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I
2:: 3 cf— 7 —
qjr j^cjys
1
IDÉE
SUR
LES ROMANS
JUSTIFICATION DES TIRAGES
DE LUXE
I Exemplaire imprimé sur p^ier bUu. . .
4 Exemplaires imprimés sur parchemin . . .
10 » » sur papier du Japon.
20 » » sur papier de Chine.
é$ » » sur papier Whatman.
HUflUNI.
I
2 à $
6 à zs
16 à 35
36 à zoo
IDÉE
SUR LES ROMANS
PAR D. A. F. DE SADE
VUBLIÉB
AVEC PREFACE, NOTES ET DOCUMENTS INÉDITS
PAR
OCTAVE UZANNE
PARIS
UBRAIRIE ANCIENNE ET MODERNE
EDOUARD ROUVEYRE
I, rue des Saints-Pères, i
1878
LETTRE A L'ÉDITEUR
Mon cher Monsœur,
JE vous adresse aujourd'hui, avec prière
d'en prendre connaissance et de me
donner votre avis, un petit ouvrage oublié,
aussisobrementtraité que curieuxà plus d'un
titre, d'une érudition aimable qui glisse mais
qui n'appuie point, d'une allure aisée et sim*
pie, nullement pédagogique ou ennuyeuse.
Je vous prie de lire cette bagatelle honnête
et intéressante qui a pour titre : Idée sur les
Romans^ et tout en vous faisant part des im-
pressions favorables qui m'ont conduit au
projet fort légitime de vous en proposer la
publication, je ne crains pas de vous affirmer
que vous ne sauriez vous eflSrayer outre me-
sure de rînfemale réputation de son auteur.
Certes, le nom seul de de Sade est un
VI Lettre a l'éditeur
terrible épouvantail, aussi bien pour les
esprits timorés que pour les âmes vigoureu-
sement trempées qu'ont pu souiller en pas-
sant ses monstrueuses doctrines; les ouvi:ages
infâmes de ce rêveur de meurtres ont été
sagement mis à l'index et poursuivis comme
portant atteinte aux bonnes mœurs natu-
relles, et des stigmates d'ignominie^resteront
à jamais fixés aux révoltantes productions
qui portent sa signature. — Il faut enfermer
le poison, circonscrire la peste et condamner
au feu, selon la loi de Lynch, les livres in-
cendiaires qui anéantissent pour toujours la
virginité du cœur.
Est-ce là, cependant, une raison suffi-
sante pour abandonner l'aimable opuscule
que j e voudrais voir remettre au j our ? Assuré-
ment non — : Dans la fange sadique, nous
découvrons une brochure décente, d'un inté-
rêt indiscutable , qui forme le plus étrange
contraste avec l'originalité même de son
auteur ; nous comptons oflSrir aux curieux ce
léger traité, moins indigeste et mieux con-
r >
Lettre a l'éditeur vu
duit assurément qu'une foule de dissertations
sur l'origine des Romans où le savoir est
délayé en plusieurs tomes. Rien de plus lo-
gique. Nous n'avons, croyez-moi, à re-
douter que la censure des sots et des mé-
chants, qui guettent d'un commun accord
à l'affût du scandale, car le public restreint,
délicat et instruit auquel nous nous adres-
sons ne se montrera jamais assez mal inten-
tionné pour supposer un seul instant que
nous puissions spéculer sur l'immoralité
d'un écrivain.
Vous hésitez encore ; j'essaie de vous con-
vaincre ; le glaive de Thémis ne se trans-
forme qu'à bon droit en épée de Damoclès,
et, si, pour vous persuader, il ne vous faut
qu'un complice, je serai celui-là. Du Con-
seil à la Préface, il n'y avait qu'un pas; je
le franchis sans crainte et je vous tends la
main.
Octave Uzanne.
Paris, i«» Août 1878,
PRÉFACE
SUR
L'ŒUVRE DE I>. A. F. DE SADE
Le scélérat a ses verras, comme
rhomiète homme a ses faiblesses.
CbODERLOS de LâCLOS.
IL existe, nous en convenons, en littérature
des Liaisons dangereuses, et il faut une cer-
taine hardiesse pour associer son nom à celui
d'un homme avili par lui-même et justement
méprisé du public. Nous ne ferons pas ici
un plaidoyer en faveur de de Sade dont nous
serions plm volontiers V accusateur qu^V avocat,
mais nous estimons commeune défaillance, lors-
que le but est honorable, de conserver V anonyme
X PRéPACB
dans un travail purement Bibliographique. . et
consciencieux. Ce n'est assurément pas sans une
légitime pudeur que nous entreprenons cette pré-
face; mais il faut avouer que le Bibliographe est
— qu'on nous passe le mot — une manière de
chiffonnier, qui doit remuer souvent bien des intr
mondices. — Devant d'informes amas où
fermente le vice, les uns reculent avec effroi^
tandis que d'autres plus audacieux, plus cou-
rageux, moins petits-maîtres, si l'on veut,
s'approchent avec circonspection et prudence et,
guidés par cette noble conviction d'être utiles à
tous, se mettent bravement et patiemment à
fouiller l'orde matière avec la bonne foi d'un
Parent'Duchatelet . Nous osons, une fois
par hasard, pousser nos investigations dans le
Montfaucon littéraire où grouillent pile-
mile tant d'œuvres monstrueuses et sangui-
naires; puissions nous au moins réunir ici,
une fois pour toutes, des documents suffisants
à l'incessante curiosité des lettrés.
« T^es Barrières placées devant un préci-
pice avertissent le voyageur des périls qui le
PstfPACB tX
menacent, — icrit à propos de de Sade, l'hon-
nête libraire Pigoreau, * — que ne peut'On
de même prémunir la jeunesse contre les danr-
gers auquels elle s'expose en touchant les ou-'
vrages enfantés par le libertinage et Vimmo-
r alité ! Nommer le Marquis de Sade, c'est
souiller l'imagination, c'est rappeler les hor-
reurs de sa vie privée et les crimes à la pu^
nition desquels il n'échappa que par le respect
qu'on avait pour sa famille et par l'argent
versé à pleines mains. »
La meilleure barrière à placer devant une
œwvre, c'est sa propre Bibliographie, qui, tout
en indiquant, prévient. — La Bibliographie
peut, à elle seule, plutôt éteindre que vivifier
les impérieux désirs des mauvaises lectures;
elle désigne l'infamie, tout en proclamant le
châtiment; elle détaille et justie, mais elle
flétrit et flagelle ; elle enseigne les détours
savants du labyrinthe, mais elle en conspue le
Dédale ; et, dans la concision froide et régulière
^ Petite Bibliographie Biographico-Romancière,
Paris, Pigoreau, z voU in'8»,p. 3 op.
XII Préface"-
de sa forme scientifique, elle est plus utile que
nuisible, car elle ne s'adresse qu'aux esprits ■-
mûrs et cultivés dont le jugement est .•'!
inattaquable. l
Nous resterons donc dans le Domaine Œiblio- !j
graphique de notre sujet, et si nous avons à £
parler du joli Marquis et de sa vie, nous ne J
le ferons qu'avec toute la retenue à laquelle f
un tel homme a droit. j
//
La généalogie du Marquis de Sade est digne
d'être placée sous les yeux des lecteurs, qui
jugeront ainsi, mieux que jamais, de quel
opprobre on doit recouvrir le misérable dont
les forfaits, succédant à tant de vertus, désho-
norèrent la glorieuse race d'honnêtes gens qui
n'ont que la honte d'avoir été ses aïeux.
Le mari de la belle Laure, de la fille d'Au-
dibert de Noves, de la Laure de Pétrarque, se
nommait Hugim de Sade. — Paul de Sade,
l'un de ses fils, devint Evêque de Marseille et
Préface xiii
donna des preuves d'une fervente et admirable
charité. — Jean de Sade, neveu du dit ivéque,
fut un docte jurisconsulte que Louis II, roi
d'Anjou, nomma premier président du premier
parlement de Provence, tandis que son frère
Eléa^iar de Sade, grand échanson de Vanti'
pape Benoit XIII, rendait à l'empereur Si'
gismond de si éminents services qu'il lui fut
permis d'ajouter l'aigle impériah aux armes
de sa famille, — Pierre de Sade fut le
premier viguier triennal de Marseille, de ij6y
à is68, et nous trouvons à la même époque
un savant et digne évêque de Cavaillon, Jean
Baptiste de Sade qui est auteur de Réflexions
chrétiennes sur les devoirs pénitentiaux, —
En 1761, Joseph de Sade, chevalier de Malte,
mourait maréchal de camp, et son fils, Hip-
polyte de Sade, se distinguait plus tard par sa
bravoure au combat d'Ouessant, en 1778, et
devait mourir, troisième chef d'escadre, en
pleine mer, vers 1788. — François-Paul de
Sade, ci-devant abbé d'Uxeuil, fut ce charmant
et spirituel écrivain auquel nous devons ces
2
XIV Préface
€xcellents Mémoires sur la vie de François
Pétrarque, en même temps qu'une traduction
des œuvres du poète amoureux, et son frère
aîné, après avoir été ambassadeur en Russie
puis à Londres, devenait l'allié de la maison
de Condé par Mademoiselle de Maillé, nièce
du Cardinal de Richelieu, qui avait épousé le
Grand Condé.
Résumons maintenant très brièvement la vie
du Marquis de Sade,
— Donatien-Alphonse-François de Sade na-
quit à Paris, dans la maison même du Grand
Condé, le 2 juin 1740. — Les premières années
de son enfance se passèrent en Provence, dans
cette admirable Geuse parfumée, comme l'ap-
pelait Godeau ivéque de Grasse, au milieu des
verts oliviers et des orangers en fleurs. — A dix
ans, il fut placé au collège Louis-le-Grand,
ru^ Saint'facques : c'est à ce moment qu'il
nous est possible de comprendre les affreuses
dispositions du jeune de Sade : c'était, à cette
époque, un adorable adolescent dont le visage
délicieux, pâle et mat y éclairé de deux grands
Préface xt
yeux noirs, portait dija cette empreinte îan*
goureuse du vice qui devait corrompre tout son
entourage. Il avait ce je ne sais quoi de traînant
et de caressant dans la parole qui attirait vers
lui d'une sympathie invincible et cette tour-
nure bercée sur les hanches, cette grâce mol-
lement féminine qui lui procurèrent, dis l'in-
ternat, ces amitiés honteuses sur lesquelles on
ne saurait insister.
Au sortir du collège, de Sade entra dans
les chevau'légers, £où il passa comme sous-
lieutenant au régiment du roi. — // fit, comme
capitaine dans un régiment de cavalerie, la
guerre de Sept ans en Allemagne et, à son
retour à Paris, il épousa l'une des filles d'un
président à la Cour des aides. Mademoiselle
de Montreuil, une ravissante jeune fille aussi
doua que vertueuse et aussi timide que remplie
de mérite.
Nous n'étonnerons personne en annonçant
que la nouvelle marquise fut la plus malheu"
reuse des femmes. De Sade n'avait épousé
Mademoiselle de Montreuil, V aînée, que par
XVI Préfacb
ordre paternel ; ses disks ^ pour ne pas dire
son amour y le portaient vers la sœur cadette,
n compromit si bien celle-ci ^ après son mariage,
par ses assiduités déplacées qu'on dût l'en--
fermer dans un couvent.
Mais ne nous arrêtons pas aux divers
détails d^une vie que nous ne faisons qu'effleurer
en courant, de peur de nous embourber dans
la fange marécageuse qui en forme le fond.
Disons que de Sade, pour s'étourdir et se
soustraire à la passion incestueuse qui le dé"
voraity se lança éperdûment dans le libertinage
le plus effréné, laissant sa pauvre compagne
plongée dans l'isolement et dans les larmes.
C'est ici que nous voyons ce monstre, relégué
en Provence, au Château de la Coste, par ordre
supérieur ^ commettre ce crime fameux qui lui
valut un procès raconté en détail par un savant
Bibliophile, puis enlever sa propre belle-sœur
qu'il avait su gagner à ses supplications amou-
reuses et sinistres. Tlus tard, nous le retrou-
vons dans V affaire de Rose Keller, quifitins-
truire contre lui un nouveau procès, dont la
PRéFACB XVII
procédure fui arrêtée par ordre du roi, par
égard pour sa malheureuse famille.
Conduit h la prison de Pierre-Encise, à
Lyon , de Sade obtint sa grâce après six
semaines de réclusion.
Jusqu'alors ce fanfaron du vice avait pra-
tiqué les plus honteuses débauches ; il voulut
faire mieux, il se mit à en aborder la théorie
et à écrire, selon son mot, ses pensées et ses
souvenirs :
« Dans ce débordement de pages licencieuses,
comment commencer et par où finir ^ s* écrie le
bon Jules Janin, qui rédigea sur le Marquis
de Sade, une longue et curieuse étude, comment
faire cette analyse de sang et de boue?
comment soulever tous ces meurtres? où sommes^
nous? ce ne sont que cadavres sanglants,
enfants arrachés aux bras de leurs mères,
jeunes femmes qu'on égorge à la fin d'une or-'
gie, coupes remplies de sang et de vin, tortures
inouïes y coups de bâtons ^ flagellations horribles.
