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Full text of "Idée sur les romans"

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I 



2:: 3 cf— 7 — 



qjr j^cjys 



1 



IDÉE 



SUR 



LES ROMANS 



JUSTIFICATION DES TIRAGES 



DE LUXE 



I Exemplaire imprimé sur p^ier bUu. . . 

4 Exemplaires imprimés sur parchemin . . . 
10 » » sur papier du Japon. 

20 » » sur papier de Chine. 

é$ » » sur papier Whatman. 



HUflUNI. 

I 

2 à $ 

6 à zs 

16 à 35 

36 à zoo 



IDÉE 
SUR LES ROMANS 

PAR D. A. F. DE SADE 

VUBLIÉB 



AVEC PREFACE, NOTES ET DOCUMENTS INÉDITS 



PAR 



OCTAVE UZANNE 




PARIS 

UBRAIRIE ANCIENNE ET MODERNE 

EDOUARD ROUVEYRE 

I, rue des Saints-Pères, i 

1878 



LETTRE A L'ÉDITEUR 



Mon cher Monsœur, 

JE vous adresse aujourd'hui, avec prière 
d'en prendre connaissance et de me 
donner votre avis, un petit ouvrage oublié, 
aussisobrementtraité que curieuxà plus d'un 
titre, d'une érudition aimable qui glisse mais 
qui n'appuie point, d'une allure aisée et sim* 
pie, nullement pédagogique ou ennuyeuse. 

Je vous prie de lire cette bagatelle honnête 
et intéressante qui a pour titre : Idée sur les 
Romans^ et tout en vous faisant part des im- 
pressions favorables qui m'ont conduit au 
projet fort légitime de vous en proposer la 
publication, je ne crains pas de vous affirmer 
que vous ne sauriez vous eflSrayer outre me- 
sure de rînfemale réputation de son auteur. 

Certes, le nom seul de de Sade est un 



VI Lettre a l'éditeur 

terrible épouvantail, aussi bien pour les 
esprits timorés que pour les âmes vigoureu- 
sement trempées qu'ont pu souiller en pas- 
sant ses monstrueuses doctrines; les ouvi:ages 
infâmes de ce rêveur de meurtres ont été 
sagement mis à l'index et poursuivis comme 
portant atteinte aux bonnes mœurs natu- 
relles, et des stigmates d'ignominie^resteront 
à jamais fixés aux révoltantes productions 
qui portent sa signature. — Il faut enfermer 
le poison, circonscrire la peste et condamner 
au feu, selon la loi de Lynch, les livres in- 
cendiaires qui anéantissent pour toujours la 
virginité du cœur. 

Est-ce là, cependant, une raison suffi- 
sante pour abandonner l'aimable opuscule 
que j e voudrais voir remettre au j our ? Assuré- 
ment non — : Dans la fange sadique, nous 
découvrons une brochure décente, d'un inté- 
rêt indiscutable , qui forme le plus étrange 
contraste avec l'originalité même de son 
auteur ; nous comptons oflSrir aux curieux ce 
léger traité, moins indigeste et mieux con- 



r > 



Lettre a l'éditeur vu 

duit assurément qu'une foule de dissertations 
sur l'origine des Romans où le savoir est 
délayé en plusieurs tomes. Rien de plus lo- 
gique. Nous n'avons, croyez-moi, à re- 
douter que la censure des sots et des mé- 
chants, qui guettent d'un commun accord 
à l'affût du scandale, car le public restreint, 
délicat et instruit auquel nous nous adres- 
sons ne se montrera jamais assez mal inten- 
tionné pour supposer un seul instant que 
nous puissions spéculer sur l'immoralité 
d'un écrivain. 

Vous hésitez encore ; j'essaie de vous con- 
vaincre ; le glaive de Thémis ne se trans- 
forme qu'à bon droit en épée de Damoclès, 
et, si, pour vous persuader, il ne vous faut 
qu'un complice, je serai celui-là. Du Con- 
seil à la Préface, il n'y avait qu'un pas; je 
le franchis sans crainte et je vous tends la 
main. 



Octave Uzanne. 



Paris, i«» Août 1878, 







PRÉFACE 



SUR 



L'ŒUVRE DE I>. A. F. DE SADE 



Le scélérat a ses verras, comme 
rhomiète homme a ses faiblesses. 

CbODERLOS de LâCLOS. 

IL existe, nous en convenons, en littérature 
des Liaisons dangereuses, et il faut une cer- 
taine hardiesse pour associer son nom à celui 
d'un homme avili par lui-même et justement 
méprisé du public. Nous ne ferons pas ici 
un plaidoyer en faveur de de Sade dont nous 
serions plm volontiers V accusateur qu^V avocat, 
mais nous estimons commeune défaillance, lors- 
que le but est honorable, de conserver V anonyme 



X PRéPACB 

dans un travail purement Bibliographique. . et 
consciencieux. Ce n'est assurément pas sans une 
légitime pudeur que nous entreprenons cette pré- 
face; mais il faut avouer que le Bibliographe est 
— qu'on nous passe le mot — une manière de 
chiffonnier, qui doit remuer souvent bien des intr 
mondices. — Devant d'informes amas où 
fermente le vice, les uns reculent avec effroi^ 
tandis que d'autres plus audacieux, plus cou- 
rageux, moins petits-maîtres, si l'on veut, 
s'approchent avec circonspection et prudence et, 
guidés par cette noble conviction d'être utiles à 
tous, se mettent bravement et patiemment à 
fouiller l'orde matière avec la bonne foi d'un 
Parent'Duchatelet . Nous osons, une fois 
par hasard, pousser nos investigations dans le 
Montfaucon littéraire où grouillent pile- 
mile tant d'œuvres monstrueuses et sangui- 
naires; puissions nous au moins réunir ici, 
une fois pour toutes, des documents suffisants 
à l'incessante curiosité des lettrés. 

« T^es Barrières placées devant un préci- 
pice avertissent le voyageur des périls qui le 



PstfPACB tX 

menacent, — icrit à propos de de Sade, l'hon- 
nête libraire Pigoreau, * — que ne peut'On 
de même prémunir la jeunesse contre les danr- 
gers auquels elle s'expose en touchant les ou-' 
vrages enfantés par le libertinage et Vimmo- 
r alité ! Nommer le Marquis de Sade, c'est 
souiller l'imagination, c'est rappeler les hor- 
reurs de sa vie privée et les crimes à la pu^ 
nition desquels il n'échappa que par le respect 
qu'on avait pour sa famille et par l'argent 
versé à pleines mains. » 

La meilleure barrière à placer devant une 
œwvre, c'est sa propre Bibliographie, qui, tout 
en indiquant, prévient. — La Bibliographie 
peut, à elle seule, plutôt éteindre que vivifier 
les impérieux désirs des mauvaises lectures; 
elle désigne l'infamie, tout en proclamant le 
châtiment; elle détaille et justie, mais elle 
flétrit et flagelle ; elle enseigne les détours 
savants du labyrinthe, mais elle en conspue le 
Dédale ; et, dans la concision froide et régulière 

^ Petite Bibliographie Biographico-Romancière, 
Paris, Pigoreau, z voU in'8»,p. 3 op. 






XII Préface"- 

de sa forme scientifique, elle est plus utile que 

nuisible, car elle ne s'adresse qu'aux esprits ■- 

mûrs et cultivés dont le jugement est .•'! 

inattaquable. l 

Nous resterons donc dans le Domaine Œiblio- !j 

graphique de notre sujet, et si nous avons à £ 

parler du joli Marquis et de sa vie, nous ne J 

le ferons qu'avec toute la retenue à laquelle f 

un tel homme a droit. j 



// 



La généalogie du Marquis de Sade est digne 
d'être placée sous les yeux des lecteurs, qui 
jugeront ainsi, mieux que jamais, de quel 
opprobre on doit recouvrir le misérable dont 
les forfaits, succédant à tant de vertus, désho- 
norèrent la glorieuse race d'honnêtes gens qui 
n'ont que la honte d'avoir été ses aïeux. 

Le mari de la belle Laure, de la fille d'Au- 
dibert de Noves, de la Laure de Pétrarque, se 
nommait Hugim de Sade. — Paul de Sade, 
l'un de ses fils, devint Evêque de Marseille et 



Préface xiii 

donna des preuves d'une fervente et admirable 
charité. — Jean de Sade, neveu du dit ivéque, 
fut un docte jurisconsulte que Louis II, roi 
d'Anjou, nomma premier président du premier 
parlement de Provence, tandis que son frère 
Eléa^iar de Sade, grand échanson de Vanti' 
pape Benoit XIII, rendait à l'empereur Si' 
gismond de si éminents services qu'il lui fut 
permis d'ajouter l'aigle impériah aux armes 
de sa famille, — Pierre de Sade fut le 
premier viguier triennal de Marseille, de ij6y 
à is68, et nous trouvons à la même époque 
un savant et digne évêque de Cavaillon, Jean 
Baptiste de Sade qui est auteur de Réflexions 
chrétiennes sur les devoirs pénitentiaux, — 
En 1761, Joseph de Sade, chevalier de Malte, 
mourait maréchal de camp, et son fils, Hip- 
polyte de Sade, se distinguait plus tard par sa 
bravoure au combat d'Ouessant, en 1778, et 
devait mourir, troisième chef d'escadre, en 
pleine mer, vers 1788. — François-Paul de 
Sade, ci-devant abbé d'Uxeuil, fut ce charmant 
et spirituel écrivain auquel nous devons ces 



2 



XIV Préface 

€xcellents Mémoires sur la vie de François 
Pétrarque, en même temps qu'une traduction 
des œuvres du poète amoureux, et son frère 
aîné, après avoir été ambassadeur en Russie 
puis à Londres, devenait l'allié de la maison 
de Condé par Mademoiselle de Maillé, nièce 
du Cardinal de Richelieu, qui avait épousé le 
Grand Condé. 

Résumons maintenant très brièvement la vie 
du Marquis de Sade, 

— Donatien-Alphonse-François de Sade na- 
quit à Paris, dans la maison même du Grand 
Condé, le 2 juin 1740. — Les premières années 
de son enfance se passèrent en Provence, dans 
cette admirable Geuse parfumée, comme l'ap- 
pelait Godeau ivéque de Grasse, au milieu des 
verts oliviers et des orangers en fleurs. — A dix 
ans, il fut placé au collège Louis-le-Grand, 
ru^ Saint'facques : c'est à ce moment qu'il 
nous est possible de comprendre les affreuses 
dispositions du jeune de Sade : c'était, à cette 
époque, un adorable adolescent dont le visage 
délicieux, pâle et mat y éclairé de deux grands 



Préface xt 

yeux noirs, portait dija cette empreinte îan* 
goureuse du vice qui devait corrompre tout son 
entourage. Il avait ce je ne sais quoi de traînant 
et de caressant dans la parole qui attirait vers 
lui d'une sympathie invincible et cette tour- 
nure bercée sur les hanches, cette grâce mol- 
lement féminine qui lui procurèrent, dis l'in- 
ternat, ces amitiés honteuses sur lesquelles on 
ne saurait insister. 

Au sortir du collège, de Sade entra dans 
les chevau'légers, £où il passa comme sous- 
lieutenant au régiment du roi. — // fit, comme 
capitaine dans un régiment de cavalerie, la 
guerre de Sept ans en Allemagne et, à son 
retour à Paris, il épousa l'une des filles d'un 
président à la Cour des aides. Mademoiselle 
de Montreuil, une ravissante jeune fille aussi 
doua que vertueuse et aussi timide que remplie 
de mérite. 

Nous n'étonnerons personne en annonçant 
que la nouvelle marquise fut la plus malheu" 
reuse des femmes. De Sade n'avait épousé 
Mademoiselle de Montreuil, V aînée, que par 



XVI Préfacb 

ordre paternel ; ses disks ^ pour ne pas dire 
son amour y le portaient vers la sœur cadette, 
n compromit si bien celle-ci ^ après son mariage, 
par ses assiduités déplacées qu'on dût l'en-- 
fermer dans un couvent. 

Mais ne nous arrêtons pas aux divers 
détails d^une vie que nous ne faisons qu'effleurer 
en courant, de peur de nous embourber dans 
la fange marécageuse qui en forme le fond. 
Disons que de Sade, pour s'étourdir et se 
soustraire à la passion incestueuse qui le dé" 
voraity se lança éperdûment dans le libertinage 
le plus effréné, laissant sa pauvre compagne 
plongée dans l'isolement et dans les larmes. 

C'est ici que nous voyons ce monstre, relégué 
en Provence, au Château de la Coste, par ordre 
supérieur ^ commettre ce crime fameux qui lui 
valut un procès raconté en détail par un savant 
Bibliophile, puis enlever sa propre belle-sœur 
qu'il avait su gagner à ses supplications amou- 
reuses et sinistres. Tlus tard, nous le retrou- 
vons dans V affaire de Rose Keller, quifitins- 
truire contre lui un nouveau procès, dont la 



PRéFACB XVII 

procédure fui arrêtée par ordre du roi, par 
égard pour sa malheureuse famille. 

Conduit h la prison de Pierre-Encise, à 
Lyon , de Sade obtint sa grâce après six 
semaines de réclusion. 

