  obtenu  le 
même  résultat. 

POUCIIET.  î* 


300  HÉTÉROGÉME. 

Expérience.  —  Si  le  véhicule  des  germes  était  le 
corps  solide,  l'eau  ou  l'air,  jamais  on  n'obtiendrait 
le  résultat  qui  suit.  On  a  opéré  avec  une  substance 
qu'on  pourrait  dire  hétérogène  et  qui,  par  consé- 
quent, devait  varier  ses  produits,  si  elle  les  contenait 
dispersés  dans  ses  interstices.  On  mit  deux  litres  d'eau 
dans  un  vase  de  cristal  à  large  ouverture  et  vingt 
grammes  de  foin.  Ce  vase  fut  abandonné  dans  le 
laboratoire  pendant  dix  jours  à  une  température 
moyenne  de  14°.  Après  ce  laps  de  temps,  on  n'y 
observait  absolument  qu'une  quantité  innombrable 
d'une  espèce  de  Kolpode  piriforme,  d'un  volume  con- 
sidérable. Un  autre  vase  reçut  du  même  foin  en 
même  quantité  et  fut  examiné  après  le  même  temps 
écoulé.  Il  ne  contenait  absolument  que  des  Glaucomes 
scintillants,  de  petite  taille;  pas  un  seul  Kolpode  ne 
s'y  voyait. 

Expérience.  —  Dans  une  macération  de  cinq 
grammes  d'étoupes  dans  trois  cents  grammes  d'eau, 
après  dix  jours,  par  une  température  moyenne  de 
27%  nous  avons  rencontré  une  population  prodi- 
gieuse de  Kolpodes;  ceux-ci,  qui  me  paraissent  être 
une  espèce  fort  distincte,  sont  très-finement  granulés 
à  l'intérieur,  et  leur  corps  est  grêle  et  de  petite  di- 
mension. Le  liquide,  qu'on  observa  attentivement, 
ne  contenait  aucun  autre  animalcule.  Tous  ces"  Kol- 
podes avaient  exactement  la  même  taille  et  la 
même  coloration  d'un  jaune  citron  clair.  Dans 
l'hypothèse  de  la  dissémination  par  Tair,  ce  fait  a 
quelque  chose  d'étrange;  car  la  chute  des  germes 
dans  le  liquide  n'a  pas  dû  avoir  exceptionnellement 


ÉLIMINATION    DE    l'aIR.  307 


lieu  à  un  seul  instant  donné,  et  l'on  devrait  rencon- 
trer des  individus  de  différents  âges  et  d'un  dévelop- 
pement différent. 

Expérience.  —  L'expérience  suivante  parle  encore 
avec  éloquence  pour  démontrer  que  l'air  n'est  pas 
le  disséminateur  des  germes  organiques.  On  prit 
une  grande  cuvette  en  cristal,  assez  profonde,  et  l'on 
y  plaça  sept  verres  à  boire  ordinaires;  chacun  de 
ceux-ci  après  avoir  reçu  une  substance  putrescible 
dans  son  intérieur,  fut  environné  d'un  manchon  en 
verre  qui  en  dépassait  la  hauteur.  Enfin,  on  versa  de 
l'eau  dans  la  cuvette,  de  manière  à  lui  faire  dépasser 
d'un  centimètre  les  bords  des  verres.  De  cette  façon, 
c'était  le  même  hquide  qui  baignait  tout  l'appareil  ; 
seulement  dans  celui-ci  les  verres  étaient  entourés 
d'un  manchon  capable  de  parquer  les  animalcules 
qui  naîtraient  dans  les  macérations  et  séjourneraient 
seulement  à  leur  surface.  Tout  l'appareil  fut  ensuite 
recouvert  d'une  grande  cloche  en  verre  et  laissé  en 
repos  pendant  quatre  jours,  sous  l'influence  d'une 
température  de  21°,  en  moyenne,  et  à  une  pression 
atmosphérique  de  0,75. 

Lorsque,  après  ce  temps,  on  examinâtes  verres  dans 
lesquels  macéraient  de  l'aconit,  du  hn,  de  la  viande, 
des  os  de  momie,  de  l'aster  de  la  Chine  et  du  foin, 
voici  ce  que  l'on  observa  : 

Le  compartiment  de  l'aconit  était  occupé  par 
une  espèce  de  Kolpode  particuher,  très-effilé  et  très- 
petit  ,  puis  par  des  Monades  lentilles  et  des  Vibrions 
baguettes. 

Celui  du  lin  était  totalement  rempli  par  un  Kol- 


308  HETEROGENIE. 

pode  différent  du  précédent,  encore  plus  effilé,  jau- 
nâtre, non  décrit  par  les  naturalistes. 

Le  compartiment  de  la  viande  de  bœuf  offrait  un 
grand  nombre  de  Glaucomes  scintillants,  de  Monades 
lentilles  et  de  Vibrions  baguettes. 

Celui  où  se  trouvaient  des  fragments  de  tibia  prove- 
nant d'une  momie  égyptienne,  contenait  un  Kolpode 
tout  à  fait  différent  des  deux  espèces  observées  dans 
les  autres  compartiments,  et  qui  était  deux  fois  moins 
volumineux. 

Le  compartiment  garni  de  fragments  d'aster  de 
la  Chine,  contenait  encore  une  espèce  particulière  de 
Kolpode;  celle-ci  était  piriforme,  aiguë  et  de  plus 
forte  taille  que  dans  tous  les  autres  sites  de  l'ap- 
pareil (1). 

Le  compartiment  au  foin  entier  est  excessivement 
pauvre  en  animalcules.  On  y  rencontre  à  peine  quel- 
ques Glaucomes  scintillants;  souvent  il  n'y  en  a  qu'un 
dans  le  champ  du  microscope,  et  quelquefois  on 
n'y  en  trouve  aucun. 

Enfin,  le  compartiment  qui  contient  du  foin  haché 
est,  au  contraire,  extrêmement  prolifique  et  offre  une 
population  serrée  de  Kolpodes  et  de  Glaucomes. 

Afin  de  ne  pas  tomber  dans  de  fastidieuses  répéti- 
tions, nous  passerons  rapidement  sur  les  consé- 
quences de  cette  expérience.   Dans  celle-ci  c'est  la 

(1)  Je  n'ai  donné  ici  aucun  nom  à  ces  différents  Kolpodes,  parce 
que  rien  d'absolument  identique  n'a  été  décrit  par  les  auteurs. 
Rien  n'est  plus  variable  que  l'espèce  dans  les  Microzoaires.  On 
peut  s'en  faire  une  idée  en  étudiant  les  tigures  originales  des  na- 
turalistes; pas  une  ne  se  ressemble. 


ÉLIMINATION    DE    l'aIR.  309 

même  eau  et  le  même  air  qui  se  trouvent  dans  tout 
l'appareil,  et  cependant  partout  les  animalcules  sont 
différents.  Cette  expérience  s'élève  avec  énergie  con- 
tre les  hypothèses  dans  lesquelles  on  donne  à  ces 
agents  le  rôle  de  disséminateurs  des  germes.  Si  c'était 
l'eau,  est-ce  que  les  mêmes  animalcules  ne  se  seraient 
pas  rencontrés  partout?  elle  qui  baigne  à  la  fois  tous 
les  compartiments  de  l'appareil.  Si  c'était  l'air,  celui- 
ci  aurait-il  choisi  ses  compartiments  pour  n'y  laisser 
tomber  que  telle  ou  telle  espèce  sans  en  égarer  une 
seule  sur  la  limite  d'un  vase  voisin?  Et  dans  cette 
hypothèse,  qui  pourrait  expliquer  pourquoi  le  foin 
entier  est  presque  dénué  de  progéniture,  tandis  que 
le  foin  haché  en  regorge? 

Enfin,  il  nous  a  semblé  que,  pour  saper  de  toutes 
parts  l'hypothèse  de  la  panspermie,  il  serait  bon  aussi 
de  fixer  expérimentalement  les  bornes  de  la  dissémi- 
nation des  végétaux  inférieurs,  et  c'est  ce  que  nous 
avons  tenté  de  faire  par  les  expériences  ou  les  obser- 
vations qui  terminent  ce  chapitre. 

Nous  ne  prétendons  nullement  nier  les  ingénieux 
moyens  que  la  nature  emploie  pour  disséminer  les 
plantes,  ni  les  extraordinaires  migrations  des  semences 
voyageuses  ;  mais  il  ne  faut  pas  en  tirer  des  conséquen- 
ces impossibles.  Les  végétaux  inférieurs,  eux  qui,  par 
la  nature  de  notre  sujet,  appelaient  surtout  notre  at- 
tention ;  eux  surtout  qui  apparaissent  parfois  avec  une 
abondance  qui  excite  l'étonnement  ;  dans  nos  expé- 
riences, ils  nous  ont  semblé  être  loin  de  jouir  de  cet 
extraordinaire  pouvoir  expansif  qu'on  leur  accorde 
généralement,  pour  expliquer  et  leur  multitude  et  leur 


310  HÉTÉROGÉME. 

subite  apparition  dans  les  plus  inaccessibles  réduits.  A 
l'égard  d'un  certain  nombre  d'entre  eux,  cette  puis- 
sance est  même  extrêmement  limitée.  Au  lieu  de  fran- 
chir merveilleusement  l'espace  et  les  difficultés,  leurs 
semences,  au  contraire,  s'arrêtent  souvent  devant  les 
moindres  obstacles.-  A  l'air  libre,  elles  ne  se  propa- 
gent même  pas  toujours  à  un  centimètre  de  distance 
d'un  objet  infecté  à  celui  qui  ne  l'est  pas. 

Expérience.  —  Nous  plaçons  sous  une  cloche  une 
macération  de  maïs,  dont  toute  la  superficie  est  recou- 
verte d'une  abondante  végétation  de  Pénicillium  glau- 
cum,  Link.  Celui-ci  est  en  fructification,  et  le  micro- 
scope constate  partout  une  immense  quantité  de  cha- 
pelets de  séminules.  Cette  macération  est  contenue 
dans  un  grand  verre  à  expérience  et  affleure  presque 
ses  bords.  Tout  à  côté  d'elle,  et  dans  des  vases  pareils, 
nous  plaçons  trois  macérations  datant  de  la  même 
époque,  et  qui  sont  vierges  de  toute  végétation  crypto- 
gamique.  Examinées  après  six  semaines,  durant  les- 
quelles la  température  avait  été  de  quinze  degrés  en 
moyenne,  ces  macérations,  qui  avaient  été  faites  avec 
des  pois,  des  fèves  et  des  lentilles,  ne  présentaient 
pas  à  leur  surface  la  moindre  trace  de  ce  même  Pé- 
nicillium. Bien  mieux,  en  explorant  de  tous  côtés  la 
surface  de  ces  macérations,  on  n'y  a  pas  découvert  un 
seul  spore  du  champignon  qui  infecte  le  maïs.  On  ne 
peut  pas,  pour  ce  Mucor,  inventer  les  germes  invisi- 
bles auxquels  on  fait  jouer  un  si  grand  rôle  pour 
expliquer  des  phénomènes  qui  ne  sont  explicables  que 
par  l'hétérogénie.  Dans  les  Pénicilliums,  les  spores 
sont  parfaitement  reconnaissables  et  ont  un  diamètre 


ÉLIMINATION   DE   L  AIR.  311 

connu.  Et  comme  j'espère  que  l'on  ne  prétendra  pas 
qu'ici  il  y  a  des  germes  mélapliysiques  et  des  germes 
palpables,  je  puis  dire  que  si  on  ne  découvre  pas  de  spo- 
res à  la  surface  du  liquide  des  autres  macérations,  c'est 
qu'aucun  ne  s'est  échappé  de  celui  qui  les  a  produits. 

On  ne  pourrait  arguer  ici  d'arguments  tirés  de  l'in- 
suffisance du  temps  ou  de  la  non-convenance  du  mi- 
lieu offert  à  la  nouvelle  végétation.  Pour  le  temps,  le 
Mucor  n'a  mis  que  huit  jours  à  se  développer  sur  la 
première  macération,  et  les  trois  autres  sont  restées 
trois  semaines  presque  accolées  dans  le  mèmemiheu. 
A  l'égard  du  sol,  on  n'a  pas  d'objection  sérieuse  à 
offrir,  puisqu'il  a  été  reconnu  qu'il  n'a  été  infecté  par 
aucune  séminule  ;  et  s'il  eut  été  propice  à  la  plante, 
elle  s'y  fût  bien  développée  sans  leur  concours. 

On  pourrait  aussi  objecter  que  les  spores  qui  sont 
tombés  sur  ces  diverses  macérations  ont  pu  échap- 
per à  l'observation.  Je  réfuterai  facilement  cette  ob- 
jection, en  disant  que  pour  un  micrographe  exercé  la 
régularité  que  présente  la  forme  des  séminules  du 
Pe7iicilUum  glauciirriy  et  leur  couleur  jaune,  quand  on 
les  observe  dans  l'eau  et  par  réfraction,  ne  permettront 
aucune  erreur.  J'ajouterai  encore  que  ces  germes, 
quand  on  les  découvre  dans  leur  site,  sont  fréquem- 
ment accolés  plusieurs  ensemble  et  forment  même  de 
longs  chapelets,  ce  qui  a  fait  grouper  sous  le  nom  de 
Monilia,  quelques  espèces  de  Pénicillium;  et  que  cette 
particularité  ne  permet  pas  de  méconnaître  ces  sémi- 
nules. 

Quelques  expériences,  exécutées  par  Bulliard,  con- 
tribuent encore  à  démontrer  combien  la  dissémination 


312  HÉTÉROGÉNIE. 

aérienne  est  bornée.  Celles-  ci  ont  d'autant  «plus 
d'autorité  pour  nous  qu'elles  ont  été  entreprises  dans 
le  but  de  combattre  l'hypothèse  des  générations  spon- 
tanées. Bulhard  dit  qu'ayant  à  diverses  reprises  semé 
du  Mucor  miicedo yhin.,  Mucor  sphœrocephahis ^BuW., 
dans  des  fioles,  celui-ci  poussa  et  y  fructifia  parfai- 
tement, sans  que  ses  séminules  s'insinuassent  dans 
d'autres  fioles  placées  dans  le  voisinage  et  y  produisis- 
sent des  Moisissures.  Ce  n'était  que  par  exception  que 
ces  dernières  en  contenaient  parfois  quelques  ves- 
tiges (1). 

Les  expériences  d'infection  qui  suivent,  par  leurs 
résultats  négatifs,  viennent  encore  limiter  la  puissance 
disséminatrice  des  plantes. 

Expérience.  —  On  prit  un  grand  verre  à  expé-  , 
rience  dans  lequel  macérait  un  morceau  de  mie  de 
pain ,    et  dont  toute  la  superficie  était  recouverte 
à' Aspercjillm  glaiicus,  Mich.,  parfaitement  développé 
et  disséminant  abondamment  ses  spores. 

Dans  le  but  d'offrir  un  sol  propice  aux  séminules 
qui  s'échapperaient  de  la  plante  mère,  on  remplit  un 
autre  verre  semblable  au  précédent  avec  une  macé- 
ration qui  déjà  contenait  la  Mucorinée  dont  l'autre 
était  infecté,  seulement  on  en  filtra  l'eau  avec  soin  pour 
s'assurer  qu'aucun  spore  n'avait  pu  y  pénétrer.  Ce 
verre  fut  ensuite  placé  sous  une  grande  cloche  à  côté 
du  précédent. 

Le  huitième  jour  on  observe  l'appareil.  L'Aspergil- 
lée  s'est  encore  énormément  développée.  Le  verre 

(1)  BuLLiARD,  Histoire  des  champignons  de  la  France.  Paris, 
1809,  t.  l,p.  115. 


ÉLIMINATION    DE    l'aIR.  313 

qui  est  placé  à  côté  de  celui  qui  la  contient  ne  présente 
pas  le  moindre  rudiment  de  cette  plante,  et  sa  sur- 
face ne  paraît  pas  avoir  reçu  un  seul  de  ses  spores. 
Ceux-ci  n'auraient  pu  se  dérober  à  nos  yeux  s'ils  y 
eussent  existé  ;  leur  longueur,  de  0,0056  à  0,0084 
de  millimètre ,  eût  empêché  qu'ils  passassent  ina- 
perçus. 

D'après  cela,  ne  faut-il  pas  de  beaucoup  diminuer 
cette  facilité  qu'on  prête  à  l'air  de  transporter  par- 
tout les  germes  ?  Nous  avons  là  deux  vases  placés 
côte  à  côte,  l'un  est  rempli  d'une  prodigieuse  quan- 
tité de  germes,  et  pas  un  de  ceux-ci  ne  va  s'abattre 
à  un  centimètre  de  là  !  Les  expériences  qui  suivent 
contribuent  encore  à  démontrer  combien  la  dissémi- 
nation des  germes  doit  être  limitée. 

Expérience.  —  On  enleva  sur  une  macération  de 
mie  de  pain,  une  plaque  de  seize  centimètres  carrés, 
d'un  amas  serré  d'une  végétation  composée  de  Muco- 
rinées  diverses,  dont  cependant  le  Pénicillium  glati- 
cum,  Link,  formait  la  principale  masse.  Cette  plaque  fut 
déposée,  avec  précaution ,  sur  une  tranche  de  mie  de 
pain,  qu'on  avait  préalablement  imbibée  d'eau,  et 
dont  elle  n'occupait  qu'un  sixième  de  la  surface.  Cette 
tranche  de  pain  fut  ensuite  placée  dans  une  cuvette 
au  fond  de  laquelle  on  avait  mis  une  petite  quantité 
d'eau  pour  y  entretenir  une  humidité  favorable  à  la 
végétation  cryptogamique.  Le  tout  fut  enfin  recou- 
vert d'une  vaste  cloche  en  verre. 

L'appareil  ayant  été  laissé  en  repos  pendant  quinze 
jours,  sous  l'influence  d'une  température  moyenne 
de  12%  lorsqu'on  le  visita,  la  surface  du  pain  n'offrait 


314  HETEROGENIE. 

pas  la  moindre  trace  de  moisissure,  et  même  on  put 
constater,  en  la  faisant  gratter  dans  toute  son  étendue, 
qu'il  n'y  existait  aucun  spore  de  Pénicillium,  même  à 
un  centimètre  de  la  plaque  déposée  sur  la  tranche  de 
pain. 

On  ne  pourrait  pas  arguer  que  dans  ce  cas  les  cir- 
constances favorables  ont  manqué  à  l'extension  de 
la  végétation  cryptogamique,  car  la  plaque  de  Muco- 
rinée  avait  remarquablement  accru  la  sienne,  en  se  re- 
couvrant d'une  nouvelle  génération  de  Pénicillium. 
Les  éléments  d'une  ample  dissémination  ne  faisaient 
pas  défaut  eux-mêmes,  car  la  moindre  parcelle  du 
tapis  glauque  du  champignon  en  expérience  pré- 
sentait au  microscope  une  nuée  de  spores,  et  cepen- 
dant pas  un  de  ceux-ci,  en  quelque  sorte,  n'était 
allé  germer  à  un  centimètre  de  sa  souche. 

Expérience.  —  Cette  expérience  sert  en  quelque 
sorte  de  critérium  à  la  précédente  .  On  mit  une  large 
plaque  de  Pénicillium  glaucum^  Link,  sur  une  tranche 
de  mie  de  pain  ;  elle  en  couvrait  à  peu  près  le  quart 
de  la  surface,  et  cette  tranche,  trempée  dans  l'eau, 
fut  abandonnée  un  mois  sous  une  cloche,  par  une 
température  moyenne  de  S".  A  ce  moment  toute  la 
surface  de  la  tranche  de  pain  était  couverte  de  petits 
îlots  de  Pénicilhum,  d'un  vert  glauque  ou  blancs,  de 
deux  à  cinq  millimètres  de  diamètre,  très-rapprochés 
les  uns  des  autres. 

Si  l'on  n'avait  eu  que  cette  partie  de  l'expérience 
sous  les  yeux ,  on  aurait  évidemment  prêté  à  une  in- 
fection cryptogamique  la  nouvelle  végétation  qu'on 
observait;  mais  sous  une  autre  cloche  et  absolument 


ÉLIMINATION    DE    l'aIR.  315 

dans  les  mêmes  circonstances,  on  avait  déposé  une 
tranche  du  même  pain,  seulement  on  n'avait  pas  mis 
dessus  de  plaque  de  Mucorinée;  et  cependant  cette 
tranche  de  pain  éloignée  de  toute  infection,  n'en 
offrait  pas  moins  une  collection  d'îlots  de  Pénicillium 
tout  aussi  abondante  que  l'autre.  Ainsi  tombe,  en  pré- 
sence des  faits,  cette  puissance  exagérée  que  l'on  a 
prêtée  à  la  dissémination. 

Les  expériences  qui  suivent,  et  que  j'expose  très- 
succinctement  viennent  encore  à  l'appui  de  notre  opi- 
nion sur  les  hmites  que  l'on  doit  imposer  à  la  dissémi- 
nation. 

Expérience.  —  Un  très-grand  verre  à  pied  rempli 
d'urine  humaine  avait  sa  superficie  recouverte  d'une 
épaisse  couche  de  Moisissure  en  fructification.  On 
filtra  le  hquide  qu'il  contenait  et  on  le  mit  dans  deux 
verres;  on  recouvrit  seulement  l'un  d'eux  avec  la 
couche  cryptogamique  dont  nous  venons  de  parler. 
Ces  deux  verres  furent  ensuite  placés  tout  à  côté  l'un 
de  l'autre  sur  une  planche  du  laboratoire,  et  aban- 
donnés ainsi  à  l'air  libre.  Quinze  jours  après,  à  la 
température  de  14°  en  moyenne,  lorsqu'on  l'examina, 
le  verre  sur  lequel  on  n'avait  pas  mis  de  champignons 
n'offrait  pas  la  moindre  trace  de  végétation;  sur  l'au- 
tre, au  contraire,  avait  surgi  une  nouvelle  généra- 
tion de  Mucorinées.  Pas  un  seul^  spore  ne  s'était  trans- 
porté d'un  verre  dans  l'autre.  On  ne  peut  pas  dire  là 
que  les  circonstances  étaient  défavorables  ;  c'était  le 
liquide  sur  lequel  déjà  les  plantes  se  propageaient,  et 
depuis  le  commencement  de  rexpérience  leur  nom- 
bre s'était  accru  dans  l'un  des  vases. 


316  HETEROGENIE. 

Expérience. — On  prit  un  verre  à  expérience  rempli 
d'eau,  dont  toute  la  surface  était  recouverte  de  Péni- 
cillium g  laiiciim,  Link,  en  fructification.  Ce  verre  fut 
placé  au  centre  d'une  glace,  parfaitement  essuyée. 
Quinze  jours  après,  on  explora  au  microscope  la  sur- 
face de  celle-ci  et  une  minutieuse  attention  n'y  fît 
pas  découvrir  un  seul  spore. 

Expérience.  —  Une  macération  de  maïs,  totale- 
ment couverte  d'Aspergilliis  et  de  Pénicillium  en  fruc- 
iification  et  chargés  d'une  abondance  de  spores,  est 
placée  sur  une  planche  du  laboratoire.  A  côté  on  met 
un  vase  à  large  ouverture  et  rempli  d'eau  distillée. 
Quinze  jours  après,  on  explore  la  surface  de  ce  der- 
nier pour  reconnaître  si  l'on  n'y  verrait  pas  nager 
quelques  spores  de  ces  deux  plantes;  mais  l'obser- 
vation la  plus  attentive  n'a  fait  absolument  rien  décou- 
vrir. 

M.  Gérard  a  fait  aussi  une  expérience  d'une  ex- 
trême simplicité  et  qui,  avec  tant  et  tant  d'autres, 
vient  encore  s'élever  contre  le  pouvoir  dissémina- 
teur  de  l'air  et  ajouter  une  preuve  de  plus  à  la  spon- 
téparité.  Une  feuille  de  papier  ayant  été  exposée  par 
lui  à  l'humidité,  il  la  vit  bientôt  se  recouvrir  de  pla- 
ques roses,  jaunes  et  noires,  qu'il  reconnut  être 
occupées  par  autant  d'organismes  distincts.  ïl  semble 
rationnel  dépenser  que  si  c'était  à  des  germes  aériens 
que  l'on  dût  cet  essai  de  végétation,  celui-ci  eût  été 
uniforme  à  la  surface  du  papier  ;  mais  que,  puisqu'il 
n'en  fut  pas  ainsi,  il  faut  attribuer  la  diversité  des 
Proto-organismes  à  l'hétérogénéité  des  matières  qui 
entraient  dans  la  composition  de  leur  sol,  et  qui  ont 


ÉLIMINATION  DE   l'aIR.  317 

dû  en  se  réorganisant,  donner  chacune  naissance  à 
un  produit  particulier  (1). 

En  présence  des  diverses  expériences  que  nous  ve- 
nons encore  d'exposer,  on  est  bien  forcé  de  limiter 
extrêmement  les  migrations  des  cryptogames.  Du  reste 
pour  celles-ci  l'imagination  peut  moins  s'exercer. 
Comme  leurs  spores  sont  apparents  et  qu'on  ne  leur  a 
pas  donné  une  essence  presque  métaphysique,  comme 
on  l'a  fait  pour  les  œufs  des  Microzoaires,  il  est  moins 
facile  d'errer,  parce  que  le  naturaliste  exercé  peut 
presque  toujours  dire  que  si  les  germes  végétaux  exis- 
taient réellement,  il  les  découvrirait! 

Cependant  nous  ne  pouvons  passer  sous  silence 
que  M.  Payen  rapporte  qu'en  1848  le  pain  de  muni- 
tion de  Paris  fut  envahi  par  un  Oïdium,  VOidium  au^ 
rantiacum  (2),  dont  les  spores,  dit-il,  répandus  en 
poussière  invisible,  peuvent  végéter  avec  une  extrême 
rapidité  sous  l'influence  de  la  chaleur  et  de  l'humi- 
dité. L'illustre  chimiste  dit  avoir  constaté  que  les 
séminules  de  ce  champignon  microscopique  résistent 
aune  température  de  100  à  120°,  et  qu'elles  ne  per- 
dent leur  faculté  germinative  qu'à  1 40°  (3)  ;  il  résulte 
de  là  que  cette  Moisissure  se  conserve  intacte  dans  la 
mie  du  pain  pendant  la  cuisson,  parce  qu'elle  n'y 
éprouve  pas  une  température  qui  dépasse  iOO^,  mais 
qu'elle  s'altère  dans  la   croûte,    elle  qui   subit  une 

(1)  Gérard,  Dict.  univ.  d'hist.  nat,  Paris,  1845,  t.  VI,  p.  64. 

(2)  Oïdium  décrit  et  tiguré  par  MM.  Mirbel  et  Payen ,  et  déter- 
miné par  M.  Léveillé. 

(3)  Payen,  Précis  de  chimie  industrielle.  Paris,  1849,  p.  390.  — 
Annales  de  chimie,  1843. 


31  s  HÉTÉROGÉNIE. 

température  dépassant  200°.  On  rapporte  qu'un  quart 
de  milligramme  de  cet  Oïdium  suffît  pour  infecter  un 
pain  en  un  temps  très-court. 

Nous  ne  pouvons  rien  dire  à  cet  égard,  n'ayant  fait 
aucune  expérience  sur  ce  champignon;  seulement 
nous  pouvons  affirmer  que  dans  toutes  les  expériences 
que  nous  avons  faites  avec  les  moisissures  qui  en- 
vahissent ordinairement  le  pain,  et  dont  nous  venons 
de  rapporter  un  certain  nombre,  jamais  nous  n'avons 
reconnu  cette  grande  facilité  de  dissémination  que 
l'on  prête  à  VOidium  aurantiacum.  Toutes  nos  expé- 
riences d'infection  ont  échoué.  Aussi  lorsque  nous 
voyons  ces  cryptogames  envahir  subitement  et  sur 
une  grande  échelle  des  substances  alimentaires  qui 
s'altèrent,  nous  sommes  bien  plus  tentés  de  les  attri- 
buer à  l'hétérogénie  qu'à  la  génération  normale. 

Donc,  d'un  côté,  tandis  que  toutes  nos  expériences 
d'infection  ont  échoué,  de  l'autre  nous  avons  vu  que 
les  spores  des  moisissures  qui  envahissent  le  plus 
communément  le  pain  se  désorganisaient  totalement 
sous  l'influence  d'une  chaleur  de  100°  ou  durant  une 
ébullition  d'un  quart  d'heure  à  une  heure  (1). 

Une  expérience  de  Bulliard  se  joint  aux  miennes 
pour  démontrer,  que  la  température  de  Veau  bouil- 
lante suffît  pour  anéantir  la  faculté  germinative  des 
séminules  des  plantes  inférieures.  Il  introduisit  dans 
des  fioles  à  médecine  une  espèce  de  bouilhe  formée 
de  mie  de  pain  et  d'eau  et  saupoudrée  d'une  ample 
quantité  de  spores  du  Mucor  sphœrocephaliis .  Ces 

(1)  Voyez  plus  haut,  p.  282. 


ÉLIMINATION    DE    l'aI«.  319 

fioles  furent  plongées  clans  l'eau  bouillante  pendant 
une  heure,  et  ensuite  bouchées  herméliquement. 
Bulliard  dit  que  deux  mois  après  on  ne  distinguait 
aucun  Mucor  dans  ces  fioles,  tandis  que  dans  d'autres 
qui  avaient  eu  le  même  ensemencement,  mais  qu'on 
n'avait  pas  exposées  à  la  chaleur,  on  trouvait  tout 
l'intérieur  rempli  de  cette  cryptogame.  Ce  fait  prouve 
donc  qu'une  température  de  cent  degrés  est  suffi- 
sante pour  tuer  les  semences  des  champignons  (1). 

L'observation  vient  elle-même  nous  aider  à  limiter 
le  pouvoir  disséminateur  de  l'atmosphère  et  donner 
un  nouvel  appui  à  la  spontéparité. 

Dans  la  série,  déjà  assez  nombreuse,  des  végétaux 
qui  se  développent  sur  les  animaux,  les  uns  viennent 
sur  les  organes  qui  communiquent  avec  Talmosphère 
ambiante,  et  d'autres  naissent  dans  la  profondeur  des 
organes  (2).  Le  champignon  qui  produit  le  muguet, 
V Oïdium  alhicans.,  Ch.  Robin,  dont  l'histoire  a  été 
tracée  par  MM.  Gruby  et  Gh.  Robin  ;  celui  qui  cause  la 
teigne  faveuse,  VAcîwrion  Schœnleimi,  Remak,  étudié 
successivement  par  Lebert,  Remak, Gruby, Ch.  Robin, 
Bazin  (3)  ,  ainsi   que    diverses    autres  productions 

[i]  Bulliard,  Histoire  des  champignons  de  France.  Paris,  1809, 
t.I,  p.  il5. 

(2)  Comp.  SluyteRj  De  vegetabilibus  organismi  animalis  para- 
sitis.  Berolini,  1847. 

Gh.  Robin,  Histoire  naturelle  des  végétaux  parasites  qui  croissent 
sur  l'homme  et  les  animaux  vivants.  Paris,  1853. 

(3)  Lebert,  Physiologie  pathologique.  Paris,  1843,  t.  II,  p.  477. 
Remak.  Diagnost.  imdpatliologische  Untersuchungen.  Berlin,  1855. 
Gruby,  Comptes  rendus  de  l'Acad.  des  sciences.  Paris,  1841,  p.  72. 
Ch.  Robin,  iy/sL  natur.  des  végétaux  parasites.  Paris,  18o3,p.441. 
Bazin,  Rech.  sur  la  nature  et  le  traitem.des  teignes.  Paris,  1853. 


320  HÉTÉROGÉNIE. 

cryptogamiques  qui  engendrent  quelques  maladies  ex- 
térieures, pourraient  rationnellement  devoir  leur  ori- 
gine à  la  dissémination  aérienne  de  leurs  séminules. 

On  pourrait  aussi  attribuer  la  même  origine  aux 
productions  cryptogamiques  suivantes  :  hV Aspergillus 
candidus,  MicheM  (1),  rencontré  dans  les  sacs  aériens 
d'un  Bouvreuil,  par  MM.  Rayer  et  Montagne  (2);  à 
V Aspergillus  glanais,  Fries  (3),  découvert  par  Spring 
dans  les  cavités  aériennes  de  l'abdomen  d'un  Plu- 
vier (4)  ;  à  y  Aspergillus  nigrescens,  Ch.  Robin,  si- 
gnalé dans  les  sacs  aériens  d'un  Faisan  (5);  et  à  d'au- 
tres végétaux  parasites  qui  ont  été  observés  dans  les 
cavernes  pulmonaires  de  quelques  personnes  phthisi- 
ques,  par  Bennett  (6). 

Mais  les  partisans  de  la  dissémination  aérienne  ne 
pourraient  expliquer  par  elle  la  présence  des  végé- 
taux bissoïdes  rencontrés  par  M.  Rayer  dans  les 
plèvres  d'un  individu  tuberculeux  ;  et  ceux  que  cet  il- 
lustre médecin  trouva  dans  la  cavité  péritonéale 
d'un  homme  atteint  de  pneumo-thorax  (7).  Sansdoute 
que ,  comme  les  séminules  de  ces  végétaux  ne  sont 
pas  armées  de  crochets  et  qu'on  ne  peut  leur  attri- 

(1)  MiCHELi,  Nova  plantarum  gênera.  Florenliae,  1779. 

(2)  Rayer  et  Montagne,  Journal  de  l'Institut.  i842,  n.  492. 

(3)  Fries,  Systema  mycologicum.  1829,  t.  111,  p.  385. 

(4)  Spring,  Sur  une  Mucédinée  développée  dans  la  poche  abdo- 
minale d'un  Pluvier  doré.  Bruxelles  {Bull,  de  l'Acad.  rot/.),  1848, 

(5)  Ch.  RoBi^,  Histoire  naturelle  des  végétaux  parasites  qui  crois- 
sent sur  l' homme  et  les  animaux  vivants.  Paris,  1853,  p.  518. 

(6)  Bennett,  On  the  présence  of  confervœ  in  some  exsudative 
masses  passed  by  the  bowels.  {Lectures  on  clinical  medicine.)  Edim- 
burgh,  1851. 

(7)  Rayer,  Journal  l'Institut.  1832,  n.  392. 


ÉLIMINATION    DE    l'aiR.  321 

buer  une  force  instinctive  qui  les  dirige  \ers  un  site 
d'élection, on  ne  pourra  pas,  pour  elles,  invoquer  l'in- 
génieux mode  de  migration  que  MM.  Kuchenmeister, 
Stein,  Leuckart  et  Van  Beneden,  etc.,  prêtent  aux  em- 
bryons de  quelques  Entozoaires  (1). 

On  ne  voit  pas  comment  on  expliquerait  autrement 
que  par  la  génération  primaire  la  production  des 
végétaux  parasites  que  l'on  rencontre  dans  les  cavités 
splanchniques  des  grands  animaux.  Leurs  séminules, 
d'abord,  sont  d'un  diamètre  trop  considérable  pour 
pouvoir  franchir  les  parois  des  vaisseaux  absorbants; 
et  si  l'on  admettait  même  qu'elles  puissent,  par  quel- 
que violence  aux  lois  physiologiques,  s'insinuer  dans 
le  système  circulatoire,  on  ne  pourrait  concevoir  par 
quels  procédés  elles  en  sortiraient  ensuite,  à  travers 
les  membranes  séreuses,  pour  tomber  dans  leurs  ca- 
vités; car  ces  séminules,  dont  le  diamètre  est  souvent 
de  0,0028  à  0,0084  de  millimètre,  elles  qui  ne  peu- 
vent traverser  nos  grossiers  filtres  en  papier,  ne  pour- 
raient assurément  franchir  le  tissu  serré  de  la  plèvre 
ou  du  péritoine. 

Si  cependant,  et  il  faut  nous  attendre  à  répondre 
aux  plus  extraordinaires  objections,  on  prétendait  que 
cotte  miraculeuse  migration  est  facile  et  qu'on  peut 
l'expliquer,  nous  répondrions  à  cela  que  dans  ce  cas 
les  faits  qui  viennent  d'être  cités  devraient  se  présen- 

(1)  KucHEiNMEiSTER,  Oïl  animal  and  vegetable  Parasites  of  ihe  Im- 
man  body.  Loiidon,  1857. 
Stein,  S^e6o/(i  und  Kollikefs Zeitschr.^y ^  p.  380. 
R.  Leuckart,  Parasiten  und   Parasitismus  {Archiv  fur  physiol.) 
Van  Beneden  et  Gervais,  Zoologie  médicale.  Paris,  1859. 

POUCUET.  2 1 


322  HÉTÉROGÉNIE. 

ter  avec  la  plus  extrême  fréquence,  car  les  espèces 
d'Aspergillées  qui  envahissent  ordinairement  l'éco- 
nomie animale  étant  très-abondantes  autour  de  nous, 
il  n'y  aurait  pas  de  raison  pour  qu'il  ne  s'en  trouvât 
pas  un  grand  nombre  d'absorbées  normalement  parla 
respiration  ou  la  nutrition,  et  qu'on  ne  les  vit  se  re- 
produire çà  et  là  à  l'intérieur  de  l'organisme.  C'est  ce 
qui  n'a  pas  lieu. 

Et  ce  qui  vient  même  confirmer  que  leur  appari- 
tion est  un  fait  de  spontéparité,  c'est  qu'on  ne  les  voit 
guère  se  développer  que  dans  les  cas  où  l'individu  a 
succombé  sous  l'influence  de  quelque  maladie. 

M.  Ch.  Robin,  avec  cette  rare  sagacité  qui  le  dis- 
tingue, a  décrit  le  mécanisme  par  lequel  les  spores  en 
germant  pénètrent  dans  les  tissus,  et  y  enfoncent 
leur  mycélium  (1).  Là  il  y  a  une  puissance  active 
qui  presse  devant  elle  la  substance  organisée  et  peut, 
comme  il  le  dit,  la  faire  disparaître  molécule  à  molé- 
cule.'Mais  aucune  force  semblable  n'est  inhérente 
spore  errant,  et  vraiment  il  est  impossible  de  supposer 
qu'il  puisse  mécaniquement  percer  les  tissus  pour  en- 
trer dans  les  cavités  closes  de  l'économie  animale.  Si 
des  corps  étrangers  y  pénètrent,  comme  on  en  cite  des 
cas  si  rares,  ils  le  doivent  à  leur  volume,  à  leur  pe- 
santeur, à  l'aide  desquels  ils  exercent  une  pression 
sur  les  tissus,  et  y  trouvent  des  points  d'appui.  Les  sé- 
minules  des  cryptogames  n'ont  rien  de  ce  qu'il  leur 
faudrait  pour  cela.  Étant  sphériques  ou  ovoïdes, 
elles  manquent  même  de  ces  formes  anguleuses  (jui 

(1)  Cii.    KoBiN,  Histoire  naturelle  des  végétaux  parasites  qui 
croissent  sur  l'homme  et  les  animaux.  Paris,  1853^  p.  278. 


ÉLIMINATION  DE  L*AIR.  323 

permettent,  selon  certains  physiologistes,  à  des  corps 
pulvérulents  inorganiques  de  s'insinuer  dans  les 
tissus  (1). 

On  cite,  il  est  vrai,  des  spores  trouvés  dans  les  si- 
nus sanguins  des  vers  à  soie  ;  mais  il  faudrait  bien 
déterminer  s'ils  y  ont  été  observés  sur  l'animal  vivant 
et  avant  leur  germination,  ce  qui  est  fort  essentiel.  En 
germant  ils  peuvent  pénétrer  dans  l'économie;  à  l'état 
stagnant  ils  en  sont  plutôt  expulsés  qu'ils  n'y  pénè- 
trent. M.  Ch.  Robin  rapporte  que  l'on  a  trouvé  des 
spores  dans  les  oeufs  du  Bombyx  du  mûrier.  Pour 
cela  j'y  crois  fermement,  et  le  célèbre  anatomiste 
décrit  parfaitement  le  mécanisme  par  lequel  ils  ont 
dû  y  pénétrer  :  les  spores  ont  pu,  dit-il,  se  trouvant 
dans  l'oviducte,  être  enveloppés  par  l'albumen  en 
même  temps  que  le  jaune  (2) . 

Des  corps  étrangers  peuvent  fréquemment  ainsi 
s'insinuer  à  l'intérieur  des  œufs,  même  à  l'intérieur 
des  œufs  des  oiseaux.  On  me  parlait  souvent,  dans  les 
campagnes,  de  pattes  de  hannetons  rencontrées  dans 
des  œufs  de  poule;  j'y  croyais  à  peine.  Mais  durant 
une  invasion  de  ce  coléoptère  en  Normandie,  oii  les 
poules  en  mangèrent  tant  que  le  vitellus  de  leurs 
œufs  en  avait  contracté  une  couleur  d'un  brun  foncé, 
qui  leur  donnait  un  aspect  repoussant,  j'eus  l'occa- 
sion d'ouvrir  moi-même  l'œuf  d'une  volaille  qui  con- 
tenait une  patte  antérieure  de  hanneton.  Gela  s'expli- 

(i)  Ch.  Robin  Et  Verdeil,  Traité  de  chimie  anatomique  normale 
et  pathologique.  Paris,  1852,  t.  III,  p.  520. 

(2)  Ch.  Robin,  Histoire  naturelle  des  végétaux  parasites j  etc.,. 
p.  282. 


32  i  HETEROGENIE. 

que  fort  bien.  Dans  une  contraction  du  cloaque,  elle 
sera  entrée  par  le  fémur  dans  l'orifice  del'oviducte  ;  et 
les  épines  de  la  jambe  l'auront  fait  y  monter  jusqu'au 
moment  oii  l'albumen  l'aura  enveloppée  et  où  elle 
sera  redescendue  pour  être  ainsi  que  lui  recouverte 
par  la  coquille. 

Récapitulation.  —  Le  but  de  ce  chapitre  était  de 
démontrer  que  le  véhicule  des  germes  organiques  ne 
peut  être  ni  le  corps  putrescible,  ni  l'eau,  ni  l'air  at- 
mosphérique. 

Cela  ayant  pu  être  mis  hors  de  doute  pour  chacun 
de  ceux-ci  en  particulier,  en  somme  ce  n'est  donc 
aucun  des  trois.  C'est  là  un  fait  tout  aussi  incontes- 
table que  le  serait  un  théorème  dans  lequel ,  pour  prou- 
ver qu'une  ligne  mathématique  ne  peut  exister,  on  en 
éliminerait  successivement  les  fractions. 

Ce  n'est  pas  le  corps  solide,  puisque  des  animal- 
cules naissent  après  que  celui-ci  a  subi  une  carbonisa- 

ionpresque  complète,  et  l'on  ne  peut  pas  prétendre 
que  les  œufs  résistent  au  feu  de  forge. 

Ce  n'est  pas  l'eau,  cardes  animalcules  naissent  dans 
l'eau  artificielle,  formée  de  toutes  pièces  dans  nos  la- 
boratoires en  combinant  de  l'hydrogène  et  de  l'oxy- 
gène. Personne,  je  pense,  n'oserait  soutenir  que  l'un 
de  ces  gaz  était  le  dépositaire  des  œufs. 

Enfin,  ce  n'est  pas  l'air  atmosphérique ,  puisqu'il 
se  produit  des  Protozoaires  dans  l'air  artificiel  obtenu 
en  mêlant  de  l'oxygène  et  du  gaz  azote  et  qu'on 
n'admettra  jamais ,  sans  doute ,  que  l'un  de  ces  gaz  a 
pu  fournir  des  œufs  à  la  combinaison. 

Puisque  par  voie  d'exclusion  on  prouve  facilement 


ÉLIMINATION    DE    l'aiR.  32»j 

que  les  Proto-organismes  n'ont  point  leurs  germes 
dans  l'un  des  trois  corps  précités,  il  faut  donc  bien 
leur  chercher  une  autre  origine,  et  c'est  ce  que  nous 
allons  faire  dans  le  chapitre  suivant. 


CHAPITRE  V. 

■  DU  DÉVELOPPEMENT  SPONTANÉ  DES  MIGROZOAIRES. 

Afin  qu'il  ne  s'établisse  aucune  confusion  entre  nos 
idées  et  les  prétentions  des  physiciens  atomistes  de 
l'antiquité  et  de  leurs  modernes  imitateurs ,  nous  de- 
vons insister  sur  ce  point,  c'est  que  la  génération  pri- 
maire ne  produit  jamais  un  animal  de  toutes  pièces, 
mais  que  seulement  elle  engendre  des  ovules  spon- 
tanés, dans  le  milieu  proligère,  absolument  sous  l'em- 
pire des  mêmes  forces  qui  façonnent  des  ovules  dans 
le  tissu  de  l'ovaire.  Ceci  bien  nettement  posé ,  nous 
pouvons  entrer  en  matière. 

Lamarck  prétend ,  avec  raison,  que  c'est  la  même 
cause  déterminante  qui  suscite  les  phénomènes  pri- 
maires, soit  dans  la  génération  spontanée,  soit  dans  la 
génération  sexuelle.  C'est  cette  cause  qu'il  a})pelle 
cause  excitatrice,  stimulus ,  et  aussi  aura  vitalis  (1). 

Ce  grand  zoologiste  nous  paraît  avoir  pénétré,  en 
effet,  tous  les  rapports  qui  existent  entre  deux  actes 
en  apparence  si  différents,  mais  qui,  cependant,  sont 
absolument  similaires. 

L'énorme  répulsion  qu'éprouvent  certains  savants 
pour  la  génération  spontanée  vient  tout  simplement 

(I)  Lamarck,  Philosophie  zoologique.  Paris,  1809,  t.  11,  p.  71, 
75  et  77. 


DEVELOPPEMENT    SPONTANE   DES    MICROZOAIRES.        327 

de  ce  qu'ils  comparent  les  résultats  génésiques  et  non 
leur  point  initial. 

Cependant,  secouant  tout  scrupule,  il  en  est  qui  ne 
craignent  pas  d'admettre  que  les  ïnfusoires  peuvent 
dériver  de  l'hétérogénie,  parce  qu'ils  ne  voient  en  eux 
qu'une  ébauche  de  l'animalité;  mais  ils  se  scandali- 
sent à  la  pensée  qu'un  oiseau  ou  un  mammifère  ait  ja- 
mais pu  surgir  de  la  même  source. 

Toute  dissidence  disparaîtrait  si  ces  savants  se  re- 
portaient à  l'origine  des  choses.  Ils  y  verraient ,  en 
effet,  que  là  l'animal  le  plus  complexe  se  confond 
absolument  avec  le  plus  simple  Protozoaire;  et  ils  re- 
connaîtraient que  l'un  et  l'autre  ne  sont  d'abord  for- 
més que  par  quelques  rares  molécules  organiques , 
composant  là  un  ovule  presque  imperceptible. 

Il  faut  essentiellement  se  persuader  que  les  molé- 
cules organiques  qui  se  groupent  spontanément,  à  un 
moment  donné,  soit  dans  l'ovaire  des  animaux,  soit 
dans  la  pellicule  proligère  des  infusions,  sont  soumises 
aux  mêmes  lois  génésiques.  Dans  la  génération  spon- 
tanée, il  se  forme  une  enveloppe  adventive  comme 
dans  la  génération  ovarique.  Seulement,  dans  la  pre- 
mière on  la  nomme  kyste,  et  dans  la  seconde,  mem- 
brane vitelline  ;  mais  c'est  la  même  chose.  C'est  un 
œuf  qui,  dans  le  premier  de  ses  modes,  continue  son 
évolution  sans  fécondation,  et  qui,  dans  le  second,  ne 
peut  ordinairement  le  faire.  Je  dis  ordinairement,  car 
dans  quelques  cas  la  fécondation  peut  manquer. 

Si,  dans  nos  expériences,  c'est  au  contact  de  corps 
divers  que  se  développent  les  Proto -organismes,  il  ne 
faut  pas  croire  que  la  raison  de  leur  apparition  est  ab- 


328  HÉTÉROGÉNIE. 

solument  sous  l'influence  des  affinités  ;  ce  serait  ra- 
baisser la  création  au  niveau  d'une  attraction  chimi- 
que. Non,  la  cause  intime  de  la  vie,  cette  force  initiale 
qui  en  groupe  le  canevas ,  est  cet  esprit  que  Bremser 
considère  comme  le  régulateur  de  tous  les  actes  biolo- 
giques (1). 

«  La  cause  principale  de  la  vie  est  placée  dans  ce 
que  j'ai  nommé  l'esprit,  et  que  l'on  pourra  appeler  x 
si  l'on  veut  ;  mais  qui  est  tout  à  fait  différente  du  mé- 
lange des  substances,  et  par  lequel  ce  mélange  devient 
vivant.  Si  la  vie  n'était  que  le  produit  d'un  certain  mé- 
lange proportionné  des  substances,  le  chimiste,  après 
avoir  décomposé  un  corps  organisé,  pourrait  redonner 
à  ce  dernier  sa  structure  primitive  ;  mais  c'est  ce  que 
ne  peut  faire  le  chimiste,  par  la  raison  qu'il  n'est  pas 
maître  de  l'esprit.  » 

Lorsque  M.  de  Humboldt  lui-même  écrit  les  lignes 
suivantes,  ne  semble-t-il  pas  se  douter  des  phéno- 
mènes que  vont  révéler  les  générations  spontanées  : 
«  La  vie  est  répandue  partout  ;  la  force  organique  tra- 
vaille continuellement  à  rattacher  à  de  nouvelles 
formes  les  éléments  séparés  par  la  mort  ;  mais  cette 
richesse  d'êtres  organisés  et  leur  renouvellement  dif- 
fèrent suivant  les  climats  (2) . 

La  répugnance  avec  laquelle  certains  savants  re- 
poussent toute  idée  de  génération  spontanée,  provient 
aussi  de  leurs  fausses  notions  physiologiques.  Ils  ne 

(1)  Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique  des  vers  intesti- 
naux. Paris,  1837,  p.  87. 

(2)  A.  DE  Humboldt,  Tableaux  de  la  nature.  Paris,  1828,  t.  II, 
p.  13. 


DEVELOPPEMENT    SPONTANE    DES    MICROZOAIRES.        329 

voient  dans  la  reproduction  qu'un  acte  accompli  par 
la  mère,  et  c'est  là,  selon  nous,  une  immense  erreur. 
L'œuf,  au  contraire,  est  un  produit  qui,  depuis  sa  plus 
infînae  origine  jusqu'à  son  expulsion,  agit  sous  l'em- 
pire d'une  force  qui  lui  est  inhérente,  et  semble  os- 
tensiblement en  révolte  contre  l'organisme  dont  il 
dérive.  Pour  vulgariser  notre  pensée,  nous  dirons  que 
la  mère  ne  façonne  pas  plus  son  œuf  que  son  fœtus. 
Souvent  même  c'est  fort  loin  d'elle  que  ceux-ci  puisent 
l'air,  l'eau  et  la  chaleur  employésauxprincipales  phases 
de  leur  développement.  Ce  qui  a  fait  exagérer  le  rôle 
maternel ,  c'est  qu'on  a  toujours  pris  pour  point  de 
départ  les  mammifères,  et  il  faut  se  reporter  bien  au 
delà  si  Ton  veut  juger  sainement  la  question. 

A  l'abri  de  la  coquille  d'un  œuf  d'oiseau ,  on  voit 
s'accomplir  un  acte  bien  autrement  surprenant  que  la 
formation  de  l'œuf  lui-même.  Sous  la  mère,  un  em- 
bryon qui  était  d'une  telle  ténuité  qu'on  en  aperce- 
vait à  peine  les  premiers  linéaments,  se  transforme  en 
poulet  ou  en  jeune  autruche.  Elle  n'a  nullement  con- 
couru cependant,  par  elle-même,  à  façonner  ce  nouvel 
être,  dont  une  muraille  calcaire  la  sépare  :  le  fœ^tus  se 
développe  à  l'aide  de  sa  seule  force  vitale  mise  en  jeu 
par  l'air  et  la  chaleur  humide.  La  mère  est  si  bien 
inutile  à  cet  acte  que  l'incubation  artificielle  peut  ab- 
solument la  remplacer  ;  et  l'on  sait  même  que  certains 
oiseaux  de  l'Australie,  si  féconde  en  productions  extra- 
ordinaires, ne  couvent  nullement  leurs  œufs.  lisse 
contentent  de  les  déposer  dans  d'immenses  amas  de 
foin  ou  de  terre  mêlée  de  débris  de  végétaux,  en  con- 
fiant uniquement  le  soin  de  leur  incubation  à  la  cha- 


330  HÉTÉROGÉNIE. 

leur  q^ue  la  fermentation  développe  dans  ceux-ci.  C'est 
ce  que  Gould  nous  rapporte  à  l'égard  du  Telegalla 
Lathami,  Gould,  et  du  Megapodius  tumulus,  Gould, 
dont  il  a  si  bien  observé  la  nidification  (1). 

Depuis  le  nnoment  où  un  ovule  groupe  ses  deux 
premières  molécules  jusqu'à  celui  où  il  s'isole  com- 
plètement de  l'organisme  maternel  par  ses  enve- 
loppes adventives ,  il  est  constamment  sous  l'empire 
d'une  force  vitale,  qui  lui  est  absolument  inhérente  et 
à  l'aide  de  laquelle  il  dégrade,  à  son  profit,  ce  même 
organisme.  Je  me  sers  à  dessein  de  cette  expression, 
parce  que  chaque  reproduction  est  réellement  un  acte 
énervant  pour  la  mère,  un  acte  de  mort  comme  l'ap- 
pelait de  Blainville  ;  aussi,  dans  une  foule  d'animaux, 
celle-ci  succombe-t-elle  d'épuisement  aussitôt  qu'il  est 
accompli... 

Supposez  alors  que  la  force  plastique,  au  lieu  de  se 
manifester  dans  l'ovaire,  se  produise  au  sein  d'un 
amas  de  matière  organique,  il  en  résultera  un  nouveau 
produit  qui  dans  l'un  et  l'autre  cas  s'élèvera  à  un  de- 
gré différent  d'organisation ,  dépendant  de  la  nature 
absolue  de  l'un  ou  de  l'autre  milieu.  De  l'ovaire  d'un 
mammifère  sortira  un  singe  ou  un  bélier;  de  la  pelli- 
cule d'une  macération  ,  un  simple  Microzoaire.  Tout 
sera  subordonné  aux  mêmes  lois  :  celles-ci  sont  po- 
sées par  la  nature  ;  l'homme  en  interprète  seulement 
les  résultats,  mais  sans  en  pénétrer  la  cause. 

Burdach  ne  semble-t-il  pas  étayer  cette  manière  de 
voir  de  tout  l'ascendant  de  son  autorité  lorsqu'il  dit  : 

(1)  Gould,  An  introduction  to  the  Birds  of  Australia.  Londres, 
1843,  p.  82-87.  —  The  Birds  of  Australia.  Londres,  1840. 


DÉVELOPPEMENT    SPONTANE   DES   MICROZOAIRES.        331 

«  Dans  la  propagation  par  œufs,  le  nouvel  individu  se 
forme  aux  dépens  d'une  masse  amorphe  de  granula- 
tions microscopiques  qui  se  décomposent.  De  pa- 
reilles analogies  ne  permettent  pas  de  regarder  comme 
absolument  impossible  que  de  la  substance  grenue, 
produite  par  la  décomposition  de  la  matière  organi- 
que, il  se  développe  un  animal  d'une  autre  espèce, 
pourvu  de  bouche,  de  cavité  digestive ,  d'organes  lo- 
comoteurs, quoique  d'ailleurs  d'une  structure  fort  sim- 
ple (1).  » 

Mais  quelle  est  cette  force  vitale  qui  se  manifeste  à 
certaine  époque  dans  un  point  de  l'organisme  mater- 
nel? Quelle  est  cette  puissance  organisatrice,  ce 
îïiodus  fiendi  atqiie  agendi,  comme  l'appelait  Stahl  (2)? 
c'est  ce  que  nous  ne  pénétrerons  sans  doute  ja- 
mais (3). 

Cependant,  quelle  que  soit  cette  force,  elle  gouverne 
déjà  la  formation  de  l'ovule;  elle  la  domine  avec  une 
puissance  suprême,  absolument  identique  à  celle  avec 
laquelle  elle  régira  toutes  les  fonctions  organiques  qui 
vont  successivement  se  manifester  chez  l'être  créé. 
Elle  se  complique  en  même  temps  qu'il  s'avance  dans 
la  vie;  obscure  et  indécise  d'abord,  bientôt  elle  accroît 
son  énergie  et  finit  ensuite  par  s'adjoindre  les  volitions 
intellectuelles. 

La   première  étincelle  de  vie  qui  anime  l'orga- 

(1)  BuRDACH,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837, 1. 1,  p.  10. 

(2)  Stahl,  Demonstratio  de  mixti  et  vivi  corporis  vera  diversi- 
tate.  Sect.  lxi,  p.  91. 

(3)  Cabanis,    Rapports  du   moral  et  du  physique  de   l'homme. 
Paris,  1824,  t.  II,  p.  236. 


332  HETEROGENIE. 

nisme,  ne  doit  évidemment  sa  manifestation  qu'à  cer- 
taines circonstances  concomitantes.  Si  celles-ci  man- 
quent, tout  reste  dans  le  néant.  C'est  à  cause  de  cela 
qu'on  peut  remarquer  que  le  principe  vital  ne  se  trans- 
met pas  toujours  d'une  façon  continue  de  la  mère  à 
sa  progéniture  :  il  y  a  un  ou  plusieurs  hiatus  durant 
lesquels  la  vie  s'éteint  absolument  pendant  un  temps 
illimité. 

On  sait  que  certaines  graines  conservent  fort  long- 
temps leur  faculté  germinative.  Duhamel  rapporte  que 
des  semences  de  stramoine  ont  pu  se  développer  après 
être  restées  vingt-cinq  ans  sous  la  terre  (1)  ;  Friewald 
a  vu  des  graines  de  melon  germer  après  avoir  été 
gardées  plus  de  quarante  ans  (2);  Roger  Galen  et 
Voss  ont  fait  germer  des  haricots  conservés  depuis 
trente-trois  et  trente-sept  ans  (3).  Van  Swieten  raconte 
que  des  graines  de  sensitive  extraites  d'un  herbier, 
après  y  avoir  séjourné  quatre-vingts  ans,  se  sont  parfai- 
tement développées  (4);  enfin,  des  semences  de  blé, 
au  rapport  de  Pline,  ont  été  fertiles  après  cent  ans  de 
sommeil  (5),  et  Gérardin  dit  qu'après  un  même  laps 
de  temps,  il  a  fait  germer  des  graines  de  haricot  enle- 
vées à  l'herbier  de  Tournefort  (6). 

On  peut  encore  citer  des  exemples  de  semences 
qui  se  sont  conservées  bien  plus  longtemps  que  celles 

(1)  Duhamel,  Traité  des  semis, 'p.  93-95. 

(2)  Fkiewald,  Philosophical  Transactions.  London,  1742. 

(3)  RoGF.p.  Galen,  Philosophical  Transactions.  Loiidon,  1742. 
Woss,  Bulletin  des  sciences  naturelles,  XVII,  p.  222. 

(4)  Van  Swieten,  Comment.  VI,  ad  s.  Q\\\,de  Podagrâ,  p.  260. 
(o)  Pline,  Histoire  naturelle. 

(6)  Gkkardin,  Propriété  conservatrice  des  graines. 


DEVELOPPEMENT    SPONTANE   DES    MICROZOAIRES.        333 

dont  il  vient  d'être  question.  Ch.  Desmoulins  rapporte 
que  des  graines  d'Héliotrope,  deMédicago  et  de  Bluet, 
trouvées,  il  y  a  quelques  années,  dans  un  tombeau 
gallo-romain  du  troisième  ou  quatrième  siècle,  ont 
parfaitement  poussé  dans  un  jardin  où  elles  furent  cul- 
tivées (l).  Malgré  l'assertion  contraire  de  Rœmer  (2) 
et  de  De  CandoUe  (3), on  sait  aujourd'hui  que  des  grains 
de  blé,  datant  encore  d'une  époque  beaucoup  plus  re- 
culée, et  qu'on  recueille  à  l'intérieur  de  quelques  tom- 
beaux de  l'ancienne  Egypte,  germent  et  multiplient 
parfaitement  dans  nos  campagnes.  On  a  même  vu,  en 
Angleterre,  un  ognon  de  scille,  trouvé  dans  les  mains 
d'une  momie,  et  qui,  ayant  été  cultivé,  s'est  couronné 
de  feuilles  et  de  fleurs. 

Dans  tous  ces  cas,  dira-t-on  que  la  parcelle  de  vie 
qui  devait  présider  à  la  résurrection  des  grains,  était 
restée  latente  dans  leur  sein?  Non,  la  force  vitale  qui 
s'y  est  révélée  a  dû  sa  manifestation  au  concours  des 
circonstances  dans  lesquelles  l'organisme  a  été  re- 
placé. Si  la  vie  s'y  paralysait  seulement,  si  elle  y  res- 
tait à  l'état  latent,  il  n'y  aurait  pas  de  raison  pour 
qu'elle  n'en  fît  autant  chez  les  animaux  que  l'asphyxie 
tue,  sans  qju'aucun  secours  puisse  les  ranimer,  après 
un  trépas  de  quelques  minutes. 

Dans  le  but  de  refouler  toute  idée  de  spontéparité, 
on  s'est  toujours  complu  à  rappeler  les  descendances 
naturelles  dans  lesquelles  le  produit  ressemble  con- 

(i)  Charles  Drsmoulins,  Écho  dumonde  savant,  2e  année. 

(2)  Rœmer,  Théorie  élémentaire,  Trad.  de  Tallem.,  t.  L  p.  187. 

(3)  De  CxNDOLL!::,  Traité  de  physiologie  végétale.  Paris,  1832, 
t.  H,  p.  623. 


334  HÉTÉROGÉNIE. 

stamment  à  l'être  qui  Tengendre,  comme  si  celui-ci, 
ayant  participé  activement  à  sa  formation,  l'avait  fa- 
çonné à  son  image.  L'objection  tirée  de  la  ressem- 
blance serait  de  quelque  valeur,  si  l'être  producteur 
déployait  une  force  active  dans  l'acte  génésique  ;  ou 
si,  comme  Bufîon  le  prétendait,  le  produit  extrayait 
tous  ses  éléments  des  divers  organes  maternels  (1); 
ou  si  enfin,  lorsque  celui-ci  naît,  il  était  toujours  sem- 
blable à  ses  parents.  Mais  rien  de  tout  cela  n'est  abso- 
lument rigoureux.  La  mère  n'a  nulle  influence  nor- 
male sur  son  produit,  et  celui-ci  se  forme  non-seule- 
ment à  son  insu,  mais,  en  outre,  par  une  force  spéciale; 
et  pour  rendre  notre  pensée  à  l'aide  d'une  métaphore 
vulgaire,  nous  redirons  que  ce  n'est  pas  la  mère  qui 
le  sculpte,  mais  que  c'est  lui  qui  se  sculpte  lui-même, 
ce  qui  est  immensément  différent.  La  nature  a  voulu 
que  chaque  être  ait  sa  reproduction  limitée  et  définie, 
et  si  une  chose  pouvait  être  anormale,  ce  serait  le 
renversement  de  ses  harmonieuses  lois.  L'annéhde  et 
l'insecte  reproduisent  des  êtres  semblables  à  eux  et 
non  des  animaux  plus  élevés,  ce  qui  serait  un  scan- 
dale; la  membrane  prohgère  d'une  infusion  donne 
naissance,  selon  sa  composition,  à  des  espèces  égale- 
ment déterminées,  et  jamais  on  n'y  voit  les  mieux 
organisées  précéder  celles  qui  le  sont  moins;  jamais 
le  Rotifère  n'apparaît  avant  la  Monade! 

La  génération  spontanée  se  manifeste  dans  le  milieu 
prohgère  absolument  sous  l'empire  des  mêmes  lois  que 


(1)  BuFFON,  Histoire  naturelle  générale  et  particulière.  Deux- 
Ponts,  1786. 


FORCES   INITIALES.  _  335 

la  génération  normale  dans  le  tissu  de  l'ovaire.  Cette 
dernière,  à  son  origine,  n'est  aussi  qu'une  génération 
spontanée,  qui  ne  recevra  que  plus  tard  le  stimulas  du 
mâle.  Et  c'est  la  même  influence  occulte  qui  produit 
un  être  donné  dans  un  ovaire  offrant  des  conditions 
particulières,  et  un  autre  être  donné  dans  un  milieu 
proligère  offrant  d'autres  conditions. 


SECTION    I.    —   FORCES    INITIALES. 


La  démonstration  des  diverses  phases  de  la  géné- 
ration spontanée  est  difficile  et  laborieuse  ;  voici  pour- 
quoi ses  antagonistes  ont  pu  si  facilement  l'attaquer, 
et  pourquoi  ses  partisans  ont  quelquefois  désespéré 
d'arriver  à  en  dérouler  de  manifestes  preuves. 

Ainsi  Sénebier  prétendait  qu'il  n'y  a  eu  aucun  sys- 
tème qui  ait  été  plus  fortement  attaqué  et  plus  solide- 
ment renversé  que  Thétérogénie;  selon  ce  savant  expé- 
rimentateur, Bonnet  et  Spallanzani  l'auraient  même 
dissipé  au  point  de  n'en  laisser  aucune  trace  (1).  Nous 
ne  sommes  pas  de  l'avis  du  respectable  ministre  gene- 
vois. Un  système  pour  lequel  ont  combattu  ou  com- 
battent encore  des  hommes  tels  que  Buffon,Lamarck, 
Treviranus,  Tiedemann,  J.  Muller,  Burdach  et  Bé- 
rard,  est  loin  d'être,  non  pas  anéanti,  mais  seule- 
ment énervé  par  deux  savants,  au  talent  desquels  nous 
rendons  hommage,  mais  qui  sont  loin  d'avoir  acquis 

(1)  ^É^EBiER, Ébauche  de  l'histoire  des  êtres  organisés  avant  leur 
fécondation,  p.  8,  dans  les  Expériences  pour  servir  à  l'histoire  de 
la  génération,  par  Spallanzani. 


336  HÉTÉRO  GÉNIE. 

rillustration   de  ceux  qu'on  peut  leur  opposer  (1). 

Et,  quoiqu'on  puisse  ranger  Burdach  parmi  les  plus 
énergiques  partisans  de  la  génération  spontanée,  ce  . 

savant  prétend  cependant  que  celle-ci  ne  peut  être  ni  ' 

réfutée,  ni  démontrée  directement  d'une  manière  com- 
plète. Mais  nous,  nous  pensons  que  le  moment  est 
enfin  arrivé  où  l'observation  directe  peut  éclaircir 
quelques  points  de  la  question  ;  et  que  s'il  n'en  était 
pas  ainsi,  la  solution  rationnelle  pourrait  même  ac- 
quérir toute  la  certitude  possible.  Il  peut  en  être  de 
l'hétérogénie  comme  de  certains  phénomènes  physi- 
ques, qui,  quoique  inaccessibles  à  nos  sens,  n'en  su- 
bissent pas  moins  la  plus  stricte  démonstration  à  l'aide 
d'expériences  ou  d'observations  indirectes,  que  vien- 
nent élucider  toutes  les  ressources  de  l'intelligence. 

Dans  nos  diverses  observations,  le  microscope,  par 
ses  admirables  perfectionnements,  en  centuplant  nos 
sens,  nous  initie  aux  confidences  du  Créateur  ;  et  l'in- 
telligence, en  venant  à  son  aide,  étend  indéfiniment 
ses  mystérieuses  révélations.  Ainsi  s'eclaircissent ces 
sublimes  et  presque  incompréhensibles  lois  qui  prési- 
dent à  l'organisation  de  la  matière.  Et  c'est  cet  in- 
strument que  nous  allons  actuellement  appeler  à  notre 

(1)  BuFFON,  Suppléments  à  l'histoire  naturelle.  Deux-Ponts,  1786, 
t.  II. 

Lamauck,  Physiologie  zoologique.  Paris,  1809. 

Treviuaîsus,  Biologie.  Gœttingue,  1802. 

TiEHEMANN,  Pkijsiologie  de  l'homme.  Paris,  1831. 

J.  MuLLER,  Manuel  de  p%sio/o(/îé?,  traduit  de  rallemand,  par 

A.  J.  L.  Jourdan.  Paris,  1851. 
Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  1. 
Bérard,  Cours  de  physiologie.  Paris,  1848. 


FORCES    INITIALES.  337 

aide  pour  explorer  tout  ce  que  la  question  possède  de 
points  tangibles. 

Phénomènes  catalytiques.  —  On  peut  considérer 
comme  une  loi  fondamentale,  que  des  phénomènes  de 
fermentation  ou  de  dédoublement  catalytiques  pré- 
cèdent ou  accompagnent  toute  génération  spontanée. 

Il  est  curieux  de  voir  que  ceci  avait  déjà  été  soup- 
çonné par  quelques  anciens  alchimistes.  Après  avoir 
divisé  en  deux  sections  la  production  des  êtres  orga- 
nisés :  ceux  qui  naissent  spontanément,  sine  arte,  et 
ceux  qui  sont  le  produit  de  Tart.  qim  fit  arte,  nempè 
alchymiam,  Paracelse  entrevoit  déjà,  dans  son  cha- 
pitre De  gfe?ie?'a^fo/ii6î/5  rerum,  quelle  est  l'influence 
du  mouvement  putrescible  des  corps  sur  la  génération, 
car  là  il  s'exprime  ainsi  :  Nampulrefactio  est  supremus 
gradus  et  primiim  inUiiim  ad  generationem .  Puis  il 
ajoute  :  Putrefactio  aiitem  inithim  siiiim  snmit  ex  hu- 
mido  calore  (1). 

En  effet,  les  organismes  ne  se  produisent  qu'à 
même  ia  nature  expirante,  et  au  moment  oii  les 
éléments  des  êtres  sur  lesquels  ils  s'engendrent  en- 
trent dans  de  nouvelles  combinaisons  chimiques,  et 
éprouvent  tous  les  phénomènes  de  la  fermentation  ou 
de  la  putréfaction.  Van  Helmont  était  dans  une  voie 
assez  rationnelle ,  lorsque ,  alliant  ses  idées  de  spi- 
ritualiste  à  ses  doctrines  alchimiques,  il  disait  qu'à 
Taide  d'un  ferment,  l'archée  peut  organiser  la  ma- 
tière directement  et  spontanément  (1). 

(1)  Paracelse,  Chap.  De  generationibus  rerum  naturalium,  t.  VI» 
p.  201. 
[{)  Van  Helmont^  Ortus  medicinœ.  Amstel.,  1648. 

POUCHET.  22 


338  HÉTÉROGÉNIE. 

Il  résulte  de  là  qu'il  ne  se  manifeste  de  générations 
primaires,  qu'après  que  les  corps  dont  elles  dérivent 
commencent  à  subir  les  premiers  phénomènes  de 
décomposition  ;  comme  si,  pour  s'organiser,  les  êtres 
nouveaux  attendaient  la  désagrégation  des  autres, 
afin  de  s'emparer  des  molécules  de  la  substance  expi- 
rante, à  mesure  qu'elles  se  trouvent  mises  en  li- 
berté. 11  est  évident  que  l'organisme  ne  puise  ses 
éléments  matériels  qu'à  même  les  cadavres  des  an- 
ciennes générations.  Aussi  Liebig  a-t-il  pu  dire  que  le 
même  atome  de  carbone,  qui  fait  partie  des  fibres  du 
cœur  d'un  certain  homme,  a  pu,  autrefois,  appartenir 
au  cœur  de  l'un  de  ses  ancêtres;  et  que  les  atomes 
d'azote  de  notre  cerveau,  peuvent  provenir  de  l'encé- 
phale d'un  Égyptien  ou  d'un  nègre  (1).  Oken  avait 
déjà  dit  que  le  corps  des  animaux  n'était  qu'un 
édifice  de  Monades,  s' élevant  aux  dépens  de  la  putré- 
faction, qui  ne  représente  qu'une  désagrégation  de 
Monades  (2). 

Bremser  envisage  sous  un  point  de  vue  nouveau 
les  phénomènes  qui  se  manifestent  pendant  la  décom- 
sition  des  organismes  morts  et  la  production  de  ceux 
qui  leur  succèdent.  Il  considère  ce  double  mouvement 
comme  une  fermentation  particulière ,  dans  laquelle 
chaque  particule  se  désagrège  de  l'être  en  décomposi- 
tion, pour  entrer  ensuite  dans  de  nouvelles  combi- 
naisons organiques.  Mais,  selon  ce  savant,  ces  parti- 
cules que  le  chimiste  considère  comme  absolument 
mortes,  jouissent  d'une  vitalité  latente,  susceptible  de 

(i)  J.  LiEBiG,  Nouvelles  lettres  sur  la  chimie.  Paris,  1852,  p.  7. 
(2)  Oken,  Lehrbuch  der  Naturphilosophie.  léna,  1831. 


FORCES    INITIALES.  339 

se  manifester  aussitôt  qu'elles  rentrent  dans  quelque 
organisme  nouveau.  D'après  lui,  il  y  a  même  une 
immense  différence,  entre  les  corps  absolument  morts, 
tels  que  les  particules  minérales,  et  les  corps  simple- 
ment privés  de  vie,  tels  que  les  débris  organiques. 
Durant  toutes  nos  opérations,  aucune  production 
animée  ne  peut  apparaître  dans  les  premiers,  tandis 
que  les  autres  en  produisent  constamment  (1). 

Aux  diverses  époques  géologiques,  selon  Bremser, 
durant  les  grandes  réactions  qui  s'opéraient  à  la  sur- 
face de  la  terre,  la  matière  et  ce  principe  suprême 
qu'il  appelle  esprit,  se  combinaient  diversement  en 
produisant  des  êtres  nouveaux,  dont  l'organisation  se 
trouvait  en  rapport  direct  avec  la  masse  en  fermenta- 
tion. 

L'illustre  médecin,  dont  rien  n'arrête  les  hautes 
pensées,  transforme  ainsi  le  globe  en  un  vaste  labora- 
toire de  l'organisation,  dans  lequel,  au  moment  où  les 
cataclysmes  faisaient  table  rase  des  anciennes  créa- 
tions, de  nouvelles  précipitations  comblaient  le  vide, 

(1)  ((Le  corps  mort,  dit  Bremser,  est  composé  de  substances 
toutes  différentes  que  celui  qui  est  organisé,  et  que  les  parties 
qui  en  proviennent  après  sa  mort.  Les  corps  morts  se  laissent 
aussi  bien  dissoudre  et  décomposer  que  les  corps  privés  de  vie. 
Quelques  corps  morts,  comme  par  exemple  les  métaux,  se  laissent 
même  transformer  dans  des  états  sous  lesquels  on  peut  à  peine 
deviner  leur  état  primitif;  mais,  par  des  procédés  chimiques,  on 
peut  de  nouveau  les  réduire  et  les  ramener  à  cet  état  primitif. 
Des  corps  organisés,  privés  de  vie,  se  laissent  également  décom- 
poser par  l'art  dans  leurs  substances  originelles,  mais  jamais  un 
chimiste  n'a  réussi  à  rendre  ensuite  à  un  corps  organisé  et  dé- 
composé sa  structure  véritable  et  primitive.  »  Bremser,  Op.  cit., 
p.  84. 


340  HÉTÉROGÉNIE. 

en  fournissant  des  races  déplus  en  plus  perfectionnées. 

Poursuivant  audacieusement  son  sujet,  Bremser 
exhume  les  révélations  du  passé  et  suppute  l'avenir  ; 
et.  en  voyant  qu'à  chaque  époque  de  la  nature,  l'esprit 
tend  à  révéler  sa  suprématie  et  à  dominer  la  matière,  il 
s'exprime  ainsi  dans  une  belle  page  que  nous  ne  pou- 
vons résister  au  plaisir  de  reproduire  textuellement  : 

«  Les  animaux  de  la  première  création,  dit-il,  ne 
pouvaient  pas  être  si  parfaits  que  ceux  delà  dernière. 
Dans  la  première,  l'esprit  était  encore  trop  enchaîné  à  la 
matière,  et  ce  n'est  qu'après  s'être  débarrassé  de  cette 
dernière,  non  propice  à  l'animalisation,  qu'il  pouvait 
agir  plus  librement  et  parvenir  enfin  à  gouverner 
l'existence  corporelle  de  l'organisation  à  laquelle  il  est 
adhérent,  car  l'homme,  animé  par  l'esprit,  veut,  et  sa 
volonté  est  une  loi  pour  la  matière.  Cette  assertion 
souffre  cependant  quelquefois  des  exceptions  ;  mais 
alors  l'esprit  demande  plus  que  la  matière  ne  peut 
faire,  et  nous  devons  également  considérer  que 
l'homme  n'est  pas  un  pur  esprit^  mais  seulement  un 
esprit  borné  par  la  matière  de  différentes  manières. 
En  un  mot,  l'homme  n'est  pas  un  Dieu  ;  mais  malgré 
la  captivité  de  l'esprit  dans  sa  corporéité,  celui-ci  est 
déjà  assez  libre  en  lui  pour  qu'il  s'aperçoive  qu'il  est 
gouverné  par  un  esprit  plus  élevé  que  le  sien,  c'est- 
à-dire  par  un  Dieu.  Pouvoir  ou  plutôt  devoir  com- 
prendre, cela  est  ce  qui  forme  la  différence  entre 
l'homme  et  les  animaux...  Il  est  encore  à  présumer, 
dit  Bremser,  dans  la  supposition  qu'il  y  aurait  une 
nouvelle  précipitation,  que  des  êtres  beaucoup  plus 
parfaits  que  ceux  qui  ont  été  le  résultat  des  précé- 


FORCES   INITIALES.  3-41 

dentés  seraient  créés.  L'esprit  dans  l'homme  est  à  la 
matière  dans  la  proportion  de  30  à  50,  avec  de  légères 
différences  en  plus  ou  en  moins,  car  c'est  (an tôt  l'es- 
prit et  tantôt  la  matière  qui  domine.  Dans  une  création 
subséquente,  si  celle  quia  formé  l'homme  n'est  pas  la 
dernière,  il  y  aurait  apparemment  des  organisations 
oii  l'esprit  agirait  plus  librement  et  où  il  serait  dans 
la  proportion  de  75  à  25.  Il  résulte  de  cette  considé- 
ration que  l'homme  a  été  formé  comme  tel  à  l'époque 
la  plus  passive  de  l'existence  de  notre  terre.  L'homme 
est  un  triste  moyen  terme  entre  l'animal  et  l'ange  ; 
il  tend  aux  connaissances  élevées  et  ne  peut  pas  y 
atteindre  ;  quoique  nos  philosophes  modernes  le 
croient  quelquefois,  cela  n'est  réellement  pas.  » 

Ce  qu'il  y  a  de  certain  ,  c'est  que  le  mouve- 
ment putrescible  est  si  indispensable  à  chaque  mani- 
festation génésique  que  toute  production  organique 
cesse  de  se  former  aussitôt  qu'on  l'arrêie.  Dans  nos 
laboratoires  nous  remarquons  même  constamment 
que  l'eau  dans  laquelle  se  produisent  des  Microzoaires, 
subit  des  modifications  dans  sa  composition  chimique. 
Burdach  l'a  fait  observer  avec  raison  (1),  et,  avant 
lui,  Gruithuisen  avait  même  considéré  ce  phénomène 
comme  devant  être  une  espèce  particulière  de  fermen- 
tation (2). 

Certains  savants  considèrent  la  fermentation,  ou  la 
résolution  des  molécules  organiques  complexes  en 
combinaisons  plus  simples,  comme  étant  due  à  l'appa- 

(1)  Burdach^  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  H,  p    122. 

(2)  Gruithuisen,  fietira^e  zur  Physiognosis,  p.  116,  107. — Idées 
«iirlaphysiognosie. 


342  HÉTÉROGÉNIE. 

rition  de  certains  organismes  inférieurs  (1).  Yirey  a 
rappelé  que  le  père  Kircher  avait  émis  une  opinion 
analogue  (2). 

La  putréfaction,  en  désagrégeant  plus  rapidement 
l'organisme  que  ne  le  fait  la  fermentation,  agit  encore 
d'une  manière  plus  énergique  sur  l'hétérogénie.  Les 
molécules  organiques  composées  qu'elle  met  en  liberté 
entrent  bien  vite  dans  d'autres  combinaisons  :  ainsi 
une  recrudescence  de  vitalité  tire  sa  source  de  phé- 
nomènes d'un  ordre  absolument  opposé.  La  putréfac- 
tion, non-seulement  dégage  les  molécules  qui  vont 
s'assimiler  primairement  à  l'organisme,  mais  aussi, 
elle  est  ultérieurement  pour  celui-ci  une  source 
incessante  de  nutrition,  puisque  la  plupart  des  aliments 
des  animaux  sont  extraits  des  substances  putresci- 
cibles  (3). 

Il  ne  serait  pas  déraisonnable  de  penser  que  les 
premiers  phénomènes  génésiques  doivent  peut-être 
leur  manifestation  à  des  conditions  chimiques  nou- 
velles, qui  surgissent  à  certaines  époques,  soit  dans 
les  animaux,  soit  dans  les  plantes.  Liebig  en  avouant 
que  nous  ne  savons  pas  faire  une  distinction  nette  entre 
les  effets  des  forces  vitales  (4), ne  nous  autorise-t-il  pas 

(1)  Liebig  dit  :  «  On  sait^  en  effet,  par  l'analyse  microscopique, 
que  la  lie  et  la  levure  se  composent  de  petits  globules  souvent  réu- 
nis sous  forme  de  chapelet,  qui  possèdent  les  caractères  des  cel- 
lules végétales  vivantes,  et  ressemblent  beaucoup  à  certaines 
plantes  inférieures,  à  des  champignons,  ou  à  des  algues.  »  Nouv. 
lett.  sur  la  chimie,  p.  29. 

(2)  ViREY,  Dict.  se.  méd.^  article  Fermentation,  t.  XV. 

(3)  Liebig,  Nouvelles  lettres  sur  la  chimie.  Paris,  1852,  p.  24. 

(4)  Ibid.,  p.  40. 


FORCES    INITIALES.  343 

à  émettre  cette  idée  ;  et  cette  opinion  ne  trouve-t-elie 
pas  une  certaine  force  dans  ces  nombreuses  légions 
d'organismes,  qui  apparaissent  dans  les  corps  en 
putréfaction,  ou  dans  ceux  dont  les  ovules  surgissent 
périodiquement  sous  l'influence  des  saisons? 

La  présence  d'un  corps  qui,  en  se  décomposant, 
produise  de  l'azote,  semble  une  indispensable  condition 
de  l'hétérogénie  ;  et  si,  dans  beaucoup  de  leurs  expé- 
riences, certains  pliysiologistes  ont  obtenu  des  résul- 
tats négatifs,  c'est  presque  toujours  parce  qu'ils  avaient 
préliminairement  entravé  le  mouvement  putrescible 
dans  les  substances  qu'ils  employaient.  M.  Morren, 
depuis  longtemps,  a  fait  connaître  combien  ce  gaz  est 
indispensable  à  la  vie  des  Microzoaires  de  tous  les 
ordres  ;  il  a  même  reconnu  que  quand  il  manque,  ces 
animaux  deviennent  immobiles  et  passent  à  une  sorte 
de  vie  simplement  végétative  (1).  M.  Laurent  prétend 
même  qu'en  donnant  aux  înfusoires  un  supplément 
d'azote,  il  déterminait  chez  eux  un  accroissement 
extraordinaire  (2). 

Cette  importance  de  l'azote  nous  paraît  non  dou- 
teuse. —  Il  semble,  en  effet,  que  pour  les  Micro- 
zoaires, sa  présence  est  peut-être  un  élément  indis- 
pensable et  que  ceux-ci  l'emploient,  en  quelque  sorte, 
à  l'état  naissant:  c'est  pourquoi  T effervescence  génési- 
que   se  manifeste  plus  amplement   dans  les  corps 

(1)  Morren,  Expériences  sur  l'absorption  de  V azote  par  les  ani- 
malcules et  les  algues.  —  Ann.  se.  nat.,  Zoologie.  1854,  t.  I, 
p.  339. 

(2)  P.  Laurent,  Études  physiologiques  sur  les  animalcules  des 
infusions  végétales.  Nancy,  1854,  t.  I. 


Si  A  HÉTÉROGÉNIE. 

abandonnés  à  la  fermentation  putride,  où  l'azote  se 
produit  avec  abondance,  que  dans  ceux  qui  ne  subis- 
sent qu'une  simple  fermentation.  Ce  produit  est  aussi 
susceptible  de  leur  fournir  cet  élément,  puisque  des 
végétaux  simplement  recouverts  d'eau  aérée,  en  fer- 
mentant, dégagent  de  l'azote,  de  l'acide  carbonique  et 
de  l'hydrogène   carboné  (1). 

Phénomènes  de  réorganisation.  —  D'après  La- 
marck,  la  génération  directe  ne  consisterait  que  dans 
la  transformation  de  petites  masses  gélatineuses  ou 
muqueuses  en  tissu  cellulaire  ;  à  remplir  de  fluides 
divers  les  cellules  qui  se  forment  ;  et  enfin  à  les  vivi- 
fier en  mettant  les  fluides  contenus  en  mouvement  à 
l'aide  du  stimulus  vital  (2). 

L'idée  du  grand  zoologiste,  comme  on  le  voit,  était 
fort  simple,  mais  nous  pensons  que  Ton  peut  fouiller 
la  question  un  peu  plus  avant,  ainsi  que  nous  allons 
actuellement  essayer  de  le  faire. 

Il  y  a  des  molécules  inertes,  comme  il  y  a  des  mo- 
lécules organiques  ;  les  unes  et  les  autres  sont  régies 
par  d'invariables  lois.  A  l'aide  de  forces  particulières, 
qui,  comme  tant  d'autres,  nous  sont  inconnues  (3)  les 

{])  Trè^ard,  Traité  de  chimie.  Paris,  1815.  t.  III,  p.  410. 

(2)  Lamarck,  Philosophie  zoologique,  Paris,  1809,  1. 1,  p.  373. 

(3)  Que  nous  a  expliqué  Newton  en  disant  :  «  La  gravitation  est 
Tattraction  vers  le  centre  de  la  terre?  Quelle  est  la  cause  de  celte 
attraction?  Peut-être  que  les  grands  corps  attirent  les  petits; 
bien  :  mais  quelle  est  la  cause  que  le  plus  grand  attire  le  plus 
petit?  Personne  ne  peut  l'expliquer,  et  personne  ne  le  compren- 
dra aussi  longtemps  que  notre  esprit  sera  captivé  par  notre  corpo- 
réité;  mais  nous  le  saurons  quand  cette  tension  élevée  de  l'esprit, 
ce  que  nous  appelons  dans  le  sens  strict  esprit  ou  intelligencey 
aura  quitté  la  matière.  »  Bremser,  toc.  cit.^  p.  87. 


FORCES    INITIALES.  345 

molécules  minérales  s'agrègent  avec  ordre  et  se  cris- 
tallisent sous  des  formes  identiques  ;  à  l'aide  d'autres 
forces,  non  moins  obscures,  les  molécules  organiques 
se  groupent  pour  composer  des  êtres  vivants  détermi- 
nés. Lorsqu'une  force  a  désagrégé  les  molécules  d'un 
minéral,  on  ne  trouve  pas  singulier  que  dans  des  cir- 
constances différentes,  ces  mêmes  molécules  reconsti- 
tuent leurs  cristaux.  Serait-il  donc  si  étrange  que  des 
molécules  organiques,  qui  ont  aussi  leur  mode  d'asso- 
ciation déterminé,  s'organisassent  lorsqu'elles  se  ren- 
contrent dans  la  modalité  de  leur  attraction  sensitive? 
Si  nous  ne  pouvons  pas,  nous,  reconstituer  des  orga- 
nismes dans  nos  laboratoires,  cela  ne  dit  pas  que  la 
nature  ne  peut  pas  le  faire  dans  le  sien  ! 

Les  chimistes  ayant  reconnu  l'existence  de  molé- 
cules organiques  complexes  (1),  et  les  médecins  en 
ayant  démontré  empiriquement  la  présence,  par  la 
transmission  des  miasmes  et  des  principes  conta- 
gieux (2),  il  n'est  pas  douteux  que  ce  ne  soient  ces 
molécules,  mises  en  liberté  par  la  putréfaction,  qui 
entrent  dans  de  nouvelles  combinaisons  pour  former 
les  organismes  incréés. 

Dans  ceux-ci,  chaque  molécule  organique  primaire 
possède  indubitablement  deux  éléments,  l'un  matériel 
et  l'autre  vital  ;  sans  cela  le  phénomène  de  la  conti- 

(J)  Comp.  LiEBiG,  Nouvelles  lettres  sur  la  chimie.  Paris,  1852, 
p.  25. 

(2)  Comp.  Lancîsi,  De  noxiis  paludum  effluviis.  Rornse,  \1S1. 

Platner,  Dissertatio  de  pestiferis  aquarum  putrescentium  expi- 
rationibus.  Leipsig^  1747. 

Nacquart,  Dictionnaire  des  sciences  médicales.  Paris,  1819, 
t.  XXXUI,  p.  353. 


346  HÉTÉROGÉNIE. 

nuelle  rénovation  des  tissus  vivants  serait  absolument 
inexplicable.  On  ne  peut  attribuer  ce  mouvement 
incessant  de  l'organisme  à  la  puissance  de  ses  appa- 
reils. La  preuve  qu'il  n'en  existe  aucun  pour  l'opérer, 
c'est  qu'au  moment  où  ses  premiers  linéaments  com- 
mencent à  poindre ,  il  ne  se  produit  d'abord  qu'une 
trame  microscopique,  et  celle-ci,  par  conséquent,  ne 
peut  être  que  le  résultat  des  affinités  moléculaires;  nul 
organe  achevé  ne  pouvant  alors  diriger,  avec  supré- 
matie, le  mouvement  vital.  îl  n'y  a  donc  évidemment 
là  qu'une  action  intime  de  molécule  à  molécule.  Si  les 
molécules  se  sont  assimilées  d'abord  par  leur  propre 
force,  dès  l'origine  de  la  vie,  doivent-elles,  par  la 
suite,  perdre  cette  propriété? 

Les  plus  hardis  penseurs  de  notre  époque,  qui  ont 
systématiquement  soutenu  l'hypothèse  de  la  sponté- 
parilé,  n'entendent  plus,  aujourd'hui,  que  les  corps 
organisés  émanent  directement  de  matériaux  inorga- 
niques, mais  qu'ils  se  produisent  à  même  des  éléments 
dissociés,  qui  ont  précédemment  subi  l'influence  vi- 
tale ou  au  moins  en  partie.  Nous  avons  déjà  vu  qu'une 
telle  opinion  était  professée  par  Treviranus,  Tiede- 
mann,  Burdach,  Bremser  et  J.  Muller  (1). 

Ainsi  donc,  sous  l'empire  de  la  fermentation  ou  de 
la  putréfaction,  les  corps  organisés  se  décomposent  et 
dissocient  leurs  molécules  organiques;  puis,    après 

(1)  Treviranus,  Biologie.  Gœttingue,  1802^  t,  11^  p,  267,  elc. 

TiEDEMANN,  Physiologie  de  l'homme.  Paris,  1831, 1. 1,  p.  100,  etc. 

Bremser,  Traité  des  vers  intestinaux.  Paris,  1824. 

BuRDAcn,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  I. 

J.  Muller,  Manuel  de  physiologie.  Paris,  1851,  t.  I,  p.  9. 


FORCES    INITIALES.  347 

avoir  erré  en  liberté  pendant  un  temps  illimité,  lors- 
que les  circonstances  plastiques  viennent  à  se  mani  - 
fester,  ces  molécules  se  groupent  de  nouveau  pour 
constituer  un  nouvel  être.  Aussi,  Burdach  a-t-il  pu 
dire  que,  dans  la  nature,  il  n'y  a  que  deux  formes 
primordiales  essentielles  de  toute  activité  biologique  : 
celle  dans  laquelle  le  multiple  procède  de  l'unité  :  et 
celle  dans  laquelle  le  multiple  retourne  à  l'unité.  Notre 
théorie,  ajoute-t-il,  a  donc  pour  axiome  que  la  nature 
est  la  manifestation  de  l'infini  dans  le  fini  (1). 

Mais  la  force  agissante  qui  opère  et  qui  crée, 
ne  façonne  parfois  que  des  êtres  d'une  extrême 
simplicité.  De  là,  il  nous  semble  que  c'est  avec  raison 
que  M.  Raspail  dit  que  le  type  de  l'être  organisé  peut 
se  réduire,  dans  sa  plus  simple  expression,  à  une 
vésicule  imperforée,  douée  delà  propriété  d'élaborer, 
au  profit  de  son  développement ,  les  substances 
gazeuses  et  liquides  qu'elle  attire  dans  son  sein  par 
aspiration  ;  et  de  rejeter  par  expiration  ceux  des  élé- 
ments décomposés  qui  ne  peuvent  servir  à  l'assimila- 
tion (l).En  effet,  certains  êtres  rudimentaires,  tels  que 
les  globules  du  sang  et  quelques  Monades,  ne  semblent 
composés  que  d'une  cellule  élémentaire. 

Depuis  bien  des  siècles,  l'hétérogénie,  cette  ques- 
tion d'un  ordre  si  élevé,  a  passionné  tous  les  philoso- 
phes. Admise  par  la  plupart  d'entre  eux,  beaucoup 
cependant  se  sont  révoltés  avec  colère  contre  elle.  Il 
semblait  à  ceux-ci  qu'il  était  de  la  plus  inexplicable 
folie  qu'on  pût  admettre  qu'il  soit  possible  à  la  matière 

(i)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  U,  p.  332. 
(2)  Raspail,  Nouveau  système  de  chimie  organique,  Paris,  1838. 


348  HÉTÉROGÉNIE. 

amorphe,  d'engendrer  des  êtres  organisés  d'un  ordre 
élevé.  Il  leur  semblait  que  toutes  les  molécules  maté- 
rielles ne  pouvaient  jamais  se  rencontrer  dans  le  mode 
de  combinaison  voulu  pour  produire  une  œuvre  aussi 
capitale  qu'un  lion  ou  qu'un  palmier.  Je  dois  me  hâter 
de  répeter  que  je  partage  largement  leur  manière  de 
voir  sur  ce  sujet,  mais  que  ce  n'est  nullement  là  que 
réside  la  question.  Pour  la  résoudre,  il  faut  se  reporter 
au  point  initial  de  V organisation ,  alors  tout  se  sim- 
plifie et  se  comprend.  Nous  n'avons  plus  à  nous 
occuper  si  par  d'incommensurables  combinaisons, 
des  molécules  se  sont  groupées  pour  former  de  gi- 
gantesques êtres,  tels  que  le  hon  et  le  palmier,  mais 
seulement  si ,  sous  l'empire  d'une  force  initiale, 
quelques  molécules  se  sont  rencontrées  pour  engen- 
drer un  ovule  imperceplihle,  presque  un  point  mathé- 
matique! 

A  l'origine  des  créations,  il  ne  faut  par  chercher 
Vêtre,  mais  uniquement  la  force  génésique,  car  c'est 
elle  seule  qui  d'abord  se  révèle,  et  qui,  selon  son 
énergie,  détermine  la  modalité  spécifique.  Et  cette 
force  initiale,  se  manifeste  généralement  avec  d'autant 
plus  de  profusion  que  le  produit  qui  doit  en  découler 
est  moins  élevé:  l'étroit  canal  sexuel  d'un  Ascaride 
donne  naissance  à  des  milliards  de  vermicules,  et  le 
volumineux  ovaire  d'une  cavale  ne  laisse  tomber  qu'un 
seul  fœtus.  Faites,  si  vous  voulez,  dériver  cette  force 
initiale  de  l'incessante  action  de  la  nature  ou  admet- 
tez qu'elle  émane  de  la  puissance  créatrice,  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  qu'elle  apparaît  partout  et  dans 
tout.  C'est  elle  qui  se  manifeste  tantôt  au  milieu  de 


FORCES    INITIALES.  349 

la  substance  de  l'ovaire  ,  tantôt  parmi  ces  amas 
de  matières  organiques  répandus  à  la  surface  du 
globe. 

Personne  ne  conteste  cette  mystérieuse  puissance, 
mais  il  existe  seulement  de  nombreuses  dissidences,  à 
l'égard  de  son  mode  d'action,  de  son  énergie  et  du 
nom  sous  lequel  on  doit  la  désigner.  Ces  détails  nous 
importent  peu  ;  ce  qu'il  y  a  seulement  d'essentiel  pour 
nous,  c'est  que  par  intuition  chacun  reconnaît  le  doigt 
de  cet  immatériel  agent.  Qu'on  le  nomme  âme,  avec 
Stahl  (1  )  ;  arcliée,  avec  Van  Helmont  (2)  ;  nisiis  forma- 
tiviis,  avecBarthez  {3)  i  force  plastique,  awec  d'autres  : 
que  ce  soit  ce  que  Bichat  désigne  sous  le  nom  de  force 
vitale  (4);  que  cet  agent  soit  simple,  comme  le  pense 
Adelon,  ou  multiple  comme  le  veut  Gerdy  (5),  tout 
cela  nous  est  absolument  indifférent;  ce  qu'il  y  a 
d'incontesté,  c'est  que  tout  le  monde  convient  de 
son  existence.  Nous  nous  bornons  à  constater  que 
pour  tous  les  physiologistes,  c'est  l'élément  coordon- 
nateur  des  divers  actes  de  la  vie,  et  que  celle-ci  cesse 
aussitôt  qu'il  abandonne  l'organisme. 

Ceci  posé  nettement,  j'espère  que  l'on  conviendra 
que  cette  force  plastique,  ce  nisus  formativus  est  en 
quelque  sorte  le  noyau  immatériel  qui  préside  aux 

(1)  Stahl,  Disquisitio  de  mechanismt  et  organismi  diversitate. 

(2)  Van  Helmont,  Ortus  medicinœ.  Amsterdam. 

(3)  Bap.thez,  Nouveaux  éléments  de  la  science  de  l'homme.  177s. 

(4)  Bichat,  Recherches  'physiologiques  sur  la  vie  et  la  mort. 
Paris,  1818. 

(o)  Adelon,  Physiologie  de  l'homme. 

Gerdy,  Physiologie  philosophique  des  sensations  et  de  l'intelli- 
gence. Paris,  1846. 


350  HETEROGENIE. 

premiers  actes  de  la  vie,  et  que  les  premiers  atomes 
de  l'organisme  sont  déjà  groupés  et  animés  par  lui, 
car  sans  cela  il  faudrait  se  disputer  sans  fin  sur  le 
moment  où  Tagent  immatériel,  appelé  à  dominer 
toutes  les  mutations  de  la  matière,  a  fait  son  irrup- 
tion dans  celle-ci.  Si  le  principe  vital  ne  présidait  pas 
au  groupement  des  premières  molécules  de  l'orga- 
nisme, il  faudrait  aussi  qu'il  y  eût  deux  sortes 
d'existences  pour  le  même  être  ;  Tune  simplement 
abandonnée  aux  lois  de  la  matière,  et  l'autre  qui 
serait  régie  par  le  principe  vital  ;  cela  devient  impos- 
sible. 

11  faut  donc  qu'à  leur  origine,  les  organes  et  la 
force  vitale  soient  étroitement  unis  ensemble,  et  que 
par  la  suite  ils  se  développent  parallèlement. 

Or  ce  iiisiis  formativiis ^  dont  Faction  est  toujours 
coordonnée  à  la  nature  de  la  gangue  au  milieu  de  la- 
quelle il  opère,  sous  la  pression  de  ses  lois  intimes, 
dans  l'ovaire  des  êtres  créés,  n'engendre  que  des 
êtres  semblables  à  eux  ;  ailleurs,  dans  les  substances 
en  putréfaction,  il  ne  produit  que  quelques  animal- 
cules microscopiques. 

En  terminant  ce  sujet,  nous  ne  pouvons  cependant 
pas  omettre  de  dire  que  quelques  savants  absolument 
adonnés  aux  sciences  physiques,  considèrent  l'hypo- 
thèse d'une  force  vitale,  comme  n'étant  rien  moins 
que  logique:  telle  est  en  particulier  l'opinion  de  Leh- 
mann.  Mais  ce  chimiste,  à  quelques  lignes  de  l'endroit 
où  il  émet  cette  opinion,  semble  lui-même  la  réfuter 
en  rappelant  que  l'on  n'est  autorisé  à  admettre  une 
force  nouvelle,  une  cause  générale  pour  expliquer  un 


FORCES    INITIALES.  351 

ensemble  de  phénomènes,  que  lorsqu'on  a  bien  re- 
connu que  tous  ces  phénomènes  sont  inexplicables 
par  toutes  les  autres  causes  connues  (1).  C'est  là  pré- 
cisément, selon  nous,  le  cas  des  phénomènes  organi- 
ques, et  personne  ne  le  contestera  (2). 

Nous  l'avons  dit  précédemment,  ce  sont  les  préten- 
tions exclusives  des  écoles  qui  ont  entraîné  leur  nau- 
frage. Nous  rendons  un  hommage  mérité  à  la  science 
de  notre  époque,  car  c'est  elle  qui  doit  lui  imprimer 
sa  plus  éclatante  et  sa  plus  solide  gloire.  Les  Lavoisier, 
les  Laplace,  les  Monge,  les  Gay-Lussac,  les  Davy, 
les  Arago  ont  rempli  le  monde  de  leurs  immenses 
travaux;  mais  il  ne  faut  pas  que,  dans  leur  enivrement, 
leurs  successeurs  prétendent  encore  avoir  sondé  fous 
les  confins  de  l'inconnu,  soulevé  tous  les  voiles  de 
l'organisme.  Nous  ne  voulons  subir  ni  le  joug  du 
spirituahsme  exagéré,  ni  celui  du  matérialisme  plus  ou 
moins  ingénieusement  déguisé  :  nous  demandons  seu- 
lement que  l'on  restitue  à  l'organisme  sa  véritable  di- 
gnité, sa  suprématie;  et  nous  ne  voulons  pas  pour  cela 
que  l'on  exhume  de  chimériques  entités  pour  expli- 
quer d'inexplicables  phénomènes,  mais  qu'on  recon- 
naisse une  force  organique  distincte  des  forces  pure- 
ment physiques,  cette  force  enfin  que  tout  nous  révèle 
sur  chaque  feuillet  de  la  création. 

En  traçant  le  tableau  des  facultés  intellectuelles, 

(  1  )  Lehmann,  Précis  de  chimie  physiologique  animale.  Pari?,  1 855, 
p.  297. 

(2)  Lehmann  ne  le  conteste  pas  lui-même,  car  il  avoue  que  Ton 
ne  connaît  pas  encore  assez  les  phénomènes  physiques  pour  pou- 
voir le  faire.  (P.  297.) 


352  HETEROGENIE. 

l'un  des  chefs  de  la  philosophie  allemande  a  pu  dire  : 
Penser,  c'est  créer, 

c'est  édifier  dans  le  monde  immatériel,  intangible. 

Pour  compléter  l'esquisse  des  attributs  de  l'orga- 
nisme, le  physiologiste  peut  ajouter  : 

Vivre,  c'est  s'organiser, 

c'est  édifier,  c'est  créer  un  être  sensible  aux  dépens 
du  monde  tangible  et  matériel.  Et  je  n'ajoute  pas  que 
c'est  en  même  temps  se  désorganiser,  parce  que  les 
phénomènes  de  décomposition  rentrent  peut-être  dans 
le  cadre  de  ceux  qui  tiennent  partiellement  aux  réac- 
tions physiques': 

De  tout  ce  que  l'on  vient  de  lire  dans  ce  chapitre, 
il  résulte  ce  qui  suit  : 

D'abord,  que  la  fermentation  et  la  putréfaction  doi- 
vent être  considérées  comme  presque  indispensables  à 
la  manifestation  des  générations  spontanées. 

Ensuite,  que  la  force  plastique,  dans  de  certaines 
limites,  s'exerce  aussi  bien  au  niiheu  des  substances 
organiques  en  décomposition  que  dans  le  tissu  de 
l'ovaire. 

Et  enfin,  que  les  générations  spontanées  dérivent 
aussi  d'ovules,  qui,  à  leur  point  initial,  sont  d'une  pe- 
titesse extrême.  Et  que  les  molécules  y  sont  groupées 
sous  l'empire  de  deux  forces. 

SECTION    11.  —  PHÉNOMÈNES    PRIMAIRES.    FORMATIO  N   DE    LA   PELLICULE 

PROLIGÈRE. 

Nous  avons  vu,  dans  la  première  section,  que  l'ap- 
parition des  Proto-organismes  était  toujours  précédée 


FORMATION    DE    LA    PELLICULE   PROLIGÈRE.  353 

par  des  phénomènes  de  fermentation  ou  de  putré- 
faction, qui,  en  désagrégeant  les  molécules  organiques, 
préparent  ainsi  la  voie  aux  nouvelles  combinaisons 
génésiques  dans  lesquelles  celles-ci  doivent  entrer.  Il 
résulte  de  là,  ainsi  que  l'ont  déjà  fait  remarquer 
Wrisberg  et  J.  Mûller,  que  la  formation  des  animal- 
cules dans  les  macérations,  est  précédée  d'un  déo^a- 
gement  de  gaz  divers  produits  par  la  décomposition 
des  substances  que  l'on  a  employées  (i). 

Bientôt  après  la  manifestation  de  ce  phénomène, 
on  reconnaît  qu'il  se  forme  à  la  surface  des  liquides 
en  expérience  une  pellicule  d'abord  inapparenle  et 
que  le  microscope  discerne  à  peine;  puis  celle-ci 
s'épaissit  successivement,  et  finit  même  parfois  par 
devenir  assez  tenace.  Cette  pellicule  est  évidemment 
composée  par  des  débris  d'animalcules,  d'abord  de 
l'ordre  le  plus  infime,  et  ensuite,  par  ceux  d'espèces 
de  plus  en  plus  élevées  dans  la  série  des  Microzoaires. 
C'est  cette  mince  pseudo-membrane  que  j'ai  nommée 
pellicule  proligère,  parce  qu'il  est  évident  que  c'est 
elle  qui,  à  l'instar  d'un  ovaire  improvisé,  produit  les 
animalcules.  On  peut  y  suivre  leur  développement  à 
l'aide  de  nos  instruments  et  reconnaître  qu'ils  s'en- 
gendrent à  môme  les  débris  organiques  dont  elle  se 
compose. 

Les  Protozoaires  qui  forment  d'abord  la  pellicule 
prohgère  sont  des  Monades,  des  Bactériums  et  des 
Vibrions,  et  chacun  de  ces  animalcules  lui  donne  un 

(1)  Wrisberg,  Observationum  de  animalculis  infusoriis  natura. 
Gottingue,  1765,  p.  85. 
J.  MuLLER,  Manuel  de  'physiologie.  Paris,  1851,  t.  I,  p.  16. 

POUCHET.  2  3 


354  HETEROGENIE. 

aspect  particulier.  Comment  ces  animalcules  sont-ils 
produits?  d'où  viennent-ils?  c'est  ce  que  nous  ne 
pouvons  dire,  leur  extrême  petitesse  les  dérobant  à 
toute  espèce  d'investigation.  Mais  plus  tard  appa- 
raissent les  Paramécies,  les  Vorticelles^  les  Kérones, 
les  Kolpodes,  dont  on  peut  reconnaître  l'origine  ;  et 
qui,  eux,  après  s'être  formés  à  même  les  débris  or- 
ganiques des  animalcules  qui  les  précèdent,  contri- 
buent ensuite,  après  leur  mort,  à  augmenter  l'épais- 
seur de  la  pseudo-membrane,  et  à  lui  donner  un 
nouvel  aspect. 