On allume des chaudières^ on dresse des che^
valets, on brise des crânes, on dépouille des
XVIII . Préface
hommes de leur peau fumante; on crie, on
jure, on blasphème, on se mord, on i arrache
le cœur de la poitrine, et cela pendant douT^e ou
quin:ie volumes sans fin ; et cela, à chaque
pagCy à chaque ligne, toujours, — ohl quel
infatigable scélérat I Dans son premier livre,
(Justine) il nous montre une pauvre fille aux
abois, perdue, abîmée, accablée de coupSy con-
duite par des monstres de souterrains en souter-
rains, de cimetières en cimetières, battue, brisée,
dévorée à mort, fiétrie, écrasée. — // n'a pas de
cesse qu'il n'ait accumulé dans ce premier ouvrage
toutes les infamies, toutes les tortures :. Celui
qui oserait calculer ce qtCil faudrait de sang
et d'or à cet homme, pour satisfaire un seul
de ses rêves frénétiques serait déjà un grand
criminel. — On frémit rien qu'à s'en sou-
venir. Le tremblement vous saisit rien qiià
ouvrir ces pages ; puis, quand l'auteur est à
bout de crimes, quand il est là haletant sur
les cadavres qu'il a poignardés et violés,
quand il n'y a pas une église qu'il n'ait souil-
lée, pas un enfant qu'il n'ait immolé à sa
PRiFACE XIX
rage, pas une pensée morale sur laquelle il
n'ait jeté les immondices de sa pensée et de
sa parole, cet homme s'arrête enfin ; il se re-
garde, il se sourit à lui mime, il ne se fait
pas peur. Au contraire, le voilà qui se
complaît dans son œuvre, et comme il trouve
qu'à son œuvre, toute abominable qu'il l'a
faite, il manque encore quelque chose, voilà
ce damné qui s'amuse à illustrer son livre,
qui dessine sa pensée et qui accompagne
de gravures dignes de ce livre, ce livre digne
de ces gravures : et de tout ula il résulte
le plus épouvantable monument de la dégra-
' dation et de la folie humaines, devant lequel
mêtne la vieille Rome, à son moment de déca-
dence et de luxel à l'heure où les Romains
jetaient leurs esclaves aux poissons de leurs
viviers, aurait reculé frappée de honte et
d'effroi. »
Que pourrions-nous ajouter à ces pages
vives et éloquentes de l'auteur de L'âne mort ?
que dirions nous qui puisse mieux peindre
l'orgie sacrilège de Justine, ou de Lsl Phi-
XX Préface
losophîe dans le boudoir, si ce n'est que les
héros de Sade :Bressac, Dolntancé, Cœur^de-fer,
l'instituteur Rodin et autres sont des monstres
dignes de faire pâlir les Tibère, les Néron
ouïes Borgia; que ses héroïnes y femmes ou
filles, proxénètes ou trihades, ont une bassesse
orgueilleuse dans laquelle elles semblent se
faire gloire de se vautrer superbement, et que
ut homme abject qui fit mouvoir ces pantins
grotesques trouve, pour les faire parler, des
sentiments d'un étonnant cynisme tout en sachant
mettre dans la voix de la vertu qui lutte
et succotnbe des notes émues, vibrantes, dé-
chirantes, dont le contraste brutal plonge dans
le plus bi:(arre étonnement.
Les théories de Sade ont la valeur d'un
paradoxe m délire; il prétend peindre le vice
tel qu'il existe, et toutes ses doctrines semblent
condensées dans cette merveilleuse épigraphe :
On n'est pas criminel pour faire la peinture,
Des bizarres penchants qu'inspire la nature.
Mais revenons au précis biographique du
Préface xxi
Marquis ou plutôt du Comte de Sodé que
nous avons hâte de conduire à Charenton^comme
il en fut digne. — Enfermé au donjon de Vin-
cennes,en 1772 oueni77J,pouruncorgiedans
une maison suspecte, notre libertin fut trans"
porté à la Bastille oit il se trouvait encore
le 17 mars 1790, jour où parut le décret
de r Assembla Constituante qui rendait la
liberté à tous les prisonniers enfermés par
lettres de cachet. — Pendant la Révolution et
la Terreur, le Citoyen Sade devient populaire ;
il est fait, sur sa réputation, secrétaire de la
Société des Piques, puis, par un brusque re- .
virement populaire, accusé d'être suspect, il est
emprisonné aux Madelonnettes.
Nous le rencontrons de nouveau sous le Di-
rectoire, toujours ferme, toujours vaillant à
mal faire, toujours sur la brèche du liberti-^
nage ; il écrit à cette époque Zoloé et ses
deux Acolytes, pamphlet aussi indécent que
violent dirigé contre foséphine de Beauharnais,
alors épouse du premier consul, et contre Mes-
dames Tallien et Visconti; — bien plus, il en
«" Préface
fait tirer ; exemplaires à part sur fort papier
vélin et a la hardiesse de les adresser aux
Cinq Directeurs. — Bonaparte devenu Em--
pereur se souvint de Voutrage qui lui avait
été fait ; il envoya au préfet de police V ordre
défaire enfermer dans la maison de Cha-
renton, le nommé Sade, fou dangereux. et
incurable. — Dans une de ses comédies, de
Sade émettait cette pensée philosophique :
Tous les hommes sont fous, il faut, pour n'en point voir.
S'enfermer dans sa chambre et briser son miroir.
Cette fois-ci, Sade put contempler la folie
humaine à son aise, car il ne devait pas sortir
de Charenton; il eut beau adresser des sup-
pliques au citoyen ministre de la police, pro-
tester en toutes occasions de son innocence, ce
vétéran de la prison, devait y mourir. — Il
expira le 2 décembre 18 14, doucement, sans
secousse, sans infirmité. — Notons ici un
rapport intéressant d'un savant disciple de
Gall, sur la tête même du marquis.
« Ce crâne mis à nu, ressemblait à tous
les crânes de vieillards; c'était un mélange
PuiFACK XXIU
singulier de vices et de vertus, de bienfait
sance et de crimes, de haine et d'amour; cette
tête, que fai sous les yeux, est petite, bien
conformée; on la prendrait au premier abord
pour la tête d'une femme, d'autant plus que
les organes de la tendresse maternelle et de
l'amour des enfants y sont aussi saillants que
sur la tête d'HUotse, ce modèle de tendresse et
d'amour. »
De Sade laissait un testament * dont voici
le dernier paragraphe :
« Je défends que mon corps soit ouvert sous
quelque prétexte que ce puisse être. Je demande
avec la plus vive instance qu'il soit gardé qua-
rante-huit heures dans la chambre où je décé-
derai, placé dans une bière de bois qui ne sera
clouée qu'au bout des quarante-huit heures
prescrites ci dessus, à l'expiration desquelles la
dite bière sera clouée; pendant cet intervalle,
il sera envoyé un exprès au sieur Lenormand,
* Ce testament a été retrouvé à Charenton après
la mort de de Sade* Ces dernières volontés ont été
publiées pour la première fois dans Le Livre, par
J, Janin, in^S; 1870, p, 2g i.
XXIV Préface
marchand de bois, boulevard de VEgalité,
ff loi, à Versailles, pour le prier de venir
lui-même, suivi d'une charette, chercher mon
corps pour &re transporté, sous son escorte, au
bois de ma terre de la Malmaison, commune
de Mancé, prés d'Epernon, où je veux qu'il
soit placé, sans aucune espèce de cérémonie,
dans le premier taillis fourré qui se trouve à
droite dans le dit bois, en y entrant du côté de
l'ancien château par la grande allée qui le
partage. La fosse sera pratiquée dans ce taillis
par le fermier de la Malmaison, sous l'inspec-
tion de M^ Lenormand, qui ne quittera mon
corps qu'après l'avoir placé dans la dite fosse;
il pourra se faire accompagner dans cette céré-
monie, s'il le veut, par ceux de mes parents ou
amis, qui, sans aucune espèce d'appareil, auront
bien voulu me donner cette dernière marque
d'attachement. La fosse une fois recouverte^ il
sera semé dessus des glands^ afin que par la
suite, le terrain de la dite fosse se trouvant
regarni et le taillis se trouvant fourré comme
il l'était auparavant, les traces de ma tombe
PSÉFACE XXV
disparaissent de dessus la surface de la terre.
Comme je me flatte que ma mémoire s'effacera
de l'esprit des hommes.
« Fait à CharentOfi'Saint'Maurice, en état
de raison et de santé, le }0 janvier 1806.
« Signé:
« D. A. F. Sade. »
Nous n'avons abordé la biographie de de
Sade qu'avec la constante préoccupation d'ar-
river à son œuvre. L'homme a été sacrifié, nous
n'avons guère mieux parlé de lui que ne l'eAt
fait un dictionnaire biographique; nous nepou"
vions cependant embrasser l'œuvre d'un écri-
vain sans côtoyer son existence, et, dans cette
terrible confection é^ une préface, écrasé entre la
couverture et le texte même d'un ouvrage, on a
toujours à craindre la voix anxieuse de l'édi-
teur qui vous crie le : Ne quid nimis de
Térence, alors mime que, le plus souvent, les
3
XXVI Préface
documents se pressent sous la plume. Devenons
donc, si vous le voulez bien, le froid nomencla-
teur des ouvrages du citoyen comte et marquis
de Sade.
III
Nous diviserons la bibliographie du Mar-
quis de Sade en deux parties : les productions
dramatiques et les romans. Nous traiterons
cette partie avec toute la froideur et la conci-
sion d'un catalogue. Commençons d'abord par
les œuvres théâtrales :
i" Oxtiem ou les Malheurs du liberti-
nage, dram^ en } actes et en prose, par D. A.
F. S. Versailles, Blai^t, an VIIIj in-S** de
48 p. \
(Voyex^ le Catalogue de la Bibliothèque
dramatique de M. de Soleinne, tf 2J42.
* Oxtiern fut joué avec succès sur le théâtre de
Molière dans les premiers jours de novembre lygi
et repris à Versailles le i3 décembre 1799»
pRiFACB XXVII
M. P. L. Jacob, Bibliophile, y a joint une note
intéressante),
2"" Julia ou le Mariage sans femme,/a//«-
vaudeville en i acte.
(Manuscrit attribué à d^ Sade. Catalogue
Soleinne., m" jSj^.)
f Le Misanthrope par amour ou Sophie
et Desfrancs, comédie en / actes et en vers.
Reçue d'une voix unanime au Théâtre-Fran^
çais, en 1790, et qui valut à l'auteur ses
entrées pendant cinq ans".
4^ L'Homme dangereux ou le Subor-
neur, comédie en 1 acte et en vers de dix syl-
labes. Reçue au Théâtre Favart en 1790. Cette
pièce n'a jamais été imprimée.
j*' La France f...... comédie lubrique et
royaliste, tf ^796 (1796), in-S^ Cette pièce
figure au Catalogue Soleinne **.
* Cette comédie n'a jamais été imprimée ; voye:(>
à la fin de cette préface, la lettre inédite qui y fait
allusion.
** Le savant rédacteur du Catalogue Soleinne,
M. Paul Lacroix, attribue cette pièce à de Sade.
La lecture de certaines notes qui y fif^urent pourrait
XXVIII Préface
6^ L'Epreuve, comédie en i acte et en vers.
1782 (Pièce saisie par la police) .
7** L'Ecole du jaloux; Le Boudoir. Reçue
m j 7^1 au Théâtre Favart.
8^ Cléontine ou la Fille malheureuse,
drame en j actes et en prose. 17^2 ?.
La Biographie universelle de Michaud cite
encore plusieurs pièces manuscrites de de
Sade : Le Prévaricateur ou le Magistrat du
temps passé ; Le Capricieux ou l'Homme
inégal, pièce recule au Théâtre Louvois et re-
tirée par V auteur; Les Jumelles, 2 actes et
en vers; Les Antiquaires, i acte et en prose.
— 4 drames : Henriette et Saint-Clair ou
la Force du sang ; L'Egarement de l'infor-
tune; Franchise et Trahison; Fanny ou
les Eflfets du désespoir. Nous renvoyons les
curieux à la longue nomenclature ff oeuvres
inédites publiée par la Biographie Michaud.
seule nous en convaincre. « LorsquHl s'agit du bien,
est-il dit dans un passage, qu'importe comment on
Vopère. N'ave^-vous jamais pris de poison pour
vous guérir ?» La France f..... a paru dans les
catalogues Saint-Mauris, Baillet, Leber (n* Soi 6)
et Pixéricourt, vente de i83g, p. 368.
Pr^FACB XXIX
Dans la Revue anecdotique, tome X (Nou-
velle Série, tome I), i86q, p. toi à io6,
on trouvera des notes très curieuses sur les
pièces jouées par de Sade à Charenton ainsi
qu'une lettre inédite adressée à M** Cochelet
sur le spectacle du 2j mai 1810. On y voit
non-seulement quel était le programme de cette
fête, mais encore le chiffre et les noms des per-
sonnages qui composaient l'assistance.
ROMANS ET AUTRES ŒUVRES
1° Justine ou. les Malheurs de la vertu*,
en Hollande, che:(^ les Libraires associés, 1791,
* Le Marquis de Sade s'est toujours défendu
d'être Vauteur de Justine. Non-seulement ses lettres
adressées de prison au préfet de police et ses pro^
testations dans l'ouvrage que nous réimprimons le
prouvent, mais nous citerons encore ce passage d'une
lettre inédite de de Sade, qui s'est trouvée vendue
en 1861 (vente de M, Font.,».) cette lettre est datée
du 24 fructidor ijgS ?
tt // circule dans Paris, y est-il dit, un ouvrage
informe ayant pour titre : Justine ou les Malheurs
de la vertu ; plus de deux ans auparavant j'avais
fait paraître un roman de moi intitulé; Aline et
Valcour ou le Roman philosophique. Malheureux
sèment pour moi, il a plu à Vexécrable auteur de
3nCX PRéPACE
2 vol in-8^ de28jet i^i p. Frontispice par
Chéry. Cette édition est mentionnée au Cata-
logue de Tixérécourtj nf 12 }^.
2*» Justine, etc., m Hollande, 17^1. Mmr
pression en 2 vol., dans le format in'i2, de
rédition qui précède. Le frontispice est réduit et
gravé par Texier. On trouve quelquefois cette
édition ornée de 12 figures libres avec encadre-
ments de têtes de mort, chaînes et instruments
de supplice. (Voye^ Cohen : Guide de TAma-
/ teur de Livres à figures^ 1876, col. 4)7).
y Justine, etc., à Londres (Paris, Cazin),
17^2, 2 vol. in-ié de jjy et 288 p. Joli fron-
tispice d'après Chéry et s figures libres non
signées. Cet ouvrage est le plus licencieux qui
soit sorti des presses clandestines de Cazin.
(Voye^ : Cazin, sa Vie et ses Editions, par
un Cazinophile, i.voL in-i6, Reims 1876
Taris, Ed. Rouvre, p. ij8).
Justine (?) de me voler une situation, mais qu'il a
obscenisée, luxuriosée de la plus dégoûtante ma-
nière. Il n^en a pas fallu davantage pour faire dire
à mes ennemis que ces deux ouvrages m'apparte-
naient.
Signé : De SADE.
■ g. - W
Préface xxxi
4^ Justine, etc., ^'^ édition (^'~) corrigée
et augmentée, à Philadelphie, 17^4, 2 vol.
in-i8y ornée de 8 gravures libres dont un
frontispice allégorique non signé. Cette édition
est précédée d'un avis de l'éditeur et d'une dé-
dicace a A ma bonne Amie »; elle est d'une
exécution comparativement très belle; le papier
est légèrement bleuté.
j^ Justine, etc. y à Londres {Paris)^ 1797,
4 vol. in- 18 avec 6 figures, augmenté d^ épi-
sodes nouveaux et exécuté avec un luxe typo-
graphique inusité à cette époque. (Voye^ :
Quérard, France littéraire.)
