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Full text of "Iconographie chrétienne; histoire de Dieu"

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COLLECTION 


DE 


DOCUMENTS  INEDITS 

SUR  L'HISTOIRE  DE  FRANCE 


PUBLIES 


PAR  ORDRE  DU  ROI 


ET    PAR    LES    SOINS 


DU  MINISTRE  DE  L'INSTRUCTION  PUBLIQUE 

TROISIÈME  SÉRIE 
ARCHÉOLOGIE 


INSTRUCTIONS  DU  COMITE  HISTORIQUE  DES  ARTS  ET  MONUMENTS 


ICONOGRAPHIE 


CHRÉTIENNE 


HISTOIRE  DE  DIEU 


PAR  M.  DIDRON 

DE  LA   BIBLIOTHÈQUE   ROYALE 
SECRÉTAIRE  DU  COMITE  HISTORIQUE  DES  ARTS  Et"mONUMENTS 


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PARIS 

IMPRIMEBIE  ROYALE 


M  DCCC  XLIII 


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ICONOGRAPHIE 


CHRETIENNE. 


INSTRUCTIONS.  —  II. 


INTRODUCTION. 


Depuis  le  ix^  siècle  de  notre  ère  jusqu'au  XVII^  le  christianisme 
a  fait  sculpter,  ciseler,  graver,  peindre ,  tisser  une  innombrable  quan- 
tité de  statues  et  de  figures  dans  les  cathédrales,  les  églises  de  pa- 
roisses et  les  chapelles  ;  dans  les  collégiales ,  les  abbayes  et  les  prieurés. 
Certaines  grandes  églises,  comme  les  Notre-Dame  de  Chartres,  de 
Reims ,  de  Paris  et  d'Amiens ,  sont  ornées  de  deux ,  de  trois ,  de  quatre 
mille  statues  en  pierre  ;  ou ,  comme  la  même  cathédrale  de  Chartres 
et  celles  de  Bourges  et  du  Mans,  de  trois,  quatre,  cinq  mille 
figures  peintes  sur  verre.  Autrefois  il  n'y  avait  pas  une  seule  église, 
tant  petite  fût-elle ,  qui  ne  possédât  trente ,  quarante ,  cent  figures 
peintes  ou  sculptées.  Qu'entre  le  nombre  le  plus  élevé  et  le  nombre 
le  plus  petit  on  prenne  une  moyenne  pour  la  multiplier  par  la 
quantité  des  monuments  religieux  qui  existaient  en  France,  soit  avant 
les  dévastations  hérétiques  du  xvi^  siècle ,  soit  avant  les  destructions 
politiques  du  xviii'',  et  l'on  comprendra  toute  l'importance  que  le 
christianisme  avait  donnée  à  l'art  figuré. 


4  INTRODUCTION. 

De  ces  personnages  exécutés  par  des  sculpteurs ,  des  ciseleurs  ou 
des  peintres,  les  intempéries  des  saisons,  la  succession  des  siècles, 
les  révolutions  humaines  en  ont  singulièrement  diminué  le  nombre; 
cependant  tout  le  personnel  figuré  de  Chartres  et  de  Bourges  existe 
en  entier,  et  celui  de  Lyon  aux  trois  quarts;  de  celui  de  Reims  et 
de  Strasbourg  il  reste  plus  de  la  moitié.  Les  grandes  cathédrales, 
celles  qui  étaient  le  plus  peuplées,  ont  moins  souffert  que  les  églises 
de  second  ou  de  troisième  ordre;  en  sorte  que  la  France  est  môme 
aujourd'hui  d'une  richesse  incroyable  en  statues  et  en  vitraux.  La 
seule  ville  de  Troyes  possède  neuf  églises  éclairées  encore  de  ver- 
rières historiées,  et  qui  vont  du  xiii^  au  xvii'^  siècle. 

Tous  ces  personnages  sculptés  et  peints  dans  les  églises  sont  reli- 
gieux, à  peu  d'exceptions  près  :  c'est  toujours  dans  la  Bible  et  la  Lé- 
gende dorée,  quelquefois  dans  les  fabliaux  et  autres  poésies  popu- 
laires, rarement  dans  les  chroniques,  presque  jamais  dans  l'histoire 
proprement  dite ,  qu'il  faut  en  chercher  f  explication.  C'est  avec  les 
deux  premiers  ouvrages  en  main,  la  Bible  et  la  Légende,  qu'on  doit 
étudier  fart  figuré  de  nos  cathédrales ,  et  non  pas  avec  les  Monu- 
ments de  la  monarchie  françoise ,  du  P.  Montfaucon ,  dont  le  système 
pourrait  faire  tomber  dans  de  graves  erreurs. 

L'instruction  du  peuple  et  fédification  des  fidèles  semblent  avoir 
été  le  but  principal  et  général  que  se  proposait  le  christianisme  en 
adoptant  ce  mode  curieux  d'ornementation  historiée.  Des  textes  de 
toutes  les  époques  témoignent  que  telle  était  la  pensée  qui  a  présidé 
à  l'exécution  et  à  fordonnance  des  figures  et  des  statues  qui  rem- 
plissent les  monuments  rehgieux.  Ces  textes  sont  nombreux;  on  se 
contentera  d'en  rappeler  quelques-uns,  en  commençant  par  le  plus 
nouveau ,  par  une  inscription  qui  se  Usait  autrefois  dans  f  église  de 
Saint-Nizier  de  Troyes,  et  qui  a  disparu  avec  la  fenêtre  historiée  de 
personnages  au  bas  de  laquelle  elle  étaitpeinte.  Un  curé  de  Saint-Nizier 
fit  peindre  sur  verre ,  au  xvi^  siècle ,  les  principaux  sujets  de  l'Évangile , 
de  la  Légende  et  du  dogme,  et  les  plaça  dans  les  fenêtres  de  la  nef, 
du  chœur,  de  fabside  et  des  bas-côtés,  où  on  les  voit  encore  aujour- 


INTRODUCTION.  5 

d'hui.  Au  bas  de  la  fenêtre  occidentale,  il  écrivit  :  Sanctœ  plcbi  Dei. 
A  une  époque  bien  différente,  en  433,  le  pape  Sixte  III  dédiait  aussi 
au  peuple  de  Dieu  la  mosaïque  de  Sainte-Marie-Majeure,  à  Rome, 
et  sous  les  personnages  sacrés  qu'il  avait  fait  représenter  plaçait 
cette  inscription  :  Xistus  episcopus  plebi  Dei^.  Donc,  aux  deux  extré- 
mités du  moyen  âge,  au  v*^  et  au  xvi^  siècle,  vivait  la  même  pensée 
formulée  par  les  mêmes  paroles;  entre  ces  deux  limites,  cette  pen- 
sée a  été  développée  en  détail  et  souvent  commentée  avec  éloquence. 
Ainsi,  à  la  fin  du  vii*^  siècle,  Benoît  Biscop,  abbé  de  Weremouth, 
en  Angleterre,  orna  jde  peintures  rapportées  d'Italie  une  église  qu'il 
avait  fait  bâtir.  Il  voulait  qu'en  entrant  dans  la  maison  de  Dieu  tous, 
même  ceux  qui  ne  savaient  pas  lire,  eussent  sous  leurs  regards,  par- 
tout où  ils  les  dirigeraient,  l'image  toujours  aimable  du  Christ  et 
de  ses  saints.  Il  provoquait  ainsi  la  méditation  sur  le  bienfait  de 
l'incarnation  divine,  et  rappelait,  en  montrant  le  jugement  dernier, 
qu'on  devait  s'examiner  avec  sévérité  ^.  Pour  le  même  motif  saint 
Jean  Damascène,  au  viii^  siècle,  défendait  les  images.  «Les  images 
parlent,  s'écrie  l'éloquent  apologiste;  elles  ne  sont  ni  muettes,  ni 
privées  de  vie  comme  les  idoles  des  païens.  En  effet,  toute  peinture 
que  nous  lisons  dans  l'église  raconte,  comme  si  elle  parlait,  l'abais- 
sement du  Christ  pour  nous,  les  miracles  de  la  mère  de  Dieu,  les 
actions  et  les  combats  des  saints.  Toute  image  ouvre  le  cœur  et 
l'intelligence;  elle  nous  engage  à  imiter  d'une  façon  merveilleuse  et 
ineffable  les  personnes  qu'elle  représente  ^.  » 

'  Ciampini,  Vetera  monimenta,  p.  Ag,  pars  prima. 
(I  Qualenus  intrantes  ecclesiam  omnes ,  etiam  lilterarum  ignari ,  quaquavei*sum  in  lei\- 
«  derent,  vel  semper  amabilem  Chrisli  sanctorumque  ejus ,  quamvis  in  imagine,  contem- 
«  plarenlur  adspeclum  ;  vel  dominicae  incarnationis  gratiam  vigilantiore  mente  recole- 
arent;  vel  extremi  discrimen  examinis,  quasi  coram  oculis  habentes,  districtiws  se  ipsi 
a  examinare  meminissent.  1)  [Act.  SS.  ord.  S.  Bened.  i"  vol.  ou  il'  siècle  bénédict.  —  Vie 
de  S.  Benoît  Biscop,  premier  ahbé  de  Weremouth,  écrite  par  Bède  le  Vénérable ,  son  disciple.  ) 

^  «Etiam  loquuntur  (imagines),  nec  mutae  prorsus  sunt  omnisve  sensus  expertes,  uti 
(I  gentium  idola.  Omnis  enim  pictura  quam  in  ecclesia  legimus  ,  aut  Christi  ad  nos  demis- 
«  slonem ,  aut  Dei  genitricis  miracula,  aut  sanctorum  certamina  et  res  gestas,  velut  ima- 
«gine  loquenle,  enarrat;  sensumque  ac  mentem  aperit,  ut  miris  eos  infandisque  modis 


6  INTRODUCTION. 

En  102 5,  un  synode  d'Arras  déclarait,  comme  Benoît  Biscop, 
que  les  illettrés  contemplaient  dans  les  linéaments  de  la  peinture  ce 
qu'ils  n'avaient  pas  appris  à  lire  et  ce  qu'ils  ne  pouvaient  voir  dans 
l'écriture  ^  Un  chroniqueur  ecclésiastique  d'Auxerre  vient  appuyer 
d'un  texte  intéressant  les  textes  qui  précèdent  et  confirmer  la  doc- 
trine religieuse  relative  aux  images.  On  lit  dans  son  Histoire  des 
évêques  d'Auxerre  que  sous  l'évêque  Geoffroi,  fils  de  Hugues,  vi- 
comte de  Nevers,  au  temps  du  roi  Henri  P^  la  cathédrale  d'Auxerre 
fut  ravagée  par  un  incendie.  En  un  an  l'évêque  la  fit  restaurer,  ré- 
parer en  vitraux,  et  couvrir  d'un  toit  en  charpente  et  en  tuiles.  Sur 
le  mur  circulaire  de  clôture  qui  environnait  l'autel,  il  fit  peindre 
les  portraits  des  saints  prélats  ses  prédécesseurs.  Il  voulait,  par  ce 
moyen ,  non-seulement  écarter  de  l'œil  des  prêtres  officiants  la  vue 
des  objets  vains  et  profanes,  mais  encore  et  surtout  venir  en  aide  à 
ceux  que  la  vanité  ou  l'ennui  distrairaient  d'eux-mêmes.  Ainsi,  à  la 
présence  de  ces  images  et  au  souvenir  de  tous  ces  personnages  ver- 
tueux exhumés  par  la  peinture ,  l'esprit  de  chacun  était  rappelé , 
comme  par  un  conseil  vivant,  au  courage  de  la  piété ^.  A  ce  pas- 
sage explicite,  et  qui  est  du  xi*^  siècle,  comme  le  concile  d'Arras, 
nous  ajouterons  pour  complément  ce  que  saint  Paulin,  évêque  de 
Noie,  près  de  Naples,  écrivait  au  commencement  du  v^,  antérieure- 

« aemulemur.  1)  (Opéra  S.  Johannis  Damasceni,  Adversus  Consiantinum  Cabaîinum  oratio, 
vol.  I ,  p.  619,  édit.  de  1712,  in-fol.) 

^  «  Hliterati,  quod  per  scripturam  non  possuntintueri ,  hoc  per  quaedam  picturae  linea- 
«menta  contemplanlur.  »  Suger  [de  Administratione  sua,  ap.  Félibien,  Histoire  de  l'abbaye 
de  Saint-Denis,  Pièces  justificatives)  s'exprime  absolument  de  même  cent  quinze  ans 
après  le  concile  d'Arras. 

^  «  Neque  de  corona  mûri  claudentis  altare  ,  sanctorumque  prœsulum  pictas  habenlis 
K  effigies  silere  juslum  est,  quem  canentium  oculis  sacerdotum  non  solum  ideo  opposuil 
(1  ut  ab  eis  visus  inanes  et  illicitos  excluderet ,  verum  et  idcirco ,  ut  si  quis  vanitale  vel 
«  taedio  gravatus  extra  se  duceretur,  sicut  saepe  contingere  ex  nostrae  fragililatis  vitio  solet, 
«  illa  praesenti  visione  et  aperta  tôt  bonorum  per  picturam  memoria  mentem  et  omnium 
<i  quasi  vivo  revocatus  consilio  ad  forlitudinem  pietalis  relevaret.  »  [Nova  Bibliotheca  ma- 
nuscriptorum  librorum,  par  le  P;  Labbe,  tom.  I,  p.  /i52  ;  Historia  episcoporum  Autissiodo- 
rensiiim.  Paris,  1662,  in-fol.) 


INTRODUCTION.  7 

ment  aux  textes  qu'on  vient  de  lire.  Saint  Paulin  décrit  les  peintures 
qu'il  avait  fait  exécuter  dans  la  basilique  de  Saint-Félix,  bâtie  par 
lui  à  Fondi  :  «  A  qui  me  demanderait ,  dit-il ,  pourquoi ,  ce  qui  est 
peu  commun,  j'ai  fait  peindre  des  sujets  à  personnages  dans  cette 
demeure  sacrée,  je  répondrais  :  Dans  la  foule  qu'attire  la  gloire  de 
saint  Félix,  il  y  a  des  paysans  à  foi  toute  récente,  qui  ne  savent  pas 
lire,  et  qui  ne  se  sont  convertis  à  Jésus-Christ  qu'après  avoir  long- 
temps sacrifié  aux  usages  profanes  et  avoir  obéi  à  leur  ventre  comme 
à  un  dieu.  Ils  arrivent  de  loin  et  de  toutes  les  campagnes.  Piéchauffés 
par  la  foi,  ils  méprisent  la  gelée;  ils  passent  la  nuit  entière  dans  des 
veilles  joyeuses;  ils  chassent  le  sommeil  par  la  gaieté,  et  les  ténèbres 
par  les  flambeaux.  Mais  ils  mêlent  les  festins  aux  prières,  et,  après 
les  hymnes  chantés  à  Dieu,  ils  se  livrent  à  la  bonne  chère;  ils  rou- 
gissent joyeusement  d'un  vin  odorant  les  tombeaux  des  saints.  Ils 
chantent  au  milieu  des  verres,  et,  par  leur  bouche,  le  démon  ivre 
insulte  saint  Félix.  Il  m'a  donc  semblé  utile  d'égayer  par  des  pein- 
tures l'habitation  tout  entière  du  saint  patron;  peut-être  que  des 
images  tracées  avec  des  couleurs  feront  un  spectacle  à  surprendre 
d'étonnement  ces  esprits  grossiers.  En  tête  des  sujets  sont  placées 
des  inscriptions,  pour  que  la  lettre  explique  ce  que  la  main  a  déve- 
loppé. Tandis  qu'ils  se  montrent  et  se  relisent  ainsi  tour  à  tour  à 
eux-mêmes  ces  objets  peints,  ils  ne  songent  que  plus  tard  à  manger; 
ils  nourrissent  le  jeûne  avec  leurs  yeux.  La  peinture  trompe  la 
faim,  et  des  habitudes  meilleures  s'emparent  de  ces  hommes  éton- 
nés. En  lisant  ces  saintes  histoires ,  la  chasteté  et  la  vertu  naissent 
engendrées  par  de  pieux  exemples.  Les  chrétiens  altérés  s'enivrent  de 
sobriété  et  oublient  l'excès  du  vin.  Tandis  qu'ils  passent  une  grande 
partie  du  jour  à  regarder  ces  peintures,  ils  boivent  beaucoup  moins, 
car  il  ne  reste  plus  pour  le  repas  que  de  trop  courts  instants  ^  » 

Ainsi  donc,  à  ces  hommes  du  moyen  âge,  à  tous  ces  chrétiens 
impressionnables,  mais  qui  ne  savaient  pas  lire,  le  clergé  livrait  des 

'  n  Forte  requiratur  quanam  ratione  gerendi 
a  Sederit  Iiîbc  nobis  senlentia  pingere  sanctas, 


8  INTRODUCTION. 

rondes-bosses,  des  ïjas-reliefs  et  des  tableaux  où,  d\m  côté,  la  science, 
et  de  l'autre,  le  dogme  étaient  réalisés  en  personnages.  Une  vous- 
sure sculptée  dans  le  portail  d'une  catliédrale  et  une  verrière  histo- 
riée dans  les  nefs  étaient  pour  les  ignorants  une  leçon ,  un  sermon 
pour  les  croyants  :  leçon  et  sermon  qui  entraient  dans  le  cœur  par 
les  yeux,  au  lieu  d'y  arriver  par  les  oreilles.  L'impression,  du  reste, 
n'en  était  que  plus  forte,  car,  on  l'a  dit,  un  tableau  saisit  l'âme 
bien  plus  énergiquement  qu'un  récit  K  Mais  l'art  dramatique  aussi 
visait  au  môme  but,  La  représentation  des  mystères  et  des  miracles 
mettait  en  action  les  personnages  peints  sur  les  verrières,  sculptés 
sur  les  chapiteaux  ou  incrustés  dans  les  voussures.  On  jouait  dans 
jes  cathédrales  ces  miracles  de  saint  Nicolas  et  de  saint  Martin,  ces 


Raro  more ,  domos  animantibus  adsimulatis. 
Accipile,  et  paucis  tenlabo  exponere  causas. 


....  Visum  nobis  opus  utile ,  totis 

Felicis  domibus  pictura  illudere  sancta  ; 

Si  forte  allonitas  haec  per  spectacula  mentes 
(  Agreslum  caperet  fucata  coloribus  umbra. 
1  Quae  super  exprimitur  tilulis ,  ut  liltera  monstret 
iQuod  manus  explicult.  Dumque  omnes  picta  vicissim 
1  Ostendunt  releguntque  sibi ,  vel  tardius  escae 

Sint  memores  j  dum  grata  oculis  jejunia  pascunl  ; 
;  Atque  ita  se  melior  stupefactis  insérât  usus, 

Dum  fallit  pictura  famem  :  sanctasque  legenti 

Historias,  castorum  operum  subrepit  honestas, 

Exemplis  inducta  piis.  Potatur  bianti 

Sobrietas;  nimii  subeunt  oblivia  vini. 
;  Dumque  diem  ducunt  spatio  majore  tuentes, 
1  Pocula  rarescunt,  quia,  per  miracula  tracte 

Tempore,  jam  paucae  superant  epulantibus  horae.  » 

(Divi  Paulini  episcopi  Nolani  opéra ,  poema  xxvi,  de  S.  Felice  natal,  carm.  ix  ,  v.  bk  i 
59^,  p.  6^2  el  643  de  l'édit.  de  Muratori.  Vérone,  1736,  in-fol.  ) 

*  Horace  [de  Arle  poetica)  émet  cette  idée  dans  les  deux  vers  suivants: 


uSegnius  irritant  aniinos  demissa  per  aureni 
«Quam  qua;  iunt  oculis  subjecta  fideliLus » 


INTRODUCTION.  9 

mystères  de  rAnnonciation  et  de  la  Nativité,  que  l'art  du  dessin  avait 
figurés  par  la  sculpture  et  la  peinture;  le  geste  et  la  parole  tradui- 
saient ce  que  la  ligne  et  la  couleur  avaient  exprimé,  et  l'intention 
que  l'on  se  proposait  était  la  même  identiquement;  enfm,  l'art  gra- 
phique et  l'art  dramatique  étaient  le  livre  de  ceux  qui  ne  savaient 
pas  lire^  C'est  à  ce  point  de  vue  qu'il  faut  se  placer;  c'est  ce  carac- 
tère qu'il  faut  reconnaître  pour  interpréter  ces  figures,  vrais  hiéro- 
glyphes du  moyen  âge  que  l'archéologie  chrétienne,  quoique  à  peine 
naissante,  commence  cependant  à  déchiffrer  déjà. 

L'art  figuré  des  cathédrales,  qui  faisait  f office  d'une  leçon  pour 
instruire,  d'un  sermon  pour  moraliser  et  d'un  exemple  pour  édifier, 
représenta  donc  par  personnages,  aussi  bien  que  les  drames  reli- 
gieux ,  toute  la  science  et  tout  le  dogme  chrétien.  Aidé  par  ces  ob- 
jets matériels,  par  ces  statues,  ces  images  et  ces  jeux  scéniques, 
l'esprit  débile  pouvait  monter  jusqu'à  la  vérité,  et  fâme,  plongée 
dans  les  ténèbres,  se  relevait  dans  la  lumière  que  l'art  faisait  éclater 
aux  yeux  : 

Mens  hebes  ad  verum  pcr  materialia  surgit , 
Et ,  demersa  prius ,  hac  visa  luce  resurgit  -. 

Afin  d'atteindre  le  double  but  de  f  instruction  et  de  l'éducation, 

'  «  Ejus  (Dei)  porro  formam ,  sensibiH  expressam  modo,  omni  in  loco  slatuimus  ac  per 
«  eam  sensum  primum  sanctificamus — inter  sensus  enim  primas  tenet  visas  — ,  quemad- 
«  modum  et  per  sermones  auditum.  Imago  siquidem  monimenlum  quoddam  est  :  ac  quid- 
«quid  liber  est  iis  qui  lilteras  didicerunt,  boc  imago  est  illiteratis  et  rudibus;  et  quod 
«  auditui  praestat  oratio,  boc  visui  confert  imago.  »  (0pp.  S.  Jobannis  Damasceni,  Oratw 
prima  de  imaginihus,  tom.  I,  p.  3iZi,  3i5.) 

'  Ces  deux  vers ,  plus  beaux  de  tournure  et  de  pensée  que  les  deux  vers  d'Horace  qu'on 
vient  de  citer,  et  qui  expriment  une  idée  analogue ,  sont  de  l'abbé  Suger,  le  grand  artiste 
de  l'église  de  Saint-Denis.  Suger  les  fit  placer  au  portail  occidental ,  porte  du  milieu ,  sur 
les  vantaux  de  bronze  où  étaient  ciselées  la  passion  ,  la  résurrection  ,  l'ascension  de  Jésus- 
Christ,  et  sous  les  sculptures  qui  représentent  le  jugement  dernier.  Celte  poésie  servait 
d'explication,  pour  ainsi  dire,  à  ces  jambages,  à  ces  voussures,  à  ce  tympan  tout  cou- 
verts de  personnages  allégoriques,  et  qui  existent  aujourd'hui  encore.  (Suger,  de  Ad- 
ministratione  sua,  dans  Félibien,  Histoire  de  l'abhaye  de  Saint-Denis ,  Piècesjuslificatives. 
p.  cl.xxij.  Paris,  1706,  in-fol.) 

INSTRUCTIONS. II.  2 


10  INTRODUCTION. 

les  écrivains  choisirent  dans  les  auteurs  sacrés  le  texte  du  dogme,  et 
dans  les  écrivains  didactiques  de  l'époque  le  texte  scientifique.  Le 
livre  composé  par  les  uns,  ou  les  théologiens,  c'est  la  Bible  historiale, 
où  Ton  fondit  ensemble  TAncien  et  le  Nouveau  Testament;  celui  que 
firent  les  autres,  ou  les  savants,  porta  des  noms  divers,  mais  qui  se 
résument  en  celui  de  livres  de  clergie  :  clergie  signifie  science.  De 
ces  deux  Bibles,  l'une  sacrée  et  dogmatique,  fautre  civile  et  scien- 
tifique, fut  composé  un  livre  unique,  une  encyclopédie  qui  s'appela 
aussi  de  noms  assez  divers,  mais  dont  les  plus  populaires  sont  le 
Jardin  des  délices  ou  le  Vergier  de  Solas,  la  Somme,  le  Miroir  uni- 
versel, l'Image  du  monde,  le  Propriétaire  des  choses,  le  Lucidaire. 

Au  XI^  au  xii*^,  au  xiii^  siècle ,  les  savants  et  les  penseurs  ne  son- 
geaient qu'aux  encyclopédies.  La  multitude  des  faits  naturels  et  hu- 
mains, accumulés  jusqu'à  cette  époque  par  les  Grecs,  les  Romains, 
les  Alexandrins,  les  Byzantins,  était  devenue  un  chaos;  on  lit  alors 
des  efforts  inouïs  pour  porter  la  lumière  dans  cette  nuit  de  fintelli- 
gence  où  tout  était  dispersé,  incohérent,  égaré.  Avant  que  de  con- 
tinuer f investigation  sur  des  faits  nouveaux,  avant  que  de  donner 
le  jour  à  d'autres  idées,  force  était  de  s'arrêter  un  instant  et  de  se 
recueillir;  on  éprouvait  le  besoin  de  dresser  un  inventaire  des  ri- 
chesses acquises,  de  ranger,  comme  dans  un  musée  ou  une  biblio- 
thèque, ces  masses  d'objets  qui  jusqu'alors  avaient  été  entassés  pêle- 
mêle,  ainsi  que  dans  un  magasin,  confusément  et  sans  ordre.  On 
voulut  jeter  un  regard  en  arrière  avant  que  d'aller  plus  loin. 

Ce  besoin,  cette  préoccupation  de  classement  respire  dans  toutes 
les  œuvres  scientifiques  ou  littéraires  du  moyen  âge.  Ainsi ,  et  pour 
citer  quelques  exemples  seulement,  les  innombrables  légendes  étaient 
disséminées  dans  une  foule  de  volumes.  Un  archevêque  de  Gênes, 
Jacques  de  Vorage,  les  recueillit  en  un  seul  livre,  qu'il  appela  la 
Légende  dorée  (Legenda  aurea^).  La  science  théologique  était  dis- 
persée dans  une  multitude  de  traités;  saint  Thomas  la  concentra 

11  faudrait  dire  Légende  d'or,  comme  on  disait  Livre  d'or,  puisqu'il  y  a  aurea  et 
non  aiiratu;  mais  dorée  a  prévalu. 


INTRODUCTION.  U 

dans  son  grand  ouvrage  qui  porte  le  nom  de  Somme.  Les  livres  saints 
eux-mêmes  étaient  épars  :  l'Ancien  Testament  se  distinguait  du  Nou- 
veau. Puis  dans  le  Nouveau  Testament,  les  Actes  des  apôtres,  les 
quatre  Evangiles  étaient  séparés;  on  réunit  les  Actes  aux  Evangiles, 
l'Ancien  Testament  au  Nouveau ,  et  l'on  en  fit  un  seul  livre  qui  porta 
le  nom  d'Histoire  scholastique.  On  procédait  comme  en  histoire  na- 
turelle, où  l'on  groupe  plusieurs  espèces  pour  faire  des  genres;  où 
plusieurs  genres  font  une  famille,  plusieurs  familles  un  règne.  On 
peut  assimiler  la  Légende  dorée,  résultat  de  toutes  les  familles  de 
légendes,  l'Histoire  scholastique  ou  la  Bihle  historiale,  résultat  de 
toutes  les  familles  de  livres  saints,  aux  règnes  de  la  nature.  Un 
homme  de  profond  savoir,  Vincent  de  Beauvais,  alla  plus  loin  en- 
core, et,  de  tous  ces  règnes  littéraires  réunis,  il  fit  un  empire  général 
sous  le  nom  de  Miroir  universel  [Spéculum  universale).  Vincent  de 
Beauvais  renferma  dans  son  livre  tous  les  faits  et  toutes  les  idées  qui 
avaient  eu  cours  avant  lui  dans  le  monde  chrétien. 

Le  classement  était  devenu  presque  une  manie.  Ainsi ,  dans  la  nar- 
ration d'une  histoire,  dans  le  récit  d'un  fait,  on  trouvait  toujours 
moyen,  mais  c'était  constamment  un  hors-d'œuvre ,  de  dresser  un 
catalogue  d'ohjets  plus  ou  moins  analogues,  plus  ou  moins  étran- 
gers. Jacques  de  Vorage  raconte,  à  la  fête  de  Noël,  que  la  nature 
entière ,  la  création  universelle  ,  reconnut  et  célébra  la  naissance 
de  Jésus;  en  conséquence  il  s'empresse  de  saisir  foccasion  d'expli- 
quer en  combien  de  familles  ou  de  règnes  il  faut  partager  les  objets 
naturels,  les  êtres  créés  par  Dieu.  Il  y  a,  dit-il ,  les  êtres  qui  existent, 
mais  ne  vivent  pas,  comme  les  astres;  les  êtres  qui  existent  et  vivent, 
mais  ne  sentent  pas,  comme  les  plantes;  les  êtres  qui  existent,  vivent 
et  sentent,  mais  ne  pensent  pas,  comme  les  animaux;  les  êtres  qui 
existent,  vivent,  sentent  et  pensent,  mais  ne  discernent  pas,  comme 
les  hommes;  enfin  ceux  qui  ont  toutes  les  qualités  précédentes  réu- 
nies et  jointes  au  discernement,  comme  les  anges.  Dans  la  légende 
de  sainte  Catherine,  qui  était  philosophe,  le  même  encyclopédiste 
de  Gênes  explique  ce   qu'on  entend  par  philosophie.  Il  veut  que 


12  INTRODUCTION. 

cette  science  se  divise  en  théorie,  en  pratique  et  en  logique;  puis 
il  subdivise  chacune  de  ces  divisions  :  la  théorie  en  intellectuelle, 
naturelle  et  mathématique;  la  pratique  en  éthique,  économique  et 
politique;  la  logique  en  démonstrative,  probable  et  sophistique  ^ 

La  mode  et  le  besoin  étaient  donc  au  classement  de  toutes  choses, 
aux  encyclopédies.  Puisque  les  penseurs  qui  trouvent  les  idées ,  et  les 
savants  qui  constatent  les  faits  coordonnaient  alors  les  unes  et  les 
autres ,  il  fallait  bien  que  les  artistes ,  qui  traduisent  par  une  forme 
propre  et  spéciale  tout  ce  qui  a  cours  au  temps  où  ils  vivent,  se 
ressentissent  de  la  mode  générale  :  ils  ne  pouvaient  pas  respirer  cette 
atmosphère  encyclopédique  sans  formuler  à  leur  façon  l'idée  domi- 
nante. Ainsi,  quant  au  but,  l'art  enseignait;  quant  au  plan,  il  de- 
vait être  encyclopédique ,  et  c'est  ce  qu'il  fut  effectivement. 

Parmi  les  nombreuses  et  différentes  encyclopédies  qui  furent 
composées  à  cette  époque,  la  plus  complète,  parce  qu'elle  fut  une 
des  dernières  venues,  la  plus  remarquable,  parce  qu'elle  fut  l'œuvre 
d'une  tête  bien  organisée ,  fut  celle  de  Vincent  de  Beauvais  :  cette 
œuvre  porte,  comme  on  vient  de  dire,  le  nom  de  Miroir  universel. 
Vincent  de  Beauvais,  précepteur  des  enfants  de  saint  Louis,  homme 
d'une  extraordinaire  érudition ,  qui  avait  lu  au  moins  autant  que 
Pline  l'ancien  ,  qui  savait  tout  ce  qu'on  pouvait  savoir  à  la  fin  du 
xiii^  siècle,  classa  toutes  les  connaissances  humaines  suivant  un  ordre 
qui  est  le  meilleur  qu'on  ait  imaginé  encore.  Dans  cet  ordre,  la 
chronologie,  prise  au  plus  haut  point,  concourt  excellemment  avec 
la  méthode  la  plus  claire,  avec  l'analyse  la  plus  rigoureuse.  11  suit 
les  temps  de  siècle  en  siècle ,  d'année  en  année ,  et  y  fait  entrer  lo- 
giquement et  nécessairement  tous  les  faits  naturels  et  humains  dont 
l'analyse  lui  a  fait  trouver  la  division  et  l'enchaînement. 

Il  classe  d'abord  les  objets  de  nos  connaissances  d'après  la  na- 
ture de  ces  objets  eux-mêmes,  et  ainsi  qu'on  fait  en  botanique, 
par  exemple,  où  l'on  distribue  les  plantes  d'après  leurs  organes. 
Cette  méthode  est  immuable  comme  la  nature  des  choses;  elle  est 

Légende  dorée.  De  nativitato  Domini.  —  De  sancla  Katarina  virgine. 


INTRODUCTION.  13 

bien  supérieure  à  celle  des  encyclopédistes  français  du  xviii^  siècle 
qui  ont  partagé  nos  connaissances  d'après  Tordre  et  la  prétendue 
filiation  de  nos  facultés.  La  classification  des  philosophes  français 
est  artificielle  et  arbitraire  ;  c'est  une  classification  variable  avec 
toute  variation  de  système  psychologique.  Vincent  de  Beauvais  éta- 
blit donc  quatre  ordres  de  sciences  :  les  sciences  historiques,  les 
sciences  morales,  les  sciences  abstraites  et  industrielles,  les  sciences 
naturelles.  Cette  division ,  tranchée  par  l'analyse ,  s'ordonne  par  la 
chronologie  :  la  nature  d'abord,  puis  la  science,  ensuite  la  morale, 
et  enfin  Fhistoire.  Ce  n'est  pas  une  classification  pure  et  sèche,  un 
simple  tableau,  mais  un  cadre  qui  se  remplit  au  fur  et  à  mesure; 
car  après  chaque  titre  vient  son  chapitre,  et  le  traité  scientifique 
suit  immédiatement  renonciation  de  la  science  elle-même. 

Avant  le  monde,  d'après  Vincent  de  Beauvais,  Dieu  seul  était; 
il  vivait  solitaire  dans  son  éternité  et  son  immensité.  Mais,  pour 
se  réfléchir  dans  ses  œuvres,  et  pour  se  faire  adorer,  aimer  et  com- 
prendre par  des  créatures,  cet  être  suprême  se  décide  d'abord  à 
donner  la  vie  aux  anges.  A  ce  propos ,  fencyclopédiste  chrétien 
vous  dit  ce  que  c'est  que  Dieu  ;  s'il  y  en  a  un  ou  deux ,  ou  plu- 
sieurs ,  ou  point  ;  il  vous  dit  la  nature  et  les  attributs  de  la  di- 
-vinité.  Puis  il  passe  aux  esprits  célestes:  à  l'ange  qui  est  le  bon, 
au  démon  qui  est  le  mauvais,  et  qui  tous  deux  sont  les  premières 
créatures.  Ensuite  Dieu  crée  le  ciel  et  la  terre ,  et  alors  vient  un 
traité  de  géographie  et  de  minéralogie.  A  la  création  du  soleil,  de 
la  lune  et  des  astres,  sont  attachées  fastronomie  et  fastrologie;  au 
jour  où  la  terre  germe,  un  traité  de  botanique,  et  son  application 
à  l'agriculture  et  à  f horticulture;  aux  jours  des  oiseaux,  des  pois- 
sons et  des  animaux  terrestres,  toute  une  zoologie.  Enfin  arrive 
fhomme ;  alors  une  anthropologie,  assez  complète  et  très-remar- 
quable pour  le  temps,  étudie  fhomme  dans  son  corps,  dans  son 
âme,  dans  ses  races;  en  fait  fanatomie  et  la  physiologie.  Puis  Dieu 
se  repose,  et  à  ce  point  Vincent  examine  et  discute  la  disposition, 
la  beauté  et  fharmonie  de  l'univers.  Cette  harmonie  est  bientôt 


14  lNTiiODUCT[ON. 

troublée  par  la  chute  de  Thomme ,  et  ce  beau  drame  cosmique , 
qui  se  développait  en  symétrie,  se  disjoint  et  s'embarrasse.  Alors  les 
éléments  se  déchaînent  et  troublent  le  monde  physique,  pendant 
que  les  passions  bouleversent  le  monde  moral  :  de  là  les  volcans, 
les  ouragans  et  les  crimes.  Avec  la  chute  d'Adam  finit  la  première 
famille  des  sciences  :  les  sciences  naturelles. 

L'homme  est  tombé,  mais  il  peut  se  relever;  il  peut,  dit  Vin- 
cent, se  réparer  par  la  science.  En  conséquence  l'infatigable  encyclo- 
pédiste enseigne  à  parler,  à  raisonner,  puis  à  penser.  Il  fait  des  traités 
de  grammaire,  de  logique  et  de  rhétorique,  de  géométrie,  de  ma- 
thématique, de  musique  et  d'astronomie.  Puis  viennent  les  autres 
sciences  et  leur  application  à  la  vie  domestique  dans  l'économie,  à  la 
vie  publique  dans  la  politique;  leur  application  aux  arts  mécaniques, 
à  l'architecture ,  à  la  navigation,  à  la  chasse,  au  commerce,  à  la  mé- 
decine. Là  finit  la  seconde  division  :  la  classe  des  sciences  proprement 
dites,  celles  que  Vincent  appelle  doctrinales. 

C'est  bien  que  l'homme  sache,  mais  il  faut  qu'il  agisse.  La  science 
coule,  mais  elle  doit  couler  avec  mesure,  sans  inonder  l'intelligence, 
sans  ravager  la  raison;  donc  les  sciences  morales  sont  invoquées  par 
Vincent  de  Beauvais  pour  montrer  à  l'homme  qu'il  doit  marcher  sur 
une  ligne  droite  qu'on  appelle  la  loi,  laquelle  est  divine  et  humaine, 
ancienne  et  nouvelle.  La  loi  apprend  à  l'homme  ses  devoirs  en  lui 
enseignant  les  vertus.  Vincent  écrit  autant  de  traités  qu'il  y  a  de 
vertus  spéciales.  Il  faut  croire,  espérer,  chérir;  il  faut  être  chaste, 
humble,  doux,  patient,  tempérant,  courageux,  prudent.  A  ce  prix, 
on  sera  heureux  dans  le  ciel,  dont  on  décrit  les  merveilles  au  long 
pour  mettre  en  appétit  de  bonnes  œuvres.  Pour  peu  que  l'homme 
ralentisse  sa  marche  ou  se  détourne ,  il  tombe  en  purgatoire ,  et  on 
dit  ce  qu'est  le  purgatoire,  ce  qu'est  le  péché  varié  dans  toutes  ses 
espèces  mortelles  et  vénielles.  Si  l'homme  dévie  entièrement,  il  sera 
précipité  en  enfer  où  sont  punis  particulièrement  l'orgueil,  l'envie, 
le  blasphème,  la  paresse,  la  simonie.  Pas  un  traité  important  de  mo- 
rale n'est  oublié  dans  ce  cadre,  qui  fait  la  troisième  partie. 


INTRODUCTION.  15 

L'homme  est  né,  il  sait  et  il  agit  :  on  lui  a  mis  à  la  main  gauche 
la  science  comme  un  bouclier,  et  la  morale  à  la  droite,  comme  un 
instrument  d'action.  L'homme  peut  donc  vivre  dans  le  monde  et 
faire  son  histoire.  Alors  viennent  se  grouper  toutes  les  époques  de 
l'histoire  universelle  du  genre  humain,  à  partir  du  jour  où  Adam, 
expulsé  du  paradis  terrestre,  fut  condamné  au  travail.  Vincent 
passe  en  revue  et  raconte  l'histoire  de  tous  les  peuples.  Il  s'arrête 
en  12 kk-,  époque  où  il  vivait;  mais  il  a  deviné,  pour  ainsi  dire,  ce 
qui  arriverait  après  lui.  D'ailleurs  il  était  trop  catholique,  trop  uni- 
versel ,  pour  laisser  une  lacune.  Il  a  dit  quand  les  temps  seraient 
accomplis ,  quand  l'univers  mourrait ,  quand  l'humanité  serait  ju- 
gée et  quand  l'éternité  sans  fin  recommencerait  comme  si  elle 
n'avait  pas  été  interrompue  quelque  temps  par  la  création  et  l'his- 
toire. Il  vous  dit  comment  le  monde  finira,  par  l'eau  ou  par  le  feu; 
il  prédit  tous  les  phénomènes  qui  précéderont  le  jugement  dernier, 
et  clôt  sa  quatrième  et  dernière  partie  avec  la  fin  du  monde. 

Je  le  répète,  cet  ordre  analytique  et  chronologique,  naturel  et 
historique  tout  à  la  fois,  est  des  plus  remarquables;  je  le  crois  supé- 
rieur à  celui  qu'ont  inventé  Bacon ,  les  encyclopédistes  du  xviii®  siècle, 
et  même  Marie  Ampère ,  dont  la  classification ,  qui  est  à  peu  près 
,1a  dernière,  est  peut-être  préférable  à  toutes  celles  qu'on  a  essayées 
jusqu'à  présent. 

Cet  ordre  est  précisément  celui  dans  lequel  sont  rangées  les  sta- 
tues qui  décorent  l'extérieur  de  la  cathédrale  de  Chartres.  Ainsi 
cette  statuaire  s'ouvre  par  la  création  du  monde ,  à  laquelle  sont 
consacrés  trente-six  tableaux  et  soixante  et  quinze  statues,  depuis  le 
moment  où  Dieu  sort  de  son  repos  pour  créer  le  ciel  et  la  terre, 
jusqu'à  celui  où  Adam  et  Eve,  coupables  de  désobéissance,  sont 
chassés  du  paradis  terrestre,  et  achèvent  leur  vie  dans  les  larmes 
et  le  travail.  Dans  cette  construction  encyclopédique ,  c'est  la  pre- 
mière assise ,  celle  où  se  développe  la  cosmogonie  biblique ,  la  Ge- 
nèse des  êtres  bruts,  des  êtres  organisés,  des  êtres  vivants,  des 
êtres  raisonnables,  et  qui  aboutit  au  plus  terrible  dénoùment,  à  la 


16  •  INTRODUCTION. 

malédiction  de  l'homme  par  Dieu.  Cette  première  partie ,  ce  que 
Vincent  de  Beauvais  appelle  le  Miroir  naturel,  est  sculptée  dans 
l'arcade  centrale  du  porche  septentrional. 

Mais  cet  homme  qui  a  péché  dans  Adam  et  qui ,  dans  lui ,  est 
condamné  à  la  mort  du  corps  et  aux  douleurs  de  l'âme,  peut  se 
racheter  par  le  travail.  En  les  chassant  du  paradis ,  Dieu  eut  pitié 
de  nos  premiers  parents;  il  leur  donna  des  hahits  de  peau  et  leur 
apprit  à  s'en  vêtir.  De  là  le  sculpteur  chrétien  prit  occasion  d'ensei- 
gner aux  Beaucerons  la  manière  de  travailler  des  hras  et  de  la  tête. 
Donc,  à  droite  de  la  chute  d'Adam,  il  sculpta  sous  les  yeux  et  pour 
la  perpétuelle  instruction  de  tous,  d'ahord  un  calendrier  de  pierre 
avec  tous  les  travaux  de  la  campagne;  puis  un  catéchisme  industriel 
avec  les  travaux  de  la  ville  ;  enfin ,  et  pour  les  occupations  intellec- 
tuelles, un  manuel  des  arts  libéraux  personnifiés,  de  préférence, 
dans  un  philosophe,  un  géomètre  et  un  magicien.  Le  tout  se  dé- 
veloppe en  cent  trois  figures,  au  porche  du  nord,  et  principale- 
ment dans  l'arcade  de  droite.  Telle  est  la  seconde  division  qui  fait 
passer  sous  les  yeux  la  représentation  historique  et  allégorique  à 
la  fois  de  l'industrie  agricole  et  manufacturière,  du  commerce  et 
de  l'art. 

Il  ne  suffit  pas  que  l'homme  travaille,  il  faut  encore  qu'il  fasse  un 
bon  usage  de  sa  force  musculaire  et  de  sa  capacité  intellectuelle  ;  il 
faut  qu'il  emploie  convenablement  les  facultés  que  Dieu  lui  a  répar- 
ties, les  richesses  qu'il  a  acquises  par  son  industrie.  Il  ne  suffit  pas 
de  marcher,  il  faut  marcher  droit;  il  ne  suffit  pas  d'agir,  il  faut  agir 
bien ,  il  faut  être  vertueux.  Dès  lors,  la  religion  a  dû  incruster  dans 
les  porches  de  Notre-Dame  de  Chartres  cent  quarante-huit  statues 
représentant  toutes  les  vertus  qu'il  faut  embrasser,  tous  les  vices  qu'il 
faut  terrasser.  L'homme ,  créé  par  Dieu ,  a  des  devoirs  à  remplir 
envers  Dieu  de  qui  il  sort  ;  envers  la  société  au  sein  de  laquelle  il 
vit;  envers  la  famille  qui  l'a  élevé  et  qu'il  élève  à  son  tour;  enfin 
envers  lui-même,  dont  le  corps  est  à  conserver,  le  cœur  à  échauffer, 
l'intelligence  à  éclairer.  De  là  naissent  quatre  ordres  de  vertus  :  les 


INTRODUCTION.  17 

théologales,  les  politiques,  les  domestiques,  les  intimes,  toutes  op- 
posées aux  vices  contraires,  comme  la  lumière  aux  ténèbres.  Toutes 
ces  vertus  sont  personnifiées  et  sculptées  dans  les  différents  cor- 
dons des  voussures.  Les  vertus  théologales  et  politiques,  vertus  tout 
extérieures  et  de  la  place  publique,  sont  placées  au  dehors;  les 
vertus  domestiques  et  intimes,  qui  concernent  la  famille  et  findi- 
vidu,  ont  été  retirées  au  dedans  du  porche,  où  elles  s'abritent  dans 
fombre  et  le  silence.  Telle  est  la  troisième  partie,  le  Miroir  moral, 
qui  se  déroule  dans  f arcade  de  gauche,  et  toujours  au  porche 
du  nord. 

Maintenant  que  fhomme  est  créé;  qu'il  sait  travailler  et  se  con- 
duire; que  d'une  main  il  prend  le  travail  pour  appui,  et  de  l'autre  la 
vertu  pour  guide ,  il  peut  aller  sans  crainte  de  s'égarer,  il  peut  vivre 
et  faire  son  histoire  :  il  arrivera  au  but  à  point  nommé.  Il  va  donc  re- 
prendre sa  carrière  de  la  création  au  jugement  dernier,  comme  le 
soleil  sa  course  d'orient  en  occident.  Le  reste  de  la  statuaire  sera 
donc  destiné  à  représenter  Fhistoire  du  monde  depuis  Eve  et  Adam, 
que  nous  avons  laissés  fdant  et  bêchant  hors  du  paradis,  jusqu'à  la 
fin  des  siècles.  En  effet,  le  sculpteur  inspiré  a  prévu,  les  prophètes 
et  l'Apocalypse  en  main,  ce  qui  adviendrait  de  l'humanité  bien  après 
que  lui,  pauvre  homme,  n'existerait  plus.  Il  ne  fallait  pas  moins  que 
les  quatorze  cent  quatre-vingt-huit  statues  qui  nous  restent  encore 
pour  figurer  cette  histoire  qui  comprend  tant  de  siècles,  tant  d'évé- 
nements et  tant  d'hommes.  C'est  la  quatrième  et  dernière  division; 
elle  occupe  les  trois  baies  du  portail  du  nord,  le  porche  entier  et  les 
trois  baies  du  portail  méridional. 

Cette  statuaire  est  donc  bien,  dans  toute  fampleur  du  mot,  fimage 
ou  le  miroir  de  funivers,  comme  on  disait  au  moyen  âge.  C'est  un 
poëme  entier  où  se  réfléchit  fimage  de  la  nature  brute  et  orga- 
nisée dans  le  premier  chant;  celle  de  la  science,  dans  le  second; 
de  la  morale,  dans  le  troisième;  de  l'homme,  dans  le  quatrième; 
et  dans  le  tout,  enfin,  du  monde  entier.  Telle  est  la  charpente  in- 
tellectuelle de  cette  encyclopédie  de  pierre ,  tel  est  son  plan  et  son 

INSTRUCTIONS.  II.  3 


18  INTRODUCTION. 

unité  morale;  en  voici  maintenant  l'unité  matérielle,  la  disposition 

physique. 

Pour  un  chrétien,  l'histoire  religieuse  se  compose  de  deux  pé- 
riodes tranchées  :  de  celle  qui  précède  Jésus-Christ,  et  qui  est  occupée 
par  le  peuple  hébreu,  le  peuple  de  Dieu;  de  celle  qui  suit  Jésus- 
Christ  ,  et  que  remplissent  les  nations  chrétiennes.  Il  y  a  la  Bible  et 
l'Evangile.  Comme  dans  la  société ,  les  Juifs  ne  se  mêlaient  pas  aux 
chrétiens;  comme  au  xiii"  siècle,  l'Ancien  Testament,  hguré  par  des 
tables  à  sommet  arrondi ,  était  différent  du  Nouveau  Testament , 
livre  carré  à  sommet  plat;  de  même  Notre-Dame  de  Chartres  a  sé- 
paré matériellement  l'histoire  du  peuple  juif  de  l'histoire  du  peuple 
chrétien,  en  les  éloignant  de  toute  la  largeur  de  l'église,  ou  plutôt 
de  toute  la  longueur  des  transsepts.  Au  porche  du  nord  elle  a  placé 
les  personnages  de  l'Ancien  Testament,  depuis  là  création  du  monde 
jusqu'à  la  mort  de  la  Vierge;  au  porche  du  midi,  ceux  du  Nou- 
veau ,  depuis  le  moment  où  Jésus-Christ  dit  à  ses  apôtres  qui  l'en- 
tourent :  Allez,  enseignez  et  baptisez  les  nations,  jusques  et  y  compris 
le  jugement  dernier.  Sur  des  vitraux  du  xiii^  siècle ,  sur  des  sculp- 
tures du  xiv^,  on  voit  Jésus-Christ  trônant  sur  les  nuages ,  le  dos  contre 
un  arc-en-ciel  ;  à  sa  gauche  les  tables  de  Moïse  sont  posées  sur  l'arche 
d'alliance,  et  à  sa  droite,  sur  un  autel,  est  dressé  le  livre  de  ses 
apôtres  ^  De  toute  époque,  en  effet,  la  Bible  a  tenu  la  gauche  et  l'E- 
vangile la  droite.  Cela  devait  être,  caries  chrétiens  regardent  la  Bible 
comme  le  piédestal  de  l'Evangile.  La  Bible  est  le  portrait  anticipé  dont 
l'Evangile  est  le  futur  modèle  ;  l'Evangile  est  la  réalité  dont  l'Ancien 
Testament  n'est  que  la  métaphore  et  l'écho  prophétique.  Or,  de 
tout  temps,  même  encore  aujourd'hui,  dans  les  usages  civils,  comme 
dans  les  manœuvres  militaires ,  comme  dans  les  cérémonies  reli- 
gieuses, la  gauche  est  subordonnée  à  la  droite;  on  cède  la  droite 
à  ceux  qu'on  veut  honorer.  Les  artistes  de  Chartres  ont  mis  la  Bible 
au  nord  ou  à  gauche,  et  l'Evangile  à  droite  ou  au  sud.  C'est  ainsi 

'  Voyez  Missale  ahhaliœ  Sancti-Maglorii  parisiensis,  bibliolh.  Arsen.  Théol.  lat.  188, 
fol.  2iii  reclo,  xv'  siècle. 


INTRODUCTION.  19 

que  le  Northumbrien  Benoît  Biscop  fit  peindre  avec  des  sujets  de 
l'Evangile  tout  le  sud  de  son  église  K 

Voilà  dans  quel  ordre  sont  disposées  les  dix-huit  cent  quatorze 
statues  qui  peuplent  l'extérieur  de  Notre-Dame  de  Chartres. 

Mais  il  existe  des  encyclopédies  du  moyen  âge  beaucoup  moins 
complètes  que  celle  de  Vincent  de  Beauvais.  Les  unes  ont  préféré 
telle  partie  ou  tel  Miroir  à  tel  autre ,  au  lieu  de  réunir  les  quatre 
branches  en  un  faisceau;  les  autres  ont  bien  signalé  l'ensemble  des 
quatre  divisions,  mais,  dans  l'un  de  ces  Miroirs,  ils  ont  passé,  en 
entier  ou  en  partie,  tel  genre  de  connaissances  afin  d'exagérer  les  di- 
mensions de  tel  autre  genre  voisin.  De  même  aussi  plusieurs  cathé- 
drales de  France,  on  peut  même  dire  la  plupart  d'entre  elles,  sont 
moins  complètes  que  celle  de  Chartres.  Elles  ont  trop  étendu  les 
détails  d'une  branche  encyclopédique,  pour  diminuer  ou  couper  to- 
talement, soit  une,  soit  deux,  soit  les  trois  autres  branches.  Ainsi  la 
cathédrale  de  Reims  a  développé  outre  mesure,  on  peut  dire,  le 
Miroir  historique,  et  dans  celui-ci  la  vie  de  Jésus-Christ  et  la  fin  du 
monde  ou  l'Apocalypse,  tandis  que  le  Miroir  naturel  est  écourté,  que 
le  Miroir  doctrinal  est  presque  oublié.  Cependant  toutes  ces  cathé- 
drales indiquent  au  moins  par  huit  ou  dix  figures  les  principaux 
chapitres  du  Miroir  universel,  de  l'encyclopédie  générale.  La  cathé- 
drale de  Laon  elle-même,  plus  exclusive  et  plus  incomplète  sous  ce 
rapport  que  plusieurs  autres,  donne  néanmoins  l'argument  ou  le 
sommaire  du  livre  que  développe  celle  de  Chartres.  Voilà  pourquoi 
on  a  dû ,  dans  le  travail  qui  suit ,  s'attacher  avec  autant  de  soin  à 
l'ordre  suivi  par  Vincent  de  Beauvais ,  et  qui  est  reproduit  par  la  ca- 
thédrale de  la  Beauce. 

Cet  ordre  est  de  la  dernière  importance;  il  faut,  dans  l'étude  et 
la  description  des  statues  sculptées  ou  des  figures  peintes ,  se  le 
rappeler  constamment  et  le  suivre  sans  cesse.  Telle  statue  qui  paraît 
isolée  et  incompréhensible  prend  un  sens  lorsqu'on  la  rattache  à  celle 

'  «Detulit....  imagines  evangelicae  historiiE  quibus  auslralem  ecclesiae  parietem  tleco- 
(1  raret.  »  (  Vie  de  Benoit  Biscop  cilée  plus  haut,  p.  5.) 

3. 


90  INTRODUCTION. 

(îui  doit  la  précéder  ou  à  celle  qui  doit  la  suivre.  H  y  a  des  trans- 
positions extrêmement  fréquentes  dans  la  place  que  certaines  figures 
occupent,  soit  que  l'erreur  provienne  de  f ignorance  du  sculpteur  ou 
de  la  négligence  de  fappareilleur  ;  soit  que  le  déplacement  ait  été 
obligé  par  farchitecture  du  monument,  par  ses  dimensions  exagérées 
ou  restreintes ,  par  la  surface  du  champ  qu'on  laissait  libre  ou  qu'on 
interdisait  à  la  décoration.  C'est  donc  à  Tordre  de  Vincent  de  Beau- 
vais  qu'il  faut  toujours  recourir  lorsqu'on  est  embarrassé  ou  lorsqu'on 
soupçonne  des  perturbations.  Ainsi,  à  la  cathédrale  de  Chartres,  les 
signes  du  zodiaque  et  les  travaux  de  l'année  occupent  une  voussure 
du  portail  occidental  ;  comme  il  n'y  avait  de  place  que  pour  dix  si- 
gnes, il  a  fallu  renvoyer  à  une  autre  voussure,  où  ils  sont  dépaysés 
où  ils  n'ont  aucun  sens,  les  deux  signes  des  poissons  et  des  gémeaux 
qui  n'avaient  pu  trouver  à  se  loger  dans  la  première.  Ces  exemples 
sont  nombreux,  et  l'on  doit  y  faire  une  attention  minutieuse. 

Puisque  les  statues  et  les  figures  qui  ornent  nos  églises  adoptent 
Tordre  encyclopédique  de  Vincent  de  Beauvais,  il  a  fallu,  dans  ces 
instructions,  être  fidèle  à  cet  arrangement;  on  a  dû  commencer  par 
parler  de  Dieu,  puis  de  la  création  des  premiers  êtres,  et  marcher 
jusqu'à  la  fin  du  monde,  en  passant  par  les  quatre  divisions  ency- 
clopédiques énoncées  plus  haut.  On  commence  avant  la  Genèse, 
avant  la  naissance  du  monde ,  et  Ton  ne  s'arrêtera  qu'avec  l'Apoca- 
lypse, après  la  fin  du  monde.  On  commence  par  Dieu,  parce  que 
Dieu  précède  toutes  choses.  De  Dieu,  source  de  l'existence  univer- 
selle, on  descendra  jusqu'au  jugement  dernier,  où  viennent  aboutir 
tous  les  courants  des  idées  et  des  faits. 

Cette  première  partie  des  instructions  sur  l'iconographie  com- 
prend donc  l'histoire  archéologique  ou  ficonographie  de  Dieu;  puis 
ficonographie  de  f  Ange,  être  immortel,  sinon  éternel,  et  qui,  hié- 
rarchiquement et  chronologiquement,  vient  après  la  Divinité;  enfin, 
l'iconographie  du  Diable,  ange  dégradé,  qui  fut  précipité  et  terrassé 
quelque  temps  après  sa  création  et  avant  la  naissance  de  l'homme. 
Dans  les  parties  qui  suivront  celles-ci,  seront  développés  les  sept 


INTRODUCTION.  21 

jours  de  la  création,  (jui  sont  si  souvent  représentés  dans  nos  églises, 
la  naissance  et  la  chute  de  l'homme,  l'histoire  archéologique  de  la 
mort  et  des  danses  macahres.  Puisque  l'homme  condamné  à  mourir 
se  réhabilite  par  le  travail  des  mains,  la  culture  de  l'intelligence  et 
la  pratique  du  bien ,  on  montrera  la  personnification  des  travaux 
de  la  campagne  et  de  la  ville,  des  arts  libéraux,  des  vertus  et  des 
vices,  pour  en  donner  le  signalement  et  le  sens. 

Enfin  le  reste  racontera  l'histoire  des  patriarches,  des  juges,  des 
prophètes ,  des  rois  de  Juda.  Alors  arrivera  la  vie  de  la  vierge  Marie 
et  celle  de  Jésus-Christ,  admirables  sujets  qui  demanderont  d'assez 
longs  détails.  Puis  il  faudra  passer  en  revue  les  figures  des  apôtres, 
des  martyrs,  des  confesseurs,  des  saints  les  plus  remarquables  et  le 
plus  fréquemment  représentés  sur  nos  portails  et  nos  verrières.  La 
fin  de  ce  travail,  dont  on  donne  seulement  les  prolégomènes,  dé- 
crira les  images  empruntées  à  l'Apocalypse. 

Des  gravures  montreront  les  principaux  types,  et  le  texte  ne  sera 
jamais  que  la  légende  des  figures.  Les  dessins  seront  tous  calqués 
sur  des  monuments  authentiques,  à  date  et  origine  aussi  certaines 
qu'il  sera  possible  de  les  assigner.  Ils  reproduiront  toujours  ou  une 
miniature  d'un  manuscrit ,  ou  une  statue ,  ou  un  tableau  peint  sur 
verre;  les  fresques,  les  mosaïques,  les  tapisseries,  les  émaux,  les  ci- 
selures seront  également  mis  à  contribution. 

Comme  ceux  qui  suivent,  ces  dessins  seront  exécutés  par  M.  Paul 
Durand,  correspondant  du  comité  historique  des  arts  et  monuments, 
patient  antiquaire,  qui  porte  l'attention  la  plus  scrupuleuse  sur  tous 
les  caractères  archéologiques  propres  à  donner  des  renseignements 
indispensables  ou  simplement  utiles.  M.  Durand  m'a  accompagné, 
avec  le  plus  complet  désintéressement  et  un  dévouement  absolu, 
dans  un  voyage  que  j'ai  fait  en  Grèce  et  en  Turquie,  de  juillet  iSSg 
en  février  i  8Ao  ;  il  a  dessiné  dans  la  ville  d'Athènes,  en  Morée,  à 
Sparte,  à  Salamine,  à  Thèbes,  à  Delphes,  aux  Météores  de  Thes- 
salie,  en  Macédoine,  à  Salonique,  au  mont  Athos  et  à  Constanti- 
nople,  tous  les  monuments  bâtis  ou  figurés  que  je  m'étais  proposé 


22  INTRODUCTION. 

de  décrire.  Plusieurs  types  byzantins  de  Dieu,  de  l'Ange  et  du  génie 
mauvais,  reproduits  par  son  crayon,  ont  dû  trouver  place  dans  le 
travail  qu'on  va  lire. 

A  peu  d'exceptions  près,  M.  Durand  a  calqué  ou  copié  tous  les 
dessins  qu'on  donne  ici.  Quelques  gravures  seulement  ont  été  faites 
d'après  MM.  Lassus  et  E.  Boeswilwald,  architectes  à  Paris;  Duthoit, 
sculpteur  à  Amiens;  Ch.  Fichot,  dessinateur  à  Troyes;  Amable  Cra- 
pelet,  architecte  à  Auxerre;  Klein,  peintre  à  Strasbourg;  Hippolyte 
Durand,  ancien  architecte  de  Reims.  Ces  artistes,  habiles,  savants  et 
obligeants,  ont  misa  mon  entière  disposition  leur  temps  et  leur  talent 
pour  me  procurer  des  motifs  qui  me  manquaient,  dont  j'avais  besoin, 
et  qui  sont  disséminés  dans  les  cathédrales  d'Amiens,  d' Auxerre, 
de  Pieims,  de  Troyes  et  de  Strasbourg.  M.  E.  Boeswilwald  a  mois- 
sonné pour  moi  dans  les  belles  peintures  du  Campo-Santo  de  Pise. 

Tous  les  dessins  ont  été  gravés  avec  la  plus  minutieuse  exactitude 
par  MM.  Andrew,  Best  et  Leloir,  auxquels  doit  revenir  aussi  une 
partie  de  mes  remercîments. 

Voilà  pour  la  gravure  ;  quant  au  texte ,  il  a  été  lu  devant  une 
commission  spéciale  prise  dans  le  comité  historique  des  arts  et  mo- 
numents, et  composée  de  MM.  Delécluze,  baron  Taylor,  comte  de 
Montalembert ,  comte  Auguste  de  Bastard ,  du  Sommerard ,  Au- 
guste Leprévost,  Schmit  et  Albert  Lenoir.  La  commission  a  discuté 
plusieurs  points  douteux  qui  ont  été  éclaircis;  elle  a  fait  diverses 
observations  qui  ont  été  accueillies.  Le  travail  a  été  ordonné  et  ap- 
prouvé par  le  comité;  mais  une  liberté  entière  a  été  laissée  à  l'au- 
teur dans  la  coordination  et  l'appréciation  des  faits.  M.  Villemain, 
ministre  de  l'instruction  publique ,  a  bien  voulu  autoriser,  sur  l'avis 
et  la  demande  du  comité,  l'impression  et  la  publication  de  l'ouvrage. 

Comme  mon  travail  touchait  nécessairement  aux  plus  délicates 
questions  du  dogme  chrétien ,  je  n'ai  pas  voulu  m'aventurer  seul 
et  sans  autorité  dans  une  route  semée  de  difficultés.  J'aurais  inévi- 
tablement commis  des  erreurs,  soit  dans  les  mots,  soit  dans  le  fond 
des  choses,  et  j'avais  à  cœur  d'en  éviter  jusqu'à  l'ombre  en  matière 


INTRODUCTION.  23 

aussi  grave.  Publié  par  les  ordres  du  gouvernement  et  par  les  soins 
d'un  ministre,  destiné  d'ailleurs  à  beaucoup  d'ecclésiastiques  qui 
se  livrent  à  l'arcbéologie  cbrétienne,  ce  travail  devait  être  à  l'abri 
du  moindre  reproche  d'inexactitude  dans  le  langage  et  d'hétérodoxie 
dans  les  termes.  J'ai  donc  prié  monseigneur  Affre ,  archevêque  de 
Paris,  de  me  faire  assister  d'un  théologien  instruit  qui  pèserait  mes 
idées  et  mes  expressions ,  et  ne  les  laisserait  passer  qu'après  appro- 
bation et  certificat  d'orthodoxie.  Monseigneur  l'archevêque  s'est  em- 
pressé de  répondre  à  ma  demande  et  a  chargé  M.  l'abbé  Gaume, 
chanoine-official  de  la  cathédrale  de  Paris,  d'examiner  mon  livre. 
Les  épreuves  ont  été  lues  avec  le  plus  grand  soin  par  M.  Gaume. 
Plusieurs  questions  indécises  ont  été  débattues  et  approfondies; 
mais  toujours  je  me  suis  retiré  devant  l'urbanité  et  la  ferme  raison 
du  savant  théologien.  Je  devais  à  mes  lecteurs,  et  pour  les  rassurer, 
toutes  ces  explications  ;  je  devais  à  monseigneur  l'archevêque  de 
Paris  et  à  M.  Gaume  l'expression  publique  de  mes  plus  vifs  remer- 
cîments. 

M.  Chabaille,  correcteur  attaché  aux  comités  historiques,  a  revu 
les  épreuves  de  tout  mon  travail  avec  une  attention,  j'oserais  presque 
dire  avec  une  affection  toute  particulière.  M.  Chabaille  ne  s'en  est  pas 
tenu  aux  corrections  typographiques  ou  grammaticales;  savant  dans 
l'art  dramatique  du  moyen  âge ,  versé  depuis  longtemps  dans  la  litté- 
rature des  mystères  et  des  miracles,  il  m'a  conseillé  de  faire,  de  temps 
à  autre ,  des  rapprochements  entre  l'art  figuré  et  fart  parlé  ou  mimé; 
de  poser  les  représentations  scéniques  en  regard  des  statues  et  des 
images.  J'ai  dû  accueillir  avec  empressement  ces  judicieuses  obser- 
vations qui  m'étaient  présentées  avec  une  obligeance  parfaite. 

Enfin,  et  pour  m'acquitter  à  peu  près,  car  je  dois  beaucoup  et 
à  bien  des  personnes,  j'offrirai  mes  remercîments  à  MM.  les  conser- 
vateurs de  la  Bibliothèque  royale ,  à  MM.  les  bibhothécaires  de 
Sainte-Geneviève  et  à  M.  Amyot  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal , 
qui  ont  mis  à  ma  disposition  les  plus  beaux  manuscrits  à  minia- 
tures, dont  j'ai  extrait  plusieurs  dessins.  MM.  le  comte  Auguste  de 


24  INTRODUCTION. 

Bastard  et  du  Sommerard  m'ont  confié  ou  signalé  des  ivoires,  des 
vitraux  et  des  monuments  remarquables  de  notre  peinture  en  émail 
ou  sur  vélin.  Je  garderai  toujours  le  meilleur  souvenir  de  cette  bien- 
veillance qui  m'a  aidé,  qui  m'encourage  et  qui  m'bonore. 


DIDRON. 


Paris,  mai  18A1 


ICONOGRAPHIE 


CHRÉTIENNE. 


DE  LA  GLOIRE. 


Avant  que  d'entrer  dans  l'iconographie,  il  faut  parler  d'un 
caractère  qui  revient  fréquemment  en  archéologie  chrétienne 
et  qui  souvent,  à  lui  seul,  sert  à  définir  le  personnage  qui  en 
est  décoré  :  c'est  la  gloire. 

La  gloire  est  un  ornement  que  les  artistes ,  peintres  et 
sculpteurs,  mettent,  soit  autour  de  la  tête,  soit  autour  du 
corps  de  quelques  personnages;  c'est  un  attribut  qui  sert  à 
caractériser  certaines  figures,  comme  la  crosse  ou  le  sceptre 
désignent  un  évêque  ou  un  roi.  Lorsque  cet  attribut  s'ap- 
plique à  la  tête,  il  s'appelle  nimbe.  Dans  ce  cas,  il  est  ana- 
logue à  la  couronne  pour  la  signification;  mais  il  en  diffère 
essentiellement  pour  la  position ,  si  ce  n'est  pour  la  forme.  La 
couronne  est  ronde  et  le  nimbe  est  presque  toujours  circu- 
laire; mais  la  première  se  place  horizontalement  sur  la  tête, 
que  le  second  environne  verticalement. 

INSTRUCTIONS. II.  *  A 


26 


INSTRUCTIONS. 

1.  CEÎAI\LEM\GNE    NIMBE    ET    COCRONNÉ. 

Vitraii  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  xif  et  xiv"  siècles 


Le  nimbe  est  un  Insigne  qu'on  pourrait  quelquefois  appelé i' 
microscopique  quant  à  ses  dimensions,  mais  qui  est  toujours 
majeur  en  importance.  Un  sculpteur  qui  fait  ou  refait  une 
statue  gotbique,  un  peintre  qui  restaure  un  ancien  vitrail  ou 
une  vieille  peinture  à  fresque ,  un  antiquaire  qui  s'occupe 
d'iconograpbie  cbrétienne,  doivent  faire  la  plus  scrupuleuse 
attention  à  ce  caractère  qui  entoure  la  tête  de  certaines  figures, 
sous  peine,  s'ils  l'omettent,  de  rabaisser  un  saint  et  de  n'en 
faire  qu'un  bomme ,  et ,  s'ils  en  gratifient-  qui  ne  devrait  pas 
l'avoir,  de  transfigurer  un  simple  mortel  en  un  dieu.  Cette 
erreur  est  fréquemment  commise  par  les  artistes  contempo- 
rains qui  représentent  des  scènes  religieuses.  Ainsi,  il  y  a 
quelques  années,  fut  exposé  un  vitrail  où  l'on  avait  figuré  des 
saints  et  Jésus.  A  l'un  des  saints,  un  simple  évêque,  on  avait 

Celte  tôle  de  Cliarlemagne  occupe  le  haut  d'un  beau  vitrail  qui  orne  le  collatéral  gauche 
de  la  cathédrale  de  Strasbourg.  Cbarlemagne  porle  la  couronne  royale  et  le  nimbe  ;  on  lit , 
dans  la  circonférence  du  nimbe,  Karolvs.  magnvs.  rex.  Ce  vitrail,  comme  la  série  des 
quinze  rois  ou  empereurs  de  ce  bas  tôle,  est  du  xi"  ou  xii"  siècle;  mais  il  a  été  restauré 
au  xiv'.  Les  fleurons  de  la  couronne  et  l'inscription  du  nimbe  datent  de  cette  restauration. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  27 

mis  l'espèce  de  nimbe  qui  ne  se  donne  qu'à  Dieu,  et  Jésus 
avait  été  dépouillé  du  signe  dont  les  artistes  chrétiens  ont 
constamment  caractérisé  sa  divinité;  en  conséquence,  de  Jésus 
ou  avait  fait  un  homme,  et  de  l'évêque  un  dieu.  Le  nimbe  est 
donc,  en  iconographie,  ce  que  les  doigts  ou  les  mamelles  sont 
en  zoologie  :  un  caractère  assez  petit  pour  l'œil,  mais  très-im- 
portant pour  l'idée. 

Non-seulement  le  nimbe  environne  la  tête,  mais  quelque- 
fois aussi  il  orne  le  corps  entier  :  dans  ce  cas,  il  doit  prendre 
un  autre  nom,  afm  que  deux  ornements,  toujours  très-diffé- 
rents de  dimension  et  presque  toujours  de  forme,  soient  par- 
faitement distincts  l'un  de  l'autre.  Quant  à  présent,  et  cette 
dénomination  sera  justifiée  plus  bas,  nous  appelons  auréole 
le  nimbe  du  corps. 

2.  —  jésus-chuist  dans  une  auréole  elliptique. 
Miniature  de  la  Bibliothèque  royale,  xiv"  siècle  '. 


Ce   dessin  est  tiré  du    Spéculum  hamanœ  sctlvationi.s ,   beau  manuscrit  italien   du 


28  INSTRUCTIONS. 

L'auréole  est  d'un  usage  plus  restreint  que  le  nimbe  jDro- 
prement  dit  ou  l'ornement  de  la  tête.  L'auréole  est  rare  en 
iconographie  païenne;  en  iconographie  chrétienne,  on  la  ré- 
serve presque  exclusivement  aux  personnes  divines,  à  la  Vierge 
et  aux  âmes  des  saints  enlevées  au  ciel  après  la  mort  du  corps. 

Le  nimbe  de  la  tête  et  l'auréole  du  corps  diffèrent  nota- 
blement. Cependant  tous  deux,  composés  des  mêmes  élé- 
ments, sont  quelquefois  figurés  de  la  même  manière,  et 
traduisent  d'ailleurs  la  même  idée  :  l'idée  de  glorification, 
d'apothéose,  de  divinisation.  Il  est  donc  nécessaire  qu'un  seul 
mot  comprenne  la  réunion  des  deux  ornements  et  soit  l'ex- 
pression générique  de  ces  deux  espèces  de  nimbe.  En  con- 
séquence, nous  avons  dû  appeler  gloire  le  nimbe  et  l'auréole 
réunis  ensemble.  Pour  nous,  le  nimbe  est  spécial  à  la  tête, 
l'auréole  est  spéciale  au  corps,  et  la  gloire  s'étend  à  celle-ci 
et  à  celui-là  tout  à  la  fois  ^ 

NIMBE. 

SA     DÉFINITION. 

Nimbe  vient  du  latin  nimbus,  qui" n'est  pas  sans  affmité  de 
consonnance  et  de  signification  avec  le  mot  grec  viÇctç,  lequel  a 
pour  racine  viÇcd.  Le  verbe  \î(pcù^Siî(pii\^  signifie  neiger,  arroser, 
mouiller;  yi^Lc,  veut  dire  neige  j  ondée,  rosée,  goutte  de  pluie, 
et  même  grêle,  par  Qxtension.  Nimbus  a  la  même  significa- 
tion que  le  substantif  grec  viÇclç;  de  plus,  il  veut  dire  nuée, 

• 

xiv°  siècle,  qui  apparlient  à  la  (bibliothèque  royale.  Le  cercle  elliptique,  dans  lequel 
est  inscrit  Jésus,  est  une  auréole.  La  Iraveriie  qui  coupe  cette  ellipse  par  le  milieu 
est  l'arc-en-ciel  ou  les  nuages,  tels  que-les«ttaHens  les  faisaient  à  cette  époque.  Cette 
traverse  sert  d'appui  au  Sauveur  montant  au  ciel  après  sa  résurrection. 

Jésus-Christ,  pi.  2  ,  p.  27,  a  le  nimb*  à  la  tète  el  l'auréole  au  corps  ;  il  osl  par  con- 
séquent enveloppé  de  la  gloire  coninlcte. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  29 

nuage,  c'est-à-dire  le  lieu  où  se  forment  ]a  pluie,  la  grêle,  la 
neige,  que  traduit  le  mot  grec.  Par  extension  ,  nimbus  désigne  le 
char  aérien,  la  nuée  qui,  dans  Virgile,  sert  de  voiture  aux 
dieux;  par  métaphore,  il  signifie  un  voile  de  femme,  un  voile 
fin  et  transparent,  c'est-à-dire  de  l'air  devenu  étoffe,  du  vent 
tissu,  un  nuage  de  lin,  comme  auraient  dit  les  anciens  Grecs. 
Ainsi  Isidore  de  Séville  déclare,  dans  ses  Origines,  que  le 
nimbe  est  une  bandelette  transversale,  en  or,  cousue  au  voile, 
et  que  les  femmes  portent  au  front  ^ 

Les  Romains  disaient  nimbus  Jloriim ,  nimbus  saxorum,  nimbus 
sagittarum,  nimbus  ecjuitum,  nimbus  numismatum ,  pour  désigner 
cette  pluie  de  fleurs  qui  tombent  des  arbres,  cette  neige  odo- 

*  «Nimbus  est  fasciola  Iransversa,  ex  auro,  assuta  linteo,  quod  est  in  fronte  fœmi- 
«naruni.  »  {Orirj.  Hb.  XIX,  cap.  xxxi.) 

Il  est  probable  cependant  que  le  savant  évêque  de  Séville  se  Irompe,  et  qu'il  ne  s'est 
pas  bien  rendu  compte  de  l'expression  de  jumbiis  et  nimbatus.  11  avait  vu  que  Plante,  dans 
le  Pœnulas,  scène  11%  faisait  dire  à  un  valet  amoureux  d'une  fdle  que  son  maître  voulait 
obtenir: 

oQuam  magis  aspecto,  tam  magis  es>t  nimbala,  » 

et  il  en  avait  conclu  que  nimhata  signifiait  coiffée  coquettement.  Comparant  ce  passage  à 
celui  de  la  Satire  de  Pétrone,  où  ,  parmi  les  beautés  d'une  dame  romaine,  on  note  la  pe" 
lilesse  du  front  [frons  mmima) ,  à  celui  où  Horace  déclare  que  sa  cbère  Lycoris  se  fait  re- 
marquer par  son  petit  front  [insignis fronte  teniii)  ;  à  celui  où  Arnobe  assure ,  dans  son  livre 
De  la  nature  delhorame,  cb.viii.queles  femmes  curieuses  de  cet  agrément  se  diminuaient 
le  front  en  le  cacbant  sous  des  bandeaux,  parce  que  c'était  une  preuve  d'esprit,  Isidore 
de  Séville  pensa  qu'il  fallait  voir  dans  le  nimhata  de  Plante  une  femme  qui  se  coiffe  avec 
élégance  et  qui,  en  conséquence,  cherche  à  se  diminuer  le  front.  Dès  lors  il  donna  du 
nimbe  la  déhnilion  qui  précède.  Je  pense  qu'il  faut  plutôt  traduire  ainsi  ce  texte  de  Plante: 
Plus  je  la  rerjanlc,  plus  elle  me  semble  nimbée,  c'est-à-dire  lumineuse,  c'est-à-dire  écla- 
tante ou  belle;  puisque  le  nimbe,  comme  on  le  verra  plus  bas,  est  un  rayonnement 
rendu  visible  par  la  sculpture  ou  la  peinture.  Du  reste,  Isidore  de  Séville  lui-même  dit 
encore  :  «  Lumen  quod  circa  angelorum  capita  pingilur,  nimbus  vocatur;  licel  et  nimbus 
«  sit  densitas  nubis.  » 

Le  nimbata  est  donc  une  métaphore  servant  à  exprimer  une  beauté  idéale  que  rend  ti'ès- 
bien  notre  mot  écl'alanl  ;  mais  ce  n'est  pas  un  mot  propre  et  qui  s'applique  à  une  certaine 
mode  de  s'orner  la  tète.  Au  surplus,  si  on  veut  l'entendre  dans  ce  dernier  sens,  et  trouver 


30  INSTRUCTIONS. 

rante  du  printemps,  comme  un  illustre  poëte  a  dit  de  nos  jours; 
cette  grêle  de  pierres  ou  de  flèches  dont  on  écrase  et  dont  on 
perce  l'ennemi  ;  cette  nuée  de  soldats  qui  obscurcissent  l'air 
par  la  poussière  que  soulève  le  galop  des  chevaux;  ces  poignées 
ou  cette  grêle  de  monnaie  qui  se  jetaient  au  peuple  en  signe 
de  largesse  et  de  joyeux  avènement ^  Cette  pluie,  cette  neige, 
cette  grêle,  cette  nuée,  sont  autant  de  métaphores  qui  com- 
plètent, en  l'éclaircissant ,  le  sens  de  nimbus  et  de  nc^dç. 

Ainsi  entre  ces  deux  mots ,  l'un  grec  et  l'autre  latin ,  l'ana- 
logie est  presque  une  identité  quant  au  sens.  Quant  à  la  pro- 
nonciation, si  l'on  change  le  b  latin  en  (p  grec,  c'est-à-dire  la 
labiale  douce  en  labiale  aspirée,  ou  si  l'on  prononce  le  b  comme 
un  V,  ainsi  que  font  les  Grecs  modernes,  les  deux  mots  auront 
encore  plus  de  similitude.  On  peut  donc  dire  que  nimbus  vient 
de  vicpôiç. 

Les  artistes  ont  peu  respecté  l'étymologie ;  car  le  nimbe, 
qui  devrait  toujours  représenter,  soit  un  nuage ,  soit  des  flo- 
cons de  neige,  se  montre  sous  la  forme  d'un  disque,  d'un 
cercle,  tantôt  opaque,  tantôt  lumineux,  et  quelquefois  trans- 
parent. On  le  voit  sous  la  forme  d'un  triangle  ou  d'un  quadrila- 
tère; sous  celle  d'une  ou  de  plusieurs  aigrettes  de  flamme,  ou 
d'une  étoile  à  six,  huit,  douze  rayons  ou  à  rayons  sans  nombre. 
On  ne  connaît  pas  un  exemple  de  nimbe  dont  la  forme  puisse 
se  ramener  exactement  au  sens  qu'emporte  le  mot. 

dans  nimbus  un  voile  de  femme,  une  bandelette,  ce  voile  et  cette  bandelette  auraient  été 
ainsi  nommés ,  comme  on  Ta  dit ,  à  cause  de  la  fmesse  et  de  la  transparence  du  tissu. 

'  Monarchie  française ,  par  le  P.  Montfaucon,  Discours  préliminaire,  p.  xx.  Servius, 
coipmentateur  de  Virgile,  disait  au  iv"  siècle,  après  ces  vers  du  livre  I  de  l'Enéide: 

Nimbonim  in  patriam ,  loca  foeta  furentibus  austris , 
OEollam  venit. 

«  Nimbus  nunc  ventes  significat;  plerumque  nubes  vel  pluvias....  Proprie  nimbi  repen- 
«  linae  et  praecipites  pluviae.  ))  (Virgilein-/i°,édit.  de  Genève,  i636,  p.  176.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  31 


FORME    DU    NIMBE. 


Le  nimbe  est  presque  toujours  circulaire  et  en  forme  de 
disque.  On  en  voit  dont  le  champ  du  disque  a  disparu  et  dont 
il  ne  reste  que  la  circonférence  ^ 

Ce  nimbe  circulaire  est  uni  ou  orné  dans  le  champ.  Quand 
le  champ  n'est  pas  lisse,  il  est  strié  de  rinceaux;  il  est  décoré 
d'une  arcature  de  rayons  sans  nombre  ou  de  trois  rayons  seu- 
lement, minces  ou  larges,  et  qui  font  comme  les  trois  branches 
d'une  croix  grecque.  Ces  croisillons  sont  eux-mêmes  tout  unis 
ou  ornés  de  perles  et  de  cabochons ,  ou  marqués  de  lettres 
grecques  ou  latines  ;  ils  sont  formés  de  lignes  droites  et  géo- 
métriques, ou  de  lignes  qui  rappellent  les  mouvements  et 
comme  les  ondulations  de  la  flamme  ^. 

Voilà  pour  les  lignes  qui  partent  du  centre  et  vont  aboutir 
à  la  circonférence  ;  mais  des  cercles  concentriques  partagent 
quelquefois  le  nimbe  en  plusieurs  zones.  La  zone  centrale  est 
le  nimbe  proprement  dit  ;  les  autres  en  sont  le  prolongement 
et  comme  le  rayonnement.  Dans  ces  zones,  qui  sont  au  nombre 

'  Voyez,  pour  le  nimbe  de  la  première  espèce,  les  pi.  i  et  2  ,  p.  26  et  27,  et  celles  qui 
vont  suivre.  Ces  dessins  étant  seulement  au  trait ,  on  a  représenté  le  nimbe  uniquement 
par  le  trait  de  circonférence;  mais  l'intérieur  est  plein  et  solide.  Les  nimbes  transparents, 
ou  figurés  seulement  par  un  trait  de  circonférence,  se  trouvent  fréquemment  chez  les 
Grecs  avant  le  xiif  siècle,  et  chez  les  Italiens  après  le  xv^  Dans  l'hisloire  de  Dieu  le 
père,  on  donne  un  dessin  tiré  d'un  manuscrit  grec  de  la  Bibliothèque  royale,  qui  re- 
présente Dieu  parlant  à  Isaïe  entre  la  Nuit  (Nv|)  et  l'Aurore  [OpOpos).  La  Nuit  porte  un 
nimbe  consistant  en  une  seule  ligne  de  circonférence.  Raphaël  [Dispute  du  saint  Sacre- 
ment) a  donné  aux  divers  personna,ges  réunis  en  concile  des  nimbes  entièrement  à  jour. 

"  Ces  variétés  et  d'autres  encore  seront  données  dans  les  divers  dessins  qui  vont 
suivre.  Dans  l'évangéliaire  de  Charlemagne,  Bibliothèque  royale,  saint  Matthieu  porte 
un  nimbe  orné  d'une  arcature,  en  forme  de  coquille.  L'ange  qui  inspire  l'évangélistc  a 
le  nimbe  rayonné,  et  chaque  rayon  qui  part  du  centre  vient  aboutir  à  une  circonférence 
où  il  entre  dans  une  perle;  ces  rayons  ressemblent  donc  à  de  longues  aiguilles  dont  la 
perle  ferait  la  tête. 


32  INSTRUCTIONS. 

d'une ,  de  deux  ou  de  trois ,  on  figure  des  perles ,  des  pierres 
précieuses ,  des  cabochons  ;  on  y  écrit  quelquefois  le  nom  du 
personnage  dont  la  tête  est  ainsi  environnée  \ 

La  circonférence  du  nimbe,  à  l'extérieur,  est  simple  ou 
frangée,  c'est-à-dire  munie  d'appendices  qui  ont  ordinaire- 
ment la  forme  de  rayons  droits  ou  flamboyants;  quelquefois, 
comme  à  Saint-Remi  de  Reims  ^,  dans  la  circonférence  du 
nimbe,  en  dehors,  sont  piquées  deux  tiges  d'héliotrope, 
plante  qui,  dans  le  règne  végétal,  symbolise  le  soleil  ou  la 
lumière  dont  le  soleil  est  la  source.  C'est  une  espèce  de  plumet 
double  qui  surmonte  cette  coiffure  symbolique. 

3. SAINT  JEAN  ÉVANGÉLISTE  À  NIMBE  CIRCULAIRE  SURMONTE  DE  DEUX  TIGES  D'HELIOTROPE, 

EMBLEME   DU  SOLEIL. 

Vitrail  du  xii°  siècle,  à  Saint-Remi  de  Reims. 


'  Le  nimbe  de  Karolus  magnus,  pi.  i,  p.  26,  se  compose  de  trois  zones  :  la  première, 
l'intérieure,  est  unie;  la  seconde  est  ornée  de  lisérés  et  de  petites  croix  de  saint  André; 
dans  la  troisième  sont  écrits  le  nom  et  le  titre  de  Charlemagne. 

^  Vitrail  de  l'abside,  dans  la  tribune,  et  datant  du  xii°  siècle.  Il  représente  la  vierge 
Marie  et  saint  Jean  évangéliste  qui  assistent  à  la  mort  de  Jésus  en  croix  et  qui  pleurent 
cette  agonie  d'un  Dieu,  Marie  et  saint  Jean  sont  nimbés;  du  sommet  de  leur  nimbe 
partent  deux  tiges  qui  se  croisent  et  qui  portent  chacune  un  héliotrope.  La  figure  donnée 
ici  est  celle  de  saint  Jean.  Ce  motif,  curieux  d'ailleurs,  rappelle  ces  figures  égyptiennes 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE.  33 

Le  nimbe  est  triangulaire  ^  Cette  forme  est  extrêmement 
rare  en  France;  elle  est  assez  fréquente  en  Italie  et  en  Grèce, 
surtout  à  partir  du  xv^  siècle". 

U- DIED   LE  pÎ:RE  à  NIMCE  TRIANGULAIRE  ET  RAYONNANT  *\ 

Fresque  grecque  du  xvii^  siècle. 


Il  est  bi-triangulaire,  ou  formé  de  deux  triangles  qui  se 
coupent  et  forment  comme  une  étoile  à  cinq  pointes''. 

de  la  tête  desquelles  partent  ainsi  deux  tiges  qui  se  dressent  et  qui  se  terminent  par  une 
fleur  de  lotus.  Le  grand  ouvrage  sur  l'Egypte  est  plein  de  ces  figures. 

^  Le  Père  éternel  qui  suit  est  tiré  d'une  fresque  du  mont  Athos.  Des  rayons  partent  de 
tous  les  points  de  son  nimbe  triangulaire. 

"  Il  faut  dire  cependant  qu'une  mosaïque  de  la  fin  du  viii°  siècle  ou  du  commence- 
ment du  ix',  dans  l'église  cathédrale  de  Capoue  °,  représente  le  Saint  Esprit  en  colombe 
nimbée  d'un  nimbe  triangulaire  à  la  tête,  et  planant  au-dessus  delà  Vierge,  qui  tient 
Jésus; la  Vierge  est  entourée  de  saintPierre,  saint  Paul ,  saintEtienne  et  sainte  Agathe.  Il 
est  possible  toutefois  que  cette  mosaïque  ait  été  refaite.  Le  nimbe  non  croisé  que  porte 
Jésus,  et  celui  non  croisé  que  porte  une  autre  figure  divine,  en  haut  de  la  mo- 
saïque, pourraient  faire  croire  à  une  restauration.  On  a  tant  retouché  les  mosaïques! 
Ciampini  [Vetera  Monimenta,  2"  part.  p.  168)  dit:  IIujiis  tnamjiilaris  Jornuc  alhid  an- 
liquius  me  vidisse  minime  recordor.  11  a  raison ,  car  le  nimbe  triangulaire  est  toujours  de 
date  récente,  et  l'exemple  de  Capoue,  s'il  était  authentique,  serait  unique  jusqu'à  présent. 

'  Voyez,  en  outre,  une  gravure  grecque  représentant  le  Skite  duProdromos,  village 
monastique  situé  près  d'Ivirôn ,  au  mont  Athos. 

'  Plus  bas,  au  paragraphe  de  l'application  du  nimbe,  on  donnera  celte  forme  bi- 
triangulaire. 

Voyez  Ciampini,  Vetera  Monimenta,  5'  part.  pi.  54- 
INSTRUCTIONS.  II.  ^ 


34  INSTRUCTIONS. 

Le  nimbe  est  carré  :  carré  parfait,  à  côtés  droits  ou  à  côtés 


concaves. 


5.  SAINT  GRÉGOIRE   IV  X  NIMBE  CARRE  '. 

Mosaïque  de  Rome,  dans  Saiiil-Marc,  ix"  siècle. 


Carré  long,  carré  rectangulaire  et  en  forme  de  table,  suivant 
l'expression  de  Jean  le  Diacre,  comme  on  le  voit  dans  le  dessin 
précédent.  Mais  de  plus,  et  cette  forme  se  rencontre  fréquem- 
ment dans  les  manuscrits  italiens,  le  nimbe  ressemble  à  un 
VOLUMEN,  à  un  rouleau  de  parchemin  déployé  par  le  milieu 
et  roulé  encore  sur  les  bords,  à  un  rouleau  qui  n'a  pas  pris 
entièrement  la  forme  plane  ;  on  dirait  d'un  cylindre  qui  n'est 
pas  complètement  devenu  une  plaque  et  dont  les  extrémités, 

JMosaïque  de"Rome;  elle  représente  le  pape  Grégoire  IV  offrant  à  Dieu  l'église  de 
Saint-Marc,  qu'il  avait  fait  bâtir  et  orner  vers  l'an  828.  (Cianipini,  VeteraMonimenta, 
2'  pars,  p.  119,  tab.  37.)  Dans  Cianipini  ce  pape  est  jeune,  imberbe,  souriant;  mais 
M.  Paul  Durand  ,  l'auteur  du  dessin,  et  qui  a  vu  la  mosaïque,  m'alFirme  que  Grégoire 
a  la  figure  triste,  comme  elle  est  représentée  ici. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  35 

sur  lesquelles  ne  s'exerce  pas  une  pression  suffisante,  s'arron- 
dissent et  se  replient  sur  elles-mêmes  ^ 

Le  nimbe  est  en  losange,  à  côtés  droits,  comme  on  le  voit 
à  la  tête  du  Père  éternel,  dans  la  Dispute  du  saint  sacrement; 
il  est  à  côtés  concaves,  d'après  un  exemple  donné  plus  bas,  à 
l'Histoire  de  Dieu  le  père. 

Quand  le  nimbe  est  circulaire  et  qu'il  appartient  aux  per- 
sonnes divines,  il  est  toujours,  sauf  omission  ou  ignorance  de 
l'artiste,  partagé  par  deux  lignes  qui  aboutissent  à  la  circon- 
férence et  qui  se  coupent  au  centre,  à  angle  droit.  Ces  lignes 
forment  quatre  rayons ,  mais  l'un  d'eux ,  l'inférieur,  est  cacbé 
par  la  tête. 

6.    LES    TROIS    PERSONNES    DIVINES    ORNEES    DU     NIMBE    GRUCIFÈRE  ^ 

Miniature  de  la  fin  du  xiii"  siècle,  manuscrit  de  la  Bibliothèque  rovale 


Quelquefois  on  ne  conserve  du  disque  entier  que  les  rayons 
ou  croisillons  qui  en  partageaient  le  cbamp. 

Souvent  ces  croisillons ,  quand  ils  ont  la  forme  de  rayons 

'  Voyez  Séreux  d'Agin court,  Hist.  de  l'art  par  les  monuments,  peinture,  pL  d>~.  Un 
dessin  de  cette  forme  est  donne  plus  bas,  pi.  27. 

'  Ce  dessin,  tiré  du  manuscrit  Bihlia  sacra,  n°  6829,  montre  les  personnes  divines 
créant  Adam  qu'elles  soulèvent  de  terre.  Le  Saint-Esprit,  sous  la  forme  d'une  colombe, 
a  le  nimbe  partagé  par  une  croix  aussi  bien  que  les  deux  autres  personnes.  Cette  croix  est 
un  excellent  caractère  archéologique;  elle  est  l'attribut  invariable  delà  divinité. 

5. 


36  INSTRUCTIONS. 

lumineux ,  se  rapprochent  et  tendent  à  recomposer  le  disque  ; 
mais  du  sommet  de  la  tête  et  des  tempes  partent  des  pinceaux 
plus  longs  que  les  rayons  d'intervalle.  Dans  ce  cas  la  circonfé- 
rence, brisée  en  trois  parties,  ne  donne  à  proprement  parler 
que  la  forme  d'une  croix  grecque,  plus  large  aux  extrémités 
qu'au  centre. 

Le  nimbe,  outre  le  cercle  uni  ou  varié  d'ornements,  outre 
le  triangle  simple,  le  triangle  double  ou  l'étoile;  outre  le  carré, 
le  carré  long  et  le  losange ,  prend  encore  d'autres  formes  dont  il 
ne  sera  pas  inutile  de  dire  un  mot.  Plus  bas  il  sera  démontré 
que  le  nimbe  n'est  autre  chose  que  la  représentation  du  rayon- 
nement de  la  tête;  or  ce  rayonnement  a  été  figuré  de  diverses 
manières.  Tantôt  la  tête  entière  verse  des  rayons  égaux  en 
nombre  et  en  dimension  sur  tous  les  points;  alors  on  a  le  nimbe 
circulaire.  Tantôt  des  sources  plus  puissantes,  plus  épaisses  et 
plus  longues,  s'échappent  des  tempes  et  du  sommet  du  front, 
tandis  que  les  autres  points  rayonnent  faiblement  ;  alors ,  en 
tirant  une  ligne  de  circonférence,  pour  réunir  ces  rayons  d'iné- 
gale longueur,  on  obtient  une  espèce  de  losange  à  côtés  con- 
caves, comme  celui  qui  a  été  signalé  plus  haut.  Cette  ligne 
n'est  presque  jamais  tirée,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  ce  dessin  K 

7.  NIMBE  SANS  LIGNE  DE  CIRCONFERENCE,  À  RAYONS  INEGAUX. 

Miniature  du  xvi°  siècle,  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale. 


En  unissant  tous  ces  rayons  par  une  ligne  de  circonférence ,  on  aurait  un  nimbe  en 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  37 

Tantôt  l'espace  intermédiaire  entre  les  trois  grandes  sources 
lumineuses  ne  rayonne  nullement;  alors  le  nimbe  se  résume 
en  trois  aigettes  composées  chacune  ordinairement  de  trois 
rayons  seulement.  Souvent  un  cercle  relie  ces  trois  pinceaux 
et  forme  le  nimbe  crucifère  qui  est  si  commun  ;  mais  d'autres 
fois  les  trois  faisceaux  lumineux  dépassent  énergiquement  cette 
circonférence,  qui  ne  peut  les  contenir. 

8.    CROISILLONS   OU   GERBES  LUMINEUSES  DEPASSANT  LA  CIRCONFÉRENCE  DU   NIMBE  '. 

Miniature  du  ix"  siècle,  manuscrit  de  la  BUjliotbèque  royale. 


On  verra  que  ces  rayons  vont  tous  en  divergeant  du  centre 
à  la  circonférence,  c'est-à-dire  qu'ils  sont  resserrés  à  la  base, 
larges  et  diffus  à  leur  extrémité. 

On  remarque,  surtout  dans  l'iconographie  païenne,  des 
nimbes  dont  les  rayons,  larges  à  la  base  et  aigus  à  l'extrémité, 
sont  également  espacés  et  sortent  de  tous  les  points  de  la  tête'". 

losange  et  à  côtés  concaves.  Ce  dessin  est  tiré  du  ms.  920  de  la  Bibl.  roy.  La  miniature 
est  du  xvi'  siècle. 

'  Cette  belle  figure  de  Jésus  imberbe,  mais  sérieux  et  d'un  âge  assez  avancé,  a  été 
reproduite  par  M.  de  Bastard,  dans  son  grand  ouvrage,  Peintures  et  Ornements  des  ma- 
nuscrits, te  livraison.  Les  croisillons  du  nimbe  sont  formés  de  trois  faisceaux  a  Irois 
rayons  chacun  ;  les  faisceaux,  comme  on  le  voit ,  parlent  du  front  et  des  tempes. 

Montfaucon  [Antiq.  expliq.)  donne  plusieurs  exemples  de  ces  rayons,  qui  sont  ainsi 
aiguisés  au  sommet. 


38  INSTRUCTIONS. 

9.  APOLLON  EN  SOLEIL,    ORNK  DU   NIMBE  ET  COURONNE  DE  SEPT    RAYONS '. 

Sculpture  romaine. 


Cette  forme,  semblable  à  celle  que  les  artistes  donnent  aux 
étoiles,  rappelle  exactement  les  couronnes  radiées  si  fréquentes 
sur  les  monnaies  grecques  et  romaines.  Ces  rayons  offrent  un 
contre-sens  avec  les  faisceaux  de  lumière  dont  il  vient  d'être 
parlé,  et  un  contre-sens,  il  faut  le  dire,  avec  la  nature  phy- 
sique du  rayon  lumineux;  car  du  centre  à  la  circonférence  la 
lumière  est  divergente  et  non  pas  convergente.  Dans  ce  dessin, 
les  rayons  sont  reliés,  non  à  leur  extrémité,  mais  à  mi -lon- 
gueur, par  un  cercle  ou  un  fil  qui  semble  les  assujettir.  Quel- 
quefois ce  filet  de  circonférence  est  plus  rapproché  de  la  tête , 
et  alors  les  rayons,  au  lieu  de  sortir  de  la  tête,  s'échappent 
de  cette  circonférence  même  sur  laquelle  ils  sont  fixés.  Le 
nimbe,  avons-nous  dit,  est  un  disque  dont  le  champ  est  quel- 
quefois strié  de  rayons;  dans  ce  cas,  les  rayons  sont  à  l'inté- 

Ccs  sepl  rayons  également  séparés  dépassent  la  circonférence  du  nimbe  qui  entoure 
la  tête.  Cette  ligure  représente  le  Soleil  ;  elle  est  tirée  de  TAntiquilé  expliquée  de  Mont- 
faucon  ,  tom.  I,  pi.  5A,  p.  1  iS.  Lucien  dit  également  que  la  tète  de  la  déesse  syrienne 
était  rayonnante  :  Èni  rrf  x£(^aXrf  ùktIvxs  Ç>épsi.  —  Ciampini  (  Vet.  monim.  pars  1°)  dit: 
«  Publ.  Victor,  in  colosse  Solis,  quem  Zenodorus  Neroni  dicavit,  de  quo  Plin.  cap.  xxiv, 
«  lib.  VII ,  Septenis  caput  ejus  radiis  coruscasse  tradit,  quorum  singuli  viginli  duos  pede? 
"  et  semis  in  longitudine  praîstabant.  »  —  On  fera  attention  que  le  nombre  des  rayons  qui 
entouraient  la  tête  du  Soleil  colossal  de  Zénodore  est  précisément  le  même  que  celui  du 
jeune  Soleil  dont  nous  donnons  la  gravure;  cbaque  rayon  allume  une  planète  donl  le 
soleil  esl  le  cenire.  L'éloilc  de  Jules  César,  dit  Suétone,  brilla  sept  jours  de  suite. 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE.  39 

rieur  de  la  circonférence.  Ici  la  circonférence  est  en  dedans 
et  les  rayons  en  dehors  :  c'est  absolument  l'opposé. 


lO.    NIMBE  FRANGE  DE  QUATORZE   RAYONS 

Pierre  gravée,  premiers  siècles  chrétiens. 


La  circonférence  du  nimbe  est  ordinairement  marquée  par 
une  ligne  circulaire  continue ,  par  un  cercle  parfait  ;  cepen- 
dant ,  chez  les  Romains  surtout  ^  et  chez  les  Indous  ^,  cette 

'  Cette  figure  est  tirée  d'une  pierre  gravée  dite  Ahraxas,  amulette  à  l'usage  des  gnos- 
.liques.  C'est  une  espèce  de  divinité  panthée.  Ce  génie  du  monde  est  céleste  par  le  soleil  et 
la  lune  qui  brillent  dans  le  champ  où  il  est  gravé,  terrestre  par  sa  tête  de  lion  ,  aquatique 
par  sa  queue  de  reptile ,  divin  par  son  nimbe  rayonnant  de  deux  fois  sept  traits  lumi- 
neux. Voyez  l'Antiquité  expliquée  de  Montfaucon,  tom.  IV,  p.  .^62 . 

'  Voyez  des  médailles  du  temps  des  Antonins;  elles  portent  sur  le  revers  un  oiseau  ,  le 
phénix ,  symbole  de  l'immortalité.  Cet  oiseau ,  qui  renaît  par  le  feu ,  porte  la  tête  nimbée 
d'un  nimbe  en  zigzag  à  la  circonférence.  Sur  des  médailles  de  Faustine,  l'Eternité  tient 
à  la  main  un  paon  nimbé  de  même.  Ce  qui  est  curieux,  c'est  qu'un  manuscrit  chrétien  de 
la  Bibliothèque  royale,  n"  434,  S'-Germ.  montre  deux  paons  nimbés  comme  des  saints. 

'  Voyez  la  Symbolique  de  Creuzer,  atlas  allemand,  planche  xxxi ,  entre  autres,  et  la 
planche  xvii  de  l'atlas  français  qui  accompagne  la  traduction  de  M.  Guignant.  Là  le  soleil 
est  au  centre  d'un  disque  dentelé  intérieurement;  entre  ce  cercle  de  lumière,  qui  envi- 
ronne le  Soleil,  et  un  cercle  de  circonférence  où  sont  les  signes  du  zodiaque,  est  un  cor- 
don occupé  par  la  personnification  de  huit  planètes,  qui  sont  la  Lune  (ou  plutôt  Lunus, 
cette  constellation  étant  mâle  chez  les  Indous),  Mars,  Mercure,  Jupiter,  Vénus  mâle, 
Saturne,  Rahou  et  Ketou  :  elles  ont  la  tète  entourée  d'une  auréole  ou  nimbe  dentelé 
comme  l'oiseau  immortel  des  Romains.  (Voyez  plus  bas,  pi.  12,  p.  kk.  Maya  enveloppée 
d'un  nimbe  à  circonférence  brisée  en  zigzags.)  — Dans  les  peintures  à  fresque  de  la  Grèce, 


40  INSTRUCTIONS. 

ligne,  ce  cercle,  sont  brisés  en  zigzags,  et  ont  la  forme  d'un 
ourlet  en  dents  de  scie.  La  pointe  de  ces  dents  peut  être  re- 
gardée comme  l'extrémité  de  cette  foule  de  rayons  qui  partent 
de  la  tête,  qui  sont  compactes  jusqu'à  la  circonférence,  et 
qui,  arrivés  là,  se  détachent  et  poussent  des  pointes  de  tous 
côtés. 

Enfin  une  forme  qui  semble  antique,  et  que  l'iconogra- 
phie de  la  renaissance  a  très-souvent  adoptée,  c'est  celle  d'une 
langue  de  feu  placée  sur  le  front  des  génies.  A  la  translation 
des  restes  de  Napoléon,  le  i5  décembre  i8/io,  nous  avons  vu 
cette  langue  de  feu  éclairant  le  front  des  génies  placés  sur  le 
pont  du  Carrousel  et  sur  l'esplanade  des  Invalides.  C'est  avec 
cette  flamme  au  front  qu'aux  xvii^  et  xviii^  siècles  on  repré- 
sente ordinairement  les  apôtres  sur  lesquels,  à  la  Pentecôte, 
descend  le  Saint-Esprit  :  alors  les  apôtres  sont  transfigurés , 
et,  d'hommes  grossiers  qu'ils  étaient,  sont  devenus  des  génies. 
Cette  langue  lumineuse,  c'est  l'étoile  luisant  au  front  de  la 
statue  de  Jules  César  ^ 

Telles  sont  les  principales  variétés  du  nimbe  :  ce  qui  reste 
à  dire  sur  ce  sujet  comprendra  d'autres  différences  encore 
qu'il  sera  facile  de  remarquer. 

on  voit  fréquemment  le  Saint-Esprit ,  sous  la  forme  d'une  colombe ,  inscrit  dans  un  nimbe 
général,  ou  une  auréole  dentelée  à  la  circonférence  comme  celle  du  phénix  païen.  Une 
gravure  qui  vient  du  mont  Athos,  et  qui  représente  le  grand  monastère  d'Ivirôn ,  montre 
ainsi  figuré  le  Saint-Esprit  descendant  du  ciel,  au  moment  de  l'Annonciation.  Ciampini 
(  Vêlera  Monimenta,  pars  i",  pi.  36,  fig.  i4)  a  fait  graver  une  monnaie  de  Fausline,  sur 
laquelle  la  figure  allégorique  de  l'Eternité  lient  un  oiseau  que  Ciampini  croit  un  paon, 
qui  est  un  phénix  peut-être,  et  qui  porte  un  nimbe  à  circonférence  en  dents  de  scie 
comme  le  Saint-Esprit  d'Ivirôn, 

0  Ludis  quos  primo  consecratos  ei  (Julio  Caesari)  hères  Auguslus  edebat,  Stella  cri- 
«  nita  per  septem  dies  continuos  fulsit,  exoriens  circa  undecimam  horam.  Creditum  es» 
«  animam  esse  Cœsaris  in  cœlum  recepti,  et  liac  de  causa  simulacre  ejus  in  vertice  addilur 
<i  Stella.  D  (Suétone,  Vie  de  Jules  César.  ] 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  41 


APPLICATION    DU    NIMBE. 


En  iconographie  païenne,  le  nimbe  se  donne  ordinairement 
aux  divinités;  assez  souvent  aux  empereurs  romains;  quelque- 
fois aux  rois  de  l'Europe  orientale  et  de  l'Asie  ;  communément 
aux  magiciennes  ou  prophétesses;  presque  toujours  aux  cons- 
tellations personnifiées ,  et  aux  puissances  bonnes  ou  mauvaises 
de  fâme  humaine,  de  la  nature  et  de  la  société ^ 

En  iconographie  chrétienne,  on  décore  du  nimbe  les  per- 
sonnes divines  représentées  isolément  ou  réunies  dans  la  Tri- 
nité; on  en  marque  les  anges,  les  prophètes,  la  vierge  Marie, 
les  apôtres,  les  saints.  Quelquefois  aussi,  mais  plus  rarement, 
on  le  donne  à  la  personnification  des  vertus,  à  des  allégories 
d'objets  naturels  ou  psychologiques,  à  plusieurs  constella- 
tions, à  certaines  qualités  ou  affections  de  l'âme.  La  puis- 
sance politique ,  les  forces  de  la  nature,  le  génie  du  mal,  sont 
rehaussés  de  cet  attribut  ;  mais  c'est  assez  rare ,  et  seulement 
quand  l'esprit  païen  déteint,  pour  ainsi  dire,  sur  le  génie 
chrétien. 


NIMBE    DE    DIEU. 


Dieu,  comme  les  anges,  comme  les  saints,  porte  le  nimbe 
circulaire  ou  en  disque;  mais,  pour  distinguer  le  créateur  de 
ses  créatures ,  on  a  divisé  le  champ  du  disque  divin  par  deux 
barres  perpendiculaires,  qui  se  coupent  au  centre  et  qui  for- 
ment comme  une  croix  grecque.  L'un  des  croisillons,  le  pied 
de  la  croix ,  est  caché  par  la  tête  qui  s'appuie  dessus  ;  les 
trois  autres  sont  visibles,  et  semblent  s'élancer  verticalement 
du  sommet  du  front  et  horizontalement  de  l'extrémité  des 
tempes. 

*  Voyez  plus  bas,  pages  8A,  v36  et  137,  et  plus  haut,  p,  38. 

INSTRUCTIONS. II.  6 


42 


INSTRUCTIONS. 

1  1.  — TUINITÉ  D0^^  CHAQUE  PERSONNE  PORTE  LE  NIMBE  CRUCIFERE '. 
Miniature  des  Heures  du  duc  d'Anjou,  Bibliothèque  royale,  fin  du  xuf  siècle. 


Que  Ton  ait  eu  réellement  l'intention  de  décorer  d'une  croix 
le  champ  du  nimbe  de  Dieu,  cela  semble  douteux;  il  se  peut 
que  cet  ornement,  qui  marque  le  nimbe  des  personnes  divines, 
ne  soit  pas,  comme  on  pourrait  le  croire,  une  forme  empruntée 
à  l'instrument  sur  lequel  Jésus-Christ  est  mort.  On  compren- 
drait bien  que  le  nimbe  du  Christ  en  fût  orné;  mais  pourquoi 
le  Saint-Esprit  et  le  Père  porteraient-ils  cette  croix?  Serait-ce, 
en  quelque  sorte,  la  livrée  du  Fils  qu'ils  arboreraient?  ce  serait 
peu  convenable.  D'ailleurs  les  dieux  indous,  les  dieux  boud- 
dhiques portent  cette  croix  dans  l'auréole  qui  entoure  leur  tête, 
et  l'on  ne  peut  pas  dire  que  ce  soit  à  la  croix  du  Calvaire  qu'ils 
l'ont  empruntée. 

Quand  on  est  un  saint  ordinaire,  un  mortel  qui  a  reçu  les 
honneurs  de  l'apothéose  ou  de  la  canonisation ,  on  porte  le 

Cette  Trinité  est  du  xiv°  siècle,  ou  plutôt  de  la  fin  du  xiif  ;  elle  est  tirée  du  manus- 
crit qui  porte  le  nom  de  Louis ,  duc  d'Anjou  ,  et  qui  est  une  mine  inépuisable  pour  les 
iconologues.  On  fera  observer,  pour  en  tirer  une  conclusion  plus  tard,  qu'il  n'est  pas 
possible  de  distinguer  ici  Dieu  le  Père  de  Dieu  le  Fils.  La  Trinité  est  au  P  i83  du  ma- 
nuscrit coté  Lavall.  127. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  /|3 

nimbe  uni,  l'auréole  toute  simple,  qui  est  le  signe  de  la  sain- 
teté ;  mais  quand  on  est  dieu  cette  auréole  doit  être  plus  puis- 
sante. Non-seulement  le  corps  entier  est  nimbé,  c'est-à-dire  est 
cerné  de  l'auréole  proprement  dite,  comme  on  va  le  voir  ;  mais 
le  nimbe  de  la  tête  est  rayé  par  une  croix  dont  un  croisillon 
part  du  front,  et  deux  autres  croisillons  des  oreilles  ou  des 
tempes.  La  tête  entière  rayonne  ^  ;  mais  cependant  de  cette 
tête  partent  trois  sources  principales  qui  s'échappent  des  trois 
parties  essentielles  du  crâne  :  l'une  sort  du  front,  le  vrai  réser- 
voir du  cerveau;  les  deux  autres  s'élancent  des  tempes,  où  la 
vie  afflue,  se  concentre  et  bat  dans  de  grosses  artères.  Le  front, 
les  tempes  sont  comme  les  trois  points  cardinaux  de  la  sphère 
cérébrale. 

Quand  Dieu  est  environné  de  l'auréole  et  du  nimbe,  et  que 
le  champ  de  Tune  et  de  l'autre  est  strié  de  rayons  lumineux 
qui  s'exhalent  de  tout  son  corps,  on  voit  ces  rayons  sortir  bien 
plus  abondamment  de  la  tête  que  du  tronc,  parce  que  la  tête 
c'est  presque  tout  fhomme.  Le  front  et  les  tempes  rayonnent 
plus  abondamment  encore ,  parce  que  le  front  et  les  tempes 
sont  à  la  tête  entière  ce  que  la  tête  elle  -  même  est  au  tronc  : 
ils  en  sont  les  organes  essentiels. 

Ainsi  le  dessin  suivant  représente  Maya,  la  déesse  indoue, 
pressant  ses  mamelles  d'où  coule  à  flots  la  mer  de  lait  qui 
engendre  et  nourrit  tous  les  êtres  du  monde.  Le  voile  des  idées, 
ou  prototypes  de  la  création ,  entoure  la  déesse  richement 
parée.  Maya  est  environnée  d'une  demi-auréole  ou  d'un  grand 
nimbe  ourlé  de  zigzags  à  la  circonférence,  et  dont  le  champ 
est  strié  de  pétillements  lumineux.  En  outre,  à  la  hauteur  et 
des  tempes  et  du  front,  jaillissent  trois  gerbes  de  rayons  qui 

'  Voyez,  à  l'Ilisloire  de  Jésus-Chrisl,  une  ligure  tirée  du  Campo-Santo ,  et  où  le  Christ 
lance  des  rayons  de  tous  côtés. 

6. 


44  INSTRUCTIONS. 

correspondent  exactement  aux  croisillons  du  nimbe  divin  de 
l'archéologie  chrétienne.  Plus  bas,  pi.  34,  p-  106,  on  verra  un 
jeune  Jésus  dont  la  tête  rayonne  ainsi  par  trois  aigrettes  de 
flamme.  Ces  aigrettes,  ces  croisillons  représentent  donc  l'é- 
nergie des  trois  principales  sources  de  la  tête  plutôt  qu'elles 
ne  figurent  la  croix  divine. 

12. MAYA,   DÉESSE  INDOUE  ET  SOURCE  DE  LA  MER  DE  LAIT,  ORNEE  D'UN  NIMUE  CRUCIFÈRe'. 

Iconographie  de  rindoiistan. 


Cependant  il  faut  dire  que  quelquefois,  mais  très -rare- 
ment, par  exception  et  seulement  lorsqu'il  s'agit  de  Jésus- 
Christ,  c'est  bien  une  croix,  l'instrument  de  la  passion,  qu'on 
a  figurée  derrière  la  tête  du  Sauveur.  Le  fait  est  évident  sur  un 
ivoire  du  xi^  siècle  qu'on  voit  au  Louvre^.  Le  Christ,  sculpté 
sur  ce  curieux  monument,  pose  sa  tête  sur  une  croix  dont  le 

Religions  de  l'antiquité,  allas,  planche  19,  11°  io3. 
Armoires  du  musée  Charles  X ,  salle  gothique. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIEiNNE.  45 

sommet  est  plus  long  que  les  croisillons.  Les  trois  branches 
ne  sont  pas  reliées  entre  elles  par  une  ligne  circulaire,  en 
sorte  que  la  réalité  d'une  croix  est  bien  plus  évidente  en- 
core. 

A  une  ancienne  époque ,  sur  un  très-vieux  sarcophage  du 
Vatican,  on  voit  le  Christ  barbu,  debout  sur  la  montagne 
mystique,  d'où  s'échappent  les  quatre  fleuves  du  paradis  ter- 
restre. Jésus  donne  aux  apôtres  ses  dernières  instructions;  il 
leur  dit  d'aller  prêcher  et  baptiser  dans  tout  l'univers,  d'aller 
prêcher  la  parole  écrite  sur  le  volumen  qu'il  tient  à  sa  main 
gauche  et  qu'il  leur  tend,  d'aller  baptiser  avec  l'eau  des  fleuves 
sacrés  qui  roulent  leurs  ondes  à  ses  pieds.  Les  apôtres,  dont 
on  ne  voit  que  six  dans  la  sculpture,  trois  à  gauche  et  trois  à 
droite ,  sont  ligures  sous  la  forme  d'agneaux  :  Jésus-Christ  lui- 
même  est  accompagné  de  son  agneau  symbolique,  comme  le 
Férouer,  ou  le  type  symbolique  de  l'homme  chez  les  Persans, 
accompagne  l'homme  lui-même  dans  lequel  il  habite.  Ces 
agneaux  ne  portent  pas  de  nimbe;  la  personne  du  Christ  n'en 
a  pas  non  plus,  parce  que  le  monument  est  plus  ancien  que 
l'époque  où  le  nimbe  fut  adopté  ;  mais  le  symbole  du  Christ , 
l'agneau  divin ,  porte  sur  le  front,  comme  on  porte  une  aigrette, 
la  croix  où  Jésus  fut  immolée  A  Arles,  dans  l'église  de  Saint- 
Trophime,  chapelle  du  Sépulcre,  un  tombeau  qui  provient 
des  Aliscamps  offre  un  Christ  barbu,  enseignant  l'Evangile, 
assis  dans  une  auréole  arrondie  par  le  sommet.  Sur  la  tête  du 
Christ,  et  comme  implantée  dans  le  crâne,  s'élève  une  petite 
croix  parfaitement  caractérisée.  Dans  un  angle  de  cette  croix, 
en  haut  et  à  droite ,  est  un  crochet  qui  forme  un  P,  le  rho  des 
Grecs.  La  croix  équivalant  à  un  chi  (X),  on  a  ainsi  le  mono- 

*  Voyez  le  dessin  de  ce  sujel,  plus  bas,  à  l'Hisloire  de  .lésus-Chrisl. 


46  INSTRUCTIONS. 

gramme  du  Christ  X  P  (  Xe^a-%'^  ^  ).  Ces  exemples  sont  plus  con- 
cluants cpie  les  autres  encore  pour  démontrer  que  les  rayons  qui 
partent  de  la  tête  de  Dieu,  et  qui  sont  reliés  par  un  cercle,  doi- 
vent représenter  une  croix,  lorsque  c'est  le  Christ  qui  en  est  orné. 
De  plus ,  l'agneau  de  Dieu  dont  voici  le  dessin  ,  porte  un 
nimbe  qui  est  d'abord  crucifère  comme  celui  de  plusieurs  autres 
agneaux;  mais  qui,  en  outre,  ofFre  chaque  croisillon  recroisé. 

l3.  AGNEAU  DIVIN  À  NIMBE  CROISE  ET  REGROISÉ  ^. 

.    Sculpture  Italienne,  x°  siècle. 


Si  donc  les  croisillons  indiquent  l'énergie  divine,  comme  il 
est  probable ,  il  faut  dire  que  cette  curieuse  particularité  d'un 
nimbe  à  croisillons  recroisés  élève  cette  énergie  à  la  quatrième 
puissance  en  quelque  sorte.  Une  fresque  romane  de  Montoire 
(Loir-et-Cher),  près  de  Vendôme,  et  qui  décore  un  des  trans- 
septs  de  la  croisée  de  l'église,  offre  Jésus- Christ  dans  une 
gloire  ovoïdale.  Le  nimbe  qui  entoure  la  tête  est  partagé 
par  des  rayons;  mais  la  traverse,  dont  le  centre  est  caché 
par  la  tête  dans  les  exemples  analogues,  est  ici  surhaussée 

^  Je  dois  le  dessin  de  ce  Christ  à  l'obligeance  de  M.  H.  Clair,  correspondant  du  co- 
mité des  arts  et  monuments;  M.  Clair  l'a  fait  exéculer  par  M.  Daumas. 

'  Ce  monument  est  gravé  dans  Bosio,  Roma  sotterranea,  in-f,  édit.  de  Rome,  i636 
(]632),  page  627. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  47 

et  se  montre  tout  entière.  Cette  traverse,  entièrement  visible, 
imprime  à  ces  rayons  une  forme  de  croix  plus  évidente  qu'à 
tous  les  autres  nimbes  semblables.  Cependant  les  branches  et 
le  sommet  de  cette  croix  (le  pied  de  la  croix,  s'il  existe,  est 
couvert  par  la  tête)  sont  reliés  par  un  nimbe,  en  sorte  que  la 
forme  générale  ressemble  à  la  boule  du  monde,  telle  que  Dieu 
la  porte  ordinairement  dans  sa  main.  Ces  trois  bandes,  qui 
forment  la  croix  de  Montoire,  ne  paraissent  pas  autre  chose 
que  les  cercles  qui  assujettissent  la  représentation  du  globe 
terrestre.  Jésus  semble  donc  soutenir  le  monde  avec  sa  tête,  et 
cette  sphère  cerclée  nous  ramène  directement  à  l'iconographie 
égyptienne,  où  nous  voyons  une  foule  de  personnages  portant 
ainsi  le  globe  du  monde  sur  leur  tête. 

1^.  —  KIMBE  DIVIN  À  CROISILLONS  SURHAUSSES  '. 
Fresque  du  x.f  siècle,  dans  l'église  de  Montoire,  près  de  Vendôme  (Loir-et-Cher). 


Les  branches  de  ces  croisillons  du  nimbe  divin  sont  plus  ou 
moins  larges,  plus  ou  moins  déliées  :  quelquefois  ce  n'est  qu'une 

Voyez  tout  le  musée  égyptien  du  Louvre;  le  grand  ouvrage  sur  l'Egypte;  le  zodiaque 
de  Denderah;  les  planches  29,  3o,  3^ ,  33,  3/j,  35,  etc.  de  l'allas  des  Religions  de  l'antiquité. 


48  INSTRUCTIONS. 

ligne,  un  simple  filet;  d'autres  fois  elles  occupent  en  largeur  la 
moitié  de  tout  le  champ.  Dans  ce  cas,  elles  sont  ordinairement 
relevées  de  perles,  de  pierres  précieuses  ou  d'autres  ornements 
variés.  Chez  les  Grecs,  chaque  croisillon  porte  une  lettre  dont 
les  trois  réunies  forment  o  m,  l'être.  La  disposition  de  ces  let- 
tres varie:  l'omicron  est  à  gauche,  et  c'est  le  cas  le  plus  fré- 
quent, ou  au  sommet,  comme  dans  le  dessin  suivant. 

l5.  — jÉSUSCHr.IST  GREC,  À  NIMBE  CRUCIFERE,  LES  CROISILLONS  MARQUES  DE  0  WV ,  l'Être. 
Fresque  des  Météores,  en  Thessalio,  xiv"  siècle. 


Dans  le  Guide  de  la  peinture  ^  on  lit  :  «  Sur  la  croix  qui  di- 
vise les  couronnes  (nimbes)  des  trois  personnes,  du  Père,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit,  écrivez  ces  lettres  :  o  àlv.  C'est  par  ces 
mots  que  Dieu  s'est  révélé  à  Moïse  dans  le  buisson  ardent  :  iytj 
èîixi  0  lù^.  Disposez  ainsi  ces  lettres  :  que  l'omicron  (  o)  soit  sur 
la  partie  droite  du  nimbe  ^,  l'oméga  (  u  )  sur  la  partie  supé- 
rieure, le  ny  (  v)  sur  la  partie  gauche.  » 

On  voit  quelquefois  l'o  à  gauche,  mais  avec  le  v  au  sommet 

Epfxj/rsja  TJ7s  Çiir)'pa<p<x)7s ,  manuscrit  que  j'ai  trouvé  et  acheté  au  mont  Athos,  et 
que  M.  Paul  Durand,  mon  compagnon  de  voyage,  vient  de  traduire  pour  être  livré  à 
1  mipression  ,  avec  des  notes  et  une  introduction  que  j'ai  écrites. 

C  est  la  gauche  pour  celui  qui  regarde,  et  la  droite  pour  la  personne  qui  est  figurée 
sur  l'image. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  49 

et  Vco  à  droite,  comme  on  le  remarque  à  la  couronne  de  cuivre 
émaillé  donnée  par  l'empereur  Frédéric  Barberousse,  et  qui 
est  suspendue  sous  le  dôme  d'Aix-la-Chapelle  ^ 

Chaque  croisillon  est  formé  de  deux  lignes  parallèles,  qui 
viennent  aboutir  au  centre,  d'une  part,  et  de  l'autre  à  la  cir- 
conférence du  disque.  Le  croisillon  est  souvent  égal  en  largeur 
dans  tout  le  rayon  qu'il  parcourt;  mais  souvent  aussi  il  est 
jdIus  large  et  comme  en  spatule  à  la  circonférence  :  alors  il  est 
moins  large  au  centre,  plus  étroit  encore  et  comme  étranglé 
au  milieu. 

Entre  ces  croisillons,  pas  d'ornements;  le  champ  est  uni  le 
plus  souvent.  Quelquefois  de  minces  fdets ,  de  petits  rayons , 
trois  par  trois,  quatre  par  quatre,  occupent  l'espace  laissé  libre 
par  les  gros  rayons  qui  composent  la  croix  du  nimbe. 

Le  nimbe  crucifère  ne  se  donne  qu'à  Dieu  ;  il  se  donne  sur- 
tout à  Jésus-Christ,  et  souvent,  comme  dans  les  monuments 
byzantins,  ainsi  qu'on  vient  de  le  voir,  on  écrit  entre  les 
branches  de  la  croix  o,  œv  :  celui  qui  est  "-. 

'  On  ne  peut  pas  donner  des  dessins  de  lous  les  monuments  ou  de  tous  les  faits  qu'on 
cite.  Quelquefois  ces  monuments  n'ont  jamais  été  reproduits  par  la  gravure,  en  sorte 
qu'il  faudra  croire  sur  parole,  et  c'est  le  cas  pour  la  couronne  d'Aix-la-Chapelle.  Du 
reste,  j'ai  vu  cette  couronne  et  j'en  ai  fait  une  description  sur  place.  Toutes  les  fois  donc 
que  je  citerai  un  monument  ou  un  fait  sans  donner  ou  sans  indiquer  une  gravure  à 
l'appui,  c'est  que  j'aurai  vu  ce  monument  de  mes  yeux. 

"  Les  Grecs,  savants  en  écriture  sainte,  avaient  vu  dans  la  Bible  ce  verset  de  l'Exode, 
ainsi  que  vient  de  nous  le  dire  le  Guide  de  la  peinture  :  «  Dixit  Deus  ad  Moysen  :  EGO 
«  SUM  QUI  SUM.  Ait  :  Sic  dices  filiis  Israël  :  QUI  EST,  misit  me  ad  vos  »  (Liber  Exodi, 
cap.  III,  v.  i4).  Ils  voulurent  traduire  ces  belles  paroles  par  l'art  figuré,  et,  tout  en 
donnant  au  Créateur  une  expression  divine,  ils  inscrivirent  o  œv  dans  le  rayonnement 
de  sa  tête.  Chez  nous,  on  est  moins  instruit  ou  plus  confiant  dans  la  toute-puissance  de 
l'art;  on  s'est  donc  contenté  de  la  physionomie.  Il  faut  dire  qu'à  la  cathédrale  d'Athènes, 
où  est  aujourd'hui  la  bibliothèque  publique,  le  Christ,  peint  à  fresque  dans  le  ciel  de  la 
coupole,  a  le  nimbe  croisé,  mais  sans  o  œv  dans  les  croisillons;  ce  sont  des  cabochons  et 
des  perles  qui  en  tiennent  lieu.  L'absence  de  ces  trois  lettres  grecques  est  peut-être  un 
caractère  d'ancienneté.  Cette  cathédrale  est  la  plus  vieille  église  d'Athènes. 

INSTRLCTIONS.  H.  7  . 


50  INSTRUCTIONS. 

Les  Latins  ont  quelquefois  imité  ce  motif;  mais  au  lieu  de 
0,  m,  ils  ont  mis  rex  en  trois  lettres  aussi,  une  pour  chaque 
hranche  visible  de  la  croix  ^ 

Les  artistes,  comme  les  copistes  du  moyen  âge,  étaient  sou- 
vent assez  peu  instruits  :  les  copistes  passaient  un  mot,  une 
phrase;  les  artistes  omettaient  un  caractère  constant,  soit  par 
négligence,  soit  par  ignorance.  Il  ne  faut  donc  pas  s'étonner 
si  Ton  rencontre  souvent  une  des  personnes  divines  sans  nimbe, 
ou  avec  un  nimbe  uni  et  non  croisé.  De  pareilles  erreurs  sont 
extrêmement  fréquentes,  comme  dans  ce  dessin  qui  repré- 
sente l'ascension  de  Jésus-Christ ,  et  qui  reproduit  une  sculp- 
ture en  bois  faite  en  Italie  au  xiv^  siècle^. 


16. 


JESUS  A  NIMBE  UNI,   MONTANT  AU  CIEL  DANS  UNE  AUREOLE  CIRCULAIRE. 
Sculpture  sur  bois,  xiv"  siècle. 


Une  erreur  contraire,  mais  beaucoup  moins  fréquente  que 
la  première  ,  attribue  le  nimbe  crucifère  ou  divin  à  un  simple 

Voyez  Gori,  Thésaurus  veterum  diptychorum ,  vol.  III,  p.  79.  Le  dessin  représente  un 
Christ  inscrit  dans  une  auréole  ovale,  et  sculpté  sur  un  ivoire  qui  servait  de  couverture  à 
un  livre  d'évangiles.  Ce  curieux  monument,  qui  provient  du  musée  des  Camaldules  de 
Saint-Michel  de  Muriano,  de  Venise,  est  d'une  date  incertaine;  mais  il  a  dû  être  exécuté 
par  un  artiste  latin  qui  avait  étudié  et  qui  aimait  l'art  byzantin. 

Ce  bois  appartient  à  M.  Paul  Durand,  qui  l'a  rapporté  d'Italie. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  51 

mortel.  Un  ancien  manuscrit  de  la  bibliothèque  d'Amiens 
montre  en  tête,  dans  l'intérieur  d'un  grand  B  décoré  d'ara- 
besques, un  jeune  homme  imberbe,  ceint  d'un  diadème,  assis, 
tenant  un  livre  ouvert  de  la  main  gauche ,  et  de  la  main  droite 
trempant  une  plume  dans  un  encrier  K  Ce  jeune  écrivain 
porte  un  nimbe  crucifère;  il  est  attentif  à  l'inspiration  d'une 
colombe  qui  lui  souffle  à  l'oreille  la  poésie  qu'il  va  écrire. 
Certainement  le  miniaturiste  s'est  trompé  :  ce  jeune  homme 
est  David  écrivant  ses  psaumes,  et  ce  serait  tout  au  plus  saint 
Jean  évangéliste  assisté  de  son  aigle  ;  mais ,  dans  l'un  et  l'autre 
cas,  c'est  un  mortel  et  non  pas  Dieu.  A  la  bibliothèque  de  l'Ar- 
senal, une  miniature^  montre  un  prêtre  officiant  orné  d'un 
nimbe  d'or  croisé.  Ce  personnage  pourrait  être  Jésus  lui-même 
exerçant  les  fonctions  de  prêtre;  mais  on  remarquera  qu'il  a 
la  tête  chauve  comme  on  représente  saint  Pierre ,  et  que  le 
Christ  n'est  jamais  chauve.  Au  surplus,  que  ce  soit  Jésus  en 
personne  et  que  l'erreur  n'existe  pas  en  réalité ,  voici  d'autres 
faits. 

Le  missel  de  l'abbaye  de  Saint-Magloire  de  Paris  ^,  qui  est 
du  xv^  siècle ,  montre  à  la  Nativité  de  Marie  la  petite  Vierge 
portant  un  nimbe  d  or,  lequel  est  divisé  par  trois  croisillons 

'  Liber  psalmoriim  ,  noie  comme  du  ix°  siècle.  M.  ie  docleur  Rigollot  {Allas  de  l'Essai 
liistorique  sur  les  arts  du  dessin  en  Picardie,  depuis  V époque  romaine  jusqu'au  xvi'  siècle, 
in-8°,  Amiens,  i8/io)  a  fait  dessiner  par  M.  Dutlioit  celte  grande  leUre  B,  historiée 
d'arabesques  et  de  personnages.  C'est  la  première  lettre  du  Beatus  vir,  qui  ouvre  le  livre 
des  psaumes.  M.  Rigollot,  sans  se  décider  [Essai  sur  les  arts  du  dessin  en  Picardie,  p.  36) , 
voit,  dans  ce  jeune  homme  à  nimbe  crucifère,  l'évangéliste  saint  Jean  ou  David  le 
psalmisle  ;  nous  croyons  que  c'est  le  roi  David  inspiré  par  le  Saint-Esprit.  Fréquem- 
ment, et  on  en  trouvera  im  autre  exemple  dans  l'Histoire  du  Saint-Esprit,  la  figure  de 
David  est  ainsi  peinte  en  tête  de  ses  psaumes,  tandis  que  le  Saint-Esprit  plane  sur  sa 
tète  ou  lui  soufile  à  l'oreille  pour  lui  inspirer  ses  chants. 

Evangeliariurn,  in-f°.  Théol.  lat.  n"  203  ,  fui  du  xiv°  siècle.  Cel  ofTicianl  se  trouve  à 
l'évangile  de  la  fête  de  la  sainte  Trinité,  f°  1  Sg ,  verso. 

■■  Bibliothèque  de  l'Arsenal ,  Théol.  lat.  188,  f  807,  verso,  InNativitateheatœ  Mariœ. 

7- 


52  INSTRUCTIONS. 

noirs.  Mais  la  Vierge  a  bien  une  grande  auréole  qui  lui  envi- 
ronne le  corps  tout  comme  Dieu  lui  -  même ,  ainsi  qu'une 
gravure  le  montrera  plus  bas  ;  la  Vierge  est  presque  Dieu.  On 
conçoit,  à  la  rigueur,  qu'un  de  ses  dévots  exagérés  l'ait  revêtue 
d'un  nimbe  crucifère,  et  qu'il  y  ait  une  réelle  intention  et  non 
pas  une  erreur  dans  ce  fait;  mais  l'erreur  est  manifeste  et 
double  dans  un  autre  manuscrit^  qui  est  de  la  fm  du  xiii"  siècle. 
On  y  voit  le  prophète  Jobel,  jeune,  imberbe,  portant  le  nimbe 
crucifère.  Joliel  écoute  Dieu  qui  lui  parle,  et,  ce  qui  est  cu- 
rieux ,  c'est  que  Dieu  porte  un  nimbe  tout  uni.  Il  y  a  eu  trans- 
position, et  la  divinité  a  passé,  avec  le  nimbe  croisé,  de  Dieu 
au  prophète,  pendant  que  l'humanité  allait  du  prophète  à 
Dieu.  Ces  erreurs  sont  pleines  d'intérêt  ;  elles  jettent  un  cer- 
tain jour  sur  l'instruction  des  artistes  chrétiens. 

Le  nimbe  de  Dieu  ne  se  croise  pas  de  suite;  les  premiers 
monuments  chrétiens  ne  mettent  pas  le  nimbe,  comme  on 
le  remarque  sur  les  sarcophages  généralement,  ou  le  mettent 
uni.  Voyez,  pour  ce  dernier  fait,  un  vieil  ivoire  qui  appartient 
à  M.  le  comte  Auguste  de  Bastard^,  la  bible  de  Charles  le 
Chauve"",  la  première  et  la  plus  ancienne  partie  du  manuscrit 
d'Herrade''.  Dans  ce  dernier  ouvrage,  à  l'exception  du  Dieu 
qui  crée  les  anges,  les  autres  représentations  de  la  divinité  ont 
le  nimbe  uni  et  sans  croix  jusqu'au  folio  54.  Dans  ce  dessin, 

Officium  ecclesiasticum ,  Bibliothèque  de  TArsenal ,  Théol.  lat.  laS,  C  197,  verso. 

Celte  sculpture,  qui  pourrait  être  du  iv"  ou  v°  siècle,  représente  le  paralytique 
guéri  par  Jésus,  l'hémorrhoïsse  touchant  Jes  vêtements  de  l'Homme-Dieu ,  et  les  pour- 
ceaux se  précipitant  d'ans  la  mer  à  la  voix  du  créateur  incarné.  Jésus,  dans  ces  trois 
scènes  ,  est  imberbe,  orné  d'un  nimbe  tout  tmi ,  et  chaussé  de  sandales. 

A  la  création,  dans  celte  belle  bible  ,  le  Dieu  qui  crée  est  jeune,  imberbe ,  à  nimbe 
sans  croisillons,  pieds  nus,  un  bâton  à  la  main. 

Horlus  dclicmrum,  ms.  rempli  de  superbes  miniatures.  C'est  une  encyclopédie  com- 
pilée, dit-on,  et  même  peinte  en  ii8o,  par  Ilerrade  de  Landsberg,  abbesse  du  couvent 
lie  Sainte-Odile,  en  Alsace.  Ce  manuscrit  appariieni  à  la  bibliothèque  de  Strasbom-g. 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE. 


53 


17.  JESUS  IMBERBE,   A  NIMBE  UNI. 

Fresque  des  catacombes,  premiers  siècles  du  christianisme. 


qui  est  tiré  d'une  fresque  des  catacombes  de  Rome\  et  qui  re- 
présente Jésus-Christ  imberbe,  assis  entre  ses  deux  apôtres 
debout,  saint  Pierre  et  saint  Paul,  Jésus  porte  le  nimbe  uni  et 
non  croisé,  absolument  comme  le  portent  les  deux  apôtres. 
L'âge  de  cette  peinture  est  indécis;  mais  ce  monument  date 
des  premiers  siècles  de  l'église,  et  cet  exemple  du  nimbe  chré- 
tien est  le  plus  ancien  qu'on  ait  pu  trouver.  Les  autres  repré- 
sentations de  Dieu  sont  sans  nimbe  ainsi  que  la  suivante,  où 
Jésus  est  encore  imberbe  et  à  longs  cheveux  ^. 


'   Pioma  sotlerr.  p.  Ayô. 

'  Jésusimberbe  est  assis  sur  un  trône,  les  pieds  posant  sur  l'écharpe  que  tient  une 
femme  nue,  et  qui  représente  la  personnification  de  la  terre.  La  Terre  sert  d'escabeau  à 
Jésus ,  d'après  le  texte  d'Isaïe  :  «  Ponam  terram  scabellum  pedum  tuorum.  »  (V.  la  Rome 
souterraine.)  —  Dans  ce  tableau  la  figure  allégorique  qui  sert  de  support  à  Jésus  est  une 
femme,  parce  qu'elle  représente  la  terre  probablement;  ailleurs  c'est  un  vieillard  barbu. 
Il  est  vraisembl«ble  que  dans  ce  cas  cet  homme  âgé  représente  le  ciel.  Ce  vieux  Ciel 
serait  donc  un  motif  emprunté  aux  idées  du  paganisme  ;  plus  d'une  fois  l'art  chrétien 
s'est  approprié  les  idées  mythologiques.  Ces  idées,  d'ailleurs,  avaient  pu  être  prises  au 
monothéisme,  à  la  religion  des  juifs;  le  christianisme,  en  les  reprenant  aux  païens, 
rentrait  donc  dans  son  bien. 


54 


INSTRUCTIONS. 

18.  —  JÉSUS   IMBERBE,   SANS   NIMBE. 
Sculpture  des  sarcophages  du  Vatican,  premiers  siècles  du  cbrislianisinc. 


Les  anges,  comme  les  saints  de  ce  monde,  portent  le  nimbe 
uni.  Cependant  des  monuments  assez  nombreux  oflrent  des 
anges  dont  le  nimbe  est  croisé  comme  le  nimbe  de  Dieu  lui- 
même.  Il  y  a  plusieurs  explications  à  cette  anomalie  :  ou  l'ar- 
tiste s'est  trompé,  ce  qui  arrive  quelquefois,  et  a  croisé  par 
inadvertance  un  nimbe  qui  devait  rester  uni  ;  ou  il  a  repré- 
senté la  scène  historique  de  l'Ancien  Testament ,  qui  raconte 
qu'Abraham  ayant  rencontré  trois  anges  se  prosterna  aux  pieds 
de  l'un  d'eux  seulement  et  l'adora  :  Très  vidit,  uni?m  adoravit. 

Les  commentateurs  ayant  déclaré  que  ces  trois  person- 
nages représentaient  la  Trinité  sous  la  forme  de  l'ange ,  les 
artistes  suivirent  les  prescriptions  des  théologiens  et  croisé- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  55 

rent  le  nimbe  à  cet  ange  divin  qu'adorait  Abraham.  La  bibk 
n°  6  de  la  Bibliothèque  royale  a  même  ôté  les  ailes  et  donne 
une  barbe  à  ce  personnage  devant  lequel  Abraham  se  pros- 
terne, afin  d'en  faire  plus  positivement  un  Dieu  ^ 

]Q.  LN  DES  TROIS  PERSONNAGES  CELESTES  QUI  APPARAISSENT  AU  PATRIARCHE  ABRAHAM, 

PORTANT  LE  NIMBE  CROISE  OU  TIMBRE  d'uNE  CROIX. 

Miniature  du  x"  siècle,  Bible  n°  6,   Bibliothèque  royale. 


A  l'Histoire  du  diable  on  donnera  un  dessin  tiré  des  Emblè- 
mes bibhques,  ms.  du  xiii^  siècle,  de  la  Bibliothèque  royale,  et 
qui  offre  trois  anges  combattant  Béhémoth  et  Léviathan  :  l'un 
des  trois ,  celui  qui  s'est  chargé  à  lui  seul  de  Béhémoth ,  tan- 
dis que  les  deux  autres  sont  sur  Léviathan,  porte  le  nimbe 

'  Ces  figures  sont  mauvaises ,  mais  elles  sont  calquées  scrupuleusement.  Ce  manus- 
crit est  un  des  plus  curieux  sous  le  rapport  archéologique,  mais  un  des  plus  laids  f^ous 
le  point  de  vue  esthétique. 


56  INSTRUCTIONS. 

croisé;  ses  deux  compagnons  le  portent  uni,  et  sont  de  sim- 
ples anges.  Y  a-t-il  une  intention  dans  ce  fait,  ou  est-ce  une 
inadvertance?  A-t-on  voulu  représenter  Dieu  en  trois  per- 
sonnes réunies  dans  une  et  qui  attaque  le  génie  du  mal ,  c'est- 
à-dire  ce  Béhémoth  qui  règne  sur  la  terre,  comme  Léviathan, 
son  associé,  règne  sur  les  eaux  ? 

Le  nimbe,  avons-nous  dit,  entoure  constamment  la  tête: 
c'est  une  couronne  religieuse;  mais  à  ce  fait  il  y  a  une  cu- 
rieuse exception  qui,  du  reste,  ne  concerne  que  Dieu.  Quel- 
quefois l'artiste,  pour  divers  motifs  qui  seront  développés  dans 
l'Histoire  archéologique  de  Dieu ,  n'a  représenté  de  la  divinité 
qu'une  partie  du  corps,  la  main  par  exemple,  la  main  sortant 
des  nuages,  tandis  que  le  corps  entier  reste  caché  dans  le  ciel. 
Afin  de  montrer  évidemment  que  cette  main  est  la  main  divine, 
il  l'a  entourée  d'un  nimbe  crucifère.  Ces  mains  ainsi  nimbées , 
et  dont  cet  exemple , 

20.   MAIN    DIVINE    SUR     UN    NIMBE    CRDCIFÈRK. 

Miniature  dû  ix°  siècle,  Bibliothèque  royale. 


qui  date  du  ix'  siècle  S  est  intéressant  pour  l'accentuation 
des  croisillons  et  les  rayons  qui  aboutissent,  quatre  par  quatre, 
à  la  circonférence  ;  ces  mains  sont  la  plus  ancienne  représen- 

'  Liber  precam.  Bibliothèque  royale.  La  miniature  représente  le  martyre  de  sainl 
Elienne  qui  voit  les  deux  ouverts  et  celte  main  divine  qui  en  sort. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  57 

tation  du  Père.  Par  respect,  par  une  sorte  de  dogme  reli- 
gieux, ou  même  par  mauvais  vouloir,  comme  on  le  dira  plus 
bas,  on  ne  montra  du  Père  qu'une  main  bénissante,  sans 
nimbe  d'abord  \  et  avec  un  nimbe  crucifère  ensuite. 

Non-seulement  donc  la  face  de  Dieu,  mais  même  sa  main, 
lorsqu'il  ne  montre  que  sa  main ,  est  décorée  du  nimbe 
croisé;  non-seulement  le  corps  de  la  divinité  se  distingue  à  ce 
caractère,  mais  l'idéal  de  la  divinité  elle-même,  le  symbole 
sous  lequel  on  l'a  quelquefois  enveloppée.  Ainsi  l'agneau  est  le 
symbole  du  Sauveur,  car  Jésus  a  versé  son  sang  et  donné  sa  vie 
sans  se  plaindre;  il  est  le  symbole  de  Jésus,  que  saint  Jean- 
Baptiste  montrait  au  peuple  en  disant  :  «  Voici  l'agneau  de 
Dieu».  Ce  symbole,  dont  l'usage  aussi  ancien  que  le  cbristia- 
nisme  subsiste  encore  aujourd'hui ,  est  lui-même  distingué  par 
un  nimbe  crucifère.  Sur  la  planche  qui  montre  saint  Jean- 
Baptiste  tenant  fagneau,  cet  agneau  divin  n'a  pas  de  nimbe, 
par  omission  certainement  ou  par  difficulté  à  le  sculpter  sous 
un  aussi  petit  espace;  mais  il  est  inscrit  dans  une  auréole^. 
On  retrouvera  à  THistoire  de  Jésus-Christ  une  planche  qui 
donne  une  sculpture  des  catacombes,  alors  que  le  nimbe  n'é- 

Voyez  {Peintures  et  ornements  des  manuscrits)  une  main  divine  sans  nimbe,  au  xi°  siècle, 
première  moitié,  dans  un  recueil  de  traités  divers,  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale, 
onds  de  Saint-Germain.  Une  autre  main  sans  nimbe  et  apparaissant  à  saint  Etienne  lapidé 
se  voit  dans  un  missel  de  Saint-Denis,  milieu  du  xi°  siècle,  manuscrit  lalin,  supplémen!. 
Dans  les  fresques  de  Saint-Savin,  xii"  siècle  ,1a  main  de  Dieu ,  non  nimbée ,  sort  des  nuages  et 
bénit  Melcliisédech.  Dans  la  cathédrale  de  Chartres ,  sur  un  vitrail  qui  représente  l'histoire 
de  Charlemagne  el  la  mort  de  Roland,  on  voit  une  main  de  Dieu,  non  nimbée,  sortan! 
des  nuages  et  apparaissant  à  Roland  qui,  dans  sa  détresse,  sonne  de  l'oliphant  et  coupe 
un  rocher  avec  sa  Durandal.  Ce  vitrail  est  du  xiif  siècle.  Sur  les  anciens  sarcophages, 
premiers  siècles  chrétiens,  la  main  qui  tend  à  Moïse  les  tables  de  la  loi  n'est  jamais  nim- 
bée. Cependant,  et  malgré  toutes  ces  exceptions ,  le  nimbe  circulaire  et  partagé  par  des  croi- 
sillons, décore  très-souvent  la  main  du  Père  éternel;  nous  en  verrons  plusieurs  exemples. 
'  Celte  figure  esta  l'Histoire  de  Jésus-Christ;  elle  reproduit  une  statue  colossale  qui  se 
dresse  contre  une  paroi  du  portail  septentrional  de  la  cathédrale  de  Chartres. 

JNSTr.UCTIONS.  II.  8 


58  INSTRUCTIONS. 

tait  pas  encore  adopté  par  les  chrétiens,  et  où  l'on  a,  du 
moins,  distingué  l'agneau  divin  des  agneaux  apostoliques  j)ar 
la  croix  qui  domine  son  front.  Sur  la  planche  i3,  page  /46, 
l'agneau  porte  le  nimhe  crucifère,  et  chaque  croisillon  de  ce 
nimbe  est  lui-même  recroisé. 

L'agneau  est  le  symbole  le  plus  constant  et  le  plus  populaire 
par  lequel  on  figure  Jésus-Christ ,  mais  il  n'est  pas  l'unique. 
Le  lion  symbolise  la  tribu  de  Juda\  et  Jésus  descend  de  Juda 
par  David  ^;  Jésus,  comme  le  lion  de  saint  Marc,  a  rempli  les 
déserts  de  sa  grande  voix  évangélique  ^  ;  Jésus  vivait  dans  le 
tombeau  ^,  de  même  que  le  lion  dort  les  yeux  ouverts.  Enfin 
puisque  fagneau,  type  de  la  douceur,  représentait  le  Fils  de 
Dieu,  l'art,  qui  aime  les  contrastes,  devait  naturellement  com- 
pléter ce  symbolisme  par  le  lion,  type  de  l'énergie.  En  effet, 
la  bible  de  Charles  le  Chauve  ^  montre  l'agneau  divin  orné  du 
nimbe  crucifère ,  en  regard  d'un  lion  qui  porte  le  nimbe  éga- 
lement partagé  par  la  croix.  C'est  le  Christ  dans  sa  plénitude 
symbolique,  et  prêt  à  rompre  les  sceaux  du  livre  mystérieux 
près  duquel  il  est  placé.  Suger^  confirme  cette  explication. 
Dans  un  grand  vitrail  qu'il  avait  fait  exécuter  pour  la  fenêtre 

«  Catulus  leonis  Juda,  »  dit  la  Genèse,  cap.  xlix  ,  v.  g. 

Saint  Matthieu ,  cap.  i ,  v.  i  et  2.  L'Apocalypse,  cap.  v,  v.  5 ,  dit  :  «  Ecce  vicit  leo  de 
«  tribu  Juda,  radix  David.  » 

«  Marcus  ut  alla  frémit  vox  per  déserta  leonis  \  » 

Alciat  explique  ainsi  la  présence  des  lions  sculptés  qui  gardent  souvent  l'entrée  des 
églises  :  1 

Est  Leo ,  sed  custos ,  oculis  quia  dormit  apertis  ; 
Templorum  idcirco  ponitur  an  te  fores. 

Celte  bible  esl  à  la  Bibliolhcque  royale.  M.  de  Bastard  (  Peintures  et  ornements  des  ma- 
nuscrits) a  reproduit  la  miniature  où  le  lion  et  l'agneau,  nimbés  tous  deux  du  nimbe 
crucifère ,  sont  en  face  l'un  de  l'autre  et  séparés  par  le  livre  de  l'Apocalypse. 

De  Administratione  sua,  ap.  Felibien  ,  Histoire  de  l'ahhaye  tvyale  de  Saint-Denis. 

Inscription  de  Saint-Paul-hors-lcs-Murs,  copiée  on  reproduite  dans  plusieurs  évangéliaires 
manuscrits,  notamment  dans  les  Qualaor  Evaiifjelia,  Théol.  lat.  33  ,  bibliothèque  de  l'Arsenal. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  59 

occidentale  de  Saint-Denis ,  il  fit  représenter,  entre  autres 
sujets  symboliques,  le  lion  et  l'agneau  divins  brisant  les  sept 
sceaux  du  livre  apocalyptique.  Les  deux  vers  suivants,  qu'il 
composa  et  qu'il  fit  peindre  sur  ce  vitrail,  expliquaient  le  sujet: 

Qui  Deus  est  magnus,  librum  Léo  solvit  et  Agnus. 
Agnus  sive  Léo  fit  caro  juncta  Deo. 

Il  est  probable  que  ce  lion  et  cet  agneau ,  qui  n'existent 
malheureusement  jdIus,  avaient  le  nimbe  crucifère,  comme 
le  lion  et  l'agneau  de  la  bible  de  Charles  le  Chauve. 

Le  nimbe  est  le  rayonnement  de  la  tête,  et  comme  la  tête 
est  sphérique,  ce  rayonnement  doit  être  circulaire;  aussi  le 
nimbe  est -il  presque  toujours  rond.  Cependant  il  y  a  des 
nimbes  triangulaires  et  des  nimbes  carrés  qui  entourent  les 
têtes  divines;  en  voici  l'explication  probable.  Le  jet  lumineux 
du  front  et  des  tempes  est  représenté  plus  abondant,  plus 
gros  et  plus  long,  parce  qu'il  est  plus  énergique.  Dans  ce  cas, 
le  nimbe  circulaire  est  partagé  par  des  croisillons,  par  des 
rayons  qui  vont  du  centre  à  la  circonférence.  Mais  à  de  cer- 
taines époques,  au  xv*'  siècle  particulièrement,  ces  jets  ont  été 
figurés  débordant  la  circonférenoe  du  disque,  et,  pour  déplaire 
moins  à  la  vue,  on  a  retranché  cette  circonférence ^  D'un  autre 
côté  certains  artistes,  dans  certains  pays,  ont  voulu  rattacher 
entre  eux  ces  trois  rayons  du  front  et  des  tempes,  et,  tirant  une 
ligne  droite  de  l'extrémité  de  celui-là  à  l'extrémité  de  celles-ci, 
ils  ont  figuré  une  pyramide  dont  la  pointe  est  en  haut,  et  à  la- 
quelle ils  ont  donné  pour  base  une  ligne  horizontale,  réunis- 
sant entre  elles  les  deux  flammes  des  tempes,  comme  les  deux 
côtés  de  la  pyramide  unissaient  les  tempes  au  front.  On  figura 
ainsi  un  triangle". 

Voyez  le  dessin  n°  7,  page  36. 
Voyez  le  dessin  n"  U ,  page  3.3. 


60  INSTRUCTIONS. 

Mais  ce  triangle,  obtenu  par  hasard  peut-être,  ou  tout  au 
plus  involontairement  et  par  nécessité  ,  s'est  maintenu  dans 
l'iconographie  et  s'est  développé  par  une  raison  très-élevée, 
une  raison  mystique.  De  tout  temps  le  triangle  a  été  la  for- 
mule géométrique  de  la  divinité,  de  la  trinité.  Une  seule  aire, 
terminée  par  trois  angles ,  figurait  merveilleusement  l'unité  de 
Dieu  en  trois  personnes.  Aussi  l'Italie,  plus  idéale  que  la  France 
et  que  tout  notre  Occident,  s'est-elle  empressée  d'adopter  une 
forme  de  nimbe  qui  figurait  le  dogme  fondamental  du  chris- 
tianisme. La  Grèce  a  fait  comme  fltalie,  et,  de  plus,  elle  a  dé- 
claré positivement  que  ce  triangle  exprimait  bien  la  divinité, 
l'être  par  excellence,  car  dans  chacun  des  trois  angles,  elle  a 
placé  l'une  de  ces  trois  lettres  o  ù}v,  l'être  ^ 

Les  Grecs,  plus  mystiques  encore  que  les  Italiens,  ne  se 
sont  pas  contentés  d'un  seul  triangle;  ils  ont  fait  des  nimbes 
composés  de  deux  triangles  qui  se  coupent  et  qui  représentent 
cinq  angles  au  lieu  de  trois.  Si  un  seul  triangle  exprime  la  di- 
vinité complète,  deux  triangles  semblent  indiquer  l'infini  de 
Ja  divinité.  Il  y  a  là  un  fait  analogue  à  celui  du  nimbe  orné  de 
croisillons  recroisés;  c'est  une  manière  assez  ingénieuse  de 
figurer  Dieu  dans  sa  toute-puissance  ^.  Il  est  à  remarquer  en 
effet  qu'on  a  toujours  cherché  à  figurer  par  le  nimbe  les  pro- 
priétés divines.  L'être  est  désigné  par  les  trois  lettres  grecques, 
la  trinité  par  le  triangle,  finfîni  de  la  divinité  par  le  double 

'  Voyez  une  gravure  grecque  représentant  l'Annonciation ,  et  qui  vient  du  mont 
Atbos  dont  elle  reproduit  une  fresque.  Au  mont  Alhos,  à  Karès,  qui  est  la  capitale  de 
cette  province  de  moines,  on  vend  des  gravures  sur  cuivre,  noires  ou  coloriées,  repré- 
sentant tous  les  monastères  et  tous  les  skiles  (villages)  de  la  montagne.  En  outre,  ces 
images,  analogues  à  celles  qui  se  font  à  Epinal,  reproduisent  les  principaux  saints  et  les 
principales  histoires  du  christianisme.  On  a  donc,  par  ce  moyen,  toute  l'iconographie 
grecque.  J'ai  rapporte  une  série  complète  de  ces  gravures  qui,  du  reste  ,  sont  assez  gros- 
.sières,  mais  qui  ont  beaucoup  d'intérêt. 

'  Planclie  )3,  page  Zi6. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  •  61 

triangle,  l'éternité  par  le  cercle,  la  vie  par  le  carré,  l'éter- 
nité de  l'existence  par  le  carré  inscrit  dans  le  cercle. 

2  1.  DIEU  LE  PÈRE  À  NIMBE  BI-TRIANGDLAIRE  ;  DIEU  LE  FILS  À  NIMBE  CIRCULAIRE; 

LE  SAINT-ESPRIT  SANS  NIMBE   ET  DANS  UNE  AUREOLE  '. 
Fresque  du  mont  Athos. 


C'est  donc  aux  personnes  divines  que  la  forme  triangulaire 

'  Cette  représentation  de  la  Trinité  est  tirée  d'une  fresque  d'un  des  grands  couvents 
du  mont  Athos.  Le  Saint-Esprit  est  inscrit  dans  une  auréole  qui  rayonne  et  qui  enveloppe 
dans  ses  feux  les  deux  autres  personnes.  Le  Saint-Esprit  n'a  pas  de  nimbe.  Le  Fils  a  un 
nimbe  circulaire  avec  les  croisillons,  où  se  lit  o  wv.  Le  Père  porte  un  nimbe  bi-triansju- 
laire,  et  Vouv  est  tracé  dans  les  coins  du  triangle  dont  la  pointe  ou  sommet  est  en  haut 
—  Voyez  en  outre  une  gravure  grecque  représentant  le  monastère  de  Saint-Paul,  un  des 
couvents  du  mont  Athos.  La  partie  inférieure  de  cette  gravure  donne  une  vue  générale  du 
monastère  ;  le  haut  représente  la  Trinité.  Le  Fils  et  le  Saint-Esprit  ont  le  nimbe  circu- 
laire et  croisé;  le  Père  a  le  nimbe  bi-triangulaire.  Les  cinq  pointes  du  triangle  sont  re- 
liées entre  elles  par  un  cercle.  Une  autre  gravure,  où  est  figuré  le  couvent  athonite  de 
Ghilandari,  montre  la  sainte  Trinité  couronnant  la  vierge  Marie.  Marie  a  le  nimbe  cir- 
culaire et  uni ,  le  Saint-Esprit  le  nimbe  circulaire  et  rayonnant ,  Jésus-Christ  le  nimbe 
circulaire,  croisé  et  portant  o  wv\  le  Père  seul  se  distingue  par  le  nimbe  triangulaire.  Ainsi 
donc,  de  la  Vierge  aux  personnes  divines  on  monte  en  dignité,  comme  des  saints  aux 
anges.  De  plus,  l'artiste  a  peut-être  voulu  exprimer  par  la  différence  des  nimbes  la 
différence  de  relation  qui  existe  entre  les  personnes  divines  elles-mêmes.  Ainsi  les  va- 
riétés du  nimbe  exprimeraient  cette  hiérarchie  pour  les  créatures  et  cette  relation  pour 
les  personnes  de  la  Trinité.  Ce  qu'on  voit  sur  les  gravures  grecques,  on  le  voit  aussi  sur 
les  peintures  à  iresque  des  é<;lises  de  la  Grèce  :  les  gravures  sont  une  reproduction  ,  un 
calque  de  ces  peintures.  Nous  citons  les  dessins  plutôt  que  les  fresques ,  parce  qu'on 
peut  se  procurer  assez  facilement  les  gravures  et  vérifier  les  faits  que  nous  avançons. 


62  INSTRUCTIONS. 

du  nimbe  est  attribuée  exclusivement  ;  le  plus  souvent  c'est  au 
Père  éternel  qu'elle  est  réservée.  Quelquefois  les  autres  per- 
sonnes portent  ce  triangle,  mais  c'est  dans  les  représentations 
de  la  Trinité,  et  parce  que  le  Père  est  avec  elles.  Cependant, 
même  alors,  à  côté  du  Père  qui  a  le  triangle,  on  voit  souvent 
le  Fils  et  le  Saint-Esprit  qui  n'ont  que  le  cercle  :  du  reste ,  ces 
deux  j)ersonnes ,  comme  la  première ,  jouissent  seules  du 
triangle  divin.  Dans  un  Dante,  imprimé  au  xvi*"  siècle  et  qui 
est  orné  de  gravures ,  on  remarque  une  Trinité  composée  de 
trois  têtes  sur  un  seul  corps;  cette  Trinité  est  ornée  d'un  nimbe 
triangulaire,  un  seul  pour  les  trois  têtes ^  Quelquefois  le  Père 
et  le  Fils  portent  tous  deux  le  triangle ,  tandis  que  le  Saint- 
Esprit  est  environné  d'une  auréole  circulaire.  Ainsi  sont  figurées 
les  personnes  divines  sur  I'épigonation  dont  se  décorent  quel- 
quefois les  arcbevêques  etévêques  grecs;  ainsi  le  remarque-t-on 
sur  I'épigonation  que  porte  une  grande  image  de  saint  Nicolas, 
et  qu'on  voit  au  principal  couvent  des  Météores,  en  Tliessalie, 
près  de  fancienne  ville  de  Tricca ,  aujourd'hui  Triccala  ^.  Donc , 
le  triangle  appartient  surtout  au  Père,  quelquefois  au  Fils, 
rarement  au  Saint-Esprit,  jamais  à  la  Vierge  ni  aux  apôtres. 
Les  anciens  :  les  platoniciens,  les  néoplatoniciens,  Pytha- 
gore,  Plutarque,  Pline,  Vitruve,  etc.  se  sont  beaucoup  éten- 
dus sur  la  valeur  géométrique  et  symbolique  du  triangle. 

'  Voyez  ce  dessin  plus  bas  ,  à  l'Histoire  de  la  Trinité.  Comme  dans  celte  iconographie 
il  a  fallu  cire  sobre  de  figures,  lorsqu'un  fait  particulier  est  énoncé  et  que  le  dessin  ne 
vient  pas  le  démontrer,  on  peut  être  à  peu  près  sur  de  trouver  ce  dessin  dans  un  autre 
paragraphe ,  parce  qu'il  y  occupe  une  place  où  il  est  plus  nécessaire.  On  prie  donc  les  per- 
sonnes qui  lironl  ce  travail  de  feuilleter  les  gravures  ,  pour  trouver  la  solution  de  certaines 
difllcultés  ou  l'éclaircissemenl  graphique  de  certains  faits  qui  pourraient  les  embarrasser. 

*  JJ épigonation  [sTriyovâTiov]  est  un  ornement  en  losange  qui  pend  sur  le  genou  droit, 
d'où  vient  son  nom  (èTTj  et  y6vi>) ,  et  qui  fait  partie,  comme  l'étole  chez:  nous,  du  costume 
pontifical.  Cet  épigonalion  est  brodé  d'ornements  ou  de  figures;  parmi  ces  figures  on 
remarque  assez  souvent  la  Tiinité. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  63 

Dans  les  traditions  de  l'Inde  et  de  toute  l'Asie,  la  triade  est 
un  nombre  mystérieux;  c'est  l'image  des  attributs  de  l'Être 
suprême,  car  elle  réunit  en  elle  les  propriétés  des  deux  pre- 
miers nombres,  de  l'unité  et  de  la  dyade  \  L'écho  de  ces  dis- 
cussions sur  les  nombres  a  retenti  et  s'est  grossi  pendant  toute 
la  durée  du  moyen  âge.  Saint  Angilbert ,  le  père  de  Nitliard 
et  le  compagnon  de  Charlemagne ,  fit  construire  en  triangle 
l'abbaye  de  Centula,  ou  Saint-Riquier.  Le  cloître  était  trian- 
gulaire ,  et  à  chaque  angle  se  dressait  une  église.  Dans  chaque 
église,  le  nombre  trois  brillait  aux  autels,  aux  chandeliers, 
aux  ciBORiA.  Ces  églises  étaient  desservies  chacune  par  cent 
moines,  dont  le  nombre  entier  était  de  trois  cents,  et  par 
trente-trois  enfants  de  chœur  :  tout  cela ,  et  c'est  dit  expressé- 
ment, avait  été  ordonné  en  f honneur  de  la  sainte  Trinité^. 

'  M.  le  baron  de  Gérando,  Vie  de  Pythagore,  dans  la  Biographie  universelle. 

"  «  Clauslrum  monachorum  triangulum  faclum  est.  Sicque  sit,  ut  dum  hic  inde  parietes 
«  sibi  invicem  concurrunt,  médium  spatium  sub  divo  triangulum  habeatur. — Quia  igitur 
«  omnis  plebs  fidelium  sanctissimam  atque  inseparabilem  Trinitatem  confiteri ,  venerari , 
«et  mente  colère,  firmiterque  credere  débet,  secundum  hujus  fidei  rationem  in  omnipo- 
II  tentis  Dei  nomine  très  ecclesias  principales,  cum  membris  ad  se  pertinenlibus,  in  hoc 
«  sanctoloco.  Domino  coopérante,  et  praedicto  domino  Auguslo  (il  s'agit  de  Charlemagne) 
«juvante,  fundare  studuimus.  (C'esl  Angilbert  qui  parle  lui-même.)  — In  ecclesia  sancti 
'I  Benedicti  altaria  parata  tria;  in  ecclesiis  vero  sanctorum  angelorum  Gabrielis,  Michaëlis 
«  et  Raphaëlis,  altaria  tria,  quae  simul  fiunt  altaria  triginta,  et  ciboria  tria,  et  lecloria  tria. 
«  — Quapropter  trecentos  monachos  in  hoc  sancto  loco  regulariler  victuros ,  Deo  auxiliante , 
«  constiluimus. — Centum  eliam  pueros  scholis  erudiendos  sub  eodem  habitu  et  victu  sta- 
«  tuimus,  qui  fratribus  per  très  choros  divisis  in  auxilium  psallendi  et  canendi  intersint: 
Il  ita  ut  chorus  Sancti-Salvaloris  centenos  monachos  cum  quatuor  et  Iriginta  pueris  habeat: 
«chorus  Sancli-Richarii  centenos  monachos,  tresque  et  Iriginta  pueros  jugiter  habeat: 
«  chorus  psallens  ante  Sanclam-Passionem  centenos  monachos ,  triginta  tribus  adjunctis 
«pueris,  similiter  habeat.  Ea  autem  ratione  chori  très  in  divinis  laudibus  personabunt. 
Il  ut  omnes  horas  canonicas  in  commune  simul  omnes  décantent.  Qiiibus  decenter  e.xple- 
«  lis,  uniuscujusque  chori  pars  lerlia  ecclesiam  exeal,  et  corporels  necessitatibus  vel  aliis 
«  utililatibus  ad  lempus  inserviat,  certo  temporis  spalio  inlerveniente  ad  divinse  laudis 
«  munia  celebranda  denuo  redeunles.  In  unoquoque  eiiam  choro  id  jugiler  observelur, 
«  ut  sacerdolum  ac  levitarum  reliquorumque  sacrorum  ordinum  aequalis  numerus  Jenea- 


6/1  INSTRUCTIONS. 

De  notre  temps,  Cambry  lui-même,  dans  ses  Monuments  cel- 
tiques, a  déclaré  que  le  triangle  représentait  les  trois  qualités 
divines  qui  ne  peuvent  se  séparer  :  être ,  penser,  parler  ^  Donc, 
puisque  le  triangle,  à  toutes  les  époques,  a  été  l'expression 
géométrique  de  la  Trinité,  on  conçoit  que  le  nimbe  triangu- 
laire se  donne  à  Dieu. 

Cependant  la  France  abolit  souvent  le  nimbe  de  Dieu ,  le 
nimbe  circulaire  à  trois  rayons,  mais  ne  le  déforme  pas,  ne  le 
ramène  pas  au  triangle.  Cette  opération  s'est  faite  en  Italie,  où 
une  variété,  désespérante  pour  l'antiquaire,  déroute  toutes  les 
règles  fixes  qu'on  voudrait  poser;  elle  s'est  faite  en  Grèce,  où 
certaines  idées  religieuses  sont  en  désaccord  avec  les  nôtres  ; 
elle  s'est  faite  à  la  renaissance,  qui  livre  à  la  fantaisie  les  lois 
des  époques  antérieures  et  qui  abandonne  la  règle  au  caprice. 
La  France  est  moins  variable  et  se  contente  du  cercle  qui,  du 
reste,  va  bien  mieux  à  la  tête.  Les  exemples  qu'on  pourrait 
rencontrer  cbez  nous  du  nimbe  en  triangle  devraient  être  si- 
gnalés avec  soin;  ils  seront  toujours  exceptionnels  et  pourront 
indiquer  une  influence  grecque  ou  latine. 

Que  le  triangle  se  donne  à  Dieu ,  puisque  Dieu  est  triple 
(deus  trinus  unus,  dit  Lactance),  on  le  conçoit;  mais  qu'on 
lui  applique  le  carré,  c'est  moins  explicable.  En  effet,  le  carré, 

<i  tur.  Canlorum  nihilominus  el  leclorum  aequali  mensura  divisio  ordinetur,  qualiter  cho- 
»  nis  à  choro  invicem  non  gravetur.  »  [Acta  SS.  ord.  S.  Benedicti,  iv'  siècle  bénédictin, 
i'*"  partie.  Vie  de  saint  Angilbert.) 

On  a  cru  utile  de  transcrire  une  partie  de  ce  texte,  qui  est  certainement  l'un  des  plug 
intéressants  que  l'archéologie  chrétienne  puisse  recueillir  pour  l'histoire  des  naonumenls 
symboliques.  Ce  cloître  triangulaire  n'existe  plus  malheureusement,  et  celte  perle  est  irré- 
parable, car  il  n'y  a  pas  ailleurs  un  monastère  affectant  ainsi  la  forme  symbolique  du  triangle. 

'  Il  aurait  pu  mettre  agir  à  la  place  de  parler,  parce  que  la  parole  n'est  qu'une  des 
mille  variétés  de  l'action ,  qu'un  seul  mode  de  l'activité  intellectuelle  qui  est  infiniment 
multiple.  Cependant  Dieu  fait  tout  par  sa  parole  et,  dans  ce  sens,  Cambry  aurait  raison. 
[Monuments  celtiques,  par  Cambry,  in-8°.  Paris,  i8o5,  p.  157.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  65 

rlans  les  opinions  pythagoriciennes  et  néoplatoniciennes,  sym- 
bolise la  terre;  or,  au  figuré  comme  au  réel ,  la  terre  est  inférieure 
au  ciel,  dont,  suivant  les  idées  anciennes,  elle  ne  serait  que 
le  piédestal  tout  au  plus.  Cependant  on  a  donné  quelquefois  à 
Dieu  et  à  Dieu  le  père  des  nimbes  carrés  :  il  est  difficile  d'ex- 
pliquer ce  fait,  surtout  quand  on  sait  qu'en  Italie  on  a  gra- 
tifié de  ce  nimbe  rectangulaire  des  personnages  vertueux,  mais 
peints  de  leur  vivant,  et  pour  les  distinguer  des  personnages 
ou  des  saints  morts.  Le  vivant,  quelque  saint  qu'il  soit,  est  tou- 
jours inférieur  au  saint  mort,  de  quelque  peu  de  réputation 
qu'il  jouisse;  le  vivant  est  un  homme,  le  mort  canonisé  est 
presque  un  dieu.  De  là  le  carré,  expression  géométrique  de  la 
terre,  orne  la  tête  des  vivants,  et  le  cercle,  forme  céleste,  dé- 
core la  tête  des  saints  du  paradis  ^  Mais  pourquoi  donc  le  Créa- 
teur de  tous  ces  êtres  vivants  ou  morts  porte-t-il  un  attribut 
qui  le  rabaisse  jusqu'à  la  condition  de  sa  créature,  et  de  sa 
créature  vivante  et  non  glorifiée  encore  ?  Il  faut  dire  que  le 
nimbe  carré  donné  à  Dieu  est  ordinairement  concave  et  non 
droit  sur  les  côtés,  tandis  que  celui  des  vivants  est  en  ligne 
droite  et  non  en  ligne  arrondie  en  creux  ;  il  faut  dire  surtout 
que  ce  nimbe  de  Dieu  est  presque  toujours  posé  sur  angles, 
en  losange,  et  non  pas  sur  les  côtés  comme  celui  des  vivants^. 

'  Les  BoHandistes  [Acta  SS.  maii,  fom.  I,  p.  lxii  de  l'introduction  aux  saints  de  ce 
mois)  ont  fait  graver  une  peinture  du  Mont-Cassin.  Elle  représente  saint  Benoit  qui 
donne  sa  règle  à  l'abbé  Jean.  Saint  Benoît  porte  le  nimbe  circulaire  aussi  bien  qu'un 
ange  qui  est  derrière  lui  pour  l'assister  de  ses  conseils  ;  l'abbé  Jean,  au  contraire,  a  le 
nimbe  carré.  Les  Bollandistes  disent  à  ce  sujet  :  «  Vides  gemmatum  ulrique  circa  caput 
«  ornatuin,  cum  bac  diversitate  quod  S.  Benedicto,  ut  seternitatem  felicem  adepto,  caput 
"  ambiat  circulus ,  aelernitatls  symbolum  ;  Jobanni  vero,  ut  adhuc  viventi ,  quadratum 
0  quid  post  caput  sit ,  quo  creditur  firmitas  fidei ,  veîut  quadro  lapide  immobiliter  nixae , 
«  repraesentari.  ■>  —  Si  le  nimbe  carré  désigne  la  force  de  la  foi ,  pourquoi  le  donner  à  Dieu 
qui  est  l'objet  même  de  la  foi  ? 

*  Dans  une  mosaïque  de  Saint-Jean-de-Latran  ,  Dieu  est  orné  du  nimbe  carré  posé 
sur  côtés  et  non  sur  angles. 

INSTRUCTIONS.  II.  9 


66 


INSTRUCTIONS. 

22.  DIEU   LE    PÈRE    À  NIMBE   EN  LOSANGE. 

Miniature  du  xi\'  siècle,  manuscrit  italien  de  la  Bibliothèque  royale. 


Raphaël  aussi  donne  au  Père  le  nimbe  en  losange,  mais  à  côtés 
droits  \  Peut-être  que  ce  losange  fut  regardé  par  les  artistes 
comme  un  emblème  purement  mystique,  comme  un  symbole 
dégagé  de  tout  élément  matériel.  Dans  ce  cas,  le  nimbe  en  lo- 
sange ne  représenterait  plus  qu'une  idée  analogue  à  celle  qui 
est  figurée  par  le  nimbe  triangulaire.  Enfin ,  dans  l'abside  de 
Saint-Jean-de-Latran  ,  à  Pioflie,  une  mosaïque  exécutée  de  l'an 
1288  à  129/i,  sous  le  pape  Nicolas  IV,  offre  Dieu  le  père,  sous 
les  traits  de  Jésus ,  sortant  à  mi-corps  des  nuages  ;  au-dessous 
de  lui  est  le  Saint-Esprit ,  et  plus  bas  est  la  croix  richement  dé- 
corée, la  croix  gemmée.  Le  Père  porte  un  nimbe  qui  n'est  plus 
en  losange,  comme  dans  les  exemples  précédents,  mais  carré 
comme  ceux  des  papes  Grégoire  et  Pascal  :  Dieu  est  vivant. 
Mais  ce  nimbe  carré  est  inscrit  dans  un  nimbe  circulaire;  or 
le  cercle  est  l'emblème  de  féternité  :  Dieu  est  donc  éternelle- 
ment vivant^.  Je  suis  et. je  serai,  dit  l'Éternel  dans  plusieurs 

Le  nimbe  à  côtés  concaves  est  du  manuscrit  Spéculum  humanœ  salvationis;  le  nimbe 
à  côtés  droits  est  dans  la  Dispute  du  Saint-Sacrement. 

M.  Tournai  donne  celte  explication  ,  et  je  l'accepte  Irès-voionliers.  Je  dois  à  l'obli- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  67 

passages  des  livres  sacrés  ^  ;  voilà  ce  que  peut  signifier  ce  carré 
saisi  dans  l'aire  d'un  cercle,  car  la  vie  est  inscrite  dans  l'éternité. 

Le  champ  du  nimbe  divin  est  ordinairement  plus  orné  que 
celui  des  nimbes  donnés  aux  anges,  aux  hommes  et  aux  êtres 
allégoriques.  La  tête  divine,  foyer  de  toute  lumière,  a  presque 
toujours  projeté  des  rayons  et  des  faisceaux  de  lumière  sur  le 
fond  du  nimbe.  Au  xv""  siècle,  ces  rayons  et  ces  faisceaux  qui, 
jusque-là,  s'étaient  arrêtés  à  la  circonférence,  où  ils  se  reliaient, 
s'isolent  fun  de  fautre.  La  circonférence  disparaît,  les  rayons 
restent  seuls. 

Ces  rayons  sont  droits  ordinairement  et  tous  égaux;  quel- 
quefois ils  se  serrent  en  gerbe  au  front  et  aux  tempes,  et  dé- 
bordent les  rayons  intermédiaires;  quelquefois  ils  sont  tous 
flamboyants  ou  alternativement  flamboyants  et  droits. 

Pendant  les  époques  primitives  du  christianisme,  alors  que 
Jésus-Christ  était  très-souvent,  presque  toujours,  représenté 
sous  la  forme  d'un  agneau,  cet  agneau  se  montra  ordinaire- 
ment sans  nimbe;  souvent  aussi  il  porta  un  nimbe  circulaire. 
Ce  fut  un  peu  plus  tard  qu'on  croisa  le  champ  du  nimbe;  mais 
dès  lors  ce  champ  fut ,  rarement  il  est  vrai ,  marqué  du  mo- 
nogramme de  la  personne  divine  que  représentait  fagneau, 
du  X  et  du  P,  deux  lettres  grecques  qui  ouvrent  le  nom  de 
XPIXTOS.  Enfin  l'A  et  fH,  monogramme  commun  aux  trois 
personnes  divines,  lettres  qui  signifient  le  commencement  et 
la  fin,  escortèrent  le  monogramme  spécial  du  Christ,  comme 
on  le  voit  dans  le  dessin  suivant^. 

geance  du  savant  antiquaire  de  Narbonne  un  dessin  de  cette  curieuse  mosaïque  relevée 
récemment  à  Rome  par  lui-même. 

'  La  durée  y  est  même  plus  complète  encore,  puisqu'elle  embrasse,  non-seulement  le 
présent  et  l'avenir,  mais  encore  le  passé  :  «  Ego  sum....  qui  est ,  et  qui  erat ,  et  qui  ven- 
II  turus  est.  »  [Apocalyp.  c.  i ,  v.  8.) 

■  Cet  agneau  est  dessiné  dans  la  lloma  sollerranea ,  p.  591 .  Il  est  posé  sur  la  montagne 

9- 


68 


INSTRUCTIONS. 


AGNEAU  DIVIN   A   MMBE  CIRCULAIRE,  NON  CRUCIFERE  ,   MARQUE   DU   MONOGRAMME 
DE  JÉSUS-CHRIST,   ET  DE  L'a  ET  DE  Vu). 
Sculpture  d'un  sarcophage  du  Vatican,  premiers  siècles  chrétiens. 


NIMBE    DES   ANGES    ET    DES   SAINTS. 


L'ange  porte  le  nimbe  circulaire,  mais  à  champ  uni^  Quel- 
quefois cependant,  en  Italie  surtout  et  en  Grèce "^  aux  xiv%  xv% 
XVI*  et  xvii^  siècles,  ce  champ  est  décoré  d'une  arcature,  de 
rinceaux,  de  cordons  de  perles  et  même  de  rayons;  mais  il 
faut  remarquer  que,  dans  ce  dernier  cas,  les  rayons  sont  se- 
més sans  nombre  et  non  pas  limités  à  trois ,  comme  au  nimbe 


mystique  d'où  sortent  les  quatre  fleuves  du  paradis  :  le  Phison,  le  Gelion ,  le  Tigre  et 
l'Euphrate. 

'  Voir  à  l'Histoire  de  l'ange  les  divers  portraits  que  l'on  donne  de  ces  créatures  célestes. 

^  Sur  les  fresques  de  la  Grèce  ,  non-seulement  le  nimbe  est  peint,  mais  il  est  encore 
sculpté  ou  modelé.  Avant  que  de  peindre  cet  insigne,  on  imprime  sur  la  couche  fraîche 
une  matrice  en  bois  qui  donne  des  ornements  en  creux  et  en  relief.  Sur  cette  pâte  ainsi 
modelée  le  peintre  étend  ses  couleurs  ;  ainsi  faisait-on  chez  nous  à  de  certaines  époques , 
surtout  au  xiii'  siècle.  Le  soubassement  intérieur  de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  cha- 
pelle haute,  présente  des  nimbes  exécutés  de  cette  façon  ,  modelés  d'abord  et  peints  en- 
suite. C'est  à  ces  creux  et  à  ces  saillies  des  nimbes  qu'en  i836  j'ai  soupçonné,  dans  une 
chapelle  absidale  de  Saint-Julien  de  Brioude,  des  peintures  à  fresque  cachées  sous 
plusieurs  couches  de  badigeon.  Ces  peintures  doivent  être  dévoilées  aujourd'hui. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  69 

de  Dieu.  11  semble  qu'il  en  soit  des  rayons  du  nimbe  comme  des 
fleurs  de  lis  du  blason  :  les  fleurs  de  lis  sans  nombre  attestent 
une  noble  mais  non  royale  origine ,  tandis  que  les  trois  fleurs  de 
lis  seulement  caractérisent  la  royauté,  du  moins  à  partir  d'une 
certaine  époque.  De  même  aussi  les  trois  rayons  du  nimbe 
désignent  la  divinité,  et  les  rayons  plus  nombreux  s'attribuent 
aux  créatures,  surtout  aux  anges,  les  plus  nobles  d'entre  elles. 
Ainsi  donc,  jamais  l'ange  ne  porte  le  nimbe  croisé,  à  moins 
que  cet  ange  ne  personnifie  Dieu  comme  chez  les  Grecs.  En 
Grèce,  Jésus-Christ  est  appelé  l'ange  de  la  grande  volonté  (o 
ctyygAo^  Tviç  /^g-yotAvi;  €^A>îç),  et  on  le  voit  souvent  représenté, 
au  fond  de  l'abside  latérale  gauche ,  sous  la  forme  d'un  grand 
ange  ailé  et  imberbe.  Cet  ange  divin ,  ce  dieu  messager  (cty.^^- 
Ao$  ) ,  admirable  création  particulière  à  la  Grèce ,  porte  le 
nimbe  divin.  Dans  la  scène  où  Abraham,  voyant  trois  anges, 
se  prosterne  aux  pieds  de  l'un  d'eux- qu'il  adore,  l'ange  adoré 
porte  le  nimbe  croisé  assez  souvent ,  pour  signifier  que  celui-là 
représentait  Dieu  ^ 

Il  y  a  de  très-nombreuses  exceptions  à  ce  fait:  d'ordinaire 
ces  trois  anges  ne  diff^èrent  en  rien  des  autres  créatures  de  la 
céleste  hiérarchie  et  portent,  comme  elles,  le  nimbe  tout  uni, 
ou  du  moins  non  partagé  par  une  croix. 

Les  personnages  de  l'Ancien  Testament ,  en  Orient  surtout , 
sont  nimbés  comme  les  saints  du  Nouveau.  En  Occident ,  les 
patriarches,  les  juges,  les  prophètes  et  les  rois  juifs  sont  bien 
moins  honorés.  Jacques  de  Vorage,  dans  sa  Légende  dorée, 
dit  qu'on  ne  fait  pas  la  fête  des  saints.de  l'Ancien  Testament, 
si  ce  n'est  des  saints  Innocents ,  qui  ont  souffert  pour  le  Christ  ; 

'  Voyez  le  dessin  19,  p.  55,  où  l'une  des  trois  personnes  qui  apparaissent  à  Abraham 
porte  le  nimbe  crucifère,  tandis  que  les  deux  autres,  qui  sont  de  simples  anges,  ont  le 
nimbe  uni. 


70  INSTRUCTIONS. 

des  Machabées,  dont  la  patience,  le  courage  dans  les  supplices 
est  proposé  en  exemple  aux  chrétiens;  enfin ,  de  saint  Jean-Bap- 
tiste, parce  qu'il  sert  d'anneau  entre  la  Bible  et  l'Evangile  ^  Du 
reste,  il  n'y  a  pas  de  fête  pour  Adam,  pour  Abel ,  pour  Noé, 
pour  Abrabam ,  ni  pour  Moïse,  Samuel ,  David  ou  Isaïe;  on  ne 
les  appelle  pas  saints,  ils  ne  servent  pas  de  patrons,  et  l'on  prend 
rarement  leur  nom  au  baptême.  Dans  les  litanies,  où  l'on  nomme 
les  saints  et  saintes  du  christianisme  un  à  un,  on  se  contente 
d'invoquer  en  masse  les  personnages  bibliques  :  «  Vous  tous  pa- 
triarches, vous  tous  prophètes,  priez  pour  nous!  »  Voilà  ce  qui 
se  passe  en  Occident.  En  Orient,  en  Grèce,  en  Asie,  il  n'en  est 
pas  ainsi  :  on  dit  saint  Abraham,  saint  Isaac,  saint  Jacob,  saint 
David,  saint  Salomon ,  saint  Isaïe.  En  baptisant  un  nouveau-né, 
on  lui  impose  souvent  un  de  ces  noms  bibliques  tout  aussi  bien 
qu'un  nom  évangélique;  on  peut  même  dire  que  les  noms  de 
la  Bible  sont  préférés  en  Orient,  et  y  sont  plus  distingués  que 
les  autres.  On  dédie  des  églises  à  saint  Abraham ,  à  saint  Isaac, 
à  saint  David.  On  peint  ces  personnages  très  en  détail  dans  les 
églises;  on  les  invoque  un  à  un  dans  les  litanies.  Dès  lors, 
regardés  comme  saints  et  au  même  titre  que  les  apôtres,  que 
les  martyrs,  que  les  confesseurs,  on  leur  met  un  nimbe  autour 
delà  tête,  un  nimbe  circulaire,  un  nimbe  quelquefois  décoré 
de  rinceaux  dans  le  champ.  Dans  la  jolie  église  du  monastère 
de  Kaiçariani,  qui  se  cache  dans  un  pli  du  mont  Hymette,  au 
S.  E.  et  à  un  myriamètre  d'Athènes,  on  voit  ainsi  Adam  peint 
à  fresque  avec  un  nimbe  à  la  tête  et  le  titre  de  lytot;  (saint). 

'  «  Notandum  quod  Ecclesia  orientalis  facit  fesla  de  sanctis  utriusque  Testamentl;  oc- 
«  cidentalis  aulem  non  facil  festa  de  sanctis  Veteris  Testamenti ,  eo  quod  ad  inferos  de- 
«  scenderunt,  praelerquam  de  Innocenlibus,  eo  quod  in  ipsis  singulis  occisus  est  Chrislus, 
«  et  de  Machabaeis.  De  Machabaeis ,  propter  quatuor  rationes,  etc.  »  —  Légende  dorée.  De 
sanctis  Machabseis.  —  Il  aurait  fallu  ajouter  encore  saint  Joseph  et  sainte  Elisabeth,  aux- 
quels on  rend  également  un  culte. 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE.  71 

Chez  nous ,  dans  les  localités  où  l'esprit  oriental  et  byzantin 
s'est  fait  jour,  comme  à  Reims,  comme  à  Troyes,  comme  à 
Saint-Savin  près  de  Poitiers,  et  à  Chartres,  on  voit  de  ces 
nimbes  aux  prophètes  particulièrement ,  plus  rarement  ^ux 
patriarches  et  aux  juges,  plus  rarement  encore  aux  rois.  Parmi 
les  rois ,  les  préférés  et  ceux  qui  se  voient  quelquefois  avec  le 
nimbe,  sont  David  et  Salomon.  En  Grèce,  le  nimbe  s'étend 
à  Ezéchias,  à  Manassé,  rois  saints,  plus  révérés  que  les  autres. 
A  Saint-Savin ,  sur  les  curieuses  fresques  que  va  publier  le 
Comité  des  arts  et  monuments ,  on  voit  Abel  et  Caïn  offrant 
un  sacrifice  à  Dieu.  Caïn,  tête  maudite,  n'a  pas  de  nimbe; 
Abel,  le  juste,  est  orné  d'un  nimbe  jaune.  Plus  loin,  lorsque 
Caïn,  après  avoir  tué  son  frère,  répond  à  Dieu,  qui  "lui  de- 
mande où  est  Abel,  qu'il  n'en  sait  rien  et  qu'il  n'était  pas 
chargé  de  le  garder,  on  voit  un  nimbe  autour  de  la  tête 
du  fratricide  :  c'est  sans  doute  le  signe  dont  Dieu  marque 
Caïn  pour  qu'il  ne  soit  pas  tué  comme  une  bête  fauve  ^  Plus 
loin  ,  à  la  scène  où  Abraham ,  après  avoir  vaincu  les  cinq  rois 
de  la  Pentapole,  reçoit  le  pain  et  le  vin  que  lui  apporte  Mel- 
chisédech ,  on  voit  ce  prêtre  couronné  comme  un  roi  et  nimbé 
en  jaune,  couleur  d'or,  comme  un  saint  chrétien.  A  Chartres, 
Melchisédech  ,  grande  statue  du  portail  latéral  du  nord ,  est 
nimbé  et ,  de  plus,  coifTé  d'une  tiare  comme  un  pape.  On  signa- 
lerait bien  encore  un  petit  nombre  de  faits  analogues  qui  se 
remarquent  dans  quelques  villes  de  France,  à  Bourges  particu- 
lièrement, où  l'on  voit,  sur  un  vitrail,  Jacob  et  Elie  nimbés^; 


'  «  Posuitque  Dominus  Caïn  signum  ,  ul  non  interficeret  eum  oinnis  (|ui  invenisseteuni.  " 
(  Liber  Genesis,  cap.  iv,  v.  i5.) 

*  Voir  la  Monop;raphie  que  MM.  les  abbés  Cahier  et  Martin  préparent  sur  la  cathé- 
flraîe  de  Bourges.  Sur  ce  même  vitrail ,  Abraham  qui  va  sacriiier  Isaac,  Moïse  qui  fait 
jaillir  Teau  du  rocher,  la  Religion  chrétienne  qui  assiste  à  la  mort  du  Christ,  ne  sont  pas 


72  INSTRUCTIONS. 

maison  peut  dire,  en  général,  que  chez  nous  et  dans  tout 
l'Occident,  on  réserve  le  nimbe  aux  saints  de  TÉvangile,  tandis 
qu'on  le  refuse  ordinairement  aux  saints  de  la  Bible.  En 
Orient,  au  contraire,  on  prodigue  toujours  le  nimbe  aux  uns 
et  aux  autres. 

Saint  Jean-Baptiste ,  même  en  Occident ,  où  on  fait  non-seu- 
lement la  fête  de  sa  mort,  mais  celle  de  sa  nativité,  a  toujours 
la  tête  nimbée  ;  il  ne.  perd  cet  attribut  qu'à  l'époque  où  les 
autres  saints  de  l'Évangile  en  sont  dépouillés.  Saint  Jean-Bap- 
tiste, le  précurseur  qui  est  circoncis  encore,  mais  qui  baptise 
déjà,  qui  montre  l'Agneau  de  Dieu,  qui  prépare  l'Evangile, 
qui  est  l'agrafe  (fibula,  comme  dit  l'Eglise  le  jour  de  sa  fête) 
entre  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament,  saint  Jean  devait 
avoir  un  nimbe.  Voici  la  représentation  orientale  de  saint  Jean- 
Baptiste  avec  son  nom  écrit  en  grec  :  o  cLytoç  'loûLvnç  o  Hpô</}oof^o^ 
saint  Jean  le  Précurseur  ^ 

24.  —  SAINT  JEAN-BAPTISTE  NIMBE. 
Fresque  du  couveut  de  Kaiçariani,  mont  Hymette.- 


nimbés.  Il  esl  rare  cependant  de  voir  ainsi  la  Religion  chrétienne,  l'Église,  dépouillée 
du  nimbe. 

*  Saint  Jean  lient  sa  tête  dans  un  vase  ;  il  est  vêtu  d'une  peau  de  chameau,  il  a  une 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  73 

Saint  Joseph,  le  père  nourricier  de  Jésus,  est  ordinairement 
nimbé ^;  cependant  on  le  voit  assez  souvent  sans  nimbe-, 
par  exemple,  à  la  clôture  du  chœur  de  Notre-Dame  de  Paris  et 
sur  un  vitrail  de  Notre-Dame  de  Chartres ,  au  fond  de  Fabside. 
La  vierge  Marie  porte  le  nimbe  circulaire  et  souvent  ma- 
gnifiquement décorée  La  Vierge,  la  mère  de  Dieu,  cette  créa- 
ture que  le  moyen  âge ,  dans  son  culte ,  rapprocha  autant  que 
possible  de  son  fils  et  du  Créateur,  jette  des  rayons  non-seule- 
ment par  la  tête ,  mais  par  le  corps  et  les  mains.  Elle  n'a  pas 
de  nimbe  croisé  ^,  puisque  les  croisillons  sont  réservés  à  la 
divinité,  mais  elle  a  le  nimbe  aussi  riche  que  Dieu  lui-même  ; 
elle  a  Tauréole  et  la  gloire  entière,  elle  a  les  mains  enflani- 

ceinlure  de  cuir  et  les  cheveux  incultes  comme  un  pénitent;  il  porte  le  nimbe  circulaire. 
Les  Grecs  traduisent  littéralement  :  «Voilà  que  j'envoie  mon  ange  devant  vous  {Marc, 
cap.  1,  V.  2)  »,  et  mettent  constamment  des  ailes  d'ange  aux  épaules  de  saint  Jean-Baptiste. 
Chez  nous,  où  l'on  s'attache  plus  à  l'esprit  qu'à  la  lettre ,  on  laisse  le  nimbe  à  saint  Jean  , 
comme  on  en  verra  deux  exemples  dans  l'histoire  de  Jésus-Christ,  mais  on  lui  ôte  les  ailes. 

'-  Saint  Joseph  ,  averti  par  l'ange  de  prendre  la  mère  et  l'enfant  et  de  s'enfuir  en 
Egypte,  est  nimbé  dans  le  manuscrit  du  xi*  siècle,  chronique  et  traités  divers,  manus- 
crit du  fonds  de  Saint-Germain  ,  Bibliothèque  Royale.  Dans  le  Bénédictionaire  de  saint 
Elhehvold  ,  appartenant  au  duc  de  Devonshire,  manuscrit  du  x''  siècle,  Joseph  est  nimbé 
au  moment  où  il  assiste  à  la  naissance  de  Jésus. 

'  Pas  de  nimbe  au  saint  Joseph  fuyant  en  Egypte ,  Evangiles  de  saint  Martial ,  xiii"  siècle , 
appartenant  à  M.  le  comte  Auguste  de  Bastard.  Par  contre,  ce  même  manuscrit  donne  le 
nimbe  aux  rois  mages  et  même  à  Hérode.  Le  nimbe  indiquerait  moins  la  sainteté  que  la 
la  puissance  et  dénoterait,  par  conséquent,  que  ce  manuscrit  s'est  exécuté  sous  une  in- 
lUience  plutôt  byzantine  que  latine,  et  orientale  qu'occidentale. 

Sur  le  retable  de  Saint-Germer,  près  de  Beauvais,  dans  la  chapelle  de  la  Vierge, 
Marie  porte  un  nimbe  splendidement  décoré  de  perles  et  d'une  arcature.  Jésus-Christ 
seul  a  le  nimbe  un  peu  plus  riche  encore.  Voyez  dans  l'ouvrage  de  M.  le  baron  Taylor, 
Voyage  dans  l'ancienne  France,  province  de  Picardie,  une  lithographie  de  ce  bel  autel  du 
xiif  siècle,  exécutée  par  M.  Nicolle,  d'après  un  dessin  de  M.  Lassus.  Ce  monument  est 
sculpté  et  peint.  M.  Boeswilwald  en  a  relevé  cl  restauré  toutes  les  peintures  dans  un 
dessin  préparé  pour  l'exposition  de  i842. 

Le  nimbe  croisé,  attribué  à  la  petite  Marie  venant  au  monde,  dans  le  missel  de 
Saint-Magloire,  cité  plus  haut,  page  5i,  est  une  exception  unique  ou  plutôt  une  faute 
du  miniaturiste. 

INSTniiCTIONS.  —  II.  10 


74  INSTRUCTIONS. 

mées,  elle  a  l'arc-en-ciel  pour  trône,  le  soleil  pour  vêtements, 
la  lune  pour  escabeau,  les  étoiles  pour  couronne,  tout  aussi 
bien  que  Jésus-Christ.  Les  fresques  de  Saint-Savin  montrent 
ainsi  la  Vierge  apocalyptique  nimbée ,  assise  sur  le  soleil  et 
posant  les  pieds  sur  la  lune.  Au  paragraphe  de  la  gloire, 
nous  verrons,  par  un  dessin  tiré  du  Campo-Santo,  que  Marie 
est  aussi  lumineuse,  aussi  glorieuse  que  son  fds,  qui  est  cepen- 
dant représenté  en  grand  juge  et  dans  toute  sa  gloire.  Enfin, 
dans  ces  derniers  temps,  on  a  frappé  une  médaille  où  Marie 
est  représentée  versant  des  ruisseaux  de  lumière  avec  les  dix 
doigts  de  ses  mains,  absolument  comme  un  grand  Christ  qu'on 
voit  sculpté  à  Vezelay,  et  dont  les  mains  répandent  des  flots  de 
grâce  sur  ses  apôtres  :  ces  flots  ont  la  forme  de  rayons  sur  l'ef- 
figie de  Marie  et  sur  celle  du  Christ. 

Les  apôtres  sont  toujours  ornés  du  nimbe,  comme  cela 
devait  être.  Avec  les  personnes  divines,  les  apôtres  sont  les 
premiers  à  prendre  le  nimbe  et  les  derniers  à  le  quittera  Au 
portail  occidental  de  la  cathédrale  de  Reims,  le  nimbe  de  saint 
Pierre  et  de  saint  Jean  évangéliste  est  orné  de  perles  ;  sur  les 
vitraux  de  la  même  église,  dans  le  sanctuaire,  des  pierres 
précieuses  ou  des  cabochons  en  émeraude,  en  rubis,  en  sa- 
phir, sont  figurés  sur  le  nimbe  de  presque  tous  les  apôtres. 

Tous  les  ordres  des  saints,  les  martyrs,  les  confesseurs, 
les  vierges,  les  continents,  sont  ornés  du  nimbe  et  du  nimbe 
circulaire  '^. 

Le  champ  du  disque  est  plus  ou  moins  orné,  suivant  l'é- 
poque et  le  pays  où  il  a  été  fait,  suivant  la  matière  sur  la- 

'  Au  dessin  17,  pag.  53,  on  a  vu  saint  Pierre  et  saint  Paul  nimbés  comme  le  jeunt- 
Jésus  et  aussitôt  que  lui. 

^  Voyez  les  voussures  des  cathédrales  de  Reims,  de  Paris  et  de  Chartres.  iSHortus 
deliciarum ,  les  Arts  au  moyen  âge,  les  Peintures  et  ornements  des  nianuscrils  offrent 
des  exemples  très-nombreux  et  Uès-divers  du  nimbe. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  75 

quelle  il  est  exécuté.  Aux  époques  anciennes  du  christianisme 
et  à  la  renaissance  \  le  nimbe  est  plus  décoré  que  pendant  le 
moyen  âge  proprement  dit^  En  Italie  et  en  Grèce,  le  nimbe 
est  moins  simple  que  chez  nous.  Les  Grecs,  on  l'a  dit,  ne  se 
contentent  pas  de  tracer  sur  leurs  fresques  des  ornements  au 
pinceau,  ils  pratiquent  encore  des  rehefs  dans  leurs  enduits. 
Enfin  les  nimbes  exécutés  en  orfèvrerie,  en  ivoire,  en  émail 
ou  en  peinture  sur  verre,  sont  plus  riches  ordinairement  que 
les  nimbes  sculptés  sur  la  pierre  de  liais  ou  le  granit.  Les  pre- 
miers sont  exécutés  avec  plus  de  soin  et  plus  de  luxe  ;  d'ailleurs 
il  était  plus  facile  et  souvent  il  était  nécessaire  de  les  orner. 
La  belle  châsse  de  Mauzac,  en  Auvergne,  montre  ainsi  la 
Vierge  inscrite  dans  une  gloire  elliptique  ;  Marie  porte  le  nimbe 
circulaire,  en  émail  bleu  et  semé  de  petites  fleurs  rouges^. 

^  Un  vitrail  du  xvf  siècle,  en  grisaille,  appartenant  à  M.  Guénebault  et  représentant 
saint  Jean-Baptiste  qui  tient  l'agneau  de  Dieu,  donne  des  nimbes  chargés  d'ornements 
et  de  rayons.  Les  beaux  vitraux  de  Saint-Alpin,  à  Châlons-sur-Marne,  de  Sainte-Made- 
leine, à  Troyes,  et  de  l'église  d'Epernay  sont  remplis  de  nimbes  richement  ornés.  Ces 
vitraux  sont  également  de  la  renaissance.  Quant  au  rebord  du  nimbe,  c'est  ordinaire- 
ment un  ourlet  brodé  de  perles  ou  un  ruban  plus  ou  moins  brodé.  Cet  ourlet  est  très- 
riche  aux  nimbes  du  Christ  et  de  Marie,  sur  le  tympan  de  la  cathédrale  d'Autun  ,  qui  est 
cependant  du  xii°  siècle.  La  richesse  du  nimbe,  employée  comme  moyen  hiérarchique, 
est  bien  indiquée  dans  le  Bénédictionaire  de  saint  Ethelwold ,  évoque  de  Winchester.  Là 
Marie,  saint  Pierre,  saint  Paul,  saint  Jean,  ont  un  bien  plus  beau  nimbe  que  le  reste 
des  apôtres  et  des  saints.  Ce  manuscrit  anglo-saxon  est  de  Godemann  ,  qui  a  marqué 
cette  œuvre  de  son  nom  et  qui,  en  970,  était  évoque  de  Thorney. 

'  L'évangéliaire  de  Charlemagne,  connu  sous  le  nom  d'Evangiles  de  Saint-Médard  de 
Soissons,  manuscrits  latins  de  la  Bibliothèque  royale,  offre  de  beaux  exemples  de  nimbes 
richement  ornés.  Voyez  saint  Matthieu  et  son  ange  reproduits  dans  les  Peintures  et  orne- 
ments des  manuscrits.  Le  tympan  de  la  cathédrale  d'Autun  ,  qui  est  du  xii"  siècle,  le  re- 
table de  Saint-Germer,  chapelle  de  la  Vierge,  xiii"  siècle,  offrent  de  beaux  exemples  de 
nimbes  striés  et  cannelés.  Mais  ces  deux  monuments,  quoique  en  pierre,  sont  d'une  ri- 
chesse aussi  grande  que  s'ils  étaient  en  argent  ou  en  or.  Dans  le  l'elable  de  Salnt-Gei'mer, 
les  nimbes  sont,  non-seulement  modelés,  mais  encore  rehaussés  de  couleurs. 

^  Voyez  l'ouvrage  de  M.  Mallay,  architeclo  à  Clermont-Ferrand ,  sur  les  églises  romanes 
du  Puy-de-Dôme.  Plusieurs  coffrets,  châsses,  croix  et  devants  d'autel  émaillés ,  donnés 

10. 


76  INSTRUCTIONS. 

Vers  le  kiy*"  siècle  la  mode  prévalut,  surtout  en  Allemagne, 
d'écrire  dans  l'intérieur  du  nimbe  le  nom  du  saint  dont  on 
ornait  la  tête.  Ainsi  les  vitraux  de  la  cathédrale  de  Strasbourg, 
qui  représentent  plusieurs  rois  et  empereurs,  qui  sont  du  xi^ 
ou  xii^  siècle,  mais  qui  ont  été  restaurés  vers  le  xiv%  à  la  tête  et 
au  nimbe  particulièrement,  portent  des  nimbes  où  on  lit  : 
«  Karolus-Magnus  Rex,  Rex  Bippinus  pater  Karoli,  Rex  Hen- 
«  ricus  Claudus^  »  Nous  avons  vu  le  premier,  Cbarlemagne'-; 
voici  l'empereur  Henri  II,  Henri  le  Boiteux,  qui  n'est  qualifié 
que  du  titre  de  roi,  comme  Cbarlemagne  lui-même,  parce 
qu'alors  les  expressions  de  roi  et  d'empereur  n'avaient  pas  la 
valeur  qu'elles  possèdent  aujourd'hui. 

par  M.  du  Soinmeravd ,  dans  l'Atlas  et  l'Album  des  Arts  au  moyen  âge ,  viennent  con- 
firmer ce  que  pi'ouve  la  châsse  de  Mauzac.  Voyez  principalement  le  Paliotto  de  Milan ,  la 
Palla-d'oro  de  Venise,  l'autel  d'or  de  Bâle,  Je  reliquaire  roman  de  Chartres. 

'  Cet  Henricus  Claudus  rex  est  Henri,  duc  de  Bavière,  empereur  après  la  mort 
d'OthonllI,  en  1002  ,  sous  le  nom  de  Henri  U.  Il  est  mort  le  i3-i 4  juillet  102 4,  et  a  été 
canonisé  en  1102  par  le  pape  Eugène  III.  Saint  Henri  fut  un  des  bienfaiteurs  de  la  cathé- 
drale de  Strasbourg.  Dans  les  chroniques  allemandes,  l'épithète  de  Claudus  est  traduite 
par  Lahme,  perclus,  boiteux.  Les  quinze  rgis  peints  sur  verre  dans  le  latéral  nord  de  la 
cathédrale  de  Strasbourg  sont  tous  désignés  comme  bienfaiteurs  de  la  cathédrale.  C'est  à 
eux  qu'on  doit  les  revenus  considérables  qui  ont  permis  de  bâtir  le  monument,  et  qui, 
aujourd'hui  encore,  sont  employés  à  sa  conservation.  Aucun  de  ces  empereurs  et  rois  ,  à 
l'exception  de  Henri  II  et  peut-être  de  Cbarlemagne,  n'a  été  canonisé  et  n'est  reconnu 
comme  saint;  tous  cependant  sont  ornés  du  nimbe.  Il  y  a  là  un  fait  curieux  et  qui  mérite 
explication.  M.  Klotz,  architecte  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  donnera  ceilainement 
cette  explication  dans  le  travail  graphique  et  littéraire  qu'il  prépare  sur  tous  les  vitraux  du 
monument  confié  à  ses  soins.  Des  réparations  importantes,  exécutées  à  ces  vitraux  au 
xiv'  siècle;,  mettront  sur  la  voie  d'une  solution. 

-  Ci-dessus,  planche  1,  pag.  26.  —  Raphaël  {Dispute  du  Saint-Sacrement)  a  peint  plu- 
sieurs noms  dans  l'intérieur  des  nimbes  qui  décorent  la  tête  des  saints  divers  qui  con- 
templent ou  adorent  l'hostie  dans  l'ostensoir  ou  soleil  rayonnant.  En  France,  aux  xu'  et 
xiii'  siècles,  on  écrivait  ordinairement  le  nom  des  saints  sur  la  banderole  que  ces  per- 
sonnages tenaient  à  la  main.  L'inscription  régnant  autour  du  nimbe,  comme  une  lé- 
gende sur  une  médaille ,  est  bien  préférable  ;  c'est  une  heureure  idée  que  de  faire  porte 
aux  saints  leur  nom  sur  leur  tète  et  dans  le  nimbe  lui-même,  qui  est  le  signe  de  leur 
apothéose. 


25.— 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE. 

L'EMPEREUR   HENRI  II,  X  NIMBE  CIRCULAIRE  ET  MARQUE  D'UNE  INSCRIPTION. 
Vitrail  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  xif  et  xiv'  siècles. 


77 


En  Allemagne,  cet  usage  a  persisté  jusqu'à  la  fin  du  xvi^  siècle^; 
de  nos  jours,  on  le  pratique  encore  dans  les  tentatives  qui  se 
font  en  Bavière  et  dans  le  grand-duché  du  Bas-Rhin,  pour  ra- 
nimer fart  de  la  peinture  sur  verre. 

Les  Grecs  suivent  presque  constamment   cette  pratique; 

'  Voyez,  entre  autres,  les  vitraux  de  l'abside  de  la  cathédrale,  à  Freybourg  en  Bris- 
gau;  les  beaux  vitraux  attribués  à  Albert  Durer,  et  qui  ornent  la  nef  latérale  du  nord  de 
la  cathédrale,  à  Cologne. 


78  INSTRUCTIONS. 

mais,  au  lieu  d'écrire  le  nom  entier,  ils  ne  mettent  assez  sou- 
vent que  le  monogramme  ic.  jcc.  (Jésus -Christ)  et  mp  er  (la 
Mère  de  Dieu),  pour  le  Christ  et  la  Vierge,  ou  que  les  ini- 
tiales r,  M,  P,  M,  H,  n,  pour  Gahriel,  Michel,  Raphaël, 
Moïse,  Hélie,  Pierre  ^ 


NIMBE    DE    PERSONNAGES    VIVANTS. 


Les  vivants,  quand  ils  étaient  arrivés  à  un  degré  de  sainteté 
reconnue  et  incontestée,  se  décoraient  du  nimbe,  comme  l'af- 
firme positivement  Jean  le  Diacre,  et,  d'après  lui,  Ciampini". 
Mais,  pour  garder  aux  saints  morts  leur  haute  position,  le 
nimbe  du  saint  vivant  était  carré  ^. 

'  Voyez  une  fresque  qui  surmonte  la  porte  méridionale  et  latérale  de  la  principale  église 
d'Argos. Voyez,  dansl'Histoire  de  Jésus-Christ  et  de  l'Ange,  des  gravures  tirées  des  fresques 
grecques,  et  représentant  Jésus-Christ  en  archevêque  et  l'assemblée  (2{ivaÇjs)  des  ar- 
changes. Voyez  une  gravure  représentant  la  transfiguration  de  Jésus-Christ  (Msxafxôpi^w- 
<Tis),  et  où  se  trouve,  dans  le  bas,  une  vue  perspective  du  monastère  de  Coutloumousiou , 
près  de  Karès ,  au  mont  Athos.  Dans  le  dessin  où  figurent  les  archanges  ,  on  voit  Michel , 
Gabriel,  Raphaël;  leur  nom  est  indiqué  dans  le  nimbe  par  les  monogrammes  M,  T  et  P. 

^  Jean  le  Diacre  (  Vit.  S.  Gregonl,  lib.  IV,  cap.  lxxxiv  )  dit ,  en  parlant  de  Grégoire  le 
Grand  qui,  de  son  vivant,  avait  fait  exécuter  son  propre  portrait  :  «  Circa  verticem  vero, 
«  TABULA  similitudinem ,  quod  viventis  insigne  est,  praeferens,  non  coron am.  Ex  quo  ma- 
(t  nifestissime  declarafur  quia  Gregorius,  dum  adhuc  viveret,  suam  similitudinem  de- 
«  pingi  salubriter  voluit.  »  Ciampini ,  qui  avait  d'abord  adopté  celte  opinion ,  a  dit  ensuite 
le  contraire  [Veter.  monim.  pars.  2°,  p.  i/jo),  mais  sans  raison;  les  faits  et  les  textes  sont 
contre  lui.  Toujours  le  nimbe  carré  que  porte  un  personnage  signifie  que  ce  personnage 
vivait  quand  on  Ta  figuré.  Le  nimbe  rectangulaire  est  fréquent  en  Italie  :  M.  du  Som- 
merard  vient  de  le  signaler  à  Saint- Apollinaire  in  classe,  à  Ravenne  ;  Ciampini,  dans  la 
seconde  parlie  des  Vetera  monimenta,  en  donne  jusqu'à  huit  exemples;  les  Bollandistes , 
dans  l'introduclion  au  premier  volume  des  Act.  SS.  du  mois  de  mai,  ont  fait  graver  un 
nimbe  carré  ;  Séroux  d'Agincourt  { Histoire  de  l'art  par  les  monuments)  allas  de  la  peinture , 
offre  de  nombreux  exemples  divisés  en  trois  types  différents  du  nimbe  rectangulaire  ; 
enfin  les  Arts  au  moyen  âge,  9"  série  de  l'Album,  reproduisent,  dans  un  magnifique  dessin  , 
le  célèbre  autel  dit  Paliotto  de  Saint-Ambroise  de  Milan,  et  là,  l'évêque  Angilbert  qui , 
de  son  vivant,  offre  son  autel  à  saint  Ambroise,  est  orné  du  nimbe  rectangulaire,  tandis 
que  saint  Ambroise  a  le  nimbe  en  cercle. 

'  Ce  dessin  représente  le  pape  Pascal  tenant  l'église  de  Sainte-Cécile  qu'il  avait  fait 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE. 


79 


26.  —  LE   PAPE   PASCAL  À  MMBE  CARRE. 
Mosaïque  de  Sainte-Céciic  de  Pioiue ,  ix"  siècle. 


Le  carré,  ainsi  qu'on  Ta  dit,  est  inférieur  au  rond  dans  les 
idées  de  Pythagore  et  des  néoplatoniciens.  Suivant  ces  idées, 
le  carré  est  l'expression  symbolique  donnée  par  la  géométrie 
à  la  terre;  le  rond  est  le  symbole  du  ciel.  Le  rond  est  un  carré 
perfectionné  ;  le  carré  est  un  rond  brisé  ou  diminué ,  suivant 
l'expression  héraldique.  Dans  l'ancienne  basilique  de  Saint- 
Pierre  de  Rome,  on  voyait  la  série  des  papes  peinte  à  une 
époque  très-reculée.  Au  xiii*'  siècle ,  le  pape  Nicolas  III  fit  re- 
produire, mais  un  peu  plus  bas,  cette  galerie  des  pontifes 
romains.  Dans  cette  galerie  nouvelle,  on  avait  représenté  le  pape 
Libère  avec  un  nimbe  carré,  parce  que  le  peintre,  employé 


bâtir,  et  où  il  s'était  fait  représenter  en  mosaïque.  Celte  mosaïque  est  de  820.  Le  même 
pape,  toujours  à  nimbe  carré,  se  voit  à  Rome,  sur  deux  mosaïques  qu'il  a  fait  exécuter, 
l'une,  en  8i5,  dans  l'église  de  Sainte-Marie  délia  Navicella;  l'autre,  en  818,  dans  celle 
de  Sainte-Praxcde.  (Voyez  Ciampini,  Veier.  monim.  pars  secunda,  tab.  i\U,  tx-]  et  52.) 


80  INSTRUCTIONS. 

par  le  pape  Nicolas,  avait  copié  minutieusement  la  galerie 
ancienne  où  le  pape  Libère  portait  le  nimbe  rectangulaire. 
Cette  forme  pouvait  convenir  au  portrait  ancien,  car  ce  por- 
trait datait  probablement  du  temps  de  Libère;  mais  elle  ne 
pouvait  s'appliquer  au  portrait  du  xuf  siècle,  et  le  peintre 
reproduisit  le  nimbe  rectangulaire  sans  se  rendre  compte 
de  cette  forme  et  sans  en  avoir  le  sens.  Cette  particularité 
exerce  encore  aujourd'hui  l'intelligence  des  anticpiaires  ;  nous 
croyons  en  avoir  donné  la  signification. 

MM.  les  bénédictins  de  Solesmes  se  sont  fortement  préoc- 
cupés de  ce  nimbe  carré,  et  en  ont  donné  une  autre  explica- 
tion ^  «  Nous  nous  permettrons  d'observer,  disent-ils,  que  cette 
différence  dans  la  manière  de  représenter  Libère  a  pu  venir 
aussi  de  la  chute  que  fit  ce  pape^,  par  suite  de  laquelle  la  vé- 
nération de  son  nom  avait  pu  s'affaiblir  dans  fEgiise  romaine, 
qui  ne  paraît  pas  en  effet  favoir  jamais  honoré  d'un  culte 
particulier,  ainsi  qu'elle  l'a  fait  pour  tous  ses  prédécesseurs 
et  pour  un  grand  nombre  de  ses  successeurs  immédiats.  Cette 
différence  de  garder  sa  mémoire  avait  pu  s'exprimer  aussi 
dans  un  signe  extérieur.  »  Cette  explication  est  ingénieuse, 
mais  elle  ne  nous  paraît  pas  archéologique.  Dans  tous  les  cas, 
elle  viendrait  encore  à  f  appui  de  notre  opinion  symbolique  sur 
le  nimbe  carré,  à  savoir  que  cette  forme  est  inférieure  à  celle 
du  nimbe  rond,  et  que  le  nimbe  rectangulaire  est  un  nimbe 
circulaire  brisé  et  diminué.  On  faurait  donné  à  Libère,  selon 
MM.  les  bénédictins,  pour  l'abaisser  devant  les  autres  papes 
qui  portaient  le  nimbe  rond,  comme,  en  blason,  on  diffame 
les  armoiries  d'un  noble  qui  a  forfait. 

En  Italie,   sur  plusieurs  fresques,  vieux  émaux,   ivoires, 

^   Origines  de  l'Eglise  romaine,  tome  I,  pag.  167-168,  in-/^^  Paris,  i836. 

*  Libère  adhéra  à  la  condamnalion  de  saint  Athanase  persécuté  par  les  ariens. 


ICOi^OGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  81 

mosaïques  anciennes  ou  miniatures  de  manuscrits ,  on  voit 
donc  des  nimbes  carrés  ou  rectangulaires.  Ni  la  Grèce,  ni 
l'Allemagne,  ni  TAngieterre,  ni  l'Espagne,  n'offrent  de  ces 
sortes  de  nimbes  qui  sont  particuliers  à  l'Italie  ^  En  Italie 
on  use  abondamment  du  nimbe  carré  et  on  lui  a  donné  plu- 
sieurs configurations  :  il  est  simplement  rectangulaire ,  comme 
celui  des  papes  Grégoire  et  Pascal  qu'on  vient  de  voir^;  il  est 
réellement  en  forme  de  table  et  avec  indication  de  l'épais- 
seur, comme  Ciampini  en  donne. des  exemples  dans  la  se- 
conde partie  de  son  ouvrage^;  il  a  la  forme  d'un  triptyque, 
la  tête  posant  sur  la  table  du  fond,  et  les  deux  volets  étant  à 
moitié  ouverts ,  comme  Séroux  d'Agincourt  en  a  fait  graver 
des  modèles;  il  est  en  forme  de  tableau  carré,  avec  champ 
et  encadrement,  comme  d'Agincourt  en  montre  encore'';  il 
est  en  forme-  de  rouleau  à  demi  déployé,  comme  l'exemple 
que  nous  donnons  ici  ^.  Peut-être  existe-t-il  d'autres  variétés 
encore  de  cette  singulière  espèce  de  nimbe;  il  faudrait  noter 
avec  soin  toutes  celles  qu'on  pourrait  rencontrer,  pour  qu'il 
fût  permis  d'arriver  plus  tard  à  une  explication  satisfaisante 
de  ce  fait  bizarre,  et  dont  la  seule  Italie  donne  des  exemples. 

^  Celte  particularité  mériterait  explication.  Peut-être  l'Italie,  où  les  monuments  chré- 
tiens de  lous  les  âges  abondent,  où  les  individualités  ont  toujours  été  plus  prononcées 
que  chez  nous ,  devait-elle  inventer  une  forme  nouvelle  et  toutes  les  variétés  de  cette 
forme,  tandis  qu'ici  et  chez  les  autres  peuples  occidentaux  on  s'en  tenait  à  un  type 
uniforme. 

^  PI.  5,  p.3/i;  pi.  26,  p.  79. 

'   Vetera  monimenta. 

''  Histoire  de  l'Art  par  les  monuments,  peinture,  pi.  53. 

'  Ibid.  pi.  Sy  et  54.  Ce  dessin  est  tiré  d'un  pontifical,  manuscrit  à  miniatures,  latin, 
du  ix'  siècle,  qui  appartient  à  la  bibliothèque  de  la  Minerve,  à  Rome.  Douze  tableaux 
représentent  le  pontife  consacrant  des  prêtres,  et  partout  cet  évêque  porte  le  nimbe 
à  rouleau.  Un  Exultet,  dont  plue-ieurs  miniatures  ont  été  reproduites  par  d'Agincourt, 
offre  des  exemples  semblables. 

INSTRUCTIONS.  II.  Il 


82 


37  — 


INSTRUCTIONS. 

KVF.QUE    VIVANT,   ORNÉ    DD    NIMBE   RECTANGULAIRE    EN    FORME    DE   ROULEAU. 
Miniature  d'un  manuscrit  latin  du  ix°  siècle. 