Valentin  prétend  que  la  pellicule  de  la  surface 
des  infusions  n'est  que  le  résultat  des  réactions 
chimiques  qui  se  manifestent  dans  les  substances 
que  l'on  a  employées,  et  que  ce  n'est  qu'après  que 
cette  pseudo-membrane  est  apparue  que  l'on  voit 
naître  les  premières  générations  d'animalcules  (1). 
Je  m'étonne  que  Valentin,  qui  est  un  des  plus  pro- 
fonds observateurs  de  notre  époque,  se  soit  mépris 
à  cet  égard.  La  pellicule  proligère  ,  au  contraire,  est 
constamment  formée,  dès  son  origine,  par  d'infimes 
Microzoaires  ;  et  l'erreur  vient  de  ce  que  l'illustre 
successeur  de  Haller  n'a  fait  attention  qu'à  la 
seconde  génération  ,  celle  ^des  grands  animalcu- 
les, qui,  eux,  s'engendrent  à  même  le  détritus  des 
petits. 

La  pellicule  proligère  étant  constamment  formée 
par  les  cadavres  des  animalcules  dont  les  générations 
se  sont  succédé,  doit  présenter   des  caractères  assez 

(1)  Valentin,   Additions  à  Burdach.  De  la  modalité  de  Théte'- 
rogénie.  Physiologie,  Paris,  1838, 1.  Il,  p.   123. 


FORMATION   DE    LA   PELLICULE    PROLIGÈRE.  355 

variés,  et  c'est  ce  qui  a  lieu  en  effet.  Bien  plus,  les 
débris  des  Microzoaires  s'y  conservent  parfois  d'une 
si  complète  manière,  que  souvent,  longtemps  après 
leur  mort,  on  les  y  reconnaît  encore  parfaitement. 
Ceci  nous  a  permis  de  distinguer  bien  nettement 
quatre  sortes  de  membranes  qui  ont  des  caractères 
très-tranchés,  et  que  nous  décrirons  ci-après  ;  ce  sont  : 
la  pellicule  proligère  granulée  ;  la  pellicule  enche- 
vêtrée; la  pellicule  pseudo-cellulaire  et  la  pellicule 
mixte. 

1°  Pellicule  proligère  granulée. — Cette  pellicule 
est  évidemment  formée  par  des  cadavres  de  Monades 
ou  de  Bactériums,  c'est  la  plus  élémentaire  qu'il  soit 
possible  d'observer.  Voici  comment  elle  se  développe 
dans  les  macérations  que  l'on  a  pris  le  soin  d'abriter 
sous  des  cloches,  afin  d'éviter  qu'il  ne  s'y  mêle  quel- 
ques-uns des  corpuscules  que  l'atmosphère  tient  cons- 
tamment en  suspension. 

Dans  l'origine,  la  matière  organisable  est  à  l'état  de 
dissolution  complète  dans  les  liquides  qui  la  renfer- 
ment, et  le  microscope  le  plus  perfectionné  n'y  dé- 
montre absolument  rien  (1).  Ce  n'est  qu'après  un 
certain  temps  de  repos,  quinze  à  vingt  heui'es  seule- 
ment, si  la  température  est  élevée^  et  sous  l'influence 
de  l'air  et  de  la  chaleur,  qu'on  voit  apparaître  à  leur 
surface  des  corpuscules  ou  molécules  microscopiques, 
sphéroïdes,  d'une  petitesse  extrême ,  et  qui  semblent 
absolument  privés  d'organisation.  Ces  corpuscules 
restent  plongés  dans  la  plus  profonde  immobilité, 

(I)  J.  MuLLER,  Manuel  de  physiologie,  traduit  de  Tallemand;,  par 
A.  J.  L.  Jourdan.  Deuxième  édition.  Paris,  1851,  t.  I,  p.  6. 


a56  HÉTÉROGÉNIE. 

comme  s'ils  se  trouvaient  enchaînés  à  distance.  Cette 
immobilité  est  même,  selon  nous,  un  caractère  fon- 
damental qui  les  dislingue  des  molécules  inorganiques. 
Et  quand  plus  tard  ces  corpuscules  s'animeront,  leurs 
oscillations  seront  tout  à  fait  différentes  de  celles  qu'a 
observées  M.  Brown  sur  les  particules  inertes.  C'est  là 
la  transition  de  la  matière  inerte  vers  la  matière  ani- 
mée; c'est  là  la  plus  simple  expression  des  particules 
organisatrices  venant  de  s'échapper  des  corps  en  dé- 
composition; c'est  là  entîn  ce  que  nous  nommons 
molécules  primaires  immobiles. 

Ces  granules  ou  corpuscules  globulaires,  comme 
les  appelle  Tiedemann,  doivent  être,  selon  lui,  consi- 
dérés comme  la  forme  élémentaire  des  corps  organi- 
sés et  comme  les  dernières  molécules  organiques 
douées  de  formes  distinctes  que  l'on  puisse  apercevoir 
en  eux  (1). 

Le  lendemain,  des  phénomènes  d'un  ordre  opposé 
se  manifestent  dans  la  macération  :  à  l'immobilité  de 
la  veille  succède  une  agitation  particulière.  Les  molé- 
cules organiques,  sans  avoir  grossi  en  apparence  et 
encore  tellement  ténues  que  les  plus  forts  microscopes 
ne  tes  font  apparaître  que  sous  la  forme  de  pointes 
qu'on  distingue  à  peine,  s'agitent  de  côté  et  d'autre  et 
sont  toutes  animées  de  mouvements  que  l'on  ne  peut 
méconnaître.  C'est  lorsqu'elles  sont  sous  cet  état  que 
nous  leur  donnons  ce  nom  de  molécules  primaires 
mobiles. 

Ce  mouvement  intime  des  molécules  organiques, 

(1)  Treviranus,  Traité  de  physiologie  de  l'homme.  Paris,  1851, 
t.l,  p.  H9. 


FORMATION    DE    LA    PELLICULE    PROLIGÈRE.  357 

observé  par  nous,  avait  déjà  été  reconnu  par  0.  F.  Mill- 
ier et  par  iM.  Dumas  (1). 

J.  Muller  et  M.  Dujardin  ont  essayé  de  réfuter  ce 
phénomène,  en  prétendant  que  c'est  au  mouvement 
brownien  qu'il  faut  rapporter  les  indices  de  motilité 
observés  par  les  deux  savants  que  nous  venons  de  ci- 
ter (2)  ;  mais  c'est  à  tort. 

Le  mouvement  qu'offrent  les  molécules  primaires 
devenues  animées  ne  ressemble  même  nullement  au 
mouvement  brownien.  Dans  leurs  mouvements,  ces 
molécules  ne  semblent  enchaînées  par  aucune  attrac- 
tion réciproque,  et  elles  sont  animées  d'une  force  qui 
leur  est  inhérente  et  leur  permet  de  franchir  de  si 
grands  espaces,  comparativement  à  leur  volume, 
qu'elles  traversent  parfois  tout  le  champ  du  micro- 
scope. 

Le  mouvement  brownien  est  tout  différent.  Dans 
celui-ci  toutes  les  molécules  s'agitent  dans  une  sphère 
limitée,  et  jamais  elles  n'en  sortent;  elles  semblent 
enchaînées  les  unes  aux  autres  par  une  puissance 
attractive,  et  ne  varient  nullement  dans  leurs  rapports 
respectifs.  Un  œil  exercé  distingue  très-bien  cela  avec 
le  microscope  ordinaire  ;  mais  on  le  prouve,  sans  ré- 
plique, à  l'aide  du  microscope  solaire.  L'image  d'un 
certain  nombre  de  molécules  de  fer,  de  laque  ou  d'in- 
digo étant  projetée  sur  un  tableau  blanc,  je  place  sur 

(1)  0.  F.  Muller,  Jnim.  in  fus. 

Dumas,  Dictionnaire  classique  d'histoire  naturelle.  Paris,  1825, 
t.  VII,  p.  221.  Ann.  des  sciences  naturelles. 

(2)  J.  Muller,  Manuel  de  physiologie.  Paris,  1851,  p.  7. 
Dujardin,  Histoire  naturelle  des  infusoires.  Paris,  1841,  p.  93. 


358  HETEROGENIE. 

quatre  ou  cinq  d'entre  elles  des  aiguilles  fines ^  et  je 
reconnais  que  ces  molécules  s'agitent  en  tous  sens,  se 
rapprochent  ou  s'éloignent  entre  elles,  mais  que  ja- 
mais elles  n'abandonnent  le  lieu  où  elles  siégeaient 
primitivement,  et  où  se  trouve  enfoncée  la  pointe  de 
l'aiguille.  On  a  sous  les  yeux,  qu'on  me  permette  cette 
comparaison  parce  qu'elle  est  d'une  exactitude  par- 
faite, une  espèce  de  contredanse  microscopique  dans 
laquelle  les  sujets,  après  s'être  agités  diversement, 
reviennent  toujours  à  leur  place.  Au  contraire,  quand 
il  s'agit  d'animalcules  infiniment  petits,  jamais  ceux-ci 
ne  retournent  à  l'endroit  d'où  ils  sont  partis.  J'insiste 
sur  ce  point  parce  que,  depuis  qu'il  a  été  découvert, 
le  mouvement  brownien  a  souvent  été  mal  interprété 
par  les  physiologistes  et  a  donné  lieu  à  une  foule 
d'erreurs. 

Pour  nous,  ces  molécules  primaires  mobiles  ne  sont 
autre  chose  que  des  Monades  de  la  plus  petite  espèce, 
le  Monas  termo,  MuU.  et  le  Monas  crepiisculum ^  Ehr., 
qu'on  a  d'abord  aperçus  encore  inanimés,  et  qui,  avec 
le  temps,  ont  enfin  revêtu  le  caractère  le  plus  tranché 
de  l'animalité.  Et  si  sous  leur  premier  état  nous  les 
appelons  molécules  immobiles,  c'est  tout  simplement 
pour  exprimer  cette  phase  indécise  de  l'organisation 
où  un  être  ne  jouit  pas  encore  de  ses  attributions  dis- 
tinctives;  car  un  animal  ne  peut  résulter  que  d'une 
réunion  de  molécules,  et  ce  nom  n'est  là  employé  que 
pour  donner  l'idée  de  leur  agglomération  et  de  leur 
infinie  petitesse.  La  vie  de  ces  Monades  est  de  courte 
durée.  Quelques  heures  seulement  leur  suffisent  pour 
en  parcourir  toutes  les  phases;  et  lorsqu'elles  sont  mor- 


FORMATION    DE    LA    PELLICULE    PROLIGÈRE.  359 

tes,  leurs  corps  constituent  autant  de  granulations  en- 
tassées, qui  forment  la  pellicule  que  nous  nommons 
pellicule  proligère  granulée,  à  cause  de  son  aspect. 

M.  Pineau  (1)  a  bien  reconnu  l'apparilion  de  ces 
animalcules,  mais  il  a  eu  tort  en  prétendant  que  c'é- 
tait la  substance  organique  des  infusions  qui  se  trans- 
formait elle-même,  par  voie  de  division,  en  granula- 
tions qui  acquéraient,  par  degrés,  les  caractères  de 
l'animalité,  et  formaient  autant  de  Monades. 

Bory  de  Saint-Yincent,  en  suivant  pas  à  pas  l'orga- 
nisation de  la  matière,  a  signalé  aussi  des  phénomènes 
analogues  à  ceux  que  nous  venons  de  décrire.  Il  dit, 
avec  raison,  qu'au  moment  où  le  liquide  commence  à 
se  troubler  à  sa  surface,  celle-ci  est  occupée  par  des 
globules  sphériques,  infiniment  petits,  animés  d'un 
mouvement  incessant,  et  auxquels  il  donne  le  nom 
de  matière  agissante  (2).  Ce  sont,  selon  lui,  ces  glo- 
bules que  0.  F.  Mûller  a  figurés  sous  le  nom  de  Monas 
termo,  au  nombre  des  Infusoires  (3).  Selon  Bory, 
chaque  molécule  de  cette  matière  représente  une  in- 
dividuaHté,  jouissant  d'une  vie  propre,  mais  qu'elle 
peut  perdre  en  se  groupant  avec  d'autres  molécules 
identiques  pour  contribuer  à  la  production  d'un  être 

(1)  J.  Pineau,  Recherches  sur  le  développement  des  animalcules 
infusoires.  Ann.  se,  nat.  Zoologie,  1845,  t.  111,  p.  183. 

(2)  BoR\  DE  Saint-Vincent,  Dict.  classique  d'histoire  naturelle, 
Paris,  1826,  t.  X,  p.  260,  dit  que  ces  globules  sont  d'une  telle  pe- 
titesse que  leur  volume  n'équivaut  pas,  après  un  grossissement  de 
mille  fois,  à  celui  du  trou  que  Ton  ferait  dans  une  feuille  de  pa- 
pier avec  une  aiguille  extrêmement  déliée. 

(3)  0.  F.  Muller,  Encyclopédie  méthodique.  Paris,  1791,  pi.   I, 

tig.  i. 


360  HÉTÉROGÉNIE. 

plus  élevé.  Nous  verrons  plus  loin  que  cette  idée  est 
exacte;  mais,  comme  nous  venons  de  le  dire,  chaque 
molécule  animée  n'en  représente  pas  moins  un  ani- 
malcule. 

D'autres  fois,  au  lieu  de  Monades,  ce  sont  desBac- 
tériums  qui  forment  uniquement  la  pellicule  proli- 
gère.  D'abord  on  en  distingue  très-peu  à  la  surface 
du  liquide;  puis  ensuite  d'autres  apparaissent.  D'a- 
bord, aussi,  ils  sont  tous  immobiles;  mais  bientôt 
leurs  mouvements  deviennent  sensibles,  et  souvent  en 
vingt-quatre  heures,  leur  vie  s'est  totalement  écoulée 
et  l'on  ne  rencontre  plus  après  que  leurs  cadavres 
excessivement  lassés  et  formant  une  pseudo -membrane 
vermiculée.  J'ai  souvent  vu  des  pellicules  uniquement 
composées  par  le  Bacteriumarticulatum,  Ehr.;  quel- 
quefois aussi  il  s'y  mêle  des  Monades. 

2°  Pellicule  proligère  enchevêtrée.  —  Mais,  la 
majeure  partie  du  temps,  lorsque  la  température  est 
élevée,  la  pseudo-membrane  se  produit  par  un  pro- 
cédé qui  diffère  de  celui  dont  il  a  été  question  dans 
la  section  précédente.  On  voit  tout  d'un  coup  la  sur- 
face du  hquide  se  peupler  d'une  immense  quantité  de 
longs  Vibrions  qui  s'enchevêtrent  ensemble  en  mou- 
rant, et  forment  une  pellicule  plus  ou  moins  tenace. 
Voici^ce  qui  se  passe  alors. 

Dans  ce  cas,  le  rôle  principal  de  la  formation  de 
cette  pseudo-membrane  est  confié  à  deux  très-longs 
Vibrions,  qui  ne  me  paraissent  avoir  été  décrits  par 
aucun  auteur.  J'ai  nommé  l'un  d'eux  Vibrion  grani- 
fère,  à  cause  de  sa  structure,  et  l'autre  Vibrion  lisse. 

Le  Vibrion  granifère,    Vibiio  granifer  offre  une 


FORMATION    DE    LA    PELLICULE    PROLIGÈRE.  361 

taille  peu  commune  parmi  ses  congénères  :  sa  lon- 
gueur atteint  souvent  0,0560  de  millimètre;  il  est 
parfaitement  cylindrique  dans  toute  sa  longueur  et 
obtus  à  ses  deux  extrémités.  Son  corps  est  incolore, 
hyalin,  transparent,  et  presque  constamment  l'in- 
térieur en  est  occupé  par  huit  granules,  ce  qui  me 
donna  d'abord  l'idée  de  le  nommer  Vibrio  oclopunc- 
tatiis  ;  uiRh  parfois  aussi  on  n'y  en  compte  que  quatre, 
et  d'autres  fois  il  n  y  en  a  que  deux  ou  même  qu'un 
seul.  La  disposition  de  ces  granules  offre  une  cer- 
taine régularité;  ils  sont  toujours  groupés  deux  à 
deux.  Un  groupe  de  deux  est  placé  vers  l'une  des  ex- 
trémités, et  un  groupe  de  deux  autres  vers  l'autre  ex- 
trémité ;  les  quatre  granules  qui  restentsont,  au  con- 
traire, situés  vers  le  milieu  du  corps  et  ramassés  deux 
à  deux,  en  laissant  un  certain  intervalle  entre  leurs 
deux  groupes. 

Ce  Vibrion  a  une  natation  élégante,  absolument 
analogue  à  celle  de  l'anguille  commune,  seulement 
un  peu  plus  lente  et  moins  tortueuse.  On  le  voit  par- 
fois faire  de  grands  efforts  pour  traverser  certains  en- 
droits d'un  abord  difficile,  et  quand  il  ne  peut  réussir 
à  s'y  enfoncer,  il  rétrograde  en  nageant  en  arrière. 
Plus  les  Vibrions  granifères  sont  longs,  plus  ils  nagent 
gracieusement.  Ils  semblent  parfois  se  multiplier  par 
scission;  je  dis  parfois,  car  d'abord  on  les  voit  tous 
apparaître  brusquement  en  ayant  toute  leur  longueur. 
Quand  cela  a  lieu,  la  scission  se  fait  entre  les  deux 
groupes  de  granules  situés  vers  le  milieu  du  corps. 
Alors  la  natation  n'est  plus  onduleuse  :  elle  ressem- 
ble aux  mouvements  anguleux  qu'auraient  deux  ba- 


362  HÉTÉROGÉNIE. 

guettes  raides,  articulées  chacune  ensemble  par  l'une 
de  leurs  extrémités  :  les  inflexions  sont  considérables 
comme  si  les  deux  portions  faisaient  de  mutuels  ef- 
forts pour  se  séparer,  se  briser,  à  un  endroit  déjà 
étranglé. 

La  durée  de  la  vie  du  Vibrion  granifère  est  peu 
considérable.  Souvent  on  le  voit  apparaître  dans  les 
macérations  vingt-quatre  heures  après  qu'elles  ont 
été  commencées.  Il  s'y  agite  pendant  vingt  ou  vingt- 
quatre  heures,  et  après  ce  laps  de  temps  écoulé,  il  a 
généralement  accompli  le  cycle  entier  de  son  exis- 
tence. Nés  presque  tous  à  la  même  heure,  presque 
tous  succombent  en  même  temps  et  viennent,  en  mou- 
rant, s'enchevêtrer  et  former  un  véritable  canevas  à 
la  surface  de  l'eau. 

Ni  0.  F.Mûller(i),niEhrenberg(2),ni  Dujardin(3), 
ni  enfin  Diesing  (4),  qui  n'admet  que  les  espèces  des 
deux  premiers  naturalistes,  ne  me  semblent  avoir  dé- 
crit le  Vibrion  queje  mentionne.  0.  F.  Mûller  ne  cite 

(l)  0.  F.  MuLLER,  A7iiTnalcula  infusona  fluviatilia  et  marina' 
Hauniœ,  i786. 

(2}  Ehreisberg,  Die  infusionsthierchen,  etc.  Leipzig,  1838. 

(3)  DujARDiN,  Histoire  naturelle  des  infusoires.  Paris. 

(4)  DiEsiiNG,  Systema  helminthum.  Vindobonae,  1850.  La  descrip- 
tion du  vibrio  prolifer.Ehv.  que  donne  cet  auteur,  semblerait  s'en 
rapprocher  :  Syntherium  cylindricum,  crassum,  flexuosum,  utrinque 
rotundatum  corpusculis  ad  8,  ovatis,  hyalinis,  distinctis.  Mais  la 
figure  d'Ehrenberg,  qu'il  indique,  ne  s'y  rapporte  nullement, 
pas  plus  que  la  description.  [Infus.  81.  tab.  5,  8.)  Elirenberg  ne 
parle  aucunement,  dans  sa  description,  des  huit  corpuscules 
mentionnés  par  M.  Diesing.  Il  le  décrit  ainsi  :  Vibrio  bacillis  vali- 
dioribus  abbreviatis^  hyalinis^  motu  lento  {lexuosis,  distincte arti- 
culatis.  M.  Diesing  a  mentionné  k  tort  comme  des  granulations, 
les  huit  nodosités  moniliformes  qu'offre  la  figure  d'Ehrenberg. 


FORMATION    DE    LA    PELLICULE    PROLIGERE.  363 

aucune  espèce  qui  puisse  même  en  être  rapprochée. 
Son  Vibrio  bipunclatus  est  évidemment  fort  ana- 
logue aux  fragments  de  notre  espèce;  mais  ce  n'est 
assurément  pas  de  .ceux-ci  qu'il  est  question  dans 
l'œuvre  de  ce  zoologiste,  car,  en  parlant  de  son  ani- 
malcule, il  dit  qu'il  le  découvrit  in  aqua  marina  posl 
quatuor  septimanas,  au  moment  où  elle  exhalait  une 
odeur  excessivement  fétide  (1),  tandis  que  le  nôtre 
vient  dans  l'eau  douce,  dans  laquelle  ont  seulement 
macéré,  une  vingtaine  d'heures,  quelques  substances 
végétales. 

Le  Vibrion  lisse,  Vibrio  levis,  Pouch. ,  doit  le  nom  que 
je  lui  ai  donné  à  son  corps  allongé  et  tout  à  fait  lisse. 
Ce  Vibrion  est  certainement  aplati,  ce  qui  se  distingue 
nettement  quand  il  nage.  Il  est  excessivement  long  et 
atteint  jusqu'à  0,0840  de  millimètre  de  longueur,  ce 
qui  m'avait  d'abord  porté  à  lui  donner  le  nom  de 
Vibrion  gigantesque.  Son  diamètre  est  de  0,0014  de 
millimètre;  sa  natation  est  très-élégante,  anguilloïde. 

Le  Vibrion  granifère  semble  précéder  un  peu  l'ap- 
parition du  Vibrion  lisse.  Il  arrive  un  moment  où  l'on 
trouve  encore  dans  les  macérations  de  nombreux  re- 
présentants du  dernier,  tandis  que  l'autre  n'offre  çà 
et  là  que  quelques  individus  entiers  et  languissants,  et 
une  foule  de  fragments  ou  de  granules,  répandus  dans 
le  liquide,  qui  n'en  sont  que  les  débris.  De  place  en 
place  même,  ces  granules  forment  parfois  des  îlots 
colorés  en  jaune,  composés  de  grains  très-distincts, 
placés  dans  les  lacunes  de  l'enchevêtrement  des  Vi- 

(1)  0.  F.  MuLLER,  Animalcula  infusoria  fluviatilia  et  marina. 
Hauniae,  1786,  p.  52,  pi.  YII,  fig.  \. 


364  HÉTÉROGÉNIE. 

brions  lisses,  comme  si,  dans  certaines  circonstances, 
le  corps  du  Vibrion  granifère,  après  la  mort,  se  dis- 
solvait en  laissant  ses  granules  libres,  tandis  que  le 
corps  du  Vibrion  lisse  reste  indécomposé  un  certain 
temps  pour  former  le  primitif  canevas  de  la  membrane 
proligère. 

La  pellicule  proligère  enchevêtrée  est  formée  prin- 
cipalement à  l'aide  des  deux  Vibrions  que  nous  venons 
de  décrire.  A  cet  effet,  ils  s'entassent  en  se  mêlant, 
soit  séparément,  soit  ensemble,  en  se  feutrant,  pour 
parler  exactement;  et  c'est  ainsi  qu'ils  donnent  nais- 
sance à  cette  pellicule  qui,  au  microscope,  ressemble 
au  tissu  d'une  toile  d'araignée.  Celle-ci,  à  cause  de  sa 
nature,  est  plus  solide,  plus  résistante  que  celle  qui 
est  simplement  composée  de  débris  de  Monades.  La 
pellicule  enchevêtrée  est  parfois  presque  uniquement 
formée  par  le  Vibrion  granifère  qui  est  resté  entier; 
d'autres  fois,  par  le  Vibrion  lisse;  parfois  aussi  elle  est 
constituée  par  ces  deux  espèces,  et  dans  l'intervalle 
de  leurs  mailles  on  voit  des  corpuscules  qui  ne  sont 
que  des  vestiges  de  petits  Vibrions,  de  Monades  ou  de 
Bactériums,  qui  ont  vécu  en  même  temps  que  les 
longs  Vibrions  qui  composent  essentiellement  le  ca- 
nevas de  la  pseudo-membrane. 

En  voyant  ainsi  les  Vibrions  composer  par  leurs 
débris  inanimés  une  sorte  de  sol  à  même  lequel  vont 
à  leur  tour  se  former  des  Microzoaires  d'un  ordre 
plus  élevé,  nous  pourrions,  à  l'exemple  de  M.  W.  Bur- 
nett,  supposer  que  ces  Vibrions  ne  sont  que  des  végé- 
taux primaires  (1),  et  les  considérer  comme  des  créa- 
it) w.  BuRNETT_,  The  family  oj  Vihrioma  (Ehrenberg)  ?<of  Ani- 


FORMATION    DE    LA    PELLÏCLLE    PROLIGERE.  365 

tures  d'essai  destinées  à  nourrir  les  animalcules  qui 
vont  leur  succéder.  Mais  il  est  évident  que  ces  Vibrions 
sont  parfaitement  des  animaux,  quoi  qu'en  ait  dit  le 
savant  Américain. 

3"  Pellicule  proligère  pseudo-cellulaire.  — Par- 
fois aussi,  lorsque  les  générations  de  Monades  et  de 
Vibrions  se  sont  anéanties  et  que  des  Microzoaires  d'un 
ordre  plus  élevé  sont  apparus,  ceux-ci,  en  mourant, 
ajoutent  leurs  débris  à  la  mince  pellicule  précédem- 
ment formée  par  de  plus  infimes  animalcules.  Je  dis 
parfois,  car,  dans  certaines  circonstances,  ces  Micro- 
zoaires, en  expirant,  se  dissolvent  complètement  dans 
le  fluide  qui  les  contient;  phénomène  dont  nous  par- 
lerons plus  loin.  Mais  celui-ci,  que  l'on  regarde  comme 
un  fait  général,  est  peut-être  plus  commun  sous  la 
pression  qu'éprouvent  les  Microzoaires,  durant  nos 
observations,  qu'il  ne  l'est  dans  la  nature.  Ce  que 
je  sais,  c'est  que  souvent  j'ai  vu  que  quand  nos  ma- 
cérations étaient  anciennes  et  que  la  pellicule  était 
très-épaisse,  pultacée,  on  reconnaissait  évidemment 
que  presque  toute  l'épaisseur  de  cette  pseudo-mem- 
brane était  le  résultat  d'amas  de  corps  de  Kolpodes  ou 
de  Monades  volumineuses,  dont  les  cadavres  s'étaient 
entassés  en  mourant  et  avaient  pu  se  conserver  mu- 
tuellement. 

Des  expériences  conduites  avec  délicatesse  démon- 
trent cela  bien  évidemment.  Si  l'on  prend  une  pelli- 
cule épaisse  dans  une  macération  où  se  sont  succédé 
plusieurs  générations  de  Kolpodes,  et  qu'on  la  com- 

mals,  but  Plants.  —  Proceedings  of  (he  American  association  for 
Ihe  advancement  of  science,  1851. 


366  HETEROGENIE. 

prime  très  légèrement,  bientôt  on  reconnaîtra  qu'elle 
est  composée  d'espèces  d'utricules,  qui  ne  sont  autre 
chose  queles  cadavres  de  ces  animalcules,  à  l'intérieur 
desquels  on  distingue  parfois  même  encore  les  esto- 
macs. La  micrométrie  ne  permet  aucune  erreur  à  ce 
sujet. 

Si  l'on  comprime  un  peu  plus  la  pellicule  proli- 
gère,  quoique  fort  légèrement  encore,  les  corps  tassés 
l'un  contre  l'autre  prennent  l'aspect  d'un  tissu  cellu- 
laire végétal,  même  assez  régulier,  ce  qui  est  produit 
par  la  pression  réciproque  des  animalcules  morts. 

Lorsque  cette  pellicule  pseudo-cellulaire  a  été  for- 
mée par  la  Monade  lentille,  cette  espèce  étant  globu- 
leuse et  plus  petite,  l'apparence  cellulaire  est  beaucoup 
plus  régulière  et  imite  des  cellules  beaucoup  plus  fines. 
■  Combien  de  temps  des  cadavres  de  Kolpodes  ou  de 
grosses  Monades  peuvent-ils  se  conserver  sans  trop 
se  déformer,  pour  engendrer  ainsi  une  pseudo-mem- 
brane? C'est  ce  que  je  ne  pourrais  dire  au  juste. 
Mais  je  crois  que  les  Monades  se  conservent  facile- 
ment cinq  à  six  jours.  L'enveloppe  cutanée  des  Kolpo- 
des me  paraît  durer  beaucoup  moins,  mais  leurs  esto- 
macs au  contraire  sont  parfois  assez  tenaces,  et  ce  sont 
eux  qui  ont  été  dans  quelques  circonstances  pris  pour 
de  petits  Kystes. 

Lorsque  l'on  rencontre  des  pellicules  proligères 
formées  par  des  corps  de  gros  animalcules,  ceux-ci 
ont  toujours  été  excessivement  nombreux  et  entassés 
dans  la  macération,  où  ils  semblent  parfois  s'être 
étouffés  par  leur  extrême  multiplication. 

4°  Pellicule  proligère  mixte.  —  Nous  appelons 


FORMATION    DE    LA    PELLICULE    PROLIGÈRE.  367 

ainsi  les  pellicules  proligôres  qui  sont  à  la  fois  compo- 
sées par  les  divers  éléments  qui  entrent  dans  les  es- 
pèces de  pseudo-membranes  dont  nous  venons  d'étu- 
dier la  formation. 

On  rencontre,  à  la  rigueur,  assez  communément 
cette  sorte  de  pellicule  que  nous  appelons  mixte,  car 
souvent  aux  Vibrions  on  voit  se  joindre  des  Monades 
et  d'autres  animalcules;  mais  cependant,  si  une  es- 
pèce est  tranchée  et  si  une  sorte  d'animalcule  en  pré- 
dominant, donne  à  la  pellicule  un  caractère  spécial, 
nous  préférons  la  désigner  sous  l'un  des  noms  précé- 
dents. 

Enfin,  lorsque  ce  sont  des  végétaux  qui  apparais- 
sent à  la  surface  des  macérations,  on  voit  un  autre 
ordre  de  phénomènes  se  présenter.  La  pseudo-mem- 
brane proligère  est  alors  presque  uniquement  formée 
par  l'enchevêtrement  des  mycéhums  des  champignons 
rudimentaires  qu'on  observe  à  sa  surface,  etsou- 
vent  cette  pseudo-membrane  prend  alors  une  épais- 
seur fort  remarquable  et  offre  une  résistance  qu'il 
faut  une  certaine  force  pour  vaincre.  On  pourrait 
donc  ajouter  à  ce  qui  précède  qu'il  y  a  une  pellicule 
proligère  cryptogamique  ;  mais  celle-ci,  par  son  as- 
pect microscopique,  doit  rentrer  dans  la  catégorie 
des  pellicules  enchevêtrées.  C'est  ainsi  que  souvent  la 
surface  de  l'urine  qui  s'altère  se  couvre  d'une  pelli- 
cule extrêmement  épaisse,  coriace,  qui  est  formée  par 
le  mycélium  du  Pénicillium  glaucum,  Link.  qui  y 
abonde  ordinairement. 


368  HÉTEROGENIE. 

SECTION  m.  —  PHÉNOMÈNES  SECONDAIRES.  APPARITION  DE  l'ovuLE 
SPONTANÉ  DANS  LA  PELLICULE  PROLIGÈRE.  PREMIERS  GRANULES 
VITELLINS. 

En  comparant  attentivement  les  phénomènes  géné- 
siques  qui  se  manifestent  successivement  lors  de  l'ap- 
parition des  ovules  spontanés  et  des  ovules  ovariques, 
je  ne  vois  pas  la  moindre  différence  enire  eux,  sinon 
que  les  uns  résultent  de  la  concentration  des  molécu- 
les organiques  du  stroma  de  l'ovaire,  tandis  que  les 
autres  sont  produits  par  celle  des  molécules  organi- 
ques de  la  pellicule  proligère.  Et  si,  par  la  suite,  il  y  a 
une  différence  fondamentale  entre  les  deux  corps  en- 
gendrés, elle  est  à  l'avantage  de  celui  qui  naît  sponta- 
nément, car  l'œuf  ovarique,  pour  continuer  son  évo- 
lution, a  ordinairement  besoin  d'être  fécondé,  tandis 
que  l'œuf  spontané,  élevé  à  une  plus  grande  puis- 
sance biologique,  parcourt  toutes  ses  phases  sans  nul 
stimulant  nouveau. 

Bory  Saint-Vincent  avait  déjà  parfaitement  senti 
que,  durant  leurs  premières  phases  génésiques,  tous 
les  êtres  organisés  se  ressemblent  par  leur  extrême 
simplicité.  Il  est  une  époque  de  l'existence,  dit-il,  où 
tout  être  vivant,  quels  que  soient  sa  taille  et  le  rôle  qu'il 
joue  sur  le  globe,  n'est  qu'un  animalcule  (1).  Nous, 
nous  n'entendons  pas  par  là  que  l'être  traverse  suc- 
cessivement les  formes  des  Microzoaires,  bien  loin  s'en 
faut,  mais  qu'au  moment  où  les  premières  molécules 
se  groupent  dans  la  substance  ovarique  ou  dans  la 

(1)  BoRY  Saint-Vincent,.  Dictionnaire  classique  d'histoire  natu- 
relle. Paiis,  1820,  t.  X,  p.  534. 


APPARITION    DE    L  OVULE    SPONTANE.  369 

membrane  proligère  pour  former  l'ovule,  tout  s'y  passe 
absolument  de  même. 

M.  Dumas,  dans  des  observations  semblables  aux 
noires,  mais  faites  sur  des  macérations  de  viande,  a 
vu  se  développer  des  phénomènes  absolument  ana- 
logues à  ceux  que  nous  allons  bientôt  décrire.  Selon 
cet  illustre  savant,  voici  comment  les  infusoires  surgi- 
raient spontanément  dans  la  matière  organique.  «Que 
l'on  place,  dit-il,  un  fragment  de  chair  animale  ou 
d'une  matière  analogue  dans  de  l'eau  et  que  l'on 
abandonne  le  mélange  à  lui-même,  on  observera 
bientôt,  au  moyen  du  microscope,  une  foule  de  petits 
globules  dans  le  liquide,  et  l'on  pourra  se  convaincre 
aisément  que  chacun  d'eux  est  doué  d'un  mouve- 
ment spontané,  qu'il  paraît  peu  capable  de  diriger 
et  qui  ressemble  assez,  mais  avec  beaucoup  moins 
de  précision,  aux  oscillations  de  la  lentille  d'un 
pendule. 

«  Le  diamètre  de  ces  petits  êtres,  qui  paraissent  pro- 
pres à  réaliser  la  haute  pensée  des  molécules  organi- 
ques de  Buffon,  est  absolument  semblable  à  celui 
des  globules  élémentaires  qui  constituent  la  fibre  mus- 
culaire. Ils  sont  par  conséquent  aussi  petits  que  les 
plus  petites  particules  organiques  qu'il  nous  ait  été 
permis  d'observer  encore,  et  cependant  ils  jouissent 
du  mouvement  volontaire  ou  au  moins  d'un  mouve- 
ment spontané,  fonction  qui  semble  indiquer  une 
organisation  déjà  compliquée.  » 

Cette  observation  nous  montre  la  matière  organisée 
morte  désagrégeant  ses  éléments  en  une  infinité 
d'être  animés,  dont  chacun  ne  semble  que  l'un  de  ses 

F'orcriEr.  2* 


370  HETEROGENIE. 

globules  élémentaires.  «En  continuant  l'observation, 
on  aperçoit  bientôt,  ajoute  M.  Dumas,  deux  de  ces 
globules  mouvants  s' accolant  l'un  à  l'autre,  de  ma- 
nière à  produire  un  être  nouveau  plus  gros,  plus 
agile  et  capable  de  mouvements  mieux  déterminés 
que  ceux  que  l'on  observe  dans  les  simples  globules. 
Ce  composé  binaire  ne  tarde  pas  à  attirer  à  lui  un 
troisième  globule,  qui  tiendra  se  réunir  aux  précé- 
dents et  se  souder  intimement  lavec  eux.  Enfin  un 
quatrième  et  un  cinquième  et  bientôt  trente  ou  qua- 
rante se  trouveront  accolés  et  constitueront  un  animal 
unique,  doué  de  mouvements  puissants,  énergiques,  et 
muni  d'appareils  locomoteurs  plus  ou  moins  compli- 
qués ;  enfin,  un  être  dont  l'organisation  sagement 
calculée,  repousse  au  premier  abord  toute  idée  d'une 
génération  aussi  simple  que  celle  dont  on  vient  d'of- 
frir l'histoire  (1).  » 

Nous  ne  venons  ici  que  soutenir  et  développer  les 
doctrines  analogues  à  celles  qu'a  professées  l'illustre 
chimiste.  Seulement  nous  pouvons  le  faire,  nous  le 
pensons,  avec  la  précision  que  l'on  doit  attendre  de 
la  marche  ascendante  de  l'expérimentation  et  du  per- 
fectionnement des  instruments  que  nous  offre  notre 
époque. 

Semblable  à  certaines  forces  physiques,  la  puis- 
sance vitale  paraît  diffusément  répandue  dans  toute  la 
matière  organique,  où  elle  n'attend  que  quelque  cir- 
constance déterminée  pour  concentrer  son  action  et 
produire  de  nouveaux  êtres.  Yoici  pourquoi  Timpor- 

(It  Dumas.  Dictionnaire  classique  d'histoire  naturelle,  Paris,  1825, 
t.  VII,  p.  194. 


APPARITION    DE    L  OVULE    SPONTANÉ.  371 

tance  de  ceux-ci  est  toujours  en  raison  proportionnelle 
de  la  masse  en  fermentation. 

Les  premières  piiases  génésiques  d'une  Monade  ou 
d'un  Mammifère  offrent  la  même  simplicité.  La  force 
plastique  se  manifeste  sur  un  point  quelconque  de 
la  matière  et  comme  un  centre  vitaly  coerce  quelques 
molécules  organiques  ;  et  c'est  de  son  degré  de  ten- 
sion que  dérive  l'importance  de  l'être  qui  va  suri^ir. 
îl  n'y  a  pas  là  d'atomes  formant  d'impossibles  combi- 
naisons sous  l'empire  du  hasard,  mais  l'influence  do- 
minatrice d'une  force  spéciale,  rassemblant  successi- 
vement toutes  les  particules  du  nouveau  produit  si- 
tuées à  sa  portée,  et  centuplant  son  action  à  mesure 
que  celui-ci  s'organise  et  se  développe. 

C'était  cette  primitive  origine  qu'il  fallait  compa- 
rer; tout  y  est  identique,  car  c'est  une  puissance 
absolument  similaire  qui  préside  à  la  genèse  de  tous 
les  animaux,  seulement  elle  varie  selon  son  intensité 
et  son  siège.  Là,  en  s'épanchant  avec  surabondance 
elle  nous  livre  toutes  les  magnificences  de  la  série 
zoologique;  ici,  tout  à  fait  débile,  elle  n'aboutit  qu'à 
engendrer  ses  plus  infimes  représentants.  Mais,  quoi 
qu'il  en  soit,  au  début,  comme  le  dirait  Geoffroy 
Saint-Hilaire,  il  y  a  unité  de  composition  et  unité  de 
plan  (1)  ;  et  ce  n'est  même  qu'en  passant  par  divers 
états  transitoires  que  les  êtres  élevés  parviennent  à 
acquérir  leur  perfection  organique.  Les  travaux  des 
naturalistes  l'ont  mis  hors  de  doute  (2). 

(1)  E.  Geoffroy  Saint-Hilaire^  Principes  de  philosophie  zoolo- 
gique.  Paris,  iS'SO,  p.  59. 

(2)  Comp.  E.  Geoffroy  Saikt-Hilaiiœ,   Principes  de   philoso^ 


37  2  HÉTÉROGEME. 

Les  plus  délicates  observations  microscopiques  ré- 
vèlent que  tous  les  êtres  vivants,  à  leur  plus  infime 
origine,  ne  résultent  d'abord  que  d'un  simple  grou- 
pement de  quelques  molécules;  et  que  ce  n'est  que 
plus  tard  que  celles-ci  augmentent  et  forment  un  sphé- 
roïde à  la  surface  duquel  l'organisation  se  manifeste. 
Bremser  en  était  arrivé  de  vive  force  d'intelligence 
à  cette  conclusion  (1);  Carus  y  fut  conduit  après 
de  graves  supputations  anatomiques  (2). 

Voici  la  série  de  phénomènes  qu'on  voit  successi- 
vement apparaître.  Lorsque  la  pellicule  proligère  est 
parfaitement  liomogène,  et  que  ses  granulations  sont 
uniquement  formées  de  cadavres  de  Monades  crépus- 
culaires ou  de  Monades  termes,  le  premier  indice  de 
genèse  que  peut  apercevoir  l'observateur  consiste  en 
de  petits  amas  de  ces  granules  qui  se  forment  de  place 
en  place  dans  cette  membrane,  et  à  distances  à  peu 
près  égales.  Ces  amas  sont  simplement  dus  au  grou- 
pement ou  à  la  concentration  des  granules  qui  envi- 
ronnaient le  centre  vital,  comme  si  celui-ci  les  avait 
attirés  à  lui  aux  dépens  de  ceux  de  sa  circonférence. 
Il  en  résulte  que  ce  premier  indice  d'ovule,  car  c'en 
est  un  en  effet,  présente  des  granulations  un  peu  plus 
serrées  que  la  pellicule  proligère  elle-même,  et  que 

phie  zoologique.  —  Serres,  Recherches  d'anatomie  transcendante. 
Paris,  18*^3.  —  Dugès,  Mémoire  sur  la  conformité  organique  dans 
l'échelle  animale.  Paris,  1832.  —  Traité  de  physiologie  comparée. 
Montpellier,  1833,  t.  111,  p.  408. 

(1)  Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique  des  vers  intesti- 
naux de  lliomme.  Paris,  1824,  p.  81. 

(2)  Carus,  Traité  élémentaire  d'anatomie  comparée.  Paris,  1835, 
t.  ni,  p.  20. 


APPARITION    DE    L  OVULE    SPONTANÉ.  373 

fout  autour  de  cet  amas  central  il  y  a,  au  contraire, 
une  zone  un  peu  plus  claire  et  très-large.  Cette 
zone,  dont  les  limites  ne  sont  point  nettement  circon- 
scrites ,  forme  dans  la  pellicule  autant  de  cercles 
clairs  que  l'on  a  d'ovules  en  voie  de  formation  sous 
le  champ  du  microscope.  Mais  tout  est  encore  con- 
fondu avec  la  pellicule  proligère  durant  ce  premier 
effort  organisateur.  Ces  amas  de  granules  constituent 
les  premiers  granules  \itellins  de  l'ovule  du  Micro- 
zoaire  (1). 

L'histologie  des  Microzoaires  est  venue  confirmer 
un  fait  remarquable  que  nous  avions  déjà  signalé 
dans  le  développement  des  Mollusques;  c'est  que  les 
premiers  linéaments  de  l'animalité  se  recrutent  à 
l'aide  des  débris  d'une  génération  qui  vient  d'expirer. 
Nous  avions  reconnu  qu'avant  la  segmentation  du  vi- 
tellus  des  Lymnées,  celui-ci  était  rempli  d'animalcu- 
les dont  l'agitation  incessante  ne  pouvait  être  confon- 
due avec  le  mouvement  Brownien  (2),  L'œuf  des 
Microzoaires  se  forme  lui-même  de  molécules  qui  ne 
sont  évidemment  que  les  cadavres  des  Monades  et 
parfois  des  Vibrions  qui  l'ont  précédé  et  qui  forment 
la  pellicule  proligère. 

Les  granules  élémentaires  dont  nous  voyons  le 
groupement  constituer  les  plus  infîmes  linéaments  de 
l'embryon,  composent  la  base.de  tous  les  tissus  et  de 
tous  les  fluides  de  l'organisme.  Beaucoup  do  savants, 

(1)  Voyez  la  planche  ii ,  tig.   1,  où  Ton  représente  ce  premier 
indice  d'ovule. 

(2)  PoucHET,  Annales  françaises  et  étrangères  d'anatomie  et  de 
physiologie.  Paris,  1838,  t.  II,  p.  2o3. 


374  HÉTÉROGÉME. 

tels  que  Swammerdam  (1),  C.  F.  Wolf  (2),  C.  R. 
Treviranus  (3) ,  Sprengel  (4),  L.  C.  Treviranus  (5), 
Link  (6),  Rudolphi  (7),  J.  F.  Meckel  (8),  et  Tie- 
demann  (9)  en  ont  démontré  la  présence  dans  les 
embryons  des  plantes  et  des  animaux. 

Ce  n'est  qu'en  se  reportant  à  l'origine  des  phéno- 
mènes de  la  génération  normale  et  de  la  spontéparité 
qu'on  se  met  à  même  de  bien  juger  la  question.  L'his- 
tologie nous  démontre  évidemment  que,  chez  un 
grand  nombre  d'animaux  de  toutes  les  classes,  les 
premiers  linéaments  des  ovules  n'ont  nulle  adhérence 
avec  l'appareil  maternel  qui  les  produit,  et  que  ces 
ovules,  sous  l'empire  d'une  force  spéciale,  se  forment 
au  milieu  d'un  fluide  granuleux  sécrété  dans  les  ca- 
vités de  cet  appareil.  Là  ces  ovules,  primitivement 
constitués  par  le  groupement  d'un  certain  nombre  de 
granules,  restent  flottants  pendant  un  certain  temps 
au  milieu  de  ceux-ci.  R.  Wagner  a  fort  bien  repré- 
senté cela  chez  le  lapin  ;  Dugès  le  mentionne  chez 
certains  insectes  (10).  L'ovule  s'est  donc  formé  au  mi- 

(1)  SwAMMERDAM,  Bibi  anattiTCB.  p.  817. 

(2)  Wolf,  Theoria  generationis^  t.  Il,  p.  2-16. 

(3)  Treviranus,  Biologie,  1.  111. 

(4)  Sprengel,    Von  clem  Bau  und  der  Natur  der    Geivœchse. 
Halle,  1812. 

(5)  L.  C.  Treviranus,  Beitrœge  zur  Pflanzenphysiologie,  p.  1. 

(6)  Link,  Grundlehren  der  Anatomie  und  Physiologie  der  Fflan- 
zen,  p.  29. 

(7)  Rudolphi,  Anatomie  der  Pflanzen,  p.  27. 

(8)  Meckel,  Vergleichende  Anatomie,  t.  I,  p.  40. 

(9)  TiEDKMAîNN,  Traité  de  physiologie  de  lliominc^  Paris,  1831, 
t.  1,  p.  119. 

(10)  R.  Wagner,  Icônes  physiologicœ,  lab.  ii,  tig.  8.  —  Dugès, 


APPARITION    DE    l' OVULE     SPONTANÉ.  375 

lieu  d'un  fluide  qui  avait  été  sécrété  par  l'ovaire;  et 
cet  ovule,  n'ayant  aucune  connexion  avec  la  mère,  ne 
peut  en  être  considéré  comme  une  expansion  anato- 
mique.  Ce  n'est  donc  qu'un  produit  qui,  par  sa  propre 
force  plastique,  s'est  organisé  au  milieu  d'un  fluide, 
ainsi  que  l'affinité  chimique  produit  un  cristal  dans 
une  solution  saline.  Cette  force  organique  est  si  bien 
inhérente  aux  ovules  que  ceux  qui  cheminent  dans  un 
longoviducte,  grossissent  souvent  dans  le  trajet  avant 
d'être  pondus  et  avant  l'annexion  de  leurs  enveloppes 
adventives. 

Or,  si  la  production  d'un  ovule  dans  la  génération 
normale  est  indépendante  de  la  mère  et  dérive  des 
réactions  d'un  simple  fluide  sécrété,  on  ne  voit  pas 
pourquoi  certaines  macérations  abondantes  en  molé- 
cules organiques  ne  pourraient  pas  aussi  produire 
des  Protozoaires. 

Plus  tard  il  existe  encore  une  analogie  frappante 
entre  le  développement  de  l'ovule  spontané  et  celui 
de  l'ovule  des  animaux.  On  peut  s'en  convaincre  en 
compulsant  les  travaux  et  les  planches  des  zoologistes 
qui  se  sont  occupés  de  l'évolution  de  ceux-ci.  En  sui- 
vant les  magnifiques  figures  qu'a  données  Nelson,  sur 
le  développement  de  V Ascaris  mystax,  il  semble  que 
l'on  assiste  à  l'apparition  d'un  ovule  spontané  dans  sa 
pellicule  proligère  (1).  C'est  le  même  mode  de  grou- 
pement des  granules  vitellins  ;  c'est  la  même  nuance 

Traité    de    physiologie   comparée.     Montpellier,     1839,  t.   111, 
p.  303. 

(1)  Nelson,  The  reproduction  of  the  ascaris  mysfax.  Phil.  trans., 
i852,  ni.  xxviii,  lig.  48,  49,  50,  ;iJ. 


376  HÉTÉRO  GÉNIE. 

claire  qui  isole  raggloraéralioii  centrale;  ce  sont  les 
mêmes  granulations;  il  ne  manque  à  Tovule  du  Mi- 
crozoaire  que  l'apparition  de  la  vésicule  germinative; 
elle  y  existe  peut-être,  mais  trop  exiguë  ,  on  ne  l'a- 
perçoit pas.  L'ovule  primaire  des  Microzoaires.,  au 
moment  où  il  apparaît,  offre  aussi  le  même  aspect  que 
celui  d'un  grand  nombre  de  mollusques,  ainsi  que 
j'ai  eu  l'occasion  de  le  reconnaître  sur  les  huîtres,  les 
anodontes,  les  lymnées  ;  il  ressemble  absolument  à 
celui  de  V  Unio  pictorwn  y  qu'a  figuré  M.  Lacaze-Du- 
tbiers  dans  son  travail  sur  les  organes  génilaux  des 
acéphales  (1).  Il  n'otTre  aussi  nulle  différence  avec 
celui  des  pectinibranches,  fort  bien  représenté  par 
MM.  Koren  et  Danielssen  dans  leurs  recherches  sur  le 
développement  de  ces  mollusques  (2) ,  et  avec  ceux 
des  annélides  que  M.  de  Quatrefages  a  fait  figurer 
dans  ses  travaux  sur  l'embryogénie  de  ces  ani- 
maux (3). 

L'œuf  primaire  des  Microzoaires  suit  aussi,  en  se 
développant,  absolument  les  mêmes  phases  que  l'on 
observe  dans  celui  des  poissons  lorsqu'il  apparaît  dans 
lestroma  des  lames  ovigères.  On  peut  le  voir  en  com- 
parant ce  que  nous  venons  de  dire  avec  les  recher- 
ches de  M.  LerebouUet  sur  les  œufs  de  la  Perche  flu- 

(1)  Lacaze-Dutihers,  Recherches  sur  les  organes  génitaux  des 
acéphales  lamellibranches.  —  Ann.  se.  nat..  zoologie,  i854,  t.  II, 
p.  loi),  pi.  vii_,  fig.  6. 

(2)  J.  RoREN  et  D.  Damklssen,  Recherchea  sur  le  dévelo}ypement 
des  pectinibranches.  —  Ann.  se.  nat.,  zoologik,  1853,  t.  XiX,  p.  80, 
pi.  XIX,  fig.  2.' 

(3)  De  Quatrefages,  Études  embrijogéniques.  —  J7in.  se.  nul. 
Zoologik,  1848,  t.  X,  pi.  ni,  fig.  3. 


APPARITION    DE    L  OVULE    SPONTANÉ.  377 

vialile,  et  celles  de  M.  Dufossé  sur  le  Serran  (1). 

Lorsque  la  vie  vient  de  s'éteindre  dans  un  corps 
organisé  et  que  la  fermentation  s'en  empare  et  dés- 
agrège ses  divers  éléments,  on  ne  nie  pas  là  l'inter- 
vention d'une  force  spéciale,  d'un  véritable  élément 
désorganisateur  dont  l'essence  intime  nous  échappe, 
mais  dont  les  grossiers  phénomènes  de  dédoublement 
nous  contraignent  cependant  d'admettre  la  présence. 
Pourquoi  donc  n'existerait-il  pas  aussi  une  force  ca- 
pable de  grouper  les  molécules  qu'une  autre  disperse 
à  son  gré?  S'il  en  existe  une  pour  diviser,  n'est-il  pas 
rationnel  qu'il  en  existe  une  autre  pour  concentrer? 
L'une  brise,  l'autre  édifie;  Tune  est  la  force  centri- 
fuge qui  disperse,  l'autre  est  la  force  centripète  qui 
rassemble;  l'équilibre  réside  au  milieu. 

L'observation  des  phénomènes  biologiques  rend  in- 
contestable l'existence  de  ces  forces  opposées  :  s'il 
n'en  était  pas  ainsi ,  la  raison  les  admettrait  en  pré- 
sence de  l'harmonieux  ensemble  de  la  création.  Ceci 
étant  reconnu,  on  se  demande  s'il  n'est  pas  plus 
extraordinaire  de  voir  la  force  plastique  mouler  un 
gros  œuf  d'oiseau  à  même  les  molécules  d'un  ovaire, 
que  de  la  voir  former  un  ovule  microscopique  d'In- 
fusoire,  dans  un  amas  de  granules  organiques. 

Je  m'attends  bien  qu'on  m'objectera  que  l'ovule 
émis  par  l'oiseau  provient  d'un  appareil  spécial,  et 

(1)  Lereboullet,  Embryologie  comparée  Je  la  perche,  du  bro- 
chet et  de  l'écrevisse.  —  Annales  des  sciences  naturelles,  zoologie, 
1854,  t.  I^  p.  239.  —  Dufossé,  De  V hermaphrodisme  chez  certains 
vertébrés.  —  Ann.  se.  nat  ,  zoologie,  18o(3,  t.  V,  p.  295. 


378  HÉTEROGENIE. 

que  celui-ci  émet  un  produit  semblable  à  la  mère  dont 
il  dérive.  Celte  objection,  pour  le  premier  chef,  n'au- 
rait de  valeur  que  si  l'animal  façonnait  son  œuf;  et 
pour  nous,  celui-ci,  loin  d'être  son  œuvre,  se  forme 
de  lui-même  par  une  force  qui  est  telle  que,  loin  de  la 
mère,  elle  opère  encore  des  actes  bien  autrement  im- 
portants que  ceux  qui  s'accomplissent  dans  son  sein. 
Le  produit  est  semblable  à  la  mère,  c'est  évident;  il 
serait  bien  plus  étrange  qu'il  ne  le  fût  pas.  De  l'ap- 
pareil maternel  émane  une  force  dynamique  qui  re- 
produit le  type  originaire,  chaque  être,  comme  l'a  dit 
Dugès,  ayant  ses  affinités  moléculaires  spéciales  (Ij. 
Au  sein  des  molécules  organiques  libres,  des  forces 
différentes  travaillent  avec  moins  d'ampleur,  mais 
guidées  par  des  lois  non  moins  sévères.  Là  aussi  la 
nature  ne  subit  aucun  écart  ;  ses  produits  ne  varient 
plus  selon  la  nature  de  l'espèce,  mais  selon  celle  des 
substances  en  fermentation,  selon  leur  abondance, 
leur  température,  etc. 

Ainsi  donc,  pour  nous,  l'ovaire  est  le  siège  d'une 
force  génésique  indépendante,  dérivant  d'un  concours 
de  circonstances;  et  les  matières  organiques  peuvent 
être  le  siège  d'une  force  analogue. 

Dans  tout  ce  qui  précède,  comme  on  vient  de  le 
voir,  nous  reconnaissons  que  la  genèse  des  ovules 
spontanés,  dans  la  pellicule  prohgère,  est  absolument 
analogue  à  celle  de  l'ovule  normal  dans  l'ovaire.  Et 
si  plus  tard  l'ovule  spontané  continue  son  évolution 
sans  le  concours  de  la  fécondation,  c'est  encore  là  un 

(t)  Dugès,  Traité  de  physiologie  comparée.  Montpellier,  1831', 
t.  lll,p.  38i. 


APPARITION    DE    l'oVULE    SPONTANÉ.  3  79 

fait  que  l'on  sait  aujourd'hui  se  présenter  parfois  dans 
la  série  zoologique.  En  effet,  il  est  quelques  insectes 
et  quelques  crustacés  dont  on  n'a  jamais  trouvé  les 
mâles,  et  d'autres  dont  les  femelles  n'ont  jamais  subi 
les  approches  de  celui-ci,  et  qui  pourtant  produisent 
des  œufs  féconds.  Léon  Dufour  n'a  jamais  pu  rencon- 
trer de  mâles  du  Diplolepis  gallœ  tinctoriœ,  parmi  les 
nombreuses  femelles  qui  s'échappaient  des  noix  de 
galle  qu'il  possédait  dans  son  laboratoire,  et  qui 
déjà,  lorsqu'elles  en  sortaient,  avaient  leurs  œufs  fort 
développés  (1).  A  l'appui  de  ce  fait,  après  avoir  ob- 
servé neuf  à  dix  mille  individus  du  Cynips  divisa^  et 
trois  à  quatre  mille  du  Cynips  folii,  Hartig  affirme 
qu'il  y  a  vingt-huit  espèces  du  genre  Cynips  qui  n'ont 
point  de  mâle.  Il  a  même  toujours  vu  que  la  femelle 
du  dernier  de  ces  hyménoptères  ,  immédiatement 
après  sa  sortie  de  la  galle,  se  mettait  à  pondre  ses 
œufs  (2).  On  ne  connaît  encore  que  les  femelles  de 
VApus  cancriformis  (3).  A.  Brongniart  n'a  pas  pu 
trouver  les  mâles  de  la  Limnadia  Gigas  (4).  Jurine  et 
ceuxquil'ont  suivi,  n'ont  encore  jamais  rencontré  que 
des  individus  femelles  du  Polyphemiis  oculus  (5).  Vogt 

(1)  Léon  Dufour,  Recherches  anatomiques  et  physiologiques  sur 
les  orthoptères,  les  hyménoptères  et  les  névroptères.  —  Mém.  de 
l'Acad.  des  sciences;  Savants  étrangers,  1841,  t.  VII,  p.  527. 

(2)  S.  Hartig,  Zweiter  Nachtrag  zur  Ngturgeschichte  der  Gail- 
wespen,  ou  Germar's  Zettsch.  f.  die  Ëntomol.  1843,  Bd.  4,  p.  397. 

(3)  Comp.  SiEBOLD,  Manuel  d'anatomie  comparée.  Paris,  1848, 
p.  39o,  note  8. 

(4)  A.  Brongniart,  Mémoire  sur  la  Limnadie.  —  Mém.  du  Mm. 
d'hist.  nat.,  1820,  t.  VI,  p.  89. 

(o)  Jurine,  Histoire  des  Monocles  qui  se  trouvent  aux  environs  de 
Genève.  1820,  p.  146. 


380  HÈTÉROGÉNIE. 

affirme  avoir  observé  le  fractionnement  d'œufs  de  Fi- 
role  qui  n'avaient  point  été  fécondés  (I),  Enfin,  dans 
un  assez  récent  mémoire  sur  la  génération  de  quel- 
ques Lépidoptères  dont  on  ne  connaît  point  les  mâles, 
Siebold  dit  qu'il  pense  que  Tancienne  hypothèse  que 
les  œufs,  pour  se  développer,  ont  besoin  d'être  fécon- 
dés par  le  mâle,  a  reçu  de  graves  atteintes  (2). 

C'est  à  cette  production  d'œufs  féconds,  émis  par 
des  femelles  qui  n'ont  subi  le  contact  d'aucun  mâle, 
à  cette  véritable  Lncina  sine  conciibitu,  que  l'illustre 
R.  Owen  a  donné  le  nom  de  Parthénogenèse  (3).  C'est 
un  phénomène  analogue  que  nous  voyons  se  produire 
dans  les  ovules  engendrés  spontanément  dans  les  ma- 
cérations, et  qui  ensuite  continuent  leur  évolution  sans 
fécondation  et  par  une  espèce  de  Parthénogenèse. 

SECTION    IV.   —    PHÉNOMÈNES  TERTIAIRES.     ENKYSTEMENT    GÉNÉSIQUE    DE 
l'ovule   SPONTANÉ    OU    FORMATION    DU    ClIOUION. 

Peu  de  temps  après  que  s'est  effectué  le  grou- 
pement des  premières  molécules  de  l'ovule,  et  que 
celui-ci  s'est  ainsi  révélé  dans  la  pellicule  proligère, 
on  voit  apparaître  un  autre  ordre  de  phénomènes 
biologi(jues,  indice  de  plus  en  plus  évident  de  l'œuvre 
incessante  qui  se  poursuit.  Après  une  vingtaine 
d'heures,  et  parfois  moins,  selon  la  température,  le 

(1)  VoGT,  Bilder  aus  dem  Thierleben.  1852,  p.  2)7. 

(2)  SiKBOLD,  Wahrc  Parthenogenesis,  etc.  —  Rechprches  sur  la 
ParthénofjPnésie  proprement  dite,  chez  les  Lépidoptères  et  les  abeil- 
les. —  Analyse,  Ann.  se.  nat.,  iSSô,  zoologie,  i.  VI,  p.  193. 

(3)  R  Ow'iN^  On  Parthenogenesis  or  the  successive  production  of 
individuaJs  from  a  seng'e  oviim.  J8i9. 


ENKYSTEMENT   GÉNÉSIQUE    DE    l/oVLLE.  38 i 

nouveau  produit  opère  sa  délimitation.  L'ovule  qui 
n'était  précédemment  circonscrit  que  par  nne  limite 
indécise,  a  désormais  sa  forme,  et  représente  une 
sphère  parfaitement  distincte,  dans  laquelle  les  gra- 
nules qui  formaient  précédemment  un  amas  centrai, 
sesontdisséminés  d'une  manière  à  peu  près  uniforme. 

Dans  la  Paramécie  que  nous  avons  particulière- 
ment observée,  à  ce  moment,  cet  ovule  devient  même 
partout  d'une  teinte  plus  claire  que  la  pellicule  pro- 
ligère,  et  les  granules  qu'il  contient,  les  granules  vi- 
tellins,  sont  assez  inégaux.  PI.  lï,  fig.  2. 

Dans  l'origine,  la  membrane  externe  ne  s'aperçoit 
nullement,  et  l'ovule,  quoique  ayant  acquis  sa  forme, 
semble  encore  adhérer  par  toute  sa  surface  à  la  pelli- 
cule dans  laquelle  il  est  né.  Ce  n'est  que  plus  tard, 
et  souvent  après  vingt-quatre  heures,  que  la  mem- 
brane enveloppante  se  forme  et  se  distingue,  et  que 
l'ovule  semble  tout  à  fait  circonscrit  et  libre  d'adhé- 
rence. Cette  membrane  est  d'abord  fort  mince  et  ab- 
solument incolore;  mais  ensuite,  chez  certains  Mi- 
crozoaires,  elle  acquiert  une  épaisseur  assez  notable, 
et  souvent  alors  elle  se  colore  d'une  teinte  violette 
très-claire.  La  partie  externe  de  cette  membrane  est 
ordinairement  unie  et  constamment  dépourvue  de  cils. 
Mais  chez  certains  Microzoaires,  où  elle  devient  avec 
le  temps  extrêmement  épaisse,  en  dehors,  elle  semble 
chiffonnée.  C'est  cette  délimitation  à  l'aide  d'une 
membrane  protectrice  compacte,  que  l'on  a  parfois 
nommée  enkystement. 

Ce  dernier  acte  a  été,  selon  nous,  l'objet  d'une  as- 
sez grande  confusion  de  la  part  des  micrographes.  Ils 


38:2  HÉTÉROGENIE. 

ont  pensé  qu'il  y  avait  là  un  enkystement  d'individus 
adultes,  et  que  ceux-ci  formaient  de  cette  manière 
une  sorte  de  coque,  comme  font  certains  insectes  en 
se  métamorphosant.  Nous  verrons  plus  tard  que  lors- 
que des  Microzoaires  s'enkystent  réellement,  c'est 
chez  eux  un  phénomène  morbide,  une  espèce  de  pré- 
paratif  de  mort,  et  nous  distinguerons  facilement 
l'enkystement  génésique  de  ce  véritable  enkystement 
sépulcral,  avec  lequel  on  l'a  confondu. 

Voici  les  mesures  micrométriques  des  ovules  que 
nous  avons  observés.  Chez  les  fortes  espèces  de  Mi- 
crozoaires le  diamètre  de  l'ovule  est  de  0,0280  à 
0,0560  de  miUimètre.  Chez  les  Paramécies,  nous  lui 
avons  souvent  trouvé  0,0420  de  millimètre.  Chez 
d'autres,  telles  que  les  Monades  de  forte  espèce, 
ces  ovules  n'ont  que  0,0095  de  milhmètre  de  dia- 
mètre. 

La  membrane  qui  circonscrit  l'ovule  a  elle-même 
une  épaisseur  fort  variable.  Chez  les  Paramécies,  elle 
est  souvent  fort  mince  et  n'a  que  0,0014  de  milli- 
mètre d'épaisseur;  mais  chez  d'autres  Microzoaires 
elle  acquiert  une  épaisseur  qui  s'élève  de  0,0028  de 
millimètre  à  0,0056.  Tantôt,  quoique  épaisse,  elle 
forme  une  zone  transparente,  et  tantôt  elle  est  colo- 
rée; de  manière  que  Ton  est  réellement  fort  embar- 
rassé sur  le  nom  par  lequel  on  doit  la  désigner,  et  sur 
ses  véritables  rapports  biologiques.  Quand  cette  mem- 
brane est  épaisse  et  translucide,  on  serait  tenté  de  lui 
donner  le  nom  de  zone  transparente,  que  de  Baër  a 
imposé  à  la  tunique  de  l'œuf  des  mammifères,  à  la- 
quelle elle  ressemble  beaucoup;  ou  celui  de  Cho- 


ENKYSTOIE>T    GÉNÉSIQIE   DE    l' OVULE.  383 

rion,  que  R.  Wagner  lui  donne;  car,  si  dans  l'ori- 
gine cette  membrane  est  transparente,  parfois  aussi, 
vers  l'époque  de  la  sortie  de  l'embryon,  quand  elle  se 
colore  d'une  façon  assez  intense  et  que  sa  surface 
devient  ridée,  elle  semble  mériter  cette  dernière  dé- 
nomination (1).  Krause  et  Valentin  considèrent  cette 
enveloppe  comme  étant  de  nature  albumineuse  chez 
les  mammifères  (2)  ;  son  aspect,  absolument  identique 
chez  certains  Microzoaires,  pourrait  faire  soupçonner 
qu'elle  y  offre  aussi  cette  composition. 

Ce  sont  surtout  sur  les  œufs  des  Vorticelles, 
que  le  chorion  offre  une  épaisseur  si  remarquable. 
Dans  ceux  du  plus  fort  diamètre,  sur  lesquels  cette 
enveloppe  extrêmement  développée  offre  0,0056  de 
millimètre  d'épaisseur  et  présente  une  teinte  violette, 
elle  semble  formée  de  deux  couches  distinctes  :  l'une 
interne  plus  pâle  et  homogène  ;  l'antre  extérieure 
lamelleuse,  chiffonnée  et  d'un  violet  plus  foncé. 

Ce  sont  ces  œufs  protégés  par  un  chorion  épais  que 
MM.  Stein,  Pineau  et  d'autres  ont  considérés  comme 
n'étant  que  des  enkystements  (o),  ou  des  espèces  de 
cocons  selon    M.    Gros  (4),  sous   lesquels    l'animal 

(1)  Baer,  De  oii  mammalium  et  hominis  genesi,  p.  9.  — 
R.  Wagner  ,  Histoire  de  la  génération  et  du  développement. 
Bruxelles,  1841,  p.  40. 

(2)  Krause,  Muller's  archiv.^Nkvmii^,  Repertorium,  t.  III, 

p.  100. 

(3)  Stein,  Recherches  sur  le  développement  des  vorticelles.  —  Ann. 
des  se.  ?îat.  Zoologie,  1842,  t.  XVlll.  —  Pineau,  Observations  sur 
les  animalcules  infusoires.  —  Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1848. 

(4)  Gros,  De  la  génération  primitive  ascendante  facultative  con- 
tingente des  infusoires  poly gastriques.  1855.  Mém.  prés,  à  Tlnst. 


384  HÉTÉROGÉME. 

opérait  toutes  ces  extraordinaires  métamorphoses  que, 
dans  ces  derniers  temps,  on  a  prêtées  aux  Microzoaires. 
Je  dis  extraordinaires  métamorphoses,  parce  que  s'il 
est  constant  que  ces  animalcules  subissent  en  se  déve- 
loppant de  notables  mutations,  ils  sont  loin  d'offrir 
cette  véritable  fantasmagorie  de  formes  qu'on  leur  a 
prèlée. 

La  membrane  vitelline,  admise  dans  les  mammi- 
fères par  W.  Jones,  Barry,  Wagner  et  J.  Muller,  et 
qui  y  est  si  difficile  à  distinguer  (1),  existe  aussi  chez 
les  Microzoaires,  et  y  contient  le  vitellus,  à  n  en  pas 
douter;  mais  celui-ci  remplissant  toujours  l'œuf,  cette 
membrane  ne  peut  être  aperçue. 

Les  œufs  que  nous  avons  observés  sont  absolument 
distincts  des  boules  que  forment,  dit  M.  Haime,  les 
Trichodes  pendant  leurs  métamorphoses.  On  n'aper- 
çoit nullement  à  leur  surface  les  vestiges  des  cils  qu'y 
a  figurés  cet  auteur,  ni  la  disposition  intérieure 
qu'il  signale  (2).  Enfin,  les  ovules  que  nous  décrivons 
ne  peuvent  appartenir  à  la  métamorphose  d'aucun 
de  ces  animaux,  puisqu'ils  apparaissent  avant  qu'au- 
cun d'eux  ne  se  soit  montré.  Ces  boules  ne  seraient- 
elles  pas  un  état  morbide,  que  nous  décrirons  plus  loin 


{{)  Warthon  Jones,  London  and  Edinburgh  phUosophicnl  maga- 
zine. 1835,  t.  VIL  p.  209.  —  Bxrrs ,  Fhilosophical  Transact.  1838. 
—  Wagnei!,  Histoire  de  la  génération  et  du  développement. 
Bruxelles,  1841,  p.  40-49.  —  J.  Muller,  Manuel  de  physiologie. 
Paris,  1851,  T.  II,  p.  621. 

(2)  J.  Haime.  Observations  sur  les  métamorphoses  et  sur  l'organi- 
sation de  la  Trichoda  lynceus.  Ann.  se.  nat.  1853,  Zoologie, 
t.  XIX,  pi.  vi^fig.  11,  12. 


GYRATION    DU    VITELLUS.  385 

sur  les  Paramécies?  Je  dois  avouer  que  je  n'ai  aucune 
opinion  à  cet  égard,  n'en  ayant  jamais  observé. 

Section  v.  —  phénomènes   quaternaires,    gyration  du  vitellus. 
punctum  saliens.  mouvements  embryonnaires. 

Peu  de  temps  après  que  le  chorion  a  complètement 
enkysté  l'ovule,  on  voit  l'embryon  se  former:  ses  mou- 
vements gyratoires,  les  pulsations  du  punclum 
saliens,  et  enfin  ses  mouvements  instinctifs  décèlent 
manifestement  sa  présence  sous  l'enveloppe  de  l'œuf. 
Dans  les  Paramécies,  ces  indices  se  manifestent  de 
vingt-quatre  à  quarante-huit  heures  après  l'achève- 
ment de  la  délimitation  de  l'ovule. 

Le  mouvement  gyraloire  s'établit  généralement 
peu  à  peu.  Lorsqu'il  va  se  manifester,  on  aperçoit 
d'abord  des  espèces  d'oscillations  dans  la  masse  des 
granules  vitellins ,  comme  si  celle-ci  cherchait  à 
rompre  ses  adhérences.  Ce  n'est  qu'après  quelques 
heures  d'hésitation,  que  l'embryon,  devenu  libre  enfin, 
commence  des  mouvements  uniformes  et  parfaitement 
réguliers,  analogues  à  ceux  d'une  sphère  qui  tourne- 
rait lentement  sous  une  enveloppe  transparente.  Toute 
la  masse  vilelline  est  en  même  temps  emportée  dans 
le  tourbillon.  Si  quelque  animalcule  vient  à  passer  et 
ébranle  l'œuf,  immédiatement  la  gyration  s'arrête. 

Bientôt  après  que  s'est  manifesté  le  mouvement 
gyraloire,  on  aperçoit,  vers  le  milieu  de  l'embryon, 
qui  est  encore  subglobuleux,  un  endroit  plus  pâle 
que  le  reste;  et  si  on  fixe  attentivement  ce  point 
pendant  quelques  minutes,  il  arrive  qu'on  le  voit 

POUCHET.  25 


386  HETEROGENIE. 

subitement  disparaître,  puis  ensuite,  peu  à  peu,  il 
redevient  sensible.  C'est  là  le  premier  vestige  du 
centre  circulatoire  ou  le  punctum  saliens  ;  et  c'est  ce 
qui,  plus  tard,  constituera  cequeles  auteurs  ont  nommé 
vésicule  contractile,  et  ce  qui,  selon  moi,  n'est  autre 
chose  que  le  cœur  des  Microzoaires  ;  opinion  déjà 
adoptée  par  un  certain  nombre  d'observateurs. 

Enfin,  après  un  nouveau  laps  de  temps,  on  voit  ap- 
paraître un  autre  ordre  de  phénomènes,  ce  sont  les 
mouvements  embryonnaires  ou  les  véritables  mouve- 
ments instinctifs.  Ceux-ci  sont  absolument  différents 
de  la  gyration  ;  ils  sont  irréguliers,  saccadés,  et  déjà 
ils  se  révèlent  sous  l'apparence  de  contractions  de 
la  masse  de  Tanimalcule,  qui  changent  sa  forme  sous 
la  coque  de  l'œuf.  Dans  ses  mouvements,  l'embryon 
semble  parfois  ramper  contre  les  parois  du  chorion  et 
le  corroder  pour  opérer  sa  sortie.  Dans  ces  circonstan- 
ces, il  ressemble  exactement  aux  jeunes  mollusques 
gastéropodes,  et  en  particuUer  aux  Limnées,  qu'on  voit 
ainsi  s'agiter  pour  rompre  leur  enveloppe.  Lorsque 
quelque  Microzoaire  vient  à  toucher  l'œuf,  ces  mou- 
vements deviennent  à  ce  moment  plus  vifs  et  plus  pro- 
noncés. Nous  venons  de  voir  qu'il  en  était  autrement 
des  mouvements  gyratoires,  eux  dont  l'harmonie 
est  immédiatement  rompue  par  le  moindre  ébranle- 
ment. 

Dans  son  intéressant  mémoire  sur  la  métamorphose 
des  Trichodes,  M.  Haime  parle,  il  est  vrai,  de  mouve- 
ments gyratoires  qu'offre  à  certaines  époques  l'em- 
bryon de  ces  animalcules,  lorsqu'il  est  contenu  sous 
sa  coque.  Mais  ces  mouvements,  qu'il  dit  lui-même 


GYRATION    DU    VITELLUS.  387 

être  rapides  et  intermiltents,  et  s'opérer  à  l'aide  de  cils 
que  l'on  voit  sur  le  jeune  individu  (1),  ne  sont  nulle- 
ment semblables  à  ceux  que  nous  pensons  avoir  ob- 
servés le  premier  et  qui  sont  strictement  des  mouve- 
ments gyratoires,  continus,  réguliers,  et  appartenant 
au  simple  vitellus  et  non  à  un  embryon.  L'un  de  nous 
a  donc  vu  lagyration  vitelline  et  l'autre  le  mouvement 
embryonnaire. 

Mais  telle  n'est  pas  toujours  la  simple  succession 
des  phénomènes.  Dans  certains  Microzoaires,  Tœuf, 
au  lieu  de  ne  receler  qu'un  ovule,  produit  trois  ou 
quatre  animalcules  ;  c'est  ce  que  nous  avons  observé 
sur  quelques  Paramécies  de  petite  taille.  Dans  ces 
circonstances,  à  un  certain  moment,  on  aperçoit  sur 
la  sphère  vitelline  deux  à  quatre  échancrures,  puis, 
bientôt  après,  le  vitellus  se  partage  en  quatre  portions 
distinctes,  et  enfin  on  voit  sous  son  enveloppe  quatre 
embryons  s'agiter  ensemble,  appliqués  l'un  contre 
l'autre  vers  le  centre  de  l'œuf.  Cet  état  pourrait  en 
imposer  et  faire  croire  à  une  segmentation  du  vitel- 
lus :  ce  sont  seulement  quatre  embryons  accolés  dont 
on  voit  séparément  battre  les  vésicules  contractiles. 
Après  s'être  agités  quelque  temps  sous  la  membrane 
protectrice,  celle-ci  finit  par  se  rompre,  et  les  jeunes 
se  dispersent  immédiatement.  J'ai  assisté  quatre  ou 
cinq  fois  à  ce  spectacle.  Voici  ce  qui  se  passa  dans 
l'une  d'elles  : 

Dans  une  macération,  un  gros  kyste  à  enveloppe 
mince,   ayant  0,0400   de   millimètre    de  diamètre, 

(1)  J.  Haime,    Obser Dations  sur  les  métamorplioses  et  sur  l'or- 
ganisation de  la  Trichoda  lynceus.  Ann.  se.   nat.  Zoologie,  t.  IX. 


388  HÉTÉROGÉNIE. 

paraissait  segmenté  en  trois;  mais  au  bout  d'un 
moment,  les  trois  parties  qui  le  formaient  paru- 
rent chacune  s'animer  d'un  mouvement  particulier. 
Puis  ,  pendant  leurs  mouvements  ,  apparut  une 
quatrième  partie,  et  il  devint  évident  qu'il  y  avait  sous 
le  kyste  quatre  Microzoaires  s'agitant  pour  rompre 
leur  coque  commune.  En  effet  ,  après  de  longs 
et  vifs  mouvements,  durant  lesquels  ils  paraissaient 
fort  tassés,  leur  enveloppe  finit  par  se  déchirer,  et 
nous  pûmes  voir  les  quatre  animalcules  en  liberté. 
Ceux-ci  étaient  des  Paramécies  qui  se  dispersèrent 
immédiatement,  et  je  pus  seulement  constater  que 
chacune  d'elles  avait,  au  moment  de  sa  sortie,  0,0280 
de  millimètre  de  longueur.  Leur  corps  était  piri- 
forme,  pointu  en  avant ,  avec  l'intérieur  rempli  de 
très-fines  granulations.  On  y  apercevait  le  cœur  déjà 
doué  de  contractions  sous  l'enveloppe  du  kyste. 

Dans  le  développement  de  l'ovule  des  Microzoaires, 
nous  n'avons  jamais  rien  vu  d'analogue  à  la  segmen- 
tation du  vitellus,  observée  dans  la  plupart  des  classes 
du  règne  animal.  Nous  n'avons  non  plus  jamais  rien 
découvert  qu'on  puisse  exactement  considérer  comme 
une  vésicule  germinative. 

Section  vi.  —  Éclosion  du  microzoaire  spontané. 

Maintenant  que  nous  avons  exposé  quelle  était  la 
marche  successive  du  développement  des  animalcules 
considérés  en  général,  traçons  Thistoire  complète  de 
l'évolution  spontanée  de  quelques-unes  des  espèces 
que  les  circonstances  nous  ont  permis  de  suivre  d'un 


ÉCLOSION    DU    MICROZOAIRE    SPONTATS'É.  389 

bout  à  l'autre,  depuis  le  groupement  des  premières 
molécules  vitellines  jusqu'à  l'éclosion. 

Désirant  pousser  mes  recherches  jusqu'aux  confins 
du  possible,  afin  de  parvenir  à  éclairer  la  grave  ques- 
tion qui  me  préoccupe,  j'ai  entrepris  une  série  d'ob- 
servations sur  le  développement  des  Microzoaires,  en 
suivant  jour  par  jour  et  parfois  heure  par  heure  ses 
diverses  phases,  décrivant  et  dessinant  successivement 
tout  ce  qui  se  présentait  durant  cette  première  ma- 
nifestation de  la  vie.  Voici  le  sommaire  de  mes  obser- 
vations sur  la  Monade  lentille. 

Évolution  de  la  Monade  lentille.  —  L'observa- 
tion fut  exécutée  dans  les  premiers  jours  de  mai, 
sur  une  macération  de  foin.  L'état  a  été  constamment 
noté  à  midi,  de  viiigt-quatre  heures  en  vingt-quatre 
heures,  afin  qu'il  y  eût  une  différence  assez  notable 
dans  le  mouvement  organique. 

Après  un  jour  écoulé,  la  température  étant  de  1 5° 
et  la  pression  de  0,745,  la  macération  était  colorée  en 
jaune  pâle  ;  il  n'existait  aucune  pellicule  à  sa  surface. 
Examinée  au  microscope,  l'eau  ne  contenait  absolu- 
ment rien  d'apparent. 

Le  deuxième  jour,  la  température  étant  de  20°  et 
la  pression  0,76,  la  surface  de  l'eau  n'offrait  qu'une 
pellicule  proligère  extrêmement  fine.  Examinée  atten- 
tivement, celle-ci  paraissait  vermiculée  et  uniquement 
formée  d'un  enchevêtrement  de  petits  corpuscules 
ayant  0,0038  à  0,0057  de  millimètre  de  longueur 
sur  0,0009  de  diamètre.  Ces  corpuscules  n'étaient 
autre  chose  que  des  Bacterium  articulatum,  Ehr., 
qui  formaient  ainsi  le  fond  de  cette  pellicule  proligère. 


390  HETEROGENIE. 

Le  troisième  jour,  à  une  température  de  J  4°  et  une 
pression  de  0,76,  l'eau  a  une  teinte  fauve  foncée.  La 
pellicule  proligère  est  bien  formée  ;  elle  a  perdu 
l'aspect  Yermiculé  de  la  veille  et  est  aujourd'hui  gra- 
nulée, les  Bactériums  ayant  en  partie  disparu  pour 
faire  place  à  de  simples  granules.  Cependant  on  en 
découvre  encore  quelques-uns  dans  le  fluide,  surtout 
dans  les  endroits  où  il  est  en  mouvement,  car  les  élé- 
ments delà  pellicule,  qui  hier  étaient  libres, semblent, 
en  ayant  pris  l'aspect  granulé,  avoir  contracté  une 
tendance  à  s'agglomérer  et  à  donner  à  cette  membrane 
plus  de  cohésion. 

Cette  pellicule  est  évidemment  formée  par  la  sou- 
dure des  Bactériums  observés  la  veille  ou  par  celle 
des  granules  résultant  de  leur  fractionnement  ;  mais 
avant  de  s'agglomérer  en  pseudo-membrane,  ces 
éléments  organiques  ont  été  mobiles  et  animés.  Les 
granules  ont  1/500  de  millimètre  de  diamètre,  et 
tous  sont  tenus  à  distance  par  une  sphère  transpa- 
rente qui  semble  les  environner  (pi.  II,  fig.  9). 

Quatrième  jour,  température  de  16°;  pression  de 
0,76.  — LapelHcule  proligère  est  plus  épaisse;  son  en- 
semble est  composé  de  grains  sablés  immobiles;  on 
distingue  de  place  en  place  dans  cette  pellicule,  des 
amas  de  granules,  ayant  une  forme  sphérique  et  dont 
le  diamètre  est  de  0,0056  à  0,0076  de  millimètre. 
Ceux-ci  ont  un  chorion  parfaitement  distinct  et  sont 
agités  de  mouvements  absolument  analogues  à  ceux 
d'un  balancier  de  montre,  seulement  ils  ont  infini- 
ment moins  d'étendue  et  de  rapidité,  et  ne  se  mani- 
festent qu'à  intervalles,  comme  une  sorte  de  tremblo- 


ECLOSION    DU    MICROZOAIRE    SPONTANE.  391 

tement  ayant  pour  but  de  détacher  l'ovule  de  la 
membrane  proligère. 

Ce  sont  ces  ovules  mobiles,  sphériques,  qui  consti- 
tuent toute  la  génération  ;  et  ce  sont  eux  qui  vont  bien- 
tôt donner  naissance  à  la  nombreuse  progéniture  qui 
va  se  répandre  dans  la  macération. 

Voulant  savoir  si  les  ovules  delà  pellicule  proligère 
ne  seraient  pas  d'abord  formés  au  fond  des  vases,  plus 
petits,  pour  ensuite  opérer  leur  ascension  vers  cette 
membrane  où  jamais  on  ne  les  découvre  d'un  moindre 
diamètre  que  celui  mentionné,  j'ai  examiné  le  fond  de 
ces  vases  et  n'ai  rien  découvert  qui  ressemblât  à  des 
œufs. 

Cinquième  jour,  température  22°;  pression  0,758. 
— La  pellicule  proligère  est  toujours  formée  de  grains 
sablés  immobiles,  puis  d'une  immense  quantité  des 
mêmes  ovules  qui  s'y  trouvaient  hier,  seulement  ils 
sont  généralement  un  peu  plus  gros.  Beaucoup  aussi 
se  sont  détachés  de  la  pellicule  et  sont  libres  dans  les 
endroits  où  il  existe  des  lacunes  liquides  (pi.  II, 
fig.  11). 

Le  sixième  jour,  la  température  étant  de  18"  et  la 
pression  de  0,76,  je  trouvai  la  pellicule  proligère  à 
peu  près  comme  la  veille.  Les  animalcules  sont  un 
peu  plus  gros  et  plus  mobiles,  ils  sont  encore  absolu- 
ment sphériques  et  composés  uniquement  de  gra- 
nules très-fins,  au  milieu  desquels  il  existe  une 
vésicule  transparente.  Ces  animalcules  que  l'on  re- 
connaît déjà  n'être  bien  probablement  que  de  jeunes 
Monades,  Mo?îas  lens^  MulL,  ont  0,0095  de  millimè- 
tre de  diamètre  et  leur  vésicule  centrale  0,0028.  Ces 


392  HÉTÉROGÉME. 

animalcules  s'exercent  par  leur  mouvement  de  ba- 
lancier, à  se  détacher  de  la  pellicule  proligère. 
Examinés  avec  soin,  on  voit  que  celui-ci  est  pro- 
duit par  un  long  appendice  filiforme,  flagelliforme, 
qui  vibre  difficilement  de  côté  et  d'autre,  resserré 
qu'il  est  encore  près  du  sphéroïde  que  représente  l'a- 
nimalcule (pi.  II,  fig.  11). 

Le  septième  jour,  la  pellicule  proligère  a  repris 
une  forme  bacillaire  et  semble  composée  de  cada- 
vres immobiles  de  très-petits  Vibrions.  Les  Monades 
lentilles  qui  formaient,  le  sixième  jour,  la  presque- 
totalité  de  la  population  de  la  macération,  s'y  trouvent 
aujourd'hui  en  bien  moindre  abondance.  Il  leur  a 
succédé  des  animalcules  allongés,  qui  se  meuvent  à 
l'aide  de  mouvements  tremblotants.  Leur  locomo- 
tion est  due  au  filament  flagelliforme  qu'ils  portent 
à  leur  extrémité  antérieure.  Ces  animalcules,  aujour- 
d'hui en  nombre  considérable,  et  dont  la  progéni- 
ture semble  avoir  succédé  à  celle  des  Monas,  en  se- 
raient-ils une  métamorphose  ?  Je  le  pense.  Ils  me 
paraissent  évidemment  des  individus  de  cette  espèce 
plus  avancés  en  âge,  car  on  suit  toutes  les  transi- 
tions de  formes.  De  cette  observation  il  résulterait 
donc  que  la  Monade  lentille  n'est  qu'un  jeune  d'une 
autre  espèce. 

Le  huitième  et  dernier  jour  d'observation,  il  y  avait 
encore  moins  de  Monas  lens  que  la  veille,  et  plus  d'a- 
nimalcules allongés,  que  je  rapproche  du  Cercomonas 
crassicauda,  Duj.,  qui  me  paraît  en  être  l'adulte. 

En  somme,  ces  observations  nous  ont  révélé  toute 
la  genèse  de  la  Monade  lentille. 


ÉCLOSION    DU    MICROZOAIRE    SPONTANÉ.  393 

Nous  devons  faire  remarquer  que  la  lenteur  du  dé- 
veloppement et  l'infériorilé  des  animalcules  observés 
dans  cette  circonstance,  ne  peuvent  être  attribués  qu'à 
la  basse  température  qui  régnait,  et  à  la  petite  quantité 
de  substance  fermentescible  qui  se  trouvait  dans  le 
liquide.  En  etîet,  dans  d'autres  vases  qui  contenaient 
aussi  du  foin,  mais  en  bien  plus  grande  proportion, 
les  Microzoaires  s'y  sont  montrés  beaucoup  plus  rapi- 
dement et  plus  abondamment,  et  ils  y  étaient  d'une 
organisation  plus  élevée.  La  progéniture  est  donc  en 
raison  de  l'abondance  de  la  substance  en  fermentation 
comme  nous  l'avons  déjà  répété.  Et  si,  dans  ce  cas, 
nous  n'avons  aucun  indice  d'animalcules  après  vingt- 
quatre  heures,  nous  savons  que  lorsque  la  tempéra- 
ture s'élève  à  25%  alors  le  liquide  en  est  déjà  rempli, 
et  ceux-ci  y  présentent  même  parfois  une  organisation 
assez  complexe. 

Je  dois  avouer  que  M.  Pineau  a  fait  précédemment 
à  moi  des  recherches  sur  l'évolution  du  Monas  lenSy 
et  qu'elles  concordent  parfaitement  avec  les  miennes 
(1).  Si  cet  observateur  s'est  égaré  au  sujet  du  dévelop- 
pement de  quelques  autres  Infusoires,  au  moins,  pour 
celui-ci,  il  est  rigoureusement  dans  le  vrai,  et  je  n'ai 
fait  qu'ajouter,  par  mes  observations,  quelques  faits 
de  plus  à  ce  qu'il  avait  déjà  vu.  Il  dit,  avec  beaucoup 
d'exactitude,  en  parlant  de  la  pseudo-membrane  des 
macérations  :  «  On  remarquait  en  premier  lieu  de  pe- 
tits amas  de  oranulations  dont  les  contours  commen- 


(1)  J.  Pineau,  Recherches  sur  le  développement  des   animalcu- 
les infusoires.  Anii.  se.  nat.  Zoologie,  1845,  t,  111.  p.  182. 


394  HÉTÉROGÉNIE. 

çaient  à  être  diffus;  peu  à  peu  ces  amas  devenaient 
plus  nettement  circonscrits,  et  ils  finissaient  par  ac- 
quérir l'aspect  de  véritables  Monades,  d'abord  immo- 
biles, puis  douées  de  mouvement  (1).  )^ 

L'évolution  de  la  Monade  lentille  était  assez  diffi- 
cile à  débrouiller,  à  cause  de  sa  petitesse,  mais  à  me- 
sure que  les  observations  s'étendent  à  des  espèces  de 
plus  en  plus  volumineuses,  elles  deviennent  aussi  de' 
plus  enplus  faciles,  et  c'est  ce  que  nous  avons  vu  sur  la 
Paramécie  verte,  dont  nous  allons  tracer  la  genèse. 
Là,  l'œil  de  l'observateur  peut  suivre  chaque  phase 
du  développement  sans  la  moindre  interruption. 

Évolution  de  la  paramécie  verte.  —  On  a  observé 
le  développement  de  cet  animalcule  dans  une  macé- 
ration de  5  grammes  de  foin  sur  300  grammes 
d'eau.  A  une  température  de  23°  et  une  pression 
de  0,758,  après  dix-huit  heures,  le  liquide  est  devenu 
d'un  fauve rougeàtre  foncé  ;iln'existe  aucunepellicuie 
à  sa  surface.  Cependant  toute  celle-ci  est  déjà  peu- 
plée d'une  immense  quantité  de  Vibrions,  de  0,0084 
à  0,0140  de  millimètre  de  longueur;  presque  tous 
sont  rectilignes  et  mobiles.  Le  liquide  contient  en  ou- 
tre un  grand  nombre  de  Vibrions  lisses,  de  0,0840  à 
0,0900  de  millimètre  de  longueur,  nageant  fort  élé- 
gamment comme  des  anguilles.  Il  n'y  existe  aucune 
Monade,  ni  aucun  petit  Vibrion. 

L'observation  ayant  été  répétée  dans  la  même  jour- 
née, vers  le  soir,  six  heures  après,  déjà  beaucoup  des 

(1)  J.  Pineau,  Supplément  aux  recherches  sur  le  développement 
des  animalcules  tnfusoires.  Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1845,  t.  IV, 
p.  103. 


ECL03I0N    DU    MICROZOAIRE    SPONTANÉ.  393 

Vibrions  qu'on  avait  vus  le  malin  vivants,  étaient 
morts  et  formaient  les  éléments  de  la  pellicule  proli- 
gère.  Ils  étaient  aussi  devenus  bien  plus  nombreux, 
et  de  place  en  place  on  voyait  apparaître  quelques  Vi- 
brions granifères  vivants. 

Deuxième  jour;  température  de  23°;  pression  de 
0,76. — Pellicule  proligère  très-mince,  encore  incom- 
plète, formée  d'îlots  aréniformes,  composés  de  débris 
de  Vibrions.  Elle  est  presque  entièrement  granulaire, 
entremêlée  seulement  d'un  petit  nombre  de  cadavres 
de  longs  Vibrions.  Dans  les  espaces  des  îlots  on  dis- 
tingue un  grand  nombre  de  corps  de  Vibrions  de  pe- 
tite espèce,  morts,  et  ceux  d'un  bon  nombre  de  Vibrions 
granifères,  presque  tous  morts.  Ces  grands  Vibrions 
n'étaient  apparus  que  la  veille,  dans  la  soirée,  et  déjà 
ils  ont  presque  tous  succombé  ;  leur  existence  est  donc 
fort  éphémère  et  ne  comprend  guère  qu'un  cycle  de 
vingt-quatre  heures  au  plus.  On  voit  apparaître  dans 
la  liqueur  un  grand  nombre  de  Monades  termes. 

Lorsque  l'on  comprime  légèrement  la  pellicule  pro- 
ligère, on  voit  qu'il  existe  de  place  en  place  des  amas 
de  granules  un  peu  plus  tassés,  plus  foncés  que  dans 
le  reste  de  l'étendue  de  cette  membrane.  Ces  amas  de 
granules  sont  environnés  d'une  zone  plus  pâle  et  assez 
large.  Dans  celle-ci  les  granules  sont,  au  contraire, 
moins  abondants  qu'aux  environs.  Ce  sont  là  les  pre- 
miers rudiments  des  ovules.  Quand  ceux-ci  sont  rap- 
prochés, cela  donne  à  la  pellicule  un  aspect  tigré.  La 
zone  pâle  n'étant  pas  encore  Umitée,  aucune  mesure 
exacte  n'est  alors  possible  (pi.  2,  fig.  1).- 

Le  troisième  jour,  la  température  étant  de  21°  et  la 


396  HETEROGENIE. 

pression  de  0,76,  les  amas  de  granules  se  sont  trans- 
formés en  ovules  sphériques,  parfaitement  circonscrits 
et  ayant  un  diamètre  de  0,0420  de  millimètre.  Les 
granules  ne  forment  plus  d'amas  concentriques,  mais 
ils  semblent  s'être  éparpillés  dans  un  fluide  hyalin. 

Il  résulte  de  cette  nouvelle  disposition,  que  ces 
ovules  ne  constituent  plus  dans  la  pellicule  des  taches 
tigrées  plus  denses,  plus  foncées  que  la  pseudo-mem- 
brane, mais  qu'au  contraire  ils  ressemblent  à  autant  de 
sphères  plus  pâles  que  cette  pellicule,  contenant  dans 
leur  intérieur  des  granules  plus  rares  et  plus  gros  que 
ceux  de  celle-ci,  et  qui  constituent  les  granules  vitel- 
lins  de  l'œuf.  Ces  gros  granules  ne  semblent  être  que 
ceux  qui  s'étaient  primitivement  entassés  vers  le  centre, 
et  qui,  après  avoir  trouvédansleur  contact  une  nouvelle 
force  plastique,  ont  grossi.  A  cette  époque  le  chorion. 
est  excessivement  mince,  indistinct,  et,  quoique  l'œuf 
soit  parfaitement  circonscrit,  il  semble  adhérer  à  la 
pellicule  granuleuse  qui  l'environne  ;  on  ne  distingue 
alors  ni  gyration,  ni  punctum  saliens. 

Le  quatrième  jour,  température  de  22";  pression 
de  0,755.  —  La  pellicule  proligère  est  devenue  plus 
épaisse  et  s'est  augmentée  des  cadavres  d'une  énorme 
quantité  de  Monades,  de  Bactériums  et  de  Vibrions. 
Les  ovules  offrent  la  même  forme  sphéroïdale  et  le 
même  diamètre  que  précédemment,  mais  leur  inté- 
rieur s'est  rempli  de  granules  plus  fixes  et  plus  serrés. 
Le  chorion,  qui  est  fort  mince,  s'aperçoit  quand  on 
comprime  légèrement  l'œuf.  A  l'intérieur  de  celui-ci 
le  vitellus  est  en  état  de  gyration.  Sur  les  œufs  les 
plus  avancés,  on  distingue  même  la  vésicule  cardiaque. 


ÉCLOSION    DU   MICROZOAIRE    SPONTANÉ.  397 

et  de  temps   à  autre,  on  la   voit  disparaître  en  se 
contractant  (pl.Il,fîg.  3). 

Le  cinquième  jour,  température  de  22°  ;  pression 
de  0,75.  —  La  pellicule  proligère  a  à  peu  près  le  même 
aspect  que  la  veille.  Les  œufs  conservent  leur  forme 
et  leur  diamètre,  mais  leur  coloration  est  devenue 
plus  foncée  et  d'un  vert  tendre.  On  distingue  facile- 
ment, sous  leur  mince  chorion,  l'embryon  qui  se 
remue  et  rampe  en  quelque  sorte  sous  son  enveloppe. 
D'instant  en  instant,  la  vésicule  cardiaque,  qui  forme 
une  tache  plus  pâle  que  le  corps  de  l'embryon,  se 
contracte  et  disparaît,  pour  se  remontrer  quelques 
moments  plus  tard.  De  temps  à  autre,  on  aperçoit 
quelque  embryon  qui,  après  s'être  vivement  agité 
sous  son  enveloppe,  finit  par  la  rompre,  sort  enfin 
de  l'œuf  et  se  disperse  dans  l'eau.  L'animalcule 
nouvellement  éclos  est  piriforme,  aplati,  et  long 
de  0,0420  à  0,05()0  de  millimètre.  Son  corps  est 
cilié  très-finement  à  l'extérieur,  et  l'intérieur  semble 
rempli  de  granulations  petites  et  serrées  et  d'un  vert 
très-pâle  (pi.  ÏI,  fig.  4).  Au  bout  de  peu  d'heures, 
ces  animalcules  ont  acquis  tout  leur  volume.  Alors  ils 
sont  piriformes,  aplatis,  verdàtres,  et  vers  leur  extré- 
mité antérieure,  qui  est  un  peu  recourbée,  on  voit  une 
espèce  de  fente  buccale,  garnie  de  plus  longs  cils  que 
le  reste  du  corps.  Au  centre,  un  organe  que  quelques 
auteurs  on  désigné  à  tort  par  le  nom  de  nucleus  ;  vers 
la  grosse  extrémité  du  corps  une  vésicule  contractile. 
L'intérieur  de  celui-ci  paraît  rempli  de  granules  très- 
fins,  verdàtres,  et  on  n'y  observe  à  la  simple  inspec- 
tion, aucune  vésicule  stomacale  (pi.  II,  fig.  5). 


398  HETEROGENIE. 

Lecinquième  jour,  température  de  22";  pression  de 
0,750.  —  La  macération  est  peuplée  d'un  grand  nom- 
bre d'animalcules  piriformes  nouvellement  éclos.  Ce 
sont  évidemment  des  Paramécies  vertes,  ayant  en 
moyenne  une  longueur  de    0,0560  de  millimètre. 

Lorsque  l'observation  se  prolonge,  on  voit,  de 
temps  à  autre,  passer  dans  le  champ  du  microscope, 
des  sphères  verdàtres  de  0,0400  de  millimètre  de 
diamètre  environ,  ciliées  finement  à  l'extérieur.  Si 
on  examine  pendant  un  certain  temps  des  Paramé- 
cies, on  s'aperçoit  bien  vite  que  ces  corps  sphéroïdes 
ne  sont  autre  chose  que  des  Microzoaires  de  cette 
espèce,  qui,  à  cause  de  la  gêne  qu'ils  éprouvent,  se 
contractent,  deviennent  sphéroïdes  au  lieu  de  pirifor- 
mes et  d'aplatis  qu'ils  étaient;  puis  se  montrent  en- 
core quelques  instants  sous  cette  forme,  qui  est  un  vé- 
ritable état  morbide  (pi.  II,  fig.  7). 

C'est  cet  état,  qui  en  a  assurément  imposé  à  quel- 
ques observateurs,  qui  l'ont  pris  pour  un  enkystement 
normal  de  l'animalcule,  préludantà  des  métamorpho- 
ses :  c'est  selon  nous,  au  contraire,  un  véritable  enkys- 
tement mortuaire. 

Ainsi,  nous  avons  exposé  l'histoire  complète  de  la 
genèse  de  la  Paramécie  verte. 

OEuFS  NORMAUX.  —  Daus  le  but  d'expliquer  par  des 
voies  naturelles  la  subite  apparition  des  immenses  lé- 
gions de  Protozoaires  qui  peuplent  nos  macérations, 
certains  naturalistes  leur  supposent  une  fécondité 
qui  tient  du  prodige.  Est-ce  un  fait  parfaitement  éta- 
bli ?  Nous  ne  le  pensons  pas. 

A  l'égard  de  la  scission,  qu'on  a  regardée  comme 


CELFS    ^ORMAUX.  399 

multipliant  les  Infusoires  presque  aussi  rapidement 
que  pourrait  les  couper  un  instrument  tranchant,  c'est 
un  véritable  roman. 

Si,  pour  nous,  la  spontéparité  est  le  seul  moyen 
par  lequel  rationnellement  et  expérimentalement  on 
peut  expliquer  la  primitive  apparition  des  Microzoai- 
res,  nous  ne  pouvons  nier  cependant  que  chez  quel- 
ques-uns, la  reproduction  sexuelle  est  également  évi- 
dente. Mais  ce  mode  normal  est  tellement  rare,  qu'il 
ne  doit  même  pas  entrer  en  ligne  de  compte  dans 
cet  incommensurable  nombre  de  Protozoaires  qui  se 
manifestent  dans  tous  les  lieux  du  globe  où  se  trouve 
quelque  amas  d'eau  en  putréfaction,  ou  quelque  ma- 
cération. 

J'ai  surtout  observé  des  œufs  sur  des  Kolpodes  et 
des  Kérones,  et  jamais  je  n'en  ai  vu  dans  les  Paramé- 
cies. Cependant  je  dois  avouer  que,  pour  moi,  ce  n'est 
qu'assez  rarement  e{ue  j'ai  découvert  de  ces  œufs  avec 
leurs  caractères  biologiques  incontestables.  Mais  leur 
présence,  parfaitement  établie,  loin  de  saper  nos  doc- 
trines sur  l'hétérogénie  vient,  au  contraire,  fournir  un 
nouvel  et  péremptoire  argument  en  leur  faveur;  c'est 
une  preuve  de  plus  apportée  à  l'édifice  dont  nous  es- 
sayons d'affermir  la  base  ébranlée.  En  effet,  dans  les 
cas  rares  où  nous  avons  vu  des  œufs  sur  ces  animaux, 
jamais  il  n'y  en  avait  qu'un  seul  et  qui  était  fort  gros; 
et,  avant  de  rencontrer  des  faits  semblables,  plusieurs 
milliards  de  Kolpodes  ou  de  Kérones  passaient  sous 
nos  yeux. 

Nous  n'avons  jamais  découvert  de  Kolpodes  accou- 
plés; mais  plusieurs  fois  nous  avons  rencontré  et 


400  HÉTÉROGÉNIE. 

dessiné  quelques-uns  de  ces  animalcules  qui  avaient 
un  œuf  dans  la  cavité  viscérale ,  œuf  qu'il  était  im- 
possible de  confondre  avec  quoi  que  ce  soit.  J'ai  ob- 
servé ce  fait  sur  desKolpodes  qui  paraissaient  arrivés 
aux  dernières  limites  de  la  vie,  tant  ils  étaient  volu- 
mineux. Ceci  est  si  exact,  qu'une  ou  deux  fois  j'ai 
vu  ces  Kolpodes  entr' ouverts  et  ayant  encore  l'œuf 
au  milieu  de  leurs  débris  ;  de  manière  que  je  me  de- 
mande ,  mais  sans  avoir  d'opinion  arrêtée  à  cet 
égard,  si  ces  œufs  en  se  produisant  n'étouffent  pas 
la  mère. 

Voici  ce  qui  est  exact.  Sur  des  Kolpodes  de  0,0840 
de  millimètre  de  longueur,  et  parfois  même  sur  de 
plus  longs  encore,  j'ai  trouvé  cet  œuf  placé  vers  le 
milieu  de  l'animalcule,  et  toujours  au-dessus  du 
cœur:  il  a  de  0,0150  à  0,0224  de  millimètre  de  dia- 
mètre. Son  chorion  est  mince,  translucide,  et  contient 
un  vitellus  formé  de  granules  fins  et  d'un  jaune  pâle. 
Je  n'ai  reconnu,  dans  ces  cas,  aucune  gyration,  aucun 
pimctiim  saliens.  Mais  comme  là  tout  était  analogue  à 
ce  que  nous  allons  voir  ci-après,  il  est  indubitable 
que  nous  avions  affaire  à  un  œuf.  Celui-ci  était  entiè- 
rement libre  dans  la  cavité  viscérale  qui  le  contenait. 
En  pressant  un  peu  l'animalcule  sous  le  compresseur, 
la  résistance  du  vitellus  étant  plus  considérable  que 
celle  du  reste  du  corps,  arrêtait  le  Kolpode,  et  alors  on 
le  voyait  faire  des  efforts  pour  se  débarrasser.  Durant 
ceux-ci,  l'œuf  restait  fixé,  mais  le  Microzoaire  faisait 
varier  la  forme  de  la  cavité  qui  le  contenait  ;  ou  bien 
même  l'œuf,  à  certains  moments,  devenait  une  es- 
pèce d'axe  immobile,   autour  duquel  l'animalcule  ac- 


ŒUFS    NORMAUX.  401 

complissait  une  rotation  plus  ou  moins  rapide,  ce 
qui  démontrait  que  ce  produit  n'avait  nulle  adhé- 
rence avec  la  mère.  En  donnant  du  carmin  aux  ani- 
malcules qui  présentaient  un  semblable  état,  les  esto- 
macs se  coloraient  subitement  en  rouge  et  apparais- 
saient sous  la  forme  de  petits  globules  de  0,0084  de 
millimètre  de  diamètre,  et  jamais  aucune  coloration 
ne  se  manifestait  sur  l'œuf.  Plus  rarement,  outre  cet 
œuf,  j'ai  vu  une  ou  deux  autres  masses  moins  volumi- 
neuses, et  qui  paraissaient  évidemment  des  ovules  plus 
jeunes.  Jamais  je  n'en  ai  aperçu  plus. 