Jusqu'alors ce fanfaron du vice avait pra- 
tiqué les plus honteuses débauches ; il voulut 
faire mieux, il se mit à en aborder la théorie 
et à écrire, selon son mot, ses pensées et ses 
souvenirs : 

« Dans ce débordement de pages licencieuses, 
comment commencer et par où finir ^ s* écrie le 
bon Jules Janin, qui rédigea sur le Marquis 
de Sade, une longue et curieuse étude, comment 
faire cette analyse de sang et de boue? 
comment soulever tous ces meurtres? où sommes^ 
nous? ce ne sont que cadavres sanglants, 
enfants arrachés aux bras de leurs mères, 
jeunes femmes qu'on égorge à la fin d'une or-' 
gie, coupes remplies de sang et de vin, tortures 
inouïes y coups de bâtons ^ flagellations horribles. 
On allume des chaudières^ on dresse des che^ 
valets, on brise des crânes, on dépouille des 



XVIII . Préface 

hommes de leur peau fumante; on crie, on 
jure, on blasphème, on se mord, on i arrache 
le cœur de la poitrine, et cela pendant douT^e ou 
quin:ie volumes sans fin ; et cela, à chaque 
pagCy à chaque ligne, toujours, — ohl quel 
infatigable scélérat I Dans son premier livre, 
(Justine) il nous montre une pauvre fille aux 
abois, perdue, abîmée, accablée de coupSy con- 
duite par des monstres de souterrains en souter- 
rains, de cimetières en cimetières, battue, brisée, 
dévorée à mort, fiétrie, écrasée. — // n'a pas de 
cesse qu'il n'ait accumulé dans ce premier ouvrage 
toutes les infamies, toutes les tortures :. Celui 
qui oserait calculer ce qtCil faudrait de sang 
et d'or à cet homme, pour satisfaire un seul 
de ses rêves frénétiques serait déjà un grand 
criminel. — On frémit rien qu'à s'en sou- 
venir. Le tremblement vous saisit rien qiià 
ouvrir ces pages ; puis, quand l'auteur est à 
bout de crimes, quand il est là haletant sur 
les cadavres qu'il a poignardés et violés, 
quand il n'y a pas une église qu'il n'ait souil- 
lée, pas un enfant qu'il n'ait immolé à sa 



PRiFACE XIX 

rage, pas une pensée morale sur laquelle il 
n'ait jeté les immondices de sa pensée et de 
sa parole, cet homme s'arrête enfin ; il se re- 
garde, il se sourit à lui mime, il ne se fait 
pas peur. Au contraire, le voilà qui se 
complaît dans son œuvre, et comme il trouve 
qu'à son œuvre, toute abominable qu'il l'a 
faite, il manque encore quelque chose, voilà 
ce damné qui s'amuse à illustrer son livre, 
qui dessine sa pensée et qui accompagne 
de gravures dignes de ce livre, ce livre digne 
de ces gravures : et de tout ula il résulte 
le plus épouvantable monument de la dégra- 
' dation et de la folie humaines, devant lequel 
mêtne la vieille Rome, à son moment de déca- 
dence et de luxel à l'heure où les Romains 
jetaient leurs esclaves aux poissons de leurs 
viviers, aurait reculé frappée de honte et 
d'effroi. » 

Que pourrions-nous ajouter à ces pages 
vives et éloquentes de l'auteur de L'âne mort ? 
que dirions nous qui puisse mieux peindre 
l'orgie sacrilège de Justine, ou de Lsl Phi- 



XX Préface 

losophîe dans le boudoir, si ce n'est que les 
héros de Sade :Bressac, Dolntancé, Cœur^de-fer, 
l'instituteur Rodin et autres sont des monstres 
dignes de faire pâlir les Tibère, les Néron 
ouïes Borgia; que ses héroïnes y femmes ou 
filles, proxénètes ou trihades, ont une bassesse 
orgueilleuse dans laquelle elles semblent se 
faire gloire de se vautrer superbement, et que 
ut homme abject qui fit mouvoir ces pantins 
grotesques trouve, pour les faire parler, des 
sentiments d'un étonnant cynisme tout en sachant 
mettre dans la voix de la vertu qui lutte 
et succotnbe des notes émues, vibrantes, dé- 
chirantes, dont le contraste brutal plonge dans 
le plus bi:(arre étonnement. 

Les théories de Sade ont la valeur d'un 
paradoxe m délire; il prétend peindre le vice 
tel qu'il existe, et toutes ses doctrines semblent 
condensées dans cette merveilleuse épigraphe : 

On n'est pas criminel pour faire la peinture, 
Des bizarres penchants qu'inspire la nature. 

Mais revenons au précis biographique du 



Préface xxi 

Marquis ou plutôt du Comte de Sodé que 
nous avons hâte de conduire à Charenton^comme 
il en fut digne. — Enfermé au donjon de Vin- 
cennes,en 1772 oueni77J,pouruncorgiedans 
une maison suspecte, notre libertin fut trans" 
porté à la Bastille oit il se trouvait encore 
le 17 mars 1790, jour où parut le décret 
de r Assembla Constituante qui rendait la 
liberté à tous les prisonniers enfermés par 
lettres de cachet. — Pendant la Révolution et 
la Terreur, le Citoyen Sade devient populaire ; 
il est fait, sur sa réputation, secrétaire de la 
Société des Piques, puis, par un brusque re- . 
virement populaire, accusé d'être suspect, il est 
emprisonné aux Madelonnettes. 

Nous le rencontrons de nouveau sous le Di- 
rectoire, toujours ferme, toujours vaillant à 
mal faire, toujours sur la brèche du liberti-^ 
nage ; il écrit à cette époque Zoloé et ses 
deux Acolytes, pamphlet aussi indécent que 
violent dirigé contre foséphine de Beauharnais, 
alors épouse du premier consul, et contre Mes- 
dames Tallien et Visconti; — bien plus, il en 



«" Préface 

fait tirer ; exemplaires à part sur fort papier 
vélin et a la hardiesse de les adresser aux 
Cinq Directeurs. — Bonaparte devenu Em-- 
pereur se souvint de Voutrage qui lui avait 
été fait ; il envoya au préfet de police V ordre 
défaire enfermer dans la maison de Cha- 
renton, le nommé Sade, fou dangereux. et 
incurable. — Dans une de ses comédies, de 
Sade émettait cette pensée philosophique : 

Tous les hommes sont fous, il faut, pour n'en point voir. 
S'enfermer dans sa chambre et briser son miroir. 

Cette fois-ci, Sade put contempler la folie 
humaine à son aise, car il ne devait pas sortir 
de Charenton; il eut beau adresser des sup- 
pliques au citoyen ministre de la police, pro- 
tester en toutes occasions de son innocence, ce 
vétéran de la prison, devait y mourir. — Il 
expira le 2 décembre 18 14, doucement, sans 
secousse, sans infirmité. — Notons ici un 
rapport intéressant d'un savant disciple de 
Gall, sur la tête même du marquis. 

« Ce crâne mis à nu, ressemblait à tous 
les crânes de vieillards; c'était un mélange 



PuiFACK XXIU 

singulier de vices et de vertus, de bienfait 
sance et de crimes, de haine et d'amour; cette 
tête, que fai sous les yeux, est petite, bien 
conformée; on la prendrait au premier abord 
pour la tête d'une femme, d'autant plus que 
les organes de la tendresse maternelle et de 
l'amour des enfants y sont aussi saillants que 
sur la tête d'HUotse, ce modèle de tendresse et 
d'amour. » 

De Sade laissait un testament * dont voici 
le dernier paragraphe : 

« Je défends que mon corps soit ouvert sous 
quelque prétexte que ce puisse être. Je demande 
avec la plus vive instance qu'il soit gardé qua- 
rante-huit heures dans la chambre où je décé- 
derai, placé dans une bière de bois qui ne sera 
clouée qu'au bout des quarante-huit heures 
prescrites ci dessus, à l'expiration desquelles la 
dite bière sera clouée; pendant cet intervalle, 
il sera envoyé un exprès au sieur Lenormand, 

* Ce testament a été retrouvé à Charenton après 
la mort de de Sade* Ces dernières volontés ont été 
publiées pour la première fois dans Le Livre, par 
J, Janin, in^S; 1870, p, 2g i. 



XXIV Préface 

marchand de bois, boulevard de VEgalité, 
ff loi, à Versailles, pour le prier de venir 
lui-même, suivi d'une charette, chercher mon 
corps pour &re transporté, sous son escorte, au 
bois de ma terre de la Malmaison, commune 
de Mancé, prés d'Epernon, où je veux qu'il 
soit placé, sans aucune espèce de cérémonie, 
dans le premier taillis fourré qui se trouve à 
droite dans le dit bois, en y entrant du côté de 
l'ancien château par la grande allée qui le 
partage. La fosse sera pratiquée dans ce taillis 
par le fermier de la Malmaison, sous l'inspec- 
tion de M^ Lenormand, qui ne quittera mon 
corps qu'après l'avoir placé dans la dite fosse; 
il pourra se faire accompagner dans cette céré- 
monie, s'il le veut, par ceux de mes parents ou 
amis, qui, sans aucune espèce d'appareil, auront 
bien voulu me donner cette dernière marque 
d'attachement. La fosse une fois recouverte^ il 
sera semé dessus des glands^ afin que par la 
suite, le terrain de la dite fosse se trouvant 
regarni et le taillis se trouvant fourré comme 
il l'était auparavant, les traces de ma tombe 



PSÉFACE XXV 

disparaissent de dessus la surface de la terre. 
Comme je me flatte que ma mémoire s'effacera 
de l'esprit des hommes. 

« Fait à CharentOfi'Saint'Maurice, en état 
de raison et de santé, le }0 janvier 1806. 

« Signé: 

« D. A. F. Sade. » 



Nous n'avons abordé la biographie de de 

Sade qu'avec la constante préoccupation d'ar- 
river à son œuvre. L'homme a été sacrifié, nous 
n'avons guère mieux parlé de lui que ne l'eAt 
fait un dictionnaire biographique; nous nepou" 
vions cependant embrasser l'œuvre d'un écri- 
vain sans côtoyer son existence, et, dans cette 
terrible confection é^ une préface, écrasé entre la 
couverture et le texte même d'un ouvrage, on a 
toujours à craindre la voix anxieuse de l'édi- 
teur qui vous crie le : Ne quid nimis de 

Térence, alors mime que, le plus souvent, les 

3 



XXVI Préface 

documents se pressent sous la plume. Devenons 
donc, si vous le voulez bien, le froid nomencla- 
teur des ouvrages du citoyen comte et marquis 
de Sade. 



III 

Nous diviserons la bibliographie du Mar- 
quis de Sade en deux parties : les productions 
dramatiques et les romans. Nous traiterons 
cette partie avec toute la froideur et la conci- 
sion d'un catalogue. Commençons d'abord par 
les œuvres théâtrales : 

i" Oxtiem ou les Malheurs du liberti- 
nage, dram^ en } actes et en prose, par D. A. 
F. S. Versailles, Blai^t, an VIIIj in-S** de 
48 p. \ 

(Voyex^ le Catalogue de la Bibliothèque 
dramatique de M. de Soleinne, tf 2J42. 



* Oxtiern fut joué avec succès sur le théâtre de 
Molière dans les premiers jours de novembre lygi 
et repris à Versailles le i3 décembre 1799» 



pRiFACB XXVII 

M. P. L. Jacob, Bibliophile, y a joint une note 
intéressante), 

2"" Julia ou le Mariage sans femme,/a//«- 
vaudeville en i acte. 

(Manuscrit attribué à d^ Sade. Catalogue 
Soleinne., m" jSj^.) 

f Le Misanthrope par amour ou Sophie 
et Desfrancs, comédie en / actes et en vers. 
Reçue d'une voix unanime au Théâtre-Fran^ 
çais, en 1790, et qui valut à l'auteur ses 
entrées pendant cinq ans". 

4^ L'Homme dangereux ou le Subor- 
neur, comédie en 1 acte et en vers de dix syl- 
labes. Reçue au Théâtre Favart en 1790. Cette 
pièce n'a jamais été imprimée. 

j*' La France f...... comédie lubrique et 

royaliste, tf ^796 (1796), in-S^ Cette pièce 
figure au Catalogue Soleinne **. 



* Cette comédie n'a jamais été imprimée ; voye:(> 
à la fin de cette préface, la lettre inédite qui y fait 
allusion. 

** Le savant rédacteur du Catalogue Soleinne, 
M. Paul Lacroix, attribue cette pièce à de Sade. 
La lecture de certaines notes qui y fif^urent pourrait 



XXVIII Préface 

6^ L'Epreuve, comédie en i acte et en vers. 
1782 (Pièce saisie par la police) . 

7** L'Ecole du jaloux; Le Boudoir. Reçue 
m j 7^1 au Théâtre Favart. 

8^ Cléontine ou la Fille malheureuse, 
drame en j actes et en prose. 17^2 ?. 

La Biographie universelle de Michaud cite 
encore plusieurs pièces manuscrites de de 
Sade : Le Prévaricateur ou le Magistrat du 
temps passé ; Le Capricieux ou l'Homme 
inégal, pièce recule au Théâtre Louvois et re- 
tirée par V auteur; Les Jumelles, 2 actes et 
en vers; Les Antiquaires, i acte et en prose. 
— 4 drames : Henriette et Saint-Clair ou 
la Force du sang ; L'Egarement de l'infor- 
tune; Franchise et Trahison; Fanny ou 
les Eflfets du désespoir. Nous renvoyons les 
curieux à la longue nomenclature ff oeuvres 
inédites publiée par la Biographie Michaud. 

seule nous en convaincre. « LorsquHl s'agit du bien, 
est-il dit dans un passage, qu'importe comment on 
Vopère. N'ave^-vous jamais pris de poison pour 
vous guérir ?» La France f..... a paru dans les 
catalogues Saint-Mauris, Baillet, Leber (n* Soi 6) 
et Pixéricourt, vente de i83g, p. 368. 



Pr^FACB XXIX 

Dans la Revue anecdotique, tome X (Nou- 
velle Série, tome I), i86q, p. toi à io6, 
on trouvera des notes très curieuses sur les 
pièces jouées par de Sade à Charenton ainsi 
qu'une lettre inédite adressée à M** Cochelet 
sur le spectacle du 2j mai 1810. On y voit 
non-seulement quel était le programme de cette 
fête, mais encore le chiffre et les noms des per- 
sonnages qui composaient l'assistance. 

ROMANS ET AUTRES ŒUVRES 

1° Justine ou. les Malheurs de la vertu*, 
en Hollande, che:(^ les Libraires associés, 1791, 

* Le Marquis de Sade s'est toujours défendu 
d'être Vauteur de Justine. Non-seulement ses lettres 
adressées de prison au préfet de police et ses pro^ 
testations dans l'ouvrage que nous réimprimons le 
prouvent, mais nous citerons encore ce passage d'une 
lettre inédite de de Sade, qui s'est trouvée vendue 
en 1861 (vente de M, Font.,».) cette lettre est datée 
du 24 fructidor ijgS ? 

tt // circule dans Paris, y est-il dit, un ouvrage 
informe ayant pour titre : Justine ou les Malheurs 
de la vertu ; plus de deux ans auparavant j'avais 
fait paraître un roman de moi intitulé; Aline et 
Valcour ou le Roman philosophique. Malheureux 
sèment pour moi, il a plu à Vexécrable auteur de 



3nCX PRéPACE 

2 vol in-8^ de28jet i^i p. Frontispice par 
Chéry. Cette édition est mentionnée au Cata- 
logue de Tixérécourtj nf 12 }^. 

2*» Justine, etc., m Hollande, 17^1. Mmr 
pression en 2 vol., dans le format in'i2, de 
rédition qui précède. Le frontispice est réduit et 
gravé par Texier. On trouve quelquefois cette 
édition ornée de 12 figures libres avec encadre- 
ments de têtes de mort, chaînes et instruments 
de supplice. (Voye^ Cohen : Guide de TAma- 
/ teur de Livres à figures^ 1876, col. 4)7). 

y Justine, etc., à Londres (Paris, Cazin), 
17^2, 2 vol. in-ié de jjy et 288 p. Joli fron- 
tispice d'après Chéry et s figures libres non 
signées. Cet ouvrage est le plus licencieux qui 
soit sorti des presses clandestines de Cazin. 
(Voye^ : Cazin, sa Vie et ses Editions, par 
un Cazinophile, i.voL in-i6, Reims 1876 
Taris, Ed. Rouvre, p. ij8). 

