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COLLECTION
DE
DOCUMENTS INEDITS
SUR L'HISTOIRE DE FRANCE
PUBLIES
PAR ORDRE DU ROI
ET PAR LES SOINS
DU MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE
TROISIÈME SÉRIE
ARCHÉOLOGIE
INSTRUCTIONS DU COMITE HISTORIQUE DES ARTS ET MONUMENTS
ICONOGRAPHIE
CHRÉTIENNE
HISTOIRE DE DIEU
PAR M. DIDRON
DE LA BIBLIOTHÈQUE ROYALE
SECRÉTAIRE DU COMITE HISTORIQUE DES ARTS Et"mONUMENTS
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PARIS
IMPRIMEBIE ROYALE
M DCCC XLIII
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ICONOGRAPHIE
CHRETIENNE.
INSTRUCTIONS. — II.
INTRODUCTION.
Depuis le ix^ siècle de notre ère jusqu'au XVII^ le christianisme
a fait sculpter, ciseler, graver, peindre , tisser une innombrable quan-
tité de statues et de figures dans les cathédrales, les églises de pa-
roisses et les chapelles ; dans les collégiales , les abbayes et les prieurés.
Certaines grandes églises, comme les Notre-Dame de Chartres, de
Reims , de Paris et d'Amiens , sont ornées de deux , de trois , de quatre
mille statues en pierre ; ou , comme la même cathédrale de Chartres
et celles de Bourges et du Mans, de trois, quatre, cinq mille
figures peintes sur verre. Autrefois il n'y avait pas une seule église,
tant petite fût-elle , qui ne possédât trente , quarante , cent figures
peintes ou sculptées. Qu'entre le nombre le plus élevé et le nombre
le plus petit on prenne une moyenne pour la multiplier par la
quantité des monuments religieux qui existaient en France, soit avant
les dévastations hérétiques du xvi^ siècle , soit avant les destructions
politiques du xviii'', et l'on comprendra toute l'importance que le
christianisme avait donnée à l'art figuré.
4 INTRODUCTION.
De ces personnages exécutés par des sculpteurs , des ciseleurs ou
des peintres, les intempéries des saisons, la succession des siècles,
les révolutions humaines en ont singulièrement diminué le nombre;
cependant tout le personnel figuré de Chartres et de Bourges existe
en entier, et celui de Lyon aux trois quarts; de celui de Reims et
de Strasbourg il reste plus de la moitié. Les grandes cathédrales,
celles qui étaient le plus peuplées, ont moins souffert que les églises
de second ou de troisième ordre; en sorte que la France est môme
aujourd'hui d'une richesse incroyable en statues et en vitraux. La
seule ville de Troyes possède neuf églises éclairées encore de ver-
rières historiées, et qui vont du xiii^ au xvii'^ siècle.
Tous ces personnages sculptés et peints dans les églises sont reli-
gieux, à peu d'exceptions près : c'est toujours dans la Bible et la Lé-
gende dorée, quelquefois dans les fabliaux et autres poésies popu-
laires, rarement dans les chroniques, presque jamais dans l'histoire
proprement dite , qu'il faut en chercher f explication. C'est avec les
deux premiers ouvrages en main, la Bible et la Légende, qu'on doit
étudier fart figuré de nos cathédrales , et non pas avec les Monu-
ments de la monarchie françoise , du P. Montfaucon , dont le système
pourrait faire tomber dans de graves erreurs.
L'instruction du peuple et fédification des fidèles semblent avoir
été le but principal et général que se proposait le christianisme en
adoptant ce mode curieux d'ornementation historiée. Des textes de
toutes les époques témoignent que telle était la pensée qui a présidé
à l'exécution et à fordonnance des figures et des statues qui rem-
plissent les monuments rehgieux. Ces textes sont nombreux; on se
contentera d'en rappeler quelques-uns, en commençant par le plus
nouveau , par une inscription qui se Usait autrefois dans f église de
Saint-Nizier de Troyes, et qui a disparu avec la fenêtre historiée de
personnages au bas de laquelle elle étaitpeinte. Un curé de Saint-Nizier
fit peindre sur verre , au xvi^ siècle , les principaux sujets de l'Évangile ,
de la Légende et du dogme, et les plaça dans les fenêtres de la nef,
du chœur, de fabside et des bas-côtés, où on les voit encore aujour-
INTRODUCTION. 5
d'hui. Au bas de la fenêtre occidentale, il écrivit : Sanctœ plcbi Dei.
A une époque bien différente, en 433, le pape Sixte III dédiait aussi
au peuple de Dieu la mosaïque de Sainte-Marie-Majeure, à Rome,
et sous les personnages sacrés qu'il avait fait représenter plaçait
cette inscription : Xistus episcopus plebi Dei^. Donc, aux deux extré-
mités du moyen âge, au v*^ et au xvi^ siècle, vivait la même pensée
formulée par les mêmes paroles; entre ces deux limites, cette pen-
sée a été développée en détail et souvent commentée avec éloquence.
Ainsi, à la fin du vii*^ siècle, Benoît Biscop, abbé de Weremouth,
en Angleterre, orna jde peintures rapportées d'Italie une église qu'il
avait fait bâtir. Il voulait qu'en entrant dans la maison de Dieu tous,
même ceux qui ne savaient pas lire, eussent sous leurs regards, par-
tout où ils les dirigeraient, l'image toujours aimable du Christ et
de ses saints. Il provoquait ainsi la méditation sur le bienfait de
l'incarnation divine, et rappelait, en montrant le jugement dernier,
qu'on devait s'examiner avec sévérité ^. Pour le même motif saint
Jean Damascène, au viii^ siècle, défendait les images. «Les images
parlent, s'écrie l'éloquent apologiste; elles ne sont ni muettes, ni
privées de vie comme les idoles des païens. En effet, toute peinture
que nous lisons dans l'église raconte, comme si elle parlait, l'abais-
sement du Christ pour nous, les miracles de la mère de Dieu, les
actions et les combats des saints. Toute image ouvre le cœur et
l'intelligence; elle nous engage à imiter d'une façon merveilleuse et
ineffable les personnes qu'elle représente ^. »
' Ciampini, Vetera monimenta, p. Ag, pars prima.
(I Qualenus intrantes ecclesiam omnes , etiam lilterarum ignari , quaquavei*sum in lei\-
« derent, vel semper amabilem Chrisli sanctorumque ejus , quamvis in imagine, contem-
« plarenlur adspeclum ; vel dominicae incarnationis gratiam vigilantiore mente recole-
arent; vel extremi discrimen examinis, quasi coram oculis habentes, districtiws se ipsi
a examinare meminissent. 1) [Act. SS. ord. S. Bened. i" vol. ou il' siècle bénédict. — Vie
de S. Benoît Biscop, premier ahbé de Weremouth, écrite par Bède le Vénérable , son disciple. )
^ «Etiam loquuntur (imagines), nec mutae prorsus sunt omnisve sensus expertes, uti
(I gentium idola. Omnis enim pictura quam in ecclesia legimus , aut Christi ad nos demis-
« slonem , aut Dei genitricis miracula, aut sanctorum certamina et res gestas, velut ima-
«gine loquenle, enarrat; sensumque ac mentem aperit, ut miris eos infandisque modis
6 INTRODUCTION.
En 102 5, un synode d'Arras déclarait, comme Benoît Biscop,
que les illettrés contemplaient dans les linéaments de la peinture ce
qu'ils n'avaient pas appris à lire et ce qu'ils ne pouvaient voir dans
l'écriture ^ Un chroniqueur ecclésiastique d'Auxerre vient appuyer
d'un texte intéressant les textes qui précèdent et confirmer la doc-
trine religieuse relative aux images. On lit dans son Histoire des
évêques d'Auxerre que sous l'évêque Geoffroi, fils de Hugues, vi-
comte de Nevers, au temps du roi Henri P^ la cathédrale d'Auxerre
fut ravagée par un incendie. En un an l'évêque la fit restaurer, ré-
parer en vitraux, et couvrir d'un toit en charpente et en tuiles. Sur
le mur circulaire de clôture qui environnait l'autel, il fit peindre
les portraits des saints prélats ses prédécesseurs. Il voulait, par ce
moyen , non-seulement écarter de l'œil des prêtres officiants la vue
des objets vains et profanes, mais encore et surtout venir en aide à
ceux que la vanité ou l'ennui distrairaient d'eux-mêmes. Ainsi, à la
présence de ces images et au souvenir de tous ces personnages ver-
tueux exhumés par la peinture , l'esprit de chacun était rappelé ,
comme par un conseil vivant, au courage de la piété ^. A ce pas-
sage explicite, et qui est du xi*^ siècle, comme le concile d'Arras,
nous ajouterons pour complément ce que saint Paulin, évêque de
Noie, près de Naples, écrivait au commencement du v^, antérieure-
« aemulemur. 1) (Opéra S. Johannis Damasceni, Adversus Consiantinum Cabaîinum oratio,
vol. I , p. 619, édit. de 1712, in-fol.)
^ « Hliterati, quod per scripturam non possuntintueri , hoc per quaedam picturae linea-
«menta contemplanlur. » Suger [de Administratione sua, ap. Félibien, Histoire de l'abbaye
de Saint-Denis, Pièces justificatives) s'exprime absolument de même cent quinze ans
après le concile d'Arras.
^ « Neque de corona mûri claudentis altare , sanctorumque prœsulum pictas habenlis
K effigies silere juslum est, quem canentium oculis sacerdotum non solum ideo opposuil
(1 ut ab eis visus inanes et illicitos excluderet , verum et idcirco , ut si quis vanitale vel
« taedio gravatus extra se duceretur, sicut saepe contingere ex nostrae fragililatis vitio solet,
« illa praesenti visione et aperta tôt bonorum per picturam memoria mentem et omnium
<i quasi vivo revocatus consilio ad forlitudinem pietalis relevaret. » [Nova Bibliotheca ma-
nuscriptorum librorum, par le P; Labbe, tom. I, p. /i52 ; Historia episcoporum Autissiodo-
rensiiim. Paris, 1662, in-fol.)
INTRODUCTION. 7
ment aux textes qu'on vient de lire. Saint Paulin décrit les peintures
qu'il avait fait exécuter dans la basilique de Saint-Félix, bâtie par
lui à Fondi : « A qui me demanderait , dit-il , pourquoi , ce qui est
peu commun, j'ai fait peindre des sujets à personnages dans cette
demeure sacrée, je répondrais : Dans la foule qu'attire la gloire de
saint Félix, il y a des paysans à foi toute récente, qui ne savent pas
lire, et qui ne se sont convertis à Jésus-Christ qu'après avoir long-
temps sacrifié aux usages profanes et avoir obéi à leur ventre comme
à un dieu. Ils arrivent de loin et de toutes les campagnes. Piéchauffés
par la foi, ils méprisent la gelée; ils passent la nuit entière dans des
veilles joyeuses; ils chassent le sommeil par la gaieté, et les ténèbres
par les flambeaux. Mais ils mêlent les festins aux prières, et, après
les hymnes chantés à Dieu, ils se livrent à la bonne chère; ils rou-
gissent joyeusement d'un vin odorant les tombeaux des saints. Ils
chantent au milieu des verres, et, par leur bouche, le démon ivre
insulte saint Félix. Il m'a donc semblé utile d'égayer par des pein-
tures l'habitation tout entière du saint patron; peut-être que des
images tracées avec des couleurs feront un spectacle à surprendre
d'étonnement ces esprits grossiers. En tête des sujets sont placées
des inscriptions, pour que la lettre explique ce que la main a déve-
loppé. Tandis qu'ils se montrent et se relisent ainsi tour à tour à
eux-mêmes ces objets peints, ils ne songent que plus tard à manger;
ils nourrissent le jeûne avec leurs yeux. La peinture trompe la
faim, et des habitudes meilleures s'emparent de ces hommes éton-
nés. En lisant ces saintes histoires , la chasteté et la vertu naissent
engendrées par de pieux exemples. Les chrétiens altérés s'enivrent de
sobriété et oublient l'excès du vin. Tandis qu'ils passent une grande
partie du jour à regarder ces peintures, ils boivent beaucoup moins,
car il ne reste plus pour le repas que de trop courts instants ^ »
Ainsi donc, à ces hommes du moyen âge, à tous ces chrétiens
impressionnables, mais qui ne savaient pas lire, le clergé livrait des
' n Forte requiratur quanam ratione gerendi
a Sederit Iiîbc nobis senlentia pingere sanctas,
8 INTRODUCTION.
rondes-bosses, des ïjas-reliefs et des tableaux où, d\m côté, la science,
et de l'autre, le dogme étaient réalisés en personnages. Une vous-
sure sculptée dans le portail d'une catliédrale et une verrière histo-
riée dans les nefs étaient pour les ignorants une leçon , un sermon
pour les croyants : leçon et sermon qui entraient dans le cœur par
les yeux, au lieu d'y arriver par les oreilles. L'impression, du reste,
n'en était que plus forte, car, on l'a dit, un tableau saisit l'âme
bien plus énergiquement qu'un récit K Mais l'art dramatique aussi
visait au môme but, La représentation des mystères et des miracles
mettait en action les personnages peints sur les verrières, sculptés
sur les chapiteaux ou incrustés dans les voussures. On jouait dans
jes cathédrales ces miracles de saint Nicolas et de saint Martin, ces
Raro more , domos animantibus adsimulatis.
Accipile, et paucis tenlabo exponere causas.
.... Visum nobis opus utile , totis
Felicis domibus pictura illudere sancta ;
Si forte allonitas haec per spectacula mentes
( Agreslum caperet fucata coloribus umbra.
1 Quae super exprimitur tilulis , ut liltera monstret
iQuod manus explicult. Dumque omnes picta vicissim
1 Ostendunt releguntque sibi , vel tardius escae
Sint memores j dum grata oculis jejunia pascunl ;
; Atque ita se melior stupefactis insérât usus,
Dum fallit pictura famem : sanctasque legenti
Historias, castorum operum subrepit honestas,
Exemplis inducta piis. Potatur bianti
Sobrietas; nimii subeunt oblivia vini.
; Dumque diem ducunt spatio majore tuentes,
1 Pocula rarescunt, quia, per miracula tracte
Tempore, jam paucae superant epulantibus horae. »
(Divi Paulini episcopi Nolani opéra , poema xxvi, de S. Felice natal, carm. ix , v. bk i
59^, p. 6^2 el 643 de l'édit. de Muratori. Vérone, 1736, in-fol. )
* Horace [de Arle poetica) émet cette idée dans les deux vers suivants:
uSegnius irritant aniinos demissa per aureni
«Quam qua; iunt oculis subjecta fideliLus »
INTRODUCTION. 9
mystères de rAnnonciation et de la Nativité, que l'art du dessin avait
figurés par la sculpture et la peinture; le geste et la parole tradui-
saient ce que la ligne et la couleur avaient exprimé, et l'intention
que l'on se proposait était la même identiquement; enfm, l'art gra-
phique et l'art dramatique étaient le livre de ceux qui ne savaient
pas lire^ C'est à ce point de vue qu'il faut se placer; c'est ce carac-
tère qu'il faut reconnaître pour interpréter ces figures, vrais hiéro-
glyphes du moyen âge que l'archéologie chrétienne, quoique à peine
naissante, commence cependant à déchiffrer déjà.
L'art figuré des cathédrales, qui faisait f office d'une leçon pour
instruire, d'un sermon pour moraliser et d'un exemple pour édifier,
représenta donc par personnages, aussi bien que les drames reli-
gieux , toute la science et tout le dogme chrétien. Aidé par ces ob-
jets matériels, par ces statues, ces images et ces jeux scéniques,
l'esprit débile pouvait monter jusqu'à la vérité, et fâme, plongée
dans les ténèbres, se relevait dans la lumière que l'art faisait éclater
aux yeux :
Mens hebes ad verum pcr materialia surgit ,
Et , demersa prius , hac visa luce resurgit -.
Afin d'atteindre le double but de f instruction et de l'éducation,
' « Ejus (Dei) porro formam , sensibiH expressam modo, omni in loco slatuimus ac per
« eam sensum primum sanctificamus — inter sensus enim primas tenet visas — , quemad-
« modum et per sermones auditum. Imago siquidem monimenlum quoddam est : ac quid-
«quid liber est iis qui lilteras didicerunt, boc imago est illiteratis et rudibus; et quod
« auditui praestat oratio, boc visui confert imago. » (0pp. S. Jobannis Damasceni, Oratw
prima de imaginihus, tom. I, p. 3iZi, 3i5.)
' Ces deux vers , plus beaux de tournure et de pensée que les deux vers d'Horace qu'on
vient de citer, et qui expriment une idée analogue , sont de l'abbé Suger, le grand artiste
de l'église de Saint-Denis. Suger les fit placer au portail occidental , porte du milieu , sur
les vantaux de bronze où étaient ciselées la passion , la résurrection , l'ascension de Jésus-
Christ, et sous les sculptures qui représentent le jugement dernier. Celte poésie servait
d'explication, pour ainsi dire, à ces jambages, à ces voussures, à ce tympan tout cou-
verts de personnages allégoriques, et qui existent aujourd'hui encore. (Suger, de Ad-
ministratione sua, dans Félibien, Histoire de l'abhaye de Saint-Denis , Piècesjuslificatives.
p. cl.xxij. Paris, 1706, in-fol.)
INSTRUCTIONS. II. 2
10 INTRODUCTION.
les écrivains choisirent dans les auteurs sacrés le texte du dogme, et
dans les écrivains didactiques de l'époque le texte scientifique. Le
livre composé par les uns, ou les théologiens, c'est la Bible historiale,
où Ton fondit ensemble TAncien et le Nouveau Testament; celui que
firent les autres, ou les savants, porta des noms divers, mais qui se
résument en celui de livres de clergie : clergie signifie science. De
ces deux Bibles, l'une sacrée et dogmatique, fautre civile et scien-
tifique, fut composé un livre unique, une encyclopédie qui s'appela
aussi de noms assez divers, mais dont les plus populaires sont le
Jardin des délices ou le Vergier de Solas, la Somme, le Miroir uni-
versel, l'Image du monde, le Propriétaire des choses, le Lucidaire.
Au XI^ au xii*^, au xiii^ siècle , les savants et les penseurs ne son-
geaient qu'aux encyclopédies. La multitude des faits naturels et hu-
mains, accumulés jusqu'à cette époque par les Grecs, les Romains,
les Alexandrins, les Byzantins, était devenue un chaos; on lit alors
des efforts inouïs pour porter la lumière dans cette nuit de fintelli-
gence où tout était dispersé, incohérent, égaré. Avant que de con-
tinuer f investigation sur des faits nouveaux, avant que de donner
le jour à d'autres idées, force était de s'arrêter un instant et de se
recueillir; on éprouvait le besoin de dresser un inventaire des ri-
chesses acquises, de ranger, comme dans un musée ou une biblio-
thèque, ces masses d'objets qui jusqu'alors avaient été entassés pêle-
mêle, ainsi que dans un magasin, confusément et sans ordre. On
voulut jeter un regard en arrière avant que d'aller plus loin.
Ce besoin, cette préoccupation de classement respire dans toutes
les œuvres scientifiques ou littéraires du moyen âge. Ainsi , et pour
citer quelques exemples seulement, les innombrables légendes étaient
disséminées dans une foule de volumes. Un archevêque de Gênes,
Jacques de Vorage, les recueillit en un seul livre, qu'il appela la
Légende dorée (Legenda aurea^). La science théologique était dis-
persée dans une multitude de traités; saint Thomas la concentra
11 faudrait dire Légende d'or, comme on disait Livre d'or, puisqu'il y a aurea et
non aiiratu; mais dorée a prévalu.
INTRODUCTION. U
dans son grand ouvrage qui porte le nom de Somme. Les livres saints
eux-mêmes étaient épars : l'Ancien Testament se distinguait du Nou-
veau. Puis dans le Nouveau Testament, les Actes des apôtres, les
quatre Evangiles étaient séparés; on réunit les Actes aux Evangiles,
l'Ancien Testament au Nouveau , et l'on en fit un seul livre qui porta
le nom d'Histoire scholastique. On procédait comme en histoire na-
turelle, où l'on groupe plusieurs espèces pour faire des genres; où
plusieurs genres font une famille, plusieurs familles un règne. On
peut assimiler la Légende dorée, résultat de toutes les familles de
légendes, l'Histoire scholastique ou la Bihle historiale, résultat de
toutes les familles de livres saints, aux règnes de la nature. Un
homme de profond savoir, Vincent de Beauvais, alla plus loin en-
core, et, de tous ces règnes littéraires réunis, il fit un empire général
sous le nom de Miroir universel [Spéculum universale). Vincent de
Beauvais renferma dans son livre tous les faits et toutes les idées qui
avaient eu cours avant lui dans le monde chrétien.
Le classement était devenu presque une manie. Ainsi , dans la nar-
ration d'une histoire, dans le récit d'un fait, on trouvait toujours
moyen, mais c'était constamment un hors-d'œuvre , de dresser un
catalogue d'ohjets plus ou moins analogues, plus ou moins étran-
gers. Jacques de Vorage raconte, à la fête de Noël, que la nature
entière , la création universelle , reconnut et célébra la naissance
de Jésus; en conséquence il s'empresse de saisir foccasion d'expli-
quer en combien de familles ou de règnes il faut partager les objets
naturels, les êtres créés par Dieu. Il y a, dit-il , les êtres qui existent,
mais ne vivent pas, comme les astres; les êtres qui existent et vivent,
mais ne sentent pas, comme les plantes; les êtres qui existent, vivent
et sentent, mais ne pensent pas, comme les animaux; les êtres qui
existent, vivent, sentent et pensent, mais ne discernent pas, comme
les hommes; enfin ceux qui ont toutes les qualités précédentes réu-
nies et jointes au discernement, comme les anges. Dans la légende
de sainte Catherine, qui était philosophe, le même encyclopédiste
de Gênes explique ce qu'on entend par philosophie. Il veut que
12 INTRODUCTION.
cette science se divise en théorie, en pratique et en logique; puis
il subdivise chacune de ces divisions : la théorie en intellectuelle,
naturelle et mathématique; la pratique en éthique, économique et
politique; la logique en démonstrative, probable et sophistique ^
La mode et le besoin étaient donc au classement de toutes choses,
aux encyclopédies. Puisque les penseurs qui trouvent les idées , et les
savants qui constatent les faits coordonnaient alors les unes et les
autres , il fallait bien que les artistes , qui traduisent par une forme
propre et spéciale tout ce qui a cours au temps où ils vivent, se
ressentissent de la mode générale : ils ne pouvaient pas respirer cette
atmosphère encyclopédique sans formuler à leur façon l'idée domi-
nante. Ainsi, quant au but, l'art enseignait; quant au plan, il de-
vait être encyclopédique , et c'est ce qu'il fut effectivement.
Parmi les nombreuses et différentes encyclopédies qui furent
composées à cette époque, la plus complète, parce qu'elle fut une
des dernières venues, la plus remarquable, parce qu'elle fut l'œuvre
d'une tête bien organisée , fut celle de Vincent de Beauvais : cette
œuvre porte, comme on vient de dire, le nom de Miroir universel.
Vincent de Beauvais, précepteur des enfants de saint Louis, homme
d'une extraordinaire érudition , qui avait lu au moins autant que
Pline l'ancien , qui savait tout ce qu'on pouvait savoir à la fin du
xiii^ siècle, classa toutes les connaissances humaines suivant un ordre
qui est le meilleur qu'on ait imaginé encore. Dans cet ordre, la
chronologie, prise au plus haut point, concourt excellemment avec
la méthode la plus claire, avec l'analyse la plus rigoureuse. 11 suit
les temps de siècle en siècle , d'année en année , et y fait entrer lo-
giquement et nécessairement tous les faits naturels et humains dont
l'analyse lui a fait trouver la division et l'enchaînement.
Il classe d'abord les objets de nos connaissances d'après la na-
ture de ces objets eux-mêmes, et ainsi qu'on fait en botanique,
par exemple, où l'on distribue les plantes d'après leurs organes.
Cette méthode est immuable comme la nature des choses; elle est
Légende dorée. De nativitato Domini. — De sancla Katarina virgine.
INTRODUCTION. 13
bien supérieure à celle des encyclopédistes français du xviii^ siècle
qui ont partagé nos connaissances d'après Tordre et la prétendue
filiation de nos facultés. La classification des philosophes français
est artificielle et arbitraire ; c'est une classification variable avec
toute variation de système psychologique. Vincent de Beauvais éta-
blit donc quatre ordres de sciences : les sciences historiques, les
sciences morales, les sciences abstraites et industrielles, les sciences
naturelles. Cette division , tranchée par l'analyse , s'ordonne par la
chronologie : la nature d'abord, puis la science, ensuite la morale,
et enfin Fhistoire. Ce n'est pas une classification pure et sèche, un
simple tableau, mais un cadre qui se remplit au fur et à mesure;
car après chaque titre vient son chapitre, et le traité scientifique
suit immédiatement renonciation de la science elle-même.
Avant le monde, d'après Vincent de Beauvais, Dieu seul était;
il vivait solitaire dans son éternité et son immensité. Mais, pour
se réfléchir dans ses œuvres, et pour se faire adorer, aimer et com-
prendre par des créatures, cet être suprême se décide d'abord à
donner la vie aux anges. A ce propos , fencyclopédiste chrétien
vous dit ce que c'est que Dieu ; s'il y en a un ou deux , ou plu-
sieurs , ou point ; il vous dit la nature et les attributs de la di-
-vinité. Puis il passe aux esprits célestes: à l'ange qui est le bon,
au démon qui est le mauvais, et qui tous deux sont les premières
créatures. Ensuite Dieu crée le ciel et la terre , et alors vient un
traité de géographie et de minéralogie. A la création du soleil, de
la lune et des astres, sont attachées fastronomie et fastrologie; au
jour où la terre germe, un traité de botanique, et son application
à l'agriculture et à f horticulture; aux jours des oiseaux, des pois-
sons et des animaux terrestres, toute une zoologie. Enfin arrive
fhomme ; alors une anthropologie, assez complète et très-remar-
quable pour le temps, étudie fhomme dans son corps, dans son
âme, dans ses races; en fait fanatomie et la physiologie. Puis Dieu
se repose, et à ce point Vincent examine et discute la disposition,
la beauté et fharmonie de l'univers. Cette harmonie est bientôt
14 lNTiiODUCT[ON.
troublée par la chute de Thomme , et ce beau drame cosmique ,
qui se développait en symétrie, se disjoint et s'embarrasse. Alors les
éléments se déchaînent et troublent le monde physique, pendant
que les passions bouleversent le monde moral : de là les volcans,
les ouragans et les crimes. Avec la chute d'Adam finit la première
famille des sciences : les sciences naturelles.
L'homme est tombé, mais il peut se relever; il peut, dit Vin-
cent, se réparer par la science. En conséquence l'infatigable encyclo-
pédiste enseigne à parler, à raisonner, puis à penser. Il fait des traités
de grammaire, de logique et de rhétorique, de géométrie, de ma-
thématique, de musique et d'astronomie. Puis viennent les autres
sciences et leur application à la vie domestique dans l'économie, à la
vie publique dans la politique; leur application aux arts mécaniques,
à l'architecture , à la navigation, à la chasse, au commerce, à la mé-
decine. Là finit la seconde division : la classe des sciences proprement
dites, celles que Vincent appelle doctrinales.
C'est bien que l'homme sache, mais il faut qu'il agisse. La science
coule, mais elle doit couler avec mesure, sans inonder l'intelligence,
sans ravager la raison; donc les sciences morales sont invoquées par
Vincent de Beauvais pour montrer à l'homme qu'il doit marcher sur
une ligne droite qu'on appelle la loi, laquelle est divine et humaine,
ancienne et nouvelle. La loi apprend à l'homme ses devoirs en lui
enseignant les vertus. Vincent écrit autant de traités qu'il y a de
vertus spéciales. Il faut croire, espérer, chérir; il faut être chaste,
humble, doux, patient, tempérant, courageux, prudent. A ce prix,
on sera heureux dans le ciel, dont on décrit les merveilles au long
pour mettre en appétit de bonnes œuvres. Pour peu que l'homme
ralentisse sa marche ou se détourne , il tombe en purgatoire , et on
dit ce qu'est le purgatoire, ce qu'est le péché varié dans toutes ses
espèces mortelles et vénielles. Si l'homme dévie entièrement, il sera
précipité en enfer où sont punis particulièrement l'orgueil, l'envie,
le blasphème, la paresse, la simonie. Pas un traité important de mo-
rale n'est oublié dans ce cadre, qui fait la troisième partie.
INTRODUCTION. 15
L'homme est né, il sait et il agit : on lui a mis à la main gauche
la science comme un bouclier, et la morale à la droite, comme un
instrument d'action. L'homme peut donc vivre dans le monde et
faire son histoire. Alors viennent se grouper toutes les époques de
l'histoire universelle du genre humain, à partir du jour où Adam,
expulsé du paradis terrestre, fut condamné au travail. Vincent
passe en revue et raconte l'histoire de tous les peuples. Il s'arrête
en 12 kk-, époque où il vivait; mais il a deviné, pour ainsi dire, ce
qui arriverait après lui. D'ailleurs il était trop catholique, trop uni-
versel , pour laisser une lacune. Il a dit quand les temps seraient
accomplis , quand l'univers mourrait , quand l'humanité serait ju-
gée et quand l'éternité sans fin recommencerait comme si elle
n'avait pas été interrompue quelque temps par la création et l'his-
toire. Il vous dit comment le monde finira, par l'eau ou par le feu;
il prédit tous les phénomènes qui précéderont le jugement dernier,
et clôt sa quatrième et dernière partie avec la fin du monde.
Je le répète, cet ordre analytique et chronologique, naturel et
historique tout à la fois, est des plus remarquables; je le crois supé-
rieur à celui qu'ont inventé Bacon , les encyclopédistes du xviii® siècle,
et même Marie Ampère , dont la classification , qui est à peu près
,1a dernière, est peut-être préférable à toutes celles qu'on a essayées
jusqu'à présent.
Cet ordre est précisément celui dans lequel sont rangées les sta-
tues qui décorent l'extérieur de la cathédrale de Chartres. Ainsi
cette statuaire s'ouvre par la création du monde , à laquelle sont
consacrés trente-six tableaux et soixante et quinze statues, depuis le
moment où Dieu sort de son repos pour créer le ciel et la terre,
jusqu'à celui où Adam et Eve, coupables de désobéissance, sont
chassés du paradis terrestre, et achèvent leur vie dans les larmes
et le travail. Dans cette construction encyclopédique , c'est la pre-
mière assise , celle où se développe la cosmogonie biblique , la Ge-
nèse des êtres bruts, des êtres organisés, des êtres vivants, des
êtres raisonnables, et qui aboutit au plus terrible dénoùment, à la
16 • INTRODUCTION.
malédiction de l'homme par Dieu. Cette première partie , ce que
Vincent de Beauvais appelle le Miroir naturel, est sculptée dans
l'arcade centrale du porche septentrional.
Mais cet homme qui a péché dans Adam et qui , dans lui , est
condamné à la mort du corps et aux douleurs de l'âme, peut se
racheter par le travail. En les chassant du paradis , Dieu eut pitié
de nos premiers parents; il leur donna des hahits de peau et leur
apprit à s'en vêtir. De là le sculpteur chrétien prit occasion d'ensei-
gner aux Beaucerons la manière de travailler des hras et de la tête.
Donc, à droite de la chute d'Adam, il sculpta sous les yeux et pour
la perpétuelle instruction de tous, d'ahord un calendrier de pierre
avec tous les travaux de la campagne; puis un catéchisme industriel
avec les travaux de la ville ; enfin , et pour les occupations intellec-
tuelles, un manuel des arts libéraux personnifiés, de préférence,
dans un philosophe, un géomètre et un magicien. Le tout se dé-
veloppe en cent trois figures, au porche du nord, et principale-
ment dans l'arcade de droite. Telle est la seconde division qui fait
passer sous les yeux la représentation historique et allégorique à
la fois de l'industrie agricole et manufacturière, du commerce et
de l'art.
Il ne suffit pas que l'homme travaille, il faut encore qu'il fasse un
bon usage de sa force musculaire et de sa capacité intellectuelle ; il
faut qu'il emploie convenablement les facultés que Dieu lui a répar-
ties, les richesses qu'il a acquises par son industrie. Il ne suffit pas
de marcher, il faut marcher droit; il ne suffit pas d'agir, il faut agir
bien , il faut être vertueux. Dès lors, la religion a dû incruster dans
les porches de Notre-Dame de Chartres cent quarante-huit statues
représentant toutes les vertus qu'il faut embrasser, tous les vices qu'il
faut terrasser. L'homme , créé par Dieu , a des devoirs à remplir
envers Dieu de qui il sort ; envers la société au sein de laquelle il
vit; envers la famille qui l'a élevé et qu'il élève à son tour; enfin
envers lui-même, dont le corps est à conserver, le cœur à échauffer,
l'intelligence à éclairer. De là naissent quatre ordres de vertus : les
INTRODUCTION. 17
théologales, les politiques, les domestiques, les intimes, toutes op-
posées aux vices contraires, comme la lumière aux ténèbres. Toutes
ces vertus sont personnifiées et sculptées dans les différents cor-
dons des voussures. Les vertus théologales et politiques, vertus tout
extérieures et de la place publique, sont placées au dehors; les
vertus domestiques et intimes, qui concernent la famille et findi-
vidu, ont été retirées au dedans du porche, où elles s'abritent dans
fombre et le silence. Telle est la troisième partie, le Miroir moral,
qui se déroule dans f arcade de gauche, et toujours au porche
du nord.
Maintenant que fhomme est créé; qu'il sait travailler et se con-
duire; que d'une main il prend le travail pour appui, et de l'autre la
vertu pour guide , il peut aller sans crainte de s'égarer, il peut vivre
et faire son histoire : il arrivera au but à point nommé. Il va donc re-
prendre sa carrière de la création au jugement dernier, comme le
soleil sa course d'orient en occident. Le reste de la statuaire sera
donc destiné à représenter Fhistoire du monde depuis Eve et Adam,
que nous avons laissés fdant et bêchant hors du paradis, jusqu'à la
fin des siècles. En effet, le sculpteur inspiré a prévu, les prophètes
et l'Apocalypse en main, ce qui adviendrait de l'humanité bien après
que lui, pauvre homme, n'existerait plus. Il ne fallait pas moins que
les quatorze cent quatre-vingt-huit statues qui nous restent encore
pour figurer cette histoire qui comprend tant de siècles, tant d'évé-
nements et tant d'hommes. C'est la quatrième et dernière division;
elle occupe les trois baies du portail du nord, le porche entier et les
trois baies du portail méridional.
Cette statuaire est donc bien, dans toute fampleur du mot, fimage
ou le miroir de funivers, comme on disait au moyen âge. C'est un
poëme entier où se réfléchit fimage de la nature brute et orga-
nisée dans le premier chant; celle de la science, dans le second;
de la morale, dans le troisième; de l'homme, dans le quatrième;
et dans le tout, enfin, du monde entier. Telle est la charpente in-
tellectuelle de cette encyclopédie de pierre , tel est son plan et son
INSTRUCTIONS. II. 3
18 INTRODUCTION.
unité morale; en voici maintenant l'unité matérielle, la disposition
physique.
Pour un chrétien, l'histoire religieuse se compose de deux pé-
riodes tranchées : de celle qui précède Jésus-Christ, et qui est occupée
par le peuple hébreu, le peuple de Dieu; de celle qui suit Jésus-
Christ , et que remplissent les nations chrétiennes. Il y a la Bible et
l'Evangile. Comme dans la société , les Juifs ne se mêlaient pas aux
chrétiens; comme au xiii" siècle, l'Ancien Testament, hguré par des
tables à sommet arrondi , était différent du Nouveau Testament ,
livre carré à sommet plat; de même Notre-Dame de Chartres a sé-
paré matériellement l'histoire du peuple juif de l'histoire du peuple
chrétien, en les éloignant de toute la largeur de l'église, ou plutôt
de toute la longueur des transsepts. Au porche du nord elle a placé
les personnages de l'Ancien Testament, depuis là création du monde
jusqu'à la mort de la Vierge; au porche du midi, ceux du Nou-
veau , depuis le moment où Jésus-Christ dit à ses apôtres qui l'en-
tourent : Allez, enseignez et baptisez les nations, jusques et y compris
le jugement dernier. Sur des vitraux du xiii^ siècle , sur des sculp-
tures du xiv^, on voit Jésus-Christ trônant sur les nuages , le dos contre
un arc-en-ciel ; à sa gauche les tables de Moïse sont posées sur l'arche
d'alliance, et à sa droite, sur un autel, est dressé le livre de ses
apôtres ^ De toute époque, en effet, la Bible a tenu la gauche et l'E-
vangile la droite. Cela devait être, caries chrétiens regardent la Bible
comme le piédestal de l'Evangile. La Bible est le portrait anticipé dont
l'Evangile est le futur modèle ; l'Evangile est la réalité dont l'Ancien
Testament n'est que la métaphore et l'écho prophétique. Or, de
tout temps, même encore aujourd'hui, dans les usages civils, comme
dans les manœuvres militaires , comme dans les cérémonies reli-
gieuses, la gauche est subordonnée à la droite; on cède la droite
à ceux qu'on veut honorer. Les artistes de Chartres ont mis la Bible
au nord ou à gauche, et l'Evangile à droite ou au sud. C'est ainsi
' Voyez Missale ahhaliœ Sancti-Maglorii parisiensis, bibliolh. Arsen. Théol. lat. 188,
fol. 2iii reclo, xv' siècle.
INTRODUCTION. 19
que le Northumbrien Benoît Biscop fit peindre avec des sujets de
l'Evangile tout le sud de son église K
Voilà dans quel ordre sont disposées les dix-huit cent quatorze
statues qui peuplent l'extérieur de Notre-Dame de Chartres.
Mais il existe des encyclopédies du moyen âge beaucoup moins
complètes que celle de Vincent de Beauvais. Les unes ont préféré
telle partie ou tel Miroir à tel autre , au lieu de réunir les quatre
branches en un faisceau; les autres ont bien signalé l'ensemble des
quatre divisions, mais, dans l'un de ces Miroirs, ils ont passé, en
entier ou en partie, tel genre de connaissances afin d'exagérer les di-
mensions de tel autre genre voisin. De même aussi plusieurs cathé-
drales de France, on peut même dire la plupart d'entre elles, sont
moins complètes que celle de Chartres. Elles ont trop étendu les
détails d'une branche encyclopédique, pour diminuer ou couper to-
talement, soit une, soit deux, soit les trois autres branches. Ainsi la
cathédrale de Reims a développé outre mesure, on peut dire, le
Miroir historique, et dans celui-ci la vie de Jésus-Christ et la fin du
monde ou l'Apocalypse, tandis que le Miroir naturel est écourté, que
le Miroir doctrinal est presque oublié. Cependant toutes ces cathé-
drales indiquent au moins par huit ou dix figures les principaux
chapitres du Miroir universel, de l'encyclopédie générale. La cathé-
drale de Laon elle-même, plus exclusive et plus incomplète sous ce
rapport que plusieurs autres, donne néanmoins l'argument ou le
sommaire du livre que développe celle de Chartres. Voilà pourquoi
on a dû , dans le travail qui suit , s'attacher avec autant de soin à
l'ordre suivi par Vincent de Beauvais , et qui est reproduit par la ca-
thédrale de la Beauce.
Cet ordre est de la dernière importance; il faut, dans l'étude et
la description des statues sculptées ou des figures peintes , se le
rappeler constamment et le suivre sans cesse. Telle statue qui paraît
isolée et incompréhensible prend un sens lorsqu'on la rattache à celle
' «Detulit.... imagines evangelicae historiiE quibus auslralem ecclesiae parietem tleco-
(1 raret. » ( Vie de Benoit Biscop cilée plus haut, p. 5.)
3.
90 INTRODUCTION.
(îui doit la précéder ou à celle qui doit la suivre. H y a des trans-
positions extrêmement fréquentes dans la place que certaines figures
occupent, soit que l'erreur provienne de f ignorance du sculpteur ou
de la négligence de fappareilleur ; soit que le déplacement ait été
obligé par farchitecture du monument, par ses dimensions exagérées
ou restreintes , par la surface du champ qu'on laissait libre ou qu'on
interdisait à la décoration. C'est donc à Tordre de Vincent de Beau-
vais qu'il faut toujours recourir lorsqu'on est embarrassé ou lorsqu'on
soupçonne des perturbations. Ainsi, à la cathédrale de Chartres, les
signes du zodiaque et les travaux de l'année occupent une voussure
du portail occidental ; comme il n'y avait de place que pour dix si-
gnes, il a fallu renvoyer à une autre voussure, où ils sont dépaysés
où ils n'ont aucun sens, les deux signes des poissons et des gémeaux
qui n'avaient pu trouver à se loger dans la première. Ces exemples
sont nombreux, et l'on doit y faire une attention minutieuse.
Puisque les statues et les figures qui ornent nos églises adoptent
Tordre encyclopédique de Vincent de Beauvais, il a fallu, dans ces
instructions, être fidèle à cet arrangement; on a dû commencer par
parler de Dieu, puis de la création des premiers êtres, et marcher
jusqu'à la fin du monde, en passant par les quatre divisions ency-
clopédiques énoncées plus haut. On commence avant la Genèse,
avant la naissance du monde , et Ton ne s'arrêtera qu'avec l'Apoca-
lypse, après la fin du monde. On commence par Dieu, parce que
Dieu précède toutes choses. De Dieu, source de l'existence univer-
selle, on descendra jusqu'au jugement dernier, où viennent aboutir
tous les courants des idées et des faits.
Cette première partie des instructions sur l'iconographie com-
prend donc l'histoire archéologique ou ficonographie de Dieu; puis
ficonographie de f Ange, être immortel, sinon éternel, et qui, hié-
rarchiquement et chronologiquement, vient après la Divinité; enfin,
l'iconographie du Diable, ange dégradé, qui fut précipité et terrassé
quelque temps après sa création et avant la naissance de l'homme.
Dans les parties qui suivront celles-ci, seront développés les sept
INTRODUCTION. 21
jours de la création, (jui sont si souvent représentés dans nos églises,
la naissance et la chute de l'homme, l'histoire archéologique de la
mort et des danses macahres. Puisque l'homme condamné à mourir
se réhabilite par le travail des mains, la culture de l'intelligence et
la pratique du bien , on montrera la personnification des travaux
de la campagne et de la ville, des arts libéraux, des vertus et des
vices, pour en donner le signalement et le sens.
Enfin le reste racontera l'histoire des patriarches, des juges, des
prophètes , des rois de Juda. Alors arrivera la vie de la vierge Marie
et celle de Jésus-Christ, admirables sujets qui demanderont d'assez
longs détails. Puis il faudra passer en revue les figures des apôtres,
des martyrs, des confesseurs, des saints les plus remarquables et le
plus fréquemment représentés sur nos portails et nos verrières. La
fin de ce travail, dont on donne seulement les prolégomènes, dé-
crira les images empruntées à l'Apocalypse.
Des gravures montreront les principaux types, et le texte ne sera
jamais que la légende des figures. Les dessins seront tous calqués
sur des monuments authentiques, à date et origine aussi certaines
qu'il sera possible de les assigner. Ils reproduiront toujours ou une
miniature d'un manuscrit , ou une statue , ou un tableau peint sur
verre; les fresques, les mosaïques, les tapisseries, les émaux, les ci-
selures seront également mis à contribution.
Comme ceux qui suivent, ces dessins seront exécutés par M. Paul
Durand, correspondant du comité historique des arts et monuments,
patient antiquaire, qui porte l'attention la plus scrupuleuse sur tous
les caractères archéologiques propres à donner des renseignements
indispensables ou simplement utiles. M. Durand m'a accompagné,
avec le plus complet désintéressement et un dévouement absolu,
dans un voyage que j'ai fait en Grèce et en Turquie, de juillet iSSg
en février i 8Ao ; il a dessiné dans la ville d'Athènes, en Morée, à
Sparte, à Salamine, à Thèbes, à Delphes, aux Météores de Thes-
salie, en Macédoine, à Salonique, au mont Athos et à Constanti-
nople, tous les monuments bâtis ou figurés que je m'étais proposé
22 INTRODUCTION.
de décrire. Plusieurs types byzantins de Dieu, de l'Ange et du génie
mauvais, reproduits par son crayon, ont dû trouver place dans le
travail qu'on va lire.
A peu d'exceptions près, M. Durand a calqué ou copié tous les
dessins qu'on donne ici. Quelques gravures seulement ont été faites
d'après MM. Lassus et E. Boeswilwald, architectes à Paris; Duthoit,
sculpteur à Amiens; Ch. Fichot, dessinateur à Troyes; Amable Cra-
pelet, architecte à Auxerre; Klein, peintre à Strasbourg; Hippolyte
Durand, ancien architecte de Reims. Ces artistes, habiles, savants et
obligeants, ont misa mon entière disposition leur temps et leur talent
pour me procurer des motifs qui me manquaient, dont j'avais besoin,
et qui sont disséminés dans les cathédrales d'Amiens, d' Auxerre,
de Pieims, de Troyes et de Strasbourg. M. E. Boeswilwald a mois-
sonné pour moi dans les belles peintures du Campo-Santo de Pise.
Tous les dessins ont été gravés avec la plus minutieuse exactitude
par MM. Andrew, Best et Leloir, auxquels doit revenir aussi une
partie de mes remercîments.
Voilà pour la gravure ; quant au texte , il a été lu devant une
commission spéciale prise dans le comité historique des arts et mo-
numents, et composée de MM. Delécluze, baron Taylor, comte de
Montalembert , comte Auguste de Bastard , du Sommerard , Au-
guste Leprévost, Schmit et Albert Lenoir. La commission a discuté
plusieurs points douteux qui ont été éclaircis; elle a fait diverses
observations qui ont été accueillies. Le travail a été ordonné et ap-
prouvé par le comité; mais une liberté entière a été laissée à l'au-
teur dans la coordination et l'appréciation des faits. M. Villemain,
ministre de l'instruction publique , a bien voulu autoriser, sur l'avis
et la demande du comité, l'impression et la publication de l'ouvrage.
Comme mon travail touchait nécessairement aux plus délicates
questions du dogme chrétien , je n'ai pas voulu m'aventurer seul
et sans autorité dans une route semée de difficultés. J'aurais inévi-
tablement commis des erreurs, soit dans les mots, soit dans le fond
des choses, et j'avais à cœur d'en éviter jusqu'à l'ombre en matière
INTRODUCTION. 23
aussi grave. Publié par les ordres du gouvernement et par les soins
d'un ministre, destiné d'ailleurs à beaucoup d'ecclésiastiques qui
se livrent à l'arcbéologie cbrétienne, ce travail devait être à l'abri
du moindre reproche d'inexactitude dans le langage et d'hétérodoxie
dans les termes. J'ai donc prié monseigneur Affre , archevêque de
Paris, de me faire assister d'un théologien instruit qui pèserait mes
idées et mes expressions , et ne les laisserait passer qu'après appro-
bation et certificat d'orthodoxie. Monseigneur l'archevêque s'est em-
pressé de répondre à ma demande et a chargé M. l'abbé Gaume,
chanoine-official de la cathédrale de Paris, d'examiner mon livre.
Les épreuves ont été lues avec le plus grand soin par M. Gaume.
Plusieurs questions indécises ont été débattues et approfondies;
mais toujours je me suis retiré devant l'urbanité et la ferme raison
du savant théologien. Je devais à mes lecteurs, et pour les rassurer,
toutes ces explications ; je devais à monseigneur l'archevêque de
Paris et à M. Gaume l'expression publique de mes plus vifs remer-
cîments.
M. Chabaille, correcteur attaché aux comités historiques, a revu
les épreuves de tout mon travail avec une attention, j'oserais presque
dire avec une affection toute particulière. M. Chabaille ne s'en est pas
tenu aux corrections typographiques ou grammaticales; savant dans
l'art dramatique du moyen âge , versé depuis longtemps dans la litté-
rature des mystères et des miracles, il m'a conseillé de faire, de temps
à autre , des rapprochements entre l'art figuré et fart parlé ou mimé;
de poser les représentations scéniques en regard des statues et des
images. J'ai dû accueillir avec empressement ces judicieuses obser-
vations qui m'étaient présentées avec une obligeance parfaite.
Enfin, et pour m'acquitter à peu près, car je dois beaucoup et
à bien des personnes, j'offrirai mes remercîments à MM. les conser-
vateurs de la Bibliothèque royale , à MM. les bibhothécaires de
Sainte-Geneviève et à M. Amyot de la bibliothèque de l'Arsenal ,
qui ont mis à ma disposition les plus beaux manuscrits à minia-
tures, dont j'ai extrait plusieurs dessins. MM. le comte Auguste de
24 INTRODUCTION.
Bastard et du Sommerard m'ont confié ou signalé des ivoires, des
vitraux et des monuments remarquables de notre peinture en émail
ou sur vélin. Je garderai toujours le meilleur souvenir de cette bien-
veillance qui m'a aidé, qui m'encourage et qui m'bonore.
DIDRON.
Paris, mai 18A1
ICONOGRAPHIE
CHRÉTIENNE.
DE LA GLOIRE.
Avant que d'entrer dans l'iconographie, il faut parler d'un
caractère qui revient fréquemment en archéologie chrétienne
et qui souvent, à lui seul, sert à définir le personnage qui en
est décoré : c'est la gloire.
La gloire est un ornement que les artistes , peintres et
sculpteurs, mettent, soit autour de la tête, soit autour du
corps de quelques personnages; c'est un attribut qui sert à
caractériser certaines figures, comme la crosse ou le sceptre
désignent un évêque ou un roi. Lorsque cet attribut s'ap-
plique à la tête, il s'appelle nimbe. Dans ce cas, il est ana-
logue à la couronne pour la signification; mais il en diffère
essentiellement pour la position , si ce n'est pour la forme. La
couronne est ronde et le nimbe est presque toujours circu-
laire; mais la première se place horizontalement sur la tête,
que le second environne verticalement.
INSTRUCTIONS. II. * A
26
INSTRUCTIONS.
1. CEÎAI\LEM\GNE NIMBE ET COCRONNÉ.
Vitraii de la cathédrale de Strasbourg, xif et xiv" siècles
Le nimbe est un Insigne qu'on pourrait quelquefois appelé i'
microscopique quant à ses dimensions, mais qui est toujours
majeur en importance. Un sculpteur qui fait ou refait une
statue gotbique, un peintre qui restaure un ancien vitrail ou
une vieille peinture à fresque , un antiquaire qui s'occupe
d'iconograpbie cbrétienne, doivent faire la plus scrupuleuse
attention à ce caractère qui entoure la tête de certaines figures,
sous peine, s'ils l'omettent, de rabaisser un saint et de n'en
faire qu'un bomme , et , s'ils en gratifient- qui ne devrait pas
l'avoir, de transfigurer un simple mortel en un dieu. Cette
erreur est fréquemment commise par les artistes contempo-
rains qui représentent des scènes religieuses. Ainsi, il y a
quelques années, fut exposé un vitrail où l'on avait figuré des
saints et Jésus. A l'un des saints, un simple évêque, on avait
Celte tôle de Cliarlemagne occupe le haut d'un beau vitrail qui orne le collatéral gauche
de la cathédrale de Strasbourg. Cbarlemagne porle la couronne royale et le nimbe ; on lit ,
dans la circonférence du nimbe, Karolvs. magnvs. rex. Ce vitrail, comme la série des
quinze rois ou empereurs de ce bas tôle, est du xi" ou xii" siècle; mais il a été restauré
au xiv'. Les fleurons de la couronne et l'inscription du nimbe datent de cette restauration.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 27
mis l'espèce de nimbe qui ne se donne qu'à Dieu, et Jésus
avait été dépouillé du signe dont les artistes chrétiens ont
constamment caractérisé sa divinité; en conséquence, de Jésus
ou avait fait un homme, et de l'évêque un dieu. Le nimbe est
donc, en iconographie, ce que les doigts ou les mamelles sont
en zoologie : un caractère assez petit pour l'œil, mais très-im-
portant pour l'idée.
Non-seulement le nimbe environne la tête, mais quelque-
fois aussi il orne le corps entier : dans ce cas, il doit prendre
un autre nom, afm que deux ornements, toujours très-diffé-
rents de dimension et presque toujours de forme, soient par-
faitement distincts l'un de l'autre. Quant à présent, et cette
dénomination sera justifiée plus bas, nous appelons auréole
le nimbe du corps.
2. — jésus-chuist dans une auréole elliptique.
Miniature de la Bibliothèque royale, xiv" siècle '.
Ce dessin est tiré du Spéculum hamanœ sctlvationi.s , beau manuscrit italien du
28 INSTRUCTIONS.
L'auréole est d'un usage plus restreint que le nimbe jDro-
prement dit ou l'ornement de la tête. L'auréole est rare en
iconographie païenne; en iconographie chrétienne, on la ré-
serve presque exclusivement aux personnes divines, à la Vierge
et aux âmes des saints enlevées au ciel après la mort du corps.
Le nimbe de la tête et l'auréole du corps diffèrent nota-
blement. Cependant tous deux, composés des mêmes élé-
ments, sont quelquefois figurés de la même manière, et
traduisent d'ailleurs la même idée : l'idée de glorification,
d'apothéose, de divinisation. Il est donc nécessaire qu'un seul
mot comprenne la réunion des deux ornements et soit l'ex-
pression générique de ces deux espèces de nimbe. En con-
séquence, nous avons dû appeler gloire le nimbe et l'auréole
réunis ensemble. Pour nous, le nimbe est spécial à la tête,
l'auréole est spéciale au corps, et la gloire s'étend à celle-ci
et à celui-là tout à la fois ^
NIMBE.
SA DÉFINITION.
Nimbe vient du latin nimbus, qui" n'est pas sans affmité de
consonnance et de signification avec le mot grec viÇctç, lequel a
pour racine viÇcd. Le verbe \î(pcù^Siî(pii\^ signifie neiger, arroser,
mouiller; yi^Lc, veut dire neige j ondée, rosée, goutte de pluie,
et même grêle, par Qxtension. Nimbus a la même significa-
tion que le substantif grec viÇclç; de plus, il veut dire nuée,
•
xiv° siècle, qui apparlient à la (bibliothèque royale. Le cercle elliptique, dans lequel
est inscrit Jésus, est une auréole. La Iraveriie qui coupe cette ellipse par le milieu
est l'arc-en-ciel ou les nuages, tels que-les«ttaHens les faisaient à cette époque. Cette
traverse sert d'appui au Sauveur montant au ciel après sa résurrection.
Jésus-Christ, pi. 2 , p. 27, a le nimb* à la tète el l'auréole au corps ; il osl par con-
séquent enveloppé de la gloire coninlcte.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 29
nuage, c'est-à-dire le lieu où se forment ]a pluie, la grêle, la
neige, que traduit le mot grec. Par extension , nimbus désigne le
char aérien, la nuée qui, dans Virgile, sert de voiture aux
dieux; par métaphore, il signifie un voile de femme, un voile
fin et transparent, c'est-à-dire de l'air devenu étoffe, du vent
tissu, un nuage de lin, comme auraient dit les anciens Grecs.
Ainsi Isidore de Séville déclare, dans ses Origines, que le
nimbe est une bandelette transversale, en or, cousue au voile,
et que les femmes portent au front ^
Les Romains disaient nimbus Jloriim , nimbus saxorum, nimbus
sagittarum, nimbus ecjuitum, nimbus numismatum , pour désigner
cette pluie de fleurs qui tombent des arbres, cette neige odo-
* «Nimbus est fasciola Iransversa, ex auro, assuta linteo, quod est in fronte fœmi-
«naruni. » {Orirj. Hb. XIX, cap. xxxi.)
Il est probable cependant que le savant évêque de Séville se Irompe, et qu'il ne s'est
pas bien rendu compte de l'expression de jumbiis et nimbatus. 11 avait vu que Plante, dans
le Pœnulas, scène 11% faisait dire à un valet amoureux d'une fdle que son maître voulait
obtenir:
oQuam magis aspecto, tam magis es>t nimbala, »
et il en avait conclu que nimhata signifiait coiffée coquettement. Comparant ce passage à
celui de la Satire de Pétrone, où , parmi les beautés d'une dame romaine, on note la pe"
lilesse du front [frons mmima) , à celui où Horace déclare que sa cbère Lycoris se fait re-
marquer par son petit front [insignis fronte teniii) ; à celui où Arnobe assure , dans son livre
De la nature delhorame, cb.viii.queles femmes curieuses de cet agrément se diminuaient
le front en le cacbant sous des bandeaux, parce que c'était une preuve d'esprit, Isidore
de Séville pensa qu'il fallait voir dans le nimhata de Plante une femme qui se coiffe avec
élégance et qui, en conséquence, cherche à se diminuer le front. Dès lors il donna du
nimbe la déhnilion qui précède. Je pense qu'il faut plutôt traduire ainsi ce texte de Plante:
Plus je la rerjanlc, plus elle me semble nimbée, c'est-à-dire lumineuse, c'est-à-dire écla-
tante ou belle; puisque le nimbe, comme on le verra plus bas, est un rayonnement
rendu visible par la sculpture ou la peinture. Du reste, Isidore de Séville lui-même dit
encore : « Lumen quod circa angelorum capita pingilur, nimbus vocatur; licel et nimbus
« sit densitas nubis. »
Le nimbata est donc une métaphore servant à exprimer une beauté idéale que rend ti'ès-
bien notre mot écl'alanl ; mais ce n'est pas un mot propre et qui s'applique à une certaine
mode de s'orner la tète. Au surplus, si on veut l'entendre dans ce dernier sens, et trouver
30 INSTRUCTIONS.
rante du printemps, comme un illustre poëte a dit de nos jours;
cette grêle de pierres ou de flèches dont on écrase et dont on
perce l'ennemi ; cette nuée de soldats qui obscurcissent l'air
par la poussière que soulève le galop des chevaux; ces poignées
ou cette grêle de monnaie qui se jetaient au peuple en signe
de largesse et de joyeux avènement ^ Cette pluie, cette neige,
cette grêle, cette nuée, sont autant de métaphores qui com-
plètent, en l'éclaircissant , le sens de nimbus et de nc^dç.
Ainsi entre ces deux mots , l'un grec et l'autre latin , l'ana-
logie est presque une identité quant au sens. Quant à la pro-
nonciation, si l'on change le b latin en (p grec, c'est-à-dire la
labiale douce en labiale aspirée, ou si l'on prononce le b comme
un V, ainsi que font les Grecs modernes, les deux mots auront
encore plus de similitude. On peut donc dire que nimbus vient
de vicpôiç.
Les artistes ont peu respecté l'étymologie ; car le nimbe,
qui devrait toujours représenter, soit un nuage , soit des flo-
cons de neige, se montre sous la forme d'un disque, d'un
cercle, tantôt opaque, tantôt lumineux, et quelquefois trans-
parent. On le voit sous la forme d'un triangle ou d'un quadrila-
tère; sous celle d'une ou de plusieurs aigrettes de flamme, ou
d'une étoile à six, huit, douze rayons ou à rayons sans nombre.
On ne connaît pas un exemple de nimbe dont la forme puisse
se ramener exactement au sens qu'emporte le mot.
dans nimbus un voile de femme, une bandelette, ce voile et cette bandelette auraient été
ainsi nommés , comme on Ta dit , à cause de la fmesse et de la transparence du tissu.
' Monarchie française , par le P. Montfaucon, Discours préliminaire, p. xx. Servius,
coipmentateur de Virgile, disait au iv" siècle, après ces vers du livre I de l'Enéide:
Nimbonim in patriam , loca foeta furentibus austris ,
OEollam venit.
« Nimbus nunc ventes significat; plerumque nubes vel pluvias.... Proprie nimbi repen-
« linae et praecipites pluviae. )) (Virgilein-/i°,édit. de Genève, i636, p. 176.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 31
FORME DU NIMBE.
Le nimbe est presque toujours circulaire et en forme de
disque. On en voit dont le champ du disque a disparu et dont
il ne reste que la circonférence ^
Ce nimbe circulaire est uni ou orné dans le champ. Quand
le champ n'est pas lisse, il est strié de rinceaux; il est décoré
d'une arcature de rayons sans nombre ou de trois rayons seu-
lement, minces ou larges, et qui font comme les trois branches
d'une croix grecque. Ces croisillons sont eux-mêmes tout unis
ou ornés de perles et de cabochons , ou marqués de lettres
grecques ou latines ; ils sont formés de lignes droites et géo-
métriques, ou de lignes qui rappellent les mouvements et
comme les ondulations de la flamme ^.
Voilà pour les lignes qui partent du centre et vont aboutir
à la circonférence ; mais des cercles concentriques partagent
quelquefois le nimbe en plusieurs zones. La zone centrale est
le nimbe proprement dit ; les autres en sont le prolongement
et comme le rayonnement. Dans ces zones, qui sont au nombre
' Voyez, pour le nimbe de la première espèce, les pi. i et 2 , p. 26 et 27, et celles qui
vont suivre. Ces dessins étant seulement au trait , on a représenté le nimbe uniquement
par le trait de circonférence; mais l'intérieur est plein et solide. Les nimbes transparents,
ou figurés seulement par un trait de circonférence, se trouvent fréquemment chez les
Grecs avant le xiif siècle, et chez les Italiens après le xv^ Dans l'hisloire de Dieu le
père, on donne un dessin tiré d'un manuscrit grec de la Bibliothèque royale, qui re-
présente Dieu parlant à Isaïe entre la Nuit (Nv|) et l'Aurore [OpOpos). La Nuit porte un
nimbe consistant en une seule ligne de circonférence. Raphaël [Dispute du saint Sacre-
ment) a donné aux divers personna,ges réunis en concile des nimbes entièrement à jour.
" Ces variétés et d'autres encore seront données dans les divers dessins qui vont
suivre. Dans l'évangéliaire de Charlemagne, Bibliothèque royale, saint Matthieu porte
un nimbe orné d'une arcature, en forme de coquille. L'ange qui inspire l'évangélistc a
le nimbe rayonné, et chaque rayon qui part du centre vient aboutir à une circonférence
où il entre dans une perle; ces rayons ressemblent donc à de longues aiguilles dont la
perle ferait la tête.
32 INSTRUCTIONS.
d'une , de deux ou de trois , on figure des perles , des pierres
précieuses , des cabochons ; on y écrit quelquefois le nom du
personnage dont la tête est ainsi environnée \
La circonférence du nimbe, à l'extérieur, est simple ou
frangée, c'est-à-dire munie d'appendices qui ont ordinaire-
ment la forme de rayons droits ou flamboyants; quelquefois,
comme à Saint-Remi de Reims ^, dans la circonférence du
nimbe, en dehors, sont piquées deux tiges d'héliotrope,
plante qui, dans le règne végétal, symbolise le soleil ou la
lumière dont le soleil est la source. C'est une espèce de plumet
double qui surmonte cette coiffure symbolique.
3. SAINT JEAN ÉVANGÉLISTE À NIMBE CIRCULAIRE SURMONTE DE DEUX TIGES D'HELIOTROPE,
EMBLEME DU SOLEIL.
Vitrail du xii° siècle, à Saint-Remi de Reims.
' Le nimbe de Karolus magnus, pi. i, p. 26, se compose de trois zones : la première,
l'intérieure, est unie; la seconde est ornée de lisérés et de petites croix de saint André;
dans la troisième sont écrits le nom et le titre de Charlemagne.
^ Vitrail de l'abside, dans la tribune, et datant du xii° siècle. Il représente la vierge
Marie et saint Jean évangéliste qui assistent à la mort de Jésus en croix et qui pleurent
cette agonie d'un Dieu, Marie et saint Jean sont nimbés; du sommet de leur nimbe
partent deux tiges qui se croisent et qui portent chacune un héliotrope. La figure donnée
ici est celle de saint Jean. Ce motif, curieux d'ailleurs, rappelle ces figures égyptiennes
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE. 33
Le nimbe est triangulaire ^ Cette forme est extrêmement
rare en France; elle est assez fréquente en Italie et en Grèce,
surtout à partir du xv^ siècle".
U- DIED LE pÎ:RE à NIMCE TRIANGULAIRE ET RAYONNANT *\
Fresque grecque du xvii^ siècle.
Il est bi-triangulaire, ou formé de deux triangles qui se
coupent et forment comme une étoile à cinq pointes''.
de la tête desquelles partent ainsi deux tiges qui se dressent et qui se terminent par une
fleur de lotus. Le grand ouvrage sur l'Egypte est plein de ces figures.
^ Le Père éternel qui suit est tiré d'une fresque du mont Athos. Des rayons partent de
tous les points de son nimbe triangulaire.
" Il faut dire cependant qu'une mosaïque de la fin du viii° siècle ou du commence-
ment du ix', dans l'église cathédrale de Capoue °, représente le Saint Esprit en colombe
nimbée d'un nimbe triangulaire à la tête, et planant au-dessus delà Vierge, qui tient
Jésus; la Vierge est entourée de saintPierre, saint Paul , saintEtienne et sainte Agathe. Il
est possible toutefois que cette mosaïque ait été refaite. Le nimbe non croisé que porte
Jésus, et celui non croisé que porte une autre figure divine, en haut de la mo-
saïque, pourraient faire croire à une restauration. On a tant retouché les mosaïques!
Ciampini [Vetera Monimenta, 2" part. p. 168) dit: IIujiis tnamjiilaris Jornuc alhid an-
liquius me vidisse minime recordor. 11 a raison , car le nimbe triangulaire est toujours de
date récente, et l'exemple de Capoue, s'il était authentique, serait unique jusqu'à présent.
' Voyez, en outre, une gravure grecque représentant le Skite duProdromos, village
monastique situé près d'Ivirôn , au mont Athos.
' Plus bas, au paragraphe de l'application du nimbe, on donnera celte forme bi-
triangulaire.
Voyez Ciampini, Vetera Monimenta, 5' part. pi. 54-
INSTRUCTIONS. II. ^
34 INSTRUCTIONS.
Le nimbe est carré : carré parfait, à côtés droits ou à côtés
concaves.
5. SAINT GRÉGOIRE IV X NIMBE CARRE '.
Mosaïque de Rome, dans Saiiil-Marc, ix" siècle.
Carré long, carré rectangulaire et en forme de table, suivant
l'expression de Jean le Diacre, comme on le voit dans le dessin
précédent. Mais de plus, et cette forme se rencontre fréquem-
ment dans les manuscrits italiens, le nimbe ressemble à un
VOLUMEN, à un rouleau de parchemin déployé par le milieu
et roulé encore sur les bords, à un rouleau qui n'a pas pris
entièrement la forme plane ; on dirait d'un cylindre qui n'est
pas complètement devenu une plaque et dont les extrémités,
JMosaïque de"Rome; elle représente le pape Grégoire IV offrant à Dieu l'église de
Saint-Marc, qu'il avait fait bâtir et orner vers l'an 828. (Cianipini, VeteraMonimenta,
2' pars, p. 119, tab. 37.) Dans Cianipini ce pape est jeune, imberbe, souriant; mais
M. Paul Durand , l'auteur du dessin, et qui a vu la mosaïque, m'alFirme que Grégoire
a la figure triste, comme elle est représentée ici.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 35
sur lesquelles ne s'exerce pas une pression suffisante, s'arron-
dissent et se replient sur elles-mêmes ^
Le nimbe est en losange, à côtés droits, comme on le voit
à la tête du Père éternel, dans la Dispute du saint sacrement;
il est à côtés concaves, d'après un exemple donné plus bas, à
l'Histoire de Dieu le père.
Quand le nimbe est circulaire et qu'il appartient aux per-
sonnes divines, il est toujours, sauf omission ou ignorance de
l'artiste, partagé par deux lignes qui aboutissent à la circon-
férence et qui se coupent au centre, à angle droit. Ces lignes
forment quatre rayons , mais l'un d'eux , l'inférieur, est cacbé
par la tête.
6. LES TROIS PERSONNES DIVINES ORNEES DU NIMBE GRUCIFÈRE ^
Miniature de la fin du xiii" siècle, manuscrit de la Bibliothèque rovale
Quelquefois on ne conserve du disque entier que les rayons
ou croisillons qui en partageaient le cbamp.
Souvent ces croisillons , quand ils ont la forme de rayons
' Voyez Séreux d'Agin court, Hist. de l'art par les monuments, peinture, pL d>~. Un
dessin de cette forme est donne plus bas, pi. 27.
' Ce dessin, tiré du manuscrit Bihlia sacra, n° 6829, montre les personnes divines
créant Adam qu'elles soulèvent de terre. Le Saint-Esprit, sous la forme d'une colombe,
a le nimbe partagé par une croix aussi bien que les deux autres personnes. Cette croix est
un excellent caractère archéologique; elle est l'attribut invariable delà divinité.
5.
36 INSTRUCTIONS.
lumineux , se rapprochent et tendent à recomposer le disque ;
mais du sommet de la tête et des tempes partent des pinceaux
plus longs que les rayons d'intervalle. Dans ce cas la circonfé-
rence, brisée en trois parties, ne donne à proprement parler
que la forme d'une croix grecque, plus large aux extrémités
qu'au centre.
Le nimbe, outre le cercle uni ou varié d'ornements, outre
le triangle simple, le triangle double ou l'étoile; outre le carré,
le carré long et le losange , prend encore d'autres formes dont il
ne sera pas inutile de dire un mot. Plus bas il sera démontré
que le nimbe n'est autre chose que la représentation du rayon-
nement de la tête; or ce rayonnement a été figuré de diverses
manières. Tantôt la tête entière verse des rayons égaux en
nombre et en dimension sur tous les points; alors on a le nimbe
circulaire. Tantôt des sources plus puissantes, plus épaisses et
plus longues, s'échappent des tempes et du sommet du front,
tandis que les autres points rayonnent faiblement ; alors , en
tirant une ligne de circonférence, pour réunir ces rayons d'iné-
gale longueur, on obtient une espèce de losange à côtés con-
caves, comme celui qui a été signalé plus haut. Cette ligne
n'est presque jamais tirée, ainsi qu'on le voit dans ce dessin K
7. NIMBE SANS LIGNE DE CIRCONFERENCE, À RAYONS INEGAUX.
Miniature du xvi° siècle, manuscrit de la Bibliothèque royale.
En unissant tous ces rayons par une ligne de circonférence , on aurait un nimbe en
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 37
Tantôt l'espace intermédiaire entre les trois grandes sources
lumineuses ne rayonne nullement; alors le nimbe se résume
en trois aigettes composées chacune ordinairement de trois
rayons seulement. Souvent un cercle relie ces trois pinceaux
et forme le nimbe crucifère qui est si commun ; mais d'autres
fois les trois faisceaux lumineux dépassent énergiquement cette
circonférence, qui ne peut les contenir.
8. CROISILLONS OU GERBES LUMINEUSES DEPASSANT LA CIRCONFÉRENCE DU NIMBE '.
Miniature du ix" siècle, manuscrit de la BUjliotbèque royale.
On verra que ces rayons vont tous en divergeant du centre
à la circonférence, c'est-à-dire qu'ils sont resserrés à la base,
larges et diffus à leur extrémité.
On remarque, surtout dans l'iconographie païenne, des
nimbes dont les rayons, larges à la base et aigus à l'extrémité,
sont également espacés et sortent de tous les points de la tête'".
losange et à côtés concaves. Ce dessin est tiré du ms. 920 de la Bibl. roy. La miniature
est du xvi' siècle.
' Cette belle figure de Jésus imberbe, mais sérieux et d'un âge assez avancé, a été
reproduite par M. de Bastard, dans son grand ouvrage, Peintures et Ornements des ma-
nuscrits, te livraison. Les croisillons du nimbe sont formés de trois faisceaux a Irois
rayons chacun ; les faisceaux, comme on le voit , parlent du front et des tempes.
Montfaucon [Antiq. expliq.) donne plusieurs exemples de ces rayons, qui sont ainsi
aiguisés au sommet.
38 INSTRUCTIONS.
9. APOLLON EN SOLEIL, ORNK DU NIMBE ET COURONNE DE SEPT RAYONS '.
Sculpture romaine.
Cette forme, semblable à celle que les artistes donnent aux
étoiles, rappelle exactement les couronnes radiées si fréquentes
sur les monnaies grecques et romaines. Ces rayons offrent un
contre-sens avec les faisceaux de lumière dont il vient d'être
parlé, et un contre-sens, il faut le dire, avec la nature phy-
sique du rayon lumineux; car du centre à la circonférence la
lumière est divergente et non pas convergente. Dans ce dessin,
les rayons sont reliés, non à leur extrémité, mais à mi -lon-
gueur, par un cercle ou un fil qui semble les assujettir. Quel-
quefois ce filet de circonférence est plus rapproché de la tête ,
et alors les rayons, au lieu de sortir de la tête, s'échappent
de cette circonférence même sur laquelle ils sont fixés. Le
nimbe, avons-nous dit, est un disque dont le champ est quel-
quefois strié de rayons; dans ce cas, les rayons sont à l'inté-
Ccs sepl rayons également séparés dépassent la circonférence du nimbe qui entoure
la tête. Cette ligure représente le Soleil ; elle est tirée de TAntiquilé expliquée de Mont-
faucon , tom. I, pi. 5A, p. 1 iS. Lucien dit également que la tète de la déesse syrienne
était rayonnante : Èni rrf x£(^aXrf ùktIvxs Ç>épsi. — Ciampini ( Vet. monim. pars 1°) dit:
« Publ. Victor, in colosse Solis, quem Zenodorus Neroni dicavit, de quo Plin. cap. xxiv,
« lib. VII , Septenis caput ejus radiis coruscasse tradit, quorum singuli viginli duos pede?
" et semis in longitudine praîstabant. » — On fera attention que le nombre des rayons qui
entouraient la tête du Soleil colossal de Zénodore est précisément le même que celui du
jeune Soleil dont nous donnons la gravure; cbaque rayon allume une planète donl le
soleil esl le cenire. L'éloilc de Jules César, dit Suétone, brilla sept jours de suite.
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE. 39
rieur de la circonférence. Ici la circonférence est en dedans
et les rayons en dehors : c'est absolument l'opposé.
lO. NIMBE FRANGE DE QUATORZE RAYONS
Pierre gravée, premiers siècles chrétiens.
La circonférence du nimbe est ordinairement marquée par
une ligne circulaire continue , par un cercle parfait ; cepen-
dant , chez les Romains surtout ^ et chez les Indous ^, cette
' Cette figure est tirée d'une pierre gravée dite Ahraxas, amulette à l'usage des gnos-
.liques. C'est une espèce de divinité panthée. Ce génie du monde est céleste par le soleil et
la lune qui brillent dans le champ où il est gravé, terrestre par sa tête de lion , aquatique
par sa queue de reptile , divin par son nimbe rayonnant de deux fois sept traits lumi-
neux. Voyez l'Antiquité expliquée de Montfaucon, tom. IV, p. .^62 .
' Voyez des médailles du temps des Antonins; elles portent sur le revers un oiseau , le
phénix , symbole de l'immortalité. Cet oiseau , qui renaît par le feu , porte la tête nimbée
d'un nimbe en zigzag à la circonférence. Sur des médailles de Faustine, l'Eternité tient
à la main un paon nimbé de même. Ce qui est curieux, c'est qu'un manuscrit chrétien de
la Bibliothèque royale, n" 434, S'-Germ. montre deux paons nimbés comme des saints.
' Voyez la Symbolique de Creuzer, atlas allemand, planche xxxi , entre autres, et la
planche xvii de l'atlas français qui accompagne la traduction de M. Guignant. Là le soleil
est au centre d'un disque dentelé intérieurement; entre ce cercle de lumière, qui envi-
ronne le Soleil, et un cercle de circonférence où sont les signes du zodiaque, est un cor-
don occupé par la personnification de huit planètes, qui sont la Lune (ou plutôt Lunus,
cette constellation étant mâle chez les Indous), Mars, Mercure, Jupiter, Vénus mâle,
Saturne, Rahou et Ketou : elles ont la tète entourée d'une auréole ou nimbe dentelé
comme l'oiseau immortel des Romains. (Voyez plus bas, pi. 12, p. kk. Maya enveloppée
d'un nimbe à circonférence brisée en zigzags.) — Dans les peintures à fresque de la Grèce,
40 INSTRUCTIONS.
ligne, ce cercle, sont brisés en zigzags, et ont la forme d'un
ourlet en dents de scie. La pointe de ces dents peut être re-
gardée comme l'extrémité de cette foule de rayons qui partent
de la tête, qui sont compactes jusqu'à la circonférence, et
qui, arrivés là, se détachent et poussent des pointes de tous
côtés.
Enfin une forme qui semble antique, et que l'iconogra-
phie de la renaissance a très-souvent adoptée, c'est celle d'une
langue de feu placée sur le front des génies. A la translation
des restes de Napoléon, le i5 décembre i8/io, nous avons vu
cette langue de feu éclairant le front des génies placés sur le
pont du Carrousel et sur l'esplanade des Invalides. C'est avec
cette flamme au front qu'aux xvii^ et xviii^ siècles on repré-
sente ordinairement les apôtres sur lesquels, à la Pentecôte,
descend le Saint-Esprit : alors les apôtres sont transfigurés ,
et, d'hommes grossiers qu'ils étaient, sont devenus des génies.
Cette langue lumineuse, c'est l'étoile luisant au front de la
statue de Jules César ^
Telles sont les principales variétés du nimbe : ce qui reste
à dire sur ce sujet comprendra d'autres différences encore
qu'il sera facile de remarquer.
on voit fréquemment le Saint-Esprit , sous la forme d'une colombe , inscrit dans un nimbe
général, ou une auréole dentelée à la circonférence comme celle du phénix païen. Une
gravure qui vient du mont Athos, et qui représente le grand monastère d'Ivirôn , montre
ainsi figuré le Saint-Esprit descendant du ciel, au moment de l'Annonciation. Ciampini
( Vêlera Monimenta, pars i", pi. 36, fig. i4) a fait graver une monnaie de Fausline, sur
laquelle la figure allégorique de l'Eternité lient un oiseau que Ciampini croit un paon,
qui est un phénix peut-être, et qui porte un nimbe à circonférence en dents de scie
comme le Saint-Esprit d'Ivirôn,
0 Ludis quos primo consecratos ei (Julio Caesari) hères Auguslus edebat, Stella cri-
« nita per septem dies continuos fulsit, exoriens circa undecimam horam. Creditum es»
« animam esse Cœsaris in cœlum recepti, et liac de causa simulacre ejus in vertice addilur
<i Stella. D (Suétone, Vie de Jules César. ]
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 41
APPLICATION DU NIMBE.
En iconographie païenne, le nimbe se donne ordinairement
aux divinités; assez souvent aux empereurs romains; quelque-
fois aux rois de l'Europe orientale et de l'Asie ; communément
aux magiciennes ou prophétesses; presque toujours aux cons-
tellations personnifiées , et aux puissances bonnes ou mauvaises
de fâme humaine, de la nature et de la société ^
En iconographie chrétienne, on décore du nimbe les per-
sonnes divines représentées isolément ou réunies dans la Tri-
nité; on en marque les anges, les prophètes, la vierge Marie,
les apôtres, les saints. Quelquefois aussi, mais plus rarement,
on le donne à la personnification des vertus, à des allégories
d'objets naturels ou psychologiques, à plusieurs constella-
tions, à certaines qualités ou affections de l'âme. La puis-
sance politique , les forces de la nature, le génie du mal, sont
rehaussés de cet attribut ; mais c'est assez rare , et seulement
quand l'esprit païen déteint, pour ainsi dire, sur le génie
chrétien.
NIMBE DE DIEU.
Dieu, comme les anges, comme les saints, porte le nimbe
circulaire ou en disque; mais, pour distinguer le créateur de
ses créatures , on a divisé le champ du disque divin par deux
barres perpendiculaires, qui se coupent au centre et qui for-
ment comme une croix grecque. L'un des croisillons, le pied
de la croix , est caché par la tête qui s'appuie dessus ; les
trois autres sont visibles, et semblent s'élancer verticalement
du sommet du front et horizontalement de l'extrémité des
tempes.
* Voyez plus bas, pages 8A, v36 et 137, et plus haut, p, 38.
INSTRUCTIONS. II. 6
42
INSTRUCTIONS.
1 1. — TUINITÉ D0^^ CHAQUE PERSONNE PORTE LE NIMBE CRUCIFERE '.
Miniature des Heures du duc d'Anjou, Bibliothèque royale, fin du xuf siècle.
Que Ton ait eu réellement l'intention de décorer d'une croix
le champ du nimbe de Dieu, cela semble douteux; il se peut
que cet ornement, qui marque le nimbe des personnes divines,
ne soit pas, comme on pourrait le croire, une forme empruntée
à l'instrument sur lequel Jésus-Christ est mort. On compren-
drait bien que le nimbe du Christ en fût orné; mais pourquoi
le Saint-Esprit et le Père porteraient-ils cette croix? Serait-ce,
en quelque sorte, la livrée du Fils qu'ils arboreraient? ce serait
peu convenable. D'ailleurs les dieux indous, les dieux boud-
dhiques portent cette croix dans l'auréole qui entoure leur tête,
et l'on ne peut pas dire que ce soit à la croix du Calvaire qu'ils
l'ont empruntée.
Quand on est un saint ordinaire, un mortel qui a reçu les
honneurs de l'apothéose ou de la canonisation , on porte le
Cette Trinité est du xiv° siècle, ou plutôt de la fin du xiif ; elle est tirée du manus-
crit qui porte le nom de Louis , duc d'Anjou , et qui est une mine inépuisable pour les
iconologues. On fera observer, pour en tirer une conclusion plus tard, qu'il n'est pas
possible de distinguer ici Dieu le Père de Dieu le Fils. La Trinité est au P i83 du ma-
nuscrit coté Lavall. 127.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. /|3
nimbe uni, l'auréole toute simple, qui est le signe de la sain-
teté ; mais quand on est dieu cette auréole doit être plus puis-
sante. Non-seulement le corps entier est nimbé, c'est-à-dire est
cerné de l'auréole proprement dite, comme on va le voir ; mais
le nimbe de la tête est rayé par une croix dont un croisillon
part du front, et deux autres croisillons des oreilles ou des
tempes. La tête entière rayonne ^ ; mais cependant de cette
tête partent trois sources principales qui s'échappent des trois
parties essentielles du crâne : l'une sort du front, le vrai réser-
voir du cerveau; les deux autres s'élancent des tempes, où la
vie afflue, se concentre et bat dans de grosses artères. Le front,
les tempes sont comme les trois points cardinaux de la sphère
cérébrale.
Quand Dieu est environné de l'auréole et du nimbe, et que
le champ de Tune et de l'autre est strié de rayons lumineux
qui s'exhalent de tout son corps, on voit ces rayons sortir bien
plus abondamment de la tête que du tronc, parce que la tête
c'est presque tout fhomme. Le front et les tempes rayonnent
plus abondamment encore , parce que le front et les tempes
sont à la tête entière ce que la tête elle - même est au tronc :
ils en sont les organes essentiels.
Ainsi le dessin suivant représente Maya, la déesse indoue,
pressant ses mamelles d'où coule à flots la mer de lait qui
engendre et nourrit tous les êtres du monde. Le voile des idées,
ou prototypes de la création , entoure la déesse richement
parée. Maya est environnée d'une demi-auréole ou d'un grand
nimbe ourlé de zigzags à la circonférence, et dont le champ
est strié de pétillements lumineux. En outre, à la hauteur et
des tempes et du front, jaillissent trois gerbes de rayons qui
' Voyez, à l'Ilisloire de Jésus-Chrisl, une ligure tirée du Campo-Santo , et où le Christ
lance des rayons de tous côtés.
6.
44 INSTRUCTIONS.
correspondent exactement aux croisillons du nimbe divin de
l'archéologie chrétienne. Plus bas, pi. 34, p- 106, on verra un
jeune Jésus dont la tête rayonne ainsi par trois aigrettes de
flamme. Ces aigrettes, ces croisillons représentent donc l'é-
nergie des trois principales sources de la tête plutôt qu'elles
ne figurent la croix divine.
12. MAYA, DÉESSE INDOUE ET SOURCE DE LA MER DE LAIT, ORNEE D'UN NIMUE CRUCIFÈRe'.
Iconographie de rindoiistan.
Cependant il faut dire que quelquefois, mais très -rare-
ment, par exception et seulement lorsqu'il s'agit de Jésus-
Christ, c'est bien une croix, l'instrument de la passion, qu'on
a figurée derrière la tête du Sauveur. Le fait est évident sur un
ivoire du xi^ siècle qu'on voit au Louvre^. Le Christ, sculpté
sur ce curieux monument, pose sa tête sur une croix dont le
Religions de l'antiquité, allas, planche 19, 11° io3.
Armoires du musée Charles X , salle gothique.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIEiNNE. 45
sommet est plus long que les croisillons. Les trois branches
ne sont pas reliées entre elles par une ligne circulaire, en
sorte que la réalité d'une croix est bien plus évidente en-
core.
A une ancienne époque , sur un très-vieux sarcophage du
Vatican, on voit le Christ barbu, debout sur la montagne
mystique, d'où s'échappent les quatre fleuves du paradis ter-
restre. Jésus donne aux apôtres ses dernières instructions; il
leur dit d'aller prêcher et baptiser dans tout l'univers, d'aller
prêcher la parole écrite sur le volumen qu'il tient à sa main
gauche et qu'il leur tend, d'aller baptiser avec l'eau des fleuves
sacrés qui roulent leurs ondes à ses pieds. Les apôtres, dont
on ne voit que six dans la sculpture, trois à gauche et trois à
droite , sont ligures sous la forme d'agneaux : Jésus-Christ lui-
même est accompagné de son agneau symbolique, comme le
Férouer, ou le type symbolique de l'homme chez les Persans,
accompagne l'homme lui-même dans lequel il habite. Ces
agneaux ne portent pas de nimbe; la personne du Christ n'en
a pas non plus, parce que le monument est plus ancien que
l'époque où le nimbe fut adopté ; mais le symbole du Christ ,
l'agneau divin , porte sur le front, comme on porte une aigrette,
la croix où Jésus fut immolée A Arles, dans l'église de Saint-
Trophime, chapelle du Sépulcre, un tombeau qui provient
des Aliscamps offre un Christ barbu, enseignant l'Evangile,
assis dans une auréole arrondie par le sommet. Sur la tête du
Christ, et comme implantée dans le crâne, s'élève une petite
croix parfaitement caractérisée. Dans un angle de cette croix,
en haut et à droite , est un crochet qui forme un P, le rho des
Grecs. La croix équivalant à un chi (X), on a ainsi le mono-
* Voyez le dessin de ce sujel, plus bas, à l'Hisloire de .lésus-Chrisl.
46 INSTRUCTIONS.
gramme du Christ X P ( Xe^a-%'^ ^ ). Ces exemples sont plus con-
cluants cpie les autres encore pour démontrer que les rayons qui
partent de la tête de Dieu, et qui sont reliés par un cercle, doi-
vent représenter une croix, lorsque c'est le Christ qui en est orné.
De plus , l'agneau de Dieu dont voici le dessin , porte un
nimbe qui est d'abord crucifère comme celui de plusieurs autres
agneaux; mais qui, en outre, ofFre chaque croisillon recroisé.
l3. AGNEAU DIVIN À NIMBE CROISE ET REGROISÉ ^.
. Sculpture Italienne, x° siècle.
Si donc les croisillons indiquent l'énergie divine, comme il
est probable , il faut dire que cette curieuse particularité d'un
nimbe à croisillons recroisés élève cette énergie à la quatrième
puissance en quelque sorte. Une fresque romane de Montoire
(Loir-et-Cher), près de Vendôme, et qui décore un des trans-
septs de la croisée de l'église, offre Jésus- Christ dans une
gloire ovoïdale. Le nimbe qui entoure la tête est partagé
par des rayons; mais la traverse, dont le centre est caché
par la tête dans les exemples analogues, est ici surhaussée
^ Je dois le dessin de ce Christ à l'obligeance de M. H. Clair, correspondant du co-
mité des arts et monuments; M. Clair l'a fait exéculer par M. Daumas.
' Ce monument est gravé dans Bosio, Roma sotterranea, in-f, édit. de Rome, i636
(]632), page 627.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 47
et se montre tout entière. Cette traverse, entièrement visible,
imprime à ces rayons une forme de croix plus évidente qu'à
tous les autres nimbes semblables. Cependant les branches et
le sommet de cette croix (le pied de la croix, s'il existe, est
couvert par la tête) sont reliés par un nimbe, en sorte que la
forme générale ressemble à la boule du monde, telle que Dieu
la porte ordinairement dans sa main. Ces trois bandes, qui
forment la croix de Montoire, ne paraissent pas autre chose
que les cercles qui assujettissent la représentation du globe
terrestre. Jésus semble donc soutenir le monde avec sa tête, et
cette sphère cerclée nous ramène directement à l'iconographie
égyptienne, où nous voyons une foule de personnages portant
ainsi le globe du monde sur leur tête.
1^. — KIMBE DIVIN À CROISILLONS SURHAUSSES '.
Fresque du x.f siècle, dans l'église de Montoire, près de Vendôme (Loir-et-Cher).
Les branches de ces croisillons du nimbe divin sont plus ou
moins larges, plus ou moins déliées : quelquefois ce n'est qu'une
Voyez tout le musée égyptien du Louvre; le grand ouvrage sur l'Egypte; le zodiaque
de Denderah; les planches 29, 3o, 3^ , 33, 3/j, 35, etc. de l'allas des Religions de l'antiquité.
48 INSTRUCTIONS.
ligne, un simple filet; d'autres fois elles occupent en largeur la
moitié de tout le champ. Dans ce cas, elles sont ordinairement
relevées de perles, de pierres précieuses ou d'autres ornements
variés. Chez les Grecs, chaque croisillon porte une lettre dont
les trois réunies forment o m, l'être. La disposition de ces let-
tres varie: l'omicron est à gauche, et c'est le cas le plus fré-
quent, ou au sommet, comme dans le dessin suivant.
l5. — jÉSUSCHr.IST GREC, À NIMBE CRUCIFERE, LES CROISILLONS MARQUES DE 0 WV , l'Être.
Fresque des Météores, en Thessalio, xiv" siècle.
Dans le Guide de la peinture ^ on lit : « Sur la croix qui di-
vise les couronnes (nimbes) des trois personnes, du Père, du
Fils et du Saint-Esprit, écrivez ces lettres : o àlv. C'est par ces
mots que Dieu s'est révélé à Moïse dans le buisson ardent : iytj
èîixi 0 lù^. Disposez ainsi ces lettres : que l'omicron ( o) soit sur
la partie droite du nimbe ^, l'oméga ( u ) sur la partie supé-
rieure, le ny ( v) sur la partie gauche. »
On voit quelquefois l'o à gauche, mais avec le v au sommet
Epfxj/rsja TJ7s Çiir)'pa<p<x)7s , manuscrit que j'ai trouvé et acheté au mont Athos, et
que M. Paul Durand, mon compagnon de voyage, vient de traduire pour être livré à
1 mipression , avec des notes et une introduction que j'ai écrites.
C est la gauche pour celui qui regarde, et la droite pour la personne qui est figurée
sur l'image.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 49
et Vco à droite, comme on le remarque à la couronne de cuivre
émaillé donnée par l'empereur Frédéric Barberousse, et qui
est suspendue sous le dôme d'Aix-la-Chapelle ^
Chaque croisillon est formé de deux lignes parallèles, qui
viennent aboutir au centre, d'une part, et de l'autre à la cir-
conférence du disque. Le croisillon est souvent égal en largeur
dans tout le rayon qu'il parcourt; mais souvent aussi il est
jdIus large et comme en spatule à la circonférence : alors il est
moins large au centre, plus étroit encore et comme étranglé
au milieu.
Entre ces croisillons, pas d'ornements; le champ est uni le
plus souvent. Quelquefois de minces fdets , de petits rayons ,
trois par trois, quatre par quatre, occupent l'espace laissé libre
par les gros rayons qui composent la croix du nimbe.
Le nimbe crucifère ne se donne qu'à Dieu ; il se donne sur-
tout à Jésus-Christ, et souvent, comme dans les monuments
byzantins, ainsi qu'on vient de le voir, on écrit entre les
branches de la croix o, œv : celui qui est "-.
' On ne peut pas donner des dessins de lous les monuments ou de tous les faits qu'on
cite. Quelquefois ces monuments n'ont jamais été reproduits par la gravure, en sorte
qu'il faudra croire sur parole, et c'est le cas pour la couronne d'Aix-la-Chapelle. Du
reste, j'ai vu cette couronne et j'en ai fait une description sur place. Toutes les fois donc
que je citerai un monument ou un fait sans donner ou sans indiquer une gravure à
l'appui, c'est que j'aurai vu ce monument de mes yeux.
" Les Grecs, savants en écriture sainte, avaient vu dans la Bible ce verset de l'Exode,
ainsi que vient de nous le dire le Guide de la peinture : « Dixit Deus ad Moysen : EGO
« SUM QUI SUM. Ait : Sic dices filiis Israël : QUI EST, misit me ad vos » (Liber Exodi,
cap. III, v. i4). Ils voulurent traduire ces belles paroles par l'art figuré, et, tout en
donnant au Créateur une expression divine, ils inscrivirent o œv dans le rayonnement
de sa tête. Chez nous, on est moins instruit ou plus confiant dans la toute-puissance de
l'art; on s'est donc contenté de la physionomie. Il faut dire qu'à la cathédrale d'Athènes,
où est aujourd'hui la bibliothèque publique, le Christ, peint à fresque dans le ciel de la
coupole, a le nimbe croisé, mais sans o œv dans les croisillons; ce sont des cabochons et
des perles qui en tiennent lieu. L'absence de ces trois lettres grecques est peut-être un
caractère d'ancienneté. Cette cathédrale est la plus vieille église d'Athènes.
INSTRLCTIONS. H. 7 .
50 INSTRUCTIONS.
Les Latins ont quelquefois imité ce motif; mais au lieu de
0, m, ils ont mis rex en trois lettres aussi, une pour chaque
hranche visible de la croix ^
Les artistes, comme les copistes du moyen âge, étaient sou-
vent assez peu instruits : les copistes passaient un mot, une
phrase; les artistes omettaient un caractère constant, soit par
négligence, soit par ignorance. Il ne faut donc pas s'étonner
si Ton rencontre souvent une des personnes divines sans nimbe,
ou avec un nimbe uni et non croisé. De pareilles erreurs sont
extrêmement fréquentes, comme dans ce dessin qui repré-
sente l'ascension de Jésus-Christ , et qui reproduit une sculp-
ture en bois faite en Italie au xiv^ siècle^.
16.
JESUS A NIMBE UNI, MONTANT AU CIEL DANS UNE AUREOLE CIRCULAIRE.
Sculpture sur bois, xiv" siècle.
Une erreur contraire, mais beaucoup moins fréquente que
la première , attribue le nimbe crucifère ou divin à un simple
Voyez Gori, Thésaurus veterum diptychorum , vol. III, p. 79. Le dessin représente un
Christ inscrit dans une auréole ovale, et sculpté sur un ivoire qui servait de couverture à
un livre d'évangiles. Ce curieux monument, qui provient du musée des Camaldules de
Saint-Michel de Muriano, de Venise, est d'une date incertaine; mais il a dû être exécuté
par un artiste latin qui avait étudié et qui aimait l'art byzantin.
Ce bois appartient à M. Paul Durand, qui l'a rapporté d'Italie.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 51
mortel. Un ancien manuscrit de la bibliothèque d'Amiens
montre en tête, dans l'intérieur d'un grand B décoré d'ara-
besques, un jeune homme imberbe, ceint d'un diadème, assis,
tenant un livre ouvert de la main gauche , et de la main droite
trempant une plume dans un encrier K Ce jeune écrivain
porte un nimbe crucifère; il est attentif à l'inspiration d'une
colombe qui lui souffle à l'oreille la poésie qu'il va écrire.
Certainement le miniaturiste s'est trompé : ce jeune homme
est David écrivant ses psaumes, et ce serait tout au plus saint
Jean évangéliste assisté de son aigle ; mais , dans l'un et l'autre
cas, c'est un mortel et non pas Dieu. A la bibliothèque de l'Ar-
senal, une miniature^ montre un prêtre officiant orné d'un
nimbe d'or croisé. Ce personnage pourrait être Jésus lui-même
exerçant les fonctions de prêtre; mais on remarquera qu'il a
la tête chauve comme on représente saint Pierre , et que le
Christ n'est jamais chauve. Au surplus, que ce soit Jésus en
personne et que l'erreur n'existe pas en réalité , voici d'autres
faits.
Le missel de l'abbaye de Saint-Magloire de Paris ^, qui est
du xv^ siècle , montre à la Nativité de Marie la petite Vierge
portant un nimbe d or, lequel est divisé par trois croisillons
' Liber psalmoriim , noie comme du ix° siècle. M. ie docleur Rigollot {Allas de l'Essai
liistorique sur les arts du dessin en Picardie, depuis V époque romaine jusqu'au xvi' siècle,
in-8°, Amiens, i8/io) a fait dessiner par M. Dutlioit celte grande leUre B, historiée
d'arabesques et de personnages. C'est la première lettre du Beatus vir, qui ouvre le livre
des psaumes. M. Rigollot, sans se décider [Essai sur les arts du dessin en Picardie, p. 36) ,
voit, dans ce jeune homme à nimbe crucifère, l'évangéliste saint Jean ou David le
psalmisle ; nous croyons que c'est le roi David inspiré par le Saint-Esprit. Fréquem-
ment, et on en trouvera im autre exemple dans l'Histoire du Saint-Esprit, la figure de
David est ainsi peinte en tête de ses psaumes, tandis que le Saint-Esprit plane sur sa
tète ou lui soufile à l'oreille pour lui inspirer ses chants.
Evangeliariurn, in-f°. Théol. lat. n" 203 , fui du xiv° siècle. Cel ofTicianl se trouve à
l'évangile de la fête de la sainte Trinité, f° 1 Sg , verso.
■■ Bibliothèque de l'Arsenal , Théol. lat. 188, f 807, verso, InNativitateheatœ Mariœ.
7-
52 INSTRUCTIONS.
noirs. Mais la Vierge a bien une grande auréole qui lui envi-
ronne le corps tout comme Dieu lui - même , ainsi qu'une
gravure le montrera plus bas ; la Vierge est presque Dieu. On
conçoit, à la rigueur, qu'un de ses dévots exagérés l'ait revêtue
d'un nimbe crucifère, et qu'il y ait une réelle intention et non
pas une erreur dans ce fait; mais l'erreur est manifeste et
double dans un autre manuscrit^ qui est de la fm du xiii" siècle.
On y voit le prophète Jobel, jeune, imberbe, portant le nimbe
crucifère. Joliel écoute Dieu qui lui parle, et, ce qui est cu-
rieux , c'est que Dieu porte un nimbe tout uni. Il y a eu trans-
position, et la divinité a passé, avec le nimbe croisé, de Dieu
au prophète, pendant que l'humanité allait du prophète à
Dieu. Ces erreurs sont pleines d'intérêt ; elles jettent un cer-
tain jour sur l'instruction des artistes chrétiens.
Le nimbe de Dieu ne se croise pas de suite; les premiers
monuments chrétiens ne mettent pas le nimbe, comme on
le remarque sur les sarcophages généralement, ou le mettent
uni. Voyez, pour ce dernier fait, un vieil ivoire qui appartient
à M. le comte Auguste de Bastard^, la bible de Charles le
Chauve"", la première et la plus ancienne partie du manuscrit
d'Herrade''. Dans ce dernier ouvrage, à l'exception du Dieu
qui crée les anges, les autres représentations de la divinité ont
le nimbe uni et sans croix jusqu'au folio 54. Dans ce dessin,
Officium ecclesiasticum , Bibliothèque de TArsenal , Théol. lat. laS, C 197, verso.
Celte sculpture, qui pourrait être du iv" ou v° siècle, représente le paralytique
guéri par Jésus, l'hémorrhoïsse touchant Jes vêtements de l'Homme-Dieu , et les pour-
ceaux se précipitant d'ans la mer à la voix du créateur incarné. Jésus, dans ces trois
scènes , est imberbe, orné d'un nimbe tout tmi , et chaussé de sandales.
A la création, dans celte belle bible , le Dieu qui crée est jeune, imberbe , à nimbe
sans croisillons, pieds nus, un bâton à la main.
Horlus dclicmrum, ms. rempli de superbes miniatures. C'est une encyclopédie com-
pilée, dit-on, et même peinte en ii8o, par Ilerrade de Landsberg, abbesse du couvent
lie Sainte-Odile, en Alsace. Ce manuscrit appariieni à la bibliothèque de Strasbom-g.
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE.
53
17. JESUS IMBERBE, A NIMBE UNI.
Fresque des catacombes, premiers siècles du christianisme.
qui est tiré d'une fresque des catacombes de Rome\ et qui re-
présente Jésus-Christ imberbe, assis entre ses deux apôtres
debout, saint Pierre et saint Paul, Jésus porte le nimbe uni et
non croisé, absolument comme le portent les deux apôtres.
L'âge de cette peinture est indécis; mais ce monument date
des premiers siècles de l'église, et cet exemple du nimbe chré-
tien est le plus ancien qu'on ait pu trouver. Les autres repré-
sentations de Dieu sont sans nimbe ainsi que la suivante, où
Jésus est encore imberbe et à longs cheveux ^.
' Pioma sotlerr. p. Ayô.
' Jésusimberbe est assis sur un trône, les pieds posant sur l'écharpe que tient une
femme nue, et qui représente la personnification de la terre. La Terre sert d'escabeau à
Jésus , d'après le texte d'Isaïe : « Ponam terram scabellum pedum tuorum. » (V. la Rome
souterraine.) — Dans ce tableau la figure allégorique qui sert de support à Jésus est une
femme, parce qu'elle représente la terre probablement; ailleurs c'est un vieillard barbu.
Il est vraisembl«ble que dans ce cas cet homme âgé représente le ciel. Ce vieux Ciel
serait donc un motif emprunté aux idées du paganisme ; plus d'une fois l'art chrétien
s'est approprié les idées mythologiques. Ces idées, d'ailleurs, avaient pu être prises au
monothéisme, à la religion des juifs; le christianisme, en les reprenant aux païens,
rentrait donc dans son bien.
54
INSTRUCTIONS.
18. — JÉSUS IMBERBE, SANS NIMBE.
Sculpture des sarcophages du Vatican, premiers siècles du cbrislianisinc.
Les anges, comme les saints de ce monde, portent le nimbe
uni. Cependant des monuments assez nombreux oflrent des
anges dont le nimbe est croisé comme le nimbe de Dieu lui-
même. Il y a plusieurs explications à cette anomalie : ou l'ar-
tiste s'est trompé, ce qui arrive quelquefois, et a croisé par
inadvertance un nimbe qui devait rester uni ; ou il a repré-
senté la scène historique de l'Ancien Testament , qui raconte
qu'Abraham ayant rencontré trois anges se prosterna aux pieds
de l'un d'eux seulement et l'adora : Très vidit, uni?m adoravit.
Les commentateurs ayant déclaré que ces trois person-
nages représentaient la Trinité sous la forme de l'ange , les
artistes suivirent les prescriptions des théologiens et croisé-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 55
rent le nimbe à cet ange divin qu'adorait Abraham. La bibk
n° 6 de la Bibliothèque royale a même ôté les ailes et donne
une barbe à ce personnage devant lequel Abraham se pros-
terne, afin d'en faire plus positivement un Dieu ^
]Q. LN DES TROIS PERSONNAGES CELESTES QUI APPARAISSENT AU PATRIARCHE ABRAHAM,
PORTANT LE NIMBE CROISE OU TIMBRE d'uNE CROIX.
Miniature du x" siècle, Bible n° 6, Bibliothèque royale.
A l'Histoire du diable on donnera un dessin tiré des Emblè-
mes bibhques, ms. du xiii^ siècle, de la Bibliothèque royale, et
qui offre trois anges combattant Béhémoth et Léviathan : l'un
des trois , celui qui s'est chargé à lui seul de Béhémoth , tan-
dis que les deux autres sont sur Léviathan, porte le nimbe
' Ces figures sont mauvaises , mais elles sont calquées scrupuleusement. Ce manus-
crit est un des plus curieux sous le rapport archéologique, mais un des plus laids f^ous
le point de vue esthétique.
56 INSTRUCTIONS.
croisé; ses deux compagnons le portent uni, et sont de sim-
ples anges. Y a-t-il une intention dans ce fait, ou est-ce une
inadvertance? A-t-on voulu représenter Dieu en trois per-
sonnes réunies dans une et qui attaque le génie du mal , c'est-
à-dire ce Béhémoth qui règne sur la terre, comme Léviathan,
son associé, règne sur les eaux ?
Le nimbe, avons-nous dit, entoure constamment la tête:
c'est une couronne religieuse; mais à ce fait il y a une cu-
rieuse exception qui, du reste, ne concerne que Dieu. Quel-
quefois l'artiste, pour divers motifs qui seront développés dans
l'Histoire archéologique de Dieu , n'a représenté de la divinité
qu'une partie du corps, la main par exemple, la main sortant
des nuages, tandis que le corps entier reste caché dans le ciel.
Afin de montrer évidemment que cette main est la main divine,
il l'a entourée d'un nimbe crucifère. Ces mains ainsi nimbées ,
et dont cet exemple ,
20. MAIN DIVINE SUR UN NIMBE CRDCIFÈRK.
Miniature dû ix° siècle, Bibliothèque royale.
qui date du ix' siècle S est intéressant pour l'accentuation
des croisillons et les rayons qui aboutissent, quatre par quatre,
à la circonférence ; ces mains sont la plus ancienne représen-
' Liber precam. Bibliothèque royale. La miniature représente le martyre de sainl
Elienne qui voit les deux ouverts et celte main divine qui en sort.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 57
tation du Père. Par respect, par une sorte de dogme reli-
gieux, ou même par mauvais vouloir, comme on le dira plus
bas, on ne montra du Père qu'une main bénissante, sans
nimbe d'abord \ et avec un nimbe crucifère ensuite.
Non-seulement donc la face de Dieu, mais même sa main,
lorsqu'il ne montre que sa main , est décorée du nimbe
croisé; non-seulement le corps de la divinité se distingue à ce
caractère, mais l'idéal de la divinité elle-même, le symbole
sous lequel on l'a quelquefois enveloppée. Ainsi l'agneau est le
symbole du Sauveur, car Jésus a versé son sang et donné sa vie
sans se plaindre; il est le symbole de Jésus, que saint Jean-
Baptiste montrait au peuple en disant : « Voici l'agneau de
Dieu». Ce symbole, dont l'usage aussi ancien que le cbristia-
nisme subsiste encore aujourd'hui , est lui-même distingué par
un nimbe crucifère. Sur la planche qui montre saint Jean-
Baptiste tenant fagneau, cet agneau divin n'a pas de nimbe,
par omission certainement ou par difficulté à le sculpter sous
un aussi petit espace; mais il est inscrit dans une auréole^.
On retrouvera à THistoire de Jésus-Christ une planche qui
donne une sculpture des catacombes, alors que le nimbe n'é-
Voyez {Peintures et ornements des manuscrits) une main divine sans nimbe, au xi° siècle,
première moitié, dans un recueil de traités divers, manuscrit de la Bibliothèque royale,
onds de Saint-Germain. Une autre main sans nimbe et apparaissant à saint Etienne lapidé
se voit dans un missel de Saint-Denis, milieu du xi° siècle, manuscrit lalin, supplémen!.
Dans les fresques de Saint-Savin, xii" siècle ,1a main de Dieu , non nimbée , sort des nuages et
bénit Melcliisédech. Dans la cathédrale de Chartres , sur un vitrail qui représente l'histoire
de Charlemagne el la mort de Roland, on voit une main de Dieu, non nimbée, sortan!
des nuages et apparaissant à Roland qui, dans sa détresse, sonne de l'oliphant et coupe
un rocher avec sa Durandal. Ce vitrail est du xiif siècle. Sur les anciens sarcophages,
premiers siècles chrétiens, la main qui tend à Moïse les tables de la loi n'est jamais nim-
bée. Cependant, et malgré toutes ces exceptions , le nimbe circulaire et partagé par des croi-
sillons, décore très-souvent la main du Père éternel; nous en verrons plusieurs exemples.
' Celte figure esta l'Histoire de Jésus-Christ; elle reproduit une statue colossale qui se
dresse contre une paroi du portail septentrional de la cathédrale de Chartres.
JNSTr.UCTIONS. II. 8
58 INSTRUCTIONS.
tait pas encore adopté par les chrétiens, et où l'on a, du
moins, distingué l'agneau divin des agneaux apostoliques j)ar
la croix qui domine son front. Sur la planche i3, page /46,
l'agneau porte le nimhe crucifère, et chaque croisillon de ce
nimbe est lui-même recroisé.
L'agneau est le symbole le plus constant et le plus populaire
par lequel on figure Jésus-Christ , mais il n'est pas l'unique.
Le lion symbolise la tribu de Juda\ et Jésus descend de Juda
par David ^; Jésus, comme le lion de saint Marc, a rempli les
déserts de sa grande voix évangélique ^ ; Jésus vivait dans le
tombeau ^, de même que le lion dort les yeux ouverts. Enfin
puisque fagneau, type de la douceur, représentait le Fils de
Dieu, l'art, qui aime les contrastes, devait naturellement com-
pléter ce symbolisme par le lion, type de l'énergie. En effet,
la bible de Charles le Chauve ^ montre l'agneau divin orné du
nimbe crucifère , en regard d'un lion qui porte le nimbe éga-
lement partagé par la croix. C'est le Christ dans sa plénitude
symbolique, et prêt à rompre les sceaux du livre mystérieux
près duquel il est placé. Suger^ confirme cette explication.
Dans un grand vitrail qu'il avait fait exécuter pour la fenêtre
« Catulus leonis Juda, » dit la Genèse, cap. xlix , v. g.
Saint Matthieu , cap. i , v. i et 2. L'Apocalypse, cap. v, v. 5 , dit : « Ecce vicit leo de
« tribu Juda, radix David. »
« Marcus ut alla frémit vox per déserta leonis \ »
Alciat explique ainsi la présence des lions sculptés qui gardent souvent l'entrée des
églises : 1
Est Leo , sed custos , oculis quia dormit apertis ;
Templorum idcirco ponitur an te fores.
Celte bible esl à la Bibliolhcque royale. M. de Bastard ( Peintures et ornements des ma-
nuscrits) a reproduit la miniature où le lion et l'agneau, nimbés tous deux du nimbe
crucifère , sont en face l'un de l'autre et séparés par le livre de l'Apocalypse.
De Administratione sua, ap. Felibien , Histoire de l'ahhaye tvyale de Saint-Denis.
Inscription de Saint-Paul-hors-lcs-Murs, copiée on reproduite dans plusieurs évangéliaires
manuscrits, notamment dans les Qualaor Evaiifjelia, Théol. lat. 33 , bibliothèque de l'Arsenal.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 59
occidentale de Saint-Denis , il fit représenter, entre autres
sujets symboliques, le lion et l'agneau divins brisant les sept
sceaux du livre apocalyptique. Les deux vers suivants, qu'il
composa et qu'il fit peindre sur ce vitrail, expliquaient le sujet:
Qui Deus est magnus, librum Léo solvit et Agnus.
Agnus sive Léo fit caro juncta Deo.
Il est probable que ce lion et cet agneau , qui n'existent
malheureusement jdIus, avaient le nimbe crucifère, comme
le lion et l'agneau de la bible de Charles le Chauve.
Le nimbe est le rayonnement de la tête, et comme la tête
est sphérique, ce rayonnement doit être circulaire; aussi le
nimbe est -il presque toujours rond. Cependant il y a des
nimbes triangulaires et des nimbes carrés qui entourent les
têtes divines; en voici l'explication probable. Le jet lumineux
du front et des tempes est représenté plus abondant, plus
gros et plus long, parce qu'il est plus énergique. Dans ce cas,
le nimbe circulaire est partagé par des croisillons, par des
rayons qui vont du centre à la circonférence. Mais à de cer-
taines époques, au xv*' siècle particulièrement, ces jets ont été
figurés débordant la circonférenoe du disque, et, pour déplaire
moins à la vue, on a retranché cette circonférence ^ D'un autre
côté certains artistes, dans certains pays, ont voulu rattacher
entre eux ces trois rayons du front et des tempes, et, tirant une
ligne droite de l'extrémité de celui-là à l'extrémité de celles-ci,
ils ont figuré une pyramide dont la pointe est en haut, et à la-
quelle ils ont donné pour base une ligne horizontale, réunis-
sant entre elles les deux flammes des tempes, comme les deux
côtés de la pyramide unissaient les tempes au front. On figura
ainsi un triangle".
Voyez le dessin n° 7, page 36.
Voyez le dessin n" U , page 3.3.
60 INSTRUCTIONS.
Mais ce triangle, obtenu par hasard peut-être, ou tout au
plus involontairement et par nécessité , s'est maintenu dans
l'iconographie et s'est développé par une raison très-élevée,
une raison mystique. De tout temps le triangle a été la for-
mule géométrique de la divinité, de la trinité. Une seule aire,
terminée par trois angles , figurait merveilleusement l'unité de
Dieu en trois personnes. Aussi l'Italie, plus idéale que la France
et que tout notre Occident, s'est-elle empressée d'adopter une
forme de nimbe qui figurait le dogme fondamental du chris-
tianisme. La Grèce a fait comme fltalie, et, de plus, elle a dé-
claré positivement que ce triangle exprimait bien la divinité,
l'être par excellence, car dans chacun des trois angles, elle a
placé l'une de ces trois lettres o ù}v, l'être ^
Les Grecs, plus mystiques encore que les Italiens, ne se
sont pas contentés d'un seul triangle; ils ont fait des nimbes
composés de deux triangles qui se coupent et qui représentent
cinq angles au lieu de trois. Si un seul triangle exprime la di-
vinité complète, deux triangles semblent indiquer l'infini de
Ja divinité. Il y a là un fait analogue à celui du nimbe orné de
croisillons recroisés; c'est une manière assez ingénieuse de
figurer Dieu dans sa toute-puissance ^. Il est à remarquer en
effet qu'on a toujours cherché à figurer par le nimbe les pro-
priétés divines. L'être est désigné par les trois lettres grecques,
la trinité par le triangle, finfîni de la divinité par le double
' Voyez une gravure grecque représentant l'Annonciation , et qui vient du mont
Atbos dont elle reproduit une fresque. Au mont Alhos, à Karès, qui est la capitale de
cette province de moines, on vend des gravures sur cuivre, noires ou coloriées, repré-
sentant tous les monastères et tous les skiles (villages) de la montagne. En outre, ces
images, analogues à celles qui se font à Epinal, reproduisent les principaux saints et les
principales histoires du christianisme. On a donc, par ce moyen, toute l'iconographie
grecque. J'ai rapporte une série complète de ces gravures qui, du reste , sont assez gros-
.sières, mais qui ont beaucoup d'intérêt.
' Planclie )3, page Zi6.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. • 61
triangle, l'éternité par le cercle, la vie par le carré, l'éter-
nité de l'existence par le carré inscrit dans le cercle.
2 1. DIEU LE PÈRE À NIMBE BI-TRIANGDLAIRE ; DIEU LE FILS À NIMBE CIRCULAIRE;
LE SAINT-ESPRIT SANS NIMBE ET DANS UNE AUREOLE '.
Fresque du mont Athos.
C'est donc aux personnes divines que la forme triangulaire
' Cette représentation de la Trinité est tirée d'une fresque d'un des grands couvents
du mont Athos. Le Saint-Esprit est inscrit dans une auréole qui rayonne et qui enveloppe
dans ses feux les deux autres personnes. Le Saint-Esprit n'a pas de nimbe. Le Fils a un
nimbe circulaire avec les croisillons, où se lit o wv. Le Père porte un nimbe bi-triansju-
laire, et Vouv est tracé dans les coins du triangle dont la pointe ou sommet est en haut
— Voyez en outre une gravure grecque représentant le monastère de Saint-Paul, un des
couvents du mont Athos. La partie inférieure de cette gravure donne une vue générale du
monastère ; le haut représente la Trinité. Le Fils et le Saint-Esprit ont le nimbe circu-
laire et croisé; le Père a le nimbe bi-triangulaire. Les cinq pointes du triangle sont re-
liées entre elles par un cercle. Une autre gravure, où est figuré le couvent athonite de
Ghilandari, montre la sainte Trinité couronnant la vierge Marie. Marie a le nimbe cir-
culaire et uni , le Saint-Esprit le nimbe circulaire et rayonnant , Jésus-Christ le nimbe
circulaire, croisé et portant o wv\ le Père seul se distingue par le nimbe triangulaire. Ainsi
donc, de la Vierge aux personnes divines on monte en dignité, comme des saints aux
anges. De plus, l'artiste a peut-être voulu exprimer par la différence des nimbes la
différence de relation qui existe entre les personnes divines elles-mêmes. Ainsi les va-
riétés du nimbe exprimeraient cette hiérarchie pour les créatures et cette relation pour
les personnes de la Trinité. Ce qu'on voit sur les gravures grecques, on le voit aussi sur
les peintures à iresque des é<;lises de la Grèce : les gravures sont une reproduction , un
calque de ces peintures. Nous citons les dessins plutôt que les fresques , parce qu'on
peut se procurer assez facilement les gravures et vérifier les faits que nous avançons.
62 INSTRUCTIONS.
du nimbe est attribuée exclusivement ; le plus souvent c'est au
Père éternel qu'elle est réservée. Quelquefois les autres per-
sonnes portent ce triangle, mais c'est dans les représentations
de la Trinité, et parce que le Père est avec elles. Cependant,
même alors, à côté du Père qui a le triangle, on voit souvent
le Fils et le Saint-Esprit qui n'ont que le cercle : du reste , ces
deux j)ersonnes , comme la première , jouissent seules du
triangle divin. Dans un Dante, imprimé au xvi*" siècle et qui
est orné de gravures , on remarque une Trinité composée de
trois têtes sur un seul corps; cette Trinité est ornée d'un nimbe
triangulaire, un seul pour les trois têtes ^ Quelquefois le Père
et le Fils portent tous deux le triangle , tandis que le Saint-
Esprit est environné d'une auréole circulaire. Ainsi sont figurées
les personnes divines sur I'épigonation dont se décorent quel-
quefois les arcbevêques etévêques grecs; ainsi le remarque-t-on
sur I'épigonation que porte une grande image de saint Nicolas,
et qu'on voit au principal couvent des Météores, en Tliessalie,
près de fancienne ville de Tricca , aujourd'hui Triccala ^. Donc ,
le triangle appartient surtout au Père, quelquefois au Fils,
rarement au Saint-Esprit, jamais à la Vierge ni aux apôtres.
Les anciens : les platoniciens, les néoplatoniciens, Pytha-
gore, Plutarque, Pline, Vitruve, etc. se sont beaucoup éten-
dus sur la valeur géométrique et symbolique du triangle.
' Voyez ce dessin plus bas , à l'Histoire de la Trinité. Comme dans celte iconographie
il a fallu cire sobre de figures, lorsqu'un fait particulier est énoncé et que le dessin ne
vient pas le démontrer, on peut être à peu près sur de trouver ce dessin dans un autre
paragraphe , parce qu'il y occupe une place où il est plus nécessaire. On prie donc les per-
sonnes qui lironl ce travail de feuilleter les gravures , pour trouver la solution de certaines
difllcultés ou l'éclaircissemenl graphique de certains faits qui pourraient les embarrasser.
* JJ épigonation [sTriyovâTiov] est un ornement en losange qui pend sur le genou droit,
d'où vient son nom (èTTj et y6vi>) , et qui fait partie, comme l'étole chez: nous, du costume
pontifical. Cet épigonalion est brodé d'ornements ou de figures; parmi ces figures on
remarque assez souvent la Tiinité.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 63
Dans les traditions de l'Inde et de toute l'Asie, la triade est
un nombre mystérieux; c'est l'image des attributs de l'Être
suprême, car elle réunit en elle les propriétés des deux pre-
miers nombres, de l'unité et de la dyade \ L'écho de ces dis-
cussions sur les nombres a retenti et s'est grossi pendant toute
la durée du moyen âge. Saint Angilbert , le père de Nitliard
et le compagnon de Charlemagne , fit construire en triangle
l'abbaye de Centula, ou Saint-Riquier. Le cloître était trian-
gulaire , et à chaque angle se dressait une église. Dans chaque
église, le nombre trois brillait aux autels, aux chandeliers,
aux ciBORiA. Ces églises étaient desservies chacune par cent
moines, dont le nombre entier était de trois cents, et par
trente-trois enfants de chœur : tout cela , et c'est dit expressé-
ment, avait été ordonné en f honneur de la sainte Trinité^.
' M. le baron de Gérando, Vie de Pythagore, dans la Biographie universelle.
" « Clauslrum monachorum triangulum faclum est. Sicque sit, ut dum hic inde parietes
« sibi invicem concurrunt, médium spatium sub divo triangulum habeatur. — Quia igitur
« omnis plebs fidelium sanctissimam atque inseparabilem Trinitatem confiteri , venerari ,
«et mente colère, firmiterque credere débet, secundum hujus fidei rationem in omnipo-
II tentis Dei nomine très ecclesias principales, cum membris ad se pertinenlibus, in hoc
« sanctoloco. Domino coopérante, et praedicto domino Auguslo (il s'agit de Charlemagne)
«juvante, fundare studuimus. (C'esl Angilbert qui parle lui-même.) — In ecclesia sancti
'I Benedicti altaria parata tria; in ecclesiis vero sanctorum angelorum Gabrielis, Michaëlis
« et Raphaëlis, altaria tria, quae simul fiunt altaria triginta, et ciboria tria, et lecloria tria.
« — Quapropter trecentos monachos in hoc sancto loco regulariler victuros , Deo auxiliante ,
« constiluimus. — Centum eliam pueros scholis erudiendos sub eodem habitu et victu sta-
« tuimus, qui fratribus per très choros divisis in auxilium psallendi et canendi intersint:
Il ita ut chorus Sancti-Salvaloris centenos monachos cum quatuor et Iriginta pueris habeat:
«chorus Sancli-Richarii centenos monachos, tresque et Iriginta pueros jugiter habeat:
« chorus psallens ante Sanclam-Passionem centenos monachos , triginta tribus adjunctis
«pueris, similiter habeat. Ea autem ratione chori très in divinis laudibus personabunt.
Il ut omnes horas canonicas in commune simul omnes décantent. Qiiibus decenter e.xple-
« lis, uniuscujusque chori pars lerlia ecclesiam exeal, et corporels necessitatibus vel aliis
« utililatibus ad lempus inserviat, certo temporis spalio inlerveniente ad divinse laudis
« munia celebranda denuo redeunles. In unoquoque eiiam choro id jugiler observelur,
« ut sacerdolum ac levitarum reliquorumque sacrorum ordinum aequalis numerus Jenea-
6/1 INSTRUCTIONS.
De notre temps, Cambry lui-même, dans ses Monuments cel-
tiques, a déclaré que le triangle représentait les trois qualités
divines qui ne peuvent se séparer : être , penser, parler ^ Donc,
puisque le triangle, à toutes les époques, a été l'expression
géométrique de la Trinité, on conçoit que le nimbe triangu-
laire se donne à Dieu.
Cependant la France abolit souvent le nimbe de Dieu , le
nimbe circulaire à trois rayons, mais ne le déforme pas, ne le
ramène pas au triangle. Cette opération s'est faite en Italie, où
une variété, désespérante pour l'antiquaire, déroute toutes les
règles fixes qu'on voudrait poser; elle s'est faite en Grèce, où
certaines idées religieuses sont en désaccord avec les nôtres ;
elle s'est faite à la renaissance, qui livre à la fantaisie les lois
des époques antérieures et qui abandonne la règle au caprice.
La France est moins variable et se contente du cercle qui, du
reste, va bien mieux à la tête. Les exemples qu'on pourrait
rencontrer cbez nous du nimbe en triangle devraient être si-
gnalés avec soin; ils seront toujours exceptionnels et pourront
indiquer une influence grecque ou latine.
Que le triangle se donne à Dieu , puisque Dieu est triple
(deus trinus unus, dit Lactance), on le conçoit; mais qu'on
lui applique le carré, c'est moins explicable. En effet, le carré,
<i tur. Canlorum nihilominus el leclorum aequali mensura divisio ordinetur, qualiter cho-
» nis à choro invicem non gravetur. » [Acta SS. ord. S. Benedicti, iv' siècle bénédictin,
i'*" partie. Vie de saint Angilbert.)
On a cru utile de transcrire une partie de ce texte, qui est certainement l'un des plug
intéressants que l'archéologie chrétienne puisse recueillir pour l'histoire des naonumenls
symboliques. Ce cloître triangulaire n'existe plus malheureusement, et celte perle est irré-
parable, car il n'y a pas ailleurs un monastère affectant ainsi la forme symbolique du triangle.
' Il aurait pu mettre agir à la place de parler, parce que la parole n'est qu'une des
mille variétés de l'action , qu'un seul mode de l'activité intellectuelle qui est infiniment
multiple. Cependant Dieu fait tout par sa parole et, dans ce sens, Cambry aurait raison.
[Monuments celtiques, par Cambry, in-8°. Paris, i8o5, p. 157.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 65
rlans les opinions pythagoriciennes et néoplatoniciennes, sym-
bolise la terre; or, au figuré comme au réel , la terre est inférieure
au ciel, dont, suivant les idées anciennes, elle ne serait que
le piédestal tout au plus. Cependant on a donné quelquefois à
Dieu et à Dieu le père des nimbes carrés : il est difficile d'ex-
pliquer ce fait, surtout quand on sait qu'en Italie on a gra-
tifié de ce nimbe rectangulaire des personnages vertueux, mais
peints de leur vivant, et pour les distinguer des personnages
ou des saints morts. Le vivant, quelque saint qu'il soit, est tou-
jours inférieur au saint mort, de quelque peu de réputation
qu'il jouisse; le vivant est un homme, le mort canonisé est
presque un dieu. De là le carré, expression géométrique de la
terre, orne la tête des vivants, et le cercle, forme céleste, dé-
core la tête des saints du paradis ^ Mais pourquoi donc le Créa-
teur de tous ces êtres vivants ou morts porte-t-il un attribut
qui le rabaisse jusqu'à la condition de sa créature, et de sa
créature vivante et non glorifiée encore ? Il faut dire que le
nimbe carré donné à Dieu est ordinairement concave et non
droit sur les côtés, tandis que celui des vivants est en ligne
droite et non en ligne arrondie en creux ; il faut dire surtout
que ce nimbe de Dieu est presque toujours posé sur angles,
en losange, et non pas sur les côtés comme celui des vivants^.
' Les BoHandistes [Acta SS. maii, fom. I, p. lxii de l'introduction aux saints de ce
mois) ont fait graver une peinture du Mont-Cassin. Elle représente saint Benoit qui
donne sa règle à l'abbé Jean. Saint Benoît porte le nimbe circulaire aussi bien qu'un
ange qui est derrière lui pour l'assister de ses conseils ; l'abbé Jean, au contraire, a le
nimbe carré. Les Bollandistes disent à ce sujet : « Vides gemmatum ulrique circa caput
« ornatuin, cum bac diversitate quod S. Benedicto, ut seternitatem felicem adepto, caput
" ambiat circulus , aelernitatls symbolum ; Jobanni vero, ut adhuc viventi , quadratum
0 quid post caput sit , quo creditur firmitas fidei , veîut quadro lapide immobiliter nixae ,
« repraesentari. ■> — Si le nimbe carré désigne la force de la foi , pourquoi le donner à Dieu
qui est l'objet même de la foi ?
* Dans une mosaïque de Saint-Jean-de-Latran , Dieu est orné du nimbe carré posé
sur côtés et non sur angles.
INSTRUCTIONS. II. 9
66
INSTRUCTIONS.
22. DIEU LE PÈRE À NIMBE EN LOSANGE.
Miniature du xi\' siècle, manuscrit italien de la Bibliothèque royale.
Raphaël aussi donne au Père le nimbe en losange, mais à côtés
droits \ Peut-être que ce losange fut regardé par les artistes
comme un emblème purement mystique, comme un symbole
dégagé de tout élément matériel. Dans ce cas, le nimbe en lo-
sange ne représenterait plus qu'une idée analogue à celle qui
est figurée par le nimbe triangulaire. Enfin , dans l'abside de
Saint-Jean-de-Latran , à Pioflie, une mosaïque exécutée de l'an
1288 à 129/i, sous le pape Nicolas IV, offre Dieu le père, sous
les traits de Jésus , sortant à mi-corps des nuages ; au-dessous
de lui est le Saint-Esprit , et plus bas est la croix richement dé-
corée, la croix gemmée. Le Père porte un nimbe qui n'est plus
en losange, comme dans les exemples précédents, mais carré
comme ceux des papes Grégoire et Pascal : Dieu est vivant.
Mais ce nimbe carré est inscrit dans un nimbe circulaire; or
le cercle est l'emblème de féternité : Dieu est donc éternelle-
ment vivant^. Je suis et. je serai, dit l'Éternel dans plusieurs
Le nimbe à côtés concaves est du manuscrit Spéculum humanœ salvationis; le nimbe
à côtés droits est dans la Dispute du Saint-Sacrement.
M. Tournai donne celte explication , et je l'accepte Irès-voionliers. Je dois à l'obli-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 67
passages des livres sacrés ^ ; voilà ce que peut signifier ce carré
saisi dans l'aire d'un cercle, car la vie est inscrite dans l'éternité.
Le champ du nimbe divin est ordinairement plus orné que
celui des nimbes donnés aux anges, aux hommes et aux êtres
allégoriques. La tête divine, foyer de toute lumière, a presque
toujours projeté des rayons et des faisceaux de lumière sur le
fond du nimbe. Au xv"" siècle, ces rayons et ces faisceaux qui,
jusque-là, s'étaient arrêtés à la circonférence, où ils se reliaient,
s'isolent fun de fautre. La circonférence disparaît, les rayons
restent seuls.
Ces rayons sont droits ordinairement et tous égaux; quel-
quefois ils se serrent en gerbe au front et aux tempes, et dé-
bordent les rayons intermédiaires; quelquefois ils sont tous
flamboyants ou alternativement flamboyants et droits.
Pendant les époques primitives du christianisme, alors que
Jésus-Christ était très-souvent, presque toujours, représenté
sous la forme d'un agneau, cet agneau se montra ordinaire-
ment sans nimbe; souvent aussi il porta un nimbe circulaire.
Ce fut un peu plus tard qu'on croisa le champ du nimbe; mais
dès lors ce champ fut , rarement il est vrai , marqué du mo-
nogramme de la personne divine que représentait fagneau,
du X et du P, deux lettres grecques qui ouvrent le nom de
XPIXTOS. Enfin l'A et fH, monogramme commun aux trois
personnes divines, lettres qui signifient le commencement et
la fin, escortèrent le monogramme spécial du Christ, comme
on le voit dans le dessin suivant^.
geance du savant antiquaire de Narbonne un dessin de cette curieuse mosaïque relevée
récemment à Rome par lui-même.
' La durée y est même plus complète encore, puisqu'elle embrasse, non-seulement le
présent et l'avenir, mais encore le passé : « Ego sum.... qui est , et qui erat , et qui ven-
II turus est. » [Apocalyp. c. i , v. 8.)
■ Cet agneau est dessiné dans la lloma sollerranea , p. 591 . Il est posé sur la montagne
9-
68
INSTRUCTIONS.
AGNEAU DIVIN A MMBE CIRCULAIRE, NON CRUCIFERE , MARQUE DU MONOGRAMME
DE JÉSUS-CHRIST, ET DE L'a ET DE Vu).
Sculpture d'un sarcophage du Vatican, premiers siècles chrétiens.
NIMBE DES ANGES ET DES SAINTS.
L'ange porte le nimbe circulaire, mais à champ uni^ Quel-
quefois cependant, en Italie surtout et en Grèce "^ aux xiv% xv%
XVI* et xvii^ siècles, ce champ est décoré d'une arcature, de
rinceaux, de cordons de perles et même de rayons; mais il
faut remarquer que, dans ce dernier cas, les rayons sont se-
més sans nombre et non pas limités à trois , comme au nimbe
mystique d'où sortent les quatre fleuves du paradis : le Phison, le Gelion , le Tigre et
l'Euphrate.
' Voir à l'Histoire de l'ange les divers portraits que l'on donne de ces créatures célestes.
^ Sur les fresques de la Grèce , non-seulement le nimbe est peint, mais il est encore
sculpté ou modelé. Avant que de peindre cet insigne, on imprime sur la couche fraîche
une matrice en bois qui donne des ornements en creux et en relief. Sur cette pâte ainsi
modelée le peintre étend ses couleurs ; ainsi faisait-on chez nous à de certaines époques ,
surtout au xiii' siècle. Le soubassement intérieur de la Sainte-Chapelle de Paris, cha-
pelle haute, présente des nimbes exécutés de cette façon , modelés d'abord et peints en-
suite. C'est à ces creux et à ces saillies des nimbes qu'en i836 j'ai soupçonné, dans une
chapelle absidale de Saint-Julien de Brioude, des peintures à fresque cachées sous
plusieurs couches de badigeon. Ces peintures doivent être dévoilées aujourd'hui.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 69
de Dieu. 11 semble qu'il en soit des rayons du nimbe comme des
fleurs de lis du blason : les fleurs de lis sans nombre attestent
une noble mais non royale origine , tandis que les trois fleurs de
lis seulement caractérisent la royauté, du moins à partir d'une
certaine époque. De même aussi les trois rayons du nimbe
désignent la divinité, et les rayons plus nombreux s'attribuent
aux créatures, surtout aux anges, les plus nobles d'entre elles.
Ainsi donc, jamais l'ange ne porte le nimbe croisé, à moins
que cet ange ne personnifie Dieu comme chez les Grecs. En
Grèce, Jésus-Christ est appelé l'ange de la grande volonté (o
ctyygAo^ Tviç /^g-yotAvi; €^A>îç), et on le voit souvent représenté,
au fond de l'abside latérale gauche , sous la forme d'un grand
ange ailé et imberbe. Cet ange divin , ce dieu messager (cty.^^-
Ao$ ) , admirable création particulière à la Grèce , porte le
nimbe divin. Dans la scène où Abraham, voyant trois anges,
se prosterne aux pieds de l'un d'eux- qu'il adore, l'ange adoré
porte le nimbe croisé assez souvent , pour signifier que celui-là
représentait Dieu ^
Il y a de très-nombreuses exceptions à ce fait: d'ordinaire
ces trois anges ne diff^èrent en rien des autres créatures de la
céleste hiérarchie et portent, comme elles, le nimbe tout uni,
ou du moins non partagé par une croix.
Les personnages de l'Ancien Testament , en Orient surtout ,
sont nimbés comme les saints du Nouveau. En Occident , les
patriarches, les juges, les prophètes et les rois juifs sont bien
moins honorés. Jacques de Vorage, dans sa Légende dorée,
dit qu'on ne fait pas la fête des saints.de l'Ancien Testament,
si ce n'est des saints Innocents , qui ont souffert pour le Christ ;
' Voyez le dessin 19, p. 55, où l'une des trois personnes qui apparaissent à Abraham
porte le nimbe crucifère, tandis que les deux autres, qui sont de simples anges, ont le
nimbe uni.
70 INSTRUCTIONS.
des Machabées, dont la patience, le courage dans les supplices
est proposé en exemple aux chrétiens; enfin , de saint Jean-Bap-
tiste, parce qu'il sert d'anneau entre la Bible et l'Evangile ^ Du
reste, il n'y a pas de fête pour Adam, pour Abel , pour Noé,
pour Abrabam , ni pour Moïse, Samuel , David ou Isaïe; on ne
les appelle pas saints, ils ne servent pas de patrons, et l'on prend
rarement leur nom au baptême. Dans les litanies, où l'on nomme
les saints et saintes du christianisme un à un, on se contente
d'invoquer en masse les personnages bibliques : « Vous tous pa-
triarches, vous tous prophètes, priez pour nous! » Voilà ce qui
se passe en Occident. En Orient, en Grèce, en Asie, il n'en est
pas ainsi : on dit saint Abraham, saint Isaac, saint Jacob, saint
David, saint Salomon , saint Isaïe. En baptisant un nouveau-né,
on lui impose souvent un de ces noms bibliques tout aussi bien
qu'un nom évangélique; on peut même dire que les noms de
la Bible sont préférés en Orient, et y sont plus distingués que
les autres. On dédie des églises à saint Abraham , à saint Isaac,
à saint David. On peint ces personnages très en détail dans les
églises; on les invoque un à un dans les litanies. Dès lors,
regardés comme saints et au même titre que les apôtres, que
les martyrs, que les confesseurs, on leur met un nimbe autour
delà tête, un nimbe circulaire, un nimbe quelquefois décoré
de rinceaux dans le champ. Dans la jolie église du monastère
de Kaiçariani, qui se cache dans un pli du mont Hymette, au
S. E. et à un myriamètre d'Athènes, on voit ainsi Adam peint
à fresque avec un nimbe à la tête et le titre de lytot; (saint).
' « Notandum quod Ecclesia orientalis facit fesla de sanctis utriusque Testamentl; oc-
« cidentalis aulem non facil festa de sanctis Veteris Testamenti , eo quod ad inferos de-
« scenderunt, praelerquam de Innocenlibus, eo quod in ipsis singulis occisus est Chrislus,
« et de Machabaeis. De Machabaeis , propter quatuor rationes, etc. » — Légende dorée. De
sanctis Machabseis. — Il aurait fallu ajouter encore saint Joseph et sainte Elisabeth, aux-
quels on rend également un culte.
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE. 71
Chez nous , dans les localités où l'esprit oriental et byzantin
s'est fait jour, comme à Reims, comme à Troyes, comme à
Saint-Savin près de Poitiers, et à Chartres, on voit de ces
nimbes aux prophètes particulièrement , plus rarement ^ux
patriarches et aux juges, plus rarement encore aux rois. Parmi
les rois , les préférés et ceux qui se voient quelquefois avec le
nimbe, sont David et Salomon. En Grèce, le nimbe s'étend
à Ezéchias, à Manassé, rois saints, plus révérés que les autres.
A Saint-Savin , sur les curieuses fresques que va publier le
Comité des arts et monuments , on voit Abel et Caïn offrant
un sacrifice à Dieu. Caïn, tête maudite, n'a pas de nimbe;
Abel, le juste, est orné d'un nimbe jaune. Plus loin, lorsque
Caïn, après avoir tué son frère, répond à Dieu, qui "lui de-
mande où est Abel, qu'il n'en sait rien et qu'il n'était pas
chargé de le garder, on voit un nimbe autour de la tête
du fratricide : c'est sans doute le signe dont Dieu marque
Caïn pour qu'il ne soit pas tué comme une bête fauve ^ Plus
loin , à la scène où Abraham , après avoir vaincu les cinq rois
de la Pentapole, reçoit le pain et le vin que lui apporte Mel-
chisédech , on voit ce prêtre couronné comme un roi et nimbé
en jaune, couleur d'or, comme un saint chrétien. A Chartres,
Melchisédech , grande statue du portail latéral du nord , est
nimbé et , de plus, coifTé d'une tiare comme un pape. On signa-
lerait bien encore un petit nombre de faits analogues qui se
remarquent dans quelques villes de France, à Bourges particu-
lièrement, où l'on voit, sur un vitrail, Jacob et Elie nimbés^;
' « Posuitque Dominus Caïn signum , ul non interficeret eum oinnis (|ui invenisseteuni. "
( Liber Genesis, cap. iv, v. i5.)
* Voir la Monop;raphie que MM. les abbés Cahier et Martin préparent sur la cathé-
flraîe de Bourges. Sur ce même vitrail , Abraham qui va sacriiier Isaac, Moïse qui fait
jaillir Teau du rocher, la Religion chrétienne qui assiste à la mort du Christ, ne sont pas
72 INSTRUCTIONS.
maison peut dire, en général, que chez nous et dans tout
l'Occident, on réserve le nimbe aux saints de TÉvangile, tandis
qu'on le refuse ordinairement aux saints de la Bible. En
Orient, au contraire, on prodigue toujours le nimbe aux uns
et aux autres.
Saint Jean-Baptiste , même en Occident , où on fait non-seu-
lement la fête de sa mort, mais celle de sa nativité, a toujours
la tête nimbée ; il ne. perd cet attribut qu'à l'époque où les
autres saints de l'Évangile en sont dépouillés. Saint Jean-Bap-
tiste, le précurseur qui est circoncis encore, mais qui baptise
déjà, qui montre l'Agneau de Dieu, qui prépare l'Evangile,
qui est l'agrafe (fibula, comme dit l'Eglise le jour de sa fête)
entre l'Ancien et le Nouveau Testament, saint Jean devait
avoir un nimbe. Voici la représentation orientale de saint Jean-
Baptiste avec son nom écrit en grec : o cLytoç 'loûLvnç o Hpô</}oof^o^
saint Jean le Précurseur ^
24. — SAINT JEAN-BAPTISTE NIMBE.
Fresque du couveut de Kaiçariani, mont Hymette.-
nimbés. Il esl rare cependant de voir ainsi la Religion chrétienne, l'Église, dépouillée
du nimbe.
* Saint Jean lient sa tête dans un vase ; il est vêtu d'une peau de chameau, il a une
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 73
Saint Joseph, le père nourricier de Jésus, est ordinairement
nimbé ^; cependant on le voit assez souvent sans nimbe-,
par exemple, à la clôture du chœur de Notre-Dame de Paris et
sur un vitrail de Notre-Dame de Chartres , au fond de Fabside.
La vierge Marie porte le nimbe circulaire et souvent ma-
gnifiquement décorée La Vierge, la mère de Dieu, cette créa-
ture que le moyen âge , dans son culte , rapprocha autant que
possible de son fils et du Créateur, jette des rayons non-seule-
ment par la tête , mais par le corps et les mains. Elle n'a pas
de nimbe croisé ^, puisque les croisillons sont réservés à la
divinité, mais elle a le nimbe aussi riche que Dieu lui-même ;
elle a Tauréole et la gloire entière, elle a les mains enflani-
ceinlure de cuir et les cheveux incultes comme un pénitent; il porte le nimbe circulaire.
Les Grecs traduisent littéralement : «Voilà que j'envoie mon ange devant vous {Marc,
cap. 1, V. 2) », et mettent constamment des ailes d'ange aux épaules de saint Jean-Baptiste.
Chez nous, où l'on s'attache plus à l'esprit qu'à la lettre , on laisse le nimbe à saint Jean ,
comme on en verra deux exemples dans l'histoire de Jésus-Christ, mais on lui ôte les ailes.
'- Saint Joseph , averti par l'ange de prendre la mère et l'enfant et de s'enfuir en
Egypte, est nimbé dans le manuscrit du xi* siècle, chronique et traités divers, manus-
crit du fonds de Saint-Germain , Bibliothèque Royale. Dans le Bénédictionaire de saint
Elhehvold , appartenant au duc de Devonshire, manuscrit du x'' siècle, Joseph est nimbé
au moment où il assiste à la naissance de Jésus.
' Pas de nimbe au saint Joseph fuyant en Egypte , Evangiles de saint Martial , xiii" siècle ,
appartenant à M. le comte Auguste de Bastard. Par contre, ce même manuscrit donne le
nimbe aux rois mages et même à Hérode. Le nimbe indiquerait moins la sainteté que la
la puissance et dénoterait, par conséquent, que ce manuscrit s'est exécuté sous une in-
lUience plutôt byzantine que latine, et orientale qu'occidentale.
Sur le retable de Saint-Germer, près de Beauvais, dans la chapelle de la Vierge,
Marie porte un nimbe splendidement décoré de perles et d'une arcature. Jésus-Christ
seul a le nimbe un peu plus riche encore. Voyez dans l'ouvrage de M. le baron Taylor,
Voyage dans l'ancienne France, province de Picardie, une lithographie de ce bel autel du
xiif siècle, exécutée par M. Nicolle, d'après un dessin de M. Lassus. Ce monument est
sculpté et peint. M. Boeswilwald en a relevé cl restauré toutes les peintures dans un
dessin préparé pour l'exposition de i842.
Le nimbe croisé, attribué à la petite Marie venant au monde, dans le missel de
Saint-Magloire, cité plus haut, page 5i, est une exception unique ou plutôt une faute
du miniaturiste.
INSTniiCTIONS. — II. 10
74 INSTRUCTIONS.
mées, elle a l'arc-en-ciel pour trône, le soleil pour vêtements,
la lune pour escabeau, les étoiles pour couronne, tout aussi
bien que Jésus-Christ. Les fresques de Saint-Savin montrent
ainsi la Vierge apocalyptique nimbée , assise sur le soleil et
posant les pieds sur la lune. Au paragraphe de la gloire,
nous verrons, par un dessin tiré du Campo-Santo, que Marie
est aussi lumineuse, aussi glorieuse que son fds, qui est cepen-
dant représenté en grand juge et dans toute sa gloire. Enfin,
dans ces derniers temps, on a frappé une médaille où Marie
est représentée versant des ruisseaux de lumière avec les dix
doigts de ses mains, absolument comme un grand Christ qu'on
voit sculpté à Vezelay, et dont les mains répandent des flots de
grâce sur ses apôtres : ces flots ont la forme de rayons sur l'ef-
figie de Marie et sur celle du Christ.
Les apôtres sont toujours ornés du nimbe, comme cela
devait être. Avec les personnes divines, les apôtres sont les
premiers à prendre le nimbe et les derniers à le quittera Au
portail occidental de la cathédrale de Reims, le nimbe de saint
Pierre et de saint Jean évangéliste est orné de perles ; sur les
vitraux de la même église, dans le sanctuaire, des pierres
précieuses ou des cabochons en émeraude, en rubis, en sa-
phir, sont figurés sur le nimbe de presque tous les apôtres.
Tous les ordres des saints, les martyrs, les confesseurs,
les vierges, les continents, sont ornés du nimbe et du nimbe
circulaire '^.
Le champ du disque est plus ou moins orné, suivant l'é-
poque et le pays où il a été fait, suivant la matière sur la-
' Au dessin 17, pag. 53, on a vu saint Pierre et saint Paul nimbés comme le jeunt-
Jésus et aussitôt que lui.
^ Voyez les voussures des cathédrales de Reims, de Paris et de Chartres. iSHortus
deliciarum , les Arts au moyen âge, les Peintures et ornements des nianuscrils offrent
des exemples très-nombreux et Uès-divers du nimbe.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 75
quelle il est exécuté. Aux époques anciennes du christianisme
et à la renaissance \ le nimbe est plus décoré que pendant le
moyen âge proprement dit^ En Italie et en Grèce, le nimbe
est moins simple que chez nous. Les Grecs, on l'a dit, ne se
contentent pas de tracer sur leurs fresques des ornements au
pinceau, ils pratiquent encore des rehefs dans leurs enduits.
Enfin les nimbes exécutés en orfèvrerie, en ivoire, en émail
ou en peinture sur verre, sont plus riches ordinairement que
les nimbes sculptés sur la pierre de liais ou le granit. Les pre-
miers sont exécutés avec plus de soin et plus de luxe ; d'ailleurs
il était plus facile et souvent il était nécessaire de les orner.
La belle châsse de Mauzac, en Auvergne, montre ainsi la
Vierge inscrite dans une gloire elliptique ; Marie porte le nimbe
circulaire, en émail bleu et semé de petites fleurs rouges^.
^ Un vitrail du xvf siècle, en grisaille, appartenant à M. Guénebault et représentant
saint Jean-Baptiste qui tient l'agneau de Dieu, donne des nimbes chargés d'ornements
et de rayons. Les beaux vitraux de Saint-Alpin, à Châlons-sur-Marne, de Sainte-Made-
leine, à Troyes, et de l'église d'Epernay sont remplis de nimbes richement ornés. Ces
vitraux sont également de la renaissance. Quant au rebord du nimbe, c'est ordinaire-
ment un ourlet brodé de perles ou un ruban plus ou moins brodé. Cet ourlet est très-
riche aux nimbes du Christ et de Marie, sur le tympan de la cathédrale d'Autun , qui est
cependant du xii° siècle. La richesse du nimbe, employée comme moyen hiérarchique,
est bien indiquée dans le Bénédictionaire de saint Ethelwold , évoque de Winchester. Là
Marie, saint Pierre, saint Paul, saint Jean, ont un bien plus beau nimbe que le reste
des apôtres et des saints. Ce manuscrit anglo-saxon est de Godemann , qui a marqué
cette œuvre de son nom et qui, en 970, était évoque de Thorney.
' L'évangéliaire de Charlemagne, connu sous le nom d'Evangiles de Saint-Médard de
Soissons, manuscrits latins de la Bibliothèque royale, offre de beaux exemples de nimbes
richement ornés. Voyez saint Matthieu et son ange reproduits dans les Peintures et orne-
ments des manuscrits. Le tympan de la cathédrale d'Autun , qui est du xii" siècle, le re-
table de Saint-Germer, chapelle de la Vierge, xiii" siècle, offrent de beaux exemples de
nimbes striés et cannelés. Mais ces deux monuments, quoique en pierre, sont d'une ri-
chesse aussi grande que s'ils étaient en argent ou en or. Dans le l'elable de Salnt-Gei'mer,
les nimbes sont, non-seulement modelés, mais encore rehaussés de couleurs.
^ Voyez l'ouvrage de M. Mallay, architeclo à Clermont-Ferrand , sur les églises romanes
du Puy-de-Dôme. Plusieurs coffrets, châsses, croix et devants d'autel émaillés , donnés
10.
76 INSTRUCTIONS.
Vers le kiy*" siècle la mode prévalut, surtout en Allemagne,
d'écrire dans l'intérieur du nimbe le nom du saint dont on
ornait la tête. Ainsi les vitraux de la cathédrale de Strasbourg,
qui représentent plusieurs rois et empereurs, qui sont du xi^
ou xii^ siècle, mais qui ont été restaurés vers le xiv% à la tête et
au nimbe particulièrement, portent des nimbes où on lit :
« Karolus-Magnus Rex, Rex Bippinus pater Karoli, Rex Hen-
« ricus Claudus^ » Nous avons vu le premier, Cbarlemagne'-;
voici l'empereur Henri II, Henri le Boiteux, qui n'est qualifié
que du titre de roi, comme Cbarlemagne lui-même, parce
qu'alors les expressions de roi et d'empereur n'avaient pas la
valeur qu'elles possèdent aujourd'hui.
par M. du Soinmeravd , dans l'Atlas et l'Album des Arts au moyen âge , viennent con-
firmer ce que pi'ouve la châsse de Mauzac. Voyez principalement le Paliotto de Milan , la
Palla-d'oro de Venise, l'autel d'or de Bâle, Je reliquaire roman de Chartres.
' Cet Henricus Claudus rex est Henri, duc de Bavière, empereur après la mort
d'OthonllI, en 1002 , sous le nom de Henri U. Il est mort le i3-i 4 juillet 102 4, et a été
canonisé en 1102 par le pape Eugène III. Saint Henri fut un des bienfaiteurs de la cathé-
drale de Strasbourg. Dans les chroniques allemandes, l'épithète de Claudus est traduite
par Lahme, perclus, boiteux. Les quinze rgis peints sur verre dans le latéral nord de la
cathédrale de Strasbourg sont tous désignés comme bienfaiteurs de la cathédrale. C'est à
eux qu'on doit les revenus considérables qui ont permis de bâtir le monument, et qui,
aujourd'hui encore, sont employés à sa conservation. Aucun de ces empereurs et rois , à
l'exception de Henri II et peut-être de Cbarlemagne, n'a été canonisé et n'est reconnu
comme saint; tous cependant sont ornés du nimbe. Il y a là un fait curieux et qui mérite
explication. M. Klotz, architecte de la cathédrale de Strasbourg, donnera ceilainement
cette explication dans le travail graphique et littéraire qu'il prépare sur tous les vitraux du
monument confié à ses soins. Des réparations importantes, exécutées à ces vitraux au
xiv' siècle;, mettront sur la voie d'une solution.
- Ci-dessus, planche 1, pag. 26. — Raphaël {Dispute du Saint-Sacrement) a peint plu-
sieurs noms dans l'intérieur des nimbes qui décorent la tête des saints divers qui con-
templent ou adorent l'hostie dans l'ostensoir ou soleil rayonnant. En France, aux xu' et
xiii' siècles, on écrivait ordinairement le nom des saints sur la banderole que ces per-
sonnages tenaient à la main. L'inscription régnant autour du nimbe, comme une lé-
gende sur une médaille , est bien préférable ; c'est une heureure idée que de faire porte
aux saints leur nom sur leur tète et dans le nimbe lui-même, qui est le signe de leur
apothéose.
25.—
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
L'EMPEREUR HENRI II, X NIMBE CIRCULAIRE ET MARQUE D'UNE INSCRIPTION.
Vitrail de la cathédrale de Strasbourg, xif et xiv' siècles.
77
En Allemagne, cet usage a persisté jusqu'à la fin du xvi^ siècle^;
de nos jours, on le pratique encore dans les tentatives qui se
font en Bavière et dans le grand-duché du Bas-Rhin, pour ra-
nimer fart de la peinture sur verre.
Les Grecs suivent presque constamment cette pratique;
' Voyez, entre autres, les vitraux de l'abside de la cathédrale, à Freybourg en Bris-
gau; les beaux vitraux attribués à Albert Durer, et qui ornent la nef latérale du nord de
la cathédrale, à Cologne.
78 INSTRUCTIONS.
mais, au lieu d'écrire le nom entier, ils ne mettent assez sou-
vent que le monogramme ic. jcc. (Jésus -Christ) et mp er (la
Mère de Dieu), pour le Christ et la Vierge, ou que les ini-
tiales r, M, P, M, H, n, pour Gahriel, Michel, Raphaël,
Moïse, Hélie, Pierre ^
NIMBE DE PERSONNAGES VIVANTS.
Les vivants, quand ils étaient arrivés à un degré de sainteté
reconnue et incontestée, se décoraient du nimbe, comme l'af-
firme positivement Jean le Diacre, et, d'après lui, Ciampini".
Mais, pour garder aux saints morts leur haute position, le
nimbe du saint vivant était carré ^.
' Voyez une fresque qui surmonte la porte méridionale et latérale de la principale église
d'Argos. Voyez, dansl'Histoire de Jésus-Christ et de l'Ange, des gravures tirées des fresques
grecques, et représentant Jésus-Christ en archevêque et l'assemblée (2{ivaÇjs) des ar-
changes. Voyez une gravure représentant la transfiguration de Jésus-Christ (Msxafxôpi^w-
<Tis), et où se trouve, dans le bas, une vue perspective du monastère de Coutloumousiou ,
près de Karès , au mont Athos. Dans le dessin où figurent les archanges , on voit Michel ,
Gabriel, Raphaël; leur nom est indiqué dans le nimbe par les monogrammes M, T et P.
^ Jean le Diacre ( Vit. S. Gregonl, lib. IV, cap. lxxxiv ) dit , en parlant de Grégoire le
Grand qui, de son vivant, avait fait exécuter son propre portrait : « Circa verticem vero,
« TABULA similitudinem , quod viventis insigne est, praeferens, non coron am. Ex quo ma-
(t nifestissime declarafur quia Gregorius, dum adhuc viveret, suam similitudinem de-
« pingi salubriter voluit. » Ciampini , qui avait d'abord adopté celte opinion , a dit ensuite
le contraire [Veter. monim. pars. 2°, p. i/jo), mais sans raison; les faits et les textes sont
contre lui. Toujours le nimbe carré que porte un personnage signifie que ce personnage
vivait quand on Ta figuré. Le nimbe rectangulaire est fréquent en Italie : M. du Som-
merard vient de le signaler à Saint- Apollinaire in classe, à Ravenne ; Ciampini, dans la
seconde parlie des Vetera monimenta, en donne jusqu'à huit exemples; les Bollandistes ,
dans l'introduclion au premier volume des Act. SS. du mois de mai, ont fait graver un
nimbe carré ; Séroux d'Agincourt { Histoire de l'art par les monuments) allas de la peinture ,
offre de nombreux exemples divisés en trois types différents du nimbe rectangulaire ;
enfin les Arts au moyen âge, 9" série de l'Album, reproduisent, dans un magnifique dessin ,
le célèbre autel dit Paliotto de Saint-Ambroise de Milan, et là, l'évêque Angilbert qui ,
de son vivant, offre son autel à saint Ambroise, est orné du nimbe rectangulaire, tandis
que saint Ambroise a le nimbe en cercle.
' Ce dessin représente le pape Pascal tenant l'église de Sainte-Cécile qu'il avait fait
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE.
79
26. — LE PAPE PASCAL À MMBE CARRE.
Mosaïque de Sainte-Céciic de Pioiue , ix" siècle.
Le carré, ainsi qu'on Ta dit, est inférieur au rond dans les
idées de Pythagore et des néoplatoniciens. Suivant ces idées,
le carré est l'expression symbolique donnée par la géométrie
à la terre; le rond est le symbole du ciel. Le rond est un carré
perfectionné ; le carré est un rond brisé ou diminué , suivant
l'expression héraldique. Dans l'ancienne basilique de Saint-
Pierre de Rome, on voyait la série des papes peinte à une
époque très-reculée. Au xiii*' siècle , le pape Nicolas III fit re-
produire, mais un peu plus bas, cette galerie des pontifes
romains. Dans cette galerie nouvelle, on avait représenté le pape
Libère avec un nimbe carré, parce que le peintre, employé
bâtir, et où il s'était fait représenter en mosaïque. Celte mosaïque est de 820. Le même
pape, toujours à nimbe carré, se voit à Rome, sur deux mosaïques qu'il a fait exécuter,
l'une, en 8i5, dans l'église de Sainte-Marie délia Navicella; l'autre, en 818, dans celle
de Sainte-Praxcde. (Voyez Ciampini, Veier. monim. pars secunda, tab. i\U, tx-] et 52.)
80 INSTRUCTIONS.
par le pape Nicolas, avait copié minutieusement la galerie
ancienne où le pape Libère portait le nimbe rectangulaire.
Cette forme pouvait convenir au portrait ancien, car ce por-
trait datait probablement du temps de Libère; mais elle ne
pouvait s'appliquer au portrait du xuf siècle, et le peintre
reproduisit le nimbe rectangulaire sans se rendre compte
de cette forme et sans en avoir le sens. Cette particularité
exerce encore aujourd'hui l'intelligence des anticpiaires ; nous
croyons en avoir donné la signification.
MM. les bénédictins de Solesmes se sont fortement préoc-
cupés de ce nimbe carré, et en ont donné une autre explica-
tion ^ « Nous nous permettrons d'observer, disent-ils, que cette
différence dans la manière de représenter Libère a pu venir
aussi de la chute que fit ce pape^, par suite de laquelle la vé-
nération de son nom avait pu s'affaiblir dans fEgiise romaine,
qui ne paraît pas en effet favoir jamais honoré d'un culte
particulier, ainsi qu'elle l'a fait pour tous ses prédécesseurs
et pour un grand nombre de ses successeurs immédiats. Cette
différence de garder sa mémoire avait pu s'exprimer aussi
dans un signe extérieur. » Cette explication est ingénieuse,
mais elle ne nous paraît pas archéologique. Dans tous les cas,
elle viendrait encore à f appui de notre opinion symbolique sur
le nimbe carré, à savoir que cette forme est inférieure à celle
du nimbe rond, et que le nimbe rectangulaire est un nimbe
circulaire brisé et diminué. On faurait donné à Libère, selon
MM. les bénédictins, pour l'abaisser devant les autres papes
qui portaient le nimbe rond, comme, en blason, on diffame
les armoiries d'un noble qui a forfait.
En Italie, sur plusieurs fresques, vieux émaux, ivoires,
^ Origines de l'Eglise romaine, tome I, pag. 167-168, in-/^^ Paris, i836.
* Libère adhéra à la condamnalion de saint Athanase persécuté par les ariens.
ICOi^OGRAPHIE CHRÉTIENNE. 81
mosaïques anciennes ou miniatures de manuscrits , on voit
donc des nimbes carrés ou rectangulaires. Ni la Grèce, ni
l'Allemagne, ni TAngieterre, ni l'Espagne, n'offrent de ces
sortes de nimbes qui sont particuliers à l'Italie ^ En Italie
on use abondamment du nimbe carré et on lui a donné plu-
sieurs configurations : il est simplement rectangulaire , comme
celui des papes Grégoire et Pascal qu'on vient de voir^; il est
réellement en forme de table et avec indication de l'épais-
seur, comme Ciampini en donne. des exemples dans la se-
conde partie de son ouvrage^; il a la forme d'un triptyque,
la tête posant sur la table du fond, et les deux volets étant à
moitié ouverts , comme Séroux d'Agincourt en a fait graver
des modèles; il est en forme de tableau carré, avec champ
et encadrement, comme d'Agincourt en montre encore''; il
est en forme- de rouleau à demi déployé, comme l'exemple
que nous donnons ici ^. Peut-être existe-t-il d'autres variétés
encore de cette singulière espèce de nimbe; il faudrait noter
avec soin toutes celles qu'on pourrait rencontrer, pour qu'il
fût permis d'arriver plus tard à une explication satisfaisante
de ce fait bizarre, et dont la seule Italie donne des exemples.
^ Celte particularité mériterait explication. Peut-être l'Italie, où les monuments chré-
tiens de lous les âges abondent, où les individualités ont toujours été plus prononcées
que chez nous , devait-elle inventer une forme nouvelle et toutes les variétés de cette
forme, tandis qu'ici et chez les autres peuples occidentaux on s'en tenait à un type
uniforme.
^ PI. 5, p.3/i; pi. 26, p. 79.
' Vetera monimenta.
'' Histoire de l'Art par les monuments, peinture, pi. 53.