é'' Justine, etc., en Hollande, 1800, 4 vol.
in-i8 de i}6, 136, 134 et i}2 p., 12 figures
libres dont 4 charmants frontispices. Cette édi-
tion n'est que la contrefaçon de V édition Ca:^n,
1792.
7^ Juliette ou la Suite de Justine, i'* édi-
tion, S. £., 1796, in-8'*. [yoye:^ : Barbier,
Dict. des Anonymes, tf 9127.^
8^ La Nouvelle Justine ou les Malheurs
de la vertu, stnvi de /'Histoire de Juliette,
XXXII Préface
sa sœur, ou les Prospérités du vice, Hol-
lande (^Taris, Bertrandet?\ i797y lo vol.
in-i8y dont 4 de Justine et 6 de Juliette. Oth
vrage orné d'un frontispice et de 100 sujets
gravés avec soin. B existe plusieurs éditions
sous la rubrique de Hollande et sous la mime
date; les réimpressions modernes exécutées en
Belgique conservent également le mime titre et
la mime date. La Nouvelle Justine est la troi-
sième rédaction de cet exécrable ouvrage. On
doit trouver à la fin du tome VI l'indication
au relieur contenant l'ordre des gravures *.
Les mimes gravures se rencontrent lithographiées
ou modifiées presque au trait. (FoyeT^ : Cohen
et l'excellent Catalogue des ouvrages con-
damnés, rédigé par Fernand Drujon^ Taris,
Ed.Rouveyre, 1878, in-8^,p. 21 j-)
f Justine ou les Malheurs de la vertu
(attribué à Rabari) avec préface par le Marquis
de Sade. Paris, Olivier, Impr. Maltesse^
* M, B., Bibliophile à Paris, possède 9 selon le
guide Cohen, tous les dessins originaux de Justine,
plus un dessin inédit et dou^çe dessins originaux de
Juliette.
Préface xxxiii
18} j^ 2 vol. in'8% et, également, Paris, che:^
Bordeaux, éditeur. Hôtel Bullion, i8}6y
2 vol. in-8'*. Cet ouvrage n'est qu'une éhontée
spéculation qui ne rappelle que par le titre le
roman de de Sade. Le mot Préface est im-
primé très fin et une longue épigraphe sur la
prospérité du crime accapare une grande place
au milieu de la couverture. Un arrêt de la
Cour d'assises ordonna la destruction du livre
et condamna l'auteur (?) à six mois de prison
et },ooo francs d^ amende (Moniteur du
26 juin i8}6).
10^ Lettre sur le Roman intitulé : « Jus-
tine ou les Malheurs de la vertu », par
Charles Villiers. Paris, 18'ji. Plaquette
curieuse.
îî"* Justine und Juliette, oder die Gefah-
ren der Tugend und die Wonne des Las-
ters, etc. y Leip^^ig, Cari Mind, 1874. Cette
traduction allemande ne donne qu'un abrégé de
V œuvre de Sade avec des appréciations intéres-
santés.
12^ En fructidor an VII, Prévost, directeur
XXXIV Préface
du Théâtre sans prétention, fit annoncer une
pièce intitulée : Justine ou les Malheurs de la
vertu; la police interdit la représentation,
ly L' Anti-Justine ou les Délices de
l'amour, par M. Linguet, avocat au et en Par-
lement (Restif de la Bretonne). Au Palais-
Royal, che:^ feu la veuve Girouard, 1798.
(Voye^ : Bibliographie de Restif de la Bretonne,
par P. L. Jacob, Bibliophile. T?aris, 187 j,
p. 41} et suivantes.)
14" La Philosophie dans le boudoir ou
les Instituteurs libertins, Dialogue. Ouvrage
(prétendu) posthume de l'auteur de Justine. A
Londres (Paris), aux dépens de la Compagnie,
179 S y 2 vol. in'i8de 2^0 et 216 p., orné d'un
frontispice et de 4 figures libres. Cette édition a
été plusieurs fois contrefaite de nos jours, en
Belgique, sous la même rubrique et la mime
date. (Voye^i le Catalogue d'une Petite Bi-
bliothèque erotique qui se distribua à Bru-
xelles.) On voit cette épigraphe sur le titre de
ces réimpressions : La mère en prescrira la
lecture à sa âlIe.
PitlÎFACB XXXV
ly La Philosophie dans le boudoir,
Londres (Paris), 1830, 2 vol. in- 18 avec
10 lithographies obscènes. Des photographies
asse^^ mal exécutées remplacent les lithogra-^
phies dans certains exemplaires de cette édition.
lé*" Aline et Valcour ou le Roman phi-
losophique, écrit à la Bastille un an avant
la Révolution, />ar fc Citoyen 5... *, Paris,
Girouard, Libraire^ 179}. 8 vol. pet. in'i2,
et Paris, Maradan, 1795, 8 parties in-i8
avec figures et le frontispice renouvelé. On nous
dit avoir vu des exemplaires sous la mime date
publiés par M^ veuve Girouard, sans le nom
du citoyen Sade, et précédés d'une épigraphe de
sept vers latins empruntés à Lucrèce. Il parut
plus tard deux copies abrégées d'Aline et Val-
cour sous les titres de : Valmor et Lydia ou
* Aline et Valcour /«/ condamné par arrêt de la
Cour Royale en date du ig mai j8i5,Vqye^ Cata-
logue des ouvrages condamné, p. i3. Un ouvrage
anglais publié à Londres en i8jy : Index librorum
prohibitorum, par Pisanus Fraxi (pseudonyme),
donne des détails sur Aline et Valcour et sur un om-
vrage inédit de Sade dont le manuscrit est cheif un
amateur Parisien.
XXXVI Préface
Voyage autour du monde de deux amants
qui se cherchent, Taris, Pigoreau ou Leroux,
an Vil, } vol. in'i2 ; et Alzonde et Kora-
din, Paris, Cercoux et Moutardier, 17pp.
2 vol. iît'iS. (Foye^i à la fin de /'Idée sur les
Romans la note de Sade relative à ces ro^
mans.)
if La Marquise de Ganges, Taris, Pi-
chet, î8i}, 2 vol. in'i2. Roman ennuyeux et
sombre attribué au Marquis de Sade.
18'' Pauline et Belval ou les Victimes
d'un amour criminel, anecdote parisienne
du xvm* siècle, Paris, an VI {1798), j vol.
in'i2; et Paris, 18 17, 2 vol in-12 avec
figures. Ce roman ne nous est connu que par
V attribution à de Sade qu'en a faite Pigoreau
dans sa Petite Bibliographie romancière.
If L'Etourdi, Lampsaque, 1784, 2 vol.
in-i8. Cette mauvaise production a été attri^
buée au Marquis par M. Paul Lacroix, dans
une note qui accompagne l'annonce d'un exem-
plaire de cet ouvrage, au Bulletin du Biblio-
phile {i8s7, p. iS})'
PklÎFACE XXXVII
2(f Les Crimes de l'Amour ou le Délire
des passions; Nouvelles héroïques et tra-
giques, précédé d'une Idée sur les Romans
et orné de gravures, par D. A. F. Sade,
auteur d'Aline et Valcour. A Paris, che:^
Massé, an VIIL 2 voL in-S^* et 4volAn-i2.
21^ L'Auteur des Crimes de l'amour à
Villeterque, folliculaire. Paris , Massé, an IX,
în-i2 de i^ p. — Libelle violent et grossier
en réponse à une critique très fondée des Crimes
de l'Amour, faite par Villeterque dans le
Journal de Paris en 1800.
22° Zoloé et ses deux acolythes ou
Qiielques Décades de la vie de trois jolies
femmes. Histoire véritable du siècle dernier,
par un contemporain, A Turin {Paris), che^
tous les marchands de nouveautés. De l'Impri-
merie de l'auteur. Thermidor, an VIII, in-12 .
Frontispice gravé non signé.
Cet ouvrage satirique et obscène est dirigé
contre Joséphine de Beauharnais, épouse de ®a-
♦ L'exemplaire in-S* de M, Solar, dans une
demi-reliure, a été adjugé 45 fr. à sa vente en 1860,
XXXVIII Préface
naparte, et M^ Tallien et Visconti. L^ fron-
tispice représente ces trois héroïnes, qui, dans
ce Roman, sont peintes sous les noms de Lau-
réda, de Volsange et de Zoloé. Ce fut sur le
rapport qu'on lui fit de ce libelle que Bona-
parte, premier consul, donna l'ordre d'enfermer
à jamais, comme fou furieux, le citoyen Sade
à Charenton.
2f Couplets chantés à Son Eminence
le Cardinal Mauiy, le 6 octobre 1812, à la
maison de santé près de Charenton. Ces cou-
plets ont été transcrits dans la Revue rétro-
spective. Sade les avait mis sous le nom des
recluses de la maison.
ÉTUDES SUR LE MARQUIS DE SADE
I* Un article de M. fuies fanin, inséré dans
la Revue de Paris, 18 34, p. }2i à 360,
sous le titre : Le Marquis de Sade, a été re-
produit dans les Catacombes (6 vol. in-i8)
et donné plus tard en abrégé dans Le Livre.
^-8", 1870.
w^mm
PRéPACB XXXIX
2** Le long et savant article de M. Paul
Lacroix, La Vérité sur les deux procès
criminels du Marquis de Sade, parut en
premier lieu dans la Revue de Paris, iS}'/,
p. 13 j à 144. n forme l'un des 12 fascicules
in-S^ parus chez Techener, de 18 j8 à 1847,
sous le titre général de : Dissertations sur
quelques points curieux de l'Histoire et de
l'Histoire littéraire, par le Bibliophile Jacob.
Cette notice^ enfin, a été imprimée définiti-
vement dans la Nouvelle Bibliothèque de
poche (Curiosités de l'Histoire de France,
2' série : Les Procès célèbres. T?aris, 18 j8,
in- 12, p. 22s).
y Une publication biblùh-biographique tris
mal exécutée réunit les études de MM. J. fa-
nin et T. Lacroix, sous le titre Le Marquis
de Sade, Paris, che^i les Marchands de nou-
veautés, i8}4 (Jausse date évidemment, car,
à cette époque, l'article de M. Lacroix n'était
pas encore écrit), i vol. in'i2 carré de VIII
et 62 p., précédé d^un médaillon fantaisiste de
de Sade provenant de la collection de M. de
XL Préface
La Tarte. Disons à ce propos qu'on m connaît
aucun portrait authentique du Marquis. Un
autre portrait, dans un entourage de démons,
nous présente Sade avec un visage jeune.
Cette gravure ridicule accuse la provenance de
la collection de M. H..,, de Taris. Ce por-
trait est aussi faux que les autres.
4^^ Le Marquis de Sade, L'Homme et
ses écrits. Etude bio-bibliographique. Sado-
polis, chez Justin Falcourt, à l'enseigne de la
« Fertu malheureuse », l'an oooo. (Bru-
xelles, J. Gay, 1866), pet. in-12 de J2 p.
— Tiré à ijo exemplaires, tous sur vergé
de Hollande (Attribué à M. G. B., deB.).
— La destruction de cet ouvrage fut or-
donnée y pour outrages à la morale pu-
blique (?) le 7 mai 1874. (Voye:(^ : Cata-
logue des ouvrages condamnés, p. 24 j.")
Cet opuscule, tris-bien composé, donne en
appendice : « le Discours prononcé à la Sec-
tion des Piques, par Sade, citoyen de cette
section et membre de la Société populaire. »
j^ // a paru à Bruxelles vers 1872, un vo-
Préface xu
lume sous le titre : Le Marquis de Sade,Zoloé
et ses deux acolytes^ avec notices biogra-
phiques et bibliographiques, par un savant
Bibliophile. Nous n'avons pu nous procurer ce
volume.
On trouvera de curieux détails sur Sade
dans les ouvrages suivants :
Mémoires secrets de Bachaumont, tome
VI; — Charles Nodier; Souvenirs, Portraits
de la Révolution et de l'Empire. Charpentier,
2 vol.; — Biographie universelle {article
de Michaud jeune) ; — Biographie générale,
tome XLII, article signé /. M. r. i.; — Re-
vue rétrospective, publiée par M, J. Tas-
chereau; — Lettres de la Marquise du
Deflfand à Horace Walpoole; — r Histoire
de TArt pendant la Révolution, par Renou-
vier; — L'Espion anglais, tome II; —
Sébastien Mercier, Nouveau Tableau de
Paris, etc.
IV
Nous avons terminé notre aperçu bibliogra-
xLii Préface
phique en nous efforçant de ne pas sortir de la
rigidité du Catalogue. Si nous avons entrepris
cette manière de préface, c'est en, mettant dehors
tout esprit critique et toute prétention à une
œuvre littéraire. Il n'y a que deux façons
d'aborder un homme comme ce Marquis hon-
teux: il faut, soit le peindre de pied en cap, en
disséquant jusqu'aux moindres fibres de son
itrCy soit abandonner l'homme pour remuer dé-
daigneusement l'œuvre, essayer de la classer,
sans commentaires ni étalage d'érudition.
C'est à ce dernier parti que nous nous sommes
fixé.
Nous donnons, à la suite de cet essai,
quelques lettres inédites dont nous devons la
communication à MM. François Coppée et
Georges Monval, archivistes du Théâtre-Fran-
çais. Ces lettres offrent un intérêt d'autant plus
vif qu^ elles présentent le Marquis de Sade
comme un des nombreux auteurs dramatiques
monomanes. Nous avons pris copie des plus
originales; les autres ne témoignent que d'une
obséquiosité et iune platitude étonnantes.
pRéPACB XLIII
TarleronS'ftous ici de /Idée sur les Ro-
mans? Certes, notre devoir s^ trouve quelque
peu engagé; mais nous sommes si voisin du
texte original de cet ouvrage, annoté par nous
de certains éclaircissements nécessaires, nous
craignons tant de fatiguer le lecteur que nous
le prions de vouloir bien tourner le feuillet :
la meilleure critique est moins ulle que Von
partage que celle qu'on se forme.
Octave Uzanne.
LETTRES DE DE SADE
CONSERVÉES AUX ARCHIVES DE LA COMéDiB-FRANÇAISB
I
Messieurs,
Permettez que j'aie l'honneur de vous rappeler
sans cesse les sentiments d'estime et d'attachement
qui, depuis des années, me lient à votre théâtre.