Justine (?) de me voler une situation, mais qu'il a 
obscenisée, luxuriosée de la plus dégoûtante ma- 
nière. Il n^en a pas fallu davantage pour faire dire 
à mes ennemis que ces deux ouvrages m'apparte- 
naient. 

Signé : De SADE. 



■ g. - W 



Préface xxxi 

4^ Justine, etc., ^'^ édition (^'~) corrigée 
et augmentée, à Philadelphie, 17^4, 2 vol. 
in-i8y ornée de 8 gravures libres dont un 
frontispice allégorique non signé. Cette édition 
est précédée d'un avis de l'éditeur et d'une dé- 
dicace a A ma bonne Amie »; elle est d'une 
exécution comparativement très belle; le papier 
est légèrement bleuté. 

j^ Justine, etc. y à Londres {Paris)^ 1797, 
4 vol. in- 18 avec 6 figures, augmenté d^ épi- 
sodes nouveaux et exécuté avec un luxe typo- 
graphique inusité à cette époque. (Voye^ : 
Quérard, France littéraire.) 

é'' Justine, etc., en Hollande, 1800, 4 vol. 
in-i8 de i}6, 136, 134 et i}2 p., 12 figures 
libres dont 4 charmants frontispices. Cette édi- 
tion n'est que la contrefaçon de V édition Ca:^n, 

1792. 

7^ Juliette ou la Suite de Justine, i'* édi- 
tion, S. £., 1796, in-8'*. [yoye:^ : Barbier, 
Dict. des Anonymes, tf 9127.^ 

8^ La Nouvelle Justine ou les Malheurs 
de la vertu, stnvi de /'Histoire de Juliette, 



XXXII Préface 

sa sœur, ou les Prospérités du vice, Hol- 
lande (^Taris, Bertrandet?\ i797y lo vol. 
in-i8y dont 4 de Justine et 6 de Juliette. Oth 
vrage orné d'un frontispice et de 100 sujets 
gravés avec soin. B existe plusieurs éditions 
sous la rubrique de Hollande et sous la mime 
date; les réimpressions modernes exécutées en 
Belgique conservent également le mime titre et 
la mime date. La Nouvelle Justine est la troi- 
sième rédaction de cet exécrable ouvrage. On 
doit trouver à la fin du tome VI l'indication 
au relieur contenant l'ordre des gravures *. 
Les mimes gravures se rencontrent lithographiées 
ou modifiées presque au trait. (FoyeT^ : Cohen 
et l'excellent Catalogue des ouvrages con- 
damnés, rédigé par Fernand Drujon^ Taris, 
Ed.Rouveyre, 1878, in-8^,p. 21 j-) 

f Justine ou les Malheurs de la vertu 
(attribué à Rabari) avec préface par le Marquis 
de Sade. Paris, Olivier, Impr. Maltesse^ 

* M, B., Bibliophile à Paris, possède 9 selon le 
guide Cohen, tous les dessins originaux de Justine, 
plus un dessin inédit et dou^çe dessins originaux de 
Juliette. 



Préface xxxiii 

18} j^ 2 vol. in'8% et, également, Paris, che:^ 
Bordeaux, éditeur. Hôtel Bullion, i8}6y 
2 vol. in-8'*. Cet ouvrage n'est qu'une éhontée 
spéculation qui ne rappelle que par le titre le 
roman de de Sade. Le mot Préface est im- 
primé très fin et une longue épigraphe sur la 
prospérité du crime accapare une grande place 
au milieu de la couverture. Un arrêt de la 
Cour d'assises ordonna la destruction du livre 
et condamna l'auteur (?) à six mois de prison 
et },ooo francs d^ amende (Moniteur du 
26 juin i8}6). 

10^ Lettre sur le Roman intitulé : « Jus- 
tine ou les Malheurs de la vertu », par 
Charles Villiers. Paris, 18'ji. Plaquette 
curieuse. 

îî"* Justine und Juliette, oder die Gefah- 
ren der Tugend und die Wonne des Las- 
ters, etc. y Leip^^ig, Cari Mind, 1874. Cette 
traduction allemande ne donne qu'un abrégé de 
V œuvre de Sade avec des appréciations intéres- 
santés. 

12^ En fructidor an VII, Prévost, directeur 



XXXIV Préface 

du Théâtre sans prétention, fit annoncer une 
pièce intitulée : Justine ou les Malheurs de la 
vertu; la police interdit la représentation, 

ly L' Anti-Justine ou les Délices de 
l'amour, par M. Linguet, avocat au et en Par- 
lement (Restif de la Bretonne). Au Palais- 
Royal, che:^ feu la veuve Girouard, 1798. 
(Voye^ : Bibliographie de Restif de la Bretonne, 
par P. L. Jacob, Bibliophile. T?aris, 187 j, 
p. 41} et suivantes.) 

14" La Philosophie dans le boudoir ou 
les Instituteurs libertins, Dialogue. Ouvrage 
(prétendu) posthume de l'auteur de Justine. A 
Londres (Paris), aux dépens de la Compagnie, 
179 S y 2 vol. in'i8de 2^0 et 216 p., orné d'un 
frontispice et de 4 figures libres. Cette édition a 
été plusieurs fois contrefaite de nos jours, en 
Belgique, sous la même rubrique et la mime 
date. (Voye^i le Catalogue d'une Petite Bi- 
bliothèque erotique qui se distribua à Bru- 
xelles.) On voit cette épigraphe sur le titre de 
ces réimpressions : La mère en prescrira la 
lecture à sa âlIe. 



PitlÎFACB XXXV 

ly La Philosophie dans le boudoir, 
Londres (Paris), 1830, 2 vol. in- 18 avec 
10 lithographies obscènes. Des photographies 
asse^^ mal exécutées remplacent les lithogra-^ 
phies dans certains exemplaires de cette édition. 

lé*" Aline et Valcour ou le Roman phi- 
losophique, écrit à la Bastille un an avant 
la Révolution, />ar fc Citoyen 5... *, Paris, 
Girouard, Libraire^ 179}. 8 vol. pet. in'i2, 
et Paris, Maradan, 1795, 8 parties in-i8 
avec figures et le frontispice renouvelé. On nous 
dit avoir vu des exemplaires sous la mime date 
publiés par M^ veuve Girouard, sans le nom 
du citoyen Sade, et précédés d'une épigraphe de 
sept vers latins empruntés à Lucrèce. Il parut 
plus tard deux copies abrégées d'Aline et Val- 
cour sous les titres de : Valmor et Lydia ou 



* Aline et Valcour /«/ condamné par arrêt de la 
Cour Royale en date du ig mai j8i5,Vqye^ Cata- 
logue des ouvrages condamné, p. i3. Un ouvrage 
anglais publié à Londres en i8jy : Index librorum 
prohibitorum, par Pisanus Fraxi (pseudonyme), 
donne des détails sur Aline et Valcour et sur un om- 
vrage inédit de Sade dont le manuscrit est cheif un 
amateur Parisien. 



XXXVI Préface 

Voyage autour du monde de deux amants 
qui se cherchent, Taris, Pigoreau ou Leroux, 
an Vil, } vol. in'i2 ; et Alzonde et Kora- 
din, Paris, Cercoux et Moutardier, 17pp. 
2 vol. iît'iS. (Foye^i à la fin de /'Idée sur les 
Romans la note de Sade relative à ces ro^ 
mans.) 

if La Marquise de Ganges, Taris, Pi- 
chet, î8i}, 2 vol. in'i2. Roman ennuyeux et 
sombre attribué au Marquis de Sade. 

18'' Pauline et Belval ou les Victimes 
d'un amour criminel, anecdote parisienne 
du xvm* siècle, Paris, an VI {1798), j vol. 
in'i2; et Paris, 18 17, 2 vol in-12 avec 
figures. Ce roman ne nous est connu que par 
V attribution à de Sade qu'en a faite Pigoreau 
dans sa Petite Bibliographie romancière. 

If L'Etourdi, Lampsaque, 1784, 2 vol. 
in-i8. Cette mauvaise production a été attri^ 
buée au Marquis par M. Paul Lacroix, dans 
une note qui accompagne l'annonce d'un exem- 
plaire de cet ouvrage, au Bulletin du Biblio- 
phile {i8s7, p. iS})' 



PklÎFACE XXXVII 

2(f Les Crimes de l'Amour ou le Délire 
des passions; Nouvelles héroïques et tra- 
giques, précédé d'une Idée sur les Romans 
et orné de gravures, par D. A. F. Sade, 
auteur d'Aline et Valcour. A Paris, che:^ 
Massé, an VIIL 2 voL in-S^* et 4volAn-i2. 

21^ L'Auteur des Crimes de l'amour à 
Villeterque, folliculaire. Paris , Massé, an IX, 
în-i2 de i^ p. — Libelle violent et grossier 
en réponse à une critique très fondée des Crimes 
de l'Amour, faite par Villeterque dans le 
Journal de Paris en 1800. 

22° Zoloé et ses deux acolythes ou 
Qiielques Décades de la vie de trois jolies 
femmes. Histoire véritable du siècle dernier, 
par un contemporain, A Turin {Paris), che^ 
tous les marchands de nouveautés. De l'Impri- 
merie de l'auteur. Thermidor, an VIII, in-12 . 
Frontispice gravé non signé. 

Cet ouvrage satirique et obscène est dirigé 
contre Joséphine de Beauharnais, épouse de ®a- 

♦ L'exemplaire in-S* de M, Solar, dans une 
demi-reliure, a été adjugé 45 fr. à sa vente en 1860, 



XXXVIII Préface 

naparte, et M^ Tallien et Visconti. L^ fron- 
tispice représente ces trois héroïnes, qui, dans 
ce Roman, sont peintes sous les noms de Lau- 
réda, de Volsange et de Zoloé. Ce fut sur le 
rapport qu'on lui fit de ce libelle que Bona- 
parte, premier consul, donna l'ordre d'enfermer 
à jamais, comme fou furieux, le citoyen Sade 
à Charenton. 

2f Couplets chantés à Son Eminence 
le Cardinal Mauiy, le 6 octobre 1812, à la 
maison de santé près de Charenton. Ces cou- 
plets ont été transcrits dans la Revue rétro- 
spective. Sade les avait mis sous le nom des 
recluses de la maison. 

ÉTUDES SUR LE MARQUIS DE SADE 

I* Un article de M. fuies fanin, inséré dans 
la Revue de Paris, 18 34, p. }2i à 360, 
sous le titre : Le Marquis de Sade, a été re- 
produit dans les Catacombes (6 vol. in-i8) 
et donné plus tard en abrégé dans Le Livre. 
^-8", 1870. 



w^mm 



PRéPACB XXXIX 

2** Le long et savant article de M. Paul 
Lacroix, La Vérité sur les deux procès 
criminels du Marquis de Sade, parut en 
premier lieu dans la Revue de Paris, iS}'/, 
p. 13 j à 144. n forme l'un des 12 fascicules 
in-S^ parus chez Techener, de 18 j8 à 1847, 
sous le titre général de : Dissertations sur 
quelques points curieux de l'Histoire et de 
l'Histoire littéraire, par le Bibliophile Jacob. 
Cette notice^ enfin, a été imprimée définiti- 
vement dans la Nouvelle Bibliothèque de 
poche (Curiosités de l'Histoire de France, 
2' série : Les Procès célèbres. T?aris, 18 j8, 
in- 12, p. 22s). 

y Une publication biblùh-biographique tris 
mal exécutée réunit les études de MM. J. fa- 
nin et T. Lacroix, sous le titre Le Marquis 
de Sade, Paris, che^i les Marchands de nou- 
veautés, i8}4 (Jausse date évidemment, car, 
à cette époque, l'article de M. Lacroix n'était 
pas encore écrit), i vol. in'i2 carré de VIII 
et 62 p., précédé d^un médaillon fantaisiste de 
de Sade provenant de la collection de M. de 



XL Préface 

La Tarte. Disons à ce propos qu'on m connaît 
aucun portrait authentique du Marquis. Un 
autre portrait, dans un entourage de démons, 
nous présente Sade avec un visage jeune. 
Cette gravure ridicule accuse la provenance de 
la collection de M. H..,, de Taris. Ce por- 
trait est aussi faux que les autres. 

4^^ Le Marquis de Sade, L'Homme et 
ses écrits. Etude bio-bibliographique. Sado- 
polis, chez Justin Falcourt, à l'enseigne de la 
« Fertu malheureuse », l'an oooo. (Bru- 
xelles, J. Gay, 1866), pet. in-12 de J2 p. 

— Tiré à ijo exemplaires, tous sur vergé 
de Hollande (Attribué à M. G. B., deB.). 

— La destruction de cet ouvrage fut or- 
donnée y pour outrages à la morale pu- 
blique (?) le 7 mai 1874. (Voye:(^ : Cata- 
logue des ouvrages condamnés, p. 24 j.") 
Cet opuscule, tris-bien composé, donne en 
appendice : « le Discours prononcé à la Sec- 
tion des Piques, par Sade, citoyen de cette 
section et membre de la Société populaire. » 

j^ // a paru à Bruxelles vers 1872, un vo- 



Préface xu 



lume sous le titre : Le Marquis de Sade,Zoloé 
et ses deux acolytes^ avec notices biogra- 
phiques et bibliographiques, par un savant 
Bibliophile. Nous n'avons pu nous procurer ce 
volume. 

On trouvera de curieux détails sur Sade 
dans les ouvrages suivants : 

Mémoires secrets de Bachaumont, tome 
VI; — Charles Nodier; Souvenirs, Portraits 
de la Révolution et de l'Empire. Charpentier, 
2 vol.; — Biographie universelle {article 
de Michaud jeune) ; — Biographie générale, 
tome XLII, article signé /. M. r. i.; — Re- 
vue rétrospective, publiée par M, J. Tas- 
chereau; — Lettres de la Marquise du 
Deflfand à Horace Walpoole; — r Histoire 
de TArt pendant la Révolution, par Renou- 
vier; — L'Espion anglais, tome II; — 
Sébastien Mercier, Nouveau Tableau de 
Paris, etc. 