Sur  quelques  Kérones  j'ai  trouvé  des  œufs  dont  le 
développement,  encore  plus  avancé,  ne  permettait 
plus  le  doute.  Mes  observations  ont  été  faites  sur  des 
Kerona  lepus,  MulL,  de  0,180  de  millimètre  de 
longueur.  Dans  ces  animalcules,  que  j'ai  parfois  ren- 
contrés accouplés,  il  n'existait  jamais  qu'un  seul  œuf 
situé  vers  la  partie  postérieure  de  la  cavité  viscérale. 
Celui-ci  était  sphérique,  environné  d'un  chorion  assez 
épais,  translucide.  Cet  œuf  offrait  un  diamètre 
de  0,0224  de  millimètre  et  était  parfaitement  libre 
dans  sa  cavité.  Le  Kérone  comprimé  tournait  autour 
de  lui  comme  sur  un  axe  fixe,  et  même  parfois  assez 
rapidement.  Cet  œuf  contenait  des  granules  très- 
serrés,  et  son  vitellus,  dans  plusieurs  cas,  était  évi- 
demment animé  de  mouvements  de  gyration  ;  dans 
d'autres  où  l'œuf  était  plus  avancé,  la  vésicule  cardia- 
que existait  indubitablement  et  se  contractait  de 
temps  à  autre  :  ce  n'était  plus  un  œuf,  c'était  quelque 
chose  de  plus,  c'était  un  embryon  (pi.  II,  fig.  13). 

L'œuf  interne  de  la  Kerona  lepiis,  bien  vu  par  moi, 

POUCHET.  *6 


402  HÉTÉROGÉME. 

je  dois  le  dire,  avait  déjà  été  soupçonné  par  0.  F. 
Millier  ;  je  ne  fais  donc  ici  que  démontrer  un  fait 
déjà  entrevu  par  le  zoologiste  danois  (1). 

M.  Balbiani  a  fait  des  observations  qui  confirment 
absolument  ce  que  je  viens  de  dire.  Il  pense  que  la 
Paramécie  verte,  Paramecium  bursaria  de  Focke,  qu'il 
a  principalement  étudiée,  se  muUiple  d'abord  par 
scission,  et  qu'ensuite  il  y  a  un  accouplement  entre 
les  individus,  qui  tous  sont  hermaphrodites.  Bientôt 
après  celui-ci,  on  voit  apparaître  un  groupe  de  cinq 
à  six  gros  œufs  dans  le  corps  de  chaque  individu,  et 
qui  s'y  transforment  en  autant  d'embryons  dont  on 
aperçoit  déjà  la  vésicule  cardiaque  se  mouvoir  (2). 
L'analogie  de  ce  fait  avec  ce  que  j'ai  observé  dans 
lesKolpodes  et  les  Kérones,  me  porte  à  supposer  qu'il 
est  exact,  quoique  je  n'aie  jamais  eu  occasion  de  le 
vérifier.  Seulement,  je  dois  avouer  que  je  ne  crois 
pas  à  la  scissiparité  dont  parle  cet  observateur, 
n'ayant  jamais  rien  vu  qui  l'indiquât  sur  tant  et  tant 
de  millions  de  Paramécies  qui  sont  passées  sous  mes 
yeux. 

Ainsi  donc,  voici  bien  évidemment  des  œufs  de 
Kolpodes,  de  Kérones  et  de  Paramécies,  dévelop- 
pés à  l'intérieur  delà  mère;  et  dont  l'embryon  est 
même  déjà  formé,  comme  l'attestent  ses  mouvements 

(1)  0.  F.  MuixER  dit,  en  décrivant  la  Kerona  lepus  :  In  medio 
sœpe  corpora  duo  .sphœrica,opaca  an  ovaria?  Seulement  je  n'en 
ai  jamais  vu  qu'un  seul.  Animalcula  infusoria  fluviatilia  et  wîa- 
rma.  Hauniœ,  1786,  p.  243. 

(2)  Balbiani,  Génération  sexuelle  chez  les  infusoires.  Journal  de 
Physiologie,  par  Biown  Sequard.  Paris,  1858, 1. 1,  p.  346. 


OEUFS    NORMAUX.  403 

gyratoires  et  les  pulsations  de  la  vésicule  cardiaque. 
Avec  de  tels  éléments  de  procréation  peut-on  admet- 
tre la  panspermie  aérienne,  ce  véritable  roman  de 
quelques  naturalistes  de  notre  époque? 

Absolument  non.  D'abord,  si  de  tels  œufs,  qui  ap- 
paraissent si  volumineux  au  microscope,  même  à  de 
médiocres  grossissements,  provenaient  de  l'air,  on  les 
apercevrait  immédiatement  dans  l'eau  ou  dans  les 
macérations  lorsqu'ils  y  tomberaient,  et  jamais  on 
n'y  en  découvre.  D'un  autre  côté,  on  voit  que  déjà 
l'évolution  est  commencée  à  l'intérieur  de  lamère,  et 
que  ces  œufs  sont  de  véri fables  embryons  en  mouve- 
ment. Mais  dans  leurs  impossibles  supputations,  les 
savants  qui  confient  à  Tair  le  rôle  de  disséminateur 
universel  sont  tous  obligés  de  recourir  à  une  prélimi- 
naire dessiccation  de  l'œuf  et  de  le  réduire  presque  à 
un  volume  atomique!  Alors,  que  devient  donc  cet 
embryon  déjà  ébauché  et  qu'on  y  voyait  vivre? 
On  argumentera  des  graines  qui  conservent  leurs 
qualités  germinatives  tant  d'années!  Ce  n'est  pas  le 
cas;  des  graines  qui  ont  commencé  leur  évolution  ne 
s'arrêtent  point  ou  meurent.  L'œuf  du  Microzoaire  est 
soumis  aux  mêmes  lois  que  celui  de  l'oiseau  ou  du 
mollusque;  l'évolution  commencée,  l'arrêter  c'est  la 
mort;  et  elle  est  déjà  largement  commencée  dans  le 
corps  de  la  mère.  Alors,  comment  expliquer  l'inexpli- 
cable dessiccation,  la  réduction  à  l'état  moléculaire 
invisible,  qu'il  faut  admettre  avec  tant  d'autres  im- 
possibilités pour  soutenir  le  système  de  la  panspermie  ? 

Quoi,  ces  embryons,  que  l'on  aperçoit  pleins  de 
vie  et  de  mouvement  dans  le  corps  de  la  mère  ;  ces 


404  HÉTÉROGÉNIE. 

embryons,  dont  on  voit  battre  le  cœur  et  qui  n'ont 
pas  moins  de  0,0150  de  millimètre  de  diamètre; 
ces  embryons  qui  à  l'aide  de  forts  grossissements 
apparaissent  du  volume  d'un  pois  ;  ces  mêmes  em- 
bryons, enfin,  qui  semblent  destinés  à  ne  vivre  que 
dans  l'eau,  pourraient,  selon  nos  adversaires,  se 
dessécher  radicalement,  se  solidifier,  cesser  absolu- 
ment de  vivre,  puis  se  réduire  à  l'état  atomique 
invisible,  et  désormais  errer  dans  l'air  en  si  prodi- 
gieuse quantité  que  la  science  des  calculs  n'offre 
plus  de  chiffres  pour  en  exprimer  le  nombre!... 
Ceux  qui  nous  présentent  toutes  ces  impossibilités 
y  ont-ils  réellement  pensé? 

Mais  en  supposant  un  moment  l'existence  de  ces 
œufs  desséchés,  imperceptibles,  dont  il  faut  que 
chaque  centimètre  cube  de  l'atmosphère  con- 
tienne tant  et  tant  de  myriades  ;  en  supposant 
même  cette  impossibilité,  une  autre  difficulté  non 
moins  sérieuse,  non  moins  insoluble  se  présentera. 
En  concédant  même  à  nos  adversaires  que  ces  œufs 
ou  plutôt  ces  embryons,  qui  nous  apparaissaient  si 
volumineux ,  se  sont  réduits  à  l'état  atomique , 
invisible;  mais  aussitôt  qu'ils  tomberaient  dans  l'eau 
leur  hygroscopicité  leur  y  ferait  immédiatement 
retrouver  leur  volume  et  leur  vie,  et  on  les  aperce- 
vrait par  innombrables  légions  dans  l'eau  pure  ;  et 
cependant  la  palience  à  l'épreuve  des  micrographes, 
n'en  retrouve  jamais  un  seul  dans  celle-ci  (1)  ! 


(I)  Comp.  Dictionnaire  universel  d'histoire  naturelle.  Paris,  4845, 
t.  VI,  p.  65. 


ŒUFS    NORMAUX.  405 

Je  poursuis  encore,  car  dans  cette  argumentation, 
je  ne  ^'eux  pas  laisser  un  seul  point  en  litige.  Ainsi 
que  nous  l'avons  déjà  vu,  certains  savants  préten- 
dent que  les  œufs  des  Microzoaires  n'attendent  pour 
se  développer  dans  l'eau  qu'ils  encombrent,  que  le 
moment  oi^i  l'on  y  plonge  le  corps  putrescible  ou 
Taliment  de  la  progéniture.  Est-il  possible  que 
des  physiologistes  aient  émis  de  telles  assertions? 
Quoi  cet  embryon,  car  c'en  est  un  réduit  à  l'état  ato- 
mique, inerte,  solide,  discernerait,  avant  sa  réimbi- 
bilion,  s'il  y  a  près  de  lui  ou  non  les  particules  ali- 
mentaires qui  doivent  le  nourrir  après  son  éclosion  ! 
Je  demande  si  ceux  qui  nous  offrent  de  telles  énor- 
milés  comme  la  limite  de  la  science,  n'ont  pas  dé- 
sespéré de  la  raison  humaine  !  Sortant  malgré  nous 
des  sphères  sérieuses  de  la  discussion,  en  présence 
de  tels  faits,  nous  pourrions  réellement  demander 
à  nos  adversaires,  si  les  œufs  de  nos  frêles  Mi- 
crozoaires sont  plus  exigeants  que  ceux  des  plus 
voraces  animaux  ;  car  un  œuf  de  brochet  ne 
subordonne  pas  son  développement  à  la  présence 
d'un  morceau  de  viande;  l'eau  la  plus  limpide  lui 
suffit  ! 

J'ai  parfois  vu  des  Kérones  accouplés  et  c'est  cet 
accouplement  que  l'on  a  pris  pour  une  scission  lon- 
gitudinale. L'étroite  manière  dont  ils  se  tiennent  me 
fait  supposer  que  leur  accolement  doit  être  assez 
long;  et  les  embryons  qu'on  voit  dans  leur  corps 
étant  très-volumineux  doivent  mettre  un  certain 
temps  à  se  développer.  M.  Balbiani  dit  que  l'accou- 
plement des  Paramécies  dure  cinq  à  six  jours  ;  et  ce 


406  HETEROGENIE. 

savant  ajoute  que  ce  n'est  qu'après  un  laps  de  temps 
aussi  considérable  qu'apparaissent  les  ovules  (1).  La 
procréation  est  donc  assez  lenle,  et  cette  observation, 
ainsi  que  tant  d'autres,  vient  infirmer  cette  rapidité 
qu'on  lui  supposait  bénévolement  pour  expliquer  la 
multitude  d'Infusoires  qui  surgissent  partout  où 
existe  quelque  liquide  en  putréfaction. 

Enfin,  une  preuve  non  moins  évidente  que  les  Mi- 
crozoaires  doivent  leur  primitive  apparition  à  la  géné- 
ration spontanée  et  non  à  une  faculté  de  reproduction 
qui  tiendrait  du  prodige,  c'est  qu'on  les  voit  tous  de 
la  même  taille  dans  les  nouvelles  infusions  et  comme 
s'ils  étaient  apparus  au  même  moment,  et  non  à  plu- 
sieurs jours  d'intervalle,  comme  cela  serait  si  les 
œufs  provenaient  de  l'atmosphère.  Souvent  après,  la 
macération  reste  sans  que  sa  population  augmente 
sensiblement.  Ce  n'est  que  dans  les  expériences  an- 
ciennes, et  même  pas  toujours,  que  l'on  découvre  des 
individus  de  divers  âges.  J'ai  vu  fréquemment  des 
macérations  présenter  longtemps  un  même  nombre 
d'individus,  et  si  la  génération  était  aussi  active  qu'on 
Ta  supposé  pour  fournir  aux  besoins  de  certaines 
théories,  en  quelques  heures  les  bocaux  devraient  en 
être  encombrés.  On  remarque  plutôt  des  successions 
de  générations  diverses  qu'un  immense  accroissement 
dans  la  même  espèce. 

Un  Kolpode  ou  un  Kérone  n'ayant  souvent  qu'un 
seul  œuf  ou  deux  dans  le  corps,    cette  pénurie  dans 

(1)  Bai.biam,  Génération  sexuelle  chez  les  infusoires. — Jour- 
nal de  la  physiologie  de  l'homme  et  des  animaux.  Paris,  1858, 
p.  349. 


ENKYSTEMENT    MORBIDE.  407 

la  reproduction  ne  serait  pas  suffisante  pour  remplir 
l'atmosphère  de  germes,  et  elle  s'ajoute  aux  données 
précédentes  pour  démontrer  que  la  génération  spon- 
tanée peut  seule  expliquer  cette  multitude  de  Mi- 
crozoaires  qu'on  voit  apparaître  dans  tous  les  en- 
droits du  globe. 

Section  vu.  —  Enkystement  morbide,  .mort,   diffluence  ou 
momification. 

Lorsque  des  Infusoires  sont  tenus  assez  longtemps 
sous  le  microscope  pour  y  pénr,  ce  qui  a  lieu  ordinai- 
rement en  quelques  minutes,  on  est  étonné  de  voir 
qu'à  l'instant  même  où  la  mort  arrive,  tout  leur  or- 
ganisme se  désagrège  et  se  réduit  à  ses  éléments  pri- 
mordiaux. Cette  dissolution  est  parfois  si  rapide  que 
tous  ceux-ci  s'étendent  dans  la  liqueur  en  imitant  le 
mouvement  des  étincelles  de  ces  bombes  d'artifice  qui 
éclatent  en  l'air;  comme  si  à  l'instant  même  où  la 
vie  s'éteint,  non-seulement  la  force  coercitive  cessait 
avec  elles,  mais  en  outre  comme  s'il  se  manifestait  au 
milieu  des  molécules  une  force  répulsive.  Parfois 
aucun  organe  n'est  épargné,  tout  disparaît  instantané- 
ment. J'ai  observé  ce  curieux  fait  sur  des  Kolpodes  et 
des  Vorticelles.  11  a  aussi  frappé  MM.  Gérard  et 
Pelletier  (1).  C'est  ce  phénomène  que  M.  Dujardin 
appelle  Dilfluence  (2). 


(1)  Gérard,  Dictionnaire  d'histoire  naturelle.  Pari?,  1845,  f.  VI, 
p.  66. 

(2)  Dujardin,    Histoire    naturelle  des   infusoires.    Paris,  1811, 
introducLiun. 


408  HÉTÉROGÉNIE. 

D'autres  fois,  au  lieu  de  se  désagréger  subitement 
ainsi,  les  Microzoaires  se  conservent  en  entier  ou  seu- 
lement en  partie,  et  leur  corps,  comme  nous  l'avons 
vu,  vient  augmenter  l'épaisseur  de  la  pellicule  proli- 
gère  et  parfois  même  la  former  presque  entièrement. 
Dans  certains  cas,  on  voit  l'enveloppe  externe  de  di- 
verses espèces  de  Kolpodes  se  dissoudre  en  quelque 
sorte  dans  le  liquide,  tandis  que  les  estomacs  seuls 
résistent  et  se  reconnaissent  dans  la  pseudo-membrane 
soit  à  leur  teinte  jaunâtre,  soit  à  leur  diamètre.  Avec 
de  l'habitude,  on  distingue  fort  bien  ces  estomacs 
d'avec  les  ovules  de  même  volume  et  dont  il  de- 
vra sortir  quelques  Monades.  Ces  phénomènes  de 
diffluence  totale  ou  partielle  ne  s'observent  que  dans 
les  grosses  espèces  de  Microzoaires  ;  les  petites  restant 
ordinairement  intactes  après  leur  mort. 

Enfin,  dans  certains  cas  les  Microzoaires  avant 
d'expirer  semblent  s'enkyster  ;  je  dis  semblent  s'en- 
kyster, parce  que  dans  l'acte  qui  a  lieu  il  n'y  a 
point  exactement  là  un  enkystement  :  il  n'y  a  qu'un 
changement  de  forme,  mais  non  la  production  d'une 
enveloppe  adventive.  Voici  ce  que  j'ai  observé  et  exac- 
tement observé  sur  des  Paramécies.  Lorsque  ces  ani- 
malcules emprisonnés  entre  deux  verres,  sont  soumis 
à  l'observation  pendant  quelques  minutes,  il  arrive 
que  la  gêne  qu'  ils  éprouvent  les  porte  bientôt  à  changer 
de  forme.  Ils  se  raccourcissent  et,  en  même  temps, 
leur  corps  qui  était  aplati  se  gonfle  peu  à  peu;  et  en 
sept  ou  huit  minutes  une  Paramécie  qui  était  piri- 
forme  devient  parfaitement  sphérique.  Sous  cet  état 
elle  continue  pendant  un  certain  temps  à  se  mouvoir 


ENKYSTEMEM   MORBIDE.  409 

en  roulant  en  quelque  sorte  dans  le  champ  du  micro- 
scope. On  voit  manifestement  que  sa  translalion  se 
produit  à  l'aide  du  mouvement  ciliaire  qui  s'observe  à 
sa  surface.  Alors  cet  animalcule  ressemble  absolu- 
ment à  un  œuf  de  spongille.  Peu  de  temps  après  il 
devient  immobile  :  les  pulsations  de  la  vésicule  car- 
diaque n'ont  pluslieu  et  le  mouvement  ciliaire  s'anéan- 
tit. Enfm,  quelques  instants  après,  l'enveloppe  cutanée 
se  rompt  et  par  une  ou  deux  larges  fentes  qu'elle  offre 
on  voit  saillir  une  masse  hyaline,  incolore,  dans 
laquelle  on  ne  distingue  aucun  viscère  ,  aucune 
granulation  :  l'animalcule  est  mort  et  vient  d'é- 
clater (1). 

C'est  là  ce  que  l'on  peut  nommer  enkystement  mor- 
bide, quoique,  je  le  répète,  il  n'y  ait  qu'une  déforma- 
tion générale  qui  précède  la  mort. 

M.  Claparède  prétend,  avec  raison,  que  sur  un  grand 
nombre  de  Protozoaires  l'enkystement  a  pour  but  de 
soustraire  ceux-ci  à  quelques  influences  nuisibles  (2). 
Mais  dans  ce  cas,  comme  nous  l'avons  dit,  il  n'y  a 
qu'une  déformation  maladive.  Selon  nous,  c'est  un 
enkystement  morbide  que  M.  Haime  a  figuré  sous  le 
nom  de  métamorphose  de  laTrichode  lyncée  (5). 

Les  Infusoires  subissent  assurément  certaines  mé- 
tamorphoses ;  il  suffit  de  comparer  les  planches 
d'Ehrenbcrg  et  de  M.  Dujardin,ou  même  de  comparer 

(i)  Voyez  planche  ii. 

(2)  Clavauï  ME. Supplément  aumémolresur  la  reproduction  des  in- 
fusoires (Mémoire  présenté  an  conconr?,  1858). 

(3)  Haime,   MétamoriAiose  de  la    Trichode  lyncée.    Ann     de 
se.  nat. 


410  HETERO  GENIE. 

ces  planches  entre  elles,  pour  en  être  convaincu.  Mais 
ces  métamorphoses  sont  souvent  loin  d'être  aussi  con- 
sidérables qu'on  l'a  prétendu  dans  ces  derniers  temps. 
Les  uns,  à  l'exemple  de  T.  Kutzing,  assurent  avoir  vu 
des  Microzoaires  se  transformer  en  végétaux  infé- 
rieurs (1);  d'autres,  au  contraire ,  considèrent  les 
transformations  comme  destinées  à  élever  l'animalité, 
et  tel  est  Agassiz,  qui  pense  que  certaines  espèces  de 
Paramœcium  et  de  Barsaria,  ne  sont  que  des  larves 
de  Planaires  (2).  D'autres  enfin,  avec  M.  Burnett  de 
Boston,  ne  voient  dans  les  Infusoires  qu'un  recepla- 
culum  omnium  animallum  et  planlanim,  et  les  regar- 
dent comme  les  germes  ou  les  larves  d'un  certain 
nombre  d'êtres  inférieurs  de  toutes  les  classes  (3). 

La  moindre  critique  sufQt  pour  démontrer  que  l'on 
a  professé  les  plus  inadmissibles  opinions  sur  l'enkyste- 
ment  et  les  métamorphoses  des  Microzoaires.  Ainsi 
M.  Stein  prétend  que  les  Yorticelles,  après  s'être  en- 
kystés, deviennent  desPodophrys  (4).  M.  Pineau  as- 
sure, au  contraire,  que  ces  mêmes  Yorticelles,  après 

(1)  T.  KuTziNG,  Sulla  metamorfosi  degli  infusori  in  alghe  infe- 
riori.  Gioniale  deir  I.  R.  islilulo  loinbardo  di  scienze  ieltere  ed 
arti.  Milan,  1845,  t.  XI.  p.  229.  Trad.  de  l'allem. 

(2)  Agassiz,  Comp.  Annals  ofnat.  hist.  1850,  p.  156. 

Thus  Agassiz  lias  shown  Ihat  paramecium  and  Bursaria,  etc., 
are  only  larval  forms  of  planarise. 

(3)  BuuNETT,  Reviews  and  Records  in  Anatomy  and  Physiology. 
Theamerican  Journal  of  sciences  and  arts.  1854,  t.  XVIII,  p.  105. 

(4)  Stein,  Zeitschrifi  de  MM.  Siebold  et  Kolliker.  1852.  Annales 
and  magazine  of  natural  lustory,  t.  IX.  p.  471.  — Recherches  sur 
le  développement  des  vorticelles.  Ann.  se.  nat.  Zoologie.  1852, 
t.XVlII,p.  95. 


ESKYSTEMENT    MORBIDE.  41  i 

cetenkystement,  produisent  des  Oxy triques  (1).  En 
prései^ce  d'assertions  si  opposées,  il  faut  bien  que 
l'un  de  ces  deux  observateurs  soit  dans  l'erreur.  Ce 
qu'il  y  a  de  certain  c'est  qu'ils  y  sont  tous  deux.  Ce  qui 
probablement  les  aura  Ironipés,  c'est  qu'après  avoir 
vu  des  Yorlicelles  dans  une  macérafion,  ils  y  auront 
trouvé  des  Podophrys  ou  des  Oxytriques,  et  ils  ont 
pris  une  généralion  qui  succédait  à  l'autre,  comme 
n'en  étant  qu'une  métamorphose. 

M.  Stein  lui-même  se  charge  de  prouver  l'exactitude 
de  ma  supposition.  11  raconte,  qu'ayant  mis  des  Vagi- 
nicola  cryslalHua,  Ehr.,  dans  des  vases,  trois  jours 
après,  quand  il  visita  ceux-ci,  ils  étaient  remplis  d'^- 
cinela  mysiaciua,  Ehr.,  et  il  prétend  que  comme  ce  fait 
s'est  répété  deux  fois,  on  ne  peut  l'attribuer  qu'à  une 
métamorphose  (2).  M.  Claparède  s'est  élevé  énergi- 
quement  contre  cette  conclusion,  et  il  a  eu  raison  (3). 
C'est  souvent  ainsi  qu'ont  procédé  les  observateurs 
qui  nous  racontent  tant  d'étrangetés  sur  les  Microzoai- 
res.  M.  Gros  est  encore  intervenu  lui-même,  pour 
achever  de  démontrer  combien  toutes  les  observations 
ont  été  inhabilement  conduites.  Pour  lui  il  soutient 
une  thèse  encore  différente  de  celle  de  MM.  Stein  et 
Pineau  ;  il  prétend  que  lesVorticelles  ne  sont  que  les 
résultats  de  la  métamorphose  des  Kolpodes  (4). 

(1)  PiisEAU,  Observations  sur  les  animalcules  infusoires.  Ann.  se. 
nat.  Zoologie,  1848,  t.  XIX,  p.  90. 

(2)  Stein,  Die  Infusiomthierchen ,  etc.,  p.  38  et  40. 

(î^)  Claparède,  Mémoire  sur    le  développenient  des  infusoires. 
1858. 
(4)  Gros,  De  la  génération  primitive  ascendante,  facultative^  coU' 


il  2  HÉTÉROGÉNIE. 

Lorsque  l'on  voit  ainsi  MM.  Stein,  Pineau  et  Gros 
admettre  des  théories  si  diamétralement  opposées, 
n'est-on  pas  autorisé,  plus  que  suffisamment,  h  con- 
sidérer leurs  diverses  opinions  comme  absolument 
erronées?  Pour  moi  je  reconnais  n'avoir  jamais  vu 
de  Vorlicelles  s'enkyster,  et  jamais  je  n'ai  vu  non  plus 
de  kystes  à  l'extrémité  de  leur  filament  d'attache, 
comme  en  ont  figuré  MM.  Pineau  et  Stein.  Et  d'ail- 
leurs l'on  remarque  que  les  kystes,  dont  parlent  ces 
deux  observateurs,  se  montrent  souvent  dans  des  ma- 
cérations où  il  n'a  jamais  existé  de  Vorlicelles  et  dans 
des  pseudo -membranes  tellement  compactes  qu'aucun 
de  ces  animalcules  n'y  existait  évidemment.  Ces  enkys- 
tements  représentent  pour  moi,  jusqu'à  nouvel  or- 
dre, des  ovules  primaires. 

Au  milieu  de  ses  recherches  sur  la  genèse  des 
Microzoaires,  le  zoologiste  attentif  est  frappé  d'une 
chose,  c'est  de  la  diversité  morphologique  des  espè- 
ces qui  se  succèdent  sous  ses  yeux  ;  et  celle-ci  est 
telle  qu'il  est  extrêmement  difficile,  et  souvent  tout  à 
fait  impossible  de  les  déterminer.  Quelquefois  même 
une  multitude  de  formes  apparaissent  dans  une  seule 
expérience.  Ainsi  dans  une  macération  de  quelques 
fragments  d'un  os  humain  que  j'avais  rapporté  des  hy- 
pogées de  Thèbes,  et  qui  avaient  passé  trois  mois  dans 
rcau,j'ai  vu  s'offrira  la  fois  la  plupartdes  Vorlicelles  de 
notre  faune  française  et  en  outre  un  grand  nombre 
d'autres  espèces  que  je  ne  sache  pas  que  l'on  ait  ja- 


tingente  des  infusoires  poly gastriques  et  rotifères.  1855  (Méin.  pré- 
senté au  concours). 


ENKYSTEMENT    MORBIDE.  413 

mais  représentées;   c'était  un  monde  nouveau  (1). 

Ces  faits  ont  déjà  frappé  comme  moi  plusieurs  sa- 
vants, ils  sont  donc  fort  posilifs,  et  il  faut  même  qu'ils 
parlent  bien  hautement,  puisque  plusieurs  descrip- 
teurs d'espèces  ont  été  forcés  de  les  reconnaître.  Ce 
sont  encore  là,  comme  on  le  voit,  autant  d'arguments 
en  notre  faveur  et  que  les  ovaristes  ne  pourraient  nul- 
lement expliquer. 

C'est  ainsi  que  dans  ses  expériences  sur  la  généra- 
tion spontanée,  Gruilhuisen,  prétend  que  dans  plus  de 
mille  cas,  jamais  les  Microzoaires  ne  se  sont  présentés 
sous  des  formes  identiques  dans  les  infusions  de  sub- 
stances diverses  ou  dans  les  mêmes  matières,  lorsqu'on 
les  exposait  dans  des  circonstances  différentes  (2). 
Burdach  assure  aussi  que  les  Microzoaires  harmoni- 
sent leurs  formes  avec  le  milieu  dans  lequel  ils  se 
trouvent  placés  (3).  Et  il  me  semble  qu'Ehrenberg  et 
Treviranus  soutiennent  la  même  hypothèse  en  avan- 
çant qu'ils  n'ont  jamais  pu  obtenir  des  Infusoires  de 
forme  déterminée  dans  des  Infusions  également  dé- 
terminées (4)  :  cela  me  paraît  constituer  une  série  d'ar- 
guments sérieux. 

Les  observations  d'Ehrenberg  ont  aussi  démontré 

{\)  Les  fragments  d'os  soumis  à  cotte  expérience  provenaient  de 
l'exlrémilé  infcrienre  d'un  tibia.  Ils  restèrent  dans  Teau  pendant 
les  mois  de  janvier,  février  et  mars,'  et  furent  observés  le  1er 
avril.  —  La  macération  ne  contenait  absolument  que  des  Vor- 
ticoUes. 

(2)  Gkuithuisen,  Organozoonomie.  Munich,  18H,p.  104. 

(3)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Taris,  1837,  t.  I, 
p.  26. 

(4)  Treviranus,  Biologie. 


414  HETEROGENIE. 

que  les  Infusoires  subissaient  d'assez  profondes  mo- 
difications de  forme  durant  leur  développement, 
pour  avoir  égaré  d'une  étrange  façon  la  plupart 
des  descripteurs.  11  s'est  convaincu  que  douze  espè- 
ces de  0.  F.  Muller  appartenant  au  genre  Vorlicelle 
ne  sont  absolument  que  les  divers  états  d'une  seule 
et  même  espèce,  dont  Lamarck  et  surtout  Bory  de 
Saint-Vincent  ont  même  formé  plusieurs  genres  (1). 
Fischer  a  également  signalé  celte  erreur  (2).  Pour  moi, 
je  vois  à  chaque  instant  apparaître  et  disparaître  sans 
retour  certaines  espèces  parfaitement  distinctes.  Ainsi 
la  Vorlicelle  qui  est  représentée  dans  ma  première 
planche,  et  qui  y  a  été  dessinée  avec  une  scrupuleuse 
exactitude,  en  dédaignant  toutes  ces  exagérations  de 
formes  qu'on  affecte  dans  l'iconographie;  cette  Vor- 
licelle je  ne  l'ai  jamais  revue  depuis  dix  ans! 

Un  des  naturalistes  qui,  de  nos  jours,  ont  le  plus 
décrit  d' Infusoires,  et  qui  par  conséquent  devrait  être 
un  des  plus  ardents  défenseurs  de  l'invariabilité  de 
l'espèce,  M.  Dujardin,  fait  lui-même  l'aveu  de  la  dif- 
ficulté qu'offre  la  distinction  zoologique  de  beaucoup 
de  ces  animaux.  En  parlant  des  Paramécies,  par 
exemple,  il  dit  textuellement  que  leur  forme  est  telle- 
ment altérable  et  variable  que  l'on  sera  fréquemment 
disposé  à  méconnaître  ces  hifusoires,  quand  lescircon- 

(1)  Lamarck,  Histoire  naturelle  des  animaux  sans  vertèbres. 
Paris,  iSlO,  t.  II. 

Bory  Saint-Vincent,  Mémoire  sur  les  microzoaires. 

(2)  Fischer,  BulL  de  la  Soc.  impér.  des  naturalistes  de  Moscou. 
1831,  t.  m,  p.  11.  —  Rapport  aux  membres  sur  quelques  faits 
nouveaux  de  zoologie. 


ANATOMIE    DES   MICROZAIRES.  415 

stances  de  leur  développement  auront  été  modi- 
fiées (1). 

Anatomie  des  MicROzoAiRES.  Les  Microzoaires  n'ont 
ni  la  simplicité  de  structure  que  leur  suppose  M.  Du- 
jardin  (2) ,  ni  le  luxe  d'appareil  dont  les  décore  M.  P. 
Laurent  (3j. 

Leur  organisation  a  été  merveilleusement  élucidée 
par  les  beaux  travaux  d'Ehrenberg  (4);  et  nous  ne 
concevons  pas  que,  lorsque  ces  travaux  ont  obtenu  la 
sanction  de  naturalistes  aussi  illustres  que  K.Owen  et 
Carus(5),  M.  Dujardin  ait  pu  dire  que  malheureuse- 
ment personne  n'a  constaté,  depuis  le  savant  prus- 
sien, l'organisation  des  Infusoires.  Nous-méme  nous 
l'avons  reconnue,  et  nous  avons  contribué,  dans  l'un 
de  nos  mémoires,  à  démontrer  la  précision  des  ob- 
servations du  professeur  de  Berlin  (6). 

Le  peu  de  précision  de  nos  connaissances,  rela- 
tivement à  l'organisation  des  Infusoires,  était  due  à 
ce  que,  à  l'exclusion  des  Yorticelles,  on  n'observait 
pas  assez  longtemps  les  mêmes  individus ,  ceux-ci  se 
dérobant  subitement  au  champ  du  microscope.  Je 
suis  parvenu  à  exécuter  des  observations  plus  lon- 

(1)  DuJARDiNj  Histoire  naturelle  des  infusoires.  Paris^  1841,  p.  482. 

(2)  Dujardin,  Histoire  naturelle  des  infusoires.  Paris,  1841, 
Observations  générales. 

(3)  P.  Laurent,  Études  physiologiques  sur  les  animalcules  des 
infusions  végétales.  Nancy,  18j4^  18o8^  2  vol. 

(4)'Ehrf,nberg,  Infusionsthierchen,  etc. 

(5)  R,  OwEN,  Lpctures  on  the  comparative  anatomy  and  physio- 
logy.  Londres,  1843.  p.  .  —  Carus,  Traité  d' anatomie  com- 
parée. Paris,  1835,  Irad.t.  II,  p.  3. 

(6)  PoucHET  ,  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences. 
Paris,  1847. 


il  6  HETEROGENIE. 

gues  et  plus  précises,  en  plaçant  des  Microzoaires 
sur  de  la  batiste  très -fine,  et  en  pressant  légèrement 
celle-ci  avec  le  compresseur  ;  alors  on  obtient  des 
mailles  ou  des  intervalles  de  0,10,  à  0,12  de  mil- 
limètre dans  chacun  desquels  il  ne  se  rencontre  or- 
dinairement qu'un  seul  Infusoire  de  forte  taille.  Là, 
sans  désemparer,  on  peut  suivre  successivement  le 
mode  d'introduction  des  substances  alimentaires  et 
le  procédé  par  lequel  celles-ci  se  répartissent  dans 
les  vésicules  stomacales.  Là  aussi,  on  peut  compter  les 
contractions  des  vésicules  destinées  à  la  circulation, 
en  déterminer  les  intervalles,  en  mesurer  l'étendue. 

Voici  jusqu'à  ce  moment  ce  que  j'ai  pu  bien  voir, 
et  les  points  sur  lesquels  je  ne  crois  pas  que,  par  la 
suite,  on  puisse  me  faire  d'objection  sérieuse.  Dans 
les  Infusoires  appelés  par  Ehrenberg  Polygaslriques, 
il  existe  évidemment  des  estomacs  vésiculaires  plus 
ou  moins  nombreux.  Les  observations  du  zoologiste 
de  Berlin  et  les  nôtres  se  trouvent  même  pleinement 
confirmées  par  l'analogie.  En  effet,  j'ai  découvert 
qu'il  existait  sur  les  larves  du  Cousin  commun  mi 
appareil  digestif  ayant  les  plus  grands  rapports  avec 
celui  de  ces  Polygastriques.  Chez  ce  Diptère,  l'in- 
testin est  enveloppé  par  une  couronne  de  huit  es- 
tomacs vésiculaires,  ovoïdes,  qui  ne  tiennent  à  celui- 
ci  que  par  un  canal  imperceptible,  et  qui  se  rem- 
plissent de  carmin,  avec  la  même  facilité  que  le  font 
les  vésicules  stomacales  des  Microzoaires  (1). 

Le  nombre  et  le  diamètre  de  ces  estomacs  est  fixé 

(1)  PciucnET,    Comjtes  rendus  de  l'Académie  des  sciences.   1847. 
Zoologie,  1. 11,  p.  192,  pi.  xxi^  iig.  1. 


ANATOMIE    DES   MICROZOAIRES.  417 

sur  chaque  espèce  ayant  acquis  tout  son  développe- 
ment. Ces  organes  présentent  aussi  une  forme  et  une 
structure  invariables.  Ils  sont  presque  constamment 
globuleux,  et  leurs  parois  offrent  une  minceur 
extrême.  On  aperçoit  très-bien  la  forme,  et  l'on  peut 
apprécier  facilement  le  diamètre  de  ces  estomacs, 
sans  même  avoir  besoin  qu'ils  soient  gorgés  de  sub- 
stances colorées.  Il  suffit  qu'ils  se  trouvent  remplis 
d'aliments.  Quoique  les  parois  des  vésicules  stoma- 
cales soient  excessivement  minces,  cependant,  lors- 
que celles-ci  contiennent  des  substances  alimen- 
taires, on  les  aperçoit  très-bien  ;  mais  dans  l'état  de 
vacuité,  on  ne  les  distingue  nullement.  On  ne  peut 
donc  considérer  ces  cavités  stomacales,  ainsi  que  Ta 
fait  M.  Dujardin,  comme  de  simples  vacuoles  creu- 
sées à  volonté  dans  la  substance  glutineuse  du  corps, 
et  n'offrant  aucune  paroi  propre  (1).  Dans  les  Vorti- 
celles,  on  compte  trente  à  quarante  estomacs  vési- 
culaires,  ayant  un  diamètre  de  0,0056  à  0,0076  de 
millimètre,  à  l'état  de  plénitude.  Dans  les  Kolpodes, 
il  en  existe  constamment  vingt  à  trente  de  0,0 100  de 
millimètre  de  diamètre,  lorsqu'ils  sont  remplis  d'ali- 
ments. 

La  prétendue  rotation  de  ces  estomacs,  que  quel- 
ques observateurs  ont  signalée,  est  une  étrange  illu- 
sion d'optique.  Ces  organes  sont  fixés  dans  leur  ré- 
gion respective,  et  ne  s'en  éloignent  que  dans  le 
rapport  de  l'élasticité  des  tissus.  C'est  la  gyration  du 
vitellus  des  œufs  contenus  dans  le  corps  qu'on  a  pris 
pour  un  mouvement  des  estomacs. 

{{)  DvjkRDiîi,  Zoophy tes  infusoires,  p.  70. 

POUCHET.  2  7 


A\S  DÉTÉROGÉNIE. 

La  vésicule  contractile  des  Microzoaires  est  un  vé- 
ritable organe  circulatoire,  représentant  le  cœur  des 
animaux  élevés.  Cette  vésicule  contractile  ou  car- 
diaque est  ordinairement  unique,  et  contient  un  fluide 
analogue  au  sang,  offrant  une  teinte  d'un  jaune  fauve 
extrêmement  clair ,  ce  qui  la  rend  facile  à  distin- 
guer. 

Chez  les  Yorticelles ,  cette  vésicule  cardiaque  est 
unique  et  acquiert  un  volume  énorme ,  comparative- 
ment à  celui  de  ces  animalcules.  Sur  des  Yorticelles 
de  0,080  à  0,100  de  millimètre  de  longueur,  elle 
offre,  totalement  dilatée,  jusqu'à  0,020  de  millimètre 
de  diamètre.  Chez  ces  Microzoaires ,  elle  possède  des 
parois  extrêmement  distinctes ,  et  présente  en  avant 
une  sorte  de  conduit  jaunâtre,  qui  ne  peut  être  qu'un 
vaisseau  afférent  ou  efférent.  Sur  les  Kolpodes,  la  vé- 
sicule cardiaque  est  également  unique,  mais  propor- 
tionnellement plus  petite;  elle  offre  de  0,012  à 0,015 
de  millimètre  de  diamètre,  sur  des  individus  de  0,100 
de  millimètre  de  longueur.  Sur  les  Glaucomes,  elle 
n'a  que  0,010  de  millimètre  de  diamètre.  Chez  les 
Dileptes,  il  y  a  deux  vésicules  cardiaques  qui  se  con- 
tractent successivement;  l'une  est  située  à  l'extré- 
mité postérieure  du  corps,  l'autre  vers  le  centre. 

Chez  les  Yorticelles,  la  vésicule  cardiaque  se  rem- 
plit très-lentement  et  ne  se  vide  qu'à  de  longs  inter- 
valles, mais  subitement;  elle  se  contracte  toutes 
les  deux  à  six  minutes.  Chez  les  Kolpodes  et  les  Glau- 
comes, les  mouvements  de  cette  vésicule  imitent  tout 
à  fait  ceux  du  cœur  des  grands  animaux  :  ils  sont 
très-rapprochés.  L'organe  se  dilate  et  se  remplit  in- 


ANATOMIE   DES   MICROZOAIRES.  419 

stantanément  du  fluide  sanguin,  mais  cependant  les 
contractions  n'ont  lieu  que  toutes  les  sept  à  dix  se- 
condes, à  la  température  de  20  degrés  centigrades. 

Récemment,  dans  leur  Traité  d'anatomie  comparée, 
Siebold  et  Stannius  ont  confirmé  ce  que  nous  avions 
découvert,  et  ils  y  considèrent  aussi  les  vésicules  con- 
tractiles des  Microzoaires  comme  des  ébauches  d'or- 
ganes circulatoires  (1). 

Enfin,  chez  toutes  les  Vorticelles ,  il  existe  un  sac 
parfois  fort  apparent,  situé  du  côté  opposé  à  la  vési- 
cule cardiaque,  et  qui  s'étend  dans  presque  toute  la 
longueur  de  ces  animalcules.  L'intérieur  de  ce  sac 
présente  des  mouvements  moléculaires  très-apparents, 
qui  paraissent  évidemment  dus  à  la  présence  de  cils 
vibratiles.  Parfois  ce  sac  se  contracte  d'avant  en  ar- 
rière, et  semble  transporter  dans  cette  direction  une 
masse  en  mouvement,  très-distincte  des  vésicules  sto- 
macales qu'elle  refoule.  Ce  sac  est,  selon  nous,  l'or- 
gane respiratoire  de  ces  animaux,  formé  chez  eux 
d'une  simple  cavité  branchiale  dont  la  surface  est  cou- 
verte de  cils,  comme  les  branchies  de  certains  Mol- 
lusques. Ses  mouvements  sont  ce  qui  en  a  imposé 
à  certains  micrographes ,  soit  en  leur  faisant  croire 
qu'il  se  creusait  des  vacuoles  dans  le  tissu,  comme  Ta 
professé  M.  Dujardin,  soit  en  leur  faisant  admettre 
qu'il  existe  chez  les  Microzoaires  une  espèce  de  cir- 
culation de  granules,  semblable  à  celle  que  l'on  ob- 
serve sur  certains  végétaux,  ainsi  que  l'a  avancé 
M.  Meyen. 

(i)  Siebold  et  Stànmus,  Manuel  d'anatomie  comparée.  Paris, 
1850,  t.  1,  p.  19. 


420  HÉTÉBOGÉNIE. 

Lorsque  j'eus  terminé  ces  observations  sur  l'orga- 
nisation des  Infusoires,  je  demeurai  parfaitement  con- 
vaincu que  ceux-ci  possédaient  une  structure  anato- 
mique  assez  complexe  :  mais,  désirant  enfin  réfuter, 
sans  réplique,  les  assertions  des  savants  qui  professent 
des  doctrines  toutes  différentes,  je  sentis  qu'il  n'y 
avait  qu'un  seul  moyen  pour  obtenir  ce  résultat,  c'é- 
tait d'observer  le  développement  de  ces  animaux,  et 
de  reconnaître,  sous  les  enveloppes  de  l'embryon, 
l'existence  et  les  mouvements  de  la  vésicule  car- 
diaque, comme  je  les  avais  souvent  aperçus  dans  les 
œufs  de  beaucoup  de  Mollusques.  Mes  recbercbes 
ayant  été  couronnées  de  succès,  alors  elles  ne  me 
laissèrent  aucun  doute. 

Sur  des  œufs  spontanés  de  Vorticelles,  dont  les  ani- 
malcules étaient  à  la  veille  de  sortir  de  leur  coque, 
j'ai  reconnu  l'existence  de  la  vésicule  contractile  ou 
cardiaque,  et  constaté  ses  mouvements.  Cette  vési- 
cule était  proportionnellement  moins  volumineuse 
que  sur  les  animalcules  entièrement  développés,  et 
ses  pulsations  moins  fréquentes.  Ces  œufs,  alors  to- 
talement occupés  par  l'embryon ,  offraient  0,04  de 
millimètre,  et  la  vésicule  contractile,  qui  était  placée 
vers  leur  centre,  présentait  dans  son  plus  grand  déve- 
loppement 0,005  de  millimètre.  D'après  ce  qui  pré- 
cède, la  vésicule  contractile  ne  peut  donc  être  assi- 
milée qu'à  un  cœur.  On  la  voit  déjà  se  manifester 
comme  le  pimctum  saliens  des  embryons  ovipares. 
D'après  cela  aussi,  on  ne  peut  plus  considérer  les  vé- 
sicules contractiles  comme  appartenant,  soit  à  l'ap- 
pareil  génital  ,   comme  le   voulait  Ehrenberg ,  soit 


ANATOMIE    DES    MICROZOAIRES.  421 

à  l'appareil  respiratoire,  comme  le  professait  Spal- 
lanzani.  En  effet,  l'opinion  de  ces  deux  savants  ne 
peut  nullement  résister  à  l'examen. 

Si,  avec  l'illustre  zoologiste  de  Berlin,  on  préten- 
dait que  la  vésicule  cardiaque  appartient  à  l'appareil 
génital  mâle,  dont  elle  représenterait  une  vésicule  sé- 
minale, et  que  ses  contractions  correspondent  à  l'é- 
mission du  fluide  spermatique  qui  la  remplit;  comme 
cette  vésicule  offre  un  volume  considérable,  compa- 
rativement à  celui  de  l'animal,  il  en  résulterait  qu'en 
peu  de  minutes,  souvent  un  Microzoaire  aurait  sécrété 
et  expulsé  un  volume  de  sperme  dépassant  considé- 
rablement le  sien,  et  qu'il  répéterait  cet  acte  durant 
tous  les  instants  de  sa  vie,  ce  qui  est  totalement  inad- 
missible. D'un  autre  côté  aussi,  il  est  certain  que 
l'appareil  ne  peut  pas  être  destiné  à  la  respiration,  et 
qu'il  n'est  point  un  appareil  aquifère;  car,  si  réelle- 
ment le  fluide  qu'il  contient  était  expulsé  au  dehors, 
lors  de  ses  contractions,  on  verrait,  tant  l'organe  est 
volumineux,  l'animalcule  s'affaisser  ou  se  contracter 
et  diminuer  sensiblement  de  volume,  ce  qui  n'a  pas 
lieu  :  d'ailleurs,  le  fluide  qu'il  contient  possède  une 
couleur  propre.  11  faut  donc  que  la  vésicule  con- 
tractile soit  un  organe  central  de  circulation , 
qu'efle  ne  se  vide  qu'en  répartissant  son  fluide  dans 
d'autres  régions  du  corps;  fluide  qui  ne  peut  être  lui- 
même  que  le  fluide  sanguin.  C'est  un  cœur. 

L'investigation  de  tout  ce  qui  concerne  les  Mi- 
crozoaires  présentait  d'énormes  obstacles  à  cause  de 
leur  infinie  petitesse;  mais,  loin  d'en  surmonter 
la  difficulté  par  de  patientes  observations  et  de  ri- 


422  HETEROGENIE. 

goureux  commentaires,  certains  savants  n'ont  que 
trop  souvent  traité  ce  sujet  avec  une  inconcevable  lé- 
gèreté. 

C'est  ainsi,  par  exemple,  que,  dans  son  chapitre 
consacré  à  l'histoire  des  organes  digestifs  des  Infu- 
soires,  M.  Dujardin  confond  la  vésicule  cardiaque  ou 
contractile  avec  ces  organes.  En  parlant  des  vésicules 
digestives:«  Ces  vésicules,  dit-il,  remarquables  par 
leur  extensibilité  indéfinie  et  par  leurs  contractions 
subites,  etc.,  etc.  »  D'abord,  les  vésicules  stomacales 
ne  sont  pas  susceptibles  d'une  extensibilité  indéfinie; 
leur  maximum  d'expansion  est  déterminé  :  et ,  en 
outre,  jamais  elles  ne  se  contractent  subitement;  c'est 
le  cœur  qui  seul  possède  cette  faculté. 

Il  résulte  donc  de  mes  observations  sur  les  Infu- 
soires  : 

Qu'avec  M.  Ehrenberg,  j'admets  chez  eux  un  appa- 
reil digestif;  que  les  vésicules  contractiles  des  Infu- 
soires  représentent  le  cœur  ;  que  les  Yorticelles  ont 
un  troisième  appareil  vital  fort  apparent,  qui  ne  peut 
être  qu'un  organe  respiratoire  branchial  ;  que  les 
embryons  des  Infusoires  présentent  aussi  le  phéno- 
mène de  la  gyration  et  le  punctum  saliens. 

M.  Balbiani,  dans  un  récent  travail,  considère  cer- 
tains Microzoaires,  les  Paramécies,  comme  étant  her- 
maphrodites ,  et  décrit  leurs  ovaires  et  leurs  sper- 
matozoaires.  Ses  observations  me  paraissent  posi- 
tives (1). 

(1)  Balbiam,  Génération  sexuelle  chez  les  Infusoires.  Journal 
de  la  ptiysiologie  de  rhomroe  et  des  animaux  de  Biown-Sequard. 
Paris,  1838,  p.  347. 


ANATOMIE    DES   MICROZOAIRES.  423 

Quelques  physiologistes ,  parmi  lesquels  il  faut 
compter  J.  Miiller  (1),  prétendent  qu'Ehrenberg,  en 
découvrant  les  organes  internes  des  Microzoaires ,  a 
rendu  improbable  leur  production  par  la  génération 
spontanée.  Quoique  ayant  nous-même  étendu  ces  con- 
naissances, cela  ne  nous  empêche  pas  de  regarder 
ceux  sur  lesquels  nous  en  suivons  le  développement, 
comme  n'étant  le  plus  souvent  que  le  produit  de 
Thétérogénie.  Ehrenberg,  tout  en  prétendant  que  les 
Infusoires  naissent  d'œufs,  laisse  indécise  la  question 
de  savoir  si  ceux-ci  ne  sont  pas  eux-mêmes,  en  par-  * 
tie,  le  produit  d'une  génération  spontanée  (2).  Nous 
ne  demandons  rien  de  plus. 

Quoique  J.  Carter  se  soit  assez  longuement  occupé 
de  l'organisation  des  Microzoaires,  nous  n'avons  rien 
emprunté  à  cet  auteur,  parce  qu'il  nous  a  paru  n'a- 
voir pas  traité  son  sujet  avec  autant  de  précision  que 
l'avaient  fait  les  micrographes  qui  l'ont  précédé,  et 
n'avoir  donné  que  d'inexactes  figures  (3). 

Avant  d'entamer  un  autre  sujet,  je  dois  réfuter  de 
tout  mon  pouvoir  les  assertions  inexactes  que  m'attri- 
bue M.  Claparède.  Il  prétend  que  j'ai  adopté  les  idées 
de  sexualité  des  Infusoires,  ainsi  que  l'a  fait  M.  Ni- 
collet  (4).  Je  n'ai  jamais  écrit  un  seul  mot,  ni  dans 

(1)  J.  MuLLER,  Physiologie.  Paris,  1845,  t.  I,  p.  13. 

(2)  Ehreinberg-Poggendorf's,  Annales  i832.  Comp.  R.  Wagner, 
Isis.  1832.  p.  383.  J.  Muller,  Manuel  de  physiologie.  Paris,  1845, 
p.  14. 

(3)  H.  J.  Carter,  On  the  organization  of  infusoria.  The  an- 
nals  and  magazine  ofnatiiral  history.Lond.,  1856,  t.XVIII^  p.  115. 

(4)  Claparède,  Recherches  sur  la  généhition  des  Infusoires.  Mé- 
moire présenté  au  concours  de  l'Académie  des  sciences. 


424  HÉTÉROGÉNIE. 

mes  Mémoires  sur  l'organisation  des  Microzoaires,  ni 
dans  ma  Zoologie ,  qui  puisse  faire  supposer  cela.  Il 
n'y  a  même  que  bien  peu  de  temps  qu'après  de  lon- 
gues recherches,  j'ai  enfin  \u  des  œufs  à  l'intérieur 
de  quelques-uns  de  ces  animalcules.  Plus  loin,  M.  Cla- 
parède  prétend  aussi  que  j'ai  cru  que  les  Micro- 
zoaires, en  sortant  de  l'œuf,  avaient  la  forme  qu'ils 
auraient  plus  tard.  C'est  tout  le  contraire  que  j'ai 
dit*  On  peut  s'en  convaincre  en  examinant  la  pre- 
mière planche  de  ce  livre,  sur  laquelle  j'ai  représenté, 
il  y  a  déjà  longtemps,  les  métamorphoses  des  Kol- 
podes  (1). 

M.  Claparède  prétend  aussi  que  j'ai  pris  le  pharynx 
des  Vorticelles  pour  un  appareil  respiratoire.  Je  n'ai 
présenté  mes  observations  sur  cet  appareil  qu'avec 
une  certaine  réserve;  ce  n'est  qu'aujourd'hui  que  je 
suis  parvenu  à  les  considérer  comme  exactes.  Si 
M.  Claparède  voulait  se  reporter  à  toutes  les  figures 
où  les  naturalistes  ont  représenté  les  organes  in- 
ternes des  Vorticelles,  il  y  verrait  que  son  opinion 
ne  peut  pas  un  instant  être  soutenue  (2).  L'organe 
que  je  considère  comme  une  poche  respiratoire  s'a- 
vance jusqu'au  fond  du  corps  ;  et  M.  Claparède  aurait 
pu  voir  que,  dans  tous  les  ouvrages  où  l'on  décrit,  ou 
bien  où  l'on  figure  le  tube  digestif  des  Vorticelles , 
tels  que  ceux  d'Ehrenberg,  R.  Owen,  etc.,  on  repré- 

(1)  Compuls.  PoucHET,  Comptes  remiws  de  V Académie  des  scien- 
ces. 1847.  — Recherches  sur  les  organes  de  la  digestion^  de  la  circu- 
lation et  de  la  respiration  des  Infusoires.  1848. 

(2)  Comp.  R.  Owen,  Lectures  on  the  comparative  anatomy  and 
physiology.  Londres,  1843,  p.  21. 


FORCES   GÉNÉSIQUES.  425 

sente  celui-ci  comme  une  anse  recourbée  qui,  depuis 
son  origine  jusqu'à  sa  terminaison,  porte  des  poches 
stomacales.  Or,  avec  cette  disposition,  un  pharynx  ne 
peut  donc  pas  s'enfoncer  profondément  dans  le  corps. 
Enfin,  l'organe  que  j'ai  représenté  est  tellement  dif- 
férent de  l'appareil  digestif,  que  les  savants  qui  ont 
figuré  des  Yorticelles  l'ont  eux-mêmes  très-explicite- 
ment tracé  sur  leurs  dessins,  comme  forcés  par  une 
simple  réminiscence  de  leurs  impressions.  M.  Clapa- 
rède  pourra  vérifier  mon  assertion  en  se  reportant 
aux  figures  que  l'on  trouve  dans  les  œuvres  d'Ehren- 
berg,  de  R.  Owen,  de  Carus ,  de  J.  Muller,  de  Lon- 
get ,  de  Yan  Beneden  et  Gervais ,  de  Ch.  Robin  et 
Littré,  etc.,  et  il  y  verra  même  que  tous  ceux-ci  re- 
présentent cet  organe  comme  un  cœcum  fermé  en 
arrière  (1)  ;  ce  ne  peut  donc  pas  être  un  pharynx.  Je 
n'ai  donc  que  le  mérite  d'avoir  tracé  la  signification 
de  l'organe,  car  celui-ci  a  été  vu  par  tout  le  monde, 
sinon  expliqué. 

Forces  génésiques.  — Nous  avons  déjà  dit  que  l'o- 
vule n'était  nullement  une  expansion  du  tissu  mater- 
nel, mais  qu'il  dérivait  d'une  force  particulière,  qui  lui 
est  absolument  inhérente.  L'étude  attentive  des  pre- 
miers phénomènes  génésiques  qui  se  passent  dans 

(1)  Ehrenberg,  Die  Infusionsthierchen,  PI.  25,  26  et  28,  sur  un 
grand  nombre  de  Yorticelles  et  d'Epystilis  représente  ce  pré- 
tendu pharynx  de  M.  Glaparède  comme  un  sac  fermé  en  arrière. 
J.  Muller,  Manuel  de  physiologie.  Paris.  1845,  p.  571.  — Lon- 
GET,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1850,  t.  Il,  p.  37,  fig.  2.  — 
Van  Beneden  et  Gervais.  Zoologie  médicale.  Paris,  1859,  t.  II, 
p.  415. —  Ch.  Robin  et  Littré.  Dictionnaire  de  médecine  de  Nysten. 
Paris,  1858,  p.  5S0. 


426  HETEROGENIE. 

l'ovaire,  et  les  assertions  des  hommes  les  plus  compé- 
tents sur  cette  matière  ne  laissent  aucun  doute  à  cet 
égard.  Kolliker  considère  les  cellules  primordiales, 
d'où  procède  chaque  organisme,  comme  naissant  au 
milieu  d'un  Blastème  ou  substance  conjonctive ,  qui 
est  ordinairement  tout  à  fait  liquide  (1). 

Cet  histologiste  ajoute  que  ces  cellules  apparaissent 
d'une  manière  indépendante  au  milieu  du  liquide 
formateur.  Et,  après  avoir  dit  qu'il  admet  la  produc- 
tion spontanée  des  cellules  partout  où  il  existe  des 
noyaux  libres,  Kolliker  affirme  que  la  formation  de 
l'œuf  de  beaucoup  d'animaux  lui  paraît  être  l'une 
des  preuves  les  plus  certaines  du  développement  spon- 
tané des  cellules  (2). 

Or,  ce  savant,  ainsi  que  Siebold  l'a  fait  aussi,  con- 
sidérant certains  Proto-organismes  végétaux  ou  ani- 
maux comme  n'étant  composés  que  d'une  cellule  ;  on 
voit  donc  que,  pour  lui  ,  les  Microzoaires  peuvent 
n'être  que  le  résultat  d'une  spontéparité  (3). 

Il  est  évident  que,  dès  qu'une  cellule  se  forme 
spontanément  dans  le  blastème  d'un  animal,  et  telle 
est  l'opinion  du  chef  de  l'histologie,  il  peut  s'en  for- 
mer plusieurs  et  en  résulter  un  œuf  plus  ou  moins 
complexe;  c'est  aussi  ce  qu'il  pense. 

Ce  sont  là  les  vues  que  nous  venons  nous-même 

(0  Kolliker,  Eléments  d'histologie  humaine.  Paris,  1856, 
p.   9  et  18. 

(2)  Kolliker,  Eléinents  d'histologie  humaine.  Paris,  1856, 
p.    20. 

(3)  Kolliker,  Eléments  d'histologie  humaine.  Paris,  1856, 
p.    14. 


FORCES    GÉNÉSIQUES.  427 

émettre;  seulement,  au  lieu  de  restreindre  la  scène 
au  blastème  de  l'ovaire,  nous  en  étendons  le  siège  à 
la  pellicule  proligère  ;  véritable  blastème  aussi,  qui, 
comme  nous  l'avons  vu,  est  lui-même  formé  de  gra- 
nules organiques,  et,  par  cela  même,  extrêmement 
apte  aux  phénomènes  génèsiques. 

En  parlant  de  la  genèse  des  animaux  et  des  plantes, 
MM.Littré  et  Ch.Robin  s'expriment  ainsi  :  «Rien  n'exis- 
tant que  des  matériaux  liquides,  on  voit  ces  matériaux 
se  réunir  presque  subitement,  molécule  à  molécule,  les 
uns  aux  autres,  en  une  substance  solide  ou  demi-so- 
lide. La  genèse  des  éléments  est  caractérisée  par  ce 
fait,  que,  sans  dériver  directement  d'aucun  des  élé- 
ments qui  les  entourent,  ils  apparaissent  de  toutes 
pièces  par  générations  nouvelles,  à  l'aide  du  blastème 
fourni  par  ces  derniers  ;  blastème  dont  les  matériaux 
se  réunissent  molécule  à  molécule.  Ce  sont,  comme 
on  voit ,  des  éléments  qui  n'existent  pas  et  qui  appa- 
raissent. C'est  une  génération  nouvelle,  qui  ne  dérive 
d'aucune  autre  directement  (1).  »  Nous  avons  tex- 
tuellement traduit  ce  fragment,  parce  que  c'est  un 
tableau  fidèle  de  ce  qui  se  passe  dans  la  production 
de  l'ovule  spontané  des  Microzoaires;  chez  eux,  c'est 
la  pellicule  proligère  qui  représente  le  blastème  et 
fournit  l'élément  génésique. 

Pour  nous ,  en  étudiant  jour  par  jour,  presque 
heure  par  heure,  le  développement  de  quelques  Mi- 
crozoaires ,  nous  n'avons  rien  reconnu  qui  rappelât 
dans   leur  genèse   la    théorie   cellulaire   créée    par 

{{)  LiTTRÉ  et  Ch.  Robin,  Dictionnaire  de  médecine  de  Nysten. 
Paris,  1858,  p.  627. 


428  HÉTÉROGÉNIE. 

Schleiden,  d'après  l'observation  des  plantes,  et  adap- 
tée par  Schwann  à  l'Histologie  animale  (1).  En  effet, 
rien ,  dans  la  composition  des  premiers  éléments  des 
Protozoaires,  ne  peut  être  assimilé  aux  cellules  avec 
leur  nucleus  ou  cytoblaste,  et  avec  leur  nucléole, 
qu'ont  distingués  si  facilement  Barry  et  Bischoff  dans 
l'œuf  des  mammifères  (2).  J'ai  rappelé  ceci,  parce 
que,  dans  ses  importantes  observations,  M.  Balbiani 
emploie  les  termes  de  fwyaii  et  de  nucléole ,  et  cela, 
selon  moi,  à  tort,  et  en  les  appliquant  à  l'appareil 
sexuel  (3). 

Au  moment  où  nous  terminons  cette  esquisse  de 
l'histoire  de  la  formation  des  Microzoaires ,  je  ferai 
observer  à  M.  Milne-Edwards,  que  je  n'ai  jamais  dit 
un  mot  qui  puisse  faire  supposer  que  je  croyais  à  la 
genèse  d'êtres  animés  sans  le  concours  de  la  puissance 
vitale  (4).  Je  suis  trop  vitaliste  pour  avoir  émis  une 
telle  opinion  ;  car  j'ai  toujours  pensé  que  les  êtres 
organisés  étaient  animés  de  forces  qui  ne  sont  nul- 
lement réductibles  aux  forces  physiques  et  chimiques. 

{{)  Schleiden,  Sur  la  formation  de  r ovule  et  l'origine  de  l'em- 
bryon dans  les  phanérogames.  Ann.  se.  nat.  Botanique,  t.  Xi  , 
p.  129.  —  ScHWAisN,  Observations  microscopiques  sur  l'analogie  de 
strucfîon  et  d'accroissement  des  végétaux  et  des  animaux,  Ann. 
se.   nat.  Zoologie,  t.  XVII,  p.  5. 

(2)  Barry,  Researches  in  embryologij,  three  séries.  London  phi- 
losophical  transactions.  1840.  —  Bischoff,  Traité  de  développement 
de  l'homme  et  des  mammifères.  Paris  1843. 

(3)  Balbiam,  De  la  génération  sexuelle  dans  les  Infusoires. 
Journal  de  la  physiologie  de  l'homme  et  des  animaux.  Paris, 
1838,  p.  347. 

(4)  Milne-Edwards,  Comptes  rendus  de  l'académie  des  sciences. 
Paris,  1859. 


FORCES    GÉNÉSIQUES.  429 

Et  ce  que  je  crois,  contrairement  à  lui,  c'est  que  le 
principe  vital  qui  régit  un  être  organisé  ne  peut  ni 
s'allonger,  ni  se  couper  par  morceaux,  qu'on  me  par- 
donne cette  grossière  métaphore  ;  et  que  par  consé- 
quent il  n'est  ni  une  expansion  de  la  mère,  ni  un  de  ses 
fragments.  Ce  n'est  qu'une  manifestation  spontanée, 
qui  domine  et  régit  les  forces  plastiques  de  l'orga- 
nisme :  l'ovule  ne  procédant  pas  plus  de  la  mère,  que 
le  fœtus  de  l'oiseau  de  la  femelle  qui  le  couve.  Ce 
principe  vital  est  si  bien  inhérent  aux  circonstances, 
et  non  à  l'organisme  maternel  ou  fœtal,  il  est  telle- 
ment indépendant  de  tous  deux,  qu'on  le  voit  appa- 
raître ou  disparaître  de  leur  sein. 

Si  je  demandais  à  un  physiologiste,  si  une  graine 
extraite  d'un  tombeau  gallo-romain  vit,  il  me  répon- 
drait :  non,  car  le  principe  vital,  sans  doute,  n'est  pas 
resté  inactif  près  d'elle  deux  mille  ans. 

Mettons-la  dans  le  sol,  et  elle  va  cependant  gernfer 
et  vivre.  Les  circonstances  y  ont  rappelé  le  principe 
vital  qui  désormais  va  l'animer. 

Ainsi  se  forme  l'ovule  normal  dans  l'ovaire. 

Ainsi  se  forme  l'ovule  spontané  dans  la  pellicule 
proligère. 

Ainsi  revit  la  semence  inerte. 

Là ,  le   principe  vital    trouve    dans  l'ovaire   les 

éléments    génésiques  qui  lui   sont   indispensables  ; 

ailleurs  il  les  rencontre  dans  la  pellicule  des-macéra- 

tions. 

Là,  c'est  un  ovule  qui  dérive  d'éléments  fournis  par 

la  souche  maternelle;  ailleurs  c'est  un  ovule  qui  dé- 
rive d'éléments  puisés  dans  une  pseudo-membrane 


430  HETERO  GENIE. 

qui  en  tient  lieu.  Enfin,  la  pellicule  proligère  est  à 
l'ovule  spontané,  ce  que  le  stroma  ovarique  est  à 
l'ovule  maternel. 

Le  principe  vital  ne  se  transmet  pas;  il  se  mani- 
feste dans  toutes  les  circonstances  où  la  vie  peut  se 
développer.  Telle  semence  absolument  cornée  et  dense 
comme  le  marbre,  tel  œuf  dont  l'albumine  s'est  ab- 
solument solidifiée,  ne  recèlent  assurément  dans  leur 
sein  aucun  vestige  de  vitalité;  c'est  l'emblème  le  plus 
frappant  de  la  mort.  Et  cependant,  si  après  que  ces 
germes  ont  passé  un  long  laps  de  temps  sous  cet  état, 
vous  les  soumettez  à  l'influence  de  la  cbaleur  hu- 
mide, la  vie  y  réapparaît  tout  à  coup.  On  ne  peut 
donc  pas  prétendre,  malgré  ce  qu'en  a  dit  M.  Milne- 
Edwards  (1),  que  les  forces  organisatrices  ne  dérivent 
que  de  la  nature  en  mouvement;  dans  ces  germes 
elles  se  sont  manifestées  au  milieu  d'une  nature  pro- 
fondément en  repos  ! 

Nous  pourrions  ajouter  à  ces  considérations  que 
la  pellicule  proligère,  au  moment  où  s'y  développent 
des  ovules  spontanés,  n'est  peut-être  pas  plongée 
dans  une  inertie  aussi  absolue  qu'on  le  suppose.  La 
genèse  s'y  produit  au  milieu  de  phénomènes  de 
catalyse  qui  réagissent  sur  les  débris  des  générations, 
qui  ont  ordinairement  précédé  celles  qui  apparaissent. 
Les  fluides  des  ovaires,  au  moment  où  se  forment  les 
ovules,  sont  peut-être  sous  l'empire  des  mêmes  forces 
chimiques;  ce  qui  ne  dit  pas  que  la  vie  se  subor- 
donne à  celles-ci,  mais  qu'elle  y  trouve  les  éléments 

(1)  Milne-Edwards,  Comptes  rendus  de  l'académie  des  sciences. 


FORCES   GÉNÉSIQUES.  431 

de  sa  manifestation.  M.  Boudin  assure  que  des  végé- 
taux parasites  se  développent  parfois  sur  des  pseudo- 
membranes (1);  ainsi  se  développe  Tovule  spon- 
tané sur  la  pellicule  proligère,  qui  est  aussi  une 
véritable  pseudo-membrane. 

Et,  en-poursuivant  cette  pensée,  on  pourrait  dire 
que  les  phénomènes  génésiques  ne  dérivent  pas  de  la 
matière  en  mouvement,  mais  de  la  matière  en  décom- 
position; car  les  fluides  granuleux  au  milieu  desquels 
apparaît  tout  vestige  d'organisation  ,  semblent  évi- 
demment dériver  d'une  excrétion  de  l'organisme,  et 
peut-être  ceux-ci,  comaie  tant  d'autres  fluides  sécrétés, 
subissent-ils  déjà  certaines  réactions  chimiques  in- 
times ?  ainsi  donc,  il  y  a  peut-être  à  l'origine  de  la 
vie,  soit  pour  l'ovule  spontané,  soit  pour  l'ovule 
maternel,  une  absolue  identité. 

Que  l'être  vivant  s'engendre  dans  un  ovaire  ou  dans 
une  pellicule  proligère,  il  n'en  est  pas  moins  le  résultat 
d'une  force  transmise  à  la  matière,  et  cette  force  ne 
dérive  pas  plus  de  la  mère,  à  son  point  initial,  qu'elle 
ne  le  fait  plus  tard,  quand,  après  une  mort  séculaire, 
une  semence  reprend  le  cours  d'une  vie  si  longtemps 
^interrompue. 

Si  l'ovule  adhérait  à  la  mère  par  le  moindre  funi- 
cule,  on  pourrait  supposer  qu'il  n'en  est  qu'une  ex- 
pansion et  que  celle-ci  lui  transmet  activement  des 
parcelles  de  matière  et  de  vie.  Ce  qui  a  égaré  l'opinion 
et  fait  tout  confondre,  c'est  l'ovule  des  mammifères, 
qui,  après  avoir  cheminé  libre  dans  le  canal  sexuel, 

(l)  Boudin^  Traité  de  géographie  et  de  statistique  médicales, 
Paris,  1857.  t.  1,  p.  323. 


432  HÉTÉROGÉNIE, 

se  fixe  et  adhère  à  l'un  de  ses  points  et  en  reçoif  la 
vie  à  l'aide  de  son  cordon.  Mais  tel  n'est  pas  ici  le  cas  ; 
à  son  point  initial,  l'ovule  s'engendre  spontanément 
au  milieu  des  fluides  qui  baignent  les  interstices  de 
l'ovaire,  comme  le  grain  de  fécule  se  produit  dans 
la  cellule  végétale.  Si  autrefois  on  supposait  que  celui- 
ci  adhérait  au  tissu  qui  le  produit  par  un  funicule, 
personne  aujourd'hui  ne  saurait  le  soutenir  (1).  11  en 
est  de  même  pour  l'ovule. 

Micrographie  atmosphérique.  —  Nous  avons  déjà 
vu  que  Burdach,  Hensche,  de  Baer  et  Ehrenberg 
avaient  conclu  de  leurs  expériences,  qu'il  n'existait 
aucun  œuf  d'animalcule  dans  l'atmosphère  (2);  et,  à 
l'aide  d'expériences  répétées,  nous  sommes  arrivé  à 
la  même  opinion. 

Il  n'entre  nullement  dans  notre  pensée,  cependant, 
de  prétendre  que  c'est  un  fait  absolu.  On  rencontre 
parfois  quelques  œufs  de  Microzoaires  flottant  dans 
l'air,  comme  on  y  rencontre  une  infinité  de  corpus- 
cules légers,  mais  c'est  une  véritable  et  rare  excep- 
tion ;  aussi,  jamais  ceci  ne  pourra  fournir  un  argu- 
ment sérieux  pour  expliquer  l'extraordinaire  appari- 
tion des  Microzoaires  partout  oi^i  s'offre  la  moindre* 
flaque  d'eau  corrompue.  En  analysant  l'air,  jamais 
nous  n'en  avons  trouvé  d'une  manière  notable  na- 
geant dans  ce  fluide,  soit  que  nous  le  prenions  dans 
notre  laboratoire,  qui  devrait  en  être  encombré  ;  soit 

(1)  Raspail,  Chimie  organique. 

(2)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  I,  p.  25.  — 
Ehrenberg,  Die  geographische,  etc.  (de  la  répartition  géographi- 
que des  Infusoires  sur  le  globe). 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  433 

en  le  prenant  dans  un  lieu  élevé.  Lorsque  j'ai  bien 
positivement  découvert  un  œuf  de  gros  Microzoaire, 
et  cela  ne  m'est  arrivé  que  deux  fois,  c'était  dans  la 
poussière  de  ce  même  laboratoire;  et  cet  œuf,  toujours 
déformé  et  que  l'immersion  n'a  jamais  ranimé,  s'y 
rencontrait  mêlé  à  une  foule  de  corpuscules.  Si  j'ai 
été  étonné,  c'a  été  d'en  rencontrer  si  peu,  là  où  cepen- 
dant il  aurait  dû  tant  en  exister,  si  réellement  l'air  en 
est  le  véhicule. 

M.  de  Quatrefages  ayant  de  nouveau  prétendu  que 
l'atmosphère  est  le  disséminateur  des  germes  (1),  le 
meilleur  argument  que  nous  puissions  lui  opposer  est 
la  citation  de  nos  expériences  qui  confirment  absolu- 
ment celles  des  savants  que  nous  venons  de  nommer. 

Dans  nos  expériences,  les  macérations  de  poussière 
ont  presque  constamment  été  peu  fécondes  et  ne  nous 
ont  présenté  aucunes  espèces  d'une  organisation  éle- 
vée. Si  les  œufs  des  Microzoaires  étaient  réellement 
déposés  par  l'atmosphère,  les  anciennes  couches  de 
poussière  en  devraient  contenir  une  immense  quan- 
tité, et,  pour  peu  que  leur  vitalité  se  conserve,  chaque 
fois  que  l'on  expérimente,  on  devrait  avoir  une  récolte 
immensément  plus  abondante  et  plus  variée  que  lors- 
que l'on  se  sert  d'une  simple  macération  de  plantes;  la 
poussière  recelant  parfois  la  rosée  d'œufs  amassée  de- 
puis des  siècles,  tandis  que  nos  vases  ouverts  ne  re- 
çoivent que  le  dépôt  d'un  petit  nombre  d'heures.  — 
Tout  cela  est,  je  crois,  logique.  Et,  cependant,  c'est  le 
contraire  qui  s'observe. 

(1)  De  Quatrefages,  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences. 
Paris,  1859,  t.      ,   p. 

POUCHET.  2  8 


434  HÉTÉROGÉNIE. 

Tout  ce  que  nous  avançons,  l'une  de  nos  expérien- 
ces le  démontre  plus  que  suffisamment. 

Expérience.  —  Je  pris  5  grammes  de  poussière  sé- 
culaire dans  les  combles  de  la  cathédrale  de  Rouen, 
et  ils  furent  mis  dans  100  grammes  d'eau  distillée.  En- 
suite, dans  un  vase  pareil  à  celui  qui  avait  été  employé, 
on  mit  1 00  grammes  d'eau  distillée  et  5  grammes  de 
tiges  d'aster  de  la  Chine,  sèches,  etqui  avaient  été  expo- 
sées pendant  deux  heures  dans  un  bain  de  sable  chauffé 
à  200°.  Les  deux  vases  furent  placés  ensemble  sous 
la  même  cloche  de  verre  ;  et  huit  jours  après,  une  tem- 
pérature de  18°  en  moyenne  ayant  régné,  on  les  ob- 
serva. Celui  qui  contenait  la  poussière  séculaire  n'était 
rempli  que  de  Vibrions  et  de  Monades  assez  clair- 
semés. On  y  voyait  en  outre,  mais  en  fort  petit 
nombre,  quelques  Kolpodes.  Le  vase  qui  contenait  les 
tiges  d'aster  était  encombré  de  Monades  et  de  Kolpo- 
des. C'était  donc  l'expérience  dans  laquelle  il  y  avait 
lieu,  dans  l'hypothèse  de  lapanspermie,  d'espérer  une 
plus  nombreuse  progéniture,  que  celle-ci,  au  contraire, 
était  plus  rare. 

Du  reste,  nous  allons  voir  que  l'opinion  de  M.  de 
Quatrefages  succombe  en  présence  des  faits;  l'expé- 
rience la  condamne,  et  l'observation  l'anéantit  sans 
retour.  En  effet,  l'analyse  nous  démontre  que  les  petits 
corps  sphériques  ou  ovoïdes  dont  parle  ce  savant,  et 
qui,  selon  lui,  font  naître  l'idée  d'un  œuf  d'une  exces- 
sive petitesse,  sont  tout  autre  chose  que  ce  qu'il 
pense. 

L'atmosphère  qui  nous  environne  contient  en  sus- 
pension une  foule  de  corpuscules  qu'on  y  voit  mani- 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  435 

festement  voltiger  lorsqu'on  introduit  un  rayon  do  lu- 
mière dans  un  endroit  obscur.  Ceux-ci  se  composent 
de  parcelles  de  l'écorce  minérale  du  globe,  de  débris 
d'animaux  et  de  plantes,  ainsi  que  des  détritus  de  tout 
ce  qui  est  employé  pour  nos  besoins.  Ces  divers  cor- 
puscules y  sont  d'autant  plus  nombreux  que  l'atmos- 
phère se  trouve  plus  violemment  agitée  par  le  vent. 
C'est  à  eux  que  nous  donnons  le  nom  de  poussière, 
soit  lorsqu'ils  se  trouvent  ostensiblement  dans  l'air, 
soit  lorsqu'ils  forment  des  dépôts  dans  nos  habitations 
ou  ailleurs. 

Le  transport  des  masses  de  poussière  qui  sont  en- 
levées par  l'air  a  été  décrit  dans  la  Géologie  de  M.  de 
Beaumont  (1).  L'illustre  savant  a  démontré  combien 
cet  acte,  qui  nous  semble  ne  se  produire  que  sur  une 
faible  échelle,  avait  cependant  de  notables  résul- 
tats. J'ai  eu  l'occasion  de  reconnaître  que  ses  vues 
étaient  exactes.  On  a  bien  signalé  comment  certaines 
villes ,  telles  que  Pompéï  et  Herculanum  avaient  été 
en  partie  ensevelies  sous  une  pluie  de  poussière  volca- 
nique; mais  la  science  se  tait  à  l'égard  de  ph'^nomènes 
peut-être  encore  plus  remarquables  que  produit,  dans 
nos  cités,  l'accumulation  de  la  poussière  atmosphé- 
rique déposée  par  la  succession  des  siècles.  C'est  un 
fait  qui  m'a  plusieurs  fois  frappé  durant  me^oyages. 
Je  ne  parle  pas  du  transport  du  sable  qui  vient  com- 
bler les  gorges  des  montagnes  des  bords  du  Nil,  après 
avoir  franchi  les  sommets  de  la  chaîne  lybique  ,  ni  de 
celui  qui  envahit  l'intérieur  des  temples  de  l'ancienne 

V 

(1)  Élie  de  Beaumont,  Leçons  de  géolutjie. 


436        *  '  HÉTÉROGÉNIE. 

lîgypic',  et  arrive  presque  à  leur  comble;  mais  je  veux 
signaler  ici  le  dépôt  lent  de  la  poussière  qui  se  produit 
dans  toutes  nos  cités,  et  qui  tend  sans  cesse  à  en  exhaus- 
ser le  sol.  Cet  amas  de  poussière  n'est  pas  sensible  au 
milieu  de  l'activité  de  nos  villes  modernes  et  du  sys- 
tème de  nivellement  des  rues  ;  mais  la  manière  dont 
la  poussière  s'accumule  et  exhausse  le  sol  dans  cer- 
taines villes,  ou  dans  certains  monuments  en  ruines, 
constitue  assurément  un  phénomène  important.  C'est 
cette  accumulation  de  poussière  qui  a  envahi  la  plu- 
part des  monuments  de  Rome,  qu'il  a  fallu  en  quelque 
sorte  exhumer  quand  l'amour  de  l'art  nous  a  porté  à 
les  revoir.  L'arc  de  Septime-Sévère  réside  aujourd'hui 
au  fond  de  l'excavation  qui  a  été  creusée  pour  le  re- 
mettre en  évidence.  Il  en  est  de  même  du  socle  des  co- 
lonnes Trajane  et  Antonine!  En  Egypte,  j'ai  reconnu 
que  la  petite  ville  d'Esné,  qui  entoure  le  temple,  s'est 
successivement  élevée  presque  jusqu'au  niveau  des 
chapiteaux  çle  ses  hautes  colonnes.  Maintenant,  on  des- 
cend un  long  escalier  pour  arriver  sur  le  parvis  de  ce 
temple,  qui  assurément  était  autrefois  au  niveau  du  sol. 
La  poussière  n'étant  formée  que  par  le  dépôt  des 
corpuscules  que  charrie  l'atmosphère ,  il  est  évident 
que  son  étude  attentive  n'est  que  l'analyse  microsco- 
pique de  l'air.  La  poussière  se  compose  d'une  multi- 
tude de  corpuscules  solides  de  nature  variée.  MM.  Ch. 
Robin  et  Littré  (1),  qui  ont  donné  une  bonne  nomen- 
clature de  ceux-ci,  prétendent  que  leur  diamètre  varie 


(1)  Nysten,  Dictionnaire  de  médecine  de  Nysten,  onzième  édi- 
tion, par  Robin  et  Littré.  Paris,1858,  p.  il47. 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  i'M 

de  0,001  de  milliaiètre  et  moins,  jusqu'à  0,010.  Mais 
à  l'intérieur  de  quelques  monuments  des  environs  de 
la  mer,  exposés  à  de  forts  coups  de  vent ,  nous  avons 
souvent  rencontré  des  particules  de  silice  qui  attei- 
gnaient 0,0140  de  millimètre. 

Les  granules  d'origine  minérale  présentent  peu  de 
variété.  Ils  proviennent  essentiellement  du  détritus  des 
roches  qui  se  trouvent  à  découvert  dans  la  contrée 
dont  on  observe  la  poussière,  de  manière  que  celle-ci 
résume,  au  microscope,  la  constitution  géologique  du 
sol.  On  rencontre  presque  partout  des  grains  de  si- 
lice. Sur  les  rivages  de  la  mer,  souvent  même  ceux-ci 
forment  presque  en  totalité  la  poussière  qui  remplit 
les  constructions;  il  en  est  de  même  des  temples  de 
l'Egypte  situés  sur  la  limite  des  déserts.  Dans  ces  di- 
verses circonstances,  les  granules  de  silice  sont  gros, 
très-anguleux  et  offrent  des  angles  fort  aigus;  ils  sont 
ordinairement  incolores,  hyalins,  parfois  aussi  jaunes 
ou  noirâtres.  Outre  ces  gros  grains,  on  trouve  presque 
partout  de  très-fins  granules  de  silice,  qui  ont  une 
telle  ténuité,  qu'ils  s'offrent,  dans  le  champ  du  mi- 
croscope, sous  l'aspect  de  granules  sphériques,  trans- 
parents ,  qui  ont  l'apparence  de  très-petits  œufs  ; 
aussi,  ce  sont  eux  qu'à  cause  décela  quelques  micro- 
graphes ont  pris,  en  effet,  pour  des  œufs  d'une  exces- 
sive finesse.  On  évite  facilement  cette  erreur  en  fai- 
sant complètement  carboniser  la  poussière  dans  un 
creuset  de  platine  porté  au  rouge ,  et  ensuite  en  la 
traitant  par  l'acide  chlorhydrique  affaibli.  Les  gra- 
nules de  silice  dont  nous  parlons  résistent  à  cette 
épreuve,  et  après  ils  se  montrent  encore  sous  la  même 


138  HÉTÉROGÉNIE. 

apparence  ;  ce  qui  ne  saurait  avoir  lieu  pour  des  corps 


organises. 


J'ai  trouvé  la  poussière  presque  entièrenfient  com- 
posée de  carbonate  calcaire  dans  les  lieux  où  de 
grandes  surfaces  de  nos  assises  de  craie  sont  à  décou- 
vert, et  en  particulier  dans  des  chapelles  situées  le 
long  de  nos  falaises.  Dans  toutes  nos  églises  con- 
struites en  pierres  calcaires  tendres,  le  détritus  pul- 
vérulent se  compose  en  grande  partie  de  ce  calcaire. 
Dans  nos  habitations,  on  rencontre  souvent  du  sulfate 
de  chaux.  J'ai  parfois  découvert  des  parcelles  d'oxyde 
de  fer  dans  la  poussière  ;  elles  étaient  d'un  brun 
rouge  transparent,  et  elles  furent  principalement  ob- 
servées dans  les  environs  des  grandes  constructions 
en  fonte.  Enfin,  on  trouve  aussi  dans  la  poussière,  des 
parcelles  de  noir  de  fumée,  provenant  de  la  combus- 
tion de  nos  cheminées. 

Les  particules  provenant  du  règne  animal  sont 
principalement  les  suivantes  :  divers  animaux  dessé- 
chés, infiniment  petits,  tels  que  des  Acarus,  suivant 
MM. Ch.RobinetLittré,etdesRotifères, d'après  M.  de 
Quatrefages  (1).  J'y  ai  trouvé  beaucoup  de  squelettes 
d'Infusoires  siHceux,  surtout  des  Navicules  et  des  Ba- 
cillariées;  des  Vibrions  et  des  Oxyures  desséchés,  des 
fragments  d'antennes  d'insectes  divers  ;  des  écailles 
d'ailes  de  papillons  diurnes  et  nocturnes;  des  poils  de 
laine  de  couleurs  variées,  provenant  de  nos  vête- 
ments, souvent  teints  en  beau  bleu  ou  en  rouge  ;  des 

(1)  Nysten,  Dictionnaire  de  médecine ,  owzxhme,  édition,  parCn. 
Robin  et  Littré.  Paris,  1838,  p.  1147.  —  De  Quatrefages, 
Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences,  1859. 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  439 

barbules  de  plumes,  des  cellules  épithéliales  ;  des 
fragments  de  peau  d'insectes.  Je  n'y  ai  jamais  ren- 
contré que  deux  kystes  d'Infusoires  du  diamètre  de 
0,0150  de  millimètre.  M.  de  Quatrefages  professe 
avoir  aperçu  des  œufs  de  Microzoaire  mêlés  aux  cor- 
puscules atmosphéricfues  (1)  ;  mais  ce  naturaliste 
n'ayant  pas  donné  le  diamètre  de  ce  qu'il  considère 
comme  des  œufs,  il  est  difticile  de  s'entendre  sur 
ce  sujet  ;  cependant  nous  y  reviendrons  ci-après. 

Les  corpuscules  de  poussière  qui  appartiennent  au 
règne  végétal,  et  que  j'ai  observés  sont  les  suivants  : 
des  fragments  de  tissu  de  diverses  plantes;  des  fibres 
ligneuses  en  petit  nombre  ;  plus  souvent  des  fragments 
de  cellules;  fréquemment  des  poils  de  végétaux  appar- 
tenant à  des  espèces  variées;  des  fragments  d'aigrettes 
de  synantbérées  ;  des  filaments  de  coton,  ordinaire- 
ment teints  de  diverses  couleurs,  provenant  de  nos 
vêtements  ;  quelques  grains  de  pollen  d'épilobium 
et  de  pin  ;  des  capsules  de  fougères  et  des  spores  de 
cryptogames,  mais  en  fort  petit  nombre.  Enfin,  j'ai 
constamment  rencontré  ,  presque  partout  où  mes 
observations  se  sont  étendues,  une  certaine  quantité 
de  fécule  de  blé  mêlée  à  la  poussière  soit  récente, 
soit  ancienne.  Puis,  mais  infiniment  plus  rarement, 
de  la  fécule  d'orge  ou  de  seigle. 

M.  Ch.  Robin  (2),  qui  a  fait  des  recherches  analo- 
gues aux  miennes,  et  sans  les  connaître,  est  arrivé  aux 

(1)  De  Quatrefages.  Comptes  rendus  de  V Académie  des  sciences. 
Paris,  1859,  t.  XLVm,  p.  31. 

(2)  Nysten,    Dictionnaire  de  médecine^  onzième   édition,  par 
Robin  et  Littré.  Paris,  1858,  p.  1147. 


140  HÉTÉROGÉNIE. 

mêmes  résultats  et  a  rencontré  aussi  de  la  fécule  dans 
presque  toutes  les  poussières  qu'il  a  explorées  :  on  en 
découvre  même,  selon  lui,  sur  la  peau  des  hommes 
vivants  et  des  cadavres,  qui  y  est  libre  ou  adhérente 
aux  lamelles  épithéliales. 

Il  est  donc  évident  que  l'atmosphère  tient  en  sus- 
pension une  certaine  quantité  de  fécule  de  blé,  mêlée 
à  ses  corpuscules  de  poussière.  Cette  fécule  se  re- 
trouve dans  tous  les  lieux  où  on  l'emploie  pour  l'ali- 
mentation, et  elle  y  est  facile  à  distinguer  par  ses  ca- 
ractères physiques  et  chimiques.  Ses  grains  sont  tantôt 
ovoïdes  et  tantôt  sphériques  ;  leur  diamètre  varie  géné- 
ralement de  0,0336  à  0,0112  de  millimètre.  Outre 
ceux-ci,  on  rencontre  des  grains  naissants,  extrême- 
ment petits  Les  grains  d'une  grosseur  moyenne  sont 
beaucoup  plus  communs  que  les  autres,  et  les  très- 
petits  sont  extrêmement  abondants.  Dans  les  gros, 
on  distingue  parfois  assez  bien  les  couches  concen- 
triques et  le  bile  ;  mais  à  cause  sans  doute  de  leur 
pesanteur,  ces  gros  grains  sont  fort  rares,  même  dans 
les  monuments  où  les  autres  abondent.  Il  est  assez 
curieux  de  signaler  que  cette  fécule,  malgré  son  exis- 
tence parfois  séculaire,  possède  encore  presque  tous 
les  caractères  physiques  et  chimiques  de  la  fécule 
récente  ;  par  l'ébuUition  dans  l'eau  elle  se  gonfle  et  se 
dissout. 

L'iode  la  colore  en  bleu  avec  plus  ou  moins  d'inten- 
sité, et  bientôt  sa  couleur  disparait  sous  l'influence  de 
la  lumière.  Un  fait  qui  m'a  frappé,  c'est  que  parmi  la 
fécule  que  j'ai  observée  dans  la  poussière  ancienne, 
datant  de  plusieurs  siècles,  de  temps  à  autre,  j'ai  ren- 


MICROGRAPHIE   ATMOSPHÉRIQUE.  441 

contré  des  grains  qui  s'étaient  spontanément  colorés  en 
un  beau  bleu  clair.  Était-ce  dû  à  l'influence  du  temps, 
ou  aux  traces  de  vapeur  d'iode  que  contient  l'air,  sui- 
vant M.  Chatin  (1)?  L'identité  de  cette  fécule  aérienne 
avec  la  fécule  ordinaire  devient  encore  évidente  par 
son  action  sur  la  lumière  ;  elle  la  polarise  aussi;  seule- 
ment quand  elle  provient  d'un  dépôt  fort  ancien, 
elle  ne  la  polarise  pas  avec  autant  d'intensité  que  la 
fécule  récente. 

Il  est  évident  que  c'est  cette  fécule,  parfaitement  ca- 
ractérisée physiquement  et  chimiquement,  ou  que  ce 
sont  des  grains  de  siHce,  que  M.  de  Quatrefages  a  pris 
pour  des  œufs  de  Microzoaires.  C'est  de  leurs  plus  fins 
grains  dont  il  est  question,  lorsqu'il  dit  qu'il  reconnut 
dans  de  la  poussière,  a  plusieurs  de  ces  petits  corps 
sphériques  ou  ovoïdes  que  connaissent  bien  tous  les 
micrographes,  et  qui  font  naître  involontairement 
l'idée  d'un  œuf  d'une  extrême  petitesse  (2).  »  Cette 
image  est  exacte,  mais  la  moindre  épreuve  chimique 
dissipe  immédiatement  l'illusion  ,  et  prouve  que  ces 
granules  ne  peuvent  être  ou  que  des  grains  exces- 
sivement fins  de  fécule,  ou  que  des  grains  de  silice 
encore  plus  ténus,  et  dont  j'ai  parlé  plus  haut.  Quel- 
quefois aussi,  ces  petits  corps  oviformesne  sont  autres 
que  des  granules  de  calcaire  devenus  transparents 
par  leur  immense  ténuité. 

Je  m'étonne  que,  dans  le  cours  de  ses  observations, 

(1)  Comp.  Boudin,  Traité  de  géographie  et  de  statistique  médi- 
cales. Paris,  1857,  t.  1, 158. 

(2)  De  Quatrefages.  Comptes  rendus  de  l' Académie  des  sciences . 
Paris,  1859,  t.  XL VIII,  p.  31. 


4^2  HÉTÉROGÉNIE. 

M.  de  Quatrefages  n'ait  pas  reconnu,  ni  les  gros 
grains  de  fécule,  ni  les  grains  de  grosseur  moyenne 
beaucoup  plus  abondants.  Par  le  mot  plusieurs  dont 
ce  zoologiste  s'est  servi,  il  n'indique  nullement  cette 
profusion  d'œufs  qui  devraient  être  sur  le  porte- 
objet,  à  chaque  investigation,  si  la  poussière  était 
réellement  le  réceptacle  des  œufs  atmosphériques;  car 
il  faut  que  l'air  en  contienne  d'incalculables  myriades 
pour  encombrer  chaque  macération  de  tant  de  lé- 
gions d'animalcules.  Et  il  en  faut  non-seulement 
pour  fournir  toutes  les  petites  espèces,  mais  encore 
toutes  les  grosses  qui,  elles  aussi,  apparaissent  en 
incalculables  cohortes. 

Étonné  de  l'abondance  proportionnelle  de  la  fé- 
cule que  je  rencontrais  parmi  les  corpuscules  aériens, 
pour  arriver  à  une  démonstration  rigoureuse  de  ce 
fait ,  je  me  suis  mis  à  interroger  la  poussière  de 
tous  les  siècles  et  de  toutes  les  localités.  J'ai  exploré 
les  monuments  de  nos  grandes  villes,  ceux  des  rivages 
et  ceux  du  désert;  et  presque  partout  j'en  ai  trouvé 
en  plus  ou  moins  d'abondance. 

J'ai  découvert  de  la  fécule  dans  les  plus  inacces- 
sibles réduits  de  nos  ^/ieilles  églises  gothiques,  mêlée 
à  leur  poussière  noircie  par  six  à  huit  siècles  d'exis- 
tence; j'en  ai  aussi  rencontré  dans  les  palais  et  dans 
les  hypogées  de  la  Thébaïde,  où  elle  datait  peut-être 
de  l'époque,  des  Pharaons;  là,  j'en  ai  même  recueilH 
qui  avait  pénétré  jusqu'à  l'intérieur  du  crâne  de  quel- 
ques animaux  embaumés.  Douée  d'une  puissance  ex- 
traordinaire de  conservation,  les  années  semblent  à 
peine  l'altérer;  seulement  celle  qui  est  fort  ancienne 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  443 

contracte  une  légère  teinte  jaunâtre  et  offre  une  su- 
perficie moins  lisse  ;  puis  elle  bleuit  plus  facilement  par 
l'iode  que  ne  le  fait  l'amidon  récent,  et  ce  réactif  lui 
donne  proportionnellement  une  teinte  plus  foncée. 

On  peut  poser  en  thèse  générale,  que  dans  tous  les 
pays  où  le  blé  forme  la  base  de  l'alimentation,  sa  fécule 
pénètre  partout  avec  la  poussière  et  se  rencontre  dans 
celle-ci  en  quantité  plus  ou  moins  notable.  On  en  dé- 
couvre d'autant  plus  que  l'on  explore  des  lieux  plus 
rapprochés  du  centre  des  villes,  et  situés  plus  bas.  Au 
contraire,  la  fécule  est  de  moins  en  moins  abondante 
et  ses  grains  deviennent  de  plus  en  plus  fins,  à  mesure 
que  l'on  s'éloigne  des  grands  centres  de  population  et 
que  l'on  explore  des  monuments  plus  isolés.  Je  n'en 
ai  pas  rencontré  dans  le  temple  de  Jupiter  Sérapis  si- 
tué sur  le  rivage  du  golfe  de  Baies,  ni  dans  celui  de 
Vénus  Athor  placé  sur  les  confins  de  la  Nubie. 

On  remarque  aussi  qu'à  mesure  que  l'on  s'élève  sur 
les  montagnes  ou  les  monuments,  la  quantité  de  fécule 
mêlée  aux  détritus  atmosphériques  devient  de  moins 
en  moins  considérable.  Dans  l'abbaye  de  Fécamp,  qui 
est  au-dessous  du  niveau  du  sol  et  située  dans  la  partie 
centrale  de  la  ville,  la  fécule  abonde  dans  la  poussière 
de  ses  chapelles.  Dans  la  cathédrale  de  Rouen,  on  en 
rencontre  en  quantité  considérable  vers  la  région  in- 
férieure de  la  tour  de  Georges  d'Amboise,  mais  ses 
proportions  diuiinuent  de  plus  en  plus  à  mesure  qu'on 
s'élève;  abondante  encore  dans  la  poussière  séculaire 
qui  se  trouve  dans  les  combles  du  cœur,  elle  devient  de 
plus  en  plus  rare  à  mesure  que  Ton  monte  dans  la 
flèche.  On  n'en  rencontre  plus  que  très-peu  à  la  base 


444  HETEROGENIE. 

de  la  pyramide  de  fonte,  et  il  ne  s'en  trouve  plus  un 
seul  grain  au  sommet  de  celle-ci.  Il  en  est  de  même 
lorsqu'on  s'éloigne  des  villes,  ou  lorsque  près  d'elles 
on  explore  des  montagnes  élevées. 

Dans  une  chapelle  isolée,  située  sur  les  bords  de  la 
mer,  et  bâtie  sur  une  falaise  de  cent  dix  mètres  d'élé- 
vation, la  poussière  amassée  sur  une  statue  de  saint, 
était  en  grande  partie  composée  de  grains  calcaires 
enlevés  aux  parois  de  la  montagne  et  transportés  par 
le  vent  dans  le  fond  du  monument,  ouvert  jour  et  nuit 
aux  pèlerins.  On  y  rencontrait  un  grand  nombre  de 
plumules  d'ailes  de  phalènes,  qui  sans  doute  y  ont 
souvent  cherché  un  abri,  mais  fort  rarement  un  grain 
de  fécule  était  aperçu  dans  le  champ  du  microscope; 
tandis  que  dans  les  détritus  des  villes,  à  chaque  obser- 
vation on  en  découvre  plusieurs  grains  de  grosseur 
moyenne,  et  un  grand  nombre  de  grains  de  petite 
taille. 

Une  batterie  des  bords  de  la  mer,  située  dans  un 
lieu  isolé  et  quePon  n'avait  pas  ouverte  depuis  soixante 
ans,  m'a  présenté  une  poussière  noire,  tout  aussi 
pauvre  en  fécule  que  celle  de  la  chapelle  de  la  falaise; 
mais  la  nature  de  cette  poussière  était  absolument 
différente;  elle  était  presque  entièrement  composée  de 
granules  de  silice  très-anguleux,  transparents  et  inco- 
lores. La  fécule  y  était  représentée  en  si  petite  quan- 
tité, que  souvent  on  n'en  rencontrait  qu'un  seul  grain 
sur  une  dizaine  d'observations. 

Voici  quelques-unes  des  observations  de  microgra- 
phie atmosphérique  qui  m'ont  conduit  à  dire  ce  qui 
précède. 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  445 

Poussière  du  laboratoire  du  muséum  d'histoire 
NATURELLE  DE  RouEN.  —  On  a  trouvé  ce  qui  suit  dans 
quatre  décimètres  carrés  de  poussière,  ayant  six  mois 
d'ancienneté  et  recueillie  sur  une  planche  élevée. 
Fécule  de  blé  abondante  ;  deux  grains  de  fécule  de 
pomme  de  terre;  pollen  de  malvacée,  pollen  d'épi- 
lobium,  pollen  de  pin  ;  anthère  d'orchidée;  fragment 
de  tissu  cellulaire  végétal  ;  vaisseaux  rayés  ;  spores  ; 
filaments  de  coton  roses  et  verts  ;  granules  de  char- 
bon ;  poils  d'ortie  et  de  plusieurs  autres  plantes; 
poils  de  laine  blancs  ;  poils  de  laine  bleus  ;  un  ascaride 
vermiculaire  desséché  ;  plumules  de  papillon  diurne  ; 
un  œuf  d'Infusoire  déformé,  ayant  son  centre  occupé 
par  une  masse  jaune  ;  squelettes  siliceux  de  Bacillaires 
et  de  Navicules ;  fragments  d'antennes  d'insectes  de 
divers  genres. 

Tour  de  Georges  d'Amboise  a  Rouen.  —  Endroit 
non  fréquenté,  situé  vers  le  bas  du  monument,  et  dont 
la  poussière,  en  quelque  sorte  charbonnéepar  le  temps, 
date  peut-être  de  deux  ou  trois  cents  ans .  Fécule  de 
grosseur  moyenne,  très-abondante,  et  parmi  laquelle, 
de  temps  à  autre,  on  découvre  quelques  grains  colorés 
spontanément  en  un  beau  bleu  clair.  Cette  fécule  a  gé- 
néralement de  0,0224  et  0,0280  de  millimètre  de  dia- 
mètre ;  on  y  rencontre  de  temps  à  autre  des  filaments 
de  coton  ;  des  fibres  et  du  tissu  cellulaire  de  divers 
végétaux;  puis  des  poils  de  laine  teints  en  bleu,  en 
vert  ou  en  rouge;  des  filaments  de  toiles  d'araignées; 
des  fragments  d'insectes;  des  plumules  de  papillons 
nocturnes.  La  base  de  cette  poussière  était  principale- 


446  HETEROGENIE. 

ment  formée  de  grains  calcaires;  il  y  avait  peu  de  gra- 
nules siliceux. 

Intérieur  de  l'abbaye  de  Fécamp.  Poussière  da- 
tant DE  CINQ  A  SIX  siècles.  —  Poussièrc  grise,  compo- 
sée en  grande  partie  de  granules  calcaires;  grains  de 
silice  de  toutes  les  grosseurs;  les  plus  volumineux 
anguleux,  les  plus  fins  oviformes  ;  fécule  très-abon- 
dante, de  toutes  les  grosseurs,  et  dont  quelques 
grains  sont  colorés  spontanément  en  un  beau  bleu  ; 
filaments  de  coton  de  diverses  couleurs;  squelettes  de 
Bacillaires,  de  Navicules;  filaments  de  laine  bleus, 
verts  et  rouges;  fragments  de  poils  de  lapin. 

Ruines  de  Thèbes.  Poussière  prise  dans  les  bas- 
RELiEFS  des  PALAIS  DE  Karnac.  —  Poussièrc  à  basc  si- 
liceuse ;  grains  de  silice  à  arêtes  vives,  transparents 
comme  du  cristal  ;  et  grains  de  silice  opalins  à  angles 
mousses,  provenant  des  détritus  des  colonnades  de 
grès  ;  fécule  de  blé  paraissant  fort  ancienne,  dont  la 
surface  est  rugueuse,  et  se  bleuissant  fortement  par 
l'iode;  fécule  rcniforme,  indéterminée,  que  l'iode  co- 
lore en  bleu  foncé  ;  poils  de  laine  d'une  belle  couleur 
rouge  ;  poils  de  chameau  ;  squelettes  de  Bacillaires  et 
de  Navicules. 

TOiMBEAU  DE  RhAMSÈS  II  (SéSOSTRIS),  AU  FOND  DU  DÉ- 
SERT DE  BiBAN-EL-MoLouK.  —  Poussièrc  à  base  calcaire 
et  siliceuse;  corps  organisés  infinimentrares.  Point  de 
fécule  ;  un  fragment  de  Bacillaire;  granules  d'un  beau 
vert  et  d'un  beau  bleu,  provenant  des  peintures  qui 
ornent  l'intérieur  des  chambres  sépulcrales. 

Chambre  sépulcrale  de  la  grande  pyramide  de 
GisEH.  —  Poussière  à  base  calcaire  ;  granules  de  silice 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  447 

diversement  colorés.  Point  de  fécule.  Filaments  de 
coton  ;  filaments  de  laine  ;  poils  de  chauve-souris. 
Quelques  squelettes  de  Bacillariées. 

Temple  de  Vénus  Athor  a  Phyl.e.  —  Poussière  si- 
liceuse; gros  granules  de  silice  diversement  colorés, 
jaunes,  rougeâtres,  bruns  ou  noirs,  à  angles  obtus  ; 
granules  rougeâtres  de  syénite;  fécule  nulle  ;  corpus- 
cules de  limon  du  Nil;  quelques  Bacillaires  fort  rares; 
hors  cela,  nuls  produits  organisés  ;  beaucoup  de  grains 
de  silice  extrêmement  fins,  ovoïdes  ou  globuleux, 
transparents,  analogues  à  de  petits  œufs.  Plaques  de 
mica. 

Temple  de  Sérapis  sur  les  rivages  du  golfe  de 
Baies.  —  Poussière  prise  dans  une  excavation  des  co- 
lonnes, produite  par  une  Pholade.  Granules  siliceux 
abondants,  jaunes  ou  incolores  ;  granules  calcaires 
d'un  beau  vert  diaphane,  qui  ne  sont  que  la  poussière 
des  colonnes  de  marbre  cypolin,  produite  par  les 
Mollusques;  squelettes  deNavicules  et  de  Bacillariées 
très-abondants,  et  constituant  plus  de  douze  espèces. 
Squelettes  d'ïnfusoires  stelliformes.  Fécule  nulle. 

Tête  de  chien  momifiée,  provenant  des  temples 
SOUTERRAINS  [sféos)  DE  Beni  Hassan.  —  Extérieur  du 
crâne  :  granules  de  silice,  gros,  anguleux,  blonds  ou 
jaunes;  fécule  assez  abondante,  de  0,0224  à  0,028  de 
millimètre  de  diamètre,  que  l'îode  bleuit  facilement, 
à  couches  concentriques  très-apparentes. 

Intérieur  de  la  caisse  du  tympan  :  la  même  fécule 
très-abondante  ;  un  à  trois  grains  de  grosse  taille  à 
chaque  observation  (1). 

(1)  Cette  fécule,  qui  m'a  paru  être  différente  de  celle  du  blé,  a 


448  HÉTÉROGÉNIE. 

Cette  abondante  suspension  de  la  fécule  dans  l'air 
atmosphérique,  et  sa  dissémination  dans  tous  les  en- 
droits où  celui-ci  pénètre,  se  conçoit  facilement. 
Des  corps  bien  autrement  pesants  que  l'amidon,  on  le 
sait,  sont  fort  souvent  transportés  très-loin  par  les 
mouvements  de  l'atmosphère.  On  a  fréquemment 
mentionné,  sous  le  nom  de  pluies  de  soufre,  les  tour- 
billons  de  pollen  enlevé  aux  forêts  de  pins  et  déposé  au 
loin  par  l'action  des  vents.  Au  rapport  de  Kaemtz,  les 
typhas  couvrent  parfois  aussi  les  étangs  de  leur  pous- 
sière fécondante.  Les  vents,  durant  les  orages,  en- 
traînent même  des  corps  bien  autrement  pesants.  Il 
n'est  plus  douteux  actuellement  qu'ils  peuvent  en- 
lever des  reptiles  et  des  poissons,  en  labourant  la 
surface  de  la  mer  et  des  marécages,  et  donner  lieu  à 
ces  pluies  d'animaux  qui,  aujourd'hui,  sont  un  fait  in- 
contestable. 