J'en ai fait profession dans tous les temps, j'ose
dire même (et les preuves existent) que pour avoir
pris votre parti avec trop de chaleur lors de vos
derniers troubles, vos ennemis m'ont écrasé dans
des papiers publics, sans que jamais rien m'ait
découragé : la récompense de mon attachement a
été votre refus du dernier ouvrage que je vous ai
lu, et qui, j'ose le dire, n'était pas fait pour être
traité aussi sévèrement.
XLVi Appendice a la préface
Quelque chagrin que m'ait fait éprouver ce refus
formel^ rigoureux et général, je ne vous en con-
sacre pas moins à l'avenir et ce qui reste dans
mon portefeuille et ce qui le remplira de nou-
veau. Mais, Messieurs, permettez que, traité par
vous si rigoureusement dans Toccasion que je
viens de citer, j'éprouve au moins et votre indul-
gence et votre équité sur deux autres objets.
Vous avez depuis longtemps une pièce à moi,
unanimement reçue par vous^; dès que j'accepte
tous les arrangements nouveaux qu'il vous a plu
de faire avec les auteurs^ je vous demande avec
instance. Messieurs, de la faire passer le plus tôt
possible; donnez-moi cet encouragement, je vous
en supplie : cela doit vous être facile, s'il est vrai,
ainsi qu'on le dit, que plusieurs auteurs, ne vou-
lant pas adopter vos arrangements, ayant retiré
leurs pièces. Moi, je souscris à tout. Messieurs,
et ne vouis demande que de ne pas me faire lan-
guir.
L'autre faveur implorée par moi, Messieurs, parce
que vous me l'avez promise en dédommagement
de la mauvaise réception que vous fîtes à ma der-
nière comédie, consiste à vous prier de vouloir
bien entendre le plus tôt possible la lecture de
trois ou quatre ouvrages tous prêts à vous être
présentés et que je voudrais ne pas donner
ailleurs.
Aussitôt que vous aurez bien voulu me faire
* Le Misanthnpe par amour ou So^it tt Dafratus, rtçae en sep-
tembre 1790.
Appendice a la préface xlvii
savoir le jour qu'il vous plaira de m'accorder,
j'aurai Thonneur de vous porter celui de quatre,
que je croirai le plus digne de vous être offert.
J'ai l'honneur d'être,
Messieurs,
Avec les sentiments de la plus haute considération,
Votre très humble et très
obéissant serviteur.
De SADE.
2 mai 1790.
II
Je soussigné déclare que c'est faussement et
contre ma volonté et mon assentiment que mon
nom se trouve sur la liste des auteurs qui ont
délibéré qu'il ne devait être accordé que 700 livres
de frais par jour à la Comédie française . J'atteste
n'avoir mis mon nom que sur la liste de ceux qui
ont signé à la minorité, que par des considérations
particulières, il devait être accordé huit cents
livres et viens pour certifier cette façon de penser
de ma part en adressant une lettre publique à
Messieurs les auteurs signée de moi et dont je
distribuerai des copies à Messieurs les comédiens
français, afin qu'ils soient persuadés de ma façon
de penser.
De SADE.
A Taris, et lundi 17 upumbre 1790,
III
J'ai pris connaissance des conditions réglemen-
taires auxquelles les comédiens français ordinaires
XLViii Appendice a la préface
du Roi reçoivent les pièces où ils s'engagent à
jouer ainsi que de la convention pécuniaire qu'ils
font à chaque ouvrage.
Je souscris aux conditions réglementaires et je
promets de signer le marché pécuniaire si ma
pièce intitulée La Ruse d'amour ou VUnion des
arts, pièce en six actes , et en vers prose et vau-
deville est reçue.
A Taris, U rj janvier 1792.
De SADE.
IV
Si la Comédie française^ Monsieur, n'agrée point
l'offre que je lui ai faite d'une petite pièce en un
acte et que j'ai eu l'honneur de vous envoyer der-
nièrement, je vous prie de me la renvoyer. Je
n'imaginais pas qu'il fallut être soumis aux mêmes
délais pour ce que Von donne que pour ce que
Von vend.
En un mot, Monsieur, je vous prie de m'in-
struire du sort de cette négociation et de me croire
avec tous les sentiments possibles,
Votre concitoyen,
SADE.
Ce 16 mars 1795, Van 2 de la République, rue Neave-ies t^Cathurins,
Chaussée d'Antin, n, 20.
IDÉE
SUR LES ROMANS
I
IDÉE
SUR LES ROMANS
ON appelle Roman, l'ouvrage fabu-
leux composé d'après les plus
singulières aventures de la vie des hom-
mes ;
Mais pourquoi ce genre d'ouvrage porte-t-il
le nom de Romani
Che:^ quel peuple devons-nous en chercher la
source, quels sont les plus célèbres?
Et quelles sont enfin, les règles qu'il faut
* Huet donne cette définition plus juste : ce
que Ton appelle proprement Roman sont des
histoires feintes d'aventures amoureuses, écrites
en prose avec art pour le plaisir et Tamusement
des lecteurs.
^aaaa^aHi^
dUH
4 Idée
suivre pour arriver à la perfection de Vart de
l'écrire?
Voilà les trois questions que nous nous
proposons de traiter; commençons par Té-
tymologie du mot.
Rien ne nous apprenant le nom de cette
composition chez les peuples de l'anti-
quité, nous ne devons, ce me semble,
nous attacher qu'à découvrir par quel mo-
tif elle porta chez nous, celui que nous lui
donnons encore.
La langue Romane était comme on le
sait, un mélange de l'idiome celtique et
latin, en usage sous les deux premières
races de nos rois; il est assez raisonnable
de croire que les ouvrages du genre dont
nous parlons, composés dans cette langue,
durent en porter le nom, et l'on dut dire
une RomanCy pour exprimer l'ouvrage où il
s'agissait d'aventures amoureuses, comme
on a dit une Romance pour parler des com-
plaintes du même genre. En vain cherche-
rait-on une étymologie différente à ce
mot; le bon sens n'en offrant aucune
autre, il paraît simple d'adopter celle-là.
SUR LES Romans 5
Passons donc à la seconde question :
Che:^ quel peuple devons-nous trouver la
source de ces sortes d'ouvrages , et quels sont
les plus célèbres?
L'opinion commune croit la découvrir
chez les Grecs. Elle passa de là chez les
Mores, d'où les Espagnols la prirent, pour
la transmettre ensuite à nos troubadours,
de qui nos romanciers de chevalerie la
reçurent.
Quoique je respecte cette filiation, et
que je m'y soumette quelquefois, je suis
loin cependant de l'adopter rigoureuse-
ment; n'est-elle pas en effet bien difficile^
dans dés siècles où lès voyages étaient si
peu connus, et les communications si in-
terrompues ; il est des modes, des usages,
des goûts qui ne se transmettent point;
inhérens à tous les hommes, ils naissent
naturellement avec eux : partout où ils
existent, se retrouvent des traces inévi-
tables de ces goûts, de ces usages et de
ces modes.
N'en doutons point : ce fut dans ces
contrées qui, les premières reconnurent
•«kMH^^iAh
I
6 Idée
des Dieux, que les Romans prirent leur
^ source, et par conséquent en Egypte, ber-
ceau certain de tous les cultes. A peine les
hommes eurent-ils soupçonnés des êtres im-
mortels, qu'ils les firent agir et parler ; dès
lors, voilà des métamorphoses, des fables,
des paraboles, des Romans; en un mot
voilà des ouvrages de fictions, dès que la
fiction s'empare de l'esprit des hommes.
Voilà des livres fabuleux, dès qu'il est
question de chimères : quand les peuples,
d'abord guidés par des prêtres, après s'être
égorgés pour leurs fantastiques divinités,
s'arment enfin pour leur Roi ou pour leur
patrie, l'hommage offert à l'héroïsme, ba-
lance celui de la superstition, non seule-
ment on met, très sagement alors, les
, héros à la place des Dieux^ mais on chante
les enfans de Mars comme on avait célé-
bré ceux du Ciel; on ajoute aux grandes
actions de leur vie, ou, las de s'entretenir
d'eux, on crée des personnages qui leur
ressemblent... qui les surpassent, et bientôt
/ de nouveaux Romans paraissent, plus vrai-
semblables sans 'doute, et bien plus faits
SUR LES Romans 7
pour rhomme que ceux qui n'ont célébré
que des fantômes. Hercule, grand capi-
taine *, dut vaillament combattre ses en-
nemis : voilà le héros et l'histoire; Her-
cule détruisant des monstres, pourfendant
des géans, voilà le Dieu,... la fable et l'ori-
gine de la superstition; mais de la super-
stition raisonnable, puisque celle-ci n'a
pour base que la récompense de l'héroïsme,
la reconnaissance due aux libérateurs d'une
nation, au lieu que celle qui forge des
êtres incréés, et jamais apperçus, n'a que
la crainte, l'espérance, et le dérèglement
d'esprit pour motifs. Chaque peuple eut
donc ses Dieux, ses demi-dieux, ses héros,
ses véritables histoires et ses fables ; quel-
que chose comme on vient de le voir, put
être vrai dans ce qui concernait les héros ;
tout fut controuvé, tout fut fabuleux dans
* Hercule est un nom générique, composé de
deux mots celtiques : Her-Coule, ce qui signifie,
Monsieur le Capitaine. Hercoule était le nom du
général de l'armée, ce qui multiplia infiniment les
Hercoules; la fable attribua ensuite à un seul les
actions merveilleuses de plusieurs Hercules —
Voy, Histoire des Celtes, par Peloutier.
8 Idée
le reste, tout fut ouvrage d'invention, tout
fut Roman, parce que les Dieux ne parlèrent
que par l'organe des hommes, qui, plus ou
moins intéressés à ce ridicule artifice, ne
manquèrent pas de composer le langage
des fantômes de leur esprit, de tout ce
qu'ils imaginèrent de plus fait pour sé-
duire ou pour effrayer, et par conséquent
de plus fabuleux; « c'est une opinion reçue,
« (dit le savant Huet) * que le nom de
« Roman se donnait autrefois aux histoires,
« et qu'il s'appliqua depuis aux fictions,
« ce qui est un témoignage invincible que
« les uns sont venus des autres » **.
Il y eut donc des Romans écrits dans toutes
les langues, chez toutes les nations, dont
* Pierre Daniel Huet, Evêque d'Avranches, né
à Caen en i63o, mort à Paris en 1721. Son traité :
De l'origine des Romans a été publié en 1670
et 171 1, in-i2. Cet ouvrage a également paru à
i part avec la Zaîde de Ségrais ou plutôt de Mme de
* Lafayette.
** Ceux qui s'amusoient d'escrire les faits hé-
roïques de nos chevaliers, premièrement en vers,
puis en prose, appelèrent leurs œuvres Romans,
dit en effet Pasquier dans ses Recherches, t. VIII
p. 654.
SUR LES Romans 9
le Style et les faits se trouvèrent calqués, et
sur les mœurs nationales, et sur les opi-
nions reçues par ces nations.
L'homme est sujet à deux faiblesses qui
tiennent à son existence, qui la caracté-
risent. Par-tout il faut quil prie^ par-tout il
faut qu'il aime; et voilà la base de tous les
Romans; il en a fait pour peindre les êtres
qu'il implorait^ il en a fait pour célébrer
ceux qu'il aimait. Les premiers dictés par
la terreur ou l'espoir, durent êtres sombres,
gigantesques, pleins de mensonges et de
fictions ; tels sont ceux qu'Esdras composa
durant la captivité de Babylone. Les se-
conds, remplis de délicatesse et de senti-
mens; tel est celui de Théagène et de Cha-
ridée, par Héliodore ; mais comme l'homme
pria, comme il aima par-tout, sur tous les
points du globe qu'il habita, il y eut des
Romans, c'est-à-dire des ouvrages de fic-
tions qui, tantôt peignirent les objets fabu-
leux de son culte, tantôt ceux plus réels
de son amour.
Il ne faut donc pas s'attacher à trouver
la source de ce genre d'écrire, chez telle
10 Idée
OU telle nation de préférence; on doit se
persuader par ce qui vient d'être dit, que
toutes, l'ont plus ou moins employé, en
raison du plus ou moins de penchant
qu'elles ont éprouvé, soit à l'amour, soit
à la superstition.
Un coup-d'œil rapide maintenant sur les
nations, qui ont le plus accueilli ces ou-
vrages, sur ces ouvrages mêmes, et sur
ceux qui les ont composés : amenons le fil
jusqu'à nous, pour mettre nos lecteurs à
même d'établir quelques idées de compa-
raison.
Aristide de Milet est le plus ancien ro-
mancier dont l'antiquité parle; mais ses
ouvrages n'existent plus. Nous savons seu-
lement qu'on nommait ses contes, les Mile-
siaques; un trait de la préface de l'Ane
d'ofy semble prouver que les productions
d'Aristide étaient licencieuses, je vais écrire
dans ce genre, dit Apulée en commençant
son Ane d'or.
Antoine Diogène, contemporain d'A-
lexandre, écrivit d'un style plus châtié les
tAmours de Dinias et de Dercillis, Roman
SUR LES Romans li
plein de fictions, de sortilèges, de voyages
et d'aventures fort extraordinaires, que
Le Seurre copia en 1745 ^^^^ un petit ou-
vrage plus singulier encore ; car non con-
tent de faire comme Diogène, voyager
ses héros dans des pays connus, il les
promène tantôt dans la lune, et tantôt
dans les enfers.
Viennent ensuite les Aventures de Sinonis
et de Kbodanis, par Jamblique ; les amours
de Théagène et de Chariclée, que nous ve-
nons de citer ; la Ciropédie, de Xènophon ;
les amours de Daphnis et Chloé, de Longus ;
ceux d'Ismène et d'Isménie, et beaucoup
d'autres, ou traduits, ou totalement ou-
bliés de nos jours.
Les Romains plus portés à la critique,
à la méchanceté qu'à l'amour ou qu'à
la prière, se contentèrent de quelques
satyres, telles que celles de Pétrone et de
Varron, qu'il faudrait bien se garder de
classer au nombre des Romans.