Ce  lait,  que  révèle  la  quadrature  du  nimbe,  est  de  la  plus 
haute  valeur,  car  il  sert  à  assigner  l'âge  des  mosaïques,  des 
manuscrits  et  des  autres  monuments ,  lesquels  sont  incontes- 
tablement de  l'époque  où  vivait  le  personnage  à  nimbe  carré. 
Il  est  bien  fâcheux  que  la  France  n'ait  pas  imité  l'Italie,  et 
n'ait  pas  réservé  le  nimbe  carré  pour  les  vivants,  le  nimbe 
rond  pour  les  morts.  Si  l'on  eût  adopté  cet  usage,  nous  saurions 
aujourd'hui,  et  d'une  manière  certaine,  la  date  de  plusieurs 
monuments  de  sculpture,  de  peinture  ou  même  d'architecture, 
sur  lesquels  nous  discutons  et  discuterons  peut-être  éternelle- 
ment sans  pouvoir  en  assigner  l'époque.  La  découverte  d'un  de 
ces  nimbes  serait  d'une  telle  importance  chez  nous  qu'on  doit 
appeler  fortement  l'attention  sur  les  attributs  de  cette  forme. 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE. 


83 


28. NIMBE  CARRÉ  À  CIIARLEMAGXE  EU  AU  PAPE  LEON  111  ;  NIMBE  CrRCULAlHE  À  SAINT  PIERRE. 

Mosaïque  de  Rome,  Triclinium  du  Vatican,  ix'"  siècle  '. 


lE  ATE   PE  T  R.E    DOr 
o     VITA    LEONI  PPE     BICTO     " 
RIACARVLO  REG-I  DONA 


ko 


En  Italie ,  on  ne  s'est  pas  tenu  au  nimbe  cairé  ou  rec- 
tangulaire; on  a  encore  inventé  le  nimbe  hexagonal,  et  on 

'  Celle  peinture,  en  partie  détruile  aujourd'hui  et  assez  mal  restaurée ,  représente  saint 
Pierre  donnant  les  insignes  de  la  papauté  au  pape  Léon  III  et  l'étendard  de  la  guerre  à 
l'empereur  Charlemagne.  Cette  mosaïque  ornait  le  triclinium  de  Sain  t- Jean -de-Latran, 
bâti  sous  Charlemagne ,  par  le  pape  Léon.  Léon  et  Charlemagne  portent  le  nimbe  carré , 
et  saint  Pierre  le  nimbe  circulaire.  Voyez  Nicolo  Alemanni,  De  Lateranensibus  parietinis. 
Home,  1625,  p.  12.  Dans  le  même  ouvrage,  Alemanni  a  fait  graver  une  mosaïque  qui 
existait  à  Sainte-Suzanne  de  Rome,  et  détruite  depuis  deux  cent  cinquante  ans  à  peu 
près.  Elle  représentait  encore  Léon  III  et  Charlemagne  avec  le  nimbe  carré.  Léon  avait 
rebâti  Sainte-Suzanne;  il  était  debout,  tenant  son  église  sur  sa  chasuble.  Charlemagne 
était  debout  aussi,  habillé  comme  celui  du  iriclinium ,  gesticulant  et  paraissant  adresser 
la  parole  au  pape  qui  a  la  lèle  nue. 

11. 


84  INSTRUCTIONS. 

rapplique  à  la  personnification  des  vertus  théologales  et  cardi- 
nales. Dans  ce  cas,  la  fornie  n'a  plus  un  sens  chronologique  et 
n'indique  plus  que  l'individu  qui  en  est  orné  est  vivant,  puis- 
qu'il s'agit  d'une  allégorie,  mais  elle  exprime  un  sens  mystique. 
Le  nimbe  triansfulaire  donné  à  Dieu  lait  allusion  à  la  trinité 
des  personnes  divines;  le  nimbe  hexagonal,  appliqué  aux 
Vertus,  doit  relever  d'une  idée  analogue.  A  dire  vrai,  je  ne 
m'en  rends  pas  bien  compte;  car  les  vertus  sont  au  nombre  de 
trois,  ce  sont  les  théologales ,  ou  au  nombre  de  quatre,  ce  sont 
les  cardinales,  ou  au  nombre  de  douze,  comme  on  le  reniarque 
sur  les  portails  des  cathédrales  de  Paris,  dé  Chartres,  d'Amiens 
et  de  Reims.  Mais,  en  tous  cas ,  il  y  en  a  plus  ou  moins  de  six. 
On  pourrait  dire  cependant  que  l'hexagone  fait  allusion  au 
nombre  douze,  dont  il  serait  la  moitié.  Quoi  qu'il  en  soit,  les 
portes  du  baptistère  de  Florence,  exécutées  par  André  Pisan; 
les  peintures  du  chœur  de  Saint-François  de  Pise,  par  Taddéo 
Gaddi;  la  voûte  d'arête  qui  couvre  l'autel  de  l'église  inférieure 
d'Assise,  par  Giotto,  offrent  les  Vertus  ainsi  nimbées  ^ 

Du  reste,  le  nimbe  n'est  en  France  ni  polygonal  ni  carré; 
sauf  l'exception  qui  vient  d'être  signalée,  il  y  est  constamment 
circulaire.  C'est,  en  effet,  le  rayonnement  de  la  tête.  La  tête 
est  ronde,  le  nimbe  doit  donc  être  circulaire  ou  tout  au  plus 
légèrement  ovale. 


NIMBE  DES  ETRES  ALLEGORIQUES. 


Les  personnages  allégoriques  auxquels  Jésus-Christ,  dans 
ses  paraboles ,  a  donné  une  existence  de  raison ,  en  quelque 
sorte,  sont  nimbés  lorsqu'ils  expriment  une  vertu,  une  qua- 

'■  Je  dois  ces  renseignements  à  M.  Orsel ,  artiste  si  profondément  versé  dans  l'icono- 
graphie chrétienne  et  qui  est  chargé  de  peindre  une  chapelle  dans  Notre-Dame  de  Lo- 
retle,  à  Paris. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  85 

lité  sainte.  Telles  sont  les  vierges  sages,  et  quelquefois  les 
vierges  folles;  elles  portent  le  nimbe  comme  des  personnages 
réels.  Les  vertus,  personnifiées  par  fart  et  représentées  par  les 
statuaires  ou  les  peintres ,  sont  nimbées  ordinairement.  Les 
Vertus  appelées  théologales,  la  foi,  l'espérance  et  la  charité; 
les  Vertus  cardinales,  la  justice,  la  prudence,  la  tempérance 
et  la  force,  sont  nimbées  ^  Leur  nimbe  est  quelquefois  hexa- 
gonal en  Italie ,  comme  on  vient  de  dire  ;  mais  chez  nous  il 
est  toujours  circulaire.  Dans  la  cathédrale  de  Chartres,  parmi 
les  quatorze  Vertus  publiques  ou  sociales  qui  occupent  un 
cordon  de  voussure,  au  porche  du  nord,  entrée  de  gauche,  se 
montre  la  Liberté.  La  première  de  toutes  est  la  Vertu  par  ex- 
cellence, la  mère  de  celles  qui  l'escortent,  comme  dans  la 
mythologie  Mnémosyne  est  la  mère  des  Muses.  La  Liberté  se 
présente  la  seconde;  elle  est  par  conséquent  l'aînée  de  celles 
qui  la  suivent.  Les  intempéries  ont  rongé  le  nom  de  quelques- 
unes  d'entre  elles,  gravé  dans  la  pierre.  Parmi  les  noms  qui 
restent  on  lit,  en  caractères  du  xiii"  siècle  :  Libertas,  Honor, 
VelocUas,  Fortitiido ,  Concordia,  Amicicia  (sic),  Majestas,  Sani- 
tas,  Seciiritas.  Trois  noms  seulement  manquent  aujourd'hui 
et  ont  peut-être  toujours  manqué.  Chacune  de  ces  Vertus  porte 
un  attribut  qui  la  caractérise.  Des  colombes  vivent  en  paix 
sur  le  bouclier  de  la  Concorde  et  de  l'Amitié;  un  château  cré- 
nelé et  des  flèches  distinguent  la  Sécurité  et  la  Vitesse.  Des 
poissons ,  fait  curieux  ou  bizarre ,  ornent  le  bouclier  de  la  Santé. 

'  Voyez,  à  la  Bibliothèque  royale,  le  missel  de  Saint-Denis,  manuscrits  latins,  sup- 
plément. On  croit  que  ce  missel  date  du  ix°  siècle,  première  moitié.  La  miniature  qui 
représente  Jésus  descendant  du  ciel  pour  donner  la  communion  à  saint  Denis  empri- 
sonné, est  renfermée  dans  un  encadrement  où  l'on  remarque  les  quaire  Vertus  cardinales 
personnifiées  par  des  femmes  dont  la  fêle  est  environnée  du  nimbe  circulaire.  M,  de  Bas- 
tard  [Peintures  et  ornements  des  manuscrits)  a  reproduit  celle  peinture.  Le  Pastoral  de 
saint  Grégoire,  beau  et  très-ancien  manuscrit  qui  est  à  l'évêché  d'Aulun ,  donne  les 
Vérins  cardinales  nimbées  de  même. 


86  INSTRUCTIONS. 

Voici  la  Liberté;  elle  donnera  une  idée  des  autres,  car  toutes  ces 

Vertus  se  ressemblent  comme  des  enfants  de  la  même  famille. 

29.  LA  LIBERTÉ  DECOREE  D'UN  NIMBE. 

Sculpture  du  xiii°  siècle,  cathédrale  de  Chartres. 


Comme  sa  mère,  qui  la  précède;  comme  ses  douze  sœurs,  qui 
la  suivent,  la  Liberté  est  décorée  d'un  large  nimbe;  c'est  une 
sainte  vertu  qui  méritait  cet  lionneur,  aussi  bien  que  toutes  les 
autres  qui  l'accompagnent  ou  plutôt  qui  défdent  après  elle  K 

'  La  main  droite,  qui  est  cassée,  devait  tenir  un  étendard  ou  une  pique.  Le  nimbe 
est  épais  et  plein ,  comme  ia  gravure  le  fait  sentir.  On  lit  parfaitement  libertas  et  non 
LiBERAF.iTAS,  commc  OU  pourrait  le  croire;  il  n'y  a  pas  la  moindre  abréviation.  D'ail- 
leurs, d'après  les  règles  de  la  paléographie,  il  n'est  pas  possible  d'abréger  liberaliUis  en 
omettant  le  second!.  Avant  de  faire  exécuter  ce  dessin  de  la  Liberté ,  j'ai  eu  soin  d'estamper 
l'inscription  ;  on  peut  donc  avoir  confiance  entière  dans  la  forme  et  le  nombre  des  lettres. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIB:NNE.  87 

Les  êtres  naturels,  la  personnification  des  points  cardinaux, 
des  vents,  des  quatre  éléments,  des  constellations,  du  jour  et 
de  la  nuit,  sont  quelquefois  nimbés.  La  religion  chrétienne  ou 
l'église  personnifiée  dans  une  femme  couronnée,  tenant  un 
calice  d'une  main  et  une  croix  de  l'autre,  personnification  des 
plus  fréquentes  pendant  tout  le  moyen  âge,  est  nimbée'.  Un 
manuscrit  grec  du  Vatican^  montre  la  ville  de  Gabaon  (ttoA/^ 
Td'^cLcàv)  sous  la  forme  d'une  grande  femme,  coiffée  d'une  cou- 
ronne murale,  pieds  nus,  tenant  un  long  bâton;  outre  sa  cou- 
ronne, cette  ville  porte  un  large  nimbe  circulaire.  Le  Soleil 
et  la  Lune,  à  l'imitation  des  païens,  portent  assez  souvent  le 
nimbe;  cela  se  conçoit,  puisque  le  nimbe  est  un  rayonnement, 
une  lumière,  et  que  les  deux  astres  lumineux  par  excellence, 
pour  les  habitants  de  la  terre  du  moins,  sont  la  lune  et  le  so- 
leil qui  partagent  le  temps  en  nuit  et  en  jour.  Chez  nous,  où 
l'on  est  moins  prodigue  du  nimbe,  au  lieu  d'entourer  de  cet 
insigne  la  tête  du  Soleil  et  de  la  Lune,  on  met  quelquefois  une 
torche  ou  un  flambeau  à  la  main  de  ces  astres ,  ainsi  qu'on  le 
remarque  au  porche  septentrional  de  la  cathédrale  de  Chartres. 
Les  chrétiens  ont  nimbé  les  saints  exactement  comme  les 
anciens  ont  nimbé  le  Soleil  et  la  Lune.  Ainsi  voilà  Diane 
ou  la  Lune  avec  un  nimbe  circulaire;  seulement,  et  afin  de 
la  reconnaître,  on  lui  a  mis  le  croissant  sur  la  tête"^. 

Voyez  particulièrement  un  beau  manuscrit  champenois  de  la  fin  du  xiif  siècle,  qui 
est  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal.  La  Religion  chrétienne  et  la  Synagogue  assistent  au 
crucifiement  de  Jésus;  la  Religion  est  nimbée,  et  la  Synagogue,  que  lue  Ja  mort  du 
Christ,  est  sans  nimbe.  Même  bibliothèque,  le  manuscrit  de  Guillaume  Durand  [lîacional 
(les  offices,  théol.  fr.  n°  2^,  fin  du  xv'  siècle)  offre  de  même  une  Eglise  nimbée.  Le  célèbre 
manuscrit  de  Drogon  (Bibliothèque  royale)  supplément  latin,  645,  donne  une  Eglise 
ornée  également  d'un  nimbe  d'or. 

*  Voyez  Séroux  d'Agincourt,  Histoire  de  l'art  par  les  rnounntents,  pi.  28.  Ce  manuscrit 
est  du  vil"  ou  vnf  siècle. 

Voyez,  a  l'Histoire  de  Dieu,  un  très-beau  dessin  tiré  d'un  manuscrit  grec,  et  (}ui 


88  INSTRUCTIONS. 

3c>. DIANE,  LA  LUNE,  À  NIMBE  CIRCULAIRE. 

Sculpture  romaine  '. 


La  gravure  suivante  représente  le  Soleil.  Pour  nimbe ,  il  a 
sept  rayons  qui  lui  partent  de  la  tête,  avec  la  figure  matérielle 
du  soleil  qui  sert  à  le  caractériser  et  qui  a  la  forme  d'une  roue. 

3l.  —  SOLEIL  À    FIGURE    RAYONNANTE,   ET    À  NIMBE  EN   ROUE  SUR   LA  TETE. 

Sculpture  éti'usque. 


1\\ 

Les  chrétiens  ont  souvent  représenté  le  soleil  et  la  lune  as- 
sistant à  la  mort  du  Christ  et  pleurant  sur  ce  martyre  d'un  Dieu. 
Au  xuf  siècle,  ce  soleil  et  cette  lune  sont  figurés  sous  la  forme 
d'astres  et  sont  tenus  par  deux  anges ,  qui  en  sont  comme  les 
génies;  mais  aux  xi*"  et  xii%  ces  deux  astres  sont  personnifiés, 
et  posés  en  buste  dans  le  champ  d'un  nimbe  qui  est  bordé  de 

représente  la  nuit  personnifiée  et  nimbée,  comme  le  prophète  Isaïe  près  duquel  elle  se 
trouve.  Le  manuscrit  de  Drogon  ,  cité  plus  haut,  montre  ainsi,  au  crucifiement ,  la  Lune 
en  femme  blanclic,  à  croissant  sur  la  tête;  le  Soleil  est  un  jeune  liomme  rouge,  à  cou- 
ronne radiée  :  tous  deux  sont  inscrits  dans  un  médaillon. 

'  Montfaucon  ,  Antiquité  expliquée,  tom.  II,  p.  /»i/i.  Le  Soleil  suivant  est  au  tom.  I, 
pi.  53,  p.  106.  Remarquez  encore,  comme  plus  haut,  le  nombre  astronomique  et  plané- 
taire des  sept  rayons. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  89 

lignes  onduleuses,  figurant  clés  nuages  ou  des  flammes  ^  A 
Aix-la-Chapelle,  sur  la  couronne  en  cuivre  doré  donnée  par 
Barberousse,  on  voit  Jésus  attaché  à  la  croix.  Le  Soleil  et  la 
Lune  sont  représentés  en  huste.  La  Lune  est  une  femme  qui 
porte  un  croissant  sur  la  tête;  le  Soleil  un  jeune  homme  qui 
est  nimhé  de  ses  rayons.  Plusieurs  manuscrits  à  miniatures 
du  viif  ou  ix^  siècle  olTrent  ces  deux  astres ,  le  Soleil  et  la  Lune, 
absolument  sous  la  forme  antique  ;  ils  portent  le  nimbe  circu- 
laire et  sont  montés  sur  un  char  à  quatre  chevaux  ^. 

Les  quatre  attributs  des  évangélistes,  l'ange  de  saint  Mat- 
thieu ,  l'aigle  de  saint  Jean ,  le  lion  de  saint  Marc  et  le  bœuf 
de  saint  Luc  portent  le  nimbe  comme  les  évangélistes  et  les 
apôtres  eux-mêmes  ^.  Une  curieuse  particularité  est  fournie  par 
un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  ,  espèce  d'encyclo- 
pédie ou  de  livre  de  clergie  du  xi"  siècle  ''.  Sur  le  rampant 
d'une  arcade  cintrée,  dans  le  tympan  de  laquelle  est  un  per- 
sonnage orné  d'un  nimbe  croisé,  et  tenant  un  livre,  montent 
deux  paons  qui  se  regardent  et  semblent  s'avancer  l'un  vers 
l'autre.  La  triple  aigrette,  comme  un  plumet,  se  dresse  sur 
leur  tête;  mais,  et  de  plus,  cette  tête  est  cernée  d'un  grand 

^  Voir  plus  bas,  à  l'Histoire  de  Jésus-Christ,  un  crucifiement  où  le  Soleil  et  la  Lune 
sont  ainsi  dessinés. 

Voyez  plus  bas,  à  l'Histoire  de  Dieu  le  Fils,  un  Soleil  et  une  Lune  ainsi  figurés  et 
pleurant  sur  la  mort  de  Jésus-Christ. 

'  Voyez,  à  l'Histoire  de  la  Trinité  et  de  Jésus-Christ,  plusieurs  dessins  représentant 
ces  animaux  symboliques  ornés  d'un  nimbe  circulaire.  Plus  bas,  au  paragraphe  de  l'au- 
réole, est  donnée  la  représentation  d'une  fresque  romane  de  la  cathédrale  cl'Auxerre  ; 
l'aigle  de  saint  Jean  et  le  bœuf  de  saint  Luc  y  sont  nimbés.  A  la  cathédrale  de  Chartres, 
tympan  de  la  porte  centrale  du  portail  occidental ,  est  sculpté  le  Christ  entouré  des  ani- 
maux symboliques  ;  seul  des  quatre,  l'aigle  est  nimbé,  parce  que  les  trois  autres  détachent 
leur  tête  trop  fortement  du  fond,  et  que  le  nimbe,  dans  ce  cas,  était  d'une  exécution 
dilHcile. 

Fonds  de  Saint-Germain,  lat.  n°  k^k,  olim  bkq.  Voyez  Peintures  et  ornemenh  des 
manuscrits.  S' livraison. 

INSTHUCTIONS.  II.  12 


90  INSTRUCTIONS. 

filet  circulaire  et  qui  est  exactement  un  nimbe.  Ces  paons 
nimbés  sont  assurément  symboliques  et  doivent  exprimer  une 
idée  analogue  à  celle  qui  se  cache  sous  les  animaux  des  évan- 
gélistes.  Un  manuscrit  de  la  bibliothèque  d'Amiens  \  un  psau- 
tier, oiFre  au  psaume  lxxxii  l'agneau  de  Dieu  peint  et  inscrit 
dans  le  D  qui  ouvre  le  premier  verset.  L'agneau  porte  le  nimbe 
uni  et  sans  croix,  première  particularité;  mais  la  tête  du  D 
a  la  forme  d'un  oiseau  qui,  avec  le  bec,  saisit  un  serpent  à 
la  gueule.  Cet  oiseau,  qui  ressemble  à  un  aigle  et  qui  doit 
représenter  le  courage  ou  la  vertu  triomphant  du  vice,  porte 
un  nimbe  comme  l'agneau ,  un  nimbe  uni ,  couleur  du  par- 
chemin et  tracé  par  une  simple  ligne  noire. 

Enfin  le  génie  du  mal,  Satan,  est  quelquefois  nimbé;  à 
cette  occasion ,  nous  devons  dire  un  mot  de  la  valeur  du 
nimbe  ou  de  l'idée  qu'il  exprime. 


SIGNIFICATION    DU    NIMBE. 


Le  nimbe,  surtout  dans  les  idées  occidentales,  est  l'attribut 
de  la  sainteté  :  tout  roi  est  orné  de  la  couronne,  quiconque 
est  saint  porte  le  nimbe  ^. 

En  Orient,  il  n'en  va  pas  ainsi  :  le  nimbe  caractérise  l'éner- 
gie physique  aussi  bien  que  la  force  morale,  la  puissance  ci- 
vile ou  politique  aussi  bien  que  l'autorité  religieuse.  Un  roi 
porte  le  nimbe  au  même  titre  qu'un  saint.  Un  manuscrit 
turc  de  la  Bibliothèque  royale  montre  Aurengzèbe  à  che- 
val et  lisant.  Le  vieux  descendant  de  Timour  est  précédé  et 
suivi  d'une  escorte  qui  est  à  pied.  Seul ,  de  tous  les  person- 

Liber  psalmorum ,  ix"  siècle.  Le  psaume  Lxxxn  commence  par  ces  mots  :  Deiis,  qiiis 
similis  erit  tihi  ? 

Voyez,  entre  plusieurs  autres  exemples,  une  belle  miniature  reproduite  dans  le 
grand  ouvrage  de  M.  le  comte  Auguste  de  Bastard  ,  Peintures  et  ornements  des  manuscrits. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  91 

nages  qui  sont  là,  le  grand  mogol  est  entouré  à  la  tête  d'un 
nimlDe  circulaire  et  rayonnant.  Voilà  pour  la  puissance  civile. 
Quant  au  pouvoir  religieux,  une  peinture  orientale,  rappor- 
tée du  royaume  de  Lahore  par  le  général  AUard ,  représente 
Gourou-Sing  et  Baba-Nanck,  fondateurs  de  la  religion  sike. 
Baba-Nanck,  révélateur,  porte  le  nimbe  rayonnant;  Gourou- 
Sing,  qui  n'est  qu'un  réformateur  et  un  réformateur  guerrier, 
a  pour  nimbe  un  cercle  lumineux  simple  et  non  rayonnant. 
Ainsi  donc,  en  Orient,  on  donne  le  nimbe  à  tous  ceux  qui 
gouvernent  par  la  puissance  purement  civile,  par  le  pou- 
voir guerrier  et  religieux  à  la  fois,  et  par  l'autorité  purement 
religieuse.  En  Orient  on  gratifie  du  nimbe  tout  ce  qui  est 
fort,  et  non  pas  seulement  les  rois  et  les  saints,  mais  encore 
les  génies  du  bien  et  les  génies  du  mal,  les  démons  et  les 
dieux.  On  le  refuse,  au  contraire,  à  tous  les  êtres  faibles  en 
puissance  ou  en  vertu.  La  distinction  est  des  plus  faciles  à 
établir.  Soyez  malade,  soyez  vaincu  ou  près  de  succomber, 
et  vous  n'aurez  pas  le  nimbe;  c'est  un  insigne  que  les  seuls 
êtres  forts  doivent  porter. 

En  Occident,  sauf  le  petit  nombre  d'exceptions  signalées  plus 
haut,  et  dans  les  contrées  restées  pures  de  tout  contact  avec 
les  idées  orientales ,  on  ne  met  de  nimbe  qu'à  la  tête  de  Dieu , 
des  anges ,  des  saints  et  des  idées  saintes  personnifiées.  Un  roi 
ou  un  empereur,  un  évêque,  un  prêtre,  un  religieux,  un  ma- 
gistrat, malgré  toute  sa  puissance,  n'est  pas  nimbé,  à  moins 
qu'il  ne  soit  autre  chose  encore  que  roi,  empereur,  évêque, 
clerc  ou  bourgeois.  Pour  être  nimbé  il  faut,  comme  saint  Louis, 
saint  Charlemagne,  saint  Rémi,  saint  Victor,  saint  Bernard, 
sainte  Reine,  être  canonisé  ou  réputé  tel.  A  plus  forte  raison 
ne  donne-t-on  pas  le  nimbe  à  un  serf,  à  un  homme  vicieux, 
à  un  démon,  quelque  grand  qu'il  soit  d'ailleurs.  Par  contre. 


12. 


92  INSTRUCTIONS. 

une  pauvre  femme  comme  sainte  Geneviève ,  un  pauvre  men- 
diant comme  saint  Alexis,  un  pauvre  batelier  comme  saint 
Julien,  un  pauvre  cordonnier  comme  saint  Crépin,  seront 
nimbés  parce  qu'ils  auront  aimé  Dieu,  macéré  leur  corps, 
prié  pour  les  autres,  secouru  les  malheureux.  S'ils  ont  fait  les 
six  œuvres  de  miséricorde  :  s'ils  ont  nourri  les  affamés ,  désal- 
téré ceux  qui  avaient  soif,  recueilli  les  étrangers  et  les  malades, 
vêtu  ceux  qui  étaient  nus,  visité  les  prisonniers  \  ils  seront 
honorés  du  nimbe;  ils  seront  plus  grands  dans  le  ciel  que  le 
roi  Clovis,  que  les  empereurs  Othon,  que  le  fameux  pape 
Silvestre  II,  que  le  grand  archevêque  Hincmar. 

Il  ne  faut  pas  s'y  tromper,  lorsque  dans  une  cathédrale  on 
voit  des  statues  représentant  des  personnages  qui  ne  portent 
pas  le  nimbe,  comme  on  le  remarque  généralement  au  grand 
portail  de  la  cathédrale  d'Amiens,  on  doit  se  garder  de  con- 
clure que  ces  personnages  ne  sont  pas  canonisés;  car  ce  sont 
réellement  de  très-grands  saints  :  ce  sont  des  apôtres  et  des 
martyrs.  S'ils  n'ont  pas  de  nimbe,  c'est  qu'il  y  avait  difficulté  à 
sculpter  cet  insigne  d'une  manière  durable  autour  de  leur  tête, 
et  qu'ils  sont  trop  éloignés  de  la  muraille  contre  laquelle 
seule  on  aurait  pu  appliquer  le  nimbe.  Le  nimbe  existe,  en 
effet,  dans  les  voussures  et  sur  les  tympans  où  l'.exécution  de 
cet  attribut  était  praticable  et  facile. 

D'un  autre  côté,  de  ce  qu'on  ne  verrait  pas  la  tête  d'un 
personnage  ornée  d'un  nimbe ,  on  aurait  tort  de  décider,  en 
conséquence  de  ce  qui  vient  d'être  dit,  que  ce  personnage  n'en 
est  pas  moins  un  saint,  et  que,  s'il  est  privé  du  nimbe,  c'est 
qu'on  a  oublié  ce  caractère  ou  qu'il  a  été  difficile  de  l'exé- 
cuter. Qu'il  y  ait  eu  oubli,  c'est  possible;  cela  se  voit  fré- 
quemment. Mais  si  les  erreurs  de  cette  nature  abondent  dans 

*  Saint  Matthieu,  cap.  xxv,  v.  35  et  36. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  93 

les  manuscrits  à  miniatures ,  elles  sont  bien  plus  rares  en  sta- 
tuaire, où  l'on  fait  preuve  de  plus  d'exactitude.  En  outre,  si 
les  autres  figures  qui  seraient  dans  la  position  du  personnage 
en  question  et  qui  l'environneraient  portent  le  nimbe,  il  faut 
en  conclure  que  celui-ci  n'est  pas  canonisé ,  et  que,  tout  au 
contraire,  les  autres  sont  des  saints.  Ainsi,  à  la  cathédrale  de 
Paris,  au  grand  portail,  dans  le  tympan  de  la  porte  droite, 
on  voit  un  roi  à  genoux  et  un  évêque  debout  dépourvus  de 
nimbe,  tandis  que  les  autres  personnages  en  ont  :  c'est  parce 
que  l'évêque  est  Maurice  de  Sully  et  que  le  roi  est  Philippe- 
Auguste,  qui  ne  sont  saints  ni  l'un  ni  l'autre. 

Au  surplus,  l'absence  et  la  présence  du  nimbe  ne  sont  ca- 
ractéristiques, pour  nier  ou  exprimer  la  sainteté,  que  jusqu'au 
xiv*"  siècle  inclusivement;  après  cette  époque,  le  nimbe  perd  de 
son  importance  :  on  le  met  et  on  le  retire  à  peu  près  arbitraire- 
ment. Mais  au  xiii*"  siècle,  dans  certains  édifices  surtout  où  le 
nimbe  a  une  signification,  toutes  les  fois  que  cet  attribut  envi- 
ronne la  tête  d'un  personnage,  on  peut  dire  que  ce  person- 
nage est  saint.  Or,  à  Chartres,  au  portail  du  sud,  un  ecclésias- 
tique qui  se  dresse  contre  la  paroi  de  la  porte  gauche  porte  un 
nimbe;  donc  cet  homme  est  un  saint;  donc  ce  n'est  pas  Ful- 
bert ,  l'évêque  de  Chartres ,  qui  n'a  été  canonisé  nulle  part  ; 
mais  bien  le  pape  saint  Clément,  que  l'on  reconnaît  à  sa  tiare, 
qui  n'est  pas  une  mitre,  et  à  la  petite-maison  environnée  d'eau 
sur  laquelle  il  pose  les  pieds,  et  qui  n'est  pas  la  cathédrale  de 
Chartres  s' abîmant  dans  les  flammes ,  ainsi  qu'on  fa  écrit. 

Pour  tout  cela ,  c'est  le  bon  sens ,  c'est  l'habitude  de  voir  et 
d'expliquer  les  monuments  qui  peuvent  seuls  guider. 


HISTOIRE    DU    NIMBE. 


Le  nimbe  est  destiné  à  qualifier  fortement  et  à  la  première 


94  INSTRUCTIONS. 

vue  quiconque  en  est  décoré.  Il  se  porte  à  la  tête  comme  une 
couronne,  parce  que  la  tête  est  la  plus  noble  portion  de  nous- 
mêmes  et  parce  qu  elle  est  la  plus  haute  et  la  plus  visible 
partie  de  notre  corps.  En  effet,  toutes  les  fois  qu'on  a  voulu 
attirer  les  regards  ou  provoquer  le  respect,  la  tête  a  été  prise 
comme  moyen,  comme  but  ou  point  de  mire. 

De  tout  temps  et  chez  tous  les  peuples ,  la  tête  a  été  con- 
sidérée comme  la  plus  noble  partie  de  l'homme  :  c'est  à  sa  tête 
que  le  lion  doit  son  titre  de  roi  des  animaux;  c'est  parce  qu'il 
porte  la  tête  droite  et  qu'il  regarde  naturellement  le  ciel  que 
l'homme  a  été  proclamé  le  chef  de  la  création  K  La  tête  est 
à  l'homme  ce  que  la  fleur  est  à  la  plante,  le  fronton  au  por- 
tique :  c'est  l'âme  matérielle  du  corps;  et,  de  plus,  c'est  l'en- 
veloppe, le  siège  et  le  temple  de  l'âme  immortelle.  La  tête 
touche,  goûte,  odore,  entend  et  voit,  et  par-dessus  tout  elle 
pense  ;  au  cerveau ,  source  et  embouchure  de  la  pensée ,  vien- 
nent aboutir  les  sens,  qui  en  sont  les  organes  et  les  affluents. 
Ce  qui  est  confus  et  disséminé  dans  le  reste  du  corps  est  réuni 
et  concentré  dans  la  tête.  La  beauté  elle-même,  qui  a  cepen- 
dant pour  se  développer  la  surface  variée  et  vaste  de  tout  le 
reste  du  corps,  la  beauté  vient  s'épanouir  et  se  résumer  sur  la 
tête.  On  est  beau  avec  un  corps  laid  et  une  belle  tête;  on  est 
toujours  laid  avec  un  beau  corps  et  une  tête  vulgaire. 

Ainsi,  dans  l'ordre  matériel,  anatomique  et  physiologique, 
tout  l'homme  est  dans  sa  tête;  c'est  encore  là  que  l'esthétique 
a  placé  la  beauté  suprême.  En  psychologie,  le  corps  est  peu, 
la  tête  est  tout.  Le  corps  sans  la  tête  est  une  tige  sans  fleur, 

*  «  Pronaque  cum  spectent  caetera  animalia  terram, 

«  Os  homini  sdblime  dedlt  (Opifex  rerum)  cœlumque  tueri 
«  Jussit,  et  Erectos  ad  sidéra  lollere  vultus.  » 

(Ovide,  Métamorphoses,  iiv.  I.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  95 

une  colonne  sans  chapiteau;  quelque  chose  d'informe  qui  n'a 
de  nom  nulle  part.  Au  contraire,  la  rose  enlevée  à  la  plante 
et  le  chapiteau  séparé  du  fût  peuvent  orner  gracieusement 
une  femme  et  un  monument;  enfm,  de  la  tête  humaine  sans 
le  tronc  on  a  fait  les  plus  pures  de  toutes  les  intelligences  cé- 
lestes, les  séraphins  qui  ne  sont  qu'amour. 

La  religion  chrétienne  faisait  bon  marché  du  corps  de 
l'homme,  mais  elle  estimait  sa  tête  à  haut  prix.  Le  tronc  sé- 
paré de  la  tête  peut  s'enterrer  partout,  disent  les  anciens  li- 
turgistes  Guillaume  Durand  et  Jean  Beleth  ;  mais  la  tête  ne 
peut  s'inhumer  qu'en  terre  sainte  et  consacrée,  que  dans  l'église 
ou  dans  le  cimetière.  Le  corps  sans  la  tête  ne  consacre  pas  un 
lieu  où  il  est  enterré  ;  la  tête  sans  le  corps  sanctifie  ce  lieu  immé- 
diatement^  A  Cologne,  de  tous  ces  milliers  de  martyrs  de  la 
légion  thébaine  qui  reposent  dans  l'église  de  Saint-Géréon ,  leur 
compagnon  et  un  de  leurs  chefs ,  on  montre  particulièrement 
les  têtes,  rangées  dans  des  armoires  vitrées  comme  des  livres 
de  grand  prix  dans  une  bibliothèque.  A  Sainte-Ursule  de  Co- 
logne, que  fait-on  voir  des  onze  mille  vierges  martyres?  Tou- 
jours les  têtes  enfermées  dans  des  reliquaires  d'or,  d'argent  ou 
de  bois  précieux.  Il  y  a  une  grande  chambre  uniquement  oc- 
cupée par  ces  riches  et  curieuses  reliques.  Combien  ne  s'est-on 

'  Durand,  évêque  de  Mende,  s'exprime  ainsi  (  Rationale  divin,  offic.  lib.  I,  cap.  v,  de 

cimiterio  et  aliis,  etc.)  « Religiosa  sunt  ubi  cadaver  hominis  inlegrum  vel  etiam 

«  caput  tantum  sepelitur,  quia  nemo  potest  duas  sepulturas  habere.  Corpus  vero  vel  aliquod 
«  aliud  membrum,  absque  capile  sepullum,  non  facit  locum  religiosum.  »  Jean  Beleth 

{Rationale  divinorum  ojficiorum ,  cap.  ii,  de  loco)  dit  à  son  tour  :  « Poslremo  locus 

«  religiosus  ille  dicitur  in  quo  integrum  hominis  cadaver  sepultum  est,  vel  fanlum  etiam 
«  caput.  Corpus  enim  obtruncatum  ,  nisi  et  caput  adsit ,  locum  religiosum  facere  non 
«  potest.  »  —  Dans  ces  textes  se  révèle  l'esprit  du  christianisme  qui  rend  tous  les  honneurs 
à  la  tête ,  là  où  l'âme  habile  spécialement.  M.  l'abbé  Pascal ,  correspondant  du  comité  des 
arts  et  monuments,  publiera  prochainement  un  dictionnaire  liturgique  où  sera  traitée 
cette  question  de  la  préséance  de  la  tête  sur  le  corps. 


96  INSTRUCTIONS. 

pas  disputé  le  chef  de  saint  Jean-Baptiste!  Cinq  ou  six  églises 
prétendaient  et  prétendent  encore  le  posséder.  Est-ce  que 
son  corps  a  jamais  été  l'objet  delà  moindre  contestation?  est- 
ce  qu'on  s'est  même  occupé  de  savoir  où  il  était  réellement  et 
à  qui  il  appartenait? 

Puisque  la  tête  est  douée  d'une  si  grande  importance,  c'é- 
tait à  la  tête  qu'on  devait  attacher  principalement  tous  les  in- 
signes qui  caractérisent,  distinguent  ou  classent  les  hommes  : 
les  uns  commandent  et  les  autres  obéissent;  les  uns  mar- 
chent en  avant,  dirigent  et  ordonnent;  les  autres  suivent 
et  exécutent.  Ceux-là  sont  chefs,  et  ceux-ci  ouvriers.  Les  chefs 
portent  à  la  tête  un  signe  distinctif  :  on  reconnaît  le  roi  à  la 
couronne,  le  pape  à  la  tiare,  et  l'évêque  à  la  mitre.  Chez  nous, 
les  sexes  eux-mêmes  se  distinguent  surtout  par  une  coiffure 
qui  est  mobile  pour  les  hommes  et  fixe  pour  les  femmes.  Les 
couronnes  ou  coiffures  des  chefs  civils  et  militaires  sont  d'une 
extrême  variété,  parce  que  chez  tous  les  peuples,  les  plus 
civilisés  comme  les  plus  sauvages,  la  couronne  a  été  et  est 
encore  l'insigne  de  la  puissance  suprême.  Le  diadème  chez 
les  Grecs,  la  couronne  ouverte  chez  les  Piomains,  le  cône  ou 
le  cylindre  chez  les  nations  orientales,  la  coupole  chez  les 
Byzantins,  la  couronne  fermée  chez  les  nations  chrétiennes, 
ne  sont  que  les  types  principaux  d'une  foule  d'espèces.  Au 
moyen  âge,  la  couronne  est  un  moyen  hiérarchique  et  un 
signe  de  reconnaissance  entre  les  nobles,  aussi  bien  que  l'é- 
cusson;  l'écusson  distingue  les  familles,  et  la  couronne,  les 
ordres  de  la  noblesse.  Pour  l'empereur,  c'est  la  couronne  fer- 
mée; pour  le  roi,  la  couronne  voûtée,  mais  à  jour;  pour  le 
prince,  la  couronne  à  fleurs  de  lis  et  à  feuilles  d'ache.  En 
diminuant  de  plus  en  plus  la  couronne,  elle  perd  ses  fleurs  de 
lis  et  devient  à  feuilles  d'ache  simples,  à  feuilles  d'ache  entre- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  97 

mêlées  de  perles,  à  dix-huit  grosses  perles  sans  feuilles,  à 
quatre  grosses  perles  entremêlées  de  petites ,  à  petites  perles 
seulement  et  en  simple  fdet  ou  torsade.  Ainsi  amoindries,  les 
couronnes  se  portent  :  la  première  par  le  duc,  la  seconde  par 
le  marquis,  la  troisième  par  le  comte,  la  quatrième  par  le 
vicomte;  au  baron  revient  la  cinquième.  Le  casque  tout  seul 
sert  de  couronne  au  chevalier.  La  couronne  est  une  sorte 
d'étendard  qui  se  porte  en  Tair  et  qui  peut  servir  à  guider. 
A  la  bataille  d'Ivry,  Henri  IV  disait  :  «Suivez  mon  panache, 
vous  le  trouverez  toujours  au  chemin  de  l'honneur.  »  C'est 
peut-être  par  un  motif  semblable ,  et  aussi  comme  un  signe 
de  décoration,  que  les  rois,  chez  les  sauvages,  se  coiffent  de 
plumes  hautes  et  brillantes. 

Lorsqu'un  homme  s'illustre  par  une  action  d'éclat,  la  ré- 
compense se  traduit  ordinairement  par  une  couronne;  c'est 
toujours  à  la  tête  que  s'adresse  l'hommage  ^  La  couronne  mu- 
rale, les  couronnes  de  chêne,  d'olivier,  de  laurier^,  se  donnaient 
chez  les  Romains  à  qui  montait  à  l'assaut  d'une  ville,  à  qui 
remportait  une  victoire,  à  qui  s'illustrait  par  un  fait  glorieux; 
chez  les  Grecs  on  couronnait  les  Dieux  qu'on  voulait  honorer. 
Les  grands  poètes,  les  grands  philosophes  de  l'antiquité  étaient 
couronnés  de  couronnes  diverses,  et  leur  iconographie  nous 
les  représente  souvent  ainsi  décorés. 

Lorsqu'à  la  naissance  du  christianisme  un  genre  d'illustra- 
tion, peu  connu  auparavant,  se  fut  comme  révélé  au  monde; 

'  Il  faut  dire  que  chez  nous  l'honneur  est  descendu  de  la  lêle  aux  épaules  avee  les 
épaulelles,  et  des  épaules  à  la  poitrine  avec  la  croix. 

^  A  Notre-Dame  de  Brou ,  on  voit  saint  Jean  évangéliste ,  statue  en  bois  du  xvi'  siècle , 
placée  dans  une  niche  des  stalles  et  provenant  de  l'ancien  pupitre  sculpté.  Saint  Jean  est 
jeune,  imberbe,  représenté  comme  un  empereur  romain;  il  a  sur  la  tête  une  couronne 
de  laurier  comme  un  triomphateur  antique.  C'est  une  façon  de  nimbe  empruntée  au  pa- 
ganisme. 

INSTRUCTIONS.  —  II.  '3 


98  INSTRUCTIONS. 

lorsque  des  martyrs  donnèrent  leur  vie  pour  témoigner  de  leur 
croyance  qu'ils  proclamaient,  prêchaient  et  propageaient,  Dieu 
lui-même  consacra  ce  système  de  la  politique  profane  et  récom- 
pensa ces  actions  héroïques  en  couronnant  leurs  auteurs.  Les 
premiers  monuments  de  Tart  chrétien  représentent  ou  des 
mains  divines  tendant  du  haut  du  ciel  des  couronnes  aux  mar- 
tyrs\  ou  des  anges  descendant  du  ciel  aussi  et  apportant  des 
couronnes,  par  ordre  de  Dieu,  à  tous  ceux  qui  souffraient  la 
mort  pour  la  foi  ^.  Tout  le  soubassement  de  la  haute  Sainte- 
Chapelle  de  Paris  est  décoré  d'une  arcature.  Dans  les  tympans 
des  arcades  est  représentée  la  mort  de  plusieurs  martyrs,  de 
saint  Etienne  entre  autres,  et  de  saint  Thomas  de  Cantorbéry. 
Au-dessus  du  supplice  apparaît  la  récompense,  car  des  anges 
descendent  du  ciel ,  apportant  des  couronnes  qu'ils  tendent  à 
tous  ces  martyrs  glorieux  ^. 

Mais  un  autre  moyen  fut,  sinon  inventé,  au  moins  très- 
largement  exploité  par  le  christianisme  pour  distinguer  et 
honorer  ses  martyrs  et  tous  les  saints.  La  couronne  est  un 
ornement  matériel  qui  entoure  et  coiffe  la  tête;  la  nouvelle 
marque  d'honneur,  plus  idéale  et  disposée  différemment, 
quoique  cernant  la  tête  aussi,  prit  un  nom  différent  et  s'ap- 
pela nimbe. 

La  couronne  est  un  insigne  laïque  et  civil,  le  nimbe  est  ecclé- 
siastique et  religieux;  mais,  comme  la  couronne,  le  nimbe 


Voir  à  l'Histoire  de  Dieu  le  Père  une  main  tenant  ainsi  une  couronne ,  et  qui  est 
tirée  des  Vetera  monim.  Secundapars,  pi.  53. 

Voir  à  l'Histoire  de  l'Ange  une  de  ces  créatures  célestes  ,  tirée  de  la  Rome  souter- 
raine; d'une  main  l'ange  apporte  une  palme,  et  de  l'autre  une  couronne  de  martyre. 

M.  du  Sommerard  possède  un  manuscrit  couvert  de  plaques  d'ivoire  ;  ces  plaques 
sont  saisies  dans  un  encadrement  orné  de  filigranes  cl  relevé  de  riclies  cabochons.  Sur 
l'un  de  ces  ivoires  est  sculpté  le  crucifiement,  et  dans  le  haut  on  voit  une  main,  la  main 
de  Dieu  le  Père,  qui  sort  des  nuages  et  qui  tend  une  couronne  au  martyr  divin. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  99 

s'applique  à  la  tête.  Il  y  aurait  clone  lieu,  à  l'occasion  de  la 
tête  et  dans  un  sujet  archéologique,  à  faire  l'histoire  de  ces 
deux  formes,  difPérentes- et  cependant  analogues,  de  l'honneur 
rendu  à  certains  personnages.  Ici,  comme  on  s'occupe  unique- 
ment d'archéologie  religieuse,  on  n'a  dû  parler  que  du  nimhe, 
en  omettant  tout  à  fait  la  couronne. 

Les  païens  ont  connu  le  nimhe,  comme  on  l'a  déjà  dit; 
mais  c'est  aux  chrétiens  qu'en  est  dû  l'usage  le  plus  fréquent, 
le  plus  constant,  le  plus  varié  et  le  plus  significatif.  Depuis  le 
v^  ou  le  vi^  siècle  de  notre  ère  jusqu'à  nos  jours,  le  nimbç  n'a 
cessé,  sauf  quelques  exceptions  ou  omissions,  d'être  peint  et 
sculpté  autour  de  la  tête  de  diverses  statues  et  ligures,  pour 
indiquer  leur  dignité  et  en  donner  le  signalement  hiérar- 
chique. Aussi  le  nimbe  a-t-il  une  histoire  marquée  par  plu- 
sieurs phases  distinctes  et  dont  on  va  nommer  les  principales. 

D'abord  le  nimbe  ne  semble  pas  se  montrer  dans  les  quatre 
premiers  siècles,  car  cette  période  est  remplie  de  luttes,  de 
persécutions  et  de  discussions.  L'Eglise  se  fonde,  mais  elle  n'a 
pas  encore  d'art  à  elle.  L'Eglise  applique  à  ses  besoins  l'art  de 
l'antiquité.  Toutefois  elle  reprend  à  la  religion  juive  ce  qui  lui 
appartenait  par  anticipation,  et  elle  ne  fait  au  paganisme  que 
des  emprunts  douteux  et  que  d'ailleurs  elle  peut  sanctifier.  Elle 
transforme  bien,  à  l'aide  d'eau  lustrale,  une  basilique  en  église, 
parce  qu'elle  y  est  contrainte  parla  nécessité;  mais  elle  pouvait 
se  passer  pendant  quelque  temps  du  nimbe  païen,  qui  aurait 
rappelé  et  les  empereurs  qui  persécutaient,  et  les  dieux  qui 
étaient  faux;  elle  s'en  passa  le  plus  souvent.  Le  nimbe  est  rare 
dans  les  catacombes,  sur  les  fresques  ou  les  sarcophages.  Non- 
seulement  les  apôtres  et  les  saints  y  sont  représentés  sans  cet 
insigne,  mais  la  Vierge,  mais  Jésus  lui-même  en  sont  privés. 
Le  dessin  suivant  est  tiré  d'un  ancien  sarcophage  du  Vatican. 

i3. 


100 


INSTRUCTIONS. 


02.  DIEU   IMBERBE  ET  SANS  MMBE,    CONDAMNANT  ADAM    A   LABOURER  I,A   TERRE 

EVE  À   FILER  LA  LAINE. 

Sarcophage  du  Vatican,  premiers  siècles  chrétiens. 


Là,  comme  sur  la  plupart  des  monuments  semblables,  on  voit 
Dieu  imberbe  et  sans  nimbe,  condamnant  Adam  à  labourer  la 
terre  pour  faire  pousser  du  blé,  dont  il  lui  offre  une  petite 
gerbe ,  et  Eve  à  fder  la  laine  de  l'agneau  qu'il  lui  présente. 
C'est  ainsi  qu'en  France  et  en  Italie  les  plus  vieux  monuments 
offrent  sans  nimbe  les  personnages  divins  ou  sacrés  ^ 

Plus  tard ,  vers  le  v^  ou  le  vi*"  siècle ,  puissante  à  Rome ,  en 


Cette  gravure  est  dans  Bosio,  Roma  Sotterranea,p.  2  96. Voyez,  dans  l'Histoire  de  Jésus- 
Christ ,  deux  autres  dessins,  tirés  également  des  anciens  sarcophages  chrétiens  qui 
sont  actuellement  au  musée  du  Vatican;  l'un  représente  Jésus-Christ  barbu,  debout  sur 
la  montagne  d'où  coulent  les  quatre  fleuves  du  paradis;  l'autre  Jésus-Christ  imberbe, 
assis  sur  un  trône,  les  pieds  posés  sur  la  personnification  du  ciel.  Ces  deux  Jésus 
proclament  l'Evangile.  Le  premier  s'adresse  à  ses  apôtres ,  qui  l'entourent  sous  ia  forme 
de  brebis.  Le  nimbe  manque  à  ces  personnages,  même  à  lagneau  de  Dieu,  reconnais- 
sable  seulement  à  la  croix  qui  lui  surmonte  la  tète.  Les  sarcophages  d'Arles  offrent  de 
même  plusieurs  Jésus  imberbes  et  sans  nimbe.  Je  dois  à  l'obligeance  de  M.  H.  Clair , 
correspondant  du  comité  des  arts  et  monuments,  auteur  d'Arles  ancien  et  moderne,  deux 
dessins  représentant  Jésus  sans  barbe  et  sans  nimbe;  ces  dessins,  exécutés  par  M.  Dau- 
mas ,  ont  été  pris  sur  les  sarcophages  des  Aliscamps. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  101 

Europe,  en  Asie  et  même  en  Afrique,  l'Eglise  n'eut  plus  que 
(le  rares  contradicteurs  ;  elle  eut  à  combattre  des  hérétiques 
plutôt  que  des  païens.  Alors  elle  distribua  en  groupes  tout 
son  personnel  laïque  et  ecclésiastique;  comme  elle  était  arrivée 
au  pouvoir,  elle  devait  en  prendre  toutes  les  allures.  Bientôt 
allait  commencer  la  féodalité  :  tout  se  hiérarchisait ,  les  hommes 
et  les  choses;  tout  s'échelonnait  suivant  un  ordre  régulier. 
L'Eglise  elle-même  hiérarchisa  sur  terre  comme  dans  le  ciel; 
elle  établit  des  catégories  dans  la  multitude  des  saints  triom- 
phant dans  le  paradis,  et  dans  la  foule  des  chrétiens  combattant 
sur  la  terre.  Elle  donna  des  chefs  à  tous.  Comme  dans  l'armée 
on  distingue  par  les  épaulettes  le  grade  des  dilTérents  officiers 
qui  commandent  les  divers  bataillons  et  pelotons,  de  même  on 
distingua  par  des  nimbes  les  saints  qui  commandaient  dans 
le  ciel. 

Le  chef  de  tous,  Dieu,  ou  le  Père,  ou  le  Fils,  ou  le  Saint- 
Esprit,  eut  un  nimbe  en  cercle ,  un  nimbe  en  disque  comme 
les  autres  samts;  mais,  par  une  distinction  spéciale,  le  nimbe 
des  personnes  divines  fut  partagé  diagonalementpar  deux  tra- 
verses en  forme  de  croix,  ainsi  qu'on  l'a  dit  et  qu'on  l'a  vu  plus 
haut. 

Une  fois  que  le  christianisme  eut  adopté  le  nimbe  comme 
le  caractère  de  la  sainteté  et  comme  un  moyen  de  hiérarchie, 
ce  signe  fut  constamment  employé  à  peu  près  jusqu'à  la  renais- 
sance, mais  avec  certaines  modifications  qui  composent  son 
histoire  archéologique,  et  dont  nous  devons  parler. 

Dans  les  monuments  antérieurs  au  xi*"  siècle,  on  ne  trouve 
pas  le  nimbe  constamment  hguré  autour  de  la  tête  des  saints. 
Avant  le  vi''  siècle,  le  nimbe  chrétien  ne  se  voit  pas  sur  les 
monuments  authentiques.  Aux  vii%  viii''  et  ix*'  siècles  s'opère 
la  transition  entre  l'absence  complète  et  la  présence  constante 


102  INSTRUCTIONS. 

du  nimbe  ;  un  même  monument  donne  des  personnages , 
tantôt  avec  le  nimbe,  et  tantôt  sans  cet  attribut.  Ainsi,  un 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale^  oil're,  à  la  fin,  sainte 
Daria  sans  nimbe  et  saint  Chrisant  nimbé  d'un  simple  fileL; 
ailleurs,  dans  l'intérieur  de  ce  manuscrit,  Jésus-Christ  porte, 
timbré  d'une  croix ,  le  nimbe  que  les  apôtres  ont  simplement 
ourlé  et  que  d'autres  saints  ont  en  forme  de  disque.  Ainsi ,  à 
cette  époque,  le  nimbe  n'est  pas  constant  et,  de  plus,  il  varie 
de  forme. 

Jusqu'au  \if  siècle,  le  nimbe  eut  la  forme  d'un  disque 
fin,  assez  délicat.  Un  très-beau  manuscrit  grec  du  x^  siècle, 
dont  il  a  déjà  été  question ,  et  que  possède  la  Bibliothèque 
royale ,  représente  la  Nuit  sous  la  figure  d'une  femme  vêtue 
de  noir.  Sa  tête  est  entourée  d'un  nimbe  lumineux,  transpa- 
rent, à  travers  lequel,  comme  par  un  verre  de  télescope,  on 
pourrait  apercevoir  les  étoiles  du  ciel  ^.  Quand  le  nimbe  n'est 
pas  aussi  diaphane,  il  est  toujours  indiqué  assez  légèrement 
pour  faire  sentir  que  l'intention  de  l'artiste  était  de  le  figurer 
comme  une  atmosphère  lumineuse. 

Au  xii^,  aux  xiii*"  et  xiv"  siècles ,  le  nimbe  s'épaissit,  se  rétré- 
cit et  dépasse  moins  la  tête;  de  transparent  qu'il  était,  il  devient 
opaque.  Ce  n'est  plus  qu'un  disque  grossier,  une  espèce  de 
plat,  une  sorte  d'oreiller  circulaire  qu'on  peint  et  qu'on  sculpte 
derrière  la  tête.  Il  n'y  a  plus  moyen,  comme  à  la  période  précé- 
dente, d'apercevoir  le  ciel  ou  la  campagne  à  travers;  c'est  un 
mur  et  non  un  verre.  C'est  ainsi  que  Dieu,  les  anges  et  les 
saints  de  la  cathédrale  de  Paris  ou  de  Chartres  portent  le  nimbée 

Liber  preciim,  suppl.  laL  6/»i.  Ce  curieux  manuscrit  pourrait  être  du  ix'  siècle  ;  on 
le  croit  généralement  du  XI^ 
^  Voir  à  l'Hisloire  de  Dieu. 
'  Voir  le  dessin  29  ,  pag.  86,  représentant  la  Liberté. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  103 

La  Sainte-Chapelle,  dans  l'admirable  soubassement  qui  la  dé- 
core, montre  des  anges  et  des  saints  dont  le  nimbe  est  encore 
très-lumineux,  très-élégant,  et  peint  de  couleurs  éclatantes; 
mais  la  Sainte-Chapelle  est  un  monument  excej)tionnel,  un 
édifice  royal  où  l'on  croirait  que  le  génie  de  l'Orient  s'est  reposé. 
Tout  le  xv*"  siècle  et  les  premières  années  du  xvi*"  fournis- 
sent une  période  où  le  gothique  expire  :  d'élégant  qu'il  était 
aux  xïii''  et  xiv*"  siècles,  il  s'appesantit  alors,  il  se  matéria- 
lise et  finit,  quant  aux  figures,  dans  la  vulgarité  des  types,  et, 
quant  à  l'architecture,  dans  la  lourdeur  des  lignes.  Alors  le 
nimbe  se  matérialise  aussi.  De  large  qu'il  était  encore,  il  devient 
plus  étroit  et  surtout  plus  épais.  Jusqu'à  cette  époque,  même 
au  xiv"  siècle,  on  favait  considéré  comme  une  auréole,  comme 
une  lumière  qui  s'échappait  de  la  tête ,  et  Ton  avait  exprimé 
cette  idée  parfaitement  avant  le  xii^  siècle,  plus  grossièrement 
avant  le  xv*";  mais  enfin  on  avait  eu  fintention  de  figurer  une 
lumière.  Au  xv''  siècle ,  au  contraire ,  on  n  est  plus  sensible 
qu'à  la  forme  du  nimbe ,  on  en  perd  le  sens  ,  et  on  le  regarde 
comme  une  coiffure.  On  condense  encore  cette  auréole,  on  soli- 
difie et  on  éteint  cette  lumière ,  et  Ton  en  fait  une  large  cocarde, 
une  espèce  de  casquette  qu'on  pose  sur  la  tête  d'un  saint,  sur 
la  tête  de  Dieu  lui-même,  et  qu'on  penche  quelquefois  sur  leur 
oreille,  tantôt  à  gauche,  tantôt  à  droite.  Alors  Dieu  et  les  saints 
portent  leur  nimbe  comme  certaines  personnes,  nos  villageois 
surtout,  affectent  de  porter  leur  coiffure.  Les  vitraux  de  la  fin 
du  xv^  siècle ,  plusieurs  verrières  des  églises  de  Troyes  et  de 
Châlons-sur-Majne,  présentent  de  ces  nimbes  qui  sont  réelle- 
ment devenus  des  coilïures.  A  la  cathédrale  d'Amiens,  sur  les 
stalles  qui  sont  de  i5o8  (la  date  y  est),  un  jeune  Jésus  ensei- 
gnant dans  le  temple  porte  sur  foreille  un  de  ces  nimbes  épais 
et  ouvragés  qui  ressemblent  à  une  casquette.  Le  dessin  sui- 


104  INSTRUCTIONS. 

vant  est  tiré  des  mêmes  stalles,  et  montre  Jésus  montant  au 
temple  où  il  est  conduit  par  saint  Joseph  et  Marie.  Le  nimbe, 
comme  on  voit,  est  réellement  une  coiffure;  le  plat  extérieur 
est  orné  comme  on  orne  le  plat  d'une  casquette  de  drap  K 

33. JÉSUS  PORTANT   DN   NIMBE   EN   FORME   DE   CASQUETTE. 

Sculpture  en  bois  clos  ?talles  de  Notre-Dame  d'Amiens,  xvi°  siècle. 


Dans  toute  l'église  de  Notre-Dame  de  Brou,  à  Bourg,  il  n  y 
a  pas  un  seul  nimbe  aux  anges  sculptés  ou  peints,  pas  un 
seul  aux  statues  de  pierre.  Une  statuette  en  bois,  représentant 
Jésus  qui  enseigne  dans  le  temple ,  est  nimbée  d'une  casquette 
semblable  à  celle  des  stalles  d'Amiens.  Quelques  nimbes  seu- 
lement se  remarquent  dans  les  vitraux.  Sur  le  vitrail  où  est 
peinte  l'Assomption  de  la  Vierge,  les  apôtres  sont  ornés  d'un 
nimbe  qui  ressemble,  moins  les  barbes  et  le  cylindre,  au 
chapeau  des  Bressanes.  Ce  nimbe  est  même  orné  sur  le  plat 
et  à  l'extérieur.  Tout  cela  est  de  la  première  moitié  du  xvi® 
.siècle;  alors,  ou  le  nimbe  disparaît  en  France,  ou  on  en  fait 
une  vraie  coiffure. 

Je  dis  en  France,  parce  qu'en  Italie,  à  la  même  époque  et 
même  plus  de  cent  ans  auparavant,  le  nimbe  est  dignement 
représenté^.  Avec  la  renaissance,  quoiqu'on  ait*soutenu  le  con- 
traire, on  revient  aux  idées  délicates  et  à  la  manière  élégante 

Ce  dessin  représenle  Jésus  vu  de  derrière  et  gravissant  les  degrés  du  temple. 
Voir  plus   loin,    au  paragraphe  de  la  gloire,   la  Vierge    tirée   d'une  magnifique 
peinture  d'Orcagna,  représentant  le  jugement  dernier.  Marie,  assise  dans  une  auréole 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  105 

de  les  formuler;  or  la  renaissance  italienne  précède  de  cent 
à  cent  cinquante  ans  la  renaissance  française.  Alors  le  nimbe 
tombé  si  bas,  si  grossier,  si  dégradé,  se  relève;  il  achève  de 
se  volatiliser,  ce  qu'il  avait  déjà  essayé  de  faire,  mais  sans 
succès,  vers  la  fin  du  xiv*"  siècle.  A  Brou,  où  le  nimbe  est  si 
matériel  en  général,  on  voit  cependant  sur  un  vitrail  qui  re- 
présente Marie  Madeleine  aux  pieds  de  Jésus  ressuscité  et  qui 
lui  dit  de  ne  pas  le  toucher  (noli  me  tangere),  on  voit  le  Christ 
illuminé  d'un  nimbe  en  faisceaux  de  flamme.  Alors  on  s'in- 
génie à  faire  exprimer  au  nimbe  l'idée  qu'il  représente.  Comme 
dans  les  premiers  siècles,  comme  chez  les  païens,  on  le  réduit  à 
un  cercle  et  on  en  supprime  tout  le  champ,  et  dès  lors  on  voit 
clair  comme  à  travers  celui  de  la  Nuit  bysantine  signalée  plus 
haut.  Ce  cercle  est  régulier,  est  ferme  comme  le  bord  d'un 
vase;  ou  bien  on  n'en  fait  plus  qu'une  ligne  difî^use  et  trem- 
blante comme  un  cercle  de  lumière  ^  Souvent,  au  contraire, 
cette  ligne  circulaire  disparaît ,  et  l'on  fait  sauter  du  disque 
entier  la  circonférence ,  le  cadre,  pour  ne  garder  que  le  champ 
intérieur,  parce  que  ce  cadre  semble  trop  grossier,  trop  épais 
et  indigne  de  contenir  la  lumière  électrique  qui  s'échappe  de 
la  tête.  C'est  une  ombre  de  flamme ,  à  forme  ronde ,  mais  qui 
pourrait  ne  pas  s'arrêter.  Dans  un  dessin  qu'on  trouvera  à  f  His- 
toire du  Saint-Esprit,  et  qui  montre  Dieu  bénissant  le  monde 
au  moment  où  la  Colombe  divine  rase  les  flots ,  on  voit  que  le 

elliptique  comme  Jésus-Christ ,  son  fils ,  a  la  tête  environnée  d'une  foule  de  rayons  qui 
jaillissent  hors  de  la  gloire  elle-même.  Cette  tête  virginale  projette  une  vive  lumière  de 
tous  les  côtés. 

*  Voyez,  pour  l'Italie,  la  Dispute  du  Saint-Sacrement;  pour  la  France,  le  magnifique 
manuscrit  d'Anne  de  Bretagne,  qui  est  à  la  Bibliothèque  royale.  Dans  ce  manuscrit,  les 
nimbes  en  disque  sont  peu  nombreux;  les  nimbes  en  cercle  et  à  ligne  ferme  abondent 
au  contraire;  on  y  rencontre  plusieurs  nimbes  à  ligne  diffu.se  et  comme  simulant  une 
lumière  brumeuse. 

INSTRUCTIONS.  II.  l4 


106  INSTRUCTIONS. 

cercle,  la  circonférence  du  nimbe  divin  a  disparu,  tandis  que 

les  rayons  se  terminent  également  et  forment  un  cercle. 

Sur  d'autres  monuments,  ces  rayons  sont  longs  ou  courts, 
alternativement  ou  sans  ordre.  Les  belles  peintures  sur  bois, 
appelées  tableaux  du  puys  de  la  Confrérie  de  Notre-Dame, 
et  qui  sont  à  Amiens,  montrent  Marie  nimbée  de  rayons 
lumineux,  courts  et  longs.  L'enfant  Jésus  lui-même  est  nimbé 
ainsi,  mais,  de  plus,  des  rayons  plus  longs  et  lleuronnés 
à  leur  extrémité  marquent  la  croix  du  nimbe.  Quant  à  la  cir- 
conférence du  nimbe  qui,  ailleurs,  rattacbe  les  rayons,  elle 
a  complètement  disparu  \  Souvent  au  nimbe  de  Jésus-Cbrist 
cercle  et  plateau  se  sont  évanouis,  et  l'on  n'a  plus  conservé 
que  la  croix  qui  le  distingue,  puisqu'il  est  Dieu.  Cette  croix 
se  compose  de  trois  gerbes  ou  aigrettes  de  lumière  qui  partent 
du  sommet  et  des  deux  côtés  de  la  tête,  ainsi  que  le  montre  ce 
charmant  enfant  Jésus  ,  qui  est  du  xvi^  siècle'-. 

3/^.  JÉSUS    NIMBÉ     DE     TROIS     AIGRETTES     DE     RAYONS. 

Miniature  du  xvi"  siècle,  ms.  de  la  Bibliothèque  royale. 


C'est  alors  aussi  qu'on  voit  des  cercles  lumineux  en  perspec- 

'  Voyez  l'Atlas  et  l'Album  des  Arts  au  moyen  âge  ;  M.  du  Sommerard ,  qui  possède  l'un 
de  ces  tableaux  d'Amiens,  a  fait  reproduire  avec  bonheur  ces  admirables  peintures  qui 
montrent  que  la  renaissance  française  est  antérieure  au  xvi"  siècle,  et  que  noire  peinture 
à  l'huile  et  sur  bois  est  nationale  et  non  exotique.  Ces  tableaux  ,  qui  sont  du  x\'  siècle, 
ont  précédé  l'invasion  des  artistes  italiens  en  France. 

"  Voyez  ms.  920  ,  Bibl.  roy. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  107 

tive,  des  nimbes  transparents  et  qui  suivent  le  mouvement 
des  têtes.  La  Dispute  du  Saint-Sacrement  en  fournit  de  beaux 
exemples  :  en  voici  un  qui  est  très-fréquent  en  Italie ,  au  xvi^ 
siècle.  Le  dessin  représente  saint  Pierre. 

35.  —  NIMBE  EN   PERSPECTIVE  .    À  SIMPLE  FILET  DE   LUMIERE. 
Dispute  du  saint  sacrement  de  Raphaël. 


Les  monuments  qui  fournissent  ces  variétés  du  nimbe  et 
d'autres  encore  sont  à  la  portée  de  tout  le  monde.  Les  églises 
de  Paris,  par  exemple,  depuis  Saint-Germain-des-Prés  jusqu'à 
Saint-Sulpice ,  en  passant  par  la  cathédrale,  la  Sainte-Cha- 
pelle, Saint-Germain-l'Auxerrois,  Saint -Eustache  et  Saint- 
Étienne-du-Mont ,  donnent  sur  tous  les  points  la  plus  complète 
satisfaction.  Toutes  les  espèces  et  toutes  les  phases  du  nimbe 
abondent  sur  les  sculptures  et  les  vitraux  qui  décorent  ces 
monuments,  et  qui  fournissent  une  période  de  sept  et  peut- 
être  de  neuf  siècles. 

Enfin,  comme  toutes  choses,  le  nimbe  s'évanouit.  A  la  fin 
du  xvi'^  siècle,  non-seulement  les  saints,  non-seulement  les 
apôtres  et  la  Vierge,  mais  les  anges,  mais  Dieu  le  Père  et 
Jésus-Christ  furent  dépouillés  de  cet  attribut  caractéristique. 
Quand  le  nimbe  par  hasard  apparaît  encore,  illuminant 
quelque  statue  ou  figure,  c'est  que  l'artiste,  luttant  contre  la 
mode,  a  fait  de  farchaïsme.  Une  foule  de  monuments  qui 
datent  de  cette  époque  et  se  prolongent  jusqu'à  la  nôtre  nous 


i/j. 


108  INSTRUCTIONS. 

montrent  sans  nimbe  les  personnages  divins,  angéliques  ou 
sanctifiés^  Ainsi,  à  la  fin  du  moyen  âge  se  reproduisit  un  fait 
qui  avait  signalé  son  commencement  :  Dieu  et  ses  saints  furent 
représentés  sans  nimbe.  Aux  premiers  jours  du  christianisme 
le  nimbe  n'existait  pas  encore;  aux  derniers  jours  du  xv*"  siècle 
il  n'existait  déjà  plus ^.  Prenez  fange  pour  exemple,  et  appli- 
quez cet  exemple  à  Dieu  et  à  tous  les  saints.  Dans  f  Histoire  de 
fange ,  une  planche  est  prise  d'un  sarcophage  des  plus  an- 
ciennes époques  chrétiennes,  et  montre  deux  créatures  hu- 
maines et  ailées  tenant  des  livres  sur  une  frise  dont  le  centre 
est  occupé  par  une  croix  pâtée;  une  autre  planche  est  tirée 
d'un  manuscrit  du  xvi''  siècle ,  et  donne  deux  anges  qui 
tiennent  les  armes  du  cardinal  de  Lorraine,  archevêque  de 
Reims.  Les  premiers  anges  n'ont  pas  encore  de  nimbe,  les 
seconds  n'en  ont  plus;  mais  les  seconds  comme  les  premiers 
ressemblent  aux  génies  antiques,  dont,  au  reste,  ils  exercent 
à  peu  près  les  fonctions. 

Pourtant,  de  nos  jours  où  f  on  comprend  mieux  le  chris- 
tianisme, où  surtout  on  fétudie  avec  plus  d'intelligence,  le 
nimbe  a  été  réhabilité.  Mais  nous  vivons  à  une  époque  d'éclec- 
tisme où  f  on  adopte  toutes  les  formes  et  toutes  les  idées  an- 
térieures sans  trop  s'inquiéter  de  la  confusion,  de  l'amalgame 

'  Voyez,  à  l'Histoire  de  Jésus-Christ  et  de  la  Trinité,  les  personnes  divines  tirées  d'une 
sculpture  en  pierre,  des  environs  de  Troyes.  Ce  bas-relief  est  de  la  lin  du  xvi^  siècle 
et  représente  la  Trinité  couronnant  la  vierge  Marie  après  son  assomption.  Marie,  les 
deux  anges  qui  l'ont  emportée  au  ciel  et  les  trois  personnes  qui  la  couronnent  n'offrenl 
pas  la  moindre  trace  de  nimbe  ni  de  gloire.  Rien  n'est  plus  humain  ,  ni  plus  froidement 
réel. 

Le  Bréviaire  de  Salisbury,  qui  est  de  lUoli,  à  la  Bibliothèque  royale,  montre 
dès  cette  époque  l'indifférence  qu'on  avait  pour  le  nimbe.  A  la  cène,  Jésus-Christ  a  le 
nimbe,  mais  non  crucifère;  à  l'Annonciation,  le  Saint-Esprit  n'a  pas  de  croix  non  plus 
sur  son  nimbe.  Presque  tous  les  anges,  et  ils  sont  nombreux  dans  ce  manuscrit,  l'un 
des  plus  riches  en  miniatures,  sont  déjà  dépouillés  de  loutc  espèce  de  nimbe. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  109 

où  cet  esprit  de  compréhension  absolue  nous  entraîne.  Nos 
artistes  décorent  donc  leurs  figures  de  nimbes  en  disque,  de 
nimbes  en  cercle,  de  nimbes  en  triangle  et  de  nimbes  en  au- 
réole, à  peu  près  arbitrairement;  puis,  comme  ils  sont  assez 
peu  versés  en  archéologie,  ils  croisent  ces  nimbes  à  de  simples 
saints,  indignes  d'un  pareil  honneur,  ou  bien,  par  contre,  dé- 
corent Dieu  d'un  nimbe  tout  uni ,  en  le  dépouillant  de  sa  croix 
divine.  Ainsi  l'on  voit  des  tableaux  qui  représentent  la  sainte 
Famille ,  et  là  souvent  saint  Joseph  est  nimbé  d'un  nimbe  croisé , 
tandis  que  l'enfant  Jésus  a  un  nimbe  sans  croix.  L'artiste,  d'un 
coup  de  pinceau,  dérobe  donc  à  Jésus  sa  divinité  pour  en  gra- 
tifier un  homme. 

AURÉOLE. 

L'auréole,  comme  l'on  a  dit  plus  haut,  est  le  nimbe  de  tout 
le  corps,  de  même  que  le  nimbe  est  l'auréole  de  la  tête. 

Ce  mot  vient  du  latin  auréola,  diminutif  d'AURA,  petit  vent , 
air,  souffle.  Aura  veut  dire  aussi  jour  et  lumière,  parce  que  le 
jour  et  la  lumière  se  lèvent  le  matin  avec  le  petit  vent  de  l'au- 
rore; ou  bien  encore  éclat  et  flamme,  qui  sont  l'efflorescence 
de  la  lumière  et  du  jour.  Dans  Horace,  ce  mot  désigne  une 
odeur  suave,  un  parfum  léger. 

Aura  vient  du  grec  ctSûct,  vent  doux,  zéphyr,  exhalaison,  va- 
peur, aurore  enfin.  Toutes  ces  significations,  qui  se  ramènent 
à  une  seule  —  souffle  lumineux  — ,  désignent  bien  la  nature 
de  l'auréole,  qui  est  une  flamme;  elle  se  traduit,  en  iconogra- 
phie, par  des  ondulations  qui  entourent  le  corps,  ou  par  des 
raies  qui  figurent  des  rayons.  L'auréole  et  le  nimbe  sont  donc 
de  même  nature,  un  nuage  transparent,  une  lumière  solide. 
C'est  une  auréole  surtout,  plutôt  qu'un  nimbe  encore,  qui 


110  INSTRUCTIONS. 

enveloppait  Minerve  de  son  atmosphère  lumineuse,  lorsque 

Virsile  montre  cette  déesse  nimbo  effulgens  \ 

L'auréole  est  un  nimbe  agrandi,  comme  le  nimbe  est  une 
auréole  diminuée.  Le  nimbe  ceint  la  tête;  l'auréole  entoure  le 
corps  tout  entier.  L'auréole  est  comme  une  draperie ,  comme 
un  manteau  de  lumière  qui  enveloppe  tout  le  corps  depuis 
les  pieds  jusqu'au  sommet  du  crâne.  Le  mot  d'auréole  est 
très-usité  en  iconographie  chrétienne  ;  mais  il  est  vague ,  et 
on  l'applique  tantôt  à  l'ornement  de  la  tête ,  tantôt  à  celui  du 
corps.  Ici  nous  le  restreignons  et  nous  l'affectons  unique- 
ment à  ce  grand  nimbe  qui  encadre  presque  toujours  Jésus- 
Christ  et  quelquefois  la  Vierge.  Cependant  les  antiquaires 
appellent  ce  nimbe  vessie  de  poisson  (vesica  piscis);  mais  une 
terminologie  qui  se  respecte  doit  repousser,  pour  sa  gros- 
sièreté, une  pareille  expression;  elle  a  été  inventée  par  les  an- 
tiquaires anglais,  qui  en  abusent.  Du  reste  cette  dénomina- 
tion est  fausse ,  car  très-souvent  l'auréole  n'a  pas  la  forme  d'une 
vessie,  comme  nous  allons  le  voir.  On  l'a  aussi  appelée  ovale 
divin  ou  amande  mystique;  le  mot  de  mystique  préjuge, 
avant  tout  examen,  une  intention  symbolique  dont  on  peut 
fort  raisonnablement  douter.  D'ailleurs  elle  n'est  souvent  ni 
un  ovale  ni  une  amande;  c'est  tout  simplement  le  nimbe  de 
la  tête.  La  tête  est  ronde,  le  nimbe  est  rond;  le  corps  debout 
forme  un  ovale  allongé,  l'auréole  aussi  s'allonge  ordinairement 
à  peu  près  en  forme  d'ovale.  Mais,  quand  le  corps  est  assis, 

'   Enéide,  liv.  II.  v.  61 5  : 

Jam  summas  arces  Tritonla,  respice,  Pallas 
Inscdit,  nimbo  effulgens  el  Gorgone  sava. 

«  Nimbo  effulgens.  Nube  divina.  Estenim  fulvidum  lumen  quod  deorum  capila  tinguil.  » 
(5(f.  )Cesont  les  expressions  de  Servius,  commentateur  de  Virgile,  qui  vivait  au 
iv'  siècle.  Voyez  l'édition  in-h"  de  Virgile,  Genève,  i636,  p.  260. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  111 

l'ovale  se  ramasse  en  cercle  \  quelquefois  en  quatre-feuilles; 
parce  qu'alors  les  quatre  portions  saillantes  du  corps,  la  tête, 
les  jambes  et  les  deux  bras,  ont  chacune  leur  lobe  particulier, 
leur  section  de  nimbe,  et  que  le  torse  vient  s'encadrer  dans 
le  centre  de  ce  quatre-feuilles. 

36. DIED    DANS   UNE   AUREOLE    EN    QUATRE-FEUILLES. 

Fresque  de  la  cathédrale  d'Auxerre,  dans  la  crypte,  à  l'abside;  fin  du  xii"  siècle. 


Ce  dessin  est  fait  d'après  une  fresque  placée  au  fond  de  la 
grande  crypte  qui  s'étend  sous  le  chœur  et  le  sanctuaire  de  la 
cathédrale  d'Auxerre.  Dans  l'auréole  de  Dieu  brillent  deux 
chandeliers  à  sept  branches;  hors  d'elle  sont  peints  deux  anges 
thuriféraires  et  les  quatre  attributs  des  évangélistes,  dont  l'un, 
le  lion,  est  détruit.  Au  centre  de  la  rose  occidentale  de  la  ca- 
thédrale de  Chartres,  est  assis  de  même,  dans  une  auréole  en 
quatre-feuilles,  Jésus-Christ  jugeant  les  hommes.  Chaque  lobe 

'  A  Saint-Savin ,  près  de  Poitiers,  dans  le  porche  et  dans  ia  crypte  de  l'église.  Dieu  est 
peint  à  fresque;  son  corps  est  assis  et  inscrit  dans  une  auréole  entièrement  circulaire, 
dont  le  champ  est  verdàtre.  Dans  la  nef.  Dieu  est  environné  dune  auréole  ovale  ,  parce 
qu'il  est  debout. 


112  INSTRUCTIONS. 

de  ce  quatre-feuilles  est  mieux  occupé  et  sert  plus  positivement 
encore  qu'à  Auxerre,  parce  que  le  Christ,  au  lieu  de  tenir  à 
la  main  gauche  un  livre  sur  ses  genoux  et  d'élever  la  main 
droite  en  l'air,  comme  le  Christ  d' Auxerre,  étend  ses  deux 
mains  horizontalement,  pour  en  montrer  les  plaies  aux  pé- 
cheurs qu'il  condamne.  Ce  geste  des  mains  exigeait  donc  impé- 
rieusement les  deux  lobes  latéraux  de  l'auréole. 

On  a  encore  donné  le  nom  de  nimbe  byzantin  à  l'auréole  ; 
cette  dénomination  convient  beaucoup  mieux  à  la  nature 
de  l'auréole  qui  est  un  véritable  nimbe;  mais  l'épithète  de  by- 
zantin a  le  grave  inconvénient  d'attribuer  à  l'école  grecque  et 
au  style  byzantin,  comme  si  elle  en  sortait  ou  qu'on  l'y  eût 
employée  plus  fréquemment,  une  forme  qui  n'est  particulière 
ni  à  cette  école  ni  à  ce  style ,  une  forme  qui  appartient  tout 
aussi  bien  à  l'Église  latine  et  au  style  occidental.  Le  nom 
d'auréole  est  donc  celui  auquel  nous  nous  arrêtons  ;  nous 
espérons  que  l'archéologie  chrétienne  l'adoptera  dans  sa  ter- 
minologie. 


FORME   DE    L'AUREOLE. 


On  le  voit ,  la  forme  de  l'auréole  est  assez  variée.  Celle  qui  se 
rencontre  le  plus  fréquemment  est  l'ovoïdale  à  base  et  sommet 
pointus,  et  non  pas  émoussés  comme  dans  l'ovale  proprement 
dit.  Cette  forme  semble  convenir  assez  bien  à  un  corps  hu- 
main qui  est  debout.  L'auréole  est  un  habillement  de  lu- 
mière^ ou  un  rayonnement  du  corps.  Dans  le  premier  cas,  l'au- 
réole épouse  étroitement  la  forme  du  corps  pour  le  vêtir  ;  dans 
le  second,  elle  se  modèle  aussi  sur  le  corps  mais  elle  s'en  dé- 
tache comme  un  rayon  qui  part  du  centre. 

Les   pointes    de   cet  ovoïde,    aiguës    ordinairement,   sont 

'  «Deus.  .  .  .  amictus  lumine  sicut  vestimento.  »  iPsal.  cm,  v.  a.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  113 

mousses  quelquefois  et  s'adaptent  plus  complètement  encore 
à  la  tête  et  aux  pieds. 

Ou  Lien  l'ovale,  écourté  au  sommet  et  à  la  base,  n'enveloppe 
que  le  tronc,  et  se  rallonge  en  haut  par  un  lobe  cintré,  en 
bas  par  un  lobe  de  forme  semblable ,  lesquels  sont  intersectés 
tous  deux  par  l'ovale  du  tronc.  Dans  l'exemple  suivant,  tiré 
du  manuscrit  de  Saint-Sever  dont  il  a  été  déjà  question,  une 
nuée  entoure  de  quatre  lignes  onduleuses  Jésus,  qui  descend 
du  ciel.  Cette  nuée  prend  exactement  la  forme  des  pieds,  du 
tronc  et  de  la  tête.  La  tête  s'y  adapte  surtout  d'une  façon  re- 
marquable; on  pourrait  dire  qu'elle  s'y  incruste;  cette  auréole 
est  une  sorte  de  moule  où  le  corps  entier  prend  sa  forme. 

37. LE  SEIGNEUR  DANS  UNE  AUREOLE  DE  NUAGES  QUI  SE  MOULENT  SUR  LE  CORPS. 

Miniature  du  x°  siècle,  manuscrit  de  Saint-Sever,  Bibliothèque  royale. 


INSTRUCTIONS.  II. 


LU 


114  INSTRUCTIONS. 

Chez  les  Italiens,  le  rebord  extérieur  qui  embrasse  tout  le 
champ  de  l'auréole  est  régulier,  géométrique,  comme  toutes  les 
lignes  de  l'art  chrétien  en  Italie.  On  dirait  que  c'est  un  cadre 
menuisé  par  un  ouvrier,  à  l'aide  d'un  rabot.  Comme  preuve, 
voyez  l'Ascension  de  Jésus ,  tirée  d'un  manuscrit  italien ,  et  qu'on 
a  donnée  plus  haut,  page  27,  pi.  2.  Chez  nous,  comme  vient 
de  nous  l'offrir  le  manuscrit  de  Saint-Sever,  c'est  ordinairement 
une  ligne  onduleuse  et  qui  figure  les  nuages  ou  l'eau  aérienne  ^  ; 
car  le  champ  de  l'ovale  n'est  autre  que  le  ciel  même  où  repose 
Dieu.  C'est  à  Dieu  en  effet  qu'est  réservée  le  plus  ordinairement 
l'auréole,  à  Dieu  le  Père,  ou  le  Fils,  quelquefois  au  Saint- 
EsjDrit.  Mais ,  dans  ce  dernier  cas,  et  surtout  avant  le  xiv^  siècle, 
il  faut  que  le  Saint-Esprit  entre  dans  la  Trinité  et  qu'il  accom- 
pagne les  deux  autres  personnes  divines.  Au  xv^  siècle,  ce 
rebord  est  quelquefois  tout  rempli  d'anges,  comme  on  garnit 
d'arabesques  le  cadre  d'un  tableau.  Ainsi  une  peinture  sur 
bois,  qu'on  voit  dans  f église  de  l'abbaye  de  Saint-Riquier,  et 
qui  représente  fAssomption  ,  montre  en  haut,  dans  le  ciel ,  la 
Trinité  qui  se  dispose  à  recevoir  Marie  que  des  anges  enlèvent 
et  emportent  en  paradis.  La  Trinité  est  au  sein  d'une  auréole 
presque  circulaire ,  et  dans  la  bande  du  cercle  brille  un  cor- 
don d'anges.  La  magnifique  Cité  de  Dieu,  traduite  par  Raoul 
de  Presles ,  et  que  possède  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève , 
offre  plusieurs  exemples  de  ces  auréoles  qui  environnent  Dieu , 
et  qui  sont  tapissées  de  chérubins  et  de  séraphins  d'azur,  de 
feu  ou  d'or. 

Souvent,  lorsque  Dieu  est  assis  dans  fauréole,  ses  pieds 
posent  sur  un  arc-en-ciel;  un  deuxième  arc-en-ciel  lui  sert  de 
dossier,  et  un  troisième  d'oreiller  où  s'appuie  sa  tête.  C'est  une 

Les  artistes  chrétiens  figurent  de  la  même  façon  l'eau  et  la  vapeur,  les  oncles  el  les 
nuages. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  115 

belle  idée,  surtout  quand  le  champ  est  bleu,  constellé  d'or,  et 
que  le  cadre  est  grisâtre  et  ondulé  comme  des  nuages.  Sou- 
vent les  deux  arcs-en-ciel  de  la  tête  et  du  dos  sont  supprimés; 
car  Dieu  n'a  pas  besoin  d'appui.  Dans  ce  cas,  l'arc-en-ciel  des 
pieds  est  quelquefois  remplacé  par  un  tapis  d'or  constellé  d'ar- 
gent. Voyez  une  fresque  qui  appartient  au  commencement  du 
xiii^  siècle,  qui  existe  encore  dans  la  tour  deBaugency,  et  qui 
représente  le  Christ  tenant  un  livre  de  la  main  gauche,  pen- 
dant qu'il  bénit  de  la  main  droite  ^  Ce  motif  est  moins  élevé 
que  le  précédent;  mais  il  est  encore  distingué,  puisque  ce  ta- 
pis pourrait  être  le  ciel  à  fond  d'or  semé  d'étoiles  d'argent. 
Plus  souvent,  au  lieu  de  tapis,  c'est  un  escabeau,  comme  à 
Chartres^,  au  tympan  de  la  porte  royale.  Alors  on  est  tombé  au 
troisième  motif,  le  plus  matériel  de  tous  et  qui  est  la  traduc- 
tion grossière  et  littérale  de  ce  passage  d'Isaïe  :  coelum  sedes 
mea;  terra  autem  scabellum  pedum  meorum^  a  Saint-Denis, 
au  tympan  de  la  porte  centrale  du  portail  occidental,  les  pieds 
de  Jésus-Christ  posent  sur  un  escabeau.  Le  bas  du  corps  est 
circonscrit  par  une  auréole;  mais  dans  cette  auréole  s'implante 
la  croix  contre  laquelle  le  souverain  juge  est  adossé,  motif  très- 
rare  à  cette  époque  du  xif  siècle,  et  très-beau.  Cet  escabeau, 
sur  lequel  posent  les  pieds  de  Dieu  ,  qui  est  assis  sur  un 
trône  et  entouré  d'une  auréole,  est  très -fréquent.  Ainsi, 
dans  les  fresques  de  Saint -Savin,  près  de  Poitiers,  Dieu 
est  représenté  trois  fois  environné  d'une  auréole  circulaire  ou 
ovale,  et  trois  fois  ses  pieds  reposent  sur  un  escabeau.  Cet 
escabeau,  plus  ou  moins  orné  en  creux  ou  en  relief,  n'est  pas 

'  Celte  fresque,  à  demi  ruinée  et  que  le  gouvernement  devrait  bien  faire  restaurer, 
a  été  dessinée  par  un  jeune  artiste  d'Orléans;  le  dessin  appartient  à  M.  A.  Duchalais. 
-  Monographie  de  la  cathédrale  de  Chartres,  dessin  de  M.  Amaury  Duval. 
'  Chap.  VI ,  verset  i, 

i5. 


116  INSTRUCTIONS. 

un  cliaulToir,  comme  on  Ta  dit.  Rien  qui  puisse  faire  croire  à 
ce  motif  vulgaire  ne  se  trouve  dans  l'Ecriture  sainte,  tandis 
que  l'escabeau  (scabellum)  est  bien  nettement  indiqué.  D'ail- 
leurs la  forme  de  ce  meuble  prévient  toute  erreur  à  ce  sujet. 
Le  dessin  qu'on  donne  ici,  n''  38,  est  tiré  d'une  fresque 
qui  orne  la  muraille  occidentale  de  la  grande  église  du  cou- 
Vent  de  Salamine,  connu  sous  le  nom  de  panagia  phanéromém. 
Il  montre  le  Christ  descendant  du  ciel  pour  juger  tous  les 
hommes.  L'auréole  qui  l'environne  est  circulaire,  variété 
que  nous  a  déjà  offerte  la  figure  n''  16,  et  elle  est  portée  aux 
quatre  points  cardinaux  p^r  quatre  chérubins.  Le  champ  de 
cette  auréole  est  divisé  par  des  carrés  symboliques  à  côtés 
concaves  et  qui  s'intersectent.  Les  pieds  du  juge  divin  posent 
sur  une  ligne  circulaire  qui  figure  un  arc-en-ciel  ;  un  second  arc 
lui  sert  de  siège.  Cette  peinture  est  du  xviif  siècle;  elle  serait 
du  xuf  en  France ,  car  les  Grecs  n'ont  pas  fait  un  pas  depuis 
cinq  ou  six  cents  ans.  L'explication  de  ce  dessin  qui  reproduit 
une  fresque  remarquable  est  fournie  par  les  psaumes  de  Da- 
vid :  «  Dieu  abaisse  les  cieux  et  descend;  il  monte  sur  les  ché- 
rubins et  vole;  il  vole  sur  les  ailes  des  vents  ^  Seigneur,  mon 
Dieu,  vous  êtes  très-magnifique  et  couvert  de  majesté  et  d'é- 
clat. Vous  êtes  habillé  de  lumière  comme  d'un  vêtement.  Vous 
montez  posé  sur  les  nuées;  vous  marchez  sur  les  ailes  des 
vents.  Du  souffle  vous  avez  fait  vos  anges,  et  du  feu  brûlant 
vos  ministres.  » 

'  «  Inclinavit  cœlos  et  descendit....  Et  ascendit  super  clierubim  et  volavit  ;  volavil  supei 
«pennas  venlorum.  »  (Psaume  xvii,  vers,  ii  et  12.)  Et  ailleurs  :  «Domine,  Deusmeus, 
«  magnificatus  es  veliementer.  Confessionem  et  decorem  induisti  :  amiclus  lumine  sicut 
«  vestimento....  Qui  ponis  nubem  ascensum  luum  :  qui  ambulas  super  pennas  vcntorum. 
"  Qui  facis  angelos  luos  spiritus,  et  ministres  tuos  ignem  urentem.  »  (Psaume  cm ,  ver- 
sets 1 ,  2  ,  3  et  A.  ) 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE. 


117 


00. DIEU    DAI\S   UNI'    AURKOLE  CIRCULAIRE, 

RAYONNANTE   EN   DEDANS   ET  PARTAGEE  PAR   DES  CARRES    SYMBOLIQUES,    À   COTES  CONCAVES 
DIEU   EST  ASSIS  SUR  UN  ARC-EN-CIEL,  SES  PIEDS  POSENT  SUR   UN  AUTRE  ARG-EN-CIEL. 

Fresque  du  grand  couvent  de  Salamine,  xviif  sit'cle. 


■DESSINE     A    SALAMINE    PAR.     PAVL       DVRAND 


Le  champ  de  l'auréole  est  éclairé  parfois  de  deux  étoiles  qui 
rayonnent  près  de  la  tête  du  personnage  divin  encadré  dans 
cette  auréole  même  :  Tune  est  à  droite,  l'autre  est  à  gauclie. 
Quand  la  figure  assise  bénit  de  la  main  droite  et  que  le  champ 
de  fauréole  est  étroit,  la  disposition  de  la  main  qui  absorbe 
la  place  fait  reporter  à  droite  les  deux  étoiles.  Quelquefois 
le  champ  tout  entier  est  semé  d'étoiles  comme  le  ciel  par  une 
nuit  claire^;  c'est  assez  rare.  Le  nombre  des  rayons  ou  des 

Histoire  de  l'Art  par  les  monuments,  de  Séreux  d'Agincourl  ;  sculpture,  planche  2.  Ce 
dessin  représente  un  devant  d'autel  de  la  calladrale  de  Citlà-di-Castello ,  en  Italie,  et  qui 
fut  donné  en  1  i/iS  ou  11  hà  par  le  pape  Célestin  IL  Au  centre,  dans  une  auréole  ovale, 
paraît  le  Christ  à  nimbe  croisé  :  à  sa  gauche  reluit  le  croissant  de  la  lune;  à  sa  droite,  le 
soleil  fait  éclater  ses  rayons  flamboyants;  dans  le  champ  de  l'auréole  brillent  des  étoiles 
à  cinq  pointes,  à  cinq  lobes  ou  en  forme  de  rose. 


118  INSTRUCTIONS. 

pointes  des  étoiles  varie  :  il  est  de  quatre  \  de  cinq,  de 
six,  de  sept^,  même  de  huit ''.  L'étoile  de  gauche  a  souvent 
moins  de  pointes  que  celle  de  droite.  Dans  ce  cas ,  l'étoile 
gauche  indique  la  lune,  et  l'étoile  droite  le  soleil '',  quoique 
ces  astres  soient  figurés  sous  la  même  forme.  Presque  toujours 
le  soleil  et  la  lune,  souvent  des  étoiles  assistent  à  f ascen- 
sion de  Jésus  au  ciel  ou  à  sa  descente  sur  la  terre  au  juge- 
ment dernier.  Le  dessin  n°  16  a  déjà  montré  très-positive- 
ment ce  soleil ,  cette  lune  et  ces  étoiles  dominant  la  scène  où 
le  Christ  est  représenté  s' élevant  au  ciel;  le  magnifique  tympan 
de  la  cathédrale  d'Autun,  où  l'on  a  sculpté,  au  xii''  siècle,  le 
jugement  dernier,  ofiFre  de  même  le  soleil  à  la  droite,  et  la  lune 
à  la  gauche  du  Christ  jugeant  le  monde,  et  inscrit  dans  une 
auréole  elliptique  ^. 

A  la  Transfiguration ,  chez  lesBy  zantins  et  les  Grecs  modernes , 
fauréole  qui  entoure  Jésus-Christ  offre  une  particularité.  Cette 
auréole  a  la  forme  d'une  roue.  Du  centre  ou  du  moyeu  partent 
six  rayons  qui  vont  toucher  aux  jantes,  à  la  circonférence; 
mais  ces  rayons,  au  lieu  de  s'y  arrêter  comme  dans  une  roue 
ordinaire,  se  prolongent  et  ahoutissent  fun  à  Moïse,  f  autre  à 
Elie,  le  troisième  à  saint  Pierre,  le  quatrième  à  saint  Jean, 
le  cinquième  à  saint  Jacques.  Ces  personnages  sont  les  seuls 
qui  aient  assisté  à  la  transfiguration  ou  métamorphose,  comme 

'  Voyez  l'autel  de  saint  Guillaume,  à  Saint-Guilhem-du-Désert ,  décrit  et  dessiné  par 
M.  R.  Tlîomassy,  dans  les  Mémoires  de  la  Société  royale  des  antiquaires  de  France, 
tom.  XIV,  pag.  222. 

*  Voyez  la  personnification  de  l'air  ou  de  la  musique,  dessin  du  xiif  siècle,  dans  un 
Pontificale  manuscrit  de  la  bibliothèque  de  Reims. 

■  Voyez  une  vierge  byzantine  en  argent  repoussé,  et  que  je  possède. 

'  Voyez  la  personnification  de  l'air,  manuscrit  de  Reims. 

'  Voyez  un  très-beau  dessin  de  ce  Ivmpan  tout  entier  exécuté  par  M.  Victor  Petit  et  qui 
fait  partie  de  l'Atlas  des  arts  au  moyen  âge ,  de  M.  du  Sommerard  ;  c'est  une  des  pièces 
capitales  de  ce  riche  recueil. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  119 

disent  les  Grecs.  Quant  au  sixième  rayon ,  il  est  absorbé  ou 
caché  par  Jésus  lui-même.  Le  Christ  est  appliqué  contre  cette 
gloire  en  roue  ;  on  dirait  qu'il  y  est  cloué  comme  à  un  instru- 
ment de  supplice,  car  c'est  ainsi  que  l'on  représente  le  martyre 
de  saint  Georges  qui  fut  roué  ^  Cette  disposition  singulière 
est  des  plus  rares  chez  nous^;  on  ne  la  voit  que  dans  les  édifices 
qui  semblent  trahir  des  influences  byzantines  au  moins  indi- 
rectes, comme  Notre-Dame  de  Chartres,  d'où  est  tiré  le  dessin 
suivant,  copié  sur  une  des  trois  grandes  verrières  romanes  du 
portail  occidental. 


09. 


JESUS  TRANSFIGURE,   DANS  UNE  AUREOLE   A  FORME  DE  ROUE. 
Vitrail  du  xii"  siècle,  cathédrale  de  Chartres. 


En  Sicile,   au  contraire,  cette  portion  de  fancienne  Grande- 

'  Voyez,  à  la  cathédrale  de  Cliarlres,  le  marlyre  du  guerrier  saint  Georges  peint  dans 
la  nef  de  la  même  église,  sur  un  vilrail  ;  voyez  le  même  marlyre,  sculpté  au  portail 
méridional,  dans  le  soubassement  d'une  statue  qui  représente  ce  saint. 

*  Le  manuscrit  d'Herrade ,  Hortus  deliciarum,  où  se  montrent  des  traces  de  l'école 
byzantine ,  offre  une  miniature  représenlantla  transfiguration.  Des  rayons  d'argent  sortent 


120  INSTRUCTIONS. 

Grèce  où  le  rite  grec  des  offices  religieux  est  encore  observé 
aujourd'hui  et  dans  plusieurs  localités,  ce  genre  de  transfigura- 
tion est  constant;  on  le  remarque  principalement  dans  les  pein- 
tures à  fresque  qui  décorent  la  chapelle  royale  de  Palerme. 
Là  on  voit  une  auréole  elliptique  et  non  circulaire;  mais  les 
rayons  sont  en  nombre  égal  à  ceux  de  Chartres,  et  tombent  ou 
s'élèvent  de  la  même  manière  en  partant  du  divin  transfiguré. 
L'auréole  présente  plusieurs  autres  variétés,  outre  celles 
du  cercle,  de  fovale  et  du  quatre-feuilles  dont  on  vient 
de  parler.  Puisque  fauréole,  qui  est  une  espèce  d'ombre  lumi- 
neuse, embrasse  la  forme  du  corps,  elle  doit  se  partager  souvent 
en  deux  :  la  portion  supérieure,  plus  petite  de  diamètre,  serre 
la  tête  et  le  buste  jusqu'à  la  ceinture;  la  portion  inférieure,  plus 
grande,  au  contraire,  part  de  la  ceinture  et  descend  jusqu'aux 
pieds.  Cette  auréole  se  compose  de  deux  cercles  superposés,  se 
coupant  l'un  fautre,  évidés  à  leur  intersection  et  donnant, 
pour  la  forme,  la  coupe  verticale  de  la  gourde  que  portent  les 
pèlerins.  C'est  particulièrement  de  cette  configuration  que  les 
antiquaires  ont  tiré  le  nom  de  vessie  de  poisson;  mais  elle  est 
beaucoup  plus  rare  que  la  forme  elliptique  et  ovoïdale.  Ainsi, 
outre  son  inconvenance,  cette  dénomination  a  le  tort  de  se 
rapporter  à  une  variété  peu  importante;  double  motif  pour 
la  repousser.  Quelquefois  le  cercle  du  bas  est  plus  étroit,  le 
cercle  du  haut  plus  large  :  alors  c'est  une  gourde  renversée; 
quelquefois  le  cercle  du  haut  est  ouvert  et  celui  du  bas  fermé , 
les  pieds  posant  sur  cette  fermeture  alors  la  tête  a  de  fair  et 
peut  se  mouvoir  à  droite  et  à  gauche,  sans  être  arrêtée  par  un 
cadre.  D'autres  fois ,  c'est  le  cercle  d'en  bas  qui  est  ouvert  et 

du  corps  de  Jésus  ;  ils  sont  au  nombre  de  seize ,  huit  de  chaque  côté.  Mais  ces  rayons  ne 
sont  pas  reliés  entre  eux  par  une  ligne  circulaire;  c'est  une  roue  sans  les  jantes.  Le  by- 
zantin n'est  pas  là  dans  toute  sa  purelé. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  121 

celui  d'en  haut  qui  reste  fermé;  d'autres  fois  le  haut  et  le  bas 
sont  ouverts,  et  l'auréole  se  compose  seulement  de  lignes  pa- 
rallèles plus  ou  moins  bizarres ,  et  cpii  ne  se  rencontrent  pas 
plus  que  les  asymptotes  de  la  géométrie  ne  rencontrent  les 
courbes  auxquelles  elles  appartiennent. 

Toutes  ces  variétés  et  d'autres  encore  se  voient  particulière- 
ment dans  un  psautier  de  la  Bibliothèque  royale,  de  la  fin  du 
xii*"  siècle  ^  Les  miniatures  qui  ornent  la  fin  de  ce  manuscrit 
paraissent  avoir  été  exécutées  en  Italie  vers  le  xiv^  siècle.  Cette 
grande  variété  d'auréoles  serait  un  argument  de  plus  à  joindre 
à  la  facture,  à  la  couleur,  au  dessin,  aux  costumes,  à  la  tour- 
nure des  personnages,  qui  portent  à  croire  que  ce  manuscrit 
est  italien  ^. 

Pour  les  personnes  qui  prétendent  que  l'auréole  est  la  repré- 
sentation symbolique  de  certaines  parties  naturelles,  espèce  de 
sein  maternel  où  nagerait  la  divinité,  il  y  a  difficulté  invincible 
à  rendre  compte  de  ces  formes  si  variées  et  si  hétérogènes.  Puis 
i]- faudrait  expliquer  pourquoi  Dieu  le  Père ,  qui  n'est  le  fils  de 
personne,  qui  engendre,  mais  n'a  pas  été  engendré,  est  enfermé 
dans  cette  auréole  aussi  bien  que  son  fils,  aussi  bien  que  le 
Saint-Esprit. 

Aux  antiquaires  païens,  l'auréole,  quand  elle  a  la  forme  d'un 
cercle  ou  d'une  amande,  pourrait  rappeler  les  imagines  cly- 
PEATiE  si  fréquentes  chez  les  Romains  et  même  chez  les  Grecs^. 
Dans  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale.  Dieu,  armé  d'un 

'   Suppl.  fr.  n"  ii32  bis. 

'  Voyez  f"  27,  53,  80  ,  entre  autres.  L'Italie  est  la  patrie  de  la  variété  archéologique, 
c'est-à-dire  du  mouvement.  Chez  nous  Tart  est  beaucoup  plus  uniforme  et  d'une  ima- 
gination moins  active. 

^  Dans  l'Iconographie  grecque  de  Visconti,  les  poêles  Sophocle  et  Ménandre  sortent 
ainsi  en  imagines  cljpeaiœ  d  un  (Hsque  perce  comme  une  lucarne.  Au  xvi*  siècle,  a  la  renais- 
sance ,  ce  motif  était  singulicremenl  en  faveur  et  d'un  grand  usage  dans  rornemenlation. 

INSTRUCTIONS.  —  II.  1  6 


122  INSTRUCTIONS. 

glaive  et  de  flèches,  en  buste  et  en  saillie  dans  un  cercle, 
comme  sur  un  bouclier,  ressemble  entièrement  à  ces  images 
sur  bouclier  qu'on  voit  sur  les  sarcophages  romains  particuliè- 
rement. Dans  l'Histoire  de  Dieu  le  Père,  une  gravure  montre 
Dieu  en  médaillon,  et  tenant,  comme  un  dieu  païen,  un  arc, 
des  flèches,  un  glaive  ;  c'est  le  dieu  de  la  force  et  des  combats. 
Ce  dessin  est  tiré  du  psautier  du  xii''  siècle,  cité  plus  haut. 
Il  serait  donc  facile  de  trouver  dans  l'archéologie  romaine 
une  des  origines  de  l'auréole,  en  songeant  que  des  bustes  du 
Christ  sont  fréquemment  placés  au  front  des  basiliques  de 
forme  païenne,  en  ce  lieu  où  les  gothiques  ont  depuis  percé 
une  rose;  où,  avant  les  gothiques,  les  architectes  romans 
avaient  ouvert  un  oculum;  où,  avant  cet  ociilum  à  jour,  on  re- 
marque un  oculum  aveugle  et  rempli  par  le  Christ  et  les  attri- 
buts des  évangélistes.  Notre-Dame  de  Poitiers,  qui  est  du 
xii^  siècle ,  a  conservé  encore  la  trace  de  cet  usage  :  elle  nous 
montreainsi  Jésus-Christ  entouré  des  attributs  des  évangélistes 
et  enfermé  dans  une  espèce  d'ovale,  un  oculum,  ou  une  rosace 
aveugle  ^  A  Saint-Paul-hors-les-Murs ,  avant  le  désastreux  in- 
cendie de  1828  ;  à  Saint-Pierre  de  Rome,  avant  sa  destruction 
par  le  pape  Paul  V,  qui  a  fait  place  au  Saint-Pierre  d'aujour- 
d'hui, on  voyait  la  série  des  pontifes  romains  peints  à  fresque, 
à  des  époques  très-anciennes.  Tous  ces  portraits  en  buste 
étaient  encadrés  dans  un  tableau  circulaire,  et  ressemblaient 
aux  images  sur  bouclier  des  Fiomains. 

Voyez  les  nombreux  dessins  qui  représentent  le  portail  de  Notre-Dame  de  Poitiers. 
"  Sur  cette  manière  de  représenter  le  Christ  en  buste ,  dit  M.  Raoul-Rocbette  [Discours 
sur  Inrt  du  christianisme,  note  2  de  la  page  25),  imitée  des  images  en  bouclier,  voyez 
Buonarotli,  qui  en  cite  pour  exemple  la  mosaïque ,  aujourd'hui  détruite,  du  grand  arc 
de  Sainl-Paul-hors-des-Murs,  Dittico  sacro,  etc.  page  26'.'..  Cet  usage  durait  encore  au 
vu'  siècle,  et  l'on  en  a  acquis  la  preuve  par  la  peinture  de  l'oratoire  de  Sainte-Félicité, 
découvert  en  1812  dans  les  thermes  de  Titus  ,  en  haut  de  laquelle  était  une  image  pa- 
reille du  Sauveur  en  buste.  »  (Gualtani ,  Memorie  onciclopediche ,  etc.  t.  I.  tav.  xxi.j 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  123 

Le  plus  ordinairement  l'auréole  a  la  forme  ovale;  mais  cet 
ovale  est  quelquefois  figuré  par  des  branches  d'arbres  qui  se 
croisent,  s'écartent  pour  laisser  un  espace  vide,  et  se  recroisent 
ensuite,  composant  ainsi  comme  une  double  ogive,  fune  en 
haut  et  fautre  en  bas  ou  retournée.  Presque  tous  les  arbres 
généalogiques,  surtout  ceux  du  xii*"  et  du  xiii'^  siècle,  le  long 
desquels  s'échelonnent  les  ancêtres  de  la  sainte  Vierge  et  de 
Jésus-Christ,  sont  ainsi  disposés.  Dans  chaque  ovale  est  inscrit 
un  aïeul,  un  roi;  au  sommet  domine  Jésus-Christ,  assis  sur  un 
trône,  et  qui  bénit  le  monde  avec  la  main  droite.  Le  dessin 
suivant  est  tiré  du  psautier  de  saint  Louis  ^  Une  page  en- 
tière de  ce  manuscrit  est  occupée  par  un  de  ces  arbres  généa- 
logiques. 


ko. 


JESUS  DANS  UNE  AUREOLE  ELLIPTIQUE  FORMEE  DE  RINCEAUX. 
Miniature  du  xiii'  siècle,  psautier  de  saint  Louis. 


On  n'en  a  donné  ici  que  le  sommet,  que  le  dernier  ovale  dans 

'  Ce  manuscrit  est  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal. 


16. 


124  INSTRUCTIONS. 

lequel  Jésus  est  encadré.  A  l'extérieur  de  cet  ovale  est  repré- 
senté le  Saint-Esprit  reproduit  sept  fois,  parce  que  Jésus  fut 
doué  des  sept  esprits  de  Dieu.  Chacun  de  ces  esprits ,  sous  la 
forme  d'une  colombe,  est  enfermé  dans  une  auréole  circulaire. 
L'esprit  suprême,  celui  qui  domine  les  autres  et  qui  est  tout 
au  sommet,  est  non-seulement  inscrit  dans  l'auréole,  mais  il 
porte  encore  un  nijnbe  à  la  tête.  On  voit  que  le  nimbe  de  ce 
grand  esprit  n'est  pas  croisé  :  c'est  une  erreur  de  l'artiste  ou 
une  imperfection  de  la  miniature.  Chacune  de  ces  colombes 
devrait  avoir  un  nimbe  crucifère,  car  elles  sont  la  personnifi- 
cation des  propriétés  divines  de  l'Esprit-Saint.  A  la  cathédrale 
de  Chartres,  sur  un  vitrail  de  la  grande  nef,  à  gauche,  on  n'a 
pas  commis  cette  faute.  Ce  vitrail  représente  la  Vierge ,  qui  tient 
Jésus.  Vers  l'enfant  divin  viennent  converger,  sur  des  rayons 
d'un  rouge  de  flamme,  les  dons  du  Saint-Esprit  qui  ont  la 
forme  d'une  colombe.  Ces  colombes  portent  toutes  le  nimbe 
crucifère. 


APPLICATION    DE    L'AUREOLE. 


On  ne  peut  pas  dire  que  l'auréole  soit  réservée  à  Dieu  ex- 
clusivement; cependant,  sauf  les  exceptions  qui  vont  être 
notées  et  dont  on  donnera  les  raisons,  l'auréole  est  un  attribut 
qui  caractérise  assez  spécialement  la  divinité.  Elle  est,  en  effet, 
l'expression  figurée  de  la  puissance  suprême,  de  l'énergie 
poussée  au  plus  haut  point  possible.  C'est  donc  à  Dieu  sur- 
tout qu'elle  devait  se  donner,  à  Dieu  qui  a  en  propre  et  en  lui- 
même  la  toute-puissance ,  tandis  que  les  créatures ,  dans  quelque 
rang  qu'elles  soient,  ne  la  tiennent  que  de  lui,  comme  la  lune 
n'a  de  lumière  que  par  le  soleil. 

Cependant  la  vierge  Marie,  qui  est  la  première  des  pures 
créatures  humaines  et  qui  s'avance  immédiatement  après  Dieu, 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  125 

Marie,  supérieure  aux  saints  et  aux  anges  par  les  fonctions 
qu'elle  a  remplies  et  par  les  honneurs  qu'on  lui  a  rendus» 
devait  être  assez  souvent  entourée  de  la  gloire.  Ici, 

4l. MARIF.   DANS    UNE   AUREOLE    OVALE   INTERSECTÉE   PAR    UNE  AUREOLE   OVALE    AUSSI, 

MAIS   PLUS   PETITE. 
Miniature  du  x"  siècle,  manuscrit  Liber  precam.  Bibliothèque  royale. 


dans  ce  dessin ,  l'auréole  est  ovale  et  à  pointe  obtuse.  Ailleurs 
la  pointe  est  aiguë  et  formée  par  des  branches  qui  se  croisent, 
comme  dans  les  arbres  généalogiques;  ailleurs  c'est  un  nuage 
qui  encadre  Marie  dans  un  ovale  qui  prend  la  forme  de  son 
corps  et  l'enlève  au  ciel,  à  l'Assomption  \  Dans  le  jugement 

'  Voyez,  à  Notre-Dame  de  Paris,  un  bas-relief  encaslré  dans  le  mur  latéral  nord,  et 
qui  représente  la  Vierge  enlevée  au  ciel  par  les  anges;  la  Vierge  est  enchâssée  dans  un 
ovale  de  nuages.  Dans  le  Campo-Sanio  de  Pise,  au  jugement  dernier,  la  Vierge,  comme 
son  fils  Jésus-Christ,  est  assise  dans  une  auréole  et  sur  un  arc-en-ciel. 


126  INSTRUCTIONS. 

dernier,  ]Deint  au  Campo-Santo  de  Pise  par  André  et  Bernard 
Orcagna,  la  Vierge,  comme  Jésus-Christ,  est  assise  dans  une 
auréole  elliptique  et  sur  un  arc-en-ciel.  La  mère  est  honorée 
autant  que  son  fds  qui  est  à  ses  côtés.  Au  xvi''  siècle,  cette  au- 
réole se  débarrasse  ordinairement  de  son  rebord ,  de  ce  cadre 
de  nuages.  Alors  le  champ  reste  seul  et  se  compose  de  rayons 
flamboyants^  ou  alternativement  droits  et  flamboyants,  qui 
partent  du  corps  de  la  Vierge  sur  tous  les  points.  Ainsi  Tauréole 
environne  Marie  dans  quatre  circonstances  particulières.  Pre- 
mièrement, quand  elle  tient  son  enfant  divin;  secondement, 
à  l'Assomption,  quand  elle  est  enlevée  au  ciel  par  les  anges; 
troisièmement,  au  jugement  dernier,  quand  elle  implore  la  clé- 
mence de  Jésus;  quatrièmement,  quand  on  la  figure  avec  les 
attributs  de  la  femme  apocalyptique,  symbole  dont  elle  est  la 
réalité.  Dans  le  premier  cas,  et  la  planche  43,  page  i3i,  nous 
en  fournit  un  exemple ,  on  peut  croire  que  l'auréole  est  plutôt 
pour  son  fils  que  pour  elle-même.  Dans  le  second  cas,  c'est 
bien  à  elle  que  l'auréole  appartient.  Au  jugement  dernier,  on 
la  voit  quelquefois  sans  auréole;  mais  cet  attribut  est  cons- 
tant et  des  plus  complets  quand  on  lui  applique  le  passage  de 
l'AjDOcalypse  :  «  La  femme ,  habillée  du  soleil ,  avait  la  lune 
sous  ses  pieds  et  une  couronne  de  douze  étoiles  à  la  tête'.  » 
Quelquefois  aux  xiif  et  xiv'^  siècles,  surtout  aux  xv*"  et  xvi% 
époque  où  se  dégradent  et  se  perdent  les  traditions,  on  hu- 


\  oyez  le  bas-relief  qui  décore  le  tympan  du  pignon  méridional  de  la  cathédrale  de 
Reims.  Deux  planches  plus  bas,  p.  i3i,  les  rayons  droits  et  flamboyants  alternent. 

"  Apocalyp.  cap.  xii,  v.  i.  — On  lit  cette  inscription  sur  un  vitrail  du  x\f  siècle  qui 
orne  l'église  de  ^^olrc-Dame  de  Moulins  :  «  Haec  est  illa  de  qua  sacra  canunt  eulogia  ; 
«  sole  amicla  ,  lunam  habens  sub  pedibus  ,  slellis  meruit  coronari  duodenis.  »  Le  vitrail 
où  est  peinte  cette  inscription  représente  Marie  tenant  l'enfant  Jésus;  ce  qui  montre  bien 
que  la  femme  de  l'Apocalypse  est  la  figure  de  la  sainte  Vierge,  comme  1  agneau  égorgé 
est  celle  du  Christ. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  127 

mille  l'auréole  jusqu'à  la  faire  servir  à  l'apothéose  d'un  saint 
ou  d'une  sainte.  Ainsi  un  vitrail  de  la  fin  du  xiii"^  siècle,  à 
Chartres,  nous  montre  saint  Martin,  archevêque  de  Tours, 
enlevé  au  ciel  par  deux  anges,  dans  une  auréole  de  feu.  Sur 
des  manuscrits  voisins  de  la  renaissance  est  peinte,  envelo]> 
pée  de  cette  divine  auréole,  Marie  Madeleine  ravie  en  extase 
par  des  anges  au-dessus  de  la  Sainte-Baume.  Il  faut  prendre 
garde  alors  de  ne  pas  confondre  Marie  Madeleine  avec  la  mère 
de  Dieu,  l'exaltation  de  Madeleine  avec  l'assomption  de  Marie. 
La  grotte,  l'âge  de  la  sainte  et  d'autres  caractères  peuvent 
servir  à  distinguer  l'une  de  l'autre. —  Il  semble  que  fhonneur 
de  l'auréole  ait  été  décerné  à  un  saint  ordinaire  bien  avant  le 
xiii*'  siècle.  On  lit,  en  effet,  dans  la  vie  de  saint  Benoît,  qui 
mourut  en  ôgo,  qu'il  aperçut  un  jour  l'âme  de  Germain, 
évêque  de  Capoue,  enlevée  au  ciel  par  des  anges  et  dans  une 
sphère  de  feu  ^  Ce  globe  de  feu  est  bien  une  auréole;  il  est 
vrai  qu'il  enveloppait,  non  plus  le  corps,  mais  l'âme  d'un  saint, 
et  qu'une  âme  pareille  semble  se  rapprocher  de  la  divinité.  C'est 
de  même  dans  une  auréole  ovale,  rouge  ou  de  flamme,  qu'est 
enlevée,  à  Chartres,  cette  âme  de  saint  Martin"^. 

'  «  Vidit  Germani,  Capuani  episcopi,  animam  in  sphera  ignea  ab  angelis  in  cœlum  de- 
'<  ferri.  »  [Act.  SS.  ord.  S.  Bened.  i"  vol.  Vie  de  saint  Benoît.)  Voici  comment  saint 
Ouen  (Vie  de  saint  Eloi,  dans  d'Achery,  Spicilegiumj  tom.  II,  p.  ii3)  raconte  la  mort 
de  saint  Eloi,  son  ami,  et  comment  il  décrit  l'auréole  resplendissante,  la  lumière  sphé- 
rique ,  le  phare  qui  environna  l'âme  du  saint  montant  au  ciel  :  «  Inter  verba  orationis  fla- 
1  gitalum  à  superis  emisit  (Eligius)  spiritum.  Statim  vero  cum  esset  hora  prima  noclis, 
«  visus  est  subito  veiut  pJiarus  magnus  ingenti  claritate  resplendens  ex  eadem  domo  corus- 
«  cando  conscendere,  atque  inter  miranlium  obtutus  sphœra  ignea  crucis  in  se  similitu- 
«  dinem  prœferens,  velocique  cursu  densitatem  nubium  praeteriens,  cœli  altitudinem 
'  penetrare.  » 

"  Vitrail  d'une  des  chapelles  de  l'abside ,  côté  du  sud. 


128 


/J2. 


INSTRUCTIONS. 

AME  DE    SAINT   MARTIN   DANS  UNE   AUÎ\ÉOI,E  ELLIPTlOUr. 

Vitrail  du  xin'  siècle,  cathédrale  de  Chartres  '. 


L  auréole  est  si  bien  l'attribut  de  la  puissances  uprême,  de 
la  toute -puissance  divine,  que  les  anges  eux-mêmes,  ces  créa- 
tures si  voisines  du  Créateur,  ne  jouissent  pas  de  cet  insigne. 
Quelquefois,  et  les  manuscrits  à  miniatures  en  fournssent 
de  nombreux  exemples,  les  anges  sont  compris  dans  l'au- 
réole de  Dieu,  qu'ils  accompagnent,  soit  à  la  création,  soit  sur 
le  mont  Sinaï,  soit  au  jugement  dernier;  mais  cette  auréole  ne 
leur  est  pas  propre,  elle  appartient  à  Dieu,  qui  rayonne  et  qui 
ies  absorbe  dans  sa  lumineuse  atmosphère.  Cependant  un  vi- 
trail de  la  cathédrale  de  Chartres,  dans  le  croisillon  méri- 

Ici  saint  Marlin  est  nu,  selon  la  manière  accoutumée  de  figurer  les  âmes;  mais 
ailleurs,  à  Chartres  même,  dans  le  vilrail  représentant  l'histoire  de  saint  Rémi,  l'âme 
de  l'évéque  de  Reims  est  totalement  vêtue.  On  lit  dans  la  Vie  de  sainte  Françoise  ro- 
maine {Acta  SS.  des  Bollandistes ,  2'  vol  de  mars)  que  l'âme  de  saint  Ambroise  de  Sienne 
monta  au  ciel  en  habits  pontificaux. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  129 

dîonal,  offre  une  curieuse  particularité.  Sur  cette  verrière, 
qui  est  du  xiii^  siècle,  est  peinte  la  hiérarchie  céleste,  ou  la 
distribution  des  anges  en  neuf  chœurs.  Les  anges  sont  carac- 
térisés chacun  par  un  attribut  spécial;  dans  le  premier  et  le 
plus  élevé  des  trois  groupes ,  on  voit  les  Trônes  représentés  par 
deux  grands  anges  à  ailes  vertes,  ayant  le  sceptre  en  main  ,  et 
qui  sont  enfermés  dans  une  auréole  rouge  et  de  forme  ellip- 
tique. Les  Trônes  seuls  sont  décorés  de  cet  insigne;  or  ces 
anges,  comme  l'indique  leur  nom,  sont  les  dépositaires  de  la 
toute-puissance  divine.  Ce  fait  confirme  encore  que  l'auréole 
est  bien  l'attribut  spécial  de  Dieu,  car  la  divinité,  en  déléguant 
sa  puissance  aux  Trônes ,  leur  délègue  en  même  temps  une 
portion  de  sa  majesté  ^ 


HISTOIRE    DE    L'AUREOLE. 


Le  nimbe,  comme  on  l'a  dit  plus  haut,  est  souvent  absent. 
Il  existe  à  peine,  il  ne  se  voit  pas  encore  dans  les  sarcophages 
et  les  fresques  des  catacombes;  il  disparaît  à  la  fm  du  moyen 
âge.  L'auréole,  et  cela  devait  être,  puisqu'elle  n'est  qu'un 
nimbe  agrandi,  est  soumise  aux  mêmes  phases  historiques; 
on  ne  la  voit  pas  dans  les  plus  anciens  monuments  chrétiens. 

'  Saint  Denys  l'Aréopagite  {de  cœlesti  Hierarckia,  cap.xv,  p- 1 98)  dit  que  les  anges  sont 
quelquefois  revêtus  d'un  nuage;  cette  auréole  qui  environne  les  Trônes  de  Chartres  pourrait 
figurer  ce  nuage.  L'auréole ,  eu  effet,  qui  entoure  Dieu  ,  la  Vierge  et  les  âmes  des  saints , 
n'est  autre  chose  que  la  nue  sur  laquelle  montent  ou  descendent  ces  personnages  divins 
ou  sacrés.  A  Aix-la-Chapelle,  au  centre  de  la  couronne  donnée  par  Barberousse  et  qui 
pend  sur  le  tombeau  de  Charlemagne,  on  voit  l'archange  saint  Michel  enfermé  dans 
une  auréole  en  quafre-feuilles  comme  le  Chrisl  d'Auxerre  donné  plus  haut,  pi.  36,  p.  1 1 1 . 
L'archange  descend  du  ciel  pour  combattre  les  ennemis  de  la  paix,  car,  par  un  singulier 
contraste  avec  l'esprit  belliqueux  de  Charlemagne  et  de  Barberousse,  la  couronne  pro- 
clame la  béatitude  des  pacifiques  :  «  Beali  pacifici,  quoniam  filii  Dei  vocabuntur,  «dit  une 
inscription  prise  du  sermon  sur  la  montagne  (  saint  Matthieu,  chap.  v,  verset  9). 

INSTRUCTIONS.  II.  *7 


130  INSTRUCTIONS. 

Qu'on  se  rappelle  le  dessin  de  la  page  i  oo  qui  est  tiré  des  sarco- 
phages chrétiens  trouvés  dans  les  catacombes.  Cette  gravure 
représente  Dieu  imberbe,  qui  condamne  Adam  à  labourer  la 
terre  et  Eve  à  travailler  la  laine  :  à  l'une,  il  olï're  un  agneau, 
dont  elle  fdera  la  toison;  à  l'autre  des  épis  de  blé,  image  de  ceux 
que  l'homme  fera  croître  à  la  sueur  de  son  front.  Dieu  n'est  en- 
touré ni  de  nimbe  à  la  tête,  ni  d'auréole  au  corps.  Le  dessin  18, 
page  5A,  se  distingue  également  par  l'absence  du  môme  ca- 
ractère. L'auréole  apparaît  même  plus  tard  que  le  nimbe ,  et 
celui-ci  est  déjà  pratiqué  dans  la  plupart  de  ses  variétés,  que 
l'auréole  ne  montre  pas  encore;  elle  disparaît  aussi  avant  la 
disparition  du  nimbe,  en  sorte  que  son  existence  est  assez 
restreinte.  En  outre,  au  plus  fort  du  moyen  âge,  alors  que  le 
nimbe,  sauf  oubli,  est  constamment  usité,  l'auréole  n'est  pas 
toujours  figurée.  C'est  donc  une  forme  plus  rare  et  de  plus 
courte  durée  que  celle  qui  environne  la  tête.  Voyez,  à  l'His- 
toire de  la  Trinité,  un  dessin  tiré  du  manuscrit  du  duc  d'Anjou , 
Bibliothèque  royale,  xiii*'  siècle;  la  Trinité  y  est  nimbée  du 
nimbe  croisé,  mais  elle  n'a  déjà  plus  d'auréole. 

Vers  le  xv*"  et  le  xvi^  siècle,  le  nimbe  perd  son  rebord  exté- 
rieur, et  il  est  assez  souvent  dépourvu  de  la  circonférence  qui 
en  rattache  les  rayons  ;  il  en  est  de  même  de  l'auréole.  La  pé- 
riphérie disparaît  et  le  champ  seul  reste.  Ce  champ  est  strié  de 
rayons  ou  droits  ou  flamboyants,  et  quelquefois  droits  et  flam- 
boyants alternativement.  Un  dessin  qu'on  trouvera  dans  l'His- 
toire de  la  Trinité  et  qui  est  tiré  d'un  manuscrit  de  la  Biblio- 
thèque royale,  de  la  fin  du  xv^  siècle ^  représente  la  Trinité 
sous  trois  personnes  à  forme  humaine  :  le  Père ,  en  pape  et 
tenant  le  globe;  Jésus,  en  crucifié  et  tenant  sa  croix;  le  Saint- 
Esprit,  en  jeune  homme  et  sur  la  tête  duquel  est  posée  la 

*  L'Aiguillon  de  l'amour  divin,  in-/i°,  n"  bogà  et  7275. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  131 

divine  colombe,  qui  est  son  symbole.  Tous  trois  portent  le 
nimbe  croisé;  la  colombe  elle-même  est  éclairée  de  cet 
insigne.  Des  rayons  flamboyants,  c'est-à-dire  l'auréole,  sortent 
en  effluve  des  trois  personnes  divines.  Ces  rayons  ne  sont 
pas  rattacbés  entre  eux;  ils  s'échappent  libres  et  sans  être 
reliés  par  une  circonférence.  Il  en  est  de  même  du  dessin 
suivant, 

43.   ~  MAKIE  ET  JÉSUS  DANS  UNE  AUREOLE  À   RAYONS  DROITS  ET  FLAMEiOYANTS. 
Miniature  du  xvi°  siècle,  bibliothèque  Sainte-Geneviève. 


qui  représente  Marie  tenant  l'enfant  Jésus.  La  Vierge  et  son 
fds  sont  enveloppés  dans  une  auréole  blanche  ovoïdale ,  et  dont 
la  circonférence  est  frangée  de  rayons  droits  et  flamboyants. 
Jésus  et  sa  mère  sortent  du  lys  mystique  de  la  tribu  de  Juda^ 

'  Ce  dessin  reproduit  une  miniature  du  xvi'  siècle,  manuscrit  n"  46o,  de  la  biblio- 
thèque Sainte-Geneviève.  On  voit  que  la  mère  et  l'enfant  divin  portent  tous  deux  le 
nimbe  circulaire  ;  mais  on  n'a  pas  croisé  celui  de  Jésus  Au  xvi°  siècle  on  commet  sou- 
vent des  erreurs  de  ce  genre. 

17- 


132  INSTRUCTIONS. 

GLOIRE. 

Par  gloire,  avons-nous  dit,  nous  entendons  la  réunion 
du  nimbe  et  de  l'auréole,  comme  la  main  est  la  réunion  des 
doigts  qui  la  composent.  Il  fallait  un  mot  générique  pour 
comprendre  à  la  fois  les  deux  espèces,  et  ce  mot  nous  l'em- 
pruntons, mais  en  le  précisant  toutefois,  au  vocabulaire  ico- 
nographique. 

Le  mot  de  gloire  (gloria)  est,  suivant  nous,  formé  d'une 
onomatopée,  ou  de  deux  cris  exprimés  par  les  deux  voyelles 
principales  que  trois  consonnes  relient  entre  elles  pour  faire 
le  mot.  Ce  mot,  dans  le  langage  usuel ,  est  l'expression  d'un  éclat 
extraordinaire  environnant  tout  individu  qui  s'illustre  par  de 
grandes  actions,  par  de  hautes  pensées,  par  des  œuvres  subli- 
mes. Alexandre,  qui  conquiert  l'Asie;  César,  qui  domine  l'Eu- 
rope; Aristote  et  Pj^ton,  qui  gouvernent  les  intelligences; 
Homère  et  Virgile,  qui  allument  toutes  les  imaginations;  saint 
Vincent  de  Paule,  qui  enflamme  tous  les  cœurs  et  fait  des  pro- 
diges de  charité;  Phidias  et  Raphaël,  qui  produisent  des  chefs- 
d'œuvre  de  sculpture  et  de  peinture ,  et  bien  d'autres  et  dans 
tous  les  ordres  de  l'activité  humaine  ,  sont  des  hommes  éclatants 
et  couverts  de  gloire.  A  l'aspect  de  génies  analogues,  dans  l'en- 
fance du  monde,  alors  que  les  langues  étaient  naissantes  et 
que  les  idées  s'exprimaient  surtout  par  gestes  et  par  exclama- 
tions, le  peuple  enthousiaste  traduisit  son  admiration  par  ces 
cris  que  la  grammaire  appelle  des  voyelles,  et  par  ceux-là  sur- 
tout qui  étaient  les  plus  sonores,  les  plus  bruyants,  les  plus 
conformes  à  l'état  des  âmes  qui  les  poussaient.  Or,  parmi  les 
voyelles,  les  deux  plus  éclatantes  sont  l'o  et  l'a.  Poussées  suc- 
cessivement et  répétées  plusieurs  fois  de  suite  et  sans  inter- 
ruption, ces  voyelles  s'unissent  et  se  modifient.  Le  lien  et  la 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  133 

modification  se  sont  obtenus  par  les  consonnes  ^,  /,  qui  pré- 
cèdent Vo;  dans  le  même  but  l'r  est  venue  se  placer  devant  l'a 
avec  la  voyelle  i,  voyelle  sourde  et  servant  à  rendre  plus  facile 
rémission  de  Va,  qui  est  si  retentissant.  Il  est  possible  que  le 
mot  gloria,  comme  celui  de  bravo,  où  Yo  vient  après  Va,  ne 
soit  qu'une  acclamation  bruyante,  et  que  f  expression  de  f  hom- 
mage rendu  à  un  homme  de  génie. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  la  génération  du  mot,  ce  mot  lui-même 
n'en  exprime  pas  moins  l'éclat  ou  la  lumière  morale  qui  envi- 
ronne tout  homme  illustre.  Lorsqu'on  a  voulu  formuler  maté- 
riellement cet  éclat,  le  peindre  ou  le  sculpter,  le  rendre  visible 
à  fœil  et  sensible  au  toucher,  on  fa  représenté  par  une  ligne 
arrondie  qui  enveloppait  tout  le  corps,  et  par  une  autre  ligne 
circulaire ,  le  nimbe,  qui  environnait  ia  tête. 

Nous  donnons  le  nom  de  gloire  à  cette  réunion  du  nimbe 
et  de  fauréole,  parce  que  c'est  un  nom  qui  emporte  avec  lui 
une  signification  complète,  et  parce  qu'il  est  à  peu  près  con- 
sacré dans  le  langage  usuel. 

En  effet,  ce  nom  appliqué  à  cette  forme  est  encore  popu- 
laire aujourd'hui  :  il  sert  à  désigner  ces  grands  soleils  qu'on 
étale  à  forient  des  églises,  c'est-à-dire  ces  rayonnements  en 
bois  doré  dont  on  décore  quelquefois  le  fond  du  sanctuaire  '. 
D'ailleurs ,  les  livres  saints  prononcent  souvent  le  mot  de 
gloire  et  rappliquent  à  des  rayonnements  qui  s'échappent  du 
corps  de  Dieu,  ou  à  des  nuages  qui  f  environnent  lorsqu'il  des- 
cend sur  la  terre.  Ainsi  Ezéchiel  dit  :  «  Je  vis  comme  une  ligure 
de  feu;  depuis  les  reins  jusqu'en  bas  c'était  du  feu,  depuis  les 
reins  jusqu'en  haut  c'était  comme  de  la  flamme  et  de  fairain 
mêlé  d'or.  Là  était  la  gloire  du  Dieu  d'Israël'^.  La  gloire  du 

'   Voyez  le  soncluaire  de  la  calhcdrale  d'Amiens,  el  celui  de  Sainl-Roch,  à  Paris. 
*  Ezéchiel ,  cap.  viii,  v.  2  et  3. 


j3/,  INSTRUCTIONS. 

Dieu  d'Israël  s'éleva  de  dessus  le  Chérubin  où  elle  était  \  La 
GLOIRE  du  Seigneur  s'éleva  de  dessus  les  Chérubins  jusqu'à 
l'entrée  de  la  maison;  et  la  nuée  couvrit  la  maison ,  et  le  parvis 
fut  rempli  par  l'éclat  de  la  gloire  de  Dieu  l  » 

Ainsi  David,  dans  ses  psaumes ,  dit  que  Dieu  se  montre  dans 
sa  gloire,  et  l'Exode  même  déclare  que  la  gloire  de  Dieu  res- 
semble à  la  flamme^. 

Ainsi  dans  une  foule  de   textes  sacrés   il  est  question  de 
Jésus  qui,  à  la  fin  du  monde,  descendra  dans  sa  gloire  et  sa 
majesté  pour  juger  les  vivants  et  les  morts.  Or,  toutes  les  fois 
que  sur  des  sculptures ,  sur  des  vitraux,  sur  les  miniatures 
des  manuscrits,  les  scènes  signalées  dans  ces  textes  sont  ex- 
primées par  des  personnages;  toutes  les  fois  qu'on  représente 
Dieu  ainsi  rayonnant  ^^  placé  dans  les  nuages,  ces  rayonne- 
ments et  ces  nuages  prennent  précisément  la  forme  circulaire 
à  laquelle  nous  donnons  le  nom  de  gloire.  C'est  en  l'envelop- 
pant des  lignes  onduleuses  ou  géométriques,  auxquelles  nous 
imposons  ce  nom,  que  les  artistes  chrétiens  ont  représenté  Dieu 
qui  se  montre  à  ses  prophètes  ^  et  le  Christ  qui  juge  le  monde. 
Le  dessin  3  7 ,  page  ii  3 ,  nous  a  montré  ainsi  Jésus  descendant  du 
ciel  en  terre;  il  est  entouré  de  nuages  et  environné  de  la  gloire. 
Une  inscription  :  «  Dominus  in  nubibus,  et  vident  eum  inimici 
«  ej  us  et  qui  eum  pupugerunt,  »  ne  laisse  aucun  doute  à  cet  égard  \ 

'    Ezechiel,  cap.  ix,  v.  3. 

'  Ibid.  cap.  X,  V.  A  :  «  Et  elevata  est  gloria  Domini  desuper  Cherub  ad  limen  domus  ; 
«  et  replela  est  domus  nube ,  et  atrium  repletum  est  splendore  globijE  Domini.  » 

^  Cap.  XXIV,  V.  17  :  «  Erat  autem  species  gloria  Domini  quasi  ignis  ardens.  » 

'  Ezéchiel  est  des  plus  positifs  dans  sa  vision  prophétique.  Lisez  et  comparez  les  difTé- 
renls  versets  du  chapitre  premier.  Ces  textes  extraordinaires  qui  exphquent  si  bien  la 
GLOIRE  de  Dieu,  la  nature  flamboyante  et  la  forme  circulaire  de  cette  gloire,  les  roues 
mystérieuses  et  les  animaux  symboliques  qui  l'accompagnent ,  ont  été  figurés  par  la 
sculpture  et  la  peinture,  à  toutes  les  époques  de  Tari  chrétien. 

**  Apocalyp.  cap.  1,  v.  7.  «  Ecce  venit  (Christus)  eum  nubibus,  et  videbit  eum  omnis 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  135 

Cette  miniature  pourrait  être  du  ix''  ou  du  x''  siècle.  Le  ma  mis- 
ent d'où  elle  est  tirée  vient  de  l'abbaye  de  Saint-Sever,  en 
Gascogne;  il  est  à  la  Bibliothèque  royale. 


NATURE    DE    LA    GLOIRE. 


Que  la  nature  du  nimbe  et  de  l'auréole,  que  l'élément  qui 
les  constitue  l'un  et  l'autre  soit  le  feu,  ou  la  flamme  qui  est 
comme  l'efflorescence  du  feu ,  il  ne  peut  y  avoir  aucun  doute 
sur  cette  proposition.  Le  dernier  dessin,  page  i3i,  le  montre 
positivement  pour  l'auréole;  deux  gravures  prises  au  Campo- 
Santo,  et  qu'on  donnera  plus  bas,  le  démontrent  aussi  posi- 
tivement pour  le  nimbe.  C'est  sous  la  forme  de  rayons  lumineux 
et  d'aigrettes  flamboyantes  que  l'auréole  de  la  tête  et  l'auréole 
du  corps  environnent  les  divinités  hindoues.  Le  corps  de  Zo- 
roastre,  cette  pure  émanation  de  la  divinité  des  anciens  Perses, 
jetait  une  telle  clarté,  lorsqu'il  vint  au  monde,  que  toute  la 
chambre  où  il  vit  le  jour  en  fut  illuminée  ^  Crichna,  allaité 
par  Dévaki,  sa  mère,  éclaire  aussi  l'appartement  où  il  passe 
son  enfance  avec  les  rayons  que  verse  sa  tête,  et  que  vivifient 
encore  ceux  que  projette  la  tête  de  sa  mère^.  Des  feux  pétillent 
et  sortent  du  corps  et  surtout  de  la  tête  de  Maya,  au  moment 
où  la  mer  de  lait  s'écoule  de  son  sein  en  deux  ruisseaux^.  Dans 
les  livres  bouddhiques  qui  sont  à  la  Bibliothèque  royale,  on 
voit  les  saints  dévots  à  Bouddha  enveloppés  très-souvent  dans 

»  oculus ,  et  qui  eiim  pupugerunl »  Le  texte  du  manuscril  est  peu  diflcrent  du  texte 

apocalyptique.  David  ,  psaume  xvii ,  v.  12  ,  dit  aussi:  «  Dieu  a  sa  tente  tout  autour  de  lui  ; 
l'eau  ténébreuse  dans  les  nuées  de  l'air.  »  [In  circuilu  ejus  tahernaciilum  suam;  tenebrosa 
aqaa  in  nuhibus  aeris.)  C'est  l'explication  littérale  de  la  gloire  du  manuscnl  de  Sainl-Sever. 

'   Religions  de  ï antiquité;  par  M.  J.  D.  Guigniaut,  1"  vol.,  p.  017. 

"  Ibidem,  pi.  cali.  1,  n"  Gi. 

'  Ibidem,  pi.  cali.  1,  n^io.^.  —  Le  dessin  de  cetle  déesse  est  donné  plus  haut,  pi.  12, 
page  [\[\. 


136  INSTRUCTIONS. 

une  auréole  ovale  ou  circulaire,  de  la  périphérie  de  laquelle 
s'échappent  des  rayons  droits  ou  flamboyants ^  Chez  les  Grecs, 
les  Romains  et  les  Etrusques,  toutes  les  constellations,  le  soleil, 
la  lune,  les  planètes,  représentées  sous  la  forme  humaine,  sont 
environnées  ou  de  rayons,  ou  de  cercles  lumineux  entièrement 
semblables  à  nos  nimbes  et  à  nos  auréoles^.  Nous  avons  déjà 
vu  le  Soleil  et  la  Lune,  voici  maintenant  Mercure,  recon- 
naissable  à  ses  petites  ailes  et  à  son  caducée;  il  est  nimbé ^ 
comme  un  saint  du  christianisme. 

UU.  MERCURE   À  NIMBE  CIRCULAIRE. 

Sculpture  romaine. 


Ces  rayons  et  ces  cercles  sont  l'emblème,  ou  même  mieux, 
sont  l'image  de  la  lumière  ;  car,  lorsque  ces  constellations  ne 
sont  pas  personnifiées,  mais  représentées  sous  leur  forme  na- 
turelle, elles  en  sont  également  entourées.  Dans  l'Egypte,  on 
vient  de  trouver  des  peintures  où  le  soleil  est  figuré  lançant  des 
rayons  à  l'extrémité  desquels  est  attachée  une  main'';  c'est 
ainsi,  à  part  les  mains,  que  le  Saint-Esprit  est  représenté  sur 
nos  monuments,  à  la  Pentecôte,  lorsqu'il  s'arrête  sur  la  tête  de 
chaque  apôtre,  en  forme  d'une  langue  de  feu^. 

'  J'ai  dû  à  l'obligeance  de  M.  Stanislas  Julien  communication  de  ces  divers  ouvrages. 
Voyez  le  Planisphère  de  Bianchini,  qui  est  au  musée  du  Louvre;  l'Antiquité  expli- 
quf'e,  de  Montfaucon,  pa55îm,  etc. 

ArUiq.  expliquée,  lom.  II,  pi.  ccxxiv,  p.  4i^- 

Journal  des  Savants,  numéro  d'octobre  18A0,  article  de  M.  Letroi>ne. 

Cloître  de  Sain t-Trophime,  à  Arles;  chapiteaux  de  Sainle-Madelaine  de  Vezelay;  plu- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  J37 

Chez  les  Perses  modernes,  chez  les  Arabes,  chez  les  Turcs, 
la  tête  des  personnages  sacrés,  bons  ou  mauvais,  de  Mahomet 
et  d'Eblis,  est  surmontée  d'une  gerbe  de  flamme  qui  s'élève, 
suivant  sa  nature,  comme  une  pyramide  et  la  pointe  en  l'air, 
ainsi  qu'on  le  remarquera  ici.  Ce  roi,  couronné  d'une  flamme, 
est  tiré  d'un  beau  manuscrit  persan  que  possède  la  Biblio- 
thèque royale  \ 

45.  ROI   PERSAN  ORNÉ  D'UN  NIMBE  En' PYRAMIDE   FLAMBOYANTE. 

Manuscrit  persan.  Bibliothèque  royale 


C'est  bien  une  flamme  qui  entoure  la  tête  de  ce  roi ,  car  un 
autre  manuscrit  hindou ,  possédé  par  la  Bibliothèque  royale. 


sieurs  manuscrits  à  miniatures  de  la  Bibliothèque  royale.  Un  des  plus  remarquables 
exemples  de  ces  langues  de  flamme  attachées  au  bout  d'un  rayon  lumineux  et  se  reposant 
sur  le  front  des  apôtres,  est  fourni  par  la  grande  coupole  de  Saint-Marc  de  Venise.  La 
magnifique  mosaïque  qui  tapisse  cette  coupole  représente  la.  descente  du  Saint-Esprit  sur 
les  apôtres.  —  Aux  Actes  des  Apôtres,  chap.  i ,  v.  3  ,  on  lit  :  «  Apparuerunt  illis  dispertitai 
«linguae  tanquam  ignis.  » 

*  Voyez  un  manuscrit  persan  delà  bibliothèque  Sainte-Geneviève,  intitulé:  Medyialls. 
Voyez  en  outre  le  Livre  des  Augures,  manuscrit  turc  de  la  Bibliothèque  royale,  et  qui  a 

INSTRUCTIONS.  —  11.  l8 


138  INSTRUCTIONS. 

et  où  est  représentée  une  veuve  qui  se  brûle  sur  le  bûcher  de 
son  mari ,  montre  les  llammes  de  ce  bûcher  peintes  absolu- 
ment comme  celles  qui  sortent  de  la  tête  de  ce  roi  persan. 
Puis  vient  le  lambere  Jlamma  comas  de  Virgile,  pour  fortifier 
notre  proposition;  puis  la  sphère  de  feu,  qui  enveloppe  l'âme 
de  Germain,  évêque  de  Capoue,  et  l'âme  de  saint  Éloi;  puis 
ce  visage  et  ces  cornes  lumineuses  qui  éclairaient  Moïse  lors- 
qu'il descendait  du  Sinaï,  après  son  entretien  avec  Dieu;  puis 
ce  Dieu  lui-même  qui  est  comme  une  fournaise  et  qui  fait 
fumer  le  Sinaï  à  son  approche  ^  ;  puis  une  foule  de  textes  dont 
j'extrais  ceux-ci  :  «  Tout  à  coup  le  bienheureux  ^gidius  est 
ravi  en  esprit,  et  il  voit  l'âme  de  Consalvus,  débarrassée  de  sa 
masse  corporelle,  reluire  d'une  lumière  éclatante;  elle  était 
emportée  par  les  mains  des  anges  à  travers  l'immensité  de  l'es- 
pace^. »  C'est  ainsi  que  sur  la  châsse  de  Mauzac,  en  Auvergne, 
est  enlevée  par  deux  anges  l'âme  de  Saint-Calminius  sous  la 
forme  d'un  enfant  nu  et  sans  sexe.  L'âme  est  inscrite  dans  un 
cercle  parfait,  découpé  en  quatre  lobes,  dont  deux  s'adaptent 
aux  épaules  et  deux  aux  hanches.  Une  main,  la  main  de  Dieu, 

été  écrit  et  peint  pour  une  princesse  ottomane.  Le  Medgialis  offre  un  saint  homme  nimbé 
d'une  flamme  d'or  à  filets  verts  et  rouges,  donnant  audience  à  deux  démons;  le  Livre  des 
Augures,  riche  en  figures  de  démons,  nous  en  présente  une  qui  sera  donnée  plus  bas,  et 
qui  est  nimbée  d'une  flamme  comme  le  roi  persan  et  comme  le  saint  homme  du  Med- 
gialis. Ces  nimbes  en  flammes  rappellent  parfaitement  la  configuration  si  particulière  des 
chapiteaux  turcs  ;  c'est  le  même  principe  d'ornementation.  Seulement ,  dans  les  chapiteaux , 
la  base  de  la  pyramide  ou  du  cône  est  tronquée  et  renversée,  parce  que  les  lois  de  la 
construction  le  voulaient  ainsi.  Une  colonne  turque  serait-elle  donc  comme  un  immense 
flambeau  allumé  de  son  chapiteau  ? 

«Totus  autem  mons  Sinaï  fumabat,  eo  quod  descendisse!  Dominus  super  cum  in 
«igné,  et  ascenderet  fumns  ex  eo  quasi  de  fornace.  Eratque  omnis  mons  lerribilis.  » 
[Liber  Exodi,  cap.  xix,  v.  i8.) 

«  Vidit  Consalvi  animam,  terrena  mole  jam  deposita,  fulgentissima  luce  radiantem, 
«  per  immensi  aeris  hujus  spatia  angelorum  manibus  sursum  ferri.  »  (Bollandistes,  Act. 
SS.  3"  vol,  de  mai,  p.  4i2  ,  Vie  du  B.  /Egidius,  prêcheur,  né  en  Portugal  en  1 190.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  139 

appliquée  contre  un  nimbe  crucifère,  sort  des  nuages  pour 
recevoir  cette  âme  qu'on  lui  apporte. 

«  Sur  la  paroi  du  mur  où  reposent  les  restes  sacrés  de 
saint  Antoine,  un  peintre  avait  tracé  l'image  du  saint.  Il  se 
préparait  à  placer  autour  de  la  tête  de  cette  figure  une  cou- 
ronne d'or,  et  creusait  la  muraille,  comme  il  était  nécessaire'. 
Mais  voilà  que  par  les  fentes  qu'il  avait  pratiquées  éclate  tout 
à  coup  une  lumière  ineffable  et  d'un  prix  infini.  Elle  vient 
frapper  la  figure  du  peintre  qui  travaillait  et  qui,  ne  pouvant 
soutenir  ces  rayons  intolérables  qui  se  réfléchissaient  dans  ses 
yeux,  était  sur  le  point  de  tomber  à  terre.  Cependant,  soutenu 
par  la  dévotion ,  il  put  achever  promptement  son  oeuvre^.  »  Voilà 
le  rayonnement  du  nimbe  accusé  positivement.  Dans  Flo- 
doard  ^,  il  est  dit  :  «  Un  rayon  de  lumière  partit  du  ciel  et  vint 
couronner  la  tête  de  Rémi;  une  liqueur  divine  se  répandit  sur 
sa  chevelure  et  fembauma  tout  entière  de  son  parfum  céleste. 
A  cette  vue,  l'assemblée  des  évoques  de  la  province  le  proclama 
sans  hésiter  et  le  consacra  évêque  de  Reims.  »  On  dirait  que 
l'historien  chrétien  s'est  approprié  le  texte  où  Virgile  raconte 
que  la  chevelure  du  jeune  Ascagne  fut  caressée  par  une 
flamme.  Des  deux  côtés  cette  lumière  présage  de  grandes  des- 

'  Cette  pratique  de  modeler  le  nimbe  avant  que  de  le  peindre,  qui  est  constante  en 
Grèce  et  en  Italie,  qu'on  retrouve  à  la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  sur  le  retable  de  Saint- 
Germer  et  dans  l'église  de  Saint-Julien  de  Brioude,  est  très-ancienne  et  très-bien  cons- 
tatée, comme  on  voit. 

'  «  In  latere mûri  ubi  sanctse  ejus  (S.  Antonini ,  abbatis  Surrentini)  reliquiae  continentur, 
«  in  imagine  ipsius  designata,  cum  pictor  coronam  inauratam  capiti  circumponere  pararet, 
«  parietem*  prout  necesse  fuit ,  cavabat.  Et  ecce  per  rimas  factas  lux  inaestimabilis  et  inenar- 
«  rabilis  subito  emicans  vultum  dolantis  faciebat.  Quam  per  intolerabiles  radios  oculorum 
«  acie  reverberata  non  sustinens,  ruinam  dare  in  terra  minabalur;  sed  tamen  pro  devo- 
0  tionis  intentione  confirmatus,  opus  festinanter  consummavit.  »  [Acfa  SS.  Ord.  S  Benea. 
5*  vol.  vie  de  saint  Antonin,  abbé  de  Sorrento,  vers  820,  écrite  par  un  anonyme  de  Sor- 
rento.) 

^  Histoire  de  l'Eglise  de  Reims,  liv.  I. 

18. 


l^iO  INSTRUCTIONS. 

tinées,  la  royauté  à  liiles,  et  presque  l'empire  ecclésiastique  à 
saint  Rémi.  Sur  la  tête  de  saint  Léger,  le  célèbre  évêque 
martyrisé  par  les  ordres  d'Ebroïn ,  une  lumière  était  égale- 
ment descendue  du  ciel ,  comme  au  milieu  d'un  cercle  et 
était  venue  briller  sur  son  front  ^  Les  gloires  qui  sont  ré- 
servées surtout  à  Dieu  et  à  la  Vierge  prennent  leur  source 
dans  deux  textes  de  l'Apocalypse.  Le  premier  est  relatif  à  Jésus- 
Christ,  qui  descend  juger  le  monde.  «  Le  voilà  qui  vient  sur 
les  nuées,  s'écrie  saint  Jean.  Et  au  milieu  de  sept  chandeliers 
d'or,  je  vis  comme  la  ressemblance  du  fds  de  l'homme,  vêtu 
d'une  robe  qui  lui  tombait  aux  pieds,  et  ceint  d'une  ceinture 
d'or  sous  les  mamelles.  Sa  tête  et  ses  cheveux  étaient  blancs 
comme  de  la  laine  blanche  et  comme  de  la  neige;  ses  yeux 
étaient  comme  la  flamme  du  feu.  Ses  pieds  ressemblaient  à  l'or 
et  à  l'airain  lorsqu'ils  se  mélangent  dans  la  fournaise  ardente; 
sa  voix  était  comme  la  voix  des  grandes  eaux.  Il  avait  dans  sa 
main  sept  étoiles.  De  sa  bouche  sortait  un  glaive  à  deux  tran- 
chants. Sa  face  luisait  comme  le  soleil  dans  sa  force  ■^.  »  Quant 
à  la  vierge  Marie,  dont  la  femme  de  l'Apocalypse  persécutée 
par  le  dragon  est  le  symbole,  nous  avons  vu  qu'elle  avait  le 
soleil  pour  vêtement^,  la  lune  pour  escabeau  et  douze  étoiles 

'  Vie  de  S.  Léger,  évêque  cl'Autun,  par  un  moine  anonyme  contemporain,  traduite 
par  M.  Guizot,  Collection  des  Historiens  de  France. 

^  «  Ecce  venit  cum  nubibus ,  et  videbit  eum  omnis  oculus  et  qui  eum  pupugerunt .... 
«  Et  conversus  vidi  septem  candelabra  aurea ,  et  in  medio  candelabrorum  aureorum  si- 
«  milem  filio  hominis,  vestitum  podere,  et  prfecinctum  ad  mamillas  zona  aurea.  Caput 
Il  autem  ejus  et  capilli  erant  candidi  tanquam  lana  alba,  et  tanquam  nix,  et  oculi  ejus 
Il  tanquam  flamma  ignis.  Et  pedes  ejus  similes  aurichalco,  sicut  in  camino  ardenti;  et  vox 
<i  iliius  lanquam  vox  aquarum  multarum.  Et  habebat  in  dextera  sua  slellas  septem  ;  et  de 
Il  ore  ejus  gladius  utraque  parte  exibat  ;  et  faciès  ejus  sicut  sol  lucet  in  virlule  sua.  »  [Apocal. 
cap.  I,  vers.  7,  12,  i3,  ]4,  i5,  16.) 

Il  Amicta  sole,  et  luna  sub  pedibus,  et  in  capite  ejus  corona  stellarum  duodecim.  » 
[Apocalyp.  cap.  xii,  v.  1.)  Dans  l'église  de  Solesmes,  parmi  les  charmantes  figures  qui 
représentent  l'histoire  de  la  Vierge,  on  lit  un  éloge  de  Marie,  à  côté  de  la  bête  à  sept  têtes. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  Ui 

pour  couronne.  C'est  non-seulement  dans  l'Apocalypse  mais 
dans  les  livres  apocryphes  que  les  artistes  ont  puisé  le  nimbe, 
l'auréole,  la  gloire  de  clarté  dont  ils  rehaussent  la  figure  de 
Marie.  Ainsi  l'un  de  ces  principaux  ouvrages  raconte  l'agonie 
et  le  trépas  de  la  Vierge.  Les  anges  ayant  déposé  dans  un 
cercueil  la  mère  de  leur  Dieu,  les  apôtres  mirent  sur  leurs 
épaules  le  précieux  fardeau  ^  et  le  portèrent  au  tombeau  dans 
la  vallée  de  Gethsémani,  «  Devant  le  cercueil  de  la  vierge 
Marie  était  portée  la  palme  merveilleuse  qui  jetait  un  grand 
éclat.  La  nature  entière  fut  attentive  à  ce  spectacle.  Au  mo- 
ment où  le  corps  sortit  de  la  maison ,  un  nuage  brillant  ap- 
parut dans  l'air  et  vint  se  placer  au-devant  de  la  Vierge,  for- 
mant sur  son  front  une  couronne  transparente  comme  l'auréole 
qui  accompagne  la  lune  à  son  lever  ^.  » 

Il  n'y  a  rien  de  plus  resplendissant  que  tous  ces  textes,  rien 
de  plus  concluant  pour  montrer  que  la  gloire  n'est  que  de  la 
lumière  figurée  par  le  dessin.  Rien  n'est  plus  éclatant  que  le 
soleil,  la  lune,  les  étoiles,  la  laine  blanche,  la  neige,  for, 

La  fin  de  ce  panégyrique  se  termine  ainsi  :  «  0  tu  mystica  a  Johanne  visa  mulier  amicta 
«  sole,  habens  sub  peclibus  lunam,  id  est  aflectionibus  per  vanitatum  contemptum  domi- 
«  nari  ;  et  in  capite  tuo  coronam  stellarum  duodecim  moralium ,  seu  omnium  virtutum 
<i  perfectionem  :  habensque  in  utero  tum  mentis,  tum  corporis,  quasi  speculo  et  rorida 
«  nube,  sapientiam  Dei  se  in  eis  efformanlem.  »  La  femme  apocalyptique  est  donc  bien  la 
figure  de  la  vierge  Marie,  comme  nous  l'a  déjà  montré  le  vitrail  de  Moulins.  Le  manus- 
crit d'Herrade  [Hortiis  deliciarum)  donne  un  des  plus  beaux  exemples  de  cette  femme 
mystique  contre  laquelle  la  bête  vomit  un  fleuve.  La  femme  est  debout  sur  le  croissant 
de  la  lune,  et  elle  a  le  corps  appliqué  contre  le  disque  du  soleil;  un  disque  plus  petit, 
un  nimbe  ,  lui  cerne  la  tête,  que  couronne  un  diadème  byzantin.  Ce  diadème  est  orné  de 
douze  étoiles  en  guise  de  diamants.  (  Peintures  et  ornements  des  manuscrits.) 

^  Voir  les  bas-reliefs  encastrés  dans  le  mur  latéral  nord  de  Notre-Dame  de  Paris.  La 
mort,  le  convoi,  l'assomption  et  le  couronnement  de  Marie  y  sont  sculptés  en  détail.  C'est 
la  traduction  en  pierre  du  livre  des  apocryphes. 

^  u  De  Transilu  B.  Maria;  Virginis ,  ap.  Fabricium,  Codex  Apocryphorum  Novi  Testa- 
menti.  n  Voyez  aussi  les  apocryphes  recueillis  par  Thilo. 


142  INSTRUCTIONS. 

l'acier  poli ,  l'airain  et  l'or  fondus  dans  la  fournaise.  C'est  pour 
cela  que  les  monuments  eux-mêmes  montrent  ces  auréoles,  où 
Dieu  et  Marie  se  renferment,  sillonnées  par  des  traits  de  flammes. 
Quelquefois  la  gloire  entière  n'est  faite  que  de  flammes  et  que 
de  rayons  qui  s'échappent  de  tous  les  points  d'un  centre  \ 

Dans  nos  églises,  l'eucharistie  est  toute  lumineuse  au  sein 
de  ces  ostensoirs  en  or  qu'on  expose  aux  grands  jours  de  fêtes. 
De  la  circonférence  de  ces  auréoles  de  métal,  que  du  reste  on 
appelle  des  soleils,  s'échappent  des  rayons  sansnomhre,  comme 
il  en  sort  des  auréoles  qui  entourent  les  images  de  Dieu  et  de 
la  Vierge  que  nous  avons  déjà  données.  La  croix  elle-même, 
celle  qui  est  peinte  dans  les  mosaïques  à  fond  d'or  de  l'Italie 
et  de  la  Grèce,  répand  la  lumière  de  tous  côtés,  sous  la  forme 
de  rayonnements  en  pierreries  ou  en  étoiles,  d'où  lui  vient  son 
nom  :  cmx  gemmata,  crux  stellata.  Voici  comme  Dante ^  parle  de 
la  croix  vivante  et  du  Crucifié  qu'il  a  vu  en  paradis  :  «  De  même 
que  la  voie  lactée,  parsemée  de  petites  et  de  grandes  étoiles, 
forme  une  trace  blanche  de  l'un  à  l'autre  pôle,  grand  sujet  de 
doutes  pour  les  savants;  ainsi,  dans  la  profondeur  de  Mars,  ces 
rayons  constellés  formaient  le  signe  vénérable  que  produit 

dans  le  cercle  la  réunion  des  cadrans Le  Christ  flamboyait 

sur  cette  croix,  et  je  ne  saurais  trouver  de  comparaison  pour 
la  décrire.  Mais  celui  qui  prend  la  croix  et  qui  suit  le  Christ 
excusera  bien  mieux  encore  ce  que  je  laisse,  en  songeant  que 
Jésus  lui-même  brillait  dans  cette  splendeur.  D'un  bras  à 
l'autre  de  cette  croix  et  de  la  cime  à  sa  base  couraient  des  lu- 
mières scintillant  avec  force,  lorsqu'elles  se  rencontraient  et 
qu'elles  passaient  outre.   C'est  ainsi  qu'on  voit  des   atomes 

"  Eral  autem  species  Gi.ORiiE  Domini  quasi  ignis  ardens.  »  [Liber  Exodi,  cap.  xxiv, 
V.  17.) 

Paradis,  chant  xiv  ;  traduction  de  M.  Pier-Angelo  Fiorentino. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  143 

courant  et  tourbillonnant,  rapides  ou  lents,  longs  ou  courts, 
se  mouvoir  dans  le  rayon  qui  sillonne  l'ombre  de  la  chambre, 
cet  abri  que  l'homme  s'est  fait  par  son  art  et'  par  son  adresse.  » 

Puisque  nous  avons  nommé  Dante,  en  qili  se  résume  l'art 
écrit  du  christianisme,  comme  dans  la  cathédrale  de  Reims 
vient  se  concentrer  l'art  figuré,  il  convient  d'en  extraire  encore 
ce  qui  peut  intéresser  notre  sujet.  Tout  le  Paradis  de  Dante 
est  rempli  de  clartés  qui  entourent  chaque  saint,  comme  le 
corps,  ici- bas,  entoure  chaque  âme;  ou  plutôt  tous  ces  saints, 
la  Vierge  et  les  apôtres,  les  confesseurs  et  les  martyrs,  ne  sont 
que  des  lumières  qui  s'avivent  l'une  f  autre.  Le  grand  poète 
dit,  par  exemple^  :  «Telle  que,  dans  la  sérénité  des  pleines 
lunes,  Hécate  rit  au  milieu  des  nymphes  éternelles  qui  brillent 
dans  toutes  les  profondeurs  du  ciel,  tel  je  vis,  parmi  des  mil- 
liers de  clartés,  un  soleil' qui  les  allumait  toutes,  comme  fait  le 
nôtre  des  étoiles;  et  à  travers  ces  vives  lumières  apparaissait  la 
substance  divine,  si  éblouissante  à  mes  yeux  que  je  n'en  pouvais 
soutenir  féclat.  »  Plus  haut  ",  Dante  avait  déjà  dit,  en  parlant  de 
divers  saints  :  «  Je  vis  cent  petites  sphères  qui  s'embellissaient 
en  s'éclairantde  leurs  rayons  mutuels.  La  plus  grande  et  la  plus 
brillante  de  ces  perles  s'avança  pour  satisfaire  ma  curiosité.  » 

Quittons  la  poésie  pour  l'histoire,  et  nous  verrons  qu'à  sa 
transfiguration  Jésus  fut  entouré  d'une  gloire.  Cette  gloire 
était  faite  de  lumière,  et  c'est  ainsi  que  les  peintres  chrétiens 
nous  ont  représenté  cette  scène.  Voici  ce  que  dit  l'Evangile: 
«Jésus  prit  avec  lui  Pierre,  Jacques  et  Jean,  son  frère.  Il  les 
mena  seuls  sur  une  haute  montagne  à  l'écart,  où  il  monta 
pour  prier.  Pendant  qu'il  priait,  la  forme  de  son  visage  parut 
tout  autre ,  et  il  se  transfigura  en  leur  présence.  Sa  face  devint 

'  Paradis,  chant  xwu. 
'  Ibid.  chant  xxii. 


14/1  INSTRUCTIONS. 

resplendissante  comme  le  soleil.  Ses  vêtements  parurent  tout 
brillants  de  lumière,  et  d'une  blancheur  vive  comme  celle  de 
la  neige.  Tout  à' coup  se  montrèrent  deux  hommes  qui  s'en- 
tretenaient avec  Kii  :  c'étaient  Moïse  et  Elie.  Ils  parurent  dans 
un  état  de  gloire.  Les  trois  apôtres  virent  la  gloire  de  Jésus 
et  les  deux  personnes  qui  étaient  avec  lui  ^  »  Cette  transfigu- 
ration du  Fils  de  l'homme  en  Dieu  resplendissant  rappelle 
ces  paroles  de  Salomon ,  qui ,  du  reste ,  ont  été  appliquées 
à  Jésus-Christ  par  les  Pères  de  l'Eglise,  en  commençant  par 
saint  Paul  :  «  Il  est  la  vapeur  dé  la  vertu  divine  et  une  pure 
émanation  de  la  clarté  du  Tout-Puissant  :  il  est  le  rayonne- 
ment de  la  lumière  éternelle  et  le  miroir  sans  tache  de  la  gloire 
de  Dieu^.  »  Saint  Paul",  faisant  allusion  à  ce  passage,  dit  que 
Jésus  est  la  splendeur  de  la  gloire^»  Après  tous  ces  faits,  et  lors- 
que tous  les  monuments  figurés  moritrent  Jésus-Christ  ainsi 
resplendissant  au  milieu  de  ces  auréoles  «n  cercle,  en  ovale ,  en 
ellipse,  en  quatre-feuilles,  on  ne  peut  plus  douter  que  la  nature 
des  auréoles  ne  soit  ignée,  et  que  la  flamme,  sous  les  diverses 
formes  qui  entourent  la  tête  et  le  corps,  ne  soit  un  attribut  spé- 
cial de  la  divinité  du  Créateur,  ou  de  la  sainteté  des  anges,  ou 
de  la  vertu  de  la  Vierge  et  des  âmes  innocentes,  créatures  qui 
se  rapprochent  le  plus  de  la  divinité.  On  a  donc  dû  affirmer 
(jue  la  nature  du  nimbe  et  de  fauréole  était  celle  de  la  lumière; 
que  le  nimbe  était  la  chevelure  lumineuse  de  la  tête ,  et  que 
l'auréole  était  le  vêtement  resplendissant  de  tout  le  corps.  C'est 

Le  visage  et  h  face  sont  illuminés  du  nimbe;  les  vêtements  sont  embrassés  par  l'au- 
réole, et  le  tout  fait  une  gloire  complète.  Voyez  saint  Matthieu,  ch.  xvii;  saint  Marc  et 
saint  Luc,  ch.  ix. 

Liber  Sapientiœ,  cap.  vu,  v.  25  et  26.  «  Vapor  est  enim  virtutis  Dei,  et  emanafio 
«iquacdam  esl  clarilatis  omnipotentis  Dei  sincera.  .  .  .  Candor  est  enim  lucis  aelernae  et 
«  spéculum  sine  macula  Dei  majestatis.  » 

Ad  Hebrœos,  cap.  i ,  v.  3  :  «  Splendor  gloriae.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  145 

une  belle  idée  que  d'avoir  choisi  le  feu  comme  attribut  de  la 
puissance  humaine,  comme  signe  de  l'apothéose  et  comme 
symbole  de  la  toute-puissance  divine.  Le  feu  est  le  plus  fort, 
le  plus  mystérieux  et  le  plus  irrésistible  des  éléments;  voici 
ce  que  saint  Denys  l'Aréopagite  en  dit  ^  : 

«  Le  feu  existe  dans  tout,  pénètre  tout,  est  reçu  par  tout. 
Quoiqu'il  donne  sa  lumière  en  entier,  il  la  tient  cachée  tout 
à  la  fois.  On  l'ignore  quand  on  ne  lui  donne  pas  une  matière 
pour  exercer  sa  force  ;  il  est  invisible,  mais  indomptable,  et  il 
a  le  pouvoir  de  transformer  en  lui  tout  ce  qu'il  touche.  Il 
rajeunit  tout  par  sa  chaleur  vitale;  il  illumine  par  des  éclairs 
brillants.  On  ne  saurait  le  tenir  ni  le  mélanger;  il  divise  et  il 
est  immuable.  Il  monte  toujours....  et  il  est  toujours  en  mou- 
vement ;  il  se  meut  de  lui-même,  et  il  meut  toute  chose.  Il 
a  la  puissance  de  saisir,  et  on  ne  peut  le  prendre.  Il  n'a  besoin 
de  personne;  il  se  gonfle  en  secret,  et  sur  toutes  choses  fait 
éclater  sa  majesté.  Il  produit,  il  est  puissant,  il  est  invisible  et 
présent  à  tout.  Qu'on  le  néglige,  on  croirait  qu'il  n'existe  pas; 
mais  qu'on  frotte  une  substance ,  et  soudain ,  comme  un  glaive 
du  fourreau,  il  s'en  échappe,  reluit  par  sa  propre  nature  et 
s'envole  en  l'air....  On  lui  touverait  bien  d'autres  propriétés 
encore.  Voilà  pourquoi  les  théologiens  ont  déclaré  que  les 
substances  célestes  étaient  formées  de  feu,  et  par  cela  faites 
autant  que  possible  à  l'image  de  Dieu.  » 

Ainsi  Dieu  n'est  qu'un  foyer  immense  qui  souffle  sur  Adam 
et  lui  met  dans  le  corps  une  âme  ou  un  rayon  divin  ;  c'est 
une  effluve  qui  tombe  sur  les  apôtres  en  langues  de  flamme; 
c'est  un  brasier  projetant  sur  tous  les  saints  une  auréole  qui 
est  comme  une  partie  de  lui-même.  Le  soleil  enfin  serait 
l'image  visible  et  finie  de  cette  flamme  infinie  et  invisible  qui 

^  De  cœlesti  Hierarchia,  cap.  xv,  p.  igS-ig/i.  édil.  d'Anvers,  i63/i,  I"  vol. 

INSTRUCTIONS. II.  IQ 


J46  INSTRUCTIONS. 

est  Dieu.  La  puissance,  espèce  de  démembrement  de  la  divi- 
nité ,  devait  donc  s'exprimer  matériellement  par  la  flamme  qui 
compose  la  substance  divine. 

Un  mot  pour  expliquer  cette  dernière  idée. 

Dieu  n'a  pas  de  corps,  Dieu  est  un  pur  esprit;  toutes  les 
lois  donc  qu'on  a  voulu  le  montrer,  lui  qui  est  immatériel  et 
invisible,  on  a  diï  lui  composer  un  corps  avec  la  substance 
la  plus  ténue  et  la  plus  spirituelle.  Si  le  corps  de  l'homme 
est  de  l'argile  vivante,  son  âme,  qui  est  faite  à  l'image  de  Dieu 
et  qui  est  un  souffle  de  la  divinité,  est  quelque  chose  qui  par- 
ticipe du  feu  et  de  la  flamme.  Le  feu,  qui  est  une  des  mani- 
festations visibles  de  l'électricité,  devait  composer  le  corps  de 
Dieu,  comme  les  os  et  les  muscles  composent  celui  de  l'homme. 
Aussi  Dieu,  dans  la  Bible,  dans  l'Evangile,  dans  la  Divine 
comédie,  est-il  constamment  représenté  environné  de  feu,  de 
flammes,  d'éclairs  qui  sortent  de  son  corps  comme  l'eau  jaillit 
d'une  source.  Sous  sa  forme  visible.  Dieu  est  une  lumière; 
son  symbole  naturel  le  plus  fréquent,  le  plus  adoré  en  Orient 
c'est  le  soleil,  foyer  de  toute  lumière  pour  les  hommes.  Lors- 
que Jésus-Christ  dit  :  «  Je  suis  la  lumière  du  monde  '  »> ,  cette 
parole  peut  s'entendre  au  réel  autant  qu'au  figuré. 

En  Orient  les  rois,  les  empereurs,  les  prophètes  sont  con- 
sidérés, non-seulement  comme  des  délégués  de  la  divinité, 
ainsi  qu'on  les  accepte  chez  nous,  mais  comme  des  éma- 
nations de  Dieu,  comme  des  fils  directs  de  Dieu  et  presque 
comme  des  dieux  incarnés.  Par  suite  de  la  même  idée,  et 
puisque  le  soleil  est  le  symbole  visible  de  Dieu,  ces  mêmes 
rois,  empereurs  et  prophètes  sont  regardés  comme  des  des- 
cendants du  soleil.  Zoroastre  chez  les  Perses,  Manou  chez  les 

Evangile  de  saint  Jean,  ch.  vin,  v.  12;  ch.  xti,  v.  /j6.  «Ego  sum  lux  nuindi.  — 
i  Ego  lux  in  imindnm  veni,  ut  omnis  qui  crédit  in  me  in  tenebris  non  maneat.  ■> 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  147 

Indiens,  Gonfucius  chez  les  Chinois,  Hermès  chez  les  Égyp- 
tiens, sont  autant  de  fils  de  Dieu. 

Dans  les  cartouches  royaux  qui  couvrent  les  temples  et  les 
obélisques  de  l'Egypte,  et  qu'on  est  parvenu  à  déchiffrer,  les 
Pharaons  sont  nommés  fils  du  soleil,  fils  de  Dieu.  Les  mages 
ne  sont  pas  autre  chose  en  Perse. 

Puisque  Dieu  est  la  lumière,  puisque  le  soleil  est  son  image, 
les  fils  de  Dieu  et  du  soleil ,  les  rois  de  Perse ,  les  rois  d'Egypte , 
les  empereurs  de  la  Chine,  peut-être  même  les  empereurs  de 
Constantinople ,  devaient  hériter  de  Dieu ,  leur  père ,  un  peu 
de  cette  lumière  dont  il  est  composé.  Dieu  et  le  soleil  rayon- 
nent; leurs  enfants  devaient  rayonner  aussi  et  porter  le  nimbe, 
qui  est  la  forme  de  ce  rayonnement. 

Chez  les  Occidentaux,  nations  plus  froides,  les  rois  régnent 
bien  par  la  grâce  de  Dieu,  mais  ne  sont  pas  fils  de  Dieu;  aussi, 
rarement  orne-t-on  leur  tête  d'un  nimbe  ^  Les  saints,  au 
contraire,  émanent  plus  directement  de  la  divinité  par  leurs 
vertus,  par  leurs  actions;  le  nimbe,  moins  lumineux  toutefois 

^  E  faut  dire  qu'à  la  cathédrale  de  Strasbourg  une  galerie  de  rois ,  dont  nous  avons 
extrait  pour  ces  instructions  Charlemagne  et  Henri  le  Boiteux,  est  peinte  sur  verre 
dans  la  nef  latérale  du  nord;  or  ces  rois  sont  tous  nimbés  sans  exception.  Que  Henri, 
qui  est  saint,  porte  le  nimbe,  rien  de  plus  juste;  que  Charlemagne  lui-même,  qui  a  été 
canonisé  (par  un  anti-pape,  il  est  vrai) ,  soit  nimbé,  on  le  conçoit  encore  ;  mais  certai- 
nement le  nimbe  n'est  pas  un  signe  de  sainteté  pour  Charles-Martel ,  qui  donna  les  biens 
et  les  offices  du  clergé  à  ses  soldats  brutaux  et  libertins.  La  légende  dit  que ,  pour  ce 
fait,  Martel  après  sa  mort  et  dans  sa  tombe,  fut  dévoré  par  le  diable.  Cerlainemeut 
ce  ne  peut  être  un  signe  de  sainteté  pour  le  terrible  Frédéric  -  Barberousse ,  qui  fut 
excommunié,  qui  créa  des  anti-papes,  qui  mena  une  vie  assez  scandaleuse,  et  qui, 
dit-on,  est  l'auteur  d'un  écrit  impie,  si  ce  n'est  athée.  Cependant  Charles-Martel  et 
Barberousse  portent  un  nimbe  très-riche  et  très-large  sur  les  vitraux  de  Strasbourg; 
c'est  donc  comme  chefs  politiques  ,  comme  délégués  de  Dieu ,  comme  émanation  du  soleil 
éternel,  et  non  pas  comme  saints,  qu'ils  sont  décorés  du  nimbe.  Ce  fait  curieux  suffirait 
à  lui  seul  pour  démontrer  que  ces  vitraux  sont  byzantins,  quand  le  costume  que  portent 
ces  empereurs  et  ces  rois,  depuis  leur  couronne  jusqu'à  leur  chaussure,  ne  viendrait  pas 
le  prouver  évidemment. 

19- 


148  INSTRUCTIONS. 

et  moins  riche  que  celui  de  Dieu,  devait  reluire  à  leur  tête.  Mais 
de  plus  ils  sont  souvent  enveloppés  dans  la  gloire  de  Dieu,  qui 
les  éclaire  d'une  manière  éblouissante.  Ainsi,  dans  nos  ca- 
thédrales, le  portail  occidental  principalement  est  percé  d'un 
trou  circulaire  immense,  auquel  on  donne  le  nom  de  rose  ou 
de  rosace.  Cette  baie  est  remplie  de  vitraux  coloriés  disposés 
en  quatre,  cinq  ou  six  cercles  concentriques,  diminuant  d'é- 
tendue à  mesure  que  l'on  va  de  la  circonférence  au  centre. 
Dans  le  cercle  central  brille  Dieu  assis  sur  un  trône,  ou  la 
Vierge  qui  tient  l'enfant  Jésus.  Un  cordon  d'anges  environne 
le  créateur  ou  la  céleste  créature  ;  puis  un  cordon  de  patriar- 
ches; puis  viennent  les  apôtres,  les  martyrs,  les  confesseurs; 
enfin  le  cordon  extérieur,  celui  qui  confine  à  la  circonférence , 
est  occupé  par  les  vierges.  Tout  ce  personnel  est  enchâssé  dans 
des  médaillons  de  verre,  transparents  et  lumineux  autant  que 
les  saints  eux-mêmes,  comme  des  cercles  de  rubis,  d'émeraudes 
ou  de  saphir,  dans  lesquels  seraient  saisis  des  diamants.  Ces 
rosaces  sont  des  gloires  qui  embrassent  un  monde  entier,  et 
qui  entourent  une  multitude,  au  lieu  de  cerner  un  seul  indi- 
vidu. En  sculpture,  il  en  est  de  même.  Les  voussures  de  ces 
portails  sont  partagées  en  plusieurs  demi-cercles  concentriques, 
en  plusieurs  cordons  affectés  chacun  à  une  classe  de  saints.  Dante 
lui-même  donnait  le  nom  de  rose  à  ces  épanouissements  cir- 
culaires où  se  rangent  les  saints  et  qu'une  lumière  divine,  qui 
s'échappe  du  centre  où  est  Dieu,  éclaire  vivement.  On  me  per- 
mettra encore  de  terminer  ce  paragraphe  par  un  passage  du 
Paradis  qui  achèvera  de  prouver  que  nimbe,  auréole  et  gloire 
sont  l'image  de  la  lumière  figurée  par  le  dessin  : 

«  Je  vis  une  lumière  qui  était  comme  un  fleuve  éblouissant 
de  splendeur,  entre  deux  rives  émaillées  par  un  printemps 
merveilleux.  De  ce  fleuve  jaillissaient  de  vives  étincelles  qui 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  149 

s'éparpillaient  de  tous  côtés  sur  les  fleurs,  comme  des  rubis 
enchâssés  dans  l'or.  Puis,  comme  enivrées  de  ces  parfums,  elles 
se  replongeaient  dans  le  fleuve  admirable,  et  lorsqu'une  y 
entrait,  une  autre  en  sortait....  »  La  rivière  et  les  topazes  qui 
entrent  et  qui  sortent,  et  les  gazons  qui  sourient,  sont  les  pré- 
ludes par  lesquels  t'est  cachée  la  vérité,  dit  Béatrix  à  Dante. 
Le  poëte  ajoute  :  «Je  me  penchai  sur  ces  eaux,  et  lorsque  le 
bord  de  mes  paupières  s'y  fut  plongé,  je  vis  ce  fleuve ,  de  long 
qu'il  était ,  devenir  rond  ;  puis ,  comme  des  gens  cachés  sous 
le  masque  paraissent  autres  qu'ils  n'étaient  d'abord ,  s'ils  dé- 
pouillent l'aspect  étranger  sous  lequel  ils  étaient  couverts, 
ainsi  se  transformèrent  en  une  plus  grande  joie  les  fleurs  et 
les  étincelles,  et  j'aperçus  sans  voile  les  deux  cours  du  ciel  \  »  — 
Ce  fleuve  devenu  rond,  et  cette  surface,  longue  d'abord,  s'étant 
ramassée  en  disque,  Dante  raconte^  ce  qu'il  aperçoit  dans  cette 
ROSE,  et  dit  :  «  Sous  la  forme  d'une  rose  éblouissante  se  mon- 
trait donc  à  moi  la  sainte  milice  que  le  Christ  épousa  avec  son 
sang;  mais  l'autre,  qui  en  volant  voit  et  chante  la  gloire  de 
celui  qu'elle  aime ,  et  dont  la  bonté  la  fit  si  grande ,  comme 
un  essaim  d'abeilles  tantôt  se  plongeant  dans  les  fleurs,  et 
tantôt  s'en  retournant  à  la  ruche  où  déjà  se  forme  la  saveur 
de  son  miel ,  descendait  dans  l'immense  i^ose  ornée  de  tant  de 
feuilles;  puis  elle  en  ressortait  pour  revenir  là  où  son  amour 
demeure  sans  cesse.  Ces  esprits  avaient  tous  le  visage  de  flamme 
et  les  ailes  d'or,  et  le  reste  était  d'une  telle  blancheur,  qu'au- 
cune neige  n'en  approche.  Lorsqu'ils  descendaient  dans  la  fleur 
de  degré  en  degré,  ils  répandaient,  en  secouant  leurs  ailes,  la 
paix  et  l'ardeur  qu'ils  venaient  de  puiser  dans  le  sein  de  Dieu. 
Et  ces  multitudes  volantes,  quoique  interposées  entre  la  fleur, 

'  Paradis,  chant  xxx. 
^  Ibidem,  chant  xxxi 


150  INSTRUCTIONS. 

et  le  haut,  n'arrêtaient  ni  la  vue,  ni  la  splendeur;  car  la  lu- 
mière divine  pénètre  tellement  l'univers,  selon  qu'il  en  est 
digne ,  que  rien  ne  peut  lui  faire  obstacle.  » 


ORIGINE    KT    PATRIE    DE    LA    GLOIRE. 


Il  reste  maintenant  à  chercher  l'origine  de  la  gloire,  à  dire 
le  lieu  et  le  temps  où  elle  est  née. 

Quant  à  l'époque  où  la  gloire  a  été  employée  pour  la  pre- 
mière fois,  il  est  impossible  de  le  savoir;  il  semble  que  l'usage 
de  cette  forme  soit  aussi  ancien  que  les  plus  anciennes  reli- 
gions. On  trouve  le  nimbe  et  fauréole  sur  les  plus  vieux  mo- 
numents hindous ,  qui  paraissent  être  les  plus  vieux  monu- 
ments du  monde. 

Les  Egyptiens  n'ont  pas  ignoré  la  gloire,  car  le  grand 
disque  lenticulaire  qui  surmonte  la  tête  de  plusieurs  divinités 
égyptiennes,  qui  est  blanc  ou  rouge,  les  plus  lumineuses  de 
toutes  les  couleurs  ;  qui  est  si  bien  accentué  et  si  bien  coloré 
sur  une  peinture  égyptienne  qu'on  voit  au  musée  du  Louvre  \ 
paraît  bien  ressembler  au  nimbe ^.  On  a  déjà  fait  remarquer  plus 
haut  que  le  Christ  j)eint  à  fresque  dans  l'église  de  Montoire 
portait  sur  sa  tête  une  espèce  de  sphère  ou  disque  égyptien , 
cerclé  comme  on  cercle  la  boule  du  monde.  L'Harpocrate 
égyptien  est  fréquemment  nimbé  ^. 

Le  nimbe  était  en  usage  chez  les  Grecs  et  les  Romains.  En 
effet,  sur  les  peintures  d'Herculanum ,    Circé  se  montre  à 

'  Musée  Charles  X ,  salles  égyptiennes. 
Ciampini  (  Vetera  monimenta,  pars  2")  dit  :  «  Hune  orbem  Egyptii  in  summo  capite 

«  simulacrorura  suorum  locabant Ab  illis  Romanos  sumpsisse  licet  suspicari,  et  va- 

«  riasse,  habita  decoris  ratione,  quod  capiti  cui  divinum  quid  inesse  putabant,  eo  situ 
"corona  aptaretur.  »  Ainsi,  d'un  globe  les  Romains  auraient  fait  un  disque. 

'  Antiquité  expliquée^  lom.  IV. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  151 

Ulysse  la  tête  entourée  d'un  nimbe,  comme  se  représentent  or- 
dinairement la  vierge  Marie  et  les  saints  du  christianisme.  La 
magicienne  s'offre  ainsi  dans  sa  gloire  au  moment  où  Ulysse 
veut  la  forcer,  l'épée  à  la  main  ,  de  rendre  leur  ancienne  forme 
à  ses  compagnons  changés  en  pourceaux  par  elle.  Une  Cas- 
sandre  et  un  Priam,  trois  convives  assis  à  une  table,  dans  un 
tricUnium,  le  tout  peint  dans  le  Virgile  du  Vatican  ^  ;  une  femme  ^^ 
sur  un  vase  grec  qui  est  gravé  dans  l'Antiquité  expliquée  de 
Montfaucon  ;  divers  personnages  peints  sur  les  grands  vases 
grecs  de  la  collection  du  Louvre;  lebuste  de  l'empereur  Claude^; 
l'empereur  Trajan''  sculpté  sur  l'arc  de  Constantin,  à  trois 
places  différentes;  le  Valentinien  trouvé,  au  xvm^  siècle,  dans 
l'Arve  ^;  les  empereurs  Maurice  et  Phocas  gravés  sur  leurs  mé- 


'   Antiquité  expliquée,  tom.  V,  p.  1 13. 

*  Montfaucon  [Antiquité  expliquée,  tom.  XIII,  pi.  35,  p.  8^)  prend  celle  femme  pour 
Proserpine  :  tout  fait  croire  que  c'est  Diane ,  ou  plutôt  la  lune ,  la  déesse  de  la  nuit.  Voyez 
en  eÔ'et,  dans  Séroux  d'Agincourt  [Recueil  de  fragments  de  sculpture  antique  en  terre  cuite, 
pi.  28),  et  dans  l'atlas  allemand  de  la  Symbolique  de  Creuzer,  pi.  àh,  la  représentation 
du -soleil  et  de  la  lune,  traînés  chacun  dans  un  char  à  quatre  chevaux  et  sortant  de 
la  mer  pour  éclairer  le  monde.  La  lune ,  dont  les  chevaux  sont  conduits  par  le  génie  ailé 
et  nimbévdu  sommeil ,  a  le  même  nimbe ,  la  même  tournure ,  le  même  âge ,  le  même 
costume  que  la  Proserpine  de  Montfaucon.  Le  soleil  est  nimbé  comme  la  lune  :  de  plu- 
sieurs cordons  circulaires  s  échappent  une  foule  de  rayons  courts  et  en  forme  de  perles 
allongées.  Voyez  encore,  dans  le  musée  Charles  X,  salles  étrusques,  un  des  grands  vases 
grecs  placés  au  centre  d'une  salle,  sur  une  table  de  marbre. 
Antiquité  expliquée,  tom.  V,  p.  162. 

'  L'arc  de  Constantin  est  orné  des  dépouilles  de  celui  de  Trajan.  Sur  un  bas-relief, 
on  voit  Trajan  qui  fait  un  sacrifice  à  Apollon.  Trajan  a  autour  de  sa  tête  un  cercle  d'or 
lumineux,  tel  que  les  peintres  le  mettaient  autrefois  à  la  tête  de  nos  saints.  Les  Romains 
le  donnaient  aussi  à  leurs  dieux  et  à  leurs  empereurs  :  ce  cercle  était  appelé  nimbus.  Pline 
dit  de  ce  nimbus  que  Caligula  l'a  usurpé  et  que  Trajan  l'a  mérité.  [Antiquité  expliquée, 
6*  vol.  pi.  179  et  i83.) 

^  Sur  un  disque  en  argent,  trouvé  en  1721  près  de  Genève,  dans  l'ancien  lit  de  l'Arve, 
on  voit  Valentinien  entouré  d'un  nimbe  à  la  tête.  L'empereur  est  représenté  faisant  des 
largesses  à  ses  soldais.  Il  lienl  une  victoire  ailée  qui  le  couronne  et  qui  a  les  pieds  posés 
sur  un  globe.  I Antiquité  expliquée ,  tom.  XIV,  pi.  28,  p.  5i.) 


152  INSTRUCTIONS. 

dailles  ;  une  innombrable  quantité  de  figures  grecques  et  ro- 
maines  représentant  le  soleil  sous  la  forme  d'un  jeune  homme, 
la  lune  sous  celle  d'une  femme;  les  diverses  constellations, 
l'Apollon  des  médailles  de  Rhodes,  le  Soleil  rayonnant  des  as 
romains  ^  les  divinités  astronomiques  du  planisphère  de  Bian- 
clîini  ^,  les  autres  dieux  du  panthéon  antique  et  le  chef  de  ces 
dieux,  Pan  qui  fait  danser  les  satyres  et  qui  est  nommé  Pan 
lumineux^,  toutes  ces  figures  de  fhistoire,  de  fallégorie  et  du 
mythe  religieux  se  montrent  avec  le  nimbe,  tracé  absolument 
comme  celui  qui  orne  la  tête  de  saint  Jean-Baptiste,  de  l'ange 
et  de  Jésus-Christ.  Enfin,  Servius,  comme  on  fa  vu  plus  haut, 
dit  que  le  nimbe  est  un  fluide  lumineux  qui  environne  la  tête 
ou  le  corps  des  dieux.  Virgile  lui-même  connaissait  le  nimbe, 
lorsqu'il  parle  du  petit  Iules  dont  une  flamme  descendue  du 
ciel  venait  caresser  et  comme  baiser  la  chevelure.  Voici  le  pas- 
sage de  Virgile,  auquel  on  a  déjà  fait  allusion;  il  explique 
parfaitement  la  nature  de  fauréole  et  rappelle  ces  deux  cornes 

'  Antiquité  expliquée j  iS"  vol.  pi.  à"]- 

''^  Musée  du  Louvre,  salle  de  la  Melpomène.  —  Ce  monument,  trouvé  sur  le  mont 
Aventin  en  1705,  et  où  sont  gravés  des  dieux  païens  avec  la  tête  cernée  du  nimbe,  est 
appelé  planisphère  de  Bianchini ,  parce  que  le  savant  astronome  italien  de  ce  nom  est  le 
premier  qui  l'ait  publié.  On  y  voit  les  figures  égyptiennes  des  décans,  divinités  sub^- 
lernes,  à  chacune  desquelles  l'astrologie  égyptienne  avait  attribué  la  présidence  de  dix 
jours  de  chaque  mois  ;  en  plaçant  trois  décans  sous  l'influence  de  chacun  des  douze 
signes ,  on  a  donc  trente-six  décans.  Le  zodiaque  de  la  cathédrale  d'Athènes  a  trente-cinq 
figures  seulement;  l'une  manque  et,  de  plus,  aucune  des  autres  n'est  nimbée.  Il  est  remar- 
quable que  les  divinités  égyptiennes  du  planisphère  de  Bianchini  ne  sont  pas  nimbées, 
tandis  que  les  divinités  grecques  correspondantes  le  sont.  Le  nimbe ,  malgré  la  présence 
du  globe  dont  nous  avons  parlé,  aurait-il  donc  été  inconnu  aux  Egyptiens,  et  pratiqué 
seulement  par  les  Grecs  qui ,  alors ,  auraient  pu  l'emprunter  aux  Hindous  ?  Dans  l'Inde , 
on  a  toutes  les  formes  du  nimbe;  on  y  trouve  l'auréole  aussi ,  du  moins  à  l'état  rudi- 
mentaire. 

Antiquité  expliquée ,  tom.  XI ,  pi.  55,  p.  166.  Le  Pau  qui  a  deux  cornes  au  front  porte 
un  nimbe  formé  de  courts  et  nombreux  rayons  qui  s'ordonnent  en  cercle.  Il  v  a  dans  tous 
ces  nimbes  romains  une  assez  grande  variété  de  formes. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  153 

lumineuses  que  Moïse  avait  au  front  \  et  ce  visage  flamboyant 
dont  les  Hébreux  étaient  éblouis  et  effrayés,  lorsque  leur  légis- 
lateur et  leur  chef  descendit  du  mont  Sinaï  où  il  venait  de 
conférer  avec  Dieu  : 

"  Ecce  levis  summo  de  vertice  visus  lûli 
«Fundere  lumen  apex,  tactuque  innoxia  molli 
0  Lambere  flamma  comas ,  et  circum  tempora  pasci. 
«  Nos  pavidi  trepidare  metu ,  crinemque  flagrantem 
«  Excutere ,  et  sanctos  restinguere  fontibus  ignés  -.  » 

Le  vieil  Anchise ,  qui  a  la  science  et  l'expérience  des  sym- 
boles orientaux,  loin  de  s'effrayer  comme  font  ceux  qui  assistent 
à  ce  spectacle,  se  livre  à  une  grande  joie.  Il  lève  les  yeux  et 
les  mains  au  ciel ,  et  prie  Jupiter  de  lui  accorder  le  secours  et 
les  chances  heureuses  que  lui  fait  présager  cet  augure.  Anchise 
sait  bien  que  cette  auréole  de  lumière,  que  cette  apothéose 
terrestre,  annonce  que  son  petit-fds  sera  maître  d'un  grand 
royaume  et  fondateur  d'un  puissant  empire^. 

'  (-.  Videbant  faciem  egredientis  Moysis  esse  cornutam.  »  Lih.  Exod.  cap.  xxxiv,  v.  35. 
-  '  Enéide,  liv.  II. 

Dans  le  Virgile  manuscrit  du  Vatican,  dont  Sérôux  d'Agincourt  {Histoire  de  l'art  pur 
les  monuments,  pi.  23  de  l'Atlas  de  la  peinture)  a  fait  graver  plusieurs  miniatures,  on 
voit  la  tête  d'Ascagne  tout  enflammée,  et  des  domestiques  effrayés  cherchant  à  éteindre 
avec  de  l'eau  cet  incendie  merveilleux;  le  vieil  Anchise,  tout  joyeux  au  contraire,  adresse 
des  prières  et  des  remercîments  à  Jupiter.  —  Dans  ce  même  manuscrit  du  Vatican  ,  une 
miniature  représente  le  Soleil  qui  se  lève  et  éclaire  les  travaux  des  laboureurs  et  des  ber- 
gers. Le  Soleil  a  la  forme  d'un  jeune  homme  sans  barbe.  De  la  tête  de  cet  astre  personnifié 
partent  des  pinceaux  de  lumière  qui  sont  reliés  entre  eux  par  une  circonférence,  par  le 
cercle  du  nimbe;  mais  ces  aigrettes  lumineuses  sont  puissantes  et  jaillissent  au  delà  du 
cercle.  Celte  figure  du  Soleil  est  en  tout  semblable  à  celle  du  Jésus-Christ  de  noire  planche  8, 
page  37;  la  seule  différence  est  que  le  Soleil  projette  cinq  gerbes  de  lumière  et  Jé.sus- 
Christ  trois  seulement.  [Histoire  de  l'art  par  les  monuments ,  peinture,  pi.  20.) 

'-  11  semble  que  Virgile  ait  emprunté  cette  fiction  poétique  à  l'histoire  elle-même;  car 
l'élévation  future  du  jeune  esclave  qui  devint  ensuite  roi  sous  le  nom  de  Servius  TuUius , 
fut  de  même  annoncée  par  une  flamme  qui  lui  ceignit  la  tête.  Aussi  Servius,  le  com- 
mentateur, fait  suivre  le  lambere  Jlamma  comas  de  Virgile  de  cette  curieuse  observation  : 
ultem  hoc  quoque  de  igni  [sic)  ad  Servium  Tullium  pertinet.  Nam  cum  Tarquinius 

INSTRUCTIONS.  —  H.  20 


154  INSTRUCTIONS. 

Quant  à  la  patrie  de  la  gloire,  c'est  en  Orient  qu'il  faut  la 
cliercher.  La  gloire  vient  de  l'Orient,  d'où  vient  la  lumière: 
ex  Oriente  lux.  Ce  n'est  pas  seulement  parce  que  la  gloire 
est  l'image  de  la  lumière,  mais  encore  et  surtout  parce  qu'elle 
s'y  montre  beaucoup  plus  anciennement  que  chez  nous,  et 
qu'elle  y  est  d'un  usage  bien  plus  multiplié  qu'en  Occident. 

Avec  les  religions  de  l'Inde,  de  la  Perse  et  de  l'Egypte; 
avec  Brama ,  Siva  et  Vichnou  ;  avec  Maya ,  Sacti  et  Dévaki , 
et  tout  le  panthéon  mâle  et  femelle  de  flnde;  avec  Ormuzd  et 
Zoroastre;  avec  Isis,  Horus  et  Osiris;  avec  les  décans  astrono- 
miques de  l'Egypte  et  de  la  Grèce,  et  tout  cela  antérieurement 
au  christianisme,  apparaissent  le  nimbe  et  fauréole  ^  La  re- 
ligion chrétienne  n'a  pas  inventé,  mais  s'est  approprié  cette 
forme  symbolique.  Voilà  pour  l'antiquité  proprement  dite. 
Dans  les  temps  modernes,  dans  la  période  qui  date  de  notre 
ère,  c'est  encore  en  Orient,  en  Asie,  à  Gonstantinople,  qu'on 
trouve  le  plus  ancien  et  le  plus  constant  usage  du  nimbe. 

M.  de  Saulcy  a  fait  graver  une  médaille  d'argent  de  l'empe- 
reur Anastase  qui  régna  de49ià5i8^  L'empereur  est  debout, 

li  cepisset  Vericulanani  civilatem ,  ex  captiva  quadaiii  in  domo  ejus  natus  est  Servius 
"  TuHius  Hostilius;  qui,  cum  obdormisset,  caput  ejus  subito  flamma  corripuit.  Quam 
«  cum  vellenl  reslinguere,  Tanaquil,  régis  uxor,  auguriorum  perita,  intelligens  augu- 
«rium,  prohibuit.  Flamma  puerum  cum  somno  deseruit.  Unde  intellexit  eum  clarum 
"  fore  usque  ad  ultimam  vilam  »  (Servius,  Commentaire  sur  le  livre  II  de  Virgile,  p.  2  63 
de  l'édition  in-A"  de  Genève,  i636). 

Comparez  cette  poésie  et  cette  histoire  de  l'Orient  et  de  Rome  à  l'histoire  occidentale 
de  saint  Rémi  et  de  saint  Léger,  auxquels  une  Uamme  qui  descend  sur  leur  lête  pré- 
sage également  la  destinée;  c'est  identique.  Remarquez,  en  outre,  l'expression  de  Ser- 
vius. Le  commentateur  dit  que  la  clarté  dont  la  tête  du  jeune  esclave  est  entourée  annonce 
que  cet  enfant  sera  illustre  ou  éclatant  toute  sa  vie  (clarum).  L'éclat  matériel  présage  donc 
l'éclat  idéal,  et  le  nimbe  est  positivement  l'image  de  l'illustration  et  la  figure  de  la  clarté. 

Voyez  l'Antiquité  expliquée,  les  Religions  de  l'Antiquité,  le  Planisphère  du  Louvre, 
l'Atlas  allemand  de  la  Symbolique  de  Creuzer,  etc. 

Essai  de  classification  des  suites  monétaires  byzantines.  Metz,  i838,  planche  i,  ligure  3. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  155 

nimbé,  tenant  un  globe  dans  la  main  gauche.  Avant  et  après 
Anastase,  on  a  une  série  continue,  non.-seulement  d'empereurs, 
mais  d'impératrices  qui  sont  ornées  du  nimbe  ^  Le  nimbe  est, 
en  Orient,  de  toute  antiquité  moderne,  si  on  peut  dire  ainsi  ^; 
en  Occident,  en  Italie,  on  ne  le  voit  pas  sur  les  plus  anciens 
monuments  chrétiens,  qui  sont  les  sarcophages.  Là,  ni  Dieu, 
ni  les  apôtres,  ni  les  autres  saints  ne  sont  nimbés;  et  cepen- 
dant c'est  l'époque  où  Constantin  et  Hélène,  où  Anastase  et 
Justin,  où  Justinien  et  Théodora,  où  Tibère-Constantin  et 
Anastasie  sa  femme  se  nimbaient.  Les  plus  anciennes  fresques, 
les  plus  vieilles  mosaïques  mêmes  ne  donnent  pas  ordinaire- 
ment de  nimbe  aux  personnes  divines  ou  saintes  ^  Si  l'on  voit 
le  nimbe  sur  des  mosaïques  qui  semblent  dater  du  vi*^  siècle, 
comme  sur  celles  qui  ornent  les  églises  de  Saint-Vital  et  de 
Saint-Apollinaire  in  classe  à  Ravenne  '',  c'est  que  ces  mosaïques 
ont  été  exécutées  par  des  artistes  orientaux,  des  artistes  byzan- 
tins, et  quelles  représentent  Justinien  et  Théodora,  qui  ré- 
gnaient à  Constantinople. 

Les  monuments  et  les  faits  de  l'histoire  démontrent  donc 
que  le  nimbe  nous  vient  de  l'Orient.  Une  remarque  sur  la  na- 
ture du  sol,  une  observation  naturelle  confirmera  peut-être 
cette  proposition  établie  d'après  l'histoire  et  l'archéologie. 

Le  nimbe  est  un  fluide  lumineux;  nous  l'avons  amplement 
prouvé.  Au  xv*"  siècle,  chez  nous,  cette  chevelure  mystique  dont 


'  «  Les  empereurs  de  Constantinople  ont  toujours  mis  le  nimbe  à  leurs  images  jusques 
à  la  prise  de  celle  ville  par  Mahomet  II,  qui  arriva  en  i/i53.  »  {Monuments  de  la  mo- 
narch.  franc.  Discours  préliminaire.) 

^   Constantinopolis  christiana,  par  Du  Gange;  Vetera  monimenta  par  Ciampini. 

^  Voyez  Bosio,  Roma  sotterr.  les  Vetera  monimenta  de  Ciampini,  le  Thésaurus  veteruni 
diptychorum  de  Gori ,  les  Vasi  antichi  di  vitro  de  Buonarotti,  passim.  Plus  haut,  une  ex- 
ception a  été  signalée  pour  les  fresques. 

*  Voyez  M.  du  Sommerard ,  Album  des  arts  au  moyen  â<je. 

20. 


156  INSTRUCTIONS. 

on  entoure  la  tête  des  saints  nous  apparaît,  sur  les  monuments 
figurés,  comme  un  épanouissement  de  rayons  flamboyants, 
comme  les  rayons  d'un  soleil  ardent.  Or,  toute  image,  toute 
allégorie,  tout  symbole,  toute  métaphore  même,  sont  em- 
pruntés presque  toujours  aux  images  ou,  pour  mieux  dire,  aux 
réalités  de  la  nature.  On  transporte  dans  l'idéal  le  corporel. 
Je  suis  donc  persuadé  qu'on  donna  le  nimbe  aux  têtes  intelli- 
gentes ou  vertueuses,  par  analogie  avec  ce  rayonnement  qu'aux 
époques  énergiques  et  viriles  de  l'année  on  voit  sortir  des 
objets  naturels.  En  été,  par  l'ardeur  du  midi,  tout  rayonne 
dans  les  champs;  la  nature  entière  sue  la  lumière.  Une  va- 
peur enflammée  s'échappe  de  la  terre,  sort  des  épis  de  blé, 
du  sommet  des  arbres,  et  les  environne.  Cette  flamme  joue 
autour  des  plantes  comme  celle  qui  caresse  la  chevelure  du 
jeune  Iules  ou  du  jeune  Servius  Tullius  Hostilius,  et  qui  des- 
cend sur  la  tête  de  saint  Rémi  ou  de  saint  Léger.  Chaque 
tige,  chaque  fleur,  chaque  cime  des  arbres,  chaque  sommet 
des  collines,  chaque  pointe  des  rochers  est  illuminée  d'une 
auréole.  C'est  un  nimbe  naturel.  Or,  ce  qui  est  un  accident 
chez  nous;  ce  que,  dans  nos  contrées,  nous  ne  voyons  qu'en 
une  saison  et  à  certains  jours  embrasés,  est  l'état  habituel  en 
Orient.  En  Orient,  l'été  est  éternel,  pour  ainsi  dire;  la  chaleur 
est  ardente  à  toute  époque  de  l'année.  Par  conséquent,  en  tout 
temps  les  objets  rayonnent  :  les  plantes  comme  les  animaux, 
les  maisons  comme  les  hommes  sont  entourés  d'une  atmo- 
sphère enflammée. 

«  L'Aderbidjan,  cette  grande  contrée  de  la  Perse,  est  fameuse 
par  ses  sources  de  naphte;  le  sol  y  est  chargé  de  substances 
résineuses.  Le  bitume  y  flotte  à  la  surface  des  lacs,  et  sou- 
vent, quand  il  s'allume,  et  qu'au  milieu  d'une  nuit  obscure  on 
le  voit  tout  à  coup  s'échapper  en  flammes  brillantes,  il  offre 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  157 

un  spectacle  bien  fait  pour  exalter  l'imagination.  Des  hommes 
grossiers  encore  et  peu  capables  de  remonter  aux  causes  phy- 
siques devaient  voir,  dans  ces  apparitions  soudaines,  une  ma- 
nifestation immédiate  de  la  divinité  ^  »  Dans  l' Arabie-Pétrée , 
Dieu  prit  une  colonne  de  feu  pour  guider  les  Hébreux  vers  la 
Terre  sainte,  où  déjà  Sodome  et  Gomorrhe  avaient  disparu  dans 
un  lac  enflammé.  En  Egypte,  dans  l'Afrique  entière,  le  désert 
se  change  en  étangs  de  feu;  le  sable  bouillonne  dans  les  plaines 
comme  l'eau  dans  une  chaudière,  et  les  Sarrasins  de  Tunis  se 
battaient  contre  saint  Louis  en  jetant  à  la  face  des  croisés  des 
poignées  de  cette  terre,  comme  de  nos  jours  on  lance  des  obus 
et  des  boulets  rouges.  Le  feu,  la  lumière,  sont  en  Orient  ce 
que  la  vapeur  humide  et  les  brouillards  sont  chez  nous  :  un 
phénomène  permanent  et  d'une  horrible  puissance. 

Il  n'est  donc  pas  étonnant  que  là,  plus  tôt  et  plus  commu- 
nément que  chez  nous,  on  ait  songé  à  illuminer  d'un  nimbe 
la  tête  des  hommes  distingués,  des  hommes  forts,  des  hommes 
de  génie  et  de  sainteté.  Il  est  bien  simple  que  ce  phénomène 
naturel  et  continu  ait  été  transporté  dans  l'art,  en  vertu  d'une 
métaphore  qui,  pour  l'Orient,  était  une  réalité  de  tous  les 
jours. 


CARACTERE    DE    LA    GLOIRE. 


Non-seulement  en  Orient  le  nimbe  est  plus  ancien,  mais  il 
est  beaucoup  plus  prodigué  qu'en  Occident.  Ainsi  chez  nous , 
et  sauf  de  très-rares  exceptions  que  l'on  va  noter,  il  est  réservé 
à  Dieu  et  aux  saints;  en  Orient,  il  ceint  presque  toutes  les 
têtes.  Il  n'est  pas  un  empereur,  pas  un  roi,  pas  un  prince,  ou 
leurs  femmes,  qui  ne  soient  rehaussés  de  ce  glorieux  attribut;  il 
semble  inhérent  à  leur  personne.  Justinien ,  qui  n'est  pas  saint, 

'   Religions  de  l'antiquité,  tom.  I,  p.  819. 


158  INSTRUCTIONS. 

est  nimbé.  Il  existe  au  Musée  du  Louvre^  une  coupe  ciselée, 
d'origine  arabe,  et  qui  était  autrefois  dans  la  chapelle  du  châ- 
teau de  Vincennes.  Les  ciselures  de  ce  vase  représentent  des 
chasseurs  à  la  poursuite  de  bêtes  fauves  ou  de  bêtes  féroces;  tous 
ces  chasseurs  sont  nimbés  sans  exception.  De  plus,  les  princi- 
paux d'entre  eux  sont  enveloppés,  eux  et  leurs  chevaux,  dans 
une  grande  auréole  de  forme  circulaire.  Sur  ces  beaux  vases 
de  la  Chine  et  du  Japon ,  exposés  chez  les  marchands  de  cu- 
riosités ,  on  remarque  souvent  des  personnages  civils  illustrés 
du  nimbe.  Le  nimbe  décore  même  quelquefois  la  tête  de 
ces  bêtes  monstrueuses,  fantastiques,  qui  rugissent  sur  ces 
brillantes  porcelaines  et  qui  ont  tant  d'analogie  avec  nos 
diables  chrétiens,  avec  les  gargouilles  vomissantes  de  nos  ca- 
thédrales. Dans  les  livres  bouddiques  que  possède  la  Biblio- 
thèque royale,  on  voit  des  génies  bons  et  même  des  génies 
mauvais  qui  sont  honorés  du  nimbe.  Un  psautier  grec,  orné  de 
nombreuses,  curieuses  et  fort  belles  miniatures,  sous  le  n"  1 89, 
à  la  Bibliotlièque  royale ,  nous  offre  une  foule  de  personnages 
nimbés.  Ce  sont  d'abord  les  prophètes  Isaïe,  Jonas,  Nathan, 
Samuel,  Moïse,  et  la  prophétesse  Anne.  Il  n'y  a  pas  lieu  de 
s'étonner,  puisqu'il  en  est  quelquefois  ainsi  même  chez  nous^, 
et  que  ces  personnages,  pour  n'être  pas  appelés  saints  par  fE- 

'  Salle  des  bijoux. 

'"  La  calhédrale  et  Saint-Nizier  deTroyes,  la  belle  église  de  Saint-Urbain  de  la  même 
ville,  le  porlall  nord  de  la  cathédrale  de  Chartres,  et  quelques  autres  églises  montrent 
ainsi  des  prophètes  et  des  prophétesses  peints  et  sculptés,  et  qui  sont  ornés  du  nimbe. 
A  Chartres ,  on  voit  Aaron  ,  Moïse  et  Melchisédech  nimbés.  Il  y  a  mieux ,  sur  le  vitrail  de 
cette  cathédrale  où  est  peinte  lliistoire  de  Roland  et  l'expédition  de  Charlemagne  en 
Espagne,  on  voit  Charlemagne  et  Roland  ornés  d'un  nimbe.  Il  est  vrai  que  Surius  [Vitœ 
sanctoram)  met  Roland  et  Olivier  parmi  les  saints,  et  leur  consacre  dans  son  livre  un 
chapitre  sous  ce  titre  :  De  sanctis  Rotlanclo  et  Oliviero,  et  sociis  eorum.  Cependant  saint 
Roland  ne  se  trouve  pas  dans  le  martyrologe.  La  cathédrale  de  Chartres  a  de  certaines 
et  curieuses  afllnilés  avec  l'Orient;  il  serait  important  de  les  constater. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  159 

glise  latine,  n'ont  pas  moins  ce  qui  constitue  la  vraie  sainteté; 
mais  chaque  sujet  historique  est  accompagné,  dans  ce  manus- 
crit, de  personnages  allégoriques  qui  servent  à  expliquer  l'his- 
toire. Ainsi,  à  côté  de  David  se  tiennent  debout  la  Sagesse  et  la 
Prophétie  (  COOIA,  IIPOOHTIA) ,  sous  la  forme  de  deux  grands 
génies  habillés  en  femmes ,  qui  inspirent  le  roi  prophète  et 
poëte  ^  ;  ainsi  David ,  qui  se  repent  de  son  crime ,  est  assisté 
par  le  génie  du  Piepeiitir  ;  ainsi  David,  qui  tue  un  lion  ravisseur 
de  ses  agneaux,  est  assisté  par  le  vigoureux  génie  de  la  Force; 
ainsi  la  Prière  assiste  Ezéchias ,  qui  demande  à  vivre  encore  ; 
ainsi  la  Nuit  regarde  le  désastre  de  Pharaon  qui  se  noie  dans 
la  mer  Rouge.  Eh  bien  !  tous  ces  génies,  qui,  du  reste,  ont  la 
forme  antique,  sont  ornés  d'un  nimbe  bleu,  jaune,  rouge  et 
rose.  Les  rois  eux-mêmes,  David  et  Ezéchias,  sont  nimbés;  il 
y  a  plus  ,  Saûl,  un  roi  qui  s'est  suicidé,  est  nimbé;  bien  mieux, 
Pharaon ,  l'impie  roi  d'Egypte ,  au  moment  où  il  est  englo-uti 
dans  les  abîmes  de  la  mer  Rouge,  est  nimbé,  et  est  nimbé 
du  nimbe  d'or,  comme  David  lui-même  et  Ezéchias;  enfin 
l'affreux  roi  Hérode,  ce  monstre  qui  fit  périr  tous  les  petits 
enfants  de  son  royaume,  nés  à  peu  près  en  même  temps  que 
Jésus,  est  illustré  du  nimbe  sur  la  mosaïque  de  Sainte-Marie- 
Majeure,  exécutée  par  un  artiste  grec.  Et  la  scène  où  il  est 
ainsi  représenté  est  précisément  celle  du  massacre  des  Inno- 
cents. Le  nimbe  est  donc  réellement  prodigué  par  les  Byzan- 
tins"^ et  dans  tout  l'Orient. 

C'est  qu'en  Orient  le  nimbe  n'est  pas,  comme  chez  nous, 

'  Voyez  la  gravure  de  ce  sujet  à  l'Histoire  du  Saint-Esprit. 
Dans  la  Bible  à  miniatures  de  Saint-Paul-hors-les-Murs ,  qui  est  du  ix'  siècle,  on 
voit  Josué  nimbé  lors  du  passage  du  Jourdain.  Balaam,  un  prophète  infidèle  et  préva- 
ricateur, est  là  nimbé  aussi  et  au  moment  même  où  il  est  sur  son  ânesse  et  arrêté  par 
l'ange  qui  lui  ordonne  de  bénir  le  peuple  d'Israël  au  lieu  de  le  maudire.  [Hist.  de  l'art 
par  les  monum.  pi.  43  et  /»/(,  Atlas  de  la  peinture.) 


160  INSTRUCTIONS. 

le  symbole  exclusif  de  la  sainteté;  il  est  encore,  et  surtout, 
l'attribut  de  la  puissance  en  général,  de  la  vertu,  en  pre- 
nant ce  mot  dans  le  sens  le  plus  compréhensif  et  qui  est  celui 
de  la  force.  Le  nimbe  n'est  pas  restreint  aux  qualités  de  l'âme  ; 
mais  il  est  étendu  aux  forces  du  corps,  à  la  puissance  intel- 
lectuelle, à  l'autorité  acquise  et  dont  on  se  sert  pour  le  bien 
comme  pour  le  mal.  En  Occident,  plusieurs  monuments, 
ceux-là  surtout  vers  lesquels  a  coulé  quelque  fdon  de  génie 
byzantin  ou  oriental,  démontrent  curieusement  cette  assertion. 
A  la  catbédrale  de  Reims  est  sculptée  la  parabole  des  vierges 
folles  et  des  vierges  sages.  Les  sages  sont  nimbées  ;  c'est  justice  : 
les  sages  sont  nimbées  partout,  car  Jésus-Christ  les  admet  en 
paradis.  Mais  à  Reims  les  vierges  folles  sont  aussi  nimbées,  ce 
qui  n'existe  guère  que  là^  Ce  n'est  pas  la  folie  assurément  qui 
est  nimbée,  qui  est  canonisée,  mais  la  virginité;  car  les  mal- 
heureuses femmes,  quelque  folles  qu'elles  soient,  n'en  sont  pas 
moins  vierges,  et  la  virginité,  pour  l'Orient  où  tout  bouillonne, 
est  une  sublime  qualité  chrétienne.  Notre-Dame  de  Reims, 
dans  plusieurs  de  ses  sculptures  et  sur  tous  ses  vitraux,  exhale 
comme  une  vertu  byzantine  pleine  de  grâce  et  d'idéalité.  Un 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  représente  la  prise  de 
Jésus  au  moment  où  il  est  trahi  par  le  baiser  de  Judas.  Jésus- 
Christ  a  le  nimbe  croisé,  et  saint  Pierre,  qui  coupe  l'oreille  à 
Malchus,  est  nimbé.  C'est  à  merveille ,  car  Pierre  est  saint  et  cou- 
rageux. Mais  Judas  lui-même  est  nimbé;  cependant  un  chrétien, 

'  Elles  sont  au  portail  du  nord,  voussure  de  la  porte  gauche.  A  la  cathédrale  de 
Laon,  dans  une  voussure  du  portail  occidental,  on  remarque  de  même  la  série  des 
cinq  vierges  folles  nimbées  tout  aussi  bien  que  les  cinq  vierges  sages.  La  cathédrale  de 
Laon  est  la  mère  de  celle  de  Reims ,  et  je  ne  connais  cette  curieuse  particularité  du 
nimbe  attribué  à  des  femmes  folles  qu'à  Reims  et  à  Laon  seulement.  Il  y  a  là  peut- 
être  une  influence  byzantine,  qui  se  démontrerait  encore  par  quelques  autres  faits  ana- 
logues. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  161 

et  il  aurait  raison ,  se  signerait  d'horreur  s'il  entendait  dire  saint 
Judas  Iscariote.  Judas  n'est  qu'un  avare,  n'est  qu'un  traître, 
n'est  qu'un  sacrilège;  c'est  vrai,  mais  c'est  encore  un  apôtre. 
Or  l'apostolat  est  une  fonction  suprême  émanée  de  Dieu  ; 
le  nimbe,  qui  désigne,  en  Orient,  toute  dignité  et  toute 
puissance  bonne  ou  mauvaise ,  devait  donc  éclairer  encore  la 
tête  de  Judas.  Chez  nous ,  il  n'indique  ordinairement  que  la 
sainteté;  aussi  Judas,  même  à  la  Cène,  à  plus  forte  raison  au 
Jardin  des  Oliviers,  est-il  privé  du  nimbée  Le  manuscrit  de 

^  Cependant  M.  le  comte  Auguste  de  Baslard  (Peintures  et  ornements  des  manuscrits) 
a  donné  des  exemples  de  ce  nimbe,  attribué  cbez  nous  à  Judas.  M.  de  Bastard  a  fait 
calquer  de  très-belles  miniatures  d'un  manuscrit  du  xiii''  siècle,  connu  sous  le  nom  de 
manuscrit  de  Limoges,  parce  qu'il  vient  de  Saint-Martial;  là,  à  la  Gène,  Judas  porte  un 
nimbe  d'or,  absolument  comme  Jésus-Christ.  Dans  le  même  ouvrage,  Hérode  est  nimbé 
au  moment  où  il  se  trouble  et  grimace  ignoblement,  parce  que  les  mages  lui  demandent 
où  est  le  roi  des  Juifs  qui  vient  de  naître.  Il  faudrait  savoir  si  ce  manuscrit  d'une  pro- 
vince qui  confine  à  des  contrées  couvertes  d'églises  réellement  byzantines  et  grecques, 
n'aurait  pas  été  exécuté  sous  l'influence  de  certaines  idées  orientales.  Quand  on  voit  à 
Périgueux,  Angoulême,  Saintes  ,  Cahors  et  le  Puy,  à  Solignac ,  Souillac  et  Bourdeille , 
des  cathédrales  ,  des  églises  d'abbayes  et  de  paroisses  voûtées  en  coupoles  comme  Saint- 
Marc  de  Venise  et  Sainte-Sophie  de  Constantinople ,  on  peut  bien  croire  à  l'infiltra- 
tion des  principes  byzantins  dans  le  Limousin.  Vers  g'yy  ou  987  ,  alors  que  Venise 
était  entièrement  byzantine,  il  s'établit  à  Limoges  une  colonie  de  marchands  vénitiens 
qui  étaient  en  constante  relation  avec  la  mère  patrie.  Une  rue  de  Limoges  s'appelle 
aujourd'hui  encore  la  rue  des  Vénitiens ,  parce  que  ces  marchands  l'habitaient.  Des 
fouilles  récentes,  faites  à  Saint-Martial  de  Limoges,  ont  donné  des  monnaies  vénitiennes 
portant  Sanctl  s  Marcus  sur  une  face,  et  sur  l'autre...  Olo;  est-ce  Dandolo,  comme  on 
croit ,  ou  bien  Orséolo ,  ce  doge  qui  abdique  à  la  fin  du  x"  siècle  pour  se  retirer  en  France , 
dans  le  monastère  de  Saint- Michel  de  Cusan ,  au  diocèse  de  Perpignan  ?  En  1010  l'évêque 
Hilduin  reconstruit  l'abbaye  de  Saint-Martin  de  Limoges;  les  Vénitiens  lui  viennent  en 
aide  dans  cette  œuvre  et  lui  donnent  de  l'argent.  Dans  les  dernières  années  du  xi"  siècle, 
Marc  et  Sébastien ,  l'oncle  et  le  neveu ,  tous  deux  nobles  vénitiens ,  fondent  le  couvent  de 
l'Artige,  à  deux  myriamètres  de  Limoges.  (Labbe,  Nova  Bibliothcca  mss.  latino.  tom.  II, 
p.  278.)  Enfin,  en  \lxi  1,  une  femme,  Jeanne  Aldier,  fait  construire  un  Saint-Sépulcre  ou 
monument  dans  Saint-Pierre  de  Limoges  par  un  artiste  vénitien.  Du  reste,  M.  Félix  de 
Verneilh  prépare  un  important  travail  sur  la  cathédrale  actuelle  de  Périgueux,  l'ancienne 
église  abbatiale  de  Saint-Front.  Les  recherches  devant  porter  sur  toutes  les  églises  à  cou- 
poles qui  existent  en  France,  il  faut  espérer  qu'elles  jetteront  du  jour  sur  l'école  byzan- 

INSTRUCTIOXS.  —  II.  2  1 


162  INSTRUCTIONS. 

la  Bibliothèque  royale  a  pu  être  peint  par  un  miniaturiste 

byzantin  d'origine,  d'école  ou  d'affection. 