M.  Duméril  a  rapporté  d'irrécusables  observations 
de  pluie  de  grenouilles;  d'autres  ont  cité  des  avalan- 
ches d'épinoches  (1).  Le  docteur  Conny  dit  même 
qu'un  orage  qnleva  à  la  mer  un  immense  nombre  de 
petits  merlans  et  les  transporta  au  loin  dans  le  comté 
de  Kent  (2).  Wolke  parle  d'un  étang  de  poissons,  dont 
toute  la  population  fut  enlevée  ainsi  que  l'eau  et  trans- 
portée au  loin  (3).  D'autres  citent  des  faits  analogues; 

été  considérée  par  M.  Ch.  Robin  comme  étant  de  la  fécule  d'orge 
ou  de  seigle. 

(i)  Duméril.  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences. 

(2)  R.  CoNNY,  Lettres  dans  les  transactions  philosophiques.  Lon- 
dres, 1816,  t.  XX,  p.  289. 

(3)  WoLKE,  Relations  du  professeur  Wolke  [Gilbert' s  Annalen), 
i.  X,  p.  482. 


MICROGRAPHIE    AOIOSPiiÉRIQL'E.  4  49 

des  mares  mises  à  sec  et  dont  (oute  la  population  fut 
transportée  à  une  lieue  et  demie  de  l'endroit  (1). 
Après  cela,  faut-il  s'étonner  de  la  dissémination  nor- 
male de  la  fécule  au  sein  de  l'air  calme  ou  peu  agité, 
et  de  son  introduction  dans  les  endroits  les  plus  re- 
tirés ? 

Nous  venons  de  voir  qu'il  est  évident  que  c'étaient, 
soit  les  plus  fins  grains  de  fécule,  soit  les  plus  fins 
grains  de  silice  de  l'atmosphère,  qui  seuls  avaient  pu 
être  pris  pour  des  œufs.  Mais,  à  cette  démonstration 
toute  physique,  il  faut  ajouter  une  preuve  de  plus  pour 
qu'on  ne  puisse  pas  dire  qu'aux  deux  corps  que  nous 
mentionnons,  il  a  pu  s'en  joindre  une  troisième  es- 
pèce. C'est  ce  que  j'appellerai  la  démonstration  bio- 
logique. 

Expérience.  —  On  prit  deux  grammes  de  poussière 
séculaire  provenant  du  pourtour  de  la  cathédrale  de 
Rouen;  cette  poussière,  d'une  teinte  noire,  comme 
charbonnée  par  le  temps ,  fut  placée  dans  un  tube 
mince,  au  fond  d'un  bain  d'huile,  et  pendant  une 
heure  un  quart  elle  resta  soumise  à  l'action  d'une 
température  de  215''.  On  la  mit  ensuite  dans  cin- 
quante grammes  d'eau  distillée  que  l'on  plaça  sous 
une  cloche  en  verre. 

Trois  jours  après,  la  température  ayant  été  en 
moyenne  de  1  S^'et  la  pression  de  0,75,  on  examina  le  ré- 
sultat de  l'expérience.  D'endroit  en  endroit,  on  décou- 
vrait des  Monades  analogues  au  Monas  lermo,  Mull. 

(1)  Corap.  Mauduyt,  Monde  savant.  Ai-t.  Ichthyologie.  1835, 
n°5  80  et  83.  —  A.  Pelletier,  Observations  et  recherches  expéri- 
mentales sur  les  trombes.  Paris,  1840,  p.  42. 

POUCHET.  29 


50  HÉTÉROGÉME. 

En  outre,  il  y  existait  des  Vihrio  spirillus  et  des  Vi- 
brio  iimhila,  ainsi  que  quelques  grosses  Monades  que 
je  n'ai  jamais  vues  el  qui  sont  analogues  au  Monas  lens, 
Mull.  Le  lendemain,  toutes  les  petites  Monades  étaient 
mortes  et  formaient  une  pellicule  proligère  sablée, 
dans  laquelle  on  apercevait,  soit  des  ovules  de  grosses 
Monades,  soit  de  ces  Monades  faisant  effort  pour  se 
détaclier  de  la  fausse  membrane,  soit  enfin  de  ces 
Monades  en  parfait  mouvement  et  fort  agiles.  Le  cin- 
quième jour,  on  y  rencontra  quelques  Kolpodes,  mais 
on  n'y  observa  aucun  filament  confervoïde. 

Expérience.  — La  même  poussière  de  la  cathédrale 
de  Rouen,  dont  il  est  question  dans  l'expérience  pré- 
cédente, fut  chauffée  de  280  à  300°,  pendant  vingt 
minutes,  dans  un  bain  d'huile,  et  elle  en  sortit  pres- 
que totalement  charbonnée;  deux  grammes  de  celle- 
ci  furent  délayés  dans  cinquante  grammes  d'eau  dis- 
tillée. La  macération  fut  placée  sous  une  cloche  de 
verre  et  elle  y  passa  trois  jours.  Durant  ce  temps,  la 
moyenne  de  la  température  fut  de  18°,  et  la  pression 
de  0,75.  Observée  alors,  la  superficie  du  liquide  était 
remplie  de  particules  noires,  charbonnées,  au  milieu 
desquelles  nageaient  d'abondantes  Monades  différen- 
tes de  celles  observées  dans  la  poussière,  qui  n'avait 
été  chauffée  qu'à  215°.  Ces  Monades,  excessivement 
nombreuses,  ont  0,0056  de  millimètre  de  diamètre 
et  offrent  une  teinte  brune  et  un  point  noir.  Je  ne  les 
ai  jamais  rencontrées.  De  place  en  place,  il  existe  aussi 
une  foule  de  granules  immobiles,  qu'avec  de  l'habi- 
tude on  sait  n'être  qu'une  immense  quantité  de  Mo- 
nades mortes,  formant  déjà  une  pellicule  proligère. 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  45! 

Eniin,  le  cinquième  jour,  la  macéralion  s'est  peu- 
plée subitement  d'une  abondance  de  gros  Kolpodes, 
longs,  stries,  à  estomacs  nombreux  et  rcFiiplis.  C'est 
une  espèce  non  décrite. 

En  outre, on  \oit  çà  et  là  une  conferve  moniiiforme, 
composée  de  filaments  entremêlés  et  remplis  de  i^ra- 
nules,  et  que  je  n'ai  jamais  observée  jusqu'à  ce  mo- 
ment. 

Ces  deux  expériences  ne  \iennent-ellcs  pas,  avec 
tout  ce  qui  précède,  démontrer  que  l'air  n'est  nulle- 
ment le  réceptacle  des  germes  des  animalcules,  con- 
trairement à  l'hypotbèse  de  quelques  savants,  ré- 
cemment reproduite  par  MM.  Mil  ne  Edwards  et  de 
Quatrefages  (1)?  Cette  poussière,  amassée  depuis  tant 
de  siècles,  et  qui  devrait  non-seulement  être  riche  du 
récent  dépôt  de  l'air,  mais  encore  des  dépôts  anciens, 
est  si  peu  le  réceptacle  des  œufs,  que  lorsqu'elle  a 
subi  une  température  de  2i5  à  300o,  qui  a  dû,  sans 
conteste ,  brûler  toute  la  progéniture  qu'elle  pou- 
vait contenir  ;  elle  n'en  est  pas  moins  féconde.  Cela 
démontre  bien  que  les  animalcules  qui  peuvent  naître 
d'une  poussière  quelconque  ne  viennent  pas  d'œufs 
que  celle-ci  recèle,  mais  bien  d'ovules  qui  s'y  forment 
spontanément,  puisque,  qu'elle  soit  intacte  ou  presque 
cbarbonnée,  elle  n'en  est  pas  moins  proligère. 

Ceci  est  si  vrai  que,  par  une  de  ces  anomalies  si 
communes  en  de  telles  expériences,  c'est  la  macéra- 
tion qui  devrait  être  la  moins  proligère  qui  Test  deve- 
nue davantage  !  En  etïet,  dans  la  poussière  qui  a  été 

(l)  De  Quatrefages,  Comptes  rendus  de  T Académie  des  sciences. 
Paris,  Janvier  1859. 


452  HETEROGEME. 

presque  totalement  charbonnée  par  300t>  de  chaleur, 
on  observe  une  quantité  considérable  de  Kolpodes,  et 
une  conferve  si  rare,  que  je  ne  l'ai  jamais  vue  se  for- 
mer; tandisque  dans  la  poussière  chauffée  seulement 
à  215^,  et  non  charbonnée,  les  Kolpodes  sont  infini- 
ment rares  et  la  conferve  y  manque  absolument. 

M.  de  Quatrefages,  au  nombre  des  preuves  qu'il 
allègue  pour  démontrer  la  présence  des  œufs  dans  la 
poussière  atmosphérique,  dit  qu'au  bout  de  trois  quarts 
d'heure,  il  a  vu  des  Monades  se  mouvoir  dans  celle-ci 
après  qu'on  l'avait  imbibée  d'eau  (l).Ce  savant  n'ayant 
pas  fait  connaître  à  quelle  température  ses  observations 
ont  été  faites,  je  n'ai  pu  les  répéter  exactement.  Pour 
moi,  jamais  je  n'ai  vu  un  seul  animalcule  se  mouvoir 
dans  la  poussière  avant  douze  à  dix-huit  heures,  à  une 
température  de  1 5°  ;  mais  souvent  il  m'est  arrivé  d'y 
reconnaître  le  mouvement  brownien  immédiatement 
après  qu'elle  avait  été  plongée  dans  l'eau,  ce  qui 
pourrait  en  imposer  à  un  observateur  moins  exercé 
que  le  savant  que  nous  venons  de  citer. 

Dans  le  but  de  pousser  la  démonstration  jusqu'au 
bout,  j'ai  pris  une  abondance  d'animalcules,  apparte- 
nant à  des  genres  extrêmement  variés,  depuis  les  Ro- 
tifères  jusqu'aux  Monades  (2).  J'ai  laissé  ces  animal- 
cules se  dessécher  lentement  parmi  le  limon  qu'on 
avait  recueilli  avec  eux;  puis,  au  bout  de  deux  jours, 

(1)  De  QvMREFkGES, Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences. 
Paiis,  Janvier,  1859. 

(2)  Voici  les  genres  qui  y  avaient  des  représentants  :  Rotifère, 
Kolpode,  KéronCj,  Paramécie,  Plœsconie,  Navicule,  Bacillaire,  Spi- 
rillum,  Monas  Bacterium. 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  453 

quand  la  dessiccation  était  parfaite,  j'ai  imbibé  de  nou- 
veau d'eau  tous  ces  Microzoaires,  et  jamais  parmi  leurs 
nombreuses  espèces,  je  n'en  ai  vu  une  seule  revivre; 
pour  la  plupart,  môme,  leurs  cadavres  avaient  subi 
quelques  lésions  par  l'effet  de  la  mort.  Quelques  Bac- 
tériums  de  petite  taille,  auraient  encore  pu  là  égarer 
certains  observateurs;  ils  étaient  animés  d'un  manifeste 
mouvement  brownien,  qu'un  micrographe  ne  pourra 
jamais  confondre  avec  leur  locomotion  vive  et  sac- 
cadée (1). 

Dans  ces  expériences  les  Rotifères  ont  été  de  ma 
part  l'objet  d'une  attention  toute  spéciale,  et  je  me 
suis  convaincu  que  ces  Microzoaires,  dont  on  a  partout 
proclamé  l'extraordinaire  résurrection,  ne  se  rani- 
maient pas  plus  que  les  autres  animalcules  lorsqu'ils 
sont  réellement  morts.  Quand  on  voit  périr  sous  ses 
yeux  des  Rotifères,  on  se  convainc  bien  rapidement 
qu'ils  ne  pourraient  même  jamais  ressusciter.  Quel- 
ques-uns se  contractent  en  une  espèce  de  sphéroïde 
irrégulier,  mais  d'autres  en  expirant  subissent  de  vé- 
ritables dilacérations.  En  humectant  des  Rotifères,  soit 
seulement  vingt-quatre  heures  après  leur  mort,  soit 
après  quarante-huit  heures,  jamais  je  n'en  ai  vu  un 
seul  se  ranimer.  Ce  qui  en  a  imposé  pour  une  résurrec- 
tion, c'est  que  lorsqu'on  leur  rend  de  l'eau,  le  corps 
de  plusieurs  se  gonfle  et  s'allonge  de  nouveau  par  un 
véritable  phénomène  d'endosmose,  et  l'animal  semble 
revenir  à  sa  primitive  forme.  La  queue  devient  saillante, 


(f)  En  effets  lorsque  les  Bactérium   sont  bien  vivants,  ce  qui 
dure  peu,  leur  natation  est  très-rapide. 


454  HETERO  GENIE. 

mais  cette  apparence  cle  résurrection  en  reste  là.  Et  si 
alors  on  examine  l'état  des  viscères  on  s'aperçoit  immé- 
diatement que  ceux-ci  ont  subi  par  la  mor^  une  grande 
perturbation,  et  même  souvent  une  désorganisation 
complète.  Ce  gonflement  s'opère  en  une  ou  deux 
heures;  puis  ensuite,  en  suivant  pendant  dix  à  douze 
heures  ce  qui  se  passe,  on  voit  que  nul  phénomène 
vital  ne  se  produit  dans  le  cadavre  de  l'animalcule,  et 
qu'enfin  il  se  désagrège  complètement.  Quelques 
Rotifères,  même  avant  ce  temps,  se  crèvent  et  ex- 
pulsent une  partie  de  leurs  viscères.  Quelques-uns 
ne  subissent  nullement  l'action  de  l'endosmose  et 
restent  en  boule. 

On  voit,  d'après  ce  qui  précède,  que  maintenant, 
même  en  s'appuyant  sur  les  nouvelles  conquêtes  de  la 
science,  il  devient  facile  de  démontrer  d'une  irrécusa- 
ble manière  qu'on  a  attribué  à  l'air  un  rôle  absolument 
faux.  M.  Balbiani,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  a  reconnu 
que  les  Paramécies  possédaient  seulement  un  petit 
nombre  de  fort  gros  œufs,  mais  dont  il  n'a  pas,  que 
je  sache,  donné  la  mesure.  J'ai  reconnu  ces  œufs  sur 
les  Kolpodes  elles  Kérones,  où  ils  sont  aussi  fort  gros, 
et  présentent  à  l'intérieur  des  mères  un  diamètre  de 
0,0150  à  0,0224  de  miUimètre.  Enfin,  M.  de  Qua- 
trefages  lui-même  a  trouvé  aussi  de  ces  gros  œufs  secs 
dans  la  poussière  qu'il  a  observée  au  microscope;  et 
selon  moi  c'est  à  eux  qu'il  donne  avec  beaucoup  de 
micrographes  le  nom  d'hifusoires  enkystés.  C'est  donc 
un  fait  acquis,  ces  œufs  sont  connus,  mesurés,  soit  sur 
les  mères,  soit  à  l'état  sec  dans  la  poussière.  Je  pars  de 
là  et  j'exécute  l'expérience  suivante  : 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  4o5 

Expérience.  —  Je  prends  une  cuvette  en  cristal 
de  trente  centimètres  de  diamètre  et  remplie  d'eau 
distillée.  J'y  plonge  dix  grammes  de  lin  chauffé  à  200° 
pendant  deux  heures.  Cette  cuvette  est  ensuite  recou- 
verte d'une  cloche  et  placée  dans  une  autre  grande 
cuveite  de  cinquante  centimètres  de  diamètre,  rem- 
plie d'eau  distillée  presque  jusqu'au  niveau  de  la  pre- 
mière. Après  quatre  jours,  dont  la  température  a  été 
en  moyenne  de  :25%  on  examine  le  résultat  de  Fex- 
périence.  La  cuvette  du  centre  est  encombrée  de  Kol- 
podes  et  de  Paramécies  ;  on  ne  trouve  pas  un  seul 
de  ces  animaux,  ni  un  œuf  dans  la  grande  cuvette 
qui  la  contient  (1). 

Cette  expérience,  si  simple  en  apparence,  ne  suf- 
fit-elle pas  à  elle  seule  pour  renverser  tout  l'é- 
chafaudage de  la  panspermie  aérienne?  Si,  malgré 
la  cloche  qui  le  recouvre,  une  pluie  d'œufsest  tombée 
sur  le  vase  central  pour  y  produire  ces  animalcules 
entassés  par  millions,  a-t-elle  pu  épargner  l'eau  dé- 
couverte qui  l'environne?  On  n'oserait  pas  sans  doute 
nous  faire  cette  objection,  car  dans  toutes  les  expé- 
riences analogues,  le  même  résultat  se  produit.  Dira- 
t-on  qu'un  seul  œuf  suffit  pour  engendrer  une  si  pro- 
digieuse progéniture  ?  mais  la  scissiparité  n'est  qu'une 
hypothèse  sans  fondement,  prq3osée  pour  expliquer 
facilement  un  phénomène  embarrassant,  et  que  l'on  a 
acceptée  avec  enthousiasme,  à  cause  de  son  étran- 


(1)  J'ai  répondu  ailleurs  à  l'objection  de  la  nécessité  d'une 
nourriture  appropriée  pour  les  œufs,  dans  l'eau.  Ce  n'estpas  assez 
sérieux  pour  y  revenii". 


456  HÉTÉROGÉNIE. 

gelé;  et  d'un  autre  côté,  ne  sait- on  pas  actuellement 
que  la  génération  normale  est,  elle-même,  tout  aussi 
impuissante  pour  expliquer  le  phénomène,  depuis  que 
M.  Balbiani  en  a  démontré  les  lenteurs  etlapénurie(l). 
Osera-t-on  prétendre  aujourd'hui  que  les  œufs 
tombés  dans  l'eau  ont  échappé  à  notre  observation? 
Mais  nous  répondrions  que  c'est  impossible,  tant  ils 
sont  apparents,  car  sans  même  employer  de  forts 
grossissements,  on  leur  donne  le  volume  d'un  petit 
pois;  et  d'ailleurs,  pour  arrivera  l'équivalence  de  la 
population  du  vase  central,  ils  devaient  se  rencontrer 
en  nombre  prodigieux  dans  le  vase  extérieur;  et,  n'y 
en  eût-il  que  très -peu,  je  le  répète,  ils  n'échapperaient 
pas.  Enfin,  dira-t-on  encore  aujourd'hui  ce  que  l'on 
disait  il  y  a  quelques  années  avec  Ehrenberg  (2) ,  que 
ces  œufs  se  réduisent  à  une  telle  ténuité  par  la  dessic- 
cation qu'ils  deviennent  invisibles.  Mais  pour  les 
Kolpodes  et  les  Paramécies,  qui  seuls  sont  ici  en  ques- 
tion, les  observations  de  M.  Balbiani  et  les  mieimes 
rendent  cette  ancienne  objection  tout  à  fait  impos- 
sible aujourd'hui.  En  effet,  nous  avons  démontré,  cha- 
cun de  notre  côlé,  que  lesMicrozoaires  ne  produisaient 
pas  des  œufs,  mais  de  véritables  embryons  assez 
avancés  en  développement,  car  on  aperçoit  déjà  leurs 
mouvements  automatiques  dans  le  ventre  de  la  mère 
et  les  pulsations  de  leur  cœur.  Dira-t-on  que  ces  em- 
bryons ont  acquis  inutilement  un  tel  développement, 
et  qu'ils  ont  inutilement  commencé  à  vivre,  pour  pé- 

(1)  Balbiam,  Génération  sexuelle  chez  les  Infusoires.  Journal  de 
physiolofjie.  Paris,  1858,  t.  I,  p.  346. 

(2)  Ehrenberg,  Infus, 


MICROGRAPHIE    AT3I0SPHÉRIQLI- .  i57 

rir  ensuite  et  devenir  invisibles,  afin  de  se  transpor- 
ter, par  le  moyen  de  l'air,  eux  qui  naissent  dans  l'eau, 
partout  où  certains  zoologistes  prétendent  qu'ils  cir- 
culent. Tout  cela  offrirait  autant  d'impossibilités,  s'il 
n'y  en  avait  pas  une  plus  grande  encore,  c'est  celle 
du  nombre. 

Expérience.  —  Une  autre  expérience,  tout  aussi 
simple  que  la  précédente,  vient  encore  démontrer 
l'absence  des  embryons  d'Infusoires  dans  l'atmosphère. 
On  prend  un  tube  à  boule  de  Liebig,  et  on  le  remplit 
d'eau.  Puis,  à  l'aide  d'un  vase  aspirateur,  on  fait  pas- 
ser à  travers  cette  eau  cinquante  litres  d'air  atmo- 
sphérique; si,  après  huit  jours,  on  explore  celle-ci  on 
n'y  rencontre  aucun  Microzoaire  vivant^  ni  aucun 
embryon.  Si,  au  contraire,  on  amis  à  côté  une  ma- 
cération de  foin,  étant  seulement  en  contact  avec 
un  demi-litre  d'air,  c'est-à-dire  avec  cent  fois  moins 
de  ce  fluide,  à  la  même  époque,  on  y  compte  un  in- 
calculable nombre  de  Kolpodes  ou  de  Paramécies 
dont  les  œufs  n'auraient  pu  échapper  à  l'observation 
dans  l'autre  expérience. 

Nous  pouvons  dire  en  terminant  ce  chapitre,  que  ce 
qui  est  réellement  dans  l'atmosphère  s'y  retrouve  ai- 
sément; et  que  si  nous  ne  l'avions  pas  suffisamment 
démontré,  les  récentes  recherclies  de  M.  Gigot  sur 
les  émanations  marécageuses  viendraient  le  con- 
stater (1). 

(I)  L.  Gigot,  Recherches  expérimentales  sur  la  nature  des  émana- 
tions marécageuses.  Paris  1859,  pi.  ii,  m,  iv,  où  cet  auleur  a  figuré 
de  nombreux  corps  recueillis  dans  l'air  des  marais. 


458  HÉTÉROGÉNIE. 

Résumsï:.  —  Ainsi  donc,  tout  ce  qui  précède  prouve 
que  certains  Microzoaires  non-seulement  apparaissent 
spontanément,  m.ais  en  outre  qu'ils  ont  aussi  des  or- 
ganes sexuels  et  produisent  des  œufs.  Les  observa- 
tions et  les  expériences  nous  ont  également  démon- 
tré que  ceux-ci  ne  sont  nullement  en  suspension  dans 
l'atmosphère  en  assez  notable  quantité  pour  pouvoir, 
le  moins  du  monde,  expliquer  la  fécondité  des  eaux 
stagnantes  ou  des  macérations.  Enfin  que  ce  que  les 
auteurs  ont  pris  pour  des  œufs  ne  peut  certainement 
s'attribuer  qu'à  la  fécule  que  contient  la  poussière  ou 
aux  fins  grains  de  silice  ou  de  carbonate  calcaire 
qu'on  y  rencontre  si  abondamment. 

Dans  la  discussion  académique  à  laquelle  la  géné- 
ration spontanée  a  donné  lieu,  c'est  M.  de  Quatrcfages 
lui-même  qui  s'est  chargé  de  donner  aux  doctrines 
qu'il  prétendait  défendre,  le  plus  splendide  démenti 
qu'on  puisse  leur  infliger.  En  effet,  si  quelque  chose 
peut  renverser  de  fond  en  comble  ihypothèse  de  la 
panspermie  et  l'ovarisme  absolu,  c'est  évidemment  la 
découverie  de  la  reproduction  sexuelle  des  Microzoai- 
res. Car,  nécessairement,  M.  de  Quatrefages  s'étant 
appuyé  sur  les  observations  de  M.  Balbiani,  doit 
en  subir  toutes  les  conséquences,  et  celles-ci  sont 
accablantes  pour  lui  :  cet  observateur  ayant  reconnu 
que  les  Paramécies  ne  produisaient  chacune  que  cinq 
à  six  embryons,  et  même  après  un  accouplement 
et  une  gestation  fort  longue  pour  de  tels  animal- 
cules. 

Cette  exiguité  dans  la  reproduction  rend  malhé- 
matiquement  impossible  la  diîTusion  atmosphérique  ; 


MICROGRAPHIE    ATMOSPHÉRIQUE.  459 

et  ensuite,  par  le  volume  de  ses  produits,  elle  défend 
que  ceux-ci  puissent  passer  inaperçus. 

Or,  la  raison  se  révolte,  en  présence  de  tous  ces 
faits  nettement  posés  ;  et  elle  ne  peut  accepter  que  des 
embryons,  après  avoir  acquis  un  tel  volume,  une  telle 
organisation,  s'arrêtent  dans  leur  cycle  vital,  se  con- 
tractent et  se  solidifient  au  point  de  devenir  invisibles, 
eux  qui  avaient  un  volume  tellement  apparent,  une 
organisation  si  avancée  ! 

Une  seule  assertion  suffirait  même  pour  renverser, 
et  ce  changement  de  milieu  de  l'œuf,  et  cette  extraor- 
dinaire mutation  de  volume  :  c'est  que  jamais  on  ne 
voit  un  œuf  de  Paramécie  subir  de  renflement  dans 
nos  macérations. 


CHAPITRE   VI 

PREUVES    GÉOLOGIQUES. 

La  génération,  ou  la  manifestation  de  la  vie  à  la 
surface  du  globe,  a  été  l'un  des  premiers  actes  de  la 
création,  et  toutes  les  théogonies  constatent  aussi 
qu'elle  est  devenue  le  premier  sujet  des  méditations 
de  l'intelligence  humaine. 

A  diverses  époques,  dont  aucun  chronomètre  ne 
peut  donner  une  idée,  la  matière  inerte  a  formé  des 
êtres  organisés,  sans  le  secours  d'aucun  être  organisé 
préexistant  (1).  C'est  une  conséquence  toute  natu- 
relle de  la  géogénie;  personne  ne  le  conteste.  Il  s'a- 
git donc  uniquement  de  savoir  s'il  y  a  eu,  postérieu- 
rement à  ce  premier  acte,  d'autres  générations,  et  s'il 
peut  encore  s'en  manifester  aujourd'hui  de  nouvelles; 
c'est  là  toute  la  question. 

Si  une  puissance  suprême,  dont  l'unité  se  révèle 
sur  chaque  parcelle  du  globe,  a  présidé  éternellement 
et  universellement  à  tous  les  phénomènes  qui  s'ac- 
complissent à  la  surface  de  celui-ci;  et  s'il  lui  a  plu, 
de  peupler  la  terre  de  tribus  d'animaux  et  de  plantes 
qui  s'y  sont  succédées,  pourquoi  donc  ne  répéterait- 

(1  )  BoMFASj  De  la  génération  spontanée.  Paris^,  1 858,  p.  \  8,  tranche 
nettement  la  question  et  dit  :  Il  y  a  eu  génération  spontanée. 


PREUVES    GÉOLOGIQLES.  461 

elle  pas  aujourd'hui  ce  qu'elle  a  fait  à  d'autres  épo- 
ques? car,  ainsi  que  l'exprime  P.  Gorini,  la  génération 
spontanée  n'est  pas  un  phénomène  plus  merveilleux 
que  la  reproduction  normale  (1);  et,  pour  notre 
compte,  nous  ne  concevons  pas  pourquoi  on  la  re- 
garde comme  si  extraordinaire. 

La  nature  n'est  pas  ahandonnée  aux  désordres  du 
hasard;  elle  est  régie  par  d'harmonieuses  lois,  et 
chaque  acte  qui  s'accomplit  dans  son  sein,  se  lie  avec 
le  passé  et  se  perd  dans  l'avenir  :  une  génération  qui 
apparaît  n'est  que  le  corollaire  de  celle  qui  l'a  précé- 
dée. Si  l'on  suit  les  étapes  de  la  création,  depuis  les 
plus  anciens  temps  jusqu'à  notre  époque,  on  s'aper- 
çoit que  ses  formes  ont  constamment  changé,  et  que 
tous  les  êtres,  sauf  quelques  oscillations,  ont  suivi 
une  marche  ascendante.  11  semble  d'abord  que  la  na- 
ture hésite,  comme  si  elle  doutait  de  ses  forces,  et 
procédait  à  une  succession  d'essais,  avant  de  façonner 
ses  plus  splendides  chefs-d'œuvre. 

D'abord  apparurent  les  végétaux,  les  polypiers,  les 
mollusques  et  les  crustacés;  plus  tard  les  poissons  et 
les  reptiles;  puis  les  oiseaux  et  les  premiers  mammi- 
fères; et  enfin,  les  mastodontes,  les  rhinocéros  et  les 
éléphants  (2).  A-t-il  fallu  pour  cela  le  concours  d'é- 

(1)  Paolo  GoRiiM,  La  generazione  spontanea  non  è  fenomenà  più 
meravigliso  che  l'ordinario  modo  di  propagazione.  SulT  origine 
délie  montagne  e  dei  vnlcani  studio  sperimentale.  Lodi,  1851, 
1. 1,  p.  449  et  suivantes. 

(2)  On  signale  à  peine  quelques  rares  exceptions  à  cette  régu- 
lière succession.  Quelques  reptiles  ont  été  rencontrés  dans  des 
terrains  houillers.  Compt.  rend,  décembre,  1857;  et  des  mam- 


462  HÉTÉROGÉNIE. 

léiiienls  sexuels  qui  n'existaient  pas  alors?  Évidem- 
ment non;  il  n'y  a  eu  ià  que  l'intervention  d'une  vo- 
lonté créatrice.  Et  si  de  cet  incommensurable  amas 
de  matière,  TÉternel  a  fait  surgir  tant  de  races  diver- 
ses, trouvant  instantanément  dans  la  substance  inerte 
tous  les  éléments  de  la  vie,  n'est-il  pas  irrationnel  de 
prétendre  qu'après  ce  grand  œuvre,  si  fréquemment 
remanié,  il  a  dû  s'arrêter.  Si  tant  de  faits  ne  venaient 
corroborer  nos  opinions,  notre  sens  intime  nous  per- 
suaderait que  si,  à  des  époques  successives,  il  a  plu  à 
la  Divinité  de  poser  les  lois  qui  président  à  l'organi- 
sation, ces  mêmes  lois  n'ont  pas  été  abrogées  au  mo- 
ment de  la  dernière  production  :  elles  se  continuent 
en  subissant  l'immuable  destinée  de  tout  ce  qui  émane 
de  la  suprême  sagesse  ;  mais  seulement  leurs  mani- 
festations n'atteignent  plus  les  mêmes  proportions 
que  dans  les  anciens  temps  :  elles  se  sont  amoindries 
comme  beaucoup  d'autres  phénomènes  telluriques. 
Nous  n'avons  plus  en  fermentation  ces  immenses  amas 
de  matière  morte,  résultat  de  tant  de  cataclysmes  et  de 
funérailles  d'animaux;  aussi,  au  lieu  de  ces  races 
gigantesques  qui  surgissaient  alors  au  milieu  des 
éléments  agités,  ne  voyons-nous  plus  se  produire  que 
d'infimes  essais  d'organisation  (1). 

mifères  dans  le  trias. —  R.  Owen.  On  the  characlers  of  Ihe  class 
mammalia,  1857. 

(1)  Comp.  surtout  pour  la  distribution  ou  l'ordre  d'apparition 
des  animaux  et  des  plantes  A.  Brongniart,  Tableau  des  terrains 
qui  composent  Vécorce  du  globe.  Paris,  1829.  —  Pictet,  Traité  de 
paléoîitologie^  2e  édition. Paris,  1853.  —  Cuvieu,  Recherches  sur  les 
ossements  fossiles.  Paris,  1812.  — AGkSsvi,  Recherches  surles  pois- 
sons fossiles. Nenïchàie]^  1835.  —  Goldfuss.  Fetrefacta  Germaniœ. 


ORIGINE    DU    GLOBE.  463 

Car  la  croule  terrestre  n'est  qu'une  immense  né- 
cropole où  chaque  génération  s'anime  à  même  les 
débris  de  celle  qui  vient  d'expirer;  et  l'atmosphère, 
ce  réceptacle  de  tous  les  éléments  chimiques  de  l'or- 
ganisation, devient  le  trait  d'union  ende  la  matière 
morte  et  la  nature  vivante.  Ainsi  à  prendre  les  faits 
au  point  de  vue  le  plus  élevé  de  la  physique  du  globe, 
les  animaux  et  les  plantes  dérivent  de  l'air,  et  ne  sont 
que  de  l'air  condensé  (i  ). 

SECTION  l'*'.  —  ORIGINE  DU  GLOBE. 

La  théorie  de  la  formation  de  la  terre  n'est  plus 
aujourd'hui  l'objet  d'aucun  doute  de  la  part  des  géo- 
logues. Le  génie  de  l'homme,  en  l'absence  des  tra- 
ditions et  des  manuscrits,  en  a  débrouillé  toute  l'his- 
toire en  confrontant  les  vestiges  des  anciennes  époques 
et  les  phénomènes  actuels. 

Il  est  évident  que  notre  planète  a  été  originairement 
une  masse  incandescente,  environnée  d'une  immense 
atmosphère  de  gaz  et  de  vapeur  ;  et  qu'en  se  refroidis- 
sant, elle  a  subi  tous  les  accidents  physiques  ou  chi- 
miques qui  devaient  nécessairement  résulter  de  son 
changement  d'état. 

Cette  incandescence  du  globe  n'a  été  entrevue 
qu'assez  tard.  Descartes  la  devina  ,  en  quelque 
sorte,  en  proclamant  que  celui-ci  n'était  qu'un    so- 

Dusseklorf,  i82ô. —  D'Oi\big^y,  Paléontologie  française.  Paris,  1840. 
—  Ad.  BuoNGiMAUT,  Fisfoire  des  végétaux  fossiles,  Paris,  1828. 

(I)  Dumas,  Essai  de  statistique  chimique   des  êtres  organisés. 
Paris,  18'r2,  p.  '6. 


464  HETERO  GENIE. 

leil  partiellement  éteint,  faute  de  combustible,  et 
dont  la  croûte  solide  nous  dérobait  les  fournaises  in- 
térieures (1). 

Presque  en  même  temps,  le  père  Kircher  émit 
des  idées  absolument  analogues  à  celle  de  notre  phi- 
losophe, et  supposa  aussi  que  le  centre  de  la  terre 
était  occupé  par  une  substance  fluide  en  ignition.  11 
consacre  même  un  des  chapitres  et  une  planche  de  son 
célèbre  ouvrage  à  l'exposition  de  cette  théorie  (2). 

En  cela  Descartes  et  le  Père  Kircher  avaient  été 
merveilleusement  inspirés  ;  et  leur  hypothèse,  que 
Leibnitz  accepta  et  développa  dans  sa  Protogée  (3), 
se  trouva  bientôt  d'accord  avec  les  observations  des 
R.  Hooke,  des  J.  Ray,  des  Buffon,  des  Dolomieu, 
des  Cuvier,  des  Rendant  et  des  de  Buch  (4)  ;   ainsi 

(1)  Descartes,  Œuvres  de  Descartes.  Édition  de  V.  Cousin,  t.  III, 
p.  265etsiiiv. 

(2)  Kircher,  Mundus  subterraneus,  Amst.,  1678.  Chap.  De  igné 
suhterraneo  per  omnia  diffusa,  p.  186.  —  Il  est  présumable  que  le 
P.  Kircher,  qui  mourut  à  Rome  en  1680,  n'a  pas  connu  l'œuvre 
de  Descartes,  qu'on  n'imprima  pour  la  première  fois  à  Amsterdam, 
que  de  1670  à  1683.  Le  savant  jésuite  avait  sans  doute  conçu  sa 
théorie  en  présence  des  volcans  de  la  Sicile  et  de  l'Italie,  qu'il 
avaitvisités. 

(3)  Leibnitz,  Acta  eruditorurn.  Leipsick,  1693.  —  Protogœa 
Gottingue,  1749.  Traduit  sous  le  litre  de  :  Protogée,  ou  de  la  for- 
mation et  des  révolutions  du  globe.  Paris,  1859. 

(4)  R.  Ilooke  et  Jean  Ray,  dans  des  mémoires  fort  intéressants 
exposent  Taction  des  forces  internes  du  globe  contre  son  écorce. 
Soc.  Roy.  de  Londres.  —  Buffon,  Théorie  de  la  terre,  hist.  nat. 
Deux-Ponts,  1783,  t.  I.  —  Dolomieu,  Rapports  à  l'Institut,  an  V 
et  VI. —  CuviER,  Discours  sur  les  révolutions  du  globe.  Paris,  1851. 
—  Reudant^  Cours  de  géologie.  Pàvls,  1857,  p.  —  5.  De  Buch, 
Voyage  en  Norwége  et  en  Laponie.  Berlin,  iSiO.  —  Description 
physique  des  'des  Canaries.  Traduction  de  Boulanger, 


ORIGINE    DU    GLOBE.  163 

qu'avec  les  calculs  des  de  Laplace,  des  Fourier,  des 
Cordier,  des  Élie  de  Beaumont,  et  des  de  Hum- 
boldt(l). 

Lancé  dans  l'espace,  le  globe  embrasé  dut  obéir 
aux  lois  du  rayonnement  de  la  chaleur;  et  à  mesure 
que  ce  phénomène  se  produisit,  la  superficie  terrestre 
se  solidifia  avec  une  immense  lenteur,  et  augmenta 
d'épaisseur  de  l'extérieur  à  l'intérieur.  Lorsque  la 
terre  fut  assez  refroidie,  et  que  l'atmosphère  eut  assez 
dispersé  de  son  calorique,  les  vapeurs  d'eau  que  celle- 
ci  contenait  se  condensèrent  et  en  inondèrent  la  sur- 
face. Telle  fut  l'origine  des  premières  mers,  qui,  fort 
peu  profondes,  semblent  avoir  couvert  la  presque-to- 
talité de  l'écorce  du  globe. 

Puis,  par  la  marche  incessante  du  refroidissement, 
la  masse  intérieure  de  la  terre,  en  diminuant  de  vo- 
lume, forçait  la  croûte  extérieure  à  se  contracter,  et 
produisait  à  sa  surface  des  soulèvements  et  des  fis- 
sures. Ces  phénomènes  ne  se  manifestèrent  d'abord 
qu'avec  peu  d'intensité.  L'écorce  terrestre  étant  en- 
core fort  mince,  il  ne  fallait  qu'un  faible  effort  pour 
la  rompre,  et  ses  fragments  ne  pouvaient  donner  nais- 
sance qu'à  d'insignifiantes  saillies.  Mais  lorsque,  par 
la  succession  des  siècles,  cette  écorce  eut  acquis  une 
grande  épaisseur,  des  forces  vulcaniennes  prodigieu- 

(1)  De  Laplace,  Exposition  du  système  du  monde,  l.  II.  — 
Fourier,  Théorie  analytique  de  la  chaleur,  Paris^  1822.  —  Cor- 
dier. Essai  sur  la  température  de  l'intérieur  de  la  terre,  Acad. 
des  sciences  1827.  —  Elie  de  Beaumont,  Recherches  sur  quelques- 
unes  des  révolutions  du  globe,  1829.  —  Humboldt,  Cosmos.  Paris, 
1855,  t.  I,p.  194,226,  etc. 

PoucnET.  3  0 


466  HETÉROGÉNIE. 

ses  en  purent  seules  occasionner  la  rupture  et  les  sou- 
lèvements; c'était  alors  qu'apparaissaient  les  Alpes 
et  les  Cordilières;  et  que  celles-ci,  en  refoulant  les 
vagues  furieuses  des  océans,  suscitaient  les  grands 
déluges.  Ainsi  le  feu  et  l'eau  sculptèrent  et  façonnè- 
rent diversement  toute  la  surface  du  globe  (1)  ! 

Selon  Cuvier  et  toute  son  école,  les  forces  telluri- 
ques  n'ont  opéré  le  remaniement  du  globe  qu'à  l'aide 
de  brusques  révolutions  ;  et  les  générations  créées,  ont 
tour  à  tour  sombré  durant  ces  grands  cataclysmes  (2). 
Au  contraire,  Constant  Prévost,  Ch.  Lyell  et  Lartet 
pensent  que  la  nature  n'a  procédé  qu'au  milieu  de 
scènes  plus  calmes,  et  que  l'organisation  s'est  déve- 
loppée et  a  disparu  successivement  sous  l'empire  de 
forces  actives  et  graduées.  Selon  eux,  les  généra- 
tions naissaient  et  s'épuisaient  tour  à  tour,  à  mesure 
que  la  puissance  organisatrice  se  développait  et  s'af- 
faissait; aussi  faudra-t-il  peut-être  un  jour  que  le  mot 
cataclysme  soit  rayé  de  la  science  (3). 

Pour  nous,  nous  croyons  qu'il  est  évident  que  les 
deux  procédés  ont  été  tour  à  tour  employés,  mais  rien 
en  cela  n'entrave  la  question  qui  est  toute  en  ceci  : 
les  générations  ont  été  successives. 

L'écorce  accidentée  de  notre  planète,  d'abord  in- 
habitable, s'est  successivement  revêtue  de  son  man- 

{\)  Le  feu  et  l'eau,  dit  Sénèque,  sont  les  arbitres  souverains  de 
la  terre.  Du  feu  et  de  Teau  viennent  le  commencement  et  la  fin 
des  choses.  iVa^.  qiiœst.  Lib.  111,  cap.  xxviii. 

(2)  CuviER,  Révolutions  du  globe.  Paris,  1821. 

(3)  Lartet.  Les  migrations  anciennes  des  mammifères.  Comptes 
rendus  1838,  p.  414.  —  Lvell,  Eléments  de  géologie,  Paris,  1839, 
p.  140  et  suiv. 


ORIGINE    DU    GLOBE.  467 

teau  de  verdure  et  peuplée  d'animaux.  Sa  force  plas- 
tique, tour  à  tour  vivace  ou  expirante,  exubérante 
ou  épuisée,  ne  peut  pas  avoir  eu  une  existence  pas- 
sagère .-cet  agent  de  la  nature  est  toujours  là,  enchaîné 
à  ses  œuvres,  les  tirant  du  néant  et  les  façonnant  à 
mesure  que  les  siècles  les  anéantissent.  Et  parce  que 
l'incalculable  puissance  qui  souleva  les  Andes  et  l'Hi- 
malaya, ne  se  manifeste  plus  avec  ses  effrayants  phé- 
nomènes, faut-il  donc  dire  qu'elle  s'est  énervée  sans 
retour?  non,  elle  travaille  silencieusement  dans  les 
profondeurs  de  la  terre,  et  ne  se  révèle  à  nos  yeux 
que  par  d'infimes  indices,  jusqu'au  moment  où,  bri- 
sant enfin  ses  impuissantes  digues,  elle  couvre  de 
débris  tout  un  fragment  du  globe  :  c'est  comme  un 
volcan  menaçant  qui,  tour  à  tour,  vomit  des  laves 
enflammées  ou  rentre  dans  le  calme  absolu.  Ainsi  se 
succédèrent  les  grandes  créations  telluriques.  A  cha- 
cune d'elles  une  exubérance  de  force  et  de  vie  se  ma- 
nifesta à  la  surface  du  globe;  et,  dans  l'intervalle, 
comme  si  elle  s'était  épuisée  par  un  effort  suprême, 
la  nature  ne  procéda  plus  que  d'une  main  timide  :  au 
moment  de  l'effort,  des  mammifères  et  des  reptiles 
de  taille  colossale  ;  pendant  le  repos,  des  animalcules 

presque  invisibles 

Mais  lorsque  la  science  eut  enfin  jeté  quelque  lu- 
mière sur  les  différentes  phases  de  la  création,  on 
craignit  que  son  flambeau  n'eût  répandu  que  de  con- 
fuses clartés  sur  certains  passages  scripturaires.  Ce- 
pendant, les  plus  habiles  interprètes  de  la  genèse  et 
les  plus  savants  géologues  sont  aujourd'hui  unanimes 
sur  ce  point,  c'est  que  les  journées  bibliques  ne  re- 


468  HÉTÉROGÉNIE. 

présentent  que  des  époques  d'une  durée  illimitée,  et 
pendant  chacune  desquelles  ont  eu  lieu  successive- 
ment les  diverses  créations  (1). 

Les  nuits  et  les  journées  cosmogoniques  n'indi- 
quent, suivant  quelques  érudits,  que  des  périodes  de 
cataclysmes  ou  de  création. 

«  Les  soirées  (Ereb),  dit  M.  de  Rougemont,  sont  des 
temps  de  désordre.  Le  premier  soir  n'est  autre  chose 
que  le  chaos  lui-même;  les  suivants  sont  des  invasions 
du  chaos  au  milieu  de  l'œuvre  lumineuse  de  Dieu. 
Les  matins  sont  des  temps  d'ordre,  de  vie,  de  créa- 
tion. La  géologie  ne  fait  ici  que  préciser,  expliquer, 
commenter  le  récit  mosaïque,  qui  accepte  en  plein 
tous  les  résultats  de  la  science  (2). 

Quelques  auteurs,  à  l'exemple  du  docteur  Wise- 
man  ,  ont  cru  trouver  dans  le  sens  même  du  lan- 
gage de  la  genèse,  la  preuve  qu'il  n'y  est  point  ques- 
tion de  simples  journées,  mais  évidemment  d'époques 
dont  la  durée  a  pu  être  fort  longue  (3).  De  place  en 
place,  dans  les  récits  scripturaires  on  aperçoit,  en 
effet,  que  ce  mot  de  journée  n'a  été  employé  qu'au 
figuré,  car  souvent  on  voit  qu'il  signifie  un  temps  fort 
considérable.  Dans  plusieurs  passages  de  la  bible  il  est 
dit  qu'aux  yeux  de  l'Éternel,  mille  ans  sont  comme  un 
jour,  et  un  jour  comme  mille  ans!  Saint  Jean  parle 
aussi  de  ce  jour  du  Seigneur  qui  doit  durer  mille  ans. 

(1)  Conip.  BucKLANDj  La  géologie  et  la  minéralogie  dans  leurs 
rapports  avec  la  théologie  naturelle.  Paris,  1838,  t.  I,  p.  7. 

(2)  F.  DE  RouGEMO>T,  Fragments  (Tune  histoire  de  la  terre. 

(3)  WisEMAN,  Lectures  on  science  and  revealed  Religion^  t.  I, 
p.  295. 


ORIGINE   DU    GLOBE.  469 

Les  Rabbins  les  plus  érudits  ne  font  eux-mêmes 
aujourd'hui  aucune  difficulté  à  adineltre  que  les  jour- 
nées de  la  genèse  peuvent  correspondre  à  de  grands 
laps  de  temps.  M.  Cahen,  dans  ses  variantes  sur  la 
version  des  Septante,  avoue  lui-même  qu'il  ne  s'a- 
git pas  ici  d'un  jour  ordinaire  puisque  le  soleil  n'était 
pas  encore  créé,  et  il  ajoute  qu'il  est  permis  de  croire 
que  l'expression  de  jour  est  placée  au  figuré  pour  si- 
gnifier une  époque  (1).  C'est  à  cette  opinion,  comme 
le  dit  M.  Bost,  que  se  sont  arrêtés  presque  tous  les 
théologiens  et  les  géologues  de  notre  temps.  Et  selon 
cet  écrivain,  les  jours  de  la  création  ne  sont  point 
des  jours  solaires  comme  ceux  d'à  présent,  mais  en 
effet  des  époques  cosmogoniques,  des  temps  de  for- 
mation et  de  progression  alternant  avec  des  temps  de 
troubles  et  de  révolutions  telluriques  (2). 

Dans  les  plus  anciennes  cosmogoniesdes  divers  peu- 
ples, on  donne  aussi  une  assez  ample  extension  aux 
divisions  du  temps  dans  lesquelles  l'ensemble  de  la 
création  se  trouve  compris.  Zoroastre,  en  traçant  l'his- 
toire de  la  création,  ne  se  sert  pas  de  l'expression  de 
jours,  mais  dit  qu'elle  se  fit  en  six  époques  d'une  dui'ée 
inégale,  qui  comprenaient  chacune  un  certain  nom- 
bre de  journées  (3). 

La  succession  des  créations,  dont  tout  atteste  l'é- 
vidence, se  trouve  relatée  dans  chacun  des  hvres  qui 

(0  Cahen,  La  bible  avec  l'hébreu  en  regard,  et  des  notes  philolo- 
giques, géographiques,  etc.,  Paris,  1831,  p.  2. 

(2)  J.  A.  Bost,  Dictionnaire  de  la  bible.  Paris,  I8i9,  t.  I,  p.  233. 

(3)  H\DE,  De  religione  veterum  Persarum,  cap.  ix.  A  Bost,  Dic- 
tionnaire de  la  bible.  Paris,  1849,  t.  1,  p.  233. 


470  HETEROGENIE. 

forment  la  base  des  religions  des  peuples,  et  elle  y 
est  considérée  comme  un  attribut  essentiel  à  la  di- 
gnité de  l'Éternel.  On  en  rencontre  déjà  des  traces 
dans  les  écrits  bibliques  (1). 

La  principale  cosmogonie  indienne  représente  son 
Être  suprême  comme  ayant  successivement  créé  et  dé- 
truit un  grand  nombre  de  globes,  avant  de  donner  nais- 
sance au  monde  actuel  (2).  Dans  un  passage  cité  par 
Lyell,  avec  nos  textes  bibliques  en  regard,  Menou  s'ex- 
prime ainsi  :  «  l'Être  dont  la  puissance  incompréhensi- 
ble m'ayant  créé,  moi  (Menou)  et  tout  cet  univers,  fut 
de  nouveau  absorbé  dans  l'Être  suprême,  faisant  suc- 
céder au  temps  de  l'énergie  l'heure  du  repos  (3).  » 
Les  mêmes  traditions,  d'après  A.Bost,  se  rencontrent 
chez  les  Égyptiens  et  les  Birmans,  et  même  dans  les 
œuvres  de  quelques  Pères  de  l'Église,  saint  Augustin 
et  saint  Basile  (4) . 

SECTION  II.  —  SUCCESSIONS  DES  SOULÈVEMENTS. 

11  est  évident  qu'après  avoir  été  déposés  au  fond  des 
eaux,  les  continents  et  les  montagnes  se  sont  succes- 
sivement soulevés  au-dessus  de  celle-ci.  Il  n'y  a  plus 
de  dissidence  qu'à  l'égard  du  mode  que  la  nature  a 
employé. 

Les  archives  scientifiques  nous  prouvent  même 
que  ce  fait  a  été  connu  fort  anciennement.  Les  écri- 

(1)  Psaume  civ,  29,  30.  Édit.  1825,  p.  770. 

(2)  Institutes  of  hindii  Law.  London,  1825,  ch.  i. 

(3)  Lyell,   Principles   of  geology,  t.  1,  p.  234. 

(4)  A  BosT,  Dictionnaire  de  la  bible.  Paris,  1849,  t.  1,  p.  234. 
—  S.  Augustin,  Orat,  xi.  — S.  Basile,  Hexaëmeron,  hom.  ii. 


SUCCESSION    DES    SOULEVEMENTS.  471 

vains  de  la  Grèce  et  de  Rome  semblent  déjà  s'en 
douter.  Aristole  dit  que  dans  certaines  circonstances, 
la  terre  s  enfle  et  s'élève  avec  fracas  à  V instar  des 
flots  qii  agile  la  tempête  (1).  Quelques  siècles  aj)rès 
lui,  le  géographe  Strabon  prétendait,  en  parlant  du 
sol,  que  les  mêmes  fonds  s'élèvent  et  s'abaissent  suc- 
cessivement (2). 

On  trouve  encore  des  notions  plus  précises  sur  ce 
sujet  dans  l'œuvre  de  Ferdoucy,  auteur  persan  con- 
temporain du  dixième  siècle.  Les  montagnes  s  éle- 
vaient^ dit-il,  en  parlant  de  la  terre,  et  les  eaux  en 
découlaient  (3). 

Un  moine  de  Lucques,  Paidus  Sanctinus,  qui  vi- 
vait au  quinzième  siècle,  eut  aussi  des  vues  analo- 
gues (4).  Mais  ce  fut  Tanatomiste  Sténon,  qui,  pour 
la  première  fois,  professa  des  idées  fort  nettes  sur  la 
théorie  de  la  terre,  en  prétendant  que  les  diverses  ro- 
ches avaient  été  formées  par  voie  de  sédiment,  et  que 
les  montagnes  n'étaient  que  le  résultat  de  soulève- 
ments, dont  il  attribuait  la  cause  à  Tincandescence 
centrale  du  globe  (5).  Woodward,  Scheuchzer,  Lazare 

(!)  Aristote,  Opéra  omnia.  Météor.,  lib.  II,  c.  vnr. 

(2)  Strabon,  Géographie.  Trad.  franc.  Liv.  1,  ch.  m.  Déjà  le 
grand  géographe  ancien  avait  reconnu  avec  Eratojlhène  que  les 
coquilles  marines  répanduesdanslesterresaujourd'huià  sec, attes- 
tent que  ces  terres  ont  anciennement  formé  la  profondeur  des  mers. 

(3)  Ferdoucy,  Le  Chûh-Nâmeh,  suite  de  poëmes  liéroïqnes  sur 
Taucienne  histoire  de  la  Perse,  traduits  en  français  par  M.  Jules 
Mohl,  1839. 

(4)  Paulus  Sanctinus,  De  machinis  bellicis.  Manuscrit  de  la  hibl. 
imp.  uo  7239,  feuillet  107. 

(o)  SïÉ^o^^,  De  solido  intra  solidum  naiuraliter  contenta  dis- 
sertationis  prodromus.  Florence,  1669. 


472  HÉTÉROGÉNIE. 

Morro  et  Needhani  émirent  la  même  théorie  quelques 
années  après  (1).  Enfin,  lorsque  la  science  reposa  sur 
des  bases  plus  stables,  les  géologues  les  plus  éminents, 
tels  que  De  Saussure,  Pallas,  Dolomieu,  d'Omalius 
d'Halloy,  Conybeare,  reconnurent  aussi  quon  ne 
pouvait  attribuer  qu'à  des  efforts  internes,  les  divers 
accidents  qu'offre  la  croûte  terrestre  (2). 

Mais,  tous  ces  auteurs  n'avaient  émis  sur  cette  im- 
portante question  que  des  vues  souvent  assez  vagues, 
et  l'on  doit  à  deux  des  plus  illustres  géologues  de  notre 
époque,  à  MM.  De  Buch  et  Élie  de  Beaumont,  d'a- 
voir généralisé  les  lois  qui  régissent  les  soulèvements. 

M.  Élie  de  Beaumont  a  surtout  donné  à  ses  travaux 
un  admirable  degré  de  précision.  Selon  lui,  les  phé- 
nomènes qui  ont  présidé  à  ces  dislocations  du  globe  ont 
été  brusques  et  de  peu  de  durée,  et  il  en  est  résulté 
un  certain  nombre  de  systèmes  de  montagnes,  dont 
on   peut  démontrer  l'âge  relatif  et  la  succession  (3). 

(1)  WooDWARD,  Géographie  physique  ou  essai  sur  l'histoire  natu- 
relle de  la  terre,  1695.  —  Scheuchzer,  Musœuin  diluvianum,  1716. 

—  Lazare  Morro,  De  crostacei  e  degli  altri  marini  corpi  che  si  tro- 
vano  su'  monti.  Venezia,  1741.  — Needham,  Nouvelles  recherches, 
physiques  et  mathématiques  sttr  la  nature,  Paris,  1769. 

(2)  De  Saussure,  Voyage  dans  les  Alpes,  Neufchâtel,  1796.  — 
Pallas,  Observations  sur  la  formation  des  montagnes,  trad.  fran- 
çaise, p.  74.  —  Dolomieu,  Journal  de  physique,  Paris,  1792.  — 
D'Omalius  d'Halloy,  Éléments  de  géologie,  Paris,  1831,  p.  436.  — 
Conybeare,  Rapport  sur  la  géologie,  1832,  dans  lequel  il  développe 
les  vues  de  Leibnitz. 

(3)  De  Buch,  Voyage  en  Norwége  et  en  Laponie.  Berlin,  1810. 
Description  des  îles  Canaries.  —  Elie  de  Beaumont,  Recherches  sur 
quelques-unes  des  révolutions  de  la  surface  du  globe.  Paris,  1829. 

—  Dictionnaire  universel  d'histoire  naturelle.  Paris,  1848,  t.  XII, 
p.  167.— Comp.  Huoï,  Géologie. Vdivis,  1830,  t.  11,  p.  724. 


SUCCESSION    DES    SOULÈVEMENTS.  473 

D'après  ce  géologue,  ces  dislocations  de  l'écorce  ter- 
restre ne  seraient  pas  dues  à  l'action  plufonique, 
mais,  au  contraire,  auraient  pour  cause  le  retrait  de 
cette  écorce,  occasionné  par  le  refroidissement  de  la 
masse  interne  du  globe,  qui,  en  diminuant  de  vo- 
lume, force  sa  surface  solide  à  onduler  et  produit  ses 
fractures  et  ses  soulèvements.  M.  Huot  partage 
cette  opinion ,  et  nous  pensons  nous-même  que 
telle  est  la  cause  de  ceux-ci  (1).  Ce  mode  indique 
assez  que  ces  soulèvements  n'ont  dû  se  manifester 
que  successivement  et  à  de  longs  intervalles  de 
temps. 

L'apparition  de  chaque  chaîne  de  montagne,  ainsi 
que  le  dit  M.  Élie  de  Beaumont,  a  dû  déterminer 
au  loin  d'énormes  perturbations  dans  le  nivellement 
des  eaux  de  la  mer,  et  produire  ces  grandes  scènes 
de  déluges  qui  se  trouvent  mentionnées  dans  les  cos- 
mogonies  de  presque  tous  les  peuples  (2).  D'après 
lui,  ainsi  que  d'après  MM.  d'Omalius  d'Halloy,  Huot  et 
Beudant,  notre  déluge  mosaïque  n'aurait  peut-être  été 
que  le  résultat  d'un  des  derniers  grands  soulèvements 
du  globe,  de  celui  des  Andes,  lequel  en  exhaus- 
sant les  deux  Amériques  au-dessus  de  l'Océan,  donna 
naissance  à  l'immense  flot  qui  est  A/enu  submerger 
toute  l'ancienne  partie  de  la  terre  (3).  Le  système  des 

(1)  Huot,  Nouveau  cours  élémentaire  de  géologie.  Paris,  1839, 
t.  11,  p.  738. 

(2)  R.  KiNG  dit  que  les  Esquimaux  eux-mêmes  ont  aussi  l'idée 
qu'il  a  existé  une  création  et  un  déluge.  Edinburgh  new  philo- 
sophical  journal,  t.  XXXVlll. 

(3)  Elie  de  Bkaumont,  Recherches  sur  quelques-unes  des  révolu- 
tions de  la  surface  du  globe.  Acad.  des  sciences.  1829.  —  D'Omalius 


474  HETEROGENIE. 

Andes  semble,  en  effet,  êlre  le  plus  récent  de  tous, 
et  ses  nombreux  volcans  encore  en  activité  décèlent 
sa  jeunesse  (i). 

Ainsi  donc,  les  plus  savants  géologues  n'élèvent  pas 
le  moindre  doute  à  cet  égard  :  les  soulèvements  ont 
été  successifs.  C'est  aussi  l'opinion  de  De  Hum- 
boldt  (2).  Or,  une  conséquence  forcée  de  ce  fait  c'est 
qu'à  chaque  remaniement  de  la  surface  du  globe,  il  a 
dû  nécessairement  surgir  de  nouveaux  êtres,  et  ceux-ci 
n'ont  pu  provenir  que  de  la  matière  ;  n'existant  pas 
avant,  il  a  bien  fallu  qu'ils  soient  alors  engendrés.  Et 
si  ce  phénomène  s'est  reproduit  à  d'assez  nombreuses 
reprises,  on  ne  voit  pas  pourquoi  il  ne  se  reproduirait 
plus. 

En  prenant  l'ancien  continent  pour  critérium,  nous 
voyons  que  les  terres  exondées  depuis  lui,  présentent 
une  nature  particulière  et  parfois  absolument  différen- 
te. L'Amérique,  l'Australie,  Madagascar,  Mascareigne 
le  démontrent  suffisamment.  La  constitution  géologi- 
que de  l'Amérique,  atteste  qu'elle  a  été  produite  par  un 
soulèvement  subséquent  à  ceux  qui  façonnèrent  l'autre 
région  du  globe;  et  l'étude  de  ses  animaux  et  de  ses 


d'Halloy,  Géologie.  Paris,  1831,  p.  460.  —  J.  Huor,  Nouveau 
cours  élémentaire  de  géologie.  Paris,  J839,  t.  II,  p.  734.  —  BeuuA^iT, 
Cours  de  géologie,  Paris,  1857,  p.  331. 

(1)  En  effet,  tandis  qu'il  n'existe  qne  douze  volcans  enflammés 
sur  l'ancien  continent  et  produisant  de  nos  jours  des  éruptions 
notables.  Ton  en  compte  soixante-deux  en  pleine  activiîé  dans  la 
seule  Amérique.  —  Ai'.AGO,  Système  osseux,  aqueux  et  volcanique 
du  globe.  —  Suider,  La  création.  Paris,  1859,  p.  318. 

(2)  De  HuMBOLLT,  Cosmos.  Paris,  1855,  t.  I,  p.  351.  — Mélanges 
de  géologie  et  de  physique  générale.  Paris,  1854. 


SUCCESSION    DES    SOULÈVEMENTS.  475 

plantes  indique  qu'après  être  sortie  absolument  dénu- 
dée du  sein  de  l'océan,  elle  a  eu  par  la  suite  plusieurs 
grands  centres  d'évolution  organique.  Sans  cette  hypo- 
thèse, comme  la  plupart  des  êtres  organisés  du  nou- 
veau continent  diffèrent  absolument  de  ceux  de  l'an- 
cien, on  se  demanderait  commentilsy  sont  apparus?Ni 
l'homme^ni  les  animaux,  ni  les  flots,  ni  les  vents  n'ont 
pu  les  apporter  sur  cette  terre  vierge,  puisque  ces  êtres 
n'ont  jamais  existé  ailleurs.  11  a  donc  nécessairement 
fallu  qu'ils  soient  le  produit  d'une  formation  nouvelle. 
Cependant,  malgré  la  jeunesse  relative  de  l'Amé- 
rique, plusieurs  savants  géologues  n'en  considèrent 
pas  moins  comme  datant  d'une  époque  fort  reculée  la 
grande  fissure  qui  lui  a  donné  naissance,  en  brisant  le 
globe  presque  d'un  pôle  à  l'autre,  et  en  soulevant  les 
Andes  jusque  dans  la  région  des  nuages.  G.  Morton 
s'autorise  même  des  assertions  du  savant  Agassiz 
pour  la  représenter  comme  remontant  à  une  prodi- 
gieuse ancienneté  (1).  Sir  Ch.  Lyell,  d'après  de  nom- 
breuses observations,  et  d'après  le  témoignage  de  sé- 
rieuses autorités,  pense  que  le  Mississipi  a  coulé  dans 
son  présent  lit  depuis  plus  de  cent  mille  ans  (2).  Le 
docteur  Bennet  Dowler  a  confirmé  la  grande  ancien- 
neté du  Delta  de  ce  fleuve,  dont  Lyell  et  Carpenter 
avaient  déjà  parlé  avant  lui.  D'après  une  investigation 
de  l'accroissement  successif  des  forêts  de  cyprès  des 
environs  de  la  Nouvelle-Orléans,  et  d'après  l'examen 
de  quelques  corps  d'Indiens,  et  de  diverses  poteries 

(1)  Georges  Morton.   Types  of  mankiml.    Philadelphie,   1854, 
p.  272. 

(2)  Ch.  Lyell,  Second  visit  to  the  United  states.  Part.  II,  p.  188. 


476  HÉTÉROGÉNIE. 

découvertes  sous  des  racines  d'arbres,  ce  savant  pense 
pouvoir  conclure,  que  la  race  humaine  a  existé  dans 
le  Delta  depuis  plus  de  cinquante  mille  ans  ;  et  que 
dix  forêts  souterraines  de  la  Louisiane  prouvent  que 
plus  de  cent  mille  ans  antérieurement  à  l'existence  de 
l'homme,  il  se  trouvait  déjà  une  vigoureuse  végéta- 
tion dans  ce  pays  (1). 

L'Australie  est  aussi  le  résultat  de  l'un  des  derniers 
bouleversements  du  globe.  Et  cette  cinquième  partie 
du  monde,  par  sa  faune  extraordinaire  et  par  sa  végé- 
tation, semble  un  défi  jeté  par  la  nature,  au  génie 
des  savants.  Cette  terre  nouvelle  étant  peuplée  d'or- 
ganismes spéciaux ,  ceux-ci  ne  peuvent  avoir  été 
produits  que  par  des  générations  subséquentes  à  cel- 
les qui  ont  fécondé  les  autres  parties  du  globe.  Il  ne 
peut  y  avoir  de  doutes,  tant  ses  animaux  et  ses  plan- 
tes diffèrent  de  tout  ce  qui  est  connu  :  tels  sont  ses 
Aptéryx,  ses  Kanguroos,  ses  Échidnés,  et  surtout  ses 
extraordinaires  Ornithorhinques,  au  corps  de  mam- 
mifère, au  bec  et  aux  pattes  de  canard,  et  qui  ont  été 
si  longtemps  l'objet  des  disputes  des  naturalistes  (2). 

(1)  Bennet  Dowler,  Tableaux  of  New- Orléans,  1852.  —  Dikeson 
and  Browin,  Cypress  timher  of  the  Mississipi.  1848,  p.  3. 

(2)  L'ornithorhinque  paradoxal,  nommé  ainsi,  par  Blumenbach, 
comme  s'il  eût  prévu  toutes  les  dissidences  auxquelles  il  allait 
donner  lieu,  fut  tour  à  tour  considéré  comme  un  oiseau  par 
Lesson,  à  cause  de  son  bec  et  de  ses  pattes;  comme  un  reptile  par 
d'autres,  d'après  la  structure  de  quelques  parties  de  son  squelette; 
et  enfin,  comme  un  mammifère  par  Meckel,  qui  découvrit  ses 
mamelles,  et  par  De  Blainville,  qui  le  premier  lui  assigna  sa  véri- 
table place.  —  Blumenbach,  Manuel  d'histoire  naturelle.  Metz,  1803, 
t.  I,  p,  162.  —  Lesson,  Manuel  d'ornithologie.  —  Meckel,  Ornitho- 
rhynchi  paradoxi  descriptio   anatomica.   Leipzig^  1826.   —    De 


SUCCESSION    DES    SOULÈVEMENTS.  47  7 

A  cela  ne  peut-on  pas  même  ajouter  cette  race  déshé- 
ritée de  la  grande  famille  humaine,  qui  se  trouve  ré- 
pandue à  sa  surface? 

Enfin,  plusieurs  géologues  professent  que  quelques- 
uns  des  grands  soulèvements  ne  datent  que  d'une  épo- 
que fort  peu  reculée.  M.  Beudant  croit  même  que  le 
soulèvement  du  système  du  Ténare,  qui  semble  être  la 
plus  récente  catastrophe  du  globe,  a  peut-être  eu  lieu 
à  une  époque  à  laquelle  l'homme  peuplait  déjà  la 
terre  (1).  Et  tout  atteste  que  ce  soulèvement  qui  a  pro- 
duit l'Etna,  la  Somma  et  le  Stromboli,  a  dû  être  posté- 
rieur à  l'émission  des  Alpes  principales,  car  sans  cela 
cette  catastrophe  les  eût  démantelés  au  milieu  des 
grands  ravages  qui  l'accompagnèrent  (2).  Les  débris 
d'une  industrie  humaine  naissante,  signalés  par  M.  de 
la  Marmora  dans  les  dépôts  sédimentaires  de  la  Sar- 
daigne,  paraissent  donner  une  certaine  certitude  à 
cette  opinion.  Aussi  peut-on  admettre,  jusqu'à  un 
certain  point,  avec  Klee,  que  quelques  anciennes  na- 
tions aient  pu  conserver  des  traditions  de  cette  der- 
nière catastrophe  du  globe,  à  laquelle  elles  auraient 
survécu  (3) . 

Blainville,  Dissertation  sur  la  place  que  la  famille  des  ornitho- 
rhinques  et  des  échidnés  doit  occuper  dans  les  séries  naturelles. 
Paris,  1812. 

(1)  Beudant,  Minéralogie  et  géologie.  Paris,  1837,  p.  304. 

(2)  Suivant  M.  Beudant  le  soulèvement  du  Ténare,  qui  doit  son 
nom  au  cap  de  la  Morée  auquel  il  aboutit,  serait  le  dix-septième  ; 
et  celui  des  Alpes  principales  le  seizième. 

(3)  F.  Klee,  Le  Déluge,  Considérations  géologiques  et  historiques 
sur  les  derniers  cataclysmes  du  globe.  Paris,  1847,  p.  179.  Dans  les 
écrits  mythiques  des  Scandinaves,  on  trouve,  selon  cet  érudil,de 
curieux  récits  qui  semblent  indiquer  que  ces  peuples  conservaient 


478  HÉTÉROGÉNIE. 

Cependant,  si  les  grandes  convulsions  qui  ont  sou- 
levé, à  diverses  époques,  les  continents  et  les  îles, 
datent  presque  toutes  des  temps  antéhistoriques,  il 
n'en  est  pas  moins  évident  que  des  phénomènes  ana- 
logues se  sont  reproduits  de  siècle  en  siècle,  depuis 
qu'ont  commencé  nos  annales  écrites,  et  qu'ils  se  con- 
tinuent encore  chaque  jour. 

Tous  les  géologues  ne  savent-ils  pas  que  le  Monte 
71U0V0,  près  le  golfe  de  Baies,  est  apparu  subitement, 
au  seizième  siècle  (1)?  Tous  ne  savent-ils  pas  aussi 
que,  de  nos  jours,  certains  rivages  de  la  Baltique  s'é- 
lèvent d'une  façon  incessante  ?  Les  anciennes  Sagas 
nous  racontent  que  plusieurs  plages,  autrefois  pres- 
que au  niveau  de  cette  mer,  et  sur  lesquelles  montaient 
les  phoques,  étaient  le  théâtre  de  grandes  chasses 
de  la  part  des  Fennes^  qui  les  y  tuaient  à  coup  de 
flèches  (2).  Et  de  Buch  et  Lyell  ont  constaté  que  ces 
mêmes  endroits  se  trouvent  aujourd'hui  placés  à  une 
grande  hauteur  au-dessus  des  flots,  et  qu'ils  seraient 
tout  à  fait  inaccessibles  à  ces  animaux  (3).  «  Depuis 
8,000  ans,  dit  de  Humboldt,  le  rivage  oriental  de  la 

quelques  obscures  traditions  des  grandes  catastrophes  du  globe. 
—  Dans  les  Prophéties  de  la  Vala,  il  exi.-te  aussi  une  description 
rapsodique  de  la  fin  du  monde  et  de  son  renouvellement. 

(1)  Cette  célèbre  montagne  volcanique  fut  soulevée  le  29  sep- 
tembre io38,  pendant  une  éruption  du  lac  Lucrin,  qui  n'élait 
qu'un  cratère,  que  l'on  croyait  à  jamais  éteint. 

(2)  Comp.  }\\i{}T,  Nouveau  cours  de  géologie.  Paris,  1837,  t.  I, 
p.  1d3. 

(3)  De  Buch,  Voyage  en  Norivége  et  en  Laponie.  Berlin,  1810.  — 
Lyell,  Comptes  rendus  de  rassocialion  britannique.  Edim- 
bouig,  183i.  —  Transactions  philosophiques,  1835.  —  Eléments  de 
géologie.  Paris,  1839,  p.  108. 


SUCCESSION    DES    SOULEVEMENTS.  479 

péninsule  Scandinave,  s'est  peut-être  élevé  de  plus  de 
100  mètres;  et  si  ce  mouvement  est  uniforme,  dans 
12,000  ans  des  parties  du  fond  de  la  mer,  couvertes 
de  50  brasses  d'eau,  commenceront  à  émerger  et  de- 
viendront terre  ferme   (1).  » 

Darwin  et  plusieurs  autres  savants,  ont  aussi  re- 
connu que  certaines  régions  très-étendues  de  l'Amé- 
rique méridionale,  furent  autrefois  le  théâtre  de  sou- 
lèvements lents  et  progressifs,  qui  ont  donné  naissance 
aux  plaines  de  la  Patagonie,  toutes  jonchées  de  co- 
quilles marines  récentes,  qui  en  attestent  éloquem- 
ment  la  jeunesse  (2).  M.  Freyer,  lieutenant  de  la  ma- 
rine anglaise,  a  aussi  observé,  en  1834,  des  soulève- 
ments modernes  verslacôte  occidentale  de  l'Amérique, 
et  en  particulier  dans  l'île  de  San-Lorenzo.  Ceux-ci , 
qui  s'élevaient  à  des  hauteurs  considérables,  avaient 
encore  leur  surface  jonchée  de  coquilles  marines 
contemporaines,  ornées  des  plus  vives  couleurs  (3). 
Enfin,  n'avons-nous  pas  vu,  il  y  a  peu  d'années,  l'île 
Julia  se  soulever  un  instant  au-dessus  des  flots  dans 
la  Méditerranée  (4). 

Les  observations  géographiques  faites  aux  îles  Gal- 


(1)  De  Humboldt,  Cosmos.  Essai  d'une  description  physique  du 
monde.  Pdiiis,  1855, 1. 1,  p.  348. 

(2)  Darwin,  Proceedingn  of  geolog.  soc.  n.  51,  p.  552,  et  son 
Journal  dans  le  voyage  du  Beagle,  t.  IH,  p.  557.  —  Lyei.l,  Eléments 
de  géologie.  Paris,  1839,  p.  109. 

(3)  Lettre  de  M.  Freyer,  adressée  à  M.  Ch.  Lyell,  communi- 
quée à  la  Société  géologique  de  Londres,  1835. 

(4)  L'île  Julia,  nommée  ainsi  par  les  Français  parce  qu'elle 
apparut  en  juillet,  s'est  montrée  en  1831  à  la  suite  d'un  tremble- 
înent  de  terre. 


4.80  HÉTÉROGÉNIE. 

lapagos,  par  M.  Dupetit-Tlîouars  (1),  viennent  encore 
s'ajouter  à  ce  qui  précède  pour  saper  l'opinion  des 
partisans  de  la  stabilité  du  globe.  Le  célèbre  amiral 
en  visitant  ces  îles  volcaniques  a  été  frappé  de  leur 
air  de  jeunesse,  et,  pour  lui,  c'est  une  nouvelle  pro- 
duction sortie  de  l'océan.  Il  confesse  n'avoir  jamais 
vu  ailleurs  de  spécimen  de  quelques  végétaux  et 
de  plusieurs  animaux  qu'il  y  a  observés  ;  et  entre 
autres  de  prodigieuses  tortues  du  poids  de  six  à 
sept  cents  kilogrammes.  Et  il  se  demande  d'où  ces 
animaux  et  ces  plantes  inconnues  ont  pu  tirer 
leur  origine.  M.  Milne-Edwards  pense  également 
que  la  faune  de  ces  îles  est  toute  particulière,  et 
qu'elle  n'a  pu  provenir  ni  de  la  côte  d'Amérique,  ni 
des  terres  actuellement  existantes  soit  à  l'est,  soit  au 
sud  de  cet  archipel  (2). 

L'archipel  des  Gallapagos  ajoute  donc  une  preuve 
de  plus  à  tous  ces  vivants  témoins  des  soulèvements 
successifs  des  continents  et  des  îles.  Ces  nouveaux 


(1)  Dupetit-Thouars,  Observations  faites  aux  îles  Gallapagos. 
Comptes  rendus.  Paris,  1859,  p.  144.  Toutes  ces  îles,  d'une  créa- 
tion volcanique  encore  récente,  dit-il,  sont  dans  un  état  de  déve- 
loppement progressif  bien  marqué  ;  Tune  d'elles,  Albe  marie, 
est  encore  à  l'état  d'incandescence. 

(2)  Milne-Edwards,  Mémoiresur  la  distribution  géographique  des 
crustacés.  Ann.  se.  natur.  1838,  t.  X,  p.  129.  Comptes  rendus  de 
l'Académie  des  sciences,  1859,  t.  XLYIII,  p.  143.  Ce  savant,  qui 
est  d'accord  avec  tous  les  voyageurs  à  l'égard  de  la  spécialité  de 
la  faune  des  Gallapagos ,  diflère  d'opinion  avec  eux,  en  ce  qu'il 
regarde  ces  îles  comme  les  vestiges  d'un  ancien  continent  qui  se 
serait  affaissé  et  dont  on  ne  voit  plus  que  les  principales  saillies. 
M.  Dupetit-Thouars  a  combattu  vigoureusement  celte  hypothèse. 
Comp.  rend.,t.XLYIll,  p.  212. 


SUCCESSION    DES    SOULÈVEMENTS.  481 

présents  de  la  mer,  ont  eu  le  sort  de  Madagascar  et 
de  Mascareigne;  et,  plus  jeunes  qu'elles  encore,  elles 
ont  aussi  une  Faune  et  une  Flore  toutes  spéciales.  Je 
m'étonne  qu'un  savant  naturaliste  ait  pu  contester 
ces  assertions.  Depuis  longtemps  Lyell  a  fait  observer 
qu'à  très-peu  d'exceptions  près,  on  ne  rencontre 
dans  aucun  autre  endroit  du  monde  les  oiseaux,  les 
reptiles,  les  insectes  et  les  plantes  qui  peuplent  les 
Gallapagos  (1).  Darwin,  qui  a  visité  ces  îles,  les  con- 
sidère aussi  comme  étant  de  nature  volcanique  et  sor- 
ties récemment  de  l'Océan.  Sous  le  rapport  de  leur 
Faune,  elles  sont  surtout  remarquables  par  l'excessive 
abondance  de  serpents,  de  tortues  et  de  lézards  qu'elles 
nourrissent  ;  celle-ci  est  telle  que  ce  naturaliste  dit 
qu'on  pourrait  nommer  cet  archipel  la  Terre  à  rep- 
tiles (2).  C'est  dans  les  Gallapagos  que  Darwin  a  ren- 
contré, en  extrême  abondance,  le  seul  saurien  marin 
que  l'on  connaisse  actuellement,  et  dont,  par  consé- 
quent, les  mœurs  sont  analogues  à  celles  des  grands 
lézards  antédiluviens  (3). 

Les  ouvrages  de  géologie  sont  remplis  de  témoi- 
gnages récents  et  irrécusables  de  phénomènes  analo- 
gues à  ceux  que  nous  venons  de  citer.  Delamétherie 
rapporte  qu'en  1721 ,  les  feux  sous-marins  soulevèrent 
une  île  près  des  Açores  (4).  De  Humboldt  dit  encore 

(1)  Lyell,  Éléments  de  géologie.  Paris,  1839.  p.  459. 

(2)  Darwin,  Journal  des  voyages  dans  V Amérique  du  Sud^ 
de  1832-1836.  Voyage  du  Beagle. 

(3)  C'est  VAmblyrynchus  cristatns.  Bell.  Darwin  dit  qu'il  est 
extrêmement  commun  dans  tout  rarchi})el  et  qu'il  n'en  a  jamais 
vu  un  seul  à  dix  mètres  du  rivage. 

(4)  Delamétherie,  Géologie,  t.  II,  p.  184  et  260. 

POUCHET.  3 1 


482  HÉTÉROGÉNIE. 

qu'après  une  éruption  du  Jurullo,  en  1 759,  il  se  forma 
aux  environs  de  ce  volcan  une  montagne  de  cinq 
cents  pieds  de  hauteur  (1) . 

Il  semble  que  dans  la  discussion  à  laquelle  donnè- 
rent lieu  ces  îles,  on  ait  oublié  toute  l'histoire  de  la 
science.  Qu'y  a-t-il  d'étonnant,  en  effet,  qu'une 
terre  nouvelle  ait  surgi  au  milieu  de  l'immensité  du 
grand  Océan,  quand  déjà  tant  de  faits  analogues 
se  sont  présentés?  L'antiquité  elle-même  connaissait 
si  bien  ce  phénomène,  qu'il  existait  une  loi  spéciale 
dans  les  Inslitutes  de  Justinien,  relativement  à  la  prise 
de  possession  de  ces  terres  inattendues  :  L'île  qui  naît 
à  la  surface  de  la  mer,  y  lit-on,  est  au  premier  occu- 
pant (2).  Sénèque  a  même  décrit,  avec  un  profond 
cachet  de  véracité,  l'apparition  d'une  île  volcanique 
qui  fut  observée  dans  la  mer  Egée  (3);  et  il  ajoute 
que  cet  événement  s'est  révélé  sous  le  consulat  de 
Valérius  Asiaticus.  Pline  parle  aussi  d'une  île  qui 
sortit  des  flots  aux  environs  de  Santorin. 


(1)  De  Humboldt,  Histoire  de  la  Nouvelle-Espagne,  et  Journal  de 
physique,  t.  LXÏX,  p.  149. 

(2)  JuSTiNiEN,  Inst,  Just.  lib.  II,  lit.  I. 

(3)  Sénéque,  Natur.,  quœst.,  lib.  III,  cap.  xxvi,  décrit  ainsi  l'ap- 
parition de  cette  île.  «  On  voyait  la  mer  écumer  pendant  le  jour  et 
rejeter  une  noire  fumée  du  fond  de  ses  abîmes.  Ensuite  elle  jeta 
des  feux,  non  pas  continuels ,  mais  qui  brillaient  par  intervalles, 
toutes  les  fois  que  la  flamme  intérieure  surmontait  le  poids  des 
eaux  ;  bientôt  ce  furent  des  pierres,  même  des  rochers  énormes 
qui  furent  lancés  dans  les  airs,  les  uns  encore  intacts,  les  autres 
rongés  et  réduits  à  la  légèreté  de  la  pierre  ponce.  Enfin  parut 
la  cime  brûlée  d'une  montagne  dont  la  hauteur  s'accrut  insensi- 
blement, et  dont  toutes  les  dimensions  s'agrandirent  au  point  de 
former  une  île.  » 


SUCCESSION   DES    SOULÈVEMENTS.  483 

L'île  de  Mascareigne  doit  être  aussi  considérée 
comme  un  récent  présent  de  la  mer,  et  à  l'appui  de  ce 
que  nous  venons  de  dire,  nous  ne  pouvons  nous 
empêcher  de  reproduire  ici  la  brillante  page  dans 
laquelle  Bory  de  Saint  -  Vincent  trace  l'apparition 
de  cette  île  volcanique  et  des  diverses  phases  qu'y  a 
suivi  le  développement  de  l'organisation.  «  Nous 
avons  démontré  ailleurs,  dit  ce  naturaliste,  que 
toute  la  masse  de  ce  point  du  globe,  convulsive- 
ment élevée  au  sein  de  l'Océan  ,  fut  originaire- 
ment incandescente  et  liquéfiée  par  le  feu.  Dans  l'en- 
droit où  nous  la  trouvons,  la  mer  roulait  encore  ses 
vagues  que  la  moitié  du  monde  avait  été  exondée. 
Déjà  des  torrents  dépouillaient  d'antiques  montagnes 
en  arrachant  à  leurs  cimes  des  atterrissements  destinés 
à  augmenter  l'Afrique,  l'Europe  et  l'Asie,  que  Masca- 
reigne n'était  pas  encore  sortie  du  sein  des  flots.  Tout 
dans  cette  île  est  neuf  en  comparaison  de  ce  qu'on 
voit  sur  l'ancien  continent;  tout  y  porte  un  carac- 
tère de  jeunesse,  une  teinte  de  nouveauté  qui  rappelle 
ce  que  les  poètes  ont  chanté  du  monde  naissant,  et 
qu'on  ne  retrouve  que  dans  quelques  autres  îles  for- 
mées aussi  dans  les  derniers  âges.  Mascareigne  fut  d'a- 
bord un  de  ces  soupiraux  brûlants  au  milieu  des 
eaux,  comme  on  en  a  vu  presque  de  nos  jours  à 
Santorin  ou  dans  les  Açores.  Des  éruptions  fréquen- 
tes en  élevèrent  la  fournaise,  au  moyen  des  couches  de 
lave  ardente  qui,  s'y  superposant  sans  interruption, 
formèrent  enfin  une  montagne,  que  des  tremblements 
de  terre  terribles  vinrent  lacérer,  et  sur  la  surface 
échauffée  de  laquelle  les  eaux  pluviales  se  réduisant 


484  HETEROGENIE. 

aussitôt  en  vapeur,  n'arrosaient  aucun  végétal  possi- 
ble, ne  rafraîchissaient  aucun  vallon.  Les  salamandres 
de  la  Fable,  seules,  eussent  pu  devenir  les  hôtes  de  ce 
brûlant  écueil .  Comment  une  aimable  verdure  le  vînt- 
elle  ombrager?  comment  des  animaux  attachés  au  sol 
choisirent-ils  pour  patrie  un  rocher  nécessairement 
inhabitable  longtemps  encore  après  son  apparition  et 
durant  son  accroissement  (1)  ?  » 

Après  cet  exposé,  Bory  de  Saint-Vincent  démontre 
longuement  que  l'homme,  les  oiseaux,  les  vents  et  les 
flots  n'ont  pu  peupler  Mascareigne  de  sa  verdure  et  de 
ses  animaux,  et  que  l'hétérogénie  seule  a  pu  y  prési- 
der. «  Les  hommes,  dit-il  en  terminant,  n'y  ont  pas 
surtout  apporté  avec  eux  ce  Dronte,  oiseau  mons- 
trueux, qu'ils  furent  si  étonnés  d'y  voir  et  dont  ils 
exterminèrent  la  race  :  où  Feussent-ils  pris?  d'où 
l'auraient-ils  amené?  il  n'exista  jamais  ailleurs;  il 
fut  propre  au  sol,  et  création  locale  d'une  nature 
trop  hâtée  de  produire,  il  semblait  porter  dans  son 
ridicule  ensemble  le  cachet  d'une  certaine  inexpé- 
rience  organisatrice.  » 

Bory  de  Saint-Vincent  achève  ainsi  son  chapitre 
sur  ce  sujet  :  «  Quelque  révoltante  que  puisse  être  pour 
certaines  personnes  l'idée  de  ces  créations  continuel- 
les, non-seulement  il  est  impossible  pour  tout  bon 
esprit  de  ne  la  point  admettre,  mais  il  sera  peut-être 
bientôt  évident  qu'il  existe  des  créations  spontanées, 
c'est-à-dire  qui  non-seulement  peuvent  avoir  lieu  se- 
lon que  les  éléments  s'en  trouvent  réunis,  mais  qui 

(1)  Bory  de  Salnt-Vincent,  Dict.  class.  d'histoire  naturelle.  Paris, 
1824,  t.  V,  p.  42. 


SUCCESSION    DES    CRÉATIONS,  485 

ne  se  perpétuant  pas  d'elles-mêmes  peuvent  avoir 
lieu  toutes  les  fois  que  les  causes  occasionnelles  s'en 
renouvellent.  Certes,  un  pareil  fait  n'est  pas  en  fa- 
veur de  la  doctrine  qui  attribuerait  à  l'aveugle  hasard 
l'ordre  sublime  auquel  nous  concourons  par  notre 
existence;  il  commande  au  contraire  une  admiration 
qui  porte  au  respect  pour  le  législateur  souverain  (1).  » 

SECTION    m.  —  SUCCESSION   DES    CRÉATIONS 

Les  créations  ont  été  successives  comme  les  soulè- 
vements, et  chacune  d'elles  a  suivi  l'un  de  ceux-ci. 
Les  travaux  des  géologues  ayant  rendu  incontestable 
que  les  continents  et  les  montagnes  se  sont  soulevés 
à  différentes  époques,  il  faut  bien  admettre  que  les 
animaux  et  les  plantes  qui  animent  leurs  sites  variés, 
ont  subi  la  même  loi  dans  leur  apparition.  C'est  une 
déduction  toute  rationnelle,  dont  au  besoin  l'examen 
des  productions  du  sol,  partout  si  différentes,  donne- 
rait la  plus  évidente  démonstration. 

La  science  ne  permet  plus  aujourd'hui  de  contes- 
ter la  succession  des  créations.  Les  Buffon,  les  Cu- 
vier,  les  Buckland  ,  les  de  la  Bêche,  les  Lyell,  les 
Brongniart,  les  Bory  de  Saint- Vincent,  les  Beudant,les 
Huot,les  Pictet,les  Ch.  d'Orbigny,  les  Aie.  d'Orbigny 
et  tous  les  géologues  sont  d'accord  sur  ce  point  (2)  ; 

(1)  BoRY  DE  Saint-Vincent,  ibid. 

(2)  Buffon,  Époques  de  la  nature.  Eist.  nat.  Deux-Ponts,  1785, 
t.  XII.  —  CuviER,  Discours  sur  les  révolutions  du  globe.  Paris,  1831, 
Recherches  sur  les  ossements  fossiles.  —  Buckland,  La  géologie  et  la 
minéralogie  dans  leurs  rapports  avec  la  théologie  naturelle.  Paris. 
—  De  la  Bêche,  Geological  researches.   1824,  p.   239.  —  Lyell, 


486  HÉTÉROGÉNIE. 

s'il  y  a  quelques  dissidences,  elles  ne  roulent  que  sur 
le  mode  par  lequel  la  nature  a  procédé.  Aussi,  les  ani- 
maux se  trouvent-ils  répartis  par  étages  qui  consti- 
tuent autant  de  tableaux  des  époques  géologiques.  Cha- 
cune de  celles-ci  a  sa  Faune  et  sa  Flore  distinctes, 
caractéristiques;  les  étages  silurien,  carboniférien,  ju- 
rassique, crétacé,  etc.,  présentant  des  caractères  pa- 
léonlologiques  identiques  pour  chacun  d'eux  (1). 

Il  est  évident,  en  effet,  que  chaque  période  du  globe 
a  eu  ses  formes  organiques  particulières,  qui  n'existè- 
rent dans  aucun  âge  antérieur  et  qu'on  ne  retrouve  plus 
ensuite.  Ainsi  que  le  dit  M.  Pictet,  les  espèces  d'ani- 
maux d'une  époque  géologique  n'ont  vécu  ni  avant,  ni 
après  cette  époque  (2) .  G'  est  aussi  l'opinion  des  Cuvier, 
des  Buckland,  des  d'Orbigny  et  des  plus  illustres  pa- 
léontologistes. (3)  Enfin,  de  Humboldt,  lui-même, 
partage  également  cette  manière  de  voir,  et  s'exprime 

Principles  of  geology,  t.  II.  Brongntart,  Descriptions  géologiques 
des  environs  de  Paris,  en  collaboration  avec  Cuvier.  —  Tableau 
des  terrains  qui  composent  l'écorce  du  globe.  Paiis^  1829.  — 
BoRY  DE  Saint-Yinceint,  Dict.  class.  d'hist.  nat.,  art.  Création.  — 
Beudant,  Cours  de  géologie.  Paris,  1(857.  —  Huot,  Nouveau  cours 
de  géologie.  Paris,  1839,  1. 11,  p.  73.  —  Pictet,  Traité  de  paléonto- 
logie, deuxième  édition.  Paris,  1853.  —  Agassiz,  Études  sur  les 
glaciers.  Neuicliâlei,  1840.  —  Ch.  d'Orbigîny,  Géologie  appliquée 
aux  arts.  VnviSj  1851,  p.  83.  —  Al.  d'Orbigny,  Cours  de  paléonto- 
logie. 

(1)Ch.  d'Orbigny,  Géologie  appliquée  aux  arts  et  à  l'agriculture. 
Paris,  1851 ,  p.  89. 

(2)  Pictet,  Traité  de  paléontologie,  2e  édition.  Paris,  1853. 

(3)  Cuvier,  Recherches  sur  les  ossements  fossiles.  Paris,  1822.  — 
Ch.  d'Orbigny,  Géologie  appliquée  aux  arts.  Paris,  1851.  — 
Buckland,  La  géologie  et  la  minéralogie  dans  leurs  rapports  avec  la 
théologie  naturelle.  Paris,   1838. 


SUCCESSION   DES    CRÉATIONS.  487 

ainsi  à  ce  sujet  :  «  Chaque  soulèvement  de  ces  chaînes 
de  montagnes  dont  nous  pouvons  déterminer  l'ancien- 
neté relative,  a  été  signalé  par  la  destruction  des  es- 
pèces anciennes  et  par  l'apparition  de  nouvelles  orga- 
nisations (1).  » 

En  effet,  depuis  que  l'homme  a  pu  scruter  l'âge 
des  diverses  chaînes  de  montagnes,  et,  avec  l'assu- 
rance du  génie,  le  buriner  sur  leur  fronton,  la  suc- 
cession des  créations  est  devenue  un  fait  ration- 
nellement incontestable  (2).  Comment,  hors  cette 
hypothèse,  expliquer  cette  diversité  que  l'on  remarque 
dans  les  productions  naturelles  de  la  surface  du 
globe?  Tous  les  types  nouveaux,  qui  surgirent  après 
chaque  révolution  tellurique  ,  eurent  une  origine 
simultanée  :  il  n'en  existait  aucun  vestige  dans  les 
temps  antérieurs,  et  beaucoup  d'entre  eux  n'auraient 
même  pu  subsister  alors.  Nous  avons  fréquemment 
rencontré  dans  le  cours  de  nos  recherches  ,  dit 
Buckland,  de  nombreux  exemples  de  systèmes  orga- 
niques végétaux  et  animaux  qui  ont  eu  leur  commen- 
cement et  leur  fin  ;  et  chaque  fois,  nous  avons  été 
conduit  à  leur  assigner,  comme  origine,  l'intervention 
directe  d'une  action  créatrice  (3). 

Il  a  donc  fallu  lorsque  ces  types  apparurent  que 
les  germes  fussent  extraits  de  la  matière  ;  ils  ont  donc 

(1)  De  UmiBOLDT y  Cosmos.  ParisJ855,  t.  ï,p.  312. 

(2)  La  main  du  temps,  dit  M.  Élie  de  Beaumont,  a  gravé  l'his- 
toire du  globe  sur  sa  surface;  les  montagnes  sont  les  lettres  ma- 
juscules de  cet  immense  manuscrit,  et  chaque  Système  de  mon- 
tagnes en  renferme  un  chapitre.  Dict.  univ.  d'hist.  «at.,  article 
Système  de  montagnes,  t.  Xll,  p.  167. 

(3)  Buckland^  Géologie  et  Minéralogie,  etc.,  t.  1,  p.  515. 


488  HÉTÉROGÉNIE. 

été  formés  à  même  celle-ci,  et  comme  le  serait,  de  iK)s 
jours,  un  être  qui  apparaîtrait  pour  la  première  fois 
au  milieu  d'elle. 

La  science  nous  enseigne  que  les  grandes  créations 
ont  du  se  succéder  à  de  longs  intervalles,  et  elle  nous 
démontre  aussi  que  d'autres  créations  partielles  ont 
encore  apparu,  en  offrant  aux  regards  étonnés  une  série 
d'êtres  nouveaux.  On  peut  poser  en  fait,  dit  de  la  Bêche 
que  les  plantes  et  les  animaux  ont  été  engendrés  en 
vue  des  situations  dans  lesquelles  ils  se  trouvent  placés, 
et  qui,  elles-mêmes,  ont  été  disposées  d'avance  pour 
les  recevoir.  Ces  êtres  paraissent  avoir  été  créés  à  me- 
sure que  la  terre  présentait  des  conditions  favorables 
à  leur  existence  (1).  Le  grave  Buckland  n'élève  aucun 
doute  à  cet  égard  :  «  L'état  parfait  de  conservation, 
dit-il,  dans  lequel  nous  trouvons  les  débris  animaux 
et  végétaux  de  chacune  des  diverses  formations  géo- 
logiques, et  le  mécanisme  admirable  dont  beaucoup 
de  fragments  fossiles  nous  offrent  des  traces,  sont  des 
preuves,  en  nombre  infini,  que  les  créatures  auxquel- 
les ils  appartiennent  ont  été  créées  dans  un  but  d'har- 
monie avec  la  succession  de  conditions  diverses  qui 
s'est  faite  à  la  surface  de  notre  globe,  et  avec  son  ap- 
titude croissante  à  recevoir  des  formes  organiques  de 
plus  en  plus  comphquées.  (1).  » 

«  Toutes  les  observations  s'accordent  même  sur  ce 
point,  dit  de  Humboldt,  que  les  Faunes  et  les  Flores 
fossiles  diffèrent  d'autant  plus  des  formes  animales  et 

(1)  De  la  Bêche,  Geological  researches.  1834^  p.  239. 

(2)  Buckland,  La  géologie  et  la  minéralogie  dans  leurs  rapports 
avec  la  théologie  naturelle.  Paris,  1838. 


SUCCESSION    DES    CREATIONS.  489 

végétales  actuelles,  que  les  formations  sédimentaires 
où  elles  gisent  sont  plus  inférieures,  c'est-à-dire  plus 
anciennes  (1).  » 

Les  poissons  eux-mêmes,  malgré  l'uniformité  du 
milieu  qu'ils  habitent,  ont  aussi  beaucoup  varié  durant 
les  diverses  phases  géologiques.  Agassiz  qui  a  étudié 
plus  de  dix-sept  cents  espèces  de  poissons  fossiles, 
affirme  que  parmi  ceux-ci  il  n'a  rencontré  aucune 
espèce  qui  fût  identique  avec  les  animaux  de  cette 
classe,  vivant  aujourd'hui  dans  nos  mers  (2). 

Ainsi  donc,  à  des  intervalles  de  temps  illimités,  il  a 
plu  à  la  Sagesse  infinie  de  pétrir  la  matière  et  d'en 
façonner  les  plus  sublimes  organismes.  Tout  cela  n'est 
au  fond  que  cette  mutation  moléculaire  qui  révolte 
tant  certains  savants  ;  ce  n'est  que  la  manifestation  de 
l'hétérogénie  sauvegardée  par  l'intermédiaire  de  la 
Divinité.  Dans  ces  phénomènes  insolites,  tout  a  obéi 
aux  lois  suprêmes.  Ce  n'est  pas  autre  chose  que  nous 
voyons  aujourd'hui  se  réaliser  sur  une  moindre 
échelle;  c'est  la  matière  s'organisant  à  un  moment 
donné,  en  raison  de  lois  qui  nous  échappent.  Là  elle 
s'agglomère  dans  l'ovaire,  ailleurs  dans  une  pseudo- 
membrane qui  en  tient  lieu;  là  surgit  un  mollusque 
ou  un  oiseau;  ici  un  simple  Polype  ou  un  Kolpode. 

Il  ne  peut  plus  être  contesté  que  la  création  qui  a 
animé  primitivement  la  surface  du  globe,  ne  ressem- 

(1)  De  Humboldt,  Cosmos.  Paris,  i8o5,  t.  I,  p.  316. 

{2j  Agassiz,  Poissons  fossiles,  t.  1,  p.  30^  et  t.  III,  p.  i-52.  Il 
fait  seulement  une  exception  pour  un  seul  petit  poisson  qu'on 
rencontre  dans  les  géodes  argileuses  du  Groenland.  Sous  la  craie 
on  ne  trouve  plus  un  seul  genre  de  poissons  de  l'époque  ac- 
tuelle. 


490  HÉTÉROGÉNIE. 

blait  nullement  à  celles  qui  se  manifestèrent  durant 
les  temps  suivants.  Ce  n'est  peut-être  que  bien  des 
siècles  après  que  se  furent  déposés  les  terrains  carbo- 
nifères, où  l'on  ne  rencontre  que  des  animaux  aqua- 
tiques, des  mollusques  et  des  poissons,  que  se  pro- 
duisirent les  terrains  paléothériens  si  féconds  en 
mammifères  (i).  On  ne  dira  sans  doute  pas  que  lors 
des  premiers  essais  échappés  des  mains  du  Créateur, 
il  avait  en  même  temps  disséminé  çà  et  là  sur  le  globe, 
quelques  germes  pouvant  impunément  braver  l'action 
destructive  des  temps  et  des  cataclysmes,  pour  venir 
éclore  à  un  moment  donné,  après  un  sommeil  dont 
la  pénétration  humaine  ne  peut  même  pas  sonder  la 
durée.  Non,  quand  à  de  longs  intervalles  il  lui  a  plu 
d'ajouter  quelques  nouvelles  pages  à  son  œuvre, 
Dieu  en  a  puisé  tous  les  éléments  parmi  la  matière 
ambiante. 

Emportés  trop  loin  en  s'élevant  contre  les  généra- 
tions spontanées,  quelques  savants  ont  soutenu  que  la 
vie,  depuis  la  création  jusqu'au  moment  actuel,  s'était 
transmise  par  une  chaîne  non  interrompue  de  ^posses- 
seurs qui  se  la  sont  communiquée  successivement  (2). 
Mais  chaque  parcelle  du  globe  proteste  éloquemment 
contre  une  telle  assertion;  et  les  vestiges  des  généra- 
tions éteintes,  ces  véritables  médailles  de  la  création, 
comme  les  appelle  Mantell,  lui  impriment  le  plus  inef- 
façable démenti  (3).  Cette  chaîne  non  interrompue 

(1)  D'Omalius  d'Halloy,  Élém.  de  géologie.  Paris,  1831,  p.  296. 

(2)  Milne-Edwards,  Comptes  rendus  de  V Académie  des  sciences. 
Paris,  1859,  t.  XLVIU,p.  2o. 

(3)  Mantell,  The  medals  of  création.  Londres,  1846. 


SUCCESSION   DES    CRÉATIONS.  491 

dont  on  parle ,  mais  nous  la  trouvons  brisée  sur 
chaque  stratification  de  l'écorce  terrestre,  et  la  paléon- 
tologie s'efforce  en  vain  d'en  retrouver  les  anneaux  ! 

Les  Faunes  des  diverses  phases  géologiques  du 
globe  sont  tellement  différentes,  sous  certains  rap- 
ports, qu'il  devient  absolument  impossible  de  les  re- 
lier à  rien  d'analogue  ,  ni  dans  le  passé,  ni  dans 
l'époque  actuelle.  Où  étaient  donc  avant  la  formation 
des  strates  du  lias,  les  chefs  de  la  généalogie  des  rep- 
tiles gigantesques  qui  en  animaient  la  surface?  et 
depuis  eux,  que  sont  devenus  leurs  descendants?  où 
étaient  avant  le  diluvium  ,\e?>  ancêtres  des  Mastodontes, 
des  Éléphants  et  des  Rhinocéros,  qui  abondaient  alors 
en  Europe  ?  où  vivaient  aussi  les  devanciers  du  Mylo- 
don  d'Owen,  ce  Paresseux  gigantesque,  qui  n'avait 
pas  moins  de  trois  mètres  et  demi  de  longueur;  et 
ceux  du  Colossochelys,  cette  prodigieuse  tortue  de 
terre  de  quatre  mètres  de  longueur  sur  deux  d'épais- 
seur ? 

Je  ne  pense  pas  qu'il  existe  aujourd'hui  beaucoup 
de  paléontologistes  qui  veuillent  soutenir  cette  trans- 
mission non  interrompue  des  êtres  dont  on  vient  de 
parler.  M.  Pictet  la  condamne  de  tout  l'ascendant  de 
son  autorité  :  «  La  théorie  des  créations  successives, 
dit-il,  est  la  seule  qui  se  lie  avec  la  loi  que  les  espèces 
sont  toutes  différentes  d'un  terrain  à  l'autre  (1).  »  En- 
fin, Cuvier,  lui-même,  s'est  nettement  exprimé  à  cet 
égard.  Selon  lui,  les  Faunes  antédiluviennes  ne  peu- 
vent pas  être  reliées  à  la  création  contemporaine  :  «Les 

(1)  PicTET,  Traité  de  paléontologie  ou  Histoire  naturelle  des  ani- 
maux fossiles.  Deuxième  édition,  Paris,  1853,  t.  I,  p.  93. 


492  HÉTÉROGÉNIE. 

races  actuelles,  dit-il,  ne  sont  nullement  des  modifi- 
cations des  races  anciennes  qu'on  trouve  parmi  les 
fossiles;  les  espèces  perdues  ne  sont  pas  des  variétés 
des  espèces  vivantes  (1).  » 

On  ne  peut  oublier  aussi  qu'à  chacune  des  grandes 
époques  du  globe,  on  voit  osciller  la  série  zoologique. 
Là  elle  se  trouve  réduite  à  ses  moindres  représentants 
et  ses  plus  magnifiques  manquent  absolument  ;  ici  les 
plus  élevés  précèdent  les  autres;  ailleurs  de  longs 
chaînons  font  défaut  (2). 

En  suivant  le  développement  de  l'animalité  à  la 
surface  du  globe,  voit-on  toujours  cette  série  d'ani- 
maux suivre  réguhèrement  la  marche  ascendante 
qu'indiquent  quelques  zoologistes  ?  mais,  pas  le  moins 
du  monde.  Aie.  d'Orbigny  a  fait  remarquer,  avec  rai- 
son, que  les  Rayonnes,  depuis  les  premières  époques 
du  globe,  ont  parfois  suivi  une  marche  rétrograde. 
Selon  lui  les  Mollusques  sont  restés  stationnaires  ou 
même  ont  rétrogradé;  et  aucun  des  groupes  de  la 
période  actuelle  n'offre  une  organisation  plus  élevée 
que  ceux  des  terrains  paléozoïques.  11  en  est  de  même 
pour  les  animaux  articulés.  Dans  les  Vertébrés  seule- 

(1)  CuviER,  Recherches  sur  les  ossements  fossiles.  Paris,  1821, 
t.  I,  p.57. 

(2)  Les  détails  prouvent  surabondamment  ce  que  nous  avan- 
çons. Dans  la  première  grande  période  du  monde,  dans  la  pé- 
riode paléozoïque,  suivant  un  savant  dont  Tautorité  ne  peut  être 
contestée,  suivant  Aie.  d'Orbigny,  il  n'existait  que  trente-un  or- 
dres d'animaux  sur  soixante-dix-sept  dont  se  compose  le  règne 
animal.  Où  étaient  donc  alors  les  animaux  destinés  à  former  cette 
chaîne  non  interrompue  dont  on  parle.  [Cours  élémentaire  de 
paléontologie  et  de  géologie  strati graphiques.  Paris,  t.  I,  p.  225 
à  232. 


SUCCESSION   DES    CRÉATIONS.  493 

ment  les  choses  prennent  un  aspect  différent,  et  là  le 
savant  géologue  convient  que,  jusqu'à  un  certain  point, 
l'hypothèse  du  perfectionnement  progressif  semble 
fondée  ;  mais  quand  on  met  en  regard  les  diverses 
classes  de  ce  grand  type,  on  voit  que  dans  plusieurs 
d'entre  elles,  il  y  a  eu  une  marche  rétrograde  ;  c'est 
ce  qu'on  observe  sur  les  poissons  et  les  reptiles.  En 
effet,  les  Sauriens  apparus  d'abord,  sont  supérieurs 
aux  Ophidiens  et  aux  Batraciens  qui  ne  vinrent  que 
bien  plus  tard.  Les  poissons  des  terrains  paléozoïques, 
tels  que  les  Placoïdes  et  les  Squales,  sont  supérieurs 
aux  Pleuronectes,  qui  ne  se  montrent  que  dans  les 
dernières  époques  géologiques.  Les  oiseaux  restent 
stationnaires  depuis  la  seconde  époque  ;  et  les  mam- 
mifères seuls  offrent  un  argument  en  faveur  du  per- 
fectionnement successif  (1). 

S'il  est  de  la  dernière  évidence  que  l'organisme  a 
été  primitivement  créé  aux  dépens  de  la  matière 
amorphe,  et  que  les  créations  ont  été  successives,  et 
la  science  est  unanime  sur  ce  point,  si  cela,  dis-je, 
est  évident,  on  ne  peut  pas  prétendre  spolier  notre 
époque  d'un  phénomène  que  les  temps  qui  nous  ont 
précédés  ont  vu  se  reproduire  à  d'assez  nombreuses 
reprises.  Assurément,  actuellement,  comme  autrefois, 
partout  où  il  se  trouve  de  la  matière  organique  amor- 
phe, elle  peut  se  concentrer  et  produire  de  nouveaux 
organismes. 