IV 

Nous avons terminé notre aperçu bibliogra- 



xLii Préface 

phique en nous efforçant de ne pas sortir de la 
rigidité du Catalogue. Si nous avons entrepris 
cette manière de préface, c'est en, mettant dehors 
tout esprit critique et toute prétention à une 
œuvre littéraire. Il n'y a que deux façons 
d'aborder un homme comme ce Marquis hon- 
teux: il faut, soit le peindre de pied en cap, en 
disséquant jusqu'aux moindres fibres de son 
itrCy soit abandonner l'homme pour remuer dé- 
daigneusement l'œuvre, essayer de la classer, 
sans commentaires ni étalage d'érudition. 
C'est à ce dernier parti que nous nous sommes 
fixé. 

Nous donnons, à la suite de cet essai, 
quelques lettres inédites dont nous devons la 
communication à MM. François Coppée et 
Georges Monval, archivistes du Théâtre-Fran- 
çais. Ces lettres offrent un intérêt d'autant plus 
vif qu^ elles présentent le Marquis de Sade 
comme un des nombreux auteurs dramatiques 
monomanes. Nous avons pris copie des plus 
originales; les autres ne témoignent que d'une 
obséquiosité et iune platitude étonnantes. 



pRéPACB XLIII 

TarleronS'ftous ici de /Idée sur les Ro- 
mans? Certes, notre devoir s^ trouve quelque 
peu engagé; mais nous sommes si voisin du 
texte original de cet ouvrage, annoté par nous 
de certains éclaircissements nécessaires, nous 
craignons tant de fatiguer le lecteur que nous 
le prions de vouloir bien tourner le feuillet : 
la meilleure critique est moins ulle que Von 
partage que celle qu'on se forme. 

Octave Uzanne. 



LETTRES DE DE SADE 



CONSERVÉES AUX ARCHIVES DE LA COMéDiB-FRANÇAISB 



I 



Messieurs, 

Permettez que j'aie l'honneur de vous rappeler 
sans cesse les sentiments d'estime et d'attachement 
qui, depuis des années, me lient à votre théâtre. 
J'en ai fait profession dans tous les temps, j'ose 
dire même (et les preuves existent) que pour avoir 
pris votre parti avec trop de chaleur lors de vos 
derniers troubles, vos ennemis m'ont écrasé dans 
des papiers publics, sans que jamais rien m'ait 
découragé : la récompense de mon attachement a 
été votre refus du dernier ouvrage que je vous ai 
lu, et qui, j'ose le dire, n'était pas fait pour être 
traité aussi sévèrement. 



XLVi Appendice a la préface 

Quelque chagrin que m'ait fait éprouver ce refus 
formel^ rigoureux et général, je ne vous en con- 
sacre pas moins à l'avenir et ce qui reste dans 
mon portefeuille et ce qui le remplira de nou- 
veau. Mais, Messieurs, permettez que, traité par 
vous si rigoureusement dans Toccasion que je 
viens de citer, j'éprouve au moins et votre indul- 
gence et votre équité sur deux autres objets. 

Vous avez depuis longtemps une pièce à moi, 
unanimement reçue par vous^; dès que j'accepte 
tous les arrangements nouveaux qu'il vous a plu 
de faire avec les auteurs^ je vous demande avec 
instance. Messieurs, de la faire passer le plus tôt 
possible; donnez-moi cet encouragement, je vous 
en supplie : cela doit vous être facile, s'il est vrai, 
ainsi qu'on le dit, que plusieurs auteurs, ne vou- 
lant pas adopter vos arrangements, ayant retiré 
leurs pièces. Moi, je souscris à tout. Messieurs, 
et ne vouis demande que de ne pas me faire lan- 
guir. 

L'autre faveur implorée par moi, Messieurs, parce 
que vous me l'avez promise en dédommagement 
de la mauvaise réception que vous fîtes à ma der- 
nière comédie, consiste à vous prier de vouloir 
bien entendre le plus tôt possible la lecture de 
trois ou quatre ouvrages tous prêts à vous être 
présentés et que je voudrais ne pas donner 
ailleurs. 
Aussitôt que vous aurez bien voulu me faire 



* Le Misanthnpe par amour ou So^it tt Dafratus, rtçae en sep- 
tembre 1790. 



Appendice a la préface xlvii 

savoir le jour qu'il vous plaira de m'accorder, 
j'aurai Thonneur de vous porter celui de quatre, 
que je croirai le plus digne de vous être offert. 

J'ai l'honneur d'être, 

Messieurs, 
Avec les sentiments de la plus haute considération, 

Votre très humble et très 

obéissant serviteur. 

De SADE. 

2 mai 1790. 

II 

Je soussigné déclare que c'est faussement et 

contre ma volonté et mon assentiment que mon 

nom se trouve sur la liste des auteurs qui ont 

délibéré qu'il ne devait être accordé que 700 livres 

de frais par jour à la Comédie française . J'atteste 

n'avoir mis mon nom que sur la liste de ceux qui 

ont signé à la minorité, que par des considérations 

particulières, il devait être accordé huit cents 

livres et viens pour certifier cette façon de penser 

de ma part en adressant une lettre publique à 

Messieurs les auteurs signée de moi et dont je 

distribuerai des copies à Messieurs les comédiens 

français, afin qu'ils soient persuadés de ma façon 

de penser. 

De SADE. 
A Taris, et lundi 17 upumbre 1790, 

III 

J'ai pris connaissance des conditions réglemen- 
taires auxquelles les comédiens français ordinaires 



XLViii Appendice a la préface 

du Roi reçoivent les pièces où ils s'engagent à 
jouer ainsi que de la convention pécuniaire qu'ils 
font à chaque ouvrage. 

Je souscris aux conditions réglementaires et je 
promets de signer le marché pécuniaire si ma 
pièce intitulée La Ruse d'amour ou VUnion des 
arts, pièce en six actes , et en vers prose et vau- 
deville est reçue. 

A Taris, U rj janvier 1792. 

De SADE. 



IV 



Si la Comédie française^ Monsieur, n'agrée point 
l'offre que je lui ai faite d'une petite pièce en un 
acte et que j'ai eu l'honneur de vous envoyer der- 
nièrement, je vous prie de me la renvoyer. Je 
n'imaginais pas qu'il fallut être soumis aux mêmes 
délais pour ce que Von donne que pour ce que 
Von vend. 

En un mot, Monsieur, je vous prie de m'in- 
struire du sort de cette négociation et de me croire 
avec tous les sentiments possibles, 

Votre concitoyen, 

SADE. 

Ce 16 mars 1795, Van 2 de la République, rue Neave-ies t^Cathurins, 
Chaussée d'Antin, n, 20. 



IDÉE 



SUR LES ROMANS 




I 




IDÉE 



SUR LES ROMANS 



ON appelle Roman, l'ouvrage fabu- 
leux composé d'après les plus 
singulières aventures de la vie des hom- 
mes ; 

Mais pourquoi ce genre d'ouvrage porte-t-il 
le nom de Romani 

Che:^ quel peuple devons-nous en chercher la 
source, quels sont les plus célèbres? 

Et quelles sont enfin, les règles qu'il faut 

* Huet donne cette définition plus juste : ce 
que Ton appelle proprement Roman sont des 
histoires feintes d'aventures amoureuses, écrites 
en prose avec art pour le plaisir et Tamusement 
des lecteurs. 



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4 Idée 

suivre pour arriver à la perfection de Vart de 
l'écrire? 

Voilà les trois questions que nous nous 
proposons de traiter; commençons par Té- 
tymologie du mot. 

Rien ne nous apprenant le nom de cette 
composition chez les peuples de l'anti- 
quité, nous ne devons, ce me semble, 
nous attacher qu'à découvrir par quel mo- 
tif elle porta chez nous, celui que nous lui 
donnons encore. 

La langue Romane était comme on le 
sait, un mélange de l'idiome celtique et 
latin, en usage sous les deux premières 
races de nos rois; il est assez raisonnable 
de croire que les ouvrages du genre dont 
nous parlons, composés dans cette langue, 
durent en porter le nom, et l'on dut dire 
une RomanCy pour exprimer l'ouvrage où il 
s'agissait d'aventures amoureuses, comme 
on a dit une Romance pour parler des com- 
plaintes du même genre. En vain cherche- 
rait-on une étymologie différente à ce 
mot; le bon sens n'en offrant aucune 
autre, il paraît simple d'adopter celle-là. 



SUR LES Romans 5 

Passons donc à la seconde question : 

Che:^ quel peuple devons-nous trouver la 
source de ces sortes d'ouvrages , et quels sont 
les plus célèbres? 

L'opinion commune croit la découvrir 
chez les Grecs. Elle passa de là chez les 
Mores, d'où les Espagnols la prirent, pour 
la transmettre ensuite à nos troubadours, 
de qui nos romanciers de chevalerie la 
reçurent. 

Quoique je respecte cette filiation, et 
que je m'y soumette quelquefois, je suis 
loin cependant de l'adopter rigoureuse- 
ment; n'est-elle pas en effet bien difficile^ 
dans dés siècles où lès voyages étaient si 
peu connus, et les communications si in- 
terrompues ; il est des modes, des usages, 
des goûts qui ne se transmettent point; 
inhérens à tous les hommes, ils naissent 
naturellement avec eux : partout où ils 
existent, se retrouvent des traces inévi- 
tables de ces goûts, de ces usages et de 
ces modes. 

N'en doutons point : ce fut dans ces 
contrées qui, les premières reconnurent 



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I 



6 Idée 

des Dieux, que les Romans prirent leur 
^ source, et par conséquent en Egypte, ber- 

ceau certain de tous les cultes. A peine les 
hommes eurent-ils soupçonnés des êtres im- 
mortels, qu'ils les firent agir et parler ; dès 
lors, voilà des métamorphoses, des fables, 
des paraboles, des Romans; en un mot 
voilà des ouvrages de fictions, dès que la 
fiction s'empare de l'esprit des hommes. 
Voilà des livres fabuleux, dès qu'il est 
question de chimères : quand les peuples, 
d'abord guidés par des prêtres, après s'être 
égorgés pour leurs fantastiques divinités, 
s'arment enfin pour leur Roi ou pour leur 
patrie, l'hommage offert à l'héroïsme, ba- 
lance celui de la superstition, non seule- 
ment on met, très sagement alors, les 
, héros à la place des Dieux^ mais on chante 
les enfans de Mars comme on avait célé- 
bré ceux du Ciel; on ajoute aux grandes 
actions de leur vie, ou, las de s'entretenir 
d'eux, on crée des personnages qui leur 
ressemblent... qui les surpassent, et bientôt 
/ de nouveaux Romans paraissent, plus vrai- 
semblables sans 'doute, et bien plus faits 



SUR LES Romans 7 

pour rhomme que ceux qui n'ont célébré 
que des fantômes. Hercule, grand capi- 
taine *, dut vaillament combattre ses en- 
nemis : voilà le héros et l'histoire; Her- 
cule détruisant des monstres, pourfendant 
des géans, voilà le Dieu,... la fable et l'ori- 
gine de la superstition; mais de la super- 
stition raisonnable, puisque celle-ci n'a 
pour base que la récompense de l'héroïsme, 
la reconnaissance due aux libérateurs d'une 
nation, au lieu que celle qui forge des 
êtres incréés, et jamais apperçus, n'a que 
la crainte, l'espérance, et le dérèglement 
d'esprit pour motifs. Chaque peuple eut 
donc ses Dieux, ses demi-dieux, ses héros, 
ses véritables histoires et ses fables ; quel- 
que chose comme on vient de le voir, put 
être vrai dans ce qui concernait les héros ; 
tout fut controuvé, tout fut fabuleux dans 



* Hercule est un nom générique, composé de 
deux mots celtiques : Her-Coule, ce qui signifie, 
Monsieur le Capitaine. Hercoule était le nom du 
général de l'armée, ce qui multiplia infiniment les 
Hercoules; la fable attribua ensuite à un seul les 
actions merveilleuses de plusieurs Hercules — 
Voy, Histoire des Celtes, par Peloutier. 



8 Idée 

le reste, tout fut ouvrage d'invention, tout 
fut Roman, parce que les Dieux ne parlèrent 
que par l'organe des hommes, qui, plus ou 
moins intéressés à ce ridicule artifice, ne 
manquèrent pas de composer le langage 
des fantômes de leur esprit, de tout ce 
qu'ils imaginèrent de plus fait pour sé- 
duire ou pour effrayer, et par conséquent 
de plus fabuleux; « c'est une opinion reçue, 
« (dit le savant Huet) * que le nom de 
« Roman se donnait autrefois aux histoires, 
« et qu'il s'appliqua depuis aux fictions, 
« ce qui est un témoignage invincible que 
« les uns sont venus des autres » **. 

Il y eut donc des Romans écrits dans toutes 
les langues, chez toutes les nations, dont 



* Pierre Daniel Huet, Evêque d'Avranches, né 
à Caen en i63o, mort à Paris en 1721. Son traité : 
De l'origine des Romans a été publié en 1670 
et 171 1, in-i2. Cet ouvrage a également paru à 

i part avec la Zaîde de Ségrais ou plutôt de Mme de 

* Lafayette. 

** Ceux qui s'amusoient d'escrire les faits hé- 
roïques de nos chevaliers, premièrement en vers, 
puis en prose, appelèrent leurs œuvres Romans, 
dit en effet Pasquier dans ses Recherches, t. VIII 
p. 654. 



SUR LES Romans 9 

le Style et les faits se trouvèrent calqués, et 
sur les mœurs nationales, et sur les opi- 
nions reçues par ces nations. 

L'homme est sujet à deux faiblesses qui 
tiennent à son existence, qui la caracté- 
risent. Par-tout il faut quil prie^ par-tout il 
faut qu'il aime; et voilà la base de tous les 
Romans; il en a fait pour peindre les êtres 
qu'il implorait^ il en a fait pour célébrer 
ceux qu'il aimait. Les premiers dictés par 
la terreur ou l'espoir, durent êtres sombres, 
gigantesques, pleins de mensonges et de 
fictions ; tels sont ceux qu'Esdras composa 
durant la captivité de Babylone. Les se- 
conds, remplis de délicatesse et de senti- 
mens; tel est celui de Théagène et de Cha- 
ridée, par Héliodore ; mais comme l'homme 
pria, comme il aima par-tout, sur tous les 
points du globe qu'il habita, il y eut des 
Romans, c'est-à-dire des ouvrages de fic- 
tions qui, tantôt peignirent les objets fabu- 
leux de son culte, tantôt ceux plus réels 
de son amour. 

Il ne faut donc pas s'attacher à trouver 
la source de ce genre d'écrire, chez telle 



10 Idée 

OU telle nation de préférence; on doit se 
persuader par ce qui vient d'être dit, que 
toutes, l'ont plus ou moins employé, en 
raison du plus ou moins de penchant 
qu'elles ont éprouvé, soit à l'amour, soit 
à la superstition. 