Dans  l'abside  d'une  des  petites  et  si  nombreuses  églises  dont 
la  ville  d'Athènes  est  peuplée  \  la  Gène  est  peinte  à  fresque;  tous 
les  apôtres  sont^ornés  du  nimbe,  et  Judas  comme  les  autres; 
mais  le  nimbe  des  bons  apôtres  est  d'une  couleur  vive  et  glo- 
rieuse, peint  en  blanc,  en  vert,  en  jaune  d'or,  tandis  que  celui 
de  Judas  est  en  noir.  Judas  est  un  apôtre,  et  il  est  nimbé;  mais 
son  cœur  est  ténébreux  et  son  nimbe  semble  porter  le  deuil. 

Il  y  a  mieux,  Satan  lui-même  est  nimbé  chez  les  Byzantins. 
Une  vieille  bible  ^  est  ornée  de  miniatures  du  ix^  ou  x^  siècle. 
L'une  d'elles  représente  Satan  qui  saute  de  joie  devant  Job, 
sur  les  ruines  qu'il  vient  de  faire.  Plus  bas,  l'être  infernal  brûie 
Job  lui-même  d'un  aiguillon  qui  fait  une  grande  plaie  de  tout 
le  corps  du  patient.  Ce  Satan  qui  danse  sur  des  ruines,  ce  Satan 
qui  blesse,  sont  tous  deux  nimbés  comme  pourrait  l'être  un 
ange  gardien  ou  consolateur^.  Voici  le  premier,  celui  qui  danse 
devant  Job  assis  tristement  sur  les  ruines  de  sa  maison.  Ce 
démon  nimbé  tient  à  la  main  un  réchaud  avec  lequel  il  va 
incendier  les  habitations  qu'il  a  renversées. 

Une  de  l'Occident  et  sur  l'influence  des  idées  orientales  dans  notre  pays;  cette  (juestion 
est  la  plus  compliquée  et  la  plus  inexplorée  de  notre  archéologie  nationale. 

'  Au  mois  d'août  iSSg  il  y  avait  encore  à  Athènes  quatre-vingl-une  églises  :  je  les  ai 
vues  et  comptées.  Il  paraît  que  depuis  cette  époque  on  a  achevé  d'en  raser  deux  ou  trois  qui 
avaient  beaucoup  souflFertpendantla  guerre  de  l'indépendance  el  qui  étaient  à  demi  ruinées. 

=  B.  R.  Bible  ms.  n"  6. 

^  Satan  ressemble  en  effet  à  un  ange,  surtout  aux  anges  qui  sont  peints  dans  le  même 
manuscrit  n°  6.  Ainsi,  à  la  miniature  qui  représente  Elie  enlevé  au  ciel  dans  un  char 
qu'emportent  des  chevaux  de  feu,  un  ange  se  tient  au  fond  du  char  comme  un  pilote 
à  la  poupe  d'un  vaisseau.  Cet  ange  est  en  tout  semblable  au  Satan  de  la  planche  46. 
Comme  le  génie  mauvais,  l'ange  a  des  ailes  d'oiseau,  un  nimbe  formé  d'un  simple  filet 
circulaire;  il  est  à  peu  près  nu  et  vêtu  seulement  d'un  jupon  qui  lui  couvre  les  reins  et 
les  cuisses.  La  seule  différence  vraiment  visible,  c'est  que  l'ange  a  des  ongles  aux  pieds 
où  Satan  porte  des  griffes. 


46. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE. 

SATAN  PORTANT  UN   NIMBE  CIRCULAIRE   ET  TOURMENTANT  JOB, 
Miniature  du  x°  siècle,  Bible  n°  6,  Bibliothèque  royale. 


163 


Enfin,  une  Apocalypse  manuscrite \  à  miniatures  de  la  fin  du 
xii^  siècle,  représente  le  dragon  à  sept  têtes  combattu  par 
saint  Michel  ;  le  serpent  à  sept  têtes ,  qui  poursuit  la  femme 
dans  le  désert  ;  et  la  bête  de  mer,  agitant  sept  têtes  aussi  au- 
dessus  de  son  corps  monstrueux.  Toutes  ces  têtes  sont  nimbées 
de  vert  ou  de  jaune,  comme  le  serait  le  plus  grand  saint  du 
paradis.  Cette  Apocalypse,  du  reste,  a  certainement  été  peinte 
par  un  artiste  qui  était  Byzantin  ou  avait  vu  Byzance ,  car 
les  croissants  qui  blasonnent  les  boucliers  des  anges,  et  les 
coupoles  arabes  qui  surmontent  les  édifices,  ie  prouvent  évi- 
demment "^ 

'  Bibliothèque  royale,  n°  701 3. 

^  Les  croissants  et  les  coupoles  ne  sont  ni  arabes  ni  d'origine  musulmane ,  comme 
on  croit.  Les  Turcs,  qui  se  sont  emparés  de  Constantinople  au  xv*"  siècle,  ont  trouve 
dans  cette  ville  le  croissant  qui  surmontait  les  édiiices,  et  qui ,  depuis  Philippe,  le  père 
d'Alexandre  le  Grand,  c'est-à-dire  dès  leiv'  siècle  avant  J.  C.  fut  introduit  comme  blason 


164  INSTRUCTIONS. 

Ici,  on  donne  un  dessin  tiré  d'un  beau  manuscrit  à  minia- 
tures de  la  Bibliothèque  royale  \  et  qui  représente  la  bête  à 
sept  têtes  de  l'Apocalypse,  le  léopard  à  pieds  d'ours.  Ses  têtes 
sont  nimbées  en  bleu,  et  celle  du  milieu  — la  plus  petite  ma- 
tériellement, mais  sans  doute  la  plus  grande  hiérarchique- 
ment et  la  maîtresse  tête  —  est  nimbée  de  rouge,  couleur  de 
leu.  L'une  de  ces  têtes  est  dépouillée  du  nimbe.  C'est  celle  qui, 
comme  dit  l'Apocalypse,  fut  blessée  à  mort". 

dans  ce  qu'on  peut  appeler  les  armoiries  deConstantinople;  ils  y  ont  aussi  trouvé  les  belles 
coupoles  de  Sainte-Sophie ,  des  Saints-Apôtres  et  de  plusieurs  autres  églises.  Copistes  et  non 
inventeurs,  les  conquérants  approprièrent  à  leur  usage  là  coupole  et  le  croissant;  ils 
firent  de  l'une  le  caractère  principal  de  rarchileclure  des  mosquées ,  et  de  l'autre  la  pièce 
unique  de  leur  blason  ,  absolument  comme  avaient  fait  les  Byzantins.  Voilà  pourquoi ,  au 
xii°  siècle,  un  miniaturiste  byzantin  ou  qui  avait  vu  Byzance  représenta  des  ci'oissants  et 
des  coupoles  bien  avant  que  Byzance  fût  tombée  au  pouvoir  des  musulmans.  Une  fois 
Constantinople  prise,  le  croissant  et  la  coupole,  adoptés  par  les  Turcs,  se  répandirent 
parmi  les  autres  nations  musulmanes  qui,  d'ailleurs  et  probablement  depuis  longtemps, 
avaient  déjà  adopté,  soit  en  Egypte,  soit  en  Syrie,  les  coupoles  chrétiennes  d'Alexandrie 
et  de  Damas.  Les  peuples  mahométans ,  les  Arabes  entre  autres ,  ont  vulgarisé  beaucoup 
de  faits  et  d'idées,  mais  ils  en  ont  créé  très-peu.  Nous  leur  avons  certainement  plus  donné 
que  nous  n'en  avons  reçu.  H  y  a  vingt-cinq  ans  osi  proclamait  que  de  tout  temps  les 
nations  occidentales  et  chrétiennes  avaient  été  tributaires  des  musulmans  qui  ont  con- 
quis l'Espagne.  Dans  ce  système,  le  style  gothique,  l'arc  ogival,  la  chevalerie,  les  ma- 
thématiques, la  médecine,  l'alchimie,  c'est-à-dire,  l'art,  les  mœurs  et  la  science  nous 
seraient  venus  des  Arabes,  Aujourd'hui  on  fait  complète  justice  de  ces  erreurs.  Relative- 
ment à  l'architecture  les  preuves  abondent.  Notre  système  ogival  est  complètement  dif- 
férent de  celui  des  Arabes  et  lui  est  probablement  antérieur.  L'arc  en  fer  à  cheval,  dont 
l'invention  avait  été  attribuée  aux  Arabes,  vient  d'être  trouvé  en  Asie  par  M.  le  vicomte 
Léon  de  Laborde  et  M.  Ch.  Texier,  dans  des  monuments  chrétiens  qui  portent  une  date 
gravée  sur  la  pierre  et  antérieure  au  vii°  siècle.  Le  minaret  lui-même,  ce  membre  d'ar- 
chitecture aussi  indispensable  aux  Mahométans  que  le  clocher  l'est  aux  chrétiens,  n'ap- 
partient peut-être  pas  à  l'islamisme;  on  le  retrouve  dans  les  églises  des  bords  du  Rhin  , 
églises  qui  se  sont  inspirées  de  Sainte-Sophie,  et  qui  ont  bien  pu  lui  emprunter  ses  cages 
d'escalier  ou  minarets,  comme  certaines  portions  de  son  plan  et  de  sa  décoration.  Quant 
à  notre  chevalerie ,  M.  J.  J.  Ampère  a  prouvé ,  clans  ses  leçons  sur  la  littérature  française , 
qu'elle  était  indigène  et  n'avait  aucun  rapport  avec  la  chevalerie  arabe. 
'  Psaltcrium  cura  JUjnris ,  suppl.  fr.  iiSa. 
«  Elvidi  un  uni  decapilibus  suis  quasi  occisuni  in  mortem.  »  —  Apocalypse,  c\\.  xiii,  v.  3 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE. 


165 


47.  —  BÊTE  X   SEPT  TÉTES;  SIX  SOKT  MMI3ÉES,  ET  LA  SEPTIEME,   liLESSF-E  X   MORT, 

EST  SANS  NIMBE. 

Miniature  du  xn"  siècle,  Psalterium  cum  fiçjuns.  Bibliothèque  royale. 


Puisque  chez  les  Orientaux  le  nimbe  désigne  la  puissance^ 
une  tête  à  l'agonie  ne  devait  plus  avoir  de  nimbe.  Quand  un 
Individu  est  dans  sa  force ,  on  l'honore  du  nimbe  ;  mais  lorsqu'il 
faiblit,  lorsqu'il  ne  peut  résister  à  une  attaque,  lorsque  la  ma- 
ladie ou  la  mort  en  triomphent,  alors  il  est  dégradé  et  dé- 
pouillé de  son  auréole.  Tout  cela  est  conséquent.  Sur  les 
fresques  romanes  de  Saint-Savin,  près  de  Poitiers,  où  paraît 
se  trahir  en  plusieurs  endroits  une  influence  byzantine ,  on 
remarque  d'abord  le  grand  dragon  apocalyptique,  au  moment 
où  il  attaque  la  femme  de  laquelle  naît  un  enlant  qui  doit  gou- 
verner les  nations  ^  ;  puis  le  même  monstre ,  lorsqu'à  son  tour 
il  est  attaqué  par  saint  Michel  et  ses  anges^.  Sur  le  premier 

'   Apocalypse,  chap.  xu ,  v.  i3,  i5. 
^  Ibidem,  v.  7,  8,  9. 


166  INSTRUCTIONS. 

tableau,  ce  dragon  roux  est  plein  de  vie  et  de  puissance;  il 
vomit  de  sa  gueule  un  fleuve  d'eau  pour  y  engloutir  la  femme. 
Là  aussi  il  est  et  il  devait  être  nimbé.  Il  porte  un  nimbe  jaune, 
un  nimbe  d'or  comme  l'ange  qui  arrache  l'enfant  à  la  colère 
du  monstre.  Mais  sur  le  second  tableau  il  est  assailli  par  les 
anges,  il  va  être  précipité  en  terre  et  vaincu,  et  déjà  sa  tête  est 
dépouillée  du  nimbe;  son  front  ne  lance  plus  de  rayonnement, 
parce  que  sa  puissance  s'éteint.  La  rose  occidentale  de  la  Sainte- 
Chapelle  de  Paris  présente  les  mêmes  particularités.  La  bête 
à  sept  têtes,  chargées  de  cornes  et  de  couronnes,  y  est  figurée 
plusieurs  fois.  Chaque  tête  est  nimbée,  parce  que  le  monstre 
est  adoré  par  les  infidèles,  et  parce  qu'il  entraîne  avec  sa 
queue  la  troisième  partie  des  étoiles  du  ciel  ;  il  est  tout-puissant 
alors;  il  est  dans  sa  force  et  dans  son  triomphe.  Mais  lorsque 
fange  qui  a  la  clef  de  fabîme  l'enchaîne  et  le  scelle  pour 
mille  ans  dans  le  gouffre,  alors  il  est  vaincu,  dégradé,  et  par 
conséquent  dépouillé  du  nimbe;  il  n'a  plus  sur  sa  tête  que  les 
couronnes  royales  ^ 

Ainsi  donc,  en  Orient,  le  nimbe  est  fattribut  de  la  puis- 
sance bonne  ou  mauvaise  :  qu'on  soit  diable  ou  archange, 
qu'on  soit  criminel  ou  vertueux,  qu'on  soit  grand  traître  ou 
Dieu,  on  est  fameux,  et,  à  ce  titre,  nimbé.  Cette  idée  s'est  in- 
filtrée chez  nous,  surtout  aux  époques  de  nos  relations  avec 
Constantinople;  mais  elle  n'a  pu  prendre  racine,  et  la  tendance 
à  ne  décorer  du  nimbe  que  la  sainteté,  que  la  vertu  morale,  a 
fini  par  prévaloir.  Nous  avons  été  plus  avares  d'un  attribut 
que  nous  avions  emprunté  et  non  pas  inventé;  d'ordinaire, 
en  effet,  on  ne  prodigue  que  les  richesses  qui  coulent  de 
source.  Cependant  à  Troyes  et  à  Reims,  dans  toute  la  Cham- 

'  Cette  verrière  date  de  Charles  VIII;  ce  roi  l'a  fait  marquer  de  son  chiffre,  que  sur- 
monte une  couronne  loyale  de  couleur  jaune  et  simulant  l'or. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  167 

pagne,  depuis  Ville-Hardouin  et  Joinville  jusqu'à  nos  jours, 
a  soufflé  une  brise  orientale  et  byzantine  qui  a  fait  épanouir 
une  foule  d'idées  et  d'images  propres  à  l'Orient.  On  se  con- 
tentera de  citer  une  peinture  sur  verre  qui  date  du  xyi*"  siècle, 
et  qui  brille  dans  la  grande  nef  de  Saint-Nizier  de  Troyes. 
Là  aussi  est  représentée  la  bête  à  sept  têtes  et  dix  cornes,  et 
le  nimbe,  attribut  oriental  de  la  puissance,  brille  autour  de 
chacune  des  têtes.  On  en  donnera  le  dessin  à  l'Histoire  du 
diable. 


COULEUR    DE   L'AUREOLE. 


Puisque  le  nimbe  et  l'auréole  sont  l'efflorescence  lumineuise 
de  la  tête  et  du  corps,  la  couleur  qui  les  anime  dans  les  mo- 
numents figurés  et  peints  doit  être  celle  de  la  lumière  elle- 
même.  On  peut  donc  surprendre  ce  fait  sur  les  mosaïques,  les 
fresques,  les  vitraux,  les  miniatures  des  manuscrits  et  les  ta- 
pisseries historiées.  Mais  la  lumière  est  versicolore;  comme 
l'eau,  elle  se  teint  de  couleurs  diverses,  suivant  les  objets  qui 
l'entourent  et  qu'elle  reflète,  et  suivant  sa  propre  intensité. 
Les  étoiles,  source  de  la  plus  vive  lumière,  scintillent  bleues, 
violettes ,  rouges  et  blanches  ;  le  rouge  cerise  et  le  rouge 
blanc  sont  des  degrés  de  lumière  très-appréciés  des  physiciens. 
D'ailleurs,  la  lumière  se  décompose  dans  le  prisme  en  sept 
éléments  principaux  qui,  en  se  combinant,  multiplient  les 
nuances  à  l'infini.  La  gloire,  jouissant  des  propriétés  de  la  lu- 
mière, devait  donc  comme  elle  varier  de  couleur,  depuis  le 
bleu  foncé  jusqu'au  blanc  le  plus  vif.  Aussi  les  auréoles  et  les 
nimbes  sont  tantôt  bleus,  tantôt  violets,  tantôt  rouges,  tantôt 
jaunes  et  tantôt  blancs.  Mais  de  tout  temps  le  jaune,  la  cou- 
leur de  for,  a  été  regardé  comme  la  plus  précieuse,  la  plus 
noble  et  souvent  comme  la  plus  éclatante  des  couhîurs;  l'or. 


168  INSTRUCTIONS. 

son  type,  était  considéré  comme  de  la  lumière  solidifiée.  De 
là,  très-ordinairement,  les  nimbes  et  les. auréoles,  surtout  les 
nimbes  et  les  auréoles  de  Dieu,  sont  colorés  en  or  et  en  jaune. 
De  là  les  représentations  du  soleil,  qu'elles  soient  antiques  ou 
modernes,  sont  colorées  en  jaune;  ordinairement  le  soleil  est 
jaune  quand  toutefois,  et  pour  un  dessein  particulier,  il  n'est 
pas  rouge.  Homère  dit  qu'Apollon  a  la  cbevelure  d'or;  Phébus 
le  blond  ou  le  doré  est  aussi  populaire  que  la  blonde  Cérès. 

La  couleur  donnée  aux  nimbes  est  quelquefois  symbolique, 
comme  le  prouve  le  nimbe  noir,  nimbe  en  deuil,  attribué  au 
traître  Judas  ;  mais  souvent  aussi  elle  est  purement  hiérar- 
chique. Puisque  le  nimbe,  par  sa  forme,  était  un  ingénieux 
et  puissant  moyen  de  hiérarchie,  la  couleur  devait  venir  en 
aide  à  cette  forme.  En  voici  un  exemple.  La  bibliothèque 
publique  de  Strasbourg  possède  un  magnifique  manuscrit, 
déjà  cité  \  Ce  grand  ouvrage,  si  on  en  croit  la  tradition,  a 
été  écrit  et  peint  par  une  abbesse  du  couvent  de  Sainte- 
Odile  en  Alsace,  qui  s'appelait  Herrade.  C'est  une  encyclo- 
pédie de  toutes  les  sciences  connues  et  pratiquées  au  moyen 
âge,  et  qui  fait  pressentir  l'admirable  Miroir  universel  de  Vin- 
cent de  Beauvais.  Vers  la  fin  de  ce  manuscrit,  est  peinte  la 
cour  céleste,  tout  le  paradis.  En  haut  est  le  Christ,  nimbé  en 
or  et  couronné  de  même.  Puis  arrivent  neuf  ordres  de  saints, 
entremêlés  d'anges  et  ainsi  disposés  :  les  vierges^,  les  apôtres, 


'   Page  52  ,  noie  Ix. 

'  Notez  que  les  Vierges,  les  dernières  partout  ailleurs,  comme  on  le  voit  aux  ca- 
thédrales de  Paris,  de  Reims  et  de  Chartres,  sont  ici  en  tête  de  la  sainte  hiérarchie, 
immédiatement  après  Dieu,  et  avant  les  apôtres  et  les  martyrs.  On  sent  bien  que  ce  ma- 
nuscrit a  été  composé  par  une  religieuse  et  pour  un  couvent  de  religieuses.  C'est  ainsi 
qu'au  portail  de  la  cathédrale  de  Paris,  dans  cette  grande  église  d'une  ville  où  l'inlelli- 
gence  a  toujours  eu  le  pas  sur  toutes  choses ,  on  a  mis  les  confesseurs  avant  les  martyrs , 
ce  qui  est  un  anachronisme  et,  de  plus,  une  exception  curieuse  à  la  pratique  constante  de 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  169 

les  martyrs,  les  confesseurs ,  les  prophètes,  les  patriarches,  les 
continents,  les  mariés,  les  pénitents.  Les  quatre  premiers 
ordres,  les  plus  élevés  de  tous,  portent  le  nimhe  doré.  Les  pro- 
phètes et  les  patriarches,  ces  saints  de  la  vieille  loi,  et  qui 
n'ont  connu  la  vérité  qu'imparfaitement  et  à  travers  des  méta- 
phores, ont  le  nimhe  en  argent.  Les  continents  sont  nimbés 
en  rouge.  Les  mariés  portent  le  nimbe  vert,  et  les  pénitents 
jaunâtre  et  légèrement  nuancé.  Ainsi  voilà  bien  la  couleur 
employée  comme  moyen  hiérarchique;  elle  se  dégrade  à  me- 
sure que  l'on  descend  des  ordres  supérieurs  à  l'ordre  le  plus 
bas  placé  et  après  lequel  il  n'y  a  plus  de  saints,  mais  seulement 
de  simples  hommes. 

Ajoutons  que  cette  hiérarchie  de  couleurs  pourrait  bien, 
dans  les  idées  du  moyen  âge ,  s'allier  en  même  temps  au  sym- 
bolisme. La  plus  éclatante  couleur  c'est  l'or,  et  ici  elle  se  donne 
aux  plus  grands  saints.  L'argent,  couleur  de  la  lune  qui  est 
inférieure  au  soleil,  mais  sa  compagne  toutefois,  devait  venir 
après  ;  puis  le  rouge  ou  le  feu ,  attribut  de  ceux  qui  luttent 
contre  la  passion ,  et  qui  est  inférieur  aux  deux  métaux  de 
l'or  et  de  l'argent,  au  soleil  et  à  la  lune,  dont  il  est  une 
simple  émanation  ;  puis  le  vert ,  qui  symbolise  l'espérance  et 
qui  peut  convenir  aux  personnes  mariées;  enfin  le  jaunâtre, 
couleur  équivoque,  moitié  blanche  et  moitié  jaune,  couleur 
altérée  et  qui  se  donne  à  des  saints ,  pécheurs  autrefois ,  mais 
qui  ont  pu  se  réhabiliter  et  S'Éclairer  un  peu  aux  yeux  de  Dieu 
par  la  pénitence.  C'est  de  la  hiérarchie  et  du  symbolisme; 
c'est,  en  quelque  sorte,  le  système  rendu  visible  de  l'émanation 
hindoue. 

l'art  chrétien.  Ces  troubles  dans  la  hiérarchie  sacrée ,  ces  hérésies  de  l'art ,  pour  ainsi 
dire,  doivent  être  signalées  avec  soin  ;  car  il  y  a  des  conséquences  historiques  et  morales 
à  en  tirer. 

INSTRUCTIONS.  II.  22 


170  INSTRUCTIONS. 

On  a  dit  que  la  couleur  attribuée  aux  nimbes  et  aux  auréoles 
était  symbolique  quelquefois  et  non  pas  toujours.  Il  ne  faudrait 
pas,  en  effet,  chercher  constamment  un  sens  dans  la  couleur 
et  s'exagérer  l'importance  qu'elle  pourrait  avoir,  car  il  est  facile 
de  prouver  qu'elle  ne  signifie  rien  la  plupart  du  temps.  Voyez  les 
fresques  de  Saint-Savin.  Dieu  y  est  représenté  un  assez  grand 
nombre  de  fois,  soit  avec  le  nimbe  seulement,  soit  avec  le 
nimbe  et  f auréole  tout  ensemble.  Eh  bien,  le  champ  du  nimbe 
est  tantôt  rouge  à  croisillons  blancs,  tantôt  rouge  à  croisil- 
lons jaunes,  tantôt  jaune  à  croisillons  verts,  tantôt  jaune  à 
croisillons  rouges,  tantôt  jaune  à  croisillons  bleus,  tantôt  bleu 
foncé  à  croisillons  bleu  clair.  Le  champ  de  f  auréole,  jaune 
à  f  une,  est  verdâtre  à  deux  autres.  Chercher  un  sens  mystique 
dans  ces  couleurs  diverses,  c'est  se  fatiguer  puérilement;  on 
peut  tout  au  plus  reconnaître  que  le  jaune  et  le  rouge  dominent 
dans  ces  auréoles,  et  que  le  jaune  est  la  couleur  de  l'or,  tandis 
que  le  rouge  est  celle  du  soleil  et  du  feu;  voilà  tout. 


DIEU. 


Dieu  est  un  pur  esprit,  invisible,  mais  présent  partout. 
Dieu  est  éternel  et  immense ,  infini  en  durée  comme  en  éten- 
due. Il  est  souverainement  puissant,  souverainement  bon, 
souverainement  intelligent.  Unique  en  essence,  triple  en  per- 
sonnes. Dieu  est  le  créateur,  le  maître  et  le  modérateur  de 
tout. 

Telle  est,  suivant  le  dogme  chrétien,  la  définition  de  l'Etre 
suprême,  ou  de  la  cause  première  de  ce  qui  existe.  Cet  être 
invisible,  l'art  l'a  fait  voir  dans  des  images  et  des  statues;  cet 
être  immense,  l'art  l'a  réduit  à  des  dimensions  finies.  Sous  la 
volonté  de  l'homme,  cet  esprit  a  pris  un  corps,  cet  éternel 
a. vécu  dans  le  temps.  Nous  allons  parler  de  sa  représentation 
peinte,  ciselée  ou  sculptée  par  les  artistes  chrétiens  aux  diffé- 
rents siècles  de  notre  ère  ;  nous  allons  décrire  les  divers  por- 
traits que  les  sculpteurs  et  les  peintres  nous  ont  laissés  de 
l'image  qu'ils  se  faisaient  de  Dieu. 

Unique  en  substance,  indivisible  en  nature.  Dieu,  disons- 
nous,  est  triple  en  personnes.  C'est  la  réunion  de  ces  trois 
personnes  ou  hypostases  qui  constitue  la  divinité  dans  sa  plé- 
nitude parfaite  ;  Deus  trinus  unus  ,  a  dit  Lactance  dans  un 
langage  orthodoxe  et  concis  \ 

^  La  philosophie  antique,  par  l'organe  de  Platon,  dans  le  Timée,  avait  déjà  dit: 
«  L'unité  est  divisée  en  trois  et  la  trinité  est  réunie  en  un.  »  Dante  ajouta  :  «  Cet  un  et 
deux  et  trois  qui  vit  toujours  et  règne  toujours  en  trois  et  deux  et  un ,  non  circons- 
crit et  qui  circonscrit  toute  chose.»  [Divine  Comédie ^  Paradis,  chant  xiv.) 

22. 


172  INSTRUCTIONS. 

A  chaque  personne  divine  le  dogme  chrétien  attache  un 
nom  différent  et  des  fonctions  particulières  ;  l'art,  de  son  côté, 
a  revêtu  ce  nom  d'une  figure  spéciale ,  a  représenté  ces  per- 
sonnes et  caractérisé  ces  fonctions  par  des  attributs  distincts. 

La  première  personne  divine  s'appelle  le  Père,  la  seconde 
le  Fils,  la  troisième  le  Saint-Esprit.  Toutes  trois  ont  été  repré- 
sentées, soit  isolément,  soit  ensemble,  par  les  artistes.  Il  con- 
vient donc  de  les  étudier  d'abord  une  à  une,  et  de  tracer  à  part 
l'iconographie  de  chacune  d'elles  ;  puis  de  les  réunir  sous  un 
même  chef,  dans  un  même  chapitre,  sous  le  nom  de  Trinité. 

DIEU  LE  PÈRE. 

Dans  ses  rapports  avec  l'homme,  dans  l'histoire.  Dieu  le 
père  s'est  manifesté  très-souvent.  Il  est  bien  vrai  que  le  Père, 
toutes  les  fois  qu'il  s'est  révélé,  révélait  en  même  temps  le  Fils 
et  le  Saint-Esprit  ;  cependant  certains  actes  lui  sont  attribués  à 
lui  plus  spécialement  qu'aux  deux  autres  personnes.  Toute  ac- 
tion où  se  montre  principalement  l'énergie  divine,  qui  corres- 
pond à  ce  que  nous  appelons  la  force  ou  la  puissance,  est  faite 
par  le  Père;  les  deux  autres  énergies,  qui  correspondent  à 
l'amour  et  à  l'intelligence,  semblent  revenir  de  préférence  au 
Fils  et  au  Saint-Esprit. 

Historiquement,  c'est  plus  volontiers  dans  l'Ancien  Testa- 
ment, dans  la  Bible  proprement  dite\  que  le  Père  se  manifeste; 
tandis  que  le  Fils  se  révèle  dans  l'Evangile  surtout,  et  que  le 


Dans  le  cours  de  ce  travail,  on  l'a  déjà  vu,  nous  avons  donné  le  nom  de  Bible  à 
l'Ancien  Testament  et  celui  d'Evangile  au  Nouveau.  Rigoureusement  il  faudrait  entendre 
par  Bible  la  réunion  de  tous  les  livres  sacrés,  aussi  bien  ceux  du  Nouveau  Testament 
que  ceux  de  l'Ancien  ;  mais  nous  avons  préféré  nous  servir  du  langage  vulgaire  et  réser- 
ver le  nom  de  Bible  exclusivement  aux  livres  canoniques  de  l'Ancien  Testament. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  173 

Saint-Esprit  apparaît  tantôt  dans  l'un  et  tantôt  dans  l'autre. 
On  peut  dire  que  la  Bible  renferme  spécialement  l'histoire  de 
Dieu  le  père,  et  l'Évangile  l'histoire  de  Dieu  le  fds. 

Ainsi  le  Père  crée  le  ciel  et  la  terre,  les  plantes,  les 
animaux  et  l'homme.  C'est  lui  qui  reçoit  l'offrande  d'Abel 
et  rejette  celle  de  Caïn,  qui  punit  les  hommes  par  le  dé- 
luge, renverse  les  projets  des  constructeurs  de  Babel,  appelle 
Abraham  à  la  foi,  donne  à  Moïse  les  tables  de  la  loi,  guide 
les  Hébreux  dans  le  désert  et  les  dirige  vers  la  Judée,  combat 
les  ennemis  de  son  peuple  choisi,  inspire  les  prophètes  et  les 
juges,  donne  la  sagesse  à  Salomon  et  la  vertu  à  Ézéchias.  C'est 
lui  qui  inflige  la  captivité  aux  Juifs  et  leur  rend  ensuite  la 
liberté  ;  lui  enlin  qui  envoie  l'archange  Gabriel  annoncer  à  la 
vierge  Marie  qu'il  l'a  élue  pour  être  la  rnère  de  son  fds. 

L'Ancien  Testament  est  donc  véritablement  le  théâtre  où 
Dieu  le  père  déploie  toute  sa  puissance.  C'est  Jéhovah  qui 
est  déclaré  créer  le  monde.  Les  deux  autres  personnes  de  la 
Trinité  apparaissent  à  peine.  On  soupçonne  leur  présence 
dans  plusieurs  phrases,  surtout  au  «  Faciamus  hominem  ad 
«  imaginem  et  similitudinem  nostram  ^  ;  »  mais  ces  expres- 
sions ne  sont  pas  toutes  à  l'abri  de  la  controverse.  D'ailleurs 
le  Père  est  nommé  et  nommé  seul  dans  une  multitude  de 
passages  très-clairs  et  très-explicites.  Le  Père  règne  à  peu 
près  sans  partage  dans  l'Ancien  Testament  :  il  parle ,  il  se 
montre,  il  agit,  il  punit,  il  récompense;  il  converse  avec 
Adam,  Caïn,  Noé,  Abraham,  Moïse,  avec  les  rois,  avec  les 
prophètes  ;  il  est  avec  eux ,  au  milieu  d'eux.  On  le  sent ,  on 
l'entend,  on  le  voit  partout;  chaque  verset  en  parle. 

Dans  le  Nouveau  Testament,  au  contraire.  Dieu  le  Père 
s'efface  presque  complètement  et  recule  au  dernier  plan  :  on 

*   Liber  Genesis,  cap.  i,  v.  26. 


174  INSTRUCTIONS. 

le  voit  à  peine,  on  ne  l'entend  presque  pas.  La  scène  entière 
semble  envahie  par  son  fils.  Deux  fois  il  parle  dans  le  loin- 
tain pour  dire,  au  baptême  et  à  la  transfiguration  de  Jésus- 
Christ,  «Celui-ci  est  mon  fils  bien-aimé  dans  lequel  j'ai  mis 
mes  complaisances  '  ;  »  puis  il  semble  rentrer  dans  un  silence 
absolu.  Quand  le  Christ  lui  crie,  à  son  agonie  de  sang,  ^  Mon 
père,  éloignez  ce  calice  de  moi'\  ->  ce  n'est  pas  Dieu,  mais 
un  ange  qui  vient  le  fortifier.  Lorsque,  clouée  à  sa  croix,  la 
victime  divine  s'écrie ,  «  Mon  Dieu ,  mon  Dieu  ,  pourquoi 
m'avez-vous  abandonné"'  1  )  pas  un  mot  de  consolation  ne 
descend  du  ciel.  Dieu  le  père  garde  le  silence,  et  les  anges 
eux-mêmes  se  taisent.  Voilà  ce  qu'enseignent ,  à  la  première 
lecture,  les  textes  sacrés,  le  sens  littéral  des  livres  saints. 

Les  artistes,  fidèles  à  fliistoire  plutôt  qu'au  dogme  abstrait 
et  raisonné,  font  ainsi  compris,  au  moins  à  la  fin  de  la  pé- 
riode gothique;  dans  toutes  les  scènes  de  TAncien  Testament, 
ils  figurent  Dieu  le  père,  à  f exclusion,  en  quelque  sorte,  du 
Fils  et  du  Saint-Esprit.  Cependant  c'est  à  la  fin  du  xiv*"  siècle 
seulement,  c'est  aux  xv""  etxvi'  principalement,  que  les  sculp- 
teurs et  les  peintres  ont  ainsi  représenté  le  Père;  car  dans 
les  siècles  antérieurs  il  se  passe  un  fait  étrange ,  que  farchéo- 
logie  confirme  par  beaucoup  d'exemples  et  qui  mérite  expli- 
cation. 

Que  le  Fils ,  le  Père  et  le  Saint-Esprit  concourent  ensemble 
aux  mêmes  actes  et  se  manifestent  tous  les  trois  en  même 
temps  dans  les  diverses  histoires  de  fAncien  Testament ,  on  le 
conçoit,  puisque  la  Trinité  est  indivisible  dogmatiquement  et 
que  toute  œuvre  faite  par  fune  des  trois  personnes  est  faite  col- 

'   Saint  Matthieu,  chap.  m,  v.  ly;  chap.  xvii,  v.  k  et  5. 
'  Saint  Marc,  chap.  xiv,  v,  36. 
^  Saint  Marc,  chap.  xv,  v.  3/i. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  175 

lectivement  par  les  trois  à  la  fois.  Mais,  du  moment  qu'on  ne 
représente  qu'une  seule  personne,  c'est  le  Père,  à  ce  qu'il 
semble,  qu'il  faudrait  montrer  à  la  Création  \  comme  c'est  le 
Fils  qu'il  faut  montrer  à  la  Passion,  et  le  Saint-Esprit  à  ]a  Pen- 
tecôte. Représenter  le  Fils  tout  seul  créant  Adam  et  Eve  est 
un  fait  extraordinaire.  Historiquement  c'est  un  anachronisme: 
car  le  Fils,  qui  est  Jésus-Christ,  n'était  pas  encore  né.  Cepen- 
dant rien  n'est  plus  fréquent  que  de  voir  Jésus  prenant  la 
place  de  son  père  et  créant  le  monde  à  lui  seul,  commandant 
à  Noé  de  construire  l'arche ,  arrêtant  la  main  d'Abraham  qui 
est  sur  le  point  de  sacrifier  Isaac,  parlant  à  Moïse  du  sein 
du  buisson  ardent. 

De  plus,  lorsque  c'est  peut-être  Dieu  le  père  qu'on  a  voulu 
représenter  conversant  avec  Abraham,  Moïse,  les  prophètes  et 
les  rois,  on  a  semblé  craindre  de  le  faire  voir  en  entier  et  on 
n'en  a  montré  qu'une  petite  partie,  la  main ,  par  exemple,  quel- 
quefois la  face,  plus  rarement  le  buste,  presque  jamais  le  corps 
entière  Ainsi,  ou  le  Fils  remplace  son  père  dans  les  œuvres 
faites  par  ce  dernier,  ou  l'on  ne  montre  du  Père  que  le  moins 
possible;  ou  bien  le  Père  est  absent,  ou  il  est  presque  entière- 
ment voilé,  on  pourrait  peut-être  dire  sacrifié.  Ce  sont  deux  faits 
parallèles  et  presque  identiques.  Mais  avant  que  d'en  chercher 
l'explication,  il  convient  de  les  prouver  par  l'iconographie, 
et  de  démontrer  premièrement  que  Jésus -Christ  prend  la 
place  de  son  père  dans  les  œuvres  dont  le  Père  est  plus  spé- 

'  Nous  nous  plaçons  ici  au  seul  point  de  vue  historique  ;  car,  clans  un  instant,  il  sera 
prouvé  par  la  théologie  qu'il  faudrait  mettre  le  Fils  où  les  artistes  du  xv''  siècle  et  de  la 
renaissance  ont  mis  le  Père. 

■  Sur  les  sarcophages  du  Vatican  et  les  fresques  des  catacombes,  les  plus  anciens 
monuments  figurés  du  christianisme,  on  ne  voit  jamais  autre  chose  du  Père  éternel  que 
la  main  sortant  des  nuages.  Voyez  Boni.  Sotterr.  passim ,  surtout  pages  li5  ,  5g,  70,  28 1. 
339,  363  et  367  de  l'édit.  ilal.  Rome,  i632. 


176  INSTRUCTIONS. 

cialement  rauteur;  secondement  que  le  Père,  si  toutefois  c'est 
lui  qu'on  a  voulu  représenter,  ne  révèle  sa  présence  que  par 
une  main,  un  bras,  une  face,  le  reste  étant  invisible. 

Et  d'abord  Jésus-Cbrist  se  représente  à  la  place  du  Père. 

Dans  le  chapitre  qui  sera  consacré,  après  celui-ci,  au  fils 
de  Dieu,  on  dira  à  quels  caractères  d'âge,  de  physionomie, 
de  costume,  d'attitude,  d'attributs  on  Le  reconnaît;  qu'il 
suffise  d'énoncer  ici  que  Jésus  se  montre  sous  deux  formes 
complètement  distinctes.  Ou  bien,  comme  sur  les  anciens  sar- 
cophages, sur  quelques  fresques  de  la  Grèce,  dans  quelques 
sculptures  de  notre  pays  influencées  par  le  génie  byzantin,  il 
est  jeune,  imberbe,  adolescent  de  quinze  à  dix-huit  ans,  pieds 
chaussés  de  sandales  et  rarement  nus ,  longs  cheveux  tombant 
sur  les  épaules,  sans  nimbe  ^;  ou  bien,  comme  il  se  montre 
le  plus  ordinairement,  surtout  dans  nos  contrées,  il  est  âgé  de 
trente  à  trente-trois  ans,  époque  de  sa  mort,  avec  la  figure 
allongée,  la  barbe  fine  et  courte,  les  cheveux  mi-longs  et 
divisés  sur  le  front,  la  physionomie  douce  et  mélancolique, 
le  nimbe  partagé  par  une  croix,  les  pieds  nus,  la  robe  et  le 
manteau  longs.  A  voir  ces  deux  figures  consacrées  qui  se 
donnent  au  Christ ,  on  ne  peut  s'y  tromper  et  le  confondre 
avec  une  autre  personne.  D'ailleurs,  non-seulement  la  figure 
est  un  caractère  qui  sert  à  le  distinguer,  mais  encore  assez 
souvent  son  nom  est  écrit  à  ses  pieds  ou  autour  de  sa  tête, 
soit  en  entier,  soit  en  abrégé,  soit  en  monogramme. 

Or  une  foule  de  monuments,  qui  représentent  la  Création 
et  toutes  les  scènes  de  la  Bible  où  Dieu  le  père  est  acteur  et 
auteur,  montrent  non  pas  le  Père,  mais  le  Fils  reconnaissable 
et  à  sa  physionomie  hiératique,  et  à  son  nom  peint  ou  gravéo 

^  Voyez  plus  haut,  page  A3,  p).  17,  et  page  Ixlx,  pi.  18,  deu.x  portraits  de  Jésus  im- 
berbe; le  premier  est  chaussé  de  sandales. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  177 

Il  est  constant  que  sur  une  multitude  de  sarcophages  en 
marbre  blanc,  qui  datent  des  premières  époques  du  christia- 
nisme, du  iv^  au  VIII''  siècle,  Jésus-Christ  est  représenté  jeune 
et  imberbe,  comme  on  vient  de  dire.  On  ne  peut  douter  que 
ce  ne  soit  bien  Jésus,  car  il  s'agit,  dans  les  sujets  que  portent 
les  sarcophages,  de  la  résurrection  de  Lazare,  de  la  guérison 
de  Taveugle-né  et  du  paralytique,  de  la  multiplication  des 
pains,  de  la  conversation  avec  la  Samaritaine,  de  l'entrée 
triomphante  dans  Jérusalem  ,  de  la  comparution  devant  Pilate, 
de  la  prédication  aux  apôtres  ;  or  celui  qui  ressuscite,  guérit, 
multiplie,  parle,  triomphe,  comparaît,  prêche,  c'est  ce  jeune 
homme  imberbe  dont  nous  parlons,  c'est  Jésus  en  adolescent. 
Mais  sur  les  mêmes  monuments  sont  sculptés,  ordinairement  à 
gauche,  des  sujets  parallèles  aux  précédents,  qui  sont  à  droite. 
On  y  voit  Dieu  condamnant  au  travail  Eve  et  Adam ,  pariant  à 
Noé,  arrêtant  le  bras  d'Abraham,  donnant  sa  loi  à  Moïse;  et 
ce  Dieu,  c'est  toujours  le  jeune  adolescent  imberbe  qui  ressus- 
cite Lazare  et  envoie  ses  apôtres  prêcher  dans  l'univers.  Ce 
Dieu ,  c'est  le  Fils  qui  prend  la  place  de  son  père. 

Le  dessin  82  ,  page  100  (Dieu  imberbe,  de  qui  Eve  et  Adam 
reçoivent  un  agneau  et  des  épis),  représente  précisément  ce 
jeune  homme  divin ,  sans  barbe,  à  longs  cheveux  tombant  sur  le 
cou,  aux  pieds  chaussés  de  sandales;  Dieu  y  condamne  Adam 
à  labourer  la  terre,  qui  portera  des  épis  semblables  à  ceux  dont 
il  lui  donne  une  gerbe,  et  Eve  à  filer  la  toison  de  l'agneau  qu'il 
lui  présente.  Ce  dessin  est  tiré  d'un  sarcophage  du  Vatican. 

On  pourrait  croire  peut-être  que  ce  Dieu  qui  parle  à  Eve 
et  à  Adam  est  Dieu  le  père,  bien  qu'on  pût  s'étonner  à  bon 
droit  de  voir  cet  ancien  des  jours,  comme  l'appellent  la  Bible 
et  les  Grecs  (0  TrotAct/o^  tcùv  îiV^pwv),  à  peine  sorti  de  l'enfance; 
on  pourrait  croire  que ,  suivant  en  cela  la  pratique  des  anciens 

INSTRCCTIONS.  II.  23 


178  INSTRUCTIONS. 

Grecs,  les  premiers  chrétiens  ont  représenté  Dieu  le  père  ou 
Jéliovah,  jeune  et  sans  barbe,  pour  caractériser  la  divinité 
immuable  qui  ne  vieillit  jamais,  et  qui  vit  dans  une  jeunesse 
éternelle.  Mais  le  dessin  suivant  ^  ne  laisse  aucun  doute  : 
c'est  bien  Jésus-Christ  qui  préside  à  la  création  et  à  toute  l'his- 
toire génésiaque  ;  car  là  Dieu  est  représenté  créant  Adam ,  le 
premier  né  ['aS)ol/ul  o  Tr^loTrActfrlo^  ) ,  et  ce  Dieu  n'est  autre 
que  le  Christ,  comme  son  nom  TC  Xt,  écrit  dans  le  champ 
de  l'auréole  circulaire  d'où  il  semble  s'élancer,  en  fournit  la 


preuve 


/(8.  LE    CRÉATEUR  EN  JESUS-CHRIST  ET  NON  EN  DIEU  LE  PERE. 

Peinture  à  fresque,  ix'  siècle. 


Du  reste,  le  manuscrit  de  Panselinos  ^  est  encore  plus 
explicite,  si  c'est  possible.  Lorsque  cet  ouvrage  enseigne  aux 
peintres  la  manière  dont  ils  doivent  représenter  Moïse  devant 
le  buisson  ardent,  voici  les  indications  qu'il  donne  et  le  ta- 

•^  ^  11  représente  un  ivoire  grave  au  xii°  ou  xui'  siècle  probablement.  Gori  Ta  donné 
dans  son  Thésaurus  veteruni  diptychoruni,  lom.  Il,  p.  i6o. 

Serou.x  d'Agiricourl  [Histoire  de  l'Art  par  les  monuments)  reproduit  un  autre  exemple 
semblable  a  celui-ci  qui  est  donné  par  Gori. 

Èpfirjveia.  rfji  Zûiypa.(piKr)5 ,  seconde  partie.. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  179 

bleau  qu  il  dessine  par  la  parole  :  «  Moïse  déliant  sa  chaussure; 
autour  de  lui  des  brebis.  Devant  Moïse  est  le  buisson  ardent, 
au  milieu  et  sur  le  sommet  duquel  brillent  la  Vierge  et  son 
enfant.  Près  de  Marie,  un  ange  regarde  du  côté  de  Moïse.  D'un 
autre  côté  du  buisson,  on  voit  encore  Moïse  debout,  ayant 
une  main  étendue  et  tenant  de  l'autre  une  baguette.  »  Cest 
donc  non-seulement  Jésus  que  les  Grecs  substituent  à  Dieu  le 
père ,  mais  encore  la  Vierge,  et  cela  plus  de  quatorze  cents  ans 
avant  sa  naissance.  Notre  art  occidental  a  suivi  plus  d'une  fois 
lui-même  les  prescriptions  de  l'art  byzantin,  ou  du  moins  il 
s'est  rencontré  avec  lui.  Pour  n'en  citer  que  deux  exemples, 
on  voit  à  Pœims,  sur  une  tapisserie  du  xvf  siècle,  et  à  Saint- 
Sauveur  d'Aix,  sur  un  tableau  attribué  au  roi  René,  Moïse  se 
prosternant  devant  un  buisson  tout  vert,  et  d'où  sortent  des 
langues  de  flammes.  Sur  la  tapisserie  de  la  cathédrale  de 
Reims,  on  lit,  en  vers  tissés  dans  la  laine: 

Comment  Moyse  fut  très  fort  esbahi 

Quant  apercent  le  vert  buisson  ardant 
Dessus  le  mont  de  Horeb  ou  Synaï 
Et  n'estoit  rien  de  sa  verdeur  perdant. 

Enfin  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale,  qui  est  des 
dernières  années  du  xiv^  siècle  \  montre  Dieu  apparaissant  à 
Moïse,  au  milieu  des  éclairs,  sur  le  mont  Sinaï,  et  Dieu  ayant 
la  tête  hors  des  nuages  lorsque  Moïse  lève  les  mains  vers 
lui  et  l'implore  contre  les  Amalécites.  Dans  ces  deux  minia- 
tures. Dieu  est  jeune  et  complètement  imberbe.  Sur  les 
fresques  de  Saint-Savin,  près  de  Poitiers,  on  voit  Dieu  don- 
nant à  Moïse,  sur  le  mont  Sinaï,  les  Tables  de  la  loi,  Dieu 
parlant  à  Noé,  Dieu  créant  le  monde;  partout  ce  Dieu  a  la 

'   BMa  6829.  Cf.  Bible  6,  Bibl.  roy.  niinialure  dfs  entants  dans  la  fournaise. 

23. 


180  INSTRUCTIONS. 

figure  du  Christ  :  son  âge  est  de  trente  à  trente-cinq  ans ,  ses 
cheveux  sont  jeunes  et  blonds,  sa  physionomie  est  pleine  de 
douceur.  Ce  Dieu,  c'est  le  Jésus,  non  plus  imberbe  comme 
sur  le  manuscrit  dont  on  vient  de  parler,  mais  Jésus  arrivé  à 
1  âge  de  la  prédication  et  de  la  vie  publique;  ce  n'est  pas  Dieu 
le  père. 

A  ce  nom  de  Tout-Puissant ,  la  figure  qu'on  se  fait  de  la  per- 
sonne qui  le  porte  est  celle  de  la  Trinité  entière  et  qui  a  la 
plénitude  de  la  puissance  divine,  ou  celle  de  Dieu  le  père  au- 
quel la  force  paraît  attribuée  plus  spécialement;  mais  on  songe 
moins  à  Jésus-Christ,  en  qui  se  sont  incarnés  plutôt  le  dé- 
vouement et  la  charité.  Et  cependant  chez  les  Grecs,  au  fond 
des  grandes  coupoles  qui  couvrent  le  centre  des  églises,  se 
montre  la  figure  gigantesque  du  Tout-Puissant,  du  Pantocra- 
tor,  comme  ils  l'appellent,  peinte  à  fresque  ou  en  mosaïque  sur 
fond  d'or.  Ce  Dieu  bénit  les  fidèles  du  haut  de  ce  ciel  de  l'art 
avec  la  main  droite,  tandis  qu'il  tient  un  livre  à  la  main  gauche. 
Ce  Dieu  est  un  peu  jeune  pour  être  le  Père,  l'ancien  des  jours. 
Cependant,  comme  on  lit  en  gros  caractères  o  Tra/lorc^^ctifi,  on 
pourrait  croire  un  instant ,  et  malgré  la  croix  qui  décore  son 
nimbe,  que  c'est  bien  o  TntAct/o^rSv  viuLepuv.  Mais  bientôt  on  est 
détrompé,  car  au-dessous  de  la  première  inscription,  sur  les 
épaules  du  personnage,  éclatent  déplus  grosses  lettres  encore, 
ic  xc  Çlrxrovç  Xc^crrc^t;)  ^  Jésus-Christ  ;  puis,  sur  le  livre  qu'il 
tient  à  la  main  on  lit  ce  que  Jésus  dit  de  lui-même  dans 
l'Evangile:  «  Je  suis  la  lumière  du  monde.  »  Du  reste  la  figure, 
quand  le  nom  et  l'inscription  ne  la  qualifieraient  pas,  repré- 
sente évidemment  Jésus  et  non  pas  Dieu  le  père  '. 

Le  dessin  qui  suil  a  été  pris  sur  une  peinture  à  fresque  qui  orne  la  principale  église 
du  couvent  de  l'île  de  Saiamine.  A  Mistra  et  dans  la  cathédrale  d'Athènes;  aux  Météores  , 
dans  la  Thessalie;  au  mont  Athos,  dans  la  Macédoine;  à  Daphné,  près  d'Athènes  et  sur 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE. 


181 


49.  JÉSUS-CHRIST,    ET    NON    LE    PERE,    EN    TOUT-PUISSANT. 

Peinture  à  fresque  de  Salamine,  xviii*  siècle. 


OHÂNTO. 


E-P-M-Dv/RANOeX-PICl  V  R-û  R/^t 


A  la  cathédrale  de  Chartres  (porche  du  nord ,  arcade  cen- 
trale ) ,  on  a  sculpté  en  très-grand  détail  toute  la  création  ra- 
contée dans  la  Genèse.  Or,  dans  la  Genèse,  avons-nous  dit, 
c'est  le  Père  qui  crée,  c'est  Jéhovah  ;  il  n'y  est  question  ni  du 
Fils,  ni  du  Saint-Esprit,  pas  autrement  que  dans  ces  mots: 
«(  Faciamus  hominem  ad  imaginem  et  similitudinem  nostram. 
«  —  Et  Spiritus  Dei  ferebatur  super  aquas  \  »  C'est  le  Père  qui 
parle,  qui  approuve  son  œuvre,  qui  modèle  l'homme,  qui 
édifie  la  femme  ^^,  qui  prononce  la  défense  et  qui  adresse  les 


la  route  d'Eleusis  ;  à  Saint-Luc,  en  Livadie,  au  pied  du  mont  Parnasse,  il  en  est  cons- 
tamment de  même.  Or  les  peintures  qu'on  voit  dans  ces  diverses  localités  embrassent 
une  période  de  treize  siècles,  depuis  Justinien  jusqu'à  nos  jours.  En  iSSg,  au  mois  de 
novembre,  j'ai  vu  peindre  un  de  ces  Christ  en  Panlocrator  au  mont  Athos. 

'   Genèse,  chap.  i ,  v.  2  et  26. 

*  «  Et  aedificavit  Dominus  Deus  costam ,  quam  tuierat  de  Adam ,  in  mulierem.  »  (Genèse, 
chap.  Il,  V.  22.) 


182  INSTRUCTIONS. 

reproches.  La  sculpture  de  Chartres  a  représenté  dans  cette 
création  Dieu  treize  fois  et  dans  treize  différents  bas-reliefs;  ce 
Dieu  n'est  pas  le  Père,  n'est  pas  Jéhovah ,  mais  bien  le  Fils,  âgé 
de  trente  ans  à  peu  près;  il  est  orné,  comme  nous  l'avons  déjà 
vu,  de  ces  beaux  cheveux  lisses  qui  ombragent  ses  épaules,  et 
de  cette  barbe  fme  et  bifurquée  qui  lui  descend  du  menton.  Ce 
créateur  est  en  tout  semblable  au  Pantocrator  qui  précède. 

La  Bible  de  Charles  le  Chauve  reproduit  en  miniatures  la 
création  entière.  Là  le  Dieu  qui  crée  n'a  que  vingt  ans;  il  est 
imberbe,  déjà  orné  du  nimbe;  mais  ce  nimbe  n'est  pas  encore 
croisé.  Les  pieds,  qui  sont  nus,  ont  déjà  quitté  les  sandales, 
qu'on  voit  sur  les  sarcophages.  A  la  main  est  un  long  bâton. 
Ce  Dieu  est  le  Fils  et  non  pas  Jéhovah. 

11  est  vrai  que  le  Symbole  de  Nicée  déclare  que  toutes 
choses  ont  été  créées  par  le  Verbe,  qui  est  le  fils  de  Dieu, 
et  l'art,  comme  nous  le  verrons,  a  dû  être  fidèle  à  ce  dogme  ; 
mais  ailleurs,  où  il  faudrait  évidemment  le  Père,  et  tout  au 
plus  le  Verbe  non  fait  chair  encore,  on  a  mis  le  Christ.  Du 
temps  d'isaïe,  le  Christ,  l'Homme-Dieu ,  n'était  pas  encore 
né;  aussi,  dans  l'Ancien  Testament,  quand  Dieu  parle  ou  ap- 
paraît aux  prophètes,  c'est  Jéhovah,  ou  Dieu  1  père,  qui  se 
montre  et  parle;  historiquement  ce  ne  peut  être  que  lui.  Ce- 
pendant non -seulement  la  cathédrale  de  Chartres  a  éloigné 
Dieu  le  père  de  la  création  qu'elle  fait  accomplir  parle  Fils,  mais 
elle  déclare  que  c'est  Jésus  et  non  Jéhovah  qui  apparaît  aux 
prophètes  et  leur  parle.  Ainsi,  au  porche  septentrional,  dans 
le  soubassement  de  l'un  des  piliers  qui  portent  les  arcades, 
est  représenté  Samuel  debout;  Dieu  lui  révèle  ce  qu'il  va  faire 
de  la  maison  d'Héli,  et  le  jugement  qu'il  est  sur  le  point 
d'exécuter  contre  le  grand  prêtre  et  ses  enfants  '.  Ailleurs,  à 

^  Liber  I  Reguin,  cap.  m,  v.  ii-i4. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  183 

la  cathédrale  de  Reims,  le  Seigneur  donne  à  Isaie  la  mission 
d'annoncer  les  principales  révolutions  des  royaumes  de  Juda  et 
d'Israël,  de  proclamer  la  naissance  du  Messie  et  la  délivrance 
des  enfants  de  Jacob.  Ce  Dieu,  ce  devrait  être  Jéhovah,  puis- 
qu'il entretient  Isaïe  de  la  future  naissance  du  Messie,  son  fils  \ 
et  qu'il  parle  à  Samuel,  prophète  qui  n'a  pu  voir  le  Christ; 
cependant,  on  le  reconnaît  à  son  âge,  à  sa  physionomie,  à 
sa  figure,  c'est  Jésus.  Mais,  de  crainte  qu'on  ne  s'y  méprît,  et 
pour  témoigner  que  sa  volonté  était  bien  telle,  le  sculpteur 
de  Chartres  a  gravé  profondément  dans  la  pierre,  sous  le  per- 
sonnage qui  n'est  pas  Samuel,  xpitvs^.  C'est  non-seulement 
Dieu  le  fils  qui,  à  ne  considérer  que  le  dogme  et  la  théologie, 
aurait  pu  parler  à  Samuel;  mais  c'est  le  Christ,  c'est  le  Dieu 
fait  homme,  lequel  se  montre  ainsi  plus  de  mille  ans  avant 
sa  naissance. 

Le  manuscrit  grec  de  Panselinos  "^  est  complètement  d'ac- 
cord avec  nos  sculptures  occidentales  de  Reims  et  de  Chartres; 
car,  sous  ce  titre,  Fision  d'haïe,  on  lit  cette  description  du 
tableau  prescrit  aux  peintres  byzantins  :  «  Une  grotte  ;  au  de- 
dans, nuages  et  grande  lumière;  au  milieu  est  le  Christ,  assis 
comme  un  roi,  sur  un  trône  élevé.  Il  bénit  de  la  main  droite; 
de  la  gauche  il  tient  un  cartel ,  sur  lequel  on  lit  :  Qui  en- 
verrai-] e,  ou  qui  ira  vers  ce  peuple?»  Ainsi,  il  n'y  a  pas  de 

'  Voyez  les  prophéties  d'Isaïe,  passim,  surtout  les  chapitres  vi ,  vu  ,  xi,  xiv. 

'  C'est  ainsi  que  le  nom  est  écrit;  les  trois  premières  lettres  sont  grecques,  les  (rois 
dernières  sont  latines ,  et  l'on  a  oublié  ïs  qui  aurait  pu  séparer  les  caractères  grecs  des  ca- 
ractères latins.  Je  ne  sais  s'il  y  a  là  dedans  habitude,  symbolisme  ou  ignorance,  mais  je 
pencherais  vers  l'habitude  ou  même  l'ignorance  dont  les  sculpteurs ,  ceux  de  Chartres 
entre  autres,  donnent  assez  souvent  des  preuves.  Au  même  porche,  à  la  création  du  ciel 
et  de  la  terre,  les  sculpteurs  ou  tailleurs  de  pierre  ont  écrit  terrem  pour  terram;  est-ce 
une  faute,  ou  est-ce  une  preuve  qu'à  Chartres,  à  cette  époque,  l'a  se  prononçait  comme 
un  e,  ainsi  que  cela  existe  encore  dans  certaines  provinces  de  France? 


184  INSTRUCTIONS. 

doute,  le  nom  de  Christ  est  écrit  dans  ce  livre  comme  il  est 
gravé  au  porche  de  Chartres,  là  où  il  faudrait  absolument 
Dieu  le  père,  ou  tout  au  plus  le  Verbe. 

Chez  les  Grecs,  le  Fils  est  substitué  non-seulement  à  la 
toute-puissance,  mais  encore  à  la  sagesse  du  Père.  Les  Grecs 
du  bas-empire  dédièrent  à  la  divinité,  sous  le  nom  de  Sainte- 
Sophie,  le  plus  beau  de  leurs  temples ,  le  plus  riche  et  le  plus 
grand,  celui  qui  donna  naissance  à  toutes  les  églises  byzantines. 
On  pouvait  croire  que  cette  qualification  s'appliquait  à  la  Tri- 
nité tout  entière  et  non  à  une  seule  personne,  ou,  dans  ce  cas, 
qu'elle  revenait  de  droit  à  Dieu  le  père  et  plus  spécialement 
encore  au  Saint-Esprit ,  mais  moins  facilement  au  Fils.  Eh 
bien  !  le  contraire  est  advenu.  Il  existe  à  Lyon ,  dans  la  biblio- 
thèque du  palais  Saint-Pierre,  un  très-curieux  manuscrit,  enri- 
chi de  miniatures  du  xii^  siècle ,  peut-être  du  xi*.  La  première 
de  ces  miniatures  est  la  représentation  allégorique  de  l'encyclo- 
pédie du  moyen  âge.  Les  sciences  principales  sont  représentées 
sous  la  forme  de  femmes  à  qui  Dieu,  la  sainte  Sophie,  commu- 
nique l'intelligence  et  la  science  d'un  souffle,  comme  d'un 
souffle  il  donna  la  vie  au  limon  dont  il  avait  fait  la  statue 
d'Adam.  Cette  sainte  Sophie  c'est  un  jeune  Dieu  de  trente  ans, 
légèrement  barbu,  décoré  d'un  nimbe  croisé  :  c'est  Jésus-Christ. 
Pour  qu'on  ne  pût  s'y  tromper,  le  peintre,  comme  le  sculpteur 
de  Chartres,  aurait  dû  écrire  jesus  au-dessus  de  sancta  sophia  '. 

'  Ce  manuscrit  est  une  Psychomachie  de  Prudence;  il  est  rempli  d'une  multitude  de 
miniatures  représentant  les  Vertus  et  les  Vices.  Le  moyen  âge  afïectionnait  ces  tableaux 
allégoriques  où  étaient  figurées  la  science  et  la  morale,  pour  montrer  leur  mutuel  appui. 
Cette  concordance  du  vrai  et  du  bon  se  complétait  souvent  par  le  beau,  et  l'art  venait 
alors  couronner  l'Instruction  et  la  Vertu.  (Voyez  les  porches  de  Notre-Dame  de  Chartres.) 
Au  campanile  de  Santa-Maria-del  Fiore,  à  Florence,  Andréa  de  Pise  sculpta  les  Sciences 
et  les  Arts,  que  Giotto  compléta  par  les  figures  d'Apelles  et  de  Phidias,  personnifiant 
la  peinture  et  la  sculpture.  Luca  délia  Robbia  y  ajouta  la  Grammaire,  la  Philosophie, 
la  Musique,  l'Astronomie  et  la  Géométrie ,  personnifiées  de  même. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE. 

5o.   JÉSUS-CHRIST    EN    SAINTE    SOPHIE. 

Miniature  de  Lyon,  xii"  siècle  '. 


185 


Non-seulement  le  Père  est  souvent  remplacé  par  son  Fils, 
mais,  quand  on  le  représente,  on  n'en  montre  qu'une  faible 
partie.  Le  Christ  est  peint  et  sculpté  en  pied,  dans  toutes  les 
attitudes,  à  tous  les  âges  et  sous  tous  les  aspects  possibles; 
quant  au  Père,  ou  il  est  absent,  ou  il  ne  se  révèle  que  par  une 
petite  portion  de  lui-même.  Tantôt  on  ne  voit  que  sa  main, 
tantôt  la  main  et  l'avant-bras;  puis  la  main  et  le  bras  entier; 
plus  tard,  on  risque  la  face  et  enfin  le  buste.  Il  faut  attendre 
longtemps,  pour  qu'on  fasse  à  Jéhovali  son  portrait  en  pied. 
On  ne  s'arrête  pas  ici  sur  ce  fait  curieux ,  parce  qu'il  va  être 
développé  dans  un  paragraphe  particulier. 

*  Celte  Sainte-Sagesse  donne  la  complète  intelligence ,  car  elle  la  distribue  sous  les 
deux  formes  principales  du  manuscrit ,  qui  est  son  instrument.  Ces  deux  formes  usitées 
alors  étaient  le  rouleau ,  que  notre  figure  tient  à  la  main  gauche,  et  le  livre  proprement  dit , 
qu'elle  présente  de  la  main  droite.  Le  livre,  étant  plus  considérable  et  pouvant  renfermer 
plus  de  matière,  était  regardé  comme  l'attribut  d'une  plus  grande  sagesse.  Un  liturgiste , 
Guillaume  Durand  [Rat.  div.  offi.  lib.  I,  cap.  m),  déclare  qu'on  ne  met  aux  mains  des 
prophètes  de  l'Ancien  Testament  que  des  rouleaux,  parce  que  ces  prophètes  n'ont  connu 
la  vérité  qu'à  demi  et  à  travers  des  métaphores ,  tandis  que  les  figures  des  apôtres,  qui  ont 
vu  la  vérité  entière ,  portent  des  livres.  C'est  une  remarque  du  plus  haut  intérêt  pour  1  ico- 
nographie chrétienne  ;  mais  il  y  a  bien  des  exceptions  à  ce  fait,  et  nous  avons  beaucoup 
d'apôtres,  même  des  évangélistes,  qui  ne  tiennent  que  des  rouleaux,  tandis  que  des 
prophètes,  par  contre,  portent  de  gros  livres.  Preuve,  entre  autres,  qu'il  ne  faut  pas 
toujours  croire  sur  parole  les  symbolistes  du  moyen  âge,  Durand,  Jean  Beleth ,  Jean 
d'Avranches,  et  Hugues  de  Saint-Victor. 

INSTRUCTIONS. II.  2/1 


186  INSTRUCTIONS. 

La  place  que  l'on  donne  à  Dieu  le  père,  dans  les  mo- 
numents .chrétiens,  est  souvent  peu  honorable;  son  fils  a 
le  pas  sur  lui.  Il  faut  se  souvenir  que  la  place,  dans  les  idées 
du  moyen  âge,  aussi  bien  que  dans  les  nôtres,  n'est  pas  indif- 
férente. La  préséance,  accordée  à  tel  personnage  plutôt  qu'à 
tel  autre,  est  toujours  significative.  Ainsi  la  gauche  est  infé- 
rieure à  la  droite,  le  bas  moins  honorable  que  le  haut,  le  centre 
est  préférable  à  la  circonférence.  Un  mot  à  ce  sujet,  pour  ap- 
peler fattention  des  antiquaires  et  les  engager  à  bien  consta- 
ter la  place  qu'occupent  les  objets,  hommes  ou  choses,  qu'ils 
étudient;  ce  fait  est  d'une  certaine  importance. 

La  gauche  est  inférieure  à  la  droite.  —  Dans  les  vitraux  et 
les  sculptures,  on  représente  souvent  Jésus-Christ  trônant  sur 
des  nuages,  le  dos  contre  un  arc-en-ciel  ;  on  voit  à  sa  gauche  les 
tables  de  Moïse  posées  sur  l'arche  d'alliance,  et  à  sa  droite,  sur 
un  autel,  le  livre  de  ses  apôtres.  De  tout  temps,  en  effet,  la  Bible 
a  tenu  la  gauche  et  TEvangile  la  droite.  Un  abbé  d'Angleterre 
fait  peindre  l'église  de  son  couvent  :  au  nord,  à  la  gauche,  il 
lait  représenter  des  scènes  de  f  Ancien  Testament;  au  midi,  à  la 
droite,  il  met  les  scènes  du  Nouveau.  A  Chartres,  la  sculpture 
des  deux  porches  latéraux  embrasse  toute  fhistoire  religieuse. 
Au  porche  nord  qui  est  à  gauche,  en  regardant  fabside,  sont 
placés  les  personnages  de  TAncien  Testament;  au  porche  du 
midi  ou  de  droite,  ceux  de  l'Evangile,  depuis  feutrée  du 
monde  nouveau,  du  monde  chrétien,  jusqu'au  jugement  der- 
nier ^  Enfin,   d'après  les  Psaumes,  pour  faire  honneur  au 


Voir  l'Introduclion ,  page  xvi.  Vasari ,  Vies  des  peintres ,  traduit  par  MM.  Leclanbhé 
el  Jeanron,  dit  dans  la  vie  de  Giovanni  Cimabue,  vol.  I,  p.  Ai  :  «  Cimabue  décora  à 
fresque  la  partie  supérieure  des  parois  de  l'église  (San-Francesco  d'Assise).  A  gauche  de 
l'autel,  il  représenta  seize  sujets  de  l'Ancien  Testament,  et  à  droite,  en  face,  seize  sujets 
lires  de  la  vie  de  la  Vierge  et  du  Christ.  »  On  voit  que  la  tradition  est  constante  depuis 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIEN.NE.  187 

triomphateur,  à  Jésus  qui  a  vaincu  Satan  et  racheté  le  monde. 
Dieu  lui  dit  de  s'asseoir  à  sa  droite. 

Le  bas  est  moins  honorable  que  le  haut.  —  On  élève  sur  le 
pavois,  sur  un  trône  ou  sur  un  char,  un  roi,  un  pape,  un 
triomphateur.  C'est  dans  le  bas,  contre  les  parois  du  sou- 
bassement, qu'on  met  les  saints  représentés  vivants,  militants 
et  accomplissant  leur  histoire;  c'est  dans  le  haut,  dans  la 
voussure,  qu'on  place  ces  mêmes  saints  triomphants,  morts  et 
arrivés  au  paradis.  Dans  le  bas  ils  sont  hommes  tout  simple- 
ment; dans  le  haut  ils  sont  hommes  glorifiés  ou  saints.  Enfm, 
à  Chartres,  tout  au  sommet  du  grand  pignon  occidental,  à 
cinquante  mètres  du  sol,  domine  Jésus-Christ  qui  bénit  le 
monde  étendu  à  ses  pieds. 

Le  centre  est  préférable  à  la  circonférence.  —  Dans  une 
voussure  de  cathédrale,  dans  le  champ  d'une  rose  remplie  de 
vitraux  peints,  c'est  au  centre  qu'on  met,  soit  Dieu  le  créateur 
et  le  juge,  soit  la  Vierge  qui  est  la  première  des  créatures  hu- 
maines. Puis  les  différents  ordres  des  anges,  à  commencer  par 
les  séraphins,  qui  sont  les  premiers  de  tous,  et  à  finir  par  les 
simples  anges,  les  moins  élevés  dans  la  hiérarchie.  Puis  les 
apôtres,  puis  les  martyrs,  puis  les  confesseurs  et  enfm  les 
vierges  qui,  comme  femmes  et  comme  moins  éminentes  en 
vertu  que  les  ordres  de  saints  qui  précèdent ,  sont  placées  au 
cordon  extérieur  et  à  la  circonférence.  Ainsi,  à  mesure  qu'on 
s'éloigne  de  Dieu  ou  du  centre,  l'esprit  s'obscurcit,  la  matière 
prédomine,  la  vertu  faiblit.  Cette  hiérarchie,  figurée  dans  les 
roses  et  les  voussures  de  nos  cathédrales,  rend  visible,  ainsi 
qu'on  l'a  dit  plus  haut  \  le  système  éthique  et  cosmogonique 

Benoît  Biscop  jusqu'aux  sculpteurs  de  Noire-Dame  de  Chartres ,  et  jusqu'au  grand  peintre 
deTIlalie,  Cimabue. 

'  Chap.  de  la  Gfoire,  p.  169. 

24. 


188  INSTRUCTIONS. 

de  rémanation  hindoue.  Il  y  a  des  exceptions  à  cette  hiérar- 
chie chrétienne,  mais  elles  confirment  notre  assertion  au  lieu 
de  la  détruire.  Ainsi,  au  portail  occidental  de  la  cathédrale 
de  Paris,  porte  centrale,  on  a  disposé  hiérarchiquement  les 
différents  ordres  des  personnages  qui  sont  en  possession  du 
paradis.  Dieu  est  au  centre,  comme  il  convient.  Près  de -Dieu 
se  tiennent  les  anges;  les  apôtres  viennent  ensuite.  Mais  au  lieu 
des  martyrs,  qui  devraient  prendre  rang  après  les  apôtres,  ce 
sont  les  confesseurs  qui  se  présentent;  les  martyrs  sont  donc 
abaissés  et  les  confesseurs  élevés  d'un  degré.  C'est  probable- 
ment parce  qu'à  Paris,  capitale  de  l'intelligence,  on  préfère  un 
homme  que  l'intelligence  a  sanctifié  à  celui  qui  a  donné  sa  vie 
pour  la  foi  ;  on  aime  mieux  le  saint  qui  répand  des  idées  que 
le  martyr  qui  verse  son  sang.  Un  fait  analogue  se  remarque 
dans  le  manuscrit  d'Herrade,  abbesse  de  Sainte-Odile,  dont  il 
a  été  question  à  l'histoire  de  l'Auréole.  Les  vierges,  qui  sont 
toujours  les  dernières  partout  ailleurs,  à  Paris  comme  à  Reims 
et  comme  à  Chartres,  sont  ici  en  tête  de  la  céleste  hiérarchie, 
immédiatement  après  Dieu,  et  avant  les  apôtres,  avant  les 
martyrs ,  même  avant  les  confesseurs ,  les  confesseurs  qui 
marchent  les  premiers  de  tous  à  Notre-Dame  de  Paris.  Le 
manuscrit  a  été  écrit  et  peint  par  une  femme  et  pour  des 
femmes,  par  une  religieuse  et  pour  des  religieuses.  Ces  femmes, 
ces  religieuses,  ces  vierges,  ont  voulu  s'honorer  elles-mêmes  en 
donnant  une  aussi  belle  place  à  leurs  patronnes;  elles  se  sont 
glorifiées  par  leurs  propres  mains. 

Ainsi  la  gauche,  le  bas  et  la  circonférence  sont  moins  hono- 
rables que  la  droite,  le  haut  et  le  centre.  Cela  constaté,  voici 
ce  qu'on  observe  relativement,  soit  à  la  place  que  Dieu  le  père 
et  son  fils  occupent  dans  les  monuments  figurés,  soit  à  la  ma- 
nière dont  on  les  a  représentés.  Notre-Dame  de  Paris,  un  édi- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  189 

fice  qui  est  sous  les  yeux  de  tout  le  monde,  pourra  servir  de 
type  pour  les  autres  monuments. 

Au  portail  du  nord  de  Notre-Dame  de  Paris,  lequel  est  de  la 
fin  du  xiii^  siècle,  on  ne  montre  de  Dieu  le  père  que  sa  main, 
dans  un  des  cordons  de  la  voussure,  à  la  brisure  de  l'arc;  tandis 
qu'on  a  placé  le  soleil  avant  lui,  dans  un  cordon  intérieur.  Au 
portail  du  sud,  on  fait  voir  sa  ligure,  il  est  vrai,  mais  au  cordon 
extérieur  de  la  voussure,  où  elle  est  exposée  à  la  pluie  et  au  vent, 
tandis  que  de  simples  anges  sont  posés  dans  les  cordons  inté- 
rieurs et  à  l'abri  des  intempéries.  Au  portail  occidental,  à  la 
porte  gauche,  il  n'est  pas  question  du  Père,  tandis  que  le  Fils 
y  est  en  pied  et  de  grandeur  naturelle. 

A  la  porte  centrale,  le  Père  n'est  encore  qu'en  face,  laquelle 
est  comme  étranglée  dans  les  pointes  des  cordons  de  la  vous- 
sure, entre  les  dais  qui  couronnent  les  martyrs  et  les  patriar- 
ches. On  l'a  mis  là  pour  remplir  un  vide,  et  parce  que,  les  dimen- 
sions ayant  été  mal  calculées,  il  restait  de  la  place  inoccupée. 
A  la  porte  droite ,  Dieu  est  rejeté  tout  à  fait  au  cordon  extérieur, 
au  cordon  le  moins  honorable ,  à  la  rencontre  des  pointes  de 
l'ogive,  dans  une  place  étroite  et  incommode.  Au  contraire,  au 
cordon  intérieur,  et  bien  abrité  contre  la  pluie  et  le  vent,  est 
Dieu  le  fds  sous  la  forme  d'un  agneau;  deux  anges  le  portent 
en  triomphe  et  l'élèvent  sur  des  nuages  comme  sur  un  trône. 
Au  cordon  inférieur,  il  y  avait  de  la  place  pour  le  Saint- 
Esprit,  mais  le  Saint-Esprit  a  été  sacrifié  aussi  :  l'artiste  a 
préféré  mettre  là  un  grand  ange  qui  tient  de  chaque  main 
une  nappe  où  se  dressent  deux  petites  âmes  toutes  nues. 

Notre-Dame  de  Paris  paraît  donc  peu  respectueuse  pour  le 
Père  éternel;  mais,  par  contre,  elle  a  mille  tendresses  pour 
Jésus-Christ  :  à  lui  tous  les  honneurs,  à  lui  le  triomphe.  Il 
est  grand,  en  pied  et  non  en  buste;  il  est  assis  sur  un  trône. 


190  INSTRUCTIONS. 

à  la  porte  centrale,  et  jugeant  le  monde  à  la  fin  des  siècles.  Il 
est  tout  petit  entre  les  genoux  de  sa  mère,  à  la  porte  droite.  A  la 
porte  gauche,  il  est  grand  et  debout,  assistant  à  la  mort  de  sa 
mère  qu  il  couronne  ensuite  à  l'étage  supérieur.  Au  portail  du 
nord,  sa  vie  est  représentée  au  tympan,  jusqu'à  la  fuite  en 
Egypte,  tandis  que,  sur  le  trumeau,  Marie  le  présente  à  Tado- 
ration  des  fidèles.  Au  portail  du  sud,  il  apparaît  sur  les  nuages 
à  saint  Etienne,  qu'on  lapide  ';  il  reçoit  sur  ses  genoux  le  pré- 
cieux manteau  que  saint  Martin  a  coupé  pour  en  donner  la 
moitié  à  un  pauvre  d'Amiens.  A  la  porte  Rouge,  il  couronne  sa 
mère;  il  la  couronne  sur  un  des  bas-reliefs  encastrés  dans  le 
mur  latéral  nord.  De  ce  même  côté,  on  le  voit  encore  jugeant 
le  monde.  A  l'intérieur,  la  clôture  du  chœur  représente  dans 
les  plus  grands  détails  toute  son  histoire,  de  sa  naissance  à  sa 
résurrection.  Les  tableaux  en  hauts  reliefs  qui  n'ont  pas  été 
brisés  pour  faire  place  à  la  grille  actuelle  le  représentent 
treize  fois,  à  toutes  les  époques  de  sa  vie.  C'est  toujours  l'étoile 
polaire  vers  laquelle  se  tournent,  comme  des  aimants,  tous 
les  autres  personnages.  Là,  au  contraire,  le  Père  n'apparaît 
qu'une  fois;  il  montre  seulement  sa  figure  et  allonge  son  bras 
au  moment  où  Jésus  lui  dit  :  «  Eloignez  ce  calice  de  moi.  » 

Enfin,  lorsqu'on  met  réellement  Dieu  le  père  en  scène,  on 
lui  fait  jouer  parfois  un  rôle  ridicule,  grossier,  odieux  et  même 
cruel.  Ainsi,  sur  un  chapiteau  de  Notre-Dame  du  Port,  à  Cler- 
mont,  il  est  représenté  donnant  des  coups  de  poing  au  cou- 
pable Adam ,  inconvenante  manière  de  lui  reprocher  son  crime, 

D  est  dit  dans  les  Actes  des  apôtres,  chap.  vu,  verse*  55,  que  saint  Etienne  vit  la 
gloire  divine  et  Jésus  qui  était  à  la  droite  de  Dieu  :  «  Vidit  gloriam  Dei  et  Jesum  stan- 
«  tem  a  dextris  Dei.  Et  ait  :  Ecce  video  cœlos  apertos,  et  Filium  hominis  stanlem  a  dex- 
i~  tris  Dei  »  ;  on  devrait  donc  voir,  à  la  porte  de  Notre-Dame  de  Paris,  où  est  représentée 
cette  scène,  Dieu  le  père  aussi  bien  que  son  fils.  Comme  Jésus  seul  parait,  il  faut  en  con- 
clure de  nouveau  que  le  Père  est  sacrifié. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  191 

tandis  qu'un  ange  saisit  notre  pauvre  premier  père  par  la 
barbe,  qu'il  lui  arracbe.  Dieu  et  l'ange  remplissent  un  office 
plein  de  brutalité.  Dans  un  manuscrit  latin  de  la  Bibliotbèque 
royale,  à  miniatures  italiennes  probablement.  Dieu  chasse 
lui-même  Adam  et  Eve  à  coups  de  flècbes,  absolument  comme 
Apollon  dans  l'Iliade  poursuit  les  Grecs!  Ce  rôle  convient  à 
Apollon,  un  homme  plutôt  qu'un  dieu,  plein  des  passions  et 
de  la  colère  humaines  ;  mais  on  s'indigne  contre  l'artiste  qui 
attribue  ce  caractère  à  Dieu  le  père.  Dans  un  psautier  de  la  Bi- 
bliothèque royale,  de  la  fin  du  xii*" siècle,  Dieu  est  plusieurs  fois 
représenté  tenant  en  main  un  arc,  des  flèches,  une  pique,  un 
glaive.  C'est  bien  le  Dieu  fort,  le  Dieu  des  armées,  le  Dieu  des 
combats,  le  Jéhovah  hébreu;  mais  ce  n'est  pas  le  Dieu  chrétien  ^ 
Voici  l'une  de  ces  représentations. 

5l.  JÉHOVAH    EN    DIEU    DES   COMBATS. 

Miniature  italienne,  fin  du  xii"  siècle -. 


Ce  Dieu  a  la  figure  du  Fils,  parce  que  le  Père,  à  cette 
époque,  n'a  pas  encore  de  portrait  à  lui;  mais  c'est  bien  le 
Père  sur  le  point  de  tuer  ses  ennemis  à  coups  de  flèches,  et  à 

'  Le  psaume  1 7 ,  qui  montre  la  colère  divine  rouge  comme  des  charbons  allumés ,  el 
lénébi'euse  comme  des  nuages  de  grêle,  dit  que  Dieu  exhale  celte  colère  en  flamme  et 
en  fumée ,  el  qu'après  avoir  rompu  ses  ennemis  par  la  foudre ,  il  les  lue  à  coups  de  flèches  : 
«  Ascendil  fumus  in  ira  ejus,  et  ignis  a  facie  ejus  exarsit;  carbones  succensi  sunt  ab  eo 
M  Et  misit  sagittas  suas  et  dissipavit  eos;  fulgura  multipHcavit,  et  conlurbavit  eos.  » 
Ce  dessin  est  tiré  du  psautier  manuscrit  de  la  Bibl.  roy.  suppl.  fr.  1 132  bis. 


192  INSTRUCTIONS. 

juger  toute  cliair  avec  le  glaive,  suivant  les  expressions  du 
psalmiste.  Par  un  ralFinement  tout  particulier,  et  pour  donner 
à  ce  Dieu  une  tournure  plus  guerrière  encore,  on  l'a  inscrit 
dans  un  médaillon ,  et  on  en  a  fait  une  «  imago  clypeata  » 
comme  celles  dont  nous  avons  parlé  à  l'article  de  l'auréole  ^ 

L'art  a  donc  fait  Jéhovali  redoutable,  comme  pour  en  dé- 
tourner les  âmes  mystiques  du  moyen  âge  et  attirer  tout  l'a- 
mour sur  Jésus-Christ,  le  Dieu  de  charité.  Le  christianisme  a 
fait  du  dévouement  un  dogme  fondamental;  mais  la  force,  soit 
par  réaction  contre  le  paganisme,  soit  par  haine  contre  la  no- 
blesse et  toute  la  société  féodale,  lui  est  en  horreur.  On  dirait, 
en  conséquence,  que  les  artistes  n'ont  pas  tout  le  respect  dé- 
sirable pour  Dieu  le  père,  c'est-à-dire  pour  le  côté  divin  qui 
représente  la  force. 

En  résumé,  ou  Dieu  le  père  est  absent  sur  les  monuments 
figurés,  ou,  s'il  est  présent,  on  n'en  montre  qu'une  faible 
partie.  Quant  à  cette  portion  de  lui-même,  elle  n'est  pas  tou- 
jours honorablement  placée,  ou  bien  on  lui  fait  jouer  un  rôle 
inconvenant.  Le  Fils,  au  contraire,  est  toujours  présent,  même 
quand  on  ne  devrait  pas  le  voir;  il  est  toujours  figuré  digne- 
ment, toujours  placé  honorablement.  Plusieurs  raisons  peuvent 
expliquer  ces  faits;  on  les  donne  toutes  ici,  parce  qu'elles  font 
partie  intégrante  de  l'histoire  archéologique  de  Dieu. 

La  première  est  la  haine  que  les  gnostiques  portaient  à  Dieu 
le  père;  la  seconde,  la  crainte  qu'on  avait  de  rappeler  Jupiter 
et  de  paraître  offrir  une  idole  païenne  à  l'adoration  des  chré- 

Pages  1 2 1  et  122.  —  Non-seulemenl  le  cercle  où  Dieu  est  inscrit  est  regardé  comme 
un  bouclier  par  les  artistes  chrétiens,  qui  copiaient  en  cela  les  artistes  romains  et  grecs, 
mais  le  nimbe  lui-même  était  considéré  par  eux  comme  un  bouclier  qui  protégeait  la 
têle.  Un  texte  du  manuscrit  d'Herrade  {Hortus  deliciarum)  est  explicite  à  cet  égard; 
on  le  donnera  plus  bas.  Ainsi  le  nimbe  est  une  espèce  de  casque  religieux.  C'est  ainsi  que 
le  lifurgiste  Guillaume  Durand  l'entead  dans  son  Rat.  div.  offîc. 


.     ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  193 

tiens  ignorants;  la  troisième,  la  ressemblance  identique  du 
Père  et  du  Fils  fondée  sur  des  textes  sacrés;  la  quatrième  est 
l'incarnation  du  Fils,  qui  est" la  parole  ou  le  Verbe  du  Père;  la 
cinquième,  l'absence  de  manifestation  visible,  absence  établie 
sur  des  textes;  la  sixième  enfin  est  la  difficulté  de  formuler 
une  si  imposante  image. 

Et,  d'abord,  la  haine  que  les  gnostiques  portaient  à  Jého- 
vah  dut  nuire  aux  représentations  iconographiques  de  Dieu 
le  père. 

Dans  les  premiers  siècles  du  christianisme,  une  violente  hé- 
résie s'éleva  contre  Dieu  le  père,  contre  Jéhovah.  Les  sectaires, 
étudiant  l'Ancien  Testament  en  aveugles  plutôt  qu'en  hommes 
intelligents,  virent  que,  pour  avoir  transgressé  une  défense, 
l'homme  et  toute  sa  race  avaient  été  condamnés  à  mort;  que, 
pour  des  crimes  qu'ils  refusaient  de  croire  suffisamment  graves, 
le  genre  humain  avait  péri  par  le  déluge;  que  les  Israélites, 
pour  s'être  abandonnés  aux  murmures,  dans  le  désert,  mou- 
raient piqués  et  empoisonnés  par  des  serpents;  que  vingt- 
quatre  mille  hommes  périssaient  d'une  seule  fois,  sur  l'ordre  de 
Jéhovah ,  pour  s'être  laissé  prendre  à  la  beauté  des  filles  de 
Moab  et  avoir  encensé  leurs  dieux  avec  elles;  que  le  peuple, 
expiant  l'orgueil  de  son  roi  David,  mourait  de  la  peste,  et 
que  soixante  et  dix  mille  hommes  expiraient  en  peu  de  temps. 

Egarés  par  la  lettre  et  l'apparence  extérieure  de  tous  ces 
faits,  au  lieu  de  s'élever  à  leur  intelligence  par  les  raisons 
impérieuses  de  la  politique  ou  cachées  et  profondes  du  dogme, 
les  gnostiques  s'irritèrent  contre  Jéhovah.  La  nouvelle  secte 
se  révolta  contre  le  Dieu  qui  avait  forcé  Samuel  à  couper 
en  morceaux  le  roi  des  Amalécites,  Agag,  épargné  par  Saûl; 
elle  s'indigna  surtout  contre  ce  serviteur  de  Jéhovah  ,  cet 
Elisée,  qui  fit  manger  par  des  ours,  que  ce  Dieu  envoyait, 

INSTRUCTIONS.  II.  2  5 


194  INSTRUCTIONS. 

des  enfants  qui  avaient  insulté  le  prophète  en  regardant  sa 
tête  chauve.  Passant  du  fait  à  fidée,  et  de  l'histoire  à  la  pré- 
dication ,  les  gnostiques  s'excitaient  à  la  rébellion  contre 
Dieu ,  surtout  en  lisant  ce  passage  d'Isaïe  où  Jéhovah  pro- 
met à  Israël  sa  délivrance  et  lui  dit  :  «  Je  nourrirai  tes  en- 
nemis de  leur  propre  chair;  je  les  enivrerai  de  leur  sang 
comme  d'un  vin  nouveau.  »  Ils  s'exaspéraient  contre  le  texte 
où  le  même  prophète  annonce  que  Dieu  descend  du  ciel  dans 
sa  colère  pour  tout  mettre  à  mort  '. 

Les  gnostiques  repoussèrent  toute  explication.  S'obstinant 
à  ne  pas  comprendre  que  ces  terribles  rigueurs  provenaient 
du  caractère  des  Juifs  et  non  de  Dieu  lui-même,  ils  fermèrent 
les  yeux  à  ces  passages  du  Deutéronome  où  Moïse,  avant 
de  mourir,  donne  ses  dernières  instructions  à  son  peuple, 
et  récapitule,  en  les  opposant,  la  dureté  du  cœur,  l'ingrati- 
tude ,  l'infidélité ,  les  malédictions ,  les  crimes  du  peuple 
hébreu,  et  la  patience,  l'équité,  la  tendresse  de  Dieu.  Ils 
relisaient  les  versets  où  il  est  dit  :  «  Le  feu  de  la  colère  di- 
vine s'est  allumé  et  dévorera  la  terre  dans  son  germe;  la  fa- 
mine, les  oiseaux  de  proie  et  le  glaive  consumeront,  dévore- 
ront, ravageront  le  jeune  homme  et  la  jeune  fille,  l'enfant  à 
la  mamelle  et  le  vieillard.  »  Mais  ils  raturaient ,  dans  le  même 
chapitre,  ces  passages  où  Moïse  rappelle  aux  Hébreux  que 
Dieu  «  les  a  protégés  comme  la  prunelle  de  ses  yeux.  Ainsi 
qu'un  aigle  excite  ses  petits  à  voler  et  voltige  autour  d'eux, 
ainsi  Dieu  a  déployé  ses  ailes ,  a  pris  son  peuple  dans  ses 
bras  et  l'a  porté  sur  ses  épaules.  »  On  dirait  que  Moïse  s'a- 

*  Proplî.  Isaïae,  cap.  xlix  ,  v.  26.  «  Et  cibabo  hostes  tuos  carnibus  suis;  et  quasi  musto, 

«sanguine  suo  inebriabuntur.  »  —  Ibid.  cap.  lxvi,  v.  i5  et  16.  «Quia  ecce  Dominus  in 

"  igné  veniet,  el  quasi  turbo  quadriga?  ejus,  redderc  in  indignatione  furorem  suum  ,  el 

c  increpationem  suam  in  flamma  ignis.  Quia  in  igné  Dominus  dijudicabil,  et  in  gladio 

suo  ad  oinnem  carnem,  et  multiplicabuntur  interfecti  a  Domino.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  J95 

dresse  aux  gnostiques ,  lorsqu'il  s'écrie  :  «  Ah  !  s'ils  avaient 
la  sagesse  ;  ah  !  s'ils  comprenaient  et  prévoyaient  à  quoi  ces 
choses  doivent  aboutir  \  »  Mais  les  gnostiques  s'endurcirent, 
refusèrent  de  comprendre,  et  prirent  en  exécration  Dieu  le 
père  et  cette  dure  justice  qui  anime  tout  l'Ancien  Testament. 
La  secte  insensée  nia  qu€  Jéhovah  fût  un  Dieu;  elle  le  regarda 
comme  un  affreux  tyran,  altéré  de  sang  et  affamé  de  mort; 
comme  un  père  jaloux  de  son  fils,  qu'il  condamne  au  supplice 
infâme  de  la  croix.  Elle  brisa  ses  images,  qui  furent  remplacées 
par  celles  de  Jésus-Christ,  son  Dieu  chéri,  et  défendit  qu'à 
l'avenir  Dieu  le  père  fût  représenté  par  la  sculpture  ou  la  pein- 
ture. Dan«  son  Histoire  littéraire  de  la  France,  M.  J.  J.  Ampère 
dit^  :  «  11  est  des  gnostiques  qui  se  rattachent  au  judaïsme, 
hellénisé,  platonisé,  si  je  puis  parler  ainsi,  par  Philon  ^. 
Les  opinions  de  Cérinthe,  un  des  plus  anciens  gnostiques, 
touchaient  en  plusieurs  points  à  la  théologie  judaïque;  mais 
le  gnosticisme  alla  s'en  écartant  toujours  davantage,  et  finit 
par  en  venir  à  une  opposition  violente,  à  une  haine  furieuse 
de  Jéhovah.  Frappé  des  différences  de  l'Ancien  Testament 
et  de  l'Evangile ,  ne  pouvant  concilier  le  Dieu  exclusif  et 
impitoyable  des  Juifs  avec  le  Dieu  universel  et  miséricor- 
dieux des  chrétiens,  Marcion  fit  de  Jéhovah  un  démiurge 
inférieur  et  mauvais ,  ennemi  du  bien,  ennemi  du  Verbe, 
ennemi  du  Christ,  qui  excite  Judas  à  le  trahir,  et  finit  par 
le  faire  crucifier. 

«Inspirés  par  la  même  aversion,  les  ophites,  autre  secte 
gnostique,  voyaient  dans  le  Dieu  des  Juifs  non-seulement  un 

'  Liber  Deuteronomii ,  cap.  xxxn  ,  v.  lo  ,  1 1,  22  ,  24,  25  ,  -jg. 

'  Hist.  litt.  de  la  France,  lom.  I,  p.  178-180. 

^  Une  portion  du  gnosticisme  est  en  germe  dans  Philon.  Il  y  a  chez  lui  des  Ofons,  et 
parmi  eux,  Sophia,  la  Sagesse,  qui  devint,  pour  les  gnostiques,  la  mère  des  êtres;  mais 
chez  Philon  tout  est  plus  purement  métaphysique. 

25. 


196  INSTRUCTIONS. 

être  méchant,  mais  un  être  stiipide;  ce  Dieu,  qui  s'appelle 
Jaldabaoth,  attend  un  messie  charnel,  et  quand  le  Messie 
véritable  arrive,  il  ne  le  reconnaît  pas.  Le  Messie  va  s'asseoir 
à  sa  droite,  toujours  sans  être  reconnu,  et  de  là  il  attire  à  lui 
le  principe  de  la  vie  des  êtres,  pour  détruire  la  création  vi- 
cieuse de  Jaldabaoth  et  faire  tout  rentrer  dans  le  sein  de 
l'unité  infinie.  Les  ophites  interprétaient  d'une  manière 
étrange  la  chute  de  l'homme  par  le  serpent;  selon  eux  Jalda- 
baoth, ce  mauvais  démiurge  adoré  par  les  Juifs  sous  le  nom 
de  Jéhovah,  avait  été  jaloux  de  l'homme  et  l'avait  voulu  frus- 
trer de  la  science;  mais  le  serpent,  agent  de  la  sagesse  supé- 
rieure ,  était  venu  enseigner  à  l'homme  ce  qu'il  avait  à  faire 
pour  reconquérir  la  connaissance  du  bien  et  du  mal  ;  en 
conséquence,  les  ophites  adoraient  le  serpent  et  maudissaient 
Jéhovah.  On  peut  croire  que,  dans  ce  rôle  donné  au  serpent, 
il  entrait  quelques  réminiscences  des  religions  phénicienne  et 
égyptienne,  où  le  serpent  était  considéré  comme  une  divinité 
bienfaisante.  D'autres  furent  appelés  caïnites  parce  que,  tou- 
jours dans  le  même  esprit,  ils  honoraient  Caïn ,  ils  hono- 
raient tous  ceux  qui  sont  réprouvés  dans  l'Ancien  Testament; 
ils  honoraient  les  villes  frappées  par  la  foudre  du  ciel  et  la 
pluie  de  feu.  » 

Eh  bien  !  il  semble  que  l'art  ait  partagé  cette  hérésie;  car 
aux  époques  anciennes,  sur  les  sarcophages,  les  fresques,  les 
mosaïques,  les  verres  sacrés,  les  vieux  ivoires,  on  ne  voit  pas 
la  figure  de  Dieu  le  père,  ou  bien  elle  est  incomplète  et  vrai- 
ment humiliée.  L'art  lui  garda  rancune  très-longtemps.  Ce 
fut  assez  tard  et  petit  à  petit  qu'il  se  décida  à  le  représenter 
convenablement. 

H  ne  faut  pas  s'étonner  que  le  gnosticisme  ait  pénétré  dans 
fart  chrétien  et  ait  eu  de  l'influence  jusque  dans  nos  cathé- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  197 

drales  occidentales.  En  efïet,  M.  Raoul-Roclietie  a  prouvé 
que  les  plus  anciennes  images  du  Christ ,  de  la  Vierge  et 
des  principaux  apôtres  étaient  toutes  de  fabrique  gnostique, 
et  que  de  cette  source,  tout  impure  qu'elle  fût,  nous  était 
arrivé  le  portrait  de  Jésus,  de  sa  mère  et  de  ses  disciples'.  Il 
ne  faudrait  pas  croire  non  plus  que  l'art  ait  toujours  été  par- 
faitement orthodoxe  ;  une  simple  observation  pourra  prouver 
le  contraire.  Tous  les  livres  apocryphes ,  sans  exception ,  ont  été 
condamnés  à  plusieurs  reprises,  depuis  le  v^  siècle,  par  le  pape 
Gélase  P^  jusqu'au  xvf,  par  le  pape  Paul  IV;  pendant  tout  le 
moyen  âge,  l'autorité  pontificale  s'est  élevée  contre  les  apociy- 
phes.  Aux  papes  se  sont  unies  les  plus  hautes  et  les  plus  saintes 
intelligences  du  christianisme.  Ainsi  saint  Athanase,  saint  Cy- 
rille de  Jérusalem,  saint  Augustin,  Eusèbe  de  Césarée,  Tertul- 
lien,  entre  autres;  ainsi  des  auteurs  ecclésiastiques,  Baronius, 
Bellarmin,  Ellies  du  Pin,  le  Nain  de  Tillemont,  n'ont  pas  d'ex- 
pressions trop  dures  pour  stigmatiser  cette  poésie  légendaire. 
En  tête  de  la  compilation  des  apocryphes  faite  par  Fabricius, 
ont  été  recueillis  tous  les  témoignages  et  toutes  les  censures  qui , 
à  toutes  les  époques,  depuis  le  m''  siècle  jusqu'au  xvii^  inclusi- 
vement, ont  été  portés  contre  les  apocryphes.  Le  pape  Gélase 
affirme  que  Leuticius  ou  Leucius,  le  plus  fécond  des  auteurs  lé- 
gendaires, est  un  disciple  du  diable;  Eusèbe  de  Césarée  déclare 
que  les  apocryphes  sont  absurdes  et  impies;  saint  Athanase 
veut  qu'on  les  rejette  comme  spurii;  Paul  IV  les  proclame  in- 
dignes de  foi  et  les  repousse  parmi  les  écrits  condamnés.  Le  Nain 
de  Tillemont  assure  qu'Abdias,  premier  évêqu6  de  Babylone  et 
auteur  du  combat  des  apôtres,  un  des  principaux  livres  apo- 
cryphes, est  un  inventeur.  Ellies  du  Pin  est  de  l'avis  de  Tille- 

'   Discours  sur  les  types  imitatifs  qui  constituent  l'art  du  christianisme;  in-8°.  Paris,  i83/i, 
p.  17  et  18  entre  autres. 


198  INSTRUCTIONS. 

mont,  et  dit  que  les  apocryphes  sont  indignes  de  foi ,  pleins  de 
folies,  de  contes  et  de  fables.  Les  légendes  apocryphes  sont  donc 
bien  condamnées,  anathématisées ,  déclarées  anticanoniques; 
néanmoins  la  plupart  des  légendes  peintes  sur  les  vitraux ,  sculp- 
tées sur  les  portails  de  nos  cathédrales,  sont  tirées  textuelle- 
ment de  ces  apocryphes,  et  des  plus  célèbres,  et  de  ceux  qui 
sont  désignés  nominativement  dans  les  anathèmes,  à  savoir: 
de  l'Evangile  de  l'enfance,  de  la  Petite  Genèse,  du  Combat  des 
apôtres,  de  l'Evangile  de  Nicodème.  A  Chartres,  la  vie  de  saint 
Jean  évangéliste,  peinte  dans  le  latéral  du  sud  ;  les  vies  de  saint 
Thomas,  de  saint  Jacques,  de  saint  Simon  ,  de  saint  Jude,  de 
saint  Pierre,  de  saint  Paul,  qui  brillent  aux  fenêtres  de  l'abside, 
sont  extraites  du  Combat  des  apôtres,  lequel  est  condamné 
comme  un  livre  de  fables.  Saint  Augustin  réprouve  la  cruauté 
apocryphe  de  saint  Thomas,  et  cependant  elle  est  sculptée 
dans  l'église  de  Semur,  et  peinte  dans  la  cathédrale  de  Bourges  ^ 
Il  faut  reconnaître  que  des  sujets  tirés  des  livres  anathématisés, 
hérétiques,  composés  surtout  par  les  gnostiques,  étaient  et  sont 
encore  peints  sur  verre  et  sculptés  dans  la  pierre,  au  sein  de 
nos  plus  grands  et  plus  catholiques  monuments.  Il  est  donc 
croyable  que  la  haine  des  gnostiques  contre  Dieu  le  père  aura 
pu  survivre  et  se  propager  dans  le  cœur  des  artistes  chrétiens, 
et  que  si  Jéhovah  est  maltraité  par  l'art,  c'est  qu'un  sentiment 
gnostique  animait  l'art,  peut-être  à  son  insu. 

A  cette  première  cause  a  pu  se  joindre  la  crainte  de  faire 
une  idole. 

Jéhovah,  Dieu  le  père,  c'est  le  Dieu  de  la  force,  le  Dieu 
des  armées  et  des  combats  ^  ;  le  Dieu  qui  épouvante  et  devant 

Legendd  aurea.  De  sancto  Thoma  apostolo. 

Voyez  dans  la  Bible,  aux  Psaumes  particulièrement,  toutes  les  épithetes  guerrières 
et  violentes  données  à  Jéhovah. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  199 

lequel  il  faut  toujours  trembler  K  Jupiter,  qui  détrône  son 
père,  qui  terrasse  les  Titans,  qui  propose  à  tous  les  dieux  de  les 
enlever  suspendus  au  bout  d'une  chaîne,  c'est  aussi  le  Dieu 
de  la  force  et  des  batailles.  L'analogie  des  attributions  étant 
flagrante,  faire  le  portrait  de  Dieu  le  père  c'était  s'exposer  à 
représenter  Jupiter,  et  à  solliciter  la  dévotion  des  chrétiens 
pour  une  image  qui  aurait  rappelé  la  grande  idole  olympique 
si  vénérée  chez  les  païens.  La  propension  à  représenter  Jé- 
hovah  en  Jupiter  devait  être  si  grande,  qu'on  songeait,  dès 
les  premiers  siècles  de  l'église,  à  donner  la  physionomie  de 
Jupiter  à  Jésus-Christ  lui-même,  à  cet  agneau  mystique  qui 
représente  le  côté  divin  de  la  douceur,  de  la  charité^,  et  non 
pas  de  la  force.  En  effet  un  artiste  chrétien  voulut  dessiner 
une  tête  du  Christ  d'après  une  image  de  Jupiter,  mais  sa 
main,  subitement  desséchée,  ne  reprit  son  état  naturel  que 
par  l'intervention  miraculeuse  et  les  prières  de  Gennadios, 
archevêque  de  Constantinople  ^.  11  y  avait  donc  surtout  péril 

!  «  Adorabo  ad  templum  sanctum  tuum  in  timoré  tuo,»  dit  le  psaume  v,  verset  8; 
«  Pavete  ad  sanctuarium  meum ,  »  dit  l'inscription  judaïque  sculptée  sur  le  trumeau  de 
la  porte  centrale,  portail  occidental,  à  Saint-Germain-l'Auxerrois. 

'  «Jésus  cura  dilexissel  suos  qui  erant  in  mundo,  in  finem  dilexit  eos.  —  Sicul  di- 
«  lexit  me  pater,  et  ego  dilexi  vos.  Manete  in  dilectione  mea.  »  (Saint  Jean,  chap.  xiii, 
V.  i;  chap.  XV,  V.  g.) 

*  Theod.  Hist  eccles.  lib.  1,  cap.  xv;  S.  Jean.  Damas.  De  imaginibus ,  orat.  III,  p.  386, 
387.  — Voici  le  texte  de  Théodoret  :  «  Pictori  cuidam,  qui  Christi  Domini  pinxerat  imagi- 
«  nem,  manus  ambse  exaruerunt.  Ferebatur  autem  Gentilis  cujuspiam  hominis  jussu  hoc 
«  opus,  sub  nomine  Salvaloris  specie  ita  pinxisse,  ut  capillis  ex  utraque  oris  parte  discretis 
«faciès  nullatenus  tegeretur  (ea  utique  forma  qua  pagani  Jovem  pingunt),  ut  ab  iis  qui 
«  ipsum  vidèrent  Salvatori  adorationem  offerre  existimaretm\  »  —  Au  xiv^  siècle ,  Dante 
(  Purgatoire,  chant  vi")  appelle  Jésus  souverain  Jupiter: 

«O  summo  Giove  , 
uChe  fosti  '11  terra  per  noi  crocifisso.» 

A  l'extrémité  chronologique  opposée  à  celle  de  Théodoret,  et  presque  de  notre  temps, 
c'est  encore  dans  les  traits  de  Jupiter  qu'on  a  cherché  l'idéal  de  Jésus-Christ.  Effective- 
ment Poussin  avait  fait,  pour  un  noviciat  de  jésuites,  un  tableau  représentant  saint 


200  INSTRUCTIONS. 

à  fixer  le  génie  des  artistes  et  la  piété  des  fidèles  sur  une  fi- 
gure comme  celle  de  la  première  personne  divine,  à  laquelle 
on  aurait  prêté  certainement  les  traits  du  père  des  dieux  païens. 
Il  y  avait  moins  de  danger  pour  Jésus,  dont  la  vie,  les  attribu- 
tions et  la  physionomie  s'éloignaient  complètement  de  celles 
des  divinités  païennes;  et  quand  un  artiste  s'oubliait,  comme 
celui  dont  parle  Théodoret,  un  miracle  en  faisait  justice;  ce 
qui  n'empêchait  pas  l'art  de  s'exercer  sur  ce  type,  inconnu  aux 
anciens,  d'un  Dieu-homme  et  mourant  pour  les  hommes.  Il 
était  moins  possible  de  confondre  Jésus  avec  aucune  divinité 
païenne;  il  y  avait  donc  peu  de  danger  à  le  figurer.  Les  ico- 
noclastes eux-mêmes,  et  les  plus  rigides,  ne  pouvaient  donner 
contre  Jésus  les  raisons  qu'ils  cherchaient  à  faire  prévaloir  avec 
énergie  contre  le  Père.  De  là  cette  rareté  des  portraits  de  Jého- 
vali  et  cette  multitude  des  portraits  de  Jésus. 

La  troisième  cause  est  la  ressemblance  identique  du  Père 
et  du  Fils  fondée  sur  des  textes  sacrés. 

«Qui  me  voit  voit  celui  qui  m'a  envoyé,  dit  Jésus-Christ 
lui-même  ';  moi  et  mon  Père  nous  ne  sommes  qu'un^;  sachez 
que  je  suis  dans  mon  Père  et  que  mon  Père  est  en  moi  ^  »  L'art, 
prenant  ces  textes  à  la  lettre ,  a  dû  souvent  représenter  Dieu  le 
père  sous  la  forme  de  son  fils.  Lorsque,  dans  les  sculptures  de 

François  Xavier;  on  lui  reprocha  d'y  avoir  figuré  le  Christ  en  Jupiter  tonnant.  Poussin 
répondit  qu'il  n'avait  pas  dû  s'imaginer  le  Christ  avec  un  visage  de  torticolis  ou  de  père 
Douillet.  (  Voyez  Collection  des  lettres  de  Poussin;  Paris,  182^  ,  p.  gô.)  —  Donc  si  de  nos 
jours,  et  Michel-Ange,  dans  son  Jugement  dernier,  en  est  une  autre  preuve,  des  artistes 
ont  pu  s'oublier  jusqu'à  donner  au  doux  Jésus-Christ  les  traits  de  Jupiter,  à  plus  forte 
raison,  dans  les  premiers  temps  du  christianisme,  alors  qu'on  était  encore  aux  prises 
avec  les  types  des  divinités  païennes ,  était-il  difficile  de  ne  pas  représenter  Jéhovah  en 
Jupiter  tonnant.  C'est  pour  éviter  ce  danger,  comme  je  le  présume,  qu'on  a  dû  inter- 
dire aux  premiers  artistes  chrétiens  de  figurer  Dieu  le  père. 

«  Qui  videt  me  videt  eum  qui  misit  me.  »  S.  Jean,  ch.  xii,  v.  Ub. 

'  «  Ego  et  Pater  unum  sumus.  «  Ibid.  ch.  x,  v.  3o. 

•*  «  Pater  in  me  est  et   ego  in  Pâtre.  »  Ibid.  ch.  x,  y.  38. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  201 

Chartres,  dans  les  peintures  à  fresque  de  Saint-Savin,  près  de 
Poitiers,  dans  les  fresques  du  Campo-Santo,  dans  une  foule  de 
manuscrits,  ou  bien  sur  les  anciens  sarcophages,  nous  voyons 
Jésus  créant  Adam  et  Eve,  Jésus  parlant  à  Noé,  à  Moïse,  à 
Isaïe,  c'est  probablement  Dieu  le  père  qui  nous  apparaît  sous 
la  forme  de  son  fils,  parce  qu'en  voyant  le  Fils  on  voit  le  Père , 
parce  que  l'un,  qui  a  pris  un  corps  humain  et  qu'on  a  vu  parmi 
les  hommes,  est  l'image  de  fautre  qu'on  n'a  jamais  vu^ 

Un  autre  texte,  fondé  sur  l'un  des  dogmes  les  plus  fon- 
damentaux du  christianisme ,  a  provoqué  encore  la  substitu- 
tion du  Fils  au  Père  dans  les  représentations  figurées.  Saint 
Jean,  dans  le  premier  chapitre  de  son  évangile,  déclare  que 
Jésus,  la  personne  divine  qui  s'est  incarnée,  est  le  Verbe,  est 
la  parole  de  Dieu  ^.  Par  conséquent,  dans  toute  scène  reli- 
gieuse où  la  divinité  parle,  c'est  la  figure,  non  pas  du  Père, 
mais  du  Fils  qui  doit  se  montrer.  Le  Père  peut  bien  agir,  mais 
c'est  par  son  Fils  qu'il  parle.  Il  faut  donc  moins  s'étonner  si  la 
personne  divine  qui  converse  avec  Isaïe  dans  la  cathédrale  de 
Chartres ,  qui  s'entretient  avec  les  prophètes  dans  nos  vitraux 
gothiques  et  nos  manuscrits  à  miniatures,  qui  reproche  leur 
désobéissance  à  nos  premiers  parents,  son  crime  à  Caïn  le 
fratricide ,  scènes  si  fréquentes  dans  les  vieilles  sculptures  des 
sarcophages ,  est  représentée  sous  les  traits  de  Jésus  et  non 
pas  de  Jéhovah ,  puisque  la  divinité  parle  dans  tous  ces  su- 
jets, et  que  Jésus  est  la  parole  faite  chair.  De  plus,  la  Genèse 
dit  que  Dieu  fit  le  monde  par  la  parole.  Dieu,  en  efPet,  ne  se 
contente  pas  de  j)enser;  mais  il  parle  en  créant  la  lumière, 
le  firmament,  les  corps  lumineux,  les  plantes,  les  animaux 

'  «  Qui  est  imago  Dei  invisibilis,  primogenitus  omnis  creaturije,  »  comme  dit  saint  Paul , 
Ad  Coloss.  cap.  I,  V.  i5. 

"  «  Verbum  caro  factura  est.  » 

INSTRUCTIONS. II.  26  * 


202  INSTRUCTIONS. 

et  rjionime  :  «  Dieu  dit  :  Que  la  lumière  soit,  et  la  lumière 
lut  ^;  Dieu  dit  :  Faisons  l'homme  à  notre  image  et  ressem- 
blance'. »  Les  théologiens  déclarèrent  donc  que  Jésus,  d'après 
saint  Jean,  étant  la  parole  divine ,  c'était  Jésus  qui  avait  créé  le 
monde,  puisque  le  monde  était  sorti  du  néant  à  la  parole  de 
Dieu.  Ainsi  Grégoire  de  Tours ,  en  tête  de  son  Histoire  des 
Francs,  dit  :  «  Au  commencementDieu  créa  dans  son  Christ,  qui 
est  le  principe  de  toutes  choses,  c'est-à-dire  Dieu  créa  dans  son 
fds  le  ciel  et  la  terre  ^.  »  Ainsi  le  symbole  de  Nicée,  qui  se  lit  ou 
se  chante  tous  les  jours  à  la  messe,  déclare  que  toutes  choses 
ont  été  créées  par  le  fds  unique  de  Dieu  ^.  Assurément  la  Tri- 
nité tout  entière  a  concouru  à  la  création  ;  mais  c'est  le  Fils 
qui  en  a  été  l'agent  essentiel ,  l'artiste  principal  ;  c'est  à  lui 
qu'elle  est  attribuée  spécialement  sinon  uniquement.  Donc 
lorsqu'un  artiste,  rigoureusement  théologien  comme  le  sculp- 
teur de  la  cathédrale  de  Chartres  ou  comme  le  peintre  de 
l'église  de  Saint-Savin,  ne  représentait  pas  la  Trinité  entière 
à  la  création,  mais  une  seule  personne  divine,  c'est  le  Christ 
qu'il  devait  figurer,  et  non  pas  Dieu  le  père,  ni  le  Saint-Esprit, 
Au  xv"  siècle,  et  surtout  à  la  renaissance,  les  principes  théolo- 
giques s'étaient  énervés;  aussi  la  plupart  du  temps,  à  cette 
époque ,  c'est  le  Père  qu'on  représente  créant  le  monde ,  et 
non  le  Fils,  non  le  Verbe.  D'ailleurs,  en  ce  temps,  la  théologie 
était  subordonnée  à  l'histoire;  or, selon  l'iiistoire,  le  Fils  n'étant 
pas  encore  incarné  à  l'époque  de  la  création ,  on  se  fit  un  scru- 
pule de  le  montrer,  et  on  mit  le  Père  à  sa  place.  Enfin  l'art, 
devenu  plus  bardi ,  ne  fut  pas  fâché  de  lutter  avec  cette  impo- 

Genèse,  chap.  i ,  v.  3. 
'  Ibidem,  v.  26. 

Hist.  Ecclesiast.  Franc,  lib.  1,  n"  1.  «Domiiius  cœliim  terramque  in  Christo  siio 

«  in  filio  suo  formavit.  » 

«  Jesum  Christum ,  Filium  Dei ,  unigenilum. . . .  per  quem  onania  fada  sunt  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  203 

santé  figure  de  Jéhovah;  ce  type  idéal  et  sul)lime,  il  chercha  à 
le  réaliser.  C'est  Dieu  le  père  et  non  pas  le  Fils ,  c'est  le  Père 
vénérable,  à  barbe  blanche,  mais  puissant  de  physionomie,  qui 
crée  le  monde  et  débrouille  le  chaos  dans  les  joeintures  de  Ra- 
phaël. Une  fois  qu'on  eut  fait  une  figure  au  Père,  le  Père  kit 
représenté  dans  toutes  les  scènes  de  la  Bible.  On  ne  s'inquiéta 
plus  de  savoir  si  le  Fils  avait  fait  la  création  et  avait  parlé,  en 
sa  qualité  de  Verbe,  aux  personnages  de  f  Ancien  Testament; 
on  le  confondit,  lui  qui  est  éternel,  avec  Jésus  qui  est  né  dans 
le  temps.  On  se  dit  :  dans  l'Ancien  Testament  le  Christ  n'est  pas 
né  encore;  donc,  toutes  les  fois  qu'il  s'agit  de  Dieu,  c'est  le 
Père  et  non  le  Fils  qui  est  désigné,  c'est  le  Père  et  non  le  Fils 
qu'il  faut  représenter.  On  était  dans  la  vérité  chronologique 
ou  plutôt  historique,  selon  le  sens  humain  du  mot,  mais  on 
sortait  de  la  vérité  théologique.  Raphaël  tout  le  premier,  lors- 
qu'il peignait  pour  les  papes  des  sujets  de  l'Ancien  Testament, 
la  création  et  d'autres  scènes  où  Dieu  paraît ,  s'écartait  du  vrai 
dogme  chrétien  en  figurant  le  Père.  De  nos  jours  tout  peintre 
et  tout  sculpteur  qui  voudrait  représenter  la  création  devrait 
donc  figurer  la  Trinité  tout  entière;  mais  s'il  n'en  prenait 
qu'une  personne,  il  faudrait  que  cette  personne  fût  le  Verbe 
ou  le  Fils  de  Dieu.  La  doctrine  théologique  et  le  gnosticisme 
ont  été  les  deux  causes  les  plus  puissantes  qui  aient  produit, 
en  iconographie  chrétienne,  la  rareté  des  portraits  de  Jéhovah 
et  la  fréquence  des  portraits  de  Jésus. 

Une  autre  raison  encore,  mais  purement  esthétique,  a  pu 
donner  le  même  résultat.  Il  est  possible  que  ce  résultat  soit  sorti 
d'une  pensée  diamétralement  contraire  à  celle  des  gnostiques. 

L'idée  d'un  Dieu  créateur  de  l'univers  et  maître  souverain 
de  tous  les  êtres,  d'un  Dieu  que  fimagination  la  plus  auda- 
cieuse ne  peut  se  figurer  que  très-incomplétement,  d'un  Dieu 

26. 


204  INSTRUCTIONS. 

qui,  d'un  rayon  de  ses  yeux,  fait  la  lumière  du  jour,  et,  d'un 
souffle  de  sa  bouche,  crée  les  plantes  et  les  animaux \  une 
idée  pareille  a  dû  faire  reculer  les  premiers  artistes  chré- 
tiens ;  car  aujourd'hui  encore  elle  donne  des  éhlouissements 
à  dOs  plus  grands  poètes  ,  et  Raphaël  lui-même  ne  l'a  tra- 
duite que  très-imparfaitement.  Quant  à  Jésus-Christ,  on  l'a- 
vait vu  ,  on  avait  décrit  au  long  sa  physionomie ,  on  avait 
fait  son  portrait;  la  témérité  était  moins  grande  pour  le  re- 
présenter. Soit  donc  par  difficulté  de  se  figurer  Dieu  le  père, 
soit  par  respect  devant  cette  majesté  redoutable  et  par  une 
sorte  de  crainte  religieuse,  les  artistes  n'osèrent  s'exercer  sur 
un  pareil  sujet  que  dans  la  suite  des  temps  et  après  de  nom- 
breux essais. 

Il  faut  le  dire  enlin,  les  premiers  chrétiens,  jusqu'aux  v''  et 
vi*"  siècles,  furent  assez  mal  disposés  pour  les  images  en  géné- 
ral; tous  étaient  iconoclastes,  ceux-ci  un  peu  plus,  et  ceux-là 
un  peu  moins.  On  sortait  du  paganisme,  qui  faisait  consister 
presque  toute  sa  religion  à  fabriquer  et  adorer  des  statues  et 
des  images;  en  outre,  le  christianisme  procédait  du  judaïsme, 
lequel  proscrivait  toute  représentation  de  Dieu  ou  des  hommes. 
On  ne  doit  donc  pas  s'étonner  si,  pour  trancher  plus  éner- 
giquement  avec  les  idolâtres,  et  si,  pour  s'écarter  un  peu 
moins  de  la  loi  ancienne  que  l'on  complétait  et  que  l'on  ne 
détruisait  pas ,  on  s'efforça  de  contenir  les  artistes  et  de  les 
empêcher  de  représenter  la  divinité  par  la  sculpture  et  la 
peinture  aussi  souvent  qu'ils  l'auraient  désiré. 

Il  y  a  de  ce  fait  un  exemple  curieux.  Saint  Jean  Damascène 
n'était  certes  pas  un  iconoclaste,  puisqu'il  a  fait  des  discours 
contre  les  iconoclastes  et  contre  Léon  l'isaurien,  comme  Dé- 

«Qui  cœlum  palmo  metitur,  ac  terram  manu  continel,  el  piigillo  aquam  claudil.  » 
(0pp.  S.  Joh.  Damas.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  205 

mosthène  contre  Philippe;  et  cependant  il  déclare  positive- 
ment qu'il  ne  faut  pas  représenter  la  nature  divine ,  parce 
que  personne  ne  l'a  vue  ^  Il  permet  seulement  de  figurer  le 
Fils  de  Dieu,  parce  que,  «par  une  bonté  ineffable,  le  Fils 
s'est  fait  cliair,  s'est  montré  sur  la  terre  sous  la  forme  hu- 
maine, a  conversé  avec  les  hommes,  a  pris  notre  nature, 
notre  corps  épais  et  lourd,  la  figure  et  la  couleur  de  notre 
chair.  Nous  ne  sommes  donc  pas  dans  l'erreur,  ajoute- t-il, 
lorsque  nous  représentons  son  image,  car  nous  désirons  voir 
sa  figure  et  nous  la  voyons  comme  à  travers  un  miroir  et 
comme  en  énigme"^.» 

Ainsi  le  Damascène,  si  éloquent  et  si  large  lorsqu'il  veut 
qu'on  représente  Jésus-Christ,  est  restrictif  à  l'égard  du  Père. 
Si  les  artistes  se  permettent  de  figurer  le  Père,  ce  doit  être 
avec  les  traits  du  Fils  ;  car  le  Père  et  le  Fils  sont  un  ,  et  qui 
voit  fun  voit  fautre.  Jésus-Christ,  dans  l'évangile  de  saint  Jean, 

'  Dieu  dit  à  Moïse  :  «  Non  poteris  videra  faciem  meam  :  non  enim  videbit  me  homo  ,  et 
'1  vivet.  I)  [Exod.  cap.  xxxiii ,  v.  20.)  —  A  son  tour  Moïse  dit  aux  Hébreux  :  «  Locu- 
«  tusque  est  Dominas  ad  vos  de  medio  ignis.  Vocem  verborum  ejus  audistis ,  et  formam 
•I  penitus  non  vidistis.  »  [Deut.  cap.  iv,  v.  12.) 

^  Voici  les  textes  de  saint  Jean  Damascène:  «In  errore  quidem  versarcmur  si  vel  in- 
«  visibilis  Dei  conliceremus  imaginern  ;  quoniam  id  quod  incorporeum  non  est,  nec  visi- 
«bile,  nec  circumscriptum ,  nec  figuratum,  pingi  omnino  non  potest.  Impie  rursum 
«  ageremus  si  e£formatas  a  nobis  bominum  imagines  Deos  esse  arbitraremur,  iisque  tan- 
(  quam  diis  divinos  honores  tribueremus.  At  nibil  horum  prorsus  admittimus.  Sed 
•'  posteaquam  Deus,  pro  ineffabili  bonitate  sua,  assumpta  carne,  in  terris  carne  visus  est 
«  et  cum  hominibus  conversatus  est;  ex  quo  naluram  nostram  corpulentamque  crassi- 
«  tiem,  figuram  item  et  colorem  carnis  suscepit,  nequaquam  aberramus  cum  ejus  imagi- 
«  nem  exprimimus.  — Ex  quoVerbum  incarnatum  est,  ejus  imaginem  pingere  lice  t.  » 
—  Le  grand  théologien  permet  donc  de  figurer  le  Verbe ,  parce  que  le  Verbe  s'est  in- 
carné; mais  comme  personne  n'a  vu  Dieu  le  père,  il  défend  de  le  représenter  :  «  Dei ,  qui 
«est  incorporeus,  invisibilis,  a  materia  remolissimus,  iigurœ  expers,  incircumscriptus 
«  et  incomprehensibilis ,  imago  nuUa  fieri  potest.  Nam  quomodo  illudquodin  aspectum 
«  non  cadit  imago  representarit  ?  »  (  Voir  les  OEuvres  de  S.  Jean  Damasc.  édit.  de  Paris , 
1712,  in-fol.  1"  vol.  Oralio  secunda,  de  Imuginihus.) 


206  INSTRUCTIONS. 

dit  de  lui-même  :  «  Moi  et  mon  Père  nous  ne  sommes  qu'un; 

je  suis  dans  mon  Père  et  mon  Père  est  en  moi.  » 

Ces  divers  textes  ont  été  appliqués  pendant  presque  tout  le 
moyen  âge ,  non  pas  seulement  à  la  divinité  du  Père ,  qui  est  la 
même  que  celle  du  Fils,  niais  encore  et  surtout  à  sa  figure,  à 
ses  traits.  Jusqu'à  la  fin  du  xiif  siècle ,  c'est  la  figure  de  son  fils 
que  Dieu  le  père  emprunte  pour  se  manifester  aux  hommes. 

Telles  sont  donc  les  principales  raisons  qui  peuvent  ex- 
pliquer ce  fait  iconographique  intéressant  de  la  rareté  des  por- 
traits du  Père,  de  la  multiplicité  des  portraits  du  Fils,  de  la 
substitution  du  Fils  au  Père  en  une  foule  de  circonstances,  et 
des  honneurs  enlevés  au  Père  au  profit  du  Fils.  La  difficulté  de 
se  figurer  Jéhovah  et  de  le  représenter  était  considérable  pour 
les  artistes;  cependant  je  crois  que  c'est  par  ressentiment,  par 
hostilité  contre  la  force  et  la  violence,  que  l'art  a  surtout  répugné 
à  représenter  Dieu  le  père ,  et  bien  moins ,  comme  on  pourrait 
le  croire,  parce  que  Dieu  le  père  ne  s'étant  jamais  manifesté, 
l'art  n'osait  le  représenter  et  ne  savait  quelle  figure  lui  donner. 
C'était  un  prétexte  plutôt  qu'une  raison.  D'abord  Dieu  le  père 
s'est  manifesté  visiblement  et  à  plusieurs  reprises  dans  l'Ancien 
Testament  :  Moïse  l'a  vu  dans  le  buisson  ardent;  il  s'est  montré 
au  jDatriarche  Abraham  sous  la  forme  d'un  ange  plus  majes- 
tueux que  les  autres,  et  le  prophète  Ezéchiel  le  vit  semblable 
à  un  homme  assis  sur  un  trône  et  tout  environné  de  lumière  ^ 
D'ailleurs  l'art  chrétien  n'aurait  pas  reculé  devant  la  création 
d'une  forme  visible  pour  traduire  une  substance  invisible  ; 
c'était,  au  contraire,  une  magnifique  occasion  pour  sa  vive 
imagination   que   d'exprimer  matériellement    l'idée   la  plus 

Ezéchiel ,  chap.  i ,  v.  26  et  27  :  ^  ...  Et  super  simililudinem  throni,  similitudo  quasi 
aspectus  iiominis  desuper.  »  Au  chap.  xliii  ,  v.  3  ,  Ezéchiel  dit  encore  qu'il  revit  Dieu  sous 
la  même  forme  ;  «  Species  secundum  aspeclum  quem  videram  iuxta  fluvium  Chobar.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  207 

haute,  la  plus  sublime  de  toutes,  l'idée  divine.  Certes  l'art 
eût  embrassé  avec  joie  un  pareil  sujet,  lui  qui  a  revêtu  d'un 
corps  tant  d'idées,  et  d'une  forme  tant  d'êtres  impalpables  et 
métaphysiques;  lui  qui  a  donné  la  vie  à  des  abstractions, 
et  qui  a  créé  ces  belles  allégories,  peintes  et  sculptées  en 
hommes  et  en  femmes,  de  la  Liberté,  de  la  Promptitude,  du 
Courage,  de  la  Foi,  de  l'Espérance,  de  la  Charité,  de  la  Lâ- 
cheté, de  l'Avarice,  des  Arts  libéraux,  de  la  Religion  juive,  delà 
Religion  chrétienne,  des  Fleuves  du  paradis  terrestre,  et  une 
infinité  d'autres.  Si  donc  il  n'a  pas  représenté  Dieu  le  père, 
c'est  probablement  parce  qu'il  ne  l'a  pas  voulu ,  car  il  l'a  pu. 

En  résumé,  le  gnosticisme  d'une  part,  le  dogme  théolo- 
gique de  l'autre ,  ont  contribué,  bien  plus  puissamment  que  les 
causes  voisines,  à  rendre  très-rares  les  portraits  de  Dieu  le  père. 

L'histoire  archéologique  de  cette  personne  première  est 
donc  assez  limitée.  Nous  allons  en  retracer  les  principales  pé- 
riodes. 

PORTRAITS    DE    DIEU    LE    PERE. 

Dans  les  premiers  siècles  de  l'église,  jusqu'au  xif,  on  ne 
voit  pas  de  portrait  de  Dieu  le  père.  Sa  présence  ne  se  révèle 
que  par  une  main  qui  sort  des  nuages  ou  du  ciel.  Cette  main 
s'ouvre  en  entier  et  lance  quelquefois  des  rayons  de  chaque 
doigt,  comme  si  c'était  un  soleil  vivant,  pour  ainsi  dire.  Ces 
rayons  expriment  la  grâce ,  les  faveurs  que  Dieu  répand  sur  la 
terre.  Le  plus  souvent  cette  main  est  bénissante  et  présente 
les  trois  premiers  doigts  ouverts,  tandis  que  le  petit  doigt 
et  celui  qui  lui  est  contigu  restent  fermés  ^  Dans  la  planche 
suivante,  la  main  est  rayonnante  et  bénissante  tout  à  la  fois. 

'  Il  faut  toujours  observer  la  direclion  des  doigts.  La  bénédiction  grecque  diffère, 
à  quelques  égards,  de  la  bénédiction  latine;  une  bénédiction  grecque  sur  une  image 
latine,  et  réciproquement,  offrirait  donc  un  grand  intérêt  bistorique. 


208 


INSTRUCTIONS. 

52,    MAIN     DIVINE     RAYONNANTE    ET    NON    NIMBEE. 

Miniature  grecque  du  x"  siècle. 


La  gravure  est  prise  sur  un  manuscrit  grec ,  et  la  bénédiction 
ne  se  fait  pas  avec  les  trois  premiers  doigts  ouverts,  comme 
dans  l'église  latine,  mais  avec  l'index  ouvert,  le  grand  et  le 
petit  doigt  courbés,  tandis  que  le  pouce  se  croise  sur  l'an- 
nulaire pour  former  un  chi  (X).  C'est  la  bénédiction  grecque  ^ 

'  Bibl.  royale,  Psalterium  cumfiguris,  grec,  n"  iSg.  — A  l'Histoire  du  nimbe,  p.  102, 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  209 

On  reconnaît  à  cette  main  la  main  de  Dieu,  parce  qu'elle  tend  à 
Moïse  les  tables  de  la  loi,  parce  qu'elle  arrête  le  bras  d'Abraham, 
qui  va  sacrifier  Isaac ,  parce  qu'elle  apparaît  au  moment  où 
Jésus-Christ  baptisé  et  transfiguré  entend  cette  voix  qui  part 
du  ciel  :  «  Celui-ci  est  mon  fils  bien  aimé,  dans  lequel  j'ai  mis 
toutes  mes  complaisances.  »  C'est  donc  seulement  à  cause  du 
sujet  historique,  et  non  par  un  attribut  caractéristique,  quon 
doit  de  pouvoir  affirmer  que  cette  main  est  bien  celle  de  Dieu 
le  père,  et  n'appartient  pas  à  l'une  des  deux  autres  personnes 
divines,  à  un  ange  ou  à  quelque  saint. 

Néanmoins,  très-souvent  encore,  un  caractère  distinctif 
vient  s'ajouter  à  celui  que  l'on  tire  de  l'histoire,  pour  empê- 
cher qu'on  ne  confonde  cette  main  avec  celle  d'un  ange  ou 
d'un  saint,  si  ce  n'est  avec  celle  du  Fils  ou  du  Saint-Esprit. 
On  a  vu  en  effet,  dans  les  prolégomènes  \  que  le  nimbe  cru- 
cifère distinguait  Dieu  de  toutes  ses  créatures  :  tout  person- 
nage orné  de  cet  attribut,  et  sauf  les  très-rares  exceptions  et 

nous  avons  nolé  le  nimbe  transparent  de  celle  belle  Nuit  (NTS),  qui  a  une  tournure 
tout  à  fait  antique  ;  le  voile  semé  d'étoiles  qu  elle  arrondit  au-dessus  de  sa  tête ,  et  le  flam- 
beau qu'elle  renverse,  parce  qu'elle  est  ennemie  du  jour,  complètent  celte  allégorie.  Le 
prophète  Isaie  est  placé  entre  cette  personnification  de  la  nuit  et  celle  de  l'aurore.  L'Aurore 
ou  le  Point  du  jour  [Ôpdpos]  est  un  petit  génie,  un  enfant  de  quatre  ans  environ,  à  peu 
près  nu,  qui  tient  un  flambeau  allumé,  debout  et  non  renversé.  Le  prophète  est  à  la 
fin  de  la  nuit  et  au  commencement  du  jour;  la  Nuit  est  donc  grande,  et  le  Jour  petit 
et  à  sa  naissance.  La  nuit,  qui  éclaire  d'une  lumière  d'em.prunt,  a  moins  de  force  que 
le  jour,  qui  s'éclaire  et  s'échauffe  à  la  lumière  directe  du  soleil  ;  la  Nuit  est  donc  une 
femme  ici ,  et  le  Jour  un  homme ,  comme  le  genre  des  mots  qui  les  nomment  est  féminin 
pour  l'une  et  masculin  pour  l'autre.  Ce  tableau  remarquable  est  la  traduction  parla  pein- 
ture des  divers  passages  où  Isaïe  raconte  la  puissance  de  Dieu  et  la  mission  qu'il  en  re- 
çoit :  «  Ecce  Dominus  Deus  in  fortitudine  véniel,  et  brachium  ejus  dominabitur.  »  (Cap.  xl, 
V.  lo.)  —  «Dabo  in  solitudinem  ccdrum,  et  spinam  et  myrlum,  et  lignum  olivae;  po- 
3  nam  in  deserlo  abielem,  ulmum  et  buxum  simul.  n  (Cap.  XLi ,  \'.  i  9.)  -—  «  Ut  sciant  hi, 
«  qui  ab  ortu  solis  et  qui  ab  occidente,  quoniam  absque  me  non  est  :  ego  Domhius  et 
"  non  aller.  Formans  lucem  et  creans  tenebras.  »  (Cap.  xlv,  v.  6  et  7.) 
^  Nimbe,  pages /u- 68. 

INSTRUCTIONS.  —   H.  ^7 


210  INSTRUCTIONS. 

erreurs  signalées,  et  résultant  ou  de  l'ignorance  ou  de  la  négli- 
o-ence  de  l'artiste,  est  infailliblement  une  des  trois  personnes 
divines.  Or,  souvent  cette  main  est  appliquée  contre  un 
nimbe  partagé  par  une  croix  grecque  :  donc  elle  désigne  l'une 
des  trois  personnes  de  la  Trinité.  Si,  d'ailleurs,  le  Fils  et 
le  Saint-Esprit  sont  présents,  il  n'y  a  plus  de  doute;  c'est 
bien  la  main  de  Dieu  le  père.  La  planche  suivante  montre  le 
baptême  de  Jésus'.  Le  Christ  est  dans  les  eaux  et  le  Saint- 
Esprit  ,  en  forme  de  colombe ,  descend  sur  sa  tête  ;  Dieu  le 
père  met  hors  du  ciel  constellé  sa  main  droite ,  pour  traduire 
aux  yeux  les  paroles  de  l'Évangile:  «Celui-ci  est  mon  fds 
bien  aimé.  »  Il  n'y  a  pas  de  doute ,  cette  main  est  et  ne  peut 
être  que  celle  de  Dieu  le  père. 


53.  MAIN  DE   DIEU   LE    PERE,  NI  RAYONNANTE,    NI  NIMBEE,    MAIS  ENT1EREME^T  OUVERTE. 

Miniature  latine,  ix"  siècle. 


Par  analogie,  toutes  les  fois  qu'on  voit  sortir  du  ciel  une  main 

Ce  dessin  vient  du  manuscrit  Liber  precum,  Bibl.  roy.  suppl.  lat.  64 1. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  211 

J3énissanle  ou  rayonnante,  quand  même  les  autres  personnes 
divines  seraient  absentes  (ce  qui  arrive  fréquemment)  et 
quand  même  le  nimbe  croisé  ne  la  caractériserait  pas,  on 
peut  être  sûr  que  cette  main  appartient  réellement  à  Dieu 
le  père.  Ainsi  donc,  de  même  que  le  nom  de  Jésus -Christ 
se  résume  dans  une  ou  deux  lettres,  J.  C.  de  même  la  figure 
totale  de  Jéhovah  se  résume  dans  une  partie  de  son  corps, 
dans  sa  main.  La  main  est  une  espèce  de  monogramme  à 
l'usage  des  sculpteurs  et  des  peintres. 

Jusqu'au  xii^  siècle,  cette  main  représente  exclusivement 
le  Père  ;  mais ,  dans  la  seconde  et  la  troisième  période  de 
l'art  chrétien ,  pendant  le  règne  du  gothique  et  de  la  renais- 
sance, même  alors  que  le  Père  est  figuré,  soit  en  buste,  soit 
en  pied ,  la  main  se  voit  encore  de  temps  en  temps  ;  elle  per- 
siste jusqu'au  xvii^  siècle.  Elle  se  montre  avec  plusieurs  varié- 
tés, qui  sont  plutôt  archéologiques  que  chronologiques;  car,  à 
la  même  époque ,  ces  variétés  se  produisent  toutes  à  peu  près. 

Cette  main  est  donc  ou  bénissante  et  ouverte  de  deux,  de 
trois  doigts  seulement,  suivant  les  exemples  donnés  par  les 
planches  20  et  62  ;  ou  donatrice,  ouverte  entièrement  et  lais- 
sant tomber  de  chaque  doigt  des  rayons  de  grâce ,  comme  à 
la  planche  2  2 ,  et  comme  on  en  verra  d'autres  variétés  plus 
complètes  à  l'Histoire  de  Dieu  le  fils  ;  ou  donatrice  et  bénis- 
sante à  la  fois ,  à  moitié  ouverte  et  rayonnante ,  comme  à  la 
planche  62.  Cette  main  est  sans  attribut,  surtout  aux  époques 
qui  se  distinguent,  soit  par  l'absence,  soit  par  la  rareté  du 
nimbe;  ou  bien  elle  se  pose  sur  un  nimbe  qui  est  ordinaire- 
ment divisé  par  des  croisillons ,  comme  le  nimbe  de  la  tête 
même,  mais  que,  soit  par  oubli,  soit  par  ignorance,  on  voit 
sans  croisillons  quelquefois.  L'absence  du  nimbe  est  constante 
dans  les  fresques  des  catacombes,  les  anciens  sarcophages  et  les 


912  INSTRUCTIONS. 

plus  vieilles  mosaïques.  Le  dessin  52,  donné  plus  liaut,  offre 

la  main  sans  nimbe;  ici  la  main  est  sur  un  nimbe  crucifère  \ 

5/j.  MAIN  DIVINE  APPLIQUÉE  SUR  UN  NIMBE  CRUCIFERE. 

Sculpture  italienne  du  xii'  siècle,  au  portail  de  la  cathédrale  de  Ferrarc. 


Dans  la  série  des  mosaïques,  il  n'est  pas  rare  de  voir  le  com- 
mencement du  bras  attacbé  à  la  main.  C'est  ce  qu'en  blason 
on  appelle  dextrochère  ou  sinistrochère ,  suivant  que  cette 
main,  unie  au  bras,  est  droite  ou  gauche. 

Le  dessin  qui  suit  présente  une  main  divine  inscrite  dans 
une  couronne  qu'elle  tend  à  Jésus  ;  l'enfant  divin  est  dans  les 
bras  de  sa  mère  ". 


Cetle  main  donne  la  bénédiction  latine  et  non  la  bénédiction  grecque.  Chez  nous  , 
la  direction  des  doigts  ne  semble  pas  symbolique  ,  tandis  que  chez  les  Grecs  l'index  s'al- 
longe comme  un  I,  le  grand  doigt  se  courbe  comme  un  G  ,  ancien  sicjma  des  Grecs  ,  le 
pouce  et  l'annulaire  se  croisent  pour  faire  un  X,  et  le  petit  doigt  s'arrondit  pour  ligurer 
un  C.  Tout  cela  donne  IC-XC ,  monogramme  grec  de  Jésus-Christ  (  Irja-oiiC  XpiarTÔC).  — 
Cette  main  ,  sculptée  dans  un  tympan  de  la  cathédrale  de  Ferrare,  semble  apparte- 
nir par  sa  position  à  un  personnage  à  terre,  et  qui  bénirait,  du  haut  de  sa  grandeur,  des 
individus  placés  plus  bas.  Page  56 ,  pi.  20,  nous  avons  donné  une  main  dont  la  position 
est  toute  différente,  et  qui  descend  du  ciel  au  lieu  de  monter  de  terre.  Au  portail  occi- 
denlal  de  la  cathédrale  de  Sens ,  une  main  divine,  appliquée  sur  un  nimbe  crucifère,  des- 
cend également  du  ciel  et  bénit,  du  sommet  de  la  voussure,  tout  un  cordon  de  martyrs 
qui  montent ,  à  droite  et  à  gauche ,  le  long  des  branches  de  l'ogive. 

Vetera  moninienta,  IV  partie,  pi.  53,  mosaïque  qu'on  voit  dans  l'église  de  Sainte-Ma- 
rie-la-Neuve  (S.  Mana-Nova),  et  qui  date  de  848.  Bosio  {Rom.  Sott ,  p.  i33)  a  fait  gra- 
ver Dieu  qui  tend  de  chaque  main  une  couronne  à  deux  saints. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  213 

.^)5.  MAIN  DIVINE  TENDANT   UNE  COURONNE  À  JESUS  ENFANT. 

Mosaïque  latine  du  ix°  siècle. 


Cette  couronne,  que  le  Père  oflre  à  son  Fils,  Dieu  la  donne 
encore  aux  hommes  de  bien;  c'est  la  couronne  de  vie  dont  il 
récompense  la  vertu.  Dans  le  manuscrit  d'Herrade  est  ligurée 
une  échelle  morale  qui  va  de  la  terre  au  ciel  ;  au  sommet , 
au  dernier  échelon,  la  main  de  Dieu,  qui  est  dans  les  nuages, 
tend  une  couronne  triomphale  à  la  Vertu ,  à  la  Charité  qui  a 
vaincu  tous  les  obstacles  et  qui  touche  au  ciel.  Dans  Herrade, 
Dieu  récompense  la  vertu  humaine;  dans  la  mosaïque  latine, 
il  rend  hommage  au  dévouement  divin,  au  sacrifice  de  Jésus. 

Depuis  la  naissance  du  Christ  jusqu'à  son  retour  dans  le 
ciel  après  sa  résurrection,  la  main  du  Père  dirige,  bénit  et 
soutient  les  pas  du  Fils.  Lorsqu'au  baptême  de  Jésus  par 
saint  Jean  une  voix  descend  du  ciel  et  dit  :  «  Celui-ci  est  mon 
fils  bien  aimé,»  on  aperçoit  une  main,  la  main  du  Père, 
sortir  des  nuages,  pour  traduire  aux  yeux  et  par  l'art  les  pa- 
roles qui  viennent  d'être  prononcées  K  Au  jardin  des  Oliviers, 
lorsque  le  Sauveur  abattu  par  une  tristesse  surhumaine  s  é- 
crie  :  «  Mon  Père,  détournez  de  moi  ce  calice  ,  »  une  main  sort 
du  ciel ,  la  main  du  Père ,  qui  bénit  son  fils  et  le  console  '^ 
Lorsque  sur  la  croix  Jésus,  prêt  à  mourir,  jette  à  son  Père  ces 
paroles  désespérées  :  «  Mon  Dieu,  mon  Dieu,  pourquoi  m'avez- 

*  Voyez  le  dessin  53,  p.  210. 

'  C'est  ordinairomenl  ainsi  qu'est  rej)résenlé  ce  sujet  ;  mais  dans  Notre-Dame  de  Pa- 
ris ,  à  la  clôture  du  chœur,  le  Père  montre  la  main  et  la  tête  entières. 


214  •  INSTRUCTIONS. 

vous  abandonné!  »  on  aperçoit  se  dessiner,  sur  le  sommet  de 
la  croix,  une  main  qui  bénit,  et  qui  est  la  main  du  Père  ^ 
Enfin,  lorsque  Jésus  remonte  au  ciel  après  sa  passion  et  tenant 
en  main  sa  croix  de  résurrection,  son  j)ère  lui  tend  la  main 
droite  et  l'aide  en  quelque  sorte  à  s'élever.  Ce  dernier  sujet, 
fréquemment  rejDroduit  dans  les  manuscrits  à  miniatures  ^  est 
expliqué  par  ces  deux  vers  d'Alcuin ,  placés  précisément  sous 
une  Ascension  peinte^: 

'<  Dextera  quae  Palris  mundum  ditione  gubernat 
«  Et  Natum  cœlos  proprium  transvexit  in  altos.  » 

Ces  mains  divines  jouent  un  grand  rôle,  non-seulement  dans 
les  monuments  figurés,  mais  dans  les  textes  eux-mêmes.  Saint 
Marc  d'Athènes ,  ermite  en  Lybie,  meurt  au  iv''  siècle;  fâme  du 
bienheureux  est  portée  au  ciel  sur  une  nappe  blanche,  et  là  elle 
est  prise  par  la  grande  main  de  Dieu,  qui  la  place  en  paradis  ^. 

'  Enlre  autres  exemples,  voyez  un  vitrail  du  xii^,  peut-être  du  xi'  siècle  ,  qui  orne 
la  galerie  absidale  de  Saint-Remi  de  Reims.  Le  saint  Jean  à  nimbe  surmonté  de  deux 
héliotropes,  page  32  ,  pi.  3,  vient  de  ce  vitrail.  M.  du  Sommerard  possède  un  émail  du 
xn°  siècle,  représentant  Jésus  en  croix;  au  sommet  de  la  croix,  comme  au  vitrail  de 
Reims,  une  main  paraît,  la  main  de  Dieu  le  père,  qui  témoigne  ainsi  de  sa  présence  à  la 
mort  de  son  fds.  Cette  main  est  sans  nimbe  et  sans  rayons.  Cette  présence  est  plus  mani- 
festement exprimée  par  une  miniature  des  Heures  latines  du  xi\°  siècle,  ms.  l\bg  de  la 
bibl.  S"-Genev.  Là,  au  crucifiement,  le  Père  éternel  se  montre  dans  les  nuages  et  en  buste. 
C'est  un  vieillard  à  longue  barbe  et  à  longs  cheveux;  il  est  entièrement  bleu  comme  les 
nuages  qui  Tenlourent,  et  comme  le  ciel,  du  haut  duquel  il  assiste  à  la  mort  de  son  fils. 
Un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale,  suppl.  lat.  6/48,  du  xi"  siècle,  présente 
Jésus  s'envolant  au  ciel,  les  mains  et  les  bras  tendus.  Jésus,  qui  a  le  nimbe  crucifère, 
regarde  la  main  droite  de  son  Père ,  qui  le  bénit  en  ouvrant  les  trois  premiers  doigts.  Dans 
le  bas  sont  les  apôtres  et  la  vierge  Marie,  auxquels  deux  anges,  qui  sont  entre  ciel  et 
terre,  disent  certainement  :  «  Viri  Galilaei,  quid  slatis  aspicientes  in  cœlum?  Hic  Jésus 
«qui  assumptus  est  a  vobis  in  cœlum,  sic  véniel  quemadmodum  vidistis  eum  euntem 
«  in  cœlum.  «  [Act.  Apost.  cap.  i,  v.  ii.) 

Voyez  dans  Baluze  (  Misceïlanea ,  IV  vol.)  les  différents  vers  composés  par  Alcuin 
pour  expliquer  les  miniatures  d'un  manuscrit  carlovingien. 

■  Bolland.  Mars,  III"  vol.  Vie  de  saint  Marc. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  215 

Saint  Eucher,  évêque  de  Lyon  au  v*'  siècle,  dit  que  par  la 
main  de  Dieu  on  désigne  la  puissance  divine  ^  C'est  ainsi  que  la 
main  de  justice  indique  la  puissance  royale;  l'idée  est  la  même 
dans  l'ordre  religieux  que  dans  l'ordre  civil.  Saint  Prosper 
d'Aquitaine  parle  aussi  de  cette  main  de  Dieu  qui  fait  et  mo- 
dèle Jod ,  comme  un  sculpteur  modèle  une  statue  ^.  Il  semble, 
en  effet,  que  ce  motif  provienne  de  l'Ancien  Testament:  car, 
dans  une  foule  de  passages  bibliques,  il  est  question  de  cette 
main  qui  fait  toutes  choses,  qui  est  l'expression  delà  puissance 
souveraine^,  qui  façonne  l'bomme  comme  un  potier  l'argile*.  Au 
début  de  sa  vision,  Ezécbiel  dit  :  «  Je  regardai,  et  voilà  qu'une 
main  me  fut  envoyée;  elle  tenait  un  livre  qu'elle  déroula  de- 
vant moi,  et  qui  était  écrit  en  dedans  et  en  dehors^.  »  Enfin, 
dans  le  cbant  sublime  du  Libéra,  qui  est  la  suprême  et  dernière 
prière  de  l'Eglise  pour  ceux  qui  ne  sont  plus ,  le  mort  s'écrie  : 
«  0  mes  amis,  vous  du  moins,  ayez  pitié  de  moi,  parce  que  la 
main  de  Dieu  m'a  touché^.  »  C'est  pour  la  même  raison  et  par 
le  même  symbolisme  que  le  bras  a  représenté  Dieu,  et  que 
cette  partie  a  figuré  la  puissance  divine  tout  entière.  Quand 
on  voit  ce  bras  dessiné  sur  nos  vitraux ,  dans  les  miniatures  de 
nos  manuscrits,  dans  l'amortissement  de  nos  ogives,  on  se 

^  Liber  Formukirum  spiritualiiim ,  cap.  i.  «  Per  manum  Domini  ipsius  polestas  de- 
«  monstratur.  » 

"  Exposition  des  Psaumes,  ps.  cxviii ,  au  mot  Jod. 

^  «  Omnia  haec  inanus  mea  fecit  et  facta  sunt  omnia,  cujus  summa  potestas.  n  (Isaïe, 
chap.  Lxvi,  V.  2.) 

*  «Sicut  lutum  in  manu  ûguli,  sic  vos  in  manu  mea,  domus  Israël.»  (Jérémie, 
chap.  xviii,  V.  6.) 

^  Ezéchiel ,  chap.  ii ,  v.  9  :  «  Et  vidi,  et  eccemanus  missa  ad  me,  in  qua  erat  involutus 
«hber,  et  expandit  coram  me,  qui  erat  scriptus  inlus  et  foris.  »  Au  chap.  viii,  v.  1  et  3  , 
Ezéchiel  dit  encore  :  «  Et  cecidit  ihi  super  me  manus  Domini  Dei.  —  Et  cmissa  simili- 
«  tudo  manus  apprehendit  me  in  cincinno  capitis  mei  ;  et  elevavit  me  spiritus  inter  ter- 
«  ram  et  cœlum.  « 

°  «  Miseremini  mei ,  vos  saltem  amici  mei ,  quia  manus  Domini  tetigit  me.  » 


216  INSTRUCTIONS. 

rappelle  ce  passage  du  cantique  chanté  par  la  vierge  Marie  en 
présence  de  sa  cousine  Elisabeth  :  «  Dieu  a  déployé  la  puis- 
sance de  son  bras;  il  a  dissipé  les  orgueilleux,  renversé  les 
grands,  élevé  les  petits  ^  Enfin  tous  ces  textes  de  l'Ancien  et 
du  Nouveau  Testament  semblent  se  résumer  dans  ce  motif 
que  la  peinture  des  églises  grecques  offre  si  fréquemment ,  et 
qui  représente  les  âmes  des  justes,  petits  êtres  humains  nus, 
priant  à  mains  jointes,  dans  la  grande  main  de  Dieu.  Cette 
main  sort  des  nuages;  après  avoir  été  prendre  sur  la  terre  ces 
âmes  des  justes,  elle  les  remonte  au  ciel,  dans  le  paradis^. 

56.  LES  ÂMES  BES  JUSTES  DANS  LA  MAIN  DE   DIEU. 

Fresque  grecque  du  xviii°  siècle. 


Aux  xiir  et  xiv^  siècles,  Dieu  le  père  ne  se  contente  plus  de 
faire  paraître  sa  main  ou  son  bras;  il  montre  sa  figure  d'a- 

'  "  Fecit  polentiam  in  brachio  suo;  dispersit  superbos  mente  cordis  siii.  Deposuit  po- 
tentes  de  sede  et  exaltavit  humiles.  »  —  S.  Luc,  chap.  i ,  v.  5i,  52. 

'  Ce  dessin  est  tiré  d'une  fresque  de  Sdaniine,  qui  est  dans  l'église  du  grand  cou- 
vent. «  Animae  justorum  in  dcxlra  Domini.  »  —  Ces  peintures  de  l'église  principale  du 
grand  couvent  de  Salamine  nous  ont  fourni  plusieurs  dessins ,  bien  qu'elles  datent  seule- 
ment de  1735,  parce  qu'elles  résument  parfaitement  le  système  de  la  peinture  byzantine. 
D'ailleurs  la  Grèce,  depuis  le  xi°  ou  le  xii°  siècle,  est  restée  stationnaire  dans  son  art, 
en  sorte  que  des  peintures  du  xvui"  siècle  ont  encore  une  grande  valeur  archéologique. 
Une  inscription,  que  j'ai  relevée,  dit  que  Georges  Marc,  de  la  ville  d'Argos  ,  a  fait  ce 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  217 

bord,  ensuite  son  buste,  enfin  sa  personne  entière.  Le  voici 
montrant  sa  face  hors  du  ciel  ou  des  nuages  \ 

57.   FIGDRE    DE    DIEU    LE    PERE    SOUS    LES    TRAITS    DE    SON    FILS. 

Miniature  française,  xiv*  siècle. 


Mais  alors  il  n'a  pas  encore  de  physionomie  à  lui ,  ni  de  traits 
qui  lui  soient  propres.  Il  faut  qu'une  inscription ,  il  faut  que 
le  sujet  représenté  déclarent  que  c'est  bien  Jéhovah  et  non 
]Das  Jésus,  autrement,  en  vertu  des  raisons  développées  plus 
haut,  on  le  prendrait  pour  son  fds;  car  il  en  a  fâge,  le  costume, 
fattitude  et  fexpression.  Comme  son  fds,  et  ce  qui  lui  convient 
moins  bien,  il  porte  le  nimbe  crucifère,  le  nimbe  marqué  de 
la  croix  où  Jésus  est  mort.  Dans  Saint-Saturnin  de  Toulouse,  au 
soubassement  du  sanctuaire,  on  voit  un  bas-relief  en  marbre 
représentant  le  Père  éternel  enfermé  dans  une  auréole  ovale 
et  perlée  sur  les  bords.  C'est  bien  le  Père,  car  il  est  accom- 
pagné d'un  chérubin,  autour  duquel  est  gravée  cette  inscrip- 
tion :  «  Ad  dextram  Patpjs  chérubin  stat  cuncta  potentis.  »  Or 
ce  Père,  à  la  droite  duquel  se  tient  le  chérubin,  est  complè- 
tement imberbe,  comme  le  Fils  dont  nous  avons  déjà  donné 
des  exemples^.  11  porte  à  la  tête  un  nimbe  crucifère,  et  dont 

peintures  en  lySô  ,  avec  le  secours  de  trois  de  ses  élèves.  Aujourd'hui  l'école  d'Argos  est 
éteinte,  et  presque  tous  les  peintres  chrétiens  de  la  Grèce  se  sont  réfugiés  au  mont  Athos. 

^  Manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale ,  xiv"  siècle  ,  Heures  du  duc  de  Berry,  folio  65. 
La  scène  représente  Jésus-Christ  au  Jardin  des  oliviers  ;  Dieu  le  père  met  sa  figure  hors 
des  nuages  et  apparaît  à  la  victime  céleste  pour  la  consoler. 

^  Pages  37,  53  et  54,  pi.  8,  17  et  18. 

INSTRUCTIONS.  II.  28 


218  INSTRUCTIONS. 

la  brandie  transversale  est  marquée  de  et,  o)  '  ;  il  a  de  la  dou- 
ceur dans  les  traits,  de  la  bonté  dans  la  physionomie;  il  est 
entouré  des  quatre  attributs  de  ses  évangclistes,  et  tient  un 
livre  où  sont  écrits  ces  mots  de  l'Evangile,  ce  salut  qu'il 
adressait  à  ses  apôtres  :  «  Pax  vobis.  »  C'est  en  tout  point  le 
Jésus  -  Christ  que  nous  voyons  sur  les  anciens  sarcophages, 
sur  les  vieilles  fresques  des  catacombes  et  sur  les  plus  an- 
ciennes miniatures  des  manuscrits.  Comment  donc  accorder 
ces  attributs  et  ces  caractères  avec  l'inscription  qui  déclare 
que  ce  Dieu  est  le  Père  et  non  le  Fils?  Cette  personne  divine 
de  Saint-Saturnin  a  beaucoup  d'analogie  avec  le  jeune  Dieu 
que  nous  donnons  ici,  et  que  nous  ne  pouvons  dire  avec  cer- 
titude être  Dieu  le  père  plutôt  que  Dieu  le  fds. 

58.   DIEU    IMBERBE,    PERE   OU    FILS. 

Miniature  française  du  xi°  siècle. 


Si  c'est  le  Père,  il  eût  été  convenable  de  lui  donner  de  la 
barbe;  si  c'est  le  Fils,  on  aurait  dû  lui  ôter  le  globe  pour  y 

'  Je  dois  ces  renseignements  à  M.  Ferdinand  de  Guilhermy.  En  pendant  au  chérubin 
qui  se  lient  à  la  droite  du  Père,  on  voit  un  séraphin  qui  se  tient  à  la  gauche.  Les  deux 


ICONOGRAPHIE    CHRÉTIENNE.  219 

siibsliluer  la  croix  de  la  résurrection  ou  le  livre  de  ses  Évan- 
giles. Ce  dessin  est  extrait  d'un  manuscrit  qui  est  à  Beauvais, 
et  qui  contient  un  traité  de  saint  Augustin  sur  la  Genèse.  Or, 
dans  ce  traité,  il  n'est  pas  question  du  Fils,  mais  du  Père,  du 
Tout-puissant  qui  crée  spécialement  le  ciel  et  la  terre,  suivant 
le  symbole  des  apôtres  ^  Je  crois  donc  que  cette  image  est  celle 
de  Dieu  le  père,  mais  du  Père  caché,  pour  ainsi  dire,  sous  les 
traits  de  son  Fils,  carie  Père  n'a  pas  encore  de  figure  à  lui. 

Cependant,  déjà  au  xiv°  siècle,  surtout  dans  les  manuscrits  à 
miniatures,  on  surprend  la  tendance  qui  s'empare  des  artistes 
à  donner  enfin  une  figure  spéciale  à  Jébovah.  Pden  n'est  cu- 
rieux comme  d'assister  à  ces  essais  timides  et  successifs  d'un 
art  qui ,  jusqu'alors,  n'avait  pas  voulu  ou  n'avait  pas  pu  figu- 
rer la  toute-puissance  divine.  Dieu  le  père,  le  Créateur.  Ils 
s'efforcent  de  le  caractériser  de  plus  en  plus  et  de  le  différen- 
cier d'avec  son  fils.  On  assiste  réellement  à  la  naissance  et  au 
développement  de  la  figure  du  Père  éternel.  D'abord,  comme 
nous  l'avons  vu,  il  y  a  identité  entre  les  deux  figures;  il  est 
impossible  de  les  distinguer.  Le  Père  ressemble  au  Fils  comme 
deux  exemplaires  d'un  même  ouvrage.  Ainsi,  page  35,  plan- 
che 6 ,  on  voit  la  création  d'Adam  s'effectuant  par  la  coo- 
pération des  trois  personnes  divines;  il  est  absolument  im- 
possible de  dire  qui  est  le  Père,  qui  est  le  Fils.  Dans  le  dessin 
précédent,  le  Père  est  imberbe  comme  on  représente  souvent 
le  Fiis;  dans  le  suivant,  où  le  Père  et  le  Fils  sont  barbus,  on 

anges  sont  absolument  semblables  entre  eux:  il  ne  serait  pas  possible  de  les  caractériser 
sans  l'inscription  qui  les  distingue.  Autour  du  séraphin  on  lit  : 

«Possidet  inde  sacram  scrajjLiu  sine  fine  sinistram.» 

'  Le  traité  de  saint  Augustin  a  pour  tilre  :  de  Genesi  ad  litteram.  M.  l'abbé  Barraud  , 
professeur  d'archéologie  chrétienne  au  grand  séminaire  de  Beauvais,  ne  doute  pas  que 
le  personnage  représenté  dans  celte  vignette  ne  soit  Dieu  le  père.  L'encadrement  ou  est 
la  figure  forme  unO;  la  première  lettre  du  traité  commence  par:  Omnisdivina  script  ara. 

28. 


220  INSTRUCTIONS. 

ne  peut  distinguer  l'un  de  l'autre.  Est-ce  le  Père  qui  est  assis 
et  qui  reçoit  son  Fils  ?  mais  il  tient  à  la  main  une  croix  de  ré- 
surrection, qui  est  invariablement  l'attribut  du  Christ.  Est-ce 
le  Fils  ?  mais  il  est  assis  à  la  gauche  de  l'autre  personne  et , 
d'après  le  texte  \  le  Fils  doit  être  à  la  droite  du  Père.  D'ailleurs 
ces  deux  personnes  ont  le  même  âge  et  la  même  ligure  ^. 

59.  LE    PÈRE    ET    LE    FILS    À    FIGURE    IDENTIQUE. 

Miniature  française,  commencement  du  xiu°  siècle. 


Puis  on  paraît  saisir  une  légère  difFérence  :  les  deux  personnes 
sont  encore  de  même  âge,  de  même  couleur  et  de  même  forme 
pour  tous  les  traits  de  la  ligure;  mais  cependant  l'une  est  plus 
accentuée  et  indique  plus  de  force,  l'autre  est  plus  fine  et  an- 
nonce plus  de  douceur.  On  dirait  de  deux  jumeaux.  C'est  à 

«  Sede  a  dextris  meis.  » 
'  Ce  dessin ,  un  peu  plus  petit,  est  inscrit  dans  la  lettre  D  du  psaume  Dijcit  Domiims 
Domino  meo;  il  fait  partie  d'un  psautier  manuscrit  delà  bibliothèque  de  Chartres. 


^^ 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  221 

ces  deux  figures  qu'on  peut  appliquer  ces  expressions  d'Ovide: 
(I  Non  faciès  una,  nec  diversa  tamen.  »  Dans  le  dessin  suivant, 
tiré  d'un  manuscrit  qui  date  des  dernières  années  du  xiii'' 
siècle  \  on  reconnaît  le  Père  au  globe  qu'il  j)orte  et  le  Fils  à 
son  livre.  D'ailleurs  la  gauche  que  tient  le  Père,  tandis  que  le 
Fils  est  à  la  droite,  vient  encore  en  aide  pour  les  caractériser. 
Mais  la  figure  elle-même  indique  à  peine  des  différences. 
Cependant  le  Fils  semble  plus  mince,  le  Père  plus  fort  et 
plus  gros  ;  il  n'est  pas  sûr  que  la  tête  du  Christ  soit  plus  ef- 
fdée,  et  celle  de  son  Père  plus  arrondie. 

60.  LE    PÈRE    DIFFÉRANT    À    PEINE    DU    FILS. 

Miniature  française,  Gn  du  xiii°  siècle. 


On  le  voit,  les  nuances  sont  encore  extrêmement  fugitives. 


Bibl.  roy.  Heures  du  duc  d'Anjou.  Ce  dessin  représente  la  Trinité  ;  le  Père  et  ie 
Fils  sont  unis  par  le  Saint-Esprit,  qui  va  de  l'un  à  l'autre  par  l'extrémité  de   ses  ailes. 


222  INSTRUCTIONS. 

Cepeiulant  la  différence  peut  déjà  se  préciser  davantage  :  ce 
sont  deux  frères  encore,  mais  qui  ne  sont  plus  jumeaux;  il  y 
a  une  ou  même  plusieurs  années  entre  eux.  Puis  l'opposition 
commence  à  se  montrer.  A  l'un,  c'est  le  Père,  la  barbe  et  les 
cheveux  sont  plus  longs  et  moins  épais  :  le  retrait  des  muscles 
commence  à  faire  saillir  les  pommettes,  à  marquer  la  figure 
de  plans  plus  nombreux.  L'autre,  c'est  le  Fils,  reste  dans  l'âge 
où  il  est  arrivé  au  xiii°  siècle,  c'est-à-dire  à  trente  ou  trente- 
trois  ans. 

Tout  ce  curieux  travail  iconographique  se  fait  dans  le  cou- 
rant du  xiv*"  siècle;  mais,  vers  i36o,  l'idée  de  paternité  et  de 
filiation  se  dégage  irrévocablement  et  se  tranche  de  plus  en 
plus  jusqu'à  nos  jours,  où  elle  est  arrivée  à  son  plus  complet 
développement.  On  ne  peut  plus  s'y  tromper  :  Jéhovah  est  bien 
le  père  de  Jésus,  et,  comme  tel,  il  est  plus  âgé  que  son  fils 
de  vingt-cinq,  trente  et  même  quarante  ans.  A.u  commence- 
ment du  xiv''  siècle,  c'est  encore  un  père  trop  jeune  pour 
qu'il  y  ait  une  distance  convenable  entre  lui  et  son  fils;  mais 
au  XVI'  et  surtout  à  la  renaissance,  les  proportions  de  l'âge 
sont  naturelles  et  parfaitement,  gardées.  Ici,  dans  ce  dessin 
tiré  d'un  manuscrit  de  la  fin  du  xiv"  siècle  \  le  Père  est  bien 
caractérisé.  Comme  un  père  de  famille  entre  ses  deux  enfants, 
le  Père  tient  le  Fils  à  sa  droite  et  le  Saint-Esprit  à  sa  gauche;  il 
a  de  vingt  à  vingt-cinq  ans  de  plus  que  Jésus  et  de  quarante 
à  quarante-cinq  de  plus  que  le  Saint-Esprit.  En  outre ,  par 
sa  couronne  royale,  le  Père  semble  encore  plus  relevé  que 
les  deux  autres  personnes.  Enfin  la  place  d'honneur  qu'il  oc- 
cupe et  le  globe  qu'il  tient  à  la  main  gauche,  comme  un  em- 
pereur, confirment  la  supériorité  que  l'âge  et  les  dimensions 
de  la  tête  indiquaient  déjà. 

'  Roman  des  trois  pèlerinages ,  folio  226  verso,  Bibl.  Sainte-Geneviève. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE. 

G  1  .  LE  PERE  DISTINCT  DU  FILS  ET  DU  SAINT-ESPRIT. 

Miniature  française,  fin  du  xiv°  siccle. 


223 


Dieu  le  père  a  désormais  une  figure  en  propre,  figure  qui 
lui  appartient  et  qu'il  ne  perdra  plus.  L'idée  théologique  a  le 
dessous;  elle  est  battue  par  l'histoire,  parla  réalité  humaine. 
On  est  arrivé  à  une  époque  de  matérialisme.  On  dédaigne  le 
dogme  qui  déclare  que  le  Fils  et  le  Père  sont  coéternels  et  de 
même  âge  absolument,  mathématiquement;  on  se  jette  en 
pleine  nature,  et  puisqu'on  voit  dans  la  nature  que  tout  père  a 
vingt  ou  vingt-cinq  ans  de  plus  que  son  fils,  on  donne  au  fils 
de  Dieu  vingt  ou  vingt-cinq  ans  de  moins  qu'à  Dieu  lui-même. 
Ici,  dans  ce  Dieu  créateur  qui  fait  sortir  Eve  du  côté  d'Adam  ', 
il  faut  reconnaître  le  Père  et  non  pas  le  Fils.  Dès  lors,  à  la 
création ,  ce  sera  cette  figure  divine  âgée  et  souvent  très-vieille, 
ce  sera  fancien  des  jours  que  Ton  verra  constamment  repré- 
senté. L'art  a  conquis  enfin  cette  figure  de  Dieu  le  père. 

'  Vitrail  du  x\i'  siècle,  à  Sainte-Madeleine  de  Troyes.  Le  Père  est  habillé  en  pape  et 
porte  une  tiare  cerclée  de  trois  couronnes  royales  comme  celle  du  pontife  romain. 


224 


INSTRUCTIONS. 

62.  LE  PÈRE,  CRÉATEUR,   EN  VIEILLARD  ET  EN  PAPE. 

Vitrail  français  du  xvi"  siècle. 


Il  y  a  plus,  avant  le  xv*"  siècle,  dans  les  représentations  de 
la  Trinité,  c'est  le  principe  de  l'égalité  des  trois  personnes  qui 
prédomine  presque  constamment.  Lorsqu'on  figure  la  Tri- 
nité ,  on  fait  les  trois  personnes  aussi  égales  que  possible.  Le 
Père,  le  Fils,  le  Saint-Esprit,  comme  on  le  verra  au  chapitre 
de  la  Trinité,  sont  exactement  de  même  âge,  portent  le  même 
vêtement  sont  ornés  du  même  nimbe  et  ont  quelquefois  le 
même  attribut.  Au  xv*"  siècle,  et  à  plus  forte  raison  au  xvf,  c'est 
la  différence  qu'on  cherche  surtout  à  caractériser.  Ainsi,  ou 
les  trois  personnes  sont  distinctes  et  représentées  une  à  une , 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  225 

comme  dans  le  manuscrit  de  rAiguillon  de  l'amour  divin  ,  ou 
elles  sont  soudées,  incorporées  l'une  à  l'autre,  comme  dans  un 
Dante  imprimé  à  Florence  en  1 491.  Dans  le  premier  cas  (ceci 
arrive  déjà  vers  la  fin  du  xiv''  siècle)  le  Père  est  un  vieillard 
de  soixante  à  quatre-vingts  ans;  le  Fils,  un  homme  de  trente  à 
trente-cinq;  le  Saint-Esprit,  un  adolescent  de  douze  à  dix-huit  ^ 
Dans  le  second  cas,  les  trois  personnes  n'ont  qu'un  seul  corps 
et  que  deux  bras  pour  elles  trois;  la  main  droite  bénit,  la 
main  gauche  porte  un  gros  globe,  qui  appartient  aux  trois 
personnes  à  la  fois  ;  un  seul  nimbe  est  à  la  tête.  C'est  bien 
l'égalité  ;  mais  il  y  a  trois  têtes  sur  ce  tronc  unique ,  et  les 
trois  visages  sont  complètement  distincts.  Ainsi  le  Père  est 
toujours  un  vieillard;  le  Fils,  toujours  un  homme  mûr;  le 
Saint-Esprit,  toujours  un  adolescent. 

Au  XI II''  siècle,  lorsqu'on  fait  les  trois  personnes  égales,  alors 
que  le  Fils  et  le  Père  ne  peuvent  se  distinguer,  le  Père  revêt 
l'âge  et  la  physionomie  du  Fils^.  Aux  xv*'  et  xvl^  on  observe 
quelquefois  le  phénomène  contraire  :  c'est  le  fils  qui  vieillit  et 
qui  prend  l'âge  de  son  Père.  Le  Fils  suit,  le  Père  entraîne. 
Entre  autres  exemples,  on  citera  une  Trinité  peinte  sur  le 
beau  manuscrit  in-folio  de  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève, 
et  qui  contient  la  traduction ,  par  Raoul  de  Presles ,  de  la 
Cité  de  Dieu.  Le  Père  et  le  Fils  sont  unis  par  le  Saint-Esprit, 
qui  a  la  forme  d'une  colombe  et  qui  touche  les  deux  personnes 
divines  par  l'extrémité  de  ses  ailes.  Le  Père  est  en  pape,  comme 
on  le  représente  assez  souvent  à  cette  époque  ;  sa  figure  est 
celle  d'un  vieillard  à  longue  barbe,  à  longs  cheveux.  Le  Christ, 


'  Voirie  Roman  des  Irois  pèlerinages,  manuscrit  à  miniatures,  du  xiv'  siècle,  et  cité 
plus  haut. 

*  Nous  en  avons  déjà  vu  plusieurs  exemples,  notamment  pages  35  et  A2 ,  pi.  6  et 
11  ;  plus  bas,  à  l'Histoire  de  la  Trinité,  nous  en  aurons  d'autres  encore.  Il  y  a  suraljon- 
dance  de  preuves.  .  j|^ 

INSTRICTIONS.  II.       "^HT^^  29 


226  INSTRUCTIONS. 

qui  est  à  sa  droite ,  semble  son  reflet ,  car  il  est  presque  aussi 
vieux.  Sa  barbe  est  un  peu  moins  longue;  mais  on  ne  saisirait 
pas  une  différence  d'âge  dans  les  traits  et  les  cbeveux  :  la 
tiare  et  le  nimbe  de  Jésus  et  de  son  père  sont  identiques  \ 

Le  Saint-Esprit  lui-même  ,  qui  affecte  presque  toujours  l'âge 
d'un  adolescent,  rarement  celui  d'un  homme,  suit  le  mouvement 
de  l'époque  et  se  montre  quelquefois  vieiLx  à  l'égal  du  Père  ^. 
On  peut  donc,  relativement  à  Dieu  le  père,  partager  le  moyen 
âge  en  deux  périodes.  Dans  la  première,  qui  est  antérieure  au 
xiv^  siècle,  la  figure  du  Père  se  confond  avec  celle  du  Fils;  c'est 
le  Fils  qui  est  tout-puissant. et  qui  fait  son  père  à  son  image  et 
ressemblance.  Dans  la  seconde  période,  après  le  xiii^  siècle,  jus- 
qu'au xvi%  Jésus -Christ  perd  sa  force  d'assimilation  iconogra- 
phique, et  se  laisse  vaincre  par  son  père;  c'est  au  tour  du  Fils 
à  se  revêtir  des  traits  du  Père,  à  vieillir  et  à  se  rider  comme 
lui.  Quant  au  Saint-Esprit,  lorsqu'il  prend  la  figure  humaine, 
il  est  absorbé  dans  la  première  période  par  le  Fils,  et  dans  la 
seconde  par  le  Père;  il  subit  presque  toujours,  mais  il  n'in- 
fluence jamais  les  révolutions  iconographiques  qui  se  font  au- 
tour de  lui.  L'Esprit  se  laisse  figurer  comme  on  veut.  Enfin , 
depuis  les  premiers  siècles  du  christianisme  jusqu'à  nos  jours, 
nous  voyons  le  Père  croître  en  importance  :  son  portrait ,  d'a- 
bord interdit  par  les  gnostiques,  se  montre  timidement  ensuite, 
et  comme  déguisé  sous  la  figure  de  son  fils;  puis  il  rejette  tout 
accoutrement  étranger,  et  prend  une  figure  spéciale;  puis, 
par  Raphaël  et  enfin  par  TAnglais  Martin,  il  gagne  une  grave 
et  une  admirable  physionomie  qui  n'appartient*  qu'à  lui. 

Le  dessin  de  celle  miniature  sera  donné  à  l'Histoire  du  Saint-Esprit. 

Cité  de  Dieu,  traduction  de  Raoul  de  Presles,  bibliothèque  Sainte-Geneviève.  Le 
mapuscrit  du  duc  d'Anjou  lui-même  offre  une  Trinité  dont  le  Saint-Esprit  a  la  figure 
d'un  vieillard  comme  les  deux  autres  personnes.       ^^ 

^r  iÙÊt 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  227 

Puisque  le  temps  est  arrivé  où  le  Père  a  sa  figure  spéciale, 
il  faut  tâcher  d'indiquer  à  quels  signes  on  distingue  cette  per- 
sonne divine  des  deux  autres. 

ATTRIBUTS    CARACTÉBISTIQUES    DU    PERE    ETERNEL. 

Avant  le  xi^  siècle,  on  reconnaît  Dieu  le  père  à  cette  main 
qui  sort  des  nuages ,  qui  est  bénissante  ou  qui  tient  une  cou- 
ronne; ni  Jésus,  ni  le  Saint-Esprit  ne  sont  ainsi  représentés. 

Au  xif  siècle,  quand  la  figure  paraît,  on  ne  peut  la  définir 
et  l'attribuer  avec  certitude  à  Dieu  le  père  qu'autant  que 
le  Fils  et  le  Saint-Esprit  sont  présents.  Dans  ce  cas,  les 
attributs  que  portent  les  deux  autres  personnes  servent  indi- 
rectement à  caractériser  la  première.  Si  l'une  tient  une  croix 
et  l'autre  une  colombe,  la  troisième,  qu'elle  ait  ou  n'ait  pas 
d'attribut,  est  évidemment  le  Père.  Mais  on  ne  doit  pas  encore 
s'occuper  ici  de  la  distinction  des  trois  personnes  réunies  dans 
une  même  scène;  c'est  au  chapitre  de  la  Trinité  qu'il  en  sera 
question. 

Le  globe,  la  boule  du  monde,  qui  se  donne  quelquefois  aux 
deux  autres  personnes,  plus  rarement  au  Saint-Esprit  et  plus 
souvent  au  Christ,  est  presque  exclusivement  réservé  au  Père, 
soit  parce  que  le  Père  serait  considéré  comme  le  principal  au- 
teur de  la  Création,  soit  parce  qu'il  aurait  la  puissance  en  pro- 
priété particulière.  Cependant  ce  caractère  n'est  pas  certain, 
puisqu'il  est  attribué  quelquefois  aussi  aux  deux  autres  per- 
sonnes. On  lit  dans  la  vie  de  Jeanne  d'Arc,  que  l'héroïne 
d'Orléans  portait  à  la  main  un  étendard  blanc  fleurdelisé,  sur 
lequel  était  Dieu  avec  le  inonde  dans  ses  mains;  à  droite  et  à 
gauche,  deux  anges  tenaient  chacun  une  fleur  de  lis.  Il  est 
fâcheux  que  l'archéolQÉie  ne  puisse  pas  refaire  cet  étendard 

29. 


228  INSTRUCTIONS. 

d'une  manière  certaine  et  affirmer  que  ce  Dieu  était  le  Père 
plutôt  que  le  Fils.  On  doit  cependant,  malgré  la  grande  dou- 
ceur du  caractère  de  Jeanne  d'Arc,  croire  que  c'était  le  Père, 
parce  que  le  Père  porte  le  globe  bien  plus  souvent  que  le  Fils, 
et  parce  qu'il  est  surtout  le  Dieu  des  armées  et  des  combats. 

Le  livre  n'est  pas  non  plus  un  caractère  qui  puisse  faire  dis- 
tinguer le  Père,  car  on  le  met  à  peu  près  indifféremment  entre 
les  mains  du  Père  et  du  Fils,'  et  même,  il  faut  le  dire,  il  se 
donne  bien  plus  souvent  au  Verbe  divin,  qui  est  venu  nous  ap- 
porter rÉvangile  ^ 

Le  nimbe  crucifère,  la  nudité  des  pieds,  conviennent  éga- 
lement aux  trois  personnes  et  non  pas  à  fune  d'elles  plus  par- 
ticulièrement ;  mais  le  nimbe  triangulaire  ou  en  losange  est 
ordinairement  réservé  au  Père  :  il  est  rare  que  le  Fils,  il  est 
plus  rare  encore  que  le  Saint-Esprit  le  portent^. 

Jusqu'ici  donc,  rien  que  d'assez  vague.  Vraiment,  pen- 
dant cette  seconde  période  qui  s'étend  du  xn*"  au  xiv^  siècle, 
lorsque  Dieu  a  été  représenté  seul  et  non  en  trinité ,  il  est  à 
peu  près  impossible  d'affirmer  que  ce  soit  le  Père  plutôt  que 
le  Fils.  Aux  xiv%  xv*"  et  xvi*"  siècles,  au  contraire,  les  caractères 
se  précisent  et  se  multiplient. 

L'âge,  dans  les  sujets  exécutés  avec  soin,  aide  assez  bien 
à  définir  le  Père.  Cette  personne  a  la  barbe  et  les  clieveux 
plus  longs  que  les  deux  autres;  la  figure  accuse  cinquante, 
soixante,  quelquefois  quatre-vingts  ans.  La  tête  est  beaucoup 
plus  forte,  que  la  tête  du  Fils  et  surtout  que  celle  du  Saint- 
Esprit.  Ce  dernier  fait,  qui  a  de  f intérêt,  n'est  pas  constant; 
mais  il  est  assez  fréquent  néanmoins.  Il  semble  que  la  tête, 

La  gravure  61  offre  le  Père  avec  une  couronne,  le  Fils  avec  un  livre  et  le  Saint- 
Esprit  sans  attribut. 

Voyez,  au  chapitre  du  Nimbe,  les  pages  60,  61  et.-62. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  229 

comme  le  corps,  grossisse  avec  l'âge,  même  quand,  physiolo- 
glquement,  la  tête  ni  le  corps  n'augmentent  plus,  ou  plutôt 
diminuent  et  se  retirent.  C'est  donc  une  façon  grossière  et 
toute  conventionnelle  d'indiquer  un  âge  plus  avancé.  Un 
dessin  tiré  d'un  manuscrit  de  la  bibliothèque  Sainte -Gene- 
viève, de  la  fin  du  xv*"  siècle,  et  qui  sera  placé  dans  le  cha- 
pitre de  la  Trinité ,  montre  ainsi  le  Père  avec  une  tête  double 
à  peu  près  de  celle  du  Saint-Esprit  et  plus  forte  d'un  tiers 
que  celle  de  Jésus-Christ.  La  planche  61  offre  déjà  en  germe 
ce  fait  intéressant. 

A  la  fin  du  xiv'  siècle,  pendant  tout  le  cours  du  xv%  dans 
les  premières  années  du  xvi%  on  s'ingénia  à  représenter  Dieu 
d'une  manière  digne  de  lui.  Impuissant  qu'on  était  à  traduire, 
par  le  simple  jeu  de  la  physionomie  et  par  la  seule  expres- 
sion morale,  la  toute-puissance  créatrice  et  l'autorité  souve- 
raine qui  gouverne  les  mondes  qu'elle  a  faits,  on  chercha  d-ans 
la  société  le  type  qui  pouvait  exprimer  le  mieux  la  puissance 
suprême,  et  on  en  revêtit  la  Divinité,  afin  de  la  rendre  sen- 
sible à  nos  yeux.  En  Italie,  le  type  le  plus  élevé  de  la  toute- 
puissance,  c'est  le  pape,  qui  est  infaillible,  qui  gouverne  les 
consciences,  qui  tient  dans  ses  mains  de  roi  et  de  pontife  le 
corps  et  l'âme  des  hommes ,  qui  est  le  représentant  de  Dieu 
sur  la  terre,  qui  est  le  maître  des  empereurs  et  des  rois.  Pour 
les  Italiens,  le  pape  est  ce  griffon  tout-puissant  de  Dante,  qui 
tire  sans  effort  et  sans  remuer  les  ailes  le  char  de  l'Eglise; 
c'est  l'animal  énergique,  aigle  et  lion,  qui  entraîne  le  monde 
derrière  lui;  c'est  la  double  nature  de  prêtre  et  de  roi,  spiri- 
tuelle comme  l'aigle  céleste,  et  temporelle  comme  le  lion  ter- 
restre, à  laquelle  tout  est  forcé  de  céder  '.  En  Allemagne,  c'est 

'  Purgaloire,  cliaiil  xxix.  Le  pape,  comme  pontife,  a  des  membres  d'or  dans  la  por- 
lion  du  corps  où  il  est  oiseau:  dans  l'aulre,  le  quadrupède  royal  a  des  membres  mêlés 


230  INSTRUCTIONS. 

l'empereur,  et  non  plus  le  pape ,  qui  est  le  plus  puissant  des 
hommes;  on  y  regarde  comme  une  usurpation  toute  préten- 
tion de  la  papauté  à  élire,  à  déposer,  à  punir  et  à  récom- 
penser les  empereurs;  en  Allemagne,  la  puissance  impériale 
est  l'expression  visible  de  Tinvisible  Providence.  Chez  nous 
on  révère  le  pape,  et  l'empereur  y  est  assez  honoré;  mais  le 
roi  était  le  maître  direct  et  absolu  de  la  France.  Donc,  en  Italie 
où  le  pape  est  tout ,  Dieu  a  dû  être  représenté  en  pape  ;  en  Al- 
lemagne, où  c'est  l'empereur,  c'est  en  empereur  qu'on  l'habille; 
en  France,  on  en  a  fait  volontiers  un  roi  ^  Les  autres  nations, 
l'Angleterre  et  l'Espagne,  ont  agi  de  même.  En  Angleterre,  où 
le  pape  est  mal  vu  depuis  longtemps,  Dieu  ne  pouvait  prendre 
les  insignes  de  la  papauté;  en  Espagne,  au  contraire,  où  le  pape 
possède  au  moins  autant  d'autorité  que  la  personne  royale, 
Dieu  devait  se  montrer  aussi  souvent  en  pape  qu'en  roi. 

C'est  ainsi ,  en  effet ,  que  Dieu  le  père  nous  apparaît  ordi- 
nairement chez  les  diverses  nations  qu'on  vient  de  nommer: 
ce  qui  ne  veut  pas  dire  qu'un  Dieu  roi  ou  empereur  ne  se 
montre  quelquefois  en  Italie,  un  Dieu  pape  ou  roi  en  Alle- 
magne, un  Dieu  empereur  ou  pape  en  Angleterre  et  en  France; 
mais  ce  sont  des  exceptions  qui  ne  sont  réellement  pas  en  très- 
grand  nombre.  Une  représentation  de  Dieu  le  père,  pure  de 
toute  influence  étrangère,  pure  de  toute  idée  mystique  com- 
mune à  l'époque  ou  personnelle  à  l'artiste,  accuse  toujours 
les  différences  locales  et  se  teint  de  la  couleur  historique  qu'on 
vient  de  signaler.  En  France,  par  exemple,  on  voit  quelque- 

de  blanc  et  de  vermeil.  Ce  triomphe  allégorique  du  Christ  et  de  l'église  ,  décrit  si  riche- 
ment dans  le  Dante,  et  peint  si  splendidement  sur  un  vitrail  de  Notre-Dame  de  Brou  , 
n'a  pas  été  compris  des  traducteurs  ou  annotateurs  de  la  Divine  Comédie.  Récemment 
on  a  pris  ce  griffon  pour  le  Christ,  et  l'on  ne  s'est  pas  aperçu  qu'en  faisant  traîner  le 
char  de  l'Eglise  par  Jésus  on  imposait  à  Dieu  un  rôle  indigne  de  lui. 
Plus  haut ,  p,  225 ,  pi.  61,  on  a  donné  un  exemple  de  Dieu  en  roi. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  231 

fois  Dieu  en  pape  ;  mais  c'est  dans  les  couvents  atteints  d'ul- 
tramontantsme,  c'est  à  l'époque  où  l'on  est  content  du  pape 
régnant,  c'est  au  moment  de  nos  guerres  en  Italie,  c'est  quand 
l'artiste  a  une  dévotion  particulière  à  la  papauté.  Même  alors, 
et  dans  toutes  ces  circonstances,  la  France  proteste  assez  sou- 
vent contre  cette  idée  d'assimiler  le  Père  éternel  au  pape,  qui 
n'en  est-que  le  vicaire,  et  de  n'en  faire  ainsi  qu'un  vice-dieu. 
N'osant  ou  ne  pouvant  encore  s'élever  à  un  type  nouveau ,  le 
génie  français  veut  du  moins  exhausser  la  Divinité  et  la  placer 
au-dessus  de  la  papauté.  Ainsi  la  tiare  papale  est  garnie,  sui- 
vant les  époques ,  d'une,  de  deux  et  de  trois  couronnes,  dont  le 
nombre  indique  le  degré  ou,  comme  on  dirait  en  mathéma- 
tiques, la  puissance  de  la  souveraineté.  Les  Français  adoptèrent 
cette  idée  et,  quand  ils  figurèrent  Dieu  en  pape,  ils  lui  mirent 
une  tiare  sur  la  tête,  et  une  tiare  à  trois  couronnes,  puisque 
ce  nombre  indique  la  plénitude  du  pouvoir  souverain;  mais, 
plus  hardis,  ils  portèrent  ces  couronnes  jusqu'au  nombre  de 
quatre  et  même  de  cinq,  pour  déclarer  que  Dieu  était  bien 
au-dessus  du  pape  lui-même.  Les  vitraux  de  Saint-Martin-ès- 
Vignes,  à  Troyes,  offrent  ces  curieux  exemples,  et  le  suivant, 
qu'on  a  fait  graver  et  qui  vient  de  Saint-Martin,  donne  ainsi 
Dieu  le  père  tenant  son  fds  attaché  à  la  croix.  Le  Père  est  vêtu 
d'une  aube,  d'une  tunique,  d'une  chape  et  d'une  tiare,  comme 
le  pape;  mais  sur  la  tiare  s'étagent,  non  plus  trois  couronnes 
seulement,  mais  cinq,  toutes  décorées  de  fleurons  et  de  fleurs 
de  lis  comme  celles  de  nos  rois  de  France  ^  En  Champagne, 
Dieu  est  donc  supérieur  de  deux  couronnes  au  pape. 

'  On  remarquera  la  chaussure  de  Dieu  dans  ce  dessin.  En  iconographie  chré- 
tienne, Dieu  a  les  pieds  nus  presque  toujours,  comme  son  fds  et  les  apôtres;  ici,  pour 
l'assimiler  davantage  au  pape,  on  le  chausse  de  ses  mules.  Un  manuscrit  de  la  Bihlio- 
ihèque  royale  [Diblia  sacra,  n"  ôS'iC)),  qui  est  de  la  Un  du  xiv'  siècle  et  tout  rempli 
de  miniatures,  offre  une  singulière  particularité.  Au  tableau  qui  représente  Aaron ,  qu  on 


232 


INSTRUCTIONS. 

63.  DIEU  LE   PÈRE  EN  PAPE,  COIFFE  D'UNE  TIARE  À  CINQ  COURONNES. 

Vitrail  français,  fin  du  xyi'  siècle. 


Avant  que  de  se  montrer  en  pajDe,  le  Père  apparaît  chez 
nous  sous  le  costume  d'un  roi.  Ce  roi  divin  porte  la  couronne 
royale  comme  Philippe  de  Valois,  Jean  le  Bon  et  Charles  V; 
il  tient,  comme  notre  empereur  Charlemagne,  la  boule  du 
monde;  il  porte  la  longue  robe  et  le  long  manteau;  seulement 

vient  de  purifier  pour  qu'il  soil  un  digne  prêtre  de  Dieu,  on  voit  Dieu  ayant  un  pied  nu 
et  un  pied  chaussé  d'un  brodequin  noir.  Y  a-t-ii  erreur,  y  a-l-il  intention  dans  ce  fait  ?  Je 
ne  m  en  rends  pas  compte,  mais  je  croirais  volontiers  à  l'erreur.  On  remarquera  encore 
1  absence  du  Saint-Esprit  dans  celte  représentation  de  la  Trinité  sur  le  vitrail  de  Troyes; 
il  en  sera  question  dans  le  chapitre  consacré  spécialement  à  la  Trinité  divine.  Les  ar- 
tistes, comme  les  copistes  du  moyen  âge,  se  sont  assez  souvent  trompés.  Les  copistes 
passaient  ou  défiguraient  un  mot;  les  sculpteurs  ou  les  peintres  oubliaient  ou  dénatu- 
raient un  attribut  caractéristique.  Dans  une  série  de  sujets  il  n'est  pas  rare  que  les 
artistes  en  oublient  un  ou  deux. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  233 

il  a  les  pieds  nus  et  le  nimbe  crucifère,  parce  qu'enfin  il  est 
Dieu.  C'est  à  cette  couronne  royale  et  à  ce  globe,  réunis  à  la 
longue  barbe  qui  témoigne  d'un  grand  âge,  qu'on  distingue  le 
Père  du  Fils.  Un  seul  de  ces  caractères  ne  suffirait  peut-être 
pas,  parce  que,  ainsi  qu'on  l'a  dit,  le  globe  se  donne  assez  sou- 
vent au  Fils,  et  même  la  couronne  royale.  Ce  dernier  insigne 
est  plus  rare  sur  la  tête  du  Fils  :  car  cette  tête  est  nue,  ou 
elle  porte  une  couronne  d'épines. 

Avec  ce  Père  en  roi,  on  traverse  tout  le  xiv^  siècle,  et  tout 
le  xv^  avec  le  Père  en  pape.  Ce  pape  est  ordinairement  vêtu  de 
l'aube  et  de  la  cbape;  la  cbape  est  souvent  absente.  Ce  pape, 
il  faut  le  dire,  est  une  figure  quelquefois  estimable,  mais  véné- 
rable jamais;  elle  excite  plutôt  le  mépris  que  la  considération. 
Je  n'en  citerai  pour  preuve  que  ce  Père  éternel  qui  ouvre  la 
série  des  statues  dans  la  clôture  du  chœur  de  Notre-Dame,  à 
Chartres.  Certes,  l'artiste  qui  a  sculpté  ces  statues  d'hommes 
si  austères  et  de  femmes  si  gracieuses  n'était  pas  impuissant  à 
représenter  dignement  Dieu  le  père;  et  cependant  ce  Dieu  est 
habillé  d'un  costume  qui  n'a  pas  été  fait  pour  lui,  qui  est 
beaucoup  trop  long,  qui  a  beaucoup  trop  d'ampleur.  Une  tiare 
charge  sa  vieille  tête ,  une  chape  couvre  ses  épaules,  une  aube 
emprisonne  son  corps,  une  étole  pend  sur  ses  cuisses  amaigries; 
sa  figure  est  sillonnée  de  rides  sèches  et  sans  puissance  ;  ce  n'est 
pas  l'expérience  ni  la  plénitude  des  jours  qui  ont  vieilli  cette 
figure,  mais  l'amaigrissement  des  muscles  et  la  décrépitude. 
Cette  face  n'est  pas  vieille;  elle  est  usée.  Ces  yeux  sont  petits, 
éteints  et  sans  force.  Dans  le  dessin  qui  représente  la  Trinité,  et 
dont  le  Saint-Esprit  porte  sur  la  tête  la  colombe  symbolique  ^ , 
le  Père,  qui  est  en  pape,  fait  vraiment  peine  à  voir.  C'est  un 
vieillard  infirme,  qui  n'a  plus  la  force  de  tenir  sa  boule  du 

'  Ce  dessin  est  plus  bas ,  à  l'Histoire  du  Saint-Esprit  en  homme. 

INSTRDCTIONS.  II.  3o 


234  INSTRUCTIONS. 

monde,  et  qui  prend  la  main  du  Saint-Esprit  plutôt  pour  s'en 
faire  un  soutien  que  pour  exprimer  l'union  qui  les  rapproche.  Sa 
tête  penche  sur  sa  poitrine  comme  celle  d'un  vieillard  débile;  les 
joues  sont  creuses  et  la  face  allongée.  Dans  la  Cité  de  Dieu  \ 
le  Père,  à  longue  barbe  blanche,  est  chauve  et  n'a  plus  sur  le 
front  qu'une  mèche  de  cheveux,  comme  un  vieillard  décrépit. 

C'est  un  spectacle  des  plus  curieux  que  de  voir  comment 
l'art  réfléchit  profondément  et  clairement  l'époque  qui  l'a  fait. 
Quand  la  société  est  gouvernée  par  le  clergé,  du  v"  au  ix*"  siècle, 
l'art  est  grave,  austère;  les  physionomies  sculptées  oïl  peintes 
se  teignent  de  la  couleur  générale.  Jamais  ces  physionomies  ne 
se  dérident,  même  pour  sourire.  Quand,  du  ix^  au  xm^  siècle, 
on  est  sous  le  régime  féodal,  les  attitudes  sont  roides;  il  y  a 
dans  la  tournure  quelque  chose  d'arrogant,  il  y  a  de  l'audace 
dans  fexpression.  Le  courage,  mais  aussi  la  dureté,  éclate  dans 
tous  les  traits.  Puis,  du  xiif  au  xv'',  lorsque,  dans  les  communes 
émancipées,  eut  germé  et  pullulé  la  bourgeoisie ,  l'art  s'assouplit. 
Alors  la  roideur  des  époques  précédentes  se  plia  à  des  mouve- 
ments nombreux:  la  sauvagerie  descendit  à  la  familiarité,  la 
noblesse  des  traits  à  la  vulgarité;  l'idéal  tomba  dans  le  réel. 

Ce  fut  dans  des  types  vivants  que  les  artistes  allèrent  cher- 
cher leurs  modèles  pour  représenter  le  Père,  et  cet  anthro- 
pomorphisme inférieur  remplit  nos  monuments  d'un  Dieu 
changé  en  homme  et  animé  des  passions  mesquines  de  l'huma- 
nité. Cependant  l'homme  de  cette  époque,  c'était  le  bourgeois 
voulant  imiter  la  noblesse,  à  laquelle  il  aspirait,  et  par  consé- 
quent ayant  encore  des  semblants  d'élévation  ,  des  velléités  de 
distinction.  Mais  du  xv^  au  xvf  siècle,  dans  la  politique  comme 
dans  fart,  fit  irruption  la  foule  sans  nom  ,  le  populaire  en  hail- 
lons, troué  aux  habits,  appauvri  de  formes  et  de  costumes, 

Manuscrit  de  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève,  lo',  11°  et  21"  miniatures. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  235 

porteur  d'une  physionomie  toujours  commune  et  d'une  âme 
souvent  grossière.  Cette  foule  troubla  l'esthétique,  et  donna  sa 
physionomie  épaisse  à  l'idéal  le  plus  élevé,  même  à  la  vierge 
Marie;  Marie  ne  se  montra  plus  que  sous  les  traits  d'une  grosse 
femme  vulgaire,  ainsi  qu'elle  nous  apparaît  dans  tous  les  mo- 
numents de  cette  époque. 

11  fallait  que  les  grands  artistes  italiens  de  la  renaissance, 
le  Pérugin,  Raphaël  et  Michel-Ange,  vinssent  au  monde  pour 
créer  cette  admirable  figure  de  l'Eternel ,  de  Jéhovah ,  de  ce 
Vieillard  divin  qui  fait  trembler  la  terre,  mieux  que  le  Ju- 
piter antique,  d'un  froncement  de  ses  sourcils.  Donc,  avec  la 
renaissance,  et  il  était  temps,  renaquit  l'idéal  ancien.  La  re- 
naissance remonta  à  la  source  de  toutes  choses,  aux  origines 
du  christianisme  aussi  bien  que  du  paganisme,  et  la  source 
est  toujours  plus  limpide  que  fembouchure.  Elle  clarifia  le 
courant  esthétique  que  les  deux  périodes  précédentes  avaient 
troublé  de  leur  bourgeoisie  vulgaire  ;  elle  rajeunit  Dieu  le  père , 
ou  plutôt  elle  le  transforma,  comme  tous  les  autres  types  du 
christianisme.  La  renaissance  dépouilla  Jéhovah  de  la  tiare,  qui 
fassimilait  à  un  pape,  et  qui  en  faisait  un  vicaire  de  Dieu  plutôt 
qu'un  dieu  ;  elle  fit  retomber  de  sa  tête  sur  ses  épaules  une 
chevelure  blanche  et  puissante  à  la  fois.  Quand  on  regarde 
ces  images  de  Dieu  le  père,  peintes  ou  sculptées  par  les  ar- 
tistes de  la  renaissance,  on  sent  comme  Job  un  frisson  qui 
vous  agite  :  on  est  sous  le  charme  imposant ,  quelquefois  ter- 
rible,, qu'on  éprouve  à  l'aspect  d'un  homme  de  génie  qu'on 
voit  pour  la  première  fois.  Cette  belle  divinité,  ce  magnifique 
vieillard  si  serein  et  si  puissant,  c'est  bien  réellement  l'Ancien 
des  jours,  le  IIctActio^  rm  Y\fxi^cù\  des  Grecs. 

La  renaissance  est  donc  l'époque  où  Dieu  le  père  triompha 
de  l'oubli,  des  injures,  des  hérésies,   des  grossièretés,   des 

3o. 


236  INSTRUCTIONS. 

vulgarités  des  époques  antérieures.  Ce  soleil  divin  eut  enfin 
la  force  de  percer  toutes  les  couches  de  nuages  jaloux  ou 
vulgaires  que  les  époques  chronologiques  avaient  amoncelés 
autour  de  lui.  Depuis  trois  cents  ans,  à  peu  près,  la  pre- 
mière personne  de  la  Trinité  est  en  possession  du  rang  le 
plus  élevé.  Cette  réhabilitation,  quoique  tardive \  a  produit 
d'assez  bons  monuments.  Ici,  comme  on  ne  doit  pas  dépasser 
le  XVI''  siècle  ni  la  renaissance  proprement  dite ,  il  suffira  de 
donner  les  indications  qui  précèdent.  La  Dispute  du  saint 
Sacrement,  entre  autres  tableaux  de  Raphaël,  olTre  un  Père 
éternel  d'une  grande  beauté.  Ce  Jéhovah,  que  Raphaël  nous 
a  montré  créant  les  grands  luminaires  de  notre  globe ,  et  lan- 
çant d'une  main  le  soleil  dans  l'espace  tandis  que  de  l'autre  il 
y  jette  la  lune,  est  une  admirable  création.  Le  peintre  Martin 
a  surpassé  Raphaël  lui-même,  dans  la  cosmogonie  qu'il  a 
dessinée  d'après  le  Paradis  perdu  de  Milton;  je  regrette  que 
les  limites  imposées  à  mon  travail  ne  m'aient  pas  permis  de 
reproduire  cette  gravure. 

Dès  lors  on  ne  s'inquiète  plus  de  la  théologie.  On  ignore 
que  Dieu  le  père  ne  doit  pas  être  figuré,  puisqu'en  parlant  ri- 
goureusement on  ne  l'a  pas  vu  ;  on  ne  sait  pas  ou  l'on  oublie 
que  Jésus  étant  le  Verbe  ,  la  parole  de  Dieu ,  il  serait  conve- 
nable de  rejDrésenter  le  Fils  toutes  les  fois  que  Dieu  parle.  On 
s'en  tient  à  la  réalité  historique,  et  l'on  représente  Dieu  le 
père  dans  toutes  les  scènes  de  l'Ancien  Testament ,  à  la  Créa- 
tion, comme  au  mont  Sinaï ,  comme  à  l'électron  des  juges  et 
des  rois,  comme  à  la  vocation  des  prophètes.  Quant  aux  scènes 

En  Italie,  où  l'art  est  plus  hâtif,  la  réhabilitation  avait  déjà  été  tentée  au  xiv"  siècle. 
Ainsi  une  sculpture  sur  bois,  qui  date  de  cette  époque  et  dont  on  donnera  le  dessin  plus 
bas,  montre  le  Père  sortant  du  ciel  à  mi-corps  pour  bénir  son  fds  que  saint  Jean  baptise 
dans  le  Jourdain.  Dieu  le  père  est  déjà  un  assez  beau  vieillard  et  fait  pressentir  les  admi- 
rables représentations  des  grands  artistes  italiens  du  xv*  et  du  x\f  siècle. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  237 

du  Nouveau  Testament ,  on  fait  assister  Dieu  le  père  au  bap- 
tême, à  l'agonie,  à  la  mort  et  à  l'ascension  de  son  fils. 

Enfin,  au  xvi'' siècle,  on  représenta  la  divinité  par  son  nom 
seul  et  une  figure  géométrique.  Le  triangle,  avons-nous  dit  au 
chapitre  du  nimbe,  est  la  formule  linéaire  de  Dieu  et  de  la  Tri- 
nité divine.  Dans  ce  triangle  on  écrivit  en  lettres  hébraïques 
le  nom  de  Dieu,  de  Jéhovah,  et  l'on  plaça  le  mot  et  la  figure 
au  centre  d'un  cercle  rayonnant  qui  représentait  l'éternité. 

64-  NOM  DE  JÉHOVAH  INSCRIT  DANS  UN  TRIANGLE  RAYONNANT. 

Sculpture  en  bols ,  xvii^  siècle. 


Dieu  le  père  ou  Jéhovah  occupe  donc  le  champ  de  la  Tri- 
nité, qui  est  inscrite  elle-même  dans  l'éternité.  Cette  formule 
abstraite  eut  beaucoup  de  succès,  et  aujourd'hui,  dans  une 
foule  d'églises ,  au  centre  de  ces  gloires  dont  nous  avons  parlé , 
ou  bien  au  milieu  du  maître-autel,  ou  sur  les  voiles  des  ca- 
lices, ou  sur  le  grémial  des  évêques,  ou  sur  le  chaperon  des 
chapes  et  le  dossier  des  chasubles  brillent  en  or  ces  lettres, 
ce  triangle  et  ce  cercle  rayonnant.  Une  belle  tapisserie  du 
xvi^  siècle ,  qui  se  conserve  dans  le  trésor  de  la  cathédrale  de 
Sens ,  offre  un  des  plus  brillants  exemples  de  cette  représen- 
tation; celui  que  nous  donnons  est  emprunté  à  l'église  de  Haut- 


238  INSTRUCTIONS. 

villers,  près  de  Reims.  Dans  la  chapelle  du  palais  de  Versailles, 
au  centre  de  la  gloire  qui  garnit  le  fond  du  sanctuaire,  brille 
un  triangle  divin  et  lumineux  à  peu  près  semblable. 

Après  le  chapitre  sur  le  nimbe,  l'auréole  et  la  gloire,  nous 
n'avons  plus  rien  à  dire  sur  la  forme  de  ces  attributs  que  l'on 
donne  à  Dieu  le  père.  Le  nimbe  de  Jéhovah  est  circulaire  et 
timbré  d'une  croix  ;  mais  quelquefois  Raphaël  et  les  Italiens 
mettent  à  leur  Père  éternel  en  ancien  des  jours  le  nimbe  carré, 
le  nimbe  en  losange,  le  nimbe  triangulaire  ou  le  nimbe  rayon- 
nant. D'autres  fois,  le  nimbe  disparaît,  l'auréole  elle-même 
s'évanouit,  et,  du  corps  entier  de  Dieu,  sort  une  lueur  diffuse, 
ou  bien  une  lumière  à  rayonnement  tantôt  droit  et  tantôt 
flamboyant  ou  onduleux.  Alors  on  se  rapproche  des  textes 
sacrés  et  de  l'idée  que  les  grands  poètes,  comme  Dante,  se 
faisaient  de  la  Divinité.  Dans  l'Ancien  Testament,  en  effet, 
Dieu  marche  constamment  environné  de  feux  et  de  flammes. 
Quand  Ezéchiel  entrevoit  Jéhovah  sous  la  forme  d'un  homme, 
il  dit  :  «  J'eus  une  vision.  Quelqu'un  me  parut  comme  un  feu 
ardent.  Depuis  les  reins  jusqu'en  bas  ce  n'était  qu'une  flamme; 
depuis  les  reins  jusqu'en  haut  c'était  comme  une  splendeur 
et  une  apparence  d'or  mêlé  à  de  l'argent  ^  » 

Quant  à  Dante,  il  fait  de  la  lumière  divine,  où  se  plongent 
les  anges  et  les  saints,  cette  description  éblouissante  :  «Une 
lumière  est  là-haut  ;  elle  rend  le  Créateur  visible  à  la  créa- 
ture qui,  à  le  voir  lui  seul,  sait  mettre  toute  sa  paix.  Elle  s'é- 
tend en  une  ligure  circulaire  si  démesurée,  que  sa  circonfé- 
rence serait  pour  le  soleil  une  ceinture  trop  large.  Tout  ce  qui 
en  apparaît  n'est  qu'un  rayon  réfléchi  sur  le  sommet  du  Pre- 
mier Mobile,  qui  prend  de  là  sa  vie  et  sa  puissance.  Et  comme 
dans  feau  qui  baigne  sa  base  se  mire  un  coteau  pour  voir,  il 

'  Ezéchiel,  cap.  viii,  v.  2. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  239 

semble,  sa  parure,  et  combien  il  est  riche  et  d'herbe  et  de 
petites  fleurs;  ainsi,  suspendues  tout  autour  du  fleuve  lumi- 
neux, je  vis  s'y  mirer,  sur  plus  de  mille  degrés,  toutes  les 
âmes  qui,  de  notre  monde,  sont  retournées  là-haut.  Et  si  le 
rang  le  plus  bas  concentre  en  lui  tant  de  lumière  ,  quelle  n'est 
pas  la  splendeur  de  cette  rose  dans  ses  feuilles  les  plus  hautes? 
Alors,  vers  le  cœur  doré  de  la  rose  éternelle  qui  se  dilate,  s'é- 
tage,  et  qui  exhale  un  parfum  de  louanges  au  soleil,  cause  du 
printemps  sans  fin,  Béatrice  m'entraîna  ^  » 

C'est  dans  ce  centre ,  c'est  au  foyer  de  cette  éternité  lumi- 
neuse, que  resplendit  la  divinité.  Dante  a  voulu  sans  doute 
décrire  une  de  ces  rosaces  à  mille  feuilles  qui  éclairent  les 
portails  de  nos  plus  grandes  cathédrales^;  rosaces  contempo- 
raines du  poëte  florentin ,  et  qu'il  avait  vues  dans  son  voyage 
en  France.  Là,  en  effet,  au  milieu  du  calice  de  cette  rose  en 
verre  coloré,  éclate  la  majesté  divine.  De  tous  les  degrés  de  la 
corolle,  disposée  en  amphithéâtre;  de  tous  les  cordons  hiérar- 
chiques de  la  rosace,  semblent  accourir,  pour  se  mirer  dans  la 
source  centrale,  d'abord  les  innombrables  légions  des  anges, 
puis  les  âmes  des  patriarches,  des  juges,  des  rois  et  des  pro- 
phètes; enfin  celles  des  apôtres,  des  martyrs,  des  confesseurs 
et  des  vierges. 

DIEU  LE  FILS. 

Si  la  figure  du  Père,  exposée  au  mauvais  vouloir  et  même 
aux  injures  des  hérétiques,  à  la  vulgarité  et  à  l'impuissance 
des  artistes,  a  soufl'ert  pendant  toute  la  durée  du  moyen  âge, 
il  n'en  a  pas  été  ainsi  de  celle  du  Fils.  Jésus  est  l'auteur  du 

'  Divine  Comédie ,  Paradis,  chant  xxx. 
Parliculièremeiit  à  Paris,  à  Reiras  el  à  Chartres. 


240  INSTRUCTIONS. 

christianisme;  c'est  de  lui  et  non  pas  dé  Jéliovah  que  la  reli- 
gion nouvelle  prend  son  nom.  Aussi  les  chrétiens  lui  furent- 
ils  ro'connaissants  comme  des  enfants  envers  un  père.  Dans  les 
sentiments  comme  dans  fart,  qui  est  le  miroir  et  l'expression 
matérielle  des  idées,  Jésus-Christ  eut  un  règne  glorieux  depuis 
les  catacombes  jusqu'à  nos  jours.  C'est  la  personne  divine  à 
laquelle  l'art  a  toujours  rendu  et  rend  encore  les  plus  grands 
honneurs. 

Le  christianisme  n'a  pas  élevé  une  seule  église  à  Dieu  le 
père  en  particulier;  il  en  a  dressé,  au  contraire,  une  quan- 
tité considérable  à  Dieu  le  fils,  sous  le  nom  de  Saint-Sauveur  \ 
de  Sainte-Croix,  de  Saint-Sépulcre,  de  Sainte-x\nastasie.  La 
cathédrale  d'Aix  est  dédiée'à  Saint-Sauveur,  celle  d'Orléans 
à  Sainte- Croix.  La  célèbre  église  de  Florence,  où  reposent 
Dante,  Michel -Ange,  Machiavel- et  Galilée,  s'appelle  Santa- 
Croce.  Les  églises  de  la  Résurrection  ou  de  Sainte-Anastasie 
abondent  en  Orient.  Les  églises  du  Saint- Sépulcre  sont  assez 
communes  chez  nous,  où  les  chapelles  de  ce  vocable  sont  ex- 
trêmement nombreuses;  à  Cambridge  et  à  Northampton,  en 
Angleterre,  deux  églises  circulaires  s'appellent  Saint-Sépulcre. 
Il  paraît  même  que  la  Sainte-Sophie  de  Constantinople  aurait 
été  consacrée  plutôt  à  la  sagesse  divine  de  Jésus-Christ  qu'à 
celle  du  Père  ou  de  la  Trinité  complète.  A  Paris,  l'église  du 
Val-de-Grâce  est  dédiée  à  Jésus  enfant^. 


*  Des  églises ,  des  abbayes ,  des  villages ,  des  bourgs  et  même  des  villes  portent  le 
nom  de  Saint-Sauveur  ;  un  gros  village  du  département  du  Nord ,  près  de  Valenciennes , 
s'appelle  Saint-Saulve.  Jeanne  d'Arc,  dans  ses  derniers  moments  et  sur  le  point  d'être 
brûlée  à  Rouen,  demanda  une  croix;  on  lui  apporta  celle  de  la  paroisse  Saint-Sauveur, 
qui  était  voisine  (M.  Miclielet ,  Histoire  de  France,  V°  vol.  p.  172).  A  Redon,  il 
existe  encore  une  église  de  Saint-Sauveur.  La  France  possédait  autrefois  vingt-trois  ab- 
bayes de  Saint-Sauveur;  celle  de  Redon  en  faisait  partie. 

'^  Jesu  nascenti,  comme  dit  l'inscription  tracée  sur  la  frise  du  portail. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  241 

De  nos  jours  encore,  dans  l'office  de  l'église,  à  la  fm  de 
chaque  psaume,  on  chante  deux  versets,  une  espèce  de  refrain 
annonçant  que  le  psaume  est  terminé  et  qu'on  va  commencer 
l'antienne,  qui  en  est  le  couronnement.  Ces  versets  sont  connus 
de  tous  :  «  Gloire  au  Père,  au  Fils  et  au  Saint-Esprit;  comme 
au  commencement,  à  présent,  toujours  et  dans  tous  les  siècles 
des  siècles  ^  »  C'est  une  glorification  de  la  Trinité  tout  en- 
tière; mais,  dans  le  diocèse  de  Reims,  quand  on  la  prononce, 
le  nom  du  Père  passe  sans  attirer  fattention.  A  peine,  au  con- 
traire, la  première  syllabe  de  Filio  a-t-elle  retenti,  que  les 
enfants  de  cliœur  se  lèvent  et  font  une  respectueuse  révérence 
en  se  tournant  vers  le  grand  autel;  les  prêtres  et  les  chantres 
saluent  ce  nom  adoré  en  ôtant  leur  coilïure,  et  les  fidèles 
s'inclinent  pieusement  devant  ces  divines  syllabes.  On  se 
redresse,  on  se  rassied,  on  se  recoiffe.  Puis  arrive  le  nom  du 
Saint-Esprit,  et  ce  nom  passe  comme  a  passé  celui  du  Père. 
Le  Gloria  Patri  nomme  le  Père  avant  le  Fils  ;  mais  cette  pré- 
séance est  généalogique,  et  non  pas  honorifique.  Elle  exprime 
la  relation  des  personnes  divines  entre  elles,  et  non  la  dilfé- 
rence  du  culte  ou  de  fhonneur  qu'on  doit  leur  rendre. 

En  chaire ,  quand  les  prédicateurs  nomment  le  Père  ou  le 
Saint-Esprit,  on  n'aperçoit  pas  le  moindre  mouvement  parmi 
les  auditeurs;  mais  que  le  nom  de  Jésus-Christ  soit  prononcé, 
et  sur-le-champ  vous  verrez  les  hommes  baisser  la  tête  pour 
saluer,  et  les  femmes  se  signer  de  la  tête  à  la  poitrine,  et 
d'une  épaule  à  l'autre. 

Il  fallait  être  Newton,  et  l'on  cite  ce  fait  comme  une  particu- 
larité curieuse,  pourôter  son  chapeau  en  entendant  prononcer 

'  Guillaume  Durand  [Rationale  divin,  ojfic.  lib.  V,  cap.  ii)  dil  que  les  deux  versels 
du  Gloria  Palri  ont  élé  composés  par  saint  Jérôme  et  envoyés  par  lui  au  pape  Damase , 
qui  ordonna  de  les  chanler  dans  les  psaumes. 

INSTRUCTIONS.  —   II.  3l 


242  INSTRUCTIONS. 

le  nom  de  Dieu.  AujourtVlmi  personne  ne  se  découvre  à  ce 
nom  tout  seul.  Mais,  quelque  peu  religieux  que  Ton  soit,  que 
cela  tienne  à  l'éducation  des  mères,  ou  à  la  tradition,  ou  à  la 
réflexion,  on  n'entend  pas  nommer  Jésus-Christ  sans  être  saisi 
d'un  grand  respect.  C'est  involontaire  peut-être,  mais  par  cela 
même  ce  n'en  est  que  plus  puissant.  Au  nom  de  Jésus,  s'écrie 
saint  Paul,  il  faut  que  tout  genou  fléchisse  dans  le  ciel,  sur  la 
terre,  aux  enfers ^ 

Il  semble  que  Jésus-Christ  résume  en  lui  la  divinité  tout 
entière^.  La  croisure  du  nimbe,  avons-nous  dit  plus  haut,  lut 

'  i(  Ut  in  noinine  Jesu  omne  genu  flectalur  cœleslium  ,  lerresirium  et  infernorum.  » 
[Epist.  ad  Philipp.  cap.  ri,  v.  lo.  )  — Quand  on  chante  le  symbole  de  Nicée,  dit 
G.  Durand  [Rat.  div.  off.  lib.  IV,  cap.  xxv,  de  Symholo),  «et  cum  dicitur  ibi  :  Et  liomo 
fifactas  est,  deberaus  genua  flectere,  quia  Cliristum  hominem  factum  et  pro  nobis  cru- 
u  cifixuni  adoramus.  »  Encore  aujourd'hui,  on  fléchit  les  genoux,  ou  du  moins  on  s'in- 
cline profondément.  M.  l'abbé  Gaume,  qui  veut  bien  relire  les  épieuves  de  mon  tra- 
vail, me  fait  observer  que  ces  honneurs  sont  rendus  à  Jésus,  parce  qu'il  est  mort  pour 
nous,  et  non  parce  qu'il  est  la  seconde  personne  divine,  le  hls  de  Dieu.  Comme  se- 
conde personne  de  la  Trinité,  le  Fils  n'est  pas  plus  honoré  que  le  Père  et  que  le  Saint- 
Esprit.  C'est  uniquement  devant  le  nom  de  Jésus  que  l'on  se  prosterne,  parce  que  ce 
nom  rappelle  directement  l'auteur  de  la  rédemption.  Quand  on  dit  le  fds  de  Dieu,  le 
Verbe  et  même  le  Christ,  on  ne  salue  pas  plus  qu'en  prononçant  le  nom  du  Père  et 
du  Saint-Esprit.  Dans  le  diocèse  de  Reims,  si  l'on  s'incline  au  Filio  du  Gloria  Patri , 
c'est  une  exception;  partout  ailleurs  on  ne  salue  qu'à  la  lin  du  Gloria,  pour  rendre 
hommage  à  la  Trinité  eniière,  aux  trois  personnes  réunies.  M.  l'abbé  Gaume  est  per- 
suadé qu'on  rend  et  qu'on  a  toujours  rendu  des  honneurs  égaux  à  chacune  des  trois 
personnes  divines;  dans  le  culte  comme  dans  le  dogme,  le  Fils  n'a  jamais  été  plus  que 
le  Pèi'e  et  que  le  Saint-Esprit.  Je  défère  respectueusement  à  cet  avis,  et  j'aurais  corrigé 
sans  peine  sur  le  manuscrit  ce  que  j'ai  dit  et  ce  que  je  vais  dire  d'opposé  à  celte  con- 
viction; mais  il  faudrait  remanier  entièrement  plusieurs  feuilles  d'impression.  Ce  n'est 
pas  une  ou  plusieurs  phrases  que  je  devrais  modifier,  mais  l'esprit  de  tout  ce  chapitre 
que  j'aurais  à  faire  disparaître.  Je  conserve  donc  ce  qui  est  imprimé  après  les  explica- 
tions que  je  donne  et  les  réserves  que  je  viens  de  faire. 