' Ibid. pi. Sy et 54. Ce dessin est tiré d'un pontifical, manuscrit à miniatures, latin,
du ix' siècle, qui appartient à la bibliothèque de la Minerve, à Rome. Douze tableaux
représentent le pontife consacrant des prêtres, et partout cet évêque porte le nimbe
à rouleau. Un Exultet, dont plue-ieurs miniatures ont été reproduites par d'Agincourt,
offre des exemples semblables.
INSTRUCTIONS. II. Il
82
37 —
INSTRUCTIONS.
KVF.QUE VIVANT, ORNÉ DD NIMBE RECTANGULAIRE EN FORME DE ROULEAU.
Miniature d'un manuscrit latin du ix° siècle.
Ce lait, que révèle la quadrature du nimbe, est de la plus
haute valeur, car il sert à assigner l'âge des mosaïques, des
manuscrits et des autres monuments , lesquels sont incontes-
tablement de l'époque où vivait le personnage à nimbe carré.
Il est bien fâcheux que la France n'ait pas imité l'Italie, et
n'ait pas réservé le nimbe carré pour les vivants, le nimbe
rond pour les morts. Si l'on eût adopté cet usage, nous saurions
aujourd'hui, et d'une manière certaine, la date de plusieurs
monuments de sculpture, de peinture ou même d'architecture,
sur lesquels nous discutons et discuterons peut-être éternelle-
ment sans pouvoir en assigner l'époque. La découverte d'un de
ces nimbes serait d'une telle importance chez nous qu'on doit
appeler fortement l'attention sur les attributs de cette forme.
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE.
83
28. NIMBE CARRÉ À CIIARLEMAGXE EU AU PAPE LEON 111 ; NIMBE CrRCULAlHE À SAINT PIERRE.
Mosaïque de Rome, Triclinium du Vatican, ix'" siècle '.
lE ATE PE T R.E DOr
o VITA LEONI PPE BICTO "
RIACARVLO REG-I DONA
ko
En Italie , on ne s'est pas tenu au nimbe cairé ou rec-
tangulaire; on a encore inventé le nimbe hexagonal, et on
' Celle peinture, en partie détruile aujourd'hui et assez mal restaurée , représente saint
Pierre donnant les insignes de la papauté au pape Léon III et l'étendard de la guerre à
l'empereur Charlemagne. Cette mosaïque ornait le triclinium de Sain t- Jean -de-Latran,
bâti sous Charlemagne , par le pape Léon. Léon et Charlemagne portent le nimbe carré ,
et saint Pierre le nimbe circulaire. Voyez Nicolo Alemanni, De Lateranensibus parietinis.
Home, 1625, p. 12. Dans le même ouvrage, Alemanni a fait graver une mosaïque qui
existait à Sainte-Suzanne de Rome, et détruite depuis deux cent cinquante ans à peu
près. Elle représentait encore Léon III et Charlemagne avec le nimbe carré. Léon avait
rebâti Sainte-Suzanne; il était debout, tenant son église sur sa chasuble. Charlemagne
était debout aussi, habillé comme celui du iriclinium , gesticulant et paraissant adresser
la parole au pape qui a la lèle nue.
11.
84 INSTRUCTIONS.
rapplique à la personnification des vertus théologales et cardi-
nales. Dans ce cas, la fornie n'a plus un sens chronologique et
n'indique plus que l'individu qui en est orné est vivant, puis-
qu'il s'agit d'une allégorie, mais elle exprime un sens mystique.
Le nimbe triansfulaire donné à Dieu lait allusion à la trinité
des personnes divines; le nimbe hexagonal, appliqué aux
Vertus, doit relever d'une idée analogue. A dire vrai, je ne
m'en rends pas bien compte; car les vertus sont au nombre de
trois, ce sont les théologales , ou au nombre de quatre, ce sont
les cardinales, ou au nombre de douze, comme on le reniarque
sur les portails des cathédrales de Paris, dé Chartres, d'Amiens
et de Reims. Mais, en tous cas , il y en a plus ou moins de six.
On pourrait dire cependant que l'hexagone fait allusion au
nombre douze, dont il serait la moitié. Quoi qu'il en soit, les
portes du baptistère de Florence, exécutées par André Pisan;
les peintures du chœur de Saint-François de Pise, par Taddéo
Gaddi; la voûte d'arête qui couvre l'autel de l'église inférieure
d'Assise, par Giotto, offrent les Vertus ainsi nimbées ^
Du reste, le nimbe n'est en France ni polygonal ni carré;
sauf l'exception qui vient d'être signalée, il y est constamment
circulaire. C'est, en effet, le rayonnement de la tête. La tête
est ronde, le nimbe doit donc être circulaire ou tout au plus
légèrement ovale.
NIMBE DES ETRES ALLEGORIQUES.
Les personnages allégoriques auxquels Jésus-Christ, dans
ses paraboles , a donné une existence de raison , en quelque
sorte, sont nimbés lorsqu'ils expriment une vertu, une qua-
'■ Je dois ces renseignements à M. Orsel , artiste si profondément versé dans l'icono-
graphie chrétienne et qui est chargé de peindre une chapelle dans Notre-Dame de Lo-
retle, à Paris.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 85
lité sainte. Telles sont les vierges sages, et quelquefois les
vierges folles; elles portent le nimbe comme des personnages
réels. Les vertus, personnifiées par fart et représentées par les
statuaires ou les peintres , sont nimbées ordinairement. Les
Vertus appelées théologales, la foi, l'espérance et la charité;
les Vertus cardinales, la justice, la prudence, la tempérance
et la force, sont nimbées ^ Leur nimbe est quelquefois hexa-
gonal en Italie , comme on vient de dire ; mais chez nous il
est toujours circulaire. Dans la cathédrale de Chartres, parmi
les quatorze Vertus publiques ou sociales qui occupent un
cordon de voussure, au porche du nord, entrée de gauche, se
montre la Liberté. La première de toutes est la Vertu par ex-
cellence, la mère de celles qui l'escortent, comme dans la
mythologie Mnémosyne est la mère des Muses. La Liberté se
présente la seconde; elle est par conséquent l'aînée de celles
qui la suivent. Les intempéries ont rongé le nom de quelques-
unes d'entre elles, gravé dans la pierre. Parmi les noms qui
restent on lit, en caractères du xiii" siècle : Libertas, Honor,
VelocUas, Fortitiido , Concordia, Amicicia (sic), Majestas, Sani-
tas, Seciiritas. Trois noms seulement manquent aujourd'hui
et ont peut-être toujours manqué. Chacune de ces Vertus porte
un attribut qui la caractérise. Des colombes vivent en paix
sur le bouclier de la Concorde et de l'Amitié; un château cré-
nelé et des flèches distinguent la Sécurité et la Vitesse. Des
poissons , fait curieux ou bizarre , ornent le bouclier de la Santé.
' Voyez, à la Bibliothèque royale, le missel de Saint-Denis, manuscrits latins, sup-
plément. On croit que ce missel date du ix° siècle, première moitié. La miniature qui
représente Jésus descendant du ciel pour donner la communion à saint Denis empri-
sonné, est renfermée dans un encadrement où l'on remarque les quaire Vertus cardinales
personnifiées par des femmes dont la fêle est environnée du nimbe circulaire. M, de Bas-
tard [Peintures et ornements des manuscrits) a reproduit celle peinture. Le Pastoral de
saint Grégoire, beau et très-ancien manuscrit qui est à l'évêché d'Aulun , donne les
Vérins cardinales nimbées de même.
86 INSTRUCTIONS.
Voici la Liberté; elle donnera une idée des autres, car toutes ces
Vertus se ressemblent comme des enfants de la même famille.
29. LA LIBERTÉ DECOREE D'UN NIMBE.
Sculpture du xiii° siècle, cathédrale de Chartres.
Comme sa mère, qui la précède; comme ses douze sœurs, qui
la suivent, la Liberté est décorée d'un large nimbe; c'est une
sainte vertu qui méritait cet lionneur, aussi bien que toutes les
autres qui l'accompagnent ou plutôt qui défdent après elle K
' La main droite, qui est cassée, devait tenir un étendard ou une pique. Le nimbe
est épais et plein , comme ia gravure le fait sentir. On lit parfaitement libertas et non
LiBERAF.iTAS, commc OU pourrait le croire; il n'y a pas la moindre abréviation. D'ail-
leurs, d'après les règles de la paléographie, il n'est pas possible d'abréger liberaliUis en
omettant le second!. Avant de faire exécuter ce dessin de la Liberté , j'ai eu soin d'estamper
l'inscription ; on peut donc avoir confiance entière dans la forme et le nombre des lettres.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIB:NNE. 87
Les êtres naturels, la personnification des points cardinaux,
des vents, des quatre éléments, des constellations, du jour et
de la nuit, sont quelquefois nimbés. La religion chrétienne ou
l'église personnifiée dans une femme couronnée, tenant un
calice d'une main et une croix de l'autre, personnification des
plus fréquentes pendant tout le moyen âge, est nimbée'. Un
manuscrit grec du Vatican^ montre la ville de Gabaon (ttoA/^
Td'^cLcàv) sous la forme d'une grande femme, coiffée d'une cou-
ronne murale, pieds nus, tenant un long bâton; outre sa cou-
ronne, cette ville porte un large nimbe circulaire. Le Soleil
et la Lune, à l'imitation des païens, portent assez souvent le
nimbe; cela se conçoit, puisque le nimbe est un rayonnement,
une lumière, et que les deux astres lumineux par excellence,
pour les habitants de la terre du moins, sont la lune et le so-
leil qui partagent le temps en nuit et en jour. Chez nous, où
l'on est moins prodigue du nimbe, au lieu d'entourer de cet
insigne la tête du Soleil et de la Lune, on met quelquefois une
torche ou un flambeau à la main de ces astres , ainsi qu'on le
remarque au porche septentrional de la cathédrale de Chartres.
Les chrétiens ont nimbé les saints exactement comme les
anciens ont nimbé le Soleil et la Lune. Ainsi voilà Diane
ou la Lune avec un nimbe circulaire; seulement, et afin de
la reconnaître, on lui a mis le croissant sur la tête"^.
Voyez particulièrement un beau manuscrit champenois de la fin du xiif siècle, qui
est à la bibliothèque de l'Arsenal. La Religion chrétienne et la Synagogue assistent au
crucifiement de Jésus; la Religion est nimbée, et la Synagogue, que lue Ja mort du
Christ, est sans nimbe. Même bibliothèque, le manuscrit de Guillaume Durand [lîacional
(les offices, théol. fr. n° 2^, fin du xv' siècle) offre de même une Eglise nimbée. Le célèbre
manuscrit de Drogon (Bibliothèque royale) supplément latin, 645, donne une Eglise
ornée également d'un nimbe d'or.
* Voyez Séroux d'Agincourt, Histoire de l'art par les rnounntents, pi. 28. Ce manuscrit
est du vil" ou vnf siècle.
Voyez, a l'Histoire de Dieu, un très-beau dessin tiré d'un manuscrit grec, et (}ui
88 INSTRUCTIONS.
3c>. DIANE, LA LUNE, À NIMBE CIRCULAIRE.
Sculpture romaine '.
La gravure suivante représente le Soleil. Pour nimbe , il a
sept rayons qui lui partent de la tête, avec la figure matérielle
du soleil qui sert à le caractériser et qui a la forme d'une roue.
3l. — SOLEIL À FIGURE RAYONNANTE, ET À NIMBE EN ROUE SUR LA TETE.
Sculpture éti'usque.
1\\
Les chrétiens ont souvent représenté le soleil et la lune as-
sistant à la mort du Christ et pleurant sur ce martyre d'un Dieu.
Au xuf siècle, ce soleil et cette lune sont figurés sous la forme
d'astres et sont tenus par deux anges , qui en sont comme les
génies; mais aux xi*" et xii% ces deux astres sont personnifiés,
et posés en buste dans le champ d'un nimbe qui est bordé de
représente la nuit personnifiée et nimbée, comme le prophète Isaïe près duquel elle se
trouve. Le manuscrit de Drogon , cité plus haut, montre ainsi, au crucifiement , la Lune
en femme blanclic, à croissant sur la tête; le Soleil est un jeune liomme rouge, à cou-
ronne radiée : tous deux sont inscrits dans un médaillon.
' Montfaucon , Antiquité expliquée, tom. II, p. /»i/i. Le Soleil suivant est au tom. I,
pi. 53, p. 106. Remarquez encore, comme plus haut, le nombre astronomique et plané-
taire des sept rayons.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 89
lignes onduleuses, figurant clés nuages ou des flammes ^ A
Aix-la-Chapelle, sur la couronne en cuivre doré donnée par
Barberousse, on voit Jésus attaché à la croix. Le Soleil et la
Lune sont représentés en huste. La Lune est une femme qui
porte un croissant sur la tête; le Soleil un jeune homme qui
est nimhé de ses rayons. Plusieurs manuscrits à miniatures
du viif ou ix^ siècle olTrent ces deux astres , le Soleil et la Lune,
absolument sous la forme antique ; ils portent le nimbe circu-
laire et sont montés sur un char à quatre chevaux ^.
Les quatre attributs des évangélistes, l'ange de saint Mat-
thieu , l'aigle de saint Jean , le lion de saint Marc et le bœuf
de saint Luc portent le nimbe comme les évangélistes et les
apôtres eux-mêmes ^. Une curieuse particularité est fournie par
un manuscrit de la Bibliothèque royale , espèce d'encyclo-
pédie ou de livre de clergie du xi" siècle ''. Sur le rampant
d'une arcade cintrée, dans le tympan de laquelle est un per-
sonnage orné d'un nimbe croisé, et tenant un livre, montent
deux paons qui se regardent et semblent s'avancer l'un vers
l'autre. La triple aigrette, comme un plumet, se dresse sur
leur tête; mais, et de plus, cette tête est cernée d'un grand
^ Voir plus bas, à l'Histoire de Jésus-Christ, un crucifiement où le Soleil et la Lune
sont ainsi dessinés.
Voyez plus bas, à l'Histoire de Dieu le Fils, un Soleil et une Lune ainsi figurés et
pleurant sur la mort de Jésus-Christ.
' Voyez, à l'Histoire de la Trinité et de Jésus-Christ, plusieurs dessins représentant
ces animaux symboliques ornés d'un nimbe circulaire. Plus bas, au paragraphe de l'au-
réole, est donnée la représentation d'une fresque romane de la cathédrale cl'Auxerre ;
l'aigle de saint Jean et le bœuf de saint Luc y sont nimbés. A la cathédrale de Chartres,
tympan de la porte centrale du portail occidental , est sculpté le Christ entouré des ani-
maux symboliques ; seul des quatre, l'aigle est nimbé, parce que les trois autres détachent
leur tête trop fortement du fond, et que le nimbe, dans ce cas, était d'une exécution
dilHcile.
Fonds de Saint-Germain, lat. n° k^k, olim bkq. Voyez Peintures et ornemenh des
manuscrits. S' livraison.
INSTHUCTIONS. II. 12
90 INSTRUCTIONS.
filet circulaire et qui est exactement un nimbe. Ces paons
nimbés sont assurément symboliques et doivent exprimer une
idée analogue à celle qui se cache sous les animaux des évan-
gélistes. Un manuscrit de la bibliothèque d'Amiens \ un psau-
tier, oiFre au psaume lxxxii l'agneau de Dieu peint et inscrit
dans le D qui ouvre le premier verset. L'agneau porte le nimbe
uni et sans croix, première particularité; mais la tête du D
a la forme d'un oiseau qui, avec le bec, saisit un serpent à
la gueule. Cet oiseau, qui ressemble à un aigle et qui doit
représenter le courage ou la vertu triomphant du vice, porte
un nimbe comme l'agneau , un nimbe uni , couleur du par-
chemin et tracé par une simple ligne noire.
Enfin le génie du mal, Satan, est quelquefois nimbé; à
cette occasion , nous devons dire un mot de la valeur du
nimbe ou de l'idée qu'il exprime.
SIGNIFICATION DU NIMBE.
Le nimbe, surtout dans les idées occidentales, est l'attribut
de la sainteté : tout roi est orné de la couronne, quiconque
est saint porte le nimbe ^.
En Orient, il n'en va pas ainsi : le nimbe caractérise l'éner-
gie physique aussi bien que la force morale, la puissance ci-
vile ou politique aussi bien que l'autorité religieuse. Un roi
porte le nimbe au même titre qu'un saint. Un manuscrit
turc de la Bibliothèque royale montre Aurengzèbe à che-
val et lisant. Le vieux descendant de Timour est précédé et
suivi d'une escorte qui est à pied. Seul , de tous les person-
Liber psalmorum , ix" siècle. Le psaume Lxxxn commence par ces mots : Deiis, qiiis
similis erit tihi ?
Voyez, entre plusieurs autres exemples, une belle miniature reproduite dans le
grand ouvrage de M. le comte Auguste de Bastard , Peintures et ornements des manuscrits.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 91
nages qui sont là, le grand mogol est entouré à la tête d'un
nimlDe circulaire et rayonnant. Voilà pour la puissance civile.
Quant au pouvoir religieux, une peinture orientale, rappor-
tée du royaume de Lahore par le général AUard , représente
Gourou-Sing et Baba-Nanck, fondateurs de la religion sike.
Baba-Nanck, révélateur, porte le nimbe rayonnant; Gourou-
Sing, qui n'est qu'un réformateur et un réformateur guerrier,
a pour nimbe un cercle lumineux simple et non rayonnant.
Ainsi donc, en Orient, on donne le nimbe à tous ceux qui
gouvernent par la puissance purement civile, par le pou-
voir guerrier et religieux à la fois, et par l'autorité purement
religieuse. En Orient on gratifie du nimbe tout ce qui est
fort, et non pas seulement les rois et les saints, mais encore
les génies du bien et les génies du mal, les démons et les
dieux. On le refuse, au contraire, à tous les êtres faibles en
puissance ou en vertu. La distinction est des plus faciles à
établir. Soyez malade, soyez vaincu ou près de succomber,
et vous n'aurez pas le nimbe; c'est un insigne que les seuls
êtres forts doivent porter.
En Occident, sauf le petit nombre d'exceptions signalées plus
haut, et dans les contrées restées pures de tout contact avec
les idées orientales , on ne met de nimbe qu'à la tête de Dieu ,
des anges , des saints et des idées saintes personnifiées. Un roi
ou un empereur, un évêque, un prêtre, un religieux, un ma-
gistrat, malgré toute sa puissance, n'est pas nimbé, à moins
qu'il ne soit autre chose encore que roi, empereur, évêque,
clerc ou bourgeois. Pour être nimbé il faut, comme saint Louis,
saint Charlemagne, saint Rémi, saint Victor, saint Bernard,
sainte Reine, être canonisé ou réputé tel. A plus forte raison
ne donne-t-on pas le nimbe à un serf, à un homme vicieux,
à un démon, quelque grand qu'il soit d'ailleurs. Par contre.
12.
92 INSTRUCTIONS.
une pauvre femme comme sainte Geneviève , un pauvre men-
diant comme saint Alexis, un pauvre batelier comme saint
Julien, un pauvre cordonnier comme saint Crépin, seront
nimbés parce qu'ils auront aimé Dieu, macéré leur corps,
prié pour les autres, secouru les malheureux. S'ils ont fait les
six œuvres de miséricorde : s'ils ont nourri les affamés , désal-
téré ceux qui avaient soif, recueilli les étrangers et les malades,
vêtu ceux qui étaient nus, visité les prisonniers \ ils seront
honorés du nimbe; ils seront plus grands dans le ciel que le
roi Clovis, que les empereurs Othon, que le fameux pape
Silvestre II, que le grand archevêque Hincmar.
Il ne faut pas s'y tromper, lorsque dans une cathédrale on
voit des statues représentant des personnages qui ne portent
pas le nimbe, comme on le remarque généralement au grand
portail de la cathédrale d'Amiens, on doit se garder de con-
clure que ces personnages ne sont pas canonisés; car ce sont
réellement de très-grands saints : ce sont des apôtres et des
martyrs. S'ils n'ont pas de nimbe, c'est qu'il y avait difficulté à
sculpter cet insigne d'une manière durable autour de leur tête,
et qu'ils sont trop éloignés de la muraille contre laquelle
seule on aurait pu appliquer le nimbe. Le nimbe existe, en
effet, dans les voussures et sur les tympans où l'.exécution de
cet attribut était praticable et facile.
D'un autre côté, de ce qu'on ne verrait pas la tête d'un
personnage ornée d'un nimbe , on aurait tort de décider, en
conséquence de ce qui vient d'être dit, que ce personnage n'en
est pas moins un saint, et que, s'il est privé du nimbe, c'est
qu'on a oublié ce caractère ou qu'il a été difficile de l'exé-
cuter. Qu'il y ait eu oubli, c'est possible; cela se voit fré-
quemment. Mais si les erreurs de cette nature abondent dans
* Saint Matthieu, cap. xxv, v. 35 et 36.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 93
les manuscrits à miniatures , elles sont bien plus rares en sta-
tuaire, où l'on fait preuve de plus d'exactitude. En outre, si
les autres figures qui seraient dans la position du personnage
en question et qui l'environneraient portent le nimbe, il faut
en conclure que celui-ci n'est pas canonisé , et que, tout au
contraire, les autres sont des saints. Ainsi, à la cathédrale de
Paris, au grand portail, dans le tympan de la porte droite,
on voit un roi à genoux et un évêque debout dépourvus de
nimbe, tandis que les autres personnages en ont : c'est parce
que l'évêque est Maurice de Sully et que le roi est Philippe-
Auguste, qui ne sont saints ni l'un ni l'autre.
Au surplus, l'absence et la présence du nimbe ne sont ca-
ractéristiques, pour nier ou exprimer la sainteté, que jusqu'au
xiv*" siècle inclusivement; après cette époque, le nimbe perd de
son importance : on le met et on le retire à peu près arbitraire-
ment. Mais au xiii*" siècle, dans certains édifices surtout où le
nimbe a une signification, toutes les fois que cet attribut envi-
ronne la tête d'un personnage, on peut dire que ce person-
nage est saint. Or, à Chartres, au portail du sud, un ecclésias-
tique qui se dresse contre la paroi de la porte gauche porte un
nimbe; donc cet homme est un saint; donc ce n'est pas Ful-
bert , l'évêque de Chartres , qui n'a été canonisé nulle part ;
mais bien le pape saint Clément, que l'on reconnaît à sa tiare,
qui n'est pas une mitre, et à la petite-maison environnée d'eau
sur laquelle il pose les pieds, et qui n'est pas la cathédrale de
Chartres s' abîmant dans les flammes , ainsi qu'on fa écrit.
Pour tout cela , c'est le bon sens , c'est l'habitude de voir et
d'expliquer les monuments qui peuvent seuls guider.
HISTOIRE DU NIMBE.
Le nimbe est destiné à qualifier fortement et à la première
94 INSTRUCTIONS.
vue quiconque en est décoré. Il se porte à la tête comme une
couronne, parce que la tête est la plus noble portion de nous-
mêmes et parce qu elle est la plus haute et la plus visible
partie de notre corps. En effet, toutes les fois qu'on a voulu
attirer les regards ou provoquer le respect, la tête a été prise
comme moyen, comme but ou point de mire.
De tout temps et chez tous les peuples , la tête a été con-
sidérée comme la plus noble partie de l'homme : c'est à sa tête
que le lion doit son titre de roi des animaux; c'est parce qu'il
porte la tête droite et qu'il regarde naturellement le ciel que
l'homme a été proclamé le chef de la création K La tête est
à l'homme ce que la fleur est à la plante, le fronton au por-
tique : c'est l'âme matérielle du corps; et, de plus, c'est l'en-
veloppe, le siège et le temple de l'âme immortelle. La tête
touche, goûte, odore, entend et voit, et par-dessus tout elle
pense ; au cerveau , source et embouchure de la pensée , vien-
nent aboutir les sens, qui en sont les organes et les affluents.
Ce qui est confus et disséminé dans le reste du corps est réuni
et concentré dans la tête. La beauté elle-même, qui a cepen-
dant pour se développer la surface variée et vaste de tout le
reste du corps, la beauté vient s'épanouir et se résumer sur la
tête. On est beau avec un corps laid et une belle tête; on est
toujours laid avec un beau corps et une tête vulgaire.
Ainsi, dans l'ordre matériel, anatomique et physiologique,
tout l'homme est dans sa tête; c'est encore là que l'esthétique
a placé la beauté suprême. En psychologie, le corps est peu,
la tête est tout. Le corps sans la tête est une tige sans fleur,
* « Pronaque cum spectent caetera animalia terram,
« Os homini sdblime dedlt (Opifex rerum) cœlumque tueri
« Jussit, et Erectos ad sidéra lollere vultus. »
(Ovide, Métamorphoses, iiv. I.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 95
une colonne sans chapiteau; quelque chose d'informe qui n'a
de nom nulle part. Au contraire, la rose enlevée à la plante
et le chapiteau séparé du fût peuvent orner gracieusement
une femme et un monument; enfm, de la tête humaine sans
le tronc on a fait les plus pures de toutes les intelligences cé-
lestes, les séraphins qui ne sont qu'amour.
La religion chrétienne faisait bon marché du corps de
l'homme, mais elle estimait sa tête à haut prix. Le tronc sé-
paré de la tête peut s'enterrer partout, disent les anciens li-
turgistes Guillaume Durand et Jean Beleth ; mais la tête ne
peut s'inhumer qu'en terre sainte et consacrée, que dans l'église
ou dans le cimetière. Le corps sans la tête ne consacre pas un
lieu où il est enterré ; la tête sans le corps sanctifie ce lieu immé-
diatement^ A Cologne, de tous ces milliers de martyrs de la
légion thébaine qui reposent dans l'église de Saint-Géréon , leur
compagnon et un de leurs chefs , on montre particulièrement
les têtes, rangées dans des armoires vitrées comme des livres
de grand prix dans une bibliothèque. A Sainte-Ursule de Co-
logne, que fait-on voir des onze mille vierges martyres? Tou-
jours les têtes enfermées dans des reliquaires d'or, d'argent ou
de bois précieux. Il y a une grande chambre uniquement oc-
cupée par ces riches et curieuses reliques. Combien ne s'est-on
' Durand, évêque de Mende, s'exprime ainsi ( Rationale divin, offic. lib. I, cap. v, de
cimiterio et aliis, etc.) « Religiosa sunt ubi cadaver hominis inlegrum vel etiam
« caput tantum sepelitur, quia nemo potest duas sepulturas habere. Corpus vero vel aliquod
« aliud membrum, absque capile sepullum, non facit locum religiosum. » Jean Beleth
{Rationale divinorum ojficiorum , cap. ii, de loco) dit à son tour : « Poslremo locus
« religiosus ille dicitur in quo integrum hominis cadaver sepultum est, vel fanlum etiam
« caput. Corpus enim obtruncatum , nisi et caput adsit , locum religiosum facere non
« potest. » — Dans ces textes se révèle l'esprit du christianisme qui rend tous les honneurs
à la tête , là où l'âme habile spécialement. M. l'abbé Pascal , correspondant du comité des
arts et monuments, publiera prochainement un dictionnaire liturgique où sera traitée
cette question de la préséance de la tête sur le corps.
96 INSTRUCTIONS.
pas disputé le chef de saint Jean-Baptiste! Cinq ou six églises
prétendaient et prétendent encore le posséder. Est-ce que
son corps a jamais été l'objet delà moindre contestation? est-
ce qu'on s'est même occupé de savoir où il était réellement et
à qui il appartenait?
Puisque la tête est douée d'une si grande importance, c'é-
tait à la tête qu'on devait attacher principalement tous les in-
signes qui caractérisent, distinguent ou classent les hommes :
les uns commandent et les autres obéissent; les uns mar-
chent en avant, dirigent et ordonnent; les autres suivent
et exécutent. Ceux-là sont chefs, et ceux-ci ouvriers. Les chefs
portent à la tête un signe distinctif : on reconnaît le roi à la
couronne, le pape à la tiare, et l'évêque à la mitre. Chez nous,
les sexes eux-mêmes se distinguent surtout par une coiffure
qui est mobile pour les hommes et fixe pour les femmes. Les
couronnes ou coiffures des chefs civils et militaires sont d'une
extrême variété, parce que chez tous les peuples, les plus
civilisés comme les plus sauvages, la couronne a été et est
encore l'insigne de la puissance suprême. Le diadème chez
les Grecs, la couronne ouverte chez les Piomains, le cône ou
le cylindre chez les nations orientales, la coupole chez les
Byzantins, la couronne fermée chez les nations chrétiennes,
ne sont que les types principaux d'une foule d'espèces. Au
moyen âge, la couronne est un moyen hiérarchique et un
signe de reconnaissance entre les nobles, aussi bien que l'é-
cusson; l'écusson distingue les familles, et la couronne, les
ordres de la noblesse. Pour l'empereur, c'est la couronne fer-
mée; pour le roi, la couronne voûtée, mais à jour; pour le
prince, la couronne à fleurs de lis et à feuilles d'ache. En
diminuant de plus en plus la couronne, elle perd ses fleurs de
lis et devient à feuilles d'ache simples, à feuilles d'ache entre-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 97
mêlées de perles, à dix-huit grosses perles sans feuilles, à
quatre grosses perles entremêlées de petites , à petites perles
seulement et en simple fdet ou torsade. Ainsi amoindries, les
couronnes se portent : la première par le duc, la seconde par
le marquis, la troisième par le comte, la quatrième par le
vicomte; au baron revient la cinquième. Le casque tout seul
sert de couronne au chevalier. La couronne est une sorte
d'étendard qui se porte en Tair et qui peut servir à guider.
A la bataille d'Ivry, Henri IV disait : «Suivez mon panache,
vous le trouverez toujours au chemin de l'honneur. » C'est
peut-être par un motif semblable , et aussi comme un signe
de décoration, que les rois, chez les sauvages, se coiffent de
plumes hautes et brillantes.
Lorsqu'un homme s'illustre par une action d'éclat, la ré-
compense se traduit ordinairement par une couronne; c'est
toujours à la tête que s'adresse l'hommage ^ La couronne mu-
rale, les couronnes de chêne, d'olivier, de laurier^, se donnaient
chez les Romains à qui montait à l'assaut d'une ville, à qui
remportait une victoire, à qui s'illustrait par un fait glorieux;
chez les Grecs on couronnait les Dieux qu'on voulait honorer.
Les grands poètes, les grands philosophes de l'antiquité étaient
couronnés de couronnes diverses, et leur iconographie nous
les représente souvent ainsi décorés.
Lorsqu'à la naissance du christianisme un genre d'illustra-
tion, peu connu auparavant, se fut comme révélé au monde;
' Il faut dire que chez nous l'honneur est descendu de la lêle aux épaules avee les
épaulelles, et des épaules à la poitrine avec la croix.
^ A Notre-Dame de Brou , on voit saint Jean évangéliste , statue en bois du xvi' siècle ,
placée dans une niche des stalles et provenant de l'ancien pupitre sculpté. Saint Jean est
jeune, imberbe, représenté comme un empereur romain; il a sur la tête une couronne
de laurier comme un triomphateur antique. C'est une façon de nimbe empruntée au pa-
ganisme.
INSTRUCTIONS. — II. '3
98 INSTRUCTIONS.
lorsque des martyrs donnèrent leur vie pour témoigner de leur
croyance qu'ils proclamaient, prêchaient et propageaient, Dieu
lui-même consacra ce système de la politique profane et récom-
pensa ces actions héroïques en couronnant leurs auteurs. Les
premiers monuments de Tart chrétien représentent ou des
mains divines tendant du haut du ciel des couronnes aux mar-
tyrs\ ou des anges descendant du ciel aussi et apportant des
couronnes, par ordre de Dieu, à tous ceux qui souffraient la
mort pour la foi ^. Tout le soubassement de la haute Sainte-
Chapelle de Paris est décoré d'une arcature. Dans les tympans
des arcades est représentée la mort de plusieurs martyrs, de
saint Etienne entre autres, et de saint Thomas de Cantorbéry.
Au-dessus du supplice apparaît la récompense, car des anges
descendent du ciel , apportant des couronnes qu'ils tendent à
tous ces martyrs glorieux ^.
Mais un autre moyen fut, sinon inventé, au moins très-
largement exploité par le christianisme pour distinguer et
honorer ses martyrs et tous les saints. La couronne est un
ornement matériel qui entoure et coiffe la tête; la nouvelle
marque d'honneur, plus idéale et disposée différemment,
quoique cernant la tête aussi, prit un nom différent et s'ap-
pela nimbe.
La couronne est un insigne laïque et civil, le nimbe est ecclé-
siastique et religieux; mais, comme la couronne, le nimbe
Voir à l'Histoire de Dieu le Père une main tenant ainsi une couronne , et qui est
tirée des Vetera monim. Secundapars, pi. 53.
Voir à l'Histoire de l'Ange une de ces créatures célestes , tirée de la Rome souter-
raine; d'une main l'ange apporte une palme, et de l'autre une couronne de martyre.
M. du Sommerard possède un manuscrit couvert de plaques d'ivoire ; ces plaques
sont saisies dans un encadrement orné de filigranes cl relevé de riclies cabochons. Sur
l'un de ces ivoires est sculpté le crucifiement, et dans le haut on voit une main, la main
de Dieu le Père, qui sort des nuages et qui tend une couronne au martyr divin.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 99
s'applique à la tête. Il y aurait clone lieu, à l'occasion de la
tête et dans un sujet archéologique, à faire l'histoire de ces
deux formes, difPérentes- et cependant analogues, de l'honneur
rendu à certains personnages. Ici, comme on s'occupe unique-
ment d'archéologie religieuse, on n'a dû parler que du nimhe,
en omettant tout à fait la couronne.
Les païens ont connu le nimhe, comme on l'a déjà dit;
mais c'est aux chrétiens qu'en est dû l'usage le plus fréquent,
le plus constant, le plus varié et le plus significatif. Depuis le
v^ ou le vi^ siècle de notre ère jusqu'à nos jours, le nimbç n'a
cessé, sauf quelques exceptions ou omissions, d'être peint et
sculpté autour de la tête de diverses statues et ligures, pour
indiquer leur dignité et en donner le signalement hiérar-
chique. Aussi le nimbe a-t-il une histoire marquée par plu-
sieurs phases distinctes et dont on va nommer les principales.
D'abord le nimbe ne semble pas se montrer dans les quatre
premiers siècles, car cette période est remplie de luttes, de
persécutions et de discussions. L'Eglise se fonde, mais elle n'a
pas encore d'art à elle. L'Eglise applique à ses besoins l'art de
l'antiquité. Toutefois elle reprend à la religion juive ce qui lui
appartenait par anticipation, et elle ne fait au paganisme que
des emprunts douteux et que d'ailleurs elle peut sanctifier. Elle
transforme bien, à l'aide d'eau lustrale, une basilique en église,
parce qu'elle y est contrainte parla nécessité; mais elle pouvait
se passer pendant quelque temps du nimbe païen, qui aurait
rappelé et les empereurs qui persécutaient, et les dieux qui
étaient faux; elle s'en passa le plus souvent. Le nimbe est rare
dans les catacombes, sur les fresques ou les sarcophages. Non-
seulement les apôtres et les saints y sont représentés sans cet
insigne, mais la Vierge, mais Jésus lui-même en sont privés.
Le dessin suivant est tiré d'un ancien sarcophage du Vatican.
i3.
100
INSTRUCTIONS.
02. DIEU IMBERBE ET SANS MMBE, CONDAMNANT ADAM A LABOURER I,A TERRE
EVE À FILER LA LAINE.
Sarcophage du Vatican, premiers siècles chrétiens.
Là, comme sur la plupart des monuments semblables, on voit
Dieu imberbe et sans nimbe, condamnant Adam à labourer la
terre pour faire pousser du blé, dont il lui offre une petite
gerbe , et Eve à fder la laine de l'agneau qu'il lui présente.
C'est ainsi qu'en France et en Italie les plus vieux monuments
offrent sans nimbe les personnages divins ou sacrés ^
Plus tard , vers le v^ ou le vi*" siècle , puissante à Rome , en
Cette gravure est dans Bosio, Roma Sotterranea,p. 2 96. Voyez, dans l'Histoire de Jésus-
Christ , deux autres dessins, tirés également des anciens sarcophages chrétiens qui
sont actuellement au musée du Vatican; l'un représente Jésus-Christ barbu, debout sur
la montagne d'où coulent les quatre fleuves du paradis; l'autre Jésus-Christ imberbe,
assis sur un trône, les pieds posés sur la personnification du ciel. Ces deux Jésus
proclament l'Evangile. Le premier s'adresse à ses apôtres , qui l'entourent sous ia forme
de brebis. Le nimbe manque à ces personnages, même à lagneau de Dieu, reconnais-
sable seulement à la croix qui lui surmonte la tète. Les sarcophages d'Arles offrent de
même plusieurs Jésus imberbes et sans nimbe. Je dois à l'obligeance de M. H. Clair ,
correspondant du comité des arts et monuments, auteur d'Arles ancien et moderne, deux
dessins représentant Jésus sans barbe et sans nimbe; ces dessins, exécutés par M. Dau-
mas , ont été pris sur les sarcophages des Aliscamps.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 101
Europe, en Asie et même en Afrique, l'Eglise n'eut plus que
(le rares contradicteurs ; elle eut à combattre des hérétiques
plutôt que des païens. Alors elle distribua en groupes tout
son personnel laïque et ecclésiastique; comme elle était arrivée
au pouvoir, elle devait en prendre toutes les allures. Bientôt
allait commencer la féodalité : tout se hiérarchisait , les hommes
et les choses; tout s'échelonnait suivant un ordre régulier.
L'Eglise elle-même hiérarchisa sur terre comme dans le ciel;
elle établit des catégories dans la multitude des saints triom-
phant dans le paradis, et dans la foule des chrétiens combattant
sur la terre. Elle donna des chefs à tous. Comme dans l'armée
on distingue par les épaulettes le grade des dilTérents officiers
qui commandent les divers bataillons et pelotons, de même on
distingua par des nimbes les saints qui commandaient dans
le ciel.
Le chef de tous, Dieu, ou le Père, ou le Fils, ou le Saint-
Esprit, eut un nimbe en cercle , un nimbe en disque comme
les autres samts; mais, par une distinction spéciale, le nimbe
des personnes divines fut partagé diagonalementpar deux tra-
verses en forme de croix, ainsi qu'on l'a dit et qu'on l'a vu plus
haut.
Une fois que le christianisme eut adopté le nimbe comme
le caractère de la sainteté et comme un moyen de hiérarchie,
ce signe fut constamment employé à peu près jusqu'à la renais-
sance, mais avec certaines modifications qui composent son
histoire archéologique, et dont nous devons parler.
Dans les monuments antérieurs au xi*" siècle, on ne trouve
pas le nimbe constamment hguré autour de la tête des saints.
Avant le vi'' siècle, le nimbe chrétien ne se voit pas sur les
monuments authentiques. Aux vii% viii'' et ix*' siècles s'opère
la transition entre l'absence complète et la présence constante
102 INSTRUCTIONS.
du nimbe ; un même monument donne des personnages ,
tantôt avec le nimbe, et tantôt sans cet attribut. Ainsi, un
manuscrit de la Bibliothèque royale^ oil're, à la fin, sainte
Daria sans nimbe et saint Chrisant nimbé d'un simple fileL;
ailleurs, dans l'intérieur de ce manuscrit, Jésus-Christ porte,
timbré d'une croix , le nimbe que les apôtres ont simplement
ourlé et que d'autres saints ont en forme de disque. Ainsi , à
cette époque, le nimbe n'est pas constant et, de plus, il varie
de forme.
Jusqu'au \if siècle, le nimbe eut la forme d'un disque
fin, assez délicat. Un très-beau manuscrit grec du x^ siècle,
dont il a déjà été question , et que possède la Bibliothèque
royale , représente la Nuit sous la figure d'une femme vêtue
de noir. Sa tête est entourée d'un nimbe lumineux, transpa-
rent, à travers lequel, comme par un verre de télescope, on
pourrait apercevoir les étoiles du ciel ^. Quand le nimbe n'est
pas aussi diaphane, il est toujours indiqué assez légèrement
pour faire sentir que l'intention de l'artiste était de le figurer
comme une atmosphère lumineuse.
Au xii^, aux xiii*" et xiv" siècles , le nimbe s'épaissit, se rétré-
cit et dépasse moins la tête; de transparent qu'il était, il devient
opaque. Ce n'est plus qu'un disque grossier, une espèce de
plat, une sorte d'oreiller circulaire qu'on peint et qu'on sculpte
derrière la tête. Il n'y a plus moyen, comme à la période précé-
dente, d'apercevoir le ciel ou la campagne à travers; c'est un
mur et non un verre. C'est ainsi que Dieu, les anges et les
saints de la cathédrale de Paris ou de Chartres portent le nimbée
Liber preciim, suppl. laL 6/»i. Ce curieux manuscrit pourrait être du ix' siècle ; on
le croit généralement du XI^
^ Voir à l'Hisloire de Dieu.
' Voir le dessin 29 , pag. 86, représentant la Liberté.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 103
La Sainte-Chapelle, dans l'admirable soubassement qui la dé-
core, montre des anges et des saints dont le nimbe est encore
très-lumineux, très-élégant, et peint de couleurs éclatantes;
mais la Sainte-Chapelle est un monument excej)tionnel, un
édifice royal où l'on croirait que le génie de l'Orient s'est reposé.
Tout le xv*" siècle et les premières années du xvi*" fournis-
sent une période où le gothique expire : d'élégant qu'il était
aux xïii'' et xiv*" siècles, il s'appesantit alors, il se matéria-
lise et finit, quant aux figures, dans la vulgarité des types, et,
quant à l'architecture, dans la lourdeur des lignes. Alors le
nimbe se matérialise aussi. De large qu'il était encore, il devient
plus étroit et surtout plus épais. Jusqu'à cette époque, même
au xiv" siècle, on favait considéré comme une auréole, comme
une lumière qui s'échappait de la tête , et Ton avait exprimé
cette idée parfaitement avant le xii^ siècle, plus grossièrement
avant le xv*"; mais enfin on avait eu fintention de figurer une
lumière. Au xv'' siècle , au contraire , on n est plus sensible
qu'à la forme du nimbe , on en perd le sens , et on le regarde
comme une coiffure. On condense encore cette auréole, on soli-
difie et on éteint cette lumière , et Ton en fait une large cocarde,
une espèce de casquette qu'on pose sur la tête d'un saint, sur
la tête de Dieu lui-même, et qu'on penche quelquefois sur leur
oreille, tantôt à gauche, tantôt à droite. Alors Dieu et les saints
portent leur nimbe comme certaines personnes, nos villageois
surtout, affectent de porter leur coiffure. Les vitraux de la fin
du xv^ siècle , plusieurs verrières des églises de Troyes et de
Châlons-sur-Majne, présentent de ces nimbes qui sont réelle-
ment devenus des coilïures. A la cathédrale d'Amiens, sur les
stalles qui sont de i5o8 (la date y est), un jeune Jésus ensei-
gnant dans le temple porte sur foreille un de ces nimbes épais
et ouvragés qui ressemblent à une casquette. Le dessin sui-
104 INSTRUCTIONS.
vant est tiré des mêmes stalles, et montre Jésus montant au
temple où il est conduit par saint Joseph et Marie. Le nimbe,
comme on voit, est réellement une coiffure; le plat extérieur
est orné comme on orne le plat d'une casquette de drap K
33. JÉSUS PORTANT DN NIMBE EN FORME DE CASQUETTE.
Sculpture en bois clos ?talles de Notre-Dame d'Amiens, xvi° siècle.
Dans toute l'église de Notre-Dame de Brou, à Bourg, il n y
a pas un seul nimbe aux anges sculptés ou peints, pas un
seul aux statues de pierre. Une statuette en bois, représentant
Jésus qui enseigne dans le temple , est nimbée d'une casquette
semblable à celle des stalles d'Amiens. Quelques nimbes seu-
lement se remarquent dans les vitraux. Sur le vitrail où est
peinte l'Assomption de la Vierge, les apôtres sont ornés d'un
nimbe qui ressemble, moins les barbes et le cylindre, au
chapeau des Bressanes. Ce nimbe est même orné sur le plat
et à l'extérieur. Tout cela est de la première moitié du xvi®
.siècle; alors, ou le nimbe disparaît en France, ou on en fait
une vraie coiffure.
Je dis en France, parce qu'en Italie, à la même époque et
même plus de cent ans auparavant, le nimbe est dignement
représenté^. Avec la renaissance, quoiqu'on ait*soutenu le con-
traire, on revient aux idées délicates et à la manière élégante
Ce dessin représenle Jésus vu de derrière et gravissant les degrés du temple.
Voir plus loin, au paragraphe de la gloire, la Vierge tirée d'une magnifique
peinture d'Orcagna, représentant le jugement dernier. Marie, assise dans une auréole
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 105
de les formuler; or la renaissance italienne précède de cent
à cent cinquante ans la renaissance française. Alors le nimbe
tombé si bas, si grossier, si dégradé, se relève; il achève de
se volatiliser, ce qu'il avait déjà essayé de faire, mais sans
succès, vers la fin du xiv*" siècle. A Brou, où le nimbe est si
matériel en général, on voit cependant sur un vitrail qui re-
présente Marie Madeleine aux pieds de Jésus ressuscité et qui
lui dit de ne pas le toucher (noli me tangere), on voit le Christ
illuminé d'un nimbe en faisceaux de flamme. Alors on s'in-
génie à faire exprimer au nimbe l'idée qu'il représente. Comme
dans les premiers siècles, comme chez les païens, on le réduit à
un cercle et on en supprime tout le champ, et dès lors on voit
clair comme à travers celui de la Nuit bysantine signalée plus
haut. Ce cercle est régulier, est ferme comme le bord d'un
vase; ou bien on n'en fait plus qu'une ligne difî^use et trem-
blante comme un cercle de lumière ^ Souvent, au contraire,
cette ligne circulaire disparaît , et l'on fait sauter du disque
entier la circonférence , le cadre, pour ne garder que le champ
intérieur, parce que ce cadre semble trop grossier, trop épais
et indigne de contenir la lumière électrique qui s'échappe de
la tête. C'est une ombre de flamme , à forme ronde , mais qui
pourrait ne pas s'arrêter. Dans un dessin qu'on trouvera à f His-
toire du Saint-Esprit, et qui montre Dieu bénissant le monde
au moment où la Colombe divine rase les flots , on voit que le
elliptique comme Jésus-Christ , son fils , a la tête environnée d'une foule de rayons qui
jaillissent hors de la gloire elle-même. Cette tête virginale projette une vive lumière de
tous les côtés.
* Voyez, pour l'Italie, la Dispute du Saint-Sacrement; pour la France, le magnifique
manuscrit d'Anne de Bretagne, qui est à la Bibliothèque royale. Dans ce manuscrit, les
nimbes en disque sont peu nombreux; les nimbes en cercle et à ligne ferme abondent
au contraire; on y rencontre plusieurs nimbes à ligne diffu.se et comme simulant une
lumière brumeuse.
INSTRUCTIONS. II. l4
106 INSTRUCTIONS.
cercle, la circonférence du nimbe divin a disparu, tandis que
les rayons se terminent également et forment un cercle.
Sur d'autres monuments, ces rayons sont longs ou courts,
alternativement ou sans ordre. Les belles peintures sur bois,
appelées tableaux du puys de la Confrérie de Notre-Dame,
et qui sont à Amiens, montrent Marie nimbée de rayons
lumineux, courts et longs. L'enfant Jésus lui-même est nimbé
ainsi, mais, de plus, des rayons plus longs et lleuronnés
à leur extrémité marquent la croix du nimbe. Quant à la cir-
conférence du nimbe qui, ailleurs, rattacbe les rayons, elle
a complètement disparu \ Souvent au nimbe de Jésus-Cbrist
cercle et plateau se sont évanouis, et l'on n'a plus conservé
que la croix qui le distingue, puisqu'il est Dieu. Cette croix
se compose de trois gerbes ou aigrettes de lumière qui partent
du sommet et des deux côtés de la tête, ainsi que le montre ce
charmant enfant Jésus , qui est du xvi^ siècle'-.
3/^. JÉSUS NIMBÉ DE TROIS AIGRETTES DE RAYONS.
Miniature du xvi" siècle, ms. de la Bibliothèque royale.
C'est alors aussi qu'on voit des cercles lumineux en perspec-
' Voyez l'Atlas et l'Album des Arts au moyen âge ; M. du Sommerard , qui possède l'un
de ces tableaux d'Amiens, a fait reproduire avec bonheur ces admirables peintures qui
montrent que la renaissance française est antérieure au xvi" siècle, et que noire peinture
à l'huile et sur bois est nationale et non exotique. Ces tableaux , qui sont du x\' siècle,
ont précédé l'invasion des artistes italiens en France.
" Voyez ms. 920 , Bibl. roy.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 107
tive, des nimbes transparents et qui suivent le mouvement
des têtes. La Dispute du Saint-Sacrement en fournit de beaux
exemples : en voici un qui est très-fréquent en Italie , au xvi^
siècle. Le dessin représente saint Pierre.
35. — NIMBE EN PERSPECTIVE . À SIMPLE FILET DE LUMIERE.
Dispute du saint sacrement de Raphaël.
Les monuments qui fournissent ces variétés du nimbe et
d'autres encore sont à la portée de tout le monde. Les églises
de Paris, par exemple, depuis Saint-Germain-des-Prés jusqu'à
Saint-Sulpice , en passant par la cathédrale, la Sainte-Cha-
pelle, Saint-Germain-l'Auxerrois, Saint -Eustache et Saint-
Étienne-du-Mont , donnent sur tous les points la plus complète
satisfaction. Toutes les espèces et toutes les phases du nimbe
abondent sur les sculptures et les vitraux qui décorent ces
monuments, et qui fournissent une période de sept et peut-
être de neuf siècles.
Enfin, comme toutes choses, le nimbe s'évanouit. A la fin
du xvi'^ siècle, non-seulement les saints, non-seulement les
apôtres et la Vierge, mais les anges, mais Dieu le Père et
Jésus-Christ furent dépouillés de cet attribut caractéristique.
Quand le nimbe par hasard apparaît encore, illuminant
quelque statue ou figure, c'est que l'artiste, luttant contre la
mode, a fait de farchaïsme. Une foule de monuments qui
datent de cette époque et se prolongent jusqu'à la nôtre nous
i/j.
108 INSTRUCTIONS.
montrent sans nimbe les personnages divins, angéliques ou
sanctifiés^ Ainsi, à la fin du moyen âge se reproduisit un fait
qui avait signalé son commencement : Dieu et ses saints furent
représentés sans nimbe. Aux premiers jours du christianisme
le nimbe n'existait pas encore; aux derniers jours du xv*" siècle
il n'existait déjà plus ^. Prenez fange pour exemple, et appli-
quez cet exemple à Dieu et à tous les saints. Dans f Histoire de
fange , une planche est prise d'un sarcophage des plus an-
ciennes époques chrétiennes, et montre deux créatures hu-
maines et ailées tenant des livres sur une frise dont le centre
est occupé par une croix pâtée; une autre planche est tirée
d'un manuscrit du xvi'' siècle , et donne deux anges qui
tiennent les armes du cardinal de Lorraine, archevêque de
Reims. Les premiers anges n'ont pas encore de nimbe, les
seconds n'en ont plus; mais les seconds comme les premiers
ressemblent aux génies antiques, dont, au reste, ils exercent
à peu près les fonctions.
Pourtant, de nos jours où f on comprend mieux le chris-
tianisme, où surtout on fétudie avec plus d'intelligence, le
nimbe a été réhabilité. Mais nous vivons à une époque d'éclec-
tisme où f on adopte toutes les formes et toutes les idées an-
térieures sans trop s'inquiéter de la confusion, de l'amalgame
' Voyez, à l'Histoire de Jésus-Christ et de la Trinité, les personnes divines tirées d'une
sculpture en pierre, des environs de Troyes. Ce bas-relief est de la lin du xvi^ siècle
et représente la Trinité couronnant la vierge Marie après son assomption. Marie, les
deux anges qui l'ont emportée au ciel et les trois personnes qui la couronnent n'offrenl
pas la moindre trace de nimbe ni de gloire. Rien n'est plus humain , ni plus froidement
réel.
Le Bréviaire de Salisbury, qui est de lUoli, à la Bibliothèque royale, montre
dès cette époque l'indifférence qu'on avait pour le nimbe. A la cène, Jésus-Christ a le
nimbe, mais non crucifère; à l'Annonciation, le Saint-Esprit n'a pas de croix non plus
sur son nimbe. Presque tous les anges, et ils sont nombreux dans ce manuscrit, l'un
des plus riches en miniatures, sont déjà dépouillés de loutc espèce de nimbe.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 109
où cet esprit de compréhension absolue nous entraîne. Nos
artistes décorent donc leurs figures de nimbes en disque, de
nimbes en cercle, de nimbes en triangle et de nimbes en au-
réole, à peu près arbitrairement; puis, comme ils sont assez
peu versés en archéologie, ils croisent ces nimbes à de simples
saints, indignes d'un pareil honneur, ou bien, par contre, dé-
corent Dieu d'un nimbe tout uni , en le dépouillant de sa croix
divine. Ainsi l'on voit des tableaux qui représentent la sainte
Famille , et là souvent saint Joseph est nimbé d'un nimbe croisé ,
tandis que l'enfant Jésus a un nimbe sans croix. L'artiste, d'un
coup de pinceau, dérobe donc à Jésus sa divinité pour en gra-
tifier un homme.
AURÉOLE.
L'auréole, comme l'on a dit plus haut, est le nimbe de tout
le corps, de même que le nimbe est l'auréole de la tête.
Ce mot vient du latin auréola, diminutif d'AURA, petit vent ,
air, souffle. Aura veut dire aussi jour et lumière, parce que le
jour et la lumière se lèvent le matin avec le petit vent de l'au-
rore; ou bien encore éclat et flamme, qui sont l'efflorescence
de la lumière et du jour. Dans Horace, ce mot désigne une
odeur suave, un parfum léger.
Aura vient du grec ctSûct, vent doux, zéphyr, exhalaison, va-
peur, aurore enfin. Toutes ces significations, qui se ramènent
à une seule — souffle lumineux — , désignent bien la nature
de l'auréole, qui est une flamme; elle se traduit, en iconogra-
phie, par des ondulations qui entourent le corps, ou par des
raies qui figurent des rayons. L'auréole et le nimbe sont donc
de même nature, un nuage transparent, une lumière solide.
C'est une auréole surtout, plutôt qu'un nimbe encore, qui
110 INSTRUCTIONS.
enveloppait Minerve de son atmosphère lumineuse, lorsque
Virsile montre cette déesse nimbo effulgens \
L'auréole est un nimbe agrandi, comme le nimbe est une
auréole diminuée. Le nimbe ceint la tête; l'auréole entoure le
corps tout entier. L'auréole est comme une draperie , comme
un manteau de lumière qui enveloppe tout le corps depuis
les pieds jusqu'au sommet du crâne. Le mot d'auréole est
très-usité en iconographie chrétienne ; mais il est vague , et
on l'applique tantôt à l'ornement de la tête , tantôt à celui du
corps. Ici nous le restreignons et nous l'affectons unique-
ment à ce grand nimbe qui encadre presque toujours Jésus-
Christ et quelquefois la Vierge. Cependant les antiquaires
appellent ce nimbe vessie de poisson (vesica piscis); mais une
terminologie qui se respecte doit repousser, pour sa gros-
sièreté, une pareille expression; elle a été inventée par les an-
tiquaires anglais, qui en abusent. Du reste cette dénomina-
tion est fausse , car très-souvent l'auréole n'a pas la forme d'une
vessie, comme nous allons le voir. On l'a aussi appelée ovale
divin ou amande mystique; le mot de mystique préjuge,
avant tout examen, une intention symbolique dont on peut
fort raisonnablement douter. D'ailleurs elle n'est souvent ni
un ovale ni une amande; c'est tout simplement le nimbe de
la tête. La tête est ronde, le nimbe est rond; le corps debout
forme un ovale allongé, l'auréole aussi s'allonge ordinairement
à peu près en forme d'ovale. Mais, quand le corps est assis,
' Enéide, liv. II. v. 61 5 :
Jam summas arces Tritonla, respice, Pallas
Inscdit, nimbo effulgens el Gorgone sava.
« Nimbo effulgens. Nube divina. Estenim fulvidum lumen quod deorum capila tinguil. »
(5(f. )Cesont les expressions de Servius, commentateur de Virgile, qui vivait au
iv' siècle. Voyez l'édition in-h" de Virgile, Genève, i636, p. 260.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 111
l'ovale se ramasse en cercle \ quelquefois en quatre-feuilles;
parce qu'alors les quatre portions saillantes du corps, la tête,
les jambes et les deux bras, ont chacune leur lobe particulier,
leur section de nimbe, et que le torse vient s'encadrer dans
le centre de ce quatre-feuilles.
36. DIED DANS UNE AUREOLE EN QUATRE-FEUILLES.
Fresque de la cathédrale d'Auxerre, dans la crypte, à l'abside; fin du xii" siècle.
Ce dessin est fait d'après une fresque placée au fond de la
grande crypte qui s'étend sous le chœur et le sanctuaire de la
cathédrale d'Auxerre. Dans l'auréole de Dieu brillent deux
chandeliers à sept branches; hors d'elle sont peints deux anges
thuriféraires et les quatre attributs des évangélistes, dont l'un,
le lion, est détruit. Au centre de la rose occidentale de la ca-
thédrale de Chartres, est assis de même, dans une auréole en
quatre-feuilles, Jésus-Christ jugeant les hommes. Chaque lobe
' A Saint-Savin , près de Poitiers, dans le porche et dans ia crypte de l'église. Dieu est
peint à fresque; son corps est assis et inscrit dans une auréole entièrement circulaire,
dont le champ est verdàtre. Dans la nef. Dieu est environné dune auréole ovale , parce
qu'il est debout.
112 INSTRUCTIONS.
de ce quatre-feuilles est mieux occupé et sert plus positivement
encore qu'à Auxerre, parce que le Christ, au lieu de tenir à
la main gauche un livre sur ses genoux et d'élever la main
droite en l'air, comme le Christ d' Auxerre, étend ses deux
mains horizontalement, pour en montrer les plaies aux pé-
cheurs qu'il condamne. Ce geste des mains exigeait donc impé-
rieusement les deux lobes latéraux de l'auréole.
On a encore donné le nom de nimbe byzantin à l'auréole ;
cette dénomination convient beaucoup mieux à la nature
de l'auréole qui est un véritable nimbe; mais l'épithète de by-
zantin a le grave inconvénient d'attribuer à l'école grecque et
au style byzantin, comme si elle en sortait ou qu'on l'y eût
employée plus fréquemment, une forme qui n'est particulière
ni à cette école ni à ce style , une forme qui appartient tout
aussi bien à l'Église latine et au style occidental. Le nom
d'auréole est donc celui auquel nous nous arrêtons ; nous
espérons que l'archéologie chrétienne l'adoptera dans sa ter-
minologie.
FORME DE L'AUREOLE.
On le voit , la forme de l'auréole est assez variée. Celle qui se
rencontre le plus fréquemment est l'ovoïdale à base et sommet
pointus, et non pas émoussés comme dans l'ovale proprement
dit. Cette forme semble convenir assez bien à un corps hu-
main qui est debout. L'auréole est un habillement de lu-
mière^ ou un rayonnement du corps. Dans le premier cas, l'au-
réole épouse étroitement la forme du corps pour le vêtir ; dans
le second, elle se modèle aussi sur le corps mais elle s'en dé-
tache comme un rayon qui part du centre.
Les pointes de cet ovoïde, aiguës ordinairement, sont
' «Deus. . . . amictus lumine sicut vestimento. » iPsal. cm, v. a.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 113
mousses quelquefois et s'adaptent plus complètement encore
à la tête et aux pieds.
Ou Lien l'ovale, écourté au sommet et à la base, n'enveloppe
que le tronc, et se rallonge en haut par un lobe cintré, en
bas par un lobe de forme semblable , lesquels sont intersectés
tous deux par l'ovale du tronc. Dans l'exemple suivant, tiré
du manuscrit de Saint-Sever dont il a été déjà question, une
nuée entoure de quatre lignes onduleuses Jésus, qui descend
du ciel. Cette nuée prend exactement la forme des pieds, du
tronc et de la tête. La tête s'y adapte surtout d'une façon re-
marquable; on pourrait dire qu'elle s'y incruste; cette auréole
est une sorte de moule où le corps entier prend sa forme.
37. LE SEIGNEUR DANS UNE AUREOLE DE NUAGES QUI SE MOULENT SUR LE CORPS.
Miniature du x° siècle, manuscrit de Saint-Sever, Bibliothèque royale.
INSTRUCTIONS. II.
LU
114 INSTRUCTIONS.
Chez les Italiens, le rebord extérieur qui embrasse tout le
champ de l'auréole est régulier, géométrique, comme toutes les
lignes de l'art chrétien en Italie. On dirait que c'est un cadre
menuisé par un ouvrier, à l'aide d'un rabot. Comme preuve,
voyez l'Ascension de Jésus , tirée d'un manuscrit italien , et qu'on
a donnée plus haut, page 27, pi. 2. Chez nous, comme vient
de nous l'offrir le manuscrit de Saint-Sever, c'est ordinairement
une ligne onduleuse et qui figure les nuages ou l'eau aérienne ^ ;
car le champ de l'ovale n'est autre que le ciel même où repose
Dieu. C'est à Dieu en effet qu'est réservée le plus ordinairement
l'auréole, à Dieu le Père, ou le Fils, quelquefois au Saint-
EsjDrit. Mais , dans ce dernier cas, et surtout avant le xiv^ siècle,
il faut que le Saint-Esprit entre dans la Trinité et qu'il accom-
pagne les deux autres personnes divines. Au xv^ siècle, ce
rebord est quelquefois tout rempli d'anges, comme on garnit
d'arabesques le cadre d'un tableau. Ainsi une peinture sur
bois, qu'on voit dans f église de l'abbaye de Saint-Riquier, et
qui représente fAssomption , montre en haut, dans le ciel , la
Trinité qui se dispose à recevoir Marie que des anges enlèvent
et emportent en paradis. La Trinité est au sein d'une auréole
presque circulaire , et dans la bande du cercle brille un cor-
don d'anges. La magnifique Cité de Dieu, traduite par Raoul
de Presles , et que possède la bibliothèque Sainte-Geneviève ,
offre plusieurs exemples de ces auréoles qui environnent Dieu ,
et qui sont tapissées de chérubins et de séraphins d'azur, de
feu ou d'or.
Souvent, lorsque Dieu est assis dans fauréole, ses pieds
posent sur un arc-en-ciel; un deuxième arc-en-ciel lui sert de
dossier, et un troisième d'oreiller où s'appuie sa tête. C'est une
Les artistes chrétiens figurent de la même façon l'eau et la vapeur, les oncles el les
nuages.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 115
belle idée, surtout quand le champ est bleu, constellé d'or, et
que le cadre est grisâtre et ondulé comme des nuages. Sou-
vent les deux arcs-en-ciel de la tête et du dos sont supprimés;
car Dieu n'a pas besoin d'appui. Dans ce cas, l'arc-en-ciel des
pieds est quelquefois remplacé par un tapis d'or constellé d'ar-
gent. Voyez une fresque qui appartient au commencement du
xiii^ siècle, qui existe encore dans la tour deBaugency, et qui
représente le Christ tenant un livre de la main gauche, pen-
dant qu'il bénit de la main droite ^ Ce motif est moins élevé
que le précédent; mais il est encore distingué, puisque ce ta-
pis pourrait être le ciel à fond d'or semé d'étoiles d'argent.
Plus souvent, au lieu de tapis, c'est un escabeau, comme à
Chartres^, au tympan de la porte royale. Alors on est tombé au
troisième motif, le plus matériel de tous et qui est la traduc-
tion grossière et littérale de ce passage d'Isaïe : coelum sedes
mea; terra autem scabellum pedum meorum^ a Saint-Denis,
au tympan de la porte centrale du portail occidental, les pieds
de Jésus-Christ posent sur un escabeau. Le bas du corps est
circonscrit par une auréole; mais dans cette auréole s'implante
la croix contre laquelle le souverain juge est adossé, motif très-
rare à cette époque du xif siècle, et très-beau. Cet escabeau,
sur lequel posent les pieds de Dieu , qui est assis sur un
trône et entouré d'une auréole, est très -fréquent. Ainsi,
dans les fresques de Saint -Savin, près de Poitiers, Dieu
est représenté trois fois environné d'une auréole circulaire ou
ovale, et trois fois ses pieds reposent sur un escabeau. Cet
escabeau, plus ou moins orné en creux ou en relief, n'est pas
' Celte fresque, à demi ruinée et que le gouvernement devrait bien faire restaurer,
a été dessinée par un jeune artiste d'Orléans; le dessin appartient à M. A. Duchalais.
- Monographie de la cathédrale de Chartres, dessin de M. Amaury Duval.
' Chap. VI , verset i,
i5.
116 INSTRUCTIONS.
un cliaulToir, comme on Ta dit. Rien qui puisse faire croire à
ce motif vulgaire ne se trouve dans l'Ecriture sainte, tandis
que l'escabeau (scabellum) est bien nettement indiqué. D'ail-
leurs la forme de ce meuble prévient toute erreur à ce sujet.
Le dessin qu'on donne ici, n'' 38, est tiré d'une fresque
qui orne la muraille occidentale de la grande église du cou-
Vent de Salamine, connu sous le nom de panagia phanéromém.
Il montre le Christ descendant du ciel pour juger tous les
hommes. L'auréole qui l'environne est circulaire, variété
que nous a déjà offerte la figure n'' 16, et elle est portée aux
quatre points cardinaux p^r quatre chérubins. Le champ de
cette auréole est divisé par des carrés symboliques à côtés
concaves et qui s'intersectent. Les pieds du juge divin posent
sur une ligne circulaire qui figure un arc-en-ciel ; un second arc
lui sert de siège. Cette peinture est du xviif siècle; elle serait
du xuf en France , car les Grecs n'ont pas fait un pas depuis
cinq ou six cents ans. L'explication de ce dessin qui reproduit
une fresque remarquable est fournie par les psaumes de Da-
vid : « Dieu abaisse les cieux et descend; il monte sur les ché-
rubins et vole; il vole sur les ailes des vents ^ Seigneur, mon
Dieu, vous êtes très-magnifique et couvert de majesté et d'é-
clat. Vous êtes habillé de lumière comme d'un vêtement. Vous
montez posé sur les nuées; vous marchez sur les ailes des
vents. Du souffle vous avez fait vos anges, et du feu brûlant
vos ministres. »
' « Inclinavit cœlos et descendit.... Et ascendit super clierubim et volavit ; volavil supei
«pennas venlorum. » (Psaume xvii, vers, ii et 12.) Et ailleurs : «Domine, Deusmeus,
« magnificatus es veliementer. Confessionem et decorem induisti : amiclus lumine sicut
« vestimento.... Qui ponis nubem ascensum luum : qui ambulas super pennas vcntorum.
" Qui facis angelos luos spiritus, et ministres tuos ignem urentem. » (Psaume cm , ver-
sets 1 , 2 , 3 et A. )
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE.
117
00. DIEU DAI\S UNI' AURKOLE CIRCULAIRE,
RAYONNANTE EN DEDANS ET PARTAGEE PAR DES CARRES SYMBOLIQUES, À COTES CONCAVES
DIEU EST ASSIS SUR UN ARC-EN-CIEL, SES PIEDS POSENT SUR UN AUTRE ARG-EN-CIEL.
Fresque du grand couvent de Salamine, xviif sit'cle.
■DESSINE A SALAMINE PAR. PAVL DVRAND
Le champ de l'auréole est éclairé parfois de deux étoiles qui
rayonnent près de la tête du personnage divin encadré dans
cette auréole même : Tune est à droite, l'autre est à gauclie.
Quand la figure assise bénit de la main droite et que le champ
de fauréole est étroit, la disposition de la main qui absorbe
la place fait reporter à droite les deux étoiles. Quelquefois
le champ tout entier est semé d'étoiles comme le ciel par une
nuit claire^; c'est assez rare. Le nombre des rayons ou des
Histoire de l'Art par les monuments, de Séreux d'Agincourl ; sculpture, planche 2. Ce
dessin représente un devant d'autel de la calladrale de Citlà-di-Castello , en Italie, et qui
fut donné en 1 i/iS ou 11 hà par le pape Célestin IL Au centre, dans une auréole ovale,
paraît le Christ à nimbe croisé : à sa gauche reluit le croissant de la lune; à sa droite, le
soleil fait éclater ses rayons flamboyants; dans le champ de l'auréole brillent des étoiles
à cinq pointes, à cinq lobes ou en forme de rose.
118 INSTRUCTIONS.
pointes des étoiles varie : il est de quatre \ de cinq, de
six, de sept^, même de huit ''. L'étoile de gauche a souvent
moins de pointes que celle de droite. Dans ce cas , l'étoile
gauche indique la lune, et l'étoile droite le soleil '', quoique
ces astres soient figurés sous la même forme. Presque toujours
le soleil et la lune, souvent des étoiles assistent à f ascen-
sion de Jésus au ciel ou à sa descente sur la terre au juge-
ment dernier. Le dessin n° 16 a déjà montré très-positive-
ment ce soleil , cette lune et ces étoiles dominant la scène où
le Christ est représenté s' élevant au ciel; le magnifique tympan
de la cathédrale d'Autun, où l'on a sculpté, au xii'' siècle, le
jugement dernier, ofiFre de même le soleil à la droite, et la lune
à la gauche du Christ jugeant le monde, et inscrit dans une
auréole elliptique ^.
A la Transfiguration , chez lesBy zantins et les Grecs modernes ,
fauréole qui entoure Jésus-Christ offre une particularité. Cette
auréole a la forme d'une roue. Du centre ou du moyeu partent
six rayons qui vont toucher aux jantes, à la circonférence;
mais ces rayons, au lieu de s'y arrêter comme dans une roue
ordinaire, se prolongent et ahoutissent fun à Moïse, f autre à
Elie, le troisième à saint Pierre, le quatrième à saint Jean,
le cinquième à saint Jacques. Ces personnages sont les seuls
qui aient assisté à la transfiguration ou métamorphose, comme
' Voyez l'autel de saint Guillaume, à Saint-Guilhem-du-Désert , décrit et dessiné par
M. R. Tlîomassy, dans les Mémoires de la Société royale des antiquaires de France,
tom. XIV, pag. 222.
* Voyez la personnification de l'air ou de la musique, dessin du xiif siècle, dans un
Pontificale manuscrit de la bibliothèque de Reims.
■ Voyez une vierge byzantine en argent repoussé, et que je possède.
' Voyez la personnification de l'air, manuscrit de Reims.
' Voyez un très-beau dessin de ce Ivmpan tout entier exécuté par M. Victor Petit et qui
fait partie de l'Atlas des arts au moyen âge , de M. du Sommerard ; c'est une des pièces
capitales de ce riche recueil.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 119
disent les Grecs. Quant au sixième rayon , il est absorbé ou
caché par Jésus lui-même. Le Christ est appliqué contre cette
gloire en roue ; on dirait qu'il y est cloué comme à un instru-
ment de supplice, car c'est ainsi que l'on représente le martyre
de saint Georges qui fut roué ^ Cette disposition singulière
est des plus rares chez nous^; on ne la voit que dans les édifices
qui semblent trahir des influences byzantines au moins indi-
rectes, comme Notre-Dame de Chartres, d'où est tiré le dessin
suivant, copié sur une des trois grandes verrières romanes du
portail occidental.
09.
JESUS TRANSFIGURE, DANS UNE AUREOLE A FORME DE ROUE.
Vitrail du xii" siècle, cathédrale de Chartres.
En Sicile, au contraire, cette portion de fancienne Grande-
' Voyez, à la cathédrale de Cliarlres, le marlyre du guerrier saint Georges peint dans
la nef de la même église, sur un vilrail ; voyez le même marlyre, sculpté au portail
méridional, dans le soubassement d'une statue qui représente ce saint.
* Le manuscrit d'Herrade , Hortus deliciarum, où se montrent des traces de l'école
byzantine , offre une miniature représenlantla transfiguration. Des rayons d'argent sortent
120 INSTRUCTIONS.
Grèce où le rite grec des offices religieux est encore observé
aujourd'hui et dans plusieurs localités, ce genre de transfigura-
tion est constant; on le remarque principalement dans les pein-
tures à fresque qui décorent la chapelle royale de Palerme.
Là on voit une auréole elliptique et non circulaire; mais les
rayons sont en nombre égal à ceux de Chartres, et tombent ou
s'élèvent de la même manière en partant du divin transfiguré.
L'auréole présente plusieurs autres variétés, outre celles
du cercle, de fovale et du quatre-feuilles dont on vient
de parler. Puisque fauréole, qui est une espèce d'ombre lumi-
neuse, embrasse la forme du corps, elle doit se partager souvent
en deux : la portion supérieure, plus petite de diamètre, serre
la tête et le buste jusqu'à la ceinture; la portion inférieure, plus
grande, au contraire, part de la ceinture et descend jusqu'aux
pieds. Cette auréole se compose de deux cercles superposés, se
coupant l'un fautre, évidés à leur intersection et donnant,
pour la forme, la coupe verticale de la gourde que portent les
pèlerins. C'est particulièrement de cette configuration que les
antiquaires ont tiré le nom de vessie de poisson; mais elle est
beaucoup plus rare que la forme elliptique et ovoïdale. Ainsi,
outre son inconvenance, cette dénomination a le tort de se
rapporter à une variété peu importante; double motif pour
la repousser. Quelquefois le cercle du bas est plus étroit, le
cercle du haut plus large : alors c'est une gourde renversée;
quelquefois le cercle du haut est ouvert et celui du bas fermé ,
les pieds posant sur cette fermeture alors la tête a de fair et
peut se mouvoir à droite et à gauche, sans être arrêtée par un
cadre. D'autres fois , c'est le cercle d'en bas qui est ouvert et
du corps de Jésus ; ils sont au nombre de seize , huit de chaque côté. Mais ces rayons ne
sont pas reliés entre eux par une ligne circulaire; c'est une roue sans les jantes. Le by-
zantin n'est pas là dans toute sa purelé.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 121
celui d'en haut qui reste fermé; d'autres fois le haut et le bas
sont ouverts, et l'auréole se compose seulement de lignes pa-
rallèles plus ou moins bizarres , et cpii ne se rencontrent pas
plus que les asymptotes de la géométrie ne rencontrent les
courbes auxquelles elles appartiennent.
Toutes ces variétés et d'autres encore se voient particulière-
ment dans un psautier de la Bibliothèque royale, de la fin du
xii*" siècle ^ Les miniatures qui ornent la fin de ce manuscrit
paraissent avoir été exécutées en Italie vers le xiv^ siècle. Cette
grande variété d'auréoles serait un argument de plus à joindre
à la facture, à la couleur, au dessin, aux costumes, à la tour-
nure des personnages, qui portent à croire que ce manuscrit
est italien ^.
Pour les personnes qui prétendent que l'auréole est la repré-
sentation symbolique de certaines parties naturelles, espèce de
sein maternel où nagerait la divinité, il y a difficulté invincible
à rendre compte de ces formes si variées et si hétérogènes. Puis
i]- faudrait expliquer pourquoi Dieu le Père , qui n'est le fils de
personne, qui engendre, mais n'a pas été engendré, est enfermé
dans cette auréole aussi bien que son fils, aussi bien que le
Saint-Esprit.
Aux antiquaires païens, l'auréole, quand elle a la forme d'un
cercle ou d'une amande, pourrait rappeler les imagines cly-
PEATiE si fréquentes chez les Romains et même chez les Grecs^.
Dans un manuscrit de la Bibliothèque royale. Dieu, armé d'un
' Suppl. fr. n" ii32 bis.
' Voyez f" 27, 53, 80 , entre autres. L'Italie est la patrie de la variété archéologique,
c'est-à-dire du mouvement. Chez nous Tart est beaucoup plus uniforme et d'une ima-
gination moins active.
^ Dans l'Iconographie grecque de Visconti, les poêles Sophocle et Ménandre sortent
ainsi en imagines cljpeaiœ d un (Hsque perce comme une lucarne. Au xvi* siècle, a la renais-
sance , ce motif était singulicremenl en faveur et d'un grand usage dans rornemenlation.
INSTRUCTIONS. — II. 1 6
122 INSTRUCTIONS.
glaive et de flèches, en buste et en saillie dans un cercle,
comme sur un bouclier, ressemble entièrement à ces images
sur bouclier qu'on voit sur les sarcophages romains particuliè-
rement. Dans l'Histoire de Dieu le Père, une gravure montre
Dieu en médaillon, et tenant, comme un dieu païen, un arc,
des flèches, un glaive ; c'est le dieu de la force et des combats.
Ce dessin est tiré du psautier du xii'' siècle, cité plus haut.
Il serait donc facile de trouver dans l'archéologie romaine
une des origines de l'auréole, en songeant que des bustes du
Christ sont fréquemment placés au front des basiliques de
forme païenne, en ce lieu où les gothiques ont depuis percé
une rose; où, avant les gothiques, les architectes romans
avaient ouvert un oculum; où, avant cet ociilum à jour, on re-
marque un oculum aveugle et rempli par le Christ et les attri-
buts des évangélistes. Notre-Dame de Poitiers, qui est du
xii^ siècle , a conservé encore la trace de cet usage : elle nous
montreainsi Jésus-Christ entouré des attributs des évangélistes
et enfermé dans une espèce d'ovale, un oculum, ou une rosace
aveugle ^ A Saint-Paul-hors-les-Murs , avant le désastreux in-
cendie de 1828 ; à Saint-Pierre de Rome, avant sa destruction
par le pape Paul V, qui a fait place au Saint-Pierre d'aujour-
d'hui, on voyait la série des pontifes romains peints à fresque,
à des époques très-anciennes. Tous ces portraits en buste
étaient encadrés dans un tableau circulaire, et ressemblaient
aux images sur bouclier des Fiomains.
Voyez les nombreux dessins qui représentent le portail de Notre-Dame de Poitiers.
" Sur cette manière de représenter le Christ en buste , dit M. Raoul-Rocbette [Discours
sur Inrt du christianisme, note 2 de la page 25), imitée des images en bouclier, voyez
Buonarotli, qui en cite pour exemple la mosaïque , aujourd'hui détruite, du grand arc
de Sainl-Paul-hors-des-Murs, Dittico sacro, etc. page 26'.'.. Cet usage durait encore au
vu' siècle, et l'on en a acquis la preuve par la peinture de l'oratoire de Sainte-Félicité,
découvert en 1812 dans les thermes de Titus , en haut de laquelle était une image pa-
reille du Sauveur en buste. » (Gualtani , Memorie onciclopediche , etc. t. I. tav. xxi.j
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 123
Le plus ordinairement l'auréole a la forme ovale; mais cet
ovale est quelquefois figuré par des branches d'arbres qui se
croisent, s'écartent pour laisser un espace vide, et se recroisent
ensuite, composant ainsi comme une double ogive, fune en
haut et fautre en bas ou retournée. Presque tous les arbres
généalogiques, surtout ceux du xii*" et du xiii'^ siècle, le long
desquels s'échelonnent les ancêtres de la sainte Vierge et de
Jésus-Christ, sont ainsi disposés. Dans chaque ovale est inscrit
un aïeul, un roi; au sommet domine Jésus-Christ, assis sur un
trône, et qui bénit le monde avec la main droite. Le dessin
suivant est tiré du psautier de saint Louis ^ Une page en-
tière de ce manuscrit est occupée par un de ces arbres généa-
logiques.
ko.
JESUS DANS UNE AUREOLE ELLIPTIQUE FORMEE DE RINCEAUX.
Miniature du xiii' siècle, psautier de saint Louis.
On n'en a donné ici que le sommet, que le dernier ovale dans
' Ce manuscrit est à la bibliothèque de l'Arsenal.
16.
124 INSTRUCTIONS.
lequel Jésus est encadré. A l'extérieur de cet ovale est repré-
senté le Saint-Esprit reproduit sept fois, parce que Jésus fut
doué des sept esprits de Dieu. Chacun de ces esprits , sous la
forme d'une colombe, est enfermé dans une auréole circulaire.
L'esprit suprême, celui qui domine les autres et qui est tout
au sommet, est non-seulement inscrit dans l'auréole, mais il
porte encore un nijnbe à la tête. On voit que le nimbe de ce
grand esprit n'est pas croisé : c'est une erreur de l'artiste ou
une imperfection de la miniature. Chacune de ces colombes
devrait avoir un nimbe crucifère, car elles sont la personnifi-
cation des propriétés divines de l'Esprit-Saint. A la cathédrale
de Chartres, sur un vitrail de la grande nef, à gauche, on n'a
pas commis cette faute. Ce vitrail représente la Vierge , qui tient
Jésus. Vers l'enfant divin viennent converger, sur des rayons
d'un rouge de flamme, les dons du Saint-Esprit qui ont la
forme d'une colombe. Ces colombes portent toutes le nimbe
crucifère.
APPLICATION DE L'AUREOLE.
On ne peut pas dire que l'auréole soit réservée à Dieu ex-
clusivement; cependant, sauf les exceptions qui vont être
notées et dont on donnera les raisons, l'auréole est un attribut
qui caractérise assez spécialement la divinité. Elle est, en effet,
l'expression figurée de la puissance suprême, de l'énergie
poussée au plus haut point possible. C'est donc à Dieu sur-
tout qu'elle devait se donner, à Dieu qui a en propre et en lui-
même la toute-puissance , tandis que les créatures , dans quelque
rang qu'elles soient, ne la tiennent que de lui, comme la lune
n'a de lumière que par le soleil.
Cependant la vierge Marie, qui est la première des pures
créatures humaines et qui s'avance immédiatement après Dieu,
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 125
Marie, supérieure aux saints et aux anges par les fonctions
qu'elle a remplies et par les honneurs qu'on lui a rendus»
devait être assez souvent entourée de la gloire. Ici,
4l. MARIF. DANS UNE AUREOLE OVALE INTERSECTÉE PAR UNE AUREOLE OVALE AUSSI,
MAIS PLUS PETITE.
Miniature du x" siècle, manuscrit Liber precam. Bibliothèque royale.
dans ce dessin , l'auréole est ovale et à pointe obtuse. Ailleurs
la pointe est aiguë et formée par des branches qui se croisent,
comme dans les arbres généalogiques; ailleurs c'est un nuage
qui encadre Marie dans un ovale qui prend la forme de son
corps et l'enlève au ciel, à l'Assomption \ Dans le jugement
' Voyez, à Notre-Dame de Paris, un bas-relief encaslré dans le mur latéral nord, et
qui représente la Vierge enlevée au ciel par les anges; la Vierge est enchâssée dans un
ovale de nuages. Dans le Campo-Sanio de Pise, au jugement dernier, la Vierge, comme
son fils Jésus-Christ, est assise dans une auréole et sur un arc-en-ciel.
126 INSTRUCTIONS.
dernier, ]Deint au Campo-Santo de Pise par André et Bernard
Orcagna, la Vierge, comme Jésus-Christ, est assise dans une
auréole elliptique et sur un arc-en-ciel. La mère est honorée
autant que son fds qui est à ses côtés. Au xvi'' siècle, cette au-
réole se débarrasse ordinairement de son rebord , de ce cadre
de nuages. Alors le champ reste seul et se compose de rayons
flamboyants^ ou alternativement droits et flamboyants, qui
partent du corps de la Vierge sur tous les points. Ainsi Tauréole
environne Marie dans quatre circonstances particulières. Pre-
mièrement, quand elle tient son enfant divin; secondement,
à l'Assomption, quand elle est enlevée au ciel par les anges;
troisièmement, au jugement dernier, quand elle implore la clé-
mence de Jésus; quatrièmement, quand on la figure avec les
attributs de la femme apocalyptique, symbole dont elle est la
réalité. Dans le premier cas, et la planche 43, page i3i, nous
en fournit un exemple , on peut croire que l'auréole est plutôt
pour son fils que pour elle-même. Dans le second cas, c'est
bien à elle que l'auréole appartient. Au jugement dernier, on
la voit quelquefois sans auréole; mais cet attribut est cons-
tant et des plus complets quand on lui applique le passage de
l'AjDOcalypse : « La femme , habillée du soleil , avait la lune
sous ses pieds et une couronne de douze étoiles à la tête'. »
Quelquefois aux xiif et xiv'^ siècles, surtout aux xv*" et xvi%
époque où se dégradent et se perdent les traditions, on hu-
\ oyez le bas-relief qui décore le tympan du pignon méridional de la cathédrale de
Reims. Deux planches plus bas, p. i3i, les rayons droits et flamboyants alternent.
" Apocalyp. cap. xii, v. i. — On lit cette inscription sur un vitrail du x\f siècle qui
orne l'église de ^^olrc-Dame de Moulins : « Haec est illa de qua sacra canunt eulogia ;
« sole amicla , lunam habens sub pedibus , slellis meruit coronari duodenis. » Le vitrail
où est peinte cette inscription représente Marie tenant l'enfant Jésus; ce qui montre bien
que la femme de l'Apocalypse est la figure de la sainte Vierge, comme 1 agneau égorgé
est celle du Christ.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 127
mille l'auréole jusqu'à la faire servir à l'apothéose d'un saint
ou d'une sainte. Ainsi un vitrail de la fin du xiii"^ siècle, à
Chartres, nous montre saint Martin, archevêque de Tours,
enlevé au ciel par deux anges, dans une auréole de feu. Sur
des manuscrits voisins de la renaissance est peinte, envelo]>
pée de cette divine auréole, Marie Madeleine ravie en extase
par des anges au-dessus de la Sainte-Baume. Il faut prendre
garde alors de ne pas confondre Marie Madeleine avec la mère
de Dieu, l'exaltation de Madeleine avec l'assomption de Marie.
La grotte, l'âge de la sainte et d'autres caractères peuvent
servir à distinguer l'une de l'autre. — Il semble que fhonneur
de l'auréole ait été décerné à un saint ordinaire bien avant le
xiii*' siècle. On lit, en effet, dans la vie de saint Benoît, qui
mourut en ôgo, qu'il aperçut un jour l'âme de Germain,
évêque de Capoue, enlevée au ciel par des anges et dans une
sphère de feu ^ Ce globe de feu est bien une auréole; il est
vrai qu'il enveloppait, non plus le corps, mais l'âme d'un saint,
et qu'une âme pareille semble se rapprocher de la divinité. C'est
de même dans une auréole ovale, rouge ou de flamme, qu'est
enlevée, à Chartres, cette âme de saint Martin"^.
' « Vidit Germani, Capuani episcopi, animam in sphera ignea ab angelis in cœlum de-
'< ferri. » [Act. SS. ord. S. Bened. i" vol. Vie de saint Benoît.) Voici comment saint
Ouen (Vie de saint Eloi, dans d'Achery, Spicilegiumj tom. II, p. ii3) raconte la mort
de saint Eloi, son ami, et comment il décrit l'auréole resplendissante, la lumière sphé-
rique , le phare qui environna l'âme du saint montant au ciel : « Inter verba orationis fla-
1 gitalum à superis emisit (Eligius) spiritum. Statim vero cum esset hora prima noclis,
« visus est subito veiut pJiarus magnus ingenti claritate resplendens ex eadem domo corus-
« cando conscendere, atque inter miranlium obtutus sphœra ignea crucis in se similitu-
« dinem prœferens, velocique cursu densitatem nubium praeteriens, cœli altitudinem
' penetrare. »
" Vitrail d'une des chapelles de l'abside , côté du sud.
128
/J2.
INSTRUCTIONS.
AME DE SAINT MARTIN DANS UNE AUÎ\ÉOI,E ELLIPTlOUr.
Vitrail du xin' siècle, cathédrale de Chartres '.
L auréole est si bien l'attribut de la puissances uprême, de
la toute -puissance divine, que les anges eux-mêmes, ces créa-
tures si voisines du Créateur, ne jouissent pas de cet insigne.
Quelquefois, et les manuscrits à miniatures en fournssent
de nombreux exemples, les anges sont compris dans l'au-
réole de Dieu, qu'ils accompagnent, soit à la création, soit sur
le mont Sinaï, soit au jugement dernier; mais cette auréole ne
leur est pas propre, elle appartient à Dieu, qui rayonne et qui
ies absorbe dans sa lumineuse atmosphère. Cependant un vi-
trail de la cathédrale de Chartres, dans le croisillon méri-
Ici saint Marlin est nu, selon la manière accoutumée de figurer les âmes; mais
ailleurs, à Chartres même, dans le vilrail représentant l'histoire de saint Rémi, l'âme
de l'évéque de Reims est totalement vêtue. On lit dans la Vie de sainte Françoise ro-
maine {Acta SS. des Bollandistes , 2' vol de mars) que l'âme de saint Ambroise de Sienne
monta au ciel en habits pontificaux.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 129
dîonal, offre une curieuse particularité. Sur cette verrière,
qui est du xiii^ siècle, est peinte la hiérarchie céleste, ou la
distribution des anges en neuf chœurs. Les anges sont carac-
térisés chacun par un attribut spécial; dans le premier et le
plus élevé des trois groupes , on voit les Trônes représentés par
deux grands anges à ailes vertes, ayant le sceptre en main , et
qui sont enfermés dans une auréole rouge et de forme ellip-
tique. Les Trônes seuls sont décorés de cet insigne; or ces
anges, comme l'indique leur nom, sont les dépositaires de la
toute-puissance divine. Ce fait confirme encore que l'auréole
est bien l'attribut spécial de Dieu, car la divinité, en déléguant
sa puissance aux Trônes , leur délègue en même temps une
portion de sa majesté ^
HISTOIRE DE L'AUREOLE.
Le nimbe, comme on l'a dit plus haut, est souvent absent.
Il existe à peine, il ne se voit pas encore dans les sarcophages
et les fresques des catacombes; il disparaît à la fm du moyen
âge. L'auréole, et cela devait être, puisqu'elle n'est qu'un
nimbe agrandi, est soumise aux mêmes phases historiques;
on ne la voit pas dans les plus anciens monuments chrétiens.
' Saint Denys l'Aréopagite {de cœlesti Hierarckia, cap.xv, p- 1 98) dit que les anges sont
quelquefois revêtus d'un nuage; cette auréole qui environne les Trônes de Chartres pourrait
figurer ce nuage. L'auréole , eu effet, qui entoure Dieu , la Vierge et les âmes des saints ,
n'est autre chose que la nue sur laquelle montent ou descendent ces personnages divins
ou sacrés. A Aix-la-Chapelle, au centre de la couronne donnée par Barberousse et qui
pend sur le tombeau de Charlemagne, on voit l'archange saint Michel enfermé dans
une auréole en quafre-feuilles comme le Chrisl d'Auxerre donné plus haut, pi. 36, p. 1 1 1 .
L'archange descend du ciel pour combattre les ennemis de la paix, car, par un singulier
contraste avec l'esprit belliqueux de Charlemagne et de Barberousse, la couronne pro-
clame la béatitude des pacifiques : « Beali pacifici, quoniam filii Dei vocabuntur, «dit une
inscription prise du sermon sur la montagne ( saint Matthieu, chap. v, verset 9).
INSTRUCTIONS. II. *7
130 INSTRUCTIONS.
Qu'on se rappelle le dessin de la page i oo qui est tiré des sarco-
phages chrétiens trouvés dans les catacombes. Cette gravure
représente Dieu imberbe, qui condamne Adam à labourer la
terre et Eve à travailler la laine : à l'une, il olï're un agneau,
dont elle fdera la toison; à l'autre des épis de blé, image de ceux
que l'homme fera croître à la sueur de son front. Dieu n'est en-
touré ni de nimbe à la tête, ni d'auréole au corps. Le dessin 18,
page 5A, se distingue également par l'absence du môme ca-
ractère. L'auréole apparaît même plus tard que le nimbe , et
celui-ci est déjà pratiqué dans la plupart de ses variétés, que
l'auréole ne montre pas encore; elle disparaît aussi avant la
disparition du nimbe, en sorte que son existence est assez
restreinte. En outre, au plus fort du moyen âge, alors que le
nimbe, sauf oubli, est constamment usité, l'auréole n'est pas
toujours figurée. C'est donc une forme plus rare et de plus
courte durée que celle qui environne la tête. Voyez, à l'His-
toire de la Trinité, un dessin tiré du manuscrit du duc d'Anjou ,
Bibliothèque royale, xiii*' siècle; la Trinité y est nimbée du
nimbe croisé, mais elle n'a déjà plus d'auréole.
Vers le xv*" et le xvi^ siècle, le nimbe perd son rebord exté-
rieur, et il est assez souvent dépourvu de la circonférence qui
en rattache les rayons ; il en est de même de l'auréole. La pé-
riphérie disparaît et le champ seul reste. Ce champ est strié de
rayons ou droits ou flamboyants, et quelquefois droits et flam-
boyants alternativement. Un dessin qu'on trouvera dans l'His-
toire de la Trinité et qui est tiré d'un manuscrit de la Biblio-
thèque royale, de la fin du xv^ siècle ^ représente la Trinité
sous trois personnes à forme humaine : le Père , en pape et
tenant le globe; Jésus, en crucifié et tenant sa croix; le Saint-
Esprit, en jeune homme et sur la tête duquel est posée la
* L'Aiguillon de l'amour divin, in-/i°, n" bogà et 7275.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 131
divine colombe, qui est son symbole. Tous trois portent le
nimbe croisé; la colombe elle-même est éclairée de cet
insigne. Des rayons flamboyants, c'est-à-dire l'auréole, sortent
en effluve des trois personnes divines. Ces rayons ne sont
pas rattacbés entre eux; ils s'échappent libres et sans être
reliés par une circonférence. Il en est de même du dessin
suivant,
43. ~ MAKIE ET JÉSUS DANS UNE AUREOLE À RAYONS DROITS ET FLAMEiOYANTS.
Miniature du xvi° siècle, bibliothèque Sainte-Geneviève.
qui représente Marie tenant l'enfant Jésus. La Vierge et son
fds sont enveloppés dans une auréole blanche ovoïdale , et dont
la circonférence est frangée de rayons droits et flamboyants.
Jésus et sa mère sortent du lys mystique de la tribu de Juda^
' Ce dessin reproduit une miniature du xvi' siècle, manuscrit n" 46o, de la biblio-
thèque Sainte-Geneviève. On voit que la mère et l'enfant divin portent tous deux le
nimbe circulaire ; mais on n'a pas croisé celui de Jésus Au xvi° siècle on commet sou-
vent des erreurs de ce genre.
17-
132 INSTRUCTIONS.
GLOIRE.
Par gloire, avons-nous dit, nous entendons la réunion
du nimbe et de l'auréole, comme la main est la réunion des
doigts qui la composent. Il fallait un mot générique pour
comprendre à la fois les deux espèces, et ce mot nous l'em-
pruntons, mais en le précisant toutefois, au vocabulaire ico-
nographique.
Le mot de gloire (gloria) est, suivant nous, formé d'une
onomatopée, ou de deux cris exprimés par les deux voyelles
principales que trois consonnes relient entre elles pour faire
le mot. Ce mot, dans le langage usuel , est l'expression d'un éclat
extraordinaire environnant tout individu qui s'illustre par de
grandes actions, par de hautes pensées, par des œuvres subli-
mes. Alexandre, qui conquiert l'Asie; César, qui domine l'Eu-
rope; Aristote et Pj^ton, qui gouvernent les intelligences;
Homère et Virgile, qui allument toutes les imaginations; saint
Vincent de Paule, qui enflamme tous les cœurs et fait des pro-
diges de charité; Phidias et Raphaël, qui produisent des chefs-
d'œuvre de sculpture et de peinture , et bien d'autres et dans
tous les ordres de l'activité humaine , sont des hommes éclatants
et couverts de gloire. A l'aspect de génies analogues, dans l'en-
fance du monde, alors que les langues étaient naissantes et
que les idées s'exprimaient surtout par gestes et par exclama-
tions, le peuple enthousiaste traduisit son admiration par ces
cris que la grammaire appelle des voyelles, et par ceux-là sur-
tout qui étaient les plus sonores, les plus bruyants, les plus
conformes à l'état des âmes qui les poussaient. Or, parmi les
voyelles, les deux plus éclatantes sont l'o et l'a. Poussées suc-
cessivement et répétées plusieurs fois de suite et sans inter-
ruption, ces voyelles s'unissent et se modifient. Le lien et la
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 133
modification se sont obtenus par les consonnes ^, /, qui pré-
cèdent Vo; dans le même but l'r est venue se placer devant l'a
avec la voyelle i, voyelle sourde et servant à rendre plus facile
rémission de Va, qui est si retentissant. Il est possible que le
mot gloria, comme celui de bravo, où Yo vient après Va, ne
soit qu'une acclamation bruyante, et que f expression de f hom-
mage rendu à un homme de génie.
Quoi qu'il en soit de la génération du mot, ce mot lui-même
n'en exprime pas moins l'éclat ou la lumière morale qui envi-
ronne tout homme illustre. Lorsqu'on a voulu formuler maté-
riellement cet éclat, le peindre ou le sculpter, le rendre visible
à fœil et sensible au toucher, on fa représenté par une ligne
arrondie qui enveloppait tout le corps, et par une autre ligne
circulaire , le nimbe, qui environnait ia tête.
Nous donnons le nom de gloire à cette réunion du nimbe
et de fauréole, parce que c'est un nom qui emporte avec lui
une signification complète, et parce qu'il est à peu près con-
sacré dans le langage usuel.
En effet, ce nom appliqué à cette forme est encore popu-
laire aujourd'hui : il sert à désigner ces grands soleils qu'on
étale à forient des églises, c'est-à-dire ces rayonnements en
bois doré dont on décore quelquefois le fond du sanctuaire '.
D'ailleurs , les livres saints prononcent souvent le mot de
gloire et rappliquent à des rayonnements qui s'échappent du
corps de Dieu, ou à des nuages qui f environnent lorsqu'il des-
cend sur la terre. Ainsi Ezéchiel dit : « Je vis comme une ligure
de feu; depuis les reins jusqu'en bas c'était du feu, depuis les
reins jusqu'en haut c'était comme de la flamme et de fairain
mêlé d'or. Là était la gloire du Dieu d'Israël'^. La gloire du
' Voyez le soncluaire de la calhcdrale d'Amiens, el celui de Sainl-Roch, à Paris.
* Ezéchiel , cap. viii, v. 2 et 3.
j3/, INSTRUCTIONS.
Dieu d'Israël s'éleva de dessus le Chérubin où elle était \ La
GLOIRE du Seigneur s'éleva de dessus les Chérubins jusqu'à
l'entrée de la maison; et la nuée couvrit la maison , et le parvis
fut rempli par l'éclat de la gloire de Dieu l »
Ainsi David, dans ses psaumes , dit que Dieu se montre dans
sa gloire, et l'Exode même déclare que la gloire de Dieu res-
semble à la flamme^.
Ainsi dans une foule de textes sacrés il est question de
Jésus qui, à la fin du monde, descendra dans sa gloire et sa
majesté pour juger les vivants et les morts. Or, toutes les fois
que sur des sculptures , sur des vitraux, sur les miniatures
des manuscrits, les scènes signalées dans ces textes sont ex-
primées par des personnages; toutes les fois qu'on représente
Dieu ainsi rayonnant ^^ placé dans les nuages, ces rayonne-
ments et ces nuages prennent précisément la forme circulaire
à laquelle nous donnons le nom de gloire. C'est en l'envelop-
pant des lignes onduleuses ou géométriques, auxquelles nous
imposons ce nom, que les artistes chrétiens ont représenté Dieu
qui se montre à ses prophètes ^ et le Christ qui juge le monde.
Le dessin 3 7 , page ii 3 , nous a montré ainsi Jésus descendant du
ciel en terre; il est entouré de nuages et environné de la gloire.
Une inscription : « Dominus in nubibus, et vident eum inimici
« ej us et qui eum pupugerunt, » ne laisse aucun doute à cet égard \
' Ezechiel, cap. ix, v. 3.
' Ibid. cap. X, V. A : « Et elevata est gloria Domini desuper Cherub ad limen domus ;
« et replela est domus nube , et atrium repletum est splendore globijE Domini. »
^ Cap. XXIV, V. 17 : « Erat autem species gloria Domini quasi ignis ardens. »
' Ezéchiel est des plus positifs dans sa vision prophétique. Lisez et comparez les difTé-
renls versets du chapitre premier. Ces textes extraordinaires qui exphquent si bien la
GLOIRE de Dieu, la nature flamboyante et la forme circulaire de cette gloire, les roues
mystérieuses et les animaux symboliques qui l'accompagnent , ont été figurés par la
sculpture et la peinture, à toutes les époques de Tari chrétien.
** Apocalyp. cap. 1, v. 7. « Ecce venit (Christus) eum nubibus, et videbit eum omnis
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 135
Cette miniature pourrait être du ix'' ou du x'' siècle. Le ma mis-
ent d'où elle est tirée vient de l'abbaye de Saint-Sever, en
Gascogne; il est à la Bibliothèque royale.
NATURE DE LA GLOIRE.
Que la nature du nimbe et de l'auréole, que l'élément qui
les constitue l'un et l'autre soit le feu, ou la flamme qui est
comme l'efflorescence du feu , il ne peut y avoir aucun doute
sur cette proposition. Le dernier dessin, page i3i, le montre
positivement pour l'auréole; deux gravures prises au Campo-
Santo, et qu'on donnera plus bas, le démontrent aussi posi-
tivement pour le nimbe. C'est sous la forme de rayons lumineux
et d'aigrettes flamboyantes que l'auréole de la tête et l'auréole
du corps environnent les divinités hindoues. Le corps de Zo-
roastre, cette pure émanation de la divinité des anciens Perses,
jetait une telle clarté, lorsqu'il vint au monde, que toute la
chambre où il vit le jour en fut illuminée ^ Crichna, allaité
par Dévaki, sa mère, éclaire aussi l'appartement où il passe
son enfance avec les rayons que verse sa tête, et que vivifient
encore ceux que projette la tête de sa mère^. Des feux pétillent
et sortent du corps et surtout de la tête de Maya, au moment
où la mer de lait s'écoule de son sein en deux ruisseaux^. Dans
les livres bouddhiques qui sont à la Bibliothèque royale, on
voit les saints dévots à Bouddha enveloppés très-souvent dans
» oculus , et qui eiim pupugerunl » Le texte du manuscril est peu diflcrent du texte
apocalyptique. David , psaume xvii , v. 12 , dit aussi: « Dieu a sa tente tout autour de lui ;
l'eau ténébreuse dans les nuées de l'air. » [In circuilu ejus tahernaciilum suam; tenebrosa
aqaa in nuhibus aeris.) C'est l'explication littérale de la gloire du manuscnl de Sainl-Sever.
' Religions de ï antiquité; par M. J. D. Guigniaut, 1" vol., p. 017.
" Ibidem, pi. cali. 1, n" Gi.
' Ibidem, pi. cali. 1, n^io.^. — Le dessin de cetle déesse est donné plus haut, pi. 12,
page [\[\.
136 INSTRUCTIONS.
une auréole ovale ou circulaire, de la périphérie de laquelle
s'échappent des rayons droits ou flamboyants ^ Chez les Grecs,
les Romains et les Etrusques, toutes les constellations, le soleil,
la lune, les planètes, représentées sous la forme humaine, sont
environnées ou de rayons, ou de cercles lumineux entièrement
semblables à nos nimbes et à nos auréoles^. Nous avons déjà
vu le Soleil et la Lune, voici maintenant Mercure, recon-
naissable à ses petites ailes et à son caducée; il est nimbé ^
comme un saint du christianisme.
UU. MERCURE À NIMBE CIRCULAIRE.
Sculpture romaine.
Ces rayons et ces cercles sont l'emblème, ou même mieux,
sont l'image de la lumière ; car, lorsque ces constellations ne
sont pas personnifiées, mais représentées sous leur forme na-
turelle, elles en sont également entourées. Dans l'Egypte, on
vient de trouver des peintures où le soleil est figuré lançant des
rayons à l'extrémité desquels est attachée une main''; c'est
ainsi, à part les mains, que le Saint-Esprit est représenté sur
nos monuments, à la Pentecôte, lorsqu'il s'arrête sur la tête de
chaque apôtre, en forme d'une langue de feu^.
' J'ai dû à l'obligeance de M. Stanislas Julien communication de ces divers ouvrages.
Voyez le Planisphère de Bianchini, qui est au musée du Louvre; l'Antiquité expli-
quf'e, de Montfaucon, pa55îm, etc.
ArUiq. expliquée, lom. II, pi. ccxxiv, p. 4i^-
Journal des Savants, numéro d'octobre 18A0, article de M. Letroi>ne.
Cloître de Sain t-Trophime, à Arles; chapiteaux de Sainle-Madelaine de Vezelay; plu-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. J37
Chez les Perses modernes, chez les Arabes, chez les Turcs,
la tête des personnages sacrés, bons ou mauvais, de Mahomet
et d'Eblis, est surmontée d'une gerbe de flamme qui s'élève,
suivant sa nature, comme une pyramide et la pointe en l'air,
ainsi qu'on le remarquera ici. Ce roi, couronné d'une flamme,
est tiré d'un beau manuscrit persan que possède la Biblio-
thèque royale \
45. ROI PERSAN ORNÉ D'UN NIMBE En' PYRAMIDE FLAMBOYANTE.
Manuscrit persan. Bibliothèque royale
C'est bien une flamme qui entoure la tête de ce roi , car un
autre manuscrit hindou , possédé par la Bibliothèque royale.
sieurs manuscrits à miniatures de la Bibliothèque royale. Un des plus remarquables
exemples de ces langues de flamme attachées au bout d'un rayon lumineux et se reposant
sur le front des apôtres, est fourni par la grande coupole de Saint-Marc de Venise. La
magnifique mosaïque qui tapisse cette coupole représente la. descente du Saint-Esprit sur
les apôtres. — Aux Actes des Apôtres, chap. i , v. 3 , on lit : « Apparuerunt illis dispertitai
«linguae tanquam ignis. »
* Voyez un manuscrit persan delà bibliothèque Sainte-Geneviève, intitulé: Medyialls.
Voyez en outre le Livre des Augures, manuscrit turc de la Bibliothèque royale, et qui a
INSTRUCTIONS. — 11. l8
138 INSTRUCTIONS.
et où est représentée une veuve qui se brûle sur le bûcher de
son mari , montre les llammes de ce bûcher peintes absolu-
ment comme celles qui sortent de la tête de ce roi persan.
Puis vient le lambere Jlamma comas de Virgile, pour fortifier
notre proposition; puis la sphère de feu, qui enveloppe l'âme
de Germain, évêque de Capoue, et l'âme de saint Éloi; puis
ce visage et ces cornes lumineuses qui éclairaient Moïse lors-
qu'il descendait du Sinaï, après son entretien avec Dieu; puis
ce Dieu lui-même qui est comme une fournaise et qui fait
fumer le Sinaï à son approche ^ ; puis une foule de textes dont
j'extrais ceux-ci : « Tout à coup le bienheureux ^gidius est
ravi en esprit, et il voit l'âme de Consalvus, débarrassée de sa
masse corporelle, reluire d'une lumière éclatante; elle était
emportée par les mains des anges à travers l'immensité de l'es-
pace^. » C'est ainsi que sur la châsse de Mauzac, en Auvergne,
est enlevée par deux anges l'âme de Saint-Calminius sous la
forme d'un enfant nu et sans sexe. L'âme est inscrite dans un
cercle parfait, découpé en quatre lobes, dont deux s'adaptent
aux épaules et deux aux hanches. Une main, la main de Dieu,
été écrit et peint pour une princesse ottomane. Le Medgialis offre un saint homme nimbé
d'une flamme d'or à filets verts et rouges, donnant audience à deux démons; le Livre des
Augures, riche en figures de démons, nous en présente une qui sera donnée plus bas, et
qui est nimbée d'une flamme comme le roi persan et comme le saint homme du Med-
gialis. Ces nimbes en flammes rappellent parfaitement la configuration si particulière des
chapiteaux turcs ; c'est le même principe d'ornementation. Seulement , dans les chapiteaux ,
la base de la pyramide ou du cône est tronquée et renversée, parce que les lois de la
construction le voulaient ainsi. Une colonne turque serait-elle donc comme un immense
flambeau allumé de son chapiteau ?
«Totus autem mons Sinaï fumabat, eo quod descendisse! Dominus super cum in
«igné, et ascenderet fumns ex eo quasi de fornace. Eratque omnis mons lerribilis. »
[Liber Exodi, cap. xix, v. i8.)
« Vidit Consalvi animam, terrena mole jam deposita, fulgentissima luce radiantem,
« per immensi aeris hujus spatia angelorum manibus sursum ferri. » (Bollandistes, Act.
SS. 3" vol, de mai, p. 4i2 , Vie du B. /Egidius, prêcheur, né en Portugal en 1 190.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 139
appliquée contre un nimbe crucifère, sort des nuages pour
recevoir cette âme qu'on lui apporte.
« Sur la paroi du mur où reposent les restes sacrés de
saint Antoine, un peintre avait tracé l'image du saint. Il se
préparait à placer autour de la tête de cette figure une cou-
ronne d'or, et creusait la muraille, comme il était nécessaire'.
Mais voilà que par les fentes qu'il avait pratiquées éclate tout
à coup une lumière ineffable et d'un prix infini. Elle vient
frapper la figure du peintre qui travaillait et qui, ne pouvant
soutenir ces rayons intolérables qui se réfléchissaient dans ses
yeux, était sur le point de tomber à terre. Cependant, soutenu
par la dévotion , il put achever promptement son oeuvre^. » Voilà
le rayonnement du nimbe accusé positivement. Dans Flo-
doard ^, il est dit : « Un rayon de lumière partit du ciel et vint
couronner la tête de Rémi; une liqueur divine se répandit sur
sa chevelure et fembauma tout entière de son parfum céleste.
A cette vue, l'assemblée des évoques de la province le proclama
sans hésiter et le consacra évêque de Reims. » On dirait que
l'historien chrétien s'est approprié le texte où Virgile raconte
que la chevelure du jeune Ascagne fut caressée par une
flamme. Des deux côtés cette lumière présage de grandes des-
' Cette pratique de modeler le nimbe avant que de le peindre, qui est constante en
Grèce et en Italie, qu'on retrouve à la Sainte-Chapelle de Paris, sur le retable de Saint-
Germer et dans l'église de Saint-Julien de Brioude, est très-ancienne et très-bien cons-
tatée, comme on voit.
' « In latere mûri ubi sanctse ejus (S. Antonini , abbatis Surrentini) reliquiae continentur,
« in imagine ipsius designata, cum pictor coronam inauratam capiti circumponere pararet,
« parietem* prout necesse fuit , cavabat. Et ecce per rimas factas lux inaestimabilis et inenar-
« rabilis subito emicans vultum dolantis faciebat. Quam per intolerabiles radios oculorum
« acie reverberata non sustinens, ruinam dare in terra minabalur; sed tamen pro devo-
0 tionis intentione confirmatus, opus festinanter consummavit. » [Acfa SS. Ord. S Benea.
5* vol. vie de saint Antonin, abbé de Sorrento, vers 820, écrite par un anonyme de Sor-
rento.)
^ Histoire de l'Eglise de Reims, liv. I.
18.
l^iO INSTRUCTIONS.
tinées, la royauté à liiles, et presque l'empire ecclésiastique à
saint Rémi. Sur la tête de saint Léger, le célèbre évêque
martyrisé par les ordres d'Ebroïn , une lumière était égale-
ment descendue du ciel , comme au milieu d'un cercle et
était venue briller sur son front ^ Les gloires qui sont ré-
servées surtout à Dieu et à la Vierge prennent leur source
dans deux textes de l'Apocalypse. Le premier est relatif à Jésus-
Christ, qui descend juger le monde. « Le voilà qui vient sur
les nuées, s'écrie saint Jean. Et au milieu de sept chandeliers
d'or, je vis comme la ressemblance du fds de l'homme, vêtu
d'une robe qui lui tombait aux pieds, et ceint d'une ceinture
d'or sous les mamelles. Sa tête et ses cheveux étaient blancs
comme de la laine blanche et comme de la neige; ses yeux
étaient comme la flamme du feu. Ses pieds ressemblaient à l'or
et à l'airain lorsqu'ils se mélangent dans la fournaise ardente;
sa voix était comme la voix des grandes eaux. Il avait dans sa
main sept étoiles. De sa bouche sortait un glaive à deux tran-
chants. Sa face luisait comme le soleil dans sa force ■^. » Quant
à la vierge Marie, dont la femme de l'Apocalypse persécutée
par le dragon est le symbole, nous avons vu qu'elle avait le
soleil pour vêtement^, la lune pour escabeau et douze étoiles
' Vie de S. Léger, évêque cl'Autun, par un moine anonyme contemporain, traduite
par M. Guizot, Collection des Historiens de France.
^ « Ecce venit cum nubibus , et videbit eum omnis oculus et qui eum pupugerunt ....
« Et conversus vidi septem candelabra aurea , et in medio candelabrorum aureorum si-
« milem filio hominis, vestitum podere, et prfecinctum ad mamillas zona aurea. Caput
Il autem ejus et capilli erant candidi tanquam lana alba, et tanquam nix, et oculi ejus
Il tanquam flamma ignis. Et pedes ejus similes aurichalco, sicut in camino ardenti; et vox
<i iliius lanquam vox aquarum multarum. Et habebat in dextera sua slellas septem ; et de
Il ore ejus gladius utraque parte exibat ; et faciès ejus sicut sol lucet in virlule sua. » [Apocal.
cap. I, vers. 7, 12, i3, ]4, i5, 16.)
Il Amicta sole, et luna sub pedibus, et in capite ejus corona stellarum duodecim. »
[Apocalyp. cap. xii, v. 1.) Dans l'église de Solesmes, parmi les charmantes figures qui
représentent l'histoire de la Vierge, on lit un éloge de Marie, à côté de la bête à sept têtes.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. Ui
pour couronne. C'est non-seulement dans l'Apocalypse mais
dans les livres apocryphes que les artistes ont puisé le nimbe,
l'auréole, la gloire de clarté dont ils rehaussent la figure de
Marie. Ainsi l'un de ces principaux ouvrages raconte l'agonie
et le trépas de la Vierge. Les anges ayant déposé dans un
cercueil la mère de leur Dieu, les apôtres mirent sur leurs
épaules le précieux fardeau ^ et le portèrent au tombeau dans
la vallée de Gethsémani, « Devant le cercueil de la vierge
Marie était portée la palme merveilleuse qui jetait un grand
éclat. La nature entière fut attentive à ce spectacle. Au mo-
ment où le corps sortit de la maison , un nuage brillant ap-
parut dans l'air et vint se placer au-devant de la Vierge, for-
mant sur son front une couronne transparente comme l'auréole
qui accompagne la lune à son lever ^. »
Il n'y a rien de plus resplendissant que tous ces textes, rien
de plus concluant pour montrer que la gloire n'est que de la
lumière figurée par le dessin. Rien n'est plus éclatant que le
soleil, la lune, les étoiles, la laine blanche, la neige, for,
La fin de ce panégyrique se termine ainsi : « 0 tu mystica a Johanne visa mulier amicta
« sole, habens sub peclibus lunam, id est aflectionibus per vanitatum contemptum domi-
« nari ; et in capite tuo coronam stellarum duodecim moralium , seu omnium virtutum
<i perfectionem : habensque in utero tum mentis, tum corporis, quasi speculo et rorida
« nube, sapientiam Dei se in eis efformanlem. » La femme apocalyptique est donc bien la
figure de la vierge Marie, comme nous l'a déjà montré le vitrail de Moulins. Le manus-
crit d'Herrade [Hortiis deliciarum) donne un des plus beaux exemples de cette femme
mystique contre laquelle la bête vomit un fleuve. La femme est debout sur le croissant
de la lune, et elle a le corps appliqué contre le disque du soleil; un disque plus petit,
un nimbe , lui cerne la tête, que couronne un diadème byzantin. Ce diadème est orné de
douze étoiles en guise de diamants. ( Peintures et ornements des manuscrits.)
^ Voir les bas-reliefs encastrés dans le mur latéral nord de Notre-Dame de Paris. La
mort, le convoi, l'assomption et le couronnement de Marie y sont sculptés en détail. C'est
la traduction en pierre du livre des apocryphes.
^ u De Transilu B. Maria; Virginis , ap. Fabricium, Codex Apocryphorum Novi Testa-
menti. n Voyez aussi les apocryphes recueillis par Thilo.
142 INSTRUCTIONS.
l'acier poli , l'airain et l'or fondus dans la fournaise. C'est pour
cela que les monuments eux-mêmes montrent ces auréoles, où
Dieu et Marie se renferment, sillonnées par des traits de flammes.
Quelquefois la gloire entière n'est faite que de flammes et que
de rayons qui s'échappent de tous les points d'un centre \
Dans nos églises, l'eucharistie est toute lumineuse au sein
de ces ostensoirs en or qu'on expose aux grands jours de fêtes.
De la circonférence de ces auréoles de métal, que du reste on
appelle des soleils, s'échappent des rayons sansnomhre, comme
il en sort des auréoles qui entourent les images de Dieu et de
la Vierge que nous avons déjà données. La croix elle-même,
celle qui est peinte dans les mosaïques à fond d'or de l'Italie
et de la Grèce, répand la lumière de tous côtés, sous la forme
de rayonnements en pierreries ou en étoiles, d'où lui vient son
nom : cmx gemmata, crux stellata. Voici comme Dante ^ parle de
la croix vivante et du Crucifié qu'il a vu en paradis : « De même
que la voie lactée, parsemée de petites et de grandes étoiles,
forme une trace blanche de l'un à l'autre pôle, grand sujet de
doutes pour les savants; ainsi, dans la profondeur de Mars, ces
rayons constellés formaient le signe vénérable que produit
dans le cercle la réunion des cadrans Le Christ flamboyait
sur cette croix, et je ne saurais trouver de comparaison pour
la décrire. Mais celui qui prend la croix et qui suit le Christ
excusera bien mieux encore ce que je laisse, en songeant que
Jésus lui-même brillait dans cette splendeur. D'un bras à
l'autre de cette croix et de la cime à sa base couraient des lu-
mières scintillant avec force, lorsqu'elles se rencontraient et
qu'elles passaient outre. C'est ainsi qu'on voit des atomes
" Eral autem species Gi.ORiiE Domini quasi ignis ardens. » [Liber Exodi, cap. xxiv,
V. 17.)
Paradis, chant xiv ; traduction de M. Pier-Angelo Fiorentino.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 143
courant et tourbillonnant, rapides ou lents, longs ou courts,
se mouvoir dans le rayon qui sillonne l'ombre de la chambre,
cet abri que l'homme s'est fait par son art et' par son adresse. »
Puisque nous avons nommé Dante, en qili se résume l'art
écrit du christianisme, comme dans la cathédrale de Reims
vient se concentrer l'art figuré, il convient d'en extraire encore
ce qui peut intéresser notre sujet. Tout le Paradis de Dante
est rempli de clartés qui entourent chaque saint, comme le
corps, ici- bas, entoure chaque âme; ou plutôt tous ces saints,
la Vierge et les apôtres, les confesseurs et les martyrs, ne sont
que des lumières qui s'avivent l'une f autre. Le grand poète
dit, par exemple^ : «Telle que, dans la sérénité des pleines
lunes, Hécate rit au milieu des nymphes éternelles qui brillent
dans toutes les profondeurs du ciel, tel je vis, parmi des mil-
liers de clartés, un soleil' qui les allumait toutes, comme fait le
nôtre des étoiles; et à travers ces vives lumières apparaissait la
substance divine, si éblouissante à mes yeux que je n'en pouvais
soutenir féclat. » Plus haut ", Dante avait déjà dit, en parlant de
divers saints : « Je vis cent petites sphères qui s'embellissaient
en s'éclairantde leurs rayons mutuels. La plus grande et la plus
brillante de ces perles s'avança pour satisfaire ma curiosité. »
Quittons la poésie pour l'histoire, et nous verrons qu'à sa
transfiguration Jésus fut entouré d'une gloire. Cette gloire
était faite de lumière, et c'est ainsi que les peintres chrétiens
nous ont représenté cette scène. Voici ce que dit l'Evangile:
«Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, son frère. Il les
mena seuls sur une haute montagne à l'écart, où il monta
pour prier. Pendant qu'il priait, la forme de son visage parut
tout autre , et il se transfigura en leur présence. Sa face devint
' Paradis, chant xwu.
' Ibid. chant xxii.
14/1 INSTRUCTIONS.
resplendissante comme le soleil. Ses vêtements parurent tout
brillants de lumière, et d'une blancheur vive comme celle de
la neige. Tout à' coup se montrèrent deux hommes qui s'en-
tretenaient avec Kii : c'étaient Moïse et Elie. Ils parurent dans
un état de gloire. Les trois apôtres virent la gloire de Jésus
et les deux personnes qui étaient avec lui ^ » Cette transfigu-
ration du Fils de l'homme en Dieu resplendissant rappelle
ces paroles de Salomon , qui , du reste , ont été appliquées
à Jésus-Christ par les Pères de l'Eglise, en commençant par
saint Paul : « Il est la vapeur dé la vertu divine et une pure
émanation de la clarté du Tout-Puissant : il est le rayonne-
ment de la lumière éternelle et le miroir sans tache de la gloire
de Dieu^. » Saint Paul", faisant allusion à ce passage, dit que
Jésus est la splendeur de la gloire^» Après tous ces faits, et lors-
que tous les monuments figurés moritrent Jésus-Christ ainsi
resplendissant au milieu de ces auréoles «n cercle, en ovale , en
ellipse, en quatre-feuilles, on ne peut plus douter que la nature
des auréoles ne soit ignée, et que la flamme, sous les diverses
formes qui entourent la tête et le corps, ne soit un attribut spé-
cial de la divinité du Créateur, ou de la sainteté des anges, ou
de la vertu de la Vierge et des âmes innocentes, créatures qui
se rapprochent le plus de la divinité. On a donc dû affirmer
(jue la nature du nimbe et de fauréole était celle de la lumière;
que le nimbe était la chevelure lumineuse de la tête , et que
l'auréole était le vêtement resplendissant de tout le corps. C'est
Le visage et h face sont illuminés du nimbe; les vêtements sont embrassés par l'au-
réole, et le tout fait une gloire complète. Voyez saint Matthieu, ch. xvii; saint Marc et
saint Luc, ch. ix.
Liber Sapientiœ, cap. vu, v. 25 et 26. « Vapor est enim virtutis Dei, et emanafio
«iquacdam esl clarilatis omnipotentis Dei sincera. . . . Candor est enim lucis aelernae et
« spéculum sine macula Dei majestatis. »
Ad Hebrœos, cap. i , v. 3 : « Splendor gloriae. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 145
une belle idée que d'avoir choisi le feu comme attribut de la
puissance humaine, comme signe de l'apothéose et comme
symbole de la toute-puissance divine. Le feu est le plus fort,
le plus mystérieux et le plus irrésistible des éléments; voici
ce que saint Denys l'Aréopagite en dit ^ :
« Le feu existe dans tout, pénètre tout, est reçu par tout.
Quoiqu'il donne sa lumière en entier, il la tient cachée tout
à la fois. On l'ignore quand on ne lui donne pas une matière
pour exercer sa force ; il est invisible, mais indomptable, et il
a le pouvoir de transformer en lui tout ce qu'il touche. Il
rajeunit tout par sa chaleur vitale; il illumine par des éclairs
brillants. On ne saurait le tenir ni le mélanger; il divise et il
est immuable. Il monte toujours.... et il est toujours en mou-
vement ; il se meut de lui-même, et il meut toute chose. Il
a la puissance de saisir, et on ne peut le prendre. Il n'a besoin
de personne; il se gonfle en secret, et sur toutes choses fait
éclater sa majesté. Il produit, il est puissant, il est invisible et
présent à tout. Qu'on le néglige, on croirait qu'il n'existe pas;
mais qu'on frotte une substance , et soudain , comme un glaive
du fourreau, il s'en échappe, reluit par sa propre nature et
s'envole en l'air.... On lui touverait bien d'autres propriétés
encore. Voilà pourquoi les théologiens ont déclaré que les
substances célestes étaient formées de feu, et par cela faites
autant que possible à l'image de Dieu. »
Ainsi Dieu n'est qu'un foyer immense qui souffle sur Adam
et lui met dans le corps une âme ou un rayon divin ; c'est
une effluve qui tombe sur les apôtres en langues de flamme;
c'est un brasier projetant sur tous les saints une auréole qui
est comme une partie de lui-même. Le soleil enfin serait
l'image visible et finie de cette flamme infinie et invisible qui
^ De cœlesti Hierarchia, cap. xv, p. igS-ig/i. édil. d'Anvers, i63/i, I" vol.
INSTRUCTIONS. II. IQ
J46 INSTRUCTIONS.
est Dieu. La puissance, espèce de démembrement de la divi-
nité , devait donc s'exprimer matériellement par la flamme qui
compose la substance divine.
Un mot pour expliquer cette dernière idée.
Dieu n'a pas de corps, Dieu est un pur esprit; toutes les
lois donc qu'on a voulu le montrer, lui qui est immatériel et
invisible, on a diï lui composer un corps avec la substance
la plus ténue et la plus spirituelle. Si le corps de l'homme
est de l'argile vivante, son âme, qui est faite à l'image de Dieu
et qui est un souffle de la divinité, est quelque chose qui par-
ticipe du feu et de la flamme. Le feu, qui est une des mani-
festations visibles de l'électricité, devait composer le corps de
Dieu, comme les os et les muscles composent celui de l'homme.
Aussi Dieu, dans la Bible, dans l'Evangile, dans la Divine
comédie, est-il constamment représenté environné de feu, de
flammes, d'éclairs qui sortent de son corps comme l'eau jaillit
d'une source. Sous sa forme visible. Dieu est une lumière;
son symbole naturel le plus fréquent, le plus adoré en Orient
c'est le soleil, foyer de toute lumière pour les hommes. Lors-
que Jésus-Christ dit : « Je suis la lumière du monde ' »> , cette
parole peut s'entendre au réel autant qu'au figuré.
En Orient les rois, les empereurs, les prophètes sont con-
sidérés, non-seulement comme des délégués de la divinité,
ainsi qu'on les accepte chez nous, mais comme des éma-
nations de Dieu, comme des fils directs de Dieu et presque
comme des dieux incarnés. Par suite de la même idée, et
puisque le soleil est le symbole visible de Dieu, ces mêmes
rois, empereurs et prophètes sont regardés comme des des-
cendants du soleil. Zoroastre chez les Perses, Manou chez les
Evangile de saint Jean, ch. vin, v. 12; ch. xti, v. /j6. «Ego sum lux nuindi. —
i Ego lux in imindnm veni, ut omnis qui crédit in me in tenebris non maneat. ■>
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 147
Indiens, Gonfucius chez les Chinois, Hermès chez les Égyp-
tiens, sont autant de fils de Dieu.
Dans les cartouches royaux qui couvrent les temples et les
obélisques de l'Egypte, et qu'on est parvenu à déchiffrer, les
Pharaons sont nommés fils du soleil, fils de Dieu. Les mages
ne sont pas autre chose en Perse.
Puisque Dieu est la lumière, puisque le soleil est son image,
les fils de Dieu et du soleil , les rois de Perse , les rois d'Egypte ,
les empereurs de la Chine, peut-être même les empereurs de
Constantinople , devaient hériter de Dieu , leur père , un peu
de cette lumière dont il est composé. Dieu et le soleil rayon-
nent; leurs enfants devaient rayonner aussi et porter le nimbe,
qui est la forme de ce rayonnement.
Chez les Occidentaux, nations plus froides, les rois régnent
bien par la grâce de Dieu, mais ne sont pas fils de Dieu; aussi,
rarement orne-t-on leur tête d'un nimbe ^ Les saints, au
contraire, émanent plus directement de la divinité par leurs
vertus, par leurs actions; le nimbe, moins lumineux toutefois
^ E faut dire qu'à la cathédrale de Strasbourg une galerie de rois , dont nous avons
extrait pour ces instructions Charlemagne et Henri le Boiteux, est peinte sur verre
dans la nef latérale du nord; or ces rois sont tous nimbés sans exception. Que Henri,
qui est saint, porte le nimbe, rien de plus juste; que Charlemagne lui-même, qui a été
canonisé (par un anti-pape, il est vrai) , soit nimbé, on le conçoit encore ; mais certai-
nement le nimbe n'est pas un signe de sainteté pour Charles-Martel , qui donna les biens
et les offices du clergé à ses soldats brutaux et libertins. La légende dit que , pour ce
fait, Martel après sa mort et dans sa tombe, fut dévoré par le diable. Cerlainemeut
ce ne peut être un signe de sainteté pour le terrible Frédéric - Barberousse , qui fut
excommunié, qui créa des anti-papes, qui mena une vie assez scandaleuse, et qui,
dit-on, est l'auteur d'un écrit impie, si ce n'est athée. Cependant Charles-Martel et
Barberousse portent un nimbe très-riche et très-large sur les vitraux de Strasbourg;
c'est donc comme chefs politiques , comme délégués de Dieu , comme émanation du soleil
éternel, et non pas comme saints, qu'ils sont décorés du nimbe. Ce fait curieux suffirait
à lui seul pour démontrer que ces vitraux sont byzantins, quand le costume que portent
ces empereurs et ces rois, depuis leur couronne jusqu'à leur chaussure, ne viendrait pas
le prouver évidemment.
19-
148 INSTRUCTIONS.
et moins riche que celui de Dieu, devait reluire à leur tête. Mais
de plus ils sont souvent enveloppés dans la gloire de Dieu, qui
les éclaire d'une manière éblouissante. Ainsi, dans nos ca-
thédrales, le portail occidental principalement est percé d'un
trou circulaire immense, auquel on donne le nom de rose ou
de rosace. Cette baie est remplie de vitraux coloriés disposés
en quatre, cinq ou six cercles concentriques, diminuant d'é-
tendue à mesure que l'on va de la circonférence au centre.
Dans le cercle central brille Dieu assis sur un trône, ou la
Vierge qui tient l'enfant Jésus. Un cordon d'anges environne
le créateur ou la céleste créature ; puis un cordon de patriar-
ches; puis viennent les apôtres, les martyrs, les confesseurs;
enfin le cordon extérieur, celui qui confine à la circonférence ,
est occupé par les vierges. Tout ce personnel est enchâssé dans
des médaillons de verre, transparents et lumineux autant que
les saints eux-mêmes, comme des cercles de rubis, d'émeraudes
ou de saphir, dans lesquels seraient saisis des diamants. Ces
rosaces sont des gloires qui embrassent un monde entier, et
qui entourent une multitude, au lieu de cerner un seul indi-
vidu. En sculpture, il en est de même. Les voussures de ces
portails sont partagées en plusieurs demi-cercles concentriques,
en plusieurs cordons affectés chacun à une classe de saints. Dante
lui-même donnait le nom de rose à ces épanouissements cir-
culaires où se rangent les saints et qu'une lumière divine, qui
s'échappe du centre où est Dieu, éclaire vivement. On me per-
mettra encore de terminer ce paragraphe par un passage du
Paradis qui achèvera de prouver que nimbe, auréole et gloire
sont l'image de la lumière figurée par le dessin :
« Je vis une lumière qui était comme un fleuve éblouissant
de splendeur, entre deux rives émaillées par un printemps
merveilleux. De ce fleuve jaillissaient de vives étincelles qui
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 149
s'éparpillaient de tous côtés sur les fleurs, comme des rubis
enchâssés dans l'or. Puis, comme enivrées de ces parfums, elles
se replongeaient dans le fleuve admirable, et lorsqu'une y
entrait, une autre en sortait.... » La rivière et les topazes qui
entrent et qui sortent, et les gazons qui sourient, sont les pré-
ludes par lesquels t'est cachée la vérité, dit Béatrix à Dante.
Le poëte ajoute : «Je me penchai sur ces eaux, et lorsque le
bord de mes paupières s'y fut plongé, je vis ce fleuve , de long
qu'il était , devenir rond ; puis , comme des gens cachés sous
le masque paraissent autres qu'ils n'étaient d'abord , s'ils dé-
pouillent l'aspect étranger sous lequel ils étaient couverts,
ainsi se transformèrent en une plus grande joie les fleurs et
les étincelles, et j'aperçus sans voile les deux cours du ciel \ » —
Ce fleuve devenu rond, et cette surface, longue d'abord, s'étant
ramassée en disque, Dante raconte^ ce qu'il aperçoit dans cette
ROSE, et dit : « Sous la forme d'une rose éblouissante se mon-
trait donc à moi la sainte milice que le Christ épousa avec son
sang; mais l'autre, qui en volant voit et chante la gloire de
celui qu'elle aime , et dont la bonté la fit si grande , comme
un essaim d'abeilles tantôt se plongeant dans les fleurs, et
tantôt s'en retournant à la ruche où déjà se forme la saveur
de son miel , descendait dans l'immense i^ose ornée de tant de
feuilles; puis elle en ressortait pour revenir là où son amour
demeure sans cesse. Ces esprits avaient tous le visage de flamme
et les ailes d'or, et le reste était d'une telle blancheur, qu'au-
cune neige n'en approche. Lorsqu'ils descendaient dans la fleur
de degré en degré, ils répandaient, en secouant leurs ailes, la
paix et l'ardeur qu'ils venaient de puiser dans le sein de Dieu.
Et ces multitudes volantes, quoique interposées entre la fleur,
' Paradis, chant xxx.
^ Ibidem, chant xxxi
150 INSTRUCTIONS.
et le haut, n'arrêtaient ni la vue, ni la splendeur; car la lu-
mière divine pénètre tellement l'univers, selon qu'il en est
digne , que rien ne peut lui faire obstacle. »
ORIGINE KT PATRIE DE LA GLOIRE.
Il reste maintenant à chercher l'origine de la gloire, à dire
le lieu et le temps où elle est née.
Quant à l'époque où la gloire a été employée pour la pre-
mière fois, il est impossible de le savoir; il semble que l'usage
de cette forme soit aussi ancien que les plus anciennes reli-
gions. On trouve le nimbe et fauréole sur les plus vieux mo-
numents hindous , qui paraissent être les plus vieux monu-
ments du monde.
Les Egyptiens n'ont pas ignoré la gloire, car le grand
disque lenticulaire qui surmonte la tête de plusieurs divinités
égyptiennes, qui est blanc ou rouge, les plus lumineuses de
toutes les couleurs ; qui est si bien accentué et si bien coloré
sur une peinture égyptienne qu'on voit au musée du Louvre \
paraît bien ressembler au nimbe ^. On a déjà fait remarquer plus
haut que le Christ j)eint à fresque dans l'église de Montoire
portait sur sa tête une espèce de sphère ou disque égyptien ,
cerclé comme on cercle la boule du monde. L'Harpocrate
égyptien est fréquemment nimbé ^.
Le nimbe était en usage chez les Grecs et les Romains. En
effet, sur les peintures d'Herculanum , Circé se montre à
' Musée Charles X , salles égyptiennes.
Ciampini ( Vetera monimenta, pars 2") dit : « Hune orbem Egyptii in summo capite
« simulacrorura suorum locabant Ab illis Romanos sumpsisse licet suspicari, et va-
« riasse, habita decoris ratione, quod capiti cui divinum quid inesse putabant, eo situ
"corona aptaretur. » Ainsi, d'un globe les Romains auraient fait un disque.
' Antiquité expliquée^ lom. IV.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 151
Ulysse la tête entourée d'un nimbe, comme se représentent or-
dinairement la vierge Marie et les saints du christianisme. La
magicienne s'offre ainsi dans sa gloire au moment où Ulysse
veut la forcer, l'épée à la main , de rendre leur ancienne forme
à ses compagnons changés en pourceaux par elle. Une Cas-
sandre et un Priam, trois convives assis à une table, dans un
tricUnium, le tout peint dans le Virgile du Vatican ^ ; une femme ^^
sur un vase grec qui est gravé dans l'Antiquité expliquée de
Montfaucon ; divers personnages peints sur les grands vases
grecs de la collection du Louvre; lebuste de l'empereur Claude^;
l'empereur Trajan'' sculpté sur l'arc de Constantin, à trois
places différentes; le Valentinien trouvé, au xvm^ siècle, dans
l'Arve ^; les empereurs Maurice et Phocas gravés sur leurs mé-
' Antiquité expliquée, tom. V, p. 1 13.
* Montfaucon [Antiquité expliquée, tom. XIII, pi. 35, p. 8^) prend celle femme pour
Proserpine : tout fait croire que c'est Diane , ou plutôt la lune , la déesse de la nuit. Voyez
en eÔ'et, dans Séroux d'Agincourt [Recueil de fragments de sculpture antique en terre cuite,
pi. 28), et dans l'atlas allemand de la Symbolique de Creuzer, pi. àh, la représentation
du -soleil et de la lune, traînés chacun dans un char à quatre chevaux et sortant de
la mer pour éclairer le monde. La lune , dont les chevaux sont conduits par le génie ailé
et nimbévdu sommeil , a le même nimbe , la même tournure , le même âge , le même
costume que la Proserpine de Montfaucon. Le soleil est nimbé comme la lune : de plu-
sieurs cordons circulaires s échappent une foule de rayons courts et en forme de perles
allongées. Voyez encore, dans le musée Charles X, salles étrusques, un des grands vases
grecs placés au centre d'une salle, sur une table de marbre.
Antiquité expliquée, tom. V, p. 162.
' L'arc de Constantin est orné des dépouilles de celui de Trajan. Sur un bas-relief,
on voit Trajan qui fait un sacrifice à Apollon. Trajan a autour de sa tête un cercle d'or
lumineux, tel que les peintres le mettaient autrefois à la tête de nos saints. Les Romains
le donnaient aussi à leurs dieux et à leurs empereurs : ce cercle était appelé nimbus. Pline
dit de ce nimbus que Caligula l'a usurpé et que Trajan l'a mérité. [Antiquité expliquée,
6* vol. pi. 179 et i83.)
^ Sur un disque en argent, trouvé en 1721 près de Genève, dans l'ancien lit de l'Arve,
on voit Valentinien entouré d'un nimbe à la tête. L'empereur est représenté faisant des
largesses à ses soldais. Il lienl une victoire ailée qui le couronne et qui a les pieds posés
sur un globe. I Antiquité expliquée , tom. XIV, pi. 28, p. 5i.)
152 INSTRUCTIONS.
dailles ; une innombrable quantité de figures grecques et ro-
maines représentant le soleil sous la forme d'un jeune homme,
la lune sous celle d'une femme; les diverses constellations,
l'Apollon des médailles de Rhodes, le Soleil rayonnant des as
romains ^ les divinités astronomiques du planisphère de Bian-
clîini ^, les autres dieux du panthéon antique et le chef de ces
dieux, Pan qui fait danser les satyres et qui est nommé Pan
lumineux^, toutes ces figures de fhistoire, de fallégorie et du
mythe religieux se montrent avec le nimbe, tracé absolument
comme celui qui orne la tête de saint Jean-Baptiste, de l'ange
et de Jésus-Christ. Enfin, Servius, comme on fa vu plus haut,
dit que le nimbe est un fluide lumineux qui environne la tête
ou le corps des dieux. Virgile lui-même connaissait le nimbe,
lorsqu'il parle du petit Iules dont une flamme descendue du
ciel venait caresser et comme baiser la chevelure. Voici le pas-
sage de Virgile, auquel on a déjà fait allusion; il explique
parfaitement la nature de fauréole et rappelle ces deux cornes
' Antiquité expliquée j iS" vol. pi. à"]-
''^ Musée du Louvre, salle de la Melpomène. — Ce monument, trouvé sur le mont
Aventin en 1705, et où sont gravés des dieux païens avec la tête cernée du nimbe, est
appelé planisphère de Bianchini , parce que le savant astronome italien de ce nom est le
premier qui l'ait publié. On y voit les figures égyptiennes des décans, divinités sub^-
lernes, à chacune desquelles l'astrologie égyptienne avait attribué la présidence de dix
jours de chaque mois ; en plaçant trois décans sous l'influence de chacun des douze
signes , on a donc trente-six décans. Le zodiaque de la cathédrale d'Athènes a trente-cinq
figures seulement; l'une manque et, de plus, aucune des autres n'est nimbée. Il est remar-
quable que les divinités égyptiennes du planisphère de Bianchini ne sont pas nimbées,
tandis que les divinités grecques correspondantes le sont. Le nimbe , malgré la présence
du globe dont nous avons parlé, aurait-il donc été inconnu aux Egyptiens, et pratiqué
seulement par les Grecs qui , alors , auraient pu l'emprunter aux Hindous ? Dans l'Inde ,
on a toutes les formes du nimbe; on y trouve l'auréole aussi , du moins à l'état rudi-
mentaire.
Antiquité expliquée , tom. XI , pi. 55, p. 166. Le Pau qui a deux cornes au front porte
un nimbe formé de courts et nombreux rayons qui s'ordonnent en cercle. Il v a dans tous
ces nimbes romains une assez grande variété de formes.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 153
lumineuses que Moïse avait au front \ et ce visage flamboyant
dont les Hébreux étaient éblouis et effrayés, lorsque leur légis-
lateur et leur chef descendit du mont Sinaï où il venait de
conférer avec Dieu :
" Ecce levis summo de vertice visus lûli
«Fundere lumen apex, tactuque innoxia molli
0 Lambere flamma comas , et circum tempora pasci.
« Nos pavidi trepidare metu , crinemque flagrantem
« Excutere , et sanctos restinguere fontibus ignés -. »
Le vieil Anchise , qui a la science et l'expérience des sym-
boles orientaux, loin de s'effrayer comme font ceux qui assistent
à ce spectacle, se livre à une grande joie. Il lève les yeux et
les mains au ciel , et prie Jupiter de lui accorder le secours et
les chances heureuses que lui fait présager cet augure. Anchise
sait bien que cette auréole de lumière, que cette apothéose
terrestre, annonce que son petit-fds sera maître d'un grand
royaume et fondateur d'un puissant empire^.
' (-. Videbant faciem egredientis Moysis esse cornutam. » Lih. Exod. cap. xxxiv, v. 35.
- ' Enéide, liv. II.
Dans le Virgile manuscrit du Vatican, dont Sérôux d'Agincourt {Histoire de l'art pur
les monuments, pi. 23 de l'Atlas de la peinture) a fait graver plusieurs miniatures, on
voit la tête d'Ascagne tout enflammée, et des domestiques effrayés cherchant à éteindre
avec de l'eau cet incendie merveilleux; le vieil Anchise, tout joyeux au contraire, adresse
des prières et des remercîments à Jupiter. — Dans ce même manuscrit du Vatican , une
miniature représente le Soleil qui se lève et éclaire les travaux des laboureurs et des ber-
gers. Le Soleil a la forme d'un jeune homme sans barbe. De la tête de cet astre personnifié
partent des pinceaux de lumière qui sont reliés entre eux par une circonférence, par le
cercle du nimbe; mais ces aigrettes lumineuses sont puissantes et jaillissent au delà du
cercle. Celte figure du Soleil est en tout semblable à celle du Jésus-Christ de noire planche 8,
page 37; la seule différence est que le Soleil projette cinq gerbes de lumière et Jé.sus-
Christ trois seulement. [Histoire de l'art par les monuments , peinture, pi. 20.)
'- 11 semble que Virgile ait emprunté cette fiction poétique à l'histoire elle-même; car
l'élévation future du jeune esclave qui devint ensuite roi sous le nom de Servius TuUius ,
fut de même annoncée par une flamme qui lui ceignit la tête. Aussi Servius, le com-
mentateur, fait suivre le lambere Jlamma comas de Virgile de cette curieuse observation :
ultem hoc quoque de igni [sic) ad Servium Tullium pertinet. Nam cum Tarquinius
INSTRUCTIONS. — H. 20
154 INSTRUCTIONS.
Quant à la patrie de la gloire, c'est en Orient qu'il faut la
cliercher. La gloire vient de l'Orient, d'où vient la lumière:
ex Oriente lux. Ce n'est pas seulement parce que la gloire
est l'image de la lumière, mais encore et surtout parce qu'elle
s'y montre beaucoup plus anciennement que chez nous, et
qu'elle y est d'un usage bien plus multiplié qu'en Occident.
Avec les religions de l'Inde, de la Perse et de l'Egypte;
avec Brama , Siva et Vichnou ; avec Maya , Sacti et Dévaki ,
et tout le panthéon mâle et femelle de flnde; avec Ormuzd et
Zoroastre; avec Isis, Horus et Osiris; avec les décans astrono-
miques de l'Egypte et de la Grèce, et tout cela antérieurement
au christianisme, apparaissent le nimbe et fauréole ^ La re-
ligion chrétienne n'a pas inventé, mais s'est approprié cette
forme symbolique. Voilà pour l'antiquité proprement dite.
Dans les temps modernes, dans la période qui date de notre
ère, c'est encore en Orient, en Asie, à Gonstantinople, qu'on
trouve le plus ancien et le plus constant usage du nimbe.
M. de Saulcy a fait graver une médaille d'argent de l'empe-
reur Anastase qui régna de49ià5i8^ L'empereur est debout,
li cepisset Vericulanani civilatem , ex captiva quadaiii in domo ejus natus est Servius
" TuHius Hostilius; qui, cum obdormisset, caput ejus subito flamma corripuit. Quam
« cum vellenl reslinguere, Tanaquil, régis uxor, auguriorum perita, intelligens augu-
«rium, prohibuit. Flamma puerum cum somno deseruit. Unde intellexit eum clarum
" fore usque ad ultimam vilam » (Servius, Commentaire sur le livre II de Virgile, p. 2 63
de l'édition in-A" de Genève, i636).
Comparez cette poésie et cette histoire de l'Orient et de Rome à l'histoire occidentale
de saint Rémi et de saint Léger, auxquels une Uamme qui descend sur leur lête pré-
sage également la destinée; c'est identique. Remarquez, en outre, l'expression de Ser-
vius. Le commentateur dit que la clarté dont la tête du jeune esclave est entourée annonce
que cet enfant sera illustre ou éclatant toute sa vie (clarum). L'éclat matériel présage donc
l'éclat idéal, et le nimbe est positivement l'image de l'illustration et la figure de la clarté.
Voyez l'Antiquité expliquée, les Religions de l'Antiquité, le Planisphère du Louvre,
l'Atlas allemand de la Symbolique de Creuzer, etc.
Essai de classification des suites monétaires byzantines. Metz, i838, planche i, ligure 3.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 155
nimbé, tenant un globe dans la main gauche. Avant et après
Anastase, on a une série continue, non.-seulement d'empereurs,
mais d'impératrices qui sont ornées du nimbe ^ Le nimbe est,
en Orient, de toute antiquité moderne, si on peut dire ainsi ^;
en Occident, en Italie, on ne le voit pas sur les plus anciens
monuments chrétiens, qui sont les sarcophages. Là, ni Dieu,
ni les apôtres, ni les autres saints ne sont nimbés; et cepen-
dant c'est l'époque où Constantin et Hélène, où Anastase et
Justin, où Justinien et Théodora, où Tibère-Constantin et
Anastasie sa femme se nimbaient. Les plus anciennes fresques,
les plus vieilles mosaïques mêmes ne donnent pas ordinaire-
ment de nimbe aux personnes divines ou saintes ^ Si l'on voit
le nimbe sur des mosaïques qui semblent dater du vi*^ siècle,
comme sur celles qui ornent les églises de Saint-Vital et de
Saint-Apollinaire in classe à Ravenne '', c'est que ces mosaïques
ont été exécutées par des artistes orientaux, des artistes byzan-
tins, et quelles représentent Justinien et Théodora, qui ré-
gnaient à Constantinople.
Les monuments et les faits de l'histoire démontrent donc
que le nimbe nous vient de l'Orient. Une remarque sur la na-
ture du sol, une observation naturelle confirmera peut-être
cette proposition établie d'après l'histoire et l'archéologie.
Le nimbe est un fluide lumineux; nous l'avons amplement
prouvé. Au xv*" siècle, chez nous, cette chevelure mystique dont
' « Les empereurs de Constantinople ont toujours mis le nimbe à leurs images jusques
à la prise de celle ville par Mahomet II, qui arriva en i/i53. » {Monuments de la mo-
narch. franc. Discours préliminaire.)
^ Constantinopolis christiana, par Du Gange; Vetera monimenta par Ciampini.
^ Voyez Bosio, Roma sotterr. les Vetera monimenta de Ciampini, le Thésaurus veteruni
diptychorum de Gori , les Vasi antichi di vitro de Buonarotti, passim. Plus haut, une ex-
ception a été signalée pour les fresques.
* Voyez M. du Sommerard , Album des arts au moyen â<je.
20.
156 INSTRUCTIONS.
on entoure la tête des saints nous apparaît, sur les monuments
figurés, comme un épanouissement de rayons flamboyants,
comme les rayons d'un soleil ardent. Or, toute image, toute
allégorie, tout symbole, toute métaphore même, sont em-
pruntés presque toujours aux images ou, pour mieux dire, aux
réalités de la nature. On transporte dans l'idéal le corporel.
Je suis donc persuadé qu'on donna le nimbe aux têtes intelli-
gentes ou vertueuses, par analogie avec ce rayonnement qu'aux
époques énergiques et viriles de l'année on voit sortir des
objets naturels. En été, par l'ardeur du midi, tout rayonne
dans les champs; la nature entière sue la lumière. Une va-
peur enflammée s'échappe de la terre, sort des épis de blé,
du sommet des arbres, et les environne. Cette flamme joue
autour des plantes comme celle qui caresse la chevelure du
jeune Iules ou du jeune Servius Tullius Hostilius, et qui des-
cend sur la tête de saint Rémi ou de saint Léger. Chaque
tige, chaque fleur, chaque cime des arbres, chaque sommet
des collines, chaque pointe des rochers est illuminée d'une
auréole. C'est un nimbe naturel. Or, ce qui est un accident
chez nous; ce que, dans nos contrées, nous ne voyons qu'en
une saison et à certains jours embrasés, est l'état habituel en
Orient. En Orient, l'été est éternel, pour ainsi dire; la chaleur
est ardente à toute époque de l'année. Par conséquent, en tout
temps les objets rayonnent : les plantes comme les animaux,
les maisons comme les hommes sont entourés d'une atmo-
sphère enflammée.
« L'Aderbidjan, cette grande contrée de la Perse, est fameuse
par ses sources de naphte; le sol y est chargé de substances
résineuses. Le bitume y flotte à la surface des lacs, et sou-
vent, quand il s'allume, et qu'au milieu d'une nuit obscure on
le voit tout à coup s'échapper en flammes brillantes, il offre
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 157
un spectacle bien fait pour exalter l'imagination. Des hommes
grossiers encore et peu capables de remonter aux causes phy-
siques devaient voir, dans ces apparitions soudaines, une ma-
nifestation immédiate de la divinité ^ » Dans l' Arabie-Pétrée ,
Dieu prit une colonne de feu pour guider les Hébreux vers la
Terre sainte, où déjà Sodome et Gomorrhe avaient disparu dans
un lac enflammé. En Egypte, dans l'Afrique entière, le désert
se change en étangs de feu; le sable bouillonne dans les plaines
comme l'eau dans une chaudière, et les Sarrasins de Tunis se
battaient contre saint Louis en jetant à la face des croisés des
poignées de cette terre, comme de nos jours on lance des obus
et des boulets rouges. Le feu, la lumière, sont en Orient ce
que la vapeur humide et les brouillards sont chez nous : un
phénomène permanent et d'une horrible puissance.
Il n'est donc pas étonnant que là, plus tôt et plus commu-
nément que chez nous, on ait songé à illuminer d'un nimbe
la tête des hommes distingués, des hommes forts, des hommes
de génie et de sainteté. Il est bien simple que ce phénomène
naturel et continu ait été transporté dans l'art, en vertu d'une
métaphore qui, pour l'Orient, était une réalité de tous les
jours.
CARACTERE DE LA GLOIRE.
Non-seulement en Orient le nimbe est plus ancien, mais il
est beaucoup plus prodigué qu'en Occident. Ainsi chez nous ,
et sauf de très-rares exceptions que l'on va noter, il est réservé
à Dieu et aux saints; en Orient, il ceint presque toutes les
têtes. Il n'est pas un empereur, pas un roi, pas un prince, ou
leurs femmes, qui ne soient rehaussés de ce glorieux attribut; il
semble inhérent à leur personne. Justinien , qui n'est pas saint,
' Religions de l'antiquité, tom. I, p. 819.
158 INSTRUCTIONS.
est nimbé. Il existe au Musée du Louvre^ une coupe ciselée,
d'origine arabe, et qui était autrefois dans la chapelle du châ-
teau de Vincennes. Les ciselures de ce vase représentent des
chasseurs à la poursuite de bêtes fauves ou de bêtes féroces; tous
ces chasseurs sont nimbés sans exception. De plus, les princi-
paux d'entre eux sont enveloppés, eux et leurs chevaux, dans
une grande auréole de forme circulaire. Sur ces beaux vases
de la Chine et du Japon , exposés chez les marchands de cu-
riosités , on remarque souvent des personnages civils illustrés
du nimbe. Le nimbe décore même quelquefois la tête de
ces bêtes monstrueuses, fantastiques, qui rugissent sur ces
brillantes porcelaines et qui ont tant d'analogie avec nos
diables chrétiens, avec les gargouilles vomissantes de nos ca-
thédrales. Dans les livres bouddiques que possède la Biblio-
thèque royale, on voit des génies bons et même des génies
mauvais qui sont honorés du nimbe. Un psautier grec, orné de
nombreuses, curieuses et fort belles miniatures, sous le n" 1 89,
à la Bibliotlièque royale , nous offre une foule de personnages
nimbés. Ce sont d'abord les prophètes Isaïe, Jonas, Nathan,
Samuel, Moïse, et la prophétesse Anne. Il n'y a pas lieu de
s'étonner, puisqu'il en est quelquefois ainsi même chez nous^,
et que ces personnages, pour n'être pas appelés saints par fE-
' Salle des bijoux.
'" La calhédrale et Saint-Nizier deTroyes, la belle église de Saint-Urbain de la même
ville, le porlall nord de la cathédrale de Chartres, et quelques autres églises montrent
ainsi des prophètes et des prophétesses peints et sculptés, et qui sont ornés du nimbe.
A Chartres , on voit Aaron , Moïse et Melchisédech nimbés. Il y a mieux , sur le vitrail de
cette cathédrale où est peinte lliistoire de Roland et l'expédition de Charlemagne en
Espagne, on voit Charlemagne et Roland ornés d'un nimbe. Il est vrai que Surius [Vitœ
sanctoram) met Roland et Olivier parmi les saints, et leur consacre dans son livre un
chapitre sous ce titre : De sanctis Rotlanclo et Oliviero, et sociis eorum. Cependant saint
Roland ne se trouve pas dans le martyrologe. La cathédrale de Chartres a de certaines
et curieuses afllnilés avec l'Orient; il serait important de les constater.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 159
glise latine, n'ont pas moins ce qui constitue la vraie sainteté;
mais chaque sujet historique est accompagné, dans ce manus-
crit, de personnages allégoriques qui servent à expliquer l'his-
toire. Ainsi, à côté de David se tiennent debout la Sagesse et la
Prophétie ( COOIA, IIPOOHTIA) , sous la forme de deux grands
génies habillés en femmes , qui inspirent le roi prophète et
poëte ^ ; ainsi David , qui se repent de son crime , est assisté
par le génie du Piepeiitir ; ainsi David, qui tue un lion ravisseur
de ses agneaux, est assisté par le vigoureux génie de la Force;
ainsi la Prière assiste Ezéchias , qui demande à vivre encore ;
ainsi la Nuit regarde le désastre de Pharaon qui se noie dans
la mer Rouge. Eh bien ! tous ces génies, qui, du reste, ont la
forme antique, sont ornés d'un nimbe bleu, jaune, rouge et
rose. Les rois eux-mêmes, David et Ezéchias, sont nimbés; il
y a plus , Saûl, un roi qui s'est suicidé, est nimbé; bien mieux,
Pharaon , l'impie roi d'Egypte , au moment où il est englo-uti
dans les abîmes de la mer Rouge, est nimbé, et est nimbé
du nimbe d'or, comme David lui-même et Ezéchias; enfin
l'affreux roi Hérode, ce monstre qui fit périr tous les petits
enfants de son royaume, nés à peu près en même temps que
Jésus, est illustré du nimbe sur la mosaïque de Sainte-Marie-
Majeure, exécutée par un artiste grec. Et la scène où il est
ainsi représenté est précisément celle du massacre des Inno-
cents. Le nimbe est donc réellement prodigué par les Byzan-
tins"^ et dans tout l'Orient.
C'est qu'en Orient le nimbe n'est pas, comme chez nous,
' Voyez la gravure de ce sujet à l'Histoire du Saint-Esprit.
Dans la Bible à miniatures de Saint-Paul-hors-les-Murs , qui est du ix' siècle, on
voit Josué nimbé lors du passage du Jourdain. Balaam, un prophète infidèle et préva-
ricateur, est là nimbé aussi et au moment même où il est sur son ânesse et arrêté par
l'ange qui lui ordonne de bénir le peuple d'Israël au lieu de le maudire. [Hist. de l'art
par les monum. pi. 43 et /»/(, Atlas de la peinture.)
160 INSTRUCTIONS.
le symbole exclusif de la sainteté; il est encore, et surtout,
l'attribut de la puissance en général, de la vertu, en pre-
nant ce mot dans le sens le plus compréhensif et qui est celui
de la force. Le nimbe n'est pas restreint aux qualités de l'âme ;
mais il est étendu aux forces du corps, à la puissance intel-
lectuelle, à l'autorité acquise et dont on se sert pour le bien
comme pour le mal. En Occident, plusieurs monuments,
ceux-là surtout vers lesquels a coulé quelque fdon de génie
byzantin ou oriental, démontrent curieusement cette assertion.
A la catbédrale de Reims est sculptée la parabole des vierges
folles et des vierges sages. Les sages sont nimbées ; c'est justice :
les sages sont nimbées partout, car Jésus-Christ les admet en
paradis. Mais à Reims les vierges folles sont aussi nimbées, ce
qui n'existe guère que là^ Ce n'est pas la folie assurément qui
est nimbée, qui est canonisée, mais la virginité; car les mal-
heureuses femmes, quelque folles qu'elles soient, n'en sont pas
moins vierges, et la virginité, pour l'Orient où tout bouillonne,
est une sublime qualité chrétienne. Notre-Dame de Reims,
dans plusieurs de ses sculptures et sur tous ses vitraux, exhale
comme une vertu byzantine pleine de grâce et d'idéalité. Un
manuscrit de la Bibliothèque royale représente la prise de
Jésus au moment où il est trahi par le baiser de Judas. Jésus-
Christ a le nimbe croisé, et saint Pierre, qui coupe l'oreille à
Malchus, est nimbé. C'est à merveille , car Pierre est saint et cou-
rageux. Mais Judas lui-même est nimbé; cependant un chrétien,
' Elles sont au portail du nord, voussure de la porte gauche. A la cathédrale de
Laon, dans une voussure du portail occidental, on remarque de même la série des
cinq vierges folles nimbées tout aussi bien que les cinq vierges sages. La cathédrale de
Laon est la mère de celle de Reims , et je ne connais cette curieuse particularité du
nimbe attribué à des femmes folles qu'à Reims et à Laon seulement. Il y a là peut-
être une influence byzantine, qui se démontrerait encore par quelques autres faits ana-
logues.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 161
et il aurait raison , se signerait d'horreur s'il entendait dire saint
Judas Iscariote. Judas n'est qu'un avare, n'est qu'un traître,
n'est qu'un sacrilège; c'est vrai, mais c'est encore un apôtre.
Or l'apostolat est une fonction suprême émanée de Dieu ;
le nimbe, qui désigne, en Orient, toute dignité et toute
puissance bonne ou mauvaise , devait donc éclairer encore la
tête de Judas. Chez nous , il n'indique ordinairement que la
sainteté; aussi Judas, même à la Cène, à plus forte raison au
Jardin des Oliviers, est-il privé du nimbée Le manuscrit de
^ Cependant M. le comte Auguste de Baslard (Peintures et ornements des manuscrits)
a donné des exemples de ce nimbe, attribué cbez nous à Judas. M. de Bastard a fait
calquer de très-belles miniatures d'un manuscrit du xiii'' siècle, connu sous le nom de
manuscrit de Limoges, parce qu'il vient de Saint-Martial; là, à la Gène, Judas porte un
nimbe d'or, absolument comme Jésus-Christ. Dans le même ouvrage, Hérode est nimbé
au moment où il se trouble et grimace ignoblement, parce que les mages lui demandent
où est le roi des Juifs qui vient de naître. Il faudrait savoir si ce manuscrit d'une pro-
vince qui confine à des contrées couvertes d'églises réellement byzantines et grecques,
n'aurait pas été exécuté sous l'influence de certaines idées orientales. Quand on voit à
Périgueux, Angoulême, Saintes , Cahors et le Puy, à Solignac , Souillac et Bourdeille ,
des cathédrales , des églises d'abbayes et de paroisses voûtées en coupoles comme Saint-
Marc de Venise et Sainte-Sophie de Constantinople , on peut bien croire à l'infiltra-
tion des principes byzantins dans le Limousin. Vers g'yy ou 987 , alors que Venise
était entièrement byzantine, il s'établit à Limoges une colonie de marchands vénitiens
qui étaient en constante relation avec la mère patrie. Une rue de Limoges s'appelle
aujourd'hui encore la rue des Vénitiens , parce que ces marchands l'habitaient. Des
fouilles récentes, faites à Saint-Martial de Limoges, ont donné des monnaies vénitiennes
portant Sanctl s Marcus sur une face, et sur l'autre... Olo; est-ce Dandolo, comme on
croit , ou bien Orséolo , ce doge qui abdique à la fin du x" siècle pour se retirer en France ,
dans le monastère de Saint- Michel de Cusan , au diocèse de Perpignan ? En 1010 l'évêque
Hilduin reconstruit l'abbaye de Saint-Martin de Limoges; les Vénitiens lui viennent en
aide dans cette œuvre et lui donnent de l'argent. Dans les dernières années du xi" siècle,
Marc et Sébastien , l'oncle et le neveu , tous deux nobles vénitiens , fondent le couvent de
l'Artige, à deux myriamètres de Limoges. (Labbe, Nova Bibliothcca mss. latino. tom. II,
p. 278.) Enfin, en \lxi 1, une femme, Jeanne Aldier, fait construire un Saint-Sépulcre ou
monument dans Saint-Pierre de Limoges par un artiste vénitien. Du reste, M. Félix de
Verneilh prépare un important travail sur la cathédrale actuelle de Périgueux, l'ancienne
église abbatiale de Saint-Front. Les recherches devant porter sur toutes les églises à cou-
poles qui existent en France, il faut espérer qu'elles jetteront du jour sur l'école byzan-
INSTRUCTIOXS. — II. 2 1
162 INSTRUCTIONS.
la Bibliothèque royale a pu être peint par un miniaturiste
byzantin d'origine, d'école ou d'affection.