Un coup-d'œil rapide maintenant sur les 
nations, qui ont le plus accueilli ces ou- 
vrages, sur ces ouvrages mêmes, et sur 
ceux qui les ont composés : amenons le fil 
jusqu'à nous, pour mettre nos lecteurs à 
même d'établir quelques idées de compa- 
raison. 

Aristide de Milet est le plus ancien ro- 
mancier dont l'antiquité parle; mais ses 
ouvrages n'existent plus. Nous savons seu- 
lement qu'on nommait ses contes, les Mile- 
siaques; un trait de la préface de l'Ane 
d'ofy semble prouver que les productions 
d'Aristide étaient licencieuses, je vais écrire 
dans ce genre, dit Apulée en commençant 
son Ane d'or. 

Antoine Diogène, contemporain d'A- 
lexandre, écrivit d'un style plus châtié les 
tAmours de Dinias et de Dercillis, Roman 



SUR LES Romans li 

plein de fictions, de sortilèges, de voyages 
et d'aventures fort extraordinaires, que 
Le Seurre copia en 1745 ^^^^ un petit ou- 
vrage plus singulier encore ; car non con- 
tent de faire comme Diogène, voyager 
ses héros dans des pays connus, il les 
promène tantôt dans la lune, et tantôt 
dans les enfers. 

Viennent ensuite les Aventures de Sinonis 
et de Kbodanis, par Jamblique ; les amours 
de Théagène et de Chariclée, que nous ve- 
nons de citer ; la Ciropédie, de Xènophon ; 
les amours de Daphnis et Chloé, de Longus ; 
ceux d'Ismène et d'Isménie, et beaucoup 
d'autres, ou traduits, ou totalement ou- 
bliés de nos jours. 

Les Romains plus portés à la critique, 
à la méchanceté qu'à l'amour ou qu'à 
la prière, se contentèrent de quelques 
satyres, telles que celles de Pétrone et de 
Varron, qu'il faudrait bien se garder de 
classer au nombre des Romans. 

Les Gaulois, plus près de ces deux fai- 
blesses, eurent leurs bardes qu'on peut 
regarder comme les premiers romanciers 



12 Idée 

de la partie de l'Europe que nous habitons 
aujourd'hui. La profession de ces bardes, 
dit Lucain, était d'écrire en vers, les actions 
immortelles des héros de leur nation, et de 
les chanter au son d'un instrument qui 
ressemblait à la lyre, bien peu de ces ou- 
vrages som connus de nos jours. Nous 
eûmes ensuite les Faits et Gestes de Charles- 
le-Grand, attribués à l'archevêque Tur- 
pin *, et tous les Romans de la Table 
Ronde, les Tristan, les Lancelot de lac, les 
Perce-Forêts, tous écrits dans la vue d'im- 
mortaliser des héros connus, ou d'en in- 
venter d'après ceux-là^ qui, parés par l'ima- 
gination, les surpassassent en merveilles; 
mais quelle distance de ces ouvrages longs, 
ennuyeux, empestés de superstition, aux 

. * Cronique et Histoire faicte et composée par 
révérend père en Dieu Turpin archevesque de 
Reims, Tung des Pairs de France — Contenant les 
prouesses et faictz d'armes advenuz en son temps 
du très magnanime Roy Charles le Grant autre- 
ment dit Charlemaigne : de son nepveu Rouland, 
Lesquels il rédigea comme compilateur du dit 
œuvre — Imprimé à Paris par Maistre Pierre 
Vidoue pour honneste personne Regnault CliauU 
diére, 1 527. In-40 gothique. 



SUR LES Romans i3 

Romans grecs qui les avaient précédés! 
Oiielle barbarie, quelle grossièreté succé- 
daient aux Romans pleins de goût et d'a- 
gréables fictions, dont les Grecs nous 
avaient donné les modèles; car bien qu'il 
y en eût sans doute d'autres avant eux, au 
moins alors ne connaissait-on que ceux-là. 

Les Troubadours parurent ensuite; et 
quoiqu'on doive les regarder, plutôt comme 
des poètes, que comme des romanciers, la 
multitude de jolis contes qu'ils compo- 
sèrent en prose, leur obtiennent cependant 
avec juste raison, une place parmi les 
écrivains dont nous parlons, du'on jette, 
pour s'en convaincre, les yeux sur leurs 
fabliaux, écrits en langue Romane, sous le 
règne de Hugues Capet, et que l'Italie 
copia avec tant d'empressement. 

Cette belle partie de l'Europe, encore 
gémissante sous le joug des Sarrasins, en- 
core loin de l'époque où elle devait être 
le berceau de la renaissance des arts, n'a- 
vait presque point eu de romanciers jus- 
qu'au dixième siècle ; ils y parurent à-peu- 
près à la même époque que nos trouba- 



14 Idée 

dours en France, et les imitèrent; mais 
osons convenir de cette gloire, ce ne 
furent point les Italiens qui devinrent nos 
maîtres dans cet art, comme le dit Laharpe 
(pag. 242, vol. 3), ce fut au contraire chez 
nous qu'ils se formèrent; ce fut à l'école 
de nos troubadours que Dante, Bocace, 
Tassoni, et même un peu Pétrarque, es- 
quissèrent leurs compositions ; presque 
toutes les nouvelles de Bocace, se retrou-^ 
vent dans nos fabliaux. 

Il n'en est pas de même des Espagnols, 
instruits dans l'art de la fiction, par les 
Mores, qui eux-mêmes le tenaient des 
Grecs, dont ils possédaient tous les ou- 
vrages de ce genre, traduits en Arabe, ils 
firent de délicieux Romans, imités par nos 
écrivains, nous y reviendrons. 

A mesure que la galanterie prît une face 
nouvelle en France, le Roman se perfec- 
tionna, et ce fut alors, c'est-à-dire au com- 
mcncement du siècle dernier que Durfé 
écrivit son Roman de UAstrée * qui nous 

* Honoré d'Urfé (né en i568 mort en i625) fit 
paraître la première partie de son Astrée en x6io. 



»VR LES Rouans i5 

fit préférer, à bien juste titre, ses charmans 
bergers du Lignon aux preux extravagans 
des onzième et douzième siècles; la fureur 
de l'imitation, s'empara dès-lors de tous 
ceux à qui la nature avait donné le goût 
de ce genre; l'étonnant succès de UAstrie^ 
que l'on lisait encore au milieu de ce siècle, 
avait absolument embrasé les têtes, et on 
l'imita sans l'atteindre. Gomberville, la 
Calprenède, Desmarets, Scudéri *, cru- 
La cinquième et. dernière partie fut composée par 
son secrétaire un sieur Baro d'après ses manus- 
crits dit-on. L'ingénieuse allégorie de L'Astrée 
rompant avec la tradition de la chevalerie et 
offrant un tableau de la société contemporaine, 
obtint un engouement sans bornes qui fut partagé 
par les meilleurs écrivains de l'époque — les édi- 
tions les plus estimées de ce Roman pastoral en 
5 parties in-8« sont celles de Paris lôSy et de Rouen 
1 647. Voy. : Etudes sur VAstrée et sur Honoré d' Urfé 
par Bonafous, Paris, 1846, in-S». 

* Gomberville fit Caritie, Roman peu connu, en 
1622, in-S», il publia plus tard en 1 632-1639 son 
Î2iTCiQ\xJiPolexandrey 4 vol. in-S», et enfin sa Cythérée 
(1642^ 4 vol. in-8) qui eut 9 éditions. Les Romans 
delaCalprenèdesontC<w5anire, 10 vol. in-8«, 1642. 
Cléopatre, 23 vol. qui mirent 12 ans à paraître, et 
Pharamond ou l'Histoire de France. — Desmarets, 
l'auteur des Visionnaires, donna Clovis, poëme 
publié d'abord en 26 chants en 1657 et réduit à 



K9«- 



i6 Idée 

rent surpasser leur original, en mettant des 
princes ou des rois, à la place des bergers 
du Lignon, et ils retombèrent dans le dé- 
faut qu'évitait leur modèle ; la Scudéri * 
fit la même faute que son frère; comme 
lui, elle voulut ennoblir le genre de Durfé, 
et comme lui, elle mit d'ennuyeux héros 
à la place de jolis bergers. Au lieu de re- 
présenter dans la personne de Cirus un 
roi tel que le peint Hérodote; elle com- 
posa un Artamène plus fou que tous les 
personnages de UAstrée... un amant qui ne 
sait que pleurer du matin au soir, et dont 
les langueurs excèdent au lieu d'intéresser; 
mêmes inconvéniens dans sa Clélie **, où elle 
prête aux Romains qu'elle dénature, toutes 
les extravagances des modèles qu'elle suivait, 
et qui jamais n'avaient été mieux défigurés. 
Qu'on nous permette de rétrograder un 

20 dans rédition de 1673. —Quant à Scudéry il ne 
peut être question ici que de son Alaric ou Rome 
vaincue qui parut en 1654, in-folio. 

* Dans Artamène ou le Grand Cyrus, 10 vol. 
in-8» i65o — Voy. : Victor Cousin, Etudes sur la 
Société au ly^ siècle , 2 vol. 

»* Clélie, Histoire romaine, i656, in-8«, 10 vol. 



SUR LES Romans 17 

instant, pour accomplir la promesse que 
nous venons de faire de jeter un coup-d'œil 
sur l'Espagne. 

Certes, si la chevalerie avait inspiré nos 
romanciers en France, à quel degré n'avait- 
elle pas également monté les têtes au delà 
des monts? Le catalogue de la bibliothè- 
que de Dam Quichotte^ plaisamment fait par 
Miguel Cervantes, le démontre évidem- 
ment; mais quoiqu'il en puisse être, le cé- 
lèbre auteur des mémoires du plus grand 
fou qui ait pu venir à l'esprit d'un roman- 
cier, n'avait assurément point de rivaux. 
Son immortel ouvrage connu de toute la 
terre, traduit dans, toutes les langues, et 
qui doit se considérer comme le premier 
de tous les Romans, possède sans doute 
plus qu'aucun d'eux, l'art de narrer, d'en- 
tremêler agréablement les aventures, et 
particulièrement d'instruire en amusant. 
Ce livre, disait St-Evremond, est le seul que 
je relis sans m'ennuyer, et le seul que je vou- 
drais avoir fait. Les douze Nouvelles du 
même auteur, remplies d'intérêt, de sel et 
de finesse, achèvent de placer au premier 



i8 Idée 

rang ce célèbre écrivain espagnol *, sans 
lequel peut-être nous n'eussions eu, ni le 
charmant ouvrage de Scarron **, ni la plu- 
part de ceux de Lesage. 

Après Durfé et ses imitateurs, après 
hs Ariane, les Cléopâtre, les Pharamond, 
les Polexandre, tous ces ouvrages enfin où 
le héros soupirant neuf volumes, était bien 
heureux de se marier au dixième; après, 
dis-je, tout ce fatras inintelligible aujour- 
d'hui, parut madame de Lafayette, qui 
quoique séduite par le langoureux ton 
qu'elle trouva étaWi dans ceux qui la pré- 
cédaient abrégea néanmoins beaucoup; et 
en devenant plus concise, elle se rendit 
plus intéressante. On a dit, parce qu'elle 
était femme, (comme si ce sexe, naturelle- 
ment plus délicat, plus fait pour écrire le 
Roman, ne pouvait en ce genre, prétendre 
à bien plus de lauriers que nous) on a pré- 

* Les Nouvelles Morales de Cervantes Saavedra 
ont été traduites en français pour la première fois 
en i633 par Rosset et Daudiguier. Le fèvre de Ville- 
brune en 1775, Petitot en 1809 et Louis Viarëot 
en i838 en ont donné d'excellentes traductions. 

** Le Roman comique. 



SUR LES Romans 19 

tendu dis-je, qu'infiniment aidée, Lafayette 
n'avait fait ses Romans qu'avec le secours 
de Larochefoucaut pour les pensées, et de 
Segrais * pour le style ; quoiqu'il en soit, 
rien d'intéressant comme Zaide, rien 
d'écrit agréablement comme La princesse 
de Clives. Aimable et charmante femme, 
si les grâces tenaient ton pinceau, n'était-il 
donc pas permis à l'amour, de le diriger 
quelquefois ? 

Fénélon parut, et crut se rendre intéres- 
sant, en dictant poétiquement, une leçon 
à des souverains, qui ne la suivirent jamais; 
voluptueux amant de Guiotj, ton âme avait 
besoin d'aimer, ton esprit éprouvait celui 
de peindre ; en abandonnant le pédantisme, 
ou l'orgueil d'apprendre à régner, nous 
eussions eu de toi des chef-d'œuvres, au 
lieu d'un livre qu'on ne lit plus. Il n'en 
sera pas de même de toi, délicieux Scarron, 

* Zayde parut en 1670 et la Princesse en 1678, 
sans nom d'auteur. On attribua ces Romans à 
Ségrais qui y eut part à n'en point douter. Les 
œuvres de M»» île La Fayette ont été publiées 
en 18 14 5 vol. in-S* avec celles de M»" de Tencin 
et de Fontaines. 



20 Idée 

jusqu'à la iin du monde y ton immortel 
Roman fera rire, tes tableaux ne vieilliront 
jamais. TiUmaque qui n'avait qu'un siècle 
à vivre, périra sous les ruines de ce siècle 
qui n'est déjà plus; et tes comédiens du 
Mans, cher et aimable enfant de la folie, 
amuseront même les plus graves lecteurs, 
tant qu'il y aura des hommes sur la terre. 
Vers la fin du même siècle, la fille du 
célèbre Poisson *, (Madame de Gomez) 
dans un genre bien difiérent, que les écri- 
vains de son sexe qui l'avaient précédée, 
écrivit des ouvrages, qui pour cela, n'en 
étaient pas moins agréables; et ses Jour- 
nées amusantes, ainsi que ses Cent nou- 
velles nouvelles, feront toujours, malgré bien 
des défauts, le fond de la bibliothèque 
de tous les amateurs de ce genre. Gomez. 

* Madeleine Angélique Poisson, Dame de Gomez 
(née en 1684 morte en 1770) eut une assez grande 
célébrité à la fin du siècle dernier; les recueils de 
littérature et les traités de bibliographie classent 
ses œuvres à côté des Romans de Mm« de Lafayette. 
Elle donna: Les Journées amusantes, 1723, 8 vol. 
in-i2 — les Anecdotes persannes, 2 vol. in* 12 et 
principalement Les Cent Nouvelles Nouvelles 1735, 
en 18 vol. in-i£. 