Dans  le  symbole  des  apôtres,  sur  douze  propositions,  une  seule  en  quatre  mots  con- 
cerne le  Saint-Esprit  [Credo  in  Spiritum  Sanclum) ,  une  seule  en  neuf  mois  est  relative 
au  Père  (  Credo  in  Deiim  Palrem,  omnipotentem,  creatorem  cœli  et  terrœ)  ;  mais  il  y  a  cinq 
propositions  entières  pour  Jésus-Christ,  lesquelles  font  matériellement  la  plus  forte  moi- 
tié de  (oui  le  symbole. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  243 

3e  signe  qui  caractérisa  le  Fils  comme  les  deux  autres  per- 
sonnes; mais  cette  croix  est  un  insigne  qui  vient  du  Christ 
et  dont  se  parent  les  deux  autres  personnes  de  la  Trinité.  En 
outre,  la  plénitude  de  l'être ,  la  toute-puissance,  ne  devrait  pas 
plus  appartenir  à  Jésus-Christ  qu  au  Père  et  qu'au  Saint-Es- 
prit; car  elle  réside  dans  la  Trinité  et  non  pas  spécialement 
dans  une  seule  personne.  Si  l'une  des  trois  personnes  divines 
devait  se  l'approprier  de  préférence,  ce  serait  plutôt  Dieu  le 
père  assurément ^  Cependant,  chez  les  Grecs  surtout,  la  toute- 
puissance  et  la  source  de  l'être  sont  attribuées  très-souvent  el 
presque  exclusivement  à  Jésus-Christ.  Ainsi,  dans  le  ciel  des 
grandes  coupoles  byzantines,  brille  sur  fond  d'or  la  gigantesque 
figure  du  Tout-Puissant,  du  Pantocrator.  Ce  mot  de  Tout-Puis- 
sant ,  qui  réveille  chez  nous  l'idée  du  Père  plutôt  que  du  Fils  ou 
du  Saint-Esprit,  est  en  opposition  avec  cette  figure  qui  a  trente 
ans ,  la  barbe  fine  et  courte ,  les  traits  doux  et  jeunes.  Cette  image 
pourrait  donc  être  celle  du  Père  sous  la  figure  de  son  fils,  comme 
"la  rigueur  du  dogme  théologique  semblerait  le  vouloir;  mais  à 
côté  de  l'inscription  o  Ila/]ojc^la)p^  on  lit  celle-ci  :  it  X'^C.  On 
ne  peut  s'y  méprendre  :  c'est  Jésus-Christ  qui  domine  l'Eglise 
grecque  comme  il  domine  le  monde.  D'ailleurs,  dans  les  croi- 
sillons de  son  nimbe  crucifère,  on  voit  o  av.  Ainsi  le  Christ  est 
tout  à  la  fois  l'être  et  la  puissance  par  excellence.  Les  beaux  ma- 
nuscrits grecs  que  la  Bibliothèque  royale  possède  peuvent  four- 
nir dans  plusieurs  de  leurs  miniatures  la  vérification  de  ce  fait. 

'  a  Credo  in  Deum  pairem,  omnipotentem,  creatorem  cœli  et  lerniî,  el  in  Jesuni 
«  Christum,  filium  ejus  unicum,  etc.  «Le  symbole  des  apôtres  attribue  donc  spécialemenl 
la  puissance  à  Dieu  le  père.  Toute  la  tradition  chrétienne  est  constante  à  cet  égard; 
dans  le  chapitre  consacré  à  la  Trinité,  nous  donnerons  un  texte  de  Richard  de  Saint- 
Victor,  qui  est  formel  sur  ce  point.  —  Dante  [Divine  comédie,  chant  x  du  Paradis)  dit 
également  que  c'est  le  Père  qui  crée  et  ordonne  le  monde. 

*  Voyez,  entre  autres,  le  manuscrit  grec  1 128.  —  Guillaume  Durand  remarque  dans 

•Si. 


244  INSTRUCTIONS. 

Jésus-Christ,  semble  donc  plus  honoré  que  son  père.  Le 
langage  usuel  en  fournit  une  nouvelle  preuve.  Dieu  le  père 
n'y  est  pas  considéré  comme  notre  souverain,  comme  notre 
roi,  tandis  que  nous  donnons  ce  titre  à  son  fds.  En  tête  du 
nom  de  Jésus-Christ,  on  met  Notre-Seigneur,  comme  on  dit 
Notre-Dame  en  parlant  de  la  vierge  Marie.  C'est  qu'en  efFet 
il  y  a  surtout  deux  personnes  qui  gouvernent  notre  cœur, 
Marie  et  Jésus  ,  la  mère  et  le  fds.  Voilà  les  deux  étoiles  vi- 
vantes qui  rayonnent  sur  la  chrétienté. 

En  iconographie,  le  Dieu  par  excellence,  c'est  Jésus.  A 
toutes  les  époques  et  sans  interruption  ,  il  a  été  représenté 
sous  toutes  les  formes  par  l'art,  et  l'art  est  la  contre-épreuve 
des  croyances.  Au  temps  où  le  Père  ne  montrait  que  la  main , 
Jésus  apparaissait  en  pied  et  à  tout  âge ,  imberbe  ou  barbu , 
à  dix-huit  ou  trente  ans.  Il  faut  même  dire  qu'alors  il  est  très- 
souvent  et  presque  toujours  représenté  sous  la  forme  d'un  beau, 
d'un  adorable  adoles.cent  imberbe ,  à  figure  douce,  de  quinze 
à  dix-huit  ans,  à  longs  cheveux  abondants  et  bouclés  sur  les 
épaules;  il  est  quelquefois  orné  d'un  diadème  ou  d'une  ban- 
delette au  front,  comme  un  jeune  prêtre  des  dieux  païens. 
C'est  une  figure  chérie  et  que  l'art  caresse  avec  amour  ^  A  une 
époque  opposée,  au  xv®  siècle,  alors  que  le  Père  est  défiguré  par 
l'art  et  abaissé  à  la  condition  d'un  pape  usé  de  vieillesse  et 

leRationale  (lib.  I ,  cap.  m  )  que,  même  dans  l'Eglise  latine,  la  toute-puissance  est  attribuée 
à  Jésus.  Il  dit  :  «Imago  Christi...  picta  ut  residens  in  throno,  seu  in  solio  excelso,  prae- 
«  senlem  indicat  majestatem,  quasi  dicat  :  Dala  est  ei  omnis  potestas  in  cœlo  et  in  terra.  » 
'  Voyez  les  sarcophages  dessinés  dans  la  Roma  sotlerranea,  édition  de  Rome,  1682  , 
pages  285,  293,  295.  Voyez  plusieurs  sarcophages  trouvés  dans  les  Aliscamps  d'Arles  et 
disséminés  aujourd'hui  dans  plusieurs  villes  du  Midi,  notamment  à  Marseille  et  peut-être 
à  Toulouse.  Dans  la  jjetite  ville  de  Saint-Maximin  ,  à  Tarascon  et  à  Clermonl-Ferrand,  j'ai 
vu  de  ces  sarcophages  où  brille  ce  Jésus  imberbe.  Dans  un  village  de  l'arrondissement 
de  Reims ,  dans  la  cathédrale  de  Reims  même,  des  sculptures  des  \'  etxiii"  siècles  mon- 
trent le  même  gracieux  adolescent  entre  les  pèlerins  d'Emmaùs ,  après  sa  passion ,  et  dans 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  245 

tombé  en  décrépitude,  Jésus  conserve  toute  sa  beauté,  tout  son 
éclat,  toute  sa  dignité.  L'art  italien  est  précoce  et  devance  le 
nôtre  de  cent  ou  même  deux  cents  ans;  par  conséquent,  il  a 
trouvé,  il  a  exécuté,  un  siècle  ou  deux  avant  nous,  le  portrait  de 
Dieu  le  père.  Cependant  BulFamalco,  dans  la  première  moitié  du 
xiv^  siècle,  peignait  encore  sur  les  murs  duCampo-Santo  de  Pise 
Jésus-Christ ,  et  non  pas  Dieu  le  père ,  faisant  sortir  le  monde  du 
néant.  Dans  la  figure  de  ce  créateur,  il  esî  impossible  de  recon- 
naître le  Père  éternel.  Sa  jeunesse,  les  ondes  abondantes  de  sa 
chevelure,  la  hnesse  et  la  rareté  de  sa  barbe,  la  douceur  de  sa 
physionomie,  trahissent  tous  les  traits  qui  signalent  Jésus- 
Christ  \  Dans  le  dessin  suivant,  la  personne  divine,  qui  fait 
naître  les  neuf  chœurs  des  anges  sous  le  souffle  de  sa  bouche  et 
la  bénédiction  latine  de  sa  main ,  se  révèle  encore  sous  la  figure 
du  Fils  et  non  pas  sous  celle  du  Père  ^.  Ce  Dieu  de  trente  à 
trente-cinq  ans  tient  le  globe,  image  de  l'univers  qu'il  a  créé. 

les  eaux  du  Jourdain ,  à  son  baplème.  Dans  la  cathédrale  de  Reims,  c'est  contre  la  mu- 
raille occidentale,  et  à  rintérieur,  qu'on  voit  ainsi  Jcsus  imberbe.  Il  se  montre  jeune  et 
souriant  à  Moïse ,  du  haut  du  buisson  ardent.  Puis  il  passe,  toujours  imberbe  et  toujours 
plein  de  sérénité,  devant  la  foule  à  qui  saint  Jean  dit  :  «  Voici  l'agneau  de  Dieu.  »  Il  con- 
venait bien  en  effet  que  cet  agneau  divin,  à  forme  humaine,  fût  représenté  dans  un  âge 
tendre.  Enlin  Jésus  est  imberbe  lorsqu'il  descend  dans  le  Jourdain  pour  être  baptisé  par 
saint  Jean.  Ces  statues  et  toutes  celles  qui  tapissent  la  paroi  occidentale  de  cette  cathé- 
drale sont  des  chefs-d'œuvre  à  soutenir  la  comparaison  devant  les  plus  belles  statues  de 
l'antiquité;  le  geste,  l'expression  et  le  dessin  sont  presque  toujours  irréprochables. 

'   Le  dessin  de  celte  belle  peinture  est  donné  plus  bas,  au  chapitre  de  la  Trinité. 

^  Notre  dessin  est  tiré  du  Psalleriurn  cuinjiguris,  Suppl.  fr,  1 1 32  ',  Bibl.  roy.  —  On  j  e- 
marquera  les  neufs  chœurs  des  anges,  qui  sont  groupés  trois  à  trois;  cette  ordonnance 
est  allégorique  et  se  trouve  expliquée  dans  la  Céleste  hiérarchie  de  saint  Deiiys  l'Aréopa- 
gite.  11  en  sera  longuement  question  dans  l'Histoire  de  l'Ange.  Remarquons,  cependant 
et  au  préalable,  que  ces  neuf  chœurs  sont  identiques  dans  notre  dessin.  11  est  impossible , 
faute  d'attributs  spéciaux,  de  distinguer  les  Séraphins,  les  Chérubins  elles  Trônes,  qui 
composent  le  premier  groupe;  lesDominations,  les  Vertus  et  les  Puissances,  qui  forment 
le  secG«d;  les  Principautés,  les  Archanges  et  les  Anges,  qui  entrent  dans  le  troisième. 
Les  Grecs  caractérisent  les  anges  beaucoup  plus  nettement. 


2/j6 


INSTRUCTIONS. 

65.  LE  CRÉATEUR  SOUS  LA  FIGURE   DE  JESUS-CHRIST. 

Miniature  italienne,  fin  du  xiii°  siècle. 


Ainsi  donc,  pendant  tout  le  cours  du  moyen  âge,  le  fils  de 
Dieu  n'a  cessé  d'être  représenté  sous  toutes  les  formes  possibles. 
Ici,  on  ne  doit  point  parler  de  l'homme  divin,  ni  faire  la  bio- 
graphie archéologique  de  Jésus  ;  c'est  plus  tard ,  et  dans  un 
travail  à  part,  qu'on  fera  fhistoire  du  Christ  depuis  son  in- 
carnation dans  le  sein  de  Marie  jusqu'à  son  ascension.  En  ce 
moment,  on  ne  considère  Jésus  que  comme  Dieu,  que  comme 
seconde  personne  de  la  Trinité.  La  plupart  des  dessins  qui 
vont  suivre  montreront  donc  le  Fils  dans  l'exercice  de  ses 
fonctions  divines  et  non  humaines.  On  va  le  voir  parlant  à 
son  père  près  de  qui  il  est  assis ,  ou  créant  le  monde ,  ou 
condamnant  Adam  et  Eve  au  travail ,  ou  enchaînant  la  mort 
et  foulant  aux  pieds  le  lion  et  le   dragon ,  l'aspic  et  le  ba- 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  247 

silic;  ou  remontant  au  ciel  après  sa  vie  terrestre,  ou  rayon- 
nant dans  une  gloire,  au  sein  du  paradis  et  les  pieds  posés  sur 
le  ciel;  ou  porté  dans  l'immensité  de  l'espace  sur  les  ailes  des 
Séraphins,  ou  bénissant  le  monde  du  haut  du  ciel,  ou  debout 
sur  la  montagne  sacrée,  d'où  s'écoulent  les  quatre  fleuves 
mystiques  et  du  haut  de  laquelle  il  donne  sa  loi  à  l'univers, 
son  Evangile  à  ses  apôtres;  ou  jugeant  les  hommes  à  la  fin  des 
siècles,  ou,  enfin,  vivant  au  sein  de  la  Trinité  entre  le  Père 
et  le  Saint-Esprit.  C'est  encore  sous  la  forme  de  l'agneau  ou 
du  bon  pasteur  qu'on  le  verra ,  parce  que  le  symbolisme  ôte 
à  ces  représentations  tout  caractère  humain. 

Cependant  quelques  dessins  le  montreront  homme  et 
naissant  dans  le  sein  de  la  Vierge,  plongé  dans  le  Jourdain 
et  baptisé  par  saint  Jean,  attaché  à  la  croix  et  mourant  en 
présence  de  Marie,  sa  mère,  et  de  saint  Jean,  son  ami,  parce 
que  ces  diverses  représentations  serviront  à  préciser  certains 
points  d'iconographie  divine.  On  donnera  aussi  plusieurs  va- 
riétés de  croix,  parce  que  la  croix  sans  le  crucifié  est  un  sym- 
bole comme  l'agneau;  mais,  on  le  répète,  il  est  question  ici 
de  la  seconde  personne  divine ,  du  fils  de  Dieu  et  non  dû  fils 
de  l'homme,  non  de  Jésus-Christ  ou  du  divin  crucifié. 


HISTOIRE    DES    PORTRAITS    DE    DIEU    LE    FILS. 


On  n'avait  pas,  contre  la  représentation  du  Fils,  les  raisons 
ou  les  prétextes  qu'on  alléguait  contre  celle  du  Père.  D'abord 
le  Fils  s'était  incarné;  tout  le  monde  avait  vu  ses  traits,  tout 
le  monde  pouvait  les  reproduire.  «  Puisque ,  dit  le  Damas- 
cène,  celui  qui  ne  peut  être  vu  a  pris  un  corps  et  s'est  mon- 
tré ,  lais  donc  son  image.  Puisque  l'être  qui ,  comme  Dieu  , 
n'a  ni  quantité,  ni  dimension,  ni  qualité,  a  pris  la  forme 
d'un  esclave,  s'est  rapetissé  à  la  quantité  et  à  la  qualité,  s'est 


248  INSTRUCTIONS. 

revêtu  de  la  forme  d'un  corps ,  peins-le  sur  des  tableaux.  Montre 
publiquement  celui  qui  a  voulu  se  montrer.  Peins  son  inef- 
fable humilité  pour  nous,  sa  naissance  dans  le  sein  d'une 
vierge,  son  baptême  dans  le  Jourdain,  sa  transfiguration  sur 
le  Thabor,  ses  tourments  qui  nous  ont  rachetés,  ses  miracles 
qui  manifestaient  sa  nature  divine  et  sa  puissance,  tandis 
qu'il  les  accomplissait  à  l'aide  de  son  corps  ;  sa  sépulture  qui 
nous  a  sauvés,  sa  résurrection,  son  ascension  au  ciel,  décris 
tout  cela  par  des  paroles  ou  par  des  couleurs,  dans  des  livres 
ou  sur  des  tableaux  ^  »  D'un  autre  côté  les  gnostiques  étaient 
dévoués  à  Dieu  le  fils.  Enfin  la  théologie  déclarait  que  toutes 
choses  avaient  été  faites  par  le  Fils  ou  le  Verbe.  Toutes  ces 
causes  réunies  produisirent  une  innombrable  quantité  de 
portraits  représentant  Jésus. 

Les  gnostiques ,  ennemis  du  Père ,  avaient  proscrit  son 
image  ;  mais ,  favorables  au  Fils ,  ils  peignirent  et  sculp- 
tèrent la  figure  du  Sauveur  dans  toutes  les  dimensions  et 
sous  toutes  les  formes.  Il  paraît  même ,  comme  le  croit 
M.Raoul-Piochette,  que  nous  devrions  aux  gnostiques  les  pre- 
miers portraits  de  Jésus ^.  «C'est  pour  l'usage  des  gnostiques 
et  par  la  main  de  ces  sectaires,  qui  avaient  entrepris,  à  di- 


'  «Quando  is  qui  cerni  non  potest  assumpta  carne  se  conspicuum  praebuerit,  tune  il- 
«  lius  déformes  imaginem.  Quum  ille  qui  in  forma  Dei  existens ,  ob  naturae  suae  excel- 
«lentiam,  quantitalis,  et  qualitalis,  et  magnitudinis  est  exsors,  forma  servi  accepta ,  ad 
«!  quantitatcm  qualilatemque  sese  conlraliens,  corporis  figuram  induerit,  lum  in  tabellis 
«  eum  exprime,  palamque  conspiciendum  propone  qui  conspici  voluit.  Ineffabilem  ipsius 
«  demissioiiem  désigna,  nativilatem  ex  Virgine,  baplismum  in  Jordane,transfiguralionem 
<i  in  Thabor,  cruciatus  illos,  quia  cruciatus  nos  exemerunt;  miracula  quœ  cum  carnis 
«  ministerio  patrarentur,  divinam  ipsius  naturam  et  eflicaciam  promerebant.  Salutdrem 
.1  Salvatoris  sepulluram  ,  resurrectionem  ,  ascensum  in  cœlum,  ha?c  omnia  cum  sermone, 
"■  tum  coloribus  describe,  tura  in  Hbris,  lum  in  tabellis.  »  (0pp.  S.  Job.  Damasceni,  Oratio 
tertia  de  imaginihns ,  t.  I,  p.  S/iQ.) 

*  Discours  sur  l'art  du  christianisme,  par  M.  Raoul-Rochelte ,  in-8°,  p.  i5-i8.  M.  Ro- 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  249 

verses  époques  et  sous  mille  formes  dilFérentes,  d'opérer  une 
combinaison  monstrueuse  de  quelques-uns  des  dogmes  du 
christianisme  et  des  superstitions  païennes,  que  furent  fabri- 
quées d'abord  de  petites  figures  du  Christ,  dont  ils  rapportaient 
le  premier  modèle  à  Pilate  lui-même ,  par  une  supposition  qui 
ne  pouvait  tromper  que  les  plus  ignorants  de  leurs  adeptes.  Ces 
statuettes  se  faisaient  d'or  ou  d'argent,  ou  d'autre  matière,  à 
l'instar  de  celles  de  Pythagore,  de  Platon,  d'Aristote  et  des 
autres  sages  de  l'antiquité,  que  les  sectaires  exposaient,  cou- 
ronnées de  fleurs,  dans  leurs  conciliabules,  et  qu'ils  hono- 
raient toutes  d'un  même  culte.  Telle  est,  en  effet,  l'assertion 
positive  de  saint  Irénée  \  confirmée,  ou  du  moins  reproduite 
par  saint  Epiphane^.  Cette  superstition,  qui  admettait  pareil- 
lement les  images  peintes  du  Christ,  était  surtout  en  vogue 
chez  les  gnostiques  de  la  secte  de  Carpocrate;  et  l'histoire  a 
conservé  le  nom  d'une  femme,  Marcellina,  afPdiée  à  cette 
secte,  pour  la  propagation  de  laquelle  elle  s'était  rendue  du 
fond  de  l'Orient  à  Piome,  et  qui ,  dans  l'espèce  de  petite  église 
gnostique  qu'elle  y  dirigeait,  exposait  à  l'adoration  de  ses  fi- 
dèles des  images  de  Jésus  et  de  saint  Paul,  d'Homère  et  de 
Pythagore.  Ce  fait,  qui  repose  sur  le  témoignage  grave  de  saint 
Augustin"^,  se  trouve  d'ailleurs  parfaitement  d'accord  avec  le 
trait  si  célèbre  de  l'empereur  Alexandre  Sévère,   qui  avait 

chetfe  cite  S.  Irénée ,  S.  Epiphane,  S.  Augustin,  Lampridius,  Jablonsky,  Fueldner, 
Heyne  et  Boltari  ;  on  a  conservé  toutes  ces  citations  dans  l'extrait  suivant  du  Discours, 

'   S.  Iren.  Advers.  hœres.  lib.  I,  cap.  xxv ,  §  6,  édition  de  Massuel. 

'  S.  Epiphan.  Hœres.  xxvii,  S  6.  Voyez  à  ce  sujet  la  dissertation  de  Jablonsky,  de 
Oriqine  imaginuin  Christi  Doinini  in  Ecclesia  cliristiuna,  $  \o,  dans  ses  Opusciil.  phllol. 

t.  m,  p.  394-396. 

'  S.  Augustin,  de  Hœresih.  cap.  vu  :  «  Seclaeipsius  (Carpocratis)  fuisse  traditur  socia 
"  quaedam  Marcellina,  quœ  colebat  imagines  Jesu  et  Pauli ,  et  Homeri  et  I^ythagorae, 
«  adorando  incensumque  ponendo.  »  (Voyez  la  dissertation  de  Fueldner,  sur  les  carpo- 
cratiens  ,  dans  le  Dritte  Denhchrijt  derHist.  theol.  GeseUschaft  zu  Leipzig,  p.  267  et  suiv.) 

INSTRUCTIONS.  II.  32 


250  INSTRUCTIONS. 

placé  dans  son  laraire,  entre  les  images  des  philosophes  et 
des  princes  les  plus  révérés,  les  portraits  du  Christ  et  d'A- 
hraham,  opposés  à  ceux  d'Orphée  et  d'Apollonius  de  Tyane, 
et  qui  leur  rendait  indistinctement  un  culte  divin  ^  ;  en  sorte 
qu'on  ne  saurait  douter  que  cette  association  bizarre  n'ait  eu 
lieu  dans  le  sein  de  certaines  écoles  néoplatoniciennes,  comme 
de  plusieurs  sectes  gnostiques  ;  et  de  là  on  peut  conclure  que 
c'est  par  le  fait  de  ces  images  fabriquées  de  main  gnostique , 
que  les  chrétiens  se  laissèrent  induire  à  les  adopter  pour  leur 
propre  usage,  à  mesure  que  l'opinion  de  l'église  se  relâcha 
de  son  ancienne  aversion  pour  les  monuments  de  l'idolâtrie''. 
11  y  a  toute  apparence,  en  effet,  que,  dès  le  commencement  du 
m''  siècle,  les  images  du  Christ  circulaient  dans  les  mains 
des  fidèles,  de  ceux  du  moins  du  dernier  ordre,  particulière- 
ment â  Rome,  où  le  gnosticisme  avait  obtenu  à  cette  époque 
tant  de  faveur  et  gagné  tant  de  prosélytes.  » 

Les  images  miraculeuses,  que  n'avait  pas  faites  la  main 
des  hommes,  et  qui  pour  cela  étaient  dites  acheiropoiètes ;  Vi- 
mage  vraie  ou  apocryphe  peinte  sur  le  voile  de  sainte  Véro- 
nique; les  portraits  attribués  à  Nicodème,  à  Pilate  ou  à  saint 
Luc;  les  portraits  qui  avaient  cours  du  temps  d'Eusèbe;  la 
statue  érigée  à  Jésus-Christ,  dans  la  ville  de  Panéas,  par  flié- 

'  /El.  Lamprid.  in  Alexandr.  Sever.  cap.  xxix  :  oin  larario  suo,  in  quo  et  divos  pri- 
«  cipes ,  sed  oplimos  (et)  eleclos,  et  animas  sanctiores,  in  queis  et  Apollonium,  et, 
«quantum  scriptor  suorum  temporum  dicit,  Christum,  Abraham  et  Orpheum ,  ethujus- 
«  modi  ceteros,  habebat,  ac  majorum  efTigies,  rem  divinam  faciebat.  u  Telle  est,  pour 
l'emploi  de  ce  texte,  la  leçon  proposée  par  Heyne.  (Voyez  sa  dissertation  de  Alexandr. 
Sever.  Imp.  religion,  miscell.  probant,  etc.  dans  ses  Opuscul.  Academ.  t.  VI,  p.  169-281  ; 
voyez  encore  à  ce  sujet  la  dissertation  de  Jablonsky,  de  Alexandre  Severo,  inipcratore  lio- 
mano ,  christianorum  sacris  per  gnosticos  initiato,  dans  ses  Opuscul.  philol.  t.  IV,  p.  38-79.  ) 
«Telle  est  aussi  l'induction,  dit  M.  Raoul -Rochelle,  que  tire  de  ces  témoignages  le 
pieux  et  savant  Botlari,  Pittare  e  sculture  sacre,  t,  I,  p.  196;  et  son  opinion,  formée  dans 
le  sein  de  l'orlhodoxie  catholique,  est  restée  celle  des  antiquaires  romains.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  251 

morroïsse  que  Jésus  avait  guérie  ^  :  tous  ces  faits ,  vrais  ou 
faux,  mais  dont  la  tradition  écrite  remonte  aux  premiers  siècles 
de  notre  ère,  prouvent  que  le  fds  de  Dieu  était  souvent  repré- 
senté par  la  sculpture  ou  la  peinture,  même  à  l'aurore  du 
christianisme.   Saint  Jean   Damascène  dit  qu'une  tradition , 
anciennement  accréditée  et  qui  régnait  de  son  temps,  recon- 
naissait Jésus  comme  auteur  d'un  de  ses  propres  portraits. 
Abgare,  roi  d'Edesse,  ayant  ajopris,  dit  le  Damascène,  tout  ce 
qu'on  racontait  du  Seigneur,  s'enflamma  de  l'amour  divin.  Il 
envoya  des  ambassadeurs  au  fds  de  Dieu  pour  l'inviter  à  venir 
le  voir.   Dans  le  cas  d'un  refus  du  Seigneur,  il  chargea  ses 
députés  de  faire  tirer  son  portrait  par  un  peintre.  Jésus,  à 
qui  rien  n'est  caché  et  qui  peut  tout,  ayant  connu  le  dessein 
d 'Abgare,  prit  un  morceau  d'étolfe,  y  appliqua  sa  figure,  et  y 
peignit  sa  propre  image.  Cette  image,  parfaitement  conservée, 
se  garde  encore  aujourd'hui,  ajoute  le  Damascène^. 

A  cette  époque  circulait  une  description  détaillée  de  la  fi- 
gure de  Jésus-Christ.  Le  signalement  qu'on  va  lire,  et  qui  est 
d'une  grande  valeur,  fut  envoyé  au  sénat  romain  par  P.  Len- 
tulus,  proconsul  en  Judée  avant  Hérode.  Lentulus  avait  vu  le 

^   Fabricius,  Codex  apocryphiis  Novi  Testamenti. 

'  Opéra  S.  Joh.  Damasceni,  in-f°,  vol.  I,  Orutio  prim.  de  imafjinibus ,  p.  Sao,  édit. 
de  Lequien,  Paris,  1712.  «Antiquitus  tradita  narratio  ad  nos  usque  pervenit  Abgarum 
«scilicel,  Edessae  regem ,  auditis  quse  de  Domino  ferebantur,  divino  succensum  ardore, 
«  légales  misisse,  qui  eum  ad  se  invisendum  invilarent;  sin  vero  abnueret ,  mandat  ut 
«  picloris  opéra  imaginera  ejus  exprimant. -Quod  eum  sciret  ille  oui  nibil  obscurum  est 
«  quique  omnia  potest,  acceplo  panne,  suaeque  faciei  admoto,  propriam  effigiem  appinxisse. 
«  Quae  ad  baec  usque  tempora  servatur  incolumis.  »  —  Le  Damascène  ajoute,  pag.  63 1  et 
632  du  même  volume  :  «  Quin  et  ipse  omnium  Salvator  et  Dominus,  eum  adhuc  in  terra 
«  ageret  sancli  vultus  sui  expressam  in  texte  linee  effigiem,  Augare  cuidam  magnae 
«  Edessenorum  civilatis  régule  perThaddaeum  apestelum  misit.  Divino  namque  sui  vultus 
«  absterse  sudore,  cuncla  illius  lineamenta  in  linteo  servavit.  Quam  effigiem  prœmagni- 
«fica  celeberrimaque  Edessenerum  civitas  ad  hune  usque  diem,  haud  secus  atque  scep- 
«  trum  regium  relinens,  praeclare  gleriatur  et  exsullat.  » 

32. 


252  INSTRUCTIONS. 

Christ  et  l'avait  fait  poser  devant  lui,  en  quelque  sorte,  pour 
dessiner  ses  traits  et  sa  physionomie.  Ce  portrait,  tout  apo- 
cryphe qu'il  soit,  n'en  est  pas  moins  un  des  premiers  que  nous 
connaissions;  il  date  des  premiers  temps  de  l'Eglise,  et  les 
plus  anciens  Pères  l'ont  mentionné.  Lentulus  écrit  donc  au 
sénat  :  «  Dans  ce  temps  apparut  un  homme,  qui  vit  encore  et 
qui  est  doué  d'une  grande  puissance  :  son  nom  est  Jésus-Christ. 
Ses  disciples  l'appellent  fds  de  Dieu  ;  les  autres  le  regardent 
comme  un  prophète  puissant.  11  rappelle  les  morts  à  la  vie; 
il  guérit  les  malades  de  toute  espèce  d'inhrmités  et  de  lan- 
gueurs. Cet  homme  est  d'une  taille  haute  et  bien  proportion- 
née; sa  physionomie  est  sévère  et  pleine  de  vertu,  de  façon 
qu'à  le  voir  on  puisse  l'aimer  et  le  craindre  aussi.  Les  poils 
de  sa  tête  ont  la  couleur  du  vin,  et,  jusqu'à  la  naissance  des 
oreilles,    sont-  droits   et  sans  éclat.    Mais,  des  oreilles  aux 
épaules,  ils  brillent  et  se  bouclent.  A  partir  des  épaules,  ils 
descendent  dans  le  dos,  distribués  en  deux  parties  à  la  façon 
des  Nazaréens.  Front  pur  et  uni ,  figure  sans  tache  et  tem- 
pérée d'une  certaine  rougeur,  physionomie  noble  et  gracieuse. 
Le  nez  et  la  bouche  sont  irréprochables.  La  barbe  est  abon- 
dante, de  la  couleur  des  cheveux,  et  fourchue.  Les  yeux  sont 
bleus  et  très-brillants.  A  reprendre  et  à  blâmer,  il  est  redou- 
table; à  instruire  et  exhorter,  il  a  la  parole  aimable  et  cares- 
sante. La  figure  est  d'une  gravité  et  d'une  grâce  merveilleuses. 
Personne  ne  l'a  vu  rire  une  seule  fois;  mais  on  l'a  vu  plutôt 
pleurera  Elancé  de  corps,  il  a  les  mains  droites  et  longues,  les 
bras  charmants.  Grave  et  mesuré  dans  ses  discours,  il  est  sobre 

'  Le  texte  n'est  pas  suffisamment  clair,  et  la  rigueur  grammaticale  voudrait  peut- 
être  :  Personne  ne  l'a  vu  rire,  et  pas  même  pleurer.  Mais  l'Evangile  déclare  que  Jésus  a 
pleuré  sur  Lazare  et  sur  Jérusalem.  Une  des  larmes  versées  par  le  Christ  était  honorée 
spécialement  à  Vendôme,  qui  la  possédait.  Le  P.  Mabillon  a  fait  sur  celte  larme  une 
lettre  qui  est  célèbre. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  253 

de  paroles.  De  figure,  il  est  le  plus  beau  des  enfants  des 
hommes  '.  »  C'est  d'après  cette  ancienne  description  que  l'em- 
pereur Constantin  avait  fait  peindre  les  portraits  du  fds  de 
Dieu.  Au  viii*"  siècle,  du  temps  de  saiiU  Jean  Damascène,  les 
principaux  linéaments  de  cette  figure  remarquable  avaient 
persisté  comme  ils  persistent  encore.  La  chevelure  et  la  barbe, 
d'une  couleur  peu  déterminée  dans  la  lettre  de  Lentulus,  car 
le  vin  peut  être  blond,  doré,  rouge  ou  violet,  se  caractérisent 
nettement  dans  le  Damascène,  qui  ajoute  encore  la  couleur  de 
tout  le  visage.  Du  reste,  comme  Lentulus,  le  Damascène  se 
prononce  pour  la  beauté  du  Christ,  et  reproche  durement  aux 
manichéens  l'opinion  contraire.  Ainsi  donc  le  Christ,  qui  avait 
pris  la  forme  d'Adam ,  reproduisait  exactement  les  traits  de  la 
vierge  Marie.  «  Taille  élevée,  sourcils  abondants,  œil  gracieux, 
nez  bien  proportionné,  chevelure  bouclée,  attitude  légère- 
ment courbée,  couleur  élégante,  barbe  noire,  visage  ayant  la 
couleur  du  froment  comme  celui  de  sa  mère ,  doigts  longs ,  voix 
-sonore,  parole  suave.  Extrêmement  agréable  de  caractère,  il  est 
calme,  résigné,  patient,  entouré  de  toutes  les  vertus  que  la 

'  «Hoc  tempore  vir  apparuit  et  adhuc  vivit,  vir  praeditus  potentia  magna;,  nomen 
«  ejus  Jésus  Christus.  Homines  eum  prophelam  potenlem  dicunt;  discipuli  ejus  filium 
«Deivocant.  Morluos  vivificat,  et  œgros  ab  omnis  generis  asgriludinibus  et  morbis  sanat. 
«Vir  est  allae  stalurae  proportionate ,  et  conspectus  vullus  ejus  cum  severilate  et  plcnus 
«efficacia,  ut  spectatores  amare  eum  possint  et  rui-sus  timere.  Pill  capitis  ejus  vinei 
«coloris  usque  ad  fundamentum  aurium,  sine  radialione,  et  erecli;  et  a  fundamenlo 
«  aurium  usque  ad  humeros  contorti  ac  lucidi;  et  ab  bumeris  deorsum  pendenles,  bilido 
«  verlice  disposili  in  morem  Nazarœorum.  Frons  plana  el  pura;  faciès  ejus  sine  macula, 
«  quam  rubor  quidam  lemperalus  ornât.  Aspeclus  ejus  ingenuus  et  gratus.  Nasus  et  os 
«ejus  nullo  modo  reprebensibilia.  Barba  ejus  mulla,  et  colore  piloi'um  capitis,  bifur- 
«  cala.  Oculi  ejus  cœrulei  et  extrême  lucidi.  In  reprebendendo  et  objurgando  formida- 
«  bilis;  in  docendo  et  exborlando  blandae  linguœ  et  amabilis.  Gralia  miranda  vullus  cum 
«  gravitate.  Vel  semel  eum  ridentem  nemo  vidit,  sed  flenlem  imo.  Prolracla  slatura 
«corporis,  manus  ejus  reclye  et  ereclae,  bracbia  ejus  delectabilia.  In  loquendo  ponde- 
«  rans  et  gravis,  et  parcus  loquela.  Pulcberrimus  vullu  inler  homines  salos.  »  [Codex 
apocryphus  Nov.  Tcslam.  ap.  Fabricium,  Ilamburgi,  lyoS;  Ppars,  pag.  3oi,  3o2.) 


254  INSTRUCTIONS. 

raison  se  figure  dans  un  Dieu  homme  \  »  En  Occident,  cent 
ans  après  le  Damascène,  Jésus-Christ  apparaissait  toujours 
ainsi.  Saint  Anschaire,  archevêque  d'Hambourg  et  de  Brème, 
le  vit  haut  de  taille,  habillé  à  la  manière  des  Juifs,  beau  de 
visage.  Les  regards  du  Christ  lançaient,  comme  une  flamme,  la 
splendeur  de  sa  divinité;  mais  sa  voix  était  pleine  de  douceur^. 
Voici  maintenant  ce  que  nous  donnent  les  monuments.  Nous 
ne  tiendrons  pas  compte  des  abraxas  gnostiques,  ni  des  tes- 
sères  chrétiennes  en  pierre  ou  en  métal ,  ni  même  de  certaines 
peintures  des  catacombes  de  Rome,  et  qui,  abraxas,  tessères 
et  peintures,  portent  l'image  du  Christ;  car  ces  monuments 
sont  de  date  très-contestée  et  fort  contestable.  Mais  nous  pre- 
nons en  masse  les  plus  anciens  monuments  chrétiens,  c'est- 

'   «  Qui  cum  impollulis  manibus  formaverit  hominem,  homo  ipse  ex  sancta  Virgine  ac 

«  Dei  génitrice  Maria  sine  mulatione  aul  variatione  factus,  carni  communicavit  et  san- 

;  guini,  animal  rationale,  intelligentiaB  et  scientiae  capax,  trium  forte  cubilorum  magni- 

ludine,  carnis  crassitic  circumscriplus,   nostrae  simili  forma  conspecius  est,  maternae 

•  similitudinis  proprietates  exacte  referens ,  Adamique  formam  exliibens.  Quocirca  de- 
I  pingi  eum  curavit  (Conslantinus  Magnus),  quali  forma  veteres  historici  descripsere  : 
«  praestanli  slatura,  confertis  superciliis,  venustis  oculis,  juslo  naso,  crispa  caesarie,  sub- 
■<  cm'vum ,  eleganti  colore,  nigra  barba,  trilicei  coloris  vultu  pro  materna  simililudine, 
'1  longis  digitis ,  voce  sonora,  suavi  eloquio,  blandissimum,  quietum  ,  longanimem  ,  pa- 
'(tientem,  bisque  affines  virlutis  dotes  circumferenlem,  quibus  in  proprietatibus  Dei 
»  virilis  ejus  ratio  repraesentatur  ;  ne  qua  mutationis  obumbratio,  aut  diversitalis  variatio 
«in  divina  Verbi  humanatione  deprehenderetur  veluti  Manichaei  delirarunt.  »  (0pp.  S. 
.loh.  Damas,  tom.  I,  p.  63o,  63 1).  —  La  barbe  du  Cbrist,  ordinairement  roussâlre  au- 
jourd'hui ,  était  noire  à  cette  époque. 

'  «  Ecce  vir  per  ostium  veniebat ,  slatura  procerus,  judaico  more  veslitus,  vultu 
«  decorus  ;  ex  cujus  oculis  splendor  divinitalis,  velut  flamma  ignis,  radiabat.  Quem 
«inluitus,  omni  cunctatione  postposita,  Christum  Dominum  esse  credebat,  alque  pro- 
'(  currens  ad  pedes  ejus  corruit.  Cumque  prostratus  in  faciejaceret,  ille  ut  surgeret  im- 
I' peravit.  Cumque  surgens  coram  illo  reverenter  adstaret,  alque  prae  nimio  splendore 
«  oculis  ipsius  emicante  in  faciem  ejus  intendere  non  valeret,  blanda  voce  illum  alloculus 

•  est.»  [Act.  SS.  Ord.  S.  Bened.  VP  vol.  Vie  de  8.  Anschaire).  Saint  Anschaire  est 
mort  vers  864.  Sa  vie  a  été  écrite  par  saint  Rembert,  son  disciple  et  son  successeur. 
Saint  Anschaire,  comme  on  le  voit,  ajoute  le  costume  aux  détails  des  descriptions  pré- 
cédentes, et  s'appesantit  sur  l'éclat  extraordinaire  des  yeux- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  255 

à-dire  les  fresques  des  catacombes,  les  premiers  sarcophages, 
les  plus  vieilles  mosaïques  ;  puis  de  là  nous  passons  aux  ma- 
nuscrits à  miniatures,  aux  chapiteaux  des  églises  romanes, 
aux  voussures  et  aux  vitraux  des  églises  gothiques.  Voici  donc 
ce  que  nous  observons. 

Dans  la  série  des  monuments,  deux  faits  iconographiques  se 
développent  parallèlement.  La  ligure  du  Christ,  jeune  d'abord , 
vieillit  de  siècle  en  siècle,  à  mesure  que  le  christianisme  gagne 
lui-même  en  âge.  La  figure  de  la  Vierge,  au  contraire,  vieille 
dans  les  catacombes,  se  rajeunit  de  siècle  en  siècle;  de  quarante 
ou  cinquante  ans  qu'elle  avait  à  l'origine,  elle  n'a  plus  que  de 
vingt  à  quinze  ans  sur  la  fin  de  l'époque  gothique.  A  mesure 
que  le  fils  vieillit,  on  voit  la  mère  rajeunir.  Vers  le  xiii^  siècle, 
Jésus  et  Marie  portent  le  même  âge,  trente  ou  trente-cinq  ans 
à  peu  près.  La  mère  et  l'enfant,  qui  s'étaient  rencontrés  alors, 
se  quittent  ensuite  pour  s'éloigner  de  plus  en  plus  ^  Cette  jeu- 
nesse du  Christ,  qu'on  remarque  dans  les  plus  anciens  mo- 
numents chrétiens,  est  un  fait  doii[iinant  et  des  plus  curieux. 
C'est  ainsi  que  Jésus  apparaît  sculpté  sur  les  sarcophages, 
peint  sur  les  fresques  et  dans  les  mosaïques.  Jésus  est  un  beau 
jeune  homme  de  vingt  ans;  un  gracieux  adolescent  de  quinze, 
sans  barbe,  à  figure  ronde  et  douce,  tout  resplendissant  d'une 
jeunesse  divine,  comme  les  païens  représentaient  Apollon, 
comme  les  chrétiens  figurent  les  anges.  Il  est  assis  sur  une 

'  Dans  Saint-Pierre  de  Rome,  on  admire  un  groupe  de  la  Vierge  et  du  Christ  mort 
sculpté  par  Michel-Ange;  c'est  le  seul  ouvrage  que  le  grand  artiste  ait  signé.  «Ce  chei- 
d'œuvrë,  I)  dit  Vasari,  «  couvrit  de  gloire  Michel -Ange  et  étendit  sa  renommée  au  loin.  11  y 
eut  cependant  des  sots  qui  prétendirent  que  l'arlisle  avait  donné  au  visage  de  la  Vierge  un 
trop  grand  air  de  jeunesse.  Ces  ignorants  ne  savent  donc  pas  que  les  femmes  chastes  et 
pures  conservent  longtemps  les  grâces  de  la  jeunesse  ?  11  devait  en  être  autrement  pour  le 
Christ,  qui  avait  essuyé  toutes  les  vicissitudes  de  Thumanilé,  »  (  Vasari,  Vies  des  Peintres, 
Vie  de  Michel-Ange,  trad.  et  annot.  par  MM.  Leclanchéet  Jeanrou,  t.  V).  L'explication 
que  Vasari  donne  de  la  jeunesse  de  la  Vierge  et  de  l'âge  avancé  du  Christ  est  très-curieuse. 


256  INSTRUCTIONS. 

chaise  curule,  comme  un  jeune  sénateur,  dont  il  porte  la 
longue  robe  et  la  toge;  ou  bien  il  est  debout  sur  la  montagne 
mystique  d'où  partent  les  sources  des  quatre  fleuves  sacrés  ^;  il 
est  chaussé  de  sandales  attachées  par  des  bandelettes;  il  tend 
le  bras  droit  et  ouvre  la  main;  il  tient  à  la  gauche  le  volume 
antique  déployé  ou  roulé.  C'est  une  charmante  figure  qui  ne 
ressemble  en  rien  aux  figures  du  Christ  consacrées  depuis  par 
l'art  chrétien. 

66.  JÉSDS    IMBERBE. 

Sculpture  romaine  du  iv'  siècle  -. 


On  pourrait  croire  que  ce  Jésus  représente  l'enfant  divin 
enseignant  dans  le  temple  avant  sa  prédication ,  et  que  cette 
jeunesse  est  un  âge  naturel  et  non  pas  symbolique.  Mais  Jésus 

'  «  Quatuor  paradisi  flumina  quatuor  sunt  evangelia  ad  praedicationem  cunctis  gen- 
«  tibus  missa.  (S.  Eucher,  in  Gènes,  lib.  I,  cap.  m).  (Cf.  Bède,  Isidore  de  Séville  et  G. 
Durand.)  Bède  [in  Gènes,  cap.  ii)  dit  :  «Quatuor  paradisi  flumina,  quatuor  cvangelislae.  » 
Page  68,  pi.  23,  nous  avons  donné  un  agneau  de  Dieu  debout  sur  un  monticule  d'où 
s'échappent  les  quatre  fleuv(>s  symboliques.  Plus  bas ,  page  332 ,  on  voit  Jésus  et  son 
agneau  divin;  ils  sont  debout  tous  deux  sur  la  montagne  aux  quatre  sources,  et  sont 
accompagnés  de  six  apôtres  figurés  de  même  en  six  agneaux. 

*  Ce  jeune  Dieu  fait  partie  des  sculptures  qui  décorent  le  célèbre  tombeau  de  Junius 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  257 

ainsi  représenté  pose  les  pieds  sur  le  ciel,  où  il  est  remonté 
après  son  ascension,  ou  bien  il  donne  ses  dernières  instruc- 
tions à  ses  apôtres,  ou  bien  il  condamne  au  travail  Adam  et 
Eve;  tous  actes  antérieurs  à  sa  naissance  humaine  ou  posté- 
rieurs à  sa  mort.  De  plus  on  le  voit  ainsi  accomplissant  les 
merveilles  de  sa  vie  :  ressuscitant  Lazare,  guérissant  l'aveugie- 
né,  le  paralytique  et  l'hémorroïsse;  bénissant  et  multipliant 
les  pains  et  les  poissons;  enfin  on  le  voit  devant  Pilate 
qui  le  condamne  à  mort.  Or  tout  cela  s'est  fait  pendant  la  vie 
publique  de  Jésus,  après  son  baptême,  et  lorsqu'il  avait  de 
trente  à  trente-trois  ans.  Il  ne  peut  y  avoir  de  doute;  ce  n'est 
pas  l'enfant,  c'est  l'homme.  Mais  cet  homme,  qui  a  plus  de 
trente  ans  dans  l'histoire,  n'en  a  que  douze,  quinze  ou  vingt 
dans  l'art.  L'art  a  donc  exprimé,  par  ce  fait,  une  idée  que 
nous  tâcherons  de  faire  connaître;  mais,  auparavant,  il  faut 
achever  de  signaler  ces  portraits  de  Jésus. 

Dans  la  première  et  la  seconde  période  de  l'art  chrétien , 
c'est-à-dire  du  ii^  ou  du  iii^  siècle  jusqu'au  x*",  jusqu'au  règne 
des  premiers  Capétiens,  le  Christ  est  représenté  le  plus  sou- 
vent jeune  et  imberbe.  Cependant  ce  n'est  pas  en  vain  que 
Lentulus  et  le  Damascène  ont  déclaré  que  le  Christ,  comme 
un  homme  mûr,  portait  une  barbe  abondante,  fourchue, 
noire  ou  colorée  comme  le  vin.  A  côté  de  ces  Jésus  imberbes, 

Bassus.  Bassus  est  mort  en  Sôg,  et  le  sarcophage  paraît  dater  de  cette  époque.  Sous  ce 
Jésus, .qui  donne  ses  instructions  à  ses  deux  grands  apôtres,  sainlPierre  et  saint  Paul, 
on  voit  le  Dieu,  jeune  et  imberbe,  assis  sur  une  ânesse  et  prêt  à  faire  son  entrée  dans 
Jérusalem.  Cette  extrême  jeunesse  est  donc  symbolique  et  non  pas  naturelle;  car  Jésus, 
lors  de  son  entrée  dans  Jérusalem,  le  jour  des  Rameaux,  avait  au  moins  trente-trois 
ans.  Suivant  saint  Irénée,  Jésus-Christ  était  encore  plus  âgé.  Guillaume  Durand  dit  : 
«Et  nota  quod  Chrislus  completis  triginta  duobus  annis  et  mensibus  tribus,  vel,  secun 
"  dum  Chrysostomum,  Irigiula  tribus  el  dimidio,  crucifixus  est  eadem  die  qua  conceptus 
«est  de  Virgine,  scilicet  in  sexla  feria  quœ  fuit  octavo  kalend.  aprilis.  i  {Rat.  div.  oJJ. 
lib.  VI,  cap.  Lxxvii,  de  die  Parasceves,  n°  28.) 

INSTRUCTIONS.  II-  33 


258  INSTRUCTIONS. 

et  à  la  même  époque,  nous  avons  des  Jésus  barbus,  beaux 
hommes  de  trente  à  trente-cinq  ans,  qui  ne  démentent  pas  les 
descriptions  que  nous  venons  de  lire.  Les  sarcophages  et  les 
peintures  des  catacombes,  les  anciens  tombeaux  d'Arles,  nous 
offrent  de  ces  Jésus  âgés  et  barbus;  mais  ils  sont  beaucoup 
moins  nombreux  que  les  autres  \  et  l'on  pourrait  dire,  à  la  ri- 
gueur, qu'ils  font  exception.  Un  des  sarcophages  du  Vatican 
présente  même  une  particularité  intéressante  \  Le  Christ  y  est 
figuré  dans  quatre  scènes  différentes  :  dans  l'une,  celle  où  il 
guérit  l'hémorroïsse,  qui  se  jette  à  ses  pieds,  il  est  barbu;  mais 
dans  les  trois  autres,  où  il  donne  sa  loi  à  ses  apôtres^,  où  il 
prédit  son  reniement  à  saint  Pierre,  où  il  comparaît  devant  Pi- 
late,  il  est  jeune  et  imberbe.  Jusqu'aux  Capétiens,  c'est  ce  type 
de  la  jeunesse,  de  la  grâce,  de  la  beauté  délicate  et  de  la  bonté 
charmante  qui  prédomine.  Hroswitlia,  la  célèbre  religieuse  du 
couvent  de  Gandersheim,  en  basse  Saxe,  voit  encore  le  Christ  en 
jeune  homme.  Dans  sa  comédie  de  CaUimachus,  où  elle  met 
en  scène  la  résurrection  de  Drusiana  par  saint  Jean  évangéliste, 
l'apôtre  ami  du  Christ  dit  à  Andronicus,  mari  de  Drusiana  : 
«  Voyez,  Andronicus!  le  Dieu  invisible  se  montre  à  vous  sous 
une  forme  visible.  11  a  pris  les  traits  d'un  beau  jeune  homme''.  » 
Ainsi ,  à  la  fin  du  x*"  siècle,  sous  l'empereur  Othon  II,  le  Christ 

'  Roma  sotter.  pag.  61,  63,  etc.  Dans  l'Histoire  du  nimbe  et  dans  celle  de  Dieu  le 
Père ,  nous  avons  donné  plusieurs  dessins  où  Jésus  est  barbu  ;  nous  allons  en  voir 
d'autres  encore. 

■  Il  est  gravé  dans  la  Roma  sotter.  p.  85  et  87.  Le  sarcophage  de  la  page  63  repro- 
duit le  même  fait.  Là,  aux  Rameaux  et  devantPilale,  Jésus  se  montre  imberbe;  mais  il  est 
barbu  lorsqu'il  donne  sa  loi  à  ses  apôtres.  Ce  Jésus  barbu  est  le  Jésus  aux  sept  agneaux 
que  nous  donnerons  plus  bas,  page  332. 

Nous  avons  donné  ce  sujet  page  54,  pî.  »8. 

Voyez,  à  la  bibliothèque  Mazarine,  Opéra  Hrosvite,  illustris  virginis  et  monialis  ger- 
mane  (sic)  gentis  Saa;onia  orle,  imper  a  Conrado  Celle  inventa.  C'est  un  petit  in-folio 
rarissime,  avec  gravures  et  ornements  sur  bois  du  xv''  siècle. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  259 

est  encore  un  adolescent,  un  jeune  liomme  imberbe.  Mais,  aux 
approches  de  l'an  mil,  tout  s'était  rembruni.  La  croyance  à  la 
fin  du  monde  ne  lut  peut-être  pas  aussi  répandue  qu'on  l'a  dit, 
et  l'on  a  probablement  exagéré  son  influence  sur  l'art.  Cepen- 
dant les  événements  qu'on  venait  de  traverser  étaient  sombres; 
les  mœurs  d'où  l'on  sortait  à  peine  étaient  grossières,  et  la  so- 
ciété ecclésiastique,  livrée  aux  hommes  d'armes  et  à  la  vio- 
lence, ne  pouvait  plus  se  contenter  de  ce  jeune  Dieu  si  miséri- 
cordieux, qui  guérit  toutes  les  infirmités,  soulage  toutes  les 
misères  et  sourit  constamment  à  tous.  11  lui  fallait  un  Dieu  plus 
sévère  pour   elTrayer  les  descendants  de  ces  Normands  qui 
avaient  mis  la  France  à  feu  et  à  sang.  Donc,  dès  le  xi^  siècle, 
le  x^  même ,  les  artistes  font  de  Jésus-Christ  un  homme  dur  d'at- 
titude et  triste  de  physionomie.  Au  jugement  dernier,  le  Christ 
est  inexorable  d'expression  lorsqu'il  condamne  les  méchants. 
C'est  aux  damnés,  et  non  aux  élus,  qu'il  s'adresse;  on  le  voit 
foudroyant  ceux-là  de  ses  regards  au  lieu  de  rassurer  ceux-ci 
de  sa  parole.  Dans  les  sarcophages  et  les  fresques,  même  dans 
les  mosaïques  anciennes,  on  s'était  attaché  à  représenter  les 
miracles  de  Jésus,  les  faits  de  cette  vie  bienfaisante  qui  se  passe 
à  guérir  les  maladies  du  corps  et  à  charmer  les  soulTrances  de 
l'âme ^  De  la  Passion  on  n'avait  indiqué  que  le  commencement, 
et  de  ce  commencement  on  avait  écarté  la  Cène,  l'agonie  du 
jardin  des  Oliviers,  latrahisonde  Judas,la  prise  de  Jésus,  pour 
ne  montrer  que  la  condamnation  au  moment  où  Pilate  se  lave 
les  mains  en  s'écriant  qu'il  est  innocent  de  la  mort  de  ce  juste. 
Mais,  du  x^  siècle  au  xif ,  on  se  contente  d'indiquer,  on  traite 
en  passant,  ou  l'on  saute  totalement  des  miracles  de  charité, 
pour  développer  en   détail   tous  les   épisodes  de  la   Passion 

'  C'est  au  Jésus  de  cette  époque  surtout  qu'on  peut  constamment  appliquer  le  «  per- 
«  transiit  benefaciendo  »  de  l'Evangile. 

33. 


260  INSTRUCTIONS. 

jusqu'au  crucifiement.  Au  jugement  dernier,  Jésus  n'est  plus 
imberbe,  souriant  et  assis  sur  le  ciel  ou  le  monde  personni- 
fiés; mais  on  le  voit  barbu,  sévère,  inexorable. 

Un  motif  affectionné  par  les  premiers  cbrétiens,  et  repro- 
duit à  satiété  sur  les  sculptures  et  les  peintures  des  cata- 
combes, a  totalement  disparu  à  paMir  de  fan  mil;  c'est  celui 
du  bon  Pasteur.  Dans  les  siècles  primitifs,  on  est  ému  par  le 
passage  de  TEvangile  où  Jésus  se  compare  au  bon  pasteur  qui 
abandonne  dans  le  désert  son  troupeau  tout  entier  pour  aller 
à  la  rechercbe  d'une  brebis  égarée,  et  qui,  fayant  retrouvée, 
la  met  sur  ses  épaules,  et,  malgré  le  poids  du  fardeau,  la  lon- 
gueur et  la  difficulté  du  cbemin ,  la  ramène  avec  joie  au  ber- 
cail ^  Alors  on  s'ingénie  à  représenter  cette  scène  dans  toutes 
ses  variétés  possibles,  et  Ton  invente  mille  modifications  dans 
le  but  de  faire  éclater  de  plus  en  plus  la  bonté  du  Sauveur. 
Mais  du  xi""  siècle  jusqu'au  xvi%  les  monuments  figurés 
n'offrent  plus  aucune  trace  de  cette  consolante  parabole.  On 
dirait  que  le  cœur  de  Jésus  s'est  endurci  par  fingratitude  de 
ses  brebis,  si  douces  et  si  cbéries  autrefois". 

Le  christianisme  a  passé  le  printemps,  où  tout  sourit,  pour 
entrer  dans  fêté ,  où  la  n  ature  est  puissante ,  mais  orageuse ,  alors 
que  toutes  choses  mûrissent  sous  les  âpres  ardeurs  du  soleil,  et 
que  les  grondements  du  tonnerre  effrayent  les  imaginations. 

Le  but  que  se  proposaient  les  artistes  et  le  clergé,  en  faisant 
le  Christ  jeune  et  souriant  dans  la  première  période  de  fart, 
vieux  et  sévère  dans  la  seconde,  était  bien  de  charmer  et  d'é- 
pouvanter les  âmes,  car  on  lit  fintéressante  histoire  qui  suit 
dans  Orderic  Vital,  né  en   1076,  et  qui  écrivait  son   His- 

'  s.  Luc,  ch.  XV,  V.  4-6. 

^  Voyez  plus  bas,  page  345  et  noie  2  ,  page  344,  un  dessin  et  des  remarques  sur 
la  figure  du  bon  Pasteur. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  261 

toire  de  Normandie  dans  les  premières  années  du  xii''  siècle. 

«  Un  jour  des  chevaliers  oisifs  jouaient  et  causaient  ensemble 
dans  la  salle  du  château  de  Couches;  ils  s'entretenaient, 
comme  c'est  l'usage  de  telles  personnes,  de  différents  sujets, 
en  présence  de  madame  Elisabeth.  Alors  l'un  d'entre  eux  parla 
ainsi  :  «  J'ai  eu  dernièrement  un  songe  dont  j'ai  été  fort  effrayé; 
«je  voyais  le  Seigneur  attaché  à  la  croix,  ayant  le  corps  tout 
«livide,  se  tourmentant  par  excès  d'angoisses,  et  me  consi- 
«  dérant  avec  un  regard  terrible.  »  Comme  il  racontait  ces 
choses,  ceux  qui  étaient  présents  dirent:  «  Ce  songe  est  grave 
«et  fait  pour  effVayer;  il  paraît  vous  menacer  de  la  part  de 
«Dieu  d'un  jugement  horrible.»  Cependant  Baudouin,  fils 
d'Eustache,  comte  de  Boulogne,  ajouta  :  «Et  moi  aussi,  der- 
«nièrement,  je  voyais  en  songe  le  Seigneur  Jésus  pendant  à 
«la  croix,  mais  brillant  et  beau.  Il  me  souriait  agréablement, 
«  et,  me  bénissant  de  la  main  droite,  il  fit  le  signe  de  la  croix 
«  avec  bonté  sur  ma  tête.  »  Les  assistants  répondirent  :  «  Une 
«  telle  vision  paraît  vous  annoncer  la  douceur  d'une  grande 

«  grâce.  » Peu  après le  premier  chevalier  reçut  une 

blessure  mortelle  dans  une  certaine  expédition,  et  périt  sans 
confession  et  sans  viatique.  Quant  à  Baudouin,  gendre  de 
Raoul  de  Couches,  il  prit  la  croix  du  Seigneur  sur  fépaule 
droite,  et,  par  Tordre  du  pape  Urbain,  il  fit  partie  de  fheureux 

pèlerinage   contre  les  païens 11  fut  fait  gouverneur  de 

Rages  ou  d  Edesse  ;  quelques  années  après ,  à  la  mort  de  son  frère 
Godefroy ,  il  posséda  longtemps  le  royaume  de  Jérusalem  ^  » 

Les  Christs  de  cette  période  sont  plus  souvent  terribles , 
comme  celui  du  chevalier  mort  sans  viatique  et  sans  conles- 

'  Orderici  Vilalis  ulicensis  monachi  Ecclesiast.  Hist.  lib.  VIII,  ad  annum  1090, 
p.  688  et  689,  dans  Diichesne,  Hist.  norm.  script.  —  Voyez  l'excellente  édition  d'Orderic 
Vital  que  M.  Aiig.  Leprévosl  publie  en  ce  moment. 


262  INSTRUCTIONS. 

sion ,  (jue  brillants  et  beaux  comme  le  Christ  de  Baudouin, 
Cependant  oa  ne  passe  pas  sans  transition  des  portraits  presque 
toujours  jeunes  aux  portraits  constamment  âgés  ;  dans  cer- 
taines localités,  plus  douces  de  mœurs  ou  plus  en  retard  sur 
la  coutume  régnante,  on  rencontre  quelquefois  encore  des  Jé- 
sus souriants  et  jeunes.  A  partir  du  xii*"  siècle,  ces  exceptions 
deviennent  de  plus  en  plus  rares.  Jésus  s'attriste  davantage  et 
se  montre  surtout  à  sa  passion  et  au  dernier  jugement.  Alors 
il  est  vraiment  redoutable;  c'est  bien  le  «  Rex  tremendœ  ma- 
«  jestatis  »  de  notre  Dies  irje  ;  c'est  presque  le  Dieu  des  Juifs 
voulant  que  la  crainte  soit  le  commencement  de  la  sagesse  ^ 
Dans  les  Jugements  derniers  sculptés  aux  voussures  et  peints 
aux  rosaces  de  nos  cathédrales,  le  Christ  semble  insensible  aux 
prières  de  sa  mère,  qui  est  placée  à  sa  droite;  de  saint  Jean 
évangéliste,  son  ami,  ou  de  saint  Jean-Baptiste,  son  précur- 
seur, qui  sont  placés  à  sa  gauche.  Il  écrase  les  méchants  en 
leur  montrant  les  trous  de  ses  mains,  de  ses  pieds  et  de  son 
côté;  il  les  noie  dans  le  sang  qui  coule  de  ses  plaies.  Les  Grecs, 
plus  hébraïsants  que  les  Latins ,  ont  un  Christ  plus  terrible 
encore.  Les  fresques  byzantines  appliquées  contre  le  mur  occi- 
dental, en  dedans-  et  même  en  dehors^,  représentent  ordi- 
nairement le  Jugement  dernier.  Là ,  on  voit  le  Christ  assis  sur 
un  trône  ;  il  est  entouré  d'anges  qui  tremblent  de  frayeur  en 
entendant  les  redoutables  malédictions  qu'il  lance  sur  les  pé- 
cheurs. Non-seulement  ce  Dieu  est  juge  comme  chez  nous ,  mais 
il  exécute  lui-même  son  jugement.  A  peine  a-t-il  porté  la  sen- 
tence de  réprobation ,  qu'à  sa  voix  un  lleuve  de  feu  sort  de  son 
trône,  de  dessous  ses  pieds,  et  dévore  les  coupables.  Ces  re- 

'    «Inilium  sapienliae  tinior  Domi ni.  »  Psaume  ex  ,  v.  lo. 

^  Comme  dans  l'église  principale  du  couvent  de  Salamine ,  appelé  Panagia  -  Phane- 
roméni. 

'  Comme  dans  la  grande  église  du  couvent  de  Vatopcdi ,  au  mont  Alhos. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  263 

présentations,  traitées  ordinairement  avec  un  talent  remar- 
quable ,  traduisent  littéralement  un  texte  de  saint  Jean  de  Damas 
qui  fait  autorité  aujourd'hui  encore  ^  Le  christianisme  de  l'O- 
rient est  beaucoup  moins  doux  et  bienveillant  que  le  nôtre. 
Ainsi,  au  couvent  de  Sainte-Laure  du  mont  Atbos,  on  voit, 
dans  un  médaillon  d'où  partent  des  flammes,  Jésus-Christ  peint 
en  buste.  Le  fds  de  Dieu  tient  de  la  main  gauche  un  livre 
ouvert,  et  de  la  droite  une  épée  nue.  On  sent  comme  revivre, 
dans  une  pareille  représentation,  la  religion  païenne,  la  reli- 
gion de  la  force ,  ou  tout  au  moins  le  judaïsme  de  Moïse  et  d'Isaïe, 
On  dirait  que  le  Christ  du  mont  Atbos  donne  à  choisir  entre  la 
foi  et  la  mort,  entre  le  livre  et  le  glaive.  Cette  peinture,  qui  est 
du  xv!*"  siècle,  semble  trahir  en  outre  comme  un  esprit  maho- 
métan.  Les  Grecs  ont  beaucoup  pris  aux  Turcs,  et  ce  Christ  de 
Sainte-Laure  en  est  une  preuve  intéressante  ;  on  croirait  que 
Jésus  s'est  déguisé  en  Mahomet.  C'est  effectivement  avec  le 
Coran  d'une  main  et  le  cimeterre  de  l'autre  que  s'opéraient 

'  Voici  le  texte  du  Damascène  :  «  Nam  ,  rogo ,  ubi  reprœsen  tante  imagine  secundum 
(1  Chrisli  Dei  nostri  advcnlum  inspexeris,  quando  veniat  in  majestate;  angelos  item  in- 
"  numera  multitudine  cum  timoré  et  Iremore  ejus  adsislentes  tin  ono  ;  igneum  flumen  , 
«quod  de  throno  egrediens  peccatores  dévorât.  »  (  0pp.  S.  Joli.  Damas.  Oralio  adversns 
Constantinum  Cahalinum,  vol.  I,  p.  619)  Dans  le  manuscrit  d'HeiTade  [Hori.  délie), 
qui  est  de  1 180 ,  on  voit,  au  Jugement  dernier,  le  Christ  assis  sur  un  arc-en-ciel;  il  est 
dans  une  auréole  ovale,  posant  ses  pieds  percés  et  saignants  sur  un  second  arc  en-ciel, 
montrant  ses  mains  saignantes  et  son  côté  ouvert  et  saignant.  Sous  cette  redoutable 
figure ,  on  lit  :  «  Deus  manifeste  veniet  et  non  silebit  -,  ignis  in  conspeclu  ejus  exardescet , 
«in  circuitu  ejus  tempestas  valida.  Ignis  ante  ipsum  precedet  et  inflammabitin  circuitu 
«  inimicos  ejus.»  Ce  feu,  comme  dans  les  peintures  grecques  et  dans  le  texte  du  Da- 
mascène, sort  des  pieds  du  Christ  et  va  envelopper  les  faux  prophètes  «qui  per  inspi- 
«  rationem  et  incantationem  immundorum  spirituum  ventura  predixerunl,  vel  qui  vera 
«  dixerunt  et  falsa  operali  sunt.  —  Omnes  superbi  et  onmes  facientes  impietates  erunt 
«  quasi  stipula.  »  —  On  voit  que  rien  n'est  plus  conforme  aux  opinions  et  à  l'art  de 
l'Orient.  Il  fallait  que  l'esprit  byzantin  fût  bien  puissant  dans  le  couvent  de  Sainte- 
Odile,  peur  que  des  femmes  et  des  religieuses  de  notre  pays  prissent  un  parli  aussi 
violent  dans  la  l'eprésentation  du  Jugement  dernier. 


264  INSTRUCTIONS. 

les  conquêtes  religieuses  de  Mahomet  et  de  ses  successeurs. 
Conformément  au  génie  grec  et  au  texte  du  Damascène,  le 
manuscrit  de  Panselinos  recommande  aux  peintres  de  faire 
le  Christ  terrible  au  jugement  dernier;  il  en  donne  cette  des- 
cription :  «  Le  Christ  est  assis  sur  un  trône  élevé  et  de  feu;  il  est 
vêtu  de  blanc  et  lance  la  foudre  au-dessus  du  soleil.  Tous  les 
chœurs  des  anges  sont  saisis  de  frayeur  et  tremblent  devant  lui. 
De  la  main  droite  il  bénit  les  saints;  mais  de  la  gauche  il 

indique  aux  pécheurs  le  lieu  des  gémissements Un  fleuve 

de  feu  sort  des  pieds  du  Christ;  les  démons  y  précipitent  les 
méchants Les  prophètes  sont  à  droite  et  à  gauche  du  ju- 
gement avec  des  rouleaux.  Malacliias  dit  :  «  Voici  :  le  jour 
u  vient  ardent  comme  une  fournaise,  pour  consumer  les  enne- 
'  mis  et  ceux  qui  commettent  l'iniquité.  Le  Seigneur  tout- 
"  puissant  les  châtiera  au  jour  du  jugement  et  donnera  leur 
'<  chair  au  feu  et  aux  vers  ^  » 

A  partir  de  la  seconde  période,  du  xi^  au  xvi^  siècle,  le 
Christ  est  donc  un  homme  dans  la  force  de  râge;il  a  toujours 
de  trente-cinq  à  quarante  ans  :  il  est  constamment  barbu, 
jamais  souriant,  et  sa  figure  est  sérieuse  quand  elle  n'est  pas 
triste.  C'est  un  fait  des  plus  extraordinaires  que  de  rencontrer 
un  Christ  imberbe  et  d'une  expression  satisfaite.  Cette  ano- 
malie est  cependant  offerte  par  la  cathédrale  de  Reims  et 
par  une  sculpture  de  la  fin  du  xuf  siècle,  pour  ne  pas  dire 
du  commencement  du  XIV^  Mais  la  cathédrale  de  Reims  est 
un  édifice  exceptionnel  et  tout  rempli  de  particularités  qui 
contredisent  les  autres  monuments  de  la  même  époque. 

Aux  xiii^  et  xiv*'  siècles,  naît  et  se  pratique  un  motif  icono- 
graphique dont  il  sera  question  avec  développements  dans  le 
chapitre  relatif  à  la  Trinité.  Alors  on  représente  Dieu  le  père 

Ep(irjvs(a  Trjs  !^œypa(pixv5.  Le  Clirist  lançant  la  foudre  rappelle  bien  le  Jupiter  tonnant. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  265 

assis  dans  le  ciel  et  tenant  entre  ses  bras  son  fils  attaché  à  la 
croix.  Ainsi  le  crucifié  se  voit  non-seulement  sur  la  terre,  où  il 
meurt  au  milieu  des  souffrances  qui  déforment  son  beau  corps, 
mais  il  vient  encore  attrister  le  ciel  de  ses  cruelles  angoisses. 
Désormais  la  croix,  instrument  de  son  supplice,  n'abandon- 
nera que  rarement  Jésus,  même  quand  on  le  montrera  triom- 
phant après  sa  mort.  Assurément  la  croix  entre  les  mains  de 
Jésus  est  pour  les  chrétiens  ce  que  l'arc-en-ciel  dans  les  nuées 
est  pour  Noé  et  sa  race  :  l'arc  annonce  qu'il  n'y  aura  plus  de 
déluge,  et  la  croix,  que  le  monde  est  désormais  sauvé.  Dieu, 
après  la  sortie  de  l'arche  et  après  la  mort  de  son  fils ,  fait  une 
alliance  éternelle  avec  l'homme;  il  sauve  son  corps  après  le 
déluge ,  il  sauve  son  âme  après  la  passion  de  Jésus.  Mais 
cependant  la  croix,  qui  est  un  signe  de  paix  pour  les  gens 
de  bien ,  est  en  même  temps  un  étendard  de  colère  pour  les 
méchants;  elle  rassure  et  elle  épouvante  tout  à  la  fois. 

Aux  xv''  et  xv!""  siècles,  on  renchérit  encore  sur  la  tristesse 
.des  époques  antérieures.  Les  ecce-homo ,  les  crucifix  ,  les  des- 
centes de  croix,  les  Christs  au  tombeau,  sont  réellement  à  la 
mode;  mais  nous  devons  les  signaler  sans  nous  y  arrêter  : 
ici,  on  le  répète,  il  s'agit  du  fils  de  Dieu ,  et  considéré  dans  sa 
nature  divine  et  non  dans  sa  nature  humaine.  Les  crucifix 
suivent  eux-mêmes  une  progression  de  tristesse  remarquable. 
Dans  les  temps  primitifs,  on  voit  la  croix,  mais  sans  le  divin 
crucifiée  Vers  le  vi^  siècle ,  on  parle  d'un  crucifix  exécuté  à 
Narbonne  ^  ;  mais  c'est  un  fait  étrange  et  qui  est  signalé  pour 

'  La  petite  statue  qui  vint  se  placer  miraculeusement  sur  la  croix  exécutée  par  Marc, 
artiste  contemporain  de  Dioclétien  ,  représentait  Emmanuel  et  non  le  Crucifié.  Emma- 
nuel, jeune  et  imberbe,  se  posa  sur  la  croix  entre  les  archanges  Michel  et  Gabriel,  mais 
il  n'y  était  pas  attaché.  (Voyez  Labbe ,  Concilioruni  collectio  maxima,  l.  VII,  col.  768, 
deuxième  concile  de  Nicée.) 

^  «Est  et  apud  Narbonensem  urbem,  in  ecclesia  seniore  quae  beati  Genesii  martyris 

INSTRUCTIONS.  —  II.  34 


266  INSTRUCTIONS 

sa  nouveauté.  Au  x*"  siècle,  quelques  crucifix  apparaissent  cà 
et  là,  mais  le  crucifié  s'y  montre  avec  une  physionomie  douce 
et  bienveillante;  il  est  d'ailleurs  vêtu  d'une  longue  robe  à  man- 
ches, laquelle  ne  laisse  voirie  nu  qu'aux  extrémités  des  bras  et 
des  jambes\  Aux  xi*"  et  xu''  siècles,  la  robe s'écourte, les  manches 
disparaissent  et  déjà  la  poitrine  est  découverte  quelquefois, 
parce  que  la  robe  n'est  plus  qu'une  espèce  de  tunique'.  Au  xiii** 
siècle,  la  tunique  est  aussi  courte  que  possible;  au  xiv%  ce  n'est 
plus  qu'un  morceau  d'étoHe  ou  même  de  toile  qu'on  roule  au- 
tour des  reins ,  et  c'est  ainsi  que  jusqu'à  nos  jours  Jésus  en  croix 
a  constamment  été  représenté.  En  même  temps  qu'on  attriste 
la  figure  du  Crucifié  et  qu'on  grave  les  souflVan  ces  physiques  sur 
son  corps  divin ,  en  même  temps  aussi  on  le  dépouille  de  la  robe 
et  du  petit  vêtement  qui  le  protégeaient.  On  a  même  étéplusloin, 
et,  chose  hideuse  à  dire,  on  a  représenté  entièrement  nu  Jésus 
attaché  à  la  croix.  Cette  nudité  absolued'un  Dieu  est  un  spectacle 
révoltant.  Je  dois  convenir  cependant  que  je  connais  un  seul 
exemple  de  cette  nudité  complète  ;  nous  le  trouvons  dans  un  ma- 
nuscrit de  la  Bibliothèque  royale  ^.  Jl  est  possible ,  il  est  probable 
qu'on  le  doit  à  une  erreur  du  miniaturiste;  mais,  tout  en  restrei- 
gnant notre  proposition ,  cette  erreur  ne  la  confirme  pas  moins. 

reliquiis  plaudit,  piclura  quai  Doniinum  noslrimi  qiiosi  praecinclum  linteo  indicat  cru- 
cilîxum.  »  (Grégoire  de  Tours  ,  De  Gloria  maiiyrum,  lib.  I,  cap.  xxui.) 

'  Ces  Christs  abondent  clans  les  cabinets  d'antiquités  cliiétiennes  ;  M.  du  Soniinerard 
en  possède  plusieurs.  Le  ciucitix  miraculeux  d'Amiens  ,  appelé  Sainl-Saulve  ,  est  coni- 
plélenienl  couvert  d'une  robe  à  plis  nombreux. 

*  On  ne  cite  pas  les  exemples,  parce  qu'ils  sont  innombrables. 
Heures  du  duc  d'Anjou,  P  i6a.  — Je  crois  en  avoir  vu  un  second  exemple  dans  la 
Bihliu  fticra,  n°  6839.  Si  je  me  le  rappelle  bien  ,  le  Christ  entièrement  nu  est  opposé  à  la 
miniature  qui  représente  le  prêtre  Eleazar  brûlant  une  vache  roui;e  hors  du  camp  des 
Hébreux.  l,e  rapprochement  établi  entre  cet  animal  rouge,  qui  périt  pour  les  péchés  des 
Israélites,  a  dû  l'aire  représenter  le  Christ  avec  la  barbe  et  les  cheveux  roux,  malgré  le 
texte  que  nous  avons  vu,  et  où  l'on  déclare  que  Jésus  était  brun,  (^imme  hoinme , 
Jésus  pouvait  être  brun  ;  il  était  roux  comme  personne  symbolique. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  267 

Nous  disons  donc  que  du  vi*"  siècle  au  xv^,  on  dépouille  succes- 
sivement le  Crucifié  jusqu'à  ce  qu'on  arrive  à  la  nudité  presque 
complète.  Le  fils  de  Dieu,  même  dans  le  ciel,  même  triomphant 
après  son  ascension  et  sa  victoire  sur  la  mort,  est  représenté  la 
couronne  d'épines  en  tête  et  la  croix  en  main.  Auxiii''  siècle,  ii 
était  vêtu  d'une  robe  et  d'un  manteau;  à  partir  du  xv^'iOn  le  voit 
fréquemment  dépouillé  de  sa  robe  et  à  peine  couvert  de  son 
manteau,  qui  laisse  voir  nus  ses  bras,  ses  jambes,  sa  poitrine  et 
son  côté  percé  d'une  lancée  On  s'enfonce  de  plus  en  plus  dans 
la  désolante  réalité,  et  l'on  arrive  à  Michel-Ange,  qui  montre 
Jésus-Christ,  au  jugement  dernier,  sous  l'aspect  d'un  Jupiter 
tonnant,  faisant  mine  de  vouloir  châtier  le  genre  humain  à 
coups  de  poing.  Triste  aberration  d'un  homme  de  génie  qui 
dégrade  ainsi  la  divinité  tout  entière,  et  particulièrement  celle- 
là  d'entre  les  trois  personnes  divines  que  son  amour  incroyable 
pour  riiumanité  a  fait  le  type  de  la  douceur  infinie.  Le  peintre 
florentin  a  été  plus  loin  encore  que  le  texte  du  Damascène 
et  les  fresques  byzantines;  car  son  Christ  est  sans  dignité, 
tandis  que  celui  des  -Grecs  est  dur,  mais  reste  noble.  C'est 
en  comparant  la  peinture  de  Michel-Ange  aux  sculptures  des 
sarcophages,  au  Jésus  du  tombeau  de  Junius  Bassus,  donné 
plus  haut,  qu!on  voit  surtout  la  diflerence  des  époques  et 
des  idées.  Qu'il  y  a  loin  en  efî'et  de  ce  Christ  impitoyable 
de  Michel-Ange,  à  cet  aimable  Dieu  des  anciens  sarcophages! 
Il  a  fallu  bien  des  siècles  et  bien  des  malheurs  j)Our  passer, 
dans  le  même  pays,  du  type  peint  sur  les  fresques  des  cata- 
combes à  celui  que  montre  la  fresque  de  la  chapelle  Sixtine. 
On  n'est  pas  arrivé  sans  transitions  de  cette  extrémité  à  l'autre, 
et  ces  transitions  composent  précisément  l'histoire  archéolo- 
gique du  fils  de  Dieu.  Michel-Ange  lui-même  n'est  que  la  der- 

^  Les  monuments  funéraires  de  cette  époque  le  représentent  presque  toujours  aiasi 


268  INSTRUCTIONS. 

nière  expression  d'une  idée  née  avant  lui,  et  l'on  a  fait  remar- 
quer avec  raison  que  son  Christ  était  sorti  de  celui  que  le 
peintre  Orcagna  a  placé  dans  le  Jugement  dernier  du  Gampo- 
Santo  et  dont  voici  le  dessin. 

(yn.  —  LE    SOUVERAIN    JUGE. 
Fresque  du  Campo-Santo  de  Pise,  xiv'  siècle. 


Michel-Ange,  on  le  voit,  a  copié  le  geste  d'Orcagna,  mais  sans 
le  comprendre.  Le  Christ  du  Campo-Santo  ne  menace  pas  les 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  269 

méchants;  il  leur  montre  la  plaie  de  son  côté,  qu'il  découvre 
de  la  main  gauche,  et  le  trou  de  sa  main  droite,  qu'il  lève  et 
qu'il  ouvre  en  même  temps.  Michel-Ange  a  cru,  dans  sa  ru- 
desse, que  ce  Christ  fulminait  quand  il  se  contentait  de  faire 
voir  ses  plaies.  Le  Christ  d'Orcagna  est  assis;  mais  celui  de  Mi- 
chel-Ange est  dehout,  et  cette  attitude  donne  à  son  Dieu  guer- 
rier un  caractère  plus  redoutable  encore.  Enfin  le  Christ  de 
Pise,  coiffé  d'une  tiare,  vêtu  de  somptueux  vêtements,  la  tête 
toute  pétillante  de  lumière,  est  un  pape,  est  un  Dieu,  et,  par 
celamême,  pacifique  et  assez  bienveillant  encore;  mais  le  Christ 
de  la  chapelle  Sixtine,  sans  nimbe,  sans  auréole,  et  nu-tête, 
n'est  qu'un  homme  et  un  homme  de  la  classe  la  plus  vulgaire. 
Jamais  Dieu  n'a  été  plus  abaissé  que  par  le  dur  artiste  de  Flo- 
rence. 

A  partir  de  la  renaissance  jusqu'à  nos  jours,  on  a  cherché 
à  rendre  à  cette  grande  figure  du  Christ  toute  sa  douceur  de 
physionomie,  toute  sa  bonté  ineffable,  et  l'on  a  fini  par  tom- 
ber dans  l'excès  contraire  à  celui  qui  avait  égaré  Michel- 
Ange,  c'est-à-dire  à  faire  des  Jésus  fades  et  langoureux,  aux 
cheveux  blonds,  aux  yeux  bleus,  à  la  figure  plutôt  sentimen- 
tale que  grave  et  sereine.  Il  faut  reconnaître  cependant  que  par 
de  louables  tentatives  on  cherche  à  ramener  le  Christ  au  beau 
type  qui  le  caractérisait  aux  xii''  et  xnf  siècles.  On  ne  peut 
qu'applaudir  à  cette  réaction  intelligente  contre  la  réalité  bru- 
tale et  farouche  des  xv*"  et  xvi"  siècles. 

Il  résulte  de  ce  qui  précède,  que  divers  types  figurés,  et  non 
pas  un  type  unique,  ainsi  qu'on  le  dit  à  tort,  ont  été  appli- 
qués à  Jésus-Christ.  Mais  cependant  toutes  ces  variétés  de  fi- 
gures peuvent  se  ramener  à  deux  :  ou  Jésus-Christ  est  jeune  et 
imberbe,  ou  il  est  barbu  et  à  l'âge  d'homme.  L'absence  de  barbe 
et  la  grâce  de  la  jeunesse  caractérisent  les  représentations  du 


270  INSTRUCTIONS. 

Fils  de  Dieu  depuis  les  preniiers  siècles  du  christianisme  jus- 
qu'aux approches  du  xif.  A  partir  du  xii*'  siècle  et  jusqu'à  nos 
jours,  Jésus  porte  la  harbeplus  ou  moins  fine  et  courte;  pour 
l'âge,  il  a  de  trente  à  quarante  ans.  Mais,  du  xf  au  xvi''  siècle, 
on  rencontre  quelquefois  des  Jésus  imberbes,  et  du  iv""  aux  xiii*' 
et  xiv%  on  voit  des  Jésus  barbus.  De  plus,  les  imberbes  de  la 
seconde  période  sont  très -rares,  tandis  que  les  barbus  de  la 
première,  même  dans  les  catacombes,  sont  très-fréquents.  Il 
convient,  à  cette  occasion,  de  signaler  une  question  qui  s'est 
agitée  particulièrement  dans  les  premiers  siècles  de  l'Eglise, 
et  qui  est  relative  à  la  beauté  ou  à  la  laideur  du  Christ. 

Certains  Pères ,  ceux  de  l'Église  africaine  particulière- 
ment, ont  donné  à  quelques  expressions  de  saint  Paul  une 
extension  qu'elles  ne  comportaient  pas.  L'apôtre  écrit  aux 
Philippiens,  et  leur  dit  :  «Jésus  s'est  anéanti  lui-même  en 
recevant  la  forme  d'un  esclave  et  en  prenant  la  ressemblance 
des  hommes;  à  l'extérieur  on  ne  voyait  qu'un  homme  en  lui^  « 
Un  Dieu  qui  se  fait  homme  s'anéantit  comme  Dieu ,  mais 
cet  homme  peut  cependant  se  revêtir  d'une  très-belle  forme 
humaine.  Les  chrétiens  d'Afrique ,  extrêmes  en  tout ,  exagé- 
rèrent la  pensée  de  saint  Paul;  ils  appliquèrent  à  l'huma- 
nité ce  que  l'apôtre  entendait  seulement  de  la  divinité.  D'ail- 
leurs, il  faut  le  dire,  ils  s'appuyaient  sur  le  texte  suivant 
d'Isaïe,  qui  dit,  en  parlant  du  Messie  :  «  Il  est  sans  beauté  et 
sans  éclat;  nous  l'avons  vu,  et  il  n'avait  rien  de  beau,  et  nous 
l'avons  méconnu.  C'était  un  objet  de  mépris,  le  dernier  des 
hommes,  un  homme  de  douleurs  et  connaissant  l'infirmité. 
Son  visage  était  comme  caché  et  méprisé  ;  aussi  ne  l'avons- 
nous  pas  estimé.  Lui-même  il  a  pris  nos  langueurs;  lui-même 

'  «  Semelipsum  exinanivit  (  Jesus-Christus)  formam  servi    accipiens ,  etc.»  {Epist 

ad  Philipp.  cap.  ii ,  v.  8.  ) 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  271 

il  a  porté  nos  douleurs.  Nous  l'avons  considéré  comme  un  lé- 
preux frappé  de  Dieu  et  humilié.  11  a  été  blessé  lui-même  par 
nos  iniquités;  il  a  été  broyé  pour  nos  crimes.  Le  châtiment, 
cause  de  notre  salut ^  est  tombé  sur  lui,  et  nous  avons  été 
guéris  par  ses  meurtrissures  ^  »  Les  docteurs  d'Afrique  enten 
dirent  ces  paroles  à  la  lettre,  et,  malgré  le  signalement  que 
nous  avons  donné  plus  haut ,  et  qui  fait  du  Christ  un  homme 
d'une  rare  beauté,  ils  soutinrent  que  le  Verbe  ,  en  venant  au 
monde,  et  en  se  chargeant  de  toutes  les  misères  humaines 
pour  les  guérir,  avait  assumé  sur  lui  seul  toutes  les  laideurs 
physiques  afin  de  les  transfigurer. 

Suivant  cette  opinion,  ces  maladies  de  l'âme  se  seraient  tra- 
duites au  dehors  par  les  difformités  du  corps,  et  Jésus  aurait 
été  le  plus  laid  des  enfants  des  hommes.  Ce  corps,  où  aurait 
circulé  le  venin  de  toutes  les  misères  humaines,  se  serait 
altéré  et  défiguré.  La  peau  décolorée,  les  muscles  amaigris, 
toutes  les  formes  appauvries,  auraient  témoigné  du  dévoue- 
ment de  Jésus.  Le  Fils  de  Dieu  se  serait  inoculé  la  laideur 
comme  on  s'inocule  le  poison  en  suçant  une  plaie  envenimée. 

D'autres,  les  Pères  de  fEglise  latine  surtout,  déclarèrent 
que  Jésus  avait  été  le  plus  beau  des  enfants  des  hommes. 
Même  sur  terre,  Jésus  était  le  Fils  de  Dieu,  et  Dieu  c'est  la 
beauté  suprême.  Dieu  est  beau  comme  il  est  bon,  comme  il 
est  puissant,  comme  il  est  intelligent;  il  est  beau  à  l'infini.  Les 
infirmités  et  les  vices  que  Jésus  était  venu  expier  n'avaient 
pu  déformer  son  beau  corps,  pas  plus  qu'un  rayon  de  soleil, 

'  C'est  au  chapitre  i,ui,  versets  2 ,  3,  4  et  5,  qu'on  lit  ces  remarquables  pai'oles  du 
prophète  Isaïe  :  «Non  est  species  ei  neque  décor;  et  vidimus  eum,  et  non  erat  aspec- 
«tus,  et  desideravimus  euin  :  despectum  et  novissimum  virorum ,  virum  doloruui'et 
«  scientem  infirmitat.eni ,  etc.»  —  S.  Pierre  [Epist.  I,  cap.  11 ,  v  a/j),  dit  aussi  :  «Qui 
«  peccata  nosira  ipse  pertulit  in  corpore  suo  super  lignum  ,  ut  peccalis.morlui  ,justiti;E 
«  vivamus  ;  cujus  Uvore  sanati  eslis.  » 


272  INSTRUCTIONS. 

qui  touche  ou  traverse  un  objet  immonde,  ne  se  salit  au 
contact.  Les  apôtres  et  les  saints,  qui  guérissaient  de  la  fièvre, 
de  la  peste  et  de  la  lèpre,  qui  redressaient  les  boiteux  et  res- 
suscitaient les  cadavres  en  putréfaction,  ne  contractaient  pas 
cependant  la  corruption,  les  difformités,  la  lèpre,  la  peste  ou 
la  fièvre;  pourquoi  donc  le  Christ,  qui  était  venu  racheter 
f homme  de  la  damnation  et  le  guérir  du  vice,  aurait-il  re- 
vêtu la  livrée  des  vicieux  et  la  laideur  des  coupables?  Jésus, 
au  contraire,  tua  la  mort  et  mit  en  fuite  les  horreurs  qui  rac- 
compagnent. En  s'incarnant  dans  le  sein  d'une  vierge ,  Jésus 
prit  de  f  ho  mine  la  beauté  et  la  grâce;  sa  divinité  resplendis- 
sait à  travers  son  corps. 

Devant  ces  deux  opinions  si  divergentes,  les  antiquaires  de- 
mandèrent à  fart  le  parti  qu'il  avait  pris.  Mais,  pour  résoudre 
ce  problème  intéressant,  on  étudia  les  livres  au  lieu  de  voiries 
monuments;  on  lut  au  lieu  de  regarder,  et  Ton  tira  les  conclu- 
sions que  les  monuments  n'admettent  pas.  Les  artistes  chrétiens 
n'ignorèrent  certainement  pas  les  controverses  qui  se  firent  sur 
cette  question;  ils  durent  y  prendre  une  part  plus  ou  moins 
directe  et  la  résoudre  ou  dans  un  sens  ou  dans  un  autre.  Puis- 
que les  écrivains  et  les  théologiens  étaient  partagés,  les  artistes 
aussi  durent  se  diviser  au  moins  en  deux  camps;  fun  se  com- 
posa des  partisans  de  la  laideur,  et  fautre  des  partisans  de  la 
beauté.  On  doit  donc  retrouver  dans  les  œuvres  de  fart  chré- 
tien tantôt  des  Christs  beaux,  tantôt  des  Christs  laids. 

La  laideur  et  la  beauté  n'ont  pas  besoin  d'être  définies; 
tout  le  monde  attache  à  ces  deux  mots  des  formes  parfaitement 
reconnaissables ,  impossibles  à  confondre.  Or,  au  sens  qu'on  at- 
tribue à  ces  deux  expressions,  il  n'y  a  pas  de  Christ  peint  ou 
sculpté,  à  aucune  époque,  qui  soit  réellement  très-beau;  sur- 
tout il  n'y  en  a  pas  qui  soit  réellement  laid.  Ces  Fils  de  Dieu, 


ICONOGRAPHIE   CHRETIENNE.  273 

figurés  par  l'art,  ne  sont  absolument  ni  laids  ni  beaux.  Ce  sont 
des  hommes  tout  simplement,  des  hommes  assez  bien  con- 
formés; mais  ni  la  laideur  ni  la  beauté  ne  les  rendent  remar- 
quables. Jésus,  quand  il  est  un  jeune  et  gracieux  adolescent, 
comme  on  le  remarque  dans  les  monuments  des  catacombes, 
ne  surpasse  pas  en  beauté  les  jeunes  gens  de  cet  âge.  Tout 
jeune  homme  de  quinze  à  vingt  ans  vaut  cette  figure  du  jeune 
Dieu,  quelque  gracieuse  qu'elle  soit.  Quand  on  le  représente 
âgé  et  triste ,  il  n'est  pas  plus  laid  que  tous  les  hommes  de 
trente  ou  de  quarante  ans.  Sur  les  monuments  du  xiii''  siècle, 
à  la  cathédrale  de  Paris,  par  exemple,  au  tympan  de  la  porte 
gauche  du  portail  occidental,  on  voit  Jésus  assistant,  avec  ses 
apôtres  et  ses  disciples,  à  la  mort  de  Marie,  sa  mère,  et  rece- 
vant dans  ses  bras  l'âme  de  la  Vierge ,  qui  se  dirige  vers  le  ciel  ; 
le  Christ  de  cette  sculpture  n'est  pas  plus  beau,  n'est  pas  plus 
laid  que  les  apôtres  qui  sont  à  ses  côtés ,  que  les  rois  el  les 
patriarches  de  la  voussure  qui  s'ordonnent  en  plusieurs  cor- 
dons autour  du  tympan.  Il  y  a  mieux,  c'est  qu'il  serait  impos- 
sible de  distinguer  le  Christ  de  ses  apôtres,  ou  de  ses  ancêtres, 
rois  ou  patriarches,  sans  le  nimbe  dont  sa  tête  est  ornée;  cette 
tête  divine  a  le  nimbe  crucifère ,  tandis  que  celle  des  apôtres 
a  le  nimbe  uni,  et  que  celle  des  personnages  de  l'Ancien  Tes- 
tament ne  porte  aucun  ornement.  Jésus  est  un  homme  et  un 
homme  comme  les  autres.  La  renaissance  a  bien  cherché  à 
idéaliser,  à  embelhr  le  Christ,  mais  elle  n'en  a  pas  fait  la  plus 
belle,  de  ses  créations.  Le  précurseur  de  Jésus,  saint  Jean- 
Baptiste,  enfant  ou  homme,  est  aussi  beau  dans  l'œuvre  des 
maîtres  italiens,  allemands  et  français,  que  les  Jésus  hommes 
ou  enfants.  Saint  Jean  évangéliste  est  souvent  plus  beau  que 
le  Christ,  son  divin  ami. 

Quand,   par  hasard,  on  voit  une  laide  figure  du  fils  de 

INSTRUCTIONS. II.  35 


274  INSTRUCTIONS. 

Dieu,  on  peut  se  convaincre  aisément  que  cette  laideur  nest 
pas  physiologique,  mais  provient  de  Tinliabileté  seule  de  l'ou- 
vrier. L'artiste,  incapable  et  mauvais,  a  fait  une  laide  figure, 
parce  qu'il  n'a  su  ni  pu  en  faire  une  belle;  c'est  à  un  défaut 
dans  l'exécution,  et  non  pas  à  une  intention  dans  la  doctrine 
qu'il  faut  attribuer  cette  laideur  ^  Sur  les  médailles  laides  le 
Christ  est  laid;  il  est  beau  sur  les  belles  médailles.  C'est-à-dire 
que  le  Fils  de  Dieu  est  mal  exécuté  sur  celles-là  et  bien  exécuté 
sur  celles-ci;  mais  réellement  il  n'est  ni  beau  ni  laid  dans  un 
sens  philosophique. 

Est-ce  donc  à  dire  que  les  Pères  auraient  discuté  la  beauté 
et  la  laideur  mystiques  de  Jésus,  et  que  les  artistes  auraient  été 
sourds  à  tout  ce  bruit  qui  se  faisait  autour  d'eux?  Pendant  que 
les  uns  auraient  pris  chaudement  parti  pour  la  beauté,  et  que 
les  autres  auraient  soutenu  avec  acharnement  la  laideur,  l'art, 
qui  traduit  toujours  les  idées  de  l'époque  où  il  vit,  serait-il 
resté  neutre .^^  Cela  ne  peut  être  assurément  et  cela  n'a  pas  été; 
nous  allons  en  avoir  des  preuves.  Les  artistes ,  il  est  vrai , 
entendent  la  moindre  rumeur  qui  bruit  à  leurs  oreilles  ;  ils 
reflètent,  au  moyen  des  dimensions,  des  lignes,  des  couleurs, 
des  sons,  des  syllabes  et  des  gestes,  par  l'architecture,  la  sculp- 
ture, la  peinture,  la  musique,  la  poésie  et  l'orchèse,  toutes  les 
images,  tant  vagues  soient-elles,  qui  passent  devant  leurs  yeux. 
Ils  répètent,  en  le  précisant,  en  le  grossissant,  tout  ce  qu'ils 
entendent,  tout  ce  qu'ils  voient,  tout  ce  qu'ils  touchent;  mais 
ils  le  répètent  en  se  l'appropriant,  en  lui  faisant  subir  une 
série  de  transformations  qui  le  purifient  et  fembellisent.  Ils 

Voyez  un  Clirist  en  émail  sur  cuivre ,  de  la  lin  du  xi"  siècle ,  qui  appartient  à 
M.  du  Sommerard.  Le  travail  en  est  des  plus  grossiers,  et  l'extrême  laideur  de  la  figure 
se  reproduit  dans  le  reste  du  corps  et  jusque  dans  l'ornementation.  On  sent  bien  que 
c'est  un  Clirist  mal  fait,  mal  exécuté,  et  non  pas  un  Clirisl  laid. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  275 

connaissaient  ces  audacieuses  expressions  de  TertuUien:  «  Jésus- 
Christ  fut  dégradé  d'aspect,  et  son  corps  Immain  n'était  pas 
présentable;  mais  tout  vulgaire,  tout  ignoble,  tout  désho- 
noré qu'il  est,  c'est  mon  Christ  à  moi^  »  Ils  savaient  que  saint 
Cyrille  d'Alexandrie  avait  déclaré  que  le  Fils  de  Dieu  était  le 
plus  laid  des  enfants  des  hommes^.  Des  artistes  vulgaires,  par- 
tisans de  la  laideur,  auraient  représenté  un  Christ  difforme , 
usé  d'organes,  appauvri  de  muscles,  ignoble  d'expression; 
mais  en  eux  vivaient  les  traditions  antiques  perfectionnées 
par  les  nouveaux  sentiments  apportés  avec  le  christianisme. 
Ils  comprirent  parfaitement  qu'un  Dieu  laid  serait  encore  un 
homme  très-beau,  et  par  conséquent  qu'un  Dieu,  sous  la  fi- 
gure d'un  homme,  quelque  beau  qu'il  fût,  serait  toujours  un 
Dieu  laid,  pourvu  que  les  caractères  de  fhumanité  fussent 
nettement  accusés.  Or  l'un  des  plus  visibles  de  ces  caractères, 
l'un  des  plus  frappants,  c'est  la  barbe  assurément;  car,  par 
sa  couleur  et  sa  forme,  la  barbe  imprime  à  la  physionomie 
un  cachet  tout  particulier  qui  trahit  l'âge  et  le  tempérament. 
Donc  les  artistes  représentèrent  Jésus  avec  une  barbe  ,  comme 
un  homme ,  lorsqu'ils  voulurent  le  figurer  laid  ;  ces  natures 
délicates  transfigurèrent,  en  les  interprétant  dans  le  sens  de 
l'humanité,  les  énergiques  paroles  de  TertuUien.  Par  contre, 
ceux  auxquels  répugna  cette  interprétation,  et  qui  prirent 
parti  pour  la  beauté  du  Sauveur,  le  représentèrent  sans  barbe 
et  par  conséquent  dégagé,  autant  que  possible,  de  tout  ce  qui 
caractérise  Thumanité.  Enfm,  pour  les  premiers,  le  Christ  laid 
fut  un  homme;  pour  les  seconds,  le  Christ  beau  fut  un  Dieu. 

'  «Ne  aspectu  quidem  honestus.  »  [Adv.  Jud.  cap.  xiv.)  «  Nec  humanaî  honeslatis  fuit 
0  corpus  ejus,  ))  [De  carnat.  C/imfi,  cap.  ix.)  «Si  inglorius,  si  ignobilis,  si  inhonorablis  , 
«meus  erit  Christus.  1)  [Adv.  Marcian.  lib.  III,  cap.  xvii.) 

*  ÀXXà  TÔ  elhos  OLVTOÏ)  aTiaov  êxXnrov  ivapà  TiivTxs  tovs  dIoùs  tù>v  àvOpw-KWV.  (S.  Cy- 
rille d'Alexandrie ,  de  Nudationc  Noe,  lib.  II,  1. 1,  p.  43.) 

35. 


276  INSTRUCTIONS. 

Pour  les  uns,  ce  fut  un  être  indiquant  un  âge;  pour  les  autres, 
les  partisans  de  la  beauté,  ce  fut  un  Dieu  qui  n'était  ni  d'hier, 
ni  d'aujourd'hui,  ni  de  demain,  un  Dieu  qui  n'a  pas  d'âge, 
parce  qu'il  a  toujours  été  et  qu'il  sera  toujours  ^  Jésus  barbu, 
c'est  le  Christ  laid  des  Pères  de  l'Eglise  d'Asie  et  surtout  d'A- 
frique; Jésus  imberbe,  c'est  le  Christ  des  Pères  de  l'Eglise 
latine  et  de  tout  notre  Occident. 

Les  œuvres  d'art  sont  conformes  à  notre  explication.  Ainsi, 
dans  un  même  monument,  un  manuscrit  est  couvert  de 
deux  ivoires  qui  sont  de  la  même  époque.  Sur  la  couverture 
du  recto,  on  voit  ce  Jésus  en  croix. 

68.  CHRIST  SOUFFRANT,  BARBU,    HUMAIN  OÙ  LAID. 

Sculpture  en  ivoire,  xi°  siècle,  Bibliothèque  royale. 


E  r.H-DVRANP. 


'  «  Jesiis-Chrislus  heri ,  hodie  et  in  saecula.  »  (S.  Paul ,  Epist.  ad  HebrœoSj  cap.  iv,  v.  8. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  277 

Les  pieds  posés  sur  an  calice^  où  doit  couler  son  sang,  il 
semble  jeter  un  dernier  regard  sur  sa  mère  avant  de  rendre 

^  Il  est  probable  que  ce  calice  est  le  graal  si  célèbre  dans  nos  romans  du  moyen  âge, 
et  à  la  recherche  duquel  Perceval  consacre  une  vie  traversée  de  mille  aventures  étranges. 
Le  graal,  dit-on,  avait  servi  à  la  Cène;  c'est  dans  ce  vase  que  Jésus  aurait  changé  le 
vin  en  son  sang.  Ensuite  Nicodème ,  le  Juif  converti ,  ou  plutôt  Joseph  d'Arimathie 
recueillit  dans  ce  divin  calice  le  sang  qui  coula  des  plaies  du  Sauveur.  Puis,  par  la  suite 
des  événements, le  mystérieux  graal  passa  en  France,  oùildevintle  sujet  de  nombreuses 
et  très-longues  épopées.  On  dit  que  la  fable  de  ces  épopées  et  que  l'origine  du  graal  sor- 
tent de  la  Bretagne,  grande  ou  petite  :  il  n'en  est  rien.  Le  graal  est  né  dans  les  livres 
apocryphes,  qui  sont  tous  d'origine  asiatique  ou  grecque.  C'est  en  France,  dans  la  Cham- 
pagne, à  Troyes,  que  les  événements  dont  il  est  l'objet  se  sont  développés,  et  c'est  à  la 
France  que  les  Bretons  ont  emprunté  ce  beau  sujet.  Il  en  est  du  graal  et  de  toutes  les 
épopées  du  moyen  âge  comme  du  style  ogival.  Le  système  gothique  est  né  et  s'est  dé- 
veloppé en  France,  ou  pour  mieux  dire  en  Picardie,  en  Champagne  et  dans  l'Ile-de- 
France;  c'est  de  là  qu'il  est  allé  en  Angleterre,  en  Suède^  en  Allemagne,  en  Italie  et  en 
Espagne.  Quant  au  graal,  que  nous  avons  possédé  quelque  temps  à  Paris,  sous  Napo- 
léon, de  1809  à  181  5,  il  est  retourné  à  Gênes,  où  il  est  précieusement  gardé  dans  le 
trésor  de  la  cathédrale,  sous  le  nom  de  sacro  catixo.  Celte  précieuse  coupe,  en  verre 
et  non  en  émeraude,  de  forme  hexagonale,  et  munie  de  deux  anses,  a  un  mètre  quinze 
centimètres  de  circonférence;  elle  s'est  fendue  dans  le  trajet  de  Paris  à  Gênes. 

Dans  les  monuments  figurés  des  xii%  xin""  et  xiv^  siècles,  la  Religion  chrétienne  ,  per- 
sonnifiée sous  les  traits  d'une  reine,  reçoit  dans  un  calice,  toujours  le  graal,  le  sang 
qui  coule  du  côté  percé  de  Jésus  en  croix.  Gori  (  Tlies.  vet.  dipt.  lom.  III,  p.  1 16)  a  fait 
graver  une  ancienne  couverture  d'un  psautier  deFréjus,  où  l'on  voit  ce  sujet.  Là,  au 
bas  de  Jésus  à  la  croix,  la  Religion  chrétienne  tend  une  coupe  pour  recevoir  le  sang 
qui  coule  des  pieds;  mais,  de  plus,  le  sang  des  mains  est  recueilli  par  les  archanges 
Michel  et  Gabriel,  qui  tendent  également  chacun  un  calice.  Nous  avons,  dans  cet  exem- 
ple, trois  graals  pour  un.  Outre  Gênes,  les  villes  d'Auxerreet  d'Angers  réclamaient  l'hon- 
neur de  posséder  le  Graal;  il  a  pu  y  avoir  en  effet,  non  pas  une  coupe,  mais  plusieurs  qui 
auraient  servi,  pendanlla  Cène,  à  différents  usages.  Dans  la  cathédrale  de  Beauvais,  à  la 
chapeUe  de  la  Vierge ,  qui  est  au  fond  de  l'abside ,  on  voit  un  vitrail  du  xiii°  siècle ,  dans  la 
rosace  duquel  est  peintun  crucifiement.  Adam,  qui  est  enterré  au  pied  de  la  croix,  suivant 
la  légende,  sort  tout  entier  du  tombeau;  une  draperie  verdàtre  est  jetée  sur  sa  tête  et 
autour  de  ses  reins.  De  la  main  gauche  il  tend  une  coupe  d'or,  où  tombe  le  sang  qui 
coule  des  pieds  de  Jésus.  On  appelle  l'attention  des  antiquaires  sur  ces  diverses  coupes: 
c'est  de  là  qu'est  sorti  le  graal,  c'est  là  qu'est  le  germe  de  ces  épopées  dont  le  graal  est 
l'objet.  Les  apocryphes  d'abord,  puis  les  monuments  figurés,  enfin  les  épopées  de  nos 
poètes  champenois  et  picards,  voilà  où  les  Bretons  ont  puisé  à  pleines  mains  ce  qu'on 
a  tort  d'appeler  leurs  inventions.  Les  pieds,  dans  le  Christ  de  notre  dessin,  ne  sont  pas 
croisés  et  attachés  par  un  seul  clou,  mais  libres  et  percés  de  deux  clous.  Jusqu'au  xiii° 


278  INSTRUCTIONS. 

l'âme.  En  bas,  sur  terre,  Marie  et  saint  Jean  ^pleurent  la  mort, 
l'une  de  son  fils,  l'autre  de  son  ami,  tous  deux  de  leur  Dieu. 
En  haut ,  dans  le  ciel ,  cernés  par  une  auréole  circulaire  et  on- 
duleuse,  le  soleil,  sous  la  forme  d'un  jeune  homme  imberbe, 
la  lune ,  sous  celle  d'une  femme  portant  un  croissant  sur  la 
tête,  s'attendrissent  aux  souffrances  du  maître  de  la  nature. 
Le  nimbe  du  Christ  est  crucifère,  mais  sans  ornements.  De 
l'autre  côté,  au  verso,  et  par  opposition  ,  est  le  Fils  de  Dieu  assis 
dans  le  ciel,  environné  d'une  auréole  elliptique,  orné  d'un 
nimbe  que  des  perles  décorent  à  la  circonférence.  Les  quatre 
symboles  des  évangélistes,  l'ange,  l'aigle,  le  lion  et  le  bœuf, 
escortent  le  héros  divin  de  l'Evangile.  Au  recto,  Jésus  est  souf- 
frant ;  il  est  triomphant  au  verso.  Là  il  est  attaché  à  la  croix, 
gibet  infâme;  ici  il  est  enveloppé  de  l'auréole,  gloire  divine. 
La  nature,  par  l'homme  et  les  constellations,  compatit  à  ses 
douleurs  et  à  sa  mort  dès  l'entrée  du  manuscrit;  à  la  fin,  les 
évangélistes,  leurs  attributs,  célèbrent  son  triomphe,  et  le 
lion  de  saint  Marc  rugit  de  joie  et  de  bonheur.  ^ 

siècle,  on  a  attaché  indifféremment  le  Christ  avec  trois  ou  quatre  clous.  G.  Durand  est 
pour  quatre  clous  encore,  comme  Grégoire  de  Tours  l'était  bien  avant  lui.  Après  le 
XI 11°  siècle   l'usage  de  ne  mettre  que  trois  clous  l'emporte  définitivement. 

Saint  Jean  est  barbu  ainsi  que  les  Grecs  le  représentent  constamment,  tandis  que 
chez  nous  c'est  un  beau  jeune  homme  encore  imberbe.  Dans  cet  ivoire,  qui  est  latin , 
on  sent ,  à  l'âge  de  saint  Jean  et  à  la  personnification  du  soleil  en  Apollon  et  de  la  lune 
en  Diane,  une  influence  byzantine  incontestable. 

'  «  Marcus  fi-endens  ore  leonis ,  »  comme  disent  les  symbolistes  du  xiii°  siècle,  a  Marcus 
«I  ut  alla  fi'emit  vox  per  déserta  leonis  ,  »  comme  s'exprime  un  évangéliaire  du  ix"  siècle, 
que  possède  la  bibliothèque  del'Arsenal.  {Quatuor  evangeîia,  théol.  lat.  33.) — Ces  expres- 
sions justifient  bien  le  rugissement  de  notre  lion.  Un  évangéliaire  in-folio,  provenant  de 
la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  à  laquelle  il  avait  été  donné  en  1379  par  Charles  V,  contient 
ces  vers  qui  expliquent  les  quatre  attributs  des  évangélistes  : 

«Quatuor  baec  Dum  signant  animalia  Xpfi: 
«  Est  liomo  nascendo ,  vitulusquc  sacer  moriendo , 
uEt  leo  surgendo  ,  cœlos  aquiiaque  petendo; 
i(Kcc  minus  hos  scribas  animalia  et  ipsa  figurant. 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE. 

69.   CHRIST    TRIOMPHANT,    IMBERBE  ,    DIVIN    OU   BEAU. 

Ivoire  du  xi°  siècle,  Bibliothèque  royale. 


279 


Ce  Jésus,  ce  fils  de  riiomme  transfiguré  en  Fils  de  Dieu 
donne  au  monde  la  grâce  et  la  science  :  la  grâce  avec  la  main 

Ainsi  ces  attributs  figurent  à  la  fois  le  Christ  et  ses  quatre  évangélistes.  Quant  à  la  place 
qu'ils  occupent  et  aux  livres  qu'ils  tiennent  tous  quatre,  voici  ce  que  Guillaume  Durand 
en  dit  au  chapitre  m,  livre  I,  du  Ratiouale  divinorum  ojjiciorum  :  «  Quandoque  eliam  cir- 
«  cumpinguntur  quatuor  animalia  secundum  visionem  Ezechielis  et  ejusdem  Johannis. 
«Faciès  hominis  et  faciès  leonis  a  dextris,  et  faciès  bovis  a  sinistris,  et  faciès  aquilae 
«  desuper  ipsorum  quatuor.  Hi  sunt  quatuor  evangelistae.  Unde  pinguntur  cum  libris 
«  in  pedibus ,  quia,  quae  verbis  et  scriplura  docuerunt,  mente  et  opère  compleverunt.  » 
—  Durand  confond  le  létramorphe  d'Ezéchiel  avec  les  quatre  attributs  séparés.  Dans  le 
tétramorphe,  l'aigle  est  tout  en  haut,  mais  l'ange  ou  l'homme  est  au  centre,  et  dans  ce 
cas  les  attributs  ne  portent  aucun  livre.  Durand  ne  s'est  pas  compris  lui-même,  ou  bien  , 
ignorant  les  représentations  ,  il  a  voulu  renchérir  sur  le  cœlos  aqaila  petendo.  Il  faut  tou- 
jours à  Durand,  même  aux  dépens  delà  raison,  un  sens  symbolique  exagéré.  La  place 
que,  sauf  erreur,  les  attributs  des  évangélistes  occupent  et  doivcul  occuper  invariable- 


280  INSTRUCTIONS. 

droite,  qui  bénit,  la  science  avec  les  livres  qu'il  tient  à  la  main 
gauche  et  dans  son  giron.  La  science  est  là,  représentée  dans 
sa  plénitude,  dans  le  livre  carré  et  dans  le  livre  rond,  ou  vo- 
lume. Ces  deux  formes,  les  seules  connues  alors,  étaient  usitées 
simultanément  chez  les  Piomains.  Les  symbolistes  du  moyen 
âge,  Guillaume  Durand  entre  autres,  déclarent  que  le  rouleau 
signifie  la  demi-science  et  que  le  livre  carré  signifie  la  science 
entière  ;  pour  cette  raison ,  ajoute-t-il ,  les  sculpteurs  et  les  pein- 
tres donnent  aux  prophètes  le  rouleau  [volu7nen),^8irce  que  ces 
prophètes  n'ont  aperçu  la  vérité  qu'à  moitié,  qu'en  énigme  et  en 
image,  et  comme  dans  un  miroir;  mais  quelques  apôtres  et  les 
évangélistes,  qui  ont  vu  la  vérité  directement,  qui  l'ont  connue 
tout  entière  et  l'ont  enseignée,  portent  le  livre.  Jésus-Christ, 
qui  est  venu  compléter  le  passé,  qui  a  résumé  en  lui  l'Ancien  et 
le  Nouveau  Testament,  lui  que  les  prophètes  ont  prédit  et 
que  les  apôtres  ont  vu,  lui  la  lumière  et  la  vérité  incarnées, 
devait  se  montrer  porteur  à  la  fois  du  livre  et  du  rouleau  K 

ment  est  celle-ci,  en  prenant  Jésus-Christ  comme  point  de  départ  :  en  haut,  l'ange  est 
à  droite  et  l'aigle  à  gauche  -,  en  bas ,  le  lion  est  à  droite  et  le  bœuf  à  gauche.  La  nature 
des  attributs  et  le  sens  qu'on  leur  donne  exigent  cet  ordre.  En  ligne  ascendante ,  le 
bœuf,  qui  est  le  plus  lourd  et  le  plus  grossier,  est  en  bas;  au  second  degré  rugit  le  lion; 
l'aigle  vole  au  troisième,  et  l'ange  s'élève  tout  en  haut. Cet  ordre  est  quelquefois  interverti, 
maisc'est  par  ignorance.  Les  en-eurs  commises  à  cet  égard  n'ont  pas  plus  de  valeur  que 
celles  dontse  rendent  journellement  coupables  les  restaurateurs  modernes  de  nos  églises. 
'  G.  Durand,  Rat.  div.  off.  lib.  I,  cap.  m.  — Suger  a  fait  exécuter  à  Saint-Denis  un 
vitrail  peint  de  divers  sujets  dont  il  donne  la  description  et  pour  l'explication  desquels  il 
avait  composé  lui-même  des  vers.  L'un  de  ces  sujets  ,  qui  existe  encore,  représente  le 
Christ  enlevant  un  voile  qui  cachait  la  figure  de  la  Synagogue  personnifiée;  les  vers  sui- 
vants, dont  on  ne  voit  plus  que  quelques  lettres,  indiquent  celte  action  : 

Quod  Moyscs  velat,  Christi  doctrina  révélât; 
Dénudant  legem  qui  spoliant  Moysen. 

L'Ancien  Testament,  la  loi  de  Moïse,  est  une  doctrine  voilée  que  Jésus-Christ  est  venu 
éclairer  d'une  vive  lumière;  avec  le  Christ,  nous  voyons  la  vérité  en  elle-même  et  face  à 
face.  Celte  action  de  dévoiler  Moïse  et  les  prophètes  a  donné  lieu  à  plusieurs  compositions 
peintes;  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  enofii'e  un  exemple  douze  fois  répété. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  281 

L'intention  est  évidente  :  l'artiste  a  fait  un  Christ  laid  dans 
le  patient  sur  la  croix,  un  Christ  heau  dans  le  triomphateur 
sur  le  trône.  Or  le  premier  est  harhu ,  et  le  second  est  imberbe; 
donc  la  laideur  et  la  beauté  discutées  par  les  Pères  de  l'Eglise 
ont  été  exprimées  dans  l'art  chrétien,  l'une  par  la  présence,  et 
l'autre  par  l'absence  delà  barbe.  Ce  fait  est  capital;  il  explique 
ces  Jésus  barbus  et  imberbes  qu'on  voit  simultanément  dans  les 
monuments  analogues,  de  style  et  d'époque,  aux  fresques  et 
aux  sarcophages  des  catacombes  de  Rome  et  des  Aliscamps 
d'Arles.  Toutes  les  fois  donc  que  Ton  trouve  un  de  ces  Jésus 
adolescents,  imberbes,  souriants,  posant  les  pieds  sur  la  per- 
sonnification de  la  terre  ou  du  ciel,  debout  sur  la  montagne 
du  paradis  ou  sur  les  eaux  du  Jourdain ,  faisant  des  miracles 
ou  comparaissant  devant  Pilate,  on  peut  dire  que  l'artiste,  par- 
tisan de  la  beauté  dans  la  question  qui  nous  occupe,  a  fait  beau 
Jésus,  môme  considéré  commehommeet  accomplissant  sa  mis- 
sion évangélique.  Toutes  les  fois,  au  contraire,  et  le  cas  est  assez 
fréquent,  qu'on  rencontre  un  Christ  barbu,  même  quand  il 
remplit  des  fonctions  divines  plutôt  qu'humaines,  et  quand,  de- 
bout sur  le  mont  aux  quatre  fleuves  symboliques,  il  donne  ses 
dernières  instructions  à  ses  apôtres,  on  peut  dire  que  l'artiste 
était  partisan  de  la  laideur,  et  qu'il  a  fait  un  Christ  laid ,  c'est- 
à-dire  un  Christ  humain. 

Du  reste ,  le  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  n'est  pas 
le  seul  monument  qui  appuie  la  solution  qu'on  vient  de  don- 
ner. Il  existe  à  Saint-Guillem-du-Désert,  en  bas  Languedoc,  un 
autel  dont  le  devant,  formé  d'une  mosaïque  blanche  et  noire, 
représente  d'un  côté  le  crucifiement ,  et  de  fautre  le  triomphe 
de  Jésus.  Sur  la  croix,  le  Christ  est  barbu  et  âgé;  mais ,  environné 
de  l'auréole,  qui  est  ovale  comme  dans  fexemple  qu'on  vient 
de  donner,  il  est  imberbe  et  jeune.  Ce  curieux  monument  date 

INSTRUCTIONS. II.  '^G 


282  INSTRUCTIONS. 

probablement  du  xi*'  siècle,  et  paraît  avoir  été  Taiitel  même 

de  Saint-Guillaume,  dédié  par  un  légat  de  Grégoire  VIP. 

Cette  discussion  élevée  sur  la  beauté  et  la  laideur  du  Fils 
de  ITiomme,  ou,  pour  nous  exprimer  plutôt  comme  les  artistes 
que  comme  les  Pères,  cette  question  relative  au  Christ  envisagé 
dans  sa  nature  divine  et  dans  sa  nature  humaine  n'eut  d'im- 
portance  et  de  retentissement  réel  que  dans  la  première  période 
de  Tart  chrétien ,  du  v*"  siècle  au  xif .  Alors  on  prend  parti  pour 
la  laideur  ou  la  beauté,  sans  que  l'Eglise  adopte  une  décision 
à  cet  égard,  et  l'on  exécute  des  œuvres  où  tel  système  est  pré- 
féré ici,  et  tel  autre  ailleurs.  Cependant  le  parti  de  la  beauté 
ou  de  la  nature  divine,  plus  fort  dans  le  principe,  finit  par 
fléchir  de  plus  en  plus;  vers  le  xn""  siècle,  au  xiii''  surtout, 
c'est  la  laideur  ou  la  nature  humaine  qui  triomphe  exclusive- 
ment. Un  manuscrit  déjà  cité^,  qui  date  de  la  lin  du  xiv*"  siècle, 
montre  le  prêtre  Eléazar  brûlant  une  vache  rouge  hors  du 
camp  des  Hébreux,  pour  détourner  la  colère  de  Dieu.  En  re- 
gard, une  miniature  représente  Jésus  attaché  à  la  croix,  Jésus 
entièrement  nu  et  dont  la  chair  est  rouge  ou  laide,  dit  la 
glose ,  parce  qu'il  s'est  chargé  de  nos  péchés.  Ici  le  Christ  est 
non-seulement  barbu,  mais  dans  une  complète  nudité  et  de 
couleur  rouge;  il  est  homme,  il  est  pauvre,  il  est  laid^.  On  a 
donc  ici  une  preuve  nouvelle  de  la  réalité  et  de  la  tristesse  qui 

'  Découverte  et  restitation  de  l'autel  de  Saint- Giilllaume ,  par  M.  R.  Thomassy,  dans  le 
XW"  vol.  des  Mémoires  de  la  sociélé  royale  des  anliquaires  de  France. 

"  Biblia  sacra ^  n"  6829. 

'  Chez  nous,  la  couleur  rouge  de  la  peau ,  de  la  barbe  et  des  cheveux  est  considérée 
comme  un  signe  de  laideur.  Depuis  trois  cents  ans  à  peu  près  ,  on  représente  le  Christ 
à  barbe  et  cheveux  roussâlres  ,  parce  qu'on  croit  se  rapprocher  davantage  du  type 
juif.  Le  peuple  est  persuadé,  contrairement  à  la  tradilion  ancienne  et  au  texte  de  saint 
Jean  Damasccne,  que  Jésus  était  roux,  et,  dans  un  dicton  fort  répandu  en  Champagne 
et  en  Picardie,  les  gens  du  peuple  déclarent  que  Dieu  a  fait  plus  beau  que  lui,  parce  qu'il 
était  roux,  tandis  qu'il  a  créé  des  hommes  bruns  et  des  hommes  blonds. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  283 

s  emparent  du  monde  et  qui  passent  de  la  société  dans  l'art. 
Alors  Jésus,  même  exerçant  les  fonctions  divines,  est  presque 
constamment  barbu.  Il  porte  la  barbe  quand  il  remonte  au  ciel 
après  sa  résurrection,  quand  il  s'assied  à  la  droite  de  son  Père 
dans  le  paradis,  quand  il  bénit  la  terre  du  baut  du  ciel,  quand 
il  descend  sur  les  nuages  pour  juger  les  bommes  à  la  fin  du 
monde.  A  plus  forte  raison  est-il  barbu  lorsqu'il  est  baptisé 
par  saint  Jean,  lorsqu'il  est  enlevé  au  désert  par  Satan,  lors- 
qu'il prêche,  lorsqu'il  entre  dans  Jérusalem,  lorsqu'il  meurt 
sur  la  croix.  Le  voici  emporté  par  Satan  sur  le  sommet  d'une 
montagne  d'où  le  génie  du  mal  lui  montre  tous  les  royaumes 
et  toutes  les  richesses  du  monde.  Satan  dit  à  Jésus  qu'il  lui  don- 
nera tout  ce  qu'il  a  sous  les  yeux  s'il  veut  l'adorer,  et  Jésus  lui 
répond  :  «  C'est  toi  qui  dois  adorer  ton  Dieu.  »  Jésus  est  barbu  et 
porte  le  nimbe  croisé,  comme  tous  ceux  que  nous  avons  vus'. 


70.  JESUS  BARBU  ET  TENTE  PAR  SATAN. 

Miniature  française  ,  \if  siècle. 


^/^=\Ç/S^S^>. 


Cedessin  est  tiré  dun  ms.  de  la  Bibi.  roy.  [Psaltenumcumjigurisj  sûppl.  fr.  1 182)  qui 

36. 


284  INSTRUCTIONS. 

Il  y  a  plus,  rimmanité  et  la  barbe,  qui  en  est  le  signe,  sont 
attribuées  même  à  Dieu  le  père ,  même  au  Saint-Esprit ,  quoi- 
que jamais  ils  ne  se  soient  incarnés.  Mais,  on  l'a  dit,  Jésus 
entraîne  dans  son  atmosphère  les  deux  autres  personnes;  donc, 
puisqu'il  est  barbu,  le  Père  et  le  Saint-Esprit  devaient  l'être. 
Pour  le  Père,  d'ailleurs,  il  y  avait  une  raison  qu'on  a  donnée 
plus  haut,  c'est  qu'il  est  appelé  l'Ancien  des  jours,  et  que 
cette  ancienneté  divine  a  été  traduite  par  un  des  signes  de  la 
vieillesse,  une  barbe  longue  et  fine.  Quant  au  Saint-Esprit, 
on  l'a  représenté  barbu  pour  signifier  qu'il  était  égal  au  Père 
et  au  Fils,  et  qu'il  avait  aussi  bien  qu'eux  l'éternité  en  par- 
tage. Du  reste,  et  on  le  verra  dans  son  histoire,  l'Esprit  a 
souvent  la  forme  d'un  adolescent  à  peine  barbu  ou  même 
d'un  tout  jeune  enfant. 

SIGNES    ARCHÉOLOGIQUES    QUI    CARACTERISENT    jÉsUS-CHRIST. 

L'âge  et  la  physionomie  ne  caractérisent  pas  Jésus;  car,  on 
l'a  vu ,  cet  âge  varie  de  quinze  à  soixante  ans.  Dans  les  cata- 
combes, Jésus  est  souvent  un  adolescent;  sur  les  vitraux  du 
xvf  siècle  il  est  quelquefois  un  vieillard.  La  physionomie  et 
les  signes  extérieurs  qui  pourraient  la  préciser  sont  tout  aussi 
vagues.  Au  portail  occidental  de  Notre-Dame  de  Paris ,  sur  le 
tympan  de  la  porte  gauche  où  est  sculptée  la  mort  de  la  Vierge , 
il  est  impossible ,  par  l'expression  et  la  coupe  de  la  figure ,  de 

date  du  xii°  siècle.  Satan,  pour  faire  succomber  Jésus  plus  aisément,  s'est  fait  accompa- 
gner d'un  aide  qui  lient  le  fils  de  Dieu  par  le  corps.  Cet  aide ,  au  moyen  de  ses  deux  paires 
d'ailes  et  de  sa  force  musculaire,  dont  témoignent  les  deux  grosses  cornes  de  son  front, 
a  transporté  le  Seigneur  sur  la  montagne.  L'autre,  le  Satan  en  chef,  à  queue  de  vipère, 
à  ventre  en  figure  humaine,  tient  une  banderole  où  on  lit  :  «  Haec  omnia  libi  dabo  si 
"  cadens  adoraveris  me.  »  Mais  Jésus  fait  un  geste  impérieux  de  commandement ,  et 
déclare  à  Satan  qu'il  doit  l'adorer,  comme  l'indiquent  ces  paroles  du  rouleau  qu'il  tient 
à  la  main  gauche  :  «  Dûm  Deû  tuû  adorabis.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  285 

distinguer  Jésus-Christ  des  autres  apôtres  qui  sont  là.  Plu- 
sieurs de  nos  dessins,  ceux  surtout  des  xiii*^  et  xiv*"  siècles, 
offrent  la  même  incertitude.  Les  vêtements  ne  sont  pas  un 
meilleur  caractère;  Jésus  est  ordinairement  vêtu,  comme  ses 
apôtres,  de  la  robe  et  du  manteau.  La  couronne  royale  qui 
couvre  sa  tête  nelui  est  pas  spéciale  :  les  rois ,  certaines  vertus, 
certains  arts  libéraux,  comme  on  en  voit  aux  cathédrales  de 
Chartres  et  de  Clermont-Ferrand,  sont  ainsi  couronnés.  La 
tiare  lui  est  commune  avec  son  Père,  avec  Melchisédech , 
avec  Aaron  ,  avec  saint  Pierre.  Le  livre  ouvert  ou  fermé,  qu'il 
tient  à  la  main  gauche,  est  porté  par  ses  apôtres.  Piien  de  tout 
cela  ne  le  caractérise  spécialement. 

D'autres  attributs  cependant  le  distinguent  de  la  foule,  s'ils 
ne  le  séparent  pas  de  tous  les  autres  personnages  sans  exception. 
La  nudité  des  pieds  caractérise  quelquefois  les  prophètes,  tou- 
jours les  apôtres,  toujours  les  anges  et  les  personnes  divines. 
Je  ne  parle  que  des  personnages  représentés  habillés;  car  Job 
sur  son  fumier,  le  pauvre  Lazare  devant  le  riche  impie,  le 
voyageur  dépouillé  par  les  voleurs  et  que  recueille  le  Sama- 
ritain, Tenfaot  prodigue  dans  une  certaine  période  de  son 
existence ,  beaucoup  de  saints  subissant  le  martyre ,  et  d'autres 
encore ,  ont  les  pieds  nus ,  puisqu'ils  sont  à  peu  près  sans  aucun 
vêtement.  Mais  toutes  les  fois  qu'un  personnage  est  habillé  et 
que  de  certains  caractères,  le  nimbe,  par  exemple ,  le  font  re- 
connaître comme  saint,  on  peut  dire  avec  assurance  que  c'est 
un  prophète,  un  apôtre,  un  ange  ou  une  personne  divine,  si 
ses  pieds  sont  nus.  En  tous  cas,  c'est  encore  un  bien  insuffi- 
sant caractère  pour  Jésus-Christ,  puisque  par  là  il  reste  con- 
fondu avec  tant  d'autres  personnages.  Ajoutez,  en  outre,  que 
sur  des  sarcophages,  dans  les  anciennes  fresques,  souvent 
dans  quelques  très-vieilles  mosaïques,  Jésus  a  les  pieds  chaus- 


286  INSTRUCTIONS. 

ses  de  sandales  rattachées  par  des  cordons  qui  passent  sur  le 
cou-de-pied.  Jésus  est  habillé  en  Romain,  même  pour  la  chaus- 
sure. Au  xv^  siècle,  il  n'est  pas  rare  de  voir  à  Jésus  les  pieds 
enfermés  dans  de  riches  chaussures,  surtout  quand  il  est  ha- 
billé en  grand  prêtre  ou  en  pape,  dont  il  prend  le  costume 
entier.  Au  xiv''  siècle  même,  quand  surtout  il  accompagne  les 
pèlerins  d'Emmaûs,  il  porte  souvent,  comme  un  pèlerin,  le 
chapeau  à  larges  bords,  le  bourdon,  la  panetière  et  les  fortes 
chaussures ^  On  fait  la  même  exception  pour  saint  Jacques, 
le  patron  des  pèlerins.  La  réalité,  le  matérialisme  des  xiv^  et 
XV''  siècles  répugnent  à  faire  marcher  pieds  nus  saint  Jacques , 
qui  va  d'Asie  en  Europe ,  de  Jérusalem  à  Compostelle.  Cepen- 
dant, entre  le  vf  et  le  xv"  siècle,  la  nudité  des  pieds  est  un 
caractère  à  peu  près  certain  pour  faire  distinguer  le  Christ 
entre  les  confesseurs,  les  martyrs,  les  vierges  et  les  person- 
nages allégoriques. 

La  gloire,  auréole  et  nimbe,  destinées  à  glorifier  les  per- 
sonnes saintes  et  divines,  devait  être  attribuée  au  Christ  plus 
qu'à  tout  autre ,  en  raison  des  honneurs  immenses  qui  ont  tou- 
jours été  rendus  à  la  seconde  personne  divine.  Les  monuments 
nous  présentent ,  en  effet ,  le  fils  de  Dieu  orné  des  auréoles 
les  plus  lumineuses  et  des  nimbes  les  plus  éclatants.  Dans  le 
sein  de  sa  mère,  le  Verbe  incarné  est  déjà  tout  rayonnant, 
ainsi  que  la  planche  suivante  en  donne  un  exemple  curieux. 

'  Une  grande  statue  de  Jésus  en  pèlerin,  à  Notre-Dame  de  Reims,  est  chaussée 
comme  le  serait  un  saint  ordinaire.  Elle  porte  un  chapeau  de  pèlerinage,  à  bords  larges 
et  faits  pour  abriter  le  voyageur  contre  le  soleil  et  la  pluie.  Le  nimbe  timbré  d'une  croix 
fait  seul  reconnaître  le  Christ.  Dans  nos  légendes  du  moyen  âge ,  Jésus  se  déguise  fré- 
quemment en  pèlerin;  on  le  voit  surtout  passant  un  fleuve  dans  une  barque  dirigée  et 
conduite  par  Julien  le  Pauvre  et  sa  femme.  Dans  ce  cas ,  Jésus  est  ordinairement  ha- 
billé comme  le  grand  Christ  de  Reims.  Le  nimbe  marqué  d'une  croix  est  le  seul  attribut 
qui  le  caractérise ,  car  son  grand  chapeau  et  ses  vêtements  à  la  mode  le  feraient  prendre- 
pour  un  pèlerin  ordinaire.  (Voyez  un  bas-relief  représentant  saint  Julien  et  qui  est  de  la 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE. 

71,  JÉSDS  DANS  UNE  AUREOLE  FLAMBOYANTE 

Vitrail  français,  .\vi°  siècle. 


287 


Cette  auréole,  formée  par  des  rayons  droits  et  flamboyants  , 

fin  du  xiif  siècle;  il  est  aujourd'hui  dans  la  rue  Galande,  u"  42 ,  à  Paris.  Ce  bas-relief 
intéressant  provient  de  l'église  Saint- Julien,  qui  est  près  de  là.  ) 

'  Ce  dessin  reproduit  un  vitrail  du  xvf  siècle ,  qui  se  voit  dans  la  pauvre  église 
de  Jouy,  petit  village  de  l'arrondissement  de  Reims.  En  i836  ,  j'ai  vu  à  Lyon,  chez 
l'architecte  Pollet,  qui  est  mort  depuis,  deux  volets  en  bois  où  l'on  avait  peint  au 
XV'  siècle  une  Visitation.  La  Vierge  et  sainte  Elisabeth ,  toutes  deux  enceintes ,  se  sa- 
luaient affectueusement.  Le  peintre  avait  eu  la  hardiesse  de  représenter  sur  le  ventre 
des  deux  cousines  deux  petits  êtres  humains  qui  figuraient  Jésus  et  saint  Jean-Baptiste. 
Les  deux  enfants  se  saluaient  également.  Le  petit  saint  Jean  tressaillait  et  s'inchnait 
pieusement  sous  la  bénédiction  que  le  petit  Jésus  lui  donnait  de  ses  doigts  presque 
imperceptibles.  En  mourant,  Pollet  a  fait  don  à  la  ville  de  Lyon,  comme  on  me  l'a 
dit,  de  ces  peintures  intéressantes,  qui  ont  bien  quelque  rapport  avec  notre  vitrail  de 
Jouy,  et  qui  ne  seront  pas  une  des  moindres  curiosités  du  musée  de  Lyon.  Outre 
leur  intérêt  archéologique,  ces  peintures  ont  encore  de  la  valeur  comme  œuvres  d  art. 


288  INSTRUCTIONS. 

est  analogue  à  celle  que  nous  avons  donnée  plus  haut'  ;  seu- 
lement ici,  le  petit  Jésus  est  plongé  tout  seul  dans  cet  ovale 
lumineux  qui  est  plus  accentué  et  qui  épouse  mieux  le  con- 
tour général  du  corps. 

La  forme  de  l'auréole  qui  entoure  le  Fils  de  Dieu  est  extrê- 
mement variée:  elle  est  elliptique,  ovoïdale,  circulaire,  tétra- 
foliée,  comme  nous  en  avons  donné  plusieurs  exemples^; 
elle  affecte  les  formes  les  plus  simples  et  les  plus  complexes 
de  la  géométrie.  L'auréole  étant  un  signe  matériel  du  culte 
qu'on  rendait  au  Christ ,  du  respect  et  de  l'admiration  qu'on 
avait  pour  son  dévouement  et  sa  doctrine,  l'imagination,  celle 
des  Grecs  surtout,  s'est  agitée  en  tous  sens  pour  inventer  des 
formes  nouvelles;  on  cherchait  à  témoigner  ainsi  de  l'amour 
infiniment  varié  qu'on  portait  au  Sauveur.  Le  triangle,  nous 
l'avons  dit  en  détaiP,  est  la  figure  de  la  divinité:  deux  trian- 
gles accusent  la  divinité  plus  fortement  encore,  et  plusieurs 
triangles  désignent  l'absolu  de  la  puissance  divine.  Dans  la 
planche  21%  nous  avons  donné  un  double  triangle  ;  mais  c'est 
au  nimbe  et  non  à  l'auréole ,  à  la  tête  seulement  et  non  pas 
au  corps  qu'est  appliqué  cet  attribut  bi-triangulaire.  Ici,  nous 
avons  quatre  triangles  et  non  plus  deux  seulement,  qui  s'in- 
tersectent,  et  de  ces  quatre  triangles  émerge  le  corps  du  Fils  de 

Un  ancien  émail  de  Limoges,  que  possède  M.  l'abbé  Texier,  curé  d'Auriat  (Creuse), 
et  correspondant  du  comité  des  arts  el  monuments,  offre  un  sujet  entièrement  sem- 
blable à  celui  de  Jouy.  La  Vierge  y  est  vêtue  d'une  robe  blancbe ,  retroussée  en 
partie  et  laissant  apercevoir  une  robe  de  dessous,  rouge  et  dorée.  Dieu  le  père ,  qui 
plane  dans  les  cieux,  bénit  la  mère  de  son  tils.  Sur  le  ventre  de  la  Vierge  est  figuré, 
dans  une  auréole  dorée,  un  petit  être  humain  nu  et  joignant  les  mains.  Marie  se  dé- 
tache sur  un  fond  bleu  ;  elle  est  entourée  de  la  lune  ,  d'une  étoile  ,  d'une  tour,  d'un 
lys,  etc.   attributs  qui  la  caractérisent,  surtout  au  xv°  siècle. 

'  Planche  43,  page  i.Si. 

^  Entre  autres,  planches  36,  37,  38  et  ào,  pages  111,  1 13,  117  el  i23. 

^  Histoire  du  nimbe  ,   p.  59-64. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  289 

Dieu.  Les  trois  grands  archanges  Raphaël,  Michel  et  Gabriel \ 
portent  en  triomphe  ce  jeune  Dieu,  qui  bénit  le  monde  des 
deux  mains  à  la  fois.  Jésus  a  des  ailes  comme  les  archanges 
eux-mêmes,  parce  qu'il  a  été  le  messager,  l'ange  [kyyeXo^)  de 
la  grande  volonté  de  Dieu ,  comme  les  Grecs  s'expriment  dans 
leur  magnifique  langage. 

72.  JÉSUS  EN  ANGE,    DANS  UNE  AUREOLE  COMPOSEE  DE  TRIANGLES*. 

Peinture  grecque,  xv°  siècle. 


EP-B.'PVRAND-BX-PICTVR.-eRA.C. 

'  Selon  la  coutume  des  Grecs,  le  nom  des  archanges  est  ligure  par  la  première  lettre 
de  ce  nom  inscrite  au  sommet  du  nimbe. 

'  Ces  représenlalions  de  l'assemblée  des  archanges  (r)  (rivants  rœv  àpx<^yyélwv)  oilrant 

INSTRUCTIONS    II.  7 


290  INSTRUCTIONS. 

Souvent  les  Grecs  émoussent  les  pointes  de  ces  triangles 
ou  les  relient  par  une  circonférence  circulaire;  alors  ils  ra- 
mènent à  la  forme  d'un  cercle  parfait  l'auréole  d'où  s'élance 
le  jeune  Dieu.  Page  117,  pi.  38,  nous  avons  donné  une  figure 
divine ,  qui  est  probablement  le  Fils  ou ,  tout  au  moins ,  le 
Père  sous  les  traits  de  son  Fils;  le  Dieu  est  assis  au  centre  de 
carrés  à  côtés  concaves  et  projetant  six  pointes  triangulaires.  Les 
extrémités  de  ces  triangles  viennent  toucher  à  un  cercle  qui  les 
réunit.  Ainsi  nous  revenons  à  cette  «  imago  clypeata  »  déjà  plu- 
sieurs fois  signalée  et  dont  nous  avons  donné  des  exemples  '. 
Le  Christ  ne  bénit  plus  que  d'une  main,  et  quelquefois,  comme 
dans  une  peinture  du  couvent  de  Sainte-Laure ,  la  main  ne  bénit 
pas,  mais  elle  s'arme  d'une  épée  nue.  Alors  l'image  est  com- 
plètement guerrière,  car  l'auréole  circulaire  et  le  nimbe  lui- 
même  sont  assimilés  à  des  boucliers.  On  lit  dans  le  manuscrit 
d'Herrade  :  «  Les  lumières  que  l'on  peint  autour  de  la  tête  en 
forme  de  cercle  veulent  dire  que  les  saints  qui  en  jouissent 
sont  couronnés  de  la  lumière  et  de  la  splendeur  éternelles. 
C'est  pour  cela  qu'on  leur  donne  la  forme  d'un  bouclier  rond , 
parce  qu'ils  sont  défendus  par  la  protection  divine  comme 
par  un  bouclier.  De  là  vient  qu'ils  chantent  eux-mêmes  :  Sei- 
gneur, dcfendez-nous  avec  le  bouclier  de  la  volonté^.  »  Dans 

à  l'adoralion  îeur  jeune  maître  sonl  Irès-noinbreuses  chez  les  Grecs.  Il  n'y  a  guère  d'églises 
qui  n'en  possèdent  une  peinture  à  fresque  ou  un  tableau  sur  bois,  appliqué  contre  la  clô- 
ture du  sanctuaire.  A  eux  trois,  les  archanges  Michel,  Gabriel  et  Raphaël  représentent, 
selon  les  idées  des  Grecs ,  la  triple  puissance  militaire ,  civile  et  religieuse ,  dans  le  royaume 
céleste.  Raphaël  est  considéré  et  habillé  comme  un  prêtre  ;  en  celte  qualité ,  il  occupe  la 
place  d'honneur;  il  est  au  milieu,  entre  Michel  et  Gabriel.  Michel,  toujours  vêtu  et  armé 
comme  un  guerrier,  a  pour  mission  de  combattre  les  démons  et  les  ennemis  de  Dieu.  Ga- 
briel se  charge  des  messages  pacifiques,  et  vient,  par  exemple,  annoncer  à  Marie  qu'elle 
sera  la  mère  du  Verbe.  La  dilYérence  des  costumes  indique  celle  des  attributions. 
'  Notamment  planche  5i,  page  191. 
"  Lumina  quai  circa  capul  sanclorum  in  modnm  circuli  depinguntur,  désignant 
"quodlumine  aeterni  splendoris  coronali  fruuntur.  Idcirco  vero  secundum  formam  ro- 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  291 

ie  dessin  suivant,  le  Christ  est  plus  pacifique;  il  tient  un 
rouleau  delà  main  gauche  et  bénit  de  la  main  droite.  Son  au- 
réole circulaire  est  inscrite  dans  une  autre  auréole  semblable 
qui  renferme  Marie. 

73.  —  JÉSUS  DANS    DNE  AUREOLE  CIRCULAIRE  '. 
Sceau  en  argent  du  mont  Athos. 


Certainement  ces  auréoles,  si  diverses  et  si  splendides  dont  on 
relève  la  personne  du  Christ,  sont  remarquables  de  beauté  ; 
cependant  elles  ne  peuvent  servir  encore  à  le  faire  distinguer 

«  tundi  sculi  pingunlur,  quia  divina  protectlone  ut  scufo  muniuntur  ;  unde  ipsi  cantanl 

«  gratulabundi  :  Domine  ut  scuto  voluntatis »  [Hortus  deliciarum.  ) 

'  Ceci  est  ]a  représenlalion  du  sceau  donl  le  gouvernement  du  mont  A ih os  marque 
tous  ses  actes.  Ce  gouvernement  s'appelle  épistasie  ;  il  est  composé  de  quatre  moines 
nommés  èpistutes ,  élus  chaque  année,  au  mois  de  mai ,  par  tous  les  couvenis  de  la  mon- 
tagne sacrée.  Un  secrétane  perpétuel  complète  celte  autorité  annuelle.  Toutes  les 
délibérations  de  ce  pouvoir  électif  ne  sont  exécutoires  qu'après  avoir  été  scellées  du  sceau 
de  l'état.  Ce  sceau  est  en  argent  el  coupé  en  quatre  parties  égales  ;  chaque  épistate  est 
dépositaire  de  l'une  de  ces  parties.  Quand  la  délibération  est  prise,  les  épistales  dé- 
posent sur  une  table  leur  quart  de  sceau ,  en  guise  de  boule.  Le  secrétaire  prend  ces 
quatre  parties  et  les  réunit  au  moyen  d'une  clef  ou  d'une  vis  à  queue  donl  il  est  le  dé- 
positaire. Il  noircit,  à  la  fumée  d'une  bougie ,  ce  sceau  ainsi  recomposé,  et  il  en  marque 
le  papier  sur  lequel  il  a  écrit  la  délibération.  Puis  il  divise  le  sceau  ,  rend  son  quart  à 
chacun  des  délibérants  et  garde  la  clef  pour  lui.  C'est  ainsi  que  fut  scellée  une  lettre  que 
les  épistales  me  délivrèrent,  aumois  d'octobre  1889, pour  me  recommander  aux  différents 
monastères  que  j'allais  visiter.  A  la  circonférence  de  ce  sceau  ,  on  lit  en  grec  et  en  lurc  • 

SCEAU  DE  L'ÉPISTATE  DE  LA  COMMUNADTÉ  DE  LA  SAINTE  MONTAGNE.  LcS  quatre  épistates  ,  par 

37. 


292  INSTRUCTIONS. 

suffisamment.  Ainsi ,  plus  haut,  nous  avons  vu  un  Christ  du 
Gampo-Santo  enveloppé  d'une  auréole  ovoïdale  et  assis  sur  un 
arc-en-ciel  ^  La  circonférence  de  l'auréole  et  Tintérieur  de 
Tare  sont  rayés  d'une  foule  de  lignes  et  hrodés  comme  un 
riche  vêtement.  La  tête  du  Christ  elle-même  lance  des  rayons 
avec  tant  de  force  quelle  les  pousse  hors  du  champ  de 
Tauréole.  Et  cependant,  malgré  l'attention  évidente  d'honorer 
spécialement  Jésus  et  de  montrer  sa  gloire,  on  ne  peut,  à  ces 
caractères,  le  distinguer,  non-seulement  de  Dieu  le  père,  mais 
même  de  sa  mère,  une  simple  créature.  Effectivement,  sur  la 
même  fresque  du  Campo-Santo,  où  est  figuré  ce  Christ  si  lu- 
mineux, est  peinte  la  Vierge  tout  aussi  éclatante  que  son  fds. 
Marie  est  assise  sur  un  arc-en-ciel;  elle  est  entourée  d'une 
auréole  ovoïdale,  et  elle  rayonne  à  la  tête  absolument  comme 
le  Christ.  Le  champ  de  l'arc,  la  circonférence  de  l'auréole,  le 
nombre  et  la  force  des  rayons  égalent  ce  qu'on  voit  dans 
l'image  du  Fils  de  Dieu. 

^unanimité  de  leurs  délibérations  ,  sont  considérés  comme  un  seul  individu.  Ce  sceau  re- 
présente la  Vierge  et  l'Enfant  Jésus.  Tout  le  mont  Alhos  est  dédié  à  Marie.  Les  femmes  et 
même  toutes  les  femelles  des  animaux  sont  exclues  du  mont  Athos  ;  il  n'y  a  et  il  n'y  a 
jamais  eu  que  des  hommes.  On  y  voit  des  troupeaux  de  boucs,  de  moutons  ,  clecbevaux 
et  de  mulets  ;  les  dindons  et  les  coqs  abondent  dans  certains  couvents;  mais  il  n'y  a  ni 
chèvres  ni  brebis  ,  ni  juments,  ni  mules  ,  ni  dindes,  ni  poules.  Cependant  ces  moines, 
si  ennemis  des  femmes ,  ont  mis  leur  gouvernement  sous  la  protection  d'une  femme  ,  de 
la  Vierge;  presque  tous  les  monaslères  sont  dédiés  à  la  Vierge  et  à  tous  les  événements  de  la 
vie  de  Marie.  Les  deux  premiers  couvenls  sont  dédiés,  l'un  à  la  nativité  de  Marie,  l'autre  à 
son  entrée  dans  le  temple  de  Jérusalem.  Le  dernier,  celui  qui  est  au  fond  de  la  péninsule 
alhonile,  est  consacré  à  la  mort  ou  à  l'assomption  de  Marie.  Ceux  des  couvents,  qui  ne 
sont  pas  tout  entiers  sous  la  proicclion  de  Marie,  renferment  une,  deux  ou  trois  églises 
qui  lui  sont  dédiées.  Le  mont  Alhos  a  voulu  se  soustraire  à  la  femme,  et  cependant  la 
nionta<2;iie  entière  ,  les  habitations  et  les  éîjlises ,  les  moines  el  leurs  actes  sont  gouvernés 
et  protégés  par  une  femme.  Il  n'y  a  pas  une  seule  fête  de  la  Vierge,  depuis  sa  nativité 
jusqu'à  sa  mort  et  son  couronnement,  qui  ne  soit  célébrée  avec  pompe  dans  tout  le  mont 
Athos.  La  religion  grecque  a  porté  le  culte  de  Marie  plus  loin  encore  que  l'Eglise  latine. 
'   Planche  Gy,  page  268. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE. 


293 


Ih. 


MARIE  GLORIFIEE  COMME  JESUS-CHRIST. 
Fresque  ilalleune,  xiv°  siècle. 


Quelquefois  les  deux  mains  du  Christ  lancent  des  rayons, 
comme  celui  qu'on  voit  dans  Sainte-Madeleine  de  Vezelay,  à 
la  porte  de  l'église  proprement  dite^;  mais  la  Vierge  elle-même 
est  également  représentée  laissant  tomber  de  chacun  de  ses 
doigts  des  rayons  de  grâce  sur  ceux  qui  l'invoquent.  Une  mé- 
daille, frappée  en  son  honneur  dans  ces  derniers  temps,  la 

'  Il  y  a  deux  bâtimenls,  le  porche  et  l'église;  c'est  à  la  porte  de  l'église  que  se  voit 
celte  stalue. 


294  INSTRUCTIONS. 

figure  ainsi  laissant  tomber  des  torrents  de  faveurs  de  cha- 
cune de  ses  deux  mains. 

On  le  voit,  par  ces  différents  caractères  de  l'âge,  de  la  phy- 
sionomie, du  costume,  de  l'auréole,  le  Christ  ne  se  distingue 
pas  assez,  puisque  sa  mère  et  souvent  de  simples  saints  sont 
honorés  au  même  degré.  Le  nimbe  est  un  meilleur  caractère. 
Jésus,  sauf  les  exceptions  signalées  dans  l'histoire  de  cet  or- 
nement archéologique,  porte  un  nimbe  crucifère.  Comme  les 
croisilJons  de  cet  attribut  sont  quelquefois  marqués  des  mots 
6  (^v,  REX,  A  et  a,  ou  A,  M,  il  \  on  ne  peut  confondre  le  Christ, 
auquel  ils  se  rapportent,  avec  les  autres  créatures  historiques 
ou  allégoriques.  Les  trois  personnes  divines  ont  seules  le  droit 
de  porter  un  nimbe  semblable ,  et  c'est  à  Jésus  qu'il  appartient 
surtout.  Ainsi  nous  distinguons  le  Christ  déplus  en  plus,  nous 
le  tirons  successivement  de  la  foule.  Par  la  nudité  des  pieds,  il 
était  confondu  avec  les  anges,  avec  les  apôtres,  même  avec  les 
prophètes;  maintenant,  à  faide  du  nimbe  ainsi  caractérisé,  nous 
affirmons  que  c'est  une  des  trois  personnes  de  la  Trinité,  et  pro- 
bablement la  seconde^.  Mais  quand  cette  personne ,  que  le  nimbe 

^  Dans  le  poème  de  Rhaban  Maur  [De  laudïbus  sanctœ  cr«c«s,  figura  i'),  Jésus  est  figuré 
portant  un  nimbe  crucifère  où  sont  inscrites  ces  trois  lettres  ,  A,  M,  û,  qui  sont  le  com- 
mencement, le  milieu  et  la  fin  de  l'alphabet  grec  ,  parce  que  Jésus  renferme  en  lui  le 
passé ,  le  présent  el  favenir.  Rhaban  dit  d'une  manière  symbolique  ce  que  les  Byzan- 
tins, par  0  &v,  expriment  littéralemenl  ;  mais  c'est  le  même  principe  dans  les  deux 
variétés.  Dieu  est  l'être  par  excellence  {  b  wv)  ;  il  embrasse ,  dit  Rhaban ,  le  commen- 
cement, le  milieu  el  la  fin  de  tout;  il  élait  hier,  il  est  aujourd'hui,  il  sera  demain. — 
Le  poète  Prudence  dit  dans  sa  neuvième  hymne  : 

Alpha  et  oméga  cognominatur  ipse  ;  fons  et  clausula 
Oninium  quae  sunt ,  fuerunt,  vel  post  futura  sunt. 

Sur  une  archivolte  de  l'église  ancienne  de  l'île  Barbe ,  près  de  Lyon  ,  on  lit ,  rédigé 
en  fort  mauvais  latin  ,  mais  gravé  en  beaux  caractères  du  xi*  siècle  : 

Alpha  vel  0,  primus,   finis  michi  convenit  ergo. 

C'est  le  Christ  qui  parle  ;  il  tient  une  croix  avec  laquelle  il  terrasse  un  lion. 

C'est  au  Christ  en  efïèt  que  convient  prlacipalcment  le  nimbe  crucilère;  le  Père  e' 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  295 

crucifère  décore  ainsi,  est  armée  de  la  grande  croix  de  la  Pas- 
sion ou  de  la  petite  croix  de  la  Résurrection,  et  qu'à  cette  croix 
flotte  un  étendard  rouge  teint  dans  le  sang  de  la  victime  divine; 
quand  cette  personne  n'a  pas  de  robe ,  mais  un  simple  manteau , 
qui  laisse  à  nu  les  bras  et  la  poitrine,  et  qui  s' entrouvre  pour 
faire  voir  la  plaie  du  côté  droit;  quand  un  vêtement  de  prêtre 
latin  ou  d'archevêque  grec  couvre  la  personne  au  nimbe  cruci- 
fère, parce  que  Jésus-Christ  est  prêtre  suivant  l'ordre  de  Mel- 
chisédech  \  parce  qu'il  est  le  grand  archevêque  qui  officie  dans 
la  liturgie  divine^;  quand  cette  personne  est  entourée  des  at- 
tributs des  évangélistes;  quand  près  de  sa  tête  se  lit  le  mono- 

le  Sainl-Rsprit,  en  l'acloplant,  semblent,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  rendre  hommage 
à  Jésus  et  se  pai-er  de  sa  livrée.  Le  texte  qui  suit,  et  que  nous  croyons  devoir  transcrire 
en  entier,  complétera  ce  que  nous  avons  dit  sur  le  nimbe  en  général  et  sur  le  nimbe 
du  Christ  en  particulier  :  «  Considerandum  quoque  est  quod  Jésus  semper  coronalus 
'  depingilur,  quasi  dicat:  Egredimini  filiae  Illerusalem,  et  videte  regem  Salomonem  in 
»  diademate  quo  coronavit  eum  mater  sua.  Fuit  enim  Christus  coronalus  Iriphciter. 
«  Primo  a  maire,  corona  misericordiae ,  in  die  conceptionis;  quaecorona  duplex  est  propter 
1  n'aturalia  et  gratuita,  ideoque  et  diadema  vocatur,  quod  est  duplex  corona.  Secundo  a 
'  noverca,  coronae  miseriœ,  in  die  passionis.  Tertio  a  paire,  corona  gloriae  in  die  resurrec- 
utioiiis.  Unde  :  «  gloria  et  honore  coronasti  eum,  Domine.  «Demumcoronabitur  a  familia 
i  corona  potenliaj,  in  die  ullimae  revelationis.  Véniel  enim  eum  senaloribus  ierrce,  judi- 
<  cans  orbem  lerrœ  in  equilate.  Sic  et  omnes  sancti  pingunlur  coronali ,  quasi  dicat  fdiae 

I  liierusalem  :  Venile  et  videte  martvres  eum  coronis  aureis  qaibus  coronavit  eos  Do- 
it minus;  et  in  libro  Sapienliae  [Sap.  v)  :  «  Jusliaccipienl  regnum  decoris  et  diadema  spe- 
(I  ciei  de  manuDomini.  »  Corona  aulemhujusmodidepingltur  in  forma  sculi  rolundi,  quia 
«  sancli  Dei  prolcclione  divina  fruuntur.  Undecanlant  gralulabundi  :  'i  Domine,  ut  scuto 
'  bonae  voluntalis  coronasli  nos.  «Verumtamen  Chrisli  corona  percrucis  llguram  a  sancto- 

II  rum  coronis  dislinguilur,  quia  per  crucis  vexillum  sibi  carnis  gloriiîcalionem  et  nobis 
Il  meruit  a  caplivilale  iiberalionem  et  vitai  fruitionem.  »  (GuiiJ.  Durand,  Rat.  div.  oJf\ 
lib.  I,  cap.  m.)  On  voil  que  Durand  confond  la  couronne  avec  le  nimbe,  ou  plutôl  qu'il 
donne  le  même  nom  à  l'une  cl  à  l'autre.  Du  reste  il  déclare  que  la  couronne  crucifère  dis- 
tingue le  Christ  de  tous  les  saints. 

'   «Tu  es  sacerdos  in  a;ternum,  secundum  ordinem  Melchisedec.  »  [Psal.  cix,  v.  à.) 
-  ô  (léyas  âp^iepévs.   On   voit  ainsi  le  Christ  en  costume  d'archevêque,    recevant 
successivement,  et  des  mains  d'une  procession  d'anges,  les  divers  instruments  qui  servent 
au  sacrifice  de  la  messe  que  le  prêlre  divin  va  offrir  ensuite.  Le  tambour  des  coupoles 


296  INSTRUCTIONS. 

gramme  latin  J.  C.  ou  le  monogramme  grec  fC  X^C  ;  quand 
elle  est  marquée  de  stigmates  aux  pieds,  aux  mains,  au  côté; 
quand  elle  porte  à  la  tête  une  couronne  d'épines,  et  à  la  main 
un  livre  ouvert  ou  fermé  \  et  quand  sur  les  pages  du  livre 
ouvert  on  voit  l'un  de  ces  textes  : 

Pax  vobis  -. 

Ego  sum  via,  veritas  et  vita  ^. 

Ego  sum  lux  mundi  ^. 

Ego  sum  resurrectio  ^. 

Qui  vidit  me  vidit  et  Patrem  '^. 

Ego  et  Pater  unum  sumus  ^. 

centrales,  dans  les  églises  de  la  Grèce,  est  presque  toujours  peint  de  ce  magnifique  sujet 
qu'on  appelle  la  sainte  liturgie,  v  ^7"^  Xsnovpyla. 

Le  livre  que  tient  le  Christ  est  fermé  quelquefois ,  mais  il  est  ouvert  la  plupart  du 
temps.  Voici  comment  Guillaume  Durand  explique  les  deux  manières  de  figurer  ce  livre 
mysiérieux  ;«....  Divina  majestas  depingitur  quandoque  cum  libro  clauso  in  manibus  , 
«  quia  nemo  inventus  est  dignus  aperiie  illum  nisi  leo  de  tribu  Juda.  Et  quandoque  cum 
«  libro  aperto,  ut  in  illo  quisque  légat  quod  ipse  est  lux  mundi,  et  via  ,  veritas  ac  vita  , 
«  et  liber  vitae.  »  (  Rationale  divin,  off.  lîb.  I,  cap.  m).  (Voyez  dans  l'Apocalypse ,  cbap.  v, 
verset  5 ,  l'allusion  faite  au  lion  de  la  tribu  de  Juda.  ) 

C'est  le  salut  que  Jésus  adressait  d'ordinaire  à  ses  apôtres  et  à  ses  disciples.  Dans 
le  triclinium  de  Saint-Jean-de-Lalran,  à  la  mosaïque  de  l'abside,  qui  est  de  l'an  797,  le 
Christ  donne  à  ses  apôtres  la  mission  de  baptiser.  Il  est  debout  ,  sur  un  tertre  d'où 
sortent  les  quatre  fleuves  mystiques  ;  il  montre  un  livre  ouvert,  où  se  lit  ce  Pax  vohis. 
(Ciampini ,  Vet.  moni.  2"  pars,  tab.  Sg ,  p.  128).  Ces  paroles  d'amour  sont  gravées  éga- 
lement sur  le  livre  que  tient  le  Dieu  escorté  d'un  séraphin  à  sa  gauche  et  d'un  chérubin 
à  sa  droite,  et  qu'on  voit  sculpté  en  marbre  à  Saint-Saturnin  de  Toulouse. 

C'est  précisément  le  texte  que  cile  Guillaume  Durand  ,  et  qui  est  tiré  de  saint  Jean 
évangéliste. 

A  Saint-Laurent  de  Gênes ,  sur  le  tympan  de  la  porte  principale. 

Sur  la  mosaïque  de  Saint-Marc  de  Rome  ,  d'où  est  tiré  le  pape  Grégoire  IV  à  nimbe 
carré,  donné  dans  l'Histoire  du  nimbe,  p.  10  :  le  Christ  est  au  centre  des  personnages; 
il  tient  un  livre  ouvert  sur  lequel  est  écrit  :  «  Ego  sum  lux.  Ego  sum  vita.  Ego  sum  resur- 
"  rectio.  »  (Voir  Ciampini,  Vet.  moni.  2"  pars,  pi.  87,  p.  119.) 

Sur  une  mosaïque  du  vi°  siècle,  à  Saint-Michel  de  Ravenne.  Saint-Michel  a  été  bâti 
en  5/i5. 

Ces  deux  dernières  inscriptions  sont  peintes  toutes  deux  à  la  fois  sur  un  livre  que 
tient  un  Christ  exécuté  en  mosaïque  à  Saint-Michel  de  Ravenne  :  Qui  vidit  me  vidit  et 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  297 

In  principio  erat  Verhum  ^, 
Eyct)  sl(xi  rà  (pôos  to\i  Hà(T(i.ov  ^. 

Alors  il  n'y  a  plus  de  doute,  cette  personne  de  la  Trinité 
est  bien  le  Christ;  car  tous  ces  attributs,  tous  ces  textes  con- 
viennent à  lui,  et  la  plupart  d'entre  eux  ne  peuvent  convenir 
qu'à  lui  seul.  Après  les  nombreux  et  divers  portraits  donnés 
de  Jésus-Christ,  surtout  dans  l'Histoire  du  nimbe '^,  il  ne  pa- 
raît pas  utile  de  donner  ici  ceux  qui  présenteraient  les  divers 
caractères  que  nous  venons  de  rappeler. 

Un  sujet  fréquemment  reproduit  aux  xii',  xiii*"  et  xiv'  siè- 
cles, ne  laisse  aucune  incertitude  sur  le  personnage  qui  en 
occupe  la  partie  principale.  Sur  les  vitraux  et  les  miniatures 
des  manuscrits  exécutés  surtout  pendant  les  trois  siècles  que 
nous  venons  de  nommer,  on  voit  un  personnage  debout,  plus 
souvent  assis,  autour  duquel  rayonnent  sept  petites  colombes. 
Ce  personnage  ayant  les  pieds  nus,  ce  pourrait  être  un  apôtre; 
mais  c'est  l'une  des  trois  personnes  divines,  parce  qu'il  porte 
un  nimbe  crucifère.  Or  ces  colombes  symbolisent  les  sept  es- 
prits de  Dieu  ,  et  d'après  Isaïe  ^,  d'après  l'Apocalypse  ^  d'après 

Patrem  est  sur  le  verso;  Ego  et  Pater  unum  sumus  est  sur  le  recto.  Outre  son  livre,  Jésus 
tient  une  croix  beaucoup  plus  haute  que  lui.  (Voyez  Ciamp.  Vet.  mon.  pars  i",  pag.  80, 
lab.  2/i.) 

'   Les  monuments  où  cette  inscription  est  reproduite  sont  en  si  grand  nombre,  qu'il 
semble  inutile  de  les  citer. 

'^  Sur  la  plupart  des  livres  que  tiennent  les  ligures  grecques  du  Christ  Pantocralor. 
(Voyez  le  dessin  n"  /ig,  p.  181.)  Dans  le  manuscrit  de  Panselinos  nous  donnons  toutes  les 
inscriptions  écrites  sur  le  livre  que  tient  le  Christ;  ces  inscriptions  sont  nombreuses  et 
varient  suivant  les  endroits  où  le  Fils  de  Dieu  est  représenté  et  suivant  les  fonctions 
qu'il  ren)plit.  Ainsi,  lorsqu'il  est  en  ange  de  la  grande  volonté,  on  lit  sur  la  banderole 
ou  le  livre  qu'il  tient  :  «Moi,  je  viens  de  Dieu  et  j'y  retourne;  car  je  ne  suis  pas  venu 
de  moi ,  mais  c'est  lui  qui  m'a  envoyé.  » 

^  Voyez  particulièrement  pages  36,  87,  48  et  53,  planches  7,  8,  i5  et  17.  D'autres 
portraits  vont  suivre  et  compléteront  le  signalement  du  fds  de  Dieu. 

'  PropJiet.  cap.  xi,  v.  1,2  et  3. 

^  Chap.  V,  versets  G,  11  et  12. 

INSTRUCTIONS.  —    II.  38 


298  INSTRUCTIONS. 

les  docteurs  de  l'Eglise  \  c'est  le  fds  de  Dieu,  c'est  Jésus  qui  tut 
spécialement  animé  des  sept  esprits  divins.  Ainsi  donc,  toutes 
les  fois  qu'on  verra  un  personnage  jeune  ou  âgé,  barbu  ou  im- 
berbe, nimbé  ou  sans  nimbe,  entouré  de  sept  colombes,  ou 
peut  affirmer  hardiment  que  ce  personnage  est  le  fds  de  Dieu. 
Nous  n'en  dirons  pas  davantage  sur  ce  sujet,  parce  que  nous  y 
reviendrons  avec  plus  de  détails  dans  l'histoire  du  Saint-Esprit  "^ 
Un  autre  signe,  mais  indirect  et  tiré  de  l'histoire,  sert  à 
reconnaître  Jésus-Christ  :  c'est  quand,  dans  une  scène  évan- 
gélique,  on  voit  un  personnage  accomplissant  les  actions  que 
l'Evangile  attribue  à  Jésus.  Dans  ce  cas,  lors  même  que  ce 
personnage  serait  dépouillé  de  tous  les  caractères  que  nous 
avons  signalés,  on  ne  peut  hésiter  à  le  reconnaître.  Mais,  dans 
cette  partie  de  l'iconographie  chrétienne,  nous  ne  parlons 
du  Verbe  qu'en  l'envisageant  comme  Dieu  et  non  pas  comme 
homme,  nous  faisons  l'histoire  de  la  seconde  personne  de  la 
Trinité  avant  et  après  son  existence  sur  la  terre  ;  nous  ne 
devons  donc  pas  traiter  cette  question,  qui  trouvera  son  dé- 
veloppement complet  dans  l'histoire  évangélique  de  Jésus. 
D'ailleurs  un  sujet  fréquemment  représenté,  et  qu'il  faut  men- 

'  Notamment  Rhaban  Maur,  de  Laudibus sanctœ  Crucis ,  figura  XVI,  pag.  3i2,  P'vol. 
des  Œuvres  complèles. 

Au  cliaphre  de  l'auréole ,  page  1 23 ,  planche  ho ,  nous  avons  reproduit  une  miniature 
(lu  psautier  de  saint  Louis  conservé  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal.  Jésus,  assis  au  centre 
d'un  ovale  de  branchages  et  au  sommet  d'un  arbre  généalogique,  est  entouré  de  sept 
colombes  divines.  Dans  l'église  de  Saint-Denis,  sur  les  vitraux  donnés  par  Suger,  on  voit 
deux  fois  le  fds  de  Dieu  cuirassé  et  nimbé  des  sept  esprits.  Le  même  sujet  est  peint  sur 
un  vitrail  de  la  Sainte-Cliapelle  de  Paris,  sur  un  vitrail  d'une  église  de  village,  près  de 
Reims,  sur  la  rose  septentrionale  de  la  cathédrale  de  Chartres,  etc.  A  l'histoire  du  Saint- 
Esprit,  nous  donnerons  deux  gravures  tirées,  l'une  d'ur> manuscrit,  l'autre  d'une  verrière 
de  la  cathédrale  de  Chartres,  et  qui  présentent  les  esprits  prophétisés  par  Isaïe.  Les  sept 
esprits  sont  encore  peints  dans  le  Venjier  deSolas,  curieux  manuscrit  que  possède  la  Bi- 
bliothèque royale.  On  ne  peut  citer  tous  les  monuments  qui  reproduisent  les  esprits 
animant  et  entourant  le  fils  de  Dieu,  tant  ils  sont  nombreux. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  299 

tionrier  ici,  résume  la  vie  mortelle  de  Jésus  :  c'est  le  triomphe 
du  Christ  après  son  ascension.  Cette  apothéose,  remarquable 
de  conception  et  souvent  admirable  d'exécution,  couronne 
tous  les  actes  de  l'humanité  divine.  Les  portes  du  ciel  s'étaient 
ouvertes  pour  laisser  sortir  le  Verbe,  qui  allait  accomplir  sa 
mission  sur  la  terre;  trente-trois  ans  après,  elles  se  rouvrent 
pour  recevoir  l'Homme-Dieu  revenant  prendre  sa  place  à  côté 
de  son  père.  Alors  les  anges  et  les  saints  portent  en  triomphe, 
les  uns  leur  maître  et  les  autres  leur  libérateur.  Tel  est  le  su- 
jet peint  ou  sculpté  dans  les  monuments  du  moyen  âge ,  avec 
des  détails  plus  ou  moins  nombreux. 


TRIOMPHE   DU    CHRIST. 


Lorsque  les  temps  furent  accomplis,  quatre  mille  quatre 
ans  après  la  création  du  monde,  Dieu  le  père  envova  son 
Fils  sur  la  terre  vivre  et  mourir  pour  les  hommes.  Il  avait 
promis  un  réparateur  de  la  faute  d'Adam,  et,  lorsqu'il  jugea 
lé  moment  venu  de  tenir  sa  parole,  il  appela  son  fds,  le  Verbe 
divin ,  pour  être  forgane  et  l'agent  de  sa  volonté  suprême. 
Suivant  les  prophéties,  la  seconde  personne  de  la  Trinité  ré- 
pondit à  cet  appel  par  ces  paroles  de  David  :  «  J'ai  dit  :  Voilà  que 
je  viens  ^  »  Le  Fils  se  fait  donc  immédiatement  le  messager 
de  la  volonté  de  son  Père  ;  il  s'offre  en  sacrifice  pour  le  salut  du 
monde,  et  accepte  avec  empressement  toutes  les  souffrances  qu'il 
lui  faudra  endurer  pour  expier  les  crimes  du  genre  humain. 

L'art  a  très-souvent  représenté  cet  acte  de  dévouement,  qui 
prend  son  origine  dans  le  ciel,  se  poursuit  sur  la  terre,  et  s'a- 
chève où  il  a  commencé.  Tout  ce  qui  se  passe  sur  terre,  nous 
le  réservons  pour  f histoire  de  la  vie  humaine  du  Christ;  mais 
nous  devons  signaler  ce  qui  précède  et  ce  qui  suit  l'incarnation 

'   Psal.  xwix,  vers.  8.  «  Tune  dixi  :  Ecce  venio.  >> 

38. 


300  INSTRUCTIONS. 

du  Verbe.  Dans  TÉglise  grecque  comme  dans  l'Eglise  latine,  on 
a  dessiné  la  scène  où  le  Verbe  dit  au  Père:  «  Me  voilà.  »  Mais  en 
Grèce,  où  les  traditions  de  l'idéalisme  antique  ne  se  sont  ja- 
mais perdues,  le  sujet  est  plus  grave  et  plus  beau  que  chez  nous. 
Dans  les  chapelles  latérales,  à  la  demi-coupole  qui  les  couvre, 
on  voit  un  grand  ange  imberbe,  peint  à  fresque  ou  en  mosaïque, 
et  déployant  ses  longues  ailes  dans  toute  leur  largeur.  La  belle 
créature  est  vêtue  d'un  costume  chargé  d'ornements  en  or  et  en 
pierres  précieuses;  elle  tient  à  la  main  un  bâton  d'or,  comme 
pour  faire  un  long  voyage.  Cet  ange  aux  ailes  ouvertes,  et  qui 
s'apprête  èi  descendre  du  ciel  en  terre,  c'est  le  Fils  de  Dieu, 
c'est  celui  qui  va  être  Jésus-Christ.  Il  porte  à  la  tête  un  nimbe 
crucifère,  comme  les  personnes  divines,  et  sur  les  branches  de 
la  croix  du  nimbe  est  écrit  o  cùv.  11  est  en  ange,  parce  qu'il  est 
le  messager  [a^yy^Mc,]  des  ordres  divins.  Tout  autour  de  sa 
tête  on  lit  ces  graves  paroles  :  o  ArrEAOS  ths  mefaahs  botahs. 
Cet  ange  de  la  grande  volonté  fait  une  profonde  impression  ; 
c'est,  avec  le  Pantocrator  des  grandes  coupoles,  la  plus  re- 
marquable figure  que  fart  chrétien  de  la  Grèce  ait  imaginée. 
L'art  antique  n'a  certainement  rien  de  plus  beau;  ce  type 
soutiendrait  probablement  la  comparaison  avec  le  Jupiter 
Olympien  que  nous  n'avons  plus  ^ 

Chez  nous,  le  même  sujet  a  été  traité  d'une  façon  moins 

'  Il  n'a  pas  été  possible  à  M.  Paul  Durand  de  dessiner,  pendant  noire  voyage  en  Grèce , 
un  de  ces  admirables  anges  de  la  grande  volonté  ;  je  regrette  donc  de  ne  pouvoir  ofifrir 
ce  type  inventé  par  les  Grecs,  cl  qu'eux  seuls  ont  exécuté.  Ces  anges  divins  sont  nom- 
breux eu  Grèce;  on  en  voit  surtout  à  Mislra,  aux  Météores ,  à  Salonique  et  au  mont  Athos. 
Un  des  plus  beaux  est  celui  du  couvent  de  Saint-Barlaam,  aux  Météores,  dans  l'abside 
latérale  du  nord;  il  a  pour  pendant,  dans  l'abside  méridionale,  un  Fils  de  Dieu,  inti' 
berbe,  et  qui  est  appelé  t»  Èfjifxavouv/X.  Dans  le  Guide  de  la  peinture,  ce  manuscrit  byzan- 
tin que  je  cite  souvent,  on  lit  la  prescription  suivante  :  «  Au  dehors  du  sanctuaire,  sur  les 
voûtes  des  croisillons,  représentez  l'Ange  de  la  grande  volonté  sur  un  nuage  et  supporté 
par  quatre  anges  ;  il  tient  une  banderole  et  dit  :  «  Moi,  je  viens  de  Dieu  et  j'y  retourne; 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  301 

élevée,  mais  plus  humaine.  Le  Verbe  n'est  plus  une  créature 
céleste,  un  messager  divin,  comme  chez  les  Grecs;  mais  un 
homme,  un  enfant,  un  pauvre  être  humain,  nu,  faible,  souf- 
frant. Il  descend  beaucoup  moins  pour  publier  la  grande  vo- 
lonté de  son  père  que  pour  accomplir  un  rude  pèlerinage. 
C'est ,  en  elTet ,  sous  ce  nom  de  pèlerinage  que  sa  mission  est 
annoncée.  Il  va  donc,  pauvre  j)èlerin,  prendre  un  bâton  pour 
s'appuyer  dans  ses  fatigues,  et  une  panetière  pour  mettre  les 
provisions  du  voyage.  Un  manuscrit  du  xiv""  siècle,  qui  appar- 
tient à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève ,  et  qui  est  intitulé 
Romant  des  trois  pèlerinages^,  raconte  en  vers  le  long  et  pénible 
pèlerinage  du  Christ.  Les  vers  sont  entremêlés  de  miniatures 
qui  traduisent  le  texte  pour  les  yeux.  Jésus,  à  l'entrée  du  poëme, 
va  commencer  son  pèlerinage;  il  se  présente  nu,  sous  la  forme 
d'un  enfant  de  dix  ans,  à  son  père,  qui  lui  adresse  ces  paroles: 

En  terre  où  iras  l'aval , 
Auras  assés  poinne  et  travai 
Pour  Adam  de  chartre  getter 
Et  de  ses  peines  délivrer, 
Et  plus  de  XXX  ans  voyage 
Feras  et  pèlerinage , 
Avant  que  il  soit  la  saison 
De  faire  sa  rédemption  ; 
Car  se  homme  très  Lien  parfait 
N'estoies  quant  feras  le  fait 
De  li  racheter,  complainte 
En  feroit  justice  enfrainte. 

car  je  ne  suis  pas  venu  de  moi-même ,  mais  c'est  lui  qui  m'a  envoyé.  »  Ecrivez  cette 
épigraphe  :  Jésus-Christ,  l'Ange  Je  la  volonlé.  —  Dans  le  second  bras  de  la  croix,  repré- 
sentez à  la  voûte  Emmanuel  sur  un  nuage,  et  disant  sur  un  rouleau  :  <  L'esprit  de  Dieu 
est  sur  moi  ;  c'est  pourquoi  il  m'a  oint ,  et  m'a  envoyé  prêcher  l'Évangile  aux  pauvres.  » 

Ce  pèlerinage  de  la  vie  humaine  a  été  composé  par  Guillaume  de  Guilleville,  moine 
de  Chalis  (sans  doute  Cliaalis,  grande  abbaye  du  département  de  l'Oise,  près  deSenlis). 
Cet  ouvrage  est  de  la  seconde  moitié  du  xiv°  siècle,  i358;  il  comprend  :  1°  le  Pèlerinage 
de  la  vie;  2°  le  Pèlerinage  de  l'àme;  3°  le  Pèlerinage  de  Jésus-Christ. 


302  INSTRUCTIONS. 

Si  que  pource  que  longuement 

Tu  feras  pelerinement, 

Bourdon  et  escherpe  te  fault 

Dont  au  moins  prendras  cy  en  iiault 

Ma  potence  où  t'appuieras 

Et  de  quoy  ton  bourdon  feras. 

A  ces  vers  est  joint  ce  dessin,  qui  est  au  folio  1 65  du  poëme. 

75. LE  VERBE  DE  DIEU  ,   ENFANT,  NU  ,  RECEVANT  DE  SON  PERE  LE  BOURDON  ET  LA  PANETIERE  , 

ET  PARTANT  EN  PELERINAGE. 

Miniature  française  du  xiv^  siècle. 


Le  petit  Jésus,  qui  va  partir  pour  sa  croisade,  reçoit  donc 
de  son  père  la  panetière  ou  escarcelle  (escharpe),  et  le  bâton 
ou  bourdon ,  qui  n'est  autre  chose  que  le  bâton  de  \âeillesse 
(  potence  )  du  Père  éternel  lui-même.  Il  y  a  quelque  chose  de 
touchant  à  voir  ce  vieillard  divin  ainsi  envoyer,  dans  le  monde 
où  il  voyagera  longtemps,  où  il  aura  beaucoup  de  travail  et 
de  peine ,  son  jeune  fds ,  qui  se  dévoue  pour  le  salut  des 
hommes.  Tout  cela  part  du  cœur  et  d'un  profond  sentiment 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  303 

de  pitié  pour  nous;  mais  il  y  a  peu  de  dignité  dans  le  sujet  et 
dans  la  manière  dont  il  est  exécutée  On  a  ainsi  la  différence 
fondamentale  qui  distingue  en  toutes  choses  l'art  chrétien  de 
rOrient  de  l'art  chrétien  occidental.  En  Orient,  en  Grèce,  c'est 
plus  grave,  mais  plus  froid;  chez  nous,  c'est  plus  vulgaire,  mais 
moins  sévère.  Nos  Christs  ont  plus  de  douceur:  ils  ne  sont  pas, 
comme  en  Grèce,  porteurs  et  exécuteurs  de  leur  sentence, 
tout  à  la  fois,  et  de  leur  trône  ne  sort  pas  un  fleuve  de  feu  qui 
va  dévorer  les  damnés.  Le  judaïsme  et  l'islamisme  n'ont  pas 
glacé  de  leur  dureté,  comme  en  Grèce,  les  idées  de  fEglise 
latine. 

Jésus  descend  donc  sur  la  terre  accomplir  son  douloureux 
pèlerinage.  Un  jour  nous  raconterons  en  détail,  avec  l'aide  des 
monuments  figurés,  cette  vie  merveilleuse  de  l'Homme-Dieu; 
aujourd'hui,  nous  la  passons  tout  entière,  et  nous  courons  au 
dénouement.  Jésus-Christ,  par  sa  prédication  et  son  ardente 
charité,  foule  aux  pieds,  suivant  la  prophétie  de  David,  le  lion 
et  le  dragon  ;  il  marche  sur  faspic  et  le  basilic.  C'est-à-dire  qu'il 
terrasse  les  plus  redoutables  et  les  plus  cruelles  passions  figu- 
rées par  quatre  des  plus  terribles  bêtes  féroces  et  venimeuses  : 
«  Super  aspidem  et  basiliscum  ambulabis  ;  et  conculcabis  leo- 
«  nem  et  draconem  ^.  » 

Le  voici  gravé  sur  un  bel  ivoire  italien,  qu'on  croit  du 
x*"  siècle,  d'après  l'âge,  le  costume  et  la  forme  du  livre  que 
porte  ce  fds  de  Dieu. 

'  Ici,  nous  voyons  que  le  Père  est  en  roi;  qu'il  est  âgé,  orné  du  nimbe crucifèie ,  et 
qu'il  a  les  pieds  nus.  La  nudité  des  pieds  le  dislingue  des  créatures  humaines;  le  nimbe 
crucilére  le  dislingue,  ainsi  que  son  Fils,  de  toutes  les  créatures  humaines  et  célestes, 
des  saints  et  des  anges.  Il  est  vieux,  parce  qu'il  est  du  xiv°  siècle,  époque  où  il  prend 
une  physionomie  distincte;  il  est  roi,  peut-être  parce  qu'il  a  été  fait  en  France  ,  comme 
nous  l'avons  déjà  fait  remarquer. 

'  Psalni.  xc,  vers.   lo. 


304 


76.— 


INSTRUCTIONS. 

JÉSUS  TERRASSANT  L'ASPIC,   LE  BASILTC,  LE   LION  ET  LE  DRAGON 
Ivoire  Italien ,  x'  siècle. 


Ici  l'aspic  et  le  basilic  sont  morts  déjà,  et  le  Christ,  beau 
jeune  homme  imberbe,  écrase  sous  ses  pieds  nus  le  lion  et  le 
dragon^  ;  c'est  une  modification  du  texte  sacré.  Ce  sujet  est  ex- 
Cet  ivoire  est  au  musée  du  Vatican  ;  il  est  gravé  dans  Gori ,   Thésaurus  vet.  dipiy. 
tom.  m,  p.  33. 

'^  Au  sujet  de  la  jeunesse  du  Christ  et  de  ses  pieds  nus ,  Gori  (  Thés.  vet.  dipty.  t.  III, 
p.  3o  et  3i  )  s'exprime  ainsi  :  «  Quod  vero  Christus  in  prima  juventae  suae  aetate  sculptus 
<i  exiiibeatur  hanc  formam  ci  tributam  censent  doctiores  agiologi ,  quod  hac  specie  cum 
■-<■  humanitale  clarius  eluceat  ejus  divinitas,  ex  Davidis  prophelico  testimonio  et  oraculo. 
«  Quod  profert Paulus  ad  Hebreos  I,  6.  Dominas  dixit  ad  me:  Fiïius  meus  es  tu  ;  ego  hodie 
fjenui  te.  Et  pauHo  post  :  Omnes  sicut  vestimentum  veterascent  ;  tu  autem  idem  ipse  es ,  et 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  305 

trêmement  fréquent  dans  nos  cathédrales;  mais  il  se  montre 
avec  une  foule  de  variétés.  Il  est  rare  que  les  bêtes  sataniques 
soient  représentées  toutes  les  quatre.  A  Notre-Dame  de  Reims, 
au  portail  du  nord,  sur  le  trumeau  de  la  porte  gauche,  le 
Christ,  superbe  statue  qui  porte  le  nom  populaire  du  beau 
Dieu  ,  foule  aux  pieds  le  dragon  seulement.  A  Notre-Dame  de 
Chartres,  au  portail  du  sud,  sur  le  trumeau  de  la  porte  cen- 
trale ,  le  Christ  foule  de  ses  pieds  nus  le  lion  et  le  dragon  ; 
mais  l'aspic  et  le  basilic  ne  sont  pas  figurés.  A  Notre-Dame 
d'Amiens,  au  portail  occidental,  sur  le  trumeau  de  la  porte  du 
milieu,  le  Christ  est  comme  celui  de  Chartres;  mais  le  dragon 
s'y  montre  mieux  accusé. 

Dans  tous  ces  sujets,  le  Sauveur  écrase  les  génies  du  mal, 
les  instruments  et  les  agents  de  la  mort;  mais  dans  le  sujet 
suivant,  tiré  du  missel  de  Worms  \  il  tient  enchaînée  la  Mort 
elle-même.  La  Mort,  sous  la  forme  d'un  homme  sale,  à  che- 
veux hérissés,  à  jambes  nues,  à  vêtement  étroit  et  pauvre,  est 
enchaînée  au  cou  et  aux  mains  par  un  carcan  et  des  menottes. 
Au  carcan  est  attachée  une  chaîne  que  Jésus  tient  fortement 
de  la  main  gauche.  De  la  main  droite,  le  Dieu  imberbe  menace 
d'enfoncer  le  bout  de  sa  croix  dans  la  bouche  de  la  Mort.  La 

«  anni  tui  non  déficient.  —  Nudis  quoque  pedibus  insistit,  occultata  divinitatis  suae  majes- 
«  taie  ;  sed  statim  aliis  emblematibus  quanta  sit  ejus  virtus,  fortitudo  ac  potentia  oslendi- 
«  lur,  dum  nudis  pedibus  conculcat  animalia  quaedam  teterrima  ac  ferocissima.  »  —  Notre 
dessin,  par  inadvertance,  ne  rend  pas  le  rugissement  du  lion,  fort  bien  exprimé  sur 
l'ivoire  ;  le  dessinateur  a  négligé  un  caractère  que  rendait  nécessaire  le  circuit  Léo  ru- 
giens ,  quœrens  quem  devoret.  Gori  semble  dire  que  la  nudité  des  pieds  est  exception- 
nelle el  marque,  dans  l'espèce,  la  puissance  divine  ;  il  se  trompe.  Ce  caractère,  comme 
nous  l'avons  dit,  est  constant  et  distingue  les  apôtres,  les  anges  et  les  personnes  divines 
de  tous  les  autres  personnages  figurés  par  l'art  chrétien.  C'est  un  signe  mystique  de 
haute  sainteté.  Nous  en  donnerons  les  raisons  dans  l'Histoire  de  l'ange. 

'  Manuscrit  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal,  théol.  lat.  n°  192,  inP.  Ce  manuscrit  est 
daté  comme  du  ix'  ou  x'  siècle,  sur  le  catalogue  de  la  bibliothèque  de  l'Arsenal;  je  le 
croirais  plutôt  du  xi'. 

INSTRUCTIONS.  11.  30 


306  INSTRUCTIONS. 

bête  humaine  écume,  vomit  des  flammes  et  se  tord  sous  les 
pieds  vainqueurs  qui  la  foulent  et  la  tiennent  renversée ^  Jésus 
va  tuer  la  Mort  ;  il  semble  lui  adresser  ces  paroles  prophétiques 
de  l'Ancien  Testament,  qui  se  chantent  dans  la  semaine  sainte, 
et  qu'on  applique  à  la  Passion,  qui  nous  a  sauvés  :  «  0  Mort! 
je  serai  ta  mort^;»  ou  bien  ces  paroles  de  saint  Paul,  qui  se 
disent  en  même  temps,  et  comme  leur  corollaire  évangélique  : 
«  Mort,  où  est  ta  victoire?  Mort,  où  est  ton  aiguillon  ^  ?  » 


77- 


LE  CHRIST  ENCHAINE  ET  TERRASSE  LA  MORT. 
Miniature  allemande,  xi°  siècle. 


Ainsi  victorieux,  le  Christ  remonte  au  ciel  et  vient  rendre 

'  Jésus  est  encore  imberbe,  bien  que  le  manuscrit  puisse  être  regardé  comme  du 
xi'  siècle;  mais  il  est  âgé  cependant,  et  son  front  se  ride  sous  les  années  plutôt  que  sous 
les  efforts  nécessités  par  sa  lutte  avec  la  Mort.  Le  nimbe  est  déjà  crucifère,  tandis  que ,  dans 
l'exemple  précédent  il  est  encore  uni  ou  simplement  orné  d'une  arcature.  Le  Jésus  de  la 
planche  66,  p.  266,  est  également  imberbe,  mais  la  figure  est  beaucoup  plus  jeune.  Le 
Christ  de  Worms  est  plutôt  rasé  qu'imberbe;  celui  du  Vatican  plutôt  imberbe  que  rasé.  Le 
monument  du  Vatican  est  plus  éloigné  du  moyen  âge  et  plus  rapproché  des  siècles  primi- 
lifs  que  celui  de  Worms. 

Osée,  cap.  xiii,  v.  i4  :  «De  manu  Mortis  liberabo  eos,  de  Morte  redlmam  eos.  F>o 
«  Mors  tua  ,  ô  Mors;  morsus  tuus  cio  ,  inferne.  » 

Epist.ad  Corinth.l,  cap.  xv,  v.  55.  «  Ubi  est ,  Mors ,  vicloria  tuaPUbiest,  Mors,  sti- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  307 

compte  à  son  Père  de  la  mission  qui  lui  avait  été  confiée,  qu  il 
s'était  imposée  et  qu'il  a  glorieusement  remplie.  Le  voici  qui 
rentre  au  paradis  avec  la  panetière  et  le  bourdon  qu'il  avait 
pris  à  son  départ.  Comme  homme,  il  a  grandi  :  c'était  un  ' 
enfant  lorsqu'il  descendit  sur  terre,  maintenant  il  a  de  trente 
à  trente-cinq  ans.  Il  trouve  son  Père  assis  à  côté  du  Saint- 
Esprit,  qui  est  en  homme,  et  non  en  colombe.  Le  Père  en 
roi  et  tenant  le  globe  de  la  puissance ,  l'Esprit  en  docteur  et 
tenant  le  livre  de  l'intelligence,  bénissent  tous  deux,  à  la  façon 
latine,  la  troisième  personne  de  la  Trinité. 


78.  LE  CHRIST  REVENANT  DE  SON   PELERINAGE 

Miniature  française,  xiv"  siècle. 


«  muius  tuus?  »  Le  sujet  peint  dans  le  missel  deWorms  semble  être  tiré  de  ce  passage  des 
œuvres  de  saint  Jean  Damascène  :  «  Quisnam  est  isie  qui  cruci  affixus  est?  quis  liic  qui 
«  resurgit  ac  sems  illius  caput  calcat  ?  Nonne,  cuni  per  imaginem  erudiendo ,  respondes  : 
«  Hic  qui  affixus  est  cruci ,  Dei  filius  est ,  qui  ad  toUenda  mundi  peccata  eo  fuit  supplicie 
«affectus.  Hic  qui  resurgit,  ipse  est  qui  secuni  primum  parentem  Adam  ob  praevarica- 
otionem  lapsum  mortuumquc  ressuscitât,  quique  infernum  lot  jam  seculis  vinclum, 
«  a  que  ille  insolubilibus  vinculis  ac  veclibus  in  inferioribus  terrae  partibus  tenebatur, 
« proculcat.  »  (0pp.  S.  Joh.  Damasc.  tom.  I,  p.  620.) 

^  Cette  miniature  est  au  folio  2  2  5  verso.  Remarquez  les  nimbes  crucifères  que  portent 


308  INSTRUCTIONS. 

Le  Christ  penche  la  tête,  il  courbe  son  corps,  il  s'appuie 
sur  le  bourdon  ;  il  semble  fatigué  de  sa  mission  qui  lui  a  tant 
coûté.  Dans  toute  cette  attitude  et  dans  cette  physionomie,  il 
y  a  comme  l'expression  d'un  regret;  on  dirait  que  le  Christ 
est  fâché  d'avoir  rempli  une  si  lourde  tâche.  En  effet,  les  vers 
qui  interprètent  cette  miniature,  à  la  façon  de  ceux  qui  accom- 
pagnaient le  départ,  ne  laissent  aucun  doute  sur  l'intention 
du  dessinateur.  Le  Fils  adresse  la  parole  à  son  Père: 

Père,  dis!  Jhésus,  retourné 
Suis  à  loy ,  et  ai  consummé 
Ce  que  faire  me  commandas 
Quant  jus  ou  monde  m'envoyas, 
Dont  bien  je  m'en  feusse  passé. 
Enseignes  t'en  ay  aporté 
Si  com  aultres  pèlerins  font 
Qui  en  estrange  terre  vont; 
De  tieix  denrées  com  a  là 
Je  t'ay  fait  venir  par  deçà. 
Non  obstant  que  grans  coustemens 
J'aye  mis  et  grans  despens... 


Aussi,  dist  Jhésus,  mon  bourdon 
Ay  aporté ,  et  est  raison , 
Ce  me  semble,  que  mis  il  soit 
Avec  l'escherpe  cy  endroit, 
Afin  que  ne  soit  oublié 
Gomment  pèlerin  ay  esté. 

les  trois  personnes.  Le  nimbe  du  Père,  avec  son  double  filet  de  bordure,  semble  plus 
ricbe  que  les  deux  auti'es;  en  outre,  les  croisillons  du  nimbe  que  porte  le  Fils  appro- 
cbent  de  la  circonférence  du  disque  plus  près  que  ceux  du  nimbe  qui  décore  le  Saint- 
Esprit.  Il  n'est  guère  possible  qu'on  ait  voulu ,  par  ces  caractères  si  peu  importants ,  établir 
la  différence  de  relation  qui  existe  entre  les  trois  personnes;  mais  dans  la  miniature  ori- 
ginale les  trois  nimbes  sont  identiques.  Les  différences  proviennent  sans  doute  de  1  inat- 
tention du  dessinateur.  Le  livre  que  porte  le  Saint-Esprit ,  et  qui  est  un  attribut  de  l'intel- 
ligence ,  nous  servira  d'appui  pour  une  opinion  que  nous  développerons  dans  i'bistoire  de  la 
troisième  personne  de  la  Trinité.  Le  Père  ,  en  se  reculant  un  peu  sur  son  banc  ,  va  faire 
place  à  Jésus,  qui  sera  ainsi  à  sa  droite,  tandis  que  le  Saint-Esprit  occupera  sa  gauche. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  309 

Le  Père  et  l'Esprit  consentent  à  ce  que  Jésus  demande,  et 

Jésus  attache  à  un  clou,  contre  la  muraille,  le  bourdon  et  la 

panetière ,  comme  un  guerrier  en  retraite  accroche  au  mur 

de  sa  maison  ses  armes  glorieuses: 

Ainsi  fu  accordé.  Là  sont; 
Jamais  remeus  n'en  seront. 

On  ne  saurait  rien  voir  de  plus  trivial  que  cette  scène.  Le 
Christ  n'est  pas  autre  chose  qu'un  voyageur  ordinaire;  il  re- 
grette de  s'être  fatigué  pour  rien  ou  pour  peu ,  et  dit,  de  la  façon 
la  plus  vulgaire,  qu'il  ne  recommencera  plus.  Ce  voyage,  comme 
il  le  déclare,  lui  a  coûté  cher,  et  il  s'en  serait  fort  bien  passé. 

A  propos  du  départ  de  la  seconde  personne  divine  pour  la 
terre,  nous  avons  constaté  la  grandeur  de  l'art  grec  et  la  sim- 
plicité assez  puérile  de  l'art  occidental;  ici,  dans  l'Eglise  la- 
tine, mais  chez  deux  peuples  distincts,  nous  allons  voir  la 
même  différence.  L'art  français  est  commun;  l'art  italien  de 
la  même  époque  arrive  à  la  distinction  la  plus  remarquable 
et  monte  jusqu'à  la  Sublimité.  Tandis  que,  dans  le  pèlerinage 
qui  est  à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève,  le  Christ  se  répand 
en  un  flux  de  paroles  vulgaires  et  en  regrets  inconvenants ,  dans 
un  manuscrit  exécuté  en  Italie,  que  possède  la  Bibliothèque 
royale,  il  n'y  a  qu'un  geste  et  pas  de  paroles.  Le  Père  éternel 
paraît  au  milieu  d'une  auréole  ovale,  traversée  en  tous  sens  par 
des  jets  de  lumière  qui  sortent  de  Dieu;  la  divinité  rayonne  elle- 
même  sur  tous  les  points  de  sa  circonférence.  Le  banc  grossier 
du  précédent  dessin  est  ici  une  sorte  d'arc-en-ciel  bleuâtre  sur 
lequel  le  Père  est  assis. On  n'est  pas  dans  une  chambre,  comme 
plus  haut,  mais  en  plein  air,  au  sommet  d'une  montagne 
semée  de  fleurs.  Jésus  en  crucifié  et  descendant  de  la  croix , 
pour  ainsi  dire  nu,  couvert  seulement  du  jupon  court  qu'il 
portait  sur  le  gibet,  paraît  devant  son  Père,  pour  lui  rendre 


310  INSTRUCTIONS. 

compte  de  la  mission  qui  lui  avait  été  donnée.  De  ses  pieds 
percés  coule  du  sang,  et  son  côté  ouvert  pleure  également 
des  larmes  de  sang.  Jésus  ouvre  les  mains ,  montre  le  sang 
coulant  des  plaies  qui  traversent  de  part  en  part ,  et  se 
contente  de  dire  :  «  Voilà  ce  que  j'ai  fait.  »  Alors  le  Père  par- 
donne au  monde  et ,  de  la  main  droite,  donne  sa  bénédiction 
à  Jésus.  Voici  le  dessin  : 


79- 


•  JÉSUS  MONTRANT  SES  PLAIES  SAIGNANTES   À  SON  PÈBE  \ 
Miniature  italienne,  xiv*  siècle. 


Ce  dessin  rappelle ,  mais  cependant  d'une  manière  incomplèle ,  les  expressions  de  saint 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  311 

La  physionomie  est  élevée  et  digne  de  la  grandeur  d'une 
pareille  scène  K 

Revenu  dans  le  ciel,  le  Christ  continue  d'intercéder  pour 
les  hommes  ;  il  est  alors  prêtre  et  victime  tout  à  la  fois,  et  les 
artistes  grecs  aiment  à  le  peindre  sous  le  costume  d'un  arche- 
vêque ou  d'un  patriarche,  recevant  les  honneurs  des  deux 
autres  personnes  de  la  Trinité  et  les  adorations  de  la  foule  des 
saints  et  des  anges.  Le  Père  éternel,  en  empereur  byzantin, 
tenant  le  globe  d'une  main  et  le  sceptre  de  l'autre,  sort  des 
nuages,  tout  en  haut  du  cadre.  Sous  lui,  dans  un  cercle  lumi- 
neux, rayonne  le  Saint-Esprit,  qui  a  la  forme  d'une  colombe. 
Les  archanges  Michel  et  Gabriel,  la  Vierge,  saint  Jean-Bap- 
tiste, les  grands  saints  grecs  Georges  et  Démétrius  s'inclinent 
devant  le  Christ  et  représentent  les  divers  ordres  des  anges  et 
des  saints.  Le  Christ,  comme  son  Père ,  porte  le  nimbe  crucifère 
et  marqué  des  lettres  o  cov.  Les  noms  de  saint  Georges  et  de 
saint  Démétrius  sont  écrits  en  entier  sur  une  banderole,  au- 
dessus  de  leur  tête;  ceux  de  la  mère  de  Dieu  et  de  saint  Jean 
Je  précurseur  sont  tracés  en  abrégé  dans  le  champ  même  de 
l'auréole;  ceux  des  deux  archanges  sont  indiqués  seulement 
par  la  première  lettre,  M  pour  saint  Michel  et  F  pour  Gabriel. 

Anschaire ,  archevêque  de  Hambourg,  qui  fut  enlevé  en  esprit  dans  le  ciel ,  et  vit  Dieu  écla- 
tant de  lumière  et  assis  au  milieu  des  vingt-quatre  vieillards  de  l'Apocalypse  :  «  Ab  ipso 
«  (Deo)  claritas  immensa  procedebat,  ex  qua  omnis  longitude  et  lalitudo  sanctorum  il 

«lustrabalur Sed  neque  ita  claritas  lalis  erat  quœ  oculos  contemplantium  inipediret, 

«  sed  quas  oculos  gratissime  saliaret.  Et  cum  seniores  sedentes  dixerim  ,  in  ipso  qua- 
«  dammodo  sedebanl  ;  nam  nil  corporeum  erat  ibi ,  sed  erant  cuncta  incorporea  ,  licel 
«  speciem  corporum  habentia ,  et  ideo  ineffabilia.  Circa  sedenles  vero  splendor,  ab  ipso 
"  procedens  ,  similis  arcui  nubium  tenebalur.  »  — Sur  la  rose  orientale  de  la  câdiédrak- 
de  Laon  ,  les  vingl-qualre  vieillards  sont  assis  sur  un  croissant  ou  arc-en-ciel  de  couleur 
lumineuse  ou  jaunâtre.  (Voyez  les^c^  SS.  ord.  S.  Bened.  VP  vol.  Vie  de  saint  Anschaire, 
morl  en  864;  cette  vie  a  élé  écrite  par  saint  Rembert ,  disciple  el  successeur  d'Anscbaire.) 
'  Bibliothèque  royale,  Spéculum  humancv  sulvalionis,  suppl.  lat.  lo/ii.  A  la  bibliollKque 
de  l'Arsenal,  il  existe  un  ms.  semblable  (ïhéol.  lat.  l^2  B.  )  exécuté  en  Italie  au  \iv 


312 


INSTRUCTIONS. 

80.  jÉSDS-CnRIST   EN    GRAND   ARCHEVEQUE 

Peinture  grecque,  xvi'  siècle. 


Le  Christ,  coiffé  de  la  couronne  archiépiscopale  et  vêtu 
des  différents  ornements  que  portent  les  pontifes  grecs,  s'ap- 
pelle le  grand  archevêque,  0  fxéycLç,  oLp'^iêpèv<^.  On  le  voit  ainsi 
aux  grandes  coupoles  des  églises  byzantines,  et  recevant  de 
la  main  des  anges,  qui  passent  successivement  devant  lui, 
tout  ce  qui  doit  servir  au  sacrifice  mystique  de  la  messe  ^  C'est 

siècle.  Les  miniatures,  moins  parfaites  que  celles  du  ms.  de  la  Bibliothèque  royale,  sont 
remarquables  cependant.  On  attribue  ces  peintures  à  Giotlo  lui-même  ou  à  TadéoGaddi , 
son  élève.  Elles  ne  sont  probablement  ni  de  l'un  ni  de  l'autre;  mais  l'école  d'où  elles 
sont  sorties  était  une  des  meilleures  de  l'Italie. 

'  Ce  dessin  est  pris  sur  l'une  des  peintures  à  fresque  si  nombreuses  en  Grèce. 

"  Sur  le  livre  que   tient  le  Christ  en  grand  pontife ,  on  lit  :  «  Seigneur,  Seigneur, 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  313 

ce  que  les  Grecs  appellent  la  liturgie  par  excellence.  La  ca- 
thédrale de  Reims,  grecque  sous  ce  rapport  comme  sous  cer- 
tains autres,  donne  un  exemple  de  cette  liturgie  dans  les  anges 
qui  habitent  les  niches  des  contre-forts.  Ces  anges,  qui  portent 
chacun  un  attribut  spécial,  viennent  défiler,  pour  ainsi  dire, 
devant  un  Christ  appliqué  contre  l'abside  ,  à  l'extérieur,  et 
qui  est  encensé  par  d'autres  anges.  Le  Christ  de  Reims  ne  porte 
pas  le  costume  pontifical,  comme  chez  les  Grecs,  mais  il  rem- 
plit à  peu  près  le  même  office  ^ 

Le  Christ,  vainqueur  des  démons,  sauveur  des  hommes  et 
leur  intercesseur  éternel ,  vient  s'asseoir  à  la  droite  de  son  Père , 
qui  lui  met  la  terre  sous  les  pieds  et  lui  donne  la  place  d'hon- 
neur. Alors  éclate  la  joie  du  paradis,  et  Jésus  parcourt  en  triom- 
phe, aux  acclamations  des  anges  et  des  saints,  toutes  les  régions 
du  ciel.  Ce  triomphe  du  Christ  est,  de  tous  les  sujets,  celui  qui 
a  le  plus  exalté  les  artistes  ;  on  le  voit  représenté  en  sculpture 
et  en  peinture  dans  beaucoup  de  monuments,  et  toujours  avec 
des  modifications  qui  en  font  une  œuvre  nouvelle.  Dans  la 
crypte  de  la  cathédrale  d'Auxerre ,  vers  la  partie  orientale,  à 
la  voûte  de  ce  qui  répond  au  sanctuaire,  on  voit  une  peinture 
à  fresque  de  la  fin  du  xii''  siècle,  représentant  le  triomphe  de 
Jésus  sous  sa  forme  la  plus  simple.  Le  fond  du  tableau  est  par- 

reganlez  du  hauL  du  ciel;  voyez  et  considérez  celle  vigne ,  et  prenez  soin  de  celle  que 
votre  main  a  plantée.  »  (  Voy.le  manuscrit  de  Panselinos  ). — On  remarquera  un  losange 
attaché  à  un  fil  et  pendant  sur  le  genou  droit  du  Christ  ;  c'est  ce  que  les  Grecs  ap- 
pellent epigonation,  lequel  est  souvent  orné  de  figures  en  broderies.  L'élole  blanche 
semée  de  croix  s'appelle  omophoron  ;  c'est  une  pièce  du  costume  consulaire  et  surtout 
impérial.  Le  vêtement  à  riches  oi'nemenls  s'appelle  saccos,  et  la  longue  robe,  qui  ré- 
pond à  l'aube  de  nos  prêtres ,  se  nomme  sticharion.  On  appelle  epitrachilion  ce  qui  est 
noire  étole.  Le  bonnet  porte,  comme  chez  nous,  le  nom  de  mitra. 

*  Le  manuscrit  du  duc  d'Anjou  ,  Lavall.  127,  qui  est  à  la  Bibl.  roy.  montre,  au  f  189, 
Jésus-Christ  disant  la  messe.  On  est  à  la  consécration ,  et  un  ange,  qui  sert  d'enfant  de 
chœur,  soulève  la  chasuble  du  prêtre  divin.  C'est  d'après  le  texte  :  «Tu  es  saccrdos  iti 
«  aelernum   secundum  onlinem  Melchisedech  » ,  que  ce  motif  a  été  figuré. 

INSTRUCTIONS.  II.  4o 


314  INSTRUCTIONS. 

tagé  par  une  croix  qui  serait  totalement  ce  qu'on  appelle  unç 
croix  grecque ,  si  les  bras  de  la  traverse  étaient  un  peu  plus 
longs.  Cette  croix  est  rehaussée  de  pierreries  feintes,  rondes, 
ovales,  en  losange,  disposées  en  quinconces.  Au  centre,  le 
Christ  est  sur  un  cheval  blanc  couvert  d'une  selle.  11  tient  la 
bride  avec  la  main  gauche;  à  la  droite,  la  main  puissante,  est 
un  bâton  noir,  la  verge  de  fer  avec  laquelle  il  gouverne  les  na- 
tions. 11  marche  ainsi,  la  tête  ornée  d'un  nimbe  bleuâtre  ou 
azuré,  à  croix  de  gueules;  sa  figure  est  tournée  vers  les  specta- 
teurs. Dans  les  quatre  angles,  qui  rachètent  le  carré  où  la  croix 
est  inscrite,  quatre  anges,  ailes  déployées,  à  cheval  comme 
leur  maitre,  font  une  escorte  à  Jésus;  leur  main  droite,  qui  est 
libre,  se  lève  et  s'ouvre  en  signe  d'admiration  :  «Je  vis  le  ciel 
ouvert.  Il  parut  un  cheval  blanc,  et  celui  qui  le  montait  s'ap- 
pelait le  fidèle  et  le  véritable,  qui  combat  et  qui  juge  avec 
justice.  Ses  yeux  ressemblaient  à  la  flamme  du  feu;  beaucoup 
de  diadèmes  brillaient  sur  sa  tête.  Il  portait  écrit  un  nom 
dont  nul  autre  que  lui  n'a  fintelligence.  Il  était  vêtu  d'une 
robe  arrosée  de  sang;  il  s'appelle  le  Verbe  de  Dieu.  Les  ar- 
mées qui  sont  dans  le  ciel  le  suivaient  sur  des  chevaux  blancs 
et  en  vêtements  de  lin  blanc  et  pur.  »  Voilà  ce  que  dit  l'Apo- 
calypse et  ce  que  la  fresque  d'Auxerre  traduit  à  quelques  dif- 
férences près  qu'on  fera  bien  de  remarquer  K 

'  Celle  peinluie  sur  mur,  un  peu  endommagée  ,  est  une  des  plus  curieuses  qui  existent; 
elle  donne  la  traduclion  approximative  d'un  beau  passage  de  l'Apocalypse,  cliap.  xjx , 
versets  1 1  - 1 7 .  On  remarquera  l'absence  des  étriers  ;  comme  on  trouve  des  étriers  aune  épo- 
que plus  reculée,  ce  n'est  pas  un  caractère  d'ancienneté.  Le  Christ  a  les  cheveux  jaunâtres, 
barbe  rousse,  ainsi  que  les  sourcils;  sa  robe  est  rouge  ou  rosée,  son  manteau  est  gris  et 
doublé  de  jaune.  M.  Amable  Crapelet,  un  jeune  dessinateur  d'Auxerre,  a  bien  voulu  me 
faire  un  dessin  très-exact  de  cette  intéressante  peinture.  C'est  au  fond,  dans  la  conque  de 
l'abside ,  qu'est  peinte  celte  figure  divine,  inscrite  dans  une  auréole  en  quatre-feuilles  ,  ac- 
compagnée des  attributs  des  évangélistes  et  de  deuK  chandeliers  à  sept  branches,  que  nous 
avons  donnée  plus  haut .  |).  1 1 1,  pi.  3G.  Le  nimbe  de  ce  Dieu  est  rosàtre  et  croisé  de  vert. 


ICONOGRAPHIE   CHRETIENNE. 


315 


)1.  TRIOMPHE  DE  JESDS-CIIRIST  A  CHEVAL. 

Fresque  française,  xii"  siècle. 


Mais  ceci  n  est  que  le  germe  de  ces  admirables  triomplies 
dont  un  est  peint  sur  verre,  à  Notre-Dame  de  Brou,  et  un 
autre  décrit  dans  la  Divine  comédie.  Celui  de  Brou  est  un  des 
plus  complets  que  nous  possédions  ;  pour  reconnaître  les 
nombreux  personnages  qui  le  composent,  ainsi  que  tous  les 
triomphes  qui  lui  sont  analogues,  on  croit  utile  d'en  donner 
une  description  succincte. 

Dans  le  collatéral  gauche  de  Notre-Dame  de  Brou ,  la  chapelle 
dite  du  Retable  ou  des  Sept-Joies  ^  est  éclairée  par  une  grande 

'  Celte  chapelle  reçoit  ce  nom   d'un  beau  retable  en  albâtre,  où   sont  sculptés  les 
sept  événements  heureux  arrivés  à  la  Vierge  Marie:  l'Annonciation,  la  Visitation,  la 


316  INSTRUCTIONS. 

verrière  sur  laquelle  on  voit  l'assomption  et  le  couronnement 
de  Marie.  La  scène  est  encadrée  par  un  arc  de  triomphe  de 
forme  antique  et  dont  l'arche  est  en  plein  cintre.  Sur  la  frise  du 
monument  se  déploie  le  triomphe  du  Christ  en  cinq  comparti- 
ments, et  dont  quatre  sont  occupés  parles  personnages  qui  pré- 
cèdent ou  qui  suivent  le  Fils  de  Dieu  ;  c'est  ainsi  qu'à  Paris,  sur 
l'arc  de  l'Etoile,  se  développe  la  grande  armée  qui  marche  vers 
ses  conquêtes.  En  tête  de  tous  s'avancent  Adam  et  Eve,  jeune 
couple  nu,  près  d'entrer  dans  le  paradis,  et  joignant  les  mains 
par  reconnaissance.  Ils  sont  suivis  d'Abel,  nu  comme  son  père 
et  sa  mère,  et  qui  est  le  premier  martyr  du  monde.  Après 
eux,  Noé  élève  en  l'air  l'arche  où  se  réfugièrent,  pendant  le 
déluge  ,  les  derniers  germes  des  hommes ,  des  animaux  et  des 
plantes.  En  recueillant  pour  un  peuple  choisi  la  croyance  en 
un  Dieu  unique ,  Abraham  sauva  le  monde  intellectuellement 
comme  Noé  matériellement;  il  s'avance  accompagné  de  son 
fds  Isaac,  qu'il  était  près  de  sacrifier  à  Dieu,  et  qui  porte  sur 
ses  épaules,  comme  plus  tard  Jésus,  le  bois  où  il  devait  être 
immolé.  Puis  Moïse  lève  en  l'air  les  tables  de  la  loi,  comme 
Noé  son  arche.  Derrière  est  le  prophète  Jonas  englouti  et 
rendu  par  un  monstre  marin ,  comme  Jésus  le  fut  par  le  sé- 
pulcre; il  porte  au  bout  d'une  pique  le  monstre  tué,  comme  la 
mort  que  le  Fils  de  Dieu  écrasa  sous  ses  pieds.  Après  Jonas  c'est 
David,  qui  a  dansé  autrefois  devant  l'arche,  et  qui  maintenant 
chante  et  pince  de  la  harpe  en  présence  de  la  croix,  arche  du 
Nouveau  Testament.  Puis,  dans  la  foule,  brillent  çà  et  là  Sam- 
son,  Gédéon,  Elie,  Salomon,  Ezéchias,  c'est-à-dire  les  princi- 
paux juges  et  les  plus  grands  rois.  Suit  un  groupe  de  femmes 
et  d'hommes  :  ce  sont  les  sibylles  complétant  les  grands  et  les 

Nativité,  l'Adoration  des  mages,  l'Apparition  de  Jésus,  la  Descente  du  Saint-Esprit  el 
l'Assomption. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  317 

petits  prophètes.  C'est,  pour  les  jDropliètes,  Isaïe ,  qui  s'est  écrié  : 
«  Une  tige  s'élèvera  de  l'arbre  de  Jessé;  une  Vierge  enfantera. 
Un  petit  enfant,  Emmanuel ,  le  Messie  naîtra  d'une  femme  qui 
restera  vierge.  »  C'est,  pour  les  femmes,  la  sibylle  persique, 
une  lanterne  en  niain  et  annonçant  la  venue  du  Messie  ;  la  Li- 
byque,  tenant  un  cierge  allumé  et  présidant  à  la  naissance  du 
Christ,  lumière  du  monde  ^;  la  sibylle  de  Cumes,  qui  tient  une 
crèche  et  a  prédit  la  naissance  dans  une  étable;  la  Phrygienne, 
qui  porte  un  étendard  parce  qu'elle  a  prophétisé  la  résurrec- 
tion et  la  victoire  du  Christ.  Trois  étendards  ou  flammes 
flottent  au  vent  et  se  teignent  des  couleurs  du  Dieu  martyr. 
Des  trompettes,  puissantes  comme  celles  qui  ont  fait  tomber 

'  Les  attribuls  que  portent  les  sibylles,  à  la  hauteur  où  la  frise  est  du  soi ,  ne  sunl 
pas  très -distincts.  Ce  sujet  des  sibylles  mises  en  regard  des  prophètes  est  fréquent  à 
cette  époque.  A  Brou,  les  sibylles  sont  encore  sculptées  en  marbre,  au  tombeau  de  Phi- 
libert le  Beau.  Les  sibylles  sont  sculptées  à  Aulun ,  au  retable  dit  iioli  me  tangere,  dans  une 
chapelle  delà  cathédrale.  Sculptées  au  portail  occidental  de  l'églice  de  Clamecy  (Nièvre), 
elles  sont  peintes  sur  verre  à  Saint-Ouen  de  Rouen ,  à  la  cathédrale  de  Beauvais ,  à  la 
cathédrale  d'Auch.  Dans  la  cathédrale  de  Sens,  une  des  sibylles  annonce  à  Auguste  la 
naissance  du  Christ.  Elles  sont  sculptées  sur  les  stalles  en  bois  de  Saint-Bertrand  de 
Comminges,  de  la  cathédrale  d'Auch;  elles  sont  peintes  en  marqueterie  contre  le  dos- 
sier des  stalles  provenant  de  l'ancienne  chapelle  de  Gaillon ,  et  qui  sont  maintenant 
dans  l'église  de  Saint-Denis;  elles  sont  peintes  sur  parchemin  dans  plusieurs  manuscrits, 
notamment  dans  les  Heures  d'Anne  de  France,  fdle  de  Louis  XI,  qui  sont  à  la  Biblio- 
thèque royale,  n°  920.  Une  chapelle  dite  des  sibylles  est  à  l'entrée  de  Saint-Jacques  de 
Dieppe;  elle  renferme  douze  niches  qui  devaient  être  occupées  parles  statues  des  douze 
sibylles.  Des  chapelles  de  ce  nom  existent  à  l'abside  de  Saint -Etienne  de  Chàlons 
(  Marne).  Voilà  ce  qui  existe  en  France;  il  en  est  de  même  en  Allemagne,  aux  stalles  de  la 
cathédrale  d'Ulm ,  entre  autres.  En  Italie,  Michel-Ange  et  Raphaël  se  sont  exercés  sur  ce 
beau  sujet.  Une  iconographie  des  sibylles  ne  serait  pas  sans  intérêt,  et  l'on  doit  attendre 
des  détails  curieux  à  cet  égard  d'un  travail  que  prépare  M.  Ferdinand  de  Guilhermy. 
Dansles  monuments ,  les  sibylles  ne  remontent  pas  au  delà  du  xif  siècle;  dans  les  textes, 
elles  datent  des  premières  époques,  de  Laclance  ,  de  saint  Augustin  ,  de  saint  Jérôme  ;  il  en 
est  question  dans  les  apocryphes.  On  semble  ensuite  les  avoir  oubliées  pendant  le  moyen 
âge  proprement  dit,  du  vu"  siècle  auxv°;  cependant  Vincent  de  Beauvais  les  nomme  dans 
son  Spéculum  universaîe,  et  on  les  voit  sculptées  à  la  hn  du  xii'  siècle  dans  la  cathédrale 
d'Auxerre. 


318  INSTRUCTIONS. 

les  murs  de  Jéricho,  sonnent  la  victoire  du  Crucifié.  Avec  ces 
prophètes  et  prophétesses  se  ferme  à  peu  près  le  monde  an- 
cien ,  le  monde  antérieur  à  Jésus. 