Les Gaulois, plus près de ces deux fai-
blesses, eurent leurs bardes qu'on peut
regarder comme les premiers romanciers
12 Idée
de la partie de l'Europe que nous habitons
aujourd'hui. La profession de ces bardes,
dit Lucain, était d'écrire en vers, les actions
immortelles des héros de leur nation, et de
les chanter au son d'un instrument qui
ressemblait à la lyre, bien peu de ces ou-
vrages som connus de nos jours. Nous
eûmes ensuite les Faits et Gestes de Charles-
le-Grand, attribués à l'archevêque Tur-
pin *, et tous les Romans de la Table
Ronde, les Tristan, les Lancelot de lac, les
Perce-Forêts, tous écrits dans la vue d'im-
mortaliser des héros connus, ou d'en in-
venter d'après ceux-là^ qui, parés par l'ima-
gination, les surpassassent en merveilles;
mais quelle distance de ces ouvrages longs,
ennuyeux, empestés de superstition, aux
. * Cronique et Histoire faicte et composée par
révérend père en Dieu Turpin archevesque de
Reims, Tung des Pairs de France — Contenant les
prouesses et faictz d'armes advenuz en son temps
du très magnanime Roy Charles le Grant autre-
ment dit Charlemaigne : de son nepveu Rouland,
Lesquels il rédigea comme compilateur du dit
œuvre — Imprimé à Paris par Maistre Pierre
Vidoue pour honneste personne Regnault CliauU
diére, 1 527. In-40 gothique.
SUR LES Romans i3
Romans grecs qui les avaient précédés!
Oiielle barbarie, quelle grossièreté succé-
daient aux Romans pleins de goût et d'a-
gréables fictions, dont les Grecs nous
avaient donné les modèles; car bien qu'il
y en eût sans doute d'autres avant eux, au
moins alors ne connaissait-on que ceux-là.
Les Troubadours parurent ensuite; et
quoiqu'on doive les regarder, plutôt comme
des poètes, que comme des romanciers, la
multitude de jolis contes qu'ils compo-
sèrent en prose, leur obtiennent cependant
avec juste raison, une place parmi les
écrivains dont nous parlons, du'on jette,
pour s'en convaincre, les yeux sur leurs
fabliaux, écrits en langue Romane, sous le
règne de Hugues Capet, et que l'Italie
copia avec tant d'empressement.
Cette belle partie de l'Europe, encore
gémissante sous le joug des Sarrasins, en-
core loin de l'époque où elle devait être
le berceau de la renaissance des arts, n'a-
vait presque point eu de romanciers jus-
qu'au dixième siècle ; ils y parurent à-peu-
près à la même époque que nos trouba-
14 Idée
dours en France, et les imitèrent; mais
osons convenir de cette gloire, ce ne
furent point les Italiens qui devinrent nos
maîtres dans cet art, comme le dit Laharpe
(pag. 242, vol. 3), ce fut au contraire chez
nous qu'ils se formèrent; ce fut à l'école
de nos troubadours que Dante, Bocace,
Tassoni, et même un peu Pétrarque, es-
quissèrent leurs compositions ; presque
toutes les nouvelles de Bocace, se retrou-^
vent dans nos fabliaux.
Il n'en est pas de même des Espagnols,
instruits dans l'art de la fiction, par les
Mores, qui eux-mêmes le tenaient des
Grecs, dont ils possédaient tous les ou-
vrages de ce genre, traduits en Arabe, ils
firent de délicieux Romans, imités par nos
écrivains, nous y reviendrons.
A mesure que la galanterie prît une face
nouvelle en France, le Roman se perfec-
tionna, et ce fut alors, c'est-à-dire au com-
mcncement du siècle dernier que Durfé
écrivit son Roman de UAstrée * qui nous
* Honoré d'Urfé (né en i568 mort en i625) fit
paraître la première partie de son Astrée en x6io.
»VR LES Rouans i5
fit préférer, à bien juste titre, ses charmans
bergers du Lignon aux preux extravagans
des onzième et douzième siècles; la fureur
de l'imitation, s'empara dès-lors de tous
ceux à qui la nature avait donné le goût
de ce genre; l'étonnant succès de UAstrie^
que l'on lisait encore au milieu de ce siècle,
avait absolument embrasé les têtes, et on
l'imita sans l'atteindre. Gomberville, la
Calprenède, Desmarets, Scudéri *, cru-
La cinquième et. dernière partie fut composée par
son secrétaire un sieur Baro d'après ses manus-
crits dit-on. L'ingénieuse allégorie de L'Astrée
rompant avec la tradition de la chevalerie et
offrant un tableau de la société contemporaine,
obtint un engouement sans bornes qui fut partagé
par les meilleurs écrivains de l'époque — les édi-
tions les plus estimées de ce Roman pastoral en
5 parties in-8« sont celles de Paris lôSy et de Rouen
1 647. Voy. : Etudes sur VAstrée et sur Honoré d' Urfé
par Bonafous, Paris, 1846, in-S».
* Gomberville fit Caritie, Roman peu connu, en
1622, in-S», il publia plus tard en 1 632-1639 son
Î2iTCiQ\xJiPolexandrey 4 vol. in-S», et enfin sa Cythérée
(1642^ 4 vol. in-8) qui eut 9 éditions. Les Romans
delaCalprenèdesontC<w5anire, 10 vol. in-8«, 1642.
Cléopatre, 23 vol. qui mirent 12 ans à paraître, et
Pharamond ou l'Histoire de France. — Desmarets,
l'auteur des Visionnaires, donna Clovis, poëme
publié d'abord en 26 chants en 1657 et réduit à
K9«-
i6 Idée
rent surpasser leur original, en mettant des
princes ou des rois, à la place des bergers
du Lignon, et ils retombèrent dans le dé-
faut qu'évitait leur modèle ; la Scudéri *
fit la même faute que son frère; comme
lui, elle voulut ennoblir le genre de Durfé,
et comme lui, elle mit d'ennuyeux héros
à la place de jolis bergers. Au lieu de re-
présenter dans la personne de Cirus un
roi tel que le peint Hérodote; elle com-
posa un Artamène plus fou que tous les
personnages de UAstrée... un amant qui ne
sait que pleurer du matin au soir, et dont
les langueurs excèdent au lieu d'intéresser;
mêmes inconvéniens dans sa Clélie **, où elle
prête aux Romains qu'elle dénature, toutes
les extravagances des modèles qu'elle suivait,
et qui jamais n'avaient été mieux défigurés.
Qu'on nous permette de rétrograder un
20 dans rédition de 1673. —Quant à Scudéry il ne
peut être question ici que de son Alaric ou Rome
vaincue qui parut en 1654, in-folio.
* Dans Artamène ou le Grand Cyrus, 10 vol.
in-8» i65o — Voy. : Victor Cousin, Etudes sur la
Société au ly^ siècle , 2 vol.
»* Clélie, Histoire romaine, i656, in-8«, 10 vol.
SUR LES Romans 17
instant, pour accomplir la promesse que
nous venons de faire de jeter un coup-d'œil
sur l'Espagne.
Certes, si la chevalerie avait inspiré nos
romanciers en France, à quel degré n'avait-
elle pas également monté les têtes au delà
des monts? Le catalogue de la bibliothè-
que de Dam Quichotte^ plaisamment fait par
Miguel Cervantes, le démontre évidem-
ment; mais quoiqu'il en puisse être, le cé-
lèbre auteur des mémoires du plus grand
fou qui ait pu venir à l'esprit d'un roman-
cier, n'avait assurément point de rivaux.
Son immortel ouvrage connu de toute la
terre, traduit dans, toutes les langues, et
qui doit se considérer comme le premier
de tous les Romans, possède sans doute
plus qu'aucun d'eux, l'art de narrer, d'en-
tremêler agréablement les aventures, et
particulièrement d'instruire en amusant.
Ce livre, disait St-Evremond, est le seul que
je relis sans m'ennuyer, et le seul que je vou-
drais avoir fait. Les douze Nouvelles du
même auteur, remplies d'intérêt, de sel et
de finesse, achèvent de placer au premier
i8 Idée
rang ce célèbre écrivain espagnol *, sans
lequel peut-être nous n'eussions eu, ni le
charmant ouvrage de Scarron **, ni la plu-
part de ceux de Lesage.
Après Durfé et ses imitateurs, après
hs Ariane, les Cléopâtre, les Pharamond,
les Polexandre, tous ces ouvrages enfin où
le héros soupirant neuf volumes, était bien
heureux de se marier au dixième; après,
dis-je, tout ce fatras inintelligible aujour-
d'hui, parut madame de Lafayette, qui
quoique séduite par le langoureux ton
qu'elle trouva étaWi dans ceux qui la pré-
cédaient abrégea néanmoins beaucoup; et
en devenant plus concise, elle se rendit
plus intéressante. On a dit, parce qu'elle
était femme, (comme si ce sexe, naturelle-
ment plus délicat, plus fait pour écrire le
Roman, ne pouvait en ce genre, prétendre
à bien plus de lauriers que nous) on a pré-
* Les Nouvelles Morales de Cervantes Saavedra
ont été traduites en français pour la première fois
en i633 par Rosset et Daudiguier. Le fèvre de Ville-
brune en 1775, Petitot en 1809 et Louis Viarëot
en i838 en ont donné d'excellentes traductions.
** Le Roman comique.
SUR LES Romans 19
tendu dis-je, qu'infiniment aidée, Lafayette
n'avait fait ses Romans qu'avec le secours
de Larochefoucaut pour les pensées, et de
Segrais * pour le style ; quoiqu'il en soit,
rien d'intéressant comme Zaide, rien
d'écrit agréablement comme La princesse
de Clives. Aimable et charmante femme,
si les grâces tenaient ton pinceau, n'était-il
donc pas permis à l'amour, de le diriger
quelquefois ?
Fénélon parut, et crut se rendre intéres-
sant, en dictant poétiquement, une leçon
à des souverains, qui ne la suivirent jamais;
voluptueux amant de Guiotj, ton âme avait
besoin d'aimer, ton esprit éprouvait celui
de peindre ; en abandonnant le pédantisme,
ou l'orgueil d'apprendre à régner, nous
eussions eu de toi des chef-d'œuvres, au
lieu d'un livre qu'on ne lit plus. Il n'en
sera pas de même de toi, délicieux Scarron,
* Zayde parut en 1670 et la Princesse en 1678,
sans nom d'auteur. On attribua ces Romans à
Ségrais qui y eut part à n'en point douter. Les
œuvres de M»» île La Fayette ont été publiées
en 18 14 5 vol. in-S* avec celles de M»" de Tencin
et de Fontaines.
20 Idée
jusqu'à la iin du monde y ton immortel
Roman fera rire, tes tableaux ne vieilliront
jamais. TiUmaque qui n'avait qu'un siècle
à vivre, périra sous les ruines de ce siècle
qui n'est déjà plus; et tes comédiens du
Mans, cher et aimable enfant de la folie,
amuseront même les plus graves lecteurs,
tant qu'il y aura des hommes sur la terre.
Vers la fin du même siècle, la fille du
célèbre Poisson *, (Madame de Gomez)
dans un genre bien difiérent, que les écri-
vains de son sexe qui l'avaient précédée,
écrivit des ouvrages, qui pour cela, n'en
étaient pas moins agréables; et ses Jour-
nées amusantes, ainsi que ses Cent nou-
velles nouvelles, feront toujours, malgré bien
des défauts, le fond de la bibliothèque
de tous les amateurs de ce genre. Gomez.
* Madeleine Angélique Poisson, Dame de Gomez
(née en 1684 morte en 1770) eut une assez grande
célébrité à la fin du siècle dernier; les recueils de
littérature et les traités de bibliographie classent
ses œuvres à côté des Romans de Mm« de Lafayette.
Elle donna: Les Journées amusantes, 1723, 8 vol.
in-i2 — les Anecdotes persannes, 2 vol. in* 12 et
principalement Les Cent Nouvelles Nouvelles 1735,
en 18 vol. in-i£.
SUR LES Romans 21
entendait son art, on ne saurait lui refuser
ce juste éloge. Mademoiselle de Lussan,
mesdames de Tensin, de GraÉSgni, Elie de
Beaumont et Riccoboni la rivalisèrent * ;
leurs écrits pleins de délicatesse et de goût,
honorent assurément leur sexe. Les Lettres
Tiruviennes de GrafEgni seront toujours
un modèle. de tendresse et de sentiment,
comme celles de mylady Castesbi par Ric-
coboni, pourront éternellement servir à
ceux, qui ne prétendent qu'à la grâce et à
la légèreté du style. Mais reprenons le
siècle où nous l'avons quitté, pressés par le
* Marguerite de Lussan (née en 1682 morte
en lySS) composa plusieurs Romans anecdo-
tiques : Histoire de la Comtesse deGonde^tn 1741,
2 vol. in-i2, Annales galantes de la Cour de
Henri H en 1749, 2 vol. in- 12, Histoire de Grillon
en 1752, 2vol.in-i2, etc., etc. — L'abbé de Boismo*
rand et Tabbé Baudot lui furent d'un grand secours
dans la composition de ses ouvrages. — Mes-
dames de Tencin, de Graffîgny et Riccoboni sont
assez connues pour que nous n'en parlions pas
ici. — Pour Mn« Elie de Beaumont, femme de
l'avocat au Parlement de Paris (née en 1729
morte en 1783), on ne connaît guère d'elle que la
suite des Anecdotes de la Cour et du Règne
d'Edouard // (1776) dont le commencement est
dû à Mme de Tencin.
22 Idée
désir de louer des femmes aimables, qui
donnaient en ce genre, de si bonnes
leçons aux hommes.
L' épicuréïsme des Ninon - de - Lenclos ,
des Marion-de-Lorme, des marquis de
Sévigné et de Lafare, des Chaulieu, des
St-Evremond, de toute cette société char-
mante enfin, qui, revenue des langueurs
du Dieu de C3rthère, commençait à penser
comme BufFon, « qu'il n*y avait de bon en
amour que le physique^ » changea bientôt le
ton des Romans ; les écrivains qui parurent
ensuite, sentirent que les fadeurs n'amu-
seraient plus un siècle perverti par le Ré-
gent, un siècle revenu des folies cheva-
leresques, des extravagances religieuses,
et de l'adoration des femmes ; et trouvant
plus simple d'amuser ces femmes ou de les
corrompre, que de les servir ou de les en-
censer. Ils créèrent des événemens, des
tableaux, des conversations plus à l'esprit
du jour; ils enveloppèrent du cynisme, des
immoralités, sous un style agréable et ba-
din, quelquefois même philosophique, et
plurent au moins s'ils n'instruisirent pas.
SUR LES Romans 23
Crébillon * écrivit Ix Sopha^ Tançai,
Les égarements du cœur et de V esprit, etc.