SUR LES Romans 21 

entendait son art, on ne saurait lui refuser 
ce juste éloge. Mademoiselle de Lussan, 
mesdames de Tensin, de GraÉSgni, Elie de 
Beaumont et Riccoboni la rivalisèrent * ; 
leurs écrits pleins de délicatesse et de goût, 
honorent assurément leur sexe. Les Lettres 
Tiruviennes de GrafEgni seront toujours 
un modèle. de tendresse et de sentiment, 
comme celles de mylady Castesbi par Ric- 
coboni, pourront éternellement servir à 
ceux, qui ne prétendent qu'à la grâce et à 
la légèreté du style. Mais reprenons le 
siècle où nous l'avons quitté, pressés par le 



* Marguerite de Lussan (née en 1682 morte 
en lySS) composa plusieurs Romans anecdo- 
tiques : Histoire de la Comtesse deGonde^tn 1741, 
2 vol. in-i2, Annales galantes de la Cour de 
Henri H en 1749, 2 vol. in- 12, Histoire de Grillon 
en 1752, 2vol.in-i2, etc., etc. — L'abbé de Boismo* 
rand et Tabbé Baudot lui furent d'un grand secours 
dans la composition de ses ouvrages. — Mes- 
dames de Tencin, de Graffîgny et Riccoboni sont 
assez connues pour que nous n'en parlions pas 
ici. — Pour Mn« Elie de Beaumont, femme de 
l'avocat au Parlement de Paris (née en 1729 
morte en 1783), on ne connaît guère d'elle que la 
suite des Anecdotes de la Cour et du Règne 
d'Edouard // (1776) dont le commencement est 
dû à Mme de Tencin. 



22 Idée 

désir de louer des femmes aimables, qui 
donnaient en ce genre, de si bonnes 
leçons aux hommes. 

L' épicuréïsme des Ninon - de - Lenclos , 
des Marion-de-Lorme, des marquis de 
Sévigné et de Lafare, des Chaulieu, des 
St-Evremond, de toute cette société char- 
mante enfin, qui, revenue des langueurs 
du Dieu de C3rthère, commençait à penser 
comme BufFon, « qu'il n*y avait de bon en 
amour que le physique^ » changea bientôt le 
ton des Romans ; les écrivains qui parurent 
ensuite, sentirent que les fadeurs n'amu- 
seraient plus un siècle perverti par le Ré- 
gent, un siècle revenu des folies cheva- 
leresques, des extravagances religieuses, 
et de l'adoration des femmes ; et trouvant 
plus simple d'amuser ces femmes ou de les 
corrompre, que de les servir ou de les en- 
censer. Ils créèrent des événemens, des 
tableaux, des conversations plus à l'esprit 
du jour; ils enveloppèrent du cynisme, des 
immoralités, sous un style agréable et ba- 
din, quelquefois même philosophique, et 
plurent au moins s'ils n'instruisirent pas. 



SUR LES Romans 23 

Crébillon * écrivit Ix Sopha^ Tançai, 
Les égarements du cœur et de V esprit, etc. 
Tous Romans qui flattaient le vice et s'é- 
loignaient de la vertu ; mais qui, lorsqu'on 
les donna, devaient prétendre aux plus 
grands succès^ 

Marivaux, plus original dans sa manière 
de peindre, plus nerveux, offrit au moins 
des caractères, captiva l'âme, et fit pleu- 
rer; mais comment avec une telle énergie, 
pouvait-on avoir un style aussi précieux, 
aussi maniéré ? Il prouva bien que la nature 
n'accorde jamais au romancier tous les 
dons nécessaires à la perfection de son art. 

Le but de Voltaire fut tout différent; 
n'ayant d'autre dessein que de placer de la 
philosophie dans ses Romans, il abandonna 
tout, pour ce projet. Avec quelle adresse 
il y réussit; et malgré toutes les critiques, 
Candide et Zadig ne seront-ils pas toujours 
des chefs-d'œuvres 1 



* Crébillon fils, né en 1707 mort en 1771. — Les 
Egarements du Cœur et de V Esprit, Roman qui 
parut en 1736, fut achevé, dit-on, par la femme de 
Crébillon M« Staford. 



24 Idâe 

Rousseau, à qui la nature avait accordé 
en délicatesse, en sentiment, ce qu'elle 
n'avait donné qu'en esprit à Voltaire, traita 
le Roman d'une bien autre façon. Q.ue de 
vigueur, que d'énergie dans VHélotse; lors- 
que Momus dictait Candide à Voltaire, l'a- 
mour lui-même traçait de son flambeau, 
toutes les pages brûlantes de Julie, et l'on 
peut dire avec raison que ce livre sublime, 
n'aura jamais d'imitateurs. Puisse cette 
vérité faire tomber la plume des mains, 
à cette foule d'écrivains éphémères qui, 
depuis trente ans ne cessent de nous don- 
ner de mauvaises copies de cet immortel 
original; qu'ils sentent donc, que pour 
l'atteindre, il faut une âme de feu comme 
celle de Rousseau, un esprit philosophe 
comme le sien, deux choses, que la 
nature ne réunit pas deux fois dans le 
même siècle. 

Au travers de tout cela, Marmontel nous 
donnait des Contes, qu'il appellait Moraux, 
non pas, dit un littérateur estimable, qu'ils 
enseignassent la morale, mais parce qu'ils 
peignaient nos mœurs^ cependant un peu 



SUR LStt Romans 25 

trop dans le genre Maniéré de Marivaux; 
d'ailleurs que sont tes contes ? des puéri- 
lités, uniquement écrites pour les femmes 
et pour les enfans, et qu'on he croira ja- 
mais de la même main que Bélisaire^ ou- 
vrage qui suffisait seul à la gloire de l'au- 
teur; celui qui avait fait le quinzième 
chapitre de ce livre, devait-il donc pré- 
tendre à la petite gloire de nous donner 
des contes à Veau-rose. 

Enfin les Romans anglais, les vigoureux 
ouvrages de Richardson et de Fielding, 
vinrent apprendre aux Français, que ce 
n'est point en peignant les fastidieuses 
langueurs de l'amour qu'on peut obte- 
nir des succès dans ce genre; mais en 
traçant des caractères mâles, qui, jouets 
et victimes, de cette effervescence du 
cœur connue sous le nom d'amour, nous 
en montrent à-la-fois et les dangers et 
les malheurs; de là seul peuvent s'obte- 
nir ces développemens , ces passions si 
bien tracés dans les Romans Anglais. C'est 
Richardson, c'est Fielding qui nous ont 
appris que l'étude profonde du cœur de 

7 






26 Id6e 

l'homme, véritable dédale de la nature, 
peut seul inspirer le romancier, dont l'ou- 
vrage doit nous faire voir l'homme, non pas 
seulement ce qu'il est, ou ce qu'il se mon- 
tre, c'est le devoir de l'historien, mais tel 
qu'il peut être, tel que doivent le rendre Jes 
modifications du vice, et toutes les se* 
cousses des passions; il faut donc les con- 
naître toutes, il faut donc les employer 
toutes, si l'on veut travailler ce genre ; là, 
nous apprîmes aussi, que ce n'est pas tou- 
jours en faisant triompher la vertu qu'on 
intéresse; qu'il faut y tendre bien certai- 
nement autant qu'on le peut, mais que cette 
règle, ni dans la nature, ni dans Aristote, 
mais seulement celle, à laquelle nous vou- 
drions que tous les hommes s'assujettissent 
pour notre bonheur, n'est nullement essen- 
tielle dans le Roman, n'est pas même celle 
qui doit conduire à l'intérêt; car lorsque la 
vertu triomphe, les choses étant ce qu'elles 
doivent être, nos larmes sont taries avant 
que de couler ; mais si après les plus rudes 
épreuves, nous voyons enfin la vertu ter- 
rassée par le vice, indispensablement nos 



SUR LES Romans 27 

âmes se déchirent, et l'ouvrage nous ayant 
excessivement émus, ayant, comme disait 
Diderot, ensanglanté nos cœurs au revers^ doit 
indubitablement produire l'intérêt, qui seul 
assure des lauriers. 

Qpe l'on réponde : si après douze ou 
quinze volumes, l'immortel Richardson eût 
vertueusement fini par convertir Lovelace, et 
par lui faire paisiblement épouser Clarisse, 
eût-on versé à la lecture de ce Roman, pris 
dans le sens contraire, les larmes déli- 
cieuses qu'il obtient de tous les êtres sen- 
sibles ? c'est donc la nature qu'il faut saisir 
quand on travaille ce genre, c'est le cœur de 
l'homme, le plus singulier de ses ouvrages, 
et nullement la vertu, parce que la vertu, 
quelque belle, quelque nécessaire qu'elle 
soit, n'est pourtant qu'un des modes de ce 
cœur étonnant, dont la profonde étude est 
si nécessaire au romancier, et que le Roman, 
miroir fidèle de ce cœur, doit nécessaire- 
ment en tracer tous les plis. > 

Savant traducteur de Richardson, Pré-. '1; 
vôt, toi, à qui nous devons d'avoir fait ' 
passer dans notre langue, les beautés de ^ 



28 Idée./' « t. 

cet écrivain célèbriç, ne t'es-t-^l pas dû pour 
ton propre compte un tribut d'éloges, aussi, 
bien mérité ; et n'est-ce pas, à juste titre 
qu'on pourrait t'appeler le Richardson fran- 
çais * ; toi seul eus l'art d'intéresser long- 
tems par des fables iniplexes> en soutenant 
toujours l'intérêt, quoiqu'^ le divisant; 
toi seul, ménageas toujours assez bien tes 
épisodes, pour que l'intrigue principale dût 
plutôt gagner que perdre à leur multitude 
ou à leur complication ; ainsi cette quan- 
tité d'événements que te reproche Laharpe, 
est non-seulement c6 qui produit chez 
toi le plus sublime effet, mais en même- 
temps, ce qui prouve le mieux, et la bonté 
de ton esprit, et l'excellence de ton "génie, 
« Les mémoires d'un homme de qualité^ enfin 
» (pour ajcMiter à ce que nous pensons de 
» Prévôt, ce que d'autres que nous ont 
» pensé) Cliveland, l'Histoire d'une Grecque 
» moderne^ le Monde moral, Manon-Lescaut, 



* L'Abbé Prévost d'Exilés, traduisit de Richard- 
son, en les abrégeant et quelquefois aussi en les 
paraphrasant, les Romans de Pamélla, Clarisse et 
Grandisson, 



SUR LES Romans 29 

» surtout * sont remt>lis de ces scènes 
» attendrissantes et terribles, qui frappent 
» et attachent invinciblement; les situa- 
» tions de ces ouvrages, heureusement 
» ménagées, amènent de ces momens où 
» la nature frémit d'horreur. » Et voilà 
ce qui s'appelle écrire le Roman; voilà ce 
qui dans la postérité, assure à Prévôt une 
place où ne parviendra nul de ses rivaux. 
Vinrent ensuite les écrivains du milieu 
de ce siècle : Dorât aussi manière que Ma- 
rivaux, aussi froid, aussi peu moral que 
Crébillon; mais écrivain plus agréable que 
les deux à qui nous le comparons; la 
frivolité de son siècle excuse la sienne, et 
il eut l'art de la bien saisir. 

* Quelles larmes que celles qu'on verse à la 
lecture de ce délicieux ouvrage! comme la nature 
y est peinte, comme l'intérêt s'y soutient, comme 
il augmente par degrés, que de difficultés vain- 
cues! que de philosophie à avoir fait ressortir tout 
cet intérêt, d'une fille perdue; dirait-on trop, en 
osant assurer que cet ouvrage a des droits au titre 
de notre meilleur Roman, ce fut là où Rousseau 
vit, que malgré des imprudences et des étourde- 
ries, une héroïne pouvait prétendre encore à 
nous attendrir, et peut-être n'eussions-nous jamais 
eu Julie, sans Manon-Lescaut {Note de de Sade). 



3o Idée 

• Auteur charmant de la Reine de Gokonde, 
me permets-tu de t'ofFrir un laurier? * 
On eut rarement un esprit plus agréable, 
et les plus jolis contes du siècle, ne valent 
pas celui qui t'immortalise ; à la fois plus 
aimable, et plus heureux qu'Ovide, puis- 
que le Héros-Sauveur de la France, prouve, 
en te rappelant au sein de ta patrie, qu^il 
est autant l'ami d'Apollon que de Mars, 
réponds à l'espoir de ce grand homme, en 
ajoutant encore quelques jolies roses sur 
le sein de ta belle Aline. 

Darnaud **, émule de Prévôt, peut 

* Le Chevalier Stanislas de Boufflers, mort en 
i8i5, une année après de Sade. Le conte ravissant : 
Aline Reine de Golconde, premier ouvrage de 
Boufflers fut publié, in-8o, en 1761 et obtint un 
immense succès. Cet adorable badinage eut les 
honneurs de près de cent réimpressions dans tous 
les formats. 

•* Baculard d'Arnaud (né en 1718 mort en i8o5) 
dont il est question ici; composa une quantité 
prodigieuse de drames étranges et de Romans 
lugubres et sombres à peu près oubliés aujour- 
d'hui. Son imagination peuplée d'images hor- 
ribles et tristes, devait séduire le farouche Mar- 
quis. — Voyez la charmante notice que M. Charles 
Monselet a consacrée à Baculard d'Arnaud dans 
ses Oubliés et Dédaignés, 



SUR LES Romans 3i 

souvent prétendre à le surpasser, tous deux 
trempèrent leurs pinceaux dans le Styx; 
mais Damaud, quelquefois adoucit le sien 
sur les fleurs de l'Elysée ; Prévôt plus éner- 
gique, n'altéra jamais les teintes de celui 
dont il traça CUveland. 

R... * inonde le public, il lui faut une 
presse au chevet de son lit ; heureusement 
que celle-là toute seule, gémira de ses 
terribles productions; un style bas et ram- 
pant, des aventures dégoûtantes, toujours 
puisées dans la plus mauvaise compagnie ; 
nul autre mérite enfin, que celui d'une 
prolixité... dont les seuls marchands de 
poivre le remercieront. 

Peut-être devrions-nous analyser ici ces 
Romans nouveaux, dont le sortilège et la 
fantasmagorie composent à-peu-près tout 



* Restif de la Bretonne est assurément en cause 
ici. Il existait une grande inimitié entre de Sade 
et lui. Restif, dans ses Nuits de Paris, a intitulé 
un de ses chapitres : Les Passe-Temps du Af*** de 
Sade, Le vindicatif Marquis ne l'a sans doute pas 
oublié en écrivant ces lignes. (Voyez la Bibliogra' 
phie de Restif de, la Bretonne, par P. L. Jacob, 
Bibliophile, in-S©, 1875, pp. 4i5 et suivantes.) 