Dans l'abside d'une des petites et si nombreuses églises dont
la ville d'Athènes est peuplée \ la Gène est peinte à fresque; tous
les apôtres sont^ornés du nimbe, et Judas comme les autres;
mais le nimbe des bons apôtres est d'une couleur vive et glo-
rieuse, peint en blanc, en vert, en jaune d'or, tandis que celui
de Judas est en noir. Judas est un apôtre, et il est nimbé; mais
son cœur est ténébreux et son nimbe semble porter le deuil.
Il y a mieux, Satan lui-même est nimbé chez les Byzantins.
Une vieille bible ^ est ornée de miniatures du ix^ ou x^ siècle.
L'une d'elles représente Satan qui saute de joie devant Job,
sur les ruines qu'il vient de faire. Plus bas, l'être infernal brûie
Job lui-même d'un aiguillon qui fait une grande plaie de tout
le corps du patient. Ce Satan qui danse sur des ruines, ce Satan
qui blesse, sont tous deux nimbés comme pourrait l'être un
ange gardien ou consolateur^. Voici le premier, celui qui danse
devant Job assis tristement sur les ruines de sa maison. Ce
démon nimbé tient à la main un réchaud avec lequel il va
incendier les habitations qu'il a renversées.
Une de l'Occident et sur l'influence des idées orientales dans notre pays; cette (juestion
est la plus compliquée et la plus inexplorée de notre archéologie nationale.
' Au mois d'août iSSg il y avait encore à Athènes quatre-vingl-une églises : je les ai
vues et comptées. Il paraît que depuis cette époque on a achevé d'en raser deux ou trois qui
avaient beaucoup souflFertpendantla guerre de l'indépendance el qui étaient à demi ruinées.
= B. R. Bible ms. n" 6.
^ Satan ressemble en effet à un ange, surtout aux anges qui sont peints dans le même
manuscrit n° 6. Ainsi, à la miniature qui représente Elie enlevé au ciel dans un char
qu'emportent des chevaux de feu, un ange se tient au fond du char comme un pilote
à la poupe d'un vaisseau. Cet ange est en tout semblable au Satan de la planche 46.
Comme le génie mauvais, l'ange a des ailes d'oiseau, un nimbe formé d'un simple filet
circulaire; il est à peu près nu et vêtu seulement d'un jupon qui lui couvre les reins et
les cuisses. La seule différence vraiment visible, c'est que l'ange a des ongles aux pieds
où Satan porte des griffes.
46.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
SATAN PORTANT UN NIMBE CIRCULAIRE ET TOURMENTANT JOB,
Miniature du x° siècle, Bible n° 6, Bibliothèque royale.
163
Enfin, une Apocalypse manuscrite \ à miniatures de la fin du
xii^ siècle, représente le dragon à sept têtes combattu par
saint Michel ; le serpent à sept têtes , qui poursuit la femme
dans le désert ; et la bête de mer, agitant sept têtes aussi au-
dessus de son corps monstrueux. Toutes ces têtes sont nimbées
de vert ou de jaune, comme le serait le plus grand saint du
paradis. Cette Apocalypse, du reste, a certainement été peinte
par un artiste qui était Byzantin ou avait vu Byzance , car
les croissants qui blasonnent les boucliers des anges, et les
coupoles arabes qui surmontent les édifices, ie prouvent évi-
demment "^
' Bibliothèque royale, n° 701 3.
^ Les croissants et les coupoles ne sont ni arabes ni d'origine musulmane , comme
on croit. Les Turcs, qui se sont emparés de Constantinople au xv*" siècle, ont trouve
dans cette ville le croissant qui surmontait les édiiices, et qui , depuis Philippe, le père
d'Alexandre le Grand, c'est-à-dire dès leiv' siècle avant J. C. fut introduit comme blason
164 INSTRUCTIONS.
Ici, on donne un dessin tiré d'un beau manuscrit à minia-
tures de la Bibliothèque royale \ et qui représente la bête à
sept têtes de l'Apocalypse, le léopard à pieds d'ours. Ses têtes
sont nimbées en bleu, et celle du milieu — la plus petite ma-
tériellement, mais sans doute la plus grande hiérarchique-
ment et la maîtresse tête — est nimbée de rouge, couleur de
leu. L'une de ces têtes est dépouillée du nimbe. C'est celle qui,
comme dit l'Apocalypse, fut blessée à mort".
dans ce qu'on peut appeler les armoiries deConstantinople; ils y ont aussi trouvé les belles
coupoles de Sainte-Sophie , des Saints-Apôtres et de plusieurs autres églises. Copistes et non
inventeurs, les conquérants approprièrent à leur usage là coupole et le croissant; ils
firent de l'une le caractère principal de rarchileclure des mosquées , et de l'autre la pièce
unique de leur blason , absolument comme avaient fait les Byzantins. Voilà pourquoi , au
xii° siècle, un miniaturiste byzantin ou qui avait vu Byzance représenta des ci'oissants et
des coupoles bien avant que Byzance fût tombée au pouvoir des musulmans. Une fois
Constantinople prise, le croissant et la coupole, adoptés par les Turcs, se répandirent
parmi les autres nations musulmanes qui, d'ailleurs et probablement depuis longtemps,
avaient déjà adopté, soit en Egypte, soit en Syrie, les coupoles chrétiennes d'Alexandrie
et de Damas. Les peuples mahométans , les Arabes entre autres , ont vulgarisé beaucoup
de faits et d'idées, mais ils en ont créé très-peu. Nous leur avons certainement plus donné
que nous n'en avons reçu. H y a vingt-cinq ans osi proclamait que de tout temps les
nations occidentales et chrétiennes avaient été tributaires des musulmans qui ont con-
quis l'Espagne. Dans ce système, le style gothique, l'arc ogival, la chevalerie, les ma-
thématiques, la médecine, l'alchimie, c'est-à-dire, l'art, les mœurs et la science nous
seraient venus des Arabes, Aujourd'hui on fait complète justice de ces erreurs. Relative-
ment à l'architecture les preuves abondent. Notre système ogival est complètement dif-
férent de celui des Arabes et lui est probablement antérieur. L'arc en fer à cheval, dont
l'invention avait été attribuée aux Arabes, vient d'être trouvé en Asie par M. le vicomte
Léon de Laborde et M. Ch. Texier, dans des monuments chrétiens qui portent une date
gravée sur la pierre et antérieure au vii° siècle. Le minaret lui-même, ce membre d'ar-
chitecture aussi indispensable aux Mahométans que le clocher l'est aux chrétiens, n'ap-
partient peut-être pas à l'islamisme; on le retrouve dans les églises des bords du Rhin ,
églises qui se sont inspirées de Sainte-Sophie, et qui ont bien pu lui emprunter ses cages
d'escalier ou minarets, comme certaines portions de son plan et de sa décoration. Quant
à notre chevalerie , M. J. J. Ampère a prouvé , clans ses leçons sur la littérature française ,
qu'elle était indigène et n'avait aucun rapport avec la chevalerie arabe.
' Psaltcrium cura JUjnris , suppl. fr. iiSa.
« Elvidi un uni decapilibus suis quasi occisuni in mortem. » — Apocalypse, c\\. xiii, v. 3
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE.
165
47. — BÊTE X SEPT TÉTES; SIX SOKT MMI3ÉES, ET LA SEPTIEME, liLESSF-E X MORT,
EST SANS NIMBE.
Miniature du xn" siècle, Psalterium cum fiçjuns. Bibliothèque royale.
Puisque chez les Orientaux le nimbe désigne la puissance^
une tête à l'agonie ne devait plus avoir de nimbe. Quand un
Individu est dans sa force , on l'honore du nimbe ; mais lorsqu'il
faiblit, lorsqu'il ne peut résister à une attaque, lorsque la ma-
ladie ou la mort en triomphent, alors il est dégradé et dé-
pouillé de son auréole. Tout cela est conséquent. Sur les
fresques romanes de Saint-Savin, près de Poitiers, où paraît
se trahir en plusieurs endroits une influence byzantine , on
remarque d'abord le grand dragon apocalyptique, au moment
où il attaque la femme de laquelle naît un enlant qui doit gou-
verner les nations ^ ; puis le même monstre , lorsqu'à son tour
il est attaqué par saint Michel et ses anges^. Sur le premier
' Apocalypse, chap. xu , v. i3, i5.
^ Ibidem, v. 7, 8, 9.
166 INSTRUCTIONS.
tableau, ce dragon roux est plein de vie et de puissance; il
vomit de sa gueule un fleuve d'eau pour y engloutir la femme.
Là aussi il est et il devait être nimbé. Il porte un nimbe jaune,
un nimbe d'or comme l'ange qui arrache l'enfant à la colère
du monstre. Mais sur le second tableau il est assailli par les
anges, il va être précipité en terre et vaincu, et déjà sa tête est
dépouillée du nimbe; son front ne lance plus de rayonnement,
parce que sa puissance s'éteint. La rose occidentale de la Sainte-
Chapelle de Paris présente les mêmes particularités. La bête
à sept têtes, chargées de cornes et de couronnes, y est figurée
plusieurs fois. Chaque tête est nimbée, parce que le monstre
est adoré par les infidèles, et parce qu'il entraîne avec sa
queue la troisième partie des étoiles du ciel ; il est tout-puissant
alors; il est dans sa force et dans son triomphe. Mais lorsque
fange qui a la clef de fabîme l'enchaîne et le scelle pour
mille ans dans le gouffre, alors il est vaincu, dégradé, et par
conséquent dépouillé du nimbe; il n'a plus sur sa tête que les
couronnes royales ^
Ainsi donc, en Orient, le nimbe est fattribut de la puis-
sance bonne ou mauvaise : qu'on soit diable ou archange,
qu'on soit criminel ou vertueux, qu'on soit grand traître ou
Dieu, on est fameux, et, à ce titre, nimbé. Cette idée s'est in-
filtrée chez nous, surtout aux époques de nos relations avec
Constantinople; mais elle n'a pu prendre racine, et la tendance
à ne décorer du nimbe que la sainteté, que la vertu morale, a
fini par prévaloir. Nous avons été plus avares d'un attribut
que nous avions emprunté et non pas inventé; d'ordinaire,
en effet, on ne prodigue que les richesses qui coulent de
source. Cependant à Troyes et à Reims, dans toute la Cham-
' Cette verrière date de Charles VIII; ce roi l'a fait marquer de son chiffre, que sur-
monte une couronne loyale de couleur jaune et simulant l'or.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 167
pagne, depuis Ville-Hardouin et Joinville jusqu'à nos jours,
a soufflé une brise orientale et byzantine qui a fait épanouir
une foule d'idées et d'images propres à l'Orient. On se con-
tentera de citer une peinture sur verre qui date du xyi*" siècle,
et qui brille dans la grande nef de Saint-Nizier de Troyes.
Là aussi est représentée la bête à sept têtes et dix cornes, et
le nimbe, attribut oriental de la puissance, brille autour de
chacune des têtes. On en donnera le dessin à l'Histoire du
diable.
COULEUR DE L'AUREOLE.
Puisque le nimbe et l'auréole sont l'efflorescence lumineuise
de la tête et du corps, la couleur qui les anime dans les mo-
numents figurés et peints doit être celle de la lumière elle-
même. On peut donc surprendre ce fait sur les mosaïques, les
fresques, les vitraux, les miniatures des manuscrits et les ta-
pisseries historiées. Mais la lumière est versicolore; comme
l'eau, elle se teint de couleurs diverses, suivant les objets qui
l'entourent et qu'elle reflète, et suivant sa propre intensité.
Les étoiles, source de la plus vive lumière, scintillent bleues,
violettes , rouges et blanches ; le rouge cerise et le rouge
blanc sont des degrés de lumière très-appréciés des physiciens.
D'ailleurs, la lumière se décompose dans le prisme en sept
éléments principaux qui, en se combinant, multiplient les
nuances à l'infini. La gloire, jouissant des propriétés de la lu-
mière, devait donc comme elle varier de couleur, depuis le
bleu foncé jusqu'au blanc le plus vif. Aussi les auréoles et les
nimbes sont tantôt bleus, tantôt violets, tantôt rouges, tantôt
jaunes et tantôt blancs. Mais de tout temps le jaune, la cou-
leur de for, a été regardé comme la plus précieuse, la plus
noble et souvent comme la plus éclatante des couhîurs; l'or.
168 INSTRUCTIONS.
son type, était considéré comme de la lumière solidifiée. De
là, très-ordinairement, les nimbes et les. auréoles, surtout les
nimbes et les auréoles de Dieu, sont colorés en or et en jaune.
De là les représentations du soleil, qu'elles soient antiques ou
modernes, sont colorées en jaune; ordinairement le soleil est
jaune quand toutefois, et pour un dessein particulier, il n'est
pas rouge. Homère dit qu'Apollon a la cbevelure d'or; Phébus
le blond ou le doré est aussi populaire que la blonde Cérès.
La couleur donnée aux nimbes est quelquefois symbolique,
comme le prouve le nimbe noir, nimbe en deuil, attribué au
traître Judas ; mais souvent aussi elle est purement hiérar-
chique. Puisque le nimbe, par sa forme, était un ingénieux
et puissant moyen de hiérarchie, la couleur devait venir en
aide à cette forme. En voici un exemple. La bibliothèque
publique de Strasbourg possède un magnifique manuscrit,
déjà cité \ Ce grand ouvrage, si on en croit la tradition, a
été écrit et peint par une abbesse du couvent de Sainte-
Odile en Alsace, qui s'appelait Herrade. C'est une encyclo-
pédie de toutes les sciences connues et pratiquées au moyen
âge, et qui fait pressentir l'admirable Miroir universel de Vin-
cent de Beauvais. Vers la fin de ce manuscrit, est peinte la
cour céleste, tout le paradis. En haut est le Christ, nimbé en
or et couronné de même. Puis arrivent neuf ordres de saints,
entremêlés d'anges et ainsi disposés : les vierges^, les apôtres,
' Page 52 , noie Ix.
' Notez que les Vierges, les dernières partout ailleurs, comme on le voit aux ca-
thédrales de Paris, de Reims et de Chartres, sont ici en tête de la sainte hiérarchie,
immédiatement après Dieu, et avant les apôtres et les martyrs. On sent bien que ce ma-
nuscrit a été composé par une religieuse et pour un couvent de religieuses. C'est ainsi
qu'au portail de la cathédrale de Paris, dans cette grande église d'une ville où l'inlelli-
gence a toujours eu le pas sur toutes choses , on a mis les confesseurs avant les martyrs ,
ce qui est un anachronisme et, de plus, une exception curieuse à la pratique constante de
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 169
les martyrs, les confesseurs , les prophètes, les patriarches, les
continents, les mariés, les pénitents. Les quatre premiers
ordres, les plus élevés de tous, portent le nimhe doré. Les pro-
phètes et les patriarches, ces saints de la vieille loi, et qui
n'ont connu la vérité qu'imparfaitement et à travers des méta-
phores, ont le nimhe en argent. Les continents sont nimbés
en rouge. Les mariés portent le nimbe vert, et les pénitents
jaunâtre et légèrement nuancé. Ainsi voilà bien la couleur
employée comme moyen hiérarchique; elle se dégrade à me-
sure que l'on descend des ordres supérieurs à l'ordre le plus
bas placé et après lequel il n'y a plus de saints, mais seulement
de simples hommes.
Ajoutons que cette hiérarchie de couleurs pourrait bien,
dans les idées du moyen âge , s'allier en même temps au sym-
bolisme. La plus éclatante couleur c'est l'or, et ici elle se donne
aux plus grands saints. L'argent, couleur de la lune qui est
inférieure au soleil, mais sa compagne toutefois, devait venir
après ; puis le rouge ou le feu , attribut de ceux qui luttent
contre la passion , et qui est inférieur aux deux métaux de
l'or et de l'argent, au soleil et à la lune, dont il est une
simple émanation ; puis le vert , qui symbolise l'espérance et
qui peut convenir aux personnes mariées; enfin le jaunâtre,
couleur équivoque, moitié blanche et moitié jaune, couleur
altérée et qui se donne à des saints , pécheurs autrefois , mais
qui ont pu se réhabiliter et S'Éclairer un peu aux yeux de Dieu
par la pénitence. C'est de la hiérarchie et du symbolisme;
c'est, en quelque sorte, le système rendu visible de l'émanation
hindoue.
l'art chrétien. Ces troubles dans la hiérarchie sacrée , ces hérésies de l'art , pour ainsi
dire, doivent être signalées avec soin ; car il y a des conséquences historiques et morales
à en tirer.
INSTRUCTIONS. II. 22
170 INSTRUCTIONS.
On a dit que la couleur attribuée aux nimbes et aux auréoles
était symbolique quelquefois et non pas toujours. Il ne faudrait
pas, en effet, chercher constamment un sens dans la couleur
et s'exagérer l'importance qu'elle pourrait avoir, car il est facile
de prouver qu'elle ne signifie rien la plupart du temps. Voyez les
fresques de Saint-Savin. Dieu y est représenté un assez grand
nombre de fois, soit avec le nimbe seulement, soit avec le
nimbe et f auréole tout ensemble. Eh bien, le champ du nimbe
est tantôt rouge à croisillons blancs, tantôt rouge à croisil-
lons jaunes, tantôt jaune à croisillons verts, tantôt jaune à
croisillons rouges, tantôt jaune à croisillons bleus, tantôt bleu
foncé à croisillons bleu clair. Le champ de f auréole, jaune
à f une, est verdâtre à deux autres. Chercher un sens mystique
dans ces couleurs diverses, c'est se fatiguer puérilement; on
peut tout au plus reconnaître que le jaune et le rouge dominent
dans ces auréoles, et que le jaune est la couleur de l'or, tandis
que le rouge est celle du soleil et du feu; voilà tout.
DIEU.
Dieu est un pur esprit, invisible, mais présent partout.
Dieu est éternel et immense , infini en durée comme en éten-
due. Il est souverainement puissant, souverainement bon,
souverainement intelligent. Unique en essence, triple en per-
sonnes. Dieu est le créateur, le maître et le modérateur de
tout.
Telle est, suivant le dogme chrétien, la définition de l'Etre
suprême, ou de la cause première de ce qui existe. Cet être
invisible, l'art l'a fait voir dans des images et des statues; cet
être immense, l'art l'a réduit à des dimensions finies. Sous la
volonté de l'homme, cet esprit a pris un corps, cet éternel
a. vécu dans le temps. Nous allons parler de sa représentation
peinte, ciselée ou sculptée par les artistes chrétiens aux diffé-
rents siècles de notre ère ; nous allons décrire les divers por-
traits que les sculpteurs et les peintres nous ont laissés de
l'image qu'ils se faisaient de Dieu.
Unique en substance, indivisible en nature. Dieu, disons-
nous, est triple en personnes. C'est la réunion de ces trois
personnes ou hypostases qui constitue la divinité dans sa plé-
nitude parfaite ; Deus trinus unus , a dit Lactance dans un
langage orthodoxe et concis \
^ La philosophie antique, par l'organe de Platon, dans le Timée, avait déjà dit:
« L'unité est divisée en trois et la trinité est réunie en un. » Dante ajouta : « Cet un et
deux et trois qui vit toujours et règne toujours en trois et deux et un , non circons-
crit et qui circonscrit toute chose.» [Divine Comédie ^ Paradis, chant xiv.)
22.
172 INSTRUCTIONS.
A chaque personne divine le dogme chrétien attache un
nom différent et des fonctions particulières ; l'art, de son côté,
a revêtu ce nom d'une figure spéciale , a représenté ces per-
sonnes et caractérisé ces fonctions par des attributs distincts.
La première personne divine s'appelle le Père, la seconde
le Fils, la troisième le Saint-Esprit. Toutes trois ont été repré-
sentées, soit isolément, soit ensemble, par les artistes. Il con-
vient donc de les étudier d'abord une à une, et de tracer à part
l'iconographie de chacune d'elles ; puis de les réunir sous un
même chef, dans un même chapitre, sous le nom de Trinité.
DIEU LE PÈRE.
Dans ses rapports avec l'homme, dans l'histoire. Dieu le
père s'est manifesté très-souvent. Il est bien vrai que le Père,
toutes les fois qu'il s'est révélé, révélait en même temps le Fils
et le Saint-Esprit ; cependant certains actes lui sont attribués à
lui plus spécialement qu'aux deux autres personnes. Toute ac-
tion où se montre principalement l'énergie divine, qui corres-
pond à ce que nous appelons la force ou la puissance, est faite
par le Père; les deux autres énergies, qui correspondent à
l'amour et à l'intelligence, semblent revenir de préférence au
Fils et au Saint-Esprit.
Historiquement, c'est plus volontiers dans l'Ancien Testa-
ment, dans la Bible proprement dite\ que le Père se manifeste;
tandis que le Fils se révèle dans l'Evangile surtout, et que le
Dans le cours de ce travail, on l'a déjà vu, nous avons donné le nom de Bible à
l'Ancien Testament et celui d'Evangile au Nouveau. Rigoureusement il faudrait entendre
par Bible la réunion de tous les livres sacrés, aussi bien ceux du Nouveau Testament
que ceux de l'Ancien ; mais nous avons préféré nous servir du langage vulgaire et réser-
ver le nom de Bible exclusivement aux livres canoniques de l'Ancien Testament.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 173
Saint-Esprit apparaît tantôt dans l'un et tantôt dans l'autre.
On peut dire que la Bible renferme spécialement l'histoire de
Dieu le père, et l'Évangile l'histoire de Dieu le fds.
Ainsi le Père crée le ciel et la terre, les plantes, les
animaux et l'homme. C'est lui qui reçoit l'offrande d'Abel
et rejette celle de Caïn, qui punit les hommes par le dé-
luge, renverse les projets des constructeurs de Babel, appelle
Abraham à la foi, donne à Moïse les tables de la loi, guide
les Hébreux dans le désert et les dirige vers la Judée, combat
les ennemis de son peuple choisi, inspire les prophètes et les
juges, donne la sagesse à Salomon et la vertu à Ézéchias. C'est
lui qui inflige la captivité aux Juifs et leur rend ensuite la
liberté ; lui enlin qui envoie l'archange Gabriel annoncer à la
vierge Marie qu'il l'a élue pour être la rnère de son fds.
L'Ancien Testament est donc véritablement le théâtre où
Dieu le père déploie toute sa puissance. C'est Jéhovah qui
est déclaré créer le monde. Les deux autres personnes de la
Trinité apparaissent à peine. On soupçonne leur présence
dans plusieurs phrases, surtout au « Faciamus hominem ad
« imaginem et similitudinem nostram ^ ; » mais ces expres-
sions ne sont pas toutes à l'abri de la controverse. D'ailleurs
le Père est nommé et nommé seul dans une multitude de
passages très-clairs et très-explicites. Le Père règne à peu
près sans partage dans l'Ancien Testament : il parle , il se
montre, il agit, il punit, il récompense; il converse avec
Adam, Caïn, Noé, Abraham, Moïse, avec les rois, avec les
prophètes ; il est avec eux , au milieu d'eux. On le sent , on
l'entend, on le voit partout; chaque verset en parle.
Dans le Nouveau Testament, au contraire. Dieu le Père
s'efface presque complètement et recule au dernier plan : on
* Liber Genesis, cap. i, v. 26.
174 INSTRUCTIONS.
le voit à peine, on ne l'entend presque pas. La scène entière
semble envahie par son fils. Deux fois il parle dans le loin-
tain pour dire, au baptême et à la transfiguration de Jésus-
Christ, «Celui-ci est mon fils bien-aimé dans lequel j'ai mis
mes complaisances ' ; » puis il semble rentrer dans un silence
absolu. Quand le Christ lui crie, à son agonie de sang, ^ Mon
père, éloignez ce calice de moi'\ -> ce n'est pas Dieu, mais
un ange qui vient le fortifier. Lorsque, clouée à sa croix, la
victime divine s'écrie , « Mon Dieu , mon Dieu , pourquoi
m'avez-vous abandonné"' 1 ) pas un mot de consolation ne
descend du ciel. Dieu le père garde le silence, et les anges
eux-mêmes se taisent. Voilà ce qu'enseignent , à la première
lecture, les textes sacrés, le sens littéral des livres saints.
Les artistes, fidèles à fliistoire plutôt qu'au dogme abstrait
et raisonné, font ainsi compris, au moins à la fin de la pé-
riode gothique; dans toutes les scènes de TAncien Testament,
ils figurent Dieu le père, à f exclusion, en quelque sorte, du
Fils et du Saint-Esprit. Cependant c'est à la fin du xiv*" siècle
seulement, c'est aux xv"" etxvi' principalement, que les sculp-
teurs et les peintres ont ainsi représenté le Père; car dans
les siècles antérieurs il se passe un fait étrange , que farchéo-
logie confirme par beaucoup d'exemples et qui mérite expli-
cation.
Que le Fils , le Père et le Saint-Esprit concourent ensemble
aux mêmes actes et se manifestent tous les trois en même
temps dans les diverses histoires de fAncien Testament , on le
conçoit, puisque la Trinité est indivisible dogmatiquement et
que toute œuvre faite par fune des trois personnes est faite col-
' Saint Matthieu, chap. m, v. ly; chap. xvii, v. k et 5.
' Saint Marc, chap. xiv, v, 36.
^ Saint Marc, chap. xv, v. 3/i.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 175
lectivement par les trois à la fois. Mais, du moment qu'on ne
représente qu'une seule personne, c'est le Père, à ce qu'il
semble, qu'il faudrait montrer à la Création \ comme c'est le
Fils qu'il faut montrer à la Passion, et le Saint-Esprit à ]a Pen-
tecôte. Représenter le Fils tout seul créant Adam et Eve est
un fait extraordinaire. Historiquement c'est un anachronisme:
car le Fils, qui est Jésus-Christ, n'était pas encore né. Cepen-
dant rien n'est plus fréquent que de voir Jésus prenant la
place de son père et créant le monde à lui seul, commandant
à Noé de construire l'arche , arrêtant la main d'Abraham qui
est sur le point de sacrifier Isaac, parlant à Moïse du sein
du buisson ardent.
De plus, lorsque c'est peut-être Dieu le père qu'on a voulu
représenter conversant avec Abraham, Moïse, les prophètes et
les rois, on a semblé craindre de le faire voir en entier et on
n'en a montré qu'une petite partie, la main , par exemple, quel-
quefois la face, plus rarement le buste, presque jamais le corps
entière Ainsi, ou le Fils remplace son père dans les œuvres
faites par ce dernier, ou l'on ne montre du Père que le moins
possible; ou bien le Père est absent, ou il est presque entière-
ment voilé, on pourrait peut-être dire sacrifié. Ce sont deux faits
parallèles et presque identiques. Mais avant que d'en chercher
l'explication, il convient de les prouver par l'iconographie,
et de démontrer premièrement que Jésus -Christ prend la
place de son père dans les œuvres dont le Père est plus spé-
' Nous nous plaçons ici au seul point de vue historique ; car, clans un instant, il sera
prouvé par la théologie qu'il faudrait mettre le Fils où les artistes du xv'' siècle et de la
renaissance ont mis le Père.
■ Sur les sarcophages du Vatican et les fresques des catacombes, les plus anciens
monuments figurés du christianisme, on ne voit jamais autre chose du Père éternel que
la main sortant des nuages. Voyez Boni. Sotterr. passim , surtout pages li5 , 5g, 70, 28 1.
339, 363 et 367 de l'édit. ilal. Rome, i632.
176 INSTRUCTIONS.
cialement rauteur; secondement que le Père, si toutefois c'est
lui qu'on a voulu représenter, ne révèle sa présence que par
une main, un bras, une face, le reste étant invisible.
Et d'abord Jésus-Cbrist se représente à la place du Père.
Dans le chapitre qui sera consacré, après celui-ci, au fils
de Dieu, on dira à quels caractères d'âge, de physionomie,
de costume, d'attitude, d'attributs on Le reconnaît; qu'il
suffise d'énoncer ici que Jésus se montre sous deux formes
complètement distinctes. Ou bien, comme sur les anciens sar-
cophages, sur quelques fresques de la Grèce, dans quelques
sculptures de notre pays influencées par le génie byzantin, il
est jeune, imberbe, adolescent de quinze à dix-huit ans, pieds
chaussés de sandales et rarement nus , longs cheveux tombant
sur les épaules, sans nimbe ^; ou bien, comme il se montre
le plus ordinairement, surtout dans nos contrées, il est âgé de
trente à trente-trois ans, époque de sa mort, avec la figure
allongée, la barbe fine et courte, les cheveux mi-longs et
divisés sur le front, la physionomie douce et mélancolique,
le nimbe partagé par une croix, les pieds nus, la robe et le
manteau longs. A voir ces deux figures consacrées qui se
donnent au Christ , on ne peut s'y tromper et le confondre
avec une autre personne. D'ailleurs, non-seulement la figure
est un caractère qui sert à le distinguer, mais encore assez
souvent son nom est écrit à ses pieds ou autour de sa tête,
soit en entier, soit en abrégé, soit en monogramme.
Or une foule de monuments, qui représentent la Création
et toutes les scènes de la Bible où Dieu le père est acteur et
auteur, montrent non pas le Père, mais le Fils reconnaissable
et à sa physionomie hiératique, et à son nom peint ou gravéo
^ Voyez plus haut, page A3, p). 17, et page Ixlx, pi. 18, deu.x portraits de Jésus im-
berbe; le premier est chaussé de sandales.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 177
Il est constant que sur une multitude de sarcophages en
marbre blanc, qui datent des premières époques du christia-
nisme, du iv^ au VIII'' siècle, Jésus-Christ est représenté jeune
et imberbe, comme on vient de dire. On ne peut douter que
ce ne soit bien Jésus, car il s'agit, dans les sujets que portent
les sarcophages, de la résurrection de Lazare, de la guérison
de Taveugle-né et du paralytique, de la multiplication des
pains, de la conversation avec la Samaritaine, de l'entrée
triomphante dans Jérusalem , de la comparution devant Pilate,
de la prédication aux apôtres ; or celui qui ressuscite, guérit,
multiplie, parle, triomphe, comparaît, prêche, c'est ce jeune
homme imberbe dont nous parlons, c'est Jésus en adolescent.
Mais sur les mêmes monuments sont sculptés, ordinairement à
gauche, des sujets parallèles aux précédents, qui sont à droite.
On y voit Dieu condamnant au travail Eve et Adam , pariant à
Noé, arrêtant le bras d'Abraham, donnant sa loi à Moïse; et
ce Dieu, c'est toujours le jeune adolescent imberbe qui ressus-
cite Lazare et envoie ses apôtres prêcher dans l'univers. Ce
Dieu , c'est le Fils qui prend la place de son père.
Le dessin 82 , page 100 (Dieu imberbe, de qui Eve et Adam
reçoivent un agneau et des épis), représente précisément ce
jeune homme divin , sans barbe, à longs cheveux tombant sur le
cou, aux pieds chaussés de sandales; Dieu y condamne Adam
à labourer la terre, qui portera des épis semblables à ceux dont
il lui donne une gerbe, et Eve à filer la toison de l'agneau qu'il
lui présente. Ce dessin est tiré d'un sarcophage du Vatican.
On pourrait croire peut-être que ce Dieu qui parle à Eve
et à Adam est Dieu le père, bien qu'on pût s'étonner à bon
droit de voir cet ancien des jours, comme l'appellent la Bible
et les Grecs (0 TrotAct/o^ tcùv îiV^pwv), à peine sorti de l'enfance;
on pourrait croire que , suivant en cela la pratique des anciens
INSTRCCTIONS. II. 23
178 INSTRUCTIONS.
Grecs, les premiers chrétiens ont représenté Dieu le père ou
Jéliovah, jeune et sans barbe, pour caractériser la divinité
immuable qui ne vieillit jamais, et qui vit dans une jeunesse
éternelle. Mais le dessin suivant ^ ne laisse aucun doute :
c'est bien Jésus-Christ qui préside à la création et à toute l'his-
toire génésiaque ; car là Dieu est représenté créant Adam , le
premier né ['aS)ol/ul o Tr^loTrActfrlo^ ) , et ce Dieu n'est autre
que le Christ, comme son nom TC Xt, écrit dans le champ
de l'auréole circulaire d'où il semble s'élancer, en fournit la
preuve
/(8. LE CRÉATEUR EN JESUS-CHRIST ET NON EN DIEU LE PERE.
Peinture à fresque, ix' siècle.
Du reste, le manuscrit de Panselinos ^ est encore plus
explicite, si c'est possible. Lorsque cet ouvrage enseigne aux
peintres la manière dont ils doivent représenter Moïse devant
le buisson ardent, voici les indications qu'il donne et le ta-
•^ ^ 11 représente un ivoire grave au xii° ou xui' siècle probablement. Gori Ta donné
dans son Thésaurus veteruni diptychoruni, lom. Il, p. i6o.
Serou.x d'Agiricourl [Histoire de l'Art par les monuments) reproduit un autre exemple
semblable a celui-ci qui est donné par Gori.
Èpfirjveia. rfji Zûiypa.(piKr)5 , seconde partie..
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 179
bleau qu il dessine par la parole : « Moïse déliant sa chaussure;
autour de lui des brebis. Devant Moïse est le buisson ardent,
au milieu et sur le sommet duquel brillent la Vierge et son
enfant. Près de Marie, un ange regarde du côté de Moïse. D'un
autre côté du buisson, on voit encore Moïse debout, ayant
une main étendue et tenant de l'autre une baguette. » Cest
donc non-seulement Jésus que les Grecs substituent à Dieu le
père , mais encore la Vierge, et cela plus de quatorze cents ans
avant sa naissance. Notre art occidental a suivi plus d'une fois
lui-même les prescriptions de l'art byzantin, ou du moins il
s'est rencontré avec lui. Pour n'en citer que deux exemples,
on voit à Pœims, sur une tapisserie du xvf siècle, et à Saint-
Sauveur d'Aix, sur un tableau attribué au roi René, Moïse se
prosternant devant un buisson tout vert, et d'où sortent des
langues de flammes. Sur la tapisserie de la cathédrale de
Reims, on lit, en vers tissés dans la laine:
Comment Moyse fut très fort esbahi
Quant apercent le vert buisson ardant
Dessus le mont de Horeb ou Synaï
Et n'estoit rien de sa verdeur perdant.
Enfin un manuscrit de la Bibliothèque royale, qui est des
dernières années du xiv^ siècle \ montre Dieu apparaissant à
Moïse, au milieu des éclairs, sur le mont Sinaï, et Dieu ayant
la tête hors des nuages lorsque Moïse lève les mains vers
lui et l'implore contre les Amalécites. Dans ces deux minia-
tures. Dieu est jeune et complètement imberbe. Sur les
fresques de Saint-Savin, près de Poitiers, on voit Dieu don-
nant à Moïse, sur le mont Sinaï, les Tables de la loi, Dieu
parlant à Noé, Dieu créant le monde; partout ce Dieu a la
' BMa 6829. Cf. Bible 6, Bibl. roy. niinialure dfs entants dans la fournaise.
23.
180 INSTRUCTIONS.
figure du Christ : son âge est de trente à trente-cinq ans , ses
cheveux sont jeunes et blonds, sa physionomie est pleine de
douceur. Ce Dieu, c'est le Jésus, non plus imberbe comme
sur le manuscrit dont on vient de parler, mais Jésus arrivé à
1 âge de la prédication et de la vie publique; ce n'est pas Dieu
le père.
A ce nom de Tout-Puissant , la figure qu'on se fait de la per-
sonne qui le porte est celle de la Trinité entière et qui a la
plénitude de la puissance divine, ou celle de Dieu le père au-
quel la force paraît attribuée plus spécialement; mais on songe
moins à Jésus-Christ, en qui se sont incarnés plutôt le dé-
vouement et la charité. Et cependant chez les Grecs, au fond
des grandes coupoles qui couvrent le centre des églises, se
montre la figure gigantesque du Tout-Puissant, du Pantocra-
tor, comme ils l'appellent, peinte à fresque ou en mosaïque sur
fond d'or. Ce Dieu bénit les fidèles du haut de ce ciel de l'art
avec la main droite, tandis qu'il tient un livre à la main gauche.
Ce Dieu est un peu jeune pour être le Père, l'ancien des jours.
Cependant, comme on lit en gros caractères o Tra/lorc^^ctifi, on
pourrait croire un instant , et malgré la croix qui décore son
nimbe, que c'est bien o TntAct/o^rSv viuLepuv. Mais bientôt on est
détrompé, car au-dessous de la première inscription, sur les
épaules du personnage, éclatent déplus grosses lettres encore,
ic xc Çlrxrovç Xc^crrc^t;) ^ Jésus-Christ ; puis, sur le livre qu'il
tient à la main on lit ce que Jésus dit de lui-même dans
l'Evangile: « Je suis la lumière du monde. » Du reste la figure,
quand le nom et l'inscription ne la qualifieraient pas, repré-
sente évidemment Jésus et non pas Dieu le père '.
Le dessin qui suil a été pris sur une peinture à fresque qui orne la principale église
du couvent de l'île de Saiamine. A Mistra et dans la cathédrale d'Athènes; aux Météores ,
dans la Thessalie; au mont Athos, dans la Macédoine; à Daphné, près d'Athènes et sur
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
181
49. JÉSUS-CHRIST, ET NON LE PERE, EN TOUT-PUISSANT.
Peinture à fresque de Salamine, xviii* siècle.
OHÂNTO.
E-P-M-Dv/RANOeX-PICl V R-û R/^t
A la cathédrale de Chartres (porche du nord , arcade cen-
trale ) , on a sculpté en très-grand détail toute la création ra-
contée dans la Genèse. Or, dans la Genèse, avons-nous dit,
c'est le Père qui crée, c'est Jéhovah ; il n'y est question ni du
Fils, ni du Saint-Esprit, pas autrement que dans ces mots:
«( Faciamus hominem ad imaginem et similitudinem nostram.
« — Et Spiritus Dei ferebatur super aquas \ » C'est le Père qui
parle, qui approuve son œuvre, qui modèle l'homme, qui
édifie la femme ^^, qui prononce la défense et qui adresse les
la route d'Eleusis ; à Saint-Luc, en Livadie, au pied du mont Parnasse, il en est cons-
tamment de même. Or les peintures qu'on voit dans ces diverses localités embrassent
une période de treize siècles, depuis Justinien jusqu'à nos jours. En iSSg, au mois de
novembre, j'ai vu peindre un de ces Christ en Panlocrator au mont Athos.
' Genèse, chap. i , v. 2 et 26.
* « Et aedificavit Dominus Deus costam , quam tuierat de Adam , in mulierem. » (Genèse,
chap. Il, V. 22.)
182 INSTRUCTIONS.
reproches. La sculpture de Chartres a représenté dans cette
création Dieu treize fois et dans treize différents bas-reliefs; ce
Dieu n'est pas le Père, n'est pas Jéhovah , mais bien le Fils, âgé
de trente ans à peu près; il est orné, comme nous l'avons déjà
vu, de ces beaux cheveux lisses qui ombragent ses épaules, et
de cette barbe fme et bifurquée qui lui descend du menton. Ce
créateur est en tout semblable au Pantocrator qui précède.
La Bible de Charles le Chauve reproduit en miniatures la
création entière. Là le Dieu qui crée n'a que vingt ans; il est
imberbe, déjà orné du nimbe; mais ce nimbe n'est pas encore
croisé. Les pieds, qui sont nus, ont déjà quitté les sandales,
qu'on voit sur les sarcophages. A la main est un long bâton.
Ce Dieu est le Fils et non pas Jéhovah.
11 est vrai que le Symbole de Nicée déclare que toutes
choses ont été créées par le Verbe, qui est le fils de Dieu,
et l'art, comme nous le verrons, a dû être fidèle à ce dogme ;
mais ailleurs, où il faudrait évidemment le Père, et tout au
plus le Verbe non fait chair encore, on a mis le Christ. Du
temps d'isaïe, le Christ, l'Homme-Dieu , n'était pas encore
né; aussi, dans l'Ancien Testament, quand Dieu parle ou ap-
paraît aux prophètes, c'est Jéhovah, ou Dieu 1 père, qui se
montre et parle; historiquement ce ne peut être que lui. Ce-
pendant non -seulement la cathédrale de Chartres a éloigné
Dieu le père de la création qu'elle fait accomplir parle Fils, mais
elle déclare que c'est Jésus et non Jéhovah qui apparaît aux
prophètes et leur parle. Ainsi, au porche septentrional, dans
le soubassement de l'un des piliers qui portent les arcades,
est représenté Samuel debout; Dieu lui révèle ce qu'il va faire
de la maison d'Héli, et le jugement qu'il est sur le point
d'exécuter contre le grand prêtre et ses enfants '. Ailleurs, à
^ Liber I Reguin, cap. m, v. ii-i4.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 183
la cathédrale de Reims, le Seigneur donne à Isaie la mission
d'annoncer les principales révolutions des royaumes de Juda et
d'Israël, de proclamer la naissance du Messie et la délivrance
des enfants de Jacob. Ce Dieu, ce devrait être Jéhovah, puis-
qu'il entretient Isaïe de la future naissance du Messie, son fils \
et qu'il parle à Samuel, prophète qui n'a pu voir le Christ;
cependant, on le reconnaît à son âge, à sa physionomie, à
sa figure, c'est Jésus. Mais, de crainte qu'on ne s'y méprît, et
pour témoigner que sa volonté était bien telle, le sculpteur
de Chartres a gravé profondément dans la pierre, sous le per-
sonnage qui n'est pas Samuel, xpitvs^. C'est non-seulement
Dieu le fils qui, à ne considérer que le dogme et la théologie,
aurait pu parler à Samuel; mais c'est le Christ, c'est le Dieu
fait homme, lequel se montre ainsi plus de mille ans avant
sa naissance.
Le manuscrit grec de Panselinos "^ est complètement d'ac-
cord avec nos sculptures occidentales de Reims et de Chartres;
car, sous ce titre, Fision d'haïe, on lit cette description du
tableau prescrit aux peintres byzantins : « Une grotte ; au de-
dans, nuages et grande lumière; au milieu est le Christ, assis
comme un roi, sur un trône élevé. Il bénit de la main droite;
de la gauche il tient un cartel , sur lequel on lit : Qui en-
verrai-] e, ou qui ira vers ce peuple?» Ainsi, il n'y a pas de
' Voyez les prophéties d'Isaïe, passim, surtout les chapitres vi , vu , xi, xiv.
' C'est ainsi que le nom est écrit; les trois premières lettres sont grecques, les (rois
dernières sont latines , et l'on a oublié ïs qui aurait pu séparer les caractères grecs des ca-
ractères latins. Je ne sais s'il y a là dedans habitude, symbolisme ou ignorance, mais je
pencherais vers l'habitude ou même l'ignorance dont les sculpteurs , ceux de Chartres
entre autres, donnent assez souvent des preuves. Au même porche, à la création du ciel
et de la terre, les sculpteurs ou tailleurs de pierre ont écrit terrem pour terram; est-ce
une faute, ou est-ce une preuve qu'à Chartres, à cette époque, l'a se prononçait comme
un e, ainsi que cela existe encore dans certaines provinces de France?
184 INSTRUCTIONS.
doute, le nom de Christ est écrit dans ce livre comme il est
gravé au porche de Chartres, là où il faudrait absolument
Dieu le père, ou tout au plus le Verbe.
Chez les Grecs, le Fils est substitué non-seulement à la
toute-puissance, mais encore à la sagesse du Père. Les Grecs
du bas-empire dédièrent à la divinité, sous le nom de Sainte-
Sophie, le plus beau de leurs temples , le plus riche et le plus
grand, celui qui donna naissance à toutes les églises byzantines.
On pouvait croire que cette qualification s'appliquait à la Tri-
nité tout entière et non à une seule personne, ou, dans ce cas,
qu'elle revenait de droit à Dieu le père et plus spécialement
encore au Saint-Esprit , mais moins facilement au Fils. Eh
bien ! le contraire est advenu. Il existe à Lyon , dans la biblio-
thèque du palais Saint-Pierre, un très-curieux manuscrit, enri-
chi de miniatures du xii^ siècle , peut-être du xi*. La première
de ces miniatures est la représentation allégorique de l'encyclo-
pédie du moyen âge. Les sciences principales sont représentées
sous la forme de femmes à qui Dieu, la sainte Sophie, commu-
nique l'intelligence et la science d'un souffle, comme d'un
souffle il donna la vie au limon dont il avait fait la statue
d'Adam. Cette sainte Sophie c'est un jeune Dieu de trente ans,
légèrement barbu, décoré d'un nimbe croisé : c'est Jésus-Christ.
Pour qu'on ne pût s'y tromper, le peintre, comme le sculpteur
de Chartres, aurait dû écrire jesus au-dessus de sancta sophia '.
' Ce manuscrit est une Psychomachie de Prudence; il est rempli d'une multitude de
miniatures représentant les Vertus et les Vices. Le moyen âge afïectionnait ces tableaux
allégoriques où étaient figurées la science et la morale, pour montrer leur mutuel appui.
Cette concordance du vrai et du bon se complétait souvent par le beau, et l'art venait
alors couronner l'Instruction et la Vertu. (Voyez les porches de Notre-Dame de Chartres.)
Au campanile de Santa-Maria-del Fiore, à Florence, Andréa de Pise sculpta les Sciences
et les Arts, que Giotto compléta par les figures d'Apelles et de Phidias, personnifiant
la peinture et la sculpture. Luca délia Robbia y ajouta la Grammaire, la Philosophie,
la Musique, l'Astronomie et la Géométrie , personnifiées de même.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
5o. JÉSUS-CHRIST EN SAINTE SOPHIE.
Miniature de Lyon, xii" siècle '.
185
Non-seulement le Père est souvent remplacé par son Fils,
mais, quand on le représente, on n'en montre qu'une faible
partie. Le Christ est peint et sculpté en pied, dans toutes les
attitudes, à tous les âges et sous tous les aspects possibles;
quant au Père, ou il est absent, ou il ne se révèle que par une
petite portion de lui-même. Tantôt on ne voit que sa main,
tantôt la main et l'avant-bras; puis la main et le bras entier;
plus tard, on risque la face et enfin le buste. Il faut attendre
longtemps, pour qu'on fasse à Jéhovali son portrait en pied.
On ne s'arrête pas ici sur ce fait curieux , parce qu'il va être
développé dans un paragraphe particulier.
* Celte Sainte-Sagesse donne la complète intelligence , car elle la distribue sous les
deux formes principales du manuscrit , qui est son instrument. Ces deux formes usitées
alors étaient le rouleau , que notre figure tient à la main gauche, et le livre proprement dit ,
qu'elle présente de la main droite. Le livre, étant plus considérable et pouvant renfermer
plus de matière, était regardé comme l'attribut d'une plus grande sagesse. Un liturgiste ,
Guillaume Durand [Rat. div. offi. lib. I, cap. m), déclare qu'on ne met aux mains des
prophètes de l'Ancien Testament que des rouleaux, parce que ces prophètes n'ont connu
la vérité qu'à demi et à travers des métaphores , tandis que les figures des apôtres, qui ont
vu la vérité entière , portent des livres. C'est une remarque du plus haut intérêt pour 1 ico-
nographie chrétienne ; mais il y a bien des exceptions à ce fait, et nous avons beaucoup
d'apôtres, même des évangélistes, qui ne tiennent que des rouleaux, tandis que des
prophètes, par contre, portent de gros livres. Preuve, entre autres, qu'il ne faut pas
toujours croire sur parole les symbolistes du moyen âge, Durand, Jean Beleth , Jean
d'Avranches, et Hugues de Saint-Victor.
INSTRUCTIONS. II. 2/1
186 INSTRUCTIONS.
La place que l'on donne à Dieu le père, dans les mo-
numents .chrétiens, est souvent peu honorable; son fils a
le pas sur lui. Il faut se souvenir que la place, dans les idées
du moyen âge, aussi bien que dans les nôtres, n'est pas indif-
férente. La préséance, accordée à tel personnage plutôt qu'à
tel autre, est toujours significative. Ainsi la gauche est infé-
rieure à la droite, le bas moins honorable que le haut, le centre
est préférable à la circonférence. Un mot à ce sujet, pour ap-
peler fattention des antiquaires et les engager à bien consta-
ter la place qu'occupent les objets, hommes ou choses, qu'ils
étudient; ce fait est d'une certaine importance.
La gauche est inférieure à la droite. — Dans les vitraux et
les sculptures, on représente souvent Jésus-Christ trônant sur
des nuages, le dos contre un arc-en-ciel ; on voit à sa gauche les
tables de Moïse posées sur l'arche d'alliance, et à sa droite, sur
un autel, le livre de ses apôtres. De tout temps, en effet, la Bible
a tenu la gauche et TEvangile la droite. Un abbé d'Angleterre
fait peindre l'église de son couvent : au nord, à la gauche, il
lait représenter des scènes de f Ancien Testament; au midi, à la
droite, il met les scènes du Nouveau. A Chartres, la sculpture
des deux porches latéraux embrasse toute fhistoire religieuse.
Au porche nord qui est à gauche, en regardant fabside, sont
placés les personnages de TAncien Testament; au porche du
midi ou de droite, ceux de l'Evangile, depuis feutrée du
monde nouveau, du monde chrétien, jusqu'au jugement der-
nier ^ Enfin, d'après les Psaumes, pour faire honneur au
Voir l'Introduclion , page xvi. Vasari , Vies des peintres , traduit par MM. Leclanbhé
el Jeanron, dit dans la vie de Giovanni Cimabue, vol. I, p. Ai : « Cimabue décora à
fresque la partie supérieure des parois de l'église (San-Francesco d'Assise). A gauche de
l'autel, il représenta seize sujets de l'Ancien Testament, et à droite, en face, seize sujets
lires de la vie de la Vierge et du Christ. » On voit que la tradition est constante depuis
ICONOGRAPHIE CHRÉTIEN.NE. 187
triomphateur, à Jésus qui a vaincu Satan et racheté le monde.
Dieu lui dit de s'asseoir à sa droite.
Le bas est moins honorable que le haut. — On élève sur le
pavois, sur un trône ou sur un char, un roi, un pape, un
triomphateur. C'est dans le bas, contre les parois du sou-
bassement, qu'on met les saints représentés vivants, militants
et accomplissant leur histoire; c'est dans le haut, dans la
voussure, qu'on place ces mêmes saints triomphants, morts et
arrivés au paradis. Dans le bas ils sont hommes tout simple-
ment; dans le haut ils sont hommes glorifiés ou saints. Enfm,
à Chartres, tout au sommet du grand pignon occidental, à
cinquante mètres du sol, domine Jésus-Christ qui bénit le
monde étendu à ses pieds.
Le centre est préférable à la circonférence. — Dans une
voussure de cathédrale, dans le champ d'une rose remplie de
vitraux peints, c'est au centre qu'on met, soit Dieu le créateur
et le juge, soit la Vierge qui est la première des créatures hu-
maines. Puis les différents ordres des anges, à commencer par
les séraphins, qui sont les premiers de tous, et à finir par les
simples anges, les moins élevés dans la hiérarchie. Puis les
apôtres, puis les martyrs, puis les confesseurs et enfm les
vierges qui, comme femmes et comme moins éminentes en
vertu que les ordres de saints qui précèdent , sont placées au
cordon extérieur et à la circonférence. Ainsi, à mesure qu'on
s'éloigne de Dieu ou du centre, l'esprit s'obscurcit, la matière
prédomine, la vertu faiblit. Cette hiérarchie, figurée dans les
roses et les voussures de nos cathédrales, rend visible, ainsi
qu'on l'a dit plus haut \ le système éthique et cosmogonique
Benoît Biscop jusqu'aux sculpteurs de Noire-Dame de Chartres , et jusqu'au grand peintre
deTIlalie, Cimabue.
' Chap. de la Gfoire, p. 169.
24.
188 INSTRUCTIONS.
de rémanation hindoue. Il y a des exceptions à cette hiérar-
chie chrétienne, mais elles confirment notre assertion au lieu
de la détruire. Ainsi, au portail occidental de la cathédrale
de Paris, porte centrale, on a disposé hiérarchiquement les
différents ordres des personnages qui sont en possession du
paradis. Dieu est au centre, comme il convient. Près de -Dieu
se tiennent les anges; les apôtres viennent ensuite. Mais au lieu
des martyrs, qui devraient prendre rang après les apôtres, ce
sont les confesseurs qui se présentent; les martyrs sont donc
abaissés et les confesseurs élevés d'un degré. C'est probable-
ment parce qu'à Paris, capitale de l'intelligence, on préfère un
homme que l'intelligence a sanctifié à celui qui a donné sa vie
pour la foi ; on aime mieux le saint qui répand des idées que
le martyr qui verse son sang. Un fait analogue se remarque
dans le manuscrit d'Herrade, abbesse de Sainte-Odile, dont il
a été question à l'histoire de l'Auréole. Les vierges, qui sont
toujours les dernières partout ailleurs, à Paris comme à Reims
et comme à Chartres, sont ici en tête de la céleste hiérarchie,
immédiatement après Dieu, et avant les apôtres, avant les
martyrs , même avant les confesseurs , les confesseurs qui
marchent les premiers de tous à Notre-Dame de Paris. Le
manuscrit a été écrit et peint par une femme et pour des
femmes, par une religieuse et pour des religieuses. Ces femmes,
ces religieuses, ces vierges, ont voulu s'honorer elles-mêmes en
donnant une aussi belle place à leurs patronnes; elles se sont
glorifiées par leurs propres mains.
Ainsi la gauche, le bas et la circonférence sont moins hono-
rables que la droite, le haut et le centre. Cela constaté, voici
ce qu'on observe relativement, soit à la place que Dieu le père
et son fils occupent dans les monuments figurés, soit à la ma-
nière dont on les a représentés. Notre-Dame de Paris, un édi-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 189
fice qui est sous les yeux de tout le monde, pourra servir de
type pour les autres monuments.
Au portail du nord de Notre-Dame de Paris, lequel est de la
fin du xiii^ siècle, on ne montre de Dieu le père que sa main,
dans un des cordons de la voussure, à la brisure de l'arc; tandis
qu'on a placé le soleil avant lui, dans un cordon intérieur. Au
portail du sud, on fait voir sa ligure, il est vrai, mais au cordon
extérieur de la voussure, où elle est exposée à la pluie et au vent,
tandis que de simples anges sont posés dans les cordons inté-
rieurs et à l'abri des intempéries. Au portail occidental, à la
porte gauche, il n'est pas question du Père, tandis que le Fils
y est en pied et de grandeur naturelle.
A la porte centrale, le Père n'est encore qu'en face, laquelle
est comme étranglée dans les pointes des cordons de la vous-
sure, entre les dais qui couronnent les martyrs et les patriar-
ches. On l'a mis là pour remplir un vide, et parce que, les dimen-
sions ayant été mal calculées, il restait de la place inoccupée.
A la porte droite , Dieu est rejeté tout à fait au cordon extérieur,
au cordon le moins honorable , à la rencontre des pointes de
l'ogive, dans une place étroite et incommode. Au contraire, au
cordon intérieur, et bien abrité contre la pluie et le vent, est
Dieu le fds sous la forme d'un agneau; deux anges le portent
en triomphe et l'élèvent sur des nuages comme sur un trône.
Au cordon inférieur, il y avait de la place pour le Saint-
Esprit, mais le Saint-Esprit a été sacrifié aussi : l'artiste a
préféré mettre là un grand ange qui tient de chaque main
une nappe où se dressent deux petites âmes toutes nues.
Notre-Dame de Paris paraît donc peu respectueuse pour le
Père éternel; mais, par contre, elle a mille tendresses pour
Jésus-Christ : à lui tous les honneurs, à lui le triomphe. Il
est grand, en pied et non en buste; il est assis sur un trône.
190 INSTRUCTIONS.
à la porte centrale, et jugeant le monde à la fin des siècles. Il
est tout petit entre les genoux de sa mère, à la porte droite. A la
porte gauche, il est grand et debout, assistant à la mort de sa
mère qu il couronne ensuite à l'étage supérieur. Au portail du
nord, sa vie est représentée au tympan, jusqu'à la fuite en
Egypte, tandis que, sur le trumeau, Marie le présente à Tado-
ration des fidèles. Au portail du sud, il apparaît sur les nuages
à saint Etienne, qu'on lapide '; il reçoit sur ses genoux le pré-
cieux manteau que saint Martin a coupé pour en donner la
moitié à un pauvre d'Amiens. A la porte Rouge, il couronne sa
mère; il la couronne sur un des bas-reliefs encastrés dans le
mur latéral nord. De ce même côté, on le voit encore jugeant
le monde. A l'intérieur, la clôture du chœur représente dans
les plus grands détails toute son histoire, de sa naissance à sa
résurrection. Les tableaux en hauts reliefs qui n'ont pas été
brisés pour faire place à la grille actuelle le représentent
treize fois, à toutes les époques de sa vie. C'est toujours l'étoile
polaire vers laquelle se tournent, comme des aimants, tous
les autres personnages. Là, au contraire, le Père n'apparaît
qu'une fois; il montre seulement sa figure et allonge son bras
au moment où Jésus lui dit : « Eloignez ce calice de moi. »
Enfin, lorsqu'on met réellement Dieu le père en scène, on
lui fait jouer parfois un rôle ridicule, grossier, odieux et même
cruel. Ainsi, sur un chapiteau de Notre-Dame du Port, à Cler-
mont, il est représenté donnant des coups de poing au cou-
pable Adam , inconvenante manière de lui reprocher son crime,
D est dit dans les Actes des apôtres, chap. vu, verse* 55, que saint Etienne vit la
gloire divine et Jésus qui était à la droite de Dieu : « Vidit gloriam Dei et Jesum stan-
« tem a dextris Dei. Et ait : Ecce video cœlos apertos, et Filium hominis stanlem a dex-
i~ tris Dei » ; on devrait donc voir, à la porte de Notre-Dame de Paris, où est représentée
cette scène, Dieu le père aussi bien que son fils. Comme Jésus seul parait, il faut en con-
clure de nouveau que le Père est sacrifié.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 191
tandis qu'un ange saisit notre pauvre premier père par la
barbe, qu'il lui arracbe. Dieu et l'ange remplissent un office
plein de brutalité. Dans un manuscrit latin de la Bibliotbèque
royale, à miniatures italiennes probablement. Dieu chasse
lui-même Adam et Eve à coups de flècbes, absolument comme
Apollon dans l'Iliade poursuit les Grecs! Ce rôle convient à
Apollon, un homme plutôt qu'un dieu, plein des passions et
de la colère humaines ; mais on s'indigne contre l'artiste qui
attribue ce caractère à Dieu le père. Dans un psautier de la Bi-
bliothèque royale, de la fin du xii*" siècle, Dieu est plusieurs fois
représenté tenant en main un arc, des flèches, une pique, un
glaive. C'est bien le Dieu fort, le Dieu des armées, le Dieu des
combats, le Jéhovah hébreu; mais ce n'est pas le Dieu chrétien ^
Voici l'une de ces représentations.
5l. JÉHOVAH EN DIEU DES COMBATS.
Miniature italienne, fin du xii" siècle -.
Ce Dieu a la figure du Fils, parce que le Père, à cette
époque, n'a pas encore de portrait à lui; mais c'est bien le
Père sur le point de tuer ses ennemis à coups de flèches, et à
' Le psaume 1 7 , qui montre la colère divine rouge comme des charbons allumés , el
lénébi'euse comme des nuages de grêle, dit que Dieu exhale celte colère en flamme et
en fumée , el qu'après avoir rompu ses ennemis par la foudre , il les lue à coups de flèches :
« Ascendil fumus in ira ejus, et ignis a facie ejus exarsit; carbones succensi sunt ab eo
M Et misit sagittas suas et dissipavit eos; fulgura multipHcavit, et conlurbavit eos. »
Ce dessin est tiré du psautier manuscrit de la Bibl. roy. suppl. fr. 1 132 bis.
192 INSTRUCTIONS.
juger toute cliair avec le glaive, suivant les expressions du
psalmiste. Par un ralFinement tout particulier, et pour donner
à ce Dieu une tournure plus guerrière encore, on l'a inscrit
dans un médaillon , et on en a fait une « imago clypeata »
comme celles dont nous avons parlé à l'article de l'auréole ^
L'art a donc fait Jéhovali redoutable, comme pour en dé-
tourner les âmes mystiques du moyen âge et attirer tout l'a-
mour sur Jésus-Christ, le Dieu de charité. Le christianisme a
fait du dévouement un dogme fondamental; mais la force, soit
par réaction contre le paganisme, soit par haine contre la no-
blesse et toute la société féodale, lui est en horreur. On dirait,
en conséquence, que les artistes n'ont pas tout le respect dé-
sirable pour Dieu le père, c'est-à-dire pour le côté divin qui
représente la force.
En résumé, ou Dieu le père est absent sur les monuments
figurés, ou, s'il est présent, on n'en montre qu'une faible
partie. Quant à cette portion de lui-même, elle n'est pas tou-
jours honorablement placée, ou bien on lui fait jouer un rôle
inconvenant. Le Fils, au contraire, est toujours présent, même
quand on ne devrait pas le voir; il est toujours figuré digne-
ment, toujours placé honorablement. Plusieurs raisons peuvent
expliquer ces faits; on les donne toutes ici, parce qu'elles font
partie intégrante de l'histoire archéologique de Dieu.
La première est la haine que les gnostiques portaient à Dieu
le père; la seconde, la crainte qu'on avait de rappeler Jupiter
et de paraître offrir une idole païenne à l'adoration des chré-
Pages 1 2 1 et 122. — Non-seulemenl le cercle où Dieu est inscrit est regardé comme
un bouclier par les artistes chrétiens, qui copiaient en cela les artistes romains et grecs,
mais le nimbe lui-même était considéré par eux comme un bouclier qui protégeait la
têle. Un texte du manuscrit d'Herrade {Hortus deliciarum) est explicite à cet égard;
on le donnera plus bas. Ainsi le nimbe est une espèce de casque religieux. C'est ainsi que
le lifurgiste Guillaume Durand l'entead dans son Rat. div. offîc.
. ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 193
tiens ignorants; la troisième, la ressemblance identique du
Père et du Fils fondée sur des textes sacrés; la quatrième est
l'incarnation du Fils, qui est" la parole ou le Verbe du Père; la
cinquième, l'absence de manifestation visible, absence établie
sur des textes; la sixième enfin est la difficulté de formuler
une si imposante image.
Et, d'abord, la haine que les gnostiques portaient à Jého-
vah dut nuire aux représentations iconographiques de Dieu
le père.
Dans les premiers siècles du christianisme, une violente hé-
résie s'éleva contre Dieu le père, contre Jéhovah. Les sectaires,
étudiant l'Ancien Testament en aveugles plutôt qu'en hommes
intelligents, virent que, pour avoir transgressé une défense,
l'homme et toute sa race avaient été condamnés à mort; que,
pour des crimes qu'ils refusaient de croire suffisamment graves,
le genre humain avait péri par le déluge; que les Israélites,
pour s'être abandonnés aux murmures, dans le désert, mou-
raient piqués et empoisonnés par des serpents; que vingt-
quatre mille hommes périssaient d'une seule fois, sur l'ordre de
Jéhovah , pour s'être laissé prendre à la beauté des filles de
Moab et avoir encensé leurs dieux avec elles; que le peuple,
expiant l'orgueil de son roi David, mourait de la peste, et
que soixante et dix mille hommes expiraient en peu de temps.
Egarés par la lettre et l'apparence extérieure de tous ces
faits, au lieu de s'élever à leur intelligence par les raisons
impérieuses de la politique ou cachées et profondes du dogme,
les gnostiques s'irritèrent contre Jéhovah. La nouvelle secte
se révolta contre le Dieu qui avait forcé Samuel à couper
en morceaux le roi des Amalécites, Agag, épargné par Saûl;
elle s'indigna surtout contre ce serviteur de Jéhovah , cet
Elisée, qui fit manger par des ours, que ce Dieu envoyait,
INSTRUCTIONS. II. 2 5
194 INSTRUCTIONS.
des enfants qui avaient insulté le prophète en regardant sa
tête chauve. Passant du fait à fidée, et de l'histoire à la pré-
dication , les gnostiques s'excitaient à la rébellion contre
Dieu , surtout en lisant ce passage d'Isaïe où Jéhovah pro-
met à Israël sa délivrance et lui dit : « Je nourrirai tes en-
nemis de leur propre chair; je les enivrerai de leur sang
comme d'un vin nouveau. » Ils s'exaspéraient contre le texte
où le même prophète annonce que Dieu descend du ciel dans
sa colère pour tout mettre à mort '.
Les gnostiques repoussèrent toute explication. S'obstinant
à ne pas comprendre que ces terribles rigueurs provenaient
du caractère des Juifs et non de Dieu lui-même, ils fermèrent
les yeux à ces passages du Deutéronome où Moïse, avant
de mourir, donne ses dernières instructions à son peuple,
et récapitule, en les opposant, la dureté du cœur, l'ingrati-
tude , l'infidélité , les malédictions , les crimes du peuple
hébreu, et la patience, l'équité, la tendresse de Dieu. Ils
relisaient les versets où il est dit : « Le feu de la colère di-
vine s'est allumé et dévorera la terre dans son germe; la fa-
mine, les oiseaux de proie et le glaive consumeront, dévore-
ront, ravageront le jeune homme et la jeune fille, l'enfant à
la mamelle et le vieillard. » Mais ils raturaient , dans le même
chapitre, ces passages où Moïse rappelle aux Hébreux que
Dieu « les a protégés comme la prunelle de ses yeux. Ainsi
qu'un aigle excite ses petits à voler et voltige autour d'eux,
ainsi Dieu a déployé ses ailes , a pris son peuple dans ses
bras et l'a porté sur ses épaules. » On dirait que Moïse s'a-
* Proplî. Isaïae, cap. xlix , v. 26. « Et cibabo hostes tuos carnibus suis; et quasi musto,
«sanguine suo inebriabuntur. » — Ibid. cap. lxvi, v. i5 et 16. «Quia ecce Dominus in
" igné veniet, el quasi turbo quadriga? ejus, redderc in indignatione furorem suum , el
c increpationem suam in flamma ignis. Quia in igné Dominus dijudicabil, et in gladio
suo ad oinnem carnem, et multiplicabuntur interfecti a Domino. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. J95
dresse aux gnostiques , lorsqu'il s'écrie : « Ah ! s'ils avaient
la sagesse ; ah ! s'ils comprenaient et prévoyaient à quoi ces
choses doivent aboutir \ » Mais les gnostiques s'endurcirent,
refusèrent de comprendre, et prirent en exécration Dieu le
père et cette dure justice qui anime tout l'Ancien Testament.
La secte insensée nia qu€ Jéhovah fût un Dieu; elle le regarda
comme un affreux tyran, altéré de sang et affamé de mort;
comme un père jaloux de son fils, qu'il condamne au supplice
infâme de la croix. Elle brisa ses images, qui furent remplacées
par celles de Jésus-Christ, son Dieu chéri, et défendit qu'à
l'avenir Dieu le père fût représenté par la sculpture ou la pein-
ture. Dan« son Histoire littéraire de la France, M. J. J. Ampère
dit^ : « 11 est des gnostiques qui se rattachent au judaïsme,
hellénisé, platonisé, si je puis parler ainsi, par Philon ^.
Les opinions de Cérinthe, un des plus anciens gnostiques,
touchaient en plusieurs points à la théologie judaïque; mais
le gnosticisme alla s'en écartant toujours davantage, et finit
par en venir à une opposition violente, à une haine furieuse
de Jéhovah. Frappé des différences de l'Ancien Testament
et de l'Evangile , ne pouvant concilier le Dieu exclusif et
impitoyable des Juifs avec le Dieu universel et miséricor-
dieux des chrétiens, Marcion fit de Jéhovah un démiurge
inférieur et mauvais , ennemi du bien, ennemi du Verbe,
ennemi du Christ, qui excite Judas à le trahir, et finit par
le faire crucifier.
«Inspirés par la même aversion, les ophites, autre secte
gnostique, voyaient dans le Dieu des Juifs non-seulement un
' Liber Deuteronomii , cap. xxxn , v. lo , 1 1, 22 , 24, 25 , -jg.
' Hist. litt. de la France, lom. I, p. 178-180.
^ Une portion du gnosticisme est en germe dans Philon. Il y a chez lui des Ofons, et
parmi eux, Sophia, la Sagesse, qui devint, pour les gnostiques, la mère des êtres; mais
chez Philon tout est plus purement métaphysique.
25.
196 INSTRUCTIONS.
être méchant, mais un être stiipide; ce Dieu, qui s'appelle
Jaldabaoth, attend un messie charnel, et quand le Messie
véritable arrive, il ne le reconnaît pas. Le Messie va s'asseoir
à sa droite, toujours sans être reconnu, et de là il attire à lui
le principe de la vie des êtres, pour détruire la création vi-
cieuse de Jaldabaoth et faire tout rentrer dans le sein de
l'unité infinie. Les ophites interprétaient d'une manière
étrange la chute de l'homme par le serpent; selon eux Jalda-
baoth, ce mauvais démiurge adoré par les Juifs sous le nom
de Jéhovah, avait été jaloux de l'homme et l'avait voulu frus-
trer de la science; mais le serpent, agent de la sagesse supé-
rieure , était venu enseigner à l'homme ce qu'il avait à faire
pour reconquérir la connaissance du bien et du mal ; en
conséquence, les ophites adoraient le serpent et maudissaient
Jéhovah. On peut croire que, dans ce rôle donné au serpent,
il entrait quelques réminiscences des religions phénicienne et
égyptienne, où le serpent était considéré comme une divinité
bienfaisante. D'autres furent appelés caïnites parce que, tou-
jours dans le même esprit, ils honoraient Caïn , ils hono-
raient tous ceux qui sont réprouvés dans l'Ancien Testament;
ils honoraient les villes frappées par la foudre du ciel et la
pluie de feu. »
Eh bien ! il semble que l'art ait partagé cette hérésie; car
aux époques anciennes, sur les sarcophages, les fresques, les
mosaïques, les verres sacrés, les vieux ivoires, on ne voit pas
la figure de Dieu le père, ou bien elle est incomplète et vrai-
ment humiliée. L'art lui garda rancune très-longtemps. Ce
fut assez tard et petit à petit qu'il se décida à le représenter
convenablement.
H ne faut pas s'étonner que le gnosticisme ait pénétré dans
fart chrétien et ait eu de l'influence jusque dans nos cathé-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 197
drales occidentales. En efïet, M. Raoul-Roclietie a prouvé
que les plus anciennes images du Christ , de la Vierge et
des principaux apôtres étaient toutes de fabrique gnostique,
et que de cette source, tout impure qu'elle fût, nous était
arrivé le portrait de Jésus, de sa mère et de ses disciples'. Il
ne faudrait pas croire non plus que l'art ait toujours été par-
faitement orthodoxe ; une simple observation pourra prouver
le contraire. Tous les livres apocryphes , sans exception , ont été
condamnés à plusieurs reprises, depuis le v^ siècle, par le pape
Gélase P^ jusqu'au xvf, par le pape Paul IV; pendant tout le
moyen âge, l'autorité pontificale s'est élevée contre les apociy-
phes. Aux papes se sont unies les plus hautes et les plus saintes
intelligences du christianisme. Ainsi saint Athanase, saint Cy-
rille de Jérusalem, saint Augustin, Eusèbe de Césarée, Tertul-
lien, entre autres; ainsi des auteurs ecclésiastiques, Baronius,
Bellarmin, Ellies du Pin, le Nain de Tillemont, n'ont pas d'ex-
pressions trop dures pour stigmatiser cette poésie légendaire.
En tête de la compilation des apocryphes faite par Fabricius,
ont été recueillis tous les témoignages et toutes les censures qui ,
à toutes les époques, depuis le m'' siècle jusqu'au xvii^ inclusi-
vement, ont été portés contre les apocryphes. Le pape Gélase
affirme que Leuticius ou Leucius, le plus fécond des auteurs lé-
gendaires, est un disciple du diable; Eusèbe de Césarée déclare
que les apocryphes sont absurdes et impies; saint Athanase
veut qu'on les rejette comme spurii; Paul IV les proclame in-
dignes de foi et les repousse parmi les écrits condamnés. Le Nain
de Tillemont assure qu'Abdias, premier évêqu6 de Babylone et
auteur du combat des apôtres, un des principaux livres apo-
cryphes, est un inventeur. Ellies du Pin est de l'avis de Tille-
' Discours sur les types imitatifs qui constituent l'art du christianisme; in-8°. Paris, i83/i,
p. 17 et 18 entre autres.
198 INSTRUCTIONS.
mont, et dit que les apocryphes sont indignes de foi , pleins de
folies, de contes et de fables. Les légendes apocryphes sont donc
bien condamnées, anathématisées , déclarées anticanoniques;
néanmoins la plupart des légendes peintes sur les vitraux , sculp-
tées sur les portails de nos cathédrales, sont tirées textuelle-
ment de ces apocryphes, et des plus célèbres, et de ceux qui
sont désignés nominativement dans les anathèmes, à savoir:
de l'Evangile de l'enfance, de la Petite Genèse, du Combat des
apôtres, de l'Evangile de Nicodème. A Chartres, la vie de saint
Jean évangéliste, peinte dans le latéral du sud ; les vies de saint
Thomas, de saint Jacques, de saint Simon , de saint Jude, de
saint Pierre, de saint Paul, qui brillent aux fenêtres de l'abside,
sont extraites du Combat des apôtres, lequel est condamné
comme un livre de fables. Saint Augustin réprouve la cruauté
apocryphe de saint Thomas, et cependant elle est sculptée
dans l'église de Semur, et peinte dans la cathédrale de Bourges ^
Il faut reconnaître que des sujets tirés des livres anathématisés,
hérétiques, composés surtout par les gnostiques, étaient et sont
encore peints sur verre et sculptés dans la pierre, au sein de
nos plus grands et plus catholiques monuments. Il est donc
croyable que la haine des gnostiques contre Dieu le père aura
pu survivre et se propager dans le cœur des artistes chrétiens,
et que si Jéhovah est maltraité par l'art, c'est qu'un sentiment
gnostique animait l'art, peut-être à son insu.
A cette première cause a pu se joindre la crainte de faire
une idole.
Jéhovah, Dieu le père, c'est le Dieu de la force, le Dieu
des armées et des combats ^ ; le Dieu qui épouvante et devant
Legendd aurea. De sancto Thoma apostolo.
Voyez dans la Bible, aux Psaumes particulièrement, toutes les épithetes guerrières
et violentes données à Jéhovah.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 199
lequel il faut toujours trembler K Jupiter, qui détrône son
père, qui terrasse les Titans, qui propose à tous les dieux de les
enlever suspendus au bout d'une chaîne, c'est aussi le Dieu
de la force et des batailles. L'analogie des attributions étant
flagrante, faire le portrait de Dieu le père c'était s'exposer à
représenter Jupiter, et à solliciter la dévotion des chrétiens
pour une image qui aurait rappelé la grande idole olympique
si vénérée chez les païens. La propension à représenter Jé-
hovah en Jupiter devait être si grande, qu'on songeait, dès
les premiers siècles de l'église, à donner la physionomie de
Jupiter à Jésus-Christ lui-même, à cet agneau mystique qui
représente le côté divin de la douceur, de la charité^, et non
pas de la force. En effet un artiste chrétien voulut dessiner
une tête du Christ d'après une image de Jupiter, mais sa
main, subitement desséchée, ne reprit son état naturel que
par l'intervention miraculeuse et les prières de Gennadios,
archevêque de Constantinople ^. 11 y avait donc surtout péril
! « Adorabo ad templum sanctum tuum in timoré tuo,» dit le psaume v, verset 8;
« Pavete ad sanctuarium meum , » dit l'inscription judaïque sculptée sur le trumeau de
la porte centrale, portail occidental, à Saint-Germain-l'Auxerrois.
' «Jésus cura dilexissel suos qui erant in mundo, in finem dilexit eos. — Sicul di-
« lexit me pater, et ego dilexi vos. Manete in dilectione mea. » (Saint Jean, chap. xiii,
V. i; chap. XV, V. g.)
* Theod. Hist eccles. lib. 1, cap. xv; S. Jean. Damas. De imaginibus , orat. III, p. 386,
387. — Voici le texte de Théodoret : « Pictori cuidam, qui Christi Domini pinxerat imagi-
« nem, manus ambse exaruerunt. Ferebatur autem Gentilis cujuspiam hominis jussu hoc
« opus, sub nomine Salvaloris specie ita pinxisse, ut capillis ex utraque oris parte discretis
«faciès nullatenus tegeretur (ea utique forma qua pagani Jovem pingunt), ut ab iis qui
« ipsum vidèrent Salvatori adorationem offerre existimaretm\ » — Au xiv^ siècle , Dante
( Purgatoire, chant vi") appelle Jésus souverain Jupiter:
«O summo Giove ,
uChe fosti '11 terra per noi crocifisso.»
A l'extrémité chronologique opposée à celle de Théodoret, et presque de notre temps,
c'est encore dans les traits de Jupiter qu'on a cherché l'idéal de Jésus-Christ. Effective-
ment Poussin avait fait, pour un noviciat de jésuites, un tableau représentant saint
200 INSTRUCTIONS.
à fixer le génie des artistes et la piété des fidèles sur une fi-
gure comme celle de la première personne divine, à laquelle
on aurait prêté certainement les traits du père des dieux païens.
Il y avait moins de danger pour Jésus, dont la vie, les attribu-
tions et la physionomie s'éloignaient complètement de celles
des divinités païennes; et quand un artiste s'oubliait, comme
celui dont parle Théodoret, un miracle en faisait justice; ce
qui n'empêchait pas l'art de s'exercer sur ce type, inconnu aux
anciens, d'un Dieu-homme et mourant pour les hommes. Il
était moins possible de confondre Jésus avec aucune divinité
païenne; il y avait donc peu de danger à le figurer. Les ico-
noclastes eux-mêmes, et les plus rigides, ne pouvaient donner
contre Jésus les raisons qu'ils cherchaient à faire prévaloir avec
énergie contre le Père. De là cette rareté des portraits de Jého-
vali et cette multitude des portraits de Jésus.
La troisième cause est la ressemblance identique du Père
et du Fils fondée sur des textes sacrés.
«Qui me voit voit celui qui m'a envoyé, dit Jésus-Christ
lui-même '; moi et mon Père nous ne sommes qu'un^; sachez
que je suis dans mon Père et que mon Père est en moi ^ » L'art,
prenant ces textes à la lettre , a dû souvent représenter Dieu le
père sous la forme de son fils. Lorsque, dans les sculptures de
François Xavier; on lui reprocha d'y avoir figuré le Christ en Jupiter tonnant. Poussin
répondit qu'il n'avait pas dû s'imaginer le Christ avec un visage de torticolis ou de père
Douillet. ( Voyez Collection des lettres de Poussin; Paris, 182^ , p. gô.) — Donc si de nos
jours, et Michel-Ange, dans son Jugement dernier, en est une autre preuve, des artistes
ont pu s'oublier jusqu'à donner au doux Jésus-Christ les traits de Jupiter, à plus forte
raison, dans les premiers temps du christianisme, alors qu'on était encore aux prises
avec les types des divinités païennes , était-il difficile de ne pas représenter Jéhovah en
Jupiter tonnant. C'est pour éviter ce danger, comme je le présume, qu'on a dû inter-
dire aux premiers artistes chrétiens de figurer Dieu le père.
« Qui videt me videt eum qui misit me. » S. Jean, ch. xii, v. Ub.
' « Ego et Pater unum sumus. « Ibid. ch. x, v. 3o.
•* « Pater in me est et ego in Pâtre. » Ibid. ch. x, y. 38.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 201
Chartres, dans les peintures à fresque de Saint-Savin, près de
Poitiers, dans les fresques du Campo-Santo, dans une foule de
manuscrits, ou bien sur les anciens sarcophages, nous voyons
Jésus créant Adam et Eve, Jésus parlant à Noé, à Moïse, à
Isaïe, c'est probablement Dieu le père qui nous apparaît sous
la forme de son fils, parce qu'en voyant le Fils on voit le Père ,
parce que l'un, qui a pris un corps humain et qu'on a vu parmi
les hommes, est l'image de fautre qu'on n'a jamais vu^
Un autre texte, fondé sur l'un des dogmes les plus fon-
damentaux du christianisme , a provoqué encore la substitu-
tion du Fils au Père dans les représentations figurées. Saint
Jean, dans le premier chapitre de son évangile, déclare que
Jésus, la personne divine qui s'est incarnée, est le Verbe, est
la parole de Dieu ^. Par conséquent, dans toute scène reli-
gieuse où la divinité parle, c'est la figure, non pas du Père,
mais du Fils qui doit se montrer. Le Père peut bien agir, mais
c'est par son Fils qu'il parle. Il faut donc moins s'étonner si la
personne divine qui converse avec Isaïe dans la cathédrale de
Chartres , qui s'entretient avec les prophètes dans nos vitraux
gothiques et nos manuscrits à miniatures, qui reproche leur
désobéissance à nos premiers parents, son crime à Caïn le
fratricide , scènes si fréquentes dans les vieilles sculptures des
sarcophages , est représentée sous les traits de Jésus et non
pas de Jéhovah , puisque la divinité parle dans tous ces su-
jets, et que Jésus est la parole faite chair. De plus, la Genèse
dit que Dieu fit le monde par la parole. Dieu, en efPet, ne se
contente pas de j)enser; mais il parle en créant la lumière,
le firmament, les corps lumineux, les plantes, les animaux
' « Qui est imago Dei invisibilis, primogenitus omnis creaturije, » comme dit saint Paul ,
Ad Coloss. cap. I, V. i5.
" « Verbum caro factura est. »
INSTRUCTIONS. II. 26 *
202 INSTRUCTIONS.
et rjionime : « Dieu dit : Que la lumière soit, et la lumière
lut ^; Dieu dit : Faisons l'homme à notre image et ressem-
blance'. » Les théologiens déclarèrent donc que Jésus, d'après
saint Jean, étant la parole divine , c'était Jésus qui avait créé le
monde, puisque le monde était sorti du néant à la parole de
Dieu. Ainsi Grégoire de Tours , en tête de son Histoire des
Francs, dit : « Au commencementDieu créa dans son Christ, qui
est le principe de toutes choses, c'est-à-dire Dieu créa dans son
fds le ciel et la terre ^. » Ainsi le symbole de Nicée, qui se lit ou
se chante tous les jours à la messe, déclare que toutes choses
ont été créées par le fds unique de Dieu ^. Assurément la Tri-
nité tout entière a concouru à la création ; mais c'est le Fils
qui en a été l'agent essentiel , l'artiste principal ; c'est à lui
qu'elle est attribuée spécialement sinon uniquement. Donc
lorsqu'un artiste, rigoureusement théologien comme le sculp-
teur de la cathédrale de Chartres ou comme le peintre de
l'église de Saint-Savin, ne représentait pas la Trinité entière
à la création, mais une seule personne divine, c'est le Christ
qu'il devait figurer, et non pas Dieu le père, ni le Saint-Esprit,
Au xv" siècle, et surtout à la renaissance, les principes théolo-
giques s'étaient énervés; aussi la plupart du temps, à cette
époque , c'est le Père qu'on représente créant le monde , et
non le Fils, non le Verbe. D'ailleurs, en ce temps, la théologie
était subordonnée à l'histoire; or, selon l'iiistoire, le Fils n'étant
pas encore incarné à l'époque de la création , on se fit un scru-
pule de le montrer, et on mit le Père à sa place. Enfin l'art,
devenu plus bardi , ne fut pas fâché de lutter avec cette impo-
Genèse, chap. i , v. 3.
' Ibidem, v. 26.
Hist. Ecclesiast. Franc, lib. 1, n" 1. «Domiiius cœliim terramque in Christo siio
« in filio suo formavit. »
« Jesum Christum , Filium Dei , unigenilum. . . . per quem onania fada sunt »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 203
santé figure de Jéhovah; ce type idéal et sul)lime, il chercha à
le réaliser. C'est Dieu le père et non pas le Fils , c'est le Père
vénérable, à barbe blanche, mais puissant de physionomie, qui
crée le monde et débrouille le chaos dans les joeintures de Ra-
phaël. Une fois qu'on eut fait une figure au Père, le Père kit
représenté dans toutes les scènes de la Bible. On ne s'inquiéta
plus de savoir si le Fils avait fait la création et avait parlé, en
sa qualité de Verbe, aux personnages de f Ancien Testament;
on le confondit, lui qui est éternel, avec Jésus qui est né dans
le temps. On se dit : dans l'Ancien Testament le Christ n'est pas
né encore; donc, toutes les fois qu'il s'agit de Dieu, c'est le
Père et non le Fils qui est désigné, c'est le Père et non le Fils
qu'il faut représenter. On était dans la vérité chronologique
ou plutôt historique, selon le sens humain du mot, mais on
sortait de la vérité théologique. Raphaël tout le premier, lors-
qu'il peignait pour les papes des sujets de l'Ancien Testament,
la création et d'autres scènes où Dieu paraît , s'écartait du vrai
dogme chrétien en figurant le Père. De nos jours tout peintre
et tout sculpteur qui voudrait représenter la création devrait
donc figurer la Trinité tout entière; mais s'il n'en prenait
qu'une personne, il faudrait que cette personne fût le Verbe
ou le Fils de Dieu. La doctrine théologique et le gnosticisme
ont été les deux causes les plus puissantes qui aient produit,
en iconographie chrétienne, la rareté des portraits de Jéhovah
et la fréquence des portraits de Jésus.
Une autre raison encore, mais purement esthétique, a pu
donner le même résultat. Il est possible que ce résultat soit sorti
d'une pensée diamétralement contraire à celle des gnostiques.
L'idée d'un Dieu créateur de l'univers et maître souverain
de tous les êtres, d'un Dieu que fimagination la plus auda-
cieuse ne peut se figurer que très-incomplétement, d'un Dieu
26.
204 INSTRUCTIONS.
qui, d'un rayon de ses yeux, fait la lumière du jour, et, d'un
souffle de sa bouche, crée les plantes et les animaux \ une
idée pareille a dû faire reculer les premiers artistes chré-
tiens ; car aujourd'hui encore elle donne des éhlouissements
à dOs plus grands poètes , et Raphaël lui-même ne l'a tra-
duite que très-imparfaitement. Quant à Jésus-Christ, on l'a-
vait vu , on avait décrit au long sa physionomie , on avait
fait son portrait; la témérité était moins grande pour le re-
présenter. Soit donc par difficulté de se figurer Dieu le père,
soit par respect devant cette majesté redoutable et par une
sorte de crainte religieuse, les artistes n'osèrent s'exercer sur
un pareil sujet que dans la suite des temps et après de nom-
breux essais.
Il faut le dire enlin, les premiers chrétiens, jusqu'aux v'' et
vi*" siècles, furent assez mal disposés pour les images en géné-
ral; tous étaient iconoclastes, ceux-ci un peu plus, et ceux-là
un peu moins. On sortait du paganisme, qui faisait consister
presque toute sa religion à fabriquer et adorer des statues et
des images; en outre, le christianisme procédait du judaïsme,
lequel proscrivait toute représentation de Dieu ou des hommes.
On ne doit donc pas s'étonner si, pour trancher plus éner-
giquement avec les idolâtres, et si, pour s'écarter un peu
moins de la loi ancienne que l'on complétait et que l'on ne
détruisait pas , on s'efforça de contenir les artistes et de les
empêcher de représenter la divinité par la sculpture et la
peinture aussi souvent qu'ils l'auraient désiré.
Il y a de ce fait un exemple curieux. Saint Jean Damascène
n'était certes pas un iconoclaste, puisqu'il a fait des discours
contre les iconoclastes et contre Léon l'isaurien, comme Dé-
«Qui cœlum palmo metitur, ac terram manu continel, el piigillo aquam claudil. »
(0pp. S. Joh. Damas.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 205
mosthène contre Philippe; et cependant il déclare positive-
ment qu'il ne faut pas représenter la nature divine , parce
que personne ne l'a vue ^ Il permet seulement de figurer le
Fils de Dieu, parce que, «par une bonté ineffable, le Fils
s'est fait cliair, s'est montré sur la terre sous la forme hu-
maine, a conversé avec les hommes, a pris notre nature,
notre corps épais et lourd, la figure et la couleur de notre
chair. Nous ne sommes donc pas dans l'erreur, ajoute- t-il,
lorsque nous représentons son image, car nous désirons voir
sa figure et nous la voyons comme à travers un miroir et
comme en énigme"^.»
Ainsi le Damascène, si éloquent et si large lorsqu'il veut
qu'on représente Jésus-Christ, est restrictif à l'égard du Père.
Si les artistes se permettent de figurer le Père, ce doit être
avec les traits du Fils ; car le Père et le Fils sont un , et qui
voit fun voit fautre. Jésus-Christ, dans l'évangile de saint Jean,
' Dieu dit à Moïse : « Non poteris videra faciem meam : non enim videbit me homo , et
'1 vivet. I) [Exod. cap. xxxiii , v. 20.) — A son tour Moïse dit aux Hébreux : « Locu-
« tusque est Dominas ad vos de medio ignis. Vocem verborum ejus audistis , et formam
•I penitus non vidistis. » [Deut. cap. iv, v. 12.)
^ Voici les textes de saint Jean Damascène: «In errore quidem versarcmur si vel in-
« visibilis Dei conliceremus imaginern ; quoniam id quod incorporeum non est, nec visi-
«bile, nec circumscriptum , nec figuratum, pingi omnino non potest. Impie rursum
« ageremus si e£formatas a nobis bominum imagines Deos esse arbitraremur, iisque tan-
( quam diis divinos honores tribueremus. At nibil horum prorsus admittimus. Sed
•' posteaquam Deus, pro ineffabili bonitate sua, assumpta carne, in terris carne visus est
« et cum hominibus conversatus est; ex quo naluram nostram corpulentamque crassi-
« tiem, figuram item et colorem carnis suscepit, nequaquam aberramus cum ejus imagi-
« nem exprimimus. — Ex quoVerbum incarnatum est, ejus imaginem pingere lice t. »
— Le grand théologien permet donc de figurer le Verbe , parce que le Verbe s'est in-
carné; mais comme personne n'a vu Dieu le père, il défend de le représenter : « Dei , qui
«est incorporeus, invisibilis, a materia remolissimus, iigurœ expers, incircumscriptus
« et incomprehensibilis , imago nuUa fieri potest. Nam quomodo illudquodin aspectum
« non cadit imago representarit ? » ( Voir les OEuvres de S. Jean Damasc. édit. de Paris ,
1712, in-fol. 1" vol. Oralio secunda, de Imuginihus.)
206 INSTRUCTIONS.
dit de lui-même : « Moi et mon Père nous ne sommes qu'un;
je suis dans mon Père et mon Père est en moi. »
Ces divers textes ont été appliqués pendant presque tout le
moyen âge , non pas seulement à la divinité du Père , qui est la
même que celle du Fils, niais encore et surtout à sa figure, à
ses traits. Jusqu'à la fin du xiif siècle , c'est la figure de son fils
que Dieu le père emprunte pour se manifester aux hommes.
Telles sont donc les principales raisons qui peuvent ex-
pliquer ce fait iconographique intéressant de la rareté des por-
traits du Père, de la multiplicité des portraits du Fils, de la
substitution du Fils au Père en une foule de circonstances, et
des honneurs enlevés au Père au profit du Fils. La difficulté de
se figurer Jéhovah et de le représenter était considérable pour
les artistes; cependant je crois que c'est par ressentiment, par
hostilité contre la force et la violence, que l'art a surtout répugné
à représenter Dieu le père , et bien moins , comme on pourrait
le croire, parce que Dieu le père ne s'étant jamais manifesté,
l'art n'osait le représenter et ne savait quelle figure lui donner.
C'était un prétexte plutôt qu'une raison. D'abord Dieu le père
s'est manifesté visiblement et à plusieurs reprises dans l'Ancien
Testament : Moïse l'a vu dans le buisson ardent; il s'est montré
au jDatriarche Abraham sous la forme d'un ange plus majes-
tueux que les autres, et le prophète Ezéchiel le vit semblable
à un homme assis sur un trône et tout environné de lumière ^
D'ailleurs l'art chrétien n'aurait pas reculé devant la création
d'une forme visible pour traduire une substance invisible ;
c'était, au contraire, une magnifique occasion pour sa vive
imagination que d'exprimer matériellement l'idée la plus
Ezéchiel , chap. i , v. 26 et 27 : ^ ... Et super simililudinem throni, similitudo quasi
aspectus iiominis desuper. » Au chap. xliii , v. 3 , Ezéchiel dit encore qu'il revit Dieu sous
la même forme ; « Species secundum aspeclum quem videram iuxta fluvium Chobar. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 207
haute, la plus sublime de toutes, l'idée divine. Certes l'art
eût embrassé avec joie un pareil sujet, lui qui a revêtu d'un
corps tant d'idées, et d'une forme tant d'êtres impalpables et
métaphysiques; lui qui a donné la vie à des abstractions,
et qui a créé ces belles allégories, peintes et sculptées en
hommes et en femmes, de la Liberté, de la Promptitude, du
Courage, de la Foi, de l'Espérance, de la Charité, de la Lâ-
cheté, de l'Avarice, des Arts libéraux, de la Religion juive, delà
Religion chrétienne, des Fleuves du paradis terrestre, et une
infinité d'autres. Si donc il n'a pas représenté Dieu le père,
c'est probablement parce qu'il ne l'a pas voulu , car il l'a pu.
En résumé, le gnosticisme d'une part, le dogme théolo-
gique de l'autre , ont contribué, bien plus puissamment que les
causes voisines, à rendre très-rares les portraits de Dieu le père.
L'histoire archéologique de cette personne première est
donc assez limitée. Nous allons en retracer les principales pé-
riodes.
PORTRAITS DE DIEU LE PERE.
Dans les premiers siècles de l'église, jusqu'au xif, on ne
voit pas de portrait de Dieu le père. Sa présence ne se révèle
que par une main qui sort des nuages ou du ciel. Cette main
s'ouvre en entier et lance quelquefois des rayons de chaque
doigt, comme si c'était un soleil vivant, pour ainsi dire. Ces
rayons expriment la grâce , les faveurs que Dieu répand sur la
terre. Le plus souvent cette main est bénissante et présente
les trois premiers doigts ouverts, tandis que le petit doigt
et celui qui lui est contigu restent fermés ^ Dans la planche
suivante, la main est rayonnante et bénissante tout à la fois.
' Il faut toujours observer la direclion des doigts. La bénédiction grecque diffère,
à quelques égards, de la bénédiction latine; une bénédiction grecque sur une image
latine, et réciproquement, offrirait donc un grand intérêt bistorique.
208
INSTRUCTIONS.
52, MAIN DIVINE RAYONNANTE ET NON NIMBEE.
Miniature grecque du x" siècle.
La gravure est prise sur un manuscrit grec , et la bénédiction
ne se fait pas avec les trois premiers doigts ouverts, comme
dans l'église latine, mais avec l'index ouvert, le grand et le
petit doigt courbés, tandis que le pouce se croise sur l'an-
nulaire pour former un chi (X). C'est la bénédiction grecque ^
' Bibl. royale, Psalterium cumfiguris, grec, n" iSg. — A l'Histoire du nimbe, p. 102,
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 209
On reconnaît à cette main la main de Dieu, parce qu'elle tend à
Moïse les tables de la loi, parce qu'elle arrête le bras d'Abraham,
qui va sacrifier Isaac , parce qu'elle apparaît au moment où
Jésus-Christ baptisé et transfiguré entend cette voix qui part
du ciel : « Celui-ci est mon fils bien aimé, dans lequel j'ai mis
toutes mes complaisances. » C'est donc seulement à cause du
sujet historique, et non par un attribut caractéristique, quon
doit de pouvoir affirmer que cette main est bien celle de Dieu
le père, et n'appartient pas à l'une des deux autres personnes
divines, à un ange ou à quelque saint.
Néanmoins, très-souvent encore, un caractère distinctif
vient s'ajouter à celui que l'on tire de l'histoire, pour empê-
cher qu'on ne confonde cette main avec celle d'un ange ou
d'un saint, si ce n'est avec celle du Fils ou du Saint-Esprit.
On a vu en effet, dans les prolégomènes \ que le nimbe cru-
cifère distinguait Dieu de toutes ses créatures : tout person-
nage orné de cet attribut, et sauf les très-rares exceptions et
nous avons nolé le nimbe transparent de celle belle Nuit (NTS), qui a une tournure
tout à fait antique ; le voile semé d'étoiles qu elle arrondit au-dessus de sa tête , et le flam-
beau qu'elle renverse, parce qu'elle est ennemie du jour, complètent celte allégorie. Le
prophète Isaie est placé entre cette personnification de la nuit et celle de l'aurore. L'Aurore
ou le Point du jour [Ôpdpos] est un petit génie, un enfant de quatre ans environ, à peu
près nu, qui tient un flambeau allumé, debout et non renversé. Le prophète est à la
fin de la nuit et au commencement du jour; la Nuit est donc grande, et le Jour petit
et à sa naissance. La nuit, qui éclaire d'une lumière d'em.prunt, a moins de force que
le jour, qui s'éclaire et s'échauffe à la lumière directe du soleil ; la Nuit est donc une
femme ici , et le Jour un homme , comme le genre des mots qui les nomment est féminin
pour l'une et masculin pour l'autre. Ce tableau remarquable est la traduction parla pein-
ture des divers passages où Isaïe raconte la puissance de Dieu et la mission qu'il en re-
çoit : « Ecce Dominus Deus in fortitudine véniel, et brachium ejus dominabitur. » (Cap. xl,
V. lo.) — «Dabo in solitudinem ccdrum, et spinam et myrlum, et lignum olivae; po-
3 nam in deserlo abielem, ulmum et buxum simul. n (Cap. XLi , \'. i 9.) -— « Ut sciant hi,
« qui ab ortu solis et qui ab occidente, quoniam absque me non est : ego Domhius et
" non aller. Formans lucem et creans tenebras. » (Cap. xlv, v. 6 et 7.)
^ Nimbe, pages /u- 68.
INSTRUCTIONS. — H. ^7
210 INSTRUCTIONS.
erreurs signalées, et résultant ou de l'ignorance ou de la négli-
o-ence de l'artiste, est infailliblement une des trois personnes
divines. Or, souvent cette main est appliquée contre un
nimbe partagé par une croix grecque : donc elle désigne l'une
des trois personnes de la Trinité. Si, d'ailleurs, le Fils et
le Saint-Esprit sont présents, il n'y a plus de doute; c'est
bien la main de Dieu le père. La planche suivante montre le
baptême de Jésus'. Le Christ est dans les eaux et le Saint-
Esprit , en forme de colombe , descend sur sa tête ; Dieu le
père met hors du ciel constellé sa main droite , pour traduire
aux yeux les paroles de l'Évangile: «Celui-ci est mon fds
bien aimé. » Il n'y a pas de doute , cette main est et ne peut
être que celle de Dieu le père.
53. MAIN DE DIEU LE PERE, NI RAYONNANTE, NI NIMBEE, MAIS ENT1EREME^T OUVERTE.
Miniature latine, ix" siècle.
Par analogie, toutes les fois qu'on voit sortir du ciel une main
Ce dessin vient du manuscrit Liber precum, Bibl. roy. suppl. lat. 64 1.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 211
J3énissanle ou rayonnante, quand même les autres personnes
divines seraient absentes (ce qui arrive fréquemment) et
quand même le nimbe croisé ne la caractériserait pas, on
peut être sûr que cette main appartient réellement à Dieu
le père. Ainsi donc, de même que le nom de Jésus -Christ
se résume dans une ou deux lettres, J. C. de même la figure
totale de Jéhovah se résume dans une partie de son corps,
dans sa main. La main est une espèce de monogramme à
l'usage des sculpteurs et des peintres.
Jusqu'au xii^ siècle, cette main représente exclusivement
le Père ; mais , dans la seconde et la troisième période de
l'art chrétien , pendant le règne du gothique et de la renais-
sance, même alors que le Père est figuré, soit en buste, soit
en pied , la main se voit encore de temps en temps ; elle per-
siste jusqu'au xvii^ siècle. Elle se montre avec plusieurs varié-
tés, qui sont plutôt archéologiques que chronologiques; car, à
la même époque , ces variétés se produisent toutes à peu près.
Cette main est donc ou bénissante et ouverte de deux, de
trois doigts seulement, suivant les exemples donnés par les
planches 20 et 62 ; ou donatrice, ouverte entièrement et lais-
sant tomber de chaque doigt des rayons de grâce , comme à
la planche 2 2 , et comme on en verra d'autres variétés plus
complètes à l'Histoire de Dieu le fils ; ou donatrice et bénis-
sante à la fois , à moitié ouverte et rayonnante , comme à la
planche 62. Cette main est sans attribut, surtout aux époques
qui se distinguent, soit par l'absence, soit par la rareté du
nimbe; ou bien elle se pose sur un nimbe qui est ordinaire-
ment divisé par des croisillons , comme le nimbe de la tête
même, mais que, soit par oubli, soit par ignorance, on voit
sans croisillons quelquefois. L'absence du nimbe est constante
dans les fresques des catacombes, les anciens sarcophages et les
912 INSTRUCTIONS.
plus vieilles mosaïques. Le dessin 52, donné plus liaut, offre
la main sans nimbe; ici la main est sur un nimbe crucifère \
5/j. MAIN DIVINE APPLIQUÉE SUR UN NIMBE CRUCIFERE.
Sculpture italienne du xii' siècle, au portail de la cathédrale de Ferrarc.
Dans la série des mosaïques, il n'est pas rare de voir le com-
mencement du bras attacbé à la main. C'est ce qu'en blason
on appelle dextrochère ou sinistrochère , suivant que cette
main, unie au bras, est droite ou gauche.
Le dessin qui suit présente une main divine inscrite dans
une couronne qu'elle tend à Jésus ; l'enfant divin est dans les
bras de sa mère ".
Cetle main donne la bénédiction latine et non la bénédiction grecque. Chez nous ,
la direction des doigts ne semble pas symbolique , tandis que chez les Grecs l'index s'al-
longe comme un I, le grand doigt se courbe comme un G , ancien sicjma des Grecs , le
pouce et l'annulaire se croisent pour faire un X, et le petit doigt s'arrondit pour ligurer
un C. Tout cela donne IC-XC , monogramme grec de Jésus-Christ ( Irja-oiiC XpiarTÔC). —
Cette main , sculptée dans un tympan de la cathédrale de Ferrare, semble apparte-
nir par sa position à un personnage à terre, et qui bénirait, du haut de sa grandeur, des
individus placés plus bas. Page 56 , pi. 20, nous avons donné une main dont la position
est toute différente, et qui descend du ciel au lieu de monter de terre. Au portail occi-
denlal de la cathédrale de Sens , une main divine, appliquée sur un nimbe crucifère, des-
cend également du ciel et bénit, du sommet de la voussure, tout un cordon de martyrs
qui montent , à droite et à gauche , le long des branches de l'ogive.
Vetera moninienta, IV partie, pi. 53, mosaïque qu'on voit dans l'église de Sainte-Ma-
rie-la-Neuve (S. Mana-Nova), et qui date de 848. Bosio {Rom. Sott , p. i33) a fait gra-
ver Dieu qui tend de chaque main une couronne à deux saints.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 213
.^)5. MAIN DIVINE TENDANT UNE COURONNE À JESUS ENFANT.
Mosaïque latine du ix° siècle.
Cette couronne, que le Père oflre à son Fils, Dieu la donne
encore aux hommes de bien; c'est la couronne de vie dont il
récompense la vertu. Dans le manuscrit d'Herrade est ligurée
une échelle morale qui va de la terre au ciel ; au sommet ,
au dernier échelon, la main de Dieu, qui est dans les nuages,
tend une couronne triomphale à la Vertu , à la Charité qui a
vaincu tous les obstacles et qui touche au ciel. Dans Herrade,
Dieu récompense la vertu humaine; dans la mosaïque latine,
il rend hommage au dévouement divin, au sacrifice de Jésus.
Depuis la naissance du Christ jusqu'à son retour dans le
ciel après sa résurrection, la main du Père dirige, bénit et
soutient les pas du Fils. Lorsqu'au baptême de Jésus par
saint Jean une voix descend du ciel et dit : « Celui-ci est mon
fils bien aimé,» on aperçoit une main, la main du Père,
sortir des nuages, pour traduire aux yeux et par l'art les pa-
roles qui viennent d'être prononcées K Au jardin des Oliviers,
lorsque le Sauveur abattu par une tristesse surhumaine s é-
crie : « Mon Père, détournez de moi ce calice , » une main sort
du ciel , la main du Père , qui bénit son fils et le console '^
Lorsque sur la croix Jésus, prêt à mourir, jette à son Père ces
paroles désespérées : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m'avez-
* Voyez le dessin 53, p. 210.
' C'est ordinairomenl ainsi qu'est rej)résenlé ce sujet ; mais dans Notre-Dame de Pa-
ris , à la clôture du chœur, le Père montre la main et la tête entières.
214 • INSTRUCTIONS.
vous abandonné! » on aperçoit se dessiner, sur le sommet de
la croix, une main qui bénit, et qui est la main du Père ^
Enfin, lorsque Jésus remonte au ciel après sa passion et tenant
en main sa croix de résurrection, son j)ère lui tend la main
droite et l'aide en quelque sorte à s'élever. Ce dernier sujet,
fréquemment rejDroduit dans les manuscrits à miniatures ^ est
expliqué par ces deux vers d'Alcuin , placés précisément sous
une Ascension peinte^:
'< Dextera quae Palris mundum ditione gubernat
« Et Natum cœlos proprium transvexit in altos. »
Ces mains divines jouent un grand rôle, non-seulement dans
les monuments figurés, mais dans les textes eux-mêmes. Saint
Marc d'Athènes , ermite en Lybie, meurt au iv'' siècle; fâme du
bienheureux est portée au ciel sur une nappe blanche, et là elle
est prise par la grande main de Dieu, qui la place en paradis ^.
' Enlre autres exemples, voyez un vitrail du xii^, peut-être du xi' siècle , qui orne
la galerie absidale de Saint-Remi de Reims. Le saint Jean à nimbe surmonté de deux
héliotropes, page 32 , pi. 3, vient de ce vitrail. M. du Sommerard possède un émail du
xn° siècle, représentant Jésus en croix; au sommet de la croix, comme au vitrail de
Reims, une main paraît, la main de Dieu le père, qui témoigne ainsi de sa présence à la
mort de son fds. Cette main est sans nimbe et sans rayons. Cette présence est plus mani-
festement exprimée par une miniature des Heures latines du xi\° siècle, ms. l\bg de la
bibl. S"-Genev. Là, au crucifiement, le Père éternel se montre dans les nuages et en buste.
C'est un vieillard à longue barbe et à longs cheveux; il est entièrement bleu comme les
nuages qui Tenlourent, et comme le ciel, du haut duquel il assiste à la mort de son fils.
Un manuscrit de la Bibliothèque royale, suppl. lat. 6/48, du xi" siècle, présente
Jésus s'envolant au ciel, les mains et les bras tendus. Jésus, qui a le nimbe crucifère,
regarde la main droite de son Père , qui le bénit en ouvrant les trois premiers doigts. Dans
le bas sont les apôtres et la vierge Marie, auxquels deux anges, qui sont entre ciel et
terre, disent certainement : « Viri Galilaei, quid slatis aspicientes in cœlum? Hic Jésus
«qui assumptus est a vobis in cœlum, sic véniel quemadmodum vidistis eum euntem
« in cœlum. « [Act. Apost. cap. i, v. ii.)
Voyez dans Baluze ( Misceïlanea , IV vol.) les différents vers composés par Alcuin
pour expliquer les miniatures d'un manuscrit carlovingien.
■ Bolland. Mars, III" vol. Vie de saint Marc.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 215
Saint Eucher, évêque de Lyon au v*' siècle, dit que par la
main de Dieu on désigne la puissance divine ^ C'est ainsi que la
main de justice indique la puissance royale; l'idée est la même
dans l'ordre religieux que dans l'ordre civil. Saint Prosper
d'Aquitaine parle aussi de cette main de Dieu qui fait et mo-
dèle Jod , comme un sculpteur modèle une statue ^. Il semble,
en effet, que ce motif provienne de l'Ancien Testament: car,
dans une foule de passages bibliques, il est question de cette
main qui fait toutes choses, qui est l'expression delà puissance
souveraine^, qui façonne l'bomme comme un potier l'argile*. Au
début de sa vision, Ezécbiel dit : « Je regardai, et voilà qu'une
main me fut envoyée; elle tenait un livre qu'elle déroula de-
vant moi, et qui était écrit en dedans et en dehors^. » Enfin,
dans le cbant sublime du Libéra, qui est la suprême et dernière
prière de l'Eglise pour ceux qui ne sont plus , le mort s'écrie :
« 0 mes amis, vous du moins, ayez pitié de moi, parce que la
main de Dieu m'a touché^. » C'est pour la même raison et par
le même symbolisme que le bras a représenté Dieu, et que
cette partie a figuré la puissance divine tout entière. Quand
on voit ce bras dessiné sur nos vitraux , dans les miniatures de
nos manuscrits, dans l'amortissement de nos ogives, on se
^ Liber Formukirum spiritualiiim , cap. i. « Per manum Domini ipsius polestas de-
« monstratur. »
" Exposition des Psaumes, ps. cxviii , au mot Jod.
^ « Omnia haec inanus mea fecit et facta sunt omnia, cujus summa potestas. n (Isaïe,
chap. Lxvi, V. 2.)
* «Sicut lutum in manu ûguli, sic vos in manu mea, domus Israël.» (Jérémie,
chap. xviii, V. 6.)
^ Ezéchiel , chap. ii , v. 9 : « Et vidi, et eccemanus missa ad me, in qua erat involutus
«hber, et expandit coram me, qui erat scriptus inlus et foris. » Au chap. viii, v. 1 et 3 ,
Ezéchiel dit encore : « Et cecidit ihi super me manus Domini Dei. — Et cmissa simili-
« tudo manus apprehendit me in cincinno capitis mei ; et elevavit me spiritus inter ter-
« ram et cœlum. «
° « Miseremini mei , vos saltem amici mei , quia manus Domini tetigit me. »
216 INSTRUCTIONS.
rappelle ce passage du cantique chanté par la vierge Marie en
présence de sa cousine Elisabeth : « Dieu a déployé la puis-
sance de son bras; il a dissipé les orgueilleux, renversé les
grands, élevé les petits ^ Enfin tous ces textes de l'Ancien et
du Nouveau Testament semblent se résumer dans ce motif
que la peinture des églises grecques offre si fréquemment , et
qui représente les âmes des justes, petits êtres humains nus,
priant à mains jointes, dans la grande main de Dieu. Cette
main sort des nuages; après avoir été prendre sur la terre ces
âmes des justes, elle les remonte au ciel, dans le paradis^.
56. LES ÂMES BES JUSTES DANS LA MAIN DE DIEU.
Fresque grecque du xviii° siècle.
Aux xiir et xiv^ siècles, Dieu le père ne se contente plus de
faire paraître sa main ou son bras; il montre sa figure d'a-
' " Fecit polentiam in brachio suo; dispersit superbos mente cordis siii. Deposuit po-
tentes de sede et exaltavit humiles. » — S. Luc, chap. i , v. 5i, 52.
' Ce dessin est tiré d'une fresque de Sdaniine, qui est dans l'église du grand cou-
vent. « Animae justorum in dcxlra Domini. » — Ces peintures de l'église principale du
grand couvent de Salamine nous ont fourni plusieurs dessins , bien qu'elles datent seule-
ment de 1735, parce qu'elles résument parfaitement le système de la peinture byzantine.
D'ailleurs la Grèce, depuis le xi° ou le xii° siècle, est restée stationnaire dans son art,
en sorte que des peintures du xvui" siècle ont encore une grande valeur archéologique.
Une inscription, que j'ai relevée, dit que Georges Marc, de la ville d'Argos , a fait ce
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 217
bord, ensuite son buste, enfin sa personne entière. Le voici
montrant sa face hors du ciel ou des nuages \
57. FIGDRE DE DIEU LE PERE SOUS LES TRAITS DE SON FILS.
Miniature française, xiv* siècle.
Mais alors il n'a pas encore de physionomie à lui , ni de traits
qui lui soient propres. Il faut qu'une inscription , il faut que
le sujet représenté déclarent que c'est bien Jéhovah et non
]Das Jésus, autrement, en vertu des raisons développées plus
haut, on le prendrait pour son fds; car il en a fâge, le costume,
fattitude et fexpression. Comme son fds, et ce qui lui convient
moins bien, il porte le nimbe crucifère, le nimbe marqué de
la croix où Jésus est mort. Dans Saint-Saturnin de Toulouse, au
soubassement du sanctuaire, on voit un bas-relief en marbre
représentant le Père éternel enfermé dans une auréole ovale
et perlée sur les bords. C'est bien le Père, car il est accom-
pagné d'un chérubin, autour duquel est gravée cette inscrip-
tion : « Ad dextram Patpjs chérubin stat cuncta potentis. » Or
ce Père, à la droite duquel se tient le chérubin, est complè-
tement imberbe, comme le Fils dont nous avons déjà donné
des exemples^. 11 porte à la tête un nimbe crucifère, et dont
peintures en lySô , avec le secours de trois de ses élèves. Aujourd'hui l'école d'Argos est
éteinte, et presque tous les peintres chrétiens de la Grèce se sont réfugiés au mont Athos.
^ Manuscrit de la Bibliothèque royale , xiv" siècle , Heures du duc de Berry, folio 65.
La scène représente Jésus-Christ au Jardin des oliviers ; Dieu le père met sa figure hors
des nuages et apparaît à la victime céleste pour la consoler.
^ Pages 37, 53 et 54, pi. 8, 17 et 18.
INSTRUCTIONS. II. 28
218 INSTRUCTIONS.
la brandie transversale est marquée de et, o) ' ; il a de la dou-
ceur dans les traits, de la bonté dans la physionomie; il est
entouré des quatre attributs de ses évangclistes, et tient un
livre où sont écrits ces mots de l'Evangile, ce salut qu'il
adressait à ses apôtres : « Pax vobis. » C'est en tout point le
Jésus - Christ que nous voyons sur les anciens sarcophages,
sur les vieilles fresques des catacombes et sur les plus an-
ciennes miniatures des manuscrits. Comment donc accorder
ces attributs et ces caractères avec l'inscription qui déclare
que ce Dieu est le Père et non le Fils? Cette personne divine
de Saint-Saturnin a beaucoup d'analogie avec le jeune Dieu
que nous donnons ici, et que nous ne pouvons dire avec cer-
titude être Dieu le père plutôt que Dieu le fds.
58. DIEU IMBERBE, PERE OU FILS.
Miniature française du xi° siècle.
Si c'est le Père, il eût été convenable de lui donner de la
barbe; si c'est le Fils, on aurait dû lui ôter le globe pour y
' Je dois ces renseignements à M. Ferdinand de Guilhermy. En pendant au chérubin
qui se lient à la droite du Père, on voit un séraphin qui se tient à la gauche. Les deux
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 219
siibsliluer la croix de la résurrection ou le livre de ses Évan-
giles. Ce dessin est extrait d'un manuscrit qui est à Beauvais,
et qui contient un traité de saint Augustin sur la Genèse. Or,
dans ce traité, il n'est pas question du Fils, mais du Père, du
Tout-puissant qui crée spécialement le ciel et la terre, suivant
le symbole des apôtres ^ Je crois donc que cette image est celle
de Dieu le père, mais du Père caché, pour ainsi dire, sous les
traits de son Fils, carie Père n'a pas encore de figure à lui.
Cependant, déjà au xiv° siècle, surtout dans les manuscrits à
miniatures, on surprend la tendance qui s'empare des artistes
à donner enfin une figure spéciale à Jébovah. Pden n'est cu-
rieux comme d'assister à ces essais timides et successifs d'un
art qui , jusqu'alors, n'avait pas voulu ou n'avait pas pu figu-
rer la toute-puissance divine. Dieu le père, le Créateur. Ils
s'efforcent de le caractériser de plus en plus et de le différen-
cier d'avec son fils. On assiste réellement à la naissance et au
développement de la figure du Père éternel. D'abord, comme
nous l'avons vu, il y a identité entre les deux figures; il est
impossible de les distinguer. Le Père ressemble au Fils comme
deux exemplaires d'un même ouvrage. Ainsi, page 35, plan-
che 6 , on voit la création d'Adam s'effectuant par la coo-
pération des trois personnes divines; il est absolument im-
possible de dire qui est le Père, qui est le Fils. Dans le dessin
précédent, le Père est imberbe comme on représente souvent
le Fiis; dans le suivant, où le Père et le Fils sont barbus, on
anges sont absolument semblables entre eux: il ne serait pas possible de les caractériser
sans l'inscription qui les distingue. Autour du séraphin on lit :
«Possidet inde sacram scrajjLiu sine fine sinistram.»
' Le traité de saint Augustin a pour tilre : de Genesi ad litteram. M. l'abbé Barraud ,
professeur d'archéologie chrétienne au grand séminaire de Beauvais, ne doute pas que
le personnage représenté dans celte vignette ne soit Dieu le père. L'encadrement ou est
la figure forme unO; la première lettre du traité commence par: Omnisdivina script ara.
28.
220 INSTRUCTIONS.
ne peut distinguer l'un de l'autre. Est-ce le Père qui est assis
et qui reçoit son Fils ? mais il tient à la main une croix de ré-
surrection, qui est invariablement l'attribut du Christ. Est-ce
le Fils ? mais il est assis à la gauche de l'autre personne et ,
d'après le texte \ le Fils doit être à la droite du Père. D'ailleurs
ces deux personnes ont le même âge et la même ligure ^.
59. LE PÈRE ET LE FILS À FIGURE IDENTIQUE.
Miniature française, commencement du xiu° siècle.
Puis on paraît saisir une légère difFérence : les deux personnes
sont encore de même âge, de même couleur et de même forme
pour tous les traits de la ligure; mais cependant l'une est plus
accentuée et indique plus de force, l'autre est plus fine et an-
nonce plus de douceur. On dirait de deux jumeaux. C'est à
« Sede a dextris meis. »
' Ce dessin , un peu plus petit, est inscrit dans la lettre D du psaume Dijcit Domiims
Domino meo; il fait partie d'un psautier manuscrit delà bibliothèque de Chartres.
^^
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 221
ces deux figures qu'on peut appliquer ces expressions d'Ovide:
(I Non faciès una, nec diversa tamen. » Dans le dessin suivant,
tiré d'un manuscrit qui date des dernières années du xiii''
siècle \ on reconnaît le Père au globe qu'il j)orte et le Fils à
son livre. D'ailleurs la gauche que tient le Père, tandis que le
Fils est à la droite, vient encore en aide pour les caractériser.
Mais la figure elle-même indique à peine des différences.
Cependant le Fils semble plus mince, le Père plus fort et
plus gros ; il n'est pas sûr que la tête du Christ soit plus ef-
fdée, et celle de son Père plus arrondie.
60. LE PÈRE DIFFÉRANT À PEINE DU FILS.
Miniature française, Gn du xiii° siècle.
On le voit, les nuances sont encore extrêmement fugitives.
Bibl. roy. Heures du duc d'Anjou. Ce dessin représente la Trinité ; le Père et ie
Fils sont unis par le Saint-Esprit, qui va de l'un à l'autre par l'extrémité de ses ailes.
222 INSTRUCTIONS.
Cepeiulant la différence peut déjà se préciser davantage : ce
sont deux frères encore, mais qui ne sont plus jumeaux; il y
a une ou même plusieurs années entre eux. Puis l'opposition
commence à se montrer. A l'un, c'est le Père, la barbe et les
cheveux sont plus longs et moins épais : le retrait des muscles
commence à faire saillir les pommettes, à marquer la figure
de plans plus nombreux. L'autre, c'est le Fils, reste dans l'âge
où il est arrivé au xiii° siècle, c'est-à-dire à trente ou trente-
trois ans.
Tout ce curieux travail iconographique se fait dans le cou-
rant du xiv*" siècle; mais, vers i36o, l'idée de paternité et de
filiation se dégage irrévocablement et se tranche de plus en
plus jusqu'à nos jours, où elle est arrivée à son plus complet
développement. On ne peut plus s'y tromper : Jéhovah est bien
le père de Jésus, et, comme tel, il est plus âgé que son fils
de vingt-cinq, trente et même quarante ans. A.u commence-
ment du xiv'' siècle, c'est encore un père trop jeune pour
qu'il y ait une distance convenable entre lui et son fils; mais
au XVI' et surtout à la renaissance, les proportions de l'âge
sont naturelles et parfaitement, gardées. Ici, dans ce dessin
tiré d'un manuscrit de la fin du xiv" siècle \ le Père est bien
caractérisé. Comme un père de famille entre ses deux enfants,
le Père tient le Fils à sa droite et le Saint-Esprit à sa gauche; il
a de vingt à vingt-cinq ans de plus que Jésus et de quarante
à quarante-cinq de plus que le Saint-Esprit. En outre , par
sa couronne royale, le Père semble encore plus relevé que
les deux autres personnes. Enfin la place d'honneur qu'il oc-
cupe et le globe qu'il tient à la main gauche, comme un em-
pereur, confirment la supériorité que l'âge et les dimensions
de la tête indiquaient déjà.
' Roman des trois pèlerinages , folio 226 verso, Bibl. Sainte-Geneviève.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
G 1 . LE PERE DISTINCT DU FILS ET DU SAINT-ESPRIT.
Miniature française, fin du xiv° siccle.
223
Dieu le père a désormais une figure en propre, figure qui
lui appartient et qu'il ne perdra plus. L'idée théologique a le
dessous; elle est battue par l'histoire, parla réalité humaine.
On est arrivé à une époque de matérialisme. On dédaigne le
dogme qui déclare que le Fils et le Père sont coéternels et de
même âge absolument, mathématiquement; on se jette en
pleine nature, et puisqu'on voit dans la nature que tout père a
vingt ou vingt-cinq ans de plus que son fils, on donne au fils
de Dieu vingt ou vingt-cinq ans de moins qu'à Dieu lui-même.
Ici, dans ce Dieu créateur qui fait sortir Eve du côté d'Adam ',
il faut reconnaître le Père et non pas le Fils. Dès lors, à la
création , ce sera cette figure divine âgée et souvent très-vieille,
ce sera fancien des jours que Ton verra constamment repré-
senté. L'art a conquis enfin cette figure de Dieu le père.
' Vitrail du x\i' siècle, à Sainte-Madeleine de Troyes. Le Père est habillé en pape et
porte une tiare cerclée de trois couronnes royales comme celle du pontife romain.
224
INSTRUCTIONS.
62. LE PÈRE, CRÉATEUR, EN VIEILLARD ET EN PAPE.
Vitrail français du xvi" siècle.
Il y a plus, avant le xv*" siècle, dans les représentations de
la Trinité, c'est le principe de l'égalité des trois personnes qui
prédomine presque constamment. Lorsqu'on figure la Tri-
nité , on fait les trois personnes aussi égales que possible. Le
Père, le Fils, le Saint-Esprit, comme on le verra au chapitre
de la Trinité, sont exactement de même âge, portent le même
vêtement sont ornés du même nimbe et ont quelquefois le
même attribut. Au xv*" siècle, et à plus forte raison au xvf, c'est
la différence qu'on cherche surtout à caractériser. Ainsi, ou
les trois personnes sont distinctes et représentées une à une ,
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 225
comme dans le manuscrit de rAiguillon de l'amour divin , ou
elles sont soudées, incorporées l'une à l'autre, comme dans un
Dante imprimé à Florence en 1 491. Dans le premier cas (ceci
arrive déjà vers la fin du xiv'' siècle) le Père est un vieillard
de soixante à quatre-vingts ans; le Fils, un homme de trente à
trente-cinq; le Saint-Esprit, un adolescent de douze à dix-huit ^
Dans le second cas, les trois personnes n'ont qu'un seul corps
et que deux bras pour elles trois; la main droite bénit, la
main gauche porte un gros globe, qui appartient aux trois
personnes à la fois ; un seul nimbe est à la tête. C'est bien
l'égalité ; mais il y a trois têtes sur ce tronc unique , et les
trois visages sont complètement distincts. Ainsi le Père est
toujours un vieillard; le Fils, toujours un homme mûr; le
Saint-Esprit, toujours un adolescent.
Au XI II'' siècle, lorsqu'on fait les trois personnes égales, alors
que le Fils et le Père ne peuvent se distinguer, le Père revêt
l'âge et la physionomie du Fils^. Aux xv*' et xvl^ on observe
quelquefois le phénomène contraire : c'est le fils qui vieillit et
qui prend l'âge de son Père. Le Fils suit, le Père entraîne.
Entre autres exemples, on citera une Trinité peinte sur le
beau manuscrit in-folio de la bibliothèque Sainte-Geneviève,
et qui contient la traduction , par Raoul de Presles , de la
Cité de Dieu. Le Père et le Fils sont unis par le Saint-Esprit,
qui a la forme d'une colombe et qui touche les deux personnes
divines par l'extrémité de ses ailes. Le Père est en pape, comme
on le représente assez souvent à cette époque ; sa figure est
celle d'un vieillard à longue barbe, à longs cheveux. Le Christ,
' Voirie Roman des Irois pèlerinages, manuscrit à miniatures, du xiv' siècle, et cité
plus haut.
* Nous en avons déjà vu plusieurs exemples, notamment pages 35 et A2 , pi. 6 et
11 ; plus bas, à l'Histoire de la Trinité, nous en aurons d'autres encore. Il y a suraljon-
dance de preuves. . j|^
INSTRICTIONS. II. "^HT^^ 29
226 INSTRUCTIONS.
qui est à sa droite , semble son reflet , car il est presque aussi
vieux. Sa barbe est un peu moins longue; mais on ne saisirait
pas une différence d'âge dans les traits et les cbeveux : la
tiare et le nimbe de Jésus et de son père sont identiques \
Le Saint-Esprit lui-même , qui affecte presque toujours l'âge
d'un adolescent, rarement celui d'un homme, suit le mouvement
de l'époque et se montre quelquefois vieiLx à l'égal du Père ^.
On peut donc, relativement à Dieu le père, partager le moyen
âge en deux périodes. Dans la première, qui est antérieure au
xiv^ siècle, la figure du Père se confond avec celle du Fils; c'est
le Fils qui est tout-puissant. et qui fait son père à son image et
ressemblance. Dans la seconde période, après le xiii^ siècle, jus-
qu'au xvi% Jésus -Christ perd sa force d'assimilation iconogra-
phique, et se laisse vaincre par son père; c'est au tour du Fils
à se revêtir des traits du Père, à vieillir et à se rider comme
lui. Quant au Saint-Esprit, lorsqu'il prend la figure humaine,
il est absorbé dans la première période par le Fils, et dans la
seconde par le Père; il subit presque toujours, mais il n'in-
fluence jamais les révolutions iconographiques qui se font au-
tour de lui. L'Esprit se laisse figurer comme on veut. Enfin ,
depuis les premiers siècles du christianisme jusqu'à nos jours,
nous voyons le Père croître en importance : son portrait , d'a-
bord interdit par les gnostiques, se montre timidement ensuite,
et comme déguisé sous la figure de son fils; puis il rejette tout
accoutrement étranger, et prend une figure spéciale; puis,
par Raphaël et enfin par TAnglais Martin, il gagne une grave
et une admirable physionomie qui n'appartient* qu'à lui.
Le dessin de celle miniature sera donné à l'Histoire du Saint-Esprit.
Cité de Dieu, traduction de Raoul de Presles, bibliothèque Sainte-Geneviève. Le
mapuscrit du duc d'Anjou lui-même offre une Trinité dont le Saint-Esprit a la figure
d'un vieillard comme les deux autres personnes. ^^
^r iÙÊt
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 227
Puisque le temps est arrivé où le Père a sa figure spéciale,
il faut tâcher d'indiquer à quels signes on distingue cette per-
sonne divine des deux autres.
ATTRIBUTS CARACTÉBISTIQUES DU PERE ETERNEL.
Avant le xi^ siècle, on reconnaît Dieu le père à cette main
qui sort des nuages , qui est bénissante ou qui tient une cou-
ronne; ni Jésus, ni le Saint-Esprit ne sont ainsi représentés.
Au xif siècle, quand la figure paraît, on ne peut la définir
et l'attribuer avec certitude à Dieu le père qu'autant que
le Fils et le Saint-Esprit sont présents. Dans ce cas, les
attributs que portent les deux autres personnes servent indi-
rectement à caractériser la première. Si l'une tient une croix
et l'autre une colombe, la troisième, qu'elle ait ou n'ait pas
d'attribut, est évidemment le Père. Mais on ne doit pas encore
s'occuper ici de la distinction des trois personnes réunies dans
une même scène; c'est au chapitre de la Trinité qu'il en sera
question.
Le globe, la boule du monde, qui se donne quelquefois aux
deux autres personnes, plus rarement au Saint-Esprit et plus
souvent au Christ, est presque exclusivement réservé au Père,
soit parce que le Père serait considéré comme le principal au-
teur de la Création, soit parce qu'il aurait la puissance en pro-
priété particulière. Cependant ce caractère n'est pas certain,
puisqu'il est attribué quelquefois aussi aux deux autres per-
sonnes. On lit dans la vie de Jeanne d'Arc, que l'héroïne
d'Orléans portait à la main un étendard blanc fleurdelisé, sur
lequel était Dieu avec le inonde dans ses mains; à droite et à
gauche, deux anges tenaient chacun une fleur de lis. Il est
fâcheux que l'archéolQÉie ne puisse pas refaire cet étendard
29.
228 INSTRUCTIONS.
d'une manière certaine et affirmer que ce Dieu était le Père
plutôt que le Fils. On doit cependant, malgré la grande dou-
ceur du caractère de Jeanne d'Arc, croire que c'était le Père,
parce que le Père porte le globe bien plus souvent que le Fils,
et parce qu'il est surtout le Dieu des armées et des combats.
Le livre n'est pas non plus un caractère qui puisse faire dis-
tinguer le Père, car on le met à peu près indifféremment entre
les mains du Père et du Fils,' et même, il faut le dire, il se
donne bien plus souvent au Verbe divin, qui est venu nous ap-
porter rÉvangile ^
Le nimbe crucifère, la nudité des pieds, conviennent éga-
lement aux trois personnes et non pas à fune d'elles plus par-
ticulièrement ; mais le nimbe triangulaire ou en losange est
ordinairement réservé au Père : il est rare que le Fils, il est
plus rare encore que le Saint-Esprit le portent^.
Jusqu'ici donc, rien que d'assez vague. Vraiment, pen-
dant cette seconde période qui s'étend du xn*" au xiv^ siècle,
lorsque Dieu a été représenté seul et non en trinité , il est à
peu près impossible d'affirmer que ce soit le Père plutôt que
le Fils. Aux xiv% xv*" et xvi*" siècles, au contraire, les caractères
se précisent et se multiplient.
L'âge, dans les sujets exécutés avec soin, aide assez bien
à définir le Père. Cette personne a la barbe et les clieveux
plus longs que les deux autres; la figure accuse cinquante,
soixante, quelquefois quatre-vingts ans. La tête est beaucoup
plus forte, que la tête du Fils et surtout que celle du Saint-
Esprit. Ce dernier fait, qui a de f intérêt, n'est pas constant;
mais il est assez fréquent néanmoins. Il semble que la tête,
La gravure 61 offre le Père avec une couronne, le Fils avec un livre et le Saint-
Esprit sans attribut.
Voyez, au chapitre du Nimbe, les pages 60, 61 et.-62.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 229
comme le corps, grossisse avec l'âge, même quand, physiolo-
glquement, la tête ni le corps n'augmentent plus, ou plutôt
diminuent et se retirent. C'est donc une façon grossière et
toute conventionnelle d'indiquer un âge plus avancé. Un
dessin tiré d'un manuscrit de la bibliothèque Sainte -Gene-
viève, de la fin du xv*" siècle, et qui sera placé dans le cha-
pitre de la Trinité , montre ainsi le Père avec une tête double
à peu près de celle du Saint-Esprit et plus forte d'un tiers
que celle de Jésus-Christ. La planche 61 offre déjà en germe
ce fait intéressant.
A la fin du xiv' siècle, pendant tout le cours du xv% dans
les premières années du xvi% on s'ingénia à représenter Dieu
d'une manière digne de lui. Impuissant qu'on était à traduire,
par le simple jeu de la physionomie et par la seule expres-
sion morale, la toute-puissance créatrice et l'autorité souve-
raine qui gouverne les mondes qu'elle a faits, on chercha d-ans
la société le type qui pouvait exprimer le mieux la puissance
suprême, et on en revêtit la Divinité, afin de la rendre sen-
sible à nos yeux. En Italie, le type le plus élevé de la toute-
puissance, c'est le pape, qui est infaillible, qui gouverne les
consciences, qui tient dans ses mains de roi et de pontife le
corps et l'âme des hommes , qui est le représentant de Dieu
sur la terre, qui est le maître des empereurs et des rois. Pour
les Italiens, le pape est ce griffon tout-puissant de Dante, qui
tire sans effort et sans remuer les ailes le char de l'Eglise;
c'est l'animal énergique, aigle et lion, qui entraîne le monde
derrière lui; c'est la double nature de prêtre et de roi, spiri-
tuelle comme l'aigle céleste, et temporelle comme le lion ter-
restre, à laquelle tout est forcé de céder '. En Allemagne, c'est
' Purgaloire, cliaiil xxix. Le pape, comme pontife, a des membres d'or dans la por-
lion du corps où il est oiseau: dans l'aulre, le quadrupède royal a des membres mêlés
230 INSTRUCTIONS.
l'empereur, et non plus le pape , qui est le plus puissant des
hommes; on y regarde comme une usurpation toute préten-
tion de la papauté à élire, à déposer, à punir et à récom-
penser les empereurs; en Allemagne, la puissance impériale
est l'expression visible de Tinvisible Providence. Chez nous
on révère le pape, et l'empereur y est assez honoré; mais le
roi était le maître direct et absolu de la France. Donc, en Italie
où le pape est tout , Dieu a dû être représenté en pape ; en Al-
lemagne, où c'est l'empereur, c'est en empereur qu'on l'habille;
en France, on en a fait volontiers un roi ^ Les autres nations,
l'Angleterre et l'Espagne, ont agi de même. En Angleterre, où
le pape est mal vu depuis longtemps, Dieu ne pouvait prendre
les insignes de la papauté; en Espagne, au contraire, où le pape
possède au moins autant d'autorité que la personne royale,
Dieu devait se montrer aussi souvent en pape qu'en roi.
C'est ainsi , en effet , que Dieu le père nous apparaît ordi-
nairement chez les diverses nations qu'on vient de nommer:
ce qui ne veut pas dire qu'un Dieu roi ou empereur ne se
montre quelquefois en Italie, un Dieu pape ou roi en Alle-
magne, un Dieu empereur ou pape en Angleterre et en France;
mais ce sont des exceptions qui ne sont réellement pas en très-
grand nombre. Une représentation de Dieu le père, pure de
toute influence étrangère, pure de toute idée mystique com-
mune à l'époque ou personnelle à l'artiste, accuse toujours
les différences locales et se teint de la couleur historique qu'on
vient de signaler. En France, par exemple, on voit quelque-
de blanc et de vermeil. Ce triomphe allégorique du Christ et de l'église , décrit si riche-
ment dans le Dante, et peint si splendidement sur un vitrail de Notre-Dame de Brou ,
n'a pas été compris des traducteurs ou annotateurs de la Divine Comédie. Récemment
on a pris ce griffon pour le Christ, et l'on ne s'est pas aperçu qu'en faisant traîner le
char de l'Eglise par Jésus on imposait à Dieu un rôle indigne de lui.
Plus haut , p, 225 , pi. 61, on a donné un exemple de Dieu en roi.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 231
fois Dieu en pape ; mais c'est dans les couvents atteints d'ul-
tramontantsme, c'est à l'époque où l'on est content du pape
régnant, c'est au moment de nos guerres en Italie, c'est quand
l'artiste a une dévotion particulière à la papauté. Même alors,
et dans toutes ces circonstances, la France proteste assez sou-
vent contre cette idée d'assimiler le Père éternel au pape, qui
n'en est-que le vicaire, et de n'en faire ainsi qu'un vice-dieu.
N'osant ou ne pouvant encore s'élever à un type nouveau , le
génie français veut du moins exhausser la Divinité et la placer
au-dessus de la papauté. Ainsi la tiare papale est garnie, sui-
vant les époques , d'une, de deux et de trois couronnes, dont le
nombre indique le degré ou, comme on dirait en mathéma-
tiques, la puissance de la souveraineté. Les Français adoptèrent
cette idée et, quand ils figurèrent Dieu en pape, ils lui mirent
une tiare sur la tête, et une tiare à trois couronnes, puisque
ce nombre indique la plénitude du pouvoir souverain; mais,
plus hardis, ils portèrent ces couronnes jusqu'au nombre de
quatre et même de cinq, pour déclarer que Dieu était bien
au-dessus du pape lui-même. Les vitraux de Saint-Martin-ès-
Vignes, à Troyes, offrent ces curieux exemples, et le suivant,
qu'on a fait graver et qui vient de Saint-Martin, donne ainsi
Dieu le père tenant son fds attaché à la croix. Le Père est vêtu
d'une aube, d'une tunique, d'une chape et d'une tiare, comme
le pape; mais sur la tiare s'étagent, non plus trois couronnes
seulement, mais cinq, toutes décorées de fleurons et de fleurs
de lis comme celles de nos rois de France ^ En Champagne,
Dieu est donc supérieur de deux couronnes au pape.
' On remarquera la chaussure de Dieu dans ce dessin. En iconographie chré-
tienne, Dieu a les pieds nus presque toujours, comme son fds et les apôtres; ici, pour
l'assimiler davantage au pape, on le chausse de ses mules. Un manuscrit de la Bihlio-
ihèque royale [Diblia sacra, n" ôS'iC)), qui est de la Un du xiv' siècle et tout rempli
de miniatures, offre une singulière particularité. Au tableau qui représente Aaron , qu on
232
INSTRUCTIONS.
63. DIEU LE PÈRE EN PAPE, COIFFE D'UNE TIARE À CINQ COURONNES.
Vitrail français, fin du xyi' siècle.
Avant que de se montrer en pajDe, le Père apparaît chez
nous sous le costume d'un roi. Ce roi divin porte la couronne
royale comme Philippe de Valois, Jean le Bon et Charles V;
il tient, comme notre empereur Charlemagne, la boule du
monde; il porte la longue robe et le long manteau; seulement
vient de purifier pour qu'il soil un digne prêtre de Dieu, on voit Dieu ayant un pied nu
et un pied chaussé d'un brodequin noir. Y a-t-ii erreur, y a-l-il intention dans ce fait ? Je
ne m en rends pas compte, mais je croirais volontiers à l'erreur. On remarquera encore
1 absence du Saint-Esprit dans celte représentation de la Trinité sur le vitrail de Troyes;
il en sera question dans le chapitre consacré spécialement à la Trinité divine. Les ar-
tistes, comme les copistes du moyen âge, se sont assez souvent trompés. Les copistes
passaient ou défiguraient un mot; les sculpteurs ou les peintres oubliaient ou dénatu-
raient un attribut caractéristique. Dans une série de sujets il n'est pas rare que les
artistes en oublient un ou deux.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 233
il a les pieds nus et le nimbe crucifère, parce qu'enfin il est
Dieu. C'est à cette couronne royale et à ce globe, réunis à la
longue barbe qui témoigne d'un grand âge, qu'on distingue le
Père du Fils. Un seul de ces caractères ne suffirait peut-être
pas, parce que, ainsi qu'on l'a dit, le globe se donne assez sou-
vent au Fils, et même la couronne royale. Ce dernier insigne
est plus rare sur la tête du Fils : car cette tête est nue, ou
elle porte une couronne d'épines.
Avec ce Père en roi, on traverse tout le xiv^ siècle, et tout
le xv^ avec le Père en pape. Ce pape est ordinairement vêtu de
l'aube et de la cbape; la cbape est souvent absente. Ce pape,
il faut le dire, est une figure quelquefois estimable, mais véné-
rable jamais; elle excite plutôt le mépris que la considération.
Je n'en citerai pour preuve que ce Père éternel qui ouvre la
série des statues dans la clôture du chœur de Notre-Dame, à
Chartres. Certes, l'artiste qui a sculpté ces statues d'hommes
si austères et de femmes si gracieuses n'était pas impuissant à
représenter dignement Dieu le père; et cependant ce Dieu est
habillé d'un costume qui n'a pas été fait pour lui, qui est
beaucoup trop long, qui a beaucoup trop d'ampleur. Une tiare
charge sa vieille tête , une chape couvre ses épaules, une aube
emprisonne son corps, une étole pend sur ses cuisses amaigries;
sa figure est sillonnée de rides sèches et sans puissance ; ce n'est
pas l'expérience ni la plénitude des jours qui ont vieilli cette
figure, mais l'amaigrissement des muscles et la décrépitude.
Cette face n'est pas vieille; elle est usée. Ces yeux sont petits,
éteints et sans force. Dans le dessin qui représente la Trinité, et
dont le Saint-Esprit porte sur la tête la colombe symbolique ^ ,
le Père, qui est en pape, fait vraiment peine à voir. C'est un
vieillard infirme, qui n'a plus la force de tenir sa boule du
' Ce dessin est plus bas , à l'Histoire du Saint-Esprit en homme.
INSTRDCTIONS. II. 3o
234 INSTRUCTIONS.
monde, et qui prend la main du Saint-Esprit plutôt pour s'en
faire un soutien que pour exprimer l'union qui les rapproche. Sa
tête penche sur sa poitrine comme celle d'un vieillard débile; les
joues sont creuses et la face allongée. Dans la Cité de Dieu \
le Père, à longue barbe blanche, est chauve et n'a plus sur le
front qu'une mèche de cheveux, comme un vieillard décrépit.
C'est un spectacle des plus curieux que de voir comment
l'art réfléchit profondément et clairement l'époque qui l'a fait.
Quand la société est gouvernée par le clergé, du v" au ix*" siècle,
l'art est grave, austère; les physionomies sculptées oïl peintes
se teignent de la couleur générale. Jamais ces physionomies ne
se dérident, même pour sourire. Quand, du ix^ au xm^ siècle,
on est sous le régime féodal, les attitudes sont roides; il y a
dans la tournure quelque chose d'arrogant, il y a de l'audace
dans fexpression. Le courage, mais aussi la dureté, éclate dans
tous les traits. Puis, du xiif au xv'', lorsque, dans les communes
émancipées, eut germé et pullulé la bourgeoisie , l'art s'assouplit.
Alors la roideur des époques précédentes se plia à des mouve-
ments nombreux: la sauvagerie descendit à la familiarité, la
noblesse des traits à la vulgarité; l'idéal tomba dans le réel.
Ce fut dans des types vivants que les artistes allèrent cher-
cher leurs modèles pour représenter le Père, et cet anthro-
pomorphisme inférieur remplit nos monuments d'un Dieu
changé en homme et animé des passions mesquines de l'huma-
nité. Cependant l'homme de cette époque, c'était le bourgeois
voulant imiter la noblesse, à laquelle il aspirait, et par consé-
quent ayant encore des semblants d'élévation , des velléités de
distinction. Mais du xv^ au xvf siècle, dans la politique comme
dans fart, fit irruption la foule sans nom , le populaire en hail-
lons, troué aux habits, appauvri de formes et de costumes,
Manuscrit de la bibliothèque Sainte-Geneviève, lo', 11° et 21" miniatures.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 235
porteur d'une physionomie toujours commune et d'une âme
souvent grossière. Cette foule troubla l'esthétique, et donna sa
physionomie épaisse à l'idéal le plus élevé, même à la vierge
Marie; Marie ne se montra plus que sous les traits d'une grosse
femme vulgaire, ainsi qu'elle nous apparaît dans tous les mo-
numents de cette époque.
11 fallait que les grands artistes italiens de la renaissance,
le Pérugin, Raphaël et Michel-Ange, vinssent au monde pour
créer cette admirable figure de l'Eternel , de Jéhovah , de ce
Vieillard divin qui fait trembler la terre, mieux que le Ju-
piter antique, d'un froncement de ses sourcils. Donc, avec la
renaissance, et il était temps, renaquit l'idéal ancien. La re-
naissance remonta à la source de toutes choses, aux origines
du christianisme aussi bien que du paganisme, et la source
est toujours plus limpide que fembouchure. Elle clarifia le
courant esthétique que les deux périodes précédentes avaient
troublé de leur bourgeoisie vulgaire ; elle rajeunit Dieu le père ,
ou plutôt elle le transforma, comme tous les autres types du
christianisme. La renaissance dépouilla Jéhovah de la tiare, qui
fassimilait à un pape, et qui en faisait un vicaire de Dieu plutôt
qu'un dieu ; elle fit retomber de sa tête sur ses épaules une
chevelure blanche et puissante à la fois. Quand on regarde
ces images de Dieu le père, peintes ou sculptées par les ar-
tistes de la renaissance, on sent comme Job un frisson qui
vous agite : on est sous le charme imposant , quelquefois ter-
rible,, qu'on éprouve à l'aspect d'un homme de génie qu'on
voit pour la première fois. Cette belle divinité, ce magnifique
vieillard si serein et si puissant, c'est bien réellement l'Ancien
des jours, le IIctActio^ rm Y\fxi^cù\ des Grecs.
La renaissance est donc l'époque où Dieu le père triompha
de l'oubli, des injures, des hérésies, des grossièretés, des
3o.
236 INSTRUCTIONS.
vulgarités des époques antérieures. Ce soleil divin eut enfin
la force de percer toutes les couches de nuages jaloux ou
vulgaires que les époques chronologiques avaient amoncelés
autour de lui. Depuis trois cents ans, à peu près, la pre-
mière personne de la Trinité est en possession du rang le
plus élevé. Cette réhabilitation, quoique tardive \ a produit
d'assez bons monuments. Ici, comme on ne doit pas dépasser
le XVI'' siècle ni la renaissance proprement dite , il suffira de
donner les indications qui précèdent. La Dispute du saint
Sacrement, entre autres tableaux de Raphaël, olTre un Père
éternel d'une grande beauté. Ce Jéhovah, que Raphaël nous
a montré créant les grands luminaires de notre globe , et lan-
çant d'une main le soleil dans l'espace tandis que de l'autre il
y jette la lune, est une admirable création. Le peintre Martin
a surpassé Raphaël lui-même, dans la cosmogonie qu'il a
dessinée d'après le Paradis perdu de Milton; je regrette que
les limites imposées à mon travail ne m'aient pas permis de
reproduire cette gravure.
Dès lors on ne s'inquiète plus de la théologie. On ignore
que Dieu le père ne doit pas être figuré, puisqu'en parlant ri-
goureusement on ne l'a pas vu ; on ne sait pas ou l'on oublie
que Jésus étant le Verbe , la parole de Dieu , il serait conve-
nable de rejDrésenter le Fils toutes les fois que Dieu parle. On
s'en tient à la réalité historique, et l'on représente Dieu le
père dans toutes les scènes de l'Ancien Testament , à la Créa-
tion, comme au mont Sinaï , comme à l'électron des juges et
des rois, comme à la vocation des prophètes. Quant aux scènes
En Italie, où l'art est plus hâtif, la réhabilitation avait déjà été tentée au xiv" siècle.
Ainsi une sculpture sur bois, qui date de cette époque et dont on donnera le dessin plus
bas, montre le Père sortant du ciel à mi-corps pour bénir son fds que saint Jean baptise
dans le Jourdain. Dieu le père est déjà un assez beau vieillard et fait pressentir les admi-
rables représentations des grands artistes italiens du xv* et du x\f siècle.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 237
du Nouveau Testament , on fait assister Dieu le père au bap-
tême, à l'agonie, à la mort et à l'ascension de son fils.
Enfin, au xvi'' siècle, on représenta la divinité par son nom
seul et une figure géométrique. Le triangle, avons-nous dit au
chapitre du nimbe, est la formule linéaire de Dieu et de la Tri-
nité divine. Dans ce triangle on écrivit en lettres hébraïques
le nom de Dieu, de Jéhovah, et l'on plaça le mot et la figure
au centre d'un cercle rayonnant qui représentait l'éternité.
64- NOM DE JÉHOVAH INSCRIT DANS UN TRIANGLE RAYONNANT.
Sculpture en bols , xvii^ siècle.
Dieu le père ou Jéhovah occupe donc le champ de la Tri-
nité, qui est inscrite elle-même dans l'éternité. Cette formule
abstraite eut beaucoup de succès, et aujourd'hui, dans une
foule d'églises , au centre de ces gloires dont nous avons parlé ,
ou bien au milieu du maître-autel, ou sur les voiles des ca-
lices, ou sur le grémial des évêques, ou sur le chaperon des
chapes et le dossier des chasubles brillent en or ces lettres,
ce triangle et ce cercle rayonnant. Une belle tapisserie du
xvi^ siècle , qui se conserve dans le trésor de la cathédrale de
Sens , offre un des plus brillants exemples de cette représen-
tation; celui que nous donnons est emprunté à l'église de Haut-
238 INSTRUCTIONS.
villers, près de Reims. Dans la chapelle du palais de Versailles,
au centre de la gloire qui garnit le fond du sanctuaire, brille
un triangle divin et lumineux à peu près semblable.
Après le chapitre sur le nimbe, l'auréole et la gloire, nous
n'avons plus rien à dire sur la forme de ces attributs que l'on
donne à Dieu le père. Le nimbe de Jéhovah est circulaire et
timbré d'une croix ; mais quelquefois Raphaël et les Italiens
mettent à leur Père éternel en ancien des jours le nimbe carré,
le nimbe en losange, le nimbe triangulaire ou le nimbe rayon-
nant. D'autres fois, le nimbe disparaît, l'auréole elle-même
s'évanouit, et, du corps entier de Dieu, sort une lueur diffuse,
ou bien une lumière à rayonnement tantôt droit et tantôt
flamboyant ou onduleux. Alors on se rapproche des textes
sacrés et de l'idée que les grands poètes, comme Dante, se
faisaient de la Divinité. Dans l'Ancien Testament, en effet,
Dieu marche constamment environné de feux et de flammes.
Quand Ezéchiel entrevoit Jéhovah sous la forme d'un homme,
il dit : « J'eus une vision. Quelqu'un me parut comme un feu
ardent. Depuis les reins jusqu'en bas ce n'était qu'une flamme;
depuis les reins jusqu'en haut c'était comme une splendeur
et une apparence d'or mêlé à de l'argent ^ »
Quant à Dante, il fait de la lumière divine, où se plongent
les anges et les saints, cette description éblouissante : «Une
lumière est là-haut ; elle rend le Créateur visible à la créa-
ture qui, à le voir lui seul, sait mettre toute sa paix. Elle s'é-
tend en une ligure circulaire si démesurée, que sa circonfé-
rence serait pour le soleil une ceinture trop large. Tout ce qui
en apparaît n'est qu'un rayon réfléchi sur le sommet du Pre-
mier Mobile, qui prend de là sa vie et sa puissance. Et comme
dans feau qui baigne sa base se mire un coteau pour voir, il
' Ezéchiel, cap. viii, v. 2.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 239
semble, sa parure, et combien il est riche et d'herbe et de
petites fleurs; ainsi, suspendues tout autour du fleuve lumi-
neux, je vis s'y mirer, sur plus de mille degrés, toutes les
âmes qui, de notre monde, sont retournées là-haut. Et si le
rang le plus bas concentre en lui tant de lumière , quelle n'est
pas la splendeur de cette rose dans ses feuilles les plus hautes?
Alors, vers le cœur doré de la rose éternelle qui se dilate, s'é-
tage, et qui exhale un parfum de louanges au soleil, cause du
printemps sans fin, Béatrice m'entraîna ^ »
C'est dans ce centre , c'est au foyer de cette éternité lumi-
neuse, que resplendit la divinité. Dante a voulu sans doute
décrire une de ces rosaces à mille feuilles qui éclairent les
portails de nos plus grandes cathédrales^; rosaces contempo-
raines du poëte florentin , et qu'il avait vues dans son voyage
en France. Là, en effet, au milieu du calice de cette rose en
verre coloré, éclate la majesté divine. De tous les degrés de la
corolle, disposée en amphithéâtre; de tous les cordons hiérar-
chiques de la rosace, semblent accourir, pour se mirer dans la
source centrale, d'abord les innombrables légions des anges,
puis les âmes des patriarches, des juges, des rois et des pro-
phètes; enfin celles des apôtres, des martyrs, des confesseurs
et des vierges.
DIEU LE FILS.
Si la figure du Père, exposée au mauvais vouloir et même
aux injures des hérétiques, à la vulgarité et à l'impuissance
des artistes, a soufl'ert pendant toute la durée du moyen âge,
il n'en a pas été ainsi de celle du Fils. Jésus est l'auteur du
' Divine Comédie , Paradis, chant xxx.
Parliculièremeiit à Paris, à Reiras el à Chartres.
240 INSTRUCTIONS.
christianisme; c'est de lui et non pas dé Jéliovah que la reli-
gion nouvelle prend son nom. Aussi les chrétiens lui furent-
ils ro'connaissants comme des enfants envers un père. Dans les
sentiments comme dans fart, qui est le miroir et l'expression
matérielle des idées, Jésus-Christ eut un règne glorieux depuis
les catacombes jusqu'à nos jours. C'est la personne divine à
laquelle l'art a toujours rendu et rend encore les plus grands
honneurs.
Le christianisme n'a pas élevé une seule église à Dieu le
père en particulier; il en a dressé, au contraire, une quan-
tité considérable à Dieu le fils, sous le nom de Saint-Sauveur \
de Sainte-Croix, de Saint-Sépulcre, de Sainte-x\nastasie. La
cathédrale d'Aix est dédiée'à Saint-Sauveur, celle d'Orléans
à Sainte- Croix. La célèbre église de Florence, où reposent
Dante, Michel -Ange, Machiavel- et Galilée, s'appelle Santa-
Croce. Les églises de la Résurrection ou de Sainte-Anastasie
abondent en Orient. Les églises du Saint- Sépulcre sont assez
communes chez nous, où les chapelles de ce vocable sont ex-
trêmement nombreuses; à Cambridge et à Northampton, en
Angleterre, deux églises circulaires s'appellent Saint-Sépulcre.
Il paraît même que la Sainte-Sophie de Constantinople aurait
été consacrée plutôt à la sagesse divine de Jésus-Christ qu'à
celle du Père ou de la Trinité complète. A Paris, l'église du
Val-de-Grâce est dédiée à Jésus enfant^.
* Des églises , des abbayes , des villages , des bourgs et même des villes portent le
nom de Saint-Sauveur ; un gros village du département du Nord , près de Valenciennes ,
s'appelle Saint-Saulve. Jeanne d'Arc, dans ses derniers moments et sur le point d'être
brûlée à Rouen, demanda une croix; on lui apporta celle de la paroisse Saint-Sauveur,
qui était voisine (M. Miclielet , Histoire de France, V° vol. p. 172). A Redon, il
existe encore une église de Saint-Sauveur. La France possédait autrefois vingt-trois ab-
bayes de Saint-Sauveur; celle de Redon en faisait partie.
'^ Jesu nascenti, comme dit l'inscription tracée sur la frise du portail.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 241
De nos jours encore, dans l'office de l'église, à la fm de
chaque psaume, on chante deux versets, une espèce de refrain
annonçant que le psaume est terminé et qu'on va commencer
l'antienne, qui en est le couronnement. Ces versets sont connus
de tous : « Gloire au Père, au Fils et au Saint-Esprit; comme
au commencement, à présent, toujours et dans tous les siècles
des siècles ^ » C'est une glorification de la Trinité tout en-
tière; mais, dans le diocèse de Reims, quand on la prononce,
le nom du Père passe sans attirer fattention. A peine, au con-
traire, la première syllabe de Filio a-t-elle retenti, que les
enfants de cliœur se lèvent et font une respectueuse révérence
en se tournant vers le grand autel; les prêtres et les chantres
saluent ce nom adoré en ôtant leur coilïure, et les fidèles
s'inclinent pieusement devant ces divines syllabes. On se
redresse, on se rassied, on se recoiffe. Puis arrive le nom du
Saint-Esprit, et ce nom passe comme a passé celui du Père.
Le Gloria Patri nomme le Père avant le Fils ; mais cette pré-
séance est généalogique, et non pas honorifique. Elle exprime
la relation des personnes divines entre elles, et non la dilfé-
rence du culte ou de fhonneur qu'on doit leur rendre.
En chaire , quand les prédicateurs nomment le Père ou le
Saint-Esprit, on n'aperçoit pas le moindre mouvement parmi
les auditeurs; mais que le nom de Jésus-Christ soit prononcé,
et sur-le-champ vous verrez les hommes baisser la tête pour
saluer, et les femmes se signer de la tête à la poitrine, et
d'une épaule à l'autre.
Il fallait être Newton, et l'on cite ce fait comme une particu-
larité curieuse, pourôter son chapeau en entendant prononcer
' Guillaume Durand [Rationale divin, ojfic. lib. V, cap. ii) dil que les deux versels
du Gloria Palri ont élé composés par saint Jérôme et envoyés par lui au pape Damase ,
qui ordonna de les chanler dans les psaumes.
INSTRUCTIONS. — II. 3l
242 INSTRUCTIONS.
le nom de Dieu. AujourtVlmi personne ne se découvre à ce
nom tout seul. Mais, quelque peu religieux que Ton soit, que
cela tienne à l'éducation des mères, ou à la tradition, ou à la
réflexion, on n'entend pas nommer Jésus-Christ sans être saisi
d'un grand respect. C'est involontaire peut-être, mais par cela
même ce n'en est que plus puissant. Au nom de Jésus, s'écrie
saint Paul, il faut que tout genou fléchisse dans le ciel, sur la
terre, aux enfers ^
Il semble que Jésus-Christ résume en lui la divinité tout
entière^. La croisure du nimbe, avons-nous dit plus haut, lut
' i( Ut in noinine Jesu omne genu flectalur cœleslium , lerresirium et infernorum. »
[Epist. ad Philipp. cap. ri, v. lo. ) — Quand on chante le symbole de Nicée, dit
G. Durand [Rat. div. off. lib. IV, cap. xxv, de Symholo), «et cum dicitur ibi : Et liomo
fifactas est, deberaus genua flectere, quia Cliristum hominem factum et pro nobis cru-
u cifixuni adoramus. » Encore aujourd'hui, on fléchit les genoux, ou du moins on s'in-
cline profondément. M. l'abbé Gaume, qui veut bien relire les épieuves de mon tra-
vail, me fait observer que ces honneurs sont rendus à Jésus, parce qu'il est mort pour
nous, et non parce qu'il est la seconde personne divine, le hls de Dieu. Comme se-
conde personne de la Trinité, le Fils n'est pas plus honoré que le Père et que le Saint-
Esprit. C'est uniquement devant le nom de Jésus que l'on se prosterne, parce que ce
nom rappelle directement l'auteur de la rédemption. Quand on dit le fds de Dieu, le
Verbe et même le Christ, on ne salue pas plus qu'en prononçant le nom du Père et
du Saint-Esprit. Dans le diocèse de Reims, si l'on s'incline au Filio du Gloria Patri ,
c'est une exception; partout ailleurs on ne salue qu'à la lin du Gloria, pour rendre
hommage à la Trinité eniière, aux trois personnes réunies. M. l'abbé Gaume est per-
suadé qu'on rend et qu'on a toujours rendu des honneurs égaux à chacune des trois
personnes divines; dans le culte comme dans le dogme, le Fils n'a jamais été plus que
le Pèi'e et que le Saint-Esprit. Je défère respectueusement à cet avis, et j'aurais corrigé
sans peine sur le manuscrit ce que j'ai dit et ce que je vais dire d'opposé à celte con-
viction; mais il faudrait remanier entièrement plusieurs feuilles d'impression. Ce n'est
pas une ou plusieurs phrases que je devrais modifier, mais l'esprit de tout ce chapitre
que j'aurais à faire disparaître. Je conserve donc ce qui est imprimé après les explica-
tions que je donne et les réserves que je viens de faire.