Alors  se  présente  le  monde  nouveau,  le  monde  chrétien. 
Le  personnel  en  est  disposé  chronologiquement  :  il  commence 
aux  apôtres,  et  par  le  premier  de  tous,  saint  Pierre,  qui  tient 
à  la  main  deux  clefs  d'argent,  celle  qui  ouvre  le  paradis  et  celle 
qui  le  ferme.  Puis  saint  Paul  avec  fépée  dont  il  a  été  décollé , 
et  qui  figure  en  outre  le  glaive  de  sa  parole  tranchante.  Puis 
saint  André,  qui  porte  sur  ses  épaules  la  croix  où  il  mourut; 
saint  Jean ,  qui  tient  le  calice  empoisonné  d'où  la  mort  s'en- 
vola sous  la  forme  d'un  dragon.  Ensuite  marchent  les  autres 
apôtres,  chacun  à  leur  rang  :  Simon  porte  la  scie  qui  le  fendit 
en  deux;  Matthieu,  la  pique  dont  il  eut  le  cœur  percé;  Tho- 
mas, féquerre  ou  la  règle,  qui  en  fait  le  patron  des  architectes. 
Les  apôtres  sont  suivis  des  martyrs  qui  ont  donné  leur  sang 
pour  la  foi ,  ont  témoigné  de  leur  croyance  en  sacrifiant  leur 
vie,  et  dont  les  légions  innombrables  sont  représentées  par 
les  chefs.  On  distingue  saint  Etienne  à  la  pierre  qui  lui  a 
ouvert  le  front,  saint  Laurent  à  son  gril,  qu'il  élève  comme 
un  étendard  de  triomphe.   Le  grand  saint  Christophe,  qui 
dépasse  de  tout  le  buste  les  plus  élevés ,  porte  le  petit  Jésus  sur 
ses  épaules  ;  il  est  presque  nu  comme  un  athlète  antique  ou 
comme  un  chrétien  du  peuple,  dont  on  le  croit  la  personnifi- 
cation. Ce  colosse  courbe  les  épaules  sous  le  tout  petit  Jésus , 
comme  sous  un   poids  énorme;  il  s'appuie  sur  un  tronc  de 
palmier  qui  lui  sert  de  bâton.  A  côté  des  martyrs  paraissent  les 
confesseurs  :  saint  Augustin,  saint  Ambroise,  qu'on  croit  recon- 
naître à  leur  mitre;  le  vieux  saint  Jérôme  habillé  en  simple 
prêtre  et  non  en  cardinal,  comme  on  aimait  à  le  figurer  alors. 
Puis  féclatant  empereur  Charlemagne,  tout  couvert  d'armures 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  319 

en  fer  battu  et  forgé,  la  couronne  en  tête,  le  sceptre  sur  l'épaule 
droite,  la  main  gauche  sur  la  garde  de  son  épée,  marcbe  à  côté 
du  pauvre  saint  Rocli,  vêtu  d'habits  de  pèlerin,  que  ses  longs 
voyages  ont  usés.  Derrière  cette  foule  et  sortant  de  la  porte 
d'une  ville,  paraissent  les  ordres  religieux  :  les  bénédictins,  à 
qui  le  prieuré  de  Brou  appartenait  d'abord  ;  les  augustins ,  à  qui 
on  le  donna  ensuite;  les  prêcheurs  ou  dominicains,  les  mineurs 
ou  franciscains,  les  chartreux  ou  disciples  de  saint  Bruno. 
Tous  sont  vêtus  des  costumes  taillés  à  la  forme  et  teints  aux 
couleurs  de  leur  ordre.  Ces  religieux,  comme  les  martyrs  et 
les  confesseurs,  sont  représentés  par  les  chefs,  saint  Benoît, 
saint  Dominique,  saint  François,  saint  Bruno.  Derrière  eux 
doit  venir  une  foule  considérable,  qui  n'est  pas  encore  sortie 
des  murs  de  la  ville,  et  qui  se  presse  à  la  porte.  Cette  ville 
représente  la  terre,  qui  enfante  continuellement  des  saints. 

Mais  entre  ces  deux  mondes,  l'ancien  et  le  nouveau,  entre 
les  prophètes  et  les  apôtres,  il  y  a  une  transition  :  c'est  pour 
elle  précisément  que  la  procession  s'ordonne;  car  c'est  pour 
le  Christ,  qui  joint  l'Ancien  Testament  au  Nouveau,  que  s'é- 
chelonne cette  multitude.  Le  Christ  est  placé  entre  cette  foule 
qui  précède  et  cette  foule  qui  suit;  il  en  occupe  géométrique- 
ment le  milieu.  Mais  on  ne  part  pas  des  prophètes  pour  ar- 
river immédiatement  à  lui ,  comme  on  ne  le  quitte  pas  pour 
atteindre  aussitôt  les  apôtres.  Après  les  prophètes,  il  y  a  une 
suite  qui  est  la  fm  de  l'ancien  monde;  avant  les  apôtres,  il  y 
a  une  tête  qui  est  le  commencement  du  monde  nouveau. 

En  elTet,  après  les  prophètes,  soutiens  de  la  vieille  loi,  s'a- 
vancent les  juifs  qui  ont  entrevu  l'aurore  de  la  nouvelle  ;  il  y 
a  les  juifs  christianisants,  comme  fécole  d'Alexandrie  les  ap- 
pelait. C'est  le  Cyrénéen  ,  qui  aida  Jésus  à  porter  sa  croix;  Lon- 
gin,  qui  lui  perça  le  côté;  Gamaliel,  qui  ensevelit  son  corps; 


320  INSTRUCTIONS. 

cest  le  bon  larron,  qui  se  convertit  sur  le  gibet,  pria  le  Christ 
de  se  souvenir  de  lui,  et  entra  le  jour  même  de  sa  mort  dans  le 
paradis  avec  le  fils  de  Dieu^  Le  bon  larron,  nu,  presque  aussi 
grand  que  saint  Christophe,  marche  à  l'aide  de  sa  croix  comme 
Christophe  à  l'aide  de  son  palmier  :  belle  idée  qui  transforme 
la  croix  de  ce  larron  en  arbre  de  salut,  en  bâton  d'appui,  en 
bourdon  pour  le  pèlerin  qui  se  dirige  vers  le  ciel.  Enhn,  sous 
ce  gigantesque  personnage,  sept  petits  enfants  tout  nus  se  tien- 
nent par  la  main  et  forment  une  ronde  comme  les  Heures 
antiques  :  ce  sont  les  petits  innocents  qui,  avant  tous  les  mar- 
tyrs chrétiens ,  ont  versé  leur  sang  pour  Jésus.  Le  premier  de 
ces  petits  martyrs  tient  à  la  main  le  glaive  qui  le  perça  dans  les 
bras  de  sa  mère^.  Après  le  Christ,  mais  avant  les  apôtres,  s'a- 
vance un  autre  martyr,  saint  Jean-Baptiste  :  il  porte  au  bout 
d'une  pique  l'Agneau  divin  qu'il  a  montré  du  doigt  et  dont  il 
fut  le  précurseur;  il  le  porte  comme  un  légionnaire  l'aigle 
romaine,  en  tête  de  la  colonne.  Jean-Baptiste  ouvre  la  marche 
du  nouveau  monde  et  ferme  celle  du  monde  ancien.  Juif  de 
naissance  et  chrétien  de  cœur,  il  reçut  encore  la  circoncision , 
ce  baj)têiiie  sanglant  des  juifs;  mais  il  donnait  déjà  le  baptême, 
cette  circoncision  pacifique  des  chrétiens.  Jean-Baptiste  sert  de 
lien  entre  les  deux  Testaments. 

Enfin,  au  centre  de  tout  s'élève  le  héros  de  ce  triomphe, 
Jésus-Christ,  qui  est  assis  Sur  un  char  découvert  et  à  quatre 
roues.  Lui  seul  est  décoré  d'un  nimbe,  qui  s'irradie  de  tous 
les  points  de  sa  tête,  et  qui  éclaire  tout  ce  qui  l'entoure.  D'un 
regard  il  voit  le  passé  qui  le  précède  et  l'avenir  qui  le  suit. 

'  Sainl  Luc,  chap.  xxiii ,  v   AS. 
Il  se  jjourrail  plutôt  que  ces  sept  enfants  fussent  les  sept  frères  Machabées;  rÉgliîe 
latine  les  honore,  comme  les  Innocents,  d'un  culte  spécial.  Mais,  dans  un  cas  comme 
dans  l'autre,  le  motif  est  le   même.    (Voyez  la  Légende  dorée  :   De  septem  fratribus 
Machabeis.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  321 

Sa  figure  est  celle  que  Raphaël  et  les  peintres  de  la  renais- 
sance lui  ont  donnée,  celle  que  Lentulus  et  le  Damascène  ont 
décrite  :  elle  est  grave  et  douce.  Au  centre  du  char  est  posé 
un  globe  constellé  et  traversé  par  l'écliptique  où  brillent  les 
signes  du  zodiaque.  Ce  globe  figure  le  monde,  et  sert  de 
trône  au  Christ;  c'est  au  sommet  que  le  Fils  de  Dieu  est 
assis.  Le  char  est  posé  sur  quatre  roues,  et  tiré  par  les 
quatre  attributs  ou  symboles  des  évangélistes.  L'ange  de  saint 
Matthieu  et  l'aigle  de  saint  Jean  sont  d'un  blanc  céleste;  le 
lion  de  saint  Marc  et  le  bœui  de  saint  Luc  sont  d'un  jaune 
fauve,  qui  figure  la  terre  où  ils  vivent.  C'est  qu'en  effet  l'aigle  et 
fange  planent,  tandis  que  le  lion  et  le  bœuf  marchent.  Cepen- 
dant, sur  le  vitrail,  tous  quatre  ont  des  ailes.  Une  courroie  d'ar- 
gent, passée  au  cou  des  quatre  symboles,  vient  s'attacher  au 
timon  du  char.  L'Eglise,  représentée  par  les  quatre  puissances 
religieuses  les  plus  élevées,  le  pape,  le  cardinal,  f archevêque, 
f  évêque,  ou  par  les  quatre  Pères  par  excellence ,  saint  Grégoire, 
saint  Jérôme,  saint  Ambroise,  saint  Augustin,  pousse  le  char 
aux  quatre  roues  et  le  mène  de  concert  avec  les  évangélistes. 
Jésus  guide  son  triomphe,  non  pas  avec  des  rênes,  mais  en 
répandant  avec  la  main  droite  des  bénédictions  partout  où  il 
passe. 

Tout  cela  marche  sur  le  vitrail  et  chante  de  joie.  Dans  les 
nervures  qui  treilhssent  l'amortissement  de  la  fenêtre,  qua- 
rante-six anges  à  cheveux  longs  et  dorés,  à  robes  blanches  et 
transparentes,  à  ailes  jaunes,  rouges,  violettes  et  vertes,  tous 
sur  un  fond  bleuâtre  comme  le  ciel,  célèbrent  à  toute  voix 
ou  avec  des  instruments  de  musique  la  gloire  du  Christ.  Les 
uns  ont  en  main  des  instruments  de  toute  espèce,  les  autres 
des  cahiers  de  musique.  Les  quatre  animaux  des  évangélistes 
semblent  accompagner  de  leur  voix  éclatante,  le  bœul  de  ses 

INSTRUCTIONS.  —  II.  Ul 


322  INSTRUCTIONS. 

mugissements,  le  lion  de  ses  rugissements,  l'aigle  de  ses  cris, 
Tange  de  ses  chants ,  les  acclamations  de  la  foule  des  saints 
et  les  chants  des  quarante-six  anges  qui  remplissent  le  haut 
de  la  fenêtre.  En  tête  de  la  procession,  un  ange  guide  le  cor- 
tège, et,  avec  une  petite  croix  qu'il  tient  à  la  main,  montre 
à  tous  le  paradis  où  il  faut  entrer.  Enfin  douze  autres  anges, 
tout  bleus  comme  le  ciel  où  ils  se  fondent,  sont  en  adoration 
devant  le  triomphe  du  Christ.  Ils  semblent  lire  cette  inscrip- 
tion monumentale  qui  se  voit  au-dessus  de  la  frise,  immédia- 
tement sous  les  oves  de  la  corniche  : 

TRIUMPHANTEM     MORTIS    CHRISTUM  , 

/ETERNA  PACE  TERRIS  RESTITUTA,  COELIQUE  JANUA  BONIS  OMNIBUS  ADAPERTA  , 

TANTI  BENEFICII  MEMORES 

DEDUCENTES   DIVI ,  CANUNT  ANGELI. 

«Le  Christ,  triomphant  de  la  mort,  a  rendu  la  paix  éter- 
nelle au  monde  et  ouvert  la  porte  du  ciel  à  tous  les  gens  de 
bien.  Reconnaissants  d'un  aussi  grand  bienfait,  les  saints  '  le 
conduisent,  les  anges  le  célèbrent.  » 

Dante  a  décrit  un  triomphe  à  peu  près  semblable,  mais 
frappé  cependant  de  différences  intéressantes.  Le  poëte  floren- 
tin a  composé  son  cortège  avec  des  figures  tirées  de  l'Apoca- 
lypse et  de  la  Symbolique  chrétienne;  à  Brou,  sauf  les  attri- 
buts des  évangélistes,  tout  le  cortège  est  historique.  Au  xvi*" 
siècle,  en  effet,  fhistoire  dominait  le  symbole,  qui  régnait  aux 
XIII''  et  XIV^  Dante ,  en  poëte  politique ,  a  fait  le  triomphe 
de  l'Eglise  et  non  du  Christ,  le  triomphe  du   catholicisme 


'  On  est  à  la  renaissance ,  et  l'on  ôte  aux  hommes  glorifiés  l'épithèle  de  saint  pour 
la  remplacer  par  celle  de  divin.  Celle  qualification  est  plus  païenne  que  chrétienne;  elle 
renferme  l'idée  d'apothéose  plutôt  que  celle  de  canonisation.  Elle  convient,  du  reste,  à 
cet  arc  de  triomphe  où  elle  est  peinte,  car  le  monument  est  antique  et  non  moderne, 
païen  de  style  et  de  forme,  et  non  chrétien. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  3:23 

plutôt  que  du  christianisme.  Son  char,  qui  représente  TEgHsc, 
est  veuf  du  Christ,  si  grand  sur  la  verrière  de  Brou.  Le  char 
est  vide,  et  Dante  ne  s'en  est  pas  aperçu  ou  inquiété,  parce 
qu'il  voulait  célébrer  moins  le  Christ  et  sa  doctrine  elle- 
même,  que  l'organisation  et  l'administration  de  rÉgllse.  11  a 
fait  tirer  le  char  par  un  griffon,  qui  représente  le  pape;  car 
le  griffon  est  aigle  et  lion  tout  à  la  fois.  Or  le  pape,  double 
aussi,  est  aigle  comme  prêtre  et  plane  dans  le  ciel;  il  est  lion 
comme  roi,  et  marche  sur  la  terre.  Pour  le  poëte  ultramontain , 
l'Eglise,  la  papauté  est  une  monarchie  absolue;  ce  n'est  pas 
une  monarchie  tempérée  comme  chez  nous,  et  encore  moins 
une  république  comme  chez  les  schismatiques  de  la  Grèce  et 
de  l'Orient.  Aussi,  tandis  qu'tà  Brou,  le  cardinal,  l'archevêque 
et  févêque  aident  le  pape  à  conduire  le  char  de  l'Eglise,  dans  la 
Divine  Comédie,  le  pape  est  tout  seul  et  n'accepte  pas  l'assis- 
tance des  autres  grands  dignitaires  ecclésiastiques.  A  Brou, 
ce  sont  les  évangélistes  ou  leurs  attributs  qui  conduisent  le 
char;  la  puissance  ecclésiastique  se  contente  de  leur  venir 
en  aide.  Dans  le  poëte  italien,  les  évangélistes  assistent  au 
triomphe,  mais  ne  le  mènent  pas;  le  pape  seul  conduit  l'Eglise, 
et  il  ne  permet  ni  aux  évangélistes  de  la  diriger,  ni  aux  ecclé- 
siastiques de  faider  lui-même.  Le  pape  semble  n'avoir  besoin 
de  personne;  son  œil  et  son  bras  lui  sufTisent^ 

Il  faut  donc,  dans  toutes  les  représentations  analogues,  étu- 
dier les  moindres  détails;  car,  on  le  voit,  ces  détails  peuvent 
jeter  une  certaine  lumière  sur  l'époque,  le  pays  et  l'artiste  qui 
les  a  imaginés^. 

^  Divine  Comédie,  purgatoire,  chanls  xxix-xxxii. 

^  On  ne  parle  pas  d'autres  triomphes  analogues  à  ceux  de  la  verrière  de  Brou  et  du 
poëme  de  Danle,  parce  qu'il  faudrait  une  monographie  spéciale  pour  une  pareille  série 
de  représentations.  Souvent,  au  lieu  d'être  porté  sur  un  char,  Jésus-Christ  navigue  sur 
un  vaisseau ,  qu'il  gouverne  lui-même  el  qu'il  dirige  vers  le  port  du  paradis.  Alors  ou 

ài. 


324  INSTRUCTIONS. 


JESDS-CHRIST    EN    AGNEAU. 


Jusqu'à  présent  il  n'a  été  question  que  de  Jésus  représenté 
sous  la  figure  d'un  homme  jeune  ou  âgé  ;  mais  il  est  une 
forme  symbolique  qui  lui  a  été  prêtée  dès  forigine  du  cliris- 
tianisme ,  qui  a  traversé  tout  le  moyen  âge  et  qui  persiste  en- 
core de  nos  jours  :  c'est  celle  de  fagneau.  Souvent  les  quatre 
évangélistes ,  et  nous  en  avons  vu  des  exemples,  sont  figurés  : 
saint  Matthieu  par  un  ange,  saint  Jean  par  un  aigle,  saint  Marc 
par  un  lion ,  saint  Luc  par  un  bœuf;  leur  maître  est  figuré 
tout  aussi  souvent  par  un  agneau.  En  effet,  saint  Jean-Baptiste, 
en  voyant  paraître  Jésus,  s'est  écrié  :  «  Voici  fagneau  de  Dieu  \  » 
Le  Christ,  en  mourant  sur  la  croix,  est  fagneau  symbolique 
dont  parlent  les  prophètes,  fagneau  qui  marche  à  la  mort  et 
se  laisse  égorger  sans  se  plaindre '^  Le  Christ,  en  répandant  le 
sang  qui  nous  a  rachetés,  c'est  fagneau  égorgé  par  les  enfants 
d'Israël,  et  avec  le  sang  duquel  on  marque  du  tau  céleste  les 
maisons  qui  seront  préservées  de  la  colère  de  Dieu^.  L'agneau 
pascal  mangé  par  les  Hébreux,  la  veille  de  leur  sortie  d'E- 
change de  métaphore ,  et  l'on  a  le  vaisseau  et  non  plus  le  char  de  l'Eglise;  mais  le  motif 
est  exactement  le  même,  et  la  composition  du  personnel  ou  des  passagers  est  semblable 
à  celle  de  Brou.  Un  vitrail  de  Saint-Elienne-du-Mont,  à  Paris,  offre  un  de  ces  triomphes 
maritimes  du  Christ  ;  mais  il  est  bien  moins  complet  que  le  triomphe  terrestre  de  Brou. 
On  peut  comparer  cette  procession  de  Brou  à  celle  des  Panathénées  qui  couvre  une  des 
frises  du  Parlhénon.  La  conception  de  Brou,  l'ordonnance  des  personnages,  l'ensemble 
enfin  de  la  composition  nous  semble  supérieur  à  la  procession  antique  de  Phidias.  Quant 
a  l'exécution ,  le  vitrail  de  Brou  est  d'une  rare  beauté. 

'   Saint  Jean,  ch.  i,  v.  28. 

^  Voyez  çà  et  là,  dans  les  prophéties ,  cette  assimilation  de  Jésus  en  croix  et  de  l'agneau 
sous  le  couteau  du  boucher.  Les  offices  de  la  semaine  sainte  sont  remplis  de  ces  com- 
paraisons. «  Sicut  ovis  ad  occisionem  ducetur  et  quasi  agnus  coram  tondente  se  obmu- 
«  tescel  et  non  aperiet  os  suum,  »  (Cf.  Isaïe ,  cap.  lui  ,  v.  7  ;  S.  Matthieu,  cap.  xxvi ,  v.  63, 
et  les  Actes  des  apôtres,  chap.  viii,  v.  32.) 

'  Comparez  la  Prophétie  d'Ezéchiel ,  cap.  ix ,  v.  4  et  6 ,  et  l'Exode ,  cap.  xii ,  v.  7  et  1 3. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  325 

gypte,  est  la  figure  de  cet  autre  agneau  divin  que  les  chré- 
tiens doivent  manger  à  Pâques  pour  s'affranchir  de  la  captivité 
où  le  vice  les  encliaîne  ^  Dans  l'Apocalypse,  saint  Jean  vit  le 
Christ  sous  la  forme  d'un  agneau  blessé  à  la  gorge,  et  qui 
ouvrit  le  livre  des  sept  sceaux  ^ 

Le  Christ,  enfin,  c'est  fagneau  qui  s'est  offert  comme  vic- 
time pour  laver  dans  son  sang  les  taches  de  notre  nature  et 
pour  effacer  nos  actions  charnelles  : 

Carnales  actvs  tviit  agnvs  hic  liostia  factvs, 

comme  dit  finscription  gravée  autour  du  cercle  où  Ton  voit  fa- 
gneau de  Dieu  que  nous  offre  la  planche  suivante  : 

'  Exode,  cap.  xii,  v.  7  et  i3.  —  M.  l'abbé  Cahier  a  fait  de  savantes  remarques  sur 
l'immolation  de  l'agneau  prophétique.  Les  artistes  chrétiens  ont  figuré  très-souvent  ce 
sujet,  qui  est  peint  sur  verre,  particulièrement  dans  les  cathédrales  de  Bourges  et  de 
Chartres.  Voyez  les  Vitraux  peints  de  Saint-Etienne  de  Bourges,  par  MM.  Arthur  Martin  et 
Charles  Cahier,  prêtres,  cli.  i ,  pi.  1 .  Dans  le  même  ouvrage,  planche  vu  ,  on  voit  le  vi- 
trail de  Bourges  où  est  figurée  la  mission  que  Jésus-Christ  donne  à  ses  apôtres  de  prê- 
.'cher,  de  convertir  el  de  baptiser  les  nations.  Tout  en  haut,  dans  le  dernier  tableau  et 
en  face  de  la  personnification  de  l'Eglise  ou  de  la  Religion  qui  allaite  deux  fidèles  à  ses 
deux  mamelles  et  les  couronne  avec  les  deux  mains,  est  peint  l'agneau,  de  couleur 
bleuâtre  sur  fond  d'azur  et  entouré  d'un  nuage  ou  d'une  auréole  nébuleuse  d'un  jaune 
d'or.  L'agneau  porte  un  nimbe  à  fond  de  gueules  et  croisé  d'or.  Du  pied  droit  de  devant, 
il  tient  une  croix  d'un  rouge  de  feu,  à  laquelle  flotte  un  étendard.  La  pointe  de  l'éten- 
dard est  coupée  en  lanières  qui  figurent  comme  les  grosses  plumes  d'une  aile.  Le  champ 
de  l'étendard  est  marqué  d'une  croix  noire  cantonnée  de  l'A,  de  l'û,  d'un  X  et  d'une 
autre  petite  croix.  Ce  dernier  canton  résume  les  trois  premiers  qui  nomment  le  Christ  et 
son  attribut  d'éternité,  de  principe  et  de  fin  de  toutes  choses.  L'agneau  porte  vivement 
les  regards  vers  l'étendard  qu'il  tient  avec  fierté.  Ces  deux  médaillons  de  l'Agneau  qui 
nous  a  rachetés  et  de  la  Religion  qui  nous  nourrit,  couronnent  d'une  façon  sublime  ce 
remarquable  vitrail. 

^  «  Et  vidi  :  agnum  stantem   lanquam  occisum,  habenlem  cornua  seplem,  et 

«  oculos  seplem —  »  {Apocal.  cap.  v.)  —  D'après  ce  texte,  on  comprend  que  les  cornes, 
même  très-puissantes,  comme  nous  en  verrons  deux  exemples  plus  bas,  pages  332  et 
340,  planches  85  et  88,  puissent  armer  la  tête  d'un  agneau;  car  elles  sont  allégoriques 
et  non  pas  naturelles.  Cependant  il  en  faudrait  sept,  comme  à  la  planche  88;  lorsqu'il 
n'y  en  a  que  deux ,  l'explication  est  plus  difllcile  à  donner. 


326 


INSTRUCTIONS. 

^2.  AGNEAU    DE   DIEU,    SYMBOLE   DE  JESUS  CRUCIFIE. 

Cuivre  grav<^,  xi"  siècle. 


Le  monument  d'où  est  tiré  ce  dessin  est  du  xf  siècle;  c'est 
une  plaque  de  cuivre  ciselée  et  découpée  à  jour.  Cette  plaque 
était  probablement  appliquée  sur  la  couverture  d'un  livre 
d'évangiles.  De  forme  carrée,  elle  montre  l'agneau  dans  le 
centre,  et  sur  les  côtés  la  personnification  des  quatre  fleuves 
du  paradis  :  le  Tigre,  l'Euphrate,  le  Phison  et  le  Géhon  ^  Les 
vers  suivants,  gravés  sur  les  côtés  de  la  plaque,  expliquent  le 
sens  allégorique  attaché  à  la  présence  des  quatre  fleuves  : 

Fons  paradisiacus  per  flumina  quatuor  exit; 
Hec  {sic)  quadriga  levis  te  Xpè  per  omnia  vexit. 

L'agneau  de  Dieu,  ainsi  entouré  des  fleuves  mystiques,  ou 
dominant  la  montagne  d'où  sortent  les  quatre  sources ,  est 
bien  antérieur  au  xf  siècle  :  la  planche  23,  page  68,  nous  en 

Ce  monument  fait  partie  de  la  collection  de  M.  du  Sommerard.  Les  fleuves  sont 
nommés  Gyon ,  Pliison,  Tygris,  Eufrates,  et  sont  représentés  à  la  manière  antique  :  ce 
sont  des  hommes  presque  nus,  coi£Fés  du  bonnet  phrygien,  et  tenant  une  urne  d'où 
s'échappent  des  flots.  C'est  à  peu  près  ainsi  qu'ils  sont  sculptés  au  portail  occidental  de 
la  cathédrale  de  Reims. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  327 

a  donné  un  exemple  tiré  des  catacombes  et  qui  date  du  v'^  ou 
VI"  siècle  de  notre  ère  ^  De  nos  jours,  sur  les  chasubles  ou  les 
devants  d'autel,  on  voit  fréquemment  l'agneau  couché  comme 
mort  sur  le  livre  aux  sept  sceaux ,  ou  debout  et  tenant  avec 
l'un  de  ses  pieds,  tantôt  de  derrière  et  tantôt  de  devant,  l'éten- 
dard de  la  résurrection.  Cette  seconde  manière  de  le  figurer 
est  plus  populaire  et  plus  fréquente  que  la  première;  elle  entre 
même  comme  armoiries  dans  le  blason  de  plusieurs  villes  et 
de  plusieurs  familles  nobles  :  la  ville  de  Rouen  porte  de  gueules, 
à  un  agneau  pascal  d'argent,  et  la  famille  Pascal  possède  l'a- 
gneau également  d'argent,  mais  sur  champ  d'azur'. 

Saint  Jean-Baptiste  est  très-souvent  représenté  tenant  l'a- 
gneau de  Dieu;  c'est  même  l'attribut  par  lequel  on  le  distingue 
plus  particulièrement.  Ainsi  la  planche  suivante  donne  le  des- 
sin d'une  statue  colossale  qui  orne  les  parois  du  portail  sep- 
tentrional delà  cathédrale  de  Chartres.  Saint  Jean,  pieds  nus, 
comme  s'il  était  un  apôtre  du  Nouveau  Testament,  nimbé 
comme  un  saint,  vêtu  d'une  robe  en  poil  de  chameau^,  montre 
de  la  main  droite  l'agneau  qu'il  tient  avec  la  main  gauche. 

'  Dans  les  monuments  de  la  primitive  Eglise,  on  voit  fréquemment  Tagneau  debout 
sur  la  montagne  d'où  s'écoulent  les  quatre  fleuves  du  paradis  terrestre,  ou  bien  entouré  de 
la  personnification  de  ces  fleuves.  L'agneau,  c'est  le  Cbrisl;  les  fleuves,  ce  sont  les  évan- 
gélistes  :  «  Quatuor  flumina,  quatuor  evangelistaî,  »  comme  disent  les  docteurs  chrétiens. 
On  a  été  plus  loin  dans  l'assimilation,  et  G.  Durand  [Rat.  div.  off.  lib.  VII)  dit  que  le 
Géhon  est  saint  Matthieu  ;  le  Phison,  saint  Jean  ;  le  Tigre,  saint  Marc;  l'Euphrate,  saint 
Luc.  Durand  et  le  pape  Innocent  III  trouvent  de  curieuses  ressemblances  entre  les  qua- 
lités do  chaque  évangélisle  comparé  à  son  fleuve  correspondant.  «  Per  Physon  Johannes , 
«per  Gion  Matlheus,  per  Tigrim  Marcus,  per  Eufratem  Lucas  designati  sunt.  Sic  enim 
«  rlare  probat  Innocentius  III  de  evangelistis  in  sermone.  » 

'  L'Art  héraldicjue ,  par  Baron  ;  in-12  ,  Paris  ,  i6g5. 

'  «  Ipse  autem  Johannes  habebal  vestimentum  de  pilis  camelorum,  et  zonam  pelliceam 
«  circalumbosejus...  »  (Saint  Matthieu,  ch.  iii,v.  à.)  —  A  la  ceinture  de  cuir  et  à  la  robe  en 
poil  de  chameau  les  Grecs  ajoutent  constamment,  dans  leurs  représentations  de  saint  Jean- 
Baptiste,  les  cheveux  incultes  ou  hérissés.  Nous  en  avons  vu  un  exemple  planche  2/i,  p.  72. 


328 


INSTRUCTIONS. 

83.  SAINT  JEAN-BAPTISTE  TENANT  L'AGNEAU   DE   DIED. 

Statue  du  xiii"  siècle,  h  la  cathédrale  de  Chartres. 


L'agneau  est  inscrit  dans  une  auréole.  Il  ne  porte  pas  le 
nimbe  crucifère ,  parce  que  la  sculpture  ne  se  prêtait  pas  à  le 
décorer  de  cet  insigne;  mais  il  devrait  l'avoir.  Il  en  est  orné 
sur  la  planche  82  qui  précède,  et  sur  une  grande  statue  de 
saint  Jean-Baptiste  qui  se  dresse  contre  les  parois  du  portail 
occidental  de  la  cathédrale  de  Reims. 

Au  xiv^  siècle,  cet  agneau,  qui  était  volontiers  symbolique 
jusqu'alors,  tombe  dans  la  réalité,  dans  le  naturel.  Le  saint 
Jean  qui  suit ,  et  qui  est  de  cette  époque ,  tient  Tagneau ,  non 
plus  dans  un  disque,  dans  une  divine  auréole,  mais  absolu- 


ICONOGRAPHIE   CHRETIENNE.  329 

ment  comme  un  Lerger  tiendrait  une  petite  brebis  qui  serait 
fatiguée  ou  qu'il  cbérirait. 

84-  AGNEAU  NATUREL  PORTE  PAR  SAINT  JEAN. 

Miniature  française,  xiv'  siècle  ^ 


Au  xv^  siècle,  le  naturalisme  est  plus  prononcé  encore.  A  cette 
époque  l'agneau  perd  son  nimbe,  il  court  à  terre,  il  broute 
l'herbe  du  désert  où  se  repose  saint  Jean,  il  se  dresse  sur  ses 
deux  pattes  de  derrière  contre  son  précurseur  qu'il  cherche  à 
caresser.  Enfin,  au  xyi*"  siècle,  un  joli  tableau  sur  bois,  qu  on 

'  Ce  dessin  est  lire  du  lioman  des  trois  pèlerinages,  manuscrit  de  la  bibliothèque 
Sainte -Geneviève.  La  miniature  est  au  folio  187,  verso.  La  cathédrale  de  Reims,  qui 
devance,  au  moins  de  cent  ans,  les  autres  cathédrales  de  France,  quant  à  la  statuaire  et 
à  la  sculpture  d'ornement,  offre,  dès  le  xiii"  siècle,  un  saint  Jean  tenant  et  caressani 
de  ses  mains  un  charmant  petit  agneau.  Ce  joli  groupe  se  voit  parmi  la  population 
de  statues  qui  vivifient  le  mur  intérieur  du  portail  occidental  et  qui  font ,  de  cette  partie 
de  l'admirable  édifice,  un  chef-d'œuvre  unique  en  France. 

INSTRUCTIONS. II.  ^2 


330  INSTRUCTIONS. 

voit  dans  une  chapelle  latérale  de  Notre-Dame  de  Brou ,  à  Bourg , 
a  été  plus  loin  encore.  Saint  Jean  y  est  représenté  assis  sur  un 
tertre  vert,  dans  une  forêt,  au  bord  d'une  petite  rivière.  Il  tient 
sous  son  bras  gauche  l'agneau,  qui  n'a  plus  rien  d'hiératique. 
De  la  main  droite  il  lui  donne  à  boire  de  l'eau  qu'il  a  puisée 
dans  une  coquille.  L'agneau  de  Dieu  qui  a  soif  et  auquel  on 
donne  à  boire,  c'est  peu  divin!  Quelle  différence  de  cet  agneau 
de  Brou,  qui  est  du  xvi*'  siècle,  avec  celui  qui  décore  un 
coffret  d'ivoire  provenant,  dit-on,  du  couvent  de  Saint-Gall, 
et  qui  doit  être  du  ix""  ou  du  x*"  siècle  !  Sur  le  couvercle  de  ce 
coffret,  un  agneau,  qui  porte  le  nimbe  crucifère  et  qui  est 
posé  sur  un  disque  comme  une  «  imago  clypeata  » ,  est  adoré 
par  quatre  anges  qui  se  prosternent  devant  lui,  et  par  les  vingt- 
quatre  vieillards  de  l'Apocalypse,  qui  lui  tendent  les  mains, 
comme  pour  en  recevoir  des  trésors  de  grâce.  Pendant  que 
ces  scènes  se  passent  dans  le  ciel  inférieur,  tout  en  haut,  une 
main,  la  main  de  Dieu  le  père,  sort  des  nuages  et  lance  cinq 
torrents  de  lumière,  qui  tombent  sur  l'agneau,  symbole  de 
son  fds  ^  C'est  ici  d'une  gravité,  d'un  mysticisme  sublimes; 
à  Brou,  la  réalité  est  presque  triviale.  Cependant  à  Brou,  der- 
rière saint  Jean ,  est  posée  une  petite  croix  de  roseau  avec  une 
banderole  où  l'on  a  écrit  :  Ecce  agnus  Dei  ;  on  est  rappelé  ainsi 
à  la  sévérité  du  symbole.  Cette  inscription  accompagne  ordi- 
nairement la  représentation  de  l'agneau  divin  ;  on  la  voit  à  Arles , 
dans  la  vieille  église  du  cimetière  des  Dames  de  Saint-Césaire. 
A  la  voûte  de  l'abside,  quatre  nervures  plates,  terminées  par 
des  chapiteaux  ou  impostes  feuillages  ,  viennent  aboutir  à  une 
clef  sur  laquelle  est  sculpté  l'agneau  tenant  la  croix  delà  résur- 
lection;  cette  inscription,  distribuée  en  deux  bandes  semi- 

'  Ce  curieux  coffret  apparlienl  à  M.  Michéli ,  qui  l'a  moulé  et  jeté  dans  le  coui- 
nierce. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  331 

circulaires,  est  gravée  autour  de  l'agneau  :  Dei  ecce  ahgnus  ^ 

Dans  les  vitraux  et  les  sculptures  qui  représentent  les  évé- 
nements ou  les  ligures  de  l'Ancien  Testament  en  regard  des 
scènes  du  Nouveau,  on  voit  un  jeune  homme  égorgeant  un 
agneau,  tandis  qu'un  vieillard  trempe  dans  le  sang  de  la  vic- 
time une  plume,  un  style  avec  lequel  il  marque  du  tau  (t)  le 
dessus  des  portes  [siiperliminare)  des  maisons  que  la  colère  de 
Dieu  doit  épargner^. 

Dans  toutes  les  sculptures  et  peintures  sur  verre  et  sur  par- 
chemin qui  représentent  l'Apocalypse,  on  voit  l'agneau  à  sept 
yeux  et  à  sept  cornes  brisant  les  sceaux  du  livre  mystérieux. 

C'est  toujours  l'agneau  que  l'on  voit  et  jamais  la  brebis, 
jamais  le  bélier,  car  les  textes  sont  explicites:  «Ecce  agnus; 
«  vidi  agnum;  agnus  Dei;  agnus  qui  tollis  peccata  mundi.  » 
Cependant,  et  par  une  anomalie  des  plus  extraordinaires,  la 
cathédrale  de  Troyes  présente  sculpté  à  une  clef  de  voûte  un 
agneau  de  Dieu  en  bélier.  Les  formes  de  ce  bélier  sont  nette- 
ment caractérisées,  et  le  dessin  qu'on  en  donne  ici  montre 
deux  cornes  très-bien  indiquées  et  très-puissantes. 

'  L'/i,  qui  est  dans  ahgnus,  semble  indiquer  une  aspiration  qu'on  faisait  sentir  alors  , 
au  moins  dans  la  Provence.  Nous  avons  déjà  constaté  qu'à  Charires  un  sculpteur  du 
xiii°  siècle  avait  écrit  terrein  pour  terram.  A  la  même  époque,  presque  partout,  sur  les 
vitraux,  les  émaux  et  les  sculptures,  on  voit  Sohmon,  Solomonem  pour  Salomon ,  Salo- 
monem;  les  manuscrits  disent  souvent  Salemons.  Dans  la  vieille  église  de  l'île  Barbe, 
près  de  Lyon  ,  on  lit,  au  milieu  d'une  inscription  relative  au  Christ,  michi  pour  mihi ; 
michi  règne  encore  en  Italie.  Dans  ces  exemples  et  dans  bien  d'auti'es ,  il  y  a  probable- 
ment des  indices  de  la  prononciation  propre  à  certaines  époques  et  à  certaines  loca- 
lités ;  il  faut  les  signaler  avec  soin. 

'  Voyez  une  grande  statue  colossale  qui  décore  le  portail  occidental  des  cathédrales 
d'Amiens,  de  Reims,  de  Senlis;  une  statue  semblable  est  au  portail  septentrional  de 
Notre-Dame  de  Chartres.  Voyez  un  vitrail  de  la  cathédrale  de  Chartres,  nef  latérale  du 
nord,  et  un  vitrail  de  la  calliédrale  de  Bourges,  à  l'abside.  Ces  deux  vitraux  font  partie 
de  la  monographie  de  la  cathédrale  de  Bourges,  dont  M.  Arthur  Martin  fait  ou  surveille 
tous  les  dessins  et  dont  M.  Charles  Cahier  rédige  le  texte.  Sur  ce  vitrail  de  Bourges,  on 
lit  sous  le  prophète  qui  écrit  :  «  Scribe  tliau.  » 

42. 


332 


INSTRUCTIONS. 

85.  AGNEAU    DE   DIED    EN    BELIER. 

Sculpture  française,  dans  la  cathédrale  de  Troyes,  fin  du  xiii^  siècle. 


C'est  bien  un  bélier.  D'un  autre  côté  c'est  vraiment  l'agneau 
de  Dieu ,  puisqu'il  porte  la  croix  de  résurrection  comme  l'agneau 
pascal,  et  le  nimbe  crucifère  comme  les  personnes  de  laTrinité. 
Jusqu'à  présent  on  ne  connaît  pas  d'autre  exemple  d'une  pa- 
reille particularité;  mais  cet  exemple  est  en  Champagne,  où, 
comme  à  Reims  et  à  Troyes,  l'art  est  tout  exceptionnel,  on 
pourrait  même  dire  schismatique,  relativement  à  l'art  chrétien 
des  autres  provinces  de  France.  Ce  dessin  est  de  la  dernière 
exactitude,  il  a  été  exécuté  après  un  examen  minutieux  des 
formes  les  plus  impercej)tibles  ^  Les  cornes  sont  le  carac- 
tère de  la  force  matérielle;  elles  signifient  peut-être  que  ce 
bélier  divin  est  le  symbole  de  la  puissance  divine  du  Fils. 
Dans  ce  cas ,  ces  cornes  seraient  à  l'agneau  ce  que  le  double 
nimbe  triangulaire^  est  au  Père  éternel,  ou  le  nimbe  croisé  et 

M.  Fichot,  dessinateur  de  Troyes,  a  fait  ce  dessin  après  avoir  conslalé  avec  moi, 
au  moyen  d'une  excellente  lunette,  que  les  cornes  étaient  réelles  et  aussi  prononcées  en 
forme  et  dimension  que  le  dessin  l'indique.  Cette  sculpture  orne  une  clef  de  voûte  placée 
à  douze  mètres  du  sol ,  dans  une  chapelle  du  latéral  méridional  de  la  cathédrale  de  Troyes. 
C'est  un  fait  curieux  que  l'agneau  se  soit  changé  en  bélier  dans  la  Champagne,  province 
qui  nourrit  de  nombreux  troupeaux  de  moutons, 
*  Planche  21,  p.  61. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  333 

recroisé  à  l'agneau  donné  dans  le  chapitre  du  nimbe  (pi.  i3, 
p.  46);  elles  annonceraient  la  puissance  absolue. 

L'art  ne  s'est  pas  contenté,  dans  les  premiers  siècles  du  chris- 
tianisme, de  représenter  Jésus-Christ  sous  la  forme  d'un  agneau; 
il  figura  ainsi ,  ou  sous  celle  de  la  brebis ,  d'autres  personnages  de 
l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  :  Abraham ,  Moïse,  saint  Jean- 
Baptiste,  les  apôtres.  Pour  les  apôtres,  on  les  voit  fréquemment 
sous  cette  forme  sur  les  anciens  sarcophages ,  sur  les  fresques  des 
catacombes,  sur  les  ancien  nés  mosaïques  des  basiliques  romaines. 
Un  dessin  donné  ici  représente  Jésus,  sous  forme  humaine,  de- 
bout sur  la  montagne  du  paradis,  et  donnant  ses  dernières  ins- 
tructions à  ses  apôtres.  La  personne  divine  est  accompagnée  de 
son  symbole,  l'agneau  qui  porte  une  croix  sur  la  tête  ^ 

86.  LE  CHRIST  ET  LES  APOTRES  SOUS  FORME  D'AGNEAUX  OU  DE  BREBIS. 

Sculpture  latine,  premiers  siècles  de  TEglise. 


'  Le  Christ  aux  sept  agneaux  est  dessiné  d'après  un  sarcophage  en  marbre  blanc 


334  INSTRUCTIONS. 

Au  bas  de  la  montagne,  et  tournés  vers  Jésus,  se  voient  six 
agneaux,  qui  figurent  les  apôtres;  la  place  manquait  pour  les 
sculpter  tous  les  douze.  Aucun  de  ces  agneaux,  pas  môme 
celui  de  Dieu,  n'a  de  nimbe,  parce  qu'à  cette  époque  cet 
insigne  n'était  pas  encore  adopté  par  le  christianisme.  La 
personne  même  du  Christ  n'a  pas  de  nimbe.  Ici,  nous  n'avons 
que  sept  agneaux;  mais  plusieurs  mosaïques  latines,  à  Rome 
et  à  Ravenne  surtout,  offrent  bien  les  douze  agneaux  sortant 
six  de  Jérusalem,  six  de  Bethléem,  et  se  rendant  vers  Jésus, 
qui  a  la  figure  de  l'agneau  divin  et  qui  est  debout  près  du 
Jourdain  ;  c'est  vers  ce  fleuve  que  semble  venir  converger  tout 
le  christianisme  ^  Dans  le  Rational  des  divins  offices,  Guillaume 
Durand  dit  :  «  Quelquefois  on  peint  les  apôtres  sous  la  forme  de 
douze  brebis,  parce  qu'ils  ont  été  tués  à  cause  du  Seigneur, 
ainsi  que  des  brebis.  Mais  en  outre  on  peint  quelquefois  les 
douze  tribus  d'Israël  sous  la  forme  de  douze  brebis.  Quelque- 
fois on  en  voit  plus  ou  moins  autour  du  trône  de  la  majesté 
divine;  mais,  dans  ce  cas,  ils  figurent  autre  chose,  suivant  ce 

provenant  du  cimetière  du  Vatican.  Tout  le  sarcophage  est  gravé  dans  Bosio  (  Roma 
sotierr.  p.  63  de  ledit,  ital.  Rome  ,  i632).  A  droite  et  à  gauche  du  Christ  s'élèvent  deux 
palmiers;  sur  celui  de  droite  est  un  oiseau,  une  colombe,  peut-être  le  Saint-Esprit. 
Dans  ce  cas,  ce  serait,  avec  la  petite  colombe  sculptée  sur  la  frise  du  tombeau  de  Junius 
Bassus ,  la  plus  ancienne  représentation  de  l'Esprit  divin. 

^  Voyez  Ciampini ,  Veter.  monim.  passim.  Dans  la  Rom.  sotterr.  p,  4ii,  les  douze 
Apôtres  et  Jésus  au  milieu  d'eux,  en  pasteur,  sont  debout  sur  un  sarcophage  trouvé 
près  de  Saint-Laurent-hors-les-Murs ,  à  Rome.  Chaque  figure  est  accompagnée  de  son 
agneau ,  et  Jésus  caresse  le  plus  gros  d'entre  eux ,  celui  qui  figure  l'agneau  de  Dieu. 
En  outre ,  aux  deux  extrémités  du  sarcophage ,  deux  pasteurs  (  ils  figurent  encore  le 
Christ)  sont  accompagnés  de  cinq  agneaux.  Celui  de  droite  en  a  trois,  et  il  en  caresse 
un  avec  tendresse;  celui  de  galîche  en  a  deux,  qu'il  bénit  à  la  manière  latine.  Il  y  a 
donc  dix-huit  agneaux  dans  celle  jolie  scène.  Lisez  dans  l'Evangile  tous  les  textes  où 
Jésus  se  compare  au  bon  Pasteur,  et  assimile  les  hommes  à  des  brebis;  où,  avant  de 
mourir,  il  se  compare  au  berger  qui  sera  frappé  et  dont  les  brebis  se  disperseront;  où  il 
confie  à  Pierre,  pour  les  mener  dans  de  bons  pâturages,  ses  brebis  si  chères.  (S.  Jean, 
ch.  X;  S.  Luc,  ch   XV;  S.  Matthieu,  ch.  xxvi.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  335 

texte  de  saint  Mattliieu  :  «  Lorsque  le  Fils  de  l'homme  viendra 
<(  dans  sa  majesté,  alors  il  sera  assis  sur  le  siège  de  sa  gloire, 
«  plaçant  les  brebis  à  sa  droite,  et  les  boucs  à  sa  gauche.  »  Ainsi 
les  apôtres,  les  tribus  Israélites  et  les  fidèles  étaient  symbo- 
lisés par  l'agneau  et  la  brebis  ^ 

On  a  été  plus  loin  encore,  avons-nous  dit;  on  a  figuré 
des  personnages  de  f  Ancien  Testament,  et  même  de  simples 
Hébreux,  sous  la  forme  de  fagneau.  Des  scènes  entières  de 
la  Bible  ont  été  représentées  par  des  acteurs  religieux  trans- 
formés en  agneaux.  Il  semble  voir  les  apologues  anciens  et  les 
fables  de  La  Fontaine  mis  en  action  par  les  animaux  allégo- 
riques qui  prêchent  la  sagesse.  Ainsi  le  tombeau  de  Junius 
Bassus,  en  marbre  blanc,  qui  date  du  iv^  siècle  de  notre 
ère,  et  qu'on  voit  dans  le  musée  chrétien  du  Vatican,  repré- 
sente quelques  sujets  de  fAncien  et  du  Nouveau  Testament  : 
la  chute  d'Adam  et  d'Eve,  le  sacrifice  d'Abraham,  Job  raillé 
par  sa  femme,  Daniel  entre  deux  lions,  Jésus  entrant  dans 

'  «  Pinguntur  eliam  quandoque  (  Apostoli)  siib  forma  duodecim  ovium,  qui  tanquani 
«  bidentes  occisi  sunt  propter  Dominum;  sed  et  duodecim  Iribus  Israël  quandoque  suh 
«  forma  duodecim  ovium  pinguntur.  Quandoque  tamen  plures,  A^el  pauciores  oves  circa 
«  sedem  majestatis  pinguntur,  sed  tune  aliud  figurant,  juxta  illud  Maltb.  :  Cum  vene- 
«  rit  Filius  bominis  in  majestate  sua,  tune  sedebit  super  sedem  majestatis  suae,  statuons 
«  oves  a  dexlris ,  et  baedos  a  sinislris.  »  (Guill.  Durand,  Rationale  divin,  offic.  lib.  I ,  cap.  m  , 
edit.  de  Venise,  lôya.)  — Durand,  par  ce  texte,  semble  laisser  croire  que  de  son  temps 
on  peignait  sous  la  forme  de  la  brebis- les  apôtres,  les  tribus  d'Israël  et  les  justes  ressus- 
cites ;  mais  il  nous  reste  de  l'époque  où  vivait  et  écrivait  Durand  (le  xiii"  siècle)  une 
foule  de  monuments  tout  peints  et  tout  sculptés.  Or,  dans  ces  monuments,  qui  sont 
entre  autres  les  cathédrales  de  Reims,  d'Amiens,  de  Paris,  de  Chartres,  de  Sens,  il  n'y 
a  pas  une  seule  brebis  qui  figure,  soit  un  apôtre,  soit  une  tribu,  soit  un  juste  près  du 
trône  de  Dieu.  Bien  antérieurement  à  cette  époque,  depuis  le  iv"  siècle  jusqu'au  ix' 
environ,  mais  cela  en  Italie  à  peu  près  exclusivement,  on  donnait  la  forme  de  l'agneau 
ou  de  la  brebis  aux  personnages  dont  parle  Durand ,  et  les  agneaux  que  nous  avons 
signalés  sortant  de  Belliléem  et  de  Jérusalem  pour  venir  boire  au  Jourdain ,  près  duquel 
est  le  Fils  de  Dieu,  pourraient  bien  être  les  tribus  d'Israël  plutôt  que  les  apôtres  encore. 
Dans  une  lettre  (c'est  la  douzième  du  recueil)  à  Sulpice-Sévère,  évoque  de  Tours,  saini 


336  INSTRUCTIONS. 

Jérusalem,  ou  comparaissant  devant  Pilate,  ou  triomphant 

et  donnant  ses  instructions  à  saint  Pierre  et  à  saint  Paul. 

Tous  les  personnages  de  ces  diflerentes  scènes  sont  debout 
dans  des  cadres  en  plate-bande  ou  dans  des  niches  circulaires 
et  triangulaires.  Mais  ni  les  antiquaires  ni  les  graveurs  n'ont 
fait  attention  à  la  frise,  aux  pendentifs  qui  relient  entre  elles 
les  arcades  de  l'étage  inférieur;  du  moins,  ils  n'en  ont  pas  com- 
pris le  système  d'ornementation.  En  allant  de  gauche  à  droite, 
comme  quand  on  lit,  on  voit  d'abord  trois  agneaux  dans  les 

Paulin,  évèque  de  Noie,  dit  qu'il  avait  fait  exécuter  une  mosaïque  dans  l'abside  de 
la  basilique  de  Fondi.  Celle  mosaïque  représentait  la  Trinité.  La  croix  y  symbolisait  le 
Christ,  et  celte  croix  était  portée  sur  un  rocher,  une  élévation  : 

Et  quia  celsa  (crux)  quasi  judex  de  rupe  superstal, 
Bis  p;emiiiBB  pecudis  discors  aguis  genus  baedi 
Circumstant  solium  ;  laevos  avertilur  liœdos 
Pastor,  et  emeritos  dexlra  complectitur  agnos. 

C'est  bien  là  le  troupeau  d'agneaux  et  de  boucs  mentionné  par  Durand.  Il  faut  donc  en 
conclure  que  noire  évêque  de  Mende  parlait  de  l'art  italien  et  non  de  l'art  français,  et  de 
plus  qu'il  en  parlait  d'après  des  liîurgisles  antérieurs  à  lui,  et  non  d'après  les  monumenls 
figurés  de  son  époque.  Du  reste,  bien  d'autres  faits  légitiment  cette  conclusion;  on  ne  doit 
pas  accepter  sans  critique  et  comme  des  usages  constants  et  contemporains  de  Durand 
tous  ceux  que  ce  lilurgiste  nous  détaille  avec  complaisance.  Durand  est  un  compilateur  qui 
fait  son  ouvrage  avec  des  livres  anciens  et  très-souvent  étrangers  à  notre  pays.  Ainsi,  dans 
ce  même  chapitre  m  du  livre  1  de  son  Ralional,  il  dit  qu'on  représente  honorés  d'un 
nimbe  carré  tout  prélat  et  tout  homme  vertueux,  lorsqu'on  les  peint  de  leur  vivant.  Mais , 
nous  l'avons  déjà  vu  dans  l'Histoire  du  nimbe,  cet  usage  est  spécial  à  l'Ilalie  et  n'a  jamais 
été  adopté  en  France.  Du  reste,  voici  le  fexle  de  Durand;  il  complétera  ceux  que  nous 
avons  déjà  donnés  sur  le  nimbe  :  «  Cuni  vero  aliquis  praelatus  aut  sanclus  vivens  pingitur, 
«  non  in  formam  sculi  rolundi ,  sed  quadrati ,  corona  ipsa  depingilur,  ut  qualuor  cardinali- 
«  bus  virlulibus  vigere  monslrelur,  prout  in  legenda  beati  Gregorii  habelur.  »  —  Si  l'élude 
des  monuments  figurés  ne  venait  pas  limiter  celle  pratique  à  l'Italie,  on  croirait,  d'après 
Durand  ,  qu'on  a  peint  en  France  des  nimbes  carrés.  11  faut  donc  contrôler  les  textes  par 
des  œuvres  de  l'art,  et  faire  de  l'archéologie  plulôt  avec  les  monuments  sous  les  yeux 
qu'avec  des  livres  dans  les  mains.  On  remarquera  le  nom  de  couronne  et  de  bouclier 
que  Durand  donne  au  nimbe;  cet  attribut  est  en  elfet  une  couronne  religieuse,  et,  d'a- 
près les  idées  mystiques  du  moyen  âge,  c'est  un  bouclier  de  têle,  une  espèce  de  casque 
qui  protège  les  saints,  comme  s'exprime  YHortus  deliciarum  de  l'abbesse  Herrade. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  337 

flammes  ;  puis  un  agneau  tenant  une  baguette  au  pied  droit  de 
devant  et  frappant  un  rocher  d'où  s'échappe  une  source,  tandis 
que  deux  autres  agneaux,  dont  l'un  s'apprête  à  boire  et  dont 
l'autre  est  couché,  regardent  se  passer  l'action;  puis  un  agneau 
levant  son  pied  droit  de  devant,  comme  pour  recevoir  un  livre 
tendu  par  une  main  qui  sort  des  nuages;  puis  un  petit  agneau 
plongé  dans  l'eau  et  sur  la  tête  duquel  un  agneau  plus  gros 
étend  son  pied  gauche  de  devant;  puis  un  agneau  frappant  avec 
une  baguette  trois  paniers  pleins  de  pain;  enfin  un  agneau 
touche  avec  une  baguette  un  mort  debout  dans  son  tombeau. 
Ces  scènes,  qui  ont  des  agneaux  pour  acteurs,  sont  la  copie  de 
scènes  semblables  exécutées  par  des  hommes,  et  qu'on  a  sculp- 
tées constamment  sur  les  autres  vieux  sarcophages.  C'est  l'his- 
toire de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  choisie  dans  les 
principaux  épisodes  et  figurée  par  des  êtres  allégoriques.  Cette 
ornementation  multiplie  et  continue  les  sujets  représentés  par 
les  figures  humaines  placées  dans  les  arcades. 

87.  AGNEADX  REPRÉSENTANT  DES  SCENES  DE  L'ANCIEN  ET  DU  NOUVEAU  TESTAMENT. 

Sculpture  latine  du  iv^  siècle. 


Les  trois  agneaux  dans  le  feu  sont  les  trois  enfants  que  Na- 


INSTRUCTIONS. 


338  INSTRUCTIONS. 

buchodonosor  a  fait  jeter  dans  la  fournaise ^  Au  n*"  i ,  Moïse 
en  agneau  frappe  l'eau  du  rocher.  Au  n''  2  ,  Moïse,  sous  la  même 
forme,  reçoit  les  tables  de  la  loi.  Jésus-Glirist  en  petit  agneau 
est  plongé  dans  le  Jourdain,  et,  tandis  que  le  Saint-Esprit, 
qu'on  voit  sous  la  forme  d'une  colombe,  souffle  la  grâce  sur 
cette  petite  tête  de  l'agneau  divin ,  saint  Jean-Baptiste,  en  gros 
agneau,  verse  sur  la  même  tête  l'eau  du  baptême  :  c'est  le 
n°  3.  Jésus  en  agneau  multiplie  les  pains,  au  n°  /i,  avec  la  même 
baguette  dont  il  se  sert,  au  n"  5,  pour  ressusciter  Lazare. 

La  faveur  pour  fagneau  était  telle  alors,  qu'on  avait  presque 
abandonné  la  figure  humaine  du  Christ  pour  y  substituer 
celle  de  son  emblème.  L'Eglise  s'inquiéta  de  cette  tendance  à 
l'idéalisme;  elle  craignit  que  l'allégorie  ne  finît  par  engloutir 
la  réalité  et  l'histoire.  En  692,  sous  l'empereur  Justinien  II,  un 
concile  appelé  Quini-Sexte  décréta  formellement  qu'à  l'avenir 
la  figure  historique  de  Jésus-Christ,  la  physionomie  humaine 
du  fils  de  Dieu,  serait  substituée,  dans  les  peintures,  à  fimage 
de  l'agneau.  Voici  le  texte ,  qui  n'est  pas  sans  importance  :  «  Dans 
certaines  peintures  et  images  vénérables,  on  représente  le 
Précurseur  montrant  du  doigt  fagneau.  Nous  avons  adopté 
cette  représentation  comme  une  image  de  la  grâce;  pour  nous, 
c'était  fombre  de  cet  agneau,  le  Christ,  notre  Dieu,  que  la  loi 
nous  montrait.  Donc,  accueillant  d'abord  ces  figures  et  ces 
ombres  comme  des  signes  et  des  emblèmes,  nous  leur  préfé- 
rons aujourd'hui  la  grâce  et  la  vérité,  c'est-à-dire  la  plénitude 
de  la  loi.  En  conséquence,  pour  exposer  à  tous  les  regards  ce 
qui  est  parfait,  même  dans  les  peintures,  nous  décidons  qu'à 
l'avenir  il  faudra  représenter  dans  les  images  le  Christ,  notre 
Dieu,  sous  la  forme  humaine,  à  la  place  du  vieil  agneau.  Il 

*  Ce  sujet,  mal  gravé  dans  Bosio  (  Rom.  sotterr.  p.  [\b  ) ,  n'a  pas  été  reproduit  ici  ;  les 
cinq  autres  suffisent  pour  la  démonstration. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  339 

faut  que  nous  contemplions  toute  la  sublimité  du  Verbe  à  tra- 
vers son  bumilité.  11  faut  que  le  peintre  nous  mène  comme 
par  la  main  au  souvenir  de  Jésus  vivant  en  cbair,  souffrant , 
mourant  pour  notre  salut,  et  acquérant  ainsi  la  rédemption 
du  monde  ^  » 

Malgré  cette  défense  positive,  on  n'a  cessé,  tant  les  artistes 
sont  indépendants  ou  tant  est  puissante  une  idée  ancienne, 
de  représenter  Jésus  sous  la  figure  d'un  agneau.  Il  est  vrai 
que,  depuis  cette  époque,  on  n'a  pas  abusé  de  l'agneau  pour 
en  travestir,  comme  avait  fait  le  sculpteur  du  tombeau  de 
Bassus,  tous  les  personnages  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Tes- 
tament, mais  l'agneau  divin  fut  peint  et  sculpté  aussi  sou- 
vent qu'auparavant.  A  Bourg,  au  xv!*"  siècle,  l'agneau  de  Dieu 
boit  à  une  coquille  l'eau  que  lui  présente  saint  Jean;  de  nos 
jours,  sur  la  porte  des  tabernacles  de  nos  églises,  sur  le  dos 
des  chasubles  que  portent  nos  prêtres,  est  figuré  l'agneau 
couché  endormi  ou  égorgé  sur  le  livre  des  sept  sceaux.  En  effet, 
Jésus  est  représenté  en  agneau,  surtout  quand  saint  Jean- 
Baptiste  le  montre  du  doigt  et  quand  il  brise  les  sceaux  du 

'  K  In  nonnullis  venerabillum  imaginum  picturis,  agnus  qui  digito  Praecursoris  mons- 
«tralus,  depingitur,  qui  ad  gradae  figuram  assumptus  est,  verum  nobis  agnum,  per 
•  legem  Christum  Deum  noslrum,  praemonstrans.  Antiquas  ergo  figuras  et  umbras,  ul 
«  verîtalis  signa  et  characteres  Ecclesiae  traditas,  amplexantes,  graliam  et  verilatem  prjE- 
nponimus,  eam  ut  legis  implementum  suscipienles.  Ut  ergo  quod  perfectum  est,  vel 
«  colorum  expressionibus  omnium  oculis  subjiciatur,  ejus  qui  tollil  peccala  mundi, 
«  Christi  Dei  nostri  bumana  forma  characterem  etiam  in  imaginibus  deinceps  pro  veteri 
«  agno  erigi  ac  depingi  jubemus,  ut  per  ipsum  Dei  Verbi  bumilialionis  celsiludinem 
«mente  comprebendentes,  ad  memoriam  quoque  ejus  in  carne  conversationis,  ejusque 
«passionis  et  salutaris  morlis  deducamur,  ejusque  quae  ex  eo  facta  est  raundo  redemp- 
«  tionis.  Il  (Voyez  le  P.  Labbe ,  Conciliorum  Colleclio  maxinia,  tom.  VI ,  col.  1177-  «  Conci- 
«  Hum  Quini-Sexlum."  »)  Saint  Jean  Damascène  [Oratio  III  de  Imaginibus),  rappelle  textuel- 
lement le  canon  82  de  ce  concile  Quini-Sexie,  ou  in  Trullo,  qui  interdit  de  représenter 
l'agneau.  Le  concile  voulut  substituer  entièrement  l'bistoire  au  symbolisme  ;  mais  la  ligure 
symbolique  persista  toujours,  particulièrement  chez  nous,  à  côté  de  la  ligure  historique. 


340  INSTRUCTIONS. 

livre  apocalyptique.  Dans  le  premier  cas,  l'agneau  est  naturel; 
dans  le  second,  il  est  symbolique,  idéal  et  monstrueux,  rela- 
tivement à  la  réalité.  Ainsi,  il  a  sept  cornes  sur  la  tête  et  sept 
yeux  sur  le  front  ou  sur  le  cou.  Ce  nombre  est  mystique 
comme  celui  des  têtes  et  des  cornes  des  bêtes  infernales  de 
l'Apocalypse.  Il  désigne,  dit  saint  Jean,  les  sept  esprits  de 
Dieu  envoyés  sur  toute  la  terre.  Les  sept  dons  du  Saint-Esprit , 
qui  remplissaient  l'agneau,  s'appellent  :  la  vertu,  la  divinité, 
la  sagesse,  le  courage,  l'honneur,  la  gloire,  la  bénédiction  ^ 

88.  AGNEAU  DE  DIED  À  SEPT  YEUX  ET  SEPT  CORNES  ^ 

Miniature  française  du  xiii°  siècle. 


Ainsi  chaque  œil  désigne  la  faculté,  chaque  corne  est  l'em- 
blème de  la  puissance  qui  éclaire  et  fortifie  l'agneau  divin. 


«El  vidi...  Agnum  slantem  tanquam  occisum ,  habentem  cornua  septcm  et  oculos 

«  septem,  qui  sunt  septem  spirilus  Dei,  missi  in  omnem  terrain Et  audivi  vocem  an- 

«gelorum dicenlium  voce  magna  :  Dignus  est  agnus,  qui  occisus  est,  accipere  virlu- 

«tem,  et  divinitalem,  et  sapienliam,  et  fortitudinem ,  el  honorem,  et  gloriam,  et  bene- 
«  dictionem.  »  [Apocalyp.  cap.  v,  v.  6 ,  1 1  et  12.)  —  Rhaban  Maur  [de  Laudihiis  sanctœ 
Crucis,  figura  xv)  a  dessiné  un  agneau  armé  de  sept  cornes.  Sur  les  cornes  on  lit  :  «  Septem 
«  spiritus,  »  et  sur  le  corps  de  l'agneau  :  «  Ecce  agnus  Dei,  ecce  quitoUit  peccala  mundi.  » 
Cet  agneau  porte  un  nimbe  crucifère,  car  il  est  le  symbole  de  Dieu;  mais  il  n'a  ni  les 
sept  yeux,  ni  la  plaie  de  notre  plancbe  88. 

Cet  agneau  à  sept  yeux  et  à  sept  cornes  est  tiré  d'une  Apocalypse  manuscrite  qui 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  341 

Les  antiquaires  doivent  faire  une  grande  attention  à  la  place 
qu'occupent  ces  yeux  et  ces  cornes,  non  moins  qu'à  leur 
nombre.  La  place  est  ordinairement  la  tête  ;  mais  souvent  le  cou 
se  hérisse  de  ses  cornes  comme  d'une  crinière,  et  se  perce  des 
sept  yeux  comme  de  taches  ocellées.  Quant  au  nombre,  il  de- 
vrait être  invariable;  mais,  par  erreur,  indifférence,  défaut  de 
place  ou  inattention,  on  voit  quelquefois  six  \  cinq  et  même 
quatre  cornes  seulement.  D'autres  fois,  et  c'est  extrêmement 
fréquent ,  l'agneau  apocalyptique  est  rabaissé  à  l'état  d'agneau 
naturel,  et,  en  conséquence,  n'a  que  des  cornes  en  germe  et 
invisibles;  alors  il  n'a  plus  que  deux  yeux.  On  sent  toujours 
la  volonté  et  l'indépendance  de  l'homme;  l'artiste  traduit  à 
sa  fantaisie  les  textes  sacrés  et  ramène  le  mystique  au  réel, 
lorsque  son  caractère  spécial  l'y  pousse.  Sur  un  manuscrit 
carlovingien,  écrit  et  peint  sous  Charlemagne,  on  lisait  ces 
vers  composés  par  Alcuin  : 

Omnia  quœ  praesens  tellus  producit  alendo 
Et  maris  liaec  faciès  limbo  circumvenit  amplo, 
Agne ,  Deuin  solio  semper  veneran  tur  in  alto. 
Sanguine  qui  fuso  tersisti  criniina  secli 
In  cruce,  tu  Karoii  detergas  vulnera  régis. 

Ces  vers  étaient  écrits  au-dessous  d'une  miniature  qui  re- 
présentait l'agneau,  les  vingt-quatre  vieillards  de  l'Apoca- 
lypse, la  terre  et  la  mer.  Sous    une    autre    miniature,   où 

est  à  la  bibliollicque  de  l'Arsenal  (ihéol.  lat.)  et  qui  date  du  xiii"  siècle.  L'ouvrage  est  de 
médiocre  exécution,  cet  agneau  apocalyptique  surtout;  mais  je  n'avais  pas  sous  la  main 
d'autre  exemple  aussi  complet.  Dans  la  cathédrale  d'Auxerre,  sur  un  vitrail,  on  voit 
un  de  ces  agneaux  exécuté  avec  beaucoup  plus  de  soin.  Un  vitrail  de  Saint-Etienne-du- 
Mont,  qui  porte  la  date  de  161 4  et  qui  est  dans  la  nef,  côté  du  nord,  donne  un  curieux 
exemple  de  cet  agneau  mystérieux  et  de  toute  la  scène  apocalyptique  où  il  figure. 

'  A  Auxerre .  sur  un  vitrail  de  la  cathédrale ,  je  crois  bien  n'avoir  aperçu  que  six  cornes 
sur  la  tête  d'un  agneau  apocalyptique,  qui  se  dresse  et  qui  pose  les  pieds  sur  le  livre  des 
sept  sceaux.  Ce  vitrail,  qui  est  du  xiii°  siècle,  est  placé  dans  le  collatéral  méridional  du 


342  INSTRUCTIONS. 

l'agneau  seul  était  peint,  on  lisait  ces  deux  autres  vers  com- 
posés également  par  Alcuin  : 

Hune  Moyses  agnuni  monstravi  lege  futurum 
Cunctis  pro  populis  perferri  vulneia  morlis. 

Le  poëte  ne  décrit  pas  l'agneau  qui  se  rapportait  à  la  première 
ou  à  la  seconde  inscription  ;  mais  il  est  probable  que  même 
l'agneau  du  premier  sujet,  l'agneau  apocalyptique,  était  na- 
turel et  n'avait  que  deux  cornes  et  deux  yeux ,  comme  l'agneau 
existant  encore  dans  la  bible  de  Cliarles  le  Chauve.  Le  Charles, 
nommé  dans  le  dernier  vers  de  la  première  inscription,  est 
Charlemagne  ^ 

Ainsi  donc,  malgré  le  concile  Quini-Sexte ,  on  continua  à 
figurer  Jésus  par  l'agneau.  Que  ce  fait  se  constate  dans  l'Oc- 
cident, dans  l'Eglise  latine,  qui  a  toujours  été  en  froid  avec 
l'Eglise  grecque,  même  à  l'époque  du  concile  Quini-Sexte,  il 
ne  faudrait  pas  trop  s'en  étonner  :  une  prescription  partie  de 
Constantinople  pouvait  être  regardée  comme  non  avenue  à 
Rome.  Mais  en  Grèce  même,  on  semble  avoir  ignoré  ou 
méprisé  ,  si  on  le  connaissait ,  le  canon  du  concile  ;  on  y 
rencontre ,  peinte  à  fresque  et  en  mosaïque  ,  la  figure  de  l'a- 
gneau représentant  le  Christ.  Sous  cette  figure,  j'ai  lu  dans 
les  églises  d'Athènes,  aux  Météores  et  au  mont  Athos  :  o  ot/itvoç 
rov  ^eou  ^.  Du  reste,  en  Orient  comme  en  Occident,  on  n'a 
cessé  de  chanter  à  la  messe  :  «Agneau  de  Dieu,  qui  enlèves 
les  péchés  du  monde,  aie  pitié  de  nous^.  »  On  a  toujours  in- 
voqué dans  les  prières  et  on  a  toujours  figuré  en  sculpture  et 

chœur.  A  Saint- Etienne- du -Mont,  l'agneau  apocalyptique  a  sept  cornes  et  sept  jeux; 
mais  il  est  sans  nimbe  et  n'est  pas  blessé  au  côté. 

'  Baluze,  Miscellanea,  IN"  vol.  Carmina  Alcuini,  in  fronte  codicis. 

"  Au  couvent  de  Philothéou,  dans  le  monl  Alhos,  est  peint  en  grand  un  agneau  de 
Dieu  ,  avec  l'inscription  à  diivùs  tov  Q-sov. 

^  (I  Agnus  Dei,  qui  lollis  peccata  mundi,  miserere  nobis.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  343 

en  peinture  l'agneau  divin,  sans  s'inquiéter  du  concile  Quini- 
Sexte.  Enfm,  au  xiii*"  siècle,  même  à  cette  époque  où  l'histoire 
cherchait  à  dominer  l'allégorie  ,  on  indiqua  un  moyen  de 
figurer  la  personne  et  tout  à  la  fois  le  symbole  du  Christ. 
Avant  le  xuf  siècle,  on  préfère  le  symbole;  après,  on  affec- 
tionne la  réalité.  Mais  du  temps  de  Guillaume  Durand,  on 
trouve  à  peu  près  un  juste  milieu;  alors  l'agneau ,  bien  qu'au 
second  plan ,  n'est  pas  trop  sacrifié  à  la  personne  du  Christ. 
Voici  le  texte  de  Durand  qui  complétera  celui  du  concile. 
«Parce  que  Jean-Baptiste  montra  du  doigt  le  Christ,  et  dit  : 
«  Voici  l'agneau  de  Dieu  » ,  quelques-uns  peignaient  le  Christ 
sous  l'apparence  d'un  agneau.  Mais  cependant,  parce  que 
fombre  s'est  écoulée,  et  parce  que  le  Christ  est  un  homme 
réel ,  le  pape  Adrien  ^  déclare  que  nous  devons  le  peindre  sous 
la  forme  humaine.  Ce  n'est  pas  l'agneau  de  Dieu,  en  effet,  qui 
doit  être  peint  sur  la  croix  ;  mais ,  après  avoir  figuré  Thomme , 
rien  ne  s'oppose  à  ce  qu'on  représente  fagneau,  soit  au  bas, 
soit  au  revers  de  la  croix  ^  »  —  Il  faut  le  dire,  on  a  peu  profité 
de  la  permission  que  l'évêque  de  Mende  donne  de  figurer  en 
même  temps  le  Christ  et  son  symbole  sur  la  croix  ;  car  les 
monuments  de  cette  espèce  sont  assez  rares,  et  Ton  devrait 

'  Adrien  ?',  au  viu"  siècle.  Ce  qui  est  curieux,  c'est  que  le  ponlife  de  Rome  s'adresse 
à  Barasius  ,  patriarche  de  Conslanlinople,  en  exprimant  cette  opinion. 

n  Sciendum  autcm  est  quod  Salvatoris  imago  tribus  modis  convenientius  in  ecclesia 
«  depingitur,  videlicel  :  aut  residens  in  throno  ,  aut  pendens  in  crucis  patibuîo  ,  aul  ul 
«residens  in  matris  gremio.  Quia  vero  Johannes  Baptista  Christum  digito  demonslravit 
«  dicens  :  «  Ecce  agnus  Dei  n,  ideo  quidam  depingebanl  Chrislum  sub  specie  agni.  Quia 
«vero  tamen  umbra  transivil,  et  Christus  verus  est  homo,  dicit  Adrlanus  papa  (deCon- 
<i  secralio.  distinct.  HT,  cap.  vi  ) ,  quod  ipsum  in  forma  humana  depingere  debemus. 
«Non  enim  agnus  Dei  in  cruce  principaliter  depingi  débet;  sed,  homine  depicio, 
«non  obest  agnum  in  parle  inferiori  vel  posteriori  depingi,  cum  ipse  sil  verus  agnus 
«qui  tollit  peccata  mundi.  His  quidem  et  aliis  diversis  modis  Salvatoris  imago  depin- 
u  gilur  propter  diversas  signilicationes.  a  (Guill.  Durand,  liationale  divin,  ojfici.  lib.  I  , 
cap.  m).  —  Guillaume  Durand  ,  nous  l'avons  déjà  vu  ,  prend  tous  ces  exemples  dans 


344  INSTRUCTIONS. 

signaler  avec  soin  ceux  qu'on  découvrirait.  Mais,  si  le  Christ  et 
l'agneau  n'ont  pas  été  souvent  représentés  ensemble ,  sur  le 
même  subjcctile,  on  n'a  jamais  cessé  de  figurer  à  part  l'agneau 
de  saint  Jean-Baptiste  ou  celui  de  saint  Jean  évangéliste. 


JKSUS    EN    BON    PASTKUR. 


Le  Christ  a  donc  été  représenté  constamment  sous  TapjDa- 
rence  d'un  agneau;  mais,  en  outre,  on  l'a  figuré  sous  celle  du 
berger  qui  garde  l'agneau.  Jésus,  comme  l'agneau,  a  donné  sa 
vie  sans  se  plaindre,  et  de  plus,  comme  le  berger  plein  de  sol- 
licitude pour  son  troupeau,  il  a  été  chercher  l'homme  perdu 
et  l'a  ramené  dans  le  sein  de  Dieu.  Jésus,  lui-même  l'a  dit, 
est  le  bon  pasteur  qui  va  chercher  sur  ses  épaules  la  brebis 
égarée,  l'âme  infidèle,  et  la  ramène  au  bercail.  «C'est  moi,  » 
dit  Jésus  par  l'organe  de  saint  Jean,  «  c'est  moi  qui  suis  le  bon 
pasteur;  je  connais  mes  brebis  et  mes  brebis  me  connaissent, 
comme  mon  père  me  connaît  et  comme  je  connais  mon  père.  Je 
donne  ma  vie  pour  mes  brebis.  J'ai  encore  d'autres  brebis  qui 
ne  sont  point  de  cette  bergerie  :  il  faut  que  je  les  amène  ;  elles 
entendront  ma  voix,  et  iJ  n'y  aura  plus  qu'une  seule  bergerie 
et  qu'un  seul  pasteur  K  »  Plus  bas,  on  va  voir  que  le  Christ  a 

l'arl  ou  plulôt  dans  les  textes  italiens.  Le  liturgisle  français  vivait  au  milieu  des  sculp- 
teurs et  des  peintres  qui  peuplaient  alors  nos  plus  célèbres  cathédrales  de  statues  et  de 
figures  ,  el  cependant  il  n'a  vu  ni  ces  figures  ni  ces  statues.  Il  fermait  les  yeux  à  l'art  mo- 
numental de  son  pays  :  il  ne  les  ouvrait  que  pour  lire  ,  souvent  sans  les  comprendre  ,  les 
textes  des  écrivains  étrangers.  Ainsi ,  chez  nous  ,  on  ne  peint  pas  en  même  temps  Jésus 
à  la  croix  et  l'agneau  au  pied  de  cette  croix  ;  mais  en  Italie  ,  du  iv°  au  v°  siècle ,  on 
figurait  la  croix,  probablement  sans  le  Christ,  mais  avec  l'agneau  divin  au  pied.  On 
lit,  en  effet,  les  vers  suivants  dans  les  œuvres  de  saint  Paulin,  évêque  de  Noie,  au  milieu 
de  la  douzième  épîlre  qu'il  adresse  à  Sulpice-Sévère  : 

Sul)  cvucc  sanj^uinea  niveo  stat  Cliristus  in  agno  , 
Aguus  ut  innocua  injusto  datus  hoïlia  lelo. 

'  Saint  Jean,  ch.  x,  vers,  i/i,  i5,  16. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  345 

été  figuré  comme  le  poisson  et,  tout  à  la  fois,  comme  le  pê- 
cheur qui  prend  le  poisson;  ici,  il  est  agneau  et  berger.  Dans 
l'église  de  Sainte-Pudentienne ,  à  Piome,  on  voit  sur  la  porte 
un  agneau  de  Dieu  dans  un  médaillon ,  avec  cette  inscription  : 
«  Mort  et  vivant,  je  ne  fais  qu'un;  je  suis  à  la  fois  le  berger  et 
l'agneau  ^  »  Les  monuments  figurés  des  catacombes,  les  sar- 
cophages et  surtout  les  peintures  à  fresque  montrent  très-sou- 
vent un  berger,  jeune,  imberbe,  en  tunique  courte  et  rayée 
de  deux  bandes  longitudinales,  debout,  tenant  sur  ses  épaules 
la  brebis  égarée,  la  brebis  chérie.  A  ses  pieds  broutent  ou  sont 
couchées  les  brebis  fidèles.  Ici,  dans  ce  dessin  qui  reproduit 
une  fresque  des  catacombes,  le  berger  tient  une  flûte  de  Pan 
à  la  main  droite,  tandis  que  de  la  gauche  il  affermit  la  brebis 
sur  ses  épaules  ^. 

'  <i  Hic  agnus  miindum  restaurât  sanguine  lapsum.  —  Morluus  et  vivus  idem  sum  , 
«  pastor  et  agnus.»  (Ciampini,  Vel.  monim.  pars  i\  cap.  m,  page  23.)  —  Saint  Paulin 
'{Epist.  III  ad  Florent.)  dit  encore  :  u  Idem  agnus  et  pastor  reget  nos  in  saecula,  qui  nos 
«  de  lupis  agnos  fecit  ;  earumque  nunc  oviuni  pastor  est  ad  custodiam ,  pro  quibus  fuit 
«  agnus  in  victimam.  » 

*  Ce  dessin  est  gravé  dans  Bosio ,  Rom.  sotterr.  p.  35  x.  Le  bon  Pasteur,  portant  la 
brebis  sur  ses  épaules  et  tenant  en  main  la  llùle  de  Pan ,  est  très-fréquent  dans  les  pre- 
miers siècles  du  christianisme  où  la  religion  est  d'une  merveilleuse  douceur.  Bosio  en 
a  fait  graver  plusieurs  exemples  ;  voyez  notamment  pages  339,  3/i8,  3/|.q,  373  ,  383, 
387.  Sauf  la  tunique  qu'ils  portent  tout  unie  et  toute  seule,  sans  les  deux  bandes  longi- 
tudinales et  sans  le  manteau,  les  deux  derniers  pasteurs  ressemblent  entièrement  à  celui 
de  notre  dessin.  Ces  bergers  assujettissent  plus  ou  moins  fermement  sur  leurs  épaules 
la  brebis  perdue,  et  semblent  ainsi  craindre  plus  ou  moins  qu'elle  ne  prenne  une  se- 
conde fois  la  fuite.  Ordinairement  ils  la  tiennent  à  deux  mains  ,  parles  quatre  pieds, 
comme  dans  les  exemples  des  pages  339,  383  ,  Z|ô5  ,  Zi6i.  D'autres  fois  ,  surtout  quand 
la  main  droite  est  occupée  par  un  instrument  de  musique,  comme  dans  le  dessin  donné 
ici ,  la  brebis  n'est  retenue  que  par  une  seule  main.  Enfin  ,  à  la  page  391  de  la  Hoin. 
sotterr.  la  brebis  est  assise  affectueusement  sur  les  épaules  de  son  bon  Pasteur,  qui  ne 
craint  pas,  tant  elle  est  fatiguée  ou  tant  elle  est  heureuse  de  revenir  au  bercail,  qu'elle 
s'échappe  de  nouveau.  A  la  page  373 ,  le  bercail  où  va  rentrer  la  brebis  est  figuré  dans 
la  scène ,  et  le  sujet  est  ainsi  plus  complet.  Le  nombre  des  brebis  fidèles,  couchées  sur 
le  gazon  ,  ou  broutant  aux  pieds  du  bon  Pasteur,  varie  également  :  il  est  ordinairement 

INSTRUCTIONS.  II.  44 


346 


INSTRUCTIONS. 

89.  JÉSDS  EN   BON   PASTEUR. 

Fresque  des  catacombes  de  Rome,  premiers  siècles  de  l'Eglise. 


Ces  diverses  représentations  font  allusion  à  ces  belles  paroles 
de  Jésus-Christ  :  «  Quel  est  Thonime  d'entre  vous  qui ,  ayant 
cent  brebis  et  venant  à  en  perdre  une  seule,  n'abandonne  pas  les 
quatre-vingt-dix-neuf  dans  le  désert  et  ne  va  pas  à  la  reclierclie 

de  deux  ;  il  y  en  a  sept  à  la  page  2  65.  Le  bon  Pasteur  semble  lui-même  plus  ou  moins 
fatigué  ou  du  fardeau  qu'il  a  sur  les  épaules,  ou  du  chemin  qu'il  a  fait  pour  leirouver  la 
brebis  perdue.  Ordinairement  il  ne  s'aperçoit  ni  de  la  faligue  ni  du  poids.  Néanmoins  , 
dans  l'exemple  de  la  page  Sgi,  il  s'aide  d'un  bâton  comme  le  voyageur  au  terme  de  sa 
route.  Ce  motif  rappelle  ces  belles  paroles  du  Dies  irœ  :  «  Qu/erens  me  sedisti  lassus.  » 
Nous  voyons  ainsi  le  bon  Pasteur  s'asseoir  réellement  de  faligue  aux  pages  269  et  273.  A 
Ravenne,  dans  l'église  de  Galla  Placidia,  une  mosaïque  de  l'an  liào  montre  Jésus  orné 
d'un  nimbe  uni ,  et  assis  sur  un  tertre ,  au  milieu  d'une  riche  campagne.  Le  Sauveur 
lient  de  la  main  gauche  une  croix  de  résurrection  et  caresse  une  brebis  de  la  main 
droite  ;  cinq  autres  brebis  regardent  avec  plaisir  cette  affection  dont  l'une  d'elles  est 
l'objet.  (V.  Ciampini,  Vet.  mon.  T  pars.  tab.  67,  p.  227.)  Ces  bergers  divins  sont 
quelquefois  sans  instrument  de  musique ,  comme  celui  de  Ravenne  et  comme  ceux 
des  pages  SSg,  3^3  ,  à']^  de  la  Rom.  sott.  Les  figures  du  bon  Pasteur  occupent  ordi- 
nairement la  place  d'honneur  sur  les  sarcophages  et  dans  les  peintures  des  catacombes: 
elles  sont  au  centre  du  tombeau ,  au  centre  des  voûtes ,  et  au  milieu  des  archivoltes  ou 
des  tympans.  En  raison  de  la  multitude  des  représentations,  il  y  a  une  grande  variété 
dans  la  manière  de  les  traiter;  il  faut  noter  toutes  ces  variétés,  même  les  moins  impor- 
tantes, parce  qu'il  y  a  toujours  un  fait  et  une  idée  à  en  tirer. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  347 

de  la  brebis  perdue,  jusqu'à  ce  qu'il  la  retrouve?  Et  quand  il 
l'a  retrouvée,  il  la  met  avec  bonheur  sur  ses  épaules;  il  re- 
vient chez  lui,  réunit  ses  amis  et  ses  voisins  et  leur  dit: 
Réjouissez-vous  avec  moi,  parce  que  j'ai  trouvé  ma  brebis  qui 
était  perdue  ^  »  Des  paroles  aussi  palpitantes  devaient  inspirer 
saint  Thomas  d'Aquin,  lorsqu'il  composa  son  office  du  Saint- 
Sacrement.  Le  grand  docteur  et  poëte  s'écrie,  en  effet,  dans 
l'une  de  ses  hymnes  :  «  Bon  pasteur,  pain  réel,  Jésus,  aie  pitié 
de  nous.  Nourris-nous,  défends-nous;  fais-nous  voir  le  bonheur 
dans  la  patrie  des  vivants.  Toi  qui  sais  tout  et  qui  peux  tout; 
toi  qui  nous  fais  vivre  ici  mortels,  là-haut  fais-nous  les  com- 
mensaux, les  cohéritiers,  les  compagnons  des  habitants  des 


ci  eux  ^. 


Du  reste,  au  moins  les  antiquaires  païens  l'affirment,  ce  sujet 
du  bon  pasteur  n'appartient  pas  en  propre  et  comme  invention 
au  christianisme  ;  ainsi  qu'ils  ont  fait  du  nimbe,  les  chrétiens, 
à  ce  qu'on  dit,  l'auraient  emprunté  à  l'art  païen.  Mais,  à  sup- 
poser l'assertion  fondée,  c'était  un  sujet  de  charité  égaré  dans 
le  paganisme,  et  que  la  religion  du  Christ,  religion  d'amour, 
devait  revendiquer  comme  lui  appartenant.  Aussi  le  cœur, 
l'imagination  et  l'art  des  chrétiens  ont  tourmenté  ce  sujet  en 
quelque  sorte,  et  l'ont  reproduit  incessamment  et  sous  tous  les 

'   Saint  Luc  ,  ch.  xv,  vers.  4-7- 

*  Voici  les  admirables  paroles  de  saint  Thomas  : 

Bone  pastor,  panis  vere  , 
Jesu,  noslri  miserere. 
Tu ,  nos  pasce ,  nos  tuere  ; 
Tu ,  nos  bona  fac  videre 
In  terra  viventium. 

Tu ,  qui  cuncta  scis  et  vales , 
Qui  nos  pascis  hic  mortalcs , 
'i'uos  ibi  commensales , 
CohxTcdes  et  sodales 
Fac  sanctorum  civium. 

Ixtx. 


348  INSTRUCTIONS. 

aspects  possibles.  Dès  les  premiers  siècles,  le  christianisme  se 
l'était  complètement  assimilé.  On  le  figurait  partout,  jusque 
sur  ces  vénérables  calices  de  verre ,  les  plus  anciens  vases  sa- 
crés que  nous  connaissions,  et  dont  nos  musées  possèdent 
quelques  fragments.  Tertullien  parle  de  calices  où  f  on  avait 
peint  le  bon  Pasteur  et  la  brebis  égarée  ^ 


JESCS    EN    LION. 


L'agneau  n'est  pas  seulement  le  symbole  du  Christ,  mais 
encore  le  lion;  toutefois  le  lion  est  infiniment  plus  rare  que 
l'agneau  dans  les  monuments  figurés.  Pour  les  raisons  données 
plus  haut,  Jésus  a  été  assimilé  au  lion  et  quelquefois,  bien 
que  je  ne  connaisse  jusqu'à  présent  que  deux  exemples  de  ce 
fait^,  on  rencontre  le  lion  portant  un  nimbe  crucifère.  Si  le 
nimbe  était  uni,  le  lion  serait  fattribut  de  saint  Marc,  comme 
nous  en  avons  vu  plusieurs  exemples^;  mais  la  croix  dont  il 
est  timbré  dénonce  positivement  qu'il  s'agit  du  lion  de  Juda , 
du  lion  qui  a  vaincu  la  mort  par  sa  résurrection  et  qui,  dans  le 
tombeau,  dormit  les  yeux  ouverts  ou  le  cœur  éveillé.  Au  mont 
Athos,  dans  la  grande  église  (catholicon)  du  couvent  de  Philo- 
théou,  une  fresque  représente  le  sommeil  de  fenfant  Jésus; 
Marie  et  deux  anges  adorent  le  repos  de  fenfant  divin  et  se  pros- 
ternent en  prières  devant  lui.  Aux  pieds  de  fenfant  est  couché 
un  jeune  lion,  qui  dort  comme  celui  dont  il  est  le  symbole, 

'  «  Patrocinabitur  Pastor  quem  in  calice  depingitis.  —  A  parabolis  licebit  incipias , 
«  ubi  est  ovis  perdita ,  a  Domino  requisita  et  humeris  ejus  revecta.  Procédant  ipsae  pic- 
n  turae  calicum  vestrorum  ,  si  vel  in  illis  perlucebit  interprelalio  pecudisillius  ;  utrumne 
«  christiano  an  ethnico  peccatori  de  reslitulione  colliniat.  »  [De  Pudicit.  cap.  ii  etx).  Dans 
les  grands  musées,  on  voit  plusieurs  de  ces  calices  sur  lesquels  est  figuré  le  bon  Pasteur. 

"  Celui  de  la  bible  de  Charles  le  Chauve  et  celui  du  vitrail  de  Sugcr. 

'  Pages  58  el  5g ,  à  propos  du  nimbe  uni  ou  croisé  attribué  au  lion ,  nous  avons  parlé 
de  cet  animal  comme  symbole  du  Christ  et  de  saint  Marc.  Nous  renvoyons  aux  Vitraux  de 
Bourges,  p.  78-82  ;  on  y  trouvera  d'amples  et  curieux  détails  sur  le  lion  «symbole  du  Christ. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  349 

et  qui  est  entouré  d'une  inscription  tirée  des  livres  sacrés  ^ 

L'agneau,  le  lion  et  la  croix  sont  les  trois  symboles  uniques 
sous  lesquels  on  représente  Jésus- Christ^.  Mais,  avant  de 
prouver  cette  proposition,  il  est  nécessaire  de  préciser  la  diffé- 
rence qu'il  faudrait  établir  entre  les  expressions  symbole  et 
FIGURE,  que  l'on  confond  ordinairement,  qui  causent  des  er- 
reurs et  engendrent  des  disputes  de  mots. 

On  entend  par  symbole  et  figure  tout  signe  sensible  au 
moyen  duquel  se  traduit  une  idée  :  le  nimbe  circulaire  qui 
environne  la  tête  des  saints  est  le  signe  matériel  de  leur  sain- 
teté. Sous  ce  rapport,  le  symbole  et  la  figure  sont  exacte- 
ment la  même  chose.  Voici  en  quoi  ils  différent.  Le  symbole 
est  la  formule  extérieure  ou  la  représentation  d'un  dogme;  c'est, 
comme  le  dogme  lui-même,  un  article  de  foi.  L'agneau  est  le 
symbole  de  Jésus-Christ;  car  les  textes  sacrés  relatifs  à  l'a- 
gneau divin  obligent  à  croire  que  fagneau  est  la  représenta- 
tion nécessaire  et  dogmaticjue  du  Christ.  L'agneau  est  le  Christ 
lui-même,  le  Christ  en  personne  et  sous  des  traits  visibles.  La 
figure,  au  contraire,  est  la  représentation  arbitraire  d'une  idée 
quelconque.  La  figure  n'est  pas  imposée  par  le  dogme,  par 
un  texte  révélé;  mais  elle  résulte  d'une  pure  opération  de  fes- 
prit  humain.  La  figure  est  un  produit  variable  de  notre  ima- 
gination. On  nous  oblige  à  recevoir  un  svmbole,  on  nous 
engage  à  admettre  une  figure;  la  foi  est  commandée  par  le 

'  ii  AvàirscTCûv ,  yjKoifiïjdri  ws  Xéoov,  holI  rrjs  SOvaroc»  èysipaîv  aOTàr;»  C'est  clans  la 
Genèse,  ch.  xlix,  verset  9  ,  qu'on  lit  ce  texte.  Au  lieu  de  xai  tj;s  hvvaroLi,  il  faut  ris.  Les 
Grecs  modernes,  prononçant  de  même  l'êta  etl'iôta,  commettent  assez  souvent  des  fautes 
de  ce  genre.  Au  portail  occidental  de  Notre-Dame  de  Paris,  porte  de  gauche,  un  petit 
lion  est  couché  endormi  sur  le  socle  qui  porte  une  statue  de  Marie  tenant  Jésus  dans  ses 
bras.  C'est  le  motif  grec  exécuté  en  sculpture. 

^  I]  ne  s'agit  ici  que  des  symboles  purement  iconographiques.  L'Ancien  Testament  est 
tout  rempli  de  figures  dont  Jésus-Christ  est  le  type;  ces  figures  sont  de  vrais  symboles, 
mais  des  symboles  historiques  et  qui  ne  rentrent  pas  dans  notre  travail. 


350  INSTRUCTIONS. 

premier,  l'esprit  est  séduit  par  la  seconde.  Le  Christ  est  sym- 
bolisé par  le  lion,  mieux  encore  par  l'agneau;  mais  il  est  seu- 
lement figuré  par  le  pélican.  Le  pélican,  qui  s'ouvre  le  sein 
pour  nourrir  ses  petits  avec  son  sang,  est  la  figure  de  Jésus 
qui  meurt  et  verse  tout  le  sang  de  ses  veines  pour  racheter  les 
hommes.  Mais  jamais  le  pélican  ne  porte  de  nimbe,  encore 
moins  de  nimbe  croisé;  jamais,  dans  la  cour  céleste,  le  péli- 
can ne  représente  Jésus-Christ,  et  n'assiste  en  cette  qualité  aux 
événements  qui  s'y  accomplissent.  Au  contraire  l'agneau,  orné 
du  nimbe  que  partage  une  croix,  est  très-souvent  représenté 
dans  les  scènes  de  TApocalypse  et  de  l'Évangile  ;  il  n'est  autre 
que  Jésus  lui-même  sous  la  forme  et  fapparence  d'un  agneau. 
Enfin  le  symbole  développé  devient  un  mythe;  mais  la  figure, 
déroulée  dans  ses  détails,  ne  donne  jamais  qu'une  allégorie.  Un 
mythe  est  une  croyance,  un  ensemble  de  dogmes;  une  allé- 
gorie n'est  qu'une  réunion  de  métaphores:  y  croit  qui  veut. 
Un  mythe  est  de  foi,  une  allégorie  n'est  que  d'opinion.  C'est 
Dieu  qui  crée  le  symbole  et  qui  le  révèle;  c'est  fhomme  qui 
invente  et  qui  manifeste  la  figure.  L'eau  dans  le  baptême,  le 
pain  et  le  vin  dans  f eucharistie,  sont  des  signes,  sont  des 
symboles.    On  ne  peut  remplacer,  dans  f  eucharistie,  le  vin 
par  f  eau,  ni,  dans  le  baptême,  f  eau  par  le  vin;  car  le  symbole 
est  un,  invariable  et  éternel.  Une  figure,   au  contraire,  peut 
se  substituer  parfaitement  à  une  autre  figure;  la  vigne,  qui 
donne  son  jus  pour  nourrir  les  hommes,  peut  remplacer  le 
pélican  qui  donne  son  sang  pour  ses  petits.  Enfin,  avec  de 
f  imagination,  on  crée  des  figures  tant  qu'on  veut,  mais  non 
pas  des  symboles  \ 

'  Voyez  dans  Baluze  [MisceVanea,  11°  vol.)  un  ouvrage  de  saint  Hildefonse,  évêque 
de  Tolède ,  et  disciple  d'Isidore  de  Séviîle.Cet  ouvrage ,  intitulé  Liber  aânolatiomim,  donne 
l'explication  allégorique  de  plusieurs  plantes,  fleurs,  fruits,  animaux,  minéraux  qui 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  351 

Cela  posé,  nous  disons  que  l'agneau  avant  tout,  le  lion  et  la 
croix  secon (1  airement  sont  les  uniques  symboles  du  Christ.  Mais , 
comme  figures  du  Christ,  on  offre  à  notre  choix  une  foule  d'ob- 
jets pris  dans  les  trois  règnes  de  la  nature.  Nous  avons  le  pois- 
son, le  pélican ,  l'aigle ,  la  poule,  le  serpent,  et  bien  d'autres  êtres, 
parmi  les  animaux;  entre  mille,  les  végétaux  nous  donnent  la 
vigne,  le  figuier,  l'olivier,  le  cèdre.  Entre  les  minéraux,  toutes 
les  pierres  précieuses ,  pour  leur  couleur,  leur  solidité  ou  leur 
transparence,  figurent  le  Christ,  aussi  bien  que  les  montagnes 
en  masse.  Les  principales  constellations ,  surtout  le  soleil  et  la 
lune,  ont  été  regardées  comme  des  reflets  du  Fils  de  Dieu  ^ 

Une  fois  dans  le  domaine  de  l'imagination,  on  tombe  dans 
un  océan  ;  on  ne  peut  et  on  ne  doit  donc  pas  tenir  compte  des 
images  innombrables  sous  lesquelles  on  a  figuré  le  Christ. 
Cependant,  comme  l'une  de  ces  images  a  spécialement  attiré 
l'attention  et  les  études  des  antiquaires,  il  convient  de  la 
signaler  ici,  ne  serait-ce  que  pour  relever  des  erreurs  accré- 
ditées à  ce  sujet:  cette  image  c'est  le  poisson. 


JESUS    FIGURE    PAB    LE    POISSON. 


Le  poisson,  à  ce  que  disent  les  antiquaires,  est  le  symbole 
de  Jésus-Christ;  nous  croyons  qu'il  n'en  est  que  la  figure.  Sur 
une  foule  de  monuments  chrétiens ,  particulièrement  sur  les  an- 

sonl  assimilés  à  Jésus-Christ  et  à  l'Église.  Saint  Hildefoiis'î  est  mort  en  667  ;  ainsi  ce  texte 
a  beaucoup  d'importance  par  son  antiquité.  C'est  dans  ce  travail  qu'ont  puisé,  en 
£!;rande  partie,  les  symbolistes  du  moyen  âge,  Durand,  Jean  Belelh,  Jean  d'Avranches 
et  Hugues  de  Saint-Victor.  On  trouve  ces  interprétations  dans  la  2°  part,  du  Lib.  aclnot. 
de  la  page  A3  à  A5  du  2°  volume  de  Baluze. 

'  Voyez,  au  sujet  du  sens  qu'on  peut  attribuer  aux  mots  symbole,  figure,  mythe, 
M.  Guignant,  Reliçjions  de  l'antiquité,  t.  I",  1"  partie,  p.  16  et  suiv.  t.  I",  2°  partie, 
p.  528  et  suiv.  M.  J.  J.  Ampère,  dans  un  cours  professé  au  Collège  de  France  en  1837,  a 
nettement  établi  la  valeur  des  expressions  symbole ,  figure ,  image ,  métaphore ,  emblème , 
myllie ,  allégorie.  Sur  le  point  spécial  discuté  ici ,  j'ai  suivi  principalement  M.  Ampère. 


352  INSTRUCTIONS. 

ciens  sarcophages,  est  sculpté  un  poisson;  il  est  seul  ou  accom- 
paî^nant  d'autres  représentations,  et  se  place  sous  des  inscrip- 
tions funéraires.  On  le  voit  sur  des  médailles  frappées  à  l'effigie 
du  Christ  ^  et  sur  des  pierres  gravées,  camées  et  intailles-.  Plu- 
sieurs amulettes  qu'on  suspendait  au  cou  des  enfants,  des  verres 
anciens  et  des  lampes  sépulcrales  en  sont  marqués  ^  Une  mo- 
saïque delà  cathédrale  de  Ravenne,  dit  Montfaucon,  représente 
le  poisson  comme  symhole  des  chrétiens.  Dans  l'intérieur  d'une 
grotte  de  la  nécropole  deCyrène,  en  Afrique,  on  voit  au  centre 
d'une  peinture  à  fresque  le  bon  Pasteur  qui  porte  un  agneau 
sur  ses  épaules  et  le  tient  par  les  quatre  pieds.  Aux  pieds  du 
pasleur  se  tiennent  six  agneaux  déjà  armés  de  cornes  et  qui 
considèrent  leur  maître.  Le  berger  est  vêtu  d'une  tunique, 
comme  dans  les  monuments  des  catacombes  ;  il  est ,  de  plus ,  cou- 
ronné d'une  couronne  de  feuilles.  Mais  en  outre,  au-dessus  de 
l'agneau  principal,  sont  rangés  en  cercle  sept  poissons,  par- 
ticularité précieuse  qui  semble  unir  l'allégorie  du  bon  Pas- 
teur à  celle  du  poisson.  On  voit  encore  le  poisson  et  la  croix 
grecque  remplir  des  rinceaux  peints  sur  mur  et  qui  décorent 

'  Je  n'en  connais  pas  d'exemple ,  mais  je  répète  un  fait  généralement  admis. 

^  M.  le  marquis  Forlia  d'Urban  possède  une  calcédoine  blanche,  qui  a  la  forme  d'un 
cône  tronqué,  qui  est  percée  de  part  en  part  et  qui  a  pu  servir  d'amulette.  Sur  la  base 
de  ce  cône  est  figuré  le  Christ  jeune,  imberbe,  vu  de  profil,  avec  son  nom  XPICTOY 
et  la  représentation  d'un  poisson.  Ce  monument,  dit  M.  Raoul- Rochette  qui  l'a  fait 
dessiner  {Types  du  christianisme,  frontispice  et  p.  21),  doit  être  du  temps  d'Alexandre 
Sévère.  On  dirait  que  ce  Christ,  si  c'est  vraiment  un  Christ,  a  une  couronne  radiée 
comme  en  portent  les  empereurs  romains. 

^  M.  P.  Belloc  [La  Vierge  au  poisson  de  Raphaël,  Lyon,  i833)  a  fait  lithographier  huit 
monuments  chrétiens  propres  à  éclairer  cette  question.  Il  y  a  deux  cornalines,  deux 
pierres  gravées  servant  de  cachet,  un  anneau  en  or,  une  améthiste  et  une  sardoine.  On 
y  voit  encore  une  lampe  sépulcrale  représentant  des  poissons,  des  dauphins,  des  ancres 
cruciformes,  un  pécheur  à  la  ligne  avec  les  sigles  allégoriques  IX0YZ,  A.  Q.,  IH.  XG. 
et  même  le  mot  CQTHP.Ces  différents  monuments  sont  italiens  et  paraissent  d'un  âge 
reculé. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  353 

un  hypogée  chrétien  situé  près  d'Aphrodisias,  en  Afrique  ^ 
Les  fonts  baptismaux  sont  particuUèrement  ornés  de  pois- 
sons. Ainsi,  à  Gemona  dans  le  Frioul ,  à  Pirano  en  Istrie , 
deux  grandes  urnes  baptismales  portent  le  j)oisson  ^.  Dans 
une  église  de  village  en  Danemark,  près  de  Beigetad,  on  voit 
trois  poissons  enlacés  en  triangle  autour  d'un  baptistère^;  la 
France  offre  aussi  de  ces  exemples.  Le  poisson  est  nettement 
figuré  sur  les  fonts  baptismaux  de  Boulogne-sur-Mer;  on  croit 
le  voir  sur  ceux  de  l'église  Saint-Jacques,  à  Compiègne\  Dans 
Saint-Germain-des-Prés,  à  l'entrée  de  la  chapelle  occidentale 
et  semi-circulaire  où  sont  les  fonts  baptismaux,  où  ils  ont 
toujours  été,  je  crois,  on  remarque  sur  un  chapiteau  une  sirène 
femelle  et  une  sirène  mâle  et  barbue  ;  les  deux  animaux  fa- 
buleux tiennent  des  poissons  entre  leurs  bras,  pendant  que 
d'autres  poissons  jouent  au-dessous  dans  les  eaux,  qui  on- 
dulent sous  ces  personnages  fantastiques. 

Les  poissons  se  remarquent  encore  ailleurs  que  dans  les 
baptistères.  A  Saint-Caprais  d'Agen,  dans  la  nef,  on  a  figuré 
trois  poissons.  Un  poisson  est  scuipté  sur  une  statue  recueillie 
dans  le  cimetière  de  Saint-Jean  ,  département  de  la  Nièvre. 

Enfin,  dans  les  monuments  sculptés  et  peints  qui  représen- 
tent la  Cène,  le  dernier  repas  de  Jésus-Christ,  on  voit  figurer 
le  poisson  parmi  les  autres  mets;  il  accompagne  l'agneau 

'  Voyez  ces  curieuses  peintures  dans  l'ouvrage  de  Pacho ,  Voyage  dans  la  Mamianque 
et  la  Cyrénaïque ,  atlas,  planches  xiii  et  li.  Ces  peintures  datent  probablement  des  pre- 
miers lèmps  du  clirislianisme. 

^  P.  Belloc,  Vierge  au  poisson,   p.  ■y 8. 

*  C'est  dans  Mùnter  (  Images  symboliques  et  reprèsentaiions  Jigurées  des  anciens  chré- 
tiens, in-A°,  en  allemand;  Alloua,  i835  )  qu'on  trouve  ce  fait;  M.  Cyprien  Robert  le 
cite  dans  son  Cours  d'hiéroglyphique  chrétienne;  nous  le  répétons  aussi,  mais  sans  y 
attacher  aucune  importance. 

'  Bulletin  du  comité  Jiistorique  des  arts  et  monuments,  session  de  i8Ao-i8/ii ,  notice  de 
M.  Ch.  Bazin,  p.  ii5,  ii8. 

INSTRUCTIONS.  —  II.  ^^ 


354  INSTRUCTIONS. 

pascal  entre  autres.  Au  portail  de  l'église  paroissiale  de  Nan- 
tua,  le  deuxième  apôtre  qui  est  à  la  gauche  du  Christ  tient 
un  poisson  parfaitement  incliqué  ^  Nos  manuscrits  à  minia- 
tures ",  nos  vitraux  et  nos  émaux  des  xiii''  et  xiv*"  siècles  ^  mon- 
trent fréquemment  le  poisson  posé  sur  un  plat,  au  milieu  de 
la  tahle  de  la  Cène,  et  entre  les  pains,  les  couteaux  et  les 
verres  qui  servent  au  repas. 

Voilà  ce  qu'offrent  les  monuments  ;  voici  ce  que  disent  les 
textes. 

Avant  Constantin  ,  les  textes  nomment  I'ixgts  ,  mais  sans 
explication;  le  mystère,  s'il  y  en  a,  reste  dans  l'ombre  pendant 
toute  la  durée  des  persécutions.  C'est  une  métaphore  pure- 
ment littéraire,  ou  du  moins  qu'on  veut  faire  considérer  comme 
telle.  Il  faut  s'approprier  les  images  du  paganisme  et  les  pu- 
rifier par  une  idée  chrétienne;  mais  elles  restent  des  images 
toutes  simples.  «  Que  la  colombe  et  le  poisson,  que  le  vaisseau 
qui  vole  au  souffle  du  vent,  la  lyre  harmonieuse  dont  se  ser- 
vait Polycrate,  l'ancre  marine  que  sculptait  Séleucus,  soient 
des  signes  pour  vous  »,  dit  saint  Clément  d'Alexandrie  \  Ter- 
tullien  ajoute  :  «  Nous  sommes  de  petits  poissons  en  Jésus- 
Christ,  notre  grand  poisson,  car  nous  naissons  dans  l'eau  et 
nous  ne  pouvons  être  sauvés  qu'en  y  restant  ^  » 

'    Vierge  au  poiss.  p.  77. 

■  Voyez  plusieurs  manuscrits  latins  de  la  Bibliolhèque  royale. 

'  Vitraux  de  la  cathédrale  de  Chartres  et  de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris.  M,  du  Sorn- 
merard  [Album  des  arts  au  moyen  âge)  a  fait  dessiner  un  émail  qui  lui  appratient  et  qui 
représente  le  repas  de  Jésus  chez  Simon  le  pharisien.  Au  milieu  de  la  table,  et  comme 
mets  principal,  est  un  poisson  dans  un  plat.  Cet  émail  est  du  xii"  siècle. 

'  «  Signa  vobis  sint  columba ,  aut  piscis ,  aut  navis  quae  céleri  cursu  ferlur  a  venlo,  au( 
«  lyra  musica  qua  usus  est  Polycrates  ,  aut  anchora  nautica  quam  insculpebat  Scleucus  ; 
«  et  si  quis  piscator  elTictus  fuerit,  Aposfoli  meminerit  et  puerorum  qui  ex  aqua  extra- 
>i  hunlur.  »  (Clem.  Alex.  In  Pœdag.  lib.  III,  cap.  11.) 

'"  «Nos  ,  pisculi  .secundum  IX0TN  noslrum  Jesum-Christum ,  in  aqua  nascimur,  j)ec 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  355 

Mais  bientôt  la  métaphore  s'élève  à  la  hauteur  de  la  figure; 
le  mystère  pénètre  dans  une  comparaison  purement  littéraire 
jusqu'alors.  Vers  le  miheu  du  iv'  siècle,  Optatus,  évêque  de 
Milésie,  en  Afrique,  déclare  que  «le  seul  nom  de  poisson, 
suivant  la  dénomination  grecque,  contient  une  foule  de  noms 
sacrés  dans  fensemble  des  lettres  qui  le  composent;  ixers 
donne  en  latin  :  Jésus-Christ  Fils  de  Dieu  Sauveur  ^  »  Effec- 
tivement, en  prenant  chaque  lettre  de  fiCHTHus  pour  fini- 
tiaîe  d'un  mot  grec,  on  peut  faire  :  tvio-ov';  Xpia-roç  &eov  T/o^ 
Swryi^.  Dès  lors  la  subtilité  orientale,  toute  préparée  à  ce  jeu  de 
mots,  revient  à  satiété  sur  les  comparaisons  religieuses  tirées 
des  flots  et  de  la  navigation,  des  mers  et  de  leurs  habitants. 
Des  inscriptions  funéraires  furent  précédées  et  escortées  de 
fixers^.  L'ix0T2  entra  même  dans  f intérieur,  dans  la  com- 
position de  ces  inscriptions,  comme  la  mystérieuse  inscription 
d'Autun  en  donne  un  magnifique  exemple;  dans  ce  monument, 
l'ixoTS  est  répété  trois  fois ,  quatre  fois  peut-être  et  à  différents 
cas^.  Jésus-Christ  fut  assimilé  non-seulement  au  poisson  qui  se 
donne  à  manger,  mais  encore  au  pêcheur  qui  prend  le  poisson 
comme  le  Christ  a  pris  les  âmes  dans  les  filets  de  son  amour. 
Ainsi,  d'un  côté,  Jules  Africain  appelle  Jésus-Christ  «le 
grand  poisson  pris  à  fhameçon  de  Dieu,  et  dont  la  chair  nourrit 

«  aliter  quam  in  acjua  manendo  salvi  sumus.  »  (Tertu].  Lib.  de  Bapiis.  cap.  i ,  n"  2.  Ad- 
versus  Quintil.  ) 

'  «  Piscis  nomen ,  secundum  apellationem  graecara ,  in  uno  nomine  per  singiilas  litteras 
«  lurbam  sanctorum  nominum  continet,  1X6TS  ,  quod  est  latine  Jesus-Cliristus  Dei  fi- 
«  lins,  Salvalor.  «  (Optât.  Milev.  in  Bibl  Patnim ,  t.  IV,  lib.  ni.) 

*  Voy.  l'inscription  chrétienne  recueillie  par  Boldelti ,  dans  le  cimetière  de  Saint- 
Epimaque,  à  Rome,  et  rapportes  par  Fabrelti. 

'  Cette  inscription,  découverte  récemment  à  Aulun,  est  en  grec,  sur  marbre  blanc, 
et  paraît  dater  du  m'  siècle.  On  annonce  un  travail  de  M.  Letronne  sur  ce  monument, 
que  MM.  Haze  et  Rochette  ont  étudié ,  et  que  le  P.  Secchi,  censeur  de  l'Académie  ponti- 
ficale à  Rome ,  a  discuté  dans  un  mémoire  spécial. 

lib. 


356  INSTRUCTIONS. 

le  monde  entier  ^  »  Saint  Prosper  d'Aquitaine  dit  :  «  Le  Sau- 
veur, Fils  de  Dieu,  est  un  poisson  cuit  dans  sa  passion  et  dont 
les  entrailles  nous  nourrissent  et  nous  éclairent  tous  les  jours  ^.  » 
Ichthus  est  le  nom  mystique  du  Christ,  puisqu'il  est  descendu 
vivant  dans  l'abîme  de  cette  vie,  comme  dans  la  profondeur 
des  eaux,  s'écrie  saint  Augustin  ^  Le  Christ,  dit-il  encore, 
c'est  ce  poisson  que  le  jeune  Tobie  retira  vivant  du  fleuve,  et 
dont  le  cœur  brûlé  par  la  passion  a  mis  en  fuite  le  démon  et 
rendu  la  vue  à  l'aveuglée  De  ce  poisson  qui  nous  nourrit, 
qui  nous  guérit,  qui  nous  rachète,  on  a  nommé  piscine  les 
fonts  baptismaux,  dont  l'eau,  cet  air  des  poissons,  nous  purifie 
de  toutes  nos  souillures  et  nous  sauve  ^. 

D'un  autre  côté ,  Jésus  fut  appelé  pêcheur  d'hommes  comme 
il  en  avait  donné  la  qualification  à  saint  Pierre  lui  -  même  ; 
saint  Grégoire  de  Nazianze  dit  que  Jésus,  le  pêcheur,  est  venu 
sur  fabîme  orageux  de  ce  monde  en  retirer  les  hommes  comme 
des  poissons,  pour  les  emporter  dans  le  ciel.  «Un  des  sarco- 
phages du  Vatican,  décrits  dans  Bottari,  »  dit  M.  C.  Robert^, 

'  Julii  Africani  Narratio  de  ils  qiiœ,  Christo  nato,  in  Perside  acciderunt. 

'  «  Dei  filius  salvator  piscis  in  sua  passione  decoclus ,  cujus  ex  interioribus  remediis 
(I  quotidie  illuminamur  et  pascimur.  n 

'  «Ichthus  in  quo  nomine  mysfice  inteliigllui-Chrislus  ,  eo  quod  in  hujus  mortalitatis 
«  abysso,  velut  in  aquarum  profunditate  vivus,  hoc  est  sine  peccato,  esse  potuerit.  »  [Cité 
(le  Dieu.  ) 

"  «  Est  Christus  piscis  iUe  qui  ad  Tobiam  ascendit  de  flumine  vivus  ,  cujus  jecore  per 
«  passionem  assato  fugatus  est  diabolus.  »  (Saint  Augustin.) 

'"  «Hic  est  piscis  qui  in  baptismate  per  invocationem  fontaUbus  undis  inseritur  ut 
«  quae  aqua  fuerat  a  pisce  etiam  piscina  vocitetur.  »  (  Optatus  épis.  Milevitanus.) 

'^'  M.  Cypricn  Robert  a  fait  imprimer  dans  l'Université  catholique  un  cours  d'hiérogly- 
j)hique  chrétienne.  Le  lome  VI ,  de  la  page  5àb  à  la  page  352 ,  traite  la  question  dé- 
licate que  nous  disculons  ici;  nous  avons  fait  et  nous  ferons  encore  des  emprunts  a 
ce  travail  intéressant  au({ucl  nous  renvoyons.  Tout  en  restreignant  considérablement 
l'extension  donnée  à  la  symbolique  par  M.  Robert,  et  tout  en  n'admettant  pas  certaines 
conclusions,  nous  devions  cependant  mentionner  ce  qu'il  y  a  d'ingénieux  et  de  savant 
dans  ce  cours.  , 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  357 

«  nous  montre  ainsi  Jésus  debout  sur  la  rive,  la  ligne  en  main, 
et  une  foule  de  ces  petits  êtres  aquatiques  mordant  à  l'hame- 
çon. »  Une  cornaline  publiée  par  l'abbé  Vallarsi,  de  Vérone, 
dans  ses  notes  sur  saint  Jérôme,  montre  un  jeune  pêcheur 
tenant  un  petit  poisson  à  l'hameçon;  contre  le  poisson  est  le 
mot  IX0YZ.  Mais  le  plus  complet  monument  de  cette  nature 
est  fourni  par  une  miniature  du  manuscrit  d'Herrade.  Dieu  le 
père  y  est  représenté  tenant  à  la  main  une  ligne ,  qu'il  jette 
au  fond  des  mers.  La  corde  de  la  ligne  est  formée  du  buste  des 
patriarches,  des  prophètes  et  des  rois,  qui  s'enchaînent  l'un  à 
l'autre,  depuis  Adam,  qui  touche  à  Dieu,  jusqu'à  David,  qui 
touche  à  l'hameçon.  L'hameçon  n'est  autre  que  Jésus  lui-même 
attaché  à  la  croix.  Jésus  va  chercher  dans  l'abîme  Léviathan, 
qui  mord  à  la  croix  pour  en  périr,  tandis  que  les  chrétiens  s'y 
attachent  pour  se  sauver  par  elle  \  L'imagination  des  artistes  et 
des  poètes,  des  sculpteurs  et  des  Pères  de  l'Eglise,  des  peintres 
et  des  prédicateurs,  n'a  cessé  d'extraire  de  ce  sujet  mille  com- 
paraisons, mille  métaphores  délayées  jusqu'à  la  plus  longue 
allégorie.  Aux  Pères  déjà  cités,  il  faut  ajouter  saint  Jérôme, 
Origène,  Bède,  saint  Ambroise,  saint  Enchère  et  d'autres  en- 
core, qui  ont  fait  allusion  au  poisson,  à  la  mer,  à  l'ancre,  au 
vaisseau,  à  la  barque  lorsqu'ils  parlent  du  Christ,  de  la  ré- 
demption et  de  l'Eglise.  La  barque  de  saint  Pierre,  le  vaisseau 
de  l'Eglise,  sont  des  images  que  l'on  trouve  déjà  au  iv^  siècle, 
dans  les  Constitutions  apostoliques^,  images  qui  ont  persisté 
dans  le  langage  ecclésiastique  d'aujourd'hui,  et  qui,  à  la  fin 
du  xvf  siècle,  ont  fourni  de  curieux  sujets  à  la  peinture  sur 
f 

é      '  Hortus  deliciarum. 

j  '  On  lit  dans  les  Constitutions  apostoliques,  publiées  en  ib-jS,  parle  jésuite  Turria- 
nus:  a  Sit  œdes  (il  s'agit  de  l'église  )  oblonga,  ad  oricnlem  versus,  navi  similis.  "  —  On 
voit  que  l'orientation  des  églises  est  recommandée  formellement  dès  les  premiers  siècles. 


358  INSTRUCTIONS. 

verre ^  Enfin,  un  texte  ancien  et  assez  complet  semble  être 
comme  le  résumé  des  mots  épars  dans  les  anciens  Pères  et  la 
source  des  images  affectionnées  plus  tard  par  l'Occident  sur 
ce  sujet;  on  le  trouve  dans  un  manuscrit  mérovingien  qui  pro- 
vient de  Saint-Benoît-sur-Loire.  Ce  manuscrit  est  un  missel; 
on  y  lit  la  bénédiction  suivante  : 

«Debout,  frères  très-chéris,  au  bord  de  la  fontaine  cris- 
talline. Amenez  les  hommes  nouveaux  qui,  de  la  terre  au  ri- 
vage, font  échange  et  commerce.  Que  tous  voguant  sur  l'eau 
battent  la  mer  nouvelle,  non  de  la  rame,  mais  de  la  croix; 
non  de  la  main,  mais  du  cœur;  non  du  bâton,  mais  du  sacre- 
ment. Le  lieu  est  petit,  il  est  vrai,  mais  plein  de  grâce.  Le 
Saint-Esprit  a  gouverné  en  bon  pilote.  Prions  donc  le  maître , 
notre  Dieu,  de  sanctifier  ces  eaux".  » 

De  tous  ces  faits,  monuments  et  textes,  il  résulte  que  le 
poisson  est  l'emblème  de  Jésus-Christ.  Mais  il  convient  de  dé- 
finir la  proportion  dans  laquelle  il  est  cet  emblème.  Peut-on 
dire,  comme  les  antiquaires  faffirment,  que  le  poisson  est  le 
symbole  du  Christ  ;  ou  bien ,  comme  on  pourrait  le  croire  de 
préférence,  qu'il  en  est  tout  simplement  la  figure? 

'  A  Saint-Etienne-du-Mont,  un  vitrail  provenant  du  cloître  et  qui  est  placé  aujour- 
d'hui dans  une  chapelle  latérale  au  chœur,  près  du  tombeau  de  sainte  Geneviève, 
montre  un  vaisseau  dirigé  par  Jésus  et  qui  est  rempli  d'une  foule  de  passagers  de  toute 
condition  ,  de  tout  âge,  et  parmi  lesquels  on  croit  remarquer  François  1".  Le  vaisseau  de 
l'Eglise,  guidé  par  le  Christ,  qui  tient  en  main  le  gouvernail,  vole  à  pleines  voiles  vers 
le  port  éternel. 

'  «  Stantes,  fralres  carissimi,  super ripam  vitrigi  fontes  [sic).  Novos  homines  adduc  eis 
"  de  terra  littori  mercatores  sua  commercia.  Singuli  navigantes  puisent  mare  novum , 
('  non  virga,  sed  cruce;  non  lactu,  sed  sensu;  non  baculo,  sed  sacramento.  Locus  quidem 
((  parvus ,  sed  gratia  plenus.  Bene  gubernatus  est  Spiritus-Sanctus.  Oremus  ergo  Domi- 
(i  num  et  Deum  noslrum  ut  sanctificet  hune  fontem.  »  (Mabillon,  De  liturg.  gall.  Missale 
gothicum,  xxxvi,  p.  2/17.)  M.  Michelet  [Origines  du  droit  français)  ne  pouvait  oublier  ce 
texte  si  poétique  et  si  précieux;  le  profond  historien  en  a  fait  une  traduction  accompagnée 
de  réflexions  pleines  d'intérêt. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  359 

Le  lion  et  surtout  l'agneau  sont  des  symboles  de  Jésus; 
l'Evangile  et  l'Apocalypse,  les  conciles,  la  liturgie  et  la  pra- 
tique constante  de  l'art  nous  l'ont  démontré.  Pour  un  archéo- 
logue, Jésus  s'incorpore  dans  l'agneau  aussi  complètement  que, 
pour  un  théologien,  il  s'incorpore  dans  le  pain  et  le  vin  ;  parle 
symbolisme  iconographique,  l'agneau  est  anéanti  pour  rece- 
voir le  fds  de  Dieu,  comme  les  espèces  matérielles  disparais- 
sent, parla  consécration,  pour  faire  place  au  Christ.  L'agneau, 
par  sa  présence,  ne  rappelle  pas  seulement  le  fils  de  Dieu, 
mais  il  le  montre  ayant  pris  cette  forme.  Enfin  l'agneau  est 
un  symbole  qui  exige  la  foi.  Mais  il  n'en  est  pas  ainsi  du  pois- 
son; le  poisson  n'est  qu'une  métaphore  rendue  sensible  par 
le  dessin.  A  la  vue  du  poisson  on  peut  se  rappeler  Jésus  au- 
quel il  fait  allusion;  mais  on  n'y  voit  pas  Jésus  en  personne, 
car  Jésus  n'est  pas  là.  Pielativement  à  l'eucharistie,  les  catho- 
liques croient  que  le  pain  et  le  vin,  après  la  consécration,  ne 
sont  autres  que  le  corps  et  le  sang  même  du  Christ;  les  pro- 
testants, au  contraire,  déclarent  ne  reconnaître  dans  les  es- 
pèces consacrées  que  la  figure  du  corps  et  du  sang  du  Christ, 
et  non  le  Christ  en  personne.  Nous  autres  antiquaires,  rela- 
tivement au  poisson,  nous  sommes  protestants ,  et  nous  disons 
que  cet  être  est  la  figure  emblématique,  mais  non  le  corps  de 
Jésus.  Pielativement  à  l'agneau ,  au  contraire ,  nous  emprun- 
tons le  langage  de  la  théologie  orthodoxe  et  nous  croyons 
que  Jésus  est  là ,  sous  la  forme  et  sous  l'apparence  de  l'a- 
gneau. Aussi,  pour  cela  ,  l'agneau  est  orné  du  nimbe  timbré 
d'une  croix,  absolument  commue  Jésus,  parce  que  c'est  Jésus 
sous  la  forme  d'un  agneau.  Mais,  par  contre,  le  poisson  n'est 
jamais  représenté  avec  un  nimbe,  je  ne  dis  pas  crucifère,  mais 
même  tout  uni.  C'est,  en  un  mot,  une  simple  image  qui  s'ap- 
plique à  Jésus-Christ  quelquefois,  et  même  assez  souvent,  mais 


360  INSTRUCTIONS. 

comme  on  lui  applique  le  pélican  dans  la  classe  des  oiseaux, 
et  la  vigne  dans  l'ordre  des  végétaux.  Le  poisson  rappelle  le 
Christ,  mais  l'agneau  le  représente;  le  second  est  un  grave 
symbole  tiré  des  livres  saints,  et  le  premier  une  simple  ligure 
extraite  des  livres  ecclésiastiques.  On  est  obligé  de  reconnaître 
l'agneau,  mais  il  est  permis  de  rejeter  le  poisson. 

Je  dis  que  cette  image  du  poisson  s'applique  à  Jésus  quel- 
quefois ou  même  assez  souvent ,  mais  non  pas  toujours.  En 
effet,  il  faut  se  garder  de  l'excès  dans  lequel  tombent  les  anti- 
quaires italiens  et  les  antiquaires  français  qui  marchent  à  leur 
suite.  Ces  érudits  déclarent,  mais  à  tort,  que  partout  et  sans  ex- 
ception où  Ion  rencontre  le  poisson  figuré  sur  un  monument 
chrétien,  ce  poisson  fait  nécessairement  allusion  à  Jésus- 
Christ.  Mais  si  l'on  peut  dire  que  l'agneau  ne  représente  pas 
constamment  Jésus  dans  les  monuments  religieux,  à  plus 
forte  raison  doit-on  le  dire  du  poisson.  L'agneau,  en  effet, 
figure  quelquefois  les  apôtres,  les  chrétiens  en  général,  les 
juifs  même,  comme  le  tombeau  de  Junius  Bassus,  entre 
autres,  en  est  une  preuve  palpable.  Assez  souvent  l'agneau  ne 
représente  personne  ;  il  entre  dans  une  œuvre  d'art  comme 
un  pur  ornement,  comme  y  entrent  une  colombe,  un  coq, 
un  canard,  un  passereau.  Alors,  dans  ce  cas,  il  ne  porte  le 
nimbe  ni  uni,  ni  crucifère.  De  mêm^  le  poisson  n'a  pas  ordi- 
nairement plus  de  valeur;  c'est  un  ornement  insignifiant  et 
qui  ne  rappelle  le  Christ  ni  de  près,  ni  de  loin.  Le  poisson 
frappé  sur  les  monnaies,  même  chrétiennes,  peut  être  là,  et 
il  y  est  souvent  en  effet,  comme  attribut  de  la  ville  qui  a 
émis  la  monnaie,  ou  comme  marque  du  monétaire;  il  n'a  pas 
d'autre  sens  que  le  cheval,  le  hibou  ou  le  poisson  qui  se 
voient  sur  les  monnaies  de  différentes  villes. 

Un  fait  singulier,  c'est  que  l'anagramme  mystique  de  Jésus- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  361 

Christ ,  fils  de  Dieu ,  sauveur,  fait  par  un  Grec  d'Alexandrie 
et  avec  un  mot  grec,  1x0x2,  n'ait  rien  produit  en  Grèce.  Dans 
ce  pays,  en  effet,  on  ne  rencontre  pas  un  poisson  peint  ou 
sculpté  qui  puisse  figurer  Jésus.  On  voit  des  poissons  dans 
les  mosaïques  et  surtout  dans  les  fresques  de  la  Grèce  ;  mais 
ces  poissons  nagent  en  pleine  mer  et  viennent  rendre,  pour 
le  jugement  dernier,  les  membres  humains  qu'ils  ont  dévorés: 
celui-ci  un  hras,  cet  autre  une  jambe,  ce  dauphin  une  tcte 
d'homme,  cette  haleine  un  buste  de  femme ^  On  voit  encore  des 
poissons  glisser  dans  les  eaux  du  Jourdain ,  au  moment  où  Jésus 
se  fait  baptiser;  on  en  voit  dans  la  mer  Rouge,  quand  les 
Hébreux  la  traversent  à  pied  sec.  Mais  ces  poissons  ne  figurent 
pas  Jésus,  pas  plus  que  ne  le  figure  le  vieux  fleuve  du  Jourdain 
qui  assiste  au  baj)tême,  appuyé  sur  son  urne,  ou  l'abîme  de 
la  mer  Rouge,  représenté  sous  la  forme  d'un  Hercule  redou- 
table qui  saisit  Pharaon  et  le  noie.  Ces  poissons  n'ont  aucun 
sens  allégorique;  ils  sont  naturels,  et  Jésus-Christ  n'est  pas  là. 
C'est  dans  les  monuments  latins  qu'il  faut  aller  le  chercher. 

Mais,  dans  ces  monuments  eux-mêmes,  le  poisson  a  la  plu- 
part du  temps  un  tout  autre  sens  (  quand  il  a  un  sens  quel- 
conque) que  celui  qui  lui  est  attribué.  Ainsi  le  poisson  est 
fréquemment  figuré  sur  les  anciens  sarcophages  des  cata- 
combes recueillis  aujourd'hui  dans  le  musée  chrétien  du  Va- 
tican ;  la  carpe,  le  dauphin  ,  seuls  ou  accompagnés  d'autres 

*  Ce  sujet  bizarre  et  plein  de  vie  est  représenté  dans  les  peintures  un  peu  détaillées  du 
jugement  dernier;  il  est  notamment  Ircs-compîet  à  Salamine,  dans  l'église  de  la  Pa- 
naghia  phanéroméni  et  au  monastère  de  Valopcdi,  sur  le  mont  Alhos.  Le  manuscrit 
d'Herrade  [Hort.  délie),  byzantin  sous  plus  d'un  rapport,  offre  le  même  sujet,  avec 
cette  légende  :  «Corpora  et  membra  bominum  a  bcstiis,  et  vokicribus ,  et  piscibus  oîim 
«  devorata  nutu  Dei  repraesentantur,  ut  ex  intégra  bumana  massa  resurgant  incorrupta 
«  corpora sanctorum  quaî  non  tantum  per  beslias,  ut  depictum  est,  afferuntur,  sed  nutu 
«Dei  prœsentabuntur.  »  L'Apocalyse,  XX,  i3,  dit  :  «Et  dédit  mare  morluos,  qui  in  eo 
«  erant.  » 

INSTRUCTIONS.  —  II,  à(j 


362  INSTRUCTIONS. 

êtres  ou  objets,  figurent  sur  ces  tombeaux.  On  en  a  conclu 
qu'ils  avaient,  sous  une  forme  différente ,  la  même  signification 
que  la  croix,  que  le  monogramme  du  Christ  gravés  sur  ces 
mêmes  tombeaux,  et  qu'ils  symbolisaient  le  Sauveur,  ou  du 
moins  qu'ils  le  figuraient.  On  s'est  probablement  trompé  :  sur 
une  fois,  où  cette  intention  pourrait  être  évidente,  il  y  en  aurait 
cinquante  qui  décèleraient  un  autre  motif.  En  effet,  chez  toutes 
les  nations,  il  est  d'usage  de  figurer  sur  le  tombeau  d'un  mort 
les  attributs  du  métier  exercé  par  lui  pendant  sa  vie.  Aujour- 
d'hui encore,  à  Constantinople,  dans  le  cimetière  des  Armé- 
niens, toutes  les  pierres  sépulcrales  sont  marquées  des  insignes 
de  la  profession  exercée  par  le  défunt  que  ces  pierres  recou- 
vrent. Pour  un  Arménien  tailleur  d'habits,  on  a  figuré  des 
ciseaux,  du  fil,  des  aiguilles;  pour  un  maçon,  des  marteaux, 
une  truelle;  pour  un  cordonnier,  une  forme,  du  cuir,  un  tran- 
chet;  pour  un  épicier,  une  balance;  pour  un  banquier,  des 
pièces  de  monnaie.  Il  en  est  ainsi  des  autres.  Chez  nous,  au 
moyen  âge,  un  compas,  une  règle,  une  équerre  sont  gravés 
sur  la  tombe  de  Hugues  Libergier^  Dans  le  cimetière  de  TEst, 
à  Paris,  une  palette  indique  la  sépulture  d'un  peintre;  un 
ciseau  et  un  marteau  désignent  celle  d'un  sculpteur.  Des  ani- 
maux qui  parlent  et  agissent,  des  masques  qui  grimacent  et 
sourient,  annoncent,  dans  le  même  enclos,  les  tombes  de 
La  Fontaine  et  de  Mohère.  Chez  les  Piomains  il  n'en  était  pas 
autrement  :  un  pêcheur  avait  une  barque  sur  sa  tombe;  un 
berger,  une  brebis;  un  fossoyeur,  une  pioche;  un  navigateur, 

Celle  tombe  esl  aujourd'hui  dans  la  caihédrale  de  Reims  ;  elle  vient  de  l'église  Sainl- 
Nicaise ,  bàlie  par  Libergier  dans  la  même  ville.  L'arcbileclo  de  Reims  porte,  comme  Mi- 
chel le  Papelart,  architecte  de  Chalons-sur-Marne,  un  modèle  d'église  qu'il  appuie  contre 
sa  poitrine,  sur  son  cœur.  Ces  grands  hommes,  qui  ont  élevé  Saint-Nicaisc  de  Reims, 
et  Samt-Etienne  de  Chàlons,  sont  tous  deux  du  xin"  siècle;  Libergier  est  mort  en  ia63 
et  Papelart  en  12 58. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  363 

une  ancre  ou  un  trident;  un  vigneron,  un  tonneau;  un  archi- 
tecte, un  chapiteau  ou  les  instruments  de  son  art. 

90.  TOMBE  D'UN  VENDEUR  D'HUILE  '. 

Sculpture  latine,  en  creux,  des  premiers  siècles  chrétiens, 


Voilà  une  pierre  sépulcrale  décorée  tout  à  la  fois  d'une  petite 
maison,  d'un  tombeau  où  l'on  a  dressé  un  mort  en  haut  d'un 
escalier,  d'un  chandelier  à  sept  branches  ou  à  sept  lampions, 
et  d'une  balance.  C'est  probablement  la  tombe  d'un  épicier  ou 
d'un  vendeur  d'huiles  et  d'aromates.  La  petite  maison  serait 
sa  boutique  ;  dans  cette  boutique ,  il  pesait  avec  ses  balances 
les  parfums  nécessaires  pour  embaumer  les  morts,  et  l'huile 
qui  alimentait  les  lampes  funéraires  ou  les  lampes  des  vivants. 
Une  autre  tombe  est  ornée  d'un  compas  à  branches 
courbes,   d'un  compas  à  branches   droites,    d'une   équerre, 

'  Cetle  pierre  est  gravée  clans  Bosio  [Rom.  sotlerr.  p.  3o2);  on  paxaît  la  croire  du 
V*  siècle,  parce  que  Slilicon  est  nommé  tlans  Tinscription  qui  en  décore  ie  haut.  Outre 
les  quatre  objets  reproduits  sur  notre  planche,  il  y  a  encore  un  gros  poisson,  ime  es- 
pèce de  dauphin.  De  ce  poisson  on  tirait  l'huile  qui  se  vendait  dans  la  boutique,  qui  se 
pesait  avec  la  balance  et  qui  se  brûlait  dans  la  lampe  allumée  pour  le  mort. 

46. 


364  INSTRUCTIONS. 

d'une  règle,  d'un  peloton  déficelle,  d'un  niveau  muni  de  son  fil 
à  plomb,  d'un  marteau,  d'un  ciseau,  d'une  gouge;  c'est  évi- 
demment la  tombe  d'un  architecte.  Avec  le  premier  compas , 
comme  avec  le  pistolet  d'aujourd'hui,  l'architecte  embrasse  les 
courbes ,  avec  le  second  il  trace  des  cercles;  avecl'équerre  il  des- 
sine les  lignes  droites,  avec  la  règle  il  mesure  les  petites  lon- 
gueurs, et  il  a  le  fil  pour  les  longueurs  considérables;  il  met 
d'aplomb  avec  son  niveau ,  il  dégrossit  la  pierre  avec  son  mar- 
teau ,  il  la  sculpte  avec  son  ciseau ,  il  la  fouille  avec  sa  gouge. 

91.  TOMBE  D'UN   ARCHITECTE  \ 

Sculpture  latine  des  premiers  siècles  de  TEglise. 


Ailleurs  c'est  un  berger  qui  porte  sur  ses  épaules  la  brebis 
fatiguée  et  qui  rappelle  ce  passage  de  Virgile  : 

En  ipse  capellas 

Protinus  aeger  ago;  hanc  etiani  vix,  Tityre,  duco'^. 

92.  SARCOPHAGE  D'UN  MARIN  DEVENU  BERGER  ^. 

Sculpture  des  premiers  siècles  chrétiens. 


'  Cette  pierre  funéraire  a  été  trouvée  à  Rome ,  clans  la  vigne  de  Sixte-Quint.  Elle  est 
gravée  clans  la  Rom.  sotter.  p.  5o5. 
*  Eglogue  l'\ 
Celte  image  occupe  le  centre  d'un  sarcophage  en  marbre  blanc,  trouvé  dans  la 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  365 

Ou  Lien  c'est  un  charpentier  qui  a  voulu  sa  liache  \  ou  un 
fossoyeur  des  catacombes,  sa  pioche;  ou  un  navigateur,  son 
trident  et  sa  nacelle,  qui  rentre  au  port  éclairé  par  le  fanaP"; 
ou  un  pêcheur,  ses  poissons;  un  architecte,  le  chapiteau  co- 
rinthien qu'il  affectionnait;  un  oiseleur,  une  colombe;  un 
boulanger,  un  pain;  un  cordonnier,  des  semelles  ou  des 
formes;  un  marchand  au  poids,  la  balance  ou  le  peson;  un 
laboureur,  le  fléau  à  battre  le  blé;  le  scieur  de  bois  ou  de 
pierre,  une  scie,  et  ainsi  des  autres.  Dans  la  planche  suivante, 
n°  98  ,  on  voit  quelques-uns  de  ces  objets  figurés:  ce  ne  sont 
pas  des  emblèmes  mystiques,  mais  simplement  des  attributs 
ou  des  instiTiments  d'artisans. 

Anciennement,  quand  un  individu  mourait,  on  enterrait 
avec  lui  les  objets  qu'il  avait  aimés  pendant  sa  vie,  son  che- 
val, ses  habits,  ses  objets  précieux,  sa  femme  même,  comme 
encore  aujourd'hui  dans  f  Inde.  En  même  temps  on  figurait 
.ces  objets  sur  sa  tombe;  plus  tard,  même  lorsque  fusage  d'en- 

vigne  du  collège  Salvlati,  à  Rome.  J'ai  peine  à  croire  qu'il  s'agisse  ici  du  bon  Pasteur, 
et  je  pense  plutôt  que  le  sarcophage  a  été  exécuté  par  les  ordres  d'un  propriétaire  de 
moutons  et  d'un  marin,  d'un  riche  pécheur  qui  serait  devenu  un  opulent  berger.  Sans 
affirmer  positivement,  je  crois  que  les  objets  sculptés  font  allusion  à  la  vie  matérielle, 
plutôt  qu'aux  sentiments  religieux. 

^  La  hache,  la  fameuse  ascia,  si  fréquemment  figurée  sur  les  monuments  funéraires 
des  Romains,  et  au  sujet  de  laquelle  tout  n'a  pas  encore  été  dit,  la  hache  n'aurait  peut- 
être  pas  d'autre  sens  que  celui  qu'on  lui  donne  ici.  Il  est  fort  douteux  qu'elle  ait  la 
valeur  singulière  qu'on  lui  attribue  généralement. 

^  Sous  le  porche  de  Santa-Maria  in  Transtevere,  on  conserve  une  pierre  lumulaire 
chargée  d'une  inscription,  d'un  petit  navire  et  d'un  fanal  à  trois  étages.  La  voile  du  bâti- 
ment est  tendue  et  pleine  ;  le  fanal  est  allumé.  M.  Tournai ,  à  qui  je  dois  ces  renseignements, 
pense  que  ces  représentations  sont  symboliques.  Dans  des  notes  que  me  transmet  le  sa- 
vant antiquaire  sur  les  tombeaux  des  catacombes  étudiés  par  lui ,  je  lis  que  le  palmier 
symbolise  la  force,  la  durée,  la  vertu;  que  l'empreinte  des  pieds  et  le  limaçon  font  allu- 
sion au  passage  de  ce  monde  dans  l'autre,  à  la  vie  modeste  et  retirée;  que  le  boisseau 
rappelle  la  plénitude  des  jours,  et  que  le  cheval  est  l'emblème  do  la  mort.  Nous  donnons 
les  raisons  qui  ne  nous  pei'meltenl  pas  d'adoplerces  explications  peut-être  trop  ingénieuses. 


366  INSTRUCTIONS. 

fouir  ces  objets  avec  le  mort  fut  tombé  en  désuétude,  on  les 
représenta  sur  le  tombeau.  C'est  dans  ce  fait,  selon  nous,  quil 
faut  cbercber  Texplication  de  la  plupart  de  ces  objets  figurés 
sur  les  sarcopbages  ou  les  fresques  des  catacombes.  Alors  nous 
ne  dirons  pas  comme  les  antiquaires  italiens  :  la  barque  voguant 
vers  le  port  à  la  lueur  d'un  pbare,  c'est  l'âme  qui  en  fmit 
avec  les  orages  de  la  vie  et  rentre  à  pleines  voiles  dans  le  ciel, 
à  la  lumière  de  la  foi ,  à  la  cbaleur  de  la  charité  ;  le  dauphin 
dans  les  eaux,  c'est  le  Sauveur,  ami  de  l'homme,  qu'il  est  venu 
sauver  et  retirer  de  l'abîme;  la  colombe  qui  tient  au  bec  un 
rameau  ou  une  couronne,  c'est  le  Christ,  qui  vient  annoncer 
à  riiumanité  que  Dieu  a  tari  le  déluge  et  qu'il  est  prêt  à  la 
recevoir  dans  les  jardins  verdoyants  du  paradis.  Devant  la 
représentation  d'un  raisin,  d'un  pain,  d'une  amphore,  d'un 
fléau,  d'une  balance,  d'une  lampe,  d'une  semelle  de  soulier, 
d'un  cheval,  d'un  bélier,  d'un  paon,  d'une  fleur,  d'une  feuille 
en  cœur,  d'une  règle,  d'un  niveau  et  de  tous  les  autres  attri- 
buts innombrables  que  présentent  les  sarcophages,  nous  ne 
dirons  pas  :  c'est  le  Christ  qui  a  donné  son  sang  et  son  corps  ; 
c'est  Dieu  qui  bat  les  âmes  vertueuses  dans  sa  grange  divine, 
qui  les  pèse  et  qui  les  éclaire;  c'est  l'âme  qui  quitte  la  terre  en 
laissant  seulement  fempreinte  de  ses  pas  ,  et  qui  court  vers  le 
ciel,  sans  s'arrêter;  c'est  l'âme  puissante  comn>ele  bélier,  tou- 
jours éveillée  comme  la  queue  ocellée  du  paon,  l'âme  par- 
fumée de  charité,  qui  a  réglé  sa  vie  et  mis  tous  ses  sentiments 
au  niveau  de  la  justice.  Au  lieu  de  ces  interprétations,  qui  ne 
semblent  pas  justifiées,  nous  dirons  plutôt,  à  la  vue  de  toutes 
ces  formes  :  ici  repose  un  batelier,  là  un  pêcheur,  ailleurs  un 
fermier;  plus  loin  dorment  un  vigneron,  un  boulanger,  un 
cabaretier,  un  batteur  en  grange,  un  marchand  au  poids,  un 
épicier,  un  cordonnier,   un  cavalier,  un  berger,  un  gardien 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  367 

de  basse  cour,  un  jardinier,  un  maçon,  et  ainsi  de  presque 
tous.  Nous  savons,  en  effet,  que  les  inscriptions  funéraires 
fourmillent  de  fautes  d'orthographe  et  de  grammaire  ^ ,  que 
la  plupart  de  ces  tombeaux  étaient  élevés  par  les  classes 
inférieures  de  la  société  et  pour  elles. 

93.  DIVERS  ATTRIBUTS  FIGURES  SUR  LES  TOMBEAUX  PRIMITIFS  DU  CHRISTIANISME. 

Sculpture  et  peinture  des  Catacombes. 


Dans  cette  planche,  nous  avons  réuni  quelques-uns  des 
nombreux  attributs  sculptés  en  relief  ou  en  creux  sur  les  sar- 
cophages et  sur  les  pierres  tumulaires  des  époques  primi- 
tives. Les  sarcophages  trouvés  dans  les  Aliscamps  d'Arles, 
ceux  qui  remplissaient  les  cryptes  des  grandes  églises  du  Midi, 
ceux  qu'on  voit  encore  disséminés  à  Marseille,  à  Saint-Maxi- 
min  et  à  Toulouse,  enfin  les  pierres  funéraires  du  musée  de 
Lyon,  offrent  des  attributs  analogues.  Ceux  de  la  planche 
qui  précède  proviennent  des  monuments  de  Rome,  et  sont 
tous  gravés  dans  fouvrage  de  Bosio  "^  Le  gros  poisson  désigne 

'   M.  Tournai  a  fait  cette  remarque  clans  un  voyage  qu'il  vient  d'accomplir  en  Italie. 
"   Ilom.  sotterr.  passim  ,  surtout  pages  216,  5o5  ,  5o6  et  5o8. 


368  INSTRUCTIONS. 

le  pêclieiir  qui  le  prend  ou  l'homme  d'industrie  qui  en  extrait 
de  l'huile.  Le  trident  annonce  encore  le  marin,  comme  la 
pioche  le  fossoyeur.  Le  métier  de  fossoyeur  dans  les  cata- 
combes était  assez  relevé;  les  monuments  primitifs  nous  of- 
frent ainsi  de  ces  hommes  ^  qui  sont  de  la  classe  inférieure  chez 
nous,  et  qui,  dans  les  premiers  temps  du  christianisme,  alors 
qu'ils  creusaient  des  tombeaux  pour  les  saints  et  les  martyrs , 
se  faisaient  enterrera  côté  des  riches  et  même  à  côté  des  saints, 
et  se  faisaient  représenter  tenant  une  pioche  d'une  main  et 
une  lampe  de  fautre  :  la  lampe  les  éclairait  dans  leurs  tra- 
vaux souterrains.  La  hache  doit  indiquer  un  charpentier  et 
le  chapiteau  un  sculpteur  ou  un  architecte.  Quant  à  la  co- 
lombe, elle  désigne  probablement  les  fonctions  de  la  mère  de 
famille  qui  nourrit  des  oiseaux  domestiques,  ainsi  que  paraî- 
trait l'indiquer  une  sculpture  funéraire  dessinée  dans  Bosio  ^.  Il 
est  possible  encore  qu'elle  naisse  d'une  idée  symbolique,  mais 
cette  idée  serait  empruntée  aux  sentiments  plutôt  profanes  que 
religieux,  et  j'y  verrais  assez  volontiers  la  douceur  du  mort  ou 
delà  morte,  la  fidélité  de  l'épouse  ou  de  l'époux.  Dans  tous  les 
cas,  indiquât-elle  la  résurrection,  comme  la  colombe  qui,  reve- 

*  Ciampini ,  Veter.  moiiim.  et  Bosio,  Rom.  sotterr.  —  Dans  Bosio,  p.  3 78,  deux  planches 
reproduisent  les  peintui^es  de  la  onzième  chambre  du  cimetière  des  saints  Marcellin 
et  Pierre.  Là  sont  peints  à  fresque  deux  fossoyeurs  ;  l'un  tient  une  lampe  dont  il  se  sert 
pour  éclairer  son  compagnon ,  qui  creuse  avec  une  pioche  à  peu  près  semblable  à 
notre  dessin  gS,  n°  5.  (Voyez,  p.  3o5  el  335,  quatre  autres  fossoyeurs  munis  d'instru- 
ments analogues  ;  l'un  d'eux  enlève  la  terre  avec  une  pelle.)  Page  629,  le  fossoyeur,  en 
tunique  courte,  a  son  nom  d'homme  et  celui  de  son  état  peints  au-dessus  de  sa  tête; 
FosROTOFiMDS,  quc  Bosio  croit  être  Fossor  Tropuimus.  Bosio  s'exprime  ainsi  :  "  Le  let- 
<i  1ère,  che  sono  appresso,  credo  che  vogliano  dire  :  Fossor  Trophimus.  Il  cui  nome  si 
<i  legge  nella  sinopse  di  Doroteo,  trà  i  settenta  discepoli  de  gli  apostoli;  e  si  fà  di  esso 
n  menlione  in  un'  Epistola ,  che  S.  Paolo  scrive  a  Timoteo  {II  ad  Timot.  h)-  Questo  grado 
i  di  fossori ,  che  sepelUvano  li  morti ,  era  il  primo  nella  chiesa ,  corne  afferma  S.  Giro- 
«  lamo.  M  (  S.  Hieron.  De  septem  (jradibus  Eccksiœ.) 

'  Rom.  sotterr.  page  gS. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  369 

nant  clans  Farclie  après  le  déluge,  annonça  que  les  eaux  s'étaient 
retirées  et  que  la  terre  revivait^,  on  ne  pourrait  en  conclure 
que  le  poisson  remplissait  un  rôle  analogue,  ni  surtout  qu'il 
est  le  SYMBOLE  de  Jésus-Clirist ;  la  colombe  est  dans  l'Ancien 
Testament ,  le  poisson  n'est  ni  dans  l'Ancien  ni  dans  le  Nouveau. 
Donc,  toutes  les  fois  qu'on  verra  un  poisson  sur  ces  tom- 
beaux ou  sur  des  monuments  d'une  autre  nature,  il  ne  faudra 
pas  se  bâter  d'interpréter  mystiquement  sa  présence;  maison 
devra  recourir  à  l'explication  la  j^lus  naturelle,  la  plus  posi- 
tive. Par  exemple,  si  la  présence  d'un  ou  de  plusieurs  pois- 
sons dans  un  monument  religieux  signifiait  que  Jésus  est  dans 
le  corps  de  ces  animaux  symboliquement  et  même  par  simple 
figure,  il  faudrait  soutenir,  pour  être  rigoureux,  que  cette  per- 
sonne divine  est  représentée  par  les  poissons  sculptés  sur  les 
cbapiteaux  de  Saint-Germain-des-Prés.  Or,  sur  ces  cbapiteaux, 
on  voit  une  sirène  mâle  et  barbue  tenant  dans  ses  bras  un  pois- 
-son,  une  sirène  femelle  et  imberbe  tenant  un  autre  poisson; 
puis  deux  poissons  unis  par  un  filet  d'eau.  On  devrait  donc 
reconnaître  dans  le  premier  groupe  le  Père  éternel  qui  tient 
son  fils ,  dans  le  second  Marie  qui  tient  Jésus,  dans  le  troisième 
le  Père  et  le  Fils  liés  ensemble,  et  auxquels,  pour  faire  une 
Trinité  complète,  il  faudrait  ajouter  un  troisième  poisson.  On 
a  cru  en  effet  que  sur  une  cuve  baptismale,  où  l'on  avait  re- 
marqué trois  poissons,  la  Trinité  était  ainsi  représentée.  Sur 
les  fonts  de  Saint-Jacques  de  Compiègne  existent  de  même 
trois  êtres  assez  monstrueux  que  l'on  a  transformés  en  pois- 


'  Dans  Bosio  [Rom.  sotterr.  p.  hh^,  entre  autres),  Noé  reçoit  dans  ses  mains  la 
colombe,  qui  tient  un  rameau  à  son  bec.  Page  Aii»  J^i<i-  If*  colombe  n'a  pas  de  ra- 
meau. (Voyez  encore  Bosio,  p.  877,  38i  et  53i.)  Ce  sujet  est  extrêmement  fréquent 
dans  les  catacombes.  L'exemple  de  la  page  53 1  est  l'tin  des  plus  curieux  pour  la  forme 
étrange  de  l'arche. 

INSTRUCTIONS    M.  ^7 


370  INSTRUCTIONS. 

sons.  Mais  ces  poissons  ne  sont  que  des  singes  hideux,  et  il 

pourrait  y  en  avoir  un  plus  grand  nombre  comme  il  y  en  a 

trois. 

Quant  au  poisson  qu'on  voit  quelquefois  à  la  Cène  devant 
Jésus  ou  les  apôtres,  pourquoi  déclarer  qu'il  symbolise  le 
Christ.^  Comme  la  table  de  la  Cène  est  également  chargée  de 
grosse  viande  et  d'oiseaux  diversement  apprêtés,  il  faudrait, 
au  même  titre,  reconnaître  que  tous  ces  mets  symbolisent  le 
fils  de  Dieu;  on  ne  peut  admettre  une  aussi  grossière  consé- 
quence. En  outre,  si  le  poisson  était  le  symbole  de  Jésus,  on 
devrait  lui  voir  la  tête  décorée  du  nimbe  crucifère,  car  autre- 
ment l'assertion  est  gratuite,  et  on  a  autant  le  droit  de  nier 
que  d'affirmer;  or,  jamais  aucun  monument  n'a  présenté  ce 
fait.  Il  ne  serait  cependant  pas  plus  extraordinaire  de  mettre 
un  nimbe  à  la  tête  d'un  poisson  qu'il  n'est  étrange  de  voir 
une  main,  la  tête  d'un  oiseau,  celle  d'une  colombe  ou  d'un 
lion,  portant  un  nimbe  crucifère.  Puisque  le  nimbe  n'y  est 
pas,  il  est  peu  probable  que  le  symbolisme  ou  même  la  figure 
y  soit. 

A  Ravenne,  l'ambon  de  marbre  blanc  appelé  chaire  des 
évêques  ariens  est  divisé  en  six  cadres  ou  tableaux  sur  la  hau- 
teur, et  en  dix  sur  la  longueur.  Chacune  des  six  rangées  est 
occupée  par  une  série  de  dix  animaux.  En  allant  de  haut  en  bas, 
on  trouve  :  dix  brebis,  dix  paons,  dix  colombes,  dix  cerfs,  dix 
canards  et  dix  poissons.  Il  n'est  pas  probable  que  ces  animaux 
aient  été  placés  là  dans  une  intention  allégorique;  ce  sont  des 
arabesques  et  de  la  pure  ornementation.  C'est  dans  son  ima- 
gination et  non  pas  dans  sa  croyance  que  le  sculpteur  a  trouvé 
son  sujet.  Une  arabesque  est  un  caprice  et  non  pas  l'expres- 
sion dune  idée  religieuse  ou  philosophique.  Raphaël  assuré- 
ment   ni  Jean  Goujon   n'avaient   l'intention   d'exprimer   un 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  371 

dogme  lorsque  l'un  peignait  et  l'autre  sculptait  ces  arabesques 
délicates  qui  nous  ravissent.  Piapliaël  n'aurait  pas  répondu  à  qui 
lui  aurait  demandé  le  sens  historique  des  bouquets  d'avelines 
pendues  aux  barbillons  de  trois  ou  quatre  goujons,  comme  on 
en  voit  au  Vatican  :  il  se  serait  moqué  de  quiconque  aurait 
sollicité  de  lui  l'explication  de  ces  jolies  formes  nues,  poissons 
par  le  bas  du  corps  et  jeunes  femmes  par  le  haut,  qui  dansent 
sur  des  rinceaux  de  plantes  grimpantes,  dans  les  cadres  de  ses 
tableaux.  Que  signifient  ces  vieux  satyres,  ces  petits  amours, 
ces  chapelets  de  coquilles,  ces  panoplies  fantastiques,  ces  oi- 
seaux suspendus  parla  patte,  ces  passereaux  qui  picotent  des 
grappes  de  raisin,  ces  aigles  ou  ces  griffons  qui  trempent  leur 
bec  dans  des  coupes  et  qui  décorent  les  pilastres  et  les  me- 
neaux de  la  clôture  du  chœur,  à  Notre-Dame  de  Chartres.^  Ils 
sont  là  pour  amuser  et  non  pour  instruire,  pour  récréer  la 
vue  et  non  pour  éclairer  fesprit.  C'est  un  ornement  que  tout 
cela,  ornement  sorti  du  ciseau  de  l'artiste,  au  gré  de  sa  fan- 
taisie et  non  d'après  l'inspiration  de  sa  foi.  Il  est  probable  qu'il 
faut  en  dire  autant  des  arabesques  sculptées  au  vi^  siècle  sur 
la  chaire  des  évêques  ariens. 

Dans  ce  monument,  si  les  brebis  qui  sont  tout  au  sommet 
ne  dominaient  pas  les  paons  et  les  colombes,  mais  venaient  à 
côté  des  cerfs,  on  pourrait  dire  que,  dans  ces  six  étages,  les  ani- 
maux sont  placés  de  deux  en  deux  classes,  suivant  le  milieu 
où  ils  vivent  :  les  paons  et  les  colombes,  qui  demeurent  dans 
l'air  où  ils  se  soutiennent  par  leurs  ailes,  occupent  le  sommet 
de  la  chaire;  les  brebis  et  les  cerfs,  qui  pâturent  sur  la  terre, 
gardent  le  milieu  du  monument;  au  bas  sont  les  canards  et 
les  poissons,  qui  aiment  feau  ou  qui  fliabitent.  Aquatique  pai 
ses  pattes  palmées,  terrestre  par  son  corps  pesant,  aérien  par 
ses  ailes,  le  canard  unirait  ainsi  les  poissons  aux  colombes. 

1*1- 


372  INSTRUCTIONS. 

Mais,  on  le  répète,  la  place  occupée  par  la  brebis  ne  permet 
pas  même  cette  interprétation  ^ 

Au  surplus,  expliquât-on  ainsi  la  disposition  de  ces  ani- 
maux, on  ne  serait  pas  encore  arrivé  à  l'idée  qu'on  chercbe 
dans  le  poisson ,  et  ces  animaux ,  au  nombre  de  dix,  ne  peuvent 
se  rapporter  à  Jésus-Christ.  Ici  encore,  et  dans  l'hypothèse 
où  la  nature  zoologique  entière  serait  représentée  par  ces  trois 
classes  d'animaux,  le  poisson  serait  le  signe  d'une  idée;  mais 
d'autres  monuments ,  où  le  poisson  figure ,  ne  peuvent  même 
pas  s'interpréter  ainsi.  Une  urne  funéraire ,  qu'on  voit  dans 
Notre-Dame  de  Grotta-Ferrata ,  représente  deux  jeunes  garçons 
nus  et  assis  sur  des  rochers,  du  haut  desquels  ils  pèchent  à  la 
ligne.  Chacun  d'eux  a  pris  un  petit  poisson.  Au-dessous,  dans 
la  mer,  nagent  de  gros  poissons;  d'autres  poissons  décorent 
le  couvercle.  Il  n'y  a  pas  d'inscription  qui  instruise  du  nom 
et  de  la  qualité  de  ceux  pour  qui  cette  urne  a  été  faite;  mais 
il  y  a  bien  de  fapparence  que  c'est  quelque  pêcheur  qui  faura 
fait  exécuter  pour  ses  enfants  exerçant  la  même  profession  que 
lui^.  Les  Romains,  par  les  sculptures  des  tombeaux,  faisaient 
allusion  à  fétat  et  même  au  nom  du  défunt.  Pour  f état,  c'est 
une  pratique  constante,  ainsi  qu'on  vient  de  chercher  à  le 
prouver;  pour  le  nom,  on  citera  un  seul  exemple.  Une  petite 
fdle,  du  nom  de  Porcella,  meurt;  sur  sa  pierre  funéraire  on 

'   M.  Tournai  m'a  communiqué  un  dessin  de  ce  curieux  monument  de  Ravenne. 

^  Celte  urne  renferme  aujourd'hui  de  l'eau  que  l'on  donne  à  boire  aux  fiévreux  pour 
les  guérir.  Elle  est  gravée  dans  Montfaucon  [Anl.  expl.  XV°  vol.  p.  ii5,  pi.  ^7).  Une 
urne  en  cristal,  ayant  la  forme  d'un  poisson,  a  élé  trouvée  près  de  Tongies  en  1698; 
elle  porte  pour  inscription  :  «  Politicus  Albiniae  karissimae  suae.  »  Bosio  [Rom.  solter.)  donne 
un  ancien  sarcophage  chrétien  sur  lequel  est  représenté  un  homme  péchant  à  la  ligne. 
P.  Belloc  (  Vierge  au  poisson)  a  fait  lithographier  une  cornaline  gravée  où  est  un  pécheur 
qui  tient  un  panier  d'une  main  et  de  l'autre  une  ligne  à  laquelle  pend  un  petit  poisson  ; 
le  mol  IXGYZ  se  lit  près  du  poisson.  Il  est  fort  douteux  que  le  Christ  se  trouve  dans  toul 
cela,  soil  en  présence  réelle,  soit  en  souvenir. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  373 

représente  un  petit  cochon  femelle,  nom  parlant  de  la  jeune 
morte  K 

En  résumé,  que  le  poisson  ait  été  figuré  comme  emblème 
du  Christ,  cela  est  possible,  cela  a  dû  se  faire  quelquefois; 
mais  prétendre  que  tous  les  poissons  emportent  nécessaire- 
ment cette  signification,  c'est  ériger  une  exception  rare  en 
une  généralité.  Enfin,  ces  restrictions  qu'on  vient  de  poser 
au  mysticisme  pour  le  poisson,  il  faut,  je  crois,  les  étendre 
à  toutes  les  autres  figures  sculptées  sur  les  tombeaux  et  les 
anciens  monuments  du  christianisme. 

9/1.  - —  PIERRE  TUMULAIRE  D'UN   VIGNERON. 
Sculpture  des  Catacombes. 


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Dans  cet  homme  barbu,  à  la  tunique  courte,  je  vois  un 
vigneron  près  d'un  tonneau  qui  indique  sa  profession.  Cet 
ouvrier  part  pour  les  champs  ,  son  boyau  sur  l'épaule  ;  il  tient 
à  la  main  gauche  un  sac  où  sont  les  provisions  de  la  journée. 
Il  ne  serait  certainement  pas  difficile  d'interpréter  allégorique- 
ment  cette  figure ,  depuis  le  tonneau  ,  le  vêtement  et  l'attitude , 


'  Ce  monument  funéraire  est  gravé  dans  Sérou.x  d'Agincourl  (  Ihst.  de  lurt  par  les 
monum.  section  de  sculpture,  planche  8).  On  lit  cette  inscription  au-dessous  de  laquelle 
est  figuré  le  petit  animal  emblématique  : 


POnCELLA   IllC  DORMIT   IN   I'. 
(i.    VI.\1T  AN»,    111,    M.    X,    I>      XUI. 


374  INSTRUCTIONS. 

jusqu'au  sac,  jusqu'à  l'instrument  du  travail;  mais  rien  ne 
justifierait  ce  système  ^  Dans  le  cimetière  de  Sainte-Agnès,  à 
Rome,  on  voyait  une  peinture  à  fresque  représentant  non  plus 
un  seul  vigneron  ou  marchand  de  vin,  comme  sur  la  planche 
précédente,  mais  huit  hommes  qui  portent  sur  leurs  épaules 
un  tonneau,  sans  doute  rempli  de  vin,  près  de  deux  autres 
tonneaux.  Cette  fresque  surmontait  une  sépulture  où  repo- 
saient ces  huit  individus  d'âge  divers  et  composant  une  fa- 
mille entière  de  marchands  de  vin  ^. 

On  ne  doit  pas  donner  constamment  une  explication  mys- 
tique des  vases,  canthares,  fioles,  écrins,  tonneaux,  lampes, 
chandeliers  ,  balances  ,  pesons ,  fléaux ,  marteaux ,  ciseaux  , 
h  aches ,  boisseaux ,  tessères ,  ancres ,  vaisseaux ,  maisons ,  chaises , 
pains,  raisins,  dattes,  olives,  roses,  cyprès,  palmiers,  palmes, 
cœurs,  oiseaux,  poissons,  quadrupèdes.  Expliquer  par  le  sym- 
bole ou  fallégorie  tous  les  instruments,  tous  les  outils  des 
métiers ,  tous  les  ustensiles  de  ménage,  toutes  les  plantes,  fleurs, 
fruits  ou  feuilles  de  la  nature,  tous  les  objets  des  arts,  toutes  les 
représentations  humaines  ou  animales,  tous  les  êtres  fantas- 
tiques qui  couvrent  ces  monuments,  c'est  détourner  vers  une 
acception  hypothétique  et  souvent  déraisonnable  des  objets 

'  Cette  pierre  lumulaire  est  gravée  dans  Bosio,  Rom.  sotterr.  p.  5o5.  L'inscription  sui- 
vante accompagne  ce  dessin  : 

D  M. 

GAVDENTIO  FECERUM 

FRATRI    QDI    VICSIC    ANNIS 

XXVIHI    M    Vm    D    XVII. 

On  relrouve  là  des  fautes  d'orthographe  qui  s'exphquent  très-bien  par  la  condition 
du  mort  ;  ce  mort  exerçait  sans  doute  le  même  état  que  ses  frères  qui  lui  ont  élevé  ce 
monument  funéraire.  Fecerum  -pour  fecerunt ,  vicsic  pour  vixit  sont  des  exemples  curieux 
de  ces  fautes  qui  sont  si  multipliées  dans  les  inscriptions  funéraires  des  premiers  chré- 
tiens. 

'  Bosio  {Hom.  sott.  p.  557  )  donne  un  dessin  de  ce  curieux  monument. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  375 

dont  le  sens  est  prochain,  réel  et  non  pas  figuré;  mais  appli- 
quer tout  cela  à  Jésus-Christ,  comme  on  paraît  disposé  à  le  faire, 
c'est  dépasser  toute  mesure  et,  disons-le,  toute  convenance. 

Cependant,  parmi  ces  signes  innombrables,  il  en  est  un 
qui  domine  tous  les  autres,  et  qui,  par  sa  présence,  définit 
les  monuments  où  il  brille:  c'est  la  croix.  Ici,  dans  cette  his- 
toire de  la  seconde  personne  de  la  Trinité  envisagée  dans  sa 
nature  divine,  il  ne  devait  pas  être  question  de  la  croix,  gibet 
où  expire  la  nature  humaine;  c'est  à  la  vie  terrestre  de  Jésus 
qu'elle  appartient  exclusivement  et  non  pas  à  son  existence 
divine.  Cependant,  comme  fagneau ,  comme  le  lion,  la  croix 
symbolise  la  seconde  personne  de  la  Trinité.  Là,  par  exemple, 
où  Ton  figure  la  Trinité  entière,  le  Père  par  un  portrait 
d'homme,  le  Saint-Esprit  par  une  colombe,  on  voit  le  Christ 
représenté  quelquefois  par  sa  croix  uniquement  ^  tandis  que 
sa  personne,  lui-même,  est  absent.  Il  est  renfermé  dans  sa 
croix,  comme  il  Test  dans  fagneau^,  comme  le  Saint-Esprit 
Test  dans  la  colombe.  C'est  à  ce  titre  qu'il  faut  en  parler  ici. 


LA    CROIX    SYMBOLE    DU    CHRIST. 


La  croix  est  plus  qu'une  figure  du  Christ:  elle  est,  en  ico- 
nographie, le  Christ  lui-même  ou  son  symbole.  Aussi  lui  a-t-on 
créé  une  légende  comme  à  un  être  vivant  ;  aussi  en  a-t-on  fait 


^  Voyez  la  mosaïque  de  Saint-Jean-de-Latran  ,  à  Rome.  Le  Père,  en  homme  de  trente- 
cinq  ans  à  peu  près,  est  dans  le  ciel,  dans  les  nuages  d'où  il  sort  à  mi-corps;  de  lui 
semble  s'échapper  le  Saint-Esprit ,  qui  a  la  forme  d'une  colombe  et  qui  s'abat  sur  une 
croix  richement  décorée.  La  croix ,  veuve  du  Christ ,  est  plantée  sur  le  sommet  d'une 
montagne  mystique  et  baignée  d'eau  de  tous  côtés.  Cette  eau  s'échappe  le  long  de  la 
montagne  en  quatre  courants  où  viennent  s'abreuver  les  cerfs  et  les  brebis  ;  puis  elle 
tombe  dans  un  fleuve,  large  comme  un  lac  et  qui  figure  le  Jourdain. 

^  Saint  Pauhn,  évoque  de  Noie,  écrit  à  Sulpice  Sévère  :  «  Sanctam  fatentur  Crux  et 
«  Agnus  viclimam.  »  (  Episl.  XII ,  ad  Severum.) 


376  INSTRUCTIONS. 

le  héros  d'une  épopée,  qui  est  en  germe  dans  les  apocryphes, 
qui  se  déroule  dans  la  Légende  dorée,  qui  se  détaille  et  se 
complète  dans  les  œuvres  de  la  sculpture  et  de  la  peinture,  de- 
puis le  XIV''  jusqu'au  xvi^  siècle.  11  ne  serait  pas  inutile  de  don- 
ner ici  un  abrégé  de  cette  histoire ,  car  on  en  tirerait  le  sens 
qu'il  faut  attacher  à  cette  image  de  la  croix,  etTexplication  qu'il 
faut  assigner  à  toutes  ces  fioures  et  à  ces  nombreux  tableaux 
peints  et  sculptés  qui  décorent  nos  cathédrales  ;  mais  nous  se- 
rions conduit  à  des  développements  trop  étendus.  Nous  ren- 
voyons donc  au  livre  de  Jacques  de  Vorage;  on  y  trouvera  la 
première  partie  de  ce  petit  poëme  sur  le  gibet  de  Jésus-Christ 
à  la  fête  de  l'Invention  de  la  croix ,  et  la  seconde  à  celle  de 
son  Exaltation.  L'Invention  se  célèbre  au  3  de  mai,  l'Exalta- 
tion au  1  Ix  de  septembre.  Adam  mort ,  Setli  plante  sur  la 
tombe  de  son  père  un  rejeton  de  l'arbre  de  vie  qui  croissait 
dans  le  paradis  terrestre.  Il  en  sort  trois  arbrisseaux  qui  s'u- 
nissent en  un  seul  tronc;  Moïse  y  cueille  la  baguette  avec  la- 
quelle il  étonne  par  des  miracles  l'Egypte  et  le  désert.  Salo- 
mon  veut  faire  de  cet  arbre,  devenu  gigantesque,  une  colonne 
pour  son  palais  :  trop  court  ou  trop  long,  il  est  rejeté  et  sert 
de  pont  sur  un  torrent.  La  reine  de  Saba  refuse  de  passer  sur 
ce  bois  en  annonçant  qu'il  causera  la  ruine  des  Juifs.  Salomon 
fait  jeter  dans  la  piscine  probatique  la  poutre  prédestinée  qui 
communique  à  l'eau  sa  vertu.  Quand  Jésus  est  condamné  à 
mort,  c'est  avec  ce  bois  qu'on  fait  son  gibet.  La  croix  est  en- 
fouie sur  le  Golgotha ,  puis  découverte  par  sainte  Hélène.  Elle 
est  emmenée  en  captivité  par  Chosroès ,  roi  des  Perses  ;  l'em- 
pereur Héraclius  la  délivre  et  la  ramène  en  triomphe  à  Jéru- 
salem. Dispersée  en  une  multitude  de  parcelles  dans  l'univers 
chrétien,  elle  fait  une  foule  de  miracles:  elle  rend  des  mort5 
à  la  vie  et  des  aveugles  à  la  lumière;  elle  guérit  des  paraly- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  377 

tiques  et  purifie  des  lépreux  ;  elle  met  les  démons  en  fuite  et 
chasse  diverses  langueurs  qui  pesaient  sur  des  populations 
entières;  elle  éteint  des  incendies  et  brise  la  fureur  des  flots 
emportés.  Le  bois  de  la  croix  naît  avec  le  monde,  dans  le 
paradis  terrestre;  il  reparaîtra  à  la  fin  du  monde  dans  le  ciel, 
entre  les  bras  du  Christ  ou  de  ses  anges,  lorsque  le  Seigneur 
viendra  juger  les  hommes. 

Après  cette  histoire,  on  peut  juger  de  l'importance  dont  jouit 
la  croix  dans  l'iconographie  chrétienne.  La  croix,  avons-nous 
dit ,  est  non-seulement  l'instrument  du  supplice  de  Jésus,  mais 
encore  sa  figure  et  même  son  symbole.  Jésus,  pour  un  icono- 
logue,  est  présent  dans  la  croix  comme  dans  l'agneau,  comme 
dans  le  lion.  Chosroès  se  flattait  de  posséder  le  Fils  de  Dieu  en 
possédant  la  croix,  et  la  faisait  trôner  à  sa  droite  comme  Dieu 
le  père  fait  trôner  son  Fils  ^  ;  de  même  aussi  les  premiers  artistes 
chrétiens,  lorsqu'ils  figurèrent  la  Trinité,  placèrent  une  croix 
à  côté  du  Père  et  du  Saint-Esprit,  une  croix  toute  seule  et  sans 
le  divin  crucifié.  La  croix  ne  rappelait  donc  pas  seulement  le 
Christ,  elle  le  montrait.  Le  Christ,  en  iconographie  chré- 
tienne, est  donc  réellement  présent  sous  la  forme  et  l'appa- 
rence de  la  croix.  La  croix,  c'est  le  Crucifié  en  personne  ;  «  Où 
est  la  croix  là  est  le  martyr,  »  dit  saint  Paulin^.  Aussi  fait-elle 
des  miracles  comme  Jésus  lui-même,  et  la  liste  des  merveilles 
opérées  par  elle  est  vraiment  immense.  Le  simple  signe  de  la 
croix,  tracé  sur  le  front  ou  la  poitrine,  a  délivré  des  plus  grands 
dangers:  il  a  constamment  mis  les  démons  en  fuite ^;  il  a  pro- 
tégé la  virginité  des  femmes,  la  croyance  des  fidèles;  il  a  rendu 

'   Voir  la  Légende  dorée,  de  ExaUatione  sunclœ  criicis. 

-  «  Lbi  crux  et  martyr  ibi.  •>  (0pp.  divi  Paulini  episcopi  Nolani ,  Epist.  XII  ad  Se- 
verum.  ) 

•  Voyez  dans  la  Légende  dorée  une  foule  d'événements  de  ce  genre,  surtout  aux  fêtes 
de  l'Invention  el  de  l'Exaltation,  A  Saint-Saturnin  de  Toulouse,  une  châsse  émaillée, 

INSTRUCTIONS.  11.  48 


378  INSTRUCTIONS. 

la  vie  ou  la  santé,  l'espérance  ou  la  résignation.  La  vertu  de 
la  croix  est  telle,  qu'une  simple  allusion  faite  à  ce  signe,  même 
dans  l'Ancien  Testament,  et  bien  avant  l'existence  de  la  croix, 
a  sauvé  de  la  mort  le  jeune  Isaac,  a  racheté  de  la  ruine  tout 
un  "peuple  dont  les  maisons  étaient  marquées  de  ce  signe,  a 
guéri  des  morsures  venimeuses  ceux  qui  regardaient  le  serpent 
attaché  à  un  pieu  ayant  la  forme  d'un  tau  ^;  a  rappelé  l'âme 
dans  le  corps  mort  du  fils  de  cette  pauvre  veuve  qui  avait 
donné  du  pain  au  prophète.  Ainsi  un  beau  vitrail  de  la  cathé- 
drale de  Bourges,  qui  est  du  xiii'^  siècle,  offre  Isaac  portant 
sur  ses  épaules  le  bois  qui  doit  servir  à  son  sacrifice,  et  qui 
est  disposé  en  forme  de  croix  ^;  puis  les  Hébreux  y  marquent 
en  forme  de  tau  ou  de  croix  sans  sommet,  et  avec  le  sang  de 
l'agneau  pascal,  le  linteau  de  leurs  maisons^;  puis  la  veuve  de 
Sarepta  y  ramasse  et  y  tient  croisés  deux  morceaux  de  bois  qui 
doivent  servir  à  cuire  son  pain  ''.  Ces  figures,  jointes  à  d'autres 

du  xii''  siècle,  représente  la  translation  merveilleuse  d'une  portion  delà  croix  depuis  l'ab- 
baye de  Josaphat,  en  Palestine,  jusqu'à  Toulouse.  C'est  une  branche  toule  nationale  de 
ce  cycle  épique  nommé  par  nous  Légende  de  la  croix. 

'  A  Saint-Denis,  dans  un  vitrail  donné  par  l'abbé  Suger,  et  qui  ferme  aujourd'hui 
une  fenêtre  de  l'abside,  on  voit  sur  une  colonne  (ordinairement  c'est  un  T)  le  serpent 
d'airain,  qui  ressemble  à  un  griffon;  sur  le  monstre  est  plantée  la  croix  où  est  attaché  le 
Christ.  On  voit  cette  inscription  qui  sert  de  légende  au  sujet  : 

Sic  ut  serpentes  serpens  necal  ereus  oms  : 
Sic  exaltatus  necat  hostes  in  cruce  Xps. 

^  C'est,  au  dire  de  certains  commentateurs,  parce  qu'il  porta  ainsi  sur  ses  épaules 
le  bois  du  sacrifice,  que  Dieu  envoya  un  ange  arrêter  le  bras  d'Abraham.  Plusieurs 
sculptures  et  peintures  figurent  ainsi  Isaac  marchant  à  la  mort,  notamment  une  sculp- 
ture qu'on  voit  au  portail  occidental  de  Noire-Dame  de  Reims,  à  l'intérieur,  et  un  vitrail 
de  INolre-Dame  de  Chartres ,  dans  le  collatéral  du  nord. 

'  Avant  leur  sortie  d'Egypte ,  les  Hébreux  marquèrent  de  la  croix  à  trois  branches  ou 
du  tau,  avec  du  sang  de  l'agneau  pascal,  toutes  leurs  maisons.  Dieu  vit  ce  sang,  dit 
l'Exode,  épargna  ces  maisons,  et  la  plaie  de  mort  qui  dévora  les  Egyptiens  ne  loucha 
point  aux  Israélites.  [Exod.  cap.  xii,  v.  7,  i3  et  29.) 

'  Lorsqu'Elie  rencontra  la  veuve  de  Sarepta,  cet'e  femme  ramassait  deux  morceaux 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  379 

encore,  servent  au  triomphe  de  la  croix  et  semblent  découler 
d'un  grand  tableau  central  qui  en  est  la  source,  et  qui  montre 
Jésus  expirant  sur  son  gibet.  Ce  gibet,  cette  réalité,  donne 
aux  figures  de  l'Ancien  Testament  toute  leur  vertu  ^ 

de  bois  qu'elle  tenait  croisés ,  et  c'est  pour  cela  que  Dieu  multiplia  la  farine  et  l'huile 
dans  sa  maison  et  fit  ressusciter  son  fils  par  le  grand  prophète.  (  Lib.  III  Reg.  cap.  xvn  , 
V.  10,  16  et  22.)  Sur  les  monuments  figurés,  les  morceaux  de  bois  sont  disposés  tantôt 
en  croix  ordinaire,  comme  sur  les  vitraux  de  Bourges  et  du  Mans,  tantôt  en  forme  d'X 
ou  de  croix  Saint-André,  comme  sur  un  vitrail  de  Chartres  et  une  sculpture  de  Reims. 
'  Voici,  au  sujet  de  la  croix  et  de  sa  vertu  anticipée,  un  texte  tiré  de  Guillaume 
Durand.  On  y  trouve  l'explication  du  vitrail  de  Bourges  et  de  ceux  de  Chartres  et  du 
Mans;  comme  cette  explication  est  contemporaine  de  la  peinture  sur  verre,  il  a  paru 
utile  de  donner  le  texte  en  entier.  11  faut,  pour  faire  avancer  l'archéologie,  contrôler  et 
compléter  les  livres  par  les  monuments.  «  Numquid,  ait  (Stephanus  papa),  omnia  chris- 
«mata,  id  est  sacramenta,  quae  cum  chrismatis  unctione  praestantur,  sacerdotalis  hic 
"  ministerii  crucis  figura ,  id  est  signo ,  perficiuntur  ?  Numquid  baptismatis  unda  sine 
«  cruce  sanctificata,  peccata  relaxât?  Et,  ut  caetera  praetereamus ,  sine  crucis  signaculo, 
«  quis  sacerdotii  gradus  ascendit  ?  Baptisandus  quoque  signo  crucis  signatur  in  fronte 
(1  et  in  pectore...  Sane  crux  Domini  mullipliciter  fuit  in  Veteri  Testamento  praefigu- 
•irata;  legitur  siquidem  quod  Moses  ad  mandatum  Domini  aeneum  serpentem  erexit 
«in  palo,  in  deserto,  pro  signo;  quem  aspicientes ,  qui  percussi  fuerunt  a  serpentibus, 
"illico  sanabantur.  Quod  ipse  Christus  exponens  inquit,  in  Evangelio  :  »  Sicut  Moses 
«  exaltavit  serpentem  in  deserto,  ita  exaltari  oportet  filium  hominis,  ut  omnis  qui  crédit 
«in  ipsum  non  pereat,  sed  habeat  vitain  aeternam.  "  Legitur  eliara  quod  cum  Joseph 
"  applicuisset  Manassem  et  EfFraim  ad  Jacob ,  statuens  majorem  ad  dexteram  et  minorem 
«  ad  sinistram,  ut  eis  secundum  ordinem  benediceret,  Jacob  manus  commufans,  id  est 
«  in  modum  crucis  cancellans,  dextram  posuit  super  caput  Eflraim  minoris,  et  sinis- 
«  tram  super  caput  Manassae  majoris  et  dixit  :  «  Angélus,  qui  eruit  me  de  cunctis  mahs, 
«  benedicat  pueris  istis.  »  Item  Moses  ail:  «Die  ac  nocte  eritvila  nostra  pendens,  et  vide- 
«  bitis  et  cognoscetis.  1)  Christus  enim  nocte  fuit  in  cruce  pendens,  quia  tenebrae  factae 
«  sunt  ab  hora  sexla  usque  ad  nonam.  Quod  etiam  fuerit  pendens  ,  certum  est.  Rursus 
«legitur:  «  Ezechiel  audivit  Dominum  dicentem  ad  virum  vestitum  lineis,  babentem 
«  altramentarium  scriptoris  ad  renés  :  Transi  per  mediam  civitatem  et  signa  thau  in 
«  frontibus  virorum  dolenlium  et  gementium.  «  Elposthaec  dixit  vu  viris  :  »  Transite  per 
«mediam  civitatem,  et  perculite  omnem  super  quem  non  vidibitis  thau;  nemini  parcet 
«  oculus  vester.  »  Item  Hierem.  «  Congregabo  omnes  gentes,  et  erit  eis  in  signum  thau.  » 
«  Item  alibi  :  o  Et  erit  principatus  ejus  super  humerum  ojus.  «  Christus  enim  portavit 
«  super  humeros  crucem  in  qua  triumphavit,  Johannes  quoque  vidit  angelum  ascenden- 
«  tem  ab  ortu  solis,  babentem  signum  Dei  vivi,  et  clamabat  voce  magna  quatuor  an- 
«geiis,  quibus  datum  est  nocere  terras  et  mari,  dicens  :  «  Nolile  nocere  terrae  et  mari, 

Zi8. 


380  INSTRUCTIONS. 

Au  ix^  siècle,  on  a  clianté  les  louanges  de  la  croix  comme 
on  chante  celles  d'un  dieu  ou  d'un  héros,  et  Rhahan  Maur, 
archevêque  de  Mayence  en  S/iy ,  a  fait  un  poëme  en  l'honneur 
de  la  croix.  De  même  que  les  hommes  prompts  d'imagina- 
tion et  possédés  par  une  passion  violente  s'ingénient  à  dé- 
couvrir dans  les  nuages  ou  dans  le  brouillard,  ou  dans  les 
formes  bizarres  que  les  ténèbres  prêtent  aux  divers  objets  de 
la  nature,  la  forme  d'un  être  chéri,  de  même  Pihaban  trouve 
la  croix  dans  les  nombres,  dans  les  lignes  géométriques,  dans 
les  noms,  dans  les  êtres  surnaturels,  dans  les  êtres  humains. 
Il  ne  se  contente  pas  de  ce  qu'il  découvre,  il  invente  des 
combinaisons  de  lettres  qui  lui  donnent  des  croix;  il  asservit 
puérilement  sa  poésie  à  dessiner  toutes  les  formes  possibles 
de  la  croix  dans  les  syllabes  de  ses  vers.  Enfm  ces  syllabes , 
changées  en  acrostiches,  donnent  un  sens  propre  à  interpréter 
les  images  qu'elles  dessinent.  PJiaban  s'enflamme  du  plus  ar- 
dent amour  pour  la  croix  \  Bien  avant  Pihaban,  les  Pères 
avaient  fait  remarquer  que  la  forme  de  la  croix  était  gravée 
dans  les  productions  de  la  nature,  dans  les  œuvres  de  l'homme, 
dans  l'attitude  des  choses  inanimées,  dans  le  geste  des  êtres 
vivants.  Le  monde  a  la  forme  d'une  croix  :  l'Orient  brille  au 

Il  neque  arboribus ,  quoiisque  slgnemus  servos  Dei  in  fionllbus  eorum.  »  Item  lignuni  niis- 
0  sum  in  Marath ,  aquas  dulcoravit  amaras  et  ad  lignum  missiim  in  Jordanem ,  ferrum 
«  quod  inciderat,  enatavil,  hoc  est  lignum  vitae  et  in  medio  paradisi  de  quo  sapiens 
«  protestatur,  benediclum  lignum,  per  quod  fil  justitia,  quoniam  regnavit  in  ligno  Deus. 
'I  Hoc  ergo  crucis  slgno  se  annal  Ecclesia,  in  peclore  et  in  fronte,  signiiicans  crucis 
«  mysterium  esse  corde  credendum  et  naanifeste  ore  confilendum.  Per  hoc  enim  signum 
'1  confunditur  civilas  dia])oli  et  triumphal  Ecclesia,  lerribdis  ut  caslrorum  acies  ordinala, 
«  juxta  illud:  «  Terribilis  est  locus  isle,  etc.  »  Et  alibi:  «  Vidi  civilaleni  magnam  sanctam 
«  Hierusalem,  novam.  «  Et  August.  tamen  dicit,  undecima  distinctione  ecclesiasticarum , 
•I  quod  nulla  scriplura  Novi  Testamenli  vel  Veleris  docet  fidèles  crucis  signaculo  insi- 
«gniri.  »  (G.  Durand,  Ration,  div.  ojj'.  lib.  V,  cap.  n.) 

'  Voir  tout  le  poëme  de  Rhaban  Maur,  De  laudibus  sanctœ  Crucis,  dans  ses  œuvres 
complètes,  in-folio,  Coloniae  Agrippina^.  1626,  I"  vol.  p.  SyS-Soy. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  381 

sommet,  le  Nord  est  la  droite,  le  Midi  est  la  gauche,  et  l'Occi- 
dent  s'allonge  sous  la  plante  des  pieds.  Les  oiseaux,  pour  s'éle- 
ver au  ciel,  étendent  leurs  ailes  en  croix.  L'homme,  pour  prier 
et  pour  fendre  les  eaux  à  la  nage,  est  porté  par  la  croix;  c'est 
parce  qu'il  a  le  corps  droit  et  qu'il  peut  étendre  les  bras  que 
l'homme  dillere  delà  bête.  Le  vaisseau,  pour  voler  sur  les 
mers,  déploie  ses  antennes  en  forme  de  croix,  et  il  ne  peut 
couper  les  vagues  si  le  mât  ne  se  dresse  en  l'air  comme  la  croix; 
enfin,  on  ne  peut  labourer  la  terre  sans  ce  signe  divin,  et  le 
tau,  lettre  en  croix,  est  la  lettre  du  salut  \ 

On  a  donc  rendu  à  la  croix  un  culte  semblable,  sinon  é^al. 
à  celui  du  Christ:  on  adore '^  ce  bois  sacré  presque  comme  Dieu 
lui-même;  on  lui  a  consacré  une  foule  d'églises  sous  le  nom  de 
Sainte-Croix^.  Bien  mieux,  la  plupart  de  nos  églises,  les  plus 
grandes  comme  les  plus  petites,  les  cathédrales  comme  les 

'  s.  Hieroni.  Comment,  in  Marcum  :  «  Ipsa  species  crucis  quid  est  nisi  forma  quadrata 
mundi  ?  Oriens  de  vertice,  Arcton  dextra  tenet,  Ausler  in  laeva  consistit,  Occidens  sub 

plantis  formatur Aves,  qiiando  volant,  ad  aethera  formam  crucis  assumunt;  homo,  na- 

tans  per  aquas ,  vel  orans,  forma  crucis  vehitur.  Navis  per  maria  antenna  crucis  similata 
sufflatur.  Thau  littera  signum  sahitis  et  crucis  describitur.  »  —  M.  Cyprien  Robert  (  Cours 
d'hiéroglyphique  chrétienne)  cite  ce  texte  et  ajoute  :  «Justin  le  Martyr,  clans  son  Apologé- 
tique, fait  observer  que  la  croix  est  empreinte  sur  toute  chose;  qu'il  n'est  aucun  ouvrier 
qui  n'en  ait  la  figure  sur  ses  instruments,  et  que  l'homme  la  dessine  sur  son  corps 
lorsqu'il  élève  les  bras.  Minucius  Félix  ,  parlant  aux  princes,  s'écrie  :  «  Les  poteaux  de 
vos  trophées  imitent  l'instrument  de  notre  salut,  et  l'armure  que  vous  y  suspendez  est 
l'image  du  Crucifié,  »  — TertuUien  [De  orutione)  s'exprime  comme  saint  Jérôme  et  comme 
saint  Ambroise  [serm.  vi).  Quant  à  la  lettre  tau,  dont  la  valeur  numérique  est  3oo,  elle 
fournissait  un  champ  immense  où  les  mystiques  d'Alexandrie  ont  labouré  sans  fin. 

^  On  se  sert  du  mot  adorer  pour  indiquer  le  culte  qu'on  rend  à  la  croix,  symbole  du 
Christ;  mais  cependant  ce  culte  n'est  pas  celui  qui  a  le  nom  de  latrie,  et  qu  on  doit 
rendre  à  Dieu  seul. 

'  Sainte-Croix,  cathédrale  d'Orléans;  Sainte-Croix,  aujouid'hui  Saint-Cermain-des- 
Prés,  bàlie  par  ChildeberL;  Sainte-Croix  de  Quimpeilé  (Finistère)  ,  église  de  forme  bi- 
zarre; Sainte-Croix,  charmante  église  de  Monlmajour  près  d'Arles;  Santa-Croce  de  Flo- 
rence et  bien  d'autres  encore.  En  France,  nous  avions  jusqu'à  dix-huit  abbayes  qui 
s'appelaient  Sainte-Croix. 


382  INSTRUCTIONS. 

chapelles,  reproduisent  dans  leur  plan  la  forme  d'une  croix, 
et  ici  nous  sommes  rappelé  directement  à  l'iconographie  et 
conduit  à  nommer  les  principales  formes  de  la  croix. 


VARIETES    DE    LA    CROIX. 


Il  y  a  quatre  espèces  de  croix  :  la  croix  sans  sommet,  la  croix 
avec  sommet  et  avec  une  seule  traverse,  la  croix  avec  sommet 
et  deux  traverses,  la  croix  avec  sommet  et  trois  traverses. 

La  croix  sans  sommet  n'a  que  trois  branches;  elle  prend  la 
forme  du  T  ou  du  tau  symbolique  dont  nous  avons  parlé. 
Beaucoup  d'anciennes  églises ,  surtout  les  basiliques  de  Cons- 
tantin, Saint-Pierre  et  Saint-Paul  de  Rome,  accusaient  à  peu 
près  cette  forme  de  tau;  l'église  deBellaigue,  en  Auvergne,  est 
ainsi  configurée  ^  On  a  parlé  plus  haut  des  propriétés  mys- 
tiques du  tau  ,  on  n'y  reviendra  donc  pas  ici. 

La  croix  avec  sommet  et  traverse  est  à  quatre  branches;  sa 
vertu  est  plus  grande.  En  effet,  la  croix  à  trois  branches  est 
la  croix  anticipée,  la  croix  figurée ,  la  croix  de  TAncien  Tes- 
tament ;  la  croix  à  quatre  parties  est  la  croix  réelle  ,  la  croix 
de  Jésus ,  la  croix  de  rÉvangile.  La  croix  en  tau  ne  possédait 
de  vertu  que  par  la  croix  à  quatre  branches  ;  c'était  comme 
une  planète  n'ayant  pas  de  lumière  en  elle  et  recevant  tout 
son  éclat  du  soleil  de  l'Evangile.  La  croix  du  Christ  se  com- 
posait d'un  arbre  vertical  et  d'une  traverse  en  forme  de  po- 
tence ou  de  marteau  ^.  «  Et  remarquez,  dit  Guillaume  Durand, 
que  la  croix  se  divise  en  quatre  parties,  soit  à  cause  des  quatre 

Voyez  M.  Mailay,  Eglises  romano-byzantines  de  l'Auverqne. 

«  Habuit  crux  Chrisli  Hgnum  erectum  in  longitudinem ,  alterum  transversum  in 
«  latiluclinem ,  quasi  in  modum  potenliae  seu  martelli,  quae  duo  sig^ificata  sunt  per  iila 
«  duo  ligna  (juae  paupercula  mulier  in  Sarepta  coUegit.  »  (Guill.  Durand  ,  Rat.  div.  ojjic. 
lib.  VI ,  cap.  Lxxvii,  de  die  Parasceves.  ) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  383 

éléments  viciés  en  nous  et  que  le  Christ  a  guéris  par  sa  pas- 
sion ;  soit  à  cause  des  hommes  que  le  Christ  a  attirés  à  lui  des 
quatre  parties  du  monde ,  suivant  cette  prophétie  :  «  Quand 
«j'aurai  été  élevé  au-dessus  de  terre  j'attirerai  tout  à  moi.  » 
Ces  quatre  parties  peuvent  concerner  encore  l'âme  humaine  : 
la  croix  est  haute,  longue ,  large  et  profonde.  La  profondeur, 
c'est  le  pied  enfoncé  en  terre;  la  longueur  va  de  la  racine  aux 
bras;  la  largeur  s'étend  avec  les  bras;  la  hauteur  va  des  bras 
à  la  tête.  La  profondeur  signifie  la  foi  assise  sur  des  fonda- 
tions ;  la  hauteur,  c'est  fespérance  qui  se  repose  dans  le  ciel; 
la  largeur,  c'est  la  charité  qui  s'étend  jusqu'à  la  gauche  ou 
jusqu'aux  ennemis;  la  longueur,  c'est  la  persévérance  qui  va 
toujours  sans  fin  K  » 

Les  formes  de  la  croix  à  quatre  branches  se  divisent  en 
deux  types  principaux ,  qui  se  partagent  ensuite  en  plusieurs 
variétés  :  il  y  a  ce  qu'on  appelle  la  croix  grecque  et  la  croix 
latine ,  parce  que  la  première  est  affectionnée  par  les  chré- 
tiens grecs  et  orientaux,  la  seconde  par  les  chrétiens  latins  et 
occidentaux. 

Dans  ces  deux  types,  la  croix  se  compose  de  deux  parties: 
d'une  liampe ,  et  d'une  traverse  qui  la  coupe.  Mais,  dans  la  croix 
grecque,  la  traverse  est  égale  au  montant  et  les  croisillons  sont 
égaux  à  la  hampe.  Si  vous  partagez  un  cercle  par  deux  lignes 

'  '  Et  adverte  quoniam  crncis  figura  quadripartita  est ,  vel  propter  quatuor  elenienta 
"  quae  in  nobis  vitiata  Christus  sua  passione  curavit ,  vel  propter  homines  quos  ex  qua- 
'<  tuor  partibus  orbis  ad  se  trahit  juxta  illud  :  «  Si  exaltatus  fuero  a  terra  omnia  trahain 
"  ad  me  ipsum.  »  \  el  et  haec  quadratura  pertinet  ad  morlalitaleni;  liabet  enim  longiludi- 
•  nem ,  latitudinem ,  sublimitalem  et  profundum.  Profundum  est  acumen  quod  terra; 
'  infigitur,  longitudo  est  inde  ad  brachia ,  lalitudo  est  in  expansione ,  latitude  seu  su- 
'<  blimilas  est  a  bradais  usque  ad  caput.  Profundum  signitlcat  fidem  qu*  est  posita  in 
I  fundamento,  altitudo  spem  quae  est  reposita  in  cœlo,  latitude  cbaritatem  quae  est  ad 
«  sinistrum  et  ad  inimicos  extenditnr,  longitudo  perseverantiam  quai  sine  fine  conclu- 
"ditur.  n  (Guill.  Durand,  Rat.  div.  ojfic.  lib.  V,  cap.  n.) 


384  INSTRUCTIONS. 

droites  passant  par  le  centre  et  se  coupant  à  angle  droit,  ces 
deux  lignes  vous  donneront  la  croix  grecque:  c'est  celle  qui 
partage  les  nimbes  que  portent  les  personnes  divines.  Cette 
croix  se  compose  donc  de  quatre  parties  égales  entre  elles  : 
d'un  pied,  d'un  sommet  et  de  deux  croisillons. 

Dans  la  croix  romaine,  le  pied  est  plus  long  que  le  sommet 
et  que  les  croisillons.  Cette  croix  ne  pourrait  plus  s'inscrire 
dans  un  cercle,  mais  dans  un  rectangle.  A  la  croix  romaine, 
la  hampe  est  plus  longue  que  la  traverse,  et  le  pied  de  cette 
hampe  est  plus  long  que  la  partie  supérieure.  Cette  forme  est 
celle  d'un  homme  étendant  les  bras.  De  l'extrémité  du  bras 
gauche  à  celle  du  bras  droit  il  y  a  moins  d'intervalle  que  de 
la  tête  aux  pieds;  de  la  tête  aux  épaules  il  y  a  moins  de  dis- 
tance que  des  épaules  aux  pieds.  D'un  bras  à  l'autre,  c'est  la 
traverse;  de  la  tête  aux  épaules,  c'est  la  partie  supérieure  de 
la  hampe;  des  épaules  aux  pieds,  c'en  est  la  partie  inférieure. 
La  croix  latine  ressemble  à  la  croix  réelle  de  Jésus,  et  la  croix 
grecque  à  une  croix  idéale.  Ainsi  les  Latins,  plus  matérialistes, 
ont  préféré  la  forme  naturelle;  les  Grecs,  plus  spiritualistes, 
ont  idéalisé  la  réalité,  ont  poétisé  et  transfiguré  la  croix  du 
Calvaire.  D'un  gibet  les  Grecs  ont  fait  un  ornement. 

D'abord  ces  deux  types  n'étaient  pas  affectés  spécialement 
fun  à  l'Église  grecque,  l'autre  à  l'Eglise  latine;  ils  étaient, 
dans  le  principe,  communs  aux  deux  contrées,  qui  les  admet- 
taient indifléremment.  Ainsi,  dans  Procope,  il  est  dit  que  l'é- 
glise des  Saints- Apôtres,  à  Constantinople,  fut  construite  sur 
le  plan  d'une  croix  et  que  Ton  fit  le  pied  de  cette  église,  ou  la 
nef,  plus  long  que  le  sommet  ou  le  chœur,  afin  de  lui  donner 
exactement  la  forme  de  la  croix  \  En  outre,  les  plus  anciennes 

'   Le  lexte  de  Procopo  [de  Mclificiis  Jiist.  p.  k^)  est  très-précis  :  «  Hinc  inde  procur- 
«renfin   Iransversi  spalii  lalera  inter  se  aequalia  sunt;  spalii  vero  in  direclum  porrecti 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  385 

sculptures  de  la  Grèce  montrent  à  Athènes,  en  Morée ,  en 
Macédoine,  à  Constantinople,  des  croix  à  branches  inégales. 
Donc,  le  type  premier  était  connu  et  pratiqué  en  Grèce.  Quant 
au  second,  celui  de  la  croix  à  branches  égales,  c'est  le  plus 
fréquemment  employé  dans  l'Eglise  orientale. 

En  Occident,  la  croix  à  branches  égales  fut  connue  et 
adoptée  comme  la  croix  à  branches  inégales.  Ainsi  les  sarco- 
phages, les  colonnes  et  les  piliers,  les  pierres  d'autel,  étaient 
et  sont  encore  marqués  de  croix  à  branches  égales  ^  ;  quant  à 
l'autre  croix,  elle  nous  appartient  plus  particulièrement. 

Donc  à  l'origine  les  deux  types  furent  communs  aux  deux 
Eglises.  Dans  la  suite,  le  premier  type,  la  croix  à  branches 
égales,  prédomina  en  Orient,  et  l'on  appela  cette  forme  de  croix 
la  croix  grecque;  le  second  type,  la  croix  à  branches  inégales, 
prédomina  chez  nous,  et  fut  appelé  la  croix  latine. 

Dans  l'Eglise  orientale,  disons-nous,  la  croix  grecque  pré- 
domine et  se  montre  dans  l'ensemble  et  les  détails  des  mo- 
numents religieux,  dans  l'architecture  comme  dans  la  dé- 
coration. En  plan,  beaucoup  d'églises  orientales  offrent  la 
forme  d'une  croix  grecque.  Le  dessin  suivant  donne  le  plan 
d'une  église  bâtie  dans  la  terre  sainte,  sur  l'emplacement  du 
puits  où  la  Samaritaine  que  Jésus  convertit  venait  chercher  de 

«pars,  illa  quae  vergit  ad  occldentem ,  alteram  superal  quantum  satis  est  ut  figuram 
"  crucis  efficiat.  (  IleTroiSTa  (léi^œv  Ôaov  âirpalâcrVai  rà  rov  o-raupoO  x»?!^*-  )  *  —  Ainsi  les 
bras  de  la  croix  sont  égaux  entre  eux;  mais  la  nef  occidentale  est  plus  longue  que  le 
chœur  de  toute  l'étendue  nécessaire  pour  faire  une  croix  à  crucifier,  une  croix  latine. 
'  A  Saint-Maurice  de  Reims,  dans  le  mur  septentrional  de  la  nef,  à  l'extérieur,  est  in 
crustée  une  pierre  funéraire  sculptée  d'une  croix  grecque,  comme  d'une  croix  de  Malte. 
On  lit,  gravé  en  creux  sur  les  brandies  de  cette  croix  :  «  Hic  jacel  Arma —  mater  —  ma- 
«  terlera  —  neplis.  »  La  première  partie  est  au  sommet,  la  seconde  au  croisillon  gauche, 
la  troisième  au  croisillon  droit;  le  dernier  mol,  neptis,  est  au  pied.  (Voy.  p.  4o8,  pi.  lOo  , 
n°  5 ,  un  dessin  représentant  appi'oximalivement  cette  croix  de  Saint-Maurice  :  le  dessi- 
nateur n'en  a  reproduit  que  la  forme  générale.) 

INSTRUCTIONS.  II.  ^9 


386  INSTRUCTIONS. 

l'eau  \  La  hampe  de  cette  croix  semble  cependant  un  peu  plus 
longue  que  la  nef  transversale,  mais  il  est  probable  que  c'est 
par  une  erreur  du  dessinateur  Arculfe.  En  tous  cas,  même  avec 
cette  forme,  ce  serait  encore  une  croix  grecque  plutôt  qu'une 
croix  romaine. 

95.  ÉGLISE   EN  CROIX  GRECQOE. 

Gravure  française  sur  tablette  de  cire,  vif  siècle  "-. 


La  croix  grecque  marque  les  chapiteaux  de  la  plupart  des 
églises  byzantines.  A  Saint-Démétrius  de  Salonique,  à  Sainte- 
Sophie  de  Constantinople,  à  Saint-Marc  de  Venise,  à  Saint- 
Vital  de  Ravenne,  monument  purement  byzantin ,  la  croix  à 
branches  égales,  libre  ou  inscrite  dans  un  médaillon,  brille 
au  milieu  des  torsades,  des  entrelacs  et  des  feuilles  d'acanthe  \ 
En  j)einture ,  les  vêtements  de  saint  Jean  Ghrysostome  sont 
brodés  de  petites  croix  grecques  qui  coupent  des  cercles  en 


D'au  1res  plans  analogues  sont  donnés  par  le  comité  historique  des  arts  et  nionu- 
ments,  dans  les  Inslructions  sur  les  monuments  fixes,  I"  cahier,  p.  108  et  110. 

Ce  dessin  est  un  calque  réduit  du  plan  original  relevé  au  vu"  siècle  par  Arculfe, 
évéque  de  France.  Cet  évèque  traça  sur  des  tablettes  de  cire  les  plans  des  principaux 
monuments  de  la  Palestine,  du  Saint-Sépulcre,  du  Cénacle,  de  l'église  de  l'Ascen- 
sion ,  etc.  Ces  tablettes  existaient  encore  lorsque  furent  publiés  les  Act.  SS.  ord.  S.  Bened. 
Les  Bénédictins  firent  graver  les  plans  dans  cette  collection,  à  la  2°  partie  du  m"  siècle 
bénédictin.  C'est  d'après  ces  planches  qu'a  été  l'eproduite  l'église  du  Puits  de  la  Samari- 
taine; le  centre,  où  est  le  puits,  porte  en  inscription  dans  l'original  :  «  Fons  Jacob.  » 

Voy.  un  chapiteau  de  Saint-Vital,  Instructions  du  comité  histor.  des  arts  et  monuments. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  387 

quatre  parties  égales;  d'autres  croix  grecques,  libres  et  mul- 
tipliées à  l'infini,  ornent  la  chasuble  de  saint  Grégoire  de 
Nazianze.  C'est  une  croix  à  branches  égales  qui  partage  le 
nimbe  de  Dieu;  c'est  une  croix  à  branches  égales  que  les  che- 
valiers de  Malte,  héritiers  des  hospitaliers  de  Saint- Jean  de 
Jérusalem ,  portaient  pour  décoration  distinctive  de  leur  ordre  ^ 
En  Occident,  nos  églises  s'ordonnent  ordinairement  sur  la 
forme  de  la  croix  latine,  à  branches  inégales,  à  sommet  et 
croisillons  plus  courts  que  le  pied.  Dans  le  pied  est  la  nef 
longitudinale,  dans  les  croisillons  sont  les  transsepts  ou  nef 
transversale;  le  chœur  occupe  le  sommet.  Plus  on  remonte 
haut  dans  les  siècles  du  moyen  âge,  plus  le  chœur  est  court, 
plus  la  nef  est  longue.  Dans  les  basiliques  de  Constantin  la  nef 
transversale,  appelée  croisée  ou  transsepts,  coupe  la  nef  lon- 
gitudinale immédiatement  après  l'abside;  elle  ne  laisse  pas  de 
place  pour  le  chœur  ^  A  partir  du  xiii*'  siècle,  le  chœur  s'al- 
longe et  force  la  croisée  à  descendre  vers  foccident^.  H  y  a 
même  des  églises  dont  la  nef  transversale  est  plus  rapprochée 

^  Plus  bas,  pi.  101,  io4  et  108,  pages  hoi,  ào3  et  /jo8,  on  donnera  plusieurs  varié- 
lés  de  ces  croix  grecques. 

*  L'ancien  Saint-Pierre  bàli  par  Constantin  ,  Sainl-Paul-liors-les-Murs  et  Sainte-Marie- 
Majeure  ont  cette  forme.  Dans  la  basilique  païenne  de  Vitruve,  il  y  avait  même  une  in- 
dication de  nef  transversale,  et  on  en  a  conclu,  à  tort  je  crois,  que  la  forme  de  la  croix 
donnée  aux  églises  n'était  ni  allégorique  ni  spéciale  au  cbrislianisme.  De  ce  qu'il  exislait 
des  monuments  romains  plus  ou  moins  cruciformes  de  plan,  cela  n'ôle  pas  auxcbréliens 
le  mérite  d'avoir  attaché  une  idée  symbolique  aux  églises  bâties  sur  le  modèle  d'une  croix. 
D'ailleurs  la  nef  transversale  diflere  singulièrement  en  position  et  en  dimension  de  celle  de 
Vitruve,  qui  est  moins  une  nef  qu'une  double  poche  de  dégagement.  Enfm  des  textes  de 
Belefh,  Durand,  Hugues  de  Saint-Victor  et  autres  liturgistes  déclarent  que  l'on  donne 
aux  églises  la  forme  d'une  croix  pour  rappeler  la  rédemplion.  Le  comité  des  arts  et  mo- 
numents [Instructions  sur  les  monuments  fixes,  I"  cahier,  style  latin,  pages  92,  90,  94) 
a  donné  divers  plans  de  basiliques,  notamment  cehii  de  Saint-Paul,  qui  ressemble  à  un 
T  à  courte  traverse.  Sans  l'abside,  qui  fait  une  saillie  en  dehors  ,  on  aurait  le  tau  com- 
plet, la  croix  parfaite,  mais  à  trois  branches  seulement. 

'  La  plupart  de  nos  cathédrales  sont  dans  ce  cas;  celles  d'Amiens  et  de  Laon  parlicu- 

49. 


388  INSTRUCTIONS. 

du  portail  que  de  Tabside,  en  sorte  qu'on  a  toujours  une  croix 
latine,  puisque  les  branches  sont  inégales  et  que  la  croisée  coupe 
la  nef  transversale  en  deux  parties  d'inégale  longueur;  mais 
c'est  une  croix  latine  renversée  et  dont  le  sommet  est  plus  long 
que  le  pied.  L'église  de  Saint-Germain-l'Auxerrois,  à  Paris,  est 
dans  ce  cas.  Du  portail  aux  Iranssepts,  la  nef  a  quatre  travées 
de  longueur;  des  transsepts  au  fond  de  l'église,  il  y  a  neuf  tra- 
vées, cinq  de  plus.  La  tête  est  beaucoup  plus  longue  que  le 
pied,  elle  qui  devrait  être  beaucoup  plus  courte.  Du  reste,  les 
croisillons  sont  courts,  comme  il  convient  à  une  croix  latine, 
et  n'ont  l'un  et  l'autre  que  trois  travées ^ 

Mais  plusieurs  églises  cathédrales  d'Angleterre  ont  une  forme 
qui  n'est  celle  ni  de  la. croix  latine ,  ni  de  la  croix  grecque  pro- 
prement dite,  ni  celle  delà  croix  en  tau.  Ces  bizarres  édifices 
sont  partagés,  non  plus  par  une  seule  nef  transversale,  mais 
par  deux.  La  première  traverse  coupe  la  nef  longitudinale  par 
la  moitié;  de  la  portion  inférieure  ou  occidentale  est  formée 
la  nef  proprement  dite,  et  de  la  portion  supérieure,  le  chevet 
de  l'église.  Mais  ce  chevet  lui-même  est  coupé  en  deux  moitiés 
par  une  seconde  traverse ,  ordinairement  moins  longue  que  la 
première.  En  deçà,  c'est-à-dire  de  la  première  à  la  seconde  tra- 
verse, est  le  chœur;  au  delà,  c'est-à-dire  de  la  seconde  tra- 
verse au  fond  de  l'église,  est  le  sanctuaire.  Les  grandes  églises 
de  Lincoln,  de  Beverlac,  de  Rochester,  de  Worcester,  sont 
ainsi  dessinées  ^.  Qu'on  se  figure  la  croix  du  Christ,  sur  laquelle 

lièremenl.  (  Voyez  dans  les  Instructions,  monuments  fixes ,  IF  cahier,  p.  1 1 ,  le  plan  de 
Notre-Dame  de  Paris.) 

^  Le  comité  historique  des  arts  et  monuments  [Ins  truc  lions,  monuments  fixes,  11°  cahier, 
p.  i4  et  i5)  a  donné  quatre  plans  divers,  dont  l'un  offre  la  croix  renversée. 

*  Le  comité  historique  des  arts  et  monuments  (  Instructions,  monuments  fixes,  II"  caiiier, 
p.  i4)  a  parlé  de  ces  plans,  et  en  a  donné  une  figure.  Dans  le  Monasticon  anglicanum , 
par  Roger  Dodsworth  et  Guillaume  Dugdale ,  on  voit  ^ravé  le  plan  de  ces  curieuses 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  389 

on  aurait  cloué  un  large  et  long  écritcau  portant  l'inscription 
connue  :  "  Jésus  de  Nazareth,  roi  des  Juifs.  »  Cet  écriteau  est 
apparent  dans  les  églises  anglaises  et  forme  la  croisée  orien- 
tale, celle  qui  coupe  le  sommet  de  la  croix  en  deux  parties; 
puis  arrive  la  croisée  ordinaire,  la  traverse  où  s'étendaient  les 
bras  du  Christ  K  Cette  forme  appartient  à  la  croix  de  Lorraine, 
à  la  croix  des  hospitaliers  du  Saint-Esprit  et  à  celle  qui 
désigne  aujourd'hui  la  dignité  archiépiscopale;  c'est  la  croix 
à  double  traverse.  11  semble  qu'elle  provienne  de  la  Grèce;  car 
on  la  rencontre  assez  fréquemment  dans  l'Attique,  en  Morée 
et  dans  le  mont  Atlios.  En  voici  une  qui  décore  le  portail  oc- 
cidental d'une  église  d'Athènes. 

églises  de  l'Angleterre.  Cet  ouvrage  est  en  trois  volumes  imprimés  à  Londres.  Le  i"  vol. 
est  de  i655,  le  2"  de  1671,  le  3'  de  1673. 

'  Cette  forme  est  à  peu  près  particulière  à  l'Angleterre  ;  cependant  la  grande  église  de 
Cluny  avait  des  transsepts  doubles ,  et  chacun  des  quatre  croisillons  était  en  outre  recroisé. 
L'église  de  Saint-Quentin  a  deux  nefs  transversales  ,  mais  l'une  est  postérieure  à  l'autre; 
elle  n'appartient  pas  au  plan  primitif  et  n'a  été  construite  que  pour  agrandir  le  monu- 
ment. L'église  abbatiale  de  Saint-Benoît-sur-Loire  affecte  incompiélement  la  forme  des 
églises  à  double  traverse.  Je  ne  connais  pas  en  France  d'autres  monuments  qui  présentent 
cette  disposition  des  églises  de  Cluny,  Saint-Quentin  et  Saint-Benoît.  Le  célèbre  vitrail  de 
Saint-Etienne  de  Bourges,  déjà  cité  plusieurs  fois,  et  qui  ouvre  l'ouvrage  de  MM.  Mar- 
tin et  Cahier  sur  les  vitraux  de  cette  cathédrale,  offre,  au  médaillon  de  la  résurrection, 
Jésus-Christ  s'échappant  du  tombeau  et  tenant  une  petite  croix  d'or  à  la  main  gauche. 
Cette  croix ,  par  une  exception  qui  n'est  pas  unique  dans  notre  pays ,  est  à  double  traverse  ; 
un  grand  vitrail  de  Notre-Dame  de  Chartres  en  ofire  un  autre  exemple.  La  traverse 
inférieure  est  un  peu  plus  courte  que  la  supérieure  ;  elle  figure  certainement  l'écriteau 
où  était  placée  l'inscription.  La  traverse  de  dessous  représente  les  croisillons  ou  le  Christ 
étendit  ses  bras.  Mais  cette  croix,  par  ses  dimensions,  qui  sont  très-petites,  par  sa  cou- 
leur, qui  est  d'un  jaune  d'or,  présente  une  image  réduite  de  la  croix  réelle;  c'est  une  croix 
en  miniature,  une  croix  de  résurrection  eniin.  De  la  grande  quantité  de  croix  à  double 
traverse  qu'on  rencontre  en  Grèce  et  qui  datent  des  plus  anciennes  époques,  de  la  forme 
en  croix  à  double  traverse  que  les  plans  de  plusieurs  grandes  églises  d'Angleterre 
affectent  de  prendre ,  on  pourrait  tirer  des  conclusions  intéressantes.  Je  ne  doute  pas 
que  des  recherches  faites  avec  soin  et  intelligence  dans  ce  but  n'amènent  des  résultats 
qu'on  peut  prévoir,  mais  qui  n'en  seront  pas  moins  tres-curieux.  L'Angleterre  s'esl-elle 
laissé  modifier  plus  profondément  que  la  France  par  le  génie  byzantin  ?  C'est  à  voir. 


390 


INSTRUCTIONS. 


96.  CROIX  GRECQUE  À  DOUBLE  TRAVERSE. 

Sculpture  d'Athènes,  xi^  siècle  '. 


PAVL  c'mim 


Le  plan  des  églises  en  croix  était  souvent  révélé  en  vision. 
La  nuit,  un  ange  apparaissait  à  un  saint  endormi,  à  un  évêque, 
et  lui  détaillait  la  forme  du  monument  que  Dieu  voulait  se 
faire  bâtir;  alors  on  se  mettait  immédiatement  à  l'œuvre  pour 

'  Celte  croix  complète  celle  que  nous  donnerons  page  898,  pi.  99;  elle  lui  sert  de 
pendant.  Sur  la  croix  du  n"  99  ,  on  lit  TC  K"C  ;  sur  celle  du  96,  N"I  K"'A  ,  qui  achève 
la  phrase  :  «  jésus-ciirist  est  vainqueur  ».  L'aigle  et  le  faucon  qui  sont  au  pied  de  cette 
croix  doivent  être  allégoriques,  comme  on  va  le  faire  remarquer  à  propos  de  la 
planche  99. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  391 

élever  une  église  d'après  le  modèle  vu  en  songea  Ou  bien 
des  lignes  lumineuses  dessinaient  dans  le  ciel,  sur  des  nuages, 
l'église  dont  on  méditait  la  construction.  De  même  que  Cons- 
tantin avait  fait  exécuter  son  labarum  d'après  la  forme  de 
celui  qu'il  avait  vu  tracé  en  traits  de  feu  dans  les  airs,  de 
même  on  bâtissait  l'édifice  d'après  le  dessin  lumineux  qui 
avait  apparu.  Ou  bien  encore,  sur  un  terrain  parfaitement  sec, 
des  lignes  de  rosée  traçaient  l'emplacement  et  la  forme  d'une 
basilique^;  une  autre  fois  c'était  la  neige  qui  s'étendait  en  cor- 
don là  où  les  murs  devaient  s'élever.  Enfin  l'abbaye  et  l'é- 
glise du  Saint- Michel  français,  dans  le  département  de  la 
Manche,  et  du  Saint-Michel  italien,  au  mont  Gargano,  furent 
dessinées  sur  la  terre  par  les  pas  d'un  taureau  ^ 

'  Notamtnenl  Saint -Martin -des -Champs,  à  Paris.  Il  semble  que  le  texte  biblique: 
«  Fac  secundum  exemplar  quod  libi  monstralum  est  in  monte»,  ait  élé  appliqué  surtout 
à  la  construction  des  églises  dont  le  plan  était  révélé  en  songe  ou  apparaissait  dans  les 
nuages. 

"  Saint  Gérémar  ou  Germer,  premier  abbé  deFlavigny,  vers  658,  demande  à  saint 
Ouen  un  emplacement  pour  bâtir  un  monastère.  Les  deux  saints ,  après  trois  jours  de 
jeûne  et  de  prières,  voient  un  ange  qui  leur  annonce  que  Dieu  les  a  exaucés,  et  que 
l'endroit  destiné  au  futur  monastère  est  Flavigny,  au  milieu  d'une  grande  soliiude.  Ils 
vont  dans  ce  lieu.  «  Ubi  cum  pervenissent  et  multum  dubitarent  quid  agerent ,  ecce  ne- 
«  bula  descendit  de  cœlo  et  circumdedit  tolum  locum  ubi  construendum  erat  monaste- 

«  rium,  et  cum  nebulasuperna  vox  dicens  :  Electi  Dei ,  ecce  iste  locus  metuendus  est 

«  cumque  obtutus  suos  adspectum  nebulae  defigerent  (sancti),  statim  ab  adspeclibus 
«  eorum  subtracta  est.  Ex  eadem  autem  nebula  in  circuitu  loci ,  quasi  quaedam  virga 
«  geometricalis  ,  ros  totum  locum  circumdans  remanslt ,  ut  daretur  intelligi  verum  esse  , 
«  quod  superna  vox  cecinit.  Tune  circumeuntes  locum ,  repererunt  signum  cœleslis 
«  roris  impressum.  Beatus  autem  Audoenus  certus  de  angelica  visione  et  de  superna 
«  voce ,  accipiens  virgam  in  manu ,  per  vestigia  nebulai  mensus  est  plateam  in  circuitu  , 
Il  ubiecclesia  a:dificaretur,  ubi  olTicinae  conslruerentur  et  cnelera  monachorum  vitae  ulilia.  » 
{Act.  SS.  Ord.  S.  Bened.  IP  vol.  vie  de  saint  Germer,  écrite  par  un  anonyme  contem- 
porain. ) 

'  V.  la  Légende  dorée.  De  sancto  Michaele  archançjelo.  La  Légende  dit  :  «  In  loco  qui 
«Tumba  dicitur  juxta  mare,  qui  sex  miliaribus  ab  urbe  Abricensi  dislat,  Alichael  epi- 
«  scopo  praedictae  civitatis  apparuit,  dicens  et  jubens  ut  in  praîdiclo  loco  ecclesiam  con- 


392  INSTRUCTIONS. 

Puisque  l'architecture,  un  art  aussi  sévère,  s'assouplit  jus- 
qu'à façonner  ses  plans  sur  les  formes  les  plus  variées  de  la 
croix,  il  faut  s'attendre  à  ce  que  la  sculpture  et  la  peinture, 
arts  d'ornementation  et  de  fantaisie,  dessineront  la  croix  sur 
]es  modèles  les  plus  nombreux,  les  plus  différents  et  quel- 
quefois les  plus  bizarres.  Alors  on  donne,  non-seulement  une 
et  deux  traverses  à  la  croix,  mais  on  en  élève  le  nombre  jus- 
qu'à trois.  La  croix  ainsi  faite  a  donc  huit  croisillons,  puisque 
chaque  traverse  se  partage  en  deux,  ce  qui  fait  six,  et  que  la 
hampe  en  ajoute  deux  autres,  le  pied  et  le  sommet.  Ces  croix, 
à  une,  deux  et  trois  traverses,  deviennent  un  moyen  de  hié- 
rarchie comme  la  tiare,  le  chapeau  et  la  mitre.  Le  pape  seul 
eut  le  droit  de  faire  porter  une  croix  triple  devant  lui;  on 
gratifia  de  la  croix  double  le  cardinal  et  l'archevêque;  la  croix 
simple  fut  abandonnée  à  févêque  ^  Les  chapiteaux  des  co- 
lonnes, les  caisses  et  couvercles  des  sarcophages,  les  mosaïques 
et  les  fresques,  les  vitraux  et  les  boiseries,  offrent  des  croix 
innombrables;  leur  variété  est  en  rapport  avec  leur  nombre. 
Ces  croix  sont  libres  ou  entrelacées  d'autres  signes. 