32 loéB 

le mérite, en plaçant à leur tête le Moine *, 
supérieur, sous tous les rapports, aux bi- 
sarres élans de la brillante imagination de 
Radgliffe ** ; mais cette dissertation serait 
trop longue, convenons seulement que ce 
genre, quoiqu'on en puisse" dire, n'est assu- 
rément pas sans mérite; il devenait le fruit 
indispensable des secousses révolutionnai- 
res, dont l'Europe entière se ressentait. 
Pour qui connaissait tous les malheurs 
dont les médians peuvent accabler les 
hommes, le Roman devenait aussi difficile 
à faire, que monotone à lire; il n'y avait point 
d'individu qui n'eût plus éprouvé d'infor- 

* Le Moine est le Roman le plus connu du 
romancier Lewis (né en 1773 mort en 1818). Il 
fît une immense sensation à son apparition (1795, 
3 vol. ïn-'i 2). Le Moine fut traduit de Tanglais par 
DeschampSy Desprès, Benoîst et Delamare. Il pa- 
rut chez Maradan an vi, en 4 vol. in- 18, ornés de 
gravures. — On a fait un curieux rapprochement 
entre un certain Ambrosis , l'un des héros du 
Moine, et le Claude Frollo de Victor Hugo, du 
Roman admirable: Notre-Dame de Paris. 

** Anne Radcliffe (née à Londres en 1764 morte 
en 1823). Ses Romans furent traduits en français. 
Les Mystères d'Udolphe demeurent la plus célèbre 
de toutes ses productions. 



SUR LES Rouans 33 

tunes en quatre ou cinq ans que n'en pou- 
vait peindre en un siècle, le plus fameux 
romancier de la littérature ; il fallait donc 
appeller l'enfer à son secours, pour se 
composer des titres à l'intérêt, et trouver 
dans le pays des chimères, ce qu'on savait 
couramment en ne fouillant que l'histoire 
de l'honvne dans cet âge de fer. Mais que 
d'inconvéniens présentait cette manière 
d'écrire! l'auteur du Moine ne les a pas 
plus évité que Radgliffe *; ici nécessaire- 
ment de deux choses l'une, ou il faut dé- 
velopper le sortilège, et dès-lors vous 
n'intéressez plus, ou il ne faut jamais 
lever le rideau, et vous voilà dans la plus 
affreuse invraisemblance. Qji'il paraisse 
dans ce genre un ouvrage assez bon, pour 
atteindre le but sans se briser contre l'un 
ou l'autre de ces écueils, loin de lui repro- 
cher ses moyens, nous l'oflFrirons alors 
comme .un modèle. 
Avant que d'entamer notre troisième et 

* Allusion aux poursuites qui furent lancées 
contre Lewis pour ses peintures lascives et im- 
morales du Moine, 



34 Idée 

dernière question, qudks sM les régies de 
l'art d'écrire le Roman? nous devons ce me 
semble répondre à la perpétuelle o'bjectîon 
de quelques esprits atrabilaires, qui, pour 
se donner le vernis d'une morale, dont 
souvent leur cœur est bien loin, ne cessent 
de vous dire, à quoi servent les Romans? 

A quoi ils servent, hommes h5rpocrites 
et pervers ; car vous seuls faites cette ridi- 
cule question ; ils servent à vous peindre, 
et à vous peindre tels que vous êtes, or- 
gueilleux individus qui voulez vou$ sous- 
traire au pinceau, parce * que vous en re- 
doutez les effets : le Roman étant, s'il est 
possible de s'exprimer ainsi, le tableau des 
mœurs séculaires, est aussi essentiel que 
l'histoire, au philosophe qui veut connaître 
l'homme ; car le burin de l'une, ne le peint 
que lorsqu'il se fait voir ; et alors ce n'est 
plus lui ; l'ambition, l'orgueil couvrent son 
front d'un masque qui ne nous représente 
que ces deux passions, et non l'homme ; 
le pinceau du Roman, au contraire, le 
saisit dans son intérieur... le prend quand 
il quitte ce masque, et l'esquisse bien plus 



SUR LES Romans 35 

intéressante, est en même-teoips bien plus 
vraie, voilà l'utilité des Romans; froids 
censeurs qui ne les aimez pas, vous ressem- 
blez à ce cul-de- jatte qui disait aussi, et 
pourquoi fait-on des portraits? 

S'il est donc vrai que le Roman soit utile, 
ne craignons point de tracer ici quelques- 
uns des principes que nous croyons néces- 
saires à porter ce genre à sa perfection ; 
je sens bien qu'il est difficile de remplir 
cette tâche sans donner des armes contre 
moi ; ne deviens- je pas doublement cou- 
pable de îi'avoir pas bien fait, si je prouve 
que je sais ce qu'il faut ipom faire bien. Ah! 
laissons ces vaines considérations, qu'elles 
s'immolent à l'amour de l'art. 

La connaissance la plus essentielle qu'il 
exige est bien certainement celle du cœur 
de l'homme. Or, cette connaissance im- 
portante, tous les bons esprits nous ap- 
prouveront sans doute en affirmant qu'on 
ne l'acquiert que par des malheurs et par des 
voyages; il faut avoir vu des hommes de tou- 
tes les nations pour les bien connaître, et 
il faut avoir été leur victime pour savoir les 



36 Idée 

apprécier; lamainde l'infortune, en exaltant 
le caractère de celui qu'elle écrase, le met 
à la juste distance où il faut qu'il soit pour 
étudier les hommes , il les voit de là, 
comme le passager apperçoit les flots en fu- 
reur se briser contre l'écueil sur lequel l'a 
jeté la tempête ; mais dans quelque situa- 
tion que l'ait placé la nature ou le sort, 
s'il veut connaître les hommes, qu'il parle 
peu quand il est avec eux; on n'apprend 
rien quand on parle, on ne s'instruit qu'en 
écoutant ; et voilà pourquoi les bavards ne 
sont communément que des sots. 

O toi qui veut parcourir cette épineuse 
carrière ! ne perds pas de vue que le roman- 
cier est l'homme de la nature, elle l'a créé 
pour être son peintre ; s'il ne devient pas 
l'amant de sa mère dès que celle-ci l'a mis 
au monde, qu'il n'écrive jamais, nous ne le 
lirons point ; mais s'il éprouve cette soif 
/ ardente de tout peindre, s'il entr'ouvre 
avec frémissement le sein de la nature, 
pour y chercher son art et pour y puiser 
des modèles, s'il a la flèvre du talent, et 
l'enthousiasme du génie, qu'il suive la 



SUR LES Rouans Sy 

main qui le conduit, il a deviné l'homme, 
il le peindra ; maîtrisé par son imagination 
qu'il y cède, qu'il embellisse ce qu'il voit : 
le sot cueille une rose et l'efifeuille, l'homme 
de génie la respire et la peint : voilà celui 
que nous lirons. 

Mais en te conseillant d'embellir, je te 
défends de t'écarter de la vraisemblance : le 
lecteur a droit de se fâcher quand il s'ap- 
perçoit que l'on veut trop exiger de lui ; il 
voit bien qu'on cherche à le rendre dupe ; 
son amour-propre en souffre, il ne croit 
plus rien, dès qu'il soupçonne qu'on veut 
le tromper. 

Contenu d'ailleurs par aucune digue, 
use, à ton aise, du droit de porter atteinte 
à toutes les anecdotes de l'histoire, quand 
la rupture de ce frein devient nécessaire aux 
plaisirs que tu nous prépares; encore une 
fois, on ne te demande point d'être vrai, 
mais seulement d'être vraisemblable ; trop 
exiger de toi serait nuire aux jouissances 
que nous en attendons : ne remplace point 
cependant le vrai, par l'impossible, et que 
ce que tu inventes soit bien dit; on ne te 

8 



mm^^^m^^m^^mmm^^Ê^t^ÊÊ^^ÈéÊmmmÊÊ^^^Êmm 



38 Idée 

pardonne de mettre ton imagination à la 
place de la vérité que sous la clause expresse 
d'orner et d'éblouir. On n'a jamais le droit 
de mal dire, quand on peut dire tout ce 
qu'on veut ; si tu n'écris comme R../ 
qtie ce qtie tout le monde sait, dusses-tu, 
comme lui, nous donner quatre volumes 
par mois, ce n'est pas la peine de prendre 
la plume : personne ne te contraint au 
métier que tu fais ; mais si tu l'entreprends, 
fais le bien. Ne l'adopte pas sur- tout 
comme un secours à ton existence ; ton tra- 
vail se ressentirait de tes besoins, tu lui 
transmettrais ta faiblesse ; il aurait la pâleur 
de la faini : d'autres métiers se présentent 
à toi *y fais des souliers, et n'écris point des 
livres. Nous ne t'en estimerons pas moins, 
et comme tu ne nous ennuiras pas, nous 
t'aimerons peut-être davantage. 

Une fois ton esquisse jetée, travaille ar- 
demment à l'étendre, mais sans te resserrer 
dans les bornes qu'elle paraît d'abord te pres- 
crire, tu deviendrais maigre et froid avec cette 

* Restif de la Bretonne. Voir la note plus haut, 
page 3i* 



SUR LES Romans 3g 

méthode ; ce sont des élans que nous vou- 
lons de toi, et non pas des règles ; dépasse 
tes plans, varie-les, augmente-les; ce n'est 
qu'en travaillant que les idées viennent. 
Pourquoi ne veux-tu pas que celle qui te 
presse quand tu composes, soit aussi 
bonne que celle dictée par ton esquisse ? 
Je n'exige essentiellement de toi qu'une 
seule chose, c'est de soutenir l'intérêt jus- 
qu'à la dernière page ; tu manques le but, 
si tu coupes ton récit par des incidens, ou 
trop répétés, ou qui ne tiennent pas au 
sujet; que ceux que tu te permettras 
soient encore plus soignés que le fonds : 
tu dois des dédommagemens au lecteur 
quant tu le forces de quitter ce qui l'inté- 
resse, pour entamer un incident. Il peut 
bien te permettre de l'interrompre, mais il 
ne te pardonnera pas de l'ennuyer; que tes 
épisodes naissent toujours du fond du sujet 
et qu'ils y rentrent; si tu fais voyager tes 
héros, connais bien le pays où tu les 
mènes, porte la magie au point de m'iden- 
tifier avec eux; songe que je me promène 
à leurs côtés, dans toutes les régions où tu 



V 

I 

40 Idée 

les places ; et que peut-être plus instruit 
que toi, je ne te pardonnerai ni une in- 
vraisemblance de mœurs, ni un défaut de 
costume, encore moins une faute de géo- 
graphie' : conune personne ne te contraint 
à ces échappées, il faut que tes descrip- 
tions locales soient réelles, ou il faut que 
tu restes au coin de ton feu ; c'est le seul 
cas dans tous tes ouvrages où Ton ne 
puisse tolérer l'invention, à moins que les 
pays où tu me transportes ne soient ima- 
ginaires, et, dans cette hypothèse encore, 
j'exigerai toujours du vraisemblable. 

Évite l'afféterie de la morale; ce n'est 
pas dans un Roman qu'on la cherche; si 
les personnages que ton plan nécessite, 
sont quelquefois contrains à raisonner, que 
ce soit toujours sans affectation, sans la 
prétention de le faire, ce n'est jamais l'au- 
teur qui doit moraliser, c'est le person- 
nage, et encore ne lui permet-on, que 
quand il y est forcé par les circonstances. 

Une fois au dénouement, qu'il soit na- 
turel, jamais contraint, jamais machiné, 
mais toujours né des circonstances; je 



SUR LES Romans 41 

n'exige pas de toi, comme les auteurs de 
rEncyclopédie, qu'il soit conforme au désir 
du lecteur; quel plaisir lui reste-t-il quand 
il a tout deviné? le dénouement doit être 
tel, que les événemens le préparent, que la 
vraisemblance l'exige, que l'imagination 
l'inspire; et avec ces principes que je charge 
ton goût et ton esprit d'étendre, si tu ne 
fais pas bien, au moins feras-tu mieux que 
nous ; car, il faut en convenir, dans les 
nouvelles que l'on va lire, le vol hardi que 
nous nous sommes permis de prendre, 
n'est pas toujours d'accord avec la sévérité 
des règles de l'art; mais nous espérons que 
l'extrême vérité des caractères en dédom- 
magera peut-être; la nature plus bisarre 
que les moralistes ne nous la peignent, 
s'échappe à tout instant des digues que la 
politique de ceux-ci voudrait lui prescrire ; 
uniforme dans ses plans, ' irrégulière dans 
ses efiets, son sein toujours agité, res- 
semble au foyer d'un volcan, d'où s'élan- 
cent tour-à-tour, ou des pierres précieuses 
servant au luxe des hommes, ou des globes 
de feu qui les anéantissent; grande, quand 



A2 Idée 

eDe peuple la terre et d'Antonins et de 
I Titus; affreuse, quand elle y vomit des 
Andronics ou des Nérons; mais toujours 
sublime, toujours majestueuse, toujours 
l digne de nos études, de nos pinceaux et de 
notre respectueuse admiration, parce que 
ses desseins nous sont inconnus, qu'es- 
claves de ses caprices ou de ses besoins, 
ce n'est jamais sur ce qu'ils nous font 
éprouver que nous devons régler nos sen- 
timens pour elle, mais sur sa grandeur, 
} sur son énergie, quelque puissent en être 
les résultats. 

A mesure que les esprits se corrom- 
pent, à mesure qu'une nation vieillît, en 
raison de ce que la nature est plus étudiée, 
mieux analysée, que les préj ugés sont mieux 
détruits, il faut la faire connaître davan- 
tage. Cette loi est la même pour tous les 
arts; ce n'est qu'en avançant qu'ils se per- 
fectionnent, ils n'arrivent au but que par 
des essais. Sans doute il ne fallait pas 
aller si loin dans ces tenus af&eux de l'igno- 
rance, où courbés sous les fers religieux, 
on punissait de mort celui qui voulait les 



SUR LES R'OMANS 4$ 

apprécier, où les bûchers de l'inquisition 
devenaient le prix des talens; mais dans 
notre état actuel, partons toujours de ce 
principe, quand l'homme a soupesé tous 
ses freins, lorsque d'un regard audacieux, 
son œil mesure ses barrières, quand, à 
l'exemple des Titans, il ose jusqu'au ciel 
porter sa main hardie, et qu'armé de ses 
passions, comme ceux-ci l'étaient des laves 
du Vésuve, il ne craint plus de déclarer la 
guerre à ceux qui le faisaient frémir autre- 
fois, quand ses écarts mêmes ne lui parais- 
sent plus que àQS erreurs légitimées par ses 
études, ne doit-on pas alors lui parler avec 
la même énergie qu'il employé lui-même 
à se conduire ? l'homme du dix-huitième 
siècle, en un mot, est-il donc celui du 
onzième ? 