(1)  Déjà,  avant  moi,  M.  V.  Meunier  a  pu  dire  aussi,  avec  toute 
Tautorité  d'un  éminent  savoir,  qu'il  demeure  hors  de  contesta- 
tion qu'il  est  absolument  faux  que  la  nature  a  passé  sans  cesse 


494  HÉTÉROGÉNIE. 

L'effervescence  qui  se  manifeste  dans  cette  matière 
étant  en  raison  de  sa  masse,  plus  celle-ci  est  considé- 
rable, plus  il  en  sort  de  produits  et  plus  ils  sont  avan- 
cés en  organisation.  C'est  pourquoi  lorsque,  dilacérée 
par  les  cataclysmes,  toute  l'organisation  s'anéantit 
dans  le  même  naufrage,  il  s'engendre  ensuite  une  po- 
pulation plus  nombreuse  et  plus  variée  que  précédem- 
ment. L'Amérique  moins  étendue  que  l'ancien  conti- 
nent, ne  produisit  qu'une  Faune  et  qu'une  Flore 
beaucoup  moins  riches.  L'Australie ,  Madagascar , 
Mascareigne,  dont  le  périmètre  se  rétrécit  de  plus  en 
plus,  virent  se  restreindre,  dans  la  même  proportion, 
les  types  d'animaux  et  de  plantes  qui  peuplèrent  leur 
sol  émergé. 

D'après  ces  considérations,  est-il  nécessaire  de  dire 
pourquoi  dans  nos  expériences  toujours  faites  sur  une 
si  petite  échelle,  on  ne  voit  apparaître  que  de  si  in- 
fimes Protozoaires?  Nos  infusions  ,  nos  bocaux  ne 
représentent  guère  qu'un  point  métaphysique  dans 
l'espace  en  comparaison  de  ces  masses  incalculables 
de  matières  organiques  qui  purent  entrer  en  fermenta- 
tion après  les  grands  cataclysmes  du  globe.  Cette  idée, 
que  les  forces  productrices  doivent  être  en  raison  di- 
recte de  la  masse  de  substance  en  action,  se  présente 
naturellement  à  l'esprit.  Aussi  beaucoup  d'hommes 
d'une  intelligence  élevée,  ainsi  que  le  fait  M.  Guépin, 
se  sont  demandé  si,  au  lieu  de  se  produire  dans  un 
étroit  bocal,  l'acte  génésique  avait  lieu  dans  un  lac 
échauffé  et  renfermant  d'abondants  matériaux  orga- 

des  êtres  inférieurs  aux  êtres  supérieurs.  (V.  Meunier,  L'ami  des 
sciences.  PdiTiSf  1859,  p.  37.) 


SUCCESSION    DES   CRÉATIONS.  495 

niques,  il  n'en  résulterait  pas  des  êtres  infiniment 
plus  élevés  (1). 

Si  MM.  de  Humboldt  et  Bonpland  ont  pu  dire  que 
la  question  générale  de  la  première  origine  des  habi- 
tants d'un  continent  est  au  delà  des  limites  prescrites 
à  l'histoire  (2),  ce  qui  nous  parait  une  assertion  d'une 
immense  gravité;  comme  on  peut,  sans  scrupule, 
s'occuper  de  l'apparition  des  animaux  et  de  leur  dis- 
tribution géographique,  nous  allons  voir  qu'elles  of- 
frent de  victorieux  arguments  en  faveur  des  généra- 
tions successives. 

La  zoologie  de  chaque  continent  possède  un  aspect 
spécial,  et  partout  elle  présente  certains  types  parti- 
cuhers,  qui  indiquent,  ainsi  que  le  dit  M.  Boue,  dans 
chacun  d'eux  un  ou  plusieurs  grands  centres  de  créa- 
tion (3).  Il  en  est  de  même  à  l'égard  de  quelques  îles. 
En  réalité,  les  faits  de  géographie  zoologique  abondent 
pour  prouver  que  sans  invoquer  les  créations  succes- 
sives et  locales,  il  est  tout  à  fait  impossible  d'expli- 
quer la  répartition  circonscrite  de  certaines  espèces. 
Cela  devient  surtout  évident  lorsque  l'on  étudie  l'ha- 
bitat de  la  plupart  des  quadrupèdes,  des  reptiles  et  des 
insectes,  eux  qui  ont  plus  de  difficulté  que  beaucoup 
d'autres  animaux  à  se  transporter,  à  cause  des  obsta- 
cles physiques  qui  peuvent  leur  barrer  si  facilement 
le  passage. 

(1)  GuÉPiN,  Philosophie  du  dix-neuvième  siècle.  Paris,  1854, 
p.  296. 

(2)  De  Humboldt  et  Bonpland,  Essai  politique  sur  la  Nouvelle- 
Espagne,  ouvrage  dédié  à  S.  M.  Catholique  Charles  IV,  1. 1,  p.  79. 

(3)  BouÉ^  Guide  du  voyageur  géologue^  t.  I,  p.  374. 


496  HÉTÉROGÉNIE. 

.  La  distribution  topographique  des  animaux  prouve 
surabondamment  que  ceux-ci,  dans  l'état  dénature, 
résident  souvent  dans  des  régions  assez  circonscrites. 
Chaque  espèce  s'attache  à  son  chmat,  à  son  sol,  et, 
ainsi  que  le  dit  M.  Bonifas,  la  moindre  différence 
dans  la  température  semble  un  obstacle  presque  in- 
surmontable à  sa  dissémination  (1),  Le  Condor,  qui, 
dans  son  vol  puissant,  plane  au-dessus  des  cimes  des 
Cordillères,  ne  réside  que  dans  la  portion  de  celles-ci 
qui  traverse  le  Pérou  et  le  Mexique.  Le  Vautour  des 
agneaux  ne  s'éloigne  jamais  des  hautes  Alpes  ;  et  La- 
treille  dit  que  le  Rhin  et  sa  bordure  de  montagnes, 
forment  à  eux  seuls  une  limite  que  certains  insectes 
ne  franchissent  pas  (2). 

La  conquête  de  l'ensemble  du  globe  ne  date,  en 
quelque  sorte,  que  de  notre  époque;  et  sur  chaque 
plage  où  nos  vaisseaux  ont  abordé,  après  tant  de  siè- 
cles, tant  de  dangers  et  de  funérailles,  on  a  découvert 
quelque  animal  nouveau ,  quelque  végétal  inconnu. 
Comment  donner  une  explication  plausible  de  ce 
fait?  Nés  sur  l'ancien  continent,  comment  ont-ils  pu 
gagner  les  îles  qui  s'en  trouvent  séparées  par  d'im- 
menses mers?  Pourquoi  alors  n'en  retrouve-t  -  on 
plus  de  descendants  dans  leur  primitive  patrie  ?  Et  si 
Ton  voulait  prétendre  que  c'est  l'homme  lui-même 
qui  s'est  chargé  de  répandre  les  animaux  sur  toute 
la  surface  du  globe,  au  berceau  de  ceux-ci  tout  ves- 

(1)  A.  Bonifas,  De  la  génération  spontanée.  Paris  ^  1852,  p.  24 
(Thèse). 

(2)  Latreille,  Cours  d'entomologie.  Paris,  1831,  p.  289  et  suiv. 
Comp.  Fabrigius,  Philosophia  eniomologica,  1778. 


SUCCESSION   DES    CRÉATIONS.  497 

tige  en  serait-il  anéanti?  cette  hypothèse  ne  pourrait 
même  concerner  que  les  espèces  pacifiques  et  d'un 
très-faible  volume.  Est-ce  l'homme  qui  s'est  occupé  de 
disséminer  dans  les  forêts  de  l'Amérique  le  Jaguar  et 
le  serpent  à  sonnettes,  qui  les  ravagent  malgré  lui? 
comment  eût-il  pu  peupler  Java  et  Sumatra  des  espè- 
ces particulières  de  Rhinocéros  que  l'on  y  rencontre 
aujourd'hui  (1)  ? 

Pour  ne  citer  que  les  exemples  les  plus  saillants, 
sans  admettre  des  créations  locales  et  successives, 
comment  expliquer  les  Paresseux,  les  Tamanoirs,  les 
Hurleurs,  les  Tatous  et  tant  d'autres  mammifères,  ab- 
solument relégués  dans  les  régions  équatoriales  de 
l'Amérique?  Comment  expliquer  ces  étranges  Kan- 
guroos  et  ces  Monotrêmes  qui  n'habitent  que  l'Austra- 
lie? Puis  les  Makis,  les  ïndris  et  les  Epiornis  de 
Madagascar  (2),  les  Manchots  de  la  Terre  de  feu,  le 
Dronte  de  Mascareigne ,  le  Dinornis  de  la  Nouvelle- 
Zélande  ? 

Toutes  ces  questions  s'étaient  déjà  présentées  à  nos 
devanciers  à  une  époque  où  la  géographie  zoologique, 
moins  avancée,  en  rendait  la  solution  plus  laborieuse. 
On  voit  que  saint  Augustin  y  avait  songé.  Dans  l'un 
de  ses  plus  importants  ouvrages,  il  se  demande  com- 
ment les  îles,  après  le  déluge,  ont  pu  recevoir  de 
nouvelles  plantes  et  de  nouveaux  habitants;  et  il 
semble  porté  à  croire  que  ceux-ci  y  ont  été  engen- 

{\)  Rhinocéros  Javànicus,  Desm.  ;  R.  Sondaicus,  G.  Cuv.  ; 
Rhinocéros  Sumatr anus _,  Raffl.;  R.  Sumatrensis,  G.  Ciiv. 

(2)  Gomp.,  pour  Y  Epiornis,  I.  Geoffroy  Saint-Hilaire  ,  Comptes 
rendus  de  l'Académie  des  sciences.  18oI. 

POUCHET.  32 


498  HETEROGENIE. 

drés  par  les  seules  forces  de  la  génération  spontanée  ; 
génération  qu'il  désigne  déjà  sous  les  mêmes  noms 
qu'on  lui  donne  encore  aujourd'hui  (1).  Si  les  anges 
ou  les  chasseurs  des  continents,  dit  ce  Père  de  l'Église, 
n'ont  point  transporté  d'animaux  dans  les  îles  éloi- 
gnées, il  faut  bien  admettre  que  la  terre  les  a  en- 
gendrés (2).     ■ 

Le  Nouveau-Monde  possède,  il  est  vrai,  dans  ses 
régions  boréales,  quelques  animaux  absolument  iden- 
tiques à  ceux  qui  habitent  les  mêmes  latitudes  de 
l'ancien  continent  ;  mais  lorsque  l'on  s'avance  vers 
l'équateur  on  voit  graduellement  tout  changer  et  appa- 
raître des  espèces  absolument  différentes.  On  conçoit 
facilement  que  quelques  grands  mammifères  du  nord, 
dans  leurs  pérégrinations  hivernales,  aient  pu  passer 
d'un  continent  dans  l'autre,  en  traversant  le  détroit  de 
Bering,  encombré  par  les  glaces,  et  aller  répandre 
leur  féconde  progéniture  sur  la  terre  nouvellement 
exondée.  Ainsi  le  renne,  Fours  blanc,  l'élan,  le  renard 
bleu,  habitent  à  la  fois  les  régions  arctiques  des  deux 
mondes.  Mais  pour  les  espèces  intertropicales  de 
l'Amérique,  comme  elles  sont  entièrement  différentes 
de  toutes  celles  de  Tancien  continent,  et  qu'on  ne 
rencontre  nulle  part  ailleurs  rien  qui  puisse  leur  être 
assimilé,  il  faut  indubitablement  qu'elles  aient  été 
créées  sur  place.  Pour  qu'il  soit  possible  d'admettre 
la  pérégrination  des  espèces  de  l'ancien  continent  sur 

(1)  Saint  Augustin  la  nommait  déjà  generatio  œquivoca ,  spon- 
tanea  aut  primaria. 

(2)  AuGusTLNUs,  De  civitate  Dei,  lib.  XIV,  c.  vu.  Venet.,  1732, 
édition  des  Bénédictins,  p.  422. 


SUCCESSION    DES    CRÉATIONS.  499 

le  nouveau,  la  première  condilion  serait  qu'elles  eus- 
sent existé  dans  ce  dernier;  cependant  cela  n'a  jamais 
eu  lieu,  car  elles  n'auraient  pu  disparaître  absolument, 
et  la  science  en  rencontrerait  encore  des  vestiges. 
Mais  y  eussent-elles  vécu,  jamais  même  l'idée  d'un  tel 
voyage  n'entrerait  dans  l'esprit  d'un  géologue  ou  d'un 
géographe  (1). 

Il  est  impossible,  en  effet,  de  se  rendre  compte  de 
l'état  actuel  de  diverses  régions  du  globe  sans  admettre 
des  créations  successives  et  locales  ;  et  les  trois  règnes 
protestent  à  la  fois  contre  l'unité  d'origine  qu'on  vou- 
drait leur  attribuer.  Quelle  que  soit  la  puissance  de  cette 
mystérieuse  main  qui  dissémine  si  merveilleusement 
les  germes,  sans  invoquer  ces  créations  temporaires, 
il  est  absolument  impossible  d'expliquer  une  foule  de 
faits  de  géographie  zoologique  ou  botanique.  Nous 
pourrions  arguer  à  la  fois  de  la  presque  totalité  des 
animaux  de  l'Amérique  australe,  de  Madagascar  ou 
de  l'Australie;  mais  contentons-nous  de  citer  un  seul 
fait,  parmi  tant  de  milliers,  qu'il  serait  possible  de 
produire. 

Le  Fourmilier-tamanoir,  par  exemple,  n'a  jamais 
pu  naître  dans  l'ancien  monde,  pour  s'en  expatrier 
ensuite  et  aller  se  fixer  dans  les  brûlantes  régions  de 
l'Amérique  méridionale!  On  sait  que  ce  gros  mammi- 
fère ne  vit  que  d'insectes,  et  en  particulier  de  fourmis, 

(I)  On  sait  que  Biiflbn  prétendait  qu'il  ne  serait  pas  impossible 
que  tous  les  animaux  du  nouveau  continent  ne  fussent  dans  le 
fond  les  mêmes  que  ceux  de  Tancien,  desquels  ils  auraient 
tiré  leur  origine  [Hist.  nat.,  1761,  t.  IX,  p.  126).  Mais  qui  oserait 
aujourd'liui,  parmi  l'ancien  continent,  exhumer  des  ancêtres  aux 
fourmiliers,  aux  paresseux,  aux  tatous,  etc. 


500  HETRROGENIE. 

et  qu'à  cause  de  la  disposition  de  ses  pattes,  sa  locomo- 
tion est  excessivement  pénible.  Comment  donc,  en 
admettant  même  qu'à  l'époque  de  la  primitive  créa- 
tion l'Amérique  fût  déjà  émergée,  comment  donc  sup- 
poser qu'un  tel  animal  ait  pu  naître  en  Asie  et  partir 
de  là  pour  aller  disséminer  sa  race  dans  toutes  les 
forêts  qu'arrosent  les  affluents  de  l'Amazone  et  de  la 
Plata  ?  Je  fais  immédiatement  abstraction  de  la  len- 
teur et  des  diflicultés  du  voyage  pour  un  Edenté  aussi 
peu  agile;  des  fleuves  et  des  montagnes  qui  ont  barré 
le  passage.  îl  ne  sera  question  ici  que  des  obstacles 
insurmontables,  que  la  diversité  des  climats  a  opposés 
à  cette  impossible  pérégrination. 

Parti  des  régions  chaudes  de  l'Asie,  pour  se  rendre 
en  Amérique,  le  Fourmilier  a  dû  nécessairement  re- 
monter vers  le  pôle,  en  se  dirigeant  sur  la  Sibérie, 
pour  franchir  le  détroit  de  Bering,  qui,  lorsque  les 
glaces  l'encombrent,  permet  une  communication  di- 
recte entre  les  deux  continents. 

Je  ne  parle  nullement,  ni  des  glaces  qu'il  a  fallu 
franchir,  ni  de  l'Amérique  du  Nord,  dont  il  fau- 
dra longer  toute  la  Cordillère,  ni  de  l'isthme  de  Pa- 
nama, qui  devra  encore  être  traversé  avant  d'atteindre 
le  but  du  voyage;  je  n'insisterai  que  sur  l'absolu  dé- 
faut d'alimentation  durant  un  si  long  trajet  et  sur 
l'action  mortelle  des  climats.  En  admettant  même  que 
le  froid  extrême  n'ait  pas  cent  fois  tué  le  voyageur 
durant  sa  pérégrination,  qui  n'a  pu  être  entreprise 
qu'au  milieu  de  l'hiver;  je  me  borne  à  dire  que  le 
Fourmilier,  en  traversant  des  régions  absolument  dé- 
pouillées des  insectes  qui  seuls  le  nourrissent,  a  né- 


SUCCESSION    DES    CRÉATIONS.  501 

cessairement  dû  périr  par  la  faim,  longtemps  même 
avant  d'être  arrivé  au  passage  qui  sépare  les  deux 
mondes.  La  même  remarque  serait  applicable  au  Pa- 
resseux, à  la  progression  presque  impossible,  et  qui,  ne 
vivant  que  de  feuilles,  est  absolument  construit  pour 
rester  accroché  aux  branches  des  arbres  (1). 

On  ne  manquera  pas  d'opposer  à  ce  qui  précède  les 
migrations  périodiques  de  certains  animaux.  Mais  au- 
cun d'eux  n'a  à  braver  une  telle  inclémence  des  saisons 
et  à  accomplir  un  aussi  extraordinaire  voyage.  Ceux- 
ci  ont  constamment  en  vue  une  amélioration  de  posi- 
tion que  la  Providence,  qui  les  guide,  leur  indique 
instinctivement.  Là,  chassés  par  la  rigueur  de  l'hiver, 
ils  s'exilent  vers  des  contrées  plus  heureuses  et  plus 
fertiles,  et  chaque  étape  est  marquée  par  un  accroisse- 
ment de  bien-être.  Ailleurs,  ce  sont  les  chaleurs  âpres 
des  tropiques  qui  font  fuir  certaines  espèces,  qu'on 
voit  venir  dans  les  zones  tempérées  pour  y  respirer  une 
atmosphère  moins  accablante.  Et  cependant,  durant 
ces  migrations,  de  combien  de  funérailles  la  route 
n'est-elle  pas  jonchée?  Les  Économes  partent  en 
bandes  immenses,  et  ils  ne  reviennent  qu'en  bien  petit 
nombre  vers  leur  pays  natal.  Les  oiseaux,  en  traver- 
sant les  mers,  périssent  souvent  épuisés  de  fatigue 
si  quelque  roche  propice  ne  leur  offre  un  refuge.  Et 
cependant,  combien  ces  migrations  sont  peu  de  chose 
comparativement  à  l'incompréhensible  voyage  qu'au- 
raient dû  faire  les  animaux,  nés  sur  l'ancien  conti- 

(1)  Le  tamandua ,  le  priodonte,  les  boas  et  tant  d'antres  ani- 
maux, n'ont  pas  pu  davantage  accomplir  un  tel  trajet. 


r)02  HÉTÉROGÉNIE. 

nent,  pour  aller  se  disséminer  dans  la  Patagonie, 
l'Australie,  Madagascar  ou  Mascareigne  !  Comment 
même  les  espèces  essentiellement  terrestres  ont-elles 
pu  franchir  la  mer  pour  arriver  dans  ces  dernières 
iles?  Il  faut  bien  qu'il  y  ait  eu  là  des  créations  subsé- 
quentes; elles  seules  peuvent  expliquer  ce  point  de 
géographie  zoologique. 

Que  nous  fait  à  nous  le  mode  suivi  par  la  nature 
pour  atteindre  la  sublime  harmonie  de  l'ordre  actuel? 
Révolutions  subites  ou  évolutions  progressives ,  il  n'en 
est  pas  moins  positif  que  l'apparition  de  la  vie  et  sa 
marche  ascendante,  ont  escorté  pas  à  pas  les  diverses 
phases  du  globe  ;  les  transformations  biologiques  se 
sont  manifestées  parallèlement  aux  transformations 
géologiques.  Chaque  empreinte  des  générations  pas- 
sées démontre  l'évidence  de  cette  assertion.  Et  pen- 
dant que  s'établissait  cette  harmonie  progressive, 
pour  me  servir  de  l'expression  de  Geotïroy  Saint- 
Hilaire  (i),  quels  germes  les  générations  expirantes 
pouvaient-elles  transmettre  à  celles,  absolument  diffé- 
rentes, qui  surgissaient  au  milieu  de  la  confusion  des 
éléments  ?  Se  peut-il  qu'il  n'y  ait  pas  eu  là  autant  de 
générations  primordiales,  qu'il  s'est  présenté  de 
grandes  phases  organiques  différentes? 

(1)  Geoffroy  Sainï-Hilaire,  Histoire  naturelle  générale  des 
règnes  organiques.  Paris,  1854,  t.  I,  p.  346. 


DE    l'immutabilité    DES   ÊTRES.  503 


SECTION    IV.  —   DE  l'immutabilité    DES    ÊTRES  DURANT  CHAQUE  ÉPOQUE 
GÉOLOGIQUE. —  VARIABILITÉ  LIMITÉE  ET  TEMPORAIRE  DES  ESPÈCES. 

Il  ne  peut  y  avoir  que  trois  hypothèses  pour  exph- 
quer  comment  la  surface  de  la  terre  s'est  peuplée 
d'êtres  organisés  :  ou  ceux-ci  sont  tous  dérivés  d'une 
espèce  unique  et  primitive;  ou  tous  les  êtres  ont  été 
créés  en  une  seule  fois;  ou,  enfin,  leur  apparition  a  eu 
lieu  à  des  époques  successives. 

Les  fauteurs  de  la  première  hypothèse  font  des- 
cendre toutes  les  créatures  d'une  seule  et  unique  es- 
pèce, qui  aurait  été  formée  à  l'origine  des  choses,  et 
aurait  subi  des  métamorphoses  à  l'infini,  sous  l'in- 
fluence des  siècles  et  des  circonstances,  pour  nous  pré- 
senter enfin  celte  immense  variété  d'êtres  qui  peuplent 
aujourd'hui  le  globe  (1).  Cette  hypothèse,  qu'on  ne 
peut  considérer  comme  sérieuse,  ne  mérite  guère  que 
d'être  rangée  parmi  les  témérités  de  l'intelligence  hu- 
maine. Cependant,  cette  idée,  dont  l'origine  se  perd 
dans  l'antiquité,  et  qui  entrait  dans  la  tendance  de  la 
philosophie  hermétique,  eut  quelque  cours  au  moyen 
âge;  et  dans  une  œuvre  récente,  qui  n'est  qu'une  vé- 
ritable débauche  d'esprit,  Demaillet  s'occupa  de  la 
reproduire  (2). 

(i)  Celte  iclce  n'est  pas  neuve,  et  déjà  elle  avait  été  émise  par 
Anaximandre. 

(2)  Demaillet,  Tclliamed  ou  Entretiens  d'un  philosophe  indien 
avec  un  missionnaire  français.  Amsterdam,  17 18.  Dans  cette  œuvre 
d'une  imagination  en  délire,  rautcur  considère  tous  les  êtres 
comme  ayant  une  oiigine  aquatique  ;  selon  lui ,  les  oiseaux  et  les 
reptiles  seraient  provenus  des  poissons;  et  Ihomme  lui-ffiême 
n'est  que  le  produit  de  la  métamorphose  des  Triions. 


504  HETEROGENIE. 

La  seconde  hypothèse,  ou  celle  d'une  création  uni- 
que, n'est  pas  plus  admissible  que  la  première. 

La  géologie  et  toutes  les  sciences  naturelles  pro- 
testent contre  elle  avec  tout  l'ascendant  de  l'évidence; 
cependant  elle  compte  des  défenseurs  d'un  grand 
mérite. 

La  création,  comme  nous  le  révèle  la  paléontologie, 
offrant  un  cachet  spécial  à  chacune  de  ses  phases, 
il  faut  nécessairement,  en  adoptant  cette  hypothèse, 
reconnaître  que  les  organismes  primitivement  créés 
ont  subi  une  suite  de  métamorphoses  d'où  sont  déri- 
vés tous  les  êtres  existant  aujourd'hui,  quelle  que  soit 
leur  différence  avec  les  types  primitifs  (i). 

Lamarck  a  été  Tun  des  plus  énergiques  partisans  de 
cette  variabilité  illimitée  des  êtres,  et  selon  lui,  l'ordre 
actuel  aurait  pris  sa  source  dans  les  plus  infinies 
ébauches  de  l'animalité  etde  la  végétabilité  (2).  Mais 
si  le  génie  de  ce  zoologiste  a  pu  le  sauvegarder  des 
témérités  de  quelques-uns  de  ses  devanciers,  ses 
audacieuses  hypothèses  n'en  ont  pas  moins  été  con- 

(1)  Keilmeyer,  en  Allemagne,  il  y  a  à  peu  près  soixante  ans, 
professait  que  toutes  les  espèces  organisées  ne  sont  que  des  mo- 
difications d'une  seule  et  même  organisation.  Comp.  Bose,  Mém. 
sur  la  gén.  spont.,  p.  32. 

(2)  Lamarck,  Système  des  animaux  sans  vertèbres.  Paris,  1801. 
—  Recherches  sur  l" organisation  des  corps  vivants.  —  Paris,  1802. 
Système  des  connaissances  positives.  Paris,  1820. — Philosophie 
zoologique.  Paris,  1809.  «  La  nature,  dit  Lamarck,  par  la  succession 
des  générations,  a  pu  produire  dans  les  corps  vivants  de  tous  les 
ordres  les  changements  les  plus  extrêmes,  et  amener  peu  à  peu,  à 
partir  des  premières  ébauches  de  Tanimalité  et  de  la  végéta- 
nte, l'état  de  choses  que  nous  observons  maintenant.  »  {Disc, 
de  l'an  XI.] 


DE    l'immutabilité   DES    ÊTRES.  505 

damnées  avec  une  sévérité,  dont  ne  purent  le  préser- 
ver les  immenses  services  que  la  science  lui  de- 
vait (i). 

E.  Geoffroy  Saint-Hilaire  a  émis  des  vues  ana- 
logues à  celles  de  Lamarck,  mais  il  le  tait  avec  une 
telle  sagesse  qu'on  a  parfois  peine  à  se  défendre  de 
la  séduction.  Il  pose,  comme  principe,  que  les  espèces 
changent  et  se  modifient  lorsque  leur  milieu  ambiant 
varie;  mais  qu'elles  restent  stables  si  celui-ci  se  main- 
tient (2).  Ce  sont  là,  assurément,  des  préceptes  à 
l'abri  de  toute  critique;  seulement,  ce  savant  en  étend 
un  peu  témérairement  l'application,  en  prétendant 
que  les  animaux  qui  animent  actuellement  la  surface 
du  globe,  ne  sont  que  les  descendants  des  races  anté- 
diluviennes (3). 

Les  partisans  de  la  filiation  généalogique  des  espèces 
des  différentes  époques  du  globe,  se  sont  appuyés  sur 
l'analogie  qu'offrent  les  crocodiles,  les  éléphants  et 
les  rhinocéros  fossiles  avec  ceux  de  notre  époque.  11  est 
tout  naturel  qu'il  y  ait  de  grands  rapports  entre  la 
Faune  du  diluvium  et  la  nôtre,  puisqu'elles  se  sont 
succédées  et  même  confondues  :  la  difficulté  n'est  pas 

(1)  Comp.  I.  Geoffroy  Saint-Hilaire,  Histoire  naturelle  générale 
des  règnes  organiques.  Paris,  1859,  t.  II,  p.  407. 

(2)  Geoffroy  Saint-Hilaire,  Études  progressives  d'un  naturaliste ^ 
p.  107.  Sur  le  degré  d'influence  du-monde  ambiant  pour  modi- 
fier les  formes  animales.  {Mém.  de  VAcad.  des  se.  1833.) 

(3)  «  Les  animaux  vivant  aujourd'hui,  dit-il,  proviennent ,  pai" 
une  suite  de  générations  et  sans  interruption,  des  animaux  per- 
dus du  monde  antédiluvien  ;  par  exemple,  les  crocodiles  de  l'époque 
actuelle  des  espèces  retrouvées  aujourd'hui  à  l'état  fossile.  »  {Sur 
l'infl.  du  monde  amb.j  p.  74.) 


oO'î  HETEROGENE. 

là.  C'est  à  mesure  qu'on  rétrograde  vers  des  temps  de 
plus  en  plus  reculés  qu'elle  devient  tout  à  fait  inso- 
luble. Ainsi,  on  chercherait  en  vain,  antérieurement 
à  eux,  de  quels  parents  ont  pu  provenir  ces  animaux  : 
on  n'en  trouve  aucun  vestige  dans  les  roches  anciennes. 
On  en  pourrait  dire  autant  des  grands  pachydermes 
fossiles;  aucun  d'eux  ne  se  lie  aux  races  éteintes  avant 
leur  existence;  aucun  d'eux  ne  se  perpétue  dans  les 
races  qui  leur  succédèrent  (1)  ! 

Mais,  malgré  les  hypothèses  de  Bufîon  sur  la  muta- 
bilité des  espèces,  malgré  celles  de  Delamétherie  et  de 
Lamarck  (2),  et  malgré  les  doutes  rationnels  émis  par 
E.  Geoffroy  Saint-Hilaire,  la  doctrine  de  l'immuta- 
bilité de  l'espèce  n'en  fut  pas  moins  considérée  comme 
un  fait  acquis  à  la  science,  par  tous  les  naturalistes 
de  la  France  et  de  l'étranger;  et  l'on  dut  accepter  la 
succession  des  créations  comme  l'une  de  ses  consé- 
quences. 

Cependant,  malgré  l'accord  presque  unanime  des 
savants,  touchant  l'immutabilité  de  l'espèce,  de  temps 
à  autre  quelques  naturalistes  n'en  persistèrent  pas 
moins  à  soutenir  une  thèse  contraire;  en  prétendant 
que  les  types  organiques,  d'abord    peu  nombreux, 

(1)  Serait-il  possible  de  voir  dans  nos  crocodiles  dégénérés  les 
descendants  du  gigantesque  Mososaurus  Hoffmanni?  Nos  frêles 
tatous  ont-ils  quelque  chose  de  commun  avec  le  mégalhère 
gigantesque?  Et,  dans  les  temps  antérieurs  à  l'existence  de  ce- 
lui-ci, où  était  donc  sa  généalogie?  Tout,  oui,  tout  s'est  succédé 
et  non  transfornjé. 

(2)  De  Lamétheuie,  Traité  de  la  perfectibilité  et  de  la  dégénéres- 
cence des  êtres  organisés.  Paris,  1806;  ou  tome  lil  des  Considéra- 
tions sur  les  êtres  organisés. 


DE    l'immutabilité    DES   ÊTRES.  507 

mais  doués  d'une  extrême  flexibilité  dans  leurs  élé- 
ments, en  se  modifiant,  ont  donné  naissance  à  l'infi- 
nie variété  des  espèces  actuelles. 

Telle  est  encore  aujourd'hui  Topinion  de  M.  Nau- 
din  (1);  telle  est  aussi  celle  de  M.  Lecoq,  qui  croit  à 
la  transformation  passée,  actuelle  et  future  d'une  seule 
et  unique  création  divine  (2). 

Un  savant  de  Rouen,  M.  Malebranche,  qui  sou- 
tient aussi  l'unité  de  la  création,  a  produit,  à  cet  égard, 
une  hypothèse  toute  particulière.  Selon  lui,  la  souve- 
raine Puissance  aurait  créé  des  germes  atomistiques 
ou  plutôt  métaphysiques,  car  c'est  ainsi  qu'il  les  ap- 
pelle, susceptibles  de  sauter  par-dessus  les  siècles  et 
les  cataclysmes  sans  donner  signe  de  vie,  excepté 
quand  se  présentent  des  circonstances  favorables  à 
leur  évolution.  «  Alors,  dit  M.  Malebranche,  tout  se 
comprend  sans  effort  ;  les  germes  de  toutes  les 
plantes  sont  créés  dans  le  sol. ..  La  vie  repose  en  eux, 
attendant,,  pour  se  produire,  des  conditions  favora- 
bles. L'action  divine  est  complète  et  terminée,  le  jeu 
des  éléments  fera  le  reste.  Ainsi  fait  le  semeur.,.  (3) 

La  troisième  hypothèse,  ou  celle  des  créations  suc- 
cessives, trouve  sa  démonstration  sur  chaque  frag- 

(1)  Naudin,  Considérations  philosophiques  sur  l'espèce  et  la  va- 
riété. [Bévue  horticole^  1852.) 

(2)  LtcoQ ,  Études  sur  la  géographie  botanique  de  l'Europe,  Pa- 
ris, 1854,  t.  III,  p.  230. 

GoDRON,  De  V espèce  et  des  races  (Mem.  de  la  Soc.  de  Nancy,  1847), 
pense,  au  contraire,  que  l'espèce  est  immuable  depuis  la  période 
géologique  actuelle,  mais  que,  dans  les  temps  antérieurs,  elle  a 
pu  changer. 

(3)  Malebranche,  De  l'origine  des  espèces  en  botanique,  p.  19. 


508  HÉTÉROGÉNIE. 

ment  du  globe.  Interrogés  par  la  science,  les  continents 
et  les  montagnes,  comme  autant  de  chronomètres 
naturels,  lui  révèlent  et  leurs  âges  divers  et  leurs  an- 
tiques convulsions.  Et  leurs  couches  fossilifères,  ces 
véritables  catacombes  antédiluviennes,  lui  démontrent 
qu'ainsi  que  l'a  dit  M.  Pictet,  cette  Théorie  des  créa- 
tions successives  est  la  seule  possible  {\) '^  aussi  compte- 
t-elle,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  parmi  ses  parti- 
sans presque  toutes  les  illustrations  scientifiques  :  les 
BufTon,  les  Cuvier,  les  Brongniart,  les  Bremser,  les 
Élie  de  Beaumont,  les  Buckland,  les  Al.  d'Orbigny, 
les  Ch.  d'Orbigny,  les  Huot,  les  Pictet,  les  de  Hum- 
boldt,  etc.  (2). 

Si  cette  suprême  progression  des  êtres  organisés 
est  le  résultat  d'une  loi  universelle,  comme  l'admet 
M.  Pictet,  et  comme  tout  le  révèle  ostensiblement 
dans  la  création  (3),  l'introduction  de  quelques  nou- 

(1)  PiCTETj  Traité  de  Paléontologie  ou  Histoire  naturelle  des  ani- 
maux fossiles,  2^  édition.  Paris^  1853,  1. 1,  p.  9. 

(2)  BuFFON,  Époques  de  la  nature,  Hist.  nat.  Deux-Ponls,  1785, 
t.  XII. —  G.  CuYiER,  Discours  sur  les  révolutions  du  globe.  Paris, 
1821. — Brongniart,  Ta6^eait  des  terrains  qui  composent  Vécorce 
du  globe.  Paris,  1829.  —  Eue  de  Beaumont,  Système  de  monta- 
gnes, Dict.  univ.  d'hist.  nat.,  t.  XII,  p.  168.  —  Bremser,  Traité 
zoologique  ou  physiologique  sur  les  vers  intestinaux.  Paris,  1824. 
—  Buckland,  La  géologie  et  la  minéralogie  dans  leurs  rapports  avec 
la  théologie  naturelle.  Paris,  1838.  —  Al.  d'Orbigny,  Cours  de  pa- 
léontologie.  — Ch.  d'0f5Bigny,  Géologie  appliquée  aux  arts.  Paris, 
1851,  p.  81.  —  Huot,  Nouveau  cours  de  géologie.  Paris,  1839,  t.  II, 
p.  73.  —Pictet,  Traité  de  paléontologie,  histoire  naturelle  des 
animaux  fossiles.  2^  édition.  Paris,  1853, 1. 1,  p.  58.— DeHumboldt, 
Cosmos.  Paris,  1 855,  1. 1,  p.  3 1 2 . 

(3)  Pictet,  Histoire  naturelle  des  animaux  fossiles.  Paris,  1853^ 
t.  l,p.  75. 


DE    L  IMMUTABILITE    DES    ÊTRES.  509 

velles  espèces  durant  Tépoque  actuelle,  ainsi  qu'on  l'a 
fait  observer,  n'a  absolument  rien  qui  puisse  éton- 
ner (1). 

Ainsi  donc,  il  ne  peut  y  avoir  de  doutes  :  à  l'unani- 
mité, les  zoologistes  et  les  paléontologistes  ont  proclamé 
que  chaque  période  géologique  du  globe  avait  possédé 
sa  faune  caractéristique,  et  que  l'immutabilité  des  es- 
pèces rendait  évidente  leur  création  successive.  Mais 
il  est  certain  aussi  que  si  ces  espèces  ne  se  sont  point 
métamorphosées  pour  subvenir  à  l'infinie  variété  de  la 
nature,  durant  chacune  des  phases  qu'elles  traversent, 
elles  peuvent  subir  quelques  modifications  assez  pro- 
fondes pour  être  rendues  méconnaissables  au  premier 
aspect  (2). 

C'est  ce  qu'a  pensé  M.  ï.  Geoffroy  Saint-Hilaire,  qui 
a  développé  toutes  les  conséquences  de  ce  fait  sous  le 
nom  de  Théorie  de  la  variabilité  limitée  de  Ves- 
pèce{3). 

Cette  variabilité  est  très -bien  démontrée  par  l'exis- 
tence des  races  parmi  les  mêmes  espèces;  mais  elle 
n'a  pas  paru  suffisante  aux  paléontologistes,  comme 


(i)  Vestiges  ofthenatural  history  of  création,  par  un  anonyme. 
Londres,  1853. 

(2)  La  nature  de  cet  ouvrage  ne  nous  permettant  pas  de  nous 
étendre  longuement  sur  Tespèce,  nous  renverrons,  à  cet  égard,  à 
l'Histoire  naturelle  générale  des  règnes  organiques  de  M.  Isidore 
Geoffroy  Saint-Hilaire ,  où  il  a  traité  la  question  avec  une  im- 
mense supériorité.  (Tome  H,  ch.  vi.) 

(3)  L  Geoffroy  SAl^T-HlLAlRE,  Histoire  générale  et  particulière  des 
anomalies.  Paris,  1832,  t.  L  —  Essais  de  Zoologie  générale.  Paris, 
i84i.  — Histoire  naturelle  générale  des  règnes  organiques.  Paris, 
1859,  t.  II,  p.  430. 


510  HÉTÉROGÉNIE. 

nous  l'avons  VU,  pour  expliquer  la  filiation  des  espèces 
antédiluviennes  (1). 

Les  espèces  ont  une  existence  réelle  dans  la  na- 
ture, dit  Lyell,  et  chacune  d'elles,  au  moment  où 
elle  fut  créée,  fut  douée  des  attributs  organiques  qui 
la  distinguent  encore  aujourd'hui  (2).  Mais  durant 
chacune  des  phases  de  l'existence  de  la  terre,  les 
espèces  produites  d'abord  à  sa  surface,  par  le  roule- 
ment des  siècles,  se  modifient  parfois  un  peu  elles- 
mêmes  successivement.  Malgré  l'immense  tendance 
que  les  naturalistes  avaient  de  proclamer  l'éternité  des 
types  pour  donner  à  la  science  toute  sa  stabilité,  il  a 
fallu  y  renoncer. 

Cependant,  Cuvier,  Duméril,  deBlainville,Hollard, 
et  Straus  ont  soutenu  l'hypothèse  de  l'éternité  de  l'es- 
pèce, dans  la  création  actuelle  (3).  Les  descriptions 
d'Aristote,  qui  se  rapportent  encore  aux  types  que 
nous  rencontrons  aujourd'hui,  et  l'identité  des  restes 
d'animaux  conservés  dans  les  catacombes  de  l'Egypte, 
avec  les  espèces  contemporaines,  leur  ont'paru  de 
plausibles  arguments  en  faveur  de  leur  opinion  (4), 

(1)  Compulsez  les  opinions  de  Buckland,Cuviei',  A.  d'Orbigny, 
Pictel,  émises  plus  haui. 

(2)  Lyell,  Principles  of  Geology. 

(3)  CvxiER,  Tableau  élémentaire  de  l'histoire  générale.  Paris,  1798, 
p.  11.  —  Règne  animal.  Paris,  1829,  t.  l.  — Duméril,  Iclithyologie 
analytique  (Acad.  des  se,  1856). —  Duméiul  et  Bibron,  Erpétholo- 
gie  générale.  POiVis^  1834.  —  De  Blainville  et  Maupied,  Histoire  des 
sciences  de  l'organisation.  Paris,  1845,  t.  I,  p.  464.  —  Hollard, 
Nouveaux  éléments  de  zoologie.  Paris,  1838,  ^;^frot/.,  p.  28. — 
Straus,  Théologie  de  la  nature.  Paiis,  1852,  t.  II,  p.  342. 

(4)  Les  opinions  de  Linné  et  de  Buffon  ayant  singulièrement 
varié  sur  ce  sujet,  nous  ne  les  faisons  point  entrer  dans  la  dis- 


DE    l'immutabilité    DES    ÊTRES.  5H 

L'art  antique  semble  lui-même  corroborer  les  as- 
sertions favorables  à  la  fixité  des  espèces.  Lu  peinture 
et  la  statuaire  nous  ont  conservé  beaucoup  de  figures 
d'animaux  et  de  plantes,  qui  remontent  aux  temps  les 
plus  reculés;  et  celles-ci,  en  reproduisant  avec  une 
admirable  fidélité  un  grand  nombre  d'êtres  qui  vivent 
encore  actuellement,  nous  indiquent  que  les  siècles 
n'ont  apporté  aucun  changement  à  leur  forme  et  à 
leur  coloration. 

On  peut  vérifier  cette  assertion,  soit  sur  les  monu- 
ments de  l'Italie  et  de  la  Grèce,  soit  sur  ceux  de  l'E- 
gypte et  de  l'Assyrie,  soit  enfin  dans  les  œuvres  de 
Montfaucon,  de  De  Cboiseul,  de  0.  Muller  et  de Creuzer 
où  se  trouvent  figurés  tant  d'animaux  d'après  les  mo- 
numents de  Rome  et  d'Athènes  (1);  ou  dans  celles 
de  Jomard,  Denon,  Champollion,  Passalacqua,  Sa- 
vigny  et  de  Blainville  où  il  existe  tant  de  spécimens  de 

cussion.  Linné  pi'ofessa  d'abord  la  fixité  des  espèces.  [Systema 
naturœ,  1775.  Fundamenta  botanica,  1730.  Oratio  de  telluris  ha- 
bitabilis  incremento,  1743.  Philosophia  botanica,  1751.)  Plus  tard, 
il  considéra  celles-ci  comme  variables.  (  Generaf/o  ambigena , 
thèse  de  Ramstroem.  Upsal,  1759.  Amœnitates,  édit.  d'Erlang, 
1789.  —  Biitïbn,  au  commencement  de  sa  carrière,  admit  aussi 
rinvariabilité  des  espèces  {Histoire  naturdley  1756,  t.  VI,  p.  55), 
et  plus  lard  professa  la  mutabililé  {Époques  de  la  nature,  1778, 
Suppl.,  t.  V,  p.  27).  —  Compulsez  sur  ce  sujet  E.  Gkoffroy  Saint- 
HiLAiRE,  Buffo7i,  Études  sur  sa  vie  et  ses  ouvrages,  édit.  de  Buffon, 
1837.  —  Flourens,  Buffon,  Histoire  de  ses  travaux  et  de  ses  idées. 
Paris,  1844.  —  I.  Geoffroy  Saint-Hilaip.e  ,  Histoire  naturelle  gé- 
nérale des  règnes  organiques.  Paris,  1859,  1. 11,  p.  385. 

(1)  Montfaucon,  L'antiquité  expliquée  et  représentée  en  figures. 
Paris,  1719.  — De  Choiseul,  Voyage  pittoresque  de  Grèce.  Paris, 
1826.  —0.  xMuLLhR,  JlJanuel  d'archéologie.  Paris,  IBM,  allas.  — 
Creuzer,  Religions  de  l'antiquité.  Paris,  1829,  allas. 


S12  HETEROGENIE. 

zoologie  reproduits  d'après  les  bas-reliefs  ou  les  pein- 
tures des  temples  et  des  palais  de  l'Egypte  et  de  la 
Nubie  ;  ou  enfin  dans  celles  de  Layardou  deBonomi 
consacrées  à  l'histoire  de  l'art  assyrien  (1). 

La  fidélité  avec  laquelle  l'art  ancien  a  reproduit 
divers  animaux  ne  permet  même  pas  d'erreur.  Dans 
quelques  cas,  l'iconographie  moderne  ne  surpasse  pas 
les  productions  des  artistes  de  l'antiquité.  Sur  une  pein- 
ture de  Pompéi,  j'ai  reconnu  deux  ibis  sacrés  qui  y 
sont  représentés  avec  une  admirable  fidélité;  j'ai  vu 
des  hippopotames  et  des  lotus  exécutés  avec  la  même 
recherche,  sur  une  grande  mosaïque  découverte  ré- 
cemment dans  la  même  ville.  L'art  égyptien,  qui  en 
reproduisant  le  type  humain  se  trouvait  subordonné 
aux  traditions  sacerdotales,  au  contraire,  a  souvent 
exécuté  des  animaux  avec  une  rare  perfection.  J'en 
ai  rencontré  d'admirables  peintures  dans  les  palais 
de  la  haute  Egypte,  et  surtout  dans  ses  hypogées  et  ses 
temples  souterrains.  Dans  l'un  de  ces  derniers,  je  dois 
noter  principalement  deux  belles  peintures  représen- 
tant des  hippopotames,  animaux  que  les  antiquaires 
avaient  dit  n'avoir  jamais  été  représentés  dans  les  mo- 
numents qui  se  trouvent  vers  le  cours  inférieur  du 

(i)  JoMARD,  Recueil  d'observations  et  mémoires  sur  VÉgypte. 
Paris,  1823,  —  Denon,  Voyage  dans  la  haute  et  basse  É gypte  pen- 
dant les  campagnes  du  général  Bonaparte.  Paris,  1802.  — Cham- 
POLLÏON  jeune.  Panthéon  égyptien.  Paris,  1823.  —  Champollion 
(Figeac),  Egypte  ancienne.  Paris,  1839.  —  Passalacqua,  Catalogue 
raisonné  des  antiquités  égyptiennes.  Paris,  1818.  — Savigny,  His- 
toire naturelle  et  mythologique  de  Vibis.  Paris,  1805. —  De  Blain- 
viLLE,  Ostéographie.  Paris,  1844.  —  Layard.  —  J.  Bonomi,  Ni- 
neveh  and  Us  Palaces.  London,  1852. 


DE    l'immutabilité    DES    ÊTRES.  513 

Nil.  J'ai  vu  aussi  ailleurs  des  singes,  des  vautours,  rap- 
pelant nos  espèces  actuelles  ;  j'ai  extrait  de  divers  mo- 
numents des  ossements  de  celles-ci,  qui  leur  sont 
absolument  identiques. 

Mais  tous  ces  faits  constatent  simplement  qu'à 
l'état  sauvage,  l'espèce  conserve  très-longtemps  les 
caractères  qu'elle  possède  à  une  époque,  ujais  nulle- 
ment qu'elle  se  perpétue  indéfiniment  et  invariable- 
ment avec  les  mômes  caractères  (1).  La  durée  de  nos 
observations  n'est  presque  qu'un  point  en  comparai- 
son de  l'ancienneté  du  globe  ;  et  malgré  notre  orgueil 
nous  ne  pouvons  étreindre  qu'une  poignée  de  siècles! 

Cependant,  la  mutabilité  de  plusieurs  espèces  d'ani- 
maux s'exerce  ostensiblement  aujourd  hui.  On  l'ob- 
serve sur  quelques  mammifères,  mais  elle  est  surtout 
tranchée  à  l'égard  de  certains  oiseaux,  dont  le  plumage 
ne  se  ressemble  pour  ainsi  dire  jamais  (2).  Dans  la 
classe  des  mollusques  il  y  a  même  des  genres  dans 
lesquels  les  variétés  spécifiques  sont  telles  que  leur 
délimitation  fait  le  désespoir  des  nomenclateurs  (3). 
Et,  je  l'ai  déjà  dit,  je  ne  rencontre  pas  deux  généra- 

(1)  Qui  ne  sait  qu'en  changeant  de  climat  les  espèces  se  trans- 
forment énormément?  iNotre  écureuil  devient  un  pelit-gris  dans 
le  Nord. 

(2)  Le  Chevalier  combattant  en  offre  un  frappant  exemple.  II 
en  existe  une  cinquantaine  d'individus  au  muséum  d'histoire 
naturelle  de  Rouen, et  pas  un  ne  ressertibie  à  l'autre.  On  en  pour- 
rait dire  autant  du  Buleo  mutans ,  Yieill.  Cet  étabhsstment  en 
possède  vingt  individus,  se  dégradant  en  coloration  depuis  le 
fauve  noir  jusqu'au  blanc  roussàtre. 

(3)  Le  genre  Muletle  est  presque  ini  chaos  inextricable.  Il  en 
est  de  même  du  genre  ÎSérite.  La  Nerita  virginea  a  été  décrite 
sous  vingt  noms  divers,  etc. 

POUCHET.  *  3  3 


514  HÉTÉROGÉNIE. 

lions   de  Microzoaires  qui  se  ressemblent  absolu- 
ment. 

Mais  si  quelques  êtres  mettent  en  évidence  la  puis- 
sance d'action  de  la  nature  sur  l'espèce,  ce  sont  assu- 
rément les  végétaux.  L'animal,  ordinairement  doué 
d'une  certaine  faculté  locomotrice,  fuit  l'endroit  où 
sa  vie  est  entravée;  mais  la  plante  attachée  au  sol  est 
forcéed'en  subir  l'influence,  et  l'hybridité  vient  encore 
pour  elle  augmenter  la  variété  des  formes  et  de  la  co- 
oration  ;  aussi,  peut-on  dire  que  certains  genres  du 
règne  végétal  sont  absolument  inextricables  (1). 

Sous  la  pression  de  tant  d'influences,  l'espèce,  dans 
le  règne  végétal,  est  devenue  tellement  indécise,  telle- 
ment insaisissable,  qu'Adansona  pu  dire,  avec  raison, 
que  c  était  un  champ  dans  lequel  chacun  errait  à  vo- 
lonté {2)  ,  et  que  Mirbel  n'a  pas  craint  d'avancer  que 
toutes  les  espèces  de  Saules  admises  par  les  botanistes, 
n'étaient  peut-être  que  la  descendance  d'une  seule  et 
même  espèce.  Marquis  et  Poiret  s'élèvent  aussi  contre 
la  fixité  de  l'espèce  (3). 

Les  caractères  de  la  plus  mince  valeur  ont  parfois 
suffi  aux  botanistes  pour  instituer  d'inutiles  espèces. 
La  couleur  de  la  fleur,  dont  Linnée  avait  fait  ressortir 
l'incertitude,  est  venue  elle-même  les  égarer  (4) .  En 

(1)  Tels  sont  lesrumex,  les  hrassica,  les  veronica,  les  rosa,  les 
potentilla,  les  verbascum,  les  senecio,  les  géranium,  etc. 

(2)  Adanson,  Familles  des  plantes.  Paris,  4763,  préface. 

(3)  PoiRET,  Leçons  de  Flore.  Paris,  1819,  p.  251.  — Marquis, 
Fragments  de  philosophie  botanique,  Paris,  1821. 

(4)  Linnée,  Philosophie  botanique,  p.  22Q.  Nimium  ne  crede 
colori. 


DE    l'immutabilité    DES    ÊTRES.  515 

vain  le  professeur  d'Upsal  avail-il  critiqué  Tourne- 
fort  d'avoir  formé  quatre-vingt-seize  espèces  de  tulipes 
avec  une  seule,  en  consultant  uniquement  les  teintes  du 
périanthe  (1).  En  vain  Pallasnous  avait-il  raconté  les 
mutations  de  coloration  qu'éprouvaient  quelques  ané-- 
mones  des  bords  du  Volga.  En  vain,  aussi,  M.  Moquin- 
Tandon  nous  a-t-il  appris  que  quelques  gentianes 
subissent  d'importantes  modifications  de  coloration» 
selon  qu'elles  croissent  dans  les  montagnes  ou 
dans  les  plaines  (2).  On  ne  s'est  pas  moins  égaré  en 
créant  d'éphémères  espèces  sur  de  futiles  variétés 
de  coloration. 

Et  si,  sous  l'influence  de  circonstances  particulières, 
l'espèce  subit  de  si  profondes  transformations,  y  a-t-il 
donc  de  là  si  loin  à  l'existence  de  Thétérogénie  ?  Si 
les  circonstances,  eh  dominant  l'individualité,  ont  pu 
la  modifier  au  point  de  la  rendre  absolument  mécon- 
naissable dans  sa  descendance,  n'est-ce  pas  là  une, 
subslitution  organique  lente  et  graduelle  ;  successive 
dans  ses  phases,  mais  constituant  à  la  fin  de  ses 
métamorphoses,  une  création  tout  à  fait  hétérogène? 
Et  si,  sous  nos  yeux,  il  se  forme  ainsi  des  individus 
nouveaux,  n'est-il  pas  réellement  évident  qu'il  peut 
également  s'en  créer  ailleurs  de  toutes  pièces? 

Mais  quand  tout  nous  atteste  cette  succession  des 
créations,  acceptée  aujourd'hui  comme  une  vérité 
fondamentale,  on  se  demande  :  pourquoi  notre  époque 
ne  voit-elle  rien  surgir  de  comparable  aux  primitives 


{\)  LiNNÉE,  Critica  botanica,  p.  155 

(2)  Moquin-Tandon,  Éléments  de  tératologie  végétale.  Paris. 


516  HÉTÉROGÉNIE. 

conceptions  du  globe?  Si  notre  planète  ne  voit  rien  ap- 
paraître actuellement  qui  rappelle  ces  grandes  et  nom- 
breuses races  d'animaux  qui  la  peuplèrent  autrefois, 
cela  s'explique  suffisamment.  Les  siècles  ont  énervé 
cette  force  plastique  et  cette  exubérance  vitale  qu'on 
observait  lorsque  la  terre  avait  plus  de  jeunesse,  et 
c'est  à  son  incessante  fécondité  qu'elle  doit  peut-être 
l'épuisement  qu'elle  éprouve  !  Les  mers  épurées  ne 
déposent  plus  de  nouveaux  continents  ;  et  les  cata- 
clvsmcs,  en  cessant  de  rendre  au  néant  d'immenses 
légions  d'êtres  organisés,  ont  tari  l'élément  fonda- 
mental des  grandes  forces  organisatrices;   tout   est 
presque  dans  l'inertie,   et  les  matériaux  disponibles 
se  trouvent  totalement  dépensés  au  profit  des  repro- 
ductions normales.  Couvert  de  glace  dans  ses  régions 
polaires,  et  seulement  brûlant  sous  la  zone  équato- 
riale,  le  globe  semble  se  reposer  dans  le  calme  de  ses 
dernières  révolutions  et  être  arrivé  à  une  période  de 
stabilité.  Les  tropiques  seuls  nous  présentent  encore 
une  réminiscence  de  ses  antiques  magnificences,  par 
leur  luxuriante  végétation  et  la  richesse  de  leur  Faune. 
Et  la  force   plastique,  selon  Burdach  et  Bremser, 
ne  se  manifeste  plus  que  par  la  conservation  de  ce 
qu'elle  a  créé  et  qu'elle  laisse  se  reproduire  par  la  voie 
de  la  génération  normale.  Cependant,  il  ne  répugne 
point  à  la  raison,  dit  le  premier,  de  penser  qu'elle  a 
encore  la  puissance  de  produire  des  formes  inférieu- 
res avec  des  éléments  hétérogènes,  comme  elle  a  créé 
précédemment  tout  ce  qui  possède  l'organisation  (1). 

(1)  BuRDAca,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  I,  p.  U. 


APPARITION    DE    l'hOMME.  317 

Mais  ici  ce  n'est  point  la  dimension  des  produits 
qui  change  la  nature  du  phénomène,  car  au  point 
initial,  comme  le  dit  avec  raison  Georges  Pouchet, 
«  tout  anima!,  ses  instincts,  son  inlelligcnce compris, 
on  le  sait,  n'est  qu'une  cellule  qui  en  a  produit  d'au- 
tres; et  croire  à  la  génération  spontanée,  c'est  donc, 
dans  l'état  actuel  de  la  science,  admettre  qu'une  sim- 
ple cellule  douce  de  vie  indépendante  peut  se  former 
isolée  (1).  » 

Section  v.  —  apparition  de  l'homme. 

Ainsi  donc,  à  chaque  grande  extinction  qui  s'est 
manifestée  à  la  surface  du  globe,  a  succédé  une  géné- 
ration nouvelle;  puis,  l'homme  est  venu  terminer  la 
série  des  créations,  et  il  en  a  été,  évidemment,  le  chef- 
d'œuvre  et  la  plus  sublime  conception. 

Son  apparition  est  assez  récente.  Quelques  natura- 
listes théologiens  ont  fait  d'inutiles  tentatives  pour 
retrouver  des  vestiges  humains  dans  les  anciennes 
couches  du  globe.  Schcuchzer  rendit  célèbre  un 
fossile  qu'il  intitula  îlomo  diluvii  lestis  (homme  té- 
moin du  déluge)  (2).  Mais  la  moindre  inspection  fît 
reconnaître  à  Cuvier  que  l'ancien  contemporain  de 
Noé,  rencontré  par  le  naturaliste  suisse  dans  les  car- 
rières d'OEningen,  n'était  autre  chose  que  le  sque- 
lette d'une  Salamandre  gigantesque  (3).  Scheuchzer  ne 

(1)  Georges  Pouchet,  De  la  pluralité  des  races  humaines.  Paris, 
1858,  p.  174. 

(2)  ScHEocHZER,  Physica  sacra  icombus  illustrafa.  Zurich,  1721. 

(3)  Cuvier,  Discours  préliminaire  sur  les  fossiles,  t.  I,  p.  85,  et 
Jnnal.  du  Muséum,  cah.  78,  p  411.  —  Kielmeycr,  avant  le  zoo- 
logiste français,  avait  déjà  émis  celte  opinion. 


518  HÉTÉROGÉNIE. 

fut  pas  mieux  inspiré  à  l'égard  de  quelques  vertèbres 
qu'il  trouva  dans  un  gibet  près  d'Allorf  (1).  Plus 
orthodoxe  que  versé  dans  l'anatomie,  il  avait  pris, 
ainsi  que  le  démontra  Cuvier,  des  vertèbres  d'Ich- 
thyosaures  pour  des  vertèbres  d'homme  (2). 

On  ne  fut  guère  plus  heureux,  soit  à  l'égard  des 
squelettes  humains  trouvés  dans  les  brèches  de  la 
Guadeloupe  (3),  soit  à  l'égard  des  ossements  humains 
rencontrés  dans  les  cavernes  (4).  Les  travaux  de 
Kœnig,  de  Cuvier,  de  Buckland  et  de  Desnoyers  (5)  ont 
démontré  que  ceux  qui  avaient  cru  avoir  découvert 
des  vestiges  d'hommes  fossiles,  se  sont,  jusqu'à  ce  jour, 
égarés. 

Deluc  et  Dolomieu,  dans  ces  derniers  temps,  ont  en 
effet  soutenu  que  l'espèce  liumaine  n'est  apparue  à 
la  surface  de  la  terre  que  depuis  un  petit  nombre  de 
siècles,  et  bien  postérieurement  aux  autres  animaux. 
Le  dernier  de  ces  géologues  prétendait  qu'il  n'y  avait 

(1)  ScHEucHZER,  Piscium  quevelcB,  où  ces  vertèbres  ont  été  gra- 
vées. Tiguri,  1708. 

(2)  Cuvier,  Recherches  sur  les  ossements  fossiles.  Paris,  1851. 

(3)  Delamétherie,  Leçons  de  géologie.  Paris,  1818,  t.  11,  p.  341, 
et  Journal  de  physique,  t.  LXXIX,  p.  196. 

(4)  ScHMERLiNG,  RechcKches  sur  les  ossements  fossiles  de  la  pro- 
vince de  Liège,  1825. —  De  Christol,  Note  sur  les  ossements  fossiles 
des  cavernes  du  département  du  Gard.  Montpellier,  1829. 

(5)  Kœnig,  Mémoire  sur  un  squelette  humain  de  la  Guadeloupe 
(Trans.  phil.,  1814). —  Cuvier,  Discours  sur  les  révolutions  du 
globe.  Paris,  1851.  —  Buckland,  Reliquiœ  diluvianœ.  Londres, 
1823.  Account  of  an  assemblage  of  fossil  and  bones  discovered  in 
thecave  of  Kirkdale  (Trans.  phil.,  1821). —  Desnoyers,  art.  Grotte. 
Dict,  univ .  d'hist.  nat.  Paris,  1846.  Comp.  aussi  Journal  de  phy- 
sique et  d'histoire  naturelle.  Paris,  1814,  p.  196.  —  Bulletin  de  la 
Société  phUomatique.V Ans j  J8I4,  p.  149. 


APPARITION    DE    l'hOMME.  519 

peut-être  pas  dix  mille  ans  que  l'homme  existait  (1). 
Cuvier  lui  accorda  un  peu  moins  d'ancienneté  (2), 
tandis  que  quelques  savants  étrangers,  comme  nous 
l'avons  dit  plus  haut ,  en  font  remonter  l'origine 
beaucoup  au  delà  (3). 

Un  des  plus  audacieux  penseurs  de  l'Allemagne,  le 
savant  Bremser,  a  esquissé  de  la  manière  suivante  l'ac- 
tion simultanée  de  la  vie  et  de  la  matière,  pendant  les 
diverses  phases  que  le  globe  a  traversées.  En  fouillant 
jusque  dans  l'inconnu  du  chaos,  il  n'y  voit  qu'une 
masse  fluide  et  amorphe,  vivifiée  par  ce  qu'il  appelle 
V esprit  vivant  (4).  Ce  savant,  comme  le  fit  aussi  Voigt, 
presque  en  même  temps  que  lui,  désigne  ainsi  l'agent 
universel  qui  préside  à  tous  les  actes  d'organisation 
et  de  vie,  qui  se  manifestent  à  la  surface  du  globe  (5). 
Ce  simple  moteur  des  phénomènes  biologiques  géné- 
raux et  particuliers,  n'a  donc  nulle  analogie  avec  ce 
que  divers  philosophes  anciens  appelaient  l'âme  du 
monde  ;  ni  avec  ces  émanations  de  la  suprême  intel- 
ligence que  quelques  Pères  de  l'Éghse,  plus  audacieux 

{])  DoLOMiEU,  Journal  de  physique ,  t.  XXXIX,  p.  404,  et  t.  XL, 
p.  43. 

(2)  Cuvier,  Discours  sur  les  révolutions  du  globe.  Paris,  1851. 

(3)  G.  MoRTON,  Tijpes  of  maiikind.  Philadelphie,  1854,  p. 271. — 
Lyell,  Second  visit  to  the  United  States,  part.  Il,  p.  188. —  Bennet- 
DowLER,  Tableaux  of  New-Odeans,  1852. 

(4)  Le  système  géologique  des  Phéniciens,  que  nous  connais- 
sons seulement  par  quelques  citations  d'Eusèbe,  se  rapproche  de 
celui  de  Bremser.  Dans  le  commencement,  in  principio  rerum, 
selon  eux,  tout  était  humide.  L'esprit  uni  à  la  matière'  produisit 
Moth,  ce  que  Ton  croit  être  le  limon.  (Eusèbe,  Préparation  évan- 
gélique,  1. 1,  ch.  x.) 

(5)  VoiGT,  Éléments  d'histoire  naturelle,  1817. 


520  IIÉTÉROGÉME. 

que  nous  n'oserions  l'être,  plaçaient  dans  les  globes 
de  notre  système  planétaire  (1).  Enfin,  il  n'y  a  aussi 
là  rien  d'analogue  à  cette  incommensurable  puissance 
vitale,  que  prêtaient  à  la  terre  ceux  qui ,  comme  Kepler, 
ne  la  considéraient  que  comme  un  immense  organisme 
vivant  (2). 

Bremser  s'explique  du  reste  très-catégoriquement  à 
ce  sujet:  «  Par  cet  esprit,  dit-il,  je  n'entends  autre 
«  chose  que  ce  que  l'on  pourrait  appeler  également  la 
«  vie,  la  force  vitale;  en  un  mot  la  cause  primitive  de 
«  la  vie  en  général,  de  laquelle  tous  les  mondes,  lors 
«  de  la  création,  ont  été  doués,  ou  plutôt  animalisés 
«  par  l'Être  des  êtres,  par  Dieu  le  créateur  (3).  »  Ceci 
posé,  on  s'aperçoit  qu'il  considère  la  matière  et  la  force 
vitale  comme  étant  livrées  à  un  incessant  antagonisme, 
durant  lequel  la  dernière  tend  constamment  à  réagir, 
à  dominer  l'antre  et  à  la  coercer,  pour  en  former  des 
êtres  indépendants,  des  organismes  isolés  dansl'espace. 

L'union  intime  de  la  matière  et  de  l'esprit  vital 
subsista,  selon  lui,  jusqu'au  moment  où,  en  se  cristal- 
lisant, les  terrains  formèrent  le  noyau  du  sphéroïde 
terrestre.  Mais  après  cette  première  et  immense  pré- 
cipitation ,  l'agent  organisateur,  délivré  des  atomes 
matériels  auxquels  il  était  enchaîné,  commença  désor- 
mais à  exercer  sa  toute- puissance,  et  à  dominer  cer-. 
taines  portions  de  la  matière,  pour  en  créer  des  êtres 
isolés  et  vivants.  Ce  fut  alors  que  se  manifesta,  à  la 
surface  du  globe,  le  premier  acte  de  la  vie,  dont  nous 

(1)  SaiiNT  Thomas,  Tract,  de  indulgentiâ. 

(2)  Kepler,  De  steltâ  Martis. 

(3)  BremseRj  p.  67. 


APPARITION    DE    l'hOMME.  521 

retrouvons  les  vesligcs  dans  les  terrains  de  transilion. 
C'est  là,  en  ctîet,  que  l'on  rencontre,  pour  la  preaiière 
fois,  des  traces  de  plantes  et  d'animaux,  qui,  presque 
tous,  comme  des  créatures  d'essai,  appartiennent  aux 
types  inférieurs  (1). 

Aux  premières  révolutions  du  globe  en  succédèrent 
d'autres;  et  à  chacune  d'elles,  on  vit  se  former  une 
nouvelle  préci})ita(ionde  la  matière  ;  puis  une  nouvelle 
création  vint  animer  la  surface  de  la  terre.  Et  lors  de 
chacune  d'elles,  aussi,  l'organisme  suivit  une  marche 
progressive,  dans  laquelle  on  n'observe  que  de  rares  dé- 
viations. En  quelques  lignes,  un  de  nos  plus  illustres 
écrivains,  M.  Michelet,  a  apprécié  ce  fait  avec  la  lucidité 
du  génie:  «  La  nature,  dit-il,  n'a  pas  marché  avec 
l'ordre  d'un  flot  continu,  mais  avec  des  détours,  des 
reculs  sur  elle-même,  qui  lui  permettaient  de  s'har- 
moniser ('2).  » 

Celle  marche  ascendante  n'apparaîtrait  pas,  suivant 
Bremser,  comme  un  phénomène  insolite,  éphémère, 
mais  au  contraire  comme  une  loi  stable,  décrétée  par  la 
sagesse  providentielle.  C'est  celle-ci  qui  a  tracé  les  dif- 
férenls  degrés  de  tension  que  devait  présenter  l'esprit 
à  mesure  que  sa  prééminence  s'établissait;  c'est  elle 
aussi  qui  a  voulu  que  dans  les  plus  infimes  animaux, 
ce  régulateur  de  toute  organisation  dépassât  à  peine 
le  niveau  de  la  sensibilité  organique,  tandis  que  dans 
l'homme,  il  atteint  la  sublimité  du  génie. 

(1)  Fucoides,  calamités,  cyclopteris,  etc.;  caryoptiyllia,  asirea, 
madrepKia,  ogygia,  calymcne,  produclus,  spuifer,  Icrebra- 
lula,  etc. 

(2)  Michelet,  l'Insecte.  Paris,  1838,  p.  128. 


522  HÉTÉRO  GÉNIE. 

Les  dernières  périodes  géologiques  commencent  à 
nous  montrer  cette  tendance  manifeste  qu'a  l'intellect 
à  prédominer  la  matière  ;  aussi  voyons-nous  déjà  y 
apparaître  les  animaux  qui  se  rapprochent  le  plus  de 
l'espèce  humaine  (1).  Puis  l'homme  se  montre  enfin, 
comme  la  manifestation  vivante  du  dernier  effort  de 
l'esprit  contre  la  prééminence  de  la  matière,  mais  cet 
effort  suprême  n'a  encore  abouti  qu'à  équilibrer  les 
deux  puissances  opposées. 

Ainsi  s'est  manifestée  la  loi  de  balancement  de  l'in- 
telligence et  de  la  matière.  Cependant,  à  peine  cet 
antagonisme  est-il  établi,  que  tout  révèle  déjà  la  ten- 
dance dora-inatrice  que  l'esprit  humain  exerce  sur  la 
nature.  L'homme,  doué  du  noble  sentiment  de  sa  puis- 
sance, s'en  assimile  successivement  toutes  les  forces 
productives.  Et,  en  le  voyant  partout  étendre  le  ré- 
seau de  sa  civilisation,  à  la  fois  vivifiante  et  destruc- 
tive, on  se  demande  si  l'on  ne  peut  pas  déjà  supputer, 
dans  les  siècles  à  venir,  quel  sera  l'instant  lugubre 
où  le  dominateur,  lui-même,  assistera  à  l'épuisement 
du  globe  et  aux  scènes  finales  de  la  création  ! 

Dans  cette  succession  d'organismes,  qui  apparais- 
sent et  s'éteignent  à  chaque  révolution  tellurique^nous 
voyons  constamment  progresser  la  suprématie  intel- 
lectuelle ;  et  si,  d'après  une  immense  échelle  d'obser- 
vations, on  reconnaît  que  l'esprit  tend  constamment 
à  dominer  la  matière  et  à  atteindre,  chez  l'homme, 


(1)  Des  mâchoires  de  singes  fossiles,  découvertes  par  M.  Lartet 
dans  les  terrains  tertiaires  du  département  du  Gers,  ne  laissent  nul 
doute  à  ce  sujet. 


APPARITION    DE    l'hOMME.  523 

la  sublimité  du  génie,  nous  sommes  forcés  d'admettre 
à  priori  que  si  de  nouveaux  cataclysmes  doivent  un 
jour  retravailler  la  superficie  de  la  terre,  il  est  évident 
aussi  que  des  créatures  nouvelles  et  plus  perfectionnées 
viendront  en  animer  la  surface  !  Guidé  par  une  in- 
flexible logique,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  l'audacieux 
penseur  allemand  en  arrive  à  ces  conclusions  (1). 

Après  avoir  posé,  comme  une  loi  générale,  que  le 
développement  des  organismes  qui  surgissent  de  la 
matière  en  fermentation  était  en  raison  directe  de  la 
masse  de  celle-ci,  Bremser,  poursuivant  ses  témérités 
jusqu'à  l'extrême  limite,  compare  chaque  animal  à  une 
sorte  de  petit  monde,  régi  par  des  forces  biologiques 
indépendantes  du  grand  tout,  à  la  surface  duquel  il  vit. 
L'homme,  lui-même,  selon  ce  savant,  représente  l'un 
de  ces  microcosmes,  et  peut,  ainsi  que  les  autres  êtres, 
donner  naissance  à  des  organismes  dont  le  rang,  dans 
la  série  zoologique,  semble  déterminé  par  l'abondance 
de  substances  animalisées  que  recèlent  ses  divers 
appareils;  et,  ce  qui  frappe  l'observateur  le  moins 
attentif,  c'est  que  les  Entozoaires  qu'on  observe  chez 
lui,  deviennent  de  plus  en  plus  élevés,  à  mesure  qu'il 
avance  en  âge  (2). 

La  grande  idée  de  Bremser  s'applique  absolument 
à  la  succession  des  phénomènes  génésiques  des  animal- 
cules. Quand  on  suit  les  phases  diverses  de  l'apparition 
de  ceux-ci,  on  voit  que,  constamment,  des  générations 
de  plus  en  plus  hautement  organisées,  apparaissent  et 

(1)  Comp.  page  340. 

(2)  L'enfant  n'a  ordinairement  que  des  ascarides  et  des  oxyures; 
riîomme  nourrit  des  ténias  et  des  strongles. 


luJiLIBf^ARYjS 


52  i  HÉTÉRO  GÉNIE. 

se  détruisent  :  celle  qui  suit  ne  naît  qu'au  milieu  des  dé- 
bris de  celle  qui  l'a  précédée.  Toujours  ce  phénomène 
est  parfaitement  dessiné  :  à  une  phase  où  Tonne  dis- 
tingue que  les  plus  infimes  Monades,  en  succède  une 
autre  durant  laquelle  il  n'existe  que  des  Vibrions.  Puis, 
sur  les  vestiges  de  cette  dernière,  naissent  des  Kol- 
podes  ou  des  Kérones  ;  et  toujours  un  nouveau  cycle 
de  vie  succède  à  une  période  de  mort. 

Diodore  de  Sicile  a  émis  une  opinion  tout  à  fait 
semblable  à  celle  du  savant  Allemand.  Lors  de  son 
apparition,  selon  lui,  la  terre,  ayant  pris  de  la  consis- 
tance sous  l'influence  des  rayons  du  soleil,  se  souleva 
comme  une  matière  fermentescible,  et  l'on  en  vit  sortir 
des  types  de  tous  les  animaux.  Puis  les  circonstances 
ayant  changé,  ceux-ci  ne  se  propagèrent  désormais 
que  par  la  voie  de  la  génération  (1).  Euripide,  disci- 
ple du  physicien  Anaxagore,  a  eu  des  idées  analogues. 
Ainsi  le  ciel  et  la  terre,  dit-il,  étaient  confondus  dans 
une  masse  commune,  lorsqu'ils  furent  séparés  l'un  de 
l'autre.  Tout  prenait  vie  et  naissait  à  la  lumière  :  les 
arbres,  les  oiseaux,  les  animaux  que  la  terre  nourrit, 
et  le  genre  humain  (2).  » 

Résumé.  —  Dès  qu'il  est  démontré  que  les  frag- 
ments du  globe  ont  apparu  successivement,  et  que  des 
créations  nouvelles  se  succédèrent  à  leur  surface  avec 
les  époques  géologiques,  «  on  est  forcé,  comme  le  dit 
M.  Ch.  d'Orbigny,  pour  expliquer  cette  succession  de 
nouvellesFaunes  et  de  nouvelles  Flores,  à  mesure  que 
le  globe  vieillissait,  d'admettre,  avec  la  plupart  des 

(1)  Diodore  DE  Sicile,  Bibliot.  historique.  Paris,  1846,  t.  I,  p.  8. 

(2)  Euripide,  Ménalippe. 


APPARITION    DE    l'iIOMMK.  fi25 

géologues  contemporains,  l'hypollièse  des  créations  et 
des  destructions  alternatives  et  successives,  mani- 
feslalions  spontanées  émanant  d'une  suprême  puis- 
sance (1).  » 

(1)  Ch.  d'Orbigny,  Géologie  appliquée  aux  arts  c-t  à  l'agriculture. 
Paris,  185J,  p.  107. 


CHAPITRE   YJI 

PREUVES    HELMINTHOLOGIQUES. 

Les  vers  intestinaux  ne  peuvent  tirer  leur  origine 
que  de  trois  sources  :  ou  ils  sont  transmis  par  les  pa- 
rents; ou  ils  proviennent  du  dehors;  ou  enfin,  ils  sont 
le  produit  de  la  génération  spontanée  (1). 

(1)  Redi,  Osservazioni  intorno  agit  animali  viventi  che  si  trovano 
negli  animali  viventi.  Firenze,  1684. —  Bloch,  Abhandl.  von  d. 
Erzeugung  der  Eingeweidewurmer .  Berlin,  1782. —  Goeze,  Versuch 
einer  Naturgeschichte  der  Eingeweidewurmer  und  thierischer  Kôr- 
per.  Leipzig,  i787.  —  Vallisneki^  Considerazioni  ed  esperienze 
intorno  alla  generazione  de'  vermi  ordinari  del  corpo  umano.  Pa- 
dova,  1782,  —  Werner,  Vermiumintestinalium,etc,  brevis  expositio. 
Leipzig,  1782.  —  Retzius,  Lectiones  publicœ  de  Vermibus  intesti- 
nalibus.  Holm.,  1786. — Rudolphi,  Observ.  circa  vermes  intesti- 
nales. Gryphisw.,  1793. —  Entozoorum  sive  vermium  intestinalium 
historia  naturalis.  Amsterdam,  1808.  —  Entozoorum  synopsis. 
Berlin,  1819.  —  Treutler,  Observ.  pathol.  auct.  ad  Helmin- 
thologiam  corp.  humani.  Leipz.,  1793.  —  Olfers,  De  vegetativis 
et  animatis  corporibus  in  corporibus  animatis  reperiundis.  Ber- 
lin, 1816.  —  Fischer,  Brevis  entozoorum  seuverm.  intest.  ea?/)o- 
Si720.  Viennae,  1822.  —  Bremser,  Icônes  Helminthorum Systema  Ru- 
dolphi illustrantes.  Viennae,  1823.  —  Bremser,  Traité  zoologique  et 
physiologique  des  vers  intestinaux  de  lliomme.  Paris,  1824.  — 
JoERDENS ,  Entomologie  und  Helminthologie  des  mensch.  Kôrpers^ 
1801.  — LiDTH  DE  Jkiide^  Bccueil  des  figures  des  vers  intestinaux. 
Lyede,  1829.  —  J.  Cloquet,  Anatomie  des  vers  intestinaux.  Paris, 
1824.  —  Creplin,  Observ.  de  Entozois.  Gryphisw.,  1825. —  Schmalz, 
Tabulœ  anatomicœ  Entozoorum.  Dresde,  1831.  —  Leblond,  Maté- 


TRANSlMISSION    HÉRÉDITAIRE.  527 

SECTION    l'^".  —  HYPOTHÈSE   DE    LA   TRANSMISSION   HÉRÉDITAIRE. 

Cette  première  hypothèse  mérite  à  peine  de  nous 
arrêter,  tant  elle  est  inadmissible.  Cependant  elle  a 
été  opiniâtrement  soutenue  par  quelques  médecins  au 
nombre  desquels  on  compte  surtout  Brera  (1). 

Parmi  les  savants  qui  ont  supposé  que  les  vers  in- 
testinaux étaient  transmis  d'un  individu  à  l'autre  par 
la  voie  de  la  génération,  les  uns  prétendaient  qu'ils 
étaient  introduits  par  le  mâle,  au  moment  de  la  fécon- 
dation; d'autres,  par  la  femelle,  durant  le  développe- 
ment de  l'œuf  dans  son  sein  ;  enfin,  il  en  est  qui  ont 
soutenu  que  c'était  par  l'allaitement  que  cette  trans- 
mission s'opérait. 

Une  première  condition  que  sont  forcés  d'ad- 
mettre les  fauteurs  de  cette  hypothèse,  c'est  que  dès 
l'origine  de  la  création,  chaque  animal  a  dû  porter 
en  lui-même,  le  germe  de  toutes  les  espèces  de  vers 
qui  lui  sont  propres  (2).  Ainsi  donc,  l'homme  au  mo- 

riaux  pour  servir  à  l'hisfoire  des  Pilaires  et  des  Strongles.  Paris, 
183G.  — Mehlis,  Observ.  anat.  de  Distomate  kepatico  et  lanceolato. 
Golting.  182S. —  NoRDMA^N,  M'krogmphische  Beitrœge.  BerMn, 
1832.  —  Laennec,  Mémoires  de  la  Société  de  l'École  de  médecine. 
Paris,  1812,  in-4,  avec  pi. —  Dictionnaire  des  sciences  médicales. — 
Home,  Fhilosophical  Transactions,  1793.  —  J.  Van  der  Hoeven, 
Eandbook  ofzoology.Umdres,  l8o6,  t.  I.  —  Dujardin  ,  Histoire 
naturelle  des  helminthes.  Paris.  —  Van  Benedf.n,  Les  vers  cesfoïdes 
ou  acotyles.  Bruxelles,  1850.  — Mémoires  sur  les  vers  intestinaux, 
Paris,  1858,  in-4.  ~  Zoologie  médicale.  Paris,  1859. 

(1)  Brera,  Memorie  fisico-mediche  sopra  i  principali  vermi  del 
corpo  umano  vivente,  elc.  Crema,  1811. 

(2)  Ainsi,  par  exemple,  les  Hydalides,  les  Strongles  et  d'autres 
vers,  qui  sont  rares,  chemineraient  parfois  un  millier  d'années 


S28  HÉTÉROGÉNIE. 

ment  de  son  origine,  devait  posséder  déjà  une  tren- 
taine d'espèces  d'entozoaires  ;  le  renard,  le  putois, 
le  cochon,  le  bœuf,  le  hérisson,  le  lièvre  et  le  clieval 
huit  à  quinze;  la  cigogne,  la  pie,  le  vanneau,  le  cor- 
moran, sept  à  dix;  la  grenouille  verte,  dix;  le  silure, 
la  perche,  la  truite,  le  saumon  et  le  brochet,  de  sept 
à  dix. 

Puis,  il  faut  qu'ils  admettent  que  certains  En- 
tozoaircs,  avant  do  se  montrer,  restent  des  siècles  oc- 
cupés à  traverser  inutilement  une  succession  de  gé- 
nérations. 

D'ailleurs,  supposer  que  les  œufs  des  helminthes 
peuvent  être  lancés  dans  l'appareil  génital  de  la  femelle, 
mêlés  au  fluide  séminal,  c'est  vraiment  soutenir  une 
hypothèse  qu'il  est  puéril  de  combattre.  Ces  œufs 
offrant  souvent  un  diamètre  qui  dépasse  celui  des  ca- 
naux spermaliques,  si  réellement  ils  se  trouvaient 
dans  ceux-ci,  la  micrographie  les  y  découvrirait.  11  est 
beaucoup  d'animaux  chez  lesquels  les  testicules  ne  se 
développent  qu'au  moment  de  la  fécondation,  et  dans 
tout  l'intervalle  qui  sépare  ces  époques  l'une  de  l'autre, 
c'est-à-dire  pendant  la  majeure  partie  de  Tannée, 
ces  organes  sont  absolument  atrophiés  et  presque  in- 
trouvables. Dans  ces  cas  on  se  demande  ce  que  de- 
viendrait l'immense  magasin  d'entozoaires  que  le  mâle 


dans  notre  organisme,  et  traverseraient  inutilement  une  quaran- 
taine do  générations  avant  de  se  réveiller  de  leur  léthargie.  On 
pourrait  se  demander  aussi  à  quelle  époque  remontent  ces  vers 
qu'on  n'a  jamais  rencontrés  qu'une  seule  fois  sur  respèce  hu- 
maine, tels  que  l'Anmlaire  compiimé,  le  Polystorae  pinguicole 
et  rophiostome  de  Pontier. 


TRANSMISSION    HEREDITAIRE.  529 

doit  lancer  à  chaque  procréation?  Enfin,  achevons  en 
disant  qu'on  n'a  jamais  rencontré  un  seul  œuf  d'hel- 
minthes durant  les  millions  d'observations  qui  ont  été 
faites  sur  le  sperme. 

La  mère  ne  peut  nullement  non  plus  transmettre 
les  Entozoaires  à  son  fœtus. 

Pour  cela,  il  faudrait  qu'ils  fussent  absorbés  dans 
son  intestin  et  qu'ils  passassent  dans  l'appareil  circu- 
latoire; qu'ensuite  ils  fussent  absorbés  dans  le  placenta 
par  les  radicules  de  la  veine  ombilicale,  puis  qu'ils 
traversassent  l'appareil  circulatoire  du  fœtus  pour  être 
enfin  déposés  dans  l'intestin  de  celui-ci  par  une  sorte 
d'excrétion  spéciale!  mais  il  y  a  là,  absolue  impossi- 
bilité. L'absorption  ne  s'opère  que  par  endosmose  et  à 
travers  les  parois  des  vaisseaux  et  des  membranes;  et 
si  l'on  supposait  même  que  ces  corps,  qui  sont  de 
nature  à  ne  jamais  être  absorbés,  le  fussent  cependant, 
ils  seraient  trop  volumineux  pour  parcourir  le  système 
capillaire,  et  encore  plus  pour  en  sortir  et  aller  se 
répandre  dans  les  cavités  viscérales. 

Et  cependant  nous  verrons  plus  loin  que  l'on  ren- 
contre des  vers  intestinaux  sur  le  fœtus  humain,  comme 
sur  celui  des  animaux. 

Or,  si  comme  tous  les  physiologistes  en  convien- 
dront, sans  conteste,  la  mère  ne  peut  transmettre 
d'œufs  d'Entozoaires  au  fœtus,  il  est  évident  qu'il  ne 
peut  y  avoir  pour  ces  animaux  d'autre  origine  que  la 
génération  spontanée.  C'est  le  sentiment  de  Bremser, 
de  Burdach,  de  Bérard(l),  et  c'est  aussi  le  nôtre. 

(I)  Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique  sur  les  vers  in- 
testinaux de  l'homme.  Paris,  1824.  —  Burdach,  Traité  de  Physiolo- 

POUCHET.  3  4 


530  HÉTÉROGÉNIE. 

SECTION    II.  —  INTRODUCTION    DF.S   HfXMINTHES   PAR   l'alIMENTATION. 
HYPOTHÈSE    A^C1ENNE. 

Cette  hypothèse  a  surtout  été  soutenue  par  Pallas; 
et  il  l'a  fait  avec  une  suite  d'arguments  qui,  au  premier 
abord,  ne  paraissent  point  dépourvus  de  valeur  (I). 
Ce  naturah'ste  prétendit  que  les  Entozoaires  sont 
beaucoup  pkis  fréquents  sur  les  hommes  et  les  animaux 
qui  habitent  dans  les  grands  centres  dépopulation,  où 
Ton  fait  ordinairement  usage  de  réservoirs  ou  de  ri- 
vières qui  reçoivent  les  immondices.  Selon  lui,  ils  sont 
aussi  plus  communs  dans  les  localités  où  les  hommes 
et  les  animaux  vivent  environnés  de  causes  débilitantes, 
de  malpropreté.  Le  naturaliste  prussien  prétendit 
également  qu'on  trouve  peu  de  vers  dans  les  contrées 
les  moins  peuplées  de  la  Russie  et  de  la  Sibérie.  Et  il 
ajoute  enfin  que  les  animaux  de  proie,  qui  avalent  leur 
nourriture  avec  voracité,  sont  beaucoup  plus  sujets 
aux  vers  intestinaux  que  ceux  qui,  tels  que  les  Rumi- 
nants et  les  Rongeurs,  vivent  d'herbes  ou  de  substances 
végétales,  qu'ils  n'avalent  qu'après  leur  avoir  fait 
subir  une  trituration  prolongée. 

Les  faits  abondent  pour  combattre  Pallas.  L'argu- 
ment de  la  plus  grande  fréquence  des  Helminthes  sur 
les  habitants  des  cités  populeuses,  et  leur  rareté 
dans  les  pays  dépeuplés ,  s'explique  facilement ,  la 
génération  de  ces  animaux  étant,  on  le   sait,  sin- 

gie.  Paris,  i837,  t.  I.  —  Bérard,  Cours  de  physiologie.  Paris,  1848, 
t.  I,  p.  100. 

(1)  Pallas,  De  infestis  viventibus  intra  viventia.  Rotterdam, 
1768.  —  Neue  nord.  Beitrœge.  1781. 


ÎNTUODUCTION    DES    HEUIINTHES    PAR    L  ALIMEMATION.       1)31 

gulicrcment  favorisée  par  les  causes  débilitantes.  A 
l'aide  du  système  de  Pallas,  il  serait  fort  difficile 
d'expliquer  la  présence  des  vers  chez  les  Hollandais, 
qui  poussent,  la  propreté  jusqu'à  un  point  fabuleux. 
La  communication  se  concevrait  seulement  par  l'in- 
termédiaire de  l'eau  puisée  dans  les  rivières  qui  reçoi- 
vent les  déjections.  Ce  naturaliste  semble  lui-même  se 
réfuter  à  l'avance ,  en  convenant  que  les  œufs  des 
helmindics  se  détruisent  fort  rapidement  quand  ils  se 
trouvent  éloignés  du  milieu  indispensable  à  leur  con- 
servation (1).  Mais  en  admettant  leur  introduction  avec 
les  boissons,  on  s'aperçoit  qu'à  l'aide  de  cette  hypo- 
thèse, il  est  de  toute  évidence  que  l'on  ne  peut  expli- 
quer comment  certains  helminthes,  envahissent  les 
organes  sans  communication  avec  l'extérieur. 

Enfin,  en  supposant  que  c'est  à  l'aide  des  boissons, 
que  les  animaux  absorbent  leurs  vers  intestinaux, 
comment  expliquerait-on  leur  abondance  à  l'intérieur 
de  beaucoup  de  Rongeurs,  qui  vivent  uniquement 
d'herbes  et  ne  boivent  jamais? 

Relativement  à  ce  qui  concerne  la  plus  grande  fré- 
quence des  helminthes  chez  les  animaux  carnassiers 
que  chez  les  herbivores,  malheureusement  pour  l'hy- 
pothèse favorile  de  Pallas,  de  nombreuses  nécroscopies 
d'animaux  ont  démenti  son  assertion  et  prouvé  que 
c'est  le  contraire  qui  existe.  Brçmser  rapporte  que  sur 
vingt  loutres  qu'il  ouvrit,  pas  une  seule  ne  contenait 
d'Entozoaires  ;  et  que  parmi  cinquante-quatre  lapins 
sauvages  qu'il  disséqua,  il  n'y  en  avait,  au  contraire, 

(1)  Pallas,  Neue  nordische  Beitrœge,  erster  Band.  Leipzig,  1781. 


532  HÉTÉROGÉNIE. 

que  cinq  à  l'intérieur  desquels  on  n'en  trouva  point. 
Il  ajoute  en  outre  qu'ayant  anatomisé  dix-sept  chamois 
provenant  des  montagnes  de  la  Styrie ,  tous ,  à  l'ex- 
ception d'un  seul,  contenaient  des  vers  (1).  Comment 
donc  Pallas  expliquerait-il  ces  faits?  Aucun  helmin- 
the sur  des  loutres  qui  vivent  d'animaux  qui  en  sont 
remplis;  et,  au  contraire,  une  abondance  de  vers 
intestinaux  sur  des  lapins  qui  ne  broutent  que  de 
l'herbe  !  Comment  surtout  expliquer  leur  abondance 
sur  ces  chamois  dont  parle  Bremser,  eux  qui  n'habi- 
tent que  les  solitudes  glacées  des  montagnes  (2)  ? 

Embarrassés  pour  expliquer  par  la  simple  transmis- 
sion la  présence  des  Entozoaires,  quelques  auteurs 
ont  supposé  que  ceux-ci  n'étaient  que  des  vers  qui 
vivent  normalement  dans  l'eau  ou  dans  la  terre ,  et  qui 
après  s'être  introduits  dans  le  corps  des  animaux,  y 
subissent  diverses  métamorphoses. 

Cette  étrange  opinion,  dont  Brera  a  été  l'ardent 
défenseur,  n'est  pas  assez  sérieuse  pour  que  la  science 
doive  s'armer  pour  la  combattre  (3)  ;  quelques  lignes 

(i)  Bremser,  Traité  anatomique  et  physiologique  sur  les  vers  in- 
testinaux. Vdrh^  1824^  p.  36. 

(2)  Une  seule  expérience,  mais  une  expe'rience  fondamen- 
tale, suftirait  pour  renverser  tout  Téchafaudage  accumulé  par 
Pallas;  c'est  celle  de  Schreiber.  Ce  naturaliste  a  soumis  un  putois, 
pendant  Tespace  de  six  mois,  à  un  régime  qui  se  composait  uni- 
quement de  vers  intestinaux  et  d'œufs  de  ceux-ci,  puis  de  laitage; 
et^  au  bout  de  ce  temps,  lorsqu'il  sacrifia  ce  mammifère,  il  ne 
trouva  aucun  helminthe  dans  ses  organes.  —  Schreiber.  Cité  par 
Bremser,  p.  37. 

(3)  Brera^  Traité  des  maladies  vermineuses.  Trad.  Paris,  1804. 
—  Memorh  fisico-mediche  sopra  i  principali  vermi  del  corpo  umano. 
Crème,  1811. 


INTRODUCTION    DES    HELMINTHES    PAR    l' ALIMENTATION.       533 

seulement  en  démontreront  toute  la  nullité.  Et  d*ail- 
leurs ,  la  structure  des  helminthes  est  absolument 
différente  de  celle  des  animaux  dont  on  prétend  les 
faire  descendre  ,  et  quand  l'habitat  impose  quelque 
modification  à  une  espèce,  celle-ci  n'est  jamais  que 
superficielle  et  ne  transforme  pas  l'organisation  de 
fond  en  comble  ;  et  sous  un  état  identique ,  un  animal 
ne  renverse  pas  toutes  ses  habitudes  pour  s'accom- 
moder à  une  nouvelle  manière  d'être.  L'œstre,  qui  à 
l'état  de  larve  vit  dans  le  canal  digestif  du  cheval, 
devenu  insecte  parfait,  y  périrait  au  bout  de  quelques 
minutes;  les  libellules,  les  éphémères,  dont  les  larves 
vivent  sous  l'eau  de  nos  marais  pendant  plusieurs  an- 
nées, seraient  noyées  en  un  moment  si,  lorsqu'elles 
se  sont  revêtues  de  leurs  ailes,  on  les  plongeait  dans 
leur  ancien  élément  (1). 

SECTION  111.  —  INTRODUCTION   DES   HELMINTHES    PAU   l'aUMENTATION.  — 
HYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS. 

Évidemment  embarrassés  pour  expliquer  la  propa- 

(1)  Si  Linnée  a  pu  croire  avoir  trouvé  le  distoma  hepaticum,  le 
tœnia  lata  et  l'ascaris  vermicularis  dans  des  marais;  si  Uiizer  a 
prétendu  que  les  vers  de  terre  et  les  Ascarides  lombricoïdes  n'é- 
taient que  les  mêmes  animaux  ;  si  Beireis  assure  avoir  rencontré 
l'ascaride  lonibricoïdedeThomme  dans  une  fontaine  prèsd'Helm- 
stadt;  si  Gmelin  dit  avoir  observé  un  Ténia  dans  un  marais;  enfin, 
si  Sch seller  piétend  qu'il  a  rencontré  des  Douves  du  foie  vivant 
dans  l'eau;  Otto-Frederic  iMûlIer,  Pallas  et  Bremser  ont  renversé 
de  fond  en  comble  leurs  prétentions.  —  Otto-Fredf.p.ic  Muller, 
Verra,  terr.  hist.,  t.  I,  p.  36.  —  Gmelin,  Reisen  3  ter  Theil,  s.  302. 
Tab.  30.  —  ScHAEFFER,  Die  Engelschnecken,  s.  20.  Pallas,  iVor- 
dische  Beitr,  t.  I,  s.  42.  —  Bremser,  Traité  zoologique  et  physiolo- 
gique des  vers  intestinaux  de  l'homme.  Paris,  1824,  p.  8,  9. 


534  HÉTÉROGÉNIE. 

gation  des  helminthes,  les  adversaires  de  la  génération 
spontanée  ont  récernnnent  supposé  que  les  œufs  ou  les 
petits  de  ces  animaux,  étaient  d'abord  introduits  dans 
les  voies  digtstives,  et  qu'ensuite  ils  pénétraient  divei- 
sement  dans  toutes  les  parties  du  corps  des  êtres  sur 
lesquels  ils  vivent,  même  les  plus  profondes,  les  plus 
inaccessibles. 

D'après  un  certain  nombre  d'helminthologistes  mo- 
dernes, voici  ce  qui  adviendrait  normalement. 

Les  vers  intestinaux,  après  avoir  été  iniroduits  à 
l'élat  d'œuf  à  l'intérieur  de  certains  animaux,  éclo- 
raient  dans  ceux-ci,  et  y  passeraient  la  première  phase 
de  leur  vie.  Puis,  à  l'aide  d'une  extraordinaire  migra- 
tion, ils  parviendraient  enfin  dans  une  autre  espèce 
pour  y  terminer  leur  exislence.  Et,  comme  sous  ces 
deux  états  ces  vers  ne  se  ressemhlent  nullement,  on 
les  aurait  considérés  comme  étant  des  êtres  fort  dif- 
férents. Citons,  à  titre  d'exemple,  l'histoire  du  Ténia  de 
l'homme.  Selon  ces  helminthologisies,  les  œufs  de  ce 
ver,  après  avoir  été  expulsés  avec  nos  déjections,  seraient 
mangés  parle  porc;el,  unefoisintroduitsdansson  canal 
digestif,  à  l'aide  des  crochets  dont  les  embryons  sont 
armés,  ceux-ci  perforeraient  les  tissus  et  parviendraient 
à  s'enfoncer  dans  les  organes  profonds.  Arrivés  là,  en 
se  développant,  ilsy  conslilueraient  ce  quel'on  nomme 
le  Cyslicerque  du  cochon(i),  que  l'on  avait  jusqu'à  ce 
jour  considéré  connue  une  espèce  particulière.  En- 
suite, l'homme  en  mangeant  du  porc  cru,  au  milieu 
de  la  chair  duquel  ces  Cysticcrques  sont  restés  vivants, 

(1)  Cysticercus  cellulosœ.  Rud.  Brems. 


INTRODUCTION    DES    HELMINTHES    PAR    L  ALIMENTATION.       535 

les  introduirait  dans  son  intestin  où,  en  changeant 
d'halDilat,  ils  revêtiraient  une  nouvelle  forme  et  de- 
viendraient le  Ténia  de  V homme  (I).  Ainsi  donc,  ce 
serait  le  porc  qui  aurait  la  fonction  spéciale  d'élever 
pour  nous  la  jeune  progéniture  de  notre  ver  solitaire. 

Ceci  avait  été  soupçonné  depuis  longtemps,  car 
Nitzsch,  guidé  par  Tanalo^  ie,  a  fait  remarquer  que 
les  vers  vésiculaires  pourraient  bien  n'être  que  des 
individus  appartenant  à  d'autres  familles  d'helmin- 
thes, et  dont  les  formes  ont  subi  une  déviation  spé- 
ciale (2).  Mais  Kûchenmeister,  de  Zillau,  fit  connaître 
le  premier,  par  des  expériences,  cette  transformation 
des  Cysticerques  en  Ténias  (3),  et  celles-ci  ont  été  ré- 
pétées par  Lewald,  Siebold  et  Van  Beneden  (4). 

Sous  rinfluence  de  ces  récentes  investigations  de  la 
science ,  Kûchenmeister  a  même  posé  comme  une 
loi  fondamentale,  que  tout  animal  infesté  de  Cysticer- 
ques en  trouve  la  source  dans  sa  nourriture,  ou  dans 
sa  proie  infestée  par  des  Ténias.  Et  il  ajoute  que  cela 
lui  a  été  confirmé  par  ses  observations  particulières 
et  par  celles  de  MM.  Von  Siebold,  Lewald,  Roll, 
Eschricht,  Van  Beneden,  MoUer  et  surtout  parLeuc- 
kart  (5). 

(1)  Tœnia  solium;  Rud.  Brem. 

(2)  NiizscH,  art.  Anlhoccphalus  dans  l'Encyclopédie  d'Ersch  et 
de  Gril  lier,  1.S20. 

(3)  KïcHE^.MElSTER,  Comp.  MérT'oire  présenlc  à  l'Académie  des 
sciences, avec  celle  devise  :  Oiiine  viuum  exoou;  GeiicratiO  œqui- 
voca  nuUa.  I8oo. 

(4)  Van  Be.neden,  Mémoire  qui  a  ol)lenii  le  prix  de  l'Académie 
des  sciences,  en  1853.  Pans,  lNo8,  in-4",  avec  27  pi. 

(5)  De  Siebold,  Expériences  sur  la  transformation  des  Cysticer- 


536  HÊTÉROGÉNIE. 

D'après  les  savants  qui  ont  le  plus  récemment  étu- 
dié les  helminthes,  tels  que  MM.  Kûchenmeister  et 
Van  Beneden,  les  crochets  que  les  embryons  du  Ténia 
présentent  et  meuvent  à  l'intérieur  de  l'œuf,  leur  servi- 
raient à  perforer  les  tissus  des  animaux,  pendant  leurs 
migrations.  Si  l'on  songe,  dit  Van  Beneden,  que  ces 
embryons  ne  dépassent  guère  le  volume  d'un  globule 
du  sang  de  la  grenouille,  on  comprendra  aisément 
qu'ils  perforent  les  parois  de  l'intestin  pour  s'enkyster 
sous  le  péritoine,  ou  pénétrer  dans  les  vaisseaux  et  se 
répandre  avec  le  sang  dans  divers  viscères,  sans  en  ex- 
cepter le  cerveau  et  les  yeux  (1). 

Dans  sa  Physiologie,  de  Siebold  avait  annoncé  le 
premier,  que  le  Cysticerque  qui  vit  dans  le  foie  des 
rats  et  des  souris,  n'était  autre  chose  que  le  Ténia  du 
chat,  égaré  et  devenu  vésicuîeux  (2).  Plus  tard  les  ex- 
périences du  docteur  Kûchenmeister  deZittau,  renga- 
gèrent à  s'occuper  de  ce  sujet.  DesCysticerques  com- 
muns sur  les  lapins  et  les  lièvres,  le  Cysticerciis  pisi^ 
formis,  furent  administrés  à  des  chiens  pour  voir  s'ils 
ne  donneraient  pas  naissance  au  Tcenia  serrala,  qui 

ques  en  Ténias.  Breslau,  1852,  etc.  —  Lewald,  De  Cijsticercorum 
in  Tœnias  metamorphosi.  —  Roll,  On  the  resuit  of  the  administra- 
tion of  the  Tape-Worm.  —  Van  Benkden,  Les  Vers  Cestoïdes  ou 
Acotyles.  Bruxelles.  —  Moller,  Gazette  médicale,  1854.  —  Leuckart, 
Archiv  fur  physiol.  Heilkunde,  XI,  p.  404, art.  Parasiten  und  Pa- 
rasitismus. 

(1)  Van  Beneden,  Nouvelles  observations  sur  le  développement 
des  Vers  cestoïdes.  Ann.  se.  nat.  Zoologie.  1853,  t.  XXIX,  p.  318.  — 
Acad.  des  scien.  1853,  p.  788.  —  Kûchenmeister,  On  animal  and 
vegetable  parasites  of  the  human  body.  Londres,  1857. 

(2)  De  Siebold,  Manuel  de  physiologie.  1851,  vol.  IL  J'admet- 
trais volontiers  l'idée  qu'un  cysticerque  n'est  qu'un  ténia  déforme. 


INTRODUCTION    DES    HELMINTHES    PAR    l' ALIMENTATION.       537 

est  aussi  fort  commun  sur  cet,  animal.  Ces  expérien- 
ces, faites  de  concert  avec  M.  Levvald,  son  élève,  fu- 
rent couronnées  d'un  plein  succès  (1). 

Les  auteurs  qui  ont  soutenu  la  thèse  de  la  transmi- 
gration des  Cyslicerques,  ont  prétendu,  comme  on  le 
suppose,  que  c'étaient  ceux  des  animaux  dont  ils  se 
nourrissent  le  plus  communément  qui  les  peuplaient 
de  Ténias.  Ainsi,  selon  eux,  le  Cijslicerciis  fasciolaris, 
qui  habite  sur  le  rat  et  les  souris,  devient  le  Ténia 
du  chat;  le  Cysticerciis pisiformis  du  lapin,  se  trans- 
forme en  Tœnia  serrata  du  chien  (2)  ;  le  Cysticerciis 
celhdosœ  du  porc,  devient,  mangé  par  l'homme,  le 
tœnia  solium  ou  ver  solitaire.  On  ne  nous  a  pas  en- 
core dit,  que  je  sache,  quelle  est  l'espèce  du  pre- 
mier de  ces  genres  qui  fournit  notre  Botryocéphale  ? 

VanBeneden,  rapporte  qu'ayant  administré,  vers  la 
fin  d'octobre  1853,  à  un  porc,  des  œufs  du  Tœnia  so- 
/mm  rendus  par  une  femme,  lorsque  l'on  tua  cet  ani- 
mal en  mars  1854,  on  rencontra  dans  ses  muscles  et 
surtout  dans  ses  muscles  intercostaux,  un  grand  nom- 
bre de  Cyslicerques  complètement  développés  ou  à 
l'état  descolex  (3).  Kiichenmeister  complète  la  trans- 

(1)  De  SiEBOLD,  Expériences  sur  la  transformation  des  Cysticer- 
qnes  en  Ténias.  (Société  nationale  silésienne  de  Breslau,  1852; 
—  Institut,  n"  974.)  Voir  Ann.des  se.  nat.,  Zoologie,  1852,  t.  XVII, 
p.  377. 

(2)  Il  a  donc  deux  systèmes  de  migrations^puisque  ce  ténia,  selon 
quelques  helminthologistes,  donne  le  cœnure  du  mouton,  —  Cœ- 
nure  au  cerveau  du  mouton,  —  Cysticerque  de  Tinlestin  sur  le 
lapin?  Inoxplicables  contradictions! 

(3)  Van  Brneden,  Note  sur  des  expériences  relatives  au  déve- 
loppement des  Cyslicerques.  Ann.  des  se.  nat.  Zoologie,  1855, 
t.  I,  104. 


538  HETEROGEME. 

migrafion  de  cet  helminlbe  en  assurant  qu'ayant  ad- 
ministré un  certain  nombre  de  ('.ysticeiques  à  une 
femme  condamnée  à  mort,  et  l'ayant  ouverte  le  len- 
demain de  son  exécution,  il  découvrit  dans  l'intestin 
de  celle  suppliciée,  dix  jeunes  lénias.  De  celte  ob- 
servation, le  savant  de  Ziitau  conclut  que  le  Cysticer- 
que  cellulaire  du  porc  est  le  jeune  individu  du  Ver 
solitaire  de  Tbomnie  (î). 

(!)  KiJCHENMEiSTEH,  Lettre  sur  des  expériences  relatives  à  la 
transmission  des  vers  intesliinnix  chez  l'espère  luunaine.  Annales 
des  sciences  naiureW'S,  Zoologie.  1853,  l.  V,  p.  377, 

Expériences  de  M.  Kilchenmeister. —  «  Envii on  cent  trente- 
deux  heures  avant  le  moment  fixé  pour  IVxi'^culion  d'ime  femme 
condamnée  à  la  décapitation,  pour  assassinat,  je  lui  fis  avaler^  à 
son  insu,  un  Cysticercustenuicol/is,  et  au  bout  de  vingt  tu'ures,  je 
lui  donnai  six  Cysticercus  pisiforrnis,n'a\(\r][  pas  à  ma  disposition 
de  Cysticercus  cellulosœ.  Ces  Vei's.  di'pouiUés  de  leur  vessie  cau- 
dale, furent  administrés  dans  un  potage,  dont  )a  tempéralureétait 
à  peu  près  celle  du  corps  humain. 

«Environ  quatre-vingts  heures  avant  rexrculion,  j'ai  pu  me 
procurer  de  la  viande  de  poic,  contenant  des  Cy  iicercus  ce'lulosœ, 
provenant  d'un  animal  tué  depuis  soixante  hiures,  et,  îe  lende- 
main, je  fis  servir  à  la  condamnée  du  boudin  dans  lequel  j'avais 
introduit  douze  de  ces  Vers;  enfin  d'autres  Cysticercus  cellulosœ^ 
au  nombre  de  dix-huit,  puis  quinze,  ensuite  douze  tt  dix-huit,,  lui 
furent  administrés  avec  des  aliments,  qu'elle  prit  dans  divers 
repas  qui  procédèrent  l'exécution  de  soixante-quatre,  vingt-quatre 
et  douze  heures. 