Dans le symbole des apôtres, sur douze propositions, une seule en quatre mots con-
cerne le Saint-Esprit [Credo in Spiritum Sanclum) , une seule en neuf mois est relative
au Père ( Credo in Deiim Palrem, omnipotentem, creatorem cœli et terrœ) ; mais il y a cinq
propositions entières pour Jésus-Christ, lesquelles font matériellement la plus forte moi-
tié de (oui le symbole.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 243
3e signe qui caractérisa le Fils comme les deux autres per-
sonnes; mais cette croix est un insigne qui vient du Christ
et dont se parent les deux autres personnes de la Trinité. En
outre, la plénitude de l'être , la toute-puissance, ne devrait pas
plus appartenir à Jésus-Christ qu au Père et qu'au Saint-Es-
prit; car elle réside dans la Trinité et non pas spécialement
dans une seule personne. Si l'une des trois personnes divines
devait se l'approprier de préférence, ce serait plutôt Dieu le
père assurément ^ Cependant, chez les Grecs surtout, la toute-
puissance et la source de l'être sont attribuées très-souvent el
presque exclusivement à Jésus-Christ. Ainsi, dans le ciel des
grandes coupoles byzantines, brille sur fond d'or la gigantesque
figure du Tout-Puissant, du Pantocrator. Ce mot de Tout-Puis-
sant , qui réveille chez nous l'idée du Père plutôt que du Fils ou
du Saint-Esprit, est en opposition avec cette figure qui a trente
ans , la barbe fine et courte , les traits doux et jeunes. Cette image
pourrait donc être celle du Père sous la figure de son fils, comme
"la rigueur du dogme théologique semblerait le vouloir; mais à
côté de l'inscription o Ila/]ojc^la)p^ on lit celle-ci : it X'^C. On
ne peut s'y méprendre : c'est Jésus-Christ qui domine l'Eglise
grecque comme il domine le monde. D'ailleurs, dans les croi-
sillons de son nimbe crucifère, on voit o av. Ainsi le Christ est
tout à la fois l'être et la puissance par excellence. Les beaux ma-
nuscrits grecs que la Bibliothèque royale possède peuvent four-
nir dans plusieurs de leurs miniatures la vérification de ce fait.
' a Credo in Deum pairem, omnipotentem, creatorem cœli et lerniî, el in Jesuni
« Christum, filium ejus unicum, etc. «Le symbole des apôtres attribue donc spécialemenl
la puissance à Dieu le père. Toute la tradition chrétienne est constante à cet égard;
dans le chapitre consacré à la Trinité, nous donnerons un texte de Richard de Saint-
Victor, qui est formel sur ce point. — Dante [Divine comédie, chant x du Paradis) dit
également que c'est le Père qui crée et ordonne le monde.
* Voyez, entre autres, le manuscrit grec 1 128. — Guillaume Durand remarque dans
•Si.
244 INSTRUCTIONS.
Jésus-Christ, semble donc plus honoré que son père. Le
langage usuel en fournit une nouvelle preuve. Dieu le père
n'y est pas considéré comme notre souverain, comme notre
roi, tandis que nous donnons ce titre à son fds. En tête du
nom de Jésus-Christ, on met Notre-Seigneur, comme on dit
Notre-Dame en parlant de la vierge Marie. C'est qu'en efFet
il y a surtout deux personnes qui gouvernent notre cœur,
Marie et Jésus , la mère et le fds. Voilà les deux étoiles vi-
vantes qui rayonnent sur la chrétienté.
En iconographie, le Dieu par excellence, c'est Jésus. A
toutes les époques et sans interruption , il a été représenté
sous toutes les formes par l'art, et l'art est la contre-épreuve
des croyances. Au temps où le Père ne montrait que la main ,
Jésus apparaissait en pied et à tout âge , imberbe ou barbu ,
à dix-huit ou trente ans. Il faut même dire qu'alors il est très-
souvent et presque toujours représenté sous la forme d'un beau,
d'un adorable adoles.cent imberbe , à figure douce, de quinze
à dix-huit ans, à longs cheveux abondants et bouclés sur les
épaules; il est quelquefois orné d'un diadème ou d'une ban-
delette au front, comme un jeune prêtre des dieux païens.
C'est une figure chérie et que l'art caresse avec amour ^ A une
époque opposée, au xv® siècle, alors que le Père est défiguré par
l'art et abaissé à la condition d'un pape usé de vieillesse et
leRationale (lib. I , cap. m ) que, même dans l'Eglise latine, la toute-puissance est attribuée
à Jésus. Il dit : «Imago Christi... picta ut residens in throno, seu in solio excelso, prae-
« senlem indicat majestatem, quasi dicat : Dala est ei omnis potestas in cœlo et in terra. »
' Voyez les sarcophages dessinés dans la Roma sotlerranea, édition de Rome, 1682 ,
pages 285, 293, 295. Voyez plusieurs sarcophages trouvés dans les Aliscamps d'Arles et
disséminés aujourd'hui dans plusieurs villes du Midi, notamment à Marseille et peut-être
à Toulouse. Dans la jjetite ville de Saint-Maximin , à Tarascon et à Clermonl-Ferrand, j'ai
vu de ces sarcophages où brille ce Jésus imberbe. Dans un village de l'arrondissement
de Reims , dans la cathédrale de Reims même, des sculptures des \' etxiii" siècles mon-
trent le même gracieux adolescent entre les pèlerins d'Emmaùs , après sa passion , et dans
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 245
tombé en décrépitude, Jésus conserve toute sa beauté, tout son
éclat, toute sa dignité. L'art italien est précoce et devance le
nôtre de cent ou même deux cents ans; par conséquent, il a
trouvé, il a exécuté, un siècle ou deux avant nous, le portrait de
Dieu le père. Cependant BulFamalco, dans la première moitié du
xiv^ siècle, peignait encore sur les murs duCampo-Santo de Pise
Jésus-Christ , et non pas Dieu le père , faisant sortir le monde du
néant. Dans la figure de ce créateur, il esî impossible de recon-
naître le Père éternel. Sa jeunesse, les ondes abondantes de sa
chevelure, la hnesse et la rareté de sa barbe, la douceur de sa
physionomie, trahissent tous les traits qui signalent Jésus-
Christ \ Dans le dessin suivant, la personne divine, qui fait
naître les neuf chœurs des anges sous le souffle de sa bouche et
la bénédiction latine de sa main , se révèle encore sous la figure
du Fils et non pas sous celle du Père ^. Ce Dieu de trente à
trente-cinq ans tient le globe, image de l'univers qu'il a créé.
les eaux du Jourdain , à son baplème. Dans la cathédrale de Reims, c'est contre la mu-
raille occidentale, et à rintérieur, qu'on voit ainsi Jcsus imberbe. Il se montre jeune et
souriant à Moïse , du haut du buisson ardent. Puis il passe, toujours imberbe et toujours
plein de sérénité, devant la foule à qui saint Jean dit : « Voici l'agneau de Dieu. » Il con-
venait bien en effet que cet agneau divin, à forme humaine, fût représenté dans un âge
tendre. Enlin Jésus est imberbe lorsqu'il descend dans le Jourdain pour être baptisé par
saint Jean. Ces statues et toutes celles qui tapissent la paroi occidentale de cette cathé-
drale sont des chefs-d'œuvre à soutenir la comparaison devant les plus belles statues de
l'antiquité; le geste, l'expression et le dessin sont presque toujours irréprochables.
' Le dessin de celte belle peinture est donné plus bas, au chapitre de la Trinité.
^ Notre dessin est tiré du Psalleriurn cuinjiguris, Suppl. fr, 1 1 32 ', Bibl. roy. — On j e-
marquera les neufs chœurs des anges, qui sont groupés trois à trois; cette ordonnance
est allégorique et se trouve expliquée dans la Céleste hiérarchie de saint Deiiys l'Aréopa-
gite. 11 en sera longuement question dans l'Histoire de l'Ange. Remarquons, cependant
et au préalable, que ces neuf chœurs sont identiques dans notre dessin. 11 est impossible ,
faute d'attributs spéciaux, de distinguer les Séraphins, les Chérubins elles Trônes, qui
composent le premier groupe; lesDominations, les Vertus et les Puissances, qui forment
le secG«d; les Principautés, les Archanges et les Anges, qui entrent dans le troisième.
Les Grecs caractérisent les anges beaucoup plus nettement.
2/j6
INSTRUCTIONS.
65. LE CRÉATEUR SOUS LA FIGURE DE JESUS-CHRIST.
Miniature italienne, fin du xiii° siècle.
Ainsi donc, pendant tout le cours du moyen âge, le fils de
Dieu n'a cessé d'être représenté sous toutes les formes possibles.
Ici, on ne doit point parler de l'homme divin, ni faire la bio-
graphie archéologique de Jésus ; c'est plus tard , et dans un
travail à part, qu'on fera fhistoire du Christ depuis son in-
carnation dans le sein de Marie jusqu'à son ascension. En ce
moment, on ne considère Jésus que comme Dieu, que comme
seconde personne de la Trinité. La plupart des dessins qui
vont suivre montreront donc le Fils dans l'exercice de ses
fonctions divines et non humaines. On va le voir parlant à
son père près de qui il est assis , ou créant le monde , ou
condamnant Adam et Eve au travail , ou enchaînant la mort
et foulant aux pieds le lion et le dragon , l'aspic et le ba-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 247
silic; ou remontant au ciel après sa vie terrestre, ou rayon-
nant dans une gloire, au sein du paradis et les pieds posés sur
le ciel; ou porté dans l'immensité de l'espace sur les ailes des
Séraphins, ou bénissant le monde du haut du ciel, ou debout
sur la montagne sacrée, d'où s'écoulent les quatre fleuves
mystiques et du haut de laquelle il donne sa loi à l'univers,
son Evangile à ses apôtres; ou jugeant les hommes à la fin des
siècles, ou, enfin, vivant au sein de la Trinité entre le Père
et le Saint-Esprit. C'est encore sous la forme de l'agneau ou
du bon pasteur qu'on le verra , parce que le symbolisme ôte
à ces représentations tout caractère humain.
Cependant quelques dessins le montreront homme et
naissant dans le sein de la Vierge, plongé dans le Jourdain
et baptisé par saint Jean, attaché à la croix et mourant en
présence de Marie, sa mère, et de saint Jean, son ami, parce
que ces diverses représentations serviront à préciser certains
points d'iconographie divine. On donnera aussi plusieurs va-
riétés de croix, parce que la croix sans le crucifié est un sym-
bole comme l'agneau; mais, on le répète, il est question ici
de la seconde personne divine , du fils de Dieu et non dû fils
de l'homme, non de Jésus-Christ ou du divin crucifié.
HISTOIRE DES PORTRAITS DE DIEU LE FILS.
On n'avait pas, contre la représentation du Fils, les raisons
ou les prétextes qu'on alléguait contre celle du Père. D'abord
le Fils s'était incarné; tout le monde avait vu ses traits, tout
le monde pouvait les reproduire. « Puisque , dit le Damas-
cène, celui qui ne peut être vu a pris un corps et s'est mon-
tré , lais donc son image. Puisque l'être qui , comme Dieu ,
n'a ni quantité, ni dimension, ni qualité, a pris la forme
d'un esclave, s'est rapetissé à la quantité et à la qualité, s'est
248 INSTRUCTIONS.
revêtu de la forme d'un corps , peins-le sur des tableaux. Montre
publiquement celui qui a voulu se montrer. Peins son inef-
fable humilité pour nous, sa naissance dans le sein d'une
vierge, son baptême dans le Jourdain, sa transfiguration sur
le Thabor, ses tourments qui nous ont rachetés, ses miracles
qui manifestaient sa nature divine et sa puissance, tandis
qu'il les accomplissait à l'aide de son corps ; sa sépulture qui
nous a sauvés, sa résurrection, son ascension au ciel, décris
tout cela par des paroles ou par des couleurs, dans des livres
ou sur des tableaux ^ » D'un autre côté les gnostiques étaient
dévoués à Dieu le fils. Enfin la théologie déclarait que toutes
choses avaient été faites par le Fils ou le Verbe. Toutes ces
causes réunies produisirent une innombrable quantité de
portraits représentant Jésus.
Les gnostiques , ennemis du Père , avaient proscrit son
image ; mais , favorables au Fils , ils peignirent et sculp-
tèrent la figure du Sauveur dans toutes les dimensions et
sous toutes les formes. Il paraît même , comme le croit
M.Raoul-Piochette, que nous devrions aux gnostiques les pre-
miers portraits de Jésus ^. «C'est pour l'usage des gnostiques
et par la main de ces sectaires, qui avaient entrepris, à di-
' «Quando is qui cerni non potest assumpta carne se conspicuum praebuerit, tune il-
« lius déformes imaginem. Quum ille qui in forma Dei existens , ob naturae suae excel-
«lentiam, quantitalis, et qualitalis, et magnitudinis est exsors, forma servi accepta , ad
«! quantitatcm qualilatemque sese conlraliens, corporis figuram induerit, lum in tabellis
« eum exprime, palamque conspiciendum propone qui conspici voluit. Ineffabilem ipsius
« demissioiiem désigna, nativilatem ex Virgine, baplismum in Jordane,transfiguralionem
<i in Thabor, cruciatus illos, quia cruciatus nos exemerunt; miracula quœ cum carnis
« ministerio patrarentur, divinam ipsius naturam et eflicaciam promerebant. Salutdrem
.1 Salvatoris sepulluram , resurrectionem , ascensum in cœlum, ha?c omnia cum sermone,
"■ tum coloribus describe, tura in Hbris, lum in tabellis. » (0pp. S. Job. Damasceni, Oratio
tertia de imaginihns , t. I, p. S/iQ.)
* Discours sur l'art du christianisme, par M. Raoul-Rochelte , in-8°, p. i5-i8. M. Ro-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 249
verses époques et sous mille formes dilFérentes, d'opérer une
combinaison monstrueuse de quelques-uns des dogmes du
christianisme et des superstitions païennes, que furent fabri-
quées d'abord de petites figures du Christ, dont ils rapportaient
le premier modèle à Pilate lui-même , par une supposition qui
ne pouvait tromper que les plus ignorants de leurs adeptes. Ces
statuettes se faisaient d'or ou d'argent, ou d'autre matière, à
l'instar de celles de Pythagore, de Platon, d'Aristote et des
autres sages de l'antiquité, que les sectaires exposaient, cou-
ronnées de fleurs, dans leurs conciliabules, et qu'ils hono-
raient toutes d'un même culte. Telle est, en effet, l'assertion
positive de saint Irénée \ confirmée, ou du moins reproduite
par saint Epiphane^. Cette superstition, qui admettait pareil-
lement les images peintes du Christ, était surtout en vogue
chez les gnostiques de la secte de Carpocrate; et l'histoire a
conservé le nom d'une femme, Marcellina, afPdiée à cette
secte, pour la propagation de laquelle elle s'était rendue du
fond de l'Orient à Piome, et qui , dans l'espèce de petite église
gnostique qu'elle y dirigeait, exposait à l'adoration de ses fi-
dèles des images de Jésus et de saint Paul, d'Homère et de
Pythagore. Ce fait, qui repose sur le témoignage grave de saint
Augustin"^, se trouve d'ailleurs parfaitement d'accord avec le
trait si célèbre de l'empereur Alexandre Sévère, qui avait
chetfe cite S. Irénée , S. Epiphane, S. Augustin, Lampridius, Jablonsky, Fueldner,
Heyne et Boltari ; on a conservé toutes ces citations dans l'extrait suivant du Discours,
' S. Iren. Advers. hœres. lib. I, cap. xxv , § 6, édition de Massuel.
' S. Epiphan. Hœres. xxvii, S 6. Voyez à ce sujet la dissertation de Jablonsky, de
Oriqine imaginuin Christi Doinini in Ecclesia cliristiuna, $ \o, dans ses Opusciil. phllol.
t. m, p. 394-396.
' S. Augustin, de Hœresih. cap. vu : « Seclaeipsius (Carpocratis) fuisse traditur socia
" quaedam Marcellina, quœ colebat imagines Jesu et Pauli , et Homeri et I^ythagorae,
« adorando incensumque ponendo. » (Voyez la dissertation de Fueldner, sur les carpo-
cratiens , dans le Dritte Denhchrijt derHist. theol. GeseUschaft zu Leipzig, p. 267 et suiv.)
INSTRUCTIONS. II. 32
250 INSTRUCTIONS.
placé dans son laraire, entre les images des philosophes et
des princes les plus révérés, les portraits du Christ et d'A-
hraham, opposés à ceux d'Orphée et d'Apollonius de Tyane,
et qui leur rendait indistinctement un culte divin ^ ; en sorte
qu'on ne saurait douter que cette association bizarre n'ait eu
lieu dans le sein de certaines écoles néoplatoniciennes, comme
de plusieurs sectes gnostiques ; et de là on peut conclure que
c'est par le fait de ces images fabriquées de main gnostique ,
que les chrétiens se laissèrent induire à les adopter pour leur
propre usage, à mesure que l'opinion de l'église se relâcha
de son ancienne aversion pour les monuments de l'idolâtrie''.
11 y a toute apparence, en effet, que, dès le commencement du
m'' siècle, les images du Christ circulaient dans les mains
des fidèles, de ceux du moins du dernier ordre, particulière-
ment â Rome, où le gnosticisme avait obtenu à cette époque
tant de faveur et gagné tant de prosélytes. »
Les images miraculeuses, que n'avait pas faites la main
des hommes, et qui pour cela étaient dites acheiropoiètes ; Vi-
mage vraie ou apocryphe peinte sur le voile de sainte Véro-
nique; les portraits attribués à Nicodème, à Pilate ou à saint
Luc; les portraits qui avaient cours du temps d'Eusèbe; la
statue érigée à Jésus-Christ, dans la ville de Panéas, par flié-
' /El. Lamprid. in Alexandr. Sever. cap. xxix : oin larario suo, in quo et divos pri-
« cipes , sed oplimos (et) eleclos, et animas sanctiores, in queis et Apollonium, et,
«quantum scriptor suorum temporum dicit, Christum, Abraham et Orpheum , ethujus-
« modi ceteros, habebat, ac majorum efTigies, rem divinam faciebat. u Telle est, pour
l'emploi de ce texte, la leçon proposée par Heyne. (Voyez sa dissertation de Alexandr.
Sever. Imp. religion, miscell. probant, etc. dans ses Opuscul. Academ. t. VI, p. 169-281 ;
voyez encore à ce sujet la dissertation de Jablonsky, de Alexandre Severo, inipcratore lio-
mano , christianorum sacris per gnosticos initiato, dans ses Opuscul. philol. t. IV, p. 38-79. )
«Telle est aussi l'induction, dit M. Raoul -Rochelle, que tire de ces témoignages le
pieux et savant Botlari, Pittare e sculture sacre, t, I, p. 196; et son opinion, formée dans
le sein de l'orlhodoxie catholique, est restée celle des antiquaires romains. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 251
morroïsse que Jésus avait guérie ^ : tous ces faits , vrais ou
faux, mais dont la tradition écrite remonte aux premiers siècles
de notre ère, prouvent que le fds de Dieu était souvent repré-
senté par la sculpture ou la peinture, même à l'aurore du
christianisme. Saint Jean Damascène dit qu'une tradition ,
anciennement accréditée et qui régnait de son temps, recon-
naissait Jésus comme auteur d'un de ses propres portraits.
Abgare, roi d'Edesse, ayant ajopris, dit le Damascène, tout ce
qu'on racontait du Seigneur, s'enflamma de l'amour divin. Il
envoya des ambassadeurs au fds de Dieu pour l'inviter à venir
le voir. Dans le cas d'un refus du Seigneur, il chargea ses
députés de faire tirer son portrait par un peintre. Jésus, à
qui rien n'est caché et qui peut tout, ayant connu le dessein
d 'Abgare, prit un morceau d'étolfe, y appliqua sa figure, et y
peignit sa propre image. Cette image, parfaitement conservée,
se garde encore aujourd'hui, ajoute le Damascène^.
A cette époque circulait une description détaillée de la fi-
gure de Jésus-Christ. Le signalement qu'on va lire, et qui est
d'une grande valeur, fut envoyé au sénat romain par P. Len-
tulus, proconsul en Judée avant Hérode. Lentulus avait vu le
^ Fabricius, Codex apocryphiis Novi Testamenti.
' Opéra S. Joh. Damasceni, in-f°, vol. I, Orutio prim. de imafjinibus , p. Sao, édit.
de Lequien, Paris, 1712. «Antiquitus tradita narratio ad nos usque pervenit Abgarum
«scilicel, Edessae regem , auditis quse de Domino ferebantur, divino succensum ardore,
« légales misisse, qui eum ad se invisendum invilarent; sin vero abnueret , mandat ut
« picloris opéra imaginera ejus exprimant. -Quod eum sciret ille oui nibil obscurum est
« quique omnia potest, acceplo panne, suaeque faciei admoto, propriam effigiem appinxisse.
« Quae ad baec usque tempora servatur incolumis. » — Le Damascène ajoute, pag. 63 1 et
632 du même volume : « Quin et ipse omnium Salvator et Dominus, eum adhuc in terra
« ageret sancli vultus sui expressam in texte linee effigiem, Augare cuidam magnae
« Edessenorum civilatis régule perThaddaeum apestelum misit. Divino namque sui vultus
« absterse sudore, cuncla illius lineamenta in linteo servavit. Quam effigiem prœmagni-
«fica celeberrimaque Edessenerum civitas ad hune usque diem, haud secus atque scep-
« trum regium relinens, praeclare gleriatur et exsullat. »
32.
252 INSTRUCTIONS.
Christ et l'avait fait poser devant lui, en quelque sorte, pour
dessiner ses traits et sa physionomie. Ce portrait, tout apo-
cryphe qu'il soit, n'en est pas moins un des premiers que nous
connaissions; il date des premiers temps de l'Eglise, et les
plus anciens Pères l'ont mentionné. Lentulus écrit donc au
sénat : « Dans ce temps apparut un homme, qui vit encore et
qui est doué d'une grande puissance : son nom est Jésus-Christ.
Ses disciples l'appellent fds de Dieu ; les autres le regardent
comme un prophète puissant. 11 rappelle les morts à la vie;
il guérit les malades de toute espèce d'inhrmités et de lan-
gueurs. Cet homme est d'une taille haute et bien proportion-
née; sa physionomie est sévère et pleine de vertu, de façon
qu'à le voir on puisse l'aimer et le craindre aussi. Les poils
de sa tête ont la couleur du vin, et, jusqu'à la naissance des
oreilles, sont- droits et sans éclat. Mais, des oreilles aux
épaules, ils brillent et se bouclent. A partir des épaules, ils
descendent dans le dos, distribués en deux parties à la façon
des Nazaréens. Front pur et uni , figure sans tache et tem-
pérée d'une certaine rougeur, physionomie noble et gracieuse.
Le nez et la bouche sont irréprochables. La barbe est abon-
dante, de la couleur des cheveux, et fourchue. Les yeux sont
bleus et très-brillants. A reprendre et à blâmer, il est redou-
table; à instruire et exhorter, il a la parole aimable et cares-
sante. La figure est d'une gravité et d'une grâce merveilleuses.
Personne ne l'a vu rire une seule fois; mais on l'a vu plutôt
pleurera Elancé de corps, il a les mains droites et longues, les
bras charmants. Grave et mesuré dans ses discours, il est sobre
' Le texte n'est pas suffisamment clair, et la rigueur grammaticale voudrait peut-
être : Personne ne l'a vu rire, et pas même pleurer. Mais l'Evangile déclare que Jésus a
pleuré sur Lazare et sur Jérusalem. Une des larmes versées par le Christ était honorée
spécialement à Vendôme, qui la possédait. Le P. Mabillon a fait sur celte larme une
lettre qui est célèbre.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 253
de paroles. De figure, il est le plus beau des enfants des
hommes '. » C'est d'après cette ancienne description que l'em-
pereur Constantin avait fait peindre les portraits du fds de
Dieu. Au viii*" siècle, du temps de saiiU Jean Damascène, les
principaux linéaments de cette figure remarquable avaient
persisté comme ils persistent encore. La chevelure et la barbe,
d'une couleur peu déterminée dans la lettre de Lentulus, car
le vin peut être blond, doré, rouge ou violet, se caractérisent
nettement dans le Damascène, qui ajoute encore la couleur de
tout le visage. Du reste, comme Lentulus, le Damascène se
prononce pour la beauté du Christ, et reproche durement aux
manichéens l'opinion contraire. Ainsi donc le Christ, qui avait
pris la forme d'Adam , reproduisait exactement les traits de la
vierge Marie. « Taille élevée, sourcils abondants, œil gracieux,
nez bien proportionné, chevelure bouclée, attitude légère-
ment courbée, couleur élégante, barbe noire, visage ayant la
couleur du froment comme celui de sa mère , doigts longs , voix
-sonore, parole suave. Extrêmement agréable de caractère, il est
calme, résigné, patient, entouré de toutes les vertus que la
' «Hoc tempore vir apparuit et adhuc vivit, vir praeditus potentia magna;, nomen
« ejus Jésus Christus. Homines eum prophelam potenlem dicunt; discipuli ejus filium
«Deivocant. Morluos vivificat, et œgros ab omnis generis asgriludinibus et morbis sanat.
«Vir est allae stalurae proportionate , et conspectus vullus ejus cum severilate et plcnus
«efficacia, ut spectatores amare eum possint et rui-sus timere. Pill capitis ejus vinei
«coloris usque ad fundamentum aurium, sine radialione, et erecli; et a fundamenlo
« aurium usque ad humeros contorti ac lucidi; et ab bumeris deorsum pendenles, bilido
« verlice disposili in morem Nazarœorum. Frons plana el pura; faciès ejus sine macula,
« quam rubor quidam lemperalus ornât. Aspeclus ejus ingenuus et gratus. Nasus et os
«ejus nullo modo reprebensibilia. Barba ejus mulla, et colore piloi'um capitis, bifur-
« cala. Oculi ejus cœrulei et extrême lucidi. In reprebendendo et objurgando formida-
« bilis; in docendo et exborlando blandae linguœ et amabilis. Gralia miranda vullus cum
« gravitate. Vel semel eum ridentem nemo vidit, sed flenlem imo. Prolracla slatura
«corporis, manus ejus reclye et ereclae, bracbia ejus delectabilia. In loquendo ponde-
« rans et gravis, et parcus loquela. Pulcberrimus vullu inler homines salos. » [Codex
apocryphus Nov. Tcslam. ap. Fabricium, Ilamburgi, lyoS; Ppars, pag. 3oi, 3o2.)
254 INSTRUCTIONS.
raison se figure dans un Dieu homme \ » En Occident, cent
ans après le Damascène, Jésus-Christ apparaissait toujours
ainsi. Saint Anschaire, archevêque d'Hambourg et de Brème,
le vit haut de taille, habillé à la manière des Juifs, beau de
visage. Les regards du Christ lançaient, comme une flamme, la
splendeur de sa divinité; mais sa voix était pleine de douceur^.
Voici maintenant ce que nous donnent les monuments. Nous
ne tiendrons pas compte des abraxas gnostiques, ni des tes-
sères chrétiennes en pierre ou en métal , ni même de certaines
peintures des catacombes de Rome, et qui, abraxas, tessères
et peintures, portent l'image du Christ; car ces monuments
sont de date très-contestée et fort contestable. Mais nous pre-
nons en masse les plus anciens monuments chrétiens, c'est-
' « Qui cum impollulis manibus formaverit hominem, homo ipse ex sancta Virgine ac
« Dei génitrice Maria sine mulatione aul variatione factus, carni communicavit et san-
; guini, animal rationale, intelligentiaB et scientiae capax, trium forte cubilorum magni-
ludine, carnis crassitic circumscriplus, nostrae simili forma conspecius est, maternae
• similitudinis proprietates exacte referens , Adamique formam exliibens. Quocirca de-
I pingi eum curavit (Conslantinus Magnus), quali forma veteres historici descripsere :
« praestanli slatura, confertis superciliis, venustis oculis, juslo naso, crispa caesarie, sub-
■< cm'vum , eleganti colore, nigra barba, trilicei coloris vultu pro materna simililudine,
'1 longis digitis , voce sonora, suavi eloquio, blandissimum, quietum , longanimem , pa-
'(tientem, bisque affines virlutis dotes circumferenlem, quibus in proprietatibus Dei
» virilis ejus ratio repraesentatur ; ne qua mutationis obumbratio, aut diversitalis variatio
«in divina Verbi humanatione deprehenderetur veluti Manichaei delirarunt. » (0pp. S.
.loh. Damas, tom. I, p. 63o, 63 1). — La barbe du Cbrist, ordinairement roussâlre au-
jourd'hui , était noire à cette époque.
' « Ecce vir per ostium veniebat , slatura procerus, judaico more veslitus, vultu
« decorus ; ex cujus oculis splendor divinitalis, velut flamma ignis, radiabat. Quem
«inluitus, omni cunctatione postposita, Christum Dominum esse credebat, alque pro-
'( currens ad pedes ejus corruit. Cumque prostratus in faciejaceret, ille ut surgeret im-
I' peravit. Cumque surgens coram illo reverenter adstaret, alque prae nimio splendore
« oculis ipsius emicante in faciem ejus intendere non valeret, blanda voce illum alloculus
• est.» [Act. SS. Ord. S. Bened. VP vol. Vie de 8. Anschaire). Saint Anschaire est
mort vers 864. Sa vie a été écrite par saint Rembert, son disciple et son successeur.
Saint Anschaire, comme on le voit, ajoute le costume aux détails des descriptions pré-
cédentes, et s'appesantit sur l'éclat extraordinaire des yeux-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 255
à-dire les fresques des catacombes, les premiers sarcophages,
les plus vieilles mosaïques ; puis de là nous passons aux ma-
nuscrits à miniatures, aux chapiteaux des églises romanes,
aux voussures et aux vitraux des églises gothiques. Voici donc
ce que nous observons.
Dans la série des monuments, deux faits iconographiques se
développent parallèlement. La ligure du Christ, jeune d'abord ,
vieillit de siècle en siècle, à mesure que le christianisme gagne
lui-même en âge. La figure de la Vierge, au contraire, vieille
dans les catacombes, se rajeunit de siècle en siècle; de quarante
ou cinquante ans qu'elle avait à l'origine, elle n'a plus que de
vingt à quinze ans sur la fin de l'époque gothique. A mesure
que le fils vieillit, on voit la mère rajeunir. Vers le xiii^ siècle,
Jésus et Marie portent le même âge, trente ou trente-cinq ans
à peu près. La mère et l'enfant, qui s'étaient rencontrés alors,
se quittent ensuite pour s'éloigner de plus en plus ^ Cette jeu-
nesse du Christ, qu'on remarque dans les plus anciens mo-
numents chrétiens, est un fait doii[iinant et des plus curieux.
C'est ainsi que Jésus apparaît sculpté sur les sarcophages,
peint sur les fresques et dans les mosaïques. Jésus est un beau
jeune homme de vingt ans; un gracieux adolescent de quinze,
sans barbe, à figure ronde et douce, tout resplendissant d'une
jeunesse divine, comme les païens représentaient Apollon,
comme les chrétiens figurent les anges. Il est assis sur une
' Dans Saint-Pierre de Rome, on admire un groupe de la Vierge et du Christ mort
sculpté par Michel-Ange; c'est le seul ouvrage que le grand artiste ait signé. «Ce chei-
d'œuvrë, I) dit Vasari, « couvrit de gloire Michel -Ange et étendit sa renommée au loin. 11 y
eut cependant des sots qui prétendirent que l'arlisle avait donné au visage de la Vierge un
trop grand air de jeunesse. Ces ignorants ne savent donc pas que les femmes chastes et
pures conservent longtemps les grâces de la jeunesse ? 11 devait en être autrement pour le
Christ, qui avait essuyé toutes les vicissitudes de Thumanilé, » ( Vasari, Vies des Peintres,
Vie de Michel-Ange, trad. et annot. par MM. Leclanchéet Jeanrou, t. V). L'explication
que Vasari donne de la jeunesse de la Vierge et de l'âge avancé du Christ est très-curieuse.
256 INSTRUCTIONS.
chaise curule, comme un jeune sénateur, dont il porte la
longue robe et la toge; ou bien il est debout sur la montagne
mystique d'où partent les sources des quatre fleuves sacrés ^; il
est chaussé de sandales attachées par des bandelettes; il tend
le bras droit et ouvre la main; il tient à la gauche le volume
antique déployé ou roulé. C'est une charmante figure qui ne
ressemble en rien aux figures du Christ consacrées depuis par
l'art chrétien.
66. JÉSDS IMBERBE.
Sculpture romaine du iv' siècle -.
On pourrait croire que ce Jésus représente l'enfant divin
enseignant dans le temple avant sa prédication , et que cette
jeunesse est un âge naturel et non pas symbolique. Mais Jésus
' « Quatuor paradisi flumina quatuor sunt evangelia ad praedicationem cunctis gen-
« tibus missa. (S. Eucher, in Gènes, lib. I, cap. m). (Cf. Bède, Isidore de Séville et G.
Durand.) Bède [in Gènes, cap. ii) dit : «Quatuor paradisi flumina, quatuor cvangelislae. »
Page 68, pi. 23, nous avons donné un agneau de Dieu debout sur un monticule d'où
s'échappent les quatre fleuv(>s symboliques. Plus bas , page 332 , on voit Jésus et son
agneau divin; ils sont debout tous deux sur la montagne aux quatre sources, et sont
accompagnés de six apôtres figurés de même en six agneaux.
* Ce jeune Dieu fait partie des sculptures qui décorent le célèbre tombeau de Junius
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 257
ainsi représenté pose les pieds sur le ciel, où il est remonté
après son ascension, ou bien il donne ses dernières instruc-
tions à ses apôtres, ou bien il condamne au travail Adam et
Eve; tous actes antérieurs à sa naissance humaine ou posté-
rieurs à sa mort. De plus on le voit ainsi accomplissant les
merveilles de sa vie : ressuscitant Lazare, guérissant l'aveugie-
né, le paralytique et l'hémorroïsse; bénissant et multipliant
les pains et les poissons; enfin on le voit devant Pilate
qui le condamne à mort. Or tout cela s'est fait pendant la vie
publique de Jésus, après son baptême, et lorsqu'il avait de
trente à trente-trois ans. Il ne peut y avoir de doute; ce n'est
pas l'enfant, c'est l'homme. Mais cet homme, qui a plus de
trente ans dans l'histoire, n'en a que douze, quinze ou vingt
dans l'art. L'art a donc exprimé, par ce fait, une idée que
nous tâcherons de faire connaître; mais, auparavant, il faut
achever de signaler ces portraits de Jésus.
Dans la première et la seconde période de l'art chrétien ,
c'est-à-dire du ii^ ou du iii^ siècle jusqu'au x*", jusqu'au règne
des premiers Capétiens, le Christ est représenté le plus sou-
vent jeune et imberbe. Cependant ce n'est pas en vain que
Lentulus et le Damascène ont déclaré que le Christ, comme
un homme mûr, portait une barbe abondante, fourchue,
noire ou colorée comme le vin. A côté de ces Jésus imberbes,
Bassus. Bassus est mort en Sôg, et le sarcophage paraît dater de cette époque. Sous ce
Jésus, .qui donne ses instructions à ses deux grands apôtres, sainlPierre et saint Paul,
on voit le Dieu, jeune et imberbe, assis sur une ânesse et prêt à faire son entrée dans
Jérusalem. Cette extrême jeunesse est donc symbolique et non pas naturelle; car Jésus,
lors de son entrée dans Jérusalem, le jour des Rameaux, avait au moins trente-trois
ans. Suivant saint Irénée, Jésus-Christ était encore plus âgé. Guillaume Durand dit :
«Et nota quod Chrislus completis triginta duobus annis et mensibus tribus, vel, secun
" dum Chrysostomum, Irigiula tribus el dimidio, crucifixus est eadem die qua conceptus
«est de Virgine, scilicet in sexla feria quœ fuit octavo kalend. aprilis. i {Rat. div. oJJ.
lib. VI, cap. Lxxvii, de die Parasceves, n° 28.)
INSTRUCTIONS. II- 33
258 INSTRUCTIONS.
et à la même époque, nous avons des Jésus barbus, beaux
hommes de trente à trente-cinq ans, qui ne démentent pas les
descriptions que nous venons de lire. Les sarcophages et les
peintures des catacombes, les anciens tombeaux d'Arles, nous
offrent de ces Jésus âgés et barbus; mais ils sont beaucoup
moins nombreux que les autres \ et l'on pourrait dire, à la ri-
gueur, qu'ils font exception. Un des sarcophages du Vatican
présente même une particularité intéressante \ Le Christ y est
figuré dans quatre scènes différentes : dans l'une, celle où il
guérit l'hémorroïsse, qui se jette à ses pieds, il est barbu; mais
dans les trois autres, où il donne sa loi à ses apôtres^, où il
prédit son reniement à saint Pierre, où il comparaît devant Pi-
late, il est jeune et imberbe. Jusqu'aux Capétiens, c'est ce type
de la jeunesse, de la grâce, de la beauté délicate et de la bonté
charmante qui prédomine. Hroswitlia, la célèbre religieuse du
couvent de Gandersheim, en basse Saxe, voit encore le Christ en
jeune homme. Dans sa comédie de CaUimachus, où elle met
en scène la résurrection de Drusiana par saint Jean évangéliste,
l'apôtre ami du Christ dit à Andronicus, mari de Drusiana :
« Voyez, Andronicus! le Dieu invisible se montre à vous sous
une forme visible. 11 a pris les traits d'un beau jeune homme''. »
Ainsi , à la fin du x*" siècle, sous l'empereur Othon II, le Christ
' Roma sotter. pag. 61, 63, etc. Dans l'Histoire du nimbe et dans celle de Dieu le
Père , nous avons donné plusieurs dessins où Jésus est barbu ; nous allons en voir
d'autres encore.
■ Il est gravé dans la Roma sotter. p. 85 et 87. Le sarcophage de la page 63 repro-
duit le même fait. Là, aux Rameaux et devantPilale, Jésus se montre imberbe; mais il est
barbu lorsqu'il donne sa loi à ses apôtres. Ce Jésus barbu est le Jésus aux sept agneaux
que nous donnerons plus bas, page 332.
Nous avons donné ce sujet page 54, pî. »8.
Voyez, à la bibliothèque Mazarine, Opéra Hrosvite, illustris virginis et monialis ger-
mane (sic) gentis Saa;onia orle, imper a Conrado Celle inventa. C'est un petit in-folio
rarissime, avec gravures et ornements sur bois du xv'' siècle.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 259
est encore un adolescent, un jeune liomme imberbe. Mais, aux
approches de l'an mil, tout s'était rembruni. La croyance à la
fin du monde ne lut peut-être pas aussi répandue qu'on l'a dit,
et l'on a probablement exagéré son influence sur l'art. Cepen-
dant les événements qu'on venait de traverser étaient sombres;
les mœurs d'où l'on sortait à peine étaient grossières, et la so-
ciété ecclésiastique, livrée aux hommes d'armes et à la vio-
lence, ne pouvait plus se contenter de ce jeune Dieu si miséri-
cordieux, qui guérit toutes les infirmités, soulage toutes les
misères et sourit constamment à tous. 11 lui fallait un Dieu plus
sévère pour elTrayer les descendants de ces Normands qui
avaient mis la France à feu et à sang. Donc, dès le xi^ siècle,
le x^ même , les artistes font de Jésus-Christ un homme dur d'at-
titude et triste de physionomie. Au jugement dernier, le Christ
est inexorable d'expression lorsqu'il condamne les méchants.
C'est aux damnés, et non aux élus, qu'il s'adresse; on le voit
foudroyant ceux-là de ses regards au lieu de rassurer ceux-ci
de sa parole. Dans les sarcophages et les fresques, même dans
les mosaïques anciennes, on s'était attaché à représenter les
miracles de Jésus, les faits de cette vie bienfaisante qui se passe
à guérir les maladies du corps et à charmer les soulTrances de
l'âme ^ De la Passion on n'avait indiqué que le commencement,
et de ce commencement on avait écarté la Cène, l'agonie du
jardin des Oliviers, latrahisonde Judas,la prise de Jésus, pour
ne montrer que la condamnation au moment où Pilate se lave
les mains en s'écriant qu'il est innocent de la mort de ce juste.
Mais, du x^ siècle au xif , on se contente d'indiquer, on traite
en passant, ou l'on saute totalement des miracles de charité,
pour développer en détail tous les épisodes de la Passion
' C'est au Jésus de cette époque surtout qu'on peut constamment appliquer le « per-
« transiit benefaciendo » de l'Evangile.
33.
260 INSTRUCTIONS.
jusqu'au crucifiement. Au jugement dernier, Jésus n'est plus
imberbe, souriant et assis sur le ciel ou le monde personni-
fiés; mais on le voit barbu, sévère, inexorable.
Un motif affectionné par les premiers cbrétiens, et repro-
duit à satiété sur les sculptures et les peintures des cata-
combes, a totalement disparu à paMir de fan mil; c'est celui
du bon Pasteur. Dans les siècles primitifs, on est ému par le
passage de TEvangile où Jésus se compare au bon pasteur qui
abandonne dans le désert son troupeau tout entier pour aller
à la rechercbe d'une brebis égarée, et qui, fayant retrouvée,
la met sur ses épaules, et, malgré le poids du fardeau, la lon-
gueur et la difficulté du cbemin , la ramène avec joie au ber-
cail ^ Alors on s'ingénie à représenter cette scène dans toutes
ses variétés possibles, et Ton invente mille modifications dans
le but de faire éclater de plus en plus la bonté du Sauveur.
Mais du xi"" siècle jusqu'au xvi% les monuments figurés
n'offrent plus aucune trace de cette consolante parabole. On
dirait que le cœur de Jésus s'est endurci par fingratitude de
ses brebis, si douces et si cbéries autrefois".
Le christianisme a passé le printemps, où tout sourit, pour
entrer dans fêté , où la n ature est puissante , mais orageuse , alors
que toutes choses mûrissent sous les âpres ardeurs du soleil, et
que les grondements du tonnerre effrayent les imaginations.
Le but que se proposaient les artistes et le clergé, en faisant
le Christ jeune et souriant dans la première période de fart,
vieux et sévère dans la seconde, était bien de charmer et d'é-
pouvanter les âmes, car on lit fintéressante histoire qui suit
dans Orderic Vital, né en 1076, et qui écrivait son His-
' s. Luc, ch. XV, V. 4-6.
^ Voyez plus bas, page 345 et noie 2 , page 344, un dessin et des remarques sur
la figure du bon Pasteur.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 261
toire de Normandie dans les premières années du xii'' siècle.
« Un jour des chevaliers oisifs jouaient et causaient ensemble
dans la salle du château de Couches; ils s'entretenaient,
comme c'est l'usage de telles personnes, de différents sujets,
en présence de madame Elisabeth. Alors l'un d'entre eux parla
ainsi : « J'ai eu dernièrement un songe dont j'ai été fort effrayé;
«je voyais le Seigneur attaché à la croix, ayant le corps tout
«livide, se tourmentant par excès d'angoisses, et me consi-
« dérant avec un regard terrible. » Comme il racontait ces
choses, ceux qui étaient présents dirent: « Ce songe est grave
«et fait pour effVayer; il paraît vous menacer de la part de
«Dieu d'un jugement horrible.» Cependant Baudouin, fils
d'Eustache, comte de Boulogne, ajouta : «Et moi aussi, der-
«nièrement, je voyais en songe le Seigneur Jésus pendant à
«la croix, mais brillant et beau. Il me souriait agréablement,
« et, me bénissant de la main droite, il fit le signe de la croix
« avec bonté sur ma tête. » Les assistants répondirent : « Une
« telle vision paraît vous annoncer la douceur d'une grande
« grâce. » Peu après le premier chevalier reçut une
blessure mortelle dans une certaine expédition, et périt sans
confession et sans viatique. Quant à Baudouin, gendre de
Raoul de Couches, il prit la croix du Seigneur sur fépaule
droite, et, par Tordre du pape Urbain, il fit partie de fheureux
pèlerinage contre les païens 11 fut fait gouverneur de
Rages ou d Edesse ; quelques années après , à la mort de son frère
Godefroy , il posséda longtemps le royaume de Jérusalem ^ »
Les Christs de cette période sont plus souvent terribles ,
comme celui du chevalier mort sans viatique et sans conles-
' Orderici Vilalis ulicensis monachi Ecclesiast. Hist. lib. VIII, ad annum 1090,
p. 688 et 689, dans Diichesne, Hist. norm. script. — Voyez l'excellente édition d'Orderic
Vital que M. Aiig. Leprévosl publie en ce moment.
262 INSTRUCTIONS.
sion , (jue brillants et beaux comme le Christ de Baudouin,
Cependant oa ne passe pas sans transition des portraits presque
toujours jeunes aux portraits constamment âgés ; dans cer-
taines localités, plus douces de mœurs ou plus en retard sur
la coutume régnante, on rencontre quelquefois encore des Jé-
sus souriants et jeunes. A partir du xii*" siècle, ces exceptions
deviennent de plus en plus rares. Jésus s'attriste davantage et
se montre surtout à sa passion et au dernier jugement. Alors
il est vraiment redoutable; c'est bien le « Rex tremendœ ma-
« jestatis » de notre Dies irje ; c'est presque le Dieu des Juifs
voulant que la crainte soit le commencement de la sagesse ^
Dans les Jugements derniers sculptés aux voussures et peints
aux rosaces de nos cathédrales, le Christ semble insensible aux
prières de sa mère, qui est placée à sa droite; de saint Jean
évangéliste, son ami, ou de saint Jean-Baptiste, son précur-
seur, qui sont placés à sa gauche. Il écrase les méchants en
leur montrant les trous de ses mains, de ses pieds et de son
côté; il les noie dans le sang qui coule de ses plaies. Les Grecs,
plus hébraïsants que les Latins , ont un Christ plus terrible
encore. Les fresques byzantines appliquées contre le mur occi-
dental, en dedans- et même en dehors^, représentent ordi-
nairement le Jugement dernier. Là , on voit le Christ assis sur
un trône ; il est entouré d'anges qui tremblent de frayeur en
entendant les redoutables malédictions qu'il lance sur les pé-
cheurs. Non-seulement ce Dieu est juge comme chez nous , mais
il exécute lui-même son jugement. A peine a-t-il porté la sen-
tence de réprobation , qu'à sa voix un lleuve de feu sort de son
trône, de dessous ses pieds, et dévore les coupables. Ces re-
' «Inilium sapienliae tinior Domi ni. » Psaume ex , v. lo.
^ Comme dans l'église principale du couvent de Salamine , appelé Panagia - Phane-
roméni.
' Comme dans la grande église du couvent de Vatopcdi , au mont Alhos.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 263
présentations, traitées ordinairement avec un talent remar-
quable , traduisent littéralement un texte de saint Jean de Damas
qui fait autorité aujourd'hui encore ^ Le christianisme de l'O-
rient est beaucoup moins doux et bienveillant que le nôtre.
Ainsi, au couvent de Sainte-Laure du mont Atbos, on voit,
dans un médaillon d'où partent des flammes, Jésus-Christ peint
en buste. Le fds de Dieu tient de la main gauche un livre
ouvert, et de la droite une épée nue. On sent comme revivre,
dans une pareille représentation, la religion païenne, la reli-
gion de la force , ou tout au moins le judaïsme de Moïse et d'Isaïe,
On dirait que le Christ du mont Atbos donne à choisir entre la
foi et la mort, entre le livre et le glaive. Cette peinture, qui est
du xv!*" siècle, semble trahir en outre comme un esprit maho-
métan. Les Grecs ont beaucoup pris aux Turcs, et ce Christ de
Sainte-Laure en est une preuve intéressante ; on croirait que
Jésus s'est déguisé en Mahomet. C'est effectivement avec le
Coran d'une main et le cimeterre de l'autre que s'opéraient
' Voici le texte du Damascène : « Nam , rogo , ubi reprœsen tante imagine secundum
(1 Chrisli Dei nostri advcnlum inspexeris, quando veniat in majestate; angelos item in-
" numera multitudine cum timoré et Iremore ejus adsislentes tin ono ; igneum flumen ,
«quod de throno egrediens peccatores dévorât. » ( 0pp. S. Joli. Damas. Oralio adversns
Constantinum Cahalinum, vol. I, p. 619) Dans le manuscrit d'HeiTade [Hori. délie),
qui est de 1 180 , on voit, au Jugement dernier, le Christ assis sur un arc-en-ciel; il est
dans une auréole ovale, posant ses pieds percés et saignants sur un second arc en-ciel,
montrant ses mains saignantes et son côté ouvert et saignant. Sous cette redoutable
figure , on lit : « Deus manifeste veniet et non silebit -, ignis in conspeclu ejus exardescet ,
«in circuitu ejus tempestas valida. Ignis ante ipsum precedet et inflammabitin circuitu
« inimicos ejus.» Ce feu, comme dans les peintures grecques et dans le texte du Da-
mascène, sort des pieds du Christ et va envelopper les faux prophètes «qui per inspi-
« rationem et incantationem immundorum spirituum ventura predixerunl, vel qui vera
« dixerunt et falsa operali sunt. — Omnes superbi et onmes facientes impietates erunt
« quasi stipula. » — On voit que rien n'est plus conforme aux opinions et à l'art de
l'Orient. Il fallait que l'esprit byzantin fût bien puissant dans le couvent de Sainte-
Odile, peur que des femmes et des religieuses de notre pays prissent un parli aussi
violent dans la l'eprésentation du Jugement dernier.
264 INSTRUCTIONS.
les conquêtes religieuses de Mahomet et de ses successeurs.
Conformément au génie grec et au texte du Damascène, le
manuscrit de Panselinos recommande aux peintres de faire
le Christ terrible au jugement dernier; il en donne cette des-
cription : « Le Christ est assis sur un trône élevé et de feu; il est
vêtu de blanc et lance la foudre au-dessus du soleil. Tous les
chœurs des anges sont saisis de frayeur et tremblent devant lui.
De la main droite il bénit les saints; mais de la gauche il
indique aux pécheurs le lieu des gémissements Un fleuve
de feu sort des pieds du Christ; les démons y précipitent les
méchants Les prophètes sont à droite et à gauche du ju-
gement avec des rouleaux. Malacliias dit : « Voici : le jour
u vient ardent comme une fournaise, pour consumer les enne-
' mis et ceux qui commettent l'iniquité. Le Seigneur tout-
" puissant les châtiera au jour du jugement et donnera leur
'< chair au feu et aux vers ^ »
A partir de la seconde période, du xi^ au xvi^ siècle, le
Christ est donc un homme dans la force de râge;il a toujours
de trente-cinq à quarante ans : il est constamment barbu,
jamais souriant, et sa figure est sérieuse quand elle n'est pas
triste. C'est un fait des plus extraordinaires que de rencontrer
un Christ imberbe et d'une expression satisfaite. Cette ano-
malie est cependant offerte par la cathédrale de Reims et
par une sculpture de la fin du xuf siècle, pour ne pas dire
du commencement du XIV^ Mais la cathédrale de Reims est
un édifice exceptionnel et tout rempli de particularités qui
contredisent les autres monuments de la même époque.
Aux xiii^ et xiv*' siècles, naît et se pratique un motif icono-
graphique dont il sera question avec développements dans le
chapitre relatif à la Trinité. Alors on représente Dieu le père
Ep(irjvs(a Trjs !^œypa(pixv5. Le Clirist lançant la foudre rappelle bien le Jupiter tonnant.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 265
assis dans le ciel et tenant entre ses bras son fils attaché à la
croix. Ainsi le crucifié se voit non-seulement sur la terre, où il
meurt au milieu des souffrances qui déforment son beau corps,
mais il vient encore attrister le ciel de ses cruelles angoisses.
Désormais la croix, instrument de son supplice, n'abandon-
nera que rarement Jésus, même quand on le montrera triom-
phant après sa mort. Assurément la croix entre les mains de
Jésus est pour les chrétiens ce que l'arc-en-ciel dans les nuées
est pour Noé et sa race : l'arc annonce qu'il n'y aura plus de
déluge, et la croix, que le monde est désormais sauvé. Dieu,
après la sortie de l'arche et après la mort de son fils , fait une
alliance éternelle avec l'homme; il sauve son corps après le
déluge , il sauve son âme après la passion de Jésus. Mais
cependant la croix, qui est un signe de paix pour les gens
de bien , est en même temps un étendard de colère pour les
méchants; elle rassure et elle épouvante tout à la fois.
Aux xv'' et xv!"" siècles, on renchérit encore sur la tristesse
.des époques antérieures. Les ecce-homo , les crucifix , les des-
centes de croix, les Christs au tombeau, sont réellement à la
mode; mais nous devons les signaler sans nous y arrêter :
ici, on le répète, il s'agit du fils de Dieu , et considéré dans sa
nature divine et non dans sa nature humaine. Les crucifix
suivent eux-mêmes une progression de tristesse remarquable.
Dans les temps primitifs, on voit la croix, mais sans le divin
crucifiée Vers le vi^ siècle , on parle d'un crucifix exécuté à
Narbonne ^ ; mais c'est un fait étrange et qui est signalé pour
' La petite statue qui vint se placer miraculeusement sur la croix exécutée par Marc,
artiste contemporain de Dioclétien , représentait Emmanuel et non le Crucifié. Emma-
nuel, jeune et imberbe, se posa sur la croix entre les archanges Michel et Gabriel, mais
il n'y était pas attaché. (Voyez Labbe , Concilioruni collectio maxima, l. VII, col. 768,
deuxième concile de Nicée.)
^ «Est et apud Narbonensem urbem, in ecclesia seniore quae beati Genesii martyris
INSTRUCTIONS. — II. 34
266 INSTRUCTIONS
sa nouveauté. Au x*" siècle, quelques crucifix apparaissent cà
et là, mais le crucifié s'y montre avec une physionomie douce
et bienveillante; il est d'ailleurs vêtu d'une longue robe à man-
ches, laquelle ne laisse voirie nu qu'aux extrémités des bras et
des jambes\ Aux xi*" et xu'' siècles, la robe s'écourte, les manches
disparaissent et déjà la poitrine est découverte quelquefois,
parce que la robe n'est plus qu'une espèce de tunique'. Au xiii**
siècle, la tunique est aussi courte que possible; au xiv% ce n'est
plus qu'un morceau d'étoHe ou même de toile qu'on roule au-
tour des reins , et c'est ainsi que jusqu'à nos jours Jésus en croix
a constamment été représenté. En même temps qu'on attriste
la figure du Crucifié et qu'on grave les souflVan ces physiques sur
son corps divin , en même temps aussi on le dépouille de la robe
et du petit vêtement qui le protégeaient. On a même étéplusloin,
et, chose hideuse à dire, on a représenté entièrement nu Jésus
attaché à la croix. Cette nudité absolued'un Dieu est un spectacle
révoltant. Je dois convenir cependant que je connais un seul
exemple de cette nudité complète ; nous le trouvons dans un ma-
nuscrit de la Bibliothèque royale ^. Jl est possible , il est probable
qu'on le doit à une erreur du miniaturiste; mais, tout en restrei-
gnant notre proposition , cette erreur ne la confirme pas moins.
reliquiis plaudit, piclura quai Doniinum noslrimi qiiosi praecinclum linteo indicat cru-
cilîxum. » (Grégoire de Tours , De Gloria maiiyrum, lib. I, cap. xxui.)
' Ces Christs abondent clans les cabinets d'antiquités cliiétiennes ; M. du Soniinerard
en possède plusieurs. Le ciucitix miraculeux d'Amiens , appelé Sainl-Saulve , est coni-
plélenienl couvert d'une robe à plis nombreux.
* On ne cite pas les exemples, parce qu'ils sont innombrables.
Heures du duc d'Anjou, P i6a. — Je crois en avoir vu un second exemple dans la
Bihliu fticra, n° 6839. Si je me le rappelle bien , le Christ entièrement nu est opposé à la
miniature qui représente le prêtre Eleazar brûlant une vache roui;e hors du camp des
Hébreux. l,e rapprochement établi entre cet animal rouge, qui périt pour les péchés des
Israélites, a dû l'aire représenter le Christ avec la barbe et les cheveux roux, malgré le
texte que nous avons vu, et où l'on déclare que Jésus était brun, (^imme hoinme ,
Jésus pouvait être brun ; il était roux comme personne symbolique.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 267
Nous disons donc que du vi*" siècle au xv^, on dépouille succes-
sivement le Crucifié jusqu'à ce qu'on arrive à la nudité presque
complète. Le fils de Dieu, même dans le ciel, même triomphant
après son ascension et sa victoire sur la mort, est représenté la
couronne d'épines en tête et la croix en main. Auxiii'' siècle, ii
était vêtu d'une robe et d'un manteau; à partir du xv^'iOn le voit
fréquemment dépouillé de sa robe et à peine couvert de son
manteau, qui laisse voir nus ses bras, ses jambes, sa poitrine et
son côté percé d'une lancée On s'enfonce de plus en plus dans
la désolante réalité, et l'on arrive à Michel-Ange, qui montre
Jésus-Christ, au jugement dernier, sous l'aspect d'un Jupiter
tonnant, faisant mine de vouloir châtier le genre humain à
coups de poing. Triste aberration d'un homme de génie qui
dégrade ainsi la divinité tout entière, et particulièrement celle-
là d'entre les trois personnes divines que son amour incroyable
pour riiumanité a fait le type de la douceur infinie. Le peintre
florentin a été plus loin encore que le texte du Damascène
et les fresques byzantines; car son Christ est sans dignité,
tandis que celui des -Grecs est dur, mais reste noble. C'est
en comparant la peinture de Michel-Ange aux sculptures des
sarcophages, au Jésus du tombeau de Junius Bassus, donné
plus haut, qu!on voit surtout la diflerence des époques et
des idées. Qu'il y a loin en efî'et de ce Christ impitoyable
de Michel-Ange, à cet aimable Dieu des anciens sarcophages!
Il a fallu bien des siècles et bien des malheurs j)Our passer,
dans le même pays, du type peint sur les fresques des cata-
combes à celui que montre la fresque de la chapelle Sixtine.
On n'est pas arrivé sans transitions de cette extrémité à l'autre,
et ces transitions composent précisément l'histoire archéolo-
gique du fils de Dieu. Michel-Ange lui-même n'est que la der-
^ Les monuments funéraires de cette époque le représentent presque toujours aiasi
268 INSTRUCTIONS.
nière expression d'une idée née avant lui, et l'on a fait remar-
quer avec raison que son Christ était sorti de celui que le
peintre Orcagna a placé dans le Jugement dernier du Gampo-
Santo et dont voici le dessin.
(yn. — LE SOUVERAIN JUGE.
Fresque du Campo-Santo de Pise, xiv' siècle.
Michel-Ange, on le voit, a copié le geste d'Orcagna, mais sans
le comprendre. Le Christ du Campo-Santo ne menace pas les
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 269
méchants; il leur montre la plaie de son côté, qu'il découvre
de la main gauche, et le trou de sa main droite, qu'il lève et
qu'il ouvre en même temps. Michel-Ange a cru, dans sa ru-
desse, que ce Christ fulminait quand il se contentait de faire
voir ses plaies. Le Christ d'Orcagna est assis; mais celui de Mi-
chel-Ange est dehout, et cette attitude donne à son Dieu guer-
rier un caractère plus redoutable encore. Enfin le Christ de
Pise, coiffé d'une tiare, vêtu de somptueux vêtements, la tête
toute pétillante de lumière, est un pape, est un Dieu, et, par
celamême, pacifique et assez bienveillant encore; mais le Christ
de la chapelle Sixtine, sans nimbe, sans auréole, et nu-tête,
n'est qu'un homme et un homme de la classe la plus vulgaire.
Jamais Dieu n'a été plus abaissé que par le dur artiste de Flo-
rence.
A partir de la renaissance jusqu'à nos jours, on a cherché
à rendre à cette grande figure du Christ toute sa douceur de
physionomie, toute sa bonté ineffable, et l'on a fini par tom-
ber dans l'excès contraire à celui qui avait égaré Michel-
Ange, c'est-à-dire à faire des Jésus fades et langoureux, aux
cheveux blonds, aux yeux bleus, à la figure plutôt sentimen-
tale que grave et sereine. Il faut reconnaître cependant que par
de louables tentatives on cherche à ramener le Christ au beau
type qui le caractérisait aux xii'' et xnf siècles. On ne peut
qu'applaudir à cette réaction intelligente contre la réalité bru-
tale et farouche des xv*" et xvi" siècles.
Il résulte de ce qui précède, que divers types figurés, et non
pas un type unique, ainsi qu'on le dit à tort, ont été appli-
qués à Jésus-Christ. Mais cependant toutes ces variétés de fi-
gures peuvent se ramener à deux : ou Jésus-Christ est jeune et
imberbe, ou il est barbu et à l'âge d'homme. L'absence de barbe
et la grâce de la jeunesse caractérisent les représentations du
270 INSTRUCTIONS.
Fils de Dieu depuis les preniiers siècles du christianisme jus-
qu'aux approches du xif. A partir du xii*' siècle et jusqu'à nos
jours, Jésus porte la harbeplus ou moins fine et courte; pour
l'âge, il a de trente à quarante ans. Mais, du xf au xvi'' siècle,
on rencontre quelquefois des Jésus imberbes, et du iv"" aux xiii*'
et xiv% on voit des Jésus barbus. De plus, les imberbes de la
seconde période sont très -rares, tandis que les barbus de la
première, même dans les catacombes, sont très-fréquents. Il
convient, à cette occasion, de signaler une question qui s'est
agitée particulièrement dans les premiers siècles de l'Eglise,
et qui est relative à la beauté ou à la laideur du Christ.
Certains Pères , ceux de l'Église africaine particulière-
ment, ont donné à quelques expressions de saint Paul une
extension qu'elles ne comportaient pas. L'apôtre écrit aux
Philippiens, et leur dit : «Jésus s'est anéanti lui-même en
recevant la forme d'un esclave et en prenant la ressemblance
des hommes; à l'extérieur on ne voyait qu'un homme en lui^ «
Un Dieu qui se fait homme s'anéantit comme Dieu , mais
cet homme peut cependant se revêtir d'une très-belle forme
humaine. Les chrétiens d'Afrique , extrêmes en tout , exagé-
rèrent la pensée de saint Paul; ils appliquèrent à l'huma-
nité ce que l'apôtre entendait seulement de la divinité. D'ail-
leurs, il faut le dire, ils s'appuyaient sur le texte suivant
d'Isaïe, qui dit, en parlant du Messie : « Il est sans beauté et
sans éclat; nous l'avons vu, et il n'avait rien de beau, et nous
l'avons méconnu. C'était un objet de mépris, le dernier des
hommes, un homme de douleurs et connaissant l'infirmité.
Son visage était comme caché et méprisé ; aussi ne l'avons-
nous pas estimé. Lui-même il a pris nos langueurs; lui-même
' « Semelipsum exinanivit ( Jesus-Christus) formam servi accipiens , etc.» {Epist
ad Philipp. cap. ii , v. 8. )
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 271
il a porté nos douleurs. Nous l'avons considéré comme un lé-
preux frappé de Dieu et humilié. 11 a été blessé lui-même par
nos iniquités; il a été broyé pour nos crimes. Le châtiment,
cause de notre salut ^ est tombé sur lui, et nous avons été
guéris par ses meurtrissures ^ » Les docteurs d'Afrique enten
dirent ces paroles à la lettre, et, malgré le signalement que
nous avons donné plus haut , et qui fait du Christ un homme
d'une rare beauté, ils soutinrent que le Verbe , en venant au
monde, et en se chargeant de toutes les misères humaines
pour les guérir, avait assumé sur lui seul toutes les laideurs
physiques afin de les transfigurer.
Suivant cette opinion, ces maladies de l'âme se seraient tra-
duites au dehors par les difformités du corps, et Jésus aurait
été le plus laid des enfants des hommes. Ce corps, où aurait
circulé le venin de toutes les misères humaines, se serait
altéré et défiguré. La peau décolorée, les muscles amaigris,
toutes les formes appauvries, auraient témoigné du dévoue-
ment de Jésus. Le Fils de Dieu se serait inoculé la laideur
comme on s'inocule le poison en suçant une plaie envenimée.
D'autres, les Pères de fEglise latine surtout, déclarèrent
que Jésus avait été le plus beau des enfants des hommes.
Même sur terre, Jésus était le Fils de Dieu, et Dieu c'est la
beauté suprême. Dieu est beau comme il est bon, comme il
est puissant, comme il est intelligent; il est beau à l'infini. Les
infirmités et les vices que Jésus était venu expier n'avaient
pu déformer son beau corps, pas plus qu'un rayon de soleil,
' C'est au chapitre i,ui, versets 2 , 3, 4 et 5, qu'on lit ces remarquables pai'oles du
prophète Isaïe : «Non est species ei neque décor; et vidimus eum, et non erat aspec-
«tus, et desideravimus euin : despectum et novissimum virorum , virum doloruui'et
« scientem infirmitat.eni , etc.» — S. Pierre [Epist. I, cap. 11 , v a/j), dit aussi : «Qui
« peccata nosira ipse pertulit in corpore suo super lignum , ut peccalis.morlui ,justiti;E
« vivamus ; cujus Uvore sanati eslis. »
272 INSTRUCTIONS.
qui touche ou traverse un objet immonde, ne se salit au
contact. Les apôtres et les saints, qui guérissaient de la fièvre,
de la peste et de la lèpre, qui redressaient les boiteux et res-
suscitaient les cadavres en putréfaction, ne contractaient pas
cependant la corruption, les difformités, la lèpre, la peste ou
la fièvre; pourquoi donc le Christ, qui était venu racheter
f homme de la damnation et le guérir du vice, aurait-il re-
vêtu la livrée des vicieux et la laideur des coupables? Jésus,
au contraire, tua la mort et mit en fuite les horreurs qui rac-
compagnent. En s'incarnant dans le sein d'une vierge , Jésus
prit de f ho mine la beauté et la grâce; sa divinité resplendis-
sait à travers son corps.
Devant ces deux opinions si divergentes, les antiquaires de-
mandèrent à fart le parti qu'il avait pris. Mais, pour résoudre
ce problème intéressant, on étudia les livres au lieu de voiries
monuments; on lut au lieu de regarder, et Ton tira les conclu-
sions que les monuments n'admettent pas. Les artistes chrétiens
n'ignorèrent certainement pas les controverses qui se firent sur
cette question; ils durent y prendre une part plus ou moins
directe et la résoudre ou dans un sens ou dans un autre. Puis-
que les écrivains et les théologiens étaient partagés, les artistes
aussi durent se diviser au moins en deux camps; fun se com-
posa des partisans de la laideur, et fautre des partisans de la
beauté. On doit donc retrouver dans les œuvres de fart chré-
tien tantôt des Christs beaux, tantôt des Christs laids.
La laideur et la beauté n'ont pas besoin d'être définies;
tout le monde attache à ces deux mots des formes parfaitement
reconnaissables , impossibles à confondre. Or, au sens qu'on at-
tribue à ces deux expressions, il n'y a pas de Christ peint ou
sculpté, à aucune époque, qui soit réellement très-beau; sur-
tout il n'y en a pas qui soit réellement laid. Ces Fils de Dieu,
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE. 273
figurés par l'art, ne sont absolument ni laids ni beaux. Ce sont
des hommes tout simplement, des hommes assez bien con-
formés; mais ni la laideur ni la beauté ne les rendent remar-
quables. Jésus, quand il est un jeune et gracieux adolescent,
comme on le remarque dans les monuments des catacombes,
ne surpasse pas en beauté les jeunes gens de cet âge. Tout
jeune homme de quinze à vingt ans vaut cette figure du jeune
Dieu, quelque gracieuse qu'elle soit. Quand on le représente
âgé et triste , il n'est pas plus laid que tous les hommes de
trente ou de quarante ans. Sur les monuments du xiii'' siècle,
à la cathédrale de Paris, par exemple, au tympan de la porte
gauche du portail occidental, on voit Jésus assistant, avec ses
apôtres et ses disciples, à la mort de Marie, sa mère, et rece-
vant dans ses bras l'âme de la Vierge , qui se dirige vers le ciel ;
le Christ de cette sculpture n'est pas plus beau, n'est pas plus
laid que les apôtres qui sont à ses côtés , que les rois el les
patriarches de la voussure qui s'ordonnent en plusieurs cor-
dons autour du tympan. Il y a mieux, c'est qu'il serait impos-
sible de distinguer le Christ de ses apôtres, ou de ses ancêtres,
rois ou patriarches, sans le nimbe dont sa tête est ornée; cette
tête divine a le nimbe crucifère , tandis que celle des apôtres
a le nimbe uni, et que celle des personnages de l'Ancien Tes-
tament ne porte aucun ornement. Jésus est un homme et un
homme comme les autres. La renaissance a bien cherché à
idéaliser, à embelhr le Christ, mais elle n'en a pas fait la plus
belle, de ses créations. Le précurseur de Jésus, saint Jean-
Baptiste, enfant ou homme, est aussi beau dans l'œuvre des
maîtres italiens, allemands et français, que les Jésus hommes
ou enfants. Saint Jean évangéliste est souvent plus beau que
le Christ, son divin ami.
Quand, par hasard, on voit une laide figure du fils de
INSTRUCTIONS. II. 35
274 INSTRUCTIONS.
Dieu, on peut se convaincre aisément que cette laideur nest
pas physiologique, mais provient de Tinliabileté seule de l'ou-
vrier. L'artiste, incapable et mauvais, a fait une laide figure,
parce qu'il n'a su ni pu en faire une belle; c'est à un défaut
dans l'exécution, et non pas à une intention dans la doctrine
qu'il faut attribuer cette laideur ^ Sur les médailles laides le
Christ est laid; il est beau sur les belles médailles. C'est-à-dire
que le Fils de Dieu est mal exécuté sur celles-là et bien exécuté
sur celles-ci; mais réellement il n'est ni beau ni laid dans un
sens philosophique.
Est-ce donc à dire que les Pères auraient discuté la beauté
et la laideur mystiques de Jésus, et que les artistes auraient été
sourds à tout ce bruit qui se faisait autour d'eux? Pendant que
les uns auraient pris chaudement parti pour la beauté, et que
les autres auraient soutenu avec acharnement la laideur, l'art,
qui traduit toujours les idées de l'époque où il vit, serait-il
resté neutre .^^ Cela ne peut être assurément et cela n'a pas été;
nous allons en avoir des preuves. Les artistes , il est vrai ,
entendent la moindre rumeur qui bruit à leurs oreilles ; ils
reflètent, au moyen des dimensions, des lignes, des couleurs,
des sons, des syllabes et des gestes, par l'architecture, la sculp-
ture, la peinture, la musique, la poésie et l'orchèse, toutes les
images, tant vagues soient-elles, qui passent devant leurs yeux.
Ils répètent, en le précisant, en le grossissant, tout ce qu'ils
entendent, tout ce qu'ils voient, tout ce qu'ils touchent; mais
ils le répètent en se l'appropriant, en lui faisant subir une
série de transformations qui le purifient et fembellisent. Ils
Voyez un Clirist en émail sur cuivre , de la lin du xi" siècle , qui appartient à
M. du Sommerard. Le travail en est des plus grossiers, et l'extrême laideur de la figure
se reproduit dans le reste du corps et jusque dans l'ornementation. On sent bien que
c'est un Clirist mal fait, mal exécuté, et non pas un Clirisl laid.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 275
connaissaient ces audacieuses expressions de TertuUien: « Jésus-
Christ fut dégradé d'aspect, et son corps Immain n'était pas
présentable; mais tout vulgaire, tout ignoble, tout désho-
noré qu'il est, c'est mon Christ à moi^ » Ils savaient que saint
Cyrille d'Alexandrie avait déclaré que le Fils de Dieu était le
plus laid des enfants des hommes^. Des artistes vulgaires, par-
tisans de la laideur, auraient représenté un Christ difforme ,
usé d'organes, appauvri de muscles, ignoble d'expression;
mais en eux vivaient les traditions antiques perfectionnées
par les nouveaux sentiments apportés avec le christianisme.
Ils comprirent parfaitement qu'un Dieu laid serait encore un
homme très-beau, et par conséquent qu'un Dieu, sous la fi-
gure d'un homme, quelque beau qu'il fût, serait toujours un
Dieu laid, pourvu que les caractères de fhumanité fussent
nettement accusés. Or l'un des plus visibles de ces caractères,
l'un des plus frappants, c'est la barbe assurément; car, par
sa couleur et sa forme, la barbe imprime à la physionomie
un cachet tout particulier qui trahit l'âge et le tempérament.
Donc les artistes représentèrent Jésus avec une barbe , comme
un homme , lorsqu'ils voulurent le figurer laid ; ces natures
délicates transfigurèrent, en les interprétant dans le sens de
l'humanité, les énergiques paroles de TertuUien. Par contre,
ceux auxquels répugna cette interprétation, et qui prirent
parti pour la beauté du Sauveur, le représentèrent sans barbe
et par conséquent dégagé, autant que possible, de tout ce qui
caractérise Thumanité. Enfm, pour les premiers, le Christ laid
fut un homme; pour les seconds, le Christ beau fut un Dieu.
' «Ne aspectu quidem honestus. » [Adv. Jud. cap. xiv.) « Nec humanaî honeslatis fuit
0 corpus ejus, )) [De carnat. C/imfi, cap. ix.) «Si inglorius, si ignobilis, si inhonorablis ,
«meus erit Christus. 1) [Adv. Marcian. lib. III, cap. xvii.)
* ÀXXà TÔ elhos OLVTOÏ) aTiaov êxXnrov ivapà TiivTxs tovs dIoùs tù>v àvOpw-KWV. (S. Cy-
rille d'Alexandrie , de Nudationc Noe, lib. II, 1. 1, p. 43.)
35.
276 INSTRUCTIONS.
Pour les uns, ce fut un être indiquant un âge; pour les autres,
les partisans de la beauté, ce fut un Dieu qui n'était ni d'hier,
ni d'aujourd'hui, ni de demain, un Dieu qui n'a pas d'âge,
parce qu'il a toujours été et qu'il sera toujours ^ Jésus barbu,
c'est le Christ laid des Pères de l'Eglise d'Asie et surtout d'A-
frique; Jésus imberbe, c'est le Christ des Pères de l'Eglise
latine et de tout notre Occident.
Les œuvres d'art sont conformes à notre explication. Ainsi,
dans un même monument, un manuscrit est couvert de
deux ivoires qui sont de la même époque. Sur la couverture
du recto, on voit ce Jésus en croix.
68. CHRIST SOUFFRANT, BARBU, HUMAIN OÙ LAID.
Sculpture en ivoire, xi° siècle, Bibliothèque royale.
E r.H-DVRANP.
' « Jesiis-Chrislus heri , hodie et in saecula. » (S. Paul , Epist. ad HebrœoSj cap. iv, v. 8.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 277
Les pieds posés sur an calice^ où doit couler son sang, il
semble jeter un dernier regard sur sa mère avant de rendre
^ Il est probable que ce calice est le graal si célèbre dans nos romans du moyen âge,
et à la recherche duquel Perceval consacre une vie traversée de mille aventures étranges.
Le graal, dit-on, avait servi à la Cène; c'est dans ce vase que Jésus aurait changé le
vin en son sang. Ensuite Nicodème , le Juif converti , ou plutôt Joseph d'Arimathie
recueillit dans ce divin calice le sang qui coula des plaies du Sauveur. Puis, par la suite
des événements, le mystérieux graal passa en France, oùildevintle sujet de nombreuses
et très-longues épopées. On dit que la fable de ces épopées et que l'origine du graal sor-
tent de la Bretagne, grande ou petite : il n'en est rien. Le graal est né dans les livres
apocryphes, qui sont tous d'origine asiatique ou grecque. C'est en France, dans la Cham-
pagne, à Troyes, que les événements dont il est l'objet se sont développés, et c'est à la
France que les Bretons ont emprunté ce beau sujet. Il en est du graal et de toutes les
épopées du moyen âge comme du style ogival. Le système gothique est né et s'est dé-
veloppé en France, ou pour mieux dire en Picardie, en Champagne et dans l'Ile-de-
France; c'est de là qu'il est allé en Angleterre, en Suède^ en Allemagne, en Italie et en
Espagne. Quant au graal, que nous avons possédé quelque temps à Paris, sous Napo-
léon, de 1809 à 181 5, il est retourné à Gênes, où il est précieusement gardé dans le
trésor de la cathédrale, sous le nom de sacro catixo. Celte précieuse coupe, en verre
et non en émeraude, de forme hexagonale, et munie de deux anses, a un mètre quinze
centimètres de circonférence; elle s'est fendue dans le trajet de Paris à Gênes.
Dans les monuments figurés des xii% xin"" et xiv^ siècles, la Religion chrétienne , per-
sonnifiée sous les traits d'une reine, reçoit dans un calice, toujours le graal, le sang
qui coule du côté percé de Jésus en croix. Gori ( Tlies. vet. dipt. lom. III, p. 1 16) a fait
graver une ancienne couverture d'un psautier deFréjus, où l'on voit ce sujet. Là, au
bas de Jésus à la croix, la Religion chrétienne tend une coupe pour recevoir le sang
qui coule des pieds; mais, de plus, le sang des mains est recueilli par les archanges
Michel et Gabriel, qui tendent également chacun un calice. Nous avons, dans cet exem-
ple, trois graals pour un. Outre Gênes, les villes d'Auxerreet d'Angers réclamaient l'hon-
neur de posséder le Graal; il a pu y avoir en effet, non pas une coupe, mais plusieurs qui
auraient servi, pendanlla Cène, à différents usages. Dans la cathédrale de Beauvais, à la
chapeUe de la Vierge , qui est au fond de l'abside , on voit un vitrail du xiii° siècle , dans la
rosace duquel est peintun crucifiement. Adam, qui est enterré au pied de la croix, suivant
la légende, sort tout entier du tombeau; une draperie verdàtre est jetée sur sa tête et
autour de ses reins. De la main gauche il tend une coupe d'or, où tombe le sang qui
coule des pieds de Jésus. On appelle l'attention des antiquaires sur ces diverses coupes:
c'est de là qu'est sorti le graal, c'est là qu'est le germe de ces épopées dont le graal est
l'objet. Les apocryphes d'abord, puis les monuments figurés, enfin les épopées de nos
poètes champenois et picards, voilà où les Bretons ont puisé à pleines mains ce qu'on
a tort d'appeler leurs inventions. Les pieds, dans le Christ de notre dessin, ne sont pas
croisés et attachés par un seul clou, mais libres et percés de deux clous. Jusqu'au xiii°
278 INSTRUCTIONS.
l'âme. En bas, sur terre, Marie et saint Jean ^pleurent la mort,
l'une de son fils, l'autre de son ami, tous deux de leur Dieu.
En haut , dans le ciel , cernés par une auréole circulaire et on-
duleuse, le soleil, sous la forme d'un jeune homme imberbe,
la lune , sous celle d'une femme portant un croissant sur la
tête, s'attendrissent aux souffrances du maître de la nature.
Le nimbe du Christ est crucifère, mais sans ornements. De
l'autre côté, au verso, et par opposition , est le Fils de Dieu assis
dans le ciel, environné d'une auréole elliptique, orné d'un
nimbe que des perles décorent à la circonférence. Les quatre
symboles des évangélistes, l'ange, l'aigle, le lion et le bœuf,
escortent le héros divin de l'Evangile. Au recto, Jésus est souf-
frant ; il est triomphant au verso. Là il est attaché à la croix,
gibet infâme; ici il est enveloppé de l'auréole, gloire divine.
La nature, par l'homme et les constellations, compatit à ses
douleurs et à sa mort dès l'entrée du manuscrit; à la fin, les
évangélistes, leurs attributs, célèbrent son triomphe, et le
lion de saint Marc rugit de joie et de bonheur. ^
siècle, on a attaché indifféremment le Christ avec trois ou quatre clous. G. Durand est
pour quatre clous encore, comme Grégoire de Tours l'était bien avant lui. Après le
XI 11° siècle l'usage de ne mettre que trois clous l'emporte définitivement.
Saint Jean est barbu ainsi que les Grecs le représentent constamment, tandis que
chez nous c'est un beau jeune homme encore imberbe. Dans cet ivoire, qui est latin ,
on sent , à l'âge de saint Jean et à la personnification du soleil en Apollon et de la lune
en Diane, une influence byzantine incontestable.
' « Marcus fi-endens ore leonis , » comme disent les symbolistes du xiii° siècle, a Marcus
«I ut alla fi'emit vox per déserta leonis , » comme s'exprime un évangéliaire du ix" siècle,
que possède la bibliothèque del'Arsenal. {Quatuor evangeîia, théol. lat. 33.) — Ces expres-
sions justifient bien le rugissement de notre lion. Un évangéliaire in-folio, provenant de
la Sainte-Chapelle de Paris, à laquelle il avait été donné en 1379 par Charles V, contient
ces vers qui expliquent les quatre attributs des évangélistes :
«Quatuor baec Dum signant animalia Xpfi:
« Est liomo nascendo , vitulusquc sacer moriendo ,
uEt leo surgendo , cœlos aquiiaque petendo;
i(Kcc minus hos scribas animalia et ipsa figurant.
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE.
69. CHRIST TRIOMPHANT, IMBERBE , DIVIN OU BEAU.
Ivoire du xi° siècle, Bibliothèque royale.
279
Ce Jésus, ce fils de riiomme transfiguré en Fils de Dieu
donne au monde la grâce et la science : la grâce avec la main
Ainsi ces attributs figurent à la fois le Christ et ses quatre évangélistes. Quant à la place
qu'ils occupent et aux livres qu'ils tiennent tous quatre, voici ce que Guillaume Durand
en dit au chapitre m, livre I, du Ratiouale divinorum ojjiciorum : « Quandoque eliam cir-
« cumpinguntur quatuor animalia secundum visionem Ezechielis et ejusdem Johannis.
«Faciès hominis et faciès leonis a dextris, et faciès bovis a sinistris, et faciès aquilae
« desuper ipsorum quatuor. Hi sunt quatuor evangelistae. Unde pinguntur cum libris
« in pedibus , quia, quae verbis et scriplura docuerunt, mente et opère compleverunt. »
— Durand confond le létramorphe d'Ezéchiel avec les quatre attributs séparés. Dans le
tétramorphe, l'aigle est tout en haut, mais l'ange ou l'homme est au centre, et dans ce
cas les attributs ne portent aucun livre. Durand ne s'est pas compris lui-même, ou bien ,
ignorant les représentations , il a voulu renchérir sur le cœlos aqaila petendo. Il faut tou-
jours à Durand, même aux dépens delà raison, un sens symbolique exagéré. La place
que, sauf erreur, les attributs des évangélistes occupent et doivcul occuper invariable-
280 INSTRUCTIONS.
droite, qui bénit, la science avec les livres qu'il tient à la main
gauche et dans son giron. La science est là, représentée dans
sa plénitude, dans le livre carré et dans le livre rond, ou vo-
lume. Ces deux formes, les seules connues alors, étaient usitées
simultanément chez les Piomains. Les symbolistes du moyen
âge, Guillaume Durand entre autres, déclarent que le rouleau
signifie la demi-science et que le livre carré signifie la science
entière ; pour cette raison , ajoute-t-il , les sculpteurs et les pein-
tres donnent aux prophètes le rouleau [volu7nen),^8irce que ces
prophètes n'ont aperçu la vérité qu'à moitié, qu'en énigme et en
image, et comme dans un miroir; mais quelques apôtres et les
évangélistes, qui ont vu la vérité directement, qui l'ont connue
tout entière et l'ont enseignée, portent le livre. Jésus-Christ,
qui est venu compléter le passé, qui a résumé en lui l'Ancien et
le Nouveau Testament, lui que les prophètes ont prédit et
que les apôtres ont vu, lui la lumière et la vérité incarnées,
devait se montrer porteur à la fois du livre et du rouleau K
ment est celle-ci, en prenant Jésus-Christ comme point de départ : en haut, l'ange est
à droite et l'aigle à gauche -, en bas , le lion est à droite et le bœuf à gauche. La nature
des attributs et le sens qu'on leur donne exigent cet ordre. En ligne ascendante , le
bœuf, qui est le plus lourd et le plus grossier, est en bas; au second degré rugit le lion;
l'aigle vole au troisième, et l'ange s'élève tout en haut. Cet ordre est quelquefois interverti,
maisc'est par ignorance. Les en-eurs commises à cet égard n'ont pas plus de valeur que
celles dontse rendent journellement coupables les restaurateurs modernes de nos églises.
' G. Durand, Rat. div. off. lib. I, cap. m. — Suger a fait exécuter à Saint-Denis un
vitrail peint de divers sujets dont il donne la description et pour l'explication desquels il
avait composé lui-même des vers. L'un de ces sujets , qui existe encore, représente le
Christ enlevant un voile qui cachait la figure de la Synagogue personnifiée; les vers sui-
vants, dont on ne voit plus que quelques lettres, indiquent celte action :
Quod Moyscs velat, Christi doctrina révélât;
Dénudant legem qui spoliant Moysen.
L'Ancien Testament, la loi de Moïse, est une doctrine voilée que Jésus-Christ est venu
éclairer d'une vive lumière; avec le Christ, nous voyons la vérité en elle-même et face à
face. Celte action de dévoiler Moïse et les prophètes a donné lieu à plusieurs compositions
peintes; un manuscrit de la Bibliothèque royale enofii'e un exemple douze fois répété.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 281
L'intention est évidente : l'artiste a fait un Christ laid dans
le patient sur la croix, un Christ heau dans le triomphateur
sur le trône. Or le premier est harhu , et le second est imberbe;
donc la laideur et la beauté discutées par les Pères de l'Eglise
ont été exprimées dans l'art chrétien, l'une par la présence, et
l'autre par l'absence delà barbe. Ce fait est capital; il explique
ces Jésus barbus et imberbes qu'on voit simultanément dans les
monuments analogues, de style et d'époque, aux fresques et
aux sarcophages des catacombes de Rome et des Aliscamps
d'Arles. Toutes les fois donc que Ton trouve un de ces Jésus
adolescents, imberbes, souriants, posant les pieds sur la per-
sonnification de la terre ou du ciel, debout sur la montagne
du paradis ou sur les eaux du Jourdain , faisant des miracles
ou comparaissant devant Pilate, on peut dire que l'artiste, par-
tisan de la beauté dans la question qui nous occupe, a fait beau
Jésus, môme considéré commehommeet accomplissant sa mis-
sion évangélique. Toutes les fois, au contraire, et le cas est assez
fréquent, qu'on rencontre un Christ barbu, même quand il
remplit des fonctions divines plutôt qu'humaines, et quand, de-
bout sur le mont aux quatre fleuves symboliques, il donne ses
dernières instructions à ses apôtres, on peut dire que l'artiste
était partisan de la laideur, et qu'il a fait un Christ laid , c'est-
à-dire un Christ humain.
Du reste , le manuscrit de la Bibliothèque royale n'est pas
le seul monument qui appuie la solution qu'on vient de don-
ner. Il existe à Saint-Guillem-du-Désert, en bas Languedoc, un
autel dont le devant, formé d'une mosaïque blanche et noire,
représente d'un côté le crucifiement , et de fautre le triomphe
de Jésus. Sur la croix, le Christ est barbu et âgé; mais , environné
de l'auréole, qui est ovale comme dans fexemple qu'on vient
de donner, il est imberbe et jeune. Ce curieux monument date
INSTRUCTIONS. II. '^G
282 INSTRUCTIONS.
probablement du xi*' siècle, et paraît avoir été Taiitel même
de Saint-Guillaume, dédié par un légat de Grégoire VIP.
Cette discussion élevée sur la beauté et la laideur du Fils
de ITiomme, ou, pour nous exprimer plutôt comme les artistes
que comme les Pères, cette question relative au Christ envisagé
dans sa nature divine et dans sa nature humaine n'eut d'im-
portance et de retentissement réel que dans la première période
de Tart chrétien , du v*" siècle au xif . Alors on prend parti pour
la laideur ou la beauté, sans que l'Eglise adopte une décision
à cet égard, et l'on exécute des œuvres où tel système est pré-
féré ici, et tel autre ailleurs. Cependant le parti de la beauté
ou de la nature divine, plus fort dans le principe, finit par
fléchir de plus en plus; vers le xn"" siècle, au xiii'' surtout,
c'est la laideur ou la nature humaine qui triomphe exclusive-
ment. Un manuscrit déjà cité^, qui date de la lin du xiv*" siècle,
montre le prêtre Eléazar brûlant une vache rouge hors du
camp des Hébreux, pour détourner la colère de Dieu. En re-
gard, une miniature représente Jésus attaché à la croix, Jésus
entièrement nu et dont la chair est rouge ou laide, dit la
glose , parce qu'il s'est chargé de nos péchés. Ici le Christ est
non-seulement barbu, mais dans une complète nudité et de
couleur rouge; il est homme, il est pauvre, il est laid^. On a
donc ici une preuve nouvelle de la réalité et de la tristesse qui
' Découverte et restitation de l'autel de Saint- Giilllaume , par M. R. Thomassy, dans le
XW" vol. des Mémoires de la sociélé royale des anliquaires de France.
" Biblia sacra ^ n" 6829.
' Chez nous, la couleur rouge de la peau , de la barbe et des cheveux est considérée
comme un signe de laideur. Depuis trois cents ans à peu près , on représente le Christ
à barbe et cheveux roussâlres , parce qu'on croit se rapprocher davantage du type
juif. Le peuple est persuadé, contrairement à la tradilion ancienne et au texte de saint
Jean Damasccne, que Jésus était roux, et, dans un dicton fort répandu en Champagne
et en Picardie, les gens du peuple déclarent que Dieu a fait plus beau que lui, parce qu'il
était roux, tandis qu'il a créé des hommes bruns et des hommes blonds.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 283
s emparent du monde et qui passent de la société dans l'art.
Alors Jésus, même exerçant les fonctions divines, est presque
constamment barbu. Il porte la barbe quand il remonte au ciel
après sa résurrection, quand il s'assied à la droite de son Père
dans le paradis, quand il bénit la terre du baut du ciel, quand
il descend sur les nuages pour juger les bommes à la fin du
monde. A plus forte raison est-il barbu lorsqu'il est baptisé
par saint Jean, lorsqu'il est enlevé au désert par Satan, lors-
qu'il prêche, lorsqu'il entre dans Jérusalem, lorsqu'il meurt
sur la croix. Le voici emporté par Satan sur le sommet d'une
montagne d'où le génie du mal lui montre tous les royaumes
et toutes les richesses du monde. Satan dit à Jésus qu'il lui don-
nera tout ce qu'il a sous les yeux s'il veut l'adorer, et Jésus lui
répond : « C'est toi qui dois adorer ton Dieu. » Jésus est barbu et
porte le nimbe croisé, comme tous ceux que nous avons vus'.
70. JESUS BARBU ET TENTE PAR SATAN.
Miniature française , \if siècle.
^/^=\Ç/S^S^>.
Cedessin est tiré dun ms. de la Bibi. roy. [Psaltenumcumjigurisj sûppl. fr. 1 182) qui
36.
284 INSTRUCTIONS.
Il y a plus, rimmanité et la barbe, qui en est le signe, sont
attribuées même à Dieu le père , même au Saint-Esprit , quoi-
que jamais ils ne se soient incarnés. Mais, on l'a dit, Jésus
entraîne dans son atmosphère les deux autres personnes; donc,
puisqu'il est barbu, le Père et le Saint-Esprit devaient l'être.
Pour le Père, d'ailleurs, il y avait une raison qu'on a donnée
plus haut, c'est qu'il est appelé l'Ancien des jours, et que
cette ancienneté divine a été traduite par un des signes de la
vieillesse, une barbe longue et fine. Quant au Saint-Esprit,
on l'a représenté barbu pour signifier qu'il était égal au Père
et au Fils, et qu'il avait aussi bien qu'eux l'éternité en par-
tage. Du reste, et on le verra dans son histoire, l'Esprit a
souvent la forme d'un adolescent à peine barbu ou même
d'un tout jeune enfant.
SIGNES ARCHÉOLOGIQUES QUI CARACTERISENT jÉsUS-CHRIST.
L'âge et la physionomie ne caractérisent pas Jésus; car, on
l'a vu , cet âge varie de quinze à soixante ans. Dans les cata-
combes, Jésus est souvent un adolescent; sur les vitraux du
xvf siècle il est quelquefois un vieillard. La physionomie et
les signes extérieurs qui pourraient la préciser sont tout aussi
vagues. Au portail occidental de Notre-Dame de Paris , sur le
tympan de la porte gauche où est sculptée la mort de la Vierge ,
il est impossible , par l'expression et la coupe de la figure , de
date du xii° siècle. Satan, pour faire succomber Jésus plus aisément, s'est fait accompa-
gner d'un aide qui lient le fils de Dieu par le corps. Cet aide , au moyen de ses deux paires
d'ailes et de sa force musculaire, dont témoignent les deux grosses cornes de son front,
a transporté le Seigneur sur la montagne. L'autre, le Satan en chef, à queue de vipère,
à ventre en figure humaine, tient une banderole où on lit : « Haec omnia libi dabo si
" cadens adoraveris me. » Mais Jésus fait un geste impérieux de commandement , et
déclare à Satan qu'il doit l'adorer, comme l'indiquent ces paroles du rouleau qu'il tient
à la main gauche : « Dûm Deû tuû adorabis. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 285
distinguer Jésus-Christ des autres apôtres qui sont là. Plu-
sieurs de nos dessins, ceux surtout des xiii*^ et xiv*" siècles,
offrent la même incertitude. Les vêtements ne sont pas un
meilleur caractère; Jésus est ordinairement vêtu, comme ses
apôtres, de la robe et du manteau. La couronne royale qui
couvre sa tête nelui est pas spéciale : les rois , certaines vertus,
certains arts libéraux, comme on en voit aux cathédrales de
Chartres et de Clermont-Ferrand, sont ainsi couronnés. La
tiare lui est commune avec son Père, avec Melchisédech ,
avec Aaron , avec saint Pierre. Le livre ouvert ou fermé, qu'il
tient à la main gauche, est porté par ses apôtres. Piien de tout
cela ne le caractérise spécialement.
D'autres attributs cependant le distinguent de la foule, s'ils
ne le séparent pas de tous les autres personnages sans exception.
La nudité des pieds caractérise quelquefois les prophètes, tou-
jours les apôtres, toujours les anges et les personnes divines.
Je ne parle que des personnages représentés habillés; car Job
sur son fumier, le pauvre Lazare devant le riche impie, le
voyageur dépouillé par les voleurs et que recueille le Sama-
ritain, Tenfaot prodigue dans une certaine période de son
existence , beaucoup de saints subissant le martyre , et d'autres
encore , ont les pieds nus , puisqu'ils sont à peu près sans aucun
vêtement. Mais toutes les fois qu'un personnage est habillé et
que de certains caractères, le nimbe, par exemple , le font re-
connaître comme saint, on peut dire avec assurance que c'est
un prophète, un apôtre, un ange ou une personne divine, si
ses pieds sont nus. En tous cas, c'est encore un bien insuffi-
sant caractère pour Jésus-Christ, puisque par là il reste con-
fondu avec tant d'autres personnages. Ajoutez, en outre, que
sur des sarcophages, dans les anciennes fresques, souvent
dans quelques très-vieilles mosaïques, Jésus a les pieds chaus-
286 INSTRUCTIONS.
ses de sandales rattachées par des cordons qui passent sur le
cou-de-pied. Jésus est habillé en Romain, même pour la chaus-
sure. Au xv^ siècle, il n'est pas rare de voir à Jésus les pieds
enfermés dans de riches chaussures, surtout quand il est ha-
billé en grand prêtre ou en pape, dont il prend le costume
entier. Au xiv'' siècle même, quand surtout il accompagne les
pèlerins d'Emmaûs, il porte souvent, comme un pèlerin, le
chapeau à larges bords, le bourdon, la panetière et les fortes
chaussures ^ On fait la même exception pour saint Jacques,
le patron des pèlerins. La réalité, le matérialisme des xiv^ et
XV'' siècles répugnent à faire marcher pieds nus saint Jacques ,
qui va d'Asie en Europe , de Jérusalem à Compostelle. Cepen-
dant, entre le vf et le xv" siècle, la nudité des pieds est un
caractère à peu près certain pour faire distinguer le Christ
entre les confesseurs, les martyrs, les vierges et les person-
nages allégoriques.
La gloire, auréole et nimbe, destinées à glorifier les per-
sonnes saintes et divines, devait être attribuée au Christ plus
qu'à tout autre , en raison des honneurs immenses qui ont tou-
jours été rendus à la seconde personne divine. Les monuments
nous présentent , en effet , le fils de Dieu orné des auréoles
les plus lumineuses et des nimbes les plus éclatants. Dans le
sein de sa mère, le Verbe incarné est déjà tout rayonnant,
ainsi que la planche suivante en donne un exemple curieux.
' Une grande statue de Jésus en pèlerin, à Notre-Dame de Reims, est chaussée
comme le serait un saint ordinaire. Elle porte un chapeau de pèlerinage, à bords larges
et faits pour abriter le voyageur contre le soleil et la pluie. Le nimbe timbré d'une croix
fait seul reconnaître le Christ. Dans nos légendes du moyen âge , Jésus se déguise fré-
quemment en pèlerin; on le voit surtout passant un fleuve dans une barque dirigée et
conduite par Julien le Pauvre et sa femme. Dans ce cas , Jésus est ordinairement ha-
billé comme le grand Christ de Reims. Le nimbe marqué d'une croix est le seul attribut
qui le caractérise , car son grand chapeau et ses vêtements à la mode le feraient prendre-
pour un pèlerin ordinaire. (Voyez un bas-relief représentant saint Julien et qui est de la
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
71, JÉSDS DANS UNE AUREOLE FLAMBOYANTE
Vitrail français, .\vi° siècle.
287
Cette auréole, formée par des rayons droits et flamboyants ,
fin du xiif siècle; il est aujourd'hui dans la rue Galande, u" 42 , à Paris. Ce bas-relief
intéressant provient de l'église Saint- Julien, qui est près de là. )
' Ce dessin reproduit un vitrail du xvf siècle , qui se voit dans la pauvre église
de Jouy, petit village de l'arrondissement de Reims. En i836 , j'ai vu à Lyon, chez
l'architecte Pollet, qui est mort depuis, deux volets en bois où l'on avait peint au
XV' siècle une Visitation. La Vierge et sainte Elisabeth , toutes deux enceintes , se sa-
luaient affectueusement. Le peintre avait eu la hardiesse de représenter sur le ventre
des deux cousines deux petits êtres humains qui figuraient Jésus et saint Jean-Baptiste.
Les deux enfants se saluaient également. Le petit saint Jean tressaillait et s'inchnait
pieusement sous la bénédiction que le petit Jésus lui donnait de ses doigts presque
imperceptibles. En mourant, Pollet a fait don à la ville de Lyon, comme on me l'a
dit, de ces peintures intéressantes, qui ont bien quelque rapport avec notre vitrail de
Jouy, et qui ne seront pas une des moindres curiosités du musée de Lyon. Outre
leur intérêt archéologique, ces peintures ont encore de la valeur comme œuvres d art.
288 INSTRUCTIONS.
est analogue à celle que nous avons donnée plus haut' ; seu-
lement ici, le petit Jésus est plongé tout seul dans cet ovale
lumineux qui est plus accentué et qui épouse mieux le con-
tour général du corps.
La forme de l'auréole qui entoure le Fils de Dieu est extrê-
mement variée: elle est elliptique, ovoïdale, circulaire, tétra-
foliée, comme nous en avons donné plusieurs exemples^;
elle affecte les formes les plus simples et les plus complexes
de la géométrie. L'auréole étant un signe matériel du culte
qu'on rendait au Christ , du respect et de l'admiration qu'on
avait pour son dévouement et sa doctrine, l'imagination, celle
des Grecs surtout, s'est agitée en tous sens pour inventer des
formes nouvelles; on cherchait à témoigner ainsi de l'amour
infiniment varié qu'on portait au Sauveur. Le triangle, nous
l'avons dit en détaiP, est la figure de la divinité: deux trian-
gles accusent la divinité plus fortement encore, et plusieurs
triangles désignent l'absolu de la puissance divine. Dans la
planche 21% nous avons donné un double triangle ; mais c'est
au nimbe et non à l'auréole , à la tête seulement et non pas
au corps qu'est appliqué cet attribut bi-triangulaire. Ici, nous
avons quatre triangles et non plus deux seulement, qui s'in-
tersectent, et de ces quatre triangles émerge le corps du Fils de
Un ancien émail de Limoges, que possède M. l'abbé Texier, curé d'Auriat (Creuse),
et correspondant du comité des arts el monuments, offre un sujet entièrement sem-
blable à celui de Jouy. La Vierge y est vêtue d'une robe blancbe , retroussée en
partie et laissant apercevoir une robe de dessous, rouge et dorée. Dieu le père , qui
plane dans les cieux, bénit la mère de son tils. Sur le ventre de la Vierge est figuré,
dans une auréole dorée, un petit être humain nu et joignant les mains. Marie se dé-
tache sur un fond bleu ; elle est entourée de la lune , d'une étoile , d'une tour, d'un
lys, etc. attributs qui la caractérisent, surtout au xv° siècle.
' Planche 43, page i.Si.
^ Entre autres, planches 36, 37, 38 et ào, pages 111, 1 13, 117 el i23.
^ Histoire du nimbe , p. 59-64.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 289
Dieu. Les trois grands archanges Raphaël, Michel et Gabriel \
portent en triomphe ce jeune Dieu, qui bénit le monde des
deux mains à la fois. Jésus a des ailes comme les archanges
eux-mêmes, parce qu'il a été le messager, l'ange [kyyeXo^) de
la grande volonté de Dieu , comme les Grecs s'expriment dans
leur magnifique langage.
72. JÉSUS EN ANGE, DANS UNE AUREOLE COMPOSEE DE TRIANGLES*.
Peinture grecque, xv° siècle.
EP-B.'PVRAND-BX-PICTVR.-eRA.C.
' Selon la coutume des Grecs, le nom des archanges est ligure par la première lettre
de ce nom inscrite au sommet du nimbe.
' Ces représenlalions de l'assemblée des archanges (r) (rivants rœv àpx<^yyélwv) oilrant
INSTRUCTIONS II. 7
290 INSTRUCTIONS.
Souvent les Grecs émoussent les pointes de ces triangles
ou les relient par une circonférence circulaire; alors ils ra-
mènent à la forme d'un cercle parfait l'auréole d'où s'élance
le jeune Dieu. Page 117, pi. 38, nous avons donné une figure
divine , qui est probablement le Fils ou , tout au moins , le
Père sous les traits de son Fils; le Dieu est assis au centre de
carrés à côtés concaves et projetant six pointes triangulaires. Les
extrémités de ces triangles viennent toucher à un cercle qui les
réunit. Ainsi nous revenons à cette « imago clypeata » déjà plu-
sieurs fois signalée et dont nous avons donné des exemples '.
Le Christ ne bénit plus que d'une main, et quelquefois, comme
dans une peinture du couvent de Sainte-Laure , la main ne bénit
pas, mais elle s'arme d'une épée nue. Alors l'image est com-
plètement guerrière, car l'auréole circulaire et le nimbe lui-
même sont assimilés à des boucliers. On lit dans le manuscrit
d'Herrade : « Les lumières que l'on peint autour de la tête en
forme de cercle veulent dire que les saints qui en jouissent
sont couronnés de la lumière et de la splendeur éternelles.
C'est pour cela qu'on leur donne la forme d'un bouclier rond ,
parce qu'ils sont défendus par la protection divine comme
par un bouclier. De là vient qu'ils chantent eux-mêmes : Sei-
gneur, dcfendez-nous avec le bouclier de la volonté^. » Dans
à l'adoralion îeur jeune maître sonl Irès-noinbreuses chez les Grecs. Il n'y a guère d'églises
qui n'en possèdent une peinture à fresque ou un tableau sur bois, appliqué contre la clô-
ture du sanctuaire. A eux trois, les archanges Michel, Gabriel et Raphaël représentent,
selon les idées des Grecs , la triple puissance militaire , civile et religieuse , dans le royaume
céleste. Raphaël est considéré et habillé comme un prêtre ; en celte qualité , il occupe la
place d'honneur; il est au milieu, entre Michel et Gabriel. Michel, toujours vêtu et armé
comme un guerrier, a pour mission de combattre les démons et les ennemis de Dieu. Ga-
briel se charge des messages pacifiques, et vient, par exemple, annoncer à Marie qu'elle
sera la mère du Verbe. La dilYérence des costumes indique celle des attributions.
' Notamment planche 5i, page 191.
" Lumina quai circa capul sanclorum in modnm circuli depinguntur, désignant
"quodlumine aeterni splendoris coronali fruuntur. Idcirco vero secundum formam ro-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 291
ie dessin suivant, le Christ est plus pacifique; il tient un
rouleau delà main gauche et bénit de la main droite. Son au-
réole circulaire est inscrite dans une autre auréole semblable
qui renferme Marie.
73. — JÉSUS DANS DNE AUREOLE CIRCULAIRE '.
Sceau en argent du mont Athos.
Certainement ces auréoles, si diverses et si splendides dont on
relève la personne du Christ, sont remarquables de beauté ;
cependant elles ne peuvent servir encore à le faire distinguer
« tundi sculi pingunlur, quia divina protectlone ut scufo muniuntur ; unde ipsi cantanl
« gratulabundi : Domine ut scuto voluntatis » [Hortus deliciarum. )
' Ceci est ]a représenlalion du sceau donl le gouvernement du mont A ih os marque
tous ses actes. Ce gouvernement s'appelle épistasie ; il est composé de quatre moines
nommés èpistutes , élus chaque année, au mois de mai , par tous les couvenis de la mon-
tagne sacrée. Un secrétane perpétuel complète celte autorité annuelle. Toutes les
délibérations de ce pouvoir électif ne sont exécutoires qu'après avoir été scellées du sceau
de l'état. Ce sceau est en argent el coupé en quatre parties égales ; chaque épistate est
dépositaire de l'une de ces parties. Quand la délibération est prise, les épistales dé-
posent sur une table leur quart de sceau , en guise de boule. Le secrétaire prend ces
quatre parties et les réunit au moyen d'une clef ou d'une vis à queue donl il est le dé-
positaire. Il noircit, à la fumée d'une bougie , ce sceau ainsi recomposé, et il en marque
le papier sur lequel il a écrit la délibération. Puis il divise le sceau , rend son quart à
chacun des délibérants et garde la clef pour lui. C'est ainsi que fut scellée une lettre que
les épistales me délivrèrent, aumois d'octobre 1889, pour me recommander aux différents
monastères que j'allais visiter. A la circonférence de ce sceau , on lit en grec et en lurc •
SCEAU DE L'ÉPISTATE DE LA COMMUNADTÉ DE LA SAINTE MONTAGNE. LcS quatre épistates , par
37.
292 INSTRUCTIONS.
suffisamment. Ainsi , plus haut, nous avons vu un Christ du
Gampo-Santo enveloppé d'une auréole ovoïdale et assis sur un
arc-en-ciel ^ La circonférence de l'auréole et Tintérieur de
Tare sont rayés d'une foule de lignes et hrodés comme un
riche vêtement. La tête du Christ elle-même lance des rayons
avec tant de force quelle les pousse hors du champ de
Tauréole. Et cependant, malgré l'attention évidente d'honorer
spécialement Jésus et de montrer sa gloire, on ne peut, à ces
caractères, le distinguer, non-seulement de Dieu le père, mais
même de sa mère, une simple créature. Effectivement, sur la
même fresque du Campo-Santo, où est figuré ce Christ si lu-
mineux, est peinte la Vierge tout aussi éclatante que son fds.
Marie est assise sur un arc-en-ciel; elle est entourée d'une
auréole ovoïdale, et elle rayonne à la tête absolument comme
le Christ. Le champ de l'arc, la circonférence de l'auréole, le
nombre et la force des rayons égalent ce qu'on voit dans
l'image du Fils de Dieu.
^unanimité de leurs délibérations , sont considérés comme un seul individu. Ce sceau re-
présente la Vierge et l'Enfant Jésus. Tout le mont Alhos est dédié à Marie. Les femmes et
même toutes les femelles des animaux sont exclues du mont Athos ; il n'y a et il n'y a
jamais eu que des hommes. On y voit des troupeaux de boucs, de moutons , clecbevaux
et de mulets ; les dindons et les coqs abondent dans certains couvents; mais il n'y a ni
chèvres ni brebis , ni juments, ni mules , ni dindes, ni poules. Cependant ces moines,
si ennemis des femmes , ont mis leur gouvernement sous la protection d'une femme , de
la Vierge; presque tous les monaslères sont dédiés à la Vierge et à tous les événements de la
vie de Marie. Les deux premiers couvenls sont dédiés, l'un à la nativité de Marie, l'autre à
son entrée dans le temple de Jérusalem. Le dernier, celui qui est au fond de la péninsule
alhonile, est consacré à la mort ou à l'assomption de Marie. Ceux des couvents, qui ne
sont pas tout entiers sous la proicclion de Marie, renferment une, deux ou trois églises
qui lui sont dédiées. Le mont Alhos a voulu se soustraire à la femme, et cependant la
nionta<2;iie entière , les habitations et les éîjlises , les moines el leurs actes sont gouvernés
et protégés par une femme. Il n'y a pas une seule fête de la Vierge, depuis sa nativité
jusqu'à sa mort et son couronnement, qui ne soit célébrée avec pompe dans tout le mont
Athos. La religion grecque a porté le culte de Marie plus loin encore que l'Eglise latine.
' Planche Gy, page 268.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
293
Ih.
MARIE GLORIFIEE COMME JESUS-CHRIST.
Fresque ilalleune, xiv° siècle.
Quelquefois les deux mains du Christ lancent des rayons,
comme celui qu'on voit dans Sainte-Madeleine de Vezelay, à
la porte de l'église proprement dite^; mais la Vierge elle-même
est également représentée laissant tomber de chacun de ses
doigts des rayons de grâce sur ceux qui l'invoquent. Une mé-
daille, frappée en son honneur dans ces derniers temps, la
' Il y a deux bâtimenls, le porche et l'église; c'est à la porte de l'église que se voit
celte stalue.
294 INSTRUCTIONS.
figure ainsi laissant tomber des torrents de faveurs de cha-
cune de ses deux mains.
On le voit, par ces différents caractères de l'âge, de la phy-
sionomie, du costume, de l'auréole, le Christ ne se distingue
pas assez, puisque sa mère et souvent de simples saints sont
honorés au même degré. Le nimbe est un meilleur caractère.
Jésus, sauf les exceptions signalées dans l'histoire de cet or-
nement archéologique, porte un nimbe crucifère. Comme les
croisilJons de cet attribut sont quelquefois marqués des mots
6 (^v, REX, A et a, ou A, M, il \ on ne peut confondre le Christ,
auquel ils se rapportent, avec les autres créatures historiques
ou allégoriques. Les trois personnes divines ont seules le droit
de porter un nimbe semblable , et c'est à Jésus qu'il appartient
surtout. Ainsi nous distinguons le Christ déplus en plus, nous
le tirons successivement de la foule. Par la nudité des pieds, il
était confondu avec les anges, avec les apôtres, même avec les
prophètes; maintenant, à faide du nimbe ainsi caractérisé, nous
affirmons que c'est une des trois personnes de la Trinité, et pro-
bablement la seconde^. Mais quand cette personne , que le nimbe
^ Dans le poème de Rhaban Maur [De laudïbus sanctœ cr«c«s, figura i'), Jésus est figuré
portant un nimbe crucifère où sont inscrites ces trois lettres , A, M, û, qui sont le com-
mencement, le milieu et la fin de l'alphabet grec , parce que Jésus renferme en lui le
passé , le présent el favenir. Rhaban dit d'une manière symbolique ce que les Byzan-
tins, par 0 &v, expriment littéralemenl ; mais c'est le même principe dans les deux
variétés. Dieu est l'être par excellence { b wv) ; il embrasse , dit Rhaban , le commen-
cement, le milieu el la fin de tout; il élait hier, il est aujourd'hui, il sera demain. —
Le poète Prudence dit dans sa neuvième hymne :
Alpha et oméga cognominatur ipse ; fons et clausula
Oninium quae sunt , fuerunt, vel post futura sunt.
Sur une archivolte de l'église ancienne de l'île Barbe , près de Lyon , on lit , rédigé
en fort mauvais latin , mais gravé en beaux caractères du xi* siècle :
Alpha vel 0, primus, finis michi convenit ergo.
C'est le Christ qui parle ; il tient une croix avec laquelle il terrasse un lion.
C'est au Christ en efïèt que convient prlacipalcment le nimbe crucilère; le Père e'
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 295
crucifère décore ainsi, est armée de la grande croix de la Pas-
sion ou de la petite croix de la Résurrection, et qu'à cette croix
flotte un étendard rouge teint dans le sang de la victime divine;
quand cette personne n'a pas de robe , mais un simple manteau ,
qui laisse à nu les bras et la poitrine, et qui s' entrouvre pour
faire voir la plaie du côté droit; quand un vêtement de prêtre
latin ou d'archevêque grec couvre la personne au nimbe cruci-
fère, parce que Jésus-Christ est prêtre suivant l'ordre de Mel-
chisédech \ parce qu'il est le grand archevêque qui officie dans
la liturgie divine^; quand cette personne est entourée des at-
tributs des évangélistes; quand près de sa tête se lit le mono-
le Sainl-Rsprit, en l'acloplant, semblent, comme nous l'avons déjà dit, rendre hommage
à Jésus et se pai-er de sa livrée. Le texte qui suit, et que nous croyons devoir transcrire
en entier, complétera ce que nous avons dit sur le nimbe en général et sur le nimbe
du Christ en particulier : « Considerandum quoque est quod Jésus semper coronalus
' depingilur, quasi dicat: Egredimini filiae Illerusalem, et videte regem Salomonem in
» diademate quo coronavit eum mater sua. Fuit enim Christus coronalus Iriphciter.
« Primo a maire, corona misericordiae , in die conceptionis; quaecorona duplex est propter
1 n'aturalia et gratuita, ideoque et diadema vocatur, quod est duplex corona. Secundo a
' noverca, coronae miseriœ, in die passionis. Tertio a paire, corona gloriae in die resurrec-
utioiiis. Unde : « gloria et honore coronasti eum, Domine. «Demumcoronabitur a familia
i corona potenliaj, in die ullimae revelationis. Véniel enim eum senaloribus ierrce, judi-
< cans orbem lerrœ in equilate. Sic et omnes sancti pingunlur coronali , quasi dicat fdiae
I liierusalem : Venile et videte martvres eum coronis aureis qaibus coronavit eos Do-
it minus; et in libro Sapienliae [Sap. v) : « Jusliaccipienl regnum decoris et diadema spe-
(I ciei de manuDomini. » Corona aulemhujusmodidepingltur in forma sculi rolundi, quia
« sancli Dei prolcclione divina fruuntur. Undecanlant gralulabundi : 'i Domine, ut scuto
' bonae voluntalis coronasli nos. «Verumtamen Chrisli corona percrucis llguram a sancto-
II rum coronis dislinguilur, quia per crucis vexillum sibi carnis gloriiîcalionem et nobis
Il meruit a caplivilale iiberalionem et vitai fruitionem. » (GuiiJ. Durand, Rat. div. oJf\
lib. I, cap. m.) On voil que Durand confond la couronne avec le nimbe, ou plutôl qu'il
donne le même nom à l'une cl à l'autre. Du reste il déclare que la couronne crucifère dis-
tingue le Christ de tous les saints.
' «Tu es sacerdos in a;ternum, secundum ordinem Melchisedec. » [Psal. cix, v. à.)
- ô (léyas âp^iepévs. On voit ainsi le Christ en costume d'archevêque, recevant
successivement, et des mains d'une procession d'anges, les divers instruments qui servent
au sacrifice de la messe que le prêlre divin va offrir ensuite. Le tambour des coupoles
296 INSTRUCTIONS.
gramme latin J. C. ou le monogramme grec fC X^C ; quand
elle est marquée de stigmates aux pieds, aux mains, au côté;
quand elle porte à la tête une couronne d'épines, et à la main
un livre ouvert ou fermé \ et quand sur les pages du livre
ouvert on voit l'un de ces textes :
Pax vobis -.
Ego sum via, veritas et vita ^.
Ego sum lux mundi ^.
Ego sum resurrectio ^.
Qui vidit me vidit et Patrem '^.
Ego et Pater unum sumus ^.
centrales, dans les églises de la Grèce, est presque toujours peint de ce magnifique sujet
qu'on appelle la sainte liturgie, v ^7"^ Xsnovpyla.
Le livre que tient le Christ est fermé quelquefois , mais il est ouvert la plupart du
temps. Voici comment Guillaume Durand explique les deux manières de figurer ce livre
mysiérieux ;«.... Divina majestas depingitur quandoque cum libro clauso in manibus ,
« quia nemo inventus est dignus aperiie illum nisi leo de tribu Juda. Et quandoque cum
« libro aperto, ut in illo quisque légat quod ipse est lux mundi, et via , veritas ac vita ,
« et liber vitae. » ( Rationale divin, off. lîb. I, cap. m). (Voyez dans l'Apocalypse , cbap. v,
verset 5 , l'allusion faite au lion de la tribu de Juda. )
C'est le salut que Jésus adressait d'ordinaire à ses apôtres et à ses disciples. Dans
le triclinium de Saint-Jean-de-Lalran, à la mosaïque de l'abside, qui est de l'an 797, le
Christ donne à ses apôtres la mission de baptiser. Il est debout , sur un tertre d'où
sortent les quatre fleuves mystiques ; il montre un livre ouvert, où se lit ce Pax vohis.
(Ciampini , Vet. moni. 2" pars, tab. Sg , p. 128). Ces paroles d'amour sont gravées éga-
lement sur le livre que tient le Dieu escorté d'un séraphin à sa gauche et d'un chérubin
à sa droite, et qu'on voit sculpté en marbre à Saint-Saturnin de Toulouse.
C'est précisément le texte que cile Guillaume Durand , et qui est tiré de saint Jean
évangéliste.
A Saint-Laurent de Gênes , sur le tympan de la porte principale.
Sur la mosaïque de Saint-Marc de Rome , d'où est tiré le pape Grégoire IV à nimbe
carré, donné dans l'Histoire du nimbe, p. 10 : le Christ est au centre des personnages;
il tient un livre ouvert sur lequel est écrit : « Ego sum lux. Ego sum vita. Ego sum resur-
" rectio. » (Voir Ciampini, Vet. moni. 2" pars, pi. 87, p. 119.)
Sur une mosaïque du vi° siècle, à Saint-Michel de Ravenne. Saint-Michel a été bâti
en 5/i5.
Ces deux dernières inscriptions sont peintes toutes deux à la fois sur un livre que
tient un Christ exécuté en mosaïque à Saint-Michel de Ravenne : Qui vidit me vidit et
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 297
In principio erat Verhum ^,
Eyct) sl(xi rà (pôos to\i Hà(T(i.ov ^.
Alors il n'y a plus de doute, cette personne de la Trinité
est bien le Christ; car tous ces attributs, tous ces textes con-
viennent à lui, et la plupart d'entre eux ne peuvent convenir
qu'à lui seul. Après les nombreux et divers portraits donnés
de Jésus-Christ, surtout dans l'Histoire du nimbe '^, il ne pa-
raît pas utile de donner ici ceux qui présenteraient les divers
caractères que nous venons de rappeler.
Un sujet fréquemment reproduit aux xii', xiii*" et xiv' siè-
cles, ne laisse aucune incertitude sur le personnage qui en
occupe la partie principale. Sur les vitraux et les miniatures
des manuscrits exécutés surtout pendant les trois siècles que
nous venons de nommer, on voit un personnage debout, plus
souvent assis, autour duquel rayonnent sept petites colombes.
Ce personnage ayant les pieds nus, ce pourrait être un apôtre;
mais c'est l'une des trois personnes divines, parce qu'il porte
un nimbe crucifère. Or ces colombes symbolisent les sept es-
prits de Dieu , et d'après Isaïe ^, d'après l'Apocalypse ^ d'après
Patrem est sur le verso; Ego et Pater unum sumus est sur le recto. Outre son livre, Jésus
tient une croix beaucoup plus haute que lui. (Voyez Ciamp. Vet. mon. pars i", pag. 80,
lab. 2/i.)
' Les monuments où cette inscription est reproduite sont en si grand nombre, qu'il
semble inutile de les citer.
'^ Sur la plupart des livres que tiennent les ligures grecques du Christ Pantocralor.
(Voyez le dessin n" /ig, p. 181.) Dans le manuscrit de Panselinos nous donnons toutes les
inscriptions écrites sur le livre que tient le Christ; ces inscriptions sont nombreuses et
varient suivant les endroits où le Fils de Dieu est représenté et suivant les fonctions
qu'il ren)plit. Ainsi, lorsqu'il est en ange de la grande volonté, on lit sur la banderole
ou le livre qu'il tient : «Moi, je viens de Dieu et j'y retourne; car je ne suis pas venu
de moi , mais c'est lui qui m'a envoyé. »
^ Voyez particulièrement pages 36, 87, 48 et 53, planches 7, 8, i5 et 17. D'autres
portraits vont suivre et compléteront le signalement du fds de Dieu.
' PropJiet. cap. xi, v. 1,2 et 3.
^ Chap. V, versets G, 11 et 12.
INSTRUCTIONS. — II. 38
298 INSTRUCTIONS.
les docteurs de l'Eglise \ c'est le fds de Dieu, c'est Jésus qui tut
spécialement animé des sept esprits divins. Ainsi donc, toutes
les fois qu'on verra un personnage jeune ou âgé, barbu ou im-
berbe, nimbé ou sans nimbe, entouré de sept colombes, ou
peut affirmer hardiment que ce personnage est le fds de Dieu.
Nous n'en dirons pas davantage sur ce sujet, parce que nous y
reviendrons avec plus de détails dans l'histoire du Saint-Esprit "^
Un autre signe, mais indirect et tiré de l'histoire, sert à
reconnaître Jésus-Christ : c'est quand, dans une scène évan-
gélique, on voit un personnage accomplissant les actions que
l'Evangile attribue à Jésus. Dans ce cas, lors même que ce
personnage serait dépouillé de tous les caractères que nous
avons signalés, on ne peut hésiter à le reconnaître. Mais, dans
cette partie de l'iconographie chrétienne, nous ne parlons
du Verbe qu'en l'envisageant comme Dieu et non pas comme
homme, nous faisons l'histoire de la seconde personne de la
Trinité avant et après son existence sur la terre ; nous ne
devons donc pas traiter cette question, qui trouvera son dé-
veloppement complet dans l'histoire évangélique de Jésus.
D'ailleurs un sujet fréquemment représenté, et qu'il faut men-
' Notamment Rhaban Maur, de Laudibus sanctœ Crucis , figura XVI, pag. 3i2, P'vol.
des Œuvres complèles.
Au cliaphre de l'auréole , page 1 23 , planche ho , nous avons reproduit une miniature
(lu psautier de saint Louis conservé à la bibliothèque de l'Arsenal. Jésus, assis au centre
d'un ovale de branchages et au sommet d'un arbre généalogique, est entouré de sept
colombes divines. Dans l'église de Saint-Denis, sur les vitraux donnés par Suger, on voit
deux fois le fds de Dieu cuirassé et nimbé des sept esprits. Le même sujet est peint sur
un vitrail de la Sainte-Cliapelle de Paris, sur un vitrail d'une église de village, près de
Reims, sur la rose septentrionale de la cathédrale de Chartres, etc. A l'histoire du Saint-
Esprit, nous donnerons deux gravures tirées, l'une d'ur> manuscrit, l'autre d'une verrière
de la cathédrale de Chartres, et qui présentent les esprits prophétisés par Isaïe. Les sept
esprits sont encore peints dans le Venjier deSolas, curieux manuscrit que possède la Bi-
bliothèque royale. On ne peut citer tous les monuments qui reproduisent les esprits
animant et entourant le fils de Dieu, tant ils sont nombreux.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 299
tionrier ici, résume la vie mortelle de Jésus : c'est le triomphe
du Christ après son ascension. Cette apothéose, remarquable
de conception et souvent admirable d'exécution, couronne
tous les actes de l'humanité divine. Les portes du ciel s'étaient
ouvertes pour laisser sortir le Verbe, qui allait accomplir sa
mission sur la terre; trente-trois ans après, elles se rouvrent
pour recevoir l'Homme-Dieu revenant prendre sa place à côté
de son père. Alors les anges et les saints portent en triomphe,
les uns leur maître et les autres leur libérateur. Tel est le su-
jet peint ou sculpté dans les monuments du moyen âge , avec
des détails plus ou moins nombreux.
TRIOMPHE DU CHRIST.
Lorsque les temps furent accomplis, quatre mille quatre
ans après la création du monde, Dieu le père envova son
Fils sur la terre vivre et mourir pour les hommes. Il avait
promis un réparateur de la faute d'Adam, et, lorsqu'il jugea
lé moment venu de tenir sa parole, il appela son fds, le Verbe
divin , pour être forgane et l'agent de sa volonté suprême.
Suivant les prophéties, la seconde personne de la Trinité ré-
pondit à cet appel par ces paroles de David : « J'ai dit : Voilà que
je viens ^ » Le Fils se fait donc immédiatement le messager
de la volonté de son Père ; il s'offre en sacrifice pour le salut du
monde, et accepte avec empressement toutes les souffrances qu'il
lui faudra endurer pour expier les crimes du genre humain.
L'art a très-souvent représenté cet acte de dévouement, qui
prend son origine dans le ciel, se poursuit sur la terre, et s'a-
chève où il a commencé. Tout ce qui se passe sur terre, nous
le réservons pour f histoire de la vie humaine du Christ; mais
nous devons signaler ce qui précède et ce qui suit l'incarnation
' Psal. xwix, vers. 8. « Tune dixi : Ecce venio. >>
38.
300 INSTRUCTIONS.
du Verbe. Dans TÉglise grecque comme dans l'Eglise latine, on
a dessiné la scène où le Verbe dit au Père: « Me voilà. » Mais en
Grèce, où les traditions de l'idéalisme antique ne se sont ja-
mais perdues, le sujet est plus grave et plus beau que chez nous.
Dans les chapelles latérales, à la demi-coupole qui les couvre,
on voit un grand ange imberbe, peint à fresque ou en mosaïque,
et déployant ses longues ailes dans toute leur largeur. La belle
créature est vêtue d'un costume chargé d'ornements en or et en
pierres précieuses; elle tient à la main un bâton d'or, comme
pour faire un long voyage. Cet ange aux ailes ouvertes, et qui
s'apprête èi descendre du ciel en terre, c'est le Fils de Dieu,
c'est celui qui va être Jésus-Christ. Il porte à la tête un nimbe
crucifère, comme les personnes divines, et sur les branches de
la croix du nimbe est écrit o cùv. 11 est en ange, parce qu'il est
le messager [a^yy^Mc,] des ordres divins. Tout autour de sa
tête on lit ces graves paroles : o ArrEAOS ths mefaahs botahs.
Cet ange de la grande volonté fait une profonde impression ;
c'est, avec le Pantocrator des grandes coupoles, la plus re-
marquable figure que fart chrétien de la Grèce ait imaginée.
L'art antique n'a certainement rien de plus beau; ce type
soutiendrait probablement la comparaison avec le Jupiter
Olympien que nous n'avons plus ^
Chez nous, le même sujet a été traité d'une façon moins
' Il n'a pas été possible à M. Paul Durand de dessiner, pendant noire voyage en Grèce ,
un de ces admirables anges de la grande volonté ; je regrette donc de ne pouvoir ofifrir
ce type inventé par les Grecs, cl qu'eux seuls ont exécuté. Ces anges divins sont nom-
breux eu Grèce; on en voit surtout à Mislra, aux Météores , à Salonique et au mont Athos.
Un des plus beaux est celui du couvent de Saint-Barlaam, aux Météores, dans l'abside
latérale du nord; il a pour pendant, dans l'abside méridionale, un Fils de Dieu, inti'
berbe, et qui est appelé t» Èfjifxavouv/X. Dans le Guide de la peinture, ce manuscrit byzan-
tin que je cite souvent, on lit la prescription suivante : « Au dehors du sanctuaire, sur les
voûtes des croisillons, représentez l'Ange de la grande volonté sur un nuage et supporté
par quatre anges ; il tient une banderole et dit : « Moi, je viens de Dieu et j'y retourne;
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 301
élevée, mais plus humaine. Le Verbe n'est plus une créature
céleste, un messager divin, comme chez les Grecs; mais un
homme, un enfant, un pauvre être humain, nu, faible, souf-
frant. Il descend beaucoup moins pour publier la grande vo-
lonté de son père que pour accomplir un rude pèlerinage.
C'est , en elTet , sous ce nom de pèlerinage que sa mission est
annoncée. Il va donc, pauvre j)èlerin, prendre un bâton pour
s'appuyer dans ses fatigues, et une panetière pour mettre les
provisions du voyage. Un manuscrit du xiv"" siècle, qui appar-
tient à la bibliothèque Sainte-Geneviève , et qui est intitulé
Romant des trois pèlerinages^, raconte en vers le long et pénible
pèlerinage du Christ. Les vers sont entremêlés de miniatures
qui traduisent le texte pour les yeux. Jésus, à l'entrée du poëme,
va commencer son pèlerinage; il se présente nu, sous la forme
d'un enfant de dix ans, à son père, qui lui adresse ces paroles:
En terre où iras l'aval ,
Auras assés poinne et travai
Pour Adam de chartre getter
Et de ses peines délivrer,
Et plus de XXX ans voyage
Feras et pèlerinage ,
Avant que il soit la saison
De faire sa rédemption ;
Car se homme très Lien parfait
N'estoies quant feras le fait
De li racheter, complainte
En feroit justice enfrainte.
car je ne suis pas venu de moi-même , mais c'est lui qui m'a envoyé. » Ecrivez cette
épigraphe : Jésus-Christ, l'Ange Je la volonlé. — Dans le second bras de la croix, repré-
sentez à la voûte Emmanuel sur un nuage, et disant sur un rouleau : < L'esprit de Dieu
est sur moi ; c'est pourquoi il m'a oint , et m'a envoyé prêcher l'Évangile aux pauvres. »
Ce pèlerinage de la vie humaine a été composé par Guillaume de Guilleville, moine
de Chalis (sans doute Cliaalis, grande abbaye du département de l'Oise, près deSenlis).
Cet ouvrage est de la seconde moitié du xiv° siècle, i358; il comprend : 1° le Pèlerinage
de la vie; 2° le Pèlerinage de l'àme; 3° le Pèlerinage de Jésus-Christ.
302 INSTRUCTIONS.
Si que pource que longuement
Tu feras pelerinement,
Bourdon et escherpe te fault
Dont au moins prendras cy en iiault
Ma potence où t'appuieras
Et de quoy ton bourdon feras.
A ces vers est joint ce dessin, qui est au folio 1 65 du poëme.
75. LE VERBE DE DIEU , ENFANT, NU , RECEVANT DE SON PERE LE BOURDON ET LA PANETIERE ,
ET PARTANT EN PELERINAGE.
Miniature française du xiv^ siècle.
Le petit Jésus, qui va partir pour sa croisade, reçoit donc
de son père la panetière ou escarcelle (escharpe), et le bâton
ou bourdon , qui n'est autre chose que le bâton de \âeillesse
( potence ) du Père éternel lui-même. Il y a quelque chose de
touchant à voir ce vieillard divin ainsi envoyer, dans le monde
où il voyagera longtemps, où il aura beaucoup de travail et
de peine , son jeune fds , qui se dévoue pour le salut des
hommes. Tout cela part du cœur et d'un profond sentiment
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 303
de pitié pour nous; mais il y a peu de dignité dans le sujet et
dans la manière dont il est exécutée On a ainsi la différence
fondamentale qui distingue en toutes choses l'art chrétien de
rOrient de l'art chrétien occidental. En Orient, en Grèce, c'est
plus grave, mais plus froid; chez nous, c'est plus vulgaire, mais
moins sévère. Nos Christs ont plus de douceur: ils ne sont pas,
comme en Grèce, porteurs et exécuteurs de leur sentence,
tout à la fois, et de leur trône ne sort pas un fleuve de feu qui
va dévorer les damnés. Le judaïsme et l'islamisme n'ont pas
glacé de leur dureté, comme en Grèce, les idées de fEglise
latine.
Jésus descend donc sur la terre accomplir son douloureux
pèlerinage. Un jour nous raconterons en détail, avec l'aide des
monuments figurés, cette vie merveilleuse de l'Homme-Dieu;
aujourd'hui, nous la passons tout entière, et nous courons au
dénouement. Jésus-Christ, par sa prédication et son ardente
charité, foule aux pieds, suivant la prophétie de David, le lion
et le dragon ; il marche sur faspic et le basilic. C'est-à-dire qu'il
terrasse les plus redoutables et les plus cruelles passions figu-
rées par quatre des plus terribles bêtes féroces et venimeuses :
« Super aspidem et basiliscum ambulabis ; et conculcabis leo-
« nem et draconem ^. »
Le voici gravé sur un bel ivoire italien, qu'on croit du
x*" siècle, d'après l'âge, le costume et la forme du livre que
porte ce fds de Dieu.
' Ici, nous voyons que le Père est en roi; qu'il est âgé, orné du nimbe crucifèie , et
qu'il a les pieds nus. La nudité des pieds le dislingue des créatures humaines; le nimbe
crucilére le dislingue, ainsi que son Fils, de toutes les créatures humaines et célestes,
des saints et des anges. Il est vieux, parce qu'il est du xiv° siècle, époque où il prend
une physionomie distincte; il est roi, peut-être parce qu'il a été fait en France , comme
nous l'avons déjà fait remarquer.
' Psalni. xc, vers. lo.
304
76.—
INSTRUCTIONS.
JÉSUS TERRASSANT L'ASPIC, LE BASILTC, LE LION ET LE DRAGON
Ivoire Italien , x' siècle.
Ici l'aspic et le basilic sont morts déjà, et le Christ, beau
jeune homme imberbe, écrase sous ses pieds nus le lion et le
dragon^ ; c'est une modification du texte sacré. Ce sujet est ex-
Cet ivoire est au musée du Vatican ; il est gravé dans Gori , Thésaurus vet. dipiy.
tom. m, p. 33.
'^ Au sujet de la jeunesse du Christ et de ses pieds nus , Gori ( Thés. vet. dipty. t. III,
p. 3o et 3i ) s'exprime ainsi : « Quod vero Christus in prima juventae suae aetate sculptus
<i exiiibeatur hanc formam ci tributam censent doctiores agiologi , quod hac specie cum
■-<■ humanitale clarius eluceat ejus divinitas, ex Davidis prophelico testimonio et oraculo.
« Quod profert Paulus ad Hebreos I, 6. Dominas dixit ad me: Fiïius meus es tu ; ego hodie
fjenui te. Et pauHo post : Omnes sicut vestimentum veterascent ; tu autem idem ipse es , et
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 305
trêmement fréquent dans nos cathédrales; mais il se montre
avec une foule de variétés. Il est rare que les bêtes sataniques
soient représentées toutes les quatre. A Notre-Dame de Reims,
au portail du nord, sur le trumeau de la porte gauche, le
Christ, superbe statue qui porte le nom populaire du beau
Dieu , foule aux pieds le dragon seulement. A Notre-Dame de
Chartres, au portail du sud, sur le trumeau de la porte cen-
trale , le Christ foule de ses pieds nus le lion et le dragon ;
mais l'aspic et le basilic ne sont pas figurés. A Notre-Dame
d'Amiens, au portail occidental, sur le trumeau de la porte du
milieu, le Christ est comme celui de Chartres; mais le dragon
s'y montre mieux accusé.
Dans tous ces sujets, le Sauveur écrase les génies du mal,
les instruments et les agents de la mort; mais dans le sujet
suivant, tiré du missel de Worms \ il tient enchaînée la Mort
elle-même. La Mort, sous la forme d'un homme sale, à che-
veux hérissés, à jambes nues, à vêtement étroit et pauvre, est
enchaînée au cou et aux mains par un carcan et des menottes.
Au carcan est attachée une chaîne que Jésus tient fortement
de la main gauche. De la main droite, le Dieu imberbe menace
d'enfoncer le bout de sa croix dans la bouche de la Mort. La
« anni tui non déficient. — Nudis quoque pedibus insistit, occultata divinitatis suae majes-
« taie ; sed statim aliis emblematibus quanta sit ejus virtus, fortitudo ac potentia oslendi-
« lur, dum nudis pedibus conculcat animalia quaedam teterrima ac ferocissima. » — Notre
dessin, par inadvertance, ne rend pas le rugissement du lion, fort bien exprimé sur
l'ivoire ; le dessinateur a négligé un caractère que rendait nécessaire le circuit Léo ru-
giens , quœrens quem devoret. Gori semble dire que la nudité des pieds est exception-
nelle el marque, dans l'espèce, la puissance divine ; il se trompe. Ce caractère, comme
nous l'avons dit, est constant et distingue les apôtres, les anges et les personnes divines
de tous les autres personnages figurés par l'art chrétien. C'est un signe mystique de
haute sainteté. Nous en donnerons les raisons dans l'Histoire de l'ange.
' Manuscrit de la bibliothèque de l'Arsenal, théol. lat. n° 192, inP. Ce manuscrit est
daté comme du ix' ou x' siècle, sur le catalogue de la bibliothèque de l'Arsenal; je le
croirais plutôt du xi'.
INSTRUCTIONS. 11. 30
306 INSTRUCTIONS.
bête humaine écume, vomit des flammes et se tord sous les
pieds vainqueurs qui la foulent et la tiennent renversée ^ Jésus
va tuer la Mort ; il semble lui adresser ces paroles prophétiques
de l'Ancien Testament, qui se chantent dans la semaine sainte,
et qu'on applique à la Passion, qui nous a sauvés : « 0 Mort!
je serai ta mort^;» ou bien ces paroles de saint Paul, qui se
disent en même temps, et comme leur corollaire évangélique :
« Mort, où est ta victoire? Mort, où est ton aiguillon ^ ? »
77-
LE CHRIST ENCHAINE ET TERRASSE LA MORT.
Miniature allemande, xi° siècle.
Ainsi victorieux, le Christ remonte au ciel et vient rendre
' Jésus est encore imberbe, bien que le manuscrit puisse être regardé comme du
xi' siècle; mais il est âgé cependant, et son front se ride sous les années plutôt que sous
les efforts nécessités par sa lutte avec la Mort. Le nimbe est déjà crucifère, tandis que , dans
l'exemple précédent il est encore uni ou simplement orné d'une arcature. Le Jésus de la
planche 66, p. 266, est également imberbe, mais la figure est beaucoup plus jeune. Le
Christ de Worms est plutôt rasé qu'imberbe; celui du Vatican plutôt imberbe que rasé. Le
monument du Vatican est plus éloigné du moyen âge et plus rapproché des siècles primi-
lifs que celui de Worms.
Osée, cap. xiii, v. i4 : «De manu Mortis liberabo eos, de Morte redlmam eos. F>o
« Mors tua , ô Mors; morsus tuus cio , inferne. »
Epist.ad Corinth.l, cap. xv, v. 55. « Ubi est , Mors , vicloria tuaPUbiest, Mors, sti-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 307
compte à son Père de la mission qui lui avait été confiée, qu il
s'était imposée et qu'il a glorieusement remplie. Le voici qui
rentre au paradis avec la panetière et le bourdon qu'il avait
pris à son départ. Comme homme, il a grandi : c'était un '
enfant lorsqu'il descendit sur terre, maintenant il a de trente
à trente-cinq ans. Il trouve son Père assis à côté du Saint-
Esprit, qui est en homme, et non en colombe. Le Père en
roi et tenant le globe de la puissance , l'Esprit en docteur et
tenant le livre de l'intelligence, bénissent tous deux, à la façon
latine, la troisième personne de la Trinité.
78. LE CHRIST REVENANT DE SON PELERINAGE
Miniature française, xiv" siècle.
« muius tuus? » Le sujet peint dans le missel deWorms semble être tiré de ce passage des
œuvres de saint Jean Damascène : « Quisnam est isie qui cruci affixus est? quis liic qui
« resurgit ac sems illius caput calcat ? Nonne, cuni per imaginem erudiendo , respondes :
« Hic qui affixus est cruci , Dei filius est , qui ad toUenda mundi peccata eo fuit supplicie
«affectus. Hic qui resurgit, ipse est qui secuni primum parentem Adam ob praevarica-
otionem lapsum mortuumquc ressuscitât, quique infernum lot jam seculis vinclum,
« a que ille insolubilibus vinculis ac veclibus in inferioribus terrae partibus tenebatur,
« proculcat. » (0pp. S. Joh. Damasc. tom. I, p. 620.)
^ Cette miniature est au folio 2 2 5 verso. Remarquez les nimbes crucifères que portent
308 INSTRUCTIONS.
Le Christ penche la tête, il courbe son corps, il s'appuie
sur le bourdon ; il semble fatigué de sa mission qui lui a tant
coûté. Dans toute cette attitude et dans cette physionomie, il
y a comme l'expression d'un regret; on dirait que le Christ
est fâché d'avoir rempli une si lourde tâche. En effet, les vers
qui interprètent cette miniature, à la façon de ceux qui accom-
pagnaient le départ, ne laissent aucun doute sur l'intention
du dessinateur. Le Fils adresse la parole à son Père:
Père, dis! Jhésus, retourné
Suis à loy , et ai consummé
Ce que faire me commandas
Quant jus ou monde m'envoyas,
Dont bien je m'en feusse passé.
Enseignes t'en ay aporté
Si com aultres pèlerins font
Qui en estrange terre vont;
De tieix denrées com a là
Je t'ay fait venir par deçà.
Non obstant que grans coustemens
J'aye mis et grans despens...
Aussi, dist Jhésus, mon bourdon
Ay aporté , et est raison ,
Ce me semble, que mis il soit
Avec l'escherpe cy endroit,
Afin que ne soit oublié
Gomment pèlerin ay esté.
les trois personnes. Le nimbe du Père, avec son double filet de bordure, semble plus
ricbe que les deux auti'es; en outre, les croisillons du nimbe que porte le Fils appro-
cbent de la circonférence du disque plus près que ceux du nimbe qui décore le Saint-
Esprit. Il n'est guère possible qu'on ait voulu , par ces caractères si peu importants , établir
la différence de relation qui existe entre les trois personnes; mais dans la miniature ori-
ginale les trois nimbes sont identiques. Les différences proviennent sans doute de 1 inat-
tention du dessinateur. Le livre que porte le Saint-Esprit , et qui est un attribut de l'intel-
ligence , nous servira d'appui pour une opinion que nous développerons dans i'bistoire de la
troisième personne de la Trinité. Le Père , en se reculant un peu sur son banc , va faire
place à Jésus, qui sera ainsi à sa droite, tandis que le Saint-Esprit occupera sa gauche.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 309
Le Père et l'Esprit consentent à ce que Jésus demande, et
Jésus attache à un clou, contre la muraille, le bourdon et la
panetière , comme un guerrier en retraite accroche au mur
de sa maison ses armes glorieuses:
Ainsi fu accordé. Là sont;
Jamais remeus n'en seront.
On ne saurait rien voir de plus trivial que cette scène. Le
Christ n'est pas autre chose qu'un voyageur ordinaire; il re-
grette de s'être fatigué pour rien ou pour peu , et dit, de la façon
la plus vulgaire, qu'il ne recommencera plus. Ce voyage, comme
il le déclare, lui a coûté cher, et il s'en serait fort bien passé.
A propos du départ de la seconde personne divine pour la
terre, nous avons constaté la grandeur de l'art grec et la sim-
plicité assez puérile de l'art occidental; ici, dans l'Eglise la-
tine, mais chez deux peuples distincts, nous allons voir la
même différence. L'art français est commun; l'art italien de
la même époque arrive à la distinction la plus remarquable
et monte jusqu'à la Sublimité. Tandis que, dans le pèlerinage
qui est à la bibliothèque Sainte-Geneviève, le Christ se répand
en un flux de paroles vulgaires et en regrets inconvenants , dans
un manuscrit exécuté en Italie, que possède la Bibliothèque
royale, il n'y a qu'un geste et pas de paroles. Le Père éternel
paraît au milieu d'une auréole ovale, traversée en tous sens par
des jets de lumière qui sortent de Dieu; la divinité rayonne elle-
même sur tous les points de sa circonférence. Le banc grossier
du précédent dessin est ici une sorte d'arc-en-ciel bleuâtre sur
lequel le Père est assis. On n'est pas dans une chambre, comme
plus haut, mais en plein air, au sommet d'une montagne
semée de fleurs. Jésus en crucifié et descendant de la croix ,
pour ainsi dire nu, couvert seulement du jupon court qu'il
portait sur le gibet, paraît devant son Père, pour lui rendre
310 INSTRUCTIONS.
compte de la mission qui lui avait été donnée. De ses pieds
percés coule du sang, et son côté ouvert pleure également
des larmes de sang. Jésus ouvre les mains , montre le sang
coulant des plaies qui traversent de part en part , et se
contente de dire : « Voilà ce que j'ai fait. » Alors le Père par-
donne au monde et , de la main droite, donne sa bénédiction
à Jésus. Voici le dessin :
79-
• JÉSUS MONTRANT SES PLAIES SAIGNANTES À SON PÈBE \
Miniature italienne, xiv* siècle.
Ce dessin rappelle , mais cependant d'une manière incomplèle , les expressions de saint
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 311
La physionomie est élevée et digne de la grandeur d'une
pareille scène K
Revenu dans le ciel, le Christ continue d'intercéder pour
les hommes ; il est alors prêtre et victime tout à la fois, et les
artistes grecs aiment à le peindre sous le costume d'un arche-
vêque ou d'un patriarche, recevant les honneurs des deux
autres personnes de la Trinité et les adorations de la foule des
saints et des anges. Le Père éternel, en empereur byzantin,
tenant le globe d'une main et le sceptre de l'autre, sort des
nuages, tout en haut du cadre. Sous lui, dans un cercle lumi-
neux, rayonne le Saint-Esprit, qui a la forme d'une colombe.
Les archanges Michel et Gabriel, la Vierge, saint Jean-Bap-
tiste, les grands saints grecs Georges et Démétrius s'inclinent
devant le Christ et représentent les divers ordres des anges et
des saints. Le Christ, comme son Père , porte le nimbe crucifère
et marqué des lettres o cov. Les noms de saint Georges et de
saint Démétrius sont écrits en entier sur une banderole, au-
dessus de leur tête; ceux de la mère de Dieu et de saint Jean
Je précurseur sont tracés en abrégé dans le champ même de
l'auréole; ceux des deux archanges sont indiqués seulement
par la première lettre, M pour saint Michel et F pour Gabriel.
Anschaire , archevêque de Hambourg, qui fut enlevé en esprit dans le ciel , et vit Dieu écla-
tant de lumière et assis au milieu des vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse : « Ab ipso
« (Deo) claritas immensa procedebat, ex qua omnis longitude et lalitudo sanctorum il
«lustrabalur Sed neque ita claritas lalis erat quœ oculos contemplantium inipediret,
« sed quas oculos gratissime saliaret. Et cum seniores sedentes dixerim , in ipso qua-
« dammodo sedebanl ; nam nil corporeum erat ibi , sed erant cuncta incorporea , licel
« speciem corporum habentia , et ideo ineffabilia. Circa sedenles vero splendor, ab ipso
" procedens , similis arcui nubium tenebalur. » — Sur la rose orientale de la câdiédrak-
de Laon , les vingl-qualre vieillards sont assis sur un croissant ou arc-en-ciel de couleur
lumineuse ou jaunâtre. (Voyez les^c^ SS. ord. S. Bened. VP vol. Vie de saint Anschaire,
morl en 864; cette vie a élé écrite par saint Rembert , disciple el successeur d'Anscbaire.)
' Bibliothèque royale, Spéculum humancv sulvalionis, suppl. lat. lo/ii. A la bibliollKque
de l'Arsenal, il existe un ms. semblable (ïhéol. lat. l^2 B. ) exécuté en Italie au \iv
312
INSTRUCTIONS.
80. jÉSDS-CnRIST EN GRAND ARCHEVEQUE
Peinture grecque, xvi' siècle.
Le Christ, coiffé de la couronne archiépiscopale et vêtu
des différents ornements que portent les pontifes grecs, s'ap-
pelle le grand archevêque, 0 fxéycLç, oLp'^iêpèv<^. On le voit ainsi
aux grandes coupoles des églises byzantines, et recevant de
la main des anges, qui passent successivement devant lui,
tout ce qui doit servir au sacrifice mystique de la messe ^ C'est
siècle. Les miniatures, moins parfaites que celles du ms. de la Bibliothèque royale, sont
remarquables cependant. On attribue ces peintures à Giotlo lui-même ou à TadéoGaddi ,
son élève. Elles ne sont probablement ni de l'un ni de l'autre; mais l'école d'où elles
sont sorties était une des meilleures de l'Italie.
' Ce dessin est pris sur l'une des peintures à fresque si nombreuses en Grèce.
" Sur le livre que tient le Christ en grand pontife , on lit : « Seigneur, Seigneur,
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 313
ce que les Grecs appellent la liturgie par excellence. La ca-
thédrale de Reims, grecque sous ce rapport comme sous cer-
tains autres, donne un exemple de cette liturgie dans les anges
qui habitent les niches des contre-forts. Ces anges, qui portent
chacun un attribut spécial, viennent défiler, pour ainsi dire,
devant un Christ appliqué contre l'abside , à l'extérieur, et
qui est encensé par d'autres anges. Le Christ de Reims ne porte
pas le costume pontifical, comme chez les Grecs, mais il rem-
plit à peu près le même office ^
Le Christ, vainqueur des démons, sauveur des hommes et
leur intercesseur éternel , vient s'asseoir à la droite de son Père ,
qui lui met la terre sous les pieds et lui donne la place d'hon-
neur. Alors éclate la joie du paradis, et Jésus parcourt en triom-
phe, aux acclamations des anges et des saints, toutes les régions
du ciel. Ce triomphe du Christ est, de tous les sujets, celui qui
a le plus exalté les artistes ; on le voit représenté en sculpture
et en peinture dans beaucoup de monuments, et toujours avec
des modifications qui en font une œuvre nouvelle. Dans la
crypte de la cathédrale d'Auxerre , vers la partie orientale, à
la voûte de ce qui répond au sanctuaire, on voit une peinture
à fresque de la fin du xii'' siècle, représentant le triomphe de
Jésus sous sa forme la plus simple. Le fond du tableau est par-
reganlez du hauL du ciel; voyez et considérez celle vigne , et prenez soin de celle que
votre main a plantée. » ( Voy.le manuscrit de Panselinos ). — On remarquera un losange
attaché à un fil et pendant sur le genou droit du Christ ; c'est ce que les Grecs ap-
pellent epigonation, lequel est souvent orné de figures en broderies. L'élole blanche
semée de croix s'appelle omophoron ; c'est une pièce du costume consulaire et surtout
impérial. Le vêtement à riches oi'nemenls s'appelle saccos, et la longue robe, qui ré-
pond à l'aube de nos prêtres , se nomme sticharion. On appelle epitrachilion ce qui est
noire étole. Le bonnet porte, comme chez nous, le nom de mitra.
* Le manuscrit du duc d'Anjou , Lavall. 127, qui est à la Bibl. roy. montre, au f 189,
Jésus-Christ disant la messe. On est à la consécration , et un ange, qui sert d'enfant de
chœur, soulève la chasuble du prêtre divin. C'est d'après le texte : «Tu es saccrdos iti
« aelernum secundum onlinem Melchisedech » , que ce motif a été figuré.
INSTRUCTIONS. II. 4o
314 INSTRUCTIONS.
tagé par une croix qui serait totalement ce qu'on appelle unç
croix grecque , si les bras de la traverse étaient un peu plus
longs. Cette croix est rehaussée de pierreries feintes, rondes,
ovales, en losange, disposées en quinconces. Au centre, le
Christ est sur un cheval blanc couvert d'une selle. 11 tient la
bride avec la main gauche; à la droite, la main puissante, est
un bâton noir, la verge de fer avec laquelle il gouverne les na-
tions. 11 marche ainsi, la tête ornée d'un nimbe bleuâtre ou
azuré, à croix de gueules; sa figure est tournée vers les specta-
teurs. Dans les quatre angles, qui rachètent le carré où la croix
est inscrite, quatre anges, ailes déployées, à cheval comme
leur maitre, font une escorte à Jésus; leur main droite, qui est
libre, se lève et s'ouvre en signe d'admiration : «Je vis le ciel
ouvert. Il parut un cheval blanc, et celui qui le montait s'ap-
pelait le fidèle et le véritable, qui combat et qui juge avec
justice. Ses yeux ressemblaient à la flamme du feu; beaucoup
de diadèmes brillaient sur sa tête. Il portait écrit un nom
dont nul autre que lui n'a fintelligence. Il était vêtu d'une
robe arrosée de sang; il s'appelle le Verbe de Dieu. Les ar-
mées qui sont dans le ciel le suivaient sur des chevaux blancs
et en vêtements de lin blanc et pur. » Voilà ce que dit l'Apo-
calypse et ce que la fresque d'Auxerre traduit à quelques dif-
férences près qu'on fera bien de remarquer K
' Celle peinluie sur mur, un peu endommagée , est une des plus curieuses qui existent;
elle donne la traduclion approximative d'un beau passage de l'Apocalypse, cliap. xjx ,
versets 1 1 - 1 7 . On remarquera l'absence des étriers ; comme on trouve des étriers aune épo-
que plus reculée, ce n'est pas un caractère d'ancienneté. Le Christ a les cheveux jaunâtres,
barbe rousse, ainsi que les sourcils; sa robe est rouge ou rosée, son manteau est gris et
doublé de jaune. M. Amable Crapelet, un jeune dessinateur d'Auxerre, a bien voulu me
faire un dessin très-exact de cette intéressante peinture. C'est au fond, dans la conque de
l'abside , qu'est peinte celte figure divine, inscrite dans une auréole en quatre-feuilles , ac-
compagnée des attributs des évangélistes et de deuK chandeliers à sept branches, que nous
avons donnée plus haut . |). 1 1 1, pi. 3G. Le nimbe de ce Dieu est rosàtre et croisé de vert.
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE.
315
)1. TRIOMPHE DE JESDS-CIIRIST A CHEVAL.
Fresque française, xii" siècle.
Mais ceci n est que le germe de ces admirables triomplies
dont un est peint sur verre, à Notre-Dame de Brou, et un
autre décrit dans la Divine comédie. Celui de Brou est un des
plus complets que nous possédions ; pour reconnaître les
nombreux personnages qui le composent, ainsi que tous les
triomphes qui lui sont analogues, on croit utile d'en donner
une description succincte.
Dans le collatéral gauche de Notre-Dame de Brou , la chapelle
dite du Retable ou des Sept-Joies ^ est éclairée par une grande
' Celte chapelle reçoit ce nom d'un beau retable en albâtre, où sont sculptés les
sept événements heureux arrivés à la Vierge Marie: l'Annonciation, la Visitation, la
316 INSTRUCTIONS.
verrière sur laquelle on voit l'assomption et le couronnement
de Marie. La scène est encadrée par un arc de triomphe de
forme antique et dont l'arche est en plein cintre. Sur la frise du
monument se déploie le triomphe du Christ en cinq comparti-
ments, et dont quatre sont occupés parles personnages qui pré-
cèdent ou qui suivent le Fils de Dieu ; c'est ainsi qu'à Paris, sur
l'arc de l'Etoile, se développe la grande armée qui marche vers
ses conquêtes. En tête de tous s'avancent Adam et Eve, jeune
couple nu, près d'entrer dans le paradis, et joignant les mains
par reconnaissance. Ils sont suivis d'Abel, nu comme son père
et sa mère, et qui est le premier martyr du monde. Après
eux, Noé élève en l'air l'arche où se réfugièrent, pendant le
déluge , les derniers germes des hommes , des animaux et des
plantes. En recueillant pour un peuple choisi la croyance en
un Dieu unique , Abraham sauva le monde intellectuellement
comme Noé matériellement; il s'avance accompagné de son
fds Isaac, qu'il était près de sacrifier à Dieu, et qui porte sur
ses épaules, comme plus tard Jésus, le bois où il devait être
immolé. Puis Moïse lève en l'air les tables de la loi, comme
Noé son arche. Derrière est le prophète Jonas englouti et
rendu par un monstre marin , comme Jésus le fut par le sé-
pulcre; il porte au bout d'une pique le monstre tué, comme la
mort que le Fils de Dieu écrasa sous ses pieds. Après Jonas c'est
David, qui a dansé autrefois devant l'arche, et qui maintenant
chante et pince de la harpe en présence de la croix, arche du
Nouveau Testament. Puis, dans la foule, brillent çà et là Sam-
son, Gédéon, Elie, Salomon, Ezéchias, c'est-à-dire les princi-
paux juges et les plus grands rois. Suit un groupe de femmes
et d'hommes : ce sont les sibylles complétant les grands et les
Nativité, l'Adoration des mages, l'Apparition de Jésus, la Descente du Saint-Esprit el
l'Assomption.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 317
petits prophètes. C'est, pour les jDropliètes, Isaïe , qui s'est écrié :
« Une tige s'élèvera de l'arbre de Jessé; une Vierge enfantera.
Un petit enfant, Emmanuel , le Messie naîtra d'une femme qui
restera vierge. » C'est, pour les femmes, la sibylle persique,
une lanterne en niain et annonçant la venue du Messie ; la Li-
byque, tenant un cierge allumé et présidant à la naissance du
Christ, lumière du monde ^; la sibylle de Cumes, qui tient une
crèche et a prédit la naissance dans une étable; la Phrygienne,
qui porte un étendard parce qu'elle a prophétisé la résurrec-
tion et la victoire du Christ. Trois étendards ou flammes
flottent au vent et se teignent des couleurs du Dieu martyr.
Des trompettes, puissantes comme celles qui ont fait tomber
' Les attribuls que portent les sibylles, à la hauteur où la frise est du soi , ne sunl
pas très -distincts. Ce sujet des sibylles mises en regard des prophètes est fréquent à
cette époque. A Brou, les sibylles sont encore sculptées en marbre, au tombeau de Phi-
libert le Beau. Les sibylles sont sculptées à Aulun , au retable dit iioli me tangere, dans une
chapelle delà cathédrale. Sculptées au portail occidental de l'églice de Clamecy (Nièvre),
elles sont peintes sur verre à Saint-Ouen de Rouen , à la cathédrale de Beauvais , à la
cathédrale d'Auch. Dans la cathédrale de Sens, une des sibylles annonce à Auguste la
naissance du Christ. Elles sont sculptées sur les stalles en bois de Saint-Bertrand de
Comminges, de la cathédrale d'Auch; elles sont peintes en marqueterie contre le dos-
sier des stalles provenant de l'ancienne chapelle de Gaillon , et qui sont maintenant
dans l'église de Saint-Denis; elles sont peintes sur parchemin dans plusieurs manuscrits,
notamment dans les Heures d'Anne de France, fdle de Louis XI, qui sont à la Biblio-
thèque royale, n° 920. Une chapelle dite des sibylles est à l'entrée de Saint-Jacques de
Dieppe; elle renferme douze niches qui devaient être occupées parles statues des douze
sibylles. Des chapelles de ce nom existent à l'abside de Saint -Etienne de Chàlons
( Marne). Voilà ce qui existe en France; il en est de même en Allemagne, aux stalles de la
cathédrale d'Ulm , entre autres. En Italie, Michel-Ange et Raphaël se sont exercés sur ce
beau sujet. Une iconographie des sibylles ne serait pas sans intérêt, et l'on doit attendre
des détails curieux à cet égard d'un travail que prépare M. Ferdinand de Guilhermy.
Dansles monuments , les sibylles ne remontent pas au delà du xif siècle; dans les textes,
elles datent des premières époques, de Laclance , de saint Augustin , de saint Jérôme ; il en
est question dans les apocryphes. On semble ensuite les avoir oubliées pendant le moyen
âge proprement dit, du vu" siècle auxv°; cependant Vincent de Beauvais les nomme dans
son Spéculum universaîe, et on les voit sculptées à la hn du xii' siècle dans la cathédrale
d'Auxerre.
318 INSTRUCTIONS.
les murs de Jéricho, sonnent la victoire du Crucifié. Avec ces
prophètes et prophétesses se ferme à peu près le monde an-
cien , le monde antérieur à Jésus.
Alors se présente le monde nouveau, le monde chrétien.
Le personnel en est disposé chronologiquement : il commence
aux apôtres, et par le premier de tous, saint Pierre, qui tient
à la main deux clefs d'argent, celle qui ouvre le paradis et celle
qui le ferme. Puis saint Paul avec fépée dont il a été décollé ,
et qui figure en outre le glaive de sa parole tranchante. Puis
saint André, qui porte sur ses épaules la croix où il mourut;
saint Jean , qui tient le calice empoisonné d'où la mort s'en-
vola sous la forme d'un dragon. Ensuite marchent les autres
apôtres, chacun à leur rang : Simon porte la scie qui le fendit
en deux; Matthieu, la pique dont il eut le cœur percé; Tho-
mas, féquerre ou la règle, qui en fait le patron des architectes.
Les apôtres sont suivis des martyrs qui ont donné leur sang
pour la foi , ont témoigné de leur croyance en sacrifiant leur
vie, et dont les légions innombrables sont représentées par
les chefs. On distingue saint Etienne à la pierre qui lui a
ouvert le front, saint Laurent à son gril, qu'il élève comme
un étendard de triomphe. Le grand saint Christophe, qui
dépasse de tout le buste les plus élevés , porte le petit Jésus sur
ses épaules ; il est presque nu comme un athlète antique ou
comme un chrétien du peuple, dont on le croit la personnifi-
cation. Ce colosse courbe les épaules sous le tout petit Jésus ,
comme sous un poids énorme; il s'appuie sur un tronc de
palmier qui lui sert de bâton. A côté des martyrs paraissent les
confesseurs : saint Augustin, saint Ambroise, qu'on croit recon-
naître à leur mitre; le vieux saint Jérôme habillé en simple
prêtre et non en cardinal, comme on aimait à le figurer alors.