Terminons par une assurance positive, 
que les nouvelles que nous donnons au- 
jourd'hui *, sont absolument neuves , et 



^ Ces Nouvelles héroïques et tragiques réunies 
en 4 volumes sous le titre Les Crimes de V Amour y 
sont : Juliette et Raunai, ou la Conspiration cP A ma- 
toise; La Double Epreuve; Miss Henriette Stral' 



/^ 



44 Idée 

nullement brodées sur des fonds connus. 
Cette qualité est peut-être de quelque mé- 
rite dans un temps où tout semble ètxefaity 
où l'imagination épuisée des auteurs parait 
ne pouvoir plus rien créer de nouveau, et 
où Ton n'ofire plus rien au public que des 
compilations, des extraits ou des traduc- 

/ tions. 

Voici ce que dans Tune et l'autre de ces 
nouvelles, on peut trouver aux sources que 
nous indiquons. 

-— ' L'historien arabe Abul-ccBcim-terif-aben- 
tariq, écrivain assez peu connu de nos litté- 
rateurs du jour, rapporte ce qui suit à 
l'occasion de la Tour Enchantée. 

» Rodrigue, prince efiféminé, attirait à sa 
» cour, par principe de volupté, les filles 
» de ses vassaux, et il en abusait. De ce 
» nombre, fut Florinde, fille du comte 
» Julien. D la viola. Son père, qui était 
» en Afirique, reçut cette nouvelle par une 



son, ou les Effets du Désespoir; Faxelange ou les 
Torts de V Ambition; Florville et Courval ou le 
Fatalisme; Rodrigue ou la Tour enchantée, dont il 
est parlé plus loin^ Laurence et Antonio, etc. 



SUR LES Romans 45 

» lettre allégorique de sa fille ; il souleva 
» les Mores, et revint en Espagne à leur 
» tête; Rodrigue ne sait que faire, nul 
)> fonds dans ses trésors, aucune place, il 
» va fouiller la Tour Enchantée près de 
» Tolède, où on lui dit qu'il doit trouver 
» des sommes immenses; il y pénètre, 
» et voit une statue du Temps qui frappe 
» de sa massue, et qui, par une inscription, 
» annonce à Rodrigue toutes les infortu- 
» nés qui l'attendent; le prince avance, et 
» voit une grande cuve d'eau, mais point 
» d'argent; il revient sur ses pas; il fait 
» fermer la tour; un coup de tonnerre 
» emporte cet édifice, il n'en reste plus 
» que des vestiges. Le roi, malgré ces fu- 
» nestes pronostics, assemble une armée, 
» se bat huit jours près de Cordoue, et est 
» tué sans qu'on puisse retrouver son 
» corps ». 

Voilà ce que nous a fourni l'histoire; 
qu'on lise notre ouvrage maintenant, et 
qu'on voie si la multitude d'évènemens 
que nous avons ajouté à la sécheresse de 
ce fait, mérite ou non que nous regardions 



46 Idée 

l'anecdote comme nous appartenant en 
propre *. 

Quand à la Conspiration d'Amboise, 
qu'on la lise dans Gamier, et l'on verra le 
peu que nous a prêté l'histoire. 

Aucun guide ne nous a précédé dans les 
autres nouvelles; fonds, narré, épisode, 

* Cette anecdote est celle que commence Bri- 
gandos^ dans Tépisode du roman d'Aline et Val- 
court , ayant pour titre : Sainville et Léonore, et 
qu'interrompt la circonstance du cadavre trouvé 
dans la tour; les contrefacteurs de cet épisode, en 
le copiant mot pour mot, n'ont pas manquéde copier 
aussi les quatre premières lignes de cette anecdote, 
qui se trouvent dans la bouche du chef des Bohé- 
miens. Il est donc aussi essentiel pour nous, dans 
ce moment-ci, que pour ceux qui achètent des 
Romans, de prévenir que l'ouvrage qui se vend 
chez Pigoreau et Leroux, sous le titre de Valmor 
etLidia, et chez Cérioux et Moutardier, sous celui 
âî'Al^onde et Koradin, ne sont absolument que la 
même chose, et tous les deux littéralement pillés 
phrase pour phrase de l'épisode de Sainvîlle et 
Léonore j formant à-peu-près trois volumes démon 
roman d'Aline et Valcourt (Note de de Sade), 

Valmor et Lydia ou Voyage autour du Monde de 
deux Amants qui se cherchent ^ parut à Paris chez 
Pigoreau ou Leroux, an vu, 3 vol..in-i2. C'est 
l'abrégé à* Aline et Valcourt, à cette différence que 
la forme épistolaire est remplacée par la forme 
narrative. 



SUR LES Romans 47 

tout est à nous; peut-être n'est-ce pas ce 
qu'il y a de plus heureux; qu'importe, 
nous avons toujours cru, et nous ne cesse- 
rons d'être persuadés, qu'il faut mieux 
inventer, fût-on même faible, que de co- 
pier ou de traduire ; l'un a la prétention 
du génie, c'en est une au moins; quelle 
peut être celle du plagiaire ? Je ne connais 
pas de métier plus bas, je ne conçois pas 
d'aveux plus humilians que ceux où de tels 
hommes sont contrains, en avouant eux- 
mêmes, qu'il faut bien qu'ils n'aient pas 
d'esprit, puisqu'ils sont obligés d'emprunter 
celui des autres. 

A l'égard du traducteur, à Dieu ne plaise 
que nous enlevions son mérite ; mais il ne 
fait valoir que nos rivaux; et ne fût-ce que 
pour l'honneur de la patrie , ne vaut-il pas 
mieux dire à ces fiers rivaux, et nous aussi 
fîous savons créer. 

Je dois enfin répondre au reproche que 
l'on me fit, quand parut Aline et Val- 
court *. Mes pinceaux, dit-on, sont trop 

* A Une et Valcourt ou le Roman philosophique y 
écrit à la Bastille un an avant la Révolution de 



48 Idée 

forts, je prête au vice des traits trop odieux; 
en veut-on savoir la raison? je ne veux 
pas faire aimer le vice; je n'ai pas, comme 
Crébillon et comme Dorât, le dangereux 
projet de faire adorer aux femmes les per- 
sonnages qui les trompent, je veux, au 
contraire, qu'elles les détestent; c'est le seul 
moyen qui puisse les empêcher d'en être 
dupes ; et, pour y réussir, j'ai rendu ceux 
de mes héros qui suivent la carrière du 
vice, tellement effroyables, qu'ils n'inspi- 
reront bien sûrement ni pitié ni amour * ; 
en cela, j'ose le dire, je deviens plus mo- 
ral que ceux qui se croyent permis de les 
embellir; les pernicieux ouvrages de ces 
auteurs ressemblent à ces fruits de l'Amé- 
rique, qui sous le plus brillant coloris, 
portent la mort dans leur sein; cette trahison 
de la nature, dont il ne nous appartient pas 
de dévoiler le motif, n'est pas faite pour 

France parut pour la première fois en 1793 {Voye{ 
la Notice). 

*■ Singulière théorie qui est bien dans le ton 
paradoxal du Marquis. Dans tous ses ouvrages, il 
semble vouloir répéter à satiété cette doctrine falla- 
cieuse. 



SUR LES Romans 49 

l'homme; jamaîs enfin, je le répète, ja- 
mais je ne peindrai le crime que sous les 
couleurs de l'enfer, je veux qu'on le voye 
à nud, qu'on le craigne, qu'on le déteste, 
et je ne connais point d'autre façon pour 
arriver là, que de le montrer avec toute 
l'horreur qui le caractérise. Malheur à ceux 
qui l'entourent de roses ! leurs vues ne 
sont pas aussi pures, et je ne les copierai 
jamais. Qu'on ne m'attribue donc plus, 
d'après ces systèmes, le roman de J... *; 
jamais je n'ai fait de tels ouvrages, et je 
n'en ferai sûrement jamais; il n'y a que 
des imbéciles.ou des méchans qui, malgré 



* Justine ou Les Malheurs de la Vertu. — De 
Sade s'est souvent défendu d'être l'auteur de cet 
infâme roman. La Revue rétrospective publiée par 
J. Taschereau, renferme deux curieux documents 
à ce sujet : 10 Un Rapport du Conseiller d'Etat, 
Préfet de Police, à son Excellence le Sénateur Mi^ 
nistre de la Police générale, le 21 fructidor an XII. 
— 20 — Une lettre écrite de Pélagie, le 3o floréal 
an X par Sade, homme de lettres, au Ministre de la 
Justice. € On m'accuse d'être Fauteur du livre de 
Justine, dit-il, l'accusation est fausse, je vous le 
jure, au nom de tout ce que j'ai de plus sacré. Si 
l'on peut me convaincre, je veux subir mon juge- 
ment, dans le cas contraire, je veux être libre. 9 



t 



5o loi! SUR LBS Rouans 

l'authesdcicé de mes dénégations, puissent 
me soupçonner ou m'accuser encore d'en 
être l'auteur, et le plus souverain mépris 
sera désormais la seule arme avec laquelle 
je combattrai leurs calomnies. 



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ment : un an, 6 fr. — Chaque année 
forme un beau volume in-S**, imprimé 
avec luxe sur papier vergé teinté, et est 
terminée par une table alphabétique des 
noms d'auteurs cités et des matières, 
qui, en même temps que la couverture 
et le titre (imprimés en rouge et en noir), 
est adressée gratuitement à tous nos 
abonnés. 

Le but de ces Miscellanées bibliographiques, mo- 
deste dans son principe, peut, par suite, devenir 
plus manifeste, plus vaste, et atteindre à l'au- 
torité, à Vutile dulci d'une petite Encyclopédie 
bibliographique, telle que l'avait conçue et lon- 
guement rêvée le doctissime et regretté Quérard. 
— Sous ce titre, nous entendons grouper à bon 
escient tous les documents rares ou curieux qui 
se trouvent épars de ci de là, et dont la recher- 
che fatigue même quelquefois l'esprit patient 
des bibliophiles* Nous choisirons avec soin les 
questions qui se rapportent le mieux à la Tech- 



52 LIBRAIRIE EDOUARD ROUVEYRE 

nologîe du Livre^ à la Bibliognosie et aussi à la 
Bibliatrique. Sans nous écarter du domaine bi- 
bliographique, nous espérons traiter ex professa, 
pour ainsi dire, De omni re scibili et quibusdam 
aliis. Nous serons en tous points net et concis, 
et réduirons à Tart difficile de faire court des 
sujets trop souvent noyés dans la diffusion et la 
prolixité d'un excès de savoir. 

Cette publication, paraissant régulièrement cha- 
que mois en manière de livraison, formera an- 
nuellement un intéressant volume d*Analectes 
utiles à consulter. Une table analytique des ma- 
tières et des noms d'auteurs permettra aux 
chercheurs et aux érudits de puiser dans ce vé- 
ritable nid à documents précieux avec autant de 
profit que dans un dictionnaire d*anas biblio- 
graphiques. 

Nous ne limiterons pas notre but au plaisir d'in- 
téresser, d'indiquer les rarce aves de la Biblio- 
philie et de glaner dans le glorieux passé de la 
Bibliognostique ; nous accorderons une place à 
l'art moderne du Livre, aux Bibliophiles mi'/i- 
tants de Paris, *de la province et de l'étranger. 

Trouvailles, curiosités, renseignements bibliolo- 
giques quelconques, origines ou orthographes de 
certains mots, éditions douteuses, interrogations 
de toute nature, seront insérés. 

En tout et pour tout ce qui sera du ressort du Livre, 
nous accueillerons les communications qui nous 
seront faites, nous estimant heureux d'avoir ou- 



LIBRAIRIE EDOUARD ROUVEYRB 53 

vert à nos confrères une libre arène, dans la- 
quelle chacun, à tour de rôle, luttera de savoir, 
de complaisance ou d'érudition. 

Et^maintenant, puisse cetteentreprise justifier notre 
devise de présupposition : Vires acquirit eundo. 

Le Propriétaire-Gérant ; Edouard ROUVEYRE. 

Les numéros parus jusqu'à ce jour contiennent 
entre autres articles intéressants : 

Livres français perdus, par G. Brunet. — Du 
papier^ par Jehan Guet. — Signes distinctifs des 
écdtionsoriginales deMontesquieu,ptir L.Dangeau. 
— - Remarques sur les éditions du xv« siècle et sur 
le mode de leur exécution, par P. Lambinet. •— 
Du prêt des livres, par Octave Uzanne. -^ De la 
classification des autographes, des estampes et des 
gravures, par Ed. Rouveyre. — Quelle est la vé^ 
ritable édition originale de tPhedre et Hippolyte'» 
de Racine, par Asmodée. — Du nettoyage des 
estampes et des gravures^ par Jehan Guet. — 
Fac-simile du titre de la première édition du 
Grand voyage au pays des Jlurons, par Gabriel 
Sagard Tnéodat, 16Ï2. — Procédé pour raviver 
l'écriture sur les vieux parchemins. — De la 
multiplicité des livres, par Van de Weyer. — 
Villustromanie, par Octave Uzanne. -^ Fac-similé 
de la première page d*un manuscrit d*amour 
du xvi« siècle. — Livres imaginaires et souvenir 
de bibliographie satirique ^ par René Kerviler. 
— La véritable édition originale des caractères 
de Théophraste (par La Bruyère) et celle des 
réflexions ou sentences et maximes morales (par 
le duc de Larochefoucauld), par Asmodée. -^Les 
prières de la marquise de Kambouillet, par Pros- 
per Blanchemain. — Edwin Tross et ses publi- 
cations, par le bibliophile Job. — Aljj-ed de 
Musset et ses prétendues attaques contre Victor 
Hugo, par Ch. de Lovenjaul. — ' Les annotateurs 
de livres, par Octave Uzanne. — Livres à clef, 
par le bibliophile Job. — Les manuscrits au 
xvm« siècle, par Loys Francia, etc. 



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Scarron, -.- Le Quémandeur de livres. — Le vieux 
Bouquin, — Le Libraire du Palais. — Un Ex* 
libris mal placé. —Les Quais en août.^Les Catalo* 
gueurs, — Simple coup^d'œil sur le Roman mo* 
derne,^ Le Bibliophile aux champs. — Les Projets 
^Honoré de Balzac. — Variations sur la reliure 
de fantaisie. — Restif de la Bretonne et ses biblio- 
graphes. — Le Cabinet d'un éroto^ibliomane. 



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