«  L'autopsie  ne  î)ut  être  faite  que  quarante-huit  heures  après 
la  mort.  Ayant  fait  tremper  les  intestins  dans  de  Teiiu  pendant 
quelque  temps,  je  parvins  à  découvrir  dans  le  duodénum  quatre 
jeunes  lénias,  qui  tous  avaient  encore  sur  la  lête  wne  ou  deux 
paires  de  crochets;  l'un  de  ces  Vers  avait  encoie  la  couronne 
de  crnctiets  presque  complète.  Ces  parasites  a n aient  de  3  h. 
8  millimcties  de  longueur,  et  ressemblaient  au  tœnia  soliuni 
par  le  nombre,  la  grandeur  et  la  l'orme  de  leurs  ciochels.  Je 


INTRODUCTION    DES    HELMINTHES    PAR    l'aLIMENTATION.       539 

Un  petit  licliinnthe,  presque  iiiicroscopiqiie,  qui 
envahit  par  millions  tout  "le  système  musculaire  de 
l'homme,  le  TricJnna  spiralis,  dont  on  doit  la  con- 
naissance à  MM.  Owen ,  Farre  et  Hilton  (l),  avait  jus- 
qu'à ce  moment  paru  ne  pouvoir  être  exphqué  que 
par  la  génération  spontanée;  mais  quelques  phy- 
siologistes ont  aussi  annoncé  avoir,  par  l'expérience, 
prouvé  ses  migrations.  M.  Herbst  a  eu  l'heureuse  idée 
d'employer  cet  helminthe  dans  ses  tentatives  de 
transmission,  parce  que,  comme  il  est  extrêmement 
rare,  son  développement  dans  les  sujets  consacrés  à 
celle-ci,  ne  peut  être  considéré  comme  une  coïnci- 
dence. M.  Herbst  a  été  exlraordinairemcnt  favorisé  à 
cet  égard ,  ayant  rencontré  plusieurs  animaux  infestés 
de  Trichina;  il  a  choisi  l'un  d'eux,  un  blaireau,  pour 
ses  essais (2).  Ayant  donné  la  chair  de  cet  animal  à 
manger  à  de  jeunes  chiens,  au  bout  de  trois  mois, 
quand  on  les  tua,  tous  leurs  membres  furent  examinés 
et  l'on  reconnut  qu'ils  contenaient  un  nombre  aussi 

trouvai  aussi,  dans  la  lavure  des  intestins,  six  autres  Ténias  qui 
manquaient  de  crochels,  mais  qui_,  du  reste,  ressemblaient  tout  à 
fait  aux  précédents.  » 

(1)  R.  Owen,  Transactions  de  la  Société  zoologique  de  Londres. 
1835,  t.  I,  p.  315.  —  Lectures  on  tiie  comp  anat.  andphys.,  p.  62. 
—  A.  Fakre.  Comp.  zool.  ïrans.  t.  I.  Hu.ton,  Médical  Gazette. 
February  1833.  Ce  ver,  qni  est  long  de  8/10  de  millimètre,  vit 
dans  de  petits  kysles  à  l'intérieur  desquels  il  est  enruulé,  et 
qui  ont  un  demi- millimètre  de  longueur.  A  rhô[>ilal  Saint- 
Barlhélemy  de  Londres,  on  en  trouva  dix-sept  h  rintérieur  d'un 
des  muscles  des  osselets  de  l'ouïe,  sur  un  militaire  qui  y  était 
mort. 

(2)  M.  Herbst  l'a  rencontrée  presque  simultanément  sur  un  chat, 
un  chien,  un  hibou  et  un  blaireau. 


340  HÉTÉROGÉNIE. 

considérable  de  Trichina  spiralis  qu'en  possédait  la 
chair  de  l'animal  qu'ils  avaient  dévorée  (1). 

En  résumé,  on  peut  donc  dire  qu'il  résulte  des 
expériences  et  des  observations  de  Kiichenmeister, 
Leuckart,  de  Siebold,  Lewald,  Van  Beneden  et  Moller, 
que  les  Cysticerques  et  les  Cénures  ne  sont  que  de 
jeunes  Ténias,  qui,  pour  arriver  à  un  entier  dévelop- 
pement, ont  nécessairement  besoin  d'abandonner 
l'animal  sur  lequel  ils  vivent  d'abord,  pour  aller,  après 
une  migration  plus  ou  moins  longue  ,  se  développer 
sur  une  autre  espèce  d'animal,  souvent  fort  difîé- 
rente. 

SECTION   IV.  —  DISCUSSION   DE   i/hYPOTHÈSE   DES   MIGRATIONS. 

Les  observations  et  les  expériences  récentes  sur  la 
genèse  des  lichiiintbes  étant  considérées,  par  quelques 
physiologistes,  comme  ayant  donné  le  dernier  coup  à 
l'hétérogénie ,  il  est  de  notre  devoir  d'^examiner  si 
cette  prétention  est  aussi  fondée  qu'on  l'a  pensé.  Nous 
apporterons  dans  cet  examen  la  plus  extrême  impar- 
tialité, mais  aussi  nous  y  mettrons  une  sévérité  qui 
n'accusera  que  notre  ardeur  à  démêler  le  vrai ,  mais 


(1)  Herbst,  Expériences  sur  la  transmission  des  vers  intestinaux. 
Société  des  sciences  de  Goetlingue,  1851;  Institut,  n»  956.  Jnn. 
des  se.  nat.  1852. 

(2)  KucHEMMEiSTER ,  On  animal  and  vegetable  parasites  of  the  hu- 
man  body.  London,  1857,  t.  I,  p.  34.  —  Leuckart,  Archiv.  fur  phy- 
siol.  —  Dt;  SiEuoLD,  Mémoire  sur  les  vers  rubannés  et  vésiculaires 
de  l'homme  et  des  animaux.  Ann.  des  se.  nat.  Zoolf  1855.  —  Lewald, 
De  cysticercorum  in  Tœnias  metamorphosi.  —  Van  Beneden,  Vers 
Cestoïdes  ou  Acotyles.  Bruxelles.  —  Moller^  Gazette  médicale.  1 851 . 


DISCUSSION   DE    L  HYPOTHESE    DES    MIGRATIONS.  o4i 

jamais  la  loyauté  d'aucun  expérimentateur.  La  discus- 
sion nous  prouvera  que  de  nouvelles  expériences  sont 
peut-être  encore  à  désirer,  pour  mettre  la  question 
hors  de  doute;  et  qu'il  n'est  pas  absolument  démontré, 
pour  tout  le  monde,  que  quelques  helminthes  ne  se 
produisent  pas  par  la  génération  spontanée. 

Nous  avons  devant  nous  des  antagonistes  d'un  grand 
renom,  des  expérimentateurs  consommés,  et  au  pre- 
mier abord,  notre  entreprise  paraîtra  téméraire.  Elle 
ne  l'est  cependant  nullement,  et  eux-mêmes,  en  se 
combattant  réciproquement,  nous  permettront  d'éta- 
blir, sans  conteste,  que  leur  victoire  est  encore  fort 
indécise.  Là,  nous  assisterons  à  leurs  luttes;  ailleurs, 
nous  les  verrons  successivement  changer  d'opinions, 
et,  avec  le  scepticisme  qui  seul  convient  au  milieu  de 
tant  d'indécisions,  nous  nous  demanderons  où  est  la 
vérité? 

En  doutant  des  migrations,  nous  n'avons  pas  la 
prétention  de  venir  ici  contester  une  conquête  scien- 
tifique, vierge  de  toute  atteinte.  Nous  ne  sommes  pas 
le  seul  dont  les  doutes  ne  soient  pas  absolument  dis- 
sipés, car  si  M.  de  Filippi  a  pu  dire  que  les  recherches 
de  de  Siebold  et  de  Steenstrup  (1)  avaient  démon- 
tré que  les  Cercaires  sont  des  larves  de  Distomes  ;  d'un 
autre  côté,  des  savants  du  plus  grand  mérite,  tels  que 
Ehrenberg  et  Diesing  (2),  prétendent  encore  que  les 

(1)  De  Filippi,  Mémoires  de  V Académie  de  Turin,  2®  série,  t.  XV. 
—  De  Siebold,  dans  Burdach,  P/ïî/^.,  t.  III.  —  Steeîsstrup,  Uëher 
den  Générât ionswechsel.  Copenhague,  1842. 

(2)  EuRENBERG,  Monatsbericht  d.  k.  Âkademie  zu  Berlin,  1851, 
p.  776.  —  DiESiNG,  Systema  helminthum.  Vindobonac,  1850,  t.  I. 


542  HÉTÉROGÉME. 

mêmes  Ccrcaires  sont  des  animaux  parfaits.  Du 
reste,  quelques  expérimcnlaleurs  nous  viennent  déjà 
en  aide,  en  contestant  de  fond  en  comble  les  nouvelles 
investigations,  dont  nous  nous  bornons  seulement  à 
signaler  1  imperfection  ou  à  nier  les  conséquences. 
Ainsi  MM.  Ercolani  et  Vella  ont  récemment  combattu 
les  conclusions  de  Kiichenmeister,  de  Siebold  et  de  Van 
Beneden,  en  prétendant  que  leurs  recberches  n'étaient 
point  applicables  à  l'entière  solution  de  la  grave  ques- 
tion de  la  genèse  des  helminthes.  Ces  savants  ont 
même  échoué  dans  leurs  expériences,  en  voulant  ob- 
tenir des  Cysticerques  en  employant  des  œufs  de 
Ténia  (i). 

Presque  tous  les  savants  modernes  qui  ont  spécia- 
lement étudié  les  vers  intestinaux,  s'accordent  à  pen- 
ser que  ceux-ci  ne  peuvent  d'abord  se  produire  qu'à 
l'aide  de  la  génération  spontanée.  Retzius  avoue  que 
l'apparition  des  Entozoaires  lui  paraît  pouvoir  tout 
aussi  bien  s'expliquer  par  elle,  que  par  l'émission  des 
œufs;  Reil  et  d'Outrepont  partagent  cette  opinion  ; 
Linck,  Baillieet  Cooper  sont  également  unanimes  sur 
ce  point  (2).  Rudolphi  et  Bremser,  auxquels  on  doit 
de  si  beaux  travaux  sur  les  helminthes,  n'hésitent  pas 
eux-mêmes  à  dire  que  ces  animaux  dérivent  en  par- 
Ci)  Ercolani  et  "Vella,  Comptes  rendus  de  V Académie  des  scien- 
ces, 1855,  24  avril. 

(2)  Retzius,  Lect.  publicœ  de  vermib.  intestinalib .  imprimis  hu- 
manis.  Holmiœ,  1788.  —  Reil  et  d'Outrepo.nt,  Perpétua  materiœ 
organico-animalis  vicissitudo.  Haloe,  1798.  —  Linck  ,  Versuch 
einer  Geschichte  und  Physiologie  der  Thiere.  Chemnilz,  1805.  — 
Baillik,  Morbid  anatomy.  — Cooper,  On  intestinal  worms.  Lond., 
Med.  Soc,  t.  V. 


DISCUSSION    DE    l'iIYPOTOÈSE    DES    MIGRATIONS.         5  43 

tiederiiélérogénie;  Ticdemann,  Biirclach,  Bérard  et 
beaucoup  d'autres  physiologistes  parfagent  cette  ma- 
nière de  voir,  qui  est  aussi  la  nôtre  (I).  Enfin,  M.  Du- 
jardin,  qui  a  écrit  récemment  un  traité  sur  les  Ento- 
zoaires,  a  été  conduit  à  la  même  conclusion  à  l'é- 
gard de  plusieurs  d'entre  eux.  Dans  un  de  ses  chapi- 
tres, il  avance  que  l'existence  du  Trichiua  spiralis  est 
un  puissant  argument  en  faveur  de  la  génération 
spontanée  de  ccrlains  helmintlies  (2).  Dans  un  autre 
endroit,  la  même  idée  revient,  lorsqu'il  parle  d'un 
Distome  qui  se  rencontre  dans  le  foie  des  limaces  et 
n'offre  aucun  organe  sexuel  ;  il  dit  qu'il  s'y  produit 
spontanément  (3).  M.  Gérard  prête  aussi  ce  mode  de 
génération  à  la  plupart  des  vers  intestinaux  (4). 

C'est  à  tort  que  M.  C.  Vogt  prétend  que  la  repro- 
duction des  vers  intestinaux  a  été  le  dernier  refuge  des 
partisans  de  l'hétérogénie  (5),  car  ils  en  tirent  en- 
core aujourd'hui  de  vigoureuses  objections  contre  les 
prétentions  de  leurs  antagonistes  ;  et  celles-ci  sont, 
jusqu'à  ce  moment,  restées  sans  réponse.  M.  Vogt 
lui-môme,  malgré  son  mérite  éminent,  n'apporte  sur 


(1)  RuDOLpni,  Entozoorum  historia  naturalis.  Amst.  1808,  t.  I, 
p.  375-100. —  BiEMSEK,  Traité  zoologique,  physiologique  des  vers 
intestinaux  de  Vhomme.  Paris,  1824.  —  Tu  demann,  Physiologie  de 
l'homme.  Paris,  1834.  —  Blrdach,  Traité  de  physiologie.  Paris, 
1837,  t.  I,  p.  .■:I0.  —  Béraud,  Cours  de  physiologie.  Paris,  1859. 

(2)  DujARDiN ,  Histoire  naturelle  des  helminthes.  Paris,  1845, 
p.  294. 

(3)  DujARDiN,  ibid.,  p.  408. 

(4)  Gérard,  Dict.univ.  d^htst.  nat.  Paris,  1845,  t.  Yl,  p.  67. 

(5)  Ch  Vogt,  On  the  transmigration  of  Worms.  Dans  The  ann. 
and.  mag.  of  nutural  history.  T.  IX,  p.  436. 


544  HÉTÉROGÉNIE. 

ce  sujet  aucun  fait  positif,  dans  le  court  article  où  il 
parle  si  facilement  de  ses  adversaires. 

Résistance  vitale  des  helminthes  et  de  leurs  œufs. 
—  Dans  le  but  d'élaguer  l'une  des  principales  difficul- 
tés qu'offre  leur  système,  les  partisans  des  migrations 
ont  supposé  aux  helminthes  ou  à  leurs  œufs,  une  ré- 
sistance vitale  extraordinaire.  Il  est  facile  de  passer 
leurs  assertions  à  un  critérium  infaillible,  il  ne  faut 
que  les  opposer  à  celles  des  autres  naturalistes. 

Depuis  bien  des  années,  Rudolphi,  dans  son  fa- 
meux Traité  des  vers  intestinaux,  avait  raconté  aux 
savants  que  des  Ascarides  placés  dans  une  forte  so- 
lution d'aloès,  y  restèrent  vivants  pendant  quatre 
jours  (1). 

On  sait  aussi  que  Rudolphi  rapporte  que  de  pareils 
vers,  extraits  d'un  cormoran,  après  avoir  séjourné  onze 
jours  dans  de  l'alcool,  n'avaient  pas  encore  cessé  de 
vivre.  Enfin  M.  Miran  dit  que  des  Entozoaires  de  ce 
genre,  retirés  d'un  poisson,  revinrent  aussi  à  la  vie 
après  avoir  été  desséchés  (2) . 

Les  œufs,  peut-être  avec  plus  de  raison,  ont  étécon- 
sidérés  comme  jouissant  encore  d'une  plus  grande  ré- 
sistance vitale.  Dans  l'eau  ils  paraissent  pouvoir  se 
conserver  très-longtemps.  M.  Verloren,  a  vu  ceux  de 
V  Ascaris  marginata  y  vivre  une  année  entière  ;  et 
M.  Davaine  dit  avoir  reconnu  que  les  œufs  de  l'Ascaride 
lombricoïde  de  l'homme  restent  sous  l'eau  six  mois 

(1)  Redi,  Osservazioni  degli  animait  viventi  che  si  trovano  negli 
animali  viventi.  Firenze,  1684. 

(2)  Rudolphi.  Entozoorum  synopsiSj,   p.  250. 
Miran.    Wiegmann's  Jrchiv.  1840,  p.  35. 


DISCUSSION   DE    L  HYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.        545 

avant  de  commencei'  leur  développement.  Tout  ceci  se 
conçoit  parfaitement;  mais,  ce  qui  est  tout  à  fait  ex- 
traordinaire, c'est  de  voir  MM.  Ercolani  et  Vella,  pré- 
tendre que  des  œufs  et  des  embryons  d'Helminthes, 
après  avoir  été  six  jours  dans  l'alcool  et  avoir  subi  une 
dessiccation  de  trente  jours,  ont  été  complètement  revi- 
vifiés (1).  Van  Beneden  va  beaucoup  plus  loin  encore, 
puisqu'il  dit  que  «  des  œufs  pris  de  vers  conservés  de- 
puis assez  longtemps  dans  l'alcool,  ayant  été  placés 
dans  l'eau,  on  y  a  trouvé,  au  bout  de  quelques  jours, 
des  embryons  vivants  ;  et  que  la  vie  n'était  pas  non 
plus  éteinte  dans  des  œufs  retirés  de  préparations  ana- 
tomiques  séchées  depuis  plusieurs  années,  ou  même 
plongées  dans  l'acide  chromique  (2).  » 

Tout  cela  est  prodigieux,  et  l'on  doit  regretter  que 
Van  Beneden  ne  dise  pas  si  c'est  lui-même  qui  a  ob- 
servé de  tels  faits.  Cependant  voici  d'un  autre  côté  un 
des  plus  ardents  partisans  des  migrations,  Ktichen- 
meister,  qui  soutient  une  thèse  absolument  contraire. 
Cet  helminthologiste  prétend  que  l'action  de  l'alcool 
est  absolument  mortelle  sur  les  œufs  des  Ténias;  et  il 
considère  comme  tout  à  fait  faux,  le  fait  rapporté  par 
Mo  lier  à  l'égard  du  Cysticercus  cellulosœ  qu'on  aurait 
obtenu  à  Paris,  avec  des  œufs  du  tœnia  soliiim,  con- 
servés dans  l'esprit-de-vin  (3). 

(t)  Ercolani  et  Vella,  On  the  embryogeny  and  propagation  of 
intestinals  Worms.  Ann.,  aiid  mag.  of.  nat.  hist.  London  1854, 
XIV,  p.  156. —  Comptes  rendus  de  l'Ac.  des  scienc.  1855,  24  av. 

(2)  Van  Beneden,  Zoologie  médicale.  VdiVis,  1859.  T.  II,  p.  312, 
de  l'Homme  et  de  la  perpétuation  des  espèces,  Bruxelles,  1859. 

(3)  KiicHENMEisTER,  Oïl  animal  and  vegetable  parasites  of  hu- 
man  body.  Londres,  1857.  t.  I,  p.  45. —  Moller.  Gaz.  méd.,  1855. 

POUCHET.  3  5 


546  HÉTÉROGÉNIE. 

A  l'égard  de  ce  qui  concerne  l'extraordinaire  vita- 
lité des  helminthes,  nous  ne  pouvons  croire  tout  ce 
qui  se  trouve  plus  haut.  Les  auteurs  sont  unanimes, 
au  contraire, *pour  considérer  ces  animaux  comme 
succombant  au  bout  d'un  temps  fort  court  lorsqu'ils 
sont  extraits  de  leur  habitat  normal.  Bremser  et  Bur- 
dach  affirment  qu'ils  périssent  presque  immédiate- 
ment après  la  mort  de  l'animal  qui  les  nourrit;  M.  Ro- 
bin a  vu  que  les  échinocoques  succombaient  en  quel- 
ques heures  lorsqu'on  les  en  avait  enlevés  (1). 

Relativement  à  l'innocuité  de  l'acide  chromique  et 
de  l'alcool,  nous  ne  pouvons  rien  dire,  n'ayant  pas  pu 
faire  d'expérience  sur  ce  sujet.  Mais  ne  sommes-nous 
pas  en  droit  de  nous  demander  si  ce  phénomène  ex- 
traordinaire, strictement  examiné,  ne  perdrait  pas  tout 
son  prestige?  Nous  avons  déjà  vu  que  les  Roiifèrcs, 
que  Spallanzani  et  MM.  Doyère  et  de  Quah^efages 
pensaient  pouvoir  être  impunément  tués  et  ressusci- 
tes (2),  succombaient,  au  contraire,  dans  des  expé- 
riences exécutées  avec  précision.  Et  en  se  fondant  sur 
des  observations  bien  dirigées,  MM.  Pennetier  et  Tinel 
ont  mis  ce  fait  hors  de  doute  (3). 

(1)  Bremser,  Traité  zoologique  et  'physiologique  des  vers  intesti- 
naux. Paris,  i824.  —  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Vdx'i's,  1837, 
t.  I,  p.  27.  —  Nysten,  LiTTiŒET  Gii.  Roem,  Dictionnaire  de  méde- 
cine.  Paris,  1838. 

(2)  Spallanzani,  Opuscules  de  physique  animale  et  végétale. 
Paris,  1787,  t.  II,  p.  205.  —  De  C)\]kïK^?kGv.'s>,  Souvenir  s  d'un  natu- 
raliste. Paris,  i8v^6.  —  \)oxtK^,Annales  des  sciences  naturelles.  1841. 

(3)  Peisjsetier,  Journal  l'Ami  des  Sciences.  Paris,  1839,  Juin.  — 
TiNEL,  l'Union  médicale.  Paris,  I859,no  72.  Ce  que  Ton  a  pris  pour 
une  résurrection  est  simplement  l'dclosion  des  jeunes  Rotifères  ou 
des  Tardigrades,  ces  animaux  possédant  une  enveloppe  imper- 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE   DES    MIGRATIONS.         547 

De  l'introduction  des  oeufs  des  helminthes.  — 
La  circonscription  géographique  des  helnriinthes,  par- 
fois si  limitée,  n'est-elle  pas  elle-même  un  argument 
fort  sérieux  contre  leur  introduction  par  la  voie  des 
aliments?  Un  fleuve,  une  rivière  établissent,  en  cer- 
tains pays,  une  limite  très-tranchée  entre  les  lieux  en- 
vahis par  deux  espèces  fort  distinctes.  Ainsi,  d'après 
M.  Boudin,  le  Botryocéphale,  qui  réside  spécialement 
dans  l'est  de  l'Europe,  en  Russie  et  en  Pologne,  s'ar- 
rête à  la  Yistule;  et  en  deçà  de  ce  fleuve,  on  ne  ren- 
contre plus  que  le  Ténia  solitaire  (1).  Cette  ligne  de 
démarcation  est  tellement  tranchée,  qu'à  Dantzick,  qui 
est  située  sur  ce  cours  d'eau,  de  Siebold  devinait  la 
résidence  des  personnes  à  la  nature  des  helminthes 
qu'elles  expulsaient  (2) .  Si  c'était  la  nourriture,  comme 
celle-ci  est  identique  sur  les  deux  rives  du  fleuve,  on 
ne  voit  pas  pourquoi  des  deux  côtés  on  ne  rencontre- 
rait pas  les  mêmes  vers. 

Une  chose  aussi  serait  bien  inexplicable  pour  les 
helminthologistes  qui  prétendent  que  les  vers  se  pro- 
pagent par  les  aliments  :  c'est  l'extrême  fréquence  de 
quelques-uns  de  ceux-ci,  comparée  à  la  rareté  de  leurs 
analogues.  Ainsi,  d'après  MM.  Boudin  et  Odier,  le 
quart  des  habitants  de  Genève  a  eu,  ou  aura,  leBotryo- 


méable,  sous  laquelle  ils  peuvent  se  conserver  vivants,  malgré  la 
sécheresse. 

(1)  Boudin,  Traité  de  géographie  et  de   statistique   médicales. 
Paris,  1857,  t.  I,p.  336. 

(2)  R.  Vf AG^ER,  Haiidwàrterbuch  der  Physiologie. BrBiunschweig, 
1844,  t.  II,  p.  652. 


548  HÉTÉROGÉNIE. 

céphale  (1);  ce  Botryocéphale  dont  la  larve  n'a  point 
de  crochet,  et  dont  on  ne  peut  expliquer  la  migra- 
tion ;  ce  Botryocéphale,  enfin,  dont  les  voyages  extraor- 
dinaires sont  encore  un  mystère,  et  qui  là  est  plus  com- 
mun que  le  Ténia!  Est-ce  donc  qu'à  Genève  on  ne 
mange  point  de  porc,  ni  de  toutes  ces  viandes  qu'on 
dit  être  la  source  du  Ténia  des  Français? 

Enfin,  l'hypothèse  de  l'introduction  des  vers  intes- 
tinaux par  l'alimentation,  et,  par  suite,  celle  des  mi- 
grations, sont  tout  à  fait  renversées  par  l'existence 
bien  constatée  de  ceux-ci,  soit  sur  des  animaux  encore 
à  la  mamelle,  soit  même  sur  des  fœtus  encore  conte- 
nus dans  l'utérus.  Parmi  les  nombreux  exemples  que 
Ton  pourrait  citer,  mentionnons  seulement  les  sui- 
vants :  Gœze,  Bloch  et  Rudolphi  ont  fréquemment 
rencontré  de  longs  Ténias  sur  de  jeunes  agneaux  en- 
core à  la  mamelle  (2)  ;  Bremser  en  a  trouvé  quarante- 
cinq  sur  un  jeune  cornus  frugilegus,  encore  au  nid  et 
sans  plumes  (3)  ;  Rudolphi  dit  avoir  observé  plusieurs 
fois  des  Douves  du  foie  sur  plusieurs  autres  oiseaux 
aussi  jeunes;  Fromann  a  rencontré  de  ces  vers  sur 
des  agneaux  nouveau-nés  (4);  enfin  Pallas  et  Bloch 

(1)  Boudin,  Traité  de  géographie  et  de  statistique  médicales. 
Paris,  1857,  t.  1,  p.  336.  —  Ouier,  Médecine  'pratique^  p.  224. 

(2)  GoEZE ,  Naturgeschichte  d.  Eingeweidewurmer  ,  cité  par 
Bremser,  p.  27.  —  Bloch,  i46/iand/.,  e!c.  Berlin,  1782.  —  Rudolphi, 
Entozoorum  seu  vermium  inteslinalium  historia  naturalis.  Anister- 
»'aî-\  1808. 

(3)  BiiKMSER,  Traité  zoologique  et  physiologique  sur  les  vers  in- 
testinaux. Paris,  1824,  p.  27. 

(4)  Rudolphi,  idem.  —  Fromann,  Observ,  de  verminoso  in  ovibuf 
et  juvencis  reperto  hepate.  Ephemerides  nat.  cur.  1G77. 


DISCUSSION    DE    l'iIYPOTHÊSE    DES    MIGRATIONS.         549 

assurent  que  des  Ténias  ont  été  observés  à  Tintérieur 
du  fœtus  humain  par  Brendel  et  Heim  (1).  Hippocrate 
dit  qu'on  en  a  découvert  dans  les  intestins  d'un  enfant 
qui  venait  de  naître,  et  Rudolphi  dans  ceux  d'un  chien 
qui  venait  d'être  mis  bas.  Quoique  M.  Blanchard  ait 
contesté  la  présence  des  vers  intestinaux  dans  le  corps 
du  fœtus  (2),  c'est  un  fait  établi  aujourd'hui  par  des 
observations  si  positives  qu'il  n'est  pas  possible  de  le 
nier.  M.  Berthélue  a  rappelé  qu'il  y  a  sur  ce  sujet  des 
observations  positives  qui  remontent  au  dix-septième 
siècle  (3)  ;  et  Graetzer,  dans  son  Traité  des  maladies 
du  fœtus,  cite  des  faits  nombreux  et  bien  établis  d'hel- 
minthes développés  sur  l'espèce  humaine,  pendant  la 
vie  utérine  (4).  Van  Beneden,  lui-même,  prétend  que 
de  jeunes  cochons  naissent  parfois  en  ayant  déjà  des 
Cysticerques  (5).  Il  serait  vraiment  utile  de  sortir  de 
toutes  ces  contradictions.  En  effet,  si  les  helminthes 
entrent  avec  les  aliments,  comment  peut-il  s'en  rencon- 
trer sur  le  fœtus?  Nous  avons  vu  que  la  transmission 
de  la  mère  à  celui-ci  était  impossible. 

Les  enfants  ne  sont  ordinairement  sujets  qu'aux 
Oxyures  et  aux  Ascarides,  et  ce  n'est  que  par  exception 
que  l'on  rencontre  chez  eux  des  Ténias  et  des  Cysticer- 
ques. Si  les  œufs  provenaient  du  dehors,  pourquoi  ne 
rencontrerait-on  pas  aussi  bien  chez  eux  ces  derniers 


(1)  Pallas,  De  mfestis  viventibus  intra  viventia.  Rotterdam, 
1768.  —  Bi.ocH,  AbhandL,  etc.  Berlin,  1782. 

(2)  BLA^CHARD,  Mémoire  lu  à  l'Académie  des  sciences  en  18i8. 

(3)  Berthéiue^  Revue  zoologique,  18^8,  p.  H 9. 

(4)  G\ikE7ZE\x,  Maladies  du  fœtus.  Breslau,  1837. 

(5)  Van  Blneden,  Zoologie  médicale.  Paris,  1859,  t.  II,  p.  260. 


550  HETEROGEME. 

Enfozoaires,  qui  semblent  n'affecter  que  T homme 
adulte.  —  On  ne  peut  arguer  que  les  enfants  n'of- 
frent pas  les  conditions  de  vitalité  qu'exigent  ces  vers, 
puisqu'on  en  a  observé  sur  plusieurs,  exceptionnelle- 
ment, et  qu'on  en  trouve  fréquemment  à  l'intérieur 
de  quelques  jeunes  animaux,  tels  que  les  chiens.  Ce 
n'est  là  qu'un  argument  accessoire.  Mais  ne  semble- 
t-il  pas  que  si  ces  Entozoaires  ne  se  développent  ordi- 
nairement que  dans  Tàge  adulte,  c'est  que  celui-ci 
seulement,  livre  à  leur  état  naissant  une  substance  assez 
animalisée  pour  leur  permettre  de  coercer  les  maté- 
riaux nécessaires  à  leur  organisation. 

Si  l'air,  l'eau  et  les  aliments  étaient  les  véhicules 
des  helminthes,  ceux-ci  seraient  assurément  plus  uni- 
formément répartis  qu'ils  ne  le  sont  sur  ces  animaux. 
Pour  ne  pas  rester,  à  ce  sujet,  dans  le  vague  des  géné- 
ralités, citons  quelques  exemples.  Le  Trichina  spi- 
ralis,  en  particulier,  ne  peut  être  assurément  expli- 
qué par  aucun  des  moyens  derrière  lesquels  les  ova- 
ristes  se  retranchent.  Tout  à  coup  ce  ver,  dorat  nous 
avons  déjà  parlé,  se  déclare  sur  les  individus  et  pul- 
lule par  myriades  dans  tous  les  muscles  de  l'écono- 
mie. En  voyant  se  manifester  un  tel  phénomène,  on 
conviendra  immédiatement  qu'il  a  fallu  que  le  milieu 
ambiant  dans  lequel  a  vécu  la  personne  infestée  ren- 
ferme un  incalculable  nombre  de  germes  de  cet  En- 
tozoaire,  un  nombre  qui  surpasse  même  tout  ce  que 
l'on  peut  imaginer.  Or,  comment  se  pourrait-il  faire 
que  lorsque  beaucoup  d'hommes  habitent  le  même 
lieu,  vivent  de  la  même  nourriture,  présentent  le 
même  accès  à  l'infection,  ont  le  même  âge,  et  souvent 


DISCUSSION  DE    l'hypothèse   DES   MIGRATIONS.         551 

la  même  constitution,  comment  se  pomTait-il  faire, 
dis-je,  que  quand  la  cause  qui  agit  est  si  multiple,  si 
répandue,  un  seul  individu  se  trouve  cependant  in- 
festé?... Tel  est  le  cas  d'un  soldat  dont  tout  le  système 
musculaire  fut  littéralement  envahi  par  le  Trichina  spi- 
ralis^  et  en  telle  abondance  qu'on  en  trouva  jusque 
dans  les  muscles  de  l'oreille  interne  (1). 

Si  la  cause  provenait  du  dehors^  si  les  germes  de  ce 
Trichina  avaient  été  contenus  dans  l'air  ou  dans  Feau, 
comment  expliquerait-on  pourquoi  aucun  des  autres 
militaires  de  la  même  caserne  n'a  éprouvé,  je  ne  dirai 
pas  cette  véritable  infiltration  générale  d'Entozoaires, 
mais  seulement  l'attaque  de  quelques-uns?  La  cause, 
ayant  eu  une  incalculable  énergie,  devait  agir  sur  un 
grand  nombre  d'individus,  comme  cela  s'observe  dans 
toutes  les  épidémies;  et  elle  le  devait  d'autant  plus 
qu'elle  trouvait  dans  sa  sphère  d'action  des  sujets  dans 
la  même  condition.  Quoi!  l'atmosphère  ou  la  nourri- 
ture, qui  possédaient  pour  le  militaire  en  question  de 
si  amples  matériaux  léthifères,  avaient  une  parfaite 
innocuité  sur  ses  compagnons  de  chambrée  ou  son  ca- 
marade de  lit!  Seul  il  a  été  infesté  par  des  myriades 
d'animaux  dont  les  germes  ont  enveloppé  tous  les  au- 
tres soldats,  et  aucun  de  ceux-ci  n'a  été  tourmenté  par 
un  de  ces  vers  qui  tuent  leur  camarade!  Tout  cela 
tiendrait  du  prodige,  dans  l'hypothèse  des  migrations. 

L'examen  des  animaux  peut  nous  fournir  des  ar- 
guments analogues  à  ceux  qui  précèdent. 


(1)  R.  OwEN,  Transactions  de  la  Société  zoologique.  Londres^ 
1835. 


552  HÈTÉROGÉNIE. 

On  rencontre  parfois  à  l'intérieur  de  quelques-uns 
une  extraordinaire  abondance  d'helminthes,  tandis  que 
les  autres  individus  de  la  même  espèce  n'en  offrent  ja- 
mais un  nombre  qui  lui  soit  comparable  ;  c'est  ainsi  que 
M.  Nathusiusatrouvé  dans  une  cigogne  noire,  plusieurs 
centaines  d'helminthes  appartenant  à  des  genres  très- 
divers,  et  disséminés  dans  presque  tout  l'organisme  (1). 

Krause  rapporte  aussi  qu'un  cheval  de  deux  ans  et 
demi  contenait  plusieurs  milliers  de  vers  très-dispa- 
rates "(2). 

Envoyant  ces  animaux  tourmentés  par  un  si  grand 
nombre  d'helminthes,  on  se  demande  comment,  en 
admettant  que  c'est  à  l'aide  de  l'air  ou  des  aliments 
que  se  transmettent  ces  parasites,  on  pourrait  expli- 
quer pourquoi  cette  cigogne  et  ce  cheval  sont  ainsi 
devenus  de  véritables  pépinières  de  vers,  tandis  que 
leurs  congénères  n'en  étaient  point  affectés,  quoique 
\ivant  dans  les  mêmes  circonstances.  Cependant  cela 


(1)  Nathushjs,  Wiegmann's  Archiv,  1837.  —  Vingt-quatre  fila- 
ria  lahiata  dans  le  poumon,  seize  syngamus  trachealis  dans  la  tra- 
chée, plus  de  cent  spiroptera  alata  entre  les  membranes  de  l'es- 
tomac, plusieurs  centaines  d'/îolosioînwînea^caya/um  dans  rinleslin 
grêle,  environ centd/sioma  ferox  dans  le  gros  intestin,  vingt-deux 
distoma  hîans  dans  l'œsopbage;  cinq  distoma  Mans  (?)  entre  les 
membranes  de  Testomac,  et  enfin  un  distoma  echinatum  dans 
Tintestin  grêle. 

(2)  Krause,  Wiegmann's  Archiv,  1840. — Plus  de  cinq  cent  dix- 
neuf  ascaris  megalocephala,  centquatre-vingt-dix  oœyuris  curvula, 
deux  cent  quatorze  strongylus  armatiis,  plusieurs  milliers  de 
strongylus  tctracanthus,  soixante-neuf  tœnia  perfoliatn,  deux  cent 
quatre-vingt-sept  filaria  papillosa,  et  six  cysticercus  fistularis. 

Dujardin,  Histoire  naturelle  des  helminthes.  Paris,  1845.  p.  13. 


DISCUSSION    DE    l'uYPOTHÈSE    DES   MIGRATIONS.         553 

aurait  dû  être  si  les  vers  provenaient  réellement  du 
dehors.  Si  cela  ne  vs'est  pas  présenté,  c'est  que  ceux- 
ci  n'ont  trouvé  la  raison  de  leur  apparition  que  dans 
la  nature  des  circonstances  particulières  qui  leur  ont 
été  otTertes  par  les  deux  animaux  en  question,  circon- 
stances qui  chez  eux  en  ont  déterminé  l'apparition 
spontanée. 

A  l'aide  de  l'expérience,  Pallas  a  prouvé  que  des 
œufs  d'Entozoaires  peuvent  se  grefîer  sur  un  autre 
animal  que  celui  qui  les  a  produits,  et  se  développer 
là  où  on  lésa  placés.  Il  rapporte  avoir  introduit,  par 
une  plaie,  quelques  œufs  de  Ténia  du  chien  dans  la 
cavité  abdominale  d'un  autre  animal  de  cette  espèce, 
et  qu'ils  s'y  sont  parfaitement  développés,  jusqu'au 
point  d'atteindre  la  longueur  d'un  pouce  dans  l'espace 
d'un  mois.  Mais,  comme  le  fait  judicieusement  ob- 
server Bremser,  cela  est  insignifiant,  puisque  ces  œufs 
possédaient  toute  leur  fraîcheur,  venant  d'être  extraits 
à  l'instant  même  d'un  autre  chien  (1).  Cette  expé- 
rience soulève  quelques  objections  fondamentales. 
Comment  donc  ces  œufs  de  Ténia  ont-ils  donné  nais- 
sance à  de  jeunes  individus  finement  annelés,  ayant 
le  faciès  de  leurs  parents,  et  non  pas  à  des  Cysticer- 
ques,  ce  qui  devrait  avoir  eu  lieu,  si  les  faits  annoncés 
par  les  partisans  des  migrations  sont  exacts?  Com- 
ment s'est-il  pu  faire  aussi,  en  suivant  leurs  errements, 
qu'il  se  soit  développé  de  jeunes  Ténias  à  la  surface  du 
péritoine,  eux  qui  pour  arriver  dans  l'intestin  des 

(I)  Bremser,  Traité  anatomique  et  physiologique  des  vers  intes- 
tinaux. Paris,  i824,  p.  42. 


554  HÉTÉROGÉNIE. 

animaux,  leur  site  de  prédilection,  opèrent  de  si  ex- 
traordinaires voyages? 

Absorption  des  oeufs  ou  des  embryons.  —  Pour 
être  à  l'abri  de  tout  reproche,  les  expériences  de  mi- 
grations artificielles  des  helminthologistes  auraient 
dû,  absolument,  se  rapprocher  de  la  marche  de  la  na- 
ture, et  c'est  ce  qui  n'a  pas  eu  lieu. 

Ces  expériences  sont  tellement  subordonnées  aux 
précautions  que  prennent  les  physiologistes ,  que 
Klichenmeister  avoue  lui-même  que,  pour  en  faci- 
liter la  réussite,  on  doit  avoir  la  précaution  d'en- 
lever les  enveloppes  des  Cysticerques,  et  même  d'in- 
ciser la  vésicule  de  ceux  qui  sont  volumineux,  parce 
que,  sans  cela,  ils  sont  vomis  très-fcfcilement.  Dans 
la  nature,  les  animaux  qui  mangent  accidentellement 
des  Cysticerques  prennent-ils  ces  précautions  (1)? 

Mais  si,  dans  ces  expériences,  le  Cysticerque,  que 
l'on  a  mis  hbre  dans  l'estomac,  traverse  cet  organe 
pour  aller  ensuite  se  développer  sur  l'intestin  grêle, 
cela  ne  dit  nullement  que,  dans  l'ordre  naturel,  les 
phénomènes  se  passent  ordinairement  ainsi.  Aussi 
sommes-nous  porté  à  considérer  ces  expériences,  non 
comme  exprimant  la  marche  normale  de  la  nature, 
mais  comme  n'étant  qu'une  transposition  artificielle 
d'un  animal  qui,  placé  dans  de  défavorables  circon- 
stances, n'y  devait  jamais  présenter  qu'une  forme  té- 
ratologique;  mais  qui,  transporté  par  le  bienfait  de  la 
transmigration,  dans  un  habitat  plus  propice,  y  prend 
toute  son  extension.  Ainsi  une  plante  s'étiole  et  meurt 

(1)  KucoENMEisTER^   Ou  animal  and  vegetable  parasites  of  the 
htiman  body.  Londres,  1837,  1. 1,  p.  83. 


DISCUSSION    DE   L  HYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.         555 

dans  un  sol  trop  restreint  et  privé  d'éléments  nutri- 
tifs, mais  devient  un  végétal  robuste  quand  ensuite  on 
la  confie  à  une  terre  plus  riche  et  plus  étendue. 

Admettons  cependant  que  cette  difficulté  soit  levée, 
et  que  l'œuf  ou  l'embryon  d'un  Cestoïde  se  trouve 
parvenu  dans  l'intestin  d'un  animal  ;  comment  de  là 
opérera-t-il  sa  migration  pour  se  rendre  dans  les  or- 
ganes éloignés?  Les  helminthologistes prétendent  qu'il 
est  absorbé,  mais  les  physiologistes  sont  fortement 
autorisés  à  nier  que  cela  soit  possible. 

Il  est  vrai  que  Herbst,  par  ses  expériences  sur  les 
fonctions  du  système  lymphatique,  avait  fait  supposer 
que  des  molécules  de  lait  ou  d'amidon  pouvaient  être 
absorbées  dans  l'intestin,  et  passer  dans  le  système 
sanguin  (1);  et  que,  plus  tard,  OEsterlen,  ayant  nourri 
des  lapins,  des  chats  et  des  poules  avec  de  la  pous- 
sière de  charbon,  a  retrouvé  des  parcelles  de  celle-ci, 
de  30Ô  à  À  de  millimètre,  dans  le  sang  des  veines  du 
mésentère  (2).  Il  est  vrai  aussi  que  F.  Éberhard  a  re- 
trouvé des  molécules  de  soufre  de  3J0  à  7J0  ^^^  millimè- 
tre  de  diamètre ,  dans  le  sang  des  veines  mésaraïques^ 
de  divers  chiens  qu'il  avait  nourris  avec  du  soufre 
sublimé  (3).  L'on  sait  aussi,  que  Mensonides  et  Don- 
ders  prétendent  qu'ayant  fait  avaler,  de  vive  force,  de 
l'amidon  à  des  grenouilles,  au  moyen  d'une  seringue, 

(1)  Hekbst,  Le  Sijstèmehjmphatique  et  ses  opérations.  Gœii'ingne, 
1844  (en  allemand). 

(2)  ŒsTERLEN,  Annales  de  Henle  et  Pfeufer  pour  la  médecine 
rationnelle,  Heidelberg,  l.  V,  p.  43i. 

(3)  F.  Eberhard,  Recherches  sur  le  passage  des  matières  inso- 
lubles de  l'intestin  et  de  la  peau  dans  le  sang.  Zurich;,  1847  (en 
allemand). 


556  HÉTÉROGÉNIE. 

après  six  heures,  ils  ont  retrouvé  des  molécules  de 
farine  dans  les  veines  du  mésentère  de  ces  reptiles, 
et  que  là  elles  étaient  paifaitement  reconnaissables 
à  l'aide  du  microscope  et  de  l'iode.  Bruch  assure 
même  que  les  molécules  du  lait  passent  intégrale- 
ment dans  le  sang  des  jeunes  animaux  encore  à  la  ma- 
melle, et  dit  avoir  retrouvé  ce  fluide  dans  les  veines 
mésentériques  de  plusieurs  petits  chats  (1).  Enfin,  Mar- 
fels.  en  injectant  du  sang  de  brebis  et  du  sang  de  bœuf 
dans  l'estomac  de  plusieurs  grenouilles,  a  retrouvé  ce 
sang  dans  le  cœur,  et  a  même  \u  ses  globules  circu- 
ler dans  les  capillaires  les  plus  ténus  du  mésentère 
de  ces  reptiles  (2). 

Mais  déjà  on  a  fait  quelques  objections  à  plusieurs 
des  expériences  que  nous  venons  de  citer.  On  a 
prétendu,  avec  raison,  que  les  molécules  du  char- 
bon, présentant  communément  des  angles  assez  ai- 
gus, avaient  pu  dilacérer  les  fines  parois  des  absor- 
bants pour  s'introduire  danslesystème  circulatoire  (3). 
C.  E.  Hoffmann,  qui  a  remporté  le  prix  proposé  par 
la  Faculté  de  Wûrtzbourg  sur  cette  question  :  «  Si  du 
mercure  et  de  la  graisse  peuvent  entrer  en  substance 
dans  le  système  circulatoire?»  contredit  les  expériences 


(1)  Bruch,  Annales  de  la  zoologie  scientifique  de  Ch.  de  Siebold 
et  Kolliker.  Leipzig  1853,  l.  IV. 

(2)  F.  ^\\ïKFEL'è,  Recherches  sur  la  voie  par  laquelle  de  petits  cor- 
puscules solides  passent  de  l'intestin  dans  l'intérieur  des  petits  vais- 
seaux chyliféres  et  sanguiîis.  Ann.  se.  iiat.  Zoologie.  1856,  t.  V, 
p.  134. 

(3)  Corn  p.  F.  Marfels.  Recherches  sur  la  voie  par  laquelle  de 
petits  corpuscules  solides,  elc. 


DISC!  SSÎON    DE  l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.         557 

d'Éberhard  sur  ce  sujet  (1).  On  pourrait  enfin  se 
demander  si,  dans  ses  expériences,  Martels  n'a  pas 
pu  confondre  des  globules  du  sang  de  grenouille  à 
l'état  de  corpuscules  élémentaires,  avec  le  sang  du 
mouton  et  du  bœuf  qu'il  avait  présenté  à  l'absorption? 
Mais  une  objection  autrement  capitale  que  les  précé- 
dentes, c'est  le  diamètre  des  œufs  des  helminthes, 
beaucoup  plus  considérables  que  celui  des  globules 
du  sang  et  du  lait,  en  admettant  que  l'absorption  de 
ceux-ci  soit  un  fait  positivement  établi. 

En  ce  qui  concerne  la  fécule,  dans  mes  expériences 
sur  les  grenouilles  et  les  poissons,  soit  que  je  l'aie 
fait  manger  à  ces  animaux,  soit  que  je  l'aie  injectée 
dans  leur  tube  digestif,  jamais  je  ne  l'ai  retrouvée  en 
circulation  dans  les  veines  mésaraïques  (2). 

Mais  si  les  helminthes  qu'on  trouve  dans  les  or- 
ganes profonds,  qui  n'ont  aucune  communication 
avec  l'extérieur,  ne  sont  pas  le  produit  de  l'hétérogé- 
nie,  il  faut  absolument  indiquer  par  quelle  voie  ils 

{{)  C.  E.  Hoffmann.  Sur  le  passage  du  mercure  et  de  la  graisse 
dans  le  courant  du  sang,  dissertation  inaugurale.  Wiirtzboiirg, 
1854  (en  allemand). 

(2)  Expérience.  Sur  une  Rana  esculenta,  on  injecta  dans  l'es- 
tomac de  la  fécule  non  colorée  ;  si\  heures  après  on  tua  l'animal 
et  l'on  explora  attentivement  le  mésentère,  sans  y  rencontrer  un 
seul  grain  de  cette  fécule  ;  l'iode  n'en  signale  pas  non  plus.  S'il 
eût  existé  des  granules  d'amidon  dans  les  vaisseaux,  on  les  eût 
découverts  immédiatement,  ceux-ci  ayant  un  diamètre  au  moins 
du  double  de  celui  des  globules  du  sang.  —  J'ai  répété  ensuite 
cette  expérience  avec  de  l'amidon  préalablement  coloré  en  bleu 
par  l'iode,  pour  qu'elle  fût  encore  plus  précise;  et,  soit  sur  des 
grenouilles,  soit  sur  des  poissons  [cyprinus  auratus),  jamais  je 
n'ai  vu  un  seul  grain  de  fécule  être  absorbé. 


558  HETERO GENIE. 

onl  pu  s'y  introduire.  Comment,  par  exemple,  s'ils  ne 
se  développent  point  sur  le  lieu  même,  certains  Ento- 
zoaires  envahissent-ils  le  cerveau,  le  foie,  la  rate,  la 
cavité  du  péritoine,  celles  de  la  plèvre  et  du  péricarde, 
et  même  celle  des  os  ! 

Est-ce  à  l'état  d'œuf  qu'on  prétend  qu'ils  y  arri- 
vent ou  à  l'état  vivant? 

A  l'état  d'œuf,  il  est  de  toute  impossibilité  qu'ils 
puissent  s'insinuer  dans  les  organes;  le  système  vas- 
culaire  sanguin  ou  lymphatique  ne  pouvant  les  ad- 
mettre dans  leurs  canaux,  ceux-ci  formant  un  en- 
semble parfaitement  clos. 

Et  d'abord,  relativement  à  l'introduction  des  œufs, 
il  y  a  impossibilité  matérielle,  car  dans  aucune  partie 
des  surfaces  absorbantes  des  mammifères,  par  exem- 
ple, ils  ne  pourraient  être  aspirés. 

Il  n'y  a  pas  besoin  d'insister  sur  la  barrière  infran- 
chissable que  la  peau  oppose  à  ces  œufs;  et  il  est  évi- 
dent que  s'ils  peuvent  s'introduire  à  l'intérieur  des 
organes,  ils  doivent  nécessairement,  après  leur  ad- 
mission préalable  avec  l'air  ou  les  aliments,  être  as- 
pirés par  la  surface  des  muqueuses  intestinales  ou 
pulmonaires.  Or,  les  travaux  de  précision  des  anato- 
mistes  et  des  physiologistes  du  dix-neuvième  siècle 
nous  démontrent,  jusqu'àl'évidence,  que  cela  est  tout 
à  fait  impossible. 

Les  œufs  ne  peuvent  assurément  pas  être  absorbés 
par  les  vaisseaux  sanguins  ou  chylifères  de  la  mu- 
queuse intestinale,  puisque  ceux-ci  n'ont  aucune  ou- 
verture béante  à  la  surface  de  cette  membrane  ;  et 
que,   d'après  Valentin,  Béclard  et  Bérard,    ils  n'y 


DISCUSSION    DE    L  HYPOTHESE    DES    MIGRATIONS.        550 

pompent  les  fluides  que  par  une  imbibition  endos- 
motique  (1). 

Et  d'ailleurs,  avant  ce  débat  il  y  aurait  une  obser- 
vation préjudicielle  à  exécuter  :  il  faudrait  s'assurer  si 
l'on  peut  découvrir  des  œufs  d'helminthes  dans  les 
organes  digestifs  des  animaux  qui  sont  le  plus  fré- 
quemment infectés  de  vers  vésiculaires.  Et  déjà  des 
helminthologistes,  qui  ont  fait  de  nombreuses  re- 
cherches, assurent  n'avoir  jamais  rencontré  un  seul 
œuf  de  Ténia  dans  les  intestins  des  porcs  et  des  lapins. 

L'absorption  pulmonaire  étant  absolument  endos- 
motique,  il  est  évident  que  les  œufs  des  helmmthes 
ne  peuvent  pas  plus  entrer  dans  l'économie  animale 
par  les  cellules  bronchiques,  qu'ils  ne  peuvent  y  pé- 
nétrer par  les  villosités  intestinales.  Le  grand  physio- 
logiste J.  Mûller  a  lui-même  senti  combien  ces  faits 
ont  une  imposante  autorité  (2). 

Enfin,  un  obstacle  encore  plus  grand  viendrait  s'of- 
frir par  rapport  à  certains  helminthes  qui  sont  vivi- 
pares. Pour  eux,  il  faudrait  donc  que  les  petits  s'é- 
chappassent du  gîte  maternel,  ce  qui  est  déjà  difficile; 
puis,  qu'après  avoir  traversé,  sans  périr,  un  espace 
d'atmosphère  plus  ou  moins  considérable,  ils  en- 
trassent ensuite  dans  Tintérieur  d'un  autre  animal 
pour  s'y  insinuer  à  travers  des  membranes  que  nous 
avons  déjà  vu  être  infranchissables   pour   des  œufs 

(1)  Valentin,  Physiot.  London,  1843  (trad.),  p.  56.— Béclard, 
Traité  élémentaire  de  physiologie.  Paris,  18o9;p.  162.  — Bérard, 
Cours  de  physiologie.  Paris,  1848. 

[1]  i.MiJLLER,  Manuel  de  physiologie,  trad.  de  rallemand  par 
Jourdan.  3«  édit.  Paris,  1851,  p.  15. 


560  HETEROGENIE. 

plus    petits   qu'eux.  C'est   encore  plus   impossible. 

Migration  des  oeufs  et  dks  embryons.  —  Nous 
avons  d'abord  démontré  que  l'absorption  des  œufs 
était  tout  à  fait  impossible  ;  et  que  les  muqueuses  in- 
testinales et  pulmonaires  leur  refuseraient  absolument 
passage,  si  on  supposait  même  qu'ils  aient  pu  s'intro- 
duire dans  les  voies  digestives  ou  respiratoires.  La 
micrométrie  parle  là  avec  une  irrécusable  autorité. 
Maintenant  il  nous  sera  tout  aussi  facile  de  démontrer 
que  la  circulation  n'est  pas  plus  apte  à  transporter 
les  œufs  à  travers  l'organisme  que  celui-ci  ne  l'est  à 
les  absorber. 

En  admettant  même  que  quelques  œufs  puissent 
s'introduire  dans  le  système  circulatoire  et  qu'ils 
soient  entraînés  dans  son  torrent,  bientôt  wne  double 
barrière,  barrière  absolument  infranchissable,  s'op- 
poserait à  ce  qu'ils  parvinssent  dans  la  profondeur 
des  organes.  En  effet,  il  faudrait  qu'avant  tout, 
ils  traversassent  deux  systèmes  capillaires  :  celui 
du  foie  et  celui  du  poumon  !  double  impossibilité. 

En  effet,  nécessairement,  ils  devront  être  absorbés 
par  les  veines  mésaraïques;  et,  en  admettant  qu'ils 
parvinssent  à  traverser  le  système  capillaire  du  foie, 
arrivés  dans  le  pouaion,  ils  y  trouveront  un  nouvel 
obstacle  infranchissable;  les  capillaires  extrêmement 
déliés  qui  tapissent  les  cellules  bronchiques,  n'offrant 
pas  un  calibre  susceptible  de  leur  livrer  passage.  Ce- 
pendant, si  ces  premiers  obstacles  infranchissables, 
obstacles  sérieux,  auxquels  je  crois  qu'on  n'avait  pas 
encore  songé ,  pouvaient  être  franchis ,  le  système 
artériel  pourrait  il  ensuite  lancer  les  helminthes  dans 


DISCUSSION   DE    l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.        561 

cette  foule  d'organes  profonds  où  parfois  on  les  dé- 
couvre? mais  nullement. 

Les  physiologistes  qui  ont  parlé  de  la  dissémination 
des  œufs  à  l'aide  du  système  vasculaire,  et  qui  l'ont 
fait  après  un  examen  attentif  des  prémisses  de  la  ques- 
tion, à  savoir  :  le  rapport  des  diamètres  de  ceux-ci  et 
des  capillaires,  sont  restés  convaincus  qu'il  y  avait 
impossibilité  physique.  Burdach  pense,  qu'en  admet- 
tant même  qu'ils  parvinssent  dans  les  vaisseaux,  ils 
ne  pourraient  circuler  à  l'intérieur  de  leur  étroite  fi- 
lière, les  œufs  de  certains  vers  étant,  selon  lui,  dix  fois 
plus  gros  que  les  globules  du  sang,  qui,  eux-mêmes, 
y  trouvent  parfois  des  passages  dans  lesquels  ils  peu- 
vent à  peine  s'introduire.  J.  Muller  etBremser  profes- 
sent une  opinion  analogue  (1). 

En  effet,  les  œufs  de  beaucoup  d'helminthes  ont 
une  grosseur  qui  dépasse  considérablement  le  calibre 
des  capillaires;  aussi,  est-il  impossible  d'expliquer 
par  ceux-ci  leur  transport  dans  l'organisme.  Le  dia- 
mètre des  vaisseaux  capillaires  de  l'homme  variant 
de  0,005  à  0,006  de  millimètre,  et  celui  des  œufs 
des  Ténias  étant  de  0,020  à  0,080de  millimètre,  ceux- 
ci  ne  peuvent  par  conséquent  traverser  leur  réseau. 

Les  modernes  partisans  des  migrations  des  Ento- 
zoaires  expliquent  celles-ci  par  deux  moyens.  Les  uns 
pensent  que  l'embryon,  après  avoir  été  introduit  dans 
les  voies  digeslives  des  animaux,  se  fraye  un  chemin 

(1)  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  I,  p.  28.  — 
J.  Muller,  Manuel  de  physiologie.  Paris,  1851,  p.  15.  — Brehser, 
Traité  zoologique  et  physiologique  des  vers  intestinaux.  Paris, 
1824. 

POUCHET.  36 


562  HÉTÉRO  GÉNIE. 

à  travers  les  tissus  à  l'aide  de  ses  crochets,  jusqu'à  ce 
qu'il  soit  parvenu  dans  un  site  de  prédilection  (1);  les 
autres  croient  qu'après  s'être  introduits  dans  les  vais- 
seaux, les  jeunes  helminthes  sont  passivement  dissé- 
minés dans  les  diverses  régions  de  l'animal  qu'ils  vont 
infester.  On  rapporte  même,  à  l'appui  de  cette  der- 
nière opinion,  que  Leuckart  a  trouvé  quatre  embryons 
de  vers,  libres  dans  la  veine-porte,  à  son  entrée  dans 
le  foie  (2). 

Voici  déjà  une  grande  concession  de  faite  par  les 
partisans  des  migrations.  La  progéniture  n'entre 
point  dans  le  système  vasculaire  par  l'absorption  or- 
ganique, mais  elle  s'y  insinue  violemment  à  l'aide  de 
sa  propre  force  vulnérante  ;  ou  bien,  en  employant 
celle-ci,  elle  perfore  une  série  d'organes  pour  parve- 
nir enfin  dans  son  site  d'élection. 

Ces  nouvelles  explications,  quoique  fort  ingénieuses, 
soulèvent  une  tourmente  d'objections.  D'abord  quand 
'Tembryon,  car  ce  n'est  plus  un  œuf,  a  percé  l'intes- 
tin pour  arriver  dans  les  veines  du  mésentère,  alors  il 
faut  r  qu'il  traverse  le  système  capillaire  du  foie; 
2°  qu'il  franchisse  le  système  capillaire  du  poumon  ; 
3°  qu'il  passe  une  seconde  fois  par  le  cœur;  4°  qu'il 
soit,  enfin,  lancé  dans  les  organes  à  l'aide  des  artères. 
Mais,  sans  compter  tout  ce  qu'a  d'extraordinaire  ce 


^1)  Telle  est  Topinion  de  Kûchenmeister  et  de  Van  Benederi,  qui 
décrivent  avec  un  soin  exliême  le  mécanisme  par  lequel  le  ver 
fouille  et  perfore  les  tissus.  —  Klchenmeister,  1. 1,  p.  48.  —  Van 
Beneden,  ZooL  méd.,  t.  II,  p.  217. 

(2)  Comp.  Kûchenmeister,  On  animal  and  vegetable  parasites  of 
the  human  body.  London,  i857,  t.  1,  p.  50.  {Trad.  angl.) 


DISCUSSION    DE   l'hYPOTIÎÈSE    DES    MIGRATIONS.        563 

vo;yage,  nous  avons  déjà  \u  qu'il  offre  deux  insurmon- 
tables obstacles,  deux  systèmes  capillaires  itifranchis- 
sables. 

Si  les  œufs  des  entozoaires  qui  attaquent  T homme, 
étaient  transportés  dans  les  organes  par  le  système 
vasculaire,  comme  nécessairement  beaucoup  devraient 
être  en  circulation,  on  les  y  trouverait,  comme  on 
trouve  dans  les  vaisseaux  ceux  de  quelques  entozoai- 
res qui  y  vivent  naturellement  ;  et  je  ne  sache  pas, 
qu'excepté  M.  Leuckart,  slucun  savant  en  ait  observé. 

Les  physiologistes  ont  récemment  démontré  que 
plusieurs  helminthes  se  rencontrent,  et  parfois  même 
en  abondance,  à  l'intérieur  du  système  vasculaire,  où 
semble  être  leur  habitat  normal.  Presque  tous  ceux-ci 
appartiennent  au  genre  Filaire;  et  MM.  Delafond  et 
Gruby  en  ont  reconnu  un  assez  grand  nombre  circu- 
lant avec  le  sang  des  mammifères  et  des  reptiles. 
M.  Valentin  a  découvert  un  Hématozoaire  particulier, 
une  espèce  (ÏAmœda,  dans  le  sang  d'un  saumon.  Plus 
récemment,  M.  Gruby  a  fait  connaître  des  animalcules 
infiniment  petits,  de  0,0040  de  millimètre  de  lon- 
gueur, roulés  en  spirale  et  dentés  en  scie,  qu'il  a 
rencontrés  abondamment  sur  des  grenouilles  adultes, 
mêlés  à  des  Pilaires,  et  en  circulation  dans  les  vais- 
seaux, où  ils  se  meuvent  d'un  mouvement  extrê- 
mement rapide  (1) .  On  sait  en  outre  que  Schmitz,  Va- 

(1)  Delafond  et  Gruby,  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences  y 
t.  XXXIV,  p.  9.  —Valentin,  Archiv.  de  Muller.  1841,  p.  435.— 
Gruby,  Recherches  et  Observations  sur  une  nouvelle  espèce  dliéma- 
tozoaire. {Try panosoma  sanyuinis.)  Ann.  se.  nat.  1844,  1. 1,  p.  164, 
pi.  1,  fig.  B. 


564  *  HÉTÉROGÉNIE. 

lentin,  Vogt,  Remak,  Mayer,  Berg,  Creplin  ont  aussi 
rencontré  des  helminthes  dans  le  sang  des  grenouilles 
et  de  quelques  poissons  d'eau  douce  (1);  de  Siebold 
en  a  souvent  vu  au  milieu  de  celui  des  oiseaux  (2). 

On  connaît,  depuis  Swammerdam,  une  espèce 
d'Ascaride  qui  vit  particulièrement  dans  le  poumon  des 
grenouilles  (3).  M.  Gluge  a  découvert,  il  est  vrai,  les 
ovaires  et  reconnu  les  œufs  de  ce  parasite,  qui  est 
Y  Ascaris  nigrovenosiis.  Valentin  a  vu  circuler  ceux-ci 
avec  le  sang  de  ce  reptile  ;  mais  ces  œufs  n'avaient 
point  été  introduits  du  dehors,  ils  se  trouvaient  en 
quelque  sorte  enfermés  dans  leurs  cavités  naturel- 
les (4).  Il  y  a  loin  de  là  à  l'hypothèse  qui  admettrait 
l'entrée  de  ces  œufs,  par  endosmose,  dans  le  tissu  ca- 
pillaire, à  travers  la  paroi  des  bronches.  Ils  sont  telle- 
ment ici  dans  leur  site  d'élection,  que  M.  Gruby, 
ayant  injecté  de  ces  œufs  dans  les  vaisseaux  des  gre- 
nouilles, parvenus  au  poumon,  on  les  a  vus  s'arrêter 
dans  ses  capillaires  pour  s'y  développer  (5). 

(1)  SciiMiTZ,  De  vermihus  in  circulatione  vivent ibus.  Berolini, 
1826.  —  Valentin,  De  functîonibus  nervorum  cerebralium  et  nervi 
sympathici,  1839,  p.  101  et  144.  —  Vogt,  Mullef's  Archiv.  1842 
—  Remak,  Canstatfs  Jahresbericht.  1842.  —  Mayer^  De  organo 
eleclrico  et  dehœmatôzois.  Bonn,  1843,  p.  10.  —  Berg  et  Creplin, 
Archiv  skandinavischer  Beitràge  zur  Naturgeschichte.  1815,  t.  I. 

(2)  De  Siebold,  art.  Parasites  du  Handworterbuch,  t.  Il,  p.  648. 

(3)  Swammerdam,  Biblia  naturœ.  Leyde,  1737. 

(4)  Gluge,  Sur  un  Entozoaire  dans  te  sang  de  la  grenouille.  Ar- 
ctiives  de  médecine  comparée  de  Rayer,  t.  I,  p.  44.  —  Valentin, 
De  la  présence  d'entozoaires  dans  le  sang.  Archives  de  médecine 
comparée  de  Rayer,  t.  I,  p.  42,  43. 

(5)  Gruby,  Recherches  et  observations  sur  une  nouvelle  espèce 
d'hématozoaire.  Ann.  des  se.  nat.,  3®  série,  t.  1. 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.         56S 

M.  Joly,  ayant  rencontré  récemment  des  Filaires  de 
quinzeà  vingt  centimètres  de  longueur,  dans  les  deux 
oreillettes  d'un  plioque  commun,  a  pensé  que  ces  hel- 
minthes, qui  tous  étaient  femelles  et  remplis  d'œufs 
et  de  petits  éclos,  n'étaient  que  l'ét^il  adulte  âufilaria 
pisciiim.Ce  zoologiste  suppose  que  les  phoques,  vivaqt 
presque  exclusivement  de  poissons,  avalent  avec  ceux- 
ci  les  Filaires  dont  ils  sont  remplis,  et  que  ces  derniers 
résistant  à  l'action  digestive,  perforent  les  parois  du 
tube  intestinal, s'insinuent  dans  les  vaisseaux  sanguins 
et  parviennent  au  cœur  (1). 

Mais  M.  Joly,  avouant  que  ce  ver,  qu'il  nomme 
filaria  cordis  pliocœ,  n'a  ni  bouche,  ni  anus,  et  que 
même  sa  tète  est  obtuse,  on  ne  peut  expliquer  com- 
ment il  lui  serait  possible  de  perforer  les  parois  résis- 
tantes des  vaisseaux  et  de  l'intestin.  Selon  ce  zoolo- 
giste, ce  Filaire  acquiert  son  développement  complet 
dans  le  sang  du  phoque,  et  il  y  produit  même  ses  pe- 
tits. Mais  comment  ceux-ci  passent-ils  donc  dans  les 
poissons?  Ces  myriades  de  jeunes  Filaires,  qui,  à  un 
moment  donné,  envahissent  le  système  sanguin,  en 
sortent-ils  en  criblant  ses  parois  pour  se  répandre  en- 
suite dans  la  mer?  Ce  ne  peut  être  que  là  que  les 
absorbent  les  poissons,  car  ceux-ci  ne  mangent  pas,  à 
leur  tour,  les  phoques  dont  ils  sont  la  pâture.  11  faudrait 
donc  admettre  que  ccsFilaires  naissent  dans  les  canaux 
sanguins  de  ces  mammifères;  qu'ils  en  sortent  ensuite 
pour  aller  vivre  sur  des  poissons,  et  qu'ils  ont  besoin 

{\)  Joly,  Mémoire  sur  une  nouvelle  espèce  d'hématozoaire,  ob- 
servée dans  le  cœur  d'un  phoque.  Compt.  rend.  1858,  t.  XLVI, 
p.  403. 


566  HETEROGENIE. 

enfin,  pour  parvenir  à  leur  état  adulte,  qu'un  phoque 
les  dévore,  pour  qu'ils  se  réintroduisent  dans  le  même 
appareil  qu'ils  ont  précédemment  abandonné..... 

Tout  cela  est  vraiment  extraordinaire  !  et  ce  que  je 
puis  affirmer,  bien  plus  difficile  à  comprendre  que 
l'évolution  spontanée  de  ces  Pilaires,  tout  simplement 
dans  le  lieu  où  on  les  découvre.  Et  pourquoi  donc  ces 
Pilaires  se  donneraient-ils  tant  de  peine  pour  s'expa- 
trier d'ujj  milieu  où  ils  doivent  enfin  revenir? 

Comment  donc  Van  Beneden,  qui  connaissait  ce 
fait,  mais  qui  ne  le  cite  que  fort  brièvement,  a-t-il  pu 
dire  que  tous  les  hématozoaires  paraissent  se  trouver 
à  l'état  agame  dans  le  système  vasculaire  (1)? 

Lorsque  l'on  découvre  aujourd'hui  si  habilement 
les  hématozoaires  qui  circulent  avec  le  sang,  et  qui 
ont  parfois  des  dimensions  infiniment  petites,  telles 
que  l'hématozoaire  de  0,0040  demiUimètre  dont  parle 
M.  Gruby(2);  on  se  demande  comment,  si  le  sang 
était  réellement  le  véhicule  normal  des  helminthes, 
comment,  nous  le  répétons,  depuis  longtemps,  on 
n'aurait  pas  déjà  découvert  leurs  œufs  ou  leurs  em- 
bryons dans  ce  fluide?  Cela  serait  on  ne  peut  plus  fa- 
cile, car  ils  devaient  se  rencontrer  en  abondance  chez 
certains  animaux,  qui  sont  infestés  par  une  inconceva- 
ble quantité  de  vers.  On  devrait  d'autant  plus  obtenir 

(i)  Gervais  et  Van  Beneden,  Zoologie  médicale.  Paris,  4859, 
t.  II,  p.  303. 

(2)  GuuBY,  Recherches  et  observations  sur  une  nouvelle  espèce 
d'hématozoaire.  Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1844, 1. 1,  p.  104.  Quelques 
savants  ont  douté,  il  est  vrai,  de  l'animalité  de  cet  helminthe,  mais 
cela  ne  diminue  nullement  de  la  force  de  rargnmenlalion,  si  ce 
n'est  pas  un  véritable  animal,  c'est  une  production  quelconque. 


DISCUSSION    DE   l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.         567 

ce  résultat,  que  beaucoup  de  germes  voyageurs  doi- 
vent s'égarer  ou  périr  en  route,  et  qu'il  faut  nécessai- 
rement qu'il  y  en  ait  un  immense  nombre  en  circula- 
tion, pour  qu'il  en  arrive  quelques-uns  seulement  à 
leur  destination. 

Mais  la  découverte  des  hématozoaires,  ainsi  que  le 
fait  observer  Bérard,  n'offre  aucun  argument  en  faveur 
de  la  transmission  des  œufs  à  l'aide  de  la  circulation. 
Bien  au  contraire,  ces  animaux  sont  là  dans  leur  site 
d'élection,  et  ils  y  offrent  une  preuve  de  plus  en  faveur 
de  la  génération  spontanée  (1). 

On  sait  que  Valentin  a  découvert  un  microzoaire 
dans  le  sang.  Cet  animalcule,  qui  y  était  excessive- 
ment abondant,  ressemblait  absolument  aux  Protées 
et  n'offrait  pas  la  moindre  trace'  d'organisation  ni 
d'appendices  (2).  La  présence  de  ce  microzoaire  ne 
peut  être  expliquée  là  que  par  l'hétérogénie  ;  car  je  ne 
suppose  pas  que  les  partisans  des  migrations  puissent 
admettre  qu'un  être  microscopique  diffluent,  privé 
d'appendices  vulnérants,  a  pu  pénétrer  dans  le  système 
sanguin. 

De  l'habitat  des  helminthes.  —  Les  savants  qui 
prétendent  que  les  œufs  s'introduisent  du  dehors  dans 
l'intérieur  des  organes,  ne  se  sont  pas  réellement  rendu 
compte  des  conséquences  de  cette  hypothèse,  sans 
cela,  ils  auraient  reconnu  qu'elle  est  complètement 
inadmissible.  Burdach,  qui  a  très-bien  entrevu  les 
difficultés  qu'il  y  a  d'expliquer  ainsi  les  Entozoaires 

(1)  Bérard,  Cours  de  physiologie.  Paris,  1848,  t.  I^  p.  i02. 

(2)  Valentin,  ArchivesdeMuUer.  1841, n°  5,  p. 435.  Ami.  se.  nat. 
Zoologie,  1841,  t.  XVI,  p.  303. 


56  8  HETEROGENIE. 

que  recèlent  les  cavités  closes  ou  les  divers  tissus,  dit 
avec  raison  :  «  Leurs  œufs  ne  pourraient  être  portés 
«  au  dehors  qu'à  la  faveur  du  renouvellement  des 
«  matériaux  du  parenctiyme  de  ces  organes  ou  du 
«  liquide  qu'ils  contiennent;  c'est-à-dire,  qu'autant 
«  qu'ils  seraient  amenés  dans  le  sang  par  l'absorption 
«  et  séparés  de  cette  liqueur  par  la  sécrétion  ;  après 
«  quoi  il  leur  faudrait,  pour  arriver  chez  un  autre 
«  individu,  à  l'endroit  qui  les  doit  recevoir,  s'intro- 
«  duire  avec  les  aliments  dans  le  canal  intestinal, 
«  puis  couler  avec  le  chyle  dans  le  sang,  et  se  détacher 
«  du  sang  pendant  le  travail  intime  de  la  sécrétion  et 
«  de  la  nutrition.  Mais  ces  migrations  sont  compléte- 
«  ment  fabuleuses,  puisqu'il  n'existe  point  ici  de  voies 
«  ouvertes,  et  que  tous  les  vaisseaux  sanguins  ou  con- 
«  duits  sécrétoiresont  des  parois  closes  à  travers  les- 
«  quelles  aucune  substance  ne  peut  pénétrer  qu'à 
«  l'état  de  dissolution  et  de  liquidité  (1).  w 

En  effet,  on  implorerait  en  vain  toutes  les  hypothèses, 
hors  l'hétérogénie,  il  n'en  est  aucune  qui  puisse  expli- 
quera présencedecertains  helminthes  parmi  une  foule 
d'organes.  Comment,  en  effet,  sans  elle,  concevoir  les 
Cysticerques  ou  les  Échinocoques  qu'on  découvre 
dans  nos  organes  les  plus  inaccessibles?  Bonet  et 
Geoffroy  en  citent  qui  ont  été  rencontrés  dans  la  cavité 
pectorale  ;Morgagni  dans  le  cerveau  et  la  moelle  épi- 
nière;  Ruysch,  F.  Plater  et  Corvisart  dans  le  foie; 
Cullerier  dans  l'intérieur  du  tibia  (2).  M.  Yalenciennes 

(1)  BuRDACH,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  I,  p.  28. 

(2)  Bonet,  Sepulcretum,  seu  Anatomia  practica.  Genève,  i679, 
lib.  XI,  obs.  21 .  —  Geoffroy,  Sur  deux  hydatides  trouvées  dans  la 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.        569 

a  découvert  dans  la  cavité  péritonéale  d'un  lézard 
vert  soixante-trois  helminthes  de  plus  d'un  centi- 
mètre de  longueur,  appartenant  à  une  espèce  nou- 
velle, assez  rapprochée  des  Ténias.  Aucun  de  ces  vers 
ne  se  trouvait  dans  l'intestin  de  ce  reptile,  et  celui- 
ci  ayant  été  gonflé  d'air,  le  savant  zoologiste  s'assura 
qu'aucune  ouverture  n'avait  été  faite  par  eux  pour 
pénétrer  dans  la  cavité  close  de  l'abdomen  (1).  M.  Du- 
jardin  dit  avoir  vu  un  helminthe  semblable  à  Tinté- 
rieur  de  l'une  des  plèvres  d'un  singe  (2).  Dans  deux 
Môles  que  j'ai  disséqués  au  muséum  de  Rouen,  j'ai 
moi-même  rencontré,  dans  la  cavité  péritonéale  de 
ces  poissons,  une  quantité  considérable  de  vers  Ces- 
toïdes.  Il  y  en  avait  dans  chacun  d'eux,  un  peloton 
gros  comme  la  tête  d'un  enfant,  et  de  toutes  les 
tailles.  Le  docteur* Brunetta  assure  aussi  avoir  trouvé 
quelques  Ascarides  dans  une  tumeur  molle  située  sur 
l'avant-bras  d'un  sujet  qui  avait  été  précédemment 
affecté  de  syphilis  (3).  J'ai  moi-même  rencontré  un 
ascaris  lombricoides  mâle,  dans  une  fistule  de  la  partie 
moyenne  de  la  cuisse,  sur  le  cadavre  d'une  vieille 
femme.  Les  partisans  de  l'hypothèse  des  migrations, 

cavité thoraci que.  Bull.de  Téc.  de  méd.,  an  xiii,p.  164. — Mokgagni, 
De  sedibus  et  causis  morborum.  —  Ruyscii,  Thesaur.,  \,  n.  12.  — 
Plater,  Observ.,  lib  111,  p.  617.  —  Corvisart,  Observation  sur 
une  hijdropisie  enkystée  du  foie  avec  hydatides.  Jouin.de  méd.  — 
CuLLERiER,  Observation  sur  une  tumeur  du  tibia  qui  contenait  une 
grande  quantité  d'hydntides.  Jonrn.  de  méd.,  1806. 

(1)  VAl.ENCIE^^ES,  Observation  d'une  espèce  de  ver  de  la  cavité 
abdominale  d'un  lézard  vert.  {Dithyridium  lacertœ.  Val.)  Ann.  se. 
nat.  Zoologie,  184'f,  t.  II,  p.  248.—  Institut,  t.  XIX. 

(2)  Cité  par  M.  Vdlenciennes. 

(3)  Brunltta,  Scienziati  italianiatti.  Lucca.  1844,  p.  532. 


570  HETEROGENIE. 

expliquent  le  voyage  de  l'embryon  à  l'aide  du  travail 
des  crochets  dont  il  est  armé.  Mais  comment  les  as- 
carides se  transportent-ils,  eux  qui  ne  possèdent  pas 
de  semblables  appendices? 

Ajoutons  enfin,  que  quelques  savants  italiens  sont 
unanimes  pour  soutenir  que  l'on  a  parfois  trouvé  di- 
vers animaux  dans  les  pustules  de  la  variole.  Le  pro- 
fesseur Cerioli  dit  y  avoir  rencontré  des  helminthes, 
et  considère  leur  production  comme  une  nouvelle 
preuve  de  la  génération  équivoque.  Le  docteur  Mo- 
rello  observa  deux  cas  semblables  dans  une  récente 
épidémie  à  Lucques  (1  ) . 

Par  la  théorie  des  migrations,  comment  expliquer 
aussi  les  helminthes  que  l'on  rencontre  à  l'intérieur 
des  yeux  des  animaux  vertébrés  ?  Si  leur  habitat 
dans  ces  organes  était  un  fait  isolé  ou  rare,  on  pour- 
rait lui  chercher  quelque  cause  extraordinaire  ;  mais 
il  est  tellement  fréquent  qu'il  faut  presque  lui  trouver 
une  voie  naturelle,  si  l'on  n'admet  point  l'hétérogé- 
nie  (2).   En  effet,   Nordmann  rapporte   qu'ils  sont 

(i)  Cerioli,  Scienziati  italiani  atti.  Lucca,  1844,  p.  532.  —  Mo- 
RELLO,  Scienziati  italiani  atti.  Lucca,  1844,  p.  546. 

(2)  Le  docleur  Hsering  a  découvert  un  cyslicerque  dont  on  dis- 
tinguait parfaitement  les  suçoirs  et  les  crocliets,  entre  la  scléro- 
tique et  la  conjonctive  de  l'œil  d'un  enfant. —  HiERiNc,  Observation 
de  cysticerquecelluleux  entre  la  conjonctive  et  la  sclérotique,  Gazette 
médicale  de  Paris,  1839,  p.  636.— Le  Diplostomum  volvens,^ovA., 
se  rencontre  en  telle  abondance  dans  l'œil  des  poissons,  que  ses 
cavités  en  sont  presque  remplies.  Dans  son  bel  ouvrage,  Nord- 
mann en  a  liguré  qui  avaient  envahi  l'humeur  vitrée  d'une 
perche.  On  le  découvre  aussi  jusque  dans  l'humeur  aqueuse;  ce 
savant  a  représenté  les  yeux  d'un  yadus  Iota  et  ceux  d'un  cyprinus 
erythrophthalmus  sur   lesquels,  .cette   humeur  en  contient  une 


DISCUSSION    DE    L  HYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.        571 

communs  dans  les  yeux  des  poissons,  et  qu'il  en  a  ren- 
contré dans  presque  tous  ceux  qu'il  a  disséqués.  Ces 
vers,  de  genres  variés,  appartenaient  aux  Distomes, 
aux  Diplostomes  et  aux  Holostomes  ;  les  uns  sié- 
geaient dans  l'épaisseur  des  membranes,  et  les  autres 
dans  ses  plus  profondes  cavités,  l'humeur  vitrée  et  le 
cristallin  (1).  Il  n'est  pas  rare  non  plus  de  découvrir 
des  Filaires  vivants  dans  les  yeux  des  mammifères. 
Hopkinson,  Morgan  et  Bremser  ont  observé  le  filaria 
papillosa  dans  la  chambre  antérieure  de  l'œil  du  che- 
val, où  il  est  assez  commun,  et  où  parfois  on  le  dis- 
tingue parfaitement  se  mouvoir  pendant  la  vie  de 
l'animal  (2).  Enfin,  plusieurs  observations  curieuses 
de  MM.  Rayer  etNordmann  prouvent  que  l'homme  lui- 
même  recèle  parfois  des  helminthes  à  l'intérieur  du 
globe  de  l'œil.  Ces  savants  ont  découvert  des  Filaires 
dans  le  cristallin  de  quelques  personnes  affectées  de 
cataracte  (3).  L'hypothèse  des  migrations  serait  bien 

énorme  quantité.  —  Nordmann,  Mikrographische  Beitràge  zur  Na- 
turgeschichte  der  wirbellosen  Thiere.  Berlin ,  1832,  p.  110,  pl.i, 
fig.  1,  2,  3. 

(1)  Nordmann,  Mikrographische  Beitràge.  Berlin,  1832,  t.  I, 
p.  219. 

(2)  Hopkinson,  Account  of  a  worm  in  a  horse's  Eye.  In  Trans.  of 
the  amer,  philos,  society.  1786,  p.  183.  — Morgan,  Of  a  living 
snakein  a  living  horse's  Eye,  etc.,  In  Trans.  of  the  amer,  society. 
1786,  t.  n,  p.  383.  —  Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique 
sur  les  vers  intestinaux.  Paris,  1824,  p.  18. 

(3)  Rayer  et  de  Nordmann,  Helminthes  dans  Vceil  de  l'homme^ 
Archiv.  de  médecine  comparée.  —  Ces  filaires  ont  paru  à  ces  obser- 
vateurs constituer  même  une  espèce  particulière,  à  laquelle  ils 
ont  donné  le  nom  de  filaria  oculi  humani.  Van  Beneden  le  nomme 
filaria  lentis.  —  Comp.  Sichel  ,  Iconographie  ophthalmologique . 
Paris,  1859.  —  Ammon,  Klinische  Darstellungen,  pi.  XII. 


572  '  HÉTÉROGÉNIE. 

impuissante  pour  expliquer  tous  ces  faits,  et  surtout 
ces  derniers,  quand  on  songe  que  les  Filaires  sont 
vivipares  (1)  !  Sœmmering  assure  même  avoir  décou- 
vert un  cijsticercus  cellulosœ  vivant,  de  la  grosseur 
d'un  pois,  dans  la  chambre  antérieure  de  l'œil  d'une 
jeune  fille. 

Dans  riiistoire  des  helminthes,  certains  faits  de 
double  ou  de  triple  emboîtement,  viennent  encore  cor- 
roborer d'une  extraordinaire  manière  la  théorie  des 
générations  primaires.  Bojanus  et  de  Baër  ont  trouvé, 
dans  le  foie  de  quelques  limaçons,  des  Distomes  à 
l'intérieur  desquels  il  existait  des  Cercaires  (2).  De 
Nordmann  rapporte  avoir  fréquemment  rencontré, 
dans  l'œil  des  poissons,  des  ïrématodcs  qui  conte- 
naient d'autres  Entozoaires  microscopiques  (3).  Mais 
de  Siebold  a  mentionné  un  fait  bien  autrement  éton- 
nant encore  :  c'est  celui  d'un  Monostomum  mittabile, 
ver  qui  vit  à  l'intérieur  des  palmipèdes,  et  dans  le 
corps  duquel  il  existait  un  œuf  occupé  par  un  jeune 
Monostomum,  qui  lui-même  contenait  un  Distome  (4)  ! 
Bremser  rapporte  avoir  trouvé  dans  le  foie  d'un  bœuf, 


(1)  Comp.  Leblond,  Quelques  matériaux  pour  servir  à  l'histoire 
des  filaires,  Acdd.âesscwnc.àe  Rouen,  \S3^,  p.  145.  —  Valen- 
ciENisES^  Institut.  I806,  4  août.  — Jacobso.n,  Nouvelles  annales  du 
muséum,  t.  III,  p.  80. 

(2)  BoJA^us,  Isis,  1818,  p.  729.  —  Baer,  Nov.  act.  nat.  cur. 
t.  XIII,  p.  603. 

(3)  Nordmann,  Mikrographische  Beitràge.  Berlin,  1832,  p.  47. 
Recherches  microscopi'iues,  elc. 

(4)  SiEBOLD,  Sur  le  Monostomum  mutabile,  dansWiEGMANN's  Arch. 
t.  1,  p.  45.  Comp.  aussi  Carus,  du  Leucochloridium  paradoxum. 
I^ov.  act.  nat.  cur.,  t.  XVII. 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTIIÈSE    DES    MIGRATIONS.         573 

une  Hydalide  de  ia  grosseur  du  poing,  qui,  après 
avoir  été  incisée,  laissa  ^s'échapper  une  grande  quan- 
tité de  vésicules  d'eau,  dont  quelques-unes  avaient  le 
volume  d'une  noix.  Celles-ci  étaient  elles-mêmes  rem- 
plies de  plus  petites  Hydatides,  dans  la  cavité  des- 
quelles nageaient  de  véritables  Échinocoques.De  sem- 
blables emboîtements  ont  été  observés  sur  1  homme  (1  ) . 
Recherches  expérimentales.  —  En  décrivant  les 
migrations  des  vers,  Kùchenmeister  dit,  sans  men- 
tionner d'exception,  que  l'hôte  qui  recèle  les  Cystoïdes 
est  dévoré  par  les  animaux  carnivores,  et  que  c'est 
par  ce  moyen  que  ces  vers  arrivent  dans  leur  esto- 
mac (2).  S'il  ne  s'agissait  que  des  carnivores,  si  même 
de  nombreuses  objections  ne  se  présenlaient  contre  ce 
mode  d'introduction,  il  resterait  encore  à  expliquer 
comment  les  espèces  herbivores  introduisent  dans  leur 
tube  digestif  les  scolex  qui  sont  appelés  à  produire  les 
nombreux  Ténias  qu'on  rencontre  parfois  sur  eux; 
eux  qui  ne  mangent  pas  de  viande,  et  qui  par  consé- 
quent ne  dévorent  aucun  cystoïde.  On  pourrait  citer 
en  particulier  le  mouton ,  qui  a  parfois  plus  de  cin- 
quante Ténias  dans  ses  intestins.  En  effet,  à  une  épo- 
que où,  en  Normandie,  on  remarqua  beaucoup  de 
Ténias  chez  ces  animaux,  j'ai  disséqué  des  brebis  qui 
en  contenaient  un  tel  nombre,  que  l'intestin  grêle  en 
était  absolument  obstrué  (3).  On  pourrait  demander 

(1)  Brkmskr,  Traité  zoologique  et  physiologique  des  vers  intesti- 
naux. Paris,  1824,  p.  HO. 

(2)  KÛLHEMWF.iSTERj   Oïl  animal    and  vegetable  parasites   of  the 
human  body.  Londres,  1857,  t.  1,  p.  80. 

(3)  Je  conserve  encore  au  muséum  de  Rouen  une  anse  d'intes- 
tin grêle  demouton  qui  est  absolument  interceptée  par  ces  ténias. 


o74  HÉTÉROGÉWE. 

aux  fauteurs  des  migrations,  comment  ces  moutons 
ont  pu  collecter  une  telle  abondance  d'Entozoaires. 
On  ne  peut  pas  dire  qu'ils  dévorent  de  la  chair  de 
porc!...  Où  étaient  donc  les  cystoïdes  qui  ont  engen- 
dré leurs  cesloïdes? 

Les  partisans  des  migrations  seraient  tout  aussi 
embarrassés  à  l'égard  des  chamois  mentionnés  par 
Bremser,  et  dont  il  a  été  question.  Qui  pouvait  leur 
avoir  communiqué  cette  abondance  de  vers  dont  parle 
le  célèbre  helminthologiste?  Relégués  vers  les  contins 
des  neiges  éternelles,  il  n'y  a  pas  là  de  chiens  pour 
souiller  d'immondices  leurs  solitaires  pâturages,  et 
ils  ne  mangent  pas  de  chair  d'animaux! 

Il  est  essentiel  de  constater  ici  que  le  cysdcercus 
cellidosœ  mi  parfaitement  sur  l'homme,  et  qu'on  l'y 
a  déjà  observé  un  assez  grand  nombre  de  fois.  Sur 
notre  espèce,  ainsi  que  l'a  fait  remarquer  R.  Owen, 
c'est  spécialement  dans  les  muscles  qu'on  le  rencon- 
tre (1).  On  l'a  parfois  observé  en  Angleterre,  mais  il 
y  est  rare;  sur  le  continent,  au  contraire,  on  le  ren- 
contre assez  fréquemment.  Rudolphi  rapporte  que 
sur  deux  cent  cinquante  cada\res  humains  qui  sont 
annuellement  disséqués  à  l'École  d'anatomie  de  Ber- 
lin, on  en  compte  quatre  ou  cinq  qui  contiennent  un 
nombre  plus  ou  moins  grand  de  Cysticerques  (2). 

Les  observations  de  Plater  (3),  Bonet,  Rudolphi, 

(1)  R.  OwEN,  The  Cyclopœdia  ofanatomy  and  physiology  de  Todd, 
Londres,  1839,  art.  Entozoa,  p.  119. 

(2)  Cette  observation  fut  faite  par  Rudolphi  durant  plusieurs 
années  consécutives. 

(3)  Platek,  Observ.  lib.  III,  p.  3.  —  Bonet,  Sepulcretum  sive 
Anatomia  practica.  Genève,  1()97.  —  Rudolphi,  Lettre  de  Brem- 


DISCUSSION   DE    l'hYPOTHÈSE    DES   MIGRATIONS.        575 

Bremser,  Van  Beneden,  ayant  parfaitement  démontré 
que  les  Cysticerques  se  développent  aussi  bien  sur 
l'homme  que  sur  les  animaux,  on  ne  voit  pas  pour- 
quoi le  porc  deviendrait  l'indispensable  intermédiaire 
par  lequel  ces  \ers  devraient  passer  avant  de  ^enir  se 
fixer  dans  nos  intestins.  Or,  puisque  notre  espèce  est 
aussi  apte  à  nourrir  ce  Cysticerque  que  l'espèce  por- 
cine, et  qu'elle  doit  encore  être  plus  apte  qu'elle  à  le 
contracter,  possédant  ce  vers  adulte,  rempli  de  sa 
progéniture,  nous  devrions  en  être  plus  fréquemment 
infestés. 

M.  Ch.  Vogt,  quoique  prétendant  que  la  théorie 
de  la  génération  spontanée  est  ébranlée  et  renversée 
sur  tous  les  points,  ne  nous  satisfait  pas,  tant  s'en 
faut,  à  l'égard  des  voies  par  lesquelles  il  explique  les 
migrations  des  Helminthes  (1).  «  Dans  tous  les  pays 
oùleBothriocéphale  est  si  fréquent,  dit-il,  on  a  l'ha- 
bitude d'arroser  les  plantes  qui  servent  de  légume 
avec  des  excréments  liquides,  puisés  dans  les  fosses 
d'aisances.  Il  n'y  a  point  de  doute  qu'un  certain  nom- 
bre d'œufs  deBothriocéphales,  rejetés  avec  les  excré- 
ments, ne  parviennent,  avec  la  salade  et  d'autres  lé- 
gumes crus,  dans  les  intestins  de  l'homme.  » 

Les  physiologistes  modernes  s'efforcent  de  faire  in- 
tervenir le  porc  commun,  comme  l'indispensable  nour- 
ricier des  Ténias  qui  infestent  les  Anglais  et  les  Fran- 
ger. —  Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique  des  vers  in- 
testinaux  de  l'homme.  Paris,  1824,  p.  228.  —  Gervais  et  Van 
Beneden,  Zoologie  médicale.  Paris,  1859,  t.  II,  p.  251. 

(1)  Ch.  Vogt,  Sur  la  transmigration  des  vers.  Bib.  univ.  de  Ge- 
nève, 1851,  t.  XVIII,  p. 


576  HÉTÉROGÉNIE. 

çais;  M.  Vogt,  à  l'égard  du  Bothriocéphaîe,  y  va  plus 
franchement.  Selon  lui,  cet  Helminthe  n'est  pas  en- 
chaîné, comme  le  Ténia,  à  faire  un  pénible  stage  et  un 
voyage  encore  plus  pénible  pour  parvenir  dans  le 
corps  humain  :  il  l'envahit  directement.  J'ajouterai 
seulement  que  c'est  par  une  inconcevable  erreur  que 
ce  savant  prétend  qu'en  Hollande,  ce  pays  de  l'idéal 
de  la  propreté,  ou  en  Suisse,  on  arrose  les  légumes 
avec  nos  excréments  liquides. 

A  l'exemple  de  M.  Vogt,  Van  Beneden  pense  aussi 
quelesœufs  des  Bothriocéphales  sont  introduits  immé- 
diatement dans  notre  intestin.  Il  croit  qu'ils  se  trou- 
vent dans  l'eau  que  nous  buvons  et  que  leurs  embryons 
ne  s'enkystent  pas  (1).  Mais  on  se  demande  comment 
donc  il  se  peut  qu'il  y  ait  une  si  extraordinaire  diffé- 
rence entre  les  mœurs  et  le  développement  de  deux 
helminthes  aussi  rapprochés  que  les  Ténias  et  les  Bo- 
thriocéphales? Et,  d'un  autre  côté,  ne  sait-on  pas  que 
depuis  un  siècle,  Schreiberet  Bremser  ont  combattu 
ce  mode  d'introduction  des  vers  avec  une  incontesta- 
ble supériorité,  en  joignant  l'expérience  à  la  sévérité 
de  l'ai'gumentation  (2). 

En  admettant  même,  dans  toute  leur  extension,  les 
théories  de  Kiichenmcister,  de  Siebold  et  de  Van  Be- 
neden, sur  les  migrations  des  helminthes,  il  serait  de 
toute  impossibilité  d'expliquer,  à  l'aide  de  celle-ci,  les 
Cœnures  et  les  Échinocoques.En  effet,  si  un  embryon 
arrive  dans  un  site  et  qu'il  y  produise  un  helminthe 

(1)  Van  Beneden,  Zoologie  médicale.  Paris,  1859,  t.  II,  p.  237. 

(2)  Schreiber  cité  par  Bieiriser.  —  Bremsek,  Traité  zoologique 
et  physiologique  des  vers  iîitesttnaux,  Paris,  Ia24. 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.         577 

vésiculaire  ,  un  Cysticerque,  cela  se  conçoit;  mais 
que  cet  embryon-là,  tantôt  donne  naissance  à  un  ver 
vésiculaire  simple,  et  tantôt  donne  naissance  à  une 
vésicule  qui,  elle-même,  engendre  de  nombreux  em- 
bryons Je  ne  conçois  plus  cet  être  avec  de  si  étranges 
prérogatives.  On  ne  dira  pas,  sans  doute,  qu'à  l'en- 
droit oii  se  développe  un  Écbinocoque,  il  s'est  amassé 
des  myriades  d'œufs  de  Ténia,  comme  à  une  espèce  de 
rendez-vous,  tandis  que  l'on  n'en  trouve  nulle  part 
ailleurs,  dans  l'économie.  En  efîet,  si  leur  migration 
s'était  produite  sur  une  si  vaste  échelle,  pour  qu'il  s'en 
arrêtât  autant  à  une  place,  on  en  verrait  quelques-uns 
ailleurs,  et  souvent  il  n'existe  sur  un  animal  qu'une 
seule  vésicule  de  Cœnure  ou  d'Echinocoque.  A  l'égard 
desÉchinocoques,les  migrations  ne  peuvent  donc  pa- 
raître sérieuses.  Et  l'on  sait  que  ces  helminthes  sont 
une  objection  terrible  à  la  théorie  nouvelle.  M.  G.  Busk 
avoue  lui-même  avoir  fait  d'infructueux  efforts  pour 
éclaircir  leur  dissémination  (1). 

Depuis  longtemps,  la  vésicule  enveloppante  des 
Échinocoques  a  été  signalée  comme  jouant  un  rôle 
actif  dans  la  production  de  ceux-ci  ;  Laennec,  sans  la 
connaître  à  fond,  l'avait  déjà  entrevu  (2).  Délie  Chiaje 
a  insisté  sur  ce  sujet,  et,  dans  une  plus  récente  produc- 

(1)G.  Busk,  Some  observations  on  the  Natural  History  of  the 
Echinococcus.  Dans  the  transactions  of  the  microscopical  society  of 
London,  1849^  vol.  II,  p.  49, 

(2)  Laennec,  désignait  ces  helminthes  sous  le  nom  d'hydatides 
ou  d'acéphalocystes.  —  Delle  Chiaje,  Cumpendio  di  Elminto- 
grafia  Umana.  Naples,  1823^  p.  30.  —  Thomas  Huxley,  On  the 
Anatomy  and  Development  of  Echinococcus  veterinorwn,  Zoolo- 
gical  society.  Ann.  and.  ofmag.  nat.  hist.  1854,  p.  379,  pi.  xi. 

POUCHET.  5  7 


578  HÉTÉROGÉME. 

tion,  T.  Huxley  représente,  dans  une  figure  hypothéti- 
que, la  production  des  Échinocoques  par  la  face  in- 
terne de  la  vésicule  qui  les  contient.  Enfin,  M.  Robin 
a  démontré,  d'une  manière  évidente,  comment  cette 
membrane  interne  des  Échinocoques,  qu  il  appelle 
membrane  mère  ou  fertile,  produisait  de  jeunes 
individus  par  une  espèce  de  gemmation.  Toutes  les 
phases  de  leur  développement  sont  représentées  avec 
soin  dans  le  travail  de  ce  savant  (1). 

Nonobstant  tout  cela,  VanBeneden  prétend  que  les 
Échinocoques  ne  sont  qu'un  état  particulier  des  vers 
Gestoïdes  (2)  ;  et,  au  contraire,  de  Siebold  affirme  que 
ce  ne  sont  que  des  Ténias  malades,  hydropiques  (3). 

On  le  voit,  ces  deux  savants  se  trouvent  à  cet  égard 
étrangement  en  dissidence. 

Si  l'on  penchait  vers  l'hypothèse  de  de  Siebold, 
n'aurait-on  pas  à  s'étonner  de  voir  des  êtres  malades, 
jouir  d'une  fécondité  qu'on  ne  rencontre  pas  chez 
ceux  qui  se  trouvent  dans  l'état  normal  ! 

Si,  avec  Van  Beneden,  on  considère  les  Échinoco- 
ques, comme  n'étant  que  des  vers  Gestoïdes  aga- 
ines  (4),  alors,  ce  sont  donc  les  mêmes  êtres  agames 
qui,  tantôt,  sont  isolés  et  obligés  d'exécuter  une  labo- 

(1)  Robin,  Dictionnaire  de  médecine  de  Nysten.  Paris,  i8o8, 
|).  468.— Griffitii  et  A.  Henfrey,  dans  The  micrographie  dictionary, 
Lonclon,  1856,  ont  représenté  cette  gemmation  sur  la  face  externe 
de  la  membrane  de  VEchinococcus  veterinorum.  Rud.  pi.  xvi^  f.  2. 

(2)  Van  Beneden,  Les  vers  cestoïdes  ou  acotyles.  Bruxelles, 
p  83.  Zoologie  médicale.  Paris,  1859,  t.  II,  p.  216. 

(3)  De  Siebold,  Zeitschr.  fiir  wiss.  Zool.  1850,  p.  220. 

(4)  Gervais  et  Van  Beneden,  Zoologie  médicale.  Paris,  1859, 
î.  H,  p.  216. 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.        579 

rieuse  pérégrination,  pour  aller  sur  un  autre  animal 
s'y  métamorphoser  et  s'y  revêtir  d'un  appareil  sexuel, 
afin  de  produire  des  embryons  (1)  ;  et  qui,  tantôt,  sont 
agglomérés,  et,  tout  agames  qu'ils  sont,  donnent  nais- 
sance à  ces  mêmes  embryons,  par  simple  gemmation, 
à  la  surface  de  leur  membrane  interne  (2)  ! 

L'esprit  ne  suit  qu'avec  difficulté  ce  dédale  de  con- 
tradictions. Et,  en  voyant  la  membrane  interne  granu- 
leuse des  Échinocoques,  donner  naissance,  par  gem- 
mation, à  une  nouvelle  progéniture,  dont  l'apparition 
se  voile  des  plus  profondes  ténèbres,  n'est-il  pas  plus 
évident  qu'elle  y  prend  spontanément*naissance,  par 
cette  espèce  de  gemmation  si  bien  décrite  par  les  ob- 
servateurs. Ainsi  naissent  les  Microzoaires,  dans  les 
granules  des  membranes  proligères. 

Un  Nématoïde  microscopique  déjà  mentionné,  le 
Trichina  spiralis  (3) ,  qui  envahit  tous  les  muscles  de 
l'homme,  et  même  ceux  de  l'oreille  interne,  offre  un 
argument  sans  réplique  en  faveur  de  l'hélérogénie. 
Tout  le  monde  l'a  parfaitement  senti  ;  cependant,  que 
peut-on  opposer  aux  expériences  de  Herbst,  que  nous 
avons  citées?  Rien,  tant  elles  sont  précises.  On  ne  peut 
que  louer  celui-ci  d'avoir  été  assez  heureux  pour  ren- 
contrer tant  d'animaux  infestés  de  ce  ver,  lui  qui  est  si 
rare  chez  nous;  et  ensuite,  d'avoir  si  merveilleusement 

(i)  Les  cysticerques  obligés  d'aller  sur  un   autre   animal  se 
transformer  en  ténia! 

(2)  Les  échinocoques,  produisant  des  embryons  libres  à  leur 
intérieur  ! 

(3)  R.  OwEN,  Transactions  de  la  société  zoologique  de  Londres, 
1835,  t.  I,  p.  315. 


580  HÉTÉROGÉNIE. 

réussi  (1).  Seulement,  on  pourrait  objecter  à  cette 
expérience  que  de  Siebold  ne  considère  le  Trichina 
spiralis  que  comme  une  espèce  qui  s'est  égarée  dans 
ses  migrations,  et  que,  par  conséquent,  il  est  réelle- 
ment fort  extraordinaire  que  ce  ver  se  soit  constam- 
ment fourvoyé  durant  les  expériences  de  Herbst  (2). 
Ainsi,  nous  opposons  toujours  les  expérimentateurs 
les  uns  aux  autres. 

Remarques  sur  les  transmigrations  des  vers.  —  Je 
n'ai  nullement  à  me  préoccuper,  dans  ce  travail,  si  les 
Cysticerques  sont  ou  non  de  jeunes  Ténias;  ce  qui 
m'intéresse  seulement,  c'est  d'élucider  par  quels 
moyens  les  vers  parviennent  ou  apparaissent  dans  les 
organes  variés  où  nous  les  trouvons.  M.  Leuckart,  qui 
assure  avoir  très-souvent  vu  se  produire  des  Cysticer- 
ques sur  des  mammifères  que  l'on  avait  nourris  avec 
des  proglottides,  dit  lui-même  :  «  Je  regrette  de  ne 
pouvoir  pas  encore  indiquer  assurément  la  voie  par  la- 
quelle les  embryons  parviennent  dans  le  foie,  n'ayant 
pas  encore  été  assez  heureux  jusqu'à  présent  pour 
trouver  l'embryon  voyageur  (3).  »  Ce  serait  cepen- 
dant là,  il  faut  en  convenir,  la  chose  fondamentale. 

(1)  Herbst,  Expérience  sur  la  transmission  des  vers  intestinaux. 
Société  des  sciences  de  Gœtlingue,  1851.  Institut,  n°  995.  Ann. 
scienc.  uat.  1852. 

(2)  C.  T.  DE  Siebold,  Mémoire  sur  les  vers  rubanés  et  vésicu- 
laires  de  l'homme  et  des  animaux.  Ann.  se.  nat.  Zoologie.  1855, 
t.  IV,  p.  72.  Ce  savant  considère  aussi  comme  des  vers  égarés  les 
cysticercus  cellulosœ  que  Ton  rencontre  sur  l'homme^  ce  qui, 
dit-il,  arrive  assez  souvent. 

(3)  R.  Leuckart,  Lettre  relative  à  de  nouvelles  expériences  sur  le 
développement  des  vers  intestinaux.  Ann.  se.  nat.  Zoologie,  1855, 
t.  III,  p.  352.  —  Kûchenmeister  rapporte  cependant  que  ce  phy- 


DISCUSSION    DE   l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.         581 

La  lettre  de  M.  Leuckart,  qui  me  paraît  avoir  été 
provoquée  par  de  légitimes  interpellations  de  M.  Va- 
lenciennes,  ne  me  semble  nullement  répondre  à  cel- 
les-ci; et  j'avoue  ne  pas  en  comprendre  divers  points, 
et  en  considérer  d'autres  comme  tout  à  fait  contraires 
à  la  thèse  que  soutient  le  naturaliste  étranger.  Nous 
dirons  d'abord  que  vraiment  il  ne  nous  semble  point 
extraordinaire  qu'après  avoir  nourri  des  lapins  avec 
des  œufs  de  Ténia,  on  trouve  le  corps  de  ces  Ron- 
geurs rempli  de  Cysticerques.  Ils  en  sont  si  commu- 
nément affectés,  qu'on  pourrait  y  en  rencontrer  de 
même  sans  leur  avoir  donné  cet  aliment.  Mais  ce  que 
je  ne  m'explique  pas,  c'est  comment  Leuckart,  après 
avoir  ûxé  à  1  ou  2  millimètres  la  longueur  des  Cysti- 
cerques, au  moment  de  leur  éclosion,  à  quelques  li- 
gnesdelà,  dit  que  leurs  embryons  perforants  n'offrent 
quel/12  de  millimètre  d'étendue!  Enfin,  l'expérimen- 
tateur étranger  n'est  pas  tellement  sûr  de  l'itinéraire 
de  ses  jeunes  voyageurs,  pour  qu'il  ne  soit  forcé  de 
convenir  qu'il  soupçonne  que,  parfois,  quelques-uns- 
d'entre  eux  se  développent  dans  le  mésentère,  sans 
avoir  parcouru  le  foie  (1). 

Maintenant,  occupons-nous  des  importants  travaux 
de  de  Siebold.  Mais  qu'il  nous  soit  permis  de  dire,  en 
commençant,  que  ce  grand  zoologiste  avoue  lui-même 
que  les  premières  tentatives  relatives  aux  migrations 
des  vers,  ont  fomenté  des  discussions  de  toutes  parts, 
et  qu'on  a  reproché  au  docteur  Kûchenmeister  de 

siologiste,  nousTavons  dit,  a  trouvé  des  embryons  dans  la  veine 
porte.  Kùch.,  t.  I,  p.  50. 
(1)  K.  Leuckart,  /d.,  p.  354. 


582  HETEROGENIE. 

n'être  pas  assez  bon  helminlhologiste  pour  pouvoir 
élucider  la  question  (1).  Donc,  dès  le  début,  nous 
trouvons  déjà  en  dissidence  les  deux  grands  promoteurs 
des  nouvelles  doctrines. 