Puis féclatant empereur Charlemagne, tout couvert d'armures
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 319
en fer battu et forgé, la couronne en tête, le sceptre sur l'épaule
droite, la main gauche sur la garde de son épée, marcbe à côté
du pauvre saint Rocli, vêtu d'habits de pèlerin, que ses longs
voyages ont usés. Derrière cette foule et sortant de la porte
d'une ville, paraissent les ordres religieux : les bénédictins, à
qui le prieuré de Brou appartenait d'abord ; les augustins , à qui
on le donna ensuite; les prêcheurs ou dominicains, les mineurs
ou franciscains, les chartreux ou disciples de saint Bruno.
Tous sont vêtus des costumes taillés à la forme et teints aux
couleurs de leur ordre. Ces religieux, comme les martyrs et
les confesseurs, sont représentés par les chefs, saint Benoît,
saint Dominique, saint François, saint Bruno. Derrière eux
doit venir une foule considérable, qui n'est pas encore sortie
des murs de la ville, et qui se presse à la porte. Cette ville
représente la terre, qui enfante continuellement des saints.
Mais entre ces deux mondes, l'ancien et le nouveau, entre
les prophètes et les apôtres, il y a une transition : c'est pour
elle précisément que la procession s'ordonne; car c'est pour
le Christ, qui joint l'Ancien Testament au Nouveau, que s'é-
chelonne cette multitude. Le Christ est placé entre cette foule
qui précède et cette foule qui suit; il en occupe géométrique-
ment le milieu. Mais on ne part pas des prophètes pour ar-
river immédiatement à lui , comme on ne le quitte pas pour
atteindre aussitôt les apôtres. Après les prophètes, il y a une
suite qui est la fm de l'ancien monde; avant les apôtres, il y
a une tête qui est le commencement du monde nouveau.
En elTet, après les prophètes, soutiens de la vieille loi, s'a-
vancent les juifs qui ont entrevu l'aurore de la nouvelle ; il y
a les juifs christianisants, comme fécole d'Alexandrie les ap-
pelait. C'est le Cyrénéen , qui aida Jésus à porter sa croix; Lon-
gin, qui lui perça le côté; Gamaliel, qui ensevelit son corps;
320 INSTRUCTIONS.
cest le bon larron, qui se convertit sur le gibet, pria le Christ
de se souvenir de lui, et entra le jour même de sa mort dans le
paradis avec le fils de Dieu^ Le bon larron, nu, presque aussi
grand que saint Christophe, marche à l'aide de sa croix comme
Christophe à l'aide de son palmier : belle idée qui transforme
la croix de ce larron en arbre de salut, en bâton d'appui, en
bourdon pour le pèlerin qui se dirige vers le ciel. Enhn, sous
ce gigantesque personnage, sept petits enfants tout nus se tien-
nent par la main et forment une ronde comme les Heures
antiques : ce sont les petits innocents qui, avant tous les mar-
tyrs chrétiens , ont versé leur sang pour Jésus. Le premier de
ces petits martyrs tient à la main le glaive qui le perça dans les
bras de sa mère^. Après le Christ, mais avant les apôtres, s'a-
vance un autre martyr, saint Jean-Baptiste : il porte au bout
d'une pique l'Agneau divin qu'il a montré du doigt et dont il
fut le précurseur; il le porte comme un légionnaire l'aigle
romaine, en tête de la colonne. Jean-Baptiste ouvre la marche
du nouveau monde et ferme celle du monde ancien. Juif de
naissance et chrétien de cœur, il reçut encore la circoncision ,
ce baj)têiiie sanglant des juifs; mais il donnait déjà le baptême,
cette circoncision pacifique des chrétiens. Jean-Baptiste sert de
lien entre les deux Testaments.
Enfin, au centre de tout s'élève le héros de ce triomphe,
Jésus-Christ, qui est assis Sur un char découvert et à quatre
roues. Lui seul est décoré d'un nimbe, qui s'irradie de tous
les points de sa tête, et qui éclaire tout ce qui l'entoure. D'un
regard il voit le passé qui le précède et l'avenir qui le suit.
' Sainl Luc, chap. xxiii , v AS.
Il se jjourrail plutôt que ces sept enfants fussent les sept frères Machabées; rÉgliîe
latine les honore, comme les Innocents, d'un culte spécial. Mais, dans un cas comme
dans l'autre, le motif est le même. (Voyez la Légende dorée : De septem fratribus
Machabeis.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 321
Sa figure est celle que Raphaël et les peintres de la renais-
sance lui ont donnée, celle que Lentulus et le Damascène ont
décrite : elle est grave et douce. Au centre du char est posé
un globe constellé et traversé par l'écliptique où brillent les
signes du zodiaque. Ce globe figure le monde, et sert de
trône au Christ; c'est au sommet que le Fils de Dieu est
assis. Le char est posé sur quatre roues, et tiré par les
quatre attributs ou symboles des évangélistes. L'ange de saint
Matthieu et l'aigle de saint Jean sont d'un blanc céleste; le
lion de saint Marc et le bœui de saint Luc sont d'un jaune
fauve, qui figure la terre où ils vivent. C'est qu'en effet l'aigle et
fange planent, tandis que le lion et le bœuf marchent. Cepen-
dant, sur le vitrail, tous quatre ont des ailes. Une courroie d'ar-
gent, passée au cou des quatre symboles, vient s'attacher au
timon du char. L'Eglise, représentée par les quatre puissances
religieuses les plus élevées, le pape, le cardinal, f archevêque,
f évêque, ou par les quatre Pères par excellence , saint Grégoire,
saint Jérôme, saint Ambroise, saint Augustin, pousse le char
aux quatre roues et le mène de concert avec les évangélistes.
Jésus guide son triomphe, non pas avec des rênes, mais en
répandant avec la main droite des bénédictions partout où il
passe.
Tout cela marche sur le vitrail et chante de joie. Dans les
nervures qui treilhssent l'amortissement de la fenêtre, qua-
rante-six anges à cheveux longs et dorés, à robes blanches et
transparentes, à ailes jaunes, rouges, violettes et vertes, tous
sur un fond bleuâtre comme le ciel, célèbrent à toute voix
ou avec des instruments de musique la gloire du Christ. Les
uns ont en main des instruments de toute espèce, les autres
des cahiers de musique. Les quatre animaux des évangélistes
semblent accompagner de leur voix éclatante, le bœul de ses
INSTRUCTIONS. — II. Ul
322 INSTRUCTIONS.
mugissements, le lion de ses rugissements, l'aigle de ses cris,
Tange de ses chants , les acclamations de la foule des saints
et les chants des quarante-six anges qui remplissent le haut
de la fenêtre. En tête de la procession, un ange guide le cor-
tège, et, avec une petite croix qu'il tient à la main, montre
à tous le paradis où il faut entrer. Enfin douze autres anges,
tout bleus comme le ciel où ils se fondent, sont en adoration
devant le triomphe du Christ. Ils semblent lire cette inscrip-
tion monumentale qui se voit au-dessus de la frise, immédia-
tement sous les oves de la corniche :
TRIUMPHANTEM MORTIS CHRISTUM ,
/ETERNA PACE TERRIS RESTITUTA, COELIQUE JANUA BONIS OMNIBUS ADAPERTA ,
TANTI BENEFICII MEMORES
DEDUCENTES DIVI , CANUNT ANGELI.
«Le Christ, triomphant de la mort, a rendu la paix éter-
nelle au monde et ouvert la porte du ciel à tous les gens de
bien. Reconnaissants d'un aussi grand bienfait, les saints ' le
conduisent, les anges le célèbrent. »
Dante a décrit un triomphe à peu près semblable, mais
frappé cependant de différences intéressantes. Le poëte floren-
tin a composé son cortège avec des figures tirées de l'Apoca-
lypse et de la Symbolique chrétienne; à Brou, sauf les attri-
buts des évangélistes, tout le cortège est historique. Au xvi*"
siècle, en effet, fhistoire dominait le symbole, qui régnait aux
XIII'' et XIV^ Dante , en poëte politique , a fait le triomphe
de l'Eglise et non du Christ, le triomphe du catholicisme
' On est à la renaissance , et l'on ôte aux hommes glorifiés l'épithèle de saint pour
la remplacer par celle de divin. Celle qualification est plus païenne que chrétienne; elle
renferme l'idée d'apothéose plutôt que celle de canonisation. Elle convient, du reste, à
cet arc de triomphe où elle est peinte, car le monument est antique et non moderne,
païen de style et de forme, et non chrétien.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 3:23
plutôt que du christianisme. Son char, qui représente TEgHsc,
est veuf du Christ, si grand sur la verrière de Brou. Le char
est vide, et Dante ne s'en est pas aperçu ou inquiété, parce
qu'il voulait célébrer moins le Christ et sa doctrine elle-
même, que l'organisation et l'administration de rÉgllse. 11 a
fait tirer le char par un griffon, qui représente le pape; car
le griffon est aigle et lion tout à la fois. Or le pape, double
aussi, est aigle comme prêtre et plane dans le ciel; il est lion
comme roi, et marche sur la terre. Pour le poëte ultramontain ,
l'Eglise, la papauté est une monarchie absolue; ce n'est pas
une monarchie tempérée comme chez nous, et encore moins
une république comme chez les schismatiques de la Grèce et
de l'Orient. Aussi, tandis qu'tà Brou, le cardinal, l'archevêque
et févêque aident le pape à conduire le char de l'Eglise, dans la
Divine Comédie, le pape est tout seul et n'accepte pas l'assis-
tance des autres grands dignitaires ecclésiastiques. A Brou,
ce sont les évangélistes ou leurs attributs qui conduisent le
char; la puissance ecclésiastique se contente de leur venir
en aide. Dans le poëte italien, les évangélistes assistent au
triomphe, mais ne le mènent pas; le pape seul conduit l'Eglise,
et il ne permet ni aux évangélistes de la diriger, ni aux ecclé-
siastiques de faider lui-même. Le pape semble n'avoir besoin
de personne; son œil et son bras lui sufTisent^
Il faut donc, dans toutes les représentations analogues, étu-
dier les moindres détails; car, on le voit, ces détails peuvent
jeter une certaine lumière sur l'époque, le pays et l'artiste qui
les a imaginés^.
^ Divine Comédie, purgatoire, chanls xxix-xxxii.
^ On ne parle pas d'autres triomphes analogues à ceux de la verrière de Brou et du
poëme de Danle, parce qu'il faudrait une monographie spéciale pour une pareille série
de représentations. Souvent, au lieu d'être porté sur un char, Jésus-Christ navigue sur
un vaisseau , qu'il gouverne lui-même el qu'il dirige vers le port du paradis. Alors ou
ài.
324 INSTRUCTIONS.
JESDS-CHRIST EN AGNEAU.
Jusqu'à présent il n'a été question que de Jésus représenté
sous la figure d'un homme jeune ou âgé ; mais il est une
forme symbolique qui lui a été prêtée dès forigine du cliris-
tianisme , qui a traversé tout le moyen âge et qui persiste en-
core de nos jours : c'est celle de fagneau. Souvent les quatre
évangélistes , et nous en avons vu des exemples, sont figurés :
saint Matthieu par un ange, saint Jean par un aigle, saint Marc
par un lion , saint Luc par un bœuf; leur maître est figuré
tout aussi souvent par un agneau. En effet, saint Jean-Baptiste,
en voyant paraître Jésus, s'est écrié : « Voici fagneau de Dieu \ »
Le Christ, en mourant sur la croix, est fagneau symbolique
dont parlent les prophètes, fagneau qui marche à la mort et
se laisse égorger sans se plaindre '^ Le Christ, en répandant le
sang qui nous a rachetés, c'est fagneau égorgé par les enfants
d'Israël, et avec le sang duquel on marque du tau céleste les
maisons qui seront préservées de la colère de Dieu^. L'agneau
pascal mangé par les Hébreux, la veille de leur sortie d'E-
change de métaphore , et l'on a le vaisseau et non plus le char de l'Eglise; mais le motif
est exactement le même, et la composition du personnel ou des passagers est semblable
à celle de Brou. Un vitrail de Saint-Elienne-du-Mont, à Paris, offre un de ces triomphes
maritimes du Christ ; mais il est bien moins complet que le triomphe terrestre de Brou.
On peut comparer cette procession de Brou à celle des Panathénées qui couvre une des
frises du Parlhénon. La conception de Brou, l'ordonnance des personnages, l'ensemble
enfin de la composition nous semble supérieur à la procession antique de Phidias. Quant
a l'exécution , le vitrail de Brou est d'une rare beauté.
' Saint Jean, ch. i, v. 28.
^ Voyez çà et là, dans les prophéties , cette assimilation de Jésus en croix et de l'agneau
sous le couteau du boucher. Les offices de la semaine sainte sont remplis de ces com-
paraisons. « Sicut ovis ad occisionem ducetur et quasi agnus coram tondente se obmu-
« tescel et non aperiet os suum, » (Cf. Isaïe , cap. lui , v. 7 ; S. Matthieu, cap. xxvi , v. 63,
et les Actes des apôtres, chap. viii, v. 32.)
' Comparez la Prophétie d'Ezéchiel , cap. ix , v. 4 et 6 , et l'Exode , cap. xii , v. 7 et 1 3.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 325
gypte, est la figure de cet autre agneau divin que les chré-
tiens doivent manger à Pâques pour s'affranchir de la captivité
où le vice les encliaîne ^ Dans l'Apocalypse, saint Jean vit le
Christ sous la forme d'un agneau blessé à la gorge, et qui
ouvrit le livre des sept sceaux ^
Le Christ, enfin, c'est fagneau qui s'est offert comme vic-
time pour laver dans son sang les taches de notre nature et
pour effacer nos actions charnelles :
Carnales actvs tviit agnvs hic liostia factvs,
comme dit finscription gravée autour du cercle où Ton voit fa-
gneau de Dieu que nous offre la planche suivante :
' Exode, cap. xii, v. 7 et i3. — M. l'abbé Cahier a fait de savantes remarques sur
l'immolation de l'agneau prophétique. Les artistes chrétiens ont figuré très-souvent ce
sujet, qui est peint sur verre, particulièrement dans les cathédrales de Bourges et de
Chartres. Voyez les Vitraux peints de Saint-Etienne de Bourges, par MM. Arthur Martin et
Charles Cahier, prêtres, cli. i , pi. 1 . Dans le même ouvrage, planche vu , on voit le vi-
trail de Bourges où est figurée la mission que Jésus-Christ donne à ses apôtres de prê-
.'cher, de convertir el de baptiser les nations. Tout en haut, dans le dernier tableau et
en face de la personnification de l'Eglise ou de la Religion qui allaite deux fidèles à ses
deux mamelles et les couronne avec les deux mains, est peint l'agneau, de couleur
bleuâtre sur fond d'azur et entouré d'un nuage ou d'une auréole nébuleuse d'un jaune
d'or. L'agneau porte un nimbe à fond de gueules et croisé d'or. Du pied droit de devant,
il tient une croix d'un rouge de feu, à laquelle flotte un étendard. La pointe de l'éten-
dard est coupée en lanières qui figurent comme les grosses plumes d'une aile. Le champ
de l'étendard est marqué d'une croix noire cantonnée de l'A, de l'û, d'un X et d'une
autre petite croix. Ce dernier canton résume les trois premiers qui nomment le Christ et
son attribut d'éternité, de principe et de fin de toutes choses. L'agneau porte vivement
les regards vers l'étendard qu'il tient avec fierté. Ces deux médaillons de l'Agneau qui
nous a rachetés et de la Religion qui nous nourrit, couronnent d'une façon sublime ce
remarquable vitrail.
^ « Et vidi : agnum stantem lanquam occisum, habenlem cornua seplem, et
« oculos seplem — » {Apocal. cap. v.) — D'après ce texte, on comprend que les cornes,
même très-puissantes, comme nous en verrons deux exemples plus bas, pages 332 et
340, planches 85 et 88, puissent armer la tête d'un agneau; car elles sont allégoriques
et non pas naturelles. Cependant il en faudrait sept, comme à la planche 88; lorsqu'il
n'y en a que deux , l'explication est plus difllcile à donner.
326
INSTRUCTIONS.
^2. AGNEAU DE DIEU, SYMBOLE DE JESUS CRUCIFIE.
Cuivre grav<^, xi" siècle.
Le monument d'où est tiré ce dessin est du xf siècle; c'est
une plaque de cuivre ciselée et découpée à jour. Cette plaque
était probablement appliquée sur la couverture d'un livre
d'évangiles. De forme carrée, elle montre l'agneau dans le
centre, et sur les côtés la personnification des quatre fleuves
du paradis : le Tigre, l'Euphrate, le Phison et le Géhon ^ Les
vers suivants, gravés sur les côtés de la plaque, expliquent le
sens allégorique attaché à la présence des quatre fleuves :
Fons paradisiacus per flumina quatuor exit;
Hec {sic) quadriga levis te Xpè per omnia vexit.
L'agneau de Dieu, ainsi entouré des fleuves mystiques, ou
dominant la montagne d'où sortent les quatre sources , est
bien antérieur au xf siècle : la planche 23, page 68, nous en
Ce monument fait partie de la collection de M. du Sommerard. Les fleuves sont
nommés Gyon , Pliison, Tygris, Eufrates, et sont représentés à la manière antique : ce
sont des hommes presque nus, coi£Fés du bonnet phrygien, et tenant une urne d'où
s'échappent des flots. C'est à peu près ainsi qu'ils sont sculptés au portail occidental de
la cathédrale de Reims.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 327
a donné un exemple tiré des catacombes et qui date du v'^ ou
VI" siècle de notre ère ^ De nos jours, sur les chasubles ou les
devants d'autel, on voit fréquemment l'agneau couché comme
mort sur le livre aux sept sceaux , ou debout et tenant avec
l'un de ses pieds, tantôt de derrière et tantôt de devant, l'éten-
dard de la résurrection. Cette seconde manière de le figurer
est plus populaire et plus fréquente que la première; elle entre
même comme armoiries dans le blason de plusieurs villes et
de plusieurs familles nobles : la ville de Rouen porte de gueules,
à un agneau pascal d'argent, et la famille Pascal possède l'a-
gneau également d'argent, mais sur champ d'azur'.
Saint Jean-Baptiste est très-souvent représenté tenant l'a-
gneau de Dieu; c'est même l'attribut par lequel on le distingue
plus particulièrement. Ainsi la planche suivante donne le des-
sin d'une statue colossale qui orne les parois du portail sep-
tentrional delà cathédrale de Chartres. Saint Jean, pieds nus,
comme s'il était un apôtre du Nouveau Testament, nimbé
comme un saint, vêtu d'une robe en poil de chameau^, montre
de la main droite l'agneau qu'il tient avec la main gauche.
' Dans les monuments de la primitive Eglise, on voit fréquemment Tagneau debout
sur la montagne d'où s'écoulent les quatre fleuves du paradis terrestre, ou bien entouré de
la personnification de ces fleuves. L'agneau, c'est le Cbrisl; les fleuves, ce sont les évan-
gélistes : « Quatuor flumina, quatuor evangelistaî, » comme disent les docteurs chrétiens.
On a été plus loin dans l'assimilation, et G. Durand [Rat. div. off. lib. VII) dit que le
Géhon est saint Matthieu ; le Phison, saint Jean ; le Tigre, saint Marc; l'Euphrate, saint
Luc. Durand et le pape Innocent III trouvent de curieuses ressemblances entre les qua-
lités do chaque évangélisle comparé à son fleuve correspondant. « Per Physon Johannes ,
«per Gion Matlheus, per Tigrim Marcus, per Eufratem Lucas designati sunt. Sic enim
« rlare probat Innocentius III de evangelistis in sermone. »
' L'Art héraldicjue , par Baron ; in-12 , Paris , i6g5.
' « Ipse autem Johannes habebal vestimentum de pilis camelorum, et zonam pelliceam
« circalumbosejus... » (Saint Matthieu, ch. iii,v. à.) — A la ceinture de cuir et à la robe en
poil de chameau les Grecs ajoutent constamment, dans leurs représentations de saint Jean-
Baptiste, les cheveux incultes ou hérissés. Nous en avons vu un exemple planche 2/i, p. 72.
328
INSTRUCTIONS.
83. SAINT JEAN-BAPTISTE TENANT L'AGNEAU DE DIED.
Statue du xiii" siècle, h la cathédrale de Chartres.
L'agneau est inscrit dans une auréole. Il ne porte pas le
nimbe crucifère , parce que la sculpture ne se prêtait pas à le
décorer de cet insigne; mais il devrait l'avoir. Il en est orné
sur la planche 82 qui précède, et sur une grande statue de
saint Jean-Baptiste qui se dresse contre les parois du portail
occidental de la cathédrale de Reims.
Au xiv^ siècle, cet agneau, qui était volontiers symbolique
jusqu'alors, tombe dans la réalité, dans le naturel. Le saint
Jean qui suit , et qui est de cette époque , tient Tagneau , non
plus dans un disque, dans une divine auréole, mais absolu-
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE. 329
ment comme un Lerger tiendrait une petite brebis qui serait
fatiguée ou qu'il cbérirait.
84- AGNEAU NATUREL PORTE PAR SAINT JEAN.
Miniature française, xiv' siècle ^
Au xv^ siècle, le naturalisme est plus prononcé encore. A cette
époque l'agneau perd son nimbe, il court à terre, il broute
l'herbe du désert où se repose saint Jean, il se dresse sur ses
deux pattes de derrière contre son précurseur qu'il cherche à
caresser. Enfin, au xyi*" siècle, un joli tableau sur bois, qu on
' Ce dessin est lire du lioman des trois pèlerinages, manuscrit de la bibliothèque
Sainte -Geneviève. La miniature est au folio 187, verso. La cathédrale de Reims, qui
devance, au moins de cent ans, les autres cathédrales de France, quant à la statuaire et
à la sculpture d'ornement, offre, dès le xiii" siècle, un saint Jean tenant et caressani
de ses mains un charmant petit agneau. Ce joli groupe se voit parmi la population
de statues qui vivifient le mur intérieur du portail occidental et qui font , de cette partie
de l'admirable édifice, un chef-d'œuvre unique en France.
INSTRUCTIONS. II. ^2
330 INSTRUCTIONS.
voit dans une chapelle latérale de Notre-Dame de Brou , à Bourg ,
a été plus loin encore. Saint Jean y est représenté assis sur un
tertre vert, dans une forêt, au bord d'une petite rivière. Il tient
sous son bras gauche l'agneau, qui n'a plus rien d'hiératique.
De la main droite il lui donne à boire de l'eau qu'il a puisée
dans une coquille. L'agneau de Dieu qui a soif et auquel on
donne à boire, c'est peu divin! Quelle différence de cet agneau
de Brou, qui est du xvi*' siècle, avec celui qui décore un
coffret d'ivoire provenant, dit-on, du couvent de Saint-Gall,
et qui doit être du ix"" ou du x*" siècle ! Sur le couvercle de ce
coffret, un agneau, qui porte le nimbe crucifère et qui est
posé sur un disque comme une « imago clypeata » , est adoré
par quatre anges qui se prosternent devant lui, et par les vingt-
quatre vieillards de l'Apocalypse, qui lui tendent les mains,
comme pour en recevoir des trésors de grâce. Pendant que
ces scènes se passent dans le ciel inférieur, tout en haut, une
main, la main de Dieu le père, sort des nuages et lance cinq
torrents de lumière, qui tombent sur l'agneau, symbole de
son fds ^ C'est ici d'une gravité, d'un mysticisme sublimes;
à Brou, la réalité est presque triviale. Cependant à Brou, der-
rière saint Jean , est posée une petite croix de roseau avec une
banderole où l'on a écrit : Ecce agnus Dei ; on est rappelé ainsi
à la sévérité du symbole. Cette inscription accompagne ordi-
nairement la représentation de l'agneau divin ; on la voit à Arles ,
dans la vieille église du cimetière des Dames de Saint-Césaire.
A la voûte de l'abside, quatre nervures plates, terminées par
des chapiteaux ou impostes feuillages , viennent aboutir à une
clef sur laquelle est sculpté l'agneau tenant la croix delà résur-
lection; cette inscription, distribuée en deux bandes semi-
' Ce curieux coffret apparlienl à M. Michéli , qui l'a moulé et jeté dans le coui-
nierce.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 331
circulaires, est gravée autour de l'agneau : Dei ecce ahgnus ^
Dans les vitraux et les sculptures qui représentent les évé-
nements ou les ligures de l'Ancien Testament en regard des
scènes du Nouveau, on voit un jeune homme égorgeant un
agneau, tandis qu'un vieillard trempe dans le sang de la vic-
time une plume, un style avec lequel il marque du tau (t) le
dessus des portes [siiperliminare) des maisons que la colère de
Dieu doit épargner^.
Dans toutes les sculptures et peintures sur verre et sur par-
chemin qui représentent l'Apocalypse, on voit l'agneau à sept
yeux et à sept cornes brisant les sceaux du livre mystérieux.
C'est toujours l'agneau que l'on voit et jamais la brebis,
jamais le bélier, car les textes sont explicites: «Ecce agnus;
« vidi agnum; agnus Dei; agnus qui tollis peccata mundi. »
Cependant, et par une anomalie des plus extraordinaires, la
cathédrale de Troyes présente sculpté à une clef de voûte un
agneau de Dieu en bélier. Les formes de ce bélier sont nette-
ment caractérisées, et le dessin qu'on en donne ici montre
deux cornes très-bien indiquées et très-puissantes.
' L'/i, qui est dans ahgnus, semble indiquer une aspiration qu'on faisait sentir alors ,
au moins dans la Provence. Nous avons déjà constaté qu'à Charires un sculpteur du
xiii° siècle avait écrit terrein pour terram. A la même époque, presque partout, sur les
vitraux, les émaux et les sculptures, on voit Sohmon, Solomonem pour Salomon , Salo-
monem; les manuscrits disent souvent Salemons. Dans la vieille église de l'île Barbe,
près de Lyon , on lit, au milieu d'une inscription relative au Christ, michi pour mihi ;
michi règne encore en Italie. Dans ces exemples et dans bien d'auti'es , il y a probable-
ment des indices de la prononciation propre à certaines époques et à certaines loca-
lités ; il faut les signaler avec soin.
' Voyez une grande statue colossale qui décore le portail occidental des cathédrales
d'Amiens, de Reims, de Senlis; une statue semblable est au portail septentrional de
Notre-Dame de Chartres. Voyez un vitrail de la cathédrale de Chartres, nef latérale du
nord, et un vitrail de la calliédrale de Bourges, à l'abside. Ces deux vitraux font partie
de la monographie de la cathédrale de Bourges, dont M. Arthur Martin fait ou surveille
tous les dessins et dont M. Charles Cahier rédige le texte. Sur ce vitrail de Bourges, on
lit sous le prophète qui écrit : « Scribe tliau. »
42.
332
INSTRUCTIONS.
85. AGNEAU DE DIED EN BELIER.
Sculpture française, dans la cathédrale de Troyes, fin du xiii^ siècle.
C'est bien un bélier. D'un autre côté c'est vraiment l'agneau
de Dieu , puisqu'il porte la croix de résurrection comme l'agneau
pascal, et le nimbe crucifère comme les personnes de laTrinité.
Jusqu'à présent on ne connaît pas d'autre exemple d'une pa-
reille particularité; mais cet exemple est en Champagne, où,
comme à Reims et à Troyes, l'art est tout exceptionnel, on
pourrait même dire schismatique, relativement à l'art chrétien
des autres provinces de France. Ce dessin est de la dernière
exactitude, il a été exécuté après un examen minutieux des
formes les plus impercej)tibles ^ Les cornes sont le carac-
tère de la force matérielle; elles signifient peut-être que ce
bélier divin est le symbole de la puissance divine du Fils.
Dans ce cas , ces cornes seraient à l'agneau ce que le double
nimbe triangulaire^ est au Père éternel, ou le nimbe croisé et
M. Fichot, dessinateur de Troyes, a fait ce dessin après avoir conslalé avec moi,
au moyen d'une excellente lunette, que les cornes étaient réelles et aussi prononcées en
forme et dimension que le dessin l'indique. Cette sculpture orne une clef de voûte placée
à douze mètres du sol , dans une chapelle du latéral méridional de la cathédrale de Troyes.
C'est un fait curieux que l'agneau se soit changé en bélier dans la Champagne, province
qui nourrit de nombreux troupeaux de moutons,
* Planche 21, p. 61.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 333
recroisé à l'agneau donné dans le chapitre du nimbe (pi. i3,
p. 46); elles annonceraient la puissance absolue.
L'art ne s'est pas contenté, dans les premiers siècles du chris-
tianisme, de représenter Jésus-Christ sous la forme d'un agneau;
il figura ainsi , ou sous celle de la brebis , d'autres personnages de
l'Ancien et du Nouveau Testament : Abraham , Moïse, saint Jean-
Baptiste, les apôtres. Pour les apôtres, on les voit fréquemment
sous cette forme sur les anciens sarcophages , sur les fresques des
catacombes, sur les ancien nés mosaïques des basiliques romaines.
Un dessin donné ici représente Jésus, sous forme humaine, de-
bout sur la montagne du paradis, et donnant ses dernières ins-
tructions à ses apôtres. La personne divine est accompagnée de
son symbole, l'agneau qui porte une croix sur la tête ^
86. LE CHRIST ET LES APOTRES SOUS FORME D'AGNEAUX OU DE BREBIS.
Sculpture latine, premiers siècles de TEglise.
' Le Christ aux sept agneaux est dessiné d'après un sarcophage en marbre blanc
334 INSTRUCTIONS.
Au bas de la montagne, et tournés vers Jésus, se voient six
agneaux, qui figurent les apôtres; la place manquait pour les
sculpter tous les douze. Aucun de ces agneaux, pas môme
celui de Dieu, n'a de nimbe, parce qu'à cette époque cet
insigne n'était pas encore adopté par le christianisme. La
personne même du Christ n'a pas de nimbe. Ici, nous n'avons
que sept agneaux; mais plusieurs mosaïques latines, à Rome
et à Ravenne surtout, offrent bien les douze agneaux sortant
six de Jérusalem, six de Bethléem, et se rendant vers Jésus,
qui a la figure de l'agneau divin et qui est debout près du
Jourdain ; c'est vers ce fleuve que semble venir converger tout
le christianisme ^ Dans le Rational des divins offices, Guillaume
Durand dit : « Quelquefois on peint les apôtres sous la forme de
douze brebis, parce qu'ils ont été tués à cause du Seigneur,
ainsi que des brebis. Mais en outre on peint quelquefois les
douze tribus d'Israël sous la forme de douze brebis. Quelque-
fois on en voit plus ou moins autour du trône de la majesté
divine; mais, dans ce cas, ils figurent autre chose, suivant ce
provenant du cimetière du Vatican. Tout le sarcophage est gravé dans Bosio ( Roma
sotierr. p. 63 de ledit, ital. Rome , i632). A droite et à gauche du Christ s'élèvent deux
palmiers; sur celui de droite est un oiseau, une colombe, peut-être le Saint-Esprit.
Dans ce cas, ce serait, avec la petite colombe sculptée sur la frise du tombeau de Junius
Bassus , la plus ancienne représentation de l'Esprit divin.
^ Voyez Ciampini , Veter. monim. passim. Dans la Rom. sotterr. p, 4ii, les douze
Apôtres et Jésus au milieu d'eux, en pasteur, sont debout sur un sarcophage trouvé
près de Saint-Laurent-hors-les-Murs , à Rome. Chaque figure est accompagnée de son
agneau , et Jésus caresse le plus gros d'entre eux , celui qui figure l'agneau de Dieu.
En outre , aux deux extrémités du sarcophage , deux pasteurs ( ils figurent encore le
Christ) sont accompagnés de cinq agneaux. Celui de droite en a trois, et il en caresse
un avec tendresse; celui de galîche en a deux, qu'il bénit à la manière latine. Il y a
donc dix-huit agneaux dans celle jolie scène. Lisez dans l'Evangile tous les textes où
Jésus se compare au bon Pasteur, et assimile les hommes à des brebis; où, avant de
mourir, il se compare au berger qui sera frappé et dont les brebis se disperseront; où il
confie à Pierre, pour les mener dans de bons pâturages, ses brebis si chères. (S. Jean,
ch. X; S. Luc, ch XV; S. Matthieu, ch. xxvi.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 335
texte de saint Mattliieu : « Lorsque le Fils de l'homme viendra
<( dans sa majesté, alors il sera assis sur le siège de sa gloire,
« plaçant les brebis à sa droite, et les boucs à sa gauche. » Ainsi
les apôtres, les tribus Israélites et les fidèles étaient symbo-
lisés par l'agneau et la brebis ^
On a été plus loin encore, avons-nous dit; on a figuré
des personnages de f Ancien Testament, et même de simples
Hébreux, sous la forme de fagneau. Des scènes entières de
la Bible ont été représentées par des acteurs religieux trans-
formés en agneaux. Il semble voir les apologues anciens et les
fables de La Fontaine mis en action par les animaux allégo-
riques qui prêchent la sagesse. Ainsi le tombeau de Junius
Bassus, en marbre blanc, qui date du iv^ siècle de notre
ère, et qu'on voit dans le musée chrétien du Vatican, repré-
sente quelques sujets de fAncien et du Nouveau Testament :
la chute d'Adam et d'Eve, le sacrifice d'Abraham, Job raillé
par sa femme, Daniel entre deux lions, Jésus entrant dans
' « Pinguntur eliam quandoque ( Apostoli) siib forma duodecim ovium, qui tanquani
« bidentes occisi sunt propter Dominum; sed et duodecim Iribus Israël quandoque suh
« forma duodecim ovium pinguntur. Quandoque tamen plures, A^el pauciores oves circa
« sedem majestatis pinguntur, sed tune aliud figurant, juxta illud Maltb. : Cum vene-
« rit Filius bominis in majestate sua, tune sedebit super sedem majestatis suae, statuons
« oves a dexlris , et baedos a sinislris. » (Guill. Durand, Rationale divin, offic. lib. I , cap. m ,
edit. de Venise, lôya.) — Durand, par ce texte, semble laisser croire que de son temps
on peignait sous la forme de la brebis- les apôtres, les tribus d'Israël et les justes ressus-
cites ; mais il nous reste de l'époque où vivait et écrivait Durand (le xiii" siècle) une
foule de monuments tout peints et tout sculptés. Or, dans ces monuments, qui sont
entre autres les cathédrales de Reims, d'Amiens, de Paris, de Chartres, de Sens, il n'y
a pas une seule brebis qui figure, soit un apôtre, soit une tribu, soit un juste près du
trône de Dieu. Bien antérieurement à cette époque, depuis le iv" siècle jusqu'au ix'
environ, mais cela en Italie à peu près exclusivement, on donnait la forme de l'agneau
ou de la brebis aux personnages dont parle Durand , et les agneaux que nous avons
signalés sortant de Belliléem et de Jérusalem pour venir boire au Jourdain , près duquel
est le Fils de Dieu, pourraient bien être les tribus d'Israël plutôt que les apôtres encore.
Dans une lettre (c'est la douzième du recueil) à Sulpice-Sévère, évoque de Tours, saini
336 INSTRUCTIONS.
Jérusalem, ou comparaissant devant Pilate, ou triomphant
et donnant ses instructions à saint Pierre et à saint Paul.
Tous les personnages de ces diflerentes scènes sont debout
dans des cadres en plate-bande ou dans des niches circulaires
et triangulaires. Mais ni les antiquaires ni les graveurs n'ont
fait attention à la frise, aux pendentifs qui relient entre elles
les arcades de l'étage inférieur; du moins, ils n'en ont pas com-
pris le système d'ornementation. En allant de gauche à droite,
comme quand on lit, on voit d'abord trois agneaux dans les
Paulin, évèque de Noie, dit qu'il avait fait exécuter une mosaïque dans l'abside de
la basilique de Fondi. Celle mosaïque représentait la Trinité. La croix y symbolisait le
Christ, et celte croix était portée sur un rocher, une élévation :
Et quia celsa (crux) quasi judex de rupe superstal,
Bis p;emiiiBB pecudis discors aguis genus baedi
Circumstant solium ; laevos avertilur liœdos
Pastor, et emeritos dexlra complectitur agnos.
C'est bien là le troupeau d'agneaux et de boucs mentionné par Durand. Il faut donc en
conclure que noire évêque de Mende parlait de l'art italien et non de l'art français, et de
plus qu'il en parlait d'après des liîurgisles antérieurs à lui, et non d'après les monumenls
figurés de son époque. Du reste, bien d'autres faits légitiment cette conclusion; on ne doit
pas accepter sans critique et comme des usages constants et contemporains de Durand
tous ceux que ce lilurgiste nous détaille avec complaisance. Durand est un compilateur qui
fait son ouvrage avec des livres anciens et très-souvent étrangers à notre pays. Ainsi, dans
ce même chapitre m du livre 1 de son Ralional, il dit qu'on représente honorés d'un
nimbe carré tout prélat et tout homme vertueux, lorsqu'on les peint de leur vivant. Mais ,
nous l'avons déjà vu dans l'Histoire du nimbe, cet usage est spécial à l'Ilalie et n'a jamais
été adopté en France. Du reste, voici le fexle de Durand; il complétera ceux que nous
avons déjà donnés sur le nimbe : « Cuni vero aliquis praelatus aut sanclus vivens pingitur,
« non in formam sculi rolundi , sed quadrati , corona ipsa depingilur, ut qualuor cardinali-
« bus virlulibus vigere monslrelur, prout in legenda beati Gregorii habelur. » — Si l'élude
des monuments figurés ne venait pas limiter celle pratique à l'Italie, on croirait, d'après
Durand , qu'on a peint en France des nimbes carrés. 11 faut donc contrôler les textes par
des œuvres de l'art, et faire de l'archéologie plulôt avec les monuments sous les yeux
qu'avec des livres dans les mains. On remarquera le nom de couronne et de bouclier
que Durand donne au nimbe; cet attribut est en elfet une couronne religieuse, et, d'a-
près les idées mystiques du moyen âge, c'est un bouclier de têle, une espèce de casque
qui protège les saints, comme s'exprime YHortus deliciarum de l'abbesse Herrade.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 337
flammes ; puis un agneau tenant une baguette au pied droit de
devant et frappant un rocher d'où s'échappe une source, tandis
que deux autres agneaux, dont l'un s'apprête à boire et dont
l'autre est couché, regardent se passer l'action; puis un agneau
levant son pied droit de devant, comme pour recevoir un livre
tendu par une main qui sort des nuages; puis un petit agneau
plongé dans l'eau et sur la tête duquel un agneau plus gros
étend son pied gauche de devant; puis un agneau frappant avec
une baguette trois paniers pleins de pain; enfin un agneau
touche avec une baguette un mort debout dans son tombeau.
Ces scènes, qui ont des agneaux pour acteurs, sont la copie de
scènes semblables exécutées par des hommes, et qu'on a sculp-
tées constamment sur les autres vieux sarcophages. C'est l'his-
toire de l'Ancien et du Nouveau Testament, choisie dans les
principaux épisodes et figurée par des êtres allégoriques. Cette
ornementation multiplie et continue les sujets représentés par
les figures humaines placées dans les arcades.
87. AGNEADX REPRÉSENTANT DES SCENES DE L'ANCIEN ET DU NOUVEAU TESTAMENT.
Sculpture latine du iv^ siècle.
Les trois agneaux dans le feu sont les trois enfants que Na-
INSTRUCTIONS.
338 INSTRUCTIONS.
buchodonosor a fait jeter dans la fournaise ^ Au n*" i , Moïse
en agneau frappe l'eau du rocher. Au n'' 2 , Moïse, sous la même
forme, reçoit les tables de la loi. Jésus-Glirist en petit agneau
est plongé dans le Jourdain, et, tandis que le Saint-Esprit,
qu'on voit sous la forme d'une colombe, souffle la grâce sur
cette petite tête de l'agneau divin , saint Jean-Baptiste, en gros
agneau, verse sur la même tête l'eau du baptême : c'est le
n° 3. Jésus en agneau multiplie les pains, au n° /i, avec la même
baguette dont il se sert, au n" 5, pour ressusciter Lazare.
La faveur pour fagneau était telle alors, qu'on avait presque
abandonné la figure humaine du Christ pour y substituer
celle de son emblème. L'Eglise s'inquiéta de cette tendance à
l'idéalisme; elle craignit que l'allégorie ne finît par engloutir
la réalité et l'histoire. En 692, sous l'empereur Justinien II, un
concile appelé Quini-Sexte décréta formellement qu'à l'avenir
la figure historique de Jésus-Christ, la physionomie humaine
du fils de Dieu, serait substituée, dans les peintures, à fimage
de l'agneau. Voici le texte , qui n'est pas sans importance : « Dans
certaines peintures et images vénérables, on représente le
Précurseur montrant du doigt fagneau. Nous avons adopté
cette représentation comme une image de la grâce; pour nous,
c'était fombre de cet agneau, le Christ, notre Dieu, que la loi
nous montrait. Donc, accueillant d'abord ces figures et ces
ombres comme des signes et des emblèmes, nous leur préfé-
rons aujourd'hui la grâce et la vérité, c'est-à-dire la plénitude
de la loi. En conséquence, pour exposer à tous les regards ce
qui est parfait, même dans les peintures, nous décidons qu'à
l'avenir il faudra représenter dans les images le Christ, notre
Dieu, sous la forme humaine, à la place du vieil agneau. Il
* Ce sujet, mal gravé dans Bosio ( Rom. sotterr. p. [\b ) , n'a pas été reproduit ici ; les
cinq autres suffisent pour la démonstration.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 339
faut que nous contemplions toute la sublimité du Verbe à tra-
vers son bumilité. 11 faut que le peintre nous mène comme
par la main au souvenir de Jésus vivant en cbair, souffrant ,
mourant pour notre salut, et acquérant ainsi la rédemption
du monde ^ »
Malgré cette défense positive, on n'a cessé, tant les artistes
sont indépendants ou tant est puissante une idée ancienne,
de représenter Jésus sous la figure d'un agneau. Il est vrai
que, depuis cette époque, on n'a pas abusé de l'agneau pour
en travestir, comme avait fait le sculpteur du tombeau de
Bassus, tous les personnages de l'Ancien et du Nouveau Tes-
tament, mais l'agneau divin fut peint et sculpté aussi sou-
vent qu'auparavant. A Bourg, au xv!*" siècle, l'agneau de Dieu
boit à une coquille l'eau que lui présente saint Jean; de nos
jours, sur la porte des tabernacles de nos églises, sur le dos
des chasubles que portent nos prêtres, est figuré l'agneau
couché endormi ou égorgé sur le livre des sept sceaux. En effet,
Jésus est représenté en agneau, surtout quand saint Jean-
Baptiste le montre du doigt et quand il brise les sceaux du
' K In nonnullis venerabillum imaginum picturis, agnus qui digito Praecursoris mons-
«tralus, depingitur, qui ad gradae figuram assumptus est, verum nobis agnum, per
• legem Christum Deum noslrum, praemonstrans. Antiquas ergo figuras et umbras, ul
« verîtalis signa et characteres Ecclesiae traditas, amplexantes, graliam et verilatem prjE-
nponimus, eam ut legis implementum suscipienles. Ut ergo quod perfectum est, vel
« colorum expressionibus omnium oculis subjiciatur, ejus qui tollil peccala mundi,
« Christi Dei nostri bumana forma characterem etiam in imaginibus deinceps pro veteri
« agno erigi ac depingi jubemus, ut per ipsum Dei Verbi bumilialionis celsiludinem
«mente comprebendentes, ad memoriam quoque ejus in carne conversationis, ejusque
«passionis et salutaris morlis deducamur, ejusque quae ex eo facta est raundo redemp-
« tionis. Il (Voyez le P. Labbe , Conciliorum Colleclio maxinia, tom. VI , col. 1177- « Conci-
« Hum Quini-Sexlum." ») Saint Jean Damascène [Oratio III de Imaginibus), rappelle textuel-
lement le canon 82 de ce concile Quini-Sexie, ou in Trullo, qui interdit de représenter
l'agneau. Le concile voulut substituer entièrement l'bistoire au symbolisme ; mais la ligure
symbolique persista toujours, particulièrement chez nous, à côté de la ligure historique.
340 INSTRUCTIONS.
livre apocalyptique. Dans le premier cas, l'agneau est naturel;
dans le second, il est symbolique, idéal et monstrueux, rela-
tivement à la réalité. Ainsi, il a sept cornes sur la tête et sept
yeux sur le front ou sur le cou. Ce nombre est mystique
comme celui des têtes et des cornes des bêtes infernales de
l'Apocalypse. Il désigne, dit saint Jean, les sept esprits de
Dieu envoyés sur toute la terre. Les sept dons du Saint-Esprit ,
qui remplissaient l'agneau, s'appellent : la vertu, la divinité,
la sagesse, le courage, l'honneur, la gloire, la bénédiction ^
88. AGNEAU DE DIED À SEPT YEUX ET SEPT CORNES ^
Miniature française du xiii° siècle.
Ainsi chaque œil désigne la faculté, chaque corne est l'em-
blème de la puissance qui éclaire et fortifie l'agneau divin.
«El vidi... Agnum slantem tanquam occisum , habentem cornua septcm et oculos
« septem, qui sunt septem spirilus Dei, missi in omnem terrain Et audivi vocem an-
«gelorum dicenlium voce magna : Dignus est agnus, qui occisus est, accipere virlu-
«tem, et divinitalem, et sapienliam, et fortitudinem , el honorem, et gloriam, et bene-
« dictionem. » [Apocalyp. cap. v, v. 6 , 1 1 et 12.) — Rhaban Maur [de Laudihiis sanctœ
Crucis, figura xv) a dessiné un agneau armé de sept cornes. Sur les cornes on lit : « Septem
« spiritus, » et sur le corps de l'agneau : « Ecce agnus Dei, ecce quitoUit peccala mundi. »
Cet agneau porte un nimbe crucifère, car il est le symbole de Dieu; mais il n'a ni les
sept yeux, ni la plaie de notre plancbe 88.
Cet agneau à sept yeux et à sept cornes est tiré d'une Apocalypse manuscrite qui
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 341
Les antiquaires doivent faire une grande attention à la place
qu'occupent ces yeux et ces cornes, non moins qu'à leur
nombre. La place est ordinairement la tête ; mais souvent le cou
se hérisse de ses cornes comme d'une crinière, et se perce des
sept yeux comme de taches ocellées. Quant au nombre, il de-
vrait être invariable; mais, par erreur, indifférence, défaut de
place ou inattention, on voit quelquefois six \ cinq et même
quatre cornes seulement. D'autres fois, et c'est extrêmement
fréquent , l'agneau apocalyptique est rabaissé à l'état d'agneau
naturel, et, en conséquence, n'a que des cornes en germe et
invisibles; alors il n'a plus que deux yeux. On sent toujours
la volonté et l'indépendance de l'homme; l'artiste traduit à
sa fantaisie les textes sacrés et ramène le mystique au réel,
lorsque son caractère spécial l'y pousse. Sur un manuscrit
carlovingien, écrit et peint sous Charlemagne, on lisait ces
vers composés par Alcuin :
Omnia quœ praesens tellus producit alendo
Et maris liaec faciès limbo circumvenit amplo,
Agne , Deuin solio semper veneran tur in alto.
Sanguine qui fuso tersisti criniina secli
In cruce, tu Karoii detergas vulnera régis.
Ces vers étaient écrits au-dessous d'une miniature qui re-
présentait l'agneau, les vingt-quatre vieillards de l'Apoca-
lypse, la terre et la mer. Sous une autre miniature, où
est à la bibliollicque de l'Arsenal (ihéol. lat.) et qui date du xiii" siècle. L'ouvrage est de
médiocre exécution, cet agneau apocalyptique surtout; mais je n'avais pas sous la main
d'autre exemple aussi complet. Dans la cathédrale d'Auxerre, sur un vitrail, on voit
un de ces agneaux exécuté avec beaucoup plus de soin. Un vitrail de Saint-Etienne-du-
Mont, qui porte la date de 161 4 et qui est dans la nef, côté du nord, donne un curieux
exemple de cet agneau mystérieux et de toute la scène apocalyptique où il figure.
' A Auxerre . sur un vitrail de la cathédrale , je crois bien n'avoir aperçu que six cornes
sur la tête d'un agneau apocalyptique, qui se dresse et qui pose les pieds sur le livre des
sept sceaux. Ce vitrail, qui est du xiii° siècle, est placé dans le collatéral méridional du
342 INSTRUCTIONS.
l'agneau seul était peint, on lisait ces deux autres vers com-
posés également par Alcuin :
Hune Moyses agnuni monstravi lege futurum
Cunctis pro populis perferri vulneia morlis.
Le poëte ne décrit pas l'agneau qui se rapportait à la première
ou à la seconde inscription ; mais il est probable que même
l'agneau du premier sujet, l'agneau apocalyptique, était na-
turel et n'avait que deux cornes et deux yeux , comme l'agneau
existant encore dans la bible de Cliarles le Chauve. Le Charles,
nommé dans le dernier vers de la première inscription, est
Charlemagne ^
Ainsi donc, malgré le concile Quini-Sexte , on continua à
figurer Jésus par l'agneau. Que ce fait se constate dans l'Oc-
cident, dans l'Eglise latine, qui a toujours été en froid avec
l'Eglise grecque, même à l'époque du concile Quini-Sexte, il
ne faudrait pas trop s'en étonner : une prescription partie de
Constantinople pouvait être regardée comme non avenue à
Rome. Mais en Grèce même, on semble avoir ignoré ou
méprisé , si on le connaissait , le canon du concile ; on y
rencontre , peinte à fresque et en mosaïque , la figure de l'a-
gneau représentant le Christ. Sous cette figure, j'ai lu dans
les églises d'Athènes, aux Météores et au mont Athos : o ot/itvoç
rov ^eou ^. Du reste, en Orient comme en Occident, on n'a
cessé de chanter à la messe : «Agneau de Dieu, qui enlèves
les péchés du monde, aie pitié de nous^. » On a toujours in-
voqué dans les prières et on a toujours figuré en sculpture et
chœur. A Saint- Etienne- du -Mont, l'agneau apocalyptique a sept cornes et sept jeux;
mais il est sans nimbe et n'est pas blessé au côté.
' Baluze, Miscellanea, IN" vol. Carmina Alcuini, in fronte codicis.
" Au couvent de Philothéou, dans le monl Alhos, est peint en grand un agneau de
Dieu , avec l'inscription à diivùs tov Q-sov.
^ (I Agnus Dei, qui lollis peccata mundi, miserere nobis. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 343
en peinture l'agneau divin, sans s'inquiéter du concile Quini-
Sexte. Enfm, au xiii*" siècle, même à cette époque où l'histoire
cherchait à dominer l'allégorie , on indiqua un moyen de
figurer la personne et tout à la fois le symbole du Christ.
Avant le xuf siècle, on préfère le symbole; après, on affec-
tionne la réalité. Mais du temps de Guillaume Durand, on
trouve à peu près un juste milieu; alors l'agneau , bien qu'au
second plan , n'est pas trop sacrifié à la personne du Christ.
Voici le texte de Durand qui complétera celui du concile.
«Parce que Jean-Baptiste montra du doigt le Christ, et dit :
« Voici l'agneau de Dieu » , quelques-uns peignaient le Christ
sous l'apparence d'un agneau. Mais cependant, parce que
fombre s'est écoulée, et parce que le Christ est un homme
réel , le pape Adrien ^ déclare que nous devons le peindre sous
la forme humaine. Ce n'est pas l'agneau de Dieu, en effet, qui
doit être peint sur la croix ; mais , après avoir figuré Thomme ,
rien ne s'oppose à ce qu'on représente fagneau, soit au bas,
soit au revers de la croix ^ » — Il faut le dire, on a peu profité
de la permission que l'évêque de Mende donne de figurer en
même temps le Christ et son symbole sur la croix ; car les
monuments de cette espèce sont assez rares, et Ton devrait
' Adrien ?', au viu" siècle. Ce qui est curieux, c'est que le ponlife de Rome s'adresse
à Barasius , patriarche de Conslanlinople, en exprimant cette opinion.
n Sciendum autcm est quod Salvatoris imago tribus modis convenientius in ecclesia
« depingitur, videlicel : aut residens in throno , aut pendens in crucis patibuîo , aul ul
«residens in matris gremio. Quia vero Johannes Baptista Christum digito demonslravit
« dicens : « Ecce agnus Dei n, ideo quidam depingebanl Chrislum sub specie agni. Quia
«vero tamen umbra transivil, et Christus verus est homo, dicit Adrlanus papa (deCon-
<i secralio. distinct. HT, cap. vi ) , quod ipsum in forma humana depingere debemus.
«Non enim agnus Dei in cruce principaliter depingi débet; sed, homine depicio,
«non obest agnum in parle inferiori vel posteriori depingi, cum ipse sil verus agnus
«qui tollit peccata mundi. His quidem et aliis diversis modis Salvatoris imago depin-
u gilur propter diversas signilicationes. a (Guill. Durand, liationale divin, ojfici. lib. I ,
cap. m). — Guillaume Durand , nous l'avons déjà vu , prend tous ces exemples dans
344 INSTRUCTIONS.
signaler avec soin ceux qu'on découvrirait. Mais, si le Christ et
l'agneau n'ont pas été souvent représentés ensemble , sur le
même subjcctile, on n'a jamais cessé de figurer à part l'agneau
de saint Jean-Baptiste ou celui de saint Jean évangéliste.
JKSUS EN BON PASTKUR.
Le Christ a donc été représenté constamment sous TapjDa-
rence d'un agneau; mais, en outre, on l'a figuré sous celle du
berger qui garde l'agneau. Jésus, comme l'agneau, a donné sa
vie sans se plaindre, et de plus, comme le berger plein de sol-
licitude pour son troupeau, il a été chercher l'homme perdu
et l'a ramené dans le sein de Dieu. Jésus, lui-même l'a dit,
est le bon pasteur qui va chercher sur ses épaules la brebis
égarée, l'âme infidèle, et la ramène au bercail. «C'est moi, »
dit Jésus par l'organe de saint Jean, « c'est moi qui suis le bon
pasteur; je connais mes brebis et mes brebis me connaissent,
comme mon père me connaît et comme je connais mon père. Je
donne ma vie pour mes brebis. J'ai encore d'autres brebis qui
ne sont point de cette bergerie : il faut que je les amène ; elles
entendront ma voix, et iJ n'y aura plus qu'une seule bergerie
et qu'un seul pasteur K » Plus bas, on va voir que le Christ a
l'arl ou plulôt dans les textes italiens. Le liturgisle français vivait au milieu des sculp-
teurs et des peintres qui peuplaient alors nos plus célèbres cathédrales de statues et de
figures , el cependant il n'a vu ni ces figures ni ces statues. Il fermait les yeux à l'art mo-
numental de son pays : il ne les ouvrait que pour lire , souvent sans les comprendre , les
textes des écrivains étrangers. Ainsi , chez nous , on ne peint pas en même temps Jésus
à la croix et l'agneau au pied de cette croix ; mais en Italie , du iv° au v° siècle , on
figurait la croix, probablement sans le Christ, mais avec l'agneau divin au pied. On
lit, en effet, les vers suivants dans les œuvres de saint Paulin, évêque de Noie, au milieu
de la douzième épîlre qu'il adresse à Sulpice-Sévère :
Sul) cvucc sanj^uinea niveo stat Cliristus in agno ,
Aguus ut innocua injusto datus hoïlia lelo.
' Saint Jean, ch. x, vers, i/i, i5, 16.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 345
été figuré comme le poisson et, tout à la fois, comme le pê-
cheur qui prend le poisson; ici, il est agneau et berger. Dans
l'église de Sainte-Pudentienne , à Piome, on voit sur la porte
un agneau de Dieu dans un médaillon , avec cette inscription :
« Mort et vivant, je ne fais qu'un; je suis à la fois le berger et
l'agneau ^ » Les monuments figurés des catacombes, les sar-
cophages et surtout les peintures à fresque montrent très-sou-
vent un berger, jeune, imberbe, en tunique courte et rayée
de deux bandes longitudinales, debout, tenant sur ses épaules
la brebis égarée, la brebis chérie. A ses pieds broutent ou sont
couchées les brebis fidèles. Ici, dans ce dessin qui reproduit
une fresque des catacombes, le berger tient une flûte de Pan
à la main droite, tandis que de la gauche il affermit la brebis
sur ses épaules ^.
' <i Hic agnus miindum restaurât sanguine lapsum. — Morluus et vivus idem sum ,
« pastor et agnus.» (Ciampini, Vel. monim. pars i\ cap. m, page 23.) — Saint Paulin
'{Epist. III ad Florent.) dit encore : u Idem agnus et pastor reget nos in saecula, qui nos
« de lupis agnos fecit ; earumque nunc oviuni pastor est ad custodiam , pro quibus fuit
« agnus in victimam. »
* Ce dessin est gravé dans Bosio , Rom. sotterr. p. 35 x. Le bon Pasteur, portant la
brebis sur ses épaules et tenant en main la llùle de Pan , est très-fréquent dans les pre-
miers siècles du christianisme où la religion est d'une merveilleuse douceur. Bosio en
a fait graver plusieurs exemples ; voyez notamment pages 339, 3/i8, 3/|.q, 373 , 383,
387. Sauf la tunique qu'ils portent tout unie et toute seule, sans les deux bandes longi-
tudinales et sans le manteau, les deux derniers pasteurs ressemblent entièrement à celui
de notre dessin. Ces bergers assujettissent plus ou moins fermement sur leurs épaules
la brebis perdue, et semblent ainsi craindre plus ou moins qu'elle ne prenne une se-
conde fois la fuite. Ordinairement ils la tiennent à deux mains , parles quatre pieds,
comme dans les exemples des pages 339, 383 , Z|ô5 , Zi6i. D'autres fois , surtout quand
la main droite est occupée par un instrument de musique, comme dans le dessin donné
ici , la brebis n'est retenue que par une seule main. Enfin , à la page 391 de la Hoin.
sotterr. la brebis est assise affectueusement sur les épaules de son bon Pasteur, qui ne
craint pas, tant elle est fatiguée ou tant elle est heureuse de revenir au bercail, qu'elle
s'échappe de nouveau. A la page 373 , le bercail où va rentrer la brebis est figuré dans
la scène , et le sujet est ainsi plus complet. Le nombre des brebis fidèles, couchées sur
le gazon , ou broutant aux pieds du bon Pasteur, varie également : il est ordinairement
INSTRUCTIONS. II. 44
346
INSTRUCTIONS.
89. JÉSDS EN BON PASTEUR.
Fresque des catacombes de Rome, premiers siècles de l'Eglise.
Ces diverses représentations font allusion à ces belles paroles
de Jésus-Christ : « Quel est Thonime d'entre vous qui , ayant
cent brebis et venant à en perdre une seule, n'abandonne pas les
quatre-vingt-dix-neuf dans le désert et ne va pas à la reclierclie
de deux ; il y en a sept à la page 2 65. Le bon Pasteur semble lui-même plus ou moins
fatigué ou du fardeau qu'il a sur les épaules, ou du chemin qu'il a fait pour leirouver la
brebis perdue. Ordinairement il ne s'aperçoit ni de la faligue ni du poids. Néanmoins ,
dans l'exemple de la page Sgi, il s'aide d'un bâton comme le voyageur au terme de sa
route. Ce motif rappelle ces belles paroles du Dies irœ : « Qu/erens me sedisti lassus. »
Nous voyons ainsi le bon Pasteur s'asseoir réellement de faligue aux pages 269 et 273. A
Ravenne, dans l'église de Galla Placidia, une mosaïque de l'an liào montre Jésus orné
d'un nimbe uni , et assis sur un tertre , au milieu d'une riche campagne. Le Sauveur
lient de la main gauche une croix de résurrection et caresse une brebis de la main
droite ; cinq autres brebis regardent avec plaisir cette affection dont l'une d'elles est
l'objet. (V. Ciampini, Vet. mon. T pars. tab. 67, p. 227.) Ces bergers divins sont
quelquefois sans instrument de musique , comme celui de Ravenne et comme ceux
des pages SSg, 3^3 , à']^ de la Rom. sott. Les figures du bon Pasteur occupent ordi-
nairement la place d'honneur sur les sarcophages et dans les peintures des catacombes:
elles sont au centre du tombeau , au centre des voûtes , et au milieu des archivoltes ou
des tympans. En raison de la multitude des représentations, il y a une grande variété
dans la manière de les traiter; il faut noter toutes ces variétés, même les moins impor-
tantes, parce qu'il y a toujours un fait et une idée à en tirer.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 347
de la brebis perdue, jusqu'à ce qu'il la retrouve? Et quand il
l'a retrouvée, il la met avec bonheur sur ses épaules; il re-
vient chez lui, réunit ses amis et ses voisins et leur dit:
Réjouissez-vous avec moi, parce que j'ai trouvé ma brebis qui
était perdue ^ » Des paroles aussi palpitantes devaient inspirer
saint Thomas d'Aquin, lorsqu'il composa son office du Saint-
Sacrement. Le grand docteur et poëte s'écrie, en effet, dans
l'une de ses hymnes : « Bon pasteur, pain réel, Jésus, aie pitié
de nous. Nourris-nous, défends-nous; fais-nous voir le bonheur
dans la patrie des vivants. Toi qui sais tout et qui peux tout;
toi qui nous fais vivre ici mortels, là-haut fais-nous les com-
mensaux, les cohéritiers, les compagnons des habitants des
ci eux ^.
Du reste, au moins les antiquaires païens l'affirment, ce sujet
du bon pasteur n'appartient pas en propre et comme invention
au christianisme ; ainsi qu'ils ont fait du nimbe, les chrétiens,
à ce qu'on dit, l'auraient emprunté à l'art païen. Mais, à sup-
poser l'assertion fondée, c'était un sujet de charité égaré dans
le paganisme, et que la religion du Christ, religion d'amour,
devait revendiquer comme lui appartenant. Aussi le cœur,
l'imagination et l'art des chrétiens ont tourmenté ce sujet en
quelque sorte, et l'ont reproduit incessamment et sous tous les
' Saint Luc , ch. xv, vers. 4-7-
* Voici les admirables paroles de saint Thomas :
Bone pastor, panis vere ,
Jesu, noslri miserere.
Tu , nos pasce , nos tuere ;
Tu , nos bona fac videre
In terra viventium.
Tu , qui cuncta scis et vales ,
Qui nos pascis hic mortalcs ,
'i'uos ibi commensales ,
CohxTcdes et sodales
Fac sanctorum civium.
Ixtx.
348 INSTRUCTIONS.
aspects possibles. Dès les premiers siècles, le christianisme se
l'était complètement assimilé. On le figurait partout, jusque
sur ces vénérables calices de verre , les plus anciens vases sa-
crés que nous connaissions, et dont nos musées possèdent
quelques fragments. Tertullien parle de calices où f on avait
peint le bon Pasteur et la brebis égarée ^
JESCS EN LION.
L'agneau n'est pas seulement le symbole du Christ, mais
encore le lion; toutefois le lion est infiniment plus rare que
l'agneau dans les monuments figurés. Pour les raisons données
plus haut, Jésus a été assimilé au lion et quelquefois, bien
que je ne connaisse jusqu'à présent que deux exemples de ce
fait^, on rencontre le lion portant un nimbe crucifère. Si le
nimbe était uni, le lion serait fattribut de saint Marc, comme
nous en avons vu plusieurs exemples^; mais la croix dont il
est timbré dénonce positivement qu'il s'agit du lion de Juda ,
du lion qui a vaincu la mort par sa résurrection et qui, dans le
tombeau, dormit les yeux ouverts ou le cœur éveillé. Au mont
Athos, dans la grande église (catholicon) du couvent de Philo-
théou, une fresque représente le sommeil de fenfant Jésus;
Marie et deux anges adorent le repos de fenfant divin et se pros-
ternent en prières devant lui. Aux pieds de fenfant est couché
un jeune lion, qui dort comme celui dont il est le symbole,
' « Patrocinabitur Pastor quem in calice depingitis. — A parabolis licebit incipias ,
« ubi est ovis perdita , a Domino requisita et humeris ejus revecta. Procédant ipsae pic-
n turae calicum vestrorum , si vel in illis perlucebit interprelalio pecudisillius ; utrumne
« christiano an ethnico peccatori de reslitulione colliniat. » [De Pudicit. cap. ii etx). Dans
les grands musées, on voit plusieurs de ces calices sur lesquels est figuré le bon Pasteur.
" Celui de la bible de Charles le Chauve et celui du vitrail de Sugcr.
' Pages 58 el 5g , à propos du nimbe uni ou croisé attribué au lion , nous avons parlé
de cet animal comme symbole du Christ et de saint Marc. Nous renvoyons aux Vitraux de
Bourges, p. 78-82 ; on y trouvera d'amples et curieux détails sur le lion «symbole du Christ.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 349
et qui est entouré d'une inscription tirée des livres sacrés ^
L'agneau, le lion et la croix sont les trois symboles uniques
sous lesquels on représente Jésus- Christ^. Mais, avant de
prouver cette proposition, il est nécessaire de préciser la diffé-
rence qu'il faudrait établir entre les expressions symbole et
FIGURE, que l'on confond ordinairement, qui causent des er-
reurs et engendrent des disputes de mots.
On entend par symbole et figure tout signe sensible au
moyen duquel se traduit une idée : le nimbe circulaire qui
environne la tête des saints est le signe matériel de leur sain-
teté. Sous ce rapport, le symbole et la figure sont exacte-
ment la même chose. Voici en quoi ils différent. Le symbole
est la formule extérieure ou la représentation d'un dogme; c'est,
comme le dogme lui-même, un article de foi. L'agneau est le
symbole de Jésus-Christ; car les textes sacrés relatifs à l'a-
gneau divin obligent à croire que fagneau est la représenta-
tion nécessaire et dogmaticjue du Christ. L'agneau est le Christ
lui-même, le Christ en personne et sous des traits visibles. La
figure, au contraire, est la représentation arbitraire d'une idée
quelconque. La figure n'est pas imposée par le dogme, par
un texte révélé; mais elle résulte d'une pure opération de fes-
prit humain. La figure est un produit variable de notre ima-
gination. On nous oblige à recevoir un svmbole, on nous
engage à admettre une figure; la foi est commandée par le
' ii AvàirscTCûv , yjKoifiïjdri ws Xéoov, holI rrjs SOvaroc» èysipaîv aOTàr;» C'est clans la
Genèse, ch. xlix, verset 9 , qu'on lit ce texte. Au lieu de xai tj;s hvvaroLi, il faut ris. Les
Grecs modernes, prononçant de même l'êta etl'iôta, commettent assez souvent des fautes
de ce genre. Au portail occidental de Notre-Dame de Paris, porte de gauche, un petit
lion est couché endormi sur le socle qui porte une statue de Marie tenant Jésus dans ses
bras. C'est le motif grec exécuté en sculpture.
^ I] ne s'agit ici que des symboles purement iconographiques. L'Ancien Testament est
tout rempli de figures dont Jésus-Christ est le type; ces figures sont de vrais symboles,
mais des symboles historiques et qui ne rentrent pas dans notre travail.
350 INSTRUCTIONS.
premier, l'esprit est séduit par la seconde. Le Christ est sym-
bolisé par le lion, mieux encore par l'agneau; mais il est seu-
lement figuré par le pélican. Le pélican, qui s'ouvre le sein
pour nourrir ses petits avec son sang, est la figure de Jésus
qui meurt et verse tout le sang de ses veines pour racheter les
hommes. Mais jamais le pélican ne porte de nimbe, encore
moins de nimbe croisé; jamais, dans la cour céleste, le péli-
can ne représente Jésus-Christ, et n'assiste en cette qualité aux
événements qui s'y accomplissent. Au contraire l'agneau, orné
du nimbe que partage une croix, est très-souvent représenté
dans les scènes de TApocalypse et de l'Évangile ; il n'est autre
que Jésus lui-même sous la forme et fapparence d'un agneau.
Enfin le symbole développé devient un mythe; mais la figure,
déroulée dans ses détails, ne donne jamais qu'une allégorie. Un
mythe est une croyance, un ensemble de dogmes; une allé-
gorie n'est qu'une réunion de métaphores: y croit qui veut.
Un mythe est de foi, une allégorie n'est que d'opinion. C'est
Dieu qui crée le symbole et qui le révèle; c'est fhomme qui
invente et qui manifeste la figure. L'eau dans le baptême, le
pain et le vin dans f eucharistie, sont des signes, sont des
symboles. On ne peut remplacer, dans f eucharistie, le vin
par f eau, ni, dans le baptême, f eau par le vin; car le symbole
est un, invariable et éternel. Une figure, au contraire, peut
se substituer parfaitement à une autre figure; la vigne, qui
donne son jus pour nourrir les hommes, peut remplacer le
pélican qui donne son sang pour ses petits. Enfin, avec de
f imagination, on crée des figures tant qu'on veut, mais non
pas des symboles \
' Voyez dans Baluze [MisceVanea, 11° vol.) un ouvrage de saint Hildefonse, évêque
de Tolède , et disciple d'Isidore de Séviîle.Cet ouvrage , intitulé Liber aânolatiomim, donne
l'explication allégorique de plusieurs plantes, fleurs, fruits, animaux, minéraux qui
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 351
Cela posé, nous disons que l'agneau avant tout, le lion et la
croix secon (1 airement sont les uniques symboles du Christ. Mais ,
comme figures du Christ, on offre à notre choix une foule d'ob-
jets pris dans les trois règnes de la nature. Nous avons le pois-
son, le pélican , l'aigle , la poule, le serpent, et bien d'autres êtres,
parmi les animaux; entre mille, les végétaux nous donnent la
vigne, le figuier, l'olivier, le cèdre. Entre les minéraux, toutes
les pierres précieuses , pour leur couleur, leur solidité ou leur
transparence, figurent le Christ, aussi bien que les montagnes
en masse. Les principales constellations , surtout le soleil et la
lune, ont été regardées comme des reflets du Fils de Dieu ^
Une fois dans le domaine de l'imagination, on tombe dans
un océan ; on ne peut et on ne doit donc pas tenir compte des
images innombrables sous lesquelles on a figuré le Christ.
Cependant, comme l'une de ces images a spécialement attiré
l'attention et les études des antiquaires, il convient de la
signaler ici, ne serait-ce que pour relever des erreurs accré-
ditées à ce sujet: cette image c'est le poisson.
JESUS FIGURE PAB LE POISSON.
Le poisson, à ce que disent les antiquaires, est le symbole
de Jésus-Christ; nous croyons qu'il n'en est que la figure. Sur
une foule de monuments chrétiens , particulièrement sur les an-
sonl assimilés à Jésus-Christ et à l'Église. Saint Hildefoiis'î est mort en 667 ; ainsi ce texte
a beaucoup d'importance par son antiquité. C'est dans ce travail qu'ont puisé, en
£!;rande partie, les symbolistes du moyen âge, Durand, Jean Belelh, Jean d'Avranches
et Hugues de Saint-Victor. On trouve ces interprétations dans la 2° part, du Lib. aclnot.
de la page A3 à A5 du 2° volume de Baluze.
' Voyez, au sujet du sens qu'on peut attribuer aux mots symbole, figure, mythe,
M. Guignant, Reliçjions de l'antiquité, t. I", 1" partie, p. 16 et suiv. t. I", 2° partie,
p. 528 et suiv. M. J. J. Ampère, dans un cours professé au Collège de France en 1837, a
nettement établi la valeur des expressions symbole , figure , image , métaphore , emblème ,
myllie , allégorie. Sur le point spécial discuté ici , j'ai suivi principalement M. Ampère.
352 INSTRUCTIONS.
ciens sarcophages, est sculpté un poisson; il est seul ou accom-
paî^nant d'autres représentations, et se place sous des inscrip-
tions funéraires. On le voit sur des médailles frappées à l'effigie
du Christ ^ et sur des pierres gravées, camées et intailles-. Plu-
sieurs amulettes qu'on suspendait au cou des enfants, des verres
anciens et des lampes sépulcrales en sont marqués ^ Une mo-
saïque delà cathédrale de Ravenne, dit Montfaucon, représente
le poisson comme symhole des chrétiens. Dans l'intérieur d'une
grotte de la nécropole deCyrène, en Afrique, on voit au centre
d'une peinture à fresque le bon Pasteur qui porte un agneau
sur ses épaules et le tient par les quatre pieds. Aux pieds du
pasleur se tiennent six agneaux déjà armés de cornes et qui
considèrent leur maître. Le berger est vêtu d'une tunique,
comme dans les monuments des catacombes ; il est , de plus , cou-
ronné d'une couronne de feuilles. Mais en outre, au-dessus de
l'agneau principal, sont rangés en cercle sept poissons, par-
ticularité précieuse qui semble unir l'allégorie du bon Pas-
teur à celle du poisson. On voit encore le poisson et la croix
grecque remplir des rinceaux peints sur mur et qui décorent
' Je n'en connais pas d'exemple , mais je répète un fait généralement admis.
^ M. le marquis Forlia d'Urban possède une calcédoine blanche, qui a la forme d'un
cône tronqué, qui est percée de part en part et qui a pu servir d'amulette. Sur la base
de ce cône est figuré le Christ jeune, imberbe, vu de profil, avec son nom XPICTOY
et la représentation d'un poisson. Ce monument, dit M. Raoul- Rochette qui l'a fait
dessiner {Types du christianisme, frontispice et p. 21), doit être du temps d'Alexandre
Sévère. On dirait que ce Christ, si c'est vraiment un Christ, a une couronne radiée
comme en portent les empereurs romains.
^ M. P. Belloc [La Vierge au poisson de Raphaël, Lyon, i833) a fait lithographier huit
monuments chrétiens propres à éclairer cette question. Il y a deux cornalines, deux
pierres gravées servant de cachet, un anneau en or, une améthiste et une sardoine. On
y voit encore une lampe sépulcrale représentant des poissons, des dauphins, des ancres
cruciformes, un pécheur à la ligne avec les sigles allégoriques IX0YZ, A. Q., IH. XG.
et même le mot CQTHP.Ces différents monuments sont italiens et paraissent d'un âge
reculé.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 353
un hypogée chrétien situé près d'Aphrodisias, en Afrique ^
Les fonts baptismaux sont particuUèrement ornés de pois-
sons. Ainsi, à Gemona dans le Frioul , à Pirano en Istrie ,
deux grandes urnes baptismales portent le j)oisson ^. Dans
une église de village en Danemark, près de Beigetad, on voit
trois poissons enlacés en triangle autour d'un baptistère^; la
France offre aussi de ces exemples. Le poisson est nettement
figuré sur les fonts baptismaux de Boulogne-sur-Mer; on croit
le voir sur ceux de l'église Saint-Jacques, à Compiègne\ Dans
Saint-Germain-des-Prés, à l'entrée de la chapelle occidentale
et semi-circulaire où sont les fonts baptismaux, où ils ont
toujours été, je crois, on remarque sur un chapiteau une sirène
femelle et une sirène mâle et barbue ; les deux animaux fa-
buleux tiennent des poissons entre leurs bras, pendant que
d'autres poissons jouent au-dessous dans les eaux, qui on-
dulent sous ces personnages fantastiques.
Les poissons se remarquent encore ailleurs que dans les
baptistères. A Saint-Caprais d'Agen, dans la nef, on a figuré
trois poissons. Un poisson est scuipté sur une statue recueillie
dans le cimetière de Saint-Jean , département de la Nièvre.
Enfin, dans les monuments sculptés et peints qui représen-
tent la Cène, le dernier repas de Jésus-Christ, on voit figurer
le poisson parmi les autres mets; il accompagne l'agneau
' Voyez ces curieuses peintures dans l'ouvrage de Pacho , Voyage dans la Mamianque
et la Cyrénaïque , atlas, planches xiii et li. Ces peintures datent probablement des pre-
miers lèmps du clirislianisme.
^ P. Belloc, Vierge au poisson, p. ■y 8.
* C'est dans Mùnter ( Images symboliques et reprèsentaiions Jigurées des anciens chré-
tiens, in-A°, en allemand; Alloua, i835 ) qu'on trouve ce fait; M. Cyprien Robert le
cite dans son Cours d'hiéroglyphique chrétienne; nous le répétons aussi, mais sans y
attacher aucune importance.
' Bulletin du comité Jiistorique des arts et monuments, session de i8Ao-i8/ii , notice de
M. Ch. Bazin, p. ii5, ii8.
INSTRUCTIONS. — II. ^^
354 INSTRUCTIONS.
pascal entre autres. Au portail de l'église paroissiale de Nan-
tua, le deuxième apôtre qui est à la gauche du Christ tient
un poisson parfaitement incliqué ^ Nos manuscrits à minia-
tures ", nos vitraux et nos émaux des xiii'' et xiv*" siècles ^ mon-
trent fréquemment le poisson posé sur un plat, au milieu de
la tahle de la Cène, et entre les pains, les couteaux et les
verres qui servent au repas.
Voilà ce qu'offrent les monuments ; voici ce que disent les
textes.
Avant Constantin , les textes nomment I'ixgts , mais sans
explication; le mystère, s'il y en a, reste dans l'ombre pendant
toute la durée des persécutions. C'est une métaphore pure-
ment littéraire, ou du moins qu'on veut faire considérer comme
telle. Il faut s'approprier les images du paganisme et les pu-
rifier par une idée chrétienne; mais elles restent des images
toutes simples. « Que la colombe et le poisson, que le vaisseau
qui vole au souffle du vent, la lyre harmonieuse dont se ser-
vait Polycrate, l'ancre marine que sculptait Séleucus, soient
des signes pour vous », dit saint Clément d'Alexandrie \ Ter-
tullien ajoute : « Nous sommes de petits poissons en Jésus-
Christ, notre grand poisson, car nous naissons dans l'eau et
nous ne pouvons être sauvés qu'en y restant ^ »
' Vierge au poiss. p. 77.
■ Voyez plusieurs manuscrits latins de la Bibliolhèque royale.
' Vitraux de la cathédrale de Chartres et de la Sainte-Chapelle de Paris. M, du Sorn-
merard [Album des arts au moyen âge) a fait dessiner un émail qui lui appratient et qui
représente le repas de Jésus chez Simon le pharisien. Au milieu de la table, et comme
mets principal, est un poisson dans un plat. Cet émail est du xii" siècle.
' « Signa vobis sint columba , aut piscis , aut navis quae céleri cursu ferlur a venlo, au(
« lyra musica qua usus est Polycrates , aut anchora nautica quam insculpebat Scleucus ;
« et si quis piscator elTictus fuerit, Aposfoli meminerit et puerorum qui ex aqua extra-
>i hunlur. » (Clem. Alex. In Pœdag. lib. III, cap. 11.)
'" «Nos , pisculi .secundum IX0TN noslrum Jesum-Christum , in aqua nascimur, j)ec
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 355
Mais bientôt la métaphore s'élève à la hauteur de la figure;
le mystère pénètre dans une comparaison purement littéraire
jusqu'alors. Vers le miheu du iv' siècle, Optatus, évêque de
Milésie, en Afrique, déclare que «le seul nom de poisson,
suivant la dénomination grecque, contient une foule de noms
sacrés dans fensemble des lettres qui le composent; ixers
donne en latin : Jésus-Christ Fils de Dieu Sauveur ^ » Effec-
tivement, en prenant chaque lettre de fiCHTHus pour fini-
tiaîe d'un mot grec, on peut faire : tvio-ov'; Xpia-roç &eov T/o^
Swryi^. Dès lors la subtilité orientale, toute préparée à ce jeu de
mots, revient à satiété sur les comparaisons religieuses tirées
des flots et de la navigation, des mers et de leurs habitants.
Des inscriptions funéraires furent précédées et escortées de
fixers^. L'ix0T2 entra même dans f intérieur, dans la com-
position de ces inscriptions, comme la mystérieuse inscription
d'Autun en donne un magnifique exemple; dans ce monument,
l'ixoTS est répété trois fois , quatre fois peut-être et à différents
cas^. Jésus-Christ fut assimilé non-seulement au poisson qui se
donne à manger, mais encore au pêcheur qui prend le poisson
comme le Christ a pris les âmes dans les filets de son amour.
Ainsi, d'un côté, Jules Africain appelle Jésus-Christ «le
grand poisson pris à fhameçon de Dieu, et dont la chair nourrit
« aliter quam in acjua manendo salvi sumus. » (Tertu]. Lib. de Bapiis. cap. i , n" 2. Ad-
versus Quintil. )
' « Piscis nomen , secundum apellationem graecara , in uno nomine per singiilas litteras
« lurbam sanctorum nominum continet, 1X6TS , quod est latine Jesus-Cliristus Dei fi-
« lins, Salvalor. « (Optât. Milev. in Bibl Patnim , t. IV, lib. ni.)
* Voy. l'inscription chrétienne recueillie par Boldelti , dans le cimetière de Saint-
Epimaque, à Rome, et rapportes par Fabrelti.
' Cette inscription, découverte récemment à Aulun, est en grec, sur marbre blanc,
et paraît dater du m' siècle. On annonce un travail de M. Letronne sur ce monument,
que MM. Haze et Rochette ont étudié , et que le P. Secchi, censeur de l'Académie ponti-
ficale à Rome , a discuté dans un mémoire spécial.
lib.
356 INSTRUCTIONS.
le monde entier ^ » Saint Prosper d'Aquitaine dit : « Le Sau-
veur, Fils de Dieu, est un poisson cuit dans sa passion et dont
les entrailles nous nourrissent et nous éclairent tous les jours ^. »
Ichthus est le nom mystique du Christ, puisqu'il est descendu
vivant dans l'abîme de cette vie, comme dans la profondeur
des eaux, s'écrie saint Augustin ^ Le Christ, dit-il encore,
c'est ce poisson que le jeune Tobie retira vivant du fleuve, et
dont le cœur brûlé par la passion a mis en fuite le démon et
rendu la vue à l'aveuglée De ce poisson qui nous nourrit,
qui nous guérit, qui nous rachète, on a nommé piscine les
fonts baptismaux, dont l'eau, cet air des poissons, nous purifie
de toutes nos souillures et nous sauve ^.
D'un autre côté , Jésus fut appelé pêcheur d'hommes comme
il en avait donné la qualification à saint Pierre lui - même ;
saint Grégoire de Nazianze dit que Jésus, le pêcheur, est venu
sur fabîme orageux de ce monde en retirer les hommes comme
des poissons, pour les emporter dans le ciel. «Un des sarco-
phages du Vatican, décrits dans Bottari, » dit M. C. Robert^,
' Julii Africani Narratio de ils qiiœ, Christo nato, in Perside acciderunt.
' « Dei filius salvator piscis in sua passione decoclus , cujus ex interioribus remediis
(I quotidie illuminamur et pascimur. n
' «Ichthus in quo nomine mysfice inteliigllui-Chrislus , eo quod in hujus mortalitatis
« abysso, velut in aquarum profunditate vivus, hoc est sine peccato, esse potuerit. » [Cité
(le Dieu. )
" « Est Christus piscis iUe qui ad Tobiam ascendit de flumine vivus , cujus jecore per
« passionem assato fugatus est diabolus. » (Saint Augustin.)
'" «Hic est piscis qui in baptismate per invocationem fontaUbus undis inseritur ut
« quae aqua fuerat a pisce etiam piscina vocitetur. » ( Optatus épis. Milevitanus.)
'^' M. Cypricn Robert a fait imprimer dans l'Université catholique un cours d'hiérogly-
j)hique chrétienne. Le lome VI , de la page 5àb à la page 352 , traite la question dé-
licate que nous disculons ici; nous avons fait et nous ferons encore des emprunts a
ce travail intéressant au({ucl nous renvoyons. Tout en restreignant considérablement
l'extension donnée à la symbolique par M. Robert, et tout en n'admettant pas certaines
conclusions, nous devions cependant mentionner ce qu'il y a d'ingénieux et de savant
dans ce cours. ,
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 357
« nous montre ainsi Jésus debout sur la rive, la ligne en main,
et une foule de ces petits êtres aquatiques mordant à l'hame-
çon. » Une cornaline publiée par l'abbé Vallarsi, de Vérone,
dans ses notes sur saint Jérôme, montre un jeune pêcheur
tenant un petit poisson à l'hameçon; contre le poisson est le
mot IX0YZ. Mais le plus complet monument de cette nature
est fourni par une miniature du manuscrit d'Herrade. Dieu le
père y est représenté tenant à la main une ligne , qu'il jette
au fond des mers. La corde de la ligne est formée du buste des
patriarches, des prophètes et des rois, qui s'enchaînent l'un à
l'autre, depuis Adam, qui touche à Dieu, jusqu'à David, qui
touche à l'hameçon. L'hameçon n'est autre que Jésus lui-même
attaché à la croix. Jésus va chercher dans l'abîme Léviathan,
qui mord à la croix pour en périr, tandis que les chrétiens s'y
attachent pour se sauver par elle \ L'imagination des artistes et
des poètes, des sculpteurs et des Pères de l'Eglise, des peintres
et des prédicateurs, n'a cessé d'extraire de ce sujet mille com-
paraisons, mille métaphores délayées jusqu'à la plus longue
allégorie. Aux Pères déjà cités, il faut ajouter saint Jérôme,
Origène, Bède, saint Ambroise, saint Enchère et d'autres en-
core, qui ont fait allusion au poisson, à la mer, à l'ancre, au
vaisseau, à la barque lorsqu'ils parlent du Christ, de la ré-
demption et de l'Eglise. La barque de saint Pierre, le vaisseau
de l'Eglise, sont des images que l'on trouve déjà au iv^ siècle,
dans les Constitutions apostoliques^, images qui ont persisté
dans le langage ecclésiastique d'aujourd'hui, et qui, à la fin
du xvf siècle, ont fourni de curieux sujets à la peinture sur
f
é ' Hortus deliciarum.
j ' On lit dans les Constitutions apostoliques, publiées en ib-jS, parle jésuite Turria-
nus: a Sit œdes (il s'agit de l'église ) oblonga, ad oricnlem versus, navi similis. " — On
voit que l'orientation des églises est recommandée formellement dès les premiers siècles.
358 INSTRUCTIONS.
verre ^ Enfin, un texte ancien et assez complet semble être
comme le résumé des mots épars dans les anciens Pères et la
source des images affectionnées plus tard par l'Occident sur
ce sujet; on le trouve dans un manuscrit mérovingien qui pro-
vient de Saint-Benoît-sur-Loire. Ce manuscrit est un missel;
on y lit la bénédiction suivante :
«Debout, frères très-chéris, au bord de la fontaine cris-
talline. Amenez les hommes nouveaux qui, de la terre au ri-
vage, font échange et commerce. Que tous voguant sur l'eau
battent la mer nouvelle, non de la rame, mais de la croix;
non de la main, mais du cœur; non du bâton, mais du sacre-
ment. Le lieu est petit, il est vrai, mais plein de grâce. Le
Saint-Esprit a gouverné en bon pilote. Prions donc le maître ,
notre Dieu, de sanctifier ces eaux". »
De tous ces faits, monuments et textes, il résulte que le
poisson est l'emblème de Jésus-Christ. Mais il convient de dé-
finir la proportion dans laquelle il est cet emblème. Peut-on
dire, comme les antiquaires faffirment, que le poisson est le
symbole du Christ ; ou bien , comme on pourrait le croire de
préférence, qu'il en est tout simplement la figure?
' A Saint-Etienne-du-Mont, un vitrail provenant du cloître et qui est placé aujour-
d'hui dans une chapelle latérale au chœur, près du tombeau de sainte Geneviève,
montre un vaisseau dirigé par Jésus et qui est rempli d'une foule de passagers de toute
condition , de tout âge, et parmi lesquels on croit remarquer François 1". Le vaisseau de
l'Eglise, guidé par le Christ, qui tient en main le gouvernail, vole à pleines voiles vers
le port éternel.
' « Stantes, fralres carissimi, super ripam vitrigi fontes [sic). Novos homines adduc eis
" de terra littori mercatores sua commercia. Singuli navigantes puisent mare novum ,
(' non virga, sed cruce; non lactu, sed sensu; non baculo, sed sacramento. Locus quidem
(( parvus , sed gratia plenus. Bene gubernatus est Spiritus-Sanctus. Oremus ergo Domi-
(i num et Deum noslrum ut sanctificet hune fontem. » (Mabillon, De liturg. gall. Missale
gothicum, xxxvi, p. 2/17.) M. Michelet [Origines du droit français) ne pouvait oublier ce
texte si poétique et si précieux; le profond historien en a fait une traduction accompagnée
de réflexions pleines d'intérêt.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 359
Le lion et surtout l'agneau sont des symboles de Jésus;
l'Evangile et l'Apocalypse, les conciles, la liturgie et la pra-
tique constante de l'art nous l'ont démontré. Pour un archéo-
logue, Jésus s'incorpore dans l'agneau aussi complètement que,
pour un théologien, il s'incorpore dans le pain et le vin ; parle
symbolisme iconographique, l'agneau est anéanti pour rece-
voir le fds de Dieu, comme les espèces matérielles disparais-
sent, parla consécration, pour faire place au Christ. L'agneau,
par sa présence, ne rappelle pas seulement le fils de Dieu,
mais il le montre ayant pris cette forme. Enfin l'agneau est
un symbole qui exige la foi. Mais il n'en est pas ainsi du pois-
son; le poisson n'est qu'une métaphore rendue sensible par
le dessin. A la vue du poisson on peut se rappeler Jésus au-
quel il fait allusion; mais on n'y voit pas Jésus en personne,
car Jésus n'est pas là. Pielativement à l'eucharistie, les catho-
liques croient que le pain et le vin, après la consécration, ne
sont autres que le corps et le sang même du Christ; les pro-
testants, au contraire, déclarent ne reconnaître dans les es-
pèces consacrées que la figure du corps et du sang du Christ,
et non le Christ en personne. Nous autres antiquaires, rela-
tivement au poisson, nous sommes protestants , et nous disons
que cet être est la figure emblématique, mais non le corps de
Jésus. Pielativement à l'agneau , au contraire , nous emprun-
tons le langage de la théologie orthodoxe et nous croyons
que Jésus est là , sous la forme et sous l'apparence de l'a-
gneau. Aussi, pour cela , l'agneau est orné du nimbe timbré
d'une croix, absolument commue Jésus, parce que c'est Jésus
sous la forme d'un agneau. Mais, par contre, le poisson n'est
jamais représenté avec un nimbe, je ne dis pas crucifère, mais
même tout uni. C'est, en un mot, une simple image qui s'ap-
plique à Jésus-Christ quelquefois, et même assez souvent, mais
360 INSTRUCTIONS.
comme on lui applique le pélican dans la classe des oiseaux,
et la vigne dans l'ordre des végétaux. Le poisson rappelle le
Christ, mais l'agneau le représente; le second est un grave
symbole tiré des livres saints, et le premier une simple ligure
extraite des livres ecclésiastiques. On est obligé de reconnaître
l'agneau, mais il est permis de rejeter le poisson.
Je dis que cette image du poisson s'applique à Jésus quel-
quefois ou même assez souvent , mais non pas toujours. En
effet, il faut se garder de l'excès dans lequel tombent les anti-
quaires italiens et les antiquaires français qui marchent à leur
suite. Ces érudits déclarent, mais à tort, que partout et sans ex-
ception où Ion rencontre le poisson figuré sur un monument
chrétien, ce poisson fait nécessairement allusion à Jésus-
Christ. Mais si l'on peut dire que l'agneau ne représente pas
constamment Jésus dans les monuments religieux, à plus
forte raison doit-on le dire du poisson. L'agneau, en effet,
figure quelquefois les apôtres, les chrétiens en général, les
juifs même, comme le tombeau de Junius Bassus, entre
autres, en est une preuve palpable. Assez souvent l'agneau ne
représente personne ; il entre dans une œuvre d'art comme
un pur ornement, comme y entrent une colombe, un coq,
un canard, un passereau. Alors, dans ce cas, il ne porte le
nimbe ni uni, ni crucifère. De mêm^ le poisson n'a pas ordi-
nairement plus de valeur; c'est un ornement insignifiant et
qui ne rappelle le Christ ni de près, ni de loin. Le poisson
frappé sur les monnaies, même chrétiennes, peut être là, et
il y est souvent en effet, comme attribut de la ville qui a
émis la monnaie, ou comme marque du monétaire; il n'a pas
d'autre sens que le cheval, le hibou ou le poisson qui se
voient sur les monnaies de différentes villes.
Un fait singulier, c'est que l'anagramme mystique de Jésus-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 361
Christ , fils de Dieu , sauveur, fait par un Grec d'Alexandrie
et avec un mot grec, 1x0x2, n'ait rien produit en Grèce. Dans
ce pays, en effet, on ne rencontre pas un poisson peint ou
sculpté qui puisse figurer Jésus. On voit des poissons dans
les mosaïques et surtout dans les fresques de la Grèce ; mais
ces poissons nagent en pleine mer et viennent rendre, pour
le jugement dernier, les membres humains qu'ils ont dévorés:
celui-ci un hras, cet autre une jambe, ce dauphin une tcte
d'homme, cette haleine un buste de femme ^ On voit encore des
poissons glisser dans les eaux du Jourdain , au moment où Jésus
se fait baptiser; on en voit dans la mer Rouge, quand les
Hébreux la traversent à pied sec. Mais ces poissons ne figurent
pas Jésus, pas plus que ne le figure le vieux fleuve du Jourdain
qui assiste au baj)tême, appuyé sur son urne, ou l'abîme de
la mer Rouge, représenté sous la forme d'un Hercule redou-
table qui saisit Pharaon et le noie. Ces poissons n'ont aucun
sens allégorique; ils sont naturels, et Jésus-Christ n'est pas là.
C'est dans les monuments latins qu'il faut aller le chercher.
Mais, dans ces monuments eux-mêmes, le poisson a la plu-
part du temps un tout autre sens ( quand il a un sens quel-
conque) que celui qui lui est attribué. Ainsi le poisson est
fréquemment figuré sur les anciens sarcophages des cata-
combes recueillis aujourd'hui dans le musée chrétien du Va-
tican ; la carpe, le dauphin , seuls ou accompagnés d'autres
* Ce sujet bizarre et plein de vie est représenté dans les peintures un peu détaillées du
jugement dernier; il est notamment Ircs-compîet à Salamine, dans l'église de la Pa-
naghia phanéroméni et au monastère de Valopcdi, sur le mont Alhos. Le manuscrit
d'Herrade [Hort. délie), byzantin sous plus d'un rapport, offre le même sujet, avec
cette légende : «Corpora et membra bominum a bcstiis, et vokicribus , et piscibus oîim
« devorata nutu Dei repraesentantur, ut ex intégra bumana massa resurgant incorrupta
« corpora sanctorum quaî non tantum per beslias, ut depictum est, afferuntur, sed nutu
«Dei prœsentabuntur. » L'Apocalyse, XX, i3, dit : «Et dédit mare morluos, qui in eo
« erant. »
INSTRUCTIONS. — II, à(j
362 INSTRUCTIONS.
êtres ou objets, figurent sur ces tombeaux. On en a conclu
qu'ils avaient, sous une forme différente , la même signification
que la croix, que le monogramme du Christ gravés sur ces
mêmes tombeaux, et qu'ils symbolisaient le Sauveur, ou du
moins qu'ils le figuraient. On s'est probablement trompé : sur
une fois, où cette intention pourrait être évidente, il y en aurait
cinquante qui décèleraient un autre motif. En effet, chez toutes
les nations, il est d'usage de figurer sur le tombeau d'un mort
les attributs du métier exercé par lui pendant sa vie. Aujour-
d'hui encore, à Constantinople, dans le cimetière des Armé-
niens, toutes les pierres sépulcrales sont marquées des insignes
de la profession exercée par le défunt que ces pierres recou-
vrent. Pour un Arménien tailleur d'habits, on a figuré des
ciseaux, du fil, des aiguilles; pour un maçon, des marteaux,
une truelle; pour un cordonnier, une forme, du cuir, un tran-
chet; pour un épicier, une balance; pour un banquier, des
pièces de monnaie. Il en est ainsi des autres. Chez nous, au
moyen âge, un compas, une règle, une équerre sont gravés
sur la tombe de Hugues Libergier^ Dans le cimetière de TEst,
à Paris, une palette indique la sépulture d'un peintre; un
ciseau et un marteau désignent celle d'un sculpteur. Des ani-
maux qui parlent et agissent, des masques qui grimacent et
sourient, annoncent, dans le même enclos, les tombes de
La Fontaine et de Mohère. Chez les Piomains il n'en était pas
autrement : un pêcheur avait une barque sur sa tombe; un
berger, une brebis; un fossoyeur, une pioche; un navigateur,
Celle tombe esl aujourd'hui dans la caihédrale de Reims ; elle vient de l'église Sainl-
Nicaise , bàlie par Libergier dans la même ville. L'arcbileclo de Reims porte, comme Mi-
chel le Papelart, architecte de Chalons-sur-Marne, un modèle d'église qu'il appuie contre
sa poitrine, sur son cœur. Ces grands hommes, qui ont élevé Saint-Nicaisc de Reims,
et Samt-Etienne de Chàlons, sont tous deux du xin" siècle; Libergier est mort en ia63
et Papelart en 12 58.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 363
une ancre ou un trident; un vigneron, un tonneau; un archi-
tecte, un chapiteau ou les instruments de son art.
90. TOMBE D'UN VENDEUR D'HUILE '.
Sculpture latine, en creux, des premiers siècles chrétiens,
Voilà une pierre sépulcrale décorée tout à la fois d'une petite
maison, d'un tombeau où l'on a dressé un mort en haut d'un
escalier, d'un chandelier à sept branches ou à sept lampions,
et d'une balance. C'est probablement la tombe d'un épicier ou
d'un vendeur d'huiles et d'aromates. La petite maison serait
sa boutique ; dans cette boutique , il pesait avec ses balances
les parfums nécessaires pour embaumer les morts, et l'huile
qui alimentait les lampes funéraires ou les lampes des vivants.
Une autre tombe est ornée d'un compas à branches
courbes, d'un compas à branches droites, d'une équerre,
' Cetle pierre est gravée clans Bosio [Rom. sotlerr. p. 3o2); on paxaît la croire du
V* siècle, parce que Slilicon est nommé tlans Tinscription qui en décore ie haut. Outre
les quatre objets reproduits sur notre planche, il y a encore un gros poisson, ime es-
pèce de dauphin. De ce poisson on tirait l'huile qui se vendait dans la boutique, qui se
pesait avec la balance et qui se brûlait dans la lampe allumée pour le mort.
46.
364 INSTRUCTIONS.
d'une règle, d'un peloton déficelle, d'un niveau muni de son fil
à plomb, d'un marteau, d'un ciseau, d'une gouge; c'est évi-
demment la tombe d'un architecte. Avec le premier compas ,
comme avec le pistolet d'aujourd'hui, l'architecte embrasse les
courbes , avec le second il trace des cercles; avecl'équerre il des-
sine les lignes droites, avec la règle il mesure les petites lon-
gueurs, et il a le fil pour les longueurs considérables; il met
d'aplomb avec son niveau , il dégrossit la pierre avec son mar-
teau , il la sculpte avec son ciseau , il la fouille avec sa gouge.
91. TOMBE D'UN ARCHITECTE \
Sculpture latine des premiers siècles de TEglise.
Ailleurs c'est un berger qui porte sur ses épaules la brebis
fatiguée et qui rappelle ce passage de Virgile :
En ipse capellas
Protinus aeger ago; hanc etiani vix, Tityre, duco'^.
92. SARCOPHAGE D'UN MARIN DEVENU BERGER ^.
Sculpture des premiers siècles chrétiens.
' Cette pierre funéraire a été trouvée à Rome , clans la vigne de Sixte-Quint. Elle est
gravée clans la Rom. sotter. p. 5o5.
* Eglogue l'\
Celte image occupe le centre d'un sarcophage en marbre blanc, trouvé dans la
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 365
Ou Lien c'est un charpentier qui a voulu sa liache \ ou un
fossoyeur des catacombes, sa pioche; ou un navigateur, son
trident et sa nacelle, qui rentre au port éclairé par le fanaP";
ou un pêcheur, ses poissons; un architecte, le chapiteau co-
rinthien qu'il affectionnait; un oiseleur, une colombe; un
boulanger, un pain; un cordonnier, des semelles ou des
formes; un marchand au poids, la balance ou le peson; un
laboureur, le fléau à battre le blé; le scieur de bois ou de
pierre, une scie, et ainsi des autres. Dans la planche suivante,
n° 98 , on voit quelques-uns de ces objets figurés: ce ne sont
pas des emblèmes mystiques, mais simplement des attributs
ou des instiTiments d'artisans.
Anciennement, quand un individu mourait, on enterrait
avec lui les objets qu'il avait aimés pendant sa vie, son che-
val, ses habits, ses objets précieux, sa femme même, comme
encore aujourd'hui dans f Inde. En même temps on figurait
.ces objets sur sa tombe; plus tard, même lorsque fusage d'en-
vigne du collège Salvlati, à Rome. J'ai peine à croire qu'il s'agisse ici du bon Pasteur,
et je pense plutôt que le sarcophage a été exécuté par les ordres d'un propriétaire de
moutons et d'un marin, d'un riche pécheur qui serait devenu un opulent berger. Sans
affirmer positivement, je crois que les objets sculptés font allusion à la vie matérielle,
plutôt qu'aux sentiments religieux.
^ La hache, la fameuse ascia, si fréquemment figurée sur les monuments funéraires
des Romains, et au sujet de laquelle tout n'a pas encore été dit, la hache n'aurait peut-
être pas d'autre sens que celui qu'on lui donne ici. Il est fort douteux qu'elle ait la
valeur singulière qu'on lui attribue généralement.
^ Sous le porche de Santa-Maria in Transtevere, on conserve une pierre lumulaire
chargée d'une inscription, d'un petit navire et d'un fanal à trois étages. La voile du bâti-
ment est tendue et pleine ; le fanal est allumé. M. Tournai , à qui je dois ces renseignements,
pense que ces représentations sont symboliques. Dans des notes que me transmet le sa-
vant antiquaire sur les tombeaux des catacombes étudiés par lui , je lis que le palmier
symbolise la force, la durée, la vertu; que l'empreinte des pieds et le limaçon font allu-
sion au passage de ce monde dans l'autre, à la vie modeste et retirée; que le boisseau
rappelle la plénitude des jours, et que le cheval est l'emblème do la mort. Nous donnons
les raisons qui ne nous pei'meltenl pas d'adoplerces explications peut-être trop ingénieuses.
366 INSTRUCTIONS.
fouir ces objets avec le mort fut tombé en désuétude, on les
représenta sur le tombeau. C'est dans ce fait, selon nous, quil
faut cbercber Texplication de la plupart de ces objets figurés
sur les sarcopbages ou les fresques des catacombes. Alors nous
ne dirons pas comme les antiquaires italiens : la barque voguant
vers le port à la lueur d'un pbare, c'est l'âme qui en fmit
avec les orages de la vie et rentre à pleines voiles dans le ciel,
à la lumière de la foi , à la cbaleur de la charité ; le dauphin
dans les eaux, c'est le Sauveur, ami de l'homme, qu'il est venu
sauver et retirer de l'abîme; la colombe qui tient au bec un
rameau ou une couronne, c'est le Christ, qui vient annoncer
à riiumanité que Dieu a tari le déluge et qu'il est prêt à la
recevoir dans les jardins verdoyants du paradis. Devant la
représentation d'un raisin, d'un pain, d'une amphore, d'un
fléau, d'une balance, d'une lampe, d'une semelle de soulier,
d'un cheval, d'un bélier, d'un paon, d'une fleur, d'une feuille
en cœur, d'une règle, d'un niveau et de tous les autres attri-
buts innombrables que présentent les sarcophages, nous ne
dirons pas : c'est le Christ qui a donné son sang et son corps ;
c'est Dieu qui bat les âmes vertueuses dans sa grange divine,
qui les pèse et qui les éclaire; c'est l'âme qui quitte la terre en
laissant seulement fempreinte de ses pas , et qui court vers le
ciel, sans s'arrêter; c'est l'âme puissante comn>ele bélier, tou-
jours éveillée comme la queue ocellée du paon, l'âme par-
fumée de charité, qui a réglé sa vie et mis tous ses sentiments
au niveau de la justice. Au lieu de ces interprétations, qui ne
semblent pas justifiées, nous dirons plutôt, à la vue de toutes
ces formes : ici repose un batelier, là un pêcheur, ailleurs un
fermier; plus loin dorment un vigneron, un boulanger, un
cabaretier, un batteur en grange, un marchand au poids, un
épicier, un cordonnier, un cavalier, un berger, un gardien
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 367
de basse cour, un jardinier, un maçon, et ainsi de presque
tous. Nous savons, en effet, que les inscriptions funéraires
fourmillent de fautes d'orthographe et de grammaire ^ , que
la plupart de ces tombeaux étaient élevés par les classes
inférieures de la société et pour elles.
93. DIVERS ATTRIBUTS FIGURES SUR LES TOMBEAUX PRIMITIFS DU CHRISTIANISME.
Sculpture et peinture des Catacombes.
Dans cette planche, nous avons réuni quelques-uns des
nombreux attributs sculptés en relief ou en creux sur les sar-
cophages et sur les pierres tumulaires des époques primi-
tives. Les sarcophages trouvés dans les Aliscamps d'Arles,
ceux qui remplissaient les cryptes des grandes églises du Midi,
ceux qu'on voit encore disséminés à Marseille, à Saint-Maxi-
min et à Toulouse, enfin les pierres funéraires du musée de
Lyon, offrent des attributs analogues. Ceux de la planche
qui précède proviennent des monuments de Rome, et sont
tous gravés dans fouvrage de Bosio "^ Le gros poisson désigne
' M. Tournai a fait cette remarque clans un voyage qu'il vient d'accomplir en Italie.
" Ilom. sotterr. passim , surtout pages 216, 5o5 , 5o6 et 5o8.
368 INSTRUCTIONS.
le pêclieiir qui le prend ou l'homme d'industrie qui en extrait
de l'huile. Le trident annonce encore le marin, comme la
pioche le fossoyeur. Le métier de fossoyeur dans les cata-
combes était assez relevé; les monuments primitifs nous of-
frent ainsi de ces hommes ^ qui sont de la classe inférieure chez
nous, et qui, dans les premiers temps du christianisme, alors
qu'ils creusaient des tombeaux pour les saints et les martyrs ,
se faisaient enterrera côté des riches et même à côté des saints,
et se faisaient représenter tenant une pioche d'une main et
une lampe de fautre : la lampe les éclairait dans leurs tra-
vaux souterrains. La hache doit indiquer un charpentier et
le chapiteau un sculpteur ou un architecte. Quant à la co-
lombe, elle désigne probablement les fonctions de la mère de
famille qui nourrit des oiseaux domestiques, ainsi que paraî-
trait l'indiquer une sculpture funéraire dessinée dans Bosio ^. Il
est possible encore qu'elle naisse d'une idée symbolique, mais
cette idée serait empruntée aux sentiments plutôt profanes que
religieux, et j'y verrais assez volontiers la douceur du mort ou
delà morte, la fidélité de l'épouse ou de l'époux. Dans tous les
cas, indiquât-elle la résurrection, comme la colombe qui, reve-
* Ciampini , Veter. moiiim. et Bosio, Rom. sotterr. — Dans Bosio, p. 3 78, deux planches
reproduisent les peintui^es de la onzième chambre du cimetière des saints Marcellin
et Pierre. Là sont peints à fresque deux fossoyeurs ; l'un tient une lampe dont il se sert
pour éclairer son compagnon , qui creuse avec une pioche à peu près semblable à
notre dessin gS, n° 5. (Voyez, p. 3o5 el 335, quatre autres fossoyeurs munis d'instru-
ments analogues ; l'un d'eux enlève la terre avec une pelle.) Page 629, le fossoyeur, en
tunique courte, a son nom d'homme et celui de son état peints au-dessus de sa tête;
FosROTOFiMDS, quc Bosio croit être Fossor Tropuimus. Bosio s'exprime ainsi : " Le let-
<i 1ère, che sono appresso, credo che vogliano dire : Fossor Trophimus. Il cui nome si
<i legge nella sinopse di Doroteo, trà i settenta discepoli de gli apostoli; e si fà di esso
n menlione in un' Epistola , che S. Paolo scrive a Timoteo {II ad Timot. h)- Questo grado
i di fossori , che sepelUvano li morti , era il primo nella chiesa , corne afferma S. Giro-
« lamo. M ( S. Hieron. De septem (jradibus Eccksiœ.)
' Rom. sotterr. page gS.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 369
nant clans Farclie après le déluge, annonça que les eaux s'étaient
retirées et que la terre revivait^, on ne pourrait en conclure
que le poisson remplissait un rôle analogue, ni surtout qu'il
est le SYMBOLE de Jésus-Clirist ; la colombe est dans l'Ancien
Testament , le poisson n'est ni dans l'Ancien ni dans le Nouveau.
Donc, toutes les fois qu'on verra un poisson sur ces tom-
beaux ou sur des monuments d'une autre nature, il ne faudra
pas se bâter d'interpréter mystiquement sa présence; maison
devra recourir à l'explication la j^lus naturelle, la plus posi-
tive. Par exemple, si la présence d'un ou de plusieurs pois-
sons dans un monument religieux signifiait que Jésus est dans
le corps de ces animaux symboliquement et même par simple
figure, il faudrait soutenir, pour être rigoureux, que cette per-
sonne divine est représentée par les poissons sculptés sur les
cbapiteaux de Saint-Germain-des-Prés. Or, sur ces cbapiteaux,
on voit une sirène mâle et barbue tenant dans ses bras un pois-
-son, une sirène femelle et imberbe tenant un autre poisson;
puis deux poissons unis par un filet d'eau. On devrait donc
reconnaître dans le premier groupe le Père éternel qui tient
son fils , dans le second Marie qui tient Jésus, dans le troisième
le Père et le Fils liés ensemble, et auxquels, pour faire une
Trinité complète, il faudrait ajouter un troisième poisson. On
a cru en effet que sur une cuve baptismale, où l'on avait re-
marqué trois poissons, la Trinité était ainsi représentée. Sur
les fonts de Saint-Jacques de Compiègne existent de même
trois êtres assez monstrueux que l'on a transformés en pois-
' Dans Bosio [Rom. sotterr. p. hh^, entre autres), Noé reçoit dans ses mains la
colombe, qui tient un rameau à son bec. Page Aii» J^i<i- If* colombe n'a pas de ra-
meau. (Voyez encore Bosio, p. 877, 38i et 53i.) Ce sujet est extrêmement fréquent
dans les catacombes. L'exemple de la page 53 1 est l'tin des plus curieux pour la forme
étrange de l'arche.
INSTRUCTIONS M. ^7
370 INSTRUCTIONS.
sons. Mais ces poissons ne sont que des singes hideux, et il
pourrait y en avoir un plus grand nombre comme il y en a
trois.
Quant au poisson qu'on voit quelquefois à la Cène devant
Jésus ou les apôtres, pourquoi déclarer qu'il symbolise le
Christ.^ Comme la table de la Cène est également chargée de
grosse viande et d'oiseaux diversement apprêtés, il faudrait,
au même titre, reconnaître que tous ces mets symbolisent le
fils de Dieu; on ne peut admettre une aussi grossière consé-
quence. En outre, si le poisson était le symbole de Jésus, on
devrait lui voir la tête décorée du nimbe crucifère, car autre-
ment l'assertion est gratuite, et on a autant le droit de nier
que d'affirmer; or, jamais aucun monument n'a présenté ce
fait. Il ne serait cependant pas plus extraordinaire de mettre
un nimbe à la tête d'un poisson qu'il n'est étrange de voir
une main, la tête d'un oiseau, celle d'une colombe ou d'un
lion, portant un nimbe crucifère. Puisque le nimbe n'y est
pas, il est peu probable que le symbolisme ou même la figure
y soit.
A Ravenne, l'ambon de marbre blanc appelé chaire des
évêques ariens est divisé en six cadres ou tableaux sur la hau-
teur, et en dix sur la longueur. Chacune des six rangées est
occupée par une série de dix animaux. En allant de haut en bas,
on trouve : dix brebis, dix paons, dix colombes, dix cerfs, dix
canards et dix poissons. Il n'est pas probable que ces animaux
aient été placés là dans une intention allégorique; ce sont des
arabesques et de la pure ornementation. C'est dans son ima-
gination et non pas dans sa croyance que le sculpteur a trouvé
son sujet. Une arabesque est un caprice et non pas l'expres-
sion dune idée religieuse ou philosophique. Raphaël assuré-
ment ni Jean Goujon n'avaient l'intention d'exprimer un
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 371
dogme lorsque l'un peignait et l'autre sculptait ces arabesques
délicates qui nous ravissent. Piapliaël n'aurait pas répondu à qui
lui aurait demandé le sens historique des bouquets d'avelines
pendues aux barbillons de trois ou quatre goujons, comme on
en voit au Vatican : il se serait moqué de quiconque aurait
sollicité de lui l'explication de ces jolies formes nues, poissons
par le bas du corps et jeunes femmes par le haut, qui dansent
sur des rinceaux de plantes grimpantes, dans les cadres de ses
tableaux. Que signifient ces vieux satyres, ces petits amours,
ces chapelets de coquilles, ces panoplies fantastiques, ces oi-
seaux suspendus parla patte, ces passereaux qui picotent des
grappes de raisin, ces aigles ou ces griffons qui trempent leur
bec dans des coupes et qui décorent les pilastres et les me-
neaux de la clôture du chœur, à Notre-Dame de Chartres.^ Ils
sont là pour amuser et non pour instruire, pour récréer la
vue et non pour éclairer fesprit. C'est un ornement que tout
cela, ornement sorti du ciseau de l'artiste, au gré de sa fan-
taisie et non d'après l'inspiration de sa foi. Il est probable qu'il
faut en dire autant des arabesques sculptées au vi^ siècle sur
la chaire des évêques ariens.
Dans ce monument, si les brebis qui sont tout au sommet
ne dominaient pas les paons et les colombes, mais venaient à
côté des cerfs, on pourrait dire que, dans ces six étages, les ani-
maux sont placés de deux en deux classes, suivant le milieu
où ils vivent : les paons et les colombes, qui demeurent dans
l'air où ils se soutiennent par leurs ailes, occupent le sommet
de la chaire; les brebis et les cerfs, qui pâturent sur la terre,
gardent le milieu du monument; au bas sont les canards et
les poissons, qui aiment feau ou qui fliabitent. Aquatique pai
ses pattes palmées, terrestre par son corps pesant, aérien par
ses ailes, le canard unirait ainsi les poissons aux colombes.
1*1-
372 INSTRUCTIONS.
Mais, on le répète, la place occupée par la brebis ne permet
pas même cette interprétation ^
Au surplus, expliquât-on ainsi la disposition de ces ani-
maux, on ne serait pas encore arrivé à l'idée qu'on chercbe
dans le poisson , et ces animaux , au nombre de dix, ne peuvent
se rapporter à Jésus-Christ. Ici encore, et dans l'hypothèse
où la nature zoologique entière serait représentée par ces trois
classes d'animaux, le poisson serait le signe d'une idée; mais
d'autres monuments , où le poisson figure , ne peuvent même
pas s'interpréter ainsi. Une urne funéraire , qu'on voit dans
Notre-Dame de Grotta-Ferrata , représente deux jeunes garçons
nus et assis sur des rochers, du haut desquels ils pèchent à la
ligne. Chacun d'eux a pris un petit poisson. Au-dessous, dans
la mer, nagent de gros poissons; d'autres poissons décorent
le couvercle. Il n'y a pas d'inscription qui instruise du nom
et de la qualité de ceux pour qui cette urne a été faite; mais
il y a bien de fapparence que c'est quelque pêcheur qui faura
fait exécuter pour ses enfants exerçant la même profession que
lui^. Les Romains, par les sculptures des tombeaux, faisaient
allusion à fétat et même au nom du défunt. Pour f état, c'est
une pratique constante, ainsi qu'on vient de chercher à le
prouver; pour le nom, on citera un seul exemple. Une petite
fdle, du nom de Porcella, meurt; sur sa pierre funéraire on
' M. Tournai m'a communiqué un dessin de ce curieux monument de Ravenne.
^ Celte urne renferme aujourd'hui de l'eau que l'on donne à boire aux fiévreux pour
les guérir. Elle est gravée dans Montfaucon [Anl. expl. XV° vol. p. ii5, pi. ^7). Une
urne en cristal, ayant la forme d'un poisson, a élé trouvée près de Tongies en 1698;
elle porte pour inscription : « Politicus Albiniae karissimae suae. » Bosio [Rom. solter.) donne
un ancien sarcophage chrétien sur lequel est représenté un homme péchant à la ligne.
P. Belloc ( Vierge au poisson) a fait lithographier une cornaline gravée où est un pécheur
qui tient un panier d'une main et de l'autre une ligne à laquelle pend un petit poisson ;
le mol IXGYZ se lit près du poisson. Il est fort douteux que le Christ se trouve dans toul
cela, soil en présence réelle, soit en souvenir.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 373
représente un petit cochon femelle, nom parlant de la jeune
morte K
En résumé, que le poisson ait été figuré comme emblème
du Christ, cela est possible, cela a dû se faire quelquefois;
mais prétendre que tous les poissons emportent nécessaire-
ment cette signification, c'est ériger une exception rare en
une généralité. Enfin, ces restrictions qu'on vient de poser
au mysticisme pour le poisson, il faut, je crois, les étendre
à toutes les autres figures sculptées sur les tombeaux et les
anciens monuments du christianisme.
9/1. - — PIERRE TUMULAIRE D'UN VIGNERON.
Sculpture des Catacombes.
\JlJu
-0
)
W./A::^— ^^^^AjJ^ U \
c
Dans cet homme barbu, à la tunique courte, je vois un
vigneron près d'un tonneau qui indique sa profession. Cet
ouvrier part pour les champs , son boyau sur l'épaule ; il tient
à la main gauche un sac où sont les provisions de la journée.
Il ne serait certainement pas difficile d'interpréter allégorique-
ment cette figure , depuis le tonneau , le vêtement et l'attitude ,
' Ce monument funéraire est gravé dans Sérou.x d'Agincourl ( Ihst. de lurt par les
monum. section de sculpture, planche 8). On lit cette inscription au-dessous de laquelle
est figuré le petit animal emblématique :
POnCELLA IllC DORMIT IN I'.
(i. VI.\1T AN», 111, M. X, I> XUI.
374 INSTRUCTIONS.
jusqu'au sac, jusqu'à l'instrument du travail; mais rien ne
justifierait ce système ^ Dans le cimetière de Sainte-Agnès, à
Rome, on voyait une peinture à fresque représentant non plus
un seul vigneron ou marchand de vin, comme sur la planche
précédente, mais huit hommes qui portent sur leurs épaules
un tonneau, sans doute rempli de vin, près de deux autres
tonneaux. Cette fresque surmontait une sépulture où repo-
saient ces huit individus d'âge divers et composant une fa-
mille entière de marchands de vin ^.
On ne doit pas donner constamment une explication mys-
tique des vases, canthares, fioles, écrins, tonneaux, lampes,
chandeliers , balances , pesons , fléaux , marteaux , ciseaux ,
h aches , boisseaux , tessères , ancres , vaisseaux , maisons , chaises ,
pains, raisins, dattes, olives, roses, cyprès, palmiers, palmes,
cœurs, oiseaux, poissons, quadrupèdes. Expliquer par le sym-
bole ou fallégorie tous les instruments, tous les outils des
métiers , tous les ustensiles de ménage, toutes les plantes, fleurs,
fruits ou feuilles de la nature, tous les objets des arts, toutes les
représentations humaines ou animales, tous les êtres fantas-
tiques qui couvrent ces monuments, c'est détourner vers une
acception hypothétique et souvent déraisonnable des objets
' Cette pierre lumulaire est gravée dans Bosio, Rom. sotterr. p. 5o5. L'inscription sui-
vante accompagne ce dessin :
D M.
GAVDENTIO FECERUM
FRATRI QDI VICSIC ANNIS
XXVIHI M Vm D XVII.
On relrouve là des fautes d'orthographe qui s'exphquent très-bien par la condition
du mort ; ce mort exerçait sans doute le même état que ses frères qui lui ont élevé ce
monument funéraire. Fecerum -pour fecerunt , vicsic pour vixit sont des exemples curieux
de ces fautes qui sont si multipliées dans les inscriptions funéraires des premiers chré-
tiens.
' Bosio {Hom. sott. p. 557 ) donne un dessin de ce curieux monument.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 375
dont le sens est prochain, réel et non pas figuré; mais appli-
quer tout cela à Jésus-Christ, comme on paraît disposé à le faire,
c'est dépasser toute mesure et, disons-le, toute convenance.
Cependant, parmi ces signes innombrables, il en est un
qui domine tous les autres, et qui, par sa présence, définit
les monuments où il brille: c'est la croix. Ici, dans cette his-
toire de la seconde personne de la Trinité envisagée dans sa
nature divine, il ne devait pas être question de la croix, gibet
où expire la nature humaine; c'est à la vie terrestre de Jésus
qu'elle appartient exclusivement et non pas à son existence
divine. Cependant, comme fagneau , comme le lion, la croix
symbolise la seconde personne de la Trinité. Là, par exemple,
où Ton figure la Trinité entière, le Père par un portrait
d'homme, le Saint-Esprit par une colombe, on voit le Christ
représenté quelquefois par sa croix uniquement ^ tandis que
sa personne, lui-même, est absent. Il est renfermé dans sa
croix, comme il Test dans fagneau^, comme le Saint-Esprit
Test dans la colombe. C'est à ce titre qu'il faut en parler ici.
LA CROIX SYMBOLE DU CHRIST.
La croix est plus qu'une figure du Christ: elle est, en ico-
nographie, le Christ lui-même ou son symbole. Aussi lui a-t-on
créé une légende comme à un être vivant ; aussi en a-t-on fait
^ Voyez la mosaïque de Saint-Jean-de-Latran , à Rome. Le Père, en homme de trente-
cinq ans à peu près, est dans le ciel, dans les nuages d'où il sort à mi-corps; de lui
semble s'échapper le Saint-Esprit , qui a la forme d'une colombe et qui s'abat sur une
croix richement décorée. La croix , veuve du Christ , est plantée sur le sommet d'une
montagne mystique et baignée d'eau de tous côtés. Cette eau s'échappe le long de la
montagne en quatre courants où viennent s'abreuver les cerfs et les brebis ; puis elle
tombe dans un fleuve, large comme un lac et qui figure le Jourdain.
^ Saint Pauhn, évoque de Noie, écrit à Sulpice Sévère : « Sanctam fatentur Crux et
« Agnus viclimam. » ( Episl. XII , ad Severum.)
376 INSTRUCTIONS.
le héros d'une épopée, qui est en germe dans les apocryphes,
qui se déroule dans la Légende dorée, qui se détaille et se
complète dans les œuvres de la sculpture et de la peinture, de-
puis le XIV'' jusqu'au xvi^ siècle. 11 ne serait pas inutile de don-
ner ici un abrégé de cette histoire , car on en tirerait le sens
qu'il faut attacher à cette image de la croix, etTexplication qu'il
faut assigner à toutes ces fioures et à ces nombreux tableaux
peints et sculptés qui décorent nos cathédrales ; mais nous se-
rions conduit à des développements trop étendus. Nous ren-
voyons donc au livre de Jacques de Vorage; on y trouvera la
première partie de ce petit poëme sur le gibet de Jésus-Christ
à la fête de l'Invention de la croix , et la seconde à celle de
son Exaltation. L'Invention se célèbre au 3 de mai, l'Exalta-
tion au 1 Ix de septembre. Adam mort , Setli plante sur la
tombe de son père un rejeton de l'arbre de vie qui croissait
dans le paradis terrestre. Il en sort trois arbrisseaux qui s'u-
nissent en un seul tronc; Moïse y cueille la baguette avec la-
quelle il étonne par des miracles l'Egypte et le désert. Salo-
mon veut faire de cet arbre, devenu gigantesque, une colonne
pour son palais : trop court ou trop long, il est rejeté et sert
de pont sur un torrent. La reine de Saba refuse de passer sur
ce bois en annonçant qu'il causera la ruine des Juifs. Salomon
fait jeter dans la piscine probatique la poutre prédestinée qui
communique à l'eau sa vertu. Quand Jésus est condamné à
mort, c'est avec ce bois qu'on fait son gibet. La croix est en-
fouie sur le Golgotha , puis découverte par sainte Hélène. Elle
est emmenée en captivité par Chosroès , roi des Perses ; l'em-
pereur Héraclius la délivre et la ramène en triomphe à Jéru-
salem. Dispersée en une multitude de parcelles dans l'univers
chrétien, elle fait une foule de miracles: elle rend des mort5
à la vie et des aveugles à la lumière; elle guérit des paraly-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 377
tiques et purifie des lépreux ; elle met les démons en fuite et
chasse diverses langueurs qui pesaient sur des populations
entières; elle éteint des incendies et brise la fureur des flots
emportés. Le bois de la croix naît avec le monde, dans le
paradis terrestre; il reparaîtra à la fin du monde dans le ciel,
entre les bras du Christ ou de ses anges, lorsque le Seigneur
viendra juger les hommes.
Après cette histoire, on peut juger de l'importance dont jouit
la croix dans l'iconographie chrétienne. La croix, avons-nous
dit , est non-seulement l'instrument du supplice de Jésus, mais
encore sa figure et même son symbole. Jésus, pour un icono-
logue, est présent dans la croix comme dans l'agneau, comme
dans le lion. Chosroès se flattait de posséder le Fils de Dieu en
possédant la croix, et la faisait trôner à sa droite comme Dieu
le père fait trôner son Fils ^ ; de même aussi les premiers artistes
chrétiens, lorsqu'ils figurèrent la Trinité, placèrent une croix
à côté du Père et du Saint-Esprit, une croix toute seule et sans
le divin crucifié. La croix ne rappelait donc pas seulement le
Christ, elle le montrait. Le Christ, en iconographie chré-
tienne, est donc réellement présent sous la forme et l'appa-
rence de la croix. La croix, c'est le Crucifié en personne ; « Où
est la croix là est le martyr, » dit saint Paulin^. Aussi fait-elle
des miracles comme Jésus lui-même, et la liste des merveilles
opérées par elle est vraiment immense. Le simple signe de la
croix, tracé sur le front ou la poitrine, a délivré des plus grands
dangers: il a constamment mis les démons en fuite ^; il a pro-
tégé la virginité des femmes, la croyance des fidèles; il a rendu
' Voir la Légende dorée, de ExaUatione sunclœ criicis.
- « Lbi crux et martyr ibi. •> (0pp. divi Paulini episcopi Nolani , Epist. XII ad Se-
verum. )
• Voyez dans la Légende dorée une foule d'événements de ce genre, surtout aux fêtes
de l'Invention el de l'Exaltation, A Saint-Saturnin de Toulouse, une châsse émaillée,
INSTRUCTIONS. 11. 48
378 INSTRUCTIONS.
la vie ou la santé, l'espérance ou la résignation. La vertu de
la croix est telle, qu'une simple allusion faite à ce signe, même
dans l'Ancien Testament, et bien avant l'existence de la croix,
a sauvé de la mort le jeune Isaac, a racheté de la ruine tout
un "peuple dont les maisons étaient marquées de ce signe, a
guéri des morsures venimeuses ceux qui regardaient le serpent
attaché à un pieu ayant la forme d'un tau ^; a rappelé l'âme
dans le corps mort du fils de cette pauvre veuve qui avait
donné du pain au prophète. Ainsi un beau vitrail de la cathé-
drale de Bourges, qui est du xiii'^ siècle, offre Isaac portant
sur ses épaules le bois qui doit servir à son sacrifice, et qui
est disposé en forme de croix ^; puis les Hébreux y marquent
en forme de tau ou de croix sans sommet, et avec le sang de
l'agneau pascal, le linteau de leurs maisons^; puis la veuve de
Sarepta y ramasse et y tient croisés deux morceaux de bois qui
doivent servir à cuire son pain ''. Ces figures, jointes à d'autres
du xii'' siècle, représente la translation merveilleuse d'une portion delà croix depuis l'ab-
baye de Josaphat, en Palestine, jusqu'à Toulouse. C'est une branche toule nationale de
ce cycle épique nommé par nous Légende de la croix.
' A Saint-Denis, dans un vitrail donné par l'abbé Suger, et qui ferme aujourd'hui
une fenêtre de l'abside, on voit sur une colonne (ordinairement c'est un T) le serpent
d'airain, qui ressemble à un griffon; sur le monstre est plantée la croix où est attaché le
Christ. On voit cette inscription qui sert de légende au sujet :
Sic ut serpentes serpens necal ereus oms :
Sic exaltatus necat hostes in cruce Xps.
^ C'est, au dire de certains commentateurs, parce qu'il porta ainsi sur ses épaules
le bois du sacrifice, que Dieu envoya un ange arrêter le bras d'Abraham. Plusieurs
sculptures et peintures figurent ainsi Isaac marchant à la mort, notamment une sculp-
ture qu'on voit au portail occidental de Noire-Dame de Reims, à l'intérieur, et un vitrail
de INolre-Dame de Chartres , dans le collatéral du nord.
' Avant leur sortie d'Egypte , les Hébreux marquèrent de la croix à trois branches ou
du tau, avec du sang de l'agneau pascal, toutes leurs maisons. Dieu vit ce sang, dit
l'Exode, épargna ces maisons, et la plaie de mort qui dévora les Egyptiens ne loucha
point aux Israélites. [Exod. cap. xii, v. 7, i3 et 29.)
' Lorsqu'Elie rencontra la veuve de Sarepta, cet'e femme ramassait deux morceaux
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 379
encore, servent au triomphe de la croix et semblent découler
d'un grand tableau central qui en est la source, et qui montre
Jésus expirant sur son gibet. Ce gibet, cette réalité, donne
aux figures de l'Ancien Testament toute leur vertu ^
de bois qu'elle tenait croisés , et c'est pour cela que Dieu multiplia la farine et l'huile
dans sa maison et fit ressusciter son fils par le grand prophète. ( Lib. III Reg. cap. xvn ,
V. 10, 16 et 22.) Sur les monuments figurés, les morceaux de bois sont disposés tantôt
en croix ordinaire, comme sur les vitraux de Bourges et du Mans, tantôt en forme d'X
ou de croix Saint-André, comme sur un vitrail de Chartres et une sculpture de Reims.
' Voici, au sujet de la croix et de sa vertu anticipée, un texte tiré de Guillaume
Durand. On y trouve l'explication du vitrail de Bourges et de ceux de Chartres et du
Mans; comme cette explication est contemporaine de la peinture sur verre, il a paru
utile de donner le texte en entier. 11 faut, pour faire avancer l'archéologie, contrôler et
compléter les livres par les monuments. « Numquid, ait (Stephanus papa), omnia chris-
«mata, id est sacramenta, quae cum chrismatis unctione praestantur, sacerdotalis hic
" ministerii crucis figura , id est signo , perficiuntur ? Numquid baptismatis unda sine
« cruce sanctificata, peccata relaxât? Et, ut caetera praetereamus , sine crucis signaculo,
« quis sacerdotii gradus ascendit ? Baptisandus quoque signo crucis signatur in fronte
(1 et in pectore... Sane crux Domini mullipliciter fuit in Veteri Testamento praefigu-
•irata; legitur siquidem quod Moses ad mandatum Domini aeneum serpentem erexit
«in palo, in deserto, pro signo; quem aspicientes , qui percussi fuerunt a serpentibus,
"illico sanabantur. Quod ipse Christus exponens inquit, in Evangelio : » Sicut Moses
« exaltavit serpentem in deserto, ita exaltari oportet filium hominis, ut omnis qui crédit
«in ipsum non pereat, sed habeat vitain aeternam. " Legitur eliara quod cum Joseph
" applicuisset Manassem et EfFraim ad Jacob , statuens majorem ad dexteram et minorem
« ad sinistram, ut eis secundum ordinem benediceret, Jacob manus commufans, id est
« in modum crucis cancellans, dextram posuit super caput Eflraim minoris, et sinis-
« tram super caput Manassae majoris et dixit : « Angélus, qui eruit me de cunctis mahs,
« benedicat pueris istis. » Item Moses ail: «Die ac nocte eritvila nostra pendens, et vide-
« bitis et cognoscetis. 1) Christus enim nocte fuit in cruce pendens, quia tenebrae factae
« sunt ab hora sexla usque ad nonam. Quod etiam fuerit pendens , certum est. Rursus
«legitur: « Ezechiel audivit Dominum dicentem ad virum vestitum lineis, babentem
« altramentarium scriptoris ad renés : Transi per mediam civitatem et signa thau in
« frontibus virorum dolenlium et gementium. « Elposthaec dixit vu viris : » Transite per
«mediam civitatem, et perculite omnem super quem non vidibitis thau; nemini parcet
« oculus vester. » Item Hierem. « Congregabo omnes gentes, et erit eis in signum thau. »
« Item alibi : o Et erit principatus ejus super humerum ojus. « Christus enim portavit
« super humeros crucem in qua triumphavit, Johannes quoque vidit angelum ascenden-
« tem ab ortu solis, babentem signum Dei vivi, et clamabat voce magna quatuor an-
«geiis, quibus datum est nocere terras et mari, dicens : « Nolile nocere terrae et mari,
Zi8.
380 INSTRUCTIONS.
Au ix^ siècle, on a clianté les louanges de la croix comme
on chante celles d'un dieu ou d'un héros, et Rhahan Maur,
archevêque de Mayence en S/iy , a fait un poëme en l'honneur
de la croix. De même que les hommes prompts d'imagina-
tion et possédés par une passion violente s'ingénient à dé-
couvrir dans les nuages ou dans le brouillard, ou dans les
formes bizarres que les ténèbres prêtent aux divers objets de
la nature, la forme d'un être chéri, de même Pihaban trouve
la croix dans les nombres, dans les lignes géométriques, dans
les noms, dans les êtres surnaturels, dans les êtres humains.
Il ne se contente pas de ce qu'il découvre, il invente des
combinaisons de lettres qui lui donnent des croix; il asservit
puérilement sa poésie à dessiner toutes les formes possibles
de la croix dans les syllabes de ses vers. Enfm ces syllabes ,
changées en acrostiches, donnent un sens propre à interpréter
les images qu'elles dessinent. PJiaban s'enflamme du plus ar-
dent amour pour la croix \ Bien avant Pihaban, les Pères
avaient fait remarquer que la forme de la croix était gravée
dans les productions de la nature, dans les œuvres de l'homme,
dans l'attitude des choses inanimées, dans le geste des êtres
vivants. Le monde a la forme d'une croix : l'Orient brille au
Il neque arboribus , quoiisque slgnemus servos Dei in fionllbus eorum. » Item lignuni niis-
0 sum in Marath , aquas dulcoravit amaras et ad lignum missiim in Jordanem , ferrum
« quod inciderat, enatavil, hoc est lignum vitae et in medio paradisi de quo sapiens
« protestatur, benediclum lignum, per quod fil justitia, quoniam regnavit in ligno Deus.
'I Hoc ergo crucis slgno se annal Ecclesia, in peclore et in fronte, signiiicans crucis
« mysterium esse corde credendum et naanifeste ore confilendum. Per hoc enim signum
'1 confunditur civilas dia])oli et triumphal Ecclesia, lerribdis ut caslrorum acies ordinala,
« juxta illud: « Terribilis est locus isle, etc. » Et alibi: « Vidi civilaleni magnam sanctam
« Hierusalem, novam. « Et August. tamen dicit, undecima distinctione ecclesiasticarum ,
•I quod nulla scriplura Novi Testamenli vel Veleris docet fidèles crucis signaculo insi-
«gniri. » (G. Durand, Ration, div. ojj'. lib. V, cap. n.)
' Voir tout le poëme de Rhaban Maur, De laudibus sanctœ Crucis, dans ses œuvres
complètes, in-folio, Coloniae Agrippina^. 1626, I" vol. p. SyS-Soy.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 381
sommet, le Nord est la droite, le Midi est la gauche, et l'Occi-
dent s'allonge sous la plante des pieds. Les oiseaux, pour s'éle-
ver au ciel, étendent leurs ailes en croix. L'homme, pour prier
et pour fendre les eaux à la nage, est porté par la croix; c'est
parce qu'il a le corps droit et qu'il peut étendre les bras que
l'homme dillere delà bête. Le vaisseau, pour voler sur les
mers, déploie ses antennes en forme de croix, et il ne peut
couper les vagues si le mât ne se dresse en l'air comme la croix;
enfin, on ne peut labourer la terre sans ce signe divin, et le
tau, lettre en croix, est la lettre du salut \
On a donc rendu à la croix un culte semblable, sinon é^al.
à celui du Christ: on adore '^ ce bois sacré presque comme Dieu
lui-même; on lui a consacré une foule d'églises sous le nom de
Sainte-Croix^. Bien mieux, la plupart de nos églises, les plus
grandes comme les plus petites, les cathédrales comme les
' s. Hieroni. Comment, in Marcum : « Ipsa species crucis quid est nisi forma quadrata
mundi ? Oriens de vertice, Arcton dextra tenet, Ausler in laeva consistit, Occidens sub
plantis formatur Aves, qiiando volant, ad aethera formam crucis assumunt; homo, na-
tans per aquas , vel orans, forma crucis vehitur. Navis per maria antenna crucis similata
sufflatur. Thau littera signum sahitis et crucis describitur. » — M. Cyprien Robert ( Cours
d'hiéroglyphique chrétienne) cite ce texte et ajoute : «Justin le Martyr, clans son Apologé-
tique, fait observer que la croix est empreinte sur toute chose; qu'il n'est aucun ouvrier
qui n'en ait la figure sur ses instruments, et que l'homme la dessine sur son corps
lorsqu'il élève les bras. Minucius Félix , parlant aux princes, s'écrie : « Les poteaux de
vos trophées imitent l'instrument de notre salut, et l'armure que vous y suspendez est
l'image du Crucifié, » — TertuUien [De orutione) s'exprime comme saint Jérôme et comme
saint Ambroise [serm. vi). Quant à la lettre tau, dont la valeur numérique est 3oo, elle
fournissait un champ immense où les mystiques d'Alexandrie ont labouré sans fin.
^ On se sert du mot adorer pour indiquer le culte qu'on rend à la croix, symbole du
Christ; mais cependant ce culte n'est pas celui qui a le nom de latrie, et qu on doit
rendre à Dieu seul.
' Sainte-Croix, cathédrale d'Orléans; Sainte-Croix, aujouid'hui Saint-Cermain-des-
Prés, bàlie par ChildeberL; Sainte-Croix de Quimpeilé (Finistère) , église de forme bi-
zarre; Sainte-Croix, charmante église de Monlmajour près d'Arles; Santa-Croce de Flo-
rence et bien d'autres encore. En France, nous avions jusqu'à dix-huit abbayes qui
s'appelaient Sainte-Croix.
382 INSTRUCTIONS.
chapelles, reproduisent dans leur plan la forme d'une croix,
et ici nous sommes rappelé directement à l'iconographie et
conduit à nommer les principales formes de la croix.
VARIETES DE LA CROIX.
Il y a quatre espèces de croix : la croix sans sommet, la croix
avec sommet et avec une seule traverse, la croix avec sommet
et deux traverses, la croix avec sommet et trois traverses.
La croix sans sommet n'a que trois branches; elle prend la
forme du T ou du tau symbolique dont nous avons parlé.
Beaucoup d'anciennes églises , surtout les basiliques de Cons-
tantin, Saint-Pierre et Saint-Paul de Rome, accusaient à peu
près cette forme de tau; l'église deBellaigue, en Auvergne, est
ainsi configurée ^ On a parlé plus haut des propriétés mys-
tiques du tau , on n'y reviendra donc pas ici.
La croix avec sommet et traverse est à quatre branches; sa
vertu est plus grande. En effet, la croix à trois branches est
la croix anticipée, la croix figurée , la croix de TAncien Tes-
tament ; la croix à quatre parties est la croix réelle , la croix
de Jésus , la croix de rÉvangile. La croix en tau ne possédait
de vertu que par la croix à quatre branches ; c'était comme
une planète n'ayant pas de lumière en elle et recevant tout
son éclat du soleil de l'Evangile. La croix du Christ se com-
posait d'un arbre vertical et d'une traverse en forme de po-
tence ou de marteau ^. « Et remarquez, dit Guillaume Durand,
que la croix se divise en quatre parties, soit à cause des quatre
Voyez M. Mailay, Eglises romano-byzantines de l'Auverqne.
« Habuit crux Chrisli Hgnum erectum in longitudinem , alterum transversum in
« latiluclinem , quasi in modum potenliae seu martelli, quae duo sig^ificata sunt per iila
« duo ligna (juae paupercula mulier in Sarepta coUegit. » (Guill. Durand , Rat. div. ojjic.
lib. VI , cap. Lxxvii, de die Parasceves. )
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 383
éléments viciés en nous et que le Christ a guéris par sa pas-
sion ; soit à cause des hommes que le Christ a attirés à lui des
quatre parties du monde , suivant cette prophétie : « Quand
«j'aurai été élevé au-dessus de terre j'attirerai tout à moi. »
Ces quatre parties peuvent concerner encore l'âme humaine :
la croix est haute, longue , large et profonde. La profondeur,
c'est le pied enfoncé en terre; la longueur va de la racine aux
bras; la largeur s'étend avec les bras; la hauteur va des bras
à la tête. La profondeur signifie la foi assise sur des fonda-
tions ; la hauteur, c'est fespérance qui se repose dans le ciel;
la largeur, c'est la charité qui s'étend jusqu'à la gauche ou
jusqu'aux ennemis; la longueur, c'est la persévérance qui va
toujours sans fin K »
Les formes de la croix à quatre branches se divisent en
deux types principaux , qui se partagent ensuite en plusieurs
variétés : il y a ce qu'on appelle la croix grecque et la croix
latine , parce que la première est affectionnée par les chré-
tiens grecs et orientaux, la seconde par les chrétiens latins et
occidentaux.
Dans ces deux types, la croix se compose de deux parties:
d'une liampe , et d'une traverse qui la coupe. Mais, dans la croix
grecque, la traverse est égale au montant et les croisillons sont
égaux à la hampe. Si vous partagez un cercle par deux lignes
' ' Et adverte quoniam crncis figura quadripartita est , vel propter quatuor elenienta
" quae in nobis vitiata Christus sua passione curavit , vel propter homines quos ex qua-
'< tuor partibus orbis ad se trahit juxta illud : « Si exaltatus fuero a terra omnia trahain
" ad me ipsum. » \ el et haec quadratura pertinet ad morlalitaleni; liabet enim longiludi-
• nem , latitudinem , sublimitalem et profundum. Profundum est acumen quod terra;
' infigitur, longitudo est inde ad brachia , lalitudo est in expansione , latitude seu su-
'< blimilas est a bradais usque ad caput. Profundum signitlcat fidem qu* est posita in
I fundamento, altitudo spem quae est reposita in cœlo, latitude cbaritatem quae est ad
« sinistrum et ad inimicos extenditnr, longitudo perseverantiam quai sine fine conclu-
"ditur. n (Guill. Durand, Rat. div. ojfic. lib. V, cap. n.)
384 INSTRUCTIONS.
droites passant par le centre et se coupant à angle droit, ces
deux lignes vous donneront la croix grecque: c'est celle qui
partage les nimbes que portent les personnes divines. Cette
croix se compose donc de quatre parties égales entre elles :
d'un pied, d'un sommet et de deux croisillons.
Dans la croix romaine, le pied est plus long que le sommet
et que les croisillons. Cette croix ne pourrait plus s'inscrire
dans un cercle, mais dans un rectangle. A la croix romaine,
la hampe est plus longue que la traverse, et le pied de cette
hampe est plus long que la partie supérieure. Cette forme est
celle d'un homme étendant les bras. De l'extrémité du bras
gauche à celle du bras droit il y a moins d'intervalle que de
la tête aux pieds; de la tête aux épaules il y a moins de dis-
tance que des épaules aux pieds. D'un bras à l'autre, c'est la
traverse; de la tête aux épaules, c'est la partie supérieure de
la hampe; des épaules aux pieds, c'en est la partie inférieure.
La croix latine ressemble à la croix réelle de Jésus, et la croix
grecque à une croix idéale. Ainsi les Latins, plus matérialistes,
ont préféré la forme naturelle; les Grecs, plus spiritualistes,
ont idéalisé la réalité, ont poétisé et transfiguré la croix du
Calvaire. D'un gibet les Grecs ont fait un ornement.
D'abord ces deux types n'étaient pas affectés spécialement
fun à l'Église grecque, l'autre à l'Eglise latine; ils étaient,
dans le principe, communs aux deux contrées, qui les admet-
taient indifléremment. Ainsi, dans Procope, il est dit que l'é-
glise des Saints- Apôtres, à Constantinople, fut construite sur
le plan d'une croix et que Ton fit le pied de cette église, ou la
nef, plus long que le sommet ou le chœur, afin de lui donner
exactement la forme de la croix \ En outre, les plus anciennes
' Le lexte de Procopo [de Mclificiis Jiist. p. k^) est très-précis : « Hinc inde procur-
«renfin Iransversi spalii lalera inter se aequalia sunt; spalii vero in direclum porrecti
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 385
sculptures de la Grèce montrent à Athènes, en Morée , en
Macédoine, à Constantinople, des croix à branches inégales.
Donc, le type premier était connu et pratiqué en Grèce. Quant
au second, celui de la croix à branches égales, c'est le plus
fréquemment employé dans l'Eglise orientale.
En Occident, la croix à branches égales fut connue et
adoptée comme la croix à branches inégales. Ainsi les sarco-
phages, les colonnes et les piliers, les pierres d'autel, étaient
et sont encore marqués de croix à branches égales ^ ; quant à
l'autre croix, elle nous appartient plus particulièrement.
Donc à l'origine les deux types furent communs aux deux
Eglises. Dans la suite, le premier type, la croix à branches
égales, prédomina en Orient, et l'on appela cette forme de croix
la croix grecque; le second type, la croix à branches inégales,
prédomina chez nous, et fut appelé la croix latine.
Dans l'Eglise orientale, disons-nous, la croix grecque pré-
domine et se montre dans l'ensemble et les détails des mo-
numents religieux, dans l'architecture comme dans la dé-
coration. En plan, beaucoup d'églises orientales offrent la
forme d'une croix grecque. Le dessin suivant donne le plan
d'une église bâtie dans la terre sainte, sur l'emplacement du
puits où la Samaritaine que Jésus convertit venait chercher de
«pars, illa quae vergit ad occldentem , alteram superal quantum satis est ut figuram
" crucis efficiat. ( IleTroiSTa (léi^œv Ôaov âirpalâcrVai rà rov o-raupoO x»?!^*- ) * — Ainsi les
bras de la croix sont égaux entre eux; mais la nef occidentale est plus longue que le
chœur de toute l'étendue nécessaire pour faire une croix à crucifier, une croix latine.
' A Saint-Maurice de Reims, dans le mur septentrional de la nef, à l'extérieur, est in
crustée une pierre funéraire sculptée d'une croix grecque, comme d'une croix de Malte.
On lit, gravé en creux sur les brandies de cette croix : « Hic jacel Arma — mater — ma-
« terlera — neplis. » La première partie est au sommet, la seconde au croisillon gauche,
la troisième au croisillon droit; le dernier mol, neptis, est au pied. (Voy. p. 4o8, pi. lOo ,
n° 5 , un dessin représentant appi'oximalivement cette croix de Saint-Maurice : le dessi-
nateur n'en a reproduit que la forme générale.)
INSTRUCTIONS. II. ^9
386 INSTRUCTIONS.
l'eau \ La hampe de cette croix semble cependant un peu plus
longue que la nef transversale, mais il est probable que c'est
par une erreur du dessinateur Arculfe. En tous cas, même avec
cette forme, ce serait encore une croix grecque plutôt qu'une
croix romaine.
95. ÉGLISE EN CROIX GRECQOE.
Gravure française sur tablette de cire, vif siècle "-.
La croix grecque marque les chapiteaux de la plupart des
églises byzantines. A Saint-Démétrius de Salonique, à Sainte-
Sophie de Constantinople, à Saint-Marc de Venise, à Saint-
Vital de Ravenne, monument purement byzantin , la croix à
branches égales, libre ou inscrite dans un médaillon, brille
au milieu des torsades, des entrelacs et des feuilles d'acanthe \
En j)einture , les vêtements de saint Jean Ghrysostome sont
brodés de petites croix grecques qui coupent des cercles en
D'au 1res plans analogues sont donnés par le comité historique des arts et nionu-
ments, dans les Inslructions sur les monuments fixes, I" cahier, p. 108 et 110.
Ce dessin est un calque réduit du plan original relevé au vu" siècle par Arculfe,
évéque de France. Cet évèque traça sur des tablettes de cire les plans des principaux
monuments de la Palestine, du Saint-Sépulcre, du Cénacle, de l'église de l'Ascen-
sion , etc. Ces tablettes existaient encore lorsque furent publiés les Act. SS. ord. S. Bened.
Les Bénédictins firent graver les plans dans cette collection, à la 2° partie du m" siècle
bénédictin. C'est d'après ces planches qu'a été l'eproduite l'église du Puits de la Samari-
taine; le centre, où est le puits, porte en inscription dans l'original : « Fons Jacob. »
Voy. un chapiteau de Saint-Vital, Instructions du comité histor. des arts et monuments.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 387
quatre parties égales; d'autres croix grecques, libres et mul-
tipliées à l'infini, ornent la chasuble de saint Grégoire de
Nazianze. C'est une croix à branches égales qui partage le
nimbe de Dieu; c'est une croix à branches égales que les che-
valiers de Malte, héritiers des hospitaliers de Saint- Jean de
Jérusalem , portaient pour décoration distinctive de leur ordre ^
En Occident, nos églises s'ordonnent ordinairement sur la
forme de la croix latine, à branches inégales, à sommet et
croisillons plus courts que le pied. Dans le pied est la nef
longitudinale, dans les croisillons sont les transsepts ou nef
transversale; le chœur occupe le sommet. Plus on remonte
haut dans les siècles du moyen âge, plus le chœur est court,
plus la nef est longue. Dans les basiliques de Constantin la nef
transversale, appelée croisée ou transsepts, coupe la nef lon-
gitudinale immédiatement après l'abside; elle ne laisse pas de
place pour le chœur ^ A partir du xiii*' siècle, le chœur s'al-
longe et force la croisée à descendre vers foccident^. H y a
même des églises dont la nef transversale est plus rapprochée
^ Plus bas, pi. 101, io4 et 108, pages hoi, ào3 et /jo8, on donnera plusieurs varié-
lés de ces croix grecques.
* L'ancien Saint-Pierre bàli par Constantin , Sainl-Paul-liors-les-Murs et Sainte-Marie-
Majeure ont cette forme. Dans la basilique païenne de Vitruve, il y avait même une in-
dication de nef transversale, et on en a conclu, à tort je crois, que la forme de la croix
donnée aux églises n'était ni allégorique ni spéciale au cbrislianisme. De ce qu'il exislait
des monuments romains plus ou moins cruciformes de plan, cela n'ôle pas auxcbréliens
le mérite d'avoir attaché une idée symbolique aux églises bâties sur le modèle d'une croix.
D'ailleurs la nef transversale diflere singulièrement en position et en dimension de celle de
Vitruve, qui est moins une nef qu'une double poche de dégagement. Enfm des textes de
Belefh, Durand, Hugues de Saint-Victor et autres liturgistes déclarent que l'on donne
aux églises la forme d'une croix pour rappeler la rédemplion. Le comité des arts et mo-
numents [Instructions sur les monuments fixes, I" cahier, style latin, pages 92, 90, 94)
a donné divers plans de basiliques, notamment cehii de Saint-Paul, qui ressemble à un
T à courte traverse. Sans l'abside, qui fait une saillie en dehors , on aurait le tau com-
plet, la croix parfaite, mais à trois branches seulement.
' La plupart de nos cathédrales sont dans ce cas; celles d'Amiens et de Laon parlicu-
49.
388 INSTRUCTIONS.
du portail que de Tabside, en sorte qu'on a toujours une croix
latine, puisque les branches sont inégales et que la croisée coupe
la nef transversale en deux parties d'inégale longueur; mais
c'est une croix latine renversée et dont le sommet est plus long
que le pied. L'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, à Paris, est
dans ce cas. Du portail aux Iranssepts, la nef a quatre travées
de longueur; des transsepts au fond de l'église, il y a neuf tra-
vées, cinq de plus. La tête est beaucoup plus longue que le
pied, elle qui devrait être beaucoup plus courte. Du reste, les
croisillons sont courts, comme il convient à une croix latine,
et n'ont l'un et l'autre que trois travées ^
Mais plusieurs églises cathédrales d'Angleterre ont une forme
qui n'est celle ni de la. croix latine , ni de la croix grecque pro-
prement dite, ni celle delà croix en tau. Ces bizarres édifices
sont partagés, non plus par une seule nef transversale, mais
par deux. La première traverse coupe la nef longitudinale par
la moitié; de la portion inférieure ou occidentale est formée
la nef proprement dite, et de la portion supérieure, le chevet
de l'église. Mais ce chevet lui-même est coupé en deux moitiés
par une seconde traverse , ordinairement moins longue que la
première. En deçà, c'est-à-dire de la première à la seconde tra-
verse, est le chœur; au delà, c'est-à-dire de la seconde tra-
verse au fond de l'église, est le sanctuaire. Les grandes églises
de Lincoln, de Beverlac, de Rochester, de Worcester, sont
ainsi dessinées ^. Qu'on se figure la croix du Christ, sur laquelle
lièremenl. ( Voyez dans les Instructions, monuments fixes , IF cahier, p. 1 1 , le plan de
Notre-Dame de Paris.)
^ Le comité historique des arts et monuments [Ins truc lions, monuments fixes, 11° cahier,
p. i4 et i5) a donné quatre plans divers, dont l'un offre la croix renversée.
* Le comité historique des arts et monuments ( Instructions, monuments fixes, II" caiiier,
p. i4) a parlé de ces plans, et en a donné une figure. Dans le Monasticon anglicanum ,
par Roger Dodsworth et Guillaume Dugdale , on voit ^ravé le plan de ces curieuses
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 389
on aurait cloué un large et long écritcau portant l'inscription
connue : " Jésus de Nazareth, roi des Juifs. » Cet écriteau est
apparent dans les églises anglaises et forme la croisée orien-
tale, celle qui coupe le sommet de la croix en deux parties;
puis arrive la croisée ordinaire, la traverse où s'étendaient les
bras du Christ K Cette forme appartient à la croix de Lorraine,
à la croix des hospitaliers du Saint-Esprit et à celle qui
désigne aujourd'hui la dignité archiépiscopale; c'est la croix
à double traverse. 11 semble qu'elle provienne de la Grèce; car
on la rencontre assez fréquemment dans l'Attique, en Morée
et dans le mont Atlios. En voici une qui décore le portail oc-
cidental d'une église d'Athènes.
églises de l'Angleterre. Cet ouvrage est en trois volumes imprimés à Londres. Le i" vol.
est de i655, le 2" de 1671, le 3' de 1673.
' Cette forme est à peu près particulière à l'Angleterre ; cependant la grande église de
Cluny avait des transsepts doubles , et chacun des quatre croisillons était en outre recroisé.
L'église de Saint-Quentin a deux nefs transversales , mais l'une est postérieure à l'autre;
elle n'appartient pas au plan primitif et n'a été construite que pour agrandir le monu-
ment. L'église abbatiale de Saint-Benoît-sur-Loire affecte incompiélement la forme des
églises à double traverse. Je ne connais pas en France d'autres monuments qui présentent
cette disposition des églises de Cluny, Saint-Quentin et Saint-Benoît. Le célèbre vitrail de
Saint-Etienne de Bourges, déjà cité plusieurs fois, et qui ouvre l'ouvrage de MM. Mar-
tin et Cahier sur les vitraux de cette cathédrale, offre, au médaillon de la résurrection,
Jésus-Christ s'échappant du tombeau et tenant une petite croix d'or à la main gauche.
Cette croix , par une exception qui n'est pas unique dans notre pays , est à double traverse ;
un grand vitrail de Notre-Dame de Chartres en ofire un autre exemple. La traverse
inférieure est un peu plus courte que la supérieure ; elle figure certainement l'écriteau
où était placée l'inscription. La traverse de dessous représente les croisillons ou le Christ
étendit ses bras. Mais cette croix, par ses dimensions, qui sont très-petites, par sa cou-
leur, qui est d'un jaune d'or, présente une image réduite de la croix réelle; c'est une croix
en miniature, une croix de résurrection eniin. De la grande quantité de croix à double
traverse qu'on rencontre en Grèce et qui datent des plus anciennes époques, de la forme
en croix à double traverse que les plans de plusieurs grandes églises d'Angleterre
affectent de prendre , on pourrait tirer des conclusions intéressantes. Je ne doute pas
que des recherches faites avec soin et intelligence dans ce but n'amènent des résultats
qu'on peut prévoir, mais qui n'en seront pas moins tres-curieux. L'Angleterre s'esl-elle
laissé modifier plus profondément que la France par le génie byzantin ? C'est à voir.
390
INSTRUCTIONS.
96. CROIX GRECQUE À DOUBLE TRAVERSE.
Sculpture d'Athènes, xi^ siècle '.
PAVL c'mim
Le plan des églises en croix était souvent révélé en vision.
La nuit, un ange apparaissait à un saint endormi, à un évêque,
et lui détaillait la forme du monument que Dieu voulait se
faire bâtir; alors on se mettait immédiatement à l'œuvre pour
' Celte croix complète celle que nous donnerons page 898, pi. 99; elle lui sert de
pendant. Sur la croix du n" 99 , on lit TC K"C ; sur celle du 96, N"I K"'A , qui achève
la phrase : « jésus-ciirist est vainqueur ». L'aigle et le faucon qui sont au pied de cette
croix doivent être allégoriques, comme on va le faire remarquer à propos de la
planche 99.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 391
élever une église d'après le modèle vu en songea Ou bien
des lignes lumineuses dessinaient dans le ciel, sur des nuages,
l'église dont on méditait la construction. De même que Cons-
tantin avait fait exécuter son labarum d'après la forme de
celui qu'il avait vu tracé en traits de feu dans les airs, de
même on bâtissait l'édifice d'après le dessin lumineux qui
avait apparu. Ou bien encore, sur un terrain parfaitement sec,
des lignes de rosée traçaient l'emplacement et la forme d'une
basilique^; une autre fois c'était la neige qui s'étendait en cor-
don là où les murs devaient s'élever. Enfin l'abbaye et l'é-
glise du Saint- Michel français, dans le département de la
Manche, et du Saint-Michel italien, au mont Gargano, furent
dessinées sur la terre par les pas d'un taureau ^
' Notamtnenl Saint -Martin -des -Champs, à Paris. Il semble que le texte biblique:
« Fac secundum exemplar quod libi monstralum est in monte», ait élé appliqué surtout
à la construction des églises dont le plan était révélé en songe ou apparaissait dans les
nuages.
" Saint Gérémar ou Germer, premier abbé deFlavigny, vers 658, demande à saint
Ouen un emplacement pour bâtir un monastère. Les deux saints , après trois jours de
jeûne et de prières, voient un ange qui leur annonce que Dieu les a exaucés, et que
l'endroit destiné au futur monastère est Flavigny, au milieu d'une grande soliiude. Ils
vont dans ce lieu. « Ubi cum pervenissent et multum dubitarent quid agerent , ecce ne-
« bula descendit de cœlo et circumdedit tolum locum ubi construendum erat monaste-
« rium, et cum nebulasuperna vox dicens : Electi Dei , ecce iste locus metuendus est
« cumque obtutus suos adspectum nebulae defigerent (sancti), statim ab adspeclibus
« eorum subtracta est. Ex eadem autem nebula in circuitu loci , quasi quaedam virga
« geometricalis , ros totum locum circumdans remanslt , ut daretur intelligi verum esse ,
« quod superna vox cecinit. Tune circumeuntes locum , repererunt signum cœleslis
« roris impressum. Beatus autem Audoenus certus de angelica visione et de superna
« voce , accipiens virgam in manu , per vestigia nebulai mensus est plateam in circuitu ,
Il ubiecclesia a:dificaretur, ubi olTicinae conslruerentur et cnelera monachorum vitae ulilia. »
{Act. SS. Ord. S. Bened. IP vol. vie de saint Germer, écrite par un anonyme contem-
porain. )
' V. la Légende dorée. De sancto Michaele archançjelo. La Légende dit : « In loco qui
«Tumba dicitur juxta mare, qui sex miliaribus ab urbe Abricensi dislat, Alichael epi-
« scopo praedictae civitatis apparuit, dicens et jubens ut in praîdiclo loco ecclesiam con-
392 INSTRUCTIONS.
Puisque l'architecture, un art aussi sévère, s'assouplit jus-
qu'à façonner ses plans sur les formes les plus variées de la
croix, il faut s'attendre à ce que la sculpture et la peinture,
arts d'ornementation et de fantaisie, dessineront la croix sur
]es modèles les plus nombreux, les plus différents et quel-
quefois les plus bizarres. Alors on donne, non-seulement une
et deux traverses à la croix, mais on en élève le nombre jus-
qu'à trois. La croix ainsi faite a donc huit croisillons, puisque
chaque traverse se partage en deux, ce qui fait six, et que la
hampe en ajoute deux autres, le pied et le sommet. Ces croix,
à une, deux et trois traverses, deviennent un moyen de hié-
rarchie comme la tiare, le chapeau et la mitre. Le pape seul
eut le droit de faire porter une croix triple devant lui; on
gratifia de la croix double le cardinal et l'archevêque; la croix
simple fut abandonnée à févêque ^ Les chapiteaux des co-
lonnes, les caisses et couvercles des sarcophages, les mosaïques
et les fresques, les vitraux et les boiseries, offrent des croix
innombrables; leur variété est en rapport avec leur nombre.
Ces croix sont libres ou entrelacées d'autres signes.