Tous Romans qui flattaient le vice et s'é-
loignaient de la vertu ; mais qui, lorsqu'on
les donna, devaient prétendre aux plus
grands succès^
Marivaux, plus original dans sa manière
de peindre, plus nerveux, offrit au moins
des caractères, captiva l'âme, et fit pleu-
rer; mais comment avec une telle énergie,
pouvait-on avoir un style aussi précieux,
aussi maniéré ? Il prouva bien que la nature
n'accorde jamais au romancier tous les
dons nécessaires à la perfection de son art.
Le but de Voltaire fut tout différent;
n'ayant d'autre dessein que de placer de la
philosophie dans ses Romans, il abandonna
tout, pour ce projet. Avec quelle adresse
il y réussit; et malgré toutes les critiques,
Candide et Zadig ne seront-ils pas toujours
des chefs-d'œuvres 1
* Crébillon fils, né en 1707 mort en 1771. — Les
Egarements du Cœur et de V Esprit, Roman qui
parut en 1736, fut achevé, dit-on, par la femme de
Crébillon M« Staford.
24 Idâe
Rousseau, à qui la nature avait accordé
en délicatesse, en sentiment, ce qu'elle
n'avait donné qu'en esprit à Voltaire, traita
le Roman d'une bien autre façon. Q.ue de
vigueur, que d'énergie dans VHélotse; lors-
que Momus dictait Candide à Voltaire, l'a-
mour lui-même traçait de son flambeau,
toutes les pages brûlantes de Julie, et l'on
peut dire avec raison que ce livre sublime,
n'aura jamais d'imitateurs. Puisse cette
vérité faire tomber la plume des mains,
à cette foule d'écrivains éphémères qui,
depuis trente ans ne cessent de nous don-
ner de mauvaises copies de cet immortel
original; qu'ils sentent donc, que pour
l'atteindre, il faut une âme de feu comme
celle de Rousseau, un esprit philosophe
comme le sien, deux choses, que la
nature ne réunit pas deux fois dans le
même siècle.
Au travers de tout cela, Marmontel nous
donnait des Contes, qu'il appellait Moraux,
non pas, dit un littérateur estimable, qu'ils
enseignassent la morale, mais parce qu'ils
peignaient nos mœurs^ cependant un peu
SUR LStt Romans 25
trop dans le genre Maniéré de Marivaux;
d'ailleurs que sont tes contes ? des puéri-
lités, uniquement écrites pour les femmes
et pour les enfans, et qu'on he croira ja-
mais de la même main que Bélisaire^ ou-
vrage qui suffisait seul à la gloire de l'au-
teur; celui qui avait fait le quinzième
chapitre de ce livre, devait-il donc pré-
tendre à la petite gloire de nous donner
des contes à Veau-rose.
Enfin les Romans anglais, les vigoureux
ouvrages de Richardson et de Fielding,
vinrent apprendre aux Français, que ce
n'est point en peignant les fastidieuses
langueurs de l'amour qu'on peut obte-
nir des succès dans ce genre; mais en
traçant des caractères mâles, qui, jouets
et victimes, de cette effervescence du
cœur connue sous le nom d'amour, nous
en montrent à-la-fois et les dangers et
les malheurs; de là seul peuvent s'obte-
nir ces développemens , ces passions si
bien tracés dans les Romans Anglais. C'est
Richardson, c'est Fielding qui nous ont
appris que l'étude profonde du cœur de
7
26 Id6e
l'homme, véritable dédale de la nature,
peut seul inspirer le romancier, dont l'ou-
vrage doit nous faire voir l'homme, non pas
seulement ce qu'il est, ou ce qu'il se mon-
tre, c'est le devoir de l'historien, mais tel
qu'il peut être, tel que doivent le rendre Jes
modifications du vice, et toutes les se*
cousses des passions; il faut donc les con-
naître toutes, il faut donc les employer
toutes, si l'on veut travailler ce genre ; là,
nous apprîmes aussi, que ce n'est pas tou-
jours en faisant triompher la vertu qu'on
intéresse; qu'il faut y tendre bien certai-
nement autant qu'on le peut, mais que cette
règle, ni dans la nature, ni dans Aristote,
mais seulement celle, à laquelle nous vou-
drions que tous les hommes s'assujettissent
pour notre bonheur, n'est nullement essen-
tielle dans le Roman, n'est pas même celle
qui doit conduire à l'intérêt; car lorsque la
vertu triomphe, les choses étant ce qu'elles
doivent être, nos larmes sont taries avant
que de couler ; mais si après les plus rudes
épreuves, nous voyons enfin la vertu ter-
rassée par le vice, indispensablement nos
SUR LES Romans 27
âmes se déchirent, et l'ouvrage nous ayant
excessivement émus, ayant, comme disait
Diderot, ensanglanté nos cœurs au revers^ doit
indubitablement produire l'intérêt, qui seul
assure des lauriers.
Qpe l'on réponde : si après douze ou
quinze volumes, l'immortel Richardson eût
vertueusement fini par convertir Lovelace, et
par lui faire paisiblement épouser Clarisse,
eût-on versé à la lecture de ce Roman, pris
dans le sens contraire, les larmes déli-
cieuses qu'il obtient de tous les êtres sen-
sibles ? c'est donc la nature qu'il faut saisir
quand on travaille ce genre, c'est le cœur de
l'homme, le plus singulier de ses ouvrages,
et nullement la vertu, parce que la vertu,
quelque belle, quelque nécessaire qu'elle
soit, n'est pourtant qu'un des modes de ce
cœur étonnant, dont la profonde étude est
si nécessaire au romancier, et que le Roman,
miroir fidèle de ce cœur, doit nécessaire-
ment en tracer tous les plis. >
Savant traducteur de Richardson, Pré-. '1;
vôt, toi, à qui nous devons d'avoir fait '
passer dans notre langue, les beautés de ^
28 Idée./' « t.
cet écrivain célèbriç, ne t'es-t-^l pas dû pour
ton propre compte un tribut d'éloges, aussi,
bien mérité ; et n'est-ce pas, à juste titre
qu'on pourrait t'appeler le Richardson fran-
çais * ; toi seul eus l'art d'intéresser long-
tems par des fables iniplexes> en soutenant
toujours l'intérêt, quoiqu'^ le divisant;
toi seul, ménageas toujours assez bien tes
épisodes, pour que l'intrigue principale dût
plutôt gagner que perdre à leur multitude
ou à leur complication ; ainsi cette quan-
tité d'événements que te reproche Laharpe,
est non-seulement c6 qui produit chez
toi le plus sublime effet, mais en même-
temps, ce qui prouve le mieux, et la bonté
de ton esprit, et l'excellence de ton "génie,
« Les mémoires d'un homme de qualité^ enfin
» (pour ajcMiter à ce que nous pensons de
» Prévôt, ce que d'autres que nous ont
» pensé) Cliveland, l'Histoire d'une Grecque
» moderne^ le Monde moral, Manon-Lescaut,
* L'Abbé Prévost d'Exilés, traduisit de Richard-
son, en les abrégeant et quelquefois aussi en les
paraphrasant, les Romans de Pamélla, Clarisse et
Grandisson,
SUR LES Romans 29
» surtout * sont remt>lis de ces scènes
» attendrissantes et terribles, qui frappent
» et attachent invinciblement; les situa-
» tions de ces ouvrages, heureusement
» ménagées, amènent de ces momens où
» la nature frémit d'horreur. » Et voilà
ce qui s'appelle écrire le Roman; voilà ce
qui dans la postérité, assure à Prévôt une
place où ne parviendra nul de ses rivaux.
Vinrent ensuite les écrivains du milieu
de ce siècle : Dorât aussi manière que Ma-
rivaux, aussi froid, aussi peu moral que
Crébillon; mais écrivain plus agréable que
les deux à qui nous le comparons; la
frivolité de son siècle excuse la sienne, et
il eut l'art de la bien saisir.
* Quelles larmes que celles qu'on verse à la
lecture de ce délicieux ouvrage! comme la nature
y est peinte, comme l'intérêt s'y soutient, comme
il augmente par degrés, que de difficultés vain-
cues! que de philosophie à avoir fait ressortir tout
cet intérêt, d'une fille perdue; dirait-on trop, en
osant assurer que cet ouvrage a des droits au titre
de notre meilleur Roman, ce fut là où Rousseau
vit, que malgré des imprudences et des étourde-
ries, une héroïne pouvait prétendre encore à
nous attendrir, et peut-être n'eussions-nous jamais
eu Julie, sans Manon-Lescaut {Note de de Sade).
3o Idée
• Auteur charmant de la Reine de Gokonde,
me permets-tu de t'ofFrir un laurier? *
On eut rarement un esprit plus agréable,
et les plus jolis contes du siècle, ne valent
pas celui qui t'immortalise ; à la fois plus
aimable, et plus heureux qu'Ovide, puis-
que le Héros-Sauveur de la France, prouve,
en te rappelant au sein de ta patrie, qu^il
est autant l'ami d'Apollon que de Mars,
réponds à l'espoir de ce grand homme, en
ajoutant encore quelques jolies roses sur
le sein de ta belle Aline.
Darnaud **, émule de Prévôt, peut
* Le Chevalier Stanislas de Boufflers, mort en
i8i5, une année après de Sade. Le conte ravissant :
Aline Reine de Golconde, premier ouvrage de
Boufflers fut publié, in-8o, en 1761 et obtint un
immense succès. Cet adorable badinage eut les
honneurs de près de cent réimpressions dans tous
les formats.
•* Baculard d'Arnaud (né en 1718 mort en i8o5)
dont il est question ici; composa une quantité
prodigieuse de drames étranges et de Romans
lugubres et sombres à peu près oubliés aujour-
d'hui. Son imagination peuplée d'images hor-
ribles et tristes, devait séduire le farouche Mar-
quis. — Voyez la charmante notice que M. Charles
Monselet a consacrée à Baculard d'Arnaud dans
ses Oubliés et Dédaignés,
SUR LES Romans 3i
souvent prétendre à le surpasser, tous deux
trempèrent leurs pinceaux dans le Styx;
mais Damaud, quelquefois adoucit le sien
sur les fleurs de l'Elysée ; Prévôt plus éner-
gique, n'altéra jamais les teintes de celui
dont il traça CUveland.
R... * inonde le public, il lui faut une
presse au chevet de son lit ; heureusement
que celle-là toute seule, gémira de ses
terribles productions; un style bas et ram-
pant, des aventures dégoûtantes, toujours
puisées dans la plus mauvaise compagnie ;
nul autre mérite enfin, que celui d'une
prolixité... dont les seuls marchands de
poivre le remercieront.
Peut-être devrions-nous analyser ici ces
Romans nouveaux, dont le sortilège et la
fantasmagorie composent à-peu-près tout
* Restif de la Bretonne est assurément en cause
ici. Il existait une grande inimitié entre de Sade
et lui. Restif, dans ses Nuits de Paris, a intitulé
un de ses chapitres : Les Passe-Temps du Af*** de
Sade, Le vindicatif Marquis ne l'a sans doute pas
oublié en écrivant ces lignes. (Voyez la Bibliogra'
phie de Restif de, la Bretonne, par P. L. Jacob,
Bibliophile, in-S©, 1875, pp. 4i5 et suivantes.)
32 loéB
le mérite, en plaçant à leur tête le Moine *,
supérieur, sous tous les rapports, aux bi-
sarres élans de la brillante imagination de
Radgliffe ** ; mais cette dissertation serait
trop longue, convenons seulement que ce
genre, quoiqu'on en puisse" dire, n'est assu-
rément pas sans mérite; il devenait le fruit
indispensable des secousses révolutionnai-
res, dont l'Europe entière se ressentait.
Pour qui connaissait tous les malheurs
dont les médians peuvent accabler les
hommes, le Roman devenait aussi difficile
à faire, que monotone à lire; il n'y avait point
d'individu qui n'eût plus éprouvé d'infor-
* Le Moine est le Roman le plus connu du
romancier Lewis (né en 1773 mort en 1818). Il
fît une immense sensation à son apparition (1795,
3 vol. ïn-'i 2). Le Moine fut traduit de Tanglais par
DeschampSy Desprès, Benoîst et Delamare. Il pa-
rut chez Maradan an vi, en 4 vol. in- 18, ornés de
gravures. — On a fait un curieux rapprochement
entre un certain Ambrosis , l'un des héros du
Moine, et le Claude Frollo de Victor Hugo, du
Roman admirable: Notre-Dame de Paris.
** Anne Radcliffe (née à Londres en 1764 morte
en 1823). Ses Romans furent traduits en français.
Les Mystères d'Udolphe demeurent la plus célèbre
de toutes ses productions.
SUR LES Rouans 33
tunes en quatre ou cinq ans que n'en pou-
vait peindre en un siècle, le plus fameux
romancier de la littérature ; il fallait donc
appeller l'enfer à son secours, pour se
composer des titres à l'intérêt, et trouver
dans le pays des chimères, ce qu'on savait
couramment en ne fouillant que l'histoire
de l'honvne dans cet âge de fer. Mais que
d'inconvéniens présentait cette manière
d'écrire! l'auteur du Moine ne les a pas
plus évité que Radgliffe *; ici nécessaire-
ment de deux choses l'une, ou il faut dé-
velopper le sortilège, et dès-lors vous
n'intéressez plus, ou il ne faut jamais
lever le rideau, et vous voilà dans la plus
affreuse invraisemblance. Qji'il paraisse
dans ce genre un ouvrage assez bon, pour
atteindre le but sans se briser contre l'un
ou l'autre de ces écueils, loin de lui repro-
cher ses moyens, nous l'oflFrirons alors
comme .un modèle.
Avant que d'entamer notre troisième et
* Allusion aux poursuites qui furent lancées
contre Lewis pour ses peintures lascives et im-
morales du Moine,
34 Idée
dernière question, qudks sM les régies de
l'art d'écrire le Roman? nous devons ce me
semble répondre à la perpétuelle o'bjectîon
de quelques esprits atrabilaires, qui, pour
se donner le vernis d'une morale, dont
souvent leur cœur est bien loin, ne cessent
de vous dire, à quoi servent les Romans?