Après  cela,  on  nous  pardonnera,  nous  l'espérons, 
si  nous  nous  permettons  encore  quelques  doutes. 
Nous  dirons  d'abord,  que  les  premières  expériences  de 
de  Siebold  sont  loin,  pour  nous,  d'être  plus  concluantes 
que  celles  du  savant  de  Zittau.  Nous  n'y  trouvons 
nullement  la  précision,  la  rectitude,  qu'on  doit  s'effor- 
cer d'admettre  dans  de  si  délicates  recherches,  et 
nous  trouvons  aussi  que  ce  premier  mémoire  est  loin, 
pour  les  résultats,  d'être  en  harmonie  avec  celui  que 
nous  analyserons  ensuite. 

M.  de  Siebold  n'énonce  les  résultats  de  ses  expé- 
riences qu'avec  un  vague  qui  étonne.  Là  il  se  con- 
tente de  dire  que  les  chiens  tués  plusieurs  jours  après 
l'ingestion  des  Cyslicerqucs  offraient  des  Ténias  de  1 
à  3  pouces.  Plus  loin,  il  ajoute  qu'après  vingt  ou  vingt- 
cinq  jours,  ces  vers  avaient  p/wsfeî/ï'5  pouces  de  lon- 
gueur. Enfin,  dans  d'autres  expériences,  au  bout  de 
huit  semaines,  les  Ténias  avaient  atteint  trente-six  à 
trente-neuf  pouces,  et  quelques  individus  étaient 
longs  de  plusieurs  mètres  (2).  Nous  verrons  ci-après 
que  toutes  ces  mesures  sont  loin  d'être  en  harmonie 
avec  les  plus  extrêmes  proportions  que  l'illustre  natu- 
raliste rencontre  dans  les  expériences  mentionnées 
dans  son  second  mémoire.  De  Siebold  dit  bien  ici 

(i )t)E Siebold,  £'xpé?'fences  sur  la  transformation  des  cysticerques 
en  ténias.  Ann.  se.  nat.  1852,  t.  XVII,  p.  378. 

(2J  De  Siebold,  Mémoire  précité.  Anu.  se.  nat.,  p.  379. 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE    DES   MIGRATIONS.         583 

qu'il  donnait  à  ses  chiens  de  30  à  60  Cyslicerques, 
mais  il  ne  note  nullement  combien  il  rencontrait  de 
Ténias  dans  chaque  animal  soumis  à  Texpérimenta- 
tion.  Il  est  extraordinaire  aussi,  que  dans  toutes  ses 
expériences  sur  les  chiens,  jamais  on  ne  mentionne 
un  Ténia  né  naturellement  sur  ces  animaux,  eux  qui 
en  sont  si  fréquemment  infestés. 

Après  avoir  admis  que  c'est  le  Cysticerque  des  la- 
pins et  des  lièvres,  qui,  dévoré  par  les  chiens,  produit 
leurs  Ténias,  de  Siebold  fait  ingénieusement  remar- 
quer que  les  Ténias  sont  rares  chez  les  chiens  de 
garde  et  d'appartement;  mais  qu'ils  sont  plus  com- 
muns chez  ceux  de  chasse,  qui  ont  souvent  l'occasion 
d'avaler  les  intestins  des  lièvres  et  des  lapins  tués  par 
leurs  maîtres,  et  par  conséquent  doivent  être  plus 
sujets  à  l'infection  (1). 

Tout  cela  est  ingénieux ,  en  théorie  ;  mais  quand  on  y 
réfléchit  on  voit  que  le  chasseur  ne  mange  pas  propor- 
tionnellement plus  de  gibier  qu'une  autre  personne; 
les  produits  de  ses  courses  se  disséminent,  et  à  l'office 
le  chien  de  garde,  le  chien  de  salon  et  le  chien  de 
chasse  ont  absolument  le  même  régime.  Il  n'est  pas 
prouvé  par  moi  que  le  chien  de  salon  veuille  toujours 
accepter  des  intestins  de  lapin  crus  pour  sa  nourri- 
ture. 

J'ai  lu  attentivement  ce  qu'a  produit  de  Siebold  sur 
ce  grave  sujet,  et  j'analyserai  son  œuvre  avec  une  im- 
partialité qui  saura,  tout  en  rendant  hommage   à 

(1)  De  Siebold,  Expérience  sur  la  transformation  des  cysticerques 
enténias.  Ann.  des  se.  nat.,  1852,  t.  XVH,  p.  380. 


584  HETEROGENIE. 

l'immense  mérite  de  l'auteur,  rester  inflexible  lorsque 
celui-ci  me  paraîtra  sortir  du  domaine  de  la  réalité. 
Le  but  que  s'est  proposé  le  professeur  de  Munich, 
dans  son  long  mémoire,  est  de  démontrer  que  les 
helminthes  ne  s'engendrent  jamais  par  Thétérogénie, 
mais  qu'ils  parviennent  dans  le  corps  des  animaux  à 
l'aide  de  migrations,  et  en  subissant  des  transforma- 
tions plus  ou  moins  extraordinaires  (1). 

A  diverses  reprises,  de  Siebold  a  senti  lui-même 
qu'il  soutenait  une  thèse  vulnérable,  et  il  s'en  explique 
fréquemment  avec  ses  lecteurs.  Au  début  de  son 
œuvre  cet  aveu  lui  échappe  :  On  pourrait  peut-être 
croire^  dit-il,  qu'après  avoir  blâmé  les  hypothèses  ima- 
ginées pour  expliquer  la  production  des  Helminthes, 
je  tombe  à  mon  tour  dans  le  même  travers...  \diU 
Beneden  a  eu  de  semblables  appréhensions  au  début 
de  ses  recherches  (2). 

En  faisant  connaître  les  générations  alternantes, 
Steenstrup  (3)  a  peut-être  contribué  beaucoup  à  Tau- 
dace  des  doctrines  émises  récemment  sur  les  migra- 
tions des  Helminthes.  Le  mémoire  de  M.  de  Siebold,  en 
est  pour  nous  la  preuve.  Ainsi  là,  sans  s'appuyer  d'au- 
cun fait  relatif  à  l'animal  lui-même,  en  invoquant  la 
simple  analogie,  il  prétend  que  le  Gordius  des  marais,  si 
rare  chez  nous, n'est  que  l'adulte  du  filaria  inseclorum, 

{\)  De  Siebold,  Mémoire  sur  les  vers  rubanés  et  vésiculaires 
de  l'homme  et  des  animaux  et  sur  la  production  des  helminthes  en 
général.  Ann.  se.  nat.  1856.  Zoologie,  t.  IV,  p.  48. 

(2)  Quand  j'annonçai  pour  la  première  fois  ce  résultat  à  Paris, 
on  me  répondit  :  C'est  un  roman. —  Van  BE^EDEN,  De  l'homme. 
Bruxelles,  1839,  p.  40. 

(3)  Steenstrup,  Generationswechsel.  Copenhague.  1842. 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE   DES   MIGRATIONS.        585 

commun  chez  les  Coléoptères  et  les  sauterelles  (1). 
Nous  admettons  très-bien,  avec  de  Siebold,  que  la 
Lingida  simplicissima,  pressée  dans  le  corps  assez  res- 
treint des  poissons,  y  conserve  ses  organes  génitaux  à 
l'état  rudimentaire;  puis  qu'avalée  avec  ceux-ci  par 
les  oiseaux  aquatiques,  elle  les  laisse  se  développer  et 
qu'elle  prenne  alors  un  aspect  tellement  différent 
qu'on  ait  pu  lui  donner  divers  noms  spécifiques  (2). 
Mais  il  y  a  de  cela  à  tout  ce  que  l'on  nous  propose,  une 
immense  différence! 

L'idée  qui  domine  tout  le  travail  de  de  Siebold  est 
celle-ci  :  il  veut  démontrer  que  les  Ténias  sont  pro- 
duits par  les  Cysticerques,  les  Cœnures  et  les  Échi- 
nocoques,  qui  n'en  sont  que  les  jeunes;  et  que,  par 
conséquent,  il  faut  faire  disparaître  un  bon  nombre 
des  genres  qui  entrent  dans  l'ordre  des  Entozoa-cepha- 
locotylea  établi  par  Diesing  (3),  et  admis  par  tous  les 
helminthologistes.  Ensuite,  selon  le  professeur  de 
Munich,  ces  vers  vésiculaires  naîtraient  constamment 
sur  une  espèce  particulière  d'animal  pour  ne  terminer 
leur  accroissement  complet  que  sur  une  autre  espèce, 
après  avoir  accompli  une  migration. 

De  Siebold  révèle,  il  me  semble,  le  côté  faible  de 
sa  théorie,  lorsqu'il  prétend  que  les  Cœnures  et  les 
Échinocoques  représentent  autant  d'embryons  de 
Ténia  (cysticerques),  qui,  sous  l'influence  de  certaines 
circonstances,  deviennent,  dit-il,  de  grandes  vessies 
à  la  surface  desquelles  se  développe,  par  voie  debour- 

(i)  De  Siebold,  op.  cit.,  p.  57. 

(2)  De  Siebold,  op.  cit.,  p.  76. 

(3)  DiESiNG,  Systema  helminthum,  t.  I. 


586  HÉTÉROGÉNIE. 

geonnement,  une  foule  d'embryons,  qui  y  restent  adhé- 
rents dans  les  Cœnures,  et  deviennent  libres  dans  les 
Echinocoques  (1).  Cette  théorie  me  paraît  renverser 
tout  ce  que  de  Siebold  s'efTorce  lui-même  d'étabHr. 
En  effet,  si  un  Échinocoque  n'est  que  l'état  embryon- 
naire d'un  Ténia,  comment  admettre  que  cet  embryon 
puisse  donner  naissance  à  l'une  de  ses  surfaces,  à  di- 
vers autres  embryons  de  l'espèce.  Ce  serait  donc  un 
embryon  qui  produirait  d'autres  embryons  ;  c'est 
inexphcable. 

Les  expériences  qui  ont  été  faites  par  de  Siebold, 
pour  démonlrer  que  le  Ténia  serrata  du  chien  pro- 
vient de  la  migration  du  Cijsticercus  pisiformis,  nous 
paraissent  loin  d'être  concluantes  :  la  plus  simple  ana- 
lyse le  démontre.  Et  d'abord  le  savant  de  Munich  pose 
en  principe  général,  qu'après  un  séjour  de  vingt-cinq 
jours  dans  l'intestin  d'un  chien,  les  Cysticerques  se 
transforment  en  Ténias  qui  ont  de  dix  à  douze  pouces 
de  longueur;  et  cependant  dans  presque  toutes  ses 
expériences,  on  ne  voit  jamais  ce  résultat  avoir  été 
atteint,  loin  s'en  faut  (2).  Bien  pkis,  môme,  dans  des 
expériences  oii  les  Cysticerques  ont  été  ad.iiinistrés  à 
peu  de  distance,  l'on  remarque  des  difTérences  telle- 

(1)  C.  T.  De  SiEBOi-D,  Mémoire  sur  les  vers  rubanés  et  vésiculaires 
de  l'homme  et  des  animaux.  Anii.  se.  nat.,  Zoologie,  1855,  t.  IV, 
p.  177. 

(2)  Comp.  Zeitschrift  fur  loissen^chaftliche  Zoologie,  1854 
(Journal  deZoologie  scientifique),  où  M.  de  Siebold  a  d'abord  publié 
ses  recherches.  —  Lewald,  De  Cysticercorum  in  Tœnias  metamor- 
phosi  pascendi  experimcntis  in  Instiluto  physiologico  Vratislavensi 
administratis  illustrata.  Berlin,  1852.  Thèse  inaugurale  où  furent 
d'abord  consignées  les  recherches  de  M.  de  Siebold. 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.         587 

ment  considérables  dans  l'aceroissement  qu'il  devient 
de  toute  impossibilité  d'en  donner  la  moindre  expli- 
cation. Là,  à  côté  de  Ténias  qui  n'ont  encore  acquis 
que  quatre  lignes  de  longueur,  on  en  voit  d'autres  qui 
sont  parvenus  à  dix  pouces  (1). 

La  conclusion  de  de  Siebold  nous  paraît  peut-être 
un  peu  prématurée.  11  y  a  dans  toutes  ses  expériences 
beaucoup  de  points  contestables.  De  ce  que  Ton  trouve 
des  Ténias  dans  des  chiens,  après  leur  avoir  fait  avaler 

(1)  Mais  citons  des  exemples  :  Expérience  troisième.  En  quatre 
jours  un  chien  avale  trente-deux  cysticerques;  il  est  tué  au 
bout  d'un  certain  temps  et  on  rencontre  sur  lui  des  ténias  qui 
n'ont  que  4  lignes  i/1,  tandis  que  d'auties  ont  10  pouces  t/2  : 
{inexplicable  différence).  —  Expérience  quatrième.  On  fait  avaler 
à  un  ciiien  vingt-deux  cysticerques,  et  après  vingl-lrois  jours,  ce 
chien  est  tué  et  on  trouve  dix-neuf  ténias  dont  la  longueur  varie 
de  4  lignes  à  1  pouce  3/4.  (11  y  a  loin  de  là  à  la  taille  de  dix  à 
douze  pouces  que  M.  de  Siebold  attribue  aux  ténias  âgés  de  vingt- 
cinq  jours.)  —  Expérience  cinquième.  Ti  ente-huit  vers  vésiculaires 
sont  donnés  à  unchien,  sur  lequel, après  vingt-huit  jours, on  trouve 
trente-deux  ténias  de  4  lignes  1/2  à  10  pouces  1/2.  [De  Siebold  ne 
met  pas  assez  de  précision  en  énonçant  le  résultat  de  ses  expériences. 
ïl  ne  dit  nullement  combien  de  vers  avaient  acquis  le  minimum  ou 
le  maximum  de  la  mesure,  et  c'était  cependant  indispensable.  Quoi 
qu'il  en  soit,  cette  expérience  offre  ample  matière  à  la  critique.  Est-il 
possible,  en  effet,  d'expliquer  comment  après  un  si  long  séjour  dans 
Vintestin  ces  vers  offrent  une  telle  différence  dans  leur  longueur?)  — 
Dans  la  sixième  expérience  on  a  un  résultat  opposé.  Quarante-cinq 
cysticerques  celluleux  sont  donnés  à  un  chien,  et  treize  jours  après 
Ton  ne  trouva  dans  son  intestin  que  quelques  léiiias  longs  de 
3/4  de  pouce.  {Pourquoi  ne  pas  dire  le  nombre  de  ces  ténias  et  pour- 
quoi après  treize  jours  sont-ils  si  peu  développés?)  — M.  de  Siebold 
sent  lui-même  qu'on  doit  être  étonné  de  ces  différences  extrêmes  et 
s'efforce  de  les  expliquer.  Mais  il  y  a  là  une  telle  anomalie  qu'il 
nous  sjmble  que  l'illustre  savant  reste  réellement  impuissant  pour 
en  donner  une  raison  plausible. 


588  HÉTÉROGÉNIE. 

des  Cysticerques,  cela  n'implique  pas  que  ceux-ci  n'en 
possédaient  point  avant  l'expérience,  car  on  sait  que 
ces  animaux  en  nourrissent  très-fréquemment.  Ces 
expériences  n'expliquent  point  non  plus  l'énorme  dif- 
férence ,  nous  le  répétons ,  qu'offraient  les  produits 
qu'elles  ont  fourni. 

Je  serais  assez  porté  à  considérer  les  Cysticerques 
comme  desTénias  téralogiques,  dont  le  développement 
est  entravé,  et  qui ,  lorsqu'ils  se  trouvent  transportés 
accidentellement  dans  le  tube  intestinal ,  peuvent  y 
acquérir  leur  forme  adulte  normale  ;  mais  cela  ne  dit 
pas  qu'ils  n'aient  point  dû  primitivement  leur  origine 
à  l'hétérogénie.  Ainsi  donc,  nous  faisons  déjà  une 
grande  concession  à  l'illustre  naturaliste  de  Munich. 
Mais  de  là  à  admettre  que  tous  les  Ténias  proviennent 
normalement  des  Cysticerques  avalés  par  les  mammi- 
fères d'un  autre  ordre,  il  y  a  une  incommensurable 
différence.  Ainsi  donc  nous  ne  changeons  rien  à  notre 
thèse.  Depuis  longtemps,  les  helminthologistes  qui  ont 
invoqué  l'hétérogénie,  n'hésitent  pas  à  reconnaître  la 
reproduction  sexuelle  de  certains  vers,  qu'ils  n'en  re- 
gardent pas  moins  comme  formés  primitivement  à 
l'aide  de  la  génération  spontanée  (i).  Telle  est  aussi 
l'opinion  de  Tiedemann  (2). 

Je  me  demande  si  c'est  sérieusement  que  de  Sie- 
bold  et  Van  Beneden  ont  prétendu  que  c'était  à  Taide 
de  l'alimentation  avec  la  chair  du  porc  ou  les  saucis- 

(1  )Comp.RuDOLPHi. — Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique 
des  vers  intestinaux.  Pans,  1824. 

(2j  Tiedemann,  Traité  de  physiologie  de  lliomme.  Paris,  1831, 
t.  I,  p.  152. 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.        589 

sons  confectionnés  à  froid,  que  le  Cysticerque  s'in- 
troduisait à  l'intérieur  de  nos  intestins  pour  y  produire 
le  Ténia  (1).  En  effet,  est-il  permis  de  penser  que, 
tandis  qu'à  l'aide  des  plus  grandes  précautions,  nous 
ne  parvenons  à  conserver  vivants  les  vers  intestinaux 
qu'un  temps  fort  court,  le  Cysticerque  subirait,  sans 
périr,  non-seulement  le  froid  et  l'espèce  de  dessiccation 
à  laquelle  il  serait  si  longtemps  astreint  dans  les  pièces 
de  charcuterie,  mais  encore  l'action  de  la  fumée,  du 
nitre  ou  du  sel ,  dont  on  les  imprègne  si  amplement  ?. 
C'est  une  prétention  qui  dépasse  les  bornes  du  possi- 
ble. Enfin,  comme  c'est  la  même  espèce  de  porc  que 
mangent  les  diverses  nations  de  l'Europe,  et  qu'elle 
est  peuplée  par  le  même  Cysticerque,  comment  se  fait-il 
donc  que  dans  tel  pays  notre  espèce  n'est  attaquée 
que  par  le  Ténia,  tandis  que  dans  tel  autre  on  ne  ren- 
contre que  le  Bothryocéphale,  cet  autre  ver  solitaire 
dont  la  généalogie  est  encore  enveloppée  des  ténèbres 
cimmériennes? 

A  l'appui  de  la  théorie  de  de  Siebold  et  de  Van  Be- 
neden,  on  assure  que  des  médecins  de  Vienne  ont  ob- 
servé que  les  personnes  employées  dans  les  boucheries 
et  les  cuisines  sont  fréquemment  alTectées  de  Té- 
nias (2).  Le  docteur  Reinlein  prétend  avoir  remarqué 
que  les  chartreux,  qui  ne  mangent  jamais  de  viande  et 
se  nourrissent  ordinairement  de  poisson,  ne  sont  point 


(<)  Van  Beneden  et  Gervais,  Zoologie  médicale,  Paris,  18S9 
t.  II,  p.  255. 

(2)  Wawruch,  Praktische  Monographie  der  Bandwurmkrankheit 
1844,  p.  197. 


590  HÉTÉROGÉNIE. 

sujets  au  ver  solitaire  (1).  Bilharz  dit  même  avoir  ob- 
servé que  ces  Ténias  sont  beaucoup  plus  abondants  sur 
les  races  humaines  qui  se  nourrissent  de  chair  crue  (2). 
Le  docteurWeisse,  de  Saint-Pétersbourg,  affirme  aussi 
qu'il  a  vu  plusieurs  fois  le  Ténia  affecter  des  enfants 
qu'il  avait  soumis  à  ce  régime (3). Enfin,  l'un  des  élèves 
de  M.  Van  Beneden  s'est  inoculé  le  Ténia,  en  man- 
geant de  la  chair  de  cochon  crue,  farcie  de  Gysticer- 

ques  (4). 

Mais  un  seul  fait,  bien  constaté,  irrécusable,  nous 
suffit  pour  renverser  les  prétentions  de  de  Siebold  et 
de  ses  partisans;  c'est  qu'en  France,  dans  toutes  nos 
villes,  on  ne  mange  jamais  de  porc  cru,  et  cependant 
on  y  observe  à  chaque  instant  le  Ténia  :  on  ne  dira 
pas  sans  doute  que  les  Cysticerques  résistent  à  la  tem- 
pérature de  l'ébuUilion  !...  Il  y  a  même  des  personnes 
qui,  par  goût  ou  par  préceptes  religieux,  n'accepte- 
raient pas  une  parcelle  de  cet  animal,  et  qui  n'en  sont 
pas  moins  sujettes  au  ver  solitaire.  En  admettant  même 
l'alimentation  avec  le  porc  cru,  nous  venons  de  le  dire, 
est-ce  que  les  Cysticerques  pourraient  s'y  conserver 

{\)ï{E\'ShEi'S, Bemerkungenuber  den  Ursprung,  die  Entwickelung, 
die  Ursachen,  Symptôme  und  Heilart  des  breiten  Bandwurmes  in  den 
Gedàrmen  der  Menschen.  Vienne,  1855,  p.  25. 

(2)  Bilharz  ,  Beitràge  zur  Helminthographia  humana ,  in  der 
Zeitschrift  fur  wissenschaftliche  Zoologie.  Jahrgang  1852. 

(3)  M.  Van  Beneden  qui  reproduit  cette  observation  fait  remar- 
quer qu'il  paraît  que  le  ténia  solium  se  trouve  aussi  sur  le 
bœuf. mais  cependant  ce  savant  dit  que  les  mammifères  her- 
bivores n'ont  ordinairement  que  des  cestoïdes  sans  crochets.  Op. 
cit.,  p.  236.  Comment  admettre  cette  coïncidence? 

(4)  Berthelot,  r/iése  inaugurale,  Montpellier,  1856.  —  Gervàis 
et  Van  Beneden,  Zoologie  médicale.  Paris,  1859,  t.  H,  p.  259. 


DISCUSSION    DE    L  HYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.        591 

vivants?  Si  les  fauteurs  des  migrations  prétendent  que 
oui,  nous,  nous  pouvons  leur  assurer  que  les  observa- 
tions de  M.  Robin  affirment  que  non;  ce  savant  ayant 
vu  que  les  Échinocoques  périssaient  de  vingt-quatre  à 
soixante-douze  heures  après  la  mort  de  l'animal  qui 
les  portait  (1). 

Le  docteur  Schleisner  rapporte  que  le  foie  des  Is- 
landais est  fréquemment  envahi  par  des  vers  vésicu- 
laires,  et  que  ceux-ci  affectent  même  parfois  les  au- 
tres viscères  abdominaux  et  la  peau  (2).  Un  sixième 
de  la  population  en  est  attaqué.  De  Siebold  considère 
ces  animaux  comme  n'étant  que  les  jeunes  du  Tœnia 
serrata^  et  il  attribue  cette  affection  aux  chiens  qui 
sont  employés  en  Islande  pour  garder  les  troupeaux. 

Mais  ce  fait  nous  semble  combattre  absolument 
l'hypothèse  à  l'appui  de  laquelle  on  le  cite.  En  effet, 
de  Siebold  étant  arrivé  à  réunir  le  Ténia  de  l'homme 
à  celui  du  chien,  et  à  les  considérer  comme  une  même 
espèce,  comme  Thomme  nourrit  en  Islande  on  ne 
peut  plus  communément  le  Cysticerque,  et  qu'il  nour- 
rit aussi  le  ver  solitaire,  il  devient  évident  qu'il  n'est 
plus  besoin  d'invoquer  d'extraordinaires  migrations 
et  l'intermédiaire  du  porc  pour  nous  infester  du  Té- 
nia, sa  larve  et  le  ver  adulte  pouvant  vivre  sur  nous. 

Et  d'abord  il  serait,  avant  tout,  indispensable  que 
les  hclmintholoo^istes  s'accordassent  à  l'éi^ard  de  l'i- 
dentité  de  l'espèce  en  question,  et  ils  sont  fort  loin 

(1)Ch.  Robin,  Dictionnaire  de  médecine  de  Nysten,  11*=  édition, 
Paris,  1858,  p.  170. 

(2)  Schleisner,  Forsôg  til  en  Nosographie  of  Island.  Copenha- 
gue, 1849. 


592  HETEROGENIE. 

d'en  être  là.  Van  Beneden  conteste  à  Siebold  qu'il 
s'agisse  ici  du  Ténia  du  chien,  et  il  prétend  avec 
M.  Kschricht  que  ce  sont  des  Echinocoques  qui  in- 
festent ordinairement  les  Islandais  (1).  D'un  autre 
côté,  comment  donc  le  chien  communiquerait-il  ces 
Echinocoques  à  l'homme,  puisque  cet  animal,  d'après 
Van  Beneden  lui-même,  n'en  nourrit  aucun.  Que 
doit-on  croire  au  milieu  de  toutes  ces  fluctuations  (2)? 

Arrêtons-nous  un  moment,  car  ici  tout  est  ex- 
traordinaire'et  l'hypothèse  change  de  face. 

En  attendant,  qu'on  nous  pardonne  de  sortir,  en 
apparence,  du  domaine  des  supputations  sérieuses; 
nous  nous  y  renfermons  cependant  fort  sévèrement  ; 
ce  n'est  pas  notre  faute  si  la  doctrine  que  nous  com- 
battons s'est  elle-même  plongée  dans  d'inextricables 
contradictions... 

Voici  donc  l'homme  envahi  par  des  Cysticerques 
qui,  selon  de  Siebold,  ne  sont  que  déjeunes  Ténias  du 
chien  :  là  conséquemment  ce  sont  les  Islandais  qui 
par  rapport  à  cet  animal  remplissent  l'office  du  porc 
à  notre  égard,  puisque  ce  sont  eux  qui  nourrissent 
les  Cysticerques  qui  vont  se  métamorphoser  en  Tœ-^ 
nia  serrata  sur  l'espèce  canine.  Mais  une  difficulté 
se  présente.  Puisque  l'on  a  prétendu  que  nous  de- 
vions notre  ver  solitaire  à  l'emploi  de  la  chair  du 
porc  infestée  de  Cysticerques,  comment  donc  cetento- 

(1)  Van  Beneden  et  Gervais,  Zoologie  médicale.  Paris,  1859, 
t.  n,  p.  273.  —  EscHRiciiT,  Undersogelser  over  den  i  Island  ende- 
miske  hydatidesygdom.  Copenhague,  1854. 

(2)  Tableau  des  helminthes  du  chien.  Zoologie  médicale,  t.  II, 
p. 316. 


DISCUSSION    DE    L  HYPOTHESE    DES    MIGRATIONS.        593 

zoaire  se^conimunique-t-il  au  chien,  car  je  ne  suppose 
pas  qu'en  Islande  il  se  nourrisse  de  chair  humaine? 

Il  y  a  encore  dans  le  fait  qui  se  passe  en  îslatnde 
une  bien  profonde  erreur  de  la  nature.  En  effet,  ces 
Cysticerques,  en  choisissant  l'homme,  se  sont  égarés, 
leur  instinct  a  fait  défaut,  puisque  leur  progéniture 
s'y  voue  à  une  évidente  extinction,  les  hommes  ne 
s'entre-mangcant  pas. 

Enfin,  quelle  complication  dans  le  fait  de  l'Islande  ! 
On  a  prétendu  que  c'était  en  se  livrant  à  ses  habi- 
tudes immondes  que  le  porc  avalait  les  œufs  du 
Ténia;  les  moutons,  dit-on,  s'en  infestent  en  brou- 
tant l'herbe  souillée  des  excréments  du  chien  de 
berger.  Mais  comme  toutes  ces  supputations  ne  sont 
plus  possibles  à  l'égard  de  notre  espèce,  comment 
donc  les  habitants  de  cette  île  introduisent-ils  à  l'in- 
térieur les  germes  des  Cysticerques  qui  les  rongent? 
Les  fauteurs  de  l'hypothèse  des  migrations  ne  sortiront 
jamais  de  ce  dilemme  !  Ils  ne  peuvent  même  pas  dire 
que  l'Islandais  suffît  seul  aux  métamorphoses  et  aux 
voyages  du  Ténia!  Car  si  on  conçoit  que  ses  embryons 
tombés  dans  le  tube  intestinal  (  en  abondant  dans 
l'hypothèse  de  nos  antagonistes)  puissent  se  frayer  un 
passage  à  travers  les  organes  ,  pour  aller  au  loin 
mener  la  vie  de  Cysticerque,  nous  ne  concevons  pas 
quel  itinéraire  pourraient  suivre  ces  vers  vésicu- 
laires ,  pour  revenir  dans  l'intestin,  vivre  sous  la 
forme  de  Ténia.  Partout  des  impossibilités...  Voici  la 
doctrine  que  nous  combattons  (1). 

(1)  Mais  nous  devons  avouer  que  Van  Beneden  lui-même  hésite 

POUCHET.  8  8 


594  HETEROGENIE. 

Mais  c'est  surtout  en  s'occupant  des  migrations 
des  Trématodes  qui  vivent  dans  le  corps  des  Vertèbres 
que  de  Siebold,  arrive  jusqu'aux  plus  extraordinaires 
supposilions.  Il  en  semble  lui-même  étonné!...  Et 
c'est  là  qu'il  craint  de  ne  point  pénélrer  ses  lecteurs. 
a  On  pourrait  croire,  dit-il,  qu'après  avoir  blâmé  les 
liypothèses  imaginées  pour  expliquer  la  production 
des  helminthes,  je  tombe  à  mon  tour  dans  le  même 
travers.  »  11  redoute  qu'on  accuse  ses  idées  de  n'être 
que  de  simples  supputations  de  l'esprit.  Et  malheu- 
reusement cela  est  assez  supposable  à  l'égard  des 
Distomes.  En  effet,  comment  admettre  son  système 
relativement  à  ceux-ci?  Selon  lui,  dans  leur  jeune 
âge,  ces  lielminthes  ne  seraient  que  de  petits  Cercaires 
de  la  taille  des  Infusoires,  qui  vivent  en  parasites  sur 
divers  mollusques  d'eau  douce  tels  que  les  Lymnées  et 
les  Planorbes.  Plus  tard,  ces  jeunes  helminthes  per- 
foreraient le  corps  des  larves  de  certains  insectes 
aquatiques  (1),  puis  après  s'être  introduits  à  l'intérieur 
de  ceux-ci,  ils  s'y  enkysteraient  pour  attendre  que 
leur  hôte  ait  quitté  l'eau  et  subisse  ses  métamorphoses, 
afin  d'être,  en  dernier  ressort,  introduits  dans  le  corps 
de  plus  grands  animaux  avec  leur  nourriture.  Les  in- 
sectes qui  les  contiennent  sont  alors  digérés,  à  ce  que 
prétend  de  Siebold,  et  les  Cercaires,  devenus  libres 
par  la  dissolution  de  leur  capsule,  se  fixent  sur  le 

et  se  demande  comment  pénètre  cet  helminthe....  après  cela  on 
nous  permettra  nos  dout'es  à  nous-mêmes. 

(1)  Selon  Siebold  ces  jeunes  distomes  attaqueraient  surtout  les  . 
larves  des  névroptères,  qui ,  telles  que  celles  des  libellules  des 
éphémères  et  des  phryganes,  vivent  dansTeau. 


DISCUSSION   DE   l'hYPOTHÈSE   DES   MIGRATIONS.         595 

nouvel  être,  oiseau  ou  mammifère,  qui  doit  les  nour- 
rir à  l'état  adulte,  et  produisent  ainsi  les  Distomes. 
Malgré  tout  le  respect  qu'on  doit  aux  opinions  d'un 
homme  aussi  justement  illustre  que  le  professeur  de 
Munich,  comment  admettre  qu'une  telle  source 
puisse  fournir  ces  Distomes  que  l'on  trouve  en  quan- 
tités innombrables  sur  les  moutons  et  divers  mammi- 
fères? Assurément,  ceux-ci  n'ont  guère  la  faculté  d'at- 
traper fréquemment,  en  paissant,  les  libellules  et  les 
éphémères  si  légères  dans  leur  vol,  et  qui  siègent 
dans  des  lieux  ordinairement  si  éloignés  de  leurs 
pâturages.       ^ 

A  l'aide  de  ce  moyen,  jamais  on  ne  parviendrait  à 
expliquer  les  épidémies  de  Distomes  qui  ravagent  cer- 
taines campagnes.  Et  nous  ajouterons  que  dans  des 
observations  exécutées  sur  bien  des  insectes  qu'on 
dit  receler  leur  jeune  progéniture,  et  d'abord  sur  plu- 
sieurs centaines  d'Éphémères,  que  nous  avons  anato- 
misées  ou  observées  soit  au  microscope  ordinaire,  soit 
au  microscope  solaire,  jamais  nous  n'avons  découvert 
les  kystes  de  Cercaires  dont  parle  de  Siebold. 

Dans  l'hypothèse  des  migrations,  une  objection  se 
présente  immédiatement.  Qu'on  admette  que  la  pro- 
géniture du  Ténia  suffise  pour  produire  les  générations 
de  Cysticerques,  malgré  les  immenses  pertes  qu'elle 
doit  éprouver  pendant  ses  extraordinaires  voyages,  on 
le  conçoit  cependant  parfaitement.  Mais  si  l'on  pré- 
tend,  avecKûchenmeister  (1),  que  les  Cysticerques 

(1)  KÏJCHEMtfEiSTER,  Oïl  animal  and  vegetable  parasites  ofthe  hu- 
man  body.  London,  1857,  t.  I,  p.  27. 


596  HÉTÉROGÉNIE. 

sont  le  premier  âge  des  Ténias,  et  que  tous  ceux-ci 
passent  par  cette  forme  avant  de  devenir  Vers  ruba- 
nés,  cela  devient,  comme  nous  allons  le  voir,  tout  à 
fait  inexplicable. 

Les  vers  vésiculaires  sont,  il  est  vrai,  assez  com- 
muns sur  les  porcs  et  les  lapins  que  nous  élevons, 
mais  on  n'en  observe  que  rarement  sur  les  autres 
mammifères,  et  cependant  beaucoup  de  ceux-ci  se 
trouvent,  infestés  d'un  tel  nombre  de  Ténias,  que  ma- 
thématiquement parlant,  les  Cystic.erqucs  des  autres 
espèces  n'ont  pu  suffire  à  les  leur  fournir. 

En  effet,  en  admettant  même  que  chaque  Cysti- 
cerque  produisit  un  Ténia ,  on  reconnaîtrait  que  le 
nombre  de  ceux-ci  ne  pourrait  y  suffire.  Et  comme 
beaucoup  d'embryons  meurent  sans  avoir  atteint 
leur  destination ,  on  arrivera  à  cette  conclusion 
que  le  nombre  des  Cysticerques  existant  dans  la  na- 
ture est  loin,  et  très-loin,  de  pouvoir  exphquer  la 
fréquence  des  Ténioïdes  que  Ton  y  rencontre  (1). 

Yan  Beneden  a  parfaitement  senti  cette  difficulté 
lorsqu'il  s'écrie  dans  son  discours,  en  parlant  de  mi- 
grations d'un  autre  Entozoaire  :  a  Combien  y  en  a-t-il, 

(1)  Ténias  et  cysticerques  observés  sur  l'espèce  humaine  et  les 
animaux  domestiques  :  1°  Ténias.  Tœnia  solium  ;  T.  medio- 
canellala  ;  T.  nana  ;  T.  echinococcus  ;  T.  serrata  ;  T.  pusilla  ;  T. 
rucumerina;  T.plicata;  T.  mamUlata  ;  T.  per foliota;  T.  fistularis; 
T.  crassicollis;  T,elUptica;  T.  expansa;  T.  denticulata;  T.  caprœ; 
T.  infundibuliformis;  T.  crassula;  T.  œquabilis;  T.  lanceolata  \ 
T.  setigera;  T.  sinuosa  ;  T.  fasciala;  T.  maliens  ;  T.  setigera; 
T.  sinuosa;  T.  Fasclata;  T.  megalops;  T.  gracilis;  T.  trilineata; 
T.  coronula.  —  2°  Cysticerques.  Cysticercus  cellulosœ  ;  C.  te- 
nutcollis  ;  C.  pisiformis;  C.  elongatus. 


DISCUSSION    DE    l'hVPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.         597 

parmi  ces  embryons ,  voguant  sans  guide  et  sans 
boussole  au  milieu  de  leur  océan,  qui  toucheront 
terre,  c'est-à-dire  qui  trouveront  leur  île  avec  le  port 
qui  doit  recevoir  leur  progéniture?  Bien  peu  évidem- 
ment, même  sans  tenir  compte  des  nombreux  enne- 
mis qui  vont  les  harceler  sur  leur  passage  :  ce  sont 
des  navires  marchands  qu'un  bon  vent  doit  pousser  à 
travers  une  flotte  de  vaisseaux  ennemis.  C'est  bien 
heureux  s'il  y  en  a  un  qui  s'échappe  (1)»  ...  Cela  est 
dit  à  merveille;  mais  nous  autres,  froids  observa- 
teurs, assis  sur  la  plage,  nous  nous  demandons  si  ja- 
mais les  flots  et  les  tempêtes  amènent,  dans  un  port 
lointain,  plus  de  navires  qu'il  n'en  est  parti  de  la 
mère  patrie  (2)  ! 

Déjà  dans  son  mémoire  sur  la  génération  alter- 
nante des  Cestoïdes,  de  Siebold  émet  que  le  cœnu- 
riis  cerehralis est  une  larve  de  Ténia  (3),  et  quelques 
savants  pensent  l'avoir  mis  hors  de  doute  expérimen- 
talement. Kûchenmeister,  après  avoir  fait  prendre 
à  plusieurs  agneaux  des  proglottides  de  Tœnia  cœnu- 
rus,  vit  ceux-ci,  après  quatorze  jours,  offrir  les  symp- 
tômes de  Tournis  ;  et  lorsqu'il  les  ouvrit  il  rencontra 
des  Cénures  dans  le  cerveau.  Aussi,  selon  lui,  ce  se- 
rait ce  Ténia,  que  l'on  a  confondu  avec  le  tœnia serrata^ 
qui  produisait  la  maladie  si  commune  chez  les  mou- 


(1)  Van  Benedkn,  De  l'homme  et  de  la  perpétuation  des  espèces, 
Bruxelles,  1859,  p.  42. 

(2)  Il  faudrait  que  cela  eût  lieu  pour  la  migration  des  cysti- 
cerques allant  chercher  leurgîle  de  lënia. 

(3)  De  Siebold,  Mémoire  sur  la  génération  alternante  des  ces- 
toïdes, Ann.  se.  NAT.  Zoologie,  1851,  t.  XV,  p.  213. 


598  HETEROGENIE. 

tons  (1).  MM.  Haiibner,  Van  Bcnoden  et  Baillet  ont 
exécuté  de  semblables  expériences  et  obtenu  les 
mêmes  résultats  (2). 

Maintenant  c'est  M.  Van  Bencdcn  que  je  choisis 
pour  l'opposer  à  lui-même  :  je  lis  dans  son  œuvre  que 
Ton  prétend  avoir  rencontré  des  Cénures  sur  des 
agneaux  qui  venaient  de  naître  (3).  Il  faudrait  expli- 
quer comment  il  se  peut  que  ceux-ci,  en  naissant, 
soient  déjà  rongés  par  ces  helminthes,  quand  on  pro- 
teste partout  que  c'est  seulement  à  l'aide  de  la  nour- 
riture que  ces  vers  sont  introduits  à  l'intérieur  des 
moutons. 

Mais  dans  cette  hypothèse  comment  donc  se  fait  la 
transmigration  naturelle?  Van  Bcneden  l'explique 
ainsi  :  l^e  mouton  en  broutant  l'herbe  souillée  des 
excréments  du  chien  de  berger,  avale  les  œufs  de  Té- 
nias que  cet  animal  a  expulsés.  Introduits  dans  les  or- 
ganes digestifs,  les  embryons,  après  une  pérégrination 
laborieuse  à  travers  les  tissus,  pénètrent  dans  le  crâne, 

(1)  KiJcnENMEiSTER,  On i/ie  cœnurus  cerehralis  of  iheSheep,ihean- 
nals  and  magazine  ofthe  natwal  history.  Lond.,  1854,1.11,  p.  815. 

(2)  Haub.ner,  Journal  agronomique  de  Hamm.  1854,  ri"  10,  p.  157. 
—  Van  Bkneden,  BulUtin  de  l'Académie  royale  des  sciences  de  Bel" 
gique,i.XX[,n°^o  et  7;  il  dit  qu'il  administra  des  œufsd'un  ténia 
provenu  lui-même  d'un  céruu'e,  à  deux  agneaux  de  six  semaines 
et  qu'au  bout  de  peu  de  jours  ils  furent  affectés  des  Tournis.  — 
C.  Baillet,  Compte  rendu  des  expériences  faites  à  Vécole  impériale 
vétérinaire  de  Toulouse  sur  la  reproduction  des  ceUoides.  Tou- 
louse, 1858. 

(3)  Le  savant  zoologiste  belge  ne  réfutant  pas  celle  assertion, 
il  est  évident  qu'il  l'accepte.  Et  Ton  est  autorisé  à  le  penser  puis- 
que déjà  il  avoue,  dans  un  autre  endroit,  que  les  cochons  naissent 
parfois  avec  des  helminthes  dans  le  corps.  Zoologie  médicale, 
Paris,  1859,  p.  265. 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.         599 

et  se  transforment  en  Cénures  sur  le  cerveau.  Puis 
ces  Entozoaires  dclerminant  toujours  l'abalage  des 
moulons,  le  chien  de  berger  ronge  le  crâne  qu'on  lui 
jette  et  avale  avec  le  cerveau  le  cénure  qui,  dans  son 
intestin,  se  transforme  en  Ténia.  Telle  est  l'histoire 
complète  de  ce  double  et  extraordinaire  voyage  (1). 
Nous  dirons  d'abord  à  M.  Van  Beneden,  qu'en  Nor- 
mandie les  choses  ne  se  passent  nullement  ainsi.  Ou 
ne  tue  pas  ordinairement  dans  les  fermes,  les  moutons 
atteints  de  Tournis  et  l'on  n'y  jette  point  leur  tête  aux 
chiens.  Ces  moutons  sont  amenés  sur  les  marchés  et 


(i)  Voici  texlnellement  le  rccit  de  M.  Van  Bencden  :  Les  mou- 
tons alleinls  de  tournis  doivent  être  abattus....  comme  on  sait 
que  le  mal  résilie  dans  la  tête,  on  la  jette  aux  chiens  et  le  co?  ps  est 
seul  envo\é  à  la  boucherie.  C'est  évidemment  ainsi  que  le  chien 
est  infesté.  Mais  alors,  comment  le  ver  repasse-t-il  au  mouton? 
Le  chien  accompagne  les  moutons  dans  les  prairies  et  dans  les 
monlagnes,  et  quand  il  a  des  ténias  mûrs  dans  le  corps,  il  en 
évacue  les  progloltis  avec  leuis  œufs,  et  sème  pour  ainsi  dire 
ceux-ci  sur  le  passage  même  des  moutons.  Ces  œufs,  infiniment 
petits,  adlièrent  aux  herbes  que  Tagneau  broute,  et  ils  pénètrent 
dans  son  tube  digestif,  d'où  ils  gagnenl  le  cerveau.  11  est  possible 
que  rédosion  ait  lieu  dans  la  panse,  et  que,  pendant  la  rumina- 
tion, les  embryons,  avec  leurs  six  crochets  n'aient  à  traverser 
que  la  base  du  ciàne  lorsque  la  pelote  alimentaire  les  ramène 
dans  la  bouche.  Us  remonteraient  alors  le  long  d'un  vaisseau  ou 
d'un  nerf,  pour  pénétrer  sous  les  enveloppes  du  cerveau.  11  ré- 
sulte de  là  que  le  moyen  d'arrêter  le  mal  est  très-simple.  Qu'on 
brûle,  en  effet,  les  têtes  des  moutons  atteints,  ou  qu'on  les  fasse 
suffisamment  bouillir;  que  l'on  surveille  aussi  avec  soin  les 
chiens  de  berger,  pour  voir,  s'ils  ont  ou  non  des  Ténias,  et  qu'on 
rejette  hors  de  la  poi  lée  des  moutons  ou  des  herbes  dont  ils  se 
noui rissent  les  fcces  portant  les  cucuibitains  évacués  par  les 
chiens  :  en  peu  de  temps  on  arrêtera  les  ravages  de  cette  triste 
maladie.  Zoologie  médicale,  1. 11,  p.  268. 


600  HETEROGENIE. 

vendus  pour  la  boucherie.  Mais  jetât-on  leur  tête  aux 
chiens,  je  doute  très-fort  que  ceux-ci  en  brisent  le 
crâne  pour  se  repaître  de  la  cervelle.  Enfin,  je  ne 
conçois  guère  comment  l'embryon  pourrait  pénétrer 
dans  le  crâne  par  les  ouvertures  de  sa  base,  le  tissu 
qui  les  revêt  étant  excessivement  serré. 

En  terminant,  je  dois  dire  que  les  expériences  de 
transmigration  artificielle,  qui  ont  été  faites  jusqu'à 
ce  moment,  sont  presque  toutes  frappées  de  nullité,  à 
cause  de  la  manière  dont  elles  ont  été  conduites.  En 
effet,  dans  toutes,  les  physiologistes  ont  administré,  à 
diverses  re})rises,  les  Entozoaires,  dont  ils  se  propo- 
saient d'infester  d'autres  animaux  ;  tandis  que  la  pre- 
mière condition  était  que  :  tous  fussent  administrés  au 
même  moment,  afin  que,  connaissant  le  mode  d'ac- 
croissement de  ces  vers,  à  Vautopsie,  on  ait  déjà  une 
donnée  assez  précise,  pour  statuer  si  les  helminthes  dé- 
couverts proviennent  de  ceux  ingérés.  Ainsi,  par 
exemple,  dans  les  expériences  de  Van  Beneden,  son 
chien  Caïo  a  avalé  ses  quatre  rations  en  un  mois,  et 
Blac  en  quatre  mois.  Je  cherche  en  vain  dans  la  né- 
cropsie  la  taille  qu'avaient  les  Ténias  rencontrés  dans 
l'intestin,  je  ne  la  trouve  pas  (1) .  D'après  les  données 
de  Siebold,  il  devait  se  rencontrer  des  vers  des  plus 
extrêmes  grandeurs  ;  l'un  des  chiens  pouvait  présen- 
ter des  Ténias  de  deux  jours  et  des  Ténias  de  quatre 
mois.  Je  le  répète,  pour  une  expérience  positive,  il 
faut  partir  d'une  seule  donnée,  d'une  seule  adminis- 
tration d'helminthes. 

(I)  Gervais  et  Vais  Beneden,  Zoologie  médicale.  Paris,  1859,  t. Il;, 
p.  268. 


DISCUSSION    BE    L  HYPOTHÈSE    DES   MIGRATIONS.         601 

Dissidences  fondamentales.  —  On  découvre  d'é- 
normes dissidences  relativement  à  la  nature  des  hel- 
minthes, dans  les  œuvres  des  naturalistes  qui  se  sont 
occupés  des  transmigrations  artificielles,  et  cependant 
pour  partir  d'un  point  de  départ  assuré,  il  eiit  fallu 
avant  tout  être  fixé  sur  la  nature  des  Entozoaires. 

C'est  ainsi,  par  exemple,  que  de  Siebold  et  Slein  (1), 
considèrent  les  Cysticerques  comme  de  jeunes  Ténias 
malades,  hydropiques  ;  et  qu'au  contraire  Kiichenmei- 
ster  et  Van  Beneden  pensent  qu'ils  ne  représentent 
que  l'état  normal  de  ces  jeunes  vers  (2).  Il  faudrait 
s'accorder. 

D'un  autre  côté  aussi,  de  Siebold  considère  les  Té- 
nias de  l'homme,  du  chien  et  du  renard,  comme  n'é- 
tant que  des  variétés  de  la  même  espèce  (3)  ;,tandis 
queKûchenmeisteret  Van  Beneden  en  font  autant  de 
types  spéciaux  (4).  Où  est  donc  ce  que  l'on  doit  croire? 

Résumé.  —  Les  vers  intestinaux  ne  peuvent  être 
transmis  aux  animaux  par  leurs  parents.  C'est  un  fait 
incontesté. 

Les  plus  célèbres  helminthologistes,  quoique  con- 
naissant les  organes  sexuels  de  certains  Entozoaires, 
ne  les  ont  pas  moins  regardés  comme  étant  d'abord  le 
produit  de  la  génération  spontanée. 

(1)  De  Siebold,  Zeitschrift,  t.  IV,., p.  407.  Stein,  Zeitschrift  fur 
wiss.  Zoologie,  t.  IV,  p.  2il. 

(2)  KùciiENMEiSTER ,  On  animal  and  vegetable  parasites  of  the 
human  hody.  Londou,  1857,  t.  \,  p.  27-30.  —  Van  Beneden,  Zoolo- 
gie médicale.  Paris  1859,  t. 

(3)  De  Siebold,  Ueher  Band-und  Blasenw'ùrmer,  1854,  p.  64. 

(4)  KuciiKNMEiSTER,  On  animal  and  vegetable,  etc.,  t.  I,  p.  30.  — 
Van  Beneden,  Zoologie  médicale.  Paris,  1859. 


602  HÉTEROGENIE. 

Quelques  physiologistes  ont  récemment  fait  con- 
naître des  expériences  d'où  il  résulterait  que  certains 
helmindies  passeraient  une  des  phases  de  leur  vie  sur 
un  animal,  et,  par  des  moyens  variés,  se  transporte- 
raient sur  un  ou  plusieurs  autres,  pour  y  achever  leur 
carrière. 

Mais  quoique  les  expériences  sur  ces  migrations  ar- 
tificielles aient  été  répétées  par  plusieurs  observateurs, 
comme  ceux-ci  sont  parfois  en  désaccord  flagrant,  on 
ne  peut  encore,  selon  nous,  tirer  aucune  conclusion 
de  leurs  travaux. 

Enfin,  comme  plusieurs  de  leurs  observations  ne 
peuvent  supporter  le  moindre  examen  critique  sé- 
rieux, et  qu'il  est  beaucoup  de  vers  intestinaux  dont 
la  genèse  se  dérobe  absolument  à  toutes  les  explica- 
tions, jusqu'à  de  plus  satisfaisantes  recherches,  nous 
pensons  qu'on  doit  encore  considérer  la  primitive  ap- 
parition de  beaucoup  d'entozoaires  comme  dérivant 
de  l'hétérogénie. 

C'était  à  l'hétérogénie  que  Buffon  attribuait  la  for- 
mation des  vers  intestinaux,  et,  en  cela,  il  a  été  le  pré- 
curseur des  grands  physiologistes  de  notre  époque  (I). 

Les  hommes  qui  ont  scrulé  avec  le  plus  de  pro- 
fondeur, l'histoire  des  helminthes,  tels  que  Rudolphi 
et  Bremser,  ont  soutenu  cette  opinion  (2). 

(1)  Buffon,  Histoire  naturelle  générale  et  particulière.  Paris,  i749, 
imp.  royale,  supplém.,  t.  IV,  p,  3 il. 

(1)  Rudolphi,  Entozoorum  historia  «a/wra/is.  Amsterdi m,  1808. 
Entozoorum  sijnopsis  cui  accédant  mantissa  duplex  et  indices  locu- 
pletissimi.  Btfio.ini,  1819.  —  Goeze,  Versuch  eimr  Naturge- 
schichte  dcr  Eingeweidewiirmer   thierischer  Kôrper.  —  Bremser, 


DISCUSSION    DE    l'hYPOTHÈSE    DES    MIGRATIONS.         603 

M.Tiedemann  regarde  aussi  les  helminthes  comme 
dérivant  d'abord  de  riiélérogénie  ;  et  il  ajoute,  à  ce 
sujet,  que  les  motifs  allégués  parPallas,  Muller,  Wer- 
ner,  Bloch,  Goeze,  Braun,  Treviranus,  Rudolphi  et 
Bremser,  ne  permettent  plus  d'admettre  qu'ils  pro- 
viennent du  dehors  (1). 

J.  Muller,  lui-même,  a  parfaitement  senti  que 
l'apparition  primordiale  de  certains  vers  inlestinaux 
offrait  d'irrésistibles  preuves  à  Thétérogénie.  «  Toute 
une  série  d'arguments  en  faveur  de  la  génération 
spontanée,  dit-il,  naît  de  l'impossibilité  où  l'on  est 
d'expliquer  autrement  l'origine  première  des  Enlo- 
zoaires.  Tel  est  aussi  ce  que  professe  Bérard  (2).  Or, 
pour  nous,  jusqu'à  ce  que  de  nouvelles  expériences 
viennent  nous  convaincre  absolument,  nous  ne  cesse- 
rons pas  de  partager  l'opinion  de  ces  physiologistes 
illustres. 

Enfin,  pour  résumer  tout,  si  en  soutenant  que  quel- 
ques Entozoaires  s'engendrent  primairement  par  l'hé- 
térogénie,  nous  sommes  en  désaccord  avec  MM.  Ku- 
chenmeister,  Leuckart,  de  Siebold  et  Van  Beneden; 
nous  nous  avançons  avec  l'appui  des  Buffon  ,  des 
Bremser,  des  Burdach,  des  Tiedemann,  des  Trevira- 
nus, des  J.  Muller,  des  Bérard  ;  que  Ton  décide  main- 
tenant de  quel  côté  doit  pencher  la  balance. 


Icônes  helminthum  systema  Rudolphii  entozoologicum  illustrantes, 
Vienne,  182-i. 

(1)  Tiedemann,  Traité  de  phijsiologie  de  l'homme.  Paris,  1831, 
t.  II.  p.  153. 

(2)  J.  Muller.   Manuel  de  physiologie.  Paris,    1845,  p.   14. — 
Bérard,  Cours  de  physiologie.  Paris,  1848,  t.  1,  p.  99. 


CHAPITRE  VIII 

PREUVES  TIRÉES  DU  RÉGNE  VÉGÉTAL. 

Tout  notre  travail  est  dominé  par  cette  pensée,  à 
savoir  :  c'est  que  la  vie  ne  se  produit  que  lorsque  ses 
éléments  matériels  se  trouvent  en  présence  de  cir- 
constances particulières,  déterminées  pour  chaque 
entité.  Reproduisez-les,  elle  revient;  entretenez-les, 
elle  se  perpétue. 

Les  exemples  d'hétérogénie  végétale  s'ajoutent  à  ce 
que  nous  avons  déjà  dit,  pour  le  démontrer  ostensi- 
blement. Les  botanistes,  il  est  vrai,  expliquent  sou- 
vent par  le  concours  de  la  dissémination,  ces  extraor- 
dinaires apparitions  d'une  végétation  tout  à  fait  insolite, 
qui  se  développe  dans  certaines  localités.  Et  ils  sup- 
posent qu'elle  n'est  explicable  qu'à  l'aide  du  trans- 
port des  semences  par  l'action  des  vents,  par  la  mer, 
les  fleuves,  les  animaux  ou  par  le  commerce  inter- 
national. 

Les  œuvres  des  savants  qui  ont  écrit  sur  là  physio- 
logie végétale,  abondent  en  exemples  de  plantes  dont 
les  fruits  ou  les  graines  se  trouvent  presque  miracu- 
leusement transportés  aux  plus  grandes  distances.  Les 
voyages  maritimes  des  cocos  des  Maldives  ont  une 
grande  célébrité  :  on  sait  aussi  que  les  (lots  de  l'océan 
apportent  des  fruits  de  Mimosa  et  de  Cocotier  jusque 


EXPÉRIENCES    SUR    LES   VÉGÉTAUX.  605 

sur  les  grèves  de  la  Scandinavie.  Les  tempêtes  enlèvent 
à  l'Amérique  les  semences  voyageuses  de  quelques 
Composées,  et  viennent  en  ensemencer  les  plaines 
de  l'Espagne.  Les  Colombes  muscadivores,  à  ce  que 
rapportent  quelques  botanistes,  ont  repeuplé  de  mus- 
cadiers certaines  îles  oii  les  Hollandais  en  avaient 
dévasté  les  plantations  (1). 

Mais  quelques-uns  de  ces  faits,  comme  l'a  déjà  si- 
gnalé Bory  de  Saint-Vincent,  n'ont  peut-être  pas  toute 
l'authenticité  désirable  (2).  Sans  nier  cette  puissance 
expansive  de  la  végétation,  il  y  a  beaucoup  de  cas  dans 
lesquels  l'extraordinaire  dissémination  qu'on  nous 
oppose  à  chaque  instant,  est  cependant  extrêmement 
bornée.  L'observation  et  l'expérience  nous  l'ont  sou- 
vent démontré. 

Nous  citerons  seulement  deux  exemples  à  l'appui  de 
ce  que  nous  venons  de  dire.  La  violette  de  Rouen, 
viola  Rothomagensis,  Des.,  que  Lamarck  découvrit  il 
y  a  une  soixantaine  d'années  sur  la  Roche  S'-Adrien, 
qui  borde  la  Seine,  n'y  vient  que  dans  un  espace  de 
quelques  toises,  situé  au  pied  de  la  montagne.  Depuis 
trente  ans,  je  vois  cette  plante  pulluler  dans  cet 
espace  resserré,  et  jamais  une  de  ses  semences  ne  s'est 

(1)  Comp.  MiRBEL,  Physiologie  végétale.  Paris,  1817,  t.  I,  p.  348. 
—  PoiRET,  Cours  de  botanique.  Paris,  1819,  t.  1,  p.  228.  —  Bierre 
ET  PoTTiER,  Éléments  de  botanique.  Paris,  1825,  p.  108.— Richard, 
Éléments  de  botanique  et  de  physiologie  végétale.  Paris,  1846, 
p.  499.  —  DicT.  CLASs.,  art.  Dissémination.  —  Decandolle,  Physio- 
logie végétale.  Paris,  1832,  t.  11,  p.  595.  —  Raspail,  Nouveau 
système  de  physiologie  végétale.  Paris,  1837,  t.  Il,  p.  30. 

(2)  Bory  de  Saint-Vincent,  Géographie, botanique,  Dict.  classique 
dhist.nat.,  t.  VU,  p.  284. 


606  HETEROGENIE. 

transportée  ailleurs.  N'esl-il  donc,  en  Normandie, 
aucune  autre  roche  qu'elle  daigne  embellir  de  ses 
riantes  corolles  d'un  violet  clair? 

Depuis  le  même  laps  de  temps,  j'observe  au  pied 
des  montagnes  calcaires  de  Duclair,  l'Ibéride  inter- 
médiaire, iberis  intermedia  ,  qui  y  a  été  découvert 
par  M.  Guersant  (1).  C'est  là  l'unique  résidence  de 
cette  plante  dans  notre  patrie  (2).  Les  savants  qui 
font  si  habilement  voyager  les  végétaux,  pourraient-ils 
expliquer  comment  cet  Ibéride,  depuis  tant  d'années, 
n'a  pas  étendu  d'un  pouce  sa  limite  géographique? 
cependant  cette  plante  se  trouve  dans  les  meilleures 
conditions  pour  cela.  Mais  ni  le  commerce  maritime 
qui  répand  au  loin  les  pierres  sur  lesquelles  elle  croit, 
ni  la  grande  route  qui  traverse  le  site  qu'elle  habite  et 
longe  la  Seine  jusqu'à  Paris,  ni  les  ouragans  de  l'em- 
bouchure du  fleuve,  ni  ses  eaux,  n'ont  jamais  trans- 
porté l'une  des  semences  de  cette  Crucifère  hors  de 
son  site  d'élection.  îN'y  a-t-il  donc  aucune  montagne, 
aucun  autre  rocher  calcaire  le  long  des  rives  de  la 
Seine,  qui  soit  capable  de  la  nourrir? 

D'autres  végétaux  résident  encore  dans  des  espaces 
plus  restreints.  Le  Teiicrkim  scordiiim^hm . ,  n'a  jamais 
poussé  dans  la  Seine-Inférieure  que  dans  l'espace  d'un 
mètre  carré;  le  Cucuhalus  oliles ,  Lin.,  n'y  vient  que 
sur  un  mur  '^V  Astragalns  gJycijphyllos,h\n.^  ne  se  pro- 
page que  sur  les  ruines  du  château  de  Robert  le  diable! 
Nous  pourrions  citer  une  foule  d'autres  cas,   et  en 

(1)  GuFRSANT,  Bulletin  de  la  société  philomatique.  t.  XXI,  n°  82. 

(2)  Lamarck  et  Decandolle,  Flore  française^  Paris,  1805,  t.  IV, 
p.  7lu. 


EXPÉRIENCES    SUR    LES    VÉGÉTAUX.  607 

demander  la  raison  aux  savants  qui  démontrent,  avec 
une  si  merveilleuse  facilité,  l'inexplicable  transport 
des  helminthes  et  des  infusoires,  à  travers  les  organes 
profonds  de  l'économie  animale  ou  l'introduction  de 
leurs  germes  dans  nos  appareils  hermétiquement  clos  ! 
Si  ces  végétaux  perpétuellement  conlinés  dans  ces 
espaces  resserrés,  n'y  ont  pas  été  spontanément  for- 
més à -d'autres  époques,  au  moins  on  nous  avouera 
que  leur  isolement  séculaire  est  fort  inexplicable. 

SECTION  l'"^. —  EXPÉRlENCnS  SUR  LES  VÉGÉTAUX  EXÉCUTÉES  A  L''aiR  LIBRE, 

Mais,  sans  nous  arrêter  à  ces  faits  généraux,  si  nous 
nous  reportons  aux  preuves  expérimentales,  nous 
voyons  que  celles-ci  abondent  pour  donner  à  l'hété- 
rogénie  végétale  une  incontestable  démonstration. 

L'expérience  qui  suit  nous  paraît  avoir,  à  cet  égard, 
une  autorité  qu'il  nous  semble  que  l'on  ne  pourra  que 
bien  diftîcilement  contester,  puisque  l'expérimenta- 
teur y  force^  en  quelque  sorte,  la  genèse  à  suivre 
toutes  les  fantaisies  que  sa  main  lui  trace. 

Ainsi,  nous  prenons  un  sol  factice  quelconque,  que 
l'on  sait  parfaitemen  t  ne  pouvoir  contenir  aucun  germe  ; 
puis,  dans  une  étendue  donnée,  parfcutement  délimi- 
tée, nous  en  modifions  la  surface  à  l'aide  d'une  sub- 
stance qui  est  également  vierge  de  toute  séminule,et, 
au  bout  d'un  certain  temps,  sur  ce  sol  vierge,  on  ob- 
tient une  végétation  absolument  anormale. 

Expérience.  —  Axiomes  :  Une  température  de 
moins  de  100%  en  quinze  minutes,  désorganise  les  sé- 
minules  de  V Aspergillus  en  expérience.  Celles-ci  ne 
peuvent  échapper  au  micrographe,  soit  h  cause  de  leur 


^08  HÉTÉROGÉNIE. 

grosseur  qui  est  de  0,0028  de  millimètre,  soit  à  cause 
de  leur  coloration  brune;  enfin,  elles  ne  peuvent  passer 
à  travers  les  filtres  en  papier,  et  jamais  nous  n'avons 
pu  les  voir  germer  en  les  ensemençant  sur  de  la  colle. 
Expérience, —  Dans  une  grande  cuvette  en  porcelaine, 
de  forme  quadrilatère  à  fond  plat,  on  versa  de  la  colle 
de  farine  de  blé  bouillante,  de  manière  à  former  une 
couclied'un  centimètre  d'épaisseur.  Quand  cette  colle 
commença  à  se  figer,  avec  un  pinceau  imbibé  d'une 
forte  macération  de  poudre  de  noix  de  galle,  préalable- 
ment filtrée,  on  écrivit  ces  mots  sur  la  surface  de  sa 
pellicule  :  generatio  spontanea.  L'appareil  fut  ensuite 
abandonné  à  lui-même  pendant  quatre  jours,  après 
avoir  été  recouvert  d'une  lame  de  verre.  Au  bout  de 
ce  temps,  la  température  ayant  été  de  24°  en  moyenne, 
et  la  pression  de  0,76,  les  mots  generatio  spontanea, 
se  dessinèrent  sur  la  colle  en  caractères  d'un  beau  noir, 
formés  par  les  touffes  serrées  d'un  cbampignon  mi- 
croscopique, absolument  inconnu,  que  j'appellerai 
Aspergillus primigenius.  Celui-ci  s'est  uniquement  dé- 
-  veloppé  sur  les  lettres  tracées  avec  la  noix  de  galle. 
Le  reste  de  la  colle  ne  présente  encore  aucune  végé- 
tation, et  sa  surface,  explorée  les  jours  précédents,  n'a 
offert  aucune  trace  des  séminules  de  la  plante  qui  re- 
produit si  ostensiblement  les  deux  mots. 

Corollaire.  —  Comme  les  semences  de  l'Aspergil- 
lus  produit  dans  cette  expérience  n'existaient  point 
dans  la  colle,  soit  parce  que  celle-ci  les  eût  désorga- 
nisées par  son  ébullition,  soit  parce  que  le  microscope 
les  y  eût  distinguées;  comme  elles  n'ont  pas  non  plus 
été  apportées  par  la  macération  de  noix  de  galle,  soit 


EXPÉRIENCES    SUR    LES    VÉGÉTAUX.  609 

parce  que  celle-ci  a  été  filtrée,  soit  parce  que  l'examen 
a  démontré  qu'elle  ne  les  contenait  pas;  enfin  comme 
l'air  n'a  pu  les  apporter,  car,  dans  ce  cas,  elles  ne  se 
fussent  pas  réparties  symétriquement,  il  faut  bien  que 
cette  plante  dérive  de  la  genèse  spontanée.  On  n'o- 
serait pas  sans  doute  prétendre  que  ces  séminules,  dis- 
persées dans  Tatmosphère,  n'attendaient  pour  germer, 
depuis  la  création,  que  la  combinaison  tout  à  fait  in- 
solite qu'au  dix-neuvième  siècle,  on  devait  produire 
dans  mon  laboratoire,  et  les  mots  generatio  sponlanea 
que  ma  main  devait  y  tracer.  Dans  le  système  des 
panspermisles,  il  n'y  a  cependant  que  ce  moyen  d'ex- 
pliquer un  tel  résultat;  car  si  les  germes  n'eussent  pas 
été  formés  en  vue  d'une  telle  combinaison,  cette  cryp- 
togame inconnue  se  fût  répandue  sur  toute  la  super- 
ficie de  la  colle  ,  à  moins  d'admettre  que  quelque 
sylphe  ne  les  rassembla  magiquement  sur  la  trace  des 
mots  que  l'on  écrivait. 

Cette  expérience  est  facile  à  répéter.  Quelle  que 
soit  la  substance  avec  laquelle  on  inscrira  un  mot  à  la 
surface  d'une  plaque  de  colle  de  farine ,  dans  la  plu- 
part des  cas,  celui-ci  se  revêtira  d'une  végétation  cryp- 
togamique,  différente  de  celle  qui  envahira  ce  sol 
factice".  Ce  sol  fournit  si  peu  la  nouvelle  produc- 
tion, qu'on  obtient  souvent  le  même  résultat  en  écri- 
vant quelques  lettres  sur  du  papier  Joseph,  et  en  pla- 
çant ensuite  celui-ci  sur  la  colle.  Mais  arrivera-t-on 
toujours  à  obtenir  les  caractères  d'un  beau  noir,  et 
parfaitement  délimités,  que  me  donna  ïaspergillus 
primigenius?  Je  n'oserais  le  promettre.  J'ai  répété 
l'expérience  plus  de  trente  fois  avec  les  mêmes  sub- 

POUCHET.  89 


610  HÉTÉROGÉNIE. 

stances ,  la  colle  faite  dans  les  mêmes  vases ,  et  n'ai 
jamais  encore  pu  revoir  cette  cryptogame  insolite  (1). 
A  cet  ensemencement  scripturaire,  on  peut  en  sub- 
stituer un  autre  qui  donne  des  résultats  non  moins  re- 
marquables., en  se  servant  de  bassins  d'un  diamètre 
différent,  que  l'on  place  les  uns  dans  les  autres.,  et  en 
mêlant  la  colle  de  farine  avec  des  substances  diverses 
dans  chaque  bassin.  On  obtient,  au  bout  de  quelques 
jours,  des  cercles  concentriques  qui  présentent  des 
Mucédinées  d'espèce  et  d'aspect  fort  variés  (2).  Car 

(1)  Afin  de  ne  laisser  aucun  doute  sur  cette  expérience  Je  con- 
serve au  muséum  de  Rouen,  des  fragments  de  ces  lettres  d'un 
beau  noir,  formées  par  Vaspergillus  nouveau.  On  pourra  toujours 
les  y  consulter.  Cette  espèce  est  analogue  àl'^.  nigrescens,  Rob., 
mais  elle  en  diffère  essentiellement  par  ses  tigelles  simples  non 
articulés  et  cylindriques,  et  par  ses  capitules  d'un  beau  noir.  Voy\ 

pi.  Il,  ûg. 

(2)  Expérience  de  genèse  concentrique.  On  prend  quatre  cuvettes 
en  cristal  d'un  diamètre  différent  et  que  Ton  place  les  unes  dans  les 
autres,  de  manière  que  chacune  d'elle  laisse  entre  elle  et  sa  voi- 
sine un  espace  d'un  pouce.  Chaque  cuvette  est  ensuite  remplie 
de  colle  de  farine  qui  a  bouilli  une  demi-heure.  Dans  la  cuvette 
du  centre,  la  colle  a  été  mêlée  à  une  solution  de  phosphate  d'am 
moniaque  filtrée;  celle  qui  se  trouve  en  dehors,  de  colle  mêlée  à 
de  la  levure  de  bière;  la  troisième  cuvette  est  remplie.de  colle 
mélangée  à  une  macération  de  noix  de  galle  filtrée  ;  enfin  la  der- 
nière cuvette,  ou  la  plus  extérieure,  est  occupée  par  de  la  colle 
sans  addition  d'aucune  substance.  L'appareil  est  ensuite  recou- 
vert d'une  cloche.  Résultat:  après  quatre  jours, la  température 
ayant  été  en  moyenne  de  2d  degrés  et  la  pression  de  0™,76,  on 
remarquait  ce  qui  suit. Le  vase  central  occupé  par  de  la  colle  mêlée 
à  du  phosphate  d'ammoniaque  était  rempli  de  pustules  ocellées, 
d'un  penicellium  d'un  beau  bleu  clair,  avec  des  bords  d'un  blanc 
p.ur;  le  vase  qui  l'entoure,  occupé  de  colle  mêlée  à  de  la  levure 
de  bière,  a  sa  surface  couverte  par  une  végétation  cryptogamique 
d'un  blanc  sale;  tout  autour,  le  troisième  vase,  rempli  de  colle  et 


EXPÉRIENCES    SUR    LES    VÉGÉTAUX.  611 

il  faut  bien  considérer  ceci  comme  positif  :  dans  pres- 
que toutes  les  combinaisons  que  Ton  produit  dans  les 
laboratoires,  ainsi  qu'on  l'a  observe  pour  les  animaux, 
on  obtient  des  cryptogames  spéciales,  d'une  extrême 
simplicité,  il  est  vrai,  mais  toujours  différentes  pour 
l'apparence. 

Lorsqu'un  liquide  albumineux  est  acidulé  par  l'acide 
sulfurique^  on  voit  bientôt  y  apparaître  des  vésicules 
sphériques  qui,  ainsi  que  l'ont  remarqué  MM.  Andral 
et  Gavarret,  après  un  temps  fort  court,  s'allongent, 
se  ramifient,  et  forment  un  végétal  microscopique (1). 
M.  Cagniard-Latour  rapporte  qu'en  mettant  en  con- 
tact de  l'eau  filtrée  avec  de  la  vapeur  d'acide  acéti- 
que, il  a  vu  naître  une  nouvelle  espèce  de  conferve  (2). 

On  le  croirait  à  peine,  et  cependant  c'est  un  fait 
bien  positif,  la  forme  des  vases  ou  leur  substance, 
influent  énormément  aussi  sur  les  végétaux  microsco- 
piques que  l'on  obtient  dans  nos  laboratoires  (3). 


de  noix  de  galle,  forme  un  encadrement  brun,  sa  surface  e'tant  to- 
talement envahie  par  des  aspergillus,  dont  les  têtes  sont  de  cette 
couleur.  Enfin,  au  dehors,  se  trouve  le  vase  qui  contient  la  colle 
et  dans  lequel  on  ne  distingue  encore  rien. 

(1)  Andral  et  Gavarret,  Recherches  sur  le  développement  du  pé- 
nicillium glaucum,  sous  l'influence  de  V acidification ^  dans  les 
liquides  albumineux  normaux  et  pathologiques.  Ann.  de  chimie  et 
de  physique,  t.  VIII,  p.  385. 

(2)  Cagniard-Latour,  Mémoire  sur  un  végétal  confervoïde  d'une 
nouvelle  espèce.  Ann.  des  se.  nat.  Botanique;,  t.  IV,  p.  32. 

(3)  Expérience.  Une  couche  de  colle  de  farine  d'un  cenlin.ètre 
d'épaisseur,  est  placée  dans  une  bassine  de  cuivre  très-mince,  ar- 
gentée récemment.  Après  quatre  jours ,  toute  sa  surface  est  cou- 
verte de  touffes  rapprochées  de  mucédinées  diversic olore-^,  qui 
lui  donnent  exactement  l'aspect  d'un  granit  vert  et  rouge.  A  côté, 


612  HÉTÉROGÉNIE. 

Section  ii.  —  expériences  sur  la  vrgétation  exécutées  a  vaisseaux 

HERMÉTIQUEMENT   CLOS. 

On  sait  que  certains  corps,  et  en  particulier  le  sul- 
fate de  soude,  ont  besoin  du  contact  de  l'air  libre 
pour  cristalliser;  une  solution  saturée  de  ce  sel, 
déposée  sous  une  cloche,  reste  intacte;  et  ce  n'est 
qu'au  moment  où  on  lève  celle-ci,  pour  laisser  le  vase 
en  contact  avec  l'atmosphère,  que  les  cristaux  se  for- 
ment subitement.  Schroeder  a  tout  récemment  con- 
staté que  l'air  qui  a  traversé  un  tube  rempli  de  coton, 
empêche  la  cristaUisation  de  ce  même  sulfate  de 
soude  (1).  Et  M.  l'abbé  Moigno  se  demande  comment 
expliquer  ces  faits  étrangers  (2). 

Il  est  étonnant,  que  l'on  ne  se  soit  jamais  adressé 
une  semblable  question  relativement  à  la  stérilité 
de  diverses  expériences  hélérogéniques  ,  exécutées 
à  vaisseaux  hermétiquement  fermés.  Nos  adversaires 
voient  un  sel  qui,  s'il  n'est  mis  à  ciel  ouvert,  re- 
fuse de  prendre  ses  formes  cristallines  ;  et  eux, 
ils  exigent  que  des  organismes  d'une  texture  bien 
autrement  complexe  ,  se  forment  cependant  sans 
entrave,  quand  on  ne  leur  apporte  que  de  l'air  cal- 
ciné dans  un  fourneau  de  coupelle  ou  lavé  dans 
de  l'acide  sulfurique  concentré.  Ils  veulent  que 
les  plus  frôles  animalcules   de  la  création  résistent 

la  même  colle  et  en  même  épaisseur  est  placée  dans  un  vase  en 
porcelaine  et  n'ofFre  pas  encore  la  moindre  végétation. 

(!)  Schroeder,  Cosmos.  Revue  encyclopédique.  Paris,  1850, 
p.  540. 

(2)  L'abbé  MoiGNO,  Cosmos.  Paris,  1839,  p.  540. 


EXPÉRIENCES    SUR   LES    VÉGÉTAUX.  613 

constamment  à  l'air  méphilif[ue  ou  aux  acides  qui  se 
forment  durant  les  opérations  à  vaisseaux  clos  ! 

Nous  le  demandons,  est-il  rationnel  de  prétendre 
que  la  genèse  d'un  être  vivant  doive  exiger  moins  de 
précautions  que  n'en  réclame  la  formation  d'un 
cristal  ?  Et  ccpendani,  nous  pouvons  dire  que  parfois 
la  Monade  et  le  Vibrion  sont  moins  exigeants  que  le 
sulfale  de  soude.  En  effet,  toujours  nous  les  voyons 
apparaître  dans  les  vaisseaux  hermétiquement  fermés, 
et  presque  toujours  aussi  dans  ceux  qui  ont  reçu  de 
l'air  calciné,  ou  de  l'air  tamisé  à  travers  de  l'acide 
sulfurique.  L'avantage  expérimental  est  donc  ici  à 
Torganisme. 

La  stérilité  des  appareils,  observée  dans  certaines 
circonstances,  dépend  si  peu  des  germes  que  l'on 
prétend  enlever  à  l'air,  soit  en  le  brûlant  à  travers 
des  tubes  rougis,  soit  en  le  lavant  dans  l'acide  sulfu- 
rique concentré,  que  maintes  fois,  dans  des  expé- 
riences comparatives,  nous  avons  reconnu  que  l'eau 
simple  paralysait  la  genèse  tout  aussi  efficacement 
que  le  terrible  acide,  si  longtemps  représenté  comme 
dévorant  au  passage  les  germes  organiques. 

Il  est  si  peu  besoin  de  tourmenter  l'air  avec  tant 
de  violence  pour  paralyser  son  action  sur  les  corps 
fermentescibles,  que  quelques  chimistes  ont  cru  qu'il 
suffisait  seulement  de  le  tamiser  à  travers  du  coton 
cardé  et  qu'alors  les  substances  putrescibles  renfer- 
mées dans  les  vases  ne  subissaient  aucune  altéra- 
tion (1).   Nous,  nous  avons  reconnu,  dans  d'autres 

(1)  ScHROEDER  et  Th.  V.  DiJSCH,  Annal,  der  Chem.   w.  Pharm. 


6iA  HETEROGENIE. 

expériences,  qu'il  suffisait  parfois  de  le  faire  simple- 
ment passer  à  travers  de  l'eau  pour  obtenir  le  même 
résultat ,  et  voir  ensuite  de  l'urine,  de  la  colle,  ou  de 
l'albumine,  se  conserver  deux  mois  à  une  tempéra- 
ture de  15%  tandis  que  les  critériums  exposés  à  l'air 
étaient  remplis  d'une  végétation  cryptogamique  au 
bout  de  cinq  à  six  jours  (1). 

t.  LXXXIX,  p.  232.  —  Gerhardt,  Traité  de  chimie  organique.  Paris, 
1856,  t.  IV,  p.  S44. 

(1)  Expérience.  Dans  un  appareil  à  simple  rentrée  d'air  et  dont 
les  boules  de  Liebig  contenaient  de  l'eau,  on  remplit  le  tiers  du 
ballon  de  colle  de  farine  légère,  que  l'on  y  tint  quinze  minutes 
enébuUition  à  l'aide  d'une  lampe  (pi.  ui,  fig.  8).  Celle-ci  éteinte, 
l'air  rentra  dans  Tappareif  en  traversant  l'eau  peu  à  peu.  L'ap- 
pareil fut  abandonné  deux  mois  à  une  température  moyenne  de 
14  degrés,  et  pas  la  moindre  moisissure  ne  se  dé'^lara  à  la  surface 
delà  colle  durant  tout  ce  temps.  Au  contraire  un  critérium,  placé 
à  côté,  et  en  contact  avec  l'atmosphère,  avait  au  bout  de  cinq 
jours  toute  sa  surface  envahie  par  des  champignons — Expérience 
COMPARATIVE.  Une  expérience  entrepris^i  le  même  jour  et  dans  les 
mêmes  conditions,  mais  dans  laquelle  l'air  est  introduit  dans 
l'appareil  en  traversant  des  boules  de  Liebig  remplies  d'acide  sul- 
furique,  donna  absolument  les  mêmes  résultats  (pi.  m,  fig.  8). — 
Expérience.  Dans  notre  appareil  à  simple  rentiée  d'air  (pi.  m, 
fig.  8),  et  dont  les  boules  étaient  remplies  d'eau,    on  mit  175 
grammes  d'urine  humaine,  et  on  l'y  tint  en  ébuUition  pendant 
un  quart  d'heure.   Ensuite,  l'air  rentra  en  traversant  l'eau,  et 
Tappareil  fut   abandonné  sous  l'influence    d'une    température 
moyenne  de  12  degrés.  Deux  mois  après,  l'urine  était  encore  par- 
faitement limpide  et  pas  la  moindre  moisissure  ne  s'était  déclarée 
à  sa  surface.  Un  critérium  placé  à  côté,  au  bout  de  huit  jours 
était  envahi   par  une  abondante  végétation  cryptogamique.  — 
Expérience  comparative.  Une  expérience  est  faite  le  même  jour 
et  absolument  dans  les  mêmes  circonstances,  seulement  l'air  ne 
rentre  dans  l'appareil  qu'en  traversant  des  boules  remplies  d'acide 
sulfurique.  Le  résultat  est  absolument  le  même  que  dans  l'expé- 
rience précédente,  l'urine  est  intacte. 


EXPÉBIENCES    SUR    LES   VÉGÉTAUX.  615 

Mais  hàtons-nous  de  dire  que  ce  phénomène  n'a 
pas  toujours  lieu  ;  et  que  si  l'on  se  sert  de  mélanges 
propices,  on  a  beau  calciner  i'air^  ou  le  tamiser  à 
travers  de  l'acide  sulfurique  ou  de  l'eau,  la  fermenta- 
tion n'en  a  pas  moins  lieu,  et  au  bout  d'un  certain 
temps  on  voit  se  produire  des  champignons  et  des 
animalcules  dans  les  appareils. 

Jusqu'à  ce  moment,  avec  l'appareil  de  Schultze,  à 
courant  d'air,  j'ai  toujours  obtenu   une   végétation 
cryptogamique  en  employant  de  la  colle  de  farine, 
longtemps  bouillie  dans  le  ballon  même.  Cette  végéta- 
tion apparaissait  de  huit  à  vingt-cinq  jours  après  le 
commencement  de  l'expérience,  à  une  température 
moyenne  de  20°  (pi.  ni,  fîg.  2). 
•  Avec  mes  appareils  à  simple  rentrée  d'air,  quand 
l'expérience  est  bien  conduite,  et  que  l'air  est  rentré 
en  traversant  un  de  mes  doubles  tubes  laveurs,  rem- 
pli d'acide  sulfurique,  dans  la  plupart  des  cas,  j'ob- 
tiens une  végétation  cryptogamique  on  ne  peut  plus 
splendide  (pi.  m,  fig.  6).  Je  dis  dans  la  plupart  des 
cas,  parce  que,  dans  ces  expériences,  que  j'ai  rendues 
ainsi    beaucoup    plus    rigoureuses    que    celles    de 
Schultze,  l'air  du  ballon  n'étant  nullement  renouvelé, 
il  en  résulte  que  les  phénomènes  catalyliques  sont  sen- 
siblement retardés,  amoindris  ou  même  parfois  para- 
lysés   absolument.  Cependant   lorsque  l'on  conduit 
bien  l'expérience,  soit  en  ajoutant  à  la  colle  un  sel 
ammoniacal,  ou  des  fragments  de  bois  qui  la  surna- 
gent, au  bout  d'un  temps  fort  court,  souvent  seule- 
ment dix  jours,  si  la  température  s'élève  à  25%  on  a, 
dans  presque  toutes  les  expériences,  une  végétation 


616  HÉTÉROGÉNIE. 

cryptogamique,  dont  Taspcct  varie  à  chaque  tentative. 

Ainsi  (Jonc,  l'expérience  de  Schuitze,  que  je  rends 
avec  mes  appareils  trente  fois  plus  rigoureuse, 
puisque  j'y  fais  rentrer  trente  fois  moins  d'air,  vient 
elle-même  contester  en  faveur  de  l'hétérogénie. 

Expériences. — Axiome  :  Les  semences  des  Mucori- 
nées  ne  résistent  pas,  durant  un  quart  d'heure,  à  la 
température  de  l'eau  en   ébuililion  ;  la  colle  aban- 
donnée à  l'air  libre  se  couvre  de  ces  champignons  en 
quatre  à  cinq  jours,  à  la  température  de  20°.  Expé- 
rience. —  Dans  un  de  mes  ballons  à  simple  rentrée 
d'air,  on  fit  bouillir  dans  de  l'eau,  pendant  une  heure, 
deux  petits   morceaux  de  bois  de  tdleul;  ensuite  on 
jeta  le  liquide  et  on  introduisit  de  la  colle  de  farine 
bouillante  dans  l'appareil   (pi.  m,  fig.  6).  Alors  on 
ferma  celui-ci  à  l'aide  d'un  double  tube  laveur  rempli 
d'acide  sulfurique  ;  et  la  colle,  qui  occupait  le  quart  du 
ballon,  fut  tenue  en  ébullition,  à  l'aide  d'une  lampe, 
pendant  un  quart  d'heure.  Ensuite,  l'air  rentra  en 
traversant  l'acide,  et  l'appareil  fut  abandonné.  Quinze 
jours  après,  à  une  température  moyenne  de  23%  et 
à  une  pression  de  0,755,  la  surface  des  deux  mor- 
ceaux de  bois  était  couverte  de  six  îlots  de  pénicil- 
liums d'un  centimètre  de  diamètre.   Corollaire,    — 
La  végétation  obtenue,  dans  ce  cas,  est  évidemment 
un  produit  génésique  spontané,  puisque  l'ébullition 
a  été  plus  que  suffisante  pour  détruire  tous  les  germes 
de  pénicilliums  que  l'appareil  pouvait  contenir.  Et 
ceux-ci  ne  peuvent  avoir  été   introduits  du  dehors, 
puisque  l'acide  sulfurique  a  dû  les  détruire  au  pas- 
sage. Et  d'ailleurs,  comme  la  végétation  du  ballon 


EXPÉRIENCES    SUR    LES    VÉGÉTAUX.  617 

n'est  apparue  qu'après  quinze  jours,  ce  ne  sont  pas 
des  germes  du  dehors  qui  l'ont  produile,  car  sans 
cela  l'appareil  en  eût  élé  envahi  au  bout  de  cinq  jours 
au  plus,  la  colle  exposée  à  l'air  en  étant  toujours  cou- 
verte avant  ce  temps,  Ces  pénicilliums  ne  peuvent 
donc  avoir  eu  une  autreorigine  que  l'hélérogénie. 

Celte  expérience  a  été  répétée  par  nous  plus  de 
vingt  fois.  On  en  active  encore  les  résultats  en  ajou- 
tant du  phosphate  d'ammoniaque  dans  l'appareil,  ou 
delà  poudre  de  noix  de  galle. 

On  a  fait  remarquer  que  diverses  substances,  et  en 
particulier  le  lait,  se  putréfient  tout  aussi  bien  dans 
l'air  tamisé  qu'à  l'air  libre  ;  mais  que,  dans  le  preriiier 
cas,  on  n'y  remarquait  aucun  animalcule,  ni  aucune 
végétation  cryptogamique  (l).  D'après  cela,  Charles 
Gerhardt  conclut  que  si  l'air  calciné  ou  tamisé  para- 
lyse absolument  la  production  des  infusoires  et  des 
moisissures,  c'est  que  la  chaleur  rouge  et  le  tamisage 
enlèvent  à  ce  fluide  les  germes  qu'il  contient,  ainsi 
que  les  détritus  organiques  qui  s'y  Irouvent  en  sus- 
pension, et  dont  il  regarde  l'ensemble  comme  des  fer- 
ments, dont  l'énergie  aurait  les  effets  de  l'oxygène  de 
l'air  ('2).  Mais  nous  n'avons  pas  besoin  de  réfuter  tout 
cela,  puisque  des  centaines  d'expériences  prouvent 
que  l'air  tamisé  dans  de  l'acide  sulfurique  n'arrête 
pas  la  production  de  la  végétation  cryptogamique. 

(1)  H.  ScnROEDER  et  Tu.  V.  Dusch,  Jnn.  der  Chem.  u.  Pharm, 
t.  LXXXIX,  p.  23>.— Geruardt,  Traité  de  chimie  organique.  Paris, 
1856,  t.  IV,  p.  341. 

(2)  Ch.  GEftUARDT,  Traité  de  chimie  organique.  Paris,  1854,  t.  IV, 
p.  545. 


618  HÉTÉROGÉNIE. 

Ainsi  que  le  rappelle  Ch.  Gerhardt,  les  légumes  les 
plus  sujets  à  s'altérer,  enfermés  dans  des  vases  aux- 
quels on  a  fait  subir  la  température  de  l'ébullition,  et 
que  l'on  a  ensuite  hermétiquement  fermés,  se  conser- 
vent sans  se  putréfier.  —  Ce  chimiste  rapporte  qu'a- 
près quinze  ans,  on  les  retrouve  ayant  la  même  fraî- 
cheur et  le  même  goût  que  précédemment  (1).  Mais 
cependant,  dans  ce  cas,  on  n'a  pas  tamisé  l'air  lors  de 
sa  rentrée! 

M.  Cl.  Bernard  a  considéré,  comme  une  expérience 
contraire  à  l'hétérogénie,  un  cas  dans  lequel  il  ne  se 
développa  aucun  produit  organique,  en  l'espace  de  six 
mois,  dans  un  ballon  contenant  de  Veau  et  une  très- 
légère  quantité  de  gélatine  et  de  sucre,  et  dans  lequel, 
après  une  ébulHtion  de  vingt  minutes,  Tair  ne  rentra 
qu'en  traversant  un  tube  rempli  de  morceaux  de  por- 
celaine rougis  au  feu.  Ce  ballon,  dont  le  col  était  ef- 
filé, fut  ensuite  fermé  à  l'aide  de  la  lampe  d'émail- 
leur  (2). 

La  valeur  de  l'expérience  de  M.  Cl.  Bernard  peut 
être  absolument  contestée  en  une  seule  ligne  :  il  ne 
s'agit  que  de  rappeler  qu'elle  a  été  réfutée  à  l'avance, 
et  complètement,  par  des  expériences  de  précision 
dues  à  d'Ingen-housz.  En  effet,  ce  physicien  a  vu  de  la 
matière  verte  se  développer  dans  des  vases  dont  l'eau 

(1)  Ch.  Gerhardt,  Traité  de  chimie  organique.  Panis,  1856,  t.  IV, 
p.  538. 

(2)  Claude  Bernard  ,  Leçons  sur  les  propriétés  physiologiques  et 
les  altérations  pathologiques  des  liquides  de  l'organisme.  Paris, 
1859,  t.  I,  p.  488.  —  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences, 
1859,  t.XLVIII,  p.  33. 


EXPÉRIENCES   SUR   LES    VÉGÉTAUX.  619 

et  Fair  avaient  plusieurs  fois  traversé  des  tubes  rougis 
au  feu  (I).  C'est  là,  comme  on  le  voit,  une  épreuve 
bien  autrement  sérieuse  encore  pour  les  éléments 
employés  à  la  démonstration  (2). 

Si  l'autorité  des  faits  empruntés  à  Ingen-housz  en 
parlaient  pas  avec  assez  d'éloquence,  l'expérience  de 
M.  Cl.  Bernard  pourrait  aussi  donner  lieu  à  d'im- 
menses commentaires.  Nous  pourrions  dire  qu'un  cas 
unique  n'a  que  sa  propre  valeur,  et  qu'à  lui  seul  il 
ne  peut  renverser  une  masse  d'observations  qu'on 
peut  lui  opposer.  Si  celte  seule  tentative  a  suffi  à 
M.  Cl.  Bernard  pour  le  ranger  parmi  les  adversaires 
de  l'hétérogénie,  des  physiologistes  illustres,  tels  que 
Tiedemann,  Tréviranus,  Burdacb  et  Bérard,en  sont 
devenus  de  fervents  adeptes,  en  s'appuyant  sur  des 
expériences  sans  nombre.  Mais  allons  droit  au  but. 

L'expérience  de  M.  Cl.  Bernard  est  absolument 
analogue  à  celle  de  Scliwann.  Mais  en  l'exposant  au 
sein  de  l'Académie,  ce  physiologiste  a  lui-même 
anéanti  la  portée  qu'il  prétendait  lui  donner.  Il  a  avoué 
que  dans  son  ballon  il  ne  s'était  produit  aucune  fer- 
mentation (3).  Je  pourrais,  si  je  n'avais  de  meilleures 
raisons  à  lui  alléguer,  dire  à  ce  savant  ce  que  d'autres 

(1)  Pour  tous  les  naturalistes  la  matière  verte  est  au  moins  un 
végétal.  Pour  nous  et  plusieurs  autres  zoologistes,  elle  n'est  com- 
posée que  de  cadavres  de  quelques  espèces  d'animalcules  du  genre 
Euglena. 

(2/  Comp.  Ingen-bousz,  Expériences  sur  les  végétaux.  Paris,  1787. 
—  Expériences  et  observations  sur  divers  objets  de  physique.  — 
Raspail,  Nouveau  système  de  physiologie  végétale.  Paris,  i837, 
t.  II,  p.  319. 

(3)  Cl.  Bernard,  Comptes-rendus  de  V Académie  des  sciences. 


620  HETEROGENIE. 

déjà  lui  ont  dit  avant  moi  :  c'est  que  son  expérience 
prouve  tout  simplement  que  l'air  calciné,  à  l'aide  de 
la  chaleur  rouge,  n'est  plus  apte  à  entretenir  la  vie. 

En  effet,  les  appareils  remplis  d'air  calciné,  et  fer- 
més à  la  lampe,  offrent  tous  de  grands  obstacles  à  la 
vie  organique,  et  il  n'est  nullement  étonnant  que 
celle-ci  ne  s'y  montre  que  si  rarement.  Cela  est  tel- 
lement vrai,  que  si  on  parvenait  à  introduire  dans 
leur  intérieur  des  plantes  et  des  animaux  vivants,  ils 
y  périraient  assurément  en  un  temps  fort  court. 
M.  Cl.  Bernard  nous  le  révèle  lui-même  en  rapportant 
que  lorsque  l'on  ouvrit  son  ballon,  l'air  y  avait  été 
considérablement  raréfié;  qu'il  ne  contenait  plus  au- 
cune trace  d'oxygène,  et  quon  y  rencontrait  plus  de 
douze  centièmes  d'acide  carbonique  (1).  Je  ne  pense 
pas  qu'aucun  physiologiste  oserait  prétendre  qu'un 
animal  puisse  vivre  dans  de  telles  conditions.  J'ai 
même  vu  des  végétaux  inférieurs  périr  dans  des  cir- 
constances moins  rigoureuses,  lorsque  je  les  enfer- 
mais simplement  dans  des  ballons  contenant  de 
l'air  (2). 

Ce  qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  l'air  calciné  para- 
lyse les  phénomènes  de  catalyse.  M.  Cl.  Bernard  lui- 
même  nous  le  révèle  (3;.  Or,  tous  les  hétérogénistes 

{{)  Cl.  Bernard,  Leçons  sur  les  liquides  de  l'organisme,  t.  I, 
p.  490. —  Il  est  vrai  que  dans  un  ballon  où  l'oxygène  manquait  il 
y  avait  des  cryptogames.  Mais  M.  Claude  Bernard  ne  dit  pas  dans 
quel  étal  celles  ci  étaient  lorsqu'il  ouvrit  le  ballon. 

(2)  C  étaient  des  pénicilliums;  en  un  ou  deux  mois  ils  périssaient, 
renfermés  dans  une  assez  vaste  almospbère,  où  ils  végétaient 
très-bien  piécédeminent. 

(3)  Cl.  Blr.nard,  Académie  des  sciences,  1859,  1.  XLVIII,  p.  33. 


EXPÉRIENCES    SUR    LES    VÉGÉTAUX.  621 

considérèrent  ceux-ci  comme  d'indispensables  préli- 
minaires à  toute  production  spontanée;  et  Ton  veut 
ici  qu'un  phénomène  secondaire  se  produise  avant 
que  Ton  ait  vu  apparaître  ses  prémices.  Est-ce  ra- 
tionnel? 

En  effet,  la  formation  des  animalcules,  ainsi  que  le 
dit  Valenlin,  est  manifestement  accompagnée  d'un 
changement  chimique  de  l'eau  et  de  la  substance  mise 
en  infusion  (1)  :  Gruithuisen  la  considère  comme  une 
fermentation  spéciale,  mais  qui  peut  en  môme  temps 
coïncider  avec  des  phénomènes  de  catalyse  nor- 
maux (2).  Tout  cela  est  fort  exact,  et  nous  explique 
pourquoi,  dans  certaines  expériences,  nous  n'obtenons 
pas  de  résultats  positifs.  Ce  savant  ajoute,  avec  non 
moins  de  raison,  que  le  premier  changement  que  l'on 
observe  est  un  dégagement  de  bulles  de  gaz;  et  que, 
s'il  vient  à  manquer,  on  n'obtient  que  peu  ou  point 
d'infusoires.  C'est  ce  dégagement  qui  ne  s'observe  pas 
dans  les  vases  hermétiquement  fermés,  lorsque  l'expé- 
rience manque;  et  ceci  vient  attester  que  l'air  chauffé 
au  rouge  et  qui  est  trop  raréfié,  ou  celui  qui  est  trop 
dense,  s'oppose  aux  phénomènes  chimiques  préhmi- 
naires.  Voici  pourquoi  les  vaisseaux  fermés  à  la 
lampe,  à  cause  des  pressions  et  des  raréfactions  di- 
verses que  subissent  les  gaz  et  les  liquides,  sont  fré- 
quemment improductifs. 

Quelques  savants  ont  prétendu  que  dans  quelques- 
nnes  de  nos  expériences,  où  les  substances  employées 

(1)  Valentin,   Addition  au  Traité  de  physiologie  de   Burdach 
t.  IJ,  p.  122. 

(2)  Gruitbuisen,  Beitràgezur  Physiognosie,^.  108-1  i6. 


622  HÉTÉROGÉNIE. 

n'avaient  subi  qu'une  température  de  100%  celle-ci 
n'avait  pas  été  suffisante  pour  tuer  tous  les  germes  or- 
ganisés que  ces  substances  pouvaient  contenir.  Ils  se 
sont  appuyés  à  ce  sujet  sur  les  assertions  de  M.  Doyère 
qui  prétend  que  certains  animalcules,  lesïardigrades, 
peuvent  supporter  sans  périr  une  température  de 
120°  et  même  de  140"  (1). 

Relativement  à  nos  expériences,  l'objection  n'aurait 
même  pas  dû  nous  être  faite,  puisqu'elles  étaient  ac- 
compagnées de  preuves  constatant  que  les  séminules 
des  végétaux  produits  dans  nos  appareils  subissaient 
une  véritable  désorganisation  sous  l'influence  de  cette 
même  température.  Et,  d'un  autre  côté,  on  a  pu 
voir  dans  ce  livre,  que  souvent  nous  avons  soumis  les 
substances  à  une  chaleur  beaucoup  plus  élevée  que 
celle  à  laquelle,  sur  une  observation  inexacte ,  on  a 
exagéré  la  limite  de  la  vitalité.  Nous  avons  souvent 
obtenu  des  animalcules  et  des  végétaux  avec  des 
corps  chauffés  de  200  à  300"  centigrades,  ce  qui 
prouvait  évidemment  qu'ils  ne  pouvaient  provenir  de 
germes  cachés  dans  les  appareils  ou  dans  les  sub- 
stances que  l'on  y  employait. 

Mais,  par  une  étrange  inattention,  les  savants  qui 
prétendaient  que  les  germes  résistent  à  100  degrés, 
oubliaient  en  professant  une  telle  doctrine,  qu'ils 
anéantissaient  eux-mêmes  les  deux  expériences  qu'ils 
peuvent  presque  seules  opposer  aux  hétérogénistes. 
En  effet,  les  tentatives  de  Schultze,  de  Schwann  et  de 

(i)  DoYÉRE,  Annales  des  sciences  naturelles.  Paris,  1841.  — 
Comp.  aussi  Milise  Edwards  ,  Comptes  rendus  de  VAcad.  des 
sciences.  Paris,  1859,  t.  XLVIII,  p.  28. 


EXPERIENCES    SUR    LES    VEGETAUX.  623 

M.  Cl.  Bernard  deviennent  absolument  nulles,  dès  que 
l'on  proclame  ce  principe.  Cette  température  n'ayant 
pas  été  dépassée  à  l'intérieur  de  leurs  appareils,  il  en 
résulte  que  quelques  germes  anhydres,  collés  à  leurs 
parois,  auront  pu  y  résister  sous  cette  forme  ;  et  que, 
bientôt  après,  sous  l'influence  de  l'humidité  qui  règne 
dans  les  ballons  et  de  l'eau  qui  ruisselle  contre  leurs 
parois,  ces  germes  auront  dû  reprendre  vie.  Et  alors, 
il  est  bien  extraordinaire  que,  dans  les  expériences  des 
savants  qui  viennent  d'être  cités,  les  appareils  aient  été 
trouvés  absolument  dénués  de  végétation  et  d'animal- 
cules. Dans  tout  ce  que  je  viens  de  dire,  on  voit  que 
j'abonde  dans  l'hypothèse  de  l'incommensurable  dis- 
sémination, soutenue  par  nos  adversaires  eux-mêmes  ; 
car  j'espère  que,  lorsqu'ils  opèrent,  ils  ne  dispersent 
pas  le  nuage  de  germes  atomiques  dont  ils  nous  envi- 
ronnent, nous,  si  splendidement,  dans noslaboratoires. 
Pour  nous,  aucun  germe  ne  conserve  sa  vitalité 
lorsqu'on  le  soumet  à  la  température  de  100  degrés 
soit  humide,  soit  sèche.  Nous  avons  fait  un  nombre 
considérable  d'expériences  sur  ce  sujet.  Et  dans  cel- 
les-ci, nous  avons  toujours  vu  soit  les  séminules  de 
cryptogame,  soit  les  germes  des  animalcules  être  ab- 
solument tués  et  ordinairement  même  désorganisés 
par  l'effet  de  cette  température.  M.  Cl.  Bernard  con- 
vient lui-même,  qu'aucun  des  germes  organiques 
connus  ne  résiste  à  une  température  humide  de  100 
degrés  (1).  Un  semblable  aveu  nous  suffit  pour  sau- 
vegarder la  plupart  de  nos  expériences. 

(1)  Cl.  Bernard,  Leçons  sur  les  propriétés  physiologiques  et  1rs 


624  HÉTÉROGÉNIE. 

L'expérience  de  M.  Doyère  n'est  poumons  qu'une 
erreur,  que  propagent  des  physiologistes  qui  ne  l'ont 
point  répétée  en  lui  donnant  toute  la  rigueur  désira- 
ble, ou  quelques  naturalistes  amis  du  merveilleux. 

Expérience.  —  Ayant  recueilli,  dans  les  gouttières 
delà  cathédrale  de  Rouen,  de  la  mousse  remplie  de 
Tardigrades  et  de  myriades  de  Rotifères  des  toits,  nous 
avons  divisé  celle-ci  par  petits  fragments  afin  d'obtenir 
une  dessiccation  plus  parfaite  de  la  terre  entremêlée 
auxracines. Cette  terre  a  été  exposée  pendant  deux  mois 
au  soleil  d'été,  et  lorsqu'elle  était  depuis  longtemps 
parfaitement  sèche,  nous  en  avons  placé  dix  grammes 
dans  un  long  tube  mince  qui  plongeait  sous  de  l'eau 
en  ébullition.  Toutes  les  précautions  furent  prises 
pour  que  nulle  trace  de  vapeur  ne  pénétrât  à  l'inté- 
rieur de  nos  tubes.  Ceux-ci  furent  tenus  une  heure 
sous  l'eau  bouillante.  Après  ce  laps  de  temps,  jamais 
dans  nos  expériences  nous  n'avons  vu  un  seul  Tardi- 
grade  revenir  à  la  vie  (1). 

Cette  expérience  que  nous  avons  répétée  quatre 
fois  a  été  reprise  et  refaite  avec  une  attention  scrupu- 
leuse par  deux  de  mes  plus  distingués  élèves,  par 
MM.  Tinel,  professeur  de  physiologie,  et  Pennetier, 
aide  naturaliste,  et  elle  a  eu,  dans  leurs  mains,  le 


altérations  pathologiques  des  fluides  de  l organisme.  Paris,  1859, 
1. 1,  p.  488. 

(1^  En  essayant  aussi  de  répéter  sur  cet  animal  les  fameuses 
expériences  de  revivificalion,  jamais,  malgré  toutes  les  précau- 
tions, nous  n'avons  pu  en  ressusciter  un  seul  quinze  minutes 
après  qu'il  était  desséché  sous  Tinfluence  d'une  température  de 
10  degrés. 


GENÈSE  SPONTANÉE  DE  LA  LEVURE.        625 

même  résultat  que  dans  les  miennes  :  les  Tardigrades 
n'ont  pas  résisté  à  100  degrés  (1). 

M.  Doyèrea  réclamé,  en  vain,  contre  les  résultats 
obtenus  par  ces  deux  expérimentateurs,  en  prétendant 
qu'ils  n'avaient  pas  fait  suffisamment  dessécher  les 
Tardigrades  qu'ils  employaient  (2);  c'est  une  alléga- 
tion tout  à  fait  gratuite.  Les  animalcules  étaient  de- 
puis deux  mois  à  sec  et  exposés  au  soleil,  quand  il  en 
faisait.  M.  Doyère  aura  tout  simplement  apprécié  la 
température  de  ses  appareils  avec  cette  légère  exagé- 
ration que  l'on  remarque  dans  sa  correspondance, 
où  sans  la  moindre  hésitation,  il  fait  régner  en 
France  une  température  qui  dépasse  celle  du  Sé- 
négal (3). 

SECTION    111.    —   GENÈSE   SPONTANÉE   DE   LA   LEVURE. 

La  levure  qui  se  produit  en  si  grande  quantité  dans 
certains  liquides  en  fermentation,  offre  encore  aux 
partisans  de  l'hétérogénie  un  argument  de  la  plus 
haute  valeur,  depuis  qu'il  a  été  évidemment  démontré 
que  celle-ci  n'est  qu'un  végétal  microscopique.  Ca- 
gniard-Latour,  Turpin,  Schwann  et  Mitscherlich  l'a- 
vaient d'abord  considérée  comme  un  champignon  (4); 

(i)TiNEL,  Journal  l'Union  médicale,  mai  1859.  —  Pennetier, 
Journal  l'Ami  des  sciences,  avril    1859,  et  le  Progrès,  mai   1859. 

(2)  Doyère _,  Comptes  rendus  de  l' Académie  des  sciences,  mai 
1859. 

(3)  M.  Doyère  dit  que  les  tardigrades  supportent  cent  jours  de 
l'année,  sur  nos  toits,  une  température  de  80  degi  es.  Pro/?rès,  mai 
1859.  —  Adanson  dit  que  la  plus  forte  température  qu'il  ait  ob- 
servée au  Sénégal  était  de  60  degrés.  Voijage  au  Sénégal,  p.  26. 

(4) Cagniard-Latour,  i4nn.  de  c/jimî'e  et  de  physique^  t.  LXVIII, 

POUCHET.  4  0 


626  HÉTÉROGÉNIE. 

mais  elle  a  été  placée  avec  plus  de  raison  parmi  les 
algues  par  Kutzing,  d'abord,  et  ensuite  par  M.  Ch. 
Robin  (1). 

L'algue  de  la  levure  de  bière,  qui  a  été  décrite  sous 
le  nom  de  cryptococcus  cerevisiœ  par  Kutzing,  et 
aussi  sous  celui  de  C.  fermentum  (2),  se  compose  de 
vésicules  microscopiques,  ordinairement  ovoïdes  ou 
globuleuses,  dont  le  diamètre  varie  de  0,004  à  0,007 
de  millimètres.  Parmi  ces  vésicules,  celles  qui  sont  les 
plus  volumineuses,  offrent  une  teinte  d'un  jaune  clair, 
et  Ton  voit  vers  le  milieu  de  chacune  d'elles,  une 
autre  vésicule  fort  apparente  et  qui  semble  occupée 
par  un  liquide  d'une  teinte  d'un  rose  pâle  (pi.  ni, 

fig.  13). 