>• strueretet, sicut fit in monte Gargano , ila et ibi in memoriam sancti Micliaelis archan-
« geli celebraret. Cum autem episcopus deloco, in quo ecclesiam construeret, dubitarel,
« ab ipso edocelur ut ibi construi eam faceret ubi ibaurum {sic) a latronibus abscondi-
" lum inveniret. Iterumque de loci amplitudine dubitans, jubetur modum in amplitudine
■! staluere quantum videret tbaurum in circuitu pedibus intrivisse. n — Le mont Gar-
gano, aujourd'bui Sanl-Angelo, est dans le royaume de Naples, province de Capilanale,
ancienne Apulie.
' C'est aux xv"" et xvi" siècles principalement que la croix fut appelée à ce rôle que les
pièces béraldiques jouent dans le blason. 11 est fâcheux que cet usage ne remonte pas
plus haut, car il sert utilement à distinguer surtout un archevêque d'un évêque. Qu'un
personnage entier ait disparu d'un bas-relief sculpté ou d'un tableau peint, si l'on aper-
çoit qu'il tenait à la main une croix simple, double ou triple, on peut affirmer que c était
un évêque, un archevêque ou cardinal, et un pape. (Voyez à Saint-Denis, sur les portes en
bois qui proviennent de la chapelle de Gaillon, le pape saint Grégoire le Grand tenant
en main une croix à triple traverse.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 393
Quand la croix est libre et non chargée d'attributs ou d'or-
nements, il faut la distinguer en croix de passion et croix de
résurrection. La croix de passion, croix réelle, gibet sur le-
quel Jésus est mort , est cet arbre équarri ou brut composé
d'une tige et d'une traverse. C'est elle ordinairement que l'on
met entre les bras du Père, lorsqu'il tient le Christ qui y est
cloué ^ ; c'est elle que l'on place au milieu de nos églises, dans
l'ouverture du grand arc , appelé triomphal comme la croix
elle-même "; c'est elle que l'on plante dans nos champs, au
carrefour des routes^. La croix de résurrection est le symbole
de la croix réelle; c'est avec elle que Jésus s'élance du tombeau
et monte au ciel. Une bannière, une flamme, flotte ordinaire-
ment aux croisillons de la croix de résurrection, car elle n'est
autre qu'un étendard dont la hampe se termine en croix au lieu
de s'aiguiser en pique. Les croix que l'agneau pascal tient à l'un
de ses pieds, les croix qui précèdent les processions religieuses,
^ A Sainl-Denis , un vitrail de l'abside , qui date de l'abbé Suger, offre un char, un qua-
drige sur lequel est posée une grande croix verte. Cette croix, toute relevée quelle soit
d'ornements figurés en fdigranes, est une croix réelle, une croix de passion; Jésus y est
attaché. Dieu le père, qui est décoré d'un nimbe uni et non crucifère (ce nimbe a une
apparence moderne), tient cette croix entre ses bras. C'est la plus ancienne représen-
tation que je connaisse de ce sujet qu'affectionnèrent si fort le xv° et le xvi° siècle. Bien
qu'à cinq cents ans de distance, le vitrail de Saint -Denis a beaucoup d'analogie avec
celui de Troyes, dont nous avons donné le dessin page 202, pi. 63. A Sainl-Denis
comme à Troyes, singulier rapport, le Saint-Esprit est absent de cette représentation
de la Trinité. Nous en reparlerons plus loin.
* « Crux triumphalis , in plerisque locis , in medio ecclesiae ponitur, ad notandum
« quod de medio corde Redeniptorem nostrum diligimus, qui, juxla Salomonem, corpus
« suum média charitate conslravit propter iîlias Hierusalem , et ut omnes signum vie-
il torias videnles , dicant : Ave salus tolius saeculi, arbor salutifera. Et ne unquam a
Il nobis dileclio Dei oblivioni tradatur, qui , ut servum redimeret , tradidil unicum fdium ,
u ut Crucifixum imilemur. Crux autem in altum dirigitur, per quod Christi Victoria de-
« signatur. » (Guill. Durand, Rat. div. ojfic. lib. I, cap. i.)
^ Plus haut, nous avons donné divers exemples de ces croix réelles, de ces gibets où
fut attaché Jésus.
INSTRUCTIONS. II. 5o
394 INSTRUCTIONS.
sont des croix de résurrection et d'ascension. Ce n'est plus un
arbre, comme dans la croix de la passion, mais un bâton.
qy. — JÉSDS-CHRIST ARMÉ DE LA CROIX DE RÉSURRECTION ET DESCENDANT ADX LIMBES.
Miniature française, xiii° siècle.
Ici le Clirist descend aux limbes et brise les portes de l'en-
fer avec sa croix de résurrection. Il tire de ce lieu de souf-
france les premiers justes, à la tête desquels s'avancent Adam
et Eve. Les démons hurlent; ils grincent des dents en voyant
le Christ qui foule aux pieds un des leurs, et qui leur arrache
ce qu'ils croyaient leur proie ^ Quelquefois le Christ au ciel,
assis près du Père et du Saint-Esprit, porte une croix de ré-
surrection plutôt que de passion. La croix de passion, la vraie
' Remarquons, en passant, la triple forme de l'entrée de l'enfer : c'est d'abord une
porle de château fort, puis la gueule d'un monstre, enfin la cheminée d'une fournaise.
Ce dessin sera reproduit dans l'Histoire du diable ; il a été pris sur un manuscrit h mi-
niatures du xiii" siècle, qui est à la Bibliothèque royale.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 395
croix, est soufFrante ; la croix de résurrection est triomphante.
La seconde a la même forme générale que îa première, mais
elle est spiritualisée ; c'est le gibet transfiguré.
Ces deux croix sont historiques, puisqu'elles ont figuré au
crucifiement et à la résurrection de Jésus-Christ; mais il y en
a d'autres qui , purement emblématiques , sont beaucoup plus
nombreuses encore. Le blason en adopte plusieurs auxquelles
il donne des noms qui en caractérisent la nature et la forme.
La croix foudroyante, annelée, câblée, est composée de
foudres, d'anneaux, de câbles; la croix vidée, anillée, cordée,
est à jour entièrement, ou percée seulement au cœur, ou en-
roulée d'une corde; la croix coupée d'une seule traverse à
chaque branche s'appelle recroisée, et recroisetée quand la tra-
verse est double. Si les extrémités de chaque branche sont
terminées par une ou deux têtes de serpent, par un croissant,
une ancre, un dard, des crampons, un trèfle, une fleur de lis,
une ou plusieurs boules, alors la croix se nomme gringolée,
guivrée, croissantée, ancrée, barbée, cramponnée, tréflée,
fleurdelisée, pommelée ou bourdonnée. Quand la pointe de
chaque branche est assise dans des degrés , on dit que la croix
est perronnée. Elle s'appelle aiguisée ou mousse quand la
pointe est aiguë ou arrondie; potencée, quand elle est surmon-
tée d'une traverse, et pattée, quand la pointe s'élargit. La croix
de Malte est pattée, mais l'extrémité de chaque patte est entaillée
d'un angle aigu. Qu'il suffise de ces indications, qui pourraient
prendre de trop longs développements. 11 est remarquable,
d'ailleurs, que presque toutes ces croix du blason sont grec-
ques et non romaines. Cette forme a-t-elle été prise en Orient
à l'époque des croisades, ou plutôt, comme il est probable,
ne serait-elle pas imposée par la forme de l'écu?
Quand la croix est entrelacée ou accompagnée d'ornements
5o.
396 INSTRUCTIONS.
et d'attributs, les variétés sont telles qu'il faut renoncer à les
désigner toutes. En voici quelques-unes :
En Grèce, les représentations de la croix sont accompa-
gnées ordinairement de l'inscription : TC X'^C NIKA ( Jésus-
Christ est vainqueur). L'exemple suivant donne la croix à
double traverse, qui s'appelle chez nous croix de Lorraine et
qui dessine le plan des églises d'Angleterre signalées plus
haut avec trois églises de France.
98. CROIX GRECQUE EN CROIX DE LORRAINE.
Sculpture du mont Athos, premiers siècles '.
Le pied de cette croix se bifurque et se découpe en feuilles
d'acanthe^; l'inscription entière accompagne une seule croix.
' Cette croix à double traverse est sculptée sur une dalle en marbre blanc servant de
mur d'appui à la petite rotonde dite Trrjyij ou (pitxki} qui précède la grande et vieille
église du couvent de Sainle-Laure, au mont Allios. Ces fontaines, anciens baptistères,
servent aujourd'hui à donner et à recevoir l'eau bf'nile.
Cet ornement d'où la croix sort comme d'une racine doit être étudié avec le plus
grand soin. Feuillage d'abord et à contre-courbe de chaque côté, il perd ensuite son
sommet et ne garde que la courbe simple d'en bas; c'est une espèce de croissant, mais
un croissant feuillage. Plus tard, et jusqu'à nos jours, le feuillage disparaît entièrement
pour accentuer le croissant davantage encore; car chaque courbe ou quart de cercle se
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 397
Ailleurs cette inscription se coupe en deux parties : la pre-
mière portion se grave au-dessus d'une croix qu'on place à
gauche, et la seconde au-dessus d'une autre croix que l'on met
à droite. Sous la première sont affrontés deux paons, animaux
qui semblent allégoriques, puisqu'un manuscrit^ et une pierre
tumulaire du musée de Narbonne nous les offrent couronnés
d'un nimbe comme en ont les saints. Sous la seconde et dans
des médaillons, on voit un aigle aux ailes repliées et un faucon
au vol abaissé ; le faucon porte le collier, la laisse et le grelot.
rejoint et reçoit, à la jonction, le pied de la croix. Alors la croix de Jésus domine et ter-
rasse le croissant de Mahomet, comme saint Michel domine et terrasse Satan dans nos
monuments. C'est ainsi, en effet, que les partisans de l'école symbolique interprètent
cette figure de la croix enracinée ; mais le croissant n'est que la dégradation successive
de la double feuille à contre-courbe, et ni le croissant ni Mahomet n'ont rien à voir là-
dedans. On acquiert celte conviction lorsqu'on étudie l'histoire des croix byzantines au
mont Athos , à Constanlinople et dans toute la Grèce; car on trouve dans ces pays des
croix entièrement croissantées avant la naissance de Mahomet et dès le temps de Justi-
nien. A propos de certaines médailles de Maguelonne, où l'on voit la croix fichée dans
une espèce de croissant, on a dit que l'évoque, dont c'était la monnaie, avait fait alliance
avec les musulmans, et, en signe de cela, avait uni sur ses monnaies le croissant cà la
croix. D'abord il est invraisemblable qu'un évêque français ait fait un traité d'alliance
avec des musulmans ; il est plus invraisemblable encore qu'il ait accolé Jésus à Maho-
met; il est impossible surtout que des populations chrétiennes aient accepté une pareille
avanie. Enfm, cette croix des monnaies de Maguelonne ressemble entièrement aux croix
que nous appelons enracinées, et dont celle de Sainte-Laure du mont Athos offre un
exemple très-ancien. Les croix ancrées ont une grande analogie avec les vieilles croix
enracinées.
' Il en a été question page 90, au chapitre du nimbe. En m'envoyant le dessin de la
pierre de Narbonne et celui d'un sarcophage qui est à Saint-Etienne de Bologne et qui
montre deux paons affrontés, regardant une croix, M. Tournai m'écrit: «Le paon a été
très-souvent employé comme emblème , depuis le iv" siècle jusqu'à nos jours. On le trouve
sur les mosaïques qui décorent la voûte de Sainte-Constance, à Rome ; on le trouve dans
le pavé de Saint-Marc de Venise, sur les sarcophages de Ravenne et du Vatican. Le sar-
cophage du pape Zozime (4i8), conservé à Saint-Laurent extra miiros, à Rome, et
celui de sainte Constance, qui est au Vatican, n'offrent que des génies qui font la ven-
dange, des paons et des moutons. » Je ne pense pas que ces animaux et ces génies soient
toujours emblématiques, et la fantaisie est pour beaucoup dans celte ornementation;
mais il est bon que les antiquaires chrétiens lassent des études sur ce curieux sujet.
398 INSTRUCTIONS.
Le pied de la première croix est patte , celui de la seconde est
penonné; toutes deux sont coupées par une double traverse.
La croix aux paons est faite de rubans entrelacés , la croix à
l'aigle et au faucon est nattée de rubans moins larges.
9g. CROIX GRECQUE k DODBLE TRAVERSE.
Sculpture d'Athènes, xf siècle.
Ces deux croix ornent le portail occidental d'une église
d'Athènes , et sont sculptées sur des plaques de marbre blanc.
On avait donné la croix à l'aigle et au faucon ; il convenait
donc de la compléter par la croix aux deux paons, car celle-ci
est à gauche et fournit la première moitié de l'inscription.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 399
En Grèce, au pied des croix sculptées et peintes qui ornent
les églises, on voit presque toujours des animaux affrontés qui
regardent avec terreur ou avec amour le signe de la rédemp-
tion sous lequel ils paraissent s'humilier. Le lion, l'aigle, le
paon , le faucon , sont les animaux qui se voient le plus souvent.
L'aigle et le paon , qui sont l'emblème de l'orgueil ; le faucon
et le lion, qui rappellent la violence cruelle et la cruauté
grossière, pourraient bien signifier que ces passions mauvaises
sont forcées de passer sous le joug de la croix. La colombe et
la brebis, qu'on voit fréquemment sur les fresques des cata-
combes et les anciens sarcophages, pourraient annoncer que
les vertus sortent de la croix comme les vices sont abattus par
elle. Saint Paulin, évêque de Noie, envoie à son ami Sulpice
Sévère les distiques suivants, qu'il -avait écrits près de deux
croix peintes en rouge, ceintes d'une couronne de fleurs et
escortées de deux colombes :
Ardua floriferœ cnix cingitur orbe coronae,
Et Domini fuso tincta cruore rubet.
Quoeque super signum résident cœleste columbse
Simplicibus produnt régna patere Dei.
On dirait que ces vers ont été composés pour une croix ainsi
figurée sur un sarcoj)hage en marbre, et qui provient du ci-
metière du Vatican ^ Saint Paulin dit encore:
Toile crucem qui vis au ferre coronani.
Si l'intention allégorique est incertaine dans les exemples
qui précèdent, elle ne saurait être douteuse dans la croix sui-
^ Voyez les œuvres de saint VauVin, Epistola XII ad Severum, etBosio, Rom. sotterr.
p. 79. — En fait d'interprétations allégoriques, l'imagination a devant soi une
carrière immense; nous nous arrêterons donc ici, et nous renverrons, pour plus de
détails, à la quatrième partie tout entière de la Rom. sotlerr. surtout à commencer du
chapitre xu. Nous n'adoptons pas les idées de Bosio; mais nous n en recommandons
liOO INSTRUCTIONS.
vante, qui est pattée, inscrite dans un cercle et cantonnée de
quatre livres ouverts , dont chacun est lui-même inscrit dans
une auréole circulaire. Nous avons déjà vu plusieurs dessins
OLi Jésus-Christ, renfermé dans une auréole, soit elliptique,
soit circulaire, est accompagné des attributs des quatre évan-
gélistes; ici le Christ est représenté par sa croix et les évangé-
listes par leur évangile.
lOO. CROIX CANTONNÉE DES QUATRE EVANGILES.
Fresque des Catacombes, premiers siècles.
Non-seulement la croix est accompagnée d'ornements et de
signes, mais elle en est entrelacée pour ainsi dire. Le mono-
gramme du Christ, le chi (x) et le rho (P) de Xç^a■%<; , le
iota (l) de 'l'ua-ovç , se combinent ensemble et donnent en ré-
sultat des croix grecques, des croix romaines, des étoiles à
six branches égales ou inégales. Ces croix sont libres ou ins-
crites dans des médaillons circulaires et quelquefois carrés.
Dans la planche suivante , composée de six monogrammes
cruciformes , le chi est en croix de Saint-André.
pas moins l'attention la plus minutieuse sur tout ce qui concerne le symbolisme. C'est
une grave question, la plus délicate de l'archéologie nationale, que celle du symbo-
lisme chrétien; elle a besoin, pour être résolue, de s'appuyer uniquement sur les faits.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
401
lOl. CROIX DIVERSES A FORME GRECQDE.
Sculpture des anciens sarcophages, premiers siècles.
Aux cinq premiers numéros, le rlio coupe verticalement le chi
au point où les deux branches s'intersectent. On a ainsi les
deux premières lettres de xpi2T02. Les monogrammes des
n°' 2, 3 et 4 sont libres, et le n° 3 n'est composé que du X
et du P; le n'' 2 est accompagné des palmes qui désignent
probablement le triomphe et la gloire ; le n*' 4 , comme le n° 1 ,
se complète par l'A et l'O qui signifient que le Christ est le
commencement et la fm de tout. Le n° 5 est inscrit dans un
médaillon, mais les rayons de cette roue mystique touchent
à la circonférence et se confondent avec elle, tandis que ceux
du n° 6 n'y adhèrent pas. En outre, cette dernière figure
n'offre plus un rho, mais un iota, qui est la première lettre
de 'ha-ov^ comme le chi est la première de XeAo-%ç. Ce sixième
monogramme est donc plus complet; les précédents ne disent
que: Christ, et celui-là dit: Jésus-Christ.
La planche suivante a été prise sur un chapiteau de Saint-
Démétrius, à Salonique; elle offre un exemple qui serait en-
tièrement semblable à celui du n° 6, si les rayons étaient
libres et n'étaient pas tangents à la circonférence.
INSTRUCTIONS. II.
402
INSTRUCTIONS.
102. — C1\0IX GRECQUE OU ETOILE, A SIX BRANCHES EGALES-
Sculpture de Saint-Déniélrius, à Salonique, iv° siècle.
L'iota et non le rho coupe le clii; mais les six rayons vien-
nent aboutir à la circonférence. Ces six rayons sont circons-
crits dans un cercle; plus bas, on les a dans un carré, et avec
cette variété que le chi ne coupe pas l'iôta en deux parties
égales ; le pied de cet iota est plus long que le sommet.
105. CROIX GRECQUE À SIX BRANCHES INEGALES.
Sculpture de Salonique, iv^ siècle.
Dans les exemples précédents, le clii conserve sa disposi-
tion naturelle de croix de Saint-André, de croix en sautoir;
dans les exemples qui suivent, au contraire, le chi devient
une croix véritable à fût vertical et à traverse horizontale.
D'ailleurs , au lieu de six branches pour le X et le P, il n'y en
a plus que quatre; le montant vertical du X se recourbe et
devient un rho. Le monogramme se resserre davantage; on
économise les lignes.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
'i03
iOà- DIVERSES CROIX DE FORME LATINE ET GRFCOUE
Monuments des Catacombes , premiers siècles.
A
CO
10
Le n'' 12a la forme de la croix pectorale des évêques. Les
n°' 9 et 10 donnent la croix grecque, dont l'une est libre et
l'autre inscrite dans un cercle; le disque du n° 9, ainsi timbré,
rappelle entièrement le nimbe crucifère. Le n° 7 donne éga-
lement le disque partagé par une croix; mais les branches de
cette croix n'atteignent pas la circonférence, et le montant
vertical s'arrondit en rho ( P ). Comme aux n"' 1 et 4, l'A et
l'O accompagnent le n° 8. Le 1 1 olïi e , en outre, un N que
traverse le pied de la croix, qui doit être l'initiale de Noster,
et qui donne à ce monogramme le sens de xristos noster \
Nous avons complété cette qualification par celle de : Notre-
Seigneur Jésus-Christ. L'exemple suivant nous donne le mo-
nogramme combiné avec la croix, mais cette croix est tenue
par un jeune néophyte, comme une espèce d'étendard; c'est
un labarum , en quelque sorte.
' Ces monogrammos élanl d'origine grecque, les Latins ne les ont abandonnés ou mo-
diiiés par la forme des lettres de leur alphabet que très-tard. Dans les Catacombes et les
mosaïques , les monogrammes du Christ et de la Vierge sont en lettres grecques : I C
X'Cet M"? e"T. L'alpha et l'oméga ont persislé jusqu'à nos jours dans nos contrées. Au
xiii' siècle, à Charires, on a écrit en latin le nom du Christ; mais les deux premières
5i.
404
INSTRUCTIONS.
105. MONOGRAMME UNI À LA CROIX.
Sculpture des Catacombes, premiers siècles.
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Enfin des inscriptions, des ornements allégoriques, plus
nombreux encore que ceux qu'on vient de voir, accompagnent
la croix et développent les faits et les idées que ce symbole
rappelle. Un cachet chrétien , dont on donne ci-dessous le
dessin grossi à la chambre claire, est gravé d'une croix en tau
(t); le chi (x) traverse la hampe du tau qui s'arrondit en
rho (P) par le haut. Le nom du Christ et la forme de sa croix
sont résumés dans ces hgnes. Le Christ, fds de Dieu, est le
commenceuient et la fm de tout ; l'A et f O , commencement
et fm des signes intellectuels et, par extension, de l'intelli-
gence même et de famé humaine, escortent la croix, à droite
et à gauche. La croix a écrasé et dompté Satan , le serpent
antique ; le serpent s'enroule donc et s'enchaîne au pied de
la croix. Cet ennemi du genre humain cherche à faire périr
fâme, qui est représentée sous la forme d'une colombe; mais
lettres sont grecques, la troisième et la quatrième peuvent être grecques ou latines in-
différemment, et les deux dernières sont exclusivement latines : xpitvs. On a omis
le premier sigma. Ici le monogramme de Christ est grec de même, tandis que celui de
l'adjectif nostcr est latin. Dans l'évangéliaire de la Sainte-Chapelle de Paris, cité plus
haut, page 278, le premier des quatre vers que nous avons transcrits offre Dominam en
latin et Christam en grec :
. ..Qualuoi- DOM signant auimali a xpii.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 405
la colombe , toute menacée qu'elle est, regarde la croix d'où
lui vient sa force, et qui la sauve du venin de Satan. Le mot
SALUS, écrit sous le sol qui porte la croix et les colombes, est
le cbant de triomphe qu'entonne le chrétien fidèle en l'hon-
neur de Jésus et de la croix.
106. CROIX MYSTIQUE.
Pierre gravée, premiers siècles.
La croix qui suit est une autre croix triomphante. Placée
au milieu des étoiles du ciel , cette croix s'appuie sur la même
inscription salus, que complète le mot mundi et qu'entoure
un cercle resplendissant de pierreries ; elle est toute constel-
lée elle-même de pierres précieuses ^ Trois autres inscriptions
aboutissent à chaque extrémité des branches comme salus
MUNDI à l'extrémité du pied; en voici la disposition. Au-dessus
^ C'est bien la cr-oix gemmée, la croix constellée, la croix fleurie, criix gemmata,
crux steUala, criix jlorida , comme on la désignclorsqu'elle est richement décorée. (Voyez
dans la Rom. sotl. p. x3i, un bel exemple de croix gemmée et fleurie, avec l'A et Vil
pendus par des chaînettes aux croisillons.) Rhaban Maur dit, comme inlerprétalion de
sa seizième figure relative à la croix : « Descripsi ergo hic florigebam crucem quatuor
« colorihus prœcipuis, id est hyacintbino, purpureo, byssino et coccineo, ut floris illius
«jucundissimi decorem demonstrarem , quem prophetica loculio narrât de slirpe regia
« exortum , qui speciosus prœ fdiis hominum exislens, omnium virtutum decorem in
H semetipso ullra omnes mirabililer ostendit. » — Pdiaban, on le voit, se prononce for-
mellement pour la beauté du Christ. Il termine par les mots suivants ce même pas-
sage : «Homo Clirislus Hiesusinler homines nalus sercnus resplendebal, quia lotius de-
« coris pulchritudine i.nïds fouisque plenus erat. » (Voyez les œuvres de Uliab. Maur,
vol. I, p. 3i3, de Laud. Sanctœ Crucis.)
/j06 instructions.
du sommet, dans le ciel, on lit 1. M. D. V. C. On interprète
ces sigies d'une façon plus ou moins plausible par: « Immolalio
«Domini Jesu Cbristi. » Mais de cette façon on ne rend pas
compte du V ou de l'Y, si réellement c'est un V ou un Y et
non pas un P; d'ailleurs on donne deux lettres pour le pre-
mier mot et une seulement pour les trois autres. Cette ins-
cription relative au dévouement d'un Dieu devait être pla-
cée dans le ciel plutôt que sur la terre. Sur terre, c'est-à-dire
au pied de la croix, qui plonge vers notre globe , on lit : « Salus
« mundi , » parce que la croix a sauvé le monde. Enfin le Christ,
qui dans son immense cbarité a embrassé l'univers, le monde
ancien et le monde futur, depuis la création jusqu'à la fin des
siècles , le Christ , qui a racheté les patriarches et les apôtres,
les prophètes et les saints, le premier homme comme le der-
nier, méritait bien que la croix, où se sont étendus ses bras,
fût marquée de l'A et de fO, qui représentent le commence-
ment et la fin de tout.
' C'est d'après une gravure, infidèle peut-êlre,comn:ie il est fort à craindre, et non d après
ie monument lui-même, que celle croix a été dessinée. Ciampini [Vet. mon. pars. i%
lab. 2/1 ) , qui la donne , explique les cinq lettres comme on vient de le dire et ne remarque
pas que le V ou l'Y contrarie son explication. Gori [Thés. vet. diptj. t. III, p. 22) a fait
graver cette crcix de Ravenne; il remplace les cinq lettres latines de Ciampini par les
cinq lettres grecques IX0YC, qui forment le mol célèbre sur lequel nous nous sommes
longuement appesanti. Si Gori a bien lu, ce fait est de la plus baute importance. Je re-
grette vivement de n'avoir pas vu de mes yeux ce curieux monument. J'ai demandé des
renseignements sur celte mosaïque à M. l'abbé Lacroix, clerc national à Rome, et cor-
respondant historique. M. Lacroix, qui a fait une élude particulière de Saint-Apollinaire
in claae, où est la mosaïque, a dessiné cette croix avec le plus grand soin; il m'a ré-
pondu qu'il y avait réellement IX0YC, ainsi que Gori le déclare. Ce fait avance beau-
coup la question de savoir si le Christ a élé figuré par le poisson. M. Lacroix vient
encore de m'envoyer le dessin d'un monument découvert récemment par lui sur la
colline du Vatican , derrièie Saint-Pierre; c'est un marbre funéraire des premiers siècles
de notre ère. Au-dessus de deux poissons qui se regardent , on lit : IX0YC • ZCONTCON ,
c'est-à-dire hjaois Xpia^às &eov Tios 2coT);p ZwvTcor, Jésus-Christ, fils de Dieu, sauveur
des vivants. Il faut se rendre, après de pareils l'ails qui tranchent la question, el croire
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE.
407
107. CROIX CONSTELLEE.
Mosaïque de Ravenue, à Saial-ApolUnaire in classe, vi'' siècle '.
La croix est donc bien le symbole de Jésus; c'est le Christ
sous les apparences du gibet où il est mort. Aussi nous la voyons
qualifiée comme le Christ lui-même. Jésus, dans l'Evangile,
a dit : « Je suis la lumière du monde ; je suis la voix, la vérité
et la vie. Celui qui croit en moi ne mourra point. » De même,
à Saint-Pierre du Dorât, on lit au-dessus d'une croix escortée
de l'A et de l'O, ces quatre mots: Lvx. Pax. Lex. Rex^ La
croix éclaire, comme Jésus-Christ qui a lui dans les ténèbres;
la croix apaise et règle les passions, elle gouverne et dirige
dans la route du devoir; elle est le flambeau, la paix, la loi
et le guide.
Ces quatre mots Lvx, Fax, Lex, Piex, sont écrits en croix
comme dans le n° 1 du dessin suivant , mais avec une variante.
que décidément le Christ a été figuré, sinon symbolisé par le poisson. M. Lacroix a
compté quatre-vingt-dix neuf étoiles dans le champ où brille la croix de Ravenne; il pense
que ce nombre pourrait désigner les quatce-vingl-dix-neuf justes au sujet desquels il y
a moins de joie dans le paradis que pour la conversion d'un seul pécheur. Nous adop-
terions difficilement cette interprétation. Au reste notre dessin ne donne que quarante
et une étoiles ; mais rien n'est plus inexact qu'un dessinateur.
' C'est à celle croix entourée d'élo'les qu'on peut appliquer celte exclamation de
l'empereur Iléraclius : «0 crux splendidior cunclis aslris ! » qu'on chaule encore dans
les offices de l'Eglise (Voyez la Légende dorée, de Exalt. S. Crucis).
^ Celle inscription, que me communique M. de Guilhermy, est du xif siècle. Elle est
gravée sur le mur septentrional de l'église du Dorai. Elle surmonte, comme on a dit,
une croix grecque accompagnée de l'A et de l'i^ ; mais, sous celle croix, on lil une autre
inscription où les fidèles se recommandent à la protection de Dieu et à )a garde des anges.
408 INSTRUCTIONS.
Dans le cliamp de cette croix grecque on lit, disposés éga-
lement en croix : Lvx. Dvx. Lex, Rex. Ainsi Dux est substitué
à Pax. Enfin le tombeau de S. Angilbert, gendre et pair de
Gbarlcmagne, septième abbé de Saint-Riquier, portait gra-
vés sur les quatre côtés de la dalle ces quatre vers, qui com-
mencent et finissent par les quatre mots du Dorât, et qui en
donnent l'explication.
Rex, requiem Angilberto da, Pater atque pius Rex;
Lex legiim , vitam aeternam illi da , quia tu Lex.
Lux, lucem semper concède illi, bona qui es Lux;
Pax, pacem illi perpctuam dona , es quoniam Pax^
108. DIVERSES CROIX X FORME GRECQUE ET LATINE.
Monuments français, différents siècles*.
Ainsi la croix, comme le Christ, comme Dieu lui-même, nous
éclaire et nous guide, et nous pouvons en dire ce que saint
' Act. SS. ord. S. Bened. iv" siècle bénédictin, impartie. Vie de saint Angilbert.
' On a réuni dans celle planche quelques variétés de croix ; mais il y en a une foule
d'autres qu'il était impossible de donner. On doit faire allenlion , dans un pareil sujet ,
aux plus petites différences dans la forme , parce que ces diflérenccs sont caractéris-
tiques d'une époque d'un pays, d'une idée. Le n" 1 donne la croix du Dorât. Le 2 sert
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 409
Paul a dit de Dieu: « Nous sommes, nous vivons et nous agis-
sons en elle ». C'est ainsi que Dante Ta compris; il nous a
montré dans son Paradis les âmes des justes agenouillées et
priant dans une croix de feu où elles respirent, où elles de-
meurent et qui fait leur monde. Voici le dessin de cette croix
d'antéfîxe ou de couronnement de pignon au chevet de l'église romane d'Olizy, près de
Reims. Le n" 3 est une croix paltée , à croisillons recroisés et à sommet en tau. Le u° k
est une baie ouverte dans le mur oriental de l'abside, à l'église de Beine, arrondissement
de Reims. Le chevet de cette église de Beine est carré , comme celui de la cathédrale de
Laon; mais la rose, ouverte en plein cercle dans la cathédrale de Laon, prend à Beine
la forme d'une croix. Le n° 5 reproduit à peu près le dessin d'une pierre sépulcrale incrus-
tée dans le mur méridional de Saint-Maurice de Reims. Une inscription funéraire, d'une
certaine valeur archéologique, est gravée sur les quatre branches de cette croix; on lit en
haut: HIC jacet arma; à gauche: mater; adroite: matertera ; en bas: neptis. Le n° 6
donne la croix de Malte. La croix du n° 7 est gravée sur le linteau d'une chapelle de Pont-
faverger, près de Reims. Le n° 8 reproduit la forme d'une croix pectorale sculptée sur la
poitrine d'une statue de femme , en bois, de l'époque romane, peut-être du x° siècle, qui
existait dans le clocher de l'église rurale de Binson , où M. Hippolyte Durand et moi l'avons
trouvée en iSSy. Celle statue de bois, haute de deux mètres, est la plus ancienne qui
existe en France. Le propriétaire de l'église pourrait conserver avec plus de soin cette cu-
rieuse figure. Le n° 9, qui n'est pas ici à sa place, donne un exemple de ces feuilles en
cœur si fréquentes sur les sarcophages et qui accompagnent les inscriptions funéraires; il
appai'tient au paragraphe où nous avons parlé des diverses représentations figurées sur
les tombeaux, et auxquelles il faut attribuer avec sobriété une intention allégorique. Les
huit variétés de croix données par notre planche sont, bien qu'exceptionnelles, assez
fréquentes en France. Les n°' 2, 3, A, 5 et y appartiennent tous à l'arrondissement de
Reims. Il y aurait un certain intérêt à recueillir ainsi dans tous les départements et
arrondissements de la France les variétés de croix qu'on pourrait trouver. Rien n'est
à omettre ni mépriser, surtout à l'égard d'une figure aussi importante en iconographie
que la croix de Jésus-Christ. La forme, la couleur, les ornements qui décorent ou
accompagnent le gibet divin doivent être étudiés avec un soin minutieux. M. Tournai
vient de m'envoyer le dessin d'un très-ancien bas-relief trouvé récemment à Narbonne
et où sont figurés deux personnages , l'un assis et l'autre debout , tenant une croix pattée
et gemmée. A la cime, deux colombes se désaltèrent dans un vase; aux croisillons,
pendent l'A et l'îi ; deux rosaces épanouies ou deux étoiles rayonnent entre le sommet
et la traverse ; un dragon semble expirer aux pieds du personnage assis ; une rosace à
huit pétales , deux cercles et un carré sont semés à la gauche de la croix. On peut donner
pour tout cela des explications symboliques fort probables , même pour ceux qui , comme
nous, restreignent beaucoup le symbolisme.
INSTRUCTIONS. II. 5a
410 INSTRUCTIONS.
habitée , tel qu'il se trouve dans la Divine comédie imprimée
à Florence^ en 1491.
109. CROIX HABITEE.
Gravure florentine de ligi.
;P'X>' ^ ^ ■¥: ^ ^ ^ -^
Cette croix brille d'un éclat bien plus vif que les soleils et
les constellations de toute espèce au milieu desquels on la voit.
Dante explique ainsi le sujet. Arrivé avec Béatrice dans la
planète de Mars^, le poëte s'écrie : «Des splendeurs m' appa-
rurent si éblouissantes et si rouges entre deux rayons, que je
dis : 0 Hélios, combien tu les ornes ! Gomme, toute semée de
grandes et de petites lumières, Galaxie^ étend, entre les deux
pôles du monde, une ligne si blanche qu elle remplit de doutes
les plus savants; ainsi ces rayons constellés composaient, dans
la profondeur de Mars , le signe vénérable '' que forme dans le
Ce Dante est tout rempli de curieuses gravures; c'est au Paradis, fol. 271 , qu'on
trouve la croix habitée.
* Paradis , chant xiv.
^ La voie lactée.
* La croix.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 411
cercle la jonction des cadrans . . . Sur cette croix resplendis-
sait le Christ. . . . D'un côté à l'autre de la croix , et entre la
cime et la base , se mouvaient des lumières , scintillant avec
force lorsqu'elles se rejoignaient et lorsqu'elles passaient
outre. Ainsi l'on voit sur terre des atomes volant en ligne
droite ou courbe, agiles ou lents, changeant sans cesse d'as-
pect, se mouvoir dans le rayon qui souvent traverse l'ombre
que, par son intelligence et son art, l'homme s'est ménagée
contre la chaleur. Tel, par un ciel tranquille et pur, court
deçà et delà un feu subit qui attire nos yeux jusqu'alors in-
différents, et semble une étoile qui change de place, sinon
que, du côté où elle s'allume et dure peu, nulle clarté ne s'é-
teint; tel, de l'extrémité droite jusqu'au pied de la croix, cou-
rut un astre ^ de la constellation qui resplendit dans ce ciel.
Et le diamant ne se détacha point de son fd, mais il parcou-
rut la ligne radieuse, et sembla un feu derrière de l'albâtre...
Je te supplie, vivante topaze qui enrichis ce précieux joyau ^
de m'instruire de ton nom ^ »
Cette sainte lueur était l'âme de Cacciaguida. Elle parle lon-
guement à Dante de ses ancêtres et de la destinée qui attend
le poëte. Puis, au chant xviii, elle ajoute : «Sur cette cin-
quième branche de l'arbre qui se vivifie par la cime , donne
toujours des fruits et ne perd jamais ses feuilles ^ sont des
esprits heureux qui là-bas, avant de venir au ciel, furent
' C'est, comme s'exprime le traducteur, l'ombre de Cacciaguida, le trisaïeul du
poëte. Il fallait dire plutôt l'âme ou la lueur de Cacciaguida ; car il n'y a pas tVombres
dans le Paradis de Dante , où tout est feu et flamme. En enfer, les damnés sont des
ténèbres; les patients sont des ombres en purgatoire, et les glorieux sont des lumières en
paradis. Telle est la progression que Dante suit avec une intention marquée.
* Cette croix de feu.
' Paradis, chant xv.
* C'est-à-dire la planète de Mars, cinquième division du Paradis.
5a.
li\2 INSTRUCTIONS.
d'un si grand renom , que toute muse s'cnricliirait de leurs
actions. Donc, regarde aux bras de la croix ; ceux que je te
nommerai à cette heure feront ce que dans la nue fait son feu
rapide. Je vis sur la croix passer une lumière du nom de
Josué, dès quil feut nommé; et le nom ne me fut pas connu
plus promptement que son passage. Et au nom du grand Ma-
chabée, je vis se mouvoir une autre lumière tournoyante, et
la joie était le fouet de cette toupie céleste. Ainsi, pour Char-
lemagne et pour Roland, mon regard attentif suivit deux
lueurs , comme l'œil du chasseur suit le faucon dans son vol.
Puis devant mes yeux passèrent sur cette croix Guillaume et
Richard, et le duc Godefroi, et Robert Guiscard. Alors, se
mouvant aussi et s'étant mêlée aux autres lumières , celle qui
m'avait parlé me montra quel artiste elle était parmi les chan-
teurs du ciel \ V,
Ainsi, parmi les douze petits êtres nus qui habitent la
croix de notre dessin, et qui représentent les âmes des vail-
lants guerriers , Dante nomme les huit qui occupent les
branches de la croix , et qui , en allant de gauche à droite ,
sont: Josué, Judas Macliabée, Charlemagne, Roland, pour le
croisillon gauche; Guillaume le Conquérant, Richard Cœur-
de-Li on, Godefroi de Bouillon et Robert Guiscard, pour le
croisillon droit. Cacciaguida est l'une des quatre âmes innom-
mées qui s'agenouillent dans la base et le sommet de la croix.
Cette croix ne contient pas matériellement le crucifié , et ce-
pendant, au chant xiv, Dante déclare que le Christ y res-
plendit; c'est qu'en effet, ainsi que nous l'avons dit, la croix
est le symbole de Jésus. En iconographie, le fils de Dieu est
dans la croix comme dans fagneau, comme dans le lion; il y
est caché sous les apparences du gibet divin. En résumé, une
Ces extraits sont tirés de la Divine comédie, traduite par M. Brizeux.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 413
multitude infinie d'objets figurent la seconde personne de la
Trinité; trois seulement, l'agneau, le lion et la croix le sym-
bolisent. Le poisson lui-même ne s'élève pas à la dignité de
symbole divin.
Pour faire ici l'histoire complète de la croix , il aurait fallu
une monographie spéciale; nous avons dû, en conséquence,
nous limiter aux points essentiels de cet important sujet. Nous
terminerons par quelques mots seulement sur le signe de la
croix , sur sa couleur et sur son triomphe.
SIGSE DE LA CROIX,
Ce signe, comme représentation de la croix, est de toute
antiquité chrétienne; de tout temps ce geste symbolique a
dû précéder, accompagner et clore tous les actes et toutes les
pensées des chrétiens. La croix, dans laquelle « se glorifiait le
philosophe saint Paul, » dit saint Jean-Chrysostome, « chaque
fidèle la portait suspendue à son cou ; on la voyait sur tous les
habits, dans les chambres, sur les lits, les instruments, vases,
livres, coupes et jusque sur les animaux mêmes. » Saint Cyrille
de Jérusalem, instruisant des catéchumènes, leur apprend à
tracer la croix sur le front, pour faire fuir et trembler Satan,
et il ajoute : «Faites ce signe quand vous mangez et buvez,
quand vous vous asseyez, vous levez et vous couchez; en un
mot, à chacune de vos actions. » On lit également dans saint
Augustin : « Si dixerimus catechumeno : Credis in Christum .^
« Piespondit : Credo, et signât se cruce. » Le même Père ajoute
ailleurs : « Comme la circoncision dans la partie secrète du
corps humain était la preuve de l'ancienne alliance, dans la
nouvelle, c'est la croix sur le front découvert. ^ »
' M. Cyprien Robert [Cours d'hiérocjl. chrét.) a cilé ces textes divers; nous y ajoulerons
celui-ci de TertuUien [De cowna mililis, cap. m j : « Ad omnem progrcssum atque pro-
/il4 INSTRUCTIONS.
On fait le signe de la croix sur les autres ou sur soi-même;
on bénit ou bien on se signe.
Dieu est la source unique de toute bénédiction ; aussi l'a-
vons-nous vu, dans plusieurs de nos dessins ^ occupé sur-
tout à bénir. Par délégation , les représentants de Dieu sur la
terre, le pape et les évêcpjes principalement, bénissent les
hommes. Les anges , quoique ministres de la divinité , ne la
représentent pas cependant au même titre que le pape et les
évêques , qui en sont les vicaires en leur qualité de succes-
seurs des apôtres. Le sacerdoce ne pouvant être exercé que
par des hommes, les anges ne sont pas et ne peuvent pas être
représentés bénissant. En ces derniers temps , on a placé au
chevet de la cathédrale de Chartres, sur la toiture, à la place
d'un ange ancien détruit par l'incendie, un ange qui bénit la
ville assise à ses pieds; c'est une faute contre la liturgie et contre
l'iconographie : Dieu et les hommes seuls peuvent bénir ^.
Les Grecs représentent ordinairement saint Jean-Baptiste
bénissant avec la main droite, tandis qu'il tient de la gauche
»niotum, ad omnem adilum et exitum , ad vestitum, ad calcialum, ad lavacrum, ad
'i mensas , ad lumina , ad cubilia , ad sedilia , quacumque nos conversatio exercel , fron-
«lem crucis signaculo terimus. » — Terlullien dit encore (De orntione, cap. xii) : « Nos
« vero non attoHimus tanlum manu s , sed etiam expandimus e dominica passione mo-
« diîlatum , et orantcs confitemur Chrislo. »
' Nolamment, pour ne rappeler que les premières gravures, p. 27, 35, 53, 61, pi. 2 ,
fi. 17, 21.
' Celte erreur du sculpteur qui a fait l'ange de Chartres, jointe à toutes celles qui
se sont commises dans les restaurations de Saint-Denis, de Saint-Germain-l'Auxerrois,
des cathédrales de Reims et d'Avignon, doit faire sentir à l'administration civile et à
l'administration ecclésiastique la nécessité d'un conseil d'antiquaires et de liturgistes
qui aient étudié l'archéologie chrétienne sous toutes ses faces, et qui soient appelés à
donner des avis sur beaucoup de faits délicats. Sur les vitraux de Notre-Dame de Reims,
à l'ange qui symbolise l'église de Soissons , l'index seulement est ouvert , et l'ange de
l'église métropolitaine de Reims ouvre sa main tout entière; mais ni l'un ni l'autre de
ces deux anges ne bénit.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 415
sa tête, sa croix de roseau ou sa banderole, et qu'il invite à la
pénitence. Saint Jean est un liomme, un ministre de Dieu, le
précurseur du Christ; Dieu lui a délégué tous les pouvoirs et
toutes les prérogatives du sacerdoce. Il bénit donc à bon droit \
Cependant , chez nous , saint Jean - Baptiste est représenté
presque toujours tenant l'agneau de Dieu à la main gauche
et le montrant avec l'index de la droite : cette main indique ,
mais ne bénit pas ^.
La bénédiction, nous l'avons déjà dit, est grecque ou la-
tine; elle se fait toujours avec la main droite, la main puis-
sante. Dans l'église grecque, on l'exécute avec l'index entiè-
rement ouvert, le grand doigt légèrement courbé, le pouce
croisé sur l'annulaire , et le petit doigt courbé. Ce mouve-
ment et cette direction des cinq doigts forment plus ou moins
bien le monogramme du fils de Dieu. Les Grecs, très-ralFi-
nés dans le mysticisme, devaient adopter cette forme de bé-
nédiction^. Voici ce que le Guide de la Peinture, manuscrit
byzantin , prescrit au sujet de la main divine figurée lors-
qu'elle bénit : «Quand vous représentez la main qui bénit,
ne joignez pas trois doigts ensemble; mais croisez le pouce
avec le quatrième doigt, de manière que le second doigt,
nommé index, reste ouvert, et que le troisième doigt soit un
peu fléchi. A eux deux , ces doigts forment le nom de Jésus ,
lv)crovC , I C. En effet, le second doigt demeurant ouvert in-
dique un I (iota), et le troisième dessine par sa courbure
un C (sigma). Le pouce se place en travers sur le quatrième
' Voyez, p. 72 , pi. 2/i , un saint Jean byzantin cl venant du mont Hymelle; le pré-
curseur bénit à la manière grecque.
' Voyez, p. 828 et 829 , pi. 83 et 84. deux gravures du précurseur latin , qui indique
l'agneau divin et ne bénit pas.
^ Voyez plus liaut, p. 6i, 181, 208, pi. 21, /ig, 52, Dieu, père et Uls, donnanl
la bénédiction grecque.
416 INSTRUCTIONS.
doigt, et le cinquième doigt se courbe aussi légèrement; cela
forme l'indication du mot Xpia-roC, XC. La réunion du pouce
et du quatrième doigt figure un X (chi), et le petit doigt forme
par sa courbure un C (sigma) ; ces deux lettres sont l'abrégé
de Christos. Ainsi , par la divine providence du Créateur, les
doigts de la main de l'homme, qu'ils soient plus ou moins
longs, sont disposés de manière à pouvoir figurer le nom
du Christ. »
Quant à la bénédiction latine, elle se fait avec les trois pre-
miers doigts ouverts; l'annulaire et le petit doigt restent fer-
més \ Il paraît que cette disposition des doigts est symbolique.
Guillaume Durand et Jean Beleth disent que cette façon de
bénir rappelle la Trinité, et que les trois doigts ouverts dé-
signent les trois personnes divines ^ Les deux doigts fermés
figureraient les deux natures du Christ , divine et humaine.
Les Grecs , nous allons le voir, ont développé ce germe de
symbolisme et ont assigné chaque doigt , en le nommant, à
chacune des trois personnes. Il ne serait pas impossible de
rencontrer chez nous, dans nos monuments d'iconographie
occidentale, une bénédiction grecque. Il faudrait constater
avec le plus grand soin un pareil fait; car il démontrerait in-
vinciblement une influence byzantine, indirecte ou directe.
Un fait de ce genre , si Ton parvenait à le signaler dans les
monuments de notre pays que nous appelons byzantins fort
gratuitement, trancherait la discussion et vaudrait mieux que
toutes les dissertations qu'on a déjà écrites là- dessus. On re-
commande donc une attention spéciale sur ce point.
' Voyez plus haut, p. 212 , pi. 54 , un exemple des plus frappants de la bénédiction
latine par une main divine.
" Guillaume Durand , Rat. cliv. ojf. lib. V, cap. 11 ; Jean Beleth , Explicatio divin,
offîc. cap. XXXIX, De Evuiujelio.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 417
Il paraît qu'autrefois les prêtres bénissaient les hommes et
les choses avec trois doigts ouverts, aussi bien que les évoques;
mais, à une époque qui est assez récente, on voulut établir
une différence entre la bénédiction épiscopale et la bénédic-
tion du simple prêtre. Les évêques se réservèrent le droit de
bénir avec trois doigts ; les prêtres ne le firent plus qu'avec la
main ouverte tout entière. De plus, les évêques bénissent de
face , pour ainsi dire , et les prêtres seulement de profd , avec
le coupant de la main. Enfin, pendant les cérémonies, dans les
prières où les évêques font trois bénédictions successives , trois
signes de croix, les prêtres n'en font qu'une seule, un signe
unique. La bénédiction épiscopale est donc la même que celle
du prêtre, mais dans toute sa plénitude. Il faut en conséquence
observer avec soin , en étudiant les monuments iconographi-
ques, non-seulement la disposition de chacun des doigts, mais
encore la direction de la main. L'archéologie chrétienne, pour
devenir une science, doit être scrutée, comme la botanique et
toutes les sciences naturelles, jusque dans ses détails les plus
microscopiques; c'est même seulement dans ces détails que la
science réside en réalité.
Le signe de la croix qu'on fait sur soi s'exécute avec la main
droite, les trois premiers doigts ouverts, l'annulaire et le
petit doigt fermés. A cet égard , il n'y a aucune différence
entre les Grecs et les Latins. Guillaume Durand dit qu'on fait
le signe de la croix avec trois doigts pour invoquer la Trinité.
Les Grecs pensent de même, mais ajoutent que chaque doigt
symbolise une des personnes divines. L'archevêque de Mistra ,
que j'interrogeai à cet sujet S me dit que le pouce, par sa
force, désignait le Père éternel, le Créateur, le Tout-Puissant;
que le grand doigt était consacré à Jésus-Christ , qui nous a
^ Lors d'un voyage fait en Grèce, au mois de septembre i83g.
INSTRUCTIONS. II. ^^
418 INSTRUCTIONS.
rachetés et qui est, relativement à riiomme, la personne ma-
jeure de la Trinité; que l'index, intermédiaire entre le grand
doigt et le pouce, figurait le Saint-Esprit, qui unit le Fils au
Père, et qui, dans les représentations de la Trinité, se place
au milieu des deux autres personnes.
Avec ces trois doigts ouverts , on marque sur son corps la
forme d'une croix, en partant du front pour descendre à la poi-
trine et en traversant cette ligne verticale par une ligne horizon-
tale qu'on mène de fépaule gauche à fépaule droite. Les Grecs
vont de fépaule droite à fépaule gauche, et il paraît que chez
nous, au xiii° siècle, du temps de Guillaume Durand, on allait
indifféremment d'une épaule à f autre. Nous ne pouvons mieux
faire, pour terminer cet article, que de traduire le texte de Du-
rand; il résume tout ce qu'on peut dire sur le signe de la croix.
« Le signe de la croix doit se faire avec trois doigts , jDarce
qu'on le dessine en invoquant la Trinité. De là le prophète
dit : « Il suspend avec trois doigts la masse de la terre. » (Isaïe,
XL , 12.) Le pouce domine cependant , parce que nous rap-
portons notre foi tout entière à Dieu un et triple. Aussitôt
après f invocation de la Trinité , on peut dire ce verset :
« Seigneur, faites avec moi un signe pour mon hien, afin que
« ceux qui me haïssent le voient et soient confondus , parce
«que, Seigneur, vous m'avez secouru et consolé. » (Ps. lxxxv,
V. 17.) Mais les jacohites et les eutichéens, assurant qu'il
n'y avait qu'une seule nature dans le Christ, la nature di-
vine, de même qu'il n'y a qu'une seule personne, ne font
le signe de la croix, à ce qu'on dit, qu'avec un seul doigt.
Leur erreur a été déracinée par les canons. » (Distinction xif,
ch. I et II, question 3 : Quelques eutichéens, etc.)
« Quelques-uns se signent depuis le front jusqu'en bas, pour
exprimer mystérieusement que Dieu, ayant abaissé les cieux.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 4J9
descendit en terre. Il est descendu en effet pour nous élever
de la terre au ciel. Ensuite ils vont de la droite à la gauche,
premièrement, pour montrer qu'ils préfèrent les choses éter-
nelles, désignées par la droite, aux temporelles, signifiées par
la gauche; secondement, pour rappeler que le Christ a passé
des Juifs aux Gentils ; troisièmement , parce que le Christ ,
venu de la droite , c'est-à-dire de son père , a vaincu sur la
croix le diahle , qui est désigné par la gauche ; d'où ces pa-
roles : «Je suis sorti de mon père, et je suis venu dans le
« monde. » Mais d'autres, faisant le signe de la croix de gauche
à droite , s'autorisent de ce texte : « Il sort du Père , il des-
« cend jusqu'aux enfers et revient au trône de Dieu. » En effet
ils commencent par se signer dans la partie supérieure, ce qui
désigne le Père; puis ils descendent en bas, ce qui désigne
le monde ; puis ils vont à gauche , ce qui marque l'enfer, et
s'étendent à droite , ce qui signifie le ciel : car le Christ est
descendu du ciel en terre , de la terre aux enfers , et il est re-
monté ensuite des enfers au ciel , où il s'assied à la droite de
Dieu le Père. Secondement, ils font ainsi pour insinuer que
nous devons passer de la misère à la gloire , et des vices , qui
sont désignés par la gauche , aux vertus , qui sont marquées
par la droite, ainsi qu'on le lit dans févangile de saint Matthieu :
« Le Christ, en effet, a passé de la mort à la vie. « Troisième-
ment, parce que le Christ nous élève, par la foi dans la croix,
des choses qui passent aux choses qui durent éternellement ^ »
' Guillaume Durand , Piationale div. offic. lib. V, cap. ii. — Jean Beleth [Explicalio
ojfic. cap. XXXIX, De Evangelio) s'exprime à peu près comme Durand. J'ai traduit litté-
ralement. On voit ce qu'il y a de puéril et de laborieux dans ces explications ; mais on
y constate qu'au xiif siècle le signe de la croix se faisait de haut en bas et de gauclie à
droite ou de droite à gauche indifféremment. Aujourd'hui les Latins vont de gauche à
droite, et les Grecs de droite à gauche. La prééminence de la droite sur la gauclie,
dont nous avons parlé p. 186 , est ici nettement développée.
53.
420 INSTRUCTIONS.
Aujourd'hui cependant on fait le signe de la croix sur soi-
même avec la main droite ouverte tout entière plutôt qu'avec
trois doigts seulement ^ Mais, par contre, on se sert d'un seul
doigt, du pouce uniquement, pour tracer le signe de la croix
sur son front, sa bouche et son cœur quand, avant la lecture de
l'évangile et pour répondre au diacre qui s'apprête à le chanter,
on rend hommage à Dieu en s'inclinant et en s'écriant: « Gloria
« tibi, Domine! » On fait, en forme de croix grecque, ces trois
petits signes sur trois parties différentes du coi^s, pour mar-
quer qu'on croit de raison et de cœur, et qu'on est prêt à con-
fesser des lèvres la parole divine qu'on va écouter.
C'est avec le pouce également, et en figurant une petite
croix grecque, que l'évêque et le prêtre marquent au front ou
sur d'autres parties du corps les fidèles auxquels ils admi-
nistrent les sacrements. C'est particulièrement avec le pouce,
et en faisant une petite croix, que le prêtre étend sur notre
front la cendre qui nous rappelle , à l'entrée du carême , que
nous sommes sortis de la poussière et que nous devons y re-
tourner.
CODtEUR DE LA CROIX.
La croix est historique et symbolique, ou réelle et idéale;
d'un côté c'est un gibet, et de l'autre un attribut de gloire.
La croix historique, le gibet que le Christ porte sur ses
' «Les premiers chrétiens, dit M. Cyprien Robert, Cours d'kiérogly. chrèt. déjà cité,
ne se signaient point , comme ceux d'aujourd'hui , avec toute la main et de manière à
embrasser la moitié du corps, mais simplement avec le premier doigt de la main droite;
et, comme font encore aujourd'hui les Grecs et les Russes, ils traçaient ce signe trois
lois de suite, au nom des trois personnes divines. Chez les Hébreux et les païens, on
bénissait déjà par trois doigts étendus :
... Digilis tria tbura tribus sub liniine ponit. (Ovide.)
C est pourquoi la malédiction se répandait avec la main fermée. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 421
épaules en allant au Calvaire et sur lequel il est crucifié , est
un arbre; en conséquence elle est de couleur verte. Sur les
vitraux de Saint -Etienne de Bourges \ sur ceux des Notre-
Dame de Chartres et de Pieims, sur ceux de la Sainte-Chapelle
de Paris, dans nos manuscrits à miniatures, la croix est un
arbre ébranché, revêtu de son écorce verdâtre. Les sculptures
elles-mêmes confirment ce fait; ordinairement, quand elles
ont été peintes, la couleur en a disparu; mais l'arbre rond,
couvert d' écorce, farbre ébranché y est très -visible encore,
comme au portail occidental de Notre-Dame de Reims. Chez
les Pères et dans la liturgie, on trouve fréquemment des invo-
cations à la croix, arbre divin , arbre noble et dont nulle forêt ne
pourrait produire le semblable , arbre éclatant et précieux, arbre
couvert de feuilles, étincelant de fleurs et chargé de fruits ^
La couleur verte persista même lorsque la croix fut équarrie
et dépouillée de son écorce pour être transformée en gibet par
la hache du charpentier. Ce n'est plus un arbre, mais un ma-
drier, une poutre, et cependant elle est verte encore. H y a
mieux : sur cette poutre ainsi équarrie, on figure des rinceaux
verts ou noirâtres, comme si la croix était un support, une
treille épaisse où s'attache et se développe la vigne. Le raisin ,
qui donne sa liqueur pour nourrir les hommes, est perpétuel-
lement fimage de Jésus-Christ, qui verse son sang pour sauver
le monde. Des rinceaux de vigne montent donc et se déroulent
sur la croix à laquelle Jésus est attaché dans les vitraux de nos
cathédrales. Un vitrail de Saint-Denis, exécuté sous les ordres
de l'abbé Suger, celui qui porte deux vers que nous transcri-
' Vitraux de Saint-Etienne de Bourges, par MM, Martin et Cahier, pi. I, III, etc.
* Voir le Vexilla régis prodeunt et le Pange lingua du vendredi saint, qu'on attribue
à Fortunat et à Glaudius Mamert. Voiries Poèmes de Prudence, les Œuvres de Pierre
Damien, etc.
'1-22 INSTRUCTIONS.
rons plus bas, est particulièrement remarquable par la beauté
des rinceaux verdoyants qui s'étalent sur la croix.
Probablement, et par suite de la même métaphore, la cou-
leur verte teignit quelquefois la petite croix symbolique dont
le nimbe du Christ est orné. Sur les vitraux de Bourges, à la
cène de Jésus, au lavement des pieds, à la prise dans le jardin
des Oliviers, à la descente aux enfers, etc. la croix du nimbe
est verte. Cependant, conmie cette petite croix est presque aussi
souvent blanche, rouge et jaune, le vert n'est peut-être pas
allégorique.
L'arbre de la croix ayant été couvert du sang de Jésus-Christ ,
cette verte écorce que nous venons de signaler a été très-souvent
peinte en rouge : « La croix rougit et se teint dans le sang du
Seigneur, » écrit à Sulpice-Sévère saint Paulin de Noie, qui met
ces paroles en inscription près de deux croix rouges ^ Le sang
qui coule du corps de Jésus , le vin qui coule du raisin dont Jé-
sus est le modèle éternel, ont donc teint fréquemment la croix
en rouge; nous ne pouvons en citer les exemples, tant ils sont
nombreux, surtout à partir du xiv*" siècle jusqu'à nos jours ^.
Quant à la couleur de la croix idéale, elle est idéale elle-
même : rouge comme celle de la croix réelle, par extension
métaphorique; bleue, parce que la croix est céleste; blanche,
parce que le blanc est la plus lumineuse de toutes les cou-
leurs, et que la lumière est l'image visible de l'invisible divi-
' Voyez plus haut, p. 099, le distique de saint Paulin. Dans le Vexilla régis, saint
Forlunat s'écrie :
Arbor décora et fulgida ,
Oriiata régis purpura .
Electa digno stipitc
Tarn sancta membra tangere.
' * Lisez plusieurs textes recueillis par M. Cahier [Vitr. de S. Et. de Bourges, p. 49 et
5o ) , et où le sang et le vin , la vigne et le corps du Christ , le pressoir et le Calvaire sont
curieusement mis en parallèle.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 423
nité. C'est pour faire de la croix un foyer de lumière qu'on la
représente chargée de diamants et de pierres flamboyantes;
c'est pour l'inonder de feux qu'on fentoure d'étoiles, comme
à Ravenne; mais même alors la croix est plus brillante en-
core que les constellations, et TEglise s'écrie : « 0 crux splen-
« didior astris ! »
TRIOMPHE DE LA CROIX.
Comme le Christ lui-même, la croix est portée en triomphe,
et les représentations de cette cérémonie sont nombreuses dans
nos monuments religieux. On se contentera de citer d'abord une
sculpture qui complète, au portail occidental de la cathédrale
de Reims, l'invention de la croix par sainte Hélène; puis des
vitraux qui représentent, dans quatre églises de la ville de
Troyes, la légende que nous avons signalée au commencement
de ce chapitre. Mais en France, l'histoire et le triomphe de
la croix sont assez sommairement traités; en Italie, on les a
figurés avec plus de détails ^ En Grèce, le triomphe ou fexal-
tation de la croix est l'objet d'une prédilection particulière.
Il n'y a pas d'église qui ne possède une fresque ou un tableau à
l'huile représentant ce sujet. L'ordonnance de tout le triomphe
est réglée comme il suit :
En bas, la terre; en haut, le ciel. Sur la terre, une ville im-
mense remplie de palais et d'églises, de tours et de dômes. La
ville représente Constantinople , au milieu de laquelle s'étend
' Pietro délia Francesca , né à Borgo-San-Sepolcro , peintre romain , peignit à Arezzo,
pour Luigi Bacci, citoyen arétin , la chapelle du maître-autel de San-Francesco. 11 y
représenta l'histoire de la croix , depuis le moment où la graine qui produisit l'arbre
dont on forma le gibet du Christ fut placée sous la langue d'Adam par son fils Seth,
jusqu'à celui où l'empereur Iléraclius entra dans Jérusalem en marchant pieds nus et
en portant sur son épaule l'instrument du salut des hommes. Les ouvrages de Pietro
sont de l'an \l\bS environ. (Voyez sa vie dans Vasari , Vies des peintres. )
42/1 INSTRUCTIONS.
une vaste place qui est riiippodrome. Des galeries à arcades
cintrées, des estrades en bois sculpté encadrent la place. La
foule occupe cette place, ces galeries et ces estrades. Au mi-
lieu de riiippodrome se dresse un piédestal gigantesque, sur
lequel est debout le patriarche, orné de la couronne en cou-
pole comme celle des empereurs byzantins, et du nimbe
circulaire comme celui des saints. C'est le patriarche de Jéru-
salem, saint Macaire; il tient de ses deux mains et présente
à l'adoration du peuple une croix qui a deux fois la grandeur
d'un homme. La foule, qui éclate en acclamations, se compose
des trois ordres de la société : des militaires, des ecclésiasti-
ques et du peuple. Les ecclésiastiques, précédés du patriarche
de Constantinople, qui porte un nimbe comme saint Macaire,
entourent la croix; les militaires, en tête desquels s'avancent
l'impératrice et l'empereur, Hélène et Constantin, sont à
droite^; à gauche, c'est la foule des hommes, des femmes, des
enfants, des vieillards.
La croix, par son piédestal, touche à la terre; par son
sommet, elle atteint le ciel. La foule qui peuple le ciel est
innombrable. Sur la terre on voit l'Église militante; dans les
nuages brille l'Église triomphante. A gauche, se déroulent
les neuf ordres des anges , suivant la division de saint Denys
l'Aréopagite ; à droite , on voit les saints distribués en mili-
taires, ecclésiastiques et laïques, proprement dits. Le ciel ré-
pond donc à la terre par cette triple division ; mais c'est la terre
* L'empereur est nimbé comme un saint, suivant l'usage oriental et grec; nous en
avons parlé dans le chapitre consacré au caractère du nimbe , page i33. Du reste Cons-
tantin est saint pour les Orientaux , absolument comme sainte Hélène. En Occident même
plusieurs martyrologes l'honorent comme un saint et marquent sa fête au 22 mai ; c'est le
21 du même mois que les Grecs la célèbrent. Des gravures que j'ai rapportées du mont
Athos représentent Hélène et Constantin tenant à gauche et à droite une croix gemmée
enracinée dans le globe du monde. Hélène et Constantin sont nimbés tous deux et por-
tent autour de leur tête les inscriptions : H à'jia ÈXévr) - Ô dyios KœvcnavrTvos.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 425
transfigurée. Chaque saint , debout sur les nuages , presse
contre sa poitrine une petite croix, miniature de celle que
Ton adore. Au centre du ciel , mais bien plus haut que les
anges et les saints, resplendit la Trinité. Le Père, vénérable
vieillard couronné du nimbe triangulaire , €st à gauche. A
droite est le Christ, orné du nimbe sur les croisillons duquel
on lit : O ON. Au centre, et enveloppant les deux autres per-
sonnes dans un rayonnement qui embrase le paradis ., éclate
le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe.
En bas, au pied de la croix, un jeune diacre porte un flam-
beau à trois branches, lequel semble réfléchir, sur un support
unique, les trois personnes divines. Mais, de plus, le ciel est en-
core uni à la terre par différents anges qui s'abaissent vers le
sommet delà croix, et qui s'inclinent resj)ectueusement devant
elle. Ces êtres célestes composent à cette croix comme une sorte
de nimbe, car ils se rangent en couronne tout autour d'elle.
Chacun d'eux porte un des instruments de la passion : l'un tient
la lance , l'autre l'éponge , un troisième le marteau , un qua-
trième les clous, un cinquième la couronne d'épines; celui-ci
montre la corde qui a lié les mains de Jésus, et celui-là le
fouet qui a déchiré son beau corps. Des lumières, qui sortent
du Saint-Esprit et de la Trinité , qui s'échappent du nimbe
des saints, du nimbe et du corps des anges, viennent se réflé-
chir vers la grande croix qui, à son tour, leur renvoie son éclat.
Tel est ce triomphe; fréquemment peint dans les églises de
la Grèce, il en fait un des plus beaux ornements ^ Chez nous
le même sujet est quelquefois figuré, mais avec moins de dé-
tails et moins d'éclat. Il n'est pas rare , comme la cathédrale
* Sur les tableaux et gravures qui représentent ce triomphe , on lit : H Trayxàa-nios
iipwcris Toi) ti(jlIov crlarjpoï). J'ai rapporté de Karès , capitale du mont Allies, une gra-
vure de ce remarquable sujet.
INSTRL'CTIONS. II. 54
426 INSTRUCTIONS.
de Reims en oftre un exemple sculpté ', de voir la croix en-
levée au ciel par des anges; mais le cortège qui accompagne
le bois triomphal est beaucoup moins nombreux et surtout
moins complet. Cependant il faut noter une peinture sur
verre, exécutée au temps de l'abbé Suger, et qui orne aujour-
d'hui l'abside de Saint-Denisl Le sujet est simple, mais il re-
présente à la fois la glorification de la croix et celle du Christ.
On voit une croix verte, historiée comme en fdigrane, et à
laquelle est attaché Jésus. Le Père tient entre ses bras cette
croix, qui est placée sur un char à quatre roues, un quadrige,
comme dit une inscription peinte au-dessous. Ce char n'est
autre que l'arche d'alliance dans laquelle la croix semble im-
plantée, et où l'on voit les tables de la loi et la verge d'Aaron.
Près de chaque roue est comme attelé un des attributs des évan-
géhstes. Ce curieux tableau rappelle entièrement le triomphe
du Christ à Notre-Dame de Brou; mais là c'est plutôt le triomphe
du crucifié. D'ailleurs la présence du Père, l'absence du Saint-
Esprit, et l'arche d'alliance, qui sert de piédestal à la croix,
donnent à ce sujet un intérêt tout spécial. On voit en légende
explicative le distique suivant, composé par Suger lui-même:
Federis ex arca cruce Xpj sislitur ara ;
Fédère majori wlt {sic) ibi vita mori.
11 faut, pour noter tous les triomphes dont la croix a été
f objet, rappeler ces croix dont les ordres religieux, chevale-
resques, militaires et même civils, faisaient une distinction ou
une récompense, et qui viennent aboutir à notre croix d'hon-
neur et comme s'y résumer.
^ Au portail occidental, plus haut que l'Invention de la Croix par sainte Hélène.
^ Page 393, note i, nous avons noté ce curieux sujet. MM. Arthur Martin et Charles
Cahier donnent ce vitrail de Saint-Denis , dans les Vitraux peints de Saint-Etienne de
Bourges, comme point de comparaison.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 427
LE SAINT-ESPRIT.
Le Saint-Esprit est la troisième personne de la Trinité di-
vine. Dieu le père se connaît, et de sa connaissance est en-
gendré Dieu le fils; Dieu le père et Dieu le fils s'aiment, et
de cet amour réciproque procède le Saint-Esprit : tel est le
dogme. Dans les relations qui caractérisent les trois personnes
divines entre elles, le Père posséderait donc en propre la mé-
moire, le Fils Tintelligence, et le Saint-Esprit l'amour; en con-
séquence le Saint-Esprit serait le dieu d'amour. C'est la doc-
trine adoptée par saint Augustin ^ et la plupart des Pères,
comme on le verra dans le chapitre consacré à la Trinité.
Dans les relations des personnes divines entre elles , le
Saint-Esprit est le dieu d'amour; mais il paraît être, dans ses
rapports avec les hommes, le dieu de l'intelligence, comme
le Père est le dieu de la puissance ou de la force créatrice,
comme Jésus-Christ est le dieu du dévouement ou de l'amour.
Un mot sur ce point qui est grave, et qui importe heaucoup
à l'iconographie.
DÉFINITION DU SAINT-ESPRIT.
Que Dieu le père ou Jéhovah soit , dans ses rapports avec
ses créatures, le dieu de la puissance et de la force, on ne
saurait guère en douter; l'histoire montre Jéhovah comme
représentant le côté divin de la puissance. Dans l'Ancien Tes-
tament on voit tous les faits historiques naître sous le souille
de la force et se dénouer par le glaive; dans les préceptes mo-
raux de l'ancienne loi on entend gronder un esprit qui n'est
' De Trinil. lib. LX , cap. vi.
54.
428 INSTRUCTIONS.
pas celui de Tamour : « Le commencement do la sagesse est
la crainte du Seigneur, » dit le psalmiste \ à qui Salomon fait
écho en ajoutant : « La couronne de la sagesse est la crainte
de Dieu ^. » « Ayez peur en entrant dans mon sanctuaire, » dit
le Lévitique ^ Lorsqu'il énumère les dons que l'Esprit saint
verse dans l'âme humaine, le prophète Isaïe met la crainte
parmi les principaux. « Dieu châtie ceux qu'il aime, » comme ré-
pète saint Paul lorsqu'il parle aux Hébreux^. Que l'on recherche,
à l'aide des tables de l'Ancien Testament , tous les textes où
la crainte est louée, où Dieu est déclaré punir les hommes
par la crainte et la terreur, on sera presque efiPrayé de leur
nombre ^. Enfin tout se résume par cette terreur que le seul
nom de Jéhovah doit inspirer^. Aussi , épouvantés par tous ces
textes auxquels, enfants d'une religion d'amour, nous sommes
beaucoup moins habitués que les Hébreux, nous nous écrions
aux complies, à la fin des offices de la journée : «Seigneur,
détournez de nous votre colère "' . »
Il y a loin de cette religion juive, qui vous fait trembler
devant Dieu comme un enfant timide devant un père rempli
de sévérité, à cette religion chrétienne, où l'amour caresse
' « Inilium sapienliae linior Domini. » [Ps. ex, v. lO.)
^ « Corona sapientiae timor Domini. » [Ecclésiastique, i. 22.) — Ces paroles sont inscrites
dans la coupole qui surmonte le centre de la croisée à la chapelle d'Anet ; elles entourent
une couronne figurée en relief. La coupole est comme le diadème de ce joli monument.
« Pavele ad sanctuarium meum. » [Lévitique, 2 5.)
' Pour Isaïe, voyez plus bas, page Aïo. — Proverh. m, 12. — Epist. ad Heb. xii, 6.
Dans Vindex bihlicus d'une Vulgate imprimée à Lyon en lyAS, je lis, en têle
des divers paragraphes où sont indiques tous les textes analogues : « Timendus est
« Deus. — Timoris Dei fructus, utilitas et laus. — Timoris Dei defectus causa pec-
1 candi. — Timoré punit Deus et lerrore. — Timoris Dei exempla. » Il y a cent dix-
neuf textes qui concernent la crainte et dans lesquels la terreur est érigée en vertu
souveraine.
' « Sanctum et tcrribile nomen cjus. » [Ps. ex, v. q.)
' -i Avcrle iram luam a nobis. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 429
rhomme dans chacune de ses paroles. De Jchovah à Jésus il y
a tout un monde; l'un resserre et l'autre dilate. La loi ancienne
lève la main pour punir la moindre faute; la loi nouvelle est
une mère qui pleure en reprenant ses enfants de leurs erreurs,
et qui caresse en adressant des reproches. « Ayez peur, » s'écrie
le prophète Isaïe ; « Mes petits enfants , » dit en mourant l'ar
pôtre saint Jean, « aimez-vous les uns les autres; >» et alors saint
Jean répétait, pour la millième fois peut-être, ce qu'il avait
appris sur le cœur de son divin ami. En effet, tandis que Jého-
vah dit : «Tremblez en entrant chez moi,» Jésus-Christ ré-
sume toute sa morale dans ces mots : « Aimez Dieu par-dessus
tout, aimez les autres comme vous-même ^ » Jésus-Christ n'est
qu'amour ; avant de mourir pour les hommes , il dit à ses
disciples : «Je vous donne un nouveau précepte, c'est que
vous vous aimiez les uns les autres et que vous vous aimiez
comme je vous ai aimés. Tous reconnaîtront que vous êtes
mes disciples, si vous vous chérissez mutuellement^. » Aussi
Févangéliste saint Jean, qui connaissait si bien le cœur de Jé-
sus, dit-il ces belles paroles : « Jésus sachant que son heure était
venue pour passer de ce monde à son père, comme il avait
aimé les siens, qui étaient dans le monde, il les aima jusqu'à
la fin ^. »
Quant au Saint-Esprit, il nous apparaît comme le dieu de
' S. Luc, cil. X, V. 27. n y a dans l'ancienne loi le germe de cet amour, mais il
est glacé par la crainte ; il a fallu que la parole du Christ l'écliauiràt pour le faire
croître.
■* « Mandatum novum do vobis : ul diligatis invicem sicul dilcxi vos, ut et vos dili-
" gatis invicem. In hoc cognoscent omnes quia discipuli mei estis, si dileclionem habue-
«ritis ad invicem. » (S' Jean, chap. xiii , v. 34, 35.)
* « Sciens Jésus quia venit hora ejus ut transeat ex hoc mundo ad Patrem , cum di-
« lexisset suos, qui erant in mundo, in fmem dilexit eos. » (S' Jean, chap. xiii , v. i.) —
Mahomet disait que chaque prophète avait son caractère spécial ; (jue le caractère de
Jésus-Christ avait été la douceur et que le sien était la force.
/i30 INSTRUCTIONS.
rintelligence; c'est toujours pour les instruire, pour les éclai-
rer, qu'il se manifeste aux hommes. D'un autre côté, avons-
nous dit, il est le dieu d'amour, puisqu'il procède de l'amour
que le Père et le Fils ont l'un pour l'autre. Il faut donc établir
une distinction importante à l'égard du Saint-Esprit, afin d'évi-
ter la confusion où les textes et les monuments figurés feraient
tomber nécessairement. En conséquence nous disons ceci : ou
le Saint-Esprit est considéré dans ses relations avec les deux
autres personnes divines, et, dans ce cas, il est le dieu d'a-
mour, procédant du Père et du Fils, qu'il unit entre eux par
la charité; ou bien on l'abstrait de la Trinité et on le prend
uniquement dans ses rapports avec les hommes, et alors il
est le dieu de l'intelligence. En l'étudiant en regard des deux
autres personnes divines et en dehors de nous, on fait de
la théologie ; mais on est dans fhistoire en recherchant son
action sur les hommes. Pour un théologien, le Saint-Es-
prit est donc dieu d'amour; pour un historien, dieu d'intel-
ligence.
Il faut le dire, et le chapitre consacré à la Trinité le prou-
vera mieux encore , cette double attribution de l'amour et de
l'intelligence donnée à la même personne divine a jeté de la
confusion dans la doctrine théologique et dans la narration
historique, dans les textes et dans fart, dans la discussion et
dans l'iconographie. L'histoire fait de Jésus le dieu d'amour,
tandis que la théologie donne ce caractère au Saint-Esprit; la
théologie fait du Fils de Dieu, du Verbe, le dieu de l'intelli-
gence, tandis que l'histoire attribue au Saint-Esprit tout ce qui
relève de cette propriété. Les attributions du Fils et de TEsprit
ne sont donc pas assez nettement caractérisées, assez rigoureu-
sement limitées ; elles vont flottant de l'un à l'autre. Cepen-
dant c'est au Saint-Esprit que revient définitivement fintelli-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 431
gence, comme au Fils l'amour. Quand le Saint-Esprit a de
Famour pour Tliomme, c'est un amour raisonné; c'est à l'in-
telligence que cet amour s'adresse bien plutôt qu'au cœur.
Nous allons surprendre assez nettement ce caractère dans le
culte que l'église rend à cette personne divine.
C'est le Saint-Esprit, le dieu de l'intelligence, que l'on in-
voque toujours à l'entrée d'une affaire difficile, comme ici bas
on consulte un homme d'expérience mûrie et de calme rai-
son, avant de prendre un parti dans une entreprise délicate.
Toutes les messes du. Saint-Esprit se disent pour éclairer l'es-
prit des juges qui vont rouvrir les tribunaux, et des profes-
seurs qui vont reprendre leurs leçons, afin que les uns ne dé-
faillent point dans le discernement de la justice et que les
autres ne manquent pas à la vérité dans leur enseignement.
C'est sous la protection du Saint-Esprit que se placent les
conciles, les grandes assemblées œcuméniques où se discutent,
s'éclaircissent et s'arrêtent toutes les vérités du dogme, tous
les principes de la morale. On ouvre les discussions par une
messe au Saint-Esprit, et le Saint-Esprit plane constamment
sur l'assemblée, pendant la durée des séances, pour la diriger
et l'empêcher de s'égarer. Au commencement de tous les of-
fices religieux on invoque le Saint-Esprit, et on le prie de faire
comprendre l'acte auquel on va se livrer. Dans l'hymne com-
posée en son honneur, qu'on attribue ci Charlemagne lui-
même, et qui se chante toutes les fois qu'on veut s'Éclairer,
on trouve, entre autres, les paroles qui suivent:
«Venez, Esprit créateur; visitez les intelligences de vos fi-
dèles. Doigt de la main de Dieu, vous enrichissez d'éloquence
toutes les bouches. Allumez la lumière dans nos sens. Que
par vous nous sachions le Père, nous connaissions le Fils, et
qu'en tout temps nous vous croyions l'Esprit de l'un et de
432 INSTRUCTIONS.
l'autre. Sous votre souffle ]es intelligences sont éclairées et en-
flammées de feux sacrés ^ »
Dans ces poétiques prières, on voit bien que c'est au dieu
de l'intelligence que l'on s'adresse, et que ces vœux iraient
moins bien, soit au Père, soit au Fils. Cependant, comme on
l'a dit, le Saint-Esprit empiète sur les attributions du Fils , sur
l'amour; car dans cette même hymne on lit, à côté des paroles
qu'on vient de citer, les aspirations suivantes :
« Emplissez de la grâce céleste les cœurs que vous avez
créés. Vous êtes une source vive, un feu, la charité. Versez
l'amour dans nos cœurs ^. »
Mais ce sont des paroles égarées, pour ainsi dire, et pro-
noncées par ces âmes ardentes du moyen âge, profondément
chrétiennes, foncièrement amoureuses et qui ne pouvaient
' Veui , Creator Sjiiritus ,
Mentes tuorum visita.
Tu septiformis munere ,
Dextrae Dei tu digitus ,
Tu rite promissum Patris ,
Sermone ditans guttura.
Accende lumen sensibus^
Per te sciamus da Patrem ,
Noscamus atque Filium ;
Te, utriusque Spiritum,
Credamus omni tempore.
Afflante cpio , mentes sacris
Lucent et ardent ignibus.
Le septiformis munere trouve son explication dans un passage d'Isaïe dont nous avons
déjà parlé, et qui va revenir dans un instant avec de grands détails; il s'agit des sept
vertus, dons ou propriétés du Saint-Esprit.
' Fons vivus , îgnis , caritas.
Infunde amorem cordibus.
ICONOCxRAPHIE CHRÉTIENNE. 433
s'empêcher de réchauffer la froide raison dans un peu d'a-
mour. Du reste, dans la même hymne, d'autres expressions
attribuent au Saint-Esprit la force, qui est incontestablement à
Dieu le père. On dit au Saint-Esprit : « Fortifiez-nous par votre
puissance pour nous apprendre à supporter les infirmités de
notre corps. Repoussez l'ennemi au loin ; donnez-nous promp-
tement la paix, et qu'ainsi , marchant devant pour nous guider,
vous nous fassiez éviter toute faute \ » Cependant Charlemagne
n'entendait pas affirmer absolument que la troisième personne
a la puissance en partage exclusif; de même aussi, par les quel-
ques paroles où il la désigne comme échauffant les cœurs , il
ne voulait pas dire non plus que l'amour lui appartînt en pro-
pre. Unie en trinité, la troisième personne possède avec les
' Infirma nostri corporis
Virtute firmans perpeti.
Hostem repellas longius
PACEMcpie dones protinus
Ductore sic te praevio,
Vitemus omne nosîum.
Il est curieux de voir invoquer la paix par le belliqueux Charlemagne, dont la vie n'a
été qu'une bataille perpétuelle et qui a livré des combats sanglants au nord et au midi, à
l'est (peut-être en Orient) et à l'ouest. A Aix-la-Chapelle, au milieu de la rotonde de la
cathédrale, au-dessus du tombeau de cet empereur, pend une énorme couronne, un lu-
minaire gigantesque en cuivre ciselé, doré, émaillé, don précieux de Frédéric Barbe-
rousse. Le César catholique des Romains («César catholicus Romanorum Fridericus ») ,
ainsi que Barberousse se nomme sur le luminaire , a fait ciseler les huit béatitudes
sous huit grandes lampes qui tiennent à cette couronne , et l'on est tout étonné d'en-
tendre le Barberousse s'écrier, avec les inscriptions gravées sous ces lampes : o Beati
a mites, quoniam ipsi possidebunt terram. — Beati pacifici, quoniam filii Dei vocabun-
« tur. » Le terrible Barberousse, d'humeur peu pacifique, ajoute encore, en tête d'une
inscription de huit vers qui règne à l'étage supérieur de la couronne et qui parle de la
couronne elle-même :
Celica Iherusalem signatur iiiiagiiic lali :
Visio PACis , certa quielis spes ibi nobis.
Charlemagne et Barberousse, ainsi qu'on le voit, ont agi et écrit l'un comme l'autre.
INSTRUCTIONS. II. 55
434 INSTRUCTIONS.
deux autres Tamour et la force; mais, considérée en elle-même ,
elle possède avant et par-dessus tout l'intelligence.
Déjà même dans l'ancienne loi, chez les juifs, le Saint-
Esprit dirigeait, éclairait la raison; car Isaïe, qui parle des
sept dons ou propriétés, c'est-à-dire des sept esprits qui cons-
tituent l'Esprit divin , les énumère sous ces dénominations :
Esprit de sagesse ,
Esprit cVinteliigence ,
Esprit de conseil ,
Esprit de force ,
Esprit de science,
Esprit de piété,
Esprit de crainte ^
Tous ces esprits ont trait à la raison , excepté les deux der-
niers, qui relèvent du sentiment, et le quatrième de la puis-
sance; mais la majorité, quatre sur sept, et parmi ces quatre les
trois premiers, les trois plus élevés, appartiennent à la raison.
L'histoire confirme puissamment la doctrine émise ici sur le
Saint-Esprit; car dans sa plus célèbre apparition, à la Pente-
côte, ce Dieu se montre pour instruire des ignorants, pour
apprendre aux apôtres toutes les langues de la terre. Aujour-
d'hui encore , la Pentecôte est la fête de l'intelligence plutôt
que de l'amour; car on y célèbre cette lumière divine qui,
s'étant reposée en langue de feu sur la tête d'hommes grossiers
et sans instruction, les transforma en hommes de génie.
On prouverait facilement, et par des faits nombreux, que
le Saint-Esprit éclaire plutôt l'intelligence qu'il n'échauffe le
cœur; il convient d'en signaler quelques-uns, parce qu'il faut
1 Isaie, cliap. xi, v. i, 2 el 3. « Et egredietur virga de radies Jesse, et flos de radiée
" ejus ascendel. El requiescet super eum Spiritcs Domfni : spirilus sapienliae el intel-
'I leclus, spiritus concilii et fortiludinis , spirilus scientlae et pielalis, et replebit eum spi-
« rilus timoris Domini. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 435
Hettement préciser le rôle que cette personne divine remplit
dans ses relations avec les hommes. Tout cela intéresse beau-
coup l'archéologie et l'art moderne, le passé et l'avenir.
Après la cène, prêt pour la passion et la mort, Jésus con-
sole ses apôtres et leur annonce qu'il va leur être enlevé;
il ajoute qu'il ne les laissera pas orphelins, mais qu'il leur
fera envoyer un autre appui. « Je prierai mon père, et il vous
enverra un autre protecteur, Tesprit de vérité, qui restera
éternellement avec vous. Le monde ne peut le recevoir, parce
qu'il ne le voit pas et ne le connaît pas; mais vous le connaî-
trez, vous, parce qu'il demeurera avec vous, parce qu'il sera
en vous ^ » Ainsi lui, le Christ, le dieu d'amour, est sur le
point de quitter ses apôtres; mais il sera remplacé auprès
d'eux par le Saint-Esprit, l'esprit de vérité, l'esprit qu'il faut
connaître et qui enseigne. Le Christ est un père qui va se sé-
parer de ses enfants déjà grands; mais il les remet aux mains
d'un maître qui éclairera leur intelligence , comme lui-même
a formé leur cœur. D'abord , comme à des enfants , il fallait
ouvrir l'âme des apôtres et des premiers disciples, et c'est le
Christ qui l'a fait; maintenant, comme à des adolescents, il
faut cultiver leur esprit, et c'est la troisième personne divine
qui en sera chargée. C'est donc le dieu de la vérité qu'ils vont
recevoir à la place du dieu de l'amour, qui leur est enlevé ;
l'Esprit va succéder au Fils. En elïet, quelque temps après, le
Saint-Esprit, sous la forme de rayons qui éclairent, s'arrête
sur leur tête, le siège de l'intelligence. L'esprit de vérité, les
traits de feu, la tête qui est illuminée, les langues connues
' « Et ego rogabo Patrem , et alium Paracletum dabit vobis , ul maneat vobiscum in
« aelernum , Spirilum verilatis, quem mundus non potest accipere , quia non videt eum,
« nec scit eum. Vos autem cognoscetis eum , quia apud vos manebil et in vobis erit, i
(S. Jean, chap. xiv, v. 16 el 17.)
55.
/i36 INSTRUCTIONS.
instantanément, tout cela regarde rintelligence; le cœur n'y est
presque pour rien. Après l'Ecriture sainte, voyons la légende
et l'histoire.
Tout le moyen âge a été persuadé que le Saint-Esprit s'a-
dressait particulièrement à l'intelligence, et qu'il se manifes-
tait aux hommes surtout pour les éclairer. Au vi'' siècle, Gré-
goire de Tours dit que la colonne de feu qui guidait les Hé-
breux vers la Terre sainte, lors de la sortie d'Egypte, était la
figure du Saint-Esprit ^ Or la colonne, dans ces déserts brû-
lants de l'Arabie, n'était pas là pour échauffer, mais bien pour
éclairer. D'un autre côté, l'amour est comparé constamment
à un feu qui échauffe , et l'intelligence à une flamme qui
éclaire; donc Grégoire de Tours déclarait que le Saint-Esprit
est le dieu de l'entendement plutôt que de l'amour.
Dans la vie de saint Dunstan , archevêque de Cantorbéry,
au x^ siècle^, on trouve une légende dramatique intéressante,
et qui montre bien ce qu'est le Saint-Esprit et la définition
qu'il conviendrait d'en donner. Trois faux monnayeurs avaient
été condamnés à mort. Le jour de la Pentecôte, jour de la
fête du Saint-Esprit, au moment où allait se célébrer la messe,
saint Dunstan demande si l'on a fait justice des trois coupa-
bles; on lui répond que l'exécution a été retardée à cause de
la solennité d'une aussi grande fête que- la Pentecôte. Il n'en
sera pas ainsi , s'écrie l'archevêque courroucé , et il donne
l'ordre de faire périr immédiatement les coupables. Plusieurs
déclarent que cet ordre est cruel ^ ; mais on obéit. Après l'exé-
' Hist. ceci. Franc. Hb. I.
* S. Dunstan est mort le 19 ntai 988. Voyez, dans les Act. 55. ord. S. Bened. vol. de
l'an 950 à l'an 1000, la vie de ce gi-and artiste, qui fut en même temps un grand arche-
vêque. C'est là qu'est la légende que nous analysons et qu'on aimerait mieux ne pas trouver
dans la vie de cet homme illustre ; mais l'intérêt en sauve du moins l'apparente dureté.
Il Ediclum nonnuUis videbalur crudele » , dit l'hagiographe.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. /i37
cution des criminels, Dunstan se lave la figure et se dirige, le
visage joyeux, vers son oratoire ^ « J'espère maintenant, dit-il,
que Dieu agréera aujourd'hui le sacrifice que je vais lui offrir. »
En effet, pendant la messe , au moment où il élevait les mains
pour prier Dieu le père de pacifier, garder, réunir et guider
son Eglise catholique par toute la terre, « on vit une colombe
blanche comme la neige descendre du ciel, et pendant toute
la durée du sacrifice se tenir silencieuse sur la tête de farclie-
vêque, les ailes étendues, comme immobiles^. » A la fin de la
messe, la colombe se dirigea vers la partie méridionale de
l'autel, où s'élevait le tombeau du bienheureux Odon; elle
s'inclina, entourant la châsse avec ses ailes, des deux côtés, et
comme fembrassant avec son bec. Dunstan admire ce prodige.
Après la messe, il se retire seul, tout ému et pleurant de cette
manifestation de la grâce divine. Il se dépouille de sa chasuble,
laquelle, comme personne n'était là pour la recevoir, resta
suspendue dans l'air par la volonté divine , de crainte que ,
tombant à terre , elle ne troublât les pensées du serviteur de
Dieu.
Ainsi donc la colombe divine, le Saint-Esprit, approuve
d'une manière éclatante une cruauté, ou du moins un acte
ainsi qualifié par plusieurs clercs qui entouraient saint Duns-
tan. Cette cruauté, il est vrai, n'est qu'une rigoureuse justice;
mais l'approbation que lui donne le Saint-Esprit prouve bien
que cette personne divine préside à fintelligence et non au
sentiment. Au moyen âge, on aurait probablement refusé de
faire jouer à Jésus-Christ le rôle que le Saint-Esprit remplit
' «Lota facie, ad oratorium, exhilarato vullu, abilt. »
* «Nivea columba, mullis intuentibus, de cœlo descendit et, donec sacrificium con-
« sumptum esset, super capul ejus (Dunstaiii), expansis alisetquasi immolis , sub silenùo
« mansit. »
438 INSTRUCTIONS.
dans cette circonstance, parce que Jésus est le représentant
divin de l'amour.
Au xvi'' siècle, en 1679, Cjuand Henri ITI réorganisa l'ordre
du Saint-Esprit, c'était aux hommes politiques surtout et aux
magistrats, c'est-à-dire aux hommes d'intelligence, qu'il réser-
vait cette dignité. En cela il suivait la pensée qui avait présidé
à l'institution primitive, qui date de i352. L'ordre de Saint-
Michel, l'archange guerrier, se conférait aux militaires; l'ordre
du Saint-Esprit, le dieu d'intelligence, était affecté à la no-
hlesse de robe^
Abailard est un homme d'intelligence et non d'amour, un dia-
lecticien , un philosophe. Abailard n'a montré aucun dévoue-
ment pour Héloïse ; il est froid , il est sec dans ses réponses aux
lettres ardentes de cette femme qui s'était sacrifiée pour lui.
Aussi, de ce qu' Abailard est dévot au Saint-Esprit, de ce qu'il
élève en son honneur le monastère du Paraclet, de ce qu'il fait
sculpter une Trinité où le Saint-Esprit est identique au Père
et au Fils, et plus absorbé dans les deux autres personnes que
le dogme ne le permet, de tout cela je voudrais conclure en-
core que le Saint-Esprit est le dieu de l'intelligence, Abailard
honorait le dieu qui répondait le mieux à sa propre nature.
Enfin l'art lui-même est conséquent avec tout ce qui pré-
cède. Quand saint Etienne adresse aux Juifs ce discours où
est discutée et prouvée la religion chrétienne, et que nous ont
conservé les Actes des apôtres, le jeune prédicateur était rem-
pli du Saint-Esprit^. Dans la cathédrale de Sens, un beau
' L'ordre de Saint-Michel fui fondé en 1469. Trois cenls ans auparavant, en ii63,
avait été institué Tordre militaire de l'aile de saint Michel ; ce dernier fut absorbé com-
plètement par l'ordre de 1^69. Tout guerrier d'abord, cet ordre finit, sous la restau-
ration, par être conféré surtout aux grands artistes : c'était un complet contre-sens.
^ «Cum esset plenus (Stephanus) Spiritu-Sancto. » [Act. Apost. cap. vu, v. 55.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 439
vitrail, celui qui ferme la galerie à jour au-dessus de la-
quelle rayonne la rose du croisillon méridional , représente le
premier martyr prêchant aux juifs assemblés; là se voit le
Saint-Esprit, en colombe blanche, à nimbe d'un jaune d'or,
étendant ses grandes ailes sur la tête du jeune philosophe. La
colombe soutient l'intelligence de saint Etienne, en l'abritant,
pour ainsi dire.
Sainte Catherine , la fille d'un roi , était instruite dans tous les
arts libéraux; elle voulut disputer avec l'empereur Maxence, à
faide de toute espèce de raisonnements et de syllogismes al-
légoriques, métaphoriques, mystiques, sur f existence d'un
seul dieu , créateur, ordonnateur et régulateur de tous les êtres
vivants ou inanimés , des astres et des hommes, et sur fincar-
nation de son fils Jésus-Christ. Maxence, qui ne pouvait te-
nir tête à une pareille femme, fit appeler de tous les pays des
savants supérieurs à tous les autres en science mondaine, pour
les mettre aux prises avec la fille royale. Il en vint cinquante,
qui lui adressèrent mille questions auxquelles la sainte fit des
réponses péremptoires , et qui les rendirent muets d'admira-
tion. Catherine, dit Jacques de Vorage, savait tout en théo-
logie, en philosophie, en sciences naturelles et historiques, et
Ton peut voir dans la légende le cadre immense de la philo-
sopliie qu'elle remplissait de sa science et de son intelligence ^
C'est qu'en effet f esprit de Dieu parlait en elle. A la cathédrale
de.Freybourg en Brisgau, dans la nef latérale du nord, un
vitrail représente Catherine décorée d'un nimbe d'or et d'une
' Leqenda aiirea, de sancla Kallierina virgine el martyre, «i Ralberina , Costi régis iilia ,
« omnibus libcraliuin arlium studiis erudita fuit. — Per varias conclusiones syllogismo-
« rum allegorice et mefapborice, diserte et mystice mulla cum Cesare disputavit. — Haec
« autem puella, in qua Spiritus Dei loquilur, sic nos in admiralionem convertit (disent les
« savants qui disputent avec elle) , ut contra Gbristuni aliqnid dicere aut omnino nescia-
u mus aut penitus formidemus. »
440 INSTRUCTIONS.
couronne d'or, puisqu'elle est sainte et fille de roi; elle est assise,
comme la Vierge dans le cénacle, au milieu d'une assemblée
de docteurs qui discutent avec elle. La sainte est triomphante
dans son argumentation; les philosophes s'avouent vaincus, et
l'on voit sur la tête de la puissante dialecticienne descendre le
Saint-Esprit en colombe blanche , avec un nimbe d'or timbré
d'une croix rouge. Voilà ce que nous dit l'art de la France et
de l'Allemagne. L'Italie, à son tour, vient confirmer par d'écla-
tants exemples tous les faits qui précèdent.
Nous lisons dans Vasari plusieurs descriptions de tableaux
où figure le Saint-Esprit, et toujours le Saint-Esprit est là
comme le créateur des sciences. Par exemple, on voit que
dans un des compartiments de la voûte de Santa-Maria-No-
vella, à Florence, Taddeo Gaddi a peint la descente du Saint-
Esprit. « Sur la paroi se trouvent les sept sciences, et au-des-
sous de chacune d'elles l'un des professeurs les plus célèbres
par lesquels elles ont été illustrées. La Grammaire , sous la fi-
gure d'une femme instruisant un enfant, domine fimage de
Donato fécrivain. Vient ensuite la Rhétorique : à ses pieds, un
personnage tient les deux mains appuyées sur des livres, tandis
que de son manteau sort une troisième main qui s'approche
de sa bouche. La Logique, armée d'un serpent caché sous un
voile, est accompagnée de Zenon Éléate. Sous TArithmétique,
tenant les tables de fabaque, est assis Abraham, inventeur de
cette science. Au-dessous de la Musique, entourée d'instru-
ments, Tubalcain écoute attentivement les sons qu'il produit
en frappant une enclume avec deux marteaux. La Géométrie,
que Ton reconnaît à son équerre et à ses compas , est au-des-
sus d'Euclide, et l'Astrologie, tenant une sphère céleste, au-
dessus d'Atlas.
« D'un autre côté, les sept sciences théologiques sont en rap-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. ^41
port avec des personnages, parmi lesquels on remarque un
pape, un empereur, un roi, des cardinaux, des ducs, des
évêques et des marquis. Le pape n'est autre que Clément V.
Le milieu de cette composition est occupé par saint Thomas
d'Aquin, qui posséda toutes ces sciences. A ses pieds, on voit
quelques hérétiques, Arius, Sabellius, Averroës, et autour de
lui Moïse, saint Paul, saint Jean l'évangéîiste et d'autres saints
surmontés des vertus cardinales et théolosfales ^ »
«Dans la chapelle de San-Domenico, à Santa-Catarina de
Pise, Traini (le meilleur élève d'Andréa Orcagna) représenta
saint Thomas d'Aquin assis et tenant des livres qui transmet-
tent des rayons lumineux au peuple chrétien. Autour de lui
sont agenouillés une foule de docteurs, de clercs, d'évêques,
de cardinaux et de papes, parmi lesquels on remarque Ur-
bain VL A ses pieds se tiennent Sabellius, Arius, Averroës
et d'autres hérétiques et philosophes avec leurs livres déchirés
en lambeaux , tandis que Platon et Aristote montrent le Timée
et TEthique. Le Rédempteur, au milieu des quatre évangé-
listes, occupe le haut du tableau et bénit saint Thomas auquel
il envoie l'Esprit saint^. »
De tout cela il ressort nettement que le Saint-Esprit est
le créateur, l'inspirateur et le directeur de la science; s'il
restait encore un doute, Herrade, l'abbesse de Sainte-Odile,
viendrait le détruire. En effet une miniature de ce beau ma-
nuscrit dont nous avons déjà tant parlé ^ représente la philo-
' Vies des peintres , par Vasari ; Vie de Taddeo Gaddi, trad. de MM. Leclanclié et
Jeanron, i" vol. p. .372-73.
^ Ibid. Vie d'Andréa Orcagna, i" vol. p. 387-88.
^ Hortus deliciarum. La philosophie y est représentée par un être humain à trois tètes
sur un seul corps; les trois tôles figurent l'Elhique, la Logique et la Physique dont la
philosophie de cette époque était composée. Le texte dit: « Spiritus Sanctus inventer
« est septem liberalium artium, etc. » A la bibliothèque communale de Reims, une bible
INSTBDCTIONS. II. 56
4/i2 INSTRUCTIONS.
Sophie donnant naissance aux sept arts libéraux, dans lesquels
était comprise toute la science connue au moyen âge. Mais le
créateur, I'inventeur de ces muses chrétiennes, c'est le Saint-
Esprit lui-même, ainsi que Taddeo Gaddi l'a peint plus de cent
cinquante ans après Herrade. D'abord, dans une légende qui
explique les figures et ensuite dans un texte courant qui dé-
veloppe la légende, Herrade dit : « Le Saint-Esprit est l'inven-
teur des sept arts libéraux, qui sont : la grammaire, la rhéto-
rique , la dialectique , la musique, l'arithmétique , la géométrie,
l'astronomie. » Ainsi donc, dans toutes ses relations avec les
hommes, chaque fois que le Saint-Esprit paraît, c'est pour
faire éclore sous le souffle fintelligence qui perçoit, la science
qui découle de cette intelligence, et la mémoire qui est f ins-
trument de la science et qui retient ce que fintelligence a
discerné. Avec f histoire, f allégorie, la légende, les mœurs et
fart, avec les textes et les monuments, nous prouvons donc
que le Saint-Esprit est vraiment pour les hommes le dieu de
la raison et non le dieu du sentiment. Si , dans ses relations
avec les personnes divines, il est le dieu d'amour, nous le
voyons, dans ses rapports avec le genre humain, comme le
manuscrite, du xi'' siècle probablement, offre un sujet semblable el servant comme de
préface au livre de l'Ecclésiaslique. Ce livre commence par « Omnis sapientia. » C'est dans
l'O d'omnis qu'est peinte l'allégorie de la science ou de la sagesse , qui étaient la même
chose au moyen âge, comme c'est encore tout un dans nos villages : en Champagne et en
Picardie, on est sage quand on est savant. Dans cet 0 majuscule on voit la Philosophie
(Piiylosophya) assise sur un trône; c'est une femme qui porte un nimbe à la tète comme
une sainte; elle pose la main droite sur un demi-cercle qui contient la Physique (Pni-
sica) ; la gauche, sur un demi-cercle occupé par la Logique (Logyca) ; les pieds, sur un
demi-cercle rempli par l'Ethique (Ethica). On remarquera l'indifférence professée par ce
manuscrit pour les j el les i. Ces trois filles de la Philosophie sont trois femmes voilées, sans
nimbe et en buste seulement; elles portent de petits médaillons où est écrit le titre des
sciences qui dérivent d'elles. La grammaire, la géométrie et l'astronomie appartiennent à
la Physique; la rhétorique et la dialectique relèvent de la Logique; la justice, la tempé-
rance, la force et la prudence procèdent de l'Éthique. (V. Biblia sacra, in-f°. A, pars IL)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 443
(lieu de Tintelligence; c'est le dieu qui éclaire et qui instruit,
non pas le dieu qui fortifie ni le dieu qui écliaufFe.
110. ESPBIT D'INTELLIGENCE l'LANANT SDR DAVID.
Miniature grecque du x" siècle '.
O X0XQXG)X0>CO|
Ce dessin est tiré d'un manuscrit grec où nous avons déjà
' Bibliothèque royale, Psalterium cum figuris, grec, u" 189. On lit sur le livre que
lient David : « O fe)ë TO KPIM.\ COT TCl) BACIAGI AOC KAI THN AIKAIOCTNHN
COT TCl) TÏCl) TOT BAClAeCOC. » On voit que le sigma est partout en forme de C ;
56.
4/i4 INSTRUCTIONS.
pris le prophète Isaïe placé entre le Jour et la Nuit^ David,
assisté par la Sagesse et la Prophétie, tient un livre où est
écrit : « 0 Dieu ! donnez votre discernement au roi, et au fils du
roi votre justice. » Le texte et les deux personnifications de la
Sagesse et de la Prophétie, assistant au trône, ont trait à Tin-
telligence. Ce discernement que David demande pour lui , cette
justice qu'il implore pour Salomon son fils, lequel prononça
un jugement dont l'intelligence fait encore aujourd'hui notre
admiration , tout cela est de la sagesse et de la droiture d'es-
prit. Dieu est favorable à la prière de David , et le Saint-Esprit
plane sur la tête du roi , qu'il remplit de tous ses dons. On remar-
quera le nimbe qui entoure la tête de David et celle des deux
allégories. Ce tableau est réellement fapothéose de fintelligence
que sanctifie TEsprit divin. L'Esprit est le dieu de la raison.
Du reste, cette doctrine est dans le passage suivant de saint
Paul, qu'on ne saurait trop méditer : « L'esprit est donné visi-
blement à chacun pour futilité. L'un reçoit de f esprit la pa-
role de la sagesse; f autre reçoit du même esprit la parole de
la science. A f un la foi arrive par le même esprit; à f autre, et
par cet esprit unique, le don de guérir les maladies. L'un a le
don des miracles, un autre des prophéties, un autre du discer-
nement des esprits, un autre des langues diverses, un autre
Y epsilon et Y oméga sont archaïques également. Remarquez des fleurs de lis au x* siècle^
semées avec des qualre-feuilles sur le manteau de David. Ceci me rappelle qu'une cou-
ronne fleurdelisée, en marbre blanc, est sculptée sur la façade méridionale, au dehors
de l'église principale de Chilandari, grand couvent du mont Athos. Des fleurs de lis dé-
corent également l'abside de l'église dile Hécalompyli , à Mistra. Le manuscrit est re-
connu du x' siècle, l'Hécatompyli m'a semblé du xiii' et la couronne de Chilandari du
XV*. Je doute qu'on trouve en France des fleurs de lis réelles qui soient aulhenlique-
ment anlérieures au xi° siècle, e\ je pense que c'est un ornement choisi au hasard parmi
beaucoup d'autres et adopté par les rois de France , pour leur blason , seulement à par-
tir du xii' ou même du xin' siècle.
' Plus haut, p. 208, pi. 52.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 445
de rinterprétation des langues. Mais c'est un seul et même
esprit qui opère toutes ces choses et fait, selon qu'il lui plaît,
la part à chacun \ » Moïse avait déjà dit que l'esprit de Dieu
fait prophétiser et qu'il donne l'intelligence de l'avenir; et
les Actes des apôtres avaient ajouté que le Saint-Esprit par-
lait par la bouche des prophètes^. Tout cela est conforme au
texte de saint Paul et au dessin du manuscrit grec. Saint Pierre
enfin avait reproché à Ananie de mentir au Saint-Esprit; or
le mensonge est surtout un vice intellectuel. La science et la
pensée modernes recueillent ces textes épars; elles groupent
et multiplient ces faits isolés et trop rares encore, les mettent
sous un jour plus éclatant, et prononcent, que le Saint-Esprit
a commencé son règne. Ce qui flottait au moyen âge com-
mence à se fixer aujourd'hui; et chaque personne divine rentre
dans ses attributions spéciales ^.
Au reste, l'art chrétien lui-même attribue quelquefois l'in-
telligence au Saint-Esprit , tandis qu'il donne la force au Père
et l'amour au Fils. Le dessin suivant présente ce fait , qui est
pour nous du plus haut intérêt.
' Ad Corinthios, I, cap. xii , v. y-i i. « L'esprit de Dieu scrute et connaît ce qui est
en Dieu, dit saint Paul dans la même épître, chap. ii , v. lO et 1 1. Il y aurait peut-èlre
lieu de parler ici du péché contre le Saint-Esprit, péché qui parait pui^ement intellectuel,
irrémissible et sur lequel on a tant discuté; mais nous ne sortirions de ce grave débat
qu'après une dissertation fort longue et où l'archéologie monumentale n'a presque rien
à voir. On peut consuller d'ailleurs un traité du bénédictin allemand Martin Gerbert ;
cet ouvrage, imprimé en 1767, a pour titre : De peccato in SpiriUim Sancium in hac et in
altéra vita irremissibili.
■ Lib. Numerorum, cap. xii.v. aS-ag. — Tertullien , De anima, cap. 11 , dit : « Sancti
«Spirilus vis operatrix prophétise. » — Act. Aposi. cap. xvni, v. 26.
^ u Dieu est en trois personnes : la puissance est au Père, qui a tout créé; l'amour au
Fils, qui a tout racheté; l'intelligence au Saint-Esprit, qui a tout vivifié. « Ainsi s'exprime
M. Fabisch,, statuaire lyonnais, clans une introduction à l'histoire et à la philosophie de
l'art chrétien. (Voyez l'Institut calholique, tome II, p. 3o8, n" de décembre 1842.) L'Ins-
titut est un recueil périodique ; il se publie à Lyon , sous les yeux et le patronage de
M^' de Bonald , cardinal-archevêque.
446
INSTRUCTIONS.
SAINT-ESPRIT EN DIEU DE L'INTELLIGENCE ET TENANT UN LIVRE
Miniature française du xiv'' siècle '.
Au centre de cette Trinité, Dieu le père tient le globe, at-
tribut de sa toute-puissance et de la création , dont il est l'au-
teur. Le Fils, qui est assis, suivant la loi, à la droite de son
Père, tient la croix où il est mort et qui est surmontée quel-
quefois d'un pélican s'ouvrant les entrailles pour ressusciter
ou nourrir ses petits^ : cette croix est le symbole de l'amour.
' Manuscrit français, Blbl. roy. fonds Lavall.
" Voyez un remarquable dessin à la couleur noire, sur soie, qui appartient à M. Jules
Boiliy. Cette pièce, longue de deux mètres cinquante centimètres, sur soixante et dix
centimètres de haut, vient des environs de Narbonne et a dû êlrc exécutée en Allemagne ;
elle a servi sans doute de parement d'autel. Au centre, Jésus meurt entouré de sa mère,
de saint Jean évangélisle , de la Religion chrétienne personnifiée eld'Isaïe, de la Synagogue
personnifiée et de David. Au pied sont agenouillés un roi et une reine qui ressemblent à
Charles V de France et à sa femme, qui sont aujourd'hui à Saint-Denis et qu'on prend
bien à tort pour saint Louis et pour Blanche de Castille. Le K de Karolus sert d'ornement
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. kM
Le Saint-Esprit, à la gauche du Père, aussi âgé que le Père et
le Fils, et couvert symboliquement de leur propre manteau .
tient un livre ouvert, qui est l'attribut de riotelligence et qui
a la forme des tables de la loi. Constamment le livre désigne
l'intelligence, l'étude, la science. Un texte de Guillaume Du-
rand , que nous avons donné plus haut, ne laisse aucun doute
là-dessus. Le rouleau signifie la science incomplète; le livre,
la science parfaite. On devrait toujours donner le livre aux
apôtres et le rouleau aux prophètes, pour marquer le degré de
connaissance des uns et des autres ^ Le Saint-Esprit est donc
ici la source, la cause de fintelligence, et c'est ainsi princi-
palement qu'il devra être figuré dans favenir.
CULTE DU SAINT-ESPRIT.
Les honneurs extérieurs rendus au Saint-Esprit, moindres
que ceux du Christ, surpassent ceux qu'on attribue à Dieu le
père. L'art figure le Saint-Esprit plus rarement que Jésus,
mais beaucoup plus souvent que Jéhovah.
Sous le nom de Saint-Esprit et sous celui de Paraclet, beau-
coup d'églises et de couvents ont été élevés à la troisième per-
au cadre. A droite el à gauche du crucifiement sont l'arrcslalion de Jésus au jardin des
Oliviers, la flagellation , le portement de la croix, la sépulture, la descente aux enfers
et l'apparition à Madeleine. Au sommet de la croix le pélican se perce le ventre. C'est du
xiv" siècle et d'une fort remarquable exécution. Un pélican est posé de même sur la cime
de la croix dans les crucifiements qui ornent beaucoup de manuscrits à miniatures. Le
pélican, image du dévouement absolu , devait accompagner le crucifiement; on le voit sur
des vitraux du xiii" siècle qui décorent la chapelle du fond de l'abside, dans l'ancienne
église abbatiale d'Orbais (Marne, arrondissement d'Epernay).
' Voyez ce que nous disons à ce sujet, page 280. Du reste, voici le texte de Durand;
on ne sera pas fâché de le connaître : « Ante Chrisli adventum lldes figurative osteiule-
" batur, et quoad niulla in se iniplicita erat. Ad quod oslendendum patriarche el pro-
" phetaî pingunlur cum rotulis, per quos quasi quauiam impcrfecla cognitio designalur.
.1 Quia vero apostoli in Christo perfecte edocti sunt, ideo libris, per quos designalur con-
" grue perfecla cognilio, uti possunl. « [Rationulc cUv. ojjic. lib. I , cap. m.)
448 INSTRUCTIONS.
sonne divine. En Italie, à Florence, c'était une église et un
cloître qui furent peints par Cimabue^; à Rome, une église
et un hôpital construits et sculptés par Marcliione d'Arezzo,
sous le pape Innocent IIP; à Arezzo , c'était l'oratoire du Saint-
Esprit, dont le maître-autel fut peint à fresque par Taddeo
Gaddi, élève de Giotto^ A l'entrée de Palerme, l'église de
Santo-Spirito, bâtie en iiySS est célèbre dans les annales
du pays; car là se passa l'événement qui fit éclater la vengeance
méditée depuis longtemps par Jean de Procida^. Le Campo-
' Vasari, Vies des peintres. Vie de Cimabue. L'église fut rebâtie par Brunelleschi.
- Idem, ihid. Vie d'ArnoIfo di Lapo. Au Borgo-Vecchio existaient cet hôpital et cette
église de Sanlo-Spirito-in-Sassia. (Voyez dans les Mémoires de la commission des anti-
quités de la Côte-d'Or, in-4°, tome I, pages S-gg, l'Histoire de la fondation des hôpi-
taux du Saint-Esprit de Rome et de Dijon , par M. G. Peignol.) L'hôpital du Saint-Esprit
fut fondé à Rome en 1198, par le pape Innocent III ; mais ce fut une restauration
à nouveau, car l'origine en remonte au viif siècle. Sur ce modèle fut fondé à Dijon,
en i2o4, par Eudes III, duc de Bourgogne, un hôpital également dédié au Saint-
Esprit. Une bulle de i24i résume les privilèges accordés par les papes à l'ordre hospi-
talier du Saint-Esprit en général. Dans l'énumération des contrées , provinces et villes
où l'ordre avait des possessions et des hôpitaux, on nomme Dijon, Dôle, Tournus.
Besançon, etc. Les hospitaliers du Saint-Esprit portaient sur leur habit religieux, en
signe distinctif , la croix d'argent à double traverse , espèce de croix de Lorraine. Nous
en avons donné plusieurs exemples plus haut, planches 96, 98, pages 890, Sgô. Cette
croix double des hospitaliers du Saint-Esprit fut montrée en révélation par un ange au
pape Innocent III, fondateur de l'ordre. La robe des religieux était bleue; le manteau,
qui était noir, portait cette double croix. Dans les hôpitaux de Rome et de Dijon on rece-
vait les orphelins, les enfants trouvés, les malades pauvres et les pèlerins ; on y exerçait
les sept œuvres de miséricorde. Cet hôpital a existé jusqu'en 1 790. A la bibliothèque de
la ville de Troyes existe un curieux manuscrit rempli de dessins à la main ; le texte con-
tient l'histoire et la description de cet hôpital du Saint-Esprit, dont les dessins présentent
des vues de toute nature. Un manuscrit semblable est à Dijon , et c'est d'après ce bel
ouvrage que M. Peignot a fait son travail.
' Vasari, Vies des peintres. Vie de Taddeo Gaddi.
* Fazellus dit : « Gualterius Panormitanus cœnobium S. Spiritus , Cisterciensis ordinis ,
;i condidit anno 1170.))
^ C'était la coutume, à Palerme, d'aller entendre la messe à Santo-Spirito le mardi
de Pâques. Le dernier jour du mois de mars de l'année 1282 , les Palermitains se trou-
vaient réunis en très-grand nombre dans l'église , comme à l'ordinaire. Un des soldats
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 449
Santo de Palerme dépend de cette église. En Allemagne, une
église de Cobourg s'appelle Saint-Esprit. En France, dans le
département de la Somme, une chapelle de l'église paroissiale
de Rue a le nom de Saint-Esprit; dans le même départe-
ment, une abbaye, fondée en 1218, s'appelle Paraclet-des-
Champs^ L'abbaye du Paraclet, à Nogent-sur-Seine, est cé-
lèbre par Abailard qui l'a fondée, et parHéloïse qui en fut la
première abbesse'^ Des abbayes du Saint-Esprit existaient à
Béziers et à Luxembourg; des abbayes de Sainte-Colombe (la
colombe est le symbole du Saint-Esprit) existaient dans le
diocèse de Limoges, dans le territoire d'Ardres, près de Vienne
en Daupbiné, près de Sens et dans le diocèse de Chartres^.
Ainsi la troisième personne divine avait, sous ses deux noms
de Saint-Esprit et de Paraclet, et sous celui de Sainte-Colombe,
des établissements considérables, églises et chapelles, cloîtres
et monastères , qui lui étaient consacrés. On se contentera des
faits qui précèdent, sans en signaler de semblables ni en An-
français, nommé Droet, qui étaient venus se mêler aux fidèles, insulta une jeune fille
de Palerme, distinguée par ses vertus et sa beauté. Ses parents accoururent à ses cris
et massacrèrent le soldat brutal. Le peuple, qui haïssait les Français, se jeta sur ceux
qui étaient dans l'église et les égorgea fous. La nouvelle du massacre se répandit bientôt
dans toute la ville, et alors commencèrent les vêpres siciliennes. (Gally Knigth, Excur-
sion monumentale en Sicile, et Bulletin monumental de M. de Caumont, 5' vol. p. 198.)
' Cette abbaye, qui était de femmes, fut fondée par Enguerrand, seigneur de Boves;
deux des filles d'Enguerrand en furent les premières abbesses. Cette abbaye était de
l'ordre de Cîteaux; c'est une ferme aujourd'hui, et elle n'a conservé que peu de restes de
ses anciennes constructions. Je dois ces renseignements à M. Goze, correspondant du
comité des arts et monuments, à Amiens. On remarquera que cette abbaye du Paraclet
était de l'ordre de Cîteaux, comme celle de Santo-Spirito, à Palerme.
* Le Paraclet de la Picardie et celui de la Champagne étaient tous deux des couvents de
femmes. Le nom de Paraclet, qui signifie consolateur, l'avait peut-être voulu ainsi. G est
sous les ailes de la divine colombe qu'Héloïse abrita sa douleur et chercha à se con-
soler.
' Monastères de France, par M. Louis de Mas-Latrie, dans l'Annuaire historique pour
l'année i838.
INSTRUCTIONS II. ^7
450 INSTRUCTIONS.
gleterre ni en Espagne K En France, on a même dédié une petite
ville de Provence et une autre de Gascogne au Saint-Esprit ^.
Enfin, dans la liturgie, il existe un office entier en l'honneur
du Saint-Esprit. On a composé des hymnes, des proses, des
litanies, des prières, en son honneur; on lui a consacré une
des plus belles fêtes, la Pentecôte, qui se célèbre en mai,
dans la plus belle saison et dans le plus beau mois de Tannée.
Ce sont là de grands hommages, grands surtout quand on les
met en regard de ceux rendus au Père, auquel pas une église,
pas un office , ne sont dédiés ^. Comme nous l'avons dit , un
ordre célèbre de chevalerie a été institué portant le nom de la
troisième personne divine. L'ordre du Saint-Esprit, ordre pri-
vilégié et réservé aux plus hautes notabilités de l'aristocratie,
fut fondé en i352; réorganisé en 1679, ^^ ^ existé jusqu'en
i83o. Voilà, dans le culte religieux ou civil, à peu près tous
les honneurs rendus au Saint-Esprit; voyons maintenant ce
que fhistoire rapporte, ce que l'art a fait pour lui. La part
de la troisième personne divine a été belle assurément dans la
' M. Cyprien Robert [Cours d'hiéroglyphique chrétieime , dans l'Université catholique,
tome VI% page 266) dit : «Les premières basiliques, placées ordinairement sur des
hauteurs, s'appelèrent Domus Columhœ, demeures de la Colombe, c'est-à-dire de l'Esprit
saint. Elles recevaient les premiers rayons de l'aurore et les dernières flammes du cou-
chant. » Je n'ai pu vérifier ce fait ni savoir sur quoi on le fondait. D'ailleurs , si des basiliques
élevées sur des hauteurs ont été nommées maisons de la colombe, c'est peut-être parce
que les colombes et les pigeons ramiers y faisaient leur demeure, plutôt qu'en vue du
Saint-Esprit. J'émets un doute, sans rien affirmer, parce que, je le répète, je ne connais
pas les faits énoncés par M. Robert.
'^ Le pont Saint-Esprit est célèbre en Provence. La terre du Saint-Esprit est la plus
grande des nouvelles Hébrides.
' Qu'on se rappelle, relativement à la différence des honneurs rendus à chacune des
personnes divines, la note 1, p. 242. Cette différence s'explique et se justifie par 1 his-
toire. On n'a pas vu le Père; mais le Fils, qui nous sauve, et le Saint-Esprit, qui nous
guide, se sont manifestés visiblement. Nous devions donc les représenter plus souvent et
les honorer plus tendrement que le Père : c'était plus facile et plus naturel.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 451
narration historique comme dans les œuvres de la peinture et
de la sculpture.
MANIFESTATIONS DU SAINT-ESPRIT.
Dans l'histoire sainte, le Saint-Esprit est souvent indiqué; il
est nommé quelquefois, et il se produit par diverses apparitions.
Nous parlerons même de certains textes où, selon les commen-
tateurs, l'Esprit se révèle avec plus ou moins de prohabilité,
parce que l'art s'est emparé de ces interprétations et les a tra-
duites en faisant apparaître la troisième personne. Dieu dit dans
la Genèse : « Faisons l'homme à notre image. » On a expliqué le
pluriel FAISONS par le conseil que les personnes divines tiennent
entre elles, et l'on a déclaré que la Trinité tout entière, le Saint-
Esprit par conséquent, se révélait dans ce pluriel \ comme elle
s'était révélée visiblement à Abraham , sous la forme des trois
jeunes hommes auxquels il servit un repas, et devant l'un des-
quels il se prosterna. Les sociniens ne voulaient pas recon-
naître la pluralité des personnes divines dans le « faciamus
«hominem ad similitudinem nostram. » Dieu, disaient - ils ,
avait bien pu parler au pluriel comme un artiste qui s'excite
lui-même, ou comme un souverain qui ne s'exprime pas au
singulier; d'ailleurs il pouvait tout simplement, en parlant
ainsi, s'adresser à un ange qui l'aurait servi dans l'œuvre de
la création. Les théologiens ont réfuté les sociniens avec plus
ou moins de force; ils ont reconnu que les trois personnes s'é-
taient révélées dans ce premier chapitre de la Genèse, au «fa-
« ciamus ; » comme dans le troisième , à ce passage : « Voici
qu'Adam est devenu semblable h nous ^ ; « comme dans le
' Voyez nn dessin que nous avons donné p. 35, pi. 6.
' «Ecce Adam quasi unus ex nobis factus est. » {Genesis, m, 22.)
452 INSTRUCTIONS.
onzième , en cet endroit : « Venez , descendons et confondons
leur langage ^ »
Quoi qu'il en soit de ces controverses, le Saint-Esprit ap-
paraît nominativement dans le second verset de la Genèse :
« La terre était informe et nue; les ténèbres couvraient la face
de l'abîme, et I'esprit de Dieu était porté sur les eaux^ »
112. SAINT-ESPRIT EN COLOMBE ET PORTE SUR LES EAUX.
Miniature française, xv° siècle'.
Lorsque Dieu reçoit son fils et lui dit de s'asseoir à sa droite,
' «Venile, descendamus et confundamus linguam ipsorum. » {Genesis, xi, 7.)
' n Spiritus Dei ferebatur super aquas. » [Ibid. 1,2.)
^ Le miniaturiste, amoureux du paysage, a été fort infidèle au texte; la terre, au lieu
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 453
on voit souvent, dans les manuscrits à miniatures, en tête du
psaume cix \ le Saint-Esprit planant au-dessus des autres
personnes ou les unissant par l'extrémité de ses ailes, ou se
plaçant à côté du Père et à sa gauche. Isaïe le nomme plu-
sieurs lois et analyse même les propriétés qui le constituent;
les sept esprits qu'il possède, qui rayonnent autour du Messie,
se reposent sur lui et le remplissent^. L'archange Gahriel dit
à Marie : « Le Saint-Esprit surviendra en vous et la vertu du
Très-Haut vous couvrira de son ombre ^. o Plus tard, au bap-
tême de Jésus-Christ, le texte est plus formel encore, car le
Saint-Esprit apparaît visiblement sous la forme d'une colombe ^;
il se montre à Jésus, s'arrête sur lui, le remplit de sa vertu et
le conduit au désert pour y être tenté par le démon. Avant de
quitter la terre, Jésus promet à ses apôtres de leur envoyer le
Saint-Esprit, le Paraclet, l'esprit de vérité^. En effet, « Les jours
. de la Pentecôte étant accomplis, et tous étant assemblés dans
d'être informe, nue et ténébreuse , comme dit la Genèse, est charmante d'aspecl, habillée
de verdure, éclatante de lumière. Les petites vagues sur lesquelles glisse le Saint-Esprit ,
et que la gravure a pu rendre seulement par des lignes sèches et noires , sont rehaussées
de lumière dans le dessin original. L'eau de ce beau fleuve est glacée d'argent et brille
comme du cristal. Le manuscrit d'où est tiré ce dessin est à la bibliolhèque de l'Arsenal :
c'est un livre d'Heures du xv^ siècle. (Théol. fr. 8, f" 3 verso.)
' a Dixit Dominus Domino meo : sede a dextris meis. » Voyez principalement p. 007 ,
pL 78. Le Saint-Esprit que nous donnons est là, tenant un livre, comme celui qui pré-
cède, à la pi. 111.
* aEffundam spiritum meum super semen tuum. » (Isaias, cap. xliv, v. 3.) C'est au
chapitre xi, v. 1, 2 et 3, que sont énumérés les sept altribuls du Saint-Esprit.
^ S. Luc, cap. I, V. 35.
' S. Matlh. chap. m, v. 16, dit : « Ecce aperti sunt ei (Jesu baptisalo et oranti) cœli,
« et vidit spiritum Dei descendentem sicut columbam » [corporaîi specie, ajoute S. Luc,
chap. m, V. 22 ). En parcourant les gravures qui précèdent et d'autres qui vont suivre,
on trouvera plusieurs baptêmes dans lesquels le Saint-Esprit se manifeste. (Voyez surtout
page 210, pi. 53.)
' «Et ego rogabo Patrem et alium Paraclelum dabit vobis, ut maneat vobiscum in
«aeternum, spiritum verilatis. » (S. Jean, cl)ap. xiv, v, 16 et 17.)
454 INSTRUCTIONS.
un même lieu , il se fit tout à coup un bruit qui venait du
ciel, semblable à celui d'un vent impétueux, et qui remplit la
maison où ils étaient assis. Et ils virent apparaître comme des
langues de feu qui se dispersèrent et vinrent se poser sur cha-
cun d'eux. Et tous furent remplis du Saint-Esprit, et ils com-
mencèrent à parler diverses langues , selon que fEsprit saint
les faisait s'exprimer ^ » On est ici à la plus importante, à la
plus complète de toutes les manifestations du Saint-Esprit:
c'est comme fÉpiplianie de la troisième personne divine.
Outre ces apparitions historiques , il y en a d'autres qui
tiennent de fhistoire et de la légende tout à la fois, et que
fart s'est empressé d'adopter.
Jésus-Christ, après avoir accompli sa mission sur la terre et
terminé son douloureux pèlerinage, remonta au ciel pour venir
rendre compte à son père de tout ce qu'il avait fait; ordinaire-
ment, sur les monuments qui représentent cette belle scène,
on figure le Saint-Esprit accompagnant le Père éternel dans la
réception qu'il fait à son fils.
Dans l'histoire de Dieu le fils, nous avons donné un dessin
où le Saint-Esprit est assis à côté du Père, qui bénit son fils
revenant de son pèlerinage terrestre. Le Saint-Esprit, qui tient
un livre, attribut de l'intelligence, bénit également Jésus ^.
Après l'Ascension , vient TAssomption ; après le triomphe
du Christ, celui de Marie. La Vierge étant morte, « les apôtres
portèrent son corps dans un sépulcre et s'assirent auprès, selon
qu'il leur avait été ordonné par le Seigneur. Le troisième jour,
Jésus vint avec une multitude d'anges et salua ses apôtres de
ce salut qu'ils connaissaient si bien : « Paix à vous. » Les apôtres
' Act. Apostol. cap. ii, v. i-^.
' Voyez page 807 , planche 78. Ce sujet est extrait du manuscrit de la bibliothèque
Sainte-Geneviève , Romani des trois pèlerinages.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 455
répondirent : « A vous, Seigneur, qui faites seul de grandes mer-
« veilles, à vous la gloire. » « Quelle laveur et quelle dignité, leur
demanda Jésus, dois-je accorder en ce moment à ma mèreP»
Et ceux-ci : « Il paraît juste à vos serviteurs que vous, qui avez
« vaincu la mort et qui régnez sur l'éternité, vous ressuscitiez
« aussi le corps de votre mère et le placiez pour toujours à
«votre droite. » Jésus consentit, et aussitôt l'archange Michel
apparut et lui présenta l'âme de Marie. Alors le Sauveur dit ces
paroles : «Levez-vous, ma mère, ma colombe, tabernacle de
« gloire, vase de vie, temple céleste, afin que votre corj)s, qui
«n'a reçu aucune tache à l'approche d'un homme, ne se dé-
« truise pas dans le tombeau. » Aussitôt l'âme de Marie revint
dans son corps, qui sortit glorieux du tombeau. Ainsi la
Vierge, accompagnée d'une foule d'anges, fut enlevée au sé-
jour azurée » Arrivée au ciel, Marie y fut accueillie par les
trois personnes de la Trinité; elle s'agenouilla à leurs pieds et
fut couronnée d'une couronne de reine ou d'impératrice. C'est
à ce triomphe que le Saint-Esprit assiste, surtout dans les mo-
numents figurés des xv*" et xv!*" siècles ".
' Lefjenda aurea. De assumptione bealœ virginis Mariae.
■ Ces monuments sont très-communs ; 1 un des plus curieux est celui que nous repro-
duisons sur la planche suivante et où la Trinité, aussi égale que possible, assiste au cou-
ronnement de Marie. Est-ce le Père, comme c'est probable, qui couronne Marie, sa
fille célesle? Le Fils paraît bien être la personne qui est à la droite du Père el le Saint-
Esprit celle qui est à sa gauche. Du reste c'est par comparaison avec d'autres monuments
semblables de la même époque, et où des attributs divers caractérisent les trois personnes
divines, qu'il est possible de dire que le Père tient la couronne sur la tête de Marie.
Page 5o8, planche 126, nous donnerons un couronnement de Marie, où le Père, le Fils
et l'Esprit sont parfaitement distincts. Si l'on ne possédait aucun monument de ce
genre, on ne pourrait rien affirmer relativement à la distinction des personnes; car,
au xiii° et même encore au xiv' siècle, c'est le Fils qui couronne sa mère, et ni le
Père ni l'Esprit ne lui rendent cet honneur. Il y a des raisons tirées de l'Ancien Tes-
tament pour cela ; on assimile Jésus et Marie à Salomon el Bethsabée , et l'on sait que
Bethsabée fut couronnée par son fils. (Voy. à la Bibl. roy. suppl. L, 638. Au tiers de
ce manuscrit, le Fils bénit sa mère, que deux anges vont couronner.)
456
INSTRUCTIONS.
1 l3. — LE SAINT-ESPRIT EN HOMME ASSISTANT AU COURONNEMENT DE MARIE.
Sculpture française en bois, xvi° siècle, stalles de la cathédrale d'Amiens.
P.DVRAND
A ces apparitions, moitié historiques et moitié légendaires,
il faut en joindre d'autres empruntées uniquement à la lé-
gende , qui sont plus ou moins douteuses et que l'art a très-
souvent figurées.
11 faut citer d'abord celle qui est relative à saint Joseph. On
lit, dans l'histoire apocryphe de la nativité de Marie, que le
grand-prêtre consulta Dieu pour savoir à qui il destinait en
mariage la jeune vierge Marie. Dieu lui dit d'enfermer dans le
saint des saints des baguettes appartenant à tous ceux de la
tribu de Juda qui seraient sans épouse, et que celui dont le
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 457
bâton laisserait partir une colombe qui s'élèverait vers le ciel,
celui-là était l'époux désigné. Comme Joseph tendait la main
pour recevoir sa baguette, une colombe s'en échappa, plus
blanche et plus resplendissante que la neige ; puis , après
avoir voltigé quelque temps sur le temple , elle s'élança vers
les cieux^ Dans plusieurs peintures à fresque, dans diverses
miniatures de manuscrits, surtout chez les Italiens, on voit
ainsi une colombe blanche, le Saint-Esprit, qui s'échappe du
bâton fleuri que porte saint Joseph au moment de son mariage
avec la Vierge.
Quant à la présence du Saint-Esprit au moment où la
Vierge met au monde l'enfant dieu , on la remarque au por-
tail septentrional de la cathédrale de Paris, sur le tympan de
la porte ; mais elle n'est pas authentique. Il est probable que ce
Saint-Esprit, qui ressemble plus à un petit oiseau , à un humble
passereau, qu'à une colombe, a été ajouté dans une restau-
ration récente et qui date de l'empire.
Mais le Saint-Esprit, comme la muse de la vérité, la muse
du christianisme, a inspiré la poésie, l'amour et la vérité, les
idées et les sentiments. On le voit, comme dans le manuscrit
-grec", planer sur la tête de David, qu'il semble protéger de
ses deux ailes étendues; David, la tête illuminée d'un large
nimbe, attentif au souffle de l'Esprit, recueille de nouveaux
chants pendant qu'il tient son psautier ouvert et chargé d'un
verset. Le Saint-Esprit ne se contente pas d'inspirer David, il
fait assister le piophète-roi , à gauche par la Prophétie, à
' Codex apocrjfjJius Novi Tcslumenti, par Fabricius. Ce sujet a été représenté sur des
fonts baptismaux romans qu'on voit dans une église paroissiale des environs de Saintes;
des antiquaires, ignorant la légende, ont pris ce bàlon de saint Joseph pour un sceptre
et celle colombe pour un aigle. (Voy. le Bullelin monumental, VIII, p. ojq.)
■ Plus haut, page /|43 , planche i lo.
INSTRUCTIONS. II. 58
458 INSTRUCTIONS.
droite par la Sagesse, deux génies, deux jeunes femmes, or-
nées du nimbe qui symbolise la puissance autant que la sain-
teté ', et dont Tune tient un rouleau et l'autre un gros livre
fermé. A elles deux , ces femmes possèdent Tintelligence en-
tière sous ses deux formes principales, le rouleau ou volume,
et le livre carré.
Saint Etienne, nous l'avons déjà dit, recevait ses inspira-
tions du Saint-Esprit, qui prononçait par la boucbe du jeune
diacre le discours recueilli dans les Actes des apôtres. Le Saint-
Esprit, comme un oiseau familier, vient se poser sur l'épaule
droite du pape Grégoire le Grand; la colombe cause avec le
pape et lui inspire ses divers ouvrages, qui l'ont mis à la tête
des quatre pères de l'Eglise romaine ^.
' A ce caractère, fût-il unique, on reconnaîtrait que la miniature est byzantine d'ori-
gine ou tout au moins de tradition. Qu'on se reporte à ce que nous avons dit à ce sujet,
surtout pages 85 et QO-gS.
" Paul Diacre, Vie de saint Grégoire (Sancli Gregorii opéra, in-f, Paris, lyOS, t. IV,
p. i4, i5), raconte ainsi cette curieuse légende qui est souvent figurée en détail dans
nos églises, et qui est sculptée notamment à la cathédrale de Chartres, sur le pilier des
confesseurs, arcade droite du porche méridional : .(A fideli et religioso viro... » (il s'agit
de Pierre, diacre de saint Grégoire) « fideliler post obitum ejus (sancti Gregorii) nobis
« narralum didicimus, quod cum idem vas electionis et habitaculum Sancti-Spiritus vi-
" sionem ulïimam prophetae Ezechielis interpretaretur, obpansum vélum inter ipsum et
« eumdem exceptorem tractatus sui, illo per intervalla prolixius l'elicente, idem minister
« ejus stilo perforaverit et, evenlu per forameu conspiciens, vidit columbam nive candi-
« diorem super ejus caput sedentem , rostrumque ipsius ori diu tenere apposilum. Quae
«cum se ab ore ejusdem amoveret, incipiebat sanctus ponlifex loqui , et a notario gra-
« phium ceris imprimi. Cum vero reticebat Sancti-Spiritus organum, minister ejus ocu-
« lum foraraini iterum applicabat, eumque, ac si in oratione levatis ad cœlum manibus
« simul et oculis, columbae rostrum more solito conspicabatur ore suscipere. — Dans les
représentations figurées la colombe est sur l'épaule de saint Grégoire; dans le texte du
biographe elle se pose sur la tête du pontife. La difficulté de représenter sur la tête du
pape la colombe qui vient lui déposer l'éloquence sur les lèvres a dû faire prendre
l'autre parti. Du reste l'Esprit saint serait mieux placé sur la tête, siège de l'intelligence,
ainsi qu'on le voit sur la pi. iio. On se rappelle le texte « hdcs ex auditu » lorstiu'on
voit cette colombe parler à l'oreille du grand saint Grégoire.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
l\h. LE PAPE SAINT GREGOIRE LE GRAND INSPIRE PAR LE SAINT-ESPRIT.
Statue française du xiii' siècle, dans Notre-Dame de Chartres \
459
Les œuvres de saint Jérôme furent inspirées à ce grand saint
par l'esprit de Dieu. Ainsi l'on voit, dans une très-belle minia-
ture, une colombe soufflant dans l'oreille de saint Jérôme des
Saint Grégoire le Grand ne fut pas le seul inspiré directement et visiblement par
le Saint-Esprit sous forme de colombe; l'incomparable saint Grégoire VII eut le même
honneur, et , dans son office , on voit en tête de la sixième leçon : « Dum missarum so-
a lemnia perageret , visa est viris piis columba e cœlo delapsa liumero ejus dexlro insi-
•«dens, alis extensis capul ejus velare ; quo significatum est Spiritiis Sancti nlllatu, non
humanae pruclenliae rationibus ipsum duci in Ecclesiaj regimine. » Saint Éphrem de
Syrie déclarait avoir vu une colombe éclatante se poser sur l'épaule de saint Basile le
58.
460 INSTRUCTIONS.
ravoDS d intelligence, et le saint écrit sous cette inspiration K
Cette colombe, lait singulier, ne porte pas de nimbe; mais
ce doit être par erreur, car elle figure le Saint-Esprit.
A la sainte qui a le plus aime Dieu, mais qui a le mieux
compris et raisonné son amour, le Saint-Esprit >*ient inspirer
ses intellis:entcs tendresses, et lui dicter ces efiPusions brûlantes
et pleines de sens qui feront éternellement sa gloire. L ne gra-
A'ure représente donc sainte Thérèse assise, tenant une plume
avec laquelle elle va écrire se5 immortelles pensées. La sainte,
avant la tête environnée d'un nimbe rayonnant, lève les yeux
au ciel, d'où partent des ravons enflammés. Sur l'un de ces
ravons, le plus large, le plus long, est écrit : « Spiritus intel-
• ligentiae replevit illam-; » et le Saint-Esprit, qui descend du
ciel derrière elle, dans une auréole flamboyante, explique ces
paroles par sa présence visible.
Enfin, et c'est là une admirable tâche, le Saint-Esprit
éclaire les rois dans leurs actions. Au sacre des rois et reines
d Angleterre, un duc, encore aujourdhui, porte un sceptre
surmonte d'une colombe devant le souverain qui va recevoir
l'investiture sacrée. Dans Montlaucon, on voit Charlemagne
r . les beaux éczîis que nous connaissons. Tout cela n est qu une
:r : îe sentir, de la descente du &int-Esprit en forme de colombe
-i le cénade. Mahomet lui-même , qui sentait lout le crédit qu'un
: avait donner à ses doctrines , avait dressé un pigeon a renir se poser
- restait des heures entières. Le prophète arabe faisait passer
^ :i messager céleste chars^ de lui révéler les ordres de Dieu.
(I it dgâ on instrument de doctrine, un organe de la volonté
éi-i-i::.'- A- I^ ^dcme les ocàombes prophétisaient l'avenir.
- Ms. c ^, n* 6839, fin du xiv* siècle. WiUenîin a sravé ce
sujet dans son oovrage des Monuments inédits.
* S le Sainl-Espril était le Diea d'amour, c'eul ete surtoni a ^a^ime Tlierese, «eue
amante de Diea, qu'il eut inspire toutes ses ardeurs. Cependant i'ioscription porte que
c'est de rintefi^eoce qu'il loi donne, et non de l'amour. Le Saint-Esprit éclaire et n'è-
n? pas sainte Thérèse : • Aoceodil lumen seosîbus. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE 461
portant également un sceptre surmonte dune colombe qui
doit représenter le Saint-Esprit'. Si le sceptre est un bâton
qui sert à affermir la démarche . la colombe est 1 esprit qui
dirige les pas. \ oici la colombe di\"ine brodée sur un étendard
reliçrieux et militaire à la fois : religieui par la croii qui ter-
mine la hampe, militaire par sa forme. La colombe descend
du ciel, figuré par les ondulations qui sont brodées au sommet
de cette voile g;uerriere ; elle descend sur ia terre et plane au-
dessus des bataillons qui vont en venir aux prises.
11 5. 5aI>T:-E5FEIT E5 COLOSCBE 5CE C> ETZXBAVL-
Mûiiatare ftançaise . ît* siècle , BOh. rov. Heures du duc de BerrL
Cet étendard est enti^e les mains de la Rehîjion chrétienne
personnifiée, de l'Eglise, qui s'apprête à vaincre la svnagogue
et le paganisme.
Monam. de la monarvh. franc. J'iffnore si Tod doit se fier à ia çravore ; mats oo troor*
dans le tombeau de Philippe le Bel, riole à Saint-Denis ec i-gS, un sceptre dore, k>ag
de cinq pieds, et termine par une touffe de feuillage, sur laquelle était représenté un
/i62 INSTRUCTIONS.
Au sacre de nos rois de France, après l'onction, on lâchait
dans l'église des colombes blanches; cela marquait, dit-on, que
ces oiseaux captifs ayant recouvré la liberté, le peuple, captif
aussi, venait de regagner l'indépendance par le sacre de son
roi. Je trouve cette explication fort insuffisante. Le peuple en
effet ne perdait pas sa liberté par la mort du souverain; il ne
la recouvrait pas non plus par le sacre de son successeur. J'ai-
merais mieux voir dans ce fait une idée analogue à celle du
sceptre où se pose le Saint-Esprit. Le Saint-Esprit, la divine
colombe , prenait possession de la cathédrale, de même que
l'intelligence s'emparait du roi après sa consécration. La mul-
titude des colombes lâchées dans l'église signifiait peut-être
que le roi venait d'être doué de tous les dons du Saint-Esprit,
et que, si l'un ou l'autre périssait en lui, il lui en resterait
toujours quelques-uns, tant le nombre en était considérable.
Chaque don du Saint-Esprit est symbolisé par une colombe,
comme nous en verrons plusieurs exemples ; les nombreuses
colombes du sacre royal pouvaient donc figurer les nom-
breuses vertus de la rovauté^
LE SAINT-ESPRIT EN COLOMBE.
Spiritus en latin et hnetaia en grec signifient haleine et
souffle; du verbe spirare nous avons fait respirer. L'esprit
est donc l'air en action; c'est le vent dans la nature, c'est
l'âme dans l'homme, c'est la vie et le mouvement dans l'une
et dans l'autre. Le mouvement, la rapidité , sont donc les qua-
oiseau de cuivre doré également. (V. M. de Cliateaubriand , Génie du Christianisme
vol. IV, notes et éclairciss. pag. l^l^2.)
' Au sacre de Charles X, en 1826, après Tinlronisalion, on lâcha ainsi une grande
quantité de colombes dans la cathédrale de Reims, La plupart vinrent se brûler les ailes
aux innombrables bougies qui illuminaient l'église ; j'en ai reçu une qui tomba morte
dans mes bras.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 463
lités essentielles de l'esprit. Lorsqu'on voulut représenter sous
une forme visible cet esprit invisible et divin qui anime la na-
ture entière, on dut naturellement songer à l'être vivant qui est
doué de la plus grande activité. En un instant l'oiseau monte
de la terre et s'élève jusque dans les profondeurs de l'air, où il
se dérobe aux regards; il peut, avec une facilité aussi extraor-
dinaire que sa vitesse, se transporter d'une contrée dans une
autre; en hauteur et en largeur, il prend presque instantané-
ment possession des plus grandes distances. L'oiseau, dans le
règne organique , était nécessairement destiné à figurer l'es-
prit, qui est le souffle en mouvement, qui est la vitesse vivante.
Le christianisme exprime par des formes ornithologiques,
non-seulement la rapidité, la vitesse, mais la nature spirituelle,
la substance incorporelle. Du reste, cette seconde idée est cor-
rélative de la première, car l'âme est aussi légère que le corps
est lourd. Les anges , âmes sans corps , ont des ailes aux épaules;
ils en ont toujours une paire et quelquefois trois, comme
les chérubins et les séraphins.
116. ANGE OU ESPRIT CELESTE À TROIS PAIRES D'AILES.
Pointure sur bois par le Pérugin '.
Non-seulement on leur met des ailes aux épaules, mais on les
place sur des roues qui figurent la vitesse, et sur des roues
ailées et enflammées tout à la fois pour représenter la vitesse
' Le tableau où l'on voit ce séraphin est aujourd'hui clans l'église de Saint-Gervais,
a Paris. Il représente le Père entouré des esprits célestes.
464 INSTRUCTIONS.
extrême. Rien de plus prompt que la lumière. Le tétramorphe
suivant ( les quatre attributs des évangélistes réunis sur un
seul corps) est, par ses triples ailes à plumes longues, fortes
et nombreuses, la figure d'une vitesse énorme, vitesse multi-
pliée encore par le véhicule ailé et enflammé sur lequel est
posé le mystérieux symbole.
117, TÉTRAMORPHE AILE, PORTE PAR DES ROUES AILEES ET ENFLAMMEES.
Mosaïque byzantine, du xiii° siècle '.
En partant du même principe, mais en lui donnant de l'ex-
tension, les artistes ont prêté les ailes et les formes de l'oiseau
aux figures allégoriques inventées par leur imagination. Pour
personnifier le vent, chez les païens comme chez les chrétiens,
on figurait ordinairement une tête soufflant des bouffées d'air
' Celle mosaïque est à ValopècU , un des principaux couvents du mont Athos.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. A65
et agitant avec force une paire d'ailes soudées au cou. L'air lui-
même a été représenté sous la forme d'un homme jeune, vi-
goureux, nu, tenant sous ses pieds et dans ses mains les quatre
vents ailés qui se partagent les quatre points cardinaux; l'Air
porte deux puissantes ailes d'aigle attachées à ses épaules et
qui désignent la promptitude avec laquelle il vole et passe du
calme à la tempête \ Chez les anciens comme chez les mo-
dernes, on donne des ailes à la Pienommée, ce « mal qui n'a
pas son pareil en rapidité , et qui , prompt des pieds et des
ailes , se nourrit de mouvement et gagne des forces à la
course". » En vertu du même symbolisme, la Victoire, comme
Mercure, qui est le messager céleste, porte des ailes aux épaules
et quelquefois à la tête et auxpieds;la Victoire sans ailes était
une exception que la ville d'Athènes avait consacrée par un
temple existant encore sur le sommet de l'Acropole.
Le moyen âge, fidèle à ces idées païennes, qu'il a complé-
tées avec un rare bonheur, a toujours regardé les ailes et les
formes ornithologiques comme appartenant à la rapidité. En
conséquence l'ange ou Tesprit de la jeunesse, génie que rien
ne fatigue, que rien n'arrête, devait avoir des ailes. En effet
^ V oyez en lête d'un manuscrit de la bibliothèque communale de Reims [Exceptiones
de libro pontijïcali) un superbe dessin sur parcbemin qui représente l'Air ailé, tenant
sous ses pieds et dans ses mains les quatre têtes également ailées du Zéphyr, de l'Aus-
ter, de l'Aquilon et de l'Eurus. Des ailes étendues et puissantes se voient aux vents
peints dans le pastoral de saint Grégoire que Ton conservait, en i836, à l'évêché d'Au-
tun , où j'ai pu l'étudier. Sur la cuve ou lavabo qui provient de l'abbaye de Saint-Denis
et qu'on a placée à l'école des Beaux-Arts, Jupiter, Diana, Aer, sont sculptés en haut re-
lief; ils portent chacun deux ailes à la tête, près des oreilles. Ce curieux monument est
du xiu' siècle.
' Ce sont les expressions de Virgile [Enéide, IV), lorsqu'il fait la description de la
Renommée, à laquelle nous empruntons seulement ces quelques traits :
Fama , malum quo non aliud velocius ullum,
Mobilitale vifjet, virescpic acquirit euiido.»
Les anciens représentent également la foudre avec des ailes.
INSTRDCTIONS. — H- ^9
466 INSTRUCTIONS.
un manuscrit auquel nous avons emprunté plusieurs sujets le
représente ainsi \
118. ESPRIT DE LA JEUNESSE.
Miniature française du xiv° siècle.
Le pèlerin, qui est dans la force de l'âge, rencontre la Jeu-
nesse portant aux pieds des ailes vertes, couleur d'espérance.
La Jeunesse a les cheveux blonds, la robe bleue; elle prend le
pèlerin sur ses épaules, et lui dit en lui faisant passer la mer:
J'ai nom Jeunesce la légière ,
La gileresse, la coursière,
La sauterelle, la saillant,
Qui tout dengier ne prise un gant.
Je vois, je viens, je sail , je vole,
Je espringalle et carolle.
Mes pies me portent où je veuil
E eles ont; tu les vois bien à Teuil,
Bail çà la main, je veuil voler
Et par la mer te veuil porter.
' Romnnt des trois pèlerinages , à la bibliothèque Sainte-Geneviève, f" 79.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 467
Il y a une remarquable rapidité dans cette poésie du xiv^
siècle K
L'Eglise, cette généralisation abstraite de tous les chrétiens,
cette société animée du Saint-Esprit, a été, comme le Saint-
Esprit, assimilée à une colombe. Le pape également, qui est
le vicaire de Dieu et le directeur de l'Egiise ; le pape, qui doit
être plutôt un ange qu'un homme et une âme qu'un corps, a
été allégorisé et doué, jusqu'à un certain point, des formes de
l'oiseau. Un mot sur ces figures symboliques de l'Église et du
pape, parce qu'elles peuvent compléter ce que nous devons
dire sur le Saint-Esprit.
Dans le manuscrit d'Herrade, on voit l'Eglise représentée
sous la forme d'une colombe, comme on figure la troisième
personne divine, mais avec certaines particularités. L'avant
du corps est argenté; l'arrière est doré. Cette colombe a des
ailes à la tête, des ailes aux épaules, des ailes aux pieds; ces
trois paires d'ailes la mènent, aussi vite que la parole, d'une
extrémité de la chrétienté à l'autre. Tout cela est embléma-
tique, et le texte qui explique cette miniature dit : «Cette co-
lombe signifie fEgiise, qui est, par son éloquence divine, sonore
comme de l'argent; elle est ornée d'instruction et de sagesse
pour qu'elle instruise les autres. Cette colombe est d'or parce
qu elle est éclatante de charité; for pâle ou rouge, qui couvre
l'arrière de son dos, signifie famour des fidèles"". »
' Ce poëme français, qui esl à la bibliothèque Sainte-Geneviève, esl , comme texte
et comme miniatures, un des [)lus curieux livres qui exislenl.
"' Hortiis deJiciariim. « Hœc columba significat Ecclesiain , quae per divinam eloquentiam
« quasi argenlum est sonora , et crudita, et sapientia exornata ul alios erudiat. Haîc et co-
«lumba est aurea, id esl carilalc splendida; et posteriora dorsi ejus sunt in pallore vel
<i ruboreauri, id estcaritas iitlelium, » Ces expressions semblent provenir du psaume cxvn ,
V. lA : «Si dormialis inter medios cleros. penn<T columbœ deargentalaî, et posteriora
u dorsi ejus in pallore auri, i'
59.
fi6S
INSTllUCTIONS.
119. L'EGLISE EN COLOMBE A SIX AILES.
Miniature franco-germaine, xi'" siècle.
Dante a représenté, non pas l'Eglise, mais le pape sous la
forme d'un oiseau. Cet oiseau n'est pas une colombe, mais un
grifïbn, animal fantastique, moitié aigle moitié lion. Le grif-
fon est aigle par la partie supérieure, lion par l'inférieure.
Quoiqu'il s'agisse d'un griffon et non d'une colombe, on doit
cependant signaler ce fait ici, parce qu'il procède et de l'idée
qui assimile l'Eglise à une colombe mi-partie d'or et d'argent,
et de l'idée qui figure l'esprit sous la forme d'une colombe à
peu près monochrome. La colombe de l'Église, dans Herrade,
sert de transition entre le griffon de Dante et la colombe du
Saint-Esprit : le griffon possède une double nature, et TÉgiise
brille d'une double couleur; la colombe du Saint-Esprit est
ailée comme le griffon et la colombe de l'Église, mais elle n'a
plus qu'une seule nature et une seule couleur.
Voici donc ce qu'on lit dans le Purgatoire de Dante. Le poète
ICONOORAPHIE CHRÉTIENNE. a69
décrit le Iriomphe de l'Eglise, ordonné à peu près comme celui
du Christ peint à Brou et que nous avons signalé plus haut. Le
chandelier à sept hranches ouvre la marche, (jui se continue
par les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse et les quatre at-
tributs des évangélistes. Puis arrive un char à deux roues, qui
figure l'Eglise roulant sur l'Ancien et le Nouveau Testament.
Le char est tiré par le griffon; il est escorté à droite par les
trois vertus théologales, à gauche par les quatre vertus cardi-
nales. Puis arrivent, derrière le char, les douze apôtres pré-
cédés de saint Luc et de saint Paul. Quant au griffon, la bête
à deux natures et à deux formes, comme Dante l'appelle, il tire
le char derrière lui. Il étend ses ailes si haut, que bientôt ou
ne les voit plus. 11 a des membres d'or dans la portion de son
corps où il est oiseau; dans l'autre, il a des membres d'argent
et de vermeil ^ C'est une seule personne en deux natures. Elle
rayonne dans les yeux de Béatrix tantôt sous une forme, tan-
tôt sous une autre; tout en restant immobile , elle met le char
en mouvement sans qu'aucune de ses plumes en soit agitée".
Dans Herrade, l'oiseau mystique à double couleur est l'E-
glise; dans le Dante, foiseau à double Jbrme est le représen-
tant de l'Eglise : c'est le pape. Le pape, en effet, est prêtre et roi
tout à la fois; il dirige les intelligences et gouverne les corps;
il règne sur les choses de ce monde et sur celles du ciel. Le
pape est donc une seule personne en deux natures et sous deux
formes; il est aigle et lion. Aigle ou pontife, il plane dans le ciel
et monte jusqu'au trône de Dieu pour aller prendre ses ordres;
lion ou roi, il marche sur la terre dans sa force et dans sa puis-
sance'^.
' Dans Herrade et dans David, la colombe do l'Eglise est également d'or et d'argenl
'" Dante, Purgatoire^ chants xxix-xxxii.
■^ Les comniPiitolenrs de Danle ont cru que ie griffon ligurail le Christ, qui est ellcc-
/i70 INSTPxUCTIONS.
Parmi les oiseaux, la colombe, pour ses mœurs douces et
aimantes d'abord, et puis pour la pureté de son plumage, a
dû être choisie de préférence pour figurer le Saint-Esprit. En
effet, c'est dans une colombe blanclie que l'histoire et l'art ont
incarné l'esprit de Dieu, souille divin , symbole brillant et sans
tache de la Trinité. Dans l'histoire, l'esprit de Dieu descendit
sous la figure corporelle d'une colombe sur la tête de Jésus,
que venait de baptiser saint Jean ^ ; dans l'art , c'est presque
toujours sous la forme d'une colombe que le Saint-Esprit est
figuré, ainsi que plusieurs dessins nous l'ont déjà montré^,
et que d'autres nous le feront voir encore. Dans les légendes
particulières, l'Esprit divin ou le Saint-Esprit s'incarne dans
une colombe; fesprit humain ou l'âme elle-même apparaît
aussi sous cette forme. Quant au Saint-Esprit se manifestant
en colombe dans nos légendes, les preuves abondent. Voici
quelques faits pris à différentes époques.
On lit dans Grégoire de Tours ^ : «Tandis que les élèves
livemenl une seule personne en deux natures; le Christ, qui est Dieu et homme loul
ensemble. Mais ils se sont trompés. D'abord il y aurait de l'inconvenance à faire tirer un
char par un Dieu comme par une bête de somme; c'est tovit au plus si Dante n'est pas
inconvenant en attelant le pape à ce char de l'Eglise. Ensuite le triomphe peint sur verre ,
à Notre-Dame de Brou, montre l'Eglise personnifiée dans ses quatre grands dignitaires :
le pape , le cardinal, l'archevêque etl'évêque, qui poussent à la roue le char de l'Eglise.
Ce motif est analogue au griffon de Dante. Quant au Christ, il est sur le char , comme un
triomphateur; il dirige et ne tire pas. Enhn l'Église est symbolisée dans le manuscrit
d'HeiTade par un oiseau à double couleur, et le pape n'est autre chose que le représen-
tant vivant de l'Eglise; c'est l'Eglise incarnée. Entre l'oiseau d'Herrade et le griffon de
Dante, l'analogie est complète. Ce qui a 4rompé les cornmenlateurs, c'est la double
nature du griffon ; mais la difficulté se lève en songeant que le pape, par l'autorité spi-
rituelle, ressemble à l'aigle, et, par la puissance temporelle, au lion; le pape est une
personne en deux natures cl en deux formes. L'allégorie de Dante est donc ce qu'il y
a de plus transparent au monde.
' « El descendit Spiritus Sanctus corporali specie sicut columba in ipsum. » (S. Luc,
cap. m, vers. 22.) — ^Planches 21, ào, 53, pages 61, 128, 210 — "" Hist. ceci. Franc.
?.' vol. p. i36 de la trad. de M. Guizol.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 471
chantaient des psaumes dans la cathédrale de Trêves, une co-
lombe descendit de la voûte , voltigeant légèrement autour du
jeune Arédius, que Tévêque Nicet élevait et instruisait. La co-
lombe se reposa sur sa tête, pour indiquer qu'il était déjà rem-
j)li du Saint-Esprit; puis elle descendit sur son épaule. Quand
Arédius rentra dans la cellule de l'évêque, elle y entra avec lui
et ne voulut pas le quitter de plusieurs jours. Il retourna dans
son pays de Limoges pour consoler sa mère, qui n'avait plus
que lui. »
Au sacre de Clovis, la colombe divine a vraiment présidé aux
destinées chrétiennes de la France. Clovis et l'évêque de Reims,
saint Rémi , se rendirent en procession au baptistère, où le chef
des Francs allait être sacré roi et chrétien. « Lorsqu'on y fut ar-
rivé, le prêtre qui portait le saint chrême fut arrêté par la foule,
et ne put parvenir jusqu'aux fonts sacrés. Mais une colombe,
blanche comme la neige, apporta dans son bec une ampoule
pleine d'un chrême envoyé du ciel. Rémi prit l'ampoule et par-
fuma de chrême l'eau baptismale ^ » Dans le même pays, à
vingt kilomètres de Reims, à Hautvillers, la célèbre abbaye
que Thierry Ruinart a illustrée dans ces derniers temps fut
bâtie d'après le plan que le Saint-Esprit, en colombe toujours
aussi blanche que la neige, traça dans son vol'.
Quant à l'âme des saints, esprit immortel des hommes, on
devait aussi la voir paraître sous la forme de la colombe , car
l'âme est faite à l'image de Dieu. Dans un monastère de Re-
don, en Bretagne, un enfant muet depuis sa naissance priait
Dieu de le guérir. Un jour qu'il faisait paître dans les champs
les bestiaux des moines, il se laissa gagner par le sommeil. Tout
à coup une clarté d'une lumière immense vint de l'orient et
' Flodoard, Histoire de l'église de Reims, liv. I.
^ Act. SS. ord.S. Bened. -i" vol. année 685, Vie de S. Bercliaire, abhé d'HautviUers.
'i72 INSTRUCTIONS.
l'entoura. Au milieu de celle lumière il lui apparut comme une
colombe d'une blancheur de neige; elle lui toucha la bouche,
lui caressa la figure cl lui dit : « Je suis Marcellinus. » L'enfant
se leva guéri, et raconta de ses propres lèvres ce qu'il avait vu
et entendu '.