A quoi ils servent, hommes h5rpocrites
et pervers ; car vous seuls faites cette ridi-
cule question ; ils servent à vous peindre,
et à vous peindre tels que vous êtes, or-
gueilleux individus qui voulez vou$ sous-
traire au pinceau, parce * que vous en re-
doutez les effets : le Roman étant, s'il est
possible de s'exprimer ainsi, le tableau des
mœurs séculaires, est aussi essentiel que
l'histoire, au philosophe qui veut connaître
l'homme ; car le burin de l'une, ne le peint
que lorsqu'il se fait voir ; et alors ce n'est
plus lui ; l'ambition, l'orgueil couvrent son
front d'un masque qui ne nous représente
que ces deux passions, et non l'homme ;
le pinceau du Roman, au contraire, le
saisit dans son intérieur... le prend quand
il quitte ce masque, et l'esquisse bien plus
SUR LES Romans 35
intéressante, est en même-teoips bien plus
vraie, voilà l'utilité des Romans; froids
censeurs qui ne les aimez pas, vous ressem-
blez à ce cul-de- jatte qui disait aussi, et
pourquoi fait-on des portraits?
S'il est donc vrai que le Roman soit utile,
ne craignons point de tracer ici quelques-
uns des principes que nous croyons néces-
saires à porter ce genre à sa perfection ;
je sens bien qu'il est difficile de remplir
cette tâche sans donner des armes contre
moi ; ne deviens- je pas doublement cou-
pable de îi'avoir pas bien fait, si je prouve
que je sais ce qu'il faut ipom faire bien. Ah!
laissons ces vaines considérations, qu'elles
s'immolent à l'amour de l'art.
La connaissance la plus essentielle qu'il
exige est bien certainement celle du cœur
de l'homme. Or, cette connaissance im-
portante, tous les bons esprits nous ap-
prouveront sans doute en affirmant qu'on
ne l'acquiert que par des malheurs et par des
voyages; il faut avoir vu des hommes de tou-
tes les nations pour les bien connaître, et
il faut avoir été leur victime pour savoir les
36 Idée
apprécier; lamainde l'infortune, en exaltant
le caractère de celui qu'elle écrase, le met
à la juste distance où il faut qu'il soit pour
étudier les hommes , il les voit de là,
comme le passager apperçoit les flots en fu-
reur se briser contre l'écueil sur lequel l'a
jeté la tempête ; mais dans quelque situa-
tion que l'ait placé la nature ou le sort,
s'il veut connaître les hommes, qu'il parle
peu quand il est avec eux; on n'apprend
rien quand on parle, on ne s'instruit qu'en
écoutant ; et voilà pourquoi les bavards ne
sont communément que des sots.
O toi qui veut parcourir cette épineuse
carrière ! ne perds pas de vue que le roman-
cier est l'homme de la nature, elle l'a créé
pour être son peintre ; s'il ne devient pas
l'amant de sa mère dès que celle-ci l'a mis
au monde, qu'il n'écrive jamais, nous ne le
lirons point ; mais s'il éprouve cette soif
/ ardente de tout peindre, s'il entr'ouvre
avec frémissement le sein de la nature,
pour y chercher son art et pour y puiser
des modèles, s'il a la flèvre du talent, et
l'enthousiasme du génie, qu'il suive la
SUR LES Rouans Sy
main qui le conduit, il a deviné l'homme,
il le peindra ; maîtrisé par son imagination
qu'il y cède, qu'il embellisse ce qu'il voit :
le sot cueille une rose et l'efifeuille, l'homme
de génie la respire et la peint : voilà celui
que nous lirons.
Mais en te conseillant d'embellir, je te
défends de t'écarter de la vraisemblance : le
lecteur a droit de se fâcher quand il s'ap-
perçoit que l'on veut trop exiger de lui ; il
voit bien qu'on cherche à le rendre dupe ;
son amour-propre en souffre, il ne croit
plus rien, dès qu'il soupçonne qu'on veut
le tromper.
Contenu d'ailleurs par aucune digue,
use, à ton aise, du droit de porter atteinte
à toutes les anecdotes de l'histoire, quand
la rupture de ce frein devient nécessaire aux
plaisirs que tu nous prépares; encore une
fois, on ne te demande point d'être vrai,
mais seulement d'être vraisemblable ; trop
exiger de toi serait nuire aux jouissances
que nous en attendons : ne remplace point
cependant le vrai, par l'impossible, et que
ce que tu inventes soit bien dit; on ne te
8
mm^^^m^^m^^mmm^^Ê^t^ÊÊ^^ÈéÊmmmÊÊ^^^Êmm
38 Idée
pardonne de mettre ton imagination à la
place de la vérité que sous la clause expresse
d'orner et d'éblouir. On n'a jamais le droit
de mal dire, quand on peut dire tout ce
qu'on veut ; si tu n'écris comme R../
qtie ce qtie tout le monde sait, dusses-tu,
comme lui, nous donner quatre volumes
par mois, ce n'est pas la peine de prendre
la plume : personne ne te contraint au
métier que tu fais ; mais si tu l'entreprends,
fais le bien. Ne l'adopte pas sur- tout
comme un secours à ton existence ; ton tra-
vail se ressentirait de tes besoins, tu lui
transmettrais ta faiblesse ; il aurait la pâleur
de la faini : d'autres métiers se présentent
à toi *y fais des souliers, et n'écris point des
livres. Nous ne t'en estimerons pas moins,
et comme tu ne nous ennuiras pas, nous
t'aimerons peut-être davantage.
Une fois ton esquisse jetée, travaille ar-
demment à l'étendre, mais sans te resserrer
dans les bornes qu'elle paraît d'abord te pres-
crire, tu deviendrais maigre et froid avec cette
* Restif de la Bretonne. Voir la note plus haut,
page 3i*
SUR LES Romans 3g
méthode ; ce sont des élans que nous vou-
lons de toi, et non pas des règles ; dépasse
tes plans, varie-les, augmente-les; ce n'est
qu'en travaillant que les idées viennent.
Pourquoi ne veux-tu pas que celle qui te
presse quand tu composes, soit aussi
bonne que celle dictée par ton esquisse ?
Je n'exige essentiellement de toi qu'une
seule chose, c'est de soutenir l'intérêt jus-
qu'à la dernière page ; tu manques le but,
si tu coupes ton récit par des incidens, ou
trop répétés, ou qui ne tiennent pas au
sujet; que ceux que tu te permettras
soient encore plus soignés que le fonds :
tu dois des dédommagemens au lecteur
quant tu le forces de quitter ce qui l'inté-
resse, pour entamer un incident. Il peut
bien te permettre de l'interrompre, mais il
ne te pardonnera pas de l'ennuyer; que tes
épisodes naissent toujours du fond du sujet
et qu'ils y rentrent; si tu fais voyager tes
héros, connais bien le pays où tu les
mènes, porte la magie au point de m'iden-
tifier avec eux; songe que je me promène
à leurs côtés, dans toutes les régions où tu
V
I
40 Idée
les places ; et que peut-être plus instruit
que toi, je ne te pardonnerai ni une in-
vraisemblance de mœurs, ni un défaut de
costume, encore moins une faute de géo-
graphie' : conune personne ne te contraint
à ces échappées, il faut que tes descrip-
tions locales soient réelles, ou il faut que
tu restes au coin de ton feu ; c'est le seul
cas dans tous tes ouvrages où Ton ne
puisse tolérer l'invention, à moins que les
pays où tu me transportes ne soient ima-
ginaires, et, dans cette hypothèse encore,
j'exigerai toujours du vraisemblable.
Évite l'afféterie de la morale; ce n'est
pas dans un Roman qu'on la cherche; si
les personnages que ton plan nécessite,
sont quelquefois contrains à raisonner, que
ce soit toujours sans affectation, sans la
prétention de le faire, ce n'est jamais l'au-
teur qui doit moraliser, c'est le person-
nage, et encore ne lui permet-on, que
quand il y est forcé par les circonstances.
Une fois au dénouement, qu'il soit na-
turel, jamais contraint, jamais machiné,
mais toujours né des circonstances; je
SUR LES Romans 41
n'exige pas de toi, comme les auteurs de
rEncyclopédie, qu'il soit conforme au désir
du lecteur; quel plaisir lui reste-t-il quand
il a tout deviné? le dénouement doit être
tel, que les événemens le préparent, que la
vraisemblance l'exige, que l'imagination
l'inspire; et avec ces principes que je charge
ton goût et ton esprit d'étendre, si tu ne
fais pas bien, au moins feras-tu mieux que
nous ; car, il faut en convenir, dans les
nouvelles que l'on va lire, le vol hardi que
nous nous sommes permis de prendre,
n'est pas toujours d'accord avec la sévérité
des règles de l'art; mais nous espérons que
l'extrême vérité des caractères en dédom-
magera peut-être; la nature plus bisarre
que les moralistes ne nous la peignent,
s'échappe à tout instant des digues que la
politique de ceux-ci voudrait lui prescrire ;
uniforme dans ses plans, ' irrégulière dans
ses efiets, son sein toujours agité, res-
semble au foyer d'un volcan, d'où s'élan-
cent tour-à-tour, ou des pierres précieuses
servant au luxe des hommes, ou des globes
de feu qui les anéantissent; grande, quand
A2 Idée
eDe peuple la terre et d'Antonins et de
I Titus; affreuse, quand elle y vomit des
Andronics ou des Nérons; mais toujours
sublime, toujours majestueuse, toujours
l digne de nos études, de nos pinceaux et de
notre respectueuse admiration, parce que
ses desseins nous sont inconnus, qu'es-
claves de ses caprices ou de ses besoins,
ce n'est jamais sur ce qu'ils nous font
éprouver que nous devons régler nos sen-
timens pour elle, mais sur sa grandeur,
} sur son énergie, quelque puissent en être
les résultats.
A mesure que les esprits se corrom-
pent, à mesure qu'une nation vieillît, en
raison de ce que la nature est plus étudiée,
mieux analysée, que les préj ugés sont mieux
détruits, il faut la faire connaître davan-
tage. Cette loi est la même pour tous les
arts; ce n'est qu'en avançant qu'ils se per-
fectionnent, ils n'arrivent au but que par
des essais. Sans doute il ne fallait pas
aller si loin dans ces tenus af&eux de l'igno-
rance, où courbés sous les fers religieux,
on punissait de mort celui qui voulait les
SUR LES R'OMANS 4$
apprécier, où les bûchers de l'inquisition
devenaient le prix des talens; mais dans
notre état actuel, partons toujours de ce
principe, quand l'homme a soupesé tous
ses freins, lorsque d'un regard audacieux,
son œil mesure ses barrières, quand, à
l'exemple des Titans, il ose jusqu'au ciel
porter sa main hardie, et qu'armé de ses
passions, comme ceux-ci l'étaient des laves
du Vésuve, il ne craint plus de déclarer la
guerre à ceux qui le faisaient frémir autre-
fois, quand ses écarts mêmes ne lui parais-
sent plus que àQS erreurs légitimées par ses
études, ne doit-on pas alors lui parler avec
la même énergie qu'il employé lui-même
à se conduire ? l'homme du dix-huitième
siècle, en un mot, est-il donc celui du
onzième ?
Terminons par une assurance positive,
que les nouvelles que nous donnons au-
jourd'hui *, sont absolument neuves , et
^ Ces Nouvelles héroïques et tragiques réunies
en 4 volumes sous le titre Les Crimes de V Amour y
sont : Juliette et Raunai, ou la Conspiration cP A ma-
toise; La Double Epreuve; Miss Henriette Stral'
/^
44 Idée
nullement brodées sur des fonds connus.
Cette qualité est peut-être de quelque mé-
rite dans un temps où tout semble ètxefaity
où l'imagination épuisée des auteurs parait
ne pouvoir plus rien créer de nouveau, et
où Ton n'ofire plus rien au public que des
compilations, des extraits ou des traduc-
/ tions.
Voici ce que dans Tune et l'autre de ces
nouvelles, on peut trouver aux sources que
nous indiquons.
-— ' L'historien arabe Abul-ccBcim-terif-aben-
tariq, écrivain assez peu connu de nos litté-
rateurs du jour, rapporte ce qui suit à
l'occasion de la Tour Enchantée.
» Rodrigue, prince efiféminé, attirait à sa
» cour, par principe de volupté, les filles
» de ses vassaux, et il en abusait. De ce
» nombre, fut Florinde, fille du comte
» Julien. D la viola. Son père, qui était
» en Afirique, reçut cette nouvelle par une
son, ou les Effets du Désespoir; Faxelange ou les
Torts de V Ambition; Florville et Courval ou le
Fatalisme; Rodrigue ou la Tour enchantée, dont il
est parlé plus loin^ Laurence et Antonio, etc.
SUR LES Romans 45
» lettre allégorique de sa fille ; il souleva
» les Mores, et revint en Espagne à leur
» tête; Rodrigue ne sait que faire, nul
)> fonds dans ses trésors, aucune place, il
» va fouiller la Tour Enchantée près de
» Tolède, où on lui dit qu'il doit trouver
» des sommes immenses; il y pénètre,
» et voit une statue du Temps qui frappe
» de sa massue, et qui, par une inscription,
» annonce à Rodrigue toutes les infortu-
» nés qui l'attendent; le prince avance, et
» voit une grande cuve d'eau, mais point
» d'argent; il revient sur ses pas; il fait
» fermer la tour; un coup de tonnerre
» emporte cet édifice, il n'en reste plus
» que des vestiges. Le roi, malgré ces fu-
» nestes pronostics, assemble une armée,
» se bat huit jours près de Cordoue, et est
» tué sans qu'on puisse retrouver son
» corps ».
Voilà ce que nous a fourni l'histoire;
qu'on lise notre ouvrage maintenant, et
qu'on voie si la multitude d'évènemens
que nous avons ajouté à la sécheresse de
ce fait, mérite ou non que nous regardions
46 Idée
l'anecdote comme nous appartenant en
propre *.
Quand à la Conspiration d'Amboise,
qu'on la lise dans Gamier, et l'on verra le
peu que nous a prêté l'histoire.