>•  strueretet, sicut  fit  in  monte Gargano ,  ila  et  ibi  in  memoriam  sancti Micliaelis archan- 
«  geli  celebraret.  Cum  autem  episcopus  deloco,  in  quo  ecclesiam  construeret,  dubitarel, 
«  ab  ipso  edocelur  ut  ibi  construi  eam  faceret  ubi  ibaurum  {sic)  a  latronibus  abscondi- 
"  lum  inveniret.  Iterumque  de  loci  amplitudine  dubitans,  jubetur  modum  in  amplitudine 
■!  staluere  quantum  videret  tbaurum  in  circuitu  pedibus  intrivisse.  n  —  Le  mont  Gar- 
gano, aujourd'bui  Sanl-Angelo,  est  dans  le  royaume  de  Naples,  province  de  Capilanale, 
ancienne  Apulie. 

'  C'est  aux  xv""  et  xvi"  siècles  principalement  que  la  croix  fut  appelée  à  ce  rôle  que  les 
pièces  béraldiques  jouent  dans  le  blason.  11  est  fâcheux  que  cet  usage  ne  remonte  pas 
plus  haut,  car  il  sert  utilement  à  distinguer  surtout  un  archevêque  d'un  évêque.  Qu'un 
personnage  entier  ait  disparu  d'un  bas-relief  sculpté  ou  d'un  tableau  peint,  si  l'on  aper- 
çoit qu'il  tenait  à  la  main  une  croix  simple,  double  ou  triple,  on  peut  affirmer  que  c  était 
un  évêque,  un  archevêque  ou  cardinal,  et  un  pape.  (Voyez  à  Saint-Denis,  sur  les  portes  en 
bois  qui  proviennent  de  la  chapelle  de  Gaillon,  le  pape  saint  Grégoire  le  Grand  tenant 
en  main  une  croix  à  triple  traverse.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  393 

Quand  la  croix  est  libre  et  non  chargée  d'attributs  ou  d'or- 
nements, il  faut  la  distinguer  en  croix  de  passion  et  croix  de 
résurrection.  La  croix  de  passion,  croix  réelle,  gibet  sur  le- 
quel Jésus  est  mort ,  est  cet  arbre  équarri  ou  brut  composé 
d'une  tige  et  d'une  traverse.  C'est  elle  ordinairement  que  l'on 
met  entre  les  bras  du  Père,  lorsqu'il  tient  le  Christ  qui  y  est 
cloué  ^  ;  c'est  elle  que  l'on  place  au  milieu  de  nos  églises,  dans 
l'ouverture  du  grand  arc ,  appelé  triomphal  comme  la  croix 
elle-même  ";  c'est  elle  que  l'on  plante  dans  nos  champs,  au 
carrefour  des  routes^.  La  croix  de  résurrection  est  le  symbole 
de  la  croix  réelle;  c'est  avec  elle  que  Jésus  s'élance  du  tombeau 
et  monte  au  ciel.  Une  bannière,  une  flamme,  flotte  ordinaire- 
ment aux  croisillons  de  la  croix  de  résurrection,  car  elle  n'est 
autre  qu'un  étendard  dont  la  hampe  se  termine  en  croix  au  lieu 
de  s'aiguiser  en  pique.  Les  croix  que  l'agneau  pascal  tient  à  l'un 
de  ses  pieds,  les  croix  qui  précèdent  les  processions  religieuses, 

^  A  Sainl-Denis ,  un  vitrail  de  l'abside ,  qui  date  de  l'abbé  Suger,  offre  un  char,  un  qua- 
drige sur  lequel  est  posée  une  grande  croix  verte.  Cette  croix,  toute  relevée  quelle  soit 
d'ornements  figurés  en  fdigranes,  est  une  croix  réelle,  une  croix  de  passion;  Jésus  y  est 
attaché.  Dieu  le  père,  qui  est  décoré  d'un  nimbe  uni  et  non  crucifère  (ce  nimbe  a  une 
apparence  moderne),  tient  cette  croix  entre  ses  bras.  C'est  la  plus  ancienne  représen- 
tation que  je  connaisse  de  ce  sujet  qu'affectionnèrent  si  fort  le  xv°  et  le  xvi°  siècle.  Bien 
qu'à  cinq  cents  ans  de  distance,  le  vitrail  de  Saint -Denis  a  beaucoup  d'analogie  avec 
celui  de  Troyes,  dont  nous  avons  donné  le  dessin  page  202,  pi.  63.  A  Sainl-Denis 
comme  à  Troyes,  singulier  rapport,  le  Saint-Esprit  est  absent  de  cette  représentation 
de  la  Trinité.  Nous  en  reparlerons  plus  loin. 

*  «  Crux  triumphalis ,  in  plerisque  locis ,  in  medio  ecclesiae  ponitur,  ad  notandum 
«  quod  de  medio  corde  Redeniptorem  nostrum  diligimus,  qui,  juxla  Salomonem,  corpus 
«  suum  média  charitate  conslravit  propter  iîlias  Hierusalem  ,  et  ut  omnes  signum  vie- 
il torias  videnles ,  dicant  :  Ave  salus  tolius  saeculi,  arbor  salutifera.  Et  ne  unquam  a 
Il  nobis  dileclio  Dei  oblivioni  tradatur,  qui ,  ut  servum  redimeret ,  tradidil  unicum  fdium  , 
u  ut  Crucifixum  imilemur.  Crux  autem  in  altum  dirigitur,  per  quod  Christi  Victoria  de- 
«  signatur.  »  (Guill.  Durand,  Rat.  div.  ojfic.  lib.  I,  cap.  i.) 

^  Plus  haut,  nous  avons  donné  divers  exemples  de  ces  croix  réelles,  de  ces  gibets  où 
fut  attaché  Jésus. 

INSTRUCTIONS. II.  5o 


394  INSTRUCTIONS. 

sont  des  croix  de  résurrection  et  d'ascension.  Ce  n'est  plus  un 

arbre,  comme  dans  la  croix  de  la  passion,  mais  un  bâton. 

qy.  —  JÉSDS-CHRIST  ARMÉ  DE  LA  CROIX  DE  RÉSURRECTION  ET  DESCENDANT  ADX  LIMBES. 

Miniature  française,  xiii°  siècle. 


Ici  le  Clirist  descend  aux  limbes  et  brise  les  portes  de  l'en- 
fer avec  sa  croix  de  résurrection.  Il  tire  de  ce  lieu  de  souf- 
france les  premiers  justes,  à  la  tête  desquels  s'avancent  Adam 
et  Eve.  Les  démons  hurlent;  ils  grincent  des  dents  en  voyant 
le  Christ  qui  foule  aux  pieds  un  des  leurs,  et  qui  leur  arrache 
ce  qu'ils  croyaient  leur  proie  ^  Quelquefois  le  Christ  au  ciel, 
assis  près  du  Père  et  du  Saint-Esprit,  porte  une  croix  de  ré- 
surrection plutôt  que  de  passion.  La  croix  de  passion,  la  vraie 

'  Remarquons,  en  passant,  la  triple  forme  de  l'entrée  de  l'enfer  :  c'est  d'abord  une 
porle  de  château  fort,  puis  la  gueule  d'un  monstre,  enfin  la  cheminée  d'une  fournaise. 
Ce  dessin  sera  reproduit  dans  l'Histoire  du  diable  ;  il  a  été  pris  sur  un  manuscrit  h  mi- 
niatures du  xiii"  siècle,  qui  est  à  la  Bibliothèque  royale. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  395 

croix,  est  soufFrante  ;  la  croix  de  résurrection  est  triomphante. 
La  seconde  a  la  même  forme  générale  que  îa  première,  mais 
elle  est  spiritualisée  ;  c'est  le  gibet  transfiguré. 

Ces  deux  croix  sont  historiques,  puisqu'elles  ont  figuré  au 
crucifiement  et  à  la  résurrection  de  Jésus-Christ;  mais  il  y  en 
a  d'autres  qui ,  purement  emblématiques ,  sont  beaucoup  plus 
nombreuses  encore.  Le  blason  en  adopte  plusieurs  auxquelles 
il  donne  des  noms  qui  en  caractérisent  la  nature  et  la  forme. 
La  croix  foudroyante,  annelée,  câblée,  est  composée  de 
foudres,  d'anneaux,  de  câbles;  la  croix  vidée,  anillée,  cordée, 
est  à  jour  entièrement,  ou  percée  seulement  au  cœur,  ou  en- 
roulée d'une  corde;  la  croix  coupée  d'une  seule  traverse  à 
chaque  branche  s'appelle  recroisée,  et  recroisetée  quand  la  tra- 
verse est  double.  Si  les  extrémités  de  chaque  branche  sont 
terminées  par  une  ou  deux  têtes  de  serpent,  par  un  croissant, 
une  ancre,  un  dard,  des  crampons,  un  trèfle,  une  fleur  de  lis, 
une  ou  plusieurs  boules,  alors  la  croix  se  nomme  gringolée, 
guivrée,  croissantée,  ancrée,  barbée,  cramponnée,  tréflée, 
fleurdelisée,  pommelée  ou  bourdonnée.  Quand  la  pointe  de 
chaque  branche  est  assise  dans  des  degrés ,  on  dit  que  la  croix 
est  perronnée.  Elle  s'appelle  aiguisée  ou  mousse  quand  la 
pointe  est  aiguë  ou  arrondie;  potencée,  quand  elle  est  surmon- 
tée d'une  traverse,  et  pattée,  quand  la  pointe  s'élargit.  La  croix 
de  Malte  est  pattée,  mais  l'extrémité  de  chaque  patte  est  entaillée 
d'un  angle  aigu.  Qu'il  suffise  de  ces  indications,  qui  pourraient 
prendre  de  trop  longs  développements.  11  est  remarquable, 
d'ailleurs,  que  presque  toutes  ces  croix  du  blason  sont  grec- 
ques et  non  romaines.  Cette  forme  a-t-elle  été  prise  en  Orient 
à  l'époque  des  croisades,  ou  plutôt,  comme  il  est  probable, 
ne  serait-elle  pas  imposée  par  la  forme  de  l'écu? 

Quand  la  croix  est  entrelacée  ou  accompagnée  d'ornements 

5o. 


396  INSTRUCTIONS. 

et  d'attributs,  les  variétés  sont  telles  qu'il  faut  renoncer  à  les 

désigner  toutes.  En  voici  quelques-unes  : 

En  Grèce,  les  représentations  de  la  croix  sont  accompa- 
gnées ordinairement  de  l'inscription  :  TC  X'^C  NIKA  (  Jésus- 
Christ  est  vainqueur).  L'exemple  suivant  donne  la  croix  à 
double  traverse,  qui  s'appelle  chez  nous  croix  de  Lorraine  et 
qui  dessine  le  plan  des  églises  d'Angleterre  signalées  plus 
haut  avec  trois  églises  de  France. 

98.  CROIX  GRECQUE  EN  CROIX  DE  LORRAINE. 

Sculpture  du  mont  Athos,  premiers  siècles  '. 


Le  pied  de  cette  croix  se  bifurque  et  se  découpe  en  feuilles 
d'acanthe^;  l'inscription  entière  accompagne  une  seule  croix. 


'  Cette  croix  à  double  traverse  est  sculptée  sur  une  dalle  en  marbre  blanc  servant  de 
mur  d'appui  à  la  petite  rotonde  dite  Trrjyij  ou  (pitxki}  qui  précède  la  grande  et  vieille 
église  du  couvent  de  Sainle-Laure,  au  mont  Allios.  Ces  fontaines,  anciens  baptistères, 
servent  aujourd'hui  à  donner  et  à  recevoir  l'eau  bf'nile. 

Cet  ornement  d'où  la  croix  sort  comme  d'une  racine  doit  être  étudié  avec  le  plus 
grand  soin.  Feuillage  d'abord  et  à  contre-courbe  de  chaque  côté,  il  perd  ensuite  son 
sommet  et  ne  garde  que  la  courbe  simple  d'en  bas;  c'est  une  espèce  de  croissant,  mais 
un  croissant  feuillage.  Plus  tard,  et  jusqu'à  nos  jours,  le  feuillage  disparaît  entièrement 
pour  accentuer  le  croissant  davantage  encore;  car  chaque  courbe  ou  quart  de  cercle  se 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  397 

Ailleurs  cette  inscription  se  coupe  en  deux  parties  :  la  pre- 
mière portion  se  grave  au-dessus  d'une  croix  qu'on  place  à 
gauche,  et  la  seconde  au-dessus  d'une  autre  croix  que  l'on  met 
à  droite.  Sous  la  première  sont  affrontés  deux  paons,  animaux 
qui  semblent  allégoriques,  puisqu'un  manuscrit^  et  une  pierre 
tumulaire  du  musée  de  Narbonne  nous  les  offrent  couronnés 
d'un  nimbe  comme  en  ont  les  saints.  Sous  la  seconde  et  dans 
des  médaillons,  on  voit  un  aigle  aux  ailes  repliées  et  un  faucon 
au  vol  abaissé  ;  le  faucon  porte  le  collier,  la  laisse  et  le  grelot. 

rejoint  et  reçoit,  à  la  jonction,  le  pied  de  la  croix.  Alors  la  croix  de  Jésus  domine  et  ter- 
rasse le  croissant  de  Mahomet,  comme  saint  Michel  domine  et  terrasse  Satan  dans  nos 
monuments.  C'est  ainsi,  en  effet,  que  les  partisans  de  l'école  symbolique  interprètent 
cette  figure  de  la  croix  enracinée  ;  mais  le  croissant  n'est  que  la  dégradation  successive 
de  la  double  feuille  à  contre-courbe,  et  ni  le  croissant  ni  Mahomet  n'ont  rien  à  voir  là- 
dedans.  On  acquiert  celte  conviction  lorsqu'on  étudie  l'histoire  des  croix  byzantines  au 
mont  Athos  ,  à  Constanlinople  et  dans  toute  la  Grèce;  car  on  trouve  dans  ces  pays  des 
croix  entièrement  croissantées  avant  la  naissance  de  Mahomet  et  dès  le  temps  de  Justi- 
nien.  A  propos  de  certaines  médailles  de  Maguelonne,  où  l'on  voit  la  croix  fichée  dans 
une  espèce  de  croissant,  on  a  dit  que  l'évoque,  dont  c'était  la  monnaie,  avait  fait  alliance 
avec  les  musulmans,  et,  en  signe  de  cela,  avait  uni  sur  ses  monnaies  le  croissant  cà  la 
croix.  D'abord  il  est  invraisemblable  qu'un  évêque  français  ait  fait  un  traité  d'alliance 
avec  des  musulmans  ;  il  est  plus  invraisemblable  encore  qu'il  ait  accolé  Jésus  à  Maho- 
met; il  est  impossible  surtout  que  des  populations  chrétiennes  aient  accepté  une  pareille 
avanie.  Enfm,  cette  croix  des  monnaies  de  Maguelonne  ressemble  entièrement  aux  croix 
que  nous  appelons  enracinées,  et  dont  celle  de  Sainte-Laure  du  mont  Athos  offre  un 
exemple  très-ancien.  Les  croix  ancrées  ont  une  grande  analogie  avec  les  vieilles  croix 
enracinées. 

'  Il  en  a  été  question  page  90,  au  chapitre  du  nimbe.  En  m'envoyant  le  dessin  de  la 
pierre  de  Narbonne  et  celui  d'un  sarcophage  qui  est  à  Saint-Etienne  de  Bologne  et  qui 
montre  deux  paons  affrontés,  regardant  une  croix,  M.  Tournai  m'écrit:  «Le  paon  a  été 
très-souvent  employé  comme  emblème ,  depuis  le  iv"  siècle  jusqu'à  nos  jours.  On  le  trouve 
sur  les  mosaïques  qui  décorent  la  voûte  de  Sainte-Constance,  à  Rome  ;  on  le  trouve  dans 
le  pavé  de  Saint-Marc  de  Venise,  sur  les  sarcophages  de  Ravenne  et  du  Vatican.  Le  sar- 
cophage du  pape  Zozime  (4i8),  conservé  à  Saint-Laurent  extra  miiros,  à  Rome,  et 
celui  de  sainte  Constance,  qui  est  au  Vatican,  n'offrent  que  des  génies  qui  font  la  ven- 
dange, des  paons  et  des  moutons.  »  Je  ne  pense  pas  que  ces  animaux  et  ces  génies  soient 
toujours  emblématiques,  et  la  fantaisie  est  pour  beaucoup  dans  celte  ornementation; 
mais  il  est  bon  que  les  antiquaires  chrétiens  lassent  des  études  sur  ce  curieux  sujet. 


398  INSTRUCTIONS. 

Le  pied  de  la  première  croix  est  patte ,  celui  de  la  seconde  est 
penonné;  toutes  deux  sont  coupées  par  une  double  traverse. 
La  croix  aux  paons  est  faite  de  rubans  entrelacés ,  la  croix  à 
l'aigle  et  au  faucon  est  nattée  de  rubans  moins  larges. 

9g.  CROIX  GRECQUE  k   DODBLE  TRAVERSE. 

Sculpture  d'Athènes,  xf  siècle. 


Ces  deux  croix  ornent  le  portail  occidental  d'une  église 
d'Athènes ,  et  sont  sculptées  sur  des  plaques  de  marbre  blanc. 
On  avait  donné  la  croix  à  l'aigle  et  au  faucon  ;  il  convenait 
donc  de  la  compléter  par  la  croix  aux  deux  paons,  car  celle-ci 
est  à  gauche  et  fournit  la  première  moitié  de  l'inscription. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  399 

En  Grèce,  au  pied  des  croix  sculptées  et  peintes  qui  ornent 
les  églises,  on  voit  presque  toujours  des  animaux  affrontés  qui 
regardent  avec  terreur  ou  avec  amour  le  signe  de  la  rédemp- 
tion sous  lequel  ils  paraissent  s'humilier.  Le  lion,  l'aigle,  le 
paon ,  le  faucon ,  sont  les  animaux  qui  se  voient  le  plus  souvent. 
L'aigle  et  le  paon ,  qui  sont  l'emblème  de  l'orgueil  ;  le  faucon 
et  le  lion,  qui  rappellent  la  violence  cruelle  et  la  cruauté 
grossière,  pourraient  bien  signifier  que  ces  passions  mauvaises 
sont  forcées  de  passer  sous  le  joug  de  la  croix.  La  colombe  et 
la  brebis,  qu'on  voit  fréquemment  sur  les  fresques  des  cata- 
combes et  les  anciens  sarcophages,  pourraient  annoncer  que 
les  vertus  sortent  de  la  croix  comme  les  vices  sont  abattus  par 
elle.  Saint  Paulin,  évêque  de  Noie,  envoie  à  son  ami  Sulpice 
Sévère  les  distiques  suivants,  qu'il -avait  écrits  près  de  deux 
croix  peintes  en  rouge,  ceintes  d'une  couronne  de  fleurs  et 
escortées  de  deux  colombes  : 

Ardua  floriferœ  cnix  cingitur  orbe  coronae, 
Et  Domini  fuso  tincta  cruore  rubet. 

Quoeque  super  signum  résident  cœleste  columbse 
Simplicibus  produnt  régna  patere  Dei. 

On  dirait  que  ces  vers  ont  été  composés  pour  une  croix  ainsi 
figurée  sur  un  sarcoj)hage  en  marbre,  et  qui  provient  du  ci- 
metière du  Vatican  ^  Saint  Paulin  dit  encore: 

Toile  crucem  qui  vis  au  ferre  coronani. 

Si  l'intention  allégorique  est  incertaine  dans  les  exemples 
qui  précèdent,  elle  ne  saurait  être  douteuse  dans  la  croix  sui- 

^  Voyez  les  œuvres  de  saint  VauVin,  Epistola  XII  ad  Severum,  etBosio,  Rom.  sotterr. 
p.  79.  —  En  fait  d'interprétations  allégoriques,  l'imagination  a  devant  soi  une 
carrière  immense;  nous  nous  arrêterons  donc  ici,  et  nous  renverrons,  pour  plus  de 
détails,  à  la  quatrième  partie  tout  entière  de  la  Rom.  sotlerr.  surtout  à  commencer  du 
chapitre  xu.  Nous  n'adoptons  pas  les  idées  de  Bosio;  mais  nous  n  en  recommandons 


liOO  INSTRUCTIONS. 

vante,  qui  est  pattée,  inscrite  dans  un  cercle  et  cantonnée  de 
quatre  livres  ouverts ,  dont  chacun  est  lui-même  inscrit  dans 
une  auréole  circulaire.  Nous  avons  déjà  vu  plusieurs  dessins 
OLi  Jésus-Christ,  renfermé  dans  une  auréole,  soit  elliptique, 
soit  circulaire,  est  accompagné  des  attributs  des  quatre  évan- 
gélistes;  ici  le  Christ  est  représenté  par  sa  croix  et  les  évangé- 
listes  par  leur  évangile. 

lOO.  CROIX  CANTONNÉE  DES  QUATRE  EVANGILES. 

Fresque  des  Catacombes,  premiers  siècles. 


Non-seulement  la  croix  est  accompagnée  d'ornements  et  de 
signes,  mais  elle  en  est  entrelacée  pour  ainsi  dire.  Le  mono- 
gramme du  Christ,  le  chi  (x)  et  le  rho  (P)  de  Xç^a■%<; ,  le 
iota  (l)  de  'l'ua-ovç ,  se  combinent  ensemble  et  donnent  en  ré- 
sultat des  croix  grecques,  des  croix  romaines,  des  étoiles  à 
six  branches  égales  ou  inégales.  Ces  croix  sont  libres  ou  ins- 
crites dans  des  médaillons  circulaires  et  quelquefois  carrés. 
Dans  la  planche  suivante ,  composée  de  six  monogrammes 
cruciformes ,   le  chi  est  en  croix  de  Saint-André. 

pas  moins  l'attention  la  plus  minutieuse  sur  tout  ce  qui  concerne  le  symbolisme.  C'est 
une  grave  question,  la  plus  délicate  de  l'archéologie  nationale,  que  celle  du  symbo- 
lisme chrétien;  elle  a  besoin,  pour  être  résolue,  de  s'appuyer  uniquement  sur  les  faits. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE. 


401 


lOl.  CROIX  DIVERSES  A  FORME  GRECQDE. 

Sculpture  des  anciens  sarcophages,  premiers  siècles. 


Aux  cinq  premiers  numéros,  le  rlio  coupe  verticalement  le  chi 
au  point  où  les  deux  branches  s'intersectent.  On  a  ainsi  les 
deux  premières  lettres  de  xpi2T02.  Les  monogrammes  des 
n°'  2,  3  et  4  sont  libres,  et  le  n°  3  n'est  composé  que  du  X 
et  du  P;  le  n''  2  est  accompagné  des  palmes  qui  désignent 
probablement  le  triomphe  et  la  gloire  ;  le  n*'  4 ,  comme  le  n°  1 , 
se  complète  par  l'A  et  l'O  qui  signifient  que  le  Christ  est  le 
commencement  et  la  fm  de  tout.  Le  n°  5  est  inscrit  dans  un 
médaillon,  mais  les  rayons  de  cette  roue  mystique  touchent 
à  la  circonférence  et  se  confondent  avec  elle,  tandis  que  ceux 
du  n°  6  n'y  adhèrent  pas.  En  outre,  cette  dernière  figure 
n'offre  plus  un  rho,  mais  un  iota,  qui  est  la  première  lettre 
de  'ha-ov^  comme  le  chi  est  la  première  de  XeAo-%ç.  Ce  sixième 
monogramme  est  donc  plus  complet;  les  précédents  ne  disent 
que:  Christ,  et  celui-là  dit:  Jésus-Christ. 

La  planche  suivante  a  été  prise  sur  un  chapiteau  de  Saint- 
Démétrius,  à  Salonique;  elle  offre  un  exemple  qui  serait  en- 
tièrement semblable  à  celui  du  n°  6,  si  les  rayons  étaient 
libres  et  n'étaient  pas  tangents  à  la  circonférence. 


INSTRUCTIONS.  II. 


402 


INSTRUCTIONS. 


102.    —    C1\0IX  GRECQUE    OU    ETOILE,    A     SIX     BRANCHES     EGALES- 
Sculpture  de  Saint-Déniélrius,  à  Salonique,  iv°  siècle. 


L'iota  et  non  le  rho  coupe  le  clii;  mais  les  six  rayons  vien- 
nent aboutir  à  la  circonférence.  Ces  six  rayons  sont  circons- 
crits dans  un  cercle;  plus  bas,  on  les  a  dans  un  carré,  et  avec 
cette  variété  que  le  chi  ne  coupe  pas  l'iôta  en  deux  parties 
égales  ;  le  pied  de  cet  iota  est  plus  long  que  le  sommet. 

105.  CROIX  GRECQUE  À   SIX  BRANCHES  INEGALES. 

Sculpture  de  Salonique,  iv^  siècle. 


Dans  les  exemples  précédents,  le  clii  conserve  sa  disposi- 
tion naturelle  de  croix  de  Saint-André,  de  croix  en  sautoir; 
dans  les  exemples  qui  suivent,  au  contraire,  le  chi  devient 
une  croix  véritable  à  fût  vertical  et  à  traverse  horizontale. 
D'ailleurs ,  au  lieu  de  six  branches  pour  le  X  et  le  P,  il  n'y  en 
a  plus  que  quatre;  le  montant  vertical  du  X  se  recourbe  et 
devient  un  rho.  Le  monogramme  se  resserre  davantage;  on 
économise  les  lignes. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE. 


'i03 


iOà-  DIVERSES  CROIX  DE  FORME  LATINE   ET  GRFCOUE 

Monuments  des  Catacombes ,  premiers  siècles. 


A 


CO 


10 


Le  n''  12a  la  forme  de  la  croix  pectorale  des  évêques.  Les 
n°'  9  et  10  donnent  la  croix  grecque,  dont  l'une  est  libre  et 
l'autre  inscrite  dans  un  cercle;  le  disque  du  n°  9,  ainsi  timbré, 
rappelle  entièrement  le  nimbe  crucifère.  Le  n°  7  donne  éga- 
lement le  disque  partagé  par  une  croix;  mais  les  branches  de 
cette  croix  n'atteignent  pas  la  circonférence,  et  le  montant 
vertical  s'arrondit  en  rho  (  P  ).  Comme  aux  n"'  1  et  4,  l'A  et 
l'O  accompagnent  le  n°  8.  Le  1 1  olïi e ,  en  outre,  un  N  que 
traverse  le  pied  de  la  croix,  qui  doit  être  l'initiale  de  Noster, 
et  qui  donne  à  ce  monogramme  le  sens  de  xristos  noster  \ 
Nous  avons  complété  cette  qualification  par  celle  de  :  Notre- 
Seigneur  Jésus-Christ.  L'exemple  suivant  nous  donne  le  mo- 
nogramme combiné  avec  la  croix,  mais  cette  croix  est  tenue 
par  un  jeune  néophyte,  comme  une  espèce  d'étendard;  c'est 
un  labarum ,  en  quelque  sorte. 

'  Ces  monogrammos  élanl  d'origine  grecque,  les  Latins  ne  les  ont  abandonnés  ou  mo- 
diiiés  par  la  forme  des  lettres  de  leur  alphabet  que  très-tard.  Dans  les  Catacombes  et  les 
mosaïques ,  les  monogrammes  du  Christ  et  de  la  Vierge  sont  en  lettres  grecques  :  I  C 
X'Cet  M"?  e"T.  L'alpha  et  l'oméga  ont  persislé  jusqu'à  nos  jours  dans  nos  contrées.  Au 
xiii'  siècle,  à  Charires,  on  a  écrit  en  latin  le  nom  du  Christ;  mais  les  deux  premières 

5i. 


404 


INSTRUCTIONS. 

105.  MONOGRAMME  UNI  À  LA  CROIX. 

Sculpture  des  Catacombes,  premiers  siècles. 


/'3).e 

^     i 

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1 

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i    ^"""'::^^l 

&       -    -  j 

Enfin  des  inscriptions,  des  ornements  allégoriques,  plus 
nombreux  encore  que  ceux  qu'on  vient  de  voir,  accompagnent 
la  croix  et  développent  les  faits  et  les  idées  que  ce  symbole 
rappelle.  Un  cachet  chrétien  ,  dont  on  donne  ci-dessous  le 
dessin  grossi  à  la  chambre  claire,  est  gravé  d'une  croix  en  tau 
(t);  le  chi  (x)  traverse  la  hampe  du  tau  qui  s'arrondit  en 
rho  (P)  par  le  haut.  Le  nom  du  Christ  et  la  forme  de  sa  croix 
sont  résumés  dans  ces  hgnes.  Le  Christ,  fds  de  Dieu,  est  le 
commenceuient  et  la  fm  de  tout  ;  l'A  et  f  O ,  commencement 
et  fm  des  signes  intellectuels  et,  par  extension,  de  l'intelli- 
gence même  et  de  famé  humaine,  escortent  la  croix,  à  droite 
et  à  gauche.  La  croix  a  écrasé  et  dompté  Satan ,  le  serpent 
antique  ;  le  serpent  s'enroule  donc  et  s'enchaîne  au  pied  de 
la  croix.  Cet  ennemi  du  genre  humain  cherche  à  faire  périr 
fâme,  qui  est  représentée  sous  la  forme  d'une  colombe;  mais 

lettres  sont  grecques,  la  troisième  et  la  quatrième  peuvent  être  grecques  ou  latines  in- 
différemment, et  les  deux  dernières  sont  exclusivement  latines  :  xpitvs.  On  a  omis 
le  premier  sigma.  Ici  le  monogramme  de  Christ  est  grec  de  même,  tandis  que  celui  de 
l'adjectif  nostcr  est  latin.  Dans  l'évangéliaire  de  la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  cité  plus 
haut,  page  278,  le  premier  des  quatre  vers  que  nous  avons  transcrits  offre  Dominam  en 
latin  et  Christam  en  grec  : 

.  ..Qualuoi- DOM  signant  auimali  a  xpii. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  405 

la  colombe ,  toute  menacée  qu'elle  est,  regarde  la  croix  d'où 
lui  vient  sa  force,  et  qui  la  sauve  du  venin  de  Satan.  Le  mot 
SALUS,  écrit  sous  le  sol  qui  porte  la  croix  et  les  colombes,  est 
le  cbant  de  triomphe  qu'entonne  le  chrétien  fidèle  en  l'hon- 
neur de  Jésus  et  de  la  croix. 


106.  CROIX  MYSTIQUE. 

Pierre  gravée,  premiers  siècles. 


La  croix  qui  suit  est  une  autre  croix  triomphante.  Placée 
au  milieu  des  étoiles  du  ciel ,  cette  croix  s'appuie  sur  la  même 
inscription  salus,  que  complète  le  mot  mundi  et  qu'entoure 
un  cercle  resplendissant  de  pierreries  ;  elle  est  toute  constel- 
lée elle-même  de  pierres  précieuses  ^  Trois  autres  inscriptions 
aboutissent  à  chaque  extrémité  des  branches  comme  salus 
MUNDI  à  l'extrémité  du  pied;  en  voici  la  disposition.  Au-dessus 

^  C'est  bien  la  cr-oix  gemmée,  la  croix  constellée,  la  croix  fleurie,  criix  gemmata, 
crux  steUala,  criix jlorida ,  comme  on  la  désignclorsqu'elle  est  richement  décorée.  (Voyez 
dans  la  Rom.  sotl.  p.  x3i,  un  bel  exemple  de  croix  gemmée  et  fleurie,  avec  l'A  et  Vil 
pendus  par  des  chaînettes  aux  croisillons.)  Rhaban  Maur  dit,  comme  inlerprétalion  de 
sa  seizième  figure  relative  à  la  croix  :  «  Descripsi  ergo  hic  florigebam  crucem  quatuor 
«  colorihus  prœcipuis,  id  est  hyacintbino,  purpureo,  byssino  et  coccineo,  ut  floris  illius 
«jucundissimi  decorem  demonstrarem ,  quem  prophetica  loculio  narrât  de  slirpe  regia 
«  exortum  ,  qui  speciosus  prœ  fdiis  hominum  exislens,  omnium  virtutum  decorem  in 
H  semetipso  ullra  omnes  mirabililer  ostendit.  »  —  Pdiaban,  on  le  voit,  se  prononce  for- 
mellement pour  la  beauté  du  Christ.  Il  termine  par  les  mots  suivants  ce  même  pas- 
sage :  «Homo  Clirislus  Hiesusinler  homines  nalus  sercnus  resplendebal,  quia  lotius  de- 
«  coris  pulchritudine  i.nïds  fouisque  plenus  erat.  »  (Voyez  les  œuvres  de  Uliab.  Maur, 
vol.  I,  p.  3i3,  de  Laud.  Sanctœ  Crucis.) 


/j06  instructions. 

du  sommet,  dans  le  ciel,  on  lit  1.  M.  D.  V.  C.  On  interprète 
ces  sigies  d'une  façon  plus  ou  moins  plausible  par:  «  Immolalio 
«Domini  Jesu  Cbristi.  »  Mais  de  cette  façon  on  ne  rend  pas 
compte  du  V  ou  de  l'Y,  si  réellement  c'est  un  V  ou  un  Y  et 
non  pas  un  P;  d'ailleurs  on  donne  deux  lettres  pour  le  pre- 
mier mot  et  une  seulement  pour  les  trois  autres.  Cette  ins- 
cription relative  au  dévouement  d'un  Dieu  devait  être  pla- 
cée dans  le  ciel  plutôt  que  sur  la  terre.  Sur  terre,  c'est-à-dire 
au  pied  de  la  croix,  qui  plonge  vers  notre  globe ,  on  lit  :  «  Salus 
«  mundi ,  »  parce  que  la  croix  a  sauvé  le  monde.  Enfin  le  Christ, 
qui  dans  son  immense  cbarité  a  embrassé  l'univers,  le  monde 
ancien  et  le  monde  futur,  depuis  la  création  jusqu'à  la  fin  des 
siècles  ,  le  Christ ,  qui  a  racheté  les  patriarches  et  les  apôtres, 
les  prophètes  et  les  saints,  le  premier  homme  comme  le  der- 
nier, méritait  bien  que  la  croix,  où  se  sont  étendus  ses  bras, 
fût  marquée  de  l'A  et  de  fO,  qui  représentent  le  commence- 
ment et  la  fin  de  tout. 

'  C'est  d'après  une  gravure,  infidèle  peut-êlre,comn:ie  il  est  fort  à  craindre,  et  non  d  après 
ie  monument  lui-même,  que  celle  croix  a  été  dessinée.  Ciampini  [Vet.  mon.  pars.  i% 
lab.  2/1  ) ,  qui  la  donne  ,  explique  les  cinq  lettres  comme  on  vient  de  le  dire  et  ne  remarque 
pas  que  le  V  ou  l'Y  contrarie  son  explication.  Gori  [Thés.  vet.  diptj.  t.  III,  p.  22)  a  fait 
graver  cette  crcix  de  Ravenne;  il  remplace  les  cinq  lettres  latines  de  Ciampini  par  les 
cinq  lettres  grecques  IX0YC,  qui  forment  le  mol  célèbre  sur  lequel  nous  nous  sommes 
longuement  appesanti.  Si  Gori  a  bien  lu,  ce  fait  est  de  la  plus  baute  importance.  Je  re- 
grette vivement  de  n'avoir  pas  vu  de  mes  yeux  ce  curieux  monument.  J'ai  demandé  des 
renseignements  sur  celte  mosaïque  à  M.  l'abbé  Lacroix,  clerc  national  à  Rome,  et  cor- 
respondant historique.  M.  Lacroix,  qui  a  fait  une  élude  particulière  de  Saint-Apollinaire 
in  claae,  où  est  la  mosaïque,  a  dessiné  cette  croix  avec  le  plus  grand  soin;  il  m'a  ré- 
pondu qu'il  y  avait  réellement  IX0YC,  ainsi  que  Gori  le  déclare.  Ce  fait  avance  beau- 
coup la  question  de  savoir  si  le  Christ  a  élé  figuré  par  le  poisson.  M.  Lacroix  vient 
encore  de  m'envoyer  le  dessin  d'un  monument  découvert  récemment  par  lui  sur  la 
colline  du  Vatican  ,  derrièie  Saint-Pierre;  c'est  un  marbre  funéraire  des  premiers  siècles 
de  notre  ère.  Au-dessus  de  deux  poissons  qui  se  regardent ,  on  lit  :  IX0YC  •  ZCONTCON  , 
c'est-à-dire  hjaois  Xpia^às  &eov  Tios  2coT);p  ZwvTcor,  Jésus-Christ,  fils  de  Dieu,  sauveur 
des  vivants.  Il  faut  se  rendre,  après  de  pareils  l'ails  qui  tranchent  la  question,  el  croire 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE. 


407 


107.  CROIX  CONSTELLEE. 

Mosaïque  de  Ravenue,  à  Saial-ApolUnaire  in  classe,  vi''  siècle  '. 


La  croix  est  donc  bien  le  symbole  de  Jésus;  c'est  le  Christ 
sous  les  apparences  du  gibet  où  il  est  mort.  Aussi  nous  la  voyons 
qualifiée  comme  le  Christ  lui-même.  Jésus,  dans  l'Evangile, 
a  dit  :  «  Je  suis  la  lumière  du  monde  ;  je  suis  la  voix,  la  vérité 
et  la  vie.  Celui  qui  croit  en  moi  ne  mourra  point.  »  De  même, 
à  Saint-Pierre  du  Dorât,  on  lit  au-dessus  d'une  croix  escortée 
de  l'A  et  de  l'O,  ces  quatre  mots:  Lvx.  Pax.  Lex.  Rex^  La 
croix  éclaire,  comme  Jésus-Christ  qui  a  lui  dans  les  ténèbres; 
la  croix  apaise  et  règle  les  passions,  elle  gouverne  et  dirige 
dans  la  route  du  devoir;  elle  est  le  flambeau,  la  paix,  la  loi 
et  le  guide. 

Ces  quatre  mots  Lvx,  Fax,  Lex,  Piex,  sont  écrits  en  croix 
comme  dans  le  n°  1  du  dessin  suivant ,  mais  avec  une  variante. 

que  décidément  le  Christ  a  été  figuré,  sinon  symbolisé  par  le  poisson.  M.  Lacroix  a 
compté  quatre-vingt-dix  neuf  étoiles  dans  le  champ  où  brille  la  croix  de  Ravenne;  il  pense 
que  ce  nombre  pourrait  désigner  les  quatce-vingl-dix-neuf  justes  au  sujet  desquels  il  y 
a  moins  de  joie  dans  le  paradis  que  pour  la  conversion  d'un  seul  pécheur.  Nous  adop- 
terions difficilement  cette  interprétation.  Au  reste  notre  dessin  ne  donne  que  quarante 
et  une  étoiles  ;  mais  rien  n'est  plus  inexact  qu'un  dessinateur. 

'  C'est  à  celle  croix  entourée  d'élo'les  qu'on  peut  appliquer  celte  exclamation  de 
l'empereur  Iléraclius  :  «0  crux  splendidior  cunclis  aslris  !  »  qu'on  chaule  encore  dans 
les  offices  de  l'Eglise  (Voyez  la  Légende  dorée,  de  Exalt.  S.  Crucis). 

^  Celle  inscription,  que  me  communique  M.  de  Guilhermy,  est  du  xif  siècle.  Elle  est 
gravée  sur  le  mur  septentrional  de  l'église  du  Dorai.  Elle  surmonte,  comme  on  a  dit, 
une  croix  grecque  accompagnée  de  l'A  et  de  l'i^  ;  mais,  sous  celle  croix,  on  lil  une  autre 
inscription  où  les  fidèles  se  recommandent  à  la  protection  de  Dieu  et  à  )a  garde  des  anges. 


408  INSTRUCTIONS. 

Dans  le  cliamp  de  cette  croix  grecque  on  lit,  disposés  éga- 
lement en  croix  :  Lvx.  Dvx.  Lex,  Rex.  Ainsi  Dux  est  substitué 
à  Pax.  Enfin  le  tombeau  de  S.  Angilbert,  gendre  et  pair  de 
Gbarlcmagne,  septième  abbé  de  Saint-Riquier,  portait  gra- 
vés sur  les  quatre  côtés  de  la  dalle  ces  quatre  vers,  qui  com- 
mencent et  finissent  par  les  quatre  mots  du  Dorât,  et  qui  en 
donnent  l'explication. 

Rex,  requiem  Angilberto  da,  Pater  atque  pius  Rex; 
Lex  legiim  ,  vitam  aeternam  illi  da ,  quia  tu  Lex. 
Lux,  lucem  semper  concède  illi,  bona  qui  es  Lux; 
Pax,  pacem  illi  perpctuam  dona ,  es  quoniam  Pax^ 

108. DIVERSES  CROIX  X  FORME  GRECQUE  ET  LATINE. 

Monuments  français,  différents  siècles*. 


Ainsi  la  croix,  comme  le  Christ,  comme  Dieu  lui-même,  nous 
éclaire  et  nous  guide,  et  nous  pouvons  en  dire  ce  que  saint 

'  Act.  SS.  ord.  S.  Bened.  iv"  siècle  bénédictin,  impartie.  Vie  de  saint  Angilbert. 

'  On  a  réuni  dans  celle  planche  quelques  variétés  de  croix  ;  mais  il  y  en  a  une  foule 
d'autres  qu'il  était  impossible  de  donner.  On  doit  faire  allenlion  ,  dans  un  pareil  sujet , 
aux  plus  petites  différences  dans  la  forme  ,  parce  que  ces  diflérenccs  sont  caractéris- 
tiques d'une  époque   d'un  pays,  d'une  idée.  Le  n"  1  donne  la  croix  du  Dorât.  Le  2  sert 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  409 

Paul  a  dit  de  Dieu:  «  Nous  sommes,  nous  vivons  et  nous  agis- 
sons en  elle  ».  C'est  ainsi  que  Dante  Ta  compris;  il  nous  a 
montré  dans  son  Paradis  les  âmes  des  justes  agenouillées  et 
priant  dans  une  croix  de  feu  où  elles  respirent,  où  elles  de- 
meurent et  qui  fait  leur  monde.  Voici  le  dessin  de  cette  croix 

d'antéfîxe  ou  de  couronnement  de  pignon  au  chevet  de  l'église  romane  d'Olizy,  près  de 
Reims.  Le  n"  3  est  une  croix  paltée ,  à  croisillons  recroisés  et  à  sommet  en  tau.  Le  u°  k 
est  une  baie  ouverte  dans  le  mur  oriental  de  l'abside,  à  l'église  de  Beine,  arrondissement 
de  Reims.  Le  chevet  de  cette  église  de  Beine  est  carré ,  comme  celui  de  la  cathédrale  de 
Laon;  mais  la  rose,  ouverte  en  plein  cercle  dans  la  cathédrale  de  Laon,  prend  à  Beine 
la  forme  d'une  croix.  Le  n°  5  reproduit  à  peu  près  le  dessin  d'une  pierre  sépulcrale  incrus- 
tée dans  le  mur  méridional  de  Saint-Maurice  de  Reims.  Une  inscription  funéraire,  d'une 
certaine  valeur  archéologique,  est  gravée  sur  les  quatre  branches  de  cette  croix;  on  lit  en 
haut:  HIC  jacet  arma;  à  gauche:  mater;  adroite:  matertera  ;  en  bas:  neptis.  Le  n°  6 
donne  la  croix  de  Malte.  La  croix  du  n°  7  est  gravée  sur  le  linteau  d'une  chapelle  de  Pont- 
faverger,  près  de  Reims.  Le  n°  8  reproduit  la  forme  d'une  croix  pectorale  sculptée  sur  la 
poitrine  d'une  statue  de  femme  ,  en  bois,  de  l'époque  romane,  peut-être  du  x°  siècle,  qui 
existait  dans  le  clocher  de  l'église  rurale  de  Binson  ,  où  M.  Hippolyte  Durand  et  moi  l'avons 
trouvée  en  iSSy.  Celle  statue  de  bois,  haute  de  deux  mètres,  est  la  plus  ancienne  qui 
existe  en  France.  Le  propriétaire  de  l'église  pourrait  conserver  avec  plus  de  soin  cette  cu- 
rieuse figure.  Le  n°  9,  qui  n'est  pas  ici  à  sa  place,  donne  un  exemple  de  ces  feuilles  en 
cœur  si  fréquentes  sur  les  sarcophages  et  qui  accompagnent  les  inscriptions  funéraires;  il 
appai'tient  au  paragraphe  où  nous  avons  parlé  des  diverses  représentations  figurées  sur 
les  tombeaux,  et  auxquelles  il  faut  attribuer  avec  sobriété  une  intention  allégorique.  Les 
huit  variétés  de  croix  données  par  notre  planche  sont,  bien  qu'exceptionnelles,  assez 
fréquentes  en  France.  Les  n°'  2,  3,  A,  5  et  y  appartiennent  tous  à  l'arrondissement  de 
Reims.  Il  y  aurait  un  certain  intérêt  à  recueillir  ainsi  dans  tous  les  départements  et 
arrondissements  de  la  France  les  variétés  de  croix  qu'on  pourrait  trouver.  Rien  n'est 
à  omettre  ni  mépriser,  surtout  à  l'égard  d'une  figure  aussi  importante  en  iconographie 
que  la  croix  de  Jésus-Christ.  La  forme,  la  couleur,  les  ornements  qui  décorent  ou 
accompagnent  le  gibet  divin  doivent  être  étudiés  avec  un  soin  minutieux.  M.  Tournai 
vient  de  m'envoyer  le  dessin  d'un  très-ancien  bas-relief  trouvé  récemment  à  Narbonne 
et  où  sont  figurés  deux  personnages  ,  l'un  assis  et  l'autre  debout ,  tenant  une  croix  pattée 
et  gemmée.  A  la  cime,  deux  colombes  se  désaltèrent  dans  un  vase;  aux  croisillons, 
pendent  l'A  et  l'îi  ;  deux  rosaces  épanouies  ou  deux  étoiles  rayonnent  entre  le  sommet 
et  la  traverse  ;  un  dragon  semble  expirer  aux  pieds  du  personnage  assis  ;  une  rosace  à 
huit  pétales ,  deux  cercles  et  un  carré  sont  semés  à  la  gauche  de  la  croix.  On  peut  donner 
pour  tout  cela  des  explications  symboliques  fort  probables ,  même  pour  ceux  qui ,  comme 
nous,  restreignent  beaucoup  le  symbolisme. 

INSTRUCTIONS. II.  5a 


410  INSTRUCTIONS. 

habitée ,  tel  qu'il  se  trouve  dans  la  Divine  comédie  imprimée 

à  Florence^  en  1491. 


109.  CROIX   HABITEE. 

Gravure  florentine  de  ligi. 


;P'X>'    ^  ^     ■¥:    ^  ^  ^  -^ 


Cette  croix  brille  d'un  éclat  bien  plus  vif  que  les  soleils  et 
les  constellations  de  toute  espèce  au  milieu  desquels  on  la  voit. 
Dante  explique  ainsi  le  sujet.  Arrivé  avec  Béatrice  dans  la 
planète  de  Mars^,  le  poëte  s'écrie  :  «Des  splendeurs  m' appa- 
rurent si  éblouissantes  et  si  rouges  entre  deux  rayons,  que  je 
dis  :  0  Hélios,  combien  tu  les  ornes  !  Gomme,  toute  semée  de 
grandes  et  de  petites  lumières,  Galaxie^  étend,  entre  les  deux 
pôles  du  monde,  une  ligne  si  blanche  qu  elle  remplit  de  doutes 
les  plus  savants;  ainsi  ces  rayons  constellés  composaient,  dans 
la  profondeur  de  Mars ,  le  signe  vénérable  ''  que  forme  dans  le 

Ce  Dante  est  tout  rempli  de  curieuses  gravures;  c'est  au  Paradis,  fol.  271  ,  qu'on 
trouve  la  croix  habitée. 

*  Paradis ,  chant  xiv. 
^  La  voie  lactée. 

*  La  croix. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  411 

cercle  la  jonction  des  cadrans .  .  .  Sur  cette  croix  resplendis- 
sait le  Christ. .  .  .  D'un  côté  à  l'autre  de  la  croix ,  et  entre  la 
cime  et  la  base ,  se  mouvaient  des  lumières ,  scintillant  avec 
force  lorsqu'elles  se  rejoignaient  et  lorsqu'elles  passaient 
outre.  Ainsi  l'on  voit  sur  terre  des  atomes  volant  en  ligne 
droite  ou  courbe,  agiles  ou  lents,  changeant  sans  cesse  d'as- 
pect, se  mouvoir  dans  le  rayon  qui  souvent  traverse  l'ombre 
que,  par  son  intelligence  et  son  art,  l'homme  s'est  ménagée 
contre  la  chaleur.  Tel,  par  un  ciel  tranquille  et  pur,  court 
deçà  et  delà  un  feu  subit  qui  attire  nos  yeux  jusqu'alors  in- 
différents, et  semble  une  étoile  qui  change  de  place,  sinon 
que,  du  côté  où  elle  s'allume  et  dure  peu,  nulle  clarté  ne  s'é- 
teint; tel,  de  l'extrémité  droite  jusqu'au  pied  de  la  croix,  cou- 
rut un  astre  ^  de  la  constellation  qui  resplendit  dans  ce  ciel. 
Et  le  diamant  ne  se  détacha  point  de  son  fd,  mais  il  parcou- 
rut la  ligne  radieuse,  et  sembla  un  feu  derrière  de  l'albâtre... 
Je  te  supplie,  vivante  topaze  qui  enrichis  ce  précieux  joyau ^ 
de  m'instruire  de  ton  nom  ^  » 

Cette  sainte  lueur  était  l'âme  de  Cacciaguida.  Elle  parle  lon- 
guement à  Dante  de  ses  ancêtres  et  de  la  destinée  qui  attend 
le  poëte.  Puis,  au  chant  xviii,  elle  ajoute  :  «Sur  cette  cin- 
quième branche  de  l'arbre  qui  se  vivifie  par  la  cime ,  donne 
toujours  des  fruits  et  ne  perd  jamais  ses  feuilles  ^  sont  des 
esprits  heureux  qui  là-bas,   avant  de  venir  au  ciel,   furent 

'  C'est,  comme  s'exprime  le  traducteur,  l'ombre  de  Cacciaguida,  le  trisaïeul  du 
poëte.  Il  fallait  dire  plutôt  l'âme  ou  la  lueur  de  Cacciaguida  ;  car  il  n'y  a  pas  tVombres 
dans  le  Paradis  de  Dante  ,  où  tout  est  feu  et  flamme.  En  enfer,  les  damnés  sont  des 
ténèbres;  les  patients  sont  des  ombres  en  purgatoire,  et  les  glorieux  sont  des  lumières  en 
paradis.  Telle  est  la  progression  que  Dante  suit  avec  une  intention  marquée. 

*  Cette  croix  de  feu. 
'  Paradis,  chant  xv. 

*  C'est-à-dire  la  planète  de  Mars,  cinquième  division  du  Paradis. 

5a. 


li\2  INSTRUCTIONS. 

d'un  si  grand  renom ,  que  toute  muse  s'cnricliirait  de  leurs 
actions.  Donc,  regarde  aux  bras  de  la  croix  ;  ceux  que  je  te 
nommerai  à  cette  heure  feront  ce  que  dans  la  nue  fait  son  feu 
rapide.  Je  vis  sur  la  croix  passer  une  lumière  du  nom  de 
Josué,  dès  quil  feut  nommé;  et  le  nom  ne  me  fut  pas  connu 
plus  promptement  que  son  passage.  Et  au  nom  du  grand  Ma- 
chabée,  je  vis  se  mouvoir  une  autre  lumière  tournoyante,  et 
la  joie  était  le  fouet  de  cette  toupie  céleste.  Ainsi,  pour  Char- 
lemagne  et  pour  Roland,  mon  regard  attentif  suivit  deux 
lueurs ,  comme  l'œil  du  chasseur  suit  le  faucon  dans  son  vol. 
Puis  devant  mes  yeux  passèrent  sur  cette  croix  Guillaume  et 
Richard,  et  le  duc  Godefroi,  et  Robert  Guiscard.  Alors,  se 
mouvant  aussi  et  s'étant  mêlée  aux  autres  lumières ,  celle  qui 
m'avait  parlé  me  montra  quel  artiste  elle  était  parmi  les  chan- 
teurs du  ciel  \  V, 

Ainsi,  parmi  les  douze  petits  êtres  nus  qui  habitent  la 
croix  de  notre  dessin,  et  qui  représentent  les  âmes  des  vail- 
lants guerriers  ,  Dante  nomme  les  huit  qui  occupent  les 
branches  de  la  croix ,  et  qui ,  en  allant  de  gauche  à  droite , 
sont:  Josué,  Judas  Macliabée,  Charlemagne,  Roland,  pour  le 
croisillon  gauche;  Guillaume  le  Conquérant,  Richard  Cœur- 
de-Li on,  Godefroi  de  Bouillon  et  Robert  Guiscard,  pour  le 
croisillon  droit.  Cacciaguida  est  l'une  des  quatre  âmes  innom- 
mées qui  s'agenouillent  dans  la  base  et  le  sommet  de  la  croix. 
Cette  croix  ne  contient  pas  matériellement  le  crucifié ,  et  ce- 
pendant, au  chant  xiv,  Dante  déclare  que  le  Christ  y  res- 
plendit; c'est  qu'en  effet,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  la  croix 
est  le  symbole  de  Jésus.  En  iconographie,  le  fils  de  Dieu  est 
dans  la  croix  comme  dans  fagneau,  comme  dans  le  lion;  il  y 
est  caché  sous  les  apparences  du  gibet  divin.  En  résumé,  une 

Ces  extraits  sont  tirés  de  la  Divine  comédie,  traduite  par  M.  Brizeux. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  413 

multitude  infinie  d'objets  figurent  la  seconde  personne  de  la 
Trinité;  trois  seulement,  l'agneau,  le  lion  et  la  croix  le  sym- 
bolisent. Le  poisson  lui-même  ne  s'élève  pas  à  la  dignité  de 
symbole  divin. 

Pour  faire  ici  l'histoire  complète  de  la  croix ,  il  aurait  fallu 
une  monographie  spéciale;  nous  avons  dû,  en  conséquence, 
nous  limiter  aux  points  essentiels  de  cet  important  sujet.  Nous 
terminerons  par  quelques  mots  seulement  sur  le  signe  de  la 
croix ,  sur  sa  couleur  et  sur  son  triomphe. 


SIGSE    DE    LA    CROIX, 


Ce  signe,  comme  représentation  de  la  croix,  est  de  toute 
antiquité  chrétienne;  de  tout  temps  ce  geste  symbolique  a 
dû  précéder,  accompagner  et  clore  tous  les  actes  et  toutes  les 
pensées  des  chrétiens.  La  croix,  dans  laquelle  «  se  glorifiait  le 
philosophe  saint  Paul,  »  dit  saint  Jean-Chrysostome,  «  chaque 
fidèle  la  portait  suspendue  à  son  cou  ;  on  la  voyait  sur  tous  les 
habits,  dans  les  chambres,  sur  les  lits,  les  instruments,  vases, 
livres,  coupes  et  jusque  sur  les  animaux  mêmes.  »  Saint  Cyrille 
de  Jérusalem,  instruisant  des  catéchumènes,  leur  apprend  à 
tracer  la  croix  sur  le  front,  pour  faire  fuir  et  trembler  Satan, 
et  il  ajoute  :  «Faites  ce  signe  quand  vous  mangez  et  buvez, 
quand  vous  vous  asseyez,  vous  levez  et  vous  couchez;  en  un 
mot,  à  chacune  de  vos  actions.  »  On  lit  également  dans  saint 
Augustin  :  «  Si  dixerimus  catechumeno  :  Credis  in  Christum  .^ 
«  Piespondit  :  Credo,  et  signât  se  cruce.  »  Le  même  Père  ajoute 
ailleurs  :  «  Comme  la  circoncision  dans  la  partie  secrète  du 
corps  humain  était  la  preuve  de  l'ancienne  alliance,  dans  la 
nouvelle,  c'est  la  croix  sur  le  front  découvert.  ^  » 

'  M.  Cyprien  Robert  [Cours  d'hiérocjl.  chrét.)  a  cilé  ces  textes  divers;  nous  y  ajoulerons 
celui-ci  de  TertuUien  [De  cowna  mililis,  cap.  m  j  :  «  Ad  omnem  progrcssum  atque  pro- 


/il4  INSTRUCTIONS. 

On  fait  le  signe  de  la  croix  sur  les  autres  ou  sur  soi-même; 
on  bénit  ou  bien  on  se  signe. 

Dieu  est  la  source  unique  de  toute  bénédiction  ;  aussi  l'a- 
vons-nous  vu,  dans  plusieurs  de  nos  dessins  ^  occupé  sur- 
tout à  bénir.  Par  délégation ,  les  représentants  de  Dieu  sur  la 
terre,  le  pape  et  les  évêcpjes  principalement,  bénissent  les 
hommes.  Les  anges ,  quoique  ministres  de  la  divinité ,  ne  la 
représentent  pas  cependant  au  même  titre  que  le  pape  et  les 
évêques ,  qui  en  sont  les  vicaires  en  leur  qualité  de  succes- 
seurs des  apôtres.  Le  sacerdoce  ne  pouvant  être  exercé  que 
par  des  hommes,  les  anges  ne  sont  pas  et  ne  peuvent  pas  être 
représentés  bénissant.  En  ces  derniers  temps ,  on  a  placé  au 
chevet  de  la  cathédrale  de  Chartres,  sur  la  toiture,  à  la  place 
d'un  ange  ancien  détruit  par  l'incendie,  un  ange  qui  bénit  la 
ville  assise  à  ses  pieds;  c'est  une  faute  contre  la  liturgie  et  contre 
l'iconographie  :  Dieu  et  les  hommes  seuls  peuvent  bénir  ^. 

Les  Grecs  représentent  ordinairement  saint  Jean-Baptiste 
bénissant  avec  la  main  droite,  tandis  qu'il  tient  de  la  gauche 


»niotum,  ad  omnem  adilum  et  exitum ,  ad  vestitum,  ad  calcialum,  ad  lavacrum,  ad 
'i  mensas  ,  ad  lumina ,  ad  cubilia ,  ad  sedilia ,  quacumque  nos  conversatio  exercel ,  fron- 
«lem  crucis  signaculo  terimus.  »  — Terlullien  dit  encore  (De  orntione,  cap.  xii)  :  «  Nos 
«  vero  non  attoHimus  tanlum  manu  s ,  sed  etiam  expandimus  e  dominica  passione  mo- 
«  diîlatum  ,  et  orantcs  confitemur  Chrislo.  » 

'  Nolamment,  pour  ne  rappeler  que  les  premières  gravures,  p.  27,  35,  53,  61,  pi.  2  , 
fi.  17,  21. 

'  Celte  erreur  du  sculpteur  qui  a  fait  l'ange  de  Chartres,  jointe  à  toutes  celles  qui 
se  sont  commises  dans  les  restaurations  de  Saint-Denis,  de  Saint-Germain-l'Auxerrois, 
des  cathédrales  de  Reims  et  d'Avignon,  doit  faire  sentir  à  l'administration  civile  et  à 
l'administration  ecclésiastique  la  nécessité  d'un  conseil  d'antiquaires  et  de  liturgistes 
qui  aient  étudié  l'archéologie  chrétienne  sous  toutes  ses  faces,  et  qui  soient  appelés  à 
donner  des  avis  sur  beaucoup  de  faits  délicats.  Sur  les  vitraux  de  Notre-Dame  de  Reims, 
à  l'ange  qui  symbolise  l'église  de  Soissons ,  l'index  seulement  est  ouvert ,  et  l'ange  de 
l'église  métropolitaine  de  Reims  ouvre  sa  main  tout  entière;  mais  ni  l'un  ni  l'autre  de 
ces  deux  anges  ne  bénit. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  415 

sa  tête,  sa  croix  de  roseau  ou  sa  banderole,  et  qu'il  invite  à  la 
pénitence.  Saint  Jean  est  un  liomme,  un  ministre  de  Dieu,  le 
précurseur  du  Christ;  Dieu  lui  a  délégué  tous  les  pouvoirs  et 
toutes  les  prérogatives  du  sacerdoce.  Il  bénit  donc  à  bon  droit  \ 
Cependant ,  chez  nous ,  saint  Jean  -  Baptiste  est  représenté 
presque  toujours  tenant  l'agneau  de  Dieu  à  la  main  gauche 
et  le  montrant  avec  l'index  de  la  droite  :  cette  main  indique , 
mais  ne  bénit  pas  ^. 

La  bénédiction,  nous  l'avons  déjà  dit,  est  grecque  ou  la- 
tine; elle  se  fait  toujours  avec  la  main  droite,  la  main  puis- 
sante. Dans  l'église  grecque,  on  l'exécute  avec  l'index  entiè- 
rement ouvert,  le  grand  doigt  légèrement  courbé,  le  pouce 
croisé  sur  l'annulaire  ,  et  le  petit  doigt  courbé.  Ce  mouve- 
ment et  cette  direction  des  cinq  doigts  forment  plus  ou  moins 
bien  le  monogramme  du  fils  de  Dieu.  Les  Grecs,  très-ralFi- 
nés  dans  le  mysticisme,  devaient  adopter  cette  forme  de  bé- 
nédiction^. Voici  ce  que  le  Guide  de  la  Peinture,  manuscrit 
byzantin ,  prescrit  au  sujet  de  la  main  divine  figurée  lors- 
qu'elle bénit  :  «Quand  vous  représentez  la  main  qui  bénit, 
ne  joignez  pas  trois  doigts  ensemble;  mais  croisez  le  pouce 
avec  le  quatrième  doigt,  de  manière  que  le  second  doigt, 
nommé  index,  reste  ouvert,  et  que  le  troisième  doigt  soit  un 
peu  fléchi.  A  eux  deux ,  ces  doigts  forment  le  nom  de  Jésus , 
lv)crovC ,  I  C.  En  effet,  le  second  doigt  demeurant  ouvert  in- 
dique un  I  (iota),  et  le  troisième  dessine  par  sa  courbure 
un  C  (sigma).  Le  pouce  se  place  en  travers  sur  le  quatrième 

'  Voyez,  p.  72 ,  pi.  2/i ,  un  saint  Jean  byzantin  cl  venant  du  mont  Hymelle;  le  pré- 
curseur bénit  à  la  manière  grecque. 

'  Voyez,  p.  828  et  829  ,  pi.  83  et  84.  deux  gravures  du  précurseur  latin  ,  qui  indique 
l'agneau  divin  et  ne  bénit  pas. 

^  Voyez  plus  liaut,  p.  6i,  181,  208,  pi.  21,  /ig,  52,  Dieu,  père  et  Uls,  donnanl 
la  bénédiction  grecque. 


416  INSTRUCTIONS. 

doigt,  et  le  cinquième  doigt  se  courbe  aussi  légèrement;  cela 
forme  l'indication  du  mot  Xpia-roC,  XC.  La  réunion  du  pouce 
et  du  quatrième  doigt  figure  un  X  (chi),  et  le  petit  doigt  forme 
par  sa  courbure  un  C  (sigma)  ;  ces  deux  lettres  sont  l'abrégé 
de  Christos.  Ainsi ,  par  la  divine  providence  du  Créateur,  les 
doigts  de  la  main  de  l'homme,  qu'ils  soient  plus  ou  moins 
longs,  sont  disposés  de  manière  à  pouvoir  figurer  le  nom 
du  Christ.  » 

Quant  à  la  bénédiction  latine,  elle  se  fait  avec  les  trois  pre- 
miers doigts  ouverts;  l'annulaire  et  le  petit  doigt  restent  fer- 
més \  Il  paraît  que  cette  disposition  des  doigts  est  symbolique. 
Guillaume  Durand  et  Jean  Beleth  disent  que  cette  façon  de 
bénir  rappelle  la  Trinité,  et  que  les  trois  doigts  ouverts  dé- 
signent les  trois  personnes  divines  ^  Les  deux  doigts  fermés 
figureraient  les  deux  natures  du  Christ ,  divine  et  humaine. 
Les  Grecs ,  nous  allons  le  voir,  ont  développé  ce  germe  de 
symbolisme  et  ont  assigné  chaque  doigt ,  en  le  nommant,  à 
chacune  des  trois  personnes.  Il  ne  serait  pas  impossible  de 
rencontrer  chez  nous,  dans  nos  monuments  d'iconographie 
occidentale,  une  bénédiction  grecque.  Il  faudrait  constater 
avec  le  plus  grand  soin  un  pareil  fait;  car  il  démontrerait  in- 
vinciblement une  influence  byzantine,  indirecte  ou  directe. 
Un  fait  de  ce  genre ,  si  Ton  parvenait  à  le  signaler  dans  les 
monuments  de  notre  pays  que  nous  appelons  byzantins  fort 
gratuitement,  trancherait  la  discussion  et  vaudrait  mieux  que 
toutes  les  dissertations  qu'on  a  déjà  écrites  là- dessus.  On  re- 
commande donc  une  attention  spéciale  sur  ce  point. 

'  Voyez  plus  haut,  p.  212  ,  pi.  54  ,  un  exemple  des  plus  frappants  de  la  bénédiction 
latine  par  une  main  divine. 

"  Guillaume  Durand ,  Rat.  cliv.  ojf.  lib.  V,  cap.  11  ;  Jean  Beleth  ,  Explicatio  divin, 
offîc.  cap.  XXXIX,  De  Evuiujelio. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  417 

Il  paraît  qu'autrefois  les  prêtres  bénissaient  les  hommes  et 
les  choses  avec  trois  doigts  ouverts,  aussi  bien  que  les  évoques; 
mais,  à  une  époque  qui  est  assez  récente,  on  voulut  établir 
une  différence  entre  la  bénédiction  épiscopale  et  la  bénédic- 
tion du  simple  prêtre.  Les  évêques  se  réservèrent  le  droit  de 
bénir  avec  trois  doigts  ;  les  prêtres  ne  le  firent  plus  qu'avec  la 
main  ouverte  tout  entière.  De  plus,  les  évêques  bénissent  de 
face ,  pour  ainsi  dire ,  et  les  prêtres  seulement  de  profd ,  avec 
le  coupant  de  la  main.  Enfin,  pendant  les  cérémonies,  dans  les 
prières  où  les  évêques  font  trois  bénédictions  successives ,  trois 
signes  de  croix,  les  prêtres  n'en  font  qu'une  seule,  un  signe 
unique.  La  bénédiction  épiscopale  est  donc  la  même  que  celle 
du  prêtre,  mais  dans  toute  sa  plénitude.  Il  faut  en  conséquence 
observer  avec  soin ,  en  étudiant  les  monuments  iconographi- 
ques, non-seulement  la  disposition  de  chacun  des  doigts,  mais 
encore  la  direction  de  la  main.  L'archéologie  chrétienne,  pour 
devenir  une  science,  doit  être  scrutée,  comme  la  botanique  et 
toutes  les  sciences  naturelles,  jusque  dans  ses  détails  les  plus 
microscopiques;  c'est  même  seulement  dans  ces  détails  que  la 
science  réside  en  réalité. 

Le  signe  de  la  croix  qu'on  fait  sur  soi  s'exécute  avec  la  main 
droite,  les  trois  premiers  doigts  ouverts,  l'annulaire  et  le 
petit  doigt  fermés.  A  cet  égard ,  il  n'y  a  aucune  différence 
entre  les  Grecs  et  les  Latins.  Guillaume  Durand  dit  qu'on  fait 
le  signe  de  la  croix  avec  trois  doigts  pour  invoquer  la  Trinité. 
Les  Grecs  pensent  de  même,  mais  ajoutent  que  chaque  doigt 
symbolise  une  des  personnes  divines.  L'archevêque  de  Mistra  , 
que  j'interrogeai  à  cet  sujet  S  me  dit  que  le  pouce,  par  sa 
force,  désignait  le  Père  éternel,  le  Créateur,  le  Tout-Puissant; 
que  le  grand  doigt  était  consacré  à  Jésus-Christ ,  qui  nous  a 

^  Lors  d'un  voyage  fait  en  Grèce,  au  mois  de  septembre  i83g. 

INSTRUCTIONS. II.  ^^ 


418  INSTRUCTIONS. 

rachetés  et  qui  est,  relativement  à  riiomme,  la  personne  ma- 
jeure de  la  Trinité;  que  l'index,  intermédiaire  entre  le  grand 
doigt  et  le  pouce,  figurait  le  Saint-Esprit,  qui  unit  le  Fils  au 
Père,  et  qui,  dans  les  représentations  de  la  Trinité,  se  place 
au  milieu  des  deux  autres  personnes. 

Avec  ces  trois  doigts  ouverts ,  on  marque  sur  son  corps  la 
forme  d'une  croix,  en  partant  du  front  pour  descendre  à  la  poi- 
trine et  en  traversant  cette  ligne  verticale  par  une  ligne  horizon- 
tale qu'on  mène  de  fépaule  gauche  à  fépaule  droite.  Les  Grecs 
vont  de  fépaule  droite  à  fépaule  gauche,  et  il  paraît  que  chez 
nous,  au  xiii°  siècle,  du  temps  de  Guillaume  Durand,  on  allait 
indifféremment  d'une  épaule  à  f  autre.  Nous  ne  pouvons  mieux 
faire,  pour  terminer  cet  article,  que  de  traduire  le  texte  de  Du- 
rand; il  résume  tout  ce  qu'on  peut  dire  sur  le  signe  de  la  croix. 

«  Le  signe  de  la  croix  doit  se  faire  avec  trois  doigts ,  jDarce 
qu'on  le  dessine  en  invoquant  la  Trinité.  De  là  le  prophète 
dit  :  «  Il  suspend  avec  trois  doigts  la  masse  de  la  terre.  »  (Isaïe, 
XL ,  12.)  Le  pouce  domine  cependant ,  parce  que  nous  rap- 
portons notre  foi  tout  entière  à  Dieu  un  et  triple.  Aussitôt 
après  f  invocation  de  la  Trinité  ,  on  peut  dire  ce  verset  : 
«  Seigneur,  faites  avec  moi  un  signe  pour  mon  hien,  afin  que 
«  ceux  qui  me  haïssent  le  voient  et  soient  confondus ,  parce 
«que,  Seigneur,  vous  m'avez  secouru  et  consolé.  »  (Ps.  lxxxv, 
V.  17.)  Mais  les  jacohites  et  les  eutichéens,  assurant  qu'il 
n'y  avait  qu'une  seule  nature  dans  le  Christ,  la  nature  di- 
vine, de  même  qu'il  n'y  a  qu'une  seule  personne,  ne  font 
le  signe  de  la  croix,  à  ce  qu'on  dit,  qu'avec  un  seul  doigt. 
Leur  erreur  a  été  déracinée  par  les  canons.  »  (Distinction  xif, 
ch.  I  et  II,  question  3  :  Quelques  eutichéens,  etc.) 

«  Quelques-uns  se  signent  depuis  le  front  jusqu'en  bas,  pour 
exprimer  mystérieusement  que  Dieu,  ayant  abaissé  les  cieux. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  4J9 

descendit  en  terre.  Il  est  descendu  en  effet  pour  nous  élever 
de  la  terre  au  ciel.  Ensuite  ils  vont  de  la  droite  à  la  gauche, 
premièrement,  pour  montrer  qu'ils  préfèrent  les  choses  éter- 
nelles, désignées  par  la  droite,  aux  temporelles,  signifiées  par 
la  gauche;  secondement,  pour  rappeler  que  le  Christ  a  passé 
des  Juifs  aux  Gentils  ;  troisièmement ,  parce  que  le  Christ , 
venu  de  la  droite ,  c'est-à-dire  de  son  père ,  a  vaincu  sur  la 
croix  le  diahle ,  qui  est  désigné  par  la  gauche  ;  d'où  ces  pa- 
roles :  «Je  suis  sorti  de  mon  père,  et  je  suis  venu  dans  le 
«  monde.  »  Mais  d'autres,  faisant  le  signe  de  la  croix  de  gauche 
à  droite ,  s'autorisent  de  ce  texte  :  «  Il  sort  du  Père ,  il  des- 
«  cend  jusqu'aux  enfers  et  revient  au  trône  de  Dieu.  »  En  effet 
ils  commencent  par  se  signer  dans  la  partie  supérieure,  ce  qui 
désigne  le  Père;  puis  ils  descendent  en  bas,  ce  qui  désigne 
le  monde  ;  puis  ils  vont  à  gauche ,  ce  qui  marque  l'enfer,  et 
s'étendent  à  droite ,  ce  qui  signifie  le  ciel  :  car  le  Christ  est 
descendu  du  ciel  en  terre ,  de  la  terre  aux  enfers ,  et  il  est  re- 
monté ensuite  des  enfers  au  ciel ,  où  il  s'assied  à  la  droite  de 
Dieu  le  Père.  Secondement,  ils  font  ainsi  pour  insinuer  que 
nous  devons  passer  de  la  misère  à  la  gloire ,  et  des  vices ,  qui 
sont  désignés  par  la  gauche ,  aux  vertus ,  qui  sont  marquées 
par  la  droite,  ainsi  qu'on  le  lit  dans  févangile  de  saint  Matthieu  : 
«  Le  Christ,  en  effet,  a  passé  de  la  mort  à  la  vie.  «  Troisième- 
ment, parce  que  le  Christ  nous  élève,  par  la  foi  dans  la  croix, 
des  choses  qui  passent  aux  choses  qui  durent  éternellement  ^  » 

'  Guillaume  Durand  ,  Piationale  div.  offic.  lib.  V,  cap.  ii.  —  Jean  Beleth  [Explicalio 
ojfic.  cap.  XXXIX,  De  Evangelio)  s'exprime  à  peu  près  comme  Durand.  J'ai  traduit  litté- 
ralement. On  voit  ce  qu'il  y  a  de  puéril  et  de  laborieux  dans  ces  explications  ;  mais  on 
y  constate  qu'au  xiif  siècle  le  signe  de  la  croix  se  faisait  de  haut  en  bas  et  de  gauclie  à 
droite  ou  de  droite  à  gauche  indifféremment.  Aujourd'hui  les  Latins  vont  de  gauche  à 
droite,  et  les  Grecs  de  droite  à  gauche.  La  prééminence  de  la  droite  sur  la  gauclie, 
dont  nous  avons  parlé  p.  186  ,  est  ici  nettement  développée. 

53. 


420  INSTRUCTIONS. 

Aujourd'hui  cependant  on  fait  le  signe  de  la  croix  sur  soi- 
même  avec  la  main  droite  ouverte  tout  entière  plutôt  qu'avec 
trois  doigts  seulement ^  Mais,  par  contre,  on  se  sert  d'un  seul 
doigt,  du  pouce  uniquement,  pour  tracer  le  signe  de  la  croix 
sur  son  front,  sa  bouche  et  son  cœur  quand,  avant  la  lecture  de 
l'évangile  et  pour  répondre  au  diacre  qui  s'apprête  à  le  chanter, 
on  rend  hommage  à  Dieu  en  s'inclinant  et  en  s'écriant:  «  Gloria 
«  tibi,  Domine!  »  On  fait,  en  forme  de  croix  grecque,  ces  trois 
petits  signes  sur  trois  parties  différentes  du  coi^s,  pour  mar- 
quer qu'on  croit  de  raison  et  de  cœur,  et  qu'on  est  prêt  à  con- 
fesser des  lèvres  la  parole  divine  qu'on  va  écouter. 

C'est  avec  le  pouce  également,  et  en  figurant  une  petite 
croix  grecque,  que  l'évêque  et  le  prêtre  marquent  au  front  ou 
sur  d'autres  parties  du  corps  les  fidèles  auxquels  ils  admi- 
nistrent les  sacrements.  C'est  particulièrement  avec  le  pouce, 
et  en  faisant  une  petite  croix,  que  le  prêtre  étend  sur  notre 
front  la  cendre  qui  nous  rappelle ,  à  l'entrée  du  carême ,  que 
nous  sommes  sortis  de  la  poussière  et  que  nous  devons  y  re- 
tourner. 

CODtEUR    DE    LA    CROIX. 

La  croix  est  historique  et  symbolique,  ou  réelle  et  idéale; 
d'un  côté  c'est  un  gibet,  et  de  l'autre  un  attribut  de  gloire. 
La  croix  historique,  le  gibet  que  le  Christ  porte  sur  ses 

'  «Les  premiers  chrétiens,  dit  M.  Cyprien  Robert,  Cours  d'kiérogly.  chrèt.  déjà  cité, 
ne  se  signaient  point ,  comme  ceux  d'aujourd'hui ,  avec  toute  la  main  et  de  manière  à 
embrasser  la  moitié  du  corps,  mais  simplement  avec  le  premier  doigt  de  la  main  droite; 
et,  comme  font  encore  aujourd'hui  les  Grecs  et  les  Russes,  ils  traçaient  ce  signe  trois 
lois  de  suite,  au  nom  des  trois  personnes  divines.  Chez  les  Hébreux  et  les  païens,  on 
bénissait  déjà  par  trois  doigts  étendus  : 

...  Digilis  tria  tbura  tribus  sub  liniine  ponit.  (Ovide.) 
C  est  pourquoi  la  malédiction  se  répandait  avec  la  main  fermée.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  421 

épaules  en  allant  au  Calvaire  et  sur  lequel  il  est  crucifié ,  est 
un  arbre;  en  conséquence  elle  est  de  couleur  verte.  Sur  les 
vitraux  de  Saint -Etienne  de  Bourges  \  sur  ceux  des  Notre- 
Dame  de  Chartres  et  de  Pieims,  sur  ceux  de  la  Sainte-Chapelle 
de  Paris,  dans  nos  manuscrits  à  miniatures,  la  croix  est  un 
arbre  ébranché,  revêtu  de  son  écorce  verdâtre.  Les  sculptures 
elles-mêmes  confirment  ce  fait;  ordinairement,  quand  elles 
ont  été  peintes,  la  couleur  en  a  disparu;  mais  l'arbre  rond, 
couvert  d' écorce,  farbre  ébranché  y  est  très -visible  encore, 
comme  au  portail  occidental  de  Notre-Dame  de  Reims.  Chez 
les  Pères  et  dans  la  liturgie,  on  trouve  fréquemment  des  invo- 
cations à  la  croix,  arbre  divin ,  arbre  noble  et  dont  nulle  forêt  ne 
pourrait  produire  le  semblable ,  arbre  éclatant  et  précieux,  arbre 
couvert  de  feuilles,  étincelant  de  fleurs  et  chargé  de  fruits  ^ 

La  couleur  verte  persista  même  lorsque  la  croix  fut  équarrie 
et  dépouillée  de  son  écorce  pour  être  transformée  en  gibet  par 
la  hache  du  charpentier.  Ce  n'est  plus  un  arbre,  mais  un  ma- 
drier, une  poutre,  et  cependant  elle  est  verte  encore.  H  y  a 
mieux  :  sur  cette  poutre  ainsi  équarrie,  on  figure  des  rinceaux 
verts  ou  noirâtres,  comme  si  la  croix  était  un  support,  une 
treille  épaisse  où  s'attache  et  se  développe  la  vigne.  Le  raisin , 
qui  donne  sa  liqueur  pour  nourrir  les  hommes,  est  perpétuel- 
lement fimage  de  Jésus-Christ,  qui  verse  son  sang  pour  sauver 
le  monde.  Des  rinceaux  de  vigne  montent  donc  et  se  déroulent 
sur  la  croix  à  laquelle  Jésus  est  attaché  dans  les  vitraux  de  nos 
cathédrales.  Un  vitrail  de  Saint-Denis,  exécuté  sous  les  ordres 
de  l'abbé  Suger,  celui  qui  porte  deux  vers  que  nous  transcri- 

'   Vitraux  de  Saint-Etienne  de  Bourges,  par  MM,  Martin  et  Cahier,  pi.  I,  III,  etc. 

*  Voir  le  Vexilla  régis  prodeunt  et  le  Pange  lingua  du  vendredi  saint,  qu'on  attribue 
à  Fortunat  et  à  Glaudius  Mamert.  Voiries  Poèmes  de  Prudence,  les  Œuvres  de  Pierre 
Damien,  etc. 


'1-22  INSTRUCTIONS. 

rons  plus  bas,  est  particulièrement  remarquable  par  la  beauté 

des  rinceaux  verdoyants  qui  s'étalent  sur  la  croix. 

Probablement,  et  par  suite  de  la  même  métaphore,  la  cou- 
leur verte  teignit  quelquefois  la  petite  croix  symbolique  dont 
le  nimbe  du  Christ  est  orné.  Sur  les  vitraux  de  Bourges,  à  la 
cène  de  Jésus,  au  lavement  des  pieds,  à  la  prise  dans  le  jardin 
des  Oliviers,  à  la  descente  aux  enfers,  etc.  la  croix  du  nimbe 
est  verte.  Cependant,  conmie  cette  petite  croix  est  presque  aussi 
souvent  blanche,  rouge  et  jaune,  le  vert  n'est  peut-être  pas 
allégorique. 

L'arbre  de  la  croix  ayant  été  couvert  du  sang  de  Jésus-Christ , 
cette  verte  écorce  que  nous  venons  de  signaler  a  été  très-souvent 
peinte  en  rouge  :  «  La  croix  rougit  et  se  teint  dans  le  sang  du 
Seigneur,  »  écrit  à  Sulpice-Sévère  saint  Paulin  de  Noie,  qui  met 
ces  paroles  en  inscription  près  de  deux  croix  rouges  ^  Le  sang 
qui  coule  du  corps  de  Jésus ,  le  vin  qui  coule  du  raisin  dont  Jé- 
sus est  le  modèle  éternel,  ont  donc  teint  fréquemment  la  croix 
en  rouge;  nous  ne  pouvons  en  citer  les  exemples,  tant  ils  sont 
nombreux,  surtout  à  partir  du  xiv*"  siècle  jusqu'à  nos  jours ^. 

Quant  à  la  couleur  de  la  croix  idéale,  elle  est  idéale  elle- 
même  :  rouge  comme  celle  de  la  croix  réelle,  par  extension 
métaphorique;  bleue,  parce  que  la  croix  est  céleste;  blanche, 
parce  que  le  blanc  est  la  plus  lumineuse  de  toutes  les  cou- 
leurs, et  que  la  lumière  est  l'image  visible  de  l'invisible  divi- 

'   Voyez  plus  haut,  p.  099,  le  distique  de  saint  Paulin.  Dans  le  Vexilla  régis,  saint 

Forlunat  s'écrie  : 

Arbor  décora  et  fulgida , 
Oriiata  régis  purpura  . 
Electa  digno  stipitc 
Tarn  sancta  membra  tangere. 

'  *  Lisez  plusieurs  textes  recueillis  par  M.  Cahier  [Vitr.  de  S.  Et.  de  Bourges,  p.  49  et 
5o  ) ,  et  où  le  sang  et  le  vin ,  la  vigne  et  le  corps  du  Christ ,  le  pressoir  et  le  Calvaire  sont 
curieusement  mis  en  parallèle. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  423 

nité.  C'est  pour  faire  de  la  croix  un  foyer  de  lumière  qu'on  la 
représente  chargée  de  diamants  et  de  pierres  flamboyantes; 
c'est  pour  l'inonder  de  feux  qu'on  fentoure  d'étoiles,  comme 
à  Ravenne;  mais  même  alors  la  croix  est  plus  brillante  en- 
core que  les  constellations,  et  TEglise  s'écrie  :  «  0  crux  splen- 
«  didior  astris  !  » 


TRIOMPHE   DE   LA    CROIX. 


Comme  le  Christ  lui-même,  la  croix  est  portée  en  triomphe, 
et  les  représentations  de  cette  cérémonie  sont  nombreuses  dans 
nos  monuments  religieux.  On  se  contentera  de  citer  d'abord  une 
sculpture  qui  complète,  au  portail  occidental  de  la  cathédrale 
de  Reims,  l'invention  de  la  croix  par  sainte  Hélène;  puis  des 
vitraux  qui  représentent,  dans  quatre  églises  de  la  ville  de 
Troyes,  la  légende  que  nous  avons  signalée  au  commencement 
de  ce  chapitre.  Mais  en  France,  l'histoire  et  le  triomphe  de 
la  croix  sont  assez  sommairement  traités;  en  Italie,  on  les  a 
figurés  avec  plus  de  détails  ^  En  Grèce,  le  triomphe  ou  fexal- 
tation  de  la  croix  est  l'objet  d'une  prédilection  particulière. 
Il  n'y  a  pas  d'église  qui  ne  possède  une  fresque  ou  un  tableau  à 
l'huile  représentant  ce  sujet.  L'ordonnance  de  tout  le  triomphe 
est  réglée  comme  il  suit  : 

En  bas,  la  terre;  en  haut,  le  ciel.  Sur  la  terre,  une  ville  im- 
mense remplie  de  palais  et  d'églises,  de  tours  et  de  dômes.  La 
ville  représente  Constantinople  ,  au  milieu  de  laquelle  s'étend 

'  Pietro  délia  Francesca  ,  né  à  Borgo-San-Sepolcro ,  peintre  romain  ,  peignit  à  Arezzo, 
pour  Luigi  Bacci,  citoyen  arétin ,  la  chapelle  du  maître-autel  de  San-Francesco.  11  y 
représenta  l'histoire  de  la  croix ,  depuis  le  moment  où  la  graine  qui  produisit  l'arbre 
dont  on  forma  le  gibet  du  Christ  fut  placée  sous  la  langue  d'Adam  par  son  fils  Seth, 
jusqu'à  celui  où  l'empereur  Iléraclius  entra  dans  Jérusalem  en  marchant  pieds  nus  et 
en  portant  sur  son  épaule  l'instrument  du  salut  des  hommes.  Les  ouvrages  de  Pietro 
sont  de  l'an  \l\bS  environ.  (Voyez  sa  vie  dans  Vasari ,  Vies  des  peintres. ) 


42/1  INSTRUCTIONS. 

une  vaste  place  qui  est  riiippodrome.  Des  galeries  à  arcades 
cintrées,  des  estrades  en  bois  sculpté  encadrent  la  place.  La 
foule  occupe  cette  place,  ces  galeries  et  ces  estrades.  Au  mi- 
lieu de  riiippodrome  se  dresse  un  piédestal  gigantesque,  sur 
lequel  est  debout  le  patriarche,  orné  de  la  couronne  en  cou- 
pole comme  celle  des  empereurs  byzantins,  et  du  nimbe 
circulaire  comme  celui  des  saints.  C'est  le  patriarche  de  Jéru- 
salem, saint  Macaire;  il  tient  de  ses  deux  mains  et  présente 
à  l'adoration  du  peuple  une  croix  qui  a  deux  fois  la  grandeur 
d'un  homme.  La  foule,  qui  éclate  en  acclamations,  se  compose 
des  trois  ordres  de  la  société  :  des  militaires,  des  ecclésiasti- 
ques et  du  peuple.  Les  ecclésiastiques,  précédés  du  patriarche 
de  Constantinople,  qui  porte  un  nimbe  comme  saint  Macaire, 
entourent  la  croix;  les  militaires,  en  tête  desquels  s'avancent 
l'impératrice  et  l'empereur,  Hélène  et  Constantin,  sont  à 
droite^;  à  gauche,  c'est  la  foule  des  hommes,  des  femmes,  des 
enfants,  des  vieillards. 

La  croix,  par  son  piédestal,  touche  à  la  terre;  par  son 
sommet,  elle  atteint  le  ciel.  La  foule  qui  peuple  le  ciel  est 
innombrable.  Sur  la  terre  on  voit  l'Église  militante;  dans  les 
nuages  brille  l'Église  triomphante.  A  gauche,  se  déroulent 
les  neuf  ordres  des  anges ,  suivant  la  division  de  saint  Denys 
l'Aréopagite  ;  à  droite ,  on  voit  les  saints  distribués  en  mili- 
taires, ecclésiastiques  et  laïques,  proprement  dits.  Le  ciel  ré- 
pond donc  à  la  terre  par  cette  triple  division  ;  mais  c'est  la  terre 

*  L'empereur  est  nimbé  comme  un  saint,  suivant  l'usage  oriental  et  grec;  nous  en 
avons  parlé  dans  le  chapitre  consacré  au  caractère  du  nimbe ,  page  i33.  Du  reste  Cons- 
tantin est  saint  pour  les  Orientaux ,  absolument  comme  sainte  Hélène.  En  Occident  même 
plusieurs  martyrologes  l'honorent  comme  un  saint  et  marquent  sa  fête  au  22  mai  ;  c'est  le 
21  du  même  mois  que  les  Grecs  la  célèbrent.  Des  gravures  que  j'ai  rapportées  du  mont 
Athos  représentent  Hélène  et  Constantin  tenant  à  gauche  et  à  droite  une  croix  gemmée 
enracinée  dans  le  globe  du  monde.  Hélène  et  Constantin  sont  nimbés  tous  deux  et  por- 
tent autour  de  leur  tête  les  inscriptions  :  H  à'jia  ÈXévr)  -  Ô  dyios  KœvcnavrTvos. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  425 

transfigurée.  Chaque  saint ,  debout  sur  les  nuages ,  presse 
contre  sa  poitrine  une  petite  croix,  miniature  de  celle  que 
Ton  adore.  Au  centre  du  ciel ,  mais  bien  plus  haut  que  les 
anges  et  les  saints,  resplendit  la  Trinité.  Le  Père,  vénérable 
vieillard  couronné  du  nimbe  triangulaire ,  €st  à  gauche.  A 
droite  est  le  Christ,  orné  du  nimbe  sur  les  croisillons  duquel 
on  lit  :  O  ON.  Au  centre,  et  enveloppant  les  deux  autres  per- 
sonnes dans  un  rayonnement  qui  embrase  le  paradis .,  éclate 
le  Saint-Esprit  sous  la  forme  d'une  colombe. 

En  bas,  au  pied  de  la  croix,  un  jeune  diacre  porte  un  flam- 
beau à  trois  branches,  lequel  semble  réfléchir,  sur  un  support 
unique,  les  trois  personnes  divines.  Mais,  de  plus,  le  ciel  est  en- 
core uni  à  la  terre  par  différents  anges  qui  s'abaissent  vers  le 
sommet  delà  croix,  et  qui  s'inclinent  resj)ectueusement  devant 
elle.  Ces  êtres  célestes  composent  à  cette  croix  comme  une  sorte 
de  nimbe,  car  ils  se  rangent  en  couronne  tout  autour  d'elle. 
Chacun  d'eux  porte  un  des  instruments  de  la  passion  :  l'un  tient 
la  lance ,  l'autre  l'éponge  ,  un  troisième  le  marteau  ,  un  qua- 
trième les  clous,  un  cinquième  la  couronne  d'épines;  celui-ci 
montre  la  corde  qui  a  lié  les  mains  de  Jésus,  et  celui-là  le 
fouet  qui  a  déchiré  son  beau  corps.  Des  lumières,  qui  sortent 
du  Saint-Esprit  et  de  la  Trinité ,  qui  s'échappent  du  nimbe 
des  saints,  du  nimbe  et  du  corps  des  anges,  viennent  se  réflé- 
chir vers  la  grande  croix  qui,  à  son  tour,  leur  renvoie  son  éclat. 

Tel  est  ce  triomphe;  fréquemment  peint  dans  les  églises  de 
la  Grèce,  il  en  fait  un  des  plus  beaux  ornements ^  Chez  nous 
le  même  sujet  est  quelquefois  figuré,  mais  avec  moins  de  dé- 
tails et  moins  d'éclat.  Il  n'est  pas  rare ,  comme  la  cathédrale 

*  Sur  les  tableaux  et  gravures  qui  représentent  ce  triomphe ,  on  lit  :  H  Trayxàa-nios 
iipwcris  Toi)  ti(jlIov  crlarjpoï).  J'ai  rapporté  de  Karès ,  capitale  du  mont  Allies,  une  gra- 
vure de  ce  remarquable  sujet. 

INSTRL'CTIONS.  II.  54 


426  INSTRUCTIONS. 

de  Reims  en  oftre  un  exemple  sculpté  ',  de  voir  la  croix  en- 
levée au  ciel  par  des  anges;  mais  le  cortège  qui  accompagne 
le  bois  triomphal  est  beaucoup  moins  nombreux  et  surtout 
moins  complet.  Cependant  il  faut  noter  une  peinture  sur 
verre,  exécutée  au  temps  de  l'abbé  Suger,  et  qui  orne  aujour- 
d'hui l'abside  de  Saint-Denisl  Le  sujet  est  simple,  mais  il  re- 
présente à  la  fois  la  glorification  de  la  croix  et  celle  du  Christ. 
On  voit  une  croix  verte,  historiée  comme  en  fdigrane,  et  à 
laquelle  est  attaché  Jésus.  Le  Père  tient  entre  ses  bras  cette 
croix,  qui  est  placée  sur  un  char  à  quatre  roues,  un  quadrige, 
comme  dit  une  inscription  peinte  au-dessous.  Ce  char  n'est 
autre  que  l'arche  d'alliance  dans  laquelle  la  croix  semble  im- 
plantée, et  où  l'on  voit  les  tables  de  la  loi  et  la  verge  d'Aaron. 
Près  de  chaque  roue  est  comme  attelé  un  des  attributs  des  évan- 
géhstes.  Ce  curieux  tableau  rappelle  entièrement  le  triomphe 
du  Christ  à  Notre-Dame  de  Brou;  mais  là  c'est  plutôt  le  triomphe 
du  crucifié.  D'ailleurs  la  présence  du  Père,  l'absence  du  Saint- 
Esprit,  et  l'arche  d'alliance,  qui  sert  de  piédestal  à  la  croix, 
donnent  à  ce  sujet  un  intérêt  tout  spécial.  On  voit  en  légende 
explicative  le  distique  suivant,  composé  par  Suger  lui-même: 

Federis  ex  arca  cruce   Xpj  sislitur  ara  ; 
Fédère  majori  wlt  {sic)  ibi  vita  mori. 

11  faut,  pour  noter  tous  les  triomphes  dont  la  croix  a  été 
f objet,  rappeler  ces  croix  dont  les  ordres  religieux,  chevale- 
resques, militaires  et  même  civils,  faisaient  une  distinction  ou 
une  récompense,  et  qui  viennent  aboutir  à  notre  croix  d'hon- 
neur et  comme  s'y  résumer. 

^  Au  portail  occidental,  plus  haut  que  l'Invention  de  la  Croix  par  sainte  Hélène. 

^  Page  393,  note  i,  nous  avons  noté  ce  curieux  sujet.  MM.  Arthur  Martin  et  Charles 
Cahier  donnent  ce  vitrail  de  Saint-Denis ,  dans  les  Vitraux  peints  de  Saint-Etienne  de 
Bourges,  comme  point  de  comparaison. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  427 

LE  SAINT-ESPRIT. 

Le  Saint-Esprit  est  la  troisième  personne  de  la  Trinité  di- 
vine. Dieu  le  père  se  connaît,  et  de  sa  connaissance  est  en- 
gendré Dieu  le  fils;  Dieu  le  père  et  Dieu  le  fils  s'aiment,  et 
de  cet  amour  réciproque  procède  le  Saint-Esprit  :  tel  est  le 
dogme.  Dans  les  relations  qui  caractérisent  les  trois  personnes 
divines  entre  elles,  le  Père  posséderait  donc  en  propre  la  mé- 
moire, le  Fils  Tintelligence,  et  le  Saint-Esprit  l'amour;  en  con- 
séquence le  Saint-Esprit  serait  le  dieu  d'amour.  C'est  la  doc- 
trine adoptée  par  saint  Augustin  ^  et  la  plupart  des  Pères, 
comme  on  le  verra  dans  le  chapitre  consacré  à  la  Trinité. 

Dans  les  relations  des  personnes  divines  entre  elles ,  le 
Saint-Esprit  est  le  dieu  d'amour;  mais  il  paraît  être,  dans  ses 
rapports  avec  les  hommes,  le  dieu  de  l'intelligence,  comme 
le  Père  est  le  dieu  de  la  puissance  ou  de  la  force  créatrice, 
comme  Jésus-Christ  est  le  dieu  du  dévouement  ou  de  l'amour. 
Un  mot  sur  ce  point  qui  est  grave,  et  qui  importe  heaucoup 
à  l'iconographie. 

DÉFINITION    DU    SAINT-ESPRIT. 

Que  Dieu  le  père  ou  Jéhovah  soit ,  dans  ses  rapports  avec 
ses  créatures,  le  dieu  de  la  puissance  et  de  la  force,  on  ne 
saurait  guère  en  douter;  l'histoire  montre  Jéhovah  comme 
représentant  le  côté  divin  de  la  puissance.  Dans  l'Ancien  Tes- 
tament on  voit  tous  les  faits  historiques  naître  sous  le  souille 
de  la  force  et  se  dénouer  par  le  glaive;  dans  les  préceptes  mo- 
raux de  l'ancienne  loi  on  entend  gronder  un  esprit  qui  n'est 

'   De  Trinil.  lib.  LX  ,  cap.  vi. 

54. 


428  INSTRUCTIONS. 

pas  celui  de  Tamour  :  «  Le  commencement  do  la  sagesse  est 
la  crainte  du  Seigneur,  »  dit  le  psalmiste  \  à  qui  Salomon  fait 
écho  en  ajoutant  :  «  La  couronne  de  la  sagesse  est  la  crainte 
de  Dieu  ^.  »  «  Ayez  peur  en  entrant  dans  mon  sanctuaire,  »  dit 
le  Lévitique  ^  Lorsqu'il  énumère  les  dons  que  l'Esprit  saint 
verse  dans  l'âme  humaine,  le  prophète  Isaïe  met  la  crainte 
parmi  les  principaux.  «  Dieu  châtie  ceux  qu'il  aime,  »  comme  ré- 
pète saint  Paul  lorsqu'il  parle  aux  Hébreux^.  Que  l'on  recherche, 
à  l'aide  des  tables  de  l'Ancien  Testament ,  tous  les  textes  où 
la  crainte  est  louée,  où  Dieu  est  déclaré  punir  les  hommes 
par  la  crainte  et  la  terreur,  on  sera  presque  efiPrayé  de  leur 
nombre  ^.  Enfin  tout  se  résume  par  cette  terreur  que  le  seul 
nom  de  Jéhovah  doit  inspirer^.  Aussi ,  épouvantés  par  tous  ces 
textes  auxquels,  enfants  d'une  religion  d'amour,  nous  sommes 
beaucoup  moins  habitués  que  les  Hébreux,  nous  nous  écrions 
aux  complies,  à  la  fin  des  offices  de  la  journée  :  «Seigneur, 
détournez  de  nous  votre  colère  "' .  » 

Il  y  a  loin  de  cette  religion  juive,  qui  vous  fait  trembler 
devant  Dieu  comme  un  enfant  timide  devant  un  père  rempli 
de  sévérité,  à  cette  religion  chrétienne,  où  l'amour  caresse 

'   «  Inilium  sapienliae  linior  Domini.  »  [Ps.  ex,  v.  lO.) 

^  «  Corona  sapientiae  timor  Domini.  »  [Ecclésiastique,  i.  22.)  —  Ces  paroles  sont  inscrites 
dans  la  coupole  qui  surmonte  le  centre  de  la  croisée  à  la  chapelle  d'Anet  ;  elles  entourent 
une  couronne  figurée  en  relief.  La  coupole  est  comme  le  diadème  de  ce  joli  monument. 
«  Pavele  ad  sanctuarium  meum.  »  [Lévitique,  2  5.) 

'  Pour  Isaïe,  voyez  plus  bas,  page  Aïo.  —  Proverh.  m,  12.  —  Epist.  ad  Heb.  xii,  6. 
Dans  Vindex  bihlicus  d'une  Vulgate  imprimée  à  Lyon  en  lyAS,  je  lis,  en  têle 
des  divers  paragraphes  où  sont  indiques  tous  les  textes  analogues  :  «  Timendus  est 
«  Deus.  —  Timoris  Dei  fructus,  utilitas  et  laus.  —  Timoris  Dei  defectus  causa  pec- 
1  candi.  —  Timoré  punit  Deus  et  lerrore.  —  Timoris  Dei  exempla.  »  Il  y  a  cent  dix- 
neuf  textes  qui  concernent  la  crainte  et  dans  lesquels  la  terreur  est  érigée  en  vertu 
souveraine. 

'  «  Sanctum  et  tcrribile  nomen  cjus.  »  [Ps.  ex,  v.  q.) 

'  -i  Avcrle  iram  luam  a  nobis.  » 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  429 

rhomme  dans  chacune  de  ses  paroles.  De  Jchovah  à  Jésus  il  y 
a  tout  un  monde;  l'un  resserre  et  l'autre  dilate.  La  loi  ancienne 
lève  la  main  pour  punir  la  moindre  faute;  la  loi  nouvelle  est 
une  mère  qui  pleure  en  reprenant  ses  enfants  de  leurs  erreurs, 
et  qui  caresse  en  adressant  des  reproches.  «  Ayez  peur,  »  s'écrie 
le  prophète  Isaïe  ;  «  Mes  petits  enfants ,  »  dit  en  mourant  l'ar 
pôtre  saint  Jean,  «  aimez-vous  les  uns  les  autres;  >»  et  alors  saint 
Jean  répétait,  pour  la  millième  fois  peut-être,  ce  qu'il  avait 
appris  sur  le  cœur  de  son  divin  ami.  En  effet,  tandis  que  Jého- 
vah  dit  :  «Tremblez  en  entrant  chez  moi,»  Jésus-Christ  ré- 
sume toute  sa  morale  dans  ces  mots  :  «  Aimez  Dieu  par-dessus 
tout,  aimez  les  autres  comme  vous-même  ^  »  Jésus-Christ  n'est 
qu'amour  ;  avant  de  mourir  pour  les  hommes ,  il  dit  à  ses 
disciples  :  «Je  vous  donne  un  nouveau  précepte,  c'est  que 
vous  vous  aimiez  les  uns  les  autres  et  que  vous  vous  aimiez 
comme  je  vous  ai  aimés.  Tous  reconnaîtront  que  vous  êtes 
mes  disciples,  si  vous  vous  chérissez  mutuellement^.  »  Aussi 
Févangéliste  saint  Jean,  qui  connaissait  si  bien  le  cœur  de  Jé- 
sus, dit-il  ces  belles  paroles  :  «  Jésus  sachant  que  son  heure  était 
venue  pour  passer  de  ce  monde  à  son  père,  comme  il  avait 
aimé  les  siens,  qui  étaient  dans  le  monde,  il  les  aima  jusqu'à 
la  fin  ^.  » 

Quant  au  Saint-Esprit,  il  nous  apparaît  comme  le  dieu  de 

'  S.  Luc,  cil.  X,  V.  27.  n  y  a  dans  l'ancienne  loi  le  germe  de  cet  amour,  mais  il 
est  glacé  par  la  crainte  ;  il  a  fallu  que  la  parole  du  Christ  l'écliauiràt  pour  le  faire 
croître. 

■*  «  Mandatum  novum  do  vobis  :  ul  diligatis  invicem  sicul  dilcxi  vos,  ut  et  vos  dili- 
"  gatis  invicem.  In  hoc  cognoscent  omnes  quia  discipuli  mei  estis,  si  dileclionem  habue- 
«ritis  ad  invicem.  »  (S'  Jean,  chap.  xiii ,  v.  34,  35.) 

*  «  Sciens  Jésus  quia  venit  hora  ejus  ut  transeat  ex  hoc  mundo  ad  Patrem  ,  cum  di- 
«  lexisset  suos,  qui  erant  in  mundo,  in  fmem  dilexit  eos.  »  (S'  Jean,  chap.  xiii ,  v.  i.)  — 
Mahomet  disait  que  chaque  prophète  avait  son  caractère  spécial  ;  (jue  le  caractère  de 
Jésus-Christ  avait  été  la  douceur  et  que  le  sien  était  la  force. 


/i30  INSTRUCTIONS. 

rintelligence;  c'est  toujours  pour  les  instruire,  pour  les  éclai- 
rer, qu'il  se  manifeste  aux  hommes.  D'un  autre  côté,  avons- 
nous  dit,  il  est  le  dieu  d'amour,  puisqu'il  procède  de  l'amour 
que  le  Père  et  le  Fils  ont  l'un  pour  l'autre.  Il  faut  donc  établir 
une  distinction  importante  à  l'égard  du  Saint-Esprit,  afin  d'évi- 
ter la  confusion  où  les  textes  et  les  monuments  figurés  feraient 
tomber  nécessairement.  En  conséquence  nous  disons  ceci  :  ou 
le  Saint-Esprit  est  considéré  dans  ses  relations  avec  les  deux 
autres  personnes  divines,  et,  dans  ce  cas,  il  est  le  dieu  d'a- 
mour, procédant  du  Père  et  du  Fils,  qu'il  unit  entre  eux  par 
la  charité;  ou  bien  on  l'abstrait  de  la  Trinité  et  on  le  prend 
uniquement  dans  ses  rapports  avec  les  hommes,  et  alors  il 
est  le  dieu  de  l'intelligence.  En  l'étudiant  en  regard  des  deux 
autres  personnes  divines  et  en  dehors  de  nous,  on  fait  de 
la  théologie  ;  mais  on  est  dans  fhistoire  en  recherchant  son 
action  sur  les  hommes.  Pour  un  théologien,  le  Saint-Es- 
prit est  donc  dieu  d'amour;  pour  un  historien,  dieu  d'intel- 
ligence. 

Il  faut  le  dire,  et  le  chapitre  consacré  à  la  Trinité  le  prou- 
vera mieux  encore ,  cette  double  attribution  de  l'amour  et  de 
l'intelligence  donnée  à  la  même  personne  divine  a  jeté  de  la 
confusion  dans  la  doctrine  théologique  et  dans  la  narration 
historique,  dans  les  textes  et  dans  fart,  dans  la  discussion  et 
dans  l'iconographie.  L'histoire  fait  de  Jésus  le  dieu  d'amour, 
tandis  que  la  théologie  donne  ce  caractère  au  Saint-Esprit;  la 
théologie  fait  du  Fils  de  Dieu,  du  Verbe,  le  dieu  de  l'intelli- 
gence, tandis  que  l'histoire  attribue  au  Saint-Esprit  tout  ce  qui 
relève  de  cette  propriété.  Les  attributions  du  Fils  et  de  TEsprit 
ne  sont  donc  pas  assez  nettement  caractérisées,  assez  rigoureu- 
sement limitées  ;  elles  vont  flottant  de  l'un  à  l'autre.  Cepen- 
dant c'est  au  Saint-Esprit  que  revient  définitivement  fintelli- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  431 

gence,  comme  au  Fils  l'amour.  Quand  le  Saint-Esprit  a  de 
Famour  pour  Tliomme,  c'est  un  amour  raisonné;  c'est  à  l'in- 
telligence que  cet  amour  s'adresse  bien  plutôt  qu'au  cœur. 
Nous  allons  surprendre  assez  nettement  ce  caractère  dans  le 
culte  que  l'église  rend  à  cette  personne  divine. 

C'est  le  Saint-Esprit,  le  dieu  de  l'intelligence,  que  l'on  in- 
voque toujours  à  l'entrée  d'une  affaire  difficile,  comme  ici  bas 
on  consulte  un  homme  d'expérience  mûrie  et  de  calme  rai- 
son, avant  de  prendre  un  parti  dans  une  entreprise  délicate. 
Toutes  les  messes  du.  Saint-Esprit  se  disent  pour  éclairer  l'es- 
prit des  juges  qui  vont  rouvrir  les  tribunaux,  et  des  profes- 
seurs qui  vont  reprendre  leurs  leçons,  afin  que  les  uns  ne  dé- 
faillent point  dans  le  discernement  de  la  justice  et  que  les 
autres  ne  manquent  pas  à  la  vérité  dans  leur  enseignement. 
C'est  sous  la  protection  du  Saint-Esprit  que  se  placent  les 
conciles,  les  grandes  assemblées  œcuméniques  où  se  discutent, 
s'éclaircissent  et  s'arrêtent  toutes  les  vérités  du  dogme,  tous 
les  principes  de  la  morale.  On  ouvre  les  discussions  par  une 
messe  au  Saint-Esprit,  et  le  Saint-Esprit  plane  constamment 
sur  l'assemblée,  pendant  la  durée  des  séances,  pour  la  diriger 
et  l'empêcher  de  s'égarer.  Au  commencement  de  tous  les  of- 
fices religieux  on  invoque  le  Saint-Esprit,  et  on  le  prie  de  faire 
comprendre  l'acte  auquel  on  va  se  livrer.  Dans  l'hymne  com- 
posée en  son  honneur,  qu'on  attribue  ci  Charlemagne  lui- 
même,  et  qui  se  chante  toutes  les  fois  qu'on  veut  s'Éclairer, 
on  trouve,  entre  autres,  les  paroles  qui  suivent: 

«Venez,  Esprit  créateur;  visitez  les  intelligences  de  vos  fi- 
dèles. Doigt  de  la  main  de  Dieu,  vous  enrichissez  d'éloquence 
toutes  les  bouches.  Allumez  la  lumière  dans  nos  sens.  Que 
par  vous  nous  sachions  le  Père,  nous  connaissions  le  Fils,  et 
qu'en  tout  temps  nous  vous  croyions  l'Esprit  de  l'un  et  de 


432  INSTRUCTIONS. 

l'autre.  Sous  votre  souffle  ]es  intelligences  sont  éclairées  et  en- 
flammées de  feux  sacrés  ^  » 

Dans  ces  poétiques  prières,  on  voit  bien  que  c'est  au  dieu 
de  l'intelligence  que  l'on  s'adresse,  et  que  ces  vœux  iraient 
moins  bien,  soit  au  Père,  soit  au  Fils.  Cependant,  comme  on 
l'a  dit,  le  Saint-Esprit  empiète  sur  les  attributions  du  Fils ,  sur 
l'amour;  car  dans  cette  même  hymne  on  lit,  à  côté  des  paroles 
qu'on  vient  de  citer,  les  aspirations  suivantes  : 

«  Emplissez  de  la  grâce  céleste  les  cœurs  que  vous  avez 
créés.  Vous  êtes  une  source  vive,  un  feu,  la  charité.  Versez 
l'amour  dans  nos  cœurs  ^.  » 

Mais  ce  sont  des  paroles  égarées,  pour  ainsi  dire,  et  pro- 
noncées par  ces  âmes  ardentes  du  moyen  âge,  profondément 
chrétiennes,  foncièrement  amoureuses  et  qui  ne  pouvaient 


'      Veui ,  Creator  Sjiiritus , 
Mentes  tuorum  visita. 

Tu  septiformis  munere , 
Dextrae  Dei  tu  digitus , 
Tu  rite  promissum  Patris , 
Sermone  ditans  guttura. 

Accende  lumen  sensibus^ 

Per  te  sciamus  da  Patrem , 
Noscamus  atque  Filium  ; 
Te,  utriusque  Spiritum, 
Credamus  omni  tempore. 

Afflante  cpio ,  mentes  sacris 
Lucent  et  ardent  ignibus. 

Le  septiformis  munere  trouve  son  explication  dans  un  passage  d'Isaïe  dont  nous  avons 
déjà  parlé,  et  qui  va  revenir  dans  un  instant  avec  de  grands  détails;  il  s'agit  des  sept 
vertus,  dons  ou  propriétés  du  Saint-Esprit. 

'      Fons  vivus ,  îgnis ,  caritas. 

Infunde  amorem  cordibus. 


ICONOCxRAPHIE  CHRÉTIENNE.  433 

s'empêcher  de  réchauffer  la  froide  raison  dans  un  peu  d'a- 
mour. Du  reste,  dans  la  même  hymne,  d'autres  expressions 
attribuent  au  Saint-Esprit  la  force,  qui  est  incontestablement  à 
Dieu  le  père.  On  dit  au  Saint-Esprit  :  «  Fortifiez-nous  par  votre 
puissance  pour  nous  apprendre  à  supporter  les  infirmités  de 
notre  corps.  Repoussez  l'ennemi  au  loin  ;  donnez-nous  promp- 
tement  la  paix,  et  qu'ainsi ,  marchant  devant  pour  nous  guider, 
vous  nous  fassiez  éviter  toute  faute  \  »  Cependant  Charlemagne 
n'entendait  pas  affirmer  absolument  que  la  troisième  personne 
a  la  puissance  en  partage  exclusif;  de  même  aussi,  par  les  quel- 
ques paroles  où  il  la  désigne  comme  échauffant  les  cœurs ,  il 
ne  voulait  pas  dire  non  plus  que  l'amour  lui  appartînt  en  pro- 
pre. Unie  en  trinité,  la  troisième  personne  possède  avec  les 

'      Infirma  nostri  corporis 
Virtute  firmans  perpeti. 

Hostem  repellas  longius 
PACEMcpie  dones  protinus 
Ductore  sic  te  praevio, 
Vitemus  omne  nosîum. 

Il  est  curieux  de  voir  invoquer  la  paix  par  le  belliqueux  Charlemagne,  dont  la  vie  n'a 
été  qu'une  bataille  perpétuelle  et  qui  a  livré  des  combats  sanglants  au  nord  et  au  midi,  à 
l'est  (peut-être  en  Orient)  et  à  l'ouest.  A  Aix-la-Chapelle,  au  milieu  de  la  rotonde  de  la 
cathédrale,  au-dessus  du  tombeau  de  cet  empereur,  pend  une  énorme  couronne,  un  lu- 
minaire gigantesque  en  cuivre  ciselé,  doré,  émaillé,  don  précieux  de  Frédéric  Barbe- 
rousse.  Le  César  catholique  des  Romains  («César  catholicus  Romanorum  Fridericus  ») , 
ainsi  que  Barberousse  se  nomme  sur  le  luminaire ,  a  fait  ciseler  les  huit  béatitudes 
sous  huit  grandes  lampes  qui  tiennent  à  cette  couronne ,  et  l'on  est  tout  étonné  d'en- 
tendre le  Barberousse  s'écrier,  avec  les  inscriptions  gravées  sous  ces  lampes  :  o  Beati 
a  mites,  quoniam  ipsi  possidebunt  terram.  —  Beati  pacifici,  quoniam  filii  Dei  vocabun- 
«  tur.  »  Le  terrible  Barberousse,  d'humeur  peu  pacifique,  ajoute  encore,  en  tête  d'une 
inscription  de  huit  vers  qui  règne  à  l'étage  supérieur  de  la  couronne  et  qui  parle  de  la 
couronne  elle-même  : 

Celica  Iherusalem  signatur  iiiiagiiic  lali  : 
Visio  PACis ,  certa  quielis  spes  ibi  nobis. 

Charlemagne  et  Barberousse,  ainsi  qu'on  le  voit,  ont  agi  et  écrit  l'un  comme  l'autre. 

INSTRUCTIONS.  II.  55 


434  INSTRUCTIONS. 

deux  autres  Tamour  et  la  force;  mais,  considérée  en  elle-même , 

elle  possède  avant  et  par-dessus  tout  l'intelligence. 

Déjà  même  dans  l'ancienne  loi,  chez  les  juifs,  le  Saint- 
Esprit  dirigeait,  éclairait  la  raison;  car  Isaïe,  qui  parle  des 
sept  dons  ou  propriétés,  c'est-à-dire  des  sept  esprits  qui  cons- 
tituent l'Esprit  divin  ,  les  énumère  sous  ces  dénominations  : 

Esprit  de  sagesse , 
Esprit  cVinteliigence , 
Esprit  de  conseil , 
Esprit  de  force , 
Esprit  de  science, 
Esprit  de  piété, 
Esprit  de  crainte  ^ 

Tous  ces  esprits  ont  trait  à  la  raison ,  excepté  les  deux  der- 
niers, qui  relèvent  du  sentiment,  et  le  quatrième  de  la  puis- 
sance; mais  la  majorité,  quatre  sur  sept,  et  parmi  ces  quatre  les 
trois  premiers,  les  trois  plus  élevés,  appartiennent  à  la  raison. 
L'histoire  confirme  puissamment  la  doctrine  émise  ici  sur  le 
Saint-Esprit;  car  dans  sa  plus  célèbre  apparition,  à  la  Pente- 
côte, ce  Dieu  se  montre  pour  instruire  des  ignorants,  pour 
apprendre  aux  apôtres  toutes  les  langues  de  la  terre.  Aujour- 
d'hui encore ,  la  Pentecôte  est  la  fête  de  l'intelligence  plutôt 
que  de  l'amour;  car  on  y  célèbre  cette  lumière  divine  qui, 
s'étant  reposée  en  langue  de  feu  sur  la  tête  d'hommes  grossiers 
et  sans  instruction,  les  transforma  en  hommes  de  génie. 

On  prouverait  facilement,  et  par  des  faits  nombreux,  que 
le  Saint-Esprit  éclaire  plutôt  l'intelligence  qu'il  n'échauffe  le 
cœur;  il  convient  d'en  signaler  quelques-uns,  parce  qu'il  faut 

1  Isaie,  cliap.  xi,  v.  i,  2  el  3.  «  Et  egredietur  virga  de  radies  Jesse,  et  flos  de  radiée 
"  ejus  ascendel.  El  requiescet  super  eum  Spiritcs  Domfni  :  spirilus  sapienliae  el  intel- 
'I  leclus,  spiritus  concilii  et  fortiludinis ,  spirilus  scientlae  et  pielalis,  et  replebit  eum  spi- 
«  rilus  timoris  Domini.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  435 

Hettement  préciser  le  rôle  que  cette  personne  divine  remplit 
dans  ses  relations  avec  les  hommes.  Tout  cela  intéresse  beau- 
coup l'archéologie  et  l'art  moderne,  le  passé  et  l'avenir. 

Après  la  cène,  prêt  pour  la  passion  et  la  mort,  Jésus  con- 
sole ses  apôtres  et  leur  annonce  qu'il  va  leur  être  enlevé; 
il  ajoute  qu'il  ne  les  laissera  pas  orphelins,  mais  qu'il  leur 
fera  envoyer  un  autre  appui.  «  Je  prierai  mon  père,  et  il  vous 
enverra  un  autre  protecteur,  Tesprit  de  vérité,  qui  restera 
éternellement  avec  vous.  Le  monde  ne  peut  le  recevoir,  parce 
qu'il  ne  le  voit  pas  et  ne  le  connaît  pas;  mais  vous  le  connaî- 
trez, vous,  parce  qu'il  demeurera  avec  vous,  parce  qu'il  sera 
en  vous  ^  »  Ainsi  lui,  le  Christ,  le  dieu  d'amour,  est  sur  le 
point  de  quitter  ses  apôtres;  mais  il  sera  remplacé  auprès 
d'eux  par  le  Saint-Esprit,  l'esprit  de  vérité,  l'esprit  qu'il  faut 
connaître  et  qui  enseigne.  Le  Christ  est  un  père  qui  va  se  sé- 
parer de  ses  enfants  déjà  grands;  mais  il  les  remet  aux  mains 
d'un  maître  qui  éclairera  leur  intelligence ,  comme  lui-même 
a  formé  leur  cœur.  D'abord ,  comme  à  des  enfants ,  il  fallait 
ouvrir  l'âme  des  apôtres  et  des  premiers  disciples,  et  c'est  le 
Christ  qui  l'a  fait;  maintenant,  comme  à  des  adolescents,  il 
faut  cultiver  leur  esprit,  et  c'est  la  troisième  personne  divine 
qui  en  sera  chargée.  C'est  donc  le  dieu  de  la  vérité  qu'ils  vont 
recevoir  à  la  place  du  dieu  de  l'amour,  qui  leur  est  enlevé  ; 
l'Esprit  va  succéder  au  Fils.  En  elïet,  quelque  temps  après,  le 
Saint-Esprit,  sous  la  forme  de  rayons  qui  éclairent,  s'arrête 
sur  leur  tête,  le  siège  de  l'intelligence.  L'esprit  de  vérité,  les 
traits  de  feu,  la  tête  qui  est  illuminée,  les  langues  connues 

'  «  Et  ego  rogabo  Patrem ,  et  alium  Paracletum  dabit  vobis ,  ul  maneat  vobiscum  in 
«  aelernum  ,  Spirilum  verilatis,  quem  mundus  non  potest  accipere ,  quia  non  videt  eum, 
«  nec  scit  eum.  Vos  autem  cognoscetis  eum ,  quia  apud  vos  manebil  et  in  vobis  erit,  i 
(S.  Jean,  chap.  xiv,  v.  16  el  17.) 

55. 


/i36  INSTRUCTIONS. 

instantanément,  tout  cela  regarde  rintelligence;  le  cœur  n'y  est 
presque  pour  rien.  Après  l'Ecriture  sainte,  voyons  la  légende 
et  l'histoire. 

Tout  le  moyen  âge  a  été  persuadé  que  le  Saint-Esprit  s'a- 
dressait particulièrement  à  l'intelligence,  et  qu'il  se  manifes- 
tait aux  hommes  surtout  pour  les  éclairer.  Au  vi''  siècle,  Gré- 
goire de  Tours  dit  que  la  colonne  de  feu  qui  guidait  les  Hé- 
breux vers  la  Terre  sainte,  lors  de  la  sortie  d'Egypte,  était  la 
figure  du  Saint-Esprit  ^  Or  la  colonne,  dans  ces  déserts  brû- 
lants de  l'Arabie,  n'était  pas  là  pour  échauffer,  mais  bien  pour 
éclairer.  D'un  autre  côté,  l'amour  est  comparé  constamment 
à  un  feu  qui  échauffe ,  et  l'intelligence  à  une  flamme  qui 
éclaire;  donc  Grégoire  de  Tours  déclarait  que  le  Saint-Esprit 
est  le  dieu  de  l'entendement  plutôt  que  de  l'amour. 

Dans  la  vie  de  saint  Dunstan ,  archevêque  de  Cantorbéry, 
au  x^  siècle^,  on  trouve  une  légende  dramatique  intéressante, 
et  qui  montre  bien  ce  qu'est  le  Saint-Esprit  et  la  définition 
qu'il  conviendrait  d'en  donner.  Trois  faux  monnayeurs  avaient 
été  condamnés  à  mort.  Le  jour  de  la  Pentecôte,  jour  de  la 
fête  du  Saint-Esprit,  au  moment  où  allait  se  célébrer  la  messe, 
saint  Dunstan  demande  si  l'on  a  fait  justice  des  trois  coupa- 
bles; on  lui  répond  que  l'exécution  a  été  retardée  à  cause  de 
la  solennité  d'une  aussi  grande  fête  que- la  Pentecôte.  Il  n'en 
sera  pas  ainsi ,  s'écrie  l'archevêque  courroucé ,  et  il  donne 
l'ordre  de  faire  périr  immédiatement  les  coupables.  Plusieurs 
déclarent  que  cet  ordre  est  cruel  ^  ;  mais  on  obéit.  Après  l'exé- 

'   Hist.  ceci.  Franc.  Hb.  I. 

*  S.  Dunstan  est  mort  le  19  ntai  988.  Voyez,  dans  les  Act.  55.  ord.  S.  Bened.  vol.  de 
l'an  950  à  l'an  1000,  la  vie  de  ce  gi-and  artiste,  qui  fut  en  même  temps  un  grand  arche- 
vêque. C'est  là  qu'est  la  légende  que  nous  analysons  et  qu'on  aimerait  mieux  ne  pas  trouver 
dans  la  vie  de  cet  homme  illustre  ;  mais  l'intérêt  en  sauve  du  moins  l'apparente  dureté. 
Il  Ediclum  nonnuUis  videbalur  crudele  » ,  dit  l'hagiographe. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  /i37 

cution  des  criminels,  Dunstan  se  lave  la  figure  et  se  dirige,  le 
visage  joyeux,  vers  son  oratoire  ^  «  J'espère  maintenant,  dit-il, 
que  Dieu  agréera  aujourd'hui  le  sacrifice  que  je  vais  lui  offrir.  » 
En  effet,  pendant  la  messe ,  au  moment  où  il  élevait  les  mains 
pour  prier  Dieu  le  père  de  pacifier,  garder,  réunir  et  guider 
son  Eglise  catholique  par  toute  la  terre,  «  on  vit  une  colombe 
blanche  comme  la  neige  descendre  du  ciel,  et  pendant  toute 
la  durée  du  sacrifice  se  tenir  silencieuse  sur  la  tête  de  farclie- 
vêque,  les  ailes  étendues,  comme  immobiles^.  »  A  la  fin  de  la 
messe,  la  colombe  se  dirigea  vers  la  partie  méridionale  de 
l'autel,  où  s'élevait  le  tombeau  du  bienheureux  Odon;  elle 
s'inclina,  entourant  la  châsse  avec  ses  ailes,  des  deux  côtés,  et 
comme  fembrassant  avec  son  bec.  Dunstan  admire  ce  prodige. 
Après  la  messe,  il  se  retire  seul,  tout  ému  et  pleurant  de  cette 
manifestation  de  la  grâce  divine.  Il  se  dépouille  de  sa  chasuble, 
laquelle,  comme  personne  n'était  là  pour  la  recevoir,  resta 
suspendue  dans  l'air  par  la  volonté  divine ,  de  crainte  que , 
tombant  à  terre ,  elle  ne  troublât  les  pensées  du  serviteur  de 
Dieu. 

Ainsi  donc  la  colombe  divine,  le  Saint-Esprit,  approuve 
d'une  manière  éclatante  une  cruauté,  ou  du  moins  un  acte 
ainsi  qualifié  par  plusieurs  clercs  qui  entouraient  saint  Duns- 
tan. Cette  cruauté,  il  est  vrai,  n'est  qu'une  rigoureuse  justice; 
mais  l'approbation  que  lui  donne  le  Saint-Esprit  prouve  bien 
que  cette  personne  divine  préside  à  fintelligence  et  non  au 
sentiment.  Au  moyen  âge,  on  aurait  probablement  refusé  de 
faire  jouer  à  Jésus-Christ  le  rôle  que  le  Saint-Esprit  remplit 

'  «Lota  facie,  ad  oratorium,  exhilarato  vullu,  abilt.  » 

*  «Nivea  columba,  mullis  intuentibus,  de  cœlo  descendit  et,  donec  sacrificium  con- 
«  sumptum  esset,  super  capul  ejus  (Dunstaiii),  expansis  alisetquasi  immolis ,  sub  silenùo 
«  mansit.  » 


438  INSTRUCTIONS. 

dans  cette  circonstance,  parce  que  Jésus  est  le  représentant 

divin  de  l'amour. 

Au  xvi''  siècle,  en  1679,  Cjuand  Henri  ITI  réorganisa  l'ordre 
du  Saint-Esprit,  c'était  aux  hommes  politiques  surtout  et  aux 
magistrats,  c'est-à-dire  aux  hommes  d'intelligence,  qu'il  réser- 
vait cette  dignité.  En  cela  il  suivait  la  pensée  qui  avait  présidé 
à  l'institution  primitive,  qui  date  de  i352.  L'ordre  de  Saint- 
Michel,  l'archange  guerrier,  se  conférait  aux  militaires;  l'ordre 
du  Saint-Esprit,  le  dieu  d'intelligence,  était  affecté  à  la  no- 
hlesse  de  robe^ 

Abailard  est  un  homme  d'intelligence  et  non  d'amour,  un  dia- 
lecticien ,  un  philosophe.  Abailard  n'a  montré  aucun  dévoue- 
ment pour  Héloïse  ;  il  est  froid ,  il  est  sec  dans  ses  réponses  aux 
lettres  ardentes  de  cette  femme  qui  s'était  sacrifiée  pour  lui. 
Aussi,  de  ce  qu' Abailard  est  dévot  au  Saint-Esprit,  de  ce  qu'il 
élève  en  son  honneur  le  monastère  du  Paraclet,  de  ce  qu'il  fait 
sculpter  une  Trinité  où  le  Saint-Esprit  est  identique  au  Père 
et  au  Fils,  et  plus  absorbé  dans  les  deux  autres  personnes  que 
le  dogme  ne  le  permet,  de  tout  cela  je  voudrais  conclure  en- 
core que  le  Saint-Esprit  est  le  dieu  de  l'intelligence,  Abailard 
honorait  le  dieu  qui  répondait  le  mieux  à  sa  propre  nature. 

Enfin  l'art  lui-même  est  conséquent  avec  tout  ce  qui  pré- 
cède. Quand  saint  Etienne  adresse  aux  Juifs  ce  discours  où 
est  discutée  et  prouvée  la  religion  chrétienne,  et  que  nous  ont 
conservé  les  Actes  des  apôtres,  le  jeune  prédicateur  était  rem- 
pli du  Saint-Esprit^.  Dans  la  cathédrale  de  Sens,  un  beau 


'  L'ordre  de  Saint-Michel  fui  fondé  en  1469.  Trois  cenls  ans  auparavant,  en  ii63, 
avait  été  institué  Tordre  militaire  de  l'aile  de  saint  Michel  ;  ce  dernier  fut  absorbé  com- 
plètement par  l'ordre  de  1^69.  Tout  guerrier  d'abord,  cet  ordre  finit,  sous  la  restau- 
ration, par  être  conféré  surtout  aux  grands  artistes  :  c'était  un  complet  contre-sens. 

^  «Cum  esset  plenus  (Stephanus)  Spiritu-Sancto.  »  [Act.  Apost.  cap.  vu,  v.  55.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  439 

vitrail,  celui  qui  ferme  la  galerie  à  jour  au-dessus  de  la- 
quelle rayonne  la  rose  du  croisillon  méridional ,  représente  le 
premier  martyr  prêchant  aux  juifs  assemblés;  là  se  voit  le 
Saint-Esprit,  en  colombe  blanche,  à  nimbe  d'un  jaune  d'or, 
étendant  ses  grandes  ailes  sur  la  tête  du  jeune  philosophe.  La 
colombe  soutient  l'intelligence  de  saint  Etienne,  en  l'abritant, 
pour  ainsi  dire. 

Sainte  Catherine ,  la  fille  d'un  roi ,  était  instruite  dans  tous  les 
arts  libéraux;  elle  voulut  disputer  avec  l'empereur  Maxence,  à 
faide  de  toute  espèce  de  raisonnements  et  de  syllogismes  al- 
légoriques, métaphoriques,  mystiques,  sur  f existence  d'un 
seul  dieu ,  créateur,  ordonnateur  et  régulateur  de  tous  les  êtres 
vivants  ou  inanimés ,  des  astres  et  des  hommes,  et  sur  fincar- 
nation  de  son  fils  Jésus-Christ.  Maxence,  qui  ne  pouvait  te- 
nir tête  à  une  pareille  femme,  fit  appeler  de  tous  les  pays  des 
savants  supérieurs  à  tous  les  autres  en  science  mondaine,  pour 
les  mettre  aux  prises  avec  la  fille  royale.  Il  en  vint  cinquante, 
qui  lui  adressèrent  mille  questions  auxquelles  la  sainte  fit  des 
réponses  péremptoires ,  et  qui  les  rendirent  muets  d'admira- 
tion. Catherine,  dit  Jacques  de  Vorage,  savait  tout  en  théo- 
logie, en  philosophie,  en  sciences  naturelles  et  historiques,  et 
Ton  peut  voir  dans  la  légende  le  cadre  immense  de  la  philo- 
sopliie  qu'elle  remplissait  de  sa  science  et  de  son  intelligence  ^ 
C'est  qu'en  effet  f  esprit  de  Dieu  parlait  en  elle.  A  la  cathédrale 
de.Freybourg  en  Brisgau,  dans  la  nef  latérale  du  nord,  un 
vitrail  représente  Catherine  décorée  d'un  nimbe  d'or  et  d'une 

'  Leqenda  aiirea,  de  sancla  Kallierina  virgine  el  martyre,  «i  Ralberina ,  Costi  régis  iilia , 
«  omnibus  libcraliuin  arlium  studiis  erudita  fuit.  —  Per  varias  conclusiones  syllogismo- 
«  rum  allegorice  et  mefapborice,  diserte  et  mystice  mulla  cum  Cesare  disputavit.  —  Haec 
«  autem  puella,  in  qua  Spiritus  Dei  loquilur,  sic  nos  in  admiralionem  convertit  (disent  les 
«  savants  qui  disputent  avec  elle) ,  ut  contra  Gbristuni  aliqnid  dicere  aut  omnino  nescia- 
u  mus  aut  penitus  formidemus.  » 


440  INSTRUCTIONS. 

couronne  d'or,  puisqu'elle  est  sainte  et  fille  de  roi;  elle  est  assise, 
comme  la  Vierge  dans  le  cénacle,  au  milieu  d'une  assemblée 
de  docteurs  qui  discutent  avec  elle.  La  sainte  est  triomphante 
dans  son  argumentation;  les  philosophes  s'avouent  vaincus,  et 
l'on  voit  sur  la  tête  de  la  puissante  dialecticienne  descendre  le 
Saint-Esprit  en  colombe  blanche ,  avec  un  nimbe  d'or  timbré 
d'une  croix  rouge.  Voilà  ce  que  nous  dit  l'art  de  la  France  et 
de  l'Allemagne.  L'Italie,  à  son  tour,  vient  confirmer  par  d'écla- 
tants exemples  tous  les  faits  qui  précèdent. 

Nous  lisons  dans  Vasari  plusieurs  descriptions  de  tableaux 
où  figure  le  Saint-Esprit,  et  toujours  le  Saint-Esprit  est  là 
comme  le  créateur  des  sciences.  Par  exemple,  on  voit  que 
dans  un  des  compartiments  de  la  voûte  de  Santa-Maria-No- 
vella,  à  Florence,  Taddeo  Gaddi  a  peint  la  descente  du  Saint- 
Esprit.  «  Sur  la  paroi  se  trouvent  les  sept  sciences,  et  au-des- 
sous de  chacune  d'elles  l'un  des  professeurs  les  plus  célèbres 
par  lesquels  elles  ont  été  illustrées.  La  Grammaire ,  sous  la  fi- 
gure d'une  femme  instruisant  un  enfant,  domine  fimage  de 
Donato  fécrivain.  Vient  ensuite  la  Rhétorique  :  à  ses  pieds,  un 
personnage  tient  les  deux  mains  appuyées  sur  des  livres,  tandis 
que  de  son  manteau  sort  une  troisième  main  qui  s'approche 
de  sa  bouche.  La  Logique,  armée  d'un  serpent  caché  sous  un 
voile,  est  accompagnée  de  Zenon  Éléate.  Sous  TArithmétique, 
tenant  les  tables  de  fabaque,  est  assis  Abraham,  inventeur  de 
cette  science.   Au-dessous  de  la  Musique,  entourée  d'instru- 
ments, Tubalcain  écoute  attentivement  les  sons  qu'il  produit 
en  frappant  une  enclume  avec  deux  marteaux.  La  Géométrie, 
que  Ton  reconnaît  à  son  équerre  et  à  ses  compas ,  est  au-des- 
sus d'Euclide,  et  l'Astrologie,  tenant  une  sphère  céleste,  au- 
dessus  d'Atlas. 

«  D'un  autre  côté,  les  sept  sciences  théologiques  sont  en  rap- 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  ^41 

port  avec  des  personnages,  parmi  lesquels  on  remarque  un 
pape,  un  empereur,  un  roi,  des  cardinaux,  des  ducs,  des 
évêques  et  des  marquis.  Le  pape  n'est  autre  que  Clément  V. 
Le  milieu  de  cette  composition  est  occupé  par  saint  Thomas 
d'Aquin,  qui  posséda  toutes  ces  sciences.  A  ses  pieds,  on  voit 
quelques  hérétiques,  Arius,  Sabellius,  Averroës,  et  autour  de 
lui  Moïse,  saint  Paul,  saint  Jean  l'évangéîiste  et  d'autres  saints 
surmontés  des  vertus  cardinales  et  théolosfales  ^  » 

«Dans  la  chapelle  de  San-Domenico,  à  Santa-Catarina  de 
Pise,  Traini  (le  meilleur  élève  d'Andréa  Orcagna)  représenta 
saint  Thomas  d'Aquin  assis  et  tenant  des  livres  qui  transmet- 
tent des  rayons  lumineux  au  peuple  chrétien.  Autour  de  lui 
sont  agenouillés  une  foule  de  docteurs,  de  clercs,  d'évêques, 
de  cardinaux  et  de  papes,  parmi  lesquels  on  remarque  Ur- 
bain VL  A  ses  pieds  se  tiennent  Sabellius,  Arius,  Averroës 
et  d'autres  hérétiques  et  philosophes  avec  leurs  livres  déchirés 
en  lambeaux ,  tandis  que  Platon  et  Aristote  montrent  le  Timée 
et  TEthique.  Le  Rédempteur,  au  milieu  des  quatre  évangé- 
listes,  occupe  le  haut  du  tableau  et  bénit  saint  Thomas  auquel 
il  envoie  l'Esprit  saint^.  » 

De  tout  cela  il  ressort  nettement  que  le  Saint-Esprit  est 
le  créateur,  l'inspirateur  et  le  directeur  de  la  science;  s'il 
restait  encore  un  doute,  Herrade,  l'abbesse  de  Sainte-Odile, 
viendrait  le  détruire.  En  effet  une  miniature  de  ce  beau  ma- 
nuscrit dont  nous  avons  déjà  tant  parlé  ^  représente  la  philo- 

'  Vies  des  peintres ,  par  Vasari  ;  Vie  de  Taddeo  Gaddi,  trad.  de  MM.  Leclanclié  et 
Jeanron,  i"  vol.  p.  .372-73. 

^  Ibid.  Vie  d'Andréa  Orcagna,  i"  vol.  p.  387-88. 

^  Hortus  deliciarum.  La  philosophie  y  est  représentée  par  un  être  humain  à  trois  tètes 
sur  un  seul  corps;  les  trois  tôles  figurent  l'Elhique,  la  Logique  et  la  Physique  dont  la 
philosophie  de  cette  époque  était  composée.  Le  texte  dit:  «  Spiritus  Sanctus  inventer 
«  est  septem  liberalium  artium,  etc.  »  A  la  bibliothèque  communale  de  Reims,  une  bible 

INSTBDCTIONS. II.  56 


4/i2  INSTRUCTIONS. 

Sophie  donnant  naissance  aux  sept  arts  libéraux,  dans  lesquels 
était  comprise  toute  la  science  connue  au  moyen  âge.  Mais  le 
créateur,  I'inventeur  de  ces  muses  chrétiennes,  c'est  le  Saint- 
Esprit  lui-même,  ainsi  que  Taddeo  Gaddi  l'a  peint  plus  de  cent 
cinquante  ans  après  Herrade.  D'abord,  dans  une  légende  qui 
explique  les  figures  et  ensuite  dans  un  texte  courant  qui  dé- 
veloppe la  légende,  Herrade  dit  :  «  Le  Saint-Esprit  est  l'inven- 
teur des  sept  arts  libéraux,  qui  sont  :  la  grammaire,  la  rhéto- 
rique ,  la  dialectique ,  la  musique,  l'arithmétique ,  la  géométrie, 
l'astronomie.  »  Ainsi  donc,  dans  toutes  ses  relations  avec  les 
hommes,  chaque  fois  que  le  Saint-Esprit  paraît,  c'est  pour 
faire  éclore  sous  le  souffle  fintelligence  qui  perçoit,  la  science 
qui  découle  de  cette  intelligence,  et  la  mémoire  qui  est  f ins- 
trument de  la  science  et  qui  retient  ce  que  fintelligence  a 
discerné.  Avec  f  histoire,  f  allégorie,  la  légende,  les  mœurs  et 
fart,  avec  les  textes  et  les  monuments,  nous  prouvons  donc 
que  le  Saint-Esprit  est  vraiment  pour  les  hommes  le  dieu  de 
la  raison  et  non  le  dieu  du  sentiment.  Si ,  dans  ses  relations 
avec  les  personnes  divines,  il  est  le  dieu  d'amour,  nous  le 
voyons,  dans  ses  rapports  avec  le  genre  humain,  comme  le 

manuscrite,  du  xi''  siècle  probablement,  offre  un  sujet  semblable  el  servant  comme  de 
préface  au  livre  de  l'Ecclésiaslique.  Ce  livre  commence  par  «  Omnis  sapientia.  »  C'est  dans 
l'O  d'omnis  qu'est  peinte  l'allégorie  de  la  science  ou  de  la  sagesse ,  qui  étaient  la  même 
chose  au  moyen  âge,  comme  c'est  encore  tout  un  dans  nos  villages  :  en  Champagne  et  en 
Picardie,  on  est  sage  quand  on  est  savant.  Dans  cet  0  majuscule  on  voit  la  Philosophie 
(Piiylosophya)  assise  sur  un  trône;  c'est  une  femme  qui  porte  un  nimbe  à  la  tète  comme 
une  sainte;  elle  pose  la  main  droite  sur  un  demi-cercle  qui  contient  la  Physique  (Pni- 
sica)  ;  la  gauche,  sur  un  demi-cercle  occupé  par  la  Logique  (Logyca)  ;  les  pieds,  sur  un 
demi-cercle  rempli  par  l'Ethique  (Ethica).  On  remarquera  l'indifférence  professée  par  ce 
manuscrit  pour  les  j  el  les  i.  Ces  trois  filles  de  la  Philosophie  sont  trois  femmes  voilées,  sans 
nimbe  et  en  buste  seulement;  elles  portent  de  petits  médaillons  où  est  écrit  le  titre  des 
sciences  qui  dérivent  d'elles.  La  grammaire,  la  géométrie  et  l'astronomie  appartiennent  à 
la  Physique;  la  rhétorique  et  la  dialectique  relèvent  de  la  Logique;  la  justice,  la  tempé- 
rance, la  force  et  la  prudence  procèdent  de  l'Éthique.  (V.  Biblia  sacra,  in-f°.  A,  pars  IL) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  443 

(lieu  de  Tintelligence;  c'est  le  dieu  qui  éclaire  et  qui  instruit, 
non  pas  le  dieu  qui  fortifie  ni  le  dieu  qui  écliaufFe. 

110.  ESPBIT  D'INTELLIGENCE  l'LANANT   SDR  DAVID. 

Miniature  grecque  du  x"  siècle  '. 


O  X0XQXG)X0>CO| 


Ce  dessin  est  tiré  d'un  manuscrit  grec  où  nous  avons  déjà 

'  Bibliothèque  royale,  Psalterium  cum  figuris,  grec,  u"  189.  On  lit  sur  le  livre  que 
lient  David  :  «  O  fe)ë  TO  KPIM.\  COT  TCl)  BACIAGI  AOC  KAI  THN  AIKAIOCTNHN 
COT  TCl)  TÏCl)  TOT  BAClAeCOC.  »  On  voit  que  le  sigma  est  partout  en  forme  de  C  ; 

56. 


4/i4  INSTRUCTIONS. 

pris  le  prophète  Isaïe  placé  entre  le  Jour  et  la  Nuit^  David, 
assisté  par  la  Sagesse  et  la  Prophétie,  tient  un  livre  où  est 
écrit  :  «  0  Dieu  !  donnez  votre  discernement  au  roi,  et  au  fils  du 
roi  votre  justice.  »  Le  texte  et  les  deux  personnifications  de  la 
Sagesse  et  de  la  Prophétie,  assistant  au  trône,  ont  trait  à  Tin- 
telligence.  Ce  discernement  que  David  demande  pour  lui ,  cette 
justice  qu'il  implore  pour  Salomon  son  fils,  lequel  prononça 
un  jugement  dont  l'intelligence  fait  encore  aujourd'hui  notre 
admiration ,  tout  cela  est  de  la  sagesse  et  de  la  droiture  d'es- 
prit. Dieu  est  favorable  à  la  prière  de  David ,  et  le  Saint-Esprit 
plane  sur  la  tête  du  roi ,  qu'il  remplit  de  tous  ses  dons.  On  remar- 
quera le  nimbe  qui  entoure  la  tête  de  David  et  celle  des  deux 
allégories.  Ce  tableau  est  réellement  fapothéose  de  fintelligence 
que  sanctifie  TEsprit  divin.  L'Esprit  est  le  dieu  de  la  raison. 

Du  reste,  cette  doctrine  est  dans  le  passage  suivant  de  saint 
Paul,  qu'on  ne  saurait  trop  méditer  :  «  L'esprit  est  donné  visi- 
blement à  chacun  pour  futilité.  L'un  reçoit  de  f esprit  la  pa- 
role de  la  sagesse;  f  autre  reçoit  du  même  esprit  la  parole  de 
la  science.  A  f  un  la  foi  arrive  par  le  même  esprit;  à  f  autre,  et 
par  cet  esprit  unique,  le  don  de  guérir  les  maladies.  L'un  a  le 
don  des  miracles,  un  autre  des  prophéties,  un  autre  du  discer- 
nement des  esprits,  un  autre  des  langues  diverses,  un  autre 

Y  epsilon  et  Y  oméga  sont  archaïques  également.  Remarquez  des  fleurs  de  lis  au  x*  siècle^ 
semées  avec  des  qualre-feuilles  sur  le  manteau  de  David.  Ceci  me  rappelle  qu'une  cou- 
ronne fleurdelisée,  en  marbre  blanc,  est  sculptée  sur  la  façade  méridionale,  au  dehors 
de  l'église  principale  de  Chilandari,  grand  couvent  du  mont  Athos.  Des  fleurs  de  lis  dé- 
corent également  l'abside  de  l'église  dile  Hécalompyli ,  à  Mistra.  Le  manuscrit  est  re- 
connu du  x'  siècle,  l'Hécatompyli  m'a  semblé  du  xiii'  et  la  couronne  de  Chilandari  du 
XV*.  Je  doute  qu'on  trouve  en  France  des  fleurs  de  lis  réelles  qui  soient  aulhenlique- 
ment  anlérieures  au  xi°  siècle,  e\  je  pense  que  c'est  un  ornement  choisi  au  hasard  parmi 
beaucoup  d'autres  et  adopté  par  les  rois  de  France ,  pour  leur  blason ,  seulement  à  par- 
tir du  xii'  ou  même  du  xin'  siècle. 
'  Plus  haut,  p.  208,  pi.  52. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  445 

de  rinterprétation  des  langues.  Mais  c'est  un  seul  et  même 
esprit  qui  opère  toutes  ces  choses  et  fait,  selon  qu'il  lui  plaît, 
la  part  à  chacun  \  »  Moïse  avait  déjà  dit  que  l'esprit  de  Dieu 
fait  prophétiser  et  qu'il  donne  l'intelligence  de  l'avenir;  et 
les  Actes  des  apôtres  avaient  ajouté  que  le  Saint-Esprit  par- 
lait par  la  bouche  des  prophètes^.  Tout  cela  est  conforme  au 
texte  de  saint  Paul  et  au  dessin  du  manuscrit  grec.  Saint  Pierre 
enfin  avait  reproché  à  Ananie  de  mentir  au  Saint-Esprit;  or 
le  mensonge  est  surtout  un  vice  intellectuel.  La  science  et  la 
pensée  modernes  recueillent  ces  textes  épars;  elles  groupent 
et  multiplient  ces  faits  isolés  et  trop  rares  encore,  les  mettent 
sous  un  jour  plus  éclatant,  et  prononcent,  que  le  Saint-Esprit 
a  commencé  son  règne.  Ce  qui  flottait  au  moyen  âge  com- 
mence à  se  fixer  aujourd'hui;  et  chaque  personne  divine  rentre 
dans  ses  attributions  spéciales  ^. 

Au  reste,  l'art  chrétien  lui-même  attribue  quelquefois  l'in- 
telligence au  Saint-Esprit ,  tandis  qu'il  donne  la  force  au  Père 
et  l'amour  au  Fils.  Le  dessin  suivant  présente  ce  fait ,  qui  est 
pour  nous  du  plus  haut  intérêt. 

'  Ad  Corinthios,  I,  cap.  xii ,  v.  y-i  i.  «  L'esprit  de  Dieu  scrute  et  connaît  ce  qui  est 
en  Dieu,  dit  saint  Paul  dans  la  même  épître,  chap.  ii ,  v.  lO  et  1 1.  Il  y  aurait  peut-èlre 
lieu  de  parler  ici  du  péché  contre  le  Saint-Esprit,  péché  qui  parait  pui^ement  intellectuel, 
irrémissible  et  sur  lequel  on  a  tant  discuté;  mais  nous  ne  sortirions  de  ce  grave  débat 
qu'après  une  dissertation  fort  longue  et  où  l'archéologie  monumentale  n'a  presque  rien 
à  voir.  On  peut  consuller  d'ailleurs  un  traité  du  bénédictin  allemand  Martin  Gerbert  ; 
cet  ouvrage,  imprimé  en  1767,  a  pour  titre  :  De  peccato  in  SpiriUim  Sancium  in  hac  et  in 
altéra  vita  irremissibili. 

■  Lib.  Numerorum,  cap.  xii.v.  aS-ag.  —  Tertullien  , De  anima,  cap.  11 ,  dit  :  «  Sancti 
«Spirilus  vis  operatrix  prophétise.  »  —  Act.  Aposi.  cap.  xvni,  v.  26. 

^  u  Dieu  est  en  trois  personnes  :  la  puissance  est  au  Père,  qui  a  tout  créé;  l'amour  au 
Fils,  qui  a  tout  racheté;  l'intelligence  au  Saint-Esprit,  qui  a  tout  vivifié.  «  Ainsi  s'exprime 
M.  Fabisch,,  statuaire  lyonnais,  clans  une  introduction  à  l'histoire  et  à  la  philosophie  de 
l'art  chrétien.  (Voyez  l'Institut  calholique,  tome  II,  p.  3o8,  n"  de  décembre  1842.)  L'Ins- 
titut est  un  recueil  périodique  ;  il  se  publie  à  Lyon ,  sous  les  yeux  et  le  patronage  de 
M^'  de  Bonald  ,  cardinal-archevêque. 


446 


INSTRUCTIONS. 

SAINT-ESPRIT  EN  DIEU  DE   L'INTELLIGENCE  ET  TENANT  UN   LIVRE 
Miniature  française  du  xiv''  siècle  '. 


Au  centre  de  cette  Trinité,  Dieu  le  père  tient  le  globe,  at- 
tribut de  sa  toute-puissance  et  de  la  création  ,  dont  il  est  l'au- 
teur. Le  Fils,  qui  est  assis,  suivant  la  loi,  à  la  droite  de  son 
Père,  tient  la  croix  où  il  est  mort  et  qui  est  surmontée  quel- 
quefois d'un  pélican  s'ouvrant  les  entrailles  pour  ressusciter 
ou  nourrir  ses  petits^  :  cette  croix  est  le  symbole  de  l'amour. 

'   Manuscrit  français,  Blbl.  roy.  fonds  Lavall. 

"  Voyez  un  remarquable  dessin  à  la  couleur  noire,  sur  soie,  qui  appartient  à  M.  Jules 
Boiliy.  Cette  pièce,  longue  de  deux  mètres  cinquante  centimètres,  sur  soixante  et  dix 
centimètres  de  haut,  vient  des  environs  de  Narbonne  et  a  dû  êlrc  exécutée  en  Allemagne  ; 
elle  a  servi  sans  doute  de  parement  d'autel.  Au  centre,  Jésus  meurt  entouré  de  sa  mère, 
de  saint  Jean  évangélisle ,  de  la  Religion  chrétienne  personnifiée  eld'Isaïe,  de  la  Synagogue 
personnifiée  et  de  David.  Au  pied  sont  agenouillés  un  roi  et  une  reine  qui  ressemblent  à 
Charles  V  de  France  et  à  sa  femme,  qui  sont  aujourd'hui  à  Saint-Denis  et  qu'on  prend 
bien  à  tort  pour  saint  Louis  et  pour  Blanche  de  Castille.  Le  K  de  Karolus  sert  d'ornement 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  kM 

Le  Saint-Esprit,  à  la  gauche  du  Père,  aussi  âgé  que  le  Père  et 
le  Fils,  et  couvert  symboliquement  de  leur  propre  manteau . 
tient  un  livre  ouvert,  qui  est  l'attribut  de  riotelligence  et  qui 
a  la  forme  des  tables  de  la  loi.  Constamment  le  livre  désigne 
l'intelligence,  l'étude,  la  science.  Un  texte  de  Guillaume  Du- 
rand ,  que  nous  avons  donné  plus  haut,  ne  laisse  aucun  doute 
là-dessus.  Le  rouleau  signifie  la  science  incomplète;  le  livre, 
la  science  parfaite.  On  devrait  toujours  donner  le  livre  aux 
apôtres  et  le  rouleau  aux  prophètes,  pour  marquer  le  degré  de 
connaissance  des  uns  et  des  autres  ^  Le  Saint-Esprit  est  donc 
ici  la  source,  la  cause  de  fintelligence,  et  c'est  ainsi  princi- 
palement qu'il  devra  être  figuré  dans  favenir. 


CULTE  DU   SAINT-ESPRIT. 


Les  honneurs  extérieurs  rendus  au  Saint-Esprit,  moindres 
que  ceux  du  Christ,  surpassent  ceux  qu'on  attribue  à  Dieu  le 
père.  L'art  figure  le  Saint-Esprit  plus  rarement  que  Jésus, 
mais  beaucoup  plus  souvent  que  Jéhovah. 

Sous  le  nom  de  Saint-Esprit  et  sous  celui  de  Paraclet,  beau- 
coup d'églises  et  de  couvents  ont  été  élevés  à  la  troisième  per- 

au  cadre.  A  droite  el  à  gauche  du  crucifiement  sont  l'arrcslalion  de  Jésus  au  jardin  des 
Oliviers,  la  flagellation  ,  le  portement  de  la  croix,  la  sépulture,  la  descente  aux  enfers 
et  l'apparition  à  Madeleine.  Au  sommet  de  la  croix  le  pélican  se  perce  le  ventre.  C'est  du 
xiv"  siècle  et  d'une  fort  remarquable  exécution.  Un  pélican  est  posé  de  même  sur  la  cime 
de  la  croix  dans  les  crucifiements  qui  ornent  beaucoup  de  manuscrits  à  miniatures.  Le 
pélican,  image  du  dévouement  absolu ,  devait  accompagner  le  crucifiement;  on  le  voit  sur 
des  vitraux  du  xiii"  siècle  qui  décorent  la  chapelle  du  fond  de  l'abside,  dans  l'ancienne 
église  abbatiale  d'Orbais  (Marne,  arrondissement  d'Epernay). 

'  Voyez  ce  que  nous  disons  à  ce  sujet,  page  280.  Du  reste,  voici  le  texte  de  Durand; 
on  ne  sera  pas  fâché  de  le  connaître  :  «  Ante  Chrisli  adventum  lldes  figurative  osteiule- 
"  batur,  et  quoad  niulla  in  se  iniplicita  erat.  Ad  quod  oslendendum  patriarche  el  pro- 
"  phetaî  pingunlur  cum  rotulis,  per  quos  quasi  quauiam  impcrfecla  cognitio  designalur. 
.1  Quia  vero  apostoli  in  Christo  perfecte  edocti  sunt,  ideo  libris,  per  quos  designalur  con- 
"  grue  perfecla  cognilio,  uti  possunl.  «  [Rationulc  cUv.  ojjic.  lib.  I  ,  cap.  m.) 


448  INSTRUCTIONS. 

sonne  divine.  En  Italie,  à  Florence,  c'était  une  église  et  un 
cloître  qui  furent  peints  par  Cimabue^;  à  Rome,  une  église 
et  un  hôpital  construits  et  sculptés  par  Marcliione  d'Arezzo, 
sous  le  pape  Innocent  IIP;  à  Arezzo ,  c'était  l'oratoire  du  Saint- 
Esprit,  dont  le  maître-autel  fut  peint  à  fresque  par  Taddeo 
Gaddi,  élève  de  Giotto^  A  l'entrée  de  Palerme,  l'église  de 
Santo-Spirito,  bâtie  en  iiySS  est  célèbre  dans  les  annales 
du  pays;  car  là  se  passa  l'événement  qui  fit  éclater  la  vengeance 
méditée  depuis  longtemps  par  Jean  de  Procida^.  Le  Campo- 

'  Vasari,  Vies  des  peintres.  Vie  de  Cimabue.  L'église  fut  rebâtie  par  Brunelleschi. 

-  Idem,  ihid.  Vie  d'ArnoIfo  di  Lapo.  Au  Borgo-Vecchio  existaient  cet  hôpital  et  cette 
église  de  Sanlo-Spirito-in-Sassia.  (Voyez  dans  les  Mémoires  de  la  commission  des  anti- 
quités de  la  Côte-d'Or,  in-4°,  tome  I,  pages  S-gg,  l'Histoire  de  la  fondation  des  hôpi- 
taux du  Saint-Esprit  de  Rome  et  de  Dijon ,  par  M.  G.  Peignol.)  L'hôpital  du  Saint-Esprit 
fut  fondé  à  Rome  en  1198,  par  le  pape  Innocent  III  ;  mais  ce  fut  une  restauration 
à  nouveau,  car  l'origine  en  remonte  au  viif  siècle.  Sur  ce  modèle  fut  fondé  à  Dijon, 
en  i2o4,  par  Eudes  III,  duc  de  Bourgogne,  un  hôpital  également  dédié  au  Saint- 
Esprit.  Une  bulle  de  i24i  résume  les  privilèges  accordés  par  les  papes  à  l'ordre  hospi- 
talier du  Saint-Esprit  en  général.  Dans  l'énumération  des  contrées ,  provinces  et  villes 
où  l'ordre  avait  des  possessions  et  des  hôpitaux,  on  nomme  Dijon,  Dôle,  Tournus. 
Besançon,  etc.  Les  hospitaliers  du  Saint-Esprit  portaient  sur  leur  habit  religieux,  en 
signe  distinctif ,  la  croix  d'argent  à  double  traverse ,  espèce  de  croix  de  Lorraine.  Nous 
en  avons  donné  plusieurs  exemples  plus  haut,  planches  96,  98,  pages  890,  Sgô.  Cette 
croix  double  des  hospitaliers  du  Saint-Esprit  fut  montrée  en  révélation  par  un  ange  au 
pape  Innocent  III,  fondateur  de  l'ordre.  La  robe  des  religieux  était  bleue;  le  manteau, 
qui  était  noir,  portait  cette  double  croix.  Dans  les  hôpitaux  de  Rome  et  de  Dijon  on  rece- 
vait les  orphelins,  les  enfants  trouvés,  les  malades  pauvres  et  les  pèlerins  ;  on  y  exerçait 
les  sept  œuvres  de  miséricorde.  Cet  hôpital  a  existé  jusqu'en  1 790.  A  la  bibliothèque  de 
la  ville  de  Troyes  existe  un  curieux  manuscrit  rempli  de  dessins  à  la  main  ;  le  texte  con- 
tient l'histoire  et  la  description  de  cet  hôpital  du  Saint-Esprit,  dont  les  dessins  présentent 
des  vues  de  toute  nature.  Un  manuscrit  semblable  est  à  Dijon ,  et  c'est  d'après  ce  bel 
ouvrage  que  M.  Peignot  a  fait  son  travail. 

'  Vasari,  Vies  des  peintres.  Vie  de  Taddeo  Gaddi. 

*  Fazellus  dit  :  «  Gualterius  Panormitanus  cœnobium  S.  Spiritus ,  Cisterciensis  ordinis , 
;i  condidit  anno  1170.)) 

^  C'était  la  coutume,  à  Palerme,  d'aller  entendre  la  messe  à  Santo-Spirito  le  mardi 
de  Pâques.  Le  dernier  jour  du  mois  de  mars  de  l'année  1282  ,  les  Palermitains  se  trou- 
vaient réunis  en  très-grand  nombre  dans  l'église ,  comme  à  l'ordinaire.  Un  des  soldats 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  449 

Santo  de  Palerme  dépend  de  cette  église.  En  Allemagne,  une 
église  de  Cobourg  s'appelle  Saint-Esprit.  En  France,  dans  le 
département  de  la  Somme,  une  chapelle  de  l'église  paroissiale 
de  Rue  a  le  nom  de  Saint-Esprit;  dans  le  même  départe- 
ment, une  abbaye,  fondée  en  1218,  s'appelle  Paraclet-des- 
Champs^  L'abbaye  du  Paraclet,  à  Nogent-sur-Seine,  est  cé- 
lèbre par  Abailard  qui  l'a  fondée,  et  parHéloïse  qui  en  fut  la 
première  abbesse'^  Des  abbayes  du  Saint-Esprit  existaient  à 
Béziers  et  à  Luxembourg;  des  abbayes  de  Sainte-Colombe  (la 
colombe  est  le  symbole  du  Saint-Esprit)  existaient  dans  le 
diocèse  de  Limoges,  dans  le  territoire  d'Ardres,  près  de  Vienne 
en  Daupbiné,  près  de  Sens  et  dans  le  diocèse  de  Chartres^. 
Ainsi  la  troisième  personne  divine  avait,  sous  ses  deux  noms 
de  Saint-Esprit  et  de  Paraclet,  et  sous  celui  de  Sainte-Colombe, 
des  établissements  considérables,  églises  et  chapelles,  cloîtres 
et  monastères ,  qui  lui  étaient  consacrés.  On  se  contentera  des 
faits  qui  précèdent,  sans  en  signaler  de  semblables  ni  en  An- 
français,  nommé  Droet,  qui  étaient  venus  se  mêler  aux  fidèles,  insulta  une  jeune  fille 
de  Palerme,  distinguée  par  ses  vertus  et  sa  beauté.  Ses  parents  accoururent  à  ses  cris 
et  massacrèrent  le  soldat  brutal.  Le  peuple,  qui  haïssait  les  Français,  se  jeta  sur  ceux 
qui  étaient  dans  l'église  et  les  égorgea  fous.  La  nouvelle  du  massacre  se  répandit  bientôt 
dans  toute  la  ville,  et  alors  commencèrent  les  vêpres  siciliennes.  (Gally  Knigth,  Excur- 
sion monumentale  en  Sicile,  et  Bulletin  monumental  de  M.  de  Caumont,  5'  vol.  p.  198.) 

'  Cette  abbaye,  qui  était  de  femmes,  fut  fondée  par  Enguerrand,  seigneur  de  Boves; 
deux  des  filles  d'Enguerrand  en  furent  les  premières  abbesses.  Cette  abbaye  était  de 
l'ordre  de  Cîteaux;  c'est  une  ferme  aujourd'hui,  et  elle  n'a  conservé  que  peu  de  restes  de 
ses  anciennes  constructions.  Je  dois  ces  renseignements  à  M.  Goze,  correspondant  du 
comité  des  arts  et  monuments,  à  Amiens.  On  remarquera  que  cette  abbaye  du  Paraclet 
était  de  l'ordre  de  Cîteaux,  comme  celle  de  Santo-Spirito,  à  Palerme. 

*  Le  Paraclet  de  la  Picardie  et  celui  de  la  Champagne  étaient  tous  deux  des  couvents  de 
femmes.  Le  nom  de  Paraclet,  qui  signifie  consolateur,  l'avait  peut-être  voulu  ainsi.  G  est 
sous  les  ailes  de  la  divine  colombe  qu'Héloïse  abrita  sa  douleur  et  chercha  à  se  con- 
soler. 

'  Monastères  de  France,  par  M.  Louis  de  Mas-Latrie,  dans  l'Annuaire  historique  pour 
l'année  i838. 

INSTRUCTIONS    II.  ^7 


450  INSTRUCTIONS. 

gleterre  ni  en  Espagne  K  En  France,  on  a  même  dédié  une  petite 

ville  de  Provence  et  une  autre  de  Gascogne  au  Saint-Esprit  ^. 

Enfin,  dans  la  liturgie,  il  existe  un  office  entier  en  l'honneur 
du  Saint-Esprit.  On  a  composé  des  hymnes,  des  proses,  des 
litanies,  des  prières,  en  son  honneur;  on  lui  a  consacré  une 
des  plus  belles  fêtes,  la  Pentecôte,  qui  se  célèbre  en  mai, 
dans  la  plus  belle  saison  et  dans  le  plus  beau  mois  de  Tannée. 
Ce  sont  là  de  grands  hommages,  grands  surtout  quand  on  les 
met  en  regard  de  ceux  rendus  au  Père,  auquel  pas  une  église, 
pas  un  office ,  ne  sont  dédiés  ^.  Comme  nous  l'avons  dit ,  un 
ordre  célèbre  de  chevalerie  a  été  institué  portant  le  nom  de  la 
troisième  personne  divine.  L'ordre  du  Saint-Esprit,  ordre  pri- 
vilégié et  réservé  aux  plus  hautes  notabilités  de  l'aristocratie, 
fut  fondé  en  i352;  réorganisé  en  1679,  ^^  ^  existé  jusqu'en 
i83o.  Voilà,  dans  le  culte  religieux  ou  civil,  à  peu  près  tous 
les  honneurs  rendus  au  Saint-Esprit;  voyons  maintenant  ce 
que  fhistoire  rapporte,  ce  que  l'art  a  fait  pour  lui.  La  part 
de  la  troisième  personne  divine  a  été  belle  assurément  dans  la 


'  M.  Cyprien  Robert  [Cours  d'hiéroglyphique  chrétieime ,  dans  l'Université  catholique, 
tome  VI%  page  266)  dit  :  «Les  premières  basiliques,  placées  ordinairement  sur  des 
hauteurs,  s'appelèrent  Domus  Columhœ,  demeures  de  la  Colombe,  c'est-à-dire  de  l'Esprit 
saint.  Elles  recevaient  les  premiers  rayons  de  l'aurore  et  les  dernières  flammes  du  cou- 
chant. »  Je  n'ai  pu  vérifier  ce  fait  ni  savoir  sur  quoi  on  le  fondait.  D'ailleurs ,  si  des  basiliques 
élevées  sur  des  hauteurs  ont  été  nommées  maisons  de  la  colombe,  c'est  peut-être  parce 
que  les  colombes  et  les  pigeons  ramiers  y  faisaient  leur  demeure,  plutôt  qu'en  vue  du 
Saint-Esprit.  J'émets  un  doute,  sans  rien  affirmer,  parce  que,  je  le  répète,  je  ne  connais 
pas  les  faits  énoncés  par  M.  Robert. 

'^  Le  pont  Saint-Esprit  est  célèbre  en  Provence.  La  terre  du  Saint-Esprit  est  la  plus 
grande  des  nouvelles  Hébrides. 

'  Qu'on  se  rappelle,  relativement  à  la  différence  des  honneurs  rendus  à  chacune  des 
personnes  divines,  la  note  1,  p.  242.  Cette  différence  s'explique  et  se  justifie  par  1  his- 
toire. On  n'a  pas  vu  le  Père;  mais  le  Fils,  qui  nous  sauve,  et  le  Saint-Esprit,  qui  nous 
guide,  se  sont  manifestés  visiblement.  Nous  devions  donc  les  représenter  plus  souvent  et 
les  honorer  plus  tendrement  que  le  Père  :  c'était  plus  facile  et  plus  naturel. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  451 

narration  historique  comme  dans  les  œuvres  de  la  peinture  et 
de  la  sculpture. 


MANIFESTATIONS    DU  SAINT-ESPRIT. 


Dans  l'histoire  sainte,  le  Saint-Esprit  est  souvent  indiqué;  il 
est  nommé  quelquefois,  et  il  se  produit  par  diverses  apparitions. 
Nous  parlerons  même  de  certains  textes  où,  selon  les  commen- 
tateurs, l'Esprit  se  révèle  avec  plus  ou  moins  de  prohabilité, 
parce  que  l'art  s'est  emparé  de  ces  interprétations  et  les  a  tra- 
duites en  faisant  apparaître  la  troisième  personne.  Dieu  dit  dans 
la  Genèse  :  «  Faisons  l'homme  à  notre  image.  »  On  a  expliqué  le 
pluriel  FAISONS  par  le  conseil  que  les  personnes  divines  tiennent 
entre  elles,  et  l'on  a  déclaré  que  la  Trinité  tout  entière,  le  Saint- 
Esprit  par  conséquent,  se  révélait  dans  ce  pluriel  \  comme  elle 
s'était  révélée  visiblement  à  Abraham ,  sous  la  forme  des  trois 
jeunes  hommes  auxquels  il  servit  un  repas,  et  devant  l'un  des- 
quels il  se  prosterna.  Les  sociniens  ne  voulaient  pas  recon- 
naître la  pluralité  des  personnes  divines  dans  le  «  faciamus 
«hominem  ad  similitudinem  nostram.  »  Dieu,  disaient  -  ils , 
avait  bien  pu  parler  au  pluriel  comme  un  artiste  qui  s'excite 
lui-même,  ou  comme  un  souverain  qui  ne  s'exprime  pas  au 
singulier;  d'ailleurs  il  pouvait  tout  simplement,  en  parlant 
ainsi,  s'adresser  à  un  ange  qui  l'aurait  servi  dans  l'œuvre  de 
la  création.  Les  théologiens  ont  réfuté  les  sociniens  avec  plus 
ou  moins  de  force;  ils  ont  reconnu  que  les  trois  personnes  s'é- 
taient révélées  dans  ce  premier  chapitre  de  la  Genèse,  au  «fa- 
«  ciamus  ;  »  comme  dans  le  troisième ,  à  ce  passage  :  «  Voici 
qu'Adam  est  devenu  semblable  h  nous  ^  ;  «  comme  dans   le 

'   Voyez  nn  dessin  que  nous  avons  donné  p.  35,  pi.  6. 

'  «Ecce  Adam  quasi  unus  ex  nobis  factus  est.  »  {Genesis,  m,  22.) 


452  INSTRUCTIONS. 

onzième ,  en  cet  endroit  :  «  Venez ,  descendons  et  confondons 

leur  langage  ^  » 

Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  controverses,  le  Saint-Esprit  ap- 
paraît nominativement  dans  le  second  verset  de  la  Genèse  : 
«  La  terre  était  informe  et  nue;  les  ténèbres  couvraient  la  face 
de  l'abîme,  et  I'esprit  de  Dieu  était  porté  sur  les  eaux^  » 

112.  SAINT-ESPRIT  EN  COLOMBE   ET  PORTE  SUR  LES  EAUX. 

Miniature  française,  xv°  siècle'. 


Lorsque  Dieu  reçoit  son  fils  et  lui  dit  de  s'asseoir  à  sa  droite, 

'   «Venile,  descendamus  et  confundamus  linguam  ipsorum.  »  {Genesis,  xi,  7.) 

'  n  Spiritus  Dei  ferebatur  super  aquas.  »  [Ibid.  1,2.) 

^  Le  miniaturiste,  amoureux  du  paysage,  a  été  fort  infidèle  au  texte;  la  terre,  au  lieu 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  453 

on  voit  souvent,  dans  les  manuscrits  à  miniatures,  en  tête  du 
psaume  cix  \  le  Saint-Esprit  planant  au-dessus  des  autres 
personnes  ou  les  unissant  par  l'extrémité  de  ses  ailes,  ou  se 
plaçant  à  côté  du  Père  et  à  sa  gauche.  Isaïe  le  nomme  plu- 
sieurs lois  et  analyse  même  les  propriétés  qui  le  constituent; 
les  sept  esprits  qu'il  possède,  qui  rayonnent  autour  du  Messie, 
se  reposent  sur  lui  et  le  remplissent^.  L'archange  Gahriel  dit 
à  Marie  :  «  Le  Saint-Esprit  surviendra  en  vous  et  la  vertu  du 
Très-Haut  vous  couvrira  de  son  ombre ^.  o  Plus  tard,  au  bap- 
tême de  Jésus-Christ,  le  texte  est  plus  formel  encore,  car  le 
Saint-Esprit  apparaît  visiblement  sous  la  forme  d'une  colombe  ^; 
il  se  montre  à  Jésus,  s'arrête  sur  lui,  le  remplit  de  sa  vertu  et 
le  conduit  au  désert  pour  y  être  tenté  par  le  démon.  Avant  de 
quitter  la  terre,  Jésus  promet  à  ses  apôtres  de  leur  envoyer  le 
Saint-Esprit,  le  Paraclet,  l'esprit  de  vérité^.  En  effet,  «  Les  jours 
.  de  la  Pentecôte  étant  accomplis,  et  tous  étant  assemblés  dans 

d'être  informe,  nue  et  ténébreuse ,  comme  dit  la  Genèse,  est  charmante  d'aspecl,  habillée 
de  verdure,  éclatante  de  lumière.  Les  petites  vagues  sur  lesquelles  glisse  le  Saint-Esprit , 
et  que  la  gravure  a  pu  rendre  seulement  par  des  lignes  sèches  et  noires ,  sont  rehaussées 
de  lumière  dans  le  dessin  original.  L'eau  de  ce  beau  fleuve  est  glacée  d'argent  et  brille 
comme  du  cristal.  Le  manuscrit  d'où  est  tiré  ce  dessin  est  à  la  bibliolhèque  de  l'Arsenal  : 
c'est  un  livre  d'Heures  du  xv^  siècle.  (Théol.  fr.  8,  f"  3  verso.) 

'  a  Dixit  Dominus  Domino  meo  :  sede  a  dextris  meis.  »  Voyez  principalement  p.  007 , 
pL  78.  Le  Saint-Esprit  que  nous  donnons  est  là,  tenant  un  livre,  comme  celui  qui  pré- 
cède, à  la  pi.  111. 

*  aEffundam  spiritum  meum  super  semen  tuum.  »  (Isaias,  cap.  xliv,  v.  3.)  C'est  au 
chapitre  xi,  v.  1,  2  et  3,  que  sont  énumérés  les  sept  altribuls  du  Saint-Esprit. 

^  S.  Luc,  cap.  I,  V.  35. 

'  S.  Matlh.  chap.  m,  v.  16,  dit  :  «  Ecce  aperti  sunt  ei  (Jesu  baptisalo  et  oranti)  cœli, 
«  et  vidit  spiritum  Dei  descendentem  sicut  columbam  »  [corporaîi  specie,  ajoute  S.  Luc, 
chap.  m,  V.  22  ).  En  parcourant  les  gravures  qui  précèdent  et  d'autres  qui  vont  suivre, 
on  trouvera  plusieurs  baptêmes  dans  lesquels  le  Saint-Esprit  se  manifeste.  (Voyez  surtout 
page  210,  pi.  53.) 

'  «Et  ego  rogabo  Patrem  et  alium  Paraclelum  dabit  vobis,  ut  maneat  vobiscum  in 
«aeternum,  spiritum  verilatis.  »  (S.  Jean,  cl)ap.  xiv,  v,  16  et  17.) 


454  INSTRUCTIONS. 

un  même  lieu ,  il  se  fit  tout  à  coup  un  bruit  qui  venait  du 
ciel,  semblable  à  celui  d'un  vent  impétueux,  et  qui  remplit  la 
maison  où  ils  étaient  assis.  Et  ils  virent  apparaître  comme  des 
langues  de  feu  qui  se  dispersèrent  et  vinrent  se  poser  sur  cha- 
cun d'eux.  Et  tous  furent  remplis  du  Saint-Esprit,  et  ils  com- 
mencèrent à  parler  diverses  langues ,  selon  que  fEsprit  saint 
les  faisait  s'exprimer  ^  »  On  est  ici  à  la  plus  importante,  à  la 
plus  complète  de  toutes  les  manifestations  du  Saint-Esprit: 
c'est  comme  fÉpiplianie  de  la  troisième  personne  divine. 

Outre  ces  apparitions  historiques ,  il  y  en  a  d'autres  qui 
tiennent  de  fhistoire  et  de  la  légende  tout  à  la  fois,  et  que 
fart  s'est  empressé  d'adopter. 

Jésus-Christ,  après  avoir  accompli  sa  mission  sur  la  terre  et 
terminé  son  douloureux  pèlerinage,  remonta  au  ciel  pour  venir 
rendre  compte  à  son  père  de  tout  ce  qu'il  avait  fait;  ordinaire- 
ment, sur  les  monuments  qui  représentent  cette  belle  scène, 
on  figure  le  Saint-Esprit  accompagnant  le  Père  éternel  dans  la 
réception  qu'il  fait  à  son  fils. 

Dans  l'histoire  de  Dieu  le  fils,  nous  avons  donné  un  dessin 
où  le  Saint-Esprit  est  assis  à  côté  du  Père,  qui  bénit  son  fils 
revenant  de  son  pèlerinage  terrestre.  Le  Saint-Esprit,  qui  tient 
un  livre,  attribut  de  l'intelligence,  bénit  également  Jésus ^. 

Après  l'Ascension ,  vient  TAssomption  ;  après  le  triomphe 
du  Christ,  celui  de  Marie.  La  Vierge  étant  morte,  «  les  apôtres 
portèrent  son  corps  dans  un  sépulcre  et  s'assirent  auprès,  selon 
qu'il  leur  avait  été  ordonné  par  le  Seigneur.  Le  troisième  jour, 
Jésus  vint  avec  une  multitude  d'anges  et  salua  ses  apôtres  de 
ce  salut  qu'ils  connaissaient  si  bien  :  «  Paix  à  vous.  »  Les  apôtres 

'  Act.  Apostol.  cap.  ii,  v.  i-^. 

'  Voyez  page  807 ,  planche  78.  Ce  sujet  est  extrait  du  manuscrit  de  la  bibliothèque 
Sainte-Geneviève ,  Romani  des  trois  pèlerinages. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  455 

répondirent  :  «  A  vous,  Seigneur,  qui  faites  seul  de  grandes  mer- 
«  veilles,  à  vous  la  gloire.  »  «  Quelle  laveur  et  quelle  dignité,  leur 
demanda  Jésus,  dois-je  accorder  en  ce  moment  à  ma  mèreP» 
Et  ceux-ci  :  «  Il  paraît  juste  à  vos  serviteurs  que  vous,  qui  avez 
«  vaincu  la  mort  et  qui  régnez  sur  l'éternité,  vous  ressuscitiez 
«  aussi  le  corps  de  votre  mère  et  le  placiez  pour  toujours  à 
«votre  droite.  »  Jésus  consentit,  et  aussitôt  l'archange  Michel 
apparut  et  lui  présenta  l'âme  de  Marie.  Alors  le  Sauveur  dit  ces 
paroles  :  «Levez-vous,  ma  mère,  ma  colombe,  tabernacle  de 
«  gloire,  vase  de  vie,  temple  céleste,  afin  que  votre  corj)s,  qui 
«n'a  reçu  aucune  tache  à  l'approche  d'un  homme,  ne  se  dé- 
«  truise  pas  dans  le  tombeau.  »  Aussitôt  l'âme  de  Marie  revint 
dans  son  corps,  qui  sortit  glorieux  du  tombeau.  Ainsi  la 
Vierge,  accompagnée  d'une  foule  d'anges,  fut  enlevée  au  sé- 
jour azurée  »  Arrivée  au  ciel,  Marie  y  fut  accueillie  par  les 
trois  personnes  de  la  Trinité;  elle  s'agenouilla  à  leurs  pieds  et 
fut  couronnée  d'une  couronne  de  reine  ou  d'impératrice.  C'est 
à  ce  triomphe  que  le  Saint-Esprit  assiste,  surtout  dans  les  mo- 
numents figurés  des  xv*"  et  xv!*"  siècles  ". 

'  Lefjenda  aurea.  De  assumptione  bealœ  virginis  Mariae. 

■  Ces  monuments  sont  très-communs  ;  1  un  des  plus  curieux  est  celui  que  nous  repro- 
duisons sur  la  planche  suivante  et  où  la  Trinité,  aussi  égale  que  possible,  assiste  au  cou- 
ronnement de  Marie.  Est-ce  le  Père,  comme  c'est  probable,  qui  couronne  Marie,  sa 
fille  célesle?  Le  Fils  paraît  bien  être  la  personne  qui  est  à  la  droite  du  Père  el  le  Saint- 
Esprit  celle  qui  est  à  sa  gauche.  Du  reste  c'est  par  comparaison  avec  d'autres  monuments 
semblables  de  la  même  époque,  et  où  des  attributs  divers  caractérisent  les  trois  personnes 
divines,  qu'il  est  possible  de  dire  que  le  Père  tient  la  couronne  sur  la  tête  de  Marie. 
Page  5o8,  planche  126,  nous  donnerons  un  couronnement  de  Marie,  où  le  Père,  le  Fils 
et  l'Esprit  sont  parfaitement  distincts.  Si  l'on  ne  possédait  aucun  monument  de  ce 
genre,  on  ne  pourrait  rien  affirmer  relativement  à  la  distinction  des  personnes;  car, 
au  xiii°  et  même  encore  au  xiv'  siècle,  c'est  le  Fils  qui  couronne  sa  mère,  et  ni  le 
Père  ni  l'Esprit  ne  lui  rendent  cet  honneur.  Il  y  a  des  raisons  tirées  de  l'Ancien  Tes- 
tament pour  cela  ;  on  assimile  Jésus  et  Marie  à  Salomon  el  Bethsabée ,  et  l'on  sait  que 
Bethsabée  fut  couronnée  par  son  fils.  (Voy.  à  la  Bibl.  roy.  suppl.  L,  638.  Au  tiers  de 
ce  manuscrit,  le  Fils  bénit  sa  mère,  que  deux  anges  vont  couronner.) 


456 


INSTRUCTIONS. 

1  l3.  —  LE  SAINT-ESPRIT  EN  HOMME  ASSISTANT  AU  COURONNEMENT  DE   MARIE. 
Sculpture  française  en  bois,  xvi°  siècle,  stalles  de  la  cathédrale  d'Amiens. 


P.DVRAND 


A  ces  apparitions,  moitié  historiques  et  moitié  légendaires, 
il  faut  en  joindre  d'autres  empruntées  uniquement  à  la  lé- 
gende ,  qui  sont  plus  ou  moins  douteuses  et  que  l'art  a  très- 
souvent  figurées. 

11  faut  citer  d'abord  celle  qui  est  relative  à  saint  Joseph.  On 
lit,  dans  l'histoire  apocryphe  de  la  nativité  de  Marie,  que  le 
grand-prêtre  consulta  Dieu  pour  savoir  à  qui  il  destinait  en 
mariage  la  jeune  vierge  Marie.  Dieu  lui  dit  d'enfermer  dans  le 
saint  des  saints  des  baguettes  appartenant  à  tous  ceux  de  la 
tribu  de  Juda  qui  seraient  sans  épouse,  et  que  celui  dont  le 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  457 

bâton  laisserait  partir  une  colombe  qui  s'élèverait  vers  le  ciel, 
celui-là  était  l'époux  désigné.  Comme  Joseph  tendait  la  main 
pour  recevoir  sa  baguette,  une  colombe  s'en  échappa,  plus 
blanche  et  plus  resplendissante  que  la  neige  ;  puis ,  après 
avoir  voltigé  quelque  temps  sur  le  temple ,  elle  s'élança  vers 
les  cieux^  Dans  plusieurs  peintures  à  fresque,  dans  diverses 
miniatures  de  manuscrits,  surtout  chez  les  Italiens,  on  voit 
ainsi  une  colombe  blanche,  le  Saint-Esprit,  qui  s'échappe  du 
bâton  fleuri  que  porte  saint  Joseph  au  moment  de  son  mariage 
avec  la  Vierge. 

Quant  à  la  présence  du  Saint-Esprit  au  moment  où  la 
Vierge  met  au  monde  l'enfant  dieu ,  on  la  remarque  au  por- 
tail septentrional  de  la  cathédrale  de  Paris,  sur  le  tympan  de 
la  porte  ;  mais  elle  n'est  pas  authentique.  Il  est  probable  que  ce 
Saint-Esprit,  qui  ressemble  plus  à  un  petit  oiseau ,  à  un  humble 
passereau,  qu'à  une  colombe,  a  été  ajouté  dans  une  restau- 
ration récente  et  qui  date  de  l'empire. 

Mais  le  Saint-Esprit,  comme  la  muse  de  la  vérité,  la  muse 
du  christianisme,  a  inspiré  la  poésie,  l'amour  et  la  vérité,  les 
idées  et  les  sentiments.  On  le  voit,  comme  dans  le  manuscrit 
-grec",  planer  sur  la  tête  de  David,  qu'il  semble  protéger  de 
ses  deux  ailes  étendues;  David,  la  tête  illuminée  d'un  large 
nimbe,  attentif  au  souffle  de  l'Esprit,  recueille  de  nouveaux 
chants  pendant  qu'il  tient  son  psautier  ouvert  et  chargé  d'un 
verset.  Le  Saint-Esprit  ne  se  contente  pas  d'inspirer  David,  il 
fait  assister  le  piophète-roi ,  à  gauche  par  la  Prophétie,  à 


'  Codex  apocrjfjJius  Novi  Tcslumenti,  par  Fabricius.  Ce  sujet  a  été  représenté  sur  des 
fonts  baptismaux  romans  qu'on  voit  dans  une  église  paroissiale  des  environs  de  Saintes; 
des  antiquaires,  ignorant  la  légende,  ont  pris  ce  bàlon  de  saint  Joseph  pour  un  sceptre 
et  celle  colombe  pour  un  aigle.  (Voy.  le  Bullelin  monumental,  VIII,  p.  ojq.) 

■   Plus  haut,  page  /|43 ,  planche  i  lo. 

INSTRUCTIONS.  II.  58 


458  INSTRUCTIONS. 

droite  par  la  Sagesse,  deux  génies,  deux  jeunes  femmes,  or- 
nées du  nimbe  qui  symbolise  la  puissance  autant  que  la  sain- 
teté ',  et  dont  Tune  tient  un  rouleau  et  l'autre  un  gros  livre 
fermé.  A  elles  deux ,  ces  femmes  possèdent  Tintelligence  en- 
tière sous  ses  deux  formes  principales,  le  rouleau  ou  volume, 
et  le  livre  carré. 

Saint  Etienne,  nous  l'avons  déjà  dit,  recevait  ses  inspira- 
tions du  Saint-Esprit,  qui  prononçait  par  la  boucbe  du  jeune 
diacre  le  discours  recueilli  dans  les  Actes  des  apôtres.  Le  Saint- 
Esprit,  comme  un  oiseau  familier,  vient  se  poser  sur  l'épaule 
droite  du  pape  Grégoire  le  Grand;  la  colombe  cause  avec  le 
pape  et  lui  inspire  ses  divers  ouvrages,  qui  l'ont  mis  à  la  tête 
des  quatre  pères  de  l'Eglise  romaine  ^. 

'  A  ce  caractère,  fût-il  unique,  on  reconnaîtrait  que  la  miniature  est  byzantine  d'ori- 
gine ou  tout  au  moins  de  tradition.  Qu'on  se  reporte  à  ce  que  nous  avons  dit  à  ce  sujet, 
surtout  pages  85  et  QO-gS. 

"  Paul  Diacre,  Vie  de  saint  Grégoire  (Sancli  Gregorii  opéra,  in-f,  Paris,  lyOS,  t.  IV, 
p.  i4,  i5),  raconte  ainsi  cette  curieuse  légende  qui  est  souvent  figurée  en  détail  dans 
nos  églises,  et  qui  est  sculptée  notamment  à  la  cathédrale  de  Chartres,  sur  le  pilier  des 
confesseurs,  arcade  droite  du  porche  méridional  :  .(A  fideli  et  religioso  viro...  »  (il  s'agit 
de  Pierre,  diacre  de  saint  Grégoire)  «  fideliler  post  obitum  ejus  (sancti  Gregorii)  nobis 
«  narralum  didicimus,  quod  cum  idem  vas  electionis  et  habitaculum  Sancti-Spiritus  vi- 
"  sionem  ulïimam  prophetae  Ezechielis  interpretaretur,  obpansum  vélum  inter  ipsum  et 
«  eumdem  exceptorem  tractatus  sui,  illo  per  intervalla  prolixius  l'elicente,  idem  minister 
«  ejus  stilo  perforaverit  et,  evenlu  per  forameu  conspiciens,  vidit  columbam  nive  candi- 
«  diorem  super  ejus  caput  sedentem ,  rostrumque  ipsius  ori  diu  tenere  apposilum.  Quae 
«cum  se  ab  ore  ejusdem  amoveret,  incipiebat  sanctus  ponlifex  loqui ,  et  a  notario  gra- 
«  phium  ceris  imprimi.  Cum  vero  reticebat  Sancti-Spiritus  organum,  minister  ejus  ocu- 
«  lum  foraraini  iterum  applicabat,  eumque,  ac  si  in  oratione  levatis  ad  cœlum  manibus 
«  simul  et  oculis,  columbae  rostrum  more  solito  conspicabatur  ore  suscipere.  —  Dans  les 
représentations  figurées  la  colombe  est  sur  l'épaule  de  saint  Grégoire;  dans  le  texte  du 
biographe  elle  se  pose  sur  la  tête  du  pontife.  La  difficulté  de  représenter  sur  la  tête  du 
pape  la  colombe  qui  vient  lui  déposer  l'éloquence  sur  les  lèvres  a  dû  faire  prendre 
l'autre  parti.  Du  reste  l'Esprit  saint  serait  mieux  placé  sur  la  tête,  siège  de  l'intelligence, 
ainsi  qu'on  le  voit  sur  la  pi.  iio.  On  se  rappelle  le  texte  «  hdcs  ex  auditu  »  lorstiu'on 
voit  cette  colombe  parler  à  l'oreille  du  grand  saint  Grégoire. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE. 

l\h.  LE  PAPE  SAINT  GREGOIRE  LE  GRAND  INSPIRE  PAR  LE  SAINT-ESPRIT. 

Statue  française  du  xiii'  siècle,  dans  Notre-Dame  de  Chartres  \ 


459 


Les  œuvres  de  saint  Jérôme  furent  inspirées  à  ce  grand  saint 
par  l'esprit  de  Dieu.  Ainsi  l'on  voit,  dans  une  très-belle  minia- 
ture, une  colombe  soufflant  dans  l'oreille  de  saint  Jérôme  des 


Saint  Grégoire  le  Grand  ne  fut  pas  le  seul  inspiré  directement  et  visiblement  par 
le  Saint-Esprit  sous  forme  de  colombe;  l'incomparable  saint  Grégoire  VII  eut  le  même 
honneur,  et ,  dans  son  office ,  on  voit  en  tête  de  la  sixième  leçon  :  «  Dum  missarum  so- 
a  lemnia  perageret ,  visa  est  viris  piis  columba  e  cœlo  delapsa  liumero  ejus  dexlro  insi- 
•«dens,  alis  extensis  capul  ejus  velare  ;  quo  significatum  est  Spiritiis  Sancti  nlllatu,  non 
humanae  pruclenliae  rationibus  ipsum  duci  in  Ecclesiaj  regimine.  »  Saint  Éphrem  de 
Syrie  déclarait  avoir  vu  une  colombe  éclatante  se  poser  sur  l'épaule  de  saint  Basile  le 

58. 


460  INSTRUCTIONS. 

ravoDS  d  intelligence,  et  le  saint  écrit  sous  cette  inspiration  K 
Cette  colombe,  lait  singulier,  ne  porte  pas  de  nimbe;  mais 
ce  doit  être  par  erreur,  car  elle  figure  le  Saint-Esprit. 

A  la  sainte  qui  a  le  plus  aime  Dieu,  mais  qui  a  le  mieux 
compris  et  raisonné  son  amour,  le  Saint-Esprit  >*ient  inspirer 
ses  intellis:entcs  tendresses,  et  lui  dicter  ces  efiPusions  brûlantes 
et  pleines  de  sens  qui  feront  éternellement  sa  gloire.  L  ne  gra- 
A'ure  représente  donc  sainte  Thérèse  assise,  tenant  une  plume 
avec  laquelle  elle  va  écrire  se5  immortelles  pensées.  La  sainte, 
avant  la  tête  environnée  d'un  nimbe  rayonnant,  lève  les  yeux 
au  ciel,  d'où  partent  des  ravons  enflammés.  Sur  l'un  de  ces 
ravons,  le  plus  large,  le  plus  long,  est  écrit  :  «  Spiritus  intel- 
•  ligentiae  replevit  illam-;  »  et  le  Saint-Esprit,  qui  descend  du 
ciel  derrière  elle,  dans  une  auréole  flamboyante,  explique  ces 
paroles  par  sa  présence  visible. 

Enfin,  et  c'est  là  une  admirable  tâche,  le  Saint-Esprit 
éclaire  les  rois  dans  leurs  actions.  Au  sacre  des  rois  et  reines 
d Angleterre,  un  duc,  encore  aujourdhui,  porte  un  sceptre 
surmonte  d'une  colombe  devant  le  souverain  qui  va  recevoir 
l'investiture  sacrée.  Dans  Montlaucon,  on  voit  Charlemagne 

r  .  les  beaux  éczîis  que  nous  connaissons.  Tout  cela  n  est  qu  une 

:r  :  îe  sentir,  de  la  descente  du  &int-Esprit  en  forme  de  colombe 

-i  le  cénade.  Mahomet  lui-même ,  qui  sentait  lout  le  crédit  qu'un 

:  avait  donner  à  ses  doctrines ,  avait  dressé  un  pigeon  a  renir  se  poser 

-  restait  des  heures  entières.  Le  prophète  arabe  faisait  passer 

^  :i  messager  céleste  chars^  de  lui  révéler  les  ordres  de  Dieu. 

(I  it  dgâ  on  instrument  de  doctrine,  un  organe  de  la  volonté 

éi-i-i::.'-  A-  I^ ^dcme les ocàombes  prophétisaient  l'avenir. 

-  Ms.  c  ^,  n*  6839,  fin  du  xiv*  siècle.  WiUenîin  a  sravé  ce 

sujet  dans  son  oovrage  des  Monuments  inédits. 

*  S  le  Sainl-Espril  était  le  Diea  d'amour,  c'eul  ete  surtoni  a  ^a^ime  Tlierese,  «eue 
amante  de  Diea,  qu'il  eut  inspire  toutes  ses  ardeurs.  Cependant  i'ioscription  porte  que 
c'est  de  rintefi^eoce  qu'il  loi  donne,  et  non  de  l'amour.  Le  Saint-Esprit  éclaire  et  n'è- 
n?  pas  sainte  Thérèse  :  •  Aoceodil  lumen  seosîbus.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE  461 

portant  également  un  sceptre  surmonte  dune  colombe  qui 
doit  représenter  le  Saint-Esprit'.  Si  le  sceptre  est  un  bâton 
qui  sert  à  affermir  la  démarche .  la  colombe  est  1  esprit  qui 
dirige  les  pas.  \  oici  la  colombe  di\"ine  brodée  sur  un  étendard 
reliçrieux  et  militaire  à  la  fois  :  religieui  par  la  croii  qui  ter- 
mine la  hampe,  militaire  par  sa  forme.  La  colombe  descend 
du  ciel,  figuré  par  les  ondulations  qui  sont  brodées  au  sommet 
de  cette  voile  g;uerriere  ;  elle  descend  sur  ia  terre  et  plane  au- 
dessus  des  bataillons  qui  vont  en  venir  aux  prises. 

11  5.  5aI>T:-E5FEIT  E5  COLOSCBE  5CE  C>   ETZXBAVL- 

Mûiiatare  ftançaise .  ît*  siècle ,  BOh.  rov.  Heures  du  duc  de  BerrL 


Cet  étendard  est  enti^e  les  mains  de  la  Rehîjion  chrétienne 
personnifiée,  de  l'Eglise,  qui  s'apprête  à  vaincre  la  svnagogue 
et  le  paganisme. 

Monam.  de  la  monarvh.  franc.  J'iffnore  si  Tod  doit  se  fier  à  ia  çravore  ;  mats  oo  troor* 
dans  le  tombeau  de  Philippe  le  Bel,  riole  à  Saint-Denis  ec  i-gS,  un  sceptre  dore,  k>ag 
de  cinq  pieds,  et  termine  par  une  touffe  de  feuillage,  sur  laquelle  était  représenté  un 


/i62  INSTRUCTIONS. 

Au  sacre  de  nos  rois  de  France,  après  l'onction,  on  lâchait 
dans  l'église  des  colombes  blanches;  cela  marquait,  dit-on,  que 
ces  oiseaux  captifs  ayant  recouvré  la  liberté,  le  peuple,  captif 
aussi,  venait  de  regagner  l'indépendance  par  le  sacre  de  son 
roi.  Je  trouve  cette  explication  fort  insuffisante.  Le  peuple  en 
effet  ne  perdait  pas  sa  liberté  par  la  mort  du  souverain;  il  ne 
la  recouvrait  pas  non  plus  par  le  sacre  de  son  successeur.  J'ai- 
merais mieux  voir  dans  ce  fait  une  idée  analogue  à  celle  du 
sceptre  où  se  pose  le  Saint-Esprit.  Le  Saint-Esprit,  la  divine 
colombe ,  prenait  possession  de  la  cathédrale,  de  même  que 
l'intelligence  s'emparait  du  roi  après  sa  consécration.  La  mul- 
titude des  colombes  lâchées  dans  l'église  signifiait  peut-être 
que  le  roi  venait  d'être  doué  de  tous  les  dons  du  Saint-Esprit, 
et  que,  si  l'un  ou  l'autre  périssait  en  lui,  il  lui  en  resterait 
toujours  quelques-uns,  tant  le  nombre  en  était  considérable. 
Chaque  don  du  Saint-Esprit  est  symbolisé  par  une  colombe, 
comme  nous  en  verrons  plusieurs  exemples  ;  les  nombreuses 
colombes  du  sacre  royal  pouvaient  donc  figurer  les  nom- 
breuses vertus  de  la  rovauté^ 

LE    SAINT-ESPRIT    EN    COLOMBE. 

Spiritus  en  latin  et  hnetaia  en  grec  signifient  haleine  et 
souffle;  du  verbe  spirare  nous  avons  fait  respirer.  L'esprit 
est  donc  l'air  en  action;  c'est  le  vent  dans  la  nature,  c'est 
l'âme  dans  l'homme,  c'est  la  vie  et  le  mouvement  dans  l'une 
et  dans  l'autre.  Le  mouvement,  la  rapidité ,  sont  donc  les  qua- 

oiseau  de  cuivre  doré  également.  (V.  M.  de  Cliateaubriand ,   Génie  du  Christianisme 
vol.  IV,  notes  et  éclairciss.  pag.  l^l^2.) 

'  Au  sacre  de  Charles  X,  en  1826,  après  Tinlronisalion,  on  lâcha  ainsi  une  grande 
quantité  de  colombes  dans  la  cathédrale  de  Reims,  La  plupart  vinrent  se  brûler  les  ailes 
aux  innombrables  bougies  qui  illuminaient  l'église  ;  j'en  ai  reçu  une  qui  tomba  morte 
dans  mes  bras. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  463 

lités  essentielles  de  l'esprit.  Lorsqu'on  voulut  représenter  sous 
une  forme  visible  cet  esprit  invisible  et  divin  qui  anime  la  na- 
ture entière,  on  dut  naturellement  songer  à  l'être  vivant  qui  est 
doué  de  la  plus  grande  activité.  En  un  instant  l'oiseau  monte 
de  la  terre  et  s'élève  jusque  dans  les  profondeurs  de  l'air,  où  il 
se  dérobe  aux  regards;  il  peut,  avec  une  facilité  aussi  extraor- 
dinaire que  sa  vitesse,  se  transporter  d'une  contrée  dans  une 
autre;  en  hauteur  et  en  largeur,  il  prend  presque  instantané- 
ment possession  des  plus  grandes  distances.  L'oiseau,  dans  le 
règne  organique ,  était  nécessairement  destiné  à  figurer  l'es- 
prit, qui  est  le  souffle  en  mouvement,  qui  est  la  vitesse  vivante. 
Le  christianisme  exprime  par  des  formes  ornithologiques, 
non-seulement  la  rapidité,  la  vitesse,  mais  la  nature  spirituelle, 
la  substance  incorporelle.  Du  reste,  cette  seconde  idée  est  cor- 
rélative de  la  première,  car  l'âme  est  aussi  légère  que  le  corps 
est  lourd.  Les  anges ,  âmes  sans  corps ,  ont  des  ailes  aux  épaules; 
ils  en   ont  toujours  une  paire  et  quelquefois  trois,  comme 
les  chérubins  et  les  séraphins. 

116.  ANGE   OU   ESPRIT  CELESTE  À   TROIS   PAIRES  D'AILES. 

Pointure  sur  bois  par  le  Pérugin  '. 


Non-seulement  on  leur  met  des  ailes  aux  épaules,  mais  on  les 
place  sur  des  roues  qui  figurent  la  vitesse,  et  sur  des  roues 
ailées  et  enflammées  tout  à  la  fois  pour  représenter  la  vitesse 

'  Le  tableau  où  l'on  voit  ce  séraphin  est  aujourd'hui  clans  l'église  de  Saint-Gervais, 
a  Paris.  Il  représente  le  Père  entouré  des  esprits  célestes. 


464  INSTRUCTIONS. 

extrême.  Rien  de  plus  prompt  que  la  lumière.  Le  tétramorphe 
suivant  (  les  quatre  attributs  des  évangélistes  réunis  sur  un 
seul  corps)  est,  par  ses  triples  ailes  à  plumes  longues,  fortes 
et  nombreuses,  la  figure  d'une  vitesse  énorme,  vitesse  multi- 
pliée encore  par  le  véhicule  ailé  et  enflammé  sur  lequel  est 
posé  le  mystérieux  symbole. 

117,  TÉTRAMORPHE  AILE,  PORTE  PAR  DES  ROUES   AILEES  ET  ENFLAMMEES. 

Mosaïque  byzantine,  du  xiii°  siècle  '. 


En  partant  du  même  principe,  mais  en  lui  donnant  de  l'ex- 
tension, les  artistes  ont  prêté  les  ailes  et  les  formes  de  l'oiseau 
aux  figures  allégoriques  inventées  par  leur  imagination.  Pour 
personnifier  le  vent,  chez  les  païens  comme  chez  les  chrétiens, 
on  figurait  ordinairement  une  tête  soufflant  des  bouffées  d'air 

'  Celle  mosaïque  est  à  ValopècU  ,  un  des  principaux  couvents  du  mont  Athos. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  A65 

et  agitant  avec  force  une  paire  d'ailes  soudées  au  cou.  L'air  lui- 
même  a  été  représenté  sous  la  forme  d'un  homme  jeune,  vi- 
goureux, nu,  tenant  sous  ses  pieds  et  dans  ses  mains  les  quatre 
vents  ailés  qui  se  partagent  les  quatre  points  cardinaux;  l'Air 
porte  deux  puissantes  ailes  d'aigle  attachées  à  ses  épaules  et 
qui  désignent  la  promptitude  avec  laquelle  il  vole  et  passe  du 
calme  à  la  tempête  \  Chez  les  anciens  comme  chez  les  mo- 
dernes, on  donne  des  ailes  à  la  Pienommée,  ce  «  mal  qui  n'a 
pas  son  pareil  en  rapidité ,  et  qui ,  prompt  des  pieds  et  des 
ailes ,  se  nourrit  de  mouvement  et  gagne  des  forces  à  la 
course".  »  En  vertu  du  même  symbolisme,  la  Victoire,  comme 
Mercure,  qui  est  le  messager  céleste,  porte  des  ailes  aux  épaules 
et  quelquefois  à  la  tête  et  auxpieds;la  Victoire  sans  ailes  était 
une  exception  que  la  ville  d'Athènes  avait  consacrée  par  un 
temple  existant  encore  sur  le  sommet  de  l'Acropole. 

Le  moyen  âge,  fidèle  à  ces  idées  païennes,  qu'il  a  complé- 
tées avec  un  rare  bonheur,  a  toujours  regardé  les  ailes  et  les 
formes  ornithologiques  comme  appartenant  à  la  rapidité.  En 
conséquence  l'ange  ou  Tesprit  de  la  jeunesse,  génie  que  rien 
ne  fatigue,  que  rien  n'arrête,  devait  avoir  des  ailes.  En  effet 

^  V  oyez  en  lête  d'un  manuscrit  de  la  bibliothèque  communale  de  Reims  [Exceptiones 
de  libro  pontijïcali)  un  superbe  dessin  sur  parcbemin  qui  représente  l'Air  ailé,  tenant 
sous  ses  pieds  et  dans  ses  mains  les  quatre  têtes  également  ailées  du  Zéphyr,  de  l'Aus- 
ter,  de  l'Aquilon  et  de  l'Eurus.  Des  ailes  étendues  et  puissantes  se  voient  aux  vents 
peints  dans  le  pastoral  de  saint  Grégoire  que  Ton  conservait,  en  i836,  à  l'évêché  d'Au- 
tun ,  où  j'ai  pu  l'étudier.  Sur  la  cuve  ou  lavabo  qui  provient  de  l'abbaye  de  Saint-Denis 
et  qu'on  a  placée  à  l'école  des  Beaux-Arts,  Jupiter,  Diana,  Aer,  sont  sculptés  en  haut  re- 
lief; ils  portent  chacun  deux  ailes  à  la  tête,  près  des  oreilles.  Ce  curieux  monument  est 
du  xiu'  siècle. 

'  Ce  sont  les  expressions  de  Virgile  [Enéide,  IV),  lorsqu'il  fait  la  description  de  la 
Renommée,  à  laquelle  nous  empruntons  seulement  ces  quelques  traits  : 

Fama ,  malum  quo  non  aliud  velocius  ullum, 
Mobilitale  vifjet,  virescpic  acquirit  euiido.» 

Les  anciens  représentent  également  la  foudre  avec  des  ailes. 

INSTRDCTIONS.  —  H-  ^9 


466  INSTRUCTIONS. 

un  manuscrit  auquel  nous  avons  emprunté  plusieurs  sujets  le 

représente  ainsi  \ 


118.  ESPRIT    DE    LA   JEUNESSE. 

Miniature  française  du  xiv°  siècle. 


Le  pèlerin,  qui  est  dans  la  force  de  l'âge,  rencontre  la  Jeu- 
nesse portant  aux  pieds  des  ailes  vertes,  couleur  d'espérance. 
La  Jeunesse  a  les  cheveux  blonds,  la  robe  bleue;  elle  prend  le 
pèlerin  sur  ses  épaules,  et  lui  dit  en  lui  faisant  passer  la  mer: 

J'ai  nom  Jeunesce  la  légière , 

La  gileresse,  la  coursière, 

La  sauterelle,  la  saillant, 

Qui  tout  dengier  ne  prise  un  gant. 

Je  vois,  je  viens,  je  sail ,  je  vole, 

Je  espringalle  et  carolle. 

Mes  pies  me  portent  où  je  veuil 

E  eles  ont;  tu  les  vois  bien  à  Teuil, 

Bail  çà  la  main,  je  veuil  voler 

Et  par  la  mer  te  veuil  porter. 

'   Romnnt  des  trois  pèlerinages ,  à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève,  f"  79. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  467 

Il  y  a  une  remarquable  rapidité  dans  cette  poésie  du  xiv^ 
siècle  K 

L'Eglise,  cette  généralisation  abstraite  de  tous  les  chrétiens, 
cette  société  animée  du  Saint-Esprit,  a  été,  comme  le  Saint- 
Esprit,  assimilée  à  une  colombe.  Le  pape  également,  qui  est 
le  vicaire  de  Dieu  et  le  directeur  de  l'Egiise  ;  le  pape,  qui  doit 
être  plutôt  un  ange  qu'un  homme  et  une  âme  qu'un  corps,  a 
été  allégorisé  et  doué,  jusqu'à  un  certain  point,  des  formes  de 
l'oiseau.  Un  mot  sur  ces  figures  symboliques  de  l'Église  et  du 
pape,  parce  qu'elles  peuvent  compléter  ce  que  nous  devons 
dire  sur  le  Saint-Esprit. 

Dans  le  manuscrit  d'Herrade,  on  voit  l'Eglise  représentée 
sous  la  forme  d'une  colombe,  comme  on  figure  la  troisième 
personne  divine,  mais  avec  certaines  particularités.  L'avant 
du  corps  est  argenté;  l'arrière  est  doré.  Cette  colombe  a  des 
ailes  à  la  tête,  des  ailes  aux  épaules,  des  ailes  aux  pieds;  ces 
trois  paires  d'ailes  la  mènent,  aussi  vite  que  la  parole,  d'une 
extrémité  de  la  chrétienté  à  l'autre.  Tout  cela  est  embléma- 
tique, et  le  texte  qui  explique  cette  miniature  dit  :  «Cette  co- 
lombe signifie  fEgiise,  qui  est,  par  son  éloquence  divine,  sonore 
comme  de  l'argent;  elle  est  ornée  d'instruction  et  de  sagesse 
pour  qu'elle  instruise  les  autres.  Cette  colombe  est  d'or  parce 
qu  elle  est  éclatante  de  charité;  for  pâle  ou  rouge,  qui  couvre 
l'arrière  de  son  dos,  signifie  famour  des  fidèles"".  » 


'  Ce  poëme  français,  qui  esl  à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève,  esl ,  comme  texte 
et  comme  miniatures,  un  des  [)lus  curieux  livres  qui  exislenl. 

"'  Hortiis  deJiciariim.  «  Hœc  columba  significat  Ecclesiain ,  quae  per  divinam  eloquentiam 
«  quasi  argenlum  est  sonora  ,  et  crudita,  et  sapientia  exornata  ul  alios  erudiat.  Haîc  et  co- 
«lumba  est  aurea,  id  esl  carilalc  splendida;  et  posteriora  dorsi  ejus  sunt  in  pallore  vel 
<i  ruboreauri,  id  estcaritas  iitlelium,  »  Ces  expressions  semblent  provenir  du  psaume  cxvn  , 
V.  lA  :  «Si  dormialis  inter  medios  cleros.  penn<T  columbœ  deargentalaî,  et  posteriora 
u  dorsi  ejus  in  pallore  auri,  i' 

59. 


fi6S 


INSTllUCTIONS. 


119.  L'EGLISE  EN  COLOMBE  A  SIX  AILES. 

Miniature  franco-germaine,  xi'"  siècle. 


Dante  a  représenté,  non  pas  l'Eglise,  mais  le  pape  sous  la 
forme  d'un  oiseau.  Cet  oiseau  n'est  pas  une  colombe,  mais  un 
grifïbn,  animal  fantastique,  moitié  aigle  moitié  lion.  Le  grif- 
fon est  aigle  par  la  partie  supérieure,  lion  par  l'inférieure. 
Quoiqu'il  s'agisse  d'un  griffon  et  non  d'une  colombe,  on  doit 
cependant  signaler  ce  fait  ici,  parce  qu'il  procède  et  de  l'idée 
qui  assimile  l'Eglise  à  une  colombe  mi-partie  d'or  et  d'argent, 
et  de  l'idée  qui  figure  l'esprit  sous  la  forme  d'une  colombe  à 
peu  près  monochrome.  La  colombe  de  l'Église,  dans  Herrade, 
sert  de  transition  entre  le  griffon  de  Dante  et  la  colombe  du 
Saint-Esprit  :  le  griffon  possède  une  double  nature,  et  TÉgiise 
brille  d'une  double  couleur;  la  colombe  du  Saint-Esprit  est 
ailée  comme  le  griffon  et  la  colombe  de  l'Église,  mais  elle  n'a 
plus  qu'une  seule  nature  et  une  seule  couleur. 

Voici  donc  ce  qu'on  lit  dans  le  Purgatoire  de  Dante.  Le  poète 


ICONOORAPHIE   CHRÉTIENNE.  a69 

décrit  le  Iriomphe  de  l'Eglise,  ordonné  à  peu  près  comme  celui 
du  Christ  peint  à  Brou  et  que  nous  avons  signalé  plus  haut.  Le 
chandelier  à  sept  hranches  ouvre  la  marche,  (jui  se  continue 
par  les  vingt-quatre  vieillards  de  l'Apocalypse  et  les  quatre  at- 
tributs des  évangélistes.  Puis  arrive  un  char  à  deux  roues,  qui 
figure  l'Eglise  roulant  sur  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament. 
Le  char  est  tiré  par  le  griffon;  il  est  escorté  à  droite  par  les 
trois  vertus  théologales,  à  gauche  par  les  quatre  vertus  cardi- 
nales. Puis  arrivent,  derrière  le  char,  les  douze  apôtres  pré- 
cédés de  saint  Luc  et  de  saint  Paul.  Quant  au  griffon,  la  bête 
à  deux  natures  et  à  deux  formes,  comme  Dante  l'appelle,  il  tire 
le  char  derrière  lui.  Il  étend  ses  ailes  si  haut,  que  bientôt  ou 
ne  les  voit  plus.  11  a  des  membres  d'or  dans  la  portion  de  son 
corps  où  il  est  oiseau;  dans  l'autre,  il  a  des  membres  d'argent 
et  de  vermeil  ^  C'est  une  seule  personne  en  deux  natures.  Elle 
rayonne  dans  les  yeux  de  Béatrix  tantôt  sous  une  forme,  tan- 
tôt sous  une  autre;  tout  en  restant  immobile ,  elle  met  le  char 
en  mouvement  sans  qu'aucune  de  ses  plumes  en  soit  agitée". 
Dans  Herrade,  l'oiseau  mystique  à  double  couleur  est  l'E- 
glise; dans  le  Dante,  foiseau  à  double  Jbrme  est  le  représen- 
tant de  l'Eglise  :  c'est  le  pape.  Le  pape,  en  effet,  est  prêtre  et  roi 
tout  à  la  fois;  il  dirige  les  intelligences  et  gouverne  les  corps; 
il  règne  sur  les  choses  de  ce  monde  et  sur  celles  du  ciel.  Le 
pape  est  donc  une  seule  personne  en  deux  natures  et  sous  deux 
formes;  il  est  aigle  et  lion.  Aigle  ou  pontife,  il  plane  dans  le  ciel 
et  monte  jusqu'au  trône  de  Dieu  pour  aller  prendre  ses  ordres; 
lion  ou  roi,  il  marche  sur  la  terre  dans  sa  force  et  dans  sa  puis- 
sance'^. 

'  Dans  Herrade  et  dans  David,  la  colombe  do  l'Eglise  est  également  d'or  et  d'argenl 

'"  Dante,  Purgatoire^  chants  xxix-xxxii. 

■^  Les  comniPiitolenrs  de  Danle  ont  cru  que  ie  griffon  ligurail  le  Christ,  qui  est  ellcc- 


/i70  INSTPxUCTIONS. 

Parmi  les  oiseaux,  la  colombe,  pour  ses  mœurs  douces  et 
aimantes  d'abord,  et  puis  pour  la  pureté  de  son  plumage,  a 
dû  être  choisie  de  préférence  pour  figurer  le  Saint-Esprit.  En 
effet,  c'est  dans  une  colombe  blanclie  que  l'histoire  et  l'art  ont 
incarné  l'esprit  de  Dieu,  souille  divin ,  symbole  brillant  et  sans 
tache  de  la  Trinité.  Dans  l'histoire,  l'esprit  de  Dieu  descendit 
sous  la  figure  corporelle  d'une  colombe  sur  la  tête  de  Jésus, 
que  venait  de  baptiser  saint  Jean  ^  ;  dans  l'art ,  c'est  presque 
toujours  sous  la  forme  d'une  colombe  que  le  Saint-Esprit  est 
figuré,  ainsi  que  plusieurs  dessins  nous  l'ont  déjà  montré^, 
et  que  d'autres  nous  le  feront  voir  encore.  Dans  les  légendes 
particulières,  l'Esprit  divin  ou  le  Saint-Esprit  s'incarne  dans 
une  colombe;  fesprit  humain  ou  l'âme  elle-même  apparaît 
aussi  sous  cette  forme.  Quant  au  Saint-Esprit  se  manifestant 
en  colombe  dans  nos  légendes,  les  preuves  abondent.  Voici 
quelques  faits  pris  à  différentes  époques. 

On  lit  dans  Grégoire  de  Tours ^  :  «Tandis  que  les  élèves 

livemenl  une  seule  personne  en  deux  natures;  le  Christ,  qui  est  Dieu  et  homme  loul 
ensemble.  Mais  ils  se  sont  trompés.  D'abord  il  y  aurait  de  l'inconvenance  à  faire  tirer  un 
char  par  un  Dieu  comme  par  une  bête  de  somme;  c'est  tovit  au  plus  si  Dante  n'est  pas 
inconvenant  en  attelant  le  pape  à  ce  char  de  l'Eglise.  Ensuite  le  triomphe  peint  sur  verre , 
à  Notre-Dame  de  Brou,  montre  l'Eglise  personnifiée  dans  ses  quatre  grands  dignitaires  : 
le  pape  ,  le  cardinal,  l'archevêque  etl'évêque,  qui  poussent  à  la  roue  le  char  de  l'Eglise. 
Ce  motif  est  analogue  au  griffon  de  Dante.  Quant  au  Christ,  il  est  sur  le  char ,  comme  un 
triomphateur;  il  dirige  et  ne  tire  pas.  Enhn  l'Église  est  symbolisée  dans  le  manuscrit 
d'HeiTade  par  un  oiseau  à  double  couleur,  et  le  pape  n'est  autre  chose  que  le  représen- 
tant vivant  de  l'Eglise;  c'est  l'Eglise  incarnée.  Entre  l'oiseau  d'Herrade  et  le  griffon  de 
Dante,  l'analogie  est  complète.  Ce  qui  a  4rompé  les  cornmenlateurs,  c'est  la  double 
nature  du  griffon  ;  mais  la  difficulté  se  lève  en  songeant  que  le  pape,  par  l'autorité  spi- 
rituelle, ressemble  à  l'aigle,  et,  par  la  puissance  temporelle,  au  lion;  le  pape  est  une 
personne  en  deux  natures  cl  en  deux  formes.  L'allégorie  de  Dante  est  donc  ce  qu'il  y 
a  de  plus  transparent  au  monde. 

'  «  El  descendit  Spiritus  Sanctus  corporali  specie  sicut  columba  in  ipsum.  »  (S.  Luc, 
cap.  m,  vers.  22.)  —  ^Planches  21,  ào,  53,  pages  61,  128,  210  —  ""  Hist.  ceci.  Franc. 
?.'  vol.  p.  i36  de  la  trad.  de  M.  Guizol. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  471 

chantaient  des  psaumes  dans  la  cathédrale  de  Trêves,  une  co- 
lombe descendit  de  la  voûte ,  voltigeant  légèrement  autour  du 
jeune  Arédius,  que  Tévêque  Nicet  élevait  et  instruisait.  La  co- 
lombe se  reposa  sur  sa  tête,  pour  indiquer  qu'il  était  déjà  rem- 
j)li  du  Saint-Esprit;  puis  elle  descendit  sur  son  épaule.  Quand 
Arédius  rentra  dans  la  cellule  de  l'évêque,  elle  y  entra  avec  lui 
et  ne  voulut  pas  le  quitter  de  plusieurs  jours.  Il  retourna  dans 
son  pays  de  Limoges  pour  consoler  sa  mère,  qui  n'avait  plus 
que  lui.  » 

Au  sacre  de  Clovis,  la  colombe  divine  a  vraiment  présidé  aux 
destinées  chrétiennes  de  la  France.  Clovis  et  l'évêque  de  Reims, 
saint  Rémi ,  se  rendirent  en  procession  au  baptistère,  où  le  chef 
des  Francs  allait  être  sacré  roi  et  chrétien.  «  Lorsqu'on  y  fut  ar- 
rivé, le  prêtre  qui  portait  le  saint  chrême  fut  arrêté  par  la  foule, 
et  ne  put  parvenir  jusqu'aux  fonts  sacrés.  Mais  une  colombe, 
blanche  comme  la  neige,  apporta  dans  son  bec  une  ampoule 
pleine  d'un  chrême  envoyé  du  ciel.  Rémi  prit  l'ampoule  et  par- 
fuma de  chrême  l'eau  baptismale ^  »  Dans  le  même  pays,  à 
vingt  kilomètres  de  Reims,  à  Hautvillers,  la  célèbre  abbaye 
que  Thierry  Ruinart  a  illustrée  dans  ces  derniers  temps  fut 
bâtie  d'après  le  plan  que  le  Saint-Esprit,  en  colombe  toujours 
aussi  blanche  que  la  neige,  traça  dans  son  vol'. 