11 n'y a qu'une colombe dans la légende qui précède, mais
en voici une troupe venant chercher une âme, leur compagne,
qui abandonne la terre. Le duc Louis de Thuringe, mari de
sainte Elisabeth de Hongrie, étant sur le point d'expirer, dit
à ceux qui l'entouraient : « Voyez-vous ces colombes plus
blanches que la neige?» On le croyait en proie aux visions;
mais un peu après il leur dit : « 11 faut que je m'envole avec ces
colombes resplendissantes. » En disant cela, il s'endormit dans
la paix. Alors son aumônier Berthold aperçut ces colombes
s envoler à l'orienl, et il les suivit longtemps du regard^. Un
Anglais, témoin de la mort de Jeanne d'Arc, déclara, dans une
déposition que nous possédons écrite, qu'il avait vu s'envoler
Act SS. ord. iS'. Bened. iv'' siècle bénéd. I? part, de 855 à 900, p. 216. « Et eccc
« repente circumfulsit eum lux immensse claritatis ab oriente ; et in medio luminis appa-
« ruil illi quasi columba niveo candore, tetigitque os ejus et protexit faciem, et dixit ei :
« Ego sum Marcellinus. »
' M. lecomlede Montalembert, Vie de sainte Elisabeth ;\aulonr cite Berihold, ms. de la
vio du duc Louis. « Videlis-ne columbas bas super niveni candidas ? — Oportet me cum
« colunibis istis splendidissimis evolare. — Vidit easdem columbas ad orientem evolare. »
«On connaît, ajoute M. de Monlalemberl , la belle légende de saint PoKcarpe, qui fut
brûlé vif : son sang étoulTa les flammes, et de ses cendres on vit sortir une colombe
blancbe, qui senvola vers le ciel. On vit de même une colombe sortir du bûcber de
Jeanne d'Arc.» M. Cyprien l\obert {Cours d'Iiiérogly. chrét.) dit, à l'article de la co-
lombe : «Cet oiseau est l'emblème qui se retrouve le plus souvent sur les sarcopbages
primitifs. Là, on le voit emporter dans son bec une palme, une brandie d'olivier, ou
percer des raisins, figure de l'àme des confesseurs qui s envole innocente, versant,
comme un vin précieux, son sang sur la terre. C'est ainsi qu'on voit monter en colombe,
au-dessus de son corps décapité, l'âme de sainte Reparata, vierge et martyre, qui avait
refusé de sacrifier aux idoles. La même cbose se répète pour saint Potitus et l'évêque
saint Polvcarpe, décollés, du sang desquels l'oiseau blanc comme la neige s'élance et vole
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 473
de la bouche de Jeanne, avec son dernier soupir, une colombe
qui prit le chemin du ciel ^ La colombe divine s'était ma-
nifestée au baptême de Clovis, fondateur de la monarchie;
une colombe encore s'écliappa du cœur de Jeanne d'Arc qui
venait de restaurer la même monarchie en ruines.
COULEUR DU SAINT-ESPRIT EN COLOMBE.
Quant à la couleur de la colombe divine , elle est celle de la
neige, qu'elle surpasse en éclat et en blancheur, comme les
textes le déclarent positivement. Cette colombe, symbole d'un
dieu, devait arborer la couleur où viennent se réunir symbo-
liquement toutes les vertus. Le bec et les pattes sont rouges or-
dinairement; c'est la couleur naturelle des colombes blanches^.
Le nimbe qu'elle porte à la tête est presque toujours d'un jaune
d'or et divisé par une croix, qui est rouge assez souvent^, et
à tire d'ailes vers les cieux. Les actes du martyre de saint Quentin disent avec une
suavité de paroles et un élan de foi rempli de charme : « Visa est felix anima velut co-
«lumba, candida sicut nix, de collo ejus exire et jiberissimo volatu cœlum penetrare. »
Pour des esprits grossiers, encore olîusqués par les ténèbres de l'idolâtrie, on exprimait
ainsi la survivance et l'immortalité de l'âme, comme plus tard, lorsque parut dans l'art
l'anthropomorphisme, on l'exprima par un petit enfant sortant quelquefois de la bouche
même du décédé. » M. Robert aurait pu dire très-souvent , et même presque toujours , au
lieu de quelquefois , tant cette façon de représenter l'âme sous la forme d'un enfant tout
uu est fréquente au moyen âge.
' M. Michelet, Histoire de France, V vol. p. 176.
* M. le docteur Comarmond, bibliothécaire du palais Saint-Pierre, à Lyon, possède
un manuscrit byzantin qui date du x° ou xi' siècle, et qui provient de la Grande-Char-
treuse. Ce manuscrit est tout rempli de belles miniatures et couvert de plaques d'ivoire
sculptées d'une manière remarquable. A la scène qui représente le baptême de Jésus-
Christ, on voit le Saint-Esprit en colombe blanche, rouge au bec et aux pattes, avec
quelques parties noires sur le dos des ailes.
^ Les exemples sont tellement nombreux que je ne les citerai pas ; je me contente
de faire remarquer que l'on voit quelquefois des colombes divines ayant le nimbe rouge
croisé d'or : le contraire se rencontre le plus souvent.
INSTRUCTIONS. II. 6o
47/1 INSTRUCTIONS.
quelquefois noire ^ Dans la cathédrale d'Auxerre, le rouge est
au champ du nimhe et Tor sur les croisillons qui le partagent^.
Il n'y a, je crois, aucun caractère archéologique à recueillir de
la variété de ces couleurs; on doit seulement dire, en général,
que les couleurs riches et resplendissantes ont été préférées.
Nous avons vu que la lumière entrait comme partie intégrante
dans les figures divines. Nous avons vu que le Père et le Fils
étaient considérés comme des sources de lumière; qu'ils étaient
vêtus et environnés du plus éblouissant éclat. Il fallait bien aussi
que le Saint-Esprit, dieu comme le Père et le Fils, fût repré-
senté resplendissant comme eux. On lit dans Ermold le Noir,
historien de Louis le Débonnaire^ : « La garde de l'église con-
sacrée à Marie ^ fut autrefois confiée à Theutram. . . . Une nuit,
il vit le temple éclairé d'unelumière semblable à celle du so-
leil et telle que la répand cet astre dans le jour le plus serein.
11 s'élance hors de son lit, et cherche à savoir d'où peuvent
provenir les flots de lumière dont le saint édifice est inondé.
Un oiseau de la grandeur. d'un aigle couvrait l'autel de ses ailes
' Vitrail du xiv" siècle, dans la cathédrale de Freybourg en Brisgau , dans la nef
latérale du sud.
' Vitrail du xiii' siècle , au pourtour du sanctuaire ; il représente la création. Le Saint-
Esprit y plane entre les eaux. Nous avons iait graver ce Saint-Espril ; on le trouvera
page 5i5, pi. 129.
' Ermoldus Nigellus , Collection des Historiens de France, par M. Guizot. Cette colombe
divine, qui a la grandeur d'un aigle, rappelle un coffret d'ivoire appartenant à M. Mi-
chéli et provenant de l'abbaye de Saint-Gall; le Saint-Esprit y est sculpté sous la forme
de son symbole ailé. Ce Saint-Espril, à nimbe crucifère, est posé de face, comme
un aigle, dont il possède les proportions; il a les ailes ouvertes et abaissées sur un disque
légèrement concave. Une main sort des nuages et montre celte colombe énorme. La
main, qui est celle de Dieu, n'est pas sur un nimbe crucifère; mais d'elle partent en
croix Irois pinceaux ou foyers de lumière. Quatre anges adorent cette colombe. Ce coffret
esl du x' siècle sans doule; le poème d'Ermold esl de l'an 826 , et, dans le poêle comme
sur le coffret , la colombe est de la taille d'un aigle. Cet aigle a diminué de siècle en siècle ;
il n'a plus guère, vers la tin du moyen âge, que les dimensions d'un gros passereau.
* La cathédrale de Slrasboing, qui esi une Notre-Dame.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 475
étendues; mais cet oiseau, ce n'est point la terre qui l'a en-
gendré. Son bec est d'or; ses serres sont d'une matière plus
riche que les pierres précieuses; sur ses ailes est répandue la
couleur azurée de l'éther , et de ses yeux jaillit une lumière
éclatante. Le saint prêtre, frappé d'étonnement, n'ose fixer ses
regards sur ceux de l'oiseau , dont il contemple avec admira-
tion et les ailes et le corps, et surtout les yeux étincelants.
L'oiseau demeure sur fautel jusqu'au moment où les trois
chants du coq se font entendre et appellent les religieux à
l'office. Alors il prend son vol, et, chose miraculeuse, la fe-
nêtre opposée à l'autel s'ouvre d'elle-même pour lui laisser la
liberté de sortir du temple. A peine s'est-il élevé vers les cieux,
que toute lumière disparaît et prouve, en s'éclipsant, que cet
oiseau était un habitant du royaume de Dieu. »
Cet esprit qui porte la lumière avec lui et qui, à ce signe,
trahit son origine céleste et peut-être divine, ressemble à ces
colombes en cuivre émaillé et doré qu'on suspendait autrefois
au-dessus des autels. On les attachait par une petite chaîne à
la voûte de l'église. L'intérieur de la colombe était creux, et
l'on y renfermait des hosties consacrées. Cette colombe servait
de tabernacle, et Jésus était contenu dans le Saint-Esprit,
comme autrefois il avait été contenu dans le corps de Marie,
cette épouse du Saint-Esprit, ainsi que s'expriment les textes
sacrés. Dans les cabinets d'antiquités chrétiennes, on voit de
ces colombes divines en métal. L'orbite des yeux incrusté de
rubis ou d'autres pierres précieuses, le bec en or ou en cuivre
doré comme les serres et les pattes, l'émail rouge incrusté sur
la tête et la poitrine, l'émail bleu-vert et blanc coulé dans les
ailes, tout cela rappelle le bec d'or, les yeux lumineux et les
ailes azurées de l'esprit céleste vu par Th eu tram ^
' M. du Sommerard (Atlas des arts au moyen âge, chap. xiv, pi. 3) a donné le dessin
60,
476 INSTRUCTIONS.
A moins que la matière qui entrait dans la composition de
ces colombes ne s'y opposât, ou que l'imagination , comme
celle de Theutram, ne créât des formes ou des couleurs nou-
velles, les colombes divines sont blancbes, lumineuses et ne
dépassent guère, soit en plus, soit en moins, la taille des co-
lombes de la nature. Cependant un Saint-Esprit, planant au-
dessus des eaux au moment où le ciel et la terre, qui viennent
d'être créés, n'offrent encore que le chaos informe et nu, est
noir comme les ténèbres qui couvrent la face de l'abîme. C'est
qu'alors Dieu n'a pas encore fait la lumière , et il faut qu'en
effet les ténèbres soient bien puissantes, pour que la lumière du
Saint-Esprit en paraisse comme éclipsée ^ La couleur blanche
affectée au Saint-Esprit est d'une importance majeure, parce
qu'elle est symbolique. Dans l'antiquité persane, deux génies,
l'un bon et l'autre mauvais , Ormuzd et Ahriman, se disputent
et se partagent le monde. L'un de ces dieux préside au bien et
règne pendant le jour, l'autre au mal et gouverne pendant la
nuit. Ormuzd, le bon génie, est lumineux, éclatant et blanc
comme la lumière qui lui est soumise; Ahriman, au contraire,
est noir et funèbre comme là nuit et les enfers qui lui ap-
partiennent. La lutte qui s'établit entre ces deux principes se
traduit par le combat alternatif et continuel de la lumière et
des ténèbres. De même l'esprit du bien qui, chez les chrétiens,
d'une de ces colombes en cuivre émaillé et doré, qui appartient à M. le colonel Bourgeois.
M. l'abbé J. Corblet, membre de la société des antiquaires de Picardie, a publié un mé-
moire liturgique sur les ciboires du moyen âge , à la fin duquel est dessinée une colombe
émaillée, que possède le musée d'Amiens. Celte colombe, qui est du xii' siècle, paraît
avoir été employée comme custode pour les bosties consacrées. Une cavité peu profonde,
creusée dans le dos, entre les ailes , et fermée par un couvercle qu'on maintenait à l'aide
d'un bouton tournant, servait à cet usage. Cette colombe provient de l'abbaye de Rain-
cheval (Somme). (Voyez les Mémoires de la Société des antiquaires de Picardie, lomeV.)
* C'est à la bibliothèque de l'Arsenal qu'on voit celte ténébreuse colombe , dans un
manuscrit du xiii' siècle, théol. lat. et fr. 8.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENISE. 477
soutient des luttes contre l'esprit du mal, est un esprit de lu-
mière qui combat l'esprit de ténèbres. On a donc attribué au
Saint-Esprit le blanc, la plus lumineuse des couleurs et qui
les renferme toutes, comme on a donné au mauvais esprit le
noir, qui est l'absence complète de la lumière. Tout ce qui pré-
cède nous a parlé de la blanche, de la resplendissante colombe ,
qui porte la lumière partout; elle fait le jour où elle entre, et
laisse la nuit dans tous les lieux d'où elle se retire. Dans le des-
sin suivant, un oiseau, un esprit, mais un esprit malfaisant,
souffle à un magicien des pensées mauvaises et noires comme lui.
120. ESPRIT MALFAISANT, NOIR.
Miniature franco -germaine, xi' siècle.
Ce ténébreux esprit, violent dans son attitude, efflanqué dans
tout son corps, allonge son maigre cou vers l'oreille du mauvais
savant, qui écrit les mauvaises pensées qu'on lui inspire \ L'art
' Ce dessin est pris sur une miniature de YHorlus cbliciarnm.
478 INSTRUCTIONS.
chrétien traduit volontiers par la forme d'un oiseau le mot
esprit. Quand l'esprit est bon l'oiseau est blanc, et quand il
est mauvais l'oiseau est noir : c'est le démon ^ Nous le voyons
sous cette forme et avec cette couleur dans le dessin qui suit.
Satan, espèce de moucheron humain , ailé comme une chauve-
souris , vole à tire d'ailes vers une statue de femme , une idole
nue de déesse païenne, laquelle est debout sur une colonne où
ses adorateurs l'ont placée.
12 1. ESPRIT DU MAL , AME D'UNE IDOLE.
Miniature française, xvi* siècle^.
Outre les exemples qui précèdent , on voit souvent dans les
vitraux, dans les manuscrits à miniatures et les tapisseries,
Jésus-Christ, les saints, les apôtres chassant les mauvais es-
prits qui habitent des démoniaques; alors on remarque un ou
plusieurs oiseaux s'échappant de la bouche des possédés, et
' Hermas dit dans le Pasteur : «Tu autem crede Spiritui venienti a Deo, habenli
u virtutem. Spiritui autem terrestri vacuo, qui a diabolo est, in quo fuies non est neque
« virtus , credere noli. » (S. Hermae Pastor, lib. II , mandata 9 , apud Fabricium , Codex apo-
cryphus Nov. Test. III' pars , pag. 908.)
* Saint Augustin, Cité de Dieu, nis. de la biblioth. Sainle-Geneviève, fol. 21.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 479
toujours ces oiseaux sont noirs. Dans l'histoire du diable on
trouvera une grande quantité de textes où Satan est appelé
Ethiopien, noir, enfumé, ténébreux, tandis que les bons gé-
nies, les anges, sont blancs et illuminent, presque autant que
le Saint-Esprit lui-même, tous les lieux où ils passent. C'est au
Saint-Esprit surtout qu'il faudrait appliquer ce que Dante dit
des anges : « Plus s'approchait de nous l'oiseau divin, plus bril-
lant il apparaissait, de sorte que de près les yeux ne pouvaient
soutenir sa splendeur ^ »
LE SAINT-ESPRIT EN HOMME.
Le Saint-Esprit prend souvent une forme moins commune ,
mais plus curieuse que celle de l'oiseau , c'est la forme humaine.
La colombe, depuis les vi"" et vu" siècles jusqu'à nos jours, a
constamment représenté le Saint-Esprit; mais vers le x*" siècle,
à ce qu'il paraît, on lui donne un symbole rival. Ce nouveau
type n'a jamais joui d'une grande faveur; la durée en a été plus
courte que celle de la colombe et l'usage beaucoup plus res-
treint. C'est au x*" siècle seulement qu'on commence à figurer
le Saint-Esprit en homme, et, vers la lin du xvi", on en revient
exclusivement à la colombe que , du reste , on n'avait pas cessé
de représenter. «Quand on approche des temps modernes,
dit M. Cyprien Robert, le génie de l'invention cherche à re-
présenter l'Esprit saint comme un beau jeune homme, comme
l'éternel adolescent dont est éprise la nature^. Mais le pape,
dans un bref qu'on verra cité ailleurs, prohiba cette icône
comme contraire aux traditions. A la rigueur, il n'y a que le
Verbe qui devrait revêtir la forme humaine; car toute révéla-
tion extérieure de la divinité se fait par lui : le créateur dans
' Divine comédie j Purgatoire, chant. II.
* « Chronique de Strasbourg, année i/jo/j. » C'est M. Robert qui lait la citation.
480 INSTRUCTIONS.
le Paradis terrestre, et le Jéhovah du Sinaï ne sont que lui-
même. Pourtant, on comprend qu'alors il apparaisse sous la
figure d'un vieillard et soit ainsi confondu avec le Père éter-
nel. Mais, pour le Saint-Esprit, il n'est aucun moyen de lui
donner la forme humaine sans tomber à l'instant dans les mé-
prises les plus graves. Ainsi la papauté eut raison de tenir
ferme et de maintenir l'antique colombe ^ »
L'un des premiers et des plus célèbres exemples du Saint-
Esprit fait homme par la puissance de l'art est déposé dans le
manuscrit anglais attribué à saint Dunstan, mort en 988, et
qui fut archevêque de Cantorbéry. Les trois personnes sont
représentées sous forme humaine dans ce curieux volume. Le
Père est en empereur et vieux ; le Fils , en Christ et tenant sa
croix, est plus jeune et peut n'avoir que trente ans ; le Saint-
Esprit, sans attribut, est jeune et presque imberbe^ Au xii^
^ Cours d'hiéroglyphique chrétienne, dans l'Université catholique, t. VI, p. 352. La
représentation du Saint-Esprit en homme est plus ancienne que ne le croit M. Robert;
on en connaît un exemple qui date du x° siècle, et il y en a peut-être d'autres anté-
rieurs. Le bref dont parle M. Robert est sans doute celui d'Urbain VIII; mais la défense
s'applique à la représentation de la Trinité sous forme d'une lête unique à trois visages,
ou de trois tètes sur un seul corps, et non pas à la représentation du Saint-Esprit sous
forme humaine. Au reste, du moment où il est permis de figurer en homme le Père,
qu'on n'a pas vu, on ne peut défendre de représenter sous cette forme le Saint-Esprit
lui-même. En iconographie comme en théologie, les trois personnes divines sont uon-
seulement semblables, mais encore égales entre elles; ce qui est attribué à l'une convient
également à l'autre. On fait fort bien de représenter le Sainl-Esprit sous la forme d'une
colombe, mais on ferait encore mieux de lui donner la forme humaine. Le concile in
Trullo s'éleva contre l'usage de figurer Jésus en agneau el prescrivit de le représenter
en homme; il serait à désirer également que le symbole de la colombe cédât, relative-
ment au Saint-Esprit, devant la forme humaine. Je fais des vœux sincères pour que les
artistes chrétiens revêtent le plus souvent possible de la figure humaine la troisième per-
sonne de la Trinité; on peut trouver dans ce type, disgracié jusqu'alors, mille motifs
nouveaux et pleins de charme.
M. le comte Auguste de Bastard {Peintures et ornements des manuscrits) a reproduit
cette Trinité de S. Dunslan.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 481
siècle, en 1180, le manuscrit d'Herrade donne les trois per-
sonnes parfaitement égales d'âge, d'attitude, de costume et
de physionomie; le Saint-Esprit, comme les deux autres per-
sonnes, est la un homme de trente à trente-cinq ans. Un peu
avant cette époque, mais au commencement du même siècle,
Abailard , à ce qu'il paraît, aurait fait sculpter sur pierre la
Trinité comme Herrade la figura. C'est pour f abbaye du Para-
clet, à Nogent-sur-Seine, qu'il fit exécuter cette représentation.
Ce curieux monument n'existe plus; il a été détruit à la révo-
lution. Mais le P. Mabillon, qui favait vu probablement, dit
que le Saint-Esprit, ayant la forme humaine, croisait ses
mains sur sa poitrine et disait : « Je suis le souffle de fun et
de l'autre (du Père et du Fils). » L'Esprit portait une couronne
d'olivier, se drapait dans une longue robe et partageait avec le
Fils le manteau du Père^
Une trop grande propension à confondre l'Esprit avec les
deux autres personnes, et la discussion que les doctrines d' Abai-
lard avaient soulevée à ce sujet, semblent interrompre pen-
dant cent ou cent cinquante ans les représentations du Saint-
Esprit sous forme humaine. Mais on y revient au xiv^ siècle;
on les multiplie aux xv*" et xvi% pour les abandonner totalement
vers 1 56o, sous François P''. Du xiv*" au xvi*" siècle, ces repré-
sentations abondent et, en ne considérant le Saint-Esprit que
sous le rapport de l'âge , nous le trouvons ayant la forme
humaine, depuis l'enfance la plus tendre, et âgé de quelques
mois, de quelques années seulement, jusqu'à la vieillesse assez
avancée. Un manuscrit" nous le montre porté sur les eaux au
' Annales henedict. VP vol. p. 85, n" i 4- Le monument dont Mabillon donne la des-
cription n'était certainement pas du temps d'Abailard, mais de la fin du xv' siècle. Il
est fâcheux que le savant bénédictin n'ait pas discuté l'âge de cette sculpture, qui
n'existe plus.
' Manuscrit contenant divers offices, Bibi. roy. Snppl. 1. 638. Le Créateur porte un
INSTRUCTIONS. H. 6l
482 INSTRUCTIONS.
moment où Dieu crée le ciel et la terre. Ce Saint-Esprit est
étendu sur les vagues, légèrement agitées; c'est un enfant nu,
tout jeune, et qui vient de naître.
122.
SAINT-ESPRIT EN ENFANT ET POUTE SDH LES EAUX,
Miniature du xiv° siècle.
On croirait voir le petit Moïse flottant sur les vagues du
Nil et recueilli par la fille de Pharaon. Mais ici c'est le Verbe
de Dieu qui est sur la rive ; il sépare la lumière des ténèbres.
Dans un autre manuscrit, le Saint-Esprit est plus avancé en
âge. C'est encore un enfant et le Père éternel le porte dans
nimbe en or, à rayons rouges et nombreux, mais sans croix. Le globe qu'il tient à la
main gauche est sans croix également. Quant au Saint-Esprit, il est totalement privé de
nimbe. C'est aux trois quarts du manuscrit, avant l'office in Dominica in palrnis, qu on
trouve cette miniature. Malgré mes recommandations les plus fréquentes et les plus po-
sitives, mon dessinateur a donc ajouté trois caractères qui ne sont pas dans l'original ;
je devais signaler ces erreurs , qui sont assez graves et que j'aurais fait disparaître si je
m'en étais aperçu à temps.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 483
ses bras, comme une mère l'enfant qu'elle nourrit; mais il a
de huit à dix ans déjà.
123. SAINT-ESPRIT EN ENFANT DE HDIT OD DIX ANS DANS LES BRAS DO PERE.
Miniature française, xvi° siècle'.
C'est âgé de quinze ans que nous le voyons dans une Trinité
dessinée pour illustrer un paradis de Dante^. Il n'en a que dix
ou douze dans une planche que nous avons donnée plus haut^.
Dans un manuscrit de la Bibliothèque royale \ le Saint-
Esprit a déjà de la barbe; il porte de vingt à vingt-cinq ans;
il en a trente sur un bas-relief du xvf siècle, qui décore le tym-
pan d'une église de village^ Le Saint-Esprit y est reconnais-
sable par la colombe divine qu'il porte sur la main gauche ,
contre sa poitrine. Jusqu'alors ce beau jeune homme se montre
comme le frère de Jésus, dont il a la figure, la physionomie,
' A la bibliothèque Sainle-Geneviève, Heures latines , n° k^U-
- xvf siècle. L'ouvrage où se trouve ce dessin appartient à M. Longueville Jones
correspondant anglais du comité historique des arts et monuments.
' Page 220, planche 61.
' L'Aiguillon de l'amour divin, ïn-li", n" bog/i ou 7276, xv' siècle.
'" Voir plus bas, p. 5o8, pi. 126. 3
61
Wi INSTRUCTIONS.
la taille et l'attitude. La couleur et la longueur des cheveux
sont les mêmes aux deux personnes divines; mais le Sainl-
EsjDrit est plus jeune que Jésus, plus jeune surtout que le Père
éternel. Jésus est le frère aîné de cette divine famille. Le dogme
déclare que le Verbe est le fds de Dieu le père, et que le Saint-
Esprit procède du Père et du Fils. Ces trois personnes sont
coéternclles et aussi âgées Tune que l'autre. Mais l'art a voulu
figurer à sa façon, matériellement et pour les yeux, la fdia-
tion du Verbe et la procession de l'Esprit; il a donc représenté
le Fils plus jeune que le Père et l'Esprit plus jeune que le Père
et le Fils. De là ces trois âges différents, qui seraient une
hérésie en théologie, s'ils étaient destinés à figurer une diffé-
rence réelle dans l'âge; mais ils sont orthodoxes, d'une façon
grossière il est vrai, parce qu'ils caractérisent seulement la
différence de relation des personnes divines entre elles.
Sur les stalles de la cathédrale d'Amiens \ le Saint-Esprit a
gagné trois ou quatre ans; il porte absolument le même âge
que Jésus-Christ, qui est assis près de lui et qui, comme lui,
assiste au couronnement de la vierge Marie par le Père éter-
nel. Le Saint-Esprit et Jésus sont devenus deux frères ju-
meaux, et, le Père étant aussi jeune qu'eux, il n'y a plus dans
ce tableau l'idée de famille ni de génération, mais celle de la
coéternité et de l'égalité des trois personnes.
Dans le manuscrit d'Herrade, on dirait que le Saint-Esprit
a quarante ans, comme les deux autres personnes divines. La
figure est plus sérieuse, plus sévère et même plus triste que
dans tous les exemples précédents, où la physionomie est bien
accentuée, suivant la différence de l'âge, et où, de bruyante
pour l'enfant, de gaie pour le jeune homme, elle est grave
pour l'homme mûr, qui vient d'atteindre trente ans.
Rangée de gauche en regardant le maitre-autel, à l'extrémilé opposée à la nef.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 485
Enfin différents monuments^ donnent le Saint-Esprit âgé, à
barbe longue, à cheveux gris ou blancs, à front ridé; il a cin-
quante, soixante, soixante et dix ans, comme le Père éternel
lui-même. Le Père éternel alors, et c'est au xv^ siècle, recon-
quiert la puissance qu'il avait perdue pendant tout le moyen
âge : il impose sa figure et ses traits au Saint-Esprit et même
à Jésus-Christ; il fait tout le monde à son image et à sa res-
semblance. Alors la paternité, la filiation et la procession dis-
paraissent, chassées par la coéternité et l'égalité des trois per-
sonnes.
Ces portraits du Saint-Esprit en homme, quoique peu
rares, surtout au xv'' siècle, sont cependant beaucoup moins
nombreux que les représentations de la colombe; la différence
de proportion est peut-être de un sur mille. D'ailleurs ces
hommes divins se montrent tard et disparaissent avec la re-
naissance. Or le symbole delà colombe, quelque pur et élevé
qu'il soit, est inférieur à celui de fhomme, comme un oiseau
est inférieur à un être humain. On aime donc, après l'avoir vu
si longtemps et si souvent abaissé à la condition d'un oiseau , on
aime à voir le Saint-Esprit se transformer, comme on regarde
avec plaisir un insecte grossier se changer en un papillon
brillant, élégant et alerte. De l'oiseau à l'homme il y a pro-
grès. Quand on passe sa vie dans l'archéologie et qu'on ren-
contre à chaque pas, à chaque siècle, dans chaque monu-
ment, le Saint-Esprit sous la forme d'un oiseau, on applaudi-
rait volontiers avec joie lorsque par hasard se montre à vous
un beau jeune homme imberbe ou à la barbe blonde et fine,
aux joues fraîches et roses, aux cheveux onduleux et dorés,
au sourire doux et bienveillant. Ce divin adolescent, on l'em-
* Notammenl les manuscrits qui sont à la Bibliothèque royale, et connus !<ous le
nom de Bréviaire de Salisbury et (.Y Heures du duc d'Anjou, Lavall. 82 et 127.
^i86 INSTRUCTIONS.
brasserait volontiers comme ferait une mère qui aurait laissé
partir un fils tout jeune, encore enfant, et qui, après une
longue absence, le reverrait beau garçon, très-grandi , très-
distingué, très-intelligent, ayant fait fortune, étant devenu
un liomme.
Quoique ce portrait du Saint-Esprit en homme ait été aban-
donne à la renaissance, c'est à nous de le reprendre et de le
perfectionner encore ; les artistes chrétiens ne doivent pas
laisser périr un si beau sujet, soit dans les représentations de
la Trinité entière, soit dans celles du Saint-Esprit tout seul.
L'Esprit en homme n'a pas fini sa carrière; c'est à l'avenir sur-
tout qu'il appartient d'honorer l'intelligence , de cultiver la
raison dans le Saint-Esprit, comme le passé a vénéré la puis-
sance dans Dieu le père et l'amour dans Dieu le fils.
PROPRIETES DU SAINT-ESPRIT.
Jusqu'à présent nous avons considéré le Saint-Esprit comme
une personne une et indivisible; mais, si nous avons cherché à
le définir en le montrant comme dieu de l'intelligence, nous
n'avons pas encore analysé ses propriétés diverses et spé-
ciales. Il nous reste donc à dire quels sont les attributs di-
vins du Saint-Esprit et les qualités qu'il possède en propre.
On lit dans Isaïe ^ : « Un rameau sortira de la tige de Jessé,
et de sa racine montera une fleur, et I'esprit du Seigneur se
reposera sur lui^ : l'esprit de sagesse et d'intelligence, fesprit
' Cap. XI, vers, i, 2 et 3 :
' A la bibliothèque de l'Arsenal, dans le Spéculum humanœ salvationis , manuscrit du
xiv° siècle, Tliéol. lat. /ia B, f° G recto, on voit Jessé assis. De la poitrine du patriarche
sort un arbre, un rosier. Au sommet de cet arbre brille une rose à cinq pétales, au
centre de laquelle, comme dans un berceau de fleurs, est un oiseau marchant, une
petite colombe. C'est le Saint-Esprit qui se repose dans cette fleur. En 1007, dit le
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 487
de conseil et de force, l'esprit de science et de piété; l'esprit
de la crainte de Dieu le remplira. »
Ces paroles s'adressaient au Messie, à Jésus, à Emmanuel,
qu'une vierge devait concevoir et enfanter ; à ce petit enfant
qui devait porter la royauté sur ses épaules et s'appeler ad-
mirable, conseiller, dieu, fort, père du siècle futur, prince
de la paix^ Cet enfant divin était donc revêtu de l'esprit de
Dieu, dont les facultés sont au nombre de sept, car il possède
en propriété la sagesse, fintelligence, le conseil, la force, la
science, la piété, la crainte.
L'art chrétien a figuré très- souvent ce tableau : un arbre
s'échappant des entrailles, de la poitrine ou de la bouche'^ de
Jessé. Le tronc symbolique jette à droite et à gauche des ra-
meaux qui portent les rois de Juda, les ancêtres du Christ;
au sommet est assis sur un trône, ou dans le calice d'une
fleur gigantesque, le Fils de Dieu. Tout autour de Jésus, et
comme lui formant une auréole ovale, s'échelonnent sept co-
lombes, disposées trois à gauche, trois à droite et une au som-
met. Chacune inspire à Jésus la qualité qui lui appartient spé-
cialement : l'une la sagesse, l'autre l'intelligence, la troisième
le conseil et ainsi des autres. Ces colombes, blanches comme
R. P. dom Guéranger [Institutions liturgiques, vol. 1, p. Sog), Fulbert, évêque de
Chartres , composa Y Introït sjjivanl pour la nativité de Marie :
Slirps Jesse virgam produxit , virgoque florem ,
Et super liunc florem rcquiescit Spiritus almus.
Virgo Dei gcuitrix virga est ; Uos , Filius ejus.
^ Isaias, cap. vu, vers, i/j; cap. ix, vers. 6. De ces dernières paroles on a fait Ylntroii
qu'on chante encore à la messe de Noël.
- A Reims, c'est de la bouche de Jessé, c'est-à-dire de l'organe de l'intelligence, et
non de la poitrine ou des entrailles, organes de la vie matérielle , que sort l'arbre mys-
tique qui porte à son sommet une grande fleur où repose le Messie, Jésus, l'Emmanuel
d'Isaîe. (Voyez, à la bibliothèque de Reims, le manuscrit intitulé Bible hisloriale ; il est
du xiif siècle et il a pour n° 28.)
78
488 INSTRUCTIONS.
le Saint-Esprit , et ornées comme lui d'un nimbe crucifère ,
ne sont pas autre chose que la représentation vivante des sept
propriétés du Saint-Esprit. Le Saint-Esprit est dessiné sous
la forme d'une colombe; chacune des sept énergies qui le
distinguent est, elle aussi, figurée sous cette même forme.
Ce sont, pour ainsi dire, sept personnifications de ce Dieu
un en sept propriétés, comme la divinité absolue est une en
trois personnes réelles. Plus haut, nous avons donné un des-
sin tiré du psautier de saint Louis ^ où l'on voit le Christ au
sommet de l'arbre généalogique et entouré des sept Esprits ;
ici, Jésus est porté par sa mère, et les sept petites colombes
divines volent vers fenfant et semblent le réjouir de leur
chant mystérieux.
124- JÉSUS ENVIRONNÉ DES SEPT DONS DU SAINT-ESPRIT.
Miniature française, xiv° siècle ^.
Il est important de constater la place occupée par ces co-
lombes relativement à Jésus, qu'elles environnent comme
' Voyez page i23, pi. /jo.
^ Manuscrit de la Biblioth. roy. Biblia sacra, 6829. Rien n'est plus fréquent que de
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 489
d'un cercle. Au chapitre de Dieu le père , on a dit quel était
l'esprit de l'esthétique chrétienne dans la hiérarchie des ob-
jets entre eux; on se contentera donc de rappeler que le haut
l'emporte en distinction sur le bas, que la gauche est infé-
rieure à la droite et la circonférence au centre. Le sommet est
préféré à la base et la droite à la gauche, de même que le foyer
l'emporte sur le rayonnement. Or, dans Isaïe, l'ordre donné
aux dons du Saint-Esprit est celui-ci : sagesse, intelligence,
conseil, force, science, piété, crainte de Dieu. Si l'on s'élève
en commençant par la crainte de Dieu , on aura la sagesse au
sommet; si au contraire on place la sagesse au bas de la série,
c'est la crainte de Dieu qui dominera sur l'échelon supérieur.
Mais , dans les deux cas, la force et la science occuperont le mi-
lieu, ïsaïe, en commençant parla sagesse et en finissant par la
crainte, n'a pas dit malheureusement s'il montait ou s'il des-
cendait d'une propriété à une autre; on ne sait donc pas où est
la racine, où est la base, où est le sommet, où est la suprême
vertu, où est au contraire la plus humble. Les symbolistes et
les artistes du moyen âge ont eu le champ libre aux conjec-
tures, et la place qu'ils ont donnée à telle propriété doit avoir
probablement un sens et être l'expression de telle préférence
ou de telle antipathie. Dans un ordre d'idées analogues, on
voit que parmi les trois vertus théologales, la foi, l'espérance
et la charité , tel artiste ou tel moraliste de cœur, a mis la
charité en tête; tel autre qui souffrait, l'espérance; un troi-
sième, qui sentait le prix extrême de la croyance, et que les
douleurs du scepticisme ont broyé, place la foi par-dessus
voir les colombes environnant ainsi Jésus homme ou enfant. On les remarque deuxfoi>
sur les vitraux de l'église de Saint-Denis, Irois fois sur ceux de la cathédrale do Chartres,
une fois sur les vitraux de la collégiale de Sainl-Qucntin, des cathédrales d'Amiens et
de Beauvais, et sur ceux de l'église de Breuil, village de l'arrondissement de Reims.
INSTRUCTIOiNS. — II. 62
490 INSTRUCTIONS.
tout. Fénélon et saint Vincent de Paule auraient pu préférer
la charité aux deux autres vertus ; mais saint Jérôme, Tertul-
lien et Bossuet auraient certainement préféré à la charité la
foi. Ainsi , dans la place que l'on fait occuper à une vertu , se
révèle une sympathie individuelle et quelquefois une sym-
pathie sociale. Ce qu'on vient de dire en effet de Fénélon , de
saint Vincent de Paule, de Bossuet, de saint Jérôme et de Ter-
tuUien , on peut le dire de la société entière. Quand, à telle
époque, à tel siècle, c'est la foi qui l'emporte, on met cette
vertu au pinacle; on la fait reine, on la couronne, on l'assied
sur un trône. La foi domine alors ses deux compagnes. Au con-
traire, lorsque la société est croyante, mais écrasée par des
souffrances de toute espèce; lorsque les guerres, les famines,
les maladies désolent un pays, ce pays se réfugie dans l'espé-
rance; on fait descendre la foi de son trône pour y placer
l'espérance. Mais lorsque le sentiment moral est oblitéré ,
lorsque le cœur malsain ou aveuglé est stérile ou ne sait plus
se diriger, alors c'est la charité qu'on fait luire comme un
phare et qu'on propose en remède à l'espérance.
11 en est arrivé ainsi effectivement. Aux premiers jours du
christianisme, il fallait croire avant tout et croire à l'incar-
nation du Verbe , à l'immortalité de l'âme , à la résurrection
des corps; tous les monuments figurés se sont imposé la tâche
de provoquer la foi. Les anciens sarcophages, les fresques des
catacombes, les mosaïques des basiliques romaines offrent
constamment aux regards Jésus qui naît, agit et ressuscite.
Sans cesse la vie est extraite de la mort, pour montrer qu'au
jugement dernier le corps ressuscité sortira du tombeau : Jo-
nas est vomi par la baleine, les trois enfants de Babylone sont
respectés par le feu de la fournaise , Jésus ressuscite Lazare.
Alors il faut croire, puisqu'il s'agit de substituer une religion
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 491
à une autre : c'est le règne de la foi. Mais dans les mauvais
jours, à l'époque des invasions des barbares d'abord, des Nor-
mands ensuite, surtout après la mort de Charlemagne, quand
l'empire se disjoint de tous côtés, et que la guerre court d'une
province dans une autre et se promène de ville en ville;
quand la féodalité s'enfante et quand les appréhensions de l'an
1 000 viennent effrayer toutes les âmes, alors c'est à fespérance
qu'on s'adresse; c'est l'espérance qu'on place à la tête des trois
grandes vertus. On croit, et la foi n'est plus mise en doute;
mais il faut espérer au milieu de ces terribles événements qui
semblent ôter toute espérance. Au xn^ siècle , tout se raffer-
mit : on a passé l'an looo et l'on s'étonne de vivre encore.
La royauté, bienfaisante et forte, écrase ou domine les petits
tyrans féodaux; prévoyante, elle établit l'ordre, elle réforme
ou plutôt elle invente fadministration. On est heureux; mais,
comme dans tout bonheur, on se laisse aller à la nonchalance,
au luxe, à la bonne chère, au plaisir. Il faut donc relever ces
âmes amollies et égoïstes par l'ardeur et le dévouement de la
charité.
En cherchant bien , on retrouve dans les sculptures des
cathédrales, dans les peintures des vitraux, dans les minia-
tures des manuscrits, ces différences de sympathies qui té-
moignent d'une différence d'époque; on va même jusqu'à sur-
prendre dans des édifices de même âge , mais de pays diffé-
rent, une différence individuelle. Ainsi, à la cathédrale de
Paris, comme on fa déjà remarqué, on préfère les confesseurs
aux martyrs, c'est-à-dire l'intelligence à la foi; à Chartres,
au contraire, la foi a le dessus sur l'intelligence, les martyrs
sur les confesseurs. A Notre-Dame de Brou, dans une église
bâtie par une femme, la charité prime toutes les autres ver-
tus. Pendant la renaissance, on est plutôt païen que chrétien;
62.
492 INSTRUCTIONS.
on néglige, non-seulement l'une des vertus théologales, mais
toutes les trois à la fois, pour leur substituer les quatre vertus
cardinales, la prudence, la justice, la tempérance et la force,
vertus morales et que le paganisme exaltait avant tout. En
résumé, les vertus personnifiées et représentées dans les mo-
numents chrétiens témoignent, par leur nature , leur nombre
et la place qu'elles occupent, de l'état social de l'époque et
du pays où on les représente. Par conséquent la place resjoec-
tive donnée aux sept dons ou propriétés du Saint-Esprit ne sau-
rait être indifférente. Il suffirait d'avoir appelé l'attention sur ce
sujet pour en démontrer l'importance , mais il ne sera pas inutile
de produire quelques exemples à l'appui de notre observation.
Isaïe, avons-nous dit, laisse de l'incertitude sur la place
qu'il assigne à la sagesse et à la crainte. En étageant les sept
vertus, faut-il mettre la crainte en bas et la sagesse en haut.^
Il est probable qu'il en est ainsi, car Isaïe, en nommant la sa-
gesse avant toutes les autres et en terminant par la crainte, éta-
blit une série dont les analogues sont toujours descendants.
La sagesse marche en tête comme un chef suivi de ses subor-
donnés. De plus, la crainte est un sentiment assez simple, tan-
dis que la sagesse est une vertu complexe; la sagesse est donc,
à ce titre, une plus grande vertu que la crainte. C'est ainsi que
toutes ies civilisations et toutes les religions l'ont entendu.
L'homme qui se règle sur la peur est inférieur à celui que la
sagesse dirige. Enfin un texte sacré, corrélatif à celui d'Isaïe,
semble donner une solution complète. Il est dit, dans les
Psaumes, que la crainte est le commencement de la sagesse ^;
la crainte entière n'est donc qu'une partie de la sagesse, qui
est un grand tout. De la crainte naît la sagesse , comme de la
racine l'arbre entier et son sommet. Ainsi donc le dernier des
« Initium sapientiae timor Domini. » Psal. ex, v. lo.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. /i93
dons nommés par Isaïe est le plus faible, tandis que le pre-
mier est le plus puissant; la crainte doit être placée au bas.
De la piété à la science, à la force, au conseil , à rintelligeiice
on arrive à la sagesse, comme du bas d'une échelle on par-
vient jusqu'au sommet. Telle doit être la disposition en ligne
verticale; en ligne horizontale, la sagesse doit être à la tête et
la crainte à l'extrémité opposée. Pdiaban Maur, dans le poëme
déjà cité, a disposé en croix les sept dons du Saint-Esprit; il
les échelonne verticalement , puis il les distribue horizontale-
ment, comme nous venons de l'indiquera
Voici à peu près la figure que dessine cette disposition :
spiritus
sapientiae ,
spiritus
intellectus,
spiritus
spiritus spiritus spiritus consilii, spiritus spiritus spiritus
sapientiœ , intellectus , consilii , fortitudinis , scientiœ , pietatis , tinioris.
spiritus
scientiœ ,
spiritus
pietatis,
spiritus
timoris.
En ligne circulaire et continue, les vertus doivent être placées
à peu près comme les heures dans le cadran. La première et la
plus importante , la sagesse , doit être en haut où l'on place
une heure; la crainte, où on lit douze heures. En arcade cin-
trée ou ogivale , la crainte doit être à la naissance du cintre, à
gauche; la piété à la naissance du cintre, à droite, et la sa-
gesse à la clef de l'archivolte. Telle devrait être la disposition
' Rhaban Maur, De laudibus sanctœ Crucis, i" volume des Œuvres complètes , p. o 1 2 ,
fig. XVI.
fiÇf'i INSTRUCTIONS.
normale et conforme au texte d'isaïe; mais, par les raisons don-
nées plus haut, par les préférences des époques et des pays,
par les sympathies ou l'humeur des individus, il a dû y avoir
et il y a eu en effet des inversions. Toutes ces variétés doivent
être signalées avec soin, parce qu'il peut y avoir un ensei-
gnement et des déductions historiques à en tirer.
Dans l'Apocalypse \ l'agneau est doué de sept yeux et de
sept cornes, qui sont les sept esprits de Dieu; le lion de Juda,
le Christ, reçoit les sept dons de l'esprit divin; or ces sept dons
diffèrent, à quelques égards, de ceux d'isaïe, quant au nom
et quant à la hiérarchie; les voici en regard tels qu'on les
trouve dans Isaïe et dans l'Apocalypse :
haïe. Apocalypse.
SAPIENTIA. VIP.TUS.
INTELLECTUS. DIVINITAS.
CONSILIUM. SAPIENTIA.
FORTITDDO. FORTITUDO.
SCIENTIA. HONOR.
PIETAS. GLORIA.
TIMOR. BENEDICTIO.
La force et la sage'^se sont les seuls noms communs aux
deux textes. La force est à la même place, au milieu, dans
l'un comme dans l'autre; mais la sagesse est à la première
place dans Isaïe et à la troisième dans l'Apocalypse. Quanl
aux autres noms, ils diffèrent assez notablement pour qu'on
ne puisse pas les trouver tous analogues. On comprend que
la sagesse, mise en tête des sept dons par Isaïe, puisse s'appeler
la vertu par excellence, puisqu'elle en est la plus haute ex-
' Apocalyp. cap. v, v. 6 el 12. «Vidi.... Agnuin stantem lanquam occisum, liabentem
« cornua septem et oculos septem, qui sunt septem spiritus Dei missi in omnem terram.
" — Dignus est Agnus , qui occisus est, accipere virtuleai , et divinilatem, et sapientiam ,
« el forliludinem, ethonorem, el gloriain, et benediclioncm. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 495
pression. Mais entre crainte et bénédiction , entre gloire et
piété, entre science et honneur, on ne saisit pas bien le rapport,
si ce n'est que la bénédiction peut être cause de la crainte , et
que l'honneur et la gloire sont la conséquence, le produit de
la science et de la piété. Quant à l'intelligence d'Isaïe, elle est
appelée la divinité par l'Apocalypse; ce fait viendrait -il en
aide à ceux que nous avons donnés pour prouver que l'Esprit
divin était le dieu de l'intelligence et non de l'amour i'
Quoi qu'il en soit, si des différences aussi notables se cons-
tatent entre la prophétie d'Isaïe et l'ApocaWpse de saint Jean,
il faut s'attendre à en trouver quelques-unes dans les sculp-
tures et peintures qui représentent les sept esprits, les sept
colombes environnant Jésus. A la Sainte-Chapelle de Paris,
dans Notre-Dame de Chartres, dans l'église de Breuil, village
de l'arrondissement de Reims; dans l'église de Saint-Denis,
on voit, peint sur des vitraux, ce sujet du Christ entouré des
sept colombes. Les manuscrits à miniatures offrent fréquem-
ment le même motif exécuté depuis le xif siècle jusqu'au xvr.
Mais rarement chaque colombe porte son nom; en sorte qu'on
ne peut dire avec certitude que la première est l'esprit de sa-
gesse, la seconde l'esprit d'intelligence et ainsi des autres'. Un
manuscrit, qui est de la seconde moitié du xiii'' siècle^, offre
les esprits qui sont nommés tous les sept et disposés en arcade
autour de Jésus. A gauche, en montant, on a les esprits de con-
seil, d'intelligence et de sagesse; à droite, en montant, on a les
esprits de force, de science et de piété. L'esprit de crainte do-
' A Cliaiires, au vitrail de droite du portail occidental, et a Saint-Denis, vitrail de
l'abside, bas-côté de droite, les noms sont écrits autour du médaillon qui environne
chaque colombe , mais en caractères trop fms ou trop elTiicés pour que j'aie pu les lire ;
j'y ai cependant apporté la plus extrême attention et j'y suis revenu à ilivcrses reprises.
* Vercjier de Solas, Sujjpl. fr. ir , in-fol.
946 INSTRUCTIONS.
mine à la clef, au sommet de l'arcade. Cet esprit semble donc
s'appuyer à gauche sur la sagesse et à droite sur la piété, tan-
dis qu'il paraît poser les pieds sur le conseil et la force. L'intel-
ligence et la science , en regard l'une de l'autre , sont au mi-
lieu. Dans cet ordre, c'est la crainte qui est la vertu suprême,
disposition tout hébraïque et toute conforme à la religion
juive , où la peur de Dieu est imposée aux hommes, de même
que l'amour est la loi fondamentale de la religion chrétienne.
Ceci est en tête d'un arbre de Jessé qui porte à son sommet la
\ ierge tenant Jésus.
En face de cet arbre, dans le même manuscrit, la Vierge
tient encore l'enfant Jésus , et les sept colombes environnent
également l'enfant dieu. Les noms accompagnent les colombes;
mais leur ordre est différent. Disposées en arcade, comme les
claveaux d'une archivolte, les colombes partent de la nais-
sance de l'arcade, à gauche, et montent au sommet, où se
trouve la quatrième colombe ou vertu, pour continuer et des-
cendre jusqu'à la naissance de l'arcade à droite. Dans cette dis-
position, on suit l'ordre d'Isaïe. A la gauche, qui est inférieure
à la droite, et dans le bas, qui est moins honorable que le haut,
se pose la colombe de la crainte ; puis paraissent celles de la
piété, de la science, de la force, du conseil, de l'intelligence
et de la sagesse. Il faut regretter que la sagesse soit à la fm;
mais cette arcade a été considérée comme une ligne droite,
horizontale, et, dans ce cas, on est complètement d'accord avec
Jsaïe , qui met la sagesse en tête et la crainte à l'extrémité op-
posée.
Enfin le même manuscrit présente, dans une curieuse mi-
niature, une roue morale coupée en sept rayons et composée
de plusieurs cordons concentriques. Les rayons forment sept
compartiments où sont placés, en divers cordons, une des
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE. /iQ?
sept demandes de l'oraison dominicale, un des sept sacrements ,
une des sept armes spirituelles de la justice, une des sept
œuvres de miséricorde, une des sept vertus, un des sept pé-
chés capitaux et l'un des sept dons du Saint-Esprit ^ A prendre
tous ces cordons, cette roue ressemble à une cocarde multico-
lore et plissée de sept plis; à ne prendre que le cordon des
sept esprits de Dieu, c'est comme le cadran d'une horloge,
cadran qui serait divisé en sept et non en douze heures ou
degrés. En suivant l'ordre de ce cadran, on lirait, sur cette
miniature, l'intelligence à la première division, la crainte à la
sixième et la sagesse au point culminant ; les autres sont dis-
posés dans des espaces intermédiaires et s'asservissent à l'ordre
d'Isaïe. Ainsi là, contrairement au premier tableau, c'est la sa-
gesse qui domine, et non la crainte, comme le prophète paraît
le vouloir; la crainte est complètement soumise.
Il ne serait pas très-utile de s'arrêter plus longtemps sur ce
sujet, quoique curieux et fécond en déductions historiques et
en inductions morales. Nous dirons seulement que pour être
conséquent avec la nature du Saint-Esprit, qui est l'intelli-
gence, il faudrait, en représentant les sept colombes, mettre
' Reiner, bénédictin du xiii" siècle, a composé sept hymnes en l'honneur du Saint-
Esprit. Le n<5mbre sept est un nombre sacré au moyen âge. Les auteurs de celte époque
font remarquer avec un plaisir profond qu'il y a sept dons du Saint-Esprit, sept sacre-
ments, sept planètes, sept jours de la semaine, sept branches au chandelier de Moïse,
sept arts libéraux, sept églises d'Asie , sept sceaux mystérieux, sept étoiles et sept trom-
pettes symboliques, sept têtes ou dragon, sept joies et sept douleurs de la Vierge, sept
psaumes de la pénitence, sept péchés mortels, sept heures canoniales. Les mystiques
donnent des explications sur tous les nombres , mais sur le nombre sept spécialement ;
ils font, par addition et par. soustraction, une arithmétique des plus bizarres. (Voyez sur-
tout Bcde, Rhaban Maur et Guillaume Durand.) « Seplenarius numerus est numorus
universitatis 1) , dit Jacques de Vorage, Legenda uurea. De sanctis Machabaeis. — Ma-
homet lui même dit, dans le Koran, ch. ii, verset 27 : « Dieu se porta vers le ciel et en
forma sept cieux. » Dieu, suivant Mahomet, divisa le ciel en sept cieux ou sept couches
concentriques et superposés comme les pellicules de l'oignon.
INSTRUCTIONS. — II. 63
498 INSTRUCTIONS.
rintelligence à la place souveraine, la crainte et la force à la
place tout à fait inférieure, la piété et la sagesse au-dessus de
la crainte et de la force ; enfin , comme approchant de plus
près rintelligence et comme lui servant d'appui , la science
devrait être à gauche et le conseil à droite de cette vertu su-
prême et qui les résume toutes. On aurait ainsi, à la base, le
génie de la force, au milieu, celui de l'amour, et au sommet
celui de la raison. Dans une cathédrale, à l'abside, on fait
rayonner d'ordinaire sept chapelles, comme à Reims, comme
à Chartres : supposez que les deux premières chapelles, à
gauche et à droite, sont dédiées à la crainte et à la force; les
deux suivantes, celle de gauche à la piété, celle de droite à la
sagesse; les deux suivantes à la science et au conseil, et enfin,
celle qu'on nomme chapelle de la Vierge , qui est la princi-
pale chapelle, la plus longue et la plus riche, consacrée à l'in-
telligence. Tel serait l'ordre logique. Du reste , on s'écarterait
ainsi de la disposition voulue par Isaïe.
Quand la place ne s'y oppose pas, quand les dispositions
ont été bien prises, on représente toutes les sept colombes;
mais, dans le cas contraire, on ne se fait pas scrupule d'omettre
deux, trois, quatre colombes et de n'en figurer que cinq, quatre
ou même trois seulement. Les artistes du moyen âge ne s'em-
barrassaient pas pour peu : lorsqu'ils avaient à représenter les
douze vertus principales, les douze mois de l'année, les douze
apôtres, les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse, et que la
place , mal calculée , leur faisait défaut , ils n'en sculptaient
ou n'en peignaient que les deux tiers, la moitié ou un tiers
seulement, suivant l'occurrence. Par contré, lorsqu'ils avaient
trop de place, ils mettaient trente vieillards, quinze mois,
vingt vertus ; ils répétaient une , deux et même trois fois
le même cordon de patriarches, de rois, de martyrs, de
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. /|Ç)Q
vierges ^ Il en est ainsi pour les esprits de Dieu. A Chartres,
dans la nef de la cathédrale, au côté du nord, un vitrail re-
présente Marie tenant devant elle Jésus qui est inscrit dans une
auréole circulaire; là, six colombes blanches et non pas sept
(la place manquait) viennent converger vers l'enfant divin.
12 5. SIX COLOMBES DIVINES AD LIEU DE SEPT.
Vitrail du xiu' siècle, cathédrale de Chartres.
Dans la même cathédrale, à la rose du croisillon septentrio-
nal , il n'y en a que quatre seulement qui viennent inspirer
à Jésus leur don spécial; mais, à la fenêtre droite du portail
occidental, toutes les sept colombes ont été figurées sans ex-
ception. On pourrait facilement trouver et multiplier des exem-
ples analogues.
' A Chartres, où la place abonde, surtout aux porches latéraux, la cathédrale ollre
de ces répétitions : les vierges sages et folles y sont représentées deux fois ; les vertus
et les vices y sont répétés trois fois; les rois ancêtres de la Vierge y sont quatre fois
reproduits. Au portail occidenlal, où la place manquait, on a supprimé deux mois du
zodiaque sculpté à la porte gauche, pour les reporter à la porte droite, où ils n'ont au-
cune signification, mais où ils comblent un vide.
63.
500 INSTRUCTIONS.
Il serait intéressant de constater quels sont les esprits qu'on
a sacrifiés, et ceux, au contraire, qu'on a préférés et représen-
tés. On trouverait certainement dans ce fait des renseignements
curieux. Par exemple, si le peintre de Chartres, supprimant les
colombes de la crainte, de la force et de la piété, avait repré-
senté seulement celles de la sagesse, de la science, du conseil
et de l'intelligence, ne faudrait-il pas en conclure que cet
homme, en esprit indépendant, avait fait un choix dans les
dons mentionnés par Isaïe, et avait préféré , homme de raison,
la raison à tout le reste, à l'amour et à la force?
Il y a plus, Abailard, qui a beaucoup parlé des personnes
divines et qui a disserté sur leur nature, Abailard dit que dans
le Christ n'était pas l'esprit de la crainte de Dieu; c'est du moins
un grave reproche que saint Bernard, son antagoniste, lui a fait.
Un manuscrit de l'abbé de Clairvaux, trouvé par les PP. Mar-
tenne et Durand dans l'abbaye de Vigogne, contient, parmi les
autres propositions hérétiques extraites des œuvres d' Abailard
et envoyées par saint Bernard au pape Innocent II, celle-ci :
« Quod in Christo non fuerit spiritus timoris Domini^ » Abai-
lard, prenant le sens grossier des expressions, ne concevait pas
que Jésus pût craindre son père; du reste, il ne refuse pas au
Christ les six autres esprits. A Chartres aussi, nous trouvons que
sur le vitrail de la nef, qui est postérieur de soixante et dix
années environ à Abailard, il n'y a que six esprits sur sept. Le
septième, qui est supprimé, est précisément celui du sommet,
celui qu'on appelle, dans la miniature d'un manuscrit de la Bi-
bliothèque royale^, l'esprit de la crainte de Dieu. La doctrine
écrite -et prêchée par Abailard aurait-elle donc été peinte par
le verrier de Chartres? Ce fait n'est pas impossible, quand
' Voyage littéraire de deux religieux bénédictins , IV partie, p. 2 i3.
" Le Vergier de Solas, déjà cilc.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 501
nous voyons dans la même église la liberté personnifiée et mise
au milieu des vertus et à la plus belle place; quand le magi-
cien , être dégradé ailleurs, est introduit là parmi les saints et
dans un lieu très-bonorable; quand nous y voyons peintes et
placées à l'abside les légendes apocryplies les plus anatbé-
matisées. Quoi qu'il en soit, ce fait devait être constaté; il fal-
lait appeler fattention des antiquaires sur la corrélation cer-
taine, ou tout au moins fort probable , qui existe pendant tout
le moyen âge entre les doctrines même suspectes, même hé-
rétiques et les monuments figurés; entre les théologiens, les
philosophes et les artistes. Malheureusement nous ne pouvons,
quant à présent et pour ce point spécial, résoudre la question
posée ; car deux de ces vitraux de Chartres ne portent point
d'inscription, et sur le troisième, vu la hauteur, elles sont illi-
sibles. Le sixième esprit, qui manque, pourrait être tout autre
que celui delà crainte; mais, encore une fois, quel que soit
l'esprit oublié ou sacrifié, il faut regretter, pour les inductions
qu'on aurait pu en extraire, de ne pas savoir son nom.
Les sept colombes, comme le Saint-Esprit lui-même, por-
tent un nimbe et un nimbe crucifère ; car, propriétés d'un
dieu, elles sont divines et devaient, à ce titre, se revêtir de
la marque distinctive des personnes de la Trinité. Dans un
manuscrit de la Bibliothèque royale ^ on voit chacune des sept
colombes ornée du nimbe crucifère. A Chartres, les quatre co-
lombes de la rose qui éclaire le croisillon septentrional portent
toutes les quatre un nimbe rouge croisé de blanc.
Mais , nous f avons vu , les sept colombes n'ont pas toutes
la même importance : Tune d'elles représente une propriété
inférieure, la crainte; f autre une propriété suprême, la sa-
gesse. L'art a voulu quelquefois constater à sa manière ces
' Miroir de l'humaine salvaciorij déjà cité.
502 INSTRUCTIONS.
divers degrés. Des six colombes cjiii symbolisent la crainte, la
piété, la science, la force, le conseil et l'intelligence, l'art a fait
des colombes saintes, il est vrai, mais célestes simplement et
non divines; il leur a donné le nimbe des anges et des saints,
mais le nimbe uni. Quant à la sagesse, l'art l'a divinisée; la
colombe qui la représente a été douée, seule entre toutes, du
nimbe crucifère, du nimbe qu'on donne seulement aux per-
sonnes divines. Le dessin tiré du psautier de saint Louis, que
nous avons donné à l'bistoire defauréole^ attribue également
à l'esprit de sagesse une plus grande importance qu'aux six
autres; la colombe qui le représente est non-seulement placée
tout au sommet de l'arbre de Jessé, ce qui est un honneur
spécial , mais la colombe qui le figure est la seule qui porte
un nimbe à la tête. Ce nimbe est uni , c'est vrai , mais il in-
dique une distinction particubère dont ne jouissent pas les six
autres. Du reste, toutes les sept colombes sont enfermées dans
une auréole entièrement circulaire. La gloire, selon le sens
que nous lui avons donné (réunion du nimbe et de l'auréole),
est donc réservée à la colombe de la sagesse, puisque seule elle
baigne son corps dans une auréole et sa tête dans un nimbe.
D'autres fois on revient à fégalité des sept dons, des sept
colombes, et on leur ôte à toutes et la croix du nimbe et le
nimbe entier, en sorte que la nature divine ou céleste leur est
enlevée. Quand ce fait se produit au xvf siècle, il n'est pas
spécial aux esprits de Dieu; car à cette époque tous les saints,
les anges, la Vierge, les personnes divines elles-mêmes per-
dent leur nimbe. Mais, si l'absence du nimbe se remarque
dans le kiy"" siècle, ce pourrait être le résultat d'un oubli. Nous
favons répété plusieurs fois , les artistes ont souvent commis
des erreurs dans leurs dessins, comme les copistes dans leurs
^ Page 123, pi. 4o.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 503
transcriptions. Ainsi, dans un exemple précédent, qui est tiré
d'un manuscrit du xiv*" siècle \ il pourrait y avoir erreur de
l'artiste, oubli et non pas intention ; l'absence de nimbe et de
nimbe crucifère pourrait bien n'être pas significative. Du reste ,
on voit déjà cpie le nimbe perd un peu de sa valeur, puisque
celui de Jésus rayonne de tous côtés et non pas, ainsi qu'il de-
vrait le faire, de trois côtés seulement, du front et des tempes,
pour former les trois aigrettes dont il a été question dans
l'bistoire du nimbe ^. Sur plusieurs monuments figurés, sur-
tout dans les miniatures des manuscrits, les colombes étant
forcément d'une dimension assez petite, il n'est pas facile de
constater si leur nimbe est ou n'est pas crucifère. Les images
du Ver(jier de Solas sont dans ce cas particulièrement.
Gomme le Saint-Esprit, les sept colombes sont blancbes,
ont le bec et les pieds rouges; comme le Saint-Esprit, elles
ont la proportion des colombes naturelles. Pourtant , de même
que TEsprit se montra grand comme un aigle à Tlieutram ,
gardien de la catbédrale de Strasbourg, de même aussi ses
propriétés grandissent quelquefois jusqu'à prendre la taille du
plus grand aigle. Mais, en général, les colombes du Saint-
Esprit sont plus petites que le Saint-Esprit lui-même; car la
fraction doit être moindre que le tout. Dans ce cas, on les voit
aussi petites que les colombes de Virginie, qui n'atteignent
que la grosseur d'un passereau. Parfois le Saint-Esprit lui-
' Bibliu sacra, 6829, Bibl. royale; le dessin est plus haut, page 488, pi. 12^. Cette
Vierge, qui tient Jésus illuminé des sept esprits, est posée sous le chandelier à sept
branches; c'est ainsi qu'on place Jésus ressuscitant sous Jonas vomi vivant par la ba-
leine, ou le Christ versant le sang et l'eau de ses plaies sous le rocher que frappe Moïse
et qui donne une source d'eau vive. Le chandelier allumé de sopt feux, c'est la figure de
Jésus animé des sept esprits. Nouvelle preuve encore que le Saint-Esprit est le dieu de
l'intelligence, puisque ses propriétés elles-mêmes sont figuiées |jnr d('« flambeaux; 01
les flambeaux éclairent mais ils n'échauflent pas.
'' Plus haut, p. 106, pi. .j4.
50/i INSTRUCTIONS.
même se réduit à ces faibles dimensions ; à plus forte raison
les propriétés, qui ne sont que des attributs de lui-même,
doivent-elles se contracter dans cette petite taille. Il faut avoir
grand soin de ne pas prendre un simple oiseau, un humble
passereau, pour le Saint-Esprit.
Le Saint-Esprit, disons-nous, se rapetisse quelquefois à
la taille d'un passereau ; mais le nimbe croisé qu'il porte à la
tête en fait immédiatement le symbole de la troisième per-
sonne divine. Quand le nimbe est absent, ce qui arrive assez
souvent, c'est le sujet où la petite colombe est figurée, c'est
encore le lieu occupé par elle qui empêchent de la confondre
avec un oiseau ordinaire. Dans tous les sujets où se voient
les deux autres personnes, la colombe, même petite et sacs
nimbe, forme la troisième. Tout oiseau descendant du ciel et
planant sur la tête de Marie, au moment où l'ange lui annonce
qu'elle sera la mère d'un Dieu, ne peut être autre chose que
le Saint-Esprit. Tout oiseau étendant les ailes dans le cénacle
ou au-dessus du Jourdain , sur la tête des apôtres ou sur celle
de Jésus-Christ, ne peut être que le symbole divin. On voit
dans nos églises un groupe fréquemment sculpté aux xiv*" et
xv^ siècles, et même à la fin du xiii'^; c'est la Vierge, assise ou
debout, tenant l'enfant Jésus dans ses bras. D'une main Jésus
folâtre avec sa mère ; de l'autre il joue avec un petit oiseau
qu'il tient par les ailes, par le cou, par la queue, et auquel
il tire les plumes ou qu'il caresse avec douceur. Cet oiseau
n'est pas la colombe divine, n'est pas le Saint-Esprit , mais un
passereau , un pinson , un rossignol , un rouge-gorge qui sert
de jouet à Jésus, comme tout autre animal ou objet pourrait
le faire. Il ne faut pas s'y tromper, ni voir dans cet oiseau le
symbole divin. Dans l'église de Vertus (Marne), un groupe en
pierre, de la fin du xiii^ siècle, offre ainsi un enfant Jésus
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 505
folâtrant avec un petit oiseau; le passereau s'impatiente, s'ir-
rite et pince fortement dans son bec un des doigts de l'enfant
divin , qui le tourmente ^
Les sept dons du Saint-Esprit, les sept colombes n'appar-
tiennent qu'à Jésus; cependant l'Allemagne, qui chérit la
femme plus qu'on ne le fait dans toutes les autres contrées-, a
presque gratifié la vierge Marie de ces qualités divines. Dans la
cathédrale de Freybourg en Brisgau, sur un vitrail de la nef
latérale du nord, on voit la Vierge assise et tenant l'enfant Jésus
qui est babillé de jaune et debout sur sa cuisse gauche. Jésus
porte le nimbe crucifère; de la main gauche, il tient une belle
fleur rouge qui est peut-être une rose, mais une églantine, une
rose simple à nombreuses étamines jaunes. De la main droite
Jésus cherche à prendre une grosse prune rouge que lui pré-
sente sa mère. Marie porte une robe verte et un manteau violet
doublé de rouge, sur la tête un voile blanc assujetti par une cou-
ronne d'or. Un nimbe rouge, ourlé de perles ou de diamants
en or, lui éclaire la figure. Marie est dans le plus splendide
costume. Autour de son nimbe, et non pas autour de celui de
Jésus, s'abat une volée de sept petites colombes blanches; elles
' Une Vierge en marbre blanc, donnée à l'église abbatiale de Saint-Denis par la reine
Jeanne d'Évreux , femme de Cbarles le Bel , et appartenant aujourd'hui à l'église Sainl-
Germain-des-Prés , lient un enfant Jésus qui joue avec un petit oiseau, comme fait le
petit Jésus de Vertus, mais un peu plus pacifiquement. Dans l'hospice de Rue (Somme)
un oiseau , pris à tort pour le Saint-Esprit , égayé également Jésus tenu par sa mère.
[Voyage pittoresque dans l'ancienne France, province de Picardie, par M. le baron Taylor.)
On voit le même motif, plus ou moins varié , dans diverses églises de l'arrondissement
de Reims, notamment dans celle de Courcy.
* Avant le christianisme et depuis, les Germaines et les Allemandes ont joué un
grand rôle dans l'histoire religieuse, politique et civile; les textes et les monuments
sont là pour l'attester. A Cologne, sans compter sainte Ursule et ses onze mille com-
pagnes, qui protègent la ville et l'Allemagne entière, une foule d'églises, plus de la
moitié, étaient dédiées à des saintes; dans la cathédrale de Freybourg en Brisgau, tous
les vitraux sont remplis de l'histoire de la Vierge et de la vie de saintes.
INSTRUCTIONS. II. "^
506 INSTRUCTIONS.
convergent au centre du nimbe de la Vierge et ne se tournent
en aucune façon vers Jésus. C'est donc un être divin que
Marie ; elle est donc douée , comme son fds , des sept dons du
Saint-Esprit. On peut bien dire que les colombes sont là parce
que Jésus s'y trouve; mais toujours est-il que c'est à Marie et
non au fds de Dieu que les colombes font fête et battent
des ailes. Du reste, le Saint-Esprit lui-même, et non plus
ses propriétés seulement, joue familièrement avec la jeune
Vierge. Dans la même cathédrale de Freybourg , nef latérale
du sud, un vitrail du xiv^ siècle représente sainte Anne appre-
nant à lire à Marie. Anne, comme une reine, reine par sa fdle,
porte une couronne d'or sur un voile blanc; comme sainte elle
est ornée d'un nimbe rouge. Une robe violette et un manteau
jaune doublé de rouge complètent son riche vêtement. Anne
tient à la main gauche un livre richement relié d'une couver-
ture bleue; de la main droite elle prend la petite vierge Marie.
La céleste petite fdle porte une couronne d'or sur sa tête nue
et un nimbe violet; ses cheveux, d'un beau jaune d'or, tombent
sur ses épaules en deux longues tresses allemandes. La Vierge,
qui a de huit à dix ans, est habillée d'une petite robe verte qui
lui prend étroitement la taille. De la main droite elle cherche à
ouvrir le beau livre bleu de sa mère pour y apprendre à lire;
mais de la gauche elle serre contre sa poitrine un meilleur
maître que le livre et la vieille Anne réunis, elle presse le Saint-
Esprit, qui l'inspire déjà. Le Saint-Esprit est une petite colombe
blanche, à nimbe d'or croisé de noir. L'oiseau symbolique vient
de se poser sur la main de cette petite fdle, et ses ailes sont fré-
missantes encore; il est descendu du ciel pour jouer avec la di-
vine enfant. C'est un ravissant tableau; la tendre et gracieuse
Allemagne pouvait seule en oflnr un semblable.
A part ces exceptions, lesquelles tiennent sans doute au
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 507
caractère de la nation allemande, les sept colombes sont ré-
servées uniquement au fils de Dieu, à l'Emmanuel d'Isaïe.
ICONOGRAPHIE CHRONOLOGIQUE DU SAINT-ESPRIT.
Le Saint-Esprit, assez varié quant à la forme, puisqu'il est
homme et colombe, et homme à tous les âges, depuis l'en-
fance jusqu'à la vieillesse, le Saint-Esprit offre cependant peu
de variétés chronologiques. Ainsi, depuis les premiers siècles,
jusqu'aux nôtres, la colombe persiste à peu près constamment
à se montrer la même de forme, de dimensions, de propor-
tions, de couleur et d'ornementation ou d'attribut. Les carac-
tères différents qu'on pourrait signaler ne dépendent pas des
siècles , mais plutôt du pays et de la fantaisie de l'artiste ; ils
reviennent à la géographie et à l'esthétique bien plutôt qu'à
la chronologie. Quant au Saint-Esprit homme, la variété est
là purement physiologique et non chronologique. En suivant
les époques, on devrait voir cet Homme-Dieu, qui repré-
sente le Saint-Esprit, naître petit enfant au xf siècle, où on
le voit pour la première fois; enfant de dix ou quinze ans au
xif , adolescent de quinze ou vingt au xiii% jeune homme au
xiv^, homme de trente à cinquante ans au xv% et vieillard au
xvI^ Il n'en est pas ainsi : aux xf et xii'' siècles, il atteint im-
médiatement trente et quarante ans , tandis qu'au xv!*" nous
le voyons enfant de quelques mois, de quelques années, et
tout à la fois vieillard de soixante ans. Les xv*" et xvi'" siècles le
figurent en homme de tout âge.
Ce qu'il faut dire, c'est que jusqu'au xf siècle la colombe
seule est destinée à symboliser le Saint-Esprit, et qu'à partir
de cette époque la colombe partage cet honneur avec l'homme.
Au xiv° siècle, jusqu'au xvi\ non-seulement la colombe et
G/,.
508 INSTRUCTIONS.
l'homme figurent le Saint-Esprit à peu près indifFéremuient,
mais on les montre souvent à la fois sur le même monument.
La colombe se pose sur la tête de f homme qui représente le
Saint-Esprit, comme nous en verrons un exemple à f Histoire
de la Trinité, ou bien elle s'abat sur la main de ce même
homme divin, comme dans f exemple suivant:
126. SAINT-ESPRIT EA HOMME ET EN COLOMBE.
Sculpture française du xvi" siècle.
On dirait que le Saint-Esprit est un chevalier qui porte le
faucon au poing \ Il faut encore ajouter que, jusqu'à la fin
' Ce dessin est pris sur une sculpture de l'église de Verrières ( département de l'Aube),
dont nous avons déjà parlé. Les personnages de cette scène, qui représente le couron-
nement de la Vierge par la Trinité, sont fort médiocres; mais on les a gravés avec
une rigoureuse exactitude. Le dessin original est de M. Fichot. Souvent, pour des re-
présentations analogues où est figuré le couronnement de la Vierge par Dieu le père ou
par Dieu le fils, on lit en texte ces versets du psalmiste : « Posuisti in capite ejus coro-
«nam de lapide prelioso. » [Psal. xx , v. /».] «Gloria et honore coronasti eum (eam). »
[Psal. VIII, V. 6.) Ces textes s'appliquent également à Dieu le père lorsqu'il couronne
5on fils ressuscité el remonté au ciel.
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE. 509
du xn'*" siècle, le Saint-Esprit homme a toujours de trente à
quarante ans; mais, à partir du xv" jusqu'à la moitié du xvf,
il prend tous les âges. Enfin, depuis i55o, à peu près, jus-
qu'à nos jours, la colombe reprend le droit exclusif qu elle
avait primitivement de représenter le Saint-Esprit; dès lors
l'homme disparaît. Le Saint-Esprit homme était tellement ou-
blié, surtout de notre temps, que plusieurs personnes s'éton-
neront certainement d'en voir ici des représentations.
La colombe seule a symbolisé le Saint-Esprit tant qu'on
s'est inquiété à peu près exclusivement de l'histoire , et tant
que la raison pure ou l'argumentation philosophique ne fut
pas admise dans la théologie. L'histoire évangélique décla-
rait positivement que le Saint-Esprit, au baptême de Jésus,
avait apparu sous la forme d'une colombe ; ce fut en colombe
qu'on le représenta. Mais quand le raisonnement, quand les
arguments tirés de la raison, et non plus de l'histoire seule-
ment, envahirent la théologie; quand la théologie, pure d'a-
bord , finit par se faire scolastique avec Anselme de Laon ,
Guillaume de Ghampeaux , Abailard , et les autres qui l'ont pré-
cédé ou suivi, alors, même pour la forme, le Saint-Esprit fut
assimilé à Jésus-Ghrist et à Dieu le père; on le fit donc homme
aussi bien que les deux autres personnes divines. Mais c'était
fépoque, si on se le rappelle, où Jésus entraînait tout dans
sa sphère, où il faisait tout, même son père, à son image
et à sa ressemblance; le Saint-Esprit suivit comme le reste et
fut représenté avec l'âge et la physionomie du Ghrist, en
homme de trente-trois ou même de quarante ans. Plus tard,
la raison pénètre plus avant encore; elle préfère, relativement
aux personnes divines, la distinction à la similitude. Alors elle
différencie le Saint-Esprit du Fils, comme elle avait différen-
cié le Père du Fils lui-même. Mais c'est l'époque en même
510 INSTRUCTIONS.
temps où le Père reprend la puissance iconographique que son
fils avait absorbée. Le Père, alors, au lieu de se voiler sous
les traits et l'âge de Jésus, impose à Jésus son âge et ses traits
d'ancien des jours, de vieillard. Le Saint-Esprit aussi, qui n'a
jamais eu de puissance spéciale et qui a suivi presque toujours
les révolutions iconographiques dont Jésus et Dieu le père
étaient les auteurs , le Saint-Esprit subit les traits , l'âge et la
physionomie du Père; il se fit voir en vieillard.
D'autres variétés chronologiques peuvent se tirer de l'art,
c'est-à-dire de la manière dont la colombe ou l'homme qui
représentent le Saint-Esprit sont dessinés. Mais ces carac-
tères ne sont pas spéciaux à la troisième personne divine; ils
appartiennent à tous les personnages figurés dans le moyen
âge , ils sont communs à toute l'iconographie chrétienne. Ce
dessin est large à l'époque latine, minutieux à l'époque ro-
mane, simple au xm^ siècle, maniéré au xiv% sec au xv^; c'est
donc l'art entier qu'il faut étudier pour se rendre compte de
fâge que telle colombe ou tel homme figurant le Saint-Esprit
peuvent avoir : il ne saurait être autrement question ici de ces
variétés esthétiques.
ATTRIBUTS DU SAINT-ESPRIT.
Quant aux attributs du Saint-Esprit, ils peuvent fournir
quelques variétés chronologiques et certains caractères dis-
tinctifs, comme ils en ont donné pour le Père et le Fils; mais,
comme ils sont de même nature que ceux des deux autres per-
sonnes, il suffira de les signaler et de renvoyer aux paragraphes
où nous en avons déjà parlé. Ainsi le Saint-Esprit, comme
le Père et le Fils, se distingue d'abord des créatures ordi-
naires par un nimbe; puis des créatures célestes et glorifiées.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 511
ou des anges et des saints, par un nimbe crucifère. Mais ce
nimbe suit les phases que nous avons constatées dans le cha-
pitre spécial à ce sujet. D'abord, en effet, le Saint-Esprit est
sans nimbe, comme sur les anciennes mosaïques^; ou bien ce
nimbe est rayonnant, mais non crucifère, ainsi qu'une mo-
saïque de Rome en offre un exemple. Le Saint-Esprit est là
sur un palmier, et ressemble entièrement au phénix gravé
sur les médailles romaines, à cet oiseau qui porte assez sou-
vent un nimbe rayonnant et qui est l'emblème de l'immor-
talité, ou même de l'éternité. Puis le Saint-Esprit prend un
nimbe , mais un nimbe uni et sans croix. Puis ce nimbe se
partage par deux traverses qui se coupent à angles droits.
127. COLOMBE DIVINE A NIMBE CRUCIFERE.
Miniature française du xiv' siècle '
Bientôt après, le champ du nimbe disj)araît, les traverses restent
seules et se transforment en faisceaux ou en fleurons lumineux
qui partent du front et des tempes du Saint-Esprit en homme
Voyez le Saint-Esprit planant sur David , dessiné d'après la miniature d'un psautier
grec du \' siècle, page 4/j3, pi. 1 10. — ' Biblioth, royale, ms. lat. fonds Lavall.
512 INSTRUCTIONS.
ou en colombe. Ensuite les faisceaux et fleurons disparaissent
eux-mêmes, et le Saint-Esprit revient à la seconde époque pri-
mitive, quand il n'avait pas encore de nimbe; seulement alors
il n'en a plus. Mais c'est l'époque aussi où les auréoles, nimbes
du corps, sont assez fréquentes sous la forme de rayons ; alors
le Saint-Esprit, que nous avons vu dans une fresque du mont
Athos ' au centre d'une auréole rayonnante qui enveloppe
les deux autres personnes divines, se montre assez souvent
ainsi, comme dans le dessin suivant.
!28.
COLOMBE DIVINE DANS UNE AUREOLE RAYONNANTE.
Miniature française, xv"" siècle^.
Aux époques où le nimbe crucifère est constamment donné
aux personnes divines , il n'est pas rare d'en voir totalement
dépourvue la colombe qui représente le Saint-Esprit. Cela
peut tenir à une erreur, erreur que nous avons déjà constatée
pour des faits analogues ou différents; mais cela tient surtout
à la petite dimension de la colombe. Cette forme, ou seule ou
dans des trinités, n'occupe qu'une place très-restreinte; la tête
de la colombe n'est elle-même qu'une très-petite partie de l'oi-
seau divin, partie peu visible. On conçoit alors qu'autour d'un
' Planche a i , page 6 1 .
Voir, à la Bibliolh. royale, la plupart des Heures des xv' et xvi' siècle».
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 513
point presque imperceptible on n'ait pas mis de nimbe. En
sculpture, il y avait souvent grande difficulté, pour ne pas
dire impossibilité, à cerner la tête de la colombe divine d'un
nimbe crucifère; aussi n'est-il pas rare de rencontrer des co-
lombes privées de cet attribut. Quand cette colombe n'atteint
que la dimension d'un passereau , ce qui se voit fréquemment,
alors elle est toujours sans nimbe et sans nimbe crucifère.
Le psautier de saint Louis, dont nous avons extrait le Christ
environné des sept colombes d'Isaïe, offre six d'entre elles sans
nimbe; la septième porte un nimbe, mais un nimbe uni ^
Cependant, puisque c'est une miniature et que les colombes
ont une certaine dimension, il était assez facile, plus facile
que sur une sculpture, de figurer des nimbes crucifères.
Nous ne parlerons pas des autres attributs qui peuvent ca-
ractériser le Saint-Esprit, parce qu'ils ne sont pas chronolo-
giques et parce qu'ils trouveront plus naturellement leur place
dans le chapitre consacré à la Trinité divine.
HERESIES CONTRE LE SAINT-ESPRIT.
Des honneurs remarquables, nous favons vu, ont été ren-
dus au Saint-Esprit; des églises lui ont été dédiées, un office
a été établi en son honneur, un ordre de chevalerie lui a été
consacré. Dès les premiers siècles de l'Eglise jusqu'à celui-ci,
le Saint-Esprit n'a cessé d'être représenté sous la forme d'une
colombe ou d'un homme. On le voit déjà sur le tombeau de
Junius Bassus, au iv*" siècle, versant sur la tête de Jésus-Christ
un souffle de lumière^. Dès lors on le retrouve fréquemment
' Ce manuscrit apparlient à la bibliothèque de l'Arsenal ; le dessin donl on parle ici
est plus haut, page i23, pi. 4o.
- Page 337 , pi. 87, nous avons donné ce Saint-Esprit. Voyez Bosio, Roni.Sottcrr. p. /i5.
INSTRUCTIONS. II. ^^
514 INSTRUCTIONS.
sur les tombeaux des premiers chrétiens, et Bosio, dans son
grand ouvrage de la Rome souterraine, en a donné plusieurs
exemples ^ A Ravenne, dans Saint-Jean-Baptiste, église bâtie en
^5i par l'évêque Néon, on voit, sur la mosaïque où est figuré
le baptême, le Saint-Esprit au-dessus de la tête de Jésus'".
A Sainte-Marie m Cosmedin de Ravenne, la mosaïque, qui
date de 533, porte également un Saint-Esprit*^. Sur les mo-
saïques de Sainte-Praxède de Rome , qui sont de l'an 818, la
colombe a la tête entourée d'un nimbe uni ; elle se pose à la
cime d'un palmier, pendant que le Christ marche sur les Ilots
du Jourdain et que la main du Père sort des nuages, fermée
et tenant un rouleau où devait être écrit : « Voici mon fils
bien-aimé , dans lequel j'ai mis toutes mes complaisances ^. »
Aux X®, xf et xif siècles, les colombes divines abondent; qu'on
se rappelle les exemples que nous avons cités. Au xni^ siècle,
les monuments où paraît le Saint-Esprit sont innombrables;
il n'y a pas, pour ainsi dire, de création figurée où, pour le
« Spiritus Dei ferebatur super aquas , » on ne voie sculptée
ou peinte la colombe couvant et animant les eaux ^.
' Voyez notamment pages 87, 99 et 35 1 . Le Saint-Esprit de la page 1 55 ne nous paraît
pas ancien, quoique cependant il n'ait pas encore de nimbe; à la page 35 1, il porte un
nimbe uni et domine un siège pastoral , une cathedra.
' Ciampini, Vet. monim. 1° pars, tab. 70, p. 2 35.
^ Idem, ibid. 2* pars, tab. 2 3, p. 78.
* Idem, ibid. W vol. pi. ^7 et 52, p. i48 el 160.
* C'est à Auxerre, sur un vilrail du xin'' siècle qui est dans la cathérale, au pourtour
latéral du sanctuaire, qu'on voit la colombe suivante, plancbe 129. Cette colombe est
blancbe, à nimbe rouge croisé de jaune, la tète en baut, les ailes étendues, environnée
pai" les eaux, qui lui forment comme une auréole irrisée d'azur el d'or. Malgré le texte,
la colombe n'est pas portée sur les eaux; mais elle en est entourée : les flots l'encadrent
d'une ligne ondulée comme un médaillon environne un buste. Sur la planche 112,
page Zi52 , on voit la colombe littéralement portée sur les eaux. La planche 122,
page 482, offre le Saint-Esprit également porté sur les eaux; seulement, dans ce der-
nier dessin, le Saint-Esprit a la forme d'un petit homme ou d'un enfant, tandis que
dans l'autre et dans le 129, qui suit, il est figuré en colombe.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
515
129.
COLOMBE DIVINE A NIMBE CROISE, PLANANT ENTRE LES EAUX DE LA CREATION.
Vitrail du xuf sit^cle, dans la cathédrale d'Auxcrre.
Ainsi l'art et la liturgie ont rendu des honneurs remar-
quables au Saint-Esprit; cependant les artistes ont quelque-
fois commis à son préjudice des erreurs ou des omissions
dont Jésus-Christ n'est jamais l'objet. Jésus-Christ, comme la
personne divine aimée par excellence, vit constamment dans
la mémoire des chrétiens et ne peut être oublié en aucun
cas; mais il n'en est pas de même du Saint-Esprit, qui n'ap-
paraît qu'assez rarement dans les livres saints, et qui, dans la
dévotion des fidèles, dut prendre moins de place que le Christ.
L'art nous a conservé des preuves de cette disposition des
esprits au moyen âge. Ainsi, à la Pentecôte, cette fête du
Saint-Esprit, cette histoire dont il est la personne essentielle,
il n'est pas rare de le voir absent. Ordinairement la scène se
présente ainsi : les douze apôtres (quelquefois la Vierge est au
milieu d'eux) sont assis dans le cénacle et attentifs au bruit
extraordinaire qui se fait au-dessus de leur tête. Dans le haut,
et descendant du ciel, on voit la colombe divine, qui souille
ou des rayons ou des langues de flamme sur chaque tête
65.
516 INSTRUCTIONS.
d'apôtre et sur celle même de la Vierge , lorsque la Vierge assiste
à cette scène. Le Saint-Esprit est et devait être présent, puis-
qu'on expliquerait difficilement sans lui ces rayons qui descen-
dent d'en haut. Cependant un manuscrit espagnol, qui est à la
bibliothèque d'Amiens \ montre douze rayons rouges et jaunes
sortant du ciel et tombant sur la tête des douze apôtres; la
Vierge est absente. Le Saint-Esprit ne paraît pas et les rayons
s'échappent directement du ciel; il est vrai que le ciel est
entrouvert, en forme d'arc-en-ciel renversé, et qu'on peut
supposer le Saint-Esprit caché dans les profondeurs éternelles,
d'où il lance ses rayons.
Mais un triptyque ém aillé, du xii" siècle, qui se voit dans la
chapelle Vendôme de la cathédrale de Chartres, montre une
main versant des rayons d'un rouge de flamme sur les
apôtres; les apôtres sont assis contre les volets de ce cu-
rieux monument de l'orfèvrerie romane. En iconographie,
cette main étant celle de Dieu le père, c'est le père qui
distribue les rayons, et ce n'est plus le Saint-Esprit qui
les souffle de sa bouche. Dans le cloître de Saint-Trophime
d'Arles, on s'est bien gardé de représenter ainsi la Pentecôte.
Là sont réunis les douze apôtres sans la Vierge; tous nimbés,
en longs vêtements, trois imberbes et dont deux plus jeunes
' Figurœ bihlioruin, ms. in-/i° de l'année 1 197. M. Dusevel , membre non résident des
comilés historiques, a bien voulu me communiquer Un calque de cette descente du
Saint-Esprit dont le Saint-Esprit est absent. A Saint-Marc de Venise, dans la grande
coupole , sont figurés en mosaïque à fond d'or les apôtres assis et recevant le Saint-
Esprit avant de se disperser dans le monde. Un rayon bleuâtre descend sur chacun
d'eux; au bout de chaque rayon s'allume une langue de feu qui se pose sur la tête de
chaque apôtre. Comme dans le manuscrit espagnol, le Saint-Esprit est absent : on n'en
voit que les flammes. Du reste, ces flammes symbolisent peut-être le Saint-Esprit lui-
même. La troisième personne divine pourrait se trouver dans une simple langue de feu;
elle serait présente dans un rayon lumineux aussi bien que dans la colombe. J'adopte
avec empressement cette explication que me fournit M. l'abbé Gaumo.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 517
que les autres. Ces apôtres de Saint-Tropliime ne sont pas assis,
comme on les représente ordinairement, et comme le manuscrit
espagnol et le triptyque de Chartres, entre autres, les figurent;
mais ils sont agenouillés pour recevoir plus dignement le Saint-
Esprit. Dans le haut, paraît en entier la divine colombe, du bec
de laquelle s'échappent quatre cordons de flammes qui des-
cendent sur la tête des apôtres; il n'y a qu'un rayon pour trois
apôtres, contrairement aux représentations ordinaires, où cha-
cun a son rayon et sa langue de feu.
Un vitrail de Troyes a été bien plus loin encore que le
triptyque de Chartres. La Trinité est peinte sur ce petit mo-
nument qui date du xvf siècle ; le Père y est représenté ha-
billé en pape, assis sur un arc-en-ciel, posant ses pieds sur
un autre arc-en-ciel, et soutenant dans ses mains les bras de
la croix où est attaché son fds. C'est ainsi qu'à partir du
xii^ siècle on représente fréquemment la Trinité ; cette ma-
nière est l'une des plus usitées pour grouper ensemble les trois
personnes divines. Toujours dans ces représentations ^ on voit
le Saint-Esprit eu colombe allant du Père au Fils, ou du Fils
au Père, ou se tenant à égale distance entre fun et fautre,
ou, tout au moins, posé sur un des bras de la croix. Ici le
Saint-Esprit est totalement oublié, comme la gravure donnée
plus haut ^ le montre parfaitement. Ce dessin est d'une exac-
titude absolue. Le dessinateur^ a reproduit, à ma prière, jus-
qu'au nombre et des rayons et des ondulations des nuages qui
remplissent le champ de fauréole, jusqu'au nombre des cou-
ronnes qui cerclent la tiare du Père éternel. Les nimbes sont
unis, les pieds du Père sont chaussés; tout cela est comme
' Il en sera donné plusieurs exemples au chapitre de la ïrinilé.
* Page 282, planche 63.
' M. Fichol, qui a hlen voulu exécuter d'autres dessins pour mon travail.
518 INSTRUCTIONS.
sur le vitrail , et le Saint-Esprit n'y a jamais été figuré. Or
une personne de moins sur trois, et dans un sujet consacré
spécialement à figurer la Trinité, c'est un fait d'une certaine
importance et qui témoigne de foubli où les artistes se lais-
saient facilement aller relativement au Saint-Esprit.
Du reste ce lait, tout extraordinaire qu'il soit, n'est pas unique.
Le xvi^ siècle était assez léger et même, dans les choses reli-
gieuses, assez ignorant; le vitrail de Troyes, qui date de cette
époque, pourrait donc ne pas avoir une importance extrême.
Mais au xif siècle, époque grave et savante, il n'en était pas
ainsi. Cependant, sur un des vitraux que Suger fit exécuter
pour Saint-Denis, vitraux qui existent encore et pour lesquels
fillustre abbé a fait lui-même des inscriptions, on voit égale-
ment Jésus attaché à la croix que tient le Père, et qui est le
plus ancien modèle que je connaisse de ces représentations
si fréquentes aux xiii'' et xw*" siècles. Or, dans cette Trinité, le
Saint-Esprit manque également, bien qu'une place conve-
nable pût lui être faite à la cime de la croix ^; un pareil oubli,
de la part de Suger, ne peut être volontaire et veut une expli-
cation. Ainsi, aux deux époques extrêmes de notre peinture sur
verre, aux xii'' et xvi^ siècles, nous retrouvons le même phéno-
mène iconographique. Hors de France, dans féglise de Vieux-
Brissac , sur les bords du Rhin , les stalles , qui sont du xiv^ siècle ,
offrent un Père éternel, chape sur le dos, tête nue, tenant son
fils attaché à la croix. Le Saint-Esprit est absent de cette sculp-
ture, comme des vitraux de Saint-Denis et de Troyes^.
Nous avons déjà signalé ce vitrail, pag. A26, au paragraphe du triomphe de la
croix ; il est dessiné par M. l'abbé Martin , Vitraux de S. -Etienne de Bourges, Élude TV, F.
A la rigueur, le Saint-Esprit aurait pu être cassé; mais j'ai étudié ces stalles avec le
plus grand soin , et je n'ai vu aucune trace de fracture. (Voyez dans le Missel de Poitiers,
Bibl. roy. n° 878, une Trinité sans Saint-Esprit au f° i5o. C'est du xvi* siècle.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 519
Ainsi, clans les catacombes, aux scènes où la Trinité aurait
dû être figurée entière et par les trois personnes, on supprime
le Père en quelque sorte, ou du moins on ne le montre pas '.
Plus tard le Père reprend, aux dépens du Saint-Esprit, la
place que le Saint-Esprit avait occupée, et, dans quelques Tri-
nités des XII, xv^ et xvi" siècles, une des trois personnes di-
vines manque, comme dans celles des iv% v" et vi'^; mais
alors ce n'est plus le Père, c'est le Saint-Esprit. Le Saint-
Esprit a donc eu quelquefois à se plaindre des artistes.
Enfin, dans le dessin que nous avons donné plus haut' et
qui représente le Père et Fils se donnant la main en signe
d'union, tandis que la colombe descend du ciel pour les unir
encore et s'unir à eux par fextrémité de ses ailes, il y a je
ne sais quelle irrévérence pour le Saint-Esprit. L'oiseau cé-
leste s'abat du haut en bas pour aller retrouver les deux per-
sonnes divines; mais un ange qui montre son buste hors des
nuages, hors du ciel, semble modérer fimpétuosité de foiseau
en le retenant par la queue avec les deux mains. Ce dieu, ainsi
tenu en équilibre entre les deux autres personnes et j)ar un
ange, par une créature qu'il a faite, est réellement dans une
position subalterne et inconvenante. 11 fallait, pour représenter
aussi grossièrement un pareil sujet, qu'on eût peu d'égards
pour le Saint-Esprit. Déjà nous avons eu occasion de faire re-
marquer tout le mauvais vouloir des hérétiques et des artistes
' Il n'y a pas une seule Trinité vraiment complète dans les monuments des catacombes.
Au baptême de Jésus-Christ, le Père manque constamment. Au baptistère de Saint-
Jean, à Ravenne, v° siècle, le Saint-Esprit et Jésus-Christ se voient seuls sur la mo-
saïque; il en est de même à Sainte-Marie in Cosmcdin, à Ravenne, sur une mosaïque du
vi' siècle.
* Page 22 1, planche Go. C'est dans le psautier de Jean, duc de Berri, nis. de la
Bibl. roy. Suppl. fr. 201 5, et non dans les Heures du duc d'Anjou, ainsi qu'on l'a
dit par erreur, que l'on voit ce curieux sujet. La miniature qui le représente est au
psaume Dixit Dominus Domino meo.
520 INSTRUCTIONS.
eux-mêmes relativement au Père éternel ^; il semble également
que le Saint-Esprit ait été victime d'erreurs et de passions
analogues. C'est un sujet de recherches que je suggère, une
opinion que je soumets et non un fait certain que je proclame;
mais la représentation suivante, que d'autres viennent confir-
mer, mérite une attention spéciale.
l3o. SAINT-ESPRIT AU SOMMET DE LA CROIX, SANS NIMBE, SANS RAYONS CRUCIFORMES,
SANS AURÉOLE, SANS GLOIRE.
Peinture sur bois à Saint-Riquier, w" siècle.
*"' ^"tavjILLWAUD
Dans ce dessin, pris sur une peinture du xv' siècle à l'abbaye
de Saint-Riquier, le Père est peu respectable, le Fils est fort
triste, mais l'Esprit est particulièrement sacrifié. Cet oiseau, à
ailes et pattes repliées, est cloué sur le haut de la croix plutôt
qu'il ne s'y appuie : c'est vraiment indigne et misérable.
En présence de pareils faits , il faut noter que Macédo-
nius, patriarche de Constantinople, nia au iv"* siècle, sous
Constance, la divinité du Saint-Esprit; au xvi*^ siècle, Socin en
' Voyez l'hisloire de Dieu le père, pussim, et nolamment page 2 33.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 521
fit autant. Les montanistes, au lieu de nier le Saint-Esprit,
le dédoublaient, mais pour l'amoindrir également et pour ar-
river à peu près au même résultat que les macédoniens; ils
distinguaient le Saint-Esprit et le Paraclet. Jésus ayant pro-
mis aux apôtres, animés déjà des dons du Saint-Esprit, de
leur envoyer le Paraclet, les montanistes en concluaient que
Tun était complètement distinct de l'autre, et que le Paraclet
n'était pas l'Esprit. Ils distinguaient donc les chrétiens en
vrvèvfA.ouiiycûi, qui croyaient au Paraclet, sorte d'esprit plus par-
fait, et en r^v^ixMi, qui s'arrêtaient aux premiers dons du Saint-
Esprit ^ Comme on ne peut suspecter l'orthodoxie de Suger,
il n'en est que plus étonnant que ce grand homme ait sup-
primé la colombe divine dans la représentation de la Trinité
peinte sur verre. Au viif siècle, le deuxième concile de Nicée
anathématisa Sévère, un hérétique qui condamnait la repré-
sentation du Saint-Esprit sous la forme d'une colombe. Armé
du prétexte qu'il ne fallait pas représenter le Saint-Esprit en
oiseau. Sévère enlevait les colombes d'or et d'argent qu'on
suspendait au-dessus des autels et des fonts baptismaux^. L'hé-
résie intéressée de Sévère rappelle le procédé de Denys le
' Le Saint-Esprit portait deux noms: àytov Trrsîifjta et ayict ■^^x^V] on l'appelait encore
voïis, et même lôyos. Les deux premiers noms désignent l'âme, et semblent se rapporter
au Saint-Esprit en tant qu'amour-, les deux aulres entendement, et concernent l'Esprit
inlelligence.
' Voyez le deuxième concile de Nicée. Consultez un travail intéressant de M, l'abbé
J. Corblet, déjà cité et ayant pour titre : Mémoire liturgique sur les ciboires du moyen âge,
in-8'. Amiens, i842. — M. Corblet s'exprime ainsi « L'acte V° du 2' concile de Nicée
mentionne les plaintes des moines d'Anlioclie contre l'bérétique Sévère qui s'était ap-
proprié des colombes d'or et d'argent suspendues sur les fonts baptismaux , sous pré-
texte qu'on ne devait point représenter le Saint-Esprit sous la forme d'une colombe.
«Columbas aureas et argenleas, in figuram Spiritus-Sancli super divina lavacra et al-
« taria appensas, una cum aliis sibi appropriavit , dicens non opportere in specie columb;e
« Spiritum-Sanclum nominare. » Les pères du concile de Nicée et de Constantinople con-
INSTRUCTIONS. II. ""
522 - INSTRUCTIONS.
tyran , qui débarrassait les statues de Jupiter du manteau d'or
dont la piété les couvrait, sous prétexte qu'un pareil vête-
ment était trop froid en hiver et trop chaud en été. On rap-
porte tous ces faits pour fixer l'attention des antiquaires sur
Tabsence ou la présence du Saint-Esprit dans les représenta-
tions de la Trinité, et non pour en tirer des conclusions qui
seraient encore prématurées ^
Ce n'est pas seulement dans les premiers siècles que le Saint-
Esprit reçoit de ces outrages; aux xi% xif et xiii% on alla jus-
qu'à discuter s'il était permis, comme avait fait Abailard^,
de lui dédier des églises. Le Saint-Esprit, nous l'avons vu,
donne son nom à beaucoup d'édifices sacrés ; mais il y avait
quelque chose d'injurieux, même à poser simplement la ques-
tion.
damnèrent Xénaia , qui se moquait de la représentation du Saint-Esprit par des colombes.
(Voir Duranti, de Rit. eccL cath. cap. v. )
' En effet, il serait possible d'allribuer à l'absence du Saint-Esprit, dans les diverses
représentations peintes et sculptées dont il vient d'être question , une cause autre que
celle de l'oubli ou du mauvais vouloir. Ces représentations, si nombreuses dans le moyen
âge, sont identiques, sauf l'absence de la troisième personne divine, avec celles où nous
voyons les trois personnes réunies, et que nous appelons des Trinités; cependant, quand
on n'y remarque pas le Saint-Esprit, ce n'est peut-être pas une Trinité, mais un autre
sujet que l'artiste aura voulu représenter. Le Père donne son fils au monde, et le Fils
s'offre, pour le salut des liommes, à mourir sur la croix ; c'est le don du Père et le sa-
crifice de Jésus qu'on aurait voulu figurer, et non l'image de la Trinité. Présenté ainsi,
le sujet peint sur les vitraux de Saint-Denis par les soins de Suger, trouve une explication
fort naturelle, aussi bien que le vitrail de Troyes, la stalle de Vieux-Brissac et la minia-
ture du Missel de Poitiers. Je suis tout disposé à restreindre dans ces limites l'interpré-
tation que je donne et d'où il résulterait que l'absence du Saint-Esprit serait une injure
faite à la troisième personne divine. Quoi qu'il en soit, il faut constater avec le plus grand
soin si le Saint-Esprit est figuré ou non dans les images de ce genre. L'avantage de la
discussion soulevée ici devra être d'appeler l'attention minutieuse de toutes les personnes
qui s'occupent d'iconograpbie cbrétienne.
" Lebœuf, Etat des sciences en France depuis le roi Robert jusqu'à Philippe-le-Bel , p. ik<^.
Lebœuf cite le Tliesaurus anecdotorum et V Amplissima collectio.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 523
LA TRINITÉ.
Les trois personnes divines se résolvent en un seul Dieu ,
comme les trois images se relient en un groupe unique. Le
dogme et l'art, la théologie et l'iconographie marchent de con-
serve, ici pour décrire, et là pour dessiner la Trinité. Nous
avons étudié jusqu'à présent chacune des trois personnes à pari
et prise isolément; il nous reste en ce moment à les faire voir
groupées, unies entre elles, et à montrer des Trinités.
HISTOIRE DU DOGME DE LA TRINITE.
A peu près inconnu des païens et confus pour le peuple juif,
le dogme de la Trinité s'est manifesté complètement et sans
nuages dès l'origine du christianisme. Parallèlement aux siècles
successifs de notre ère, il s'est déroulé dans toute son étendue
et dans toutes ses conséquences.
On a recherché quelles notions les païens avaient de la Tri-
nité; on s'est enquis des connaissances qu'ils possédaient sur
l'unité de l'essence divine et la triplicité des personnes ou des
hypostases. Platon semhle avoir entrevu le dogme chrétien,
mais comme on voit les ohjets à une distance que le regard
n'atteint pas nettement ou saisit mal. La doctrine attribuée au
philosophe grec et qui paraît ressortir de sa méthode , sans
que toutefois il ait consenti à la reconnaître lui-même, c'est
que la triplicité divine doit s'appeler le bien, l'intelligence,
l'âme ou la cause ^
' Tô et), ô vovs ou ô Xôyos , ri ^wj^t;. (Voyez les Etudes sur laThéodicée de Platon el
d'Arislote par M. Jules Simon, pages 1/48, i5i, 175.) — Dans les peintures grecques
66.
524 INSTRUCTIONS.
Les platoniciens et surtout les philosophes de l'école d'A-
lexandrie se sont plu à scruter, éclaircir, compléter, étendre
outre mesure la pensée du maître. Plotin et Longin, que sui-
vent Jamblique et Porphyre, admettent un seul Dieu en trois
personnes ; mais Numérius veut trois dieux. Numérius reconnaît
le Père, le Créateur et le Monde ^; il semble faire, de cha-
cun de ces trois dieux, une trinité composée de l'idée, de l'in-
telligence et de la puissance. Amélius et Théodore découpent
également trois trinités dans celle de Platon , et veulent qu'il
y ait trois biens, trois intelligences, trois âmes ^. Sénèque pa-
raît se rapprocher du dogme chrétien dans un passage curieux
où il nomme, comme cause de ce qui arrive, d'abord Dieu,
qui peut tout; ensuite la Raison incorporelle, qui produit les
grandes œuvres; puis l'Esprit divin, qui circule dans tout. A
ces trois causes il ajoute la Fatalité, c'est-à-dire la réunion et
l'enchaînement des causes entre elles ^.
En comparant ce texte avec ce que la mythologie grecque
nous apprend des trois grandes divinités qui, nées d'un père
unique, sont à la tête du monde qu'elles se partagent, on doit
du mont Alhos, on représente, parmi les païens qui ont entrevu la vérité, le philo-
sophe Platon. C'est un vieillard à la barbe longue et large; il semble prononcer ces
paroles peintes sur un rouleau qu'il tien! à la main gauche : « L'ancien est nouveau
et le nouveau est ancien; le père est dans le fils et le fils est dans le père. L'Unité est
divisée en trois, et la Trinité est réunie en un. » Ces expressions ne sont pas textuelle-
ment dans les œuvres du philosophe grec; mais les peintres byzantins les lui ont prê-
tées comme résultant de sa doctrine.
* ïlaTïjp, TTOlïJTTJS , ■noi7][XCi.
Voir, de M. Jules Simon, une thèse intitulée : Commentaire da Timée de Platon, par
Proclus, p. io5.
«Id actum est, mihi crede, ab illo , quisquis formater universi fuit, sive ille Deus
" est, potens omnium; sive incorporalis Ratio, ingcnlium operum artifex; sive divinus
" Spiritus , per omnia maxima , minima et aiquali inlentione diffusus ; sive Fatdm et immu-
« tabihs causarum inter se cohœrentium séries. » (Ap. Senecam, De Consolatione ad Hel-
viain, cap. vin.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 525
convenir que le dogme de la Trinité était au moins flottant
chez les païens. En eflbt, chez les Indous, une trimourd divine
préside à tous les phénomènes de l'Univers \ Chez les Grecs,
Jupiter, Neptune et Pluton régnent sur les trois étages qui
comj)osent l'édifice du monde. Au sommet, dans les hautes
régions de l'air, plane Jupiter, le roi du ciel; au milieu, Nep-
tune commande à la mer; à la base, Pluton gouverne les en-
fers et la terre , qui leur sert comme d'enveloppe. Tous trois sont
fds d'un père unique, du vieux Saturne, fds lui-même du Ciel
et de la Terre. Quand une divinité grecque cumule des fonc-
tions universelles, elle s'appelle ordinairement de trois difîe-
rents noms. Ainsi la puissance femelle , qui correspond aux
trois divinités mâles dont nous venons de parler, se nomme
Lune dans le ciel, Diane sur la terre, Hécate ou Proserpine
aux enfers.
Les anciens, les élèves de Pythagore surtout, scrutateurs
de l'arithmétique céleste, se plaisaient à répéter que Dieu
chérissait le nombre impair, et surtout le nombre trois. Le
nombre trois , qui ne se divise que par lui-même et par l'u-
nité, était l'image de Dieu, qui ne peut se comparer qu'à lui
seul ou à l'unité absolue. Il semblait aux païens que rien ne
pouvait être complet qu'à la condition de se diviser en trois
et de se présenter sous un triple aspect. Ils symbolisèrent la
beauté par les trois Grâces, la vie par les trois Parques, la
justice par les trois Juges et la vengeance par les trois Eumé-
nides. Pour les Grecs, un ensemble quelconque se décom-
pose en trois membres ; ainsi toute colonne a un embase-
' La triraourti hindoue se compose de Brâhma, de Siva et de Vichnou. Bràhma pré-
side à la terre et est le dieu créateur; Siva est destrucleur et règne sur le feu; à Vicli-
nou, qui est le dieu conservateur, appartient l'empire de l'eau, sur laquelle il se meut-
M. Guignant, Religions de l'antiquité , vol. I , cli. ii et m.
526 INSTRUCTIONS.
ment où s'implante le fût, et le fût se couronne du chapiteau.
Ces idées sur les nombres , sur les propriétés mystérieuses
du nombre trois, ont régné pendant tout le moyen âge; de
nos jours, on s'en préoccupe encore. Des géomètres font re-
marquer qu'un objet matériel ne peut exister qu'avec les trois
dimensions, longueur, largeur, hauteur. Des physiologistes
prouvent que la vie totale se compose de trois vies particu-
lières : la vie intellectuelle dont le siège est dans le cerveau; la
vie digestive, qui a pour centre l'estomac; la vie locomotive,
qui gît dans les muscles. Certains psychologistes s'emparent
eux-mêmes de la vie intellectuelle ou cérébrale, qui est la plus
élevée des trois existences matérielles, et la partagent en in-
telligence proprement dite, en amour et en volonté, d'où dé-
coulent les facultés, les sentiments et les actes. Beaucoup de
philosophes modernes, admettant cette division et cette ter-
minologie, disent que l'homme est un petit monde, un dieu
fini en quelque sorte, et que les principaux attributs de la di-
vinité sont la sagesse, la bonté et le pouvoir ^
' V^ivre, penser, agir, dit la métaphysique hindoue, senties trois modes de l'exislence
divine; selon Cambry [Monuments celtiques , in-8°, p. iSy), ce serait plutôt être, penser
et parler. L'homme est , de sa nature et par essence , sensation , sentiment et connaissance
indivisiblement unis, dit M. P. Leroux dans tous ses livres. Cette définition psychologique
de l'homme rappelle la trlnité du saint-simonisme : industrie, science, religion, qui ont
pour termes l'utile, le vrai et le bon ou le beau unis ensemble. Selon M. de la Mennais
[Esquisse d'une philosophie), l'homme, étudié sous un point de vue élevé, montre les lois
de l'intelligence, de la volonté et de l'amour, étroitement liées en lui aux lois de l'orga-
nisme. L'homme s'exerce dans trois sphères d'activité , unies parce que l'homme est un ,
mais distinctes parce qu'elles se rapportent à des termes différents : l'industrie, dont le
terme est l'utile; l'art , dont le terme est le beau ; la science, dont le terme est le vrai.
L'ecclectisme français et toute la philosophie allemande, surtout celle de Hegel , parlent
à peu près dans le même sens. — Il serait déplacé ici de pousser plus loin cet inventaire
de la philosophie moderne, et ce que nous venons de dire suffira pour constater com-
bien de nos jours encore on se préoccupe du nombre trois. Nous sommes des disciples de
Pythagore et des adeptes du moyen âge beaucoup plus que nous ne consentons à l'avouer.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. ^21
Le christianisme est Texpression la plus complète, la plus
haute et, en même temps, la plus populaire de toutes les véri-
tés: les vérités passées, il les a dévoilées, épurées, fdtrées, pour
ainsi dire; les vérités futures, il les prépare. Le christianisme
devait donc proclamer que Dieu est un en trois personnes.
« Fides catholica ha3c est : ut unum Deum in Trinitate et Tri-
« nitatem in unitate veneremur ^ » Ces paroles , Dante les tra-
duit ainsi : « Cet un et deux et trois, qui vit toujours en trois
et deux et un, non circonscrit et qui circonscrit toute chose,
trois fois était chanté par chacun des esprits". » On trouve dans
Jacques de Vorage, à la légende de l'apôtre saint Thomas,
une justification psychologique et matérielle de la trij)licité se
résolvant dans l'unité. Ce texte, qui date des premiers temps
du christianisme ^, devant nous faire passer de l'exposition du
dogme de la Trinité à la définition des personnes divines, nous
le donnons ici. Saint Thomas, arrivé dans l'Inde, guérissait
les malades et leur prêchait les vérités chrétiennes. « L'apôtre
se mit à leur enseigner les douze degrés des vertus; le pre-
mier de ces degrés était la croyance en un dieu, unique en es-
sence et triple en personnes. Il leur donna trois exemples sen-
sibles de la trinité des personnes dans une seule substance.
Le premier, c'est qu'il y a dans l'homme une seule sagesse et
que de cette unité procèdent l'intelligence, la mémoire et le
génie. Car le génie, dit-il, consiste à trouver ce qu'on n'a pas
appris; la mémoire, à ne pas oublier ce qu'on a lu; l'intelli-
gence, à comprendre ce qu'on peut montrer ou enseigner.
' Voir le symbole de saint Athanase. Laclance, comme nous l'avons déjà dit, résume
ce dogme dans ces paroles pleines de concision : oDeus Irinus unus. » Le mol de Tri-
nité, plus compacte encore, contient virtuellement loul le symbole de saint Athanase.
^ Dante, Divine Comédie, Paradis, ch. xiv.
' On le trouve dans le livre apocryphe intitulé Eistoria cerlaminis apostolorum; il est at-
tribué au premier évêque de Babylone, Abdias, qui était contemporain des apôtres.
528 INSTRUCTIONS.
Le second exemple, c'est qu'il y a trois choses dans un cep de
vigne : le bois, les feuilles, les fruits; ces trois choses n'en font
qu'une et constituent une seule vigne. Le troisième exemple,
c'est que la tête se compose de quatre sens. Dans une tête
unique, en efiPet, on trouve la vue, le goût, l'ouie et l'odorat;
tout cela est multiple et n'est qu'une seule tête K »
DEFINITION DES PERSONNES DIVINES.
Ce qu'on a dit, dans le chapitre du Saint-Esprit, relativement
à la propriété particulière qu'on peut attribuer spécialement
à chacune des personnes divines, doit être complété ici.
Nous avons fait remarquer combien cette question avait été
flottante pendant tout le moyen âge. En confondant les rela-
tions des personnes divines entre elles et leurs relations avec
les hommes, on attribue au Fils ce qui appartient au Saint-
Esprit, et à l'Esprit ce qui convient au Père, mais surtout au
Fils. Quant à nous, nous avons distingué le ciel de la terre;
ce qui existe dans l'éternité nous a paru différent, sous quel-
ques rapports, de ce qui se passe dans le temps. La théologie,
comme on le comprend facilement, n'est pas toujours adéquate
à l'histoire. En conséquence, nous avons dit que, dans leurs
' Ce troisième exemple se rapporte à la pluralité en général et non à la triplicité.
Voici le texte de la Légende dorée (De sanclo Tlioma apostolo) : «Tune apostolus cœpit
« eos docere et duodecim gradus virlulum assignare. Primus est ut in Deum crederenl,
u qui est unus in essentia et trinus in personis. Deditque eis triplex exemplum sensibile,
M quomodo sint in una essentia très personae. Primum est quia una est in homine sa-
it pientia, et de illa una procedit intellecius, memoria et ingenium. Nam ingenium est,
uinquit, ut quod non didicisti invenias; memoria, ut non obliviscaris quod didiceris;
«intellecius, ut intelligas quae ostendi possunt vel doceri. Secundum est quia in una
«vinea triasunt, scilicet : lignum, folia et fruclus; el omnia tria unum sunt et una vi-
M nea sunt. Tertium est quia caput unum quatuor sensibus constat. In uno enim capite
«sunt vjsus, gustus, audilus et odoratus, et hœc plura sunt et unum caput sunt. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 529
relations avec les hommes, le Père se manifestait comme la
source de la toute-puissance; le Fils, comme le dieu de l'a-
mour; l'Esprit, comme la cause de l'intelligence. Nous avons
donné des gravures où chaque personne divine est ainsi carac-
térisée. Mais, il faut le dire, ces gravures sont des exceptions :
deux exemples sur plusieurs centaines de sujets sont les seuls
qui soient arrivés jusqu'à présent à notre connaissance. Habi-
tuellement on donne l'amour au Saint-Esprit et l'intelligence
à Jésus, qui est le verbe fait chair, la parole de Dieu incarnée,
le Aoyo^ des Grecs.
Saint Augustin adopte deux opinions sur la définition spé-
ciale de chacune des trois personnes. L'homme, dit-il, est fait
à l'image de Dieu; nous devons donc trouver une trinité dans
l'homme, comme il y a une trinité en Dieu. Il y a, dans l'homme,
l'âme, la connaissance qu'elle a d'elle-même, l'amour dont elle
se chérit^ En Dieu résident aussi ces trois facultés, mais en
puissance infinie. Dans cette opinion, celle que saint Augustin
préfère et dont il était probablement l'auteur, notre substance
spirituelle, notre âme est l'image du Père; notre connaissance
ou notre verbe, celle du Fils; notre amour, celle du Saint-
Esprit. «De même, dit saint Augustin, que l'esprit et l'amour
qu'il a de lui-même sont deux choses différentes; de même
l'esprit et la connaissance qu'il a de lui sont deux choses dis-
tinctes. Donc l'esprit, l'amour et la connaissance qu'il a de
lui-même forment une triade , et cette triade est à la fois une
unité. Lorsque les trois sont parfaits, ils sont égaux ^. » Selon
une seconde opinion de saint Augustin, notre mémoire serait
l'image du Père; notre intelligence, l'image du Fils; notre
' «Mentem, nolitiam qua se novil et dilectioncm qua se diliglt. » (S. August. de
Trinitate, \ih. IX, cap. vi.)
* De Triait, lib. IX, cap. iv.
INSTRCCTIONS. II. "7
530 INSTRUCTIONS.
volonté, l'image du Saint-Esprit. Dans les deux opinions, le
Saint-Esprit est amour et le Fils intelligence. Dans la première,
le Père est substance; mais il est mémoire dans la seconde.
La doctrine de saint Ambroise est différente. Notre âme,
dit l'archevêque de Milan, est faite à l'image de Dieu, et tout
l'homme est en elle. De même que du Père est engendré le
Fils, et que du Père et du Fils procède le Saint-Esprit; de
même aussi, de l'intelligence est engendrée la volonté, et des
deux procède la mémoire. L'âme n'est point parfaite sans cette
triade; un seul de ces actes ne peut manquer sans que les
autres soient imparfaits. Et de même que Dieu le Père, Dieu
le Fils, Dieu le Saint-Esprit ne sont pas trois dieux, mais
un Dieu unique en trois personnes, de même l'âme intelli-
gence, l'âme volonté et l'âme mémoire ne sont pas trois âmes
en un seul corps, mais une seule âme en trois puissances ^
iVinsi, pour saint Ambroise, le Père est intelligence; le Fils,
amour ou volonté; l'Esprit, mémoire. Ici, l'amour est transféré
du Saint-Esprit au Fils, et l'intelligence du Fils au Père. Le
Saint-Esprit devient mémoire, et il n'est plus question de la
substance de l'âme divine dont parle saint Augustin.
Cette formule, dit M. Bûchez^, à qui nous empruntons cette
série de faits, est de beaucoup supérieure à celle de saint Au-
gustin"". Dans la formule de ce grand docteur, on voit que le
Saint-Esprit procède du Père, mais non qu'il procède du Fils.
s. Ambrosii Hexaemeron, lib. VI, cap. vu, § A3 ; ap. Opéra, lom. II, append.
p. 612.
Traité complet de philosophie, vol. III, Ontologie, chap. de la Trinité humaine,
p. 374-377.
Nous ne pouvons partager cet avis, parce que la mémoire étant un produil de l'in-
telligence, un résultat immédiat de cette faculté, on peut dire que la formule de saint
Ambroise attribue l'intelligence à deux personnes divines. Et d'ailleurs, que devient la
force, la puissance, qui est cependant une faculté principale.**
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 531
D'ailleurs, on a tort de confondre la volonté et l'amour : vou-
loir, c'est agir, c'est choisir; mais, dans l'un ni l'autre cas, ce
n'est désirer.
De ces trois opinions, saint Bernard adopte la seconde ^
Saint Thomas d'Aquin ne semble adopter ni l'une ni Tautre,
tout en prenant les deux tiers de la première, à savoir, que
le Fils est connaissance, et le Saint-Esprit amour ^. Bossuct
prend à la fois les deux premières^, que M. l'abbé Frère fond
en une seule et entre lesquelles hésitent saint Augustin et
Bossuet^. M. Bûchez s'attache à la troisième, qui est celle de
saint Ambroise^.
L'abbesse Herrade adopte la seconde opinion de saint Au-
gustin ; elle déclare que la mémoire appartient spécialement au
Père, l'intelligence au Fils, la volonté ou l'amour au Saint-
Esprit^.
Bichard de Saint-Victor, voyant que, dans toutes ces for-
mules, on oubliait la toute-puissance, qui est cependant une
faculté primordiale et génératrice, laissa au Saint-Esprit l'a-
mour et au Fils l'intelligence , mais il attribua la force au Père .
' S. Bernard. Méditât, de cognit. human. cnnd. cap. i.
^ S. Thomae Suinma, pars P, quesL gS, art. 8.
^ Bossuet, Elévations sur les mystères, 2'' semaine, 6" ciévat. édit in-A", tom. X,p. 33.
— à' semaine , 7' élevât, tom. X , p. 71. — Exorde du sermon sur le mystère de la
sainte Trinité.
'' Lhomme connu, par la révélation, tom. I.
. ^ Bûchez, Traité complet de philos, vol. III, pages 397-/108.
° Hortus deliciariim. « Divinitas consislit in Trinilate. Hujus imaginem tenet anima,
« quœ habel memoriam, per quom prajterlla et futura recolit; habel intellectum , quo pr;e-
«sentia et invisibilia inlelligit; habet volunlatcm, qua malum respicit et bonum eligit. »
' Pour ne pas trop allonger ces réflexions , où l'iconographie chrétienne de l'avenir
est beaucoup plus intéressée que l'iconographie du moyen âge, nous nous contenterons
de citer les lexles latins de llichard. Le profond théologien dit, dans le Traclatus cx-
ceptionum, lib. Il, cap. 11 [Opp. Richardi S.-Vict. in-f"; Rouen, i65o) : a Invisibilia Dei
«a creatura mundi per ea qua; facta sunt inlellecta conspiciuntur. Tria sunt mvisibdia
67.
532 INSTRUCTIONS.
En cela Richard se conformait à l'esprit de son temps, à l'esprit
de tout le moyen âge, on peut le dire, et à la définition qui a
prévalu^ et que les monuments ont traduite presque toujours
par des images. En effet, les formules proposées par saint Au-
gustin et saint Ambroise relèvent de la philosophie bien plutôt
que de la théologie; elles ne devaient donc pas avoir grand
cours pendant le moyen âge, et l'on s'est accordé assez générale-
ment à reconnaître, dans le Père, la toute-puissance; dans le
Fils, la sagesse suprême; dans le Saint-Esprit, l'amour infini.
Abailard lui-même attribuait au Père la toute-puissance, au
Fils la sagesse, à l'Esprit la bonté; il répétait ce qu'on disait
à peu près partout. Abailard ne s'est trompé que pour avoir
attribué à chaque personne une seule qualité, en lui refusant
les deux autres. On la condamné pour avoir dit que le Père
possédait la toute-puissance, mais non la sagesse ni la bonté;
pour avoir soutenu que le Saint-Esprit avait la bonté, mais
« Dei : potentia , sapientia, benignitas. Ab bis tribus procedunt omnia , in his tribus con-
«sistunt omnia, per bsec tria reguntur omnia. Polentia créât, sapientia gubernat, beni-
«gnilas conservât. Quae tamen tria sicut in Deo ineffabiliter unum sunt, ita in opera-
« tione separari non possunt. Potentia per benignitatem sapienter créât , sapientia per
« polentlam bénigne gubernat, benignitas per sapienliam potenter conservât. Potenliam
« manifestât creaturarum immensitas , sapienliam décor, bonitatem uliUlas. » — Puis,
dans un traité qu'il adresse à saint Bernard et qu'il intitule Deiritus appropriatis personis
in Trinilate, lib. VI, p. 270 , il examine : » Cur attribuatur potentia Patri, sapientia Filio ,
« bonitas Spiritui sanclo. » Enfin , dans son traité de Trinitale.Vih. VI, p. 26/i , il recberche :
" Quare speciali quodam dicendi modo potentia attribuituringenito , sapientia genilo , bo-
«nitas Spiritui sanclo. » Il conclut : «Quoniam ergo in polentia exprimitur proprietas
« ingenili, speciali quodam consideralionis modo merito adscribilur illi. Sed quoniam in
« sapientia exprimitur proprielas geniti, merito cl illajuxta eumdemmodum adscribilur
<- ipsi. Item quia in bonitate proprietas Spiritus sancti invenitur, merito et ei bonitas spe-
« cialiter assignatur. »
Danle [Divine Comédie, Paradis, cb. X) parle ainsi de la Trinité: «En regardant
son Fils avec l'amour que l'un et l'autre exhalent éternellement, la première et ineffable
Puissance fit avec un si grand ordre tout ce que noire intelligence et nos yeux aperçoivent,
que nul ne peut admirer l'œuvre du Créateur sans goûter de sa verlu. »
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 533
aucune puissance ^ Il isolait complètement les trois personnes
à l'égard de leurs attributions spéciales, et, par une singulière
contradiction, les confondait ensuite dans une unité divine
tellement compacte qu'il n'était pas possible d'y retrouver les
trois liypostases. Cette indéjDendance des personnes, d'une
part, et, de l'autre, cette excessive fusion, ont fait errer dou-
blement Abailard; mais le célèbre représentant de la scolas-
tique admettait la spécialité des attributs et les qualifiait , en
les appliquant aux personnes divines, comme Richard de Saint-
Viclor et la plupart des autres théologiens.
Toutefois, cette formule expliquait bien la relation des per-
sonnes divines entre elles et non la relation des personnes di-
vines avec les hommes; en conséquence nous avons dû faire
la distinction dont il a été question dans le chapitre consacré
au Saint-Esprit, et dire qu'il fallait, en laissant la toute-puis-
sance au Père, attribuer l'amour au Fils et fintelligence à
l'Esprit. Les grands génies chrétiens que nous avons nommés,
saint Ambroise, saint Augustin, saint Thomas d'Aquineties
autres, sont restés orthodoxes en changeant des termes qui
leur paraissaient désigner les trois personnes divines; nous
' Les deux bénédictins Martenne et Durand trouvèrent, dans l'aLbaye des Prémon-
trés de Vigogne (diocèse d'Arras), un manuscrit renfermant un traité de saint Bernard
conlre Abailard, et que l'abbé de Clairvaux avait envoyé au pape Innocent II. A la fin
de ce manuscrit on lit, après ces mots Collegi et aliqaa transmisi, les propositions sui-
vantes, extraites par saint Bernard des ouvrages d'Abailard :
(iQuod Pater sit plena potenlia, Filius quaedam potentia, Spirilus-Sanclus nulla po-
« lentia, Quod Spiritus-Sanclus non sit de substantiaPatris aut Filii. Quod Spiritus-Sanc-
u tus sit anima mundi. Quod neque Deus est homo, neque bœc persona quae Christus est .
«sit terlia persona in Trinitate. Quod in Cbristo non fueril Spiritus timoris Domini.
" Quod adPatrem, qui ab alio non est, proprie vel specialiler allincat omnipolenlia, non
« etiam sapienlia et benignitas. Quod adventus in fine saeculi possit atlribui Palri. »
(Voii- le Voyage lilléraire de deux bénédictins, 11° partie, p. 21 3.)
534 INSTRUCTIONS.
croyons également ne pas sortir du dogme en proposant une
autre formule d'attributions divines.
Au surplus, les représentations gravées et données plus
haut attribuent aux personnes divines les propriétés que
nous avons signalées. Aujourd'hui surtout , la formule que
nous adoptons gagne les esprits, et nous redirons encore que
Daniel, évêque de Lacédémone en 1889, nous donna l'expli-
cation suivante du signe de la croix tel que les Grecs l'exé-
cutent. « On le fait en ouvrant les trois premiers doigts de la
main droite, avec le pouce, l'index et le doigt majeur. On
y emploie les trois doigts en fhonneur de la Trinité et pour
la figurer. Le doigt puissant et actif par excellence, le seul
opposable aux quatre autres , Forgane principal de l'action
manuelle, le pouce enfin représente le Père. Le grand doigt,
qui domine tout et qui est à la droite du pouce lorsque la
main est vue par le dos, c'est le Fils. Dans l'index, qui unit le
pouce au doigt majeur, on voit le Saint-Esprit. L'index en effet
dirige les regards, enseigne la place des êtres; c'est l'organe
de fintelligence et finstrument de la notion. >^ On sent tout ce
qu'il y a d ingénieux et de subtil dans cette interprétation by-
zantine.
Chez nous, aux xii"" et xiii^ siècles, on pensait ainsi, et les
liturgistes Durand et Beleth, entre autres, déclarent que c'est
en l'honneur de la Trinité qu'on exécute avec trois doigts le
signe de la croix. L'idée fondamentale est, chez les Latins, la
même que chez les Byzantins. Il n'est pas certain que le
développement de cette idée n'appartienne pas en commun
aux deux Eglises et que même il ne provienne pas de la nôtre.
Dans les rituels des xii% xiii'' et xiv^ siècles, à la cérémo-
nie du mariage , l'anneau nuptial se passe successivement aux
trois premiers doigts de la main droite de l'époux et de l'é-
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE. 535
pouse. Lorsqu'il est au pouce, on dit : In nomine Patris; à l'in-
dex, et Filii; au grand doigt, et Spiritus-Sancti. Ici l'index est
attribué au Fils et non à l'Esprit, mais cette particularité n'a
peut-être rien d'essentiel ^
En résumé : le Père, c'est la force suprême, et on doit le ca-
ractériser en lui donnant le globe, l'univers, qu'il a créé; le
Fils, c'est l'amour infini, et la croix est son symbole; l'Esprit,
c'est l'intelligence, et il faut lui donner le livre. Dans les repré-
sentations on voit ordinairement le Père avec le globe, le Fils
avec la croix ou le livre, mais plus souvent encore avec le globe,
et le Saint-Esprit sans attribut. Ainsi le Fils absorbe les trois
facultés divines; car les artistes du moyen âge lui donnent en
propre la puissance, que désigne le globe; l'intelligence ou la
sagesse, que marque le livre, et l'amour, que la croix symbo-
lise, tandis qu'on semble déshériter complètement le Saint-
Esprit. En matière aussi grave, il ne faut rien laisser à l'ar-
bitraire; on doit définir les idées et les termes pour que les
artistes contemporains ne s'égarent pas et pour qu'ils repré-
sentent les personnes divines selon toute la rigueur du dogme.
Nous devons demander pardon d'avoir fait, à propos d'ar-
chéologie, une pareille invasion dans le domaine théologique on
philosophique. Mais l'archéologie chrétienne est appelée peut-
être à rendre de grands services à la théologie et à la philosophie.
L'archéologie n'est pas une simple science de nomenclature,
ni une science purement descriptive; c'est de l'histoire sur-
tout, et de l'histoire qui doit donner l'interprétation des faits.
Nous ne voulons rien résoudre assurément; mais nous disons
' Voyez, dans IcBnllelin archéologique du comité historique des arts et monuments,
vol. II, p. 498, /199, des Notices de M. l'abbé Poquelet de M. Lucien de Rosny, corres-
pondants historiques, sur deux rituels qui ont appartenu à la cathédrale de Soissons
(Aisne) et à l'abbaye de Barbeau (Seine-et-Marne).
536 INSTRUCTIONS.
qu'on ne peut faire d'archéologie chrétienne un peu utile
et qu'il n'est même possible de comprendre les monuments
figurés du christianisme sans s'être occupé de théologie. A la
vue de certains monuments, il faut absolument rappeler les
questions principales et les faits essentiels de l'histoire ecclé-
siastique. La théologie , grande science qu'on n'étudie pas
assez et qu'on a le grave tort d'abandonner aux ecclésias-
tiques, comme si le clergé seul y était intéressé, doit être re-
mise en honneur. De nos jours tout marche, et toutes les
sciences doivent être scrutées profondément dans leur partie
historique et dogmatique à la fois. Nous serions heureux si
notre travail contribuait à raviver le goût de cette noble étude
qui s'inquiète , pour les creuser, des questions les plus diffi-
ciles et les plus profondes.
MANIFESTATIONS DE LA TRINITE.
La Trinité, c'est-à-dire la réunion des trois personnes di-
vines, n'apparaît pas une seule fois dans l'Ancien Testament.
Certains textes en font bien soupçonner la présence; mais ces
textes ne sont pas suffisamment à l'abri des objections. Dans
la Genèse , Dieu dit : « Faisons l'homme à notre image et res-
semblance. » Il dit encore : « Voici qu'Adam est devenu comme
l'un de nous;» il dit enfin : «Venez, descendons et confon-
dons leur langage ^ » Mais ces expressions n'impliquent pas
nécessairement l'idée de la Trinité. Dieu pouvait parler au plu-
riel uniquement parce qu'il s'adressait à un ange. Comme un
souverain qui commande ou comme un artiste qui s'excite à
faire son œuvre , Dieu pouvait s'exprimer au pluriel sans s'a-
dresser aux deux autres personnes divines. Ces objections ont
été combattues par les théologiens, mais elles ne manquent pas
' Ces textes ont été cités pages àbi, 452.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 537
d'une certaine puissance. Une lliéologic ^ qu'on enseigne dans
les séminaires de France prétend que Dieu ne pouvait pas s'a-
dresser aux anges lorsqu'il disait : « Faisons l'homme à notre
image; » mais le xiif siècle avait répondu d'avance à la théo-
logie moderne, car il représenta un ange aidant le Créateur à
pétrir l'argile dont le premier homme fut lait. Entre autres
exemples , le suivant est parfaitement caractéristique.
l3l. ANGE AIDANT LE CREATEUR.
Miniature italienne, xiii° siècle^.
Dieu est assimilé à l'artiste éminent qui met la dernière
main à une œuvre qu'un artiste inférieur a ébauchée. Cet ar-
tiste inférieur, ce praticien, c'est l'ange qui vient de façonner
l'argile et lui donner la forme grossière, les linéaments géné-
raux d'un homme. Mais cet homme n'est que de la terre
encore; il est informe, inerte, privé de sens; il n'a pas
de vie. Dieu est donc là debout, bénissant de la main droite
cette statue qui va être Adam, et lui soufflant à la face l'haleine
' Theologia dogmatica et moralis, par Louis Bailly, toni. II, Tractatus de S. Tnm-
tate. p. 1-17-
■^ Psalterium cumfiguris, in-r, Bibl. royale.
INSTRUCTIONS. II. "°
538 INSTRUCTIONS.
de la vie^ Ainsi l'ange concourt avec Dieu à former Adam;
l'ange dégrossit ce que Dieu achève et perfectionne. Le « fai-
sons » de la Genèse implique donc la pluralité des êtres qui
participent à la création d'Adam, mais non la pluralité et en-
core moins la triplicité des personnes divines. Le manuscrit
d'où est extrait notre dessin n'est pas le seul à traduire ainsi
le passage de la Genèse. Dans la cathédrale de Chartres, au
porche septentrional , le cordon extérieur de la voussure, à
l'entrée du milieu, est occupé par une série de figures qui re-
présentent la création ; le Créateur y est de même assisté par un
ange, duquel il semble prendre conseil. Un manuscrit de la Bi-
bliothèque royale^ offre de plus l'ange uni intimement à Dieu
et ne faisant avec lui qu'un seul corps, comme il ne fait qu'une
pensée lorsqu'il crée la terre, les animaux et 1 homme. Du
reste, disons -le, cette manière d'expliquer le pluriel de la
Genèse est assez exceptionnelle; car, pendant tout le moyen
âge, surtout à l'époque gothique, les artistes ont figuré les
trois personnes de la Trinité formant et animant Adam. Nous
en avons déjà donné des exemples que d'autres vont suivre
dans un instant. Nous voulions montrer seulement que les
sociniens auraient pu trouver dans l'iconographie religieuse
du moyen âge des arguments en leur faveur; mais nous re-
connaissons que les docteurs et les artistes chrétiens se sont
accordés presque tous pour constater la présence de la Trinité
dans les textes que nous avons signalés.
Nous avons déjà dit qu'Abraham se prosterna devant un
des trois anges qu'il rencontra dans la vallée de Mambré, et
qu'il invita à venir se reposer près de sa tente, sous un arbre.
' (( Et inspiravit in faciem ejus spiraculura vitiE, el factus est homo in animam viven-
" tem. » ( Genesis , cap. ii , v. 7.)
' Chronique d'Isidore de SéviUe , Bibl. roy. 71 35; fin du xm" siècle.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 539
Abraham avait vu trois anges; mais, comme il ne s'était adressé
d'abord qu'à l'un d'eux, pour parler ensuite à tous les trois
ensemble, les commentateurs en ont conclu l'apparition de la
Trinité au père des patriarches ^ Cette interprclation d'un texte
vague est plus ingénieuse qu'irréfragable. Toutefois l'art s'est
rangé assez souvent du parti des commentateurs; il a figuré les
trois personnes réunies, et au pied de fune desquelles Abraham
se prosterne. Sous ce tableau , on voit quelquefois en légende :
« Très vidit, unum adoravit^. »
Dans les psaumes, David fait parler les personnes divines:
« Le Seigneur m'a dit : tu es mon fils; je t'ai engendré aujour-
d'hui. — Le Seigneur a dit à mou seigneur : assois-toi à ma
droite Je t'ai engendré de mon sein avant Lucifer^. »
En conséquence de ces expressions, on a encore affirmé qu'il
était question de la Trinité. C'était aller trop loin : il peut y
être question de deux personnes divines, mais non de trois.
L'indigence de l'Ancien Testament en textes relatifs à la Tri-
nité a été cause que les commentateurs ont torturé le sens des
mots et la signification des faits. Les artistes, poussés par les
commentateurs, ont représenté des semblants de Trinité dans
des scènes qui n'en comportaient pas; ainsi, dans le dessin
suivant, ils font combattre Béhémoth et Léviathan par trois
' Genesis, cap. xviii, v. 2-5. — Dans un manuscrit lalin de Prudence (Bibl. royale,
8o85) , les trois anges, symbole de la Trinité, dit Prudence, apparaissent à Abraham. Un
cercle, en guise de nimbe, entoure la lèle d'un seul ; les deux autres ne sont pas nimbés.
* Voyez à Saint-Etienne-du-Monl un vitrail du xvi" siècle, dans le collatéral sud, on
sont représentés le fait et la légende qui l'explique. A la bibliothèque de l'Arsenal , le
ms. Missale parisiense , tbéol. lat. 182, oflre trois anges entièrement semblables adorés
par Abraham. En Grèce, au pied du mont Pantélique, dans une petite chapelle voisine
d'un monastère, un tableau représente Abraham qui reçoit les trois anges à sa table.
Les anges sont entièrement égaux, comme dans VHortus deliciarum ; tous trois portent
le nimbe identique, timbré de la croix divine, avec à wv dans les croisillons.
^ Psal. H, V. 7. — Psal. cix, v. i-3.
68.
540 INSTRUCTIONS.
anges qui figurent les trois personnes divines. L'un de ces
anges, celui qui n'a pas d'ailes, porte le nimbe crucifère, qui
n'appartient qu'à Dieu; si les deux autres ont le nimbe uni,
c'est qu'on a craint sans doute ou peut-être qu'on a oublié
de le croiser.
l32. FIGDRE DE LA TRIIVITÉ COMBATTANT BÉHÉMOTH ET LEVlATHAÎf.
Même source et même date que celles de la planche 1 3 1 .
On a également vu une révélation de la Trinité dans les trois
compagnons de Daniel : Ananias, Misaël et Azarias, que Nabu-
cboclonosor fit jeter dans une fournaise. Qu'il y ait là une
image plus ou moins obscure de la Trinité , rien de mieux; mais
il n'est pas possible d'y voir un symbole de ce dogme. D'ail-
leurs, en matière aussi grave, ce ne sont pas des à peu près
qui peuvent satisfaire; il faut des réalités, des textes clairs et
précisa L'Ancien Testament n'en offre que très-peu; dans
Disons cependant que l'ange, envoyé de Dieu pour éteindre le feu du bûcher où
Nabuchodonosor avait précipité les trois Hébreux, apparut au roi de Babylone comme
semblable au fils de Dieu. Los trois Hébreux symbolisaient en quelque sorte les trois
personnes divines qui venaient se réunir en un seul Dieu, dans une unité divine et vi-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 5/4I
cette partie des livres saints on ne voit pas assez de manifes-
tations réelles, et vraiment inattaquables de la Trinité divine.
Le Nouveau Testament est bien autrement précis ; il nomme
et il montre matériellement la Trinité.
Jésus dit à ses apôtres: «Allez donc; enseignez toutes les
nations en les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-
Esprit ^ )! « Je prierai mon jDcre, dit ailleurs Jésus à ses disciples,
et il vous enverra un autre consolateur (l'esprit de vérité), qui
demeurera éternellement avec vous."» Dans sa première épî-.
tre, saint Jean déclare qu'il y a trois personnes qui rendent
témoignage dans le ciel : « Le Père, le Verbe et l'Esprit-Saint :
et ces trois ne font qu'un '\ » Ces textes nomment positivement ,
en les réunissant dans la même phrase, les trois personnes di-
vines ; mais, au baptême de Jésus-Christ, la Trinité se manifeste
visiblement et dans la même action. « Jésus ayant été baptisé
sortit de l'eau sur-le-champ, et voilà que les cieux lui furent
ouverts et qu'il vit l'Esprit de Dieu descendant sous la forme
d'une colombe et venant sur lui. Alors une voix du ciel dit :
«celui-ci est mon fils bien-aimé en qui je me suis complue «
vanle sous la forme d'un ange. C'est ainsi que beaucoup de commenlaleurs et d'artistes
du moyen âge l'ont compris. Toujours est-il que la Trinité sort de cette histoire biblique
par voie d'inlerprélalion et non par conséquence nécessaire. (Voyez la Prophétie de Da-
niel, ch. III , versets 23,24,91 et 92.) — Saint Cyprien a vu la Trinité, non-seulement
représentée par les trois Hébreux, mais figurée même dans la distribution des prières
que ces jeunes hommes faisaient avec Daniel. (Saint Cyprien, De oratione clominica,
vers la fin. Voir les Institutions liturgiques, par Dom Gueranger, F' vol. p. Ag et 81.)
Ajoutons encore que le verset 5i du chapitre m, qui prête aux. trois enfants une
seule voix pour louer Dieu , était un argument de plus en faveur des commentateurs
qui voyaient une image de la Trinité dans tout cet événement : «Tune hi très quasi ex
« UNO ore laudabant et glorificabant et benedicebant Deum in fornace. »
■ Matth. XXVIII, 19.
* Joh. XIV, 16.
' Joh. Epist. Ij cap. V, V. 7.
' Matth. III, 16, 17.
542
INSTRUCTIONS.
l33, TRINITÉ AD BAPTÊME DE JESUS.
Sculpture italienne sur bois, xiv* siècle '.
Une fois clairement formulé et visiblement montré, le dogme
de la Trinité s'empara de tous les esprits. On relut l'Ancien
Ce bois a été rapporté d'Italie par M. Paul Durand, à qui il appartient. Cette sculp-
ture est du xiv' siècle, et cependant on remarquera que déjà par négligence, peut-itre
par pur oubli, on n'a pas croisé le nimbe du Père ni le nimbe du Fils. Quant au Saint
Esprit, il est dans une auréole et on ne pouvait lui donner un nimbe. Ce Baptême est
un fies plus conjplels que l'on connaisse; il a une certaine physionomie byzantine.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 543
Testament, et on voulut voir la vérité dévoilée dans des textes
trop peu explicites ou qui avaient passé inaperçus. C'est alors
que les pluriels de la Genèse, que les trois acclamations des
Séraphins, que les trois doigts auxquels Dieu suspend la masse
du monde, que les trois anges reçus par Abraham, que les
trois enfants jetés dans la fournaise , furent regardés comme
des allusions à la Trinité, comme des symboles ou du moins
comme des figures des trois personnes divines ^
Après l'histoire, on interrogea l'âme humaine et l'on y
trouva un reflet de la Trinité. L'âme faite à la ressemblance
de Dieu était une dans sa substance et triple dans ses attri-
buts ; la puissance du Père, la bonté du Fils, la sagesse de
TEsprit se répétaient en petit dans la volonté, l'amour et l'in-
telligence de l'âme humaine.
L'âme peut connaître , désirer et faire le mal tout comme
elle peut aj)prendre, vouloir et accomplir le bien avec les fa-
cultés dont elle dispose ; c'est la conséquence de sa nature
et l'imperfection de la liberté qu'elle possède. Le mal com-
plet, le mal absolu dans fhomme, se présente donc sous trois
faces correspondantes aux attributs de fâme. Dans l'ordre sur-
' Le texte suivant du iiturgiste Guillaume Durand rendra compte de la disposition
où étaient les esprits du moyen âge relativement à la Trinité, et complétera les texte»
que nous avons déjà indiqués. « Dicens Deum singulariter deorum fugit pluralitalem
a (Deut. VI.) Audi Israël , Dominus Deus tuas, unus est. Et aposlolus (Eph. iv) : Unus est
« Deus, una fides, unum baptisma. Dicens vero Patrem incipil personas distinguere, de
« quibus Esaias ( Esa. xl) : Quis appendet tribus digitis molem lerrae. Et alibi (Esa. vi) :
" Seraphim clamabant sanctus, sanctus, sanctus. Et Dominus (Matl. xxviii) : Baplisale
« omnes génies in nomine Patris , et Filii, et Spirilus-Sancti. Et Joannos ( Joan. v) : Très
« sunt , qui teslimonium dant in cœlo : Pater, Verbum et Spiritus-Sanctus. Pater est prima ,
" non tempore sed auclorilate, in Trinilate persona. Quod sequitur omnipotenleni, no-
" men est esscnliale, ideoquc illud ad substantivum Deum, vel ad relativum Palrem,
' non sine ratione referimus, dicentes credo in Deum Palrem omnipolenlem, vel credo
« in Palrem omnipotentem. Similiter et quod sequitur : Crealorcm cœli cl Icrra;. » (Guil-
laume Durand, Rntionalc, lib. IV. de Symbolo.)
544 INSTRUCTIONS.
naturel, dans l'ordre infini, Dieu est l'absolu du bien, et Satan
est l'absolu du mal. Dieu est un en trois bypostases ; Satan
est un en trois personnes ou plutôt en trois figures. C'est ainsi
que les tbéologiens et les artistes du moyen âge ont compris
et représenté la plénitude de la vertu et du vice. Des images
montrent Dieu sous l'aspect d'un homme à trois visages, un
pour chaque personne ; d'autres images offrent le diable sous
l'apparence d'un être humain portant trois figures sur un tronc-
unique comme dans ce dessin.
l3/|. TRINITÉ DU MAL.
Miniature française, xiif siècle ^
Comparez cette Trinité diabolique avec plusieurs des Tri-
nités divines que nous avons données ou que nous allons
montrer, et vous verrez que l'idée à laquelle les artistes ont
obéi, pour exécuter ces représentations, est la même. Mais le
mal est plus mauvais en quelque sorte que le bien n'est bon; on
a donc, dans le dessin suivant, représenté la Trinité satanique
poussée à la plus haute puissance. Trois têtes au bas du corps.
Ce dessin est tiré du curieux manuscrit de la Bibliothèque royale intitulé Emhle-
mata biblica , cl qui est du xiii" siècle. Il y a peu de manuscrits aussi riches que celui-là
en miniatures: il en contient pins de trois cents.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
545
trois 011 quatre têtes à la poitrine, trois têtes ou trois faces au
haut du corps, sur le cou, et ces trois faces surmontées de trois
cornes de cerf, épineuses, acérées. A la main droite de cet
horrible monarque du mal est un sceptre fleuronné de trois
têtes monstrueuses.
1-35. TRINITÉ DU MAL ABSOLU.
Miniature française du xv° siècle '.
Le temps, qui est l'image finie de Téternité sans fin, (ut en-
visagé au moyen âge sous les trois aspects du passé, du présent
' Manuscrit françai- de la Bibl. royale, UisioTc du Suint-Grml, n" 6770. Ce terrible
69
JNSTRUCTIONS. — II.
546 INSTRUCTIONS.
et de l'avenir. Le présent n'était pas ou était peu pour les
païens ^ ; mais , aux yeux des chrétiens , il valait mieux que
le passé, autant que l'avenir. Les Piomains figuraient Janus,
le génie ou la personnification du temps, sous la forme d'une
tête à deux faces. Le Janus bifrons regardait le passé avec sa
figure de derrière, et scrutait favenir avec sa figure de de-
vant; quelques artistes chrétiens incrustèrent entre ces deux
figures celle du présent^, comme dans la représentation sui-
vante.
Satan préside une assemblée de démons qui délibèrent sur la naissance de Merlin , des-
tiné à réparer le mal que Jésus-Christ, par sa mort et sa descente aux enfers, a fait au
démon. Je dois à l'obligeante amitié de M. Paulin Paris, membre de l'Institut et conser-
vateur à la Bibliothèque royale, la connaissance et la communication de cette miniature
remarquable.
' Delille, poëte semi-païen de forme et de pensée, a supprimé le présent autant qu'il
dépendait de lui , lorsqu'il a dit :
Le moment où je parle est déjà loin de moi.
'" Nous disons quelques chrétiens , parce que , il faut en convenir, l'influence du Janus
à deux visages, du Janus antique et bifrons, a été très -grande pendant loul le moyen
âge. C'est à deux visages et non pas à trois que nous le voyons figuré en divers endroits,
notamment aux portails occidentaux des cathédrales de Chartres, de Strasbourg et
d'Amiens, et de l'abbatiale de Saint-Denis. Un liomme à deux têtes sur un seul corps
est assis près d'une table chargée de nourriture. L'un est triste et barbu ; l'autre est
gai, imberbe et jeune. La tète barbue figure l'année qui va finir, le 3i décembre; la
tête jeune personnifie l'année qui va commencer, le i" janvier. Le vieux est assis du
côté où la table est vide; il a épuisé toutes ses provisions. Le jeune a devant lui, au
contraire, plusieurs pains et plusieurs plats, et un enfant, un petit domestique, vient
encore lui en apporter. Cet enfant est une autre personnification de l'année future ; iJ
est le complément de la jeune tête du Janus. En effet un enfant accompagne l'homme
barbu et l'homme imberbe; mais du côté du vieillard l'enfant est comme mort, et l'on
ferme sur lui la porte d'un petit temple, tandis que du côté du jeune homme l'enfant
sort joyeux d'un temple semblable. L'un meurt et se retire du monde; l'autre y entre
tout plein de vie. Une monographie complète de ces Janus chrétiens serait d'un haut
intérêt. Il faudrait en recueillir les éléments dans les sculptures, sur les vitraux, et sur-
tout dans les manuscrits à miniatures. C'est un sujet fort curieux et qu'on peut recom-
mander aux jeunes antiquaires qui abordent l'iconographie du moyen âge. Notre époque
est favorable à ce genre de recherches, car on commence enfin à se préoccuper du
symbolisme ciirétien.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
l36. LE TKMPS A TROIS FACKS.
Miniature française du xiv" siiVle '.
547
C'est effectivement un Janus que ce petit homme à trois
visages sur un seul tronc, qui mange et qui boit pour commen-
cer l'année; il sert de frontispice au mois de janvier, en tête
d'un calendrier. Mais c'est un Janus chrétien, une image com-
plète du temps. Qu'est-ce que la vie en effet sans le présenta
Les souvenirs du passé et les espérances de l'avenir ne peuvent
être, sans les réalités du présent, que des songes évanouis ou
des rêves non éclos. Le présent seul gagne le pardon pour le
passé et la grâce pour l'avenir.
Le présent, fils du passé, est, suivant la pensée prolondé-
ment chrétienne de Leibnitz, gros de l'avenir. Ainsi donc, ici
comme ailleurs, le christianisme dépasse la civilisation antique.
' Cette Année à trois visages est à la bibliothèque de l'Arsenal, ms. théol. lat. i33':
Officium ecclesiasticiim. On la voit à l'entrée du manuscrit, au bas du mois de janvier.
C'est le présent qui boit, qui se nourrit. Le passé et l'avenir se contentent de méiliter:
l'un semble se souvenir pour la dernière fois , et l'autre peut déjà se prendre à espérer.
69.
548 INSTRUCTIONS.
Le christfanisme a renouvelé toutes les choses anciennes ;
quand il les conservait, il se faisait gloire de les enrichir au
moins d'un élément nouveau.
Le nombre trois devint de plus en plus sacré ; le christia-
nisme le proclama comme le nombre souverain par excellence,
comme le vrai nombre divin. Précisant et circonscrivant
l'axiome païen qui disait, numéro Deus impare g audet, il li-
mita le nombre impair au nombre trois. Une fois le dogme
de la Trinité révélé, on fit souvent violence aux choses les plus
compactes, les plus homogènes, les plus indivisibles pour les
partager en trois et les recomposer ensuite en unité. Toute
une histoire d'hommes et de choses, l'histoire des Celtes de la
Grande-Bretagne, fut forcée d'entrer de gré ou de force dans
des cases à trois compartiments; c'est comme un morceau de
musique réglé, du commencement à la fin, par la mesure en
trois temps. Ces mesures historiques s'appellent des triades '.
1 Nous nous contenterons de donner les têtes de chapitre.de cette bizarre histoire,
faussée constamment par le système ternaire et le symbohsme.
« Triades de l'île de Bretagne , qui sont des triades de choses mémorables, de souve-
nirs et de sciences concernant les hommes et les faits fameux qui furent en Bretagne ,
et concernant des circonstances et infortunes qui ont désolé la nation des Cambriens à
plusieurs époques. — Voici les trois noms donnés à l'île de Bretagne. — Les trois prin-
cipales divisions de l'île de Bretagne. — Les trois pihers de la nation dans l'île de Bre-
tagne. — Les trois tribus sociales de l'île de Bretagne. — Les trois tribus réfugiées. —
Les trois envahisseurs sédentaires. — Les trois envahisseurs passagers. — Les trois
envahisseurs tricheurs. — Les trois disparitions de l'île de Bretagne. — Les trois évé-
nements terribles de l'île de Bretagne. — Les trois expéditions combinées qui partirent
de 1 île de Bretagne. — Les trois perfides rencontres qui eurent lieu dans l'île de Bre-
tagne. — Les trois insignes traîtres de l'île de Bretagne. — Les trois traîtres mépri-
sables qui mirent les Saxons à même d'enlever la couronne de l'île de Bretagne aux
Cambriens. — Les trois bardes qui commirent les trois assassinats bienfaisants de l'île
de Bretagne. — Les trois causes frivoles du combat dans l'île de Bretagne. — Les trois
recèlements et décèlements de l'île de Bretagne. — Les trois énergies dominatrices de
1 île de Bretagne. — Les trois hommes vigoureux de l'île de Bretagne. — Les trois faits
qui causèrent la réduction de la Lloegrie et l'arrachèrent aux Cambriens. ~ Les trois
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 549
Avec les études sur le moyen âge le mysticisme k repris de
nos jours. On ne se contente pas de signaler le nombre trois
et la Trinité elle-même dans les objets qui décèlent évidem-
ment ce symbole, mais on le découvre où il n'est probable-
ment pas. On proclame, par exemple, que les artistes du
moyen âge ont bâti un bymne en Thonneur du nombre trois,
et quils ont construit l'image géométrique de la Trinité en éle-
vant les portails de nos cathédrales où l'on se plaît à retrouver
trois étages en hauteur divisés par trois tranches en largeur.
Le trèfle, qui abonde dans l'ornementation gothique, n'y serait
encore que pour faire honneur à la Trinité. Mais, comme les
portails à quatre et à cinq étages sur quatre et cinq pans de
murs sont aussi nombreux que les fleurons à quatre, cinq,
six et sept lobes , il en résulte que l'idée de la Trinité n'était
pas si constamment présente à l'esprit des artistes qu'on le
suppose de nos jours ^ Toutes les fois qu'on voit trois objets
premiers ouvrages extraordinaires de l'île de Bretagne. — Les trois hommes amoureux
de l'île de Bretagne. — Les trois premières maîtresses d'Arthur. — Les trois chevaliers
de la cour d'Arthur qui gardaient le Graal. — Les trois hommes qui portaient des sou-
liers d'or dans l'île de Bretagne. — Les trois royaux domaines qui furent établis par Rha-
dri le Grand en Cambrie. » — a Un roi d'Irlande, nommé Cormac, ajoute M. J. iMichelet,
écrivit, en 260, De Triadibus ; quelques triades sont restées dans la tradition irlan-
daise sous le nom de Fingal. Les Irlandais marchaient au combat trois par trois; les
higlanders d'Ecosse sur trois de profondeur. » (Voyez Histoire de France, par AL Miche-
let, vol. I, p. 461-71, édit. in-8°.)
' L'illuslre et savant M. Boisserée, Description de la cathédrale de Cologne, in-f", Paris,
1825, dit : 0 Les principes fondamentaux de l'ancienne archilecture d'église se trouvent :
1° dans le triangle équilatéral adopté d'abord par les pythagoriciens comme le symbole
de Minerve ou de la sagesse, et ensuite par nos ancêtres comme symbole de la Trinité;
2" dans le dodécagone résultant de l'application de ce triangle au cercle, combinaison
que les anciens, ainsi que nos ancêtres, regardaient comme contenant toute proportion
musicale et astronomique.» Nous regrettons de ne pouvoir admettre ces idées, tout
ingénieuses qu'elles soient. — Dans un récent ouvrage [Manuel de l'histoire cjdnérale de
l'architecture, par M. Daniel Ramée, 2 vol. in- 12 ; Paris, i8/|3), on a repris, pour la
pousser à l'absurde la théorie symbolique des nombres, et du nombre trois en parti-
550 INSTRUCTIONS.
réunis, plantes, bêtes, monstres ou hommes, immédiatement
ridée de la Trinité divine apparaît aux yeux de certains mys-
tiques. Que trois poissons soient sculptés sur une cuve baptis-
male du Danemark, que trois singes hideux soient gravés sur
une cuve baptismale de France, que trois personnages fantas-
tiques se découpent en relief sur le tympan d'une porte d'é-
glise, et l'on voit la représentation de Dieu le Père, de Jésus-
Christ et du Saint-Esprit dans ces êtres bizarres et même
dans ces monstres. S'efforcer d'extraire une idée de tous les
faits est une opération très-louable assurément; mais la raison
doit l'éclairer et la contenir ^ Les objets où la Trinité apparaît
certainement en intention et même en réalité sont assez nom-
breux pour qu'on ne cherche pas à en créer de fictifs. Nous en
allons indiquer plusieurs en parlant du culte direct ou indirect
culier ; celte imagination est à la réalité ce que le rêve est à la claire pensée d'un homme
sain et bien éveillé. L'architecture, même dans son histoire, a plus à perdre qu'à gagner
dans des songes de celte espèce : l'esprit net et positif de la France a raison de reléguer
dans les aberrations de l'esprit toutes ces inventions bizarres.
Frédéric Mûnter, évêque de Seeland en Danemark, que nous avons déjà cité, a
publié, en 182 5, à Altona , les parties I et II d'un ouvrage in-/i° intitulé : Smnlilder
and Kunstvorstellungen der alten Christen [Images symboliques et représentations figurées
des anciens chrétiens). C'est là qu'il est question de ces Irois poissons figurant la Trinité
sur la cuve baptismale d'une église de Danemark, à Beigetad. C'est de l'Allemagne et
du nord de l'Europe que nous arrivent toutes ces singulières et nébuleuses explica-
tions. Dans un rapport adressé par M. Schmit au comité historique des arts et mo-
numents, et imprimé en iSli2 sous le titre de Souvenirs d'un voyage archéologique dans
l'Ouest, nous lisons, à la page 33 : «Sur le flanc méridional de l'église de Notre-Dame-
des-JN'eiges, à Brelevenez (Bretagne), s'élèvent trois piliers dont la partie inférieure
sert de contre-fort au bas-côté; ils s'élancent ensuite isolés jusqu'à la hauteur (d'ail-
leurs fort médiocre) de l'arête de la toiture. Celui de droite et celui de gauche, un peu
moins élevés que celui du centre, sont tronqués carrément; le troisième est chape-
ronné. Le portail à plein cintre, couronné par un pignon formant comble à deux égouts,
est placé entre le second et le troisième pilier. La tradition locale veut voir ici un em-
blème de la Trinité adopté par l'ordre du Temple dans la construction de ses églises. Je
ne sais si cet usage est bien constaté; sinon, on pourrait voir tout aussi bien dans ces
trois piliers une représentation du Calvaire, surtout au sommet d'une montagne passa-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 551
rendu au dogme de la Trinité, ou à Dieu se révélant dans
ses trois hypostases.
CULTE DE LA TRINITE.
Huit jours après la grande fête de la Pentecôte, qui est dédiée
au Saint-Esprit, on célèbre celle delà Trinité. A Noël, dit-on, on
fait la fête du Père\ à Pâques celle du Fils, à la Pentecôte celle
de l'Esprit, et, huit jours après la Pentecôte, on groupe en une
seule ces trois solennités distinctes. Un office entier fut com-
posé pour la Trinité; mais, ce qui est curieux, c'est que Noël,
Pâques et la Pentecôte, qui sont au rang d'annuel majeur,
c'est-à-dire au suprême degré de la hiérarchie des fêtes, vien-
nent se concentrer dans une fête inférieure de trois degrés et
descendre au solennel mineur. Cependant la Trinité a toujours
blement écartée , qui n'a pas moins de loo mètres d'élévation. Peut-être est-il plus simple
et plus exact, par conséquent, de ne reconnaître dans ces piliers que des contre-forfs par-
venus à la hauteur que devait avoir lédifice évidemment inachevé. » C'est à la dernière
de ces explications que nous donnons notre assentiment; elle est plus sensée, plus simple
et par conséquent plus vraie que les deux autres.