Aucun guide ne nous a précédé dans les
autres nouvelles; fonds, narré, épisode,
* Cette anecdote est celle que commence Bri-
gandos^ dans Tépisode du roman d'Aline et Val-
court , ayant pour titre : Sainville et Léonore, et
qu'interrompt la circonstance du cadavre trouvé
dans la tour; les contrefacteurs de cet épisode, en
le copiant mot pour mot, n'ont pas manquéde copier
aussi les quatre premières lignes de cette anecdote,
qui se trouvent dans la bouche du chef des Bohé-
miens. Il est donc aussi essentiel pour nous, dans
ce moment-ci, que pour ceux qui achètent des
Romans, de prévenir que l'ouvrage qui se vend
chez Pigoreau et Leroux, sous le titre de Valmor
etLidia, et chez Cérioux et Moutardier, sous celui
âî'Al^onde et Koradin, ne sont absolument que la
même chose, et tous les deux littéralement pillés
phrase pour phrase de l'épisode de Sainvîlle et
Léonore j formant à-peu-près trois volumes démon
roman d'Aline et Valcourt (Note de de Sade),
Valmor et Lydia ou Voyage autour du Monde de
deux Amants qui se cherchent ^ parut à Paris chez
Pigoreau ou Leroux, an vu, 3 vol..in-i2. C'est
l'abrégé à* Aline et Valcourt, à cette différence que
la forme épistolaire est remplacée par la forme
narrative.
SUR LES Romans 47
tout est à nous; peut-être n'est-ce pas ce
qu'il y a de plus heureux; qu'importe,
nous avons toujours cru, et nous ne cesse-
rons d'être persuadés, qu'il faut mieux
inventer, fût-on même faible, que de co-
pier ou de traduire ; l'un a la prétention
du génie, c'en est une au moins; quelle
peut être celle du plagiaire ? Je ne connais
pas de métier plus bas, je ne conçois pas
d'aveux plus humilians que ceux où de tels
hommes sont contrains, en avouant eux-
mêmes, qu'il faut bien qu'ils n'aient pas
d'esprit, puisqu'ils sont obligés d'emprunter
celui des autres.
A l'égard du traducteur, à Dieu ne plaise
que nous enlevions son mérite ; mais il ne
fait valoir que nos rivaux; et ne fût-ce que
pour l'honneur de la patrie , ne vaut-il pas
mieux dire à ces fiers rivaux, et nous aussi
fîous savons créer.
Je dois enfin répondre au reproche que
l'on me fit, quand parut Aline et Val-
court *. Mes pinceaux, dit-on, sont trop
* A Une et Valcourt ou le Roman philosophique y
écrit à la Bastille un an avant la Révolution de
48 Idée
forts, je prête au vice des traits trop odieux;
en veut-on savoir la raison? je ne veux
pas faire aimer le vice; je n'ai pas, comme
Crébillon et comme Dorât, le dangereux
projet de faire adorer aux femmes les per-
sonnages qui les trompent, je veux, au
contraire, qu'elles les détestent; c'est le seul
moyen qui puisse les empêcher d'en être
dupes ; et, pour y réussir, j'ai rendu ceux
de mes héros qui suivent la carrière du
vice, tellement effroyables, qu'ils n'inspi-
reront bien sûrement ni pitié ni amour * ;
en cela, j'ose le dire, je deviens plus mo-
ral que ceux qui se croyent permis de les
embellir; les pernicieux ouvrages de ces
auteurs ressemblent à ces fruits de l'Amé-
rique, qui sous le plus brillant coloris,
portent la mort dans leur sein; cette trahison
de la nature, dont il ne nous appartient pas
de dévoiler le motif, n'est pas faite pour
France parut pour la première fois en 1793 {Voye{
la Notice).
*■ Singulière théorie qui est bien dans le ton
paradoxal du Marquis. Dans tous ses ouvrages, il
semble vouloir répéter à satiété cette doctrine falla-
cieuse.
SUR LES Romans 49
l'homme; jamaîs enfin, je le répète, ja-
mais je ne peindrai le crime que sous les
couleurs de l'enfer, je veux qu'on le voye
à nud, qu'on le craigne, qu'on le déteste,
et je ne connais point d'autre façon pour
arriver là, que de le montrer avec toute
l'horreur qui le caractérise. Malheur à ceux
qui l'entourent de roses ! leurs vues ne
sont pas aussi pures, et je ne les copierai
jamais. Qu'on ne m'attribue donc plus,
d'après ces systèmes, le roman de J... *;
jamais je n'ai fait de tels ouvrages, et je
n'en ferai sûrement jamais; il n'y a que
des imbéciles.ou des méchans qui, malgré
* Justine ou Les Malheurs de la Vertu. — De
Sade s'est souvent défendu d'être l'auteur de cet
infâme roman. La Revue rétrospective publiée par
J. Taschereau, renferme deux curieux documents
à ce sujet : 10 Un Rapport du Conseiller d'Etat,
Préfet de Police, à son Excellence le Sénateur Mi^
nistre de la Police générale, le 21 fructidor an XII.
— 20 — Une lettre écrite de Pélagie, le 3o floréal
an X par Sade, homme de lettres, au Ministre de la
Justice. € On m'accuse d'être Fauteur du livre de
Justine, dit-il, l'accusation est fausse, je vous le
jure, au nom de tout ce que j'ai de plus sacré. Si
l'on peut me convaincre, je veux subir mon juge-
ment, dans le cas contraire, je veux être libre. 9
t
5o loi! SUR LBS Rouans
l'authesdcicé de mes dénégations, puissent
me soupçonner ou m'accuser encore d'en
être l'auteur, et le plus souverain mépris
sera désormais la seule arme avec laquelle
je combattrai leurs calomnies.
EN COURS DE PUBLICATION
A LA LIBRAIRIE EDOUARD ROUVEYRE
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qui, en même temps que la couverture
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abonnés.
Le but de ces Miscellanées bibliographiques, mo-
deste dans son principe, peut, par suite, devenir
plus manifeste, plus vaste, et atteindre à l'au-
torité, à Vutile dulci d'une petite Encyclopédie
bibliographique, telle que l'avait conçue et lon-
guement rêvée le doctissime et regretté Quérard.
— Sous ce titre, nous entendons grouper à bon
escient tous les documents rares ou curieux qui
se trouvent épars de ci de là, et dont la recher-
che fatigue même quelquefois l'esprit patient
des bibliophiles* Nous choisirons avec soin les
questions qui se rapportent le mieux à la Tech-
52 LIBRAIRIE EDOUARD ROUVEYRE
nologîe du Livre^ à la Bibliognosie et aussi à la
Bibliatrique. Sans nous écarter du domaine bi-
bliographique, nous espérons traiter ex professa,
pour ainsi dire, De omni re scibili et quibusdam
aliis. Nous serons en tous points net et concis,
et réduirons à Tart difficile de faire court des
sujets trop souvent noyés dans la diffusion et la
prolixité d'un excès de savoir.
Cette publication, paraissant régulièrement cha-
que mois en manière de livraison, formera an-
nuellement un intéressant volume d*Analectes
utiles à consulter. Une table analytique des ma-
tières et des noms d'auteurs permettra aux
chercheurs et aux érudits de puiser dans ce vé-
ritable nid à documents précieux avec autant de
profit que dans un dictionnaire d*anas biblio-
graphiques.
Nous ne limiterons pas notre but au plaisir d'in-
téresser, d'indiquer les rarce aves de la Biblio-
philie et de glaner dans le glorieux passé de la
Bibliognostique ; nous accorderons une place à
l'art moderne du Livre, aux Bibliophiles mi'/i-
tants de Paris, *de la province et de l'étranger.
Trouvailles, curiosités, renseignements bibliolo-
giques quelconques, origines ou orthographes de
certains mots, éditions douteuses, interrogations
de toute nature, seront insérés.
En tout et pour tout ce qui sera du ressort du Livre,
nous accueillerons les communications qui nous
seront faites, nous estimant heureux d'avoir ou-
LIBRAIRIE EDOUARD ROUVEYRB 53
vert à nos confrères une libre arène, dans la-
quelle chacun, à tour de rôle, luttera de savoir,
de complaisance ou d'érudition.
Et^maintenant, puisse cetteentreprise justifier notre
devise de présupposition : Vires acquirit eundo.
Le Propriétaire-Gérant ; Edouard ROUVEYRE.
Les numéros parus jusqu'à ce jour contiennent
entre autres articles intéressants :
Livres français perdus, par G. Brunet. — Du
papier^ par Jehan Guet. — Signes distinctifs des
écdtionsoriginales deMontesquieu,ptir L.Dangeau.
— - Remarques sur les éditions du xv« siècle et sur
le mode de leur exécution, par P. Lambinet. •—
Du prêt des livres, par Octave Uzanne. -^ De la
classification des autographes, des estampes et des
gravures, par Ed. Rouveyre. — Quelle est la vé^
ritable édition originale de tPhedre et Hippolyte'»
de Racine, par Asmodée. — Du nettoyage des
estampes et des gravures^ par Jehan Guet. —
Fac-simile du titre de la première édition du
Grand voyage au pays des Jlurons, par Gabriel
Sagard Tnéodat, 16Ï2. — Procédé pour raviver
l'écriture sur les vieux parchemins. — De la
multiplicité des livres, par Van de Weyer. —
Villustromanie, par Octave Uzanne. -^ Fac-similé
de la première page d*un manuscrit d*amour
du xvi« siècle. — Livres imaginaires et souvenir
de bibliographie satirique ^ par René Kerviler.
— La véritable édition originale des caractères
de Théophraste (par La Bruyère) et celle des
réflexions ou sentences et maximes morales (par
le duc de Larochefoucauld), par Asmodée. -^Les
prières de la marquise de Kambouillet, par Pros-
per Blanchemain. — Edwin Tross et ses publi-
cations, par le bibliophile Job. — Aljj-ed de
Musset et ses prétendues attaques contre Victor
Hugo, par Ch. de Lovenjaul. — ' Les annotateurs
de livres, par Octave Uzanne. — Livres à clef,
par le bibliophile Job. — Les manuscrits au
xvm« siècle, par Loys Francia, etc.
LIBRAIRIE ANCIENNE ET MODERNE
tDOVÂMD KOxnnnniB, z, vn des sAnm-rtus, vàris
VIENT DE PARAITRE
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DE TOUTE NATURE
POURSUIVIS, SUPPRIMÉS
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Depuis le ai octobre 1814 jusqu'au 31 juillet 1877
Édition tniUremeHi nouvdk, considèrahJement augmenta
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Et accompagnée de Notes biographiques et analytiques
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Cet ouvrage forme un beau et fort volume grand inrS* de plus de
450 pages, et a été publié en dnq livraisons.
La $• et dernière livraison contient la couverture et le titre im-
primés en rouge et en noir, la préface et la uble des noms d'auteurs
et d'éditeurs.
Le prix de c)iaque livraison est fixé ainsi qu'il suit :
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L'acquisition de U première livraison entraîne de la part de
l'acquéreur l'obligation de prendre les suivantes.
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CONNAISSANŒS NÉCESSAIRES
A UN
BIBLIOPHILE
Établissement d'une Bibliothèque. — Conservation
et Entretien des Livres. — De leur Format et de
leur Reliure. — Moyen de les préserver des
Insectes. — Des Souscriptions et de la Date. -^
De la Collation des Livres. — Des Signes dis-
tinctifs des anciennes Editions. — Des Abrévia-
tions usitées dans les Catalogues pour indiquer
les Conditions. — De la Connaissance et de
l'Amour des Livres. — De leurs divers degrés de
Rareté. — Moyens de détacher, de laver et d'en-
coller les Livres. — Réparations des Piqûres de
vers, des Déchirures et des Cassures dans le
Papier.
SECONDE ÉDITION
RBVUB, COUUGÉB BT AUGMENTÉE DE TROIS NOUVEAUX CHAPITllBS
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au commerce.
Beau volume in-S» écu de viii et i54 pages,
orné de jolis fleurons et culs-de-lampe spéciaux,
d'un titre composé par Marius Perret et gravé par
A. Bellenger, et d'une délicieuse eau* forte dessinée
et gravée par Adolphe Lalauze.
Nous appelons d'une façon spéciale l'attention
des amateurs et des libraires sur cet ouvrage de
bibliographie badine, d'une allure vive et enjouée,
et d'une verve toute humoristique. — Ce n'est plus
de la bibliognosie aride, mais de la bibliophilie
amusante et gaie. Voici les principaux titres des
chapitres 4u livre : Ma Bibliothèque aux enchères.
— La Gent bouquinière, — Les Galanteries du sieur
Scarron, -.- Le Quémandeur de livres. — Le vieux
Bouquin, — Le Libraire du Palais. — Un Ex*
libris mal placé. —Les Quais en août.^Les Catalo*
gueurs, — Simple coup^d'œil sur le Roman mo*
derne,^ Le Bibliophile aux champs. — Les Projets
^Honoré de Balzac. — Variations sur la reliure
de fantaisie. — Restif de la Bretonne et ses biblio-
graphes. — Le Cabinet d'un éroto^ibliomane.
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VIENT DE PARAITRE
UN
BOUQ.UINISTE
PARISIEN
LE PÈRE LÉCUREUX
précédé d'un chapitre sur les
JOIES DU BIBLIOPHILE
SUIVI d'umb
LETTRE SUR LE COMMERCE DES OUVRAGES
INCOMPLETS AU XVIII* SIÈCLE
ET d'un éLOGE DU LIVRE
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Froniisptci d Veawfirt» composé tt gravi par Maxime Lalamvb
Un joli volume in-x8, titre ronge et noir, imprimé avec luxe, tiré
à $00 exemplaires, tous numérotés.
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6 — papier du Japon — $ à xo 20 »
10 — papier de Chine — 11 à 20 X2 »
30 — papier Turkey Mill — 21 à $0 6 »
4$o — papier vergé de Hollande — $1 à 500 3 »
Avis. — Il a été tiré du frontispice gravé à l'eau-
forte, dont le sujet représente les bouquinistes du
pont des Arts au pont des Saints-Pères, 3o exem-
plaires sur Chine volant, grandes marges, avant
toute /effr^, numérotés, imprimés en noir, en bistre,
en sanguine ou en bleu. Chaque épreuve. . 3 fr.
60 Exemplaires sur Turkey Mill, grandes ta^v^
gt%, avant toute lettre y numérotés, imprimés en noir,
en sanguine ou en bleu. Chaque épreuve. • . 2 fr.
Vient de paraître, ^ Envoi gratis et franco,
1878 . N« 25
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Beaux-Arts, Musique, Linguistique, Théâtre, Géographie
ancienne et moderne. Histoire des villes et des anciennes
provinces de France, Noblesse, Archéologie, Bibliogra-
phie, Histoire de l'Imprimerie, Céramique, Histoire de
France, etc.
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Anciennes vues de villes de France, par Chastillon, Sil-
vestre, etc.
MM. les Amateurs avec lesquels nous avons l'honneur d'être en
relation sont priés de nous communiquer les noms et adresses des
personnes que nos catalogues peuvent intéresser.
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