Quant  à  l'âme  des  saints,  esprit  immortel  des  hommes,  on 
devait  aussi  la  voir  paraître  sous  la  forme  de  la  colombe ,  car 
l'âme  est  faite  à  l'image  de  Dieu.  Dans  un  monastère  de  Re- 
don, en  Bretagne,  un  enfant  muet  depuis  sa  naissance  priait 
Dieu  de  le  guérir.  Un  jour  qu'il  faisait  paître  dans  les  champs 
les  bestiaux  des  moines,  il  se  laissa  gagner  par  le  sommeil.  Tout 
à  coup  une  clarté  d'une  lumière  immense  vint  de  l'orient  et 

'   Flodoard,  Histoire  de  l'église  de  Reims,  liv.  I. 

^  Act.  SS.  ord.S.  Bened.  -i"  vol.  année  685,  Vie  de  S.  Bercliaire,  abhé  d'HautviUers. 


'i72  INSTRUCTIONS. 

l'entoura.  Au  milieu  de  celle  lumière  il  lui  apparut  comme  une 
colombe  d'une  blancheur  de  neige;  elle  lui  toucha  la  bouche, 
lui  caressa  la  figure  cl  lui  dit  :  «  Je  suis  Marcellinus.  »  L'enfant 
se  leva  guéri,  et  raconta  de  ses  propres  lèvres  ce  qu'il  avait  vu 
et  entendu  '. 

11  n'y  a  qu'une  colombe  dans  la  légende  qui  précède,  mais 
en  voici  une  troupe  venant  chercher  une  âme,  leur  compagne, 
qui  abandonne  la  terre.  Le  duc  Louis  de  Thuringe,  mari  de 
sainte  Elisabeth  de  Hongrie,  étant  sur  le  point  d'expirer,  dit 
à  ceux  qui  l'entouraient  :  «  Voyez-vous  ces  colombes  plus 
blanches  que  la  neige?»  On  le  croyait  en  proie  aux  visions; 
mais  un  peu  après  il  leur  dit  :  «  11  faut  que  je  m'envole  avec  ces 
colombes  resplendissantes.  »  En  disant  cela,  il  s'endormit  dans 
la  paix.  Alors  son  aumônier  Berthold  aperçut  ces  colombes 
s  envoler  à  l'orienl,  et  il  les  suivit  longtemps  du  regard^.  Un 
Anglais,  témoin  de  la  mort  de  Jeanne  d'Arc,  déclara,  dans  une 
déposition  que  nous  possédons  écrite,  qu'il  avait  vu  s'envoler 

Act  SS.  ord.  iS'.  Bened.  iv''  siècle  bénéd.  I?  part,  de  855  à  900,  p.  216.  «  Et  eccc 
«  repente  circumfulsit  eum  lux  immensse  claritatis  ab  oriente  ;  et  in  medio  luminis  appa- 
«  ruil  illi  quasi  columba  niveo  candore,  tetigitque  os  ejus  et  protexit  faciem,  et  dixit  ei  : 
«  Ego  sum  Marcellinus.  » 

'  M.  lecomlede  Montalembert,  Vie  de  sainte  Elisabeth  ;\aulonr  cite  Berihold,  ms.  de  la 
vio  du  duc  Louis.  «  Videlis-ne  columbas  bas  super  niveni  candidas  ?  —  Oportet  me  cum 
«  colunibis  istis  splendidissimis  evolare. — Vidit  easdem  columbas  ad  orientem  evolare.  » 
«On  connaît,  ajoute  M.  de  Monlalemberl ,  la  belle  légende  de  saint  PoKcarpe,  qui  fut 
brûlé  vif  :  son  sang  étoulTa  les  flammes,  et  de  ses  cendres  on  vit  sortir  une  colombe 
blancbe,  qui  senvola  vers  le  ciel.  On  vit  de  même  une  colombe  sortir  du  bûcber  de 
Jeanne  d'Arc.»  M.  Cyprien  l\obert  {Cours  d'Iiiérogly.  chrét.)  dit,  à  l'article  de  la  co- 
lombe :  «Cet  oiseau  est  l'emblème  qui  se  retrouve  le  plus  souvent  sur  les  sarcopbages 
primitifs.  Là,  on  le  voit  emporter  dans  son  bec  une  palme,  une  brandie  d'olivier,  ou 
percer  des  raisins,  figure  de  l'àme  des  confesseurs  qui  s  envole  innocente,  versant, 
comme  un  vin  précieux,  son  sang  sur  la  terre.  C'est  ainsi  qu'on  voit  monter  en  colombe, 
au-dessus  de  son  corps  décapité,  l'âme  de  sainte  Reparata,  vierge  et  martyre,  qui  avait 
refusé  de  sacrifier  aux  idoles.  La  même  cbose  se  répète  pour  saint  Potitus  et  l'évêque 
saint  Polvcarpe,  décollés,  du  sang  desquels  l'oiseau  blanc  comme  la  neige  s'élance  et  vole 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  473 

de  la  bouche  de  Jeanne,  avec  son  dernier  soupir,  une  colombe 
qui  prit  le  chemin  du  ciel  ^  La  colombe  divine  s'était  ma- 
nifestée au  baptême  de  Clovis,  fondateur  de  la  monarchie; 
une  colombe  encore  s'écliappa  du  cœur  de  Jeanne  d'Arc  qui 
venait  de  restaurer  la  même  monarchie  en  ruines. 


COULEUR    DU    SAINT-ESPRIT    EN    COLOMBE. 


Quant  à  la  couleur  de  la  colombe  divine ,  elle  est  celle  de  la 
neige,  qu'elle  surpasse  en  éclat  et  en  blancheur,  comme  les 
textes  le  déclarent  positivement.  Cette  colombe,  symbole  d'un 
dieu,  devait  arborer  la  couleur  où  viennent  se  réunir  symbo- 
liquement toutes  les  vertus.  Le  bec  et  les  pattes  sont  rouges  or- 
dinairement; c'est  la  couleur  naturelle  des  colombes  blanches^. 
Le  nimbe  qu'elle  porte  à  la  tête  est  presque  toujours  d'un  jaune 
d'or  et  divisé  par  une  croix,  qui  est  rouge  assez  souvent^,  et 

à  tire  d'ailes  vers  les  cieux.  Les  actes  du  martyre  de  saint  Quentin  disent  avec  une 
suavité  de  paroles  et  un  élan  de  foi  rempli  de  charme  :  «  Visa  est  felix  anima  velut  co- 
«lumba,  candida  sicut  nix,  de  collo  ejus  exire  et  jiberissimo  volatu  cœlum  penetrare.  » 
Pour  des  esprits  grossiers,  encore  olîusqués  par  les  ténèbres  de  l'idolâtrie,  on  exprimait 
ainsi  la  survivance  et  l'immortalité  de  l'âme,  comme  plus  tard,  lorsque  parut  dans  l'art 
l'anthropomorphisme,  on  l'exprima  par  un  petit  enfant  sortant  quelquefois  de  la  bouche 
même  du  décédé.  »  M.  Robert  aurait  pu  dire  très-souvent ,  et  même  presque  toujours ,  au 
lieu  de  quelquefois ,  tant  cette  façon  de  représenter  l'âme  sous  la  forme  d'un  enfant  tout 
uu  est  fréquente  au  moyen  âge. 

'   M.  Michelet,  Histoire  de  France,  V  vol.  p.  176. 

*  M.  le  docteur  Comarmond,  bibliothécaire  du  palais  Saint-Pierre,  à  Lyon,  possède 
un  manuscrit  byzantin  qui  date  du  x°  ou  xi'  siècle,  et  qui  provient  de  la  Grande-Char- 
treuse. Ce  manuscrit  est  tout  rempli  de  belles  miniatures  et  couvert  de  plaques  d'ivoire 
sculptées  d'une  manière  remarquable.  A  la  scène  qui  représente  le  baptême  de  Jésus- 
Christ,  on  voit  le  Saint-Esprit  en  colombe  blanche,  rouge  au  bec  et  aux  pattes,  avec 
quelques  parties  noires  sur  le  dos  des  ailes. 

^  Les  exemples  sont  tellement  nombreux  que  je  ne  les  citerai  pas  ;  je  me  contente 
de  faire  remarquer  que  l'on  voit  quelquefois  des  colombes  divines  ayant  le  nimbe  rouge 
croisé  d'or  :  le  contraire  se  rencontre  le  plus  souvent. 

INSTRUCTIONS.  II.  6o 


47/1  INSTRUCTIONS. 

quelquefois  noire  ^  Dans  la  cathédrale  d'Auxerre,  le  rouge  est 
au  champ  du  nimhe  et  Tor  sur  les  croisillons  qui  le  partagent^. 
Il  n'y  a,  je  crois,  aucun  caractère  archéologique  à  recueillir  de 
la  variété  de  ces  couleurs;  on  doit  seulement  dire,  en  général, 
que  les  couleurs  riches  et  resplendissantes  ont  été  préférées. 
Nous  avons  vu  que  la  lumière  entrait  comme  partie  intégrante 
dans  les  figures  divines.  Nous  avons  vu  que  le  Père  et  le  Fils 
étaient  considérés  comme  des  sources  de  lumière;  qu'ils  étaient 
vêtus  et  environnés  du  plus  éblouissant  éclat.  Il  fallait  bien  aussi 
que  le  Saint-Esprit,  dieu  comme  le  Père  et  le  Fils,  fût  repré- 
senté resplendissant  comme  eux.  On  lit  dans  Ermold  le  Noir, 
historien  de  Louis  le  Débonnaire^  :  «  La  garde  de  l'église  con- 
sacrée à  Marie ^  fut  autrefois  confiée  à  Theutram. . .  .  Une  nuit, 
il  vit  le  temple  éclairé  d'unelumière  semblable  à  celle  du  so- 
leil et  telle  que  la  répand  cet  astre  dans  le  jour  le  plus  serein. 
11  s'élance  hors  de  son  lit,  et  cherche  à  savoir  d'où  peuvent 
provenir  les  flots  de  lumière  dont  le  saint  édifice  est  inondé. 
Un  oiseau  de  la  grandeur. d'un  aigle  couvrait  l'autel  de  ses  ailes 

'  Vitrail  du  xiv"  siècle,  dans  la  cathédrale  de  Freybourg  en  Brisgau ,  dans  la  nef 
latérale  du  sud. 

'  Vitrail  du  xiii'  siècle  ,  au  pourtour  du  sanctuaire  ;  il  représente  la  création.  Le  Saint- 
Esprit  y  plane  entre  les  eaux.  Nous  avons  iait  graver  ce  Saint-Espril  ;  on  le  trouvera 
page  5i5,  pi.  129. 

'  Ermoldus  Nigellus ,  Collection  des  Historiens  de  France,  par  M.  Guizot.  Cette  colombe 
divine,  qui  a  la  grandeur  d'un  aigle,  rappelle  un  coffret  d'ivoire  appartenant  à  M.  Mi- 
chéli  et  provenant  de  l'abbaye  de  Saint-Gall;  le  Saint-Esprit  y  est  sculpté  sous  la  forme 
de  son  symbole  ailé.  Ce  Saint-Espril,  à  nimbe  crucifère,  est  posé  de  face,  comme 
un  aigle,  dont  il  possède  les  proportions;  il  a  les  ailes  ouvertes  et  abaissées  sur  un  disque 
légèrement  concave.  Une  main  sort  des  nuages  et  montre  celte  colombe  énorme.  La 
main,  qui  est  celle  de  Dieu,  n'est  pas  sur  un  nimbe  crucifère;  mais  d'elle  partent  en 
croix  Irois  pinceaux  ou  foyers  de  lumière.  Quatre  anges  adorent  cette  colombe.  Ce  coffret 
esl  du  x'  siècle  sans  doule;  le  poème  d'Ermold  esl  de  l'an  826  ,  et,  dans  le  poêle  comme 
sur  le  coffret ,  la  colombe  est  de  la  taille  d'un  aigle.  Cet  aigle  a  diminué  de  siècle  en  siècle  ; 
il  n'a  plus  guère,  vers  la  tin  du  moyen  âge,  que  les  dimensions  d'un  gros  passereau. 

*  La  cathédrale  de  Slrasboing,  qui  esi  une  Notre-Dame. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  475 

étendues;  mais  cet  oiseau,  ce  n'est  point  la  terre  qui  l'a  en- 
gendré. Son  bec  est  d'or;  ses  serres  sont  d'une  matière  plus 
riche  que  les  pierres  précieuses;  sur  ses  ailes  est  répandue  la 
couleur  azurée  de  l'éther ,  et  de  ses  yeux  jaillit  une  lumière 
éclatante.  Le  saint  prêtre,  frappé  d'étonnement,  n'ose  fixer  ses 
regards  sur  ceux  de  l'oiseau ,  dont  il  contemple  avec  admira- 
tion et  les  ailes  et  le  corps,  et  surtout  les  yeux  étincelants. 
L'oiseau  demeure  sur  fautel  jusqu'au  moment  où  les  trois 
chants  du  coq  se  font  entendre  et  appellent  les  religieux  à 
l'office.  Alors  il  prend  son  vol,  et,  chose  miraculeuse,  la  fe- 
nêtre opposée  à  l'autel  s'ouvre  d'elle-même  pour  lui  laisser  la 
liberté  de  sortir  du  temple.  A  peine  s'est-il  élevé  vers  les  cieux, 
que  toute  lumière  disparaît  et  prouve,  en  s'éclipsant,  que  cet 
oiseau  était  un  habitant  du  royaume  de  Dieu.  » 

Cet  esprit  qui  porte  la  lumière  avec  lui  et  qui,  à  ce  signe, 
trahit  son  origine  céleste  et  peut-être  divine,  ressemble  à  ces 
colombes  en  cuivre  émaillé  et  doré  qu'on  suspendait  autrefois 
au-dessus  des  autels.  On  les  attachait  par  une  petite  chaîne  à 
la  voûte  de  l'église.  L'intérieur  de  la  colombe  était  creux,  et 
l'on  y  renfermait  des  hosties  consacrées.  Cette  colombe  servait 
de  tabernacle,  et  Jésus  était  contenu  dans  le  Saint-Esprit, 
comme  autrefois  il  avait  été  contenu  dans  le  corps  de  Marie, 
cette  épouse  du  Saint-Esprit,  ainsi  que  s'expriment  les  textes 
sacrés.  Dans  les  cabinets  d'antiquités  chrétiennes,  on  voit  de 
ces  colombes  divines  en  métal.  L'orbite  des  yeux  incrusté  de 
rubis  ou  d'autres  pierres  précieuses,  le  bec  en  or  ou  en  cuivre 
doré  comme  les  serres  et  les  pattes,  l'émail  rouge  incrusté  sur 
la  tête  et  la  poitrine,  l'émail  bleu-vert  et  blanc  coulé  dans  les 
ailes,  tout  cela  rappelle  le  bec  d'or,  les  yeux  lumineux  et  les 
ailes  azurées  de  l'esprit  céleste  vu  par  Th  eu  tram  ^ 

'    M.  du  Sommerard  (Atlas  des  arts  au  moyen  âge,  chap.  xiv,  pi.  3)  a  donné  le  dessin 

60, 


476  INSTRUCTIONS. 

A  moins  que  la  matière  qui  entrait  dans  la  composition  de 
ces  colombes  ne  s'y  opposât,  ou  que  l'imagination ,  comme 
celle  de  Theutram,  ne  créât  des  formes  ou  des  couleurs  nou- 
velles, les  colombes  divines  sont  blancbes,  lumineuses  et  ne 
dépassent  guère,  soit  en  plus,  soit  en  moins,  la  taille  des  co- 
lombes de  la  nature.  Cependant  un  Saint-Esprit,  planant  au- 
dessus  des  eaux  au  moment  où  le  ciel  et  la  terre,  qui  viennent 
d'être  créés,  n'offrent  encore  que  le  chaos  informe  et  nu,  est 
noir  comme  les  ténèbres  qui  couvrent  la  face  de  l'abîme.  C'est 
qu'alors  Dieu  n'a  pas  encore  fait  la  lumière ,  et  il  faut  qu'en 
effet  les  ténèbres  soient  bien  puissantes,  pour  que  la  lumière  du 
Saint-Esprit  en  paraisse  comme  éclipsée ^  La  couleur  blanche 
affectée  au  Saint-Esprit  est  d'une  importance  majeure,  parce 
qu'elle  est  symbolique.  Dans  l'antiquité  persane,  deux  génies, 
l'un  bon  et  l'autre  mauvais ,  Ormuzd  et  Ahriman,  se  disputent 
et  se  partagent  le  monde.  L'un  de  ces  dieux  préside  au  bien  et 
règne  pendant  le  jour,  l'autre  au  mal  et  gouverne  pendant  la 
nuit.  Ormuzd,  le  bon  génie,  est  lumineux,  éclatant  et  blanc 
comme  la  lumière  qui  lui  est  soumise;  Ahriman,  au  contraire, 
est  noir  et  funèbre  comme  là  nuit  et  les  enfers  qui  lui  ap- 
partiennent. La  lutte  qui  s'établit  entre  ces  deux  principes  se 
traduit  par  le  combat  alternatif  et  continuel  de  la  lumière  et 
des  ténèbres.  De  même  l'esprit  du  bien  qui,  chez  les  chrétiens, 

d'une  de  ces  colombes  en  cuivre  émaillé  et  doré,  qui  appartient  à  M.  le  colonel  Bourgeois. 
M.  l'abbé  J.  Corblet,  membre  de  la  société  des  antiquaires  de  Picardie,  a  publié  un  mé- 
moire liturgique  sur  les  ciboires  du  moyen  âge ,  à  la  fin  duquel  est  dessinée  une  colombe 
émaillée,  que  possède  le  musée  d'Amiens.  Celte  colombe,  qui  est  du  xii'  siècle,  paraît 
avoir  été  employée  comme  custode  pour  les  bosties  consacrées.  Une  cavité  peu  profonde, 
creusée  dans  le  dos,  entre  les  ailes ,  et  fermée  par  un  couvercle  qu'on  maintenait  à  l'aide 
d'un  bouton  tournant,  servait  à  cet  usage.  Cette  colombe  provient  de  l'abbaye  de  Rain- 
cheval  (Somme).  (Voyez les  Mémoires  de  la  Société  des  antiquaires  de  Picardie,  lomeV.) 
*  C'est  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  qu'on  voit  celte  ténébreuse  colombe ,  dans  un 
manuscrit  du  xiii'  siècle,  théol.  lat.  et  fr.  8. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENISE.  477 

soutient  des  luttes  contre  l'esprit  du  mal,  est  un  esprit  de  lu- 
mière qui  combat  l'esprit  de  ténèbres.  On  a  donc  attribué  au 
Saint-Esprit  le  blanc,  la  plus  lumineuse  des  couleurs  et  qui 
les  renferme  toutes,  comme  on  a  donné  au  mauvais  esprit  le 
noir,  qui  est  l'absence  complète  de  la  lumière.  Tout  ce  qui  pré- 
cède nous  a  parlé  de  la  blanche,  de  la  resplendissante  colombe , 
qui  porte  la  lumière  partout;  elle  fait  le  jour  où  elle  entre,  et 
laisse  la  nuit  dans  tous  les  lieux  d'où  elle  se  retire.  Dans  le  des- 
sin suivant,  un  oiseau,  un  esprit,  mais  un  esprit  malfaisant, 
souffle  à  un  magicien  des  pensées  mauvaises  et  noires  comme  lui. 

120.  ESPRIT  MALFAISANT,  NOIR. 

Miniature  franco -germaine,   xi'  siècle. 


Ce  ténébreux  esprit,  violent  dans  son  attitude,  efflanqué  dans 
tout  son  corps,  allonge  son  maigre  cou  vers  l'oreille  du  mauvais 
savant,  qui  écrit  les  mauvaises  pensées  qu'on  lui  inspire  \  L'art 

'  Ce  dessin  est  pris  sur  une  miniature  de  YHorlus  cbliciarnm. 


478  INSTRUCTIONS. 

chrétien  traduit  volontiers  par  la  forme  d'un  oiseau  le  mot 
esprit.  Quand  l'esprit  est  bon  l'oiseau  est  blanc,  et  quand  il 
est  mauvais  l'oiseau  est  noir  :  c'est  le  démon  ^  Nous  le  voyons 
sous  cette  forme  et  avec  cette  couleur  dans  le  dessin  qui  suit. 
Satan,  espèce  de  moucheron  humain ,  ailé  comme  une  chauve- 
souris  ,  vole  à  tire  d'ailes  vers  une  statue  de  femme ,  une  idole 
nue  de  déesse  païenne,  laquelle  est  debout  sur  une  colonne  où 
ses  adorateurs  l'ont  placée. 


12  1.  ESPRIT  DU   MAL  ,  AME  D'UNE  IDOLE. 

Miniature  française,  xvi*  siècle^. 


Outre  les  exemples  qui  précèdent ,  on  voit  souvent  dans  les 
vitraux,  dans  les  manuscrits  à  miniatures  et  les  tapisseries, 
Jésus-Christ,  les  saints,  les  apôtres  chassant  les  mauvais  es- 
prits qui  habitent  des  démoniaques;  alors  on  remarque  un  ou 
plusieurs  oiseaux  s'échappant  de  la  bouche  des  possédés,  et 

'  Hermas  dit  dans  le  Pasteur  :  «Tu  autem  crede  Spiritui  venienti  a  Deo,  habenli 
u  virtutem.  Spiritui  autem  terrestri  vacuo,  qui  a  diabolo  est,  in  quo  fuies  non  est  neque 
«  virtus ,  credere  noli.  »  (S.  Hermae  Pastor,  lib.  II ,  mandata  9  ,  apud  Fabricium ,  Codex  apo- 
cryphus  Nov.  Test.  III'  pars ,  pag.  908.) 

*  Saint  Augustin,  Cité  de  Dieu,  nis.  de  la  biblioth.  Sainle-Geneviève,  fol.  21. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  479 

toujours  ces  oiseaux  sont  noirs.  Dans  l'histoire  du  diable  on 
trouvera  une  grande  quantité  de  textes  où  Satan  est  appelé 
Ethiopien,  noir,  enfumé,  ténébreux,  tandis  que  les  bons  gé- 
nies, les  anges,  sont  blancs  et  illuminent,  presque  autant  que 
le  Saint-Esprit  lui-même,  tous  les  lieux  où  ils  passent.  C'est  au 
Saint-Esprit  surtout  qu'il  faudrait  appliquer  ce  que  Dante  dit 
des  anges  :  «  Plus  s'approchait  de  nous  l'oiseau  divin,  plus  bril- 
lant il  apparaissait,  de  sorte  que  de  près  les  yeux  ne  pouvaient 
soutenir  sa  splendeur  ^  » 


LE    SAINT-ESPRIT    EN    HOMME. 


Le  Saint-Esprit  prend  souvent  une  forme  moins  commune , 
mais  plus  curieuse  que  celle  de  l'oiseau ,  c'est  la  forme  humaine. 
La  colombe,  depuis  les  vi""  et  vu"  siècles  jusqu'à  nos  jours,  a 
constamment  représenté  le  Saint-Esprit;  mais  vers  le  x*"  siècle, 
à  ce  qu'il  paraît,  on  lui  donne  un  symbole  rival.  Ce  nouveau 
type  n'a  jamais  joui  d'une  grande  faveur;  la  durée  en  a  été  plus 
courte  que  celle  de  la  colombe  et  l'usage  beaucoup  plus  res- 
treint. C'est  au  x*"  siècle  seulement  qu'on  commence  à  figurer 
le  Saint-Esprit  en  homme,  et,  vers  la  lin  du  xvi",  on  en  revient 
exclusivement  à  la  colombe  que ,  du  reste ,  on  n'avait  pas  cessé 
de  représenter.  «Quand  on  approche  des  temps  modernes, 
dit  M.  Cyprien  Robert,  le  génie  de  l'invention  cherche  à  re- 
présenter l'Esprit  saint  comme  un  beau  jeune  homme,  comme 
l'éternel  adolescent  dont  est  éprise  la  nature^.  Mais  le  pape, 
dans  un  bref  qu'on  verra  cité  ailleurs,  prohiba  cette  icône 
comme  contraire  aux  traditions.  A  la  rigueur,  il  n'y  a  que  le 
Verbe  qui  devrait  revêtir  la  forme  humaine;  car  toute  révéla- 
tion extérieure  de  la  divinité  se  fait  par  lui  :  le  créateur  dans 

'  Divine  comédie j  Purgatoire,  chant.  II. 

*  «  Chronique  de  Strasbourg,  année  i/jo/j.  »  C'est  M.  Robert  qui  lait  la  citation. 


480  INSTRUCTIONS. 

le  Paradis  terrestre,  et  le  Jéhovah  du  Sinaï  ne  sont  que  lui- 
même.  Pourtant,  on  comprend  qu'alors  il  apparaisse  sous  la 
figure  d'un  vieillard  et  soit  ainsi  confondu  avec  le  Père  éter- 
nel. Mais,  pour  le  Saint-Esprit,  il  n'est  aucun  moyen  de  lui 
donner  la  forme  humaine  sans  tomber  à  l'instant  dans  les  mé- 
prises les  plus  graves.  Ainsi  la  papauté  eut  raison  de  tenir 
ferme  et  de  maintenir  l'antique  colombe  ^  » 

L'un  des  premiers  et  des  plus  célèbres  exemples  du  Saint- 
Esprit  fait  homme  par  la  puissance  de  l'art  est  déposé  dans  le 
manuscrit  anglais  attribué  à  saint  Dunstan,  mort  en  988,  et 
qui  fut  archevêque  de  Cantorbéry.  Les  trois  personnes  sont 
représentées  sous  forme  humaine  dans  ce  curieux  volume.  Le 
Père  est  en  empereur  et  vieux  ;  le  Fils ,  en  Christ  et  tenant  sa 
croix,  est  plus  jeune  et  peut  n'avoir  que  trente  ans  ;  le  Saint- 
Esprit,  sans  attribut,  est  jeune  et  presque  imberbe^  Au  xii^ 


^  Cours  d'hiéroglyphique  chrétienne,  dans  l'Université  catholique,  t.  VI,  p.  352.  La 
représentation  du  Saint-Esprit  en  homme  est  plus  ancienne  que  ne  le  croit  M.  Robert; 
on  en  connaît  un  exemple  qui  date  du  x°  siècle,  et  il  y  en  a  peut-être  d'autres  anté- 
rieurs. Le  bref  dont  parle  M.  Robert  est  sans  doute  celui  d'Urbain  VIII;  mais  la  défense 
s'applique  à  la  représentation  de  la  Trinité  sous  forme  d'une  lête  unique  à  trois  visages, 
ou  de  trois  tètes  sur  un  seul  corps,  et  non  pas  à  la  représentation  du  Saint-Esprit  sous 
forme  humaine.  Au  reste,  du  moment  où  il  est  permis  de  figurer  en  homme  le  Père, 
qu'on  n'a  pas  vu,  on  ne  peut  défendre  de  représenter  sous  cette  forme  le  Saint-Esprit 
lui-même.  En  iconographie  comme  en  théologie,  les  trois  personnes  divines  sont  uon- 
seulement  semblables,  mais  encore  égales  entre  elles;  ce  qui  est  attribué  à  l'une  convient 
également  à  l'autre.  On  fait  fort  bien  de  représenter  le  Sainl-Esprit  sous  la  forme  d'une 
colombe,  mais  on  ferait  encore  mieux  de  lui  donner  la  forme  humaine.  Le  concile  in 
Trullo  s'éleva  contre  l'usage  de  figurer  Jésus  en  agneau  el  prescrivit  de  le  représenter 
en  homme;  il  serait  à  désirer  également  que  le  symbole  de  la  colombe  cédât,  relative- 
ment au  Saint-Esprit,  devant  la  forme  humaine.  Je  fais  des  vœux  sincères  pour  que  les 
artistes  chrétiens  revêtent  le  plus  souvent  possible  de  la  figure  humaine  la  troisième  per- 
sonne de  la  Trinité;  on  peut  trouver  dans  ce  type,  disgracié  jusqu'alors,  mille  motifs 
nouveaux  et  pleins  de  charme. 

M.  le  comte  Auguste  de  Bastard  {Peintures  et  ornements  des  manuscrits)  a  reproduit 
cette  Trinité  de  S.  Dunslan. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  481 

siècle,  en  1180,  le  manuscrit  d'Herrade  donne  les  trois  per- 
sonnes parfaitement  égales  d'âge,  d'attitude,  de  costume  et 
de  physionomie;  le  Saint-Esprit,  comme  les  deux  autres  per- 
sonnes, est  la  un  homme  de  trente  à  trente-cinq  ans.  Un  peu 
avant  cette  époque,  mais  au  commencement  du  même  siècle, 
Abailard ,  à  ce  qu'il  paraît,  aurait  fait  sculpter  sur  pierre  la 
Trinité  comme  Herrade  la  figura.  C'est  pour  f  abbaye  du  Para- 
clet,  à  Nogent-sur-Seine,  qu'il  fit  exécuter  cette  représentation. 
Ce  curieux  monument  n'existe  plus;  il  a  été  détruit  à  la  révo- 
lution. Mais  le  P.  Mabillon,  qui  favait  vu  probablement,  dit 
que  le  Saint-Esprit,  ayant  la  forme  humaine,  croisait  ses 
mains  sur  sa  poitrine  et  disait  :  «  Je  suis  le  souffle  de  fun  et 
de  l'autre  (du  Père  et  du  Fils).  »  L'Esprit  portait  une  couronne 
d'olivier,  se  drapait  dans  une  longue  robe  et  partageait  avec  le 
Fils  le  manteau  du  Père^ 

Une  trop  grande  propension  à  confondre  l'Esprit  avec  les 
deux  autres  personnes,  et  la  discussion  que  les  doctrines  d' Abai- 
lard avaient  soulevée  à  ce  sujet,  semblent  interrompre  pen- 
dant cent  ou  cent  cinquante  ans  les  représentations  du  Saint- 
Esprit  sous  forme  humaine.  Mais  on  y  revient  au  xiv^  siècle; 
on  les  multiplie  aux  xv*"  et  xvi%  pour  les  abandonner  totalement 
vers  1  56o,  sous  François  P''.  Du  xiv*"  au  xvi*"  siècle,  ces  repré- 
sentations abondent  et,  en  ne  considérant  le  Saint-Esprit  que 
sous  le  rapport  de  l'âge ,  nous  le  trouvons  ayant  la  forme 
humaine,  depuis  l'enfance  la  plus  tendre,  et  âgé  de  quelques 
mois,  de  quelques  années  seulement,  jusqu'à  la  vieillesse  assez 
avancée.  Un  manuscrit"  nous  le  montre  porté  sur  les  eaux  au 

'  Annales  henedict.  VP  vol.  p.  85,  n"  i  4-  Le  monument  dont  Mabillon  donne  la  des- 
cription n'était  certainement  pas  du  temps  d'Abailard,  mais  de  la  fin  du  xv'  siècle.  Il 
est  fâcheux  que  le  savant  bénédictin  n'ait  pas  discuté  l'âge  de  cette  sculpture,  qui 
n'existe  plus. 

'  Manuscrit  contenant  divers  offices,  Bibi.  roy.  Snppl.  1.  638.  Le  Créateur  porte  un 

INSTRUCTIONS.  H.  6l 


482  INSTRUCTIONS. 

moment  où  Dieu  crée  le  ciel  et  la  terre.  Ce  Saint-Esprit  est 
étendu  sur  les  vagues,  légèrement  agitées;  c'est  un  enfant  nu, 
tout  jeune,  et  qui  vient  de  naître. 


122. 


SAINT-ESPRIT   EN  ENFANT  ET  POUTE  SDH  LES  EAUX, 
Miniature  du  xiv°  siècle. 


On  croirait  voir  le  petit  Moïse  flottant  sur  les  vagues  du 
Nil  et  recueilli  par  la  fille  de  Pharaon.  Mais  ici  c'est  le  Verbe 
de  Dieu  qui  est  sur  la  rive  ;  il  sépare  la  lumière  des  ténèbres. 
Dans  un  autre  manuscrit,  le  Saint-Esprit  est  plus  avancé  en 
âge.  C'est  encore  un  enfant  et  le  Père  éternel  le  porte  dans 

nimbe  en  or,  à  rayons  rouges  et  nombreux,  mais  sans  croix.  Le  globe  qu'il  tient  à  la 
main  gauche  est  sans  croix  également.  Quant  au  Saint-Esprit,  il  est  totalement  privé  de 
nimbe.  C'est  aux  trois  quarts  du  manuscrit,  avant  l'office  in  Dominica  in  palrnis,  qu  on 
trouve  cette  miniature.  Malgré  mes  recommandations  les  plus  fréquentes  et  les  plus  po- 
sitives, mon  dessinateur  a  donc  ajouté  trois  caractères  qui  ne  sont  pas  dans  l'original  ; 
je  devais  signaler  ces  erreurs ,  qui  sont  assez  graves  et  que  j'aurais  fait  disparaître  si  je 
m'en  étais  aperçu  à  temps. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  483 

ses  bras,  comme  une  mère  l'enfant  qu'elle  nourrit;  mais  il  a 
de  huit  à  dix  ans  déjà. 

123.  SAINT-ESPRIT  EN  ENFANT  DE  HDIT  OD  DIX  ANS  DANS  LES  BRAS  DO  PERE. 

Miniature  française,  xvi°  siècle'. 


C'est  âgé  de  quinze  ans  que  nous  le  voyons  dans  une  Trinité 
dessinée  pour  illustrer  un  paradis  de  Dante^.  Il  n'en  a  que  dix 
ou  douze  dans  une  planche  que  nous  avons  donnée  plus  haut^. 
Dans  un  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  \  le  Saint- 
Esprit  a  déjà  de  la  barbe;  il  porte  de  vingt  à  vingt-cinq  ans; 
il  en  a  trente  sur  un  bas-relief  du  xvf  siècle,  qui  décore  le  tym- 
pan d'une  église  de  village^  Le  Saint-Esprit  y  est  reconnais- 
sable  par  la  colombe  divine  qu'il  porte  sur  la  main  gauche , 
contre  sa  poitrine.  Jusqu'alors  ce  beau  jeune  homme  se  montre 
comme  le  frère  de  Jésus,  dont  il  a  la  figure,  la  physionomie, 

'  A  la  bibliothèque  Sainle-Geneviève,  Heures  latines ,  n°  k^U- 

-  xvf  siècle.  L'ouvrage  où  se  trouve  ce  dessin  appartient  à  M.  Longueville  Jones 
correspondant  anglais  du  comité  historique  des  arts  et  monuments. 
'  Page  220,  planche  61. 
'  L'Aiguillon  de  l'amour  divin,  ïn-li",  n"  bog/i  ou  7276,  xv'  siècle. 

'"  Voir  plus  bas,  p.  5o8,  pi.  126.  3 

61 


Wi  INSTRUCTIONS. 

la  taille  et  l'attitude.  La  couleur  et  la  longueur  des  cheveux 
sont  les  mêmes  aux  deux  personnes  divines;  mais  le  Sainl- 
EsjDrit  est  plus  jeune  que  Jésus,  plus  jeune  surtout  que  le  Père 
éternel.  Jésus  est  le  frère  aîné  de  cette  divine  famille.  Le  dogme 
déclare  que  le  Verbe  est  le  fds  de  Dieu  le  père,  et  que  le  Saint- 
Esprit  procède  du  Père  et  du  Fils.  Ces  trois  personnes  sont 
coéternclles  et  aussi  âgées  Tune  que  l'autre.  Mais  l'art  a  voulu 
figurer  à  sa  façon,  matériellement  et  pour  les  yeux,  la  fdia- 
tion  du  Verbe  et  la  procession  de  l'Esprit;  il  a  donc  représenté 
le  Fils  plus  jeune  que  le  Père  et  l'Esprit  plus  jeune  que  le  Père 
et  le  Fils.  De  là  ces  trois  âges  différents,  qui  seraient  une 
hérésie  en  théologie,  s'ils  étaient  destinés  à  figurer  une  diffé- 
rence réelle  dans  l'âge;  mais  ils  sont  orthodoxes,  d'une  façon 
grossière  il  est  vrai,  parce  qu'ils  caractérisent  seulement  la 
différence  de  relation  des  personnes  divines  entre  elles. 

Sur  les  stalles  de  la  cathédrale  d'Amiens  \  le  Saint-Esprit  a 
gagné  trois  ou  quatre  ans;  il  porte  absolument  le  même  âge 
que  Jésus-Christ,  qui  est  assis  près  de  lui  et  qui,  comme  lui, 
assiste  au  couronnement  de  la  vierge  Marie  par  le  Père  éter- 
nel. Le  Saint-Esprit  et  Jésus  sont  devenus  deux  frères  ju- 
meaux, et,  le  Père  étant  aussi  jeune  qu'eux,  il  n'y  a  plus  dans 
ce  tableau  l'idée  de  famille  ni  de  génération,  mais  celle  de  la 
coéternité  et  de  l'égalité  des  trois  personnes. 

Dans  le  manuscrit  d'Herrade,  on  dirait  que  le  Saint-Esprit 
a  quarante  ans,  comme  les  deux  autres  personnes  divines.  La 
figure  est  plus  sérieuse,  plus  sévère  et  même  plus  triste  que 
dans  tous  les  exemples  précédents,  où  la  physionomie  est  bien 
accentuée,  suivant  la  différence  de  l'âge,  et  où,  de  bruyante 
pour  l'enfant,  de  gaie  pour  le  jeune  homme,  elle  est  grave 
pour  l'homme  mûr,  qui  vient  d'atteindre  trente  ans. 

Rangée  de  gauche  en  regardant  le  maitre-autel,  à  l'extrémilé  opposée  à  la  nef. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  485 

Enfin  différents  monuments^  donnent  le  Saint-Esprit  âgé,  à 
barbe  longue,  à  cheveux  gris  ou  blancs,  à  front  ridé;  il  a  cin- 
quante, soixante,  soixante  et  dix  ans,  comme  le  Père  éternel 
lui-même.  Le  Père  éternel  alors,  et  c'est  au  xv^  siècle,  recon- 
quiert la  puissance  qu'il  avait  perdue  pendant  tout  le  moyen 
âge  :  il  impose  sa  figure  et  ses  traits  au  Saint-Esprit  et  même 
à  Jésus-Christ;  il  fait  tout  le  monde  à  son  image  et  à  sa  res- 
semblance. Alors  la  paternité,  la  filiation  et  la  procession  dis- 
paraissent, chassées  par  la  coéternité  et  l'égalité  des  trois  per- 
sonnes. 

Ces  portraits  du  Saint-Esprit  en  homme,  quoique  peu 
rares,  surtout  au  xv''  siècle,  sont  cependant  beaucoup  moins 
nombreux  que  les  représentations  de  la  colombe;  la  différence 
de  proportion  est  peut-être  de  un  sur  mille.  D'ailleurs  ces 
hommes  divins  se  montrent  tard  et  disparaissent  avec  la  re- 
naissance. Or  le  symbole  delà  colombe,  quelque  pur  et  élevé 
qu'il  soit,  est  inférieur  à  celui  de  fhomme,  comme  un  oiseau 
est  inférieur  à  un  être  humain.  On  aime  donc,  après  l'avoir  vu 
si  longtemps  et  si  souvent  abaissé  à  la  condition  d'un  oiseau ,  on 
aime  à  voir  le  Saint-Esprit  se  transformer,  comme  on  regarde 
avec  plaisir  un  insecte  grossier  se  changer  en  un  papillon 
brillant,  élégant  et  alerte.  De  l'oiseau  à  l'homme  il  y  a  pro- 
grès. Quand  on  passe  sa  vie  dans  l'archéologie  et  qu'on  ren- 
contre à  chaque  pas,  à  chaque  siècle,  dans  chaque  monu- 
ment, le  Saint-Esprit  sous  la  forme  d'un  oiseau,  on  applaudi- 
rait volontiers  avec  joie  lorsque  par  hasard  se  montre  à  vous 
un  beau  jeune  homme  imberbe  ou  à  la  barbe  blonde  et  fine, 
aux  joues  fraîches  et  roses,  aux  cheveux  onduleux  et  dorés, 
au  sourire  doux  et  bienveillant.  Ce  divin  adolescent,  on  l'em- 

*  Notammenl  les  manuscrits  qui  sont  à  la  Bibliothèque  royale,  et  connus  !<ous  le 
nom  de  Bréviaire  de  Salisbury  et  (.Y Heures  du  duc  d'Anjou,  Lavall.  82  et  127. 


^i86  INSTRUCTIONS. 

brasserait  volontiers  comme  ferait  une  mère  qui  aurait  laissé 
partir  un  fils  tout  jeune,  encore  enfant,  et  qui,  après  une 
longue  absence,  le  reverrait  beau  garçon,  très-grandi ,  très- 
distingué,  très-intelligent,  ayant  fait  fortune,  étant  devenu 
un  liomme. 

Quoique  ce  portrait  du  Saint-Esprit  en  homme  ait  été  aban- 
donne à  la  renaissance,  c'est  à  nous  de  le  reprendre  et  de  le 
perfectionner  encore  ;  les  artistes  chrétiens  ne  doivent  pas 
laisser  périr  un  si  beau  sujet,  soit  dans  les  représentations  de 
la  Trinité  entière,  soit  dans  celles  du  Saint-Esprit  tout  seul. 
L'Esprit  en  homme  n'a  pas  fini  sa  carrière;  c'est  à  l'avenir  sur- 
tout qu'il  appartient  d'honorer  l'intelligence ,  de  cultiver  la 
raison  dans  le  Saint-Esprit,  comme  le  passé  a  vénéré  la  puis- 
sance dans  Dieu  le  père  et  l'amour  dans  Dieu  le  fils. 


PROPRIETES    DU    SAINT-ESPRIT. 


Jusqu'à  présent  nous  avons  considéré  le  Saint-Esprit  comme 
une  personne  une  et  indivisible;  mais,  si  nous  avons  cherché  à 
le  définir  en  le  montrant  comme  dieu  de  l'intelligence,  nous 
n'avons  pas  encore  analysé  ses  propriétés  diverses  et  spé- 
ciales. Il  nous  reste  donc  à  dire  quels  sont  les  attributs  di- 
vins du  Saint-Esprit  et  les  qualités  qu'il  possède  en  propre. 

On  lit  dans  Isaïe  ^  :  «  Un  rameau  sortira  de  la  tige  de  Jessé, 
et  de  sa  racine  montera  une  fleur,  et  I'esprit  du  Seigneur  se 
reposera  sur  lui^  :  l'esprit  de  sagesse  et  d'intelligence,  fesprit 

'  Cap.  XI,  vers,  i,  2  et  3  : 

'  A  la  bibliothèque  de  l'Arsenal,  dans  le  Spéculum  humanœ  salvationis ,  manuscrit  du 
xiv°  siècle,  Tliéol.  lat.  /ia  B,  f°  G  recto,  on  voit  Jessé  assis.  De  la  poitrine  du  patriarche 
sort  un  arbre,  un  rosier.  Au  sommet  de  cet  arbre  brille  une  rose  à  cinq  pétales,  au 
centre  de  laquelle,  comme  dans  un  berceau  de  fleurs,  est  un  oiseau  marchant,  une 
petite   colombe.  C'est  le  Saint-Esprit  qui  se  repose  dans  cette  fleur.  En  1007,  dit  le 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  487 

de  conseil  et  de  force,  l'esprit  de  science  et  de  piété;  l'esprit 
de  la  crainte  de  Dieu  le  remplira.  » 

Ces  paroles  s'adressaient  au  Messie,  à  Jésus,  à  Emmanuel, 
qu'une  vierge  devait  concevoir  et  enfanter  ;  à  ce  petit  enfant 
qui  devait  porter  la  royauté  sur  ses  épaules  et  s'appeler  ad- 
mirable, conseiller,  dieu,  fort,  père  du  siècle  futur,  prince 
de  la  paix^  Cet  enfant  divin  était  donc  revêtu  de  l'esprit  de 
Dieu,  dont  les  facultés  sont  au  nombre  de  sept,  car  il  possède 
en  propriété  la  sagesse,  fintelligence,  le  conseil,  la  force,  la 
science,  la  piété,  la  crainte. 

L'art  chrétien  a  figuré  très- souvent  ce  tableau  :  un  arbre 
s'échappant  des  entrailles,  de  la  poitrine  ou  de  la  bouche'^  de 
Jessé.  Le  tronc  symbolique  jette  à  droite  et  à  gauche  des  ra- 
meaux qui  portent  les  rois  de  Juda,  les  ancêtres  du  Christ; 
au  sommet  est  assis  sur  un  trône,  ou  dans  le  calice  d'une 
fleur  gigantesque,  le  Fils  de  Dieu.  Tout  autour  de  Jésus,  et 
comme  lui  formant  une  auréole  ovale,  s'échelonnent  sept  co- 
lombes, disposées  trois  à  gauche,  trois  à  droite  et  une  au  som- 
met. Chacune  inspire  à  Jésus  la  qualité  qui  lui  appartient  spé- 
cialement :  l'une  la  sagesse,  l'autre  l'intelligence,  la  troisième 
le  conseil  et  ainsi  des  autres.  Ces  colombes,  blanches  comme 

R.  P.  dom  Guéranger  [Institutions  liturgiques,  vol.  1,  p.  Sog),  Fulbert,  évêque  de 
Chartres  ,  composa  Y  Introït  sjjivanl  pour  la  nativité  de  Marie  : 

Slirps  Jesse  virgam  produxit ,  virgoque  florem , 
Et  super  liunc  florem  rcquiescit  Spiritus  almus. 
Virgo  Dei  gcuitrix  virga  est  ;  Uos  ,  Filius  ejus. 

^  Isaias,  cap.  vu,  vers,  i/j;  cap.  ix,  vers.  6.  De  ces  dernières  paroles  on  a  fait  Ylntroii 
qu'on  chante  encore  à  la  messe  de  Noël. 

-  A  Reims,  c'est  de  la  bouche  de  Jessé,  c'est-à-dire  de  l'organe  de  l'intelligence,  et 
non  de  la  poitrine  ou  des  entrailles,  organes  de  la  vie  matérielle  ,  que  sort  l'arbre  mys- 
tique qui  porte  à  son  sommet  une  grande  fleur  où  repose  le  Messie,  Jésus,  l'Emmanuel 
d'Isaîe.  (Voyez,  à  la  bibliothèque  de  Reims,  le  manuscrit  intitulé  Bible  hisloriale ;  il  est 
du  xiif  siècle  et  il  a  pour  n°  28.) 

78 


488  INSTRUCTIONS. 

le  Saint-Esprit ,  et  ornées  comme  lui  d'un  nimbe  crucifère , 
ne  sont  pas  autre  chose  que  la  représentation  vivante  des  sept 
propriétés  du  Saint-Esprit.  Le  Saint-Esprit  est  dessiné  sous 
la  forme  d'une  colombe;  chacune  des  sept  énergies  qui  le 
distinguent  est,  elle  aussi,  figurée  sous  cette  même  forme. 
Ce  sont,  pour  ainsi  dire,  sept  personnifications  de  ce  Dieu 
un  en  sept  propriétés,  comme  la  divinité  absolue  est  une  en 
trois  personnes  réelles.  Plus  haut,  nous  avons  donné  un  des- 
sin tiré  du  psautier  de  saint  Louis  ^  où  l'on  voit  le  Christ  au 
sommet  de  l'arbre  généalogique  et  entouré  des  sept  Esprits  ; 
ici,  Jésus  est  porté  par  sa  mère,  et  les  sept  petites  colombes 
divines  volent  vers  fenfant  et  semblent  le  réjouir  de  leur 
chant  mystérieux. 

124-  JÉSUS  ENVIRONNÉ  DES  SEPT  DONS  DU  SAINT-ESPRIT. 

Miniature  française,  xiv°  siècle  ^. 


Il  est  important  de  constater  la  place  occupée  par  ces  co- 
lombes  relativement  à  Jésus,   qu'elles  environnent  comme 

'  Voyez  page  i23,  pi.  /jo. 
^   Manuscrit  de  la  Biblioth.  roy.  Biblia  sacra,  6829.  Rien  n'est  plus  fréquent  que  de 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  489 

d'un  cercle.  Au  chapitre  de  Dieu  le  père ,  on  a  dit  quel  était 
l'esprit  de  l'esthétique  chrétienne  dans  la  hiérarchie  des  ob- 
jets entre  eux;  on  se  contentera  donc  de  rappeler  que  le  haut 
l'emporte  en  distinction  sur  le  bas,  que  la  gauche  est  infé- 
rieure à  la  droite  et  la  circonférence  au  centre.  Le  sommet  est 
préféré  à  la  base  et  la  droite  à  la  gauche,  de  même  que  le  foyer 
l'emporte  sur  le  rayonnement.  Or,  dans  Isaïe,  l'ordre  donné 
aux  dons  du  Saint-Esprit  est  celui-ci  :  sagesse,  intelligence, 
conseil,  force,  science,  piété,  crainte  de  Dieu.  Si  l'on  s'élève 
en  commençant  par  la  crainte  de  Dieu ,  on  aura  la  sagesse  au 
sommet;  si  au  contraire  on  place  la  sagesse  au  bas  de  la  série, 
c'est  la  crainte  de  Dieu  qui  dominera  sur  l'échelon  supérieur. 
Mais ,  dans  les  deux  cas,  la  force  et  la  science  occuperont  le  mi- 
lieu, ïsaïe,  en  commençant  parla  sagesse  et  en  finissant  par  la 
crainte,  n'a  pas  dit  malheureusement  s'il  montait  ou  s'il  des- 
cendait d'une  propriété  à  une  autre;  on  ne  sait  donc  pas  où  est 
la  racine,  où  est  la  base,  où  est  le  sommet,  où  est  la  suprême 
vertu,  où  est  au  contraire  la  plus  humble.  Les  symbolistes  et 
les  artistes  du  moyen  âge  ont  eu  le  champ  libre  aux  conjec- 
tures, et  la  place  qu'ils  ont  donnée  à  telle  propriété  doit  avoir 
probablement  un  sens  et  être  l'expression  de  telle  préférence 
ou  de  telle  antipathie.  Dans  un  ordre  d'idées  analogues,  on 
voit  que  parmi  les  trois  vertus  théologales,  la  foi,  l'espérance 
et  la  charité ,  tel  artiste  ou  tel  moraliste  de  cœur,  a  mis  la 
charité  en  tête;  tel  autre  qui  souffrait,  l'espérance;  un  troi- 
sième, qui  sentait  le  prix  extrême  de  la  croyance,  et  que  les 
douleurs  du  scepticisme  ont  broyé,  place  la  foi  par-dessus 


voir  les  colombes  environnant  ainsi  Jésus  homme  ou  enfant.  On  les  remarque  deuxfoi> 
sur  les  vitraux  de  l'église  de  Saint-Denis,  Irois  fois  sur  ceux  de  la  cathédrale  do  Chartres, 
une  fois  sur  les  vitraux  de  la  collégiale  de  Sainl-Qucntin,  des  cathédrales  d'Amiens  et 
de  Beauvais,  et  sur  ceux  de  l'église  de  Breuil,  village  de  l'arrondissement  de  Reims. 

INSTRUCTIOiNS.  —  II.  62 


490  INSTRUCTIONS. 

tout.  Fénélon  et  saint  Vincent  de  Paule  auraient  pu  préférer 
la  charité  aux  deux  autres  vertus  ;  mais  saint  Jérôme,  Tertul- 
lien  et  Bossuet  auraient  certainement  préféré  à  la  charité  la 
foi.  Ainsi ,  dans  la  place  que  l'on  fait  occuper  à  une  vertu ,  se 
révèle  une  sympathie  individuelle  et  quelquefois  une  sym- 
pathie sociale.  Ce  qu'on  vient  de  dire  en  effet  de  Fénélon ,  de 
saint  Vincent  de  Paule,  de  Bossuet,  de  saint  Jérôme  et  de  Ter- 
tuUien ,  on  peut  le  dire  de  la  société  entière.  Quand,  à  telle 
époque,  à  tel  siècle,  c'est  la  foi  qui  l'emporte,  on  met  cette 
vertu  au  pinacle;  on  la  fait  reine,  on  la  couronne,  on  l'assied 
sur  un  trône.  La  foi  domine  alors  ses  deux  compagnes.  Au  con- 
traire, lorsque  la  société  est  croyante,  mais  écrasée  par  des 
souffrances  de  toute  espèce;  lorsque  les  guerres,  les  famines, 
les  maladies  désolent  un  pays,  ce  pays  se  réfugie  dans  l'espé- 
rance; on  fait  descendre  la  foi  de  son  trône  pour  y  placer 
l'espérance.  Mais  lorsque  le  sentiment  moral  est  oblitéré , 
lorsque  le  cœur  malsain  ou  aveuglé  est  stérile  ou  ne  sait  plus 
se  diriger,  alors  c'est  la  charité  qu'on  fait  luire  comme  un 
phare  et  qu'on  propose  en  remède  à  l'espérance. 

11  en  est  arrivé  ainsi  effectivement.  Aux  premiers  jours  du 
christianisme,  il  fallait  croire  avant  tout  et  croire  à  l'incar- 
nation du  Verbe ,  à  l'immortalité  de  l'âme ,  à  la  résurrection 
des  corps;  tous  les  monuments  figurés  se  sont  imposé  la  tâche 
de  provoquer  la  foi.  Les  anciens  sarcophages,  les  fresques  des 
catacombes,  les  mosaïques  des  basiliques  romaines  offrent 
constamment  aux  regards  Jésus  qui  naît,  agit  et  ressuscite. 
Sans  cesse  la  vie  est  extraite  de  la  mort,  pour  montrer  qu'au 
jugement  dernier  le  corps  ressuscité  sortira  du  tombeau  :  Jo- 
nas  est  vomi  par  la  baleine,  les  trois  enfants  de  Babylone  sont 
respectés  par  le  feu  de  la  fournaise ,  Jésus  ressuscite  Lazare. 
Alors  il  faut  croire,  puisqu'il  s'agit  de  substituer  une  religion 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  491 

à  une  autre  :  c'est  le  règne  de  la  foi.  Mais  dans  les  mauvais 
jours,  à  l'époque  des  invasions  des  barbares  d'abord,  des  Nor- 
mands ensuite,  surtout  après  la  mort  de  Charlemagne,  quand 
l'empire  se  disjoint  de  tous  côtés,  et  que  la  guerre  court  d'une 
province  dans  une  autre  et  se  promène  de  ville  en  ville; 
quand  la  féodalité  s'enfante  et  quand  les  appréhensions  de  l'an 
1 000  viennent  effrayer  toutes  les  âmes,  alors  c'est  à  fespérance 
qu'on  s'adresse;  c'est  l'espérance  qu'on  place  à  la  tête  des  trois 
grandes  vertus.  On  croit,  et  la  foi  n'est  plus  mise  en  doute; 
mais  il  faut  espérer  au  milieu  de  ces  terribles  événements  qui 
semblent  ôter  toute  espérance.  Au  xn^  siècle ,  tout  se  raffer- 
mit :  on  a  passé  l'an  looo  et  l'on  s'étonne  de  vivre  encore. 
La  royauté,  bienfaisante  et  forte,  écrase  ou  domine  les  petits 
tyrans  féodaux;  prévoyante,  elle  établit  l'ordre,  elle  réforme 
ou  plutôt  elle  invente  fadministration.  On  est  heureux;  mais, 
comme  dans  tout  bonheur,  on  se  laisse  aller  à  la  nonchalance, 
au  luxe,  à  la  bonne  chère,  au  plaisir.  Il  faut  donc  relever  ces 
âmes  amollies  et  égoïstes  par  l'ardeur  et  le  dévouement  de  la 
charité. 

En  cherchant  bien ,  on  retrouve  dans  les  sculptures  des 
cathédrales,  dans  les  peintures  des  vitraux,  dans  les  minia- 
tures des  manuscrits,  ces  différences  de  sympathies  qui  té- 
moignent d'une  différence  d'époque;  on  va  même  jusqu'à  sur- 
prendre dans  des  édifices  de  même  âge ,  mais  de  pays  diffé- 
rent, une  différence  individuelle.  Ainsi,  à  la  cathédrale  de 
Paris,  comme  on  fa  déjà  remarqué,  on  préfère  les  confesseurs 
aux  martyrs,  c'est-à-dire  l'intelligence  à  la  foi;  à  Chartres, 
au  contraire,  la  foi  a  le  dessus  sur  l'intelligence,  les  martyrs 
sur  les  confesseurs.  A  Notre-Dame  de  Brou,  dans  une  église 
bâtie  par  une  femme,  la  charité  prime  toutes  les  autres  ver- 
tus. Pendant  la  renaissance,  on  est  plutôt  païen  que  chrétien; 

62. 


492  INSTRUCTIONS. 

on  néglige,  non-seulement  l'une  des  vertus  théologales,  mais 
toutes  les  trois  à  la  fois,  pour  leur  substituer  les  quatre  vertus 
cardinales,  la  prudence,  la  justice,  la  tempérance  et  la  force, 
vertus  morales  et  que  le  paganisme  exaltait  avant  tout.  En 
résumé,  les  vertus  personnifiées  et  représentées  dans  les  mo- 
numents chrétiens  témoignent,  par  leur  nature ,  leur  nombre 
et  la  place  qu'elles  occupent,  de  l'état  social  de  l'époque  et 
du  pays  où  on  les  représente.  Par  conséquent  la  place  resjoec- 
tive  donnée  aux  sept  dons  ou  propriétés  du  Saint-Esprit  ne  sau- 
rait être  indifférente.  Il  suffirait  d'avoir  appelé  l'attention  sur  ce 
sujet  pour  en  démontrer  l'importance ,  mais  il  ne  sera  pas  inutile 
de  produire  quelques  exemples  à  l'appui  de  notre  observation. 
Isaïe,  avons-nous  dit,  laisse  de  l'incertitude  sur  la  place 
qu'il  assigne  à  la  sagesse  et  à  la  crainte.  En  étageant  les  sept 
vertus,  faut-il  mettre  la  crainte  en  bas  et  la  sagesse  en  haut.^ 
Il  est  probable  qu'il  en  est  ainsi,  car  Isaïe,  en  nommant  la  sa- 
gesse avant  toutes  les  autres  et  en  terminant  par  la  crainte,  éta- 
blit une  série  dont  les  analogues  sont  toujours  descendants. 
La  sagesse  marche  en  tête  comme  un  chef  suivi  de  ses  subor- 
donnés. De  plus,  la  crainte  est  un  sentiment  assez  simple,  tan- 
dis que  la  sagesse  est  une  vertu  complexe;  la  sagesse  est  donc, 
à  ce  titre,  une  plus  grande  vertu  que  la  crainte.  C'est  ainsi  que 
toutes  ies  civilisations  et  toutes  les  religions  l'ont  entendu. 
L'homme  qui  se  règle  sur  la  peur  est  inférieur  à  celui  que  la 
sagesse  dirige.  Enfin  un  texte  sacré,  corrélatif  à  celui  d'Isaïe, 
semble  donner  une  solution  complète.  Il  est  dit,  dans  les 
Psaumes,  que  la  crainte  est  le  commencement  de  la  sagesse  ^; 
la  crainte  entière  n'est  donc  qu'une  partie  de  la  sagesse,  qui 
est  un  grand  tout.  De  la  crainte  naît  la  sagesse ,  comme  de  la 
racine  l'arbre  entier  et  son  sommet.  Ainsi  donc  le  dernier  des 

«  Initium  sapientiae  timor  Domini.  »  Psal.  ex,  v.  lo. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  /i93 

dons  nommés  par  Isaïe  est  le  plus  faible,  tandis  que  le  pre- 
mier est  le  plus  puissant;  la  crainte  doit  être  placée  au  bas. 
De  la  piété  à  la  science,  à  la  force,  au  conseil ,  à  rintelligeiice 
on  arrive  à  la  sagesse,  comme  du  bas  d'une  échelle  on  par- 
vient jusqu'au  sommet.  Telle  doit  être  la  disposition  en  ligne 
verticale;  en  ligne  horizontale,  la  sagesse  doit  être  à  la  tête  et 
la  crainte  à  l'extrémité  opposée.  Pdiaban  Maur,  dans  le  poëme 
déjà  cité,  a  disposé  en  croix  les  sept  dons  du  Saint-Esprit;  il 
les  échelonne  verticalement ,  puis  il  les  distribue  horizontale- 
ment, comme  nous  venons  de  l'indiquera 

Voici  à  peu  près  la  figure  que  dessine  cette  disposition  : 

spiritus 
sapientiae , 
spiritus 
intellectus, 
spiritus 
spiritus  spiritus  spiritus  consilii,        spiritus   spiritus  spiritus 
sapientiœ ,  intellectus ,  consilii ,  fortitudinis ,  scientiœ ,  pietatis ,  tinioris. 

spiritus 
scientiœ , 
spiritus 
pietatis, 
spiritus 
timoris. 

En  ligne  circulaire  et  continue,  les  vertus  doivent  être  placées 
à  peu  près  comme  les  heures  dans  le  cadran.  La  première  et  la 
plus  importante ,  la  sagesse ,  doit  être  en  haut  où  l'on  place 
une  heure;  la  crainte,  où  on  lit  douze  heures.  En  arcade  cin- 
trée ou  ogivale ,  la  crainte  doit  être  à  la  naissance  du  cintre,  à 
gauche;  la  piété  à  la  naissance  du  cintre,  à  droite,  et  la  sa- 
gesse à  la  clef  de  l'archivolte.  Telle  devrait  être  la  disposition 

'  Rhaban  Maur,  De  laudibus  sanctœ  Crucis,  i"  volume  des  Œuvres  complètes ,  p.  o  1 2 , 

fig.   XVI. 


fiÇf'i  INSTRUCTIONS. 

normale  et  conforme  au  texte  d'isaïe;  mais,  par  les  raisons  don- 
nées plus  haut,  par  les  préférences  des  époques  et  des  pays, 
par  les  sympathies  ou  l'humeur  des  individus,  il  a  dû  y  avoir 
et  il  y  a  eu  en  effet  des  inversions.  Toutes  ces  variétés  doivent 
être  signalées  avec  soin,  parce  qu'il  peut  y  avoir  un  ensei- 
gnement et  des  déductions  historiques  à  en  tirer. 

Dans  l'Apocalypse  \  l'agneau  est  doué  de  sept  yeux  et  de 
sept  cornes,  qui  sont  les  sept  esprits  de  Dieu;  le  lion  de  Juda, 
le  Christ,  reçoit  les  sept  dons  de  l'esprit  divin;  or  ces  sept  dons 
diffèrent,  à  quelques  égards,  de  ceux  d'isaïe,  quant  au  nom 
et  quant  à  la  hiérarchie;  les  voici  en  regard  tels  qu'on  les 
trouve  dans  Isaïe  et  dans  l'Apocalypse  : 

haïe.  Apocalypse. 

SAPIENTIA.  VIP.TUS. 

INTELLECTUS.  DIVINITAS. 

CONSILIUM.  SAPIENTIA. 

FORTITDDO.  FORTITUDO. 

SCIENTIA.  HONOR. 

PIETAS.  GLORIA. 

TIMOR.  BENEDICTIO. 

La  force  et  la  sage'^se  sont  les  seuls  noms  communs  aux 
deux  textes.  La  force  est  à  la  même  place,  au  milieu,  dans 
l'un  comme  dans  l'autre;  mais  la  sagesse  est  à  la  première 
place  dans  Isaïe  et  à  la  troisième  dans  l'Apocalypse.  Quanl 
aux  autres  noms,  ils  diffèrent  assez  notablement  pour  qu'on 
ne  puisse  pas  les  trouver  tous  analogues.  On  comprend  que 
la  sagesse,  mise  en  tête  des  sept  dons  par  Isaïe,  puisse  s'appeler 
la  vertu  par  excellence,  puisqu'elle  en  est  la  plus  haute  ex- 

'  Apocalyp.  cap.  v,  v.  6  el  12.  «Vidi....  Agnuin  stantem  lanquam  occisum,  liabentem 
«  cornua  septem  et  oculos  septem,  qui  sunt  septem  spiritus  Dei  missi  in  omnem  terram. 
"  —  Dignus  est  Agnus ,  qui  occisus  est,  accipere  virtuleai ,  et  divinilatem,  et  sapientiam , 
«  el  forliludinem,  ethonorem,  el  gloriain,  et  benediclioncm.  » 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  495 

pression.  Mais  entre  crainte  et  bénédiction ,  entre  gloire  et 
piété,  entre  science  et  honneur,  on  ne  saisit  pas  bien  le  rapport, 
si  ce  n'est  que  la  bénédiction  peut  être  cause  de  la  crainte ,  et 
que  l'honneur  et  la  gloire  sont  la  conséquence,  le  produit  de 
la  science  et  de  la  piété.  Quant  à  l'intelligence  d'Isaïe,  elle  est 
appelée  la  divinité  par  l'Apocalypse;  ce  fait  viendrait -il  en 
aide  à  ceux  que  nous  avons  donnés  pour  prouver  que  l'Esprit 
divin  était  le  dieu  de  l'intelligence  et  non  de  l'amour  i' 

Quoi  qu'il  en  soit,  si  des  différences  aussi  notables  se  cons- 
tatent entre  la  prophétie  d'Isaïe  et  l'ApocaWpse  de  saint  Jean, 
il  faut  s'attendre  à  en  trouver  quelques-unes  dans  les  sculp- 
tures et  peintures  qui  représentent  les  sept  esprits,  les  sept 
colombes  environnant  Jésus.  A  la  Sainte-Chapelle  de  Paris, 
dans  Notre-Dame  de  Chartres,  dans  l'église  de  Breuil,  village 
de  l'arrondissement  de  Reims;  dans  l'église  de  Saint-Denis, 
on  voit,  peint  sur  des  vitraux,  ce  sujet  du  Christ  entouré  des 
sept  colombes.  Les  manuscrits  à  miniatures  offrent  fréquem- 
ment le  même  motif  exécuté  depuis  le  xif  siècle  jusqu'au  xvr. 
Mais  rarement  chaque  colombe  porte  son  nom;  en  sorte  qu'on 
ne  peut  dire  avec  certitude  que  la  première  est  l'esprit  de  sa- 
gesse, la  seconde  l'esprit  d'intelligence  et  ainsi  des  autres'.  Un 
manuscrit,  qui  est  de  la  seconde  moitié  du  xiii''  siècle^,  offre 
les  esprits  qui  sont  nommés  tous  les  sept  et  disposés  en  arcade 
autour  de  Jésus.  A  gauche,  en  montant,  on  a  les  esprits  de  con- 
seil, d'intelligence  et  de  sagesse;  à  droite,  en  montant,  on  a  les 
esprits  de  force,  de  science  et  de  piété.  L'esprit  de  crainte  do- 


'  A  Cliaiires,  au  vitrail  de  droite  du  portail  occidental,  et  a  Saint-Denis,  vitrail  de 
l'abside,  bas-côté  de  droite,  les  noms  sont  écrits  autour  du  médaillon  qui  environne 
chaque  colombe ,  mais  en  caractères  trop  fms  ou  trop  elTiicés  pour  que  j'aie  pu  les  lire  ; 
j'y  ai  cependant  apporté  la  plus  extrême  attention  et  j'y  suis  revenu  à  ilivcrses  reprises. 

*    Vercjier  de  Solas,  Sujjpl.  fr.  ir ,  in-fol. 


946  INSTRUCTIONS. 

mine  à  la  clef,  au  sommet  de  l'arcade.  Cet  esprit  semble  donc 
s'appuyer  à  gauche  sur  la  sagesse  et  à  droite  sur  la  piété,  tan- 
dis qu'il  paraît  poser  les  pieds  sur  le  conseil  et  la  force.  L'intel- 
ligence et  la  science ,  en  regard  l'une  de  l'autre ,  sont  au  mi- 
lieu. Dans  cet  ordre,  c'est  la  crainte  qui  est  la  vertu  suprême, 
disposition  tout  hébraïque  et  toute  conforme  à  la  religion 
juive ,  où  la  peur  de  Dieu  est  imposée  aux  hommes,  de  même 
que  l'amour  est  la  loi  fondamentale  de  la  religion  chrétienne. 
Ceci  est  en  tête  d'un  arbre  de  Jessé  qui  porte  à  son  sommet  la 
\  ierge  tenant  Jésus. 

En  face  de  cet  arbre,  dans  le  même  manuscrit,  la  Vierge 
tient  encore  l'enfant  Jésus ,  et  les  sept  colombes  environnent 
également  l'enfant  dieu.  Les  noms  accompagnent  les  colombes; 
mais  leur  ordre  est  différent.  Disposées  en  arcade,  comme  les 
claveaux  d'une  archivolte,  les  colombes  partent  de  la  nais- 
sance de  l'arcade,  à  gauche,  et  montent  au  sommet,  où  se 
trouve  la  quatrième  colombe  ou  vertu,  pour  continuer  et  des- 
cendre jusqu'à  la  naissance  de  l'arcade  à  droite.  Dans  cette  dis- 
position, on  suit  l'ordre  d'Isaïe.  A  la  gauche,  qui  est  inférieure 
à  la  droite,  et  dans  le  bas,  qui  est  moins  honorable  que  le  haut, 
se  pose  la  colombe  de  la  crainte  ;  puis  paraissent  celles  de  la 
piété,  de  la  science,  de  la  force,  du  conseil,  de  l'intelligence 
et  de  la  sagesse.  Il  faut  regretter  que  la  sagesse  soit  à  la  fm; 
mais  cette  arcade  a  été  considérée  comme  une  ligne  droite, 
horizontale,  et,  dans  ce  cas,  on  est  complètement  d'accord  avec 
Jsaïe ,  qui  met  la  sagesse  en  tête  et  la  crainte  à  l'extrémité  op- 
posée. 

Enfin  le  même  manuscrit  présente,  dans  une  curieuse  mi- 
niature, une  roue  morale  coupée  en  sept  rayons  et  composée 
de  plusieurs  cordons  concentriques.  Les  rayons  forment  sept 
compartiments  où  sont  placés,  en  divers  cordons,  une  des 


ICONOGRAPHIE   CHRETIENNE.  /iQ? 

sept  demandes  de  l'oraison  dominicale,  un  des  sept  sacrements , 
une  des  sept  armes  spirituelles  de  la  justice,  une  des  sept 
œuvres  de  miséricorde,  une  des  sept  vertus,  un  des  sept  pé- 
chés capitaux  et  l'un  des  sept  dons  du  Saint-Esprit  ^  A  prendre 
tous  ces  cordons,  cette  roue  ressemble  à  une  cocarde  multico- 
lore et  plissée  de  sept  plis;  à  ne  prendre  que  le  cordon  des 
sept  esprits  de  Dieu,  c'est  comme  le  cadran  d'une  horloge, 
cadran  qui  serait  divisé  en  sept  et  non  en  douze  heures  ou 
degrés.  En  suivant  l'ordre  de  ce  cadran,  on  lirait,  sur  cette 
miniature,  l'intelligence  à  la  première  division,  la  crainte  à  la 
sixième  et  la  sagesse  au  point  culminant  ;  les  autres  sont  dis- 
posés dans  des  espaces  intermédiaires  et  s'asservissent  à  l'ordre 
d'Isaïe.  Ainsi  là,  contrairement  au  premier  tableau,  c'est  la  sa- 
gesse qui  domine,  et  non  la  crainte,  comme  le  prophète  paraît 
le  vouloir;  la  crainte  est  complètement  soumise. 

Il  ne  serait  pas  très-utile  de  s'arrêter  plus  longtemps  sur  ce 
sujet,  quoique  curieux  et  fécond  en  déductions  historiques  et 
en  inductions  morales.  Nous  dirons  seulement  que  pour  être 
conséquent  avec  la  nature  du  Saint-Esprit,  qui  est  l'intelli- 
gence, il  faudrait,  en  représentant  les  sept  colombes,  mettre 

'  Reiner,  bénédictin  du  xiii"  siècle,  a  composé  sept  hymnes  en  l'honneur  du  Saint- 
Esprit.  Le  n<5mbre  sept  est  un  nombre  sacré  au  moyen  âge.  Les  auteurs  de  celte  époque 
font  remarquer  avec  un  plaisir  profond  qu'il  y  a  sept  dons  du  Saint-Esprit,  sept  sacre- 
ments, sept  planètes,  sept  jours  de  la  semaine,  sept  branches  au  chandelier  de  Moïse, 
sept  arts  libéraux,  sept  églises  d'Asie ,  sept  sceaux  mystérieux,  sept  étoiles  et  sept  trom- 
pettes symboliques,  sept  têtes  ou  dragon,  sept  joies  et  sept  douleurs  de  la  Vierge,  sept 
psaumes  de  la  pénitence,  sept  péchés  mortels,  sept  heures  canoniales.  Les  mystiques 
donnent  des  explications  sur  tous  les  nombres ,  mais  sur  le  nombre  sept  spécialement  ; 
ils  font,  par  addition  et  par. soustraction,  une  arithmétique  des  plus  bizarres.  (Voyez  sur- 
tout Bcde,  Rhaban  Maur  et  Guillaume  Durand.)  «  Seplenarius  numerus  est  numorus 
universitatis  1) ,  dit  Jacques  de  Vorage,  Legenda  uurea.  De  sanctis  Machabaeis.  — Ma- 
homet lui  même  dit,  dans  le  Koran,  ch.  ii,  verset  27  :  «  Dieu  se  porta  vers  le  ciel  et  en 
forma  sept  cieux.  »  Dieu,  suivant  Mahomet,  divisa  le  ciel  en  sept  cieux  ou  sept  couches 
concentriques  et  superposés  comme  les  pellicules  de  l'oignon. 

INSTRUCTIONS.  —  II.  63 


498  INSTRUCTIONS. 

rintelligence  à  la  place  souveraine,  la  crainte  et  la  force  à  la 
place  tout  à  fait  inférieure,  la  piété  et  la  sagesse  au-dessus  de 
la  crainte  et  de  la  force  ;  enfin  ,  comme  approchant  de  plus 
près  rintelligence  et  comme  lui  servant  d'appui ,  la  science 
devrait  être  à  gauche  et  le  conseil  à  droite  de  cette  vertu  su- 
prême et  qui  les  résume  toutes.  On  aurait  ainsi,  à  la  base,  le 
génie  de  la  force,  au  milieu,  celui  de  l'amour,  et  au  sommet 
celui  de  la  raison.  Dans  une  cathédrale,  à  l'abside,  on  fait 
rayonner  d'ordinaire  sept  chapelles,  comme  à  Reims,  comme 
à  Chartres  :  supposez  que  les  deux  premières  chapelles,  à 
gauche  et  à  droite,  sont  dédiées  à  la  crainte  et  à  la  force;  les 
deux  suivantes,  celle  de  gauche  à  la  piété,  celle  de  droite  à  la 
sagesse;  les  deux  suivantes  à  la  science  et  au  conseil,  et  enfin, 
celle  qu'on  nomme  chapelle  de  la  Vierge ,  qui  est  la  princi- 
pale chapelle,  la  plus  longue  et  la  plus  riche,  consacrée  à  l'in- 
telligence. Tel  serait  l'ordre  logique.  Du  reste ,  on  s'écarterait 
ainsi  de  la  disposition  voulue  par  Isaïe. 

Quand  la  place  ne  s'y  oppose  pas,  quand  les  dispositions 
ont  été  bien  prises,  on  représente  toutes  les  sept  colombes; 
mais,  dans  le  cas  contraire,  on  ne  se  fait  pas  scrupule  d'omettre 
deux,  trois,  quatre  colombes  et  de  n'en  figurer  que  cinq,  quatre 
ou  même  trois  seulement.  Les  artistes  du  moyen  âge  ne  s'em- 
barrassaient pas  pour  peu  :  lorsqu'ils  avaient  à  représenter  les 
douze  vertus  principales,  les  douze  mois  de  l'année,  les  douze 
apôtres,  les  vingt-quatre  vieillards  de  l'Apocalypse,  et  que  la 
place ,  mal  calculée ,  leur  faisait  défaut ,  ils  n'en  sculptaient 
ou  n'en  peignaient  que  les  deux  tiers,  la  moitié  ou  un  tiers 
seulement,  suivant  l'occurrence.  Par  contré,  lorsqu'ils  avaient 
trop  de  place,  ils  mettaient  trente  vieillards,  quinze  mois, 
vingt  vertus  ;  ils  répétaient  une ,  deux  et  même  trois  fois 
le  même  cordon   de  patriarches,   de  rois,   de   martyrs,   de 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  /|Ç)Q 

vierges  ^  Il  en  est  ainsi  pour  les  esprits  de  Dieu.  A  Chartres, 
dans  la  nef  de  la  cathédrale,  au  côté  du  nord,  un  vitrail  re- 
présente Marie  tenant  devant  elle  Jésus  qui  est  inscrit  dans  une 
auréole  circulaire;  là,  six  colombes  blanches  et  non  pas  sept 
(la  place  manquait)  viennent  converger  vers  l'enfant  divin. 

12  5.  SIX  COLOMBES  DIVINES  AD   LIEU  DE  SEPT. 

Vitrail  du  xiu'  siècle,  cathédrale  de  Chartres. 


Dans  la  même  cathédrale,  à  la  rose  du  croisillon  septentrio- 
nal ,  il  n'y  en  a  que  quatre  seulement  qui  viennent  inspirer 
à  Jésus  leur  don  spécial;  mais,  à  la  fenêtre  droite  du  portail 
occidental,  toutes  les  sept  colombes  ont  été  figurées  sans  ex- 
ception. On  pourrait  facilement  trouver  et  multiplier  des  exem- 
ples analogues. 

'  A  Chartres,  où  la  place  abonde,  surtout  aux  porches  latéraux,  la  cathédrale  ollre 
de  ces  répétitions  :  les  vierges  sages  et  folles  y  sont  représentées  deux  fois  ;  les  vertus 
et  les  vices  y  sont  répétés  trois  fois;  les  rois  ancêtres  de  la  Vierge  y  sont  quatre  fois 
reproduits.  Au  portail  occidenlal,  où  la  place  manquait,  on  a  supprimé  deux  mois  du 
zodiaque  sculpté  à  la  porte  gauche,  pour  les  reporter  à  la  porte  droite,  où  ils  n'ont  au- 
cune signification,  mais  où  ils  comblent  un  vide. 

63. 


500  INSTRUCTIONS. 

Il  serait  intéressant  de  constater  quels  sont  les  esprits  qu'on 
a  sacrifiés,  et  ceux,  au  contraire,  qu'on  a  préférés  et  représen- 
tés. On  trouverait  certainement  dans  ce  fait  des  renseignements 
curieux.  Par  exemple,  si  le  peintre  de  Chartres,  supprimant  les 
colombes  de  la  crainte,  de  la  force  et  de  la  piété,  avait  repré- 
senté seulement  celles  de  la  sagesse,  de  la  science,  du  conseil 
et  de  l'intelligence,  ne  faudrait-il  pas  en  conclure  que  cet 
homme,  en  esprit  indépendant,  avait  fait  un  choix  dans  les 
dons  mentionnés  par  Isaïe,  et  avait  préféré ,  homme  de  raison, 
la  raison  à  tout  le  reste,  à  l'amour  et  à  la  force? 

Il  y  a  plus,  Abailard,  qui  a  beaucoup  parlé  des  personnes 
divines  et  qui  a  disserté  sur  leur  nature,  Abailard  dit  que  dans 
le  Christ  n'était  pas  l'esprit  de  la  crainte  de  Dieu;  c'est  du  moins 
un  grave  reproche  que  saint  Bernard,  son  antagoniste,  lui  a  fait. 
Un  manuscrit  de  l'abbé  de  Clairvaux,  trouvé  par  les  PP.  Mar- 
tenne  et  Durand  dans  l'abbaye  de  Vigogne,  contient,  parmi  les 
autres  propositions  hérétiques  extraites  des  œuvres  d' Abailard 
et  envoyées  par  saint  Bernard  au  pape  Innocent  II,  celle-ci  : 
«  Quod  in  Christo  non  fuerit  spiritus  timoris  Domini^  »  Abai- 
lard, prenant  le  sens  grossier  des  expressions,  ne  concevait  pas 
que  Jésus  pût  craindre  son  père;  du  reste,  il  ne  refuse  pas  au 
Christ  les  six  autres  esprits.  A  Chartres  aussi,  nous  trouvons  que 
sur  le  vitrail  de  la  nef,  qui  est  postérieur  de  soixante  et  dix 
années  environ  à  Abailard,  il  n'y  a  que  six  esprits  sur  sept.  Le 
septième,  qui  est  supprimé,  est  précisément  celui  du  sommet, 
celui  qu'on  appelle,  dans  la  miniature  d'un  manuscrit  de  la  Bi- 
bliothèque royale^,  l'esprit  de  la  crainte  de  Dieu.  La  doctrine 
écrite -et  prêchée  par  Abailard  aurait-elle  donc  été  peinte  par 
le  verrier  de  Chartres?  Ce  fait  n'est  pas  impossible,  quand 

'   Voyage  littéraire  de  deux  religieux  bénédictins ,  IV  partie,  p.  2  i3. 
"  Le  Vergier  de  Solas,  déjà  cilc. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  501 

nous  voyons  dans  la  même  église  la  liberté  personnifiée  et  mise 
au  milieu  des  vertus  et  à  la  plus  belle  place;  quand  le  magi- 
cien ,  être  dégradé  ailleurs,  est  introduit  là  parmi  les  saints  et 
dans  un  lieu  très-bonorable;  quand  nous  y  voyons  peintes  et 
placées  à  l'abside  les  légendes  apocryplies  les  plus  anatbé- 
matisées.  Quoi  qu'il  en  soit,  ce  fait  devait  être  constaté;  il  fal- 
lait appeler  fattention  des  antiquaires  sur  la  corrélation  cer- 
taine, ou  tout  au  moins  fort  probable ,  qui  existe  pendant  tout 
le  moyen  âge  entre  les  doctrines  même  suspectes,  même  hé- 
rétiques et  les  monuments  figurés;  entre  les  théologiens,  les 
philosophes  et  les  artistes.  Malheureusement  nous  ne  pouvons, 
quant  à  présent  et  pour  ce  point  spécial,  résoudre  la  question 
posée  ;  car  deux  de  ces  vitraux  de  Chartres  ne  portent  point 
d'inscription,  et  sur  le  troisième,  vu  la  hauteur,  elles  sont  illi- 
sibles. Le  sixième  esprit,  qui  manque,  pourrait  être  tout  autre 
que  celui  delà  crainte;  mais,  encore  une  fois,  quel  que  soit 
l'esprit  oublié  ou  sacrifié,  il  faut  regretter,  pour  les  inductions 
qu'on  aurait  pu  en  extraire,  de  ne  pas  savoir  son  nom. 

Les  sept  colombes,  comme  le  Saint-Esprit  lui-même,  por- 
tent un  nimbe  et  un  nimbe  crucifère  ;  car,  propriétés  d'un 
dieu,  elles  sont  divines  et  devaient,  à  ce  titre,  se  revêtir  de 
la  marque  distinctive  des  personnes  de  la  Trinité.  Dans  un 
manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale ^  on  voit  chacune  des  sept 
colombes  ornée  du  nimbe  crucifère.  A  Chartres,  les  quatre  co- 
lombes de  la  rose  qui  éclaire  le  croisillon  septentrional  portent 
toutes  les  quatre  un  nimbe  rouge  croisé  de  blanc. 

Mais ,  nous  f  avons  vu ,  les  sept  colombes  n'ont  pas  toutes 
la  même  importance  :  Tune  d'elles  représente  une  propriété 
inférieure,  la  crainte;  f  autre  une  propriété  suprême,  la  sa- 
gesse. L'art  a  voulu  quelquefois  constater  à  sa  manière  ces 

'  Miroir  de  l'humaine  salvaciorij  déjà  cité. 


502  INSTRUCTIONS. 

divers  degrés.  Des  six  colombes  cjiii  symbolisent  la  crainte,  la 
piété,  la  science,  la  force,  le  conseil  et  l'intelligence,  l'art  a  fait 
des  colombes  saintes,  il  est  vrai,  mais  célestes  simplement  et 
non  divines;  il  leur  a  donné  le  nimbe  des  anges  et  des  saints, 
mais  le  nimbe  uni.  Quant  à  la  sagesse,  l'art  l'a  divinisée;  la 
colombe  qui  la  représente  a  été  douée,  seule  entre  toutes,  du 
nimbe  crucifère,  du  nimbe  qu'on  donne  seulement  aux  per- 
sonnes divines.  Le  dessin  tiré  du  psautier  de  saint  Louis,  que 
nous  avons  donné  à  l'bistoire  defauréole^  attribue  également 
à  l'esprit  de  sagesse  une  plus  grande  importance  qu'aux  six 
autres;  la  colombe  qui  le  représente  est  non-seulement  placée 
tout  au  sommet  de  l'arbre  de  Jessé,  ce  qui  est  un  honneur 
spécial ,  mais  la  colombe  qui  le  figure  est  la  seule  qui  porte 
un  nimbe  à  la  tête.  Ce  nimbe  est  uni ,  c'est  vrai ,  mais  il  in- 
dique une  distinction  particubère  dont  ne  jouissent  pas  les  six 
autres.  Du  reste,  toutes  les  sept  colombes  sont  enfermées  dans 
une  auréole  entièrement  circulaire.  La  gloire,  selon  le  sens 
que  nous  lui  avons  donné  (réunion  du  nimbe  et  de  l'auréole), 
est  donc  réservée  à  la  colombe  de  la  sagesse,  puisque  seule  elle 
baigne  son  corps  dans  une  auréole  et  sa  tête  dans  un  nimbe. 
D'autres  fois  on  revient  à  fégalité  des  sept  dons,  des  sept 
colombes,  et  on  leur  ôte  à  toutes  et  la  croix  du  nimbe  et  le 
nimbe  entier,  en  sorte  que  la  nature  divine  ou  céleste  leur  est 
enlevée.  Quand  ce  fait  se  produit  au  xvf  siècle,  il  n'est  pas 
spécial  aux  esprits  de  Dieu;  car  à  cette  époque  tous  les  saints, 
les  anges,  la  Vierge,  les  personnes  divines  elles-mêmes  per- 
dent leur  nimbe.  Mais,  si  l'absence  du  nimbe  se  remarque 
dans  le  kiy""  siècle,  ce  pourrait  être  le  résultat  d'un  oubli.  Nous 
favons  répété  plusieurs  fois ,  les  artistes  ont  souvent  commis 
des  erreurs  dans  leurs  dessins,  comme  les  copistes  dans  leurs 

^  Page  123,  pi.  4o. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  503 

transcriptions.  Ainsi,  dans  un  exemple  précédent,  qui  est  tiré 
d'un  manuscrit  du  xiv*"  siècle  \  il  pourrait  y  avoir  erreur  de 
l'artiste,  oubli  et  non  pas  intention  ;  l'absence  de  nimbe  et  de 
nimbe  crucifère  pourrait  bien  n'être  pas  significative.  Du  reste , 
on  voit  déjà  cpie  le  nimbe  perd  un  peu  de  sa  valeur,  puisque 
celui  de  Jésus  rayonne  de  tous  côtés  et  non  pas,  ainsi  qu'il  de- 
vrait le  faire,  de  trois  côtés  seulement,  du  front  et  des  tempes, 
pour  former  les  trois  aigrettes  dont  il  a  été  question  dans 
l'bistoire  du  nimbe ^.  Sur  plusieurs  monuments  figurés,  sur- 
tout dans  les  miniatures  des  manuscrits,  les  colombes  étant 
forcément  d'une  dimension  assez  petite,  il  n'est  pas  facile  de 
constater  si  leur  nimbe  est  ou  n'est  pas  crucifère.  Les  images 
du  Ver(jier  de  Solas  sont  dans  ce  cas  particulièrement. 

Gomme  le  Saint-Esprit,  les  sept  colombes  sont  blancbes, 
ont  le  bec  et  les  pieds  rouges;  comme  le  Saint-Esprit,  elles 
ont  la  proportion  des  colombes  naturelles.  Pourtant ,  de  même 
que  TEsprit  se  montra  grand  comme  un  aigle  à  Tlieutram , 
gardien  de  la  catbédrale  de  Strasbourg,  de  même  aussi  ses 
propriétés  grandissent  quelquefois  jusqu'à  prendre  la  taille  du 
plus  grand  aigle.  Mais,  en  général,  les  colombes  du  Saint- 
Esprit  sont  plus  petites  que  le  Saint-Esprit  lui-même;  car  la 
fraction  doit  être  moindre  que  le  tout.  Dans  ce  cas,  on  les  voit 
aussi  petites  que  les  colombes  de  Virginie,  qui  n'atteignent 
que  la  grosseur  d'un  passereau.  Parfois  le  Saint-Esprit  lui- 

'  Bibliu  sacra,  6829,  Bibl.  royale;  le  dessin  est  plus  haut,  page  488,  pi.  12^.  Cette 
Vierge,  qui  tient  Jésus  illuminé  des  sept  esprits,  est  posée  sous  le  chandelier  à  sept 
branches;  c'est  ainsi  qu'on  place  Jésus  ressuscitant  sous  Jonas  vomi  vivant  par  la  ba- 
leine, ou  le  Christ  versant  le  sang  et  l'eau  de  ses  plaies  sous  le  rocher  que  frappe  Moïse 
et  qui  donne  une  source  d'eau  vive.  Le  chandelier  allumé  de  sopt  feux,  c'est  la  figure  de 
Jésus  animé  des  sept  esprits.  Nouvelle  preuve  encore  que  le  Saint-Esprit  est  le  dieu  de 
l'intelligence,  puisque  ses  propriétés  elles-mêmes  sont  figuiées  |jnr  d('«  flambeaux;  01 
les  flambeaux  éclairent  mais  ils  n'échauflent  pas. 

''  Plus  haut,  p.  106,  pi.  .j4. 


50/i  INSTRUCTIONS. 

même  se  réduit  à  ces  faibles  dimensions  ;  à  plus  forte  raison 
les  propriétés,  qui  ne  sont  que  des  attributs  de  lui-même, 
doivent-elles  se  contracter  dans  cette  petite  taille.  Il  faut  avoir 
grand  soin  de  ne  pas  prendre  un  simple  oiseau,  un  humble 
passereau,  pour  le  Saint-Esprit. 

Le  Saint-Esprit,  disons-nous,  se  rapetisse  quelquefois  à 
la  taille  d'un  passereau  ;  mais  le  nimbe  croisé  qu'il  porte  à  la 
tête  en  fait  immédiatement  le  symbole  de  la  troisième  per- 
sonne divine.  Quand  le  nimbe  est  absent,  ce  qui  arrive  assez 
souvent,  c'est  le  sujet  où  la  petite  colombe  est  figurée,  c'est 
encore  le  lieu  occupé  par  elle  qui  empêchent  de  la  confondre 
avec  un  oiseau  ordinaire.  Dans  tous  les  sujets  où  se  voient 
les  deux  autres  personnes,  la  colombe,  même  petite  et  sacs 
nimbe,  forme  la  troisième.  Tout  oiseau  descendant  du  ciel  et 
planant  sur  la  tête  de  Marie,  au  moment  où  l'ange  lui  annonce 
qu'elle  sera  la  mère  d'un  Dieu,  ne  peut  être  autre  chose  que 
le  Saint-Esprit.  Tout  oiseau  étendant  les  ailes  dans  le  cénacle 
ou  au-dessus  du  Jourdain ,  sur  la  tête  des  apôtres  ou  sur  celle 
de  Jésus-Christ,  ne  peut  être  que  le  symbole  divin.  On  voit 
dans  nos  églises  un  groupe  fréquemment  sculpté  aux  xiv*"  et 
xv^  siècles,  et  même  à  la  fin  du  xiii'^;  c'est  la  Vierge,  assise  ou 
debout,  tenant  l'enfant  Jésus  dans  ses  bras.  D'une  main  Jésus 
folâtre  avec  sa  mère  ;  de  l'autre  il  joue  avec  un  petit  oiseau 
qu'il  tient  par  les  ailes,  par  le  cou,  par  la  queue,  et  auquel 
il  tire  les  plumes  ou  qu'il  caresse  avec  douceur.  Cet  oiseau 
n'est  pas  la  colombe  divine,  n'est  pas  le  Saint-Esprit ,  mais  un 
passereau ,  un  pinson  ,  un  rossignol ,  un  rouge-gorge  qui  sert 
de  jouet  à  Jésus,  comme  tout  autre  animal  ou  objet  pourrait 
le  faire.  Il  ne  faut  pas  s'y  tromper,  ni  voir  dans  cet  oiseau  le 
symbole  divin.  Dans  l'église  de  Vertus  (Marne),  un  groupe  en 
pierre,  de  la  fin  du  xiii^  siècle,  offre  ainsi  un  enfant  Jésus 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  505 

folâtrant  avec  un  petit  oiseau;  le  passereau  s'impatiente,  s'ir- 
rite et  pince  fortement  dans  son  bec  un  des  doigts  de  l'enfant 
divin  ,  qui  le  tourmente  ^ 

Les  sept  dons  du  Saint-Esprit,  les  sept  colombes  n'appar- 
tiennent qu'à  Jésus;  cependant  l'Allemagne,  qui  chérit  la 
femme  plus  qu'on  ne  le  fait  dans  toutes  les  autres  contrées-,  a 
presque  gratifié  la  vierge  Marie  de  ces  qualités  divines.  Dans  la 
cathédrale  de  Freybourg  en  Brisgau,  sur  un  vitrail  de  la  nef 
latérale  du  nord,  on  voit  la  Vierge  assise  et  tenant  l'enfant  Jésus 
qui  est  babillé  de  jaune  et  debout  sur  sa  cuisse  gauche.  Jésus 
porte  le  nimbe  crucifère;  de  la  main  gauche,  il  tient  une  belle 
fleur  rouge  qui  est  peut-être  une  rose,  mais  une  églantine,  une 
rose  simple  à  nombreuses  étamines  jaunes.  De  la  main  droite 
Jésus  cherche  à  prendre  une  grosse  prune  rouge  que  lui  pré- 
sente sa  mère.  Marie  porte  une  robe  verte  et  un  manteau  violet 
doublé  de  rouge,  sur  la  tête  un  voile  blanc  assujetti  par  une  cou- 
ronne d'or.  Un  nimbe  rouge,  ourlé  de  perles  ou  de  diamants 
en  or,  lui  éclaire  la  figure.  Marie  est  dans  le  plus  splendide 
costume.  Autour  de  son  nimbe,  et  non  pas  autour  de  celui  de 
Jésus,  s'abat  une  volée  de  sept  petites  colombes  blanches;  elles 

'  Une  Vierge  en  marbre  blanc,  donnée  à  l'église  abbatiale  de  Saint-Denis  par  la  reine 
Jeanne  d'Évreux ,  femme  de  Cbarles  le  Bel ,  et  appartenant  aujourd'hui  à  l'église  Sainl- 
Germain-des-Prés ,  lient  un  enfant  Jésus  qui  joue  avec  un  petit  oiseau,  comme  fait  le 
petit  Jésus  de  Vertus,  mais  un  peu  plus  pacifiquement.  Dans  l'hospice  de  Rue  (Somme) 
un  oiseau ,  pris  à  tort  pour  le  Saint-Esprit ,  égayé  également  Jésus  tenu  par  sa  mère. 
[Voyage  pittoresque  dans  l'ancienne  France,  province  de  Picardie,  par  M.  le  baron  Taylor.) 
On  voit  le  même  motif,  plus  ou  moins  varié ,  dans  diverses  églises  de  l'arrondissement 
de  Reims,  notamment  dans  celle  de  Courcy. 

*  Avant  le  christianisme  et  depuis,  les  Germaines  et  les  Allemandes  ont  joué  un 
grand  rôle  dans  l'histoire  religieuse,  politique  et  civile;  les  textes  et  les  monuments 
sont  là  pour  l'attester.  A  Cologne,  sans  compter  sainte  Ursule  et  ses  onze  mille  com- 
pagnes, qui  protègent  la  ville  et  l'Allemagne  entière,  une  foule  d'églises,  plus  de  la 
moitié,  étaient  dédiées  à  des  saintes;  dans  la  cathédrale  de  Freybourg  en  Brisgau,  tous 
les  vitraux  sont  remplis  de  l'histoire  de  la  Vierge  et  de  la  vie  de  saintes. 

INSTRUCTIONS.  II.  "^ 


506  INSTRUCTIONS. 

convergent  au  centre  du  nimbe  de  la  Vierge  et  ne  se  tournent 
en  aucune  façon  vers  Jésus.  C'est  donc  un  être  divin  que 
Marie  ;  elle  est  donc  douée ,  comme  son  fds ,  des  sept  dons  du 
Saint-Esprit.  On  peut  bien  dire  que  les  colombes  sont  là  parce 
que  Jésus  s'y  trouve;  mais  toujours  est-il  que  c'est  à  Marie  et 
non  au  fds  de  Dieu  que  les  colombes  font  fête  et  battent 
des  ailes.  Du  reste,  le  Saint-Esprit  lui-même,  et  non  plus 
ses  propriétés  seulement,  joue  familièrement  avec  la  jeune 
Vierge.  Dans  la  même  cathédrale  de  Freybourg ,  nef  latérale 
du  sud,  un  vitrail  du  xiv^  siècle  représente  sainte  Anne  appre- 
nant à  lire  à  Marie.  Anne,  comme  une  reine,  reine  par  sa  fdle, 
porte  une  couronne  d'or  sur  un  voile  blanc;  comme  sainte  elle 
est  ornée  d'un  nimbe  rouge.  Une  robe  violette  et  un  manteau 
jaune  doublé  de  rouge  complètent  son  riche  vêtement.  Anne 
tient  à  la  main  gauche  un  livre  richement  relié  d'une  couver- 
ture bleue;  de  la  main  droite  elle  prend  la  petite  vierge  Marie. 
La  céleste  petite  fdle  porte  une  couronne  d'or  sur  sa  tête  nue 
et  un  nimbe  violet;  ses  cheveux,  d'un  beau  jaune  d'or,  tombent 
sur  ses  épaules  en  deux  longues  tresses  allemandes.  La  Vierge, 
qui  a  de  huit  à  dix  ans,  est  habillée  d'une  petite  robe  verte  qui 
lui  prend  étroitement  la  taille.  De  la  main  droite  elle  cherche  à 
ouvrir  le  beau  livre  bleu  de  sa  mère  pour  y  apprendre  à  lire; 
mais  de  la  gauche  elle  serre  contre  sa  poitrine  un  meilleur 
maître  que  le  livre  et  la  vieille  Anne  réunis,  elle  presse  le  Saint- 
Esprit,  qui  l'inspire  déjà.  Le  Saint-Esprit  est  une  petite  colombe 
blanche,  à  nimbe  d'or  croisé  de  noir.  L'oiseau  symbolique  vient 
de  se  poser  sur  la  main  de  cette  petite  fdle,  et  ses  ailes  sont  fré- 
missantes encore;  il  est  descendu  du  ciel  pour  jouer  avec  la  di- 
vine enfant.  C'est  un  ravissant  tableau;  la  tendre  et  gracieuse 
Allemagne  pouvait  seule  en  oflnr  un  semblable. 

A  part  ces  exceptions,  lesquelles  tiennent  sans  doute  au 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  507 

caractère  de  la  nation  allemande,  les  sept  colombes  sont  ré- 
servées uniquement  au  fils  de  Dieu,  à  l'Emmanuel  d'Isaïe. 

ICONOGRAPHIE    CHRONOLOGIQUE    DU    SAINT-ESPRIT. 

Le  Saint-Esprit,  assez  varié  quant  à  la  forme,  puisqu'il  est 
homme  et  colombe,  et  homme  à  tous  les  âges,  depuis  l'en- 
fance jusqu'à  la  vieillesse,  le  Saint-Esprit  offre  cependant  peu 
de  variétés  chronologiques.  Ainsi,  depuis  les  premiers  siècles, 
jusqu'aux  nôtres,  la  colombe  persiste  à  peu  près  constamment 
à  se  montrer  la  même  de  forme,  de  dimensions,  de  propor- 
tions, de  couleur  et  d'ornementation  ou  d'attribut.  Les  carac- 
tères différents  qu'on  pourrait  signaler  ne  dépendent  pas  des 
siècles ,  mais  plutôt  du  pays  et  de  la  fantaisie  de  l'artiste  ;  ils 
reviennent  à  la  géographie  et  à  l'esthétique  bien  plutôt  qu'à 
la  chronologie.  Quant  au  Saint-Esprit  homme,  la  variété  est 
là  purement  physiologique  et  non  chronologique.  En  suivant 
les  époques,  on  devrait  voir  cet  Homme-Dieu,  qui  repré- 
sente le  Saint-Esprit,  naître  petit  enfant  au  xf  siècle,  où  on 
le  voit  pour  la  première  fois;  enfant  de  dix  ou  quinze  ans  au 
xif ,  adolescent  de  quinze  ou  vingt  au  xiii%  jeune  homme  au 
xiv^,  homme  de  trente  à  cinquante  ans  au  xv%  et  vieillard  au 
xvI^  Il  n'en  est  pas  ainsi  :  aux  xf  et  xii''  siècles,  il  atteint  im- 
médiatement trente  et  quarante  ans ,  tandis  qu'au  xv!*"  nous 
le  voyons  enfant  de  quelques  mois,  de  quelques  années,  et 
tout  à  la  fois  vieillard  de  soixante  ans.  Les  xv*"  et  xvi'"  siècles  le 
figurent  en  homme  de  tout  âge. 

Ce  qu'il  faut  dire,  c'est  que  jusqu'au  xf  siècle  la  colombe 
seule  est  destinée  à  symboliser  le  Saint-Esprit,  et  qu'à  partir 
de  cette  époque  la  colombe  partage  cet  honneur  avec  l'homme. 
Au  xiv°  siècle,  jusqu'au  xvi\  non-seulement  la  colombe  et 

G/,. 


508  INSTRUCTIONS. 

l'homme  figurent  le  Saint-Esprit  à  peu  près  indifFéremuient, 
mais  on  les  montre  souvent  à  la  fois  sur  le  même  monument. 
La  colombe  se  pose  sur  la  tête  de  f  homme  qui  représente  le 
Saint-Esprit,  comme  nous  en  verrons  un  exemple  à  f  Histoire 
de  la  Trinité,  ou  bien  elle  s'abat  sur  la  main  de  ce  même 
homme  divin,  comme  dans  f  exemple  suivant: 

126. SAINT-ESPRIT  EA  HOMME  ET  EN  COLOMBE. 

Sculpture  française  du  xvi"  siècle. 


On  dirait  que  le  Saint-Esprit  est  un  chevalier  qui  porte  le 
faucon  au  poing  \  Il  faut  encore  ajouter  que,  jusqu'à  la  fin 

'  Ce  dessin  est  pris  sur  une  sculpture  de  l'église  de  Verrières  (  département  de  l'Aube), 
dont  nous  avons  déjà  parlé.  Les  personnages  de  cette  scène,  qui  représente  le  couron- 
nement de  la  Vierge  par  la  Trinité,  sont  fort  médiocres;  mais  on  les  a  gravés  avec 
une  rigoureuse  exactitude.  Le  dessin  original  est  de  M.  Fichot.  Souvent,  pour  des  re- 
présentations analogues  où  est  figuré  le  couronnement  de  la  Vierge  par  Dieu  le  père  ou 
par  Dieu  le  fils,  on  lit  en  texte  ces  versets  du  psalmiste  :  «  Posuisti  in  capite  ejus  coro- 
«nam  de  lapide  prelioso.  »  [Psal.  xx ,  v.  /».]  «Gloria  et  honore  coronasti  eum  (eam).  » 
[Psal.  VIII,  V.  6.)  Ces  textes  s'appliquent  également  à  Dieu  le  père  lorsqu'il  couronne 
5on  fils  ressuscité  el  remonté  au  ciel. 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE.  509 

du  xn'*"  siècle,  le  Saint-Esprit  homme  a  toujours  de  trente  à 
quarante  ans;  mais,  à  partir  du  xv"  jusqu'à  la  moitié  du  xvf, 
il  prend  tous  les  âges.  Enfin,  depuis  i55o,  à  peu  près,  jus- 
qu'à nos  jours,  la  colombe  reprend  le  droit  exclusif  qu  elle 
avait  primitivement  de  représenter  le  Saint-Esprit;  dès  lors 
l'homme  disparaît.  Le  Saint-Esprit  homme  était  tellement  ou- 
blié, surtout  de  notre  temps,  que  plusieurs  personnes  s'éton- 
neront certainement  d'en  voir  ici  des  représentations. 

La  colombe  seule  a  symbolisé  le  Saint-Esprit  tant  qu'on 
s'est  inquiété  à  peu  près  exclusivement  de  l'histoire ,  et  tant 
que  la  raison  pure  ou  l'argumentation  philosophique  ne  fut 
pas  admise  dans  la  théologie.  L'histoire  évangélique  décla- 
rait positivement  que  le  Saint-Esprit,  au  baptême  de  Jésus, 
avait  apparu  sous  la  forme  d'une  colombe  ;  ce  fut  en  colombe 
qu'on  le  représenta.  Mais  quand  le  raisonnement,  quand  les 
arguments  tirés  de  la  raison,  et  non  plus  de  l'histoire  seule- 
ment, envahirent  la  théologie;  quand  la  théologie,  pure  d'a- 
bord ,  finit  par  se  faire  scolastique  avec  Anselme  de  Laon , 
Guillaume  de  Ghampeaux ,  Abailard ,  et  les  autres  qui  l'ont  pré- 
cédé ou  suivi,  alors,  même  pour  la  forme,  le  Saint-Esprit  fut 
assimilé  à  Jésus-Ghrist  et  à  Dieu  le  père;  on  le  fit  donc  homme 
aussi  bien  que  les  deux  autres  personnes  divines.  Mais  c'était 
fépoque,  si  on  se  le  rappelle,  où  Jésus  entraînait  tout  dans 
sa  sphère,  où  il  faisait  tout,  même  son  père,  à  son  image 
et  à  sa  ressemblance;  le  Saint-Esprit  suivit  comme  le  reste  et 
fut  représenté  avec  l'âge  et  la  physionomie  du  Ghrist,  en 
homme  de  trente-trois  ou  même  de  quarante  ans.  Plus  tard, 
la  raison  pénètre  plus  avant  encore;  elle  préfère,  relativement 
aux  personnes  divines,  la  distinction  à  la  similitude.  Alors  elle 
différencie  le  Saint-Esprit  du  Fils,  comme  elle  avait  différen- 
cié le  Père  du   Fils  lui-même.  Mais  c'est  l'époque  en  même 


510  INSTRUCTIONS. 

temps  où  le  Père  reprend  la  puissance  iconographique  que  son 
fils  avait  absorbée.  Le  Père,  alors,  au  lieu  de  se  voiler  sous 
les  traits  et  l'âge  de  Jésus,  impose  à  Jésus  son  âge  et  ses  traits 
d'ancien  des  jours,  de  vieillard.  Le  Saint-Esprit  aussi,  qui  n'a 
jamais  eu  de  puissance  spéciale  et  qui  a  suivi  presque  toujours 
les  révolutions  iconographiques  dont  Jésus  et  Dieu  le  père 
étaient  les  auteurs ,  le  Saint-Esprit  subit  les  traits ,  l'âge  et  la 
physionomie  du  Père;  il  se  fit  voir  en  vieillard. 

D'autres  variétés  chronologiques  peuvent  se  tirer  de  l'art, 
c'est-à-dire  de  la  manière  dont  la  colombe  ou  l'homme  qui 
représentent  le  Saint-Esprit  sont  dessinés.  Mais  ces  carac- 
tères ne  sont  pas  spéciaux  à  la  troisième  personne  divine;  ils 
appartiennent  à  tous  les  personnages  figurés  dans  le  moyen 
âge ,  ils  sont  communs  à  toute  l'iconographie  chrétienne.  Ce 
dessin  est  large  à  l'époque  latine,  minutieux  à  l'époque  ro- 
mane, simple  au  xm^  siècle,  maniéré  au  xiv%  sec  au  xv^;  c'est 
donc  l'art  entier  qu'il  faut  étudier  pour  se  rendre  compte  de 
fâge  que  telle  colombe  ou  tel  homme  figurant  le  Saint-Esprit 
peuvent  avoir  :  il  ne  saurait  être  autrement  question  ici  de  ces 
variétés  esthétiques. 


ATTRIBUTS    DU    SAINT-ESPRIT. 


Quant  aux  attributs  du  Saint-Esprit,  ils  peuvent  fournir 
quelques  variétés  chronologiques  et  certains  caractères  dis- 
tinctifs,  comme  ils  en  ont  donné  pour  le  Père  et  le  Fils;  mais, 
comme  ils  sont  de  même  nature  que  ceux  des  deux  autres  per- 
sonnes, il  suffira  de  les  signaler  et  de  renvoyer  aux  paragraphes 
où  nous  en  avons  déjà  parlé.  Ainsi  le  Saint-Esprit,  comme 
le  Père  et  le  Fils,  se  distingue  d'abord  des  créatures  ordi- 
naires par  un  nimbe;  puis  des  créatures  célestes  et  glorifiées. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  511 

ou  des  anges  et  des  saints,  par  un  nimbe  crucifère.  Mais  ce 
nimbe  suit  les  phases  que  nous  avons  constatées  dans  le  cha- 
pitre spécial  à  ce  sujet.  D'abord,  en  effet,  le  Saint-Esprit  est 
sans  nimbe,  comme  sur  les  anciennes  mosaïques^;  ou  bien  ce 
nimbe  est  rayonnant,  mais  non  crucifère,  ainsi  qu'une  mo- 
saïque de  Rome  en  offre  un  exemple.  Le  Saint-Esprit  est  là 
sur  un  palmier,  et  ressemble  entièrement  au  phénix  gravé 
sur  les  médailles  romaines,  à  cet  oiseau  qui  porte  assez  sou- 
vent un  nimbe  rayonnant  et  qui  est  l'emblème  de  l'immor- 
talité, ou  même  de  l'éternité.  Puis  le  Saint-Esprit  prend  un 
nimbe ,  mais  un  nimbe  uni  et  sans  croix.  Puis  ce  nimbe  se 
partage  par  deux  traverses  qui  se  coupent  à  angles  droits. 


127.  COLOMBE  DIVINE  A  NIMBE  CRUCIFERE. 


Miniature  française  du  xiv'  siècle  ' 


Bientôt  après,  le  champ  du  nimbe disj)araît,  les  traverses  restent 
seules  et  se  transforment  en  faisceaux  ou  en  fleurons  lumineux 
qui  partent  du  front  et  des  tempes  du  Saint-Esprit  en  homme 

Voyez  le  Saint-Esprit  planant  sur  David  ,  dessiné  d'après  la  miniature  d'un  psautier 
grec  du  \'  siècle,  page  4/j3,  pi.  1 10.  —  '  Biblioth,  royale,  ms.  lat.  fonds  Lavall. 


512  INSTRUCTIONS. 

ou  en  colombe.  Ensuite  les  faisceaux  et  fleurons  disparaissent 
eux-mêmes,  et  le  Saint-Esprit  revient  à  la  seconde  époque  pri- 
mitive, quand  il  n'avait  pas  encore  de  nimbe;  seulement  alors 
il  n'en  a  plus.  Mais  c'est  l'époque  aussi  où  les  auréoles,  nimbes 
du  corps,  sont  assez  fréquentes  sous  la  forme  de  rayons  ;  alors 
le  Saint-Esprit,  que  nous  avons  vu  dans  une  fresque  du  mont 
Athos  '  au  centre  d'une  auréole  rayonnante  qui  enveloppe 
les  deux  autres  personnes  divines,  se  montre  assez  souvent 
ainsi,  comme  dans  le  dessin  suivant. 


!28. 


COLOMBE  DIVINE  DANS  UNE  AUREOLE  RAYONNANTE. 
Miniature  française,  xv""  siècle^. 


Aux  époques  où  le  nimbe  crucifère  est  constamment  donné 
aux  personnes  divines ,  il  n'est  pas  rare  d'en  voir  totalement 
dépourvue  la  colombe  qui  représente  le  Saint-Esprit.  Cela 
peut  tenir  à  une  erreur,  erreur  que  nous  avons  déjà  constatée 
pour  des  faits  analogues  ou  différents;  mais  cela  tient  surtout 
à  la  petite  dimension  de  la  colombe.  Cette  forme,  ou  seule  ou 
dans  des  trinités,  n'occupe  qu'une  place  très-restreinte;  la  tête 
de  la  colombe  n'est  elle-même  qu'une  très-petite  partie  de  l'oi- 
seau divin,  partie  peu  visible.  On  conçoit  alors  qu'autour  d'un 

'  Planche  a  i ,  page  6 1 . 
Voir,  à  la  Bibliolh.  royale,  la  plupart  des  Heures  des  xv'  et  xvi'  siècle». 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  513 

point  presque  imperceptible  on  n'ait  pas  mis  de  nimbe.  En 
sculpture,  il  y  avait  souvent  grande  difficulté,  pour  ne  pas 
dire  impossibilité,  à  cerner  la  tête  de  la  colombe  divine  d'un 
nimbe  crucifère;  aussi  n'est-il  pas  rare  de  rencontrer  des  co- 
lombes privées  de  cet  attribut.  Quand  cette  colombe  n'atteint 
que  la  dimension  d'un  passereau ,  ce  qui  se  voit  fréquemment, 
alors  elle  est  toujours  sans  nimbe  et  sans  nimbe  crucifère. 
Le  psautier  de  saint  Louis,  dont  nous  avons  extrait  le  Christ 
environné  des  sept  colombes  d'Isaïe,  offre  six  d'entre  elles  sans 
nimbe;  la  septième  porte  un  nimbe,  mais  un  nimbe  uni  ^ 
Cependant,  puisque  c'est  une  miniature  et  que  les  colombes 
ont  une  certaine  dimension,  il  était  assez  facile,  plus  facile 
que  sur  une  sculpture,  de  figurer  des  nimbes  crucifères. 

Nous  ne  parlerons  pas  des  autres  attributs  qui  peuvent  ca- 
ractériser le  Saint-Esprit,  parce  qu'ils  ne  sont  pas  chronolo- 
giques et  parce  qu'ils  trouveront  plus  naturellement  leur  place 
dans  le  chapitre  consacré  à  la  Trinité  divine. 


HERESIES    CONTRE    LE    SAINT-ESPRIT. 


Des  honneurs  remarquables,  nous  favons  vu,  ont  été  ren- 
dus au  Saint-Esprit;  des  églises  lui  ont  été  dédiées,  un  office 
a  été  établi  en  son  honneur,  un  ordre  de  chevalerie  lui  a  été 
consacré.  Dès  les  premiers  siècles  de  l'Eglise  jusqu'à  celui-ci, 
le  Saint-Esprit  n'a  cessé  d'être  représenté  sous  la  forme  d'une 
colombe  ou  d'un  homme.  On  le  voit  déjà  sur  le  tombeau  de 
Junius  Bassus,  au  iv*"  siècle,  versant  sur  la  tête  de  Jésus-Christ 
un  souffle  de  lumière^.  Dès  lors  on  le  retrouve  fréquemment 

'  Ce  manuscrit  apparlient  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal  ;  le  dessin  donl  on  parle  ici 
est  plus  haut,  page  i23,  pi.  4o. 

-  Page  337  ,  pi.  87,  nous  avons  donné  ce  Saint-Esprit.  Voyez  Bosio,  Roni.Sottcrr.  p.  /i5. 

INSTRUCTIONS.  II.  ^^ 


514  INSTRUCTIONS. 

sur  les  tombeaux  des  premiers  chrétiens,  et  Bosio,  dans  son 
grand  ouvrage  de  la  Rome  souterraine,  en  a  donné  plusieurs 
exemples ^  A  Ravenne,  dans  Saint-Jean-Baptiste,  église  bâtie  en 
^5i  par  l'évêque  Néon,  on  voit,  sur  la  mosaïque  où  est  figuré 
le  baptême,  le  Saint-Esprit  au-dessus  de  la  tête  de  Jésus'". 
A  Sainte-Marie  m  Cosmedin  de  Ravenne,  la  mosaïque,  qui 
date  de  533,  porte  également  un  Saint-Esprit*^.  Sur  les  mo- 
saïques de  Sainte-Praxède  de  Rome ,  qui  sont  de  l'an  818,  la 
colombe  a  la  tête  entourée  d'un  nimbe  uni  ;  elle  se  pose  à  la 
cime  d'un  palmier,  pendant  que  le  Christ  marche  sur  les  Ilots 
du  Jourdain  et  que  la  main  du  Père  sort  des  nuages,  fermée 
et  tenant  un  rouleau  où  devait  être  écrit  :  «  Voici  mon  fils 
bien-aimé ,  dans  lequel  j'ai  mis  toutes  mes  complaisances  ^.  » 
Aux  X®,  xf  et  xif  siècles,  les  colombes  divines  abondent;  qu'on 
se  rappelle  les  exemples  que  nous  avons  cités.  Au  xni^  siècle, 
les  monuments  où  paraît  le  Saint-Esprit  sont  innombrables; 
il  n'y  a  pas,  pour  ainsi  dire,  de  création  figurée  où,  pour  le 
«  Spiritus  Dei  ferebatur  super  aquas ,  »  on  ne  voie  sculptée 
ou  peinte  la  colombe  couvant  et  animant  les  eaux  ^. 

'  Voyez  notamment  pages  87,  99  et  35 1 .  Le  Saint-Esprit  de  la  page  1 55  ne  nous  paraît 
pas  ancien,  quoique  cependant  il  n'ait  pas  encore  de  nimbe;  à  la  page  35 1,  il  porte  un 
nimbe  uni  et  domine  un  siège  pastoral ,  une  cathedra. 

'  Ciampini,  Vet.  monim.  1°  pars,  tab.  70,  p.  2  35. 

^  Idem,  ibid.  2*  pars,  tab.  2  3,  p.  78. 

*  Idem,  ibid.  W  vol.  pi.  ^7  et  52,  p.  i48  el  160. 

*  C'est  à  Auxerre,  sur  un  vilrail  du  xin''  siècle  qui  est  dans  la  cathérale,  au  pourtour 
latéral  du  sanctuaire,  qu'on  voit  la  colombe  suivante,  plancbe  129.  Cette  colombe  est 
blancbe,  à  nimbe  rouge  croisé  de  jaune,  la  tète  en  baut,  les  ailes  étendues,  environnée 
pai"  les  eaux,  qui  lui  forment  comme  une  auréole  irrisée  d'azur  el  d'or.  Malgré  le  texte, 
la  colombe  n'est  pas  portée  sur  les  eaux;  mais  elle  en  est  entourée  :  les  flots  l'encadrent 
d'une  ligne  ondulée  comme  un  médaillon  environne  un  buste.  Sur  la  planche  112, 
page  Zi52  ,  on  voit  la  colombe  littéralement  portée  sur  les  eaux.  La  planche  122, 
page  482,  offre  le  Saint-Esprit  également  porté  sur  les  eaux;  seulement,  dans  ce  der- 
nier dessin,  le  Saint-Esprit  a  la  forme  d'un  petit  homme  ou  d'un  enfant,  tandis  que 
dans  l'autre  et  dans  le  129,  qui  suit,  il  est  figuré  en  colombe. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE. 


515 


129. 


COLOMBE  DIVINE  A  NIMBE  CROISE,   PLANANT   ENTRE  LES  EAUX  DE   LA  CREATION. 
Vitrail  du  xuf  sit^cle,  dans  la  cathédrale  d'Auxcrre. 


Ainsi  l'art  et  la  liturgie  ont  rendu  des  honneurs  remar- 
quables au  Saint-Esprit;  cependant  les  artistes  ont  quelque- 
fois commis  à  son  préjudice  des  erreurs  ou  des  omissions 
dont  Jésus-Christ  n'est  jamais  l'objet.  Jésus-Christ,  comme  la 
personne  divine  aimée  par  excellence,  vit  constamment  dans 
la  mémoire  des  chrétiens  et  ne  peut  être  oublié  en  aucun 
cas;  mais  il  n'en  est  pas  de  même  du  Saint-Esprit,  qui  n'ap- 
paraît qu'assez  rarement  dans  les  livres  saints,  et  qui,  dans  la 
dévotion  des  fidèles,  dut  prendre  moins  de  place  que  le  Christ. 
L'art  nous  a  conservé  des  preuves  de  cette  disposition  des 
esprits  au  moyen  âge.  Ainsi,  à  la  Pentecôte,  cette  fête  du 
Saint-Esprit,  cette  histoire  dont  il  est  la  personne  essentielle, 
il  n'est  pas  rare  de  le  voir  absent.  Ordinairement  la  scène  se 
présente  ainsi  :  les  douze  apôtres  (quelquefois  la  Vierge  est  au 
milieu  d'eux)  sont  assis  dans  le  cénacle  et  attentifs  au  bruit 
extraordinaire  qui  se  fait  au-dessus  de  leur  tête.  Dans  le  haut, 
et  descendant  du  ciel,  on  voit  la  colombe  divine,  qui  souille 
ou  des   rayons  ou  des  langues  de  flamme  sur  chaque  tête 

65. 


516  INSTRUCTIONS. 

d'apôtre  et  sur  celle  même  de  la  Vierge ,  lorsque  la  Vierge  assiste 
à  cette  scène.  Le  Saint-Esprit  est  et  devait  être  présent,  puis- 
qu'on expliquerait  difficilement  sans  lui  ces  rayons  qui  descen- 
dent d'en  haut.  Cependant  un  manuscrit  espagnol,  qui  est  à  la 
bibliothèque  d'Amiens  \  montre  douze  rayons  rouges  et  jaunes 
sortant  du  ciel  et  tombant  sur  la  tête  des  douze  apôtres;  la 
Vierge  est  absente.  Le  Saint-Esprit  ne  paraît  pas  et  les  rayons 
s'échappent  directement  du  ciel;  il  est  vrai  que  le  ciel  est 
entrouvert,  en  forme  d'arc-en-ciel  renversé,  et  qu'on  peut 
supposer  le  Saint-Esprit  caché  dans  les  profondeurs  éternelles, 
d'où  il  lance  ses  rayons. 

Mais  un  triptyque  ém aillé,  du  xii"  siècle,  qui  se  voit  dans  la 
chapelle  Vendôme  de  la  cathédrale  de  Chartres,  montre  une 
main  versant  des  rayons  d'un  rouge  de  flamme  sur  les 
apôtres;  les  apôtres  sont  assis  contre  les  volets  de  ce  cu- 
rieux monument  de  l'orfèvrerie  romane.  En  iconographie, 
cette  main  étant  celle  de  Dieu  le  père,  c'est  le  père  qui 
distribue  les  rayons,  et  ce  n'est  plus  le  Saint-Esprit  qui 
les  souffle  de  sa  bouche.  Dans  le  cloître  de  Saint-Trophime 
d'Arles,  on  s'est  bien  gardé  de  représenter  ainsi  la  Pentecôte. 
Là  sont  réunis  les  douze  apôtres  sans  la  Vierge;  tous  nimbés, 
en  longs  vêtements,  trois  imberbes  et  dont  deux  plus  jeunes 

'  Figurœ  bihlioruin,  ms.  in-/i°  de  l'année  1 197.  M.  Dusevel ,  membre  non  résident  des 
comilés  historiques,  a  bien  voulu  me  communiquer  Un  calque  de  cette  descente  du 
Saint-Esprit  dont  le  Saint-Esprit  est  absent.  A  Saint-Marc  de  Venise,  dans  la  grande 
coupole ,  sont  figurés  en  mosaïque  à  fond  d'or  les  apôtres  assis  et  recevant  le  Saint- 
Esprit  avant  de  se  disperser  dans  le  monde.  Un  rayon  bleuâtre  descend  sur  chacun 
d'eux;  au  bout  de  chaque  rayon  s'allume  une  langue  de  feu  qui  se  pose  sur  la  tête  de 
chaque  apôtre.  Comme  dans  le  manuscrit  espagnol,  le  Saint-Esprit  est  absent  :  on  n'en 
voit  que  les  flammes.  Du  reste,  ces  flammes  symbolisent  peut-être  le  Saint-Esprit  lui- 
même.  La  troisième  personne  divine  pourrait  se  trouver  dans  une  simple  langue  de  feu; 
elle  serait  présente  dans  un  rayon  lumineux  aussi  bien  que  dans  la  colombe.  J'adopte 
avec  empressement  cette  explication  que  me  fournit  M.  l'abbé  Gaumo. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  517 

que  les  autres.  Ces  apôtres  de  Saint-Tropliime  ne  sont  pas  assis, 
comme  on  les  représente  ordinairement,  et  comme  le  manuscrit 
espagnol  et  le  triptyque  de  Chartres,  entre  autres,  les  figurent; 
mais  ils  sont  agenouillés  pour  recevoir  plus  dignement  le  Saint- 
Esprit.  Dans  le  haut,  paraît  en  entier  la  divine  colombe,  du  bec 
de  laquelle  s'échappent  quatre  cordons  de  flammes  qui  des- 
cendent sur  la  tête  des  apôtres;  il  n'y  a  qu'un  rayon  pour  trois 
apôtres,  contrairement  aux  représentations  ordinaires,  où  cha- 
cun a  son  rayon  et  sa  langue  de  feu. 

Un  vitrail  de  Troyes  a  été  bien  plus  loin  encore  que  le 
triptyque  de  Chartres.  La  Trinité  est  peinte  sur  ce  petit  mo- 
nument qui  date  du  xvf  siècle  ;  le  Père  y  est  représenté  ha- 
billé en  pape,  assis  sur  un  arc-en-ciel,  posant  ses  pieds  sur 
un  autre  arc-en-ciel,  et  soutenant  dans  ses  mains  les  bras  de 
la  croix  où  est  attaché  son  fds.  C'est  ainsi  qu'à  partir  du 
xii^  siècle  on  représente  fréquemment  la  Trinité  ;  cette  ma- 
nière est  l'une  des  plus  usitées  pour  grouper  ensemble  les  trois 
personnes  divines.  Toujours  dans  ces  représentations  ^  on  voit 
le  Saint-Esprit  eu  colombe  allant  du  Père  au  Fils,  ou  du  Fils 
au  Père,  ou  se  tenant  à  égale  distance  entre  fun  et  fautre, 
ou,  tout  au  moins,  posé  sur  un  des  bras  de  la  croix.  Ici  le 
Saint-Esprit  est  totalement  oublié,  comme  la  gravure  donnée 
plus  haut  ^  le  montre  parfaitement.  Ce  dessin  est  d'une  exac- 
titude absolue.  Le  dessinateur^  a  reproduit,  à  ma  prière,  jus- 
qu'au nombre  et  des  rayons  et  des  ondulations  des  nuages  qui 
remplissent  le  champ  de  fauréole,  jusqu'au  nombre  des  cou- 
ronnes qui  cerclent  la  tiare  du  Père  éternel.  Les  nimbes  sont 
unis,  les  pieds  du  Père  sont  chaussés;  tout  cela  est  comme 

'  Il  en  sera  donné  plusieurs  exemples  au  chapitre  de  la  ïrinilé. 

*  Page  282,  planche  63. 

'  M.  Fichol,  qui  a  hlen  voulu  exécuter  d'autres  dessins  pour  mon  travail. 


518  INSTRUCTIONS. 

sur  le  vitrail ,  et  le  Saint-Esprit  n'y  a  jamais  été  figuré.  Or 
une  personne  de  moins  sur  trois,  et  dans  un  sujet  consacré 
spécialement  à  figurer  la  Trinité,  c'est  un  fait  d'une  certaine 
importance  et  qui  témoigne  de  foubli  où  les  artistes  se  lais- 
saient facilement  aller  relativement  au  Saint-Esprit. 

Du  reste  ce  lait,  tout  extraordinaire  qu'il  soit,  n'est  pas  unique. 
Le  xvi^  siècle  était  assez  léger  et  même,  dans  les  choses  reli- 
gieuses, assez  ignorant;  le  vitrail  de  Troyes,  qui  date  de  cette 
époque,  pourrait  donc  ne  pas  avoir  une  importance  extrême. 
Mais  au  xif  siècle,  époque  grave  et  savante,  il  n'en  était  pas 
ainsi.  Cependant,  sur  un  des  vitraux  que  Suger  fit  exécuter 
pour  Saint-Denis,  vitraux  qui  existent  encore  et  pour  lesquels 
fillustre  abbé  a  fait  lui-même  des  inscriptions,  on  voit  égale- 
ment Jésus  attaché  à  la  croix  que  tient  le  Père,  et  qui  est  le 
plus  ancien  modèle  que  je  connaisse  de  ces  représentations 
si  fréquentes  aux  xiii''  et  xw*"  siècles.  Or,  dans  cette  Trinité,  le 
Saint-Esprit  manque  également,  bien  qu'une  place  conve- 
nable pût  lui  être  faite  à  la  cime  de  la  croix  ^;  un  pareil  oubli, 
de  la  part  de  Suger,  ne  peut  être  volontaire  et  veut  une  expli- 
cation. Ainsi,  aux  deux  époques  extrêmes  de  notre  peinture  sur 
verre,  aux  xii''  et  xvi^  siècles,  nous  retrouvons  le  même  phéno- 
mène iconographique.  Hors  de  France,  dans  féglise  de  Vieux- 
Brissac ,  sur  les  bords  du  Rhin ,  les  stalles ,  qui  sont  du  xiv^  siècle , 
offrent  un  Père  éternel,  chape  sur  le  dos,  tête  nue,  tenant  son 
fils  attaché  à  la  croix.  Le  Saint-Esprit  est  absent  de  cette  sculp- 
ture, comme  des  vitraux  de  Saint-Denis  et  de  Troyes^. 


Nous  avons  déjà  signalé  ce  vitrail,  pag.  A26,  au  paragraphe  du  triomphe  de  la 
croix  ;  il  est  dessiné  par  M.  l'abbé  Martin  ,  Vitraux  de  S. -Etienne  de  Bourges,  Élude  TV,  F. 

A  la  rigueur,  le  Saint-Esprit  aurait  pu  être  cassé;  mais  j'ai  étudié  ces  stalles  avec  le 
plus  grand  soin ,  et  je  n'ai  vu  aucune  trace  de  fracture.  (Voyez  dans  le  Missel  de  Poitiers, 
Bibl.  roy.  n°  878,  une  Trinité  sans  Saint-Esprit  au  f°  i5o.  C'est  du  xvi*  siècle.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  519 

Ainsi,  clans  les  catacombes,  aux  scènes  où  la  Trinité  aurait 
dû  être  figurée  entière  et  par  les  trois  personnes,  on  supprime 
le  Père  en  quelque  sorte,  ou  du  moins  on  ne  le  montre  pas  '. 
Plus  tard  le  Père  reprend,  aux  dépens  du  Saint-Esprit,  la 
place  que  le  Saint-Esprit  avait  occupée,  et,  dans  quelques  Tri- 
nités des  XII,  xv^  et  xvi"  siècles,  une  des  trois  personnes  di- 
vines manque,  comme  dans  celles  des  iv%  v"  et  vi'^;  mais 
alors  ce  n'est  plus  le  Père,  c'est  le  Saint-Esprit.  Le  Saint- 
Esprit  a  donc  eu  quelquefois  à  se  plaindre  des  artistes. 

Enfin,  dans  le  dessin  que  nous  avons  donné  plus  haut'  et 
qui  représente  le  Père  et  Fils  se  donnant  la  main  en  signe 
d'union,  tandis  que  la  colombe  descend  du  ciel  pour  les  unir 
encore  et  s'unir  à  eux  par  fextrémité  de  ses  ailes,  il  y  a  je 
ne  sais  quelle  irrévérence  pour  le  Saint-Esprit.  L'oiseau  cé- 
leste s'abat  du  haut  en  bas  pour  aller  retrouver  les  deux  per- 
sonnes divines;  mais  un  ange  qui  montre  son  buste  hors  des 
nuages,  hors  du  ciel,  semble  modérer  fimpétuosité  de  foiseau 
en  le  retenant  par  la  queue  avec  les  deux  mains.  Ce  dieu,  ainsi 
tenu  en  équilibre  entre  les  deux  autres  personnes  et  j)ar  un 
ange,  par  une  créature  qu'il  a  faite,  est  réellement  dans  une 
position  subalterne  et  inconvenante.  11  fallait,  pour  représenter 
aussi  grossièrement  un  pareil  sujet,  qu'on  eût  peu  d'égards 
pour  le  Saint-Esprit.  Déjà  nous  avons  eu  occasion  de  faire  re- 
marquer tout  le  mauvais  vouloir  des  hérétiques  et  des  artistes 

'  Il  n'y  a  pas  une  seule  Trinité  vraiment  complète  dans  les  monuments  des  catacombes. 
Au  baptême  de  Jésus-Christ,  le  Père  manque  constamment.  Au  baptistère  de  Saint- 
Jean,  à  Ravenne,  v°  siècle,  le  Saint-Esprit  et  Jésus-Christ  se  voient  seuls  sur  la  mo- 
saïque; il  en  est  de  même  à  Sainte-Marie  in  Cosmcdin,  à  Ravenne,  sur  une  mosaïque  du 
vi'  siècle. 

*  Page  22  1,  planche  Go.  C'est  dans  le  psautier  de  Jean,  duc  de  Berri,  nis.  de  la 
Bibl.  roy.  Suppl.  fr.  201 5,  et  non  dans  les  Heures  du  duc  d'Anjou,  ainsi  qu'on  l'a 
dit  par  erreur,  que  l'on  voit  ce  curieux  sujet.  La  miniature  qui  le  représente  est  au 
psaume  Dixit  Dominus  Domino  meo. 


520  INSTRUCTIONS. 

eux-mêmes  relativement  au  Père  éternel  ^;  il  semble  également 
que  le  Saint-Esprit  ait  été  victime  d'erreurs  et  de  passions 
analogues.  C'est  un  sujet  de  recherches  que  je  suggère,  une 
opinion  que  je  soumets  et  non  un  fait  certain  que  je  proclame; 
mais  la  représentation  suivante,  que  d'autres  viennent  confir- 
mer, mérite  une  attention  spéciale. 

l3o.   SAINT-ESPRIT   AU    SOMMET   DE   LA    CROIX,    SANS   NIMBE,    SANS  RAYONS  CRUCIFORMES, 

SANS  AURÉOLE,   SANS  GLOIRE. 
Peinture  sur  bois  à  Saint-Riquier,  w"  siècle. 


*"'   ^"tavjILLWAUD 


Dans  ce  dessin,  pris  sur  une  peinture  du  xv'  siècle  à  l'abbaye 
de  Saint-Riquier,  le  Père  est  peu  respectable,  le  Fils  est  fort 
triste,  mais  l'Esprit  est  particulièrement  sacrifié.  Cet  oiseau,  à 
ailes  et  pattes  repliées,  est  cloué  sur  le  haut  de  la  croix  plutôt 
qu'il  ne  s'y  appuie  :  c'est  vraiment  indigne  et  misérable. 

En  présence  de  pareils  faits ,  il  faut  noter  que  Macédo- 
nius,  patriarche  de  Constantinople,  nia  au  iv"*  siècle,  sous 
Constance,  la  divinité  du  Saint-Esprit;  au  xvi*^  siècle,  Socin  en 

'  Voyez  l'hisloire  de  Dieu  le  père,  pussim,  et  nolamment  page  2  33. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  521 

fit  autant.  Les  montanistes,  au  lieu  de  nier  le  Saint-Esprit, 
le  dédoublaient,  mais  pour  l'amoindrir  également  et  pour  ar- 
river à  peu  près  au  même  résultat  que  les  macédoniens;  ils 
distinguaient  le  Saint-Esprit  et  le  Paraclet.  Jésus  ayant  pro- 
mis aux  apôtres,  animés  déjà  des  dons  du  Saint-Esprit,  de 
leur  envoyer  le  Paraclet,  les  montanistes  en  concluaient  que 
Tun  était  complètement  distinct  de  l'autre,  et  que  le  Paraclet 
n'était  pas  l'Esprit.  Ils  distinguaient  donc  les  chrétiens  en 
vrvèvfA.ouiiycûi,  qui  croyaient  au  Paraclet,  sorte  d'esprit  plus  par- 
fait, et  en  r^v^ixMi,  qui  s'arrêtaient  aux  premiers  dons  du  Saint- 
Esprit  ^  Comme  on  ne  peut  suspecter  l'orthodoxie  de  Suger, 
il  n'en  est  que  plus  étonnant  que  ce  grand  homme  ait  sup- 
primé la  colombe  divine  dans  la  représentation  de  la  Trinité 
peinte  sur  verre.  Au  viif  siècle,  le  deuxième  concile  de  Nicée 
anathématisa  Sévère,  un  hérétique  qui  condamnait  la  repré- 
sentation du  Saint-Esprit  sous  la  forme  d'une  colombe.  Armé 
du  prétexte  qu'il  ne  fallait  pas  représenter  le  Saint-Esprit  en 
oiseau.  Sévère  enlevait  les  colombes  d'or  et  d'argent  qu'on 
suspendait  au-dessus  des  autels  et  des  fonts  baptismaux^.  L'hé- 
résie intéressée  de  Sévère  rappelle  le  procédé  de  Denys  le 


'  Le  Saint-Esprit  portait  deux  noms:  àytov  Trrsîifjta  et  ayict  ■^^x^V]  on  l'appelait  encore 
voïis,  et  même  lôyos.  Les  deux  premiers  noms  désignent  l'âme,  et  semblent  se  rapporter 
au  Saint-Esprit  en  tant  qu'amour-,  les  deux  aulres  entendement,  et  concernent  l'Esprit 
inlelligence. 

'  Voyez  le  deuxième  concile  de  Nicée.  Consultez  un  travail  intéressant  de  M,  l'abbé 
J.  Corblet,  déjà  cité  et  ayant  pour  titre  :  Mémoire  liturgique  sur  les  ciboires  du  moyen  âge, 
in-8'.  Amiens,  i842.  —  M.  Corblet  s'exprime  ainsi  «  L'acte  V°  du  2'  concile  de  Nicée 
mentionne  les  plaintes  des  moines  d'Anlioclie  contre  l'bérétique  Sévère  qui  s'était  ap- 
proprié des  colombes  d'or  et  d'argent  suspendues  sur  les  fonts  baptismaux ,  sous  pré- 
texte qu'on  ne  devait  point  représenter  le  Saint-Esprit  sous  la  forme  d'une  colombe. 
«Columbas  aureas  et  argenleas,  in  figuram  Spiritus-Sancli  super  divina  lavacra  et  al- 
«  taria  appensas,  una  cum  aliis  sibi  appropriavit ,  dicens  non  opportere  in  specie  columb;e 
«  Spiritum-Sanclum  nominare.  »  Les  pères  du  concile  de  Nicée  et  de  Constantinople  con- 

INSTRUCTIONS.  II.  "" 


522  -  INSTRUCTIONS. 

tyran ,  qui  débarrassait  les  statues  de  Jupiter  du  manteau  d'or 
dont  la  piété  les  couvrait,  sous  prétexte  qu'un  pareil  vête- 
ment était  trop  froid  en  hiver  et  trop  chaud  en  été.  On  rap- 
porte tous  ces  faits  pour  fixer  l'attention  des  antiquaires  sur 
Tabsence  ou  la  présence  du  Saint-Esprit  dans  les  représenta- 
tions de  la  Trinité,  et  non  pour  en  tirer  des  conclusions  qui 
seraient  encore  prématurées  ^ 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  les  premiers  siècles  que  le  Saint- 
Esprit  reçoit  de  ces  outrages;  aux  xi%  xif  et  xiii%  on  alla  jus- 
qu'à discuter  s'il  était  permis,  comme  avait  fait  Abailard^, 
de  lui  dédier  des  églises.  Le  Saint-Esprit,  nous  l'avons  vu, 
donne  son  nom  à  beaucoup  d'édifices  sacrés  ;  mais  il  y  avait 
quelque  chose  d'injurieux,  même  à  poser  simplement  la  ques- 
tion. 

damnèrent  Xénaia ,  qui  se  moquait  de  la  représentation  du  Saint-Esprit  par  des  colombes. 
(Voir  Duranti,  de  Rit.  eccL  cath.  cap.  v.  ) 

'  En  effet,  il  serait  possible  d'allribuer  à  l'absence  du  Saint-Esprit,  dans  les  diverses 
représentations  peintes  et  sculptées  dont  il  vient  d'être  question ,  une  cause  autre  que 
celle  de  l'oubli  ou  du  mauvais  vouloir.  Ces  représentations,  si  nombreuses  dans  le  moyen 
âge,  sont  identiques,  sauf  l'absence  de  la  troisième  personne  divine,  avec  celles  où  nous 
voyons  les  trois  personnes  réunies,  et  que  nous  appelons  des  Trinités;  cependant,  quand 
on  n'y  remarque  pas  le  Saint-Esprit,  ce  n'est  peut-être  pas  une  Trinité,  mais  un  autre 
sujet  que  l'artiste  aura  voulu  représenter.  Le  Père  donne  son  fils  au  monde,  et  le  Fils 
s'offre,  pour  le  salut  des  liommes,  à  mourir  sur  la  croix  ;  c'est  le  don  du  Père  et  le  sa- 
crifice de  Jésus  qu'on  aurait  voulu  figurer,  et  non  l'image  de  la  Trinité.  Présenté  ainsi, 
le  sujet  peint  sur  les  vitraux  de  Saint-Denis  par  les  soins  de  Suger,  trouve  une  explication 
fort  naturelle,  aussi  bien  que  le  vitrail  de  Troyes,  la  stalle  de  Vieux-Brissac  et  la  minia- 
ture du  Missel  de  Poitiers.  Je  suis  tout  disposé  à  restreindre  dans  ces  limites  l'interpré- 
tation que  je  donne  et  d'où  il  résulterait  que  l'absence  du  Saint-Esprit  serait  une  injure 
faite  à  la  troisième  personne  divine.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  faut  constater  avec  le  plus  grand 
soin  si  le  Saint-Esprit  est  figuré  ou  non  dans  les  images  de  ce  genre.  L'avantage  de  la 
discussion  soulevée  ici  devra  être  d'appeler  l'attention  minutieuse  de  toutes  les  personnes 
qui  s'occupent  d'iconograpbie  cbrétienne. 

"  Lebœuf,  Etat  des  sciences  en  France  depuis  le  roi  Robert  jusqu'à  Philippe-le-Bel ,  p.  ik<^. 
Lebœuf  cite  le  Tliesaurus  anecdotorum  et  V Amplissima  collectio. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  523 

LA  TRINITÉ. 

Les  trois  personnes  divines  se  résolvent  en  un  seul  Dieu , 
comme  les  trois  images  se  relient  en  un  groupe  unique.  Le 
dogme  et  l'art,  la  théologie  et  l'iconographie  marchent  de  con- 
serve, ici  pour  décrire,  et  là  pour  dessiner  la  Trinité.  Nous 
avons  étudié  jusqu'à  présent  chacune  des  trois  personnes  à  pari 
et  prise  isolément;  il  nous  reste  en  ce  moment  à  les  faire  voir 
groupées,  unies  entre  elles,  et  à  montrer  des  Trinités. 

HISTOIRE    DU    DOGME     DE    LA    TRINITE. 

A  peu  près  inconnu  des  païens  et  confus  pour  le  peuple  juif, 
le  dogme  de  la  Trinité  s'est  manifesté  complètement  et  sans 
nuages  dès  l'origine  du  christianisme.  Parallèlement  aux  siècles 
successifs  de  notre  ère,  il  s'est  déroulé  dans  toute  son  étendue 
et  dans  toutes  ses  conséquences. 

On  a  recherché  quelles  notions  les  païens  avaient  de  la  Tri- 
nité; on  s'est  enquis  des  connaissances  qu'ils  possédaient  sur 
l'unité  de  l'essence  divine  et  la  triplicité  des  personnes  ou  des 
hypostases.  Platon  semhle  avoir  entrevu  le  dogme  chrétien, 
mais  comme  on  voit  les  ohjets  à  une  distance  que  le  regard 
n'atteint  pas  nettement  ou  saisit  mal.  La  doctrine  attribuée  au 
philosophe  grec  et  qui  paraît  ressortir  de  sa  méthode ,  sans 
que  toutefois  il  ait  consenti  à  la  reconnaître  lui-même,  c'est 
que  la  triplicité  divine  doit  s'appeler  le  bien,  l'intelligence, 
l'âme  ou  la  cause  ^ 

'  Tô  et),  ô  vovs  ou  ô  Xôyos ,  ri  ^wj^t;.  (Voyez  les  Etudes  sur  laThéodicée  de  Platon  el 
d'Arislote  par  M.  Jules  Simon,  pages  1/48,  i5i,  175.)  —  Dans  les  peintures  grecques 

66. 


524  INSTRUCTIONS. 

Les  platoniciens  et  surtout  les  philosophes  de  l'école  d'A- 
lexandrie se  sont  plu  à  scruter,  éclaircir,  compléter,  étendre 
outre  mesure  la  pensée  du  maître.  Plotin  et  Longin,  que  sui- 
vent Jamblique  et  Porphyre,  admettent  un  seul  Dieu  en  trois 
personnes  ;  mais  Numérius  veut  trois  dieux.  Numérius  reconnaît 
le  Père,  le  Créateur  et  le  Monde  ^;  il  semble  faire,  de  cha- 
cun de  ces  trois  dieux,  une  trinité  composée  de  l'idée,  de  l'in- 
telligence et  de  la  puissance.  Amélius  et  Théodore  découpent 
également  trois  trinités  dans  celle  de  Platon ,  et  veulent  qu'il 
y  ait  trois  biens,  trois  intelligences,  trois  âmes  ^.  Sénèque  pa- 
raît se  rapprocher  du  dogme  chrétien  dans  un  passage  curieux 
où  il  nomme,  comme  cause  de  ce  qui  arrive,  d'abord  Dieu, 
qui  peut  tout;  ensuite  la  Raison  incorporelle,  qui  produit  les 
grandes  œuvres;  puis  l'Esprit  divin,  qui  circule  dans  tout.  A 
ces  trois  causes  il  ajoute  la  Fatalité,  c'est-à-dire  la  réunion  et 
l'enchaînement  des  causes  entre  elles  ^. 

En  comparant  ce  texte  avec  ce  que  la  mythologie  grecque 
nous  apprend  des  trois  grandes  divinités  qui,  nées  d'un  père 
unique,  sont  à  la  tête  du  monde  qu'elles  se  partagent,  on  doit 

du  mont  Alhos,  on  représente,  parmi  les  païens  qui  ont  entrevu  la  vérité,  le  philo- 
sophe Platon.  C'est  un  vieillard  à  la  barbe  longue  et  large;  il  semble  prononcer  ces 
paroles  peintes  sur  un  rouleau  qu'il  tien!  à  la  main  gauche  :  «  L'ancien  est  nouveau 
et  le  nouveau  est  ancien;  le  père  est  dans  le  fils  et  le  fils  est  dans  le  père.  L'Unité  est 
divisée  en  trois,  et  la  Trinité  est  réunie  en  un.  »  Ces  expressions  ne  sont  pas  textuelle- 
ment dans  les  œuvres  du  philosophe  grec;  mais  les  peintres  byzantins  les  lui  ont  prê- 
tées comme  résultant  de  sa  doctrine. 

*    ïlaTïjp,    TTOlïJTTJS ,    ■noi7][XCi. 

Voir,  de  M.  Jules  Simon,  une  thèse  intitulée  :  Commentaire  da  Timée  de  Platon,  par 
Proclus,  p.  io5. 

«Id  actum  est,  mihi  crede,  ab  illo ,  quisquis  formater  universi  fuit,  sive  ille  Deus 
"  est,  potens  omnium;  sive  incorporalis  Ratio,  ingcnlium  operum  artifex;  sive  divinus 
"  Spiritus  ,  per  omnia  maxima ,  minima  et  aiquali  inlentione  diffusus  ;  sive  Fatdm  et  immu- 
«  tabihs  causarum  inter  se  cohœrentium  séries.  »  (Ap.  Senecam,  De  Consolatione  ad  Hel- 
viain,  cap.  vin.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  525 

convenir  que  le  dogme  de  la  Trinité  était  au  moins  flottant 
chez  les  païens.  En  eflbt,  chez  les  Indous,  une  trimourd  divine 
préside  à  tous  les  phénomènes  de  l'Univers  \  Chez  les  Grecs, 
Jupiter,  Neptune  et  Pluton  régnent  sur  les  trois  étages  qui 
comj)osent  l'édifice  du  monde.  Au  sommet,  dans  les  hautes 
régions  de  l'air,  plane  Jupiter,  le  roi  du  ciel;  au  milieu,  Nep- 
tune commande  à  la  mer;  à  la  base,  Pluton  gouverne  les  en- 
fers et  la  terre ,  qui  leur  sert  comme  d'enveloppe.  Tous  trois  sont 
fds  d'un  père  unique,  du  vieux  Saturne,  fds  lui-même  du  Ciel 
et  de  la  Terre.  Quand  une  divinité  grecque  cumule  des  fonc- 
tions universelles,  elle  s'appelle  ordinairement  de  trois  difîe- 
rents  noms.  Ainsi  la  puissance  femelle ,  qui  correspond  aux 
trois  divinités  mâles  dont  nous  venons  de  parler,  se  nomme 
Lune  dans  le  ciel,  Diane  sur  la  terre,  Hécate  ou  Proserpine 
aux  enfers. 

Les  anciens,  les  élèves  de  Pythagore  surtout,  scrutateurs 
de  l'arithmétique  céleste,  se  plaisaient  à  répéter  que  Dieu 
chérissait  le  nombre  impair,  et  surtout  le  nombre  trois.  Le 
nombre  trois ,  qui  ne  se  divise  que  par  lui-même  et  par  l'u- 
nité, était  l'image  de  Dieu,  qui  ne  peut  se  comparer  qu'à  lui 
seul  ou  à  l'unité  absolue.  Il  semblait  aux  païens  que  rien  ne 
pouvait  être  complet  qu'à  la  condition  de  se  diviser  en  trois 
et  de  se  présenter  sous  un  triple  aspect.  Ils  symbolisèrent  la 
beauté  par  les  trois  Grâces,  la  vie  par  les  trois  Parques,  la 
justice  par  les  trois  Juges  et  la  vengeance  par  les  trois  Eumé- 
nides.  Pour  les  Grecs,  un  ensemble  quelconque  se  décom- 
pose en  trois  membres  ;  ainsi  toute  colonne  a  un  embase- 

'  La  triraourti  hindoue  se  compose  de  Brâhma,  de  Siva  et  de  Vichnou.  Bràhma  pré- 
side à  la  terre  et  est  le  dieu  créateur;  Siva  est  destrucleur  et  règne  sur  le  feu;  à  Vicli- 
nou,  qui  est  le  dieu  conservateur,  appartient  l'empire  de  l'eau,  sur  laquelle  il  se  meut- 
M.  Guignant,  Religions  de  l'antiquité ,  vol.  I ,  cli.  ii  et  m. 


526  INSTRUCTIONS. 

ment  où  s'implante  le  fût,  et  le  fût  se  couronne  du  chapiteau. 
Ces  idées  sur  les  nombres ,  sur  les  propriétés  mystérieuses 
du  nombre  trois,  ont  régné  pendant  tout  le  moyen  âge;  de 
nos  jours,  on  s'en  préoccupe  encore.  Des  géomètres  font  re- 
marquer qu'un  objet  matériel  ne  peut  exister  qu'avec  les  trois 
dimensions,  longueur,  largeur,  hauteur.  Des  physiologistes 
prouvent  que  la  vie  totale  se  compose  de  trois  vies  particu- 
lières :  la  vie  intellectuelle  dont  le  siège  est  dans  le  cerveau;  la 
vie  digestive,  qui  a  pour  centre  l'estomac;  la  vie  locomotive, 
qui  gît  dans  les  muscles.  Certains  psychologistes  s'emparent 
eux-mêmes  de  la  vie  intellectuelle  ou  cérébrale,  qui  est  la  plus 
élevée  des  trois  existences  matérielles,  et  la  partagent  en  in- 
telligence proprement  dite,  en  amour  et  en  volonté,  d'où  dé- 
coulent les  facultés,  les  sentiments  et  les  actes.  Beaucoup  de 
philosophes  modernes,  admettant  cette  division  et  cette  ter- 
minologie, disent  que  l'homme  est  un  petit  monde,  un  dieu 
fini  en  quelque  sorte,  et  que  les  principaux  attributs  de  la  di- 
vinité sont  la  sagesse,  la  bonté  et  le  pouvoir  ^ 


'  V^ivre,  penser,  agir,  dit  la  métaphysique  hindoue,  senties  trois  modes  de  l'exislence 
divine;  selon  Cambry  [Monuments  celtiques ,  in-8°,  p.  iSy),  ce  serait  plutôt  être,  penser 
et  parler.  L'homme  est ,  de  sa  nature  et  par  essence ,  sensation ,  sentiment  et  connaissance 
indivisiblement  unis,  dit  M.  P.  Leroux  dans  tous  ses  livres.  Cette  définition  psychologique 
de  l'homme  rappelle  la  trlnité  du  saint-simonisme  :  industrie,  science,  religion,  qui  ont 
pour  termes  l'utile,  le  vrai  et  le  bon  ou  le  beau  unis  ensemble.  Selon  M.  de  la  Mennais 
[Esquisse  d'une  philosophie),  l'homme,  étudié  sous  un  point  de  vue  élevé,  montre  les  lois 
de  l'intelligence,  de  la  volonté  et  de  l'amour,  étroitement  liées  en  lui  aux  lois  de  l'orga- 
nisme. L'homme  s'exerce  dans  trois  sphères  d'activité ,  unies  parce  que  l'homme  est  un , 
mais  distinctes  parce  qu'elles  se  rapportent  à  des  termes  différents  :  l'industrie,  dont  le 
terme  est  l'utile;  l'art ,  dont  le  terme  est  le  beau  ;  la  science,  dont  le  terme  est  le  vrai. 
L'ecclectisme  français  et  toute  la  philosophie  allemande,  surtout  celle  de  Hegel ,  parlent 
à  peu  près  dans  le  même  sens.  —  Il  serait  déplacé  ici  de  pousser  plus  loin  cet  inventaire 
de  la  philosophie  moderne,  et  ce  que  nous  venons  de  dire  suffira  pour  constater  com- 
bien de  nos  jours  encore  on  se  préoccupe  du  nombre  trois.  Nous  sommes  des  disciples  de 
Pythagore  et  des  adeptes  du  moyen  âge  beaucoup  plus  que  nous  ne  consentons  à  l'avouer. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  ^21 

Le  christianisme  est  Texpression  la  plus  complète,  la  plus 
haute  et,  en  même  temps,  la  plus  populaire  de  toutes  les  véri- 
tés: les  vérités  passées,  il  les  a  dévoilées,  épurées,  fdtrées,  pour 
ainsi  dire;  les  vérités  futures,  il  les  prépare.  Le  christianisme 
devait  donc  proclamer  que  Dieu  est  un  en  trois  personnes. 
«  Fides  catholica  ha3c  est  :  ut  unum  Deum  in  Trinitate  et  Tri- 
«  nitatem  in  unitate  veneremur  ^  »  Ces  paroles ,  Dante  les  tra- 
duit ainsi  :  «  Cet  un  et  deux  et  trois,  qui  vit  toujours  en  trois 
et  deux  et  un,  non  circonscrit  et  qui  circonscrit  toute  chose, 
trois  fois  était  chanté  par  chacun  des  esprits".  »  On  trouve  dans 
Jacques  de  Vorage,  à  la  légende  de  l'apôtre  saint  Thomas, 
une  justification  psychologique  et  matérielle  de  la  trij)licité  se 
résolvant  dans  l'unité.  Ce  texte,  qui  date  des  premiers  temps 
du  christianisme  ^,  devant  nous  faire  passer  de  l'exposition  du 
dogme  de  la  Trinité  à  la  définition  des  personnes  divines,  nous 
le  donnons  ici.  Saint  Thomas,  arrivé  dans  l'Inde,  guérissait 
les  malades  et  leur  prêchait  les  vérités  chrétiennes.  «  L'apôtre 
se  mit  à  leur  enseigner  les  douze  degrés  des  vertus;  le  pre- 
mier de  ces  degrés  était  la  croyance  en  un  dieu,  unique  en  es- 
sence et  triple  en  personnes.  Il  leur  donna  trois  exemples  sen- 
sibles de  la  trinité  des  personnes  dans  une  seule  substance. 
Le  premier,  c'est  qu'il  y  a  dans  l'homme  une  seule  sagesse  et 
que  de  cette  unité  procèdent  l'intelligence,  la  mémoire  et  le 
génie.  Car  le  génie,  dit-il,  consiste  à  trouver  ce  qu'on  n'a  pas 
appris;  la  mémoire,  à  ne  pas  oublier  ce  qu'on  a  lu;  l'intelli- 
gence, à  comprendre  ce  qu'on  peut  montrer  ou  enseigner. 

'  Voir  le  symbole  de  saint  Athanase.  Laclance,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  résume 
ce  dogme  dans  ces  paroles  pleines  de  concision  :  oDeus  Irinus  unus.  »  Le  mol  de  Tri- 
nité, plus  compacte  encore,  contient  virtuellement  loul  le  symbole  de  saint  Athanase. 

^  Dante,  Divine  Comédie,  Paradis,  ch.  xiv. 

'  On  le  trouve  dans  le  livre  apocryphe  intitulé  Eistoria  cerlaminis  apostolorum;  il  est  at- 
tribué au  premier  évêque  de  Babylone,  Abdias,  qui  était  contemporain  des  apôtres. 


528  INSTRUCTIONS. 

Le  second  exemple,  c'est  qu'il  y  a  trois  choses  dans  un  cep  de 
vigne  :  le  bois,  les  feuilles,  les  fruits;  ces  trois  choses  n'en  font 
qu'une  et  constituent  une  seule  vigne.  Le  troisième  exemple, 
c'est  que  la  tête  se  compose  de  quatre  sens.  Dans  une  tête 
unique,  en  efiPet,  on  trouve  la  vue,  le  goût,  l'ouie  et  l'odorat; 
tout  cela  est  multiple  et  n'est  qu'une  seule  tête  K  » 


DEFINITION    DES    PERSONNES   DIVINES. 


Ce  qu'on  a  dit,  dans  le  chapitre  du  Saint-Esprit,  relativement 
à  la  propriété  particulière  qu'on  peut  attribuer  spécialement 
à  chacune  des  personnes  divines,  doit  être  complété  ici. 

Nous  avons  fait  remarquer  combien  cette  question  avait  été 
flottante  pendant  tout  le  moyen  âge.  En  confondant  les  rela- 
tions des  personnes  divines  entre  elles  et  leurs  relations  avec 
les  hommes,  on  attribue  au  Fils  ce  qui  appartient  au  Saint- 
Esprit,  et  à  l'Esprit  ce  qui  convient  au  Père,  mais  surtout  au 
Fils.  Quant  à  nous,  nous  avons  distingué  le  ciel  de  la  terre; 
ce  qui  existe  dans  l'éternité  nous  a  paru  différent,  sous  quel- 
ques rapports,  de  ce  qui  se  passe  dans  le  temps.  La  théologie, 
comme  on  le  comprend  facilement,  n'est  pas  toujours  adéquate 
à  l'histoire.  En  conséquence,  nous  avons  dit  que,  dans  leurs 

'  Ce  troisième  exemple  se  rapporte  à  la  pluralité  en  général  et  non  à  la  triplicité. 
Voici  le  texte  de  la  Légende  dorée  (De  sanclo  Tlioma  apostolo)  :  «Tune  apostolus  cœpit 
«  eos  docere  et  duodecim  gradus  virlulum  assignare.  Primus  est  ut  in  Deum  crederenl, 
u  qui  est  unus  in  essentia  et  trinus  in  personis.  Deditque  eis  triplex  exemplum  sensibile, 
M  quomodo  sint  in  una  essentia  très  personae.  Primum  est  quia  una  est  in  homine  sa- 
it pientia,  et  de  illa  una  procedit  intellecius,  memoria  et  ingenium.  Nam  ingenium  est, 
uinquit,  ut  quod  non  didicisti  invenias;  memoria,  ut  non  obliviscaris  quod  didiceris; 
«intellecius,  ut  intelligas  quae  ostendi  possunt  vel  doceri.  Secundum  est  quia  in  una 
«vinea  triasunt,  scilicet  :  lignum,  folia  et  fruclus;  el  omnia  tria  unum  sunt  et  una  vi- 
M  nea  sunt.  Tertium  est  quia  caput  unum  quatuor  sensibus  constat.  In  uno  enim  capite 
«sunt  vjsus,  gustus,  audilus  et  odoratus,  et  hœc  plura  sunt  et  unum  caput  sunt.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  529 

relations  avec  les  hommes,  le  Père  se  manifestait  comme  la 
source  de  la  toute-puissance;  le  Fils,  comme  le  dieu  de  l'a- 
mour; l'Esprit,  comme  la  cause  de  l'intelligence.  Nous  avons 
donné  des  gravures  où  chaque  personne  divine  est  ainsi  carac- 
térisée. Mais,  il  faut  le  dire,  ces  gravures  sont  des  exceptions  : 
deux  exemples  sur  plusieurs  centaines  de  sujets  sont  les  seuls 
qui  soient  arrivés  jusqu'à  présent  à  notre  connaissance.  Habi- 
tuellement on  donne  l'amour  au  Saint-Esprit  et  l'intelligence 
à  Jésus,  qui  est  le  verbe  fait  chair,  la  parole  de  Dieu  incarnée, 
le  Aoyo^  des  Grecs. 

Saint  Augustin  adopte  deux  opinions  sur  la  définition  spé- 
ciale de  chacune  des  trois  personnes.  L'homme,  dit-il,  est  fait 
à  l'image  de  Dieu;  nous  devons  donc  trouver  une  trinité  dans 
l'homme,  comme  il  y  a  une  trinité  en  Dieu.  Il  y  a,  dans  l'homme, 
l'âme,  la  connaissance  qu'elle  a  d'elle-même,  l'amour  dont  elle 
se  chérit^  En  Dieu  résident  aussi  ces  trois  facultés,  mais  en 
puissance  infinie.  Dans  cette  opinion,  celle  que  saint  Augustin 
préfère  et  dont  il  était  probablement  l'auteur,  notre  substance 
spirituelle,  notre  âme  est  l'image  du  Père;  notre  connaissance 
ou  notre  verbe,  celle  du  Fils;  notre  amour,  celle  du  Saint- 
Esprit.  «De  même,  dit  saint  Augustin,  que  l'esprit  et  l'amour 
qu'il  a  de  lui-même  sont  deux  choses  différentes;  de  même 
l'esprit  et  la  connaissance  qu'il  a  de  lui  sont  deux  choses  dis- 
tinctes. Donc  l'esprit,  l'amour  et  la  connaissance  qu'il  a  de 
lui-même  forment  une  triade ,  et  cette  triade  est  à  la  fois  une 
unité.  Lorsque  les  trois  sont  parfaits,  ils  sont  égaux ^.  »  Selon 
une  seconde  opinion  de  saint  Augustin,  notre  mémoire  serait 
l'image  du  Père;  notre  intelligence,  l'image  du  Fils;  notre 

'  «Mentem,   nolitiam  qua  se  novil  et  dilectioncm  qua  se  diliglt.  »  (S.  August.  de 
Trinitate,  \ih.  IX,  cap.  vi.) 
*  De  Triait,  lib.  IX,  cap.  iv. 

INSTRCCTIONS. II.  "7 


530  INSTRUCTIONS. 

volonté,  l'image  du  Saint-Esprit.  Dans  les  deux  opinions,  le 
Saint-Esprit  est  amour  et  le  Fils  intelligence.  Dans  la  première, 
le  Père  est  substance;  mais  il  est  mémoire  dans  la  seconde. 

La  doctrine  de  saint  Ambroise  est  différente.  Notre  âme, 
dit  l'archevêque  de  Milan,  est  faite  à  l'image  de  Dieu,  et  tout 
l'homme  est  en  elle.  De  même  que  du  Père  est  engendré  le 
Fils,  et  que  du  Père  et  du  Fils  procède  le  Saint-Esprit;  de 
même  aussi,  de  l'intelligence  est  engendrée  la  volonté,  et  des 
deux  procède  la  mémoire.  L'âme  n'est  point  parfaite  sans  cette 
triade;  un  seul  de  ces  actes  ne  peut  manquer  sans  que  les 
autres  soient  imparfaits.  Et  de  même  que  Dieu  le  Père,  Dieu 
le  Fils,  Dieu  le  Saint-Esprit  ne  sont  pas  trois  dieux,  mais 
un  Dieu  unique  en  trois  personnes,  de  même  l'âme  intelli- 
gence, l'âme  volonté  et  l'âme  mémoire  ne  sont  pas  trois  âmes 
en  un  seul  corps,  mais  une  seule  âme  en  trois  puissances ^ 

iVinsi,  pour  saint  Ambroise,  le  Père  est  intelligence;  le  Fils, 
amour  ou  volonté;  l'Esprit,  mémoire.  Ici,  l'amour  est  transféré 
du  Saint-Esprit  au  Fils,  et  l'intelligence  du  Fils  au  Père.  Le 
Saint-Esprit  devient  mémoire,  et  il  n'est  plus  question  de  la 
substance  de  l'âme  divine  dont  parle  saint  Augustin. 

Cette  formule,  dit  M.  Bûchez^,  à  qui  nous  empruntons  cette 
série  de  faits,  est  de  beaucoup  supérieure  à  celle  de  saint  Au- 
gustin"". Dans  la  formule  de  ce  grand  docteur,  on  voit  que  le 
Saint-Esprit  procède  du  Père,  mais  non  qu'il  procède  du  Fils. 

s.  Ambrosii  Hexaemeron,  lib.  VI,  cap.  vu,  §  A3  ;  ap.  Opéra,  lom.  II,  append. 
p.  612. 

Traité  complet  de  philosophie,  vol.  III,  Ontologie,  chap.  de  la  Trinité  humaine, 
p.  374-377. 

Nous  ne  pouvons  partager  cet  avis,  parce  que  la  mémoire  étant  un  produil  de  l'in- 
telligence, un  résultat  immédiat  de  cette  faculté,  on  peut  dire  que  la  formule  de  saint 
Ambroise  attribue  l'intelligence  à  deux  personnes  divines.  Et  d'ailleurs,  que  devient  la 
force,  la  puissance,  qui  est  cependant  une  faculté  principale.** 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  531 

D'ailleurs,  on  a  tort  de  confondre  la  volonté  et  l'amour  :  vou- 
loir, c'est  agir,  c'est  choisir;  mais,  dans  l'un  ni  l'autre  cas,  ce 
n'est  désirer. 

De  ces  trois  opinions,  saint  Bernard  adopte  la  seconde ^ 
Saint  Thomas  d'Aquin  ne  semble  adopter  ni  l'une  ni  Tautre, 
tout  en  prenant  les  deux  tiers  de  la  première,  à  savoir,  que 
le  Fils  est  connaissance,  et  le  Saint-Esprit  amour ^.  Bossuct 
prend  à  la  fois  les  deux  premières^,  que  M.  l'abbé  Frère  fond 
en  une  seule  et  entre  lesquelles  hésitent  saint  Augustin  et 
Bossuet^.  M.  Bûchez  s'attache  à  la  troisième,  qui  est  celle  de 
saint  Ambroise^. 

L'abbesse  Herrade  adopte  la  seconde  opinion  de  saint  Au- 
gustin ;  elle  déclare  que  la  mémoire  appartient  spécialement  au 
Père,  l'intelligence  au  Fils,  la  volonté  ou  l'amour  au  Saint- 
Esprit^. 

Bichard  de  Saint-Victor,  voyant  que,  dans  toutes  ces  for- 
mules, on  oubliait  la  toute-puissance,  qui  est  cependant  une 
faculté  primordiale  et  génératrice,  laissa  au  Saint-Esprit  l'a- 
mour et  au  Fils  l'intelligence ,  mais  il  attribua  la  force  au  Père  . 

'    S.  Bernard.  Méditât,  de  cognit.  human.  cnnd.  cap.  i. 

^  S.  Thomae  Suinma,  pars  P,  quesL  gS,  art.  8. 

^  Bossuet,  Elévations  sur  les  mystères,  2''  semaine,  6"  ciévat.  édit  in-A",  tom.  X,p.  33. 
—  à'  semaine ,  7'  élevât,  tom.  X ,  p.  71.  —  Exorde  du  sermon  sur  le  mystère  de  la 
sainte  Trinité. 

''   Lhomme  connu,  par  la  révélation,  tom.  I. 
.  ^   Bûchez,  Traité  complet  de  philos,  vol.  III,  pages  397-/108. 

°  Hortus  deliciariim.  «  Divinitas  consislit  in  Trinilate.  Hujus  imaginem  tenet  anima, 
«  quœ  habel  memoriam,  per  quom  prajterlla  et  futura  recolit;  habel  intellectum ,  quo  pr;e- 
«sentia  et  invisibilia  inlelligit;  habet  volunlatcm,  qua  malum  respicit  et  bonum  eligit.  » 

'  Pour  ne  pas  trop  allonger  ces  réflexions ,  où  l'iconographie  chrétienne  de  l'avenir 
est  beaucoup  plus  intéressée  que  l'iconographie  du  moyen  âge,  nous  nous  contenterons 
de  citer  les  lexles  latins  de  llichard.  Le  profond  théologien  dit,  dans  le  Traclatus  cx- 
ceptionum,  lib.  Il,  cap.  11  [Opp.  Richardi  S.-Vict.  in-f";  Rouen,  i65o)  :  a  Invisibilia  Dei 
«a  creatura  mundi  per  ea  qua;  facta  sunt  inlellecta  conspiciuntur.  Tria  sunt  mvisibdia 

67. 


532  INSTRUCTIONS. 

En  cela  Richard  se  conformait  à  l'esprit  de  son  temps,  à  l'esprit 
de  tout  le  moyen  âge,  on  peut  le  dire,  et  à  la  définition  qui  a 
prévalu^  et  que  les  monuments  ont  traduite  presque  toujours 
par  des  images.  En  effet,  les  formules  proposées  par  saint  Au- 
gustin et  saint  Ambroise  relèvent  de  la  philosophie  bien  plutôt 
que  de  la  théologie;  elles  ne  devaient  donc  pas  avoir  grand 
cours  pendant  le  moyen  âge,  et  l'on  s'est  accordé  assez  générale- 
ment à  reconnaître,  dans  le  Père,  la  toute-puissance;  dans  le 
Fils,  la  sagesse  suprême;  dans  le  Saint-Esprit,  l'amour  infini. 
Abailard  lui-même  attribuait  au  Père  la  toute-puissance,  au 
Fils  la  sagesse,  à  l'Esprit  la  bonté;  il  répétait  ce  qu'on  disait 
à  peu  près  partout.  Abailard  ne  s'est  trompé  que  pour  avoir 
attribué  à  chaque  personne  une  seule  qualité,  en  lui  refusant 
les  deux  autres.  On  la  condamné  pour  avoir  dit  que  le  Père 
possédait  la  toute-puissance,  mais  non  la  sagesse  ni  la  bonté; 
pour  avoir  soutenu  que  le  Saint-Esprit  avait  la  bonté,  mais 

«  Dei  :  potentia  ,  sapientia,  benignitas.  Ab  bis  tribus  procedunt  omnia ,  in  his  tribus  con- 
«sistunt  omnia,  per  bsec  tria  reguntur  omnia.  Polentia  créât,  sapientia  gubernat,  beni- 
«gnilas  conservât.  Quae  tamen  tria  sicut  in  Deo  ineffabiliter  unum  sunt,  ita  in  opera- 
«  tione  separari  non  possunt.  Potentia  per  benignitatem  sapienter  créât ,  sapientia  per 
«  polentlam  bénigne  gubernat,  benignitas  per  sapienliam  potenter  conservât.  Potenliam 
«  manifestât  creaturarum  immensitas  ,  sapienliam  décor,  bonitatem  uliUlas.  »  —  Puis, 
dans  un  traité  qu'il  adresse  à  saint  Bernard  et  qu'il  intitule  Deiritus  appropriatis  personis 
in  Trinilate,  lib.  VI,  p.  270 ,  il  examine  :  »  Cur  attribuatur  potentia  Patri,  sapientia  Filio , 
«  bonitas  Spiritui  sanclo.  »  Enfin ,  dans  son  traité  de  Trinitale.Vih.  VI,  p.  26/i ,  il  recberche  : 
"  Quare  speciali  quodam  dicendi  modo  potentia  attribuituringenito ,  sapientia  genilo ,  bo- 
«nitas  Spiritui  sanclo.  »  Il  conclut  :  «Quoniam  ergo  in  polentia  exprimitur  proprietas 
«  ingenili,  speciali  quodam  consideralionis  modo  merito  adscribilur  illi.  Sed  quoniam  in 
«  sapientia  exprimitur  proprielas  geniti,  merito  cl  illajuxta  eumdemmodum  adscribilur 
<-  ipsi.  Item  quia  in  bonitate  proprietas  Spiritus  sancti  invenitur,  merito  et  ei  bonitas  spe- 
«  cialiter  assignatur.  » 

Danle  [Divine  Comédie,  Paradis,  cb.  X)  parle  ainsi  de  la  Trinité:  «En  regardant 
son  Fils  avec  l'amour  que  l'un  et  l'autre  exhalent  éternellement,  la  première  et  ineffable 
Puissance  fit  avec  un  si  grand  ordre  tout  ce  que  noire  intelligence  et  nos  yeux  aperçoivent, 
que  nul  ne  peut  admirer  l'œuvre  du  Créateur  sans  goûter  de  sa  verlu.  » 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  533 

aucune  puissance  ^  Il  isolait  complètement  les  trois  personnes 
à  l'égard  de  leurs  attributions  spéciales,  et,  par  une  singulière 
contradiction,  les  confondait  ensuite  dans  une  unité  divine 
tellement  compacte  qu'il  n'était  pas  possible  d'y  retrouver  les 
trois  liypostases.  Cette  indéjDendance  des  personnes,  d'une 
part,  et,  de  l'autre,  cette  excessive  fusion,  ont  fait  errer  dou- 
blement Abailard;  mais  le  célèbre  représentant  de  la  scolas- 
tique  admettait  la  spécialité  des  attributs  et  les  qualifiait ,  en 
les  appliquant  aux  personnes  divines,  comme  Richard  de  Saint- 
Viclor  et  la  plupart  des  autres  théologiens. 

Toutefois,  cette  formule  expliquait  bien  la  relation  des  per- 
sonnes divines  entre  elles  et  non  la  relation  des  personnes  di- 
vines avec  les  hommes;  en  conséquence  nous  avons  dû  faire 
la  distinction  dont  il  a  été  question  dans  le  chapitre  consacré 
au  Saint-Esprit,  et  dire  qu'il  fallait,  en  laissant  la  toute-puis- 
sance au  Père,  attribuer  l'amour  au  Fils  et  fintelligence  à 
l'Esprit.  Les  grands  génies  chrétiens  que  nous  avons  nommés, 
saint  Ambroise,  saint  Augustin,  saint  Thomas  d'Aquineties 
autres,  sont  restés  orthodoxes  en  changeant  des  termes  qui 
leur  paraissaient  désigner  les  trois  personnes  divines;  nous 

'  Les  deux  bénédictins  Martenne  et  Durand  trouvèrent,  dans  l'aLbaye  des  Prémon- 
trés de  Vigogne  (diocèse  d'Arras),  un  manuscrit  renfermant  un  traité  de  saint  Bernard 
conlre  Abailard,  et  que  l'abbé  de  Clairvaux  avait  envoyé  au  pape  Innocent  II.  A  la  fin 
de  ce  manuscrit  on  lit,  après  ces  mots  Collegi  et  aliqaa  transmisi,  les  propositions  sui- 
vantes, extraites  par  saint  Bernard  des  ouvrages  d'Abailard  : 

(iQuod  Pater  sit  plena  potenlia,  Filius  quaedam  potentia,  Spirilus-Sanclus  nulla  po- 
«  lentia,  Quod  Spiritus-Sanclus  non  sit  de  substantiaPatris  aut  Filii.  Quod  Spiritus-Sanc- 
u  tus  sit  anima  mundi.  Quod  neque  Deus  est  homo,  neque  bœc  persona  quae  Christus  est . 
«sit  terlia  persona  in  Trinitate.  Quod  in  Cbristo  non  fueril  Spiritus  timoris  Domini. 
"  Quod  adPatrem,  qui  ab  alio  non  est,  proprie  vel  specialiler  allincat  omnipolenlia,  non 
«  etiam  sapienlia  et  benignitas.  Quod  adventus  in  fine  saeculi  possit  atlribui  Palri.  » 
(Voii-  le  Voyage  lilléraire  de  deux  bénédictins,  11°  partie,  p.  21 3.) 


534  INSTRUCTIONS. 

croyons  également  ne  pas  sortir  du  dogme  en  proposant  une 

autre  formule  d'attributions  divines. 

Au  surplus,  les  représentations  gravées  et  données  plus 
haut  attribuent  aux  personnes  divines  les  propriétés  que 
nous  avons  signalées.  Aujourd'hui  surtout ,  la  formule  que 
nous  adoptons  gagne  les  esprits,  et  nous  redirons  encore  que 
Daniel,  évêque  de  Lacédémone  en  1889,  nous  donna  l'expli- 
cation suivante  du  signe  de  la  croix  tel  que  les  Grecs  l'exé- 
cutent. «  On  le  fait  en  ouvrant  les  trois  premiers  doigts  de  la 
main  droite,  avec  le  pouce,  l'index  et  le  doigt  majeur.  On 
y  emploie  les  trois  doigts  en  fhonneur  de  la  Trinité  et  pour 
la  figurer.  Le  doigt  puissant  et  actif  par  excellence,  le  seul 
opposable  aux  quatre  autres ,  Forgane  principal  de  l'action 
manuelle,  le  pouce  enfin  représente  le  Père.  Le  grand  doigt, 
qui  domine  tout  et  qui  est  à  la  droite  du  pouce  lorsque  la 
main  est  vue  par  le  dos,  c'est  le  Fils.  Dans  l'index,  qui  unit  le 
pouce  au  doigt  majeur,  on  voit  le  Saint-Esprit.  L'index  en  effet 
dirige  les  regards,  enseigne  la  place  des  êtres;  c'est  l'organe 
de  fintelligence  et  finstrument  de  la  notion.  >^  On  sent  tout  ce 
qu'il  y  a  d  ingénieux  et  de  subtil  dans  cette  interprétation  by- 
zantine. 

Chez  nous,  aux  xii""  et  xiii^  siècles,  on  pensait  ainsi,  et  les 
liturgistes  Durand  et  Beleth,  entre  autres,  déclarent  que  c'est 
en  l'honneur  de  la  Trinité  qu'on  exécute  avec  trois  doigts  le 
signe  de  la  croix.  L'idée  fondamentale  est,  chez  les  Latins,  la 
même  que  chez  les  Byzantins.  Il  n'est  pas  certain  que  le 
développement  de  cette  idée  n'appartienne  pas  en  commun 
aux  deux  Eglises  et  que  même  il  ne  provienne  pas  de  la  nôtre. 
Dans  les  rituels  des  xii%  xiii''  et  xiv^  siècles,  à  la  cérémo- 
nie du  mariage ,  l'anneau  nuptial  se  passe  successivement  aux 
trois  premiers  doigts  de  la  main  droite  de  l'époux  et  de  l'é- 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE.  535 

pouse.  Lorsqu'il  est  au  pouce,  on  dit  :  In  nomine  Patris;  à  l'in- 
dex, et  Filii;  au  grand  doigt,  et  Spiritus-Sancti.  Ici  l'index  est 
attribué  au  Fils  et  non  à  l'Esprit,  mais  cette  particularité  n'a 
peut-être  rien  d'essentiel  ^ 

En  résumé  :  le  Père,  c'est  la  force  suprême,  et  on  doit  le  ca- 
ractériser en  lui  donnant  le  globe,  l'univers,  qu'il  a  créé;  le 
Fils,  c'est  l'amour  infini,  et  la  croix  est  son  symbole;  l'Esprit, 
c'est  l'intelligence,  et  il  faut  lui  donner  le  livre.  Dans  les  repré- 
sentations on  voit  ordinairement  le  Père  avec  le  globe,  le  Fils 
avec  la  croix  ou  le  livre,  mais  plus  souvent  encore  avec  le  globe, 
et  le  Saint-Esprit  sans  attribut.  Ainsi  le  Fils  absorbe  les  trois 
facultés  divines;  car  les  artistes  du  moyen  âge  lui  donnent  en 
propre  la  puissance,  que  désigne  le  globe;  l'intelligence  ou  la 
sagesse,  que  marque  le  livre,  et  l'amour,  que  la  croix  symbo- 
lise, tandis  qu'on  semble  déshériter  complètement  le  Saint- 
Esprit.  En  matière  aussi  grave,  il  ne  faut  rien  laisser  à  l'ar- 
bitraire; on  doit  définir  les  idées  et  les  termes  pour  que  les 
artistes  contemporains  ne  s'égarent  pas  et  pour  qu'ils  repré- 
sentent les  personnes  divines  selon  toute  la  rigueur  du  dogme. 

Nous  devons  demander  pardon  d'avoir  fait,  à  propos  d'ar- 
chéologie, une  pareille  invasion  dans  le  domaine  théologique  on 
philosophique.  Mais  l'archéologie  chrétienne  est  appelée  peut- 
être  à  rendre  de  grands  services  à  la  théologie  et  à  la  philosophie. 
L'archéologie  n'est  pas  une  simple  science  de  nomenclature, 
ni  une  science  purement  descriptive;  c'est  de  l'histoire  sur- 
tout, et  de  l'histoire  qui  doit  donner  l'interprétation  des  faits. 
Nous  ne  voulons  rien  résoudre  assurément;  mais  nous  disons 


'  Voyez,  dans  IcBnllelin  archéologique  du  comité  historique  des  arts  et  monuments, 
vol.  II,  p.  498,  /199,  des  Notices  de  M.  l'abbé  Poquelet  de  M.  Lucien  de  Rosny,  corres- 
pondants historiques,  sur  deux  rituels  qui  ont  appartenu  à  la  cathédrale  de  Soissons 
(Aisne)  et  à  l'abbaye  de  Barbeau  (Seine-et-Marne). 


536  INSTRUCTIONS. 

qu'on  ne  peut  faire  d'archéologie  chrétienne  un  peu  utile 
et  qu'il  n'est  même  possible  de  comprendre  les  monuments 
figurés  du  christianisme  sans  s'être  occupé  de  théologie.  A  la 
vue  de  certains  monuments,  il  faut  absolument  rappeler  les 
questions  principales  et  les  faits  essentiels  de  l'histoire  ecclé- 
siastique. La  théologie ,  grande  science  qu'on  n'étudie  pas 
assez  et  qu'on  a  le  grave  tort  d'abandonner  aux  ecclésias- 
tiques, comme  si  le  clergé  seul  y  était  intéressé,  doit  être  re- 
mise en  honneur.  De  nos  jours  tout  marche,  et  toutes  les 
sciences  doivent  être  scrutées  profondément  dans  leur  partie 
historique  et  dogmatique  à  la  fois.  Nous  serions  heureux  si 
notre  travail  contribuait  à  raviver  le  goût  de  cette  noble  étude 
qui  s'inquiète ,  pour  les  creuser,  des  questions  les  plus  diffi- 
ciles et  les  plus  profondes. 

MANIFESTATIONS    DE    LA    TRINITE. 

La  Trinité,  c'est-à-dire  la  réunion  des  trois  personnes  di- 
vines, n'apparaît  pas  une  seule  fois  dans  l'Ancien  Testament. 
Certains  textes  en  font  bien  soupçonner  la  présence;  mais  ces 
textes  ne  sont  pas  suffisamment  à  l'abri  des  objections.  Dans 
la  Genèse ,  Dieu  dit  :  «  Faisons  l'homme  à  notre  image  et  res- 
semblance. »  Il  dit  encore  :  «  Voici  qu'Adam  est  devenu  comme 
l'un  de  nous;»  il  dit  enfin  :  «Venez,  descendons  et  confon- 
dons leur  langage  ^  »  Mais  ces  expressions  n'impliquent  pas 
nécessairement  l'idée  de  la  Trinité.  Dieu  pouvait  parler  au  plu- 
riel uniquement  parce  qu'il  s'adressait  à  un  ange.  Comme  un 
souverain  qui  commande  ou  comme  un  artiste  qui  s'excite  à 
faire  son  œuvre ,  Dieu  pouvait  s'exprimer  au  pluriel  sans  s'a- 
dresser aux  deux  autres  personnes  divines.  Ces  objections  ont 
été  combattues  par  les  théologiens,  mais  elles  ne  manquent  pas 

'  Ces  textes  ont  été  cités  pages  àbi,  452. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  537 

d'une  certaine  puissance.  Une  lliéologic  ^  qu'on  enseigne  dans 
les  séminaires  de  France  prétend  que  Dieu  ne  pouvait  pas  s'a- 
dresser aux  anges  lorsqu'il  disait  :  «  Faisons  l'homme  à  notre 
image;  »  mais  le  xiif  siècle  avait  répondu  d'avance  à  la  théo- 
logie moderne,  car  il  représenta  un  ange  aidant  le  Créateur  à 
pétrir  l'argile  dont  le  premier  homme  fut  lait.  Entre  autres 
exemples  ,  le  suivant  est  parfaitement  caractéristique. 

l3l.   ANGE    AIDANT    LE    CREATEUR. 

Miniature  italienne,  xiii°  siècle^. 


Dieu  est  assimilé  à  l'artiste  éminent  qui  met  la  dernière 
main  à  une  œuvre  qu'un  artiste  inférieur  a  ébauchée.  Cet  ar- 
tiste inférieur,  ce  praticien,  c'est  l'ange  qui  vient  de  façonner 
l'argile  et  lui  donner  la  forme  grossière,  les  linéaments  géné- 
raux d'un  homme.  Mais  cet  homme  n'est  que  de  la  terre 
encore;  il  est  informe,  inerte,  privé  de  sens;  il  n'a  pas 
de  vie.  Dieu  est  donc  là  debout,  bénissant  de  la  main  droite 
cette  statue  qui  va  être  Adam,  et  lui  soufflant  à  la  face  l'haleine 

'    Theologia  dogmatica  et  moralis,  par  Louis  Bailly,  toni.  II,  Tractatus  de  S.  Tnm- 
tate.  p.  1-17- 

■^  Psalterium  cumfiguris,  in-r,  Bibl.  royale. 

INSTRUCTIONS.  II.  "° 


538  INSTRUCTIONS. 

de  la  vie^  Ainsi  l'ange  concourt  avec  Dieu  à  former  Adam; 
l'ange  dégrossit  ce  que  Dieu  achève  et  perfectionne.  Le  «  fai- 
sons »  de  la  Genèse  implique  donc  la  pluralité  des  êtres  qui 
participent  à  la  création  d'Adam,  mais  non  la  pluralité  et  en- 
core moins  la  triplicité  des  personnes  divines.  Le  manuscrit 
d'où  est  extrait  notre  dessin  n'est  pas  le  seul  à  traduire  ainsi 
le  passage  de  la  Genèse.  Dans  la  cathédrale  de  Chartres,  au 
porche  septentrional ,  le  cordon  extérieur  de  la  voussure,  à 
l'entrée  du  milieu,  est  occupé  par  une  série  de  figures  qui  re- 
présentent la  création  ;  le  Créateur  y  est  de  même  assisté  par  un 
ange,  duquel  il  semble  prendre  conseil.  Un  manuscrit  de  la  Bi- 
bliothèque royale^  offre  de  plus  l'ange  uni  intimement  à  Dieu 
et  ne  faisant  avec  lui  qu'un  seul  corps,  comme  il  ne  fait  qu'une 
pensée  lorsqu'il  crée  la  terre,  les  animaux  et  1  homme.  Du 
reste,  disons -le,  cette  manière  d'expliquer  le  pluriel  de  la 
Genèse  est  assez  exceptionnelle;  car,  pendant  tout  le  moyen 
âge,  surtout  à  l'époque  gothique,  les  artistes  ont  figuré  les 
trois  personnes  de  la  Trinité  formant  et  animant  Adam.  Nous 
en  avons  déjà  donné  des  exemples  que  d'autres  vont  suivre 
dans  un  instant.  Nous  voulions  montrer  seulement  que  les 
sociniens  auraient  pu  trouver  dans  l'iconographie  religieuse 
du  moyen  âge  des  arguments  en  leur  faveur;  mais  nous  re- 
connaissons que  les  docteurs  et  les  artistes  chrétiens  se  sont 
accordés  presque  tous  pour  constater  la  présence  de  la  Trinité 
dans  les  textes  que  nous  avons  signalés. 

Nous  avons  déjà  dit  qu'Abraham  se  prosterna  devant  un 
des  trois  anges  qu'il  rencontra  dans  la  vallée  de  Mambré,  et 
qu'il  invita  à  venir  se  reposer  près  de  sa  tente,  sous  un  arbre. 

'   ((  Et  inspiravit  in  faciem  ejus  spiraculura  vitiE,  el  factus  est  homo  in  animam  viven- 
"  tem.  »  (  Genesis ,  cap.  ii ,  v.  7.) 

'   Chronique  d'Isidore  de  SéviUe ,  Bibl.  roy.  71 35;  fin  du  xm"  siècle. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  539 

Abraham  avait  vu  trois  anges;  mais,  comme  il  ne  s'était  adressé 
d'abord  qu'à  l'un  d'eux,  pour  parler  ensuite  à  tous  les  trois 
ensemble,  les  commentateurs  en  ont  conclu  l'apparition  de  la 
Trinité  au  père  des  patriarches  ^  Cette  interprclation  d'un  texte 
vague  est  plus  ingénieuse  qu'irréfragable.  Toutefois  l'art  s'est 
rangé  assez  souvent  du  parti  des  commentateurs;  il  a  figuré  les 
trois  personnes  réunies,  et  au  pied  de  fune  desquelles  Abraham 
se  prosterne.  Sous  ce  tableau ,  on  voit  quelquefois  en  légende  : 
«  Très  vidit,  unum  adoravit^.  » 

Dans  les  psaumes,  David  fait  parler  les  personnes  divines: 
«  Le  Seigneur  m'a  dit  :  tu  es  mon  fils;  je  t'ai  engendré  aujour- 
d'hui. —  Le  Seigneur  a  dit  à  mou  seigneur  :  assois-toi  à  ma 

droite Je  t'ai  engendré  de  mon  sein  avant  Lucifer^.  » 

En  conséquence  de  ces  expressions,  on  a  encore  affirmé  qu'il 
était  question  de  la  Trinité.  C'était  aller  trop  loin  :  il  peut  y 
être  question  de  deux  personnes  divines,  mais  non  de  trois. 
L'indigence  de  l'Ancien  Testament  en  textes  relatifs  à  la  Tri- 
nité a  été  cause  que  les  commentateurs  ont  torturé  le  sens  des 
mots  et  la  signification  des  faits.  Les  artistes,  poussés  par  les 
commentateurs,  ont  représenté  des  semblants  de  Trinité  dans 
des  scènes  qui  n'en  comportaient  pas;  ainsi,  dans  le  dessin 
suivant,  ils  font  combattre  Béhémoth  et  Léviathan  par  trois 

'  Genesis,  cap.  xviii,  v.  2-5.  —  Dans  un  manuscrit  lalin  de  Prudence  (Bibl.  royale, 
8o85) ,  les  trois  anges,  symbole  de  la  Trinité,  dit  Prudence,  apparaissent  à  Abraham.  Un 
cercle,  en  guise  de  nimbe,  entoure  la  lèle  d'un  seul  ;  les  deux  autres  ne  sont  pas  nimbés. 

*  Voyez  à  Saint-Etienne-du-Monl  un  vitrail  du  xvi"  siècle,  dans  le  collatéral  sud,  on 
sont  représentés  le  fait  et  la  légende  qui  l'explique.  A  la  bibliothèque  de  l'Arsenal ,  le 
ms.  Missale  parisiense ,  tbéol.  lat.  182,  oflre  trois  anges  entièrement  semblables  adorés 
par  Abraham.  En  Grèce,  au  pied  du  mont  Pantélique,  dans  une  petite  chapelle  voisine 
d'un  monastère,  un  tableau  représente  Abraham  qui  reçoit  les  trois  anges  à  sa  table. 
Les  anges  sont  entièrement  égaux,  comme  dans  VHortus  deliciarum ;  tous  trois  portent 
le  nimbe  identique,  timbré  de  la  croix  divine,  avec  à  wv  dans  les  croisillons. 

^  Psal.  H,  V.  7.  —  Psal.  cix,  v.  i-3. 

68. 


540  INSTRUCTIONS. 

anges  qui  figurent  les  trois  personnes  divines.  L'un  de  ces 
anges,  celui  qui  n'a  pas  d'ailes,  porte  le  nimbe  crucifère,  qui 
n'appartient  qu'à  Dieu;  si  les  deux  autres  ont  le  nimbe  uni, 
c'est  qu'on  a  craint  sans  doute  ou  peut-être  qu'on  a  oublié 
de  le  croiser. 

l32. FIGDRE  DE  LA  TRIIVITÉ  COMBATTANT  BÉHÉMOTH  ET  LEVlATHAÎf. 

Même  source  et  même  date  que  celles  de  la  planche  1 3 1 . 


On  a  également  vu  une  révélation  de  la  Trinité  dans  les  trois 
compagnons  de  Daniel  :  Ananias,  Misaël  et  Azarias,  que  Nabu- 
cboclonosor  fit  jeter  dans  une  fournaise.  Qu'il  y  ait  là  une 
image  plus  ou  moins  obscure  de  la  Trinité ,  rien  de  mieux;  mais 
il  n'est  pas  possible  d'y  voir  un  symbole  de  ce  dogme.  D'ail- 
leurs, en  matière  aussi  grave,  ce  ne  sont  pas  des  à  peu  près 
qui  peuvent  satisfaire;  il  faut  des  réalités,  des  textes  clairs  et 
précisa  L'Ancien  Testament  n'en  offre  que  très-peu;  dans 

Disons  cependant  que  l'ange,  envoyé  de  Dieu  pour  éteindre  le  feu  du  bûcher  où 
Nabuchodonosor  avait  précipité  les  trois  Hébreux,  apparut  au  roi  de  Babylone  comme 
semblable  au  fils  de  Dieu.  Los  trois  Hébreux  symbolisaient  en  quelque  sorte  les  trois 
personnes  divines  qui  venaient  se  réunir  en  un  seul  Dieu,  dans  une  unité  divine  et  vi- 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  5/4I 

cette  partie  des  livres  saints  on  ne  voit  pas  assez  de  manifes- 
tations réelles,  et  vraiment  inattaquables  de  la  Trinité  divine. 

Le  Nouveau  Testament  est  bien  autrement  précis  ;  il  nomme 
et  il  montre  matériellement  la  Trinité. 

Jésus  dit  à  ses  apôtres:  «Allez  donc;  enseignez  toutes  les 
nations  en  les  baptisant  au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit  ^  )!  «  Je  prierai  mon  jDcre,  dit  ailleurs  Jésus  à  ses  disciples, 
et  il  vous  enverra  un  autre  consolateur  (l'esprit  de  vérité),  qui 
demeurera  éternellement  avec  vous."»  Dans  sa  première  épî-. 
tre,  saint  Jean  déclare  qu'il  y  a  trois  personnes  qui  rendent 
témoignage  dans  le  ciel  :  «  Le  Père,  le  Verbe  et  l'Esprit-Saint  : 
et  ces  trois  ne  font  qu'un  '\  »  Ces  textes  nomment  positivement , 
en  les  réunissant  dans  la  même  phrase,  les  trois  personnes  di- 
vines ;  mais,  au  baptême  de  Jésus-Christ,  la  Trinité  se  manifeste 
visiblement  et  dans  la  même  action.  «  Jésus  ayant  été  baptisé 
sortit  de  l'eau  sur-le-champ,  et  voilà  que  les  cieux  lui  furent 
ouverts  et  qu'il  vit  l'Esprit  de  Dieu  descendant  sous  la  forme 
d'une  colombe  et  venant  sur  lui.  Alors  une  voix  du  ciel  dit  : 
«celui-ci  est  mon  fils  bien-aimé  en  qui  je  me  suis  complue  « 

vanle  sous  la  forme  d'un  ange.  C'est  ainsi  que  beaucoup  de  commenlaleurs  et  d'artistes 
du  moyen  âge  l'ont  compris.  Toujours  est-il  que  la  Trinité  sort  de  cette  histoire  biblique 
par  voie  d'inlerprélalion  et  non  par  conséquence  nécessaire.  (Voyez  la  Prophétie  de  Da- 
niel, ch.  III ,  versets  23,24,91  et  92.)  —  Saint  Cyprien  a  vu  la  Trinité,  non-seulement 
représentée  par  les  trois  Hébreux,  mais  figurée  même  dans  la  distribution  des  prières 
que  ces  jeunes  hommes  faisaient  avec  Daniel.  (Saint  Cyprien,  De  oratione  clominica, 
vers  la  fin.  Voir  les  Institutions  liturgiques,  par  Dom  Gueranger,  F'  vol.  p.  Ag  et  81.) 
Ajoutons  encore  que  le  verset  5i  du  chapitre  m,  qui  prête  aux.  trois  enfants  une 
seule  voix  pour  louer  Dieu ,  était  un  argument  de  plus  en  faveur  des  commentateurs 
qui  voyaient  une  image  de  la  Trinité  dans  tout  cet  événement  :  «Tune  hi  très  quasi  ex 
«  UNO  ore  laudabant  et  glorificabant  et  benedicebant  Deum  in  fornace.  » 

■  Matth.  XXVIII,  19. 

*  Joh.  XIV,  16. 

'  Joh.  Epist.  Ij  cap.  V,  V.  7. 

'  Matth.  III,  16,  17. 


542 


INSTRUCTIONS. 

l33,  TRINITÉ    AD    BAPTÊME    DE    JESUS. 

Sculpture  italienne  sur  bois,  xiv*  siècle  '. 


Une  fois  clairement  formulé  et  visiblement  montré,  le  dogme 
de  la  Trinité  s'empara  de  tous  les  esprits.  On  relut  l'Ancien 


Ce  bois  a  été  rapporté  d'Italie  par  M.  Paul  Durand,  à  qui  il  appartient.  Cette  sculp- 
ture est  du  xiv'  siècle,  et  cependant  on  remarquera  que  déjà  par  négligence,  peut-itre 
par  pur  oubli,  on  n'a  pas  croisé  le  nimbe  du  Père  ni  le  nimbe  du  Fils.  Quant  au  Saint 
Esprit,  il  est  dans  une  auréole  et  on  ne  pouvait  lui  donner  un  nimbe.  Ce  Baptême  est 
un  fies  plus  conjplels  que  l'on  connaisse;  il  a  une  certaine  physionomie  byzantine. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  543 

Testament,  et  on  voulut  voir  la  vérité  dévoilée  dans  des  textes 
trop  peu  explicites  ou  qui  avaient  passé  inaperçus.  C'est  alors 
que  les  pluriels  de  la  Genèse,  que  les  trois  acclamations  des 
Séraphins,  que  les  trois  doigts  auxquels  Dieu  suspend  la  masse 
du  monde,  que  les  trois  anges  reçus  par  Abraham,  que  les 
trois  enfants  jetés  dans  la  fournaise ,  furent  regardés  comme 
des  allusions  à  la  Trinité,  comme  des  symboles  ou  du  moins 
comme  des  figures  des  trois  personnes  divines  ^ 

Après  l'histoire,  on  interrogea  l'âme  humaine  et  l'on  y 
trouva  un  reflet  de  la  Trinité.  L'âme  faite  à  la  ressemblance 
de  Dieu  était  une  dans  sa  substance  et  triple  dans  ses  attri- 
buts ;  la  puissance  du  Père,  la  bonté  du  Fils,  la  sagesse  de 
TEsprit  se  répétaient  en  petit  dans  la  volonté,  l'amour  et  l'in- 
telligence de  l'âme  humaine. 

L'âme  peut  connaître ,  désirer  et  faire  le  mal  tout  comme 
elle  peut  aj)prendre,  vouloir  et  accomplir  le  bien  avec  les  fa- 
cultés dont  elle  dispose  ;  c'est  la  conséquence  de  sa  nature 
et  l'imperfection  de  la  liberté  qu'elle  possède.  Le  mal  com- 
plet, le  mal  absolu  dans  fhomme,  se  présente  donc  sous  trois 
faces  correspondantes  aux  attributs  de  fâme.  Dans  l'ordre  sur- 

'  Le  texte  suivant  du  iiturgiste  Guillaume  Durand  rendra  compte  de  la  disposition 
où  étaient  les  esprits   du  moyen  âge  relativement  à  la  Trinité,  et  complétera  les  texte» 

que  nous  avons  déjà  indiqués.  «  Dicens  Deum  singulariter  deorum  fugit  pluralitalem 

a  (Deut.  VI.)  Audi  Israël ,  Dominus  Deus  tuas,  unus  est.  Et  aposlolus  (Eph.  iv)  :  Unus  est 
«  Deus,  una  fides,  unum  baptisma.  Dicens  vero  Patrem  incipil  personas  distinguere,  de 
«  quibus  Esaias  (  Esa.  xl)  :  Quis  appendet  tribus  digitis  molem  lerrae.  Et  alibi  (Esa.  vi)  : 
"  Seraphim  clamabant  sanctus,  sanctus,  sanctus.  Et  Dominus  (Matl.  xxviii)  :  Baplisale 
«  omnes  génies  in  nomine  Patris  ,  et  Filii,  et  Spirilus-Sancti.  Et  Joannos  (  Joan.  v)  :  Très 
«  sunt ,  qui  teslimonium  dant  in  cœlo  :  Pater,  Verbum  et  Spiritus-Sanctus.  Pater  est  prima , 
"  non  tempore  sed  auclorilate,  in  Trinilate  persona.  Quod  sequitur  omnipotenleni,  no- 
"  men  est  esscnliale,  ideoquc  illud  ad  substantivum  Deum,  vel  ad  relativum  Palrem, 
'  non  sine  ratione  referimus,  dicentes  credo  in  Deum  Palrem  omnipolenlem,  vel  credo 
«  in  Palrem  omnipotentem.  Similiter  et  quod  sequitur  :  Crealorcm  cœli  cl  Icrra;.  »  (Guil- 
laume Durand,  Rntionalc,  lib.  IV.  de  Symbolo.) 


544  INSTRUCTIONS. 

naturel,  dans  l'ordre  infini,  Dieu  est  l'absolu  du  bien,  et  Satan 
est  l'absolu  du  mal.  Dieu  est  un  en  trois  bypostases  ;  Satan 
est  un  en  trois  personnes  ou  plutôt  en  trois  figures.  C'est  ainsi 
que  les  tbéologiens  et  les  artistes  du  moyen  âge  ont  compris 
et  représenté  la  plénitude  de  la  vertu  et  du  vice.  Des  images 
montrent  Dieu  sous  l'aspect  d'un  homme  à  trois  visages,  un 
pour  chaque  personne  ;  d'autres  images  offrent  le  diable  sous 
l'apparence  d'un  être  humain  portant  trois  figures  sur  un  tronc- 
unique  comme  dans  ce  dessin. 

l3/|. TRINITÉ  DU   MAL. 

Miniature  française,  xiif  siècle  ^ 


Comparez  cette  Trinité  diabolique  avec  plusieurs  des  Tri- 
nités divines  que  nous  avons  données  ou  que  nous  allons 
montrer,  et  vous  verrez  que  l'idée  à  laquelle  les  artistes  ont 
obéi,  pour  exécuter  ces  représentations,  est  la  même.  Mais  le 
mal  est  plus  mauvais  en  quelque  sorte  que  le  bien  n'est  bon;  on 
a  donc,  dans  le  dessin  suivant,  représenté  la  Trinité  satanique 
poussée  à  la  plus  haute  puissance.  Trois  têtes  au  bas  du  corps. 

Ce  dessin  est  tiré  du  curieux  manuscrit  de  la  Bibliothèque  royale  intitulé  Emhle- 
mata  biblica ,  cl  qui  est  du  xiii"  siècle.  Il  y  a  peu  de  manuscrits  aussi  riches  que  celui-là 
en  miniatures:  il  en  contient  pins  de  trois  cents. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE. 


545 


trois  011  quatre  têtes  à  la  poitrine,  trois  têtes  ou  trois  faces  au 
haut  du  corps,  sur  le  cou,  et  ces  trois  faces  surmontées  de  trois 
cornes  de  cerf,  épineuses,  acérées.  A  la  main  droite  de  cet 
horrible  monarque  du  mal  est  un  sceptre  fleuronné  de  trois 
têtes  monstrueuses. 

1-35.   TRINITÉ    DU    MAL   ABSOLU. 

Miniature  française  du  xv°  siècle  '. 


Le  temps,  qui  est  l'image  finie  de  Téternité  sans  fin,  (ut  en- 
visagé au  moyen  âge  sous  les  trois  aspects  du  passé,  du  présent 

'   Manuscrit  françai-  de  la  Bibl.  royale,  UisioTc  du  Suint-Grml,  n"  6770.  Ce  terrible 

69 


JNSTRUCTIONS.  —  II. 


546  INSTRUCTIONS. 

et  de  l'avenir.  Le  présent  n'était  pas  ou  était  peu  pour  les 
païens  ^  ;  mais ,  aux  yeux  des  chrétiens ,  il  valait  mieux  que 
le  passé,  autant  que  l'avenir.  Les  Piomains  figuraient  Janus, 
le  génie  ou  la  personnification  du  temps,  sous  la  forme  d'une 
tête  à  deux  faces.  Le  Janus  bifrons  regardait  le  passé  avec  sa 
figure  de  derrière,  et  scrutait  favenir  avec  sa  figure  de  de- 
vant; quelques  artistes  chrétiens  incrustèrent  entre  ces  deux 
figures  celle  du  présent^,  comme  dans  la  représentation  sui- 
vante. 

Satan  préside  une  assemblée  de  démons  qui  délibèrent  sur  la  naissance  de  Merlin  ,  des- 
tiné à  réparer  le  mal  que  Jésus-Christ,  par  sa  mort  et  sa  descente  aux  enfers,  a  fait  au 
démon.  Je  dois  à  l'obligeante  amitié  de  M.  Paulin  Paris,  membre  de  l'Institut  et  conser- 
vateur à  la  Bibliothèque  royale,  la  connaissance  et  la  communication  de  cette  miniature 
remarquable. 

'  Delille,  poëte  semi-païen  de  forme  et  de  pensée,  a  supprimé  le  présent  autant  qu'il 
dépendait  de  lui ,  lorsqu'il  a  dit  : 

Le  moment  où  je  parle  est  déjà  loin  de  moi. 

'"  Nous  disons  quelques  chrétiens ,  parce  que ,  il  faut  en  convenir,  l'influence  du  Janus 
à  deux  visages,  du  Janus  antique  et  bifrons,  a  été  très -grande  pendant  loul  le  moyen 
âge.  C'est  à  deux  visages  et  non  pas  à  trois  que  nous  le  voyons  figuré  en  divers  endroits, 
notamment  aux  portails  occidentaux  des  cathédrales  de  Chartres,  de  Strasbourg  et 
d'Amiens,  et  de  l'abbatiale  de  Saint-Denis.  Un  liomme  à  deux  têtes  sur  un  seul  corps 
est  assis  près  d'une  table  chargée  de  nourriture.  L'un  est  triste  et  barbu  ;  l'autre  est 
gai,  imberbe  et  jeune.  La  tète  barbue  figure  l'année  qui  va  finir,  le  3i  décembre;  la 
tête  jeune  personnifie  l'année  qui  va  commencer,  le  i"  janvier.  Le  vieux  est  assis  du 
côté  où  la  table  est  vide;  il  a  épuisé  toutes  ses  provisions.  Le  jeune  a  devant  lui,  au 
contraire,  plusieurs  pains  et  plusieurs  plats,  et  un  enfant,  un  petit  domestique,  vient 
encore  lui  en  apporter.  Cet  enfant  est  une  autre  personnification  de  l'année  future  ;  iJ 
est  le  complément  de  la  jeune  tête  du  Janus.  En  effet  un  enfant  accompagne  l'homme 
barbu  et  l'homme  imberbe;  mais  du  côté  du  vieillard  l'enfant  est  comme  mort,  et  l'on 
ferme  sur  lui  la  porte  d'un  petit  temple,  tandis  que  du  côté  du  jeune  homme  l'enfant 
sort  joyeux  d'un  temple  semblable.  L'un  meurt  et  se  retire  du  monde;  l'autre  y  entre 
tout  plein  de  vie.  Une  monographie  complète  de  ces  Janus  chrétiens  serait  d'un  haut 
intérêt.  Il  faudrait  en  recueillir  les  éléments  dans  les  sculptures,  sur  les  vitraux,  et  sur- 
tout dans  les  manuscrits  à  miniatures.  C'est  un  sujet  fort  curieux  et  qu'on  peut  recom- 
mander aux  jeunes  antiquaires  qui  abordent  l'iconographie  du  moyen  âge.  Notre  époque 
est  favorable  à  ce  genre  de  recherches,  car  on  commence  enfin  à  se  préoccuper  du 
symbolisme  ciirétien. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE. 

l36.  LE    TKMPS    A    TROIS    FACKS. 

Miniature  française  du  xiv"  siiVle  '. 


547 


C'est  effectivement  un  Janus  que  ce  petit  homme  à  trois 
visages  sur  un  seul  tronc,  qui  mange  et  qui  boit  pour  commen- 
cer l'année;  il  sert  de  frontispice  au  mois  de  janvier,  en  tête 
d'un  calendrier.  Mais  c'est  un  Janus  chrétien,  une  image  com- 
plète du  temps.  Qu'est-ce  que  la  vie  en  effet  sans  le  présenta 
Les  souvenirs  du  passé  et  les  espérances  de  l'avenir  ne  peuvent 
être,  sans  les  réalités  du  présent,  que  des  songes  évanouis  ou 
des  rêves  non  éclos.  Le  présent  seul  gagne  le  pardon  pour  le 
passé  et  la  grâce  pour  l'avenir. 

Le  présent,  fils  du  passé,  est,  suivant  la  pensée  prolondé- 
ment  chrétienne  de  Leibnitz,  gros  de  l'avenir.  Ainsi  donc,  ici 
comme  ailleurs,  le  christianisme  dépasse  la  civilisation  antique. 


'  Cette  Année  à  trois  visages  est  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal,  ms.  théol.  lat.  i33': 
Officium  ecclesiasticiim.  On  la  voit  à  l'entrée  du  manuscrit,  au  bas  du  mois  de  janvier. 
C'est  le  présent  qui  boit,  qui  se  nourrit.  Le  passé  et  l'avenir  se  contentent  de  méiliter: 
l'un  semble  se  souvenir  pour  la  dernière  fois ,  et  l'autre  peut  déjà  se  prendre  à  espérer. 

69. 


548  INSTRUCTIONS. 

Le  christfanisme  a  renouvelé  toutes  les  choses  anciennes  ; 
quand  il  les  conservait,  il  se  faisait  gloire  de  les  enrichir  au 
moins  d'un  élément  nouveau. 

Le  nombre  trois  devint  de  plus  en  plus  sacré  ;  le  christia- 
nisme le  proclama  comme  le  nombre  souverain  par  excellence, 
comme  le  vrai  nombre  divin.  Précisant  et  circonscrivant 
l'axiome  païen  qui  disait,  numéro  Deus  impare  g audet,  il  li- 
mita le  nombre  impair  au  nombre  trois.  Une  fois  le  dogme 
de  la  Trinité  révélé,  on  fit  souvent  violence  aux  choses  les  plus 
compactes,  les  plus  homogènes,  les  plus  indivisibles  pour  les 
partager  en  trois  et  les  recomposer  ensuite  en  unité.  Toute 
une  histoire  d'hommes  et  de  choses,  l'histoire  des  Celtes  de  la 
Grande-Bretagne,  fut  forcée  d'entrer  de  gré  ou  de  force  dans 
des  cases  à  trois  compartiments;  c'est  comme  un  morceau  de 
musique  réglé,  du  commencement  à  la  fin,  par  la  mesure  en 
trois  temps.  Ces  mesures  historiques  s'appellent  des  triades  '. 

1  Nous  nous  contenterons  de  donner  les  têtes  de  chapitre.de  cette  bizarre  histoire, 
faussée  constamment  par  le  système  ternaire  et  le  symbohsme. 

«  Triades  de  l'île  de  Bretagne  ,  qui  sont  des  triades  de  choses  mémorables,  de  souve- 
nirs et  de  sciences  concernant  les  hommes  et  les  faits  fameux  qui  furent  en  Bretagne , 
et  concernant  des  circonstances  et  infortunes  qui  ont  désolé  la  nation  des  Cambriens  à 
plusieurs  époques.  —  Voici  les  trois  noms  donnés  à  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  prin- 
cipales divisions  de  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  pihers  de  la  nation  dans  l'île  de  Bre- 
tagne. —  Les  trois  tribus  sociales  de  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  tribus  réfugiées.  — 
Les  trois  envahisseurs  sédentaires.  —  Les  trois  envahisseurs  passagers.  —  Les  trois 
envahisseurs  tricheurs.  —  Les  trois  disparitions  de  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  évé- 
nements terribles  de  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  expéditions  combinées  qui  partirent 
de  1  île  de  Bretagne.  —  Les  trois  perfides  rencontres  qui  eurent  lieu  dans  l'île  de  Bre- 
tagne. —  Les  trois  insignes  traîtres  de  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  traîtres  mépri- 
sables qui  mirent  les  Saxons  à  même  d'enlever  la  couronne  de  l'île  de  Bretagne  aux 
Cambriens.  —  Les  trois  bardes  qui  commirent  les  trois  assassinats  bienfaisants  de  l'île 
de  Bretagne.  —  Les  trois  causes  frivoles  du  combat  dans  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois 
recèlements  et  décèlements  de  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  énergies  dominatrices  de 
1  île  de  Bretagne.  —  Les  trois  hommes  vigoureux  de  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  faits 
qui  causèrent  la  réduction  de  la  Lloegrie  et  l'arrachèrent  aux  Cambriens.  ~  Les  trois 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  549 

Avec  les  études  sur  le  moyen  âge  le  mysticisme  k  repris  de 
nos  jours.  On  ne  se  contente  pas  de  signaler  le  nombre  trois 
et  la  Trinité  elle-même  dans  les  objets  qui  décèlent  évidem- 
ment ce  symbole,  mais  on  le  découvre  où  il  n'est  probable- 
ment pas.  On  proclame,  par  exemple,  que  les  artistes  du 
moyen  âge  ont  bâti  un  bymne  en  Thonneur  du  nombre  trois, 
et  quils  ont  construit  l'image  géométrique  de  la  Trinité  en  éle- 
vant les  portails  de  nos  cathédrales  où  l'on  se  plaît  à  retrouver 
trois  étages  en  hauteur  divisés  par  trois  tranches  en  largeur. 
Le  trèfle,  qui  abonde  dans  l'ornementation  gothique,  n'y  serait 
encore  que  pour  faire  honneur  à  la  Trinité.  Mais,  comme  les 
portails  à  quatre  et  à  cinq  étages  sur  quatre  et  cinq  pans  de 
murs  sont  aussi  nombreux  que  les  fleurons  à  quatre,  cinq, 
six  et  sept  lobes ,  il  en  résulte  que  l'idée  de  la  Trinité  n'était 
pas  si  constamment  présente  à  l'esprit  des  artistes  qu'on  le 
suppose  de  nos  jours  ^  Toutes  les  fois  qu'on  voit  trois  objets 

premiers  ouvrages  extraordinaires  de  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  hommes  amoureux 
de  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  premières  maîtresses  d'Arthur.  —  Les  trois  chevaliers 
de  la  cour  d'Arthur  qui  gardaient  le  Graal.  —  Les  trois  hommes  qui  portaient  des  sou- 
liers d'or  dans  l'île  de  Bretagne.  —  Les  trois  royaux  domaines  qui  furent  établis  par  Rha- 
dri  le  Grand  en  Cambrie.  »  —  a  Un  roi  d'Irlande,  nommé  Cormac,  ajoute  M.  J.  iMichelet, 
écrivit,  en  260,  De  Triadibus ;  quelques  triades  sont  restées  dans  la  tradition  irlan- 
daise sous  le  nom  de  Fingal.  Les  Irlandais  marchaient  au  combat  trois  par  trois;  les 
higlanders  d'Ecosse  sur  trois  de  profondeur.  »  (Voyez  Histoire  de  France,  par  AL  Miche- 
let,  vol.  I,  p.  461-71,  édit.  in-8°.) 

'  L'illuslre  et  savant  M.  Boisserée,  Description  de  la  cathédrale  de  Cologne,  in-f",  Paris, 
1825,  dit  :  0  Les  principes  fondamentaux  de  l'ancienne  archilecture  d'église  se  trouvent  : 
1°  dans  le  triangle  équilatéral  adopté  d'abord  par  les  pythagoriciens  comme  le  symbole 
de  Minerve  ou  de  la  sagesse,  et  ensuite  par  nos  ancêtres  comme  symbole  de  la  Trinité; 
2"  dans  le  dodécagone  résultant  de  l'application  de  ce  triangle  au  cercle,  combinaison 
que  les  anciens,  ainsi  que  nos  ancêtres,  regardaient  comme  contenant  toute  proportion 
musicale  et  astronomique.»  Nous  regrettons  de  ne  pouvoir  admettre  ces  idées,  tout 
ingénieuses  qu'elles  soient.  —  Dans  un  récent  ouvrage  [Manuel  de  l'histoire  cjdnérale  de 
l'architecture,  par  M.  Daniel  Ramée,  2  vol.  in- 12  ;  Paris,  i8/|3),  on  a  repris,  pour  la 
pousser  à  l'absurde    la  théorie  symbolique  des  nombres,  et  du  nombre  trois  en  parti- 


550  INSTRUCTIONS. 

réunis,  plantes,  bêtes,  monstres  ou  hommes,  immédiatement 
ridée  de  la  Trinité  divine  apparaît  aux  yeux  de  certains  mys- 
tiques. Que  trois  poissons  soient  sculptés  sur  une  cuve  baptis- 
male du  Danemark,  que  trois  singes  hideux  soient  gravés  sur 
une  cuve  baptismale  de  France,  que  trois  personnages  fantas- 
tiques se  découpent  en  relief  sur  le  tympan  d'une  porte  d'é- 
glise, et  l'on  voit  la  représentation  de  Dieu  le  Père,  de  Jésus- 
Christ  et  du  Saint-Esprit  dans  ces  êtres  bizarres  et  même 
dans  ces  monstres.  S'efforcer  d'extraire  une  idée  de  tous  les 
faits  est  une  opération  très-louable  assurément;  mais  la  raison 
doit  l'éclairer  et  la  contenir  ^  Les  objets  où  la  Trinité  apparaît 
certainement  en  intention  et  même  en  réalité  sont  assez  nom- 
breux pour  qu'on  ne  cherche  pas  à  en  créer  de  fictifs.  Nous  en 
allons  indiquer  plusieurs  en  parlant  du  culte  direct  ou  indirect 

culier  ;  celte  imagination  est  à  la  réalité  ce  que  le  rêve  est  à  la  claire  pensée  d'un  homme 
sain  et  bien  éveillé.  L'architecture,  même  dans  son  histoire,  a  plus  à  perdre  qu'à  gagner 
dans  des  songes  de  celte  espèce  :  l'esprit  net  et  positif  de  la  France  a  raison  de  reléguer 
dans  les  aberrations  de  l'esprit  toutes  ces  inventions  bizarres. 

Frédéric  Mûnter,  évêque  de  Seeland  en  Danemark,  que  nous  avons  déjà  cité,  a 
publié,  en  182 5,  à  Altona ,  les  parties  I  et  II  d'un  ouvrage  in-/i°  intitulé  :  Smnlilder 
and  Kunstvorstellungen  der  alten  Christen  [Images  symboliques  et  représentations  figurées 
des  anciens  chrétiens).  C'est  là  qu'il  est  question  de  ces  Irois  poissons  figurant  la  Trinité 
sur  la  cuve  baptismale  d'une  église  de  Danemark,  à  Beigetad.  C'est  de  l'Allemagne  et 
du  nord  de  l'Europe  que  nous  arrivent  toutes  ces  singulières  et  nébuleuses  explica- 
tions. Dans  un  rapport  adressé  par  M.  Schmit  au  comité  historique  des  arts  et  mo- 
numents, et  imprimé  en  iSli2  sous  le  titre  de  Souvenirs  d'un  voyage  archéologique  dans 
l'Ouest,  nous  lisons,  à  la  page  33  :  «Sur  le  flanc  méridional  de  l'église  de  Notre-Dame- 
des-JN'eiges,  à  Brelevenez  (Bretagne),  s'élèvent  trois  piliers  dont  la  partie  inférieure 
sert  de  contre-fort  au  bas-côté;  ils  s'élancent  ensuite  isolés  jusqu'à  la  hauteur  (d'ail- 
leurs fort  médiocre)  de  l'arête  de  la  toiture.  Celui  de  droite  et  celui  de  gauche,  un  peu 
moins  élevés  que  celui  du  centre,  sont  tronqués  carrément;  le  troisième  est  chape- 
ronné. Le  portail  à  plein  cintre,  couronné  par  un  pignon  formant  comble  à  deux  égouts, 
est  placé  entre  le  second  et  le  troisième  pilier.  La  tradition  locale  veut  voir  ici  un  em- 
blème de  la  Trinité  adopté  par  l'ordre  du  Temple  dans  la  construction  de  ses  églises.  Je 
ne  sais  si  cet  usage  est  bien  constaté;  sinon,  on  pourrait  voir  tout  aussi  bien  dans  ces 
trois  piliers  une  représentation  du  Calvaire,  surtout  au  sommet  d'une  montagne  passa- 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  551 

rendu  au  dogme  de  la  Trinité,  ou  à  Dieu  se  révélant  dans 
ses  trois  hypostases. 


CULTE    DE    LA    TRINITE. 