' C'est à la fin du moyen âge et pendant la renaissance qu'on s'inquiéta d'attribuer
au Père une fête spéciale. Il eût été plus simple et plus convenable de la créer; mais des
difficultés historiques s'étaient olTertes. En effet. Dieu le père ne s'étant pas manifesté
visiblement, on ne pouvait consacrer la mémoire d'un fait qui n'existait pas; les litur-
gistes proposèrent alors de consacrer le jour de Noël au Père. C'était évidemment vio-
lenter la signification réelle des événements. Le jour où Marie met Jésus au monde, et où
le Verbe fait chair naît dans une étable, ce jour-là doit appartenir, soit à Marie, soit à Jé-
sus ; le Père n'y intervient que secondairement. Aussi, malgré le vœu de certains théo-
logiens et malgré les efforts de certains liturgistes (v. Guill. Durand , Ralionale div. offic),
Noël resta à Jésus-Christ et à la Vierge, et le Père n'eut pas de fête spéciale. Un manus-
crit de la Bibliothèque royale ouvre la fête de Noël par la représentation du Père, comme
celle de Pâques par le portrait du Fils; mais habituellement, pour ne pas dire toujours,
c'est la nativité qu'on voit à Noël, et le nom de Noël [Natalis) resta au jour de la nais-
sance du Sauveur. Le septième volume des œuvres du B. Tommasi, éditées par Bian-
chini, renferme une note sur une supplique demandant l'institution d'une fête pour le
Père étemel.
552 INSTRUCTIONS.
joui de grands honneurs dans le culte. A la fin des iniroïts, des
oraisons, des proses, des hymnes, des psaumes, des répons, la
doxologie unit dans les louanges chacune des trois personnes ;
quelquefois elle les confond dans une louange unique K
De même que le Saint-Esprit, la Trinité protégea de son
nom un ordre de religieux appelés les Trinitaires^
Dans toute la chrétienté, des églises et des monastères furent
élevés en l'honneur de la Trinité. L'abbaye de la Sainte-Trinité
de Florence est réputée pour les peintures qu'y exécuta , selon
Vasari, Giovanni Cimabue. Arezzo avait, et a peut-être encore,
un couvent de religieuses de Santo-Spirito. A Caen et à Rouen,
à Fécamp, à Poitiers, à Vendôme, à Angers, à Lefay (diocèse
de Coutances) et en bien d'autres lieux, il y avait des abbayes
célèbres et des églises dédiées à la Trinité. Le nom de Trisay-
la-Sainte-Vierge , au diocèse de Luçon , vient probablement de
' Le « Gloria Patri et Filio et Spiritui sancto » est attribué à saint Jérôme , qui l'au-
rait envoyé au pape Damase. C'est ce pape qui le fit chanter à la fin des psaumes. Les
hymnes composées par saint Ambroise , et qui se chantent aux heures du dimanche
ou des fériés, se terminent par des actions de grâce aux trois personnes divines :
Deo Patri sit gloria
Ejusque soli Filio
Cum Spiritu paraclito ,
Nanc et per omne seculum.
Ou bien :
Prœsta , Pater piissime ,
Patrique compar unies,
Cum Spiritu paraclito ,
Regnans per oBine saeculum.
' Les Trinitaires datent de 1 198; ils ont été fondés , pour le rachat ou la rédemption
des captifs, par saint Jean de Matha et Félix de Valois. Leur règle fut approuvée par le
pape Innocent III, qui leur donna, en 1 199, un habit blanc décoré d'une croix rouge à
double traverse. Celte croix dominait le Saint-Esprit gravé sur leur sceau. Je dois un
exemplaire de ce sceau à l'obligeance de M. le baron de Girardol, conseiller de préfec-
ture et correspondant du comité des arts. L'un des articles de la règle des Trinitaires
est ainsi conçu : « Omnes ccclesiae istius ordinis intitulentur nomine sancfae Trinitalis
>. et sintplani operis. » Ce planum opus, dont on fait une obligation aux Trinitaires, est
un point d'une ceriaine importance pour l'histoire de l'architecture.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 553
l'acclamation répétée trois fois en l'honneur de la Trinité par
les esprits célestes ^ Saint Williborde, évêque de Trêves, mort
en 789, éleva un monastère en l'honneur de la Trinité, dans
la basilique duquel il se fit enterrer ^.
Non-seulement on bâtissait des églises et des couvents pour
honorer l'union des trois personnes divines, mais on donnait
à ces églises et à ces couvents une configuration qui rappelait
la Trinité par le nombre ou la forme de certaines parties. Saint
Benoît d'Aniane, l'apôtre carlovingien du midi de la France,,
fait construire une église qu'il dédie, non pas à un saint,
mais à la Trinité. Il subordonne à l'autel majeur trois autres
autels, pour que les trois personnes fussent symbolisées par
ceux-ci et l'unité divine par celui-là. Le maître-autel, emblème
des deux Testaments, était plein en dehors, creux en dedans
et percé par derrière d'une petite porte servant d'entrée aux
châsses et aux reliques des saints qu'on enfermait aux jours
ordinaires^. Dans cette église, un autel était dédié à saint Mi-
chel, un autre aux apôtres Pierre et Paul, un troisième à saint
' En grec, Trisagion, qui est latinisé par Trizaium, Trisagium. Le Sanctas, Sanctus,
Sanclus (âyws, âyios, âyios), a été placé par saint Ambroise et saint Augustin clans le
Te Deum qu'ils ont, à ce qu'on dit, composé en commun, paroles et chant. Ces deux
grands docteurs faisaient répéter ainsi sur la terre l'hymne que saint Jean entendit dans
le ciel, et dont il parle dans l'Apocalypse, chap. iv, verset 8. En Grèce, beaucoup d'anges,
peints à fresque ou en mosaïque, tiennent à la main des espèces d'étendards où se
lit âyios, âyios, âyios. — Près de Mantes existait un couvent des Céleslins, dit de la
Trinité. (V. Catalogue Joursanvaalt, ]!' vol. n" i2lià-) A Beaulieu, en Touraine, il y
avait une abbaye de la Sainte-Trinité.
^ Alcuin a écrit la vie de saint Williborde.
^ Voyez le texte, qui ne manque pas d'importance, dans les Act. SS. Ord. S. Bened.
IV* siècle bénédictin , I" partie, de l'an 800 à l'an 855. La vie de saint Benoît d'Aniane
a été écrite par Ardon ou Smaragdus, son disciple. — A Munich, une église est dédiée
à la Trinité. Ce monument porte le nombre trois inscrit dans ses autels et dans son plan,
qui est une sorte de trèfle. L'église est toute peinte de sujets historiques, psychologiques,
physiques ou naturels et symboliques, rappelant le nombre trois et ses divines proprié-
tés. Dieu crée le soleil, la lune et la terre (trois mondes distincts) , et porte un nimbe en
INSTRUCTIONS. II. 7O
554 INSTRUCTIONS.
Etienne. Une seconde église, dédiée à la Vierge, contenait un
autel consacré à saint Martin, un autel à saint Benoît et sans
doute le maître-autel à Marie. Enfin, une troisième église était
érigée dans le cimetière en l'honneur de saint Jean -Baptiste.
Ainsi, dans ce couvent, on voyait trois églises : l'une d'elles
à la Vierge avec trois autels, une autre à la Trinité avec trois
autels également, mais subordonnés à l'autel majeur.
A Fleury, aujourd'hui Saint-Benoît-sur-Loire, ce n'était pas
dans une, deux, trois églises que brillait la Trinité; mais l'em-
placement du monastère entier portait la Trinité écrite dans
son aire. Le plan avait la forme d'un delta, triangle mystérieux
de l'alphabet antique. Une pointe de ce triangle regardait la
France, une autre la Bourgogne, tandis que la troisième se
tournait vers l'Aquitaine. « Fleury était aux confins de trois ré-
gions, comme le présent entre le passé et l'avenir, comme le
nombre parfait entre l'imparfait et le plus-que-parfait \ •>
triangle. Jésus se transfigure en présence de Moïse et d'Hélie, et saint Pierre demande
à établir trois tentes sur la montagne. Une main bénit avec trois doigts au nom des trois
personnes divines. Un grand A rayonne avec cette inscription : Linea terna est unum
alpha. Sous une main, qui tient un chandelier à trois branches, on voit : Tenet una tri-
num. Sous un vaisseau à trois voiles , on lit : Tribus his pellitur una. Un œil reluit dans un
triangle enflammé, et trois cercles s'entrelacent. Trois miroirs se renvoient un rayon
unique jaillissant du soleil. Bien d'autres emblèmes décorent cette curieuse église, que
j'aurais décrite ici avec détails, si elle ne datait pas de lyi/j, époque sans valeur pour
l'archéologie religieuse.
' On se rappellera ce que nous avons dit du présent, que le moyen âge regarde comme
supérieur au passé et à l'avenir, tandis que l'antiquité, qui semble le supprimer, ne
donne que deux visages à Janus , à la personnification du temps. Nous transcrivons en-
core le texte relatif à Fleury, parce qu'il intéresse les faits historiques et mystiques
à la fois : Il Situs loci Floriacensis monasterii instar Irigoni visitur sisli, et, ut ex-
« pressius dicam, in modum litterae propio statu cernitur sidereum cornu occupare. Nam
Il a septentrione Franciam, ab oriente Burgundiam, ab australi vero parte Aquitaniam
Il tangit. Sicque in confinio Irium regionum, velut prncscns inler prœleritum et futurum.
Il naturali ordine obtinet primatum, et sicut perfectus numerus inter imperfectum et
Il plusquam perfectum. Nam medietale vicem etlocumpossidetvirtulum. » {Act. SS. Ord.
S. Benecl. i\' siècle bénéd. Histoire de l'illation de saint Benoît. Vers l'an 883.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 555
Enfin un troisième passage, contemporain des deux pré-
cédents, montrera l'emblème de la Trinité poussé à l'extrême
et même à renfantlllage, dans la disposition d'un monastère
immense, celui de Saint-Riquier K Saint An gilbert, gendre de
Gharlemagne, l'un des compagnons et l'un des pairs du grand
empereur, se retire à Centula et y rebâtit le monastère de Saint-
Riquier. Il fait élever trois églises, f une à saint Riquier, fautre
à la Vierge, la troisième à saint Benoît. Un cloître triangu-
laire les unit fune à fautre. Trois petites églises, à f entrée.
des trois'portes du monastère, étaient dédiées en outre à saint
Michel, à saint Gabriel, à saint Rapbaël. Dans l'église de saint
Benoît, il y avait trois autels; on voyait trois autels aussi
dans les églises des Anges, trois ciboria, trois lectoria. Le
nombre des moines était de trois cents, celui des enfants de
chœur de cent, divisés en trois sections; trente-trois enfants
composaient les deux dernières sections et trente -quatre la
première^. Ce personnel était partagé en trois chœurs: cent
moines et trente - quatre enfants desservaient f autel où le
chœur de saint Sauveur; cent moines et trente-trois enfants
appartenaient au chœur de saint Riquier, et un pareil nombre
était assigné au chœur de la Passion. Ces tiois chœurs chan-
taient les offices en commun; mais ensuite, pendant que les
deux tiers restaient à f église, le troisième tiers se reposait^.
On voit, dans cette affectation puérile à reproduire le nombre
■' Nous avons cité textuellement un long extiait de ce passage, plus haut, p. 63, 6/j.
Nous en donnons ici une analyse plus étendue ; notre sujet exigeait cette répétition.
" Il en aurait fallu trente-trois seulement pour la régularité absolue, pour le symbo-
lisme complet.
'■ Act. SS. Ord. S. Bened. V' partie du iv'^ siècle bénéd. de l'an 800 à l'an 855. Vie
de saint Angilbert. Angilberl, qu'on surnommait Homère dans l'académie palatine,
comme Gharlemagne s'y appelait David, rcsumait, dans sa plus brillante et plus forte
expression, la pensée mystique dominante sous le règne des Carlovingiens. Du reste co-
tait l'époque où l'on discutait beaucoup sur la Trinité et sur la procession du Saint-Espril.
556 INSTRUCTIONS.
trois, les préoccupations des esprits en faveur de la Trinité.
Le cloître de Saint-Riquier n'existe plus; mais nous possé-
dons encore à Planés, dans le Roussillon , une petite église
triangulaire en plan et surmontée d'une coupole. L'idée qui
a présidé à la construction de ce curieux édifice devait être
analogue à celle qui dominait Angilbert ^ Dans Rome, à ce
que l'on dit, le chevalier Bernin a marqué de la forme trian-
gulaire l'église de la Sapience, qui est dédiée à la Trinité. La
sagesse en effet est aux vertus principales ce que Dieu est aux
personnes divines. La sagesse est l'unité morale d'où pro-
cèdent, comme les fdles d'une mère commune, la foi, l'espé-
rance et la charité. La vive imagination byzantine a donné la
vie à ces trois filles de la Sagesse et à la Sagesse leur mère.
On lit, dans les légendes, la vie de sainte Sagesse, mère de trois
filles d'une rare beauté et d'une vertu incomparable, sainte
Foi, sainte Espérance et sainte Charité. La mère et les filles,
converties au christianisme, baptisées, prêchant la vérité et
convertissant à leur tour une immense quantité de païens, sont
persécutées. Amenées devant un proconsul , elles refusent de
sacrifier aux faux dieux; on les torture et on finit par les dé-
capiter. Un couvent du mont Athos " contient, peinte sur
mur, la légende entière de cette intéressante famille, depuis sa
naissance jusqu'à sa mort; dans la cathédrale de Cantorbéry,
parmi les reliques des vierges, on possédait celles de sainte
Sagesse et de ses filles. Foi, Espérance et Charité^.
' Voyez, dans le Bullelin archéologique, publié parle comité historique des arts et
monuments, vol. I, page i33, une description de cette église par M. Jaubert de Passa,
membre non résident du comité.
* Le grand monastère de Chilindari. Dans le manuscrit byzantin déjà cité, on en-
seigne à peindre sainte Sophie et ses trois fdles, sainte Foi, sainte Espérance et sainte
Charité, qui ont été décapitées.
' « De reliquiis S. SapientiîE et fdiarum ejus , Fidei , Spei et Gharilalis. » (V. le Monasti-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 557
Cette personnification et cette généalogie de la Vertu rap-
pellent la généalogie et la personnification de fintclligence,
dont nous avons déjà parlé et qu'on voit figurées dans une
bible manuscrite de la bibliothèque publique de Reims ^ La
Philosophie engendre la Physique, la Logique et fEtliique,
absolument comme sainte Sophie donne le jour à Foi, Espé-
rance et Charité.
ICONOGRAPHIE CHRONOLOGIQUE DE LA TRINITÉ.
Un culte aussi solennel , aussi développé que celui qui se ren-
dait à la Trinité, dut faire naître une grande quantité de repré-
sentations des trois personnes divines réunies en groupe. C'est
ce qui advint en effet. L'art s'empara de ce motif, qui prêtait
singulièrement à fimagination, et le diversifia presqu'à l'infini.
On peut partager en quatre périodes les siècles qui se sont
écoulés depuis forigine du christianisme jusqu'à la renais-
sance, et durant lesquels on figura des Trinités. Le premier
con anglicanum j par Dodsworth et Dugdale, vol. I, page 5.) Je vois, dans ce fait assez cu-
rieux, une cerlaine influence byzantine à laquelle aurait obéi l'Angleterre. Je ferai re-
marquer encore que les véritables croix grecques ne sont pas les croix à quaire branches
égales, puisque le grec Procope déclare que la croix doit avoir le pied plus long que le
sommet et les bras. Les croix grecques sont à double traverse , comme celles que nous
avons fait graver et qui viennent d'Athènes et du mont Athos. Des reliques venant de
la Grèce, et que les rois de France avaient données à la Sainte-Chapelle de Paris, étaient
enfermées dans des étuis en forme de croix à double traverse. Or, c'est sur ce plan que
sont fondées plusieurs grandes cathédrales d'Angleterre, et j'apercevrais encore dans ce
fait la preuve que l'Angleterre a subi une influence byzantine qu'il faudrait constater
avec le plus grand soin. On ne voit rien ou presque rien d'analogue en France; chez
nous l'art gothique, l'art chrétien, est autochthone, à peu d'exceptions près.
' Dans le manuscrit d'Hcrrade, Hortus deliciarum, on voit la Philosophie assise sur
un trône et versant de ses deux mamelles la source des arts libéraux. Pour fleurons à
son diadème, elle porte trois tètes humaines, qui sont l'Éthique, la Logique et la Phy-
sique , comme le dit la légende.
558 INSTRUCTIONS.
groupe comprend les huit premiers siècles; le second s'étend
du IX' au xif ; le troisième groupe atteint le xv' siècle; la der-
nière période enfin saisit la renaissance, c'est-à-dire le xv'' et
surtout le xvi' siècle. Relativement à l'architecture, la pre-
mière période s'appelle latine, parce que la basilique de Cons-
tantin règne alors; la seconde est dite romane, parce que le
latin, chez nous principalement, s'allie à des éléments indi-
gènes; la troisième est gothique ou ogivale; la quatrième se
nomme la renaissance.
Dans les huit premiers siècles, les Trinités s'ébauchent, pour
amsi dire; on essaye des formes diverses qui reparaissent plus
développées dans les périodes suivantes. Il n'existe pas un
groupe réellement complet de la Trinité dans les catacombes
ni sur les vieux sarcophages. On voit fréquemment Jésus,
mais isolé ou accompagné tout au plus de la colombe qui
figure le Saint-Esprit. On aperçoit une main, qui doit être
celle de Dieu le Père, et qui tend une couronne sur la tête
du Fils, mais en fabsence du Saint-Esprit. Des croix et des
agneaux qui symbolisent le Fils, des mains qui révèlent le
Père, des colombes qui représentent quelquefois^ f Esprit, se
voient fréquemment peintes à fresque ou sculptées sur le
marbre. Mais ces symboles sont isolés presque toujours, fort
rarement réunis dans un même lieu ou sur un même mo-
nument; jamais on ne les voit groupés et serrés en faisceau.
(Cependant , dès le iv^ siècle , avec saint Pauhn , évêque de Noie ,
qui est né en 353 et mort en /i3i, apparaissent les groupes de
la Trinité. A fabside de la basilique de Saint -Félix, bâtie à
Noie par Paulin lui-même, on voyait la Trinité exécutée en
On dit quelquefois, car le plus souvent la colombe peinte ou sculptée dans les ca-
tacombes est celle qui rapporte un rameau à Noé , et non la colombe du Saint-Esprit. Par-
courez, à ce sujet, la Borna Sotterranea de Bosio.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 559
mosaïque. Saint Paulin fit les vers suivants pour expliquer le
sujet :
Pleno coruscat Trinitas mystei'io :
Stat Christus agno, vox Patris cœlo tonat,
Et per columbam Spiritus-Sanctus fluit.
Crucem corona lucido cingit globo ;
Cui coronœ sunt corona aposloli ,
Quorum figura est in columbarum choro.
Pia Trinitatis unitas Christo coït.
Ainsi, dans cette Trinité, le Christ est en agneau, l'Esprit
en colombe. Quant au Père, il parle; mais le poëte ne dit pas
comment il Ta fait peindre K Un peu plus loin, dans la même
lettre, décrivant la peinture qu'il avait fait exécuter dans la
basilique de Saint-Félix à Fondi, au fond de l'abside, saint
Paulin ajoute :
Sub cruce sanguinea niveo stat Christus in agno ,
Agnus ut innocua injusto datus hostia leto.
Alite quem placida sanctus perfundit hiantem
Spiritus , et rutila genitor de nube coronat.
Ici fagneau s'ajoute à la croix pour compléter ou pour
doubler le symbole du Christ. L'Esprit est toujours en co-
lombe, en oiseau divin; mais le Père doit être figuré, sinon
sous forme humaine entière, au moins sous celle d'une main
qui tient une couronne sur la tête de son fils. Voilà les pre-
mières traces que nous connaissions des représentations de la
' Voyez, dans les œuvres de saint Paulin, YEpistola 12" ad Severum. Un peu plus haut
que le texte qu'on vient de citer, saint Paulin avait déjà dit :
Atque ubi Christus ibi Spiritus et Pater est.
Mais ce vers signifie seulement que, quand on voit le Christ , on voit par conséquent
le Père et l'Esprit, et non pas qu'on représente sous une forme spéciale chacune des
trois personnes.
560 INSTRUCTIONS.
Trinité. Il est à remarquer que ces groupes sont en mosaïque
et qu'ils ornent l'abside des basiliques. C'est en mosaïque en
effet, et dans le fond des basiliques latines, que nous voyons
de ces Trinités semblables à la seconde que décrit saint Paulin.
A Saint-Damien et Saint-Côme de Rome, en 53o; à Saint-
Marc de la même ville , en 7 7 /i ; à la cathédrale de Padoue ,
vers la fin du viii^ siècle; à Sainte-Praxède de Rome, en 818,
on exécute en mosaïque ^ des Trinités qu'on croirait copiées
sur celles de saint Paulin. Du reste, ce motif est resté en hon-
neur à Rome jusqu'aux xiii^ et xiv^ siècles. Le pape Nicolas IV
fit décorer, de l'an 1 288 à l'an 1 294, l'abside de Saint-Jean de
Latran. Une grande mosaïque y brille du plus vif éclat ; elle
offre, au centre, la représentation de la Trinité. Une croix, cou-
verte de pierreries, s'élève au sommet d'une montagne qui figure
le paradis. L'Esprit, en colombe, plane sur la croix et l'enve-
loppe dans un torrent de rayons. Tout en haut, le Père sort
des nuages et montre son buste et sa tête nue, que cerne un
double nimbe circulaire et carré ^.
Un autre type de Trinité, très en honneur au xiv^ siècle,
paraît avoir été trouvé dès l'origine du christianisme. On lit
dans Jacques de Vorage, à la fête de l'Exaltation de la croix,
l'histoire suivante :
« L'an du Seigneur 6 1 5 , Dieu permit que son peuple fût
flagellé par la cruauté des païens. Chosroès, roi des Perses,
soumit à son empire tous les royaumes du monde, il vint à
Jérusalem, et, tout effrayé, sortit du sépulcre du Seigneur;
mais cependant il en emporta la portion de la sainte croix
' Voyez Ciampini, Vetera Monimenta. Ces mosaïques et beaucoup d'autres sont gra-
vées dans cet ouvrage.
* Nous avons déjà signalé celle mosaïque intéressante, dont un dessin nous a été
donné par M. Tournai.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 561
que sainte Hélène y avait laissée. Cliosroès, voulant se faire
adorer par tout le monde comme un Dieu, ordonna d'élever une
tour d'or et d'argent, garnie de pierres lumineuses; là il plaça
les images du soleil, de la lune et des étoiles. Par des conduits
étroits et cachés, il en faisait tomber de la pluie comme s'il
eût été Dieu. Au sommet de l'édifice, des chevaux traînaient
des chars et circulaient tout autour, afin d'agiter le monu-
ment et de simuler le tonnerre. Alors Chosroès abandonne le
royaume à son fds, et, le profane, il se retire dans ce phare. Il
fait placer la croix du Seigneur près de lui, et ordonne à tout
le monde de l'appeler Dieu. Ainsi qu'on le lit dans l'ouvrage
De Mitrali ojficio \ Chosroès, assis sur un trône, comme Dieu
le Père, mit la croix à sa droite, à la place de Dieu le Fils,
et un coq à sa gauche, au lieu du Saint-Esprit. Quant à lui,
il voulut qu'on l'appelât Dieu le Père. »
L'empereur Héraclius fait la guerre au fils de Cliosroès et le
défait; il entre dans la capitale, et pénètrejusqu'au vieux roi de-
venu fou. Il le trouve assis dans sa tour d'argent et d'or, espèce
de paradis, comme le Père éternel entre les deux personnes
divines. Chosroès ayant refusé de se faire chrétien, Héraclius
lui trancha la tête d'un coup d'épée , à la face de ses anges de
peinture et* de son saint-esprit en coq".
Ainsi nous avons là le groupe vivant de la Trinité ; la Trinité
' Ce livre, si souvent cité par les légendaires et les jiturgistes, est attribué à un évêque
de Crémone , Richard , qui vivait en 1 1 gô. Le Milrale vel Summa de divinis ojjiciis est resté
manuscrit. Voilà de ces livres qu'il serait utile d'imprimer ; les ouvrages analogues auMitrah
rendraient les plus grands services aux savants qui étudient les antiquités chrétiennes.
* Voici le texte important de ce passage, que nous avons traduit lilléralenieni :
«Anne Domini 61 5, permittente Domino flagellari populum suum per saevitiam pa-
0 ganorum, Cosdroe, rex Pcrsarum, omnio régna lerrarum suo imperio subjugavil. Hic-
« rusalem autem veniens, a sepulcro Domini terrilus rediit, sed tainen parlem S. Crucis
«quam S. Helena ibidem reliquerat asportavit. Volens autem ab omnibus coli ut Deus,
« turrim et auro et argento et interlucenlibus gemmis fecit, et ibidem solis, lun» et
INSTRUCTIONS. — IJ. 7I
562 INSTRUCTIONS.
chrétienne est jouée, mimée, mise en action par un vieux
païen qui a perdu la tête. Dans ce groupe, le Père est un vieil-
lard, le Fils est représenté par sa croix et le Saint-Esprit par
un coq qui remplace la colombe divine. Ce motif est semblable
à celui que signale saint Paulin, et que montrent les mo-
saïques dont nous avons parlé; mais il en diffère aussi. Il est
semblable, quant aux symboles qui représentent les personnes
divines; mais il en diffère, quant à l'agencement général du
groupe et quant à la disposition des symboles qui le consti-
tuent. Dans saint Paulin et sur les mosaïques , la Trinité est
verticale; elle est horizontale dans la Légende dorée. Dans
saint Paulin, la croix est en bas, le Saint-Esprit est au-dessus
de la croix et le Père domine; dans la Légende, le Père est
au milieu, ayant à sa droite la croix et le Saint-Esprit à sa
gauche. En outre, saint Paulin et les mosaïstes placent le
Saint-Esprit au milieu, tandis que Chosroès, Père éternel, se
met au milieu lui-même, et donne la gauche à son coq, à son
saint-esprit. Plus bas, nous aurons occasion de montrer par
des dessins la différence qui existe entre ces deux types.
» stellarum imagines collocavit. Per subtiles eliam et occultos ductus, quasi Deus, aquam
«desuper infundebat, et in supremo specu equi quadrigas trahenfes in circuitu ibant,
« ut quasi turrim moverent et tonitrua simularent. Filio igitui' regno suo tradito , in
« tali phano prophanus residet, et juxia se crucem Domini coUocans appellari ab omni-
« bus se Deum jubet. Et, sicut legitur in libro Mitrali de officio, ipso Cosdroe in tbrono
" residens , tanquam Paler, lignum crucis sibi a dextris posuit loco Filii, et gallum a si-
« nistris loco Spiritus-Sancti ; se vero jussit Patrem nominari. — L'empereur Héraclius
fait la guerre au fils de Chosroès, détruit son armée et arrive à la ville royale. « Cosdroe
" autem ignorabat exitum belli , quia, cum ab omnibus odiretur, sibi a nemine intima-
" tur. Héraclius aulem ad eum pervenit et in tbrono aureo eum sedere reperiens , eidem
' dixit : Quia lignum S. Crucis secundum tuum modulum honorasti, si baptismum et
• fidem Christi susccperis, adhuc vilam et regnum, paucis a te acceptis obsidibus, ob-
" linebis. Si autem hoc implere contempseris, gladio meo te feriam et capul tuum pres-
" cidam. Cùm igitur ille acquiescere nollet, oxtracto gladio, eum prolinus decollavit, et,
oquia rex fuerat, sepeliri praecepil. « (Jacques de Vorage, Legenda anrea , de Exaltalione
S. Crucis.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 563
Dans la seconde période, du ix*" au xif siècle, les deux types
antérieurs persistent \ mais ils s'enrichissent de deux motifs
nouveaux : l'un est emprunté à la forme humaine, l'autre
aux formes géométriques.
L'anthropomorphisme^, qui avait effarouché les premiers
chrétiens et qui semblait rappeler le paganisme, ne trouva
pas la même résistance pendant le moyen âge proprement dit.
Une fois arrivé au ix*" siècle, on n'eut plus rien à craindre des
idées païennes; la mort en était constatée depuis longtemps. Le
Père éternel, dont on n'avait osé montrer que la main encore,
ou le buste tout au plus, se fit voir en pied. Cependant il ne prit
pas une figure spéciale; mais il emprunta celle de son fils, et,
dès lors, il devint fort difficile de les distinguer l'un de l'autre.
Le Fils continua d'apparaître tel qu'on l'avait vu sur la terre,
sous la forme d'un homme grand, beau et grave, âgé de trente
à trente-cinq ans. La colombe du Saint-Esprit quitta quelque-
fois aussi son enveloppe d'oiseau , pour prendre la forme hu-
maine. Comme le dogme déclarait nettement que les trois per-
sonnes étaient non-seulement semblables, mais égales entre
elles, les artistes étendirent aux représentations la similitude
et quelquefois même l'égalité des hypostases divines.
' Ces types durèrent pendant tout le moyen âge, même en France, où l'on est moins
fidèle aux traditions latines. Au portail occidental de la collégiale de Manies, dans la vous
sure de la porte centrale, on voit une Trinité figurée par la croix que portent, quexalleni
deux anges , par le Père qui a l'âge et les traits de son fds , et par l'Esprit en forme de co-
lojnbe qui descend du ciel. Les sujets sont disposés verticalement, à l'extrémité des trois
cordons. Le Père est au milieu , la croix au bas , et la colombe domine le tout. Cette
sculpture date du xii° siècle, peut-être de la fm du xf. C'est une disposition nouvelle et
pleine d'intérêt. Je ne puis parler de féglise de Mantes sans louer M. de Wavrechin ,
curé de cette belle et ancienne collégiale, qui la fait réparer et meubler avec une
science vraiment archéologique.
' Nous entendons par anthropomorphisme , non pas l'hérésie de ce nom, mais lare-
présenlalion des personnes divines sous forme humaine; nous exposons simplement un
fait et n'apprécions pas une doctrine.
71-
564 INSTRUCTIONS.
Saint Dunstan, archevêque de Cantorbéry, mort en 908,
nous a laissé un manuscrit où les trois personnes sont figurées
sous forme humaine. Le Père et le Fils, habillés en rois, cou-
ronne en tête et sceptre en main, portent à peu près trente-
cinq ans. L'Esprit est plus jeune et n'a guère que de dix-huit à
vingt-cinq ans. C'est de la similitude, quant à la forme; mais
c'est de la différence , quant à l'âge. Cette différence fmit par
disparaître, et nous trouvons dans le manuscrit d'Herrade, qui
date de 1180, l'identité presque absolue. Les trois personnes
ont le même âge, la même attitude, le même tempérament,
le même costume. Où est le Père, où est le Fils, où est
l'Esprit dans cette Trinité anthropomorphique? Par compa-
raison avec d'autres monuments, et en se rappelant les textes
bibliques que nous avons cités, on pourrait croire que le Père
est au centre, et qu'il a mis son Fils à sa droite et le Saint-Esprit
à sa gauche : ainsi le veut l'usage le plus constant. Mais le
miniaturiste semble avoir pris à tâche de dérouter l'antiquaire
et le théologien; il a tracé sur les pieds de la personne divine
des stigmates qui sont à peine visibles dans la miniature ori-
ginale ^ Ces stigmates ne peuvent convenir qu'au Christ;
cependant il faut considérer que les mains n'en portent au-
cune trace, et que, sur les pieds, ils affectent une forme assez
singulière, celle d'une croix, que les clous n'ont pu produire.
Néanmoins cette forme est sans doute symbolique, et nous
devons croire que la personne du centre est Jésus-Christ. Mais
où est le Père? Il est impossible de le dire , comme il est im-
possible d'affirmer que le Saint-Esprit est plutôt à gauche qu'à
droite. H y a donc là identité presque absolue.
' M. Durand, mon dessinateur, ne les avait pas remarqués d'abord; j'ai dû appeler
son attention sur ce point microscopique et lui faire corriger son dessin. Quelques er-
reurs de ce genre se sont glissées dans les gravures; nous les signalons, lorsqu'il n'a pas
été possible de les faire disparaître.
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE.
565
137. LA TRINITE EN' TROIS PERSONNES HUMAINES ET IDENTIQUES.
Manuscrit du xii*^ siùcle '.
il m [j]
EMM-PttOVR AND-C X-MS-Xi ,.SEl-
En opposition à cet anthropomorphisme aussi complet, aussi
matériel, on représente la Trinité sous la forme la plus abs-
traite et la plus sèche. On emprunte le triangle à la géométrie.
C'est alors que le triangle où est bâti le couvent de Fleury
prend une signification mystique; c'est alors que saint An-
gilbert élève le cloitre de Saint-Riquicr sur un plan triangu-
laire et pour honorer la Trinité. Le triangle, qui comprend trois
angles dans une seule aire, est l'image des trois personnes se
résolvant dans un seul Dieu.
La gloire éternelle du xiif siècle, c'est non-seulement d'a-
' Horlus deliciarum. C esl h la création, au moment où Dieu dil , avant de créer l'homme,
Faciamus hominem ad imaginem et similitadinem nostram. et prœsit cunctis animantibns terrœ ,
qu'on voit cette Trinité. Ce passage de la Genèse est écrit sur la banderole que les troi:<
personnes tiennent en conimim.
566 INSTRUCTIONS.
voir trouvé, inventé des éléments nouveaux, qu'il a jetés dans
le creuset où la civilisation chrétienne et catholique se cristal-
lisait, en quelque sorte, après s'être élaborée dans les siècles
anlérieurs; mais c'est encore et surtout d'avoir développé ce
qui n'était qu'en germe aux époques précédentes. Le mérite
immortel de cette époque est d'avoir fait monter en tige ce
que les périodes précédentes s'étaient contentées de semer.
La sonnette latine, nous l'avons dit ailleurs \ se fait cloche
à l'époque romane ; mais elle devient bourdon à partir du
xiii" siècle. La flèche devient clocher, et se fait tour au xiii'
siècle. Il en est de même en iconographie. Les Trinités, hétéro-
morphes sous la première période et de formes semblables du-
rant la seconde, subsistent pendant la troisième; mais elles se
complètent, se perfectionnent et se multiplient. Pour une Tri-
nité latine, pour deux Trinités romanes, on rencontre peut-
être vingt ou trente Trinités gothiques; c'est dans cette pro-
portion qu'on les trouve, même à partir de la fin du xii^ siècle.
Alors on voit , comme dans la première époque , des Tri-
nités où le Père se révèle par sa main; le Fils, par sa croix,
son agneau ou sa forme humaine; le Saint-Esprit, par sa
colombe. Comme dans ia première époque, les symboles de
ces trois personnes se groupent verticalement ou horizontale-
ment. Comme dans la seconde, nous avons des Trinités géo-
métriques et des Trinités anthropomorphiques.
Mais la troisième période ne se contente pas de multiplier,
(le reproduire, en nombre considérable, les groupes trouvés
antérieurement; elle les modifie et les perfectionne. Sur la croix
de l'époque latine, on étendit, à l'époque romane, le divin Cru-
cifié; de même l'égalité des personnes divines, qui naît sous la
période romane, se prononça énergiquementpendant la période
* Monographie de Notre-Dame de Brou, clans rintroduclion.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 567
gothique. Le manuscrit d'Herrade nous offre les trois personnes
sous la forme humaine et aussi égales que possible. Cependant
ces personnes, quoique assises sur un même trône, quoique te-
nant une banderole unique, quoique portant le même âge, sont
encore très-distinctes néanmoins; elles sont rapprochées, mais
elles ne se touchent pas. Or, dès le xiii^ siècle, non-seulement
les personnes divines se touchent, mais elles sont adhérentes;
les trois corps n'en font plus qu'un seul portant trois têtes,
lesquelles, à leur tour, sont parfaitement soudées entre elles.
l38. LES TROIS PERSONNES DIVINES SOUDEES L'UNE À L'AUTRE.
Miniature espagnole, xtii'' siècle '.
Dans les représentations anthropomorphiques, on passe,
pour ainsi dire, de la similitude à l'identité; par contre,
' Chronique d'Isidore de Séville, ms. de la Bibl. roy. 7 1 35. On n'aperçoit pas la troisième
568 INSTRUCTIONS.
dans les figures géométriques, on distingue un peu plus que
ne l'avait fait l'époque précédente ^ Le triangle donne en effet,
aussi compacte et aussi indistincte que possible, la triplicité se
résolvant dans f unité. Le xiii'' siècle ajoute un nouveau type
géométrique, où la triplicité est plus visible et f unité moins ab-
solue. Le cercle est pris comme f emblème de Dieu, et trois cer-
cles figurent les trois personnes; mais, afin de marquer Funion
indissoluble qui lie les trois personnes entre elles, on enlace les
trois cercles l'un dans fautre, de façon qu'on ne peut soulever
ni arracher f un sans que tous les trois viennent ensemble et
s'arrachent à la fois. Le mot de trinité, par un singulier ha-
sard, se décompose lui-même en trois syllabes. On donne une de
ces syllabes à chaque cercle; mais elles n'ont de sens complet,
elles ne forment un mot qu'en se réunissant : tri-ni-tas. Dans
l'espace laissé vide par fintersection des trois cercles , on lit
UNITAS. Ainsi donc l'unité est le centre d'où rayonne la Trinité.
tête, parce qu'en plan ces trois têtes forment un trèfle, et que la troisième est cachce
par les deux têles qui se voient. Si le manuscrit d'où est tiré ce dessin est espagnol
comme le texte qu'il contient, il faut dire que le moyen âge de l'Espagne est assez
différent du nôtre ; il est beaucoup plus original ou anormal , si on aime mieux. Un
manuscrit espagnol conservé à la bibliothèque d'Amiens offre de même des particu-
larités fort bizarres et qu'on ne trouve pas chez nous.
' Dès le viii' siècle , lorsqu'on veut montrer l'égalité des personnes divines , on prend
des exemples qui prouvent trop; on arrive presque à l'identité. Sainte Odile, abbesse du
couvent de Hohenburg en Alsace, lequel s'appelle aujourd'hui Sainte-Odile, planta trois
tilleuls en l'honneur de la Trinité. Le récit de ce fait est assez curieux pour être transcrit
ici. Un homme vint trouver la sainte et lui présenta trois rameaux provenant d'un tilleul
unique; il la pria de les planter pour qu'ils restassent en souvenir d'elle : «Et tulit (S.
« Odilia) unam in manu sua, et ait: « In nomine Patris te planto. » Et accipiens alteram,
H dixit : 0 Et in nomine Filii. » Et tertiam tulit dicens : « Et in nomine Spiritus-Sancti ; »
« mysterium Trinitatis complens. )> Les trois rameaux donnèrent naissance à trois grands
arbres entièrement semblables, égaux, à peu près identiques, et sous l'ombrage des-
quels les religieuses prenaient le frais en été. (Voyez, dans les Act. SS. Ord. S. Benedic.
W vol. la vie de sainte Odile, écrite par un anonyme qui paraît être du xi' siècle. Odile
est morte vers 720.)
ICONOGRAPHIE CHRETIENNE.
iSg. TRINITÉ SOUS LA FORME DE Tl'.OIS CERCLES.
Miniature française, fin du xiif siècle '.
569
Le même manuscrit comprend trois autres groupes de trois
cercles outre celui qui précède. L'un des groupes offre ces mots
distribués également dans chacun des trois cercles : Pater-
FiLius-spiRiTus-SANCTUs, qui viennent se résoudre au centre
dans : Vita Deus. On a, pour le second : Verbum lux vita, qui
aboutissent vers le centre à : Deus est'^. Dans le troisième, on
lit : TRI-TRI. Ni-Ni. tas-tate; et, au centre : unitate-unitas.
L'unité diverge en trinité, la trinité converge dans l'unité.
Enfin, en glose, on lit : « Verbum, lux, vita Deus est. — Ver-
«bum, lux, vita Jesus-Christus est. — Verbum, lux, vita Spi-
« ritus-Sanctus est. » Renversez ces trois termes et déplacez les
' Manuscrit de la bibliothèque communale de Chartres, n° i355, fin du xiii' siècle.
* Dans ce groupe, Verbum est à la place où , dans le précédent, on lit Pater; c'est Films,
qui répond à Lua;, et Spiritus-Saiictus à Vita. Cette disposition a-t-elle été prise à dessein ?
Il n'est guère possible de le croire; car, si le Fils peut être appelé la Lumière et le Saint-
Esprit la Vie, le Père n'est pas spécialement le Verbe. En attribuant, au contraire, le
Verbe au Fils, la lumière au Saint-Esprit et la vie au Père, on rentre, à peu près, dans
la définition que nous avons donnée des personnes divines.
72
INSTRUCTIONS. — II.
570 INSTRUCTIONS.
attributs , vous arriverez en résultat à ce dogme : Deus trmiis
iinus. Ces figures ne sont donc que la traduction , sous forme
géométrique, du symbole de saint Atbanase.
Le génie subtil de Dante devait adopter facilement de pa-
reilles formules géométriques. Le grand poëte termine en effet
le Paradis par les strophes suivantes, où l'unité et la trinité
divines sont exposées en magnifique langage.
" Dans la profonde et claire substance de la haute lumière
m'apparurent trois cercles, de trois couleurs et d'une seule di-
mension. Et l'un paraissait reflété par l'autre comme Iris par
Iris ^ ; et le troisième paraissait un feu qui s'exhalait deçà et
delà^... 0 lumière éternelle qui résides seule en toi, qui seule te
comprends ; et, comprise de toi et te comprenant, t'aimes et te
souris ! Ce cercle , qui paraissait conçu en toi comme une lumière
reflétée, lorsque je l'eus un peu parcouru des yeux, me parut
avoir au dedans de lui notre effigie peinte de sa propre couleur^.
C'est pourquoi ma vue plongeait tout entière en lui. Tel que
le géomètre qui s'applique tout entier à mesurer le cercle et
ne retrouve pas dans sa pensée le principe dont il a besoin, tel
j'étais à cette vue nouvelle. Je voulus voir comment l'image
s'unissait au cercle et comment elle y était adaptée; mais mes
propres ailes n'étaient pas de force à cela, si mon esprit n'avait
été frappé d'une clarté dans laquelle son désir fut satisfait^. »
On a souvent répété que le génie de Dante s'était re-
produit dans celui de Michel-Ange. Le tableau du Jugement
dernier a paru avec raison une traduction , par la ligne et
' Le Fils par le Père : Lumen de lamine.
' L'Esprit-Saint : Qui ex Paire Filioquc procedit.
" C'est l'effigie de Jésus-Christ. Le poëte italien a dessiné un portrait où l'auteur sco-
lastique de Chartres a écrit un mot. Idée analogue en deux langages différents.
' Danle, Divine Comédie, Paradis, chantxxiii , à la lin, (Voyez la traduction de M. Bri-
zeux , in-12. Paris, i8i4i.)
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 571
la couleur, du sombre et glorieux poëme écrit et chanté yjar
Dante. Les deux illustres Florentins nous apparaissent comme
deux frères jumeaux. On a bien remarqué les traits pareils
qui les faisaient de la même famille, mais on a complète-
ment négligé un fait qui porte leur ressemblance jusqu'au
plus haut degré ; ou plutôt on l'a vu ce fait , mais on ne l'a
pas compris. Vasari, qui a vécu assez familièrement avec Mi-
chel-Ange, s'y est trompé lui-même. On lit en effet dans la vie
du sublime artiste: «Michel-Ange, pendant la plus grande
partie de sa vie, s'était servi d'un cachet portant femblème de
trois cercles entrelacés. Sans doute il voulait donner à en-
tendre par là qu'il existe une union si intime et si nécessaire
entre la peinture, la sculpture et l'architecture, qu'elles ne
doivent jamais se séparer. Les académiciens \ jugeant qu'il
était parvenu au plus haut degré dans les trois arts du dessin,
changèrent ces trois cercles en trois couronnes et y joignirent
cette devise : Tergeminis tollit honoribus^. »
Je ne puis partager l'opinion de Vasari. D'abord je com-
prendrais difficilement Michel-Ange portant constamment sur
lui , par un orgueil puéril , la preuve qu'il excellait dans les
trois arts du dessin; ensuite, quand on compare ce texte avec
celui de Dante et avec nos trois cercles de Chartres, on voit
que ce prétendu cachet n'était pas un monument d'orgueil,
mais de foi. C'était une bague où le symbole de saint Athanase
avait été tracé au compas; c'était un Credo géométrique. Va-
sari a pu s'y tromper et les académiciens de Florence égale-
ment, mais la pensée du taciturne et de l'impénétrable artiste
s'élevait à une portée bien différente de celle que lui prêtaient
ses compatriotes et ses contemporains. Michel-Ange avait d'ail-
' Ceux de Florence, lors des pompeuses funérailles qu'ils firent à Michel-Ange.
" Vasari, Vies des Peintres, Vie de Michel-Ange, trad. de MM. Leclanché et Jeanron
72.
572 INSTRUCTIONS.
leurs un autre cachet, à savoir la fameuse pierre gravée, ce
précieux monument de l'antiquité où , sur un très-petit champ ,
on voit quinze figures humaines , deux animaux, un arbre en-
touré d'une vigne et un rideau.
Les trois cercles, extension et complément du triangle , furent
inventés au xiii'' siècle et persistèrent jusqu'au xvl^ Pendant
cette période, qui s'ouvre à la fin du xv% dure jusqu'au xvii%
et embrasse la renaissance entière , tous les types antérieurs
sont admis à peu près au même rang et reçus avec les mêmes
honneurs; c'est une époque de synchrétisme pour toutes choses.
On est païen et chrétien au même degré, monarchique et ré-
publicain d'égale force; en art plastique, comme en politique,
comme en croyance religieuse , on reçoit tout ce qui se pré-
sente. La renaissance ajoute au passé quelque peu de nou-
veau , mais avant tout elle donne droit de cité à ce qu'on a fait et
pensé depuis que le monde existe ^ Aussi retrouvons-nous, dans
les monuments figurés de ce temps, des exemples de toutes les
Trinités que nous avons signalées. Les époques latine, ro-
mane et gothique, s'empressent d'offrir à la renaissance, qui
les accueille tous, les types qu'elles ont créés ou modifiés.
Les symboles de la première époque, la main du Père, la
croix du Fils, la colombe de l'Esprit, reviennent à la renaivS-
sance, mais avec les développements que l'on y ajouta du ix*"
' Celte époque de la renaissance s'inspire, on le dirait, du génie des Romains, dont
elle cherche à ressusciter la civilisation. Les empereurs romains, dans leur tolérance
universelle pour les religions , donnaient le droit de bourgeoisie aux divinités de tous
les peuples, et l'on sait que l'empereur Alexandre Sévère avait placé dans son laraire
les images du Christ, d'Apollonius de Tyane, d'Orphée et d'Abraham, à côté de cellea
des meilleurs princes et des plus célèbres philosophes. A ces personnages , fort étonnés
de se trouver ensemble , Sévère rendait un hommage religieux. La renaissance honora
également les idées les plus discordantes entre elles et les individus les plus opposés,
même les plus ennemis.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 573
au xif siècle. Le Père montre sa tête, son buste , son corps tout
entier; la croix porte le Crucifié, et la colombe se jDose sur la
tête ou sur la main de TEsprit, qu'elle symbolise. Cette der-
nière addition appartient spécialement à la renaissance, tandis
que les deux époques précédentes revendiquent les deux autres.
Du reste, il est fort rare de rencontrer le Saint-Esprit sous
forme bumaine et sous forme de colombe tout à la fois; rien
de moins fréquent que de voir, dans un même monument, la
troisième personne divine s'envelopper dans son double sym-
bole d'bomme et d'oiseau. Nous n'en connaissons jusqu'à pré-
sent que trois exemples, et nous en avons donné deux^
De même qu'à la colombe de l'époque latine on ajoute
riiomme de l'école romane, pour figurer le Saint-Esprit; de
même aussi, pour représenter la Trinité entière, on unit le
triangle roman au cercle gothique dont nous avons parlé. On
enlace l'une dans l'autre ces deux figures géométriques, et l'on
obtient ainsi la formule la plus complète de l'unité de la subs-
tance circonscrivant la triplicité des personnes. Bien plus,
comme si la figure ne donnait pas une idée suffisante de la divi-
nité, on la fait tenir par Dieu lui-même. L'explication vivante,
en quelque sorte , de cette abstraction géométrique est donc ce
vieillard qui mesure de ses bras, comme avec les branches d'un
compas, le diamètre du cercle éternel, l'aire de l'unité divine
dans laquelle vient s'inscrire le triangle des trois personnes ^
' Planches 126 et i5o, pages 5o8 et 6o5. Le troisième exemple m'a été signalé par
M. Duscvel d'Amiens. On y verrait chaque personne divine sous forme humaine et te-
nant son attribut symbolique sur ses genoux. Le Père aurait un triangle ; le Fils une croix ,
et l'Esprit une colombe. Ce curieux sujet serait peint dans un manuscrit du xv' siècle
qui est en la possession de M. Dusevel, J'aurais fait graver ce dessin, si j'en avais eu
connaissance plus tôt.
' Il y a plus de dignité à figurer ainsi Dieu qui mesure le monde qu'à le montrer
tenant à la main un compas, ainsi que la planche i/ig nous le fera voir plus bas,
page 600. La renaissance, quoi qu'on dise, a jeté dans les idées et dans leur exprès-
574
liNSTRUGTlOlSS.
l/iO. — LA TRIPLICITÉ DIVINE INSCRITE DANS L'UNITE.
Gravure ailemamle, xvi'^ siècle '.
Quant aux Trinités dont les personnes ont toutes trois la
forme humaine, type que nous avons vu poindre au ix^ siècle
et se continuer jusqu'à la fm du xiii% pendant la période ro-
mane , c'est aux xv^ et xvi^ siècles surtout que nous en remar-
sion une noblesse que h moyen âge, en France particulièrement, ne montrait que trop
rarement.
Ce dessin reproduit une gravure de la fin du xvi' siècle, composée et gravte par
Malheus Gruter; elle appartient à M. Guénebault, qui a bien voulu me la communiquer.
(Voir l'œuvre de Gruter à la Bibl. roy. au cabinet des estampes.) On remarquera le nimbe
rayonnant, en dents de scie, qui environne la tête de Dieu, et l'auréole de forme sem-
blable qui entoure une partie de son corps.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 575
quons le développement complet. Nous avons déjà donné divers
exemples auxquels nous renvoyons et que nous allons aug-
menter encore. La Chronique d'Isidore de Séville nous a fourni
une trinité antbropomorphique offrant les têtes des personnes
divines qui animent un corps unique; mais ces têtes sont dis-
tinctes , quoique soudées. Dans l'exemple suivant , au con-
traire, les têtes sont plus que juxtaposées, plus qu'adhérentes,
plus que soudées; elles se mêlent, elles se confondent, et n'of-
frent plus qu'un seul crâne pour trois visages.
vlxi.
LES TROIS VISAGES DE I,A TRIMTK SUR UNE SEULE TETE ET SUR UN SEUL CORPS.
Image française, .\vi° siècle'.
Ici la représentation de la Trinité est aussi complète que pos-
sible. Outre le triple visage qui donne l'explication du triangle
Cette représentation se voit particulièrement dans un livre d'Heures , imprimé sur
576 INSTRUCTIONS.
échancré aux coins par les trois cercles appartenant aux trois
personnes divines, nous avons une légende qui sert de glose et
qui traduit la différence en même temps que l'égalité des trois
hypostases. La différence se lit sur les côtés du triangle, et
l'égalité vient converger au cœur, dans un cercle semblable à
ceux des coins. On voit sur les côtés : « Le Père n'est pas le
Fils. Le Père n'est pas l'Esprit saint. L'Esprit saint n'est pas
le Fils. » — Mais, en allant des coins au centre, on lit : « Le
Père est Dieu. Le Fils est Dieu. L'Esprit saint est Dieu. »
Ce curieux sujet nous fait passer des représentations pure-
ment géométriques aux représentations purement humaines
ou anthropomorphiques.
C'est l'époque romane qui a créé cette manière de figurer
les trois personnes sous la forme humaine, le Père aussi bien
que le Fils, l'Esprit aussi bien que l'un et l'autre. Nous avons
cité le manuscrit de saint Dunstan, et nous avons donné une
miniature du manuscrit d'Herrade; mais nous devons ajouter
qu'au philosophe Abailard les trois personnes apparaissaient
vélin, à Paris, en ib2li , par Simon Vostre. Du reste elle est très-fréquente à partir du
XV' siècle; on la voit sculptée à Bordeaux, dans une maison qu'on prétend avoir été
habitée par Montaigne, dans la rue des Bahutiers. Cette sculpture occupe le tympan
extérieur de la porte d'entrée. On y distingue le triangle et les inscriptions , mais les trois
visages et les quatre attributs des évangélistes ne s'y trouvent pas; notre dessin est le plus
complet de ce genre, M. Albert Way, directeur de la Société des antiquaires de Londres
et correspondant du comité des arts et monuments, me fait savoir que, dans les comtés
de Norfolk, de Suffolk et dans l'Essex, on rencontre souvent des Trinités géométriques
comme celle de Bordeaux. Ces représentations se remarquent aux portails des églises,
assez souvent sur les dalles tumulaires, quelquefois sur les vitraux; elles sont toutes des
xv" et xvi° siècles, et tracées sur des écussons, en guise d'armoiries. C'est uniquement,
à ce qu'on assure, dans la partie orientale de l'Angleterre qu'on trouve ce sujet; on ne
l'a vu ni dans le Nord ni dans l'Ouest. Cette remarque peut être précieuse, non-seu-
lement pour l'archéologie, mais encore pour l'histoire proprement dite. Ce qui est fré-
quent chez nous , est rare en Angleterre, et n'existe chez nos voisins que dans les comtés
qui regardent la Franco , ou qui ont été les premiers occupés par les Normands.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 577
ainsi, et qu'il les avait fait sculpter toutes trois sous forme liu-
maine dans Tabbaye du Paraclet. « Il paraît à remarquer, dit le
père Mabillon , qu'Abailard fit sculpter dans une seule pierre les
trois personnes delà très-sainte Trinité, à laquelle l'oratoire
de ce lieu (le Paraclet) est consacré. On les voit sous la figure
et avec la stature humaine, manière inaccoutumée et digne
d'un homme original en tout^ » Le Père était au milieu, le
Fils à droite, l'Esprit à gauche et tenant ses mains en croix
sur sa poitrine.
Il était hardi de représenter en homme le Père éternel, qu'on
n'avait pas vu ; mais il y avait un excès d'audace à faire un
homme, et un homme sans ailes, du Saint-Esprit, qui ne s'était
manifesté que sous la forme d'une colombe. Aussi fépoque
gothique proprement dite , celle qui s'écoule de la lin du
xii*" siècle à la fin du xiv% abandonna presque complètement
ce type inventé par les artistes romans; mais au déclin du go-
thique, à l'aurore et pendant toute la durée de la renaissance,
on revint à cette manière de traiter les hypostases.
A l'exception de la miniature empruntée au manuscrit d'Her-
rade, les dessins que nous avons donnés et ceux que nous
allons offrir encore sont tous des xv^ et xvi" siècles; et même,
circonstance singulière, c'est que la Trinité sculptée par ordre
d'Abailard, telle que Mabillon la décrit, appartient au xv!*" siècle
et non au xii^. Il est possible que le groupe dont parle Mabil-
lon en ait remplacé un autre ancien et plus ou moins sem-
blable à celui que le savant bénédictin avait pu voir, mais ce
' Annales benedict. vol. VI, p. 85, n" ili. Mabillon se trompe. Cette manière de figu-
rer la Trinité n'élail pas insolite, puisque, dès le ix' siècle, des monuments représentent
ainsi les personnes divines, et que d'innombrables monuments desxv°etxvi' siècles nous
les offrent sous la même forme. Nous allons revenir, dans un instant, sur ce texte de l'il-
lustre bénédictin.
INSTRUCTIONS. 11. 76
578 INSTRUCTIONS.
dernier ne pouvait être contemporain d'Abailard. En effet, le
Père était en empereur, portant un gîobe à la main et une cou-
ronne fermée sur la tête. Il était vêtu d'une aube, d'une étole
croisée et fixée sur la poitrine par une ceinture, et d'une chape
qui s'étendait aux deux autres personnes qu'elle allait couvrir
pour figurer l'unité divine. De l'agrafe de ce manteau tom-
bait une banderole où on lisait : « Tu es mon Fils. » Celui-ci
était à la droite du Père et portait une aube semblable à la
sienne ; mais il n'avait pas de ceinture. Il tenait à la main la
croix qu'il appuyait contre sa poitrine. Vers la gauche pendait
une banderole avec ces mots : « Tu es mon Père. « A gauche
du Père était le Saint-Esprit, portant une aube pareille, croi-
sant ses mains sur sa poitrine et tenant ces mots : « Je suis le
souffle de l'un et de l'autre. » Le Fils portait une couronne d'é-
pines, le Saint-Esprit une couronne d'olivier. Tous deux re-
gardaient le Père qui, seul des trois, avait une chaussure. A
tous trois étaient le même visage, la même physionomie,
la même formel Excepté l'étole croisée, qui appartient au
Fils et lïoii pas au Père^, tous ces caractères désignent un
M Videlur hic observare trium sanclissimae Trinitatis , cui dedicatum ejus loci orato-
« rium est (leParaclet) , personarum extantes figuras ad humanam staturam, ex uno la-
« pide fabrefactas, quas Abailardus ipse fabricari curavit, insolito, ut in omnibus inso-
"litus erat, modo. Pater in medio positus est cum toga talari, slola e collo pendente et
« ad pectus decussata, atque ad cingulum adstricta ; cum corona clausa in capile et globo
«in sinistra manu; pallie supei'indulus, quod ad duas bine inde personas extenditur,
« cujus a fibula pendet lambus deauratus bis verbis adscriptis: Filius meus es lu. Ad Pa-
« tris dexteraiti slat Filius cum simili toga, sed absque cingulo, babens in manibus cru-
'^ cem pectori appositam , et ad sinistram partem lambum cum bis verbis : Pater meus
« es tu. Ad sinistram extat Spiritus-Sanctus, consimili toga indu tus, decussalas super pec-
" tus babens manus cum boc dicto : Ego utriusque spiraculum. Filius coronam spineam,
« Spiritus-Sanctus olearem gerit. Uterque respicit Palrem , qui calceatus est, non dua; aliae
" personai. Eadem in tribus vultus, species et forma. » [Annales benedict. vol. VI, p. 85,
n° là.)
Le Fils est prêtre selon l'ordre de Melcbisédecli ; le Fils est pontife et victime tout à
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 579
monument du xv!"" et non du xii'' siècle. La couronne d'épines,
dans les monuments où est figurée la Trinité, la croix entre
les mains du Fils, la couronne fermée sur la tête du Père, la
chape d'où pend une banderole et qui couvre les trois per-
sonnes à la fois, tout cela n'est pas antérieur à la lin du
xv^ siècle. Nous avons des Trinités contemporaines d'Abailard,
et pas une n'obéit au signalement donné par Mabillon; nous
possédons et nous avons reproduit des Trinités des xv"" et
xvf siècles, et les caractères qui les distinguent viennent se
ranger au nombre de ceux qu'on attribue à la Trinité d'Abai-
lard.
La renaissance et la fin du gothique affectionnèrent donc
cette représentation anthropomorphique de la Trinité. Ce type
fut très-multiplié ; il dut, en conséquence, subir de nombreuses
modifications. Pour nous en tenir à celles qui ont affecté les
trois têtes divines portées par un corps unique, nous ajoute-
rons, à ce que nous avons déjà dit, que les têtes, distinctes
d'abord et isolées, puis en contact, puis adhérentes, puis
soudées intimement, finirent par se confondre dans un seul
cerveau. La tête fut unique alors, mais les trois faces étaient
distinctes, parce qu'il fallait au moins marquer la triplicité
des figures. Cependant quatre yeux d'abord, puis trois ^ , puis
la fois. De là vient que nous le voyons quelquefois disant la messe; souvent habillé en
évêque, très-souvent portant par-dessus l'aube l'élole croisée comme les prêtres la por-
tent sous leur chasuble. H n'en est pas ainsi du Père. Mabillon a bien pu prêter au Père
ce qui convient au Fils , puisqu'il s'est trompé de quatre siècles sur la date du monument
qu'il décrit.
' Il paraît qu'en Bretagne , à Saint-Pol-de-Léon , une Trinité serait sculptée sur une clef
de voûte, et montrerait trois ligures n'ayant que trois yeux en tout. On comprend bien
que quatre yeux et même deux puissent être placés convenablement et assez naturelle-
ment sur trois visages soudés, et dont un se verrait de face, tandis que les deux autres
apparaîtraient de trois quarts ou de profil ; mais on ne peut aisément distribuer trois
yeux seulement sur trois ligures. Il faut, pour cela, montrer ces figures non plus en
73.
580 INSTRUCTIONS.
deux seulement furent percés dans ces trois visages, et Ton
tomba enfin dans l'unité presque absolue, tout en conservant
une apparence de Trinité. Trois visages, mais avec deux yeux
seulement, un seul front et un seul corps, c'est une bien faible
indication de la Trinité.
i^a.
TROIS VISAGES DIVINS A DEUX YEUX ET UN SEUL CORPS.
Miniature française, xvi" siècle ^
D'ailleurs on tombait dans le monstrueux. Les allégoristes
ont, il est vrai, leurs licences toutes particulières, et on leur
élévation ou verticalement, mais horizontalement ou en plan. C'est etfectivement ce
qu on a fait à Saint-Pol-de-Léon. Il faut dire que ces trois yeux, ces trois bouches et ces
trois nez sculptés sur la clef en forme de trèfle qui s'agrafe à la voûte de l'église de Saint-
Pol, désignent bien une Iriplicité, mais que Dieu n'y est peut-être pour rien ; c'est pro-
bablement un pur caprice de l'artiste, qui aura voulu réunir trois objets tels quels dans
un champ unique.
Manuscrit du roi Henri II, Bibl. roy. Ici la Trinité est représentée créant le monde,
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 581
permet, comme aux poètes, des métaphores audacieuses; mais
une métaphore sculptée ou peinte n'a pas plus d'autorité qu'une
figure de rhétorique. Cependant la hardiesse ne connaissait pas
de bornes, et plus la matière sur laquelle s'exerçait l'imagina-
tion avait d'importance, plus l'audace pouvait entraîner dans
de graves conséquences. Saint Christophe porta l'enfant Jésus
sur ses épaules pour lui faire traverser un bras de mer tempé-
tueux; c'est le Christ, c'est la seconde personne de la Trinité
que porte le saint, et non pas la Trinité elle-même. Cependant
une sculpture du xv^ siècle, qui se voit encore dans l'église de
Sedgeford, en Angleterre, présente le géantChristophe portant
le petit Jésus, un enfant de trois ans, sur ses épaules. Mais cet
enfant n'est pas Jésus seulement, c'est toute la Trinité, car trois
têtes s'élèvent sur ce petit corps unique. Ainsi voilà le Christ
qui fait, à lui seul, la Trinité tout entière ^
ainsi que l'indique l'évangile de saint Jean, dont on voit l'aigle dominant un cartouche
où se lit : In principio creavit cœlum et terram. L'aigle, attribut d'un apôtre, est nimbé;
symbole d'un évangéliste, il porte une écritoire dans son bec. L'aigle ne s'est pas toujours
contenté de tenir l'écritoire, un des instruments matériels destinés à fixer la pensée.
Aux anciennes époques , il inspire directement, il dicte cette pensée même , ainsi que font
l'ange de saint Matthieu , le lion de saint Marc et le bœuf de saint Luc. Mais nous sommes
au xvi" siècle, et alors les attributs des évangélistes sont de simples domestiques, et non
plus des génies inspirateurs.
' Je dois à l'obligeance de M. Thomas Wright, antiquaire anglais, correspondant de
l'Institut de France et du comité des arts et monuments , communication d'un des.sin très-
fidèle représentant ce saint Christophe qui tient sur ses épaules l'enfant Jésus à trois fêles.
Une seule des trois têtes porte un nimbe; les deux autres sont privées de cet ornement
distinctif. Il faut ajouter en outre que ces têtes, couvertes d'un badigeon qu'on vient
d'enlever, sont assez indistinctes aujourd'hui. M. le baron Taylor, auquel ce dessin a été
communiqué, croit avec raison que deux de ces têtes sont probablement un essai, un
repentir du peintre. L'artiste aura essayé à trois reprises différentes de poser la tête sur
le corps de l'enfant qu'il venait de dessiner, et c'est à la troisième fois seulement qu'il
se sera arrêté : de là ces trois têtes. Cette explication est fort plausible et nous l'adop-
tons volontiers. Cependant nous ferons remarquer que la tête définitive, celle qui porte
le nimbe, est plus indistincte que les deux autres encore : celles-ci ont parfaitement
tracés les yeux et la bouche, qu'on ne voit pas dans la première. D'ailleurs le fait que
582 INSTRUCTIONS.
On alla plus loin encore, mais en partant de la même idée.
La seconde personne de la Trinité, le Fils de Dieu, est des-
cendue seule dans le sein de Marie : ni le Père, ni l'Esprit ne se
sont incarnés dans les entrailles de la Vierge. Cependant un
manuscrit de la fin du xiv'' siècle renferme une prière adressée
à Marie, et dont l'écriture paraît dater du xv°. On lit dans
cette prière, qui est assez remarquable, le passage suivant:
«Si vous souveigne, doulce dame, de la doulce annunciacion
que le Sauveur de tout le monde vous envoya quand il se
voulut tant humilier que il voulut en vous descendre et en
vos précieulx dans prendre cher humaine, pour nous povres
pécheurs rachepter. Vuelliés ouvrir les oreilles de vostre
très-grant doulceur à escouter les prières de moy povre pé-
cheresse, quant pour les pécheurs se voust en vous herbergier
le Père, leFilz et le Seint-Esperit. Pour quoy, doulce dame, à
vous appartient estre advocate aux povres pécheurs, et par
quoy vous estes la chambre de toute la Trinité \ »
Dès la fin du xiv^ siècle , ou vers le commencement du xv^
on avait fait du sein de Marie la chambre de toute la Trinité,
et le chancelier Gerson n'avait pu retenir son indignation en
voyant dans l'église des Carmes, à Paris, un tableau où l'on
avait figuré ce que le texte de Troyes disait environ cent ans
plus tard. « On se doit bien garder, s'écrie Gerson ^, de paindre
présente la peinture de Sedgeford, pour être étrange, n'est pas unique, et nous avons
une foule d'exemples démontrant que le Christ a été figuré absorbant en lui seul les deux
autres presonnes divines. — Le saint Christophe le plus ancien, à notre connaissance,
est peint sur verre dans le transsept méridional de la cathédrale de Strasbourg; il est
byzantin de forme et doit dater du xi' siècle. Du reste le petit Christ qu'il porte n'a
qu'une seule tête.
' Ce manuscrit a élé communiqué à M. Léon Aubineau, archiviste à Tours et cor-
respondant du comité des arts, par M. l'abbé Tridon, professeur d'archéologie au petit
séminaire de Troyes.
' Bibl roy. Ms. 7282, f 60. On doit ce texle, curieux sous plusieurs rapports, à
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 583
faulsement une histoire de la saincte Escripture, tant que
bonnement se peut faire. Je le dy partie pour une y mage qui
est aux Carmes et semblables, qui ont dedens leur ventre une
Trinité , aussi comme toutte la Trinité eustprins char humaine
en la vierge Marie. Et, qui plus merveille est, il y a enfer de-
dens peint , et ne voy point pour quelle cause on œuvre ainsi ;
car, en mon jugement, il n'y a baulté ne dévocion en telles
paintures; et ce doit estre cause d'erreur et de indignation ou
indévocion. »
Le cri d'alarme poussé à bon droit par Gerson fut entendu
à Rome. Il y avait inconvenance à ouvrir les entrailles de la
Vierge pour y mettre les personnes divines, et, chose inouïe,
l'enfer lui-même; il y avait hérésie à faire incarner la Tri-
nité ^ ; il y avait témérité à montrer les trois hypostases soudées
et confondues monstrueusement. En 1628, le 11 d'août, le
pape Urbain VIII défendit de représenter la Trinité sous la
M. R. Thomassy, qui Ta trouvé dans un sermon sur le jour de Noél , prononcé par le
chancelier Gerson. Nous avons bien vu des tableaux représentant Jésus dans les entrailles
de Marie, et saint Jean dans celles d'Elisabeth; nous avons même donné (pi. 71, p. 287)
le dessin d'un vitrail où l'on voit Jésus nu, debout et les mains jointes, dans le sein de
sa mère. Mais les tableaux signalés par Gerson , et que semble rappeler le manuscrit de
Troyes, sont inconnus jusqu'à présent ; il est présumable qu'on les aura détruits. Si l'on
pouvait en retrouver, il faudrait les signaler et les conserver précieusement.
' De nos jours, sans le savoir et sans le vouloir, on est hérétique au même chef lors-
qu'on place sur le dos des chasubles modernes, à l'intersection des bras de la croix, le
triangle qui est l'emblème de la Trinité. Par là, en eflet, on semble incarner et crucifier
la Trinité tout entière , tandis que le Christ seul s'est incarné et seul est mort sur la croix.
De pareilles chasubles , et elles sont nombreuses , ne devraient pas servir aux offices divins.
Et cependant tous les jours on les annonce et on en montre le dessin dans les journaux reli-
gieux, et tous les jours le clergé , qui devrait être plus scrupuleux sur le dogme théologiquc .
en achète et s'en habille. Le U. P. dom Guéranger, qui m'a signalé cette erreur involon-
taire , déplore, avec juste raison , que la confection des ornements sacerdotaux soit livrée
à des ignorants ou A des indifl'érents , et que le clergé accepte, sans y prendre garde,
absolument tout ce qu'on lui présente. Dire la messe avec une hérésie flagrante sur le
dos, c'est assez extraordinaire.
584 INSTRUCTIONS.
figure d'un homme à trois bouches, trois nez, quatre yeux;
il proscrivit d'autres images semblables. La contravention est
frappée d'anathème, et le pape ordonne de brûler les Trinités
de ce genre ^ Dans un bref adressé à l'évêque d'Augsbourg,
en 1745 , Benoît XIV rappelle, pour la conhrmer, la condam-
nation portée par son prédécesseur ^.
Les Grecs sont bien prompts d'imagination , bien portés à
la métaphore vivante et à la personnification ; cependant ils
n'ont osé qu'une seule fois , à notre connaissance, représenter
la Trinité comme nous favons fait. Ils suivent de plus près la
Bible et ne se permettent pas les écarts où la raison , dominée
par l'imagination, nous entraîne quelquefois. Cette Trinité,
offrant trois figures humaines sur un seul corps, est peinte à
fresque dans la chapelle du cimetière de Saint-Grégoire , cou-
vent du mont Athos. Du reste, cette peinture est de 1 786 ; les
trois figures divines ont quatre yeux, trois nez, trois bouches
et un seul nimbe, lequel est crucifère et porte 0 w sur les
branches de la croix. Un exemple unique et du xviii' siècle
n'est pas d'une grande importance. Le manuscrit byzantin
que nous citons souvent, et qui a pour titre Guide de la pein-
ture, enseigne la manière de figurer les Trinités et chacune
des trois personnes ; or il ne parle en aucune façon des trois
têtes ni des trois visages portés sur un corps unique , mais il
se contente de dire : « Nous représentons en peinture le Christ
sous une forme humaine, parce qu'il a paru sur la terre con-
versant avec les hommes et qu'il s'est fait homme mortel,
^ Lucius Ferraris , Prompia Bihliotheca caaonica, in-4°, Romaî 1787, dit au mot Ima-
gines : «Urbanus VIII comburi jussit imaginem cum tribus buccis, tribus nasis et qua-
«luor oculis, et alias si quae invenirentur similes. Haec enim nova inventio (nouvelle
«en Italie, mais déjà ancienne en France) repraesentandi sanctissimam Trinitatem tole-
« rabilis non videtur. »
* Voyez le BuDaire de Benoît XIV, t. 1, p. 166, § 28.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 585
semblable à nous, excepté pour le péché. De même nous
représentons le Père éternel comme un vieillard, p'arce que
c'est ainsi que l'a vu Daniel (cliap. vu). Nous représentons le
Saint-Esprit comme une colombe , parce que c'est ainsi qu'il
a été vu dans le Jourdain. » — On en conviendra, les Grecs
sont fort loin des hardiesses et des témérités des Latins.
ATTRIBUTS DE I,A TRINITK.
Les artistes, lorsqu'ils ont peint ou sculpté la Trinité, se sont
attachés à représenter, les uns l'égalité, les autres la distinction
des personnes : de là deux séries dans ce genre de groupes.
Quand c'est l'égalité ou l'unité divine qu'on veut montrer,
on fait les trois personnes le plus indistinctes qu'il est possible.
L'absence totale de caractères ou , tout au moins , le petit
nombre d'attributs signale ces représentations. La Trinité du
manuscrit de Henri II, que nous avons donnée plus haut^ re-
présente simplement un personnage qui tient le ciel.
Si les personnes sont distinctes, comme nous les avons vues
dans le manuscrit d'Herrade ^, on les ramène encore à l'éga-
lité et on les couvre assez souvent toutes trois d'un manteau
unique pour figurer l'unité qui les relie l'une à l'autre. Abai-
lard, au dire de Mabillon, s'y était pris ainsi; rien n'est plus
fréquent dans les monuments figurés, sculptures, peintures,
miniatures, des xv^ et xvi'' siècles^.
Quelquefois la diversité, même dans les groupes où l'on
cherche à mettre l'unité en relief, se trahit par de légers ca-
' Planche i42 , page 58o.
* Planche iSy, p. 565.
' Reportez-vous aux planches X23 etiaô, pages /j83 et 5oo, que nous avons données
plus haut.
INSTRDCTIONS. — 11. 7^
586 INSTRUCTIONS.
ractères : on fait l'Esprit plus jeune, le Père plus âgé et le Fils
d'âge moyen; on donne à l'Esprit un livre, une croix au Fils,
un globe au Père ; la couronne impériale ou papale distingue
le Père, comme la couronne d'épines le Fils, comme l'absence
de toute couronne le Saint-Esprit.
Entre l'unité presque complète et la diversité presque ab-
solue, on voit des Trinités où s'équilibrent assez bien l'égalité
et la distinction des personnes.
lA3. PERSONNES DIVINES DISTINCTES.
Miniature française, xvi° siècle '.
Dans cet exemple , le Père et le Fils sont très-semblables.
Le même nimbe, la même tiare, une pareille chevelure, une
' Ce dessin est tiré de la célèbre Cité de Dieu , magnifique manuscrit in-f» du xvi' siècle ,
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 587
aube semblable, un manteau unique les rapprochent l'un de
l'autre; ils s'unissent par le même livre qu'ils tiennent en-
semble comme par l'Esprit qui , du bout de ses ailes, les
relie l'un à l'autre. Mais ici commence la ditlérence. Le Saint-
Esprit n'est pas un homme, comme les deux autres personnes;
c'est une colombe. Et puis le Père est plus âgé que le Fils ; la
barbe est fourchue au premier, ronde au second. Le Père, et
non le Fils, porte le globe du monde. L'aube du Père n'a pas
de ceinture; c'est une robe. Le Fils, qui est prêtre, devait
porter une aube serrée par une ceinture et assujettie par une
étole qui se croise sur la poitrine.
Dans les Trinités où l'on cherche à faire prédominer la dis-
tinction des personnes, les caractères distinctifs abondent. La
plus grande diversité possible est donnée par les Trinités de
l'époque latine, alors que le Père est une main ou un buste,
le fils une croix on un agneau et le Saint-Esprit une colombe.
Mais entre ce type et ceux qui tendent vers l'égalité des per-
sonnes, il y a mille variétés qu'on ne peut signaler. Il est facile,
en elï'et, de se rencontrer quand on cherche un même objet,
quand on veut représenter l'unité; mais, lorsqu'on poursuit
la distinction , on invente autant de types qu'on exécute de re-
présentations.
Il serait superflu en ce moment d'énumérer les attributs qui
signalent les trois personnes divines, puisqu'on les a notés
dans les chapitres précédents consacrés à chacune des per-
sonnes; nous n'avons donc à nous occuper que des attributs
qui caractérisent le groupe, c'est-à-dire l'unité dans laquelle
se résout la diversité, ou la distinction des hypostases venant
que possède la bibliothèque Sainte-Geneviève; on le trouve au f" Ao6. Les nimbes sont
rayonnants et non crucifères. On est à une époque, où la croix du nimbe divin et le
nimbe lui-même n'ont plus une grande valeur.
588 INSTRUCTIONS.
converger dans l'égalité divine, dans l'unité substantielle. Le
groupement est donc important à constater; on y voit la ten-
dance qui se manifeste de plus en plus à rapprocher les trois
personnes entre elles.
D'abord les personnes sont espacées, isolées pour ainsi dire.
On les voit dans le même tableau, mais ce tableau couvre toute
la voûte d'une abside. C'est ainsi qu'elles apparaissent dans
les mosaïques latines et sur les anciennes fresques K Pendant
cette première période , c'est moins le groupe de la Trinité
qui s'exécute que la rencontre des trois personnes.
Vers le ix^ siècle, il y a tendance au rapprochement. Dans
le manuscrit de saint Dunstan, les trois personnes sont voi-
sines. Dans le manuscrit d'Herrade , elles sont assises sur le
même banc; elles touchent en même temps la même bande-
role, qui leur sert de lien en quelque sorte; cependant on les
a encore distancées.
Mais au xii*' siècle, le Père tient la croix où son fils est
attaché, et TEsprit plane sur eux ou bien descend de la bouche
du Père, comme un souffle, pour se reposer sur la tête du
Fils. Alors le groupe est parfaitement marqué. Aux xiii^ et xiv%
une auréole encadre assez souvent les trois personnes et les
unit plus intimement encore. Cette auréole suit les phases que
nous avons indiquées dans le chapitre spécial qui vient après
le nimbe; elle est circulaire, ovale, triangulaire, en amande, en
trèfle, en quatre-feuilles. Dans cette auréole, les trois person-
Voyez Ciauipini , Vêlera monimenta. Le savant antiquaire donne plusieurs gravures
de ces mosaïques. Voyez également Bosio , Roma sotterranea, qui a fait graver les
fresques anciennes des catacombes. La mosaïque qui décore l'abside de Saint-Jean-de-
Lalran, quoique exécutée de 1288 à 129/i, offre encore une Trinité dont les trois sym-
boles sont espacés; mais on est à Rome, où l'art chrétien est resté slationnaire. Aux
xm' et xiv' siècles mêmes, pendant la période gothique la plus active, cet art romain
s est toujours inspiré de l'art des catacombes et des vieilles basiliques constanlinienne».
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 580
nifications divines sont réunies, mais non encore juxtaposées.
Il faut entrer dans le xiv^ siècle, pour arriver à la juxta-
position. Le célèbre manuscrit du duc d'Anjou^ présente les
personnes divines, toutes trois sous la forme humaine, mais
l'une derrière l'autre et seulement prêtes à se toucher. Aux
xv*" et xvi^ siècles , il y a contact intime. L'art avança de plus
en plus, je ne dirai pas précisément dans l'identité des per-
sonnes divines, mais dans une similitude fort voisine de l'i-
dentité , dans une agrégation très-proche de la fusion , dans
une trinité qui tendait à l'unité^.
A partir du xv^ siècle, le contact est plus complet encore;
on cherche à identifier le Père, le Fils et l'Esprit. D'abord on
les soude par les pieds; pour trois têtes et trois corps, il n'y
a que deux pieds seulement. Puis la soudure monte davan-
tage et gagne les trois corps eux-mêmes. Comme trois troncs
d'arbre qui partent d'une même souche et qui, grossissant de
jour en jour, finissent par se toucher, se pénétrer, s'absorber
' Bibl. roy. manuscrit déjà cité.
" Pour compléter les indications et les exemples que nous avons déjà donnés , nous
ajouterons que, dans une Légende dorée manuscrite de la Bibl, roy. n° 6889, xv° siècle ,
vol. I, £"107, on voit, à l'Annonciation, une Trinité dont les (rois personnes ont la forme
humaine : ce sont trois hommes de trente à trente-cinq ans; tous trois en coslume pa-
pal , vêtus d'une chape unique et qui les couvre tous trois. Le Saint-Esprit tient un globe.
An f° 1 58, à la fête de la Pentecôte, on voit une autre Trinité également composée de
trois hommes que couvre un seul et même manteau. Mais, de plus, un second Saint-
Esprit, sous forme de colombe, se détache de ces trois personnes pour descendre sur
les apôtres. Cette colombe ne serait donc pas une personne divine ni son symbole, mais
bien le symbole et l'âme de la Trinité entière, l'esprit de Dieu commun aux trois per-
sonnes. Là encore le Saint-Esprit tient un globe, attribut qui convient plus spécia-
lement au Père. Le Fils, en costume de prêtre, a une étole croisée sur sa poitrine.
Au vol. II, f° i56, on voit Jésus-Christ velu en pape, portant une étole croisée, que n'a
pas le Père. Au ms. suppl f. 638, Jésus couronne sa mère; il est habillé en pape et
tient en main le globe du monde; c'est du xiv° siècle. Une Légende dorée, Ms. de la
Bibl. roy. xiv" siècle, n" 6888, montre Jésus en empereur et couronnant sa mère; le
Père est là tout simplement en vieillard à barbe grise.
590 INSTRUCTIONS.
et ne faire plus qu'un tronc unique, de même les trois corps
se soudèrent ensemble; mais les têtes, nous l'avons vu, res-
tèrent encore distinctes.
Bientôt, surtout au xvi'' siècle, les têtes elles-mêmes se pri-
rent Tune dans l'autre, et les trois visages furent couronnés
d'un front unique ^ Les visages, vus d'abord de face ou de trois
quarts, rentrèrent ensuite dans la face principale, celle du
milieu. Le manuscrit d'Henri II nous a montré trois figures
avec un seul front, sur un seul corps, et soudées si étroite-
ment l'une à l'autre, qu'il y a bien deux profils et une face,
mais non plus six, non plus quatre yeux; on n'en voit que
deux. Chaque profd a son œil, quand on le regarde isolément,
et la face elle-même, qui est au milieu, possède ses deux yeux;
mais en somme il n'y a qu'une tête, qu'une face entière, que
deux yeux seulement. Ces trois figures, par un jeu de théolo-
gie pittoresque, se prêtent mutuellement leur face et leur œil.
On peut dire réellement d'elles , en changeant un seul mot
au texte célèbre , en mettant trois pour deux : « erunt très in
« carne una ».
Ainsi la manière différente dont se groupent les personnes
divines peut fournir de bons caractères archéologiques pour
classer ces groupes par ordre de date. La place que ces per-
sonnes occupent entre elles mérite aussi quelques observa-
' Voir un beau vitrail du xvi° siècle, qui éclaire la nef latérale noi'd de No(re-Dame,
à Cliâlons-sur-Marne. — M. l'abbé Jourdain, vicaire de la cathédrale d'Amiens, a trouvé
et acheté chez un vitrier d'Amiens une plaque de verre portant la date de 1620, et sur
laquelle est peinte une Trinité toute particulière. On y voit deux têtes sur un seul corps;
ces têtes, soudées l'une à l'autre, ont deux nez et deux yeux seulement, et portent une
couronne unique. Quant à ia troisième personne, c'est une colombe qui se colle sur le
côté, à la tête ou à la face de droite, absolument comme une oreille. On a, dans ce bi-
zarre exemple, l'égalité et la distinction réunies; l'Esprit est distinct des deux autres per-
sonnes, qui sont absolument égales. Je regrette vivement de n'avoir pas eu le temps de
faire graver ce vitrail, dont M. Jourdain a bien voulu me faire un calque.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 591
tions. D'après le dogme, le Père a engendré le Fils, et l'Esprit
procède des deux; il faudrait donc, en conséquence des lois
hiérarchiques, représenter le Fils à la gauche du Père et l'Es-
prit entre les deux. On agit ainsi relativement au Saint-Esprit ,
que l'on figure assez souvent entre les deux autres personnes;
mais, pour le Fils, la place que le dogme lui attribue a été
changée par ce texte des psaumes, où David dit que le Père
fait asseoir le Fils à sa droite et non pas à sa gauche. C'est la
droite en effet que le Fils, sauf erreur, tient constamment à côté
du Père. Mais cette droite, le texte est précis, est celle du Père
et non celle du spectateur ; elle est la gauche pour la personne
qui regarde. Il en est des images de la Trinité comme de celles
du blason; l'écusson de l'homme se pose à la droite de celui
de la femme. C'est le blason qui regarde, et qui fait la droite et
la gauche de même que dans les Trinités; c'est de Dieu et non
du spectateur que partent la gauche et la droite.
Cependant, par erreur ou pour avoir pris la gauche et la
droite du spectateur, on a quelquefois mis le Père à la droite
et non à la gauche du Fils. Le plus frappant exemple de cette
anomalie est donné par le portail de la Sainte-Chapelle de
Vincennes. Dans la voussure, s'étage la hiérarchie des anges;
la Trinité est sculptée au sommet. Le Père , vêtu en pape et
tenant la boule du monde, se place à la droite de son Fils, qui
tient la croix; le Saint-Esprit, en colombe, est entre eux et les
unit l'un à l'autre par l'extrémité de ses ailes \ Des manuscrits
à miniatures nous offrent la même faute.
' A Elampes, sur le porlail d'une église, on voil les élus à la gauche du Christ et
les damnés à sa droite, dans une scène qui représente le jugement dernier. C'est con-
traire à l'usage universel, et, qui plus est, au texte sacré qui place les brehis ou les élus
à droite, et les boucs ou les damnés à gauche. Le sculpteur d'Etampes, comme celui de
Vincennes, mettant Dieu de côté et prenant le spectateur pour point de départ, aura
établi la gauche et la droite sur l'homme qui regarde , non sur le Christ qui juge.
592 INSTRUCTIONS.
Le Père, en vertu des lois hiérarchiques, est souvent placé
au milieu ; il met son Fils à sa droite et le Saint-Esprit à sa
gauche. Nous en avons donné des exemples dans les chapitres
précédents ^ Mais, lorsqu'on veut exprimer la procession du
Saint-Esprit, alors c'est l'Esprit qui se met au milieu ; le Fils
reste à droite et le Père se place à gauche. Ceci regarde les
Trinités disposées horizontalement. Quant à celles qui s'éta-
gent et s'ordonnent verticalement, le Fils est en bas, le Père
en haut , l'Esprit au milieu. L'Esprit descend de la bouche
du Père, s'abat sur la tête du Fils et procède des deux, comme
dans l'exemple suivant.
\kli. SAINT-ESPRIT DESCENDANT DD PERE SUR LE FILS.
Miniature française, Ms. du duc d'Anjou, fin du xiii" siècle, à la Bibliothèque royale.
D'autres fois l'Esprit, toujours au milieu entre le Père et
le Fils, semble remonter, au contraire, du Fils au Père. Les
exemples de cette particularité sont fort rares , et le suivant est
tiré d'un manuscrit champenois dont il orne le commencement.
' Notamment pages laS, Zi46, /|83 et 5oo; planches 61, 111, laS et 126.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE.
593
a5 —
SAINT-ESPRIT PROCÉDANT DD PERE ET DU FILS, ET REMONTANT DU FILS AU PERE.
Miniature française, xii° siècle •.
Dans d'autres représentations, le dogme de la procession
n'est pas marqué aussi visiblement. Le Saint-Esprit, comme
dans l'exemple qui suit, est en présence du père et du fils,
mais il ne les unit plus et ne paraît pas en procéder.
' Ce manuscrit, qui appartient aujourd'hui à la bibliothèque municipale de Troyes,
provient de l'abbaye de Notre-Dame-aux-Nonnains. Il date du xii° siècle. Le dessin que
nous donnons a été calqué sur la miniature même par M, Ch. Fichot, dessinateur troyen.
On remarquera l'auréole, ovale de forme et végétale de nature, qui environne la Trinité.
Des quatre coins extérieurs sortent les quaire attributs des évangélistes. M. Vallet de
Viriville a particulièrement attiré l'attention sur ce manuscrit de Nolre-Dame-aux-Non-
nains. Jusqu'en 1 8^0 , on se doutait à peine de l'existence de ce livre curieux. Remar-
quons encore que Jésus est attaché à la croix , non par trois clous , comme on l'a fait
dès le xiii' siècle et comme le montre le dessin précédent, mais bien par quatre; notons
enfm que les attributs des évangélistes portent le nimbe comme les personnes qu'ils
symbolisent.
INSTRUCTIONS.
^5
594
ae.
INSTRUCTIONS.
SAINT-ESPRIT NE PROCEDANT NI DU PERE, NI DD FILS.
Gravure sur bois du xvi' siècle '.
Ici le Père tient la croix où Jésus est attaché, comme dans
les deux dessins que nous venons de voir; mais le Saint-Esprit,
qui se pose et qui marche sur un des croisillons du gibet, né
paraît pas signifier qu'il procède du Père et du Fils. La co-
lombe est là seulement pour compléter la Trinité. D'autres
fois fintention de ne pas traduire le dogme de la procession
est bien plus évidente encore, puisqu'on supprime le Saint-
Esprit, ainsi que nous l'avons vu plus haut^.
Les Grecs, qui nient la procession, ne représentent jamais
le Saint-Esprit unissant les personnes divines par fextrémité
de ses ailes^ ou descendant du Père sur le Fils, ou remontant
Le Père est sur un trône que surmonte un dais ; il porte le costume impérial. Ce
dessin est tiré d'une gravure sur bois du xiii" siècle; on en voit divers exemples dans
des livres d'heures de la même époque.
Page 282, planche 63.
Les Grecs anathématiseraient un peintre qui ferait une Trinité comme celles que
nous avons données pages 35 et 42 , planches 6 et 11.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 595
du Fils au Père. Les Trinités grecques sont assez semblables
aux nôtres, et celle que nous avons donnée dans Thistoire du
nimbe ^ en est bien la preuve. Néanmoins, dans les groupes
qui représentent la Trinité, les Grecs peuvent placer et
placent en efiPet le Saint-Esprit entre le Père et le Fils, parce
que, pour les Grecs comme pour les Latins, la troisième per-
sonne divine unit les deux autres entre elles; mais jamais il
ne sort de l'une ni de l'autre, jamais il ne touche par ses ailes
la bouche des deux autres personnes.
Le nimbe, l'auréole, la gloire caractérisent les groupes de
la Trinité comme chacune des trois personnes représentées
isolément; nous renverrons donc aux articles où nous avons
traité ce sujet. Un mot seulement. Puisque le triangle est l'em-
blème de la Trinité, le nimbe triangulaire devait surtout ap-
partenir aux trois personnes groupées ensemble. Cette forme de
nimbe est cependant fort rare, et l'exernple suivant est l'un des
plus curieux que nous puissions offrir.
Ici un seul corps porte trois têtes : celle du milieu figure le
Père; elle est plus âgée et plus grosse que les deux autres,
double façon de représenter matériellement la paternité divine
La tête de droite, relativement à la grosse tête, représente le
Fils ; celle de gauche, qui est imberbe, plus jeune et plus petite
que les deux autres, désigne le Saint-Esprit. Un seul nimbe
triangulaire encadre ces trois têtes, qui n'ont que deux mains
aussi bien que deux pieds. La main gauche porte le globe,
emblème de la puissance; la main droite bénit, attribut delà
grâce. Cette Trinité rayonne dans une auréole circulaire dont
la circonférence est occupée pai des séraphins. Nous sommes
dans le paradis, et le groupe divin, centre de la lumière in-
créée, est assis sur un arc-en-ciel.
' Page 61 , pi. 21.
75.
596 INSTRUCTIONS.
ilX']- LES TROIS TÊTES DIVINES DANS UN TRIANGLE UNIQUE.
Gravure italienne sur bois du xv° siècle '.
La tiare, la couronne d'empereur et de roi ornent la tête
de la Trinité, qui est nue très-souvent; il n'y a pas, dans cette
particularité , de caractères autres que ceux fournis par la forme
de la coiffure, laquelle varie suivant les siècles et suivant les
pays. La tiare italienne diffère de la tiare française; pour en
prendre un seul exemple, le pape saint Grégoire le Grand,
dont la statue décore le portad méridional de la cathédrale
de Chartres ^, porte pour tiare un bonnet conique à côtes et
qui est surmonté d'une boufPette. C'est la tiare française du
xiii^ siècle ^ En Italie, au xiv' siècle, c'est bien changé. Le
G est d après un Dante , imprimé à Florence en i/ig i et avec des gravures , que nous
avons fait exécuter ce dessin, dont nous avons déjà parlé; il se trouve dans le Paradis,
au f" ccLXxviii.
Nous l'avons donné dans le chapitre du Saint-Esprit, page /iSg, planche ii^.
M. le comte de Montalembert (D« Vandalisme et du. Catholicisme dans l'art, in-8°,
Pans, 1809, p. 1-72) s'est élevé, et avec une grande raison , contre ce prétendu bonnet
carré que le clergé de Paris portait encore en 1 8/io , et que l'on a conservé malheureu-
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 597
pape porte une tiare en dôme, de forme allongée, ovale et
ornée d'une couronne dans le bas^ De nos jours, la tiare con-
serve à peu près cette forme, mais elle s*enrichit de deux autres
couronnes^. Quand Dieu s'habille en pape, il prend le cos-
tume pontifical et la tiare qu'on portait à fépoque où on le
représente. Il faut faire une grande attention aux moindres
détails, parce qu'il y a dans ces détails des caractères archéo-
logiques irrécusables.
Quant au Saint-Esprit, sa tête est nue'. Le Christ prend
indifféremment, comme le Père, la couronne de pape, d'em-
pereur et surtout de roi; mais il y ajoute la couronne d'épines.
Souvent il est nu-tête.
Entre les mains de la Trinité on voit le globe du monde
ou le livre des saintes écritures. Dieu, la Trinité, ayant créé le
monde, le globe surmonté d'une croix se voit fréquemment
entre ses mains. Beaucoup d'exemples en ont été donnés
plus haut ^. Nous avons vu la Trinité pétrissant et animant
l'homme ^. Le manuscrit d'Henri II nous a montré la Tri-
nité tenant le ciel et les planètes qu'elle vient de créer ^; le
sèment dans beaucoup de diocèses ; mais on n'avait pas songé que ce bonnet pointu
n'était autre chose que la tiare du xiif siècle, telle que les Français la concevaient, et
telle peut-être que les papes la portaient en Italie.
' Voyez le Christ d'Orcagna, que nous avons donné page 268, pi. 67.
" Ou dit que la tiare à une couronne fut en usage jusqu'en 1298; que la tiare à deux
couronnes régna jusqu'en 1 334, et que, depuis cette époque, elle a trois couronnes. C'est
Boniface VIII qui aurait doublé la couronne de la tiare, et Boniface XII ou Urbain V
qui l'aurait triplée. Les monuments figurés ne sont pas complètement d'accord avec ces
documents historiques , et il faut se fier plutôt aux monuments qu'aux textes.
^ La couronne d'olivier, que Mabillon lui prête dans la Trinité qu'Abailard aurait
fait sculpter au Paraclet, n'est pas authentique et nous la révoquons positivement en
doute.
' Particulièrement aux pages 456 , 696, planches ii3, ilx']-
' Voyez la planche 6 , p. 35.
* Planche iZi2, page 58o.
598 INSTRUCTIONS.
dessin suivant offre le même sujet traité par Buonamico Buf-
famalco.
làS. TRINITÉ EN UN SEDL DIEU ET TENANT LE MONDE.
Fresque du Campo-Santo de Pise, xiv° siècle.
^
Il y a dans cette belle représentation , qui est de la première
moitié du kiy*" siècle, une supériorité incontestable sur celle
du manuscrit d'Henri IL Ici la Trinité est concentrée dans
une seule personne, dans Dieu, qui tient les cercles dont se
compose Tunivers, peuplé par lui d'êtres de toute nature. Les
neuf chœurs des anges ^ animent les cercles extérieurs ; au
On les décrira en détail dans l'histoire de l'ange.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 599
milieu, roulent les constellations; la terre, considérée comme
le noyau du monde, est assise au centre ^
Un manuscrit nous présente à peu près le même sujet, mais
traité d'une façon fort inférieure. Dieu est au foyer de neuf
cercles concentriques dont sept sont enflammés; il tient, à la
droite, le compas qui lui sert à prendre les dimensions du
monde, et, à la gauche, la balance où il le pèse. C'est pour
répondre à ce texte célèbre de Salomon, qui se lit au cha-
pitre XI de la Sagesse : « Omnia in mensura, et numéro, et
« pondère disposuisti. »
Le nombre consiste dans les neuf cercles mystiques qui
entourent Dieu; la mesure est dans le compas, et le poids dans
la balance.
' Au lieu d'esquisser une description , je préfère donner l'extrait suivant de Vasari
( Vies des peintres. Vie de BufFamalco) ; ce passage n'est pas sans intérêt.
« Buonamico Buffamalco peignit quatre fresques au Campo-Santo. On distingue, dans
ces compositions, la création de l'univers, où le Père éternel est représenté haut de cinq
coudées et soulevant la grande machine des cieux et des éléments. Au bas de ce tal^leau ,
dont les deux angles sont occupés par un saint Augustin et un saint Thomas d'Aquin ,
Buonamico écrivit, en lettres majuscules, un sonnet explicatif de son sujet, (jue nous
allons rapporter pour donner une idée du savoir des gens de cette époque. » — Buffa-
malco est mort à 68 ans, en i3Ao. Voici le sonnet qu'il écrivit sous sa peinture :
Voi che avvisate questa dipintura
Di Dio pieloso sommo creatore ,
Lo quai le' tutte cose con amore ,
Pcsate , numérale ed in misura.
In nove gradi angelica natura
In ello empirio ciel pien di splendore ,
Colui cbe non si muove ed è motore ,
Ciascuna cosa fece buona e pura.
Levate gli occlii del vostro intelletlo ,
Considerate quanto è ordiuato
Lo mondo universale ; e con affclto
Lodate lui cbe l'iia si bcn creato :
Pensate di passare a lai dilello
Tra gli angeli , dove è ciascun bealo.
Par questo mondo si vede la gloria ,
Lo basso , ed il mezzo , e l'ailo ia quesla sloria.
600
INSTRUCTIONS.
1^9. TRINITÉ EN DN SEUL DIEU, TENANT LA BALANCE ET LE COMPAS.
Miniature italienne du xiii" siècle '.
E MM-P-H'DVRAND
C'est pour toutes ces raisons que le globe se voit si souvent
aux mains de la Trinité ; quelquefois on le lui place sous les
pieds, comme dans l'admirable manuscrit d'Anne de Bretagne
qui appartient à la Bibliothèque royale. Aux deux tiers de ce
beau livre, on voit le Père babillé comme un pape, à longue
barbe blanche, nimbe en disque autour de la tête, aube de
neige, étole verte, chape rouge à orfroi et parements historiés
de personnages en or ; pieds chaussés de pantoufles d'or. Les
trois premiers doigts de la main droite sont ouverts et bénissent.
' Ce dessin provient du Psalterinm ciim fleuris , Ms. du xii* siècle, à miniatures ita-
liennes qui sont des xii° et xiii' siècles. La miniature d'où vient notre dessin nous pa-
raît être de la dernière épocjue.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 601
A gaucbc, Jésus-Christ en robe brune, manteau rouge, tête nue
et couronnée d'épines. Il tient à la main gauche la croix de ré-
surrection, croix processionnelle ou de triomphe. La barbe est
rousse et le nimbe en disque; pas de plaies aux mains, et pieds
chaussés comme ceux du Père. Les pieds du Père et du Fils
sont posés sur un globe où étincellent , en haut , le soleil , la lune ,
les étoiles; en bas, ondulent les flots de la mer, que sillonnent
des vaisseaux; au milieu, s'élèvent des villes et verdissent des .
prés. Entre la tête du Père et celle du Fils, le Saint-Esprit,
en colombe blanche et à bec rouge, étend ses ailes; il porte un
nimbe discoïdal. Le fond d'où se détache cette Trinité est en
or et encadré dans un ovale tout ourlé de nuages. Dans les
quatre coins, hors de l'ovale lumineux, se tournent vers la
Trinité les attributs des évangélistes, tenant chacun une ban-
derole où se lit : « Matheus homo. — Johannes avis. — Marcus
« leo. — Lucas vitulus. » Ces symboles des évangélistes sont
d'azur, fouetté d'or, tous ailés, mais sans nimbe. Le Père et
le Fils tiennent ensemble un grand livre ouvert où est écrit :
Ego sum alpha et O ; principium et finis ^.
En effet, après le globe, l'attribut qui se voit le plus fré-
quemment aux mains de la Trinité, c'est le livre de vie, la Bible.
' Dans un autre Ms. de la Bibl. roy. n° 886, et qui est également contemporain
d'Anne de Bretagne, on voit une Trinité semblable à celle qu'on vient de décrire. C'est
vers la moitié du manuscrit : la Trinité est dans une auréole d'or circonscrite par un
cercle de nuées bleues. Le Père est en pape , à barbe et cheveux blancs , âgé de soixante et
dix ans à peu près, en ancien des jours. Le Fils est à sa droite, en robe violette , chape
rougeâtre, tête nue, mais couronnée d'épines; ses pieds sont chaussés , comme ceux du
Père , de babouches rouges à galons d'or; il a de trente à trente-cinq ans. Entre eux deux,
à la hauteur de leur front, le Saint-Esprit en colombe blanche déploie ses ailes. Le Père
et le Fils tiennent à eux deux un livre ouvert, où se lit : Sancta Trinitas , Paler et Filins
et Spiritus Sunctus. Ego sum alpha et o. Ce livre a sept fermoirs d'or, qui sont les sept
sceaux apocalyptiques.
INSTRUCTIONS. II. 76
602 INSTRUCTIONS.
Le dessin tiré de la Cité de Dieu nous a donné un exemple
de ce genre ^ Sur ce livre, outre l'inscription qui précède et
qui est la plus fréquente, on en lit encore d'autres analogues :
« Ego sum qui sum. — Rexregum. — Dominus dominantium. >»
La plupart de celles que nous avons relevées, et qui se voient
sur le livre de Jésus-Christ, se reproduisent également sur le
livre de la Trinité ^. Le manuscrit byzantin consacre à ces ins-
criptions un article que voici :
« Inscriptions pour la Trinité :
Le Père éternel — l'Ancien des jours.
Le Fils coéternel — Le Verbe de Dieu.
Le Saint-Esprit — Celui qui procède du Père.
La Sainte-Trinité — Seul Dieu de toutes choses.
« Lorsque vous représentez le Père et le Fils avec des cartels
déployés, écrivez sur le cartel du Père: «Je t'ai engendré
' Voyez page 586, pi. i43.
^ Un émail roman du xif siècle , provenant de la collection de M. Didier Petit , de Lyon,
offre Dieu assis sur un arc-en-ciel, environné d'une auréole ovale et ondulée de nuages.
Ce Dieu bénit de la main droite, à la façon latine; de la main gauche, il tient un livre
long, comme le Liber precum qu'on voit à la Bibl. roy. Ce livre est ouvert ; on lit , sur le
recto et le verso de deux feuillets , en petites minuscules romaines et légèrement on-
ciahsées :abcdefg — hikmnop. Ces quatorze lettres, sept sur chaque page, sont
ainsi disposées; j'ignore si le nombre et le choix de ces caractères peuvent avoir un
sens. En tout cas cet alphabet, à peu près complet et écrit sur le livre divin, marque
sans doute que toute science vient de Dieu, et que ce livre est celui des écritures di-
vines. C'est au n" i84 du Catalogue de M. Petit que l'on trouve cette indication. J'ai vu
cette plaque émaillée, en i843, à l'époque où la vente s'en est faite, et j'ai relevé moi-
même celle espèce d'alphabet. Au n° 2o4 du même Catalogue, on lit : « Plaque émaillée.
Couverture de manuscrit, représentant le Christ bénissant et tenant de la main gauche
une tablette où sont gravées quelques lettres en caractères romans et onciaux : »
A
I
0
F
X
M
S
N
M
E
M
Ces lettres sont ainsi disposées et placées dans un cadre; l'A seul est incertain.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 603
« avant Lucifer; » — ou bien : « Asseyez-vous à ma droite jusqu'à
« ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. »
Sur l'évangile du fils : « 0 Père saint, je vous ai glorifié sur la
«terre et j'ai fait connaître votre nom aux hommes;» — ou
bien : « Moi et mon père nous ne faisons qu'un; je suis dans
« mon père et mon père est en moi ^ »
Les pieds de la Trinité, comme nous favons fait remarquer
pour chaque personne divine, sont et doivent être nus. En
iconographie chrétienne, Dieu, les anges, saint Jean-Baptiste
et les apôtres se distinguent seuls, entre les autres personnages,
par la nudité des pieds. Cependant on trouve des exemples de
personnes divines à pieds chaussés; nous en avons signalé
deux^ et nous en avons donné un troisième^. Quand le Père
ou le Fils sont habillés en pape, on leur donne, avec les autres
vêtements pontificaux, la chaussure que portent les souverains
pontifes; mais c'est un cas tout particulier et, dans cette cir-
constance même, les personnes divines ont très-souvent les
pied
s nus .
La forme du nimbe, de la couronne et de l'auréole; la forme
du globe et des divisions qui le partagent, et des objets qui
remplissent ces divisions; la forme du livre et des lettres dont
se composent les inscriptions qu'on y peint; la forme, le nombre,
' Voyez le Guide de la peinture (Épfji}7i»e/a tj;? ^(oyp3.(ptHrjs), presque à la fin. Le Sainl-
Espril y est dit procéder du Père , mais non du Fils. L'inscription tirée du psaume cix est
plus complète que chez nous, qui n'en mettons ordinairement que le commencement; les
Grecs, moins charitables, plus durs et plus judaïques dans leur christianisme, y ajoutent:
<i Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à vous servir de marchepied. »
^ On les trouve dans le manuscrit d'Anne de Bretagne, et dans un autre manuscrit
de la même époque et qui est également à la Bibl. roy. n" 886.
■^ Page 2 32, pi. 63.
* Dans la Trinité suivante, qui est tirée de l'Aiguillon de l'amour divin, Bibl. roy.
in-A°, 509A ou -'j— , le Père, quoique couronné de la tiare, a les pieds nus comme les
deux autres personnes.
76.
604 INSTRUCTIONS.
la nature, la couleur des vêtements fournissent des caractères
archéologiques par lesquels on peut déterminer la date des
Trinités sculptées, ciselées et peintes. Il serait trop long et
sans doute très-inutile de nous y arrêter ici, après ce que nous
avons dit dans tout ce qui précède. Nous nous contenterons
de donner la Trinité suivante, qui est du xv*' siècle et qui
montre les trois personnes sous forme humaine ; elles portent
le nimbe crucifère et sont enveloppées dans une auréole flam-
boyante. On remarquera la colombe divine, qui s'assied sur la
tête du jeune Saint-Esprit. Le Père est en pape, et porte le
globe de la toute-puissance; le Fils est en Christ, et tient la
croix de l'amour infini; TEsprit est au milieu, pour unir les
deux autres personnes ^
l5o. TRINITÉ, SOUS FORME HUMAINE, À NIMBE CRUCIFERE ET AUREOLE FLAMBOYANTE.
Miniature française du xv° siècle.
Ici finit la tâche que je m'étais imposée. J'ai cru nécessaire
de donner en détail d'abord l'histoire d'un attribut archéolo-
gique important, l'histoire du nimbe et de la gloire; puis celle
Voyez l'Aiguillon de l'amour divin, cité dans la note précédente.
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 605
delà personne qui domine les représentations figurées, comme
elle domine le dogme chrétien, l'histoire de Dieu. Des déve-
loppements analogues pour le reste de l'iconographie chré-
tienne seraient exagérés, et la vie d'un homme ne suffirait
pas à les donner, ni même à en recueillir les éléments.
Maintenant donc quelques renseignements fort courts et pu-
rement techniques sur l'Ange, le Diahle, les personnes et les
scènes de l'Ancien Testament, de l'Evangile et de la Légende
suffiront sans doute au but que le comité des arts et monu-
ments se propose. On a ouvert un sentier; c'est à MM. les cor-
respondants de le prolonger et de l'élargir par des études
approfondies et des observations subséquentes. Du reste, on
avait annoncé dans l'introduction, écrite plus de deux ans
avant le livre même, que la première partie des instructions
sur l'iconographie chrétienne comprendrait, outre l'histoire
de Dieu , celle de l'Ange et du Diable ; notre travail s'étant
étendu au delà de nos prévisions, il a fallu, pour le moment,
nous limiter à la seule histoire de Dieu.
En terminant , je dois mentionner, parmi les personnes
auxquelles j'ai des obligations, M. Leberthais, qui a dessiné,
sur un vitrail de Saint-Remi de Reims, le saint Jean évan-
géliste qu'on voit à la page 32 , planche 3. M. Launay, peintre
à Vendôme, correspondant historique, a donné un dessin co-
lorié, d'après lequel a été faite la planche 4, page 47- M. Lon-
gueville Jones, correspondant historique pour l'Angleterre,
a fait calquer pour moi les planches 109 et 1^7, pages 4io et
596, sur un Dante qui lui appartient. M. Claude, de la Biblio-
thèque royale, m'a signalé avec obligeance des manuscrits à
miniatures, où j'ai puisé divers sujets.
Malgré le soin qu'on a mis à collationner le texte avec les
citations , aussi bien que les dessins avec les monuments ,
606 INSTRUCTIONS.
quelques erreurs se sont glissées dans notre travail ; nous
nous contenterons de faire les rectifications suivantes:
Il faut lire, page 18 de Fintroduction : «TAnge, être im-
mortel, non éternel, » au lieu de « sinon éternel. »
Dans rénumération incomplète des noms divers que le
moyen âge impose aux encyclopédies d'alors (page 8 de Fin-
troduction), on a oublié le nom de Trésor, qui est certaine-
ment le plus populaire.
A la page 620, la planche i3o est annoncée comme repré-
sentant une peinture sur bois; c'est une sculpture peinte qu'il
aurait fallu dire. Ce groupe de la Trinité est une ronde bosse
en bois , couverte de couleurs qui doivent être contemporaines
de la sculpture. Le Père porte une couronne dorée; sa barbe
et ses cheveux sont bruns. L'aube est blanche, Fétole est jaune
et le manteau rouge avec galons dorés. La croix est jaune, et
le Christ est de carnation ; le linge roulé autour des reins de
Jésus est jaune, et la couronne d'épines dorée. Le Saint-Esprit
est blanc, pieds et bec rouges. Le banc est jaunâtre. Malgré
tout ce qu'on peut dire, et avec raison, contre Fimperfection
et même la laideur des ligures, ce groupe, qui est posé sur un
autel , dans une des chapelles absidales de Saint-Riquier, est
en grande vénération; la calotte rouge d'un enfant de chœur
est placée à demeure sur Fautel même, pour recevoir les of-
frandes des fidèles.
Nous avons dit, page 3o5, que le Christ debout sur le tru-
meau de la porte centrale, au portail occidental de la cathédrale
d'Amiens, foulait, comme à la cathédrale de Chartres, le lion
et le dragon; il aurait fallu ajouter que Faspic et le basilic se
voyaient également sculptés, mais plus bas que les deux pre-
mières bêtes. C'est pour être fidèle au texte, qui met le Christ
en' contact direct avec le lion et le dragon , qu'on a placé plus
ICONOGRAPHIE CHRÉTIENNE. 607
bas, et pour un contact médiat, l'aspic et le basilic. Sur l'ivoire
dessiné dans notre plancbe 76, page '6o^, l'aspic et le basilic
ne sont pas écrasés directement par le Cbrist, tandis que le
lion et le dragon hurlent sous les pieds nus du jeune Dieu.
Page 178, plancbe /i8, on indique, en titre de la planche,
que le dessin représente une fresque du ix"^ siècle, tandis que
la note annonce un ivoire du xii*" ou xiii''; Terreur est dans le
titre, et la note a raison. Ce n'est pas une fresque, mais un
ivoire que Gori a fait graver.
Enfin, pages liS et 49, il est question d'un nimbe cruci-
fère que porte le souverain juge, ciselé à la couronne ardente
suspendue par Frédéric Barberousse au-dessus du tombeau
de Gharlemagne, dans la rotonde d'Aix-la-Chapelle. M. l'abbé
Arthur Martin, qui a fait une étude spéciale de cette couronne,
dont il a dessiné tous les sujets, me communique un calque
du Christ au nimbe crucifère. Dans le dessin de M. Martin,
on ne voit pas les trois lettres 0 o)v que j'ai cru apercevoir sur
les branches de la croix du nimbe, mais bien de petits ovales
qui seraient l'indication de cabochons ou de pierres précieuses.
Comme j'ai constaté sur les lieux et avec une attention extrême
cette particularité de lettres grecques inscrites sur le nimbe
d'un Christ latin , et comme d'ailleurs j'ai toute confiance dans
la scrupuleuse fidélité du dessin de M. fabbé Martin , c'est après
un nouveau voyage à Aix-la-Chapelle qu'il sera possible d'éta-
blir ou de renverser le fait assez important que j'ai signalé.
Quant aux autres fautes qui ont pu nous échapper, nous
pensons que le lecteur peut les corriger de lui-même assez
facilement.
FIN DE L'HISTOIRE DE DIEU
TABLE DES MATIÈRES.
TEXTE.
INTRODUCTION.
Les figures sculptées et peintes dans les églises sont irès-nombreuses, i. — Double but,
l'instruction et l'édification , que l'art se propose en offrant des images, 2. — Classi-
fication des figures et des sciences au moyen âge, 8. — Miroir universel de Vin-
cent de Beauvais, 10. — Les statues delà cathédrale de Chartres classées d'après le
Miroir universel, 1 3. — Les statues sont une encyclopédie en pierre, i5. — Sur les
monuments religieux, la distribution des figures rentre plus ou moins dans celle des
statues de la cathédrale de Chartres, 17. — Il y a des lacunes, mais faciles à com-
bler, dans ces encyclopédies figurées, 17. — Plan du travail sur ficonographie
du moyen âge, 18. — Secours prêtés à fauteur, 20.
DE LA GLOIRE.
Définition de la gloire, qui se compose du nimbe et de fauréole, 2 5. — Importance de
cet attribut , 26. — La gloire entoure la tête et le corps, 27. — Autour de la tête,
c'est le nimbe, 28.
NIMBE.
Définition du nimbe, 28. — Formes diverses du nimbe, 3i. — Nimbe à trois gerbes lu-
mineuses, 36. — Nimbe à sept ou quatorze rayons et à rayons sans nombre, 38. —
Nimbe en langue de feu, Ao. — Application du nimbe , ^i. — Nimbe des personnes
divines, hi- — Nimbe croisé et recroisé, li2. — Nimbe grec, /j8. — Erreurs des
artistes, 5i. — Nimbe uni, 62. — Absence du nimbe, 5/i. — Ange à nimbe crucifère,
55. — Main divine nimbée, 56. — Agneau divin nimbé, 57. — Lion, symbole divin,
niiïibé, 58. — Signification du nimbe triangulaire, 60. — Symbolisme du triangle, 62.
— Signification du nimbe carré , 64. — Nimbe en losange ,66. — Nimbe de f agneau de
Dieu avec monogramme , 68. — Nimbe de l'ange et des saints , varié , mais non crucifère ,
68. — Dieu en ange porte le nimbe crucifère , 69. — Les personnages de TAncien Testa-
ment avec le nimbe en Orient, sans nimbe en Occident, 69. — Saint Jean Baptiste nimbé,
72. — Nimbe riche delà Vierge, 73. — Nimbe des apôtres, -jà. — Nimbe des divers
saints, 7^. — Légende et monogramme entourant le nimbe, 76. — Nimbe carré
INSTRUCTIONS. H. 77
6!0 TABLE DES MATIÈRES.
réservé aux vivants, 78. — Nimbe en table et en rouleau, 81. — Le nimbe carré est
particulier à l'Italie, 82. — Nimbe bexagonal, 83. — Nimbe des êtres allégoriques,
84. — Nimbe de la Liberté, 86. — Nimbe des éléments, des saisons, des êtres de
raison, 87. — Nimbe des planètes, 88. — Nimbe des attributs desévangélistes, 89.
— Animaux nimbés, 89. — Signification générale du nimbe, 90. — Le nimbe est un
attribut de sainteté en Occident et de puissance en Orient, 90. — L'absence du nimbe
peut provenir d'une erreur, d'un oubli ou d'une difficulté, 92. — Le nimbe n'a de
valeur que jusqu'à la fin du xiv' siècle, 98. — Histoire du nimbe, 93. — Le nimbe
est toujours à la tête, la plus importante partie de l'bomme, 9^. — C'est à la tête
que s'adressent les hommages et que se placent les insignes, 96. — Le nimbe est
une couronne religieuse, 98. — Les païens ont connu le nimbe, 99. — Le nimbe
ne se montre pas dans les quatre premiers siècles de notre ère, 99. — Aux v° et
vi° siècles , le nimbe est un caractère de sainteté et un moyen de hiérarchie, 101. —
Au vu" siècle, transition entre l'absence absolue et la présence constante du nimbe,
101. — Jusqu'au xii" siècle, le nimbe a la forme d'un disque transparent, 102. — Du
xii' au xv% le nimbe s'épaissit , 102. — Aux xv" et x\i\ le nimbe devient une coiffure,
io3. — Pendant la renaissance on revient au nimbe, io4. — Nimbe en aigrettes, 106.
— Nimbe transparent, 107. — A la fin du xvi" siècle, le nimbe disparaît, 108. —
Confusion où, de notre temps, on tombe relativement au nimbe, 109.
AURÉOLE.
Etymologie et définition du mol, 109. — L'auréole est le nimbe du corps , 110. — L'au-
réole , qui se moule sur le corps , est de forme diverse , 1 1 o. — Auréole en qualre-feudles,
111 — Le nom de nimbe byzantin , donné à l'auréole, est impropre; celui de vesica
piscis est impropre et grossier, 112. — Auréole ovoïdale , 112. — Cadre onduleux de
l'auréole, 1 iZj. — Dieu assis dans l'auréole , 1 15. — Auréole circulaire au chamo dé-
coupé, 116. — Soleil et lune accompagnant l'auréole, 118. — Auréole en roue, 118.
— Auréole byzantine , 119. — Auréole en gourde de pèlerin , 120. — Auréoles diverses
et en forme de bouclier, 121. — Auréole elliptique, 1 2 3. — Application de l'auréole,
1 24. — L'auréole est à peu près réservée à Dieu , 1 24. — La vierge Marie et les âmes
des saints en sont quelquefois décorées, 125. — Ame de saint Martin dans une au-
réole , 1 28. — Histoire de l'auréole , 129. — L'auréole suit les vicissitudes du nimbe ,
mais elle paraît plus tard et disparaît plus tôt, 129. — L'auréole perd son cadre aux
xv^ et xvi^ siècles, i3o. — Auréole flamboyante, i3i.
GLOIRE.
Etymologie du mot, i32. — Le nom de gloire se donne à des soleils rayonnants, i33.
— Ce que la Bible entend par gloire, i33. — La nature de la gloire est le feu , i35.
— Mercure à nimbe lumineux, i36. — En Orient, le nimbe est du feu, 137. —
La gloire est une flamme, comme le prouvent différents faits bibliques, histo-
TABLE DES MATIERES. 611
riques, légendaires, poétiques, iSg. — L'époque où la gloire se montre esl très-
ancienne, i5o. — Les Hindous, les Egyptiens, les Grecs, les Romains ont connu
la gloire, i 5o. — Virgile y fait allusion dans l'Enéide, i52. — Le christianisme n'a
pas inventé mais s'est approprié cet insigne, i54. — C'est chez les chrétiens d'O-
rient que la gloire et le nimbe se développent d'abord, i54. — Le nimbe, image
du fluide lumineux, devait naître dans les pays embrasés, i55. — La gloire est très-
fréquente en Orient, lôy. — La gloire n'est pas, en Orient, l'attribut de la divinité
et de la sainteté, mais de la puissance, 157. — En Occident, sauf de curieuses excep-
tions , la gloire est réservée aux personnes divines et saintes , 1 60. — Judas nimbé , 1 60.
— Satan nimbé, i63. — Bêle apocalyptique nimbée, i65. — En Champagne, comme
en Orient, la gloire est un attribut de puissance, 166. — La couleur de l'auréole est
celle de la lumière, 167. — La couleur de la gloire esl souvent un moyen hiérar-
chique, 168. — Quelquefois elle est symbolique , 169. — Le symbolisme de la cou-
leur est rare, 170.
DIEU.
Dieu est un en trois personnes ,171.
DIEU LE pÈre.
Manifestations du Père, très-fréquentes dans l'Ancien Testament, 172. — Plus rares dans
le Nouveau, 173. — A la iin du moyen âge, les artistes ont suivi l'histoire dans les
représentations du Père, \']k- — Au commencement, ils se sont attachés au dogme,
1 7^. — D'après le dogme , le Fils parle et agit pour son père , 175. — A la création ,
on voit presque toujours le Fils, 176. — Le Christ créateur, 178. — Le Christ appa-
raissant à Moïse, 179. — Le Christ en Tout-Puissant, 180. — Le Christ parlant à
Samuel, 182. — Le Christ apparaissant à Isaïe , i83. — En Grèce, le Fils substitué
à la sagesse du Père, i84. — Le Fils en sainte Sophie , i85. — Le Père sacrifié au
Fils, i85. — Le Fils a la préséance sur le Père et occupe la place d'honneur, 186. —
Rôle ridicule, grossier ou odieux, qu'on fait jouer au Père, 190. — Jéhovah en Dieu
des armées, 191. — Haine des gnostiques pour le Père, 192. — On craint de faire
une idole en représentant le Père, 198. — La ressemblance identique du Fils et du
Père est une cause de la substitution du premier au second, 200. — Le Fils est le
Verbe, et doit être figuré quand on fait parler le Père, 201 . — Les artistes, inhabiles
ou timides, n'osent pas figurer le Père, 202. — La rareté ou l'absence des manifes-
tations visibles du Père produisent la rareté de ses portraits, 206. — Portraits du
Père, 207. — On ne voit d'abord que la main divine, 207. — Cette main est nimbée
ou sans nimbe, 209. — La main divine s'appuie ordinairement sur un nimbe cru-
cifère, 211. — Elle bénit à la manière grecque ou latine, 212. — La main du Père
tendue vers son fils, 21 3. — La main désigne la puissance, 2x5. — Elle enlève au
ciel les âmes des justes, 216. — A partir du xn' siècle, le Père se montre en buste
d'abord, en pied ensuite, 216. — Alors le Père n'a pas de figure à lui, et prend celle
de son fils , 217. — Au xiv° siècle , le Père prend une figure spéciale, mais assez sem-
612 TABLE DES MATIÈRES.
blable à celle du Fils, 219. — A la fin du xiv" siècle, le Père gagne de l'âge sur le
Fils, et s'approprie une physionomie particulière, 221. — Aux xv" et xvi% la figure
du Père est complètement différente de celle du Fils , 2 23. — Le Père est un vieillard ,
le Fils un homme mûr, l'Esprit un jeune homme, 225. — Avant le xiif siècle, le
Père emprunte l'âge du Fils; mais, aux xv" et xvi", le Fils prend souvent celui du
Père, 226. — Au xvi% l'Esprit se montre quelquefois en vieillard, avec l'âge et la
physionomie du Père, 226. — Le Père gagne successivement en importance, 226.
— Le Père lient le globe comme un de ses attributs caractéristiques ,227 — L'éten-
dard de Jeanne d'Arc représentait sans doute le Père tenant le globe, 227. — Le
Père porte assez souvent le livre, 228. — Le nimbe crucifère et la nudité des pieds
conviennent aux trois personnes divines , 228. — A la fin du xiv' siècle , un âge avancé
est constamment donné au Père, 229. — La couronne impériale ou royale, plus
ordinairement la tiare, sont posées sur la tête du Père, aSo. — En Italie, presque
toujours le Père est en pape, aSi. — Tiare du Père à une, deux, trois, quatre et
cinq couronnes, 23i. — En France, le Père en roi, 282. — - En France, le Père en
pape et décrépit, 233. — L'art réfléchit chaque époque, 23A- — A la renaissance,
le Père en vieillard sublime, 235. — Triangle divin dans une gloire, 207. — Gloire
environnant Dieu , 2 38.
DIED LE FILS.
Le Fils est glorifié dans l'iconographie, 239. — Églises élevées au Fils, 2^0. — Liturgie
honorant spécialement le Christ, 2^1 - — La croix du nimbe vient du Fils, 2/j2. —
Le Fils gratifié de la toute-puissance aux dépens du Père , 2^3. — Le Fils représenté
sous toutes les formes et à toutes les époques, a^A- — Fils créateur, 245. — Portrait»
variés, 247- — Les gnostiques favorables au Fils , 2^8. — Images acheiropoiètes ,
non faites demain d'homme, 2 5o. — Signalement du Christ, 2 52. — Christ imberbe ,
255. — Christ barbu, 267. — Le Christ imberbe est fréquent jusqu'au x' siècle,
2 58. — Du xi' au xvi' siècle, le Christ presque toujours barbu, 260. — Transition
entre le Christ imberbe et le Christ barbu, 262. — Le Christ byzantin est terrible,
263. — Le Fils en crucifié, et le Christ au tombeau, 265. — Le Crucifié tout nu,
266. — Le Christ en Jupiter tonnant, 267. — Le Christ redevenu doux, 269. —
Laideur du Christ, 270. — Beauté du Christ, 271 . — L'art n'a fait le Christ ni beau
ni laid, mais en homme et barbu, ou en Dieu et sans barbe, 272. — Christ laid
et barbu sur la croix; Christ beau et imberbe dans la gloire, 281. — Christ ordinai-
rement beau avant le xn' siècle; Christ ordinairement laid après cette époque, 282.
— L'âge et la physionomie ne caractérisent pas le Fils, 284- — Ni la couronne, ni
la nudité des pieds, ni le nimbe, ni l'auréole, ni le livre ne le distinguent spécialement,
285. — Variétés de l'auréole qui entoure le Fils, 288. — Le Fils en imago dypeata,
290. — Les mains du Fils rayonnantes ,293. — Le Fils portant le nimbe frappé d'un
monogramme, 29/i. — La croix est l'allribut caractéristique du Fils, 395. — Stig-
mates aux pieds , couronne d'épines à la tête , le livre à la main et couvert de légendes ,
296. — Les colombes du Saint-Esprit entourent le Christ, 297. — Apothéose du Fils ,
TABLE DES MATIÈRES. . 613
2gg. — Le Fils en ange, 3oo. — Le Fils en enfant tout nu, 3oi. — Le Fils foulant le
lion et le dragon, l'aspic et le basilic, 3o3. — Le Fils écrasant la Mort, 3o5. — Le Fils
revenant au ciel, 3o6. — L'art français est vulgaire, et l'art italien élevé, Sog. — Le
Fils béni parle Père,3io. — Le Fils en archevêque , 3 1 1 . — Le Fils triomphant clans
le ciel , 3 1 3. — Le Fils à cheval entre les anges , 3 1 Zi. — Le Christ sur un char entre
les personnages de l'Ancien et du Nouveau Testament, 3i5. — Triomphe du Christ,
022. — Le Fils en agneau , 324- — Agneau de Dieu indiqué ou porté par saint Jean-
Baptiste, 327. — Agneau divin tombant dans la réalité, 328. — Agneau de Dieu en
bélier, 33 1. — Le Christ et les apôtres sous la forme de l'agneau, 333. — Personnages
de l'Ancien Testament en agneaux, 335. — Condamnation de la représentation de
l'agneau, 338. — Agneau apocalyptique, Sào. — Agneau à sept cornes et sept yeux,
34o. — Le nombre des cornes et des yeux varie, 34 1- — L'agneau est figuré malgré
la défense du concile Quini-Sexte, 3^2. — Jésus en bon pasteur, 344- — Le bon pas-
teur, qui n'est pas un motif païen, est d'invention chrétienne, 346. — Jésus en lion,
348. — L'agneau, le lion et la croix sont les trois uniques symboles du Christ, 34g-
— Différence entre un symbole et une figure , 349. — Jésus est figuré par le poisson ,
35 1. — Exemples de la forme du poisson attribuée au Christ dans les monuments,
352. — Exemples tirés des textes, 354. — Jésus est figuré mais non symbolisé par le
poisson, 359. — Le poisson n'est jamais nimbé, 359. — L'image du poisson ne s'ap-
plique pas toujours à Jésus , 36o. — Sur les tombeaux , l'image du poisson indique un
pêcheur, 36 1. — Les figures gravées sur les monuments funéraires désignent la condi-
tion , la profession , le sexe ou le nom du mort ,362. — Très-souvent le poisson n'est pas
même la figure du Christ, et encore moins son symbole, 369. — Les objets d'orne-
mentalion sont de pures arabesques, et ne paraissent pas symboliques, Syo. — Les ex-
plications allégoriques sont presque toujours fausses, 373. — La croix, symbole du
Christ, 375. — Histoire du bois de la croix, 376. — La croix, c'est le Crucifié, 377.
— Figures de la croix dans l'Ancien Testament , 378. — Louanges à la croix, 38o.
— Culte de la croix, 38 1. — Croix en tau ou sans sommet, 382. — Croix à quatre
branches, 382. — Croix grecque, 383. — Croix latine, 384. — Les croix grecques
et latines sont communes d'abord à l'Orient et à l'Occident, 384- — Lacroix à branches
inégales appartient spécialement aux Latins , 385. — La croix à branches égales pré-
domine en Orient, 385. — Le plan des églises s'ordonne sur la croix grecque, en
Orient, sur la croix latine, en Occident, 386. — Plan des églises d'Angleterre en
croix à double traverse , 388. — La croix à double traverse est spécialement orientale,
389. — Croix à triple traverse , insigne de la papauté , 392. — Croix de passion ou pati-
bulaire et croix de résurrection , 893. — Croix héraldique, 395. — Croix accompagnée
de monogrammes , SgG. — Croix accompagnée d'animaux , 398. — Croix couronnées,
399. — Croix auréolée et cantonnée des évangiles, 399. — Croix grecques en mono-
grammes du Christ, 4oi. — Croix grecques et latines en monogrammes, 4o3. —
Croix mystiques, 4o5. — Croix diverses, 4o8. — Croix habitée, 4 10. — Signe de
la croix, 4i3. — Bénédiction réservée à Dieu et à ses délégués, 4i4- — Bénédiction
grecque, 4i5. — Bénédiction latine, 4 16. — Bénédiction sacerdolale et épiscopale.
()I^ TABLE DES MATIERES.
/il 7. — Forme du signe de la croix, 417. — Explication mystique du signe de la
croix, 4 18. — Couleur de la croix, ^20. — Couleur verte de la croix historique ,
421. — Couleur éclatante de la croix idéale, hii. — Exaltation de la croix, ^2 3. —
Triomphe de la croix, 426.
I.E SAINT-F.SPRIT.
Définition, 427. — Le Père, Dieu de la force, 427. — Le Fils, Dieu de l'amour, 429. —
L'Esprit, Dieu de l'amour en théologie, mais Dieu de l'intelligence en histoire, 43o.
— Confusion dans les attributions des personnes divines, 43o. — L'intelligence revient
définitivement à l'Esprit, 43 1. — Invocation à l'Esprit pour s'éclairer, 43 1. — Les dons
de l'Esprit se rapportent à l'intelligence, 434- — Par l'Écriture sainte, paria légende,
par l'histoire, par l'art de France, d'Allemagne, d'Italie, de Grèce, on prouve que
l'Esprit est le Dieu de la raison, 435. — L'Esprit tenant en main le livre, emblème
de l'intelligence, 445. — Culte de l'Esprit, supérieur à celui du Père, inférieur à celui
du Fils, 447. — Monuments dédiés à l'Esprit, 448. — Office du Saint-Esprit, 45o.
— Manifestation de l'Esprit dans l'Ancien Testament, 45i. — Dans le Nouveau, 453.
— Dans la légende et l'histoire, 454- — Dans la pure légende, 456. — Dans les
œuvres d'art, 457. — Apparition de l'Esprit à Grégoire le Grand et à divers saints,
458. — L'Esprit dirige les rois, 46o. — Apparition de l'Esprit au sacre de Clovis et
des autres rois de France, 462. — L'Esprit en oiseau, pour désigner la vitesse, 463.
— Les ailes, attribut de la promptitude, 463. — Ailes aux êtres allégoriques, qui
désignent la rapidité chez les païens comme chez les chrétiens , 464- — Jeunesse ailée,
465. — L'Eghse en oiseau, 467. — Le pape en oiseau, 468. — L'Esprit en oiseau ou
en colombe, dans l'histoire et la légende, 470. — L'âme en colombe, 471. — Cou-
leur blanche et lumineuse de la colombe divine, 473. — L'Esprit du mal est noir,
476. — L'Esprit du mal à ailes de chauve-souris, 478. — L'Esprit en homme, avant
J'an mil, 479. — Exemple du x' siècle, 48o. — Exemple du xii', 48i. — Interrup-
tion, au xiii' siècle, de la représentalion de l'Esprit en homme, 48 1. — On y revient
aux xv" et \\\\ 48 1 . — Homme , l'Esprit prend tous les âges , depuis l'enfance jusqu'à la
vieillesse ; exemples divers , 482. — L'Esprit se montre tard et rarement sous forme hu-
maine, et disparaît de bonne heure; sous forme de colombe, il traverse tous les siècles,
A85. — On devrait, de nos jours, donner à l'Esprit la forme humaine, 485. — Pro-
priétés de l'Esprit, 486. — Les sept dons de l'Esprit sous forme de sept colombes ,
A87. — Ordre des dons de l'Esprit, 489. — Cet ordre accuse l'état moral de la société,
li^o- — Les sept dons disposés horizontalement, verticalement , circulairement, 493.
— Disposition des sept dons dans l'Apocalypse, 494- — L'Esprit de crainte au som-
met d'une arcade, 496. — L'Esprit de sagesse en tête d'un cercle, 497- — L'Esprit
d'intelligence devrait être à la place d'honneur, 497. — A Chartres, six Esprits au lieu de
sept, 499. — Abailard, comme la cathédrale de Chartres, supprime l'Esprit de crainte,
5oo. — ■ Les sept colombes de l'Esprit se voient auréolées et nimbées, 5oi. — Une
des colombes, le don par excellence, porte quelquefois le nimbe crucifère, 5o2. —
Ailleurs, les sept colombes sont égales, avec ou sans nimbe, 5o2. — Les sept co-
TABLE DES MATIERES. 615
lombes sont lumineuses et petites, 5o3. — La colombe du Saint-Espril est souvent
sans nimbe; moyen de la reconnaître, boU- — H faut distinguer un oiseau ordinaire
de la colombe divine, 5o5. — La Vierge entourée, comme Jésus, de sept colombes,
5o5. — L'Esprit jouant avec Marie, 5oG. — Jusqu'au \° siècle, l'Esprit ne se voit qu'en
colombe, 507. — Du \f au xiv°, il est bomme et colombe, Soy. — Du xiv' au xvi°,
l'Esprit en bomme porte quelquefois sa colombe symbolique, 5o8. — A l'apparition
de la scolaslique, la figure humaine est donnée à l'Esprit, Sog. — L'Esprit subit la
physionomie du Fils et du Père, 5io. — Le nimbe de l'Esprit suit les variétés du
nimbe des deux autres personnes divines, 5ii. — L'Esprit prend l'auréole, 5 12. —
L'art représente souvent l'Esprit, 5i3. — L'Esprit oublié quelquefois, 5i5. — L'Es-
prit remplacé par le Père, 5i6. — L'Esprit supprimé, 517. — L'Esprit déconsidéré,
519. — Hérésies contre le Saint-Esprit, 620.
LA TRINITE.
Les païens ont entrevu le dogme de la Trinité, 52^. — La mythologie et la philosophie
antique se sont préoccupées de la Trinité, 52/i- — Propriétés du nombre trois, 52 5.
— Ces propriétés encore admises de nos jours, 526. — Le christianisme proclame la
divinité du nombre trois, 527. — Définition des trois personnes divines, 528. — Dé-
finition parles Pères de l'Eglise et les théologiens, 529. — Attribution de la puis-
sance au Père, de l'intelligence au Fils, de l'amour à l'Esprit, 532. — Cette allribu
tion ne convient qu'aux personnes divines considérées tliéologiquement et dans leurs
relations entre elles, 533. — Historiquement, et dans leurs relations avec les hommes,
le Père est puissance, le Fils amour, l'Esprit intelligence, 534- — Le Père dait avoir
le globe, le Fils la croix, l'Esprit le livre, 535. — La Trinité n'apparaît pas dans
l'Ancien Testament, 536. — Violences faites aux textes, 537. — Le Nouveau Testa-
ment montre et nomme la Trinité, 5Ai- — L'âme humaine, image de la Trinité,
543. — Trinité malfaisante, 544- — Trinité du temps, 545. — Trois est un nombre
sacré, 548. — Le symbolisme du nombre trois vu où il n'est pas, 549. — Fête de la
Trinité inférieure aux fèies du Fils et de l'Esprit, 55i. — Les trinilaires et les monu-
ments en l'honneur de la Trinité , 552 . — La Trinité figurée dans le plan et le nombre
des constructions, 552. — La Sagesse, mère de la Trinité morale, 556. — Abondance
des groupes de la Trinité, 557. — Dans les huit premiers siècles chrotiens, ébauches
de Trinités, 558. — Alors le Père est représenté par une main, le Fils par l'agneau
ou la croix, l'Esprit par la colombe, 558. — Trinité mise en action par le roi de Perse,
• Chosroès, 56o. — Du ix' siècle au xif, Trinité anlhropomorphique, 563. — Trinité
géométrique et en triangle, 565. — Au xiii", les types antérieurs se multiplient et se
perfectionnent, 566. — Les trois personnes adhèrent l'une à l'autre et finissent pai
se souder, 567. — Trinité géométrique en cercles, 568. — Michel-Auge porte cette
Trinité sur une bague, 571. — Du xv" siècle au xvi°, mélange de tous les types, 572.
— Triangle inscrit dans un cercle, 574- — Adhérence et soudure des trois télés snr un
seul corps , 575. — Trinité d'Abailard ,576. — Erreur de Mabillon , 577. — La renais-
616 TABLE DES MATIÈRES.
sance affectionne la Trinité anthropomorphique , 679. — Les trois têtes se soudent , se
pénètrent, s'absorbent de plus en plus, 679. — Monstruosité, 58o. — La Trinité dans
le sein de Marie, 682. — Condamnation des Trinités ayant la forme d'un bomme à
trois têtes, 583. — Exemple unique d'une de ces Trinités en Grèce, 58/j. — Absence
d'attributs à la Trinité, quand on figure l'égalité des personnes, 585. — Légères diffé-
rences dans l'égalité, 586. — Caractères nombreux, lorsqu'on veut faire ressortir la
distinction des personnes, 587. — Groupement des personnes tendant de plus en plus
au rapprocbement , 588. — Au xiv° siècle, contact des personnes; au x\\ soudure et
pénétration, 589. — Au xvf, absorption, 590. — Disposition des personnes entre elles,
691 . — Différences et erreurs à cet égard, 5g 1. — Procession du Saint-Esprit, 592. —
Absence de procession de l'Esprit, 592. — Nimbe et auréole à la Trinité comme à
chacune des trois personnes divines, 595. — Nimbe triangulaire unique pour les trois
têtes, 595. — Tiare, couronne impériale, couronne royale sur la tête de la Trinité,
596. — Coiffures des trois personnes, 597. — Globe aux mains de la Trinité, 597.
— Costume de la Trinité , 600. — Livre avec inscriptions aux mains de la Trinité ,
601. — Pieds de la Trinité nus et quelquefois chaussés, 6o3. — Rectifications, 6o5.
DESSINS.
DE LA GLOIRE.
Planches. Pages.
1. — Nimbe circulaire, ourlé d'une légende, enveloppant la tête de Charlemagne.
Vitrail allemand de la cathédrale de Strasbourg, xii* et xiv' siècles 26
2. — Auréole elliptique encadrant Jésus-Christ, qui monte au ciel; le Christ porte
le nimbe crucifère. Miniature italienne. Bibliothèque royale, xiv° siècle • 27
3. — Nimbe circulaire, surmonté de deux tiges d'héliotrope, autour de la tête de
saint Jean évangéliste. Vitrail français du xii' siècle, dans l'abbatiale de Saint-
Remi de Reims . 32
k. — Nimbe triangulaire et rayonnant à Dieu le Père. Fresque grecque du mont
Athos , xvii' siècle 33
5. — Nimbe carré à saint Grégoire IV. Mosaïque de Rome, dans l'église Saint-
Marc , ix^ siècle 34
6. — Nimbe crucifère aux trois personnes divines. Miniature française de la fin
du xiii" siècle, à la Bibliothèque royale 35
7. — Nimbe à rayons inégaux et non bordé d'une circonférence. Miniature fran-
çaise du XV f siècle, à la Bibliothèque royale 36
8. — Nimbe croisé de trois pinceaux lumineux, et débordant la circonférence. Mi-
niature romaine du ix° siècle, à la Bibliothèque royale 37
9. — Apollon nimbé et coiffé de sept rayons. Sculpture romaine d'époque incertaine. 38
TABLE DES MATIÈRES. 617
Planclies, Pages.
1 0. — Nimbe frangé de quatorze rayons. Pierre gravée , abraxas des premiers siècles
chrétiens Sg
11. — Nimbe divin aux trois personnes de la Trinité. Miniature française de la fin
du xiii" siècle, à la Bibliothèque royale Ui
12. — Nimbe crucifère, rayonnant et ondulé, à Maya, déesse hindoue. Sculpture
hindoue - kU
13. — Nimbe eroi.sé et recroisé à l'agneau de Dieu. Sculpture italienne du x' siècle. A6
14. — Nimbe divin à croisillons surhaussés. Fresque française du xi' siècle /jy
15. — Nimbe divin grec, crucifère, à croisillons marqués de ô âv. Fresque des Mé-
téores, en Thessalie, du xiv' siècle 48
16. — Nimbe uni à Jésus-Christ moulant au ciel dans une auréole ciixulaire. Sculp-
ture italienne sur bois, xiv" siècle 5o
17. — Nimbe uni et non crucifère à Jésus imberbe. Fresque des catacombes de
Rome , premiers siècles chrétiens 53
18. — Absence de nimbe à Jésus imberbe. Sculpture des sarcophages du Vatican,
premiers siècles chrétiens 54
19. — Nimbe crucifère sur un personnage, représentant de Dieu. Miniature latine
du x" siècle, à la Bibliothèque royale. . . 55
20. — Nimbe crucifère à la main divine. Miniature latine du ix" siècle, à la Biblio-
thèque royale 56
21. — Nimbe bitriangulaire au Père; le lîls à nimbe circulaire ; l'Esprit sans
nimbe et dans une auréole. Fresque du mont Athos, xvii" siècle 57
22. — Nimbe au Père en losange, à côtés concaves. Miniature italienne du xiv' siècle,
à la Bibliothèque royale , 66
23. — Nimbe non crucifère à l'agneau de Dieu, mais marqué du monogramme
nominal et du monogramme symbolique. Sculpture des anciens sarcophages
du Vatican, premiers siècles chrétiens 68
24. — Nimbe uni à saint Jean-Baptiste. Fresque du mont Hymette , wn' siècle. . . 72
25. — Nimbe circulaire, décoré d'ornements et ourlé d'une légende, à l'empereur
Henri le Boiteux. Vitrail de la cathédrale de Strasbourg , xii° etxiv' siècles ... 77
26. — Nimbe carré ou des vivants , au pape Pascal. Mosaïque de Sainte-Cécile
de Rome , ix" siècle 70
27. — Nimbe en rouleau et rectangulaire à un évêque vivant. Miniature italienne
du ix' siècle 82
28. — Nimbe carré à Charlemagne et au pape Léon III, circulaire à saint Pierre.
Mosaïque romaine du ix" siècle 83
29. — La statue de la Liberté, décorée d'un nimbe circulaire. Sculpture de la ca-
thédrale de Chartres, xiii' siècle 86
30. — Nimbe circulaire à la lune. Sculpture païenne , âge incertain 88
31. — Nimbe en roue au soleil coiffé de sept rayons. Sculpture étrusque, âge
incertain *. 88
INSTRUCTIONS. II. 78
618 TABLE DES MATIÈRES.
Planches. Pages.
32. — Absence de nimbe à Dieu imberbe. Sculpture des sarcophages du Vatican ,
premiers siècles chrétiens i oo
33. — Nimbe en casquette. Sculpture en bois, du xvi° siècle, dans la cathédrale
d'Amiens i o4
5k. — Jésus nimbé de trois aigrettes rayonnantes. Minature du xvi° siècle, à la
Bibliothèque royale . . i o5
35. — Nimbe en perspective à saint Pierre. Peinture romaine à l'huile, xvi' siècle. 107
AURÉOLE.
36. — Auréole en quatre-feuilles, enveloppant le Christ apocalyptique. Fresque du
xii" siècle, dans la cathédrale d'Auxerre 111
37. — Auréole onduleuse, à trois lobes intersectés. Miniature française du x" siècle,
à la Bibliothèque royale 1 1 3
38. — Auréole circulaire , rayonnante dans le champ et divisée en carrés symbo-
liques. Fresque grecque, dans l'ile de Salamine, xviii' siècle. . ^ , . .i 1 1 7
39. — Auréole enroue. Vitrail français du xii° siècle, dans la cathédrale de Chartres. 119
40. — Auréole elliptique et formée de rinceaux. Miniature française du xiii'' siècle,
à la bibliothèque de l'Arsenal 1 23
ti\. — Auréole ovale, intersectée par une autre auréole ovale, toutes deux enve-
loppant Marie. Minialure latine du x" siècle, à la Bibliothèque royale 126
42. — Nuée en auréole elliptique, enveloppant l'âme de saint Martin. Vitrail fran-
çais du xiii'' siècle, dans la cathédrale de Chartres 128
43. — Auréole flamboyante, entourant Marie, qui tient Jésus. Miniature française
du xvi' siècle, à la bibliothèque Sainte-Geneviève. i3i.
GLOIRE.
44. — Large nimbe , espèce d'auréole, autour de Mercure. Sculpture païenne , âge
incertain , 1 36
45. — Nimbe en pyramide flamboyante, sur la tête d'un roi persan. Minialure per-
sane, à la Bibliothèque royale 1 Sy
46. — Nimbe circulaire à Satan. Miniature française du x° siècle, à la Bibliothèque
royale 1 63
47. — Bêle à sept têles, nimbée. Miniature italienne du xif siècle, à la Bibliothèque
royale i65
DIEU.
DIEU LE PÈRE.
48. — Le Créateur en Jésus-Christ, non en Père. Ivoire romain du xii" siècle. . . 178
TABLE DES MATIÈRES. 619
Planches. Pjg"-
49. — Le Tout-Puissant en Fils, non en Père. Fresque grecque, dans l'île de Sa-
lamine, xviii' siècle 181
50. — La Sagesse en Fils, non en Père. Miniature latine du xi^ ou xii' siècle, dans
la bibliothèque du palais Saint-Pierre, à Lyon i85
51. — Le Père en Dieu des combats. Miniature italienne, fin du xii° siècle, à la
Bibliothèque royale 191
52. — Main divine, rayonnante, sans nimbe, bénissant à la grecque. Miniature
grecque du x^ siècle, à la Bibliothèque royale 208
53. — Main divine, sans rayons, sans nimbe, et non bénissante. Miniature latine du
x" siècle, à la Bibliothèque royale 210
54. — Main divine bénissant à la manière latine, enfermée dans un nimbe cruci-
fère. Sculpture italienne du xii" siècle , à la cathédrale de Ferrare 212
55. — Main divine dans une auréole ou nimbe circulaire en couronne. Mosaïque
latine du ix' siècle, à Sanla-Maria-Nova . 2i3
56. — Main divine emportant au ciel les âmes des justes. Fresque grecque du
xviii' siècle, dans l'île de Salamine 216
57. — Figure du Père sous les traits de son Fils. Miniature française du xiv' siècle,
à la Bibliothèque royale 217
58. — Dieu imberbe, Père ou Fils, bénissant à la manière latine. Miniature fran-
çaise du xi" siècle , à la bibliothèque de Beauvais 219
59. — Père et Fils à figure identique. Miniature française du xiif siècle, à la bi-
bliothèque de Chartres 220
60. — Père peu distinct du Fils. Miniature française , fin du xiii" siècle, à la Bi-
bliothèque royale 221
61. — Père distinct du Fils et du Saint-Esprit Miniature française, du xiv' siècle ,
à la Bibliothèque Sainte-Geneviève , . 228
62. — Père entièrement distinct, créateur, vieillard habillé en pape. Vitrail français
du xvi^ siècle, à Sainte-Madelaine de Troyes 224
63. — Père en pape, en tiare à cinq couronnes, et à nimbe uni. Vitrail français,
fin du xvi' siècle, à Saint-Martin-ès- Vignes de Troyes ... 282
64. — NomdeJéhovah dans le triangle rayonnant. Sculpture en bois, du xvn' siècle,
à Hautvillers (Marne) r . 2S7
DIEU LE FILS.
65. — Le Fils en créateur des anges. Miniature italienne, fin du xui^ siècle, à la
Bibliothèque royale , 2 46
66. — Jésus imberbe et sans nimbe. Sculpture romaine des anciens sarcophages,
iv° siècle 2 56
67. — Jésus en souverain juge et en tiare à une couronne, enfermé dans une au-
réole elliptique. Fresque du Campo-Santo de Pise , xiv" siècle 268
78.
620 TABLE DES MATIÈRES.
Planches. Pages
68. — Chrlsl souffrant, barbu, humain ou laid. Ivoire latin du xf siècle, à la Bi-
bliothèque royale , 276
69. — Christ triomphant, bénissant à la manière latine, imberbe, divin ou beau,
dans une auréole elliptique. Ivoire latin du xi" siècle, à la Bibliothèque royale. 279
70. — Christ barbu, tenté par Satan. Miniature française du xif siècle, à la Bi-
bliothèque royale 283
71. — Jésus dans le sein de Marie et enfermé dans une auréole elliptique flam-
boyante. Vitrail français du xvi" siècle, dans l'église de Jouy (Marne) 287
72. — Jésus imberbe, en ange, bénissant à la grecque , enfermé dans une auréole
polylriangulaire. Peinture grecque sur bois, xv" siècle, au Megaspilœon, en
Achaïe , » , . 289
73. — Jésus en imago clypeata. Sceau en argent du mont Alhos 291
7k. — Marie glorifiée comme son fils, entourée d'une auréole elliptique. Fresque
italienne du Campo-Sanlo de Pise, xiv° siècle 298
75. — Le Verbe en enfant tout nu, à nimbe crucifère. Miniature française du
xiv" siècle, à la bibliothèque Sainte-Geneviève. 3o2
76. — Jésus imberbe, à nimbe orné non crucifère, foulant l'aspic, le basilic, le
lion et le dragon. Ivoire italien du x" siècle, au musée du Vatican 3o/i
77. — Jésus imberbe, à nimbe crucifère, terrassant la Mort enchaînée. Miniature
allemande du xi" siècle, à la Bibliothèque royale 3o6
78. — Le Christ barbu, à nimbe crucifère, revenant de son pèlerinage, béni à la
manière latine parle Père et l'Esprit. Miniature française du xiv" siècle, à la
Bibliothèque royale 307
79. — Le Christ barbu et nu, montrant ses plaies saignantes au Père, qui le bénit
à la manière latine. Miniature italienne du xiv' siècle, à la Bibliothèque royale. 3 10
80. — Jésus en grand archevêque, barbu, à longs cheveux, à couronne impériale,
à nimbe crucifère avec o djv, bénissant à la grecque. Fresque grecque d'une
église d'Athènes , xvi' siècle 3 1 2
81. — Jésus à cheval, nimbe crucifère à la tête, verge de fer en main. Fresque
française du xii° siècle, dans la cathédrale d'Auxerre. 3i 5
82. — Agneau de Dieu à nimbe crucifère. Cuivre gravé, xi° siècle, dans le musée
du Sommerard 326
83. — Agneau de Dieu sans nimbe, tenu par saint Jean -Baptiste, enfermé dans
une auréole circulaire. Sculpture du xiii'' siècle, à la cathédrale de Chartres. 328
84. — Agiieau de Dieu sans auréole, portant un nimbe crucifère, tenu par saint
Jean-Baptiste. Miniature française du xiv° siècle, à la bibliothèque Sainte-
Geneviève , 329
85. — Agneau de Dieu en bélier. Sculpture française de la cathédrale de Troyes,
fin du xiii" siècle 332
86. — Le Christ et les apôtres sous forme d'agneaux ou de brebis. Sculpture la-
tine des sarcophages du Vatican, premiers siècles chrétiens 333
TABLE DES iMATIÈRES. 621
Planches. Pa^es.
87. — Agneaux et brebis représenlanl des scènes de l'Ancien et du Nouveau Tes-
tamenl. Sculpture latine du tombeau de Junius Bassus, dans le musée du
Vatican, iv' siècle 33--
88. — Agneau de Dieu apocalyptique, à sept yeux et sept cornes. Miniature fran-
çaise du xiii" siècle, à la bibliothèque de l'Arsenal 34o
89. — Jésus imberbe et sans nimbe , en bon pasteur. Fresque des catacombes de
Rome, premiers siècles 346
90. — Tombe d'un épicier ou vendeur d'huile. Sculpture latine des premiers
siècles chrétiens 363
91. — Tombe d'un architecte. Sculpture des premiers siècles de l'Église. ...... 364
92. — Berger en bon pasteur. Sculpture latine des anciens sarcophages chrétiens. 364
93. — Poissons et attributs divers sur les tombeaux des premiers chrétiens. Sculp-
ture et peinture des catacombes de Rome 367
94. — Tombe d'un vigneron. Sculpture des catacombes de Rome SyS
95. — Croix en plan d'église grecque. Gravure française, sur cire, vif siècle. . . 386
96. — Croix grecque à double travers.e. Sculpture d'Athènes, xf siècle 390
97. — Croix résurrectionnelle. Miniature française du xiii" siècle , à la Biblio-
thèque royale 3q4
98. — Croix grecque en croix de Lorraine. Sculpture du mont Athos, premiers
siècles de l'Eglise 3q6
99. — Croix grecque à double traverse, nattée, adorée par deux paonsr Sculpture
d'Athènes , xi" siècle 3q8
100. — Croix cantonnée des quatre évangiles et dans une auréole circulaire.
Fresque des catacombes de Rome, premiers siècles 4oo
101. — Croix diverses de forme grecque. Sculpture des anciens sarcophages,
premiers siècles de l'Eglise 4oi
102. — Croix grecque ou étoile, à six branches égales. Sculpture de saint Démé-
trius, à Salonique, iv" siècle 402
103. — Croix grecque à six branches inégales. Sculpture de saint Démétrius, à
Salonique, iv^ siècle 4o2
104. — Diverses croix de forme latine et de forme grecque. Monuments des cata-
combes , premiers siècles 4o3
105. — Croix formée du monogramme du Christ. Sculpture des catacombes,
premiers siècles 4o4
106. — Croix mystique. Pierre gravée dans les premiers siècles de l'Eglise 4o5
107. — Croix gemmée et constellée, dans une auréole circulaire. Mosaïque du
vi° siècle, à Saint-Apollinaire de Ravenne 407
108. — Diverses croix de forme latine et grecque. Monuments français de dilîé-
renles époques 4o8
109. — Croix habitée. Gravure florentine du xv" siècle 4io
522 TABLE DES MATIÈRES.
LE SAINT- ESPRn>
Planches. p^^^^
1 10. — Esprit d'intelligence, planant sur David. Miniature grecque du x" siècle. ^43
111. — Saint-Esprit en Dieu de l'intelligence. Miniature française du xiv' siècle,
à la Bibliothèque royale ^^g
112. — Esprit en colombe et porté sur les eaux. Miniature française du xv* siècle,
à la bibliothèque de l'Arsenal ^52
113. — Esprit en homme de trente ans. Sculpture française du xvi' siècle, dans
la cathédrale d'Amiens ^5g
\\k. — Esprit en colombe, inspirant saint Grégoire le Grand. Sculpture française
en pierre, à la cathédrale de Chartres, xiii' siècle 45n
115. — Esprit en colombe sur un étendard. Miniature française du xiv' sièi.le, à
la Bibliothèque royale ^6 1
11(). — Trois paires d'ailes à un ange. Peinture italienne, sur bois, xv' siècle. . . 463
117. — Trois paires d'ailes ocellées, ou tétramorphe grec porté par des roues ailées
et enflammées. Mosaïque bysantine du xiii' siècle, au mont Athos à6à
118. — La Jeunesse ailée. Miniature française du xiv' siècle, à la bibliothèque
Sainte-Geneviève , ^66
119. — L'Eglise en colombe à six ailes. Miniature franco-germaine du xi° siècle,
à la bibliothèque de Strasbourg , 468
120. — Esprit du mal, noir. Miniature franco-germaine du xi" siècle, à la biblio-
thèque de Strasbourg l^n-j
121. — Esprit du mal, en moucheron, à ailes de chauve-souris. Miniature iran-
çaise du xvi° siècle, à la bibliothèque Sainte-Geneviève 4-78
122. — Esprit en enfant et porté sur les eaux. Miniature française du xiv' siècle,
à la Bibliothèque royale 482
123. — Esprit en enfant de huit ans, dans les bras du Père, portant en nimbe
trois pinceaux lumineux. Miniature française du xvi' siècle, à la bibliothèque
Sainte-Geneviève 483
124. — Les sept dons de l'Esprit en sept colombes sans nimbe, entourant Jésus
et Marie. Miniature française du xiv' siècle , à la Bibliothèque royale 488
125. — Les six colombes de l'Esprit, au lieu de sept, nimbe uni à la tête, corps
dans une auréole circulaire , tournées vers Jésus en imago clypeata. Vitrail
français du xiii' siècle, à la cathédrale de Chartres 499
126. — Esprit en homme, et portant sa colombe symbolique sur la main gauche.
Sculpture française du xvi" siècle, à Verrières (Aube). 5o8
127. — Esprit en colombe, à nimbe crucifère, planant au-dessus des eaux. Mi-
niature française du xiv* siècle , à la Bibliothèque royale 5 1 1
128. — Colombe divine dans une auréole rayonnante. Miniature française du
xv' siècle , à la Bibliothèque royale 5i2
TABLE DES MATIÈRES. 623
Planches. Pago».
129. — Colombe divine, à nimbe croisé, planant entre les eaux. Vitrail du
xm" siècle, dans la cathédrale d'Auxerre 5i 5
130. — Esprit en colombe, à la tête de la croix, sans nimbe, sans rayons cruci-
formes, sans auréole, sans gloire. Sculpture sur bois , commencement du
xv" siècle, dans l'église de Saint-Riquier (Somme) . 620
TRINITE.
131. — Créateur aidé d'un ange. Miniature italienne du \nf siècle, à la Biblio-
thèque royale 533
132. — Figure de la Trinité, combattant Béhémoth et Léviathan. Miniature iia-
lienne du xiii' siècle , à la Bibliothèque royale 5Ao
133. — Trinité au baptême de Jésus. Sculpture italienne sur bois, xiv° siècle. . . 5/j2
134. — Trinité diabolique. Miniature française du xiii" siècle, à la Bibliothèque
royale 544
135. — Trinité du mal absolu. Miniature française du xv" siècle, à la Bibliothèque
royale 545
136. — Trinité allégorique du temps à trois faces. Miniature française du xiv' siècle,
à la bibliothèque de l'Arsenal 547
137. — Trinité en trois personnes humaines, identiques, mais séparées, portant
le nimbe uni. Miniature du xii^ siècle, à la bibliothèque de Strasbourg 565
138. — Les trois personnes divines soudées l'une à l'autre, deux seulement étant
visibles. Miniature espagnole du xiif siècle, à la Bibliothèque royale 56-
139. — Trinité géométrique sous la forme de trois cercles entrelacés. Miniature
française , fin du xiii" siècle , à la bibliothèque de Chartres 569
140. — Triplicité divine en triangle, inscrite dans l'unité en cercle. Gravure alle-
mande du XVI* siècle 574
141 . — Trinité à trois visages sur une seule tête et sur un seul corps. Gravure fran-
çaise du xvi" siècle 575
142. — Trois visages divins à deux yeux et un seul corps. Miniature française du
xvi" siècle, à la Bibliothèque royale . . 58o
143. — Les trois personnes divines distinctes; le Père et le Fils en pape, l'Esprit
en colombe. Miniature française du xvf siècle , à la bibliothèque Sainte-
Geneviève 586
144. — Esprit procédant du Père et du Fils, et descendant du premier sur le
second. Miniature française du xiif siècle, à la Bibliothèque royale 592
145. — Esprit procédant du Père et du Fils, et remontant du Fils au Père. Minia-
ture française du xii" siècle, à la bibholhèque de Troyes DgS
146. — Esprit ne procédant ni du Père ni du Fils. Gravure française sur bois,
xvi' siècle 594
62i TABLE DES MATIÈRES.
Planches.
1^7. — Les trois létes divines, inégales d'âge, dans un triangle unique. Gravure
iloreiitine du xv' siècle 5q6
U8. — Trinité en un seul Dieu et tenant le monde. Fresque du Campo-Santo de
Pise , xiv' siècle 5q8
149. — Trinité en un seul Dieu , tenant le compas et la balance. Miniature italienne
du xiii^ siècle, à la Bibliothèque royale 600
150. — Trinité sous la forme de trois hommes à nimbe crucifère, entourée d'une
auréole flamboyante. Miniature française du xv' siècle, à la Bibliothèque
royale 60/i
FIN DE LA TABLE DES MATIERES.
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