Quelques  savants,  àl'exemplede  Ch.  Gerhardt,  ont 
pensé  que  les  vésicules  de  l'algue  de  la  levure  se  mul- 
tipliaient à  l'aide  d'une  sorte  de  bourgeonnement  (3). 
En  effet,  quand  on  les  examine  au  microscope  pen- 
dant la  fermentation,  c'est-à-dire,  pendant  l'instant 
ou  la  levure  se  forme,  on  rencontre  une  foule  de 
vésicules  sur  lesquelles  il  en  existe  d'autres  beaucoup 
plus  petites,  qui  leur  sont  accolées;  ou  bien  on  dé- 
couvre des  vésicules  qui  sont  réunies  en  courts  cha- 

p^  206. —  TuRPiN,  Mémoires  de  l'institut,  t.  XVII,  p.  93. — Schwann, 
Ann.  de  Poggend.  t.  XLÎ,  p.  184.  —  Mitscherlich,  Ann.  der  Chinu 
u.  P^arm.,  t.  XLVIII,  p.  193. 

{])  Kutzing,  Species  algarum.  Lipsae ,  1849.  —  Ch.  Robin,  His- 
toire naturelle  des  végétaux  parasites.  Paris,  1853,  p.  322. 

(2)  Kutzing,  Phycologia  generalis,  p.  48. 

(3)  Gerhakdt,  Traité  de  chimie  organique.  Vdiris,  1856,  t.  IV, 
p.  542.  La  levure,  dit-il,  semble  se  développer  comme  le  ferait 
une  série  de  générations  d'êtres  organisés. 


GENÈSE  SPONTANÉE  DE  LA  LEVURE.        627 

pelets  de  quatre  à  cinq  individus  au  plus,   et  qui 
semblent  avoir  une  origine  commune  (pi.  n,  fîg.  14). 

Mais,  quoique  cette  opinion  soit  fort  accréditée, 
nous  ne  pouvons  cependant  pas  l'adopter.  II  est  vrai 
qu'au  premier  aspect,  il  semble  que  les  petites  vési- 
cules adhèrent  aux  autres,  et  n'en  sont  qu'une  sorte 
de  bourgeonnement.  Mais,  en  y  réfléchissant,  nous 
pensons  que  cela  n'est  pas,  et  que  chaque  vésicule  de 
Cryptococcus  naît  isolément.  Si  on  en  rencontre  tant 
d'accolées  ensemble  au  moment  de  leur  production, 
ce  qui  n  a  pas  lieu  lorsqu'elles  sont  aduHes,  c'est  qu'à 
ce  moment,  sans  doute,  leur  superficie  devient  gluti- 
neuse  et  qu'alors,  chaque  fois  que  des  vésicules  se 
trouvent  en  contact,  elles  se  soudent,  ou  plutôt  s'acco- 
lent temporairement,  comme  le  font  certains  grains 
de  pollen,  que  Ton  observe  sous  l'eau  ou  à  sec  au 
microscope. 

Ce  qui  confirme  notre  opinion  sur  la  genèse  de  la 
levure,  c'est  d'abord  que  celle-ci  se  forme  parfois 
dans  des  milieux  où  il  n'en  existait  nullement,  et  que, 
par  conséquent,  elle  ne  peut  y  trouver  aucune  souche 
maternelle.  Plusieurs  autres  raisons  d'une  grande  va- 
leur, s'ajoutent  encore  à  celle-ci.  L'une  des  plus  dé- 
monstratives, est  qu'en  même  temps  que  l'on  voit  de 
petites  vésicules  adhérer  à  de  fausses  vésicules-mères, 
on  en  voit  de  plus  petites,  en  nombre  immense,  na- 
ger en  liberté  dans  le  liquide.  Si  le  bourgeonnement 
était  le  mode  de  reproduction,  le  nouvel  individu 
formé  ne  se  détacherait  de  celui  qui  le  produit,  que 
lorsqu'il  aurait  acquis  un  certain  volume,  et  Ton  ne 
rencontrerait  pas,  isolés,  de  nombreux  sujets  plus  pe- 


628  HÉTÉRO  GÉNIE. 

tits  que  ceux  qui  adhèrent  encore  à  la  souche  mater- 
nelle. Souvent  aussi  on  rencontre  encore  adhérents 
des  individus  presque  adultes.  Enfin,  une  raison  qui 
nous  paraît  aussi  d'une  grande  valeur,  c'est  que  très- 
fréquemment  on  trouve  deux  vésicules  de  levure, 
parfaitement  adultes,  entre  lesquelles  il  existe  une  vé- 
sicule toute  jeune.  Le  bourgeonnement  ne  pourrait 
pas  donner  une  rationnelle  explication  de  ce  fait.  La 
petite  vésicule  ne  peut  pas  procéder  des  deux  autres  à 
la  fois;  et,  toute  jeune  encore,  si  elle  n'était  que  la 
progéniture  de  l'une  d'elles,  elle  n'aurait  pas  pu  en- 
gendrer une  vésicule  plus  grosse  qu'elle,  et  qui  a  déjà 
acquis  tout  son  volume  normal  (pi.  ii,  fig.  14). 

L'algue  de  la  levure  a  si  bien  son  origine  dans  les 
réactions  chimiques,  qu'on  la  découvre  parfois  à  l'in- 
térieur des  organes  de  l'homme  et  des  animaux,  sans 
qu'on  puisse  supposer  qu'elle  y  ait  été  introduite  par 
l'alimentation.  M.  Gruby  l'a  rencontrée  dans  l'estomac 
d'un  malade,  après  un  jeûne  de  dix-huit  heures  (1). 
Bennett,  Vogel  et  Robin  l'ont  observée,  soit  dans  les 
vomissements,  soit  dans  les  déjections  de  divers  indi- 
vidus (2).  llmoni,  Bennett  et  Yogel,  ont  même  ren- 
contré l'algue  de  la  levure  de  bière  dans  les  urines  de 


(1)  Gruby,  Note  sur  des  plantes  cryptogames,  se  développant  en 
grande  masse  dans  l'estomac.  Comptes  rendus  de  V Académie  des 
sciences,  1844,  t.  XVUl,  p.  586. 

(2)  Bennett,  Lectures  on  clinical  médecine.  Edinburgh,  1851, 
p.  213.  —  Vogel,  Anatomie  pathologique  générale.  Paris,  1846, 
p,  387.  — Robin,  Histoire  naturelle  des  végétaux  parasites,  etc. 
Paris,  1853,  p.  325.  —  Le  premier  observa  de  la  levure  dans  les 
vomissements  des  cholériques. 


GENÈSE  SPONTANÉE  DE  LA  LEVURE.        629 

quelques  malades  (1).  Sans  doute  que  dans  cette  der- 
nière circonstance  on  n'en  reportera  pas  l'origine  à 
l'air  atmosphérique,  et  que  l'on  reconnaîtra  que  sa 
genèse  n'a  pu  dériver  que  des  phénomènes  de  réac- 
tion qui  se  sont  produits  dans  le  liquide  sécrété  par 
les  reins. 

Quoiqu'une  très-petite  quantité  de  cryptococcus  ce- 
revisiœ  accroisse  énormément  la  production  des  nou- 
velles vésicules  de  levure,  dans  une  liqueur  en  fermen- 
tation, ainsi  que  l'a  dit  M.  Charles  Robin,  c'est  à  tort 
que  l'on  a  cru  que  l'existence  préalable  de  cette  algue 
était  nécessaire  pour  que  ce  phénomène  chimique 
commençât  (2).  En  effet,  la  fermentation  prélude  à 
son  développement,  mais  ce  n'est  pas  le  végétal  mi- 
croscopique qui  la  détermine. 

Une  expérience  que  j'ai  instituée  donne  à  ce  fait 
toute  l'évidence  possible,  et,  en  même  temps,  avec  une 
immense  simplicité,  constate  la  genèse  spontanée  de 
la  levure. 

Expérience.  Axiomes.  La  levure  est  un  végétal.  La 
température  de  100°,  d'après  M.  Cl.  Bernard  lui- 
même,  suffit,  par  la  voie  humide,  pour  détruire  radi- 
calement tous  les  germes  organisés  (3).  La  levure 
elle-même,  comme  nous  l'avons  constaté,  n'y  résiste 
pas.  Expérience.  On  plongea  un  flacon,  bouchant  à 

(1)  Ilmoni,  Mémoire  de  la  troisième  assemblée  des  naturalistes 
Scandinaves  à  Stockholm,  1842.  —  Bennett,  Lectures  on  clinical 
médecine.  Edinburgh,  1851.  — Cela  a  particulièrement  été  ob- 
servé dans  Turine  de  quelques  diabétiques. 

(2)  Ce.  Robin,  Des  fermentations.  Paris,  1847. 

(3)  Cl.;Beknard,  Leçons  sur  les  propriétés  physiologiques  des 
liquides  de  l'organisme.  Paris,  1859,  t.  1,  p.  488. 


4' 

630  HÉTÉROGÉME. 

l'émeri,  au  fond  d'une  cuve  de  décoction  d'orge 
germée,  enébuUition  depuis  six  heures  ;  là  il  fut  totale- 
ment rempli  de  cette  décoction,  et  on  le  ramena  vers 
sa  surface  où  il  fut  bouché  avant  d'en  sortir.  Ensuite, 
par  excès  de  précaution,  la  circonférence  de  l'ouver- 
ture de  ce  flacon,  fut  enduite  d'un  lut  composé  de 
vernis  à  la  copale  et  de  vermillon  ,  et  l'on  eut  la 
certitude  que  le  vase  était  hermétiquement  fermé.  Au 
bout  de  six  jours,  dont  la  température  moyenne  fut 
de  JS^,  Ton  vit  se  former  un  léger  dépôt  de  levure 
au  fond  du  flacon.  Le  septième,  la  température 
s'étant  élevée  tout  à  coup  à  21^  dans  le  laboratoire, 
ce  flacon  se  brisa  avec  un  grand  bruit,  et  toute  sa  voûte 
fut  jetée  à  quelques  pouces  de  distance.  Alors  on 
reconnut ,  à  la  simple  \ue ,  qu'il  s'était  formé  une 
quantité  notable  de  levure  dans  le  liquide  en  ex- 
périence, et  le  microscope  donna  à  ce  fait  une  ir- 
récusable démonstration. —  Corollaire.  Or,  comme  il 
est  bien  démontré  que  la  levure  est  une  algue  mi- 
croscopique; comme  il  est  bien  démontré  aussi  que 
ses  germes,  si  elle  en  possède,  ne  résistent  pas  à 
la  température  à  laquelle  le  liquide  a  été  soumis  pen- 
dant six  heures;  enfin,  comme  le  vase  ne  contenait 
pas  une  parcelle  d'air  atmosphérique,  et  qu'en  volant 
en  éclats  il  a  prouvé  qu'il  était  hermétiquement  fermé, 
il  faut  absolument  que,  dans  ce  cas,  l'algue  de  la  le- 
vure se  soit  formée  spontanément. 

Comment,  sans  invoquer  l'hétérogénie,  explique- 
rait-on la  production  de  ce  végétal?  Ira-t-on  dire 
aujourd'hui  que  notre  atmosphère  est  saturée  de 
germes  de  levure?  Mais  cette  puérile  objection  tant 


GENÈSE  SPONTANÉE  DE  LA  LEVURE.        631 

reproduite  ne  serait  pas  applicable  ici ,  où  nulle  par- 
celle d'air  n'a  été  introduite  dans  le  Yase;  et  l'eau,  de 
l'assentiment  de  l'un  de  nos  antagonistes  lui-même, 
de  M.  Cl.  Bernard,  ne  pouvait  contenir  ces  germes! 

Cette  expérience,  si  simple,  ne  suffirait-elle  pas,  à 
elle  seule ,  pour  renverser  les  deux  expériences  de 
Schwann  et  de  Schultze ,  que  l'on  nous  oppose  sans 
cesse,  et  n'est-elle  pas  infiniment  plus  rigoureuse 
que  celles-ci? 

Dans  le  but  de  décider  si  la  levure  agissait  sur  la 
fermentation  par  sa  puissance  organique,  Lûdersdorfî 
et  Schmidt  ont  vu  qu'après  l'avoir  fait  longuement 
porphyriser,  elle  était  impropre  à  déterminer  ce 
phénomène  (1).  Mais,  en  répétant  leurs  expériences, 
nous  sommes  arrivé  à  des  résultats  diamétralement 
opposés.  Il  fallait  s'y  attendre,  puisque  nous  avons 
vu  que  si  la  levure  favorise  la  fermentation ,  celle-ci 
s'opère  également  sans  elle,  et  n'en  produit  pas  moins 
des  vésicules  de  cryptococciis  cerevisiœ  (2). 

La  démonstration  de  l'organisation  de  la  levure 
donne  un  grand  intérêt  aux  récentes  expériences 
de  M.  Pasteur.  Ce  chimiste  a  \u  la  vie  végétale  et 
animale  apparaître  dans  celles-ci ,  en  n'y  employant 
que  des  matières  cristallisables,  du  sucre  et  des  sels 

(1)  LuDERSDORFF,  Anu.  de  Poggend.,  t.  LXVIl,  p.  409. — Schmidt, 
Ann.  der  Chem.  u.  Pharm.,  t.  LXI,  p.  168. 

(•2)  Expérience.  Un  gramme  de  levure  de  bière  fut  porphyrisé 
sur  une  glace,  durant  six  heures  de  temps.  On  mit  ensuite  cette 
levure  dans  un  verre  de  décoction  d'orge  germée;  celle-ci  a  fer- 
menté manifestement  au  bout  de  trois  jours,  par  une  température 
de  25  degrés,  et  il  s'est  formé  au  fond  du  verre  une  quantité  no- 
table de  vésicules  de  levure. 


632  HÉTÉROGÉNIE. 

d'ammoniaque  et  de  chaux ,  et  en  formant  ainsi  un 
milieu  où  il  ne  se  trouvait  aucun  produit  antérieure- 
ment organisé.  Sur  ce  point,  dit-il,  la  génération 
spontanée  a  fait  un  progrès  (1). 

M.  Pasteur  a  été  étonné  de  l'abondant  dépôt  de 
matières  végétales  et  animales  qu'il  obtint  dans  ses 
expériences.  Et  quant  à  l'origine  de  la  levure  lac- 
tique qui  y  apparut,  il  pense  qu'elle  est  uniquement 
due  à  l'air  atmospliérique,  ce  qui  retombe  ici,  dit-il, 
dans  les  faits  de  génération  spontanée  (2).  Effective- 
ment, quand  il  exécute  la  même  expérience  en  ne 
mettant  en  contact  avec  les  substances  que  de  l'air 
chauffé  au  rouge,  il  ne  se  produit  ni  fermentation,  ni 
levure,  ni  infusoires  (3). 

Il  n'est  guère  possible  de  citer  de  plus  concluantes 
expériences  en  faveur  de  la  thèse  que  nous  soutenons. 
Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  répété  :  l'air  calciné  a 
ici  encore  arrêté  la  fermentation  et  les  produits  or- 
ganiques qui  en  dérivent  ;  cet  air  est  donc  également 
impropre  au  développement  des  phénomènes  chi- 
miques, comme  il  l'est  à  celui  des  phénomènes  vitaux. 
L'expérience  de  Schwann,  et  celles  qui  ont  été 
calquées  sur  elle,  sont  donc  absolument  insigni- 
fiantes. 

(1)  Pasteur,  Nouveaux  faits  pour  servir  à  l'histoire  de  la  levure 
lactique.  —  Comptes  rendus  de  r Académie  des  sciences,  t.  XLVIJI, 
p.  337. 

(2)  Pasteur,  Nouveaux  faits  pour  servir  à  l'histoire  de  la  levure 
lactique,  —  Comptes  rendus  de  l'Académie  des  sciences,  t.  XLVllI, 
p.  338. 

(3)  Les  infusoires  obtenus  dans  les  expériences  de  M.  Pasteur 
étaient  des  bacterium  termes  et  leurs  diverses  variétés. 


LIMITES   DE    LA   DISSÉMINATION    \gÉGÉTALE.  633 

Sans  doute  que  les  fauteurs  de  la  panspermie  mo- 
derne ne  prétendront  pas  aussi  que  l'air  est  rempli 
de  germes  de  levure,  créés  dans  la  prévision  du  mo- 
ment où  Osiris,  car  c'est  peut-être  lui,  inventerait  les 
boissons  d'orge  fermenfées;  oii  les  peuples  confec- 
tionneraient de  la  bière;  où  la  chimie  moderne  pro- 
duirait de  toutes  pièces  de  la  levure  lactique.  Si  de 
si  puériles  objections  pouvaient  nous  être  faites,  il 
n'y  aurait  plus  d'arguments  sérieux  pour  y  répondre. 
Comme  on  peut  faire  de  la  bière  sur  tous  les  points 
du  globe,  il  faudrait  gémir  sur  la  destinée  de  l'atmo- 
sphère, forcée  ainsi  de  se  surcharger  partout  d'une 
inutile  semence,  afin  de  satisfaire  aux  besoins  des 
moindres  coins  de  la  terre  où  cette  boisson  est  en 
honneur.  «  Il  n'y  a  pas  plus  de  germes  organisés  dans 
l'air  qu'il  n'y  a  de  germes  de  sulfate  de  soude ,  m'é- 
crivait un  des  chimistes  qui  honorent  le  plus  le  pays; 
il  y  a  quelque  chose,  que  nous  ne  connaissons  pas, 
qui  est  une  condition  de  la  vie.  »  C'est  aussi  ce  que 
nous  pensons. 

SECTION  IV.  —  LIMITES   DE   LA   DISSÉMINATION   VÉGÉTALE. 

Bérard,  qui  a  considéré  la  génération  spontanée 
d'une  manière  fort  judicieuse,  est,  ainsi  que  nous, 
porté  à  regarder  la  production  de  certains  végétaux 
comme  ne  pouvant  être  expliquée  d'une  manière 
satisfaisante  que  par  l'hélérogénie  (1). 

Semés  avec  une  indicible  profusion  des  pôles  à 
l'équateur,  les  champignons,  qui,  comme  le  dit  le 

(1)  Bérard,  Cours  de  physiologie,  Paris,  1848, 1. 1,  p.  98. 


634  ^  HÉTÉROGÉNIE. 

savant  botaniste  D.  Clos,  semblent  braver  l'influence 
des  climats  et  déjouer  les  principes  de  la  philosophie 
botanique  (1) ,  se  prêtent  mieux  que  toutes  les  autres 
plantes  à  la  démonstration  de  la  spontéparité  végé- 
tale. Aussi,  dans  tous  les  temps,  eut-on  les  plus  ex- 
traordinaires idées  sur  leur  origine. 

L'étrangeté  des  mœurs  de  ces  êtres  vagabonds , 
comme  les  appelait  Linnée,  et  leur  subite  apparition 
avaient  fait  généralement  croire  aux  anciens  qu'ils  se 
produisaient  d'une  manière  insolite.  Parfois  même, 
ils  leur  donnaient  une  origine  surnaturelle  (2). 

Mais  en  général,  les  savants  d'alors,  et  parmi  eux 
Théopliraste,  Pline,  Dioscoride  et  Gahen,  les  regar- 
daient comme  des  régénérescences,  ou  des  produits 
de  la  putréfaction.  Quelques  philosophes  se  conten- 
taient de  prétendre  qu'ils  proviennent  du  limon  du 
sol,  raréfié  par  la  chaleur  centrale  du  globe. 

Nées  d'Ésenbeck  professait  encore,  il  y  a  peu  d'an- 
nées, que  les  champignons  sont  formés  par  la  décom- 
position des  êtres  vivants,  et  qu'on  devait  les  regar- 
der comme  des  atomes  de  plantes  que  la  nature  fait 
sortir  de  la  substance  expirante.  Vers  le  milieu  du 
dix-septième  siècle,  à  une  époque  où  la  chimie  était 
encore  dans  les  langes,  un  botaniste  anglais,  le  cé- 
lèbre Morison,  prétendait  que  ces  végétaux  n'étaient 

(1)  D.  Clos,  Origine  des  champignons.  Toulouse,  1858,  p.  2. 

(2)  Ils  leur  imposaient  le  surnom  de  fils  des  dieux  et  de  laterre; 
qualification  qu'ils  donnaient  aux  hommes  dont  les  parents 
étaient  inconnus ,  et  qu'ils  adaptaient  d'autant  mieux  aux  cham- 
pignons que  ceux-ci  naissent  souvent  pendant  les  temps  d'orage^ 
c'est-à-dire,  d'après  le  mythe  antique,  lors  de  la  prétendue  con- 
jonction du  ciel  et  de  la  terre  ! 


LIMITES    DE    LA    DISSÉMINATION   VÉGÉTALE.  635 

que  des  sortes  d'excroissances  du  sol,  produites  par 
la  combinaison  des  parties  grasses  et  des  principes 
sulfureux  de  la  terre  (1).  En  Allemagne,  Dillen  se 
contentait  de  dire  qu'ils  dérivaient  de  la  fermenta- 
tion putride  (2).  Ces  idées,  qui  font  dériver  certains 
champignons  de  la  génération  hétérogène,  ont  été 
aussi  adoptées  par  Lancisi,  Marsigli,  de  Necker  et 
Médicus;  Moscati  lui  rapportait  la  production  des 
moisissures  (3),  tandis  que  le  baron  Palisot  de  Beau- 
vois  regardait  comme  des  blasphémateurs  ceux  qui 
leur  accordaient  une  semblable  origine  (4). 

En  effet,  les  champignons  doivent  être  rangés  parmi 
les  êtres  organisés  dont  l'apparition  ne  peut  souvent 
s'expliquer  que  par  la  genèse  équivoque,  car,  dans 
certaines  circonstances,  on  les  voit  naître  sans  qu'il 
soit  possible  de  découvrir  leur  mode  de  propagation... 
Telle  était  naguère  et  telle  est  encore  aujourd'hui  l'o- 
pinion de  Cadet  de  Gassicourt,  Marquis,  Parent-Du- 
châtelet,  Gérard  et  Burdach  (5). 

(1)  Excrescentia  terrœ....  ex  quàdam  commixione  salis  suif uris 
junctâ  cum  terrœ pinguedine,  etc.  Hort.  blés.,  p.  490. 

(2)  Fungus  est  plantœ  genus....  ex  putridinusâ  fermentatione 
ortum.  {Catal.  plant.  Jppend.  p.  71.) 

(3)  Lancisi,  De  ortu,  vegetatione  ac  textura  fungorum.  Diss. 
Romse,  1714.  —  Marsigli,  De  generatione  fungorum,  epistola  ad 
Lancisum.  Romse,  1714.  — De  Necker,  Traité  sur  la  mycétologie, 
Manheim,  1788.  —  Moscati  (aîné)  ,  ^('(^(^  acad.  Bonon.,  t.  III.  — 
Comp.  Spallanzani  qui  a  combattu  ce  savant,  t.  H,  p.  305. 

(4)GuviER,  Éloge  historique  de  Palisot  de  Beauvois.  — Mémoire 
de  l'Académie  des  sciences,  1819,  t.  IV. 

(5)  Cadet  de  Gassicourt,  Dictionnaire  des  sciences  médicales, 
Paris,  1813,  t.  IV,  p.  503.  —  Marquis,  Fragments  de  philosophie 
botanique.  Paris,  1821.  —  Parent-Ducbatelet,  Hygiène  publique. 


636  HÉTÉROGÉNIË. 

Peut-on  sérieusement  professer,  que  la  nature  a 
saturé  l'atmosphère  d'innombrables  germes  de  cer- 
tains champignons,  qu'on  ne  voit  apparaître  que 
dans  les  circonstances  les  plus  exceptionnelles?  Il 
en  est  que  l'on  ne  rencontre  que  sur  une  seule  es- 
pèce d'insectes;  d'autres  ne  viennent  que  sur  les 
gouttes  de  suif  que  les  mineurs,  dont  parle  Bérard, 
laissent  tomber  en  travaillant!  Y  avait-il  donc,  dans 
la  création,  des  sporules  tout  formés  dans  la  prévision 
de  l'exploitation  des  mines,  à  l'aide  de  notre  vulgaire 
moyen  d'éclairage  (1)? 

Un  assez  grand  nombre  de  végétaux  ne  se  rencon- 
trent jamais  que  dans  des  circonstances  tout  à  fait 
particulières  et  fort  limitées;  et  beaucoup  afîectent 
même  un  habitat  tellement  absolu,  que  leur  appari- 
tion semble  un  défi  porté  aux  procédés  ordinaires  de 
la  reproduction.  Peut-on  supposer  qu'il  y  ait  partout 
en  suspension  dans  l'air,  des  spécimens  de  ces  my- 
riades de  germes  qu'il  devrait  nécessairement  conte- 
nir, pour  satisfaire  à  l'infinie  variété  des  exigences  qui 
se  présentent?  L'Isaria  felina,  qui  ne  vient  que  sur 
les  excréments  du  chat;  le  Monilia  penicillus^  qu'on 
trouve  sur  ceux  de  la  souris;  VIsaria  aranearum,  qui 
ne  se  développe  que  sur  les  cadavres  des  araignées; 
VOnygena  eqidna,  qu'on  n'observe  que  sur  les  sabots 


Paris,  1836,  t.  I,  p.  228. —  Gérard,  Dict.  univ.  d'hist.  nat.y  art. 
Génération,  t.  VI,  p.  83.  —  Burdach,  Traité  de  physiologie.  Paris, 
1837,  t.  I,  p.  32,  404. 
(i)  Bérard,  Cours  de  physiologie.Pdins,  1848,  t.  I,  p.  98. 


LIMITES    DE    LA    DISSÉMINATION    VÉGÉTALE.  637 

des  chevaux  en  putréfaction  (1),  sont-ils  toujours  en 
permanence  pour  la  circonstance? 

Quelques  autres  champignons  ont  encore  un  habitat 
non  moins  extraordinaire  que  les  précédents.  Les  uns 
ne  s'observent  jamais  que  sur  certains  insectes;  telle 
est  une  espèce  de  Clavaria,  qui,  selon  Fougeroux, 
n'affecte  que  les  cicadaires;  d'autres  ont  même  un  sol 
encore  plus  restreint  :  on  ne  les  voit  apparaître  que 
durant  un  état  déterminé  de  la  vie  de  l'animal.  Ainsi, 
selon  Schweiniiz,  Visaria  sphhigum  ne  se  rencontre 
jamais  que  sur  certains  papillons  nocturnes,  tandis 
que  Visaria  crassa  n'affecte  que  leur  chrysalide,  et 
Visaria  truncata  \eur  larve  (2).  Faut-il  donc  sup- 
poser que  la  nature  a  encombré  de  séminules  toute 
l'atmosphère,  pour,  à  un  moment  donné,  qu'une  par- 
celle de  celles-ci  envahisse  le  cadavre  d'une  chenille 
ou  d'un  papillon!  Enfin,  on  connaît  un  champignon 
fort  gros  qui  ne  se  rencontre  jamais  que  sur  la  queue 
d'une  certaine  chenille  (3).  Peut-on  admettre,  en 
suivant  l'hypothèse  des  panspermistes,  que  l'air  a  été 
universellement  bourré  des  séminules  de  ce  champi- 
gnon, pour  qu'il  en  naisse  un  seulement,  de  temps  à 
autre,  surcetinsecte?Etsi  encore  ce  champignon  était 
commun  ou  abondant  en  spores  impalpables  comme 

(l)Comp.  Robin,  Histoire  naturelle  des  végétaux  parasites  qui 
croissent  sur  l'homme  et  les  animaux.  Paris,  1853,  p.  606.  — 
Leveillé,  Dict.  univers,  d'kist.  nat.,  t.  YIII,  p.  461,  art. 
Mycologie. 

(2)  ScHWEiNiTZ, CaroL,  n°  1298. 

(3)  C'est  le  Cordyceps  Robertsii  (Hooker)  qui  acquiert  souvent 
de  quatre  à  cinq  pouces  de  longueur,  il  vit  sur  la  chenille  de 
Vhepialus  virescens,  D. 


638  HÉTÉROGÉNIE. 

un  lycoperdon,  cela  pourrait  offrir  le  champ  à  l'i- 
magination des  fauteurs  de  la  panspermie;  mais  il 
n'en  est  nullement  ainsi.  Les  champignons,  dans  pres- 
que tous  ces  cas,  n'envahissent  réellement  que  des 
surfaces  malades  ou  expirantes,  les  végétaux  et  les 
animaux  sur  lesquels  on  les  trouve  ayant  leur  organi- 
sation déjà  altérée,  ou  même  en  voie  de  décomposi- 
tion. C'est  ainsi  que  Mayer  a  découvert  des  moisis- 
sures fihformes  dans  des  produits  pathologiques  qui 
avaient  envahi  le  poumon  d'un  geai  {corvus  glanda- 
rius)  (1).  JsBger  et  Heusinger  ont  rencontré  de  ces 
cryptogames  dans  les  sacs  aériens  de  plusieurs  cygnes 
et  de  quelques  cigognes,  qui  avaient  également  subi 
des  altérations  morbides  (2). 

Il  y  a  une  cryptogame  remarquable,  le  Racodium 
cellare,  qu'on  ne  rencontre  que  sur  les  futailles  de 
nos  ceUiers.  Où  donc  étaient  ses  séminules  avant  l'in- 
vention de  celles-ci? 

A  l'aide  de  l'hétérogénie,  on  explique  fort  simple- 
ment certains  faits  que,  malgré  tous  leurs  efforts,  ses 
antagonistes  ne  peuvent  clairement  élucider.  Ne  faut- 
il  pas  l'invoquer,  en  effet,  pour  expliquer  comment, 
ainsi  que  l'ont  remarqué  Gruithuisen,  Mertens,  Roth, 
et  Schrank,  ce  sont  des  espèces  particulières  de  con- 
ferves  qui  se  produisent  sur  certains  poissons  ou  cer- 


(1)  Mayer,  Deutsches  Archiv.  fur  die  Physiologie,  t.  I.  p.  310. 

(2)  J^GER,  ibid,  t.  n,  p.  354.  —  Heusikger,  Berichte  der  zooto- 
mischen  Anstalt  zu  Wurtzburg,  p.  32.  —  Olfers,  Commentarius 
de  vegetativis  et  animatis  in  corporibus  animatis  reperiwidis. 
Berlin,  1816, 


LIMITES   DE   LA   DISSÉMINATION    VÉGÉTALE.  639 

tains  mollusques  morts  ou  simplement  malades  {!)? 
Faudrait-il  aussi,  pour  elles,  admettre  que  Timmen- 
sité  de  l'Océan  ou  les  eaux  des  fleuves,  se  trouvent 
surchargées  de  sporules  attendant  pour  ainsi  dire  leur 
sol  au  passage  !  Le  transport  d'œufs  ou  de  spores  mi- 
croscopiques à  l'aide  de  l'air,  pouvait  paraître  spécieux, 
quoiqu'il  ne  supporte  pas  l'examen;  mais  ces  mil- 
liards de  germes  disséminés  sous  l'eau  ne  dépassent- 
ils  pas  toutes  les  bornes  de  l'imagination? 

On  ne  peut  pas  non  plus,  il  nous  semble,  expliquer 
par  la  dissémination,  les  moisissures  que  M.  Bérard 
dit  avoir  observées  à  l'intérieur  du  péritoine  de  cer- 
tains cadavres  humains,  qui  avaient  séjourné  plusieurs 
semaines  sous  l'eau.  Comment  leurs  spores  auraient- 
ils  pu  parvenir  jusque-là  ?  Quelques  zoologistes  ont 
aussi  vu  des  moisissures  verdâtres  et  pulvérulentes, 
étendues  sur  le  péritoine  de  certains  animaux  tels 
que  des  pigeons,  des  biches  et  des  tortues  de  terre: 
MM.  Rousseau  et  Serrurier  en  citent  plusieurs 
exemples  (2). 

On  a  opposé  aux  spontéparistes  la  fécondité  de  cer- 
taines plantes  ou  de  divers  animaux,  afin  d'expliquer 
l'extraordinaire  dissémination  de  leur  descendance. 
Fries  a  compté  plus  de  dix  millions  de  corpuscules 

(1)  BuRDACH,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837, 1. 1,  p.  37. 

(2)  Rousseau  et  Serrurier,  Développement  de  cnjptogames  sur 
les  tissus  de  vertébrés  vivants.  —  Comptes  rendus  de  Vlnstitut^ 
t.  XïlI.  p.  18.  —  Mais  nous  devons  reconnaître  avec  sincérité  que 
plusieurs  d'entre  eux  n'ont  peut-être  pas  toute  la  valeur  dési- 
rable. Car,  pour  ce  qui  concerne  les  biches  et  les  perroquets,  on 
pourrait  nous  répondre  que  le  péritoine  communique  avec  l'ex- 
térieur. 


6A0  HÉTÉROGÉNIE. 

reproducteurs  dans  un  seul  individu  du  reticularia 
maxima  (1).  Decandolle  dit  que  les  grandes  espèces 
de  Lycoperdon  en  contiennent  peut-être  bien  da- 
vantage, et  il  prétend  que  ces  germes  entraînés  par 
Tair  ou  par  l'eau,  peuvent  pénétrer  partout  et  se  ré- 
pandre jusque  dans  les  tissus  des  êtres  organisés  (2). 
Nous  portons  beaucoup  au  delà  que  ne  le  fait  De- 
candolle, l'incommensurable  fécondité  des  champi- 
gnons; et  nous  dirons  que  sur  le  Lycoperdon  gigan- 
tesque, ce  n'est  pas  par  millions  qu'il  faut  compter 
ces  germes  reproducteurs,  mais  par  millions  de  mil- 
liards. Fécondité  telle,  qu'il  ne  nous  parait  pas  dé- 
raisonnable d'admettre  que  si  tous  les  spores  d'un 
spécimen  que  nous  avons  observé,  qui  avait  la  grosseur 
d'une  petite  citrouille,  se  développaient  en  une  nuit 
donnée,  et  sans  nulle  perte,  toute  la  surface  du  globe 
pourrait  en  être  couverte  (3). 

Eh  bien  !  malgré  cette  immense  concession,  nous 
ne  nous  expliquons  pas  encore  comment,  dans  cer- 
taines circonstances,  les  séminules  ou  les  œufs  des 
êtres  organisés  parviennent  dans  quelques  endroits  où 
on  voit  apparaître  tant  d'espèces  variées  d'animaux 
ou  de  plantes;  et  comment  aussi,  au  contraire,  la 
souche  d'une  aussi  féconde  progéniture  n'est  fréquem- 
ment environnée  que  par  la  plus  absolue  stérilité. 


(1)  Pries,  Syst.  orbis  vegetabilis,  t.  I,  p.  41. 

(2)  Decandolle,  Physiologie  végétale.  Paris^  1832,  p.  "752. 

(3)  La  terre  a  environ  b09,300  billions  de  mètres  carrés;  en 
donnant  un  mètre  cane  de  surface  pour  chacun  de  ces  gros  vé- 
gétaux, les  séminules  d'un  seul  suturaient  peut-être,  pour  ense- 
mencer tout  le  globe. 


LIMITES   DE   LA   DISSÉMINATION   VÉGÉTALE.  641 

Dans  riiypothèse  de  la  panspermie,  dont  nos  anta- 
gonistes ont  tant  abusé,  il  devient  réellement  im- 
possible d'expliquer  comment  les  séminules  de  cer- 
tains végétaux  que  l'on  rencontre  dans  la  profondeur 
des  organes  des  animaux,  ont  pu  y  parvenir.  Ainsi 
comment  donc  avait  pu  s'introduire  dans  l'intérieur 
de  l'œil,  cette  conferve  que  le  docteur  Helmarecht  a 
extraite  de  cet  organe,  sur  un  pasteur  chez  lequel  elle 
avait  produit  la  cécité?  Le  docteur  Neuber  considé- 
rait aussi  qu'il  devait  la  perte  d'un  de  ses  yeux  à  un 
végétal  semblable  (1). 

Comment,  par  le  transport  des  séminules  à  l'aide 
de  l'air,  expliquerait-on  la  présence  des  cryptogames 
que  l'on  rencontre,  soit  dans  la  profondeur  des  tissus 
des  plantes,  soit  dans  les  cavités  parfaitement  closes 
qu'offrent  leurs  organes?  J'ai  souvent  trouvé  des  moi- 
sissures dans  les  cavités  qui  recèlent  les  graines  des 
oranges,  des  citrons  et  des  pommes,  lorsque  ces  fruits 
commencent  à  se  gâter.  Harting  dit  avoir  rencontré 
un  champignon  dans  urte  cavité  de  l'intérieur  d'un 
arbre  où  il  était  recouvert  d'une  trentaine  de  zones 
ligneuses.  Ce  cryptogame  constituait  même  une  es- 
pèce particulière  du  genre  Nyctomices,  qui  ne  con- 
tient jamais  de  spores,  et  par  conséquent  ne  peut  pas 
se  reproduire  (2) .  Dans  les  magnifiques  planches  de 
son  Traité  des  maladies  de  la  pomme  de  terre ,  le 
docteur  H.  Schacht  a  même  figuré  un  champignon 
microscopique  qui  paraît  prendre  naissance  à  Tinté- 

(1)  Neuber,  Des  mouches  volantes  de  Vceil.  Hambourg,  1830.  — 
BérarDj  Cours  de  physiologie,  p.  97. 

(2)  BuRDACH,  Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  1. 1,  p.  35. 

POUCHET.  4^ 


642  HÉTÉRO  GÉNIE. 

rieur  des  grains  de  la  fécule ,  et  en  perforer  successi- 
vement les  couches  (1). 

Jusqu'à  un  certain  point,  on  peut  convenir  qu'il  est 
possible  d'expliquer,  par  le  transport  des  sporules,  la 
production  de  certains  végétaux  qui  attaquent  l'homme 
et  les  animaux,  et  produisent  chez  eux  plusieurs  af- 
fections pathologiques.  La  teigne-faveuse  (2),  la  Men- 
tagre  (3),  le  Muguet  (4),  etc.,  qui  sont  des  maladies 
propres  au  premier,  sont  évidemment  déterminées 
par  des  champignons,  et  peuvent  résulter  de  la  dissé- 
mination de  leurs  séminules. 

En  renouvelant  l'appareil  d'une  fracture  de  la 
jambe,  à  l'Hôtel-Dieu  de  Rouen,  je  le  trouvai  rempli 
de  plus  de  cent  champignons  de  diverses  tailles,  et 
dont  quelques-uns  avaient  leur  chapeau  ouvert,  et 
s'élevaient  à  4  centimètres.  Cette  végétation  n'avait 

(1)  Hermann  ScuAcm,  Rapport  au  collège  royal  d'économie  rurale 
sur  la  pomîïie  de  terre  et  ses  maladies.  Berlin,  1856,  pi.  IX,  fig.  11. 

Plusieurs  des  figures  de  cet  ouvrage,  qui  sont  faites  avec  le 

plus  grand  soin,  semblent  évidemment  indiquer  que  la  végétation 
cryptogamique  prend  naissance  à  Tinlérieur  des  grains  de  fécule. 

(2)  Cette  teigne  est  produite  ^a.rV Achorion  Schœnleinii,  Remak. 

—  Comp.  Lebert,  Physiol.  pathologique.  Pdiis,  1845,  t.  II,  p.  477. 

—  VoGEL,  Anat.  patholog.  générale.  Trad.,  Paris,  1847,  p.  391.  — 
Robin,  Hist.  nat.  des  végétauœ  parasites  qui  croissent  sur  Vhomme. 
Paris,  1853,  p.  441. 

(3)  Cette  dartre  est  causée  par  le  Microsporon  ment agrophy tes, 
Ch.  Robin.  —  Comp.  Gruby,  Sur  une  espèce  de  mentagre  contagieuse  y 
résultant  du  développement  d'un  nouveau  cryptogame.  Académie 
des  sciences,  1842,  t.  XV,  p.  512.  —  Gh.  Robin,  Hist.  natur.  des 
végétaux  parasites,  p.  430. 

(4)  Le  muguet  est  dû  à  V Oïdium  albicans,  Ch.  Robin.  — Comp. 
Gruby,  Recherches  anatomiques  sur  un  cryptogame  qui  constitue  le 
muguet  des  enfants.  —  Comptes-remlus,  1842,  t.  XIV,  p.  634.  — 
C».  Robin,  Hist.  nat.  des  végétaux  parasites,  p.  488. 


LIMITES    DE    LA    DISSÉMINATION    VÉGÉTALE.  643 

eu  lieu  que  sur  un  seul  malade,  quoique  la  salle 
renfermât  plusieurs  personnes  affectées  des  mêmes 
fractures.  Jamais,  pendant  quatre  ans  de  séjour  dans 
cet  hôpital,  je  n'observai  aucune  réapparition  de  cet 
agaric,  car  c'en  était  un. 

Comment  s'est-il  donc  fait  que  la  production  de  ce 
champignon  ait  été  isolée  dans  une  salle  où  les  au- 
tres malades  ont  pu,  aussi  bien  que  celui  qui  est  cité, 
en  recevoir  des  séminules  sur  leur  appareil  ?  Pourquoi 
donc  aussi,  si  l'apparition  de  ce  cryptogame  n'a  pas 
été  absolument  fortuite,  ne  se  produit-il  pas  plus  sou- 
vent? Pourquoi  enfin,  les  agarics  adultes  observés  sur 
l'appareil,  ne  se  sont-ils  pas  reproduits  sur  d'autres, 
en  y  répandant  leurs  séminules  ? 

Les  hétérogénistes  considèrent  encore  comme  au- 
tant de  preuves  en  faveur  de  la  génération  spontanée, 
l'apparition  insolite  de  certaines  plantes;  mais  ces 
faits,  qui  ne  sont  pas  sans  valeur  dans  la  balance, 
nous  paraissent  beaucoup  moins  importants  pour  le 
soutien  de  notre  thèse,  que  ne  le  sont  ceux  fournis 
en  masse  par  l'expérience  directe.  Nous  en  citerons 
cependant  quelques-uns,  que  Burdach  comprend  sous 
la  dénomination  dliétérogêiiie  problématique  (1). 

Souvent  des  végétaux  apparaissent  dans  des  con- 
trées où,  de  mémoire  d'homme,  on  en  ignorait  abso- 
lument l'existence.  Et  Burdach  avance  que  s'il  est 
peu  probable  qu'ils  soient  dus  alors  à  l'hétérogénie, 
il  y  a  au  moins  des  cas  où  leur  propagation  ne  paraît 
concevable  que    par  le   concours   de    circonstances 

(1)  Burdach,  Traité  de  physiologie,  t.  I.  —  Gérard,  Art.  Génér. 
spont.  du  Dict.  univ.  d'hist.  nat.,  qui  eu  cite  uu  grand  nombre. 


644  HÉTÉROGÉNIE. 

vraiment  extraordinaires.  Cela  se  présente  fréquem- 
ment après  des  incendies  qui  mettent  à  nu  certains 
terrains.  Ainsi,  après  celui  de  Londres,  en  1606,  au 
rapport  de  Morison  et  de  Mérat,  on  vit  apparaître 
V Erysimum  latifoUum,  que  l'on  ne  connaissait  point 
aux  environs  de  cette  ville  (l).  Franklin  dit  que  dans 
l'Amérique  septentrionale,  lorsque  l'on  détruit,  par  le 
feu,  des  forêts  de  pins,  on  voit  surgir  des  peupliers 
sur  le  lieu  incendié  (2). 

Link  fait  remarquer,  dans  sa  Phioslophie  botanique. 
que  lorsqu'une  source  d'eau  salée  se  manifeste  dans 
quelque  localité  éloignée  de  la  mer,  on  voit  bientôt 
croître  tout  autour  d'elle  certaines  plantes  inconnues 
dans  la  contrée,  et  qui  n'habitent  que  les  terres  inl- 
prégnées  de  selon  les  rivages  maritimes  (3).  Hoffmann 
a  observé  un  fait  encore  plus  remarquable.  Sur  un 
espace  de  terrain  occupé  par  la  mer,  mais  qu'on  lui 
avait  enlevé  à  l'aide  de  digues,  il  reconnut  qu'il  exis- 
tait une  végétation  qui  offrait  de  capitales  différences, 
coïncidant  avec  la  nature  du  sol  mis  à  nu  par  le  tra- 
vail de  l'homme.  L'apparition  des  plantes  qui  surgis- 
saient là  ne  pouvait  rationnellement  s'expliquer  par 
aucune  cause.  Toutes  croissaient  loin  de  l'endroit,  et 
elles  s'y  manifestèrent  si  rapidement,  que  ni  les  vents 
ni  les  courants  d'eau  ne  pouvaient  en  expliquer 
l'apparition.  Le  Salicornia  herbacea  habitait  les  en- 
droits que  la  mer  avait  le  plus  imprégnés  de  dépôts 

(1)  Morison,  cité   par    Treviranus,    Biologie.  Voir  Burdach, 
p.  41.  —  Mérat,  Éléments  de  botanique. 

(2)  Frainkli.n,  cité  par  Burdach,  Phys.,  t.  I,  p.  41. 

(3)  Ll^K,  Elementa  philosophiœ  botanicœ,  p.  462. 


LIMITES    DE    LA    DISSÉMINATION    VÉGÉTALE.  645 

salins;  VAvefiaria  maritima  étendait  ses  longues 
racines  dans  le  sable  pur;  VAslcr  tripoliiim  se  trouvait 
dans  la  vase,  et  Vllippuris  vulgaris  dans  quelques 
eaux  de  sources  imbibant  des  terrains  argileux  (1). 
Mais  assurément,  le  fait  le  plus  extraordinaire  de 
cette  nature,  est  celui  rapporté  par  Viborg.  Il  s'agit 
d'un  étang  du  Danemark,  que  l'on  dessécha,  et  sur 
le  fond  duquel  on  vit  apparaître,  avec  une  foule  d'au- 
tres plantes,  une  certaine  quantité  de  Carex  cyperoi- 
des)  végétal,  qu'au  rapport  des  botanistes,  on  ne 
connaît  point  dans  le  royaume  (2). 

Lorsque  l'on  confectionne  du  pain  avec  certaines 
farines  avariées,  peu  de  temps  après  sa  cuisson,  on 
voit  tout  son  intérieur  envahi  par  des  moisissures, 
sans  qu'il  soit  possible  d'expliquer  comment  elles  ont 
pu  s'insinuer  jusque-là.  Spallanzani,  il  est  vrai,  pré- 
tend avoir  saupoudré  du  pain  avec  des  moisissures 
calcinées,  et  y  avoir  ainsi  déterminé  Tapparition  d'une 
nouvelle  procréation.  Mais  doit-on  croireàce  fait,  tan- 
disqu'on  sait  qu'une  température  fort  peu  élevée  anéan- 
tit la  faculté  germinative  des  graines  et  des  séminules? 

On  voit  aussi  parfois  des  moisissures  à  l'intérieur 
des  cavités  des  fromages  (3). 

Je  ne  citerai  pas  comme  probants  en  faveur  de  la 
génération  spontanée,  les  cryptogames  élémentaires 
que  l'on  rencontre  à  l'intérieur  dçs  œufs.  J'ai  vu  l'al- 
bumine et  le  jaune  de  ceux-ci  être  envahis  par  des 

(l)HoFMANN,  Froriep's  Notizen,  t.  VIU^p.  il3.  — Burdach, 
Traité  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  I,  p.  43. 

(2)  Viborg,  Der  Gesellschafft  naturforschender  Freunde  dans  Berlin 
Magazin,i.X\,  p.  74. — Ann.  de  la  Soc.des  nat .  de  Berl.BurddiCh,  t.  I. 

(3)  Comp.  BuRDACH,  Physiologie,  1. 1,  p.  32  et  35. 


646  HÉTÉROGÉNIE. 

moisissures,  lorsqu'on  les  avait  longtemps  abandonnés. 
Mœrklin  a  vu  un  champignon  le  Sporotrichiim  albu- 
minis  envahir  de  ses  filaments  tout  le  blanc  d'un  œuf 
de  poule  (1).  Mais  on  peut  facilement  objecter  à  ces 
observations,  que  les  spores  impalpables  de  ces  cryp- 
togames ont  pu  passer  à  travers  la  coquille  par  les 
ouvertures  qui  servent  à  introduire  l'air  indispensable 
à  la  respiration  du  fœtus. 

Résumé.  —  Le  contenu  de  ce  chapitre  prouve  qu'il 
est  évident  que  les  expériences  sur  la  végétation,  vien- 
nent aussi  apporter  de  décisives  preuves  en  faveur  de 
l'hétérogénie. 

En  employant  des  vaisseaux  hermétiquement  fer- 
més, nous  avons  prouvé  que,  lorsque  les  expériences 
sont  bien  conduites,  et  exécutées  à  l'aide  de  procédés 
encore  plus  sévères  que  ceux  de  nos  devanciers,  on 
obtenait  dans  la  plupart  des  cas,  une  végétation  qui 
apparaissait  en  un  temps  assez  court. 

En  répétant  encore  les  expériences  de  Schultze, 
au  point  de  vue  de  la  production  des  cryptogames , 
dans  nos  mains ,  elles  ont  donné  des  résultats  opposés 
à  ceux  obtenus  par  cet  observateur  :  les  appareils  se 
sont  remplis  de  champignons  microscopiques  de  la 
plus  belle  apparence. 

La  science  nous  enseignant  que  la  levure,  qui  se  pro- 
duit pendant  la  fermentation,  est  un  végétal,  il  est  de- 
venu évident  que  celui-ci  s'engendre  spontanément 
durant  les  phénomènes  chimiques  qui  ont  lieu  lors  de 
cette  opération.  Dans  une  de  nos  expériences,  l'algue  de 

(i)  Mœrklin,  cité  par  Burdacb,  Physiologie,  i.  1,  p.  35. 


LIMITES    DE    LA    DISSEMINATION    VEGETALE.  647 

la  levure  de  bière  s'est  produite  en  abondance  dans 
des  vaisseaux  absolument  dérobés  au  contact  de  l'air 
et  hermétiquement  fermés. 

En  opérant  à  ciel  ouvert,  les  résultais  n'ont  pas  été 
moins  manifestes,  et  nous  avons  vu,  sur  un  sol  factice, 
l'hétérogénie  se  produire  en  suivant  les  caprices  de 
l'expérimentateur,  partout  oii  sa  main  traçait  des  ca- 
ractères variés. 

Soit  dans  les  expériences  à  vaisseaux  hermétique- 
ment fermés,  soit  dans  celles  à  ciel  ouvert,  nous  avons 
aussi  constamment  reconnu  que  les  produits  végétaux 
variaient  à  l'infini,  et  en  dehors  de  toute  prévision. 
Les  mêmes  substances  donnent  des  cryptogames  abso- 
lument différents ,  selon  la  pression  atmosphérique, 
la  température,  l'éclairage,  etc. 

Nos  expériences  prouvent  aussi  que  l'extrême  vita- 
lité des  germes,  proclamée  par  les  ovaristes,  pour  les 
besoins  de  leurs  théories,  est  une  assertion  complète- 
ment erronée.  De  telle  sorte  que,  malgré  ce  qu'en  a 
dit  un  spirituel  écrivain  belge,  on  ne  peut  pas  supposer 
que  ces  germes  aient  une  résistance  vitale  supérieure  à 
l'énergie  de  nos  moyens  de  destruction  (i). 

Enfin ,  la  dissémination  elle-même,  ce  fait  réel ,  mais 
souvent  plus  limité  qu'on  ne  le  prétend  ,  est  venue 
nous  offrir  quelques  arguments  en  faveur  de  l'hétéro- 
génie ;  mieux  appréciée,  nous  avons  vu  qu'elle  ne  pou- 
vait nullement  avoir  l'extension  qu'on  lui  prête  et 
peupler  de  végétaux  certains  endroits  où  on  en  voit 
apparaître. 

(i)  Jobard,  De  la  vitalité  des  germes.  —  Comptes  rendus  de 
l'Académie  des  sciences,  t.  XLVIII,  p.  334. 


CHAPITRE    IX 

NOUVEAUX  FAITS  CONCERNAIST  L'HÉTÉROGÉNIE. 

Pendant  que  nous  nous  occupions  de  mettre  la  der- 
nière main  à  ce  travail ,  quelques  faits  nouveaux  ont 
été  produits  dans  la  science.  Les  uns  parlent  avec  élo- 
quence en  faveur  de  l'hétérogénie  ,  et  en  eux  tout 
révèle  un  véritable  cachet  de  précision;  les  autres 
doivent  être  rangés  parmi  les  assertions  vagues  aux- 
quelles la  thèse  des  générations  spontanées  a  trop  sou- 
vent donné  lieu. 

Expériences  de  M.  Mantegazza.  —  Au  nombre 
des  travaux  sérieux  sur  ce  sujet ,  nous  citerons  en 
première  ligne  les  expériences  de  M.  Mantegazza,  de 
Milan,  présentées  récemment  à  l'Académie  des  scien- 
ces (1).  Dans  l'une  de  celles-ci ,  en  employant  de 
l'eau  artificielle,  ce  savant  vit  une  décoction  de  feuilles 
de  laitue,  mise  en  contact  avec  de  l'oxygène,  se  peu- 
pler de  Monades  au  bout  de  sept  jours  (2).  Dans  une 

(1)  Comptes-rendus  de  l'Ac.  desscienc,  1859,  t.  XLVIII,  p.  262. 

(2)ExpÉRiENCE  DE  M.  Mantecazza.  Je  prépare  de  l'eau  cliiinique- 
ment  en  faisant  passer  un  courant  d'hydrogène  sec  surdu  bioxyde 
de  cuivre  chauffé  au  rouge  dans  un  tube  de  verre.  L'eau  obtenue  de 
cette  manière  a  été  recueillie  dans  un  tube  de  verre  qui  avait  été 
chaufTé  au  rouge  et  a  été  introduite  dans  un  tube  gradué  en  cen- 
timètres cubes  où  je  l'ai  fait  bouillir  avec  des  feuilles  fraîches  de 
laitue.  Tandis  que  le  liquide  était  en  ébullilion,  j'ai  rempli  le 
tube  avec  du  mercure  chauffé  à  +  130  degrés  centigrades,  et  je 
Tai  renversé  sur  une  cuvette  remplie  du  même  métal  chauffé  à 
la  même  température.  Tout  étant  disposé  comme  je  viens  de  dire, 
j'ai  fait  entrer  dans  le  tube  9  centimètres  cubes  d'oxygène  pré- 


MALADIE  PÉDICULAIRE.  649 

autre  tentative,  non  moins  curieuse,  M.  Mantegazza  a 
vu  une  décoction  de  laitue  dans  l'eau  artificielle,  enfer- 
mée avec  de  l'air  et  chauffée  à  140%  se  remplir  de  ^ac- 
terium  termo,  après  une  cinquantaine  d'heures  (1). 

Les  expériences  de  M.  Mantegazza  sont  absolument 
analogues  à  celles  que  nous  avons  faites  nous-même, 
soit  avec  l'oxygène,  soit  avec  l'eau  ou  l'air  artihciels  ; 
seulement,  les  êtres  organisés  que  l'on  a  rencontrés 
dans  les  nôtres  étaient  plus  élevés  dans  la  série  zoolo- 
gique, ce  qui  tenait,  sans  nul  doute,  à  ce  que  nous 
avons  opéré  sur  une  bien  plus  grande  échelle. 

Nous  ne  pouvons  que  rendre  hommage  à  la  grande 
précision  qui  règne  dans  tous  les  détails  de  Tœuvre 
du  savant  italien,  que  nous  sommes  heureux  de  ci- 
ter (2).  Cette  précision  contraste  de  la  plus  ostensible 
manière  avec  l'oubU  total  des  moindres  préceptes  de 
l'expérimentation,  qu'on  rencontre  dans  d'autres  tra- 
vaux. 

Maladie  pédiculaire.  —  Tout  le  monde  connaît 

paré  avec  le  chlorate  de  polasse  et  qui  avait  passé  par  un  tube  de 
verre  rougi.  Après  161  heures,  j'ai  rencontré  dans  la  décoction 
de  laitue  des  Monades  vivantes. 

(1)  Expérience  de  M.  Mantegazza.  Dans  un  tube  solide  de  verre 
de  la  longueur  de  15  centimètres,  fermé  avec  la  lampe,  j'ai  mis  de 
la  décoction  de  laitue,  en  laissant  le  tube  rempli  d'air  dans  une 
longueur  de  10  cenlimèU-es,  J'ai  laissé  à  la  température  ordinaire 
le  tube  ainsi  préparé  l'espace  de  48  heures,  après  quoi  je  l'ai 
exposé  pendant  30  minutes  à  100  degrés  centigrades,  et  pendant 
40  minutes  à  +  140  degrés,  dans  un  bain  d'une  solution  saturée 
et  bouillante  de  carbonate  potassique  ;  59  heures  après  j'ai  coupé 
le  tube  et  j'ai  rencontré  dans  la  décoction  des  Bccterium  termo 
vivants.  La  température  moyenne  avait  éié  de  +  25*^  cenlig. 

(2)  Mantegazza,  Recherches  sur  la  génération  des  infusoires. 
Journal  de  V Institut.  Lombard.,  t.  111.  1852. 


650  HÉTÉROGÉNIE. 

cette  maladie ,  nommée  aussi  phthiriase ,  dans  la- 
quelle il  s'engendre  souvent  à  la  surface  du  corps  une 
prodigieuse  quantité  de  poux. 

Ces  insectes,  dont  MM.  Alt,  Burmeister,  Gervais 
et  Van  Beneden  ont  donné  de  bonnes  descriptions  ou 
des  figures  (1),  paraissent  constituer  une  espèce  par- 
ticulière, pediculus  tabescentium  j  dont  la  genèse  est 
encore  un  mystère.  Ait  prétend  que  ces  parasites 
naissent  dans  les  p]is  de  la  peau ,  et  se  cachent  sous 
l'épiderme,  qu'ils  soulèvent.  A  l'appui  de  cette  asser- 
tion, je  dirai  que  j'ai  été  frappé  du  nombre  de  petites 
plaies  qu'on  observe  à  la  surface  du  corps  des  ma- 
lades, et  qui  paraissent  être  d'une  dimension  beau- 
coup plus  considérable  que  ne  le  seraient  de  simples 
piqûres.  Avenzoar  et  Galien,  pensaient  aussi  que  ces 
insectes  naissent  au-dessous  de  la  peau.  Lieutaud 
avance  même  qu'on  les  voit  parfois  se  produire  sous 
les  téguments  du  crâne  (2). 

C'est  à  l'envahissement  pédiculaire  que  certains  au- 
teurs attribuent  la  mort  d'Hérode,  de  Sf  lia  et  de  Phi- 
lippe II  d'Espagne  (3).  Dans  cette  maladie,  les  insectes 
pullulent  parfois  avec  une  telle  abondance  à  la  sur- 
face de  la  peau ,  qu'un  médecin  du  seizième  siècle , 

(1)  Alt,  Disf^ertatio  de  Phthirlasi.  Bonn,  1824.  —  Burmeister, 
Gênera inseclorum.  Berolini,  1838.  —  Handbuch  der  Entomologie. 
Berlin,  1832. — Gervais  et  Van  Beneden,  Zoologie  médicale.  Paris, 
1859,  t.  I.  —  KùcHENMEisTEu,  le  confond  avec  le  pediculus  vesti- 
menti.  An.  par.^  t.  II,  p.  Trad.  angl. 

(2)  Lieutaud,  Historia  anatomica  morborum. 

(3)  Serrurier,  Dict.  des  se.  médicales,  t.  XLII.  Art.  Phthiriase. — 
Devergie,  Traité  pratique  des  maladies  de  la  peau.  Paris,  1856, 
p.  652. 


MALADIE    PÉDICULAIRE.  631 

Amatus  Lusitanus,  raconte  naïvement  dans  son  œuvre, 
qu'un  grand  seigneur  portugais  avait  le  corps  telle- 
ment couvert  de  poux ,  que  deux  de  ses  serviteurs 
n'étaient  occupés  qu'à  en  remplir  des  corbeilles  et  à 
aller  les  jeter  à  la  mer.  Marchelli  cite  une  femme  sur 
laquelle  ces  insectes  pullulaient  tellement,  que  chaque 
jour  on  lui  en  enlevait  six  à  sept  cents ,  ce  qui  paraît 
plus  digne  de  foi  (1). 

Les  anciens  ont  généralement  considéré  les  poux 
comme  étant  dus  à  la  genèse  spontanée.  Aristote, 
Théophraste  et  Galien  les  lui  attribuaient.  Cette  opi- 
nion, acceptée  déjà  par  quelques  savants  de  notre 
époque,  a  été  encore  tout  récemment  reproduite. 

Burdaclî ,  qui  semble  considérer  la  genèse  sponta- 
née des  poux  comme  un  fait  positif,  prétend  que  ceux- 
ci  apparaissent  avec  une  telle  abondance  dans  la  plique 
polonaise,  que  l'on  n'oserait  supposer  qu'ils  se  sont 
produits  à  l'aide  d'œufs  (2).  M.  Serrurier,  en  traitant 
de  la  maladie  pédiculaire,  dit  que  Th.  Bonet  rap- 
porte plusieurs  exemples  dans  lesquels  cette  affection 
a  paru  se  développer  spontanément  (3). 

Quoique  connaissant  parfaitement  la  reproduction 
sexuelle  des  poux,  Bremser  n'en  admet  pas  moins 
que  ,  dans  certaines  circonstances  où  iis  apparaissent 
avec  une  abondance  exceptionnelle,  ceux-ci  sont  le 
produit  de  l'hétérogénie  (4).  M.  Devcrgie ,  qui  s'est 

(1)  Marchelli,  Memorie  délia  soc.  medic.  di  Genova. 

(2)  BuRDACii,  Trailé  de  physiologie.  Paris,  1837,  t.  I,  p.  39. 

(3)  Serrurier,  Dict.  des  se.  méd.,  t.  XLII,  p.  8,  ai  t.  Phthiriase. 
—  Bonet,  Observ. 

(4)  Bremser,  Traité  anatomique  et  physiologique  des  vers  intes- 
tinaux de  l'homme.  Paris,  1824. 


632  HÉTÉROGÉNIE. 

spécialement  occupé  de  la  phthiriase  ,  professe  la 
même  opinion ,  puisqu'il  dit  que  la  maladie  pédicu- 
laire,  soit  de  la  ièie,  soit  du  corps,  peut  être  spon- 
tanée  (1). 

D'un  autre  côté ,  Sichel  et  Fournier  ont  fait  con- 
naître un  assez  grand  nombre  de  cas  dans  lesquels  on 
a  rencontré  des  poux  à  l'intérieur  de  tumeurs  closes 
de  toutes  parts  (2)  ;  et ,  dans  ces  cas  pathologiques, 
il  était  réellement  impossible  d'expliquer  l'apparition 
de  ces  insectes  à  l'aide  de  la  reproduction  normale. 
Le  docteur  Rust  a  raconté  à  Bremser,  qu'ayant  ouvert 
une  tumeur  fort  grosse  qu'un  jeune  homme  portait  à 
la  tête,  il  n'en  sortit  qu'une  immense  quantité  de  pe- 
tits poux,  qui  la  remplissaient  en  entier  (3).  G.  He- 
berden  a  rapporté  un  fait  analogue  observé  par  Ed. 
Vilmot  (4).  Enfin,  Bernard  Valentin  rapporte  qu'un 
homme  adulte  offrait  sur  le  corps  une  foule  de  petits 
tubercules  qui  n'étaient  remplis  que  de  poux  ,  et  qui 
en  fournirent  une  quantité  si  considérable  lorsqu'on 
les  incisa,  que  le  malade  faillit  en  périr  de  frayeur  (5). 
M.  Devergie  atteste  aussi  avoir  vu  de  ces  (umeurs  pé- 
diculaires  remplies  de  myriades  de  poux,  qu'il  n'hésite 

(i)  Devergik,  Traité  pratique  des  maladies  de  la  peau.  Paris, 
1856,  p.  650. 

(2)  Sichel,  Historiœ  phthiriasis  internœ  verœ  fragmentum, 
p.  207.  —  FuuRMER,  Art.  Cas  rares.  Dict.  des  sciences  médicales, 
t.  IV. 

(3)  Bremser,  Traité  zoologique  et  physiologique  sur  les  vers  de 
Vhomme.  Paris,  1824. 

(4)  G.  Heberden,  Commentarii  de  morborum  historia  et  curatione, 
Londini,  1802,  p.  278. 

(5)  Devergie,  Traité  pratique  des  maladies  de  la  peau.  Paris, 
1856,  p.  649. 


GALE.  6f>a 

pas  à  considérer  comme  le  produit  de  la  spontanéité  ; 
et  ce  médecin  s'étonne  qu'en  présence  de  tels  faits, 
on  ait  pu  mettre  celui-ci  en  doute  (1). 

Plusieurs  des  assertions  précédentes  ont  été  l'objet 
d'une  critique  judicieuse  de  la  part  de  M.  Rayer.  Cet 
illustre  médecin  ne  nie  cependant  pas  absolument  la 
spontéparité;  il  semble,  à  cet  égard,  adopter  un 
doute  philosophique  (2).  Nous,  n'ayant  aucune  ob- 
servation particulière,  nous  nous  bornons  au  rôle 
d'historien. 

Cependant,  en  reconnaissant  que  la  genèse  du  pou 
est  encore  environnée  des  plus  profondes  ténèbres,  et 
en  voyant  cet  insecte  remplir  des  tumeurs  absolu- 
ment inaccessibles  aux  corps  extérieurs,  ou  consti- 
tuer une  véritable  éruption  vivante,  il  ne  semble  pas 
étrange  que  des  savants  aient  vu  là  un  acte  de  spon- 
téparité. 

M.  Marchai  de  Calvi  se  demande,  avec  raison,  si, 
dans  ces  cas ,  on  dira  aussi  que  les  œufs  des  poux 
flottent  dans  l'air,  toujours  prêts  à  élire  domicile  sur 
l'homme;  et  il  ajoute  que  ce  ne  sera  pas  une  des 
moindres  violences  que  la  panspermie  ait  tentées 
contre  le  bon  sens  (3). 

Gale.  —  La  gale,  qui,  ainsi  que  la  phthiriase,  est 
produite  par  un  insecte ,  a  été  aussi  considérée  par 

(1)  Devefigie,  Traité  pratique  des  maladies  de  la  peau.  Paris, 
i8o6,p.  649. 

(2)  Rayer,  Traité  théorique  et  pratique  des  maladies  de  la  peau. 
Paris,  1835,  t.  III,  p.  802. 

(3)  Marchal  de  Calvi,  Idée  de  la  bio-pathologie.  Union  médi- 
cale, 1859. 


654  HETEROGENIE. 

quelques  médecins  comme  pouvant  parfois  se  mani- 
fester spontanément.  Telle  est  l'opinion  de  M.  Dever- 
trie;  telle  est  aussi  celle  de  M.  Marchai  de  Calvi,  dans 
son  remarquable  article  inséré  dans  ï  Union  médi- 
cale (1);  et,  selon  lui,  Vacarus  scabiei,  au  lieu  d'être 
la  cause  de  la  maladie,  n'en  serait  parfois  que  le  pro- 
duit, et  naîtrait  durant  son  cours,  par  la  voie  hétéro- 
génique. 

Burdach ,  qui  paraît  avoir  quelque  tendance  à  ad- 
mettre la  génération  spontanée  des  acarides,  dit  même 
que  quelques  savants  ont  observé  de  ceux-ci  dans 
des  tumeurs  lépreuses;  tels  sont  Rolando,  Murray  et 
Martinet  (2). 

Anatomie  PATHOLOGiQUE.  — Nc  voulant  omettre  au- 
cun moyen  d'investigation ,  en  terminant  cet  écrit,  je 
dois  dire  que  pour  m'assurer  si  l'anatomie  patholo- 
gique s'accordait  avec  la  nouvelle  théorie  des  migra- 
tions des  helminthes,  j'ai  consulté  un  des  plus  savants 
professeurs  de  notre  Ecole  de  médecine ,  M.  Leudet 
fils,  et  voici  sa  réponse,  èulaquelle  je  n'ajouterai  aucun 
commentaire  : 

«  Depuis  la  publication  des  recherches  de  MM.  Sie- 
bold,  Yan  Beneden  et  Kllchenmeister,  me  dit-il,  j'ai 
voulu  savoir  si,  comme  ces  deux  derniers  savants  l'ont 
surtout  avancé,  la  clinique  médicale  et  l'anatomie  pa- 
thologique humaine  venaient  à  l'appui  de  leur  théo- 

(1)  Deveugie,  Traité  pratique  des  maladies  de  la  peau.  Paris, 
ISoG,  p.  418.  —  Marchal  de  Calvi,  Idée  de  la  bio-pathologie.  Union 
médicale,  18o9,  ii"  10,  p.  263. 

(2)  JcERDENS,  Entomologie  und  Helminthologie  des  menschlichen 
Kœrpers,  t.  1,  p.  23.  —  Bl'udacii,  t.  I^,  p.  39. 


ANATOMIE    PATHOLOGIQUE.  65S 

rie.  Les  différents  mémoires  de  médecine  sont  pauvres 
en  observations  qui  présentent  la  coexistence  simul- 
tanée de  plusieurs  espèces  de  vers  chez  le  même  indi- 
vidu: cysticerques,  échinocoques,  taenias  ou  bothrio- 
céphales.  Cependant,  si  les  idées  de  ces  observateurs 
étaient  conformes  à  la  vérité,  cette  coïncidence  ne  de- 
vrait pas  être  chose  rare,  car  M.  Kûchenmeister  va 
jusqu'à  prétendre  que,  de  l'existence  antérieure  ou 
actuelle  d'un  tœnia  chez  un  malade,  on  pourrait  con- 
clure, en  présence  de  certains  symptômes  propres 
aux  tumeurs  cérébrales,  à  l'existence  de  vers,  cysti- 
cerques ou  échinocoques,  dans  le  cerveau.  M.  Stich, 
dans  un  mémoire  récent  (1),  parmi  les  nombreux 
faits  de  cysticerques  qu'il  a  pu  observer  à  Berlin  chez 
l'homme,  ne  cite  pas  un  seul  cas  où  l'on  ait  constaté 
l'existence  antérieure  d'un  cestoïde  dans  le  tube  di- 
gestif, et  il  ajoute  que  rien,  dans  la  manière  de  vivre 
de  ses  malades,  n'autorise  à  admettre  que  les  vers 
aient  pu  être  communiqués  par  des  animaux  domes- 
tiques vivant  dans  la  même  demeure. 

a  Depuis  plus  de  dix  années,  nous  n'avons  omis, 
dans  aucun  cas ,  d'examiner  avec  grand  soin  les 
viscères  de  nos  malades,  qui  présentaient  des  ento- 
zoaires.  Voici  ce  que  notre  expérience  nous  a  appris  : 
Deux  faits  recueillis  à  Paris  présentent  la  coexistence, 
chez  le  même  individu,  d'entozoaires  de  différentes 
espèces  ;  voici  l'analyse  de  ces  cas  : 

1.  Cysticerques  des  muscles  et  du  cerveau  chez 
une  femme  atteinte  à  la  même  époque  d'un  ver  qui 

{\)  Annalen  des  Charité'  —  Krankenhauses. 


6o6  HÉTÉROGÉNIE. 

paraît  avoir  été  un  tsenia.  Observation  recueillie  par 
moi  à  riiôpital  de  la  Charité  de  Paris,  dans  le  service 
de  M.  Rayer  (1). 

2.  Cysticerques  multiples  dans  le  tissu  cellulaire 
sous-cutané,  dans  les  muscles  et  dans  l'épaisseur  de 
la  pie-mère.  Kyste  hydaticpie  volumineux  suppuré, 
parfaitement  reconnaissable,  ouvert  dans  le  péritoine. 

Depuis  cinq  années,  placé  à  Rouen  à  la  tête  d'une 
grande  division  médicale  de  l'Hôtel-Dieu  ,  je  n'ai 
trouvé  aucun  cas  semblable  sur  quinze  cas  où  des 
vers  furent  rencontrés  sur  l'homme.  Ces  cas  se  subdi- 
visent ainsi  : 

Hydatides  échinocoques 13  cas. 

Id.             id.           limités  au  foie 7  cas. 

Hydatides  et  échinocoques  du  foie  et  du  bassin 1  cas. 

Id.             id.           du  foie  et  du  poumon 2  cas. 

Id.             id.            du  ligament  large t  cas. 

Id.             id.           dans  le  poumon  seulement.. .  1  cas. 

Id.             id.           du  cerveau ».  1  cas. 

Cysticerques  du  cerveau  seulement 1  cas. 

Id.             id.            et  des  muscles 1  cas. 

Un  lombric  existait  simultanément  dans  l'estomac. 

«  A  Rouen,  où  nous  avons  recueilh  ces  faits,  nous 
avons  constaté  la  rareté  du  tœnia,  dont  nous  n'a- 
vons vu  que  deux  exemples  pendant  la  même  période 
de  quatre  années,  où  nous  avons  recueilli  les  faits  pré- 
cédents. Ceci  ne  vient  donc  nullement  à  l'appui  des 
opinions  théoriques  émises. 

«  Nous  ajouterons,  en  outre,  que  notre  population 

(1)  E.  Leudet,  Comptes  rendus  de  la  Société  de  biologie  de  Paris, 
Sect.  I,  vol.  V,p.  24,1833. 


ANATOMFE   PATOOLOGIQLE.  657 

ouvrière  mange  en  général  peu  ou  point  de  viande,  et 
seulement  de  la  charcuterie  cuite. 

EXPÉRIENCES  NULLES.  — Enfin,  pour  n'être  accusé 
d'aucune  omission,  que  dirai-je  des  expériences  pré- 
sentées à  l'Académie  des  sciences  par  MM.  Gaultier 
deClaubry  et  Lacaze-Dulhiers?  Mais  absolument  rien, 
tant  elles  s'éloignent  du  domaine  des  choses  sérieuses. 
Les  faits  avancés  par  le  premier,  relativement  à  la  ré- 
sistance vitale  des  charançons  (1),  sont  absolument 
inexacts,  et  se  trouvent  infirmés  par  les  observations 
contradictoires  de  M.  le  doct.  Lauras,  dans  lesquelles 
il  a  vu  qu'il  suffisait  d'exposer  du  blé  à  une  tempéra- 
ture de  90°  centigrades,  pendant  quatre  minutes,  pour 
tuer  tous  les  charançons  qui  l'infestaient  (2).  Divers 
autres  savants,  qui,  tels  que  Cadet  de  Vaux,  ont  pro- 
posé de  passer  le  blé  dans  des  espèces  de  brùloires  pour 
anéantir  les  insectes  qui  l'attaquent,  sont  également 
unanimes  sur  ce  point  :  c'est  qu'il  suffit  même  d'une 
chaleur  de  70°  pour  tuer  les  charançons  (3).  Tout  cela 
étant  parfaitement  connu,  et  depuis  longue  date, 
comment  est-il  possible  qu'on  ait  pu  mettre  en  lu- 
mière les  expériences  de  M.  Gaultier  de  Claubry? 

Relativement  à  l'expérience  courageusement  citée 
par  M.  Lacaze-Duthiers,  le  moindre  de  ses  défauts 
est  que  celui-ci  prétend  qu'on  y  a  employé,  comme 

(1)  Gaultier  de  Claubry,  Note  relative  aux  générations  sponta- 
nées des  végétaux  et  des  animaux.  Comptes-rendus,  t.  XLVIII, 
p.  334.  Dans  cette  note  ce  chimiste  prétend  que  les  charançons  du 
blé  résistent  à  130  degrés. 

(2)  Lauras,  Lettre  pour  servir  à  l'histoire  des  générations  spon- 
tanées. Ann.  des  se. ^  1859,  p.  232. 

(3)  Comp.  PoucHET,  Traité  de  zoologie.  Paris,  1841,  t.  II,  p.  87. 

POUCHET.  *2 


6o8  HÉTÉROGÉNIE. 

critérium,  un  instrument  qui,  selon  nous,  est  absolu- 
ment impossible  (1).  Comment,  du  reste,  la  critique 
pourrait-elle  traiter  des  expériences  dans  lesquelles 
on  ne  nomme  même  pas  les  substances  que  l'on  a  em- 
ployées, et  dans  lesquelles  on  ne  tient  aucun  compte 
du  temps,  ni  des  températures,  etc.,  etc.? 


CHAPITRE  X. 

RÉSUMÉ     ET    COxNGLUSION. 


Ejoîs  fie  riiétérog^éiiie. 

Nous  nous  bornerons  à  résumer  ici,  sous  la  forme 
aphoristique,  ce  que  contient  cet  ouvrage.  Cette  ma- 
nière de  procéder  est  suffisamment  légitimée  par  les 
expériences  et  les  détails  si  précis,  qui  se  trouvent  dans 
les  chapitres  précédents.  Nous  mentionnerons  sur- 
tout les  faits  nouveaux  auxquels  nos  expériences  ou 
nos  observations  ont  donné  quelque  évidence. 

Notre  théorie  de  la  génération  spontanée  n'a  au- 
cune analogie  avec  celle  des  philosophes  atomistes  de 
l'antiquité. 

Ils  prétendaient  que  les  êtres  qui  naissaient  spon- 

(1)  Lacaze-Duthiers  ,  Lettre  sur  les  recherches  de  M.  Haime, 
concernant  les  générations  spontanées.  Comptes  rendus  de  l'Acad. 
des  sciences,  t.  XLYIIl,  p.  H 6.  Je  sais  que  Tinslrument  a  existé; 
mais  cela  ne  prouve  nullement  qu'il  ait  jamais  pu  être  adapté 
aux  recherches  auxquelles  on  le  destinait.  C'est  là  l'impos- 
sibilité. 


^    LOIS   DE    l'hÉTÉROGÉNIE.  659 

tanément  n'étaient  que  le  résultat  delà  rencontre  for- 
tuite des  atomes,  et  que,  par  l'effet  de  celle-ci,  l'or- 
ganisme se  formait  de  toutes  pièces. 

Nous,  nous  pensons  que  la  force  plastique  n'engen- 
dre jamais  que  des  ovules,  et  que  l'être  qui  dérive  de 
l'hétérogénie  suit  ainsi  toutes  les  phases  du  dévelop- 
pement de  celui  qui  provient  de  la  génération  normale. 

Nous  avons  vu  qu'à  une  grande  majorité,  les  phy- 
siologistes les  plus  illustres  de  notre  époque  ad- 
mettaient l'existence  des  générations  spontanées 
(Burdach,  Treviranus,  Tiedemann,  J.  Millier,  Bé- 
rard,  Dugès,  etc.). 

L'hétérogénie  ne  se  manifeste  ordinairement  que 
lorsqu'il  se  rencontre,  dans  le  même  milieu,  un  corps 
putrescible,  de  l'eau  et  de  l'air. 

La  chaleur,  la  lumière  et  l'électricité  concourent 
aussi  à  ce  remarquable  phénomène. 

Le  corps  putrescible  joue  le  plus  important  rôle 
dans  la  production  des  organismes  spontanés  ;  cepen- 
dant, mais  rarement,  il  peut  manquer. 

L'air  est  indispensable  à  la  production  de  l'hétéro- 
génie. Si  sa  masse  est  insuffisante  ou  trop  restreinte, 
lorsque  l'on  opère  à  vaisseaux  clos,  aucun  orga- 
nisme n'apparaît,  ou  ceux  qui  se  montrent  sont  de 
l'ordre  le  plus  infime. 

Cependant,  l'oxygène  a  pu  parfois  être  substitué  à 
l'air  atmosphérique.  Gela  est  attesté  par  nos  expé- 
riences (p.  279),  et  par  celles  de  quelques  autres  sa- 
vants (Mantegazza) . 

L'eau  estleplusindispensableagentde  l'hétérogénie. 

Siellemanqueabsolument,  celle-ci  cessedese  produire. 


060  HETEROGENIE. 

La  lumière  a  une  grande  influence  sur  la  genèse 
spontanée  :  elle  l'active  manifestement.  Cependant, 
quoiqu'on  ait  dit  le  contraire,  l'obscurité  absolue  n'en- 
trave nullement  la  production  des  animalcules  et  des 
végétaux  microscopiques;  nous  l'avons  prouvé  (p.  200). 

La  couleur  des  rayons  du  spectre  solaire  a  une 
énorme  influence  sur  l'hétérogénie.  Nous  avons  re- 
connu que  le  rayon  rouge  est  le  plus  favorable  au  dé- 
veloppement des  Proto-organismes  animaux,  et  le  vert 
aux  végétaux  (p.  197). 

Nous  avons  démontré  que  l'électricité  favorisait  la 
genèse  spontanée  (p.  203). 

Les  mêmes  substances,  exposées  à  divers  degrés 
de  chaleur  ou  éclairées  diversement,  produisent  des 
animaux  et  des  plantes  absolument  différents. 

Des  substances  absolument  analogues  produisent 
souvent  des  organismes  absolument  différents,  quoi- 
que placées  dans  des  conditions  identiques,  Ainsi,  des 
crânes  humains,  appartenant  à  diverses  époques  his- 
toriques, ont  produit  des  animalcules  et  des  plantes 
tout  à  fait  dissemblables  (p.  151). 

La  résistance  vitale  des  Microzoaires  est  plus  consi- 
dérable qu'on  ne  l'a  pensé. 

Contrairement  à  ce  que  certains  savants  ont  an- 
noncé, l'absence  momentanée  de  l'air  n'a  aucune  in- 
fluence sur  les  ïnfusoires  vivants.  Ils  résistent,  sous 
la  machine  pneumatique  pendant  plusieurs  jours,  au 
vide  le  plus  intense  (p.  177). 

Le  mercure  n'entrave  pas  la  production  de  ces 
animaux  ;  et  ses  émanations  ne  semblent  nullement 
agir  sur  ceux  qui  sont  vivants  (p.  209). 


LOIS   DE   l'hÉTÉROGÉNIE.  661 

On  démontre  expérimentalement  l'existence  des  gé- 
nérations spontanées,  en  prouvant  successivement 
qu'aucun  des  trois  corps  au  milieu  desquels  elles  se 
produisent,  ne  contient  de  germes  organiques. 

Le  corps  solide  est  si  peu  le  véhicule  des  germes, 
qu'on  peut  le  chauffer  à  une  teinpéralure  élevée,  et 
même  le  réduire  en  charbon,  sans  entraver  la  genèse 
spontanée  (Spallanzani,  p.  225). 

L'eau  n'est  pas  le  véhicule  des  germes  puisque  nos 
expériences  ont  démontré  qu'il  se  produisait  des  ani- 
maux et  des  plantes  variés,  dans  de  l'eau  artifi- 
cielle (p.  235)  ;  d'autres  expérimentateurs  l'ont  éga- 
lement fait  (Mantegazza). 

L'air  atmosphérique  ne  peut  pas  être  considéré 
davantage  comme  contenant  ces  gern^es  introuvables, 
puisque,  dans  nos  expériences,  nous  avons  vu  des 
organismes  végétaux  et  animaux  se  produire  dans 
d'autres  gaz  (p.  279). 

Puisque,  par  voie  d'exclusion,  on  est  forcé  de  re- 
connaître que  ces  germes  ne  résident  nullement,  ni 
dans  le  corps  putrescible,  ni  dans  l'eau, -ni  dansTair, 
il  faut  donc  conséquemment  que  les  organismes 
naissent  spontanément  sous  l'influence  simultanée  de 
ces  trois  corps.  C'est  ce  que  prouvent  aussi  nos  nom- 
breuses expériences  (chap.  iv). 

L'air  a  été  le  dernier  refuge  des  panspermistes.  Ne 
pouvant  rationnellement  confier  le  rôle  de  dissémina- 
teur  général  à  l'eau  ou  au  corps  solide,  Tatmosphère, 
qui  se  prêtait  mieux  aux  caprices  de  l'imagination,  a 
été  considérée  par  eux  comme  le  réceptacle  universel 
des  germes. 


662  HÉTÉROGÉNIE. 

La  raison  et  l'expérience  renversent  encore  de 
fond  en  comble  cette  prétention. 

Si  l'air  contenait  tous  les  spores^  et  les  œufs  indis- 
pensables pour  expliquer  les  organismes  que  l'on 
voit  incessamment  surgir  partout  et  dans  tout,  il  en 
serait  absolument  et  inutilement  encombré.  La  raison 
se  révolte  contre  une  semblable  prétention  (Comp. 
p.  243). 

Par  l'expérience  directe,  nous  avons  prouvé  que 
ces  germes  n'y  existaient  qu'accidentellement  et  en 
quantité  insignifiante  (p.  439). 

Des  vases  mis  en  contact  avec  d'immenses  masses 
d'air,  à  l'aide  de  machines  puissantes,  n'ont  pas  été 
plus  féconds  en  animalcules  ou  en  végétaux,  que  ceux 
qui  n'étaient  entourés  que  d'un  litre  d'air  (p.  287). 

De  l'eau  dans  laquelle,  à  l'aide  d'un  aspirateur,  on 
fit  passer  un  volume  d'air  énorme,  ne  présenta  aucun 
œuf  d'animalcule,  aucun  spore  de  plante.  Comme  on 
connaît  les  œufs  de  certains  animalcules,  et  les  spores 
des  végétaux  microscopiques,  si  l'air  en  était  le  véhi- 
cule, ils  n'échapperaient  pas  au  micrographe. 

L'analyse  microscopique  de  l'air  nous  a  prouvé, 
elle-même,  que  celui-ci  n'était  nullement  le  récep- 
tacle des  œufs  ou  des  spores  des  animaux  et  des 
plantes  (p.  432). 

Plusieurs  micrographes,  il  est  vrai,  avaient  consi- 
déré comme  des  œufs  aériens,  quelques  corpuscules 
qui  en  ont  en  effet  l'apparence. 

Nous  avons  prouvé  que  ceux-ci  n'étaient  que  des 
grains  de  silice  infiniment  petits,  et  paraissant  ovi- 
formes;  ou  des  grains  de  fécule,  substance  que  nous 


LOIS    DE   l'hÉTÉBOGÉNIE.  663 

avons  reconnue  exister  dans  l'air  en  quantité  notable, 
tantôt  avec  ses  caractères  normaux  et  tantôt  colorée 
en  bleu  (p.  437  et  439). 

L'air  est  si  peu  le  véhicule  des  germes,  que,  dans 
nos  expériences  à  vases  clos,  nous  lui  avons  substitué 
soit  de  l'air  artificiel  produit  dans  nos  laboratoires, 
soit  de  l'oxygène,  et  que  nous  n'en  avons  pas  moins  vu 
-nos  matras  se  remplir  d'animalcules  et  de  végétaux 
microscopiques,  dont  quelques-uns  étaient  même  ab- 
solument inconnus  aux  naturalistes  (p.  276  et  2/9). 
D'autres  savants  ont  fait  des  expériences  analogues  et 
ont  obtenu  de  semblables  résultats  (Mantegazza). 

L'air  calciné,  qui  a  traversé  plusieurs  fois  un  tube 
de  porcelaine  chauffé  au  rouge,  produit  aussi  des  or- 
ganismes (Ingen-housz). 

Dans  nos  expériences,  l'air  calciné  et  l'air  qui  a  été 
lavé  dans  de  l'acide  sulfurique  concentré,  n'en  ont 
pas  moins  produit  d'abondants  végétaux  cryptogami- 
ques(p.  256). 

Enfin,  dans  des  préparations  disposées  concentri- 
quement  ou  abritées  diversement ,  nous  avons  vu  les 
organismes  abonder  dans  certaines  régions  des  appa- 
reils et  manquer  dans  d'autres,  ce  qui  n'aurait  pu  avoir 
lieu  si  l'air  était  ledisséminateur  des  germes  (p.  610). 

Les  antagonistes  de  l'hétérogénie  ne  lui  ont  jamais 
opposé  que  deux  expériences  :  celle  de  Schultze  et 
celle  de  Schwann. 

Nous  avons  démontré  que  ces  expériences  devaient 
être  considérées  comme  tout  à  fait  nulles,  car  dans 
nos  mains  elles  ont  donné  des  résultats  absolument 
opposés. 


664  HÉTÉROGÉNIE. 

L'expérience  de  Schultze,  qui  consiste  à  laver  dans 
de  l'acide  sulfurique,  l'air  qui  rentre  dans  les  vases, 
répétée  par  nous  et  avec  des  procédés  bien  plus  sé- 
vères que  ceux  de  son  auteur,  nous  a  donné  des  ré- 
sultats positifs.  Nous  avons  presque  constamment  vu 
des  animaux  et  des  plantes  microscopiques,  se  pro- 
duire dans  ]es  ballons,  après  un  certain  nombre  de 
jours  (p.  256  et  616). 

L'expérience  de  Schwann,  dans  laquelle  on  calcine 
l'air  dans  des  tubes  portés  à  la  température  rouge,  a 
également,  dans  nos  mains,  donné  des  résultats  posi- 
tifs. D'autres  expérimentateurs,  nous  venons  de  le  dire, 
ont  aussi  réussi  dans  ces  circonstances  (Ingen-housz). 

Les  phénomènes  de  genèse  spontanée  sont  toujours 
précédés  de  phénomènes  de  catalyse  (p.  337). 

Après  ces  phénomènes  de  désorganisation,  appa- 
raissent les  phénomènes  de  réorganisation. 

Le  premier  phénomène  génésique  est  la  formation 
d'une  pellicule  proligère,  qui,  dans  la  génération 
spontanée,  représente  exactement  l'ovaire  de  la  gé- 
nération normale  (p.  352). 

Nous  avons  démontré  qu^  cette  pellicule  était  for- 
mée par  les  cadavres  d'animalcules  de  l'ordre  le  plus 
infime.  L'observation  directe  n'a  pu  rien  encore 
nous  révéler  sur  leur  origine,  tant  est  grande  la  ténuité 
de  ces  organismes. 

Si  la  première  apparition  spontanée  échappe  à 
l'imperfection  de  nos  sens  et  de  nos  instruments,  il 
n'en  est  pas  d^  même  de  la  seconde,  c'est-à-dire  des 
animalcules  qui  se  forment  spontanément  à  leur  tour  à 
même  les  débris  de  ceux  qui  les  ont  précédés  (p.  363). 


LOIS   DE   l'hÉTÉROGÉNIE.  665 

Les  phénomènes  génésiqiies  secondaires  consistent 
en  la  formation  des  premiers  linéaments  de  l'ovule 
spontané,  à  môme  les  molécules  organiques  de  la 
membrane  proligère. 

L'observation  attentive  peut,  à  ce  moment,  suivre 
dans  ses  plus  ardus  détails,  le  groupement  des  gra- 
nules vitellins  (p.  263). 

Bientôt  après,  on  voit  apparaître  les  enveloppes  de 
l'œuf,  et  enfin  l'embryon  qu'on  discerne  à  travers 
celles-ci  par  les  premiers  battements  de  l'organe  cir- 
culatoire (p.  380). 

On  voit  donc  que,  d'après  nous,  la  genèse  primaire 
suit  les  mêmes  procédés  que  la  génération  normale, 
et  que,  comme  nous  le  répétons,  nos  idées  à  ce  sujet 
diffèrent  fondamentalement  de  celles  des  physiciens 
atomistes  de  l'antiquité  et  de  leurs  modernes  imita- 
teurs; puisque,  d'après  ce  qui  précède,  l'hétérogénie 
ne  produit  pas  d'organismes  de  toutes  pièces,  mais 
seulement  des  ovules  spontanés  dans  une  membrane 
proligère,  analogue  à  un  ovaire,  et  sous  l'empire 
des  mêmes  forces. 

On  a  prétendu  que  la  température  de  100%  dans 
quelques-unes  de  nos  expériences,  avait  pu  être  in- 
suffisante pour  tuer  les  germes,  parce  que  certains 
animaux  résistaient  à  120  degrés  et  plus. 

J'ai  réfuté  cette  allégation,  soit  à  l'aide  d'expérien- 
ces dans  lesquelles  le  corps  solide  fut  chauffé  à  200  et 
300%  et  dans  lesquelles  on  n'en  vit  pas  moins  se  pro- 
duire des  animalcules;  soit  en  prouvant,  par  des  expé- 
riences directes  et  multipliées,  qu'il  est  absolument 
faux  que  des  animaux  résistent  à  la  température  de 


666  HÉTÉROGÉNÏE. 

100°.  D'autres  expérimentateurs  sont  arrivés  aux  mê- 
mes conclusions  que  moi  (p.  122). 

La  géologie  fournit  d'abondants  documents  en 
faveur  des  générations  spontanées  ;  elle  démontre 
que  les  soulèvements  ayant  été  successifs,  les  créa- 
tions ont  dû  nécessairement  suivre  la  même  marche. 

L'helminthologie  apporte  aussi  d'évidentes  preu- 
ves à  l'hétérogénie  : 

Les  savants  qui  ont  étudié  avec  le  plus  de  profon- 
deur l'histoire  des  vers  intestinaux  sont  presque  una- 
nimes sur  ce  point. 

Selon  eux,  ainsi  que  selon  divers  physiologistes,  la 
génération  spontanée  est  seule  capable  d'expliquer 
l'apparition  de  certains  Entozoaires  (Retzius,  Link, 
Cooper,  Rudolphi.  Bremser,  Tiedemann,  Burdach, 
Bérard,  Dugès)-. 

La  théorie  des  migrations  des  helminthes,  émise 
récemment  par  quelques  zoologistes,  est  encore  loin 
d'être  démojitrée  positivement.  Ses  fauteurs  sont 
eux-mêmes  en  désaccord  absolu  sur  beaucoup  de 
points;  et  à  l'égard  de  plusieurs  autres,  leurs  expé- 
riences sont  absolument  nulles. 

Le  règne  végétal,  lui-même,  nous  offre  d'amples 
preuves  en  faveur  de  l'hétérogénie. 

Les  expériences  à  vaisseaux  clos,  conduites  avec 
discernement  et  exécutées  avec  beaucoup  plus  de  ri- 
gueur qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'alors,  donnent  presque 
constamment  une  abondante  végétation  cryptogami- 
que  (p.  612). 

En  simplifiant  l'expérience  de  Schultze,  et  en  se 
contentant  de  laisser  seulement  entrer  l'air  dans  les 


LOIS    DE   L  HÉTÉROGÉNIE.  667 

ballons,  à  travers  notre  double  tube  laveur  per- 
pendiculaire, sans  le  renouveler,  l'expérience  réussit 
parfaitement  (p.  616). 

Parmi  ces  expériences,  celle  dans  laquelle  on  a  vu 
l'algue  de  la  levure  de  bière  se  développer  en  aban- 
dance  dans  un  liquide  absolument  soustrait  au  con- 
tact de  l'air,  et  qui  avait  subi  une  ébuUition  de  six 
heures,  nous  paraît  surtout  à  l'abri  de  toute  objec- 
tion, et  prouver  sans  réplique  l'iiétérogénie  végétale 
(p.  629). 

Les  expériences  à  ciel  ouvert,  interprétées  avec  dis- 
cernement, ne  nous  ont  pas  paru  moins  démonstra- 
tives que  les  autres.  Elles  ont  sur  elles  un  avantage, 
c'est  que  les  agents  n'étant  point  violentés  par  les 
opérations  préparatoires,  et  mis  dans  des  conditions 
où  la  vie  est  gênée  ou  impossible,  la  force  plastique 
s'y  manifeste  sans  entrave . 

Ainsi,  nous  avons  vu  la  genèse  spontanée  suivre 
en  quelque  sorte  les  caprices  de  l'expérimentateur,  et 
se  produire  sur  les  endroits  oi^i  sa  main,  sur  un  sol 
préparé,  traçait  des  caractères  variés  à  l'aide  d'une 
combinaison  absolument  insolite  (p.  608). 

Nous  avons  eu  l'occasion  de  reconnaître  que  la  dis- 
sémination végétale,  quoique  étant  un  fait  bien  posi- 
tif, avait  cependant  une  moindre  extension  que  celle 
qu'on  lui  accorde  généralement,  et  qu'elle  était  abso- 
lument impuissante  pour  expliquerj'apparition  d'une 
foule  de  végétaux. 


FIN. 


668  HÉTÉROGÉME. 


EXPLICATION  DES  PLANCHES 


PLANCHE  I. 

J'ai  accompagné  mes  figures  d'échelles  métriques,  parce  que 
les  infusoires  et  leurs  divers  organes  internes  offrent  constam- 
ment des  dimensions  fixes,  et  parce  que  j'ai  procédé  après  lesavoii 
mesurés  rigoureusement.  Je  ne  crains  nullement  que  l'on  con- 
teste Texaclitude  de  mes  observations. 

Les  infusoires  offrent,  dans  leurs  formes  et  dans  les  proportions 
de  leurs  organes,  cett,e  symétrie  que  nous  avons  figurée.  Si  celle- 
ci  ne  se  rencontre  pas  toujours  dans  les  dessins  de  certains  au- 
teurs, c'est  qu'ils  ont  représenté  des  individus  déformés  par  la 
compression,  par  Tagonie  ou  par  la  mort. 

Fig.  ire.  OEufs  ou  corps  reproducteurs  de  Vorticelles. 

b.  c.  d.  Œufs  plus  développés. 

c.  CEuf  dont  l'embryon  va  bientôt  sortir  et  dans  lequel 
on  voit  ostensiblement  les  pulsations  du  cœur. 

c.  Cœur.  0.  Lieu  par  lequel  sort  l'embryon. 

Fig.  2.  Vorticella  infusionum  (Pouchet),  qui  est,  je  crois,  la 
même  espèce  à  laquelle  M.  Dujardin  donne  également 
ce  nom,  mais  qu'il  a  représentée  tout  différemment 
dans  ses  planches. 

A.  Individu  dont  le  cœur  vient  de  se  contracter  et  est 
devenu  absolument  invisible,  b.  Appareil  respiratoire 
branchial,  animé  de  mouvements  ciliaires.  —  Vésicu- 
les intestinales  gorgées  d'aliments,  peu  nombreuses. 

B.  Individu  dont  le  cœur  commence  à  se  dilater. 

C.  b.  Appareil  respiratoire,  c.  Cœur  plus  dilaté.  V.  i. 
Vésicules  intestinales  gorgées  d'aliments,  nombreuses. 

D.  Cœur  encore  plus  dilaté. 

E.  Cœur  ayant  atteint  son  maximum  de  dilatation  et 
permettant  d'apercevoir  le  vaisseau  qui  en  part. 


0? 


VL  n 


m. 


..      *'S' 


■J.j  -^z 


rul.lio    par  .l.lVnaillu-rc  cl  l'ils,  l.a.i-aire.s  n  Pai-i.v 
\   i:,.,„,„ui  ,M,,, 


Pouchet.Hélérogéirie 


PL.  m. 


Pouctiet  photoèi 


Publié  par  JB.  BaïQière  et  FiU,  Libraapcs/à  Paris 
N  ■  U  é  moud,  I  tnp  ■ 


PetitcoKn  et  Chaumont  ; 


EXPLICATION   DES   PLANCHES.  6G9 

Fig.  3.  Vorticella  infusionum.  Individu  contracté  libre. 

Fig.  4.  Kolpoda  cucullus.  MuU.  —  A.  Individu  sortant  de  l'œuf. 
—  B.  G.  D.  Individus  de  plus  en  plus  développés.  —  E. 
Individu  adulte,  b.  Bouche.  V.  i.  Vésicules  intestinales 
gorgées  d'aliments,  c.  Cœur.  —  F. Individu  ayant  huit 
vésicules  intestinales  totalement  remplies  de  carmin, 
et  trois  qui  le  sont  seulement  en  partie.  —  G.  Individu 
n'ayant  que  trois  vésicules  pleines  de  carmin  et  une 
seule  qui  commence  à  se  remplir. 

PLANCHE  II. 

Fig.  Ire.  Développement  spontané  de  Tovule  d'une  paramécie. 
Premier  état.  Groupement  des  molécules  vitellines 
dans  la  membrane  proligère. 

Fig.  2.  Suite  du  développement  de  la  même  paramécie.  Délimi- 
tation de  l'œuf.  Apparition  du  chorion. 

Fig.   3.   Développement  plus  avancé. 

Fig.  4.  Embryon  plus  avancé. 

Fig.  5.  Jeune  paramécie  sortant  de  l'œuf. 

Fig.  6.  A.  Aspergillus  primigenius.  Pouch.  formé  sur  les  mots 
generatio  spontanea,  écrits  sur  de  la  colle  de  farine  de 
blé  avec  de  la  noix  de  galle. 

B,  Coupe  du  fruit. 

Fig.  7.  A.B.  C.  Enkystement  morbide*de  la  paramécie  verte. 

Fig.  8.  Aspergillus  Pouchetii.  Mont,  découvert  dans  l'oxygène. 

A.  Plante  entière  isolée. 

B.  Touffe  globuleuse  formée  par  la  plante. 

C.  Détails  de  la  fructification  grossie. 

D.  Coupe  de  la  fructification  encore  plus  grossie. 

Fig.  9.  Développement  de  la  monade  lentille.  Premier  groupe- 
ment des  granules  vitellins  de  l'ovule  spontané,  dans 
la  membrane  proligère. 

Fig.  10.  Délimitation  de  l'ovule  dans  la  membrane  proligère. 

Fig.  {{.  Suite  du  même  développement. 

Fig.  12.  Monade  lentille  adulte. 


670  EXPLICATION    DES    PLANCHES. 

Firj.  13.  Kolpode  ayant  à  l'inteiieiir  un  embryon  possédant  déjà 
le  pundiim  saliens  et  trois  autres  embryons  plus 
jeunes. 

Fig.  14.  Algues  de  la  levure  de  bière  en  voie  de  fermentation. 
Fig.  15.  Algues  de  la  levure  de  bière  tout  à  fait  formée  avec  sa 
vésicule  centrale. 


PLANCHE  m. 

Fig,  ire.  Expérience  de  Schultze. 

Fig.  2.  Contre-expérience  de  Schultze,  par  M.  Pouchet.  —  Ap- 
pareil à  courant  d'air,  muni  d'un  aspirateur  des- 
tiné à  remplacer  l'homme,  et  d'un  critérium. 

Fig.  3.  Appareil  pour  laver  Tair  dans  l'acide  sulfurique  et  l'eau 
bouillante. 

Fig.  4.  Appareil  isolé  pour  Tintroduction  de  grandes  masses 
d'air  à  l'intérieur  des  cloches. 

Fig.  5.  Appareil  pour  arrêter  ou  recueillir  les  corps  organisés 
renfermés  dans  l'air  atmosphérique. 

Fig.  6.  A.  Appareil  de  M.  Pouchet,  à  simple  rentrée  d'air  et  à 
tube  double  laveur  perpendiculaire,  monté  sur  son 
réchaud. 

Fig.  6.  B.  Le  même  en  repos. 

Fig.  7.   Expérience  pour  démontrer  l'absence  d'œufs  d'infusoires 
dans  l'atmosphère.  A.  décoction  recouverte  d'une  cloche. 
B.  La  même,  protégée  par  une  double  cloche.  " 

Fig.  8.  Appareil  de  Schultze,  simplifié  par  M.  Pouchet,  ou  ap- 
pareil à  simple  rentrée  d'air,  ^vec  un  double  crité- 
rium. 

Fig.  9.  Appareil  aspirateur  de  M.  Pouchet  pour  l'analyse  mi- 
croscopique de  Pair.  Cet  appareil,  destiné  à  tamiser 
de  grandes  masses  d'air' à  travers  une  petite  quantité 
d'eau,  est  muni  de  son  critérium. 


TABLE    DES   MATIÈRES 


Pages. 

Dédicace y 

Préface vu 

Bibliographie , „ xi 

CHAPITRE  I.  —  Historique ] 

§  1.  —  Antiquité 10 

§  2.  —  Moyen  âge 20 

§  3.  —  Renaissance 20 

§  4.  — ^  Époque  moderne 25 

1°  Microscope  simple  (xvii«  siècle) 27 

2°  Microscope  composé  (xviu^  siècle) 38 

3°  Microscope  achromatique  (xix^  siècle) 60 

CHAPITRE  II.  —  Métaphysique 95 

CHAPITRE  III.  —  Conditions  préliminaires  de  l'hétérogénie.  138 

Section  I.  —  Du  corps  putrescible  . , 142 

Section  H.  —  De  l'eau 1 59 

Section  III.  —  De  l'air 171 

Section  IV.  —  Du  calorique,  de  la  lumière,  etc ,  187 

CHAPITRE  IV.  —  Hypothèse  DE  LA  dissémination  DES  germes 

ORGANIQUES 216 

Section  I.  —  Élimination  du  corps  putrescible,  considéré 

comme  véhicule  des  germes 222 

Section  II.  —  Élimination  de  l'eau,  considérée,  comme 

véhicule  des  germes  organiques 231 

Section  III.  —  Élimination  de  l'air,  considéré  comme  vé- 
hicule des  germes  organiques 240 

Expériences  exécutées  à  vaisseaux  clos 250 

Expériences  exécutées  à  l'air  libre 284 

CHAPITRE  V.  —  Du  développement   spontané  des  micro- 

ZOAIRES 326 

Section  I.  —  Forces  initiales 33;) 

Section  II.  —  Phénomènes  primaires.  Formation  de  la 

pellicule  proligère 352 

Section  III.  —  Phénomènes   secondaires.  Apparition  de 
l'ovule  spontané  dans  la  pellicule  proligère.   Premiers 

granules  vilellins 368 


}^HH 


672  TABLE    DES    MATIÈRES. 

Pages. 

Section  IV.  —  Phénomènes  tertiaires.  Enkystement  gé- 

ne'sique  de  Tovule  spontané  ou  formation  du  chorion. .  380 

Section  V.  —  Phénomènes    quaternaires.   Gyration    du 

vitellas.  Punclum  saliens.  Mouvements  embryonnaires.  385 

Section  VI.  —  Éclosion  du  Microzoaire  spontané 388 

Section  VIL  —  Enkystement  morbide.   Mort.  Diffluence 

ou  momification 407 

CHAPITRE  VI.  —  Preuves  géologiques 460 

Section  I.  —  Origine  du  globe 463 

Section  II.  —  Succession  des  soulèvements 470 

Section  III.  —  Succession  des  créations 485 

Section  IV.  —  De  Timmutabilité  des  êtres  durant  chaque 
époque  géologique.  —  Variabilité  limitée  et  temporaire 

des  espèces 503 

Section  V.  —  Apparition  de  Thomme. , 517 

CHAPITRE  VII.  —  Preuves    helminthologiques 526 

Section  I.  —  Hypothèse  de  la  transmission  héréditaire. .  527 
Section  II.  —  Introduction  des  helminthes  par  Talimen- 

tation.  Hypothèse  ancienne 530 

Section  III.  —  Introduction  des  helminthes  par  Talimen- 

tation.  —  Hypothèse  des   migrations 533 

Section  IV.  —  Discussion  de  Thypothèse  des  migrations.  540 

CHAPITRE  VIII.  — Pkeuves  tirées  du  régne  végétal 604 

Section  I.  —  Expériences  sur  les  végétaux  exécutées  à 

l'air  libre 607 

Section  IL  —  Expériences  sur  la  végétation  exécutées  à 

vaisseaux  hermétiquement  clos 612 

Section  III.  —  Genèse  spontanée  de  la  levure 625 

Section  IV.  —  Limites  de  la  dissémination  végétale 633 

CHAPITRE  IX.  —  Nouveaux  faits  concernant  l'hétérogénie  648 

Maladie  pédiculaire 649 

Gale 653 

Anatomie  pathologique 654 

CHAPITRE  X.  —  RÉsUiMÉ  et  conclusion.  —  Lois  de  l'hété- 
rogénie    658 

Explication  des  Planches 668 

FIN  DE   LA   TABLE   DES   MATIÈRES.  *      - 


ConsEiL,  imprimerie  d-i  Ckrtr. 


>? 

:^^^ 

^B 

— ^ 

P 

l_-j^ 

ST 

^^ 

\. 


L^îk^^