Huit  jours  après  la  grande  fête  de  la  Pentecôte,  qui  est  dédiée 
au  Saint-Esprit,  on  célèbre  celle  delà  Trinité.  A  Noël, dit-on,  on 
fait  la  fête  du  Père\  à  Pâques  celle  du  Fils,  à  la  Pentecôte  celle 
de  l'Esprit,  et,  huit  jours  après  la  Pentecôte,  on  groupe  en  une 
seule  ces  trois  solennités  distinctes.  Un  office  entier  fut  com- 
posé pour  la  Trinité;  mais,  ce  qui  est  curieux,  c'est  que  Noël, 
Pâques  et  la  Pentecôte,  qui  sont  au  rang  d'annuel  majeur, 
c'est-à-dire  au  suprême  degré  de  la  hiérarchie  des  fêtes,  vien- 
nent se  concentrer  dans  une  fête  inférieure  de  trois  degrés  et 
descendre  au  solennel  mineur.  Cependant  la  Trinité  a  toujours 

blement  écartée ,  qui  n'a  pas  moins  de  loo  mètres  d'élévation.  Peut-être  est-il  plus  simple 
et  plus  exact,  par  conséquent,  de  ne  reconnaître  dans  ces  piliers  que  des  contre-forfs  par- 
venus à  la  hauteur  que  devait  avoir  lédifice  évidemment  inachevé.  »  C'est  à  la  dernière 
de  ces  explications  que  nous  donnons  notre  assentiment;  elle  est  plus  sensée,  plus  simple 
et  par  conséquent  plus  vraie  que  les  deux  autres. 

'  C'est  à  la  fin  du  moyen  âge  et  pendant  la  renaissance  qu'on  s'inquiéta  d'attribuer 
au  Père  une  fête  spéciale.  Il  eût  été  plus  simple  et  plus  convenable  de  la  créer;  mais  des 
difficultés  historiques  s'étaient  olTertes.  En  effet.  Dieu  le  père  ne  s'étant  pas  manifesté 
visiblement,  on  ne  pouvait  consacrer  la  mémoire  d'un  fait  qui  n'existait  pas;  les  litur- 
gistes  proposèrent  alors  de  consacrer  le  jour  de  Noël  au  Père.  C'était  évidemment  vio- 
lenter la  signification  réelle  des  événements.  Le  jour  où  Marie  met  Jésus  au  monde,  et  où 
le  Verbe  fait  chair  naît  dans  une  étable,  ce  jour-là  doit  appartenir,  soit  à  Marie,  soit  à  Jé- 
sus ;  le  Père  n'y  intervient  que  secondairement.  Aussi,  malgré  le  vœu  de  certains  théo- 
logiens et  malgré  les  efforts  de  certains  liturgistes  (v.  Guill.  Durand ,  Ralionale  div.  offic), 
Noël  resta  à  Jésus-Christ  et  à  la  Vierge,  et  le  Père  n'eut  pas  de  fête  spéciale.  Un  manus- 
crit de  la  Bibliothèque  royale  ouvre  la  fête  de  Noël  par  la  représentation  du  Père,  comme 
celle  de  Pâques  par  le  portrait  du  Fils;  mais  habituellement,  pour  ne  pas  dire  toujours, 
c'est  la  nativité  qu'on  voit  à  Noël,  et  le  nom  de  Noël  [Natalis)  resta  au  jour  de  la  nais- 
sance du  Sauveur.  Le  septième  volume  des  œuvres  du  B.  Tommasi,  éditées  par  Bian- 
chini,  renferme  une  note  sur  une  supplique  demandant  l'institution  d'une  fête  pour  le 
Père  étemel. 


552  INSTRUCTIONS. 

joui  de  grands  honneurs  dans  le  culte.  A  la  fin  des  iniroïts,  des 
oraisons,  des  proses,  des  hymnes,  des  psaumes,  des  répons,  la 
doxologie  unit  dans  les  louanges  chacune  des  trois  personnes  ; 
quelquefois  elle  les  confond  dans  une  louange  unique  K 

De  même  que  le  Saint-Esprit,  la  Trinité  protégea  de  son 
nom  un  ordre  de  religieux  appelés  les  Trinitaires^ 

Dans  toute  la  chrétienté,  des  églises  et  des  monastères  furent 
élevés  en  l'honneur  de  la  Trinité.  L'abbaye  de  la  Sainte-Trinité 
de  Florence  est  réputée  pour  les  peintures  qu'y  exécuta ,  selon 
Vasari,  Giovanni  Cimabue.  Arezzo  avait,  et  a  peut-être  encore, 
un  couvent  de  religieuses  de  Santo-Spirito.  A  Caen  et  à  Rouen, 
à  Fécamp,  à  Poitiers,  à  Vendôme,  à  Angers,  à  Lefay  (diocèse 
de  Coutances)  et  en  bien  d'autres  lieux,  il  y  avait  des  abbayes 
célèbres  et  des  églises  dédiées  à  la  Trinité.  Le  nom  de  Trisay- 
la-Sainte-Vierge ,  au  diocèse  de  Luçon ,  vient  probablement  de 

'  Le  «  Gloria  Patri  et  Filio  et  Spiritui  sancto  »  est  attribué  à  saint  Jérôme ,  qui  l'au- 
rait envoyé  au  pape  Damase.  C'est  ce  pape  qui  le  fit  chanter  à  la  fin  des  psaumes.  Les 
hymnes  composées  par  saint  Ambroise ,  et  qui  se  chantent  aux  heures  du  dimanche 
ou  des  fériés,  se  terminent  par  des  actions  de  grâce  aux  trois  personnes  divines  : 

Deo  Patri  sit  gloria 
Ejusque  soli  Filio 
Cum  Spiritu  paraclito , 
Nanc  et  per  omne  seculum. 

Ou  bien  : 

Prœsta ,  Pater  piissime  , 
Patrique  compar  unies, 
Cum  Spiritu  paraclito , 
Regnans  per  oBine  saeculum. 

'  Les  Trinitaires  datent  de  1 198;  ils  ont  été  fondés ,  pour  le  rachat  ou  la  rédemption 
des  captifs,  par  saint  Jean  de  Matha  et  Félix  de  Valois.  Leur  règle  fut  approuvée  par  le 
pape  Innocent  III,  qui  leur  donna,  en  1 199,  un  habit  blanc  décoré  d'une  croix  rouge  à 
double  traverse.  Celte  croix  dominait  le  Saint-Esprit  gravé  sur  leur  sceau.  Je  dois  un 
exemplaire  de  ce  sceau  à  l'obligeance  de  M.  le  baron  de  Girardol,  conseiller  de  préfec- 
ture et  correspondant  du  comité  des  arts.  L'un  des  articles  de  la  règle  des  Trinitaires 
est  ainsi  conçu  :  «  Omnes  ccclesiae  istius  ordinis  intitulentur  nomine  sancfae  Trinitalis 
>.  et  sintplani  operis.  »  Ce  planum  opus,  dont  on  fait  une  obligation  aux  Trinitaires,  est 
un  point  d'une  ceriaine  importance  pour  l'histoire  de  l'architecture. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  553 

l'acclamation  répétée  trois  fois  en  l'honneur  de  la  Trinité  par 
les  esprits  célestes  ^  Saint  Williborde,  évêque  de  Trêves,  mort 
en  789,  éleva  un  monastère  en  l'honneur  de  la  Trinité,  dans 
la  basilique  duquel  il  se  fit  enterrer  ^. 

Non-seulement  on  bâtissait  des  églises  et  des  couvents  pour 
honorer  l'union  des  trois  personnes  divines,  mais  on  donnait 
à  ces  églises  et  à  ces  couvents  une  configuration  qui  rappelait 
la  Trinité  par  le  nombre  ou  la  forme  de  certaines  parties.  Saint 
Benoît  d'Aniane,  l'apôtre  carlovingien  du  midi  de  la  France,, 
fait  construire  une  église  qu'il  dédie,  non  pas  à  un  saint, 
mais  à  la  Trinité.  Il  subordonne  à  l'autel  majeur  trois  autres 
autels,  pour  que  les  trois  personnes  fussent  symbolisées  par 
ceux-ci  et  l'unité  divine  par  celui-là.  Le  maître-autel,  emblème 
des  deux  Testaments,  était  plein  en  dehors,  creux  en  dedans 
et  percé  par  derrière  d'une  petite  porte  servant  d'entrée  aux 
châsses  et  aux  reliques  des  saints  qu'on  enfermait  aux  jours 
ordinaires^.  Dans  cette  église,  un  autel  était  dédié  à  saint  Mi- 
chel, un  autre  aux  apôtres  Pierre  et  Paul,  un  troisième  à  saint 

'  En  grec,  Trisagion,  qui  est  latinisé  par  Trizaium,  Trisagium.  Le  Sanctas,  Sanctus, 
Sanclus  (âyws,  âyios,  âyios),  a  été  placé  par  saint  Ambroise  et  saint  Augustin  clans  le 
Te  Deum  qu'ils  ont,  à  ce  qu'on  dit,  composé  en  commun,  paroles  et  chant.  Ces  deux 
grands  docteurs  faisaient  répéter  ainsi  sur  la  terre  l'hymne  que  saint  Jean  entendit  dans 
le  ciel,  et  dont  il  parle  dans  l'Apocalypse,  chap.  iv,  verset  8.  En  Grèce,  beaucoup  d'anges, 
peints  à  fresque  ou  en  mosaïque,  tiennent  à  la  main  des  espèces  d'étendards  où  se 
lit  âyios,  âyios,  âyios.  —  Près  de  Mantes  existait  un  couvent  des  Céleslins,  dit  de  la 
Trinité.  (V.  Catalogue  Joursanvaalt,  ]!'  vol.  n"  i2lià-)  A  Beaulieu,  en  Touraine,  il  y 
avait  une  abbaye  de  la  Sainte-Trinité. 

^  Alcuin  a  écrit  la  vie  de  saint  Williborde. 

^  Voyez  le  texte,  qui  ne  manque  pas  d'importance,  dans  les  Act.  SS.  Ord.  S.  Bened. 
IV*  siècle  bénédictin  ,  I"  partie,  de  l'an  800  à  l'an  855.  La  vie  de  saint  Benoît  d'Aniane 
a  été  écrite  par  Ardon  ou  Smaragdus,  son  disciple.  —  A  Munich,  une  église  est  dédiée 
à  la  Trinité.  Ce  monument  porte  le  nombre  trois  inscrit  dans  ses  autels  et  dans  son  plan, 
qui  est  une  sorte  de  trèfle.  L'église  est  toute  peinte  de  sujets  historiques,  psychologiques, 
physiques  ou  naturels  et  symboliques,  rappelant  le  nombre  trois  et  ses  divines  proprié- 
tés. Dieu  crée  le  soleil,  la  lune  et  la  terre  (trois  mondes  distincts) ,  et  porte  un  nimbe  en 

INSTRUCTIONS.  II.  7O 


554  INSTRUCTIONS. 

Etienne.  Une  seconde  église,  dédiée  à  la  Vierge,  contenait  un 
autel  consacré  à  saint  Martin,  un  autel  à  saint  Benoît  et  sans 
doute  le  maître-autel  à  Marie.  Enfin,  une  troisième  église  était 
érigée  dans  le  cimetière  en  l'honneur  de  saint  Jean -Baptiste. 
Ainsi,  dans  ce  couvent,  on  voyait  trois  églises  :  l'une  d'elles 
à  la  Vierge  avec  trois  autels,  une  autre  à  la  Trinité  avec  trois 
autels  également,  mais  subordonnés  à  l'autel  majeur. 

A  Fleury,  aujourd'hui  Saint-Benoît-sur-Loire,  ce  n'était  pas 
dans  une,  deux,  trois  églises  que  brillait  la  Trinité;  mais  l'em- 
placement du  monastère  entier  portait  la  Trinité  écrite  dans 
son  aire.  Le  plan  avait  la  forme  d'un  delta,  triangle  mystérieux 
de  l'alphabet  antique.  Une  pointe  de  ce  triangle  regardait  la 
France,  une  autre  la  Bourgogne,  tandis  que  la  troisième  se 
tournait  vers  l'Aquitaine.  «  Fleury  était  aux  confins  de  trois  ré- 
gions, comme  le  présent  entre  le  passé  et  l'avenir,  comme  le 
nombre  parfait  entre  l'imparfait  et  le  plus-que-parfait  \  •> 

triangle.  Jésus  se  transfigure  en  présence  de  Moïse  et  d'Hélie,  et  saint  Pierre  demande 
à  établir  trois  tentes  sur  la  montagne.  Une  main  bénit  avec  trois  doigts  au  nom  des  trois 
personnes  divines.  Un  grand  A  rayonne  avec  cette  inscription  :  Linea  terna  est  unum 
alpha.  Sous  une  main,  qui  tient  un  chandelier  à  trois  branches,  on  voit  :  Tenet  una  tri- 
num.  Sous  un  vaisseau  à  trois  voiles  ,  on  lit  :  Tribus  his  pellitur  una.  Un  œil  reluit  dans  un 
triangle  enflammé,  et  trois  cercles  s'entrelacent.  Trois  miroirs  se  renvoient  un  rayon 
unique  jaillissant  du  soleil.  Bien  d'autres  emblèmes  décorent  cette  curieuse  église,  que 
j'aurais  décrite  ici  avec  détails,  si  elle  ne  datait  pas  de  lyi/j,  époque  sans  valeur  pour 
l'archéologie  religieuse. 

'  On  se  rappellera  ce  que  nous  avons  dit  du  présent,  que  le  moyen  âge  regarde  comme 
supérieur  au  passé  et  à  l'avenir,  tandis  que  l'antiquité,  qui  semble  le  supprimer,  ne 
donne  que  deux  visages  à  Janus ,  à  la  personnification  du  temps.  Nous  transcrivons  en- 
core le  texte  relatif  à  Fleury,  parce  qu'il  intéresse  les  faits  historiques  et  mystiques 

à  la  fois  :  Il  Situs  loci  Floriacensis  monasterii instar  Irigoni  visitur  sisli,  et,  ut  ex- 

«  pressius  dicam,  in  modum  litterae  propio  statu  cernitur  sidereum  cornu  occupare.  Nam 
Il  a  septentrione  Franciam,  ab  oriente  Burgundiam,  ab  australi  vero  parte  Aquitaniam 
Il  tangit.  Sicque  in  confinio  Irium  regionum,  velut  prncscns  inler  prœleritum  et  futurum. 
Il  naturali  ordine  obtinet  primatum,  et  sicut  perfectus  numerus  inter  imperfectum  et 
Il  plusquam  perfectum.  Nam  medietale  vicem  etlocumpossidetvirtulum.  »  {Act.  SS.  Ord. 
S.  Benecl.  i\'  siècle  bénéd.  Histoire  de  l'illation  de  saint  Benoît.  Vers  l'an  883.) 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  555 

Enfin  un  troisième  passage,  contemporain  des  deux  pré- 
cédents, montrera  l'emblème  de  la  Trinité  poussé  à  l'extrême 
et  même  à  renfantlllage,  dans  la  disposition  d'un  monastère 
immense,  celui  de  Saint-Riquier  K  Saint  An gilbert,  gendre  de 
Gharlemagne,  l'un  des  compagnons  et  l'un  des  pairs  du  grand 
empereur,  se  retire  à  Centula  et  y  rebâtit  le  monastère  de  Saint- 
Riquier.  Il  fait  élever  trois  églises,  f une  à  saint  Riquier,  fautre 
à  la  Vierge,  la  troisième  à  saint  Benoît.  Un  cloître  triangu- 
laire les  unit  fune  à  fautre.  Trois  petites  églises,  à  f  entrée. 
des  trois'portes  du  monastère,  étaient  dédiées  en  outre  à  saint 
Michel,  à  saint  Gabriel,  à  saint  Rapbaël.  Dans  l'église  de  saint 
Benoît,  il  y  avait  trois  autels;  on  voyait  trois  autels  aussi 
dans  les  églises  des  Anges,  trois  ciboria,  trois  lectoria.  Le 
nombre  des  moines  était  de  trois  cents,  celui  des  enfants  de 
chœur  de  cent,  divisés  en  trois  sections;  trente-trois  enfants 
composaient  les  deux  dernières  sections  et  trente -quatre  la 
première^.  Ce  personnel  était  partagé  en  trois  chœurs:  cent 
moines  et  trente  -  quatre  enfants  desservaient  f  autel  où  le 
chœur  de  saint  Sauveur;  cent  moines  et  trente-trois  enfants 
appartenaient  au  chœur  de  saint  Riquier,  et  un  pareil  nombre 
était  assigné  au  chœur  de  la  Passion.  Ces  tiois  chœurs  chan- 
taient les  offices  en  commun;  mais  ensuite,  pendant  que  les 
deux  tiers  restaient  à  f  église,  le  troisième  tiers  se  reposait^. 
On  voit,  dans  cette  affectation  puérile  à  reproduire  le  nombre 

■'  Nous  avons  cité  textuellement  un  long  extiait  de  ce  passage,  plus  haut,  p.  63,  6/j. 
Nous  en  donnons  ici  une  analyse  plus  étendue  ;  notre  sujet  exigeait  cette  répétition. 

"  Il  en  aurait  fallu  trente-trois  seulement  pour  la  régularité  absolue,  pour  le  symbo- 
lisme complet. 

'■  Act.  SS.  Ord.  S.  Bened.  V'  partie  du  iv'^  siècle  bénéd.  de  l'an  800  à  l'an  855.  Vie 
de  saint  Angilbert.  Angilberl,  qu'on  surnommait  Homère  dans  l'académie  palatine, 
comme  Gharlemagne  s'y  appelait  David,  rcsumait,  dans  sa  plus  brillante  et  plus  forte 
expression,  la  pensée  mystique  dominante  sous  le  règne  des  Carlovingiens.  Du  reste  co- 
tait l'époque  où  l'on  discutait  beaucoup  sur  la  Trinité  et  sur  la  procession  du  Saint-Espril. 


556  INSTRUCTIONS. 

trois,  les  préoccupations  des  esprits  en  faveur  de  la  Trinité. 
Le  cloître  de  Saint-Riquier  n'existe  plus;  mais  nous  possé- 
dons encore  à  Planés,  dans  le  Roussillon ,  une  petite  église 
triangulaire  en  plan  et  surmontée  d'une  coupole.  L'idée  qui 
a  présidé  à  la  construction  de  ce  curieux  édifice  devait  être 
analogue  à  celle  qui  dominait  Angilbert  ^  Dans  Rome,  à  ce 
que  l'on  dit,  le  chevalier  Bernin  a  marqué  de  la  forme  trian- 
gulaire l'église  de  la  Sapience,  qui  est  dédiée  à  la  Trinité.  La 
sagesse  en  effet  est  aux  vertus  principales  ce  que  Dieu  est  aux 
personnes  divines.  La  sagesse  est  l'unité  morale  d'où  pro- 
cèdent, comme  les  fdles  d'une  mère  commune,  la  foi,  l'espé- 
rance et  la  charité.  La  vive  imagination  byzantine  a  donné  la 
vie  à  ces  trois  filles  de  la  Sagesse  et  à  la  Sagesse  leur  mère. 
On  lit,  dans  les  légendes,  la  vie  de  sainte  Sagesse,  mère  de  trois 
filles  d'une  rare  beauté  et  d'une  vertu  incomparable,  sainte 
Foi,  sainte  Espérance  et  sainte  Charité.  La  mère  et  les  filles, 
converties  au  christianisme,  baptisées,  prêchant  la  vérité  et 
convertissant  à  leur  tour  une  immense  quantité  de  païens,  sont 
persécutées.  Amenées  devant  un  proconsul ,  elles  refusent  de 
sacrifier  aux  faux  dieux;  on  les  torture  et  on  finit  par  les  dé- 
capiter. Un  couvent  du  mont  Athos  "  contient,  peinte  sur 
mur,  la  légende  entière  de  cette  intéressante  famille,  depuis  sa 
naissance  jusqu'à  sa  mort;  dans  la  cathédrale  de  Cantorbéry, 
parmi  les  reliques  des  vierges,  on  possédait  celles  de  sainte 
Sagesse  et  de  ses  filles.  Foi,  Espérance  et  Charité^. 

'  Voyez,  dans  le  Bullelin  archéologique,  publié  parle  comité  historique  des  arts  et 
monuments,  vol.  I,  page  i33,  une  description  de  cette  église  par  M.  Jaubert  de  Passa, 
membre  non  résident  du  comité. 

*  Le  grand  monastère  de  Chilindari.  Dans  le  manuscrit  byzantin  déjà  cité,  on  en- 
seigne à  peindre  sainte  Sophie  et  ses  trois  fdles,  sainte  Foi,  sainte  Espérance  et  sainte 
Charité,  qui  ont  été  décapitées. 

'  «  De  reliquiis  S.  SapientiîE  et  fdiarum  ejus ,  Fidei ,  Spei  et  Gharilalis.  »  (V.  le  Monasti- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  557 

Cette  personnification  et  cette  généalogie  de  la  Vertu  rap- 
pellent la  généalogie  et  la  personnification  de  fintclligence, 
dont  nous  avons  déjà  parlé  et  qu'on  voit  figurées  dans  une 
bible  manuscrite  de  la  bibliothèque  publique  de  Reims  ^  La 
Philosophie  engendre  la  Physique,  la  Logique  et  fEtliique, 
absolument  comme  sainte  Sophie  donne  le  jour  à  Foi,  Espé- 
rance et  Charité. 

ICONOGRAPHIE    CHRONOLOGIQUE    DE    LA    TRINITÉ. 

Un  culte  aussi  solennel ,  aussi  développé  que  celui  qui  se  ren- 
dait à  la  Trinité,  dut  faire  naître  une  grande  quantité  de  repré- 
sentations des  trois  personnes  divines  réunies  en  groupe.  C'est 
ce  qui  advint  en  effet.  L'art  s'empara  de  ce  motif,  qui  prêtait 
singulièrement  à  fimagination,  et  le  diversifia  presqu'à  l'infini. 

On  peut  partager  en  quatre  périodes  les  siècles  qui  se  sont 
écoulés  depuis  forigine  du  christianisme  jusqu'à  la  renais- 
sance, et  durant  lesquels  on  figura  des  Trinités.  Le  premier 


con  anglicanum j  par  Dodsworth  et  Dugdale,  vol.  I,  page  5.)  Je  vois,  dans  ce  fait  assez  cu- 
rieux, une  cerlaine  influence  byzantine  à  laquelle  aurait  obéi  l'Angleterre.  Je  ferai  re- 
marquer encore  que  les  véritables  croix  grecques  ne  sont  pas  les  croix  à  quaire  branches 
égales,  puisque  le  grec  Procope  déclare  que  la  croix  doit  avoir  le  pied  plus  long  que  le 
sommet  et  les  bras.  Les  croix  grecques  sont  à  double  traverse ,  comme  celles  que  nous 
avons  fait  graver  et  qui  viennent  d'Athènes  et  du  mont  Athos.  Des  reliques  venant  de 
la  Grèce,  et  que  les  rois  de  France  avaient  données  à  la  Sainte-Chapelle  de  Paris,  étaient 
enfermées  dans  des  étuis  en  forme  de  croix  à  double  traverse.  Or,  c'est  sur  ce  plan  que 
sont  fondées  plusieurs  grandes  cathédrales  d'Angleterre,  et  j'apercevrais  encore  dans  ce 
fait  la  preuve  que  l'Angleterre  a  subi  une  influence  byzantine  qu'il  faudrait  constater 
avec  le  plus  grand  soin.  On  ne  voit  rien  ou  presque  rien  d'analogue  en  France;  chez 
nous  l'art  gothique,  l'art  chrétien,  est  autochthone,  à  peu  d'exceptions  près. 

'  Dans  le  manuscrit  d'Hcrrade,  Hortus  deliciarum,  on  voit  la  Philosophie  assise  sur 
un  trône  et  versant  de  ses  deux  mamelles  la  source  des  arts  libéraux.  Pour  fleurons  à 
son  diadème,  elle  porte  trois  tètes  humaines,  qui  sont  l'Éthique,  la  Logique  et  la  Phy- 
sique ,  comme  le  dit  la  légende. 


558  INSTRUCTIONS. 

groupe  comprend  les  huit  premiers  siècles;  le  second  s'étend 
du  IX'  au  xif  ;  le  troisième  groupe  atteint  le  xv'  siècle;  la  der- 
nière période  enfin  saisit  la  renaissance,  c'est-à-dire  le  xv''  et 
surtout  le  xvi'  siècle.  Relativement  à  l'architecture,  la  pre- 
mière période  s'appelle  latine,  parce  que  la  basilique  de  Cons- 
tantin règne  alors;  la  seconde  est  dite  romane,  parce  que  le 
latin,  chez  nous  principalement,  s'allie  à  des  éléments  indi- 
gènes; la  troisième  est  gothique  ou  ogivale;  la  quatrième  se 
nomme  la  renaissance. 

Dans  les  huit  premiers  siècles,  les  Trinités  s'ébauchent,  pour 
amsi  dire;  on  essaye  des  formes  diverses  qui  reparaissent  plus 
développées  dans  les  périodes  suivantes.  Il  n'existe  pas  un 
groupe  réellement  complet  de  la  Trinité  dans  les  catacombes 
ni  sur  les  vieux  sarcophages.  On  voit  fréquemment  Jésus, 
mais  isolé  ou  accompagné  tout  au  plus  de  la  colombe  qui 
figure  le  Saint-Esprit.  On  aperçoit  une  main,  qui  doit  être 
celle  de  Dieu  le  Père,  et  qui  tend  une  couronne  sur  la  tête 
du  Fils,  mais  en  fabsence  du  Saint-Esprit.  Des  croix  et  des 
agneaux  qui  symbolisent  le  Fils,  des  mains  qui  révèlent  le 
Père,  des  colombes  qui  représentent  quelquefois^  f Esprit,  se 
voient  fréquemment  peintes  à  fresque  ou  sculptées  sur  le 
marbre.  Mais  ces  symboles  sont  isolés  presque  toujours,  fort 
rarement  réunis  dans  un  même  lieu  ou  sur  un  même  mo- 
nument; jamais  on  ne  les  voit  groupés  et  serrés  en  faisceau. 
(Cependant ,  dès  le  iv^  siècle ,  avec  saint  Pauhn ,  évêque  de  Noie , 
qui  est  né  en  353  et  mort  en  /i3i,  apparaissent  les  groupes  de 
la  Trinité.  A  fabside  de  la  basilique  de  Saint -Félix,  bâtie  à 
Noie  par  Paulin  lui-même,  on  voyait  la  Trinité  exécutée  en 

On  dit  quelquefois,  car  le  plus  souvent  la  colombe  peinte  ou  sculptée  dans  les  ca- 
tacombes est  celle  qui  rapporte  un  rameau  à  Noé ,  et  non  la  colombe  du  Saint-Esprit.  Par- 
courez, à  ce  sujet,  la  Borna  Sotterranea  de  Bosio. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  559 

mosaïque.  Saint  Paulin  fit  les  vers  suivants  pour  expliquer  le 
sujet  : 

Pleno  coruscat  Trinitas  mystei'io  : 
Stat  Christus  agno,  vox  Patris  cœlo  tonat, 
Et  per  columbam  Spiritus-Sanctus  fluit. 
Crucem  corona  lucido  cingit  globo  ; 
Cui  coronœ  sunt  corona  aposloli , 
Quorum  figura  est  in  columbarum  choro. 
Pia  Trinitatis  unitas  Christo  coït. 

Ainsi,  dans  cette  Trinité,  le  Christ  est  en  agneau,  l'Esprit 
en  colombe.  Quant  au  Père,  il  parle;  mais  le  poëte  ne  dit  pas 
comment  il  Ta  fait  peindre  K  Un  peu  plus  loin,  dans  la  même 
lettre,  décrivant  la  peinture  qu'il  avait  fait  exécuter  dans  la 
basilique  de  Saint-Félix  à  Fondi,  au  fond  de  l'abside,  saint 
Paulin  ajoute  : 

Sub  cruce  sanguinea  niveo  stat  Christus  in  agno , 
Agnus  ut  innocua  injusto  datus  hostia  leto. 
Alite  quem  placida  sanctus  perfundit  hiantem 
Spiritus ,  et  rutila  genitor  de  nube  coronat. 

Ici  fagneau  s'ajoute  à  la  croix  pour  compléter  ou  pour 
doubler  le  symbole  du  Christ.  L'Esprit  est  toujours  en  co- 
lombe, en  oiseau  divin;  mais  le  Père  doit  être  figuré,  sinon 
sous  forme  humaine  entière,  au  moins  sous  celle  d'une  main 
qui  tient  une  couronne  sur  la  tête  de  son  fils.  Voilà  les  pre- 
mières traces  que  nous  connaissions  des  représentations  de  la 

'  Voyez,  dans  les  œuvres  de  saint  Paulin,  YEpistola  12"  ad  Severum.  Un  peu  plus  haut 
que  le  texte  qu'on  vient  de  citer,  saint  Paulin  avait  déjà  dit  : 

Atque  ubi  Christus  ibi  Spiritus  et  Pater  est. 

Mais  ce  vers  signifie  seulement  que,  quand  on  voit  le  Christ ,  on  voit  par  conséquent 
le  Père  et  l'Esprit,  et  non  pas  qu'on  représente  sous  une  forme  spéciale  chacune  des 
trois  personnes. 


560  INSTRUCTIONS. 

Trinité.  Il  est  à  remarquer  que  ces  groupes  sont  en  mosaïque 
et  qu'ils  ornent  l'abside  des  basiliques.  C'est  en  mosaïque  en 
effet,  et  dans  le  fond  des  basiliques  latines,  que  nous  voyons 
de  ces  Trinités  semblables  à  la  seconde  que  décrit  saint  Paulin. 
A  Saint-Damien  et  Saint-Côme  de  Rome,  en  53o;  à  Saint- 
Marc  de  la  même  ville ,  en  7 7  /i  ;  à  la  cathédrale  de  Padoue , 
vers  la  fin  du  viii^  siècle;  à  Sainte-Praxède  de  Rome,  en  818, 
on  exécute  en  mosaïque  ^  des  Trinités  qu'on  croirait  copiées 
sur  celles  de  saint  Paulin.  Du  reste,  ce  motif  est  resté  en  hon- 
neur à  Rome  jusqu'aux  xiii^  et  xiv^  siècles.  Le  pape  Nicolas  IV 
fit  décorer,  de  l'an  1 288  à  l'an  1  294,  l'abside  de  Saint-Jean  de 
Latran.  Une  grande  mosaïque  y  brille  du  plus  vif  éclat  ;  elle 
offre,  au  centre,  la  représentation  de  la  Trinité.  Une  croix,  cou- 
verte de  pierreries,  s'élève  au  sommet  d'une  montagne  qui  figure 
le  paradis.  L'Esprit,  en  colombe,  plane  sur  la  croix  et  l'enve- 
loppe dans  un  torrent  de  rayons.  Tout  en  haut,  le  Père  sort 
des  nuages  et  montre  son  buste  et  sa  tête  nue,  que  cerne  un 
double  nimbe  circulaire  et  carré  ^. 

Un  autre  type  de  Trinité,  très  en  honneur  au  xiv^  siècle, 
paraît  avoir  été  trouvé  dès  l'origine  du  christianisme.  On  lit 
dans  Jacques  de  Vorage,  à  la  fête  de  l'Exaltation  de  la  croix, 
l'histoire  suivante  : 

«  L'an  du  Seigneur  6 1 5 ,  Dieu  permit  que  son  peuple  fût 
flagellé  par  la  cruauté  des  païens.  Chosroès,  roi  des  Perses, 
soumit  à  son  empire  tous  les  royaumes  du  monde,  il  vint  à 
Jérusalem,  et,  tout  effrayé,  sortit  du  sépulcre  du  Seigneur; 
mais  cependant  il  en  emporta  la  portion  de  la  sainte  croix 

'  Voyez  Ciampini,  Vetera  Monimenta.  Ces  mosaïques  et  beaucoup  d'autres  sont  gra- 
vées dans  cet  ouvrage. 

*  Nous  avons  déjà  signalé  celle  mosaïque  intéressante,  dont  un  dessin  nous  a  été 
donné  par  M.  Tournai. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  561 

que  sainte  Hélène  y  avait  laissée.  Cliosroès,  voulant  se  faire 
adorer  par  tout  le  monde  comme  un  Dieu,  ordonna  d'élever  une 
tour  d'or  et  d'argent,  garnie  de  pierres  lumineuses;  là  il  plaça 
les  images  du  soleil,  de  la  lune  et  des  étoiles.  Par  des  conduits 
étroits  et  cachés,  il  en  faisait  tomber  de  la  pluie  comme  s'il 
eût  été  Dieu.  Au  sommet  de  l'édifice,  des  chevaux  traînaient 
des  chars  et  circulaient  tout  autour,  afin  d'agiter  le  monu- 
ment et  de  simuler  le  tonnerre.  Alors  Chosroès  abandonne  le 
royaume  à  son  fds,  et,  le  profane,  il  se  retire  dans  ce  phare.  Il 
fait  placer  la  croix  du  Seigneur  près  de  lui,  et  ordonne  à  tout 
le  monde  de  l'appeler  Dieu.  Ainsi  qu'on  le  lit  dans  l'ouvrage 
De  Mitrali  ojficio  \  Chosroès,  assis  sur  un  trône,  comme  Dieu 
le  Père,  mit  la  croix  à  sa  droite,  à  la  place  de  Dieu  le  Fils, 
et  un  coq  à  sa  gauche,  au  lieu  du  Saint-Esprit.  Quant  à  lui, 
il  voulut  qu'on  l'appelât  Dieu  le  Père.  » 

L'empereur  Héraclius  fait  la  guerre  au  fils  de  Cliosroès  et  le 
défait;  il  entre  dans  la  capitale,  et  pénètrejusqu'au  vieux  roi  de- 
venu fou.  Il  le  trouve  assis  dans  sa  tour  d'argent  et  d'or,  espèce 
de  paradis,  comme  le  Père  éternel  entre  les  deux  personnes 
divines.  Chosroès  ayant  refusé  de  se  faire  chrétien,  Héraclius 
lui  trancha  la  tête  d'un  coup  d'épée ,  à  la  face  de  ses  anges  de 
peinture  et* de  son  saint-esprit  en  coq". 

Ainsi  nous  avons  là  le  groupe  vivant  de  la  Trinité  ;  la  Trinité 

'  Ce  livre,  si  souvent  cité  par  les  légendaires  et  les  jiturgistes,  est  attribué  à  un  évêque 
de  Crémone ,  Richard ,  qui  vivait  en  1 1  gô.  Le  Milrale  vel  Summa  de  divinis  ojjiciis  est  resté 
manuscrit.  Voilà  de  ces  livres  qu'il  serait  utile  d'imprimer  ;  les  ouvrages  analogues  auMitrah 
rendraient  les  plus  grands  services  aux  savants  qui  étudient  les  antiquités  chrétiennes. 

*  Voici  le  texte  important  de  ce  passage,  que  nous  avons  traduit  lilléralenieni  : 
«Anne  Domini  61 5,  permittente  Domino  flagellari  populum  suum  per  saevitiam  pa- 
0  ganorum,  Cosdroe,  rex  Pcrsarum,  omnio  régna  lerrarum  suo  imperio  subjugavil.  Hic- 
«  rusalem  autem  veniens,  a  sepulcro  Domini  terrilus  rediit,  sed  tainen  parlem  S.  Crucis 
«quam  S.  Helena  ibidem  reliquerat  asportavit.  Volens  autem  ab  omnibus  coli  ut  Deus, 
«  turrim  et  auro  et  argento  et  interlucenlibus  gemmis  fecit,  et  ibidem  solis,  lun»  et 

INSTRUCTIONS.   —  IJ.  7I 


562  INSTRUCTIONS. 

chrétienne  est  jouée,  mimée,  mise  en  action  par  un  vieux 
païen  qui  a  perdu  la  tête.  Dans  ce  groupe,  le  Père  est  un  vieil- 
lard, le  Fils  est  représenté  par  sa  croix  et  le  Saint-Esprit  par 
un  coq  qui  remplace  la  colombe  divine.  Ce  motif  est  semblable 
à  celui  que  signale  saint  Paulin,  et  que  montrent  les  mo- 
saïques dont  nous  avons  parlé;  mais  il  en  diffère  aussi.  Il  est 
semblable,  quant  aux  symboles  qui  représentent  les  personnes 
divines;  mais  il  en  diffère,  quant  à  l'agencement  général  du 
groupe  et  quant  à  la  disposition  des  symboles  qui  le  consti- 
tuent. Dans  saint  Paulin  et  sur  les  mosaïques ,  la  Trinité  est 
verticale;  elle  est  horizontale  dans  la  Légende  dorée.  Dans 
saint  Paulin,  la  croix  est  en  bas,  le  Saint-Esprit  est  au-dessus 
de  la  croix  et  le  Père  domine;  dans  la  Légende,  le  Père  est 
au  milieu,  ayant  à  sa  droite  la  croix  et  le  Saint-Esprit  à  sa 
gauche.  En  outre,  saint  Paulin  et  les  mosaïstes  placent  le 
Saint-Esprit  au  milieu,  tandis  que  Chosroès,  Père  éternel,  se 
met  au  milieu  lui-même,  et  donne  la  gauche  à  son  coq,  à  son 
saint-esprit.  Plus  bas,  nous  aurons  occasion  de  montrer  par 
des  dessins  la  différence  qui  existe  entre  ces  deux  types. 

»  stellarum  imagines  collocavit.  Per  subtiles  eliam  et  occultos  ductus,  quasi  Deus,  aquam 
«desuper  infundebat,  et  in  supremo  specu  equi  quadrigas  trahenfes  in  circuitu  ibant, 
«  ut  quasi  turrim  moverent  et  tonitrua  simularent.  Filio  igitui'  regno  suo  tradito ,  in 
«  tali  phano  prophanus  residet,  et  juxia  se  crucem  Domini  coUocans  appellari  ab  omni- 
«  bus  se  Deum  jubet.  Et,  sicut  legitur  in  libro  Mitrali  de  officio,  ipso  Cosdroe  in  tbrono 
"  residens  ,  tanquam  Paler,  lignum  crucis  sibi  a  dextris  posuit  loco  Filii,  et  gallum  a  si- 
«  nistris  loco  Spiritus-Sancti  ;  se  vero  jussit  Patrem  nominari. —  L'empereur  Héraclius 
fait  la  guerre  au  fils  de  Chosroès,  détruit  son  armée  et  arrive  à  la  ville  royale.  «  Cosdroe 
"  autem  ignorabat  exitum  belli ,  quia,  cum  ab  omnibus  odiretur,  sibi  a  nemine  intima- 
"  tur.  Héraclius  aulem  ad  eum  pervenit  et  in  tbrono  aureo  eum  sedere  reperiens ,  eidem 
'  dixit  :  Quia  lignum  S.  Crucis  secundum  tuum  modulum  honorasti,  si  baptismum  et 
•  fidem  Christi  susccperis,  adhuc  vilam  et  regnum,  paucis  a  te  acceptis  obsidibus,  ob- 
"  linebis.  Si  autem  hoc  implere  contempseris,  gladio  meo  te  feriam  et  capul  tuum  pres- 
"  cidam.  Cùm  igitur  ille  acquiescere  nollet,  oxtracto  gladio,  eum  prolinus  decollavit,  et, 
oquia  rex  fuerat,  sepeliri  praecepil.  «  (Jacques  de  Vorage,  Legenda  anrea ,  de  Exaltalione 
S.  Crucis.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  563 

Dans  la  seconde  période,  du  ix*"  au  xif  siècle,  les  deux  types 

antérieurs  persistent  \  mais  ils  s'enrichissent  de  deux  motifs 

nouveaux   :  l'un  est  emprunté  à  la  forme  humaine,  l'autre 

aux  formes  géométriques. 

L'anthropomorphisme^,  qui  avait  effarouché  les  premiers 
chrétiens  et  qui  semblait  rappeler  le  paganisme,  ne  trouva 
pas  la  même  résistance  pendant  le  moyen  âge  proprement  dit. 
Une  fois  arrivé  au  ix*"  siècle,  on  n'eut  plus  rien  à  craindre  des 
idées  païennes;  la  mort  en  était  constatée  depuis  longtemps.  Le 
Père  éternel,  dont  on  n'avait  osé  montrer  que  la  main  encore, 
ou  le  buste  tout  au  plus,  se  fit  voir  en  pied.  Cependant  il  ne  prit 
pas  une  figure  spéciale;  mais  il  emprunta  celle  de  son  fils,  et, 
dès  lors,  il  devint  fort  difficile  de  les  distinguer  l'un  de  l'autre. 
Le  Fils  continua  d'apparaître  tel  qu'on  l'avait  vu  sur  la  terre, 
sous  la  forme  d'un  homme  grand,  beau  et  grave,  âgé  de  trente 
à  trente-cinq  ans.  La  colombe  du  Saint-Esprit  quitta  quelque- 
fois aussi  son  enveloppe  d'oiseau ,  pour  prendre  la  forme  hu- 
maine. Comme  le  dogme  déclarait  nettement  que  les  trois  per- 
sonnes étaient  non-seulement  semblables,  mais  égales  entre 
elles,  les  artistes  étendirent  aux  représentations  la  similitude 
et  quelquefois  même  l'égalité  des  hypostases  divines. 

'  Ces  types  durèrent  pendant  tout  le  moyen  âge,  même  en  France,  où  l'on  est  moins 
fidèle  aux  traditions  latines.  Au  portail  occidental  de  la  collégiale  de  Manies,  dans  la  vous 
sure  de  la  porte  centrale,  on  voit  une  Trinité  figurée  par  la  croix  que  portent,  quexalleni 
deux  anges ,  par  le  Père  qui  a  l'âge  et  les  traits  de  son  fds ,  et  par  l'Esprit  en  forme  de  co- 
lojnbe  qui  descend  du  ciel.  Les  sujets  sont  disposés  verticalement,  à  l'extrémité  des  trois 
cordons.  Le  Père  est  au  milieu ,  la  croix  au  bas ,  et  la  colombe  domine  le  tout.  Cette 
sculpture  date  du  xii°  siècle,  peut-être  de  la  fm  du  xf.  C'est  une  disposition  nouvelle  et 
pleine  d'intérêt.  Je  ne  puis  parler  de  féglise  de  Mantes  sans  louer  M.  de  Wavrechin  , 
curé  de  cette  belle  et  ancienne  collégiale,  qui  la  fait  réparer  et  meubler  avec  une 
science  vraiment  archéologique. 

'  Nous  entendons  par  anthropomorphisme ,  non  pas  l'hérésie  de  ce  nom,  mais  lare- 
présenlalion  des  personnes  divines  sous  forme  humaine;  nous  exposons  simplement  un 
fait  et  n'apprécions  pas  une  doctrine. 

71- 


564  INSTRUCTIONS. 

Saint  Dunstan,  archevêque  de  Cantorbéry,  mort  en  908, 
nous  a  laissé  un  manuscrit  où  les  trois  personnes  sont  figurées 
sous  forme  humaine.  Le  Père  et  le  Fils,  habillés  en  rois,  cou- 
ronne en  tête  et  sceptre  en  main,  portent  à  peu  près  trente- 
cinq  ans.  L'Esprit  est  plus  jeune  et  n'a  guère  que  de  dix-huit  à 
vingt-cinq  ans.  C'est  de  la  similitude,  quant  à  la  forme;  mais 
c'est  de  la  différence ,  quant  à  l'âge.  Cette  différence  fmit  par 
disparaître,  et  nous  trouvons  dans  le  manuscrit  d'Herrade,  qui 
date  de  1180,  l'identité  presque  absolue.  Les  trois  personnes 
ont  le  même  âge,  la  même  attitude,  le  même  tempérament, 
le  même  costume.  Où  est  le  Père,  où  est  le  Fils,  où  est 
l'Esprit  dans  cette  Trinité  anthropomorphique?  Par  compa- 
raison avec  d'autres  monuments,  et  en  se  rappelant  les  textes 
bibliques  que  nous  avons  cités,  on  pourrait  croire  que  le  Père 
est  au  centre,  et  qu'il  a  mis  son  Fils  à  sa  droite  et  le  Saint-Esprit 
à  sa  gauche  :  ainsi  le  veut  l'usage  le  plus  constant.  Mais  le 
miniaturiste  semble  avoir  pris  à  tâche  de  dérouter  l'antiquaire 
et  le  théologien;  il  a  tracé  sur  les  pieds  de  la  personne  divine 
des  stigmates  qui  sont  à  peine  visibles  dans  la  miniature  ori- 
ginale ^  Ces  stigmates  ne  peuvent  convenir  qu'au  Christ; 
cependant  il  faut  considérer  que  les  mains  n'en  portent  au- 
cune trace,  et  que,  sur  les  pieds,  ils  affectent  une  forme  assez 
singulière,  celle  d'une  croix,  que  les  clous  n'ont  pu  produire. 
Néanmoins  cette  forme  est  sans  doute  symbolique,  et  nous 
devons  croire  que  la  personne  du  centre  est  Jésus-Christ.  Mais 
où  est  le  Père?  Il  est  impossible  de  le  dire ,  comme  il  est  im- 
possible d'affirmer  que  le  Saint-Esprit  est  plutôt  à  gauche  qu'à 
droite.  H  y  a  donc  là  identité  presque  absolue. 

'  M.  Durand,  mon  dessinateur,  ne  les  avait  pas  remarqués  d'abord;  j'ai  dû  appeler 
son  attention  sur  ce  point  microscopique  et  lui  faire  corriger  son  dessin.  Quelques  er- 
reurs de  ce  genre  se  sont  glissées  dans  les  gravures;  nous  les  signalons,  lorsqu'il  n'a  pas 
été  possible  de  les  faire  disparaître. 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE. 


565 


137.  LA  TRINITE  EN'  TROIS  PERSONNES  HUMAINES  ET  IDENTIQUES. 

Manuscrit  du  xii*^  siùcle  '. 


il  m   [j] 


EMM-PttOVR  AND-C  X-MS-Xi  ,.SEl- 


En  opposition  à  cet  anthropomorphisme  aussi  complet,  aussi 
matériel,  on  représente  la  Trinité  sous  la  forme  la  plus  abs- 
traite et  la  plus  sèche.  On  emprunte  le  triangle  à  la  géométrie. 
C'est  alors  que  le  triangle  où  est  bâti  le  couvent  de  Fleury 
prend  une  signification  mystique;  c'est  alors  que  saint  An- 
gilbert  élève  le  cloitre  de  Saint-Riquicr  sur  un  plan  triangu- 
laire et  pour  honorer  la  Trinité.  Le  triangle,  qui  comprend  trois 
angles  dans  une  seule  aire,  est  l'image  des  trois  personnes  se 
résolvant  dans  un  seul  Dieu. 

La  gloire  éternelle  du  xiif  siècle,  c'est  non-seulement  d'a- 


'  Horlus  deliciarum.  C  esl  h  la  création,  au  moment  où  Dieu  dil ,  avant  de  créer  l'homme, 
Faciamus  hominem  ad  imaginem  et  similitadinem  nostram.  et  prœsit  cunctis  animantibns  terrœ , 
qu'on  voit  cette  Trinité.  Ce  passage  de  la  Genèse  est  écrit  sur  la  banderole  que  les  troi:< 
personnes  tiennent  en  conimim. 


566  INSTRUCTIONS. 

voir  trouvé,  inventé  des  éléments  nouveaux,  qu'il  a  jetés  dans 
le  creuset  où  la  civilisation  chrétienne  et  catholique  se  cristal- 
lisait, en  quelque  sorte,  après  s'être  élaborée  dans  les  siècles 
anlérieurs;  mais  c'est  encore  et  surtout  d'avoir  développé  ce 
qui  n'était  qu'en  germe  aux  époques  précédentes.  Le  mérite 
immortel  de  cette  époque  est  d'avoir  fait  monter  en  tige  ce 
que  les  périodes  précédentes  s'étaient  contentées  de  semer. 
La  sonnette  latine,  nous  l'avons  dit  ailleurs  \  se  fait  cloche 
à  l'époque  romane  ;  mais  elle  devient  bourdon  à  partir  du 
xiii"  siècle.  La  flèche  devient  clocher,  et  se  fait  tour  au  xiii' 
siècle.  Il  en  est  de  même  en  iconographie.  Les  Trinités,  hétéro- 
morphes  sous  la  première  période  et  de  formes  semblables  du- 
rant la  seconde,  subsistent  pendant  la  troisième;  mais  elles  se 
complètent,  se  perfectionnent  et  se  multiplient.  Pour  une  Tri- 
nité latine,  pour  deux  Trinités  romanes,  on  rencontre  peut- 
être  vingt  ou  trente  Trinités  gothiques;  c'est  dans  cette  pro- 
portion qu'on  les  trouve,  même  à  partir  de  la  fin  du  xii^  siècle. 

Alors  on  voit ,  comme  dans  la  première  époque ,  des  Tri- 
nités où  le  Père  se  révèle  par  sa  main;  le  Fils,  par  sa  croix, 
son  agneau  ou  sa  forme  humaine;  le  Saint-Esprit,  par  sa 
colombe.  Comme  dans  ia  première  époque,  les  symboles  de 
ces  trois  personnes  se  groupent  verticalement  ou  horizontale- 
ment. Comme  dans  la  seconde,  nous  avons  des  Trinités  géo- 
métriques et  des  Trinités  anthropomorphiques. 

Mais  la  troisième  période  ne  se  contente  pas  de  multiplier, 
(le  reproduire,  en  nombre  considérable,  les  groupes  trouvés 
antérieurement;  elle  les  modifie  et  les  perfectionne.  Sur  la  croix 
de  l'époque  latine,  on  étendit,  à  l'époque  romane,  le  divin  Cru- 
cifié; de  même  l'égalité  des  personnes  divines,  qui  naît  sous  la 
période  romane,  se  prononça  énergiquementpendant  la  période 

*  Monographie  de  Notre-Dame  de  Brou,  clans  rintroduclion. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  567 

gothique.  Le  manuscrit  d'Herrade  nous  offre  les  trois  personnes 
sous  la  forme  humaine  et  aussi  égales  que  possible.  Cependant 
ces  personnes,  quoique  assises  sur  un  même  trône,  quoique  te- 
nant une  banderole  unique,  quoique  portant  le  même  âge,  sont 
encore  très-distinctes  néanmoins;  elles  sont  rapprochées,  mais 
elles  ne  se  touchent  pas.  Or,  dès  le  xiii^  siècle,  non-seulement 
les  personnes  divines  se  touchent,  mais  elles  sont  adhérentes; 
les  trois  corps  n'en  font  plus  qu'un  seul  portant  trois  têtes, 
lesquelles,  à  leur  tour,  sont  parfaitement  soudées  entre  elles. 

l38.  LES  TROIS   PERSONNES  DIVINES  SOUDEES  L'UNE   À  L'AUTRE. 

Miniature  espagnole,  xtii''  siècle  '. 


Dans  les  représentations  anthropomorphiques,  on  passe, 
pour  ainsi   dire,    de  la  similitude  à  l'identité;  par  contre, 

'   Chronique  d'Isidore  de  Séville,  ms.  de  la  Bibl.  roy.  7 1 35.  On  n'aperçoit  pas  la  troisième 


568  INSTRUCTIONS. 

dans  les  figures  géométriques,  on  distingue  un  peu  plus  que 
ne  l'avait  fait  l'époque  précédente ^  Le  triangle  donne  en  effet, 
aussi  compacte  et  aussi  indistincte  que  possible,  la  triplicité  se 
résolvant  dans  f  unité.  Le  xiii''  siècle  ajoute  un  nouveau  type 
géométrique,  où  la  triplicité  est  plus  visible  et  f  unité  moins  ab- 
solue. Le  cercle  est  pris  comme  f  emblème  de  Dieu,  et  trois  cer- 
cles figurent  les  trois  personnes;  mais,  afin  de  marquer  Funion 
indissoluble  qui  lie  les  trois  personnes  entre  elles, on  enlace  les 
trois  cercles  l'un  dans  fautre,  de  façon  qu'on  ne  peut  soulever 
ni  arracher  f  un  sans  que  tous  les  trois  viennent  ensemble  et 
s'arrachent  à  la  fois.  Le  mot  de  trinité,  par  un  singulier  ha- 
sard, se  décompose  lui-même  en  trois  syllabes.  On  donne  une  de 
ces  syllabes  à  chaque  cercle;  mais  elles  n'ont  de  sens  complet, 
elles  ne  forment  un  mot  qu'en  se  réunissant  :  tri-ni-tas.  Dans 
l'espace  laissé  vide  par  fintersection  des  trois  cercles ,  on  lit 
UNITAS.  Ainsi  donc  l'unité  est  le  centre  d'où  rayonne  la  Trinité. 

tête,  parce  qu'en  plan  ces  trois  têtes  forment  un  trèfle,  et  que  la  troisième  est  cachce 
par  les  deux  têles  qui  se  voient.  Si  le  manuscrit  d'où  est  tiré  ce  dessin  est  espagnol 
comme  le  texte  qu'il  contient,  il  faut  dire  que  le  moyen  âge  de  l'Espagne  est  assez 
différent  du  nôtre  ;  il  est  beaucoup  plus  original  ou  anormal ,  si  on  aime  mieux.  Un 
manuscrit  espagnol  conservé  à  la  bibliothèque  d'Amiens  offre  de  même  des  particu- 
larités fort  bizarres  et  qu'on  ne  trouve  pas  chez  nous. 

'  Dès  le  viii'  siècle ,  lorsqu'on  veut  montrer  l'égalité  des  personnes  divines ,  on  prend 
des  exemples  qui  prouvent  trop;  on  arrive  presque  à  l'identité.  Sainte  Odile,  abbesse  du 
couvent  de  Hohenburg  en  Alsace,  lequel  s'appelle  aujourd'hui  Sainte-Odile,  planta  trois 
tilleuls  en  l'honneur  de  la  Trinité.  Le  récit  de  ce  fait  est  assez  curieux  pour  être  transcrit 
ici.  Un  homme  vint  trouver  la  sainte  et  lui  présenta  trois  rameaux  provenant  d'un  tilleul 
unique;  il  la  pria  de  les  planter  pour  qu'ils  restassent  en  souvenir  d'elle  :  «Et  tulit  (S. 
«  Odilia)  unam  in  manu  sua,  et  ait:  «  In  nomine  Patris  te  planto.  »  Et  accipiens  alteram, 
H  dixit  :  0  Et  in  nomine  Filii.  »  Et  tertiam  tulit  dicens  :  «  Et  in  nomine  Spiritus-Sancti  ;  » 
«  mysterium  Trinitatis  complens.  )>  Les  trois  rameaux  donnèrent  naissance  à  trois  grands 
arbres  entièrement  semblables,  égaux,  à  peu  près  identiques,  et  sous  l'ombrage  des- 
quels les  religieuses  prenaient  le  frais  en  été.  (Voyez,  dans  les  Act.  SS.  Ord.  S.  Benedic. 
W  vol.  la  vie  de  sainte  Odile,  écrite  par  un  anonyme  qui  paraît  être  du  xi'  siècle.  Odile 
est  morte  vers  720.) 


ICONOGRAPHIE  CHRETIENNE. 

iSg.  TRINITÉ  SOUS  LA  FORME  DE  Tl'.OIS  CERCLES. 

Miniature  française,  fin  du  xiif  siècle  '. 


569 


Le  même  manuscrit  comprend  trois  autres  groupes  de  trois 
cercles  outre  celui  qui  précède.  L'un  des  groupes  offre  ces  mots 
distribués  également  dans  chacun  des  trois  cercles  :  Pater- 
FiLius-spiRiTus-SANCTUs,  qui  viennent  se  résoudre  au  centre 
dans  :  Vita  Deus.  On  a,  pour  le  second  :  Verbum  lux  vita,  qui 
aboutissent  vers  le  centre  à  :  Deus  est'^.  Dans  le  troisième,  on 
lit  :  TRI-TRI.  Ni-Ni.  tas-tate;  et,  au  centre  :  unitate-unitas. 
L'unité  diverge  en  trinité,  la  trinité  converge  dans  l'unité. 
Enfin,  en  glose,  on  lit  :  «  Verbum,  lux,  vita  Deus  est.  — Ver- 
«bum,  lux,  vita  Jesus-Christus  est. — Verbum,  lux,  vita  Spi- 
«  ritus-Sanctus  est.  »  Renversez  ces  trois  termes  et  déplacez  les 


'  Manuscrit  de  la  bibliothèque  communale  de  Chartres,  n°  i355,  fin  du  xiii'  siècle. 

*  Dans  ce  groupe,  Verbum  est  à  la  place  où ,  dans  le  précédent,  on  lit  Pater;  c'est  Films, 
qui  répond  à  Lua;,  et  Spiritus-Saiictus  à  Vita.  Cette  disposition  a-t-elle  été  prise  à  dessein  ? 
Il  n'est  guère  possible  de  le  croire;  car,  si  le  Fils  peut  être  appelé  la  Lumière  et  le  Saint- 
Esprit  la  Vie,  le  Père  n'est  pas  spécialement  le  Verbe.  En  attribuant,  au  contraire,  le 
Verbe  au  Fils,  la  lumière  au  Saint-Esprit  et  la  vie  au  Père,  on  rentre,  à  peu  près,  dans 
la  définition  que  nous  avons  donnée  des  personnes  divines. 

72 


INSTRUCTIONS.  —  II. 


570  INSTRUCTIONS. 

attributs ,  vous  arriverez  en  résultat  à  ce  dogme  :  Deus  trmiis 
iinus.  Ces  figures  ne  sont  donc  que  la  traduction ,  sous  forme 
géométrique,  du  symbole  de  saint  Atbanase. 

Le  génie  subtil  de  Dante  devait  adopter  facilement  de  pa- 
reilles formules  géométriques.  Le  grand  poëte  termine  en  effet 
le  Paradis  par  les  strophes  suivantes,  où  l'unité  et  la  trinité 
divines  sont  exposées  en  magnifique  langage. 

"  Dans  la  profonde  et  claire  substance  de  la  haute  lumière 
m'apparurent  trois  cercles,  de  trois  couleurs  et  d'une  seule  di- 
mension. Et  l'un  paraissait  reflété  par  l'autre  comme  Iris  par 
Iris  ^  ;  et  le  troisième  paraissait  un  feu  qui  s'exhalait  deçà  et 
delà^...  0  lumière  éternelle  qui  résides  seule  en  toi,  qui  seule  te 
comprends  ;  et,  comprise  de  toi  et  te  comprenant,  t'aimes  et  te 
souris  !  Ce  cercle ,  qui  paraissait  conçu  en  toi  comme  une  lumière 
reflétée,  lorsque  je  l'eus  un  peu  parcouru  des  yeux,  me  parut 
avoir  au  dedans  de  lui  notre  effigie  peinte  de  sa  propre  couleur^. 
C'est  pourquoi  ma  vue  plongeait  tout  entière  en  lui.  Tel  que 
le  géomètre  qui  s'applique  tout  entier  à  mesurer  le  cercle  et 
ne  retrouve  pas  dans  sa  pensée  le  principe  dont  il  a  besoin,  tel 
j'étais  à  cette  vue  nouvelle.  Je  voulus  voir  comment  l'image 
s'unissait  au  cercle  et  comment  elle  y  était  adaptée;  mais  mes 
propres  ailes  n'étaient  pas  de  force  à  cela,  si  mon  esprit  n'avait 
été  frappé  d'une  clarté  dans  laquelle  son  désir  fut  satisfait^.  » 

On  a  souvent  répété  que  le  génie  de  Dante  s'était  re- 
produit dans  celui  de  Michel-Ange.  Le  tableau  du  Jugement 
dernier  a  paru  avec  raison  une  traduction ,  par  la  ligne  et 

'   Le  Fils  par  le  Père  :  Lumen  de  lamine. 

'  L'Esprit-Saint  :  Qui  ex  Paire  Filioquc  procedit. 

"  C'est  l'effigie  de  Jésus-Christ.  Le  poëte  italien  a  dessiné  un  portrait  où  l'auteur  sco- 
lastique  de  Chartres  a  écrit  un  mot.  Idée  analogue  en  deux  langages  différents. 

'  Danle,  Divine  Comédie,  Paradis,  chantxxiii ,  à  la  lin,  (Voyez  la  traduction  de  M.  Bri- 
zeux ,  in-12.  Paris,  i8i4i.) 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  571 

la  couleur,  du  sombre  et  glorieux  poëme  écrit  et  chanté  yjar 
Dante.  Les  deux  illustres  Florentins  nous  apparaissent  comme 
deux  frères  jumeaux.  On  a  bien  remarqué  les  traits  pareils 
qui  les  faisaient  de  la  même  famille,  mais  on  a  complète- 
ment négligé  un  fait  qui  porte  leur  ressemblance  jusqu'au 
plus  haut  degré  ;  ou  plutôt  on  l'a  vu  ce  fait ,  mais  on  ne  l'a 
pas  compris.  Vasari,  qui  a  vécu  assez  familièrement  avec  Mi- 
chel-Ange, s'y  est  trompé  lui-même.  On  lit  en  effet  dans  la  vie 
du  sublime  artiste:  «Michel-Ange,  pendant  la  plus  grande 
partie  de  sa  vie,  s'était  servi  d'un  cachet  portant  femblème  de 
trois  cercles  entrelacés.  Sans  doute  il  voulait  donner  à  en- 
tendre par  là  qu'il  existe  une  union  si  intime  et  si  nécessaire 
entre  la  peinture,  la  sculpture  et  l'architecture,  qu'elles  ne 
doivent  jamais  se  séparer.  Les  académiciens  \  jugeant  qu'il 
était  parvenu  au  plus  haut  degré  dans  les  trois  arts  du  dessin, 
changèrent  ces  trois  cercles  en  trois  couronnes  et  y  joignirent 
cette  devise  :  Tergeminis  tollit  honoribus^.  » 

Je  ne  puis  partager  l'opinion  de  Vasari.  D'abord  je  com- 
prendrais difficilement  Michel-Ange  portant  constamment  sur 
lui ,  par  un  orgueil  puéril ,  la  preuve  qu'il  excellait  dans  les 
trois  arts  du  dessin;  ensuite,  quand  on  compare  ce  texte  avec 
celui  de  Dante  et  avec  nos  trois  cercles  de  Chartres,  on  voit 
que  ce  prétendu  cachet  n'était  pas  un  monument  d'orgueil, 
mais  de  foi.  C'était  une  bague  où  le  symbole  de  saint  Athanase 
avait  été  tracé  au  compas;  c'était  un  Credo  géométrique.  Va- 
sari a  pu  s'y  tromper  et  les  académiciens  de  Florence  égale- 
ment, mais  la  pensée  du  taciturne  et  de  l'impénétrable  artiste 
s'élevait  à  une  portée  bien  différente  de  celle  que  lui  prêtaient 
ses  compatriotes  et  ses  contemporains.  Michel-Ange  avait  d'ail- 

'  Ceux  de  Florence,  lors  des  pompeuses  funérailles  qu'ils  firent  à  Michel-Ange. 
"  Vasari,  Vies  des  Peintres,  Vie  de  Michel-Ange,  trad.  de  MM.  Leclanché  et  Jeanron 

72. 


572  INSTRUCTIONS. 

leurs  un  autre  cachet,  à  savoir  la  fameuse  pierre  gravée,  ce 
précieux  monument  de  l'antiquité  où ,  sur  un  très-petit  champ , 
on  voit  quinze  figures  humaines ,  deux  animaux,  un  arbre  en- 
touré d'une  vigne  et  un  rideau. 

Les  trois  cercles,  extension  et  complément  du  triangle ,  furent 
inventés  au  xiii''  siècle  et  persistèrent  jusqu'au  xvl^  Pendant 
cette  période,  qui  s'ouvre  à  la  fin  du  xv%  dure  jusqu'au  xvii% 
et  embrasse  la  renaissance  entière ,  tous  les  types  antérieurs 
sont  admis  à  peu  près  au  même  rang  et  reçus  avec  les  mêmes 
honneurs;  c'est  une  époque  de  synchrétisme  pour  toutes  choses. 
On  est  païen  et  chrétien  au  même  degré,  monarchique  et  ré- 
publicain d'égale  force;  en  art  plastique,  comme  en  politique, 
comme  en  croyance  religieuse ,  on  reçoit  tout  ce  qui  se  pré- 
sente. La  renaissance  ajoute  au  passé  quelque  peu  de  nou- 
veau ,  mais  avant  tout  elle  donne  droit  de  cité  à  ce  qu'on  a  fait  et 
pensé  depuis  que  le  monde  existe ^  Aussi  retrouvons-nous,  dans 
les  monuments  figurés  de  ce  temps,  des  exemples  de  toutes  les 
Trinités  que  nous  avons  signalées.  Les  époques  latine,  ro- 
mane et  gothique,  s'empressent  d'offrir  à  la  renaissance,  qui 
les  accueille  tous,  les  types  qu'elles  ont  créés  ou  modifiés. 

Les  symboles  de  la  première  époque,  la  main  du  Père,  la 
croix  du  Fils,  la  colombe  de  l'Esprit,  reviennent  à  la  renaivS- 
sance,  mais  avec  les  développements  que  l'on  y  ajouta  du  ix*" 


'  Celte  époque  de  la  renaissance  s'inspire,  on  le  dirait,  du  génie  des  Romains,  dont 
elle  cherche  à  ressusciter  la  civilisation.  Les  empereurs  romains,  dans  leur  tolérance 
universelle  pour  les  religions ,  donnaient  le  droit  de  bourgeoisie  aux  divinités  de  tous 
les  peuples,  et  l'on  sait  que  l'empereur  Alexandre  Sévère  avait  placé  dans  son  laraire 
les  images  du  Christ,  d'Apollonius  de  Tyane,  d'Orphée  et  d'Abraham,  à  côté  de  cellea 
des  meilleurs  princes  et  des  plus  célèbres  philosophes.  A  ces  personnages ,  fort  étonnés 
de  se  trouver  ensemble ,  Sévère  rendait  un  hommage  religieux.  La  renaissance  honora 
également  les  idées  les  plus  discordantes  entre  elles  et  les  individus  les  plus  opposés, 
même  les  plus  ennemis. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  573 

au  xif  siècle.  Le  Père  montre  sa  tête,  son  buste ,  son  corps  tout 
entier;  la  croix  porte  le  Crucifié,  et  la  colombe  se  jDose  sur  la 
tête  ou  sur  la  main  de  TEsprit,  qu'elle  symbolise.  Cette  der- 
nière addition  appartient  spécialement  à  la  renaissance,  tandis 
que  les  deux  époques  précédentes  revendiquent  les  deux  autres. 
Du  reste,  il  est  fort  rare  de  rencontrer  le  Saint-Esprit  sous 
forme  bumaine  et  sous  forme  de  colombe  tout  à  la  fois;  rien 
de  moins  fréquent  que  de  voir,  dans  un  même  monument,  la 
troisième  personne  divine  s'envelopper  dans  son  double  sym- 
bole d'bomme  et  d'oiseau.  Nous  n'en  connaissons  jusqu'à  pré- 
sent  que  trois  exemples,  et  nous  en  avons  donné  deux^ 

De  même  qu'à  la  colombe  de  l'époque  latine  on  ajoute 
riiomme  de  l'école  romane,  pour  figurer  le  Saint-Esprit;  de 
même  aussi,  pour  représenter  la  Trinité  entière,  on  unit  le 
triangle  roman  au  cercle  gothique  dont  nous  avons  parlé.  On 
enlace  l'une  dans  l'autre  ces  deux  figures  géométriques,  et  l'on 
obtient  ainsi  la  formule  la  plus  complète  de  l'unité  de  la  subs- 
tance circonscrivant  la  triplicité  des  personnes.  Bien  plus, 
comme  si  la  figure  ne  donnait  pas  une  idée  suffisante  de  la  divi- 
nité, on  la  fait  tenir  par  Dieu  lui-même.  L'explication  vivante, 
en  quelque  sorte ,  de  cette  abstraction  géométrique  est  donc  ce 
vieillard  qui  mesure  de  ses  bras,  comme  avec  les  branches  d'un 
compas,  le  diamètre  du  cercle  éternel,  l'aire  de  l'unité  divine 
dans  laquelle  vient  s'inscrire  le  triangle  des  trois  personnes  ^ 

'  Planches  126  et  i5o,  pages  5o8  et  6o5.  Le  troisième  exemple  m'a  été  signalé  par 
M.  Duscvel  d'Amiens.  On  y  verrait  chaque  personne  divine  sous  forme  humaine  et  te- 
nant son  attribut  symbolique  sur  ses  genoux.  Le  Père  aurait  un  triangle  ;  le  Fils  une  croix , 
et  l'Esprit  une  colombe.  Ce  curieux  sujet  serait  peint  dans  un  manuscrit  du  xv'  siècle 
qui  est  en  la  possession  de  M.  Dusevel,  J'aurais  fait  graver  ce  dessin,  si  j'en  avais  eu 
connaissance  plus  tôt. 

'  Il  y  a  plus  de  dignité  à  figurer  ainsi  Dieu  qui  mesure  le  monde  qu'à  le  montrer 
tenant  à  la  main  un  compas,  ainsi  que  la  planche  i/ig  nous  le  fera  voir  plus  bas, 
page  600.  La  renaissance,  quoi  qu'on  dise,  a  jeté  dans  les  idées  et  dans  leur  exprès- 


574 


liNSTRUGTlOlSS. 

l/iO.  —  LA  TRIPLICITÉ  DIVINE   INSCRITE  DANS  L'UNITE. 

Gravure  ailemamle,  xvi'^  siècle  '. 


Quant  aux  Trinités  dont  les  personnes  ont  toutes  trois  la 
forme  humaine,  type  que  nous  avons  vu  poindre  au  ix^  siècle 
et  se  continuer  jusqu'à  la  fm  du  xiii%  pendant  la  période  ro- 
mane ,  c'est  aux  xv^  et  xvi^  siècles  surtout  que  nous  en  remar- 

sion  une  noblesse  que  h  moyen  âge,  en  France  particulièrement,  ne  montrait  que  trop 
rarement. 

Ce  dessin  reproduit  une  gravure  de  la  fin  du  xvi'  siècle,  composée  et  gravte  par 
Malheus  Gruter;  elle  appartient  à  M.  Guénebault,  qui  a  bien  voulu  me  la  communiquer. 
(Voir  l'œuvre  de  Gruter  à  la  Bibl.  roy.  au  cabinet  des  estampes.)  On  remarquera  le  nimbe 
rayonnant,  en  dents  de  scie,  qui  environne  la  tête  de  Dieu,  et  l'auréole  de  forme  sem- 
blable qui  entoure  une  partie  de  son  corps. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  575 

quons  le  développement  complet.  Nous  avons  déjà  donné  divers 
exemples  auxquels  nous  renvoyons  et  que  nous  allons  aug- 
menter encore.  La  Chronique  d'Isidore  de  Séville  nous  a  fourni 
une  trinité  antbropomorphique  offrant  les  têtes  des  personnes 
divines  qui  animent  un  corps  unique;  mais  ces  têtes  sont  dis- 
tinctes ,  quoique  soudées.  Dans  l'exemple  suivant ,  au  con- 
traire, les  têtes  sont  plus  que  juxtaposées,  plus  qu'adhérentes, 
plus  que  soudées;  elles  se  mêlent,  elles  se  confondent,  et  n'of- 
frent plus  qu'un  seul  crâne  pour  trois  visages. 


vlxi. 


LES  TROIS  VISAGES  DE   I,A  TRIMTK  SUR  UNE  SEULE  TETE  ET  SUR  UN   SEUL  CORPS. 
Image  française,  .\vi°  siècle'. 


Ici  la  représentation  de  la  Trinité  est  aussi  complète  que  pos- 
sible. Outre  le  triple  visage  qui  donne  l'explication  du  triangle 

Cette  représentation  se  voit  particulièrement  dans  un  livre  d'Heures ,  imprimé  sur 


576  INSTRUCTIONS. 

échancré  aux  coins  par  les  trois  cercles  appartenant  aux  trois 
personnes  divines,  nous  avons  une  légende  qui  sert  de  glose  et 
qui  traduit  la  différence  en  même  temps  que  l'égalité  des  trois 
hypostases.  La  différence  se  lit  sur  les  côtés  du  triangle,  et 
l'égalité  vient  converger  au  cœur,  dans  un  cercle  semblable  à 
ceux  des  coins.  On  voit  sur  les  côtés  :  «  Le  Père  n'est  pas  le 
Fils.  Le  Père  n'est  pas  l'Esprit  saint.  L'Esprit  saint  n'est  pas 
le  Fils.  »  —  Mais,  en  allant  des  coins  au  centre,  on  lit  :  «  Le 
Père  est  Dieu.  Le  Fils  est  Dieu.  L'Esprit  saint  est  Dieu.  » 

Ce  curieux  sujet  nous  fait  passer  des  représentations  pure- 
ment géométriques  aux  représentations  purement  humaines 
ou  anthropomorphiques. 

C'est  l'époque  romane  qui  a  créé  cette  manière  de  figurer 
les  trois  personnes  sous  la  forme  humaine,  le  Père  aussi  bien 
que  le  Fils,  l'Esprit  aussi  bien  que  l'un  et  l'autre.  Nous  avons 
cité  le  manuscrit  de  saint  Dunstan,  et  nous  avons  donné  une 
miniature  du  manuscrit  d'Herrade;  mais  nous  devons  ajouter 
qu'au  philosophe  Abailard  les  trois  personnes  apparaissaient 


vélin, à  Paris,  en  ib2li ,  par  Simon  Vostre.  Du  reste  elle  est  très-fréquente  à  partir  du 
XV'  siècle;  on  la  voit  sculptée  à  Bordeaux,  dans  une  maison  qu'on  prétend  avoir  été 
habitée  par  Montaigne,  dans  la  rue  des  Bahutiers.  Cette  sculpture  occupe  le  tympan 
extérieur  de  la  porte  d'entrée.  On  y  distingue  le  triangle  et  les  inscriptions  ,  mais  les  trois 
visages  et  les  quatre  attributs  des  évangélistes  ne  s'y  trouvent  pas;  notre  dessin  est  le  plus 
complet  de  ce  genre,  M.  Albert  Way,  directeur  de  la  Société  des  antiquaires  de  Londres 
et  correspondant  du  comité  des  arts  et  monuments,  me  fait  savoir  que,  dans  les  comtés 
de  Norfolk,  de  Suffolk  et  dans  l'Essex,  on  rencontre  souvent  des  Trinités  géométriques 
comme  celle  de  Bordeaux.  Ces  représentations  se  remarquent  aux  portails  des  églises, 
assez  souvent  sur  les  dalles  tumulaires,  quelquefois  sur  les  vitraux;  elles  sont  toutes  des 
xv"  et  xvi°  siècles,  et  tracées  sur  des  écussons,  en  guise  d'armoiries.  C'est  uniquement, 
à  ce  qu'on  assure,  dans  la  partie  orientale  de  l'Angleterre  qu'on  trouve  ce  sujet;  on  ne 
l'a  vu  ni  dans  le  Nord  ni  dans  l'Ouest.  Cette  remarque  peut  être  précieuse,  non-seu- 
lement pour  l'archéologie,  mais  encore  pour  l'histoire  proprement  dite.  Ce  qui  est  fré- 
quent chez  nous ,  est  rare  en  Angleterre,  et  n'existe  chez  nos  voisins  que  dans  les  comtés 
qui  regardent  la  Franco ,  ou  qui  ont  été  les  premiers  occupés  par  les  Normands. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  577 

ainsi,  et  qu'il  les  avait  fait  sculpter  toutes  trois  sous  forme  liu- 
maine  dans  Tabbaye  du  Paraclet.  «  Il  paraît  à  remarquer,  dit  le 
père  Mabillon ,  qu'Abailard  fit  sculpter  dans  une  seule  pierre  les 
trois  personnes  delà  très-sainte  Trinité,  à  laquelle  l'oratoire 
de  ce  lieu  (le  Paraclet)  est  consacré.  On  les  voit  sous  la  figure 
et  avec  la  stature  humaine,  manière  inaccoutumée  et  digne 
d'un  homme  original  en  tout^  »  Le  Père  était  au  milieu,  le 
Fils  à  droite,  l'Esprit  à  gauche  et  tenant  ses  mains  en  croix 
sur  sa  poitrine. 

Il  était  hardi  de  représenter  en  homme  le  Père  éternel,  qu'on 
n'avait  pas  vu  ;  mais  il  y  avait  un  excès  d'audace  à  faire  un 
homme,  et  un  homme  sans  ailes,  du  Saint-Esprit,  qui  ne  s'était 
manifesté  que  sous  la  forme  d'une  colombe.  Aussi  fépoque 
gothique  proprement  dite ,  celle  qui  s'écoule  de  la  lin  du 
xii*"  siècle  à  la  fin  du  xiv%  abandonna  presque  complètement 
ce  type  inventé  par  les  artistes  romans;  mais  au  déclin  du  go- 
thique, à  l'aurore  et  pendant  toute  la  durée  de  la  renaissance, 
on  revint  à  cette  manière  de  traiter  les  hypostases. 

A  l'exception  de  la  miniature  empruntée  au  manuscrit  d'Her- 
rade,  les  dessins  que  nous  avons  donnés  et  ceux  que  nous 
allons  offrir  encore  sont  tous  des  xv^  et  xvi"  siècles;  et  même, 
circonstance  singulière,  c'est  que  la  Trinité  sculptée  par  ordre 
d'Abailard,  telle  que  Mabillon  la  décrit,  appartient  au  xv!*"  siècle 
et  non  au  xii^.  Il  est  possible  que  le  groupe  dont  parle  Mabil- 
lon en  ait  remplacé  un  autre  ancien  et  plus  ou  moins  sem- 
blable à  celui  que  le  savant  bénédictin  avait  pu  voir,  mais  ce 


'  Annales  benedict.  vol.  VI,  p.  85,  n"  ili.  Mabillon  se  trompe.  Cette  manière  de  figu- 
rer la  Trinité  n'élail  pas  insolite,  puisque,  dès  le  ix'  siècle,  des  monuments  représentent 
ainsi  les  personnes  divines,  et  que  d'innombrables  monuments  desxv°etxvi'  siècles  nous 
les  offrent  sous  la  même  forme.  Nous  allons  revenir,  dans  un  instant,  sur  ce  texte  de  l'il- 
lustre bénédictin. 

INSTRUCTIONS. 11.  76 


578  INSTRUCTIONS. 

dernier  ne  pouvait  être  contemporain  d'Abailard.  En  effet,  le 
Père  était  en  empereur,  portant  un  gîobe  à  la  main  et  une  cou- 
ronne fermée  sur  la  tête.  Il  était  vêtu  d'une  aube,  d'une  étole 
croisée  et  fixée  sur  la  poitrine  par  une  ceinture,  et  d'une  chape 
qui  s'étendait  aux  deux  autres  personnes  qu'elle  allait  couvrir 
pour  figurer  l'unité  divine.  De  l'agrafe  de  ce  manteau  tom- 
bait une  banderole  où  on  lisait  :  «  Tu  es  mon  Fils.  »  Celui-ci 
était  à  la  droite  du  Père  et  portait  une  aube  semblable  à  la 
sienne  ;  mais  il  n'avait  pas  de  ceinture.  Il  tenait  à  la  main  la 
croix  qu'il  appuyait  contre  sa  poitrine.  Vers  la  gauche  pendait 
une  banderole  avec  ces  mots  :  «  Tu  es  mon  Père.  «  A  gauche 
du  Père  était  le  Saint-Esprit,  portant  une  aube  pareille,  croi- 
sant ses  mains  sur  sa  poitrine  et  tenant  ces  mots  :  «  Je  suis  le 
souffle  de  l'un  et  de  l'autre.  »  Le  Fils  portait  une  couronne  d'é- 
pines, le  Saint-Esprit  une  couronne  d'olivier.  Tous  deux  re- 
gardaient le  Père  qui,  seul  des  trois,  avait  une  chaussure.  A 
tous  trois  étaient  le  même  visage,  la  même  physionomie, 
la  même  formel  Excepté  l'étole  croisée,  qui  appartient  au 
Fils  et  lïoii  pas  au  Père^,  tous  ces   caractères  désignent  un 

M  Videlur  hic  observare  trium  sanclissimae  Trinitatis ,  cui  dedicatum  ejus  loci  orato- 
«  rium  est  (leParaclet) ,  personarum  extantes  figuras  ad  humanam  staturam,  ex  uno  la- 
«  pide  fabrefactas,  quas  Abailardus  ipse  fabricari  curavit,  insolito,  ut  in  omnibus  inso- 
"litus  erat,  modo.  Pater  in  medio  positus  est  cum  toga  talari,  slola  e  collo  pendente  et 
«  ad  pectus  decussata,  atque  ad  cingulum  adstricta  ;  cum  corona  clausa  in  capile  et  globo 
«in  sinistra  manu;  pallie  supei'indulus,  quod  ad  duas  bine  inde  personas  extenditur, 
«  cujus  a  fibula  pendet  lambus  deauratus  bis  verbis  adscriptis:  Filius  meus  es  lu.  Ad  Pa- 
«  tris  dexteraiti  slat  Filius  cum  simili  toga,  sed  absque  cingulo,  babens  in  manibus  cru- 
'^  cem  pectori  appositam ,  et  ad  sinistram  partem  lambum  cum  bis  verbis  :  Pater  meus 
«  es  tu.  Ad  sinistram  extat  Spiritus-Sanctus,  consimili  toga  indu  tus,  decussalas  super  pec- 
"  tus  babens  manus  cum  boc  dicto  :  Ego  utriusque  spiraculum.  Filius  coronam  spineam, 
«  Spiritus-Sanctus  olearem  gerit.  Uterque  respicit  Palrem ,  qui  calceatus  est,  non  dua;  aliae 
"  personai.  Eadem  in  tribus  vultus,  species  et  forma.  »  [Annales  benedict.  vol.  VI,  p.  85, 
n°  là.) 

Le  Fils  est  prêtre  selon  l'ordre  de  Melcbisédecli  ;  le  Fils  est  pontife  et  victime  tout  à 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  579 

monument  du  xv!""  et  non  du  xii''  siècle.  La  couronne  d'épines, 
dans  les  monuments  où  est  figurée  la  Trinité,  la  croix  entre 
les  mains  du  Fils,  la  couronne  fermée  sur  la  tête  du  Père,  la 
chape  d'où  pend  une  banderole  et  qui  couvre  les  trois  per- 
sonnes à  la  fois,  tout  cela  n'est  pas  antérieur  à  la  lin  du 
xv^  siècle.  Nous  avons  des  Trinités  contemporaines  d'Abailard, 
et  pas  une  n'obéit  au  signalement  donné  par  Mabillon;  nous 
possédons  et  nous  avons  reproduit  des  Trinités  des  xv""  et 
xvf  siècles,  et  les  caractères  qui  les  distinguent  viennent  se 
ranger  au  nombre  de  ceux  qu'on  attribue  à  la  Trinité  d'Abai- 
lard. 

La  renaissance  et  la  fin  du  gothique  affectionnèrent  donc 
cette  représentation  anthropomorphique  de  la  Trinité.  Ce  type 
fut  très-multiplié  ;  il  dut,  en  conséquence,  subir  de  nombreuses 
modifications.  Pour  nous  en  tenir  à  celles  qui  ont  affecté  les 
trois  têtes  divines  portées  par  un  corps  unique,  nous  ajoute- 
rons, à  ce  que  nous  avons  déjà  dit,  que  les  têtes,  distinctes 
d'abord  et  isolées,  puis  en  contact,  puis  adhérentes,  puis 
soudées  intimement,  finirent  par  se  confondre  dans  un  seul 
cerveau.  La  tête  fut  unique  alors,  mais  les  trois  faces  étaient 
distinctes,  parce  qu'il  fallait  au  moins  marquer  la  triplicité 
des  figures.  Cependant  quatre  yeux  d'abord,  puis  trois ^ ,  puis 

la  fois.  De  là  vient  que  nous  le  voyons  quelquefois  disant  la  messe;  souvent  habillé  en 
évêque,  très-souvent  portant  par-dessus  l'aube  l'élole  croisée  comme  les  prêtres  la  por- 
tent sous  leur  chasuble.  H  n'en  est  pas  ainsi  du  Père.  Mabillon  a  bien  pu  prêter  au  Père 
ce  qui  convient  au  Fils  ,  puisqu'il  s'est  trompé  de  quatre  siècles  sur  la  date  du  monument 
qu'il  décrit. 

'  Il  paraît  qu'en  Bretagne ,  à  Saint-Pol-de-Léon ,  une  Trinité  serait  sculptée  sur  une  clef 
de  voûte,  et  montrerait  trois  ligures  n'ayant  que  trois  yeux  en  tout.  On  comprend  bien 
que  quatre  yeux  et  même  deux  puissent  être  placés  convenablement  et  assez  naturelle- 
ment sur  trois  visages  soudés,  et  dont  un  se  verrait  de  face,  tandis  que  les  deux  autres 
apparaîtraient  de  trois  quarts  ou  de  profil  ;  mais  on  ne  peut  aisément  distribuer  trois 
yeux  seulement  sur  trois  ligures.  Il  faut,  pour  cela,  montrer  ces  figures  non  plus  en 

73. 


580  INSTRUCTIONS. 

deux  seulement  furent  percés  dans  ces  trois  visages,  et  Ton 
tomba  enfin  dans  l'unité  presque  absolue,  tout  en  conservant 
une  apparence  de  Trinité.  Trois  visages,  mais  avec  deux  yeux 
seulement,  un  seul  front  et  un  seul  corps,  c'est  une  bien  faible 
indication  de  la  Trinité. 


i^a. 


TROIS  VISAGES  DIVINS  A  DEUX  YEUX  ET  UN  SEUL  CORPS. 
Miniature  française,  xvi"  siècle  ^ 


D'ailleurs  on  tombait  dans  le  monstrueux.  Les  allégoristes 
ont,  il  est  vrai,  leurs  licences  toutes  particulières,  et  on  leur 

élévation  ou  verticalement,  mais  horizontalement  ou  en  plan.  C'est  etfectivement  ce 
qu  on  a  fait  à  Saint-Pol-de-Léon.  Il  faut  dire  que  ces  trois  yeux,  ces  trois  bouches  et  ces 
trois  nez  sculptés  sur  la  clef  en  forme  de  trèfle  qui  s'agrafe  à  la  voûte  de  l'église  de  Saint- 
Pol,  désignent  bien  une  Iriplicité,  mais  que  Dieu  n'y  est  peut-être  pour  rien  ;  c'est  pro- 
bablement un  pur  caprice  de  l'artiste,  qui  aura  voulu  réunir  trois  objets  tels  quels  dans 
un  champ  unique. 

Manuscrit  du  roi  Henri  II,  Bibl.  roy.  Ici  la  Trinité  est  représentée  créant  le  monde, 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  581 

permet,  comme  aux  poètes,  des  métaphores  audacieuses;  mais 
une  métaphore  sculptée  ou  peinte  n'a  pas  plus  d'autorité  qu'une 
figure  de  rhétorique.  Cependant  la  hardiesse  ne  connaissait  pas 
de  bornes,  et  plus  la  matière  sur  laquelle  s'exerçait  l'imagina- 
tion avait  d'importance,  plus  l'audace  pouvait  entraîner  dans 
de  graves  conséquences.  Saint  Christophe  porta  l'enfant  Jésus 
sur  ses  épaules  pour  lui  faire  traverser  un  bras  de  mer  tempé- 
tueux; c'est  le  Christ,  c'est  la  seconde  personne  de  la  Trinité 
que  porte  le  saint,  et  non  pas  la  Trinité  elle-même.  Cependant 
une  sculpture  du  xv^  siècle,  qui  se  voit  encore  dans  l'église  de 
Sedgeford,  en  Angleterre,  présente  le  géantChristophe  portant 
le  petit  Jésus,  un  enfant  de  trois  ans,  sur  ses  épaules.  Mais  cet 
enfant  n'est  pas  Jésus  seulement,  c'est  toute  la  Trinité,  car  trois 
têtes  s'élèvent  sur  ce  petit  corps  unique.  Ainsi  voilà  le  Christ 
qui  fait,  à  lui  seul,  la  Trinité  tout  entière  ^ 

ainsi  que  l'indique  l'évangile  de  saint  Jean,  dont  on  voit  l'aigle  dominant  un  cartouche 
où  se  lit  :  In  principio  creavit  cœlum  et  terram.  L'aigle,  attribut  d'un  apôtre,  est  nimbé; 
symbole  d'un  évangéliste,  il  porte  une  écritoire  dans  son  bec.  L'aigle  ne  s'est  pas  toujours 
contenté  de  tenir  l'écritoire,  un  des  instruments  matériels  destinés  à  fixer  la  pensée. 
Aux  anciennes  époques ,  il  inspire  directement,  il  dicte  cette  pensée  même ,  ainsi  que  font 
l'ange  de  saint  Matthieu ,  le  lion  de  saint  Marc  et  le  bœuf  de  saint  Luc.  Mais  nous  sommes 
au  xvi"  siècle,  et  alors  les  attributs  des  évangélistes  sont  de  simples  domestiques,  et  non 
plus  des  génies  inspirateurs. 

'  Je  dois  à  l'obligeance  de  M.  Thomas  Wright,  antiquaire  anglais,  correspondant  de 
l'Institut  de  France  et  du  comité  des  arts  et  monuments ,  communication  d'un  des.sin  très- 
fidèle  représentant  ce  saint  Christophe  qui  tient  sur  ses  épaules  l'enfant  Jésus  à  trois  fêles. 
Une  seule  des  trois  têtes  porte  un  nimbe;  les  deux  autres  sont  privées  de  cet  ornement 
distinctif.  Il  faut  ajouter  en  outre  que  ces  têtes,  couvertes  d'un  badigeon  qu'on  vient 
d'enlever,  sont  assez  indistinctes  aujourd'hui.  M.  le  baron  Taylor,  auquel  ce  dessin  a  été 
communiqué,  croit  avec  raison  que  deux  de  ces  têtes  sont  probablement  un  essai,  un 
repentir  du  peintre.  L'artiste  aura  essayé  à  trois  reprises  différentes  de  poser  la  tête  sur 
le  corps  de  l'enfant  qu'il  venait  de  dessiner,  et  c'est  à  la  troisième  fois  seulement  qu'il 
se  sera  arrêté  :  de  là  ces  trois  têtes.  Cette  explication  est  fort  plausible  et  nous  l'adop- 
tons volontiers.  Cependant  nous  ferons  remarquer  que  la  tête  définitive,  celle  qui  porte 
le  nimbe,  est  plus  indistincte  que  les  deux  autres  encore  :  celles-ci  ont  parfaitement 
tracés  les  yeux  et  la  bouche,  qu'on  ne  voit  pas  dans  la  première.  D'ailleurs  le  fait  que 


582  INSTRUCTIONS. 

On  alla  plus  loin  encore,  mais  en  partant  de  la  même  idée. 
La  seconde  personne  de  la  Trinité,  le  Fils  de  Dieu,  est  des- 
cendue seule  dans  le  sein  de  Marie  :  ni  le  Père,  ni  l'Esprit  ne  se 
sont  incarnés  dans  les  entrailles  de  la  Vierge.  Cependant  un 
manuscrit  de  la  fin  du  xiv''  siècle  renferme  une  prière  adressée 
à  Marie,  et  dont  l'écriture  paraît  dater  du  xv°.  On  lit  dans 
cette  prière,  qui  est  assez  remarquable,  le  passage  suivant: 
«Si  vous  souveigne,  doulce  dame,  de  la  doulce  annunciacion 
que  le  Sauveur  de  tout  le  monde  vous  envoya  quand  il  se 
voulut  tant  humilier  que  il  voulut  en  vous  descendre  et  en 
vos  précieulx  dans  prendre  cher  humaine,  pour  nous  povres 
pécheurs  rachepter.  Vuelliés  ouvrir  les  oreilles  de  vostre 
très-grant  doulceur  à  escouter  les  prières  de  moy  povre  pé- 
cheresse, quant  pour  les  pécheurs  se  voust  en  vous  herbergier 
le  Père,  leFilz  et  le  Seint-Esperit.  Pour  quoy,  doulce  dame,  à 
vous  appartient  estre  advocate  aux  povres  pécheurs,  et  par 
quoy  vous  estes  la  chambre  de  toute  la  Trinité  \  » 

Dès  la  fin  du  xiv^  siècle ,  ou  vers  le  commencement  du  xv^ 
on  avait  fait  du  sein  de  Marie  la  chambre  de  toute  la  Trinité, 
et  le  chancelier  Gerson  n'avait  pu  retenir  son  indignation  en 
voyant  dans  l'église  des  Carmes,  à  Paris,  un  tableau  où  l'on 
avait  figuré  ce  que  le  texte  de  Troyes  disait  environ  cent  ans 
plus  tard.  «  On  se  doit  bien  garder,  s'écrie  Gerson  ^,  de  paindre 

présente  la  peinture  de  Sedgeford,  pour  être  étrange,  n'est  pas  unique,  et  nous  avons 
une  foule  d'exemples  démontrant  que  le  Christ  a  été  figuré  absorbant  en  lui  seul  les  deux 
autres  presonnes  divines.  —  Le  saint  Christophe  le  plus  ancien,  à  notre  connaissance, 
est  peint  sur  verre  dans  le  transsept  méridional  de  la  cathédrale  de  Strasbourg;  il  est 
byzantin  de  forme  et  doit  dater  du  xi'  siècle.  Du  reste  le  petit  Christ  qu'il  porte  n'a 
qu'une  seule  tête. 

'  Ce  manuscrit  a  élé  communiqué  à  M.  Léon  Aubineau,  archiviste  à  Tours  et  cor- 
respondant du  comité  des  arts,  par  M.  l'abbé  Tridon,  professeur  d'archéologie  au  petit 
séminaire  de  Troyes. 

'  Bibl    roy.  Ms.  7282,  f  60.  On  doit  ce  texle,  curieux  sous  plusieurs  rapports,  à 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  583 

faulsement  une  histoire  de  la  saincte  Escripture,  tant  que 
bonnement  se  peut  faire.  Je  le  dy  partie  pour  une  y  mage  qui 
est  aux  Carmes  et  semblables,  qui  ont  dedens  leur  ventre  une 
Trinité ,  aussi  comme  toutte  la  Trinité  eustprins  char  humaine 
en  la  vierge  Marie.  Et,  qui  plus  merveille  est,  il  y  a  enfer  de- 
dens peint ,  et  ne  voy  point  pour  quelle  cause  on  œuvre  ainsi  ; 
car,  en  mon  jugement,  il  n'y  a  baulté  ne  dévocion  en  telles 
paintures;  et  ce  doit  estre  cause  d'erreur  et  de  indignation  ou 
indévocion.  » 

Le  cri  d'alarme  poussé  à  bon  droit  par  Gerson  fut  entendu 
à  Rome.  Il  y  avait  inconvenance  à  ouvrir  les  entrailles  de  la 
Vierge  pour  y  mettre  les  personnes  divines,  et,  chose  inouïe, 
l'enfer  lui-même;  il  y  avait  hérésie  à  faire  incarner  la  Tri- 
nité ^  ;  il  y  avait  témérité  à  montrer  les  trois  hypostases  soudées 
et  confondues  monstrueusement.  En  1628,  le  11  d'août,  le 
pape  Urbain  VIII  défendit  de  représenter  la  Trinité  sous  la 

M.  R.  Thomassy,  qui  Ta  trouvé  dans  un  sermon  sur  le  jour  de  Noél ,  prononcé  par  le 
chancelier  Gerson.  Nous  avons  bien  vu  des  tableaux  représentant  Jésus  dans  les  entrailles 
de  Marie,  et  saint  Jean  dans  celles  d'Elisabeth;  nous  avons  même  donné  (pi.  71,  p.  287) 
le  dessin  d'un  vitrail  où  l'on  voit  Jésus  nu,  debout  et  les  mains  jointes,  dans  le  sein  de 
sa  mère.  Mais  les  tableaux  signalés  par  Gerson ,  et  que  semble  rappeler  le  manuscrit  de 
Troyes,  sont  inconnus  jusqu'à  présent  ;  il  est  présumable  qu'on  les  aura  détruits.  Si  l'on 
pouvait  en  retrouver,  il  faudrait  les  signaler  et  les  conserver  précieusement. 

'  De  nos  jours,  sans  le  savoir  et  sans  le  vouloir,  on  est  hérétique  au  même  chef  lors- 
qu'on place  sur  le  dos  des  chasubles  modernes,  à  l'intersection  des  bras  de  la  croix,  le 
triangle  qui  est  l'emblème  de  la  Trinité.  Par  là,  en  eflet,  on  semble  incarner  et  crucifier 
la  Trinité  tout  entière ,  tandis  que  le  Christ  seul  s'est  incarné  et  seul  est  mort  sur  la  croix. 
De  pareilles  chasubles ,  et  elles  sont  nombreuses ,  ne  devraient  pas  servir  aux  offices  divins. 
Et  cependant  tous  les  jours  on  les  annonce  et  on  en  montre  le  dessin  dans  les  journaux  reli- 
gieux, et  tous  les  jours  le  clergé ,  qui  devrait  être  plus  scrupuleux  sur  le  dogme  théologiquc . 
en  achète  et  s'en  habille.  Le  U.  P.  dom  Guéranger,  qui  m'a  signalé  cette  erreur  involon- 
taire ,  déplore,  avec  juste  raison  ,  que  la  confection  des  ornements  sacerdotaux  soit  livrée 
à  des  ignorants  ou  A  des  indifl'érents ,  et  que  le  clergé  accepte,  sans  y  prendre  garde, 
absolument  tout  ce  qu'on  lui  présente.  Dire  la  messe  avec  une  hérésie  flagrante  sur  le 
dos,  c'est  assez  extraordinaire. 


584  INSTRUCTIONS. 

figure  d'un  homme  à  trois  bouches,  trois  nez,  quatre  yeux; 
il  proscrivit  d'autres  images  semblables.  La  contravention  est 
frappée  d'anathème,  et  le  pape  ordonne  de  brûler  les  Trinités 
de  ce  genre  ^  Dans  un  bref  adressé  à  l'évêque  d'Augsbourg, 
en  1745 ,  Benoît  XIV  rappelle,  pour  la  conhrmer,  la  condam- 
nation portée  par  son  prédécesseur  ^. 

Les  Grecs  sont  bien  prompts  d'imagination ,  bien  portés  à 
la  métaphore  vivante  et  à  la  personnification  ;  cependant  ils 
n'ont  osé  qu'une  seule  fois  ,  à  notre  connaissance,  représenter 
la  Trinité  comme  nous  favons  fait.  Ils  suivent  de  plus  près  la 
Bible  et  ne  se  permettent  pas  les  écarts  où  la  raison ,  dominée 
par  l'imagination,  nous  entraîne  quelquefois.  Cette  Trinité, 
offrant  trois  figures  humaines  sur  un  seul  corps,  est  peinte  à 
fresque  dans  la  chapelle  du  cimetière  de  Saint-Grégoire ,  cou- 
vent du  mont  Athos.  Du  reste,  cette  peinture  est  de  1 786  ;  les 
trois  figures  divines  ont  quatre  yeux,  trois  nez,  trois  bouches 
et  un  seul  nimbe,  lequel  est  crucifère  et  porte  0  w  sur  les 
branches  de  la  croix.  Un  exemple  unique  et  du  xviii'  siècle 
n'est  pas  d'une  grande  importance.  Le  manuscrit  byzantin 
que  nous  citons  souvent,  et  qui  a  pour  titre  Guide  de  la  pein- 
ture, enseigne  la  manière  de  figurer  les  Trinités  et  chacune 
des  trois  personnes  ;  or  il  ne  parle  en  aucune  façon  des  trois 
têtes  ni  des  trois  visages  portés  sur  un  corps  unique ,  mais  il 
se  contente  de  dire  :  «  Nous  représentons  en  peinture  le  Christ 
sous  une  forme  humaine,  parce  qu'il  a  paru  sur  la  terre  con- 
versant avec  les  hommes  et  qu'il  s'est  fait  homme  mortel, 

^  Lucius  Ferraris ,  Prompia  Bihliotheca  caaonica,  in-4°,  Romaî  1787,  dit  au  mot  Ima- 
gines :  «Urbanus  VIII  comburi  jussit  imaginem  cum  tribus  buccis,  tribus  nasis  et  qua- 
«luor  oculis,  et  alias  si  quae  invenirentur  similes.  Haec  enim  nova  inventio  (nouvelle 
«en  Italie,  mais  déjà  ancienne  en  France)  repraesentandi  sanctissimam  Trinitatem  tole- 
«  rabilis  non  videtur.  » 

*  Voyez  le  BuDaire  de  Benoît  XIV,  t.  1,  p.  166,  §  28. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  585 

semblable  à  nous,  excepté  pour  le  péché.  De  même  nous 
représentons  le  Père  éternel  comme  un  vieillard,  p'arce  que 
c'est  ainsi  que  l'a  vu  Daniel  (cliap.  vu).  Nous  représentons  le 
Saint-Esprit  comme  une  colombe ,  parce  que  c'est  ainsi  qu'il 
a  été  vu  dans  le  Jourdain.  »  —  On  en  conviendra,  les  Grecs 
sont  fort  loin  des  hardiesses  et  des  témérités  des  Latins. 


ATTRIBUTS   DE    I,A   TRINITK. 


Les  artistes,  lorsqu'ils  ont  peint  ou  sculpté  la  Trinité,  se  sont 
attachés  à  représenter,  les  uns  l'égalité,  les  autres  la  distinction 
des  personnes  :  de  là  deux  séries  dans  ce  genre  de  groupes. 

Quand  c'est  l'égalité  ou  l'unité  divine  qu'on  veut  montrer, 
on  fait  les  trois  personnes  le  plus  indistinctes  qu'il  est  possible. 
L'absence  totale  de  caractères  ou ,  tout  au  moins ,  le  petit 
nombre  d'attributs  signale  ces  représentations.  La  Trinité  du 
manuscrit  de  Henri  II,  que  nous  avons  donnée  plus  haut^  re- 
présente simplement  un  personnage  qui  tient  le  ciel. 

Si  les  personnes  sont  distinctes,  comme  nous  les  avons  vues 
dans  le  manuscrit  d'Herrade  ^,  on  les  ramène  encore  à  l'éga- 
lité et  on  les  couvre  assez  souvent  toutes  trois  d'un  manteau 
unique  pour  figurer  l'unité  qui  les  relie  l'une  à  l'autre.  Abai- 
lard,  au  dire  de  Mabillon,  s'y  était  pris  ainsi;  rien  n'est  plus 
fréquent  dans  les  monuments  figurés,  sculptures,  peintures, 
miniatures,  des  xv^  et  xvi''  siècles^. 

Quelquefois  la  diversité,  même  dans  les  groupes  où  l'on 
cherche  à  mettre  l'unité  en  relief,  se  trahit  par  de  légers  ca- 

'  Planche  i42  ,  page  58o. 
*  Planche  iSy,  p.  565. 

'  Reportez-vous  aux  planches  X23  etiaô,  pages /j83  et  5oo,  que  nous  avons  données 
plus  haut. 

INSTRDCTIONS.  —  11.  7^ 


586  INSTRUCTIONS. 

ractères  :  on  fait  l'Esprit  plus  jeune,  le  Père  plus  âgé  et  le  Fils 
d'âge  moyen;  on  donne  à  l'Esprit  un  livre,  une  croix  au  Fils, 
un  globe  au  Père  ;  la  couronne  impériale  ou  papale  distingue 
le  Père,  comme  la  couronne  d'épines  le  Fils,  comme  l'absence 
de  toute  couronne  le  Saint-Esprit. 

Entre  l'unité  presque  complète  et  la  diversité  presque  ab- 
solue, on  voit  des  Trinités  où  s'équilibrent  assez  bien  l'égalité 
et  la  distinction  des  personnes. 

lA3.   PERSONNES    DIVINES    DISTINCTES. 

Miniature  française,  xvi°  siècle  '. 


Dans  cet  exemple ,  le  Père  et  le  Fils  sont  très-semblables. 
Le  même  nimbe,  la  même  tiare,  une  pareille  chevelure,  une 

'  Ce  dessin  est  tiré  de  la  célèbre  Cité  de  Dieu ,  magnifique  manuscrit  in-f»  du  xvi'  siècle , 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  587 

aube  semblable,  un  manteau  unique  les  rapprochent  l'un  de 
l'autre;  ils  s'unissent  par  le  même  livre  qu'ils  tiennent  en- 
semble comme  par  l'Esprit  qui ,  du  bout  de  ses  ailes,  les 
relie  l'un  à  l'autre.  Mais  ici  commence  la  ditlérence.  Le  Saint- 
Esprit  n'est  pas  un  homme,  comme  les  deux  autres  personnes; 
c'est  une  colombe.  Et  puis  le  Père  est  plus  âgé  que  le  Fils  ;  la 
barbe  est  fourchue  au  premier,  ronde  au  second.  Le  Père,  et 
non  le  Fils,  porte  le  globe  du  monde.  L'aube  du  Père  n'a  pas 
de  ceinture;  c'est  une  robe.  Le  Fils,  qui  est  prêtre,  devait 
porter  une  aube  serrée  par  une  ceinture  et  assujettie  par  une 
étole  qui  se  croise  sur  la  poitrine. 

Dans  les  Trinités  où  l'on  cherche  à  faire  prédominer  la  dis- 
tinction des  personnes,  les  caractères  distinctifs  abondent.  La 
plus  grande  diversité  possible  est  donnée  par  les  Trinités  de 
l'époque  latine,  alors  que  le  Père  est  une  main  ou  un  buste, 
le  fils  une  croix  on  un  agneau  et  le  Saint-Esprit  une  colombe. 
Mais  entre  ce  type  et  ceux  qui  tendent  vers  l'égalité  des  per- 
sonnes, il  y  a  mille  variétés  qu'on  ne  peut  signaler.  Il  est  facile, 
en  elï'et,  de  se  rencontrer  quand  on  cherche  un  même  objet, 
quand  on  veut  représenter  l'unité;  mais,  lorsqu'on  poursuit 
la  distinction ,  on  invente  autant  de  types  qu'on  exécute  de  re- 
présentations. 

Il  serait  superflu  en  ce  moment  d'énumérer  les  attributs  qui 
signalent  les  trois  personnes  divines,  puisqu'on  les  a  notés 
dans  les  chapitres  précédents  consacrés  à  chacune  des  per- 
sonnes; nous  n'avons  donc  à  nous  occuper  que  des  attributs 
qui  caractérisent  le  groupe,  c'est-à-dire  l'unité  dans  laquelle 
se  résout  la  diversité,  ou  la  distinction  des  hypostases  venant 

que  possède  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève;  on  le  trouve  au  f"  Ao6.  Les  nimbes  sont 
rayonnants  et  non  crucifères.  On  est  à  une  époque,  où  la  croix  du  nimbe  divin  et  le 
nimbe  lui-même  n'ont  plus  une  grande  valeur. 


588  INSTRUCTIONS. 

converger  dans  l'égalité  divine,  dans  l'unité  substantielle.  Le 
groupement  est  donc  important  à  constater;  on  y  voit  la  ten- 
dance qui  se  manifeste  de  plus  en  plus  à  rapprocher  les  trois 
personnes  entre  elles. 

D'abord  les  personnes  sont  espacées,  isolées  pour  ainsi  dire. 
On  les  voit  dans  le  même  tableau,  mais  ce  tableau  couvre  toute 
la  voûte  d'une  abside.  C'est  ainsi  qu'elles  apparaissent  dans 
les  mosaïques  latines  et  sur  les  anciennes  fresques  K  Pendant 
cette  première  période ,  c'est  moins  le  groupe  de  la  Trinité 
qui  s'exécute  que  la  rencontre  des  trois  personnes. 

Vers  le  ix^  siècle,  il  y  a  tendance  au  rapprochement.  Dans 
le  manuscrit  de  saint  Dunstan,  les  trois  personnes  sont  voi- 
sines. Dans  le  manuscrit  d'Herrade ,  elles  sont  assises  sur  le 
même  banc;  elles  touchent  en  même  temps  la  même  bande- 
role, qui  leur  sert  de  lien  en  quelque  sorte;  cependant  on  les 
a  encore  distancées. 

Mais  au  xii*'  siècle,  le  Père  tient  la  croix  où  son  fils  est 
attaché,  et  TEsprit  plane  sur  eux  ou  bien  descend  de  la  bouche 
du  Père,  comme  un  souffle,  pour  se  reposer  sur  la  tête  du 
Fils.  Alors  le  groupe  est  parfaitement  marqué.  Aux  xiii^  et  xiv% 
une  auréole  encadre  assez  souvent  les  trois  personnes  et  les 
unit  plus  intimement  encore.  Cette  auréole  suit  les  phases  que 
nous  avons  indiquées  dans  le  chapitre  spécial  qui  vient  après 
le  nimbe;  elle  est  circulaire,  ovale,  triangulaire,  en  amande,  en 
trèfle,  en  quatre-feuilles.  Dans  cette  auréole,  les  trois  person- 

Voyez  Ciauipini ,  Vêlera  monimenta.  Le  savant  antiquaire  donne  plusieurs  gravures 
de  ces  mosaïques.  Voyez  également  Bosio ,  Roma  sotterranea,  qui  a  fait  graver  les 
fresques  anciennes  des  catacombes.  La  mosaïque  qui  décore  l'abside  de  Saint-Jean-de- 
Lalran,  quoique  exécutée  de  1288  à  129/i,  offre  encore  une  Trinité  dont  les  trois  sym- 
boles sont  espacés;  mais  on  est  à  Rome,  où  l'art  chrétien  est  resté  slationnaire.  Aux 
xm'  et  xiv'  siècles  mêmes,  pendant  la  période  gothique  la  plus  active,  cet  art  romain 
s  est  toujours  inspiré  de  l'art  des  catacombes  et  des  vieilles  basiliques  constanlinienne». 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  580 

nifications  divines  sont  réunies,  mais  non  encore  juxtaposées. 

Il  faut  entrer  dans  le  xiv^  siècle,  pour  arriver  à  la  juxta- 
position. Le  célèbre  manuscrit  du  duc  d'Anjou^  présente  les 
personnes  divines,  toutes  trois  sous  la  forme  humaine,  mais 
l'une  derrière  l'autre  et  seulement  prêtes  à  se  toucher.  Aux 
xv*"  et  xvi^  siècles ,  il  y  a  contact  intime.  L'art  avança  de  plus 
en  plus,  je  ne  dirai  pas  précisément  dans  l'identité  des  per- 
sonnes divines,  mais  dans  une  similitude  fort  voisine  de  l'i- 
dentité ,  dans  une  agrégation  très-proche  de  la  fusion ,  dans 
une  trinité  qui  tendait  à  l'unité^. 

A  partir  du  xv^  siècle,  le  contact  est  plus  complet  encore; 
on  cherche  à  identifier  le  Père,  le  Fils  et  l'Esprit.  D'abord  on 
les  soude  par  les  pieds;  pour  trois  têtes  et  trois  corps,  il  n'y 
a  que  deux  pieds  seulement.  Puis  la  soudure  monte  davan- 
tage et  gagne  les  trois  corps  eux-mêmes.  Comme  trois  troncs 
d'arbre  qui  partent  d'une  même  souche  et  qui,  grossissant  de 
jour  en  jour,  finissent  par  se  toucher,  se  pénétrer,  s'absorber 

'   Bibl.  roy.  manuscrit  déjà  cité. 

"  Pour  compléter  les  indications  et  les  exemples  que  nous  avons  déjà  donnés ,  nous 
ajouterons  que,  dans  une  Légende  dorée  manuscrite  de  la  Bibl,  roy.  n°  6889,  xv°  siècle  , 
vol.  I,  £"107,  on  voit,  à  l'Annonciation,  une  Trinité  dont  les  (rois  personnes  ont  la  forme 
humaine  :  ce  sont  trois  hommes  de  trente  à  trente-cinq  ans;  tous  trois  en  coslume  pa- 
pal ,  vêtus  d'une  chape  unique  et  qui  les  couvre  tous  trois.  Le  Saint-Esprit  tient  un  globe. 
An  f°  1 58,  à  la  fête  de  la  Pentecôte,  on  voit  une  autre  Trinité  également  composée  de 
trois  hommes  que  couvre  un  seul  et  même  manteau.  Mais,  de  plus,  un  second  Saint- 
Esprit,  sous  forme  de  colombe,  se  détache  de  ces  trois  personnes  pour  descendre  sur 
les  apôtres.  Cette  colombe  ne  serait  donc  pas  une  personne  divine  ni  son  symbole,  mais 
bien  le  symbole  et  l'âme  de  la  Trinité  entière,  l'esprit  de  Dieu  commun  aux  trois  per- 
sonnes. Là  encore  le  Saint-Esprit  tient  un  globe,  attribut  qui  convient  plus  spécia- 
lement au  Père.  Le  Fils,  en  costume  de  prêtre,  a  une  étole  croisée  sur  sa  poitrine. 
Au  vol.  II,  f°  i56,  on  voit  Jésus-Christ  velu  en  pape,  portant  une  étole  croisée,  que  n'a 
pas  le  Père.  Au  ms.  suppl  f.  638,  Jésus  couronne  sa  mère;  il  est  habillé  en  pape  et 
tient  en  main  le  globe  du  monde;  c'est  du  xiv°  siècle.  Une  Légende  dorée,  Ms.  de  la 
Bibl.  roy.  xiv"  siècle,  n"  6888,  montre  Jésus  en  empereur  et  couronnant  sa  mère;  le 
Père  est  là  tout  simplement  en  vieillard  à  barbe  grise. 


590  INSTRUCTIONS. 

et  ne  faire  plus  qu'un  tronc  unique,  de  même  les  trois  corps 
se  soudèrent  ensemble;  mais  les  têtes,  nous  l'avons  vu,  res- 
tèrent encore  distinctes. 

Bientôt,  surtout  au  xvi''  siècle,  les  têtes  elles-mêmes  se  pri- 
rent Tune  dans  l'autre,  et  les  trois  visages  furent  couronnés 
d'un  front  unique ^  Les  visages,  vus  d'abord  de  face  ou  de  trois 
quarts,  rentrèrent  ensuite  dans  la  face  principale,  celle  du 
milieu.  Le  manuscrit  d'Henri  II  nous  a  montré  trois  figures 
avec  un  seul  front,  sur  un  seul  corps,  et  soudées  si  étroite- 
ment l'une  à  l'autre,  qu'il  y  a  bien  deux  profils  et  une  face, 
mais  non  plus  six,  non  plus  quatre  yeux;  on  n'en  voit  que 
deux.  Chaque  profd  a  son  œil,  quand  on  le  regarde  isolément, 
et  la  face  elle-même,  qui  est  au  milieu,  possède  ses  deux  yeux; 
mais  en  somme  il  n'y  a  qu'une  tête,  qu'une  face  entière,  que 
deux  yeux  seulement.  Ces  trois  figures,  par  un  jeu  de  théolo- 
gie pittoresque,  se  prêtent  mutuellement  leur  face  et  leur  œil. 
On  peut  dire  réellement  d'elles ,  en  changeant  un  seul  mot 
au  texte  célèbre ,  en  mettant  trois  pour  deux  :  «  erunt  très  in 
«  carne  una  ». 

Ainsi  la  manière  différente  dont  se  groupent  les  personnes 
divines  peut  fournir  de  bons  caractères  archéologiques  pour 
classer  ces  groupes  par  ordre  de  date.  La  place  que  ces  per- 
sonnes occupent  entre  elles  mérite  aussi  quelques  observa- 

'  Voir  un  beau  vitrail  du  xvi°  siècle,  qui  éclaire  la  nef  latérale  noi'd  de  No(re-Dame, 
à  Cliâlons-sur-Marne.  —  M.  l'abbé  Jourdain, vicaire  de  la  cathédrale  d'Amiens,  a  trouvé 
et  acheté  chez  un  vitrier  d'Amiens  une  plaque  de  verre  portant  la  date  de  1620,  et  sur 
laquelle  est  peinte  une  Trinité  toute  particulière.  On  y  voit  deux  têtes  sur  un  seul  corps; 
ces  têtes,  soudées  l'une  à  l'autre,  ont  deux  nez  et  deux  yeux  seulement,  et  portent  une 
couronne  unique.  Quant  à  ia  troisième  personne,  c'est  une  colombe  qui  se  colle  sur  le 
côté,  à  la  tête  ou  à  la  face  de  droite,  absolument  comme  une  oreille.  On  a,  dans  ce  bi- 
zarre exemple,  l'égalité  et  la  distinction  réunies;  l'Esprit  est  distinct  des  deux  autres  per- 
sonnes, qui  sont  absolument  égales.  Je  regrette  vivement  de  n'avoir  pas  eu  le  temps  de 
faire  graver  ce  vitrail,  dont  M.  Jourdain  a  bien  voulu  me  faire  un  calque. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  591 

tions.  D'après  le  dogme,  le  Père  a  engendré  le  Fils,  et  l'Esprit 
procède  des  deux;  il  faudrait  donc,  en  conséquence  des  lois 
hiérarchiques,  représenter  le  Fils  à  la  gauche  du  Père  et  l'Es- 
prit entre  les  deux.  On  agit  ainsi  relativement  au  Saint-Esprit , 
que  l'on  figure  assez  souvent  entre  les  deux  autres  personnes; 
mais,  pour  le  Fils,  la  place  que  le  dogme  lui  attribue  a  été 
changée  par  ce  texte  des  psaumes,  où  David  dit  que  le  Père 
fait  asseoir  le  Fils  à  sa  droite  et  non  pas  à  sa  gauche.  C'est  la 
droite  en  effet  que  le  Fils,  sauf  erreur,  tient  constamment  à  côté 
du  Père.  Mais  cette  droite,  le  texte  est  précis,  est  celle  du  Père 
et  non  celle  du  spectateur  ;  elle  est  la  gauche  pour  la  personne 
qui  regarde.  Il  en  est  des  images  de  la  Trinité  comme  de  celles 
du  blason;  l'écusson  de  l'homme  se  pose  à  la  droite  de  celui 
de  la  femme.  C'est  le  blason  qui  regarde,  et  qui  fait  la  droite  et 
la  gauche  de  même  que  dans  les  Trinités;  c'est  de  Dieu  et  non 
du  spectateur  que  partent  la  gauche  et  la  droite. 

Cependant,  par  erreur  ou  pour  avoir  pris  la  gauche  et  la 
droite  du  spectateur,  on  a  quelquefois  mis  le  Père  à  la  droite 
et  non  à  la  gauche  du  Fils.  Le  plus  frappant  exemple  de  cette 
anomalie  est  donné  par  le  portail  de  la  Sainte-Chapelle  de 
Vincennes.  Dans  la  voussure,  s'étage  la  hiérarchie  des  anges; 
la  Trinité  est  sculptée  au  sommet.  Le  Père ,  vêtu  en  pape  et 
tenant  la  boule  du  monde,  se  place  à  la  droite  de  son  Fils,  qui 
tient  la  croix;  le  Saint-Esprit,  en  colombe,  est  entre  eux  et  les 
unit  l'un  à  l'autre  par  l'extrémité  de  ses  ailes  \  Des  manuscrits 
à  miniatures  nous  offrent  la  même  faute. 

'  A  Elampes,  sur  le  porlail  d'une  église,  on  voil  les  élus  à  la  gauche  du  Christ  et 
les  damnés  à  sa  droite,  dans  une  scène  qui  représente  le  jugement  dernier.  C'est  con- 
traire à  l'usage  universel,  et,  qui  plus  est,  au  texte  sacré  qui  place  les  brehis  ou  les  élus 
à  droite,  et  les  boucs  ou  les  damnés  à  gauche.  Le  sculpteur  d'Etampes,  comme  celui  de 
Vincennes,  mettant  Dieu  de  côté  et  prenant  le  spectateur  pour  point  de  départ,  aura 
établi  la  gauche  et  la  droite  sur  l'homme  qui  regarde ,  non  sur  le  Christ  qui  juge. 


592  INSTRUCTIONS. 

Le  Père,  en  vertu  des  lois  hiérarchiques,  est  souvent  placé 
au  milieu  ;  il  met  son  Fils  à  sa  droite  et  le  Saint-Esprit  à  sa 
gauche.  Nous  en  avons  donné  des  exemples  dans  les  chapitres 
précédents  ^  Mais,  lorsqu'on  veut  exprimer  la  procession  du 
Saint-Esprit,  alors  c'est  l'Esprit  qui  se  met  au  milieu  ;  le  Fils 
reste  à  droite  et  le  Père  se  place  à  gauche.  Ceci  regarde  les 
Trinités  disposées  horizontalement.  Quant  à  celles  qui  s'éta- 
gent  et  s'ordonnent  verticalement,  le  Fils  est  en  bas,  le  Père 
en  haut ,  l'Esprit  au  milieu.  L'Esprit  descend  de  la  bouche 
du  Père,  s'abat  sur  la  tête  du  Fils  et  procède  des  deux,  comme 
dans  l'exemple  suivant. 

\kli.  SAINT-ESPRIT  DESCENDANT  DD  PERE  SUR  LE   FILS. 

Miniature  française,  Ms.  du  duc  d'Anjou,  fin  du  xiii"  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale. 


D'autres  fois  l'Esprit,  toujours  au  milieu  entre  le  Père  et 
le  Fils,  semble  remonter,  au  contraire,  du  Fils  au  Père.  Les 
exemples  de  cette  particularité  sont  fort  rares ,  et  le  suivant  est 
tiré  d'un  manuscrit  champenois  dont  il  orne  le  commencement. 

'  Notamment  pages  laS,  Zi46,  /|83  et  5oo;  planches  61,  111,  laS  et  126. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE. 


593 


a5 — 


SAINT-ESPRIT    PROCÉDANT  DD  PERE  ET  DU   FILS,   ET    REMONTANT  DU  FILS  AU     PERE. 
Miniature  française,  xii°  siècle  •. 


Dans  d'autres  représentations,  le  dogme  de  la  procession 
n'est  pas  marqué  aussi  visiblement.  Le  Saint-Esprit,  comme 
dans  l'exemple  qui  suit,  est  en  présence  du  père  et  du  fils, 
mais  il  ne  les  unit  plus  et  ne  paraît  pas  en  procéder. 


'  Ce  manuscrit,  qui  appartient  aujourd'hui  à  la  bibliothèque  municipale  de  Troyes, 
provient  de  l'abbaye  de  Notre-Dame-aux-Nonnains.  Il  date  du  xii°  siècle.  Le  dessin  que 
nous  donnons  a  été  calqué  sur  la  miniature  même  par  M,  Ch.  Fichot,  dessinateur  troyen. 
On  remarquera  l'auréole,  ovale  de  forme  et  végétale  de  nature,  qui  environne  la  Trinité. 
Des  quatre  coins  extérieurs  sortent  les  quaire  attributs  des  évangélistes.  M.  Vallet  de 
Viriville  a  particulièrement  attiré  l'attention  sur  ce  manuscrit  de  Nolre-Dame-aux-Non- 
nains.  Jusqu'en  1 8^0 ,  on  se  doutait  à  peine  de  l'existence  de  ce  livre  curieux.  Remar- 
quons encore  que  Jésus  est  attaché  à  la  croix ,  non  par  trois  clous ,  comme  on  l'a  fait 
dès  le  xiii'  siècle  et  comme  le  montre  le  dessin  précédent,  mais  bien  par  quatre;  notons 
enfm  que  les  attributs  des  évangélistes  portent  le  nimbe  comme  les  personnes  qu'ils 
symbolisent. 


INSTRUCTIONS. 


^5 


594 


ae. 


INSTRUCTIONS. 

SAINT-ESPRIT  NE  PROCEDANT  NI  DU   PERE,   NI   DD  FILS. 
Gravure  sur  bois  du  xvi'  siècle  '. 


Ici  le  Père  tient  la  croix  où  Jésus  est  attaché,  comme  dans 
les  deux  dessins  que  nous  venons  de  voir;  mais  le  Saint-Esprit, 
qui  se  pose  et  qui  marche  sur  un  des  croisillons  du  gibet,  né 
paraît  pas  signifier  qu'il  procède  du  Père  et  du  Fils.  La  co- 
lombe est  là  seulement  pour  compléter  la  Trinité.  D'autres 
fois  fintention  de  ne  pas  traduire  le  dogme  de  la  procession 
est  bien  plus  évidente  encore,  puisqu'on  supprime  le  Saint- 
Esprit,  ainsi  que  nous  l'avons  vu  plus  haut^. 

Les  Grecs,  qui  nient  la  procession,  ne  représentent  jamais 
le  Saint-Esprit  unissant  les  personnes  divines  par  fextrémité 
de  ses  ailes^  ou  descendant  du  Père  sur  le  Fils,  ou  remontant 

Le  Père  est  sur  un  trône  que  surmonte  un  dais  ;  il  porte  le  costume  impérial.  Ce 
dessin  est  tiré  d'une  gravure  sur  bois  du  xiii"  siècle;  on  en  voit  divers  exemples  dans 
des  livres  d'heures  de  la  même  époque. 

Page  282,  planche  63. 

Les  Grecs  anathématiseraient  un  peintre  qui  ferait  une  Trinité  comme  celles  que 
nous  avons  données  pages  35  et  42 ,  planches  6  et  11. 


ICONOGRAPHIE   CHRÉTIENNE.  595 

du  Fils  au  Père.  Les  Trinités  grecques  sont  assez  semblables 
aux  nôtres,  et  celle  que  nous  avons  donnée  dans  Thistoire  du 
nimbe ^  en  est  bien  la  preuve.  Néanmoins,  dans  les  groupes 
qui  représentent  la  Trinité,  les  Grecs  peuvent  placer  et 
placent  en  efiPet  le  Saint-Esprit  entre  le  Père  et  le  Fils,  parce 
que,  pour  les  Grecs  comme  pour  les  Latins,  la  troisième  per- 
sonne divine  unit  les  deux  autres  entre  elles;  mais  jamais  il 
ne  sort  de  l'une  ni  de  l'autre,  jamais  il  ne  touche  par  ses  ailes 
la  bouche  des  deux  autres  personnes. 

Le  nimbe,  l'auréole,  la  gloire  caractérisent  les  groupes  de 
la  Trinité  comme  chacune  des  trois  personnes  représentées 
isolément;  nous  renverrons  donc  aux  articles  où  nous  avons 
traité  ce  sujet.  Un  mot  seulement.  Puisque  le  triangle  est  l'em- 
blème de  la  Trinité,  le  nimbe  triangulaire  devait  surtout  ap- 
partenir aux  trois  personnes  groupées  ensemble.  Cette  forme  de 
nimbe  est  cependant  fort  rare,  et  l'exernple  suivant  est  l'un  des 
plus  curieux  que  nous  puissions  offrir. 

Ici  un  seul  corps  porte  trois  têtes  :  celle  du  milieu  figure  le 
Père;  elle  est  plus  âgée  et  plus  grosse  que  les  deux  autres, 
double  façon  de  représenter  matériellement  la  paternité  divine 
La  tête  de  droite,  relativement  à  la  grosse  tête,  représente  le 
Fils  ;  celle  de  gauche,  qui  est  imberbe,  plus  jeune  et  plus  petite 
que  les  deux  autres,  désigne  le  Saint-Esprit.  Un  seul  nimbe 
triangulaire  encadre  ces  trois  têtes,  qui  n'ont  que  deux  mains 
aussi  bien  que  deux  pieds.  La  main  gauche  porte  le  globe, 
emblème  de  la  puissance;  la  main  droite  bénit,  attribut  delà 
grâce.  Cette  Trinité  rayonne  dans  une  auréole  circulaire  dont 
la  circonférence  est  occupée  pai  des  séraphins.  Nous  sommes 
dans  le  paradis,  et  le  groupe  divin,  centre  de  la  lumière  in- 
créée, est  assis  sur  un  arc-en-ciel. 

'  Page  61 ,  pi.  21. 

75. 


596  INSTRUCTIONS. 

ilX']-  LES  TROIS  TÊTES  DIVINES  DANS  UN  TRIANGLE   UNIQUE. 

Gravure  italienne  sur  bois  du  xv°  siècle  '. 


La  tiare,  la  couronne  d'empereur  et  de  roi  ornent  la  tête 
de  la  Trinité,  qui  est  nue  très-souvent;  il  n'y  a  pas,  dans  cette 
particularité ,  de  caractères  autres  que  ceux  fournis  par  la  forme 
de  la  coiffure,  laquelle  varie  suivant  les  siècles  et  suivant  les 
pays.  La  tiare  italienne  diffère  de  la  tiare  française;  pour  en 
prendre  un  seul  exemple,  le  pape  saint  Grégoire  le  Grand, 
dont  la  statue  décore  le  portad  méridional  de  la  cathédrale 
de  Chartres  ^,  porte  pour  tiare  un  bonnet  conique  à  côtes  et 
qui  est  surmonté  d'une  boufPette.  C'est  la  tiare  française  du 
xiii^  siècle  ^  En  Italie,  au  xiv'  siècle,  c'est  bien  changé.  Le 

G  est  d  après  un  Dante ,  imprimé  à  Florence  en  i/ig  i  et  avec  des  gravures ,  que  nous 
avons  fait  exécuter  ce  dessin,  dont  nous  avons  déjà  parlé;  il  se  trouve  dans  le  Paradis, 
au  f"  ccLXxviii. 

Nous  l'avons  donné  dans  le  chapitre  du  Saint-Esprit,  page  /iSg,  planche  ii^. 

M.  le  comte  de  Montalembert  (D«  Vandalisme  et  du.  Catholicisme  dans  l'art,  in-8°, 
Pans,  1809,  p.  1-72)  s'est  élevé,  et  avec  une  grande  raison ,  contre  ce  prétendu  bonnet 
carré  que  le  clergé  de  Paris  portait  encore  en  1 8/io ,  et  que  l'on  a  conservé  malheureu- 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  597 

pape  porte  une  tiare  en  dôme,  de  forme  allongée,  ovale  et 
ornée  d'une  couronne  dans  le  bas^  De  nos  jours,  la  tiare  con- 
serve à  peu  près  cette  forme,  mais  elle  s*enrichit  de  deux  autres 
couronnes^.  Quand  Dieu  s'habille  en  pape,  il  prend  le  cos- 
tume pontifical  et  la  tiare  qu'on  portait  à  fépoque  où  on  le 
représente.  Il  faut  faire  une  grande  attention  aux  moindres 
détails,  parce  qu'il  y  a  dans  ces  détails  des  caractères  archéo- 
logiques irrécusables. 

Quant  au  Saint-Esprit,  sa  tête  est  nue'.  Le  Christ  prend 
indifféremment,  comme  le  Père,  la  couronne  de  pape,  d'em- 
pereur et  surtout  de  roi;  mais  il  y  ajoute  la  couronne  d'épines. 
Souvent  il  est  nu-tête. 

Entre  les  mains  de  la  Trinité  on  voit  le  globe  du  monde 
ou  le  livre  des  saintes  écritures.  Dieu,  la  Trinité,  ayant  créé  le 
monde,  le  globe  surmonté  d'une  croix  se  voit  fréquemment 
entre  ses  mains.  Beaucoup  d'exemples  en  ont  été  donnés 
plus  haut  ^.  Nous  avons  vu  la  Trinité  pétrissant  et  animant 
l'homme  ^.  Le  manuscrit  d'Henri  II  nous  a  montré  la  Tri- 
nité tenant  le  ciel  et  les  planètes  qu'elle  vient  de  créer  ^;  le 

sèment  dans  beaucoup  de  diocèses  ;  mais  on  n'avait  pas  songé  que  ce  bonnet  pointu 
n'était  autre  chose  que  la  tiare  du  xiif  siècle,  telle  que  les  Français  la  concevaient,  et 
telle  peut-être  que  les  papes  la  portaient  en  Italie. 

'   Voyez  le  Christ  d'Orcagna,  que  nous  avons  donné  page  268,  pi.  67. 

"  Ou  dit  que  la  tiare  à  une  couronne  fut  en  usage  jusqu'en  1298;  que  la  tiare  à  deux 
couronnes  régna  jusqu'en  1 334,  et  que,  depuis  cette  époque,  elle  a  trois  couronnes.  C'est 
Boniface  VIII  qui  aurait  doublé  la  couronne  de  la  tiare,  et  Boniface  XII  ou  Urbain  V 
qui  l'aurait  triplée.  Les  monuments  figurés  ne  sont  pas  complètement  d'accord  avec  ces 
documents  historiques ,  et  il  faut  se  fier  plutôt  aux  monuments  qu'aux  textes. 

^  La  couronne  d'olivier,  que  Mabillon  lui  prête  dans  la  Trinité  qu'Abailard  aurait 
fait  sculpter  au  Paraclet,  n'est  pas  authentique  et  nous  la  révoquons  positivement  en 
doute. 

'  Particulièrement  aux  pages  456 ,  696,  planches  ii3,  ilx']- 

'  Voyez  la  planche  6 ,  p.  35. 

*  Planche  iZi2,  page  58o. 


598  INSTRUCTIONS. 

dessin  suivant  offre  le  même  sujet  traité  par  Buonamico  Buf- 

famalco. 

làS.  TRINITÉ  EN  UN  SEDL  DIEU  ET  TENANT  LE    MONDE. 

Fresque  du  Campo-Santo  de  Pise,  xiv°  siècle. 


^ 


Il  y  a  dans  cette  belle  représentation ,  qui  est  de  la  première 
moitié  du  kiy*"  siècle,  une  supériorité  incontestable  sur  celle 
du  manuscrit  d'Henri  IL  Ici  la  Trinité  est  concentrée  dans 
une  seule  personne,  dans  Dieu,  qui  tient  les  cercles  dont  se 
compose  Tunivers,  peuplé  par  lui  d'êtres  de  toute  nature.  Les 
neuf  chœurs  des  anges  ^  animent  les  cercles  extérieurs  ;  au 

On  les  décrira  en  détail  dans  l'histoire  de  l'ange. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  599 

milieu,  roulent  les  constellations;  la  terre,  considérée  comme 
le  noyau  du  monde,  est  assise  au  centre ^ 

Un  manuscrit  nous  présente  à  peu  près  le  même  sujet,  mais 
traité  d'une  façon  fort  inférieure.  Dieu  est  au  foyer  de  neuf 
cercles  concentriques  dont  sept  sont  enflammés;  il  tient,  à  la 
droite,  le  compas  qui  lui  sert  à  prendre  les  dimensions  du 
monde,  et,  à  la  gauche,  la  balance  où  il  le  pèse.  C'est  pour 
répondre  à  ce  texte  célèbre  de  Salomon,  qui  se  lit  au  cha- 
pitre XI  de  la  Sagesse  :  «  Omnia  in  mensura,  et  numéro,  et 
«  pondère  disposuisti.  » 

Le  nombre  consiste  dans  les  neuf  cercles  mystiques  qui 
entourent  Dieu;  la  mesure  est  dans  le  compas,  et  le  poids  dans 
la  balance. 

'  Au  lieu  d'esquisser  une  description ,  je  préfère  donner  l'extrait  suivant  de  Vasari 
(  Vies  des  peintres.  Vie  de  BufFamalco)  ;  ce  passage  n'est  pas  sans  intérêt. 

«  Buonamico  Buffamalco  peignit  quatre  fresques  au  Campo-Santo.  On  distingue,  dans 
ces  compositions,  la  création  de  l'univers,  où  le  Père  éternel  est  représenté  haut  de  cinq 
coudées  et  soulevant  la  grande  machine  des  cieux  et  des  éléments.  Au  bas  de  ce  tal^leau , 
dont  les  deux  angles  sont  occupés  par  un  saint  Augustin  et  un  saint  Thomas  d'Aquin  , 
Buonamico  écrivit,  en  lettres  majuscules,  un  sonnet  explicatif  de  son  sujet,  (jue  nous 
allons  rapporter  pour  donner  une  idée  du  savoir  des  gens  de  cette  époque.  »  —  Buffa- 
malco est  mort  à  68  ans,  en  i3Ao.  Voici  le  sonnet  qu'il  écrivit  sous  sa  peinture  : 

Voi  che  avvisate  questa  dipintura 
Di  Dio  pieloso  sommo  creatore , 
Lo  quai  le'  tutte  cose  con  amore , 
Pcsate ,  numérale  ed  in  misura. 

In  nove  gradi  angelica  natura 
In  ello  empirio  ciel  pien  di  splendore , 
Colui  cbe  non  si  muove  ed  è  motore , 
Ciascuna  cosa  fece  buona  e  pura. 

Levate  gli  occlii  del  vostro  intelletlo , 

Considerate  quanto  è  ordiuato 

Lo  mondo  universale  ;  e  con  affclto 

Lodate  lui  cbe  l'iia  si  bcn  creato  : 

Pensate  di  passare  a  lai  dilello 

Tra  gli  angeli ,  dove  è  ciascun  bealo. 

Par  questo  mondo  si  vede  la  gloria , 

Lo  basso  ,  ed  il  mezzo ,  e  l'ailo  ia  quesla  sloria. 


600 


INSTRUCTIONS. 

1^9.  TRINITÉ  EN  DN  SEUL  DIEU,  TENANT  LA  BALANCE    ET  LE  COMPAS. 

Miniature  italienne  du  xiii"  siècle  '. 


E  MM-P-H'DVRAND 


C'est  pour  toutes  ces  raisons  que  le  globe  se  voit  si  souvent 
aux  mains  de  la  Trinité  ;  quelquefois  on  le  lui  place  sous  les 
pieds,  comme  dans  l'admirable  manuscrit  d'Anne  de  Bretagne 
qui  appartient  à  la  Bibliothèque  royale.  Aux  deux  tiers  de  ce 
beau  livre,  on  voit  le  Père  babillé  comme  un  pape,  à  longue 
barbe  blanche,  nimbe  en  disque  autour  de  la  tête,  aube  de 
neige,  étole  verte,  chape  rouge  à  orfroi  et  parements  historiés 
de  personnages  en  or  ;  pieds  chaussés  de  pantoufles  d'or.  Les 
trois  premiers  doigts  de  la  main  droite  sont  ouverts  et  bénissent. 

'  Ce  dessin  provient  du  Psalterinm  ciim  fleuris ,  Ms.  du  xii*  siècle,  à  miniatures  ita- 
liennes qui  sont  des  xii°  et  xiii'  siècles.  La  miniature  d'où  vient  notre  dessin  nous  pa- 
raît être  de  la  dernière  épocjue. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  601 

A  gaucbc,  Jésus-Christ  en  robe  brune,  manteau  rouge,  tête  nue 
et  couronnée  d'épines.  Il  tient  à  la  main  gauche  la  croix  de  ré- 
surrection, croix  processionnelle  ou  de  triomphe.  La  barbe  est 
rousse  et  le  nimbe  en  disque;  pas  de  plaies  aux  mains,  et  pieds 
chaussés  comme  ceux  du  Père.  Les  pieds  du  Père  et  du  Fils 
sont  posés  sur  un  globe  où  étincellent ,  en  haut ,  le  soleil ,  la  lune , 
les  étoiles;  en  bas,  ondulent  les  flots  de  la  mer,  que  sillonnent 
des  vaisseaux;  au  milieu,  s'élèvent  des  villes  et  verdissent  des  . 
prés.  Entre  la  tête  du  Père  et  celle  du  Fils,  le  Saint-Esprit, 
en  colombe  blanche  et  à  bec  rouge,  étend  ses  ailes;  il  porte  un 
nimbe  discoïdal.  Le  fond  d'où  se  détache  cette  Trinité  est  en 
or  et  encadré  dans  un  ovale  tout  ourlé  de  nuages.  Dans  les 
quatre  coins,  hors  de  l'ovale  lumineux,  se  tournent  vers  la 
Trinité  les  attributs  des  évangélistes,  tenant  chacun  une  ban- 
derole où  se  lit  :  «  Matheus  homo.  — Johannes  avis.  —  Marcus 
«  leo.  —  Lucas  vitulus.  »  Ces  symboles  des  évangélistes  sont 
d'azur,  fouetté  d'or,  tous  ailés,  mais  sans  nimbe.  Le  Père  et 
le  Fils  tiennent  ensemble  un  grand  livre  ouvert  où  est  écrit  : 

Ego  sum  alpha  et  O  ;  principium  et  finis  ^. 

En  effet,  après  le  globe,  l'attribut  qui  se  voit  le  plus  fré- 
quemment aux  mains  de  la  Trinité,  c'est  le  livre  de  vie,  la  Bible. 

'  Dans  un  autre  Ms.  de  la  Bibl.  roy.  n°  886,  et  qui  est  également  contemporain 
d'Anne  de  Bretagne,  on  voit  une  Trinité  semblable  à  celle  qu'on  vient  de  décrire.  C'est 
vers  la  moitié  du  manuscrit  :  la  Trinité  est  dans  une  auréole  d'or  circonscrite  par  un 
cercle  de  nuées  bleues.  Le  Père  est  en  pape ,  à  barbe  et  cheveux  blancs ,  âgé  de  soixante  et 
dix  ans  à  peu  près,  en  ancien  des  jours.  Le  Fils  est  à  sa  droite,  en  robe  violette ,  chape 
rougeâtre,  tête  nue,  mais  couronnée  d'épines;  ses  pieds  sont  chaussés ,  comme  ceux  du 
Père ,  de  babouches  rouges  à  galons  d'or;  il  a  de  trente  à  trente-cinq  ans.  Entre  eux  deux, 
à  la  hauteur  de  leur  front,  le  Saint-Esprit  en  colombe  blanche  déploie  ses  ailes.  Le  Père 
et  le  Fils  tiennent  à  eux  deux  un  livre  ouvert,  où  se  lit  :  Sancta  Trinitas ,  Paler  et  Filins 
et  Spiritus  Sunctus.  Ego  sum  alpha  et  o.  Ce  livre  a  sept  fermoirs  d'or,  qui  sont  les  sept 
sceaux  apocalyptiques. 

INSTRUCTIONS. II.  76 


602  INSTRUCTIONS. 

Le  dessin  tiré  de  la  Cité  de  Dieu  nous  a  donné  un  exemple 
de  ce  genre ^  Sur  ce  livre,  outre  l'inscription  qui  précède  et 
qui  est  la  plus  fréquente,  on  en  lit  encore  d'autres  analogues  : 
«  Ego  sum  qui  sum. — Rexregum. — Dominus  dominantium.  >» 
La  plupart  de  celles  que  nous  avons  relevées,  et  qui  se  voient 
sur  le  livre  de  Jésus-Christ,  se  reproduisent  également  sur  le 
livre  de  la  Trinité  ^.  Le  manuscrit  byzantin  consacre  à  ces  ins- 
criptions un  article  que  voici  : 
«  Inscriptions  pour  la  Trinité  : 

Le  Père  éternel  —  l'Ancien  des  jours. 

Le  Fils  coéternel  —  Le  Verbe  de  Dieu. 

Le  Saint-Esprit  —  Celui  qui  procède  du  Père. 

La  Sainte-Trinité  —  Seul  Dieu  de  toutes  choses. 

«  Lorsque  vous  représentez  le  Père  et  le  Fils  avec  des  cartels 
déployés,   écrivez  sur  le  cartel  du  Père:  «Je  t'ai  engendré 

'   Voyez  page  586,  pi.  i43. 

^  Un  émail  roman  du  xif  siècle ,  provenant  de  la  collection  de  M.  Didier  Petit ,  de  Lyon, 
offre  Dieu  assis  sur  un  arc-en-ciel,  environné  d'une  auréole  ovale  et  ondulée  de  nuages. 
Ce  Dieu  bénit  de  la  main  droite,  à  la  façon  latine;  de  la  main  gauche,  il  tient  un  livre 
long,  comme  le  Liber  precum  qu'on  voit  à  la  Bibl.  roy.  Ce  livre  est  ouvert  ;  on  lit ,  sur  le 
recto  et  le  verso  de  deux  feuillets ,  en  petites  minuscules  romaines  et  légèrement  on- 
ciahsées  :abcdefg  —  hikmnop.  Ces  quatorze  lettres,  sept  sur  chaque  page,  sont 
ainsi  disposées;  j'ignore  si  le  nombre  et  le  choix  de  ces  caractères  peuvent  avoir  un 
sens.  En  tout  cas  cet  alphabet,  à  peu  près  complet  et  écrit  sur  le  livre  divin,  marque 
sans  doute  que  toute  science  vient  de  Dieu,  et  que  ce  livre  est  celui  des  écritures  di- 
vines. C'est  au  n"  i84  du  Catalogue  de  M.  Petit  que  l'on  trouve  cette  indication.  J'ai  vu 
cette  plaque  émaillée,  en  i843,  à  l'époque  où  la  vente  s'en  est  faite,  et  j'ai  relevé  moi- 
même  celle  espèce  d'alphabet.  Au  n°  2o4  du  même  Catalogue,  on  lit  :  «  Plaque  émaillée. 
Couverture  de  manuscrit,  représentant  le  Christ  bénissant  et  tenant  de  la  main  gauche 
une  tablette  où  sont  gravées  quelques  lettres  en  caractères  romans  et  onciaux  :  » 


A 

I 

0 

F 

X 

M 

S 

N 

M 

E 

M 

Ces  lettres  sont  ainsi  disposées  et  placées  dans  un  cadre;  l'A  seul  est  incertain. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  603 

«  avant  Lucifer;  »  —  ou  bien  :  «  Asseyez-vous  à  ma  droite  jusqu'à 
«  ce  que  je  réduise  vos  ennemis  à  vous  servir  de  marchepied.  » 
Sur  l'évangile  du  fils  :  «  0  Père  saint,  je  vous  ai  glorifié  sur  la 
«terre  et  j'ai  fait  connaître  votre  nom  aux  hommes;»  — ou 
bien  :  «  Moi  et  mon  père  nous  ne  faisons  qu'un;  je  suis  dans 
«  mon  père  et  mon  père  est  en  moi  ^  » 

Les  pieds  de  la  Trinité,  comme  nous  favons  fait  remarquer 
pour  chaque  personne  divine,  sont  et  doivent  être  nus.  En 
iconographie  chrétienne,  Dieu,  les  anges,  saint  Jean-Baptiste 
et  les  apôtres  se  distinguent  seuls,  entre  les  autres  personnages, 
par  la  nudité  des  pieds.  Cependant  on  trouve  des  exemples  de 
personnes  divines  à  pieds  chaussés;  nous  en  avons  signalé 
deux^  et  nous  en  avons  donné  un  troisième^.  Quand  le  Père 
ou  le  Fils  sont  habillés  en  pape,  on  leur  donne,  avec  les  autres 
vêtements  pontificaux,  la  chaussure  que  portent  les  souverains 
pontifes;  mais  c'est  un  cas  tout  particulier  et,  dans  cette  cir- 
constance même,  les  personnes  divines  ont  très-souvent  les 
pied 


s  nus  . 

La  forme  du  nimbe,  de  la  couronne  et  de  l'auréole;  la  forme 
du  globe  et  des  divisions  qui  le  partagent,  et  des  objets  qui 
remplissent  ces  divisions;  la  forme  du  livre  et  des  lettres  dont 
se  composent  les  inscriptions  qu'on  y  peint;  la  forme,  le  nombre, 

'  Voyez  le  Guide  de  la  peinture  (Épfji}7i»e/a  tj;?  ^(oyp3.(ptHrjs),  presque  à  la  fin.  Le  Sainl- 
Espril  y  est  dit  procéder  du  Père ,  mais  non  du  Fils.  L'inscription  tirée  du  psaume  cix  est 
plus  complète  que  chez  nous,  qui  n'en  mettons  ordinairement  que  le  commencement;  les 
Grecs,  moins  charitables,  plus  durs  et  plus  judaïques  dans  leur  christianisme,  y  ajoutent: 
<i  Jusqu'à  ce  que  je  réduise  vos  ennemis  à  vous  servir  de  marchepied.  » 

^  On  les  trouve  dans  le  manuscrit  d'Anne  de  Bretagne,  et  dans  un  autre  manuscrit 
de  la  même  époque  et  qui  est  également  à  la  Bibl.  roy.  n"  886. 

■^  Page  2  32,  pi.  63. 

*  Dans  la  Trinité  suivante,  qui  est  tirée  de  l'Aiguillon  de  l'amour  divin,  Bibl.  roy. 
in-A°,  509A  ou  -'j— ,  le  Père,  quoique  couronné  de  la  tiare,  a  les  pieds  nus  comme  les 
deux  autres  personnes. 

76. 


604  INSTRUCTIONS. 

la  nature,  la  couleur  des  vêtements  fournissent  des  caractères 
archéologiques  par  lesquels  on  peut  déterminer  la  date  des 
Trinités  sculptées,  ciselées  et  peintes.  Il  serait  trop  long  et 
sans  doute  très-inutile  de  nous  y  arrêter  ici,  après  ce  que  nous 
avons  dit  dans  tout  ce  qui  précède.  Nous  nous  contenterons 
de  donner  la  Trinité  suivante,  qui  est  du  xv*'  siècle  et  qui 
montre  les  trois  personnes  sous  forme  humaine  ;  elles  portent 
le  nimbe  crucifère  et  sont  enveloppées  dans  une  auréole  flam- 
boyante. On  remarquera  la  colombe  divine,  qui  s'assied  sur  la 
tête  du  jeune  Saint-Esprit.  Le  Père  est  en  pape,  et  porte  le 
globe  de  la  toute-puissance;  le  Fils  est  en  Christ,  et  tient  la 
croix  de  l'amour  infini;  TEsprit  est  au  milieu,  pour  unir  les 
deux  autres  personnes  ^ 

l5o.  TRINITÉ,    SOUS   FORME    HUMAINE,  À  NIMBE  CRUCIFERE  ET  AUREOLE    FLAMBOYANTE. 

Miniature  française  du  xv°  siècle. 


Ici  finit  la  tâche  que  je  m'étais  imposée.  J'ai  cru  nécessaire 
de  donner  en  détail  d'abord  l'histoire  d'un  attribut  archéolo- 
gique important,  l'histoire  du  nimbe  et  de  la  gloire;  puis  celle 

Voyez  l'Aiguillon  de  l'amour  divin,  cité  dans  la  note  précédente. 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  605 

delà  personne  qui  domine  les  représentations  figurées,  comme 
elle  domine  le  dogme  chrétien,  l'histoire  de  Dieu.  Des  déve- 
loppements analogues  pour  le  reste  de  l'iconographie  chré- 
tienne seraient  exagérés,  et  la  vie  d'un  homme  ne  suffirait 
pas  à  les  donner,  ni  même  à  en  recueillir  les  éléments. 
Maintenant  donc  quelques  renseignements  fort  courts  et  pu- 
rement techniques  sur  l'Ange,  le  Diahle,  les  personnes  et  les 
scènes  de  l'Ancien  Testament,  de  l'Evangile  et  de  la  Légende 
suffiront  sans  doute  au  but  que  le  comité  des  arts  et  monu- 
ments se  propose.  On  a  ouvert  un  sentier;  c'est  à  MM.  les  cor- 
respondants de  le  prolonger  et  de  l'élargir  par  des  études 
approfondies  et  des  observations  subséquentes.  Du  reste,  on 
avait  annoncé  dans  l'introduction,  écrite  plus  de  deux  ans 
avant  le  livre  même,  que  la  première  partie  des  instructions 
sur  l'iconographie  chrétienne  comprendrait,  outre  l'histoire 
de  Dieu ,  celle  de  l'Ange  et  du  Diable  ;  notre  travail  s'étant 
étendu  au  delà  de  nos  prévisions,  il  a  fallu,  pour  le  moment, 
nous  limiter  à  la  seule  histoire  de  Dieu. 

En  terminant ,  je  dois  mentionner,  parmi  les  personnes 
auxquelles  j'ai  des  obligations,  M.  Leberthais,  qui  a  dessiné, 
sur  un  vitrail  de  Saint-Remi  de  Reims,  le  saint  Jean  évan- 
géliste  qu'on  voit  à  la  page  32  ,  planche  3.  M.  Launay,  peintre 
à  Vendôme,  correspondant  historique,  a  donné  un  dessin  co- 
lorié, d'après  lequel  a  été  faite  la  planche  4,  page  47-  M.  Lon- 
gueville  Jones,  correspondant  historique  pour  l'Angleterre, 
a  fait  calquer  pour  moi  les  planches  109  et  1^7,  pages  4io  et 
596,  sur  un  Dante  qui  lui  appartient.  M.  Claude,  de  la  Biblio- 
thèque royale,  m'a  signalé  avec  obligeance  des  manuscrits  à 
miniatures,  où  j'ai  puisé  divers  sujets. 

Malgré  le  soin  qu'on  a  mis  à  collationner  le  texte  avec  les 
citations ,   aussi  bien  que  les  dessins  avec  les  monuments , 


606  INSTRUCTIONS. 

quelques  erreurs  se  sont   glissées  dans  notre  travail  ;   nous 

nous  contenterons  de  faire  les  rectifications  suivantes: 

Il  faut  lire,  page  18  de  Fintroduction  :  «TAnge,  être  im- 
mortel, non  éternel,  »  au  lieu  de  «  sinon  éternel.  » 

Dans  rénumération  incomplète  des  noms  divers  que  le 
moyen  âge  impose  aux  encyclopédies  d'alors  (page  8  de  Fin- 
troduction), on  a  oublié  le  nom  de  Trésor,  qui  est  certaine- 
ment le  plus  populaire. 

A  la  page  620,  la  planche  i3o  est  annoncée  comme  repré- 
sentant une  peinture  sur  bois;  c'est  une  sculpture  peinte  qu'il 
aurait  fallu  dire.  Ce  groupe  de  la  Trinité  est  une  ronde  bosse 
en  bois ,  couverte  de  couleurs  qui  doivent  être  contemporaines 
de  la  sculpture.  Le  Père  porte  une  couronne  dorée;  sa  barbe 
et  ses  cheveux  sont  bruns.  L'aube  est  blanche,  Fétole  est  jaune 
et  le  manteau  rouge  avec  galons  dorés.  La  croix  est  jaune,  et 
le  Christ  est  de  carnation  ;  le  linge  roulé  autour  des  reins  de 
Jésus  est  jaune,  et  la  couronne  d'épines  dorée.  Le  Saint-Esprit 
est  blanc,  pieds  et  bec  rouges.  Le  banc  est  jaunâtre.  Malgré 
tout  ce  qu'on  peut  dire,  et  avec  raison,  contre  Fimperfection 
et  même  la  laideur  des  ligures,  ce  groupe,  qui  est  posé  sur  un 
autel ,  dans  une  des  chapelles  absidales  de  Saint-Riquier,  est 
en  grande  vénération;  la  calotte  rouge  d'un  enfant  de  chœur 
est  placée  à  demeure  sur  Fautel  même,  pour  recevoir  les  of- 
frandes des  fidèles. 

Nous  avons  dit,  page  3o5,  que  le  Christ  debout  sur  le  tru- 
meau de  la  porte  centrale,  au  portail  occidental  de  la  cathédrale 
d'Amiens,  foulait,  comme  à  la  cathédrale  de  Chartres,  le  lion 
et  le  dragon;  il  aurait  fallu  ajouter  que  Faspic  et  le  basilic  se 
voyaient  également  sculptés,  mais  plus  bas  que  les  deux  pre- 
mières bêtes.  C'est  pour  être  fidèle  au  texte,  qui  met  le  Christ 
en'  contact  direct  avec  le  lion  et  le  dragon ,  qu'on  a  placé  plus 


ICONOGRAPHIE  CHRÉTIENNE.  607 

bas,  et  pour  un  contact  médiat,  l'aspic  et  le  basilic.  Sur  l'ivoire 
dessiné  dans  notre  plancbe  76,  page  '6o^,  l'aspic  et  le  basilic 
ne  sont  pas  écrasés  directement  par  le  Cbrist,  tandis  que  le 
lion  et  le  dragon  hurlent  sous  les  pieds  nus  du  jeune  Dieu. 

Page  178,  plancbe  /i8,  on  indique,  en  titre  de  la  planche, 
que  le  dessin  représente  une  fresque  du  ix"^  siècle,  tandis  que 
la  note  annonce  un  ivoire  du  xii*"  ou  xiii'';  Terreur  est  dans  le 
titre,  et  la  note  a  raison.  Ce  n'est  pas  une  fresque,  mais  un 
ivoire  que  Gori  a  fait  graver. 

Enfin,  pages  liS  et  49,  il  est  question  d'un  nimbe  cruci- 
fère que  porte  le  souverain  juge,  ciselé  à  la  couronne  ardente 
suspendue  par  Frédéric  Barberousse  au-dessus  du  tombeau 
de  Gharlemagne,  dans  la  rotonde  d'Aix-la-Chapelle.  M.  l'abbé 
Arthur  Martin,  qui  a  fait  une  étude  spéciale  de  cette  couronne, 
dont  il  a  dessiné  tous  les  sujets,  me  communique  un  calque 
du  Christ  au  nimbe  crucifère.  Dans  le  dessin  de  M.  Martin, 
on  ne  voit  pas  les  trois  lettres  0  o)v  que  j'ai  cru  apercevoir  sur 
les  branches  de  la  croix  du  nimbe,  mais  bien  de  petits  ovales 
qui  seraient  l'indication  de  cabochons  ou  de  pierres  précieuses. 
Comme  j'ai  constaté  sur  les  lieux  et  avec  une  attention  extrême 
cette  particularité  de  lettres  grecques  inscrites  sur  le  nimbe 
d'un  Christ  latin ,  et  comme  d'ailleurs  j'ai  toute  confiance  dans 
la  scrupuleuse  fidélité  du  dessin  de  M.  fabbé  Martin ,  c'est  après 
un  nouveau  voyage  à  Aix-la-Chapelle  qu'il  sera  possible  d'éta- 
blir ou  de  renverser  le  fait  assez  important  que  j'ai  signalé. 

Quant  aux  autres  fautes  qui  ont  pu  nous  échapper,  nous 
pensons  que  le  lecteur  peut  les  corriger  de  lui-même  assez 
facilement. 


FIN     DE    L'HISTOIRE    DE     DIEU 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


TEXTE. 

INTRODUCTION. 

Les  figures  sculptées  et  peintes  dans  les  églises  sont  irès-nombreuses,  i.  — Double  but, 
l'instruction  et  l'édification  ,  que  l'art  se  propose  en  offrant  des  images,  2.  —  Classi- 
fication des  figures  et  des  sciences  au  moyen  âge,  8.  —  Miroir  universel  de  Vin- 
cent de  Beauvais,  10.  —  Les  statues  delà  cathédrale  de  Chartres  classées  d'après  le 
Miroir  universel,  1  3.  —  Les  statues  sont  une  encyclopédie  en  pierre,  i5.  —  Sur  les 
monuments  religieux,  la  distribution  des  figures  rentre  plus  ou  moins  dans  celle  des 
statues  de  la  cathédrale  de  Chartres,  17.  —  Il  y  a  des  lacunes,  mais  faciles  à  com- 
bler, dans  ces  encyclopédies  figurées,  17.  —  Plan  du  travail  sur  ficonographie 
du  moyen  âge,  18.  —  Secours  prêtés  à  fauteur,  20. 

DE  LA  GLOIRE. 

Définition  de  la  gloire,  qui  se  compose  du  nimbe  et  de  fauréole,  2  5.  — Importance  de 
cet  attribut ,  26.  —  La  gloire  entoure  la  tête  et  le  corps,  27.  —  Autour  de  la  tête, 
c'est  le  nimbe,  28. 

NIMBE. 

Définition  du  nimbe,  28.  —  Formes  diverses  du  nimbe,  3i.  — Nimbe  à  trois  gerbes  lu- 
mineuses, 36.  —  Nimbe  à  sept  ou  quatorze  rayons  et  à  rayons  sans  nombre,  38.  — 
Nimbe  en  langue  de  feu,  Ao.  —  Application  du  nimbe ,  ^i.  —  Nimbe  des  personnes 
divines,  hi-  —  Nimbe  croisé  et  recroisé,  li2.  —  Nimbe  grec,  /j8.  —  Erreurs  des 
artistes,  5i.  —  Nimbe  uni,  62.  —  Absence  du  nimbe,  5/i.  —  Ange  à  nimbe  crucifère, 
55.  —  Main  divine  nimbée,  56.  —  Agneau  divin  nimbé,  57.  — Lion,  symbole  divin, 
niiïibé,  58.  —  Signification  du  nimbe  triangulaire,  60. —  Symbolisme  du  triangle,  62. 
— Signification  du  nimbe  carré ,  64.  —  Nimbe  en  losange  ,66.  —  Nimbe  de  f  agneau  de 
Dieu  avec  monogramme ,  68. — Nimbe  de  l'ange  et  des  saints ,  varié ,  mais  non  crucifère , 
68. — Dieu  en  ange  porte  le  nimbe  crucifère  ,  69. —  Les  personnages  de  TAncien  Testa- 
ment avec  le  nimbe  en  Orient,  sans  nimbe  en  Occident,  69. — Saint  Jean  Baptiste  nimbé, 
72.  —  Nimbe  riche  delà  Vierge,  73. — Nimbe  des  apôtres,  -jà.  —  Nimbe  des  divers 
saints,  7^.  —  Légende  et  monogramme  entourant  le  nimbe,  76.  —  Nimbe  carré 

INSTRUCTIONS.  H.  77 


6!0  TABLE   DES   MATIÈRES. 

réservé  aux  vivants,  78.  —  Nimbe  en  table  et  en  rouleau,  81.  —  Le  nimbe  carré  est 
particulier  à  l'Italie,  82.  —  Nimbe  bexagonal,  83.  —  Nimbe  des  êtres  allégoriques, 
84.  —  Nimbe  de  la  Liberté,  86.  —  Nimbe  des  éléments,  des  saisons,  des  êtres  de 
raison,  87.  —  Nimbe  des  planètes,  88. —  Nimbe  des  attributs  desévangélistes,  89. 

—  Animaux  nimbés,  89.  —  Signification  générale  du  nimbe,  90.  —  Le  nimbe  est  un 
attribut  de  sainteté  en  Occident  et  de  puissance  en  Orient,  90.  —  L'absence  du  nimbe 
peut  provenir  d'une  erreur,  d'un  oubli  ou  d'une  difficulté,  92.  —  Le  nimbe  n'a  de 
valeur  que  jusqu'à  la  fin  du  xiv'  siècle,  98.  —  Histoire  du  nimbe,  93.  —  Le  nimbe 
est  toujours  à  la  tête,  la  plus  importante  partie  de  l'bomme,  9^.  —  C'est  à  la  tête 
que  s'adressent  les  hommages  et  que  se  placent  les  insignes,  96.  —  Le  nimbe  est 
une  couronne  religieuse,  98.  —  Les  païens  ont  connu  le  nimbe,  99.  —  Le  nimbe 
ne  se  montre  pas  dans  les  quatre  premiers  siècles  de  notre  ère,  99.  —  Aux  v°  et 
vi°  siècles  ,  le  nimbe  est  un  caractère  de  sainteté  et  un  moyen  de  hiérarchie,  101. — 
Au  vu"  siècle,  transition  entre  l'absence  absolue  et  la  présence  constante  du  nimbe, 
101.  —  Jusqu'au  xii"  siècle,  le  nimbe  a  la  forme  d'un  disque  transparent,  102.  —  Du 
xii'  au  xv%  le  nimbe  s'épaissit ,  102.  —  Aux  xv"  et  x\i\  le  nimbe  devient  une  coiffure, 
io3. —  Pendant  la  renaissance  on  revient  au  nimbe,  io4.  —  Nimbe  en  aigrettes,  106. 

—  Nimbe  transparent,  107.  —  A  la  fin  du  xvi"  siècle,  le  nimbe  disparaît,  108.  — 
Confusion  où,  de  notre  temps,  on  tombe  relativement  au  nimbe,  109. 

AURÉOLE. 

Etymologie  et  définition  du  mol,  109.  —  L'auréole  est  le  nimbe  du  corps  ,  110.  —  L'au- 
réole ,  qui  se  moule  sur  le  corps ,  est  de  forme  diverse ,  1 1  o. — Auréole  en  qualre-feudles, 
111  —  Le  nom  de  nimbe  byzantin  ,  donné  à  l'auréole,  est  impropre;  celui  de  vesica 
piscis  est  impropre  et  grossier,  112.  —  Auréole  ovoïdale  ,  112.  —  Cadre  onduleux  de 
l'auréole,  1  iZj.  —  Dieu  assis  dans  l'auréole ,  1 15.  —  Auréole  circulaire  au  chamo  dé- 
coupé,  116.  —  Soleil  et  lune  accompagnant  l'auréole,  118. — Auréole  en  roue,  118. 

—  Auréole  byzantine ,  119.  —  Auréole  en  gourde  de  pèlerin ,  120.  —  Auréoles  diverses 
et  en  forme  de  bouclier,  121.  — Auréole  elliptique,  1 2  3.  —  Application  de  l'auréole, 
1 24.  —  L'auréole  est  à  peu  près  réservée  à  Dieu ,  1 24.  —  La  vierge  Marie  et  les  âmes 
des  saints  en  sont  quelquefois  décorées,  125.  —  Ame  de  saint  Martin  dans  une  au- 
réole ,  1 28.  —  Histoire  de  l'auréole ,  129.  —  L'auréole  suit  les  vicissitudes  du  nimbe  , 
mais  elle  paraît  plus  tard  et  disparaît  plus  tôt,  129.  —  L'auréole  perd  son  cadre  aux 
xv^  et  xvi^  siècles,  i3o.  —  Auréole  flamboyante,  i3i. 

GLOIRE. 

Etymologie  du  mot,  i32.  —  Le  nom  de  gloire  se  donne  à  des  soleils  rayonnants,  i33. 

—  Ce  que  la  Bible  entend  par  gloire,  i33.  —  La  nature  de  la  gloire  est  le  feu ,  i35. 

—  Mercure  à  nimbe  lumineux,  i36.  —  En  Orient,  le  nimbe  est  du  feu,  137.  — 
La  gloire  est   une  flamme,   comme  le  prouvent  différents  faits  bibliques,  histo- 


TABLE   DES   MATIERES.  611 

riques,  légendaires,  poétiques,  iSg.  —  L'époque  où  la  gloire  se  montre  esl  très- 
ancienne,  i5o.  —  Les  Hindous,  les  Egyptiens,  les  Grecs,  les  Romains  ont  connu 
la  gloire,  i  5o.  —  Virgile  y  fait  allusion  dans  l'Enéide,  i52.  —  Le  christianisme  n'a 
pas  inventé  mais  s'est  approprié  cet  insigne,  i54.  —  C'est  chez  les  chrétiens  d'O- 
rient que  la  gloire  et  le  nimbe  se  développent  d'abord,  i54.  —  Le  nimbe,  image 
du  fluide  lumineux,  devait  naître  dans  les  pays  embrasés,  i55.  —  La  gloire  est  très- 
fréquente  en  Orient,  lôy.  —  La  gloire  n'est  pas,  en  Orient,  l'attribut  de  la  divinité 
et  de  la  sainteté,  mais  de  la  puissance,  157.  —  En  Occident,  sauf  de  curieuses  excep- 
tions ,  la  gloire  est  réservée  aux  personnes  divines  et  saintes ,  1 60.  — Judas  nimbé ,  1 60. 
—  Satan  nimbé,  i63.  —  Bêle  apocalyptique  nimbée,  i65.  —  En  Champagne,  comme 
en  Orient,  la  gloire  est  un  attribut  de  puissance,  166.  —  La  couleur  de  l'auréole  est 
celle  de  la  lumière,  167.  —  La  couleur  de  la  gloire  esl  souvent  un  moyen  hiérar- 
chique, 168.  —  Quelquefois  elle  est  symbolique  ,  169.  —  Le  symbolisme  de  la  cou- 
leur est  rare,  170. 

DIEU. 

Dieu  est  un  en  trois  personnes  ,171. 

DIEU   LE   pÈre. 

Manifestations  du  Père,  très-fréquentes  dans  l'Ancien  Testament,  172. — Plus  rares  dans 
le  Nouveau,  173.  —  A  la  iin  du  moyen  âge,  les  artistes  ont  suivi  l'histoire  dans  les 
représentations  du  Père,  \']k-  — Au  commencement,  ils  se  sont  attachés  au  dogme, 
1 7^.  —  D'après  le  dogme ,  le  Fils  parle  et  agit  pour  son  père ,  175.  —  A  la  création , 
on  voit  presque  toujours  le  Fils,  176.  —  Le  Christ  créateur,  178.  —  Le  Christ  appa- 
raissant à  Moïse,  179.  —  Le  Christ  en  Tout-Puissant,  180.  —  Le  Christ  parlant  à 
Samuel,  182.  — Le  Christ  apparaissant  à  Isaïe ,  i83.  —  En  Grèce,  le  Fils  substitué 
à  la  sagesse  du  Père,  i84.  —  Le  Fils  en  sainte  Sophie ,  i85.  —  Le  Père  sacrifié  au 
Fils,  i85.  —  Le  Fils  a  la  préséance  sur  le  Père  et  occupe  la  place  d'honneur,  186.  — 
Rôle  ridicule,  grossier  ou  odieux,  qu'on  fait  jouer  au  Père,  190.  — Jéhovah  en  Dieu 
des  armées,  191.  —  Haine  des  gnostiques  pour  le  Père,  192.  —  On  craint  de  faire 
une  idole  en  représentant  le  Père,  198.  —  La  ressemblance  identique  du  Fils  et  du 
Père  est  une  cause  de  la  substitution  du  premier  au  second,  200.  —  Le  Fils  est  le 
Verbe,  et  doit  être  figuré  quand  on  fait  parler  le  Père,  201 .  —  Les  artistes,  inhabiles 
ou  timides,  n'osent  pas  figurer  le  Père,  202.  —  La  rareté  ou  l'absence  des  manifes- 
tations visibles  du  Père  produisent  la  rareté  de  ses  portraits,  206.  —  Portraits  du 
Père,  207.  —  On  ne  voit  d'abord  que  la  main  divine,  207. —  Cette  main  est  nimbée 
ou  sans  nimbe,  209.  —  La  main  divine  s'appuie  ordinairement  sur  un  nimbe  cru- 
cifère, 211.  —  Elle  bénit  à  la  manière  grecque  ou  latine,  212.  —  La  main  du  Père 
tendue  vers  son  fils,  21 3.  — La  main  désigne  la  puissance,  2x5.  —  Elle  enlève  au 
ciel  les  âmes  des  justes,  216.  —  A  partir  du  xn'  siècle,  le  Père  se  montre  en  buste 
d'abord,  en  pied  ensuite,  216.  —  Alors  le  Père  n'a  pas  de  figure  à  lui,  et  prend  celle 
de  son  fils  ,  217.  —  Au  xiv°  siècle ,  le  Père  prend  une  figure  spéciale,  mais  assez  sem- 


612  TABLE   DES  MATIÈRES. 

blable  à  celle  du  Fils,  219.  —  A  la  fin  du  xiv"  siècle,  le  Père  gagne  de  l'âge  sur  le 
Fils,  et  s'approprie  une  physionomie  particulière,  221.  —  Aux  xv"  et  xvi%  la  figure 
du  Père  est  complètement  différente  de  celle  du  Fils ,  2  23.  —  Le  Père  est  un  vieillard , 
le  Fils  un  homme  mûr,  l'Esprit  un  jeune  homme,  225.  —  Avant  le  xiif  siècle,  le 
Père  emprunte  l'âge  du  Fils;  mais,  aux  xv"  et  xvi",  le  Fils  prend  souvent  celui  du 
Père,  226.  —  Au  xvi%  l'Esprit  se  montre  quelquefois  en  vieillard,  avec  l'âge  et  la 
physionomie  du  Père,  226.  —  Le  Père  gagne  successivement  en  importance,  226. 
—  Le  Père  lient  le  globe  comme  un  de  ses  attributs  caractéristiques  ,227  —  L'éten- 
dard de  Jeanne  d'Arc  représentait  sans  doute  le  Père  tenant  le  globe,  227.  —  Le 
Père  porte  assez  souvent  le  livre,  228.  —  Le  nimbe  crucifère  et  la  nudité  des  pieds 
conviennent  aux  trois  personnes  divines ,  228.  —  A  la  fin  du  xiv'  siècle ,  un  âge  avancé 
est  constamment  donné  au  Père,  229.  —  La  couronne  impériale  ou  royale,  plus 
ordinairement  la  tiare,  sont  posées  sur  la  tête  du  Père,  aSo.  —  En  Italie,   presque 
toujours  le  Père  est  en  pape,  aSi.  —  Tiare  du  Père  à  une,  deux,  trois,  quatre  et 
cinq  couronnes,  23i.  —  En  France,  le  Père  en  roi,  282.  — -  En  France,  le  Père  en 
pape  et  décrépit,  233.  —  L'art  réfléchit  chaque  époque,  23A-  —  A  la  renaissance, 
le  Père  en  vieillard  sublime,  235.  —  Triangle  divin  dans  une  gloire,  207.  —  Gloire 
environnant  Dieu ,  2  38. 


DIED    LE    FILS. 


Le  Fils  est  glorifié  dans  l'iconographie,  239.  —  Églises  élevées  au  Fils,  2^0.  —  Liturgie 
honorant  spécialement  le  Christ,  2^1  -  —  La  croix  du  nimbe  vient  du  Fils,  2/j2.  — 
Le  Fils  gratifié  de  la  toute-puissance  aux  dépens  du  Père ,  2^3.  —  Le  Fils  représenté 
sous  toutes  les  formes  et  à  toutes  les  époques,  a^A-  —  Fils  créateur,  245.  —  Portrait» 
variés,  247-  —  Les  gnostiques  favorables  au  Fils ,   2^8. — Images  acheiropoiètes , 
non  faites  demain  d'homme,  2  5o.  —  Signalement  du  Christ,  2  52.  —  Christ  imberbe , 
255.  —  Christ  barbu,  267.  —  Le  Christ  imberbe  est  fréquent  jusqu'au  x'  siècle, 
2  58.  —  Du  xi'  au  xvi'  siècle,  le  Christ  presque  toujours  barbu,  260.  —  Transition 
entre  le  Christ  imberbe  et  le  Christ  barbu,  262.  —  Le  Christ  byzantin  est  terrible, 
263.  —  Le  Fils  en  crucifié,  et  le  Christ  au  tombeau,  265.  —  Le  Crucifié  tout  nu, 
266.  —  Le  Christ  en  Jupiter  tonnant,  267.  —  Le  Christ  redevenu  doux,  269.  — 
Laideur  du  Christ,  270.  —  Beauté  du  Christ,  271 .  —  L'art  n'a  fait  le  Christ  ni  beau 
ni  laid,  mais  en  homme  et  barbu,  ou  en  Dieu  et  sans  barbe,  272.  —  Christ  laid 
et  barbu  sur  la  croix;  Christ  beau  et  imberbe  dans  la  gloire,  281.  — Christ  ordinai- 
rement beau  avant  le  xn'  siècle;  Christ  ordinairement  laid  après  cette  époque,  282. 
—  L'âge  et  la  physionomie  ne  caractérisent  pas  le  Fils,  284-  —  Ni  la  couronne,  ni 
la  nudité  des  pieds,  ni  le  nimbe,  ni  l'auréole,  ni  le  livre  ne  le  distinguent  spécialement, 
285.  —  Variétés  de  l'auréole  qui  entoure  le  Fils,  288.  — Le  Fils  en  imago  dypeata, 
290.  —  Les  mains  du  Fils  rayonnantes  ,293.  —  Le  Fils  portant  le  nimbe  frappé  d'un 
monogramme,  29/i.  —  La  croix  est  l'allribut  caractéristique  du  Fils,  395.  —  Stig- 
mates aux  pieds ,  couronne  d'épines  à  la  tête ,  le  livre  à  la  main  et  couvert  de  légendes , 
296.  —  Les  colombes  du  Saint-Esprit  entourent  le  Christ,  297.  —  Apothéose  du  Fils , 


TABLE  DES   MATIÈRES.  .  613 

2gg.  —  Le  Fils  en  ange,  3oo.  —  Le  Fils  en  enfant  tout  nu,  3oi.  —  Le  Fils  foulant  le 
lion  et  le  dragon,  l'aspic  et  le  basilic,  3o3.  —  Le  Fils  écrasant  la  Mort,  3o5.  —  Le  Fils 
revenant  au  ciel,  3o6.  —  L'art  français  est  vulgaire,  et  l'art  italien  élevé,  Sog.  —  Le 
Fils  béni  parle  Père,3io. — Le  Fils  en  archevêque ,  3 1 1 .  —  Le  Fils  triomphant  clans 
le  ciel ,  3 1 3.  —  Le  Fils  à  cheval  entre  les  anges  ,  3 1  Zi.  —  Le  Christ  sur  un  char  entre 
les  personnages  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament,  3i5.  —  Triomphe  du  Christ, 
022.  —  Le  Fils  en  agneau  ,  324-  —  Agneau  de  Dieu  indiqué  ou  porté  par  saint  Jean- 
Baptiste,  327.  —  Agneau  divin  tombant  dans  la  réalité,  328. —  Agneau  de  Dieu  en 
bélier,  33 1.  —  Le  Christ  et  les  apôtres  sous  la  forme  de  l'agneau,  333.  —  Personnages 
de  l'Ancien  Testament  en  agneaux,  335.  —  Condamnation  de  la  représentation  de 
l'agneau,  338.  —  Agneau  apocalyptique,  Sào.  —  Agneau  à  sept  cornes  et  sept  yeux, 
34o.  —  Le  nombre  des  cornes  et  des  yeux  varie,  34 1-  —  L'agneau  est  figuré  malgré 
la  défense  du  concile  Quini-Sexte,  3^2.  —  Jésus  en  bon  pasteur,  344-  — Le  bon  pas- 
teur, qui  n'est  pas  un  motif  païen,  est  d'invention  chrétienne,  346.  —  Jésus  en  lion, 
348.  —  L'agneau,  le  lion  et  la  croix  sont  les  trois  uniques  symboles  du  Christ,  34g- 

—  Différence  entre  un  symbole  et  une  figure ,  349.  —  Jésus  est  figuré  par  le  poisson  , 

35 1.  — Exemples  de  la  forme  du  poisson  attribuée  au  Christ  dans  les  monuments, 

352.  —  Exemples  tirés  des  textes,  354.  —  Jésus  est  figuré  mais  non  symbolisé  par  le 
poisson,  359.  —  Le  poisson  n'est  jamais  nimbé,  359.  —  L'image  du  poisson  ne  s'ap- 
plique pas  toujours  à  Jésus  ,  36o.  —  Sur  les  tombeaux  ,  l'image  du  poisson  indique  un 
pêcheur,  36 1.  —  Les  figures  gravées  sur  les  monuments  funéraires  désignent  la  condi- 
tion ,  la  profession ,  le  sexe  ou  le  nom  du  mort  ,362.  —  Très-souvent  le  poisson  n'est  pas 
même  la  figure  du  Christ,  et  encore  moins  son  symbole,  369.  —  Les  objets  d'orne- 
mentalion  sont  de  pures  arabesques,  et  ne  paraissent  pas  symboliques,  Syo.  —  Les  ex- 
plications allégoriques  sont  presque  toujours  fausses,  373.  —  La  croix,  symbole  du 
Christ,  375.  —  Histoire  du  bois  de  la  croix,  376.  —  La  croix,  c'est  le  Crucifié,  377. 

—  Figures  de  la  croix  dans  l'Ancien  Testament ,  378.  —  Louanges  à  la  croix,  38o. 

—  Culte  de  la  croix,  38 1.  —  Croix  en  tau  ou  sans  sommet,  382.  —  Croix  à  quatre 
branches,  382.  —  Croix  grecque,  383.  —  Croix  latine,  384.  —  Les  croix  grecques 
et  latines  sont  communes  d'abord  à  l'Orient  et  à  l'Occident,  384-  —  Lacroix  à  branches 
inégales  appartient  spécialement  aux  Latins  ,  385.  — La  croix  à  branches  égales  pré- 
domine en  Orient,  385.  —  Le  plan  des  églises  s'ordonne  sur  la  croix  grecque,  en 
Orient,  sur  la  croix  latine,  en  Occident,  386.  —  Plan  des  églises  d'Angleterre  en 
croix  à  double  traverse  ,  388.  —  La  croix  à  double  traverse  est  spécialement  orientale, 
389.  —  Croix  à  triple  traverse ,  insigne  de  la  papauté ,  392.  —  Croix  de  passion  ou  pati- 
bulaire et  croix  de  résurrection  ,  893.  —  Croix  héraldique,  395.  —  Croix  accompagnée 
de  monogrammes ,  SgG.  —  Croix  accompagnée  d'animaux  ,  398.  —  Croix  couronnées, 
399.  —  Croix  auréolée  et  cantonnée  des  évangiles,  399.  —  Croix  grecques  en  mono- 
grammes du  Christ,  4oi.  —  Croix  grecques  et  latines  en  monogrammes,  4o3.  — 
Croix  mystiques,  4o5.  —  Croix  diverses,  4o8.  —  Croix  habitée,  4 10.  —  Signe  de 
la  croix,  4i3.  —  Bénédiction  réservée  à  Dieu  et  à  ses  délégués,  4i4-  —  Bénédiction 
grecque,  4i5.  —  Bénédiction  latine,  4 16.  —  Bénédiction  sacerdolale  et  épiscopale. 


()I^  TABLE  DES   MATIERES. 

/il  7.  —  Forme  du  signe  de  la  croix,  417.  —  Explication  mystique  du  signe  de  la 
croix,  4 18.  —  Couleur  de  la  croix,  ^20.  —  Couleur  verte  de  la  croix  historique  , 
421.  —  Couleur  éclatante  de  la  croix  idéale,  hii.  —  Exaltation  de  la  croix,  ^2  3.  — 
Triomphe  de  la  croix,  426. 


I.E    SAINT-F.SPRIT. 


Définition,  427.  — Le  Père,  Dieu  de  la  force,  427.  —  Le  Fils,  Dieu  de  l'amour,  429. — 
L'Esprit,  Dieu  de  l'amour  en  théologie,  mais  Dieu  de  l'intelligence  en  histoire,  43o. 

—  Confusion  dans  les  attributions  des  personnes  divines,  43o.  —  L'intelligence  revient 
définitivement  à  l'Esprit,  43 1. —  Invocation  à  l'Esprit  pour  s'éclairer,  43 1. —  Les  dons 
de  l'Esprit  se  rapportent  à  l'intelligence,  434-  —  Par  l'Écriture  sainte,  paria  légende, 
par  l'histoire,  par  l'art  de  France,  d'Allemagne,  d'Italie,  de  Grèce,  on  prouve  que 
l'Esprit  est  le  Dieu  de  la  raison,  435.  —  L'Esprit  tenant  en  main  le  livre,  emblème 
de  l'intelligence,  445.  —  Culte  de  l'Esprit,  supérieur  à  celui  du  Père,  inférieur  à  celui 
du  Fils,  447.  —  Monuments  dédiés  à  l'Esprit,  448.  —  Office  du  Saint-Esprit,  45o. 

—  Manifestation  de  l'Esprit  dans  l'Ancien  Testament,  45i.  —  Dans  le  Nouveau,  453. 

—  Dans  la  légende  et  l'histoire,  454-  — Dans  la  pure  légende,  456.  — Dans  les 
œuvres  d'art,  457.  —  Apparition  de  l'Esprit  à  Grégoire  le  Grand  et  à  divers  saints, 
458.  —  L'Esprit  dirige  les  rois,  46o.  —  Apparition  de  l'Esprit  au  sacre  de  Clovis  et 
des  autres  rois  de  France,  462.  —  L'Esprit  en  oiseau,  pour  désigner  la  vitesse,  463. 

—  Les  ailes,  attribut  de  la  promptitude,  463.  —  Ailes  aux  êtres  allégoriques,  qui 
désignent  la  rapidité  chez  les  païens  comme  chez  les  chrétiens ,  464-  —  Jeunesse  ailée, 
465.  —  L'Eghse  en  oiseau,  467.  —  Le  pape  en  oiseau,  468.  —  L'Esprit  en  oiseau  ou 
en  colombe,  dans  l'histoire  et  la  légende,  470.  —  L'âme  en  colombe,  471.  —  Cou- 
leur blanche  et  lumineuse  de  la  colombe  divine,  473.  —  L'Esprit  du  mal  est  noir, 
476.  —  L'Esprit  du  mal  à  ailes  de  chauve-souris,  478.  —  L'Esprit  en  homme,  avant 
J'an  mil,  479.  —  Exemple  du  x'  siècle,  48o.  —  Exemple  du  xii',  48i.  —  Interrup- 
tion, au  xiii'  siècle,  de  la  représentalion  de  l'Esprit  en  homme,  48 1. — On  y  revient 
aux  xv"  et  \\\\  48 1 .  —  Homme ,  l'Esprit  prend  tous  les  âges ,  depuis  l'enfance  jusqu'à  la 
vieillesse  ;  exemples  divers ,  482. —  L'Esprit  se  montre  tard  et  rarement  sous  forme  hu- 
maine, et  disparaît  de  bonne  heure;  sous  forme  de  colombe,  il  traverse  tous  les  siècles, 
A85.  —  On  devrait,  de  nos  jours,  donner  à  l'Esprit  la  forme  humaine,  485.  —  Pro- 
priétés de  l'Esprit,  486.  —  Les  sept  dons  de  l'Esprit  sous  forme  de  sept  colombes , 
A87.  —  Ordre  des  dons  de  l'Esprit,  489.  — Cet  ordre  accuse  l'état  moral  de  la  société, 
li^o- — Les  sept  dons  disposés  horizontalement,  verticalement ,  circulairement,  493. 

—  Disposition  des  sept  dons  dans  l'Apocalypse,  494-  —  L'Esprit  de  crainte  au  som- 
met d'une  arcade,  496.  —  L'Esprit  de  sagesse  en  tête  d'un  cercle,  497-  —  L'Esprit 
d'intelligence  devrait  être  à  la  place  d'honneur,  497. —  A  Chartres,  six  Esprits  au  lieu  de 
sept,  499.  —  Abailard,  comme  la  cathédrale  de  Chartres,  supprime  l'Esprit  de  crainte, 
5oo.  — ■  Les  sept  colombes  de  l'Esprit  se  voient  auréolées  et  nimbées,  5oi.  — Une 
des  colombes,  le  don  par  excellence,  porte  quelquefois  le  nimbe  crucifère,  5o2.  — 
Ailleurs,  les  sept  colombes  sont  égales,  avec  ou  sans  nimbe,  5o2. —  Les  sept  co- 


TABLE  DES   MATIERES.  615 

lombes  sont  lumineuses  et  petites,  5o3.  —  La  colombe  du  Saint-Espril  est  souvent 
sans  nimbe;  moyen  de  la  reconnaître,  boU-  — H  faut  distinguer  un  oiseau  ordinaire 
de  la  colombe  divine,  5o5.  — La  Vierge  entourée,  comme  Jésus,  de  sept  colombes, 
5o5.  —  L'Esprit  jouant  avec  Marie,  5oG.  —  Jusqu'au  \°  siècle,  l'Esprit  ne  se  voit  qu'en 
colombe,  507.  —  Du  \f  au  xiv°,  il  est  bomme  et  colombe,  Soy. —  Du  xiv'  au  xvi°, 
l'Esprit  en  bomme  porte  quelquefois  sa  colombe  symbolique,  5o8.  —  A  l'apparition 
de  la  scolaslique,  la  figure  humaine  est  donnée  à  l'Esprit,  Sog.  —  L'Esprit  subit  la 
physionomie  du  Fils  et  du  Père,  5io.  —  Le  nimbe  de  l'Esprit  suit  les  variétés  du 
nimbe  des  deux  autres  personnes  divines,  5ii.  —  L'Esprit  prend  l'auréole,  5 12.  — 
L'art  représente  souvent  l'Esprit,  5i3.  —  L'Esprit  oublié  quelquefois,  5i5.  —  L'Es- 
prit remplacé  par  le  Père,  5i6.  —  L'Esprit  supprimé,  517.  —  L'Esprit  déconsidéré, 
519.  —  Hérésies  contre  le  Saint-Esprit,  620. 


LA    TRINITE. 


Les  païens  ont  entrevu  le  dogme  de  la  Trinité,  52^.  —  La  mythologie  et  la  philosophie 
antique  se  sont  préoccupées  de  la  Trinité,  52/i-  —  Propriétés  du  nombre  trois,  52  5. 

—  Ces  propriétés  encore  admises  de  nos  jours,  526.  —  Le  christianisme  proclame  la 
divinité  du  nombre  trois,  527.  — Définition  des  trois  personnes  divines,  528.  —  Dé- 
finition parles  Pères  de  l'Eglise  et  les  théologiens,  529. —  Attribution  de  la  puis- 
sance au  Père,  de  l'intelligence  au  Fils,  de  l'amour  à  l'Esprit,  532.  —  Cette  allribu 
tion  ne  convient  qu'aux  personnes  divines  considérées  tliéologiquement  et  dans  leurs 
relations  entre  elles,  533. —  Historiquement,  et  dans  leurs  relations  avec  les  hommes, 
le  Père  est  puissance,  le  Fils  amour,  l'Esprit  intelligence,  534-  —  Le  Père  dait  avoir 
le  globe,  le  Fils  la  croix,  l'Esprit  le  livre,  535.  —  La  Trinité  n'apparaît  pas  dans 
l'Ancien  Testament,  536.  —  Violences  faites  aux  textes,  537.  —  Le  Nouveau  Testa- 
ment montre  et  nomme  la  Trinité,  5Ai-  —  L'âme  humaine,  image  de  la  Trinité, 
543. — Trinité  malfaisante,  544- — Trinité  du  temps,  545.  —  Trois  est  un  nombre 
sacré,  548.  —  Le  symbolisme  du  nombre  trois  vu  où  il  n'est  pas,  549.  —  Fête  de  la 
Trinité  inférieure  aux  fèies  du  Fils  et  de  l'Esprit,  55i.  —  Les  trinilaires  et  les  monu- 
ments en  l'honneur  de  la  Trinité ,  552 .  —  La  Trinité  figurée  dans  le  plan  et  le  nombre 
des  constructions,  552.  —  La  Sagesse,  mère  de  la  Trinité  morale,  556.  —  Abondance 
des  groupes  de  la  Trinité,  557.  —  Dans  les  huit  premiers  siècles  chrotiens,  ébauches 
de  Trinités,  558.  —  Alors  le  Père  est  représenté  par  une  main,  le  Fils  par  l'agneau 
ou  la  croix,  l'Esprit  par  la  colombe,  558.  — Trinité  mise  en  action  par  le  roi  de  Perse, 

•  Chosroès,  56o.  —  Du  ix'  siècle  au  xif,  Trinité  anlhropomorphique,  563.  — Trinité 
géométrique  et  en  triangle,  565.  —  Au  xiii",  les  types  antérieurs  se  multiplient  et  se 
perfectionnent,  566.  —  Les  trois  personnes  adhèrent  l'une  à  l'autre  et  finissent  pai 
se  souder,  567.  — Trinité  géométrique  en  cercles,  568.  —  Michel-Auge  porte  cette 
Trinité  sur  une  bague,  571.  —  Du  xv"  siècle  au  xvi°,  mélange  de  tous  les  types,  572. 

—  Triangle  inscrit  dans  un  cercle,  574-  —  Adhérence  et  soudure  des  trois  télés  snr  un 
seul  corps ,  575.  —  Trinité  d'Abailard  ,576.  —  Erreur  de  Mabillon ,  577.  —  La  renais- 


616  TABLE   DES   MATIÈRES. 

sance  affectionne  la  Trinité  anthropomorphique ,  679.  —  Les  trois  têtes  se  soudent ,  se 
pénètrent,  s'absorbent  de  plus  en  plus,  679.  —  Monstruosité,  58o.  —  La  Trinité  dans 
le  sein  de  Marie,  682.  —  Condamnation  des  Trinités  ayant  la  forme  d'un  bomme  à 
trois  têtes,  583.  —  Exemple  unique  d'une  de  ces  Trinités  en  Grèce,  58/j.  —  Absence 
d'attributs  à  la  Trinité,  quand  on  figure  l'égalité  des  personnes,  585.  —  Légères  diffé- 
rences dans  l'égalité,  586.  — Caractères  nombreux,  lorsqu'on  veut  faire  ressortir  la 
distinction  des  personnes,  587.  — Groupement  des  personnes  tendant  de  plus  en  plus 
au  rapprocbement ,  588.  —  Au  xiv°  siècle,  contact  des  personnes;  au  x\\  soudure  et 
pénétration,  589.  —  Au  xvf,  absorption,  590.  —  Disposition  des  personnes  entre  elles, 
691 .  —  Différences  et  erreurs  à  cet  égard,  5g  1.  —  Procession  du  Saint-Esprit,  592.  — 
Absence  de  procession  de  l'Esprit,  592.  —  Nimbe  et  auréole  à  la  Trinité  comme  à 
chacune  des  trois  personnes  divines,  595.  —  Nimbe  triangulaire  unique  pour  les  trois 
têtes,  595.  — Tiare,  couronne  impériale,  couronne  royale  sur  la  tête  de  la  Trinité, 
596.  —  Coiffures  des  trois  personnes,  597.  —  Globe  aux  mains  de  la  Trinité,  597. 
—  Costume  de  la  Trinité ,  600.  —  Livre  avec  inscriptions  aux  mains  de  la  Trinité , 
601.  —  Pieds  de  la  Trinité  nus  et  quelquefois  chaussés,  6o3.  —  Rectifications,  6o5. 

DESSINS. 

DE  LA  GLOIRE. 

Planches.  Pages. 

1.  —  Nimbe  circulaire,  ourlé  d'une  légende,  enveloppant  la  tête  de  Charlemagne. 

Vitrail  allemand  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  xii*  et  xiv'  siècles 26 

2.  —  Auréole  elliptique  encadrant  Jésus-Christ,  qui  monte  au  ciel;  le  Christ  porte 

le  nimbe  crucifère.  Miniature  italienne.  Bibliothèque  royale,  xiv°  siècle •      27 


3.  —  Nimbe  circulaire,  surmonté  de  deux  tiges  d'héliotrope,  autour  de  la  tête  de 
saint  Jean  évangéliste.  Vitrail  français  du  xii' siècle,  dans  l'abbatiale  de  Saint- 
Remi  de  Reims .      32 

k.  —  Nimbe  triangulaire  et  rayonnant  à  Dieu  le  Père.  Fresque  grecque  du  mont 
Athos ,  xvii'  siècle 33 

5.  —  Nimbe  carré  à  saint  Grégoire  IV.  Mosaïque  de  Rome,  dans  l'église  Saint- 

Marc  ,  ix^  siècle 34 

6.  —  Nimbe  crucifère  aux  trois  personnes  divines.  Miniature  française  de  la  fin 

du  xiii"  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale 35 

7.  —  Nimbe  à  rayons  inégaux  et  non  bordé  d'une  circonférence.  Miniature  fran- 

çaise du  XV f  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale 36 

8.  —  Nimbe  croisé  de  trois  pinceaux  lumineux,  et  débordant  la  circonférence.  Mi- 

niature romaine  du  ix°  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale 37 

9.  —  Apollon  nimbé  et  coiffé  de  sept  rayons.  Sculpture  romaine  d'époque  incertaine.     38 


TABLE   DES   MATIÈRES.  617 

Planclies,  Pages. 

1 0.  —  Nimbe  frangé  de  quatorze  rayons.  Pierre  gravée  ,  abraxas  des  premiers  siècles 

chrétiens Sg 

11.  —  Nimbe  divin  aux  trois  personnes  de  la  Trinité.  Miniature  française  de  la  fin 

du  xiii"  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale Ui 

12.  —  Nimbe  crucifère,  rayonnant  et  ondulé,  à  Maya,  déesse  hindoue.  Sculpture 

hindoue - kU 

13.  —  Nimbe  eroi.sé  et  recroisé  à  l'agneau  de  Dieu.  Sculpture  italienne  du  x'  siècle.  A6 

14.  —  Nimbe  divin  à  croisillons  surhaussés.  Fresque  française  du  xi'  siècle /jy 

15.  —  Nimbe  divin  grec,  crucifère,  à  croisillons  marqués  de  ô  âv.  Fresque  des  Mé- 

téores, en  Thessalie,  du  xiv'  siècle 48 

16.  —  Nimbe  uni  à  Jésus-Christ  moulant  au  ciel  dans  une  auréole  ciixulaire.  Sculp- 

ture italienne  sur  bois,  xiv"  siècle 5o 

17.  —  Nimbe  uni  et  non  crucifère  à  Jésus  imberbe.  Fresque  des  catacombes  de 

Rome ,  premiers  siècles  chrétiens 53 

18.  —  Absence  de  nimbe  à  Jésus  imberbe.  Sculpture  des  sarcophages  du  Vatican, 

premiers  siècles  chrétiens 54 

19.  —  Nimbe  crucifère  sur  un  personnage,  représentant  de  Dieu.  Miniature  latine 

du  x"  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale.  .  . 55 

20.  —  Nimbe  crucifère  à  la  main  divine.  Miniature  latine  du  ix"  siècle,  à  la  Biblio- 

thèque royale 56 

21.  —  Nimbe    bitriangulaire   au   Père;  le   lîls  à  nimbe  circulaire  ;  l'Esprit  sans 

nimbe  et  dans  une  auréole.  Fresque  du  mont  Athos,  xvii"  siècle 57 

22.  —  Nimbe  au  Père  en  losange,  à  côtés  concaves.  Miniature  italienne  du  xiv' siècle, 

à  la  Bibliothèque  royale , 66 

23.  —  Nimbe  non  crucifère  à  l'agneau  de  Dieu,  mais  marqué  du  monogramme 

nominal  et  du  monogramme  symbolique.  Sculpture  des  anciens  sarcophages 

du  Vatican,  premiers  siècles  chrétiens 68 

24.  —  Nimbe  uni  à  saint  Jean-Baptiste.  Fresque  du  mont  Hymette  ,  wn'  siècle.  .  .      72 

25.  —  Nimbe  circulaire,  décoré  d'ornements  et  ourlé  d'une  légende,  à  l'empereur 

Henri  le  Boiteux.  Vitrail  de  la  cathédrale  de  Strasbourg ,  xii°  etxiv'  siècles ...      77 

26.  —  Nimbe  carré  ou  des  vivants ,  au  pape  Pascal.  Mosaïque  de  Sainte-Cécile 

de  Rome ,  ix"  siècle 70 

27.  —  Nimbe  en  rouleau  et  rectangulaire  à  un  évêque  vivant.  Miniature  italienne 

du  ix'  siècle 82 

28.  —  Nimbe  carré  à  Charlemagne  et  au  pape  Léon  III,  circulaire  à  saint  Pierre. 

Mosaïque  romaine  du  ix"  siècle 83 

29.  —  La  statue  de  la  Liberté,  décorée  d'un  nimbe  circulaire.  Sculpture  de  la  ca- 

thédrale de  Chartres,  xiii'  siècle 86 

30.  —  Nimbe  circulaire  à  la  lune.  Sculpture  païenne  ,  âge  incertain 88 

31.  —  Nimbe  en  roue  au  soleil   coiffé  de  sept  rayons.  Sculpture  étrusque,  âge 

incertain *. 88 

INSTRUCTIONS.  II.  78 


618  TABLE   DES  MATIÈRES. 

Planches.  Pages. 

32.  —  Absence  de  nimbe  à  Dieu  imberbe.  Sculpture  des  sarcophages  du  Vatican , 

premiers  siècles  chrétiens i  oo 

33.  —  Nimbe  en  casquette.  Sculpture  en  bois,  du  xvi°  siècle,  dans  la  cathédrale 

d'Amiens i  o4 

5k.  —  Jésus  nimbé  de  trois  aigrettes  rayonnantes.  Minature  du  xvi°  siècle,  à  la 

Bibliothèque  royale .  .  i  o5 

35.  —  Nimbe  en  perspective  à  saint  Pierre.  Peinture  romaine  à  l'huile,  xvi'  siècle.  107 

AURÉOLE. 

36.  —  Auréole  en  quatre-feuilles,  enveloppant  le  Christ  apocalyptique.  Fresque  du 

xii"  siècle,  dans  la  cathédrale  d'Auxerre 111 

37.  —  Auréole  onduleuse,  à  trois  lobes  intersectés.  Miniature  française  du  x"  siècle, 

à  la  Bibliothèque  royale 1 1 3 

38.  —  Auréole  circulaire ,  rayonnante  dans  le  champ  et  divisée  en  carrés  symbo- 

liques. Fresque  grecque,  dans  l'ile  de  Salamine,  xviii'  siècle.  .  ^  ,  .  .i 1 1  7 

39.  —  Auréole  enroue.  Vitrail  français  du  xii°  siècle,  dans  la  cathédrale  de  Chartres.    119 

40.  —  Auréole  elliptique  et  formée  de  rinceaux.  Miniature  française  du  xiii''  siècle, 

à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal 1 23 

ti\.  —  Auréole  ovale,  intersectée  par  une  autre  auréole  ovale,  toutes  deux  enve- 
loppant Marie.  Minialure  latine  du  x"  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale 126 

42.  —  Nuée  en  auréole  elliptique,  enveloppant  l'âme  de  saint  Martin.  Vitrail  fran- 

çais du  xiii''  siècle,  dans  la  cathédrale  de  Chartres 128 

43.  —  Auréole  flamboyante,  entourant  Marie,  qui  tient  Jésus.  Miniature  française 

du  xvi'  siècle,  à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève. i3i. 

GLOIRE. 

44.  —  Large  nimbe ,  espèce  d'auréole,  autour  de  Mercure.  Sculpture  païenne ,  âge 

incertain , 1 36 

45.  —  Nimbe  en  pyramide  flamboyante,  sur  la  tête  d'un  roi  persan.  Minialure  per- 

sane, à  la  Bibliothèque  royale 1  Sy 

46.  —  Nimbe  circulaire  à  Satan.  Miniature  française  du  x°  siècle,  à  la  Bibliothèque 

royale 1 63 

47.  —  Bêle  à  sept  têles,  nimbée.  Miniature  italienne  du  xif  siècle,  à  la  Bibliothèque 

royale i65 

DIEU. 

DIEU    LE    PÈRE. 

48.  —  Le  Créateur  en  Jésus-Christ,  non  en  Père.  Ivoire  romain  du  xii"  siècle.  .  .    178 


TABLE  DES   MATIÈRES.  619 

Planches.  Pjg"- 

49.  —  Le  Tout-Puissant  en  Fils,  non  en  Père.  Fresque  grecque,  dans  l'île  de  Sa- 

lamine,  xviii'  siècle 181 

50.  —  La  Sagesse  en  Fils,  non  en  Père.  Miniature  latine  du  xi^  ou  xii'  siècle,  dans 

la  bibliothèque  du  palais  Saint-Pierre,  à  Lyon i85 

51.  —  Le  Père  en  Dieu  des  combats.  Miniature  italienne,  fin  du  xii°  siècle,  à  la 

Bibliothèque  royale 191 

52.  — Main  divine,  rayonnante,  sans  nimbe,  bénissant  à  la  grecque.  Miniature 

grecque  du  x^  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale 208 

53.  —  Main  divine,  sans  rayons,  sans  nimbe,  et  non  bénissante.  Miniature  latine  du 

x"  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale 210 

54.  —  Main  divine  bénissant  à  la  manière  latine,  enfermée  dans  un  nimbe  cruci- 

fère. Sculpture  italienne  du  xii"  siècle ,  à  la  cathédrale  de  Ferrare 212 

55.  —  Main  divine  dans  une  auréole  ou  nimbe  circulaire  en  couronne.  Mosaïque 

latine  du  ix'  siècle,  à  Sanla-Maria-Nova .    2i3 

56.  —  Main  divine  emportant  au  ciel  les  âmes  des  justes.  Fresque  grecque  du 

xviii'  siècle,  dans  l'île  de  Salamine 216 

57.  —  Figure  du  Père  sous  les  traits  de  son  Fils.  Miniature  française  du  xiv'  siècle, 

à  la  Bibliothèque  royale 217 

58.  —  Dieu  imberbe,  Père  ou  Fils,  bénissant  à  la  manière  latine.  Miniature  fran- 

çaise du  xi"  siècle ,  à  la  bibliothèque  de  Beauvais 219 

59.  —  Père  et  Fils  à  figure  identique.  Miniature  française  du  xiif  siècle,  à  la  bi- 

bliothèque de  Chartres 220 

60.  —  Père  peu  distinct  du  Fils.  Miniature  française  ,  fin  du  xiii"  siècle,  à  la  Bi- 

bliothèque royale 221 

61.  —  Père  distinct  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  Miniature  française,  du  xiv'  siècle , 

à  la  Bibliothèque  Sainte-Geneviève ,  .    228 

62.  —  Père  entièrement  distinct,  créateur,  vieillard  habillé  en  pape.  Vitrail  français 

du  xvi^  siècle,  à  Sainte-Madelaine  de  Troyes 224 

63.  —  Père  en  pape,  en  tiare  à  cinq  couronnes,  et  à  nimbe  uni.  Vitrail  français, 

fin  du  xvi'  siècle,  à  Saint-Martin-ès- Vignes  de  Troyes ...     282 

64.  —  NomdeJéhovah  dans  le  triangle  rayonnant.  Sculpture  en  bois,  du  xvn' siècle, 

à  Hautvillers  (Marne) r .    2S7 

DIEU    LE    FILS. 

65.  —  Le  Fils  en  créateur  des  anges.  Miniature  italienne,  fin  du  xui^  siècle,  à  la 

Bibliothèque  royale , 2  46 

66.  —  Jésus  imberbe  et  sans  nimbe.  Sculpture  romaine  des  anciens  sarcophages, 

iv°  siècle 2  56 

67.  —  Jésus  en  souverain  juge  et  en  tiare  à  une  couronne,  enfermé  dans  une  au- 

réole elliptique.  Fresque  du  Campo-Santo  de  Pise ,  xiv"  siècle 268 

78. 


620  TABLE   DES   MATIÈRES. 

Planches.  Pages 

68.  —  Chrlsl  souffrant,  barbu,  humain  ou  laid.  Ivoire  latin  du  xf  siècle,  à  la  Bi- 

bliothèque royale , 276 

69.  —  Christ  triomphant,  bénissant  à  la  manière  latine,  imberbe,  divin  ou  beau, 

dans  une  auréole  elliptique.  Ivoire  latin  du  xi"  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale.   279 

70.  —  Christ  barbu,  tenté  par  Satan.  Miniature  française  du  xif  siècle,  à  la  Bi- 

bliothèque royale 283 

71.  —  Jésus  dans  le  sein  de  Marie  et  enfermé  dans  une  auréole  elliptique  flam- 

boyante. Vitrail  français  du  xvi"  siècle,  dans  l'église  de  Jouy  (Marne) 287 

72.  —  Jésus  imberbe,  en  ange,  bénissant  à  la  grecque ,  enfermé  dans  une  auréole 

polylriangulaire.  Peinture  grecque  sur  bois,  xv"  siècle,  au  Megaspilœon,  en 
Achaïe , »  ,  . 289 

73.  —  Jésus  en  imago  clypeata.  Sceau  en  argent  du  mont  Alhos 291 

7k.  —  Marie  glorifiée  comme  son  fils,  entourée  d'une  auréole  elliptique.  Fresque 

italienne  du  Campo-Sanlo  de  Pise,  xiv°  siècle 298 

75.  — Le  Verbe  en  enfant  tout  nu,   à  nimbe  crucifère.   Miniature  française  du 

xiv"  siècle,  à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève. 3o2 

76.  — Jésus  imberbe,  à  nimbe  orné  non  crucifère,  foulant  l'aspic,  le  basilic,  le 

lion  et  le  dragon.  Ivoire  italien  du  x"  siècle,  au  musée  du  Vatican 3o/i 

77.  —  Jésus  imberbe,  à  nimbe  crucifère,  terrassant  la  Mort  enchaînée.  Miniature 

allemande  du  xi"  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale 3o6 

78.  —  Le  Christ  barbu,  à  nimbe  crucifère,  revenant  de  son  pèlerinage,  béni  à  la 

manière  latine  parle  Père  et  l'Esprit.  Miniature  française  du  xiv"  siècle,  à  la 
Bibliothèque  royale 307 

79.  —  Le  Christ  barbu  et  nu,  montrant  ses  plaies  saignantes  au  Père,  qui  le  bénit 

à  la  manière  latine.  Miniature  italienne  du  xiv' siècle,  à  la  Bibliothèque  royale.    3 10 

80.  —  Jésus  en  grand  archevêque,  barbu,  à  longs  cheveux,  à  couronne  impériale, 

à  nimbe  crucifère  avec  o  djv,  bénissant  à  la  grecque.  Fresque  grecque  d'une 
église  d'Athènes ,  xvi'  siècle 3 1 2 

81.  —  Jésus  à  cheval,  nimbe  crucifère  à  la  tête,  verge  de  fer  en  main.  Fresque 

française  du  xii°  siècle,  dans  la  cathédrale  d'Auxerre. 3i  5 

82.  —  Agneau  de  Dieu  à  nimbe  crucifère.  Cuivre  gravé,  xi°  siècle,  dans  le  musée 

du  Sommerard 326 

83.  —  Agneau  de  Dieu  sans  nimbe,  tenu  par  saint  Jean -Baptiste,  enfermé  dans 

une  auréole  circulaire.  Sculpture  du  xiii''  siècle,  à  la  cathédrale  de  Chartres.   328 

84.  —  Agiieau  de  Dieu  sans  auréole,  portant  un  nimbe  crucifère,  tenu  par  saint 

Jean-Baptiste.  Miniature  française  du  xiv°  siècle,  à  la  bibliothèque  Sainte- 
Geneviève , 329 

85.  —  Agneau  de  Dieu  en  bélier.  Sculpture  française  de  la  cathédrale  de  Troyes, 

fin  du  xiii"  siècle 332 

86.  —  Le  Christ  et  les  apôtres  sous  forme  d'agneaux  ou  de  brebis.  Sculpture  la- 

tine des  sarcophages  du  Vatican,  premiers  siècles  chrétiens 333 


TABLE   DES   iMATIÈRES.  621 

Planches.  Pa^es. 

87.  —  Agneaux  et  brebis  représenlanl  des  scènes  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Tes- 

tamenl.  Sculpture  latine  du  tombeau  de  Junius  Bassus,  dans  le  musée  du 
Vatican,  iv'  siècle 33-- 

88.  —  Agneau  de  Dieu  apocalyptique,  à  sept  yeux  et  sept  cornes.  Miniature  fran- 

çaise du  xiii"  siècle,  à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal 34o 

89.  —  Jésus  imberbe  et  sans  nimbe ,  en  bon  pasteur.  Fresque  des  catacombes  de 

Rome,  premiers  siècles 346 

90.  —  Tombe  d'un   épicier  ou  vendeur  d'huile.   Sculpture  latine  des  premiers 

siècles  chrétiens 363 

91.  —  Tombe  d'un  architecte.  Sculpture  des  premiers  siècles  de  l'Église.  ......  364 

92.  —  Berger  en  bon  pasteur.  Sculpture  latine  des  anciens  sarcophages  chrétiens.  364 

93.  —  Poissons  et  attributs  divers  sur  les  tombeaux  des  premiers  chrétiens.  Sculp- 

ture et  peinture  des  catacombes  de  Rome 367 

94.  —  Tombe  d'un  vigneron.  Sculpture  des  catacombes  de  Rome SyS 

95.  —  Croix  en  plan  d'église  grecque.  Gravure  française,  sur  cire,  vif  siècle.  .  .  386 

96.  —  Croix  grecque  à  double  travers.e.  Sculpture  d'Athènes,  xf  siècle 390 

97.  —  Croix  résurrectionnelle.  Miniature  française  du  xiii"  siècle  ,  à  la  Biblio- 

thèque royale 3q4 

98.  —  Croix  grecque  en  croix  de  Lorraine.  Sculpture  du  mont  Athos,  premiers 

siècles  de  l'Eglise 3q6 

99.  —  Croix  grecque  à  double  traverse,  nattée,  adorée  par  deux  paonsr  Sculpture 

d'Athènes ,  xi"  siècle 3q8 

100.  —  Croix  cantonnée  des  quatre  évangiles  et   dans    une   auréole  circulaire. 

Fresque  des  catacombes  de  Rome,  premiers  siècles 4oo 

101. — Croix   diverses   de    forme  grecque.   Sculpture  des  anciens   sarcophages, 

premiers  siècles  de  l'Eglise 4oi 

102.  —  Croix  grecque  ou  étoile,  à  six  branches  égales.  Sculpture  de  saint  Démé- 
trius,  à  Salonique,  iv"  siècle 402 

103.  —  Croix  grecque  à  six  branches  inégales.  Sculpture  de  saint  Démétrius,  à 
Salonique,  iv^  siècle 4o2 

104.  —  Diverses  croix  de  forme  latine  et  de  forme  grecque.  Monuments  des  cata- 
combes ,  premiers  siècles 4o3 

105.  —  Croix  formée  du  monogramme  du  Christ.   Sculpture    des   catacombes, 
premiers  siècles 4o4 

106.  —  Croix  mystique.  Pierre  gravée  dans  les  premiers  siècles  de  l'Eglise 4o5 

107.  —  Croix  gemmée  et  constellée,  dans  une  auréole  circulaire.  Mosaïque  du 

vi°  siècle,  à  Saint-Apollinaire  de  Ravenne 407 

108.  —  Diverses  croix  de  forme  latine  et  grecque.  Monuments  français  de  dilîé- 
renles  époques 4o8 

109.  —  Croix  habitée.  Gravure  florentine  du  xv"  siècle 4io 


522  TABLE   DES   MATIÈRES. 


LE  SAINT- ESPRn> 
Planches.  p^^^^ 

1 10.  —  Esprit  d'intelligence,  planant  sur  David.  Miniature  grecque  du  x"  siècle.    ^43 

111.  —  Saint-Esprit  en  Dieu  de  l'intelligence.  Miniature  française  du  xiv'  siècle, 

à  la  Bibliothèque  royale ^^g 

112.  —  Esprit  en  colombe  et  porté  sur  les  eaux.  Miniature  française  du  xv*  siècle, 

à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal ^52 

113.  —  Esprit  en  homme  de  trente  ans.  Sculpture  française  du  xvi'  siècle,  dans 

la  cathédrale  d'Amiens ^5g 

\\k.  —  Esprit  en  colombe,  inspirant  saint  Grégoire  le  Grand.  Sculpture  française 

en  pierre,  à  la  cathédrale  de  Chartres,  xiii'  siècle 45n 

115.  —  Esprit  en  colombe  sur  un  étendard.  Miniature  française  du  xiv'  sièi.le,  à 

la  Bibliothèque  royale ^6 1 

11().  —  Trois  paires  d'ailes  à  un  ange.  Peinture  italienne,  sur  bois,  xv'  siècle.  .  .  463 
117.  —  Trois  paires  d'ailes  ocellées,  ou  tétramorphe  grec  porté  par  des  roues  ailées 

et  enflammées.  Mosaïque  bysantine  du  xiii'  siècle,  au  mont  Athos à6à 

118. — La  Jeunesse  ailée.   Miniature  française  du  xiv'  siècle,  à  la  bibliothèque 

Sainte-Geneviève , ^66 

119.  —  L'Eglise  en  colombe  à  six  ailes.  Miniature  franco-germaine  du  xi°  siècle, 

à  la  bibliothèque  de  Strasbourg , 468 

120.  —  Esprit  du  mal,  noir.  Miniature  franco-germaine  du  xi"  siècle,  à  la  biblio- 
thèque de  Strasbourg l^n-j 

121.  —  Esprit  du  mal,  en  moucheron,  à  ailes  de  chauve-souris.  Miniature  iran- 
çaise  du  xvi°  siècle,  à  la  bibliothèque  Sainte-Geneviève 4-78 

122.  —  Esprit  en  enfant  et  porté  sur  les  eaux.  Miniature  française  du  xiv' siècle, 

à  la  Bibliothèque  royale 482 

123.  —  Esprit  en  enfant  de  huit  ans,  dans  les  bras  du  Père,  portant  en  nimbe 
trois  pinceaux  lumineux.  Miniature  française  du  xvi'  siècle,  à  la  bibliothèque 
Sainte-Geneviève 483 

124.  —  Les  sept  dons  de  l'Esprit  en  sept  colombes  sans  nimbe,  entourant  Jésus 

et  Marie.  Miniature  française  du  xiv'  siècle ,  à  la  Bibliothèque  royale 488 

125.  —  Les  six  colombes  de  l'Esprit,  au  lieu  de  sept,  nimbe  uni  à  la  tête,  corps 
dans  une  auréole  circulaire ,  tournées  vers  Jésus  en  imago  clypeata.  Vitrail 
français  du  xiii'  siècle,  à  la  cathédrale  de  Chartres 499 

126.  —  Esprit  en  homme,  et  portant  sa  colombe  symbolique  sur  la  main  gauche. 
Sculpture  française  du  xvi"  siècle,  à  Verrières  (Aube). 5o8 

127.  —  Esprit  en  colombe,  à  nimbe  crucifère,  planant  au-dessus  des  eaux.  Mi- 
niature française  du  xiv*  siècle ,  à  la  Bibliothèque  royale 5 1 1 

128.  —  Colombe  divine  dans  une  auréole  rayonnante.   Miniature   française   du 

xv'  siècle  ,  à  la  Bibliothèque  royale 5i2 


TABLE  DES  MATIÈRES.  623 

Planches.  Pago». 

129.  —  Colombe   divine,  à  nimbe  croisé,    planant  entre  les   eaux.   Vitrail   du 
xm"  siècle,  dans  la  cathédrale  d'Auxerre 5i  5 

130.  —  Esprit  en  colombe,  à  la  tête  de  la  croix,  sans  nimbe,  sans  rayons  cruci- 
formes, sans  auréole,  sans  gloire.  Sculpture  sur  bois ,  commencement  du 

xv"  siècle,  dans  l'église  de  Saint-Riquier  (Somme) .    620 


TRINITE. 

131.  —  Créateur  aidé  d'un  ange.  Miniature  italienne  du  \nf  siècle,  à  la  Biblio- 
thèque royale 533 

132.  —  Figure  de  la  Trinité,  combattant  Béhémoth  et  Léviathan.  Miniature  iia- 
lienne  du  xiii'  siècle ,  à  la  Bibliothèque  royale 5Ao 

133.  —  Trinité  au  baptême  de  Jésus.  Sculpture  italienne  sur  bois,  xiv°  siècle.  .  .    5/j2 

134.  —  Trinité  diabolique.  Miniature  française  du  xiii"  siècle,  à  la  Bibliothèque 
royale 544 

135.  —  Trinité  du  mal  absolu.  Miniature  française  du  xv"  siècle,  à  la  Bibliothèque 
royale 545 

136.  — Trinité  allégorique  du  temps  à  trois  faces.  Miniature  française  du  xiv' siècle, 

à  la  bibliothèque  de  l'Arsenal 547 

137.  — Trinité  en  trois  personnes  humaines,  identiques,  mais  séparées,  portant 

le  nimbe  uni.  Miniature  du  xii^  siècle,  à  la  bibliothèque  de  Strasbourg 565 

138.  —  Les  trois  personnes  divines  soudées  l'une  à  l'autre,  deux  seulement  étant 
visibles.  Miniature  espagnole  du  xiif  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale 56- 

139.  —  Trinité  géométrique  sous  la  forme  de  trois  cercles  entrelacés.  Miniature 
française  ,  fin  du  xiii"  siècle ,  à  la  bibliothèque  de  Chartres 569 

140.  —  Triplicité  divine  en  triangle,  inscrite  dans  l'unité  en  cercle.  Gravure  alle- 
mande du  XVI*  siècle 574 

141 .  —  Trinité  à  trois  visages  sur  une  seule  tête  et  sur  un  seul  corps.  Gravure  fran- 
çaise du  xvi"  siècle 575 

142.  —  Trois  visages  divins  à  deux  yeux  et  un  seul  corps.  Miniature  française  du 
xvi"  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale .  . 58o 

143.  —  Les  trois  personnes  divines  distinctes;  le  Père  et  le  Fils  en  pape,  l'Esprit 
en  colombe.  Miniature  française  du  xvf  siècle ,  à  la  bibliothèque  Sainte- 
Geneviève  586 

144.  —  Esprit  procédant  du  Père  et  du  Fils,  et  descendant  du  premier  sur  le 
second.  Miniature  française  du  xiif  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale 592 

145.  —  Esprit  procédant  du  Père  et  du  Fils,  et  remontant  du  Fils  au  Père.  Minia- 
ture française  du  xii"  siècle,  à  la  bibholhèque  de  Troyes DgS 

146.  —  Esprit  ne  procédant  ni  du  Père  ni  du  Fils.  Gravure  française  sur  bois, 
xvi'  siècle 594 


62i  TABLE   DES   MATIÈRES. 


Planches. 


1^7.  —  Les  trois  létes  divines,  inégales  d'âge,  dans  un  triangle  unique.  Gravure 

iloreiitine  du  xv'  siècle 5q6 

U8.  —  Trinité  en  un  seul  Dieu  et  tenant  le  monde.  Fresque  du  Campo-Santo  de 

Pise  ,  xiv'  siècle 5q8 

149.  —  Trinité  en  un  seul  Dieu ,  tenant  le  compas  et  la  balance.  Miniature  italienne 

du  xiii^  siècle,  à  la  Bibliothèque  royale 600 

150.  —  Trinité  sous  la  forme  de  trois  hommes  à  nimbe  crucifère,  entourée  d'une 
auréole  flamboyante.  Miniature  française  du  xv'  siècle,  à  la  Bibliothèque 
royale 60/i 


FIN    DE    LA    TABLE    DES    MATIERES